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Full text of "Collection intégrale et universelle des orateurs sacrés du premier et du second ordre et collection intégrale, ou choisie, de la plupart des orateurs du troisième ordre"

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in  2012  with  funding  from 

University  of  Toronto 


http://archive.org/details/collectionintgra50mign 


COLLECTION 

INTÉGRALE  ET  UNIVERSELLE 


DES 


ORATEURS   SACRÉS 

DU    PREMIER    ORDRE 

SAVOIR   :   BOURDALOUE,   BOSSUE'!'*,  FÉNELON  *,    MASSILI.ON   '; 

COLLECTION  ÉGALEMENT  INTÉGRALE  ET  UNIVERSELLE 

DES     ORATEURS   SACRÉS   DU    SECOND    ORDRE  , 

SAVOIR  :  I)K  LINGENDES,  LEJEUNE,  JOLY,    DE    LA    COLOMBIÈRE,  CHEMINAIS,  GIROUST ,    D*ARGENTR6, 

D'ORLÉANS,    MASCAHON,    BOILEAU  \    ANSELME  ',  FLÉCHIER  ',    RICHARD    (  l'aVOCAT  ), 

LAROCHE,    HUBERT,    MABOUL,    HONORÉ   GAILLARD,   LES    DEUX    TERRASSON,    DE    LA  RUE,  DE 

NESMOND*,  MATTH.  POUCET  DE  LA  RIVIÈRE,  DU  JARRV,    DE  LA   BOISSIÈRE,     DE    LA 

PARISIÈRE,    J.-B.   MOLINIER,    SOANEN,  BRETONNEAU,  PALLU,  DUFAY,  MONG1N*,  BALLET, 

SÉGAUD,  SURIAN',  SENSARIC,  CICÉRI*,  SÉGUY*,  PÉRUSSEAU,  TRUBLET*,  PERRIN, 

DE  LA  TOUR  DU  PIN,  LAFITA  U,    D'ALÈGRE,  CLÉMENT,    CLAUDE    DE    NEUVILLE,    DOM 

VINCENT,  DE  LA  BERTHONIE,GRIFFET,  COUTURIER,  LE  CHAPELAIN,  POULI.H, 

CAMBACÉRÈS,    ÉLIZÉE,  GÉRY,   BEURRIER,  DE   IIOISMONT*,   MAROLLES,   MAURY* 

ENFIN  COLLECTION  INTÉGRALE,  OU  CHOISIE, 

de  la  plupart  des  orateurs  sacrés  du  troisième  ordre, 

savoir  :  camus,  coton,  caussin,  godeau,  f..  molinier,  castii.lon.  de  bourzeis*,  biroat,  texif.r,  nicolas  de  dijon, 

senault,  françois  de  toulouse,  treuvé,  c.  de  saint-martin,  brettevii.i.e  ,  boudry,  de  f  romentières, 

dr  la  chambre*,  maimbourg,  simon  de  la  vierge,  le  boux,  masson,  augustin  de  narbonne.  la  pesse, 

chauciiemer,  de    la    volpilière  ,    bertal  ,  d\mascène,   sêrai'iiin,  quiqueran   de    beaujeu, 

de  la  chétardie,  ciiampigny,  loriot,  jérôme  de  paris  (ge  ffrin',  renaud,  bégault,  itolrrée, 

iiermant,  michel  poncet  de  la  riviere,  charaud  ,  daniel  de  paris,  ingoui.t,  poisson, 

pacaud,  prévôt,  de  latour,  de  tracy,  pltadal,  du  treul,  asselin,  collet, 

jard,  cil.  de  neuville,  papillon,  girardot,  richard  (l'abbé),  geoffroy,  baudrand, 

de  l'écluse   des   loges,   fossard,   talbert,    barutel  ,  torné , 

fauchet,  piller,  roquelaure  *,  villedieu,  asseline, 

(  LES  ORATEURS  MARQUÉS  D'UNE  *  ÉTAIENT  MEMBnES  DE  h  ACADEMIE,  ) 

ET    BEAUCOUP  D'AUTRES  ORATEURS,    TANT  ANCIENS  QUE  CONTEMPORAINS,   DU  SECOND  COMME  DU  TROISIÈME  ORDRE, 
DONT  LES  NOMS  NE  POURRONT  ÊTRE  FIXÉS  QUE  POSTÉRIEUREMENT  J 

PUBLIÉE     SELON    L'OR  DUE    CHRONOLOGIQUE, 

AFIN    DE   PRÉSENTER,    COMME    SOUS    UN    COUP  D'OEIL,  L'HISTOIRE   DE   LA    PRÉDICATION   EN   FRANCK,   PENDANT 
TROIS  SIÈCLES,  AVEC  SES   COMMENCEMENTS,       SES    PROGRÈS,    SON    APOGÉE,    SA     DÉCADENCE    ET   SA    RENAISSANCE; 

PAR  M.  L'ABBE  M  IGNE, 

ÉDITEUR  DE  LA  BIBLIOTHÈQUE  UNIVERSELLE  DU  CLERGÉ, 

OU    DES    COURS   COMPLETS    SUR    CHAQUE    BRANCHE    DE    LA    SCIENCE    RELIGIEUSE. 


67  TOL.   IH-4\  PRIX  :  5  FR.  LE   VOL.  POUR  LE  SOUSCRIPTEUR  A    LA    COLLECTION     ENTIERE  ; 
6  FR.    POUR  LE  SOUSCRIPTEUR  A  TEL  OU  TEL  ORATEUR  EN  PARTICULIER. 


TOME  C1INQUAINTIEME, 

CONTENANT  LA  DEUXIÈME  PARTIE  DES  OEUVRES  ORATOIRES  CHOISIES  DE  RALLET 

ET  LES  OEUVRES  COMPLÈTES  DE  SURIAN. 

- — rs-O 

S'IMPRIME  ET  SE  VEND  CHEZ  J.-P.   MIGNE,  EDITEUR, 

AUX   ATELIERS  CATHOLIQUES,    RUE  D  AMBOISE,  AU   PETIT-MONTROUGE, 

BARRIERE    d'eNFER    DE   PARIS. 


1855. 


\ 

(Tt 


SOMMAIRE 


DES  MATIÈRES  CONTENUES  DANS  LE  CINQUANTIÈME  VOLUME. 


BALLET. 


OEuvres  oratoires  caoïsiEs.  (  u*  partie.) 

Panégyriques. 

Sujets  divers. 

Instructions  sur  la  pénitence  du  Carême. 

Instructions  sur  le  Jubilé. 


SURIAN. 


Notice  sur  le  P.  Surian. 

OEUVRES  COMPLÈTES. 

Petit  Carême. 

Carême. 

Mystères  et  fêtes. 

Sermon  sur  le  Jugement  dernier. 


Col.  9 
331 
&55 

537 


611 


en 

G87 
1125 
1225 


1751 


Imprimerie  M1GJNE,  au  Petit- Muntrouge. 


\/  Kn 


ŒUVRES  ORATOIRES 


CHOISIES 


DE  FRANÇOIS  BALLET. 


DEUXIEME  PARTIE. 


PANÉGYRIQUES. 


EXTRAIT  DE  LA  PRÉFACE. 


Je  prie  le  Père  des  lumières  de  toucher  les 
cœurs  de  ceux  qui  liront  ces  Panégyriques,  et 
de  leur  faire  la  grâce  d'imiter  ces  héros  de 
la  religion,  que  j'expose  à  leur  piété  et  à  leur 
vénération.  Jl  ne  faut  pas  séparer  ce  qu'il  y  a 
de  merveilleux  dans  les  saints,  les  miracles, 
les  prophéties,  les  extases  et  toutes  les  voies 
extraordinaires  et   mystérieuses,   par  les- 

2uelles  il  a  plu  à  Dieu  de  conduire  certains 
lus. 

Il  est  étonnant  que  nous  espérions  la 

môme  félicité  dont  jouissent  les  saints,  et  que 
kous  ne  soyons  que  de  stériles  admirateurs 
de  leurs  vertus,  que  nous  les  regardions 
comme  des  hommes  extraordinaires  ,  qui 
possèdent  un  royaume  qui  ne  nous  est  pas 
destiné;  ou  que  nous  soyons  assez  insensés 
pour  espérer  l'obtenir,  sans  marcher  dans  la 
route  qu'ils  nous  ont  tracée.  L'admiration  est 
cependant  ce  à  quoi  se  bornent  les  chrétiens 
de  nos  jours,  lorsqu'ils  lisent  les  actions  des 
saints  dans  les  annales  de  l'Eglise,  ou  qu'ils 
entendent  leurs  éloges  dans  la  chaire  de 
vérité. 

Ce  n'est  pas  là  le  but  que  s'est  proposé 
l'Eglise  dans  tous  les  siècles,  en  rappelant  à 
ses  enfants  les  vertus  des  saints. 

Quand  l'Ecclésiastique  loue  les  héros  de  la 
Synagogue,  qu'il  relève  avec  tant  de  magni- 
ficence leurs  actions  admirables,  il  les  propose 
pour  modèles. 

Saint  Paul,  dans  le  onzième  chapitre  de  son 
E pitre  aux  Hébreux,  rappelle  aussi  leur  foi, 
leur  obéissance,  leur  détachement  comme  des 
exemples  qui  doivent  animer  tous  les  chré- 
tiens. 

Si,  dans  les  premiers  siècles  de  l'Eglise, 
les  saints  docteurs,  ces  grands  évoques,  as- 
semblaient les  fidèles  les  jours  consacrés  à 
la  mémoire  des  martyrs;  s'ils  ne  manquaient 
jamais,  ces  jours-là,  de  faire  leurs  éloges, 
ils  avaient  soin  d'exciter  les  peuples  qui  les 
écoutaient   à  marcher  sur  leurs  traces:  et 

Orateurs  sacrés.  L. 


saint  Chrysostome,  dans  les  Panégyriques 
qu'il  prononçait,  allait  jusqu'à  dire,  ou  qu'il 
ne  fallait  pas  louer  les  saints,  ou  qu'il  fallait, 
les  imiter  :  Aut  imitari  débet  si  laudat,  aut 
laudare  non  débet  si  imitari  detrectat. 

Saint  Augustin  dit  (Lib.  Contra  Faustum, 
cap.  21)  qu'on  ne  célèbre  dans  l'Eglise  la 
mémoire  des  saints  avec  pompe,  qu'on  ne 
prononce  leurs  éloges  dans  ces  grandes  so- 
lennités que  pour  porter  les  fidèles  à  les  imi- 
ter :  Ad  excitandam  imitationem. 

Heureux  si  les  éloges  des  plus  grands  hé- 
ros de  la  religion  que  je  présente  au  public 
peuvent  porter  mes  lecteurs  à  les  imiter  ;  et 
si,  sans  faire  attention  à  l'auteur  qui  ne 
trouve  en  lui  que  des  sujets  de  gémir  et  de 
craindre,  ils  se  fixent  à  ce  qu'ont  fait  ces 
amis  de  Dieu,  qui  sont  arrivés  heureuse- 
ment au  port ,  et  pour  lesquels  il  n'y  a  plus 
de  passions  à  combattre  ,  d'obstacles  à  sur- 
monter, d'écueils  à  éviter,  de  chutes  à  appré- 
hender. Ils  trouveront  dans  ces  deux  volu  • 
mes  de  grands  exemples  de  foi,  de  soumis- 
sion, de  charité,  de  détachement,  de  chasteté, 
de  pénitence,  d'humilité,  qu'ils  peuvent  imi- 
ter selon  l'état  où  la  divine  Providence  les  a 
placés.  Et  ils  se  contenteront  d'admirer  les 
merveilles  des  thaumaturges,  les  travaux 
des  hommes  apostoliques,  les  combats  deces( 
grands  évoques  dans  les  règnes  de  l'hérésie,! 
les  austérités  surprenantes  que  plusieurs 
ont  pratiquées.  Dieu  distribue  ses  dons; 
comme  il  lui  plaît  :  Dividens  singulis  prout, 
vult.  (I  Cor.,  XII.) 

Si  l'on  considère  ces  héros  chrétiens,  que 
j'ai  loués  dans  l'assemblée  des  fidèles,  on 
verra  que  ces  louanges  sont  fondées  ;  car  ce 
sont  des  saints  et  des  saintes  reconnus  par 
l'Eglise  romaine,  qui  font  sa  gloire,  sa  joie  et 
sa  couronne. 

Ne  louez  personne,  dit  l'Esprit-Saint,  avant 
sa  mort  :  Ante  mortem  ne   laudes  hominetr* 
(Eccli.,  XI.) 

1 


11 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


12 


Je  remarque  trois  choses  qui  doivent  nous 
empêcher  de  louer  les  vivants. 

La  première  parce  que  les  louanges  peu- 
vent amollir  les  plus  justes. 

C'est  à  cette  occasion  que  saint  Augustin 
dit  que  les  louanges  des  hommes  sont  de 
grandes  tentations  pour  ceux  à  qui  on  les 
donne.  On  est  exposé  à  un  grand  danger, 
quand  on  s'entend  louer  et  applaudir;  et  je 
crois  qu'il  y  en  a  qui  ont  assez  de  religion 
pour  ne  point  s'abattre  sous  le  poids  des  af- 
llictions,  et  qui  n'ont  peut-être  pas  la  force 
de  résister  aux  applaudissements  et  aux 
louanges  :  Laus  hominum  periculosissima 
tentatio.  (S.  Aug.,  libro  X.) 

La  seconde,  parce  que  cette  vie  étant  une 
milice  continuelle,  comme  parle  l'Ecriture, 
l'homme  marchant  à  travers  les  écueils,  étant 
toujours  exposé  aux  embûches  et  aux  artifi- 
ces de  ses  ennemis,  il  faut  attendre  qu'il 
soit  sorti  du  combat,  qu'il  ait  remporté  une 
victoire  complète,  et  triomphé  de  ses  enne- 
mis pour  toujours,  pour  le  louer  avec  sû- 
reté :  ceux  mêmes  qui  vivent  bien  ont  encore, 
dit  saint  Grégoire  (lib.  VI  Moral.),  sujet  de 
craindre  et  de  s'alarmer  :  Cum  bene  vivitur 
va'de  timendum  est. 

La  troisième ,  c'est  que  nous  pourrions 
quelquefois  louer  des  actions  que  Dieu 
désapprouve;  n'est-ce  pas  ce  qui  arrive  sou- 
vent clans  les  louanges  que  l'on  prodigue 
tous  les  jours  aux  savants,  aux  grands,  aux 
personnes  en  place?  C'est  une  coutume  de 
louer  les  mortels  élevés  au-dessus  des  au- 
tres, et  de  leur  supposer  des  talents  que 
leurs  dignités  exigent.  Mais,  dit  saint  Au- 
gustin (lib.  III  De  civ.  Deï),  qu'on  fasse  tom- 
ber ces  voiles  séduisants,  que  la  main  offi- 
cieuse des  adulateurs  a  jetés  sur  leurs  ac- 
tions; que  l'on  fasse  disparaître  ces  ombres 
qu'ils  ont  répandues  sur  leurs  faiblesses  ; 
qu'on  renverse  ces  trophées  de  l'adulation  et 
de  la  vaine  gloire  :  Fallacia  tegmina  et  vanœ 
lundis  et  (jloriœ  auferantur;  et  on  verra  paraître 
a  la  place  des  vertus  que  les  orateurs  leur  ont 
prêtées,  les  misères  des  pécheurs  cachées 
sous  les  dehors  de  la  grandeur,  de  la  science 
et  de  la  valeur  :  Et  apparebunt  miseriœ  pec- 
catorum. 

Il  n'en  est  pas  de  même  de  ceux  qui  sont 
arrivés  au  terme,  qui  ont  obtenu  la  couronne 
immortelle.  Nous  les  louons  après  que  Dieu 
a  manifesté  leur  sainteté.  Nous  nous  rappe- 
lons avec  joie  leurs  vertus,  mais  nous  en 
rapportons  toute  la  gloire  à  la  grâce  de  Jé- 
sus-Christ, qui  les  a  sanctifiés,  et  qui  lésa 
fait  triompher  du  monde  :  In  laudem  (jloriœ 
gratiœ.  (Ephes.,  I.) 

Pour  louer  sans  craindre,  il  faut,  dit  saint 
Augustin  [in  Psalm.),  que  Dieu  soit  le  prin- 
cipe de  nos  louanges  :  Securitas  laudis  in 
lande  J)ri  est.  Le  panégyriste,  l'orateur  est 
en  sûreté  quand  il  loue  Dieu  dans  ses  saints, 
qu'il  ne  relève  point  leurs  vertus  sans  rele- 
ver la  grâce  qui  les  a  fait  pratiquer  :  Lauda- 
lor  securus  est.  11  ne  craint  point  de  publier, 
dans  la  chaire  de  vérité,  les  vertus  les  plus 
éminentes,  les  actions  les  plus  héroïques, 
les  miracles  les  plus  éclatants,  les  voies  les 


plus  extraordinaires  et  les  plus  mystérieuses, 
jiarce  qu'il  montre  toujours  son  héros  dans 
les  mains  de  Dieu,  qui  agit  en  lui  et  avec  lui  : 
non  timet.  Il  ne  rougit  pas  de  rappeler  les 
faiblesses  de  celui  qu'il  loue,  quand  il  en  a 
eu.  C'est  pour  lui  un  sujet  de  faire  rendre 
hommage  à  la  magnificence  de  la  grâce  :  nec 
de  laudato  erubescat. 

Les  orateurs  profanes  craignent,  sont  em- 
barrassés quand  ils  ont  des  discours  à  pro- 
noncer à  la  louange  de  ces  hommes  qui 
souillent  leur  naissance,  leurs  places,  leiirs 
talents  et  toutes  les  vertus  politiques  par  de 
grands  vices.  Ils  sont  souvent  démentis  par 
ceux  [qui  les  écoutent,  et  si  l'on  admire  en 
eux  la  pureté  du  langage ,  la  fécondité  de 
l'imagination,  les  agréments  et  la  majesté  do 
l'éloquence  ;  on  censure  secrètement  l'adu- 
lation qui  règne  dons  leur  pièce  et  le  cou- 
pable encens  -qu'ils  offrent  au  vice  des 
grands. 

Pour  nous,  ministres  de  Jésus-Christ,  en 
louant  les  saints  dans  la  chaire  de  vérité, 
nous  louons  des  hommes  dont  l'Eglise  a  cons- 
taté la  gloire  et  l'héroïeité  de  leurs  vertus. 
Ne  louez,  dit  saint  Bernard  (sermone  5  in 
festis  sanctorum),  que\es  vertus  de  ceux  dont 
les  triomphes  sont  certains  :  lllorum  lauda 
virtutem  quorum  certa  est  Victoria. 

Or,  c'est  l'Eglise  romaine  qui  annonce  lu 
bonheur  de  ceux  dont  nous  faisons  l'éloge. 
Elle  seule  a  ce  droit;  c'est  après  qu'elle  a 
parlé,  qu'elle  a  permis  leur  culte,  que  nous 
nous  assemblons  chaque  année,  et  que, dans 
la  pompe  des  divins  offices,  et  à  la  face  des 
saints  autels,  nous  prononçons  leurs  éloges. 
Alors  l'orateur  parle  avec  confiance,  ce  sont 
les  triomphes  de  la  grâce  qu'il  raconte  en 
racontant  la  victoire  certaine  qu'ils  ont  rem- 
portée sur  le  monde  :  Laudator  securus 
est. 

On  voit  par  tous  ces  exemples,  que  la  cou- 
tume de  louer  les  saints  dans  l'assemblée 
des  fidèles;  de  célébrer  avec  pompe  des 
fêtes  pour  honorer  leurs  triomphes,  est  très- 
ancienne.  Aussi  je  ne  saurais  approuver  le 
sentiment  de  ceux  qui  voudraient  qu'on  ne 
fit  jamais  de  panégyriques  :  qui  décrient 
l'éloquence  avec  laquelle  on  s'efforce  de  ra- 
conter les  merveilleuses  actions  des  héros 
de  notre  sainte  religion;  qui  se  chargent  de 
prêcher  ces  jours  de  solennité ,  et  qui  débi  - 
tent  dus  discours  où  le  héros  dont  on  célèbre 
la  mémoire,  n'est  pour  rien. 

J'ai  pour  moi  tous  les  plus  grands  doc- 
teurs de  l'Eglise,  qui  ne  manquaient  jamaisde 
rendre  ce  tribut  annuel  de  louanges,  les  jours 
marqués  dans  l'année  pour  honorer  la  mé- 
moire des  martyrs.  11  n  y  a  qu'à  lire  les  dis- 
cours de  saint  Àmbroise,  de  saint  Augustin, 
de  saint  Jérôme,  de  saint  Chrysostome,  de 
saint  Basile,  de  saint  Grégoire  de  Nysse,  de 
saint  Grégoire  de  Nazianze ,  de  saint  Gré- 
goire pape ,  de  saint  Bernard  ,  pour  en  être 
convaincu. 

Je  ne  parle  point  de  saint  Grégoire  de 
Tours,  on  sait  qu'il  a  consacré  sa  plume  à 
écrire  les  actions  des  martyrs  et  des  confes- 
seurs :  qu'il  n'a  laissé  échapper  aucune  de 


\7> 


PANEGYRIQUES.  —  EXTRAIT  DE  LA  PREFACE. 


H 


leurs  vertus ,  ni  aucuns  de  leurs  miracles; 
qu'on  ferait  plusieurs  volumes  de  tout  ce 
qu'il  a  dit  des  merveilles  qui  s'opéraient  à 
leurs  tombeaux. 

N'ai-je  pas  aussi,  pour  autoriser  mon  sen- 
timent, la  conduite  de  l'Eglise,  toujours  sage 
et  toujours  animée  de  l'esprit  de  son  divin 
Époux? 

Dans  les  jours  consacrés  à  la  mémoire  des 
saints,  nes'occupe-t-elle  pas  de  leurs  vertus? 
Ne  fait-elle  pas  lire  à  ses  ministres  leurs  ac- 
tions admirables  ?  N'a-t-elle  pas  composé  des 
offices  propres  qui  les  caractérisent  autant 
'qu'elle  peut?  Ne  fait-elle  pas  retentir  les 
saints  temples  des  hymnes  qu'elle  chante  à 
leur  gloire?  Pourquoi  les  orateurs  chrétiens 
négligeraient-ils  de  raconter  au  peuple, 
religieusement  assemblé  dans  ces  saintsjours, 
les  vertus  de  ces  hommes  admirables? 

11  est  vrai  que  ces  discours  ne  se  prêchent 
pas  aussi  souvent  que  les  sermons  de  mo- 
rale; qu'il  faut  des  talents  particuliers ,  beau- 
coup plus  d'imagination ,  d'élévation;  mais 
ceux  qui  s'en  chargent  doivent  sonder  leurs 
dispositions.  Un  grand  ordre  s'attend  à  en- 
tendre louer  son  patriarche  ;  et  les  fidèles, 
que  la  solennité  a  rassemblés,  sont  étonnés, 
quand  ils  n'entendent  point  parler  du  saint 
qu'ils  viennent  invoquer. 

Que  ce  soit  par  un  certain  sentiment  par- 
ticulier ;  que  ce  soit  pour  éviter  le  travail,  il 
est  certain  qu'on  a  trop  négligé  les  panégyri- 
ques. 

Plusieurs  accusent  les  panégyristes  de 
faire  valoir  des  faits  dépourvus  d'authenticité, 
et  portent  l'audace  jusqu'à  dire,  qu'on  ne  sau- 
rait faire  un  panégyrique  sans  souiller  la 
cliaire  de  vérité  par  de  pieux  mensonges. 
Calomnie  et  satire  sacrilège,  que  je  suis 
obligé  de  venger  dans  cette  Préface  pour  la 
gloire  de  la  religion,  l'honneur  de  l'Eglise 
(jui  nous  honore  de  sa  mission,  et  la  sain- 
teté du  ministère  sacré  que  nous  exerçons. 

Lorsque  j'ai  composé  tous  les  panégyri- 
ques que  je  donne  au  public,  j'ai  presque 
toujours  suivi  M.  Baillet,  ce  savant  critique. 
Et  pour  les  faits  extraordinaires  qu'il  lui  a 
plu  de  révoquer  en  doute,  ou  qu'il  raconte 
d'une  manière  vague,  en  se  servant  toujours 
de  cette  expression  :  on  dit,  je  ne  les  ai  fait 
valoir,  que  parce  que  je  les  ai  trouvés  solide- 
ment approuvés  par  l'Eglise  romaine;  c'est 
en  conséquence  d'une  autorité  si  respecta- 
ble, que  je  lésai  annoncés  aux  fidèles;  je  les 
regarde  comme  des  faits  graves  qui  ne  re- 
gardent pas  la  foi,  mais  qui  sont  revêtus 
d'une  autorité  légitime  et  respectable. 

Ainsi,  dans  l'éloge  de  l'ordre  de  Notre- 
Dame  de  la  Merci,  j'admets  la  révélation 
faite  à  saint  Pierre  Nolasque,  à  saint  Ray- 
mond de  Pennafort,  à  Jacques  Ier,  roi  d'Ara- 
gon ;  dans  celui  de  Notre-Dame  du  Mont- 
Carmel ,  la  révélation  faite  à  saint  Simon 
Stoch;  dans  saint  François  d'Assise,  la  révé- 
lation faite  à  ce  saint  patriarche,  et  ses  glo- 
rieux stigmates;  dans  l'éloge  de  sainte  Claire, 
la  défaite  miraculeuse  des  Sarrasins. 

Voilà  des  faits  dont  les  critiques  veulent 
douter,  mais  je  les  trouve  approuvés  par  les 


souverains  pontifes.  Je  ne  vois  pas  que  les 
légendaires  les  plus  exa;ts  les  aient  rejetés, 
lorsqu'ils  ont  ôté  des  légendes  beaucoup  de 
faits  qui  n'étaient  pas  assez  graves  pour  no- 
tre sainte  religion,  qui  n'étaient  pas  puisés 
dans  des  sources  pures,  ou  qui  sentaient 
trop  le  goût  de  certains  siècles  pour  les  {lieu- 
ses Actions. 

Or,  dès  que  ces  faits  sont  déclarés  authen- 
tiques par  les  souverains  pontifes,  et  admis 
dans  les  actes  de  la  canonisation  des  saints 
dont  je  fais  l'éloge,  je  suis  fondé  à  les  faire 
valoir  dans  les  chaires  chrétiennes. 

Comme  dans  le  panégyrique  de  saint  Fran- 
çois d'Assise,  au  sujet  de  ses  stigmates,  je 
fais  un  portrait  de  Bayle,  qui  n'a  pas  épargné 
dans  ses  sacrilèges  plaisanteries  ce  digne 
imitateur  de  la  pauvreté  de  Jésus-Christ ,  les 
lecteurs  chrétiens  et  équitables  ne  seront  pas 
surpris,  si  je.  dis  ici  qu'on  ne  peut  lire  et  en- 
tendre ses  blasphèmes  sans  horreurs,  ni 
qu'il  y  a  un  aveuglement  pitoyable  dans  tous 
les  discours  de  ces  personnes  qui  louent  son 
dictionnaire  comme  un  ouvrage  admirable,  et 
qui  le  font  passer  pour  le  génie  le  plus  juste 
et  le  plus  brillant  qui  ait  jamais  paru. 

Je  ne  m'arrêterai  pas  à  prouver  qu'il  est 
rempli  de  contradictions,  de  faussetés,  et 
qu'il  no  faut  qu'avoir  lu  l'histoire  des  con- 
ciles, avoir  une  teinture  des  hérésiarques  et 
des  dogmes  qu'ils  ont  débités,  pour  être  per- 
suadé qu'il  fait  briller  son  esprit  aux  dépens 
de  la  vérité  et  de  la  saine  doctrine  dont  il  se 
joue,  et  dont  il  ignore  les  principes.  Des 
personnes  sans  études  et  sans  piété  peuvent 
lire  son  ouvrage  avec  goût.  Des  articles 
courts,  remplis  de  pointes,  de  saillies,  de 
réflexions  indécentes,  peuvent  amuser  jus- 
qu'au sexe  même;  mais  je  serais  étonné 
qu'un  homme  qui  fait  profession  d'une  vraie 
piété,  lui  prodiguât  son  encens. 

Jamais  ceux  qui  savent  l'histoire  de  l'E- 
glise, n'ont  manqué  de  respect  pour  l'Eglise 
romaine,  qui  est  la  mère  et  la  maîtresse  de 
toutes  les  autres.  C'est  sur  ce  principe  que 
nous  regardons  comme  des  faits  graves  et 
dignes  d'être  proposés  à  l'admiration  et  à  la 
pieté  des  fidèles,  certaines  actions  extraor- 
dinaires des  saints  qu'elle  a  canonisés;  cer- 
taines faveurs  singulières  qu'ils  ontreçues  du 
ciel.  Mais  cette  Eglise  romaine,  si  chère  à 
tous  les  catholiques,  comment  Bayle  en 
parle-t-il  ?  Ce  n'est  pas  un  protestant  furieux 
qui  se  déchaîne,  je  n'en  serais  pas  étonné; 
c'est  un  bouffon,  qui  sacrifie  à  un  bon  mot  la 
décence  et  ce  qu'il  y  a  de  plus  saint. 

Je  ne  suis  pas  étonné  que  les  partisans 
d'un  tel  ouvrage  tournent  en  ridicule  cer- 
tains faits  extraordinaires  que  l'Eglise  10- 
maine  a  constatés. 

Nous  ne  devons  pas  non  plus  nous  attea- 
dre  que  ceux  qui  lisent  les  scandaleux  ou- 
vrages de  cet  impie,  aient  du  respect,  pour 
les  saints  reconnus  par  l'Eglise  romaine, 
dont  il  parle  avec  toute  l'indécence  pos- 
sible. 

Que  ne  dit-il  pas  de  saint  François  d'As- 
sise, de  saint  Bernard,   de  saint  Louis,  do 


13 


ORATEURS  SACRES.  BALEET. 


16 


sainte  Blanche  sa  mère,  invoquée  dans  plu- 
sieurs Eglises? 

Il  n'est  pas  étonnant  que  ceux  qui  se  dé- 
clarent, pour  un  ouvrage  aussi  impie  etaussi 
séduisant,  n'ayant  point  de  respect  pour  ces 
saints,  se  moquent  aussi  des  éloges  que  nous 
leur  donnons  dans  les  chaires  de  vérité  ; 
mais  il  est  encore  plus  étonnant,  que  cet  ou- 
vrage fasse  les  délices  d'une  infinité  de  chré- 
tiens, et  qu'ils  ne  rougissent  point  de  nous 
citer  avec  complaisance  les  sacrilèges  sail- 
lies d'un  auteur  si  méprisable. 

Je  ne  crois  pas  non  plus  qu'Usaient  beau- 
coup de  respect  pour  les  dévotions  que  j'ins- 
pire aux  fidèles  pour  la  mère  de  Dieu,  dans 
les  discours  sur  la  fête  du  Mont-Carmel,  et 
sur  celle  de  la  Merci.  Bayle  n'en  parle  pas 
en  protestant,  mais  en  nestorien  et  en 
arien. 

On  honore  cependant  cet  homme  du  glo- 
rieux titre  d'auteur  judicieux,  impartial,  ad- 
mirable. Qu'on  le  lise  après  cela  sans  scru- 
pule, et  qu'on  tourne  en  ridicule  nos  dévo- 
tions en  l'honneur  de  Marie,  je  ne  serai  pas 
étonné.  Ce  sont  de  tels  lecteurs  qui  peuvent 
révoquer  en  doute  et  traiter  de  fables  les 
actions  extraordinaires  et  les  faveurs  singu- 
lières que  je  raconte  dans  plusieurs  panégy- 
riques que  je  donne  aujourd'hui  ;  et  je  crois 
qu'ils  ne  méritent  pas  d'attention 


A  l'égard  du  style  des  panégyriques,  je 
dirai,  quoique  je  n'aie  pas  d  intérêt  à  prendre 
le  parti  de  l'éloquence,  qu'il  est  nécessaire 
de  s'élever,  autant  qu'on  en  est  capable,  dans 
ces  sortes  de  discours;  qu'il  faut  employer 
les  beautés  de  l'art,  les  ornements  de  l'élo- 
quence, les  grâces  de  la  parole,  les  images 
brillantes,  les  comparaisons  ingénieuses, 
sans  perdre  rien  du  zèle  apostolique. 

Je  dirai  qu'il  faut  y  semer  des  réflexions 
pieuses,  des  traits  de  morale  qui  touchent 
et  instruisent  les  auditeurs,  et  que  le  saint 
qu'on  loue  serve  de  modèle,  sans  cesser  d'é- 
puiser l'admiration. 

Je  dirai  qu'il  faut  qu'un  panégyrique  soit 
rempli  de  faits,  et  de  ceux  qui  sont  les  plus 
intéressants  dans  la  vie  de  son  héros:  qu'on 
doit  tellement  le  caractériser,  qu'on  n'en 
puisse  appliquer  aucun  lambeau  à  un  autre. 

Si  on  ne  trouve  point  tout  cela  dans  ceux 
que  je  donne  au  public,  qu'on  s'en  prenne  h 
mon  insuffisance,  qui  n'a  pu  mettre  en  prati- 
que les  préceptes  que  je  crois  nécessaires 
pour  faire  un  bon  panégyrique.  Je  serai  bien 
récompensé,  s'ils  portent  quelques  âmes  à 
imiter  les  saints  dans  les  vertus  communes 
du  christianisme.  C'est  à  Dieu  seul  qu'il  ap- 
partient de  bénir  nos  travaux. 


PANÉGYRIQUE  I" 

NOTRE-DAME  DE  LA  MERCI, 

Prononcé  le  jour  de  sa  fête,  dans  l'église  dos 
RR.  PP.  de  l'ordre  de  la  Merci,  à  Paris, 
le  2  août  1738. 

Sanclimonia  et  magniticentia  ia  sanctificatione  ejus. 
{Psal.  XCV.) 

Li  sainteté  et  la  magnificence  brillent  dans  son  sanc- 
tuaire. 

L'Esprit-Saint  emploie  ces  expressions 
pompeuses  et  magnifiques,  pour  célébrer  la 
grandeur  du  temple  de  Jérusalem.  Le  saint 
roi  d'Israël,  honteux  d'habiter  une  maison 
de  cèdre,  pendant  que  l'arche  du  Seigneur, 
errante  dans  les  déserts,  était  placée  sous 
des  tentes,  forme  le  grand  projet  d'élever 
un  sanctuaire  à  l'Eternel.  Salomon  qui  a 
étonné  l'univers  par  sa  sagesse  aussi  bien 
que  par  sa  chute,  eut  la  gloire  d'exécuter  les 
pieux  desseins  de  son  père:  alors  parut  un 
temple  qui  fit  l'adnr  ration  de  l'univers,  l'hon- 
neur du  peuple  de  Dieu,  et  la  consolation 
des  vrais  Israélites. 

On  j  voit  briller  la  sainteté  et  la  magnin- 
cence;  la  majesté  qui  y  résidait,  saisissait 
de  respect  le.i  Lévites  mômes:  les  nations  in- 
circoncises, les  empires  les  plus  florissants, 
les  villes  les  plus  opulentes,  admiraient  ses 
beautés  et  ses  richesses  :  ainsi  s'accomplit  ce 
que  David  avait  prédit  dii  fameux  temple  de 
Jérusalem:  la  sainteté  et  la  magnificence  le 
rendirent  fameux  chez  toutes  les  nations  : 
Sanctimonia  et  magnificenlia  in  sanctifica- 
tione ejus. 

Je  vous  ai  déjà,  Messieurs,  développé  mon 


dessein  :  des  traits  moins  pompeux,  moins 
magnifiques,  ne  vous  auraient  pas  représenté 
dignement  l'ordre  de  Notre-Dame  de  la  Merci, 
dont  j'entreprends  de  publier  aujourd'hui  la 
grandeur,  et  devons  raconter  les  merveilles: 
la  sainteté  et  la  magnificence  présidèrent  à 
son  berceau;  la  sainteté  et  la  magnificence  lui 
ont  fait  faire  des  progrès  rapides,  la  sainteté 
et  la  magnificence  le  feront  subsister  avec  éclat 
jusque  dans  les  derniers  siècles  du  monde. 
Je  ne  manquerai  jamais  de  respect,  mes- 
sieurs, pour  ces  ordres  florissants  dans  l'E- 
glise :  ce  ne  sont  point  leurs  domaines  que 
j'admire,  quoiqu'ils  égalent  presque  ceux 
de  certains  souverains,  mais  ce  sont  les  ver- 
tus et  les  talents,  qui  les  ont  toujours  rendus 
précieux  à  l'Eglise  et  à  la  république  des  let- 
tres. Or,  malgré  tout  l'honneur  qui  est  dû  à 
ces  grands  ordres,  et  que  je  serais  fâché  de 
leur  ravir;  il  faut  avouer  que  l'ordre  de  la 
Merci  a  des  caractères  de  grandeur  et  de  ma- 
gnificence qui  ne  conviennent  qu'à  lui  seul; 
lui  seul  mérite  ces  titres  pompeux,  dont  parle 
le  prophète; jugez-en,  Messieurs:  des  chré- 
tiens dans  les  fers,  sous  la  domination  du 
Maure  et  duSarrazin;  Marie, la  mère  de  Dieu, 
qui,  du  haut  de  sa  gloire,  jette  de  tendres  re- 
gards sur  ces  captifs  abandonnés,  et  forme 
le  grand  projet  de  les  délivrer;' des  hommes 
éminents  en  piété  et  en  science,  choisis  pour 
être  les  premiers  rédempteurs  ;  des  rois  qui 
offrent  leurs  palais  et  leurs  trésors  pour 
élever  les  -premiers  hospices;  une  noblesse 
brave  et  accoutumée  à  manier  l'épée,  qui  se 
joint  aux  zélés  religieux  de  l'ordre  naissant, 
pour  livrer  les  premiers  combats  et  négocier 


PANEGYRIQUES.  —  PANEG.  I",  NOTRE  DAME  DE  LA  MERCI. 


17 

les  premièns  rédemptions:  des  peuples  qui 
s'épuisent  en  libéralités. 

Telles  sont,  Messieurs,  les  merveilles  que 
je  viens  publier  aujourd'hui;  elles  vont  en- 
trer dans  le  plan  de  l'éloge  que  je  consacre 
à  l'ordre  de  Notre-Dame  de  la  Merci  :  en  voi- 
ci le  dessein. 

Je  considère  deux  choses  dans  l'ordre  de 
la  Merci,  le  projet  et  l'exécution. 

La  plus  haute  sainteté  a  formé  le  projet, 
la  charité  la  plus  magnifique  l'a  exécuté: 
la  sainteté  a  présidé  à  l'établissement  de  l'or- 
dre de  la  Merci,  la  charité  a  soutenu  l'ordre 
de  la  Merci  :  sainteté  du  côté  de  ceux  qui 
l'ont  établi,  magnificence  du  côté  de  ceux 
qui  l'ont  secouru:  sanctimoniaet  magnificen- 
tia  in  sanctificatione  ejus. 

Ne  soyez  pas,  Messieurs,  de  stériles  admi- 
rateurs de  toutes  ces  merveilles  :  que  ce 
quia  touché  Marie] dans  la  gloire  qui  l'envi- 
ronne, ne  soit  pas  une  peinture  indifférente; 
nos  frères,  dans  une  longue  et  dure  capti- 
vité, doivent  trouver  une  place  dans  vos 
cœurs  :  vous  pouvez  contribuer  à  leur  liberté, 
et  avoir  la  gloire  d'être  comptés  parmi  leurs 
libérateurs.  Heureux  si  je  puis  aujourd'hui 
vous  toucher  en  leur  faveur,  et  vous  portera 
coopérer  à  leur  rédemption  ! 

Et  vous,  Vierge  sainte,  puissante  protec-: 
trice  des  chrétiens  qui  gémissent  sous  la 
pesanteur  de  leurs  fers  dans  ces  empires 
barbares  :  auxilium  christianorum,  obtenez- 
moi  cette  onction  qui  louche  et  persuade  : 
c'est  l'esprit  saint  qui  la  donne:  nous  la 
lui  demandons  par  votre  intercession.  Ave 
Maria. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

Il  y  a  des  établissements  fameux  dans  le 
monde  qui  attirent  nos  regards  et  méritent 
notre  admiration;  mais  la  politique  y  a  pré- 
sidé. Ce  sont  des  hommes  puissants  qui  en 
ont  jeté  les  premiers  fondements,  qui  les 
ont  dotés  :  ils  avaient  en  vue  la  beauté  et  le 
repos  de  la  république.  11  y  a  des  établisse- 
ments qui  méritent  notre  vénération  ;  la  pié- 
té y  a  présidé  :  ce  sont  des  hommes  pénitents, 
des  héros  de  l'Evangile,  qui  marchaient  sur 
les  traces  de  Jésus-Christ,  qui  se  déroba'ent 
au  monde  et  se  cachaient  dans  les  solitudes 
et  les  saintes  horreurs  des  déserts;  ils  crai- 
gnaient les  appas  du  monde,  ils  redoutaient 
ses  combats,  et  ils  formaient  des  sociétés 
d'âmes  timides  qui  conservaient  à  l'écart 
l'innocence  qu'elles  auraient  peut-être  per- 
due dans  le  séjour  des  mondains;  les  pre- 
miers méritent  nos  éloges  et  font  la  gloire 
de  la  monarchie,  les  seconds  méritent  notre 
vénération  et  font  la  consolation  de  l'Eglise. 
Mais  sans  ravir,  Messieurs,  la  gloire  des  uns 
et  des  autres,  j'ose  élever  l'ordre  de  la  Merci 
au-dessus  de  tous  ces  établissements.  Je 
vois  éclater  la  plus  haute  sainteté  dans  son 
institution,  dans  ses  premiers  fondateurs, 
dans  ses  motifs;  je  vois  des  traits  singuliers 
qui  distinguent  cet  ordre:  il  ne  s'agit  que 
de  les  examiner,  pour  vous  prouver  sa 
grandeur. 

Consultons    l'histoire   fidèle,   Messieurs, 


18 

que  d'objets  merveilleux  n'ofire-t-elle  pas  à 
notre  piété  1 

C'est  la  mère  de  Dieu  qui  a.formé  ce  grand 
projet  de  charité  :  c'est  à  des  hommes  émi- 
nents  en  sainteté,  qu'elle  a  confié  ce  grand 
projet  de  charité  :  ce  sont  des  membres  de 
Jésus-Cbrist  souffrant,  qu'elle  a  en  vue  dans 
ce  grand  projet  de  charité.  Ai-je  eu  tort, 
MessieurSj  d'avancer  que  la  plus  haute  sain- 
teté avait  présidé  à  l'établissement  de  l'ordre 
de  la  Merci?  Sanciimonia  in  sanctificatione 
ejus. 

Oui,  Messieurs,  le  grand  projet  de  la  ré- 
demption des  captifs  a  été  formé  dans  le 
ciel;  c'est  dans  ce  séjour  de  gloire  où  la 
charité  va  se  consommer,  où  tout  est  parfait, 
qu'il  prend  son  origine.  Marie,  du  sein  de 
cette  gloire  ravissante  qui  l'environne,  de 
ce  trône  où  elle  règne  avec  tant  de  puis- 
sance, au  milieu  de  cette  félicité  ineffable, 
que  l'Eglise  nous  représente  sous  des  ima- 
ges si  magnifiques,  jette  de  tendres  regards 


is  qi 

;;  le 


tion  du  barbare;  les  maux  et  les  dangers  de 
leur  captivité  la  touchent;  elle  médite  l'éta- 
blissement d'un  ordre  destiné  spécialement 
à  négocier  leur  liberté,  le  plan  en  est  tracé 
au  pied  du  trône  de  son  Fils  et  communiqué 
immédiatement  à  des  hommes  de  miséri- 
corde ;  c'est  dans  le  ciel  qu'il  prend  nais- 
sance, et  c'est  la  plus  haute  sainteté  qui  en 
jette  les  premiers  fondements  :  Sanctimonia 
in  sanctificatione  ejus. 

Quand  je  pense  à  ces  ordres  florissants 
dans  l'Eglise,  et  qui  l'embellissent  d'une 
manière  si  admirable  ,  je  me  représente  ce 
songe  mystérieux  qu'eut  Mardochée,  ce  juif 
fidèle.  D'abord  il  aperçoit  une  petite  source, 
pnrvusfons  (Esther,  X)  :  image  naturelle  de 
ces  grands  ordres,  qui  dans  leur  naissance 
étaient  cachés  ,  enveloppés  dans  un  soli- 
taire, un  homme  dérobé  au  monde;  c'est  ainsi 
que  les  Benoît,  les  François  d'Assise  ,  les 
François  de  Paul ,  et  tant  d'autres  ont  paru 
seuls  dans  les  solitudes.  Leur  humilité  les 
dérobait  au  monde  :  ces  petits  grains  de  sé- 
nevé qui  devaient  produire  des  arbres  si 
majestueux,  étendre  des  branches  si  magni- 
fiques ne  paraissaient  aux  yeux  des  mon- 
dains que  des  objets  inutiles  à  la  société  : 
parvus  fons.  Mais  cette  petite  source  devient 
aux  yeux  de  Mardochée  un  grand  fleuve  : 
crevit  in  fluvium.  (Ibid.)  Voilà  les  progrès 
de  ces  ordres  célèbres  qui  se  sont  étendus 
dans  les  royaumes  et  les  empires  les  plus 
reculés. 

Semblables  à  ces  arbres  mystérieux,  dont 
je  viens  de  parler,  ils  ont  couvert  de  leur 
ombre  une  grande  partie  de  la  terre ,  ils  ont 
servi  de  retraite  aux  saints,  aux  savants, 
aux  grands  du  monde,  aux  monarques 
même,  et  .ils  ont  fait  une  des  plus  belles 
portions  de  l'Eglise  et  de  l'Etat. 

Enfin  ce  fleuve  est  changé  aux  yeux  de 
Mardochée  en  une  lumière  aussi  brillante 
que  le  soleil  :  Conversus  in  solem  (Ibid.  )  : 
figure  de  ces  savants ,  de  ces  vastes  génies 
qui  ont,  brillé  dans  ces  grands  ordres,  qui 
ont  été  les  oracles  de  leur  siècle,  qui  don- 


40 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


ao 


liaient  des  leçons  dans  les  plus  célèbres  aca- 
démies, qui*  ont  fait  honneur  à  la  répu- 
blique des  lettres,  qui  ont  servi  de  rempart 
à  la  foi  par  la  solidité  de  leurs  écrits  et  la 
profondeur  de  leurs  raisonnements  :  voilà  la 
grandeur  des  ordres  dont  je  parle  et  que  je 
respecte  singulièrement.  A  leur  naissance  , 
rien  de  plus  simple  en  apparence,  rien  de 
plus  obscur  :  parvus  fons. 

Toute  leur  grandeur  future  était  cachée 
dans  un  seul  homme.  Un  pénitent,  un  soli- 
taire ignoré  du  monde;  c'est  dans  l'horreur 
des  déserts,  dans  l'épaisseurdes  forêts,  que 
ces  parfaits  disciples  du  Sauveur  traçaient 
le  plan  de  ces  fameuses  sociétés.  Dieu"  les  a 
soutenus,  multipliés,  il  n'appartient  qu'à 
lui  d'inspirer  ces  desseins;  l'exécution  et 
les  succès  sont  son  ouvrage  ;  mais  voici  les 
traits  éclatants  qui  distinguent  l'ordre  de  la 
Merci  de  ceux,  que  je  viens  de  louer  avec 
plaisir;  il  faut  se  transporter  clans  le  ciel 
pour  trouver  son  origine. 

Les  commencements  des  autres  ordres 
sont  cachés ,  obscurs  ;  ceux  de  celui  de  la 
Merci  sont  grands,  éclatants;  ils  reconnais- 
sent des  hommes  de  prodiges  et  de  sainteté 
pour  leurs  instituteurs.  L'ordre  de  la  Merci 
doit  son  institution  à  Marie.  Je  ne  man- 
querai jamais  de  respect  pour  les  Benoît,  les 
Bernard,  les  Dominique,  les  François  d'As- 
sise, les  Bruno,  ces  anges  du  désert  qui  ont 
retracé  aux  yeux  du  monde  toutes  les  mer- 
veilles de  l'Egypte  et  de  la  Thébaïde.  Mais 
Marie  me  paraîtra  toujours  infiniment  au- 
dessus;  je  sais  qu'elle  possède  avec  pléni- 
tude ce  qu'ils  ne  possédaient  que  par  por- 
tion, et  qu'il  ne  sera  jamais  permis  de  lui 
comparer  <e;  saints  fondateurs,  puisque 
l'Eglise  reconnaît  qu'elle  est  placée  au-dessus 
des  anges  mômes.  Voilà  donc,  Messieurs,  la 
prérogative  de  l'ordre  de  la  Merci,  de  trou- 
ver son  origine  dans  le  ciel ,  d'avoir  la  mère 
de  Dieu  pour  institutrice  ;  voilà  la  gloire  des 
saints  religieux  qui  ont  fait  la  gloire  de  son 
berceau;  voilà  ce  qui  anime  tant  de  dignes 
enfants  à  entreprendre  les  rédemptions  les 
plus  pénibles,  et  les  plus  dangereuses.  Us 
savent  qu'ils  marchent  sous  les  ordres  de  la 
sainte  Vierge ,  qu'ils  exécutent  le  grand 
projet  de  charité  qu'elle  a  formé  dans  le  ciel 
et  qu'elle  a  communiqué  à  des  hommes 
éminents  en  sainteté;  leur  dévotion  pour 
Marie  et  leur  zèle  pour  la  rédemption  des 
captifs,  annonceront  toujours  la  grandeur 
de  cet  ordre  dans  l'Eglise. 

Je  sais,  Messieurs,  que  quand  on  parle 
d'une  révélation  immédiate,  il  faut  être  dé- 
licat et  exact,  qu'il  ne  faut  pas  proposer  aux 
fidèles,  des  fables,  ni  des  fictions  ;  que  les 
faits  qui  no  sont  pas  puisés  dans  des  sources 
pures,  qui  ne  sont  point  revêtus  de  ce  ca- 
ractère d'authenticité  que  l'Eglise  seule  doit 
donner ,  ne  doivent  pas  être  annoncés  par 
des  prédicateurs  de  l'Evangile;  mais  je  sais 
aussi  que  la  merveille  que  je  prêche  aujour- 
d'hui a  pour  elle  des  témoignages  respec- 
tables qui  doivent  nous  soumettre.  Je  ne  m'y 
suis  pas  arrêté  en  orateur  qui  saisit  des 
traits  singuliers,  pour  faire  briller  son  ima- 


gination dans  des  récits  merveilleux;  ce 
n'est  point  non  plus  par  une  dévotion  indis- 
crète envers  la  sainte  Vierge,  que  j'insiste 
sur  ces  traits  singuliers  ,  je  sais  qu'elle  a 
horreur  d'un  culte  superstitieux ,  que  l'er- 
reur et  le  mensonge  ne  se  sont  jamais  trou- 
vés dans  ses  vrais  serviteurs ,  et  que  tout  co 
qui  est  contraire  à  la  doctrine  de  son  Fils  et 
de  son  Eglise  ne  pourra  jamais  lui  être 
agréable;  je  la  prêche,  Messieurs,  parce 
que  des  histoires  fidèles  et  respectables  me 
la  certifient,  parce  que  des  saints  éminents 
en  sainteté,  des  hommes  de  miracles  l'ont 
annoncée;  parce  que  l'Egi  se,  surtout,  l'a  au- 
torisée, qu'elle  se  publie  sous  ses  ordres,  et 
que  c'est  à  elle  qu'il  appartient  de  régler  le 
culte  des  fidèles.  Pourquoi,  Messieurs,  ces 
témoignages  ne  sont-ils  d'aucun  poids  chez 
les  hérétiques,  chez  les  prétendus  esprits 
forts,  chez  les  mondains  et  les  libei  tins  ? 
c'est  qu'on  n"a  jamais  vu  ceux  qui  mépri- 
sent l'Eglise,  honorer  sincèrement  la  mère 
de  Dieu.  Tous  les  saints  ont  eu  une  piété 
tendre  envers  cette  reine  des  anges ,  et  tous 
ceux  qui  ont  méprisé  les  pratiques  de  la 
piété,  se  sont  érigés  en  censeurs  du  culte 
de  Marie. 

Jetons  un  voile,  Messieurs,  sur  les  écrits 
d'un  Luther,  d'un  Calvin  et  de  tous  ceux 
qui  ont  marché  sur  leurs  traces  ;  épargnons- 
nous  ces  horreurs,  fermons  les  oreilles  à 
leurs  blasphèmes.  Nestorius  et  Julien  1  A- 
postat  n'en  ont  pas  vomi  de  plus  exécra- 
bles ;  ne  rappelons  pas  à  notre  mémoire  cette 
fureur  qu'ils  ont  fait  éclater  contre  son  culte, 
les  opprobres  qu'ils  se  sont  efforcés  de  ré- 
pandre sur  sa  gloire,  le  ridicule  qu'ils  ont 
répandu  sur  ses  prérogatives,  la  satisfac- 
tion avec  laquelle  ils  ont  supprimé  les  fêtes 
établies  en  son  honneur.  Je  sais  le  cas  qu'ils 
feraient  de  la  merveille  que  je  prêche,  ils  y 
trouveraient  un  style  de  roman  et  de  fiction  ; 
fruits  funestes  de  l'indét  endance  et  de  l'a- 
postasie !  Mais  pourquoi,  dans  le  sein  même 
de  l'Eglise,  se  trouve-t-il  tant  de  critiques 
et  de  censeurs  de  la  dévotion  à  Marie  ?  Pour- 
quoi ces  beaux  esprits  qui  les  citent  comme 
des  oracles  pour  appuyer  leurs  sentiments; 
qui,  dans  des  combats  littéraires,  lorsqu'il 
s'agit  de  fixer  une  époque,  de  soutenir  un 
système  ,  citent  des  auteurs  contemporains , 
comme  des  preuves  décisives,  parlent-ils 
avec  tant  de  mépris  de  l'Eglise  qui  déclare 
authentiques  ccitaincs  merveilles,  et  des 
saints  et  savants  personnages  qui  les  ont  an- 
noncées, et  qui  en  ont  été  les  premiers  dépo- 
sitaires? C'est  que  la  religion  gêne,  et  on 
autorise  les  maximes  du  monde,  en  décriant 
los  pratiques  de  piété  :  voilà  le  mystère. 

Paraissez  ici ,  hommes  vénérables  qui 
avez  été- les  premiers  dépositaires  du  grand 
projet  de  Marie  pour  la  rédemption  des  cap- 
tifs 1  Ces  faveurs  singulières  de  la  mère  de 
Dieu,  sont  les  preuves  de  votre  haute  sain- 
teté, c'est  pour  la  récompenser  qu'elle  vous 
a  choisis  pour  être  ses  coopérateurs  dans 
rétablissement  de  l'ordre  de  la  Merci. 

C'est  dans  le  xir  siècle,  Messieurs,  que 
Dieu  fit  paraître  ce  prodige  de  sainteté,  qui 


21 


PANEGYRIQUES.  —  PANEG.  I"  ,  NOTRE-DAME  DE  LA  MERCI. 


devait  présider  après  la  sainte  Vierge  à  l'é- 
tablissement de  cet  ordre  fameux  ;  ce  grand 
thaumaturge  que  Marie  a  honoré  plusieurs 
fois  de  ses  visites  et  auquel  elle  a  confié  im- 
médiatement le  grand  projet  de  la  rédemp- 
tion des  captifs,  Pierre  Nolasque ,  dont  je 
ne  saurais  m'empêcher,  Messieurs,  de  pu- 
blier aujourd'hui  la  haute  sainteté,  puis- 
qu'elle orna  le  berceau  de  l'ordre  de  la  Merci 
d'une  manière  si  admirable. 

Que  de  traits  singuliers  et  magnifiques  se 
présentent  ici  à  mon  imagination  1  Qu'ils 
sont  grands  et  admirables  ces  hommes  que 
Dieu  choisit  pour  l'exécution  de  ses  des- 
seins 1  Pierre  Nolasque,  par  son  rang,  sa 
charité,  sa  foi,  son  zèle,  sa  sainteté,  ses 
miracles,  était  devenu  l'oracle  de  son  siècle  ; 
on  admirait  ses  vertus,  on  l'admirait  lui- 
môme.  Homme  habile  et  important,  sa  piété 
ne  le  rendit  pas  inutile  ;  il  montra  qu'on 
pouvait  servir  Dieu  et  César;  qu'on  se  sanc- 
tifie à  la  cour,  quand  le  rang  y  appelle  ;  qu'on 
peut  être  dans  la  retraite  décemment,  quand 
la  grâce  y  conduit.  Que  Dieu  appelle  quel- 
quefois de3  grands  à  la  contemplation  ,  et 
qu'il  rend  souvent  ses  saints  utiles  aux 
grands,  pour  le  maniement  des  affaires. 
C'est  sur  ces  principes,  qu'il  fut  utile  au  roi 
d'Aragon  :  ce  monarque  l'employa  dans  les 
négociations  les  plus  délicates,  il  s'en  ac- 
quitta avec  succès,  il  traita  avec  sagesse  les 
intérêts  des  princes ,  et  il  montra  tout  à  la 
fois  l'habileté  d'un  ministre  et  la  piété  d'un 
chrétien. 

Homme  de  miséricorde,  ses  libéralités 
étaient  magnifiques.  Avant  même  l'appa- 
rition delà  sainte  Vierge,  il  négociait  la  déli- 
vrance des  captifs  ;  il  avait  déjà  brisé  les  fers 
de  plus  de  trois  mille  chrétiens  ;  c'est  lui 
qui  sollicitait  les  rois  à  garder  les  côtes,  à 
livrer  des  combats  aux  Turcs,  aux  Maures, 
et  aux  Sarrazins  ;  c'est  sur  ses  pas  que  marche 
une  noblesse  guerrière,  et  que  veut  marcher 
aussi  le  grand  saint  Louis,  cet  incomparable 
monarque  ;  c'est  pour  imiter  les  Paulin  de 
Noie,  les  Traso,  les  Avite,  qu'il  s'offre  à  Va- 
lent e  pour  la  rançon  de  plusieurs  captifs, 
qu'il  se  charge  des  fers  dont  il  délivre  ces  misé- 
rables ;  sa  captivité  est  lejnrix  de  leur  liberté. 
Homme  de  l'Eglise,  jamais  on  ne  vît  un 
catholique  plus  sincère,  dans  des  temps  de 
schisme.  Lorsque  des  princes  puissants  fa- 
vorisaient l'hérésie,  il  montra  la  fermeté  des 
Ambro-ise,  des  Athanase,  des  Chrysostome  : 
les  comtes  de  Toulouse  et  de  Monfort  ne  le 
virent  jamais  à  leur  table,  lorsqu'il  y  avait 
des  hérétiques  ;  il  respectait  leur  rang,  il  dé- 
testait leur  penchant  pour  les  nouveautés, 
et  l'hérésie  albigeoise  trouva  en  lui  un  en- 
nemi aussi  redoutable  que  le  grand  saint 
Dominique. 

Homme  de  zèle,  il  fut  apôtre  comme  saint 
Paul.  Dans  les  fers,  chargé  de  fers,  il  prê- 
chait les  barbares;  ils  ne  le  voyaient  pas 
soupirer  après  sa  liberté,  mais  ils  le  voyaient 
zélé  pour  leur  salut;  sa  captivité  devint  glo- 
rieuse par  ses  conquêtes;  les  Maures,  et  les 
Sarrazins  convertis,  des  lâches  déserteurs  de 
la  foi  prosternés  à  ses  pieds,   baignés  de 


2i 

pleurs,  et  honteux  de  leur  apostasie  :  voilà 
les  succès  de  son  zèle  dans  la  captivité 
même,  et  les  glorieux  trophées  érigés  à  son 
héroïque  captivité. 

Homme  de  miracles,  Dieu  annonça  ce  ré- 
dempteur des  captifs,  comme  une  grande  nou- 
velle qui  intéressait  tous  ceux  qui  gémis- 
saient sous  la  puissance  des  infidèles.  Le 
berceau  du  Sauveur  de  tous  les  hommes  fut 
environné  d'une  lumière  céleste.  Une  mul- 
titude d'esprits  célestes  qui  faisaient  retentir 
les  airs  de  leurs  chants  mélodieux,  annon- 
çaient un  règne  paisible  à  ceux  qui  veillaient 
dans  la  Judée;  les  mêmes  merveilles  s'opé- 
rèrent au  berceau  de  Nolasque,  ce  sauveur 
des  chrétiens  qui  gémissaient  dans  les  fers  : 
une  route  éclatante  s'ouvre  à  sa  naissance, 
il  y  marcha  toute  sa  vie,  Messieurs,  les  pro- 
diges l'accompagnaient,  et  je  les  passe  sous 
silence,  pour  ne  point  m'écarter  du  grand 
sujet  que  je  traite. 

Tel  est,  Messieurs,  le  grand  Pierre  No- 
lasque, tel  est  celui  que  la  sainte  Vierge 
choisit  pour  présider  à  l'établissement  de 
l'ordre  de  la  Merci.  Un  homme  orné  de  tant 
de  vertus,  devait  donner  du  poids  à  cetle 
grande  entreprise  ;  aussi  Dieu  met-il  dans 
ceux  qu'il  choisit  pour  exécuter  ses  des- 
seins, tous  les  dons  nécessaires  pour  assurer 
les  succès. 

Il  semble,  Messieurs,  que  la  sainte  Vierge 
a't  voulu,  dans  l'établissement  de  l'ordre  de 
la  Merci,  ménager  la  délicatesse  de  certains 
génies,  par  le  rang,  l'habileté,  la  sagesse  et 
la  sainteté  de  ceux  qui  y  présidèrent  sur  la 
terre  I  Que  leurs  témoignages  a  de  poids  !  La 
critique  la  plus  hardie  et  la  plus  téméraire 
doit  plier  sous  une  autorité  si  respectable. 

Marie  honore  de  son  apparition  deux  saints 
et.  un  grand  roi,  afin  que  ces  trois  grands 
personnages  puissent  rendre  authentique 
cette  merveille,  et  que  ces  témoins  véné- 
rables, soumis  à  l'Eglise,  la  fassent  revêtir 
de  l'autorité  nécessaire.  Pourrait-on,  sans 
présomption,  supposer  de  l'ignorance  dans 
les  lumières  de  l'Eglise?  Des  mensonges,  et 
des  artifices  dans  des  saints  du  premier  or- 
dre; une  inclination  pour  le  merveilleux  et 
les  fables,  dans  un  roi  qui  savait  régner 
comme  Jacques  1",  roi  d'Aragon  ?  Non  sans 
doute,  Messieurs;  or,  ces  trois  illustres  té- 
moins ont  été  choisis  par  Marie  pour  publier 
et  exécuter  son  grand  projet  pour  la  rédemp- 
tion des  captifs.  Ce  sont  autant  d'historiens 
fidèles  qui  racontent  avec  exactitude  les  mer- 
veilles qu'ils  ont  vues.  Où  sont  les  faits  de 
l'histoire  que  nous  ne  puissions  pas  rejeter 
si  nous  rejetons  ceux-ci? 

Jésus-Christ,  dit  saint  Léon  (De  transfigu- 
ratione,  cap.  3),  conduisit  trois  de  ses  dis- 
ciples sur  le  Thabor.  Il  laissa  échapper  quel- 
ques rayons  de  sa  divinité  ;  il  exposa  à  leurs 
yeux  le  rapide  spectacle  d'une  gloire  ravis- 
sante, afin  que  le  témoignage  de  ces  trois 
apôtres  publiât  authentiqueraient  sa  gran 
deur;  car  s'il  leur  défendit  de  raconter  ces 
merveilles  avant  sa  mort,  il  leur  permit  de 
l'annoncer  après  sa  résurrection;  et  comme 
le  dit  Jésus-Christ  dans  un  autre  endroit,  le  lé- 


23 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


24 


moignage  de  deux  ou  trois  personnes  respec- 
tables par  leur  rang  et  leurs  vertus,  doit  sou- 
mettre des  esprits  raisonnables  :  Jn  duobus, 
vel  tribus  testibus  stat  omne  verbum.  (Matth., 
XVIII.) 

La  mère  de  Dieu  fait  éclater  cette  sagesse, 
Messieurs,  dans  l'établissement  de  l'ordre 
de  1?.  Merci.  Dans  une  même  nuit  Pierr.e 
Nolasque,  destiné  à  jeter  les  premiers  fon- 
dements de  cet  ordre,  Raymond  de  Penna- 
fort,  ce  directeur  éclairé,  qu'il  avait  choisi 
pour  le  conduire  dans  les  routes  du  salut,  et 
dont  il  suivait  les  sages  conseils  :  Jacques  I", 
roi  d'Aragon,  dont  la  protection  était  néces- 
saire dans  le  cours  ordinaire  pour  l'exécu- 
tion du  grand  projet,  sont  honorés  de  l'ap- 
parition de  la  sainte  Vierge,  entendent  les 
mêmes  choses,  et  reçoivent  les  mêmes  or- 
dres. Voilà  des  saintsyet  des  majestés  de  la 
terre,  qui  attestent  la  révélation,  et  qui  éta- 
blissent, sous  l'autorité  du  souverain  pon- 
tife, un  ordre  destiné  par  état  à  la  rédemption 
des  captifs. 

Je  n'ignore  pas,  Messieurs,  l'oracle  pro- 
noncé dans  l'Ecriture.  Ne  croyez  pas  à  tout 
esprit  :  Omni  spirittti  nolitecredcre.  (I  Joan., 
IV.)  Je  sais  que  dans  la  dévotion  il  s'est  glissé 
beaucoup  d'abus  ;  que  des  faits  supposés,  des 
histoires  peu  décentes,  des  pratiques  con- 
traires à  la  pureté  de  notre  culte,  ont  souvent 
été  mêlées  par  des  auteurs  crédules  et  peu 
soigneux  dans  les  ouvrages  de  piété,  et  dans 
les  annales  de  l'Eglise  ;  que  des  esprits  bi- 
zarres, des  imaginations  creuses,  ont  voulu 
de  temps  en  temps  repaître  les  peuples  de 
fables  et  de  fictions.  Mais  je  sais  aussi  jus- 
qu'où a  été  l'attention  des  évêques,  pour  ne 
présenter  aux  fidèles  que  des  faits  authen- 
tiques, des  objets  édifiants.  Tout  ce  qui  ne 
porte  point  le  caractère  auguste  de  la  vérité, 
tout  ce  qui  n'est  point  puisé  dans  les  sources 
pures  de  l'antiquité,  tout  ce  qui  n'est  point 
reçu  par  le  souverain  pontife,  est  rejeté  par 
ces  premiers  pasteurs:  les  miracles  publiés, 
les  reliques  exposées  sans  leur  approbation 
et  contre  leur  gré,  méritent  nos  mépris  plu- 
tôt que  notre  vénération.  Je  ne  suis  pas  obligé 
de  révérer  ce  que  l'Eglise  ne  veut  point  re- 
connaître; mais  quand  je  vois  les  merveilles 
de  l'établissement  de  l'ordre  de  la  Merci 
reçues  aans  toute  l'Eglise,  quand  je  vois  les 
évoques  qui  les  entendent  publier  avec  plai- 
sir par  les  prédicateurs  qu'ils  honorent  de 
leur  mission,  assister  à  ces  solennités,  et  y 
exercer  les  fonctions  sacrées  de  leur  minis- 
tère, quand  je  vois  des  saints  et  des  rois  at- 
tester qu'ils  n'établissent  cet  ordre  que  pour 
obéir  à  la  mère  de  Dieu,  qui  leur  a  intimé 
le  grand  projet  qu'elle  avait  formé  dans  le 
ciel  en  faveur  des  chrétiens  dans  les  fers; 
quand  je  vois  cet  ordre  naissant  sous  la  pro- 
tection du  souverain  pontife,  j'admire  cette 
merveille,  et  je  la  révère.  Messieurs,  je 
pense  tout  autrement  de  la  délicatesse  de 
ces  beaux  esprits,  qui  rougiraient  de  paraître 
douter  des  faits  les  moins  intéressants  d'un 
royaume,  ou  d'une  république,  qui  nous  op- 
posent le  sentiment  d'un  protestant,  ou  de 
quelques  profonds  méditaleurs,  comme  un 


oracle  décisif,  et  qui,  en  matière  de  religion 
ou  de  piété,  se  font  gloire  de  leurs  doutes  et 
de  leurs  incertitudes. 

On  ne  dira  pas,  Messieurs,  qu'on  se  pro- 
pose, dans  la  merveilleuse  apparition  de 
Marie  à  Pierre  Nolasque,  d'amuser  le  peuple, 
d'entretenir  une  crédulité  ignorante;  ce  sont 
les  membres  de  Jésus-Christ  souffrant  qu'on 
a  en  vue  :  des  chrétiens  dans  les  fers  chez  les 
barbares  sont  les  motifs  de  l'établissement 
de  cet  ordre.  Ainsi,  tout  est  saint  et  digne  de 
nos  respects;  il  faudrait,  Messieurs,  la  voix 
plaintive  d'un  Jérémie,  pour  vous  peindre 
les  peines  de  nos  frères,  sous  la  domination 
des  infidèles.  Le  malheur  de  ces  infortunés 
enlevés  à  leur  patrie,  leurs  ennuis,  leurs 
travaux,  leurs  alarmes,  leurs  supplices.  Pour- 
quoi ces  peintures  ne  vous  toucheraient-elles 
pas?  Sont-ils  coupables  pour  avoir  couru  des 
hasards  sur ,les  mers?  Leur  commerce  ou  leur 
emploi  étaient-ils  criminels?  Et  devez-vous 
les  oublier  parce  qu'ils  sont  malheureux? 
Parce  que  vous  vivez  sous  un  règne  de  clé- 
mence, dans  une  ville  tranquille  et  policée, 
et  que,  paisibles  dans  le  sein  de  vos  familles, 
vous  goûtez  les  douceurs  d'une  vie  chré- 
tienne,|devez-vous  être  insensibles  aux  maux 
de  ceux  qui  gémissent  dans  une  longue  capti- 
vité? Votre  charité  qui  doit  s'étendre  au- 
delà  du  tombeau,  ne  doit-elle  pas  s'étendre 
dans  ces  royaumes  barbares?  Trois  choses 
doivent  nous  toucher,  Messieurs,  ce  qu'ils 
sont,  ce  qu'ils  souffrent,  et  ce  qu'ils  seront. 
Quels  motifs  plus  capables  de  toucher  nos 
cœurs,  et  d'exciter  nos  libéralités  1  Ils  ont 
touché  la  mère  de  Dieu  dans  le  séjour  de  la 
gloire  ;  ils  l'ont  portée  à  se  manifester  au  de- 
hors, à  se  servir  des  saints  et  des  rois  pour 
briser  leurs  fers;  nous  ferons-nous  gloire  de 
leur  être  inutiles?  Oubliez  ce  que  vous  êtes 
ou  pensez  à  ce  qu'ils  sont. 

Je  ne  vous  donne  pas,  Mecsieurs,  tous  les 
captifs  pour  des  saints.  Je  ne  vous  rappelle 
que  le  titre  glorieux  de  chrétiens  :  je  repré- 
sente h  vs  yeux  une  foule  d'hommes  de 
différents  royaumes,  de  différentes  provin- 
ces, que  l'appât  du  gain  ou  le  service  du 
prince  a  fait  voler  dans  ces  climat*  éloignés, 
braver  les  périls  d'une  longue  navigation,  et 
qui  n'ont  échappé  au  naufrage  que  pour 
tomber  dans  les  chaînes  :  je  veux  même  que 
quelques-i'ns  aient  perdu  le  ciel  de  vue  en 
s'éloignant  de  leur  patrie,  qu'une  vie  licen- 
cieuse les  ait  rendus  coupables,  en  sont-ils 
moins  chrétiens,  ces  hommes  teints  du  sang 
de  Jésus-Christ,  ses  frères,  ses  cobéritiers? 
Mais  voici  des  traits  qui  doivent  encore  vous 
les  rendre  respectables;  c'est  que  ces  cap- 
tifs, dans  le  centre  de  l'idolâtrie,  ont  con- 
servé la  pureté  de  la  foi  :  et  je  puis  vous  re- 
présenter ceux  qui  ont  persévéré  dans  la 
doctrine  de  l'Eglise,  comme  des  chrétiens 
fermes  et  généreux,  qui  soutiennent  en  hé- 
ros les  ennuis  et  les  peines  de  la  captivité. 
Voilà,  Messieurs,  ce  que  sont  ces  captifs 
pour  lesquels  Marie  s'intéresse,  et  pour  les- 
quels tant  de  saints  et  de  rois  se  sont  inté- 
ressés. Si  ces  titres  ne  vous  touchent  par, 
pourrais-je  me  flatter  oue  vous  serez  sensi- 


25  PANEGYRIQUES.  —  PANEG.  I 

.  blés  à  ce  qu'ils  souffrent  ?  Si  toutes  ces  histoi- 
res orientales,  ces  pièces  de  théâtre  que  vous 
lisez  avec  tant  d'ardeur,  n'étaient  pas  mêlées 
d'agréables  rêveries,  de  fictions  ingénieuses, 
de  poésies  molles  et  voluptueuses;  ces  scè- 
nes tragiques  qui  en  font  tout  le  fond  et 
toute  la   réalité,  vous  toucheraient  davan- 
tage; la  férocité  d'un  roi  qui  gouverne  ses 
sujets,  et  surtout  les  chrétiens  avec  un  scep- 
tre de  fer  ;  ces  caprices  de  cruauté,  ces  tour- 
ments bizarres,  ces  punitions  honteuses  qui 
font  les  fêtes  et  les  réjouissances  de  ces  rois 
inhumains,  vous  pénétreraient  de  douleur, 
vous  gémiriez  en  pensant  q.ie  les  chrétiens, 
vos  frères,  sont  exposés  à  tous  ces  malheurs. 
Mais  vous  lisez  pour  vous  amuser,  vous  ré- 
créer ;  les  malheurs    d'un   esclave    que  le 
théâtre  a  rendu  illustre,  vous  touchent  plus 
que  ceux  qu'on  vous  dépeint  dans  la  chaire 
de  vérité  :  vous  voulez   vous   repaître  des 
aventures  feintes  de  la  captivité,  et  vous  ne 
voulez   pas  penser  à  ses  peines  ;  ces  scènes 
tragiques  qui  se  sont  passées  dans  l'Orient 
il  y  a  plusieurs  siècles,  vous  plaisent  sous 
les  ornements  delà  poésie;  faut-il  aujour- 
d'hui avoir  recours  aux  mêmes  charmes  pour 
vous  occuper  quelques  moments  de  ce  que 
souffrent  les  chrétiens  captifs? Et  faut-il  que 
la  manière  avec  laquelle  on  vous  raconte  les 
malheurs  de  vos  frères,  vous  touche  plus 
que  leurs  malheurs  mêmes? 

Quand  je  me  représente  les  Juifs  en  cap- 
tivité chez  les  Babyloniens,  que  je  les  vois 
soupirer  sans  cesse'après  le  temple  de  Jéru- 
salem, ne  pa.ler  que  par  de  profonds  sou 


pirs  et  de  tristes  accents,  errer  confusément 
le  long  des  tleuves  de  Babylone  qu'ils  arro- 
sent de  leurs  larmes  ;  je  pense  à  la  captivité 


des  chrétiens  à  Tunis,  à  Alger,  à  Maroc,  et 
je  trouve  leur  sort  bien  plus  triste. 

A  Babylone  on  consolait  les  Juifs,  on  les 
dissipait,  on  les  exhortait  à  se  récréer,  et  à 
chanter  les  cantiques  de  Sion  :  Cantate  nobis 
de  canticisSion  (Psal.  CXXXYI),  et  dans  ces 
empires  barbares  de  l'Orient,  il  faut  que  les 
chrétiens  gardent  un  profond  silence  sur  nos 
mystères  :  personne  ne  sèche  leurs  pleurs, 
personne  ne  diminue  le  poids  de  leurs  chaî- 
nes; séparés  par  les  mers,  d'une  épouse, 
d'une  famille  tendre  et  chérie,  dans  quelles 
amertumes  ne  sont-ils  pas  plongés? 

Quand  nous  voyons  dans  l'histoire  de  l'E- 
glise des  chrétiens  condamnés  aux  mines, 
envoyés  en  exil,  jetés  dans  des  cachots  obs- 
curs, conduits  sur  des  échafauds,  et  donnés 
en  spectacle  des  jours  de  fêtes  à  une  cour 
païenne,  nous  sommes  touchés  :  croyons- 
nous,  Messieurs,  que  ces  rois  barbares  de 
l'Orient  sont  plus  humains?  désabusons- 
nous  :  si  quelquefois,  par  caprice,  ils  favori- 
sent certains  esclaves,  souvent  aussi,  par 
caprice,  ils  les  font  mettre  à  la  torture,  et 
augmentent  le  poids  de  leurs  chaînes.  Telle 
est,  Messieurs,  la  situation  de  ces  hommes 
infortunés,  en  faveur  desquels  je  m'efforce 
de  vous  toucher  aujourd'hui.  Elle  toucha  le 
coeur  de  la  mère  de  Dieu,  et  elle  fut  un  puis- 
sant motif  de  l'établissement  de  l'ordre  de  la 
Merci.  Mais  si  nous  vous  représentons,  Mcs- 


'  ,   NOTRE  DAME  DE  LA  MERCI.  20 

sieu"S,  l'avenir,  n'avons-nous  pas  sujet  d'être 
effrayés?  S'ils  persévèrent  dans  la  foi,  mal- 
gré les  ennuis  de  la  captivité,  nous  aurons 
abandonné  des  héros  de  la  religion  :  s'ils 
déshonorent  leur  baptême  par  de  honteuses 
apostasies,  nous  les  aurons  exposés  à  ces 
extrémités  par  notre  indifférence  ;  car  dans 
les  dures  extrémités  où  ils  se  trouvent,  ils 
peuvent  être  ébranlés,  ils  peuvent  faire  des 
chutes,  ils  peuvent  perdre  leur  couronne, 
ils  sont  sur  le  bord  du  précipice;  et  parce 
que  le  ciel  est  ouvert  à  leur  constance,  et 
l'enfer  creusé  à  leur  lâcheté,  le  motif  de- 
vient plus  pressant. 

Cette   seule  réflexion,  Messieurs  :  Peut- 
être  que  ces  i  hrétiens  fatigués  de  leurs  chaî- 
nes, ennuyés  de  leur  exil,  jaloux  de  leur 
liberté,  ébranlés  par  l'appareil  des  suppli- 
ces, abandonneront   la  religion   de   Jésus- 
Christ,   et   tomberont  dans  l'apostasie,  ne 
suffit-elle   pas,  Messieurs,  pour  nous  tou- 
cher, et  entrer  dans  les  sentiments  de  Marib 
et  des  saints  personnages  qui  ont  présidé  h 
l'établissement  de  l'ordre  de  la  Merci.  C'é- 
tait le  salut  de  ces  infortunés  qu'elle  avait 
en  vue,  lorsqu'elle  se  montra  à  ces  hommes 
éminents  en  sainteté,  qu'elle  toucha  le  cœur 
des  monarques,  et  qu'elle  les  anima  5  former 
un  corps  respectable  qui  mît  sa  gloire  à  bri- 
ser les  fers  des  captifs.  Vous  le  .'avez,  Mes- 
sieurs, la  politique,  l'intérêt,  le  plaisir,  l'or- 
gueil, font  toujours  chanceler  les  {.lus  fer- 
mes, et  nous  montrent  des  déseiteurs  de  la 
religion,  dans  la  religion  même  :  nous  vi- 
vons avec  des  hommes  polis  et  humains; 
ceux  qui  nous  gouvernent  emploient  la  clé- 
mence et  la  douceur  pour  nous  rendre  le 
joug  de  la  dépendance  aimable.  Bien  loin  de 
nous  cacher  pour  être  vertueux,  nous  som- 
mes obligés  de  nous  cacher  si  nous  sommes 
vicieux;  et  si  les  sages  ordonnances  de  nos 
monarques  ont  le  sort  de  faire  souvent  des 
hypocrites,  elles  porteront  toujours  les  sujets 
à  la  sainteté.  L'entrée  des  temples  est  libre; 
et  s'il  y  a  dans  cette  grande  ville  des  amuse- 
ments dangereux  pour  les  mondains,  il  y  a 
des  exercices  édifiants   pour  les  serviteurs 
de  Dieu  :  si  le  inonde  a  ses  spectacles,  la  re- 
ligion a  les  siens.  On  a  le  choix  :  c'est  le 
penchant  qui  conduit  d'un  côté  plutôt  que 
d'un  autre  ;  et  si  nous  voyons  des  esclaves 
du  monde,  ils  le  sont  volontairement. 

Or,  Messieurs,  voici  ma  réflexion  :  Si  dans 
le  sein  de  vos  familles,  si  dans  un  royaume 
où  les  sujets  goûtent  les  douceurs  de  la  li- 
berté, les  circonstances  délicates  de  la  pas- 
sion font  tant  de  lâches  déserteurs  de  la 
piété,  que  ne  devons-nous  pas  craindre  de 
la  constance  de  nos  frères,  quelque  fermeté 
qu'ils  aient  montrée  jusqu'à  présent,  eux  qui 
sont  exposés  à  des  épreuves  si  délicates,  qui 
souffrent  les  ennuis  d'un  dur  esclavage,  ne 
devons-nous  pas  appréhender  que  nos  len- 
teurs ne  lassent  leur  constance,  que  ne 
voyant  aucune  trace  de  leur  religion  dans 
leur  exil,  ils  ne  l'abandonnent,  et  qu'ils  ne 
fassent,  pour  recouvrer  la  liberté,  ce  que 
nous  faisons  pour  satisfaire  nos,inclinations  ? 
La  pol'tique  n'a-t-elle  jamais  arraché  de 


27 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


23 


coupables  sentences  de  la  bouche  des  juges? 
N'ont-ils  jamais  succombé  sous  le  poids  de 
la  protection  des  grands;  et  la  crainte  de 
perdre  les  bonnes  grâces  de  César,  n'a-t-elle 
jamais  fait  préférer  le  coupable  à  l'innocent  ? 
L'intérêt,  ce  péché  dominant  dans  le  cœur 
de  presque  tous  les  hommes,  ne  nous  rend- 
il  pas  tous  les  jours  méconnaissables  à  nos 
pères  ?  Ne  préside-t-il  pas  à  toutes  les  affai- 
res de  la  société?  Ne  foule-t-il  pas  sans  scru- 
pule les  lois  de  l'équité  et  de  la  justice,  si 
religieusement  observées  avant  nous?  Pour- 
quoi l'appât  d'un  gain  rapide,  ou  le  désir 
des  richesses  nous  fait-il  renoncer  aux  de- 
voirs de  la  religion  et  de  la  probité? 

Les  plaisirs  sont-ils  toujours  innocents 
pour  ceux  qui  les  recherchent,  et  ses  trom- 
pguses  amorces  n'ont-elles  pas  séduit  les 
plus  forts  d'Israël?  Le  péché  alarme-t-il 
longtemps  l'innocence  quand  elle  est  expo- 
sée, et  de  grandes  chutes  ne  suivent-elles 
pas  souvent  de  longues  résistances?  L'or- 
gueil qui  a  enfanté  toutes  les  hérésies,  selon 
saint  Augustin,  n'arrache-t-il  pas  à  l'Eglise 
des  hommes  qui  lui  seraient  utiles?  Dans  le 
centre  même  de  la  religion,  n'abandonne- 
t-on  pas  la  vérité  pour  courir  après  le  men- 
songe? Et  combien  de  simples  fidèles,  qui  ne 
doivent  le  goût  qu'ils  ont  pour  l'indépen- 
dance, et  leur  attachement  à  la  nouveauté, 
qu'aux  liaisons  qu'ils  ont  eues  avec  les  enne- 
mis de  l'Fglise?Ne  sont-ce  pas  là,  Messieurs, 
autant  d'apostasies  qui  déshonorent  la  reli- 
gion et  la  piété? 

Or  voici,  Messieurs,  la  conséquence  que 
je  tire  de  tous  ces  raisonnements.  Si,  dans 
un  royaume  où  la  religion  est  florissante,  où 
ses  temples  sont  continuellement  ouverts,  ses 
solennités  éclatantes;  où  les  peuples  paisi- 
bles peuvent  tous  les  jours  rendre  un  culte 
public  à  leur  Dieu,  on  succombe  encore  si 
souvent  aux  circonstances  délicates  de  la 
passion,  et  aux  artifices  de  quelques  hom- 
mes cachés  et  sans  crédit,  que  nous  sommes 
donc  insensibles  de  ne  pas  appréhender  que 
nos  frères  qui  sont  sous  la  domination  des 
infidèles  ne  tombent  dans  l'apostasie,  et  qu'ils 
ne  cherchent  quelque  adoucissement  dans 
leurs  fers  par  un  désaveu  de  leur  religion? 

Ce  sont  ces  motifs  saints  qui  ont  touche  la 
Mère  de  Dieu,  qui  ont  animé  tant  de  zélés 
rédempteurs.  C'est  la  plus  haute  sainteté  qui 
a  présidé  à  l'établissement  de  l'ordre  de  la 
Merci  :  je  viens  de  vous  le  montrer,  Mes- 
sieurs :  Sanctimonia  in  sanctificatione  ejus. 

Dieu  a  suscité  dans  le  sanctuaire,  sur  le 
trône,  et  dans  tous  les  états,  des  hommes  zélés 
pour  le  soutenir  et  perpétuer  les  rédemp- 
tions; vous  allez  voirla  magnificence  de  ceux 
qui  l'ont  secouru  :  Magnificentia  in  sanctifi- 
catione cjus.  C'est  le  sujet  de  la  seconde 
oartie. 

SECONDE    PARTIE. 

Ce  sont  des  héros  de  la  charité  que  je  vais 
louer,  Messieurs,  dans  cette  seconde  partie. 
Quelle  multitude  l'histoire  ne  me  présente- 
t-elle  pas  darrs  l'ordre  de  la  Merci  1  qu'ils 
sont  respectables,  qu'ils  sont  magnifiques! 


Dieu  en  suscite  dans  le  sanctuaire,  sur  le 
trône,  dans  les  riches  et  dans  les  pauvres. 
Les  religieux  qui  le  composent  prodiguent 
leur  vie;  les  rois  offrent  leurs  palais  et  leur 
puissance,  et  les  grands  s'épuisent  en  libéra- 
lités; les  peuples  grossissent  selon  leur  pou- 
voir les  jiieuses  collections. 

Séchez  vos  pleurs ,  captifs  désolés,  ne 
mouillez  plus  vos  fers  de  vos  larmes;  on  mé- 
dite votre  délivrance,  on  va  négocier  votre 
rédemption.  Il  y  a  une  magnificence  de  cha- 
rité dans  l'établissement  de  l'ordre  de  la 
Merci,  qui  répond  à  l'éminence  de  sainteté  : 
Magnificentia  in  sanctificatione  ejus. 

Louons,  Messieurs,  avec  le  Saint-Esprit, 
ces  hommes  de  miséricorde,  qui  se  sont  ac- 
quis tant  de  gloire  dans  -Tordre  de  la  Merci. 
Ses  annales  nous  les  représentent  comme 
des  vainqueurs  environnés  de  leurs  conquê- 
tes :  elle  leur  a  érigé  des  trophées  que  la 
postérité  la  plus  reculée  admirera  :  Laude- 
mus  viros  gloriosos.  (Eccli.,  XLIV.) 

Admirons,  quoique  rapidement,  l'émi- 
nence de  leur  sainteté,  l'étendue  de  leurs  lu- 
mières, les  grandes  places  dont  ils  se  sont 
rendus  dignes,  leur  habileté  dans  les  affai- 
res, et  surtout  leur  zèle  immense  pour  la 
délivrance  des  esclaves  chrétiens  :  peuvent- 
ils  mériter  notre  admiration  sans  mériter 
nos  louanges?  Et  des  hommes  qui  ont  mé- 
rité la  confiance  des  princes  barbares  et  des 
rois  les  plus  inhumains  ne  doiven'.-ils  pas 
être  loués  dans  les  assemblées  solennelles 
des  fidèles?  Ils  sont  revenus  de  ces  climats 
féroces  couverts  de  lauriers.  La  gloire  de 
leurs  heureuses  négociations  les  a  accompa- 
gnés dans  la  route  d'un  pénible  voyage  :  l'é- 
poux rendu  à  son  épouse,  le  fils  à  son  père, 
le  citoyen  à  sa  patrie,  ont  épuisé  les  éloges 
de  toutes  les  villes  et  de  toutes  les  provin- 
ces. On  a  rendu  des  honneurs  éclatants  à  ces 
héros  de  la  charité.  Ne  craignons  pas  de  louer 
a  la  face  des  saints  autels  des  hommes  dont 
tous  les  peuples  chrétiens  chantent  la  gloire  : 
l'esprit  de  Dieu  ne  nous  défend  point  de 
louer  les  héros  de  la  religion  :  Laudemus 
viros  gloriosos.  Hommes  de  sainteté,  allons 
à  la  vraie  source,  Messieurs;  consultons 
l'autorité  légitime;  parcourons  les  fastes  de 
l'Eglise,  où  nous  apprendrons  leurs  actions 
héroïques  ;  jetons  les  yeux  sur  le  culte  pu- 
blic que  nous  leur  rendons;  la  charité  de  ces 
premiers  rédempteurs  n'a-t-elle  pas  été  cou- 
ronnée dans  le  ciel?  L'Eglise,  après  nous 
les  avoir  proposés  comme  des  héros  sur  h 
terre,  ne  nous  les  proposc-t-elle  pas  aujour- 
d'hui comme  des  saints  qui  régnent  dans 
l'éternité?  Quelle  plus  haute  sainteté,  quelle 
charité  plus  héroïque  que  celle  qui  s'expose 
à  la  mort,  ou  au  moins  aux  ennuis  de  la  cap- 
tivité? Telle  fut,  Messieurs,  celle  des  pre- 
miers religieux  de  la  Merci.  Passons  à  d'au- 
tres traits  de  leur  gloire. 

Hommes  de  génie  et  d'érudition,  à  peine 
puis-je  compter  les  savants  de  cet  ordre  nais- 
sant. Pendant  (pie  les  uns  font  éclater  leur 
charité  sur  différents  théâtres  de  l'Orient, 
qu'ils  adoucissent  par  leur  seule  présence  la 
férocité  des  princes  les  clus  cruels,  qu'ils 


29 


PANEGYRIQUES.  —  PANEG.  I"  ,  NOTRE-DAME  DE  LA  MERCI. 


7,0 


négocient  habilement  la  rançon  des  captifs, 
et  qu'ils  brisent  les  fers  de  plusieurs  milliers 
d'esclaves,  les  autres  occupent  des  chaires 
dans  les  plus  fameuses  universités,  et  y  en- 
seignent avec  tout  l'éclat  des  grands  maîtres; 
leurs  connaissances,  leurs  lumières,  leurs 
talents,  leurs  ouvrages,  ne  les  ont-ils  pas 
rendus  célèbres  dans  l'Église  et  dans  la  ré- 
publique des  lettres? 

Ce  sont  ces  saints  religieux,  ces  hommes 
fameux  que  l'Eglise  a  élevés  avec  plaisir  aux 
premières  dignités.  Quels  succès  n'attendait- 
elle  [tas  du  ministère  de  ces  ministres  qui 
joignaient  l'érudition  la  plus  profonde  à  la 
charité  la  plus  généreuse?  Appréhendait-elle 
qu'ils  redoutassent  les  fatigues  de  I'apo?to- 
lat,  eux  que  les  images  de  la  mort  toujours 
présentes  à  leurs  yeux  sur  les  mers,  dans  les 
trajets  les  plus  fameux  par  les  naufrages,  et 
chez  les  peuples  barbares  qui  n'étaient  pas 
adoucis  et  policés  comme  aujourd'hui ,  n'a- 
va:ent  pu  effrayer?  Elle  était  persuadée  que 
des  hommes  qui  prodiguaient  leur  vie  pour 
briser  les  fers  des  chrétiens  la  prodigueraient 
aussi  pour  le  salut  des  âmes  qui  leur  étaient 
confiées;  c'est  pourquoi,  Messieurs,  on  vit 
plusieurs  religieux  de  la  Merci  monter  par 
l'ordre  de  l'Eglise  sur  le  trône  épiscopal;  on 
les  vit  remplir  les  premiers  sièges  de  l'O- 
rient, et  honorer  môme  la  pourpre  romaine 
par  leurs  vertus  et  leurs  talents. 

Ce  ne  sont  encore  là,  Messieurs,  que  de 
faibles  peintures  de  la  gloire  des  premiers 
religieux  de  la  Merci.  Ces  héros  de  la  cha- 
rité épuiseraient  tous  nos  éloges  ;  l'imagina- 
tion la  plus  vive  succombe  sous  le  poids  de 
tant  de  faits  et  de  tant  de  merveilles  :  peut- 
on  représenter  tous  les  prodiges  de  la  cha- 
rité? Y  a-t-il,  selon  Jésus-Christ,  une  charité 
plus  magnifique  que  celle  qui  fait  prodiguer 
sa  vie  pour  le  salut  de  ses  frères?  Telle  fut 
celle,  Messieurs,  de  ces  saints  religieux  qui 
honorent  l'ordre  naissant  de  Notre-Dame  de 
la  Merci.  Aussi  il  faudrait  toute  la  magnifi- 
cence des  plus  grands  maîtres  de  l'éloquence, 
pour  vous  représenter  avec  dignité  leurs  ver- 
tus et  leurs  succès  ;  je  n'ose  m'en  flatter, 
Messieurs. 

Comment  vous  dépeindre  l'intelligence  et 
l'habileté  de  ces  hommes  si  célèbres  par  leurs 
négociations? 

Vous  dirai-je  que  les  rois  d'Aragon,  d'Es- 
pagne et  de  France  les  ont  employés  plu- 
sieurs fois  dans  les  affaires  les  plus  délica- 
tes, qu'ils  ont  été  admis  aux  plus  grands 
mystères  de  l'Etat  :  ce  n'était  pas,  Messieurs, 
l'ambition  qui  les  portait  à  la  cour;  ils  n'em- 
ployaient pas  la  profondeur  de  la  politique 
pour  parvenir  aux  honneurs;  une  cabale 
puissante  ne  les  soutenait  pas  dans  ces  places 
mobiles  et  changeantes;  l'adulation  ne  les 
avait  pas  attachés  aux  grands;  ils  ignoraient 
ces  intrigues  sourdes,  ces  basses  complai- 
sances, ces  criminels  applaudissements,  qui 
soutiennent  tant  de  courtisans  au  défaut  du 
mérite  et  de  la  vertu. 

Les  honneurs  étaient  venus  les  trouver 
dans  leur  solitude,  ils  les  avaient  mérités,  ils 
ne  les  avaient  pas  recherchés  ;  leurs  succès 


just:fiaient  le  choix  des  princes  qui  les  em- 
ployaient ;  ils  étaient  dans  les  cours  des  rois 
par  nécessité,  ils  étaient  dans  la  retraite  par 
inclination;  et  ils  avaient  autant  de  plaisir 
lorsqu'ils  quittaient  la  cour,  que  les  ambi- 
tieux en  ont  lorsqu'ils  y  sont  appelés. 

Que  dirai-je,  Messieurs,  de  leur  zèle  pour 
la  délivrance  des  captifs?  C'était  à  cet  hé- 
roïsme de  charité  qu'ils  s'étaient  consacrés 
par  état.  N'est-ce  pas  aussi  avec  une  sainte 
prodigalité  de  leur  vie  qu'ils  en  remplissent 
les  obligations  ?  Les  caractères  féroces  des 
rois  de  Maroc,  de  Tunis  et  d'A'ger,  n'avaient- 
ils  pas  dans  ce  temps-là  de  quoi  effrayer  les 
plus  intrépides?  La  haine  qu'ils  portaient 
aux  chrétiens,  les  relations  qui  passaient  en 
Europe,  et  qui  annonçaient  tous  les  mystères 
de  cruauté  que  ces  barbares  exerçaient  dans 
ces  royaumes  sauvages  et  intraitables,  ne 
devaient-elles  pas  les  intimider?  Oui,  Mes- 
sieurs, s'ils  eussent  eu  moins  de  zèle  et  de 
charité  pour  la  délivrance  de  leurs  frères. 
Mais  ces  orages  et  ces  tempêtes,  les  chaînes, 
les  supplices,  ne  peuvent  retarder  ces  héros 
de  la  charité.  Déjà  je  les  vois  exposés  sur  la 
mer,  braver  les  écueils  et  les  naufrages,  im- 
patients de  joindre  leurs  frères  captifs,  d'ar- 
roser leurs  fers  de  leurs  larmes,  de  les  con- 
soler dans  leur  captivité. 

O  merveille  de  la  charité  de  Jésus-Christ  1 
j'en  vois  qui  poussent  la  générosité  jusqu'à 
souffrir  pour  ceux  qu'ils  veulent  délivrer. 
Je  vois  des  échafauds  préparés,  des  roues 
dressées,  des  hôtes  féro->s  en  liberté,  des 
feux  allumés,  des  glaives  brillants  à  leurs 
yeux  et  élevés  sur  leur  tête  ;  et  je  les  vois 
proposer  hardiment  la  délivrance  des  chré- 
tiens captifs,  offrir  des  sommes  pour  leur 
rançon,  s'offrir  eux-mêmes. 

Que  votre  zèle  est  magnifique,  ô  premiers 
rédempteurs  de  la  Merci  1  Et  l'histoire  fidèle 
ne  doit-elle  pas  vous  mettre  à  côté  de  ces 
héros  chrétiens  qui  bravaient  les  tyrans  jus- 
que dans  les  amphithéâtres,  qui  suivaient 
avec  une  sainte  intrépidité  leurs  frères  au 
lieu  du  supplice,  qui  les  encouragaient  à  la 
mort  et  les  exhortaient  à  persévérer  coura- 
geusement dans  la  foi  de  Jésus-Christ  ? 

Non;  Tripolis,  Maroc,  Tunis,  Alger,  n'a- 
vaient pas 'de  votre  temps  des  rois  plus 
doux,  plus  humains  que  les  empereurs  qui 
persécutèrent  l'Eglise  pendant  les  trois  pre- 
miers siècles;  et,  si  le  berceau  de  l'Eglise  a  éîé 
arrosé  du  sang  des  martyrs,  celui  de  l'ordre 
de  la  Merci  a  été  arrosé  du  sang  des  pre- 
miers rédempteurs.  Ce  sont  ces  héros  de 
la  charité,  que  l'Eglise  offre  à  notre  vé- 
nération ,  qu'elle  nous  montre  dans  une 
gloire  éblouissante.  Môles  avec  ces  généreux 
athlètes  qui  ont  passé  par  de  grandes  tribu- 
lations, qui  portent  de  brillantes  couronnes 
sur  leur  tête  et  des  palmes  dans  leurs  mains, 
après  nous  avoir  parlé  de  leur  zèle  héroïque 
pour  la  délivrance  des  cap-tifs,  elle  nous  dé- 
peint leurs  triomphes  éternels. 

Il  n'aupartient  qu'à  la  religion  chrétienne, 
Messieurs,  d'inspirer  le  zèle  héroïque: 
comme  c'est  dans  eon  sein  seul  que  se  con- 
serve la  vraie  chant»',  elle  seule  forme  ce* 


31 


ORATEIRS  SACRES.  RALLET. 


32 


hommes  apostoliques  qui  méritent  notre 
admiration  et  épuisent  nos  éloges.  Peut-on 
un  apostolat  plus  doux,  plus  paisible  que 
celui  des  pharisiens?  Jésus-Christ  nous  le 
dépeint  dans  l'Evangile  avec  des  traits  vifs 
et  naturels,  pour  nous  montrer  la  différence 
qu'il  y  avait  entre  le  sien  et  celui  de  ses  dis- 
ciples, qui  doivent  être  animés  de  sa  charité. 
Ecoutons-le,  Messieurs. 

Une  vie  douce  et  commode  à  l'ombre  de 
quelques  pratiques  extérieures  de  religion. 
Beaucoup  d'indulgence  pour  soi,  beaucoup 
de  sévérité  pour  les  autres  ;  gémir  des  désor- 
dres du  prochain,  canoniser  ses  coupables 
attaches.  Etre  jaloux  de  passer  pour  des 
saints,  ne  rien  faire  pour  se  sanctifier;  exiger 
la  vénération  du  public,  n'avoir  que  des  mé- 
pris affectés  pour  ceux  qui  ne  sont  point  de 
son  parti.  Opposer  la  sévérité  apparente  de 
ses  mœurs  aux  faiblesses  et  aux  fragilités  de 
l'humanité;  passer  les  mers  pour  faire  des 
prosélytes  ,  demeurer  dans  le  repos  pour 
goûter  les  fruits  de  son  avarice  ;  faire  gémir 
longtemps  les  pécheurs  sous  de  pesants  far- 
deaux et  vivre  mollement  sous  le  poids  de 
ses  crimes.  Citer  avec  affectation  les  ancien- 
nes traditions,  violer  sans  scrupule  les  lois 
sacrées  de  la  charité;  être  l'apôtre  d'un  riche , 
d'une  veuve,  d'une  famille  opulente,  le  cen- 
seur de  toute  la  société  :  tel  est,  Messieurs, 
l'apostolat  des  pharisiens  ;  sous  ces  traits, 
nous  pouvons  aussi  reconnaître  celui  de  ces 
hommes  d'erreur  et  de  mensonge  qui ,  dès 
la  naissance  de  l'Eglise,  ont  formé  des  par- 
tis et  des  sectes.  Le  vrai  zèle  ne  se  trouve 
(pie  dans  la  religion  catholique;  elle  seule 
a  donné  des  apôtres  et  des  martyrs. 

Se  dérober  à  sa  patrie,  renoncer  aux  dou- 
ceurs d'une  famille,  entreprendre  des  voya- 
ges pénibles;  passer  les  mers,  exposer  sa 
vie  sur  les  côtes  des  infidèles  pour  aller  bri- 
ser les  chaînes  des  chrétiens  qui  languissent 
dans  la  captivité,  c'est  un  zèle  héroïque, 
c'est  celui,  Messieurs,  des  premiers  reli- 
gieux de  la  Merci.  Ne  pensez  pas,  Mes- 
sieurs, que  ce  zèle  ait  disparu  avec  les 
grands  hommes  dont  je  viens  de  vous  par- 
ler. Nous  le  retrouvons  dans  ces  hommes  de 
miséricorde  qui  vivent  sous  nos  yeux,  et 
devant  lesquels  j'ai  l'honneur  de  vous  parler 
aujourd'hui. 

Ils  marchent  sur  les  traces  de  leurs  pères 
avec  la  même  générosité.  Ne  les  voyons-nous 
pas  souvent  quitter  cette  sainte  rétraite,  se 
séparer  de  leurs  frères  et  de  leurs  amis  ;  in- 
terrompre ce  commerce  d'étude  et  de  science, 
qui  les  distinguent  dans  la  plus  fameuse 
école  du  monde  et  dans  la  république  des 
lettres,  pour  aller  briser  les  fers  des  chré- 
tiens? Ne  les  voyons-nous  pas  arriver  avec 
joie  dans  cette  capitale  de  l'univers,  suivis 
de  leurs  complètes?  Nous  admirons 
ghificence  de  leur  zèle  \uyv  soutenir 
de  la  Merci ,  comme  nous  admirons 
gniûcence  des  rois  qui  le  protègent. 

Oui,  Messieurs,  Dieu  veut  (pie  les  ma- 
jestés de  la  terre  servent  à  l'exécution  de  ses 
desseins ,  que   ces  puissances  temporelles 


la  ma- 

l'ordre 
la  ma- 


soient  utiles  aux  puissances  spirituelles; 
c'est  pour  cela  qu'il  leur  a  mis  un  glaive 
dans  les  mains,  qu'il  les  a  revêtues  de  cette 
autorité  suprême,  qu'elles  ne  tiennent  que 
de  lui.  La  force,  la  valeur,  la  gloire  qui  les 
rend  grands  et  redoutables  à  leurs  ennemis, 
doivent  les  rendre  utiles  à  la  religion.  C'est 
par  moi  que  les  rois  régnent,  dit  le  Seigneur  ; 
c'estàeux  à  me  faire  régner,  à  étendre  mon 
culte  et  à  protéger  mon  Eglise. 

Dieu  ne  pouvait-il  pas,  Messieurs,  avec 
la  puissance  qu'il  a  tiré  le  monde  du  néant, 
rendre  tout  à  coup  la  religion  chrétienne 
libre  et  florissante,  renverser  les  trônes  et 
briser  les  sceptres  des  empereurs  païens  qui 
s'opposaient  à  son  établissement?  Son  bras 
est-il  raccourci?  ne  pouvait-il  pas  encore 
faire  éclater  ces  prodiges  de  vengeances 
qui  ont  écrasé  tant  de  monarques  impies 
dans  l'ancienne  loi  ?  Tous  les  éléments  ne 
se  seraient  -  ils  pas  soulevés  contre  ces 
hommes  cruels  et  audacieux?  n'auraient-ils 
pas  été  autant  d'instruments  de  sa  juste  co- 
lère. 

Ne  pouvait-il  pas  adoucir  le  caractère  fé- 
roce de  ces  princes  barbares  qui  persécu- 
taient ses  disciples  ?  Ne  pouvait-il  pas  étouf- 
fer les  hérésies  dès  leur  naissance,  délivrer 
promptement  l'Eglise  de  ces  hérésiarques 
qui  l'ont  troublée  et  affligée?  Oui,  Mes- 
sieurs ,  mais  il  a  voulu  opposer  des  hommes 
aux  hommes  ;  et  si  l'esprit  de  ténèbres  em- 
ploie les  méchants  pour  étendre  son  règne, 
il  emploie  les  bons  pour  étendre  le  sien.  Il  op- 
pose aux  rois  cruels  et  impies  des  rois  clé- 
ments et  religieux  ;  aux  savants  indociles  et  té- 
méraires, des  savants  soumis  et  respectueux. 
C'est  lui  qui  les  soutient  dans  ces  combats  et 
qui  les  en  fait  sortir  victorieux  ;  il  leur  tient 
compte  de  leur  zèle,  pourvu  qu'ils  lui  rap- 
portent la  gloire  de  leurs  succès. 

N'est-ce  pas  sur  ce  principe,  Messieurs, 
qu'il  a  voulu  se  servir 
pour  rendre  la  paix  à 
épouse  désolée  avait  soutenu  trois  siècles 
de  persécutions,  sans  temples,  sans  autels; 
persécutée  et  dans  l'opprobre ,  le  seul  cou- 
rage de  ses  enfants  faisait  alors  sa  gloire. 
Elle  se  consolait  de  ses*pertes ,  à  la  vue  des 
couronnes  et  des  palmes  que  ses  martyrs 
moissonnaient  ;  elle  voyait  ces  zélés  chré- 
t;ens  mourir  et  naître  sur  les  échafauds,  et 
elle  tirait  sa  gloire  de  ce  qui  devait  l'humilier 
et  l'anéantir.  Ce  miracle  était  consolant  et  la 
soutenait  dans  ses  épreuves;  mais,  quand  Dieu 
eut  suscité  le  grand  et  religieux  Constantin, 
elle  goûta  les  douceurs  de  la  paix;  elle  vit  son 
règne  s'étendre  sur  toute  la  terre,  elle  eut 
des  temples  et  des  autels  ;  elle  rendit  au 
Seigneur  un  culte  public.  Ce  fut  dans  ces 
jours  sereins  et  tranquilles,  sous  la  protec- 
tion de  ce  prince  magnanime,  qu'elle  sortit 
de  l'obscurité  et  qu'elle  fut  couverte  de 
gloire. 

Dieu,  qui  est  obéi  quand  il  commande  aux 
vents  et  aux  tempêtes ,  pouvait  faire  cesser 
les  persécutions  sans  le  secours  de  Constan- 
tin ;  mais  il  a  voulu  apprendre  aux-rois  qu'ils 
se  doivent  à  la  religion,  et  que,  connue  ils 


du  grand  Constantin 
l'Eglise?  Déjà  cette 


33 


PANEGYRIQUES.  —  PANEG.  I"  ,   NOTRE-DAME  DE  LA  MERCL 


3i 


sont  les  plus  grands  et  les  plus  puissants,  ils 
doivent  être  aussi  les  premiers  à  prendre  sa 
défense  contre  ses  ennemis;  il  est  avec  eux 
quand  ils  sont  pour  lui.  C'est  lui  qui  attache 
la  victoire  à  leur  char,  et  qui  leur  fait  cueil- 
lir des  lauriers  dans  les  combats. 

N'est-ce  pas  sur  ce  principe,  Messieurs, 
qu'il  a  opposé  aux  hérésies  naissantes  et  aux 
hérésies  accréditées,  tous  ces  hommes  célè- 
bres par  leur  science  et  leurs  rares  talents. 
Séchez  vos  pleurs,  troupeaux  désolés  1  Dieu 
suscite  des  pasteurs  zélés.  Vous  allez  voù' 
briller  des  lumières  qui  dissiperont  les  ténè- 
bres, des  docteurs  de  la  vérité  qui  confon- 
dront les  maîtres  du  mensonge;  la  saine  doc- 
trine triomphera,  l'erreur  sera  forcée  de  se 
cacher.  Les  forteresses  de  l'orgueilleuse  Jé- 
richo tomberont  au  bruit  des  trompettes  mys- 
térieuses. L'enfer  a  vomi  des  monstres  pour 
vous  dissiper,  Dieu  suscite  des  saints  pour 
vous  conserver;  il  veut  opposer  l'homme  à 
l'homme;  l'homme  soutenu  par  sa  grâce  à 
l'homme  animé  par  l'orgueil. 

N'est-ce  pas  sur  ce  principe,  Messieurs, 
que  Dieu  a  voulu  dans  ces  derniers  temps 
que  Louis  le  Grand,  cet  invincible  monarque, 
l'homme  de  l'Eglise  par  excellence ,  eut  la 
gloire  d'humilier  et  d'écraser  dans  ce  royaume 
l'hérésie  furieuse  de  Luther  et  de  Calvin, 
qui  avait  causé  tant  de  ravages?  N'a-t-il  pas 
fait  la  joie  de  l'Eglise,  aussi  bien  que  la  ter- 
reur de  ses  ennemis  ?  Et  si  ses  voisins  mêmes 
ont  érigé  des  trophées  à  sa  valeur,  l'Eglise 
n'en  a-t-elle  pas  érigé  à  son  zèle  pour  la  re- 
ligion? Dieu  a  voulu  que  l'Eglise  eût  besoin 
de  ces  puissants  protecteurs,  et  il  en  a  sus- 
cité dans  tous  les  temps. 

C'est  enfin,  Messieurs,  sur  ce  principe  que 
Dieu,  qui  pouvait  agrandir  et  soutenir  l'or- 
dre de  la  Merci,  sans  le  secours  de  ses  créa- 
tures, a  voulu  y  faire  entrer  l'autorité  et  les 
libéralités  des  princes  chrétiens  :  l'autorité, 
pour  lui  ouvrir  les  passages  et  lui  donner 
accès  auprès  des  princes  barbares;  les  libé- 
ralités pour  négocier  avec  succès  la  déli- 
vrance des  captifs. 

Je  vais,  Messieurs,  vous  représenter  la 
piété  et  la  magnificence  de  plusieurs  rois 
pour  soutenir  l'ordre  de  la  Merci.  Dieu,  qui 
dissipe  les  conseils  des  princes,  fait  réussir 
les  projets  qu'il  leur  inspire.  Il  suit  le  cours 
ordinaire,  en  se  servant  de  la  force  des  rois 
chrétiens  pour  réprimer  la  force  des  rois  in- 
humains. Il  touche  leurs  cœurs  sur  l'état  dé- 
plorable de  ces  infortunés  qui  gémissent  dans 
les  fers,  sur  l'impossibilité  qu'il  y  a  que  des 
religieux  puissent  passer  par  tant  de  pro- 
vinces et  de  royaumes,  traverser  les  mers, 
aborder  sur  les  "côtes  des  infidèles,  proposer 
le  rachat  des  chrétiens  à  des  hommes  inté- 
ressés, sans  secours,  sans  autorité,  sans  ar- 
gent ;  alors  on  vit  les  rois  prêter  leurs  forces 
et  donner  des  sommes  immenses;  alors  on 
vit  des  troupes  braves  et  guerrières  accom- 
pagner les  religieux;  la  cour,  la  noblesse, 
tout  voulut  avoir  part  à  la  rédemption  des 
captifs,  et  on  vit  s'établir  un  ordre  royal  qui 
subsiste  avec  honneur  depuis  plusieurs  siè- 
cles, 


Que  de  faits  éclatants  se  présentent  ici, 
Messieurs,  a  mon  imagination  1  Que  la  cha- 
rité de  Jésus-Christ  opère  de  merveilles  !  Que 
la  piété  des  rois  est  magnifique  1 

Que  dirai-je  du  zèle  du  roi  d'Aragon,  le 
premier  protecteur  de  l'ordre?  Ne  prêta-t-il 
pas  la  force  de  ses  armes  au  courage  àes  pre- 
miers chevaliers?  Ne  commença-t-il  pas  à  ré- 
pandre la  terreur  chez  les  Maures  et  les  Sar- 
rasins? L'habileté  aveelaquelle  ces  nouveaux 
guerriers  s'emparent  des  côtes  de  la  Médi- 
terranée, assure  le  passage  aux  chrétiens,  et 
rend  inutiles  les  courses  vagabondes  des  pi- 
rates. 

Quel  secours  l'ordre  de  la  Merci  n'a-t-il  pas 
encore  reçus  du  roi  catholique?  L'Es]  agr:e', 
plus  à  poitée  que  les  autres  royaumes  de  ces 
peuples  barbares,  a  souvent  couvert  la  mer 
de  ses  Hottes  et  les  a  effrayés  par  le  tonnerre 
de  son  canon  ;  alors  les  rédempteurs  sont  par- 
venus avec  moins  de  risque  jusqu'aux  es- 
claves chrétiens,  et  les  négociations  ont  été 
plus  faciles. 

Mais  je  n'ai  encore  rien  dit,  Messieurs; 
la  protection  de  Louis  le  Grand  a  rendu  l'or- 
dre de  la  Merci  respectable  chez  les  barbares 
mêmes. 

Ce  monarque,  qui  étendait  ses  victoires 
au  delà  des  mers,  a  humilié  tous  les  enne- 
mis du  nom  chrétien;  Fez,  Maroc,  Tripoli, 
Alger,  Tunis,  ont  été  abaissés  et  forcés  de 
plier  sous  la  force  de  ses  armes  :  elles  n'ont 
fait  que  briller  aux  yeux  de  ces  barbare?,  et 
ils  ont  été  déconcertés  ;  à  peine  ont-ils  entendu 
le  bruit  de  ses  bombes  foudroyantes,  qu'ils 
ont  reconnu  le  maître  du  monde?  Il  parlait 
par  la  bouche  des  consuls,  et  on  brisait  les 
chaînes  des  captifs.  N'a-t-il  pas  vu,  ce  mo- 
narque incomparable ,  les  Algériens  à  ses 
pieds?  N'ont-ils  pas  traversé  les  mers  pour 
venir  implorer  sa  clémence?  Ne  l'ont-ils  pas 
rendu  l'arbitre  de  la  rançon  des  captifs? 

Allez  avec  confiance,  zélés  religieux  de  la 
Merci,  sous  la  protection  du  plus  magnifique 
et  du  plus  invincible  des  monarques,  négo- 
cier la  délivrance  des  chrétiens;  l'ombre  de 
son  trône  vous  couvrira  et  vous  servira  de 
remparts  contre  les  traits  des  ennemis;  les 
passages  vous  seront  ouverts,  vous  ne  cour- 
rez aucun  risque  sur  les  côtes,  on  vous  i espec- 
pectera  dès  qu'on  saura  que  vous  êtes  Fran- 
çais, et  ces  rois  inhumains,  dépouillés  de  la 
barbarie  et  de  la  férocité  de  leur  nation,  vous 
recevrontahonorablement,  écouteront  vos  of- 
fres et  donneront  la  liberté  à  vos  frères;  peu- 
vent-ils trop  faire  pour  un  roi  qui  était  de- 
venu le  maître  de  leur  sort  et  qui  les  a  ga- 
gnés par  sa  clémence,  dans  le  temps  même 
qu'il  pouvait  les  perdre  par  sa  valeur? 

C'est  ainsi,  Messieurs,  que  les  rois  ont 
soutenu  avec  magnificencel'ordre  de  laMerci; 
ils  se  sont  déclarés  solennellement  ses  pro- 
tecteurs. Il  a  vu  croître  ses  lauriers  à  l'ombre 
de  leurs  trônes,  et  les  fers  des  captifs  brisés 
ont  été  autant  de  trophées  érigés  à  la  puis- 
sance de  leurs  armes  et  à  leur  charité  héroï- 
que. Mais  si  l'ordre  de  la  Merci  avait  besoin 
de  la  protection  des  souverains  pour  éviter 
les  dangers  des  côtes ,  pénétrer  avec  sûreté 


35 


ORATEURS  SACHES.  BALLET. 


36 


dans  l'Orient  et  jusqu'aux  trônes  des  princes 
barbares,  les  forcer  à  traiter  plus  humaine- 
ment les  rédempteurs,  il  avait  aussi  besoin  des 
libéralités  royales  pour  élever  des  hospices 
aux  préfets ,'  fournir  aux  dépenses  de  ces 
longs  voyages  sur  mer  et  sur  terre ,  porter 
des  sommes  assez  considérables  et  des  pré- 
sents assez  magnifiques  pour  satisfaire  la  cu- 
pidité de  ces  hommes  inhumains  et  négocier 
avec  succès  la  rédemption  des  captifs,  et  c'est 
ce  qu'il  trouva  dans  les  princes  chrétiens 
avec  une  sorte  de  magnificence.  Vous  dirai- 
je,  Messieurs,  que  le  palais  d'un  roi  devint 
le  premier  hospice  de  cet  ordre  naissant;  que 
le  zèle  magnifique  de  Jacques  d'Aragon  ne 
.se  borna  pas  à  des  aumônes  immenses,  mais 
qu'il  s'étendit  jusqu'à  introduire  les  religieux 
dans  son  palais. 

Que  dirai-je  des  libéralités  de  l'Espagne 
pour  la  rédemption  des  captifs;  n'ont-elles 
pas  été  proportionnées  à  la  grandeur  et  à  l'o- 
pulence du  trône?  et  ses  monarques  ne  se 
sont-ils  pas  acquis  la  gloire  d'avoir  contri- 
bué aux  plus  grandes  rédemptions?  Que  les 
misérables  sont  consolés  dans  un  royaume 
où  Jésus-Christ  règne  1 

Vous  savez,  Messieurs,  les  libéralités  de 
notre  auguste  monarque  et  de  sa  brillante 
cour.  Ces  aumônes  magnifiques  distribuées 
tous  les  ans,  sa  bienveillance  accordée  aux 
rédempteurs  des  ordres  donnés  à  ses  minis- 
tres et  à  ses  consuls,  les  assurent  du  succès 
de  leurs  négociations  et  publient  sa  clémence 
et  son  zèle. 

S'il  fallait,  Messieurs,  vous  montrer  des 
trophées  érigés  au  zèle  du  trône  des  Français, 
pour  la  rédemption  des  captifs,  vous  en  voyez 
dans  ce  saint  lieu;  je  parle  dans  un  temple 
auguste,  élevé  par  les  libéralités  d'une  grande 
reine,  dévouée  de  tout  son  cœur  à  l'ordre  de 
la  Merci  ;  les  pierres  de  cette  maison  annon- 
cent la  magnificence  de  nos  rois  pour  l'agran- 
dissement de  cet  ordre,  et  tous  ces  fers  des 
captifs  brisés  et  suspendus,  sont  des  précieux 
monuments  de  leur  zèle  et  de  leur  ten- 
dresse. 

Que  serait-ce,  Messieurs,  si  le  temps  me 
permettait  de  publier  ici  les  libéralités  de 
ces  familles  illustres,  qui  ont  signalé  leur 
piété  dans  l'établissement  de  l'ordre  de  la 
Merci,  de  tous  ces  chevaliers  qui  prodi- 
guaient leurs  biens  et  leur  vie  pour  son 
agrandissement?  Ils  ont  une  place  honorable 
dans  ses  annales,  et  leur  mémoire  sera  tou- 
jours en  bénédiction;  ce  sont  des  hommes 
de  miséricorde  qu'on  n'oubliera  jamais,  et 
nous  admirons  encore  plus  aujourd'hui  dans 
leurs  illustres  descendants,  leur  zèle  pour  la 
rédemption  des  captifs,  que  le  rang  distin- 
gué qu'ils  tiennent  a  la  cour  et  les  places  émi- 
nenlcs  qu'ils  occupent  dans  l'Eglise  et  dans 
l'Etat. 

Ne  croyez  pas,  Messieurs,  que  les  peuples 
aient  négligé  cette  œuvre  héroïque  de  cha- 
rité. Ils  ont  grossi,  selon  leur  pouvoir,  les 
pieuses  collections  que  faisaient  les  rédemp- 
teurs. Quand  il  s'agit  d'exercer  la  miséri- 
corde, tout  chrétien  doit  agir.  Les  premiers 
religieux   de  l'ordre    de   la  Merci,    virent 


avec  joie  les  fidèles  coopérer  h  la  rédemption 
des  captifs;  ils  faisaient  d'abondantes  col- 
lections: on  en  voyait  même  qui  donnaient 
leurs  héritages,  leurs  maisons  pour  servir 
d'hospices  aux  nouveaux  profès  ;  et,  en  cela, 
ils  suivaient  les  avis  de  saint  Ambroise,  de 
saint  Cyprien,  de  saint  Grégoire,  qui  recom- 
mandent aux  chrétiens  la  délivrance  des 
captifs  comme  l'aumône  la  plus  agréable  et 
un  acte  héroïque  de  charité  :  captives  redi- 
mere  opus  prœstantissimum. 

Pourquoi,  Messieurs,  la  charité  envers  les 
captifs  est-elle  si  refroidie  de  nos  jours? 
Pourquoi  apprend-on  comme  une  nouvelle 
indifférente,  les  maux  qu'ils  souffrent  dans 
les  fers?  L'éloignement  doit-il  les  effacer  de 
votre  mémoire?  La  vaste  étendue  des  mers 
qui  les  séparent  de  vous  n'empêche  pas  les 
rédempteurs  de  pénétrer  jusqu'à  eux;  vous 
n'ignorez  pas  leur  sort  dans  la  captivité), 
pouvez-vous  y  être  insensibles  sans  être 
criminels  ?  Je  sais  que  les  aumônes  que  l'on 
fait  avec  prudence  sont  de  précepte:  mais 
je  sais,  avec  saint  Grégoire,  que  celles  que 
•'on  fait  aux  captifs  doivent  tenir  le  premier 
rang,  parce  que  c'est  la  plus  précieuse  de 
toutes  les  aumônes  :  c'est  un  acte  de  cha- 
rité au-dessus  de  tous  les  autres  :  darissi- 
mum  inter  omnia. 

Je  ne  viens  pas  aujourd'hui,  vous  dérober 
à  vos  paroisses,  vous  détourner  de  ces 
pieuses  assemblées  où,  de  concert  avec  un 
pasteur,  on  s'applique  à  soulager  les  miser 
râbles:  je  sais,  avec  l'Ecriture,  que  vous 
aurez  toujours  sous  vos  yeux  des  indigents 
et  qu'il  ne  manquera  jamais  d'y  avoir  des 
pauvres  dans  les  lieux  que  vous  habitez: 
non  derrunt  pauperes  in  terra  habitatiunis 
tuœ.  (Deut.,W.)  Bien  loin  de  vous  endurcir 
sur  leurs  misères,  je  vous  conjure,  avec  tout 
le  zèle  dont  je  suis  capable*  de  tendre  une 
main  charitable  à  votre  fi  ère  qui  est  sous  vos 
yeux  et  qui  e.st  dans  l'indigence  :'Prœcipio 
tibi ,  ut  aperias  munum  tuam  fratri  tuo  egeno 
qui  tecum  versatur.  (lbid.)  Vous  le  devez 
à  la  tendresse,  à  la  religion  et  à  l'exemple; 
plus  vous  êtes  élevés,  plus  vous  devez  édi- 
fier; mais  ces  aumônes  empêchent-elles 
quelques  libéralités  annuelles  pour  la  déli- 
vrance des  ca;  t  fs? 

Les  peuples  qui  ont  coopéré  aux  premiè- 
res rédemptions  avec  tant  de  générosité, 
avaient  les  mêmes  devoirs  à  remplir,  et  ils 
ava:ent  trop  de  piété  pour  ne  pas  s'en  ac- 
quitter exactement.  Marchez  donc  sur  leurs 
tiares,  confiez  quelques  aumônes  aux  zélés 
religieux  qui  vont  négocier  la  liberté  de  vos 
frères  ;  faites  passer  une  partie  de  vos  cha- 
rités dans  l'Afrique,  oour  avoir  part  à  la 
première  rédemption  qui  se  fera;  que  les 
chrétiens  qui  sont  dans  les  fers,  qui  souf- 
frent l'ennui  de  l'exil  et  souvent  les  tour- 
ments les  plus  violents;  dont  la  constance 
peut  être  ébranlée,  aient  aussi  quelque  part 
à  vos  charités;  contribuez,  aussi  bien  que  les 
fidèles  qui  virent  l'établissement  de  l'ordre 
de  la  Merci ,  à  une  œuvre  héroïque;  grossis- 
sez les  trésors  que  l'on  porte  à  'l'unis,  à 
Alger,  à  tous  ces  princes  de  l'Afrique  pour 


PANEGYRIQUES.  —  PANEG.  I",   NOTRE-DAME  DE  LA  MERCI, 


57 

la  rançon  des  chrétiens  ;  brisez  leurs  chaînes, 
vous  obtiendrez  des  grâces  pour  briser  les 
liens  de  vos  péchés. 

Quelles  paroles,  Messieurs,  que  celles 
que  je  viens  de  prononcer!  y  avez-vous  fait 
attention?  Briser  les  liens  de  ses  péchés, 
et  on  emploie,  pour  les  former,  ce  qui  ser- 
virait à  briser  les  fers  de  plusieurs  captifs. 

Liens  de  société  1  On  se  fait  honneur 
d'être  liés  avec  des  personnes  distinguées, 
de  les  recevoir;  que  de  repas,  que  de  fêtes, 
que  de  dépenses  !  C'est  une  gloire  d'être  pro- 
digue et  magnifique;  on  ne  parle  pas  alors 
des  pauvres  de  sa  paroisse,  des  Lazares  qui 
sont  sous  ses  yeux  ,  comment  penserait-on 
à  ces  infortunés  qui  gémissent  dans  la  cap- 
tivité? On  serait  plus  charitable  si  on  était 
moins  mondain  :  on  n'a  point  de  superflu 
quand  on  est  magnifique.  Si  les  riches  de 
cette  grande  ville  s'examinaient,  selon  les 
principes  de  la  religion,  que  deviendraient 
les  prétextes  qu'ils  nous  apportent  lorsque 
nous  plaidons  dans  les  chaires  de  vérité 
la  cause  des  misérables  ?  Nous  serait-il  dif- 
ficile de  prouver  qu'ils  sont  vains  ces  pré- 
textes qu'on  nous  oppose  avec  tant  de  com- 
plaisance? 

On  veut  paraître  charitable,  parce  qu'on 
rougirait  de  paraître  insensible  :  on  a  hont'e 
de  paraître  ce  que  l'on  est,  on  veut  paraître 
ce  que  l'on  n'est  pas.  On  a  toujours  des 
pauvres  qu'on  ne  connaît  pas,  et  on  n'assiste 
pas  ceux  que  l'on  connaît:  on  se  retranche 
sur  la  misère  des  temps,  lorsqu'un  pasteur 
parle  des  besoins  des  pauvres  de  sa  paroisse; 
on  se  retranche  sur  les  pauvres  de  sa  pa- 
roisse, lorsque  nous  parlons  en  faveur  des 
captifs  ;  on  ne  fait  rien  pour  ceux  qui  sont 
éloignés,  ni  pour  ceux  qui  sont  près.  Nous 
vous  voyons  toujours  aussi  magnifiques, 
aussi  somptueux  ;  on  ne  s'aperçoit  pas  de 
la  misère  des  temps,  lorsqu'il  s'agit  de  la 
table,  des  parures,  des  ameublements,  des 
spectacles;  on  s'en  aperçoit  quand  il  s'agit 
d'assister  et  de  soulager  ses  frères  ;  que  vou- 
lez-vous que  nous  pensions  de  votre  religion, 
Messieurs?  Que  les  liens  du  monde  vous 
ont  ravi  la  liberté  que  Jésus-Christ  vous  a 
procurée  1  Ah  !  brisez-les  ces  liens,  et  vous 
trouverez  de  quoi  soulager  les  pauvres  qui 
sont  sous  vos  yeux,  et  de  quoi  grossir  les 
trésors  de  ceux  qui  vont  briser  les  liens  des 
captifs;  la  charité  a  des  ressources. 

Vous  jouissez,  Messieurs,  de  la  liberté,  et 
vous  êtes  dans  l'esclavage.  Vous  êtes  libres 
dans  ce  royaume,  mais  quel  usage  faites- 
vous  de  voire  liberté  ?  Vous  êtes  des  escla- 
ves du  péché,  mais  que  faites-vous  pour 
briser  vos  chaînes?  Ces  hommes  souffrants, 
dont  je  viens  de  vous  parler,  soupirent  après 
leur  liberté.  Ils  verraient  avec  plaisir  leur 
patrie,  ils  iraient  peut-être  avec  zèle  dans  le 
saint  temple;  on  les  verrait  assister  aux 
saints  offices  et  fréquenter  les  sacrements; 
et  vous,  parce  que  vous  avez  la  liberté  de 
servir  Dieu,  vous  l'oubliez.  Un  ciel  obscurci, 
ou  le  moindre  amusement,  vous  empêche 
de  vous  trouver  dans  l'assemblée  des  fidèles. 
Rien  de  plus  libre  dans  ce  royaume  que 


38 

l'exercice  de  la  religion  :  rien  ufe  plus  né- 
gligé par  les  fidèles;  la  facilite  qu'on  a  de 
nourrir  la  piété,  l'a,  pour  ainsi  aire,  fait  dis- 
paraître. On  n'a  jamais  vu  les  chrétiens  plus 
fervents  que  dans  les  persécutions  et  la 
captivité;  on  ne  lésa  jamais  vus  plus  lâches 
et  plus  indifférents  que  dans  les  provinces 
libres  et  chrétiennes.  La  férocité  et  l'aveu- 
glement des  rois  d'Alger  et  de  Tripoli  fait 
des  esclaves  de  nos  frères  :  pourquoi  la  clé- 
mence et  la  religion  de  nos  rois  ne  font-elles 
que  des  déserteurs  de  la  piété?  Faut-il  qu'il 
y  ait  à  craindre  pour  servir  Dieu?  et  ne 
vous  souciez-vous  pas  d'être  chrétien,  parce 
que  vous  pouvez  le  paraître?  O  aveuglement 
de  l'homme ,  d'user  si  mal  de  la  liberté  1  On 
ne  se  croit  libre  que  lorsqu'on  peut  être 
mondain. 

Si  je  considère  tous  les  catholiques  cachés 
dans  ces  royaumes  voisins  qui  ont  perdu  la 
foi,  je  les  vois  imiter  les  chrétiens  de  la 
primitive  Eglise,  se  cacher'dans  des  endroits 
obscurs;  suivre  leurs  apôtres  [dans  les  dé- 
serts, faire  de  pénibles  voyages  pour  assister 
au  redoutable  sacrifice  de  nos  autels,  écouter 
rapidement  des  instructions  simples.  Les 
temples,  les  apôtres  leur  manquent  souvent- 
ils  ne  manquent  point  aux  temples  ni  aux 
apôtres.  Est-ce  le  défaut  de  liberté  qui  ins- 
pire ce  zèle?  Est-ce  parce  que  Jes  temples 
sont  fermés  aux  catholiques  qu'on  soupire 
d'y  aller?  Est-ce  parce  que  les  ministres 
sont  rares  qu'on  les  respecte?  Ah  1  s'il  faut 
vous  défendre  d'être  saint,  pour  que  vous 
travailliez  à  le  devenir,  vous  ne  le  serez  ja- 
mais. Vous  êtes,  Messieurs,  si  jaloux  de 
votre  liberté,  vous  la  faites  tant  valoir:  n'y 
a-t-il  qu'en  matière  de  religion  qu'elle  vous 
déplaise?  Si  vous  gémissiez  depuis  un  nom- 
bre d'années  dans  les  fers  comme  les  chré- 
tiens sous  la  domination  des  rois  barbares, 
vous  penseriez  mieux  de  la  liberté;  mais, 
parce  que  vous  êtes  libres,  vous  ne  voulez 
pas  être  chrétiens  ;  car  on  ne  l'est  que  de 
nom  quand  on  n'est  pas  attaché  à  Jésus- 
Christ. 

Que  serait-ce,  Messieurs,  si  je  vous  disais 
que  votre  liberté,  j'entends  celle  que  vous 
nous  vantez,  n'est  qu'un  fantôme,  et  que 
vous  êtes  véritablement  des  esclaves,  des 
esclaves  volontaires  du  péché  et  du  monde' 
Combien  qui  gémissent  depuis  longtemps 
sous  le  poids  de  leurs  chaînes,  que  la  pas- 
sion tyrannise,  et  qui  sont  sous  l'empire  du 
démon?  Esclavage  honteux  et  effrayant1 
Combien  qui  ont  perdu  cette  liberté  qu6 
Jésus -Christ  nous  a  procurée  par  sa  mort, 
car  son  sang  a  été  notre  rançon  :  c'est  à  ce 
prix  inestimable  que  nous  avons  été  rache- 
tés :  empli  eslis  pretio  magno.   (I  Cor.,  VI.) 

Combien  d'esclaves  du  monde,  de  ses  va- 
nités, de  ses  richesses,  de  ses  maximes,  de 
ses  coutumes  et  de  ses  passions  mêmes?  Où 
sont-ils  cependant  ceux  qui  font  des  efforts 
pour  briser  ces  chaînes  de  réprobation,  rom- 
pre ces  liens  criminels,  secouer  ce  joug  qui 
les  écrase?  Ah  !  des  hommes  dans  les  fers  et 
un  esclavage  passager  soupirent  après  leur 
liberté;  ils  arrosent  le  lieu  de  leur  captivité 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


de  leurs  larmes  ;  ils  voient  avec  des  trans- 
ports de  joie  leurs  libérateurs,  et  les  chré- 
tiens sous  la  domination  du  démon  sont 
tranquilles  :  semblables  aux  Hébreux  dans 
la  captivité,  qui  envoyaient  à  Jérusalem  por- 
ter des  offrandes  pour  offrir  des  sacrifices  et 
faire  des  prières,  afin,  disaient-ils, qu'ils  vé- 
cussent paisiblement  à  l'ombre  du  trône  de 
Nabuchodonosor  et  de  Balthasar  son  fils,  ils 
font  des  vœux  pour  vivre  tranquillement  à 
Lombre  d'une  florissante  fortune,  couler  des 
jours  heureux  dans  les  plaisirs  et  les  agré- 
ments de  la  vie. 

Ah!  Messieurs,  profitez  de  votre  liberté 
pour  vous  sanctifier  et  pour  sortir  du  hon- 
teux esclavage  du  péché.  Profitez  aussi  des 
biens  que  la  Providence  vous  a  donnés  pour 
secourir  les  misérables,  et  surtout  nos  frères 
qui  gémissent  dans  la  captivité;  coopérez 
pour  quelque  chose  à  ce  grand  projet  que  la 
sainte  Vierge  a  formé  dans  le  ciel,  et  qu'elle 
a  confié  à  des  hommes  de  miséricorde.  Joi- 
gnez vos  aumônes  aux  libéralités  des  rois  : 
marchez  sur  les  traces  de  ces  peuples  qui 
ont  signalé  leur  zèle  dès  les  commencements. 
Que  la  haute  sainteté  qui  a  présidé  au  pro- 
jet touche  vos  cœurs;  que  la  magnificence 
qui  l'a  exécuté  excite  vos  libéralités;  c'est 
Jésus-Christ  lui-même  que  vous  aurez  fait 
visiter  dans  les  fers,  et  c'est  lui  aussi  qui 
vous  récompensera  dans  l'éternité.  Je  vous 
la  souhaite.  Ainsi  soit-il. 


PANÉGYRIQUE  II. 


PREMIER 


PANEGYRIQUE      DE 
DE     PAUL, 


SAINT      VINCENT 


Prononcé  le  jour  de  sa  fête,  dans  V église  pa- 
roissiale de  Notre-Dame .  à  Versailles  ,  en 
1741. 

Natus  est  homo  rector  fratrum  stabilimenlum  populi. 
(Eccli.,  XL1X.) 

Dieu  l'a  donné  au  monde  pour  être  le  modèle  de  ses  frè- 
res, el  la  ressource  des  peuples  dans  les  misères  publi- 
ques. 

C'est  avec  ces  expressions  magnifiques  que 
le  Sage  fait  l'éloge  d'un  héros  qui  répandit 
dans  sa  famille  l'odeur  des  plus  sublimes 
vertus,  qui  brilla  à  la  cour  des  rois  par  la  sa- 
gesse du  gouvernement,  et  qui  conserva 
dans  des  temps  de  famine  la  vie  d'une  mul- 
titude de  mortels.  Modèle  de  vertu  au  mi- 
lieu de  ses  frères,  sage  ministre  dans  un 
royaume  florissant,  père  tendre  dans  les  be- 
soins des  peuples.  Voilà  les  titres  pompeux 
qui  conviennent  au  patriarche  Joseph,  et  que 
le  Saint-Esprit  lui  donne  dans  l'éloge  qu'il 
lui  consacre.  Sa  vertu  lui  donna  du  crédit 
auprès  des  monarques,  et  sa  charité  lui  fit 
employer  son  crédit  pour  le  soulagement 
des  misérables.  Il  fut  le  modèle  de  ses  frè- 
res, et  la  ressource  des  peuples  affligés  :  Na- 
tits  est  homo  rector  fratrum,  stabiiimentum 
populi. 

Ces  grands  traits,  Messieurs,  ne  vous  ont- 
ils  pas  déjà  donné  une  juste  idée  de  cet 
homme  rare  et  précieux,  de  Vincent  de  Paul, 
dont  j'entreprends  aujourd'hui  l'éloge?  Quel 
honneur  pour  mot  de  publier  les  vertus  d'un 


40 

saint  que  la  France  a  possédé  après  les  pre- 
miers essais  de  son  zèle,  dont  le  culte  s'éta- 
blit avec  tant  de  rapidité  et  de  magnificence  ; 
d'un  saint  qui  a  été  le  père  des  pauvres, 
l'apôtre  des  campagnes,  l'ornement  du  clergé, 
le  conseil  des  rois,  l'édification  de  la  cour,  le 
défenseur  de  la  foi  orthodoxe ,  l'oracle  de 
son  siècle. 

Jetez,  Messieurs,  les  yeux  sur  l'histoire 
de  nos  jours,  elle  immortalise  son  héroïque 
vertu.  Portez  vos  regards  sur  tous  ces  établis- 
sements qui  vous  édifient,  ils  sont  autant  de 
trophées  érigés  à  sa  charité  ;  suivez  dans  les 
campagnes  ces  ouvriers  évangéliques  ;  ils 
perpétuent  son  zèle  :  ces  terres  sèches  et 
arides  ont  louché  son  cœur,  et  ces  nuées 
bienfaisantes  qui  vont  les  arroser  volent  en- 
core sous  ses  ordres  clans  ces  climats  loin- 
tains et  négligés  :  rappelez-vous  ces  orages 
qui  se  formaient  de  son  temps,  et  les  pièges 
que  l'on  tendait  à  sa  foi ,  le  théâtre  de  la  cour 
et  le  tumulte  de  la  ville,  ce  qu'une  grande 
reine  attendait  de  lui  dans  la  minorité  du 
plus  grand  de  tous  les  rois,  l'application 
que  demandait  sa  congrégation  naissante. 
Admirez  un  homme  que  l'on  vit  souvent  avec 
les  évoques  travailler  à  l'embellissement  et 
à  la  régularité  du  clergé,  et  presque  toujours 
avec  les  pauvres  pour  sécher  leurs  pleurs,  et 
adoucir  leurs  misères.  Tout  n'atteste-t-il  pas, 
Messieurs,  cette  haute  sainteté  que  je  viens 
annoncer,  et  que  l'Eglise  romaine  vient  de 
constater?  J'aurai  lieu  de  vous  la  dévelop- 
per en  suivant  le  plan  de  son  éloge  que 
voici. 

Vincent  de  Paul  suscité  de  Dieu  pour  être, 
par  sa  charité,  la  ressource  des  peuples  dans 
les  misères  publiques  :  Natus  est  homo  stabi- 
iimentum populi. 

Vincent  de  Paul  suscité  de  Dieu  pour  être 
ie  modèle  de  ses  frères  dans  un  ministère 
saint  et  redoutable  :  Natus  est  homo  rector 
fratrum.  —  Ave,  Maria. 

PREMIÈRE   PARTIE. 

Je  vais  exposer  à  vos  yeux,  Messieurs,  des 
merveilles  de  la  charité,  un  homme  qui 
sans  naissance,  sans  richesses,  devient  la 
ressource  des  peuples  affligés  ;  ces  merveil- 
les vous  étonneront  sans  doute. 

Des"  milliers  de  pauvres  nourris,  des  pro- 
vinces entières  soulagées,  des  édifices  éle- 
vés dans  plusieurs  villes  du  royaume  ,  pour 
servir  d'asile  à  toutes  les  misères  publiques, 
tout  cela  vous  paraît  peut-être  une  exagéra- 
tion, ou  un  de  ces  ornements  de  l'éloquence. 
Vous  vous  rappelez  l'obscurité  de  sa  nais- 
sance. La  charité  séparée  de  l'opulence  ne 
peut  que  compatir;  il  n'appartient  qu'aux 
grands  de  faire  de  grandes  libéralités  et  de 
les  perpétuer;  il  n'appartient  qu'à  un  roi 
d'être  magnifique  dans  ses  aumônes.  La  cha- 
rité du  pauvre  ne  peut  que  pousser  des  sou- 
pirs et  former  des  désirs;  je  le  sais,  mes- 
sieurs, et  je  n'attribuerai  rien  à  mon  héros 
qui  ne  lui  convienne.  Mais  quand  un  pau- 
vre, par  une  sainteté  reconnue,  éprouvée,  a 
mérité  l'estime  des  grands  et  la  confiance 


a 


PANEGYRIQUES.    -    PANEG. 


même  du  prince,  que  ne  peut  point  sa  cha- 
nté! 

Le  Sage  loue  dans  Joseph  une  charité 
abondante,  quoiqu'il  ne  fût  que  l'économe  des 
biens  de  Pharaon.  Sa  sagesse  prévit  les  ca- 
lamités futures  qui*menaçaient  l'Egypte  ;  sa 
vertu  lui  mérita  l'estime  du  prince;  il  fut  le 
distributeur  de  ses  libéralités;  ses  aumônes, 
comme  un  grand  fleuve,  coulèrent  dans  les 
provinces  les  plus  éloignées;  sa  charité  éclata 
avec  magnificence;  il  fut  le  sauveur  de  sa 
famille,  et  l'Esprit-Saint  nous  assure  que  la 
Providence  l'avait  suscité  pour  être  la  res- 
source des  peuples  dans  un  temps  de  famine: 
ie  Seigneur  ne  le  rend  point  opulent,  mais  il 
le  fait  aimer  du  prince. 

Sans  les  libéralités  royales,  Vincent  de 
Paul  n'aurait  jamais  pu,  je  l'avoue,  soulager 
toutes  les  misères  de  son  temps;  mais  aussi 
sans  Vincent  de  Paul ,  toutes  les  misères  des 
villes  et  des  campagnes  n'auraient  peut-être 
pas  touché  le  cœurdes  grands.  Qui  jamais  leur 
en  fit  des  peintures  plus  viveset  plus  touchan- 
tes? Or  c'est  dans  ce  sens,  Messieurs,  j'ose 
le  dire,  que  Vincent  de  Paul  fut  la  ressource 
des  peuples  affligés  dans  le  dernier  siècle. 

Après  avoir  répandu  dans  le  cœur  des  rois 
et  des  grands  quelques  étincelles  de  cette 
charité'qui  le  consumait,  il  en  fit  des  hom- 
mes de  miséricorde;  il  distribua  leurs  libé- 
ralités dans  ce  royaume,  mais  avec  tant  de 
tendresse,  de  prudence  et  de  magnificence, 
que  sa  mémoire  sera  en  vénération  à  tous  les 
bons  cœurs.  Tant  qu'on  admirera  les  monu- 
ments de  la  piété  de  nos  rois,  on  admirera 
les  fruits  de  la  charité  de  Vincent.  De  son 
temps,  les  pauvres  ont  été  consolés  avec  la 
tendresse  d'un  père;  les  besoins  distingués 
avec  la  prudence  d'un  politique;  les  aumônes 
distribuées  avec  la  magnificence  d'un  roi. 
N'est-ce  pas  !à,  Messieurs,  être  l'homme  du 
peuple,  sa  ressource,  son  appui?  Natus  est 
homo  slabilimentum  populi. 

Je  vois,  Messieurs,  les  honneurs  et  les  plai- 
sirs fondre  dans  la  maison  du  riche;  on  le 
loue,  on  l'amuse  ;  dès  qu'il  est  dans  la  dou- 
leur, toutes  les  bouches  s'ouvrent  pour  le 
plaindre,  des  mains  officieuses  vont  promp- 
tement  essuyer  ses  pleurs  ;  il  pénètre  avec 
facilité  jusqu'au  trône  des  rois;  son  opu- 
lence lève  tous  les  obstacles;  heureux  quand 
elle  n'amollit  point  les  arbitres  de  nosfortunes: 
pendant  que  le  pauvre,  dans  une  affreuse 
solitude,  sous  les  tristes débrisd'une  sombre 
retraite,  est  consumé,  desséché  par  la  mi- 
sère, sans  appui,  sans  consolation  :  Dum  su- 
perbit  impius  incenditur  pauper.  (Psal.  X.) 

Pourquoi,  Messieurs,  les  richesses  met- 
tent-elles cette  différence  chezles  humains? 
Voici  le  mystère  :  C'est  qu'on  n'aime  point 
la  pauvreté,  on  rougit  des  livrées  de  Jésus- 
Christ  ;  c'est  que  l'homme  de  miséricorde 
est  rare;  il  a  paru  dans  le  dernier  siècle,  et 
il  a  disparu.  Il  était  réservé  à  Vincent  de 
Paul  de  nous  apprendre  l'art  de  consoler  tous 
les  misérables ,  en  s'appliquant  à  découvrir 
toutes  les  misères. 

Misères  de  campagnes  qu'on  ne  rougit 
point  d'ignorer  chez  les  grands;  ils  jettent 

Orateurs  sacrés,  L. 


II,  SAINT  VINCENT  DE  PAUL.  il 

des  yeux  indifférents  sur  des  terres  cultivées, 
arrosées  des  sueurs  d'un  peuple  laborieux, 
avides  de  recueillir  un  ample  domaine  pour 
le  dissiper  dans  une  molle  oisiveté  et  une 
criminelle  prodigalité;  peu  en  peine  que 
leurs  habitants  soient  nourris  dans  la  santé, 
ou  soignés  dans  la  maladie,  ils  ne  chérissent 
de.  la  campagne  que  les  revenus  ou  leurs 
voluptueuses  maisons.  Cette  misère  toucha 
le  cœur  de  Vincent  de  Paul,  il  parcourut  les 
bourgs  et  les  villages,  il  laissa  partout  des 
traces  de  sa  charité  ;  elles  ne  s'effaceront  point, 
vous  le  savez,  Messieurs,  tant  que  sa  congré- 
gation subsistera. 

Misère  de  ces  familles  commodes  en  appa- 
rence et  dévorées  en  secret  par  le  chagrin  t 
sa  charité  la  découvre,  il  perce  à  travers  ces 
débris  de  grandeur  qui  les  environne,  pénètre 
tous  ces  mystères  de  pauvreté  qu'on  s'efforce 
de  dérober  aux  yeux  du  monde  quand  on  est 
nouvellement  déchu;  et  sans  ternir  par  une 
aumône  fastueuse  l'éclat  qui  cache  encore 
ces  décadences  humiliantes,  il  fait  couler 
l'abondance  dans  les  mains  de  ces  riches  mal 
aisés. 

Misère  de  certaines  vierges 'Ses  entrailles 
sont  émues  à  la  vue  des  dangers  qui  les  en- 
vironnent; déjà  il  n'aperçoit  plus  qu'une 
chasteté  mourante,  hi  pauvreté  va  être  le 
tombeau  de  leur  innocence;  trop  faibles  pour 
soutenir  les  peines  de  l'indigence,  elles  ont 
assez  de  fermeté  pour  soutenir  la  honte  d'un 
commerce  criminel  ;  l'abîme  est  creusé,  l'en- 
nemi l'a  couvert  de  fleurs,  elles  y  courent 
aveuglément.  Mais  Vincent  de  Paul  tend 
une  main  charitable  à  ces  vierges  chance- 
lantes et  leur  donne,  pou<r  persévérer  dans 
la  vertu,  ce  que  des  corrupteurs  leur  offraient 
pour  les  faire  tomber  dans  le  crime. 

Misère  des  veuves  et  des  orphelins  :  en 
proie  souvent  à  toute  la  chicane  du  barreau, 
ils  languissent  des  années  entières  à  la  porte 
des  juges;  ils  sont  pauvres  avec  de  grands 
biens,  rebutés  avec  le  bon  droit,  et  quelque- 
fois réduits  à  l'indigence  de  ceux  qui  se  sont 
enrichis  de  leurs  dépouilles.  Vincent  devient 
leur  protecteur  et  leur  avocat;  d'une  main  il 
sèche  leurs  pleurs  ,  et  de  l'autre  il  brise  les 
liens  qui  les  tiennent  dans  l'oppression. 

Misère  des  malades  :  quel  nouveau  spec- 
tacle se  présente  ici  à  mes  yeux  !  La  santé  est 
le  trésor  du  pauvre;  il  prête  ses  bras  aux 
travaux  publics;  les  terres  sont  cultivées, 
les  maîtres  du  monde  sont  servis,  les  emplois 
les  plus  bas  et  les  plus  humiliants  sont  rem- 
plis ;  il  mange  un  pain  de  sueurs,  il  coule 
ses  jours  dans  l'obscurité.  Dieu  a  mis  cette 
différence  pour  l'harmonie  du  monde;  res- 
pectons-la, Messieurs  ;  mais  ce  pauvre,  faible, 
infirme,  étendu  sur  un  lit  de  douleur,  doit-il 
être  abandonné?  Je  le  demande  aux  riches 
du  siècle,  qui  appellent  souvent  les  acci- 
dents de  la  mort  par  des  soins  excessifs  de 
leur  santé;  ou  plutôt  je  le  demande  à  Vin- 
cent de  Paul,  cet  homme  que  la  charité  anime, 
sa  conduite  nous  instruit. 

Son  cœur  est  touché,  Messieurs ,  de  l'état 
déplorable  de  tant  de  pauvres  répandus  dans 
les  villes  et  dans  les  campagnes,  qui  ne  sont 


43 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


41 


quelquefois  ni  soignés,  ni  visité^  dans  !a 
maladie;  les  ressources  de  l'art  et  des  ali- 
ments convenables  prolongeraient  souvent 
leurs  jours  ;  ils  entreprend  de  les  leur  pro- 
curer. Déjà  comme  un  autre  Paul ,  il  t'ait  de 
pieuses  collections. 

Vous  le  montrerai-je  à  la  tête  de  ces  dames 
illustres  qui  coopéraient  à  son  zèle  et  dont 
la  mémoire  sera  en  bénédiction  dans  la  pos- 
térité la  plus  reculée?  Dans  ces  vénérables 
assemblées,  on  y  plaide  la  cause  des  pauvres 
malades,  on  y  trace  le  plan  de  celte  fameuse 
congrégation  qui  fait  la  gloire  de  la  religion 
la  consolation  de  l'Eglise. 

Dans  quel  royaume,  Messieurs,  dans  quelle 
province,  dans  quelle  ville,  dans  quel  bourg, 
dans  quel  village  ne  voit-on  pas  paraître  des 
hospices  pour  ces  chères  filles  de  Vincent 
consacrées  au  service  des  malades?  Quel 
soulagement  ne  procurent-elles  pas  aux  in- 
firmes par  leurs  talents?  De  quelle  utilité  ne 
sont-elles  pas  à  la  jeunesse  par  leurs  instruc- 
tions? Quels  exemples  ne  donnent-elles  pas 
par  leurs  vertus?  Soumises  à  un  pasteur, 
elles  font  sa  consolation  et  participent  en 
quelque  sorte  à  ses  travaux. 

Ce  serait  ici  le  lieu,  mes  chères  sœurs,  de 
louer  vos  charitables  occupations  et  le  mé- 
rite de  votre  consécration;  mais  le  Sauveur 
lui-môme  doit  être  votre  panégyriste.  C'est 
au  dernier  jour  du  monde  et  à  la  face  de 
toutes  les  nations  assemblées,  qu'il  doit  faire 
solennellement  votre  éloge;  il  vous  adres- 
sera ces  paroles  touchantes  :  J'étais  infirme, 
et  vous  m'avez  visité  :  Infirmus  eram,  et  vi- 
sitastis  me.  (Matth.,  XXV.) 

Misère  des  criminels  :  la  justice  humaine, 
dépositaire  de  la  vengeance  publique,  les 
charge  de  fers,  les  enferme  dans  des  cachots 
obscurs,  les  réserve  quelque  temps  pour 
s'assurer  de  leurs  crimes  et  leur  faire  ensuite 
souffrir  un.  supplice  proportionné.  Vincent 
de  Paul  obtient  la  permission  de  les  faire 
visiter  par  les  coopérateurs  de  sa  charité;  il 
les  visite  lui-même,  il  arrose  leurs  chaînes 
de  ses  larmes,  adoucit  leur  pénitence  par 
ses  aumônes,  dissipe  leurs  ténèbres  par  de 
lumineuses  exhortations  et  en  fait  des  crimi- 
nels pénitents  qui  meurent  en  embrassant 
amoureusement  la  croix  du  Sauveur. 

Misère  enfin  des  étrangers  :  il  y  a  des 
cœurs  tendres,  qui  sont  touchés  de  tous  les 
maux  qui  naissent  sous  leurs  yeux,  mais  il 
était  réservé  au  cœur  de  Vincent  de  Paul 
d'être  touché  de  toutes  les  misères,  sans  en 
excepter  une  seule.  Semblable  au  soleil  qui 
se  lève  sur  tous  les  mortels,  ou  à  ces  pluies 
bienfaisantes  qui  tombent  également  sur  les 
terres  du  nord  comme  sur  celles  du  midi; 
Vincent  étend  sa  charité  dans  toutes  le  villes, 
dans  toutes  les  provinces,  dans  tous  les  em- 
pires. Les  maux  qui  affligent  le  nouveau 
monde,  les  Turcs  et  les  Barbares,  le  touchent 
comme  ceux  qu'il  voit  sous  ses  yeux.  Il  en- 
yoie  des  aumônes  dans  ces  climats  éloignés 
et  adoucit  les  peines  de  ces  étrangers  misé- 
rables. C'était  l'homme  de  tous  les  peuples, 
et  surtout  des  peuples  affligés ,  un  homme 
universel  en  matière  de  chanté. 


Si  un  juste  ancien  disait  au  Seigneur  qu'il 
était  le  j  ère  ûas  pauvres  :  Pater  eram  paa~ 
perum  (Job,  XXIX) ,  qui  jamais  a  pu  tenir 
ce  langage  avec  plus  de  justice  que  Vincent 
de  Paul,  qui  essuya  les  larmes  de  tous  les 
affligés,  qui  consola  tous  les  misérables  avec 
la  tendresse  d'un  père,  et  distingua  leurs 
besoins  avec  la  prudence  a'un  politique? 

Quand  je  dis,  Messieurs,  que  Vincent  de 
Paul  s'est  appliqué  à  distinguer  les  besoins 
des  pauvres  avec  la  prudence  d'un  politique, 
je  parle  d'un  homme  privé,  d'un  saint  que 
le  nom  seul  de  pauvreté  attendrissait.  Je  dis 
qu'il  s'est  appliqué  à  distinguer  les  besoins 
des  pauvres  avec  autant  de  prudence  que 
les  politiques  s'appliquent  à  connaître  les 
maux  d'un  état,  pour  y  remédier  prompte- 
ment.  Je  parle  d'après  le  Saint-Esprit,  qui, 
dans  ce  sens,  veut  que  l'homme  de  miséri- 
corde soit  un  homme  de  politique. 

Heureux,  dit  l'Esprit-Saint,  non  pas  pré- 
cisément celui  qui  fait  l'aumône,  mais  celui 
qui  la  fait  avec  prudence,  qui  distingue  les 
besoins  du  pauvre  pour  y  proportionner  ses 
charités  :  Beatus  'qui  intelligit  super  egenum 
(Psal.  XL)  ;  or  cet  homme  de  miséricorde, 
dont  la  prudence  égale  la  plus  fine  politiq;  e 
des  maîtres  du  monde,  c'est  Vincent  ce 
Paul  ;  vous  allez  en  convenir,  Messieurs. 

Il  y  a  des  aumônes  inutiles  ;  ce  sont  celles 
que  l'on  fait  à  ces  prodigues  criminels,  à  ces 
hommes  de  débauche,  qui,  après  avoir  dis- 
sipé leur  patrimoine  ,  dissiperaient  encore 
celui  des  pauvres  ;"qui  ruineraient  les  fonds 
des  charités  publiques  après  avoir  ruiné 
leur  famille,  et  cpi'on  ne  cesserait  jamais 
d'assister,  parce  qu'ils  ne  cessent  point  leur 
honteuse  dissipation.  Vincent  de  Paul  dis- 
tingua ces  prodigues,  ils  n'eurent  point  de 
part  à  ses  aumônes,  mais  ils  eurent  une 
place  dans  son  cœur  et  à  sa  table;  il  les  re- 
çut, et  leur  procura  les  secours  les  plus  pro- 
pres à  les  toucher  et  à  les  corriger. 

11  y  a  des  aumônes  de  caprice  :  on  suit 
souvent  le  penchant  de  l'humeur,  et  non  pas 
l'attrait  de  la  misère  ;  on  assiste  une  per- 
sonne qui  plaît,  qui  est  recommandée;  iî 
faut  souvent  que  les  manières  du  pauvre  en- 
gagent, parce  que  la  pauvreté  ne  détermine 
pas  toujours  ;  on  s'attache  à  un  endroit ,  à 
une  personne,  à  une  famille,  à  une  commu- 
nauté; ce  n'est  pas  la  plus  grande  nécessité 
qui  décide, c'est  souvent  le  goût,  le  caprice. 
Or  on  ne  vit  point  dans  les  aumônes  deVin- 
cent  de  Paul  de  ces  caprices,  de  ces  saillies 
d'humeur,  de  ces  prédilections  qui  désho- 
norent les  charités  "publiques.  Comme  ila 
seule  misère  le  déterminait,  il  ne  voulut  ja- 
mais faire  sortir  personne  de  sa  médiocrité 
aux  dépens  ôes  libéralités  des  grands; de  là 
le  refus  qu'il  fit  d'assister  sa  famille,  parce 
qu'elle  avait ,  disait-il',  de  quoi  fournir  au 
nécessaire  d'une  vie  champêtre  et  rustique, 
à  laquelle  elle  devait  être  accoutumée.  Et 
quelques  instances  qu'on  lui  fit  à  la  cour 
et  à  la  ville,  il  ne  voulut  jamais  consentir  à 
l'élévation  de  ses  parents. 

Aumônes  onéreuses  à  la  république  ;  éle- 
ver des  asiles,  des  hospices  sans  ronds  suf- 


45  PANEGYRIQUES. 

fixants  et  solides,  former,  comme  cet  homme 
de  l'Evangile,  de  grands  projets  sans  penser 
aux  dépenses  de  l'exécution,  compter  sur  ce 
que  son  zèle  peut  faire,  et  attendre  ïe  reste 
de  la  postérité;  c'est  imprudence,  c'est  té- 
mérité. A  moins,  Messieurs,  que  le  ciel  ne 
se  déclare  hautement,  .comme  il  a  fait  à  la 
naissance  de  ces  illustres  pauvres  qui  for- 
ment ces  ordres  si  florissants  dans  l'Eglise  ; 
la  divine  Providence  a  justifié  l'entreprise 
de  leurs  saints  instituteurs.  Pour  Vincent 
de  Paul,  quelqu'étendue  que  fût  sa  charité, 
il  lui  donna  des  bornes  et  des  limites  :  la 
prudence  la  régla.  Son  cœur  généreux  for- 
ma des  entreprises,  mais  il  n'exécuta  rien 
sans  l'agrément  du  prince.  Sa  charité  parlait 
toujours  dans  le  conseil,  mais  pour  expo- 
ser ses  projets,  et  solliciter  les  libéralités  de 
la  cour.  Nous  sommes  redevables  à  la  cha- 
rité de  Vincent,  de  plusieurs  établissements 
que  nous  voyons  dans  la  capitale  du  monde 
et  dans  le  royaume  ;  mais  nous  sommes  re- 
devables aussi  au  pieux  monarque  qui  les  a 
dotés  et  enrichis;  de  sorte  que  ces. asiles  sa- 
crés, marqués  au  coin  de  la  charité  de  Vin- 
cent, et  des  libéralités  royales,  sont  posés 
sur  des  fondements  aussi  durables  que  ceux 
de  cette  tlorissante  monarchie. 

Il  y  a  des  aumônes  funestes  à  la  vérité  : 
si  la  misère  fait  quelque  fois  chanceler  la 
vertu,  elle  fait  aussi  souvent  chanceler  la 
foi  ;  l'éclat  de  l'or  a  fait  succomber  la  sagesse 
des  vierges;  les  apj  âts  d'une  vie  commode 
et  aisée  ont  causé  de  honteuses  apostasies. 
S'il  n'y  avait  pas  de  retraites  si  douces  hors 
de  l'arche,  on  n'aurait  pas  vu  dans  tous  les 
siècles  tant  de  colombes  fugitives. 

Que  de  fameux  exemples  ne  nous  fournit 
pas  l'origénisme,  l'arianisme,  le  luthéranis- 
me et  le  calvinisme?  Que  de  collections  se- 
crètes ne  se  faisait-il  pas  dans  ces  partis 
schismatiques? 

L'illustre  Mélanie,  cette  femme  recom- 
mandable  par  tant  de  vertus,  à  qui  saint  Au- 
gustin a  rendu  de  si  grands  honneurs  quand 
elle  fut  revenue  de  ses  préventions,  et  dont 
la  mémoire  est  en  vénération  dans  l'Eglise, 
ne  faisait-elle  pas,  sans  le  savoir,  de  ces  au- 
mônes funestes  à  la  vérité?  Ne  la  vit-on  pas 
parcourir  avec  le  célèbre  Rufin  les  déserts 
de  l'Egypte,  visiter  les  monastères  et  les  so- 
litaires? elle  leur  distribuait  des  aumônes, 
et  Rufin  les  engageait  dans  l'origénisme. 

L'arianisme,  le  luthéranisme,  le  calvinis- 
me, n'ont-ils  pas  présenté  les  mêmes  appâts 
à  ceux  qu'ils  voulaient  engager  ou  retenir 
dans  leur  parti?  N'est-ce  pas  cette  charité 
artificieuse  qu'on  a  élevée  si  haut  dans  les 
éloges  qu'on  leur  prodiguait,  et  qu'on  oppo 
sait  aux  catholiques? 

Vincent  de  Paul  étendit  ses  aumônes  jus- 
que chez  les  protestants,  parce  que  sa  pru- 
dence distingua  leurs  besoins  ;  ce  n'était 
point  des  appâts  qu'il  leur  présentait ,  mais 
des  secours  réels  ;  il  savait  que  ces  secours 
ne  devaient  pas  être  le  motif  de  leur  retour 
à  l'Eglise,  mais  les  promesses  qui  la  ren- 
dent infaillible.  C'est  ainsi  qu'il  se  distin- 
gua de  ces  sectes,  en  ne   resserrant  point 


PANEG.  II,  SAINT  VINCENT  DE  PAUL. 


Itî 


sa  charité  dans  le  seul  parti  des  catholiques; 
l'attrait  seul  de  la  misère  le  déterminait,  et 
ta  prudence  lui  faisait  découvrir  celle  qui 
demandait  des  secours  prompts. 

Avec  quel  zèle  ne  représenla-t-il  point  au 
conseil  royal  les  besoins  des  catholiques  d'Ir- 
lande ? 

Ces  ministres  orthodoxes,  si  fermes  au 
milieu  des  ennemis  du  Saint-Siège,  persé- 
cutés par  ceux  qui  avaient  autrefois  donné 
tant  d'éloges  aux  souverains  pontifes,  se 
trouvent  dans  la  nécessité,  sans  secours;  ils 
s'adressent  à  Vincent  de  Paul  :  Vincent  s'a- 
dresse au  monarque;  et  si  le  monarque,  à 
cause  des  pressants  besoins  de  l'Etat,  le  re- 
fusa pour  cette  fois,  il  ne  put  s'empêcher, 
aussi  bien  que  son  conseil,  de  louer  le  zèle 
de  Vincent  de  Paul  pour  la  subsistance  des 
ministres  catholiques. 

C'est  ainsi  ,  Messieurs  ,  que  sa  prudence 
lui  fit  distinguer  les  besoins  des  Erançais  et 
des  étrangers;  elle  en  fit  un  héros  de  la  cha- 
rité, qui  se  conduisit  dans  >a  république  des 
pauvres,  avec  autant  de  sagesse  que  les  po- 
litiques dans  le  gouvernement  des  Etats  ; 
aussi  sa  charité  eut-elle  de  grands  succès, 
puisqu'on  vit  dans  ses  aumônes  toute  la  ma- 
gnificence d'un  roi. 

Ne  croyez  pas,  Messieurs,  que  je  passe 
sous  silence  les  libéralités  des  rois  ,'  pour 
rehausser  la  charité  de  Vincent;  que  j'attri- 
bue à  lui  seul  l'établissement  de  ces  hôpi- 
taux qui  méritent  encore  l'admiration  et  les 
applaudissements  des  étrangers.  Ces  projets, 
tout  vastes  qu'ils  étaient ,  ne  l'étaient  pas 
trop  pour  son  grand  cœur;  mais  il  fallait  les 
aumônes  des  rois  pour  les  exécuter. 

Les  ordres  si  florissants  dans  l'Eglise, 
dont  le  domaine  égale  celui  de  certains  sou- 
verains, doivent  leur  établissement  et  leur 
agrandissement  à  la  piété  de  leurs  pères  et 
aux  libéralités  des  princes. 

Ces'célèbros  asiles  des  pauvres  que  vous 
voyez  dans  la  capitale  du  monde  et  dans  les 
lus  grandes  villes  de  ce  royaume  ,  doivent 
eur  naissance  à  la  charité  de  Vincent  de 
Paul,  et  les  grands  biens  qu'ils  possèdent, 
aux  libéralités  de  nos  monarques.  Le  nom 
de  Vincent  et  celui  de  nos  rois  seront  à  ja- 
mais gravés  dans  tous  les  bons  cœurs. 

Ces  sanctuaires  où  Jésus-Christ  est  reçu 
tous  les  fours  dans  la  personne  des  pauvres, 
font  briller  à  nos  yeux  la  charité  de  Vincent 
et  la  magnificenr.e  royale":  Sanctimonia  et 
ïixagnificentia. 

Prévenus  ainsi,  Messieurs,  comme  il  con- 
venait, vous  ne  regarderez  point  comme  une 
fiction  ou  commede  simples  traits  d'éloquence 
ce  que  j'ai  encore  à  vous  raconter  des  charités 
de  Vincpnt  de  Paul.  Vous  ne  serez  pas  éton- 
nés, quand  je  vous  dirai  qu'on  voit  en  peu 
de  temps  paraître  des  hôpitaux  à  Paris  et  à 
Marseille,  pour  servir  d'asiles  à  ces  infor- 
tunés que  le  crime  a  rendus  coupables,  et 
que  la  misère  rend  dignes  de  compassion. 

Vincent  les  avait  vus  dans  leurs  fers,  il  les 
avait  arros<és  de  ses  larmes;  mais  il  les  avait 
vus  sans  auspices,  sans  secours  dans  leurs 
maladies,  sans  instructions  ;  il  n'en  fallut 


i; 


47 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


« 


pas  davantage  pour  toucher  son  cœur,  for- 
mer des  projets  de  tendresse  et  solliciter  en 
leur  faveur  des  adoucissements  ;  il  était  ai- 
mé et  respecté  des  grands  ;  bientôt,  à  sa  sol- 
licitation, le  cardinal  de  Richelieu  procura 
un  asile  aux  forçats.  Ils  auront  des  épouses 
de  Jésus-Christ  pour  les  servir  dans  l'infir- 
mité, des  missionnaires  zélés  pour  les  exhor- 
ter à  la  sainteté  ;  et  Louis  le  Grand,  cet  in- 
vincible monarque  ,  s'en  déclara  hautement 
le  protecteur  ;  c'est  ainsi  que  la  magnifi- 
cence royale  se  joint  à  la  charité  de  Vincent 
de  Paul  :  Sanctimonia  et  magnifie entia. 

Parlerai-je,  Messieurs,  de  ces  jours  d'amer- 
tume pour  tous  les  bons  coeurs?  Ci  n'est 
point  la  voix  de  Rachel  qui  se  fait  entendre 
dans  toutes  les  rues  de  la  capitale  du  monde  ; 
ce  ne  sont  point  des  mères  désolées  qui  font 
retentir  l'air  de  leurs  cris  lamentables,  qui 
pleurent  la  perte  de  leurs  enfants;  ce  sont 
de  tendres  enfants,  exposés  dans  les  rues,  qui 
pleurent  la  perte  de  'ours  mères,  qui  deman- 
dent par  leurs  cris  innocents  le  lait  qu'elles 
leur  refusent,  et  qui  semblent  parleurs  larmes 
être  les  prophètes  de  leurs  malheurs  futurs. 

La  honte,  que  le  démon  ravit  avant  le  crime 
et  qu'il  a  soin  de  restituer  aussitôt  qu'il  est 
commis;  les  excès  de  la  misère,  souvent  sui- 
vis du  désespoir,  multiplient  tous  les  jours 
le  nombre  de  ces  enfants  infortunés.  Expo- 
sés aux  injures  du  temps,  les  uns  meurent 
en  commençant  de  vivre,  et  les  autres  ne 
semblent  échapper  à  la  mort  que  pour  servir 
à  la  cupidité  des  hommes,  quelquefois  aux 
brutales  passions  de  la  volupté. 

Ce  triste  spectacle  saisit  le  cœur  de  Vin- 
cent, il  est  plongé  dans  l'amertume;  la  dou- 
leur et  le  saisissement  le  suivent  partout  ; 
nul  objet  ne  le  peut  dissiper,  tant  qu'il  verra 
ces  enfants  exposés  aux  horreurs  de  la  mort . 
Noluit  consolari.  (Matth.,  IL) 

Déjà  il  forme  le  grand  projet  de  les  déro- 
ber aux  malheurs  qui  les  menacent.  Les  obs- 
tacles ne  le  rebutent  point,  les  dépenses  ex- 
cessives qu'il  faudra  faire  ne  l'effrayent  pas. 
11  assemble  de  vertueuses  dames,  procure 
un  hospice,  et  jette  les  premiers  fondements 
de  ces  fameux  asiles  qui  sont  aujourd'hui 
l'honneur  de  la  religion  et  la  gloire  de  ce 
royaume. 

S'il  fallait,  Messieurs,  la  charité  .de  Vin- 
cent pour  former  de  si  grands  projets  et  en 
entreprendre  l'exécution,  il  fallait  les  libéra- 
lités du  prince  pour  les  doter,  les  enrichir, 
et  perpétuer  les  dépenses.  Les  pierres  de 
ce's  édifices  annonceront  aux  races  futures  la 
charité  de  Vincent  et  la  magnificence  royale  : 
Sanctimonia  et  magnificentia. 

Ne  vous  lassez  point,  Messieurs.  Charité 
magnifique,  et  qui  semble  plutôt  partir  de 
la  main  d'un  monarque  que  de  celle  d'un 
homme  privé  :  telle  fut  celle  de  Vincent  de 
Paul.  Pour  vous  en  convaincre,  rappelez- 
vous  les  ravages  que  causèrent  les  guerres 
de  son  temps  dans  la  Lorraine,  la  Champagne 
et  la  Picardie.  Les  horreurs  de  ce  fléau  re- 
doutable sont-elles  des  images  qu'on  puisse 
vous  représenter  sans  douleur?  Et  parce  que, 
sous  un  gouvernement  doux  et  paisible,  où 


préside  la  sagesse  avec  la  clémence,  nos  fa- 
milles coulent  des  jours  tranquilles  ,  celle 
peinture  nous  serait-elle  indifférente? 

Les  horreurs  de  la  guerre  offrent  le  spec- 
tacle le  plus  touchant  :  la  famine  dépeuple 
les  villes  et  les  campagnes  ;  les  hommes,  plus 
semblables  à  des  spectres  qu'à  des  vivants, 
marchent  environnés  des  ombres  de  la  mort  ; 
on  ne  saurait  suffire  à  creuser  des  tombeaux  ; 
des  mères,  comme  au  siège  de  Jérusalem, 
le  dépit  dans  le  cœur,  le  désespoir  dans  les 
yeux ,  mangent  leurs  enfants  ;  les  vierges 
sont  exposées  à  la  brutalité  du  soldat;  les 
religieuses  n'ont  point  d'autre  ressource  que 
de  rompre  leur  clôture  et  prendre  la  fuite. 
Dans  ces  tristes  circonstances,  [on  est  irré- 
solu, on  suspend  ces  excès  jusqu'à  ce  qu'on 
ail  consulté  Vincent  de  Paul,  l'homme  de 
miséricorde.  Il  est  la  ressource,  comme  vous 
le  voyez,  Messieurs,  de  plusieurs  provinces 
affligées  :  examinez  avec  quelle  magnificence 
et  quelle  promptitude  il  les  secourt. 

Il  n'a  pas  plus  tôt  appris  ces  misères  pu- 
bliques, que,  semblable  à  un  grand  fleuve 
qui  s'étend  partout  pour  y  porter  l'abon- 
dance, il  pénètre  dans  la  Lorraine,  la  Cham- 
pagne et  la  Picardie.  On  y  porte  des  pro- 
visions et  des  sommes  considérables;  ses 
commissionnaires  font  dix-huit  voyages  en 
peu  de  temps  ;  ils  bravent  les  ennemis  vic- 
torieux, ils  percent  à  travers  les  armées  ré- 
pandues partout  pour  porter  aux  affligés  les 
aumônes  de  Vincent.  La  famine  disparait, 
les  peuples  sont  soulagés,  les  vierges  sont 
en  sûreté,  la  noblesse  sort  d'une  indigence 
honteuse.  Un  roi,  Messieurs,  secourt-il  ses 
voisins  avec  plus  de  promptitude  et  de  ma- 
gnificence? Sanctimonia  et  magnificentia. 

Admirez  ici,  Messieurs,  la  sagesse,  la  puis- 
sance de  notre  Dieu;  voyez  ceux  qu'il  choi- 
sit pour  être  la  ressource  et  l'appui  des  pro- 
vinces, des  royaumes,  des  empires.  A-t-il 
choisi  des  braves  pour  délivrer  Béthulie  des 
superbes  Assyriens?  A-t-il  opposé  aux  mo- 
narques impies  d'Israël  des  nommes  armés 
de  foudres  ou  environnés  de  la  grandeur 
du  siècle?  A-t-il  envoyé  des  hommes  savants, 
opulents  pour  détruire  le  paganisme  et  con- 
fondre l'orgueil  des  philosophes?  A-t-il  sus- 
cité des  grands,  des  puissants  du  monde 
pour  secourir  les  peuples  affligés  dans  le 
dernier  siècle,  pour  préparer  nés  asiles  à 
toutes  les  misères?  Non,  Messieurs,  il  a 
choisi  Vincent  de  Paul ,  dont  la  na  ssance 
était  obscure  et  la  fortune  médiocre;  il  a 
allumé  dans  son  cœur  le  feu  de  la  charité;  il 
a  disposé  les  monarques,  les  grands  et  les 
riches  à  l'écouter  ;  il  a  donné  de  l'onction  à 
ses  paroles.  Cet  homme  de  miséricorde  a  été 
aimé,  désiré  et  respecté  dans  la  plus  brillante 
cour  de  l'Europe;  il  a  eu  du  crédit,  et  il  a 
emptoyé  son  crédit  pour  faire  revivre  la  ten- 
dresse et  la  charité  de  l'Eglise  naissante  : 
ses  aumônes  furent  magnifiques,  parce  qu'il 
disposa  du  cœur  des  grands.:  Sanctimonia  et 
magnificentia. 

N'ai-je  pas  eu  raison,  Messieurs,  de  vous 
dire  que  Dieu  avait  suscité  Vincent  de  Panl 
pour  être  par  sa  charité  la  ressource  des 


PANEGYRIQUES.  -  PANEG.  Il,  SAINT  VINCENT  DE  PAUL. 


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j  euples  dans  les  misères  publiques  :  Natus, 
est  homo  stabilimentum  populi?  il  l'a  suscité 
aussi  pour  être  par  ses  raies  vertus  le  mo- 
dèle de  ses  frères  dans  un  ministère  saint  et 
redoutable  :  Natus  est  homo  reclor  fralrum. 

SECONDE    PARTIE. 

Quelle  consolation  pour  l'Eglise,  Messieurs, 
quand  elle  a  des  ministres  qui  soutiennent 
la  dignité  du  sacerdoce  1  Quelle  gloire  quand 
elle  en  a  d'assez  parfaits  pour  servir  de  mo- 
dèle à  ceux  qui  veulent  se  sanctifier  et  lui 
être  utiles  1 

Le  sacerdoce  a  fait  trembler  les  plus  grands 
saints;  les  bommes  de  miracle  et  de  sainteté 
l'ont  regardé  avec  frayeur;  de  brillantes  lu- 
mières se  sont  cachées  sous  le  boisseau;  les 
plus  saints  sont  ceux  qui  en  conçoivent  une 
plus  juste  idée.  L'innocence  des  mœiu's  ne 
les  rassure  point  :  plus  ils  approchent  de  la 
pureté  des  anges,  plus  ce  fardeau  leur  pa- 
rait redoutable;  et  s'il  se  trouve  des  Ozas 
téméraires  qui  approchent  de  l'arche  sans 
un  ordre  exprès,  on  trouve  encore  des  Jéré- 
mies  qui  se  trouvent  indignes  d'annoncer  les 
ordres  du  Très-Haut.  L'Eglise,  dans  tous  les 
temps,  a  blâmé  la  témérité  des  uns  et  donné 
des  éloges  à  la  timidité  des  autres. 

Quelle  sainteté,  quelle  zèle,  quelle  foi, 
quels  talents  n'a-t-elle pas  exigés  et  n'exige- 
t-elle  pas  encore  de  ceux  qui  se  disposent  à 
recevoir  ce  caractère  sublime  ? 

Vous  le  savez,  mondains  qui  m'écoutez, 
vous  vous  faites  une  loi  d'ignorer  les  de- 
voirs d'un  chrétien  et  un  plaisir  secret  de  sa- 
voir ceux  d'un  prêtre;  vous  savez  que  nous 
devons  vivre  comme,  des  anges,  mais  yous  ne 
savez  pas  que  vous  devez  vivre  comme  des 
saints;  vous  nous  renvoyez  aux  obligations 
que  nous  impose  notre  caractère  et  vous  ne 
vous  rappelez  jamais  les  obligations  de  vo- 
tre baptême;  vous  pénétrez  avec  malignité 
dans  le  sanctuaire  pour  y  découvrir  les  ta- 
ches de  ses  ministres,  vous  ne  rentrez  ja- 
mais en  vous-mêmes  pour  y  découvrir  je 
principe  de  ces  habitudes  qui  vous  damnent; 
vous  vous  déclarez  les  censeurs  des  prêtres 
qui  n'ont  pas  l'esprit  de  leur  état,  vous  ne 
voulez  pas  être  les  imitateurs  de  ceux  qui 
l'honorent  par  leurs  vertus;  vous  publiez 
aveccomplaisance  les  égarements  de  quel- 
ques-uns, vous  ne  parlez  jamais  des  vertus 
et  des  talents  de  tous  les  autres. 

N'y  a-t-il  plus  de  saints  prêtres,  de  savants 
ministres,  d'hommes  apostolique s  ?  Direz- 
vous  dans  un  autre  sens  que  le  Prophète, 
qu'il  n'y  a  plus  de  saints  dans  l'Eglise?  Dé- 
ficit sanctus  (Psal.  XI)  :  direz-vous  qu'il  n'y 
a  plus  de  bon  grain  parmi  l'ivraie,  ou  bien 
appliquerez-vous  au  corps  les  défauts  d'un 
particulier?  Le  sacerdoce  ne  mérite-t-il  plus 
vos  respects,  parce  que  quelques-uns  le 
déshonorent?  Un  ministre  qui  s'avilit  doit-il 
faire  tomber  l'état  ecclésiastique  dans  l'avi- 
lissement? S'il  se  trouve  un  ange  rebelle 
dans  le  ciel  terrestre,  un  Judas  dans  cette 
foule  d'hommes  apostoliques ,  n'êtes-vous 
pas  coupables  de  penser  de  même  des  au- 
tres? Que  serajt-ce,  censeurs  audacieux  des 


30 

oints  du  Seigneur,  si  nous  portions  le  mémo 
jugement  des  autres  états  du  monde?  Y  en 
a-t-il  un  seul  où  le  vice  ne  se  soit  introduit? 
et  si  les  égarements  d'un  particulier  avaient 
pu  le  déshonorer,  seriez-vous  vous-mêmes  à 
couvert  des  reproches  que  vous  nous  faites  ?  ( 
Avouez  donc,  Messieurs,  que  si  la  religion' 
seule  excitait  votre  zèle,  il  serait  plus  doux, 
plus  respectueux,  plus  charitable. 

Je  viens  exposer  aujourd'hui  à  vos  yeux 
un  prêtre  que  Dieu  a  suscité  dans  ces  der- 
niers temps  pour  servir  de  modèle  aux  au- 
tres, qui  a  eu  des  imitateurs  de  ses  vertus, 
des  coopérateurs  de  son  zèle,  des  succes- 
seurs de  sa  charité;  c'est  Vincent  de  Paul. 

Dieu  a  fait  passer  sur  nos  contrées  cette 
nuée  bienfaisante,  pour  fertiliser  îe  champ 
du  père  de  famille  et  répandre  dans  tous  les 
cœurs  les  eaux  de  la  grâce,  i!  a  suscité  cet 
"nomme  admirable  pour  édifier  la  cour  par 
son  humilité,  consoler  l'Eglise  par  son  at- 
tachement >  étendre  ses  conquêtes  par  son 
zèle  :  ce  sont  ces  vertus,  Messieurs,  que 
Vincent  de  Paul  porta  jusqu'à  l'héroïsme. 
Son  humilité  résista  aux  plus  grands  hon- 
neurs et  aux  plus  rudes  épreuves  ;  son 
attachement  inviolable  à  l'Eglise  résista 
aux  plus  dangereux  artifices  et  aux  circon- 
stances les  plus  délicates;  son  zèle  pour  le 
salut  du  prochain  résista  aux  fonctions 
les  plus  pénibles,  et  à  l'apostolat  le  plus 
difficile. 

Heureux  les  ministres  de  Jésus-Christ  qui 
l'ont  copié;  heureux  ceux  qui  sont  aujour- 
d'hui ses  imitateurs  :  c'est  pour  nous  servir 
de  modèle  que  Dieu  l'a  suscité  :  Natus  esi 
homo  rector  fralrum. 

Je  ne  vois  point  de  vertu  que  Jésus-Christ 
ait  plus  souvent  et  plus  fortement  recom- 
mandée à  ses  apôtres  que  l'humilité.  11 
leur  prédit  les  plus  grands  succès,  il  leur 
donne  une  sagesse  à  laquelle  celle  du  pa- 
ganisme ne  saurait  résister;  une  onction, 
une  éloquence  qui  touchent  tous  les  cœurs 
et  attachent  les  maîtres  du  monde  à  leur 
char;  une  puissance  qui  remplit  la  terre  de 
prodiges;  un  zèle  qui  soutient  le  plus  péni- 
ble apostolat;  un  courage  qui  affronte  les 
plus  grand  périls;  une  autorité,  un  ascen- 
dant qui  triomphent  de  tous  les  préjugés  des 
empereurs. 

Qui  croirait,  Messieurs,  qu'après  tant  de 
vertus,  tant  de  travaux,  tant  de  miracles, 
tant  de  succès,  il  leur  fût  défendu  de  se 
regarder  comme  des  hommes  utiles?  c'est 
cependant  l'oracle  de  leur  divin  maître  :  le 
monde  les  regarde  avec  raison  comme  des 
hommes  extraordinaires,  des  hommes  di? 
vins;  on  veut  même  rendre  un  culte  su* 
prême  à  Paul  et  à  Barnabe,  mais  ils  se  res- 
souviennent de  la  leçon  de  Jésus-Christ 
et  ils  disent  hautement  :  nous  sommes  des 
serviteurs  inutiles  :  servi  inutiles  sumus. 
(Luc,  XVII.) 

O  glorieuse  humilité!  un  Dieu  seul  pou- 
vait en  faire  un  précepte  et  des  chrétiens 
seuls  devaient  l'accomplir. 

Vincent  de  Paul  savait,  Messieurs,  qu'un 
prêtre  doit  pratiquer  cette  vertu  plus  émi- 


51 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


52 


nemment  que  les  autres,  parce  qu'il  appro- 
che de  plus  près  de  Jésus-Christ  :  aussi  la 
porta-t-il  dans  toutes  les  occasions  jusqu'à 
l'héroïsme. 

Humilité  pratiquée  dans  la  plus  haute 
sainteté.  J'ai  beau  examiner  tous  les  jours 
de  sa  vie,  je  les  trouve  purs,  innocents, 
marqués  au  coin  de  la  perfection  évangé- 
lique  ;  je  n'y  vois  point  d'autres  nuages 
que  ceux  que  la  calomnie  furieuse  y  a  ré- 
pandus.:) 

Dieu  permet  que  ses  saints  soient  exposés 
aux  orages  et  aux  tempêtes,  pour  les  faire 
jouir  après  d'un  jour  serein  et  tranquille. 
Que  de  traits  odieux  répandus  sur  les  ac- 
tions des  plus  grands  saints  1  Les  annales  de 
l'Eglise  ne  nous  les  montrent-elles  pas? 
Dieu  les  montre  et  il  les  cache,  mais  la 
gloire  est  toujours  proportionnée  à  leurs 
abaissements. 

Paraissez  ici,  grand  Athanase,  zélé  dé- 
fenseur de  la  consubstahtialité  du  Verbe  : 
vos  ennemis  étaient  ceux  de  l'Eglise  ;  je 
ne  suis  pas  étonné  de  vous  voir  persé- 
cuté. 

Paraissez  aussi,  Vincent  de  Paul,  l'E- 
glise admire  et  publie  vos  vertus,  c'en  est 
assez  pour  que  les  jaloux  de  votre  gloire 
s'efforcent  de  l'obscurcir;  quand  elle  ces- 
sera d'avoir  des  ennemis,  vous  n'en  aurez 
plus. 

Ces  événements,  Messieurs,  ne  doivent 
point  nous  étonner,  ils  ont  été  prédits  ;  c'est 
l'humilité  de  Vincent  que  nous  devons  ad- 
mirer. 

Tout  ce  qu'il  y  avait  de  grands  person- 
nages dans  l'Eglise  et  dans  l'Etat  admiraient 
sa  sainteté,  lui  seul  l'ignorait  :  on  lui  don- 
nait le  titre  de  saint  prêtre  et  il  se  donnait 
celui  de  pécheur. 

Sentiments  d'humilité  qui  éclataient  dans 
ses  discours,  dans  ses  lettres,  dans  ses  con- 
férences; nous  les  possédons,  Messieurs, 
ces  monuments  précieux  de  son  héroïque 
humilité;  de  nouveaux  faits  vont  vous  en 
donner  de  nouvelles  preuves. 

Sentiments  d'humilité  avec  des  talents  re- 
connus ;  en  vain  ses  ennemis,  forcés  de  ren- 
dre hommage  à  ses  vertus,  entreprennent-ils 
de  lui  ravir  la  gloire  de  l'érudition.  .On  sait 
que  les  rapides  progrès  qu'il  avait  faits  sous 
les  maîtres  de  la  théologie,  l'avaient  mis  en 
état  de  l'enseigner  et  qu'il  refusa  plusieurs 
fois  une  chaire  à  laquelle  il  avait  été  nommé. 
On  sait  que  les  plus  grands  prélats  de  l'E- 
glise gallicane  rendaient  des  hommages  à 
.son  profond  savoir,  qu'ils  l'écoutaient  avec 
plaisir  et  qu'ils  le  consultaient  avec  con- 
fiance, r 

Toutes  les  fois,  Messieurs,  qu'il  parla  de- 
vant ces  maîtres  de  la  foi,  n'eut-il  pas  leur 
approbation?  Ce  n'était  point  un  orateur 
brillant,  c'était  un  prêtre  zélé.  Tout  ce  que 
l'antiquité  a  de  plus  vénérable,  tout  ce  que 
les  saints  docteurs  ont  dit  de  plus  fort  sur 
la  dignité  du  sacerdoce,  tout  ce  que  l'Ecri- 
ture a  de  plus  touchant  sur  ce  redoutable 
ministère,  lui  échappait-il  dans  ses  confé- 
rences? Ignorait-il  l'esprit  de  l'Eglise  et  ce 


qu  elle  a  prescrit  à  ses  ministres  dans  ses 
conciles,  lui  qui  a  relevé  la  gloire  de  l'état 
ecclésiastique? 

C'est  d'après  f  histoire  de  nos  jours,  Mes- 
sieurs, que  je  parle  :  c'est  elle  qui  nous  ap- 
prend que  plusieurs  cardinaux  et  deux 
nonces  du  souverain  pontife  se  faisaient  un 
honneur  de  le  visiter  et  d'entretenir  avec  lui 
un  commerce  utile  pour  l'embellissement 
du  clergé.  Quel  éloge  plus  précis  et  plus 
magnifique  que  colui  que  lui  donna  l'illustre 
Bossuet,  cet  homme  si  chéri  dans  l'Eglise, 
si  redouté  chez  les  protestants,  si  estimé 
dans  la  république  des  lettres,  si  honoré 
dans  les  plus  célèbres  académies?  En  avouant 
que  Vincent  de  Paul  avait  été  son  maî- 
tre, pour  ce  qui  regarde  l'esprit  du  sacer- 
doce, n'érigeait-il  pas  des  trophées  h  ses 
lumières,  aussi  bien  qu'à  sa  sainteté?  On 
sa't  aussi,  Messieurs,  que  le  prince  de  Condé 
fit  l'épreuve  de  son  érudition  dans  le  conseil 
même. 

L'homme  d'humilité  ne  révèle  ses  ta- 
lents qu'autant  qu'ils  peuvent  être  utiles  ; 
il  ne  cherche  point  à  briller  dans  des  com- 
bats littéraires,  il  ne  fait  point  une  montre 
fastueuse  d'une  érudition  qu'il  consacre  à 
l'utilité  de  l'Eglise,  il  n'ambitionne  point  les 
lauriers  destinés  aux  savants:  il  communique 
avec  simplicité  ses  lumières. 

Tet  était,  Messieurs,  Vincent  de  Paul;  les 
savants  de  son  siècle  ne  le  mirent  pas  dans 
leurs  fastes,  ils  ne  connurent  point  son  mé- 
rite, parce  qu'ils  ne  l'écoutaient  point,  et  ils 
le  représentaient  comme  un  homme  simple 
et  borné,  parce  qu'il  était  humble  et  modeste; 
mais  le  prince  de  Condé,  qui  avait  été  témoin 
de  sa  pénétration  et  de  son  habileté  dans 
les  matières  de  controverse,  avoua  qu'il 
joignait  à  une  sainteté  éminente  une  érudi- 
tion profonde;  c'est  ainsi  que  ce  prince, 
incapable  de  prévention  et  savant  en  tout 
genre,  publia  a  la  cour  les  talents  du  servi- 
teur de  Dieu. 

-  Si  je  suis  étonné,  Messieurs,  de  voir  des 
savants  refuser  à  Vincent  la  gloire  de  l'éru- 
dition, parce  qu'il  ne  pensait  pas  comme 
eux,  ou  qu'il  n'avait  pas  les  mêmes  dehors, 
je  suis  étonné  de  l'humilité  de  Vincent  avec 
de  si  grands  talents  :  ils  n'éclatent  que  mal- 
gré lui  :  il  voudrait  qu'ils  fussent  utiles  et 
qu'ils  fussent  ignoré»;  désirs  bien  rares  chez 
les  savants. 

Sentiments  d'humilité  dans  les  honneurs 
éclatants  qu'on  lui  rend  à  la  cour;  les  ecclé- 
siastiques que  l'ambition  conduit  chez  les 
grands,  y  perdent  la  liberté  de  leur  minis- 
tère :  lorsque  les  grands  les  désirent  à  cause 
de  leur  sainteté,  ils  y  sont  honorés  et  res- 
pectés ;  un  prêtre  peut  se  conserver  à  la 
cour,  quand  il  y  est  nécessaire,  il  peut 
même  y  devenir  l'apôtre,"  le  conseil  et  l'édi- 
fication des  rois  :  c'est  ce  que  fut,  Messieurs, 
Vincent  de  Paul  à  la  cour  de  France. 

Vous  lel  représenterai  -je,  lorsque  Louis 
XIII,  ce  monarque  juste  et  victorieux,  est 
près  de  descendre  dans  le  tombeau;  lors- 
qu'il est  passé  du  trône  sur  le  lit  de  la  mort, 
et  que  sa  couronne  temporelle  lui  échappe? 


53 


PANEGYRIQUES.  —  PANEG.  H,  SAINT  VINCENT  DE  PAUL. 


54 


C'est  notre  saint  qui  lui  annonce  les  juge- 
ments de  Dieu,  qui  détourne  ses  yeux  d'une 
cour  brillante,  pour  les  tourner  vers  les  pro- 
fondeurs de  l'éternité  ;  c'est  lui  qui  le  dé- 
tache des  vains  honneurs  du  siècle,  qui 
attendrit  son  cœur,  qui  fait  couler  des  larmes 
de  pénitence,  et  qui  excite  ses  désirs  pour 
le  ci£l  ;  c'est  dans  ses  bras  et  en  embrassant 
amoureusement  un  crucifix  que  ce  monar- 
que' quitte  la  terre,  un  trône  éclatant,  une 
famille  éplorée,  une  cour  consternée,  des 
peuples  désolés. 

Vous  le  représenterai-je  pendant  la  mino- 
rité de  Louis  le  Grand,  occupant  une  place 
distinguée  dans  le  conseil,  y  prononçant  des 
oratle-3  et  y  faisant  admirer  sa  sagesse?  La 
sainteté  n'eiapôche  point  de  manier  les 
affaires  habilement,  et  les  peuples' seront 
toujours  heureux  sous  un  gouvernement  où 
préside  la  religion. 

Vous  dirai-je  qu'il  fut  l'homme  de  con- 
fiance de  la  reine  durant  la  régence?  En  vain 
des  jaloux  répandent-ils  des  soupçons  inju- 
rieux sur  sa  conduite.  Les  traits  que  la  mali- 
gnité lance  ne  diminuent  point  la  vénéra- 
tion de  la  reine  :  elle  n'est  pas  étonnée  que 
le  zèle  du  serviteur  de  Dieu  ait  le  sort  tics 
apôtres.  Son  attention  à  écaiter  des  dignités 
du  sanctuaire  ceux  qui  n'étaient  pas  soumis, 
ou  qui  n'étaient  pas  édifiants,  devait  lui  adi- 
rer ces  orages.  Cette  judicieuse  princesse 
remarqua  d'où  les  coups  partaient,  et  elle 
n'en  fut  pas  surprise. 

Ils  ne  causèrent  non  plus  aucune  émotion 
dans  le  cœur  de  Vincent,  il  relusa  de  se  jus- 
tifier pour  marcher  sur  les  traces  de  Jésus- 
Christ  et  de  ses  apôtres  ;  son  humilité  éclata 
autant  que  son  innocence,  on  lui  érigea  des 
trophées  à  la  cour;  le  superbe  Aman  fut 
numilié,  et  l'humble  Mardochée  fut  élevé  en 
gloire. 

Que  j'aime  à  le  voir  écarter  avec  habileté 
les  louanges  que  le  prince  de  Condé  lui 
donne  dans  le  conseil  môme ,  par  le  récit 
simple  et  modeste  des  occupations  rustiques 
de  sa  jeunesse,  et  de  l'obscurité  de  sa  famille. 
Qu'une  humilité  sincère  trouve  de  ressour- 
ces. Messieurs!  elle  évite  de  paraître  et  elle 
résiste  à  la  gloire  quand  elle  paraît.  Un  ora- 
teur qui  louerait  un  mondain,  jetterait  un 
voile  sur  un  trait  qui  rend  Vincent  de  Paul 
plus  conforme  à  Jésus-Christ,  que  les  plus 
grands  événements  de  sa  vie:  le  voici,' 
Messieurs. 

On  répand  des  soupçons  injurieux  sur  lui  : 
il  a  le  soit  du  Sauveur,  on  le  met  au  rang  dos 
criminels  :  cum  iniquis  repulatus  est.  (Marc, 
XV.)  Calomnie  que  le  cardinal  de  Bérulle 
repoussa  avec  tout  le  zèle  qu'inspire  l'in- 
nocence. Cet  homme  fameux  par  ses  vertus, 
par  son  rang,  par  son  érudition,  ne  fut-il 
pas  son  apologiste  et  son  défenseur?  L'auteur 
de  ce  soupçon  injurieux  ne  l'a-t-il  pas  pleuré 
amèrement?  N'a-t-il  pas  offert  de  rendre 
publiquement  hommage  à  son  innocence? 
Si  Vincent  de  Paul  a  saisi  avec  avidité  cette 
occasion  de  s'humilier,  était-i  1  permis  de  choi- 
sir ce  trait  avec  malignité,  pour  répandre  des 
nuages  sur  l'éclat  de  sa  sainteté?  La  bonté 


d'un  Dieu  qui  manifeste  l'innocence  de  son 
serviteur,  ne  doit-elle  pas  confondre  la  sa- 
erilége  critique  des  jaloux  de  sa  gloire? 
Ignoraient-ils  que  l'humilité  de  Vincent 
était  assez  solide  pour  résister  aux  plus 
éclatants  honneurs  et  aux  plus  rudes  épreu- 
ves? Que  d'autres  apprennent  que  son  atta- 
chement à  l'Eglise  était  assez  sincère  pour 
résister  aux  plus  dangereux  artifices  et  aux 
circonstances  les  plus  délicates.  Et  nous, 
ministres  des  saints  autels,  prenons  ce  saint 
prêtre  pour  notre  modèle  :  c'est  pour  cela 
que  Dieu  l'a  suscité  dans  ces  derniers  temps  : 
natus  est  homo  rector  fratrum. 

Oui,  Messieurs,  depuis  la  naissance  de 
l'Eglise,  il  y  a  toujours  eu  certains  temps 
dangereux  pour  la  foi  :  temps  délicats,  cri- 
tiques, séduisants,  prédits  par  l'apôtre  saint 
Paul  :  tempora  periculosa.  (II  Tim.,  IV.) 

Ce  ne  sont  point  les  temps  où  les  hérésies 
sont  accréditées,  furieuses,  où  l'étendard  de 
la  révolte  est  tout  à  fait  levé,  où  on  ne  rou- 
git plus  d'étaler  les  dogmes  les  plus  mons- 
trueux et  le  fanatisme  le  plus  grossier;  où 
enflé  de  son  succès,  de  son  crédit,  on  insulte 
en  sûreté,  on  combat  avec  audace,  on  se 
venge  avec  fureur;  ces  temps  ne  sont  point 
si  dangereux,  la  piété  les  déleste,  la  raison 
les  condamne,  les  puissances  les  répriment. 
Mais  les  temps  qui  donnent  naissance  à  ces 
hérésies  fines,  délicates,  enveloppées;  à  ces 
hérésies  qui  paraissent  avec  timidité,  qui  so 
cachent  et  se  retranchent;  à  ces  hérésies 
mêlées  adroitement  avec  les  plus  grandes 
vérités,  dont  la  nouveauté  est  cachée  sous 
les  voiles  de  la  vénérable  antiquité,  dont 
rien  ne  choque,  rien  n'alarme  la  piété,  dont 
tout  semble  porter  à  la  sévérité,  à  la  perfec- 
tion :  ces  temps  sont  dangereux  pour  la  foi  : 
tempora  periculosa. 

Les  temps  où  les  Pelage,  les  Arius,  les  Nes- 
torius,  lesNovat,  les  Photiuô,  les  Lucifer  de 
Cagliari,  les  Luther,  les  Calvin  ont  commencé 
à  paraître ,  étaient  des  temps  dangereux 
pour  la  foi  des  fidèles  :   tempora  periculosa. 

Alors  ils  étaient  timides,  mesurés:  ils 
étaient  encore  dans  l'Eglise,  et  ils  s'en  fai- 
sait un  honneur,  une  ressource  ;  ils  parais- 
saient ce  qu'ils  n'étaient  pas.  Vertueux  , 
chastes,  zélés,  orthodoxes,  ils  ne  faisaient 
que  hasarder  leurs  erreurs,  iis  ne  les  sou- 
tenaient pas  ;  ils  voulaient  défendre  des 
sentiments,  des  opinions,  ils  ne  voulaient 
pas  combattre  les  dogmes;  ils  voulaient 
porter  à  la  perfection  et  non  point  au 
schisme. 

Artifices  dangereux  qui  désolèrent  l'Afri- 
que dans  la  suite,  qui  séduisirent  l'Allema- 
gne et  la  Bohême  :  ces  temps  étaient  délicats 
et  séduisants.  Que  de  grandes  lumières  ont 
été  éclipsées,  que  de  princes  engagés  dans 
le  schisme,  que  de  villes,  que  de  provinces 
plongées  dans  l'erreur  1  tempora  periculosa. 

Si  tous  ces  hérétiques  eussent  montré  ,d'a- 
nord  le  plan  de  leur  doctrine ,  eussent  fait 
connaître  les  grands  changements  qu'ils  vou- 
laient faire  dans  la  religion;  s'ils  eussent 
dévoilé  tout  le  mystère  de  leurs  nouveaux 
systèmes;  s'il» se  fussent  montrés  tels  qu'ils 


55 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


56 


étaient,  des  hommes  d'ambition,  d'intérêt, 
de  plaisirs,  de  mensonge,  de  fureur,  au- 
raient-ils, Messieurs,  fait  de  si  grands  pro- 
grès? auraient-ils  passé  pour  des  saints?  Si 
leurs  disciples  ont  caché  leurs  défauts,  ils  en 
ont  rougi  en  secret. 

Or,  Messieurs ,  les  jours  de  Vincent  de 
Paul  furent  aussi  des  jours  dangereux  pour 
la  foi,  parce  que  c'étaient  les  commencements 
d'une  hérésie  qu'on  affectait  d'insinuer  et 
d'établir  dans  ce  royaume;  mais  son  attache- 
ment inviolable  à  l'Eglise  le  fit  résister  aux 
plus  dangereux  artifices  et  aux  circonstances 
les  plus  délicates. 

Je  ne  veux  que  joindre ,  Messieurs  ,  l'ins- 
truction à  l'éloge. 

Détruisez,  si  vous  pouvez,  dit  saint  Augus- 
tin, les  erreurs,  mais  ayez  toujours  de  la  cha- 
rité pour  ceux  qui  ont  eu  le  malheur  de  les 
enfanter,  de  les  embrasser,  ou  de  les  accré- 
diter :  Interficite  errores,  diligite  homines. 

C'est  pour  me  conformer  au  principe  de  ce 
saint  docteur  que  je  passe  sous  silence  tous 
tes  traits  singuliers  et  ces  fameux  événe- 
ments qui  nous  montrent  des  égarements 
dans  les  plus  grands  hommes. 

Une  hérésie  délicate  qui  commençait  à 
alarmer  l'Eglise,  et  qui  a  mérité  depuis  ses 
foudres  et  ses  anathèmes,  faisait,  Messieurs, 
de  funestes  progrès  en  France.  On  la  produit 
sous  le  nom  respectable  du  grand  saint  Au- 
gustin, on  la  donne  pour  sa  doctrine;  quoi 
de  plus  capable  de  faire  illusion  et  de  s'as- 
surer des  succès? 

On  ne  vit  jamais  un  système  plus  habile- 
ment imaginé,  plus  artificieusement  enve- 
loppé, plus  magnifiquement  annoncé,  plus 
adroitement  insinué.  Ses  premiers  apôtres 
étaient  de  ces  hommes  profonds  et  dissimu- 
lés, adroits  et  artificieux,  qui  savent  se  re- 
plier et  s'accommoder  au  temps  :  leur  doc- 
trine était  un  mystère  qu'on  ne  découvrait 
pas  aisément,  et  encore  moins  publiquement. 
Le  plan  qu'ils  avaient  tracé  pour  l'accréditer 
renfermait  les  détours  de  la  politique ,  les 
subtilités  de  la  scolastique,  les  expressions 
de  la  vérité,  les  apparences  de  la  piété. 

Telle  était,  Messieurs,  cette  fameuse  hé- 
résie qui  a  troublé  la  France,  qui  a  excité. le 
xèle  de  tant  de  souverains  pontifes,  de  tous 
les  évêques  du  monde,  de  nos  pieux  et  ma- 
gnanimes monarques. 

Mais  l'Eglise,  toujours  attentive  à  conser- 
ver le  sacré  dépôt  de  la  foi,  toujours  assistée 
de  l'Esprit-Saint,  toujours  infaillible  dans 
ses  décisions,  distingua  la  doctrine  de  saint 
Augustin  de  celle  de  son  prétendu  disciple. 
Elle  renouvela  les  éloges  qu'elle  avait  don- 
nés au  saint  docteur  de  la  grâce;  mais  elle 
lança  ses,  foudres  sur  la  nouvelle  doctrine 
qu'on  voulait  lui  attribuer. 

Heureux,  Messieurs,  si  ces  foudres  n'eus- 
sent pas  été  méprisées  par  des  esprits  in- 
quiets; s»  on  ne  se  fût  pas  fait  comme  un 
rempart  des  termes  les  plus  équivoques,  des 
distinctions  les  plus  frauduleuses,  des  pro- 
fessions de  foi  les  plus  captieuses,  des  lam- 
beaux tronqués  de  l'Ecriture  et  des  Pères! 
Vincent  cle  Paul,  qui  aperçut  le  premier  ces 


excès,  et  qui  les  considéra  dans  leur  source, 
en  gémit,  et  s'y  opposa. 

Vit-on  un  plus  zélé  défenseur  du  siège 
apostolique?  Les  idées  qu'on  commença  t  à 
en  donner  diminuèrent-elles  son  attache- 
ment? L'hérésie,  quoique  cachée  et  envelop- 
pée, échappa-t-eile  à  ses  lumières  et  à  son 
indignation? 

Donna-t-il  dans  les  pièges  que  lui  tendait 
un  homme  artificieux,  qui  mettait  tout  en 
usage  pour  répandre  l'erreur?  Ne  fit-il  pas 
une  rupture  éclatante  avec  cet  homme  fameux 
qui  se. flattait  d'en  faire  la  conquête,  et  ne 
préserva-t-il  pas  sa  congrégation  naissante 
des  dangers  de  la  nouveauté  ? 

Cet  attachement  au  Saint-Siège  n'est  pas 
rare,  Messieurs  ;  c'est  ce  qui  fait  notre  con- 
solation :  voyez  avec  quelle  magnificence  les 
Pères  nous  représentent  la  multitude  des 
peuples  qui  vivent  à  l'ombre  du  trône  de 
Pierre.  Si  nous  louons  aujourd'hui  l'attache- 
ment de  Vincent  de  Paul  au  Saint-Siège, 
c'est  parce  qu'il  a  vécu  dans  des  jours  dan- 
gereux, que  les  artifices  et  les  appâts  en  sé- 
duisaient plusieurs,  et  que  Dieu  semblait 
l'avoir  suscité  dans  ces  circonstances  délica- 
tes pour  nous  servir  de  modèle. 

Copions-le  donc,  Messieurs,  ce  saint  mi- 
nistre :  que  notre  attachement  au  Saint  Siège 
résiste  aux  artifices  les  plus  dangereux,  et 
aux  circonstances  les  plus  délicates  ;  que 
notre  zèlerésisteaux  fonctions  les  plus  péni- 
bles et  à  l'apostolat  le  plus  difficile,  c'est 
pour  cela  que  Dieu  l'a  suscité  dans  son 
Eglise  :  il  est  notre  modèle  dans  un  minis- 
tère saint  et  redoutable  :  Natus  est  homo  re- 
ctor  [raCrum. 

Le  zèle  des  apôtres  était  bien  étendu,  puis- 
qu'il entreprenait  la  conquête  du  monde  en- 
tier :  passer  les  mers,  aller  dans  les  royau- 
mes les  moins  policés,  tenter  tous  les  jours 
de  nouvelles  découvertes,  pénétrer  jusqu'au 
trône  des  princes  barbares  ,  .entrer  dans  les 
plus  célèbres  académies,  les  sénats  les  plus 
fameux,  tel  fut  le  zèle  des  apôtres,  et  tel  fut 
aussi  dans  ces  derniers  temps  celui  de  Vin- 
cent de  Paul.  Je  n'exagère  point ,  Messieurs; 
écoutez  les  caractères  de  son  zèle,  et  vous 
jugerez  s'il  fut  véritablement  un  apôtre  zélé 
tel  que  j'entreprends  de  vous  le  dépeindre. 
-  Zèle  dans  la  captivité  :  ses  fers  deviennent 
célèbres  par  une  conquête  illustre  :  il  atta- 
che de  nouveau  au  firmament  l'astre  qui  s'en 
était  détaché,  et  rend  à  la  religion  celui  qui 
avait  eu  la  lâcheté  d'y  renoncer. 

Zèle  pour  le  salut  des  pauvres  de  la  cam- 
pagne :  que  de  larmes  ne  versa-t-il  pas  sur 
ces  contrées  que  les  rosées  célestes  arrosent 
si  rarement  1  L'éclat ,  disait-il  en  lui-même, 
qui  accompagne  le  ministère  de  la  parole 
dans  les  villes,  y  attire  les  plus  grands  ou- 
vriers. On  dirait  que  les  ministres  se  fassent 
une  gloire  de  fixer  leur  apostolat  dans  le 
centre  des  sciences.  Une  grande  ville  est  rem- 
plie d'apôtres,  on  les  choisit,  on  les  rebute, 
on  les  entend  avec  des  oreilles  sensuelles. 
L'éloquence  des  Ambroise,  des  Augustin,  des 
Chrysostome,  des  Cyprien,  des  Grégoire  de 
Nazianze,  né  dédaignait  pas  les  peuples;  leu^ 


K7 


PANEGYRIQUES.  —  PANEG.  II,  SAINT  VINCENT  DE  PAUL. 


58 


zèle  s'étendait  dans  les  caui;;agnes,  ils  cher- 
chaient des  larmes  de  pénitence,  non  pas  de 
vains  applaudissements ,  et  ils  savaient  s'a- 
baisser avec  les  simples,  comme  ils  savaient 
s'élever  devant  les  savants;  et  les  campagnes 
n'ont  point  d'apôtres  aujourd'hui. 

Ah!  tournons  nos  pas  vers  ces  peuples 
abandonnés  :  fixons-nous  au  salut  de  ces  vas- 
tes campagnes.  Parcourons,  à  l'exemple  du 
Sauveur,  les  bourgs  et  les  villages.  Descen- 
dons dans  les  vallées  les  plus  profondes  ; 
montons  sur  les  rochers  les  plus  inaccessi- 
bles ;  l'instruction  des  peuples,  les  larmes 
des  auditeurs,  la  conversion  des  âmes,  doi- 
vent nous  être  plus  précieuses  que  ces  fades 
louanges  qu'on  nous  donne  dans  une  pa- 
roisse, et  qu'on  nous  refuse  dans  une  autre; 
que  cette  réputation  qui  périt  avec  nous  ,  et 
souvent  avant  nous.  Tels  furent  les  projets 

3ue  Vincent  forma  et  exécuta  :  il  gouverna 
eux  paroisses,  et  en  fut  l'apôtre.  Aller  prê- 
cher où  Vincent  de  Paul  travaille  ,  c'est ,  di- 
sait un  grand  homme,  porter  la  lumière  au 
soleil. 

Zèle  pour  la  conversion  des  hérétiques  : 
combien  n'en  convertit-il  pas  à  Châtillon? 
Ceux  qu'il  n'a  pas  ramenés  dans  le  sein  de 
l'Eglise,  sont  ceux  qui  se  moquent  depuis 
longtemps  de  l'Eglise  même. 

Zèle  pour  le  salut  de  toutes  les  provinces  : 
il  va  à  Marseille,  de  Marseille  à  Mâcon  ,  de 
Mâcon  à  Paris.  Ses  courses,  ses  voyages,  ses 
prédications  égalent  les  travaux  des  hommes 
apostoliques. , 

Zèle  pour  le  salut  des  peuples  les  plus  re- 
culés, les  plus  sauvages  :  la  Lorraine,  l'Ita- 
lie, la  Pologne,  la  Savoie,  Tunis,  Alger,  Salé 
entendent  les  nouveaux  apôtres  de  l'Eglise 
romaine  :  partout  il  y  a  des  missions  ;  les  té- 
nèbres de  l'ignorance,  qui  enveloppaient  tant 
de  campagnes,  disparaissent.  L'homme  rus- 
tique est  policé ,  instruit  et  touché  par  ces 
zélés  missionnaires  que  Vincent  donne  à 
l'Eglise. 

Zèle  assez  grand  pour  servir  de  modèle  : 
si  deux  célèbres  communautés  fournissent 
tant  d'ouvriers  évangéliques ,  et  si  précieux 
à  l'Eglise,  qui  parcourent  tous  les  royaumes 
elles  empires,  pénètrent  jusque  dans  le  Nou- 
veau-Monde, leurs  premiers  supérieurs  se 
sont  fait  un  honneur  d'avoir  été  les  élèves 
de  Vincent  de  Paul,  d'être  sortis  de  sa 
congrégation,  et  de  l'avoir  imité  dans  ses 
travaux. 

Zèle  pour  la  régularité  du  clergé  et  la  sû- 
reté des  vierges  :  les  séminaires,  les  confé- 
rences ecclésiastiques,  les  retraites  doivent 
leur  établissement  au  zèle  de  Vincent  de 
Paul  ;  ils  paraissent  sous  l'autorité  des  évo- 
ques qui  l'ont  consulté.  Que  d'asiles  de  vier- 
ges s'élèvent  par  ses  soins  dans  la  capitale 
du  monde  !  Je  ne  suis  plus  étonné  de  voir 
le  cardinal  de  Richelieu  le  regarder  comme 
l'homme  de  l'Eglise,  le  consulter,  et  lui  con- 
fier les  affaires  les  plus  importantes  ;  Fran- 
çois de  Sales,  cet  ornement  de  l'Eglise  galli- 
cane, se  décharger  sur  lui  dans  sa  vieillesse 
des  soins  de  son  ordre  naissant.  Ces  grands 
hommes  connaissaient  Vincent  de  Paul,  et 


savaient  que  rien  ne  pouvait  échapper  a  l'ar- 
deur de  son  zèle  :  Nec  est  qui  se  abscondat  a 
calore  ejus.  [Psal.  XVIII.) 

Zèle  enfin  qui  ne  perd  rien  de  son  acti- 
vité; sous  les  glaces  mêmes  de  la  vieillesse 
et  dans  les  derniers  jours  d'une  vie  usée  au 
service  de  l'Eglise;  à  quatre-vingts  ans  il  fa.t 
une  mission  dans  un  temps  de  jubilé,  et 
fournit  une  carrière  qui  altère  ordinairement 
la  santé  des  plus  robustes.  Ce  zèle,  Mes- 
sieurs, est  particulier  à  l'Eglise  catholique. 
L'apostolat  de  nos  frères  séparés  est  plus 
commode,  il  ne  s'étend  pas  si  loin;  la  reli- 
gion protestante  n'a  jamais  donné  des  apôtres 
zélés  comme  l'Eglise  romaine;  il' faut  être 
attaché  à  l'Eglise  comme  Vincent  de  Paul, 
pour  lui  être  utile.  C'est  ainsi,  Messieurs, 
que  ce  saint  prêtre  termine  glorieusement  ^ 
sa  course;  il  peut  dire  avec  son  divin  maî- 
tre, tout  est  consommé  :  consummatum  est. 
{Joun.,  XIX.) 

Il  y  a  dans  ce  royaume  des  asiles  pour 
toutes  les  misères -/les  pauvres  sont  conso- 
lés, les  malades  visités,  les  vierges  sont  en 
sûreté;  les  campagnes  ont  des  apôtres  ;  les 
ecclésiastiques  des  exercices  et  des  confé- 
rences. L'Eglise  et  l'Etat  ont  soutenu  mon 
zèle;  tous  ces  établissements  sont  appuyés 
sur  des  fondements  durables. 

Conservez,  Père  très-saint,  pour  votre 
gloire,  pour  la  consolation  de  votre  Eglise, 
poui  l'honneur  de  ce  royaume,  votre  propre 
ouvrage,  c'est  vous  qui  me  l'avez  inspiré  : 
confirma  hoc  Deus  qubd  operatus  es.  (Psal. 
LXVII.) 

Le  zèle  des  hommes  apostoliques,  Mes- 
sieurs, est  inépuisable,  il  s'étend  au  delà  de 
leur  mort;  celui  de  Vincent  de  Paul  a  passé 
dans  ses  enfants.  Modèles  de  soumission,  ils 
l'inspirent  à  ceux  qu'ils  élèvent  pour  le  sanc- 
tuaire; modèles  de  régularité,  il  suffit  de 
passer  quelques  jours  chez  eux  pour  en  con- 
naître la  nécessité;  modèles  de  zèle,  {joint 
de  campagnes  qu'ils  ne  parcourent,  point  de 
frontières  où  ils  ne  se  transportent,  point  de 
royaumes  qu'ils  ne  pénètrent  ;  le  zèle  les 
sépare  de  leur  famille  et  de  leur  patrie  :  tels 
sont  les  enfants  de  Vincent. 

Si  l'Eglise  ne  venait  point  de  décerner  un 
culte  public  à  notre  héros;  si  elle  ne  venait 
point  de  l'insérer  dans  ses  annales,  en  pu- 
bliant sa  sainteté  et  en  constatant  des  mira- 
cles, je  vous  parlerais  des  honneurs  éclatants 
qu'on  lui  rendit  à  sa  mort;  je  vous  montre- 
rais toutes  les  puissances  de  l'Eglise  et  de 
l'Etat  qui  l'accompagnent  au  tombeau;  le 
clergé  et  le  peuple  préparés  à  lui  rendre  les 
honneurs  que  nous  lui  rendons  aujourd'hui  ; 
je  vous  rappellerais  les  éloges  qu'on  lui 
donna  dans  la  chaire  de  vérité  ;  on  était  per- 
suadé de  sa  sainteté,  mais  l'Eglise  n'avait  pas 
encore  parlé. 

Les  orateurs  le  louaient  comme  on  a  cou- 
tume de  louer  les  grands  hommes  ;  des  pré- 
lats r  oommandables  par  leur  piété  et  leur 
érudition  écrivaient  ses  actions  héroïques; 
aujourd'hui  il  nous  est  donné  de  le  louer 
comme  un  saint  cher  à  l'Eglise,  précieux  à  la 
France  ;  nous  lui  payerons  dans  la  suite  un 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


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tribut  annuel  de  louanges,  nous  l'invoque- 
rons et  nous  nous  efforcerons  de  l'imiter 
pour  participer  à  sa  gloire.  Je  vous  la  sou- 
haite. Ainsi  soit-il. 

PANÉGYRIQUE  III. 

SECOND    PANÉGYRIQUE    DE    SAINT    "VINCENT 
DE    PAUL. 

Prononcé  dans   Véglise  royale  des  Invalides 
en  1741. 

Suscitabo  mihi  sacerdotem  fidclem.  (I  Reg.,  II.) 
Je  me  susciterai  un  prêtre  fidèle. 

Dieu  annonce,  Messieurs,  un  prêtre  qui  doit 
faire  la  gloire  du  sanctuaire  par  l'innocence 
de  ses  mœurs  et  l'ardeur  de  son  zèle. 
*  Sadoc  paraîtra  honoré  du  sacerdoce,  et  avec 
lui  paraîtront  toutes  les  vertus  qui  soutien- 
nent la  sainteté  des  autels.  La  religion  pa- 
raîtra avec  splendeur,  elle  s'étendra,  elle 
fera  des  conquêtes.  Dieu,  qui  est  jaloux  d'a- 
voir des  ministres  saints  et  zélés,  s'est  choisi 
un  prêtre  fidèle  :  suscilabo  mihi  sacerdotem 
fidelem. 

Telle  fut,  Messieurs,  le  saint  prêtre  que 
Dieu  suscita  dans  le  dernier  siècle,  Vincent 
de  Paul. 

Quoique  le  sanctuaire  eût  alors  ses  lumiè- 
res, qu'il  n<-  fût  point  souillé  par  les  désor- 
dres desÔphnis  et  des  Phinées;  le  feu  divin 
que  le  grand  Charles  Rorromée  y  avait  allu- 
mé commençait  à  s'éteindre.  Tout  ce  qui 
peut  former  le  grand  et  saint  ecclésiastique, 
les  conférences  et  les  séminaires  étaient  né- 
gligés; les  pauvres  languissaient;  il  manquait 
des  asiles  aux  misères  publiques  ;  les  campa- 
gnes n'avaient  point  d'apôtres;  une  hérésie 
fine  et  délicate  voulait  s'établir  dans  ce 
royaume. 

C'est  dans  ces  circonstances,  Messieurs, 
que  Dieu  suscite  Vincent  de  Paul,  cet  hom- 
me que  l'Eglise,  en  lui  décernant  un  culte 
public,  appelle  la  gloire  du  sacerdoce,  la 
lumière  de  son  siècle,  qui  fut  le  père  des 
pauvres,  le  conseil  des  rois,  l'édification  de 
la  cour,  l'apôtre  des  campagnes,  le  défenseur 
de  la  foi  orthodoxe,  et  qui  n'eut  jamais  d'au- 
tres ennemis  que  ceux  de  la'  foi  et  de  la 
vertu;  voilà  ce  prêtre  fidèle  que  Dieu  nous  a 
montré  dans  ces  derniers  temps  :  suscilabo 
mihi  sacerdotem  fidelem. 

Il  a  soutenu  la  dignité  du  sacerdoce  par 
l'éclat  de  sa  sainteté.  Il  a  étendu  la  gloire  du 
sacerdoce  par  l'ardeur  de  son  zèle.  Deman- 
dons, etc.  Ave,  Maria. 

PREMIÈKE     PARTIE. 

Pour  concevoir  une  juste  idée  de  la  gran- 
deur du  sacerdoce,  il  faut  une  foi  vive  ;  pour 
répondre  à  la  sainteté  du  sacerdoce,  il  faut 
des  mœurs  pures  et  innocentes;  pour  retracer 
partout  l'esprit  du  sacerdoce ,  il  faut  une 
sainteté  héroïque.  Alors  on  fait  briller  ces 
traits  divins  qui  annoncent  le  fidèle  ministre 
de  Jésus-Christ.  C'est  ce  que  lit,  Messieurs, 
Vincent  de  Paul.  Le  clergé  perfectionné  par 
ses  exemples  et  ses  leçons,  la  cour  édifiée 
par  sa  sagesse  et  sa  prudence  ;  toutes  les 
misères,  soulagées  par  sa  charité  et  son  cré- 


dit, vont  vous  en  convaincre.  Consultons 
l'histoire  fidèle. 

Vous  le  savez,  Messieurs,  les  mondains  ne 
parlent  jamais  si  éloquemment  de  la  religion 
que  lorsqu'ils  opposent  sa  sainteté  à  la  vie 
de  quelques-uns  de  ses  ministres;  ils  pren- 
nent pour  modèles  dans  l'importante  affaire 
du  salut,  ceux  dont  ils  ne  voudraient  pas 
suivre  les  conseils  dans  les  moindres  affaires 
temporelles;  ils  s'imaginent  que  les  fautes, 
qui  échappent  aux  ministres  des  autels,  jus- 
tifient leur  coupable  conduite;  ils  les  exagè- 
rent, ils  ne  veulent  point  que  nous  soyons 
hommes,  et  ils  ne  rougissent  pas  d'être  des 
pécheurs  scandaleux;  ils  ferment  les  yeux 
sur  les  prêtres  fidèles,  pour  ne  les  ouvrir 
que  sur  les  prêtres  prévaricateurs,  et  comme 
si  Jésus-Christ  leur  avait  dit  de  ne  faire  que 
ce  que  nous  faisons,  ils  méprisent  nos  leçons 
et  nos  instructions: 

Est-ce  le  zèle  de  la  religion,  Messieurs,  qui 
leur  fait  opposer  sans  cesse  nos  défauts  à  la 
sainteté  de  notre  état?  Non,  Messieurs,  c'est 
la  malignité.  Le  mépris  des  prêtres  ne  m'é- 
tonne pas  dans  un  siècle  où  la  licence  et 
l'incrédulité  font  tous  les  jours  de  funestes 
progrès. 

Malheur  à  nous  si  nous  répandons  la  honte 
dans  le  sanctuaire,  et  si  on  aperçoit  des  vices 
dans  ceux  qui  doivent  avoir  la  pureté  des 
anges;  mais  malheur  à  vous,  chrétiens,  si 
vous  cessez  de  respecter  la  beauté  de  l'E- 
glise, la  sainteté  des  autels,  la  pureté  de  la 
doctrine,  la  morale  de  l'Evangile  à  cause  de 
nos  défauts  et  de  nos  imperfections. 

Dieu  suscite  de  temps  en  temps  de  sair.ts 
ministres,  pour  perfectionner  le  clergé,  ral- 
lumer dans  le  sanctuaire  le  feu  sacré.  Le 
dernier  siècle  en  est  une  preuve,  Messieurs. 

Vincent  de  Paul,  né  dans  l'obscurité,  em- 
ployé dans  son  enfance  à  des  occupations 
champêtres,  est  ce  prêtre  fidèle  qui  doit  per- 
fectionner le  clergé  ;  les  apôtres,  oscupés  sur 
les  rivages  de  la  mer,  à  conduire  des  barques 
rustiques,  sont  appelés  à  l'apostolat.  Vincent 
de  Paul  est  tiré  d'une  pauvre  cabane  pour 
être  placé  dans  le  sanctuaire,  et  y  briller. 

Lorsqu'il  s'agit,  Messieurs,  de  vous  prou- 
ver que  Vincent  de  Paul  fut  le  plus  saint  et 
le  plus  grand  ecclésiastique  de  son  temps,  les 
faits  se  présentent  en  foule  à  mon  imagi- 
nation. 

Les  François  de  Sales,  les  cardinaux  de 
Bérulle  et  de  Richelieu,  les  Bossuct,  ces 
grands  hommes  qui  savaient  si  bien  distin- 
guer les  grands  hommes;  ces  lumières  de 
l'Eglise,  (iui  connaissaient  son  esprit,  n'onl- 
ils  pas  regardé  notre  saint  prêtre  comme  leur 
maître?  En  trouvaient-ils  un  plus  rempli  de 
l'esprit  du  sacerdoce,  et  plus  en  état  d'en 
remplir  les  autres? 

Ah!  quel  nouvel  éclat  va  se  répandre  dans 
le  sanctuaire  !  Je  vois  s'établir  des  séminaires, 
des  retraites,  des  conférences.  Ceux  qui  se 
destinent  au  service  des  autels  apprendront 
à  l'écart  et  dans  le  calme  ce  qu'ils  doivent 
être  et  ce  qu'ils  doivent  faire.  Ces  jeunes 
Samuels,  élevés  à  l'ombre  du  sanctuaire, 
iront  dans  la  suite  comme  des  astres  brillants 


61 


PANEGYRIQUES.  —  PANEG.  III  ,  SAINT  VINCENT  DE  PAUL. 


62 


éclairer  les  campagnes,  les  villes,  le  Nouveau- 
Monde  même. 

Que  j'aime  à  me  représenter  notre  saint  prê- 
tre dans  les  conférences  publiques  qu'il  fait 
aux  dispensateurs  des  saints  mystères  !  Je 
vois  un  homme  qui  possède  dans  un  de- 
gré éminent  l'intelligence  des  Ecritures,  la 
science  des  lois  ecclésiastiques,  l'art  de  diri- 
ger les  âmes,  de  les  conduire  à  la  plus  haute 
perfection. 

Vous  dirai-je,  Messieurs,  qu'il  a  pour  au- 
diteurs, non-seulement  les  jeunes  ecclésias- 
tiques qu'il  faut  former,  mais  les  juges  de  la 
foi,  des  évêques,  des  cardinaux,  des  maîtres 
en  Israël,  des  savants  du  premier  ordre?  Il 
est  l'oracle  de  son  'siècle,  lorsqu'il  s'agit  de 
}  arler  de  la  sainteté  et  des  devoirs  des  prê- 
tres. 

Vous  dirai-je  que  le  cardinal  de  Richelieu, 
si  habile  dans  l'art  d'affermir  le  trône  des 
rois,  révéré  des  savants,  loué  cbez  Jes  étran- 
gers et  trop  peu  connu  de  ses  ennemis,  le 
visite  et  le  consulte? 

Vous  dirai-je  que  le  cardinal  de  Rérullo, 
si  recommandnble  par  sa  piété,  ses  ouvrages, 
son  zèle,  se  faisait  une  gloire  d'entretenir 
avec  lui  un  commerce  d'amitié  et  d'érudition? 

Parlez  et  instruisez-nous,  saints  person- 
nages de  son  siècle,  saint  évêque  de  Genève, 
bienheureuse  Chantai.  Ils  parlent,  Messieurs, 
ils  s'expliquent,  ils  ne  trouvent  point  dans 
toute  l'Eglise  un  plus  saint  prêtre  que  Vin- 
cent. Le  choix  que  le  grand  évêque  de  Ge- 
nève en  fait  pour  gouverner  après  lui  l'ordre 
naissant  de  la  Visitation,  ne  prouve-t-il  pas, 
Messieurs,  la  confiance  qu'il  avait  dans  ses 
lumières?  Les  saints  ne  louent  point  par 
adulation. 

Sa  haute  sainteté  le  rend  en  quelque  sorte 
le  maître  des  maîtres  de  la  piété,  de  la  science 
et  de  la  politique. 

L'ecclésiastique,  Messieurs,  avance  dans  la 
perfection,  quand  il  marche  sur  ses  traces  ; 
il  y  est  arrivé  quand  il  l'imite. 

Des  vertus  si  rares  le  font  désirer  à  la  cour, 
il  y  paraît,  mais  pour  l'édifier  par  sa  sagesse 
et  sa  prudence. 

Ce  n'est  pas  assez,  Messieurs,  d'être  désiré 
a  la  cour,  il  faut  s'y  soutenir.  La  cabale, 
l'intrigue,  le  manège  y  font  arriver  les  ambi- 
tieux: les  tnlents,  la  faveur,  la  politique  les 
y  soutiennent  quelque  temps;  mais  l'envie, 
l'adulation,  le  caprice  changent  souvent  leur 
gloire  en  opprobre  ;  on  y  devient  inutile  dès 
qu'on  n'y  est  plus  agréable. 

Qui  a  "obscurci  ce  mérite  éclatant?  Qui  a 
flétri  les  lauriers  de  ce  grand  capitaine?  Pour- 
quoi cet  habile  négociateur,  ce  sage  ministre 
ne  sont-ils  plus  à  la  mode?  Pourquoi  ce  cour- 
tisan si  chéri  est-il  devenu  indifférent  au 
prince  ?  Apprenez-le,  Messieurs,  rien  de  plus 
changeant,  de  plus  mobile  que  la  cour.  La 
scène  y  varie  tous  les  jours  ;  il  ne  faut  pres- 
que rien  pour  renverser  ces  idoles  du  monde. 
On  n'aperçut  pas  la  main  qui  avait  lancé  cette 
petite  pierre  qui  renversa  la  superbe  statue 
dont  il  est  parlé  dans  Daniel.  On  ignore  tous 
les  jours  à  la  cour  la  cause  de  ces  chutes,  de 
ces  disgrâces  qui  étonnent.  Le  mérite  a  de 


la  peine  à  y  arriver,  et  encore  plus  de  peine 
à  s'y  soutenir. 

Mais  s'il  est  rare,  Messieurs,  de  se  soutenir 
à  la  cour,  d'y  être  longtemps  agréable,  et  de 
vieillir  dans  des  places  si  mobiles;  c'est  un 
prodige  encore  plus  grand  qu'un  prêtre  s'y 
soutienne,  et  y  soit  constamment  respecté.  11 
ne  faut  pas  une  sainteté  commune  pour  y 
édifier  et  y  donner  de  justes  idées  de  la 
grandeur  du  sacerdoce. 

Tel  est  cependant,  Messieurs,  le  prodige 
que  Vincent  de  Paul  fit  paraître  dans  le  der- 
nier siècle.  Il  ne  fut  point  porté  à  la  cour  par 
la  cabale,  l'ambition;  il  ne  s'y  conserva  pas 
par  l'adulation,  la  politique  :  il  n'y  fut  point 
soutenu  par  ces  grands  qui  affectionnent  les 
hommes  de  réputation,  et  qui  .ce  font  une 
gloire  d'attacher  à  leur  char  par  des  services 
importants  tout  mérite  distingué.  Ses  vertus 
seules  le  firent  désirer  à  la  cour;  sa  haute 
sainteté  l'y  fit  respecter.  Ses  lumières,  sa 
prudence,  sa  sagesse,  son  zèle  l'y  rendirent 
utile,  il  en  fut  le  conseil  et  l'apôtre. 

Déjà  la  reine  l'honore  de  sa  confiance,  elle 
le  consulte.  11  est  le  canal  des  grâces,  le  dis- 
pensateur des  biens  ecclésiastiques. 

Place  importante,  Messieurs,  délicate;  mais 
dont  il  ne  profilera  que  pour  procurera  l'E- 
glise des  ministres  saints  et  utiles;  il  n'aura 
pour  ennemis  que  ceux  que  l'insuffisance  et 
les  mœurs  rendent  indignes  des  honneurs  du 
sanctuaire. 

Vous  le  représenterai-je  dans  le  conseil, 
où  il  tient  un  rang  distingué,  où  il  en  est 
comme  l'âme  et  l'oracle  par  sa  sagesse  et  sa 
prudence?  Il  y  est  l'homme  de  Dieu,  l'homme 
de  l'ïitat,  l'homme  du  peuple.  La  religion  a 
en  lui  un  zélé  défenseur,  l'Etat  un  sage  mi- 
nistre, et  le  peuple  un  père  tendre. 

En  vain  l'envie  s'efforce-t-elle  d'obscureii 
sa  gloire,  et  veut-elle  faire  naître  des  soup 
çons  désavantageux  à  sa  piété,  à  sa  science  ; 
ces  épreuves  ne  servent  qu'à  faire  briller  fa 
sainteté  et  à  mettre  au  jour  les  rares  talents 
que  sa  profonde  humilité  a  soin  de  dérober  à 
la  connaissance  des  hommes. 

En  vain,  Messieurs,  les  ennemis  de  la  foi 
et  de  la  piété  s'efforcent-ils  de  répandre  des 
nuages  sur  cet  astre  éclatant  de  la  cour;  ils 
lui  procurent  un  nouvel  éclat;  confondus, 
humiliés  à  ses  pieds,  ils  sont  comme  autant 
de  glorieux  trophées  érigés  à  sa  modestie  et 
à  sa  sainteté. 

Vous  dirai-je  que  son  érudition,  attaquée 
par  des  hommes  intéressés  à  lui  en  ravir  la 
gloire,  est  admirée  dans  le  conseil  même,  et 
qu'il  y  moissonnera  malgré  lui  des  lauriers 
dans  l'assemblée  du  plus  sage  royaume? 

C'est  le  grand  Condé,  Messieurs,  cet  homme 
si  habile  dans  la  controverse,  qui  entre  en 
lice  avec  lui.  C'est  ce  grand  Condé  aussi 
qui,  satisfait  de  ses  réponses,  rend  hom- 
mage à  sa  science,  à  ses  connaissances,  à  ses 
talents. 

Vous  dirai-je,  Messieurs,  qu'il  fut  l'apôtre 
de  Louis  XIII?  A  la  mort,  ce  pieux  monar- 
que, prêt  à  passer  du  trône  au  tribunal  de 
Jésus-Christ,  demande  l'hommç,  de  Dieu. 
Vincent  parait;  qu^l  touchant  spectacle  se 


63 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


64 


présente  à  ses  yeux!  Un  roi  environné  des 
ombres  de  la  mort,  qui  ne  regrette  point  la 
couronne  qui  lui  échappe,  ni  toute  la  gran- 
deur qui  fuit  devant  lui ,  mais  qui  craint,  en 
cessant  d'être  grand ,  de  n'être  pas  assez 
saint.  Une  cour  consternée,  dans  le  deuil  ; 
une  reine  qui  arrose  son  lit  de  ses  pleurs  ; 
un  jeune  enfant  qui  va  occuper  son  trône, 
portpr  sa  couronne,  et  dont  il  ignore  le  long 
et  glorieux  règne,  puisqu'il  nous  était  ré- 
servé de  raconter  la  gloire  et  les  succès  de 
Louis  XIV. 

Un  saint  occupé  du  ciel,  animé  de  l'esprit 
de  Dieu,  est,  Messieurs,  un  apôtre  bien  utile 
à  la  mort.  Tel  était  Vincent  de  Paul.  Il  parle 
avec  ctte  onction  qui  touche,  ce  feu  qui 
embrase  ;  il  développe  cette  immense  étendue 
de  l'éternité  qui  s'avance  ;  il  présente  au 
prince  expirant  l'image  de  Jésus  cruciiié,  et 
nourrit  l'espérance  qu'il  a  de  passer  d'un 
royaume  périssable  dans  un  royaume  éter- 
nel. C'est  en  l'embrassant  avec  foi  qu'il  ex- 
pire. L'apôtre  qui  l'a  exhorté,  Messieurs, 
essuie  les  larmes  de  cette  cour  chrétienne; 
il  en  sort  consolateur;  il  a  sa  confiance,  il 
n'en  abusera  point  ;  sa  charité  emploiera  son 
crédit  pour  soulager  les  misérables  dont  il 
est  le  père. 

Voici  de  nouveaux  traits  qui  se  présentent, 
Messieurs,  à  mon  imagination;  ici  des  traits 
surprenants  et  divins  caractérisent  la  charité 
de  Vincent  de  Paul  :  les  objets  qui  excitent 
sa  charité,  les  entreprises  de  sa  charité,  les 
succès  durables  de  sa  charité;  voilà,  Mes- 
sieurs, des  objets  qui  doivent  nous  étonner 
et  nous  faire  reconnaître  la  puissance  divine 
qui  agissait  en  lui. 

Dans  l'ordre  ordinaire,  Messieurs,  c'est 
aux  riches  à  soulager  les  indigents;  le  su- 
perflu des  uns  est  le  nécessaire  des  autres. 
Le  cœur  tendre  et  compatissant  d'un  homme 
sans  fortune  peut  gémir  sur  les  misères  pu- 
bliques, il  ne  peut  pas  les  soulager;  le  triste 
spectacle  des  malheureux  l'afflige;  il  partage 
leurs  peines  sans  pouvoir  les  adoucir.  Tel 
était,  Messieurs,  Vincent  de  Paul. 

Né  sans  biens  et  sans  désir  d'en  amasser, 
la  miséricorde,  qui  croissait  chez  lui  avec 
l'âge,  le  rendit  sensible  à  toutes  les  misères. 
Il  vit  ces  pauvres  sans  retraite  et  sans  res- 
source, ces  infirmes  qui  ne  peuvent  ni  adou- 
cir ni  arrêter  les  progrès  du  mal  ;  ces  vieil- 
lards abattus  sous  le  poids  des  années  et  de 
l'indigence,  ces  vierges  que  la  pauvreté  fait 
chanceler  dans  la  vertu  ;  ces  forçats  sans  con- 
solation dans  leur  peine;  ces"  enfants  qui 
étaient  les  tristes  victimes  de  la  houle  ou  de 
la  pauvreté  ;  ces  provinces  désolées  par  les 
horreurs  de  la  guerre,  de  la  peste  et  de  la 
famine;  et,  comme  son  divin  Maître,  il  est 
touché  à  la  vue  de  cette  foule  de  malheu- 
reux :  Miser eor  super  turbam.  (Mat th.,  MIL) 

Tous  ces  tristes  objets  étaient  véritable- 
ment capables  de  toucher  un  cœur. tendre  et 
compatissant.  Une  grande  misère  est  un  grand 
écueil  pour  la  vertu.  Il  est  à  craindre  qu'on 
no  cherche  des  ressources  dans  les  corrup- 
teurs de  l'innocence^  quand  on  n'en  trouve 
point  dans  le  cœur  des  riches  opulents.  Ces 


dangers  effrayèrent  Vincent  de  Paul:  il  for- 
ma les  grands  projets  de  soulager  tous  ces 
malheureux. 

Admirez  ici,  Messieurs,  les  saints  efforts 
de  la  charité,  les  plus  grands  obstacles  ne 
sauraient  la  rebuter. 

Vincent  de  Paul  n'était  pas  opulent  ;  ce 
n'était  pas  un  Job,  distingué  chez  les  Orien- 
taux par  sa  naissance  et  ses  riches  posses- 
sions; comment  pouvait-il  être  comme  lui 
le  père  des  pauvres?  Ce  n'était  pas  un  saint 
Paulin,  le  plus  riche  de  son  siècle,  dont  les 
domaines  étaient  si  vastes  et  si  étendus, 
qu'on  leur  donnait  le  nom  de  royaumes  : 
Régna  Paulini.  Comment  pouvait-il  com- 
mencer môme  l'exécution  de  ses  projets  ? 
Apprenez-le,  Messieurs,  sa  haute  sainteté  lui 
donne  un  crédit  auprès  des  grands,  qui  at- 
tendrira tous  les  cœurs  et  ouvrira  les  niains 
des  riches. 

Il  propose  ses  projets  à  la  ville  et  à  la 
cour;  ils  étonnent,  on  les  rejette  même; 
mais  le  saint  plaide  la  cause  des  pauvres 
avec  tant  d'onction  et  de  feu,  que  tous  les 
cœurs  sont  touchés  ;  les  aumônes  des  riches, 
les  libéralités  royales  assurent  des  fonds  à 
toutes  les  misères  publiques  :  les  larmes  des 
malheureux  sont  essuyées.  Je  vois  partout 
s'élever  des  asiles  à  la  pauvreté,  à  l'inno- 
cence, à  l'infirmité  ;  ils  subsistent  pour  l'hon- 
neur de  la  religion  et  la  gloire  de  la  nation, 
ces  monuments  durables  de  la  charité  de 
Vincent;  ce  sont  de  glorieux  trophées  érigés 
à  son  bon  cœur. 

Vous  dirai-je,  Messieurs,  que  la  Cham- 
pagne, la  Picardie,  la  Lorraine,  ces  provinces 
que  les  plus  terribles  fléaux  désolaient,  n'é- 
chappèrent à  la  mort  qui  allait  moissonner 
leurs  habitants,  que  par  les  secours  que 
Vincent  leur  procura,  et  qu'un  roi  n'y  aurait 
pas  fait  passer  des  aumônes  plus  abondantes 
et  plus  magnifiques? 

Si  je  vois  des  hôpitaux  à  Marseille  et  à 
Paris  pour  donner  les  secours  corporels  et 
spirituels  à  ces  malheureux  qui  sont  dans  les 
fers,  n'est-ce  pas  la  charité  de  Vincent  qui  a 
obtenu  ces  établissements  dans  le  conseil? 
Je  passe  sous  silence  tous  ces  pieux  asiles 
qu'il  a  procurés  à  l'innocence  pour  la  con- 
server, et  aux  pécheurs  pour  pleurer  leurs 
égarements.  Je  me  hâte,  et  je  passe  à  deux 
traits  qui  immortaliseront  àjamais  sa  charité 
dans  tous  les  bons  cœurs. 

Le  crime  et  la  misère  multipliaient  tous 
les  jours  le  nombre  de  ces  enfants  qui  sem- 
blent ne  sortir  du  sein  de  leur  mère  que 
pour  descendre  aussitôt  dans  la  nuit  du 
tombeau;  on  trouvait  tous  les  jours  ces  in- 
nocentes victimes  exposées  dans  les  rues  de 
cette  capitale.  Une  mort  lente  moissonnait 
ces  jeunes  fleurs.  Aucune  main  charitable 
n'entreprenait  de  les  cultiver  et  de  les  faire 
croître  dans  la  piélé.  Si  quelques-unes  plus 
brillantes  que  les  autres  étaient  conservées, 
c'était  la  honteuse  volupté  qui  en  faisait  les 
frais;  elles  n'échappaient  aux  coups  qui  de- 
vaient les  immoler,  que  pour  couler  des  an- 
nées criminelles  sous  l'empire  du  péché.  Il 
était  réservé,  Messieurs,  à  Vincent  de  Paul, 


63 


PANEGYRIQUES.  —  PANEG.  III  ,  SAINT  VINCENT  DE  PAUL 


m 


de  leur  préparer  ces  superbes  asiles.  Voyez, 
Messieurs,  ces  crèches  immenses  où  l'on 
porte  tous  les  ans  plus  de  trois  mille  enfants; 
ne  sont-ce  pas  des  monuments  durables  de  sa 
charité  et  de  son  crédit  ? 

Que  dirai -je  de  l'établissement  de  ces 
pieuses  filles  destinées  au  soulagement  des 
malades  et  à  l'instruction  de  la  jeunesse  ? 
Quels  éloges  ne  méritent-elles  pas?  Occu- 
pées sans  cesse  à  servir  Jésus-Christ  dans 
ses  membres  et  à  le  faire  connaître,  elles 
participent  au  plus  pénible  apostolat.  Dans 
quelle  bourgade,  dans  quelle  ville,  dans 
quelle  province,  dans  quel  climat  n'ont-elles 
pas  des  hospices?  Elles  volent  sur  les  pas 
des  hommes  apostoliques  pour  exercer  la 
charité.  Victimes  libres  et  volontaires,  les 
liens  du  divin  amour,  d'un  saint  zèle,  sont  les 
seuls  qui  les  attachent  à  ces  occupations  pé- 
nibles et  humiliantes. 

O  bonté  inejfable  de  mon  Dieu  I  c'est  vous 
qui  avez  suscité  ce  saint  prêtre  pour  venger 
votre  providence  outragée  par  les  discours 
sacrilèges  des  impies.  11  a  soutenu  la  dignité 
du  sacerdoce  par  l'éclat  de  sa  sainteté;  il  a 
étendu  la  gloire  du  sacerdoce  par  l'ardeur 
de  son  zèle.  C'est  la  seconde  partie  de  son 


éloge. 


SECONDE    PARTIE. 


Un  prêtre  fidèle  est  bien  utile  à  l'Eglise. 
Non-seulement  il  fait  sa  gloire,  mais  encore 
il  est  son  soutien,  son  appui.  Tel  fut,  Mes- 
sieurs, Vincent  de  Paul.  Les  conquêtes  des 
apôtres  de  la  France  conservées,  étendues; 
des  ouvriers  évangéliques  formés  pour  tous 
les  lieux  et  tous  les  temps;  la  doctrine  de 
l'Eglise,  la  sainteté  du  Siège  apostolique  dé- 
fendue contre  les  entreprises  de  l'hérésie  : 
voilà  les  travaux  de  ce  prêtre  fidèle.  Apôtre, 
instituteur,  défenseur,  il  travailla  pour  l'E- 
glise et  donna  des  ouvriers  à  l'Eglise.  Il  dé- 
lendit l'Eglise;  Dieu  l'a  suscité  pour  la  con- 
solation de  son  épouse  dans  ces  derniers 
temps  :  Suscitabo  mihi  sacerdotem  ftdelcm. 

Je  ne  vais,  Messieurs,  vous  donner  qu'une 
légère  idée  de  l'apostolat  de  Vincent  de  Paul. 
Qui  pourrait  le  suivre  dans  ses  courses 
apostoliques,  compter  les  bourgades  qu'il 
parcourt,  toutes  les  Ames  qu'il  arrache  au 
vice,  à  l'hérésie,  à  l'idolâtrie,  pour  les  atta- 
cher au  char  de  Jésus-Christ? 

Les  premiers  essais  de  son  zèle  sont,  Mes- 
sieurs, les  plus  difficiles  et  les  plus  glorieuses 
conquêtes.  Il  est  apôtre  dans  les  fers;  il  an- 
nonce Jésus-Christ  dans  la  captivité  :  son 
maître  devient  son  disciple.  Honteux  de  son 
apostasie,  il  renonce  à  la  doctrine  extrava- 
gante de  Mahomet;  et  converti  par  Vincent 
de  Paul,  il  est  le  premier  trophée  érigé  à  la 
gloire  de  son  apostolat. 

Le  ciel  nous  destinait  cet  apôtre.  La  Pro- 
vidence, qui  veille  toujours  sur  la  France,  le 
conduit  dans  cette  capitale;  il  y  parut  comme 
une  lumière  brillante  qui  éclaira  toutes  les 
contrées  voisines  ;  il  y  conserve  et  étend,  par 
son  zèle  infatigable,  Tes  précieuses  conquêtes 
des  Denis  de  Paris,  des  Rémi  de  Reims,  des 
Martin  de  Tours,  des  Germain  d'Auxerre, 


Ici,  Messieurs,  vous  entendez  ses  mission* 
dans  les  campagnes. 

Pourquoi  une  moisson  si  abondante  que 
celle  qui  se  présente  dans  les  campagnes 
trouve-t-elle  si  peu  d'ouvriers?  Les  âmes  y 
sont-elles  moins  précieuses?  Les  cœurs  y 
sont-ils  plus  attachés  au  monde  que  dans  les 
villes?  Les  esprits  y  sont-ils  moins  dociles 
aux  vérités  du  christianisme?  Faut-il  des  ta- 
lents supérieurs,  les  richesses  de  l'éloquence? 
Faut-il  fatiguer  sa  mémoire  par  des  discours 
pompeux,  cadencés,  un  arrangement  harmo- 
nieux, des  pensées  sublimes,  des  tours  dé- 
licats, des  expressions  choisies?  Non,  Mes- 
sieurs. 11  ne  faut  que  du  zèle,  penser  du 
salut  des  âmes  comme  Jésus-Christ  en  a 
pensé.  Il  est  plus  aisé  à  un  prêtre  fidèle  d'ê- 
tre apôtre  que  d'être  orateur.  11  n'en  coûte 
pas  tant  pour  loucher  que  pour  plaire.  Les 
conquêtes  des  âmes  sont  la  récompense  de 
l'homme  apostolique;  de  vains  applaudisse- 
ments, celle  de  l'éloquent  orateur. 

Vincent  de  Paul  était  pénétré,  Messieurs, 
de  ces  vérités.  C'est  pourquoi  il  fixa  son 
apostolat  dans  les  campagnes ,  et  les  préféra 
aux  villes  où  les  prédicateurs  abondent,  où 
l'abondance  fait  naître  le  dégoût,  où  les  au- 
diteurs sont  curieux,  délicats,  critiques, 
parce  que  les  orateurs  chrétiens  font  trop 
d'efforts  pour  plaire  ,  et  n'en  font  pas  assez 
pour  toucher. 

Réjouissez-vous,  peuples  rustiques  ,  une 
nouvelle  lumière  va  briller  sur  vous.  Vin- 
cent de  Paul  veut  être  votre  apôtre.  Vous 
l'entendrez  dans  le  saint  temple  et  dans  vos 
cabanes;  il  vous  annoncera  les  mystères  du 
salut;il  dissipera  les  ténèbres  de  votre  igno- 
rance par  ses  solides  instructions;  il  tou- 
chera vos  cœurs  par  l'onction  de  ses  paroles; 
il  vous  consolera  dans  vos  peines  par  les 
touchantes  peintures  qu'il  vous  fera  de  votre 
haute  destinée,  et,  par  les  aumônes  qu'il  ré- 
pandra dans  vos  familles,  il  apaisera  vos 
querelles,  il  unira  vos  cœurs,  et  vous  mar- 
cherez avec  joie  dans  les  sentiers  de  l'inno- 
cence et  de  la  vertu. 

Oui,  Messieurs,  Vincent  de  Paul  remplit 
toujours  cet  utile  et  glorieuse  carrière;  il 
n'abandonna  jamais  les  pénibles  travaux  de 
la  chaire  et  du  confessionnal;  cette  vieillesse 
qui  languit  ordinairement  dans  les  infirmi- 
tés, où  le  repos  paraît  si  nécessaire,  n'inter- 
rompit jamais  ses  fonctions.  La  dernière  mis- 
sion qu'il  fit  sanctifia  les  derniers  jours  de 
sa  vie,  et  il  fut  enseveli  sous  les  trophées 
que  les  conquêtes  de  son  zèle  lui  avaient 
érigés. 

Si  les  ennemis  de  sa  vertu  me  demandent 
donc  où  sont  les  actions  éclatantes  qu'il  a 
faites,  les  prodiges  qu'il  a  opérés,  les  preuves 
de  ce  zèle  héroïque  que  je  loue  ,  je  leur  ré- 
pondrai ce  que  Jésus-Christ  réponait  aux 
disciples  de  Jean  :  Les  pauvres  sont  évangé- 
lisés  :  panpcres  evangelizantur.(  Luc,  VIL) 
Il  a  choisi  l'apostolat  le  plus  pénible,  le  plus 
humiliant,  le  plus  rebutant;  il  a  été  arroser 
les  terres  les  plus  incultes;  il  a  été  rompre 
le  pain  de  l'instruction  à  ceux  qui  eu  étaient 
affamés;  ses  longs  jours  ont  été  consacrés  au 


67 


ORATEURS  SACRES.  BALLET.  CR 

salut  «les  âmes  négligées  et  souvent  aban-      ^^S££&&^^  *  ^^  "* 
données  :  paapercs  cvangehzantar...  a  la  rfpubl je  des  lettres^  ^      ^_ 

L'obéissance  lui  a  fait  accepter  successive-     ^  dans  .Ja  cam       ne  t  étabm  une  Congré- 
ment   le  gouvernement  de   deux  paroisses  ,  ti 

Clichy  et  Châtillon.   Son  zèle  y  a  réprime     B«  u 


erreurs,  et 
Les  justes 


tous  ies  abus,  détruit  toutes  les 
établi  un  culte  pur  et  religieux 
fortifiés  dans  la  piété,  les  pécheurs  convertis, 
tous  les  cœurs  unis  par  les  liens  de  la  paix 
et  de  la  charité: voilà  ses  succès  à  Clichy. 
Le  calvinisme  qui  v  régnait  et  insultait  à 
l'Eglise  romaine  ,  aùaqué  dans  tous  ses  re- 
tranchements, des  millions  de  protestants 
touchés,  persuadés  et  rentrés  sincèrement 
dans  le  sein  de  l'Eglise  :  voilà  ses  conquêtes 
à  Châtillon. 

N'est-ce  pas  là,  Messieurs,  étendre  la 
gloire  du  sacerdoce,  imiter  ces  hommes  di- 
vins qui  ont  agrandi  le  champ  de  l'Eglise, 
multiplier  le  nombre  de  ses  enfants  soumis, 
et  venger  les  opprobres  qu'elle  a  reçus  de  ses 
ennemis? 

Un  zèle  si  ardent  ne  s'éteindra  pas  avec  la 
lumière  de  ses  yeux.  L'apôtre  est  aussi  ins- 
tituteur :  sa  congrégation  le  retracera  dans 
tous  les  siècles  pour  la  consolation  de  l'E- 
glise et  le  salut  de  ses  enfants. 

Quelle  différence,  Messieurs,  entre  les 
projets  que  Dieu  inspire  ,  et  les  projets  que 
forme  l'ambition  ;  entre  les  succès  du  juste , 
et  les  succès  du  mondain! . 

La  gloire  de  Dieu,  les  progrès  de  la  reli- 
gion, le  salut  des  âmes,  voilà  les  grands 
objets  qui  occupent  les  saints;  les  applau- 
dissements des  hommes,  un  nom  dans  la  pos- 
térité, des  accroissements  de  fortune  ,  voilà 
les  objets  qui  flattent  les  mondains.  Quelle 
différence,  Messieurs!  mais  aussi  quelle 
différence  dans  les  succès!  Dieu  conserve  son 
ouvrage,  Dieu  détruit  celui  de  l'ambition. 
Faut-il  vous  prouver  cette  vérité?  Rappelez- 
vous  les  établissements  que  les  serviteurs  de 
Dieu  ont  formés  dans  le  dernier  siècle. 

Alors  parurent  trois  hommes  éminents  en 
sainteté,  célèbres  par  leurs  talents,  leurs  lu- 
mières, précieux  à  l'Eglise,  trois  institu- 
teurs dont  les  établissements  ont  mérité  et 
méritent  encore  des  éloges.  François  de 
Sales,  le  cardinal  de  Bérulle,  Vincent  de 
Paul. 

Le  grand  évêque  de  Genève  a  perpétué 
son  zèle  dans  ses  écrits;  et  dans  un  ordre 
respectable,  il  a  rassemblé  des  vierges  et  des 
veuves.  A  leur  tête  présidait  la  bienheureuse 
Chantai,  cette  illustre  veuve  qui  a  égalé  les 
Paule,  les  Monique,  les  Clotilde,  et  qui  a  la 
gloire  sur  elles  d'avoir  surmonté  de  plus 
grands  obstacles.  A  l'ombre  du  sanctuaire  , 
elles  observent  une  règle  qui  renferme  la 
douceur  et  [ïa  sévérité  de  l'Evangile;  elles 
tendent  avec  amour  à  ce  qu'il  y  a  de  plus 
parfait. 

Le  cardinal  de  Rérulle,  marchant  sur  les 
traces  du  grand  Philippe  de  Néry,  a  établi 
en  France  une  congrégation  de  prêtres  des- 
tinés à  honorer  le  divin  sacerdoce  de  Jésus- 
Christ  et  les  grandeurs  de  'sa  sainte  Mère. 
Qnede  grands  hommes  ,  que  de  savants  en 


de  prêtres  destinés  aux  missions  ;  il 
il  point  qu'ils  paraissent  sur  ces  grands 
théâtres  où  l'on  moissonne  des  lauriers,  où 
l'homme  de  talents  est  applaudi ,  admiré  : 
c'est  aux  pauvres,  à  des  peuples  grossiers 
qu'il  les  envoie  annoncer,  expliquer  les  vé- 
rités du  salut. 

Ici ,  Messieurs,  l'intérêt  que  l'orateur  a 
d'élever  son  héros  ne  me  fera  rien  avancer 
qui  puisse  ravir  la  gloire  des  autres  institu- 
teurs; les  charmes  de  la  vérité  sont  préféra- 
bles aux  ressources  que-fournit  l'éloquence 
pour  rehausser  le  mérite  ;  c'est  vous-mêmes 
qui  déciderez  du  plan  de  l'objet,  et  du  suc- 
cès de  l'établissement  de  Vincent  de  Paul. 

Quel  est ,  Messieurs,  l'apostolat  des  en- 
fants de  Vincent  de  Paul?  Vous  le  savez. 
C'est  de  renoncer  aux  douceurs  de  la  société, 
de  quitter  leur  famille  ,  leur  patrie  ;  de  sa- 
crifier les  talents  et  le  goût  des  sciences  pour 
s'accommoder  au  génie  rustique  des  peu;  les 
les  moins  policés,  de  ces  hommes  qu'il  faut 
souvent  rendre  raisonnables  avant  que  de 
les  rendre  chrétiens  ;  le  zèle  les  fait  voler 
dans  les  campagnes,  au  delà  des  mers  même?, 
pour  annoncer  l'Evangile  dans  ces  terres  mal 
cultivées  qui  font  une  partie  du  champ  du 
Père  de  famille ,  pour  éclairer  des  âmes 
plongées  dans  les  ténèbres  de  l'ignorance  et 
de  l'idolâtrie. 

Or,  Messieurs,  pour  fournir  cette  carrière 
apostolique ,  que  de  sueurs,  que  de  travaux, 
que  de  privations!  Y  a-t-il  quelque  chose 
pour  la  délicatesse,  l'intérêt?  Y  a-t-il  de 
quoi  flatter,  de  quoi  animer  le  savant ,  l'ora- 
teur? Non,  Messieurs,  le  zèle  seul  du  salut 
des  âmes  les  fait  voler  dans  les  campagnes  et 
chez  les  infidèles.  Apostolat  utile,  néces- 
saire à  l'Eglise  pour  étendre  sa  gloire,  la 
consoler  de  ses  pertes  ,  et  multiplier  le  nom- 
bre de  ses  enfants. 

Oui,  Messieurs,  Vincent  de  Paul,  en 
fixant  son  apostolat  et  celui  de  ses  succes- 
seurs dans  les  campagnes,  est  le  conserva- 
teur et  le  protecteur  des  précieuses  conquê- 
tes de  Jésus-Christ  :  Protector  salvalicnum 
Christi.  (Psal.  XXVII.) 

L'apostolat  dans  les  villes. est  plus  flat- 
teur, plus  commode,  et  moins  rcbutai;t; 
aussi  les  villes  ne  manquent- elles  point 
d'apôtres.  Les  auditeurs  y  sont  plus  ins- 
truits ,  plus  délicats,  plus  reconnaissants. 
Toint  de  privations,  de  courses  pénibles  , 
de  dangers  :  dans  les  divisions  mêmes,  si 
les  uns  sont  à  Céphas ,  les  autres  à  Paul ,  à 
Apollon ,  chaque  parti  chérit,  honore,  pro- 
duit et  élève  ses  apôtres.  Comme  on  s'y  pi- 
que d'esprit,  de  principes,  de  politesse, 
de  piété,  on  y  goûte  les  talents;  on  les 
apprécie ,  ils  sont  rarement  sans  récom- 
pense. 

Quel  attrait,  Messieurs,  pour  les  ministres 

évangéliques!   Les  enfants  de  Vincent  de 

'  Paul  y  renoncent  pour  voler  sur  les  pas  de 

leur  saint  instituteur ,  exercer  un  apostolat 


co  panégyriques;  -  panec.  m 

plus  pénible,  mais  nécessaire  pour  étendre 
ia  gloire  du  sacerdoce;  c'est  lui  qui  les  a 
procurés  à  l'Eglise  qu'il  aimait,  et  dont  il  a 
été  le  défenseur  contre  ses  ennemis  les  plus 
enveloppés,  et  par  conséquent  les  plus  dan- 
gereux. 

Saint  Jérôme  caractérise  en  deux  mots  le 
catholique  et  l'hérétique;  le  fidèle  attaché 
inviolablement  à  la  véiité  que  l'Eglise  a  en- 
seignée dans  tous  les  siècles,  l'homme  qui 
la  abandonnée  pour  s'attacher  à  de  profanes 
nouveautés  et  aux  erreurs  qu'elle  a  pros- 
crites solennellement;  l'homme  docile,  sou- 
mis à  ceux  que  Jésus-Christ  nous  a  com- 
mandé d'écouter,  l'homme  superbe  qui 
leur  résiste  et  corrompt  leur  doctrine. 

L'hérétique,  dit  ce  saint  docteur,  n'insinue 
ses  erreurs  qu'à  la  faveur  des  fausses  idées 
qu'il  donne  de  l'Eglise  :  Hœrcticus  profert 
mendacia;  le  catholique  ne  proche  que  les 
vérités  établies  dans  tous  les  siècles;  il  ne 
s'écarte  point  de  la  foi  de  ses  pères  :  Catho- 
licus  récit  prœdicat. 

L'hérétique  soutient  que  l'autorité  visible 
que  Jésus-Christ  a  établie  peut  se  tromper 
en  matière  de  foi,  enseigner  l'erreur,  pros- 
crire la  vérité  :  profert  mendacia. 

Il  obscurcit  les  plus  brillantes  lumières 
des  premiers  siècles,  flétrit  les  plus  grands 
hommes,  accuse  leur  zèle,  censure  leur  doc- 
trine, méprise  leur  érudition,  leur  prôtc 
des  vues  d'intérêt,  de  passion  :  profert  men- 
dacia. 

Il  prétend  trouver  dans  l'Ecriture,  dans 
les  Pères,  et  surtout  dans  saint  Augustin,  le 
plan,  les  preuves,  l'apologie  de  sa  doctrine  : 
profert  mendacia 

Il  avoue  qu'il  y  a  une  Eglise,  mais  il  ose 
assurer  qu'elle  n'est  plus  ce  qu'elle  a  été, 
pure  et  sans  tache;  il  la  dépeint  enveloppée 
des  nuages  épais  de  la  séduction,  abandon- 
née de  son  divin  Epoux,  cachée  dans  quel- 
ques âmes  fidèles;  selon  lui,  ce  fleuve  ma- 
jestueux, dont  les  eaux  étaient  si  pures,  n'est 
plus  qu'un  amas  d'eaux  sales  et  bourbeuses  : 
profert  mendacia.       -^ 

Les  plus  saints  conciles  qui  le  condamnent 
ne  sont  plus  que  des  assemblées  tumultueu- 
ses, dont  l'intrigue,  la  cabale,  la  politique 
font  remuer  tous  les  ressorts,  et  y  dictent  sa 
condamnation  :  profert  mendacia. 

11  faudrait  ignorer,  Messieurs,  l'histoire 
de  ces  hérésies  fameuses  qui  ont  désolé  l'E- 
glise, n'avoir  jamais  lu  les  ouvrages  des 
hérésiarques,  pour  contredire  ce  portrait  que 
•e  viens  de  tracer  d'après  saint  Jérôme. 

Il  a  paru  dans  tous  les  siècles  des  héré- 
tiques, mais  aussi  dans  tous  les  siècles  Dieu 
a  suscité  de  grands  hommes  pour  les  con- 
fondre et  défendre  son  Eglise. 

Les  pélagiens,  les  donatistes  ont  trouvé 
des  adversaires  redoutables  dans  les  Au- 
gustin, les  Jérôme,  les  Prosper  ;  les  ariens , 
dans  les  Athanase,  les  Hilâire  ;  les  protes- 
tants ,  dans  les  plus  saints  et  les  plus  savants 
prélats  de.  l'Eglise  gallicane.  Et  n'y  eût-il 
eu,  Messieurs,  que  l'illustre  Bossuet,  il 
suffirait  pour  confondre  leurs  plus  habiles 
ministres. 


SAINT  VINCENT   DE  PAUL. 


70 


Si  dans  les  jours  de  Vincent  de  Paul  une 
hérésie  plus  fine,  plus  délicate,  plus  enve- 
loppée, entreprend  de  se  produire,  ne  crai- 
gnez point:  ce  catholique  sincère  la  décou- 
vrira, s'en  garantira,  et  sa  congrégation 
naissante.  11  lui  opposera  la  doctrine  de  tous 
les  siècles,  et  prêchera  hautement  la  foi  de 
ses  pères,  et  sa  soumission  au  siège  aposto- 
lique :  Cntholicus  recte  prœdicat. 

Cette  hérésie  avait  été  enfantée  dans  les 
Pays-Bas;  elle  avait  tout  ce  qu'il  faut  pour 
séduire  les  âmes:  la  magnificence  de  la 
grâce,  le  nom  du  grand  Augustin,  son  dé- 
fenseur, beaucoup  de  ses  termes,  de  ses 
expressions  ;  son  venin  était  caché  sous  les 
voiles  d'une  piété  tendre,  douce  et  gémis- 
sante; ses  desseins,  ses  vues  dans  son  sys- 
tème, étaient  un  mystère  qu'on  n'expliquait 
qu'aux  amis,  aux  confidents;  elle  avait  des 
apôtres  zélés,  fins,  adroits,  qui  savaient 
tracer  différentes  routes  pour  arriver  au 
même  but;  ils  s'avaient  être  sévères  et  doux, 
se  taire  et  parler,  se  montrer  et  se  cacher  à 
propos. 

Ici ,  Messieurs ,  vous  êtes  peut-être  alar- 
més. Vous  savez  que  Vincent  de  Paul  entre- 
tient un  commerce  d'amitié  et  d'érudition 
avec  un  de  ses  apôtres;  mais  rassurez-vous. 
Dès  que  ce  savant,  dont  il  respecte  la  piété, 
la  naissance,  les  lumières,  dont  il  aime  la 
douceur,  la  politesse,  se  sera  développé,  il 
s'en  méfiera;  dès  qu'il  lui  aura  fait  part  de 
ses  sentiments  sur  l'Eglise  et  sur  la  grâce, 
il  rompra  pour  toujours  avec  lui;  s'il  lui 
prouve  qu'il  est  encore  son  ami,  c'est  en 
s'efforçant  par  sa  douceur,  ses  gémissements 
et  ses  savantes  réponses,  de  le  ramener  à  la 
vérité  et  à  la  soumission  due  à  l'Eglise: 
Calholicus  recte  prœdicat. 

Dès  que  notre  saint  désespère  de  désa- 
buser son  ami,  il  se  retire,  il  le  fuit  :  sa 
charité  l'épargnera,  mais  son  zèle  ne  se  ra- 
lentira pas. 

Rappelez-vous,  Messieurs,  tout  ce  qu'il  a 
dit,  tout  ce  qu'il  a  écrit,  et  vous  verrez  avec 
quel  zèle  il  a  écarté  de  notre  France  ces  nou- 
velles erreurs  ;  il  en  a  garanti  sa  congréga- 
tion naissante;  il  a  éloigné  du  sanctuaire  e» 
de  ses  dignités  ceux  qui  semblaient  seule- 
ment les  goûter,  par  les  grands  exemple! 
qu'il  leur  adonnés  de  sa  soumission  au  Saint- 
Siège. 

C'est  ainsi,  Messieurs,  que  ce  prêtre  fidèle 
a  étendu  la  gloire  du  sacerdoce  par  ses  pé- 
nibles travaux,  par  les  ouvriers  évangéliques 
qu'il  a  formés,  par  son  amour  pour  l'Eglise 
et  son  zèle  à  la  défendre. 

Seigneur,  qui  d'une  seule  parole  avez 
apaisé  les  flots  mutinés  de  la  mer,  et  fait  suc- 
céder dans  un  instant  le  calme  à  l'orage, 
faites  naître  dans  tous  les  cœurs,  par  votre 
grâce  toute -puissante,  l'amour  de  le  paix 
et  de  l'union.  Quand  on  ne  voudra  que 
votre  gloire,  ô  mon  Dieu,  on  priera  plus 
qu'on  ne  parlera  :  les  puissances  spirituelles 
et  temporelles  que  vous  avez  établies,  et  qui 
ne  tiennent  chacune  que  de  vous  leur  auto- 
rité, ne  seront  plus  méprisées  et  offensées 
par  la  licence  dans  les  discoups  et  dans  les 


71 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


•7* 


écrits  ;  on  rendra  à  César  ce  qui  est  dû  à 
César,  et  à  Dieu  ce  qui  est  dû  à  Dieu.  Ras- 
semblez-nous donc  tous,  Seigneur,  sous  les 
ailes  de  la  charité;  qu'elle  dirige  nos  pas, 
qu'elle  dicte  nos  paroles  ;  qu'elle  règne  sur- 
tout dans  nos  cœurs,  afin  que  nous  régnions 
dans  l'éternité  bienheureuse.  Je  vous  la  sou- 
haite. 

PANÉGYRIQUE  IV. 


PREMIER 


panegyrique    de 
d'assise. 


SAINT     FRANÇOIS 


Prononcé  le  jour  de  sa  fête,  dans  l'église  des 
RR.  PP.  Récollets  à  Paris,  le  k  octobre  174-2. 

Tanquam  prodigium  factus  sum  multis.  (Psal.  LXX.) 
J'ai  partiaux  yeux  du  monde  comme  un  prodige. 

L'homme  de  sainteté  a  étonné  le  monde 
dans  tous  les  siècles.  La  vertu  timide  n'ose 
se  montrer;  le  vice  hardi  infecte  presque 
tous  les  états,  et  brille  presque  dans  tous 
les  rangs.  11  faut  quelquefois  plus  d'un  siè- 
cle pour  produire  un  de  ces  saints  que  le 
monde,  tout  corrompu  qu'il  est,  admire  et 
révère,  contredit  et  applaudit  ;  un  de  ces 
saints  qui  ne  semble  être  suscité,  aussi  bien 
que  ces  fameux  solitaires  de  l'Orient,  que 
pour  confondre  la  fausse  sagesse  des  mon- 
dains; un  de  ces  saints  que  la  grâce  place 
entre  le  ciel  et  la  terre,  et  qu'elle  semble 
donner  pour  maître  aux  maîtres  mêmes  du 
monde  :  un  de  ces  astres  qui  diffère  des  au- 
tres astres,  selon  l'expression  de  saint  Paul: 
Stella  a  Stella  differt  (I  Cor.,  XV)  :  je  veux  dire 
un  saint  distingué,  que  Dieu  conduit  dans  des 
routes  mystérieuses  ;  il  étonne  les  mondains, 
il  consolé  les  justes.  Si  la  sévérité  de  l'Evan- 
gile n'était  pas  si  étrangère  aux  premiers, 
François  qui  a  paru  pour  la  justifier,  ne  les 
aurait  pas  étonnés  ;  si  les  seconds  n'en 
étaient  pas  persuadés  ils  ne  l'auraient  pas 
respecté. 

11  y  a  une  sorte  de  sainteté  qui  ne  sur- 
prend point  les  hommes,  et  il  y  en  a  une 
qui  les  jette  dans  l'étonnement.  L'écriture 
nous  apprend  les  caractères  de  cette  sain- 
teté extraordinaire  qui  forme  l'homme  de 
prodige. 

Je  cherche,  dit  l'Esnrit-Saint,  un  homme 
distingué  des  autres  nommes;  un  homme 
rare  dans  le  monde,  capable  de  fixer  les  re- 

fards  de  tous  les  humains,  et  digne  de  leurs 
loges.  Le  monde  mettra  aussitôt  sur  la  scène 
ses  savants,  ses  politiques,  ses  conquérants, 
ses  législateurs  qui  semblent  régler  les  des- 
tinées des  autres  hommes.  Ce  sont  là  les 
héros  du  monde  :  mais  voici  le  héros  que  le 
Sage  cherchait  il  y  a  tant  de  siècles. 

Celui  que  l'éclat  des  richesses  n'a  pas 
ébloui,  qui  a  été  insensible  aux  trompeurs  ap- 
pâts de  l'opulence,  et  qui  a  détaché  son  cœur 
des  fragiles  trésors  de  la  terre,  quipostaurum 
non  abiil  (Eccli.,  XXXI)  :  celui  que  la  pom- 
peuse et  séduisante  décoration  du  monde  n'a 
pu  toucher  ni  amollir,  qui  a  détourné  ses  yeux 
des  vanités  du  siècle,  et  immolé  son  faste 
insensé  à  la  sainteté  de  la  religion  :  qui  non 
respexit  in  vanitates  et  insanias  falsas  (Psal. 
XXXIX)  ;  celui  qui  a  pu  goûter  les  douceurs 


du  péché,  et  qui  a  fixé  volontairement  ses 
pas  dans  les  sentiers  austères  dé  là  vertu; 
qui  potuit  facere  mala,  et  non  fecit  (Eccli., 
XXXI)  :  vo:là  le  héros  que  le  Sage  cherchait 
dès  que  les  hommes  se  furent  multipliés  ; 
voilà  l'homme  de  prodige;  sa  vie,  opposée  à 
celle  des  mondains,  est  une  merveille  qui 
étonne  et  surprend  :  fecit  mirabilia  in  vila 
sua.  (Ibicl.) 

Or,  Messieurs,  selon  le  Saint-Esprit,  deux 
choses,  comme  vous  le  voyez,  forment 
l'homme  de  prodige  :  le  détachement  des 
richesses  et  le  détachement  des  plaisirs;  la 
pauvreté  et  la  pénitence. 

Deux  grands  traits  qui  caractérisent  aussi 
l'incomparable  François  d'Assise,  dont  j'en- 
treprends aujourd'hui  l'éloge. 

Les  grands  du  siècle,  que  la  pauvreté  ré- 
volte et  que  la  pénitence  effraye,  furent  les 
premiers  admirateurs  (Je  François;  pauvre, 
en  habit  de  pénitent,  le  crucifix  a  la  main, 
il  est  reçu  en  triomphe  dans  foutes  les  villes 
de  l'Italie;  le  souverain  pontife  le  révère,  la 
pourpre  romaine  s'abaisse  devant  lui ,  les 
rois  ont  plus  de  confiance  dans  ses  prières 
que  dans  la  valeur  de  leurs  capitaines  ;  sous 
la  tente  même  d'un  prince  barbare  accou- 
tumé au  meurtre,  il  trouve  des  admirateurs 
et  des  couronnes  :  il  est  le  prodige  qui  oc- 
cupe l'Italie,  l'Europe,  le  florissant  empire 
de  Mahomet,  l'univers  entier.  Que  de  titres 
augustes,  Messieurs,  rassemblés  dans  Fran- 
çois 1  Instituteur  d'un  ordre  distingué  dans 
l'Eglise,  arbitre  de  la  nature,  qui  obéit  à  son 
gré,  prophète  des  plus  grands  événements 
de  l'Italie,  destiné  par  un  martyre  miracu- 
leux à  montrer  au  monde  une  fidèle  copie 
de  Jésus  crucifié.  N'êtes -vous  pas  éton- 
nés de  tous  les  grands  traits  que  l'histoire 
fidèle  me  fournit?  J'appréhende,  Messieurs, 
de  ne  point  répondre  à  ce  que  vous  attendez 
de  moi  :  je  vais  vous  représenter  François 
d'Assise  comme  disciple  de  la  crèche,  et 
comme  disciple  du  Calvaire:  les  caractères 
de  sa  pauvreté;  les  caractères  de  sa  péni- 
tence. Partout  vous  verrez  l'homme  de  pro- 
dige, parce  que  partout  vous  verrez  l'homme 
de  sainteté  ,  tanquam  prodigium  factus  sum 
multis.  Demandons, etc.,  Ave,  Maria. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

Le  treizième  siècle  vit  naître  le  prodige 
de  sainteté  dont  je  commence  l'éloge  ;  il  vit 
cet  homme  rare  et  précieux  que  Dieu  sus- 
cita parmi  son  peuple,  pour  retracer  aux 
yeux  des  mortels  l'image  du  Sauveur  nais- 
sant dans  la  crèche ,  et  expirant  sur  le  Cal- 
vaire. 

Un  saint  si  privilégié  devait  avoir  un  pro- 
phète; des  événements  singuliers  devaient 
annoncer  François  d'Assise,  non-seulement 
à  l'Italie,  mais  encore  à  toute  l'Eglise  ;  et 
c'est,  Messieurs,  ce  qui  arriva.  Que  de  mer- 
veilles annoncent  sa  grandeur  future  1  Déjà 
paraissent  les  grands  traits  qui  doivent  le 
caractériser  dans  la  suite  ;  je  veux  dire  la 
crèche  et  le  Calvaire. 

Passez,  mère  désolée,  sous  les  tristes  dé- 
bris d'une  étable  ruinée,  si  vous  voulez  met- 


PANEGYRIQUES.  -  PANEG.  IV,  SAINT  FRANÇOIS  D'ASSISE 


73 

tre  au  mon  le  le  patriarche  des  pauvres  ;  et 
vous,  autre  Siméon,  ange  ou  mortel,  qui  que 
vous  soyez,  saisissez-vous  de  cet  enfant, 
gravez  sur  sa  chair  innocente  la  croix,  du 
Sauveur;  mais  je  parle  déjà  du  disciple  du 
Calvare,  j'oublie  que  je  dois  commencer  par 
le  disciple  de  la  crèche  et  les  caractères  de 
sa  pauvreté',  les  voici  :  elle  fut  sainte,  opu- 
lente, glorieuse. 

Voilà  ce  qui  le  fit  regarder  dans  le  monde 
comme  un  prodige  :  Tanquam  prodigium 
factus  sum  multis.  (Psal.  LXX.  ) 

Ce  n'est  point  la  pauvreté  en  elle-même 
qui  fait  les  saints,  comme  ce  ne  sont  point 
les  richesses  qui  font  les  réprouvés.  Je 
trouve  dans  les  derniers  rangs  du  peuple 
des  hommes  orgueilleux  et  impies,  et  je 
vois  avec  plaisir,  dans  les  cours  les  plus 
brillantes,  des  maîtres  humbles  et  chrétiens  ; 
je  vois  les  vices  des  grands  passer  chez  les 
petits,  et  les  vices  des  petits  passer  chez  les 
grands.  La  pauvreté  n'est  pas  sainte  par 
elle-même,  c'est  l'homme  qui,  par  le  se- 
cours du  ciel,  la  sanctifie,  et  saint  Grégoire 
m'apprend  qu'on  trouve  dans  les  richesses 
de  grandes  ressources  pour  le  salut,  comme 
on  y  trouve  de  grands  obstacles  :  Sicut  sunt 
impedimenta,  ita  et  udjumenta. 

J'aime  à  voir  les  Abraham  se  sanctifier 
dans  l'opulence,  les  David,  les  Louis  dans 
l'é.  lat  du  trône,  les  Josué  dans  la  dissipa- 
ton  des  armes  et  un  enchaînement  de  vic- 
toires, les  Esther  sous  une  brillante  couronne, 
et  à  la'tête  d'un  florissant  empire.  Ce  n'est 
donc  pas  simplement  à  la  pauvreté  que  je 
v'ens  donner  aujourd'hui  des  éloges  et  éri- 
ger des  trophées ,  mais  à  la  sainteté  de  la 
pauvreté,  à  celle  de  François  d'Assise,  qui 
fut  volontaire,  humble,  édifiante,  qui  en  fit 
dans  la  religion  un  homme  de  prodige  : 
Tanquam  prodigium  factus  sum  multis. 

Pauvreté  volontaire;  en  voici  l'époque. 

Déjà  je  le  vois  aux  pieds  de  l'évêque  d'As- 
sise; là,  en  présence  d'un  père  qui  l'accuse 
de  dissipation,  dans  un  cercle  de  mortels 
qui  ignorent  les  mystères  de  la  crèche,  à  la 
face  du  ciel  et  de  la  terre,  sous  les  yeux  des 
saints  anges,  il  l'ait  un  vœu  solennel  de  pau- 
vreté, renonce  à  toutes  les  flatteuses  espé- 
rances du  siècle,  signe  avec  une  fermeté 
héroïque  l'acte  authentique  qui  le  dépouille 
de  tous  ses  biens,  et  rend  à  son  père  jus- 
qu'au seul  vêtement  qui  le  couvre,  content 
d'un  manteau  qu'il  reçoit  de  la  main  du 
pontife,  et  sur  lequel  il  trace  la  croix  du 
Sauveur  ;  alors,  dit-il  avec  un  saint  transport 
de  joie,  j'ai  rompu  heureusement  tous  ces 
liens  flatteurs  qui  attachent  les  hommes  si 
fortement  à  la  terre  ;  je  suis  libre,  le  Sei- 
gneur me  servira  de  tout  ;  j'espère  avec  d'au- 
tant plus  de  confiance  les  biens  spirituels, 
que  j'ai  renoncé  généreusement  à  tous  les 
biens  terrestres;  je  n'ai  plus  de  père  sur  la 
terre,  mais  j'en  ai  un  dans  le  ciel,  je  lui  sa- 
crifie mes  espérances,  il  me  prodiguera  ses 
grâces  :  Pater,  qui  es  in  cœlis.  (Matth.  ,  VI.) 

Messieurs,  le  mondain,  après  les  plus 
grands  succès ,  soit  dans  les  armes,  soit  à  la 
cour,  soit  dans  les  arts,  soit  dans  les  plai- 

OïUTEURS  SACHES.    L. 


71 

sirs,  n'est  pas ,  vous  le  savez,  si  content,  si 
satisfait  que  notre  vénérable  mendiant. 

Pauvreté  volontaire: Représentez- vous,  si 
vous  le  pouvez,  cette  ;cène  édifiante  que 
François  va  représenter  <:ans  le  monde  ; 
l  our  cela,  transportez-vous  en  esprit  dans 
le  centre  des  grandeurs  aussi  bien  que  de 
la  religion.  On  voit  arriver  à  ilome,  de  tou- 
tes parts,  des  étrangers,  on  y  voit  arriver 
aussi  François  d'Assise;  ils  viennent  bri- 
guer des  dignités  ecclésiastiques,  des  em- 
plois importants;  il  vient  briguer  Ja  ]  au- 
vreté;  ils  demandent  des  grâces  pour  accu- 
muler leurs  richesses  ou  les  conserver  pai- 
siblement ;  il  demande  la  permission  de  ne 
rien  possé  1er.  Messieurs,  François,  à  la  cour 
de  Home,  avec  le  plan  qu'il  s'est  tracé,  et  lo 
choix  qu'il  fait  de  la  pauvreté,  n'est-il  pas 
véritablement  un  homme  extraordinaire? 
Oui,  Messieurs,  il  étonne  les  mondains,  k-s 
grands  et  les  petits,  les  cardinaux,  et  le  sou- 
verain pontife  même  :  Tanquam  prodigium 
factus  sum  multis. 

Pauvreté  volontaire  :  Les  fortunes  les  plus 
brillantes  lui  ont  été  offertes  plusieurs  fois, 
et  plusieurs  fois  il  les  a  refusées.  En  Italie, 
en  France,  on  l'a  sollicité  d'accepter  des 
sommes  considérables  pour  les  besoins  de 
son  ordre  naissant,  et  il  n'a  pas  même  voulu 
en  être  l'économe.  Vantez,  tant  qu'il  vous 
plaira,  Messieurs,  ces  fameux  contempteurs 
des  richesses  ,  François  d'Assise  est  plus 
grand  que  ces  [.retendus  héros. 

Chérir  la  pauvreté  dans  laquelle  on  est 
né,  ne  point  s'alarmer  sur  l'avenir,  se  faire 
même  un  honneur  d'être  simple  et  négligé: 
vertu  de  philosophe. 

Aller  jusqu'à  mépriser  les  richesses,  s'en 
dépouiller,  parce  qu'elles  embarrassent  ou 
pour  être  admiré  des  hommes,  faire  le  con- 
templatif, s'appliquer  aux  connaissances  les 
plus  curieuses,  se  distinguer  du  reste  des 
mortels  ;  voilà  la  prétendue  perfection  de 
certains  sages  de  Ja  Grèce. 

Prodiguer  des  éloges  à  la  simplicité,  con- 
damner les  dépenses  superflues,  et  les  amas 
d'or  et  d'argent,  donner  même  des  lois  pour 
empêcher  les  citoyens  de  thésauriser;  voilà 
jusqu'où  s'étendit  la  plus  fine  politique  des 
Romains;  choisir  la  pauvreté  dans  un  temps 
qu'elle  est  méprisée,  tournée  même  en  ridi- 
cule, la  choisir  par  vertu,  pour  imiter  Jé- 
sus-Christ pauvre,  pour  être  un  fidèle  dis- 
ciple de  la  crèche;  voilà  jusqu'où  François 
d'Assise  porta  l'héroïsme  de  la  pauvreté.  îl 
était  nécessaire  dans  son  siècle,  pour  servir 
d'exemple  aux  hommes  après  Jésus-Christ; 
la  pauvreté  de  la  crèche  n'ava't  presque  plus 
de  disciples,  c'est  pourquoi  la  pauvreté  de 
François  étonna  son  siècle;  il  parut  un 
homme  extraordinaire  :  Tanquam  prodigium 
factus  sum  multis. 

Pauvreté  humble;  en  voici  deux  traits, 
Messieurs  : 

Cet  homme  de  sainteté  et  de  miracles  re- 
fuse l'honneur  du  sacerdoce;  bien  éloigné 
de  ces  téméraires  qui  s'imaginent  que  l'ar- 
che va  tomber  s'ils  ne  la  soutiennent,  et  qui 
semblent  ne  choisir  l'état  ecclésiastique  que 

3 


75 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


70 


pour  sortir  de  l'obscurité  et  de  l'indigence 
de  leur  famille.  11  avait  toutes  les  vertus  que 
les  conciles  d'après  l'Apôtre  demandent,  et 
qui  manquent  presque  toujours  à  ceux  qui 
s'ingèrent  sans  vocation  dans  un  état  si 
saint. 

Une  pureté  angélique  :  l'innocence  de  son 
baptême  était  ornée  des  victoires  qu'il  avait 
remportées  sur  ses  sens  ;  il  avait  attaché  le 
démon  vaincu  à  son  char,  autant  de  fois 
qu'il  lui  avait  livré  des  combats.  De  la  science: 
les  plus  grands  personnages  ont  aperçu  à 
travers  les  voiles  de  son  humilité,  ces  lu- 
mières et  ces  connaissances  qui  forment  la 
science  des  saints;  et  le  rang  qu'il  tient 
parmi  les  auteurs  ecclésiastiques,  suffit  seul 
pour  le  venger  du  mépris  affecté  de  ces  sa- 
vants orgueilleux  qui  rougissent,  de  la  sim- 
plicité chrétienne.  Du  zèle  :  l'Italie  n'est 
pas  un  théâtre  assez  vaste  pour  ses  prédica- 
tions, il  pénètre  jusque  dans  l'empire  de 
Mahomet,  pour  y  prêcher  Jésus  attaché  à  la 
croix.  L'approbation  des  fidèles  :  l'univers 
entier  l'admire  et  lui  rend  des  hommages  ; 
et  si  l'estime  des  hérétiques  pouvait  flatter 
les  catholiques,  François  pouvait  se  glori- 
lier  de  les  avoir  pour  admirateurs.  Cepen- 
dant, semblable  à  ces  séraphins  qui  se  cou- 
vrent de  leurs  ailes,  et  n'osent  regarder  le 
Dieu  très-saint,  il  craint  de  monter  à  l'au- 
tel, et  reste  dans  le  rang  inférieur  des  lé- 
vites. 

Autre  trait  d'humilité  :  des  auditeurs  dé- 
licats, qui  se  piquent  de  bel  esprit,  de  beaux 
sentiments,  s'en  scandaliseront  peut-être. 

François  se  fait  traîner  dans  les  rues  d'As- 
sise comme  un  pécheur,  il  parait  la  corde  au 
cou  dans  le  lieu  patibulaire ,  il  crie  qu'il 
mérite  les  supplices  destinés  aux  criminels. 
Ici,  Messieurs,  François  vous  paraît  un  pro- 
dige aussi  bien  qu'à  moi  ;  à  vous  qui  êtes 
les  sages  du  monde,  il  vous  paraît  un  pro- 
dige de  folie  ;  et  à  moi,  qui  ai  appris  de 
saint  Paul  à  honorer  la  sainte  folie  de  la 
croix,  il  me  paraît  un  prodige  de  sagesse. 
Je  révère  ses  abaissements;  il  me  paraît  sur 
ce  théâtre  de  honte  pour  les  autres,  comme 
sur  un  théâtre  de  gloire;  ce  sont  là  de  ces 
routes  mystérieuses  que  la  sagesse  du  monde 
ignore. 

Loin  d'ici  ces  pauvres  orgueilleux  que 
le  Seigneur  déteste;  pauvres  superbes,  qui 
rougissent  de  porter  les  livrées  de  Jésus- 
Christ;  qui  s'efforcent  de  relever  avec  une 
main  audacieuse  la  fortune  que  la  main  du 
Très-Haut  a  renversée  ;  pauvres  superbes, 
qui  portent  jusque  dans  les  retraites  les 
plus  saintes,  la  hauteur  du  siècle;  qui  dis- 
putent dans  ces  asiles  sacrés,  du  lustre  et  du 
rang  de  leur  famille,  et  qui  sous  la  hairc  et 
le  ciliée,  comme  parle  saint  Jérôme,  aiment 
à  faire  sentir  ce  qu'ils  ont  été  dans  le  siècle, 
et  veulent  qu'on  considère  les  noms  et  les 
biens  auxquels  ils  ont  renoncé  solennelle- 
ment. 

Paraissez  ici,  humilité  de  François,  pour 
confondre  cet  orgueil.  Qu'on  s'étonne  tant 
qu'on  voudra  de  vos  abaissements,  je  vous 


ai  annoncé  au  monde  comme  un  prodige  : 
2'anquam  prodif/ium  factus  sum  mullis. 

Pauvreté  de  François,  pauvreté  édifiante; 
il  porta  toutes  les  vertus  de  l'Evangile  jus- 
qu'à l'héroïsme. 

Parfait  contemplatif,  il  s'enfonce  dans  les 
déserts,  se  cache  dans  les  antres  et  les  grot- 
tes sauvages;  il  paraît  clans  les.  rochers,  il 
n'y  grave  point  ses  ennuis  et  ses  chagrins, 
dans  ces  terres  incultes  et  ces  routes  écartées , 
comme  ces  solitaires  remplis  de  l'esprit  du 
monde.  Souvent  dans  des  extases  et  des  ra- 
vissements, Dieu  seul  lui  parle;  et  qui 
peut  raconter  ces  communications  intimes? 

Homme  de  miséricorde ,  il  va  chercher 
les  membres  de  Jésus-Christ  souffrant  dans 
les  hôpitaux;  c'est  dans  ces  retraites  des  mi- 
sères publiques,  où  l'on  voit  rassemblées 
toutes  les  douleurs  et  toutes  les  plaies  dont 
Dieu  frappe  notre  chair  mortelle,  ou  languis- 
sent des  années  entières  des  misérables  qui 
voient  comme  Job  leur  chair  tomber  par  lam- 
beaux, avec  les  vers  et  la  pourriture,  où  on 
ne  respire  que  l'infection,  et  où  on  ne  voit 
de  tous  côtés  que  les  images  effrayantes  de 
la  mort  ;  c'est  là  que  François  se  dissipe ,  se 
délasse  et  goûte  des  délices. 

Catholique  soumis,  l'obéissance  au  pape 
est  un  point  de  sa  règle,  les  ennemis  du 
saint  siège  n'osaient  paraître  devant  lui,  dit 
l'historien  de  sa  vie  :  Nec  audebant  hwretici 
apparere.  Eviter  les  nouveautés  en  matière 
de  religion,  se  tenir  en  garde  contre  les  arti- 
fices des  hérétiques;  rejeter  toute  doctrine 
qui  n'est  pas  approuvée  par  l'Eglise,  fût-elle 
l'ouvrage  des  plus  grands  hommes?  eût-elle 
des  anges  pour  apôtres  et  pour  défenseurs? 
y  reconnût-on  la  science  la  plus  profonde  et 
les  vertus  les  plus  austères?  c'est  ce  qu'il 
recommande  à  ses  enfants  avant  de  mourir, 
comme  saint  Augustin  l'avait  recommandé  à 
lui-même  à  tous  les  fidèles. 

Disciple  de  la  perfection  de  l'Evangile ,  il 
le  suit  à  la  lettre,  et  nous  pouvons  dire  que 
c'est  à  la  honte  du  christianisme  qu'on  en- 
tend de  nos  jours  tant  de  piquantes  raille- 
ries et  de  fades  conversations  sur  la  pau- 
vreté universelle  et  l'habit  de  pénitence  de 
François.  11  est  étonnant  que  ce  qui  a  fait  la 
gloire  des  apôtres  et  de  la  religion  fasse, 
selon  de  prétendus  beaux  esprits  de  nos 
jours,  le  ridicule  de  ses  enfants.  Si  une  cri- 
tique accoutumée  à  censurer  témérairement 
la  religion  même,  n'était  pas  aujourd'hui  si 
llattée  et  si  honorée,  on  respecterait  une  pau- 
vreté sainte,  une  pauvreté  opulente,  et  Fran- 
çois serait  pour  notre  siècle,  aussi  bien  que 
pour  le  sien,  un  prodige  de  sainteté  :  Tan- 
quam  prodigium  factus  sum  multis. 

Que  peut  faire,  Messieurs,  l'homme  de  ri- 
chesse? Le  voici.  S'il  est  mondain,  son  opu- 
lence lui  servira  à  nourrir  une  foule  de  do- 
mestiques pour  servir  à  son  faste,  et  quelque- 
fois à  ses  passions  ;  à  élever  de  somptueux 
édifices  ou  plutôt  des  palais  à  la  mollesse  ;  à 
fournir  aux  dépenses  excessives  d'une  table 
exquise,  d'un  jeu  ruineux ,  d'une  magnifi- 
cence outrée  ;  à  des  ambitieuses  alliances, 
dont  l'homme  de  naissance  se  moque,  et  dont 


77 


PANEGYRIQUES.  —  PANEG. 


l'homme  de  richesse  est  souvent  la  dupe  ;  s'il 
a  de  la  piété,  son  opulence  lui  servira  à 
nourrir  les  pauvres,  élever  des  temples  au 
Seigneur,  fonder  de  pieux  établissements. 
Or,  Messieurs,  voici  le  prodige  :  ce  que 
l'homme  de  richesse,  qui  a  de  la  religion  l'ait 
et  tout  ce  qu'il  peut  faire  de  plus  grand 
et  de  plus  immense,  François  d'Assise,  cet 
homme  de  pauvreté,  l'entreprend,  le  fait  avec 
succès,  et  surpasse  jnême  ce  que  pourrait 
faire  l'opulence  des  riches  du  siècle.  11  n'a 
rien  et  il  fait  tout:  voilà,  encore  un  coup,  le 
prodige,  une  pauvreté  opulente;  voilà  la 
merveille  des  hommes  apostoliques,  comme 
parle  saint  Paul  :  n'avoir  rien  et  posséder 
tout  :  Nihil  habente»,  et  omnia  possidentcs. 
(II  Cor.,  VI.)  Venons  à  des  faits. 

Pauvreté  opulente,  puisque  touché  de  tou- 
tes les  misères  publiques,  il  trouva  le  moyen 
de  les  soulager  toutes.  Au  nom  de  François, 
à  la  recommandation  de  François  les  pau- 
vres sont  secourus;  il  est  leur  patriarche  et 
leur  père. 

Parlerai-je  du  temple  de  saint  Damien? 
Depuis  longtemps  François  répandait  des 
larmes  amères  sur  les  ruines  de  la  maison 
du  Seigneur;  il  ne  voyait  qu'avec  douleur 
linsensibililé  des  riches.  «  Hélas!  disait-il, 
avec  l'amertume  du  prophète  Jérémie,  les 
portes  du  saint  temple  sont  brisées ,  les 
pierres  du  sanctuaire  sont  dispersées  et  tout 
le  monde  est  dans  le  silence.  »  On  va  jusqu'à 
la  prodigalité  lorsqu'il  s'agit  des  plaisirs, 
des  parures ,  du  luxe ,  et  on  parle  d'économie 
lorsqu'il  s'agit  d'élever  un  sanctuaire  à  l'E- 
ternel. Encouragé  par  une  voix  céleste,  son 
coeur  s'enflamme,  son  zèle  s'anime  :  déjà  je 
vois  son  corps  innocent  plier  sous  la  pierre 
et  le  bois  qu'il  porte,  les  pierres  s'arrangent, 
l'édifice  s'élève  :  c'est  un  prodige. 

Oui,  Messieurs,  Dieu  qui  avait  choisi  Fran- 
çois préférablement  aux  riches  du  siècle,  qui 
lui  avait  intimé  ses  ordres  pour  ce  grand  ou- 
vrage, travaille  avec  lui.  Tous  les  habitants 
d'Assise  sont  étonnés;  voyez,  disaient-ils,  ce 
que  le  pauvre  François  a  fait,  sa  pauvreté 
obscurcit  notre  opulence  ;  ils  s'animent,  et  à 
l'exemple  du  saint,  on  voit  en  peu  de  temps 
paraître  trois  nouvelles  églises  dans  la  ville 
d'Assise. 

Voici,  Messieurs,  un  trait  qui  ne  vous 
étonnera  pas  moins:  cet  homme  de  pauvreté 
exécute  des  projets  que  l'homme  de  richesse 
n'oserait  seulement  pas  former.  Quelle  dif- 
férence entre  les  sociétés  que  les  hommes 
établissent  pour  servir  à  leur  gloire  ou  à 
leur  intérêt,  et  celles  que  Dieu  suscite  pour 
l'embellissement  de  son  Eglise! 

Quand  les  hommes  entreprennent  de  gran- 
des choses  séparément  de  Dieu,  il  leur  faut 
de  grands  génies,  des  esprits  délicats,  pé- 
nétrants, des  hommes  habiles  dans  le  manie- 
ment des  affaires,  de  grands  politiques,  ca- 
pables de  se  replier  et  de  se  conformer  aux 
temps,  aux  circonstances,  et  avec  cela  de 
l'autorité  et  des  richesses.  Car  qui  ne  sait 
que  ces  différentes  sectes  et  ces  différentes 
sociétés,  qui  désolèrent  l'Eglise  dans  l'Orient 
et  dans  l'Occident ,  l'arianisme  ,  le  pélagïa- 


IV,  SAINT  FRANÇOIS  D  ASSISE.  78 

nisme,  le  luthéranisme,  le  calvinisme,  n'au- 
raient pas  fait  de  si  grands  progrès  si  leurs 
chefs  n'avaient  [sas  eu  plus  de  richesses,  d'auto- 
rité et  de  politique  que  François  d'Assise? 
Ce  sont  les  beautés  séduisantes  de  leurs 
écrits  qui  ont  ébloui  les  peuples;  ce  sont  les 
souterrains  de  leur  politique,  qui  ont  gagné 
certaines  puissances;  ce  sont  leurs  subtiles 
interprétations  des  Ecritures  qui  ont  calmé 
les  alarmes  de  certaines  personnes,  à  la  vue 
d'un  schisme  près  d'éclater.  C'est  en  donnant 
de  fausses  idées  de  la  souveraine  autorité  de 
l'Eglise  qu'ils  ont  grossi  leurs  troupeaux  ; 
c'est  en  distribuant  de  l'argent  ou  en  prodi- 
guant des  éloges  qu'ils  ont  retenu  tant  do 
savants  dans  leur  parti. 

C'est  par  ces  différents  ressorts  que  se  sont 
soutenues  ces  sociétés  qui  ont  troublé  tant 
d'empires,  qui  ont  agité  toute  la  terre,  parce 
qu'ils  ne  pouvaient  pas  la  corrompre;  mais  ces 
sociétés  ont  reçu  des  coups  mortels  :  les  con- 
ciles, ces  majestueuses  assemblées,  les  ont 
proscrites,  le  zèle  des  princes  les  a  dissipées, 
et  si  elles  voulaient  se  reproduire  sous  une 
forme  plus  flatteuse,  elles  auraient  le  même 
sort  :  Jésus-Christ  l'a  promis.  Or,  quelle 
différence  entre  l'ordre  que  saint  François 
établit,  sans  tous  ces  ressorts  de  [apolitique, 
d'une  vaine  érudition ,  des  richesses,  sans 
autre  trésor  que  la  pauvreté!  Avec  la  sim- 
plicité de  l'Evangile  et  la  soumission  au  saint 
siège,  je  vois  un  ordre  qui  fleurit  et  sub- 
siste avec  honneur  depuis  plusieurs  siècles. 

D'abord,  je  vois  François  environné  d'hom- 
mes apostoliques,  je  vois  ces  pauvres  qui 
doivent  parcourir  l'univers,  peupler  l'Eu- 
rope, l'Asie,  l'Afrique,  fouler  aux  pieds  l'o- 
pulence des  riches,  terrasser  les  hérétiques, 
consoler  l'Eglise  et  édifier  les  peuples  ;  je 
vois  ces  nouveaux  disciples  de  la  crèche  et 
du  Calvaire  aux  pieds  du  souverain  pontife, 
d'Innocent  III,  pour  se  mettre  sous  sa  protec- 
tion et  sous  son  obéissance. 

En  vain  l'enfer  gémit  à  la  vue  de  ces  ou- 
vriers évangéliques,  et  s'efl'orce-t-il  de  retar- 
der leur  établissement.  Us  sont  honorés 
d'une  ample  mission  par  le  chef  de  l'Eglise, 
comme  les  Joseph  et  les  Mardoçhée;  le  pape 
voit  en  songe  la  grandeur  future  et  toute  la 
beauté  de  l'ordre  de  François;  il  voit  croître 
à  ses  pieds  une  palme  qui  devient  un  grand 
arbre;  il  voit  le  fameux  temple  de  Latran 
penché,  prêt  à  tomber,  et  retenu  seulement 
par  le  pauvre  François.  Alors  il  reconnaît  les 
secours  que  Dieu  prépare  à  son  Eglise,  et 
confirme  une  règle  dont  presque  tout  le 
plan  est  tracé  par  Jésus-Christ  dans  l'Evan- 
gile. 

Mais  voici,  Messieurs,  la  suite  des  prodi- 
ges de  celte  pauvreté  opulente.  Ces  hommes 
apostoliques  se  multiplient.  Avant  la  mort 
de  leur  patriarche,  j'en  compte  des  milliers; 
je  vois  des  monastères  s'élever  dans  toutes 
les  villes,  les  provinces,  les  royaumes;  chez 
l'infidèle  commechez  le  chrétien,  sans  autre 
ressource  que  la  pauvreté.  Depuis  plus  de 
cinq  cents  ans  la  Providence  soutient  tous  ces 
établissements. 

Je  vois  tous  les  jours  des  familles  opulen- 


7!) 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


80 


tes  tomber  dans  l'indigence:  les  fortunes  les 
plus  riantes  sont  échouées  sous  nos  yeux  ;  on 
a  vu  de  florissants  empires  affaiblis,  des  ré- 
volutions étonnantes  chez  nos  voisins.  Dieu 
a  renversé  les  cèdres  du  Liban,  a  ébranlé  les 
plus  grands  trônes  du  monde,  a  tlétri  des  cou- 
ronnes sur  la  tôte  même  des  souverains,  a 
dépouillé  les  riches,  afait  tomber  dans  l'igno- 
minie et  dans  la  poussière  les  puissants  du 
siècle  :  Deposuit  potentes  (Luc,  II),  et  il  a 
soutenu,  fait  prospérer  et  élevé  en  gloire  les 
enfants  de  l'humble  François  :  Et  exaltavit 
humiles.  (Ibid.) 

Jetez  donc,  Messieurs,  les  yeux  sur  cet  or- 
dre distingué  dans  l'Eglise,  qui  subsiste 
avec  autant  d'honneur  que  les  établissements 
les  mieux  dotés;  et  voyez  le  prodige  d'une 
pauvreté  opulente,  d'une  pauvreté  glorieuse  : 
Tanquamprodigium  factus  sum  multis. 

Une  pauvreté  honorée  dans  le  monde,  un 
pauvre  plus  élevé  en  gloire  que  les  grands 
mêmes  du  siècle,  n'est-ce  pas  là,  Messieurs, 
un  prodige  ? 

11  y  a  longtemps  que  le  Saint-Esprit  s'est 
plaint  dans  l'Ecriture  des  rebuts  que  souf- 
frent l'indigent  chez  les  mondains,  et  des 
louanges  outrées   qu'an  donne  aux   riches. 

J'ai  vu  un  pauvre,  dit-il,  qui  parlait  avec 
sagesse,  qui  prononçait  des  oracles;  simple, 
sage,  ami  fidèle,  zélé  citoyen,  et  personne 
ne  l'écoutait  :  on  le  rebutait  chez  les  grands, 
chez  ceux  mêmes  qui  rendent  la  justice  ;  je 
l'ai  vu  languir  à  la  porte  des  juges  :  Locutus 
est  pauper  scnsate,  et  non  est  datus  ei  locus. 
(Eccli.,  XIII.)  J'ai  vu  unriche  qui  ne  parlait 
que  de  ses  domaines,  de  ses  nom  -,  de  sa 
grandeur,  haut,  dissimulé,  sans  talents,  sans 
connaissances,  homme  de  fastes  et  de  plai- 
sirs, et  tout  le  monde  l'applaudissait;  les 
savants  mêmes  lui  prodiguaient  des  éloges  : 
Locutus  est  dives  supcrbrt,  et  extollunt  us  que 
ad  cœlum  verba  ejus.  (Ibid.) 

Or,  Messieurs,  comme  vous  le  voyez,  se- 
lon le  Saint-Esprit,  la  pauvreté  est  généra- 
lement méprisée;  c'est  donc  un  prodige  de 
la  voir  si  éclatante  de  gloire  dans  le  grand 
François  d'Assise.  Pauvre,  illustre  dans  l'E- 
glise par  ses  miracles,  dans  le  monde  par 
les- honneurs  éclatants  que  les  hommes  mêmes 
du  siècle  lui  rendent  ;  dans  l'empire  de  Ma- 
homet où  il  est  révéré  des  ennemis  mêmes 
du  nom  chrétien.  11  fuit  la  gloire  et  la  gloire 
.e  suit  partout.  Ici  toutes  les  obscurités  de 
la  pauvreté  disparaissent;  et  je  puis  opposer 
François  aux  plus  opulents  du  siècle  et  aux 
plus  grands  empereurs  de  la  terre  ;  jugez- 
en,  Messieurs. 

Pauvreté  glorieuse  dans  l'Eglise,  il  a  opéré 
d'éclatants  miracles  ;  l'histoire  fidèle  ne  nous 
assure-t-elle  pas  qu'il  fut  un  homme  de  mi- 
racles aussi  bien  qu'un  homme  de  pauvreté? 
Après  avoir  imité  le  détachement  des  apô- 
tres, il  a  participé  à  leur  puissance.  Il  n'a 
pas  été  moins  humble,  moins  pauvre,  moins 
zélé,  moins  crucifié;  il  n'a  pas  été  non  plus 
moins  puissant;  comme  eux,  les  prodiges 
l'accompagnaient.  Il  a  eu  part  aux  ignomi- 
nies et  à  la  gloire  du  Sauveur.   Devenu  un 


homme  apostolique,  il  a  marché  sur  les  pas 
des  apôtres  ;  sa  route  n'a  pas  été  moins  écla- 
tante. Je  trouve  .dans  l'histoire  de  l'Eglise 
naissante  le  récit  des  miracles  des  apôtres  : 
je  trouve  dans  les  annales  de  son  ordre  le 
récit  de  ses  miracles.  La  foi  m'oblige  de 
croire  les  uns,  la  raison  me  fait  adopter  les 
autres.  C'est  un  historien  fidèle  qui  me  lo 
représente  avec  tous  les  trophées  qu'on  a 
érigés  à  sa  puissance  sur  la  mort,  sur  l'enfer, 
sur  tous  les  éléments;  qui  me  le  dépeint 
aussi  puissant  dans  les  déserts  et  dans  les 
cours  des  souverains,  que  les  prophètes  et 
les  apôtres  ;  qui  m'assure  que  le  pain  s'est 
multiplié  dans  ses  mains,  que  sa  voix  a  brisé 
les  liens  de  la  mort,  mis  en  fuite  les  démons, 
apaisé  les  tempêtes,  tiré  de  l'eau  des  ro- 
chers. Un  historien  fidèle,  catholique,  éclairé, 
soumet  un  esprit  docile  et  raisonnable. 

Cependant,  Messieurs,  je  ne  vous  parlerais 
pas  des  miracles  de  François  d'Assise,  si 
l'Eglise  ne  les  avait  pas  constatés;  malgré 
mon  estime  pour  l'histoire  qui  nous  les  a 
transmis,  j'aurais  gardé  le  silence.  Mais  il 
est  certain  que  la  pauvreté  de  François  a  été 
illustrée  dans  l'Eglise  par  des  miracles 
avoués  et  reconnus.  Vous  dirai-je  aussi  qu'il 
a  été  l'oracle  et  le  prophète  des  plus  grands 
événements  de  l'Italie  ? 

En  vain  l'empereur  Othon,  enflé  d'une 
longue  suite  de  prospérités ,  coule-t-i)  à 
l'ombre  de  ses  lauriers  des  jours  délicieux  ; 
notre  saint  trouble  cette  orgueilleuse  tran- 
quillité, en  lui  annonçant  une  défaite  hon- 
teuse ;  prophétie,  Messieurs,  qui  a  eu  son 
accomplissement.  Othon,  après  s  être  brouillé 
avec  le  saint  siège,  trouva  dans  la  personne 
de  Philippe-Auguste  un  vengeur  qui  arrêta 
le  cours  de  ses  victoires,  humilia  son  or- 
gueil et  vérifia  l'oracle  du  pauvre  François. 

Que  de  gloire,  Messieurs,  pour  un  pau- 
vre !  Quels  miracles  !  mais  aussi  quelle  sain- 
teté 1  Cependant  je  ne  dirai  pas,  en  parlant 
de  François,  quels  miracles!  Mais  je  dirai: 
où  sont  les  obscurités  de  la  pauvreté,  puisque 
je  la  vois  si  glorieuse  dans  l'Eglise  et  dans 
le  monde  ?  Par  quel  prodige  un  pauvre  effa- 
ce-t-;] ,  pour  ainsi  dire  ,  toute  la  gloire 
éblouissante  du  monde  ? 

Et  en  effet,  Messieurs,  vous  dirai-je  que 
les  empereurs,  les  monarques,  les  maîtres 
de  la  terre  ne  sont  pas  reçus  avec  plus  de 
joie,  de  magnificence  et  de  respect,  lorsqu'ils 
entrent  dans  leurs  empires,  leurs  royaume-:, 
leurs  états,  que  François  d'Assise  lorsqu'il 
entre  dans  les  plus  grandes  villes  de  l'Italie? 
Le  clergé,  le  peuple,  rangés  par  ordre, 
sortaient  des  villes  et  des  bourgades  et  ve- 
naient au-devant  du  pauvre  de  Jésus-Christ. 

Vous  dirai-je  que  l'hérétique  même,  si 
haut,  si  fier,  qui  ne  sait  ce  que  c'est  que  de 
céder,  qui  méprise  les  plus  doctes  écrits, 
qui  tourne  en  ridicule  les  plus  savants  pré- 
lats, qui  flétrit  jusqu'aux  ouvrages  des  plus 
grands  papes  et  des  Pères  de  l'Eglise  les 
plus  distingués,  était  saisi,  confondu,  ter- 
rassé  par  la  seule  présence  de  François? 
C'est  ce  (pie  nous  apprend  l'histoire  de  son 


81 


PANEGYRIQUES.  —  PANEG.  iV,  SAINT  FRANÇOIS  D'ASSISE. 


ordre  :  Confundebattir  adscmctiviriprcesen- 
tiam  hwretica  pravilas. 

\g\is  dirai-je  que  les  plus  grands  person- 
nages de  l'Italie  et  de  toute  l'Europe  visi- 
tent avec  respect,  dans  le  désert,  la  cabane 
que  le  saint  avait  hab'tée?  On  va  voir  les  mo- 
narques pour  contempler  une  grandeur  à 
laquelle  on  ne  peut  et  on  n'ose  aspirer  ;  on 
va  voir  la  cabane  de  François,  pour  admirer 
les  traces  d'une  pauvreté  que  Dieu  a  r.endue 
illustre  et  glorieuse. 

Dans  l'absence  des  rois  on  va  voir  leurs 
palais  pour  en  admirer  le  goût,  les  beautés, 
les  richesses,  la  magnificence.  Après  la  mort 
même  de  François  on  va  visiter  les  lieux 
qu'il  a  sanctifiés,  les  cabanes  qu'il  a  habi- 
tées, les  grottes  rustiques,  les  antres  sauva- 
ges où  il  s'est  arrêté  ;  précisément  pour  avoir 
la  consolation  dédire  ce  qu'on  disait  de  saint 
Hilarion  au  rapport  de  saint  Jérôme  :  c'est  là 
où  l'homme  de  Dieu,  le  pauvre  François  se 
retirait,  où  il  priait,  où  il  travaillait,  où  il  a 
opéré  tel  miracle  :  Hic  résider e  solitus  erat. 
Complerai-je  tous  ces  grands  hommes  que 
l'ordre  de  François  a  élevés?  N'entendez-vous 
pas  avec  plaisir  ces  noms  chers  à  l'Eglise, 
aux  plus  célèbres  universités,  à  la  république 
des  lettres?  Combien  l'Eglise  n'en  a-t-elle 
pas  choisis  dans  l'ordre  de  François  pour  gou- 
verner de  grands  diocèses,  les  honorer  de  la 
pourpre  romaine,  les  faire  même  monter  sur 
le  trône  de  Pierre?  Les  Bonaventure,  les  An- 
to;nede  Padoue,  les  Pierre  d'Alcantara,  les 
Louisde  Sicile,  les  Sixte  V,  les  Vading,  les 
Ximénès,  les  Lvra,  les  Scott,  les  Alexandre 
de  Halés,  les  Alphonse  de  Castro  ;  quels 
noms,  Messieurs  1  qu'ils  sont  précieux! 
Quelle  pauvreté  que  celle  qui  donne  à  l'Eglise 
et  au  monde  de  si  grands  hommes! 

Pauvreté  glorieuse  dans  l'empire  de  Maho- 
met ;  si  je  ne  craignais  pas  d'entamer  un  des 
traits  de  ma  seconde  partie,  je  vous  dirais  de 
passer  en  esprit  avec  lui,  de  l'Italie  dans  la 
Syrie  et  dans  l'Egypte.  Vous  le  verriez 
pénétrer  jusque  chez  le  soudan  de  Baby- 
lone;  vous  le  verriez  recevoir  de  ce  prince 
barbare  qui  tient  dans  les  fers  les  héros 
chrétiens,  et  qui  est  chargé  de  leurs  glo- 
rieuses dépouilles,  les  honneurs  les  plus 
distingués.  On  sait  encore  avec  quel  respect 
et  quelte  estime  l'image  de  François  est 
conservée  chez  le  grand  seigneur.  Homme 
singulier,  privilégié  dans  sa  pauvreté,  disci- 
ple de  la  crèche  par  excellence,  il  a  paru 
dans  le  monde  comme  un  prodige;  homme 
singulier,  privilégié  dans  sa  pénitence,  dis- 
ciple du  Calvaire  par  excellence,  vous  ne  le 
verrez  pas  avec  moins  d'étonnement.  Je  vais 
continuer  la  suite  des  prodiges  et  des  mer- 
veilles. Après  vous  avoir  montré  les  carac- 
tères de  sa  pauvreté,  il  me  reste  à  vous  mon- 
trerjes  caractères  rie  sa  pénitence  ;  différents 
faits,  mêmes  sujets  d'admiration  pour  nous  ; 
Tanquam  prodigium  factus  sum  mullis.  C'est 
la  seconde  partie  de  son  éloge. 

SECONDE   PARTIE. 

Après  vous  avoir  montré,  Messieurs,  un 
homme    suscité   de  Dieu  pour  condamner 


par  sa  pauvreté  les  criminelles  attaches  des 
mondains,  je  vais  vous  montrer  ce  même 
homme  suscité  de  Dieu  pour  condamner, 
par  sa  pénitence  l'a  honteuse  mollesse  du 
monde.  Le  disciple  de  la  crèche  est  aussi  le 
disciple  du  Calvaire;  toujours  homme  de 
prodige  et  privilégié,  tous  les  traits  de  sa 
pénitence  sont  merveilleux;  l'Egypte,  la  Pa- 
lestine, la  Thébaïde,  les  déserts  de  Sceté,. 
ces  théâtres  fameux  de  la  religion,  où  brillè- 
rent tant  de  vénérables  solitaires,  où  la 
force  de  Dieu  parut  si  visiblement,  ne  pré- 
sentèrent jamais  des  actions  si  singulières, 
ni  des  austérités  si  privilégiées. 

J'admrre  les  Paul,  les  Antoine,  les  Hila- 
rion; ces  hommes  fameux  qui  ont  fait  l'ad- 
miration des  empereurs  et  de  toute  l'Eglise, 
et  je  n'y  trouve  point  les  caractères  de  la 
pénitence  de  François.  Dans  les  amphithéâ- 
tres et  sur  les  échafauds,  où  brillèrent  les 
glaives  des  tyrans  et  coula  le  sang  de  tant 
de  martyrs,  je  n'y  vois  pas  des  traits  aussi 
glorieux  que  dans  les  souffrances  de  notre 
saint.  Il  est  le  seul  qui  ait  porté  l'amour  du 
Calvaire  où  il  l'a  porté  ;  on  ne  peut  point 
parler  de  la  croix  qu'on  ne  parle  de  Fran- 
çois, ni  le  représenter  sans  l'image  de  Jésus 
crucifié;  jamais  homme  mortel  n'a  eu  tant 
de  traits  de  ressemblance  avec  le  Sauveur. 

Pénitent  et  martyr  sans  tyrans  ni  bour- 
reaux, un  genre  de  souffrance  venu  du  ciel 
le  distingue  et  en  fait  un  homme  de  pro- 
dige, soit  dans  la  pénitence  qu'il  pratique, 
soit  dans  celle  qu'il  désire,  soit  dans  celle 
que  le  ciel  lui  accorde. 

Ecoutez,  je  vous  prie,  avec  un  renouvel- 
lement d'attention  ,  les  caractères  de  cette 
pénitence  merveilleuse. 

Celle  qu'il  pratique  est  continuelle,  celle 
qu'il  désire  est  héroïque  ,  celle  que  le  ciel 
lui  accorde  est  miraculeuse. 

Pouvait-on  le  voir,  Messieurs,  sans  étonne- 
ment?  Tanquam  prodigium  factus  summultis. 

Pourquoi,  lorsque  je  parle  de  la  pénitence 
de  François,  ne  puis-je  pas  faire  entendre 
ma  voix  à  cette  espèce  de  mortels  que  Dieu 
attend  depuis  si  longtemps;  à  ces  hommes 
qui  se  sont  creusé  l'enfer  par  de  criminelles 
douceurs,  et  qui  ne  veulent  point  le  fermer 
par  de  salutaires  amertumes?  Je  parle  de- 
vant un  auditoire  chrétien  et  rempli  de  la 
crainte  du  Seigneur,  et  j'ai  des  choses  à  ra- 
conter capables  de  toucher  les  pécheurs  les 
plus  endurcis. 

Pénitence  de  François,  pénitence  de  pré- 
caution; les  premières  années  de  sa  jeu- 
nesse s'étaient  écoulées  dans  les  soins  tu- 
multueux du  commerce;  un  monde  riant  s'é- 
tait présenté  à  lui,  l'avait  flatté  ;  une  foule 
de  liassions  naissantes  lui  faisaient  regarder 
le  siècle  par  ce  qu'il  a  de  plus  attrayant.  Né 
avec  des  grâces,  un  naturel  doux,  un  esprit 
vif,  des  manières  aisées ,  une  humeur  en- 
jouée, une  fortune  honnête,  il  se  promettait 
beaucoup  du  monde,  et  le  monde  voulait 
aussi  se  l'attacher  ;  son  cœur  s'agrandit,  il 
roule  des  projets  de  fortune,  le  commerce  le 
dégoûte,  la  gloire  des  armes  brille  à  ses 
veux,  il  est  sur  le  point  de  se  déclarer  pour 


87) 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


Si 


elles,  lorsque  la  grâce  le  touche,  et  que  Jé- 
sus attaché  à  la  croix,  fait  la  conquête  de  son 
cœur. 

Que  de  larmes,  Messieurs,  ne  répandit-il 
pas  sur  les  prémices  de  sa  jeunesse,  quoi- 
qu'elle eût  été  très-pure,  qu'il  n'eût  goûté 
que  des  douceurs  permises ,  qu'il  n'eût 
cherché  que  des  établissements  approuvés, 
et  qu'on  le  donnât  ordinairement  pour 
modèle  à  la  jeunesse  la  plus  sage  1  Son  in- 
nocence, échappée  du  naufrage  au  milieu  de 
tant  d'écueils  et  de  précipices  ,  devient  le 
principe  de  tous  ses  soins,  de  tou-'es  ses 
frayeurs  et  de  toute  son  indignation.  11  n'at- 
tend point  qu'il  soit  tomhé  pour  gémir,  qu'il 
ait  péché  pour  faire  pénitence  ;  à  la  moin- 
dre révolte  des  sens,  dès  que  Satan  veut 
l'envelopper  de  ses  nuages  impurs,  je  le 
vois  se  jeter  dans  un  étang  de  glace  dans  les 
plus  grandes  rigueurs  du  froid  ;  je  le  vois 
se  rouler  tout  nu  sur  les  épines',  déchirer 
son  corps,  et  détremper  la  terre  de  son  sang. 
N'est-ce  pas  là,  Messieurs,  craindre  le  pé- 
ché' n'est-ce  pas  là  se  précautionner  con- 
tre la  surprise  du  démon? 

Je  ne  suis  pas  étonné  de  voir  l'innocence 
si  rare  dans  le  monde  ;  de  voir  régner  la  li- 
cence dans  presque  tous  les  états  i  on  ne  se 
précautionne  pas  contre  les  amorces  du  plai- 
sir. Les  spectacles,  les  cercles,  si  attrayants 
par  eux-mêmes  sont  presque  toujours  com- 
posés d'une  jeunesse  vive  et  ardente,  qui  se 
souille  à  l'envi  des  étincelles  voluptueuses. 
Un  saint  atténué  d'austérités,  qui  déchire 
tous  les  jours  sa  chair  par  de  rudes  disci- 
plines, serré  par  la  haire  et  le  cilice,  dont  les 
yeux  sont  creusés  par  l'abondance  des  lar- 
mes qu'il  répand,  le  visage  défiguré  par  les 
mortifications  ;  un  saint  qui  passe  les  nuits 
dans  les  prières,  la  contemplation ,  les  jours 
dans  les  travaux  et  des  voyages  pénibles; 
un  saint  toujours  attachée  la  croix,  qui  la 
porte  toujours  dans  ses  bras  ;  en  un  mot , 
saint  François  est  obligé  de  combattre  con- 
tre les  attaques  de  la  volupté  :  et  des  hom- 
mes oisifs,  sensuels,  exposés  dans  le  grand 
monde,  ne  veulent  point  se  précautionner 
contre  les  amorces  du  péché.  Ah!  ils  péri- 
ront, puisqu'ils  trouvent  le  danger  agréable. 

Pénitence  de  François,  pénitence  de  zèle; 
ses  mortifications,  ses  courses  apostoliques, 
ses  ardentes  (trières  dans  la  chapelle  de  la 
Portiuncule,  ont  pour  principe  et  pour  ter- 
me la  conversion  des  pécheurs. 

Déserts  de  Pérouse,  grottes  rustiques,  an- 
tres sauvages,  rochers  inaccessibles,  pre- 
miers auspices  de  ce  grand  homme;  c'est  à 
vous  à  nous  dire  combien  il  exerçait  de 
saintes  cruautés  sur  son  corps  innocent, 
pour  apaiser  la  colère  du  Seigneur  irrité 
contre  les  pécheurs.  Tout  ce  que  je  sais, 
c'est  que  cette  pénitence  de  zèle  a  passé  chez 
ses  enfants;  ou  pratique  dans  ces  asiles  sa- 
crés des  austérités  pour  ces  aveugles  mon- 
dains qui  courent  à  leur  perte  avec  joie. 

Vous  dirai-je  encore  (pie  le  salut  de  toute 
la  terre  l'occupe?  C'est  pour  cela  qu'il  de- 
mande la  permission  au  souverain  pontife  ; 
elle  est  sans  bornes,  parce  qu'on  est  persuadé 


que  son  zèle  n'en  a  point.  L'Europe,  l'Asie, 
l'Afrique  ,  tous  les  climats  deviennent  le 
théâtre  de  son  zèle;  il  v  envoie  ses  pre- 
miers disciples  ;  il  marche  lui-même  le  cru- 
cifix à  la  main,  parcourt  les  villes  et  les 
bourgades,  prêche  la  pénitence  ;  il  en  porta 
les  livrées,  il  en  pratique  toutes  les  austé- 
rités. Quel  prédicateur,  Messieurs  !  Sa  voix 
frappe  ,  son  exemple  étonne ,  terrasse  les 
plus  obstinés.  C'est  un  autre  Paul  qui  ne 
sait  qu'un  Jésus  crucifié;  mais  qu'on  puise 
de  lumières  et  de  connaissances  au  pied  de 
la  croix,!  Avec  ces  seules  paroles,  faites  péni- 
tence, quittez  le  vice ,  on  se  réveille.  Qui 
prêche  ainsi?  C'est  François  d'Assise,  cet 
nomme  d'austérités,  cet  homme  mort  au 
monde,  crucifié;  sa  pénitence  anime,  le 
luxe  diminue,  les  scandales  cessent ,  les 
liens  du  péché  se  brisent,  la  réforme  s'insi- 
nue dans  presque  toutes  les  familles,  et  il 
s'opère  des  changements  qui  édifient. 

Est-ce,  Messieurs,  parce  qu'on  prêche  au- 
jourd'hui avec  plus  d'éloquence,  d'art,  de 
politesse?  est-ce  parce  que  nous  ne  parais- 
sons pas  dans  les  chaires  chrétiennes  le 
crucifix  à  la  main,  et  un  habit  de  pénitence 
comme  François,  que  vous  ne  vous  conver- 
tissez pas?  Vous  voudriez  le  faire  penser,  mais 
nous  savons  à  quoi  nous  en  tenir.  Vos  cœurs 
sont  trop  épris  des  objets  du  monde  pour 
vous  convertir.  Voici  cependant  une  chose 
qui  m'effraye,  et  qui  doit  certainement  vous 
faire  trembler. 

Vous  ne  vous  convertissez  pas  à  la  voix 
des  prédicateurs  de  l'Evangile,  vous  ne  fai- 
tes pas  pénitence ,  le  prédicateur  ne  vous 
touche  point  assez  ;  il  n'est  pas  assez  édi- 
fiant, assez  pénitent,  dites-vous.  Eh  bien! 
Dieu  vous  prêchera  lui-même,  mais  d'une 
manière  terrible,  dit  saint  Augustin. 

Les  hommes  au  temps  du  déluge  n'ont  pas 
voulu  faire  pénitence  a  la  voix  de  Noé,  Pha- 
raon à  la  voix  de  Moïse  ,  les  Juifs  à  la  voix 
des  prophètes  et  de  Jésus -Christ  même; 
quelle  a  été  la  punition  de  ces  hommes  en- 
durcis? Ecoutez  et  tremblez:  tout  le  genre 
humain,  excepté  huit  personnes,  entraîné 
dans  un  déluge  universel;  tous  les  Egyp- 
tiens ensevelis  dans  les  abîmes  de  la  mer 
Rouge;  des  guerres  sanglantes;  de  longues 
captivités;  quatre  florissants  empires  éteints, 
des  trônes  renversés,  des  pécheurs  enlevés 
dans  l'ardeur  de  la  passion  ;  voilà  la  manière 
terrible,  dit  saint  Augustin,  avec  laquelle 
Dieu  prêche  la  pénitence  quand  il  est  irrité, 
et  qu'on  méprise  les  apôtres  qu'il  envoie  : 
Terribililer  pœnitentiam  prœdicavit. 

Pénitence  de  François,  pénitence  d'imita- 
tion; vous  vous  rappelez  sans  doute  ,  Mes- 
sieurs, ce  carême  entier  qu'il  passa  sans  man- 
ger, à  l'exemple  du  Sauveur;  carême  célèbre, 
merveille  de  pénitence  qui  honore  l'histoire 
de  l'Eglise. 

François,  brûlé  de  l'amour  divin,  forme  le 
dessein  d'imiter  le  Sauveur;  il  quitte  ses 
frères  aux  approches  de  la  quarantaine  ,  il 
s'enfonce  dans  le  désert  de  Pérouse,  pénètre 
dans  une  île  écartée  ;  c'est  là  qu'il  passa  le 
saint  temps  de  carême  dans  ces  jeûnes  divins, 


85 


PANEGYRIQUES.  —  PANEG.  IV 


que  la  grâce  puissante  de  Jésus-Christ  lui 
fit  remplir,  sans  autre  commerce  que  celui 
qu'il  entretenait  avec  le  ciel.  Est-ce  un  mor- 
tel ,  est-ce  un  ange,  Messieurs,  qui  se  pros- 
terne plusieurs  fois  le  jour,  qui  a  les  bras 
en  croix,  qui  est  dans  la  compagnie  des 
bêtes  et  que  le  ciel  admire?  Je  vous  l'ai  an- 
noncé, c'est  un  saint  distingué  que  Dieu 
conduit  dans  des  routes  mystérieuses;  hom- 
me de  prodige  dans  la  pénitence  qu'il  prati- 
que ,  elle  est  continuelle  ;  dans  celle  qu'il 
désire,  elle  est  héroïque.  Nouveau  genre  de 
pénitence  ,  nouveau  sujet  d'admiration  et 
d'élonnement  :  Tanquam  prodigium  factus 
sum  multis. 

Cette  pénitence  dont  je  viens  de  vous  par- 
ler vous  effraye,  Messieurs,  elle  ne  suffit  pas 
à  François,  il  craint  de  ne  point  gagner  le 
ciel  avec  toutes  ses  austérités  :  ce  genre  de 
martyre,  auxquels  les  saints  docteurs  ont 
donné  de  si  magnifiques  éloges,  ne  contente 
pas  ses  désirs  héroïques.  Il  voudrait  répan- 
dre tout  d'un  coup  sur  les  échafauds,  le  sang 
qu'il  répand  goutte  à  goutte  dans  ses  lon- 
gues et  fréquentes  flagellations.  C'est  pour 
cela  qu'il  désire  le  martyre,  qu'il  va  le  cher- 
cher, et  qu'il  fait  tout  ce  qu'il  faut  faire  pour 
l'obtenir. 

Représentez-vous  ces  fameux  guerriers, 
ces  grands  capitaines,  qui  décident  souvent 
par  leur  valeur  des  destinées  d'un  royaume, 
qui  vont  offrir  au  prince  avec  joie  leur  épéa 
et  leur  fortune,  qui  se  hâtent,  pour  ainsi  dire, 
de  répandre  leur  sang  pour  les  intérêts  de 
leur  patrie.  Ils  ne  goûtent  qu'avec  ennui  les 
douceurs  d'une  vie  paisible  et  de  la  plus  ten- 
dre union;  ils  se  regardent  comme  inutiles, 
lorsque  le  prince  les  oublie  dans  le  temps  des 
sièges  et  des  batailles,  et  qu'ils  n'ont  pas  l'oc- 
casion de  prodiguer  leur  vie.  Or,  Messieurs, 
ce  que  ces  héros  de  la  guerre  font  pour  les 
maîtres  du  monde,  François  veut  le  faire  pour 
le  maître  du  ciel  et  de  la  terre.  Ses  vertus 
sont  trop  honorées  dans  toute  l'Italie,  et  sa 
pénitence,  tout  austère  qu'elle  est,  n'est  pas 
assez  héroïque.  Ses  désirs  pour  les  souf- 
frances deviennent  impétueux:  les  images 
qu'il  se  représente  avec  le  plus  de  plaisir, 
sont  les  cachots,  les  amphithéâtres,  les  écha- 
fauds, les  glaives;  les  ambitieux  ne  roulent 
pas  avec  plus  de  satisfaction  les  projets  de 
fortune. 

Je  me  le  représente  serrant  un  crucifix  en- 
tre ses  bras,  et  tenant  au  Sauveur  ce  langage 
tendre  d'un  grand  cardinal,  de  saint  Bona- 
venture,  qui  lui  a  presque  succédé  dans  le 
généralat  :  Sauveur  de  tous  les  hommes,  di- 
sait-il, je  rougis  de  ne  pas  être  attaché  à  la 
croix:  je  ne  puis  plus  vivre  sans  souffrances 
et  sans  persécutions:  non  possumvivere  sine 
vulnere  ;  je  ne  saurais  voir  ce  chef  adorable 
couronné  d'épines,  ce  côté  ouvert,  ces  pieds 
et  ces  mains  pertes,  ce  visage  meurtri,  ce 
corps  étendu  avec  violence,  et  vivre  sans 
croix;  je  veux  souffrir,  parce  que  je  vous 
vois  couvert  de  plaies:  quia  te  video  vulnera- 
tum;  je  n«  trouve  que  des  admirateurs,  et  je 
cherche  des  bourreaux! 

Peut-être,  Messieurs,  direz-vous  que  ce 


,  SAINT  FRANÇOIS  D'ASSISE.  86 

sont  des  désirs  passagers  d'un  cœur  touché, 
attendri  ;  des  projets  formés  au  pied  des 
autels,  dans  le  feu  d'une  dévotion  extraordi- 
naire ;  que  les  directeurs  les  plus  éclairés  e< 
les  [dus  habiles  sont  embarrassés  dans  1a 
conduite  de  ces  sortes  de  spirituels? 

Non,  Messieurs,  ce  sont  des  désirs  réels, 
constants  :  il  désire  le  martyre  et  il  va  le  cher 
cher.  Déjà  je  le  vois  sortir  de  l'Italie,  passer 
les  mers  et  aller,  où,  Messieurs?  Où  il  pré- 
sume mourir  pour  la  foi,  où  il  saitqu'on  per 
sécute  les  chrétiens,  où  sans  miracle  il  ne 
peut  éviter  des  supplices;  en  un  mot,  dans 
l'empire  de  Mahomet,  sous  la  tente  même  de 
Mélédin,soudan  de  Babylone,  enflé  des  vic- 
toires qu'il  venait  de  remporter,  et  du  grand 
nombre  de  chétiens  qu'il  tenait  dans  ses  fers. 
Mais  peut-être  la  terreur  s'emparera-t-elle 
de  lui;  le  verra-t-on  mollir  en  présence  du 
prince  barbare  ;  user  de  politique,  cacher  la 
vérité,  ménager  du  moins  les  ennemis  du 
nom  chrétien.  Non,  Messieurs.  Il  a  désiré  le 
martyre,  il  a  été  le  chercher  où  il  présumait 
le  trouver,  et  il  fait  tout  ce  qu'il  peut  pour 
en  être  honoré. 

Le  crucifix  à  la  main,  il  prêche  le  mystère 
du  Calvaire  sous  la  tente  même  de  Mélédin  : 
il  oppose  la  gloire  de  la  croix  à  la  fausse 
grandeur  du  croissant.  Ce  n'est  pas  assez 
pour  lui  d'insulter  à  la  religion  de  Maho- 
met, il  tourne  en  ridicule  sa  personne,  sa 
prétendue  sainteté,  ses  faux  miracles  et  ses 
extravagantes  prophéties. 

«  Celui  que  vous  voyez  attaché  à  la  croix, 
disait- il  au  Soudan  de  Babylone,  est  le  vrai 
Dieu,  le  Sauveur  de  tous  les  hommes,  dont 
la  haute  sainteté,  la  céleste  doctrine,  et  les 
éclatants  miracles  ont  été  attestés  par  les  Juifs 
mêmes,  et  Mahomet  n'est  qu'un  séducteur, 
un  faux  prophète,  un  impie.  » 

En  fallait-il  davantage,  Messieurs,  pour 
être  honoré  du  martyre,  si  Dieu  n'en  eût  pas 
destiné  un  à  François  d'un  genre  extraordi- 
naire et  miraculeux?  En  effet,  la  fermeté  de 
François,  sa  sainteté,  son  habit  de  pénitence, 
le  mépris  qu'il  fait  des  richesses  qu'on  lui 
offre,  la  mort  qu'il  brave  en  héros  intrépide, 
tout  cela  jette  les  barbares  dans  l'étonnement, 
ils  admirent  un  héroïsme  qui  les  surprend  ; 
ils  conçoivent  de  l'estime  pour  un  homme  si 
extraordinaire;  on  lui  offre  des  richesses  et 
des  honneurs:  François  qui  n'était  venu  que 
pour  le  martyre  les  refuse,  et  voyant  qu'il  ne 
trouvait  que  des  admirateurs  et  des  couron- 
nes où  il  croyait  trouver  des  tyrans  et  des 
supplices,  il  repasse  les  mers,  revient  en 
Italie  pour  se  dédommager  par  de  longues 
austérités  des  tourments  qu'on  lui  épargne. 

Consolez-vous,  François,  le  ciel  va  vous 
accorder  ce  que  les  hommes  vous  refusent. 
Un  genre  de  martyre  miraculeux  va  vous 
élever  au-dessus  du  celui  que  vous  désirez. 
Quelles  merveilles,  Messieurs!  Est-ce  d'un 
mortel  que  je  vais  parler?  Est-ce  d'un  ange? 
C'est  de  François  d'Assise,  qui  va  vous  éton- 
ner plus  que  jamais  par  cette  pénitence  mi- 
raculeuse dont  le  ciel  l'honore,  qui  va  de- 
venir dans  ce  moment,  pour  cet  auditoire,  uu 


t" 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


88 


prodige  digne  de  terminer  tous  les  autres: 
ianquam  prodigium  far  tus  sum  muftis. 

Je  vais  vous  ra  :onter,  Messieurs,  des  mer- 
veilles que  lesiè.-le  de  François  a  vues,  que 
los  plus  gran  Is  personnages  de  l'Eglise  et 
ce  l'Etat  ont  attestées;  un  miracle  examiné, 
publié  par  l'autorité  des  souverains  pontifes, 
mais  que  certains  critiques  ont  attaqué  et 
traité  de  fi:  t;on. 

On  dirait,  à  entendre  certains  esprits  bril- 
lants vantés  par  les  plus  médiocres,  que 
Dieu  ne  saurait  sortir  des  routes  ordinaires. 
Ce  qui  leur  paraît  extraordinaire  est  selon 
eux  impossible,  et  les  faits  les  plus  authen- 
tiques ne  sont  que  de  pieuses  fictions,  quand 
ils  ne  sont  pas  adoptés  au  tribunal  de  leur 
raison.  C'est  ainsi  que  les  glorieux  stig- 
mates dont  Dieu  a  honoré  saint  François,  ont 
été  rejetés  par  cette  académie  de  beaux  es- 
prits; ils  n'ont  pas  rougi  de  se  parer  des 
raisonnements  indécents  du  plus  libre  de 
tous  les  auteurs,  quoiqu'il  soit  le  plus  à  la 
mode:  ce  savant,  mort  les  armes  de  l'im- 
piété à  la  main,  qui  défend,  dans  son  ouvrage 
énorme  de  critique,  toutes  les  sectes  et  que 
toutes  les  sectes  désavouent;  quia  passé  des 
prolestants  chez  les  catholiques,  et  des  catho- 
liques chez  les  protestants,  sans  jamais  avoir 
été  sincèrement  ni  l'un  ni  l'autre;  cet  hom- 
me de  mensonge  qui  passe  pour  l'oracle  de 
la  vérité,  et  qui  est  rempli  de  contradictions; 
cet  homme  flétri  môme  dans  les  plus  fameux 
consistoires  de  la  religion  protestante,  et 
auquel  les  mondains  ont  érigé  tant  de  tro- 
phées; cet  homme  qui,  comme  ces  impies 
dont  parle  le  Prophète,  a  porté  sa  bouche  jus- 
que  dans  le  ciel,  et  aiguisé  sa  langue  sur  la 
terre:  posuerunt  os  suum  in  cœlum,  et  lingua 
eorum  transivit  in  terrain  ;  qui  a  osé  sonder 
les  abîmes  du  Seigneur,  percer  les  ténèbres 
sacrées  qui  l'environnent,  pénétrer  les  mys- 
tères et  les  citer  à  son  tribunal;  qui  a  tenté 
de  faire  tomber  les  saints  dans  l'avilisse- 
ment, sans  épargner  la  Mère  de  Dieu  mê- 
me; qui  blâme  leurs  verlus,  qui  leur  arra- 
che leurs  couronnes,  et  les  met  au  rang  de 
ces  héros  fabuleux  que  l'imagination  échauf- 
fée îles  peuples  a  divinisés  :  cet  homme  qui 
a  déchiré  les  plus  saints  conciles,  calomnié 
les  plus  saints  docteurs,  prodigué  des  élo- 
ges aux  plus  grands  hérésiarques,  insinué 
délicatement  le  socianisme,  le  manichéisme 
et  l'athéisme,  et  dont  le  fameux  ouvrage  se- 
rait certainement  sans  crédit  et  sans  estime, 
s'il  était  sans  obscénités  et  sans  impiétés,  et 
s'il  n'y  avait  point  dans  notre  siècle  des 
mondains  sans  religion;  voilà  le  héros  dont 
on  emprunte  les  traits  que  l'on  lance  avee. 
satisfaction  contre  les  glorieux  stigmates  de* 
saint  François.  Mais  la  sainteté,  le  rang  des 
témoins  qui  les  ont  vus,  l'autorité  de  l'E- 
glise qui  les  a  adoptés,  ont  toujours  dissipé  et 
dissiperont  toujours  les  coups  d'une  orgueil- 
leuse critique. 

Grâce  à  Dieu,  je  parle  dans  un  auditoire 
ju  iicieuxet  chrétien,  etees seules  réflexions 
suffisent  pour  le  précautionner  contre  les 
railleries  des  libertins. 

!'  a  uinez  donc,  mes  frères,  cette  nouvelle 


suite  de  prodiges  qui  terminent  la  vie  de 
François  d'Assise.  Déjà  j'aperçois  ce  nou- 
veau calvaire  où  François  doit  être  crucifié  ; 
un  nouveau  genre  de°  martyre  attesté  'par 
Alexandre  IV,  saint  Bonaventure ,  sainte 
Claire,  une  foule  de  saints  religieux,  par 
toute  l'Eglise  qui  en  permet  l'office  et  la  so- 
lennité. 

Icitoutle  distingue  des  autres  martyrs  :  ce 
qu'il  souffre,  celui  qui  le  fait  souffrir,  et  les 
suites  de  ses  souffrances;  il  est  crucifié  par 
l'ordre  du  ciel,  c'est  un  ange  qui  le  crucifie, 
et  il  vit  après  avoir  été  crucifié  :  voilà  le  pro- 
dige, voilà  ce  qui  a  paru  étonnant  à  ces 
hommes  accoutumés  à  raisonner  et  à  exami- 
ner :  Tunquam  prodigium  factus  sum  mul- 
tis. 

François,  consumé  de  l'amour  divin,  dans 
un  temps  où  sa  vie  n'était  plus  qu'extases, 
que  ravissements,  que  communications  inti- 
mes avec  Dieu,  monte  sur  le  mont  Alverne  ; 
là  le  ciel  s'ouvre  à  ses  yeux,  un  séraphin, 
portant  entre  ses  ailes  l'image  de  Jésus  atta- 
ché à  la  croix,  vient  fondre  sur  lui;  lui  perce 
les  pieds,  les  mains  et  le  côté;  ces  impres- 
sions sacrées  restent,  le  sang  coule,  son  hu- 
milité ne  saurait  dérober  aux  hommes  ces 
plaies  honorables. 

Ce  n'est  pas  un  mortel  qui  met  les  mains 
sur  son  corps  innocent,  c'est  un  ange  ;  il 
survit  au  martyre;  il  prêche  crucifié  ;  il  tient 
la  croix  dans  ses  bras,  et  il  la  porte  empreinte 
sur  son  corps. 

Ici  les  expressions  me  manquent.  Un 
homme  attaché  à  la  croix,  cloué  sur  la  croix 
par  le  ministère  des  anges;  quel  miracle! 
L'amour  divin  seul  peut  opérer  ces  mer- 
veilles :  quand  il  est  sincère  et  ardent,  dit 
saint  Grégoire,  rien  ne  lui  est  impossible  : 
Àmor  si  i^erus  est,  magna  operatur. 

Ce  n'est  pas  un  de  ces  tyrans  que  l'his- 
toire ecclésiastique  nous  représente,  qui,  le 
visage  allumé  du  feu  de  la  colère,  le  dépit 
dans  le  cœur,  le  trône  environné  des  instru- 
ments de  supplices,  commande  à  ses  minis- 
tres de  frapper  un  héros  de  la  foi  :  c'est  Jésus 
lui-même  qui,  touché  des  plus  tendres  misé- 
ricordes, et  pour  récompenser  l'ardente  cha- 
rité de  François,  destine  un  de  ces  esprits 
célestes  qui  exécutent  les  ordres  du  Très- 
Haut;  il  vient  lui  percer  les  pieds  et  les 
mains  ,  lui  ouvrir  le  côté,  et  en  faire  une 
parfaite  copie  du  mystère  du  Calvaire. 

Dans  les  autres  martyrs,  ce  sont  les  hom- 
mesqui  persécutent,  et  Dieu  qui  récompense, 
ici  tout  vient  du  ciel,  le  martyre  et  la  cou- 
ronne; dans  les  autres  saints,  c'est  le  mar- 
tyre qui  termine  leurs  jours,  et  les  enlève  à 
la  terre  ;  ici  l'ange,  après  avoir  attaché  Fran- 
çois à  la  croix,  s'en  retourne  avec  un  vol 
rapide  dans  le  séjour  de  la  gloire.  François 
crucifié  reste  dans  le  monde,  dans  la  com- 
pagnie des  mortels ,  prêche  la  croix  et  la 
pénitence.  Quel  saint  respect  ne  devait  pas 
inspirer  la  vue  d'un  saint  si  conforme  à  Jé- 
sus-Christ 1 

Je  ne  m'étonne  pas  de  le  voir  aussi  rapide 
que  les  apôtres  dans  les  conquêtes  qu'il 
procure  à  la  religion;  de   voir  les  temples 


80  PANEGYRIQUES.  —  PANEG. 

détruits,  les  autels  renversés,  les  idoles  bri- 
sés, des  milliers  de  Sarrasins  convertis,  des 
j  rinces,  des  souverains  se  dérober  à  l'éclat 
du  trône  jour  se  cacher  sous  l'habit  de  pé- 
rdtence  de  François  des  personnes  jeunes  et 
délicates  quitter  les  cours  les  plus  brillantes 
]  our  se  mettre  sous  la  protection  d'une 
sainte  Claire,  le  vice  abattu  n'oser  se  mon- 
tier,  et  la  vertu  triomphante  paraître  avec 
honneur  ;  François  .d'Assise,  le  crucifix  à  la 
main,  crucifié  lui-même,  près  d'expirer  dans 
Jes  flammes  de  l'amour  divin,  devait  opérer 
ces  houieux  changements.  Ce  sont  des  pro- 
diges, dites-vous;  mais  François  était  un 
homme  de  prodiges  •  c'est  sous  ces  traits 
magnifiques  que  je  vous  l'ai  annoncé  en 
commençant  son  éloge  :  Tanquam  prodighim 
factus  summultis. 

11  me'  semble,  Messieurs,  entendre  saint 
François  nous  dire  aujourd'hui  avec  un 
prophète  :  Ressou venez-vous  de  ma  pau- 
vreté :  rccordare  paupertatis  (Jerem.,  III)  : 
je  l'ai  portée  jusqu'aux  plus  sublimes  con- 
seils :  portez-la  du  moins  jusqu'aux  précep- 
tes; si  vous  ne  renoncez  point  à  vos  riches- 
ses, n'y  attachez  pas  votre  cœur.  Il  me  sem- 
ble l'entenJre  dire,  avec  saint  Paul  :  J'ai  atta- 
ché le  monde  à  la  croix  avec  toutes  ses  cu- 
pidités, mais  après  m'y  être  attaché  moi-même 
avec  amour  :  Mihi  mundus  crucifixus  est,  et 
ego  mundo.(Galat.,  VI.)  Portez-la,  cette  croix, 
faites  pénitence,  imitez-moi  dans  le  détache- 
ment des  richesses  et  le  détachement  des 
plaisirs,  soyez  disciples  de  la  crèche  et  dis- 
ciples du  Calvaire.  Si  vous  ne  me  suivez  pas 
avec  le  même  éclat,  suivez-moi  aveclamême 
sincérité  que  j'ai  suivi  Jésus-Christ,  et  vous 
aurez  part  à  la  gloire  immortelle  dont  je 
jouis  présentement  dans  le  ciel,  et  dont  je 
jouirai  pendant  toute  l'éternité.  Je  vous  la 
souhaite.  Ainsi  soit-il. 

PANEGYRIQUE  V. 

SECOND   PANÉGYKIQUE    UE    SAINT   *RANÇOIS 

d'assise. 

Prononcé  dans  Véglise  des  Ml.  PP.  Corde- 
Mers  du  grand  couvent  de  Paris,  le  k  octo- 
bre 1750. 

Vidi  angelum  habenlcm  signum  Dei  vivi.  (Apoc,  VU.) 

J'ai  vu  un  ange  qui  portait,  gravé  sur  lui,  le  siqne  du 
Dieu  vivant.  -* 

Dans  cette  foule  d'esprits  célestes  qui  en- 
vironnent le  trône  du  Très-Haut,  ii  en  est  un, 
comme  vous  voyez,  Messieurs,  qui  est  dis- 
tingué par  des  traits  merveilleux  de  ressem- 
blance avec  l'Homme-Dieu.  Sa  gloire  n'obs- 
curcit pas  celle  des  autres  bienheureux.  Ce 
signe  mystérieux  gravé  sur  lui  est  un  pri- 
vilège qui  le  distingue,  le  caractérise;  c'est 
un  astre  qui  diffère  des  autres  astres  par  un 
éclat  plus  frappant;  le  disciple  bien-aimé 
l'aperçoit,  il  porte  le  signe  de  la  croix,  selon 
Jes  interprètes,  pour  l'imprimer  sur  le  front 
de  tous  les  élus  :  Vidi  angelum  habcntem  si- 
gnum Dei  vivi. 

On  a  vu  aussi  sur  la  terre,  Messieurs,  ce 
que  saint  Jean  a  vu  dans  le  ciel  ;  un  homme 


V,  SAINT  FRANÇOIS  D'ASSISE. 


50 


mortel  a  porté  gravé  sur  sa  chair  innocente 
le  signe  du  Sauveur.  François  d'Assise  a  re- 
tracé les  grands  mystères  de  la  crèche  et  du 
Calvaire.  . 

A  ce  nom  vous  vous  rappelez  un  des  plus 
grands  héros  de  la  religion  ;  un  saint  suscité 
de  Dieu,  animé  de  sou  esprit,  rempli  de  sa 
force;  un  disciple  parfait  de  l'Evangile,  qui 
a  trouvé  l'opulence  dans  la  pauvreté,  la  gloire 
dans  les  abaissements,  des  consolations  dans 
les  souffrances;  un  homme  de  prodiges  qui 
a  effacé  par  sa  sagesse  la  gloire  des  philoso- 
phes; égalé  par  son  zèle  celle  des  apôtres; 
surpassé  par  ses  souffrances  miraculeuses 
celle  des  martyrs;  étendu  par  ses  exemples 
celle  de  la  croix;  retracé  [ par  ses  miracles 
celle  de  Jésus-Christ. 

J'ouvre  les  annales  de  l'Eglise,  Messieurs, 
je  vois  des  hommes  de  sainteté,  de  zèle,  de 
miracles.  Chaque  siècle  a  ses  apôtres,  ses 
thaumaturges,  ses  docteurs.  Je  ne  viens  pas 
obscurcir  par  des  ombres  répandues  avec 
art,  ces  astres  brillants;  mais  parmi  tous  ces 
hommes  fameux  ,  François  d'Assise  est  Je 
seul  qui  m'offre  des  traits  miraculeux  de 
ressemblance  avec  le  Sauveur.  C'est  un  sé- 
raphin que  je  découvre  dans  cette  foule  de 
bienheureux  :  Vidi  angelum habentem signum 
Dei  vivi. 

Il  n'est  pas  étonnant,  Messieurs,  que  ces 
traits  *,ous  divins,  qui  caractérisent  notre 
saint  patriarche ,  révoltent  les  sages  du 
monde. 

Enseigner  la  pauvreté  et  avoir  des  disci- 
ples, voilà  ce  qui  a  étonné  et  ce  qui  éton- 
nera toujours  le  monde.  On  admire  le  mé- 
pris des  richesses  dans  les  sages  du  paga- 
nisme ;  on  le  tourne  en  ridicule  dans  les 
disciples  de  l'Evangile.  On  loue  Zenon  ;  on 
blâme  François. 

O  hommes!  trop  jaloux  de  votre  raison  et 
trop  éblouis  de  voire  sagesse  ,  pourquoi  fer- 
mez-vous les  yeux  sur  la  honte  répandue 
dans  les  écoles"  des  philosophes  païens?  Et 
pourquoi  n'admirez-vous  pas  les  glorieux 
succès  des  disciples  formés  à  l'école  de 
Jésus-Christ?  Ces  succès  justifient  l'Evangde 
et  condamnent  vos  coupables  censures. 

Je  viens  louer  François  ou  plutôt  Jésus- 
Christ  retracé  dans  François;  je  vieni  par 
conséquent  condamner  la  sagesse  et  la  poli- 
tique du  siècle.  Vous  verrez  l'ordre  de  Fran- 
çois s'étendre  avec  rapidité  jusqu'aux  extré- 
mités du  monde  et  subsister  avec  autant 
d'honneur  que  les  ordres  les  mieux  dotés. 
Vous  verrez  son  saint  fondateur  sortir  de 
l'Italie  pour  fuir  la  gloirequi  le  suit  partout, 
et  la  gloire  le  suivie  jusque  dans  l'empire 
de  Mahomet.  ïl  est  admiré  où  les  autres  sont 
persécutés.  Vous  verrez  un  homme  (pic  la 
pénitence  immole,  que  les  ardeurs  de  la 
charité  consument,  que  le  ciel  crucifie. 

L'établissement  de  son  ordre,  l'austérité 
de  sa  vie,  deux  traits,  ou  plutôt  deux  pro- 
diges, Messieurs,  que  je  dois  exposera  votre 
admiration.  Vous  verrez  retracés  dans  l'éta- 
blissement de  son  ordre,  les  rapides  succès 
et  les  glorieuses  conquêtes  de  l'Evangile. 
Vous  verrez  retracées  dans  sa  vie,  toutes- 


91 


ORATEURS  SACRES. 


les  austérités  et  les  saintes  rigueurs  de  l'E- 
vangile. 

Jésus-Christ  retracé  dans  François  d'As- 
sise avac  toute  la  sagesse  de  son  Evangile. 
Jésus-Christ  retracé  dans  François  d'Assise 
avec  toute  la  sévérité  de  son  Evangile  :  vidi 
anyclum  habentem  signant  Dei  vivi.  Deman- 
dons, etc.  Ave,  Maria. 

PREMIÈRE   PARTIE. 

Pourquoi,  Messieurs,  l'homme  de  sainteté 
inspiré,  enseigné,  conduit  par  la  sagesse  di- 
vine, étonne-t-il  tous  les  mondains?  L'Evan- 
gile nous  l'apprend.  La  sagesse  de  Dieu  prend 
des  routes  contraires  à  celles  qui  font  arri- 
ver l'homme  aux  richesses ,  aux  honneurs. 
La  sagesse  a  des  ressources  que  les  prudents 
du  sièide  ne  connaissent  pas,  qui  ne  sont  pas 
même  à  leur  portée. 

Les  mondains  veulent  justifier  leurs  cou- 
pables attaches,  leurs  projets  ambitieux,  la 
profondeur  de  leur  politique.  Est-il  éton- 
nant que  l'homme  que  Dieu  fait  arriver  à  la 
gloire  par  l'indigence,  les  abaissements,  les 
souffrances,  les  étonne  et  les  surprenne? 

Les  Romains  regardaient-ils  les  apôtres 
comme  des  hommes  propres  à  la  conquête  du 
monde?  Leur  pauvreté,  l'obscurité  de  leur 
naissance,  leurs  occupations  rustiques,  les 
mettaient,  à  leurs  yeux,  au-dessous  de  ces 
savants  qui  brillaient  dans  les  académies; 
de  ces  héros  qui  attachaient  à  leur  char  des 
nations  vaincues;  de  ces  politiques  qui  con- 
servait, par  leur  habileté,  la  république 
dans  l'opulence  et  la  splendeur. 

Il  faut  aux  hommes,  pour  l'exécution  de 
leurs  projets,  des  richesses,  des  forces,  de 
grands  politiques,  de  grands  génies:  il  ne 
faut  au  Seigneur  que  sa  volonté.  La  sagesse 
prend  des  routes  contraires  à  nos  idées  :  elle 
choisit  les  faibles  pour  confondre  les  forts; 
le  superbe  géant,  redouté  de  tout  Israël,  est 
terrassé  dès  qu'il  a  eu  dressé  lui-même  les 
doigts  du  jeune  David  aux  combats. 

La  chute  humiliante  du  paganisme  a  suivi 
de  près  les  prédications  des  apôtres;  la  reli- 
gion chrétienne  s'est  établie  rapidement  sur 
ses  débris. 

L'ordre  de  François,  Messieurs,  nous  re- 
trace ces  merveilleux  succès;  son  établisse- 
ment lui  a  été  inspiré  par  la  sagesse  divine, 
c'est  l'Kvangile  qui  lui  en  a  tracé  le  plan  : 
nous  allons  admirer  les  mêmes  prodiges. 

Vous  verrez  son  ordre  s'établir  solide- 
ment sur  les  fondements  de  la  pauvreté  de 
Jésus-Christ;  s'élever  à  un  haut  degré  de 
gloire  par  les  abaissements  de  Jésus-Christ  ; 
triompher  de  tous  les  obstacles  par  la  puis- 
sance de  Jésus-Christ. 

N'est-ce  pas  là,  Messieurs,  retracer  Jésus- 
Christ  avec  toute  la  sagesse  de  son  Evan- 
gile? Vidi  angelum  habentem  siynum  Dei 
vivi. 

Rien  ne  révolte  plus  les  faux  sages  et  les 
politiques  du  siècle  que  la  pauvreté.  Rien 
loin  de  la  regarder  comme  le  fondement  de 
la  grandeur  de  la  doctrine  de  Jésus-Christ, 
ils  se  la  représentent  sous  les  images  les 
plus  tristres;  la  vertu,  les  talents,  la  nais- 


BALLET.  DS 

îme,  perdent  leur  éclat  sous  ses 


sance  me 
livrées. 

L'indigence  fait  mépriser  le  mérite  le 
plus  brillant.  L'opulence  t'ait  louer  les  génies 
les  plus  médiocres.  De  là,  Messieurs,  ce 
flatteur  encens  qu'on  offre  à  l'homme  de  ri- 
chesses; de  là  ces  savants  indigents  qu'il 
attache  à  son  char;  ces  grands  obérés  qui 
ne  rougissent  point  de  mêler  leur  sang  avec 
le  sien  pour  relever  les  ruines  d'une  an- 
cienne noblesse. 

De  là  le  svstème  de  ces  faux  sages  déta- 
chés en  apparence  des  richesses,  et  tou- 
jours inquiets  sur  un  avenir  incertain;  qui 
ne  thésaurisent  point  j  ar  inclination,  disent- 
ils,  mais  par  prudence; 'qui  redoutent  les 
fâcheux  événements  qui  les  menacent,  qui 
n'adorent  poi-nt  la  sagesse  d'un  Dieu  qui  les 
prépare  et  les  fait  naître  pour  sa  gloire.  De 
là  les  oracles  de  ces  politiques  qui  veulent 
passer  pour  les  colonnes  et  les  soutiens  d'un 
Etat,  qui  regardent  les  ressources  de  la  Pro- 
vidence comme  des  fonds  à  charge  à  la  ré- 
publique, et  qui ,  a.rès  avoir  censuré  l'opu- 
lence de  ces  grands  ordres  richement  dotés, 
se  soulèvent  contre  les  ordres  qui  ne  possè- 
dent rien.  Voilà,  Messieurs,  les  ennemis  de 
la  pauvreté  de  Jésus-Christ.  Vous  connaissez 
trop  les  mœurs  de  notre  siècle  pour  ne  pas 
les  reconnaître  à  ces  traits. 

J'oppose,  Messieurs,  à  ces  ennemis  de  la 
religion  de  Jésus-Christ  les  rapides  succès 
de  la  relig:on  chrétienne  et  l'ordre  de  Fran- 
çois. La  même  sagesse  qui  a  tracé  aux  apô- 
tres le  plan  qu'ils  devaient  suivre,  a  inspiré 
à  François  cette  pauvreté  volontaire  qui  a 
fait  l'ornement  de  son  ordre.  C'est  dans  l'E- 
vangile qu'il  puise  ce  grand  principe  de  la 
perfection. 

Jésus-Christ  avait  dit  à  ses  apôtres  :  Ne 
possédez  ni  or  ni  argent.  François  le  dit  à  ses 
enfants,  et  sur  le  fondement  de  cette  pau- 
vreté volontaire^  son  ordre  s'établit,  s'étend 
merveilleusement  dans  tous  les  royaumes  et 
dans  tous  "les  empires-,  il  imite  en  quelque 
sorte  les  rapides  progrès  de  la  religion  chré- 
tienne. 

On  est  riche,  Messieurs,  quand  on  est  pau- 
vre avec  Jésus-Christ,  quand  c'est  l'Evangile 
qui  nous  dépouille  de  nos  richesses. 

Le  paganisme  a  eu  de  fameux  contem- 
pteurs des  richesses;  la  philosophie  a  dé- 
daigné, en  apparence,  l'opulence  du  siècle. 
On  a  vu  le  chef  des  stoïciens  enseigner  le 
mépris  des  biens  de  la  terre,  et  avoir  beau- 
coup de  disciples;  mais  ce  détachement  fas- 
tueux a-t-il  eu  les  mêmes  succès  que  la 
pauvreté  de  François?  Ahl  François  était 
inspiré  par  la  sagesse  divine,  et  l'amour  de 
la  gloire  faisait  agir  ces  païens  tant  vantés. 
L'ouvrage  de  l'orgueil  s'est  détruit,  l'œuvre 
de  Dieu  s'est  conservée  ! 

Oui,  Messieurs,  l'établissement  de  l'ordre 
de  François  est  l'ouvrage  de  Dieu  ;  de  grands 
traits  l'avaient  préparé  de  loin  à  cette  mer- 
veilleuse entreprise;  des  prophètes  mêmes 
avaient  annoncé  à  l'Italie  ce  patriarche  des 
pauvres;  le  monde  le  perd  dès  qu'il  connaît 
Jésus-Christ;  la  jeunesse  et  l'opulence  ne 


93 


PANEGYRIQUES.  —  PANEG.  V 


l'attachent  point  à  son  char  ;  le  premier  ora- 
cle de  l'Evangile  qu'il  entend  lui  inspire  le 
plan  de  vie  qu'il  se  trace;  alors  les  flatteuses 
espérances  de  sa  famille  sont  sacrifiées  à  la 
pauvreté  évangélique;  un  renoncement  so- 
lennel désarme  son  père  irrité  de  ses  aumô- 
nes, édifie  l'évoque  d'Assise,  témoin  de  son 
sacrifice,  et  en  fait  un  parfait  disciple  de  la 
crèche. 

Voilà,  Messieurs,  les  premiers  trophées 
que  François  érige  à  la  pauvreté.  Bientôt  il 
sera  victorieux  de  tous  les  obstacles  qui  s'op- 
posent à  l'établissement  de  son  ordre.  Vous 
allez  voir  de  glorieux  succès. 

Vous  dirai-je  que  fous  les  efforts  de  la 
sagesse  du  siècle,  de  la  politique  et  de  l'hé- 
résie ne  furent  tenir  contre  son  zèle  aposto- 
lique ? 

En  vain  les  faux  sages  désapprouvent-ils 
son  projet;  en  vain  les  politiques  annoncent- 
ils"  partout  qu'il  sera  à  charge  à  la  société;  en 
vain  les  hérétiques  le  tournent-ils  en  ridi- 
cule ;  tout  se  soulève  contre" François;  mais 
bientôt  tout  s'abaisse  devant  lui  :  on  recon- 
naît l'œuvre  de  Dieu;  la  perfection  de  l'Evan- 
gile triomphe  de- la  prudence  du  siècle.  Fai- 
tes attention,  Messieurs,  aux  préjugés  des 
mondains  de  son  temps,  les  succès  de  son 
établissement  vous  paraîtront  des  prodiges. 

Le  respect  humain,  ce  fantôme  de  sagesse, 
ne  faisait  que  de  lâches  déserteurs  de  la 
vertu  :  le  goût  des  plaisirs  sensuels  avait 
effacé  dans  les  esprits  jusqu'à  l'idée  du  plan  de 
l'Evangile.  L'hérésie  triomphante,  à  l'ombre 
du  libertinage,  entraînait,  par  les  charmes 
de  l'indépendance,  les  fidèles  dans  l'er-# 
reur. 

C'est  dans  ces  temps  malheureux  que  pa- 
rait François,  qu'il  lève  l'étendard  delà  pau- 
vreté, qu'il  a  des  disciples,  qu'il  établit 
son  ordre.  Que  d'obstacles  ne  trouve-t-il 
pas  ?  Ne  craignez  pas,  Messieurs  :  ils  cè- 
dent tous  au  zèle  de  François;  rien  ne  l'ar- 
rête. 

C'est  vous  seul,  chef  respectable  de  l'E- 
glise, que  François  consulte,  qui  pouvez 
retarder  l'exécution  de  son  projet;  prosterné 
à  vos  pieds,  il  attend  votre  approbation  ;  ca- 
tholique docile,  il  se  soumettra  à  votre  dé- 
cision. Les  plus  grands  saints  ont  toujours 
été  les  plus  obéissants  à  l'Eglise. 

François,  Messieurs,  marchait  alors  sur 
les  traces  des  plus  saints. patriarches  de  l'Oc- 
cident. Tous  les  ordres  de  l'Eglise  ont  pris 
naissance  à  l'ombre  du  Saint-Siège,  et  mal- 
heur aux  enfants  qui  démentent,  par  leur 
résistance  aux  décisions  du  souverain  pon- 
tife, la  soumission  et  le  respect  de  leurs  pè- 
res. 

Vous  dirai-je,  Messieurs,  que  le  ciel  parla 
pour  dissiper  les  appréhensions  d'Inno- 
cent 111;  qu'il  opéra  des  prodiges  éclatants 
pour  justifier  l'entreprise  de  François  ? 

Les  services  importants  qu'il  doit  rendre 
à  l'Eglise,  la  grandeur  future  de  son  ordre 
sont  révélés  au  souverain  pontife  :  une  jeune 
jialme  qui  croît  miraculeusement  à  ses  pieds; 
le  temple  de  Latran  penché,  prêt  à  tomber 
en  ruine,  et  relevé  par  ce  pauvre  méprisé, 


,  SAINT  FRANÇOIS  D'ASSISE.  94 

sont  les  merveilles  qui  lui  annoncent  les  des- 
seins de  la  Providence  sur  son  Eglise  et  les 
glorieux  succès  de  François. 

Alors,  Messieurs,  tous  les  obstacles  sont 
levés  ;  les  appréhensions  du  vicaire  de  Jé- 
sus-Christ sont  dissipées,  les  réflexions  de  la 
politique,  les  craintes  de  la  prudence  mon- 
daine sont  confondues;  tout  cède  à  la  voix 
du  ciel  qui  autorise  le  projet  de  François  ;  sa 
règle,  qui  avait  effrayé,  soulevé  un  monde  de 
ti  liesses,  déplaisirs,  qui  avait  paru  au-des- 
sus de  l'homme  au  successeur  de  saint  Pierre, 
est  confirmée  dans  le  concile  même  de  La- 
tran. 

Que  de  brillants  succès  s'offrent  ici  à  mon 
imagination  ÎSur  les  fondements  de  cette  pau- 
vreté volontaire,  je  vois  l'ordre  de  François 
s'établir,  s'étendre  avec  une  rapidité  qui  tient 
du  prodige.  Ces  nouveaux  apôtres  se  multi- 
plient ;  point  de  villes,  de  royaumes,  d'empi- 
res où  ces  illustres  pauvres  n'aient  des  hos- 
pices; avant  la  mort  du  saint  patriarche,  je 
vois  plus  de  cinq  mille  religieux  assemblés 
dans  le  chapitre  de  la  Portionculc;  voilà,  Mes- 
sieurs, les  merveilles  de  la  pauvreté  de  Jé- 
sus-Christ retracée  par  François  d'Assise. 

Que  les  mondains  vantent  tant  qu'ils  vou- 
dront, Messieurs,  les  succès  de  leur  sagesse, 
ils  ne  sont  ni  aussi  merveilleux,  ni  aussi  du- 
rables que  ceux  de  François.  Je  vois  des  chu- 
tes, des  décadences  humilier  les  plus  riches 
familles.  Je  vois  sur  la  scène  du  monde  des 
infortunés  qui  pleurent  la  perte  de  leurs 
biens;  leurs  terres  et  leurs  charges  ont  passe 
dans  des  maisons  étrangères  ;  l'édifice  de 
leur  fortune  a  été  renversé,  je  n'en  suis  pas 
étonné  :  la  sagesse  mondaine  l'avait  élevé; 
l'ordre  de  François  a  des  succès  plus  dura- 
bles :  c'est  la  sagesse  de  l'Evangilequi  le  fa  t 
subsister  sur  les  fondements  de  la  pauvreté, 
et  l'élève  a  un  haut  degré  de  globe  par  les 
abaissements  mêmes  de  Jésus-Christ. 

Ici,  Messieurs,  s'accomplit  un  des  plus 
grands  oracles  de  l'Evangile.  La  gloire  suit 
de  près  les  abaissements  du  juste;  des  traits 
éblouissants  de  grondeur  et  de  puissance 
sortent  du  sein  des  humiliations  les  plus  pro- 
fondes. 

Marcion  a  rougi  des  abaissements  de  la 
crèche;  les  mondains  méprisent  les  abaisse- 
ments de  François,  mais  Dieu  fait  briller 
dans  tous  ces  abaissements  des  traits  de  gran- 
deur et  de  puissance  qui  effacent  la  gloire  et 
la  pompe  du  monde. 

Mille  traits  honteux  humilient  le  mondain 
dans  l'élévation  ;  mille  traits  honorables  font 
admirer  le  juste  dans  l'obscurité.  11  y  a  un 
mélange  d'humiliations  et  de  gloire  clairs 
l'histoire  de  Jésus-Christ  et  dans  celle  de 
François.  François  abaissé  et  élevé  nous  re- 
trace Jésus-Christ  qu'on  a  vu  dans  les  abais- 
sements et  dans  la  gloire. 

Vous  verrez  François  se  dérober  à  la  gloire, 
et  la  gloire  le  suivre  partout.  Les  sentiments 
de  son  cœur  passent  dans  son  ordre.  François 
et  ses  disciples  arrivent  à  la  gloire  par  les 
abaissements. 

Vous  dirai-je,  Messieurs,  qu'il  porta  le  mé 
pris  de  lui-même  jusqu'à  se  mettre  au  rang 


or, 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


9* 


des  criminels,  et  que  son  humiliation  rem- 
porta des  victoires  éclatantes  sur  le  théâtre 
même  des  ignominies  publiques  ? 

Vous  dirai-je  que  son  humilité  l'arrêta  sur 
les  degrés  du  sanctuaire,  qu'il  était  digne  du 
trône  épiscopal,  et  qu'il  resta  dans  le  rang 
des  lévites,  que  son  éminente  sainteté  rele- 
vait jusqu'au  ciel,  et  que  sa  modestie  Tem- 
po, ha  de  monter  à  l'autel  ? 

Que  pensait-il  de  lui-même,  Messieurs, 
dans  l'éclat  des  miracles  qu'il  opérait?  L'his- 
toire fidèle  nous  l'apprend.  La  puissance  di- 
,vine  qui  agissait  en  lui,  lui  attirait  des  hom- 
mages et  des  admirateurs.  Son  humilité  alar- 
mée lui  faisait  imiter  Jésus-Christ  :  il  se  dé- 
robait aux  applaudissements,  il  se  cachait. 
La  gloire  de  François,  Messieurs,  est  celle 
qui  est  promise  dans  l'Evangile.  11  y  arrive 
par  les  abaissements. 

L'humilité  du  saint  patriarche  passe  dans 
tout  son  ordre,  Messieurs,  la  gloire  qui  suit 
de  près  les  abaissements,  y  passe  aussi  ;  on 
n'y  aperçoit  point  la  moindre  trace  des  gran- 
deurs, des  vanités,  des  usages  mêmes  du 
siècle,  et  on  le  voit,  malgré  cela,  s'élever  à 
une  gloire  solide  et  durable. 

Tremblez  ,  mondains,  qui  gémissez  sous 
le  tyrannique  empire  d'une  fausse  gloire; 
les  humbles  enfants  de  François  ne  vous 
étonneraient  pas  tant  si  l'Evangile  vous 
était  plus  connu. 

Je  vois  sortir,  du  sein  de  ses  abaisse- 
ments volontaires,  des  traits  d'une  gloire 
solide;  de  rapides  succès ,  des  hommages 
éclatants  attestent  la  sagesse  de  ces  héros  de 
l'Evangile. 

Tous  les  jours  s'accomplit  le  triste  oracle 
que  le  Saint-Esprit  a  prononcé  contre  les 
riches  ambitieux.  Je  les  vois  arrêtés  tout  à 
eoup  dans  la  brillante  carrière  qu'une  for- 
tune capricieuse  leur  avait  frayée;  dans  un 
instant  leurs  lauriers  sont  flétris,  les  tro- 
phées qu'on  leur  avait  érigés,  renversés; 
leurs  trésors  enlevés;  sans  place,  sans  opu- 
lence et  par  conséquent  sans  amis  ,  ils  trou- 
vent l'ignominie  dans  la  route  môme  de  la 
gloire  :  Dives  in  itineribus  suis  marcescet. 
(Jac.  ,  1.) 

_  11  n'en  est  pas  de  même,  Messieurs,  de 
l'ordre  de  François;  en  nous  retraçant  les 
abaissements  de  "l'Evangile  ,  il  nous  retrace 
aussi  la  gloire  qui  les  accompagne. 

Cette  grandeur  toute  divine  de  l'ordre  de 
François  est  dépeinte  sous  de  magnifiques 
images.  Le  prophète  Isaïe  Ta  tracée  en  tra- 
çant celle  de  Jésus-Christ;  le  Seigneur  hu- 
miliera les  orgueilleuses  cités  des  mondains; 
des  événements  humiliants  effaceront  la 
gloire  des  plus  florissants  empires  ;  des  ré- 
volutions imprévues  renverseront  les  trônes 
les  plus  affermis  et  briseront  les  sceptres 
dans  les  mains  mêmes  des  conquérants  :  ci- 
vitatem  subliment  humiliabit  (Isa.,  XXVI): 
des  pauvres  volontaires  détachés  des  ri- 
chesses, insensibles  aux  honneurs,  seront 
les  seuls  qui  ne  seront  point  abattus;  on  les 
verra  toujours  satisfaits  et  contents,  fouler 
aux  pieds  la  grandeur,  les  richesses  et  la 
magnificence  du  siècle  '.conculcabiteampes, 


pedes  pauperis ,   gressus  egenorum.  (Ibid.) 

N'est-ce  pas  ce  que  nous  voyons  avec  ad- 
miration, Messieurs  ?  Les  entants  de  Fran- 
çois parcourent  toute  la  terre,  ils  ont  des 
hospices  dans  tous  les  royaumes  et  les  em- 
pires, mais  partout  ces  héros  de  l'Evangile 
sont  au-dessus  des  domaines  et  des  honneurs 
du  siècle  ;  ils  y  renoncent,  leur  gloire  est  de 
les  mépriser,  de  les  refuser. 

Dans  quel  lieu  ces  illustres  pauvres  ne 
vont-ils  pas  pour  l'utilité  de  l'Eglise  ?  Dans 
quel  lieu  leur  voit-on'des  biens,  des  reve- 
nus ?  Placés  dans  les  villes  les  plus  opu- 
lentes, dans  le  séjour  des  rois  mêmes,  ils  y 
sont  aussi  pauvres  que  dans  les  plus  af- 
freuses solitudes;  leurs  yeux  admirent  la 
grandeur  du  siô.le,  leur  "cœur  la  méprise  1 
conculcabit  eam  pes,  pedes  pauperis,  gressus 
egenorum.  Ne  soyons  pas  étonnes,  Messieurs, 
de  la  gloire  qui  suit  cette  pauvreté,  c'est 
celle  de  l'Evangile. 

Disparaissez  ici  ,  secte  abominable  des 
vaudois  ,  la  honte  a  suivi  de  près  vos  sacri- 
lèges abaissements;  l'Eglise  n'a  eu  pour 
vous  que  des  anathèmes  et  des  foudres. 
Quelle  différence  entre  les  abaissements  de 
Tordre  de  François  !  Ils  sont  relevés  par  la 
gloire  même  qui  a  relevé  ceux  de  Jésus- 
Christ;  l'Eglise  les  respecte;  jamais  pauvreté 
ne  fut  plus  glorieuse,  parce  que  jamais  pau- 
vreté ne  fut  plus  conforme  à -celle  de  Jésus- 
Christ. 

Quelle  gloire  n'a  pas  eu  encore  Tordre  de 
François  au  milieu  des  abaissements  de  Tlî- 
vangile  ?  Je  parle,  Messieurs,  de  tous  ces 
grands  hommes  qu'il  a  donnés  à  l'Eglise  et  à 
1  Etaf  ;  le  temps  ne  me  permet  pas  de  vous 
les  nommer. 

Que  de  savants  dans  les  universités  et  dans 
la  république  des  lettres  1  Peut-on  refuser  la 
gloire  de  l'érudition  et  de  la  saine  doctrine 
à  cette  portion  illustre  de  son  ordre  dont 
vous  voyez  ici  tous  les  maîtres  en  Israël  ras- 
semblés, associés  à  la  plus  savante  école  du 
monde ,  formant  eux-mêmes  une  école  dis- 
tinguée? Quand  ils  n'auraient  pas  l'avantage 
d'avoir  donné  à  l'Eglise  des  souverains  pon- 
tifes, et  à  l'Espagne  de  grands  ministres; 
quand  les  Bonaventure,  les  Scot,  les  Xi- 
ménès,  les  Alphonse  de  Castro,  les  Wan- 
dingue  n'auraient  pas  fait  l'admiration  de 
l'Eglise  et  de  tous  les  savants,  il  y  a  dans 
cette  école  des  lumières  assez  brillantes  pour 
dissiper  les  ténèbres  de  Terreur,  des  savants 
assez  zélés  pour  l'attaquer,  des  génies  assez 
vastes  et  assez  profonds  p.our  la  forcer  de  se 
cacher. 

D'où  sort,  Messieurs,  cette  gloire  de  Tor- 
dre de  François  ?  Du  sein  des  abaissements 
de  l'Evangile.  François  pauvre,  caché,  est 
ce  petit  grain  do  sénevé,  il  est  devenu  un 
grand  arbre  qui  couvre  presque  toute  la 
terre  de  ses  branches.  Les  plus  grands  gé- 
nies, les  plus  opulents,  les  rois  mêmes, 
ont  tout  quitté  pour  venir  couler  leurs  jours 
dans  Tordre  de  François.  La  puissance  môme 
de  Jésus-Christ  agissait  en.  lui  pour  sur- 
monter tous  les  obstacles. 

Il  n'est  pus  étonnant,  Messieurs,  que  l'en- 


07 


PANEGYRIQUES.  —  PANEG.  V  ,  SAINT  FRANÇOIS  D'ASSISE. 


93 


Ter  et  la  sagesse  mondaine  se  soient  sou- 
levés contre  les  divins  projets  de  François  : 
son  ordre  devait  retracer  la  perfection  de 
['Evangile;  i*l  devait  retracer  aussi  les  obs- 
tacles que  la  doctrine  de  Jésus-Christ  trouva 
chez  les  sages  du  paganisme  et  les  triomphes 
qu'elle  remporta  sur  la  politique  descésars. 

La  faible  raison  de  l homme  s'imaginait 
que  les  abaissements  de  l'Evangile  allaient 
succomber  sons  les  coups  qui  partaient  du 
trône  et  de  l'Aréopage;  les  politiques  du 
siècle  s'imaginaient  que  l'ordre  de  François 
ne  subsisterait  jamais  sur  les  fondements  de 
la  pauvreté;  son  établissement  était  selon 
eux  un  projet  insensé,  qui  ne  pouvait  avoir 
que  de  honteux  succès  ;  tous  ces  faux  sages 
se  sont  trompés,  Messieurs: François  devait, 
retracer  ia  puissance  de  Jésus-Christ  aussi 
bien  que  les  apôtres;  la  gloire  des  miracles 
opérés  par  les  apôtres  a  etfacé  celle  de  Rome 
et  d'Athènes;  la  puissance  divine  qui  agis- 
sait dans  François  d'Assise  a  effacé  la  gloire 
'  de  son  siècle  et  triomphé  de  tous  les  obs- 
tacles; les  saintes  rigueurs  île  son  ordre 
sont  approuvées  par  des  prodiges;  c'est  la 
sagesse  de  l'Evangile  que  Dieu  détend  et 
fait  triompher. 

J'entre,  comme  vous  voyez,  Messieurs, 
dans  une  brillante  carrière  ;  je  vais  rapporter 
des  événements  éclatants,  développer  cette 
puissance  de  Jésus -Christ  retracée  dans 
François  d'Assise.  Ne  craignez  pas,  Mes- 
sieurs, que  je  donne  ici  dans  un  faux  mer- 
veilleux; les  histoires  les  plus  fidèles  nous 
garantissent  les  miracles  que  je  vais  exposer 
à  vos  yeux  ;  l'Eglise  romaine  les  a  adoptés, 
l'erreur  et  l'ignorance  ne  peuvent  point 
r"en  prévaloir. 

Puissance  de  Jésus-Christ  retracée  dans 
François  d'Assise  ;  je  vois  une  pauvreté  opu- 
lente qui  imite  les  riches  dans  ses  entre- 
prises, qui  les  surpasse  dans  ses  succès; 
un  pauvre  relève  les  ruines  du  temple  de 
saint  Damien  avec  les  tristes  restes  d'un 
ancien  édifice,  et  la  puissance  divine  qui 
agissait  en  lui;  on  voit  paraître  en  peu  de 
temps  trois  nouvelles  églises. 

Que  l'on  grave,  Messieurs,  sur  le  fron- 
tispice de  nos  temples  les  noms  des  riches 
<pii  les  ont  élevés,  c'est  ériger  des  monu- 
ments à  leur  orgueil  en  élevant  des  autels 
au  Créateur;  mais  quand  l'histoire  fidèle 
nous  transmet  le  prodige  dont  1  Italie  a  été 
le  témoin;  quand  elle  nous  assure  qu'un 
pauvre  a  élevé  plusieurs  temples  au  Sei- 
gneur, c'est  un  glorieux  trophée  qu'elle 
érige  à  la  puissance  divine  qui  agissait  dans 
François  d'Assise. 

Puissance  de  Jésus-Christ  retracée  dans 
François  d'Assise  dans  toute  son  étendue. 
Là,  il  multiplie  des  pains;  ici,  il  ressuscite 
des  morts.  Là,  il  éclaire  des  aveugles;  ici, 
il  guérit  des  infirmes.  Là,  il  brise  les  fers 
deceux-qui  sont  dans  les  prisons;  ici,  il 
apaise  les  plus  violentes  tempêtes.  Miracles 
opérés  très-souvent,  dit  saint  Bonaventure  ; 
miracles  attestés  par  les  souverains  pontifes 
et  révérés  des  plus  grands  personnages  de 
l'Eglise  et  de  l'Etat;  [miracles qui  retracent 


la  puissance  de  Dieu  par  la  magnificence, 
la  promptitude  et  la  perfection  qui  les  carac- 
térisent. 

Que  pensez-vous  de  ce  pauvre  mendiant, 
sages  du  monde,  fameux  politiques,  qui  ne 
comptez  que  sur  les  ressources  humaines  ? 
Mérite-t-il  ces  comparaisons  odieuses  que 
vous  osez  en  faire  avec  ces  philosophes  qui 
méprisaient  le  monde  par  orgueil? 

Quels  sont,  Messieurs ,  les  prodiges  que 
les  ru  hes  ,  les  grands  du  siècle  offrent  à  nos 
yeux  ?  Je  n'ose  les  rapporter.  Des  prodiges 
d'incrédulité.  Ils  bravent  tous  les  anathèmes 
et  tous  les  foudres  que  l'Evangile  lan  e 
contre  ceux  qui  sont  attachés  aux  richesses, 
qui  les  aiment.  Prodiges  de  van  té,  ils  veu- 
lent être  les  idoles  du  monde,  recevoir  son 
encens  et  ses  hommages.  Prodige  d'endur- 
cissement ,  leur  opulence  ne  s'étend  jamais 
sur  les  membres  île  Jésus-Christ  soutirant, 
sur  les  ruines  des  églises,  sur  la  pauvreté 
des  autels.  Ils  ne  sont  prodigues  et  magni- 
fiques (pie  lorsqu'il  s'agit  d'élever  des  palais 
à  la  mollesse,  et  de  se  procurer  de  coupables 
plaisirs.  Prodiges  de  vengeance  du  côté  de 
Dieuauxquels  on  nefait  pas  assez  d'attention  : 
ils  sont  riches  et  malheureux, riches  et  sans 
consolation,  riches  et  sans  ressources.  C'est 
dans  François  d'Assise,  Messieurs,  qu'on 
voit  une  puissance  divine  faire  disparaître 
tous  les  opprobres  de  la  pauvreté. 

Vous  diiai-jc  que  le  don  de  prophétie 
éclate  en  lui  aussi  bien  que  celui  des  mira- 
cles? Les  années  futures  se  présentent  à  son 
esprit,  il  développe  clairement  les  plus  gran- 
des scènes  qu'elles  doivent  donner  au  monde 
étonné. 

N'a-t-il  pas  annoncé  au  cardinal  Ugolin  sa 
grandeur  future  dans  l'Eglise,  et  montré  de 
loin  la  tiare  qu'il  devait  porter  si  digne- 
ment sous  le  nom  de  Grégoire  IX?  Les  trou- 
bles que  l'empereur  Frédéric  devait  exciter 
dans  toutes  les  terres  ecclésiastiques,  les  ra- 
vages de  l'hérésie,  la  corru]  tion  des  mœurs, 
le  déchet  de  la  piété,  n'ont-ils  pas  été  an- 
noncés parce  prophète  de  l'Italie?  N'a-t-il  pas 
rapproché  aussi  les  temps  qui  dérobent  aux 
hommes  leurs  destinées,  pour  montrer  à 
l'empereur  Othon,  enflé  de  ses  succès,  Phi- 
lippe-Auguste, le  vainqueur  qui  devait  l'hu- 
milier et  l'attacher  honteusement  à  son  char? 

Il  était  le  thaumaturge  et  le  prophète  de 
son  siècle.  Jésus-Christ  était  retracé  dans  ce 
saint  patriarche  des  pauvres  avec  toute  la  sa- 
gesse de  son  Evangile  : ;  j-ai  ajouté,  Mes- 
sieurs, que  Jésus-Christ  était  aussi  retracé 
dans  François  d'Assise  avec  toute  la  sévérité 
de  son  Evangile.  C'est  le  sujet  de  la  seconde 
partie  de  son  éloge. 

SIX  ONDE    PARTIE. 

L'Evangile  a  ses  rigueurs,  Messieurs,  il 
met  la  nature  à  l'étroit,  il  mortifie  les  sens, 
il  crucifie  l'homme,  il  l'immole. 

Retracer  toute  sa  sévérité,  c'est  être  un 
homme  de  pénitence,  d'austérité,  de  cruci- 
fiement. Tel  fut  François  d'Assise.  Il  a 
même  l'avantage  sur  les  autres  saints  d'avoir 
retracé   les  souffrances  de  Jésus-Christ  sur 


90 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


100 


son  corps,  et  d'avoir  été  honoré  d'un  genre 
de  martyre  tout  divin. 

Je  ne  viens  pas  ici  ravir  la  gloire  du  grand 
Paul,  qui  ne  se  glorifiait  que  dans  la  croix  du 
Sauveur,  qui  était  cruciiié  au  monde,  qui 
portait  sur  son  corps  les  glorieuses  cicatrices 
des  plaies  qu'il  avait  reçues  pour  l'Evangile 
de  Jésus-Christ;  mais  je  puis  mettre  à  côté 
du  grand  Paul  le  grand  François  d'Assise.  Il 
ne  fut  pas  moins  pénitent,  moins  ardent  de 
souffrir,  moins  conforme  à  Jésus  crucifié. 
Les  souffrances  dont  le  ciel  l'a  favorisé 
le  distinguent  môme  :  elles  le  rendent  une 
copie  plus  parfaite  du  Calvaire.  Admirez 
donc,  Messieurs,  des  traits  singuliers  qui  ca- 
ractérisent notre  héros. 

Dans  tous  les  lieux  qu'il  parcourt,  il  pratique 
les  austérités  que  Jésus-Christ  a  recomman- 
dées. Dans  le  désert,  il  imite  le  jeûne  que  Jé- 
sus-Christ a  pratiqué;  sur  le  mont  Alverne,  il 
est  attaché  à  la  croix  comme  Jésus-Christ  y 
fut  attaché  sur  le  Calvaire.  En  vous  rappel- 
lant,  Messieurs,  ces  austérités  continuelles, 
ces  jeûnes  miraculeux,  ce  nouveau  Calvaire, 
n'est-ce  pas  vous  montrer  Jésus-Christ  re- 
tracé dans  François  d'Assise  avec  toute  la  sé- 
vérité de  l'Evangile?  Vidi  angelum  habcntem 
signwn  Dei  vivi. 

N'attendez  pas,  Messieurs,  que  je  vous 
donne  une  idée  parfaite  de  toutes  les  rigueurs 
que  François  exerça  sur  son  corps  innocent, 
que  je  parcoure  tous  les  lieux  qu'il  a  sancti- 
fiés par  ses  jeûnes,  ses  veilles  et  ses  macéra- 
tions, ou  que  je  vous  nomme  tous  les  diffé- 
rents théâtres  de  ses  austérités.  La  longueur 
de  sa  pénitence  a  égalé  la  longueur  de  ses 
jours.  C'est  la  pénitence  qui  a  usé  ,  détruit 
celte  grande  victime  de  la  sévérité  évangé- 
lique. 

De  honteux  excès  abrègent  la  vie  des  mon- 
dains; ils  descendent  dans  le  tombeau  avant 
même  d'arriver  au  milieu  de  leur  course. 
De  saintes  rigueurs  ont  immolé  François,  et 
l'ont  enlevé  au  monde  à  peine  sorti  du 
printemps  de  ses  jours.  Les  glaives  des  bour- 
reaux l'auraient  dérobé  à  une  longue  péni- 
tence ;  une  longue  pénitence  a  suppléé  à  la 
fureur  des  tyrans.  S'il  n'a  pas  été  le  martyr 
de  la  foi,  il  a  été  une  victime  de  la  sévérité 
de  l'Evangile.  S'il  n'a  point  la  gloire  d'un 
martyre  prompt,  il  a  celle  d'une  mort  lente  et 
continuelle. 

Tous  les  lieux  qu'il  parcourt,  les  villes  et 
les  déserts,  tous  les  moments  qu'il  a  vécu, 
les  jours  et  les  nuits  l'ont  toujours  vu  inno- 
cent et  pénitent. 

L'innocence  et  la  pénitence,  quelles  mer- 
veilles, Messieurs  !  Ah  1  le  péché  sans  la  pé- 
nitence me  surprend  encore  davantage.  Vous 
êtes  étonnés,  chrétiens,  parce  que  vous  ne 
connaissez  pas  la  pénitence  de  précaution. 
Vous  négligez,  vous  êtes  môme  effrayés  des 
austérités  commandées  dans  l'Evangile,  et 
c'est  cette  pénitence  de  précaution,  ce  sont 
ces  austérités  recommandées  dans  l'Evangile 
qui  conservent  l'innocence  des  justes.  Vous 
attendez  que  vous  soyez  tombés  dans  le 
précipice  pour  pleurer,  et  la  vue  seule 
du  précipice  effraye  François.  Vous  n'êtes 


pas  alarmés  de  la  tentation,  et  il  est  plus 
prompt  à  se  punir  que  le  démon  à  le  tenter. 
Voyez-le  se  plonger  dans  un  étang  de  glace 
pour  éteindre  une  étincelle  d'un  feu  impur 
qui  allait  embraser  son  âme.  Cette  sévérité 
vous  effraye,  chrétiens!  Ah!  apprenez  que 
les  légions  formidables  de  l'enfer  ne  tom- 
bent honteusement  qu'aux  pieds  des  hom- 
mes de  jeûnes  et  de  prières  ,  et  qu'ils  atta- 
chent toujours  à  leur  char  ceux  qui  vivent 
dans  un  lâche  repos.  L'innocence  se  con- 
serve dans  les  austérités  de  l'Evangile,  elle  se 
perd  dans  les  délices  et  les  sensualités.  Fran- 
çois est  dans  tous  les  lieux  et  tous  les  jours 
un  homme  d'austérité,  parce  qu'il  veut  être 
partout  et  toujours  un  homme  de  sainteté. 
Il  afflige  une  chair  innocente  pour  ne  pas 
être  obligé  de  punir  une  chair  coupable. 

Mortification  continuelle.  Son  corps  inno- 
cent et  sorti  victorieux  des  plus  grands  com- 
bats, fut  toute  sa  vie  immolé  aux  saintes  ri- 
gueurs de  l'Evangile.  Je  le  vos  traverser  de 
vastes  campagnes  pieds  nus ,  serré  d'un  rude 
cilice.  Je  le  vois  se  reposer  sur  la  terre  après 
ces  courses  apostoliques.  Que  l'âme  est  pure, 
qu'elle  est  libre,  Messieurs,  dans  un  corps 
ainsi  abattu  sous  le  poids  des  austérités  ! 

Vous  dirai-je  que  des  pleurs  coulaient  sans 
cesse  de  ses  yeux,  et  qu'il  aurait  voulu  pou- 
voir expier  sur  lui-même  les  crimes  de 
tous  les  pécheurs? De  là  ce  zèle  pour  prê- 
cher la  pénitence  dont  il  donnait  un  si  grand 
exemple.  On  l'a  vu  parcourir  toutes  les  vil- 
les de  l'Italie,  le  crucifix  à  la  main,  annon- 
cer le  royaume  de  Dieu,  et  convertir  tous 
ceux  qui  l'écoutaient.  On  l'a  vu  dans  la  cha- 
pelle de  la  Portioncule  passer  les  nuits  dans 
de  ferventes  prières,  fléchir  le  ciel  irrité 
contre  les  vices  de  son  siècle,  et  faire  couler 
sur  les  pécheurs  les  grâces  les  plus  précieu- 
ses et  les  plus  magnifiques.  On  l'a  vu  enfin, 
Messieurs,  atténué,  desséché,  consumé  d'aus- 
térités. 

Ils  se  sont  écoulés,  Messieurs,  ces  beaux 
jours  de  l'Eglise  où  on  ne  recevait  pas  la 
doctrine  de  Jésus-Christ  sans  en  pratiquer 
les  austérités.  H  suffisait  alors  d'être  disci- 
ple du  Sauveur  pour  être  un  homme  de  pé- 
nitence. La  sévérité  de  l'Evangile  avait  ses 
martyrs  aussi  bien  que  la  pureté  de  la  foi. 
Aujourd'hui  la  vie  des  chrétiens  retrace  plu- 
tôt les  excès  du  paganisme  que  la  sévérité  de 
l'Evangile. 

Les  disciples  d'un  Dieu  crucifié  copient 
les  maîtres  de  la  volupté.  On  se  glorifie 
d'être  chrétien,  on  ne  rougit  point  des  mœurs 
des  païens. 

Paraissezici,  grand  François  d'Assise,  pour 
confondre,  par  votre  pénitence  continuelle, 
ces  personnes  qui  renvoient  dans  les  soli- 
tudes et  dans  les  cloîtres  les  austérités  de 
l'Evangile. 

Ces  personnes  qu'une  vie  molle  et  sen- 
suelle rend  si  faibles  dans  les  combats,  et  qui 
tombent  facilement  danslc  péché,  parce  qu'el- 
les ne  se  précautionnent  jamais  contre 
ses  amorces;  ces  personnes  qui  ne  veulent 
point  punir  par  de  salutaires  amertumes,  les 
coupables  douceurs  qu'elles  goûtent  depuis 


^"y 


\   i 


10! 


PANEGYRIQUES.  —  PANEC.  V 


si  longtemps,  qui  vivent  tranquillement  dans 
le  péché,  et  bravent  les  châtiments  qu'il 
mérite  ;  ces  personnes  qui  se  déterminent 
enfin  à  quitter  le  péché,  et  qui  ne  veulent 
jamais  se  déterminer  à  l'expier;  qui  ont 
attendu  les  rides  de  la  viellesse  pour  cesser 
de  criminelles  intrigues,  et  qui  attendent  que 
le  tombeau  s'ouvre  et  les  demande  pour  les 
pleurer.  Un  si  bel  exemple,  Messieurs,  ne 
fera-t-il  aucune  impression  sur  vous?  Serez- 
vous  de  stériles  admirateurs  d'une  péni- 
tence que  vos  péchés  rendent  nécessaire? 
La  grâce  perdue,  le  ciel  fermé,  un  enfer 
creusé  et  prêt  à  vous  recevoir;  tout  cela  ne 
suffit-il  pas  pour  vous  porter  à  embrasser 
toutes  les  saintes  rigueurs  dont  vous  êtes 
capahles? 

Dieu  n'exige  pas,  dit  saint  Chrysostome, 
que  vous  portiez  le  ciiice  et  la  haire  :  non 
requirit  Deus  ciliciorum  pondus.  11  n'exige 
pas  non  plus  que  vous  alliez  dans  les  déserts, 
et  que  vous  vous  cachiez  dans  les  antres  de 
la  terre  :  ncque  in  obscuris  antris  sedere 
iubet;  mais  il  exige  que  vous  fassiez  une  pé- 
nitence proportionnée  à  vos  péchés.  Celle  de 
François  vous  confondra,  Messieurs,  c'est 
celle  de  Jean-Baptiste.  Elle  vous  annonce  que 
le  ciel  souffre  violence.  Mais  voici  d'autres 
faits  que  je  ne  fais  qu'exposer  à  votre  admi- 
ration, parce  que  ce  sont  des  prodiges.  Fran- 
çois nous  retrace  dans  le  désert  le  jeûne  mi- 
raculeux que  Jésus-Christ  a  pratiqué. 

Le  désert  de  Pérouse  avait  des  charmes 
pour  François,  parce  qu'il  n'offrait  à  ses 
yeux  que  des  rochers  escarpés,  des  monts 
solitaires,  des  terres  incultes.  Il  ne  cherchait 
que  son  Dieu;  il  ne  voulait  rien  emprunter 
des  créatures;  les  lieux  les  plus  sombres  et 
les  plus  inconnus  au  monde  avaient  pour 
lui  des  appâts. 

Je  ne  veux  pas  vous  dépeindre  ici,  Mes- 
sieurs, les  charmes  de  la  solitude,  mais  les 
vertus  du  solitaire.  C'est  à  ceux  qui  écrivent 
(tour  plaire  et  pour  amuser,  à  faire  de  bril- 
lantes peintures  de  la  retraite.  Les  descrip- 
tions du  désert  n'ont  jamais  arraché  un  mon- 
dain au  tumulte  du  siècle.  Les  images  flat- 
teuses du  monde  ont  quelquefois  arraché  des 
solitaires  à  la  retraite. 

Des  charmes  chimériques  qui  n'existent 
.}jo  dans  la  fable,  et  qui  n'ont  jamais  été 
chantés  que  par  les  maîtres  de  la  fiction  ne 
suffirent  pas  pour  satisfaire  des  cœurs  livrés 
au  monde. 

Je  vois  dans  la  retraite  des  philosophes 
dégoûtés  du  monde  sans  être  occupés  du 
ciel.  J'y  vois  des  hommes  d'oisiveté  qu'un 
lâche  repos  a  rendus  inutiles  à  la  société.  J'y 
vois  des  courtisans  disgraciés  que  le  seul 
espoir  d'être  rappelés  à  la  cour  soutient  con- 
tre les  ennuis.  Tristes  victimes  de  la  for- 
tune et  du  caprice,  ils  y  sont  sans  consola- 
tion, parce  qu'ils  y  sont  sans  vertus. 

Les  rosées  célestes  pénètrent  le  cœur  de 
relui  que  la  grâce  a  conduit  dans  le  désert. 
Celui  que  l'orgueil,  l'amour  du  repos,  les 
rebuts  du  monde  y  ont  conduit,  est  toujours 
triste  et  abattu;  l'un  y  chante  les  miséricor- 
des et  les  justices  du  Seigneur;  l'autre  y  ra- 


,  SAINT  FRANÇOIS  D'ASSISE.  102 

conte  ses  pertes  .et  ses  disgrâces.  L'esprit  tde 
Dieu  a  conduit  dans  la  solitude  des  hommes 
opulents,  distingués  daus  le  monde.  La  grâce 
a  arraché  aux  honneurs  et  aux  plaisirs,  de-s 
jeunes  personnes  qui  brillaient  dans  ces  cer- 
cles. Des  chastes  colombos,  effrayées  de  \a 
licence  et  de  la  corruption  des  mœurs,  se 
sont  ensevelies  dans  le  désert.  Là,  ils  y  goû- 
taient de  pures  délices  ;  ils  y  chantaient  conti- 
nuellement le  cantique  de  leur  délivrance, 
et  se  rendaient  célèbres  par  leurs  austérités 
et  leurs  victoires  jusque  dans  les  cours  des 
plus  grands  empereurs.  François,  Messieurs, 
fut  aussi  conduit  dans  le  désert  par  l'esprit 
de  Dieu.  11  a  eu  même  l'avantage  sur  les 
plus  célèbres  anachorètes,  d'y  avoir  retracé 
le  jeûne  miraculeux  de  Jésus-Christ. 

Ici  je  n'ose  entreprendre  de  vous  parler 
des  vertus  de  ce  saint  solitaire.  Comment 
raconter  des  merveilles  dont  le  ciel  seul  a 
été  le  témoin? 

Vousdirai-je  que  Dieu  lui  suffisait,  et  qu'il 
n'empruntait  rien  des  créatures;  qu'il  con- 
templait sans  cesse  le  ciel,  et  qu'il  ne  regardait 
la  terre  que  pour  l'arroser  de  ses  pleurs  ;  que 
son  abstinence  n'étonnait  pas  moins  que  ses 
miracles,  et  qu'il  paraissait  plutôt,  un  ange 
descendu  du  ciel,  qu'un  mortel  dérobé  au 
monde  ? 

Le  croirez- vous,  Messieurs,  et  votre  déli- 
catesse effrayée  ne  révoquera-t-elle  pas  en 
doute  un  fait  attesté  par  les  plus  saints  et 
les  plus  savants  auteurs?  François  imite  le 
jeûne  de  Jésus-Christ  dans  le  désert.  Atta- 
ché à  son  Dieu  par  les  liens  sacrés  de  la 
prière;  comblé  de  grâces  et  de  consolations  ; 
souvent  dans  des  extases  et  des  ravissements; 
le  saint  temps  du  carême  s'est  écoulé,  et 
François,  semblable  aux  anges,  n'a  point  eu 
d'autre  nourriture  que  les  douceurs  céles- 
tes et  les  biens  spirituels. 

Le  jeûne  de  François  dan  '  une  île  écartée 
est  aussi  long  et  aussi  austère  que  celui  de 
Jésus-Christ.  Dans  Jésus-Christ  c'était  un 
effet  de  sa  volonté  et  de  sa  puissance;  dans 
François  d'Assise  c'était  la  récompense  de 
ses  austérités,  et  l'effet  d'une  grâce  privilé- 
giée. 11  était  destiné  pour  retracer  Jésus- 
Christ  avec  toute  la  sévérité  de  son  Evangile. 

Je  sais,  Messieurs,  que  ce  trait  de  la  vie 
de  mon  héros  n'est  pas  une  de  ces  vertus 
que  vous  puissiez  imiter.  Heureux  si  de 
frivoles  prétextes  ne  vous  rendaient  pas  tous 
les  ans  de  lâches  prévaricateurs  d'une  péni- 
tence qui  n'a  presque  plus  rien  de  la  sévérité 
des  premiers  siècles  1 

Un  goût  pour  la  pénitence,  un  esprit  tou- 
jours occupé  de  la  sévérité  de  l'Evangile,  un 
cœur  pénétré  de  ce  qu'  in  Dieu  a  fait  pour 
l'homme  ;  des  austérités  continuelles  avaient 
comme  préparé  François  à  ce  jeûne  miracu- 
leux. Votre  délicatesse,  Messieurs,  vos 
frayeurs  aux  approches  de  la  pénitence  so- 
lennelle du  carême,  vous  préparent  à  ces 
infractions  scandaleuses  qui  font  gémir  l'E- 
glise. 

Quand  on  vous  représente,  Messieurs,  un 
mortel  dans  un  affreux  désert,  seul  avec  son 
Dieu:  placé,  pour  ainsi  dire,  entre  le  ciel 


103  ORATEURS  SACRES.  BALLliT. 

et   la  terre,  vous  croyez  que  tout  lui  man- 
que. Vous  jugez,   par  le  besoin  que  vous 


104 


avez  continuellement  des  créatures,  que  les 
ennuis,  les  privations  lui  font  couler  des 
jours  tristes  et  languissants.  Ah  !  vous  igno- 
rez que  Dieu  seul  peut  remplir  la  vaste  éten- 
due des  désirs  de  l'homme.  François,  dans 
le  désert,  y  goûte,  par  anticipation,  les  dou- 
ceurs du  ciel.  S'il  y  retrace  la  retraite  et  le 
jeûne  du  Sauveur,  il  y  retrace  aussi  ses  vic- 
toires et  ses  triomphes. 

Qu'est-ce  qu'un  mondain  heureux  selon 
vous?  C'est  un  homme  opulent,  en  place, 
qui  coule  ses  jours  dans  les  plaisirs,  les 
honneurs.  Mais  quelle  félicité  que  celle  qui 
dépend  des  créatures,  et  qui  fait  naître  tous 
les  jours  de  nouveaux  désirs?  Quelle  féli- 
cité que  celle  d'un  homme  à  qui  Dieu  ne 
suffit  pas,  et  qui  cherche  continuellement 
dans  les  objets  impuissants  qui  l'environ- 
nent, de  quoi  dissiper  ses  ennuis  et  ses 
chagrins  ? 

S'il  y  a  un  homme  heureux  dans  le  monde, 
c'est  celui  à  qui  Dieu  tient  lieu  de  toute 
chose.  S'il  y  a  un  solitaire  mécontent,  c'est 
celui  qui  porte  ses  regards  vers  le  monde, 
qui  croit  avoir  beaucoup  quitté  en  l'aban- 
donnant. Alors  il  languit  dans  sa  retraite,  il 
l'arrose  de  ses  pleurs.  Ses  criminels  retours 
vers  le  siècle  ont  banni  Dieu  de  son  cœur. 
Les  créatures  qui  pourraient  l'amuser  lui 
manquent.  Etat  déplorable  qui  annonce  sou- 
vent les  chutes  les  plus  humiliantes. 

On  ne  tend  pas  à  la  perfection,  mais  on  y 
est  arrivé,  Messieurs,  quand  Dieu  seul  suf- 
fit et  qu'on  n'emprunte  rien  des  créatures 
pour  être  heureux.  Tel  fut  François  d'As- 
sise dans  le  désert,  il  ne  le  quitte  que  pour 
monter  sur  un  nouveau  Calvaire,  et  nous  re- 
tracer Jésus-Christ  crucifié,  comme  il  nous 
l'a  retracé  pénitent. 

Le  Calvaire  et  le  mont  Alverne,  voilà, 
Messieurs,  les  deux  grands  objets  que  j'ex- 
pose à  votre  admiration  et  à  votre  piété.  Sur 
le  Calvaire,  Jésus-Christ  se  laisse  attacher  à 
la  croix  pour  y  expier  le  crime  de  l'homme 
coupable,  et  apaiser  la  colère  du  ciel  jus- 
tement irrité.  Sur  le  mont  Alverne,  François 
y  est  crucifié  par  le  ministère  d'un  ange, 
pour  suppléer  au  martyre  que  les  barbares 
lui  ont  refusé,  et  récompenser  son  héroïque 
charité.  La  criminelle  désobéissance  de 
l'homme  fait  couler  le  sang  de  Jésus-Christ  : 
la  tendre  miséricorde  d'un  Dieu  fait  couler 
celui  de  François. 

Je  le  répète,  Messieurs,  c'est  à  votre  piété 
(pie  j'expose  ces  merveilles  de  l'amour  d'un 
Dieu,  ce  n'est  pas  au  jugement  des  mondains 
de  notre  siècle. 

Quels  coups  ne  porte-t-on  pas  aujourd'hui 
à  la  vérité  de  la  religon,  à  la  sainteté  de  ses 
héros,  à  la  dignité  de  ses  ministres?  Quels 
sont  les  livres  que  l'on  loue,  (pie  l'on  dévo- 
re? Ne  sont-ce  pas  ceux  qui  enseignent 
l'athéisme,  le  déisme,  qui  apprennent  à 
douter  de  tout,  à  se  permettre  tout?  A  quoi 
tendent  ces  préceptes  pour  les  mœurs  que 
l'irréligion vienl  dedicter,  sinon  à  introduire 


dans  le  christianisme  les  mœurs  mômes  des 
infidèles? 

Rougissons  aujourd'hui  de  copier  les  plus 
hardis  protestants,  lorsqu  il  s'agit  des  faits 
que  l'Eglise  romaine  expose  à  notre  piété. 

Un  malheureux  Bayle ,  armé  cie  lectures 
profanes,  de  critiques  indécentes,  de  sacri- 
lèges saillies,  de  tous  les  arguments  des  hé- 
rétiques, ne  se  reproduit-il  pas  tous  les 
jours  sur  la  scène?  N'a-t  il  pas  des  disciples 
qui  enseignent  dans  les  cercles  ses  impiétés  ? 
Rougit-on  de  les  entendre?  Méprise-t-ori 
leurs  ouvrages?  Ont-ils  le  sort  qu'ils  de- 
vraient avoir  dans  un  royaume  catholique  ? 

Grand  Dieu!  vous  êtes  patient,  parce  que 
vous  êtes  tout-puissant  !  Conservez  ce 
royaume  dans  la  pureté  de  la  foi  :  détruisez 
les  impiétés,- convertissez  les  impies. 

Non,  Messieurs,  ce  n'est  pas  à  ces  pré- 
tendus esprits  forts  que  je  raconte  la  mer- 
veille du  mont  Alverne.  Quoique  les  glo- 
rieux st'gmates  de  François  d'Assise  soient 
respectés  dans  l'Eglise  comme  un  fait  grave, 
ils  ont  l'audace  de  comparer  ses  sources 
pures  à  ces  ouvrages  de  l'antiquité  fabuleu- 
se d'où  coulent  de  brillants  mensonges  et 
d'ingénieuses  fictions.  C'està  vous,  chrétiens, 
que  la  piété  rassemble  dans  ces  lieux,  que 
j'expose  ce  nouveau  genre  de  martyre  dont 
François  fut  honoré,  et  qui  retrace  les  mys- 
tère du  Calvaire. 

Jamais  saint,  Messieurs,  n'eut  un  dés'r 
plus  ardent  de  souffrir  que  François.  11  dé- 
sira le  martyr,  il  le  chercha,  il  fit  tout  ce  qu'il 
put  pour  l'obtenir. 

N'est-ce  pas  cette  sainte  impatience  de 
souffrir  qui  lui  fit  quitter  l'Italie,  passer  les 
mers,  pénétrer  dans  la  Syrie,  et  prêcher  le 
crucifix  à  la  nain,  sous  la  tente  même  do 
Mélédin,  soudan  de  liahylone  ?  Ah  !  c'est  ici, 
Messieurs,  que  je  vous"  prie  d'admirer  les 
triomphes  de  la  sainteté.  François  trouve 
des  admirateurs  où  il  comptait  trouver  des 
bourreaux.  Son  zèle  devait  exciter  la  fureur 
du  soudan,  et  il  épuise  son  admiration. 
Comme  chrétien,  il  devrait  être  jeté  dans  les 
fers,  et  il  est  caressé.  La  secte  mahométane 
traitée  d'impie,  les  rêveries  du  Koran  dé- 
voilées, Jésus-Christ  avec  sa  croix  prêché 
hautement  :  tout  cela  demandait  une  ven- 
geance publique,  et  on  lui  offre  des  pré- 
sents et  une  couronne.  11  est  libre  où  les 
autres  sont  dans  les  fers  :  elle  est  donc  bien 
puissante.  Messieurs,  la  sainteté  de  Fran- 
çois, puisqu'elle  change  les  tyrans  en  admi- 
rateurs. 

Sortez  donc,  François,  de  ce  vaste  empire, 
qui  est  devenu  pour  vous,  aussi  bien  que 
1  Italie,  un  théâtre  de  gloire;  et  retournez 
dans  votre  chère  solitude,  Dieu  vous  y  atta- 
chera lui-même  à  la  croix. 

11  sort,  Messieurs,  de  l'empire  de  Maho- 
mel,  où  son  nom  respecté  a  toujours  été  pré- 
cieux à  «es  puissants  empereurs.  L'Italie 
revoit  son  apôtre,  son  prophète,  son  thau- 
maturge. La  solitude  du  mont  Alverne  le 
verra  bientôt  s'entretenir  avec  son  Dieu  ;  elle 
sera  le  témoin  d'un  martyre  miraculeux. 
Ah!   quelles  merveilles  se  présentent  à 


PANEGYRIQUES.  —  PANEG.   VI,  SAINTE  CLAME. 


105 

mes  yeux!  le  ciel  s'ouvre,  un  séraphin  por- 
tant entre  ses  ailes  l'image  de  Jésus  attaché 
à  la  croix,  vient  fondre  sur  François,  lui 
perce  les  pieds,  les  mains  et  le  côté.  Fran- 
çois porte  présentement,  empreintes  sur  lui, 
les  glorieuses  cicatrices  du  Sauveur. 

O  précieuse  victime  de  la  croix  I  l'amour 
d'un  Dieu  vous  a  fait  ces  plaies  honorables  1 
Quelle  faveur,  quelle  gloire! 

Et  vous,  saints  religieux,  qui  avez  été  les 
premiers  confidents  de  ces  merveilles;  illus- 
tre sainte  Claire  qui  les  avez  vues  avec  toutes 
vos  saintes  filles  ;  chefs  .respectables  de  VM- 

{;lise  qui  les  avez  attestés  et  publiés  dans 
'assemblée  des  fidèles;  grand  saint  Bona- 
venture  qui  avez  employé  votre  savante 
plume  pour  les  défendre  contre  l'abus  de  la 
critique,  vous  vous  êtes  tous  écriés  dans 
les  transports  d'une  sainte  allégresse  :  11  a 
paru  dans  notre  siècle,  ce  séraphin  qui  re- 
traçait les  souffrances  de  Jésus-Christ.  Toute 
Tltalie  a  vu  un  ange  dans  un  corps  mortel. 
Jésus-Christ  a  été  retracé  dans  François  d'As- 
sise avec  toute  la  sagesse  et  toute  la  sévé- 
rité de  son  Evangile  :  Vidi  angelum  habentem 
signum  Dei  vivi. 

Cette  victime  de  la  croix  se  consume,  Mes- 
sieurs ;  elle  se  détruit  promptemént  dans  les 
pures  flammes  d'un  divin  amour.  Elle  lan- 
guit sur  la  terre,  et  prête  de  consommer  son 
jacrifice,  je  l'entends  prononcer  avec  con- 
fiance ces  paroles  du  prophète  : 

Tous  ceux  dont  vous  avez  couronné  les 
justices,  ô  mon  Dieu!  m'attendent  pour  par- 
ticiper à  leur  récompense.  S'il  faut  porter  la 
croix  pour  entrer  dans  le  ciel  et  suivre  votre 
divin  Fils, sur  le  Calvaire,  je  porte  sur  ma 
chair  ses  glorieuses  cicatrices.  C'est  vous- 
même  qui  y  avez  imprimé  ces  signes  sacrés 
du  Calvaire.  Je  n'ai  jamais  abandonné,  par 
votre  grâce,  la  sagesse  et  la  sévérité  de  l'E- 
vangile ;  j'attends  avec  confiance  la  couronne 
de  justice,  et  j'ose  dire  que  vos  élus,  qui 
voient  tout  en  vous,  m'attendent  aussi  pour 
posséder  la  même  gloire  :  Me  exspectant 
justi  donec  rétribuas  mihi.  (Psal.  CXLI.) 

C'est  en  prononçant  ces  paroles,  Messieurs, 
que  ce  séraphin  quitta  la  terre  et  s'envola 
dans  le  ciel.  C'est  en  l'imitant  selon  la  me- 
sure de  grâce  qui  vous  est  donnée,  que  vous 
participerez  un  jour  à  la  gloire  éternelle 
dont  il  jouit.  Je  vous  la  souhaite. 

PANÉGYRIQUE  VI. 

SAINTE    CLAIRE. 

Prononcé  dans  V église  des  religieuses  de  VAve- 
Maria,  à  Paris,  le  12  août  1743. 

Fortiludo  et  deeor  indumentum  ejus.  (Prov.,  XXXI.) 
Elle  a  été  revêtue  de  force  et  de  gloire. 

La  force  et  la  gloire  appartiennent  à  Dieu; 
nous  n'en  voyons  que  de  faibles  écoule- 
ments dans  ces  âmes,  dont  le  monde  même 
a  couronné  les  éclatantes  vertus  après  avoir 
vainement  attaqué  leur  héroïque  constance. 

Si  les  livres  saints  nous  montrent  un  Moïse 
qui  remplit  l'Egypte  de  prodiges;  un  Josué 
qui  défait  les  Amalécites  et  réjouit  Israël 
Orateurs  sacrés.  L. 


tôt 

par  de  rapides  conquêtes;  une  Judith  qui 
sort  de  la  retraite  pour  aller  moissonner  des 
lauriers  sous  la  tente  d'un  superbe  Assy- 
rien; des  Samuel,  des  Nathan,  des  Elie,  des 
Elisée,  des  Daniel  qui  pénètrent  jusque  dans 
les  palais  des  rois  et  reprennent  les  vices 
qui  souillent  leurs  trônes  et  leurs  couronnes, 
ils  ont  soin  de  nous  apprendre  que  c'est 
Dieu  qui  a  changé  leur  faiblesse  en  puis- 
sance et  leur  bassesse  en  grandeur.  En  effet, 
Messieurs,  pour  désoler  Pharaon  dans  ses 
appartements,  des  insectes  lui  suffisent. 

Pour  délivrer  Réthulie  d'Holopherne,  en- 
flé de  ses  victoires,  il  ne  lui  faut  que  le  bras 
d'une  femme;  pour  terrasser  l'orgueilleux 
Philistin,  il  ne  choisit  que  le  jeune  David; 
pour  renverser  la  superbe  idole  dont  il  est 
parlé  dans  Daniel,  il  ne  détache  de  la  mon- 
tagne qu'une  petite  pierre;  pour  faire  pâlir 
et  trembler  les  monarques  sur  leur  trône, 
un  homme  vêtu  grossièrement  et  tiré  des 
derniers  rangs  du  peuple  lui  suffit;  pour 
changer  l'univers,  déconcerter  l'enfer  et  ar- 
borer la  croix  méprisée  jusque  sur  le  Capi- 
tule de  Rome  et  le  front  des  empereurs,  sa 
sagesse  choisit  douze  hommes  pauvres,  sans 
science,  sans  crédit;  pour  confondre  la  vie 
molle. et  voluptueuse  des  humains,  il  ne  leur 
oppose  souvent  qu'un  pauvre  solitaire  ou 
une  vierge  enveloppée  dans  la  retraite. 
Pourquoi  cela,  Messieurs?  C'est  que  la  force 
et  la  gloire  accompagnent  celui  que  Dieu  a 
choisi  pour  confondre  le  monde  incrédule 
et  délicat  :  Fortiludo  et  décor  indumentum 
ejus.  C'est  Dieu  qui  lui  donne  cette  force  à 
laquelle  ses  ennemis  ne  peuvent  résister. 

C'est  Dieu  qui  lui  procure  cette  gloire  que 
les  hommes  rendent  à  sa  mémoire  précieuse 
dans  tous  les  siècles  :  Forlitudo  et  décor  in- 
dumentum ejus. 

En  vous  traçant  ici,  Messieurs,  le  portrait 
d'une  âme  revêtue  de  force  et  de  gloire  que 
Dieu  s'est  choisie  pour  confondre  le  monde, 
et  à  laquelle  le  monde  même  décerne  des 
honneurs  après  lui  avoir  livré  des  combats,  ne 
reconnaissez-vous  pas  l'illustre  sainte  Claire 
dont  nous  honorons  aujourd'hui  la  haute 
sainteté  ;  cette  épouse  du  Sauveur  qui  a  mar- 
ché avec  tant  d'ardeur  sur  les  traces  du  grand 
François  d'Assise,  qui  a  fait  passer  dans  son 
sexe  sa  pauvreté  et  sa  pénitence,  qui  a  sou- 
tenu les  mêmes  combats  et  qui  a  eu  les 
mêmes  succès;  cette  zélée  institutrice  qui  a 
vu  passer  dans  son  ordre  des  vierges  desti- 
nées dans  le  monde  à  porter  des  couronnes 
et  à  occuper  des  trônes  ;  que  l'Eglise  regarde 
comme  une  portion  éclatante  de  sa  gloire, 
que  les  souverains  pontifes  ont  comblée  d'é- 
loges; révérée  des  grands  et  des  peuples,  re- 
doutée des  Maures  et  des  Sarrasins,  admirée 
d'un  monde  lâche  et  timide  qui  honore  ses 
vertus  et  qui  n'a  pas  le  courage  de  les  imi- 
ter. L'objet,  Messieurs,  de  nos  éloges,  et 
peut-être  le  sujet  de  notre  condamnation; 
oui,  sainte  Claire  est  une  de  ces  âmes  que 
Dieu  a  choisies  pour  être  l'ornement  et  la  con- 
solation de  son  Eglise;  qu'il  a  revêtues  de 
force  et  de  gloire  :  de  force  pour  combattre 
ses  ennemis,  de  gloire  pour  les  confond» e. 


407 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


108 


Ses  ennemis  ne  peuvent  résister  à  la  force 
que  Dieu  lui  communique.  Ses  ennemis  ne 
peuvent  lui  ravir  la  gloire  que  Dieu  lui  pro- 
cure. En  deux  mots  :  Sainte  Claire*  revêtue 
de  force,  sainte  Claire  revêtue  de  gloire  : 
Forlitudo  et  décor  indumentum  cjus.  Deman- 
dons, etc.  Ave,  Maria. 

TREMIÈSE    PARTIE. 

Combattre  ses  sens  et  les  soumettre  à  l'es- 
prit; rompre  les  liens  les  plus  chers  et  les 
plus  innocents;  posséder  son  âme  paisible 
et  tranquille  à  la  vue  des  ennemis  les  plus 
redoutables,  ce  ne  sont  pas  là,  Messieurs, 
les  victoires  des  héros  du  monde ,  ce  sont 
les  succès  de  la  force  que  Dieu  communique 
à  ses  saints  :  il  faut  être  au-dessus  de  l'homme 
pour  remporter  ces  triomphes. 

Disons  mieux,  il  faut  être  comme  sainte 
Claire,  revêtu  de  la  force  de  Dieu  :  fortitudo 
indumentum  ejus. 

La  force  des  héros  du  monde  remporte  des 
victoires  sur  les  ennemis  de  la  patrie,  mais 
elle  ne  les  garantit  pas  de  leur  propre  défaite; 
elle  les  arrache  dans  le  temps  des  combats  à 
leur  tendre  famille  et  à  leurs  voluptueuses 
maisons  ;  mais  elle  les  nourrit  de  la  flatteuse 
espérance  d'y  revenir  couler  des  jours  tran- 
quilles, à  l'ombre  de  leurs  lauriers  et  des 
récompenses  du  prince  ;  elle  les  expose  avec 
intrépidité  devant  l'ennemi  le  plus  auda- 
cieux, mais  elle  ne  rougit  pas  de  la  fuite, 
lorsque  la  partie  est  inégale.  Or ,  la  force 
des  saints  étant  la  force  de  Dieu  même,  ils 
attaquent  un  autre  genre  d'ennemis,  et  rem- 
portent des  victoires  plus  importantes. 

Trois  traits  de  la  vie  de  sainte  Claire  vont 
exposer  à  vos  yeux  les  prodiges  de  cette 
force  divine.  Vous  allez  voir  une  vierge  qui 
règne  paisiblement  sur  elle-même,  qui  résiste 
généreusement  aux  flatteuses  promesses  et 
aux  reproches  menaçants  d'une  famille  ir- 
ritée :  qui  choisit  sans  pâlir  et  sans  s'abattre 
le  moyen  le  plus  efficace  de  triompher  de 
l'ennemi  déjà  enflé  de  ses  prospérités.  Au- 
dessus  d'elle-même  quand  elle  règne  sur 
ses  passions.  Au-dessus  de  la  nature  quand 
elle  résiste  à  sa  famille.  Au-dessus  de  son 
sexe  quand  elle  dompte  les  Maures  et  les 
Sarrasins,  partout  elle  paraît  revêtue  de  la 
force  de  Dieu,  à  laquelle  rien  ne  résiste  : 
fortitudo  indumentum  ejus. 

Régner  sur  soi-même  est  le  plus  beau 
triomphe  que  puisse  remporter  le  chrétien. 
«  En  vain,  dit  saint  Augustin,  on  règne  pai- 
siblement sur  un  grand  empire  et  l'on  voit 
ses  ennemis  vaincus,  abattus  à  ses  pieds,  si 
l'on  n'a  pas  la  force  de  régner  sur  ses  sens  et 
ses  passions.  »  Le  démon  enchaîne  les  vain- 
queurs du  monde,  il  leur  prépare  un  théâtre 
de  faiblesse  dans  leurs  palais  mêmes,  après 
les  avoir  laissés  briller  sur  les  théâtres  de  la 
guerre.  Un  héros  flétri  par  le  péché  est  bien 
peu  de  chose  sous  la  brillante  couronne  qu'il 
porte ,  et  sous  les  lauriers  qu'il  a  mois- 
sonnés :  prodiges  de  valeur  quand  il  s'agit  de 
«ombattre  les  ennemis  de  l'Etat,  prodige  de 
foi  blesse  quand  il  s'agit  de  combattre  les  en- 
nemis du  salut;  on  peut  dire  d'eux  ce  que 


le  Saint-Esprit  dit  de  ce  fameux  prince  de 
Syrie  :1e  péché  défigure  leur  grandeur,  après 
avoir  loué  de  grands  exploits,  on  est  obligé 
de  déplorer  de  grandes  faiblesses  :  magnus1 
sed  leprosus.  (IV  Reg.,  V.) 

C'est  dans  les  déserts  où  fleurirent  tant  de 
vénérables  solitaires,  que  l'on  vit  une  force 
sans  faiblesse,  parce  que  c'était  la  force  de 
Dieu.  C'est  sur  ces  théâtres  de  la  pénitence 
où  l'esprit  commande  à  la  chair,  où  la  loi 
des  membres  ne  livre  des  combats  que  pour 
procurer  des  victoires  ,  qu'on  trouve  des 
âmes  solidement  grandes.  Vaincre  le  démon, 
c'est  le  plus  beau  triomphe  qu'on  puisse 
remporter;  et  si,  selon  l'Ecriture,  sa  puis- 
sance est  incompréhensible ,  quelle  idée 
dois-je  avoir  de  celui  qui  l'enchaîne  à  ses 
pieds!  Une  idée,  Messieurs,  de  courage,  de 
force,  de  puissance  :  fortitudo  indumentum 
ejus. 

Telle  est  l'idée  que  je  conçois  d'abord  de 
sainte  Claire  :  elle  est  au-dessus  d'elle-même, 
pane  qu'elle  règne  sur  ses  passions  :  écoutez 
et  voyez  les  vertus  héroïques  qu'opère  une 
âme  revêtue  de  la  force  d'en  haut. 

Dieu  la  donna  dans  le  douzième  siècle.  La 
ville  d'Assise  vit  alors  paraître  deux  grandes 
lumières,  saint  François  et  sainte  Claire,  et 
l'on  verra  bientôt  dans  le  sexe  le  plus  faible 
ces  grands  exemples  de  pauvreté  et  de  péni- 
tence, qui  firent  regarder  François  comme 
un  homme  singulier,  un  homme  de  prodige. 

Claire  était  née  avec  ces  dons  qui  plai- 
sent et  qui  gagnent  le  cœur,  une  humeur 
égale,  un  esprit  solide,  un  caractère  doux, 
un  cœur  droit,  des  manières  aisées,  d'heu- 
reux penchants.  Dès  sa  plus  tendre  enfance, 
la  vérité  eut  pour  elle  des  attraits,  et  le  men- 
songe des  horreurs;  on  la  vit  soumise  aux 
impressions  de  la  vertu,  et  pleine  de  force 
et  de  courage  pour  résister  aux  amorces  du 
péché. 

L'éclat  de  sa  naissance,  les  charmes  du 
monde,  son  corps  même,  tout  fut  immolé  à 
la  vertu;  ce  sont  là  les  trois  trophées  qu'elle 
érige  à  la  sainteté  de  la  religion,  et  c'est 
ainsi  que  la  force,  dont  Dieu  l'avait  revêtue, 
la  fit  triompher  des  plus  grands  obstacles  de 
l'innocence,  et  la  plaça  en  quelque  sorte  aux 
dessus  d'elle-même  :  fortitudo  indumentum 
ejus. 

Issue  de  ces  familles  anciennes  et  illustres 
de  l'Italie,  son  sang  avait  coulé  dans  les 
veines  des  plus  grands  héros  de  la  guerre, 
et  ses  parents  soutenaient  encore,  par  letir 
dignité,  les  grands  noms  des  Sciphis  et  des 
Fieumis.  Mais,  de  quel  œil,  Messieurs,  pen- 
sez-vous qu'une  âme  qui  tire  toute  sa  gloire, 
à  l'exemple  de  saint  Paul,  de  la  croix  du 
Sauveur,  regarde  ces  titres  pompeux  1  Elle 
les  respecte,  il  est  vrai,  et  lorsqu'elle  les 
voit  soutenus  par  la  vertu,  elle  leur  donne 
des  éloges,  parce  que  le  Sage  ne  nous  dé- 
fend point  de  louer  ces  hommes  couverts  de 
gloire,  et  qu'il  nous  ordonne  même  d'ériger 
des  trophées  à  ces  héros  fameux  qui  ont 
brillé  dans  le  monde,  sans  être  du  monde  : 
laudemus  virosgloriosos.  (£'cc/t.,XLIV.)Mais 
elle  les  regarde  comme  des  titres  infiniment 


109 


PANEGYRIQUES.  —  PANEG.  VI 


SALNTE  CLAIRE. 


110 


au-dessus  de  celui  de  chrétien;  et  bien  loin 
de  se  glorifier  d'une  naissance,  à  laquelle 
die  n'a  point  de  part,  on  la  voit  oublier  ce 
qu'elle  est  dans  le  monde,  pour  penser  à  ce 
qu'elle  deviendra  dans  l'éternité  :  telle  fut 
l'idée  que  sainte  Claire  conçut  du  rang 
qu'elle  tenait  en  Italie;  elle  s'en  humilia 
au  lieu*  de  s'en  prévaloir;  le  sort  qu'il  lui 
préparait  l'alanna;  elle  craignit  la  chute  en 
regardant  l'élévation;  et  son  humilité  qui 
fuyait  les  honneurs,  lui  donna  assez  de 
force  pour  renoncer  à  toute  cette  grandeur 
du  siècle  :  fortitudo  indumentum  ejus. 

Paraissez  ici,  hommes  qui  cher,  ssez  la  va- 
nité et  le  mensonge,  qui  diligitis  vonitatem 
et  mendacùun  (Psal.  IV);  qui  payez  chère- 
ment de  savants  adulateurs  pour  reculer  la 
date  de  votre  origine,  et  vous  faire  descendre 
des  héros  qui  vous  méconnaîtraient  s'ils 
paraissaient  encore  sur  la  scène  du  monde. 
La  gloire  de  vos  aïeuls  peut-elle  donc  illus- 
trer des  cœurs  lâches  ou  des  hommes  de 
vice?  Mépriser,  Messieurs,  le  haut  rang  que 
donne  sa  naissance,  n'est-ce  pas  déjà  être 
au-dessus  de  soi-même?  C'est  ce  que  fit 
sainte  Claire  dès  les  premiers  regards  qu'elle 
porta  sur  le  monde  ;  mais  voici  cfautres  faits  : 
le  monde  le  plus  riant,  le  plus  flatteur  fut  le 
second  trophée  qu'elle  érigea  à  la  sainteté  de 
la  religion. 

Un  seul  regard,  Messieurs,  sur  le  théâtre 
du  monde  vous  fera  connaître  toute  la  force 
de  ceux  qui  lui  résistent,  quand  je  le  vois 
attacher  à  son  char  presque  tous  les  humains  ; 
faire  observer  en  maître  absolu  ses  lois,  ses 
maximes,  ses  coutumes;  gêner  le  monarque 
ainsi  que  les  courtisans,  se  faire  redouter 
dans  tous  les  états,  imposer  des  fardeaux  in- 
finiment plus  pesants  que  ceux  de  la  reli- 
gion, et  malgré  cela  étendre  son  empire  dans 
tous  les  lieux  de  l'univers,  compter  presque 
autant  de  conquêtes  qu'il  livre  de  combats; 
je  ne  saurais  tropadmirer  laforce  d'une  âme 
qui  le-méprise,  lui  résiste.  Telle  fut  la  force 
de  sainte  Claire;  elle  ne  connut  le  monde 
que  pour  le  combattre,  et  lui  dire  un  éternel 
adieu.  Quel  beau  spectacle  se  présente  ici  à 
mes  yeux  !  Je  la  vois  dans  la  cathédrale 
d'Assise  avec  tous  les  ornements  du  siècle  ; 
onla  prendrait  pour  une  conquête  du  monde, 
et  c'est  une  conquête  de  Jésus  qu'elle  va 
prendre  pour  son  époux  :  déjà  François  l'at- 
tend avec  tous  ses  religieux;  déjà  l'autel  est 
dressé:  elle  y  vole  comme  une  victime  qui 
soupire  après  le  moment  du  sacrifice;  elle 
jette  loin  d'elle  toute  cette  pompe  mondaine, 
reçoit  l'habit  de  pénitence,  et  contracte  avec 
Jésus-Christ  cette  alliance  dont  elle  a  si 
bien  soutenu  l'éclat  par  son  éminente  pu- 
reté. C'est  dans  ce  moment,  Messieurs,  qu'on 
vit  le  monde  couvert  de  confusion,  et  vaincu 
par  une  jeune  vierge,  ses  plaisirs  les  plus 
doux  et  même  les  plus  innocents,  ses  al- 
liances les  plus  flatteuses,  ses  fortunes  les 
plus- riantes,  tout  fut  foulé  aux  pieds;  un 
vœu  solennel  de  virginité  et  de  pauvreté  fut 
l'acte  authentique  qui  déclara  au  monde 
étonné  le  mépris  qu  elle  laisait  des  choses 
de  la  terre,  et  le  courage  avec  lequel  elle 


brisa  tous  ses  liens  nous  assure  qu  elle  était 
revêtue  de  cette  force  divine  à  laquelle  rien 
ne  résiste  :  fortitudo  indumentum  ejus. 

Vous  le  savez,  Messieurs,  la  sainteté  de 
l'état  ne  l'ail  pas  toujours  des  saints  ;  on  ne 
laisse  pas  dans  le  monde  ses  passions  comme 
on  y  laisse  ses  fortunes  et  sa  famille  :  toute 
la  terre  est  un  lieu  de  combats,  et  après  avoir 
triomphé  du  monde,  il  faut  encore  triompher 
de  soi-même.  Sainte  Claire  comprit  cette  im- 
portante vérité;  c'est  pourquoi  elle  eut  re- 
cours à  tous  les  genres  de  pénitence  que  le 
zèle  peut  inspirer  :  c'est  alors  qu'on  vit  l'in- 
nocence timide  et  alarmée  se  précautionner 
contre  les  amorces  du  péché;  la  seule  crainte 
de  devenir  infidèle  mouilla  souvent  son  vi- 
sage de  pleurs  :  de  là  ces  veilles  qu'elle  pro- 
longeait des  nuits  entières;  de  là  ces  tendres 
gémissements  et  cette  voix  plaintive  qu'elle 
adressait  à  son  époux  ;  de  là  ces  haires  et 
ces  cilices  dont  elle  serrait  son  corps  inno- 
cent; de  là  ces  jeûnes  continuels,  et  cette 
espèce  d'habitude  de  ne  manger  que  rare- 
ment ;  de  là  ces  macérations  qui  lui  faisaient 
souffrir  un  martyre  lent  et  continuel;  de  là 
toutes  ces  austérités  qu'elle  eut  le  courage 
d'employer  pour  réduire  son  corps  en  servi- 
tude, et  devenir  une  hostie  vivante  et  agréa- 
ble à  son  époux  :  Ilosliam  vivent em  et  pla- 
centem  Deo  (Rem.,  XII);  austérités,  Mes- 
sieurs, qu'elle  poussa  si  loin,  que  François, 
cet  homme  de  pénitence  et  crucifié,  que  l'é- 
vêque  d'Assise,  un  des  premiers  admirateurs 
de  sa  sainteté,  furent  obligés  d'en  arrêter  les 
excès.  C'est  ainsi  qu'elle  s'éleva  au-dessus 
d'elle-même,  et  qu'elle  fit  éclater  cette  forée 
divine  qui  fait  mépriser  l'éclat  de  sa  nais- 
sance, les  charmes  du  monde,  et  dompter  ses 
passions  :  Fortitudo  indumentum  ejus. 

Quelle  honte  pour  nous,  Messieurs  !  l'E- 
glise est  occupée  à  déplorer  nos  relâche- 
ments, au  lieu  d'être  obligée  d'arrêter  notre 
zèle  ;  et  n'y  eût-il  que  les  austérités  de  ces 
vierges  qui  m'écoutent,  et  qui  marchent  avec 
tant  de  courage  sur  les  traces  de  leur  sainte 
institutrice,  n'avons-nous  pas  de  quoi  con- 
damner cette  délicatesse  qui  nous  endort  et 
nous  amollit;  je  ne  suis  pas  étonné  que  le 
moindre  obstacle  nous  arrête,  et  que  la  chair 
et  le  sang  fassent  souvent  échouer  les  plus 
louables  projets  :  quand  ou  n'a  pas  la  force, 
comme  sainte  Claire,  de  régner  sur  ses  pas- 
sions, on  n'a  pas  la  force  de  résister  aux 
vues  charnelles  d'une  famille  qui  ignore  les 
desseins  de  Dieu.  Sainte  Claire  fut  au-dessus 
de  la  nature  en  résistant  à  sa  famille,  parce 
qu'elle  était  déjà  au-dessus  d'elle-même  par 
l'assujettissement  de  ses  passions  ;  Fortitudo 
indumentum  ejus. 

Quand  Dieu  appelle  à  lui  une  âme,  i.l  veut 
qu'elle  brise  généreusement  les  liens  les 
plus  innocents  ;  il  l'élève  au-dessus  de  la 
nature  :  elle  aime  ses  parents,  mais  elle  aime 
encore  plus  son  Dieu;  elle  est  soumise  à 
leur  volonté  tant  qu'elle  n'est  pas  contraire 
à  celle  du  Créateur  ;  elle  écoute  avec  docilité 
leurs  conseils  ;  mais  la  voix  de  l'E;  oux  se  fait 
entendre  efficacement  :  lorsqu'il  l'anpefle  à  la 
solitude,  c'est  un  arrêt  pour  elle,  elle  y  voîej 


in 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


112 


les  caresses  et  les  menaces,  les  larmes  et  les 
fureurs  n'ébranlent  point  son  courage  ;  elle 
aime  ses  parents,  mais  elle  ne  les  aime  pas 
plus  que  son  Dieu;  et  dans  ces  combats  de 
la  grâce  et  de  la  nature,  la  victoire  est  pour 
Jésus-Christ  ;  son  épouse  échappe  aux  em- 
pressements d'une  famille  charnelle,  et  va 
couler  des  jours  tranquilles  sous  les  paisi- 
bles lois  de  la  retraite;  c'est  ainsi,  Messieurs, 
2u'il  faut  entendre  cet  oracle  du  Sauveur  : 
elui  qui  aime  son  père  ou  sa  mère  plus  que 
moi,  n'est  pas  digne  de  moi  :  Non  est  me 
dignus.  (Matth.,  X.)  Remarquez  qu'il  ne  dé- 
fend point  les  honneurs,  l'obéissance,  l'ami- 
tié, les  secours  que  nos  parents  ont  droit 
d'attendre  de  nous  ;  mais  il  veut  seulement 
leur  être  préféré  :  c'est  ainsi  qu'il  n'a  pas  au- 
torisé l'insensibilité  ni  la  dureté,  en  déta- 
chant les  apôtres  de  leur  patrie,  de  leur  fa- 
mille. Ce  centuple  de  l'Evangile,  ces  conso- 
lations, ces  trônes  éclatants  qu'il  promet 
dans  le  ciel  à  ceux  qui  quittent  tout  pour  lui, 
ne  sont  pas  les  récompenses  d'un  cœur  in- 
sensible, mais  d'un  cœur  généreux,  d'une 
âme  élevée  au-dessus  de  la  nature,  telle  que 
l'illustre  sainte  Claire,  que  la  grâce  mit  au- 
dessus  de  la  chair  et  du  sang,  en  la  faisant 
sortir  victorieuse  des  combats  que  sa  famille 
lui  livra.:  Fortitudo  indumentum  ejus. 

Déjà,  Messieurs,  la  retraite  de  sainte  Claire 
fait  du  bruit  dans  la  ville  d'Assise,  et  partage 
les  esprits;  c'est  une  scène  qui  occupe  les 
mondains,  et  exerce  leur  censure  :  Made- 
leine, aux  pieds  du  Sauveur,  est  condamnée 
par  le  pharisien;  Claire,  sous  l'habit  de  pé- 
nitence, et  sous  les  yeux  de  son  Epoux,  est 
l'objet  des  plus  malignes  conversations.  Dans 
un  cercle,  on  veut  que  la  légèreté  soit  la 
seule  cause  de  cette  action  éclatante;  dans 
un  autre,  une  ferveur  indiscrète  a  précipité 
ses  pas  vers  l'autel.  Elle  est  coupable,  parce 
qu'elle  est  jeune;  elle  est  imprudente,  parce 
qu'elle  n'a  pas  consulté  le  monde;  elle  est 
téméraire,  parce  qu'elle  embrasse  un  genre 
de  vie  austère.  Son  Epoux  qui  l'appelle , 
François  qui  a  examiné  sa  vocation,  sainte 
Claire  déjà  accoutumée  à  remporter  des  vic- 
toires sur  le  démon,  tout  cela  ne  peut  la  jus- 
tifier aux  yeux  d'un  monde  sensuel  et  déli- 
cat que  la  pénitence  effraie  et  que  la  croix 
révolte.  C'est  ainsi  que  s'accomplit  cet  oracle 
de  saint  Paul  :  Si  vous  voulez  que  les  mon- 
dains se  déclarent  contre  vous,  déclarez-vous 
hautement  [jour  Jésus-Christ,  prenez  sa  croix, 
et  suivez-le  dans  la  route  du  Calvaire.  Le 
monde  ne  veut  pas  être  condamné  ;  et  si  on 
ne  veut,  point  ériger  des  trophées  à  ses  vani- 
tés et  à  ses  maximes,  il  ne  tant  point  en  éri- 
ger avec  trop  d'éclat  aux  abaissements  et 
aux  austérités  de  l'Evangile  :  il  attacpic  la 
piété  qui  le  méprise,  et  tourne  en  ridicule 
ceux  qui  l'abandonnent  :  Omnes  qui  pie  vo- 
lunt  vivere  in  hoc  sœculo  persecutionem  pa- 
tientur.  (II  Tim.,  III.) 

Mais  les  oracles  de  ces  politiques  du  monde 
n'ébranlèrent  point  sainte  Claire.  Elle  les 
laissa  débiter  leur  morale  insensée,  et  elle 
eut  le  courage  de  se  mettre  au-dessus  de  leur 
fausse  sagesse  :  Fortitudo  indumentum  ejns. 


Les  discours  de  ces  hommes  accoutumés 
à  raisonner  en  politiques ,  ne  furent  que 
comme  ces  éclairs  qui  annoncent  les  orages 
et  les  tempêtes.  Sa  famille  va  lui  livrer  de 
grands  combats,  lui  procurer  de  plus  grandes 
victoires;  mais  sainte  Claire,  en  lui  résistant 
généreusement,  va  nous  prouver  qu'elle  est 
déjà  élevée  au-dessus  de  la  nature. 

Quand  les  parents  se  conduisent  par  des 
vues  humaines  et  charnelles,  ils  tombent 
dans  deux  excès  également  contraires  aux 
desseins  de  la  Providence  et  au  salut  de 
leurs  enfants. 

Les  tins,  effrayés  à  la  vue  d'une  nombreuse 
famille  qu'ils  ne  peuvent  soutenir  dans  le 
luxe  et  dans  le  faste,  destinent  les  plus  jeu- 
nes de  leurs  enfants  à  l'autel  ou  au  cloître. 
Pour  procurer  aux  uns  une  abondance  qui 
ne  leur  est  point  due,  on  livre  les  autres  à 
une  pauvreté  qui  n'est  pas  volontaire.  Le 
soutien  de  la  famille  demande  ce  sacrifice; 
la  vocation,  c'est  le  système  des  affaires.  En 
vain  une  jeune  personne  marque  de  la  ré- 
pugnance pour  la  retraite  et  du  goût  pour  le 
monde  ;  le  vaisseau  de  Jonas  est  trop  chargé, 
il  faut  que  quelqu'un  soit  précipité  dans  la 
mer.  Parlons  sans  figure  :  la  famille  est  trop 
nombreuse,  il  en  faut  jeter  plusieurs  dans 
l'Eglise  ou  dans  le  cloître.  De  là  ces  victimes 
de  rebut,  ces  victimes  forcées,  ces  victimes 
de  la  cupidité  des  parents,  et  de  là  tant  de 
victimes  dans  la  retraite  même.  Premier  ex- 
cès, l'avarice  des  parents. 

Les  autres ,  idolâtres  de  leurs  enfants  et 
aveugles  admirateurs  des  grâces,  des  talents 
qu'ils  ont  reçus  de  la  nature,  les  produisent 
avec  complaisance  sur  le  théâtre  au  monde, 
leur  ménagent  des  alliances;  et,  comme  si 
Dieu  n'avait  pas  droit  de  demander  un  Isaac 
chéri  et  unique,  ils  décident  de  leur  sort 
selon  les  maximes  du  monde,  se  révoltent 
au  moindre  signe  de  vocation  pour  le  cloî- 
tre, disputent  au  Seigneur  la  victime  qu'il 
s'est  choisie,  et  imitent  jusqu'à  l'impiété  de 
Pharaon ,  qui  ne  voulut  pas  permettre  aux 
enfants  d'Israël  d'aller  sacrifier  dans  le  dé- 
sert. Second  excès,  fausse  tendresse  des  pa- 
rents. 

C'est  ce  second  excès  qui  suscita  à  sainte 
Claire  tous  les  combats  qu'elle  eut  à  soute- 
nir de  la  part  de  sa  famille,  et  qui  lui  pro- 
curèrent tant  de  victoires.  Combats  dange- 
reux ,  combats  formidables  :  les  caresses  et 
les  menaces,  la  douceur  et  la  violence  lui 
portèrent  successivement  leurs  coups,  mais 
plusieurs  fois  attaquée,  et  plusieurs  fois  vic- 
torieuse, l'Eglise  ne  nous  rappelle  ses  com- 
bats que  pour  ériger  des  trophées  à  sa  géné- 
reuse résistance,  et  nous  montrer  une  jeune 
vierge  au-dessus  de  la  nature,  en  nous  mon- 
trant sainte  Claire  au-dessus  des  caresses  et 
des  menaces  de  ses  parents  :  Fortitudo  indu- 
mentum ejus. 

Je  ne  prétends  pas,  Messieurs,  en  vous 
traçant  le  portrait  de  sainte  Claire,  employer 
ces  traits  vifs  qui  représentent  l'irréligion 
et  la  mondanité.  Leurs  mœurs  étaient  pures 
et  honnêtes  :  sa  mère  môme  s'était  distin- 
guée par  une  piété  tendre  :  les  grands  objets 


113 


PANEGYRIQUES.  —  PANEG.  VI,  SAINTE  CLAIRE. 


III 


de  la  relig;on  avaient  excité  son  zèle  :  le  dé- 
sir de  visiter  les  lieux  consacrés  par  les  tra- 
vaux, les  sueurs  et  le  sang  de  Jésus-Christ  ; 
de  voir  les  tombeaux  de  Pierre  et  de  Paul, 
ces  grands  héros  de  la  religion,  l'avait  fait 
voler  à  Jérusalem  et  à  Rome;  mais  il  leur 
manquait  ce  qui  manque  aujourd'hui  à  tant 
d'honnêtes  mondains,  le  goût  et  l'étude  des 
voies  du  salut. 

Ils  étaient  habiles  dans  les  routes  frayées 
du  monde;  ils  ignoraient  les  routes  mysté- 
rieuses de  la  sainteté  :  ils  pensaient  à  leur 
fille  qui  s'ensevelissait  dans  la  retraite,  ils 
ne  pensaient  point  à  Jésus-Christ  qui  l'y  ap- 
pelait. Ce  genre  de  vie  qu'elle  embrassait 
leur  paraissait  un  système  arrangé  et  médité 
entre  François  et  la  jeune  Claire;  et  ils  ne 
s'opposaient  à  l'exécution  de  ce  grand  pro- 
jet, que  parce  qu'ils  ne  le  regardaient  pas 
comme  nécessaire  au  salut  de  leur  fille.  C'est 
cette  ignorance  des  différentes  routes  du  sa- 
lut qui  leur  fit  commettre  de  si  grands  excès  ; 
excès  de  tendresse  et  d'amitié. 

On  parut  devant  elle  les  yeux  baignés  de 
pleurs  :"on  lui  rappela  tous  les  droits  de  la 
chair  et  du  sang  :  on  employa  cette  douceur 
qui  touche  et  amollit  :  on  exposa  ces  titres, 
ces  rangs,  ces  alliances  qui  flattent  un  jeune 
cœur.  On  eut  enfin  recours  à  tous  ces  strata- 
gèmes si  efficaces  dans  le  monde  pour  faire 
échouer  les  plus  beaux  projets  de  sainteté. 
En  fallait-il  davantage  pour  arracher  à  la 
retraite  une  âme  moins  élevée  que  sainte 
Claire?  Non,  Messieurs;  mais  la  grâce  avait 
élevé  sainte  Claire  au-dessus  de  la  nature; 
c'est  pourquoi  elle  résiste  à  ces  premières 
attaques.  Elle  sait  ce  qu'elle  doit  à  ses 
parents  qui  veulent  la  retenir,  mais  elle  sait 
ce  qu'elle  doit  à  Jésus-Christ  qui  l'appelle  ; 
et  revêtue  de  cette  force  divine,  elle  triom- 
phe du  monde  lorsqu'il  la  flatte  et  lorsqu'il 
la  menace  .  Fortitudo  indumentum  ejus  ;  ex- 
cès de  fureur  et  d'emportement. 

Le  grand  François  d'Assise,  qui  attendait 
les  moments  de  la  Providence  pour  l'exécu- 
tion de  ses  grands  projets,  avait  déjà  placé 
la  jeune  Claire  dans  le  monastère  des  Béné- 
dictines de-Saint-Paul.  Paisible  dans  la  com- 
pagnie des  épouses  de  Jésus-Christ,  elle 
commençait  à  goûter  les  douceurs  de  la  re- 
traite, lorsque  la  colère  de  ses  parents  éclata; 
et  que  les  orages  et  les  tempêtes  formées 
dans  le  sein  de  sa  famille  vinrent  fondre  sur 
cette  sainte  maison. 

Ici,  Messieurs,  les  expressions  me  man- 
quent, cette  grande  scène  fait  la  honte  du 
monde,  et  la  gloire  de  la  religion.  La  dou- 
ceur triomphe  de  la  colère.  La  nature  est 
obligée  de  céder  à  la  grâce  qui  attire  et  en- 
traîne cette  innocente  victime. 

En  vain  ses  parents  paraissent-ils  dans  sa 
retraite  avec  un  air  menaçant,  les  yeux  étin- 
celants,  le  visage  allumé  du  feu  de  la  colère  ; 
en  vain  rompent-ils  toutes  les  barrières, 
écarlent-i!s  tout  ce  qui  s'oppose  à  leur  pas- 
sage; en  vain  paraissent-ils  à  l'autel  qui  sert 
d'asile  à  la  jeune  Claire,  et  qu'elle  tient  avec 
fermeté  ;  en  vain,  pour  se  venger  de  sa  résis- 
tance, lui   font-ils   entendre  des  menaces; 


Claire,  comme  yine  victime  constante,  reste 
au  pied  de  l'autel,  leur  montre  par  le  sacri- 
fice extérieur  de  ses  cheveux,  l'engagement 
qu'elle  avait  contracté  avec  Jésus-Christ,  et 
semble  leur  dire  par  sa  douceur  et  sa  tran- 
quillité :  Est-ce  donc  un  crime  de  se  donner 
entièrement  à  son  Dieu  ?  Ne  peut-on  pas, 
sans  vous  offenser,  porter  sa  croix  et  le  sui- 
vre? Ne  suis-je  plus  digne  de  vos  caresses, 
parce- qu'il  me  prodigue  les  siennes?  L'é- 
poux que  j'ai  vous  déplait-il,  parce  que  ce 
n'est  pas  vous  qui  me  l'avez  donné?  Si  je 
suis  votre  enfant,  je  suis  sa  créature  et  li 
conquête  de  son  sang.  Les  parents  donnent 
des  biens,  Dieu  seul  donne  la  vertu.  Ne  com- 
battez point  contre  la  grâce  qui  m'appelle  : 
quand  Dieu  est  pour  une  âme  le  monde  n'y 
peut. rien. 

N'est-ce  pas  là,  Messieurs,  être  au-dessus 
de  la  nature  ?  Et  si  ces  scènes  ne  sont  pas 
communes  dans  notre  siècle,  la  résistance 
héroïque  de  sainte  Claire  l'est  encore  moins  : 
Fortitudo  indumentum  ejus. 

Il  n'est  pas  étonnant,  Messieurs,  que  cette 
force  divine  qui  a  mis  sainte  Claire  au-des- 
sus d'elle-même  par  l'assujettissement  de  ses 
passions  ;  au-dessus  de  la  nature,  par  sa  gé- 
néreuse résistance  aux  sollicitations  de  sa 
famille,  l'élève  encore  au-dessus  de  son  sexe, 
par  les  victoires  qu'elle  remporte  sur  les 
Maures  et  les  Sarrasins. 

Frédéric  II  possédait  alors  la  couronne 
impériale.  C'était  le  plus  'grand  ennemi  du 
Saint-Siège,  il  régnait  avec  assez  de  prospé- 
rités; et  comme  ce  prince  jaloux  ne  voyait 
qu'à  regret  le  domaine  des  souverains  pon- 
tifes, il  ravagea  le  pays  ecclésiastique.  On 
le  vit  ramasser  dans  les  montagnes,  les 
Maures  et  les  Sarrasins,  et  former  une  armée 
de  brigands.  Bientôt  le  duché  de  Spolèto 
fut  exposé  au  pillage  et  à  la  fureur  de  ces 
infidèles.  Ces  troupes  grossières  traînaient 
après  elles  les  horreurs  des  guerres  les  plus 
allumées  :  les  prêtres  et  les  vierges  étaient 
immolés  à  leur  fureur. 

La  désolation  se  répandait  partout.  Déjà 
ils  avaient  investi  audacieusement  la  sainte 
maison  où  Claire  jetait  les  fondements  de 
son  ordre  ;  déjà  ils  regardaient  avec  assu- 
rance ce  troupeau  déjeunes  vierges,  comme 
autant  de  victimes  de  leurs  cruautés  et  de 
leurs  honteuses  passions.  Lorsque  sainte 
Claire,  par  la  seule  force  dont  elle  était  re- 
vêtue, mit  en  fuite  ces  armées  formidables 
aux  plus  grandes  villes  :  Fortitudo  indu- 
mentum ejus. 

Dieu  est  admirable,  Messieurs,  ses  yeux 
sont  toujours  fixés  sur  le  juste,  comme  l'ob- 
jet de  ses  plus  tendres  complaisances  :  Oculi 
Domini  super  justos.  (I  Pefr.,  III.)  11  coule  à 
J'ombre  de  ses  ailes  des  jours  heureux  et 
tranquilles.  Les  adversités  l'éprouvent  et  ne 
l'abattent  point.  Les  trônes  chancellent,  les 
puissances  frémissent,  les  héros  pâlissent, 
les  armées  sont  mises  en  déroute,  les  forte- 
resses renversées,  et  le  juste  est  paisible  sous 
la  garde  du  Seigneur.  En  vain  ses  ennemis 
l'environnent,  et  conjurent  sa  perte,  il  en 
tombe  mille  à  sa  gauche,  et  dix  mille  à  sa 


iSÎ 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


i!8 


droite,  Dieu  se  rit  des  vains  efforts  de  l'en- 
fer et  du  monde,  et  la  constance  du  juste 
dans  les  plus  grands  orages  et  les  plus  vio- 
lentes tempêtes,  est  un  trophée  érigé  à  sa 
puissance  et  à  sa  sagesse  :  Oculi  Domini  su- 
per JitStOS. 

Job  sur  son  fumier,  Antoine  dans  le  dé- 
sert, triomphent  des  puissances  de  l'enfer: 
l'un  déconcerte  le  démon,  l'autre  le  met  en 
fuite.  L'innocence,  sons  les  yeux  du  Sei- 
gneur, a  trouvé  des  asiles  chez  les  peuples 
les  plus  sauvages,  dans  les  abîmes  de  la 
mer,  dans  la  compagnie  des  lions  et  des 
léopards,  dans  les  lieux  destinés  aux  plus 
infimes  voluptés. 

Le  juste  est  au-dessus  du  monde  ;  et  le 
monde  fût -il  entièrement  conjuré  contre 
lui,  on  le  verra  paisible  sous  la  protection 
du  ciel  :  In  protectione  cœli  commorabitur. 
(Psal.  XC.) 

Quelle  preuve  plus  éclatante,  Messieurs, 
de  la  force  du  juste  que  cette  admirable 
tranquillité  de  sainte  Glaire,  à  la  vue  des 
Maures  et  des  Sarrasins  1 

Les  innocentes  vierges  qui  vivent  sous  sa 
conduite,  aperçoivent  les  infidèles  qui  avan- 
cent; elles  voient  ces  bataillons  hérissés  de 
pointes  et  de  piques;  leur  sainte  retraite  est 
investie,  leur  perte  est  conjurée:  ce  lieu 
sanctifié  par  les  prières,  les  oraisons,  les 
veilles,  les  larmes,  les  pénitences  de  ces 
saintes  épouses,  va  devenir  une  retraite  de 
brigands  et  la  proie  des  ennemis  de  Dieu. 
Déjà  leur  cœur  est  plongé  dans  l'amertume , 
leur  innocence  est  alarmée  ;  l'héritage  du 
Seigneur  tombé  en  ruine  se  présente  à  leur 
imagination  ;  elles  pleurent,  à  l'exemple  du 
Sauveur,  les  malheurs  qui  menacent  la  cité 
sainte,  et  timides  et  tremblantes  elles  vont 
annoncer  à  sainte  Claire  l'arrivée  des  en- 
nemis. 

C'est  ici,  Messieurs,  que  sainte  Claire  va 
vous  paraître  au-dessus  de  son  sexe  par  sa 
confiance ,  sa  tranquillité  et  les  moyens 
qu'elle  choisit  pour  mettre  en  fuite  les 
Maures  et  les  Sarrasins  :  Fortitudo  indumen- 
tum ejus. 

Qu'espérez-vous ,  chastes  épouses  de  Jé- 
sus-Christ, en  annonçant  à  sainte  Claire  que 
les  infidèles  sont  sur  les  murailles  de  votre 
sainte  retraite?  Peuvent-elles  sortir  de  sa 
cellule,  comme  du  cabinet  des  princes,  ces 
ressources  que  la  force  et  la  politique  savent 
trouver  dans  l'occasion  ?  peut-elle  soutenir 
un  combat  ou  l'éviter?  Non;  mais  vous  savez 
que  déjà  placée  entre  le  ciel  et  la  terre,  fa- 
miliarisée, pour  ainsi  dire,  avec  son  Dieu 
par  des  communications  intimes,  elle  choi- 
sira, sans  se  déconcerter,  les  moyens  de 
vous  délivrer  de  vos  ennemis. 

En  effet,  Messieurs,  sainte  Claire  montre, 
un  courage  au-dessus  de  son  sexe;  on  ne  la 
voit  ni  tremblante  ni  timide  :  comme  elle 
n'a  point  manqué  à  son  Dieu,  elle  espère 
que  son  Dieu  ne  lui  manquera  point.  Elle 
dit  avec  le  Prophète  :  Quand  les  camps  des 
ennemis  seraient  mille  fois  plus  formidables, 
mon  cœur  ne  sera  point  troublé  ni  agité  par 
la  crainte  •  Si'  consistant  ad>rrs»w  me  castra, 


non  timebit  cor  menm.  (Psal.  XXVI.)  Dieu 
se  joue  de  la  multitude  des  mortels ,  et  ses 
anges  ont  défait  souvent  de  nombreuses  ar- 
mées. Soutenue  par  cette  confiance,  elle 
suit  les  mouvements  de  sa  piété,  et,  comme 
elle  avait  une  dévotion  tendre  au  très-saint 
Sacrement  de  l'autel,  elle  va  se  prosterner 
devant  ce  trône  de  miséricorde  ;  et,  inspirée 
du  ciel,  qui  fait  quelquefois  sortir  les  saints 
des  routes  ordinaires,  et  qui  récompense 
certaines  actions  que  nous  devons  toujours 
admirer,  quoique  nous  ne  devions  pas  tou- 
jours les  imiter,  elle  prend  avec  respect  et 
avec  les  précautions  nécessaires,  à  ceux  qui 
ne  sont  point  honorés  du  sacerdoce,  ce  pré- 
cieux gage  de  notre  salut  et  va  paraître  de- 
vant les  ennemis.  A  la  vue  de  ce  Dieu  ter- 
rible pour  les  pécheurs,  on  voit  les  troupes 
disparaître  comme  la  fumée.  Leurs  pieds 
chancellent,  les  armes  leur  tombent  des 
mains ,  la  terreur  s'empare  de  leurs  esprits  ; 
épouvantés,  saisis,  abattus,  ils  abandon- 
nent leur  barbare  projet  et  prennent  la  fuite. 
Aussitôt  le  ciel  s'ouvre  ;  un  oracle  consolant 
se  fait  entendre  à  sainte  Claire,  son  divin 
époux  l'assure  qu'il  la  conservera  toujours  : 
Ego  te  custodiam. 

Et  vous,  hommes  de  sang  et  de  carnage, 
vous  auriez  disputé  la  victoire,  si  vous  n'eus- 
siez vu  que  des  glaives  briller  à  vos  yeux;, 
mais  sainte  Claire  vous  opposait  les  foudres 
et  les  tonnerres.  Elle  vous  disait  intérieure- 
ment :  Voici  l'agneau  de  Dieu,  environné 
des  vierges  qui  le  suivent  le  jour  et  la  nuit  ; 
vous  n'avez  pu  résister  à  un  si  saint  spec- 
tacle, une  force  divine  vous  a  fait  dispa- 
raître. 

En  vain  vos  esprits  revenus  formeraient- 
ils  les  mêmes  projets  ,  le  même  Dieu  pro- 
tégera encore  sainte  Claire  et  ses  saintes 
filles  ;  elle  servira  même  de  rempart  et  de 
bouclier  à  la  ville  d'Assise  :  un  second  ora- 
cle se  fait  entendre,  la  protection  du  ciel  est 
promise  :   Ego  te  custodiam. 

C'est  ainsi,  Messieurs,  que  sainte  Claire 
parut  au-dessus  de  son  sexe  aux  approches 
des  Maures  et  des  Sarrasins,  et  qu'elle  choi- 
sit les  moyens  les  plus  efficaces  pour  en 
triompher.  Tel  que  l'on  vit  autrefois  le  fa- 
meux duc  d'Aquitaine  troublé,  agité,  abattu 
aux  pieds  du  grand  saint  Bernard ,  tenant 
dans  ses  mains  une  hostie,  tel  presque  dans 
le  même  temps,  on  vit  une  nombreuse  ar- 
mée céder  la  victoire  à  sainte  Claire,  qui 
n'avait  aussi  point  d'autres  armes  que  le 
sacrement  de  nos  autels  :  il  fut  toute  sa 
force  et  sa  défense  :  Fortitudo  indumentum 
ejus. 

Je  vous  ai  montré,  Messieurs,  sainte 
Claire  revêtue  de  cette  force  divine,  qui 
l'éleva  au-dessus  d'elle-même,  au-dessus  de 
la  nature ,  au-dessus  de  son  sexe  ;  il  me 
reste  présentement  à  vous  la  représenter  re- 
vêtue de  gloire  :  Décor  indumentum  ejus  : 
c'est  la  seconde  partie  de  son  éloge. 

SECONDE   PARTIE. 

Les  hommes  volent  à  la  gloire  ,  et  la  gloire 
du   monde,   ce  fantôme    qu'on   ne   pourr-a 


137  PANEGYRIQUES. 

jamais  réaliser,  leur  échappe  et  disparaît. 
La  politique,  te  moyen  si  vanté,  si  accré- 
dilé,  si  nécessaire  pour  y  parvenir,  échoue 
tous  les  jours  sur  le  théâtre  du  monde  ;  le 
mérite,  qui  devrait  en  frayer  la  route  et 
qu'elle  devrait  prévenir,  languit  souvent  dans 
1  oscurité  et  dans  l'indigence.  La  souplesse, 
l'adulation,  la  hassesse,  ressources  ordi- 
naires de  l'ambitieux,  n'obtiennent  rien 
d'un  prince  habile  et  judicieux  ;  la  hardiesse 
à  se  produire  fait  des  jaloux  et  irrite  le  dis- 
pensateur des  grâces. 

On  ignore  un  mérite  modeste,  on  dé- 
daigne un  mérite  qui  se  produit  ;  et  pour 
quelques  favoris  sur  lesquels  tombent  de 
légers  rayons  de  la  gloire  du  monde,  quelle 
multitude  dans  l'obscurité  et  méconnue  !  De 
la  ces  ambitieux  devenus  sages,  qui  se  ca- 
chent prudemment  après  s'être  montrés  inu- 
t  lement  :  gloire  du  monde  ,  gloire  difficile 
à  obtenir  et  encore  plus  difficile  à  conserver. 
L'élévation  du  mondain  et  sa  chute  sont 
deux  scènes  que  l'on  voit  souvent  dans 
une  môme  année.  Son  élévation  a  étonné, 
sa  chute  ne  surprend  point;  on  est  accou- 
tumé à  ces  changements  de  scènes  :  les 
grandes  places  sont  mobiles  et  changeantes, 
et  tous  les  jours  on  voit  se  vérifier  les  pa- 
roles du  Prophète  :  Les  hommes  tombent  du 
faîte  de  la  grandeur  dès  qu'ils  y  sont  par- 
venus :  Mox  ut  honoripeati  fuerint ,  défi- 
cient. (Psal.  36.) 

Or,  il  n'en  est  pas  de  même  de  la  gloire 
dont  Dieu  veut  bien  revêtir  ses  saints  dès 
ce  monde,  elle  est  plus  solide. 

C'est  un  écoulement  de  la  sienne.  Voyons- 
là  dans  sainte  Claire,  cette  gloire  que  Dieu 
procure,  que  l'homme  ne  saurait  ravir  : 
gloire  qui  accompagne  ses  travaux,  ce  sont 
ses  sucrés;  gloire  qui  accompagne  sa  foi, 
ce  sont  ses  miracles;  gloire  qui  accompagne 
sa  sainteté,  ce  sont  les  éloges  de  l'Eglise. 
Voilà  la  gloire  dont  Dieu  a  revêtu  sainte 
Claire  dès  ce  monde  même  :  décor  indumen- 
tum  ejus.  J'achève  avec  ces  réflexions. 

L'Eglise  voyait  avec  plaisir  l'ordre  nais- 
sant de  saint  François  retracer  aux  mortels, 
plongés  alors  dans  les  délices  de  la  vie  et 
les  soins  tumultueux  du  siècle,  le  détache- 
ment et  la  pureté  de  ses  premières  années. 
Ces  hommes  admirables,  qui  levaient  l'é- 
tendard de  la  pauvreté  et  de  la  pénitence, 
qui  venaient  apporter  la  crèche  et  le  cal- 
vaire à  un  monde  de  richesses  et  de  plai- 
sirs, faisaient  sa  consolation  et  sa  gloire. 
C'est  alors  qu'on  vit  s'accomplir  cette  fa- 
meuse prophétie  d'Isaïe  :  les  trônes  et  les 
couronnes  perdront  tout  leur  éclat  aux  yeux 
du  juste;  les  villes  les  plus  opulentes  et  les 
plus  florissantes  seront  méprisées  par  le 
pauvre;  il  foulera  aux  pieds  ces  fragiles  tré- 
sors des  humains  :  conculcabit  pes,  pedes 
pa  <perum,  gressus  egenorum.  (Isa.,  XXVI.) 
Mais,  j'ose  le  dire,  la  gloire  de  l'Eglise 
n'était  pas  encore  parfaite  ;  ces  grands  traits 
de  la  crèche  et  du  calvaire  ne  se  montraient 
alors  que  dans  un  sexe,  et  il  n'y  avait  pas 
.  d'apparence  qu'un  genre  de  vie  si  austère 
"  passât  dans  le  sexe  le  plus  faible,  lorsque 


PANEG.  VI,  SAINTE  CLAIRE. 


:i8 


Dieu  suscita  sainte  Claire  pour  faire  passer 
dans  le  sien  la  pauvreté  et  la  pénitence  de 
François  d'Assise.  Alors  parurent  ces  deux 
grandes  lumières  pour  dissiper  les  ténèbres 
qui  couvraient  une  grande  partie  de  la 
terre  ;  alors  parurent  Debbora  et  Baruch  qui 
travaillèrent  avec  zèle  à  la  sanctification  des 
deux  sexes. 

François  forme  des  hommes  apostoliques 
pour  aider  et  soutenir  l'Eglise  ;  Claire  forme 
des  victimes  de  la  pénitence  et  de  la  pau- 
vreté. Si  le  plan  de  vie  que  François  trace  à 
ses  disciples  étonne  le  monde,  effraye  les 
riches  et  les  grands,  suspend  même  l'appro- 
bation des  souverains  pontifes,  celui  que 
Claire  (race  à  ses  filles  n'est  pas  moins  aus- 
tère et  digne  d'admiration. 

Peut-être,  Messieurs,  craignez-vous  pour 
ses  succès  !  Rassurez-vous  :  les  politiques 
raisonneront ,  le  Pape  même  balancera,  mais 
Dieu  justifiera  son  entreprise;  la  gloire  ac- 
compagnera ses  travaux,  et  ses  succès  feront 
son  apologie  :  décor  indumentum  ejus;  suc- 
cès rapides. 

Quelques  années  se  sont  écoulées,  et  je 
vois  ce  petit  grain  de  sénevé  devenu  un 
grand  arbre,  qui  couvre  de  ses  branches 
presque  toute  l'Italie;  je  vois  cette  petite 
source  devenue  un  fleuve  majestueux  qui. 
s'étend  partout. 

Reconnaissez  par  ces  rapides  progrès,  ô 
vous  que  la  seule  politique  guide  dans  vos 
entreprises,  que  Dieu  choisit  ce  qu'il  y  a  de 
plus  faible  pour  humilier  le  monde  puissant 
et  superbe  ! 

La  seule  grâce  que  sainte  Claire  a  briguée 
en  établissant  son  ordre,  c'a  été  la  permis- 
sion de  ne  rien  posséder  ;  le  seul  titre  qu'elle 
a  demandé  pour  elle  et  ses  filles  a  été  celui 
de  pauvre.  Ce  sont  les  grands  privilèges 
qu'elle  demande  à  Innocent  III;  elle  les 
obtient,  son  cœur  est  satisfait. 

En  vain  Grégoire  IX  veut-il  lui  assigner 
des  revenus.  Elle  respecte  les  offres  de  ce 
souverain  pontife,  mais  elle  ne  veut  point 
d'autre  ressource  que  la  Providence. 

Ne  dirait-on  pas,  Messieurs,  que  l'ordre 
de  sainte  Claire  est  la  religion  elle-même, 
qui,  sans  fonds  et  sans  appui  humain,  fait 
de  rapides  progrès?  Succès  de  sainte  Claire, 
succès  éclatants. 

Une  célèbre  prophétie  dans  Isaïe  annon- 
çait les  conquêtes  éclatantes  de  la  religion 
chrétienne  en  ces  termes  :  O  Eglise  1  ô 
Eglise  pauvre,  cachée,  persécutée,  de  quelle 
gloire  n'allez-vous  pas  être  couronnée  !  Tous 
les  grands  de  la  terre  vous  protégeront;  les 
rois  et  les  souverains  vous  prieront  d'éten- 
dre votre  empire  dans  leur  domaine,  et  les 
hommes  les  plus  importants  plieront  sous 
votre  joug,  et  se  feront  une  gloire  de  vivre 
sous  vos  douces  lois  :  viri  sublimes  Irans- 
ibunt  ad  te.  (Isa.  XLV.) 

Messieurs,  si  les  succès  éclatants  de  sainte 
Claire  avaient  été  annoncés  par  un  prophète, 
auraient-ils  pu  empêcher  des  expressions 
moins  magnifiques.  Vous  dirai-je  que  les 
princes  de  l'Italie  et  de  l'Allemagne  travail- 
lèrent à  étendre  cet  ordre  naissant  avec  au- 


na 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


120 


tant  d'ardeur  que  s'ils  eussent  travaillé  à 
«'•tendre  leurs  Etats;  que  l'on  vit  plusieurs 
princesses  passer  dans  son  ordre,  mépriser 
les  trônes  et  les  couronnes  qui  leur  étaient 
destinées,  pour  se  cacher  sous  l'habit  de  pé- 
nitence? L'Eglise  honore  dans  ses  fastes  la 
fille  d'un  roi  de  Bohême,  qui  a  mérité  dans 
l'ordre  de  sainte  Claire  une  couronne  im- 
mortelle, après  avoir  méprisé  celle  de  ses 
ancêtres  :  c'est  ainsi  que  sainte  Claire  a  fait 
des  conquêtes  dans  les  cours  les  plus  bril- 
lantes, et  qu'elle  a  arraché  au  siècle  celles 
qui  en  faisaient  l'éclat  et  l'ornement  :  suc- 
cès de  sainte  Claire,  succès  consolants. 

Elle  devient  l'apôtre  de  sa  famille;  elle 
devient  la  mère  de  celle  qui  lui  avait  donné 
le  jour.  Oui,  Messieurs,  Hortollane,  sa 
mère,  Agnès  et  Béatrice  ses  sœurs,  renon- 
cent au  monde  pour  embrasser  la  pauvreté, 
et  vivre  sous  l'obéissance  de  sainte  Claire  : 
c'est  elle  qui  les  a  touchées,  détrompées  du 
siècle;  ses  larmes,  ses  prières  ont  mérité 
ces  conquêtes  consolantes;  et,  en  donnant 
ces  sujets  à  son  ordre,  elle  a  donné  des  sain- 
tes à  l'Eglise  :  succès  de  sainte  Claire,  suc- 
cès immenses. 

Cet  ordre  est  devenu  si  grand,  si  floris- 
sant, que  semblable  à  cette  source  du  para- 
dis terrestre  qui  formait  quatre  grands  fleu- 
ves, il  s'est  divisé  en  plusieurs  branches, 
de  sorte  que  l'on  compte  plus  de  quatre 
mille  monastères,  qui  l'ont  partout  l'édifica- 
tion des  peuples. 

Heureuses  les  filles  qui  possèdent  dans 
leur  enceinte  ces  innocentes  victimes  de  la 
pénitence  et  de  la  pauvreté!  Si  nos  vices  ir- 
ritent le  Seigneur,  plus  heureux  qu'Abra- 
ham nous  avons  plus  de  dix  Ames  justes  à 
lui  présenter,  et  le  monastère  où  j'ai  l'hon- 
neur de  prêcher  aujourd'hui  est  seul  capable 
d'arrêter  les  foudres  prêtes  à  tomber  sur  nos 
têtes  criminelles  :  succès  de  sainte  Claire, 
succès  durables. 

Dieu  est  lui-même  le  soutien  de  cet  ordre 
respectable  :  c'est  pourquoi  on  n'y  a  point 
tu  ces  vicissitudes,  ces  décadences,  dont 
les  plus  florissantes  monarchies  ne  sont 
souvent  pas  exemptes;  il  durera  pour  l'édi- 
fication des  peuples,  pour  la  consolation  de 
l'Eglise,  pour  justifier  la  Providence  et  l'E- 
vangile, et  pour  condamner  les  criminelles 
attaches  et  les  coupables  plaisirs  des  mon- 
dains. 

C'est  ainsi  que  les  succès  accompagnèrent 
les  travaux  de  sainte  Claire  dans  l'établis- 
sement, de  son  ordre,  et  firent  sa  gloire  aussi 
bien  que  les  miracles  qui  accompagnèrent  sa 
foi  :  ttccor  indumentum  ejus. 

Permettez-moi,  Messieurs,  de  mettre  à  la 
tête  de  tous  les  miracles  que  j'ai  à  vous  ra- 
conter sainte  Claire  elle-même,  comme  le 
plus  éclatant  et  le  plus  surprenant.  Un  corps 
mortel  devenu  insensible  pour  tous  les  ob- 
jets de  la  terre  ;  aussi  pure  au  milieu  des 
éeueils  et  des  dangers  du  monde  qu'en  sor- 
tant des  eaux  du  baptême;  qui  est  attaquée 
et  qui  attaque;  qui  enlève  des  conquêtes  au 
démon,  et  que  le  démon  tente  inutilement. 
Un  onrp-;  purifié  dans  les  austérités  et  dans 


les  souffrances;  un  esprit  dégagé  de  tous  les 
biens  et  de  tous  les  soins  du  siècle  ;  un  cœur 
brûlé  du  divin  amour,  et  qui  se  consume 
peu  à  peu  dans  de  saintes  ardeurs;  une  âme, 
pour  ainsi  dire,  aussi  libre  que  si  elle  était 
dégagée  des  liens  du  corps,  qui  s'élève  de 
la  terre  par  l'ardeur  de  la  charité,  parla  feF- 
veur  de  ses  prières,  par  la  sublimité  de  ses 
oraisons;  une  créature  que  son  Dieu  tire  de 
temps  en  temps  comme  hors  du  monde;  qui 
passe  des  heures  entières  dans  des  extases, 
des  ravissements  qu'elle  seule  aurait  pu  ra- 
conter, et  qui,  malgré  ces  faveurs  singu- 
lières, ces  grâces  choisies,  ces  dons  émi- 
nents,  conserve  une  humilité  profonde  et  la 
crainte  même  des  pécheurs. 

N'est-ce  pas  là  un  prodige,  Messieurs, 
parmi  les  hommes,  un  miracle  éclatant  que 
la  créature  opère  avec  le  Créateur,  auquel 
elle  a  part,  et  que  Dieu  récompense  magni- 
fiquement, en  ajoutant  à  l'éclat  de  ses  vertus 
l'éclat  des  miracles? 

C'est  à  la  foi  que  Jésus-Christ  attache 
princi paiement  le  don  des  miracles  :  i\  an- 
nonce à  tous  ceux  qu'il  guérit  que  c'est  leur 
foi  qui  les  a  sauvés  :  fides  tua  te  salvum  fecit 
(Matth.,  IX)  :  Si  vous  avez  de  la  foi,  dit-il 
dans  un  autre  endroit,  vous  transporterez 
les  montagnes,  vous  commanderez  aux  vents 
et  aux  tempêtes.  Aussi  est-ce  une  doctrine 
très-ancienne  et  attestée  par  tous  les  saints 
docteurs  de  ne  point  examiner  les  miracles 
de  ceux  qui  ne  tiennent  point  la  toi  et  la 
doctrine  de  l'Eglise.  Dieu  ne  peut  point  agir 
contre  lui-même;  c'est  pourquoi  il  n'est  point 
l'auteur  des  prodiges  que  les  hérétiques  op- 
posaient aux  saints  Pères  pour  justifier  leur 
division.  Mais  la  foi  de  sainte  Claire  était 
pure,  sa  soumission  parfaite;  le  chef  de  l'E- 
glise guidait  ses  pas,  réglait  ses  discours, 
fixait  ses  sentiments;  docile  à  tous  les  ora- 
cles de  T'Evangile,  elle  croyait  sans  exami- 
ner; l'éclat  des  miracles  fut  la  récompense 
de  sa  foi  :  décor  indumentum  ejus. 

Je  vois  arriver  de  toutes  les  parties  de  l'I- 
talie des  infirmes  au  monastère  de  sainte 
Claire,  et  tous  sont  favorisés  d'une  guérison 
prompte  et  parfaite;  point  de  maux  incura- 
bles qui  résistent  au  signe  de  notre  salut  que 
sainte  Claire  emploie,  et  sur  lequel  cette 
humble  servante  du  Sauveur  fait  tomber  tout 
l'éclat  des  prodiges.  Les  sourds  entendent, 
les  boiteux  marchent,  les  muets  parlent,  les 
aveugles  sont  éclairés,  les  pains  se  multi- 
plient, les  bêtes  féroces  s'apprivoisent,  les 
démons  prennent  la  fuite;  dépositaire  de 
cette  puissance  à  laquelle  rien  ne  résiste,  qur 
commande  à  tous  les  éléments  et  change 
toutes  les  lois  de  la  nature,  elle  guérit  toutes 
les  langueurs  et  toutes  les  infirmités,  enrans 
omnes  lanquores  et  omnem  infirmitatem. 
(Matth.,  IX.) 

C'est  ainsi  que  Dieu  couvre  de  gloire 
une  vierge  enveloppée  dans  la  retraite,  ca- 
chée sous  un  habit  de  pénitence,  décor  indu- 
mentum ejus. 

Sa  foi  l'avait  dérobée  au  monde;  sa  foi  la 
donne  en  spectacle  au  monde;  Dieu  cache 
ses  saints  et  il  les  montre  :  il  les  cache  lors- 


*2I 


PANEGYRIQUES.  —  PANEG.  VI,  SAINTE  CLAIRE. 


122 


qu'ils  sont  encore  faibles;  il  les  montre  lors- 
qu'ils sont  revêtus  de  sa  puissance;  alors  ils 
ne  paraissent  que  pour  condamner  le  monde, 
que  pour  être  utiles  au  monde,  que  pour 
édifier  le  monde;  les  miracles  de  sainte  Claire 
condamneront  le  monde. 

Il  vit  avec  étonnement  la  puissance  de  celle 
qui  avait  foulé  aux  pieds  son  opulence  et  sa 
grandeur;  sa  gloire  effaça  à  ses  yeux  celles 
ues  trônes  et  des  couronnes,  et  s'il  fut  trop 
lâwhe  pour  marcher  sur  ses  traces,  il  fut  du 
moins  forcé  de  rendre  hommage  à  sa  puis- 
sance et  de  roug'r  de  sa  faiblesse;  les  mira- 
cles de  sainte  Claire  furent  utiles  au  monde. 

S'il  eût  trouvé  auprès  des  rois,  des  souve- 
rains et  des  riches  du  siècle  la  guérison  de 
ses  maux  comme  auprès  de  sainte  Claire,  il 
aurait  pu  douter  de  la  grandeur  de  Dieu  et 
de  la  gloire  qu'il  communique  à  ses  saints; 
mais  quand  il  voit  les  monarques,  aussi  bien 
que  les  sujets,  implorer  efficacement  le  se- 
cours d'une  pauvre  religieuse,  n'est-il  pas 
utilement  averti  que  la  sainteté  seule  mérite 
l'estime  de  l'homme  :  les  miracles  de  sainte 
Claire  édifièrent  le  monde. 

Les  peuples  la  virent  toujours  plus  occu- 
pée de  Dieu  que  des  prodiges  qu'elle  opé- 
rait; elle  touchait  les  cœurs  en  guérissant 
les  corps,  et  les  infirmes  la  quittaient  déli- 
vrés de  leurs  maux  et  détrompés  du  monde. 
Les  miracles  qui  s'opérèrent  après  sa  mort, 
ne  furent  pas,  Messieurs,  moins  édifiants. 

C'était  une  éclatante  apologie  de  la  pau- 
vreté, de  la  pénitence,  de  l'humilité,  de  la 
docilité.  L'homme  de  richesses,  l'homme  de 
plaisirs,  l'homme  d'orgueil,  l'homme  de  nou- 
veauté ne  pouvait  point  les  croire  sans  se 
condamner,  et  toutes  les  conséquences  qu'il 
en  pouvait  tirer  renversaient  son  système.  Sa 
vie  était  la  condamnation  du  monde,  et  ses 
miracles  l'éloge  de  sa  vie  et  de  sa  foi. 

L'Eglise,  Messieurs,  vint  aussi  rendre  ses 
hommages  à  la  sainteté  decette  illustre  insti- 
tutrice; elle  lui  prodigua  ses  éloges  et  lui 
procura  une  gloire  éclatante  et  durable  : 
éloges  de  l'Eglise,  récompenses  de  sa  sain- 
teté, décor  indumentum  ejus. 

C'est  une  grande  gloire,  dit  le  Sage,  de 
suivre  le  Seigneur  :  Gloria  magna  est  sequi 
Dominum  (Eccli.,  XXIII)  ;  quoique  la  roule 
qu'il  trace  à  ses  élus  soit  humiliante,  elle 
conduit  à  des  honneurs  solides;  les  pas  du 
juste  le  conduisent  à  la  gloire;  la  pauvreté, 
les  mépris,  les  abaissements  dérobent  un 
temps  aux.  yeux  des  mondains  sa  grandeur; 
mais  ces  ombres  disparaissent  et  Dieu,  qui  est 
magnifique  dans  ses  récompenses,  le  montre 
à  l'univers  étonné  tout  brillant  de  cette  gloire 
qu'aucun  événement  ne  peut  obscurcir,  glo- 
ria  magna  est  sequi  Dominum.  La  gloire  du 
monde  n'est  pas  si  certaine;  on  a  beau  mar- 
cher sur  les  traces  des  héros  et,  aussi  braves 
qu'eux,  livrer  des  batailles  et  remporter  des 
victoires,  on  cesse  d'être  grand  si  l'on  cesse 
d'avoir  du  succès;  on  juge  de  la  valeur  par 
les  événements,  et  un  moment  de  malheur 
flétrit  les  lauriers  de  plusieurs  années;  on  a 
beau  s'attacher  aux  maîtres  du  monde  et  re- 
noncer aux  douceurs  d'une  vie  innocente  et 


paisible  pour  devenir  les  tristes  esclaves  de 
leur  volonté  souveraine  et  capricieuse,  est- 
on  sûr  de  parvenir  a  la  gloire, qui  flatte  si  fort 
les  ambitieux?  L'homme  le  plus  à  la  mode 
n'est  pas  le  plus  ancien  à  la  cour;  il  remplace 
un  court'sau  disgracié,  et  bientôt  les  politi- 
ques travailleront  pour  changer  cette  scène 
si  riante  pour  lui;  on  apprendra  sa  chute  et 
l'on  n'en  saura  point  la  cause.  L'homme 
sensé  ne  l'ignore  point,  ce  qui  dépend  de 
l'homme  est  incertain.  Il  ne  faut  pas  toujours 
être  criminel  pour  cesser  de  plaire;  c'est 
pourquoi  le  Prophète  dit  :  Ne  mettez  point 
votre  confiance  dans  les  grands  de  la  terre  : 
Noiite  confid'.re  inprincipibus.  (Psal.  CXLV.) 
Ces  maîtres  du  monde  tiennent  longtemps 
les  grâces  en  suspens;  ils  excitent  l'ardeur 
des  concurrents,  en  nourrissant,  avec  poli- 
tique, l'espérance  de  plusieurs;  ce  qu'ils  ne 
peuvent  donner  qu'à  un  seul  les  amuse  un 
certain  temps,  et  1  on  en  voit  dans  les  appar- 
tements des  souverains  aussi  bien  qu'au  bord 
de  la  piscine,  qui  languissent  depuis  plu- 
sieurs années,  parce  qu'ils  n'ont  pas  de  pro- 
tecteurs assez  puissants  pour  les  pousser  et 
les  produire;  ce  n'est  souvent  ni  la  naissance, 
ni  le  mérite,  ni  les  mœurs,  ni  les  talents  qui 
manquent,  mais  la  protection  de  celui  qui 
joue  le  plus  grand  rôle  :  Ilominem  non  habeo. 
Ahl  il  n'en  est  pas  de  même  de  la  gloire  que 
Dieu  procure  à  ceux  qui  marchent  sur  ses 
traces.  Elle  est  aussi  certaine  qu'elle  est  écla- 
tante -.Gloria  magna  est  sequi  Dominum.  Con- 
sidérez encore  quelques  moments  sainte 
Claire,  qui  occupe  toute  l'Eglise,  et  vous  la 
verrez  revêtue  de  gloire  et  comblée  d'éloges  : 
Décor  indumentum  ejus. 

La  sainteté  de  sainte  Claire  était  comme 
un  prodige  qui  occupait  toute  l'Eglise,  et  qui 
épuisa,  si  j'ose  le  dire  tous  ses  éloges.  S'il 
en  fallait  des  preuves,  Messieurs,  je  n'aurais 
qu'à  vous  rappeler  les  visites  que  le  cardi- 
nal d'Ostie  et  Innocent  IV,  souverain  pon- 
tife, lui  rendirent.  Si  la  sagesse  de  Salomon 
avait  excité  la  curiosité  d'une  reine  du  midi 
et  lui  avait  fait  quitter  ses  Etats  pour  le  visi- 
ter; la  haute  sainteté  de  sainte  Claire  excite 
la  pieuse  curiosité  des  cardinaux  et  des  papes. 
Ni  l'éclat  de  leur  dignité,  ni  la  magnificence 
romaine,  ni  l'importance  de  leurs  affaires, 
rien  ne  peut  les  arrêter  :  ils  volent  à  Assise 
pourvoir  sainte  Claire  et  s'entretenir  avec 
elle,  ils  admirent  cette  haute  perfection  à  la- 
quelle elle  était  parvenue.  Dans  les  débris 
d'une  santé  usée  d'austérités  et  de  langueurs, 
ils  aperçoivent  l'activité  et  l'ardeur  des  sé- 
raphins; ses  discours  les  étonnent,  ses  pa- 
roles sont  autant  d'oracles,  et  ils  avouent 
qu'il  faut  être  uni  à  Dieu  comme  sainte  Claire 
pour  en  parler  avec  autant  de  sagesse  et  de 
dignité. 

Rappelez-vous,  Messieurs,  les  éloges  que 
Joachim,  ce  vénérable  pontife,  donna  autre- 
fois à  l'illustre  Judith,  après  cette  éclatante 
victoire  qu'elle  remporta  sur  les  Assyriens  : 
sainte  Claire  en  reçut  d'aussi  glorieux  de  la 
bouche  des  cardinaux  et  des  souverains  pon- 
tifes :  Vous  êtes,  disait  le  pontife  de  l'an- 
cienne loi  à  Judith,  la  loi  de  Jérusalem, 


123 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


134 


la  joie  d'Israël,  et  l'honneur  des  peuples  : 
tu  'ffloria  Jérusalem,  tu  lœtitia  Israël,  tu 
honorificentia  populi  7iostri.  (Judith,  XV.) 
innocent  lVr  n'en  disait-il  pas  autant,  Mes- 
sieurs, quand  il  assurait  que  sainte  Claire 
faisait  la  consolation  de  l'Eglise,  la  gloire 
de  l'Italie,  la  ressource  des  peuples,  et  l'ad- 
miration du  monde  chrétien? 

La  gloire  ne  descend  pas  avec  le  grand 
monde  dans  le  tombeau  :  non  descendet  cum 
eo  gloria  ejus  :  près  de  fermer  les  yeux  à 
la  lumière,  il  le  voit  qui  s'ouvre,  qui  l'attend  : 
mais  il  le  voit  tel  qu'il  est,  un  séjour  d'hor- 
reur, de  ténèbres,  d'humilations,  une  terre 
d'oubli  où  les  humains  ne  porteront  point 
leurs  regards  ni  leurs  pensées  :  terra  obli- 
vionis.  [Psal.  LXXXVII.) 

Il  n'en  est  pas  de  môme  de  la  gloire  de 
sainte  Claire;  elle  la  suit  dans  les  ombres 
de  la  mort;  elle  ne  s'obscurcit  point  dans  le 
♦ombeau  ;  elle  brille  depuis  plusieurs  siè- 
cle, et  brillera  dans  les  siècles  futurs,  et 
dans  l'immense  étendue  de  l'éternité  :  de- 
cor  indumentum  ejus. 

Vous  dirai-je  que  sa  mort  fut  annoncée 
dans  toute  l'Italie  avec  plus  d'éclat  que  celle 
des  souverains  même  :  que  l'Eglise  s'a- 
perçut que  cet  astre  était  éteint,  qu'on  vit 
les  habitants  d'Assise  former  comme  un  corps 
d'armée  pour  garder  ce  précieux  trésor;  et 
que  si  la  voix  du  peuple  suffisait  pour  cano- 
niser les  saints,  on  lui  aurait  rendu  à  son 
décès  même  un  culte  public?  Vous  dirai- 
je  que  le  souverain  pontife  honora  ses  obsè- 
ques de  sa  présence,  et  qu'il  voulut  dès-lors 
lui  faire  rendre  les  honneurs  dus  aux  saints? 
Si  le  cardinal. d'Ostie  s'y  opposa,  Messieurs, 
ce  n'est  pas  qu'il  ne  fût  pleinement  con- 
vaincu des  vertus  éminentes  de  sainte  Claire: 
il  fit  l'éloge  de  sa  principale  vertu  en  con- 
damnant les  vanités  du  monde,  et  montra 
la  sagesse  de  l'Eglise,  en  ne  précipitant 
point  cette  auguste  cérémonie.  La  Provi- 
dence, qui  le  destinait  à  la  suprême  dignité 
de  chef  de  l'Eglise,  lui  réservait  l'honneur 
de  constater  les  vertus  héroïques  de  sainte 
Claire,  et  de  lui  décerner  un  culte  public, 
culte  qui  s'est  étendu  rapidement  dans  les 
empires  d'orient  et  de  l'occident,  et  qui 
nous  atteste  la  gloire  immortelle  dont  jouit 
sainte  Claire  dans  le  ciel:  décor  indumen- 
tum ejus. 

Vous  avez  vu,  Messieurs,  la  force  de  Dieu 
lui  procurer  une  gloire  solide;  elle  l'éleva 
au-dessus  d'elle-même  par  l'assujettissement 
de  ses  passions;  au-dessus  de  la  na„ture,  par 
sa  généreuse  résistance  aux  caresses  et  aux 
menaces  de  sa  famille  :  au-dessus  de  son 
sexe,  par  les  victoires  qu'elle  remporta  sur 
les  Maures  et  les  Sarrasins;  les  succès,  les 
miracles,  les  éloges  de  l'Eglise,  ont  fait  et 
seront  à  jamais  sa  gloire. 

C'est  ainsi  qu'elle  a  été  revêtue  de  force 
et  de  gloire  :  fortitudo  et  décor  indumentum 
rj  ts.  Heureux  si  nous  nous  /aissons  toucher 
par  de  si  beaux  traits,  et  si  nous  ne  sommes 
point  de  stériles  admirateurs  de  ses  vertus  ; 
nous  pourrons  espérer  d'avoir  part  au  bon- 


heur dont  elle  jouit  dans  le  ciel.  Je  vous  le 
souhaite.  Ainsi  soit-il. 

PANÉGYRIQUE  VIL 

SAINT    CLAUDE,     ARCHEVÊQUE    DE     BESANÇON, 

Prononce'  dans  l'église  des  Religieuses  de  l'Ave- 
Maria,  à  Paris ,  le  6  juin  1744. 

Krit  sepulcrum  ejus  gloriosum.  (Isa.,  XI.) 

Son  tombeau  éera  un  séjour  de  gloire. 

Les  prophètes,  qui  ont  tracé  de  loin  les 
abaissements  du  fils  de  Dieu,  ont  annoncé 
en  même  temps  tous  les  traits  de  gloire  qui 
devaient  les  relever.  Isaïe  nous  le  montre 
soumis  à  la  mort  et  victorieux  de  la  mort  :  il 
voit  par  un  esprit  prophétique  la  gloire  de  so» 
tombeau  ;  cette  puissance  avec  laquelle  il 
brise  les  liens  de  la  mort,  et  se  joue  des  pré- 
cautions delà  Synagogue  :  on  dirait-qu'il  est 
présent  à  ses  victoires,  qu'il  le  voit  sortir 
triomphant  du  sépulcre  :  la  consternation  des 
soldats,  la  honte  des  Juifs,  la  joie  des  apôtres, 
le  témoignage  des  anges  brillants  de  lumière, 
les  tremblements  de  terre,  tous  les  prodiges 
qui  s'opèrent  lorsque  l'Homme-Dicu  veut 
ressusciter,  tout  est  présent  à  son  esprit;  et  il 
érige  d'avance  des  trophées  à  sa  puissance 
sur  la  mort,  en  disant  que  son  tombeau  sera 
son  séjour  de  gloire  :  erit  sejyulcrum  ejus 
gloriosum. 

La  résurrection  de  Jésus-Christ  assure  la 
nôtre.  Nous  ressusciterons  tous,  dit  saint 
Paul,  mais  nous  ne  serons  pas  tous  changés,' 
omnes  guidem  resurgemus ,  'sed  non  omnes 
immutabimur  (I  Cor.,  XV)  :  les  bons  et  les 
méchants  sortiront  du  tombeau;  chacun  re- 
prendra son  corps,  mais  tous  ne  ressuscite- 
ront pas  pour  la  gloire,  non  omnes  immuta- 
bimur. Les  corps  des  saints  sortiront  de 
l'humiliation  du  tombeau,  avec  tous  ces  pri- 
vilèges dont  parle  saint  Paul,  pour  aller 
jouir  de  l'immortalité  glorieuse;  et  c'est 
cette  vérité  qui  autorise  le  culte  que  nous 
rendons  aux  restes  vénérables  des  hères  dont 
l'Eglise  a  déclaré  juridiquement  la  sainteté  : 
les  corps  des  réprouvés  sortiront  de  l'humi- 
liation du  tombeau,  avec  toute  la  honte  et  la 
confusion  du  crime,  pour  aller  souffrir  dans 
des  feux  vengeurs  et  éternels,  la  peine  que 
méritent  les  outrages  qu'ils  ont  faits  à  la  di- 
vinité. Les  corps  des  saints,  ces  victimes  de 
la  pénitence,  que  l'Evangile  attachait  à  la 
croix,  que  la  charité  immolait,  que  la  fureur 
des  tyrans  égorgeait,  que  le  monde  insultait, 
ne  sont  pas  encore  récompensés  :  leurs  cen- 
dres, paisibles  dans  les  creux  des  sépulcres, 
attendent  la  résurrection  pour  se  ranimer, 
en  sortir  et  aller  participer  à  la  félicité  de 
leurs  âmes  couronnées  depuis  longtemps 
dans  le  ciel.  Tels  sont,  Mesdames,  les  grands 
principes  de  notre  foi;  mais  Dieu,  qui  est 
magnifique  dans  ses  saints,  anticipe  quelque- 
fois ce  triomphe  des  corps  :  il  étonne  de 
temps  en  temps  les  mortels  par  les  honneurs 
qu'il  leur  procure  sur  la  terre,  il  les  fait  par- 
ticiper à  la  gloire  de  son  tombeau,  il  dissipe 
les  horreurs  de  la  mort,  et  fait  briller  la 


125 


PANEGYRIQUES.  PANEG.  VI!  ,  SAINT  CLAUDE 


I2G 


lamière  dans  le  sein  même  des  ténèbres. 
Cette  gloire  anticipée  des  corps  des  saints 
etteste  leur  haute  sainteté  et  la  magnificence 
du  Dieu  que  nous  servons. 

Le  grand  saint  Claude  dont  j'entreprends 
aujourd'hui  l'éloge,  fut  un  de  ceux  dont  Dieu 
s'est  hâté  de  faire  connaître  la  sainteté,  avec 
une  puissance  qui  soumet  les  critiques  les 
plus  délicats  et  les  plus  sévères  :  son  tom- 
beau est  devenu  ua  séjour  de  gloire,  son 
saint  corps  y  repose  sans  aucun  déchet;  on 
n'y  voit  rien  des  suites  humiliantes  de  la 
mort,  on  y  ressent  les  effets  d'une  bonté 
toute-puissante,  qui  multiplie  les  prodiges, 
peuple  les  solitudes-,  et  fait  d'un  désert  pres- 
que ignoré,  une  ville  fameuse  et  diçne  d'un 
siège  épiscopal.  0  mort  1  où  est  ton  aiguillon 
Où  sont  tes  trophées,  tes  victoires?  Saint 
Claude  vit  dans  le  tombeau,  règne  dans  le 
tombeau,  est  puissant  dans  le  tombeau;  les 
monarques  viennent  poser  à  ses  pieds  leurs 
sceptres  et  leurs  couronnes;  on  t'érige  des 
trophées  sur  les  tombeaux  des  autres  mor- 
tels, et  l'on  grave  sur  le  marbre  ton  pouvoir 
absolu,  en  racontant  les  exploits  des  héros 
que  tu  as  moissonnés  dans  le  sein  de  la 
gloire;  mais  on  voit  ta  puissance  confondue 
au  tombeau  de  saint  Claude.  La  sombre  nuit 
qui  règne  dans  cette  terre  d'oubli,  est  chan- 
gée en  un  jour  éclatant  :  ce  n'est  pas  toi  qui 
y  règne,  Dieu  y  fait  régner  son  serviteur 
Ubi  est  mors,  stimulus  tuus,  ubi  vietoria  tua? 
(I  Cor.  XV.) 

Ce  privilège  de  saint  Claude,  Mesdames, 
atteste  sa  haute  sainteté  :  s'il  est  environné 
de  gloire  dans  le  tombeau,  c'est  qu'il  y  est 
descendu  plein  de  mérites  et  de  vertus. 
L'histoire  de  son  siècle  vous  apprendra  qu'il 
fut  le  plus  parfait  des  solitaires,  le  plus  zélé 
des  évêques,  le  plus  éclairé  des  docteurs; 
solitaire  par  choix,  évêque  par  obéissance, 
savant  pour  être  utile,  il  se  distingua  par  de 
grandes  vertus,  avant  que  Dieu  le  distinguât 
par  ces  grands  traits  de  sa  puissance  :  la 
gloire  de  son  tombeau  est  une  gloire  antici- 
pée que  Dieu  procure  à  qui  il  veut  et  quand 
il  lui  plaît;  sa  sainteté  était  une  sainteté 
consommée,  qui  lui  faisait  attendre  avec  con- 
fiance la  couronne  du  juste  Juge. 

Ainsi,  Mesdames,  pour  remplir  mon  mi- 
nistère et  répondre  aux  idées  que  vous  donne 
l'histoire  fidèle,  je  m'arrête  au  tombeau  de 
saint  Claude. 

C'est  le  séjour  d'une  sainteté  consommée; 
c  est  le  séjour  d'une  gloire  anticipée  :  sepul- 
crum  ejus  gloriosum.  Demandons,  etc.  Ave, 
Maria. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

Nous  avançons  sans  y  penser  vers  le  tom- 
beau :  il  s'ouvre,  et  nous  attend.  Les  mon- 
dains, dit  le  prophète,  enivrés  des  grandeurs 
de.  la  terre,  occupés  des  objets  flatteurs  du 
siècle,  livrés  à  des  occupations  où  le  salut 
n'entre  pour  rien,  ne  portent  jamais  leurs 
regards  vers  cette  demeure  de' l'éternité;  le 
nombre  de  leurs  jours  se  remplit,  le  tombeau 
s'ouvre,  ils  y  descendent,  on  les  voit  dispa- 
raître; ils  ne  sont  plus  :  ils  sont  daus  cette 


nuit  où  on  ne  peut  plus  rien  faire  :  aies  [■■  r- 
mabuntur  et  nnno  ineis.  (Psal.  CXXXVM.) 
On  a  vu  les  Abraham,  les  Joseph,  les  Job, 
ces  hommes  si  grands,  si  riches,  si  au-dessus 
des  peu  [îles,  par  l'importance  de  leurs  em- 
plois et  le  rang  distingué  qu'ils  tenaient,  n<î 
s'occuper  que  du  tombeau,  le  méditer,  le 
préparer,  y  descendre  en  esprit  plusieurs 
fois  le  jour.  On  a  vu  les  héros  de  l'Evangile 
marcher  sur  leurs  traces,  avec  même  un  plus 
grand  éclat  :  c'était  en  rapprochant  le  tom- 
beau, qu'ils  jugeaient  sainement  du  monde, 
qu'ils  décidaient  sûrement  les  difficultés, 
qu'ils  estimaient  tout  ce  qui  enchante  et  sé- 
duit l'homme;  les  plaisirs,  les  richesses,  les 
honneurs,  les  trônes  mêmes  n'étaient  qre 
des  objets  dangereux  à  leurs  yeux  sur  le 
bord  du  tombeau. 

Aussi,  tous  ces  hommes  fameux  y  sont-ils 
descendus  pleins  de  mérites  et  de  vertus. 
Nous  laisserons  tout  en  descendant  Jans  le 
tombeau  :  les  vertus  ou  les  vices  nous  sui- 
vent, nous  accompagnent.  Les  mondains  vi- 
vent dans  les  délices  :  ils  coulent  les  jours 
qui  leur  sont  accordés  pour  mériter  l'éter- 
nité, dans  les  plaisirs  des  sens,  dans  des  fê- 
tes, des  jeux,  des  amusements  qui  amolis- 
sent  et  corrompent  le  cœur  :  ducunt  in  bonis 
dies  suos  (Job  ,  XXI),  et  dans  un  instant  le 
tombeau  s'ouvre,  les  demande,  ils  y  descen- 
dent, et  in  puncto  ud  inferna  descendunt 
(Ibid.  );  mais  ils  y  descendent  chargés  d'ini- 
quités, de  crimes,  remplis  de  criminels  pro- 
jets, et  de  coupables  désirs,  opéra  illorum 
sequuntur  illos  [Apoc.,  XIV)  :  les  justes  vi- 
vent dans  la  crainte,  la  vigilance;  ils  se  nour- 
rissent de  {'leurs,  d'austérités;  ils  s'occupent 
à  la  prière,  à  la  méditation  des  choses  céles- 
tes; ils  souffrent  patiemment  les  injures,  les 
mépris,  les  disgrâces,  la  pauvreté,  plorabitis 
et  flebitis  (  Joan.,  XVI  \  :  mais  la  scène 
change,  ils  sont  enfin  délivrés  de  ce  corps 
de  mort,  ils  descendent  dans  le  tombeau,  et 
toutes  les  vertus  qu'ils  ont  pratiquées  les 
accompagnent;  c'est  précisément  d'eux  et 
pour  leur  gloire,  qu'il  est  dit  :  leurs  bonnes 
œuvres  les  suivent  dans  l'éternité,  opéra  illo- 
rum sequuntur  illos. 

Voyez  le  tombeau  du  pécheur,  il  renferme 
un  corps  immolé  au  monde,  une  chair  souil- 
lée par  de  honteux  plaisirs,  usée  de  débau- 
ches. C'était  le  temple  du  Saint-Esprit,  niais 
un  temple  profané,  dont  Dieu  s'était  retiré, 
qu'il  n'hfibitait  plus;  il  ressuscitera  ce  corps 
tout  criminel,  tout  souillé  et  profané  qu'il 
est,  mais  pour  aller  dans  un  opprobre  éter- 
nel. Voyez  le  tombeau  du  juste,  il  renferme 
un  corps  immolé  à  la  pénitence,  une  chair 
crucifiée,  usée  d'austérités,  un  temple  pur 
et  innocent  où  le  Saint-Esprit  habitait  avec 
complaisance;  il  ressuscitera,  mais  environné 
de  rayons  de  gloire,  et  avec  ce  changement 
merveilleux  dont  parle  l'afôtre.  Les  saints 
descendent  donc  dans  le  tombeau  pleins  de 
vertus,  et  leurs  corps  y  attendent  en  paix 
une  gloire  qui  leur  est  particulière. 

C'est,  Mesdames,  sur  ces  grands  principes 
de  notre  foi  et  de  notre  espérance,  que  j'éta- 
blis cette  première  partie  de  l'éloge  qc  saint 


127 


ORATEL'RS  SACRES.  BALLET. 


L23 


Claude.  Il  est  descendu  dans  ce  tombeau, 
dont  Dieu  a  fait  depuis  tant  de  siècles  le 
théâtre  de  sa  gloire  et  de  sa  puissance,  plein 
de  mérites  et  de  vertus,  et  c'est  ce  qui  me 
le  fait  regarder  d'abord  comme  le  séjour 
d'une  sainteté  consommée  des  vertus  héroï- 
ques pratiquées  dans  le  désert;  des  travaux 
apostoliques  soutenus  dans  l'épiscopat;  une 
science  profonde,  puisée  dans  des  sources 
divines;  quand  il  est  descendu  dans  le  tom- 
beau, il  avait  vaincu  le  monde  par  sa  retraite, 
il  avait  servi  l'Eglise  par  ses  travaux,  il  avait 
éclairé  les  peuples  par  ses  lumières.  Or,  un 
corps  qui  ava't  participé  à  tant  de  vertus, 
honorait  sans  doute  le  tombeau  qui  le  ren- 
fermait; il  devenait  le  séjour  d'une  sainteté 
consommée,  un  lieu  saint  et  sacré,  sepul- 
crum  ejus  aloriosum.  Suivez-moi,  je  vous 
prie,  l'histoire  la  plus  fidèle  nous  présente 
des  faits  qui  méritent  notre  attention. 

11  semble  qu%on  n'ait  rien  à  dire,  quand  on 
parle  d'un  solitaire.  La  vie  cachée  de  ces 
nommes  célestes,  paraît  un  fond  stérile  pour 
l'éloquen  e  humaine,  parce  qu'il  ne  s'agit  pas 
de  ces  scènes  singulières,  de  ces  événements 
surprenants,  parce  qu'un  héros  n'a  pas  paru 
sur  un  grand  théâtre,  qu'on  n'a  pas  à  racon- 
ter des  intrigues,  des  négociations,  des  con- 
quêtes ;  parce  qu'il  n'a  pas  vécu  dans  des 
temps  délicats,  orageux,  et  que  les  révolu- 
tions des  provinces,  des  empires,  ne  sau- 
raient entrer  dans  son  histoire ,  on  s'imagine 
qu'il  n'y  a  rien  de  grand,  rien  de  surpre- 
nant ;  préjugé  très-commun,  mais  préjugé 
injuste.  La  religion  pense  autrement;  le  so- 
litaire qui  méprise  le  monde  est  au-dessus 
des  vainqueurs  même  du  monde;  la  plus 
éclatante  victoire  que  l'homme  puisse  rem- 
porter, c'est  celle-là.  Toute  la  glore  des 
grands  hommes  vient  d'avoir  servi  le  monde; 
toute  la  gloire  des  solitaires  vient  de  l'avoir 
abandonné;  le  monde  érige  des  trophées  à 
ces  hommes  fameux  qui  lui  ont  été  utiles  ; 
la  religion  seule  érige  des  trophées  aux  soli- 
taires qui  ont  combattu  et  vaincu  le  monde; 
le  mondain  se  plaint  du  monde,  et  il  y  est 
attaché  ;  le  solitaire  ne  s'en  plaint  point,  il  en 
est  détaché.  Oui,  Mesdames,  les  premières 
démarches  des  solitaires  qui  quittent  le 
monde,  le  méprisent  et  savent  s'en  passer, 
sont  des  traits  qui  doivent  épuiser  nos  éloges; 
et  sans  parler  des  vertus  qu'ils  pratiquent 
dans  le  désert,  cette  première  victoire  est 
au-dessus  de  celles  que  remportent  les  héros 
du  monde  ;  j'en  atteste  tous  ceux  que  le 
monde  attache  à  son  char,  qui  gémissent 
toute  leur  vie  sous  le  joug  qu'il  leur  impose 
et  qui  n'ont  pas  le  courage  de  le  secouer  et 
de  s'en  délivrer. 

Si  c'était  une  chose  si  facile  que  de  vain- 
cre le  monde,  le  Saint-Esprit  donnerait- il  à 
ceux  qui  le  méprisent,  qui  en  triomphent, 
les  titres  glorieux  de  héros,  de  braves  ;  or, 
le  même  Esprit  qui  déplore  la  faiblesse  des 
anciens  d'Israël,  des  monarques  sur  le  trône, 
des  conquérants  victorieux,  s'adresse  dans 
l'Ecriture,  à  ces  jeunes  personnes  qui  se  dé- 
robent au  monde,  qui  le  foulent  aux  pieds 
dès  leurs  plus  tendres  années.  Cet  à  vous, 


jeunes  héros  de  la  religion,  que  je  consacre 
ces  éloges,  dit  saint  Jean  -.Scribo  vobiss  juve- 
nes(Uoan.,  II)  :  Vous  êtes  de  vrais  braves'aux 
yeux  de  votre  Dieu,  fortes  estis(lbid.);  parce 
que  le  monde  qui  séduit  presque  tous  les 
humains,  qui  fait  des  conquêtes  dans  tous 
les  états,  qui  corrompt  presque  tous  les  cœurs 
avec  les  appâts  du  vice  et  les  amorces  du  pé- 
ché et  qui  attache  tous  les  jours  la  victoire 
à  ses  étendards,  n'a  pu  vous  surprendre; 
vous  avez  triomphé  de  ses  artifices  et  de  ses 
séductions  :  Quia  vicistis  malvjnum  (Ibid.)  : 
Que  cet  éloge  que  le  Saint-Esprit  consacre  à 
la  gloire  des  jeunes  personnes  qui  renoncent 
au  monde,  est  consolant  pour  elles  1 

Il  y  a  trois  sortes  de  personnes  qui  mé- 
prisent le  monde  :  Les  uns  le  méprisent  jus- 
qu'à le  fuir  et  rompre  entièrement  avec  lui  ; 
ainsi  vit-on  autrefois  des  chrétiens  assez  gé- 
néreux, pour  dire  un  éternel  adieu  au  monde, 
s'enfoncer  dans  les  forêts  et  peupler  l'Egypte, 
la  Palestine,  les  fameux  déserts  de  Sceté; 
c'est  porter  le  mépris  du  monde  jusqu'à 
l'héroïsme  ;  et  c'est  ce  qu'on  a  vu  dans  l'occi- 
dent, dès  que  les  Basile  et  les  Benoît  ont  eu 
levé  l'étendard  de  la  vie  monastique;  toutes 
ces  saintes  retraites,  inaccessibles  au  monde, 
sont  peuplées  des  héros  de  la  religion  qui 
le  méprisent  après  l'avoir  redouté;  les  autres 
méprisent  le  monde  jusqu'à  ne  demeurer 
avec  lui  que  pour  le  condamner  :  Tels  sont 
ceux  dont  parle  Jésus-Christ  à  son  Père  avant 
son  ascension,  qui  sont  dans  le  monde  sans 

être  du  monde  :  In  mundo  non  sunt suoi 

de  hoc  mundo  (Joan.,  XVII)  ;  ce  sont  là  des  hé- 
ros singuliers  de  la  religion  qui  attaquent  le 
monde,  en  triomphent  en  le  fuyant  et  en  >e 
combattant  ;  enfin,  il  y  en  a  qui  méprisent,  ie 
monde,  qui  l'abandonnent,  se  tracent  un  plan 
de  vie  tranquille,  coulent  leurs  jours  en  phi- 
losophes, mais  parce  que  le  monde  les  mé- 
prise lui-môme,  qu'il  les  rebute,  qu'ils  n'y 
trouvent  aucun  accès,  et  que  toutes  les 
routes  de  la  fortune  et  des  plaisirs  leur  sont 
fermées  ;  telles  sont  ces  personnes  qui,  après 
n'avoir  écouté  ni  l'Evangile  ni  leur  âge,  qui 
leur  disait  de  quitter  le  monde,  écoutent  en- 
fin ie  monde  même  qui  les  congédie  et  les 
force,  par  ses  railleries  et  ses  mépris,  de 
prendre  le  parti  de  la  retraite. 

Saint  Claude  ne  prit  pas  le  parti  de  la  re- 
traite, par  nécessité  ou  par  politique;  il  se 
retira  dans  la  solitude  par  inclination,  il  de- 
meura dans  le  monde  par  obéissance;  et  il 
fut  partout  solitaire  et  contemplatif  ;  ce  goût 
de  la  solitude  est  admirable  dans  les  grands. 
Saint  Claude  qui  sortait  d'une  des  plus  belles 
et  des  plus  illustres  familles  de  la  Bourgogne, 
dont  le  sang  avait  coulé  dans  les  veines  des 
palatins  et  des  princes,  allié  à  plusieurs  cou- 
ronnes de  l'Europe,  pouvait  s'ouvrir  une 
brillante  carrière  dans  le  monde;  tout  lui 
promettait  un  sort  heureux,  des  jours  doux 
et  tranquilles,  des  dignités  et  des  honneurs; 
des  manières  aisées,  des  mœurs  douces  et 
polies  ;  une  fortune  brillante  pour  son  siècle, 
une  humeur  aimable,  une  vaste  étendue  de 
génie,  capable  des  plus  belles  connaissances  ; 
il  n'y  a  rien  là  qui  n'attache  au  monde  :  on 


129 


PANEGYRIQUES.  —  PANEG.  VU,  SAINT  CLAUDE. 


T50 


l'aime,  on  y  demeure  sans  de  si  belles  espé- 
rances; mais  son  goût  pour  la  retraite  l'em- 
porta, il  brisa  généreusement  tous  ces  liens 
flatteurs.  Ne  pensez  pas,  cependant,  qu'il  so 
rendit  solitaire  de  crainte  d'être  trop  occupé 
et  qu'il  renonça  aux  embarras  du  siècle  pour 
être  oisif  dans  la  solitude.  A  peine  est-il  ad- 
misdans l'abbaye  de  Saint-OyandeMont-Joux, 
qu'il  s'y  rendit  utile  sans  être  embarrassé; 
il  vit.  avec  douleur  .les  plus  beaux  droits  de 
cette  fameuse  abbaye  négligés;  tout  ce  que 
la  piété  et  la  magnificence  des  rois  de  France 
et  de  Bourgogne  lui  avaient  accordé  était 
usurpé;  les  voiles  obscurs  des  temps,  ser- 
vaient de  prétexte  à  la  cupidité  des  uns ,  et 
ne  permettaient  plus  de  condamner  la  négli- 
gence des  autres.  Saint  Claude,  sans  cesser 
d'être  solitaire,  devint  utile;  il  la  fit  rentrer 
dans  tousses  droits;  il  avait  plusieurs  fois  re- 
fusé la  dignité  d'abbé  par  humilité,  il  l'accepta 
par  obéissance,  il  en  devint  le  protecteur 
aussi  bien  que  le  modèle. 

Que  dirai-je     des  vertus  qu'il   pratiqua 
dans  cette  sainte  retraite?  C'est  un  solitaire 
que  j'ai  à  vous  représenter,   par  conséquent 
c'est  un  homme  de    larmes,  de  jeûnes,  de 
prières,   d'oraisons,   d'austérités  :    c'est  un 
nomme  placé  entre  le  ciel  et  la  terre,  qui  ne 
jette  plus  aucun  regard  sur  les  villes,   les 
empires,  les    richesses,  les    honneurs,  les 
plaisirs  qui  y  occupent  les  humains,  ou  qui 
ne  les  considère,  comme  le    Sauveur,     que 
pour  déplorer  leur  fragilité,  leur  chute,  leur 
néant  :  c'est  un  ange  dans  un  corps  mortel, 
qui  règne  sur  ses  passions,  qui  les  enchaîne, 
et  qui  est  plus  fort  que  lui-même  par  les  écla- 
tantes victoires  qu'il  remporte  sur  la  volupté; 
c'est  un  Jean-Baptiste,  un  Paul,  un  Antoine, 
ou  pour  parler  avec  l'historien,  le  plus  fidèle 
et  le  plus  sévère,  c'est  le  plus  parfait  de  tous 
les  solitaires  et  de  tous  lesmoinesd'Occident: 
à  ces  mots  n'êtes-vous  pas  étonnées,  Mesda- 
mes, vous  vous  représentez  la  sainteté    des 
religieux  de  l'Occident  dans  le  m'  siècle  où 
saint  ^Claude   brilla  avec  tant   d'éclat.    Ces 
ordres  naissants,  ces  solitudes  fameuses  où 
le  détachement  était  si  parfait,  la  pénitence 
si  rigoureuse,  la  vie  si  pure,  la  charité  si  ar- 
dente, l'humilité  si  profonde,  les  prières   si 
ferventes  :  ces  hommes  divins    qui  répan- 
daient la  bonne  odeur  de  Jésus-Christ  jus- 
que dans  les  cours  lesplus  brillantes,  que  lés 
monarques  s'empressaient    de     voir  et  de 
doter  ;  ces  portions  vénérables   de    l'Eglise 
qui  étaient  riches,    sans  aucun   domaine, 
comme  elles  savent  être  pauvres  aujourd'hui, 
avec  de  grandes  possessions  :  et  vous  êtes 
étonnés  de  voir  que    saint  Claude  est   dans 
cette  foule  de  fervents  solitaires,  comme  un 
flambeau  lumineux  qui  éclaire  tout  l'Occi- 
dent :  soit  que  vous  vous  enfonciez  dans  les 
forêts,  pour  y  contempler  ces  hommes  extra- 
ordinaires, qui  ont  embrassé  la  vie  érémi- 
tique,  soit  que  vous  entriez  dans  les  monas- 
tères, pour  y  admirer  ces  hommes  religieux, 
que  la  charité  unit,    vous  verrez  toujours 
saint  Claude  élevé  au-dessus  des  autres  par 
réminence  de  ses  vertus.  Pourquoi  était-il  si 
parfait  dans  la  solitude?  C'est  qu'il  y  avait 


été  conduit  par  la  grâce,  c'est  qu'il  y  était 
par  choix,  par  inclination;  il  l'avait  préférée 
aux  grandeurs  de  la  terre,  il  la  préféra  aussi 
au  trône  é^iscopal  dès  qu'il  le  put  sans  man- 
quer à  l'obéissance  due  au  chef  de  l'Eglise. 
Tant  de  vertus  amassées  dans  le  désert,  tant 
d'austérités  pratiquées  sur  son  corps  inno- 
cent, tant  de  victoires  remportées  surle  mon- 
de et  l'enfer,  le  préparaient  à  la  gloire  anti- 
cipée de  son  tombeau,  et  lui  méritaient  la 
couronne  de  l'immortalité:  il  y  descendit 
après  avoir  vaincu  le  monde  avec  tous  ses 
charmes,  et  son  tombeau  fut  honoré  de  pos- 
séder un  corps  qui  avait  participé  à  une  sain- 
teté si  consommée  dans  le  déserj,  à  des  tra- 
vaux si  immenses  dans  l'épiscopat:  sepul- 
crum  ejus  gloriosum. 

Les  saints  ont  toujours  appréhendé  la 
chute,  en  regardant  l'élévation  :  l'épiscopat 
les  effrayait,  il  ne  les  éblouissait  pas  :  ils  fai- 
saient attention  au  poids  des  âmes,  ils  ne 
pensaient  pas  aux  revenus  ou  aux  honneurs  : 
ils  rapprochaient  le  tribunal  de  Jésus-Christ 
du  trône  épiscopal,  et  ils  étaient  moins  sen- 
sibles à  l'éclat  de  l'autorité  qu'au  compte  qu'il 
fallait  rendre  de  l'autorité  même  :  c'était  là 
le  sujet  de  leurs  alarmes.  Lorsqu'on  leur  of- 
frait les  premières  dignités  de  l'Eglise,  ils  se 
dérobaient,  ils  fuyaient,  ils  s'enfonçaient 
dans  les  déserts.  L'histoire  des  premiers 
siècles  nous  représente  toutes  ces  scènes  que 
l'humilité  des  saints  donnait  aux  fidèles: 
elles  étaient  aussi  fréquentes  dans  ces  beaux 
jours,  qu'elles  ont  été  rares  dans  les  siècles 
suivants,  où  l'ambition  désira  et  brigua  ces 
honneurs  sacrés. 

Jamais  vocation   ne  parut 
plus   divine  que  celle  des 
Augustin,  des  Martin.   Dieu 
employa  même  la  voix  des  prodiges,  pour 
confirmer  les  suffrages  du  neuple,  qui  avait 
alors  le  droit  de  se  choisir  des  pasteurs. 

Cependant,  quels  innocents  artifices  n 'em- 
ployèrent-ils pas  pour  se  dérober  aux  hon- 
neurs de  l'épiscopat?  On  les  "vit  timides  et 
tremblants  lorsqu'on  les  nommait  :  on  les  vit 
baignés  de  pleurs,  lorsqu'on  leur  faisait  vio- 
lence, et  qu'ils  étaient  obligés  de  plier  sous 
ce  fardeau  redoutable  aux  anges  mêmes  : 
aussi  les  sièges  de  Milan,  d'Hippone,  de 
Tours  ne  furent-ils  jamais  occupés  par  des 
hommes  plus  éminents. 

Saint  Claude,  qui  égalait  ces  grands 
hommes  par  sa  foi,  sa  sainteté,  ne  redouta  pas 
moins  l'épiscopat  :  en  vain  l'église  de  Besan- 
çon, privée  de  son  pasteur,  jette-t-elle  les 
yeux  sur  lui  ;  en  vain  le  peuple  emplo'e-t-il 
les  prières  et  les  larmes  :  en  vain  toute  la 
Bourgogne,  qui  était  le  théâtre  de  ses  vertus, 
le  désire-t-elle  pour  remplir  un  de  ses  [lus 
fameux  sièges;  il  le  refuse,  et  s'en  croit  in- 
digne. Cons~olez-vous,  cher  troupeau  désolé, 
vousaurez  saintClaudepour  pasteur;  l'obéis- 
sance est  la  vertu  des  saints,  aussi  bien  que 
l'humilité.  Votre  choix  n'était  pas  pour  lui 
un  oracle  décisif,  mais  Itt  souverain  pon- 
tife parle  :  à  la  voix' du  chef  de  l'Eglise  il 
obéit,  il  se  soumet,  et  il  nous  apprend  que 
si  les  saints  se  cachent  par  l'humilité,  ils  iq 


plus  certaine, 
Ambroise,  des 
parla  alors,  il 


131 


ORATEURS  SACRES.  BALLET 


1: 


pecoris  tui 
le  car 


montrent  par  l'obéissance.  L'obéissance  en  a 
donc  fait  un  évêque.  Des  travaux  immenses 
soutenus  dans  L'épiscopat  en  feront  un  apôtre. 

Travaux  soutenus  dans  l'épiscopat,  pour 
connaître  son  troupeau  ;  il  avait  sans  cesse 
devant  les  yeux  ce  précepte  de  Salomon  :  Ap- 
pliquez-vous à  connaître  le  troupeau  qui 
vous  est  confié  :  agnotee  diligenter  vultum 
tui.  (Prov.  XXVII.)  Etudiez  l'esprit, 
iractère,  les  penchants  de  ceux  que  vous 
devez  conduire  à  Dieu,  1  homme  de  vices, 
l'homme  de  vertus;  celui  qu'une  passion 
naissante  prépare  à  de  grandes  chutes;  .celui 
qu'une  longue  habitude  a  rendu  esclave  du 
péché,  ceux  qu'il  faut  consoler,  ceux  qu'il 
iaut  effrayer,  agnosee  diligenter.  Il  savait 
encore  que  cette  connaissance  dans  un  pas- 
teur doit  être  si  étendue,  si  parfaite,  qu'il 
doit  connaître  toutes  ses  ouailles,  et  être  en 
état  de  les  appeler  toutes  par  leurs  noms  : 
vocat  eus  nominatim.  (Joan.   IX.) 

De  laces  visites,  ces  voyages,  ces  course*; 
il  monte  sur  les  plus  hautes  montagnes,  il 
descend  dans  les  plus  profondes  vallées,  il 
entre  dans  les  cabanes  du  pauvre:  lhomnie 
rustique  qui  habite  les  lieux  écartés  est  ins- 
truit, policé,  il  voit  son  évêque,  il  a  la  con- 
solation de  l'entendre  et  d'en  être  écouté. 
Quand  un  évêque  ne  quitte  son  Eglise  que 
pour  ces  fonctions  apostoliques,  pour  le  bien 
de  son  peuple,  que  pour  remplir  les  devoirs 
de  son  ministère  auguste,  Jésus-Christ  l'a- 
voue, tes  apôtres  le  reconnaissent  ;  ce  n'est 
point  un  de  ces  astres  errants  qui  se  détachent 
pour  aller  briller  sur  des  terres  étrangères. 

Travaux  de  saint  Claude  soutenus  dans  l'é- 
piscopat pour  détruire  les  vices  :  Vive  le  Sei- 
gneur, dit-il  avec  le  prophète  Michée,  quand 
il  se  vit  placé  sur  le  siège  de  Besançon,  je 
dirai  aux  pécheurs  tout  ce  que  le  Seigneur 
m'ordonne  de  leur  dire:  quodeunque  dixerit 
rnihi  Dominas  loquar.  L'éclat  du  diadème,  l'or- 
gueil des  grands,  l'insolence  des  riches,  la 
fureur  des  impies,  la  force  de  la  coutume,  le 
torrent  de  la  licence,  rien  ne  m'intimidera, 
rien  ne  m'arrêtera;  je  reprendrai,  je  menace- 
rai, j'ouvrirai  les  abîmes  de  l'enfer,  pour 
montrer  aux  pécheurs  les  plus  hardis,  les 
plus  puissants,  les  supplices  qu'ils  se  pré- 
parent '.quodeunque  dixerit  tnihi  Dominus  lo- 
quar. Il  ledit,  Messieurs,  et  il  l'exécuta;  il 
eut  le  zèle  des  Jean-Baptiste,  des  Ambroise; 
il  détruisit  le  règne  du  péché  dans  les  grands 
îussi  bien  que  dans  les  petits:  il  visita  les 
maîtres  du  monde,  mais  sans  perdre  la  liberté 
de  son  ministère. 

Travaux  soutenus  dans  l'épiscopat,  pour 
réprimer  les  abus.  Le  démon  jaloux  des  con- 
quêtes de  la  religion  chrétienne,  s'est  ef- 
forcé, dès  les  commencements,  d'en  corrom- 
pre le  culte  ;  et  lorsqu'après  les  victoires  du 
grand  Constantin,  il  ne  pouvait  plus  régner 
dans  ses  temples,  il  a  entrepris  de  régner 
dans  les  nôtres.  De  là  ces  trophées  secrets 
(p.i'on  lui  érige  jusque  dans  nos  Eglises, 
ces  appâts  du  vice  qu'on  étale  jusqu'au  pied 
des  autels;  de  laces  honneurs  qu'il  s'est 
fait  rendre  par  des  peuples  crédules  et 
on  leur  présentant  de  faux  thau- 


maturges, et  en  accréditant,  dans  les  cam- 
pagnes, de  pieuses  superstitions;  de  là  ces 
dissolutions,  ces  débauches  qu'il  a  introdui- 
tes dans  les  temps  les  plus  saints,  dans  les  fê- 
tes les  plus  solennelles,  dans  les  mystères  les 
nlus  augustes,  dans  les  dévotions  les  pi  us so- 
lides et  les  plus  autorisées.  Saint  Claude  s'é- 
leva avec  le  zèle  des  plus  saints  héros  de  la 
Synagogue,  et  des  premiers  évoques  de  l'E- 
glise naissante:  il  renversa  les  autels  sacri- 
lèges, purifia  le  culte  du  Très-Haut,  ôta  les  ap- 
prêts des  solennités,  réprima  tous  les  abus  et 
fit  disparaître  les  abominations  de  l'impiété  : 
Tulit  abominalionesjmpielalis.  (2scc/ï.,49.) 

Travaux  de  saint  Claude  dans  l'épiscopat , 
pour  empêcher  le  progrès  de  l'hérésie.  Lors- 
que les  sentinelles  d'Israël  cessent  de  veil- 
ler, que  les  hommes  destinés  à  la  garde  du 
dépôt  sacré  sont  ensevelis  dans  un  pro- 
fond sommeil;  l'ennemi,  dit  l'Evangile,  sè- 
me l'ivraie  avec  le  bon  grain;  l'homme  de 
nouveauté  s'accrédite,  l'erreur  s'insinue, 
mais  c'est  un  mystère  que  les  simples  fidèles 
ne  sauraient  dévelopj  er  :  Dum  dormirent 
homines.  [Mat th.,  13.)  Saint  Claude,  senti- 
nelle vigilante,  ne  donna  jamais  le  temps  aux 
doctrines  perverses,  aux  nouveautés  dange- 
reuses de  s'étendre,  de  s'accréditer;  il  veilla, 
il  parla,  ileondamna.  L'hérésie  qui  profite  de 
la  lenteur,  de  la  politique,  fut  sans  re  source 
pendant  son  épiscopat  ;  et  les  Ophnis  et  les 
Phinées  ne  purent  jamais  se  glisser  dans  le 
sanctuaire. 

Travaux  de  saint  Claude,  soutenus  dans 
l'épiscopat  pour  la  beauté  et  les  intérêts'de 
l'Eglise.  Vous  le  représenterai-je  à  la  tête  de 
son  clergé  pour  le  former  dans  la  discipline 
de  l'Eglise,  dans  les  conciles  de  Lyon  ,  de 
Pamiers;  c'est  dans  ces  saintes  et  augustes 
assemblées  qu'il  est  l'homme  de  l'Eglise, 
qu'il  la  sert  et  prend  ses  intérêts.  Tant  de 
travaux,  Messieurs,  soutenus  pour  la  gloire 
de  Dieu,  ne  nous  donnent-ils  pas  le  droit 
de  le  mettre  à  côté  de  ces  hommes  fameux 
qui  ont  rempli  les  premiers  sièges  des  Gau- 
les, des  apôtres  mêmes;  et  s'il  fut  honoré 
du  même  ministère,  n'eut-il  pas  le  môme 
zèle? 

Si  le  goût  de  la  solitude,  et  le  désir  de 
mener  une  vie  cachée  le  firent  descendre  du 
trône  épiscopal,  le  souverain  pontife  auto- 
risa sa  retraite;  il  brigua  cette  grâce  avec 
autant  d'ardeur  que  les  ambitieux  briguent 
les  plus  grands  honneurs  ;  il  ne  renonça  pas 
à  l'épiscopat  pour  vivre  paisiblement  dans 
le  monde,  se  dispenser  des  fonctions  pasto- 
rales, et  porter  dans  les  compagnies  et  les 
cercles  les  marques  éclatantes  d'un  caractère 
oisif;  il  descendit  dans  le  tombeau,  consu- 
mé de  fatigues,  et  son  tombeau  fut  honoré 
de  posséder  un  corps  qui  avait  participé  à 
des  travaux  si  immenses  soutenus  dans  l'é- 
piscopat, à  une  science  si  profonde,  si  utile; 
toute  sa  gloire  vient  de  renfermer  le  plus 
parfait  des  solitaires,  le  plus  zélé  des  évo- 
ques, le  plus  éclairé  des  docteurs  :  Sepul- 
crum  ejus  qloriosum. 

Saint  Claude  était  né  avec  des  dispositions 
heureuses  pour  les  sciences  :  il  les  cultiva , 


PANEGYRIQUES.  —  PANEG.  VII,  SAINT  CLAUDE. 


i"3 

et  y  fit  des  progrès  qui  étonnèrent  ses  maîtres; 
Un  génie  vaste,  capable  des  plus  belles  con- 
naissances; un  raisonnement  juste  qui  saisit 
les  plus  grandes  difficultés;  une  imagination 
viye  et  brillante,  en  état  de  produire  et  de 
créer;  une  application  sérieuse  des  plus 
beaux  monuments  de  l'antiquité  ;  une  lec- 
ture assidue  de  l'Ecriture  sainte,  à  laquelle 
il  s'était  appliqué,  comme  Timothée  ,  dès 
son  enfance;  une  érudition  consommée,  qui 
le  rendait  habile  en  tout  genre,  qui  le  fai- 
sait regarder,  dit  l'historien  de  sa  vie ,  com- 
me l'oracle  de  la  Bourgogne,  et  le  plus  sa- 
vant de  son  siècle;  c'est  sous  ces  traits  ma- 
gnifiques que  l'histoire  fidèle  nous  le  repré- 
sente. Mais  pourrais-je  consacrer  aujour- 
d'hui des  éloges  à  cette  science  si  vaste  si 
étendue,  s'il  ne  l'avait  pas  fait  servir  au  sa- 
lut des  peuples  qui  lui  furent  confiés,  et  aux 
intérêts  de  l'Eglise? 

Non,  Messieurs,  la  science  sans  la  charité 
élève  l'homme,  nourrit  son  orgueil,  et  l'oc- 
cupe inutilement  :  Scientia  inflat.  (1  Cor., 
VIII  ) 

On  n'a  jamais  entrepris  de  ravir  la  gloire 
de  l'érudition  à  ces  sages  du  paganisme,  qui 
pensaient  et  écrivaient  avec  solidité  et  avec 
délicatesse;  qui  donnaient  des  leçons  publi- 
ques dans  leurs  académies,  qui  se  faisaient 
des  disciples  et  des  admirateurs  dans  tous 
les  empires  du  monde.  Les  lambeaux   de 
leurs  ouvrages,  qui  sont  échappés  à  la  fata- 
lité des  temps,  sont  estimés  dans  la  républi- 
que des  lettres;  et  sans  ravir  à  notre  siècle 
la  glo:re  qu'il   s'est  .acquise,    on  érige  en- 
core des  trophées  à  l'érudition  des  anciens, 
mais  les  vices  et  les  erreurs  ont  répandu  un 
opprobre  éternel  sur  leurs  ouvrages  ;  nous 
admirons  les  talents  de  l'esprit,  nous  dé- 
plorons les  vices  du  cœur;  ils  possédaient 
la  science,   ils  n'avaient  pas  la  charité;  l'é- 
rudition sans  la  charité  fait  des  superbes; 
l'érudition  avec  la  charité  fait  des  savants  uti- 
les :  Scientia  inflat,  charitas  œdificat.  (Ibid.) 
Nous  savons  apprécier  les  connaissances  des 
savants  qui  fourmillent  dans  notre  siècle , 
leurs  lumières,  leur  délicatesse,  leurs  ri- 
chesses, leurs  profondes  méditations  ;  mais 
lorsqu'en  matière  de   religion   ils  veulent 
tout  citer  au  tribunal  de  leur  raison,  nous 
déplorons  leurs  sciences  ;  leurs  doutes,  leurs 
systèmes  nous  prouvent  les  égarements  de 
l'homme.  Nous  voyons  des  savants  qui  s'é- 
garent dans  leurs  pensées,  qui  languissent 
dans  de  vaines  questions,  des   hommes  de 
doute  pendant  leur  vie,   des  hommes  d'in- 
certitude à  leur  mort.  Nous  ne  prétendons 
pas  disputer  aux  ennemis  de  l'Eglise  même 
l'érudition  des  héros  qui  les  ont  accrédités  ; 
nous  avouons  la  fécondité  de  leurs  ressour- 
ces, la  subtilité  de  leurs  arguments;  nous 
savons  que  plusieurs  ont  tenu  tête  aux  plus 
habiles  catholiques,  et  ont  écrit  d'une  ma- 
nière à  satisfaire  et  à  séduire  les  esprits  : 
mais  nous  savons  aussi  les  précipices  qu'ils 
se  sont  creusés  en  abandonnant  l'Eglise.  Et 
l'histoire   ecclésiastique    ne    nous  fourni  l- 
eHe  que  l'exemple  d'un  Terlullien,  il  suffi- 
rait seul  pour  nous  prouver,  que  si  les  sa- 


154 

vants  s'égarent  lorsqu'ils  mé;  ripent  l'autorité 

légitime,  ils  ne  se  soumettent  presque  ja- 
mais après  l'avoir  abandonnée.  Mais  joi- 
gnons la  charité,  la  docilité,  la  soumission  à 
la  science  de  ces  grands  hommes  dont  je 
viens  de  parler,  et  elle  sera  agréable  à  Dieu, 
utile  au  prochain,  soumise  à  l'Eglise  ;  telle 
fut  celle  de  saint  Claude. 

Science  de  saint  Claude",  science  puisée 
dans  les  sources  divines.  Les  livres  saints, 
les  ouvrages  des  premiers  Pères  de  l'Eglise, 
l'histoire  de  la  religion  naissante,  persécu- 
tée et  victorieuse,  furent  les  sources  où  il 
puisa  ce  riche  amas  de  connaissances,  qui 
lui  acquirent  une  si  haute  réputation.  De  là 
cette  piété  tendre  ,  cette  charité  ardente  , 
cette  onction  qui  pénètre,  ces  peinturestou- 
chantes  du  vice  et  de  la  vertu;  de  là  cette 
douceur,  cette  humilité  parmi  les  triomphes 
de  son  éloquence,  et  lors  même  qu'il  esi 
couronné  par  lessavants  de  son  siècle.  Qu'un 
savant  humble  est  agréable  au  Seigneur! 
On  sait  éminemment  quand  on  sait  bien  Jé- 
sus-Christ; tel  fut  saint  Claude.  Tout  ce  qui 
peut  dessécher  l'âme,  séduire  l'esprit,  cor- 
rompre le  cœur,  amuser  inutilement ,  ne  fut 
jamais  l'objet  de  son  occupation. 

Science  de  saint  Claude,  science  utile  au 
prochain.  Il  employa  ses  talents  à  instruire 
son  peuple  ;  ses  prédications  étaient  fré- 
quentes, persuadé  que  si  la  religion  s'est 
établie  par  la  prédication  de  l'Evangile,  elle 
ne  se  soutient  dans  son  éclat  que  par  le  mi- 
nistère de  la  parole,  et  que  ce  sont,  les  évê- 
ques  que  Jésus-Christ  a  chargés  spécialement 
de  cette  auguste  fonction:  il  s'en  acquitta 
avec  zèle  et  avec  succès:  docuit  populum. 
(Eccle.,  XII.)  Il  cherchait  à  toucher  les  cœurs, 
il  employait  \es  termes  les  plus  touchants, 
les  exemples  ies  plus  frappants:  il  5e  serva  t 
de  ce  style  simple  mais  noble,  pour  annon- 
cer dans  les  campagnes  les  vérités  du  salut  : 
et  il  était  plus  jaloux  de  la  conversion  des 
âmes,  que  des  vains  applaudissements  des 
auditeurs:  quœsivit  verba  utilia.  {Ibid.} 

Nous  voyons  avec  douleur  qu'on  tombe 
souvent  dans  deux  excès  en  annonçant  la 
divine|parole.  Nous  en  voyons,  dans  les  cam- 
pagnes, qui  avilissent  la  chaire  per  des  ex- 
pressions basses  ;  qui  la  déshonorent  par 
des  reproches  indiscrets,  des  comparaisons 
comiques  qui  désignent  trop  clairement  les 
personnes  et  les  abus;  qui  sont  tout  de  feu 
quand  ils  parlent  de  leurs  intérêts,  et  qui 
sont  tout  de  glare  quand  ils  parlent  de  Dieu. 
De  là  l'avilissement  des  pasteurs  de  la  cam- 
pagne, et  des  scènes  ridicules  que  les  mon- 
dains ont  imaginées  et  sur  lesquelles  on  ne 
tarit  jamais.  Nous  en  voyons  dans  les  villes, 
qui  méritent  le  reproche  que  le  Seigneur 
fait  par  la  bouche  du  prophète  Ezé.'hiel  ;  ils 
sont  à  leurs  auditeurs  comme  un  agréable 
concert  de  musique,  tu  c<>  eis  carmen  musi- 
cum.  (Ezech.,  XXXIII.)  C'est  un  choix  de 
mots  harmonieux,  tout  est  recherché,  poli  é  ; 
leur  mémoire  est  chargée,  fatiguée;  et  ils 
•aiment  mieux  paraître  avec  éclat  rarement 
que  de  se  mettre  en  état  de  paraître  tous  les 
jours  utilement.  Saint  Claude  évita  ces  deux 


155 


OHATEUftS  SACHES.  DALLET. 


156 


éoueils,  il  chercha  a  être  utile,  et  non  pas  à 
être  agréable  :  quœsivit  vcrba  utilia.  (Eccl. 
XII.) 

Science  de  saint  Clande,  science  soumise 
à  l'autorité  de  l'Eglise.  Consulté  souvent 
sur  le  rétablissement  de  la  discipline,  rede- 
vable à  son  clergé,  qu'il  formait  et  mettait 
en  état  de  former  les  autres,  il  écrivit,  com- 
posa,  mais  des  Ouvrages  dignes  des  Am- 
broise,  des  Augustin,  des  Jérôme;  il  avait 
leur  sainteté,  il  avait  leurs  lumières.  Parle- 
t-il  sur  la  morale?  on  le  voit  marcher  entre 
les  deux  extrémités  vicieuses,  le  relâchement 
et  la  sévérité.  Parle-tril  des  matières  pro- 
iondes  et  difficiles?  on  voit  l'humilité  qui 
doute,  la  science  qui  décide,  développe  avec 
netteté  et  précision.  Parle-t-il  des  dogmes? 
on  le  voit  consulter  les  décisions  de  l'Eglise, 
se  servir  de  ses  termes  et  de  ses  expres- 
sions ;  et  pour  continuer  le  parallèle  du  Sage; 
tous  les  discours  qu'il  composa  n'offrent 
rien  de  suspect,  l'exactitude  et  la  vérité  y 
marchent  à  pas  égal  :  conscripsit  sermones 
rectissimos  ac  veritate  plenos.  (Ibid.)  Telle 
fut,  Mesdames,  la  science  de  saint  Claude, 
elle  édifia,  elle  éclaira  les  peuples;  tout  fut 
pour  la  gloire  de  Dieu;  il  lui  consacra  son 
cœur,  ses  biens,  sa  famille,  ses  espérances 
dans  le  désert;  ses  lumières,  ses  travaux 
dans  l'épiscopat.  Le  tombeau  s'ouvre  pour 
les  héros  de  la  religion  aussi  bien  que  pour 
les  héros  du  monde;  il  y  descend,  mais 
chargé  de  mérites  et  de  vertus  dans  une 
sainteté  consommée. 

Ai-je  eu  tort  de  dire  que  son  tombeau  fut 
honoré  de  posséder  un  corps  si  précieux, 
qui  avait  participé  aux  vertus  du  plus  par- 
fait des  solitaires,  aux  travaux  du  plus 
zélé  des  évoques,  aux  connaissances  du  plus 
éclairé  des  docteurs?  Mais  si  j'ai  dit  que 
son  tombeau  fut  le  séjour  d'une  sainteté 
consommée,  j'ai  ajouté  qu'il  était  aussi  le 
séjour  d'une  gloire  anticipée  :  sepulcrum 
vjus  ç/loriosum.  C'est  la  seconde  partie  de 
son  éloge. 

SECONDE    PARTIE. 

Les  corps  des  saints  participeront  un  jour 
à  leur  récompense  dans  le  ciel  ;  les  corps 
îles  réprouvés  participeront  un  jour  à  leurs 
tourments  dans  les  enfers.  Servons-nous  du 
flambeau  de  la  foi  ;  portons-le  dans  ce  jour 
qui  terminera  tous  les  siècles,  renversera 
■tous  les  trônes,  brisera  tous  les  sceptres, 
confondra  tous  les   rangs,  anéantira  toute 

f;randeur,  consumera  tous  les  royaumes  et 
es  empires,  ranimera  la  cendre  des  hu- 
mains dans  les  creux  des  tombeaux  et  verra 
miraculeusement  rassembler  les  hommes 
de  tous  les  siècles  et  de  tous  les  climats, 
les  païens  et  les  chrétiens,  les  hérétiques 
et  les  catholiques,  les  bons  et  les  méchants, 
pour  n'avoir  tous  qu'un  seul  juge,  Jésus- 
Christ. 

Ne  portons  pas  nos  regards  aujourd'bui 
sur  la  confusion  des  impies,  mais  sur  la 
gloire  des  saints.  Examinons  d'après  saint 
Paul,  ces  triompbes  que  Dieu  doit  procurer 
à  leurs  corps  humiliés  depuis   longtemps 


dans  les  sépulcres  ;  la  sublime  doctrine  de 
ce  grand  apôtre  nous  a  développé  tous  les 
caractères  de  cette  gloire.  Je  m'attache  à 
trois;  et  ces  trois  caractères  relèvent  avec 
éclat  les  trois  principaux  abaissements  de 
l'homme  dans  le  tombeau.  L'bomme  justo 
ressuscitera  avec  un  corps  incorruptible , 
surget  in  incorruptiene  (I  Cor.,  XV);  l'homme 
juste  ressuscitera  environné  de  gloire,  surget 
in  gloria  (Ibid.)  ;  l'homme  juste  ressuscitera 
revêtu  de  force  et  de  puissance,  surget  in 
virtute  (lbid.);  il  avait  été  en  proie  à  la 
corruption  du  tombeau,  il  avait  été  oublié 
des  hommes  dans  le  tombeau,  il  avait  perdu 
sa  force,  son  autorité  dans  le  tombeau,  l'in- 
corruptibilité ,  les  honneurs,  la  puissance 
relèveront  ces  abaissements  au  dernier  jour 
du  monde.     . 

Or,  Messieurs,  je  dis  que  cette  gloire,  qui 
sera  commune  à  tous  les  justes  à  la  fin  des 
siècles,  a  été  accordée  à  saint  Claude  par 
anticipation  aussitôt  après  sa  mort,  et  que 
son  corps  jouit  en  quelque  sorte  dans  la 
tombeau,  des  privilèges  de  la  résurrection. 
L'histoire  la  plus  fidèle  ne  nous  assure-t-elle 
pas  que  son  corps  précieux  s'est  conservé 
sans  aucun  déchet  dans  le  tombeau  ;  qu'il  y 
repose  comme  dans  le  séjour  des  vivants  et 
qu'un  air  d'immortalité  règne  sur  son  vi- 
sage? Ne  nous  atteste-t-elle  pas  sa  puissance, 
en  nous  racontant  les  prodiges  qui  s'y  opè- 
rent ?  Ne  nous  apprend-elle  pas  les  hon- 
neurs qu'on  lui  rend ,  en  nous  montrant 
l'Eglise  qui  lui  érige  des  trophées  de  toutes 
parts,  qui  élève  des  temples  sous  son  nom 
et  lui  décerne  un  culte  public?  Saint  Claude 
est  donc  incorruptible  dans  le  tombeau, 
puissant  dans  le  tombeau,  révéré  et  honoré 
dans  le  tombeau.  La  foi  ne  promet  cette 
gloire  aux  corps  des  justes  qu'à  la  fin  des 
siècles,  et  voilà  ce  qui  m'a  fa  t  dire  que 
le  tombeau  de  saint  Claude  était  le  sé- 
jour d'une  gloire  anticipée ,  sepulcrum 
ejus  gloriosum;  ces  merveilles,  chrétiens, 
demandent  de  vous  un  renouvellement  d'at- 
tention. 

C'est  dans  le  tombeau  que  se  consomment 
tous  les  mystères  de  notre  mortalité. 

Mystères  annoncés  à  l'homme  clairement 
par  l'Eternel  même  :  Je  retirerai,  dit-il,  le 
souffle  qui  t'anime;  un  glaive  invisible  sépa- 
rera cette  portion  de  toi-même  faite  à  mon 
image  ;  er.  ton  corps,  semblable  à  ces  arbres 
qui  tombent  sous  la  cognée,  demeurera  étendu, 
immobile  sur  la  terre. 

Mystères  qui  s'accomplissent  tous  ies 
jours,  les  tombeaux  s'ouvrent  pour  les  mo- 
narques comme  pour  les  sujets  :  la  voix  du 
Tout-Puissant  brise  les  cèdres  du  Liban,  elle 
couvre  les  plus  florissants  royaumes  des  om- 
bres de  la  mort,  renverse  et  met  en  poudre 
les  têtes  les  plus  augustes  :  vox  Domini  con- 
fringentis  cedros.  (Psal.  XXVIII.) 

Mystères  humiliants  pour  l'homme  d'am- 
bition et  de  richesse  :  ces  hommes  qui  se  re- 
gardaient, pour  ainsi  dire,  comme  des  dieux 
sur  la  terre  ;  ces  idoles  vivantes,  qu'un  peu- 
ple d'âmes  mercenair.es  adorait;  ces  maîtres 
du  monde  que  l'opulence  rendait  indé^en- 


137 


PANEGYRIQUES.  —  PANEG.  VII ,  SAINT  CLAUDE.  138 


dants,  que  ies  honneurs  enflaient;  séparés 
pour  toujours  de  leurs  domaines,  de  leurs 
palais,  de  leurs  dignités,  ne  sont  plus  qu'un 
peu  de  cendre  et  de  poussière,  pulvis  et  ci- 
nis.  {Gen.,  XVIII.) 

Mystères  d'horreur  :  c'est  aux  tombeaux 
qu'il  faut  conduire  l'homme  de  plaisir  et  de 
péché,  dit  le  Saint-Esprit  :  Ducetur  ad  se- 
pulcra  hominum.  (Job,  XXI.)  Qu'y  verra- 
t-il?  Des  ossements  épars,  des  crânes  dessé- 
chés, quelques  lambeaux  de  chair  que  la 
pourriture  a  séparés  de  ces  illustres  morts 
et  qui  sont  la  proie  des  vers.  Ah  !  est-il 
possible  que  l'homme  ne  s'humilie  point  à 
la  vue  de  tous  ces  mystères  de  notre  morta- 
lité et  de  ces  tristes  restes  d'un  corps  nourri 
dans  les  délices,  et  idolâtré?  Mais  l'homme 
éloigne  ces  spectacles  d'horreur:  ses  désirs, 
ses  soins,  ses  projets  sont  pour  les  objets 
flatteurs  du  siècle,  les  fortunes,  les  grandes 
places  ;  le  tombeau  ne  l'occupe  point  ;  il 
s'ouvre,  il  le  demande;  lorsqu  il  y  pense  le 
moins,  il  y  descend.  Ah!  dit  l'Esprit  Saint, 
s'il  y  descendait  en  esprit  pendant  sa  vie, 
il  serait  impossible  qu'à  la  vue  de  ces  amas 
de  morts,  de  ces  illustres  cadavres,  de  tous 
ces  maîtres  du  monde  pulvérisés,  il  ne  se 
réveillât  pas  et  ne  sortît  point  de  ce  redou- 
table assoupissement  qui  le  rend  insensible 
à  cette  grande  scène  qu'il  doit  donner  lui- 
même  aux  hommes  qui  vivront  après  lui  : 
In  conge'he  mortuorum  evigilabit.  (Ibid.) 
Oui,  Messieurs,  nous  devons  tous  subir  le 
môme  sort  dans  le  tombeeu. 

La  terre  pourrira  nos  corps  et  les  réduira 
en.  cendre,  les  rois  y  tomberont  de  leurs 
trônes,  les  pauvres  y  seront  conduits  do 
leurs  cabanes  :  les  uns  y  sont  conduits  avec 
pompe  et  à  grands  frais,  les  autres  y  sont 
conduits  dans  le  silence  et  avec  une  simpli- 
cité qui  répond  à  leur  vie  pauvre  et  languis- 
sante. 

La  mort  des  grands  fait  du  bruit  dans  le 
monde  ;  la  renommée  annonce  leur  chute 
dans  tous  les  empires  :  ce  sont  des  astres 
éclatants ,  on  s'aperçoit  partout  qu'ils  sont 
éteints  :  la  mort  des  petits  n'intéresse 
point  les  étrangers,  l'histoire  ne  dit  rien 
d'eux  ;  on  ne  les  connaissait  pas,  on  n'est 
pas  dans  la  peine  de  les  oublier  :  les  grands 
nourrissent  plus  lentement,  les  baumes, 
les  odeurs  suaves  les  conservent  quelque 
temps,  mais  ils  ne  pourrissent  pas  moins  : 
les  pauvres  pourrissent  plus  promptement, 
on  les  néglige,  on  omet  ces  recherches, 
ces  précautions  de  la  vanité  qui  ne  changent 
point  leur  sort  :  mais  la  vanité  cède  à  la 
corruption  et  ils  deviennent  égaux. 

Brisez,  Messieurs,  ces  marbres  sur  les- 
quels on  grave  de  frivoles  éloges;  renversez 
ces  superbes  mausolées,  que  l'orgueil  élève 
sur  les  humiliants  débris  de  la  nature  et  qui 
sont  autant  de  trophées  érigés  à  la  puissance 
de  la  mort;  levez  ces  tombes  qui  cachent  tous 
les  mystères  de  notre  mortalité  ;  ouvrez  ces 
tombeaux  qui  renferment  ces  rois  arrachés 
à  leurs  trônes  ;  des  couronnes  flétries,  des 
sceptres  brisés,  y  verrez-vous  quelque  trace 
de  la  grandeur  du  siècle  ?  Y  trouverez-vous 

Orateurs  sacrés.  L 


quelques  vestiges  de  la  gloire,  de  la  valeur, 
de  l'autorité,  de  la  majesté  des  rois? 

Passez  des  tombeaux  des  rois  aux  tom- 
beaux des  pauvres  ;  laissez  ces  dehors  frap- 
pants qui  nourrissent  l'orgueil  des  vivants  ; 
vous  n'y  verrez  pas  de  plus  grandes  hor- 
reurs :  Je  tombeau  du  grand  et  le  tombeau 
du  pauvre  renferment  la  même  corruption  ; 
la  cendre  de  l'un  n'est  pas  plus  illustre  que 
la  cendre  de  l'autre;  oui,  dit  saint  Ambroise, 
la  mort  met  tous  les  hommes  de  niveau.  Re- 
gardez dans  les  tombeaux  si  vous  voulez  voir 
une  égalité  parfaite  :  respice  in  scjrulcra  ho- 
minum. On  distingue  le  monarque  sur  la  terre, 
le  grand,  le  conquérant,  le  savant,  le  riche  ; 
chacun  a  ses  noms,  ses  titres  ;  il  y  a  des  mar- 
ques éclatantes  que  le  prince  distribue;  elles 
attirent  les  regards  et  les  respects  des  peu- 
ples ;  mais  ces  hommes  fameux,  passés  clans 
le  tombeau,  sont  au  rang  des  morts.  Or, 
parmi  les  morts  il  n'y  a  plus  de  distinction  : 
nulla  dislinctio  inter  cadavera  mortuorum. 
Telle  est  donc,  Messieurs,  notre  destinée, 
d'entrer  dans  la  corruption  du  tombeau, 
pour  n'en  sortir  qu'au  dernier  jour  du 
monde. 

Mais  Dieu  est  le  maître  d'anticiper,  quand 
il  lui  plaît,  la  gloire  qu'il  doit  procurer  aux 
justes  à  la  résurrection  des  corps.  Les  annales 
de  l'Eglise  nous  en  montrent  plusieurs  con- 
servés par  sa  puissance  dans  le  tombeau  sans 
aucun  déchet;  et  parmi  ces  justes  favorisés, 
saint  Claude  tient  un  rang  éminent.  L'histoire 
la  plus  fidèle  nous  le  représente  incorruptible 
depuis  une  longuesuite  de  siècles;  voilà  le  pre- 
mier trait  de  cette  gloire  anticipée,  qui  éclate 
dans  son  tombeau,  et  qui  le  rend  vénérable  à 
toute  l'Eglise  :  sepulcrum  ejus  gloriosum. 

Une  main  toute-puissante  l'a  conservé  dans 
ce  séjour  delà  mort,  en  a  écarté  les  ténèbres 
et  les  horreurs;  les  vers  et  la  pourriture, que 
Job  appelle  la  famille  des  morts,  l'ont  res- 
pecté ;  l'Eternel,  sans  se  démentir  et  sans 
changer,  n'a  pas  exécuté  à  la  rigueur  la  sen 
tence  qu'il  a  prononcée  contre  toute  chair  : 
il  avait  dit  que  tout  homme  mourrait  :  morte 
morieris  (Gen.,  XX)  :  nul  n'a  échappé  à  ce 
rigoureux  arrêt.  Le  Fils  de  Dieu  même,  revêtu 
de  notre  chair,  a  expiré  sur  la  croix  ;  il  au- 
rait pu  en  descendre,  comme  les  Juifs  le  de- 
mandaient; mais  notre  salut  dépendait  de  sa 
mort. 

Marie  était  le  chef-d'oeuvre  des  miséricor- 
des et  de  la  puissance  du  Très-Haut  ;  jamais 
créaturen'aétécombléede  tantde  grâces  et  de 
prérogatives;  il  faut  bien  se  donner  de  garde 
de  la  comparer  à  aucun  saint;  quand  on  parle 
de  ses  privilèges,  ils  lui  sont  paiticuliers; 
cependant  elle  a  été  soumise  à  l'empire  de 
la  mort,  comme  l'Eglise  le  reconnaît  :  mor- 
tem  subiit temporal em.  Lazare  était  l'ami  de 
Jésus-Christ,  Lazarus  amicus  noster  (Joan., 
XI)  ;  cependant  il  meurt,  il  est  enfermé 
dans  le  tombeau,  etdéjà  en  proie  à  la  corrup- 
tion, jam  fœtet  (Ibid.).  Dieu  a  fait  des  prodi- 
ges en  faveur  de  quelques  saints,  il  n'en  a 
point  fait  pour  les  exempter  de  la  mort.  La 
sentence  est  prononcée  contre  tous  les  nom- 


159 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


iiO 


m°s  :  statutum  est  omnibus  homi nibus .{Uebr . , 
IX.) 

Elie  et  Enoch  ne  sont  pas  encore  sortis  de 
ce  monde  terrestre,  ils  sont  conservés  dans 
un  état  de  suspension.  Dieu  qui  est  le  maître 
de  la  vie,  qui  conduit  au  tombeau  et  qui  en 
retire,  retarde  à  son  gré  l'exécution  de  cette 
sentence  irrévocable  qu'il  a prononcée  contre 
tous  les  hommes  dès  la  naissance  des  siècles  ; 
mais  ils  mourront,  disent  lessaints docteurs, 
pour  obéir  à  cette  loi  qui  ne  fait  point  d'ex- 
ception. 

Saint  Claude  a  fini,  comme  tous  les  hommes, 
cette  vie  mortelle;  la  mort  l'a  séparé  de  ce 
monde  visible;  cet  astre  s'est  éteint, l'Eglise 
dans  le  sixième  siècle  a  perdu  une  de  ses 
plus  éclatantes  lumières  ;  Besançon,  son  pas- 
teur ,  les  pauvres,  leur  père,  les  académies, 
leur  maître ,  le  clergé,  son  modèle  ;  il  a  dis- 
paru ;  il  a  passé  dans  le  séjour  de  la  mort  ;  il 
est  mort,  parce  que  Dieu  avait  dit,  vous  mour- 
rez, morte  morieris  (Gen.,  XX);  mais  Dieu  a 
ajouté,  vous  retournerez  en  poussière,  vous 
en  avez  été  formés;  vos  corps  pourris,  con- 
sommés dans  le  tombeau,  ne  seront  plus 
qu'un  peu  de  cendre,  inpulverem  reverteris. 
(Gen.ylU.) 

C'est,  Messieurs,  sur  cette  humiliante  partie 
de  la  sentence,  que  Dieu  sans  se  démentir 
et  sans  changer,  a  fait  grâce  à  certains  saints, 
pour  faire  éclater  sa  puissance,  pour  la  con- 
solation et  l'honneur  de  l'Eglise,  pour  récom- 
penser des  vertus  singulières,  pour  retracer 
la  gloire  du  tombeau  de  Jésus-Christ,  de  ce- 
lui de  Marie  :  pour  anticiper  les  triomphes 
des  corps  au  dernier  jour  du  monde,  faire 
briller  à  nos  yeux  de  légers  rayons  de  la 
gloire  qui  doit  environner  un  jour  ces  victi- 
mes ;de  la  pénitence  et  de  la  vérité  ;  les  anna- 
les de  l'Eglise  et  les  histoires  les  plus  fidèles 
nous  montrent  plusieurs  saints  qui  ont  par- 
ticipé à  la  gloire  du  tombeaude  Jésus-Christ, 
après  avoir  participé  à  sa  passion. 

Saint  Claude  est  du  nombre  de  ces  hommes 
privilégiés  ;  Dieu  a  changé  pour  lui  les  suites 
humiliantes  de  la  mort;  six  cents  ans  après 
son  décès,  son  corps  avait  encore  toutes  les 
grâces  de  la  santé,  on  n'y  voyait  aucun  dé- 
chet; des  rayons  de  [l'immortalité  en  avaient 
écarte  les  images  de  la  mort.  Quel  fut  votre 
respect,  assemblée  auguste,  qui  nous  avez 
attesté  ce  prodige  !  Puissances  de  l'Eglise  et 
de  l'état  qui  l'avez  visité;  vos  larmes  arrosè- 
rent sans  douto  son  sacré  tombeau  ;  vos 
mains  le  couvrirent  de  fleurs,  et  votre  piété 
lui  érigea  des  trophées;  vous  vîtes  avec  ad- 
miration un  échantillon  de  cette  gloire  pro- 
mise au  corps  de  l'homme  juste,  et  qui  fait 
un  article  de  notre  foi  ;  vous  demeurâtes 
quelque  temps  dans  un  religieux  silence  ;  et 
il  vous  semblait  entendre  saint  Claude  vous 
dire  avec  le  Prophète  :  Le  Seigneur  a  fait  des 
merveilles  dans  le  tombeau;  il  a  anticipé  la 
gloire  de  la  résurrection  :  mon  corps,  préservé 
ue  la  corruption,  dira  aux  siècles  futurs  :  le 
Seigneur  seul  peut  opérer  des  merveilles, 
changer  la  nuit  du  tombeau  en  un  jour  écla- 
tant; le  séjour  des  morts  en  un  séjour  des 
vivants;  détruire  et  conserver  •  omnia  ossa 


mpa  dicent  :  Domine,  quis  similis  tibi?  (Psal. 
XXXIV.) 

Mais  les  prodiges  qui  s'opérèrent  alors  ne 
vous  étonnèrentpas  moins,  et  après  avoir  ad- 
miré un  homme  incorruptible  dans  le  tom- 
beau; vous  admirâtes  un  homme  puissant 
dans  le  tombeau,  et  il  devint  plus  que  jamais 
un  séjour  de  gloire  :  sepulcrum  ejus  glo- 
riosum. 

Le  tombeau  est  le  séjour  de  la  faiblesse  ; 
on  ne  va  pas  implorerle  secours  de  ces  illus- 
tres morts,  qui  avaient  du  crédit,  de  l'autorité 
sur  la  terre;  ces  dispensateurs  des  grâces, 
des  dignités  ;  ces  hommes  fameux  par  les 
places  qu'ils  occupaient  sont  devenus  inuti- 
les aux  vivants.  Pendant  qu'ils  brillaient  dans 
le  monde  ils  recevaient  des  hommages.  Le 
courtisan  se"  pliait  sous  les  yeux  du  monar- 
que; l'homme  d'épée,  l'homme  de  robe,  l'ec- 
clésiastique même,  sollicitaient  la  bienveil- 
lance du  ministre;  le  client  languissait  à  la 
porte  du  juge;  le  pauvre  gémissait  devant 
les  palais  des  grands  :  mais  ces  hommes  élevés 
au-dessus  des  peuples,  une  fois  passés  dans 
le  tombeau,  sont  remplacés  ;  leur  autorité 
finit  avec  leur  vie,  on  les  oublie  ;  cela  n'est 
pas  étonnant,  ils  sont  inutiles. 

Ainsi  deviennent  inutiles  ces  monarques 
nui  faisaient  les  délices  de  leurs  peuples, 
I  admiration  de  leurs  voisins,  la  terreur  do 
leurs  ennemis;  on  a  pleuré  une  perte  irré- 
parable en  pleurant  leur  mort  :  on  allait  avec 
confiance  au  pied  de  leur  trône  solliciter 
des  grâces,  on  n'ira  pas  à  leur  tombeau  ex- 
poser ses  misères;  on  est  persuadé  qu'après 
avoir  été  grands  dans  le  monde,  ils  ne  sont 
plus  rien  dans  le  tombeau. 

Ainsi  deviennent  inutiles  ces  héros  de  la 
guerre  qui  faisaient  la  ressource  du  prince, 
qui  défendaient  ses  frontières,  étendaient  ses 
limites;  ces  hommes  habiles  dans  les  campe- 
ments et  les  sièges,  braves  dans  les  combats, 
chéris  des  troupes,  redoutés  des  ennemis, 
et  qui  ne  cessaient  de  cueillir  des  lauriers 
que  pour  procurer  les  douceurs  de  la  paix  : 
après  avoir  attaché  à  leur  char  leurs  ennemis 
vaincus,  ils  sont  descendus  dans  le  tombeau  ; 
là,  la  force  a  été  changée  en  faiblesse,  leurs 
exploits  ont  une  place  honorable  dans  les 
annales  du  royaume:  la  reconnaissanee  a 
érigé  des  trophées  à  leur  mémoire,  on  les  a 
regrettés ,  et  on  les  désire  encore  lorsqu'il 
s'agit  d'aller  au-devant  des  ennemis;  mais 
ils  ne  sont  plus  :  ils  ont  été  utiles  à  la  patrie, 
la  patrie  les  a  perdus.  Ainsi  deviennent  inu- 
tiles ces  maîtres  du  monde,  ces  protecteurs 
puissants,  ces  amis  opulents;  ils  sont  im- 
puissants dans  le  tombeau,  aussi  e 5 1 - i  1  pour 
eux  une  solitude  affreuse,  une  terre  d'oubli  ; 
aucun  vivant  n'y  va  dans  ses  misères,  dans 
ses  disgrâces  :  le  pauvre  de  bonne  volonté 
peut  être  utile  à  la  république,  les  maîtres 
du  monde  dans  le  tombeau  lui  sont  inutiles  ; 
que  pourraient-ils,  hélas?  Devenus  cendre 
et  poussière,  leur  âme  fugitive  a  passé  dans 
l'immense  étendue  de  l'éternité,  et  leurs 
corps,  après  avoir  passé  par  tous  ces  degrés 
humiliants  dont  parle  Job,  ©nt  entièrement 
lisnaru  :  on  les  chercherait  inutilement,  où 


141  PANEGYRIQUES.  —  PANEG.  VII 

sont-ils?  Je  vous  le  demande,  dit  ce  saint 
homme  :  Ubi,  quœso?  (Job,  XIV.)  Ils  ont  été 
enlevés  de  la  terre  des  vivants  comme  on 
enlève  la  tente  d'un  berger  pour  la  trans- 
porter ailleurs:  la  mort  les  a  arrachés  à  leur 
grandeur  lorsqu'ils  étaient  les  plus  utiles; 
enfermés  dans  des  sépulcres,  la  terre  les  a 
consumés,  réduits  en  cendre  :  où  sont-ils, 
après  cette  destruction ,  ces  changements 
humiliants?  Ubi,  quœso? 'j 

11  n'appartient  qu'à  Dieu  de  faire  éclater 
sa  puissance  dans  le  tombeau,  d'y  faire  ré- 
gner ses  saints. 

Le  Piophète  demandait  au  Seigneur  s'il  ne 
ferait  point  de  merveilles  en  faveur  des 
morts  :  Nunquid  martuis  faciès  mirabilia 
(Psal.  LXXXVII)  :  l'Eglise  nous  en  présente 


SAINT  CLAUDE 


ua 


de  ces  morts  privilégiés,  qui  opèrent  des 
merveilles  dans  Je  tombeau:  celui  de  saint 
Claude  en  est  une  preuve  éclatante  :  il  est 
puissant  et  utile,  où  les  autres  sont  faibles 
et  inutiles. 

Les  puissances  de  l'Eglise  et  de  l'État  ont 
été  persuadées  de  sa  puissance  :  c'est  pour- 
quoi on  a  orné  son  tombeau  de  trophées,  on 
a  élevé  un  temple  auguste  :  là,  comme  sur  un 
trône  éclatant,  il  est  environné  des  monar- 
ques et  des  sujets,  des  riches  et  des  pauvres, 
des  savants  et  des  simples,  qui  implorent  sa 
protection  :  là,  comme  auprès  de  la  piscine  , 
on  y  voit  une  multitude  de  malades  qui  de- 
mandent leur  guérison,  et  l'obtiennent  :  erat 
ibi  multitudo  languentium  (Joan. ,  V)  ;  là  ce 
mort  puissant  de  la  puissance  de  Dieu 
éclaire  les  aveugles,  redresse  les  boiteux, 
l'ait  entendre  les  sourds,  parler  les  muets  , 
guérit  les  lépreux,  ressuscite  les  morts,  dé- 
concerte l'enfer  :  c'est  de  Dieu  que  l'on  at- 
tend ces  grâces  magnifiques,  mais  c'est  saint 
Claude  qui  les  sollicite  et  les  obtient.  Son 
teinbeau  est  sans  cesse  environné  de  sup- 
pliants qui  implorent  son  crédit:  après  avoir 
recherché  inutilement  des  secours  chez  les 
humains,  ils  vont  avec  confiance  se  proster- 
ner au  pied  de  cet  illustre  mort  :  il  est  utile 
dans  le  tombeau,  parce  qu'il  est  l'ami  de  Dieu 
et  le  dépositaire  de  sa  puissance. 

Que  de  bénédictions!  Que  de  grâces,  ce 
second  Onias  n'a-t-il  pas  attirées  sur  toute  la 
Bourgogne  !  Depuis  près  de  douze  cents  ans, 
vous  l'éprouvez  tous  les  jours,  heureuses 
contrées.  Dans  les  calamités  publiques,  dans 
les  disgrâces  particulières,  le  ciel  s'ouvre 
ou  se  ferme ,  vos  récoltes  sont  abondantes  : 
le  vent  brûlant  de  la  contagion  ne  souflle 
point  dans  vos  familles;  et  dans  les  maux  qui 
vous  affligent  et  vous  éprouvent,  le  tombeau 
de  saint  Claude  est  toujours  un  gage  pré- 
cieux de  votre  félicité. 

Admirez  donc,  Messieurs,  avec  moi,  les 
honneurs  éclatants  que  Dieu  procure  à  ses 
saints  :  la  mort,  qui  anéantit  les  grands,  les 
élève  :  c'est  elle  qui  annonce  leurs  triomphes, 
leur  grandeur;  c  est  elle  qui  termine  leurs 
abaissements,  leurs  humiliations:  c'est  elle 
qui  les  montre,  qui  les  donne  en  spectacle. 
Pendant  leur  vie  ,  l'humilité  les  dérobait,  la 
religion  les  immolait,  la  corruption  du  siè- 
cle les  alarmait,  le  péché  les  effrayait,  Dieu 


les  éprouvait  :  leur  mort  donne  de  grands 
spectacles  à  l'univers  étonné  :  montre  des 
changements  et  des  révolutions  qui  occupent 
toute  la  terre:  elle  devient  l'époque  fameuse 
de  leur  puissance,  de  leur  crédit ,  de  leur 
autorité. 

Us  sont  puissants ,  où  les  autres  sont  fai- 
bles: ils  sont  visités,  où  les  autres  sont  ou- 
bliés :  et  ils  sont  utiles  ,  où  les  autres  sont 
inutiles  :  les  villes,  les  provinces,  les  royau- 
mes, les  empires  les  choisissent  pour  leurs 
apôtres,  leurs  patrons,  ils  leurs  servent  de 
rempart  et  de  forteresse.  Telle  est  la  puis- 
sance de  saint  Claude,  ce  grand  protecteur 
de  la  Bourgogne  ;  son  saint  corps,  séparé  de 
son  âme  bienheuseuse,  est  encore. l'oracle 
de  cette  grande  province;  son  trésor,  sou 
appui,  sa  ressource  :  elle  l'oppose  aux  ri- 
gueurs des  saisons,  aux  malignes  influences 
de  l'air,  à  la  fureur  des  éléments ,  à  la  force 
des  ennemis  ,  aux  dangers  des  maladies  ,  à 
la  colère  du  ciel;  et  sous  cette  puissante 
protection,  elle  est  paisible  et  tranquille,  elle 
coule  des  jours  heureux ,  elle  voit  ses  ri- 
chesses augmenter  de  jour  en  jour  ;  elle  voit 
les  peuples  venir  en  foule  de  toutes  les  diffé- 
rentes .parties  du  monde,  qui  lui  apportent 
la  graisse  de  la  terre,  en  venant  chercher  la 
rosée  du  ciel  :  c'est  ainsi  qu'un  désert  où  on 
ne  voyait  autrefois  que  quelques  solitaires  , 
est  devenu  une  ville  fameuse ,  un  lieu  célè- 
bre, un  siège  épiscopal. 

Cherche,  peuple  fortuné,  l'origine  de  ta 
grandeur  présente,  parcours  les  histoires 
des  siècles  passés  et  les  annales  du  royaume  : 
tu  trouveras  que  c'est  la  seule  puissance  de 
saint  Claude  dans  le  tombeau,  qui  a  attiré 
dans  ces  déserts  ces  peuples  immenses  ,  qui 
a  fait  élever  tous  ces  édifices,  qui  t'a  honoré 
de  ces  titres,  que  l'Eglise  et  l'État  viennent 
de  t'accorder,  et  étendu  ta  gloire  jusques 
dans  l'Orient  et  l'Occident  :  ce  n'est  pas  la 
résidence  d'un  roi  qui  a  peuplé  tes  campa- 
gnes, agrandi  ton  enceinte,  enrichi  tes 
pères,  honoré  ta  province;  c'est  celle  d'un 
mort  enfermé  dans  le  tombeau. 

Ici,  Messieurs,  admirons  et  adorons  les 
merveilles  de  Dieu,  écrions-nous  avec  le 
Prophète  :  qu'il  est  admirable  dans  ses  saints: 
mirabilis  Deus  in  sanctis.  (Psal.  LXVII.) 

Il  est  admirable  lorsqu'il  les  conduit  dans 
ces  routes  mystérieuses ,  inconnues  aux 
mondains  :  lorsqu'il  les  livre  aux  mépris  et 
aux  insultes  des  libertins  :  lorsqu'il  les 
laisse  dans  les  abattements  et  les  sécheres- 
ses :  lorsqu'il  les  afflige  sous  les  yeux  des 
impies  qui  sont  dans  la  prospérité  et  l'abon- 
dance :  mirabilis  Deus  in  sanctis. 

Dieu  est  admirable  dans  ses  saints,  lors- 
qu'il s'en  sert  pour  abattre  la  grandeur  du 
siècle  ,  pour  confondre  la  fausse  sagesse  du 
monde,  réformer  les  mœurs  des  plus  grands 
royaumes,  convertir  les  plus  grands  empires, 
opérer  les  plus  grands  miracles  :  mirabilis 
Deus  in  sanctis.  Il  a  été  admirable  dans 
Moïse ,  dans  David  ,  dans  Esther,  dans  Ju- 
dith, dans  les  apôtres,  dans  les  martyrs, 
dans  les  solitaires  :  Pharaon  enseveli  avoç 
toute  son  armée  dans  la  mer  Bouge  :  le  su* 


U3 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


Ui 


pçrbe  Philistin  renversé  :  Aman  humilié ,  et 
Mardochée  élevé  en  gloire  :  Holopherne  ex- 
pirant sous  le  glaive  dans  le  cours  de  ses 
victoires  et  le  sein  des  plaisirs  :  le  paganisme 
détruit,  les  temples  renversés,  les  idoles 
brisées,  les  sages  confondus,  les  Césars  de- 
venus chrétiens,  la  religion  florissante  sous 
les  glaives  et  sur  les  éohafauds,  les  déserts 
peuplés  et  visités  par  les  maîtres  du  monde, 
voilà  des  merveilles  du  Dieu  de  sainteté  : 
mirabilis  Deus  in  sanetis. 

Mais  n'est-il  pas  encore,  Messieurs,  plus 
admirable,  lorsqu'il  fait  éclater  sa  puissance 
dans  le  tombeau  de  son  serviteur,  qu'il  s'en 
sert  pour  réveiller  la  foi  des  peuples,  et 
qu'un  mort  dans  son  sépulcre  opère  des 
miracles,  devient  la  ressource  des  malades 
et  des  affligés?  tel  est  sainU Claude  dans  le 
tombeau,  il  y  est  dépositaire  de  la  puissance 
du  Seigneur ,  il  y  reçoit  des  hommages  écla- 
tants :  Dieu  lui  procure  par  anticipation  cette 
gloire  promise  au  corps  des  saints  au  dernier 
jour  du  monde  ;  il  est  incorruptible,  puis- 
sant, révéré  et  honoré  dans  le  tombeau,  sepul- 
icrum  ejus  gloriosum. 

Ces  débris  de  grandeur  et  de  puissance 
qui  se  sont  brisés  au  tombeau  sont  d'éter- 
nelles leçons  d'humilité  aux  hommes,  pour 
confondre  leur  orgueil  ;  ces  pompeux  élo- 
ges, ces  superbes  mausolées,  ne  font  qu'an- 
noncer l'humiliation  des  grands;  on  érige 
des  trophées  à  la  mort,  en  s'efforçant  de 
perpétuer  la  gloire  des  grands  ;  son  empire 
éclate  sur  le  tombeau  des  rois  ;  ces  couron- 
nes flétries,  ces  sceptres  brisés,  annoncent 
sa  puissance;  on  a  beau  étaler  avec  un  style 
magnifique  ce  qu'ils  ont  été,  on  est  obligé 
d'avouer  qu'ils  ne  sont  plus;  après  avoir  dit 
qu'ils  ont  fait  du  bruit  sur  le  trône,  on 
ajoute  qu'ils  reposent  dans  la  poussière. 
Humiliantes  réflexions  pour  la  grandeur  du 
siècle  1 

Remarquez  bien  cet  homme  superbe,  dit 
le  prophète  Isaïe,  dans  cette  place  éclatante, 
dans  ce  haut  rang  de  gloire  ;  après  qu'il  aura 
brillé  quelque  temps  dans  le  moude,  ébloui 
les  yeux  du  peuple,  fait  plier  sous  son  joug 
impérieux  ses  domestiques,  ses  vassaux  et 
tous  ceux  à  qui  son  autorité  était  utile;  la 
mort  anéantira  tout  cet  attirail  de  grandeur, 
il  sera  jeté  dans  une  fosse  ;  c'est  là  où  se 
confondra  son  orgueil  :  Delracta  est  super- 
tria ad  inferos.  (  Isa.,  XIV.) 

Ces  puissants  monarques  qui  ont  possédé 
Jes  plus  florissants  royaumes,  qui  ont  paru 
sous  les  plus  brillantes  couronnes;  ces  fa- 
meux conquérants  qui  marchaient  toujours 
accompagnés  de  la  victoire,  qui  prenaient 
les  villes,  emportaient  les  provinces,  affai- 
blissaient les  plus  grands  empires;  ces  grands 
politiques  qui  maniaient  si  bien  les  affaires, 
et  qui  étaient  si  habiles  dans  le  gouverne- 
ment des  Etats;  ces  savants  qui  ont  brillé 
par  leur  érudition  et  la  beauté  de  leurs  ou- 
vrages, qui  entretenaient  des  commerces 
littéraires  avec  les  [dus  célèbres  académies  ; 


que  sont-ils  devenus?  Us  sont  descendus 
dans  le  tombeau;  l'éclat  du  trône,  les  lau- 
riers cueillis  dans  les  sièges  et  les  batail- 
les, les  succès.,  les  événements  si  glorieux 
au  ministre,  si  avantageux  à  l'Etat,  la  répu- 
tation, l'estime  acquise  dans  la  république 
des  lettres;  toute  cette  gloire  est  anéantie, 
confondue  dans  le  tombeau  ;  ces  hommes 
couverts  de  gloire  y  sont  dans  l'obscurité, 
l'humiliation  :  Detracla  est  superbia  ad  in- 
feros. 

Le  prophète  l'annonce  ;  il  était  dans  la 
grandeur  lui-même,  et  il  en  a  pénétré  tout 
le  néant;  le  tombeau,  dit-il,  est  le  séjour 
de  l'humiliation,  il  est  inaccessible  a  la 
gloire;  toutes  les  grandeurs  humaines  vont 
auprès,  mais  elles  n'y  descendent  point;  la 
pompe  des  obsèques  est  le  dernier  hommage 
que  l'on  rend  au  grand  ;  elle  est  pour  la 
consolation  des  vivants;  c'est  pourquoi  elle 
se  termine  avec  les  cérémonies.  Le  souverain 
entre  seul  dans  le  tombeau,  sa  gloire  l'a- 
bandonne là,  non  descendet  cum  eo  yloria 
ejus. 

C'est  donc  un  prodige  quand  un  homme 
entre  dans  le  tombeau,  séjour  de  l'humilia- 
tion, comme  dans  un  séjour  de  gloire  ;  qu'il 
y  règne  et  qu'il  y  reçoit  des  hommages  1 
Tels  sont,  Messieurs,  les  prodiges  «pie 
saint  Claude  offre  à  nos  yeux  :  toute  la  gloire 
des  grands  finit  au  tombeau,  toute  la  gloire 
de  saint  Claude  commence  au  tombeau; 
c'est  après  sa  mort  qu'il  reçoit  des  hon- 
neurs éclatants  de  l'Eglise,  des  rois  et  des 
peuples.  Ce  culte  public  étendu  dans  l'o- 
rient et  dans  l'occident,  ces  temples  augus- 
tes élevés  de  toutes  parts,  ces  autels  dressés 
dans  presque  tous  les  temples,  ces  fêtes,  ces 
solennités  ;  voilà  les  honneurs  que  l'Eglise 
rend  aux  amis  de  Dieu  ;  voilà  les  trophées 
qu'elle  érige  à  leur  sainteté,  à  leur  puis- 
sance ;  voilà  ce  qu'elle  a  fait  pour  saint 
Claude.  N'a-t-on  pas  vu  les  rois  aller  avec 
respect  au  tombeau  de  saint  Claude;  là, 
dépouillés  de  la  pompe  royale,  poser  à  ses 
pieds  leurs  sceptres  et  leurs  couronnes  et 
se  mettre  sous  sa  protection?  Ces  secondes 
majestés,  indépendantes  de  toute  puissance 
créée,  qui  savent  défendre  leurs  limites  et 
leurs  couronnes ,  implorent  la  protection 
d'un  mort.  Grand  Dieu,  que  vos  amis  sont 
honorés!  Vous  savez,  quand  il  vous  plaît, 
leur  élever  un  trône  éclatant  dans  la  pous- 
sière du  tombeau,  et  ce  trône  devient  plus 
glorieux  que  (elui  des  rois  :  Nimis  honorati 
sunl  amici  tui,  Deus.  [Psal.  CXXXV1IL) 

Vous  annoncerez  aussi  aux  siècles  futurs 
les  libéralités  royales  ;  temple  auguste,  vo- 
tre premier  et  digne  pontife  (1)  voit  réunira 
la  grandeur  de.  son  siège  les  abondantes 
aumônes  des  rois  de  France  et  de  Bour- 
gogne. 

Mêlez,  peuples  chrétiens,  votre  voix  avec 
celle  de  l'Eglise,  pour  chanter  les  triom- 
phes et  la  gloire  de  saint  Claude;  elle  vous 
autorise,  marchez  sur  les  traces  des  rois, 


(1)  L'abbaye  de  Saint-Claude  est  érigée  depuis  peu  en  évêcbé  ,    M.  de  Fargues  est  le    premier 
evêque. 


MS  PANEGYRIQUES.  —  PANEG.  VIII  ,  SAINTE  ELISABETH  DE  THURINGE 

«liez  à  son  tombeau  admirer  les  merveilles 
du  Dieu  de  sainteté.  N'est-elle  pas ,  pour 
ainsi  dire,  née  avec  les  peuples,  cette  dé- 
votion, Messieurs?  l'Eglise  en  a  levé  la 
p-emière  l'étendard,  comme  il  convient;  il 
n'y  avait  pas  alors  de  forme  juridique  de 
canonisation,  mais  le  culte  de  l'Eglise  pré- 
cédait toujours  colui  du  peuple,  et  c'est 
sous  son  autorité  que  les  peuples  rendent 
des  honneurs  si  éclatants  à  saint  Claude 
dans  le  tombeau.  Or,  Messieurs,  un  homme 
qui  reçoit  des  honneurs  et  des  hommages  de 
l'Eglise,  des  rois  et  des  peuples,  n'est  pas 
certainement  dans  l'humiliation;  cependant 
il  est  dans  le  tombeau;  et,  dans  le  tombeau, 
comme  vous  le  savez,  tous  les  hommes  sont 
dans  l'obscurité,  oubliés;  c'est,  Messieurs, 
le  prodige;  aussi,  vous  ai-je  représenté  saint 
Claude  comme  un  saint  incorruptible  dans 
le  tombeau,  puissant  dans  le  tombeau,  ré- 
véré, honoré  dans  le  tombeau;  honneurs, 
privilèges  qui  ne  sont  promis  aux  corps  des 
saints  qu'à  la  résurrection  de  tous  les  morts  ; 
et  c'est  ce  qui  m'a  fait  dire  que  son  tombeau 
était  le  séjour  d'une  gloire  anticipée  :  Sepul- 
crum  ejus  gloriosum. 

Seigneur,  que  les  honneurs  que  nous  ren- 
dons aux  sacrées  dépouilles  de  votre  servi- 
teur, ne  soient  pas  pour  nous  un  sujet  de  con- 
damnation ;  qu'il  soit  notre  modèle  comme 
il  est  notre  intercesseur;  continuez  de  pro- 
téger cette  province,  qui  le  réclame  comme 
son  protecteur,  qu'il  soit  son  appui  et  son 
rempart  contre  tous  ses  ennemis;  qu'une 
longue  suite  de  siècles  fasse  la  gloire  de  ce 
siège  naissant,  et  que  le  premier  pontife  qui 
1  occupe,  mérite  un  jour  d'être  appelé  l'a- 
pôtre de  ce  grand  peuple,  et  d'être  le  mo- 
dèle de  ses  successeurs.  Les  travaux  du  pon- 
tife et  la  docilité  des  peuples  confiés  à  ses 
soins,  retraceront  la  sainteté  des  premières 
Eglises;  ils  mériteront  vos  secours  sur  la 
terre  et  votre  gloire  dans  l'éternité.  Je  vous 
la  souhaite.  Ainsi  soit-il. 


146 


PANÉGYRIQUE  VIII. 

SAINTE  ELISABETH,  DUCHESSE  DE  THURINGE, 
RELIGIEUSE  DU  TIERS  ORDRE  DE  SAINT- 
FRANÇOIS, 

Prononcé  dans  Véqlise  du  monastère  royal 
des  Religieuses  de  Sainte-Elisabeth,  à  Pa- 
ris, le  19  novembre  ilkk. 

Scio  Lumi'iari,  scioabundare.  (Philip.,  fV  ) 

Je  iJs  me  sanctifier  dans  les  abaissements  et  dans  la 
grendeur. 

Si  c'est  un  prodige  de  voir  régner  les 
abaissements  de  l'Evangile  dans  les  palais 
des  rois  ;  c'en  est  un  eussi  de  voir  régner  la 
grandeur  des  rois  dans  les  disgrâces  et  les 
adversités.  11  faut  une  vertu  solide  pour  sou- 
tenir un  souverain  dans  les  dangers  de  la 
royauté  ;  il  faut  un  courage  héroïque  pour 
montrer  toute  la  grandeur  d'un  souverain 
sous  la  puissance  de  ses  ennemis  triom- 
phants. Conserver  son  cœur  pur  à  la  cour,  le 
séjour  des  écueils  et  des  naufrages,  le  cen- 
tre de  la  mollesse  et  des  nlaisirs,  lô  théâtre 


des  amusements  et  des  vanités  du  siècle, 
c'est  le  privilège  de  ces  âmes  choisies  qui 
font  la  gloire  de  ia  religion  :  elles  prouvent 
la  possibilité  de  se  sauver  à  la  cour.  Etre 
ferme  et  tranquille  dans  les  plus  grands  ora- 
ges et  les  plus  grandes  tempêtes,  dans  des 
jours  obscurs  et  humiliants,  lorsque  les 
grands  et  les  petits  forment  des  ligues  puis- 
santes, et  que,  devenu  les  tristes  objets  des 
mépris  et  des  rebuts  de  ses  sujets  mêmes, 
on  passe  dans  le  monde  pour  être  coupable, 
parce  qu'on  a  cessé  d'être  agréable  ;  c'est  le 
privilège  de  ces  âmes  héroïques  qui  justifient 
J'Evangile  :  l'Evangile  ne  promet  que  des 
ebaïnes  et  des  disgrâces.  Etre  grand  et  imi- 
ter Jésus-Christ,  quel  prodige  1  Etre  affligé 
et  être  grand,  quel  courage  1  La  religion 
seule  opère  ces  merveilles  :  la  religion  for- 
me des  héros  humbles  dans  la  grandeur,  et 
grands  dans  les  abaissements.  Qu'il  est  diffi- 
cile de  ne  point  s'élever  sous  une  brillante 
couronne  !  qu'il  est  difficile  de  ne  point  s'a- 
battre sous  les  coups  redoutables  de  ses  en- 
nemis !  Et  quels  éloges  ne  mérite  pas  celui 
qui  peut  se  glorifier  d'avoir  fait  servir  à  son 
salut  et  à  l'honneur  de  la  religion,  les 
dangers  de  la  prospérité ,  et  les  dangers 
de  l'adversité  !  Scio  humiliari ,  scio  abun- 
dare.  • 

La  duchesse  de  ïhuringe ,  dont  j'entre- 
prends aujourd'hui  l'éloge ,  va  vous  mon- 
trer ce  double  prodige.  Elle  s'est  sanctifiée 
dans  la  magnificence  du  trône  ;  elle  s'est 
sanctifiée  dans  l'obscurité  de  l'indigence. 
Elle  a  eu  assez  de  vertu  pour  éviter  les 
dangers  de  la  cour;  elle  a  eu  assez  de  cou- 
rage pour  soutenir  les  épreuves  de  l'adver- 
sité. 

Vous  vous  attendez,  Messieurs,  à  des  scè- 
nes singulières, à  des  révolutions  étonnantes. 
L'histoire  fidèle  me  fournit,  des  traits  sur- 
prenants et  presque  incroyables ,  si  nous 
ignorions  la  puissance  du  Dieu  de  sainteté. 
J'ai  à  vous  montrer  les  triomphes  de  la  grâce 
dans  les  deux  états  les  plus  dangereux. 
Vous  verrez  une  majesté  de  la  terre  aimée, 
carressée,  presqu'adorée  :  vous  verrez  une 
majesté  de  la  terre  méprisée,  persécutée, 
presque  sacrifiée.  Vous  verrez  la  duchesse 
de  Thuringe  dans  l'éclat  et  dans  l'obscurité, 
souveraine  et  dépendante;  élevée  dans  un 
palais  immense  et  retirée  sous  les  tristes  dé- 
bris d'une  étable  ruinée  ;  donnant  l'aumône 
avec  magnificence,  et  la  demandant  avec  hu- 
milité. Oublions  ,  Messieurs  ,  la  malice  des 
hommes  qui  ont  causé  ces  changements 
presqu'incroyables,  mais  admirons  sa  vertu, 
qui  ne  changera  jamais. 

Il  faut  une  vertu  solide  pour  servir  Dieu 
à  la  cour,  surtout  quand  on  en  fait  l'orne- 
ment, qu'on  y  préside  et  qu'on  en  .reçoit 
tous  les  hommages;  il  faut  une  vertu  héroï- 
que pour  servir  Dieu  dans  les  adversités, 
surtout  quand  c'est  la  malice  des  hommes 
qui  les  suscite,  et  que  c'est  une  main  ac- 
coutumée à  recevoir  nos  bienfaits  qui  nous 
frappe. 

Elisabeth  se  servit  de  sa  vertu,  qui  était 
solide  et  héroïque ,  pour  so  sanctifier  dsin 


m 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


148 


ces  deux  états  si  dangereux.  Si  je  parlais  de- 
vant les  maîtres  du  monde,  qui  ne  sont  pas 
exempts  de  ces  révolutions  humiliantes,  je 
leur  proposerais  la  duchesse  de  Thuringe 
pour  modèle;  ces  deux  traits  la  caractérisent 
et  vont  partager  son  éloge.  Elle  est  un  mo- 
dèle de  perfection  et  de  sainteté  dans  les 
caresses  et  les  hommages  qu'on  lui  prodi- 
gue à  la  cour  :  Scio  abundare  ,  première 
partie.  Elle  est  un  modèle  de  courage  et  de 
patience  dans  les  disgrâces  et  les  adversités 
qu'on  lui  suscite  à  la  cour  :  Scio  humiliari, 
seconde  partie. 

Il  est  donc,  comme  vous  le  voyez,  Mes- 
sieurs, des  âmes  innocentes  et  héroïques, 
qui  savent  faire  servir  à  leur  salut  les  dan- 
gers de  la  grandeur  et  les  coups  de  l'adver- 
sité. La  duchesse  de  Thuringe,  tombée  de 
l'éclat  du  trône  dans  l'obscurité  de  l'indigence, 
va  retracer  à  vos  yeux  la  sainteté  et  le  cou- 
rage des  hommes  apostoliques.  Un  cœur 
que  les  objets  les  plus  flatteurs  n'ont  pu  sé- 
duire; un  cœur  que  les  scènes  les  plus 
humiliantes  n'ont  pu  abattre  ,  tel  fut  le  cœur 
d'Elizabeth.  Or,  pouvais-je  mieux  la  carac- 
tériser dans  l'éloge  que  je  lui  consacre  au- 
jourd'hui, qu'en  vous  disant  qu'elle  sut, 
comme  l'apôtue,  s'attacher  à  Jésus-Christ 
dams  le  centre  des  honneurs  et  dans  le  sein 
des  persécutions  ?  Scio  abundare,  scio  humi- 
liari.  Ave,  Maria. 

PREMIÈRE   PARTIE. 

Si  les  souverains  sont  élevés  au-dessusdes 
hommes,  ils  sont  au-dessous  de  Dieu  ;  la 
grandeur  de  leur  naissance  les  distingue 
dans  l'ordre  du  monde,  elle  ne  les  distingue 
pas  dans  l'ordre  de  la  religion. 

L'Evangile  est  la  règle  de  tous  les  chré- 
tiens; celui  qui  porte  le  diadème  n'est  pas 
dispensé  de  porter  sa  croix  :  il  doit  être 
humble,  sans  renoncer  aux  honneurs  qui  lui 
sont  dus,  simple  et  modeste,  sans  cesser 
d'être  magnifique;  pénitent  et  crucifié,  sans 
bannir  l'opulence  et  la  splendeur  de  son  pa- 
lais ;  recueilli  et  occupé  du  ciel,  sans  être 
oisif  ou  indolent;  il  faut  qu'il  fasse  respecter 
son  autorité,  et  encore  plus  celle  de  Dieu  ; 
qu'il  se  regarde  comme  une  seconde  majesté 
soumise  à  la  première,  et  qu'il  n'use  de  sa 
souveraine  puissance  que  pour  la  'gloire  de 
Dieu,  dont  il  tient  sa  couronne,  que  pour  le 
saint  de  son  âme,  plus  exposée  que  dans  les 
autres  conditions  ,  que  pour  le  bonheur  de 
ses  sujets,  dont  il  doit  être  le  père,  aussi 
bien  que  le  souverain;  voilà  ce  que  doivent 
être  les  rois,  ces  secondes  majestés;  mais 
voilà  ce  qui  est  difficile,  sans  être  impos- 
sible. 

La  magnificence ,  les  délices  ,  la  dissipa- 
tion qui  régnent  ordinairement  à  la  cour 
éblouissent ,  corrompent  et  amusent  les 
grands.  De  là  la  retraite  de  ces  courtisans 
sur  le  retour;  ils  se  dérobent  à  ce  séjour  de 
la  gloire  du  monde,  ils  disparaissent.  Pour- 
quoi cette  rupture  si  prompte,  si  éclatante  ? 
C'est  qu'il  est  impossible,  disent-ils,  de 
faire  son  salut  à  la  cour;  et  moi  ie  dis  qu'il 
est  difficile  et  non  pas  impossible,  surtout 


quand  la  naissance  ou  le  service  du  prince 
y  appelle  ;  car,  pour  ces  hommes  d'ambition 
qui  languissent  des  années  entières  dans  les 
palais  des  grands,  qui  cherchent  des  protec- 
teurs pour  les  pousser  et  les  produire,  qui 
sont  ignorés  du  prince,  et  qui  lui  sont  inuti- 
les, ils  ne  feront  point  leur  salut  à  la  cour. 

Apprenez  donc  aujourd'hui  que  le  salut 
n'est  pas  impossible  à  la  cour,  qu'on  peut 
même,  quand  on  est  fidèle  à  la  grâce,  y  de- 
venir un  prodige  de  sainteté.  La  duchessede 
Thuringe  s'est  trouvée,  par  sa  naissance, 
obligée  d'y  vivre  et  d'y  présider;  du  trône 
de  Hongrie  elle  a  passé  à  celui  de  Thuringe, 
mais  elle  a  fait  servir  à  son  salut  les  dangers 
de  la  grandeur.  Humble  et  compatissante 
dans  l'éclat  du  trône;  pénitente  et  crucifiée 
dans  le  centre  des  délices;  recueillie  et  con- 
templative dans  le  séjour  de  la  dissipation  ; 
elle  prouve  à  ceux  que  le  rang  attache  aux 
majestés  de  la  terre,  que  le  salut  n'est  pas 
impossible  à  la  cour,  puisqu'elle  sait  être 
tout  à  la  fois  une  des  plus  grandes  princes- 
ses de  l'Europe,  et  une  des  plus  saintes  âmes 
de  son  siècle  :  Scio  abandare. 

Il  ne  faut  pas  une  piété  commune  pour 
réunir  les  vertus  chrétiennes  avec  les  vertus 
royales,  soutenir  l'éclat  du  trône,  et  s'occu-. 
per  de  son  néant,  être  magnifique  et  simple, 
ferme  et  clément,  grand  et  accessible,  res- 
pecté et  aimé,  opulent  et  compatissant  ;  père 
et  monarque,  c'est  là  le  prodige  de  la  sain- 
teté des  souverains  ;  quand  ils  sont  magnifi- 
ques, braves,  politiques,  redoutés,  ils  savent 
régner;  quand  ils  sont  humbles,  cléments, 
accessibles,  compatissants,  ils  savent  so 
sanctifier.  Les  vertus  royales  forment  des 
héros,  les  vertus  chrétiennes  forment  des 
saints.  Un  roi  n'obtiendra  pas  la  couronne 
immortelle  après  avoir  perdu  sa  couronne 
temporelle  s'il  ne  sert  pas  Dieu  en  roi  et  en 
chrétien,  s'il  ne  joint  pas  à  la  magnificence 
de  sa  cour  la  sainteté  de  la  religion,  et  à  la 
grandeur  du  trône  les  abaissements  de 
l'Evangile  :  Sanctimonia  et  magnificentia. 
{Psaî.  XCV.) 

Oui  jamais ,  Messieurs,  sut  mieux  faire 
briller  les  vertus  de  l'Evangile  sous  l'éclat 
du  diadème,  que  la  duchesse  de  Thuringe  ? 
Ne  la  vit-on  pas  toujours  humble  et  compa- 
tissante sous  le  manteau  ducal?  Les  plus 
brillantes  couronnes,  les  plus  grands  trônes, 
les  états  les  plus  riches  et  les  plus  vastes 
étaient  comme  héréditaires  dans  son  auguste 
famille.  André  et  (iertrude  régnaient  sur 
toute  la  Hongrie;  Carloman  sur  la  Galatie  et 
la  Russie,  l'époux  qu'on  lui  destine,  sur 
les  quatre  plus  grandes  principautés  de  l'Al- 
lemagne, Thuringe,  Saxe, Hesse  et  le  Palati- 
nat.  Tant  de  grandeur  la  rendait  une  des  plus 
augustes  princesses  de  l'Europe;  mais  érige- 
rions-nous aujourd'hui  des  trophées  à  cette 
grandeur,  si  elle  n'eût  point  possédé  dans 
un  degré  éminent  les  deux  plus  belîes  ver- 
tus de  l'Evangile*,  l'humilité  et  la  charité  ? 
si  l'histoire  fidèle  ne  nous  la  représentait 
pas  humiliée  au  pied  de  la  croix,  après  avoir 
paru  sous  la  pompe  royale,  environnée  des 
membres  de  Jésus-Christ  souffrant,   aussi 


149  PANEGYRIQUES.  —  PANEG.  VIII,  SAINTE-ELISABETH  DE  THURINGE. 

bien  que   de  courtisans  ambitieux  et  flat- 
teurs ? 

J'admire  sa  grandeur,  mais  j'admire  encore 
plus  sa  sainteté.  Sa  naissance  lui  donnait 
une  couronne  temporelle,  ses  vertus  lui  ont 
mérité  une  couronne  immortelle.  Ce  n'est 
pas  la  grandeur  que  je  viens  louer  aujour- 
d'hui, mais  une  princesse  qui  a  sanctifié  la 
grandeur.  L'histoire  de  l'Allemagne  nous  ap- 
prend qu'elle  portait  le  diadème;  l'histo;re 
de  sa  vie  nous  apprend  qu'elle  était  humble 
et  compatissante dansce  haut  rang  de  gloire  : 
ce  sont  ces  vertus  qu'elle  a  su  réunir  avec  la 

f;randeur,   que    nous  admirons,   que  nous 
ouons,  et  que  nous  proposons  aux  grands 
pour  modèles:  sanctimonia  etmagnificentia. 

Dieu  la  fit  naître  dans  le  même  temps  qu'il 
toucha  le  cœur  de  François  d'Assise,  afin  que 
l'Allemagne  ne  fût  point  inférieure  à  l'Italie, 
et  qu'elle  possédât  la  première  fille  de  ce 
saint  patriarche,  pour  retracer  aux  yeux  des 
grands  les  abaissements  et  les  privations  de 
l'Evangile. 

A  peine  les  nuages  de  l'enfance  sont-ils 
dissipés,  qu'elle  fait  l'admiration  de  la  cour 
de  Hongrie,  et  presque  aussitôt  l'objet  des 
désirs  de  la  cour  de  Tburinge.  Le  landgrave, 
qui  demandait  au  Seigneur  une  épouse  pour 
le  prince  Louis  son  fils,  députe  une  magni- 
fique ambassade  pour  la  demander  au  prince 
André;  il  l'obtient,  et  bientôt  il  a  la  consola- 
tion de  la  posséder  dans  son  palais. 

On  fut  moins  surpris,  Messieurs,  à  la  cour 
de  Thuringe,  de  sa  beauté  que  de  sa  vertu; 
ou  plutôt  on  admira  tout  à  la  fois  les  dons 
du  ciel  et  les  dons  de  la  nature:  on  voyait 
avec  respect  ces  grâces,  cette  décence,  ces 
traits,  cet  éclat,  cette  majesté  qui  enlèvent 
les  cœurs  sans  les  corrompre  ;  mais  on  ad- 
mirait encore  plus  cette  sagesse,  cet  air  de 
sainteté,  celte  modestie,  cette  candeur,  cette 
douceur  qui  annoncent  la  beauté  et  l'inno- 
cence de  l'âme.  Elle  parut  sur  ce  théâtre  des 
grandeurs  humaines  revêtue  de  la  pompe 
royale;  mais  elle  y  montra  aussi  les  or- 
nements de  la  piété,  et  l'on  discerna  dans 
la  magnificence  d'une  souveraine,  l'humilité 
d'une  servante  du  Sauveur  :  sanctimonia  et 
magnificcntia. 

Peut-être  craignez-vous,  Messieurs,  pour 
sa  vertu  à  la  cour.  Vous  savez  qu'on  y 
trouve  abondamment  les  appâts  du  vice  et 
les  amorces  du  péché;  qu'on  y  rassure  la 
timide  vertu  contre  les  usages  et  les  maxi- 
mes qui  y  ont  force  de  loi  ;  qu'on  doute  du 
génie  et  de  l'habileté  des  princes  quand  ils 
conservent  longtempsl'innocence  et  la  sim- 
plicité de  leurs  premières  années,  comme  si 
on  ne  pouvait  pas  être  grand  et  vertueux. 

La  duchesse  de  Thuringe  condamna  par 
sa  conduite  édifiante  ces  fausses  idées  du 
monde  :  elle  fut  fidèle  à  la  grâce,  et  la  grâce  ne 
l'abandonna  point.  La  sagesse  qui  avait  pré- 
sidé à  son  berceau  l'accompagna  à  la  cour  du 
landgrave:  sa  sainteté  reçut  des  accroisse- 
ments, elle  ne  souffrit  point  de  déchet;  et 
semblable  au  soleil  qui  persévère  dans  sa 
brdlanle  clarté',  la  sagesse  fit  l'ornement  de 
tons  les  jours  et  de  tous  les  moments  de  sa 


150 

vie:    in  tapientia  manet  sicuC  sol.  (Eccli.t 
XXVII.) 

Quellescène  plus  édifiante,  Messieurs,  que 
celle  que  j'ai  à  vous  représenter  1  Des  abais- 
sements à  la  cour,  des  pauvres  mêlés  avec 
les  courtisans,  préférés  même  aux  courti- 
sans ;  le  palais  d'une  princesse  devenu  l'a- 
sile des  misérables;  des  mains  royales  em- 
ployées à  servir  les  lépreux:  il  faut  donc,  ô 
mon  Dieu,  dans  la  grandeur  même,  partici- 
per à  vos  abaissements,  et  dans  le  seiti  de 
l'opulence  aimer  et  respecter  la  pauvreté! 
La  duchesse  de  Thuringe  était  persuadée  de 
ces  grandes  vérités,  c'est  pourquoi  elle  fut 
humble  et  compatissante  dans  l'éclat  du 
trône. 

L'épouse  du  landgrave,  la  princesse  So- 
phie savait  soutenir  avec  éclat  le  rang  qu'elle 
tenait  dans  l'Allemagne.  Les  souverains 
n'ignorent  pas  ce  qu'ils  sont,  mais  ils  ne 
pensent  point  assez  à  ce  qu'ils  deviendront: 
elle  suivait  les  préjugés  des  grands,  elle 
mettait  toute  sa  gloire  à  paraître  ce  qu'elle 
était  selon  le  monde:  de  là  cette  pompe  ma- 
gnifique qui  la  suivait  partout:  delà  cet  air 
haut  et  distingué  quand  elle  paraissait  en 
public:  delà  ce  soin  d'éblouir  les  peuples, 
en  ne  leur  donnant  que  le  temps  de  voir  ra- 
pidement l'éclatant  spectacle  de  sa  magnifi- 
cence :  de  là  ce  mépris  des  humiliations  et 
des  anéantissements  de  l'Evangile:  de  laces 
satires  délicates  sur  la  conduite  de  la  jeune 
Elisabeth,  comme  si  elle  eût  été  indigne  de 
porter  une  couronne,  parce  qu'elle  avait  as- 
sez de  vertu  pour  la  poser  aux  pieds  du  Sau- 
veur humilié  sur  nosautels.  Mais  la  duchesse 
de  Thuringe  triomphe  de  tous  ces  préjugés 
de  la  cour  :  elle  ne  dérobe  rien  à  la  grandeur 
de  son  rang,  elle  ne  néglige  rien  de  ce  qua 
l'Evangile  prescrit. 

La  religion  ne  condamne  pas  la  grandeur, 
elle  ne  condamne  que  l'orgueil.  L'Esprit- 
Saint  donne  ces  éloges  à  Esther,  parce  qu'elle 
paraissait  sous  de  brillantes  parures  par 
nécessité,  et  non  par  vanité:  vous  savez, 
Seigneur,  disait  celte  religieuse  princesse, 
que  je  déteste  cet  attirail  de  grandeur,  que 
je  gémis  sous  la  couronne  que  je  porte,  et 
dans  la  magnificence  qui  m'environne:  mais 
vous  savez  aussi  qu'à  la  tête  d'un  florissant 
empire  ces  marques  éclatantes  sont  néces- 
saires, et  qu'à  côté  d'Assuérus,  le  plus  puis- 
sant monarque  du  monde,  il  faut  qu'Esther 
y  paraisse  comme  la  plus  grande  princesse 
de  la  terre  :  c'est  ainsi  qu'elle  conservait  l'hu- 
milité dans  les  jours  de  sa  gloire.  Sous 'celte 
vertueuse  Israélite  vous  reconnaissez,  Mes- 
sieurs, laduchesse  de  Thuringe:  elle  porta. t 
sa  couronne  quand  il  le  fallait  ;  elle  paraissait 
sous  le  manteau  ducal  avec  les  grâces,  la  ma- 
jesté, la  magnificence  qui  convenait  à  une 
princesse  souveraine  ;  mais  son  cœur  gémis- 
sait dans  le  secret  de  cette  nécessité  :  ses  pa- 
rures étaient  souvent  arrosées  de  ses  larmes, 
les  moments  de  paraître  venaient  toujours 
trop  tôt„  elle  aurait  toujours  souhaité  pou- 
voir se  cacher  et  se  dérober  aux  honneurs: 
c'est  ainsi  qu'elle  fut  humble  dans  l'éclat  du 


151 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


1^2 


trône.  Admirez  présentement  jusqu'à  quel 
point  elle  fut  compatissante. 

La  miséricorde  était  née  avec  elle,  et  elle 
l'accompagna  sur  le  trône  :  elle  aima  les 
pauvres  lorsqu'elle  ne  pouvait  pas  encore  les 
assister,  et  l'abondance  de  ses  aumônes  égala 
toujours  la  magnificence  de  son  rang. 

Charité  exercée  dans  son  palais;  les  pau- 
vres y  étaient  admis,  servis,  respectés.  Ne 
l'a-t-on  pas  vue  plusieurs  fois  aux  pieds  des 
lépreux,  bravant  les  horreurs  de  cette  ma- 
ladie, lavant  leurs  plaies  et  baisant  leurs 
pieds? 

Charité  exercée  dans  ces  moments  de  loisir 
qu'on  sait  si  mal  employer  à  la  cour;  sem- 
blable à  la  femme  forte  que  le  Sage  loue  si 
magnifiquement,  ses  mains  royales  maniaient 
le  fuseau  pour  faire  des  vêtements  à  ceux  qui 
étaient  nus.  Charité  exercée  lors  même  que 
ses  fonds  étaient  épuisés,  et  dans  les  circons- 
tances les  plus  délicates  et  les  plus  critiques  ; 
on  l'a  vue  donner  son  manteau  ducal  dans  le 
moment  même  qu'elle  était  attendue  et  obli- 
gée de  paraître  en  souveraine  dans  un  cercle 
des  plus  grands  seigneurs  de  l'Allemagne. 
Charité  exercée  envers  les  morts;  comme 
Tobie,  elle  se  dérobait  aux  yeux  de  la  prin- 
cesse Sophie  et  de  ses  courtisans,  pour  aller 
onsevelir  ceux  qui  venaient  d'expirer;  elle 
portait  des  suaires  à  ceux  qui  n'en  avaient 
pas,  et  joignait  à  ses  aumônes  ses  prières  et 
ses  larmes»  pour  oblenir  promptement  la  paix 
de  leurs  âmes.  Charité  exercée  dans  toute 
l'Allemagne;  peu  satisfaite  d'avoir  fondé  des 
hôpitaux  auprès  de  son  palais,  où  elle  allait 
se  délasser  à  servir  les  malades,  elle  en  fonde 
rncore  dans  plusieurs  villes  de  l'empire. 
Vit-elle,  sans  être  touchée,  la  famine  qui  dé- 
solait toutes  ces  riches  provinces?  Y  fut-elle 
insensible  parce  qu'elle  en  était  exempte? 
Son  cœur  tendre  et  magnifique  se  contentait- 
il  de  soulager  les  misérables  qui  se  présen- 
taient? ne  fut-il  pas  encore  ingénieux  à  dé- 
couvrir les  misères  cachées?  Après  avoir 
ouvert  les  greniers  publics  et  épuisé  les  tré- 
sors du  prince  son  époux,  ne  donna-t-elle 
pas  les  pierres  de  son  diadème,  et  tout  ce 
qu'elle  avait  de  plus  précieux?  Les  rigueurs 
(le  la  famine  cessèrent,  mais  les  monuments 
de  sa  pieuse  munificence  dureront  jusque 
dans  les  siècles  les  plus  reculés.  La  duchesse 
de  Thuringe  sut  donc  être  humble  et  com- 
patissante sous  une  brillante  couronne;  elle 
sut  aussi  être  pénitente  et  mortifiée  dans  les 
délices  de  la  cour;  l'Evangile  fut  constam- 
ment,sa  règle  dans  le  centre  des  honneurs  et 
dans  le  sein  de  l'abondance  :  scio  abundare. 

L'Evangile  no  distingue  ni  les  rois,  ni  les 
grands, ni  les  riches, lorsqu'il  parle  des  croixet 
des  mortifications  :  le  Sauveur  parlait  à  tous 
lorsqu'il  ordonnait  de  le  suivre, (//'cfôaf  ad  om- 
îtes {Luc, IX)  :  tous  ne  l'entendaient  pas  alors, 
mais  tous  l'ont  entendu  dans  la  suite  par  le 
ministère  des  apôtres.  S'ils  ont  parcouru  les 
villes  et  les  bourgades,  ils  sont  entrés  aussi 
dans  les  {dus  fameux  sénats,  les  plus  célèbres 
académies,  les  cours  les  plus  brillantes.  Les 
Césars  ne  sont  devenus  chrétiens  qu'en  pliant 
Jours  épaules  royales  sous  la  croix  du  Sau- 


veur ;  elle  a  passé  du  Calvaire  sur  le  front  des 
empereurs,  et  cette  croix  brillante  aux  yeux 
du  grand  Constantin  est  l'époque  glorieuse 
des  triomphes  de  la  religion  chrétienne;  ca- 
chée, persécutée  pendant  trois  cents  ans,  elle 
est  devenue  libre  et  florissante  sous  le  règne 
de  ce  prince  magnanime;  la  croix  a  présidé 
à  ses  conquêtes,  a  multiplié  ses  trophées,  a 
étendu  ses  limites.  Rome  n'est  devenue  pré- 
cieuse à  nos  yeux,  et  célèbre  sur  toute  la 
terre,  qu'après  avoir  arboré  la  croix  sur  son 
superbe  Canitole.  La  mortification  de  l'Evan- 
gile doit  donc  régner  dans  les  palais  des 
princes  chrétiens;  la  croix  du  Sauveur  doit 
faire  un  des  principaux  ornements  de  leurs 
triomphes ,  et  dans  l'affluence  des  délices 
que  leur  procure  leur  grandeur,  ils  doivent 
embrasser  les  rigueurs  de  l'Evangile,  pour 
imiter  Jésus -Christ  qu'ils  adorent  comme 
leur  Dieu,  pour  se  précautionner  contre  les 
amorces  des  plaisirs  qui  naissent  sous  leurs 
pas,  pour  expier  les  péchés  qu'ils  commettent 
plus  facilement  et  plus  fréquemment  que  les 
autres  hommes.  Ce  sont  ces  mystères  de  mor- 
tification, de  pénitence,  que  les  apôtres  ont 
annoncés  aux  monarques,  aux  empereurs; 
c'est  à  ces  conditions  qu'ils  ont  embrassé  le 
christianisme. 

C'est  par  la  croix,  ô  grand  Constantin  1  que 
vous  mettrez  en  fuite  les  armées  les  plus 
redoutables,  que  vous  remporterez  des  vic- 
toires éclatantes,  que  vous  attacherez  à  votre 
char  vos  ennemis  vaincus  et  soumis  :  m  hoe 
signo  vinecs.  Mais  il  ne  suffit  pas  que  la  croix 
brille  à  la  tête  de  vos  armées,  il  faut  qu'elle 
règne  dans  vos  palais  immenses,  que  vous 
posiez  à  ses  pieds  votre  sceptre  et  votre  cou- 
ronne, et  que  vous  la  consultez  tous  les 
jours  pour  y  conformer  votre  conduite.  Jé- 
sus-Christ ne  la  fait  briller  à  vos  yeux  quo 
pour  que  vous  lui  fassiez  ériger  des  trophées 
dans  votre  cour  et  dans  tout  votre  empire  ; 
vous  êtes  sa  conquête,  vous  lui  appartenez. 

L'illustre  saint  Remy  vous  l'a  dit,  grand 
Clovis,  qu'il  fallait  vous  courber  humblement 
sous  la  croix  ;  qu'après  avoir  été  l'objet  de 
vos  mépris,  elle  devait  être  l'objet  de  vos 
respects;  qu'il  fallait  renoncer  à  tous  les 
objets  flatteurs  que  le  paganisme  autorisait 
et  embrasser  les  mortifications  que  l'Evan- 
gile ordonnait;  qu'un  prince  idolâtre  pouvait 
vivre  dans  la  mollesse  et  les  plaisirs,  mais 
qu'un  prince  chrétien  devait  mener  une  vie 
pénitente  et  crucifiée  :  incende  quod  adorasti, 
adora  quod  incendisli. 

Malheur  donc  aux  princes  chrétiens  qui 
vérifient  ce  que  le  Sauveur  disait  des  rois 
qui  ne  le  connaissaient  pas,  dont  les  palais 
sont  des  séjours  de  mollesse  et  le  centre  des 
délices.  Si  vous  voulez  voir  des  hommes  pé- 
nitents, austères,  des  disciples  de  la  croix 
et  de  l'Evangile,  allez  voir  Jean  dans  le  dé- 
sert, allez  dans  les  solitudes,  entrez  dans  les 
cloîtres.  Si  vous  voulez  voir  des  hommes  de 
mollesse,  de  plaisirs,  de  sensualités,  allez 
dans  les  palais  des  rois,  dans  les  cours  des 
souverains  :  ecce  qui  moilibus  vestiuntur  in 
domibus  regum  sunt.  (Matth.,  XL) 

Pourquoi  cette  différence?  Est-elle  néces^ 


153 


PANEGYRIQUES.  —  PANEG.  VIII  , 


saire  à  la  grandeur  des  maîtres  du  monde? 
Consultons  l'Evangile,  c'est  leur  règle  et  la 
nôtre  sur  ce  point  essentiel. 

Gloire  immortelle  soit  rendue  à  notre  Dieu, 
qui  tient  le  cœur  .des  rois  dans  ses  mains;  il 
a  suscité  dans  tous  les  siècles  des  princes  et 
des  princesses,  qui  ont  retracé  à  la  cour  les 
mortifications  des  plus  grands  saints. 

Cour  de  France,  la  plus  brillante  de  l'Eu- 
rope, vous  nous  fournissez  de  grands  modè- 
les :  qui  ignore  que  ceux  qui  en  font  le  plus 
Lel  ornement  sont  ceux  qui  participent  le 
moins  à  ses  délices,  à  ses  plaisirs? 

Toutes  ces  grandes  vérités  pénétrèrent  le 
cœur  de  la  duchesse  de  Thuringe  dès  ses 
plus  tendres  années;  si  elle  n'ignorait  pas 
qu'elle  était  souveraine,  elle  n'ignorait  pas  non 
plus  qu'elle  était  disciple  de  Jésus-Christ,  en- 
fant du  Calvaire  et  une  conquête  de  son  sang; 
c'est  pourquoi  à  la  cour  où  elle  présidait,  et 
dans  le  centre  des  délices,  elle  fut  toujours 
pénitente  et  crucifiée. 

Quelle  peinture  vais-je  vous  faire,  et  à 
quoi  m'oblige  mon  ministère?  parler  des  dé- 
lices de  la  cour  en  vous  parlant  de  la  péni- 
tence d'Elisabeth,  être  forcé  de  vous  dire  que 
dans  ce  séjour  des  maîtres  du  monde,  le 
grand  nombre  coule  des  jours  précieux  et 
destinés  au  salut  dans  des  amusements,  des 
plaisirs  qui  corrompent  le  cœur,  qu'un  lâche 
repos  y  succède  à  un  ennuyeux  loisir,  qu'on 
y  est  fatigué  des  divertissements  sans  en  être 
dégoûté,  qu'on  s'y  sert  de  la  grandeur  et  de 
l'opulence  comme  d'un  puissant  rempart  con- 
tre tout  ce. qui  peut  mortifier  les  sens,  et 
qu'on  y  paraît  extraordinaire  dès  qu'on  y 
paraît  pénitent.  C'est  vous  peindre  les  dan- 
gers de  la  cour;  c'est  vous  peindre  aussi  la 
haute  sainteté  de  la  duchesse  de  Thuringe, 
qui  y  fut  un  sujet  d'étonnement,  parce  qu'elle 
y  fut  une  victime  de  la  pénitence. 

On  passe  h  la  cour  les  moments  calmes  et 
paisibles  de  la  nuit  dans  de  longues  séances 
de  jeu  ou  de  fatigants  divertissements;  la 
duchesse  de  Thuringe  les  passe  dans  la  prière 
aux  pieds  de  son  Sauveur  :  on  y  joint  la 
mollesse  à  la  magnificence;  sous  ies  somp- 
tueux vêtements  qu'Elisabeth  est  obligée  de 
porter,  un  rude  cilice  serre  toujours  sa  chair 
innocente  :  on  y  viole  très-souvent,  par  la 
délicatesse  et  la  splendeur  de  la  table,  les 
lois  du  jeûne  et  de  l'abstinence;  les  dames 
de  la  cour  sont  fortes  et  robustes  pour  porter 
le  fardeau  de  la  vanité,  elles  sont  faibles  et 
délicates  quand  il  s'agit  de  participer  à  la 
pénitence  de  l'Eglise;  la  duchesse  de  Thu- 
ringe redoublait  ses  austérités  dans  le  saint 
temps  du  carême,  et  elle  retraçait  à  la  cour, 
dans  ces  jours  de  jeûne  solennel,  les  sain- 
tes rigueurs  des  premiers  siècles. 

Cette  pénitence  d'Elisabeth  à  la  cour  est 
un  prodige,  elle  y  montre  cette  sagesse  qui 
ne  se  trouve  point  dans  ces  terres  fertiles 
et  abondantes  où  l'on  goûte  paisiblement  les 
douceurs  de  la  vie,  et  où  l'on  jouit  délicieu- 
sement d'une  constante  prospérité  :  Non  in- 
venilur  sapienlia  in  terra  suaviter  viventium. 
{Job,  XXV11I.)  Les  saints  sont  à  Jésus-Christ 
da.ns  les  étals  les  plus  délicats  et  les  plus 


SAINTE  ELISABETH  DE  THURINGE.  154 

dangereux,  rien  ne  peut  les  en  séparer;  mais 
ils  sont  comme  des  modèles  et  des  juges  : 
ils  persuadent  la  possibilité  du  salut,  ils 
condamnent  ceux  qui  n'opèrent  -point  leur 
salut.  C'est  ce  que  fit  la  duchesse  de  Thu- 
ringe à  la  cour  ;  elle  y  prouva  la  possibilité  de 
s'y  sauver  ;  elle  y  condamna  la  vie  sensuelle 
et  voluptueuse  qu'on  y  menait  :  sa  pénitence 
y  fut  sincère,  sa  pénitence  y  fut  éclatante. 
Dans  le  temps  qu'Elisabeth  s'unissait  de 
plus  en  plus  à  Dieu  par  son  amour,  que  sa 
pénitence  l'immolait  comme  une  victime 
précieuse,  François  d'Assise,  cet  homme  de 
miracles  et  de  sainteté,  ce  parfait  disciple  de 
la  crèche  et  du  Calvaire,  recevait  dans  le  ciel 
la  récompense  de  ses  rares  vertus.  Déjà  l'E- 
glise l'insérait  dans  ses  fastes,  lui  décernait 
des  triomphes  et  lui  rendait  les  hommages 

Qu'elle  a  coutume  de  rendre  aux  serviteurs 
e  Dieu. 

Cette  éclatante  cérémonie  occupait  le 
monde  chrétien  :  Elisabeth  à  la  cour  de  Thu- 
ringe fut  celle  qui  s'en  occupa  le  plus  utile- 
ment. Elle  vit  les  honneurs  éclatants  qu'en 
rendait  à  la  pauvreté  et  à  la  pénitence,  en 
canonisant  François  d'Assise  ;  son  cœur  s'en- 
flarnma,  et  elle  forma  le  généreux  dessein  de 
marcher  sur  les  traces  de  ce  grand  héros  de 
l'Evangile  :  bientôt  elle  l'exécute  solennel- 
lement et  à  la  face  de  toute  la  terre. 

Couronne,  sceptre,  cour  brillante,  cares- 
ses, hommages,  vous  ne  pourrez  rien  gagner 
sur  le  cœur  de  cette  princesse.  Le  jour  de  la 
consécration  est  marqué;  c'est  le  jour  même 
de  la  mort  de  son  Sauveur  ;  c'est  ce  jour-là 
qu'ello  s'attache  à  sa  croix,  qu'elle  l'em- 
brasse, qu'elle  lui  sacrifie  son  diadème, 
qu'elle  se  dépouille  de  la  pompe  royale,  et 
se  couvre  d'un  habit  de  pénitence/ que  le 
fameux  Conrad  reçoit  ses  vœux  solennels,  et 
qu'une  fille  de  roi,  une  souveraine  de  qua- 
tre principautés,  devient  une  pauvre  reli- 
gieuse dans  l'ordre  de  François.  O  monde 
enchanteur,  séduisant,  quelle  fut  ta  confu- 
sion !  O  Evangile,  ô  pauvreté,  ô  croix  de 
Jésus-Christ,  quelle  conquête,  quelle  vic- 
toire 1  Une  couronne,  un  trône,  une  cour  bril- 
lante, la  pompe  du  monde,  voilà  les  trophées 
qu'on  vous  érige  aujourd'hui.  En  vain,  Mes- 
sieurs, des  savants,  des' critiques  disputent- 
ils  à  l'ordre  de  François  la  duchesse  de  Thu- 
ringe; elle  a  fait  un  des  phis  beaux  orne- 
ments de  cet  ordre  dans  sa  naissance;  les 
histoires  les  plus  fidèles  doivent  l'emporter 
sur  les  raisonnements  qu'ils  étalent  avec  tant 
de  complaisance;  et  n'y  eût-il  que  le  témoi- 
gnage de  Grégoire  IX, qui  la  reconnaît  reli- 
gieuse dans  la  bulle  de  sa  canonisation,  la 
critique  doit  céder  et  se  taire. 

En  vain  voudrait-on  ôter  au  sacrifice  d'E- 
lisabeth son  héroïsme  à  cause  de  ses  disgrâ- 
ces :  la  duchesse  de  Thuringe  était  remon- 
tée sur  le  trône,  elle  était  maîtresse  de  ses 
Etats,  toute  sa  cour  lui  prodiguait  des  cares- 
ses et  des  hommages  lorsqu'elle  se  fit  reli- 
gieuse. C'est  dans  le  rentre  des  délices 
mêmes  qu'elle  est  pénitente  et  crucifiée  ; 
c'est  dans  ce  séjour  de  la  dissipation  qu'elle 
est   recueillie    et  contemplative.  Elle  avait 


135 


ORATEURS  SACRES.   BALLET. 


156 


appris  de  l'apôtre  et  de  Jésus-Christ  môme  à 
faire  servir  à  son  salut  la  grandeur  et  l'opu- 
lence de  la  cour  :  Scio  abundare. 

La  cour  en  général  est  un  séjour  de  dissi- 
pation et  de  tumulte;  le  mouvement  y  est 
continuel,  parce  que  la  scène  y  varie  tous  les 
l'ours;  la  disgrâce  d'un  courtisan  agite  tous 
les  autres  ;  plusieurs  espèrent  ce  qui  ne  peut 
être  accordé  qu'à  un  seul  ;  chacun  y  joue  son 
rôle,  chacun  a  ses  protecteurs  qui  se  re- 
muent, sollicitent  ;  tant  que  le  prince  tient 
ses  grâces  en  suspens,  on  s'agite,  on  se 
flatte;  les  mouvements  cessent  quand  la 
place  est  accordée.  De  nouveaux  change- 
ments causent  de  nouvelles  agitations,  et 
comme  il  n'y  a  rien  de  plus  changeant,  de 
plus  mobile  que  la  cour,  il  n'y  a  point  non 
plus  de  séjour  où  l'on  soit  plus  agité,  plus 
dissipé  :  de  grands  projets  pour  le  bien  de 
l'Etat  occupent  le  prince  et  ses  ministres; 
de  grandes  bagatelles  occupent  tous  les  au- 
tres; les  uns  sont  occupés  sans  être  empres- 
sés, les  autres  sont  empressés  sans  être  oc- 
cupés. Qu'il  est  difficile  d'être  recueilli  dans 
ce  bruit  des  passions,  dans  ces  mouvements 
de  l'ambition,  dans  ces  empressements  à 
voir  et  à  être  vu;  lorsqu'on  craint  de  ne  pas 
obtenir  une  place  honorable,  ou  qu'on  ap- 
préhende de  la  perdre  ;  lorsqu'on  redoute  le 
mérite  de  ses  concurrents,  ou  la  puissance 
de  leurs  protecteurs;  lorsqu'il  faut  briguer 
la  bienveillance  de  celui  qu'on  espérait  pré- 
venir dans  l'élévation,  ou  faire  agir  sourde- 
ment ses  protections  pour  le  supplanter  dès 
qu'il  chancelle.  Dieu  l'a  dit,  il  ne  se  commu- 
nique jamais  dans  ces  agitations  et  ces  émo- 
tions du  cœur  de  l'homme  :  Non  in  commo- 
tione  Dominus.  (  111  Reg.,  XIX.  )  Veut-il , 
dans  l'ordre  ordinaire  de  ses  miséricordes, 
favoriser  une  âme?  il  la  sépare  des  humains, 
la  conduit  à  l'écart  :  Ducam  eam  in  solitudi- 
nem  [Osée,  II);  et  dans  un  lieu  paisible  et 
solitaire,  il  parle  à  son  cœur,  lui  développe 
tous  les  mystères  de  son  amour,  l'embrase, 
J'enchante,  la  ravit:  Et  loquar  ad  cor  ejus. 
{Ibid.) 

Mais  Dieu  change  quand  il  lui  plaît  cet 
ordre  ordinaire;  comme  il  est  le  Dieu  des 
souverains  aussi  bien  que  des  sujets,  que 
sa  grandeur  n'est  pas  un  obstacle  insurmon- 
table à  la  sainteté,  il  a  conduit  lui-même  des 
saints  à  la  cour;  il  y  en  a  formé,  il  y  a  fait 
régner  en  leur  faveur  le  silence  et  le  calme 
des  solitudes;  et  si  les  vices  de  la  cour 
ont  passé  quelquefois  dans  le  cœur  des  soli- 
taires, les  vertus  des  solitaires  ont  passé 
aussi  dans  le  cœur  des  courtisans  :  pour 
s'entretenir  avec  eux  plus  paisiblement  dans 
ce  séjour  d'agitations,  Dieu  a  commandé  aux 
vents  et  aux  tempêtes  de  se  calmer,  et  aus- 
sitôt ils  ont  joui  d'un  calme  délicieux;  on 
les  a  vus  paisibles  et  tranquilles  dans  le  tu- 
multe de  la  cour  :  Facta  est  tranquitlitas 
magna.  (Marc,  IV.) 

Dieu  opéra,  Messieurs,  ces  merveilles  en 
faveur  de  la  duchesse  de  Thuringe,  elle  fut 
recueillie  et  contemplative  dans  le  séjour  de 
la  dissipation  et  du  tumulte.  Recueillement 
continuel  :  toute  sa  perfection,  aussi  bien 


que  celle  des  anciens  patriarches ,  venait  de 
lai  présence  de  Dieu,  qu'elle  ne  pendit  ja- 
mais un  seul  instant  ;  elle  s'acquilta  des  bien- 
séances de  son  rang,  elle  parut  magnifique 
dans  les  cérémonies  éclatantes,  elle  fit  les 
honneurs  plusieurs  fois  dans  les  assemblées 
des  plus  grands  princes  de  l'Allemagne,  elle 
accompagnait  la  princesse  Sophie  dans  ses 
visites,  ses  voyages,  ses  audiences  publi- 
ques, elle  partageait,  ses  hommages  ;'mais  sous 
l'éclat  du  diadème,  dans  les  cercles  brillants 
de  l'empire  ,  dans  la  dissipation  de  la  cour, 
on  la  vit  toujours  recueillie  ;  on  voyait  qu'elle 
se  prêtait  à  ses  bienséances,  mais  qu'elle  ne 
s'en  occupait  point;  l'air  de  sainteté  qui  écla- 
tait sur  son  visage,  effaçait  l'éclatde  la  pompe 
royale;  et  il  suffisait  de  la  voir,  pour  être 
pénétre  de  Dieu  et  détrompé  du  monde. 

Recueillement  médité  :  la  duchesse  de 
Thuringe,  après  s'être  prêtée  aux  bienséan- 
ces de  son  rang,  par  nécessité,  se  retirait  à 
l'écart,  par  goût,  par  inclination. 

Rappelez-vous,  Messieurs,  l'éloge  pom- 
peux et  magnifique  que  l'Esprit-Saint  donne 
a  Judith.  Cette  sainte  veuve  qui  coulait  des 
jours  purs  et  innocents,  depuis  la  mort  de 
Manassés  son  époux,  dont  le  sang  avait  coulé 
dans  les  veines  des  plus  grands  héros  de  la 
synagogue,  qui  avait  l'honneur  de  compter 
les  G-édéon  parmi  ses  ancêtres;  et  qui  sur- 
passa par  son  courage  héroïque  les  plus 
braves  d'Israël.  L'histoire  sacrée  nous  rap- 
pelle son  recueillement,  comme  la  source  de 
toutes  les  grâces  et  de  toutes  les  faveurs 
qu'elle  avait  reçues  de  son  Dieu.  Elle  s'était 
fait  une  solitude  dans  sa  maison  même,  un 
lieu  caché,  inaccessible  au  tumulte  des  af- 
faires et  à  la  dissipation  du  monde  :  Fecit 
sibi  secretum  cubiculum.  (Judith,  VIII.)  Là 
elle  se  retirait  avec  ses  filles,  les  chères  con- 
fidentes de  son  cœur,  les  témoins  de  ses 
vertus,  pour  vaquer  à  l'oraison;  s'entretenir 
avec  leur  Dieu,  et  méditer  sa  loi  sainte  :  In 
quo  curn  puellis  suis  clausa  morabatur .  (Ibid.) 
Sous  cette  vertueuse  Israélite,  ne  reconnais- 
sez-vous pas,  Messieurs,  la  duchesse  de 
Thuringe?  Dans  son  palais  même  elle  s'était 
fait  une  solitude  ;  sa  piété,  sa  douceur  avaient 
gagné  plusieurs  de  celles  qui  la  servaient. 
C'est  dans  cet  oratoire  caché,  dérobé  à  la  con- 
naissance de  la  princesse  Sophie,  que  ces 
saintes  âmes  vont  avec  joie  répandre  leur 
cœur  en  la  présence  de  leur  Dieu;  c'est  là 
qu'elles  chantent  ses  louanges,  qu'elles  ré- 
pandent leurs  larmes,  qu'elles  méditent  le 
néant  des  grandeurs  du  monde, qu'elles  déplo- 
rent l'aveuglement  des  pécheurs  ,  qu'elles 
s'excitent  mutuellement  au  détachement,  à 
la  pénitence  ;  c'est  là  qu'elles  puisent  des 
forces  pour  soutenir  les  disgrâces  et  les  croix 
qui  leur  sont  préparées,  ou  pour  résister  aux 
caresses  et  aux  hommages  qui  pourraient  les 
séduire  :  Cum  puellis  suis  clausa  morabatur. 
C'est  ainsi  que  la  duchesse  de  Thuringe 
forme  une  petite  congrégation  à  la  cour,  le 
séjour  de  la  dissipation,  et  qu'elle  fait  passer 
le  recueillement  des  cloîtres  dans  les  palais 
des  souverains. 

Après  un  recueillement  si  parfat  et  si  rare  à 


137 


PANEGYRIQUES.  —  PANEG.  VIII  ,  SAINTE  ELISABETH  DE  THURINGE. 


158 


la  cour,  je  ne  suis  pas  étonné  que  la  du- 
chesse de  Thuringe  soit  parvenue  à  un  degré 
sublime  d'oraison.  Ses  extases ,  ses  ravisse- 
ments, ses  longueurs  sont  les  preuves  de  son 
union  intime  avec  Dieu.  On  l'a  vue  immobile 
et  comme  élevéeentre le  ciel  et  la  terre  ;onl'a 
vue  rayonnante  de  gloire  pendant  les  saints 
mystères;  elle  se  sentait  attirée  par  certaines 
douceurs, certains  charmes  dans  ses  oraisons; 
e!le  passait  des  heures  entières  dans  une 
sa'nte  quiétude ,  un  repos  divin  ;  Dieu  la  re- 
tira t  dans  certains  moments ,  comme  hors  du 
monde,  il  tirait  en  sa  faveur  les  voiles  du 
temps,  son  cœur  goûtait  des  délices  ineffa- 
bles, et  ses  oreilles  entendaient  des  secrets, 
qu'il  n'est  pas  donné  à  l'homme  de  raconter  ; 
c'est  ainsi  que  dans  le  séjour  de  la  cour  elle 
fut  une  parfaite  contemplative. 

Ne  vous  représentez  pas  ici,  Messieurs,  de 
ces  faux  spirituels  qui,  sous  prétexte  de  quié- 
tude et  de  repos,  négligent  la  prière  essen- 
tielle et  ordonnée;  ces  faux  mystiques,  dont 
les  spiritualités  creuses,  les  singularités  in- 
décentes, les  recherches  orgueilleuses  ont 
enfanté  des  erreurs  et  fourni  des  prétextes 
aux  vices  les  plus  honteux.  Loin  de  nous  ce 
fanatisme  grossier.  La  duchesse  de  Thuringe 
fut  toujours  soumise  à  son  directeur  dans  sa 
spiritualité,  et  le  ciel  lui  en  avait  donné  un 
capable  de  la  conduire  dans  ces  routes  mys- 
térieuses. 

Paraissez,  saint  ministre  du  Seigneur,  fa- 
meux Conrad,  Dieu  vous  a  choisi  pour  con- 
duire Elisabeth  dans  les  routes  de  la  sain- 
teté; vous  aurez  sa  confiance  et  vous  admi- 
rerez sa  soumission. 

C'était,  Messieurs,  un  homme  éclairé, 
habile  dans  les  voies  du  salut;  qui  marchait 
entre  les  deux  extrémités  vicieuses,  la  sévé- 
rité et  le  relâchement  ;  qui  savait  l'art  de 
sonder  les  coeurs,  qui  ignorait  celui  de  les 
abattre;  qui  ne  se  faisait  point  un  mérite  de 
diriger  une  souveraine,  mais  qui  se  réjouis- 
sait de  conduire  une  sainte  ;  attentif  à  ce  que 
Dieu  demandait  de  sa  pénitente,  zélé  pour 
lui  faire  pratiquer;  secret  admirateur  de  sa 
haute  sainteté,  adroit  destructeur  des  plus 
fines  ressources  de  la  chair  et  du  sang;  tou- 
jours satisfait  de  sa  soumission  ,  la  mettant 
cependant  quelquefois  à  de  nouvelles  épreu- 
ves; ennemi  déclaré  des  hérétiques  qui  dé- 
solaient l'Allemagne,  victime  précieuse  de 
son  attachement  à  l'Eglise,  son  zèle  en  avait 
fait  un  apôtre,  sa  foi  lui  a  procuré  l'honneur 
d'être  martyrisé. 

Tel  était,  Messieurs,  le  confesseur  delà 
duchesse  de  Thuringe,  tel  fut  celui  à  qui  elle 
obéissait,  comme  tenant  auprès  d'elle  la 
place  de  Dieu;  elle  approuve  ce  qu'il  ap- 
prouve, elle  condamne  ce  qu'il  condamne. 

Pouvons-nous  demander  une  preuve  plus 
éclatante  de  sa  docilité,  que  la  soumission 
qu'elle  fit  paraître,  lorsque  pour  l'éprouver, 
il  lui  ota  les  pieuses  filles  qui  lui  étaient 
attachées,  et  qu'il  la  sépara  même  de  la  jeune 
Sophie,  sa  fille;  c'est  dans  cette  épreuve  sen- 
sible qu'elle  porta  jusqu'à  l'héroïsme  la  sou- 
mission et  le  renoncement.  Les  lumières  du 
VQ..fesseur,  la  soumission  de  la  pénitente, 


doivent  donc  nous  faire  écarter  tout  soupçon 
d'illusion,  d'imagination  et  de  singularité, 
lorsque  nous  parlons  de  la  spiritualité  et  de 
la  contemplation  d'Elisabeth. 

Tout  ce  qui  doit  nous  étonner,  c'est  qu'elle 
ait  su  parvenir  à  un  si  haut  dégre  de  sain- 
teté dans  les  dangers  de  la  cour,  où  les  ca- 
resses et  les  hommages  lui  étaient  prodi- 
gués, mais  les  saints  savent  faire  servir  à 
leur  salut  les  dangers  mêmes  du  salut.  La 
duchesse  de  Thuringe  est  un  modèle  de 
sainteté  et  de  perfection  dans  les  caresses  et 
les  hommages  qu'on  lui  prodigue  à  la  cour, 
elle  sait  se  sanctifier  dans  la  grandeur  et 
dans  l'opulence  :  scio  abundare;  mais  ce 
qui  ne  mérite  pas  moins  notre  admiration, 
c'est  qu'elle  est  aussi  un  modèle  de  courage 
et  de  patience  dans  les  disgrâces  et  les  ad- 
versités qu'on  lui  suscite  à  la  cour;  elle  sait 
se  sanctifier  dans  le  sein  des  persécutions  ; 
scio  humiliari. 

SECONDE    PARTIE. 

C'est  dans  les  disgrâces  et  les  adversités 
que  la  vertu  des  saints  brille.  11  ne  faut  que 
la  reconnaissance  pour  s'attacher  à  un  maître 
qui  hous  comble  de  bienfaits,  mais  il  faut 
une  vertu  héroïque  pour  adorer  la  main  qui 
nous  frappe.  Les  Abraham  et  les  Job  qui 
goûtaient  les  douceurs  d'une  'grande  pros- 
périté, qui  possédaient  de  vastes  campagnes 
et  de  nombreux  troupeaux,  et  qui  trouvaient 
dans  leurs  serviteurs  de  quoi  former  des 
armées  assez  considérables  pour  défaire 
quatre  rois  ligués  ensemble,  étaient  les  amis 
de  Dieu;  ils  marchaient  en  sa  présence  :  mais 
ce  n'était  pas  assez;  il  fallait  prouver  aux 
nations  qu'ils  servaient  le  Dieu  de  leur  cœur 
et  non  pas  le  Dieu  des  consolations  ;  qu'ils 
ne  le  bénissaient  pas  à  cause  de  ses  bien- 
faits, mais  à  cause  de  son  domaine  sur  tou- 
tes ses  créatures;  et  que  pauvres  ou  riches, 
caressés  ou  affligés,  ils  se  regardaient  tou- 
jours comme  les  objets  de  sa  misé'ricorde, 
et  adoraient  la  main  qui  les  dépouillait  et 
les  frappait.  Ce  fut  alors  qu'il  ne  fut  plus 
permis  de  douter  de  la  vertu  des  Abraham 
et  des  Job,  et  que  l'enfer  même  fut  obligé  de 
lui  ériger  des  trophées. 

Les  orages  qui  se  formèrent  à  la  cour  de 
Thuringe  contre  notre  pieuse  princesse,  et 
qui  éclatèrent  avec  tant  de  fureur,  ;  ces  scè- 
nes cruelles  et  indécentes  que  cette  cour 
donna  à  toute  l'Europe,  servirent  aussi  à 
faire  briller  sa  haute  sainteté. 

Suivez,  Messieurs,  la  duchesse  de  Thu- 
ringe dans  les  disgrâces  et  les  adversités 
qu'on  lui  suscite  à  la  cour;  la  religion  la 
soutient,  la  console,  la  couronne  ;  sa  fermeté 
déconcerte  ses  ennemis  furieux  et  triom- 
phants; sa  foi  adore  les  jugements  d'un  Dieu 
juste  qui  l'éprouve;  son  amour  se  plaît  à 
perpétuer  ses  abaissements. 

Pourquoi  les  adversités  sont-elles  des 
coups  de  foudre  qui  écrasent  les  mondains? 
Pourquoi  voyons-nous  le  courtisan  disgra- 
cié, couler  dès  jours  tristes  et  languissants, 
se  retirer  par  bienséance  dans  ses  terres,  et 
graver  sur  les  murs  ou  sur  l'écorce  des  ar- 


159 


OlUTEl'RS  SACRES.  BALLET. 


IGO 


bres,  ses  ennuis  et  ses  chagrins?  c'est  qu'il 
n'est  pas  attaché  a  son  Dieu,  et  son  Dieu  seul 
pourrait  le  consoler  :  la  laveur  le  soutenait 
a  la  cour,  et  non  pas  la  vertu;  il  s'appliquait 
à  plaire  au  prince,  il  négligeait  de  plaire  à 
Dieu;  la  scène  a  changé,  il  est  sans  conso- 
lation, parce  qu'il  est  sans  vertu;  la  vertu 
l'aurait  soutenu  dans  la  prospérité,  la  vertu 
le  consolerait  dans  sa  disgrâce. 

Je  ne  suis  pas  surpris  de  voir  la  duchesse 
de  Thuringe  tranquille  et  inébranlable  dans 
les  adversités,  goûter  des  délices  et  des  con- 
solations dans  les  adversités,  mériter  des 
palmes  et  des  couronnes  dans  les  adversités. 
Elle  avait  de  la  vertu;  sa  vertu  avait  triom- 
phé des  caresses  de  la  cour;  sa  vertu  la  fait 
triompher  de  ses  fureurs.  Dieu  la  soutient, 
Dieu  la  console,  Dieu  la  couronne;  elle  sait 
se  sanctifier  dans  les  adversités  et  les  dis- 
g  Aces  :  scio  humiliari. 

Appliquez-vous,  Messieurs,  et  voyez  ce 
que  peut  une  vertu  solide. 

Les  gran  1s  ne  sont  donc  point  exempts  de 
disgrâces  :  la  voix  du  Très-Haut  renverse  les 
cèdres  du  Liban,  aussi  bien  que  les  plus 
tendres  arbrisseaux;  les  coups  de  l'adversité 
tombent  sur  les  souverains,  aussi  bien  que 
sur  les  sujets;  les  ombres  de  la  mort  cou- 
vrent les  palais  des  rois  ;  elle  exerce  son  em- 
pire sur  les  têtes  les  plus  chères  et  les  plus 
augustes;  la  fine  médisance,  la  noire  calom- 
nie, les  intrigues  sourdes,  les  complots  ini- 
ques, les  ligues  secrètes,  les  cabales  puis- 
santes ont  souvent  ébranlé  les  plus  grands 
empires  et  les  plus  florissants  royaumes, 
causé  des  révolutions  étonnantes,  et  porté  le 
deuil  et  la  tristesse  dans  les  lieux  ou  ré- 
gnaient les  plaisirs  et  la  satisfaction. 

Ne  croyez  pas,  Messieurs,  que  Dieu  n'af- 
flige que  les  pécheurs.  Ce  serait  une  illusion 
de  le  penser;  ce  serait  une  erreur  de  l'en- 
seigner, de  le  soutenir.  Si  l'Ecriture  me 
montre  l'Lterne.  qui  punit  sévèrement  les 
réchés  (les  souverains  criminels  et  impéni- 
tents, des  trônes  renversés,  des  sceptres  bri- 
sés, des  couronnes  flétries,  des  rois  humi- 
liés, chargés  de  chaînes,  errant  dans  les 
solitudes  avec  les  bêtes ,  expirant  sous  les 
coups  d'une  main  vengeresse,  des  empires 
éteints,  des  villes  immenses  réduites  en 
cendres,  des  nations  entières  subjuguées  et 
attachées  honteusement  au  char  des  "con- 
quérants; elle  me  montre  aussi  des  justes 
éprouvés  par  les  tribulations,  leur  grandeur 
usurpée,  leur  réputation  tlétrie,  leur  vertu 
méprisée  :  elle  nie  les  montre  baignés  do 
pleurs,  affligés,  rebutés,  persécutés,  et  sou- 
vent, comme  dit  le  prophète  :  la  vertu  lan- 
guit pendant  «pie  le  vite  triomphe  ;  les  bons 
manquent  de  tout  et  les  impies  prospèrent; 
Dieu  afllige  les  innocents,  ils  coulent  leurs 
jours  dans  le  deu'J  et  dans  la  tristesse;  il 
f.iut  que  la  scène  change,  pour  que  la  joie 
succède  à  la  tristesse  des  justes,  et  que  la 
triste- se  succède  à  la  joie  des  pécheurs.  Voilà 
Messieurs,  le  plan  de  l'Evangile.  La  du- 
chesse de  Thuringe  fut  du  nombre  de  ces 
âmes  innocentes  que  Dieu  afflige,  qu'il 
éprouve;  de  ces  pierres  précieuses,  polies 


sous  les  coups  de  sa  main  miséricordieuse, 
pour  servir  à  l'édifice  de  la  céleste  Jérusalem. 
Mais  si  vous  êtes  étonnés  de  ses  disgrâces  et 
de  ses  adversités,  vous  le  serez  encore  plus 
de  son  héroïque  courage. 

Déjà  le  cœur  d'Honorius  III  avait  été  tou- 
ché des  malheurs  de  nos  frères  chez  les  in- 
fidèles ;  déjà  il  avait  publié  la  croisade,  lors- 
que la  mort  l'enleva  au  Saint-Siège  ;  l'élec- 
tion du  cardinal  Ugolin,  le  premier  protec- 
teur de  l'ordre  de  François,  consola  l'Eglise 
de  la  perte  qu'elle  venait  de  faire;  et  ce 
Pape,  qui  prit  le  nom  de  Grégoire  IX,  anima 
tous  les  princes  chrétiens  aux  guerres  sain- 
tes, et  exécuta  les  pieux  projets  de  son  pré- 
décesseur. 

Le  jeune  prince  Louis,  Messieurs,  fut  des 
premiers  à  signaler  son  zèle  et  sa  piété. 
L'état  déplorable  de  nos  frères  dans  la  Pa- 
lestine le  déterminait;  la  duchesse  de  Thu- 
ringe, qu'il  laissait  dans  une  cour  dont  il 
avait  sujet  de  se  méfier,  le  faisait  hésiter  :  la 
cause  qu'il  allait  soutenir  demandait  qu'il 
se  sacriliât,  les  dangers  auxquels  son  épouse 
allait  être  exposée  demandaient  qu'il  restât  : 
le  croirait-on,  Messieurs?  et  voici  des  essais 
du  courage  héroïque  de  la  duchesse  de  Thu- 
ringej  elle  exhorte  le  prince  son  époux,  à 
voler  à  la  conquête  de  la  terre  sainte,  elle 
l'excite  par  les  peintures  les  plus  touchan- 
tes des  maux  que  souffrent  les  chrétiens; 
elle  perd,  en  le  quittant,  un  époux,  un  dé- 
fenseur ;  la  religion  demande  ce  sacrifice  ;  elle 
le  fait.  Déjà  le  pontife  met  la  croix  dans  les 
mains  de  ce  jeune  prince,  et  la  grave  sur  ses 
vêtements  :  déjà,  comme  le  vaillant  Machabée, 
il  s'est  attaché  une  jeunesse  brave  et  guer- 
rière, que  l'ardeur  île  son  zèle  anime  aux 
combats;  déjà  il  a  joint  l'empereur  Frédé- 
ric II,  le  chef  des  armées  chrétiennes,  mais 
un  prince  cruel,  vindicatif,  adroit,  dissimulé, 
ennemi  du  Saint-Siège,  excommunié  partrois 
souverains  pontifes;  l'honneur  du  comman- 
dement avait  plus  de  part  à  ses  démarches 
une  la  religion. 

Mais  quelle  scène  vais-je  offrir  à  vos 
yeux!  et  pourquoi  n'ai-je  plus  que  des  récits 
tristes  à  vous  faire?  Seigneur,  nous  serait-il 
permis  de  vous  demander  pourquoi  vous 
frappez  ceux  qui  vous  aiment?  Pourquoi 
vous  faites  tomber  les  forts  d'Israël,  qui  dé- 
fendent votre  cause?  Ah!  il  ne  m'est  pas  per- 
mis de  pénétrer  vos  desseins.  Il  faut  adorer 
les  profondeurs  de  vos  jugements  et  recourir 
à  l'évangile  qui  justifie  ces  disgrâces. 

Le  prince  Louis,  Messieurs,  dans  une 
brillante  jeunesse,  magnifique,  pieux,  chaste, 
magnanime,  attaché  au  Saint-Siège,  est  ar- 
rêté à  Otrentc  par  l'ordre  du  ciel  ;  la  maladie 
fait  des  progrès,  le  tombeau  s'ouvre,  il  y 
descend,  mais  chargé  de  mérites  et  de  ver- 
tus, après  avoir  fait  l'admiration  du  patriar- 
che de  Jérusalem,  et  de  tous  ceux  qui  le 
virent  dans  ces  derniers  moments;  après 
avoir  animé  les  braves  d'Israël  à  continuer  les 
guerres  saintes  :  après  avoir  recommandé 
aux  seigneurs  de  sa  cour  les  intérêts  de  son 
épouse,  et  donné  à  l'univers  des  marques 
d'une  mort  sainte  et  précieuse.  Bientôt  la 


161  PANEGYRIQUES.  —  PANEG.  VIII,  SAINTE  ELISABETH,  DE  THURINGE. 

nouvelle  de  sa  mort  est  annoncée  dans  toutes 
les  cours  :  celle  de  T huringe  est  troublée, 
agitée  :  on  la  cache  quelque  temps  par  poli- 
tique: on  l'apprend  au  peuple  par  cérémonie 


162 


on  l'annonce  à  la  duchesse  de  Thuringe  avec 
satisfaction. 

Sous  quels  traits  vous  la  représentez- 
vous,  Messieurs,  dans  ce  moment  désolant, 
accablant:  troublée,  inconsolable,  agitée, 
désespérée?  Vous  vous  trompez;  aprèà avoir 
répandu  des  larmes  par  tendresse,  elle  l'of- 
fre à  Dieu  par  religion  :  elle  est  inquiète  sur 
le  sort  de  son  âme  qui  a  été  jugée  ;  elle  est 
tranquille  sur  celui  qu'on  lui  prépare  à  la 
cour  :  elle  veut  se  rendre  agréable  à  Dieu 
pour  être  utile  à  son  époux.  C'est  pour  cela 
qu'elle  adore  la  main  qui  la  frappe  d'une 
manière  si  sensible;  n'est-ce  pas  là  soutenir 
avec  courage  les  afflictions  !  Elle  l'avait  déjà 
signalé,  Messieurs,  ce  courage  héroïque  que 
la  re'ligion  inspire,  lorsqu'elle  avait  offert  à 
Dieu  la  mort  de  la  reine  de  Hongrie  sa  mère, 
et  pardonné  si  généreusement  au  malheu- 
reux Bonban  qui  l'avait  massacrée. 

Vous  aimez  les  croix,  les  afflictions, 
pieuse  princesse,  réjouissez-vous,  Dieu  vous 
présente  le  calice  :  ad  te  pervertit  caiix 
(Thren.,  IV)  :  vous  serez  enivrée  d'amer- 
tumes :  les  orages  se  forment  à  la  cour  de 
Thuringe,  ils  vont  éclater,  vous  serez  rassa- 
siée d'opprobres:  on  vous  arrachera  votre 
couronne,  on  vous  dépouillera  de  vos  biens  : 
et  l'on  vous  bannira  honteusement  de  votre 
palais  :  inebriaberis  atque  nudaberis.  (Ibid.) 

En  effet,  Messieurs,  depuis  longtemps 
une  cabale  puissante  s'était  formée  dans  la 
cour  de  Thuringe  :  les  mépris  et  les  froi- 
deurs de  la  princesse  Sophie,  étaient  comme 
les  éclairs  qui  annonçaient  l'orage;  les  cour- 
tisans conspirent,  la  conspiration  éclate  :  le 
prince  Henri  s'empare  de  la  régence  :  la 
duchesse  de  Thuringe  a  perdu  son  appui 
et  son  défenseur  en  perdant  son  époux  : 
Dieu  seul  est  son  protecteur,  et  Dieu 
la  veut  méprisée,  humiliée,  persécutée: 
la  fureur  de  la  cour  sert  à  ses  desseins,  la 
duchesse  de  Thuringe  s'y  soumet.  Mais  si 
d'un  côté  vous  voyez  ce  que  l'envie  inspire, 
voyez  de  l'autre  le  courage  que  donne  la  re- 
ligion :  la  duchesse  de  Thuringe  sans  cou- 
ronne ,  sans  domaine,  sans  asile,  suivie 
seulement  des  compagnes  de  sa  piété,  et  des 
confidentes  de  son  cœur,  va  se  consoler  au 
pied  des  autels;  et  au  lieu  de  s'abattre  elle 
Se  réjwuit  :  elle  ne  va  pas  trouver  les  mi- 
nistres du  Seigneur  pour  leur  raconter  ses 
malheurs,  mais  pour  les  prier  de  rendre  des 
actions  solennelles  de  grâce  au  Seigneur  : 
elle  ne  les  touche  point  par  ses  pleurs,  elle 
les  étonne  par  son  allégresse  :  ils  ne  sont 
pas  obligés  de  relever  un  courage  abattu  : 
ils  sont  occupés  à  donner  des  bornes  à  son 
sacrifice.  Il  n'appartient  qu'à  la  religion  de 
former  ces  grands  cœurs  ;  on  n'est  guère 
attaché  au  monde,  quand  on  méprise  ainsi 
ses  disgrâces  et  ses  fureurs;  Dieu  poursuit 
cette  victime  de  son  amour,  il  l'éprouve  de 
plus  en  plus  :  aux  mépris  de  la  cour  succè- 
dent les  mépris  de  ses  sujets. 


Tous  les  peuples  qui  lui  rendaient  des 
hommages,  et  qui  paraissaient  en  suppliants: 
qui  avaient  recours  à  elle  dans  l'indigente, 
et  qu'elle  comblait  de  ses  bienfaits  :  qui  pu- 
bliaient ses  vertus,  et  qui  racontaient  ses 
libéralités,  imitèrent  les  fureurs  de  la  cour 
de  Thuringe  :  ils  la  méprisèrent,  parce  qu'ils 
la  virent  humiliée  :  elle  n'était  plus  digne 
de  leurs  hommages,  parce  qu'elle  était  per- 
sécutée :  elle  était  coupable  à  leurs  yeux, 
parce  qu'elle  n'était  plus  souveraine  :  et  ils 
refusent  de  la  secourir,  parce  qu'elle  e:  t 
tombée  dans  l'indigence  :  sa  disgrâce  excite 
leur  insolence  :  qui  glorificabant  eam  spre- 
verunt  illam,  quia  viderunt  ignôminiam  ejug. 
[Thren.,l.) 

Rebutée  chez  ses  sujets  mêmes,  celle  qui 
habitait  des  palais  immenses  n'a  pas  où  re- 
poser sa  tête  :  elle  demande  avec  humil  té 
un  hospice  après  en  avoir  accordé  si  souvent 
aux  pauvres  avec  magnificence;  mais  la 
cruauté  de  la  cour  a  passé  dans  le  cœur  des 
sujets  :  la  princesse  errante  avec  ses  saintes 
filles  ne  trouvent  point  d'asile  :  non  erat  eis 
locus. 

Consolez-vous,  Elisabeth,  le  Sauveur  qui 
vous  attire  à  lui  veut  que  vous  retraciez  la 
pauvreté  de  sa  crèche,  aussi  bien  que  les 
douleurs  du  Calvaire,  et  que  vous  passiez  du 
palais  de  Thuringe  sous  les  tristes  débris 
d'une  étable  ruinée. 

Grand  Dieu  I  j'admire  votre  sagesse,  vous 
humiliez  et  vous  élevez  ;  vous  frappez  et  vous 
guérissez;  vous  préparez  une  couronne  im- 
mortelle à  la  duchesse  de  Thuringe;  mais 
avant  qu'elle  l'obtienne,  vous  flétrissez  sur  sa 
tête  la  couronne  temporelle  qui  faisait  sa 
gloire  dans  le  monde  :  vous  laissez  agir  la  bas>  e 
jalousie  et  la  noire  calomnie  ;  vous  la  laissez 
tomber  du  trône  dans  l'ignominie,  de  l'abon- 
dance dans  la  misère,  du  sein  des  honneurs 
dans  le  sein  des  humiliations  :  mais  vous  lui 
inspirez  un  courage  héroïque  pour  soutenir 
ses  disgrâces  et  ses  adversités.  Votre  miséri- 
corde la  soutient,  votre  miséricorde  la  cou- 
sole  :  au  milieu  de  toutes  ces  scènes  qui 
étonnent  le  monde  entier,  elle  est  paisible, 
tranquille;  son  cœur  goûte  des  consolations 
ineffables,  et  elle  peut  dire  avec  votre  Apô- 
tre, j'ai  évité  les  dangers  de  la  grandeur, 
j'ai  évité  les  dangers  de  l'adversité;  je  sais 
être  contente  dans  les  disgrâces  :  scio  humi- 
liari. 

Comme  la  religion  seule  peut  consoler,  il 
n'est  pas  élonnant  de  voir  les  mondains 
tristes  et  abattus  dans  les  disgiâces;  ils  les 
regardent  dans  l'ordre  du  monde,  ils  ne  les 
regardent  pas  dans  l'ordre  de  l'Evangile;  ils 
font  attention  à  la  malice  des  hommes,  ils 
n'en  font  aucune  à  la  miséricorde  de  Dieu. 
Ils  voient  la  croix,  dit  saint  Bernard,  ils  ne 
voient  pas  l'onction  :  Crucem  videntes,  un- 
ctioncm  non  videntes.  Ils  voient  la  malice  de 
l'homme  dans  ces  noires  calomnies,  dans  ces 
médisances  délicates,  dans  ces  injustices 
criantes,  dans  ces  intrigues  secrètes,  dans 
ces  cabales  puissantes,  dans  ces  complots 
mystérieux;  ils  ne  voient  pas  la  miséricorde 
de  Dieu  qui  veut  se  les  attacher  par  ces  dis- 


163 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


?64 


grflces  :  Crucem  videnles ,  unctionem  non  vi- 
denles. Pourquoi  croient-ils  avoir  tout  perdu 
quand  le  prince  les  a  disgraciés,  quand  un 
concurrent  les  a  supplantés,  quand  la  mort 
leur  a  enlevé  les  objets  de  leur  cœur,  quand 
un  -système  d'affaires  a  dérangé  leur  fortune, 
quand  des  accidents  imprévus  ont  renversé 
leurs  édifices,  quand  une  faiblesse  a  porté 
la  bonté  et  le  désbonneur  dans  leur  famille  ? 
C'est  qu'ils  comptent  Dieu  pour  rien.  Ils 
ignorent  qu'il  est  le  Dieu  des  consolations  : 
Crucem  videnles ,  unctionem  non  videnles. 
Vous  les  voyez,  ces  mondains  abattus,  acca- 
blés sous  le  poids  des  disgrâces  et  des  adver- 
sités; ils  s'adressent  au  monde  pour  être 
consolés,  ce  monde  impuissant  pour  remé- 
dier à  certaines  disgrâces,  ce  monde  injuste 
qui  veut  que  l'on  soit  coupable  lorsqu'on 
n'est  pas  heureux  ;  ce  monde  dur  et  cruel  qui 
regarde  de  sang-froid  les  scènes  les  plus  tra- 
giques; ce  monde  curieux  et  indiscret,  qui 
apprend  avec  plaisir  la  décadence  des  famil- 
les, qui  s'en  entretient  pour  se  désennuyer; 
ce  monde  dissimulé  qui  plaint  publiquement 
les  misérables  et  qui  se  réjouit  en  secret  de 
leurs  malheurs;  ce  monde,  prodigue  de  ses 
paroles  et  avare  de  ses  services,  qui  fait  des 
offres  obligeantes  et  qui  sait  éviter  les  occa- 
sions de  les  accomplir;  ce  monde  philosophe 
qui  veut  qu'on  se  console  des  événements 
présents  par  l'exemple  des  événements  pas- 
sés, qui  veut  persuader  qu'on  n'est  pas  mal- 
heureux parce  qu'on  n'est  pas  le  seul.  Ahl 
tant  qu'ils  chercheront  des  consolations  dans 
le  monde ,  ils  seront  inconsolables,  il  n'ap- 
partient qu'à  notre  Dieu  de  consoler  les  affli- 
gés, de  faire  des  heureux  dans  le  sein  des 
persécutions,  de  nous  montrer  les  Tobie,  les 
Job,  les  Joseph  paisibles  et  tranquilles  dans 
les  ennuis  de  la  captivité,  dans  l'obscurité 
des  cachots,  dans  la  perte  des  biens  et  les 
ombres  de  la  mort.  11  n'appartient  qu'à  la 
religion  de  Jésus-Christ  de  nous  montrer  des 
apôtres  qui  chantent  des  cantiques  d'allé- 
gresse après  de  cruelles  flagellations,  qui 
montent  avec  joie  sur  les  échafauds,  et  plus 
contents  sous  tous  les  glaives  que  les  tyrans 
sous  leurs  diadèmes.  11  n'appartient  qu'à 
l'Evangile  de  justifier  les  disgrâces  et  les 
adversités  qui  éprouvent  l'homme  juste;  il  y 
reconnaît  l'accomplissement  des  oracles  du 
Sauveur;  il  espère  un  changement  de  scène  ; 
et  l'éternelle  félicité  qu'il  attend,  le  console 
dans  les  moments  de  tribulation. 

La  duchesse  de  Thuringe  était  persuadée 
"ie  ces  grandes  vérités;  c'est  pourquoi  elle 
eut  recours  à  la  religion  pour  se  consoler 
dans  ses  disgrâces  et  ses  adversités;  elle  ne 
chercha  point  de  consolateurs  dans  le  monde  ; 
Dieu  la  consola  et  lui  ménagea  des  consola- 
tours  selon  ses  desseins. 

Dieu  la  console  en  lui  prodiguant  ses  ca- 
resses. Les  mondains  les  ignorent ,  ces  mys- 
tères de  douceur,  la  duchesse  de  Thuririge 
les  éprouve.  Intimement  attachée  à  son  Dieu, 
elle  le  trouve  dans  l'abandonnement  des  créa- 
tures; il  multiplie  ses  consolations  à  pro- 
portion de  ses  peines;  il  fait  éclater  ses  mi- 
séricordes dans  le  temps  que  ses  ennemis 


font  éclater  leur  haine;  il  lui  ouvra  son  cœur 
avec  amour  lorsqu'on  lui  ferme  les  portes  de 
son  palais  avec  cruauté.  Donnez-mo>  une  âme 
embrasée  de  l'amour  divin,  et  elle  compren- 
dra ces  mystères  de  consolation  dont  je  parle  : 
I)h  amanlem,  elsentit  quoddico.  La  duchesse 
de  Thuringe  bannie  de  son  palais,  sans 
sceptre,  sans  couronne,  dépouillée  de  ses 
biens,  calomniée  et  décriée  dans  tous  ses 
états,  devenue  suspecte  et  rebutée  de  tous 
ses  sujets,  goûte  des  délices  ineffables;  ab- 
sorbée et  abîmée  dans  le  cœur  de  son  Dieu, 
elle  ne  sort  de  ces  ravissements  que  pour 
faire  éclater  une  joie  toute  céleste ,  chanter 
des  cantiques  d'actions  de  grâces;  insen- 
sible à  toutes  .ses  disgrâces,  elle  n'est  péné- 
trée que  des  caresses  de  son  Dieu.  Les 
mondains  ont  beau  chercher  dans  tout  ce 
qui  les  environne  des  consolations  dans 
leurs  disgrâces,  faibles  ressources  1  On  est 
toujours  malheureux  quand  on  veut  em- 
prunter des  créatures  de  quoi  remplir  le  vide 
de  son  cœur.  Dieu  suffit  à  l'âme  et  l'âme  n'a 
rien  perdu  quand  elle  n'a  pas  perdu  son 
Dieu.  La  duchesse  de  Thuringe  l'a  éprouvé 
dans  ses  disgrâres,  Dieu  la  console  avec  ma- 
gnificence. 

Je  sais,  Messieurs,  qu'on' doit  être  très- 
délicat  et  très-exact  lorsqu'il  s'agit  d'appari- 
tion': que  celles  de  Jésus-Christ  et  de  la  sainte 
Vierge,  sa  mère,  sont  regardées  par  les  vrais 
spirituels  et  les  mystiques  catholiques  , 
comme   des  faveurs   rares    et    singulières. 

Mais  je  sais  aussi  que  Dieu,  qui  est  le  té- 
moin des  afflictions  du  juste,  l'a  animé  quel- 
quefois dans  ses  combats  par  les  spectacles 
ravissants  de  sa  gloire  ;  je  sais  qu'il  accompa- 
gna Joseph  dans  son  cachot  :  Descendit  cum 
illo  in  foveam(Sap.,  X);  je  sais  qu'il  promet  de 
ne  point  abandonner  celui  qui  est  dans  la  tri- 
bulation :  Cum  ipso  sitm  in  tribulatione  (Psal. 
XC);  je  sais  qu'il  fut  spectateur  du  martyre 
de  saint  Etienne;  que  ce  généreux  athlète 
vit  les  cieux  ouverts,  que  ses  yeux  contem- 
plèrent l'Eternel  et  son  divin  maître  à  sa 
droite  :  Video  cœlos  apertos  (Act. ,Yll)  ;  je  sais 
enfin  que  quelques  martyrs  ont  été  animés 
dans  leurs  supplices,  parce  qu'ils  voyaient 
des  couronnes  suspendues  sur  leurs  têtes. 
La  duchesse  de  Thuringe  éprouva  ces  ma- 
gnifiques consolations  dans  ses  disgrâces  et 
ses  adversités;  le  ciel  s'ouvrit  à  ses  yeux; 
Jésus-Christ  et  sa  sainte  mère  parlèrent  à 
son  cœur,  le  disciple  bien-aimé  l'anima  à 
boire  le  calice  et  à  participer  à  la  mort  de 
son  Sauveur,  pour  participer  à  sa  gloire;  c'est 
dans  ces  moments  qu'elle  adora  la  main  qui 
l'avait  frappée,  qu'elle  se  réjouit  de  ses  dis- 
grâces et  qu'elle  méprisa  la  couronne  qu'on 
lui  avait  ôtée  et  qu'on  devait  lui  rendre. 

Si  la  duchesse  de  Thuringe  eût  désiré  des 
consolations  humaines,  elle  n'en  aurait  pas 
manqué  ;  le  souverain  pontife,  le  prince  Louis 
son  époux,  les  filles  qui  lui  étaient  atlachéos, 
les  croisés,  revenus  de  la  Palestine,  furent 
autant  d'apologistes  éloquents  qui  prirent 
sa  défense.  Les  caresses  et  les  honneurs 
qu'on  lui  prodigua  à  la  cour  de  l'évêque  de 
Vamberg,  son  oncle,  étaient  encore  de  ces 


465 


PANEGYRIQUES.  —  PANEG.  IX ,  N.-D.  DE  MONT-CARMEL. 


\te 


consolations  humaines  qu'on  ne  laisse  guère 
échapper.  La  cour  de  Thuringe,  revenue  de 
ses  préjugés  et  obligée  de  lui  rendre  !a  cou- 
ronne et  les  hommages  qu'elle  lui  avait  ra- 
vis, lui  présentait  un  triomphe  bien  conso- 
lant ;  mais  Elisabeth  a  éprouvé  que  Dieu  seul 
peut  consoler  dans  les  disgrâces,  elle  ne  veut 
que  lui  sur  la  terre. 

La  religion  seule  ne  'la  consola-t-elle  pas 
encore,  lorsque  les  croisés  pénétrés  de  res- 
pect pour  la  mémoire  du  prince  Louis  son 
époux,  apportèrent  ses  'précieuses  dépouil- 
les dans  les  tombeaux  des  souverains  de 
Thuringe?  Jamais  marche  ne  fut  plus  pom- 
peuse, plus  magnifique  :  notre  sainte  prin- 
cesse en  fut  témoin,  elle  vit  ces  précieux 
restes  d'un  époux  qui  la  chérissait  et  l'hono- 
rait; elle  les  baisa,  les  arrosa  de  ses  larmes, 
mais  larmes  que  la  religion  essuya  prompte- 
ment.  Elle  se  ressouvint  de  ses  vertus  :  on 
lui  raconta  les  merveilles  de  sa  mort;  elle 
sentit  l'odeur  suave  qui  sortait  de  son  cer- 
cueil; elle  se  réjouit  de  ne  plus  posséder 
son  époux,  parce  que  son  époux  possédait 
son  Dieu;  elle  était  satisfaite  de  ne  le  plus 
voir  sur  la  terre,  parce  qu'elle  avait  lieu  de 
présumer  qu'il  était  dans  le  ciel.  C'est  ainsi 
que  Dieu  consola  la  duchesse  de  Thuringe 
dans  ses  disgrâces  et  ses  adversités,  il  les 
récompensa  et  les  couronna,  parce  qu'elle 
avait  su  s'en  servir  pour  son  salut  :  scio  hu- 
miliari. 

Voici,  Messieurs,  l'accomplissement  des 
oracles  du  Sauveur.  Ce  changement  de  scè- 
nes annoncé  dans  l'Evangile,  si  triste  pour 
les  pécheurs,  si  consolant  pour  les  justes  : 
écoutez  et  instruisez-vous;  voyez  le  termo 
des  plaisirs,  voyez  le  terme  des  afflictions, 
voyez  ce  que  Dieu  permet, voyez  ce  que 
Dieu  ordonne  ;  les  méchants  quelque  temps 
triomphants,  les  justes  quelque  temps  hu- 
miliés :  voilà  ce  qu'il  permettes  méchants 
arrachés  à  leur  grandeur,  tombés  dans 
l'obscurité  et  le  mépris;  les  justes  déli- 
vrés de  leurs  peines,  élevés  en  gloire, 
honorés  chez  toutes  les  nations  et  dans  tous 
les  siècles  :  voilà  ce  qu'il  ordonne.  Serait-il 
nécessaire  de  vous  prouver  ces  grandes  véri- 
tés, de  vous  rappeler  les  décadences  humi- 
liantes de  ces  fameux  pécheurs  qui  ont 
abusé  de  la  grandeur  et  de  l'opulence,  la  fin 
tragique  des  Saul,  des  Holopherne,  des  Bal- 
thazar  des  Antiochus,  des  favoris  d'Assué- 
rus,  des  Hérode  ,  des  mauvais  riche?  Ne 
savez-vous  pas  qu'après  avoir  fait  gémir  les 
nations  sous  le  poids  de  leur  tyrannique 
puissance,  ils  ont  gémi  eux-mêmes  sous  la 
main  vengeresse  d'un  Dieu  qu'ils  mépri- 
saient? Que  les  tourments  ont  été  propor- 
tionnés à  leurs  plaisirs?  Qu'un  repentir  inu- 
tile a  succédé  à  leur  orgueilleuse  intrépidité, 
et  un  opprobre  éternel  à  leur  triomphe  passa- 
ger? Tel  est  le  changement  de  scène  que 
l'Ecriture  nous  présente  lorsqu'elle  parle 
des  mondains;  changement  bien  triste  et 
bien  effrayant.  En  voici  un  bien  doux  et 
bien  consolant;  c'est  la  gloire  que  Dieu  pro- 
cure aux  justes  après  les  avoir  éprouvés. 
La  gloire  des  Joseph,  des  Mardochée,  des 


Lazare;  la  gloire  des  apôtre?,  des  martyrs, 
et  de  tous  les  disciples  du  Calvaire;  la  gloire 
de  la  duchesse  de  Thuringe  pour  couronner 
ses  disgrâces  et  ses  adversités. 

S'il  y  a  des  palmes  et  des  couronnes  dans 
le  ciel,  c'est  pour  ceux  qui  ont  passé  par  de 
grandes  tribulations  :  qui  venerunt  de  magna 
tribulalione . 

Gloire  que  Dieu  procure  à  la  ducnesse  de 
Thuringe  qui  égale  presque  celle  de  l'apos- 
tolat :  ce  sont  ses  succès.  Représentez-vous, 
Messieurs,  une  ville  immense,  attentive  à 
faire  fleurir  son  commerce,  et  à  ac<  roître  sa 
grandeur;  elle  renfermait  dans  l'enceinte 
de  ses  murs  un  peuple  infini,  quiava.t  perdu 
de  vue  la  fin  de  son  pèlerinage,  qui  négli- 
geait d'assister  aux  saints  mystères,  et  qui 
se  faisait  un  système  de  n'y  point  participer; 
qui  voyait  croître  tranquillement  ses  enfants 
sans  leur  procurer  le  baptême,  et  qui  atten- 
dait que  les  malades  fussent  environnés  des 
ombres  de  la  mort  pour  demander  les  sacre- 
ments de  l'Eglise.  Tels  étaient  les  abus  qui 
régnaient  dans  la  ville  de  Masburg;  la 
duchesse  de  Thuringe  eut  la  gloire  ue  les 
réprimer.  Ses  discours,  ses  prières,  ses  lar- 
mes changèrent  ce  peuple  indévot,  et  après 
avoir  été  l'apôtre  de  la  cour,  elle  a  eu  l'hon- 
neur de  l'être  de  toute  une  ville.  N'a-t-elîe 
pas  arraché  à  la  cour  des  courtisans  dont  la 
brillante  jeunesse,  la  riante  fortune,  l'éclat 
de  la  naissance,  l'empire  des  passions  au- 
raient épuisé  le  zèle  apostolique îsjils  n'épui- 
sent point  le  sien  :  elle  en  triomphe. 
N'a-t-elle  pas  renversé  les  édifices  de  la  va- 
nité, remporté  des  victoires  sur  le  démon, 
et  détaché  de  son  char  la  jeune  Radégonde, 
pour  l'attacher  à  relui  de  Jésus-Christ?  Vous 
étiez  la  victime  des  caresses  du  monde,  pré- 
cieuse conquête  d'Elisabeth,  vous  êtes  deve- 
nue une  victime  du  Sauveur  immolé.  N'a- 
t-elle  pas  eu  encore  la  gloire  d'ouvrir  les 
portes  de  l'éternité  à  Gertrude  sa  mère?  Les 
larmes  qu'elle  répandait ,  les  austérités 
qu'elle  pratiquait,  les  aumônes  qu'elle  fai- 
sait pour  son  âme  inquiète  ont  été  efficaces; 
elle  a  fait  passer  sous  le  domaine  de  la  misé- 
ricorde, celle  qui  était  encore  sous  le  do- 
maine de  la  justice  :  Gertrude  n'élat  pas 
encore  assez  pure  pourvoir  son  Dieu;  Elisa- 
beth était  déjà  assez  sainte   pour  l'apaiser, 

Gloire  que  Dieu  procure  à  Elisabeth  pour 
relever  ses  abaissements,  la  confusion  de 
ses  ennemis.  Ne  vit-elle  pas  à  ses  pieds  la 
princesse  Sophie  et  le  prince  Henri?  Ils  ren- 
dirent de  profonds  hommages  à  sa  haute 
sainteté,  et  condamnèrent  leurs  coupables 
projets;  la  même  main  qui  lui  avait  arraché 
sa  couronne  la  posa  sur  sa  tête  avec  respect; 
ils  lui  décernèrent  des  triomphes  après  lui 
avoir  préparé  des  disgrâces,  et  le  superbe 
Aman  fut  obligé  dans  ce  jour  mémorable  de 
rendre  des  honneurs  éclatants  à  l'humble 
Mardochée.  C'est  ainsi  que  le  Seigneur  cou- 
ronne dès  ce  monde  même  les  disgrâces  et 
les  adversités  des  justes.  Je  sais,  Messieurs, 
que  les  croisés,  dépositaires  des  derniers 
sentiments  du  prince  Louis,  se  déclarèrent 
les  défenseurs  de  la  duchesse  de  Thuringe, 


107 


ORATEURS  SACRES.  RALLET. 


168 


et  que  si  le  prince  Henri  fut  touché  de  la  ma- 
gnifique harangue  qu'ils  prononcèrent  en  sa 
faveur,  il  fut  aussi  intimidé  parles  menaces 
qu'ils  y  avaient  semées  adroitement.  Louer 
les  rares  vertus  de  la  duchesse  de  Thuringe, 
c'était  condamner  hautement  ses  procédés 
injustes,  et  ses  horribles  attentats.  D'ailleurs, 
il  n'ignorait  pas  le  serment  solennel  que  les 
croisés  avaient  fait  sur  les  cendres  du  duc 
de  Thuringe,  et  il  aima  mieux  céder  la  ré- 
gence que  de  s'exposer  à  un  combat  où  il 
aurait  été  vaincu  et  déshonoré.  Les  grands 
s'humilient  pour  prévenir  les  humiliations 
mais  Dieu  se  sert  de  tout  pour  couronner  le 
jute  dans  ses  disgrâces  et  ses  adversités. 
Pour  se  dissiper  dans  une  légère  insomnie, 
Assuérus  se  fait  lire  les  annales  de  l'empire; 
il  fallait  cet  événement  pour  mettre  au  jour 
le  mérite  ignoré  de  l'humble  Mardochée,  il 
fut  l'époque  de  sa  gloire.  Dieu  permet  que  la 
duchesse  de  Thuringe  soit  humiliée,  mais  en 
môme  temps  il  lui  prépare  des  zélés  défen- 
seurs, des  braves  qui  confondent  sesenne- 
mis,  et  les  conduisent  à  ses  pieds;  Dieu  l'a 
promis,  la  gloire  succédera  à  l'humiliation 
du  juste  :  gtorificabo  cum.  (Psal.  XC.) 

Gloire  que  Dieu  procure  à  la  duchesse  de 
Thuringe  pour  récompenser  sa  haute  sain- 
teté; c'est  la  gloire  des  miracles,  et  les  hon- 
neurs que  l'Eglise  lui  rend. 

Vous  dirai-je,  Messieurs,  que  les  histoires 
les  plus  fidèles  nous  la  représentent  comme 
une  illustre  thaumaturge,  et  qu'il  faudrait 
un  second  discours  pour  raconter  tous  ses 
miracles?  Vous  dirai-je  que  ce  prodige,  qui 
étonna  si  fort  les  Juifs,  fut  opéré  aussi  par 
la  pieuse  Elisabeth;  qu'elle  éclaira  les  aveu- 
gles de  naissance  comme  les  autres,  et  que 
la  puissance  de  Dieu,  qui  opérait  en  elle, 
remplit  l'Allemagne  de  ses  merveilles?  Vous 
dirai-je  qu'elle  annonça  aux  approches  de 
la  mort,  comme  Ezéchiel,  les  événements  les 
plus  reculés;  qu'elle  prédit  l'état  déplorable 
où  l'empire  devait  être  bientôt  réduit,  et 
qu'elle  annonça  toutes  les  sanglantes  divi- 
sions qui  devaient  l'affaiblir  et  le  défigurer? 
Ces  oracles  de  la  princesse  mourante  ont  été 
vérifiés;  la  sagesse  mondaine  ne  peut  rien 
contre  le  Seigneur  :  non  est  sapientia  contra 
Dominum.   (Prov.,  XXI.) 

Hâtez-vous,  souverain  pontife,  de  l'in- 
sérer dans  les  fastes  de  l'Eglise  ;  que  la  mort 
qui  l'enlève  à  la  terre  soit  l'époque  de  sa 
gloire.  Oui,  Messieurs,  sa  canonisation  suit 
sa  mort;  déjà  Grégoire  IX  l'invoque  et  lui 
élève  un  autel  ;  sa  famille  a  la  consolation 
de  la  voir  canoniser,  d'a-sister  h  cette  écla- 
tante cérémonie;  déjà  elle  fait  la  gloire  de 
l'Eglise  germanique  ;  je  vois  toute  la  magni- 
ficence de  l'empire  abaissée  devant  elle,  et 
les  plus  grands  princes  qui  portent  avec  res- 
pect son  saint  corps;  je  vois  un  temple 
somptueux  élevé  en  son  honneur  dans  la 
ville  de  Strigonie  par  le  pieux.  Bala,  son 
frère.  Quel  admirable  changement,  Mes- 
sieurs! C'est  ainsi  que  Dieu  récompense  la 
duchesse  de  Thuringe,  qui  a  su  faire  servir 
à  son  salut  les  dangers  de  la  grandeur  et  les 


dangers  de  l'adversité  :  scio  humiliari,  scio 
abundare. 

C'est  votre  mère,  Mesdames,  dont  je  viens 
de  louer  les  vertus  :  elle  a  marché  sur  les 
traces  du  grand  François  d'Assise,  et  vous 
marchez  sur  les  siennes;  comme  elle  vous 
avez  foulé  aux  pieds  les  biens,  les  honneurs, 
les  plaisirs;  comme  elles  vous  vous  êtes  dé- 
vouées à  la  pauvreté  de  la  crèche  et  aux 
souil'rances  du  Calvaire;  que  le  Dieu  do 
votre  cœur  vous  fasse  persévérer  avec  amour 
et  avec  allégresse  dans  la  sainteté  de  votre 
état,  pour  mériter  d'être  heureuses  dans 
l'éternité.  Ainsi  soit-il. 

PANÉGYRIQUE  IX. 

POUR     LA    FÊTE    DE     NOTRE-DAME     DE     MO?iT- 
CARMEL, 

Prononcé  dans  ï Eglise  des  RR.  PP.  Carmes 
Rillettes,  devant  Messieurs  les  chevaliers  de 
V Ordre,  le  16 juillet  1745. 

Invoca  Dominum,  loqnere  régi  pro  nobis,  et  libéra  nos 
de  morte.  (Esllter,  XV.) 

Priez  le  Seigneur,  parlez  en  notre  faveur  h  celui  qui  est 
sur  le  trône,  e'  délivrez-nous  de  la  mort. 

11  était,  Messieurs,  une  vertueuse  Israé- 
lite, qui,  par  les  charmes  de  ses  vertus,  l'in- 
nocence de  son  cœur  et  les  grâces  d'une  ra- 
vissante beauté,  avait  eu  le  bonheur  de  plaire 
à  Assuérus,  ce  grand  monarque  assis  sur  le 
premier  trône  du  monde,  et  maître  du -plus 
florissant  empire  qui  fut  jamais  :  le  ciel  prit 
soin  de  sa  destinée,  et  il  pensait  à  celle  de 
son  peuple  lorsqu'il  l'éleva  en  gloire  et  la 
fit  briller  sous  le  diadème. 

Vous  vous  rappelez  aussi,  Messieurs,  cet 
homme  superbe  qui  présidait  à  toutes  les 
intrigues  et  à  tous  les  mystères  de  cette 
brillante  cour.  L'histoire  sainte  nous  le  re- 
présente comme  un  courtisan  assez  inju.'tc 
pour  donner  au  prince  de  mauvais  conseils  , 
assez  artificieux  pour  ne  lui  laisser  aperce- 
voir que  le  vain  prétexte  du  bonheur  de 
l'empire,  assez  cruel  pour  satisfaire  ses 
vengeances  inhumaines.  Le  peuple  le  plus 
vertueux,  le  plus  tranquille,  le  plus  soumis 
aux  puissances  delà  terre;  le  peuple  de  Dieu 
est  l'objet  de  ses  fureurs  ;  déjà  un  édit  de 
mort  est  publié  dans  toutes  les  places  de 
l'empire. 

Mardochée,  Juif  fidèle,  gémit  à  la  vue  des 
maux  qui  sont  prêts  d'éclater  sur  sa  nation; 
il  verse  des  larmes  amères;  il  déchire  ses 
vêtements;  il  répand  de  la  cendre  sur  sa 
tête;  il  indique  des  jeûnes  solennels  à  tous 
les  Juifs  dispersés,  pour  détourner  ce  glaive 
meurtrier  élevé  sur  leur  tête;  et,  dans  ces 
justes  alarmes,  une  ressource  se  présenta 
à  son  esprit  :  Esther  est  toute-puissante  au- 
près d'Assuérus  ;  Juive  elle-même,  élevée 
par  les  tendres  soins  de  Mardochée,  appren- 
dra-t-elle,  sans  être  touchée ,  cette  scène 
sanglante  que  le  superbe  Aman  prépare  aux 
Hébreux?  Non  :  il  connaît  son  cœur,  son 
zèle  pour  le  salut  de  sa  patrie.  Il  a  recours 
à  elle,  et  lui  adresse  ces  paroles  touchantes  : 
Parlez,  pieuse  Israélite,  pour  votre  nation  à 


PANEGYRÎQl'ES.  —  PANEG.  IX,  N.-D.  DE  MOiNT  CARMEL 


109 

Assuérus;  vous  approchez  de  son  trône,  il 
vous  chérit  ;  peut-ôtre  que  son  cœur,  qui  a 
été  touché  de  vos  charmes,  le  sera  aussi  do 
nos  malheurs  :  [nvcca  Dominum,  hqucre 
régi  pro  nobis,  et  libéra  nos  de  morte. 

je  sais,  Messieurs,  que  ces  traits,  tout 
magnifiques  qu'ils  sont,  ne  peuvent  carac- 
tériser dans  un  vrai  sens  la  dévotion  du 
mont  Carmel,  dont  j'entreprends  de  publier 
aujourd'hui  la  grandeur  contre  ses  ennemis 
qui  semblent  se  multiplier  dans  notre  siè- 
cle; mais  je  sais  aussi  que  l'Eglise  les  ap- 
plique à  Marie,  parce  qu'elle  y  trouve,  dans 
un  sens  spirituel,  une  image  de  sa  gloire, 
de  sa  puissance  et  des  secours  qu'elle  pro- 
cure à  ses  serviteurs  aux  moments  de  la 
mort,  ces  moments  si  décisifs,  et  par  là  si 
effrayants  :  or,  Messieurs,  c'est  là  tout  le 
fond  de  cette  dévotion. 

D'un  côté,  Marie  toute  puissante  dans  le 
ciel,  placée  aux  pieds  du  trône  de  l'Agneau 
sans  tache,  d'où  elle  jette  de  tendres  regards 
sur  les  faibles  humains  ;  de  l'autre,  des  hom- 
mes environnés  d'ennemis  sur  le  penchant 
de  l'abîme,  tristes  objets  de  la  colère  d'un 
Dieu  irrité,  qui  se  couvrent  de  ses  livrées, 
et  qui  s'efforcent,  par  sa  puissante  média- 
tion, de  faire  succéder  des  arrêts  de  récon- 
ciliation à  des  arrêts  de  mort.  Pourquoi, 
Messieurs,  cette  dévotion  a-t-clle  tant  d'en- 
nemis? Elle  a  pour  elle  le  sacerdoce  et  l'em- 
pire, les  souverains  pontifes,  les  évoques, 
des  saints  reconnus  par  l'Eglise  romaine, 
des  docteurs  orthodoxes,  des  miracles  opé- 
rés au  grand  jour,  des  monarques  qui  ont 
fait  redouter  aux  Maures  et  aux  Sarrasins 
le  trône  des  Français.  Voici  le  mystère, 
Messieurs  :  l'autorité  que  nous-  respectons 
a  toujours  chagriné  l'hérésie  et  le  liberti- 
nage, et  si  la  dévotion  du  mont  Carmel  de- 
vait son  établissement,  ses  progrès  et  sa 
grandeur,  aux  charmes  de  la  nouveauté,  ses 
ennemis  deviendraient  ses  partisans  :  l'au- 
torité  légitime  qui  l'approuve  est-elle  donc 
un  titre  pour  la  combattre? 

Comme  nous  connaissons,  Messieurs,  ses 
ennemis,  et  que  nous  n'ignorons  pas  leurs 
objections,  je  vais  montrer  toute  la  grandeur 
de  la  dévotion  du  mont  Carmel,  en  confon- 
dant ses  ennemis  et  en  détruisant  leurs  ob- 
iect'ions  :  voici  mon  dessein.  Je  confondrai 
les  ennemis  de  la  dévotion  du  mont  Carmel 
par  le  parallèle  que  j'en  ferai  avec  ses  dé- 
fenseurs :  première  partie;  je  détruirai  les 
objections  que  nous  font  les  ennemis  de  la 
dévotion  du  mont  Carmel,  par  les  règles 
mêmes  de  l'Eglise  qu'ils  croient  violées 
ou  méprisées:  seconde  partie. 

Employons  l'intercession  de  la  Mère  de 
Dieu,  pour  obtenir  les  lumières  du  Saint- 
Esprit.  Ave,  Maria. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

Oui,  Messieurs,  cette  dévotion  qui  nous 
assemble  aujourd'hui  dans  ce  saint  temple 
a  ses  ennemis.  Nous  les  connaissons  :  ce 
sont  des  mondains  que  la  religion  gêne.  Les 
maximes,  les  usages,,  les  plaisirs  qui  la 
combattent,  sont  des  armes  qu'ils  regardent 

Orateurs  sacrés.  L. 


i"0 

comme  victorieuses  ;  soumis  aux  moindres 
bienséances  du  monde,  on  les  voit  se  sou- 
lever contre  les  pratiques  de  la  plus  solide 
piété  ;  sous  prétexte  de  défendre  un  culte 
éclairé ,  ils  blâment  celui  que  nous  rendons 
'  à  Marie.  C'est,  disent-ils,  pour  honorer 
Jésus-Christ  qu'ils  négligent  d'honorer  sa 
Mère  ;  c'est  pour  se  distinguer  du  peuple 
qu'ils  abandonnent  ses  solennités.  Ils  n'ont 
Jamais  approfondi  la  solidité  de  notre  culte 
dans  la  dévotion  du  mont  Carmel,  et  ils  se 
sont  toujours  appliqués  à  la  censurer;  est-ce 
par  religion  qu'ils  sont  si  délicats  ?  Non , 
Messieurs  ;  des  mondains  que  la  morale  de 
l'Evangile  gêne,  et  que  le  monde  attache  à 
son  char,  ne  sont  pas  d'un  grand  poids. 

"  Ce  sont  de  prétendus  esprits  forts  que  la 
religion  révolte.  Jaloux  de  s'élever  au-dessus 
des  autres  par  leurs  doutes  et  leurs  incerti- 
tudes, ils  refusent  aux  annales  de  l'Eglise 
le  respect  qu'ils  ont  pour  les  annales  des 
empires  les  plus  éloignés  ;  la  décision  d'ui  e 
société  littéraire  est  pour  eux  d'un  ;  lus 
grand  poids  que  celle  de  l'Eglise,  ils  érigent 
tous  les  jours  des  trophées  aux  découvertes 
des  savants  qui  critiquent  la  piété;  ils  mépri- 
sentles  talents  des  docteursqui  lui  ont  consa- 
cré leurs  plumes.  Ils  seraient  fâchés  de  douter 
d'un  fait  rapporté  par  plusieurs  auteurs  con- 
temporains, ils  traitent  de  fiction  une  révé- 
lation attestée  par  une  nuée  vénérable  de 
témoins.  Pourquoi,  Messieurs,  ces  beaux 
esprits  ne  sont-ils  pyrrhoniens  qu'en  matière 
de  religion  ? 

Ce  sont  des  hérétiques  qui  ont  secoué  le 
joug  de  la  dépendance  et  que  l'Eglise  pros- 
crit. Us  disaient  qu'ils  voulaient  tout  réfor- 
mer, ils  ne  disaient  pas  qu'ils  voulaient 
tout  abolir.  On  rendait  des  honneurs  trop 
éclatants  à  Marie,  ils  ne  lui  en  rendent  plus 
aucun.  De  crainte  d'intéresser  le  culte  dû 
à  l'Etre  suprême,  ils  ont  supprimé  celui  de 
la  sainte  Vierge  ;  après  avoir  abattu  les  au- 
tels élevés  en  son  honneur,  ils  en  ont  élevé 
en  l'honneur  des  héros  de  leur  parti.  Pour- 
quoi, Messieurs,  notre  dévotion  envers  la 
Mère  de  Dieu  choquait-elle  tant  les  protes- 
tants? Vous  le  savez,  c'est  qu'ils  avaient 
pour  principe  de  contredire  l'Eglise  romaine. 
Or,  Messieurs,  je  vais  confondre  tous  ces 
différents  ennemis  de  la  dévotion  du  mont 
Carmel  et  du  saint  Scapuïaire,  par  un  sim- 
ple parallèle  avec  ses  défenseurs. 

J'ai  des  saints  à  opposer  aux  mondains, 
des  savants  aux  prétendus  esprits  forts  ,  des 
catholiques  aux  hérétiques.  Soutiendraient- 
ils  sans  confusion  ce  parallèle  s'ils  m'écou- 
taient?  diraient-ils  encore  que  c'est  la  dévo- 
tion des  peuples?  Si  l'Eglise,  Messieurs, 
n'avait  pas  approuvé  les  faits  que  je  vais 
rapporter,  quelque  éclatants  qu  ils  soient, 
je  les  passerais  sous  silence. 

Vous  les  connaissez,  Messieurs,  ces  mon- 
dains que  je  vais-vous  tracer,  et  qui  cen- 
surent la  dévotion  du  mont  Carmel.  Ce  sont 
des  hommes  de  p  laisir  :  ils  coulent  leurs 
jours  dans  des  délices  criminelles.  Ils  pas- 
sent les  moments  piécieux  du  salut  dans 
des  amusements  inutiles;  des  fêtes  toutes 


471 


ORATEURS  SACRES.  BALLET 


172 


profanes  font  les  grands  événements  de  leur 
vie.  Ils  regardent  comme  un  temps  triste, 
ennuyeux,  celui  que  la  religion  a  consacré 
à  la  retraite;  ils  saisissent  avec  avidité  les 
occasions  de  se  divertir  ;  ils  ne  se  livrent 
qu'avec  chagrin  aux  exercices  de  piété.  Un 
cercle ,  un  spectacle  les  amusent  des  temps 
considérables;  un  discours  chrétien,  une 
solennité  sainte  ne  peuvent  les  occuper 
quelques  moments.  Le  monde  ne  peut  les 
rebuter  avec  tous  ses  caprices  et  ses  injus- 
tices ;  la  religion  ne  saurait  leur  plaire  avec 
tous  ses  charmes  et  toutes  ses  vérités.  Tout 
est  grand  selon  eux  dans  le  monde;  tout 
est.  petit  dans  la  religion.  Tout  est  impor- 
tant quand  il  s'agit  des  plaisirs,  des  hon- 
neurs, des  richesses  ;  tout  est  inutile  quand 
il  s'agit  du  salut  et  des  objets  qui  y  condui- 
sent. On  est  mondain  avec  ardeur,  on 
est  chrétien  avec  indill'érence.  On  est  l'a- 
pologiste des  bagatelles,  des  caprices ,  des 
excès,  des  tyrannies  du  monde:  on  est  le 
censeur  des  dévotions,  des  solennités,  des 
grâces,  des  merveilles  de  la  religion.  Le 
monde  trouve  une  docilité  parfaite  dans  les 
mondains  :  la  religion  trouve  une  opiniâtre 
résistance  dans  les  chrétiens.  11  est  rare 
dans  un  cercle,  dans  un  repas,  d'entendre 
blâmer  les  usages,  les  maximes  et  les  bien- 
séances du  monde  :  il  est  commun  dans 
notre  siècle  d'entendre  blâmer  les  vérités 
les  plus  saintes  et  les  pratiques  les  plus  édi- 
fiantes. On  l'appelle  un  siècle  de  lumière: 
n'est-ce  pas  parce  qu'il  est  un  siècle  d'indo- 
cilité? Qui  sont-ils,  Messieurs,  ces  mon- 
dains qui  raillent  la  religion  et  ses  salutaires 
pratiques  ?  Examinez  leurs  occupations,  leurs 
mœurs,  leurs  talents,  leur  foi,  les  circons- 
tances où  ils  débitent  leurs  sacrilèges  sail- 
lies :  quelle  histoire  que  celle  des  mondains, 
si  on  la  donnait  avec  exactitude  1  Ne  serait- 
ce  pas  l'histoire  des  bagatelles,  des  oisi- 
vetés, des  rêveries,  de  l'orgueil  et  de  l'en- 
tô'.ement  du  siècle? 

Que  d'ambition,  que  de  projets  injustes  et 
criminels  dans  leurs  occupations  !  que  de 
dérèglement,  que  de  licence  dans  leurs 
mœurs  !  Que  de  dangers  pour  le  salut  dans 
leurs  talents!  Que  de  préjugés,  cpie  d'er- 
reurs dans  leur  foi  1  Quelle  témérité,  quelle 
malignité  dans  leurs  discours  sur  la  re- 
ligion ! 

Qu'ils  sont  méprisable?  ces  mondains, 
lorsqu'ils  parlent  de  nos  solennités  et  de  nos 
dévotions!  Qu'ils  rougissent  tant  qu'ils  vou- 
dront des  vertus  des  simples,  nous  rougi- 
rons pour  eux  de  leurs  faibles  ;  qu'ils  se 
moquent  de  nos  religieuses  assemblées, 
nous  les  préférons  à  leurs  fatigants  plaisirs. 
N'est-ce  pas  un  honneur  pour  nous  de  mar- 
cher sur  les  traces  des  plus  grands  saints  ? 
Si  des  hommes  éminents  en  sainteté  blâ- 
maient la  dévotion  au  saint  Scapulaire,  ils 
pourraient  affaiblir  notre  dévotion  ;  mais  ce 
sont  des  mondains  qui  la  censurent.  Nous 
les  méprisons,  et  nous  leur  opposons  pour 
défenseurs  de  cette  solennité,  des  saints 
dont  l'autorité  est  infiniment  plus  respec- 


table. Quelle  confusion  pour  eux  s'ils  écou- 
taient ce  paiallèle  ! 

Permettez -moi,  Messieurs,  de  iemonter 
jusqu'à  l'origine  de  la  dévotion  du  mont 
Carmel,  de  vous  montrer  dans  la  plus  véné- 
rable antiquité  le  culte  de  Marie  déjà  établi 
dans  les  déserts. 

on  voyait  dans  les  cavernes  du  mont  Car- 
mel de  véné.ables  anachorètes  qui  mar- 
chaient sur  les  traces  d'Elie;  ils  sanctifiaient 
ces  lieux  écartés,  ces  monts  solitaires  par  les 
vertus  admirables  qu'ils  pratiquaient  :  dis- 
ciples et  successeurs  d'Elie  dans  cette  sainte 
solitude»  l'é Jat  de  leurs  vertus  se  répandit 
bientôt  chez  tous  les  chrétiens;  les  honneurs 
continuels  qu'ils  rendaient  à  la  mère  de 
Dieu  les  faisaient  regarder  comme  des  hom- 
mes spécialement  dévoués  à  son  culte,  et  sus- 
cités par  la  Providence  pour  le  perpétuer, 
malgré  la  fureur  de  l'hérésie  et  du  liber- 
tinage, 

Louis,  que  le  zèle  de  la  religion  fit  sortir 
de  notre  France,  passer  les  mers,  parcourir 
les  saints  lieux,  les  vit  sur  ces  saintes  mon- 
tagnes; il  admira  des  hommes  que  la  fureur 
du  Musulman  et  du  Sarrasin  n'intimidait 
point  :  l'éminence  de  leur  vertu  l'édifia;  et 
s'il  pensa  à  enrichir  les  temples  de  son 
royaume  des  instruments  de  la  passion  du 
Sauveur,  il  pensa  aussi  au  salut  de  ses  peu- 
ples, en  exposant  à  leurs  yeux  les  plus 
grands  modèles  de  la  charité  chrétienne. 

Bientôt,  Messieurs,  ils  passèrent  en  Eu- 
rope, plusieurs  abordèrent  en  Angleterre; 
c'est  là  où  saint  Simon  Stock,  cet  homme  de 
merveilles,  presqu'un  autre  Elie,  du  moins 
un  de  ses  plus  parfaits  discq  les,  les  connut 
et  les  admira. 

Me  voici  au  moment  où  la  dévotion  du 
mont  Carmel,  déjà  si  ancienne,  reçoit  un  nou- 
vel accroissement  de  gloire  :  voilà  les  hon- 
neurs que  ces  saints  religieux  rendent  à  la 
mère  de  Dieu,  depuis  tant  de  siècles,  magni- 
gnifiquement  récompensés.  Cette  reine  des 
anges  visite  le  vénérable  anachorète  de  l'An- 
gleterre; elle  l'enrichit  du  saint  habit  que 
nous  portons,  et  elle  lui  annonce  qu'elle  est 
le  canal  par  lequel  Dieu  veut  bien  faire 
couler  des  trésors  de  grâces  dans  son  Eglise. 
11  n'est  pas  encore  temps  de  m'arrêtera  l'au- 
thenticité de  cette  merveille  :  c'est  un  saint 
qui  en  est  dépositaire;  c'est  un  saint  qui  la 
publie.  Quel  saint,  Messieurs!  écoutez  ce 
que  les  annales  de  l'Eglise  nous  appren- 
nent. 

C'était  un  homme  qui,  dès  sa  plus  tendre 
enfance,  avait  pris  la  route  du  désert  comme 
Jean-Baptiste  ;  qui,  dans  le  plus  épais  d'une 
forôt,  sans  autre  retraite  aue  le  creux  d'un 
arbre  antique  placé  entre  fe  ciel  et  la  terre, 
coulait  des  jours  purs  et  innocents,  honoré 
d'extases,  de  ravissements,  de  communica- 
tions intimes  avec  Dieu  et  sa  sainte  mère. 
Voilà  le  personnage  qui  publie  celte  révéla- 
tion si  honorable  aux  religieux  du  mont 
Carmel,  passés  nouvellement,  dans  l'occident, 
si  consolante  pour  l'Eglise,  et  de  nos  jours  si 
édifiante  pour  les  chrétiens  pieux  et  dociles. 

Or,  Messieurs,  pour  achever  cette   pre- 


PANEGYRIQUES.  —  PANEG.  IX  ,  N.-D.  DE  MONT  CARMEL. 


i~3 

mière  réflexion,  confondre  les  mondains  qui 
raisonnent,  il  ne  faut  que  faire  le  parallèle 
des  uns  et  des  autres ,  des  ennemis  et  des 
défenseurs  du  saint  Scapulaire  :  opposons  à 
ces  discoureurs  orgueilleux,  dont  j'ai  déjà 
tracé  le  portrait,  la  sainteté  des  enfants  d'Elic 
sur  les  montagnes  du  mont  Carmel  ;  la  vie 
édifiante  de  ces  saints  religieux,  passés  dans 
la  suite  des  temps  dans  l'Europe,  et  qui  y 
perpétuent  encore  sous  nos  yeux  le  môme 
zèle  pour  la  gloire  de  Marie.  Le  vénérable 
anachorète  de  l'Angleterre,  que  le  xme  siè- 
cle ne  vit  qu'avec  étonnement,  dont  les  vertus 
étonnèrent  autant  que  les  miracles.  Quelle 
différence!  Mais  s'il  y  a  tant  de  différence 
entre  les  uns  et  les  autres,  je  me  range  du 
côté  des  saints,  les  vertus  qu'ils  ont  pra- 
tiquées, les  miracles  qu'ils  ont  opérés,  les 
honneurs  que  l'Eglise  leur  rend;  tout  cela 
leur  donne  un  poids,  une  autorité,  qui,  en 
fait  de  dévotion,  me  détermine  absolument. 
Je  méprise  les  raisonnements,  les  saillies  et 
tous  les  pompeux  discours  des  mondains, 
dès  que  je  les  compare  avec  ces  hommes 
éminents  en  piété. 

Que  serait-ce  si  j'allais  encore  leur  op- 
poser les  Cyrille,  les  Albert,  les  André  Cor- 
sin,  les  Thérèse,  les  Pierre  Thomas?  Si  je 
les  introduisais  dans  ces  asiles  de  la  plus 
haute  piété,  pour  leur  montrer  ces  épouses 
de  Jésus-Christ,  attachées  continuellement  à 
la  croix,  et  que  le  monde  le  plus  attrayant 
n'a  pu  séduire  ? 

Si  je  parcourais  rapidement  tous  les  dif- 
férents états  de  ce  royaume,  où  on  se  pique 
tant  de  goût,  de  jugement,  n'y  verrait-on  pas 
les  plus  saintes  portions,  dévouées  au  culte 
de  Marie,  et  particulièrement  à  la  dévotion 
du  mont  Carmel?  Mais  s'il  faut  des  saints 
pour  confondre  les  mondains  que  la  religion 
gêne,  il  faut  des  savants  pour  confondre  les 
prétendus  esprits  forts  que  la  religion  révolte. 

J'ai  gémi  plusieurs  fois,  Messieurs,  en 
pensant  aux  prétendus  esprits  forts,  et  bien 
loin  d'ériger  des  trophées  à  leurs  doutes  et  à 
leurs  incertitudes,  j'ai  déploré  en  secret  leur 
faiblesse  et  leur  aveuglement.  Je  m'étonne  de 
la  gloire  qu'ils  s'acquièrent  dans  le  monde; 
si  notre  siècle  était  plus  religieux,  ils  se- 
raient moins  accrédités  :  l'estime  qu'on  en 
fait  déshonore  également  la  piété  et  la  rai- 
son. Examinons-les,  Messieurs,  et  sans  leur 
ravir  la  gloire  de  l'érudition,  faisons  sentir 
le  faible  de  leurs  raisonnements. 

Ce  sont  des  hommes  élevés  dans  le  chris- 
tianisme, instruits  des  mystères  et  nourris 
des  sacrements.  Ils  étaient  dociles  dans  l'en- 
fance, ils  ne  le  sont  plus;  ils  respectaient  la 
religion,  ils  la  combattent  :  pourquoi  ce 
changement?  Allons  au  cœur,  Messieurs,  il 
en  est  la  source  :  ses  penchants  sont  con- 
traires à  la  piété,  on  la  combat  pour  les  sa- 
tisfaire ;  on  critique  le  plan  de  la  religion, 
pour  autoriser  ses  mœurs  licencieuses;  on 
blâme  la  dévotion,  pour  justifier  une  vie 
mondaine;  et  comme  on  rougirait  d'avouer 
qu'on  pèche  par  faiblesse,  on  veut  nous  per- 
suader qu'on  pèche  par  raison. 

Qui  sont-ils,  ces  prétendus  esprits  forts? 


17* 


Que  disent-ils  présentement?  Que  seront-ils 
au  moment  de  la  mort?  Ils  sont  chrétiens  et 
dans  l'Eglise;  mais  pourquoi  ne  l'aban- 
donnent-ils  pas  puisqu'ils  y  trouvent  tant 
d'abus?  Est-il  glorieux  de  déchirer  la  reli- 
gion qu'on  professe  ?  Entend-on  le  maho- 
métan  critiquer  les  rêveries  de  son  pro- 
phète? Les  disciples  des  hérésiarques  ne 
sont-ils  pas  autant  de  zélés  défenseurs  de 
leurs  erreurs?  Pourquoi  des  disciples  de  la 
religion  chrétienne  et  des  enfants  de  l'Eglise 
se  font-ils  une  gloire  d'être  ses  ennemis  et 
de  censurer  ses  pratiques?  Ah!  la  vérité  de 
la  religion  est  trop  sensible  pour  qu'ils  l'a- 
bandonnent; mais  aussi  la  religion  humilie 
trop  leur  orgueil,  et  condamne  trop  solen- 
nellement leurs  vices,  jour  qu'ils  la  res- 
pectent;  s'ils  étaient  moins  corrompus,  ils 
seraient  plus  soumis. 

Que  disent-ils,  Messieurs?  Jai  honte  de 
leurs  raisonnements.  Je  vois  des  hommes 
qui  rougissent,  pour  ainsi  dire,  des  moindres 
impressions  de  la  religion,  qui  luttent  sans 
cesse  contre  les  principes  de  la  raison  et  de 
la  conscience,  qui  s'efforcent  inutilement 
d'étouffer  des  remords  importuns,  et  qui, 
dans  l'impuissance  où  ils  sont  de  calmer  to- 
talement leurs  alarmes,  portent  la  faiblesse 
jusqu'à  réclamer  contre  les  préjugés  de  l'en- 
fance et  de  l'éducation.  Quels  hommes,  Mes- 
sieurs! Si  tous  les  savants  pensaient  comme 
eux,  la  dévotion  ne  serait  que  pour  les 
peuples,  comme  ils  le  disent;  mais  quelle  plus 
grande  faiblesse  que  de  réclamer  d'avance 
contre  les  incertitudes  effrayantes  qui  les  en- 
vironneront au  moment  de  la  mort,  et  dé- 
savouer publiquement  les  sentiments  de  re- 
ligion qu'excitent  les  approches  d'un  moment 
décisif,  et  la  certitude  d'une  autre  vie  !  Tel 
est  le  système  insensé  de  ces  hommes  sin- 
guliers qui  se  font  gloire  de  penser  autre- 
ment que  les  autres;  qui  affectent  de  douter 
de  tout,  pour  ne  se  priver  de  rien.  Tels  sont, 
Messieurs,  les  prétendus  es|  ri-ts  forts  ;  ce 
sont  eux  qui  censurent  la  dévotion  que  je 
prêche  aujourd'hui.  C'est  la  dévotion  du 
peuple,  disent-ils  ;  le  saint  Scapulaire  oc- 
cupe indécemment  sa  piété,  et  le  détourne 
des  grands  objets  de  la  religion  ;  et  moi,  Mes- 
sieurs, je  dis  que  c'est  la  dévotion  des  sa- 
vants, des  monarques,  des  grands.  Voilà  les 
illustres  défenseurs  que  je  leur  oppose. 

Les  savants  dont  je  parle,  Messieurs,  sont 
des  savants  estimés;  les  monarques  que  je 
vais  louer  ont  fait  la  consolation  de  l'Eglise 
par  leur  piété,  et  la  terreur  de  leurs  ennemis 
par  leur  valeur;  la  noblesse  brave  et  guer- 
rière, qui  marche  sur  leurs  traces,  mérite 
nos  respects  et  nos  éloges  ;  des  hommes  si 
fameux  et  si  respectables  donnent-ils  aisé- 
ment dans  des  dévotions  creuses  et  des  su- 
perstitions populaires?  Cependant  la  dévo- 
tion du  mont  Carmel  est  encore  aujourd'hui 
leur  dévotion;  ce  n'est  donc  pas  seulement 
la  dévotion  du  peuple,  comme  on  ose  l'avan- 
cer, mais  la  dévotion  des  serviteurs  de  Maiia 
et  des  catholiques  sincères. 

Ecoutez  ces  beaux  génies,  ils  ont  trop  d'é- 
rudition, de  goût,  de  délicatesse,  pour  don- 


{7S 


OiUTEURS  SACRES.  BALLET. 


176 


ner  dans  des  révélations  aussi  singulières, 
et  des  indulgences  aussi  étendues  que  cel- 
les dont  on  repaît  les  peuples  dans  les  dévo- 
tions du  saint  Scapulaire.  Ne  dirait-on  pas, 
Messieurs,  que  le  saiut  Scapulaire  n'a  pas 
des  défenseurs  infiniment  au-dessus  d'eux 
pour  l'érudition,  la  piété  et  le  rang.  Parais- 
sez, célèbres  universités  de  la  France  et  de 
l'Espagne ,  fameuses  écoles  de  Sorbonne  et 
de  Salamanque,  écoles  consuliées  de  tous  les 
royaumes  du  inonde  !  vous  avez  approuvé 
ces  dévotions  et  ces  indulgences.  Cessera- 
t-on  pour  cela  de  respecter  vos  lumières, 
d'à, imirer  votre  érudition  ,  d'ériger  des  tro- 
phées à  vos  ouvrages  et  aux  grands  hommes 
que  vous  avez  formés  dans  tous  les  siècles. 
Ah!  l'hérésie  seule  condamnée  et  proscrite 
dans  vos  savantes  assemblées,  s'efforcera  en 
vain  d'obscurcir  l'éclat  de  votre  gloire,  et  de 
flétrir  les  lauriers  que  vous  avez  muissonnés 
dans  tous  les  combats  que  vous  avez  soute- 
nus pour  les  intérêts  de  l'Eglise. Nous  oppo- 
serons toujours  avec  confiance  vos  suffrages 
aux  mépris  des  ennemis  du  saint  Scapukure. 

Paraissez,  savante  congrégation  des  rites, 
qui  avez  approuvé  la  dévotion  du  mont  Car- 
mel :  et  vous,  illustre  Bellarmin,  qui  aviez  eu 
l'honneur  d'y  présider ,  j'admire  plus  vos 
talents  que  votre  éminente  dignité.  L'éclat 
de  la  pourpre  romaine  n'a  pas  effacé  l'éclat 
de  vos  vertus  ;  et  vos  travaux  immenses  pour 
l'Eglise  vous  ont  fait  placer  à  côté  de  ces 
.hommes  fameux  qui  ont  combattu  pour  sa 
globe.  Je  sais,  Messieurs,  que  les  protes- 
tant», foudroyés  par  ce  savant  controversiste 
ont  manqué  de  respect  pour  ses  lumières. 
Mais  quel  honneur  pour  lui  de  n'avoir  point 
d'autres  ennemis  que  ceux  de  l'Eglise  !  Je 
n'entreprends  pas  ici,  Messieurs,  de  le  défen- 
dre contre  ces  plumes  téméraires  qui  atta- 
quent les  plus  grands  hommes.  L'horreur 
que  l'Angleterre  a  pour  ses  ouvrages  n'est- 
elle  pas  une  puissante  apologie  ?  il  a  approuvé 
et  soutenu  la  dévotion  que  je  prêche  aujour- 
d'hui. C'est  un  tel  défenseur  que  j'oppose 
aux  prétendus  esprits  forts  qui  la  combat- 
tent. 

Mais  quels  défenseurs  se  présentent  ici  à 
mon  espr.t!  Qu'ils  sont  respectables ,  Mcs- 
s;curs!  Ce  sont  les  majestés  de  la  terre.  La 
dévotion  du  mont  Carmel  est  la  dévotion  de 
nos  glorieux  monarques,  ils  ne  craignent  pas 
d'obscurcir  l'éclat  de  leur  diadème,  en  por- 
tant les  livrées  de  la  mère  de  Dieu;  sous  le 
manteau  royal  j'aperçois  le  saint  Scapulaire  ; 
et  je  puis  dire  aux  plus  hardis  critiques  : 
pourquoi  appelez-vous  la  dévotion  des  sim- 
ples, celle  des  savants  et  des  rois? 

Paraissez  ici,  l'ennemi  de  tous  les  vices, 
le  fléau  des  hérétiques,  la  terreur  des  Maures 
et  des  Sarrasins,  grand  saint  Louis,  qui 
régnez  dans  le  ciel,  après  avoir  régné  dans 
le  cœur  des  Français;  vous  fûtes  toujours 
occupé  de  ce  moment  décisif  où  les  rois 
voient  leurs  trônes,  leurs  sceptres  et  leurs 
couronnes  fuir  devant  eux,  et  disparaître. 
Vous  étiez  saint  quand  vous  avez  cessé 
d'être  grand.  Des  vertus  chrétiennes  avaient 
soutenu  les  vertus  royales j  et  les  religieux 


du  mont  Carmel  passés  en  Europe  sous  votie 
protection  et  par  vos  libéralités,  sont  ce;  mo- 
numents éclatants  de  votre  dévotion  envers 
la  mère  de  Dieu. 

Grand  Henri  1  aussi  instruit  que  les  David 
dans  l'art  des  combats  et  des  batailles,  qui 
méritiez  une  couronne  par  votre  valeur,  si 
elle  n'eût  pas  été  due  à  votre  naissance; 
longtemps  épris  des  charmes  de  l'hérésie, 
vous  écoutiez  les  maîtres  du  mensonge;  les 
ministres  de  la  réforme  vous  paissaient  d'om- 
bres et  de  figures;  alors  vous  n'aviez  que  du 
mépris  pour  les  saintes  pratiques  de  l'Eglise 
romaine.  Quelle  consolation  pour  nous  de 
vous  compter  dans  nos  annales  parmi  les 
fils  aînés  de  l'Eglise  1  Je  vous  oppose  aujour- 
d'hui à  nos  ennemis,  comme  Je  catholique  le 
plus  sincère,  et  un  roi  dévoué  à  la  gloire  du 
mont  Carmel. 

Louis  le  Juste  I  qui  aimiez  la  vertu  et  la 
gloire;  qui  aviez  été  en  personne  attaquer 
l'hérésie  jusque  dans  ses  derniers  retranche- 
ments; que  l'Eglise  vit  à  la  Rochelle,  armé 
du  glaive  royal,  pour  punir  ceux  qui  mé,  r  - 
saient  le  glaive  spirituel,  vous  avez  voulu 
que  votre  dévotion  envers  la  mère  de  Dieu 
fût  celle  de  tous  vos  peuples.  La  France,  en 
s'acquittant  du  vœu  solennel  que  vous  avez 
fait  aux  pieds  des  autels,  apprendra  à  la  pos- 
térité la  plus  reculée,  que  vous  aviez  plus  de 
confiance  dans  ïa  protection  de  la  sainte 
Vierge  que  dans  la  valeur  de  vos  capitaines, 
et  les  forces  de  vos  formidables  armées! 

Louis  le  Grand!  dont  le  règne  fut  un  en- 
chaînement de  victoires  et  de  conquêtes, 
n'avez -vous  pas  surpassé  les  maîtres  du 
monde  par  vos  exploits,  comme  par  la  lon- 
gueur de  vos  jours;  le  seul  Cyrus  a  vieilli 
comme  vous  sous  le  diadème;  mais  vous  seul 
avez  donné  de  l'éclat  à  la  pourpre  même  ;  on 
vous  aurait  admiré  sans  trône  et  sans  cou- 
ronne; votre  piété  savait  réparer  les  fautes 
de  l'humanité;  votre  zèle  pour  la  rebgion  a 
mérité  et  a  reçu  les  pompeux  éloges  dont 
les  souverains  pontifes  comblèrent  autrefois 
le  grand  Constant'n;  quelle  gloire  pour  la 
dévotion- du  mont  Carmel  de  vous  compter 
au  nombre  de  ses  défenseurs;  et  quelle  con- 
fusion pour  ces  hommes  téméra:res  qui,  sans 
l'avoir  jamais  approfondie,  la  resserrent 
dans  une  assemblée  de  simples  et  d'igno- 
rants ! 

Que  dirai-je  de  notre  glorieux  monarque? 
Quelle  gloire  peut  effacer  celle  qu'il  s'ett 
acquise  dans  les  combats  !  Quelle  rapidité 
dans  ses  conquêtes!  A  peine  le  tombeau  qui 
s'était  ouvert  dans  l'ardeur  de  sa  course  est- 
il  fermé  qu'on  le  voit  au  delà  du  Rhin.  Cinq 
villes  soumises  à  son  obéissance  dans  une 
année  publient  sa  valeur  ;  il  moissonne  des 
lauriers  dans  les  sièges  et  les  batailles;  son 
intrépidité  étonne  les  plus  braves;  il  fait 
marcher  devant  sa  face  la  terreur  et  la  mort; 
les  Anglais  fugitifs  s'avouent  vaincus. 

Vous  reconnaissez ,  Messieurs ,  la  valeur 
de  Louis  le  Grand  dans  son  arrière  petit-fils. 
Ne  soyons  pas  étonnés  de  la  voir  briller  dans 
l'unique  héritier  de  son  trône  :  les  délices 
d'une  cour  brillante,  les  tendres  et  augustes 


PANEGYRIQUES.  —  PANEG.  IX,  N.-D.  DE  MONT  CARTEL. 


177 

nœuds  qu'il  vient  de  former  n'ont  pu  retenir 
son  ardeur  guerrière;  les  ennemis  ont  vu 
toute  la  gloire  et  toute  l'espérance  des  Fran- 
çais à  la  tète  de  nos  armées,  et  si  nous  avons 
rendu  au  Seigneur  des  actions  immortelles 
de  grâce,  parce  qu'il  a  attaché  la  victoire  à 
nos  étendards,  nous  ne  devons  jamais  cesser 
de  lui  en  rendre,  parce  qu'il  nous  a  conservé 
un  roi  bien-aimé ,  et  le  successeur  de  sa 
gloire  et  de  sa  puissance.  Quand  je  me  rap- 
pelle, Messieurs,  la  tendre  piété  de  ces  au- 
gustes princes  envers  la  mère  de  Dieu  ;  quand 
je  fais  attention  qu'Us  sont  dévoués  dès  leur 
enfance  à  l'ordre  du  mont  Carmel,  je  rougis 
pour  ces  hommes  téméraires  qui  blâment 
notre  dévotion.  Toutes  ces  majestés  de  la 
terre  qui  se  sont  déclarées  solennellement 
les  serviteurs  de  Marie  ne  les  confondent- 
elles  pas? 

Parlerai-je  encore,  Messieurs,  et  quel  ser- 
viteur de  Marie  vais-je  opposer  à  ces  préten- 
dus esprits  forts?  lui  seul  suffit  pour  les  con- 
fondre. Parlerai-je  du  premier  prince  du 
fang  royal,  que  nous  voyons  présider  à  l'or- 
dre illustre  et  respectable  de  Notre-Dame  du 
mont  Carmel.  Je  n'ai  à  redouter,  en  louant 
la  piété  de  ce  prince,  que  sa  piété  même  : 
des  vertus  moins  solides  souffriraient  de 
plus  longs  éloges  ;  il  n'est  sévère  que  lors- 
qu'on le  loue  :  humble  dans  la  grandeur  du 
trône  dont  il  approche  de  si  près,  pénitent 
dans  les  délices  de  la  cour  où  son  rang  l'o- 
blige de  paraître,  contemplatif  dans  le  tu- 
multe des  affaires  du  royaume  où  les  pensées 
de  l'éternité  le  suivent,  partout  il  s'occupe 
delà  religion  et  partout  la  religion  l'occupe. 
Quel  exemple,  Messieurs  1  Cependant  je  ne 
crains  point  de  le  dire  :  un  prince  moins 
parfait  aurait  plus  d'imitateurs. 

Que  je  me  plairais  encore  à  leur  opposer 
ces  nobles  et  vertueux  chevaliers  qui  célè- 
brent aujourd'hui  avec  tant  de  pompe  et  de 
magnificence  une  fête  qui  chagrine  et  révolte 
ses  ennemis. 

Oui,  Messieurs,  en  leur  disant  que  c'est 
votre  dévotion,  c'est  leur  prouver  que  c'est 
la  dévotion  des  savants,  la  dévotion  des  bra- 
vo, la  dévotion  des  esprits  solides,  la  dévo- 
tion des  grandes  âmes,  la  dévotion  des  catho- 
liques éclairés;  car  vous  réunissez  toutes 
ces  vertus ,  que  dis-je  ?  vous  en  êtes  les  mo- 
dèles. 

Après  tous  ces  illustres  défenseurs  de  la 
dévotion  du  mont  Carmel  que  j'oppose  aux 
prétendus  esprits  forts,  diront-ils  encore  que 
c'est  la  dévotion  du  peuple,  la  dévotion  des 
simples?  Ils  le  diront  et  le  feront  accroire  à 
ceux  qui  ignorent  les  faits  que  je  viens  de 
rapporter,  et  qui  ne  sont  pas  en  état  de  les 
confondre  par  le  parallèle  que  j'achève  en 
opposant  les  catholiques  aux  hérétiques;  car 
s'il  faut  des  saints  aux  mondains  que  la  reli- 
gion gêne,  de  grands  hommes  aux  prétendus 
esprits  forts  que  la  religion  révolte;  il  faut 
des  catholiques  aux  hérétiques  que  la  reli- 
gion proscrit. 

Ouvrons,  Messieurs,  les  annales  de  l'E- 
glise; parcourons  ces  temps  délicats  et  ora- 
geux, où  des  hommes  téméraires  Voulurent 


{73 

altérer  la  foi,  publièrent  de  nouvelles  doc- 
trines ei  ravagèrent  le  troupeau  de  Jé^us- 
Christ.  Examinons  le  génie  des  hérésiarques 
qui  ont  formé  tant  de  sectes  différentes; 
vous  n'en  verrez  pas  un  qui  n'ait  vomi  des 
blasphèmes  contre  Marie,  qui  n'ait  attaqué 
ouvertement  ses  prérogatives;  les  plus  mo- 
dérés se  sont  efforcés  d'affaiblir  son  culte  ; 
ce  sont  les  plaintes  qu'ont  faites  dans  tous  les 
siècles  les  souverains  pontifes,  les  conciles, 
les  Pères,  les  évêques  et  tous  les  peuples 
catholiques.  L'hérétique  le  plus  caché  se 
montre  lorsqu'il  s'agit  des  honneurs  qu'on 
rend  à  la  mère  de  Dieu;  il  se  découvre  mal- 
gré lui. 

Combattre  le  culte  que  l'on  rend  h  Marie; 
mépriser  ses  solennités;  n'oser  s'exprimer 
sur  ses  prérogatives;  éviter  avec  affectation 
certains  termes  que  l'Eglise  a  choisis  et  con- 
sacrés ;  toujours  alarmer  les  peuples  sur  la 
précision  de  la  théologie,  pour  intimider  la 
piété  et  censurer  malignement  les  ex;  res- 
sions  les  plus  belles  et  les  plus  touchantes; 
détourner  les  fidèles  des  associations  ,  des 
congrégations  destinées  à  l'honorer  :  voilà, 
Messieurs,  le  génie  de  l'hérésie. 

Ainsi  vit-on  autrefois  les  Julien  Apostat, 
les  Neslorius,  vomir  des  injures  contre  la 
mère  de  Dieu  :  ja.oux  des  honneurs  publics 
que  l'Eglise  lui  rendit  dès  qu'il  lui  fut  ;  er- 
mis  d'avoir  des  temples,  il  n'y  a  point  d'ar- 
tifices qu'ils  n'aient  employés  pour  lui  ravir 
ses  prérogatives.  A  ces  monstres  que  l'enfer 
avait  suscités,  et  que  Marie  a  terrassés  par 
sa  puissance,  en  ont  succédé  d'autres  dans 
tous  les  siècles,  et  surtout  dans  les  derniers. 
Luther  et  Calvin  ont  paru  sur  la  scène  :  que 
n'ont-ils  pas  dit  sur  le  culte  de  la  sainte 
Vierge?  La  piété  de  nos  pères  en  a  rougi ,  et 
pourquoi  la  nôtre  n'en  rougit-elle  pas?  Car, 
Messieurs,  ce  mépris  des  hérétiques  pour  le 
culte  de  Marie  a  passé  dans  bien  des  ouvra- 
ges qu'on  lit  avec  ardeur,  sous  prétexte  ce 
délicatesse  et  d'exactitude;  des  hommes 
vains  et  rebelles  ont  parlé  aussi  indécem- 
ment qu'eux.  La  résistance  à  l'Eglise  en- 
traîne le  mépris  de  la  mère  de  Dieu  et  des 
saints.  En  voici  la  preuve,  Messieurs  : 

Je  ne  saurais  souffrir,  disait  Luther,  qu'on 
appelle  Marie  dans  les  offices  publics,  l'es- 
pérance et  la  vie  des  chrétiens  :  Ferre  ne- 
queo  ut  Maria  dicatur  spes  etvila;  or,  si  ces 
expressions  tendres  dont  l'Eglise  se  sert  dans 
une  des  antiennes  qu'elle  adresse  à  Marie, 
chagrinaient  Luther,  n'ont-elles  pas  aussi 
excité  l'amertume  de  certains  savants  qui  se 
font  honneur  d'être  dans  l'Eglise?  Qui  de 
nous  n'a  pas  entendu  les  plaintes  amères 
qu'ils  en  ont  faites?  Mais  avançons.  Si  les 
protestants  se  sont  si  fort  déchaînés  contre, 
les  expressions  que  l'Eglise  emploie  ,  ne 
croyez  pas  qu'ils  ménagent  la  dévotion  dû 
mont  Carmel  ;  c'est  pour  eux  une  espèce  de 
scène  qui  se  joue  dans  l'Eglise  romaine,  qui 
les  occupe  ;  elle  a  épuisé  toutes  leurs  re> 
flexions  comiques  ;  mais  j'oppose  à  ces  hom- 
mes rebelles  et  proscrits  l'autorité  des  ca- 
tholiques, avec  des  traits  qui  doivent  eertai- 


179 


ORATEURS  SACRES.   BALLET. 


180 


nement  les  confondre.  Premier  trait  contre 
l'hérésie. 

Montrez-vous,  ennemis  du  saint  Scapu- 
laire,  qui  êtes-vous?  combien  êtes-vous?  de 
quel  poids  êtes-vous  dans  l'Eglise?  Vous  lan- 
cez des  traits,  et  vous  vous  cachez.  N'est-ce 
Las  vous  que  la  religion  proscrit?  Etes-vous 
un  nombre  assez  grand  pour  résister  à  cette 
armée  rangée  en  bataille  que  je  vais  vous 
opposer?  Tenez-vous  un  rang?  Avez-vousun 
caractère  distingué?  Nous  ne  vous  connais- 
sons pour  nos  adversaires  que  depuis  votre 
séparation.  Les  anathèmes  que  l'Eglise  lance 
contre  vous  depuis  si  longtemps  vous  ren- 
dent-ils plus  redoutables?  Vous  avez  fait  de 
beaux  ouvrages ,  mais  ils  sont  condamnés  ; 
vous  êtes  de  grands  hommes,  de  grands  gé- 
nies, mais  vous  êtes  des  enfants  rebelles; 
nous  ne  voulons  pas  vous  ravir  la  gloire  de 
l'éruriition,  mais  nous  blâmons  votre  résis- 
tance. Les  opprobres  que  vous  vous  efforcez 
de  répandre  sur  nos  solennités,  ces  mépris 
que  vous  affectez  lorsqu'il  s'agit  de  la  mère 
(Je  Dieu  et  des  saints,  nous  prouvent  votre 
aveuglement.  Moi  qui  ai  approfondi  les  prin- 
cipes de  la  dévotion  du  mont  Carmel,  qui  ai 
le  bonheur  de  la  respecter  et  d'y  être  associé, 
j'oppose  l'autorité  qui  m'a  fixé  à  la  vôtre. 
Quelle  est  respectable  cette  autorité  et  quelle 
<ioit  bien  vous  confondre  1 

Oui,  Messieurs,  j'oppose  ici  aux  héréti- 
ques qui  censurent  votre  dévotion,  ce  que 
l'Eglise  catholique  a  de  plus  vénérable  :  Ho- 
noré III,  Jean  XXII,  dix-sept  papes  qui  ont 
donné  des  bulles  pour  autoriser  et  accrédi- 
ter la  dévotion  du  mont  Carmel  :  cette  foule 
majestueuse  de  souverains  pontifes  n'est-elle 
d'aucun  poids  ? 

Saint  Augustin  disait  aux  manichéens  : 
Voulez-vous  savoir  ce  qui  me  retient  dans 
l'Eglise  catholique?  C'est  la  succession  des 
souverains  pontifes  à  Rome  depuis  saint 
Pierre  jusqu'à  présent  :  Tenet  me  ab  ipsasede 
Pétri  apostoli  usque  ad  prœsentem  diem  suc- 
ccssio  sacerdotum. 

Quoiqu'il  ne  soit  pas  ici  question  de  dogme, 
ne  pourrais-je  pas,  Messieurs,  d'après  ce 
saint  docteur,  me  servir  des  mêmes  princi- 
pes pour  confondre  nos  adversaires  ?  Ne  pour- 
rais-je pas  leur  dire:  malgré  la  délicatesse, 
l'érudition  et  la  beauté  de  vos  raisonne- 
ments, je  respecte  la  dévotion  du  saint  Sc-apu- 
laire;  je  me  fais  gloire  d'y  être  attaché,  de 
la  prêcher,  de  la  défendre,  parce  que  c'est 
une  dévotion  publique  et  solennelle  dans 
l'Eglise  catholique;  je  l'approuve,  parce  que 
dix-sept  souverains  pontifes  l'ont  approuvée. 
De  quelque  couleur  que  l'hérésie  se  serve 
pour  obscurcir  la  gloire  du  saint  siège,  on 
respectera  toujours  une  semblable  autorité. 

Que  serait-ce,  Messieurs,  si  j'opposais  en- 
core tous  les  évoques  catholiques,  tous  les 
peuples  soumis  aux  décisions  de  l'Eglise? 
car  ce  sont  là  les  défenseurs  du  culte  de 
Marie.  Tous  les  catholiques  se  sont  toujours 
distingués  par  les  honneurs  éclatants  qu'ils 
ont  rendus  à  la  mère  de  Dieu,  comme  les 
ennemis  de  l'Eglise  se  sont  toujours  distin- 
gués par  le  mépris  qu'ils  ont  fait  de  ses  pré- 


rogatives et  de  ses  solennités,  tout  les  ré- 
volte, tout  les  chagrine  dans  les  usages  et 
les  prat'ques  de  l'Eglise  romaine.  Quelle 
gloire,  Messieurs,  pour  la  dévotion  du  mont 
Carmel,  de  n'avoir  pour  ennemis,  aussi  bien 
que  le  saint  siège,  que  ceux  même  qu'il  con- 
damne et  proscrit.  Second  trait  contre  l'hé- 
résie. 

La  solennité  du  saint  Scapulaire  révolte 
les  protestants;  une  pareille  fête  ne  devrait 
pas,  selon  eux,  se  célébrer  dans  l'Eglise. 

Et  mai,  Messieurs,  je  leur  demande  pour- 
quoi ils  voudraient  la  supprimer?  Est-ce 
pour  retracer  à  nos  yeux  ce  qui  s'est  passé 
dans  le  temps  du  schisme  en  Angleterre? 

On  vit  cette  nouvelle  Eglise  si  délicate  sur  le 
culte  supprimer  lés  fêtes  établies  en  l'honneur 
de  Marie,  et  en  fixer  une  au  7  septembre  en 
l'honneur  de  la  reine  Elisabeth:  les  temples 
ne  retentissaient  |  lus  après  les  offices  des  an- 
tiennes que  l'Eglise  adresse  à  la  mère  de 
Dieu;  mais  ils  retentissaient  des  louanges 
qu'ils  y  donnaient  publiquement  à  cette 
princesse.  Voyez ,  Messieurs,  quels  excès 
suivent  le  schisme  :  il  suffit  qu'une  dévotion 
soit  approuvée  par  l'Eglise  pour  être  mépri- 
sée par  les  hérétiques  que  je  combats.  Si  je 
transférais  le  culte  que  je  rends  à  Marie,  à 
quelque  héros  de  leur  parti,  ils  m'approuve- 
raient; si  je  rejetais  le  saint  Scapulaire  pour 
me  munir  de  quelques  reliques  de  leur 
goût,  ils  me  prodigueraient  aussitôt  les  épi- 
thètes  les  plus  riches,  je  serais  un  savant 
pieux  et  éclairé. 

Non,  Messieurs,  ce  n'est  pas  par  la  cra;nte 
des  abus  qu'ils  nous  censurent;  ils  connais- 
sent la  pureté  et  l'exa:  titude  de  notre  culte, 
mais  par  chagrin,  par  un  sentiment  de  secte. 

Je  me  flatte,  Messieurs,  de  vous  avoir  dé- 
veloppé le  caractère  des  ennemis  fie  la  dé- 
votion du  mont  Carmel,  et  d'avoir  parlé 
d'une  manière  propre  à  les  confondre  s'ils 
m'écoutaient;  mais  comme  ces  ennemis  font 
des  objections,  il  faut  les  détruire.  J'ai  con- 
fondu les  ennemis  de  la  dévotion  du  mont 
Carmel  parle  parallèle  que  j'en  ai  fait  avec 
ses  illustres  défenseurs;  je  vais  détruire 
leurs  objections  par  les  règles  mêmes  de 
l'Eglise  qu'ils  croient  violées  ou  méprisées; 
c'est  le  sujet  de  la  seconde  partie. 

SECOXDE   PARTIE. 

Les  ennemis  de  la  dévotion  du  montCar- 
mel  ne  veulent  point  passer  pour  les  enne- 
mis du  culte  de  Marie;  s'ils  n'osent  s'expli- 
quer sur  ce  que  l'Eglise  a  décidé,  ils  se  sou- 
lèvent avec  zèle  contre  les  prétendus  abus 
qui  se  sont  glissés  dans  ses  dévotions  et  ses 
solennités;  ils  combattent  ouvertement;  ils 
s'expliquent  obscurément. Ecoutez-les, Mes- 
sieurs, lorsqu'il  s'agit  du  saint  Scapulaire. 

Dans  cetle  dévotion,  disent-ils,  on  attri- 
bue trop  de  puissance  à  Marie;  on  flatte  trop 
les  pécheurs;  on  donne  trop  aisément  dans 
les  révélations  et  le  merveilleux.  Voilà  leurs 
objections.  Ne  dirait-on  pas,  Messieurs,  qu'ils 
nous  tracent  ici  le  portrait  de  ces  dévotions 
superstitieuses,  qui  naissent  dans  l'erreur, 
qui  séduisent  les  peuples,  contre  lesquelles 


«81  PAJSEGYRiQEES. 

tous  les  évêques  réclament,  et  que  l'Eglise 
'proscrit  ?  Je  ne  pourrais  pas  mieux  le  carac- 
tériser. Mais  les  trouve-t-oti,  ces  abus  que 
Terreur  enfante,  et  que  la  résistance  perpé- 
tue dans  la  dévotion  de  mont  Carmel?  Non, 
Messieurs,  les  honneurs  qu'elle  rend  à  Marie 
sont  conformes  à  la  doctrine  de  l'Eglise  ;  les 
promesses  qu'elle  fait  aux  pécheurs  ne  dé- 
truisent point  la  sévérité  de  l'Evangile,  ni  les 
règles  de  la  pénitence.  Elle  ne  s'est  point 
établie,  étendue  contre  l'ordre  des  pasteurs 
légitimes;  c'est  une  dévotion  éclairée,  utile, 
autorisée. 

Prouver,  Messieurs,  ces  trois  circonstan- 
ces, n'est-ce  pas  détruire  les  objections  des 
ennemis  du  saint  Scapulaire  par  les  règles 
mêmes  de  l'Eglise  qu'ils  croient  violées  ou 
méprisées? 

Rien  de  plus  religieusement  et  de  plus 
exactement  observé,  Messieurs,  dans  notre 
culte  et  dans  nos  solennités,  que  la  règle  de 
la  foi.  Nous  avons  toujours  désavoué  les  abus 
que  Je  peuple  y  a  introduits.  L'Eglise  sage 
et  attentive  a  toujours  réclamé  contre  :  elle 
n'a  vu  qu'avec  douleur  ses  mystères,  ses  sa- 
crements, ses  fêtes,  ses  fonctions  déshonorés, 
et  quelquefois  profanés  par  l'ignorance  ou  la 
cupidité  de  ses  enfants  ;  elle  a  vu.  les  avanta- 
ges que  ses  ennemis  en  tiraient,  elle  s'est 
expliquée  dans  les  conciles.  Elle  a  distingué 
dans  ses  prières  les  plus  communes  le  culte 
du  souverain  Etre  de  celui  qu'elle  rend  aux 
justes  qu'il  a  couronnés;  elle  a  toujours  re- 

f fardé  Dieu  comme  le  principe  des  grâces,  et 
es  saints  comme  les  canaux  par  où  il  voulait 
bien  les  faire  couler  jusqu'à  nous;  et  quand 
elîe  s'adresse  à  Marie  même,  dans  les  plus 
saints  transports  de  sa  piété,  elle  n'emploie 
que  la  voie  d'intercession.  Telle  est  son  exac- 
titude surle  culte  ;  telle  est  la  doctrine  qu'elle 
enseigne  à  ses  enfants  ;  mais  elle  ne  pousse 
pas  sa  délicatesse  jusqu'à  alarmer  les  fidèles 
sur  les  expressions  tendres  de  la  piété,  et 
c'est,  Messieurs,  cette  tendre  piété  de  l'Eglise 
qui  soulève  les  ennemis  de  notre  dévotion 
envers  la  mère  de  Dieu:  écoutez-les,  je  vous 
prie. 

Nous  sommes  coupables  dans  les  louanges 
que  nous  donnons  à  Marie  :  coupables  dans 
les  prières  que  nous  récitons,  coupables  dans 
les  termes  que  nous  employons;  nos  louan- 
ges sont  outrées,  nos  prières  présomptueuses, 
lés  termes  dont  notre  dévotion  tendre  se 
sert,  peu  conformes  à  la  précision  delà  théo- 
logie. 11  fallait  donc,  Messieurs,  ces  grandes 
lumières,  pour  faire  connaître  à  l'Eglise  les 
erreurs  qu'elle  tolère  depuis  plus  de  cinq 
cents  ans  dans  la  dévotion  du  mont  Carmel. 
Seraient-ils  si  délicats,  Messieurs,  sur  les  ex- 
pressions s'ils  honoraient  véritablement  la 
sainte  Vierge?  Maisquelle  gloire  pour  nous, 
et  quelle  honte  pour  eux,  si  je  leur  montre 
que  nous  marchons  sur  les  traces  des  plus 
zélés  défenseurs  de  la  saine  doctrine;  si  je 
prouve  que  l'Evangile  justifie  les  louanges 
que  nous  adressons  à  Marie;  les  conciles  gé- 
néraux et  les  plus  beaux  monumentsde  l'his- 
toire de  l'Eglise,  les  prièresque  nous  récitons; 
saint  Augustin,  le  grand  Augustin,  les  ex- 


PANEG.  IX ,  N.-D.  DE  MONT  CARMEL. 


182 


pressions  que  notre  piété  emploie  !  Or,  Mes- 
sieurs, c'est  ce  qu'une  simple  exposition  va 
vous  démontrer.  Je  ne  sors  point,  comme 
vous  voyez,  de  la  vénérable  antiquité,  pour 
prouver  que  nous  n'attribuons  pas  trop  de 
puissance  à  Marie  dans  notre  culte,  et  dé- 
truire la  première  objection  de  nos  ennemis. 

Oui,  Messieurs,  l'Evangile,  ce  livre  divin, 
justifie  les  louanges  que  nous  donnons  à  Ma- 
rie ;  lui  seul  la  loue  avec  la  magnificence  qui 
lui  convient;  il  nous  fait  connaître  notre  im- 
puissance lorsque  nous  entreprenons  de  la 
louer;  il  nous  force  d'avouer  avec  saint  Ber- 
nard, que  les  éloges  les  plus  pompeux  sont 
au-dessous  d'elle;  et  qu'il  n'appartient  qu'à 
Dieu  seul  de  louer  dignement  le  chef-d'œu- 
vre desa  puissance. 

Je  ne  parle  point  du  sang  illustre  qui  a 
coulé  dans  ses  veines,  de  ces  patriarches,  de 
ces  prophètes,  de  ces  rois  d'Israël  et  de  Juda, 
de  ces  pontifes  qu'elle  compte  parmi  ses  an- 
cêtres, de  ce  trône  éclatant  qu'Hérode  lui 
avait  usurpé;  ce  sont  là  les  grandeurs  de  la 
terre  auxquelles  ou  donne  souvent  des  louan- 
ges ou#ées;  mais  je  dis  aussi  avec  l'Evangile; 
c'est  la  mère  de  Jésus  :  de  quu  notas  est  Jé- 
sus. [Mat th.,  I.)  Or,  Messieurs,  peut-on  en- 
chérir sur  ces  paroles,  et  toutes  les  expres- 
sions les  plus  magnifiques  que  la  piété  peut- 
avoir  épuisées  pour  louer  Marie,  ne  sont- 
elles  pas  au-dessous  de  celles  de  l'Evangile  : 
Quand  on  est  véritablement  persuadé  que  la 
sainte  Vierge  est  absolument  mère  de  Dieu, 
craint-on  d'être  outré  dans  les  louanges  qu'on 
lui  donne? 

Quand  je  parle  des  saints,  de  ces  fameux 
héros  de  la  religion,  qui  ont  paru  comme 
des  astres  brillants,  de  ces  élus  que  Dieu  a 
conduits  d'une  manière  si  admirable  et  si 
mystérieuse  ;  qu'on  a  vus  comme  des  pro- 
diges sur  la  terre,  et  qui  ont  effacé  la  gloire 
des  empires  par  l'éclat  de  leurs  vertus,  et 
les  effets  merveilleux  de  leur  puissance  :  je 
parle  simplement  d'une  certaine  portion 
de  grâces  qui  les  a  prévenus,  sanctifiés  et 
élevés  en  gloire;  mais  quand  je  parle  de 
Marie,  je  dis  qu'elle  a  reçu  toute  la  pléni- 
tude de  la  grâce,  et  qu'elle  possédait  avec 
abondance  ce  qui  n'a  été  donné  aux  autres 
qu'avec  réserve  :  gratia  plena  (Luc,  I.)  Les 
louanges  que  je  donne  à  Marie  doivent  donc 
être  différentes  de  celles  que  je  donne  aux 
saints. 

Je  pourrais,  il  est  vrai,  louer  trop  les 
saints,  mais  je  ne  pourrais  jamais  assez  louer 
Marie  ;  et  si  je  reconnais  avec  le  Prophète 
que  Dieu  est  admirable  clans  ses  élus,  ne 
dois-je  pas  reconnaître  qu'il  est  au-dessus 
de  nos  pensées  lorsqu'il  s'agit  de  la  sainte 
Vierge. 

Quand  je  parle  des  prérogatives  de  Marie, 
de  ses  privilèges  singuliers,  de  ces  dons 
éminents  qui  la  distinguent  des  hommes  et 
des  anges  mêmes;  quand  j'avance  qu'elle  est 
la  gloire  de  son  sexe,  et  qu'elle  a  reçu  plus 
de  faveur  de  son  Dieu  que  toutes  les  créatu- 
res ensemble,  je  parle  encore  d'après  l'Evan- 
gile :  benedicta  lu  inter  muliercs.  (Ibid.)  Oui, 
Messieurs,  que  la  piété  la  plus  tendre  s'ef- 


4S3 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


1S4 


force  tant  qu'elle  -voudra,  les  louanges  qu'elle 
donnera  à  Marie  seront  toujours  au-dessous 
de  celles  qui  lui  conviennent  ;  pourquoi  donc 
nos  ennemis  les  appellent-ils  des  louanges 
outrées? 

Je  passe,  Messieurs,  au  concile  d'Ephèse, 
ce  beau  monument  de  l'histoire  de  l'Eglise, 
pour  nous  justifier  sur  les  prières  que  nous 
récitons.  Je  sais,  Messieurs,  ce  que  les  pro- 
testants, et  les  critiques  qui  marchent  sur 
leurs  traces,  pensent  et  disent  sur  ce  concile, 
et  le  grand  saint  Cyrille  qui  y  présida  ;  et  je 
n'en  suis  pas  étonné,  puisque  tous  les  Pères 
qui  le  composaient  étaient  autant  de  zélés 
défenseurs  des  prérogatives  de  Marie,  et 
d'ennemis  déclarés  de  l'impie  Nestorius.  Us 
ne  respectent  l'autorité  des  conciles  que 
lorsqu'elle  n'existe  point  ;  mais  ce  n'en  est 
pas  moins  le  plus  beau  triomphe  que  Jésus- 
Christ  ait  procuré  à  sa  mère.  C'est  dans  cette 
majastuouse  assemblée,  Messieurs,  que  l'E- 
glise composa  cette  excellente  prière  que  l'on 
a  ajoutée  aux  paroles  de  l'ange,  qui  an- 
nonça à  Marie  l'ineffable  mystère  de  l'incar- 
nation ;  prière,  Messieurs,  dans  laquelle  elle 
est  déclarée  solennellement  mère  de  Dieu, 
mater  Dei;  et  dans  laquelle,  aussi,  bien  que 
dans  les  promesses  faites  aux  confrères  duSca- 
pulaire,  les  Pères  du  concile  implorent  sa 
puissante  protection  au  moment  décisif  de  la 
mort.  Or,  Messieurs,  si  toutes  les  prières 
que  nous  récitons  ne  sont  pas  plus  fortes 
que  celle  qui  a  été  composée  par  les  Pères 
du  concile  d'Ephèse,  pourquoi  dire  qu'elles 
sont  présomptueuses? 

Que  je  me  plairais  à  vous  représenter  ici 
la  tendre  piété  du  peuple  d'Ephèse  pour  la 
sainte  Vierge  ;  cette  sainte  impatience  avec 
laquelle  il  attend  aux  portes  du  concile  les 
décisions  de  l'Eglise;  cette  pieuse  allégresse 
lorsqu'il  apprend  que  Nestorius  a  été  con- 
damné, et  que  les  plus  belles  prérogatives 
de  Marie  ont  été  reconnues  ;  ces  actions  de 
grâces,  ces  acclamations,  ces  fêtes  solennel- 
les, ces  feux  do  joie  1  Jamais,  Messieurs,  les 
hérétiques  ne  gagneront  les  fidèles  en  se  sou- 
levant contre  Marie. 

Paraissez  ici,  grand  Augustin,  pour  nous 
justifier  sur  les  termes  dont  notre  piété  ten- 
dre se  sert.  L'Eglise  vous  a  couronné  de  sa 


l'Eglise 


n'est  pas  sujette  à  la  précision  d'une  exacte 
théologie.  Non,  Messieurs; mais  on  ne  vent 
pas  avouer  que  c'est  par  goût  qu'on  combat 
la  dévotion  à  la  sainte  Vierge. 

Je  ne  choisis  pas,  comme  vous  voyez, 
Messieurs,  les  Pères  de  l'Eglise  qui  ont  con- 
sacré presque  tous  leurs  ouvrages  au  culte 
de  la  mère  de  Dieu,  les  Ambroise,  les  An- 
selme, les  Bernard;  nos  ennemis  pourraient 
les  appeler  des  dévots  outrés  de  Marie;  mais 
celui  que  les  chefs  mêmes  des  protestants 
citaient  avec  tant  d'ostentation,  et  respec- 
taient si  fort  en  apparence.  Oui,  Messieurs, 
notre  dévotion  est  une  dévotion  é  .lairée,  une 
dévotion  utile,  et  je  détruis  les  objections 
de  nos  ennemis  par  les  règles  de 
même  qu'ils  croient  violées  ou  méprisées 

C'est  ici,  Messieurs,  que  les  ennemis  de 
la  dévotion  du  mont  Carmel  paraissent  avec 
un  air  de  triomphe  :  c'est  ici  qu'ils  parais- 
sent animés  d'un  saint  zèle  pour  la  sévérité 
de  la  pénitence  :  les  magnifiques  promes- 
ses faites  par  la  mère  de  Dieu  au  vénéra- 
ble solitaire  de  l'Angleterre,  l'étendue  des 
indulgences  accordées  par  les  souverains 
pontifes  les  alarment;  ils  y  trouvent  un  style 
de  fiction  et  une  fiction  si  b'en  imaginée, 
qu'elle  séduit  non-seulement  les  peu]  les, 
mais  les  princes,  les  évoques,  les  papes, 
toute  l'Eglise;  eux  seuls  se  sont  garantis 
du  charme  du  merveilleux.  Ecoutez-les, 
Messieurs,  ils  ne  laissent  échapper  aucun 
mot.  On  fait  des  promesses  magnifiques,  di- 
sent-ils,  aux  confrères  du  Scapulaire,  mais 
dans  ces  promesses  il  n  est  point  parlé  d'aus- 
térités, de  pénitence,  de  mortification  ;  on 
élargit  la  voie  étroite  :  on  rend  la  conquête 
du  ciel  douce  et  facile  :  cet  habit  seul,  si  on 
en  croit  la  révélation,  est  une  assurance  du 
salut,  signum  salulis  .-une  marque  certaine 
delà  prédestination  éternelle,  fœdus  pacti 
sempiterni  :  que  des  hommes  de  chah"  cou- 
lent leurs  jours  dans  le  crime,  et  perpétuent 
leurs  désordres  jusqu'au  dernier  moment  do 
leur  vie,  le  Scapulaire  les  préservera,  des 
feux  vengeurs  préparés  à  ceux  qui  meurent 
dans  le  péché  :  la  mort,  quoiqu' accompagnée 
du  crime,  n'effrayera  pas  les  dévots  du  mont 
Carmel  :  In  guo  quis  moriens  œternum  non 
paiietur  incendium  ;  n'étendent-ils  pas,  ajou- 


propremain;  tous  les  catholiques  ont  érigé     tent-ils,   ces  indulgences  et  ces  promesses 


des  trophées  à  vos  ouvrages;  et  les  héréti- 
ques mêmes  se  sont  servis  de  votre  nom 
comme  d'un  puissant  rempart  contre  les 
coups  qui  menaçaient  ou  frappaient  leurs 
erreurs.  Pourquoi  dans  votre  dix-huitième 
sermon  sur  les  saints,  votre  piété  emploie-t- 
elle  des  termes  peu  conformes  à  la  précision 
de  la  foi?  Lorsque  vous  implorez  le  secours 
de  la  sainte  Vierge,  ne  pouvait-on  pas  aussi 
vous  accuser  do  regarder  Mario  comme  la 
source  et  le  principe  delà  grâce?  car  ces  ex- 
pressions dont  vous  vous  servez  avec  tant 
de  confiance,  juva,  succurre,  semblent  ex- 
clure la  voie  d'intercession  ;il  n'y  en  a  point 
de  plus  fortes  dans  toutes  les  prières  ôcs 
confrères  du  Scapulaire  :  pourquoi  donc  les 
accusert-on  de  manquer  de  lumière  et  d'exac- 
titude? On  n'ignore  pas  que  la  piété  tendre 


flatteuses  jusqu'au  oelà  du  tombeau?  ils  sa- 
vent précisément  le  jour  que  Marie  doit  dé- 
rober au  domaine  de  Dieu  les  âmes  qui  sont 
sorties  dece  monde  redevables  à  sa  justice. 
De  telles  révélations,  de  telles  indulgences 
ne  flattent-elles  pas  trop  les  pécheurs? 

Je  ne  crois  pas,  Messieurs,  qu'un  protes- 
tant puisse  faire  une  plus  forte  objection. 
Cependant  je  me  flatte  de  la  détruire,  et  de 
vous  prouver  que  dans  ces  promesses  si 
magnifiques,  que  dans  ces  indulgences  si 
étendues,  il  n'y  a  rien  de  contraire  aux  rè- 
gles de  l'Eglise  et  à  la  sévérité  de  la  péni- 
tence. Deux  principes  certains  vont  le 
prouver. 

Ces  promesses  vous  étonnent,  et  moi  j'  m 
trouve  de  plus  étonnantes  dans  l'Evangile, 
Entendez-les  dans  le  même  ?ens,  et  les  taf- 


185 


PANEGYRIQUES.  —  PANEG.  IX,  N.-D.  DE  MOT  CARMEL. 


lf,G 


flcultés  disparaîtront;  ces  indulgences  vous 
révoltent.  Laites  attention  aux:  condit'ons 
nécessaires  pour  en  profiter,  et  vous  ne  serez 
plus  effrayés.  Si  on  était  sincère,  on  serait 
bientôt  soumis. 

Ces  promesses  du  salut,  ce  gage  de  la 
gloire,  ces  ressources  à  la  mort,  toutes  ces 
grâces  promises  aux  confrères  du  Scapulaire 
supposent,  Messieurs,  une  vie  innocente, 
une  obéissance  exacte  à  la  loi  de  Dieu.  C'est 
dans  ce  sens  que  l'Eglise  l'entend;  c'est 
dans  ce  sens  que  nous  l'entendons  ;  c'est 
sur  ce  principe  que  nous  annonçons  au  peu- 
ple ces  promesses  magnifiques  qui  alarmei  t 
si  fort  nos  ennemis.  Si  nous  les  faisions  à 
ces  hommes  qui  coulent  leurs  jours  dans  le 
crime,  qui  violent  les  lois  sacrées  du  Sei- 
gneur, nous  serions  des  téméraires  et  des 
séducteurs. 

Les  saints  docteurs,  qui  ont  assuré  qu'il 
était  impossible  qu'  un  vrai  serviteur  de 
Marie  pérît  éternellement,  n'ont  pas  voulu 
renfermer  toutes  les  obligations  du  chrétien 
dans  la  dévotion  à  la  mère  de  Dieu. 

Ecoutez,  Messieurs,  le  grand  Simon  Stock, 
lorsqu'il  annonce  à  ses  frères  les  promesses 
magnifiques  que  la  sainte  Vierge  lui  a  faites 
immédiatement.  Voyez  si  les  saints  pren- 
nent le  change,  et  si  ies  plus  grandes  faveurs 
sont  capables  de  ralentir;  leur  pénitence. 

Mes  frères,  leur  dit-il,  voilà  des  promesses 
bien  consolantes  ;  mais  elles  supposent  en 
nous  une  saintet'é  de  vie  qui  réponde  à  ces 
faveurs  singulières;  opérez  toujours  votre 
salut  avec  crainte  et  tremblement.  Le  Scapu- 
laire ne  décharge  d'aucun  devoir  de  la  reli- 
gion ;  aucontraire,  il  en  impose  un  nouveau, 
c'est  d'être  plus  parfait  que  les  autres.  Vous 
voyez  ici,  Messieurs,  le  premier  esprit  des 
religieux  du  mont  Carmel  ;  il  ne  détruit 
point  les  règles  de  l'Eglise  :  ce  môme  esprit 
a  toujours  arrimé  les  serviteurs  de  Marie. 
Ces  promesses  magnifiques  supposent  les 
devoirs  essentiels  au  salut. 

Ecoutez,  Messieurs,  différents  oracles  de 
Jésus-Christ  dans  l'Evangile  :  ce  sont  des 
promesses  magnifiques  qui  semblent  assurer 
le  salut,  indépendamment  des  œuvres  né- 
cessaires, selon  les  règles  de  la  foi  :  tantôt 
Jésus-Christ  nous  donne  pour  des  prédes- 
tinés eeux  qui  entendent  sa  parole  :  qui  ex 
Deo  est,  veroa  Dci  audit  (Juan.,  VIII)  ;  tantôt 
il  semble  nous  faire  entendre  qu'il  suffit  de 
croire  pour  être  sauvé  :  qui  crediderit,  sa'va- 
bitur;  tantôt  il  promet  de  se  réconcilier  avec 
nous,  si  nous  nous  réconcilions  avec  nos 
frères,  dimittiléct  diirdtteturvobis.  (Luc.,\l.) 

Or,  Messieurs,  ces  promesses,  toutes  ma- 
gnifiques qu'elles  sont  et  sorties  delà  bou- 
che d'u,n  Dieu,  ne  supposent-elles  point 
d'autres  devoirs?  Tirera-t-on  ces  consé- 
quences affreuses  qu'il  suffit  d'entendre  un 
sermon,  de  croire  toutes  les  vérités  révélées, 
de  faire  l'aumône,  de  pardonner  une  injure 
pour  être  sauvé?  Cependant  je  pourrais  trer 
ces  conséquences  (ies  promesses  de  l'Evan- 
gile; on  en  aurait  ho;rcur  :  pourquoi  les 
'  faire  sonner  si  haut  lorsqu'il  s'agit  de  la  dé- 
votion ciu  mont  Carmel? 


Qu'on  ne  dise  pas  que  les  peuples  sim- 
ples et  ignorarrts  ne  raisonnent  pas  a:nsi  : 
que  ces  promesses  les  flattent  et  les  sédui- 
sent, et  qu'ils  abandonnent  l'essentiel  de  la 
religion;  les  ennemis  du  Scapulaire  }  eu- 
vent-ils  ignorer  que  ces  indulgences  si 
étendues,  et  qui  les  révoltent  tant,  n'ont  ja- 
mais été  annoncées  sans  les  avis  nécessaires 
pour  en  profiter?  On  a  toujours  averti  les 
fidèles  qu'elles  ne  détruisaient  point  la  sé- 
vérité de  la  pénitence.  Ecoutez,  Messieurs, 
les  souverains  porrtiles. 

Nous  n'accordons,  disent-ils,  ces  indul- 
gences si  étendues,  nous  ne  promettons  la 
protection  de  la  mère  de  Dieu ,  qu'à  ceux 
qui  ont  une  véritable  contrition,  et  qui  con- 
fessent avec  sincérité  tous  leurs  péchés  : 
vere  centrilis  et  cenfessis  :  voilà  une  condi- 
tion essentielle  ;  où  sont-elles  donc  ces  pro- 
messes flatteuses  qui  détruisent  la  sévérité 
de  la  pénitence?  Où  sont-ils  donc,  ces  ]  é- 
cheurs  que  l'on  flatte,  que  l'on  dispense  des 
règles  de  l'Eglise?  Que  ceux  qui  font  ces 
objections  disputent  à  l'Eglise  le  pouvoir 
d'accorder  des  indugences,  ou  qu'ils  avouent 
qu'ils  ignorent  ce  que  c'est  qu'une  véritable 
contrition. 

Si  l'Eglise  a  le  pouvoir  d'imposer  des  ri- 
gueurs, et  d'accorder  des  indulgences  com- 
me tous  les  saints  docteurs,  et  les  conciles 
en  conviennent,  on  ne  peut  donc  s'alarmer 
que  sur  les  conditiorrs  qu'elle  exige.  Or,  la 
plus  sainte,  la  plus  conforme  à  l'esprit  de  la 
primitive  Eglise,  n'est-ce  pas  la  contrition? 
Le  souverain  pontife  en  demande  une  sin- 
cère, pour  mériter  les  indulgences  accordées 
à  l'ordre  du  mont  Carmel  :  il  ne  délruit  donc 
point  la  sévérité  de  la  |  énilence.  Il  y  a  des 
indulgences  très-étendrres  :  mais  pour  qui? 
Pour  ceux  qui,  prosternés  aux  pieds  des  mi- 
nistres de  la  réconciliation,  détestent  leurs 
péchés,  les  pleurent,  les  confessent  et  se 
soumettent  à  la  pénitence  qu'on  leur' impose  : 
vere  rontritis  et  confessis. 

J'ai  dit,  Messieurs,  que,  dans  la  dévotion 
du  mont  Carmel,  on  ne  diminuait  rien  de  la 
sévérité  de  la  pénitence,  en  voici  une  preuve 
sans  réplique. 

Que  peuvent  désirer  les  confesseurs  les 
plua  sévères,  ceux  même  qui,  pour  suivre- 
un  système  particulier,  multiplient  tant  les 
degrés  de  la  pénitence?  une  vraie  contrition. 
C'est  pour  s'en  assurer  qu'on  ne  précipite 
pas  la  grâce  de  l'absolution ,  et  qu'on  a  re- 
cours àue  salutaires  délais  :  on  suitdoneces 
maximes  sévères  de  la  pénitence,  dans  les 
indulgences  qu'on  accorde  aux  fidèles,  puis- 
qu'on n'en  promet  les  salutaires  effets  qu'à; 
ceux  qui  sor.t  sincèrement  contrits,  vere- 
ccnlritis.  Qu'on  ne  dise  donc  plus  qu'on 
flatte  trop  le  pécheur;  un  homme  contre 
n'est  plus  simplement  un  pécheur,  c'est  un 
pénitent.  Mais  achevons,  Messieurs,  détrui- 
sons la  dernière  objection;  ne  craignons 
point  l'examen  des  merveilles  que  nous 
prêchons,  elles  sont  autorisées  par  l'Eglise  : 
noub  nous  conformons  à  sa  doctrine  dans  les 
honneurs  que  nous  rendons  à  Marie,  nous 
ne  détruisons  point  sa  sainte  sévérité,  dans 


187 


ORATEURS  SACRES.  CALLET. 


483 


les  promesses  q  :e  nous  faisons  au  pécheur  : 
el  c'est  sous  ses  ordres  que  nous  formons 
ces  pieuses  assemblées;  notre  dévotion  est 
une  dévotion  autorisée. 

Qu'est-ce  qu'une  dévotion,  Messieurs, 
qui  n'est  pont  autorisée?  C'est  une  dévo- 
t  on  du  goût  du  peuple,  imaginée  par  le 
peuple,  soutenue,  accréditée  par  le  peuple  : 
c'est  un  certain  merveilleux  qui  n'existe 
que  dans  l'imagination  échauffée  de  certai- 
nes personnes  sans  nom,  sans  autorité,  sans 
lumières  :  c'est  un  culte  proscrit  par  l'Egli- 
se, contre  lequel  tous  les  évoques  ré  binent. 

Les  annales  de  l'Eglise  nous  fournissent 
des  exemples  fameux  de  ces  dévotions  du 
peuple,  elles  nous  apprennent  qu'elles  de- 
vaient leur  naissance  quelquefois  à  l'impos- 
ture, quelquefois  à  l'adresse  des  hérétiques, 
quelquefois  au  zèle  indiscret  de  certains 
dévots  ignorants  :  il  n'a  pas  fallu  moins  que 
le  zèle  des  plus  grands  évêques,  pour  dissi- 
per ces  sacrilèges  abus,  etôter  les  opprobres 
qu'ils  avaient  répandus  sur  la  religion. 

Qu'est-ce  qu'une  dévotion  autorisée,  Mes- 
sieurs? C'est  une  dévotion  conforme  à  la 
doctrine  de  l'Eglise,  adoptée  par  l'Eglise, 
soutenue,  recommandée  par  l'Eglise,  contre 
laquelle  aucun  évêque  catholique  ne  ré- 
clame. Telle  est,  Messieurs,  la  dévotion  du 
mont  Carmel  que  je  prêche  aujourd'hui. 

La  voix  de  l'Eglise  a  précédé  la  voix  des 
miracles  :  les  miracles  nous  annoncent  sa 
grandeur  :  l'Eglise  nous  annonce  son  au- 
thenticité :  la  voix  de  l'Eglise  nous  garantit 
la  voix  des  miracles. 

Ecoutons-la  donc,  Messieurs,  cette  voix  de 
l'Eglise  qui  annonce  et  publie  la  dévotion 
du  mont  Carmel  :  nous  admirerons  après  les 
miracles  :  l'ordre  demande  que  l'Eglise  pré- 
cède :  elle  a  parlé  par  la  bouche  de  dix-sept 
souverains  pontifes. 

Elle  a  parlé  parles  applaudissements  de 
tous  les  évoques  catholiques.  Depuis  plus 
de  cinq  cents  ans,  cette  dévotion  règne  pai- 
siblement à  l'ombre  du  saint  siège:  elle  a 
des  temples,  des  autels;  ses  solennités  sont 
pompeuses  et  ses  fêtes  éclatantes,  elle  n'est 
troublée  par  aucune  autorité  légitime:  ceux 
qui  la  combattent  se  tournent  du  côté  des 
fables,  et  les  opprobres  dont  ils  ont  voulu  la 
couvrir  sont  retombés  sur  eux. 

L'Eglise,  Messieurs,  après  nous  avoir 
avertis  solennellement  qu'elle  adoptait  la  dé- 
votion du  mont  Carmel,  nous  a  garanti  dans 
la  suite  les  miracles  opérés  en  faveur  des 
confrères  du  Scapulaire. 

Vous  dirai-je,  Messieurs,  que  la  France  et 
l'Espagne  ont  été  les  théâtres  de  ses  mira- 
clés,  qu'ils  ont  été  opérés  sous  les  veux  des 
plus  grands  monarques  et  des  plus  grands 
prélats?  Vous  dirai-je  qu'une  formidable  ar- 
mée a  vu  ces  prodiges,  et  qu'on  en  avait 
autant  de  témoins  qu'il  y  avait  de  combat- 
tants ? 

N'attendez  pas  de  moi,  Messieurs,  un  récit 
exact  de  toutes  les  merveilles  que  Dieu  a 
opérées  en  faveur  de  ceux  qui  portent  le  saint 
Scapulaire  avec  l'innocence  de  vie  qui'  lui 
convient.  Ici,  semblable  au  corps  d'Elisée, 


il  ressuscite  les  morts  par  t  on  seul  attouche- 
ment; là  des  embrasements  considérables 
sont  éteints  tout  à  coup,  et  il  seconserve  au 
milieu  des  flamme',  comme  ce  buisson 
merveilleux  que  vit  Moïse:  tantôt  on  trouve 
sous  les  tristes  restes  d'un  effroyable  incen- 
die, des  personnes  que  les  brasiers  avaient 

vec  pu- 

îs    plus 

violentes  tempêtes  et  les  plus  effrayants  nau- 


respectées,  parce  qu'elles  portaient  avei 
reté  ce  saint  habit  :  tantôt  dans  les    plu 


frages,  on  a  vu  les  flots  respecter  les  servi- 
teurs de  Marie. 

Sur  la  mer  et  sur  les  rivières,  ils  étaient 
portés  avec  une  sorte  de  vénération,  et  pré- 
servés d'une  mort  certaine. 

Point  d'abîmes  si  |  rofonds  ,  point  de  pré- 
cipices si  affreux,  où  les  confrères  du  mont 
Carmel  n'aient  éprouvé  la  bonté  et  la  puis- 
sance de  Marie.  On  les  a  vus,  lorsqu'ils  tom- 
baient ,  suspendus  en  l'air  et  retenus  j  ar 
une  main  invisible. 

On  sait,  Messieurs,  qu'au  dernier  siège 
de  Montpellier,  sous  les  yeux  mômes  de 
Loui-i  XIII,  une  balle  perça  les  habits  d'un 
soldat,  s'arrêta  comme  par  respect  et  s'a- 
mollit en  touchant  le  saint  Scapulaire  :  on 
sait  que,  quelque  subtil  que  soit  le  feu  du 
tonnerre,  il  a  perdu  souvent  toute  son  acti- 
vité et  sa  violence  sur  ceux  qui  étaient  re- 
vêtus de  ce  saint  habit.  Voilà  donc,  Mes- 
sieurs ,  la  voix  des  miracles  qui  suit  la  voix 
de  l'Eglise  en  faveur  de  la  dévotion  du 
mont  Carmel  :  c'est  donc  une  dévotion  au- 
torisée. 

Persuadés,  Messieurs,  de  la  grandeur  et 
des  avantages  de  la  dévotion  du  mont  Carmel , 
ne  la  rendons  pas  inutile  par  une  vie  cri- 
minelle; nous  ne  plairons  jamais  à  la  sainte 
Vierge,  si  nous  ne  sommes  pas  agréables  à 
son  fils.  Tous  ceux  qui  diront  :  Seigneur, 
Seigneur,  n'entreront  point  dans  le  ciel  : 
tous  ceux  qui  invoquent  souvent  la  sainte 
Vierge  ne  seront  pas  sauvés.  Il  faut  joindre 
au  caractère  de  chrétien  des  vertus  chré- 
tiennes ;  il  faut  joindre  au  titre  de  serviteur 
de  Marie  une  vie  pure  et  innocente  :  cette 
dévotion  n'élargit  point  la  voie  du  ciel ,  elle 
nous  aide  à  y  marcher.  Marchons-y  avec 
amour,  avec  courage  et  avec  persévérance, 
pour  arriver  au  séjour  de  l'éternité  bien- 
heureuse, que  je  vous  souhaite.  Ainsi 
soit-il. 

PANÉGYRIQUE  X. 

SAINT    HILAIRE,    ÈVEQUE    DE    POITIERS   ET   DOC- 
TEUR de  l'église, 

Prononcé  dans   l'église    paroissiale   de  son 
nom ,  à  Paris,  le  13  janvier  1732.- 

Slabit  et  pasrpt  in  fortiludine...  in  siibliniit.il»,  pt  ma- 
gnifleabitur  usque  ad  termiaos  torrae.  (Midi.,  V.) 

//  demeurera  ferme,  et  il  paîtra  son  troupeau  dans  la 
force  du  Seigneur  avec  sublimité,  cl  il  éclatera  jusqu'aux 
extrémités  du  inonde. 

C'est  sous  ces  termes  symboliques  et  ces 
magnifiques  expressions  que  le  prophète 
annonce  à  Jérusalem  désolée ,  le  Sauveur 
des  hommes.  En  lui  parlant  ligurémenl.  de 
cette  scène  qui  allait  consommer  toutes  les 
autres,  c'est-à-dire,  de  la  chute  humiliante 


489 


PANEGYRIQUES.  —  PANEG.  X,  SAINT  ML. VIRE  DE  POITIERS. 


190 


de  l'idolâtrie,  de  ces  ennemis  j  uissants  qui 
devaient  l'assiéger,  la  piller,  désoler  ses 
habitants  et  la  faire  plier  honteusement  sous 
le  joug  des  vainqueurs,  il  annonce  au  milieu 
de  tous  ces  malheurs  Jésus-Christ  :  il  dé- 
peint avec  magnificence  son  zèle  tout  divin, 
la  sublime  doctrine  qu'il  doit  enseigner,  et 
ses  succès  miraculeux  •  Pascct  in  fortitudine 

in  sublimitatè,  et  magnificabitur  usque 

ad  1er  mina  s  terrœ. 

Je  dois  vous  représenter  aujourd'hui, 
Messieurs,  un  des  plus  zélés  défenseurs  de 
la  divinité  de  Jésus-Christ;  un  homme  qui 
s'opposa  au  progrès  d'une  hérésie  furieuse 
et  accréditée,  aux  édits  injustes  des  em- 
pereurs ariens,  aux  intrigues  et  aux  ca- 
bales de  la  cour  de  Constance,  aux  arti- 
fices des  hérétiques  les  plus  fins,  aux  déci- 
dions de  leurs  conciliabules  ,  aux  pièges 
qu'on  tendait  aux  catholiques  ;  que  les  solli- 
citations ne  purent  jamais  flatter  ni  amollir; 
que  les  menaces  n'intimidèrent  point;  qui 
professa  la  loi  de  Nicée  dans  l'orient  et  dans 
l'occident ,  qui  la  prêcha  dans  la  Phrygie , 
qui  la  conserva  dans  les  Gaules. 

En  un  mot,  je  dois  vous  faire  l'éloge  du 
grand  saint  Hilaire  de  Poitiers.  Pouvais-je 
choisir  d'autres  traits  pour  caractériser  la 
fermeté  de  son  zèle,  la  sublimité  de  ses  ta- 
lents ,  la  gloire  de  ses  succès ,  que  ceux  que 
le  prophète    emploie   pour  dépeindre   son 

divin   maître  :  Poucet  in  fortitudine in 

sublimitatè,  et  magnipcabitur  usque  ad  ter- 
minos  terrœ. 

Vous  allez  donc  voir  un  zèle  que  la  fureur 
des  hérétiques  n'a  pu  retenir;  une  supério- 
rité de  talents,  que  les  hérétiques  ont  été 
forcés  de  respecter;  des  succès  que  les  hé- 
rétiques n'ont  pu  empêcher. 

Majestés  de  la  terre,  empereurs  de  l'Orient 
et  de  l'Occident,  Hilaire  n'a  pas  appréhendé 
l'éclat  de  vos  couronnes  ni  redouté  vos  in- 
justes édits.  Vous  attaquez  Jésus-Christ ,  il 
vous  attaque,  il  ne  manque  point  à  ce  qu'il 
doit  à  vos  i  ersonnes  sacrées,  mais  il  ne  veut 
point  non  plus  manquer  à  ce  qu'il  doit  à  la 
religion  sainte  qu'il  professe  :  si  son  zèle 
vous  étonne,  pensez  qu'il  est  évêque. 

Superbes  ariens,  trop  protégés  à  la  cour 
des  empereurs  que  vous  avez  séduits  par 
vos  professions  de  foi  équivoques,  pour 
opprimer  les  peuples,  apprenez  que  les  ca- 
tholiques souffrent  les  persécutions,  mais 
qu'ils  ne  les  excitent  jamais.  En  vain  mettez- 
vous  votre  confiance  dans  les  maux  qui  me- 
na ent  leurs  jours,  dans  vos  conciliabules, 
dans  vos  assemblées  tumultueuses  ,  dans 
des  termes  obscurs  et  enveloppés  ,  qui  vous 
laissent  des  ressources  pour  changer  sans 
honte  ,  lorsque  le  gouvernement  changera  ; 
les  lumières  d'Hilaire  découvrent  le  plan 
odieux  de  votre  secte  obstinée. 

Et  vous,  Eglise  de  France  toujours  pure 
dans  la  foi ,  Eglise  gallicane  toujours  alar- 
mée à  la  moindre  nouveauté.  C'est  le  grand 
saint  Hilaire  qui  vous  a  préservée  deTaria- 
nisme ,  ce  monstre  qui  étendait  ses  ravages 
dans  plusieurs  royaumes  et  dans  plusieurs 
empires.  Ne  craignons  donc  point  d'ériger 


des  trophées  à  la  gloire  de  ce  grand  défen- 
seur de  la  consubstantialité  du  Verbe  et  de 
la  foi  de  Nicée.  Son  zèle,  ses  talents,  ses 
succès  nous  fournissent  un  champ  vaste 
d'événements  intéressants  d'actions  héroï- 
ques, de  scènes  édifiantes;  ils  formeront 
aussi  le  plan  de  ce  discours.  Implorons, 
avant  que  de  développer  ces  trois  grands 
traits  de  sa  vie,  les  lumières  du  Saint-Es- 
prit, par  l'intercession  de  Marie.  Ave,  Maria. 

PREMIERE     PARTIE. 

I!  faudrait,  .Messieurs,  pouvoir  vous  re- 
présenter l'état  déplorable  de  l'Eglise  de  Jé- 
sus-Christ, lorsque  Hilaire  fut  élevé  sur  le 
siège  de  Poitiers,  pour  vous  donner  une  juste 
idée  de  son  zèle. 

Les  impiétés  d'Arius,  soutenues  par  plu- 
sieurs évoques,  favorisées  'par  les  majestés 
de  la  terre,  accréditées  par  des  conciliabules 
sans  nombre,  enveloppées  sous  tant  de  pro- 
fessions équivoques ,  insinuées  dans  les 
cours  des  empereurs,  par  les  ressorts  de  la 
plus  fine  politique,  protégées  par  les  impé- 
ratrices et  les  femmes  puissantes,  toujours 
éprises  des  charmes  de  la  nouveauté;  détes- 
tées par  les  catholiques  opprimés  et  gémis- 
sants dans  les  fers  et  dans  les  exils  ;  adoptées 
par  des  hommes  ambitieux  qui  triomphaient 
à  la  vue  de  leurs  succès;  les  évêques  ortho- 
doxes bannis  de  leurs  sièges,  les  ariens  en 
possession  des  plus  grandes  Eglises  :  voilà, 
Messieurs,  ce  que  vit  Hilaire  dès  qu'il  fut 
placé  sur  le  chandelier  de  l'Eglise;  voilà  les 
ravages  qu'il  aperçut  dans  la  famille  du  Sei- 
gneur. Les  orages  et  les  tempêtes  qui  agi- 
taient la  nacelle  de  Pierre,  les  séductions 
qui  ébranlaient  les  catholiques,  les  dangers 
qui  menaçaient  la  foi. 

A  la  vue  de  tant  de  maux,  son  zèle  s'al- 
lume, il  parle,  il  écrit,  il  exhorte.  Les  succès 
de  l'hérésie,  la  fureur  des  hérétiques,  l'auto- 
rité des  empereurs  qui  les  protègent,  rien 
n'arrête  son  zèle.  Vous  le  verrez  s'opposer 
avec  fermeté  aux  progrès  d.e  l'arianisme, 
attaquer  avec  une  sainte  hardiesse  les  plus 
célèbres  ariens,  parler  avec  une  liberté  épis- 
coj  aie  aux  empereurs  qu'ils  ont  séduits. 

C'est  ainsi,  ô  mon  Dieu  !  que  vous  suscitez 
dans  votre  Eglise  des  docteurs,  pour  la  dé- 
fendre et  maintenir  la  pureté  de  sa  doctrine. 
Les  plus  furieuses  hérésies  n'ont  jamais  pu 
la  rendre  méconnaissable;  le  grand  concile 
de  Nicée  a  toujours  fait  et  fera  toujours  la 
honte  des  assemblées  ariennes.  Le  grand 
Athanase  dans  l'Orient,  le  grand  Hilaire  dans 
les  Gaules,  sont  les  défenseurs  de  sa  foi  et  de 
ses  décisions. 

Quelle  foule  d'objets  intéressants  se  pré- 
sentent à  mon  imagination  1  pue  de  scènes 
différentes  nous  fournit  l'histoire  de  l'Eglise  I 
Quelle  hérésie  1  quels  hérétiques  !  quels 
princes  vais-je  retracer  à  vos  yeuxl  De  quel 
temps  vais-je  parler  1  de  quels  malheurs 
vais-je  vous  faire  ressouvenir  !  S'ils  vous 
touchent,  Messieurs,  vous  admirerez  davan- 
tage la  sagesse  de  notre  Dieu  qui  a  suscité 
Hilaire  pour  s'opposer,  comme  un  mur  d'ai- 
rain, à  toutes  ces  entreprises  de  l'enfer;  et 


191 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


102 


vous  verrez  avec  satisfaction  un  pasteur  qui 
nourrit  son  peuple  de  la  saine  doctrine  et 
qui  écarte  avec  fermeté  les  hommes  de  men- 
songe et  les  loups  ravissants  :  Pascet  in  for- 
titudine. 

Quelle  hérésie,  Messieurs,  que  celle  qui 
désolait  l'Eglise,  lorsque  saint  Hilaire  parut 
sur  le  siège  de  Poitiers  1  Vous  le  savez,  l'hé- 
résie arienne,  les  impiétés  d'Arius,  cet  homme 
dont  l'orgueil  empoisonna  les  plus  belles 
qualités  et  les  plus  grands  talents,  qui  avait 
un  génie  vaste,  une  imagination  brillante, 
beaucoup  d'étude  et  beaucoup  de  facilité; 
qui  possédait  le  fond  der;la  philosophie  pla- 
tonicienne et  les  subtilités  de  celle  d'Aristote, 
et  qui  était  en  état  de  remplir  les  plus  grandes 
placés,  s'il  ne  les  eût  pas  briguées  avec  tant 
d'indécence;  cet  homme  qui,  appuyé  des 
deux  Eusèbe,  ces  deux  héros  de  l'arianisme, 
troubla  toutes  les  Eglises,  séduisit  une  mul- 
titude d'évêques,  se  fit  des  protecteurs  jus- 
qu'à la  cour  même  du  grand  et  magnanime 
Cunstantin,  agita  toute  la  terre,  trompa  les 
empereurs,  cacha  ou  publia  ses  erreurs,  se- 
lon les  temps  ou  les  circonstances;  à  qui  les 
mensonges  et  les  différentes  professions  de 
foi  ne  coûtaient  rien,  et  que  le  ciel  enfin  ir- 
rité de  tant  de  forfaits  extermina  honteuse- 
ment de  la  société  dans  le  moment  qu'il 
allait,  à  la  faveur  de  ses  parjures,  jouir  du 
plus  beau  triomphe  qui  fût  jamais. 

Les  impiétés  de  ce  malheureux  avaient 
fait  de  funestes  progrès,  Messieurs,  lorsque 
Hilaire  entreprit  de  les  confondre.  De  vastes 
empires,  de  grands  royaumes,  l'orient  et 
l'occident,  les  grands  et  les  peuples  en 
étaient  infectés;  plusieurs  évoques  les  dé- 
fendaient. 

Mais  la  chute  ne  fut  point  générale  :  le  plus 
grand  nombre  des  premiers  pasteurs  fut 
fidèle;  Jésus-Christ  a  toujours  assisté  son 
Eglise;  elle  n'a  jamais  été  méconnaissable. 
On  pouvait  toujours  dire  :  adressez-vous  à 
l'Eglise  :  die  Ecc'.esiœ.  Elle  est  toujours  vi- 
sible et  toujours  dépositaire  de  la  vraie  doc- 
trine; on  voulut  faire  passer  l'univers  pour 
arien,  dit  saint  Jérôme;  mais  l'univers  en 
fut  surpris,  et  il  détesta  toujours  l'aria- 
nisme. 

Rome,  toujours  pure  dans  sa  foi,  le  con- 
damna, Hilaire  et  les  évêques  des  Gaules  ne 
voulurent  jamais  communiquer  avec  Satur- 
nin, Ursas  et  Valens.  Et  il  a  vu  avec  joie  dans 
son  exil  plusieurs  évêquesde  l'orient  soumis 
à  la  foi  de  Nicéc  :  témoin  cette  profession  de 
foi  qu'il  envoie  dans  les  Gaules  au  nom  des 
évêques  de  toutes  les  provinces  voisines  de 
la  Phrygie.  Or,  c'est  à  ces  milliers  d'évoqués 
catholiques,  pour  me  servir  des  expressions 
de  saint  Augustin,  que  notre  saint  docteur 
parle.  Ce  sont  eux  qu'il  anime  à  combattre 
les  impiétés  d'Arius,  et  qu'il  appelle  au  se- 
cours de  l'Eglise.  Que  tous  les  évêques 
fassent  retentir  leur  voix,  dit-il,  dans  ce 
temps  de  séd  uction  :  Clament  pas  tores.  Vo  vez, 
Messieurs,  son  zèle  pour  la  consubstantiàlité 
du  Verbe. 

Vous  savez  les  outrages  que  cette  abomi- 
nable hérésie  faisait  au  Fils  de  Dieu,  au  Verbe 


éternel.  Ce  divin  Sauveur  n'était  pas,  selon 
l'impie  Arius,  égal  à  Dieu,  émané  de  sa  sub- 
stance, éternel,  tout-puissant,  immuable 
comme  lui.  Ces  blasphèmes  avaient  révolté 
d'abord;  mais  ils  eurent  ensuite  un  cours 
prodigieux  dans  l'Orient,  parce  qu'on  les 
enveloppa  sous  des  expressions  équivoques 
qui  cachaient  l'impiété,  mais  qui  n'établis- 
saient pas  la  consubstontialité  du  Verbe  re- 
connue dans  le  concile  général  de  Nicée; 
c'est,  Messieurs,  cette  expression  sainte  qui 
distingua  toujours  les  catholiques  des  ariens, 
que  saint  Hilaire  défendit  avec  zèle.  11  ne 
faut  que  jeter  les  yeux  sur  ses  ouvrages  :  on 
y  découvre  des  preuves  de  la  divinité  du 
Verbe  qui  confondent  les  ariens. 

Saint  Hilaire  oppose  aux  ariens  trois  té- 
moignages de  l'Evangile,  pour  prouver  la 
divinité  de  Jésus-Christ  et  repousser  leurs 
horribles  blasphèmes.  Le  témoignage  du 
Père  éternel,  qui  déclare  que  Jésus-Christ 
est  son  fils;  le  témoignage  de  Jésus-Christ, 
qui  déclare  que  son  Père  et  lui  ne  font  qu'un  ; 
le  témoignage  de  ses  miracles  qui  attestent 
sa  divinité. 

Voyez,  Messieurs,  avec  quel  zèle,  avec 
quel  feu,  avec  quelle  habileté  il  développe 
ces  trois  fameux  oracles  qui  détruisent  la 
doctrine  des  ariens.  On  ne  voit  pas,  Mes- 
sieurs, dans  ceux  qui  défendent  la  foi  ortho- 
doxe ces  détours,  ces  artifices,  ces  distinc- 
tions, ces  variations,  ces  expressions  enve- 
loppées,.cet  abus  des  Ecritures  qui  fait  toute 
la  ressource  des  hérétiques.  Rien  de  plus 
clair,  de  plus  solide,  de  plus  constant,  de 
plus  universellement  reçu,  que  ce  que  disent 
les  catholiques,  que  ce  qu'ils  opposent,  que 
ce  qu'ils  prouvent.  Ecoutez  saint  Hilaire, 
lorsqu'il  établit  la  divinité  de  Jésus-Christ. 

Arius,  dit-il,  assure  dans  sa  doctrine  que 
Jésus-Christ  n'est  pas  égal  à  Dieu  et  émané  de 
sa  substance,  et  le  Père  éternel  crie  du  haut  du 
ciel  que  Jésus-Christ  est  son  fils  bien-aimé: 
Clamât,  Hic  est  filius  meus  dilectus.  (Matth., 
131.)  C'est  du  trône  de  sa  gloire  qu'il  fait  en- 
tendre cette  voix,  qu'il  rend  ce  témoignage 
éclatant  à  son  fils  ;  elamat.  Le  ciel  s'ouvre , 
les  vêtements  de  Jésus-Christ  deviennent 
plus  blancs  que  la  neige,  son  visage  plus 
brillant  que  le  soleil;  la  montagne  du  Tha- 
bor  est  environnée  d'une  gloire  éblouissante  : 
Pierre,  Jacques  et  Jean  sont  témoins  de  ce 
spectacle  ravissant;  Elie  et  Moïse  attestent 
la  grandeur  de  leur  maître,  et  dans  ce  ma- 
jestueux appareil,  le  Père  éternel  fait  en- 
tendre sa  voix  :  il  annonce  que  Jésus-Chrb-t 
est  son  fils  bien-aimé;  il  le  donne  pour 
maître  :  Clamât,  Hic  est  filius  meus  dilectus. 
Comment  l'impie  Arius,  dit  saint  Hilaire, 
osc-l-il  avancer  qu'il  n'est  pas  Dieu,  égal  à 
son  Père,  et  émané  de  sa  substance? 

Arius  assure  que  le  fils  de  Dieu  est  infé- 
rieur à  son  père  ;  qu'il  n'est  pas  fils  de  Dieu 
et  Dieu-même,  si  ce  n'est  par  participation; 
et  Jésus-Christ  assure  dans  l'Evangile  que 
lui  et  son  père  ne  font  qu'un  :  Clamât  filius, 
]i(/o  et  pater  unum  sumus.  (Joan  ,  X.) 

Ecoutez  l'impie  Arius,  dit  saint  Hilaire, 
écoutez  Jésus-Christ,  entendez  cet  oracle,  et 


PANEGYRIQUES.  -  PANEG.  X,  SAINT  HILAIftE  DE  POITIERS. 


rougissez  de  vos  blasphèmes;  et  si  vous  no 
vouiez  pas  écouter  ce  divin  Sauveur,  qui  est 
la  vérité  éternelle,  croyez  du  moins  aux 
œuvres  qu'il  a  opérées,  lui-même  vous  en 
conjure  dans  l'Evangile  :  Clamât,  Operibus 
meis  crédite.  (Joon.,  X.)  lia  multiplié  les  pains 
dans  le  désert,  il  a  guéri  les  malades,  redressé 
les  boiteux,  éclairé  les  aveugles,  fait  entendre 
les  sourds  et  parler  les  muets;  à  sa  voix  les 
paralytiques  ont  marché,  les  lépreux  ont  été 
nettoyés,  les  morts  sont  sortis  des  tombeaux, 
les  démons  ont  quitté  les  corps  qu'ils  possé- 
daient, les  tempêtes  ont  été  calmées,  toute 
la  nature  soumise  lui  a  obéi.  C'est  par  ces 
œuvres  merveilleuses  qu'il  vous  rappelle 
pour  vous  prouver  sa  divinité  :  Clamât,  Ope- 
ribus meis  crédite. 

Si  les  abaissements  de  son  humanité  et  les 
opprobres  qu'il  a  bien  voulu  souffrir  pour 
nos  péchés  vous  révoltent,  croyez  à  tous  les 
traits  éclatants  qu'il  a  laissé  échapper  dans 
les  plus  grandes  humiliations.  C'est  lui-même 
qui  vous  conjure  d'y  faire  attention  :  Clamai, 
Operibus  meis  crédite. 

Voyez  ce  spectacle  de  gloire  qui  relève  ses 
abaissements  aux  pieds  de  Jean-Baptiste  sur 
les  bords  du  Jourdain,  et  écoutez  la  voix  du 
Père  éternel  qui  atteste  sa  divinité.  Voyez 
les  anges  qui  le  servent  dans  le  désert,  et  la 
confusion  du  tentateur  qui  osa  le  tenter;  ce 
sang  qu'il  répand  volontairement  dans  le 
jardin  des  Oliviers,  et  l'intérêt  que  le  ciel 
prend  à  son  innocence;  cet:e  puissance  avec 
laquelle  il  renverse  d'une  seule  parole  la 
troupe  furieuse  qui  veut  se  saisir  de  lui;  ce 
silence  qui  confond  ses  juges,  et  en  fait  des 
défenseurs  de  son  innocence  ;  ces  oracles 
qu'il  prononce  sur  la  croix,  ces  jugements 
de  sévérité  et  de  miséricorde  qu'il  exerce, 
ces  miracles  qui  s'opèrent  à  sa  mort,  ce  bou- 
leversement de  toute  la  nature,  cette  voix 
forte  qu'il  fait  entendre  avant  d'expirer;  ces 
hommages  que  plusieurs  rendent  à  sa  divi- 
nité, cette  profession  solennelle  de  la  foi  du 
centurion  qui,  malgré  les  opprobres  du  Cal- 
vaire, s'écrie  :  C'est  véritablement  le  fils  de 
Dieu  :  Hic  vere  filius  Dei  erat  (Matih., 
XX.VII);  la  gloire  de  son  tombeau  et  la  vé- 
rité de  sa  résurrection,  voilà  les  merveilles 
qu'il  a  opérées,  voilà  les  traits  de  divinité 
qu'il  a  laissé  échapper  dans  ses  abaissements 
mêmes.  Faites-y  attention,  impie  Arius,  et 
vous  conviendrez  qu'il  est  Dieu  :  Clamât, 
Operibus  meis  crédite. 

C'est  ainsi,  Messieurs,  que  le  grand  Hi- 
laire  détruit  la  doctrine  des  ariens  par  ces 
grands  traits,  ces  preuves  solides  qui  établis- 
sent la  divinité  de  Jésus-Christ,  et  le  dogme 
de  la  consubstantialité  reconnu  dans  le  fa- 
meux concile  de  Nicée.  Les  progrès  que  l'a- 
rianisme  avait  faits  n'arrêtent  pas  son  zèle. 
Il  en  fait  sentir  toutes  les  impiétés  et  tous 
les  blasphèmes;  et  si  cette  hérésie,  aussi 
bien  que  toutes  les  autres,  a  des  disciples, 
Hdaire  les  attaque,  et  aucun  n'échappe  à 
son  zèle. 

Le  connaît-on  bien,  Messieurs,  ce  zèle 
qu'inspirent  l'amour  de  la  vérité  et  les  in- 
térêts de  i'Fglise?Ne  prend-t-on  pas  souvent 


le  change?  N'irrite-t-on  pas  ses  ennemis  au 
lieu  de  les  gagner?  Lorsqu'il  y  a  plusieurs 
moyens  pour  faire  revenir  son  frère,  ne 
choisit -on  pas  celui  qui  l'aigrit  le  plus? 
Est-ce  à  lui  à  qui  on  en  veut,  ou  à  ses  éga- 
rements? Est-ce  l'amour  de  la  vérité  qui  fait 
parler,  où  le  désir  de  paraître  un  redoutable 
adversaire?  Est-on  fâché  de  le  voir  dans 
l'erreur  parce  qu'il  se  damne,  ou  le  poursuil- 
on  parce  qu'il  nous  contredit?  La  pureté  de 
la  doctrine  entre-t-elle  seule  dans  ces  dis- 
putes publiques?  La  passion  y  est-elle  pour 
rien?  Est-ce  la  gloire  seule  de  l'Eglise  qui 
nous  fait  parler,  ou  la  flatteuse  espérance  do 
passer  pour  un  habile  défenseur  de  la  foi  ? 
Si  on  poursuit  l'erreur,  aime-t-on  encore 
ceux  qui  ont  eu  le  malheur  de  l'enfanter? 
Selon  le  conseil  de  saint  Augustin,  désire- 
t-on  de  voir  l'hérésie  proscrite  et  les  héré- 
tiques convertis? 

Ahl  si  l'on  suivait  ces  principes,  que  le 
zèle  serait  louable  1  qu'il  serait  utile  !  qu  il 
serait  efficace!  On  ne  languirait  pas  si  long- 
temps dans  de  vaines  questions;  on  ne  gé- 
mirait pas  à  la  vue  de  ces  schismes  éternels, 
de  ces  combats  de  doctrine  que  saint  Paul 
appelle  des  disputes  de  mots  :  Pugnas  verbo- 
rum.  (I  Tim.,  VI.)  On  ne  serait  pas  inondé 
de  tant  de  libelles  scandaleux,  on  ne  dévoi- 
lerait pas  avec  tant  de  témérité  les  taches  du 
sanctuaire;  on  ne  jugerait  pas  de  la  foi  par 
les  mœurs,  mais  des  mœurs  par  la  foi  ;  on 
ne  mettrait  point  les  promesses  infaillibles 
de  Jésus -Christ  en  parallèle  avec  les  fai- 
blesses de  l'homme,  et  on  se  ressouviendrait 
toujours  que  notre  divin  Sauveur  ne  nous  a 
pas  donné  ceux  qui  sont  assis  sur  la  chaire 
de  Moïse  comme  des  modèles  que  nous  de- 
vions toujours  imiter,  mais  des  maîtres  qu'il 
faut  toujours  écouter.  Qu'il  est  rare  ce  zèle 
éclairé!  ce  zèle  ferme,  ce  zèle  charitable! 
Qu'il,  est  rare  aussi  de  gagner  ses  frères,  et 
qu'il  est  commun  de  les  irriter. 

Combien  de  personnes  qui,  sans  étuoe, 
sans  aucune  connaissance  des  points  contes- 
tés, qui  ne  sont  obligées  ni  par  leur  place  ni 
par  leur  caractère  de  parler,  et  qui  entrent 
avec  vivacité  en  lice,  blâment  ceux  qui  sont 
nu-dessus  de  leur  tête,  et  déshonorent  par 
leur  ignorance  la  vérité  qu'elles  veulent  dé- 
fendre par  un  esprit  de  parti? 

Combien  qui  pourraient  rendre  service  à 
l'Eglise,  que  le  caractère  oblige  d'avoir  du 
zèle,  que  les  talents  pourraient  rendre  utiles, 
et  dont  l'autorité  empêcherait  les  progrès  du 
mal,  et  qui  se  contentent  de  gémir  comme 
le  pontife  Héli  sur  les  désordres  du  sanc- 
tuaire ;  qui  se  font  honneur  d'une  douceur 
toujours  avantageuse  aux  ennemis  de  la  re- 
ligion et  toujours  funeste  au  règne  de  la 
piété? 

Combien  qui  perdent  la  charité  dans  les 
divisions  de  l'Eglise,  qui  ne  ménagent  point 
la  réputation  de  ceux  qui  ne  pensent  pas 
comme  eux,  qui  semblent  défier  la  ruine  de 
ceux  dont  l'Eglise  demande  avec  larmes  le 
retour,  qui  ferment  leur  cœur  à  ceux  qui  ont 
eu  le  malheur  de  tomber  dans  l'erreur,  pen- 
dant que  l'Eglise  leur  ouvre  son  sein  et  les 


195 


ORATELRS  SACHES.  BALLET. 


193 


rappelle  avec  la  tendresse  d'une  mère,  et  qui 
sont  insensibles  aux  pertes  dont  elle  est  in- 
consolable! 

Le  zèle  du  grand  saint  Hilaire,  que  je  loue 
aujourd'hui,  ne  fut  sujet  à  aucun  de  ces  dé- 
fauts; il  était  évêque,  et  par  conséquent 
obligé  de  parler  et  île  prendre  la  défense  de 
la  vérité  avec  zèle.  Mais  son  zèle  fut  éclairé; 
jamais  l'Eglise  n'eut  un  défenseur  de  la  con- 
substantialfté  du  Verbe  plus  habile.  L'aria- 
nisme,  avec  tous  ses  détours,  ses  distinctions 
et  ses  adoucissements,  ne  put  échapper  àses 
lumières. 

Son  zèle  fut  patient;  il  nous  apprend  lui- 
même  qu'il  y  a  un  temps  de  se  taire  et  un 
temps  de  parler,  et  qu'il  n'attaque  les  héré- 
tiques ouvertement  que  parce  qu'ils  se  sont 
préralus  insolemment  de  son  sden.'e. 

Son  zèle  fut  charitable  ;  il  s'elforce  de  dé- 
truire l'erreur  et  de  convertir  ceux  qui  l'ont 
accréditée;  il  expose  l'impiété  de  1  hérésie 
arienne,  et  ménage  ceux  qui  sont  assez  aveu- 
gles pour  la  soutenir.  II  développe  la  doc- 
trine de  l'Eglise,  mais  il  ne  parle  point  des 
dérèglements  de  ses  ennemis.  Les  calomnies 
qu'ils  répandent  contre  lui  à  la  cour  des  em- 
pereurs Constance  et  Valentinien  ne  l'indis- 
posent point  contre  eux.  S'ils  n'attaquaient 
que  lui,  ils  seraient  ses  amis.  Jésus-Christ 
offensé  par  leur  impiété  est  le  seul  objet  qui 
excite  son  zèle. 

Son  zèle  fut  ferme  :  le  crédit  des  héréti- 
ques de  son  temps  à  la  cour,  les  grandes 
places  qu'ils  occupaient,  les  vengeances  qu'ils 
avaient  déjà  fait  é  dater  contre  les  catholiques, 
rien  ne  put  l'arrêter.  Saturnin,  Ursace,  Ya- 
lens,  Auxence,  dans  les  Gaules,  tous  les 
ariens  qu'd  trouve  dans  son  exil  et  à  la  cour 
de  Constance  succombent  sous  ses  coups  ;  il 
les  réduit  au  silence  par  la  force  de  ses  rai- 
sonnements. 

Son  zèle  pouvait-il  éclater  plus  à  propos, 
Messieurs,  que  dans  cette  rupture  éclatante 
qu'il  lit  avec  Saturnin,  Ursace  et  Valens?  Les 
maux  étaient  violents,  il  fallait  des  remèdes 
proportionnés  :  il  ne  voulait  point  étendre 
le  schisme  en  se  séparant  de  communion 
avec  ces  hérétiques  dé.  larés,  mais  confondre 
l'hérésie,  et  cette  séparation  est  un  glorieux 
trophée  érigé  à  la  pureté  de  la  doctrine  de 
l'Eglise  de  France,  puisque  tous  les  évêques 
des  Gaules  imitèrent  notre  saint  docteur  dans 
cette  action  mémorable.  C'est  lui  qui  nous 
apprend  cette  circonstance  consolante,  qui 
renverse  le  système  de  ceux  qui  prétendent 
que  l'arianisrhe  séduisit  toute  la  terre  :  Me 
cum  Gallicanis  cpiscopis  separavi. 

Avec  quel  zèle  demande-t-il  une  audience 
publique  à  l'empereur  Constance  et  somme- 
t-il  tous  les  ariens  d'entrer  en  lice  avec  lui 
devant  cette  majesté  de  la  terre?  Ils  crai- 
gnaient cet  oracle  de  l'Eglise  :  ils  avaient  rai- 
son, ils  furent  confondus.  Hilaire  remporta 
la  victoire,  et,  [tour  éloigner  ce  redoutable 
adversaire,  la  môme  cabale  qui  avait  solli- 
cité son  exil  sollicita  son  retour  dans  les 
Gaules. 

Vous  le  représenterai-je  à  Milan,  où  il  va, 
animé  d'un  saint  zèle,  se  rendre  dénoncia- 


teur d'Auxence  qui  avait  trom]  é  Valenti- 
nien, et  dévoiler,  dans  une  conférence  pu- 
blique, ses  ruses,  ?es  artifices,  ses  fourbe- 
ries et  ses  impiétés?  Fallait-il,  Messieurs,  un 
défenseur  moins  zélé  de  la  foi  de  Nicée  pour 
confondre  ce  prélat  qui,  par  les  détours  de 
sa  politique,  en  imposait  au  prince  et  vivait 
paisiblement  sur  un  des  plus  grands  sièges 
de  l'Eglise? 

Suivez-le,  Messieurs,  avec  le  grand  Eusèbe 
de  Verceil  dans  l'Italie,  où  son  zèle  le  conduit 
pour  rétablir  ceux  qui  s'étaient  séparés  par 
faiblesse,  et  que  les  menaces  des  empereurs 
avaient  fait  chanceler  quelque  temps  dans  la 
foi.  Voyez  avec  quelle  sagesse  il  ouvre  les 
yeux  à  ceux-  qui  avaient  souscrit  à  Rimini 
une  formule  artificieuse.  C'est,  Messieurs, 
l'homme  et  l'oracle  de  l'Eglise;  c'est  lui  qui 
expose  sa  doctrine,  qui  confirme  ses  enfants 
dans  la  foi,  qui  relève  ceux  qui  sont  tombés, 
qui  soutient  ceux  qui  chancellent,  qui  anime 
les  évêques  h  défendre  la  cause  de  l'Eglise; 
c'est  lui  qui  fait  assembler  un  concile  dans 
cette  capitale,  d'où  l'on  écrit  une  excellente 
lettre  synodale  aux  évêques  de  l'Orient  pour 
l'é  ïaircissement  de  la  foi;  c'est  lui  enfin  qui 
a  la  fermeté  d'adresser  plusieurs  écrits  à  l'em- 
pereur Constance,  ce  prince  capable  d'inti- 
mider tout  autre  qu'Hilaire.  N'est-ce  pas  là, 
Messieurs,  instruire  les  fidèles  et  prendre  les 
intérêts  del'Egliseavecunefermeté  héroïque: 
Pascct  in  fortitudine. 

Quel  malheur,  Messieurs,  quand  les  pro- 
tecteurs de  la  religion  l'abandonnent.,  quand 
l'autorité  royale  s'élève  contre  l'autorité  de 
l'Eglise,  et  que  l'erreur,  hardie  et  furieuse, 
règne  paisiblement  à  l'ombre  du  trône  1  Alors 
les  hérétiques,  enflés  de  leur  crédit,  débitent 
hautement  leurs  blasphèmes,  étendent  leurs 
pernicieuses  doctrines  et  sacrifient  à  leur  ja- 
louse fureur  tous  les  héros  de  la  foi.  Alors 
ils  ne  gardent  plus  ces  ménagements  qui  les 
déguisent;  ils  n'ont  plus  recours  à  ces  ex- 
pressions équivoques,  à  ces  détours  qui  les 
confondent  avec  les  catholiques,  ils  r.e  sont 
plus  timides  et  chancelants;  tous  les  voiles 
qui  cachaient  leurs  mystères  sont  levés;  ils 
parlent  clairement,  publiquement:  L'hérés  e 
n'a  jamais  été  timide  que  lorsqu'elle  a  man- 
qué d'autorité,  et  elle  a  toujours  levé  l'éten- 
dard de  la  révolte  lorsqu'elle  a  été  protégée 
par  des  princes  puissants. 

Ne  cherchons  point  d'autres  exemples  dans 
les  annales  de  l'Eglise  que  celui  que  nous 
fournit  l'ariariisme. 

Sous  le  grand  Constantin,  ce  prince  protégé 
du  ciel,  et  toujours  protecteur  de  l'Eglise, 
qui  a  joint  à  la  magnificence  impériale  le  zèle 
des  apôtres,  qui  a  honoré  les  évêques,  et  que 
les  évêques  ont  comblé  de  magnifiques  élo- 
ges; qui  leur  était  soumis  comme  à  ses  pères 
dans  la  foi,  et  auquel  ils  obéissaient  comme 
à  celui  qui  représentait  Dieu  sur  la  terre; 
qui  conserva  avec  fermeté  les  droits  sacrés 
de  la  couronne  et  respecta  avec  sincérité  l'au- 
torité infaillible  de  l'Eglise,  l'hérésie  arienne 
fut  toujours  timide,  enveloppée;  c'était  un 
mystère.  Les  deux  Eusèbe,  ces  zélateurs  de 
l'arianisrae,  se  ménageaient  dans  leurs  siéses- 


197 


PANEGYRIQUES.  —  PANEG.  X,  SAINT  HiLAiRE  DE  POITIERS. 


et  à  la  cour  par  des  professions  catholiques 
en  apparence.  Les  plus  furieux  ariens  n'o- 
saient le  paraître,  et  l'iînpie  Arius  lui-même 
ne  parvint-il  pas  à  passer  pour  catholique 
auprès  de  l'empereur?  Ce  prince,  séduit,  n'a- 
vait-il pas  ordonné  qu'on  le  reçût  dans  la 
communion  de  l'Eglise?  Le  jour  marqué 
pour  cette  grande  cérémonie  ne  fut-il  pas 
marqué?  Le  bras  vengeur  du  Seigneur,  qui 
connaît  le  fond  des  cœurs,  changea  seul  ce 
triomphe  des  ariens  en  confusion  et  en  deuil, 
en  frappant  ce  monstre  d'impiété  et  en  l'effa- 
çant du  nombre  des  vivants  par  une  mo;  t  hon- 
teuse. 

Quand  l'hérésie  n'est  pas  accréditée,  elle 
est  mystérieuse  et  rampante;  mais  sous  le 
règne  de  Constance,  ce  prince  qui  hérita  du 
trône  du  grand  Constantin,  sans  avoir  une 
seule  de  ses  vertus;  qui  suriassait,  par  sa 
férocité,  les  derniers  empereurs  païens;  qui 
mit  sa  gloire  à  étendre  le  règne  de  l'erreur, 
à  persécuter  les  catholiques,  et  à  combler  de 
grâces  et  d'honneurs  les  hérétiques;  l'hé- 
résie arienne  parut  telle  qu'elle  était;  les 
ariens  triomphants  professèrent  hautement 
leurs  impiétés. 

Alors  le  concile  œcuménique  de  Nicée  fut 
absolument  proscrit;  les  défenseurs  de  la 
consubstantialité  du  Verbe  furent  bannis  de 
leurs  églises;  une  cruelle  persécution  fut 
ouverte;  les  faibles  furent  ébranlés,  ]. lu- 
sieurs  succombèrent.  Temps  déplorables  et 
dangereux,  qui  faisaient  en  quelque  sorte 
regretter  à  saint  Hilaire  les  jours  de  Néron 
et  des  Dèce  !  Utinam  ministerium  Neronia- 
nis,  Decianisque  tanporibus  cocplesscm! 

Voyez,  Messieurs,  quelle  différence  entre 
le  règne  de  Constantin  et  celui  de  Constance. 
Sous  le  premier,  l'hérésie  timide  se  cache, 
s'enveloppe;  la  vérité  attaque,  combat, 
triomphe.  Sous  le  second,  l'hérésie  hardie 
se  montre;  on  la  prêche  publiquement;  on 
lève  tous  les  voiles  qui  cachaient  ses  hor- 
reurs. La  vérité  est  persécutée,  gémissante 
dans  les  exils,  et  lâchement  abandonnée. 

O  Eglise  de  Jésus-Christ,  que  vous  êtes 
heureuse  quand  les  souverains  de  la  terre 
vous  protègent  !  L'autorité  et  l'exemple  d'un 
prince  impie  séduisent  les  chrétiens  lâches, 
causent  des  pertes  à  la  religion,  et  la  désho- 
norent par  de  honteuses  apostasies. 

C'est  sous  ce  règne  d'erreur,  de  perse;  u- 
tion,  d'exils;  c'est  dans  ces  triomphes  écla- 
tants de  l'arianisme,  dans  ces  jours  de  pros- 
pérités, de  gloire,  de  succès  des  hérétiques, 
de  larmes,  de  gémissements,  d'oppression 
pour  les  catholiques,  que  parut,  Messieurs, 
le  grand  saint  Hilaire  :  il  vit  avec  douleur, 
comme  un  autre  Mathathias,  l'hérésie  puis- 
sante dans  l'Orient,  cachée  clans  l'Italie,  pro- 
tégée par  quatre  ou  cinq  évêques  dans  les 
Gaules;  les  églises  occupées  par  des  ariens; 
plusieurs  des  catholiques  intimidés  par  les 
menaces,  séduits  parles  caresses,  tlattés  par 
les  faveurs  de  la  cour,  surpris  par  les  arti- 
fices des  apôtres  de  l'erreur;  les  orthodoxes 
zélés  proscrits  et  accablés  de  misères  dans 
les  exils  :  Vidit  et  doluit.  (1  Mark.,  IL) 

Il  ressentit  vivement  tous  ces  maux  de  l'É- 


tf>3 

glise.  Son  zèle  éclata;  et  comme  Constance 
était  l'auteur  de  ces  persécutions,  qu'il  jouait 
le  plus  grand  rôle,  il  lui  parle  avec  liberté 
en  faveur  de  l'Eglise  affligée  et  de  la  vérité 
persécutée, 

11  n'ignorait  pas,  Messieurs,  ce  qu'il  de- 
vait à  cet  empereur.  L'Evangile  nous  ap- 
prend à  respecter  les  puissances.  Les  rois 
ont  beau  déshonorer  leur  règne  parles  vices 
ou  l'erreur,  ils  ne  sont  pas  moins  de  se- 
condes majestés  qui  nous  représentent  la 
première  ;  mais  il  savait  ce  qu'il  devait  à  l'E- 
glise, comme  évêque.  Les  premiers  chré- 
tiens, qui  doivent  nous  servir  de  modeler, 
n'ont  jamais  manqué  de  respect  pour  les  em- 
pereurs païens,  comme  nous  l'api  rend  Ter- 
tullien;  ils  élevaient  les  mains  vers  le  ciel 
pour  leur  prospérité,  pendant  qu'ils  dic- 
taient de  cruels  édits  contre  eux  ;  mais  aussi 
ces  hommes,  si  soumis  aux  lois  de  l'empire, 
quand  elles  n'intéressaient  pas  la  religion, 
bravaient  la  fureur  des  tyrans,  se  moquaient 
des  ordres  impies  qu'ils  leur  intimaient,  et 
professaient  la  religion  de  Jésus-Christ  sous 
les  glaives  et  sur  les  échafauds.  Quand  il  s'a- 
git absolument  de  Ja  religion,  il  faut  plutôt 
obéir  à  Dieu  qu'aux  hommes. 

Hilaire,  Messieurs,  était  trop  rempli  de  ces 
grands  principes,  pour  manquer  à  Dieu  ou 
au  prince;  c'est  la  cause  de  l'Eglise  qu'il 
plaide  dans  ses  écrits  à  la  cour  cie  Constance. 
Quel  autre  qu'un  évêque  catnolique  aura't 
pu  s'en  charger?  Ou  plutôt,  quel  aulrequ'Hi- 
laire  aurait  osé,  dans  des  temps  si  délicats  et 
si  difficiles,  se  déclarer  l'adversaire  d'un 
prince  si  puissant? 

Un  évêque,  Messieurs,  ne  perd  jamais  la 
liberté  de  son  ministère,  quand  il  ne  veut 
plaire  qu'à  Jésus-Christ,  et  qu'il  n'est  touché 
que  des  intérêts  de  l'Eglise;  que  ceux  que 
1  ambition  fait  briguer  les  grandes  places, 
les  dignités,  les  bonnes  grâces  de  César, 
condamnent  lâchement  la  vérité,  ou  l'aban- 
donnent comme  Pilate,  je  n'en  suis  pas  sur- 
pris. Hilaire  est  exposé  à  tout  perdre,  à  toi.t 
souffrir  pour  la  cause  de  Jésus-Christ. 

En  voulez-vous  des  preuves?  Entendez-le 
lui-même,  Messieurs,  clans  les  ouvrages  qu'il 
adresse  à  Constance;  voyez  une  liberté  vrai- 
ment épiscopale.  Les  saints,  comme  David, 
annoncent  aux  souverains  de  la  terre  les  vé- 
rités du  salut,  sans  être  intimidés.  Nos  en- 
nemis, dit-il,  se  prévaudraient  d'un  plis 
long  silence;  ils  nous  croiraient  vaincus  si 
nous  ne  faisions  pas  entendre  nos  voix.  Ce 
qui  passerait  jour  modestie  dans  un  autre 
temps,  passerait  pour  impuissance  dans  ce- 
lui-ci. Que  tous  les  évêques  catholiques 
viennent  donc  au  secours  de  l'Eglise;  qu'ils 
parlent  pour  la  divinité  de  Jésus-Christ;  qu'ils 
prononcent  anathème  à  Arius  et  à  ses  er- 
reurs :  Clament  pastores. 

Je  sais  que  les  temps  sont  fâcheux,  que  la 
persécution  est  cruelle,  que  la  plus  puis- 
sante cour  du  monde  est  arienne,  que  l'em- 
pereur, comme  un  lion  furieux,  veut  faire 
des  évêques,  ou  des  prévaricateurs,  ou  des 
victimes;  mais  quelle  gloire  pour  nous  'le 
donner  notre  vie  pour  l'a  divinité  de  notre 


199 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


200 


Sauveur  1  Ne  redoutons  point  la  perte  des 
biens  et  les  exils  ;  tâchons  d'obtenir  la  cou- 
ronne du  martyre  pour  -une  si  belle  cause  : 
Ad  mârtyrium  per  fias  voces  exeamus. 

Et  vous,  empereur,  qui  voulez  étendre 
Parianisme,  apprenez  c[ue  les  feux,  les  glai- 
ves, les  chevalets,  et  les  plus  cruels  supj  li- 
ces, ne  me  feront  jamais  renoncer  à  la  foi  de 
ÏSi.éc,  et  tolérer  seulement  vos  impiétés. 
Messieurs,  les  plus  grands  héros  du  chris- 
tianisme ont-ils  jamais  parlé  avec  plus  de 
liberté  devant  les  tyrans?  Et  n'est-ce  pas 
avec  justice  que  saint  Jérôme  a  donné  à  saint 
Hilaire  le  titre  illustre  de  confesseur  de  la 
consubstantialité  du  Verbe  :  Hilarius  confes- 
sor  et  episcopus. 

Mais  si  saint  Hilaire  a  soutenu  les  fidèles 
dans  la  doctrine  de  l'Eglise,  par  la  fermeté 
de  son  zèle,  il  les  a  aussi  instruits  par  l'é- 
tendue de  ses  lumières  et  la  supériorité  de 
ses  talents  :  Pascet  in  subiimitate. 

SECONDE    TARTIE. 

Je  vais  louer,  Messieurs,  la  science  d'Hi- 
laire,  et  quelle  science!  une  science  qui 
étonna  l'univers  ;  une  éloquence  qui  a  effacé 
celle  des  Grecs  et  des  Romains,  selon  saint 
Jérôme;  que  les  plus  grands  maîtres  ont 
admirée  sans  pouvoir  se  flatter  de  l'im  ter  ; 
des  lumières  qui  ont,  pour  ainsi  dire,  dis- 
sipé toutes  les  obscurités  de  nos  mystères; 
qui  ont  expliqué  l'économie  de  l'adorable 
Trinité,  raconté  la  génération  éternelle  du 
Fils  de  Dieu  ;  une  érudition  profonde,  qui  a 
ramassé  tous  les  témoignages  les  plus  écla- 
tants, pour  prouver  la  divinité  de  Jésus- 
Christ  contre  les  ariens  ;  un  génie  vaste,  qui 
ne  trouve  point  de  profondeurs,  de  ténè- 
bre?, de  difficultés,  de  questions  embarras- 
santes qu'il  n'approfondisse,  ne  dissipe,  ne 
développe  et  n'explique;  qui  n'ignorait 
rien  de  tout  ce  que  la  vénérable  antiquité 
avait  enfanté  de  plus  intéressant  pour  la  re- 
ligion; les  plus  grands  événements,  les 
moindres  traits  de  l'histoire,  les  plus  fa- 
meux hérésiarques,  les  hérétiques  les  plus 
obscurs,  les  oracles  qu'ils  citaient,  les  ré- 
ponses qui  les  confondaient,  les  détours  de 
toutes  les  sectes',  les  moyens  de  les  décou- 
vrir, rien  ne  lui  échappe;  un  esprit  orné  des 
richesses  de  la  littérature,  et  de  tout  co 
qu'un  certain  paganisme  de  philosophe, 
dans  lequel  il  avait  ou  le  malheur  d'être  en- 
gagé dès  son  eniance,  à  ce  qu'il  y  a  de  plus 
élevé,  de  plus  poli,  donnait  de  l'agrément  à 
son  style  et  à  ses  écrits. 

Voilà,  Messieurs,  ce  qui  a  fait  regarder 
Hilaire  par  tous  les  saints  docteurs  de  son 
temps,  par  les  Grecs  et  les  Romains,  par 
tous  les  beaux  génies  des  empires;  de  1  O- 
rient  et  de  l'Occident,  comme  le  plus  savant 
de  son  temps.  Mais  érigerions-nous  aujour- 
d'hui des  trophées  à  ses  rares  talents,  s'il 
rie  les  avait  pas  employés  pour  la  cause  de 
fEglise? 

Qu  est-ce  que  la  science,  Messieurs,  de 
fous  ces  grands  hommes  qui  se  sont  occupés 
à  des  découvertes  curieuses  et  inutiles,  qui 
ont  fait  servir  une  imagination  vive  et  bril- 


lante à  des  fictions  dangereuses,  qui  repré- 
sentent les  vices,  les  passions,  les  intrigues 
des  héros  fabuleux,  ces  productions  éton- 
nantes, qui  n'ont  rien  de  réel  que  les  coups 
qu'elles  portent  à  l'innocence,  et  les  effroya- 
bles incendies  qu'elles  excitent  dans  des 
cœurs  tendres  et  faciles  à  séduire  ? 

Qu'ils  sont  déplorables  les  talents  de  ces 
hommes  qui  s'érigent  en  maîtres  de  la  vo- 
lupté, qui  instruisent  par  des  peintures 
agréables  du  vice,  par  des  images  séduisan- 
tes des  passions,  des  cœurs  innocents,  mais 
toujours  prêts  à  recevoir  les  plaies  nu 
I  éché  ! 

Qu'ils  méritent  notre  indignation  ,  ces 
hommes  qui  présentent  dans  leurs  ouvra- 
ges les.  appas  du  crime  et  les  amorces  du 
péché,  qui  dépeignent  avec  un  shle  poli  et 
tendre  les  roules  criminelles  des  pécheurs, 
leurs  intrigues,  leurs  mystères  et  leurs  suc- 
cès! Faut-il  que  les  grâces  et  les  ornements 
de  l'éloquence  viennent  au  secours  du  vico 
1  our  séduire  un  cœur  si  facile  à  corrompre  ! 

Qu'ils  ont  été  nuisibles  à  l'Eglise  les  ta- 
lents de  ces  hommes  rebelles,  de  ces  héré- 
siarques qui  ont  formé  des  partis  si  puis- 
sants 1  On  ne  peut  pas  désavouer  que  plu- 
sieurs n'aient  eu  une  grande  facilité  de  par- 
ler, n'aient  écrit  avec  politesse  et  érudition. 
On  voit  dans  les  ouvrages  de  plusieurs  une 
élévation  de  génie,  une  imagination  vive  et 
féconde,  des  connaissances  acquises,  une 
étude  sérieuse  de  l'histoire  sacrée  et  pro- 
fane, une  grande  facilité  dans  la  dispute. 
Mais  le  plus  savant,  dit  saint  Paul,  dès  qu'il 
enseigne  une  autre  doctrine  que  celle  de 
Jésus-Christ,  qu'il  méprise  ses  oracles,  est 
un  superbe  qui  ne  sait  rien,  malgré  cet 
amas  de  connaissances  stériles  dont  il  se 
gloriûc  :  Superbus  est  nihil  sciens  (I  Tim., 
VI.) 

La  gloire  d  Hilaire,  Messieurs,  est  donc 
d'avoir  fait  servir,  pour  la  cause  de  l'Eglise, 
les  grands  talents  qu'il  avait  reçus  du  ciel; 
la  don  de  la  parole,  qui  fut  en  lui,  accompa- 
gné de  toutes  les  grâces  qui  rendent  ce  saint 
ministère  efficace;  la  connaissance  des  mys- 
tères qu'il  développa  en  homme  suscité  de 
Dieu,  et  éclairé  d'en  haut;  la  matière  de  l'E- 
glise dont  il  soutint  les  oracles  et  les  déci- 
sions contre  les  hérét'ques  les  plus  obsti- 
nés. C'est  avec  cette  supériorité  de  talents 
qu'il  a  soutenu  et  honoré  la  dignité  épisco- 
pale  :  Pascet  in  sublimitate. 

Vous  suppléerez,  s'il  vous  plaît,  Messieurs, 
aux  expressions  qui  me  manqueront  pouf 
vous  représenter,  comme  il  conviendrait, 
des  talents  si  rares  et  si  sublimes. 

Elle  règne  dans  ses  ouvrages,  cette  élo- 
quence majestueuse  que  saint  Jérôme  a 
louée  si  magnifiquement,  et  qu'il  oppose  à 
1  éloquence  grecque  et  romaine.  On  trouve 
partout  des  grâces,  des  beautés,  des  riches- 
ses qui  prouvent  qu'il  possédait  avec  dis- 
tinction l'art  de  manier  la  parole. 

Il  était  ré  avec  lui,  Messieurs,  ce  talent  qui 
fait  les  grands  orateurs.  Le  rang  distingué 
que  tenait  sa  famille  dans  l'Aquitaine  fit 
désirer  aux  plus  habiles  maîtres  l'honneur 


SOI  PANEGYRIQUES.  —  PANEG.  X, 

de  présider  à  son  éducation.  L'erreur  de  ses 
parents,  qui  mettaient  toute  leur  gloire  à 
vivre  dans  une  religion  de  philosophes  ;  les 
heureuses  dispositions  du  jeune  Hilaire 
pour  l'étude,  tout  celaenfiten  peu  de  temps 
un  prodige  de  science  ;  et  à  peine  les  nuages 
de  l'enfance  furent-ils  dissipés ,  qu'il  lut, 
comme  le  jeune  Moïse,  instruit  de  toutes 
les  sciences  humaines  :  Eruditvs  est  omni 
sapientia.  (Act.  VII.) 

L'éloquence  fut  le  grand  don  qui  char- 
mait ceux  qui  l'écoutaient.  Ses  discours 
étaient  ornés  de  ces  grâces  qui  plaisent,  de 
cette  douceur  qui  touche.  Ses  paroles  péné- 
traient les  cœurs,  comme  ces  douces  pluies 
qui  tombent  sur  de  tendres  gazons  :  Quasi 
slillœ  suprr  (jrumina.  (Deut.,  XXXII.) 

Quelle  éloquence  plus  douce  que  la  sienne, 
lorsqu'il  écrit  pour  la  piété  ou  qu'il  prêche 
les  peuples?  Il  entraîne  les  cœurs  de  ceux 
qui  l'écoutent  ou  qui  lisent  ses  ouvrages. 
11  y  a  des  charmes  innocents  qui  triomphent 
des  auditeurs  les  plus  indifférents;  ils  ré- 
gnaient dans  les  discours  d'Hilaire,  aussi 
touchait-il  efficacement. 

On  se  trompe  quand  on  fait  consister  l'é- 
îoquence  dans  des  riens  brillants,  des  ex- 
pressions pompeuses,  des  mots  cadencés, 
des  images  magnifiques,  des  pensées  ingé- 
nieuses, un  arrangement  harmonieux  ;  ces 
sortes  de  discours  frappent  les  oreilles 
comme  un  agréable  concert  de  musique, 
D«is  ils  ne  vont  jamais  au  cœur;  or,  c'est 
au  cœur  que  Dieu  ordonne  à  ses  ministres  de 
parler  :  Loquimini  ad  cor.  (Isa.,  XL.)  C'étaient 
les  cœurs  qu'Hilaire  gagnait  par  la  douceur, 
les  charmes  et  la  majesté  de  son  éloquence. 

Quelquefois,  Messieurs,  un  saint  zèle  l'em- 
porta, un  feu  divin  l'embrasa;  alors  on  voit 
une  éloquence  vive;  telle  est  celle  qui  rè- 
gne dans  les  trois  requêtes  qu'il  adressa  à 
l'empereur  Constance  :  quels  divins  empor- 
tements 1  quelle  peinture  des  maux  de  l'E- 
glise! quel  portrait  de  l'empereur,  des  hé- 
rétiques, de  la  cour  1  Sous  quelles  affreuses 
images  ne  les  représente-t-il  pas  1  avec  quelle 
magnificence  ne  dépeint-il  pas  les  grandeurs 
de  Jésus-Christ  qu'on  attaque,  l'autorité  de 
l'Eglise  qui  a  condamné  l'arianisme ,  les 
circonstances  qui  obligent  les  pasteurs  de 
parler  ! 

Jamais  a-t-on  vu  des  traits  plus  forts  de 
l'éloquence  chrétienne?  jamais  a-t-on  vu  un 
orateur  plus  véhément?  Il  charme,  il  sur- 
prend, il  enlève,  il  persuade.  Son  éloquence 
chrétienne  et  apostolique  ébranle  l'empe- 
reur, confond  les  ariens,  agite  toute  la  cour, 
anime  tous  les  évêques,  relève  ceux  qui 
sont  tombés,  soutient  ceux  qui  chancelaient, 
découvre  les  périls  de  la  foi,  et  détermine 
les  catholiques  à  mourir  avec  lui  pour  la 
doctrine  catholique.  A  cette  éloquence  vic- 
torieuse, ajoutez,  Messieurs,  des  lumières 
qui  percent  à  travers  les  saintes  obscurités 
et  les  ténèbres  sacrées  qui  enveloppent  nos 
mystères. 

Hilaire,  Messieurs,  soumis  aux  ordres  des 
empereurs,  pénétra  dans  la  Phrygie;  il  ne 
murmura  point  de  son  exil.  Ce  n'était  point 

OnATi-UKS   sacrés,   L, 


SAINT  HILAIRE  1>E  POIT'LRS. 


2C. 


pour  ses  propres  intérêts  qu'il  combattait  les 
sentiments  du  prince,  mais  pour  les  intérêts 
de  Jésus-Christ;  il  se  soumit  au  bannisse- 
ment, il  résista  à  l'erreur;  il  ne  se  plaignit 
point  d'être  chassé  de  son  siège,  mais  il  gé- 
mit des  outrages  qu'on  faisait  à  la  vérité,  il 
obéit  toujours  au  prince  qui  le  persécutait, 
mais  il  confessa  toujours  la  divinité  de  Jé- 
sus-Christ, que  le  prince  combattait;  et  le 
lieu  de  son  exil  fut  comme  une  chaire  do 
vérité  d'où  il  enseigna  tous  les  fidèles,  con- 
firma les  évêques  des  Gaules  dans  la  foi  de 
Nicée,  et  retendit  chez  les  évêques  orien- 
taux. Que  la  conduite  des  saints  est  adm,- 
rable  !  Ils  rendent  à  César  ce  qui  appartient 
à  César,  et  à  Dieu  ce  qui  appartient  à  Dieu. 

C'est  dans  son  exil,  Messieurs,  qu'il  com- 
posa ses  douze  livres  Sur  la  Trinité,  ouvrage 
délicat,  élevé  et  profond;  ouvrage  où  il  fal- 
lait les  lumières  d'Hilaire  pour  expliquer 
ces  grandes  vérités,  qui  sont  si  supérieures 
aux  sens  et  à  la  raison;  sonder  avec  succès 
ces  abîmes  où  se  sont  perdus  des  génies 
sublimes,  des  savants  du  premier  ordre, 
qui  avaient  trop  de  raison  et  qui  n'avaient 
pas  assez  do  foi  pour  entrer  dans  ces  saintes 
obscurités,  dans  ces  profondeurs  adorables 
qui  ont  causé  la  ruine  des  superbes  qui  por- 
tent des  regards  curieux  sur  la  gloire  inac- 
cessible de  notre  Dieu;  ouvrage  que  les 
saints  docteurs  ont  loué  magnifiquement,  et 
qui  ont  fait  dire  à  saint  Jérôme  qu'il  avait 
heureusement  conservé  dans  ces  matières 
sublimes,  dans  ces  questions  délicates,  dans 
ces  mystères  profonds,  toute  l'exactitude, 
toute  la  pureté  de  la  doctrine  catholique  et 
toute  la  précision  de  la  théologie;  de  sorts 
qu'on  peut  dire  de  lui,  Messieurs,  ce  qui 
est  dit  du  Sage  même  :  Ses  écrits  sont  irré- 
préhensibles ;  ils  ont  été  composés  pour  la 
vérité;  la  vérité  y  règne  et  y  règne  seule  • 
Conscripsit  sermones  rectissimos  ac  veritetc 
plcnos.  (Fccle.,  XII.  ) 

L'Esprit-Saint,  Messieurs,  nous  fait  un 
magnifique  portrait  d'Apollon,  ce  Juif  fa- 
meux qui  marchait  sur  les  traces  de  saint 
Paul ,  et  qui  participait  à  ses  travaux  :  c'é- 
tait un  homme  d'une  éloquence  admirable, 
qui  enlevait  ses  auditeurs  par  les  grâces  de 
ses  discours ,  et  par  la  beauté  et  la  solidité 
de  ses  raisonnements  :  vit  eloquens  (Act.  . 
XVIII);  il  possédait  parfaitement  la  science 
des  Ecritures  :  elles  n'avaient  point  pour  lui 
d'obscurité,  de  ténèbres;  toutes  les  vérités 
qu'elles  renferment,  tous  les  oracles  qu'elles 
prononcent ,  toutes  les  leçons  qu'elles  don- 
nent, toutes  les  actions  qu'elles  racontent, 
rien  ne  lui  échappait;  il  la  citait  à  propos, 
avec  zèle ,  avec  succès  :  potens  in  Scripturis. 
(Ibid.)  Mais  ce  qu'il  y  a,  Messieurs,  d'ad- 
mirable ,  c'est  que  ce  savant  homme  em- 
ployait toute  sa  science  et  ses  rares  talents  h 
faire  connaître  Jésus-Christ,  h  étendre  son 
règne ,  et  à  établir  sa  divinité  :  docebat  di  .i- 
genter  ea  quœsunt  Jesu.  (Ibid.) 

Sous  ces  traits,  Messieurs,  reconnaissez 
saint  Hilaire,  la  profondeur,  la  beauté  de  ses 
ouvrages,  et  le  grand  objet  qui  le  porta  à 
écrire  dans  son  exil  ;  lisez-les,  et  vous  serez 

7 


203 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


20  i 


surpris  de  la  majesté  ,  de  la  politesse  et  de 
l'élévation  de  son  style:  vir  eloquens;  vous 
verrez  un  homme  qui  emploie  l'Ecriture 
avec  une  habileté  surprenante,  qui  en  pénè- 
tre le  sens,  qui  en  développe  les  vérités;  qui 
trouve  dans  les  expressions  symboliques,  les 
images  brillantes  des  prophètes,  des  figures 
du  grand  mystère  qu'il  explique;  qui  saisit 
tous  les  oracles,  les  paroles  et  les  actions 
(pii  établissent  la  divinité  de  Jésus-Christ: 
;  on  dirait  qu'il  ait  dévoré  ce  livre  divin; 
comme  Kzéchiel,  son  langage  est  celui  de 
l'Ecriture  ipotens  in  Scripturis.  Mais  ache- 
vons le  parallèle,  Messieurs.  Dans  cet  ou- 
vrage immense ,  où  il  semble  que  Dieu  ait 
levé  en  sa  faveur  tous  les  voiles  qui  cachent 
aux  faibles  mortels  sa  gloire  ineffable,  quel 
est  son  objet  principal  ?  La  divinité  de  Jésus- 
Christ  niée  et  combatue  par  les  ariens.  C'est 
pour  prouver  qu'il  est  Fils  de  Dieu,  égal  en 
substance  à  son  Père,  éternel,  immense, 
tout-puissant  comme  lui  ;  c'est  pour  confon- 
dre les  ariens,  affermir  ses  frères  ,  rame- 
ner ceux  qui  ont  été  surpris,  qu'il  établit, 
par  des  raisonnements  solides  et  des  auto- 
rités sacrées ,  la  consubstantialité  du  Verbe  : 
docebat  diliqenter  ea  quœ  sunt  Jesu. 

C'est  en  lisant  ses  ouvrages  ,  que  les  plus 
grands  docteurs  se  sont  écriés  :Quel  homme! 
quelles  lumières!  quelle  supériorité  de  ta- 
lents! 11  a  parlé  de  Dieu  ,  et  des  personnes 
adorables  de  la  sainte  Trinité,  et  il  ne  lui 
est  pa.î  échappé  une  expression  que  l'Eglise 
n'adopte  avec  plaisir.  C'est  Dieu,  Messieurs, 
qui  les  suscite,  ces  grands  hommes  qui  de- 
viennent, en  quelque  sorte,  la  ressource  de 
l'Eglise  dans  ces  temps  de  trouble  ;  c'est  lui- 
même  qui  pose  ces  lumières  sur  la  montagne, 
pour  éclairer  les  peuples  dans  les  plus  épais- 
ses ténèbres  :  c'est  lui  qui  donne  ce  sel  de  la 
terre ,  pour  préserver  ses  enfants  de  la  cor- 
ruption ;  c'est  lui  qui  leur  met  dans  la  bou- 
che ces  paroles  victorieuses  des  subtilités 
des  hérétiques. 

C'est ,  Messieurs  ,  sur  les  matières  délica- 
tes, sur  les  profondeurs  adorables  de  nos 
mystères  ,  que  tant  de  grands  génies  ont  fait 
naufrage  dans  la  foi  :  ils  avaient  des  lumiè- 
res ,  mais  ils  n'avaient  pas  de  soumission  ; 
ils  avaient  recours  au  tribunal  de  leur  raison 
en  écrivant;  ils  méprisaient  le  tribunal  de 
/Eglise  lorsqu'ils  avaient  écrit.  De  là  les  hé- 
résies d'un  Sabeliius,  d'un  Arius,  d'un  Nes- 
torius,  d'un  Pelage,  d'un  Calvin.  C'étaient 
des  hommes  de  lumières  ,  de  génie  ;  mais  ils 
ont  écrit  sur  des  matières  délicates:  ils  ont 
sondé  les  mystères  de  la  sainte  Trinité,  de 
la  préiesti  nation ,  de  la' grâce,  prévenus 
pour  leur  faible  raison,  et  indifférents  pour 
l'autorité  infaillible  de  l'Eglise.  Leurs  lumiè- 
res les  ont  aveuglés,  ilsse  sont  perdus;  l'E- 
glise lésa  proscrits,  et  un  schisme  honteux 
a  été  leur  ressource. 

Il  n'en  est  pas  ainsi,  Messieurs,  des  lu- 
mières d'Hilaire  :  elles  ont  sondé  avec  res- 
pect les  abîmes  des  divines  Ecritures;  elles 
ont  pénétré  avec  soumission  nos  adorables 
mystères;  il  les  a  toujours  soumises  à  l'au- 
torité infaillible  de  l'Eglise,  C'étaiçntses  dé- 


cisions, dans  le  grand  concile  deNicéa,  qu'il 
défendait;  aussi  s'est-il  servi  de  ses  rares 
talents,  pour  prouver  son  infaillibilité  contre 
tous  les  conciliabules  des  ariens. 

Notre  saint  docteur,  Messieurs,  se  servit 
de  ses  lumières  pour  prouver  l'infaillibilité 
de  l'Eglise  ,  qui  avait  condamné  Arius  et  ses 
disciples.  S'il  n'y  eut  jamais  de  [dus  sérieuse 
hérésie  que  celle  de  cet  impie,  il  n'y  en  eut 
jamais  qui  se  ménageât  plus  de  ressources. 
Les  professions  cie  foi  captieuses  des  chefs 
de  l'arianisme,  la  multitude  des  conciliabu- 
les qu'ils  tenaient,  rassuraient  les  faibles, 
et  leur  donnaient  une  espèce  d'autorité.  11 
fallait  un  homme  habile  clans  la  matière  de 
l'Eglise,  pour  faire  tomber  les  voiles  impo- 
sants qui  cachaient  l'erreur  et  accréditaient 
ces  assemblées  tumultueuses.  Ce  fut  Hilaire, 
Messieurs. 

Il  fit  triompher  la  vérité:  il  mit  dans  tout 
son  jour  l'autorité  infaillible  de  l'Eglise  ,  et 
couvrit  de  honte  l'erreur  ei  les  conciliabu- 
les des  ariens.  Il  considéra  l'arianisme  avant 
le  concile  de  Ni.  ée  ,  et  après  les  décisions 
de  cette  sainte  et  majestueuse  assemblée,  et 
prouva  que  l'Eglise,  dispersée  et  assemblée, 
avait  eu  la  même  horreur  des  impiétés  u'A- 
rius,  avait  pronom  é  les  mêmes  arathèmes 
contre  celte  doctrine  de  l'enfer. 

Que  les  docteurs  catholiques  sont  admira- 
bles !  Ils  tiennent  tous  le  même  langage,  le 
langage  des  apôtres,  le  langage  cîes  pre- 
miers sièdes  ;  tout  ce  qui  ne  vient  pas  de 
cette  source  sacrée  les  alarme  ;  tout  ce  qui 
date  de  ces  temps  précieux  et  vénéi  abl.es, 
tout  ce  qui  en  vient  sans  interrupt:on  les 
attache,  et  fait  la  règle  de  leur  foi.  C'est 
cette  majestueuse  antiquité,  cette  tradition 
constante,  qu'ils  opposent  aux  hérétiques; 
c'est  par  la  nouveauté  de  leurs  opinions 
qu'ils  les  condamnent. 

Avec  quel  feu,  ave:  quelle  solidité  ne  re- 
présente-t-il  pas  les  justes  alarmes  de  l'E- 
glise, lorsque  l'impie  Arius  ouvrit  la  bou- 
che pour  attaquer  la  pure  doctrine  du  saint 
patriarche  d'Alexandrie,  l'horreur  que  tous 
les  auditeurs  en  conçurent ,  les  anathèmes 
dont  on  frappa  les  blasphèmes  qu'il  vomis- 
sait contre  le  Fils  de  Dieu  !  Il  fait  valoir  avec 
force  les  cris  de  toute  l'Eglise,  le  soulève- 
ment de  tous  les  évoques,  l'indignation  de 
tous  les  fidèles,  et  prouve  que  ces  sacrilèges 
nouveautés  ont  été  condamnées,  aussitôt 
qu'elles  ont  été  répandues,  par  cette  Eglise 
toujours  infaillible,  toujours  assistée  de  son 
Dieu  époux ,  et  à  laquelle  seule  il  a  été  dit  : 
Je  serai  avec  vous  tous  tes  jours  jusqu'à  la 
consommation  des  siècles.  [Mat th.  XXVIII.) 

Saint  Hilaire  était  persuadé  de  cette  im- 
portante vérité,  que  l'Eglise  dispersée  était 
infaillible,  aussi  bien  que  l'Eglise  assem- 
blée. Il  savait,  aussi  bien  que  saint  Augus- 
tin, (pie  beaucoup  d'hérésies  avaient  été  con- 
damnées sans  ces  augustes  assemblées  ;  que 
Jésus-Christ  étant  tous  les  jours  avec  son 
Epouse,  l'hérétique  ne  répandrait  [tas  ses 
erreurs  impunément  à  l'ombre  d'r.n  futur 
concile;  que  le  tribunal  de  l'Eglise  était  tou- 
jours   existant,  et   qu'il  se   flattait   eu  vaiu 


20: 


PANEGYRIQUES.  —  PANEG.  S,  SAINT  H'LAiïlE  DE  POITIERS. 


20!i 


d'une  autorité  qui  n'existait  pas.  C'est  ainsi 
qu'il  dépeint  la  honte  de  l'arianisme.  Qu'un 
savant  soumis  et  éclairé  est  utile  à  l'E- 
glise! Que  ses  talents  servent  à  ses  triom- 
phes ! 

Mais  me  voici,  Messieurs,  au  moment  le 
plus  vénérable  de  l'histoire.  Je  vais  parler 
du  concile  de  Nicée,  dont  saint  Hilairefut 
un  des  plus  grands  défenseurs;  ce  concile, 
que  les  détours,  les  équivoques,  la  politique 
des  ariens  rendirent  en  quelque  sorte  né- 
cessaire; que  la  piété,  la  foi  et  la  magnifi- 
cence du  grand  Constantin  procurèrent  avec 
une  promptitude  digne  de  son  zèle;  que 
trois  cent  dix-huit  évoques  composèrent,  et 
qui  trouvèrent  tous  un  asile  digne  de  la 
grandeur  de  l'Eglise,  dans  le  calais  de  ce 
magnau'me  empereur. 

Tremblez,  impie  Arius,  et  vous,  lâches 
déserteurs  de  la  foi,  qui  occupez  si  indigne- 
ment les  sièges  de  Césaréc  et  de  Nicomédie  , 
redoutables  Eusèbes  !  Par  votre  crédit, 
vos  talents  et  votre  ambition,  en  vain  proté- 
gez-vous l'hérésie  naissante  :  l'Eglise  assem- 
blée va  foudroyer  l'erreur  et  faire  triompher 
la  vérité. 

Qu'elle  est  terrible,  Messieurs,  cette  armée 
rangée  en  bataille  !  Qu'ils  sont  magnifiques, 
ces  pavillons  d'Israël!  Je  suis  saisi  d'un 
saint  respect,  quand  je  me  représente  cette 
santé  et  majestueuse  assemblée,  quand  je 
jette  les  yeux  sur  les  saints  evêques  qui  y 
prennent  séance  :  presque  tous  sont  d'illus- 
tres confesseurs  de  Jésus-Christ  ;  plusieurs 
portent  sur  leur  corps  des  marques  de  la 
cruauté  des  derniers  tyrans  ;  leurs  membres 
mutilés,  leurs  cicatrices  glorieuses  publient 
leur  foi  et  leur  constance  ;  ils  viennent  dé- 
fendre les  vérités  qu'ils  ont  confessées  dans 
les  tourments  et  dans  les  mines;  hommes  de 
miracles  et  de  prodiges!  Je  compte  parmi 
eux  l'admirable  Jacques  de  Nisibe,  et  l'in- 
comparable Nicolas  de  Myre;  comme  je  vois 
parmi  les  ariens  des  apostats,  des  lâches,  des 
ambitieux. 

Qu'il  est  grand,  ce  concile,  par  le  nombre 
et  la  sainteté  des  évoques  qui  le  composent  ! 
Qu'il  est  grand,  puisque  c'est  toute  l'Eglise 
assemblée!  Qu'il  est  terrible  pour  les  héré- 
tiques, puisqu'il  va  les  proscrire  et  les  con- 
damner! 

Oui,  Messieurs,  dans  ce  très-saint  concile, 
on  y  condamna  l'hérésie  arienne,  et  on  ôta 
toute  ressource  à  la  politique  et  aux  détours 
des  ariens,  en  déclarant  Jésus-Christ  con- 
substantiel  à  son  Père.  La  consubstantialité 
du  Verbe  sera  désormais  le  mot  des  catholi- 
ques; toute  autre  expression  alarmera  jus- 
tement leur  foi,  lorsqu'il  s'agira  du  Fils  de 
Dieu. 

Or,  Messieurs,  ce  sont  les  décisions  in- 
faillibles de  ce  saint  concile,  les  expressions 
qu'il  a  consacrées,  que  le  grand  saint  Hilaire 
a  défendues  toute  sa  vie,  et  pour  lesquelles 
il  a  employé  tous  les  talents  qu'il  avait  reçus 
du  ciel. 

La  foi  de  Nicée ,  voilà  ce  qu'il  a  proche 
dans  les  Gaules,  dans  l'Orient,  dans  l'Italie. 
C'est  elle  qui  lui  a  suscité  tant  d'ennemis 


auprès  des  empereurs,  qui  l'a  fait  bannir 
de  son  siège  et  condamner  à  l'exil;  c'est 
elle  qu'il  défend  dans  ses  admirables  écrits. 

L'Église  a  parlé  dans  le  conc  le  de  Nicée, 
dit-il  ;  elle  établit  la  consubstantialité  du 
Verbe:  il  faut  se  soumettre  tous  à  cette  au- 
torité infaillible  ;  il  faut  que  tous  les  synodes 
des  ariens  so;ent  proscrits  comme  des  as- 
semblées schismatiques  ;  il  faut  que  l'idole 
de  Dagon  tombe  en  la  présence  ce  l'arche; 
que  h'  son  de  ces  divines  trompettes  i en- 
verse  les  murailles  de  l'orgueilleuse  Jéricho; 
que  tous  les  flots  se  brisent  contre  ce  rocher 
inébranlable;  que  ces  violentes  tempêtes 
respectent  cet  édifice  bâti  sur  la  pierre  fer- 
me; il  faut  se  taire,  quand  l'Eglise  a  parlé. 
11  n'est  pas  étonnant,  Messieurs,  avec  des 
talents  si  rares,  que  saint  Hilaire  ait  eu  de 
si  grands  auccès,nialgréle  crédit  de  l'hérésie 
arienne,  et  qu'il  ait  reçu  des  applaudisse- 
ments de  l'Orient,  de  l'Occident  :  Magnifi- 
cabitur  usque  ad  (erminos  terrœ.  (  Ëccti  , 
XLIV.) 

Ce  sont  ces  succès  et  ces  trophées  que  jo 
vais  vous  raconter  dans  la  troisième  partie 
de  son  éloge.  Une  matière  si  belle  et  ii 
étendue  exige  encore  quelques  moments 
d'attention. 

TROISIEME    PARTIE. 

De  glorieux  succès  ont  toujours  suiv:, 
Messieurs ,  les  travaux  de  ces  hommes  fa- 
meux que  Dieu  a  suscités  dans  des  temps 
difficiles.  Ils  ont  eu,  il  est  vrai,  de  grands 
combats  à  soutenir:  les  charmes  de  la  nou- 
veauté, la  fureur  des  hérétiques,  la  puis- 
sance des  empereurs,  le  silence  de  certains 
pasteurs;  la  politique,  la  timidité,  la  fai- 
blesse d'un  grand  nombre  de  catholiques; 
mais  leur  zèle  intrépide  a  surmonté  ces 
grands  obstacles!  L'hérésie  la  plus  furieuse, 
la  plus  accréditée,  la  plus  florissante  a,  pour 
ainsi  dire, disparu;  misérable  et  couverte  do 
confusion,  elle  est  caché*-  dans  un  coin  d„> 
la  Transylvanie. 

Je  parle,  Messieurs,  de  l'hérésie  arienne, 
puisque  je  loue  ici  son  [lus  grand  ennemi 
et  que  je  raconte  ses  succès. 

Comparez,  Messieurs,  la  gloire  d'Hilaire 
avec  celle  d' Arius,  des  Eusèbe,  des  Satur- 
nin, des  Ursace,  des  Valons,  des  Auxence,  ces 
grands  soutiens  de  l'arianisme,  qui  ont  joué 
un  si  grand  rôle  dans  ces  temps  de  trouble 
et  de  désolation;  comparez-la,' si  vous  vou- 
lez, avec  celle  de  l'empereur  Constance,  qui 
a  abusé  si  honteusement  de  son  autorité, 
pour  persécuter  les  catholiques,  et  qui  a 
combattu  avec  tant  de  fureur  la  foi  qu'il  avait 
reçue  du  grand  Constantin,  et  voyez  quelle 
est  la  plus  solide,  la  plus  durable?  L'hérésie 
arienne  a  régné  plus  longtemps  que  toutes 
les  autres,  il  est  vrai,  mais  nVi-t-eile  pas  eu 
sa  décadence  aussi  bien  qu'elles  ?  Pans  sa 
plus  étonnante  prospérité,  lorsque  le  grand 
Clovis  parut,  et  que  tous  les  rois  étaient 
ariens,  elle  a  vu  en  peu  de  temps  tous  ses 
trophées  renversés  ;  elle  est  devenue  sans 
crédit  et  sans  honneur;  fugitive  et  proscrite. 
En  vain,  après  avoir  été  près  de  neuf  cenu 


'207 


OIUTEHIS  SACRES.  BALLET. 


203 


ans  dans  un  honteux  oubli,  a-t-elle  fait  des 
efforts  pour  se  renouveler  sous  une  autre 
forme.  En  vain  le  socinianisiEe  a-t-il  paru 
avec  toutes  les  subtilités  d'une  orgueilleuse 
raison.  Le  bras  tout-puissant  qui  a  renversé 
l'arianisme  après  un  règne  de  trois  cent  qua- 
rante ans,  a  renversé  le  socinianisme  prcs- 
qu'aussitôt  qu'il  s'est  montré. Ses  défenseurs 
ont  péri  honteusement.  Leurs  noms  odieux 
dans  l'histoire  y  rappellent  les  triomphes  de 
l'Eglise,  en  nous  faisant  souvenir  des  trou- 
bles qu'ils  ont  excités. 

Il  n'en  est  pas  de  môme  de  la  cause  de 
l'Eglise  et  de  ses  défenseurs.  L'Eglise  sort 
de  ces  temps  de  nuages  brillante  comme  le 
soleil,  qui  paraît  avec  plus  d'édat  et  de  ma- 
gnificence après  un  temps  obscur,  et  lorsque 
ces  nuées  épaisses  qui  le  cachaient  sont 
dissipées.  Ses  défenseurs  moissonnent  des 
lauriers;  l'univers  étonné  applaudit  à  leur 
zèle  et  a  leurs  lumières  ;  et  leurs  noms,  insé- 
rés avec  de  pompeux  éloges  dans  les  fastes 
de  l'Eglise,  publient  à  jamais  les  triomj  lies 
de  la  vérité  sur  Teneur.  Telle  était,  Mes- 
sieurs, la  cause  qu'Hila;re  défendait,  telle 
est  aussi  la  gloire  qu'il  s'est  acquise.  Sa 
gloire  a  fait  et  fera  dans  tous  les  siècles  la 
confusion  de  l'hérésie,  la  consolation  de  l'E- 
glise, l'objet  de  la  vénération  des  fidèles; 
dans  tous  les  royaumes  et  les  empires  on 
chante  avec  magnificence  les  combats  qu'il  a 
soutenus,  les  victoires  qu'il  a  remportées, 
les  lauriers  immortels  qu'il  a  mérités,  et  la 
puissance  que  Dieu  lui  a  communiquée  :  Ma- 
gnificabitur  usque  ad  tfrmiîios  ferrœ. 

Oui,  Messieurs,  chez  les  hérétiques  mômes 
qui  semblent  ne  pas  vouloir  reconnaître  de 
grands  hommes  hors  de  leur  secte,  pendant 
qu'ils  prodiguent  un  sacrilège  encens  aux 
plus  médiocres  génies,  et  qu'ils  font  des  hé- 
ros et  des  apôtres  de  leurs  disciples  les  plus 
ignorants  et  les  plus  obscurs,  Liilaire  a  cueilli 
des  lauriers,  a  fait  des  conquêtes,  a  décon- 
certé les  plus  lurieuses  cabales,  a  ébranlé 
Ses  empereurs,  a  imposé  silence  aux  plus 
fameux  ariens,  et  a  parlé  avec  puissance  et 
avec  succès  de  la  divinité  et  des  grandeurs 
de  Jésus-Christ. 

Cette  fameuse  conférence  qu'il  eut  avec  les 
plus  célèbres  hérétiques,  en  présence  de 
Constance,  n'est-elle  pas,  Messieurs,  un  mo- 
nument éternel  de  sa  gloire  ?  Toutes  les  fois 
qu'on  en  parlera  ne  sera-t-on  pas  obligé  de 
raconter  l'embarras,  les  alarmes,  le  laible 
des  ariens  ;  la  facilité,  la  confiance,  la  force 
d'Hilaire?  Ne  furent-ils  pas  terrassés  et 
vaincus?  Toute  la  cour  de  l'empereur  ne 
fut-elle  pas  satisfaite  des  preuves  de  noire 
saint  docteur? 

Si  ses  ennemis  abattus  furent  encore  re- 
belles, le  triomphe  d'Hilaire  en  est-il  moins 
éclatant?  Et  s'ils  ont  réussi  auprès* du  prince 
h.  le  faire  passer  pour  un  brouillon,  ont-ils 
pu  réussir  à  le  convaincre  d'erreur  et  à  effa- 
cer sa  gloire?  L'obstination  de  l'hérétique 
ne  diminue  point  la  gloire  de  celui  qui  le 
combat. 

Les  succès  d'Augustin  dans  la  célèbre 
conférence  de  Carthage    ne   le  touchèrent 


point  parce  qu'ils  ne  se  rendirent  point. 
Sans  vouloir  effacer  la  gloire  de  ce  grand  doc- 
teur, et  les  éloges  que  j'ai  donnés  moi-même 
à  cette  glorieuse  circonstance  de  ses  travaux; 
j'ose  dire  qu'Kilaireaeu  plus  de  succès  dans 
celle  qu'il  eut  devant  l'empereur. 

Le  silence,  la  confusion  des  ariens,  la  sa- 
tisfaction de  la  cour,  furent  des  trophées  éri- 
gés à  la  cause  qu'il  plaidait;  ce  triomphe 
affermit  les  catholiques,  fit  revenir  ceux  qui 
avaient  été  tromj  es,  et  répandit  la  terreur 
dans  toute  la  sei  te.  On  craignit  ses  succès 
dans  l'Orient,  et  l'esprit  de  fureur  qui  aurait 
voulu  le  voir  gémir  longtemps  dans  l'exil, 
obtint  son  retour  dans  les  Gaules,  pour  em- 
pôi'her  ses  progrès.  En  effet,  la  lieu  de  son 
exil  e;tpourlui  un  théâtre  de  gloire;  il  y 
est  le  père,  le  conseil  ,  le  docteur  des  évo- 
ques et  des  peuples. 

Combien  son  zèle  n'en  a-t-il  pas  ramenés? 
Combien  ses  conseils  n'en  ont-ils  pas  re- 
tenus dans  la  foi  de  Nicée,  qui  étaient  ébran- 
lés? Combien  ses  lumières  n'en  ont-elles 
pas  éclairés  sur  les  détours  et  les  artifices  des 
ariens?  Il  ne  faut  que  lire  ses  traités  des 
synodes,  pour  savoir  les  conquêtes  qu'il  a 
proi  urées  à  la  foi  de  Nicée  dans  l'Orient. 

11  n'y  traîna  pas,  comme  vous  voyez,  Mes- 
sieurs, une  vie  oisive  et  languissante:  il 
n'imita  point  ces  hommes  qui  mouillent  de 
leurs  pleurs  les  terres  où  ils  sont  exilés, 
qui  s'y  repaissent  inutilement  des  charmes 
de  leur  patrie,  qui  sollicitent  leur  retour, 
qui  donnent  les  jouis  aux  chagrins  et  aux 
murmures,  et  qui  ne  donnent  pas  un  seul 
instant  à  la  religion. 

11  y  est  tout  occu|  é  de  la  cause  de  l'Eglise  ; 
il  s'y  regarde  comme  un  apôtre  envoyé  par 
la  Providence,  pour  y  détruire  l'erreur  ;  il 
le  fait  et  avec  tant  de  succès,  qu'il  devient 
redoutable  à  ses  ennemis. 

Le  nom  d'Hilaire  n'a-t-il  pas  volé  dans 
toutes  les  extrémités  du  monde?  n'a-t-il  pas 
été  admiré  dans  tous  les  royaumes  et  les  em- 
pires? Quelqu'un  lui  a-t-iî  disputé  les  titres 
glorieux,  de  saint,  de  savant,  d'éloquent, 
d'orthodoxe?  et  n'a-t-il  pas  fait  la  confusion 
des  hérétiques  dans  l'Occident,  aussi  bien 
que  dans  l'Orient? 

Ah  !  qu'ils  voient  et  qu'ils  rougissent  des 
honneurs  éclatants  que  ce  grand  docteur 
reçoit  dans  les  Gaules  après  son  exil.  Toute 
l'Eglise  gallicane  érige  des  trophées  à  ce 
grand  défenseur  :  elle  le  regarde  comme  un 
vainqueur  qui  est  sorti  glorieux  des  com- 
bats ;  elle  embrasse  avec  joie,  pour  me  ser- 
vir de  l'expression  de  saint  Jérôme,  ce  grand 
défenseur  de  la  foi  de  Nicée;  il  fait  toute  sa 
consolation. 

Jamais,  Messieurs,  l'Eglise  gallicane  n'ou- 
bliera les  importants  services  qu'il ilaire  lui 
a  rendus.  Ses  succès  font  sa  gloire  ;  c'est  lui 
qui  l'a  conservée  pure  dans  des  temps  de 
danger;  c'est  lui  qui  a  prêché  et  soutenu  la 
foi  de  Nicée.  Toutes  les  Gaules  préservées, 
non-seulement  des  impiétés  d'Arius,  mais 
même  de  l'arianisme  radouci  et  de  la  fraude 
de  Ri  mini,  sont  des  trophées  érigés  à  sa 
gloire,  et  les  lauriers  immortels  qu'il  a  mois 


209  PANEGYRIQUES.  --  PANEG.  X, 

sonnés  dans  les  troubles  mêmes  de  l'Eglise. 

O  Eglise  de  France  1  c'est  avec  raison  que 
vous  lui  prodiguez  de  si  magnifiques  éloges, 
et  que  vous  le  regardez  comme  le  plus  grand 
de  vos  évoques,  le  plus  éclairé  de  vos  doc- 
teurs, le  plus  tendre  de  vos  pères  dans  lafoi, 
et  le  {-lus  zélé  de  vos  défenseurs. 

N'a-t-il  pas  été  dans  l'Occident  ce  qu'Atha- 
nase  était  dans  l'Orient?  Ne  sont-ce  pas  ces 
deux  évêques  qui  veillaient  sur  ces  deux 
grands  empires?  Hilaire  sur  le  siège  de  Poi- 
1  ers  ne  s'est-il  pas  opposé  aussi  fortement  à 
l'a rianisme  qu'A thanase  sur  le  siège  d'Alexan- 
drie? N'est-ce  pas  lui  qui  exhortait  tous  les 
évêques  des  Gaules  à  donner  leur  vie  pour 
la  consubstantialité  du  Verbe?  hcrtabatur 
omnes.(Aci.,\l.)  Et  ceux  qui  sont  demeurés 
fermes  dans  lafoi,  n'étaient-ils  pas  redevables 
de  leur  fermeté  au  zèle  d'Hiîaire? 

Seigneur,  vous  jetiez  des  regards  de  ten- 
dresse sur  l'Eglise  gallicane  ;  vous  la  pro- 
tégiez d'une  manière  particulière,  cette 
Eglise  si  belle,  si  terrible  à  l'hérésie  et  à  la 
nouveauté;  qui  devait  dans  tous  les  siècles 
défendre  la  foi,  par  les  oiacles  de  ses  au- 
gustes assemblées  ;  cette  Eglise  qui  fait  con- 
sister toute  sa  gloire  à  être  inviolablement 
attachée  au  trône  de  saint  Pierre  et  à  res- 
pecter ses  décisions.  Et  pour  la  préserver 
d'une  hérésie  qui  désole  toute  la  terre,  vous 
suscitez  saintHilaire:  par  son  zèle  et  ses  lu- 
mières, les  Gaules  sont  préservées  des  im- 
piétés et  des  fraudes  de  l'arianisme;  cette 
hérésie  puissante  et  accréditée  n'y  pénètre 
que  pour  y  recevoir  des  coups  mortels  et  y 
périr  honteusement. 

De  si  glorieux  succès,  Messieurs,  sont 
des  preuves  éclatantes  de  la  bonté  de  no- 
tre Dieu,  qui  veille  continuellement  sur 
son  Eglise,  pour  empêcher  sa  ruine  et  ac- 
complir les  promesses  infaillibles  qu'il  nous 
&  faites. 

En  voyant  le  crédit  des  ariens,  la  rapidité 
avec  laquelle  cette  malheureuse  secte  s'é- 
tend, tant  de  grands  sièges  remplis  par  des 
hérétiques  ,  l'empereur  se  déclarer  en  sa 
faveur,  Valentinien  dans  l'Occident,  quel- 
quefois chancelant  et  toujours  prévenu  par 
les  réponses  artificieuses  d'Auxence;  tant 
de  synodes  succéder  au  concile  de  Nicée,  et 
dans  tous  la  consubstantialité  du  Verbe  ha- 
bilement combattue,  artificieusement  dégui- 
sée et  quelquefois  opiniâtrement  rejetéc,  les 
faibles  ne  croyaient-ils  pas  avoir  lieu  de 
craindre  pour  la. nacelle  de  Pierre?  je  veux 
dire  pour  toute  l'Eglise.  Ne  sont-ce  pas  ces 
malheurs  que  les  hérétiques  ont  exagérés  au 
reuple  pour  l'effrayer  et  le  rassurer  contre 
les  anathèmes  que  l'Eglise  prononçait  à  un 
petit  nombre  de  rebelles  sans  mission,  sans 
autorité?  Tous  les  hérétiques  qui  sont  venus 
de;  uis,  n'ont-ils  pas  avancé  que  l'univers 
entier  était  alors  arien  et  que  le  grand 
Athanase  seul,  était  demeuré  ferme  dans  la 
foi  ? 

Brillants  mensonges,  séduisantes  impos- 
tures, histor'ons  téméraires,  cessez  d'atta- 
quer .la  parole  d'un  Dieu;  de  répandre  ma- 
lignement des  nuages  épais  sur  la  lumière 


SAINT  HILAIRE  DE  POITIRRS. 


210 


qu'il  a  posée  sur  la  montagne,  pour  éclairer 
toutes  les  nations;  de  faire  triompher  les 
portes  de  l'enfer  de  l'Epouse  de  Jésus-Christ, 
et  de  nous  repaître  d'un  prétendu  temps  de 
chute  et  d'obscurité,  pour  autoriser  un  parti 
caché  et  qui  n'avait  aucun  des  signes  de  la 
vraie  Eglise. 

J'oppose  à  ces  faits  hasardés  et  dont  plu- 
sieurs de  vos  ministres  ont  rougi,  les  suc- 
cès du  grand  Hilaire  dans  les  Gaules;  ces 
liens  sacrés  qui  le  tenaient  attaché  à  la  chaire 
de  saint  Pierre;  le  plus  grand  nombre  des 
évêques  unis  de  communion  avec  lui;  tou- 
tes les  Gaules  soumises.  Dans  ces  vastes 
provinces  qui  composent  l'Eglise  gallicane, 
Hilaire  y  avait  établi  la  foi  de  Nicée,  on  y 
croyait  la  consubstantialité  du  Verbe.  Voilà  sa 
gloire, ce  que  l'Eglise  a  inséré  dans  sesfastes, 
et  les  glorieux  trophées  érigés  à  son  zèle. 

Si  je  ne  me  bornais  pas  aux  succès  qu'il 
eut  dans  les  Gaules  et  qu'il  fût  question 
d'une  controverse,  j'opposerais  encore  les 
conquêtes  qu'il  a  faites  dans  l'Italie  et  dans 
l'Orient;  je  le  suivrais  dans  ceslongs  et  pé- 
nibles voyages  qu'il  a  faits  pour  la  cause  de 
l'Eglise  :  car  il  a  parcouru  presque  toute  la 
terre  :  permensus  orbem  pêne  terrarum. 

Mais  les  succès  seuls  d'Hiîaire  dans  les 
Gaules,  suffisent  pour  sa  gloire  et  pour  la 
confusion  de  l'hérésie. 

J'adore  ici,  ô  mon  Dieu  1  les  desseins  de 
votre  sagesse,  j'examine  l'histoire  des  maux 
qu'a  soufferts  votre  Eglise  dans  tous  les  siè- 
cles. Je  vois  des  orages,  des  tempêtes  qui 
s'élèvent  et  agitent  ce  vaiseau  mystérieux; 
mais  je  le  vois  toujours  triompher,  rien  n'a 
pu  le  submerger.  Dans  le  règne  des  plus 
furieuses  hérésies  et  des  plus  grands  trou- 
bles, votre  Eglise  a  toujours  paru  éclatante, 
terrible,  pleine  de  majesté.  Vos  premiers 
jasteurs,  unis  à  leur  chef,  ont  toujours  en- 
seigné la  vérité  et  condamné  l'erreur. 

Ainsi  dans  les  Gaules  a-t-on  suivi  saint  Hi- 
laire que  vous  avez  suscité;  et  saint  Hilaire 
était-il  uni  de  communion  avec  le  souverain 
pontife,  comme  le  souverain  pontife  avait 
reçu  la  consubstantialité  déclarée  dans  le 
concile  de  Nicée  où  ses  légats  occupèrent 
les  premières  places. 

Ainsi  dans  l'Orient,  plusieurs  évêques,  les 
plus  saints,  les  plus  illustres  confesseurs  dé- 
fendirent-ils la  foi  de  Nicée  avec  le  grand 
Athanase,  toujours  chéri,  toujours  protégé 
des  souverains  pontifes  contre  la  fureur  des 
ariens. 

Grâces  vous  soient  rendues  à  jamais,  ô 
mon  Dieu,  de  cette  divine  et  perpétuelle 
protection!  Mais  je  m'écarte,  Messieurs,  et 
je  n'ai  pas  achevé  de  vous  peindre  la  gloire 
d'Hiîaire  dans  les  succès  qu'il  eut  dans  les 
Gaules. 

La  fraude  de  Ilimini  s'y  était  glissée; 
j'entends,  Messieurs,  ces  expressions  cap- 
tieuses et  enveloppées,  auxquelles  on  eut 
recours  après  que  le  concile,  dans  sa  li- 
berté, eut  eu  condamné  l'arianisme  et 
reçu  la  foi  de  Nicée;  ces  appâts  cachés,  que 
l'on  tendit  à  des  hommes  qui  coulaient 
leurs  jours   dans  les   ennuis,  la  douleur, 


211 


OIUTLTRS  SACRES.  BALLET. 


2l< 


privés  des  choses  nécessaires  à  la  vie,  ex- 
posés aux  menaces  de  leurs  ennemis  et  à 
la  violence  d'un  parti  furieux  et  accrédité; 
ces  termes  équivoques  qu'ils  crurent  pouvoir 
adopter  sans  blesser  la  foi  orthodoxe. 

Mais  Hilaire  la  découvrit,  celte  fraude  de 
l'hérésie,  qui  gagnait  dans  les  Gaules  et 
qui  n'alarmait  pas.  Il  s'appliqua  à  la  dévoi- 
ler, à  en  inspirer  de  l'horreur,  et  bientôt  tous 
les  évêques  l'anjathématisèrent,  comme  ils 
avaient  condamné  l'impiété  arienne.  Cet 
arianisme  radouci  et  caché  fut  proscrit,  et  le 
concile  de  Nicée  triompha  dans  les  Gaules, 
des  trompeuses  adresses  des  ariens  décon- 
certés. 

De  si  glorieux  succès  ne  méritent-ils  pas 
des  lauriers  immortels  et  des  honneurs  écla- 
tants? Oui,  Messieurs  ;  aussi  Dieu  lui  a-t-il 
procuré  une  gloire  qui  elï'ace  celle  des  maî- 
tres du  monde.  De  l'Orient  à  l'Occident  son 
nom  est  en  bénédiction,  et  sa  puissance  est 
la  ressource  de  tous  les  fidèles  :  Magnifœa- 
bi'tur  usijue  ad  terminos  terrer. 

Je  vais  parler,  Messieurs,  de  la  gloire  qui 
suit  les  héros  de  la  religion  au  delà  même 
du  tombeau  ;  de  cette  magnificence  avec 
laquelle  Dieu  récompense  les  vertus  de  ces 
hommes  fameux,  qui  ont  consacré  leurs  ta- 
lents au  salut  des  peuples  et  aux  intérêts  de 
son  Eglise;  de  cette  puissance  qu'il  leur 
communique  et  que  les  fidèles,  les  grands, 
les  monarques  réclament  avec  tant  de  suc- 
cès; de  ces  trophées  érigés  aux  actions  mé- 
morables de  leur  vie,  dans  tous  les  royau- 
mes et  les  empires,  jusque  dans  ces  séjours 
d'horreur,  où  la  mort  victorieuse  des  scep- 
tres et  des  couronnes,  change  en  une  vile 
poussière  les  rois  qu'elle  a  arrachés  à  leurs 
trônes. 

Il  n'appartient  qu'à  notre  Dieu  de  procu- 
rer des  lauriers  immortels  pour  des  vertus 
passagères.  G'est  pour  l'éternité  qu'on  tra- 
vaille quand  on  travaille  pour  lui.  Les  hom- 
mes, qui  ne  sont  pas  maîtres  du  temps,  ne 
peuvent  pas  procurer  une  gloire  durable. 

Paraissez  ici,  grand  Hilaire  ;  vos  vertus, 
vos  ouvrages,  vos  travaux  vous  ont  immor- 
talisé, non  pas  seulement  dans  la  république 
des  lettres  :  c'est  la  triste  récompense  de  ces 
savants  qui  n'ont  travaillé  (pie  pour  la 
gloire  de  ce  monde;  mais  dsns  l'Eglise,  chez 
tous  les  chrétiens,  d'une  extrémité  du 
monde  à  l'autre,  on  donne  de  magnifiques 
éloges  à  vos  talents  éminents  ;  on  révère  vos 
vertus  héroïques,  on  implore  votre  puissante 
protection  :  Magnifkaliitur  usque  ad  terminos 
terrœ. 

Ici,  'Messieurs,  s'accomplit  celte*  magnifi- 
que promesse  du  Seigneur,  faite  à  ces  hom- 
mes sublimes  qui  emploient  leurs  talents 
pour  la  religion,  qui  répandent  des  trésors 
de  science  et  d'instruction  dans  l'Eglise  pour 
le  salut  des  peuples.  Il  les  fait  briller  sur  la 
terre,  après  avoir  couronné  leurs  vertus, 
leurs  travaux  et  leurs  talents  :  Qui  docti  fue- 
rint,  fulgebunt.  (Dan.,  Xll.) 

Y  a-t-il  un  royaume,  un  empire  où  on  ne 
rende  hommage  à  la  sainteté,  aux  ouvrages 
et  aux  travaux  de  saint  Hilaire? Ces  temples 


élevés  en  son  honneur,  ces  fêtes  pompeuses 
établies  pour  célébrer  sa  mémoire,  ces 
grands  diocèses  sous  sa  protection  ;  ce  tribut 
annuel  de  louanges  qu'on  lui  donne  dans  les 
chaires  chrétiennes,  le  culte  public  que  l'E- 
glise lui  a  décerné,  le  rang  éminent  qu'il 
tient  dans  ses  fastes,  la  gloire  dont  Dieu  a 
récompensé  ses  travaux  ;  voilà  les  triomphes 
éclatants  qui  relèvent  les  routes  humiliantes 
par  lesquelles  Dieu  semble  conduire  ses  ser- 
viteurs pendant  leur  vie. 

Ses  ouvrages  ne  font-ils  pas  encore  une 
portion  de  sa  gloire  dans  l'Eglise?  Il  vit 
dans  ces  savants  écrits  qui  font  ses  délices; 
et  si  je  pouvais' ramasser  ici  tous  les  éloges 
que  lui  ont  donnés  les  Jérôme,  les  Augustin, 
tous  les  savants  de  son  siècle,  les  savants  des 
derniers  siècles,  et  tous  ceux  qui  aiment 
l'éloquence,  l'érudition  ,  le  sublime  et  la 
doctrine  la  [dus  profonde  et  la  [dus  ortho- 
doxe ;  si  je  pouvais  exprimer  ici  les  senti- 
ments de  reconnaissance  dont  toute  l'Eglise 
gallicane  est  pénétrée  pour  les  travaux  de 
cet  incomparable  docteur,  vous  seriez  ravis 
d'étonnement,  et  vous  avoueriez  que  saint 
Hilaire  est  un  des  astres  les  plus  brillants 
de  l'Eglise  :  Qui  docti  fuerint,  fulgebunt. 

Il  n'en  est  pas  de  même,  Messieurs,  de  ceux 
qui  ne  joignent  pas  la  sainteté  à  la  science. 
La  science  est  détruite  à  la  mort  de  ces  sa- 
vants :  Scicntia  deslruitur  (I  Cor.,  Xlll)  ;  et 
comme  ils  n'ont  travaillé  que  pour  acquérir 
un  nom  dans  la  république  des  lettres,  la 
république  seule  des  letires  perpétue  leur 
mémoire.  Elle  juge  de  l'esprit  et  non  du 
neur;  elle  ne  refuse  pas  le  titre  de  savants 
aux  plus  grands  pécheurs  quand  ils  sont  ha- 
biles. Que  d'ouvrages  dont  elle  a  couronné 
l'érudition,  et  dont  la  religion  a  proscrit  la 
(ioctrine  ou  la  licence!  Que  d'hommes  qu'elle 
a  immortalisés  dans  ses  éloges,  que  l'Eglise 
a  condamnés,  et  que  Dieu  a  réprouvés!  Les 
louanges  mêmes  d'un  nombre  de  savants, 
qui  ne  décident  que  de  l'érudition  et  qui 
condamnent  tous  les  vices,  peuvent-elles  les 
dédommager  de  la  fierté  de  leurs  âmes?  Ah  ï 
il  n'en  est  pas  ainsi  de  Dieu:  il  ne  récom- 
pense que  les  talents  qui  ont  été  sanctifiés 
par  les  vertus  chrétiennes,  et  qui  ont  été 
utiles  au  salut  du  prochain,  et  à  l'agran- 
dissement de  son  Eglise  :  Qui  docti  fuerint, 
fulgebunt. 

Saint  Hilaire  brille  jusque  dans  la  nuit  du 
tombeau,  parce  que  ses  vertus  et  ses  talents 
ont  édifié  et  défendu  l'Eglise;  parce  qu'il  a 
enrichi  son  Ame  des  vertus  chrétiennes,  en 
môme  temps  qu'il  enrichissait  son  esprit  des 
différents  genres  d'érudition. 

Voyez,  Messieurs,  les  tombeaux  des  grands 
et  des  savants:  y  trouvez-vous  quehpio  trace 
de  la  gloire  dont  ils  étaient  environnés  sur 
la  terre?  Y  va-t-on  rendre  (\os  hommages  à 
ces  maîtres  du  monde,  qui  avaient  une  cour 
si  brillante  et  qui  éblouissaient  par  la  ma- 
gnificence de  leurs  trônes?  Y  va-t-on  consul- 
ter ces  oracles  de  leur  siècle,  qui  donnaient 
le  ton  dans  toutes  les  assemblées  et  dans 
toutes  les  académies?  Ah  !\lit  le  Prophète, 
cette  gloire  qui  flatte  si  fort  l'homme,  est  une 


PANEGYRIQUES.     -  PANEG.  Kl,  SAINT  MARTIN. 


r, 


215 

gloire  passagère,  elle  ne  descend  point  avec 
ui  dans  le  tombeau  :  Non  descendet  cum  eo 
(jloria  ejus.  (Psal.  XLVIII.) 

Mais  le  tombeau  de  saint  Hilaire  est  de- 
venu un  trône  de  gloire,  un  séjour  de  mer- 
veilles. Les  puissances  de  l'Eglise  et  de  l'E- 
tat y  vont  rendre  leurs  bommages;  on  y  voit 
sans  cesse  toute  la  grandeur  du  siècle  abais- 
sée. Les  peuples  y  accourent  en  foule,  et  les 
tropbées  qu'on  érige  sur  ses  cendres  sacrées 
annoncent  sa  grandeur.  Il  brille  où  les  au- 
tres sont  humiliés;  il  occupe  l'univers  en- 
tier, où  les  plus  grands  hommes  sont  ou- 
bliés. 

Qu'est  devenu  Constance,  ce  fameux  em- 
pereur, qui  faisait  trembler  les  catholiques, 
et  qui  menaçait  inutilement  notre  saint?  Où 
est  son  tombeau?  Je  sais  qu'on  l'y  a  conduit 
avec  pompe,  et  que,  selon  la  coutume,  on 
s'est  efforcé  de  perpétuer  quelque  temps  les 
honneurs  qu'on  rend  aux  majestés  de  la 
terre.  Mais  cette  gloire  funèbre  a  passé  ra- 
pidement. Son  tombeau,  détruit  dans  les  ré- 
volutions de  l'empire  de  l'Orient,  est  oublié 
et  ignoré. 

11  n'en  est  pas  de  même,  ô  mon  Dieu,  de 
l'irieomparabledocteurque  je  viens  de  louer. 
Les  miracles  opérés  à  son  tombeau  ont  an- 
noncé sa  sainteté  et  sa  gloire  aux  extrémités 
de  la  terre  ;  partout  on  sait  ces  grâces  de  gué- 
rison  qui  en  coulent  abondamment.  On  n'i- 
gnore dans  aucun  lieu  ses  triomphes  sur  la 
mort  même  ;  et  on  citait  ses  merveilles  du 
temps  du  grand  Clovis,  comme  une  preuve 
de  la  vérité  contre  l'hérésie  arienne,  que 
tant  de  princes  professaient  alors. 

Telle  est,  Messieurs,  la  gloire  d'Hilaire 
r-près  sa  mort^même.  Elle  s'étend  dans  toutes 
les  parties  du  monde  ;  partout  on  la  célèbre, 
elle  participe  à  la  gloire  de  notre  sainte  re- 
ligion :  Magnificabilur  usque  ad  terminos 
terrœ. 

Heureux,  Messieurs,  si  nous  imitons  son 
zèle,  si  nous  aimons,  comme  lui,  l'Eglise  et 
la  vérité,  et  si  nous  joignons  aux  talents  qui 
ornent  l'esprit,  les  vertus  qui  sanctifient 
l'âme  :  notre  bonheur  sera  éternel.  Je  vous  le 
souhaite.  Ainsi  soit-il. 

PANEGYRIQUE  XL 

SA1XT  MARTIN. 

Prononce  le  jour  de  sa  fête  dans  Véglise  de 
Saint-Martin  de  Chcvreuse,  diocèse  de  Pa- 
ris, en  1744. 

In  vita  sua  ferit  innnstra,  et  in  morte  mirabilia  operatus 
est.  (Eeeli.,  XF/Vlll.) 

Sa  vie  a  été  un  enchaînement  de  merveilles,  et  sa  mort  a 
été  accompagnée  de  prodiges. 

Le  sage  consacré,  Messieurs,  ce  magnifi- 
que éloge  à  la  gloire  d'un  des  plus  saints 
héros  de  la  Synagogue.  Il  admire  l'homme 
de  sainteté,  l'homme  de-  prodiges;  il  le  suit 
dans  la  route  brillante  de  ses  vertus;  et  dans 
ces  moments  décisifs  où  les  timides  mortels 
tFemblent  si  fort  sur  leurs  destinées,  il  voit 
Elisée  pénétrer  jusqu'au  trône  des  rois,  pour 
reprendre  les  vices  qui  llétrissenl  leurs  scep- 


211 

très  et  leurs  couronnes.  Il  contemple  cet 
homme  de  Dieu,  que  la  sainteté  élève  au- 
dessus  des  maîtres  du  monde;  qui  ferme  les 
bouches  les  plus  éloquentes,  qui  brille  dans 
les  ombres  de  la  mort,  et  parle  dans  le 
silence  du  tombeau;  des  traits  si  singu- 
liers, si  éclatants  lui  font  dire  que  sa  mort 
n'a  fait  que  perpétuer  les  merveilles  de  sa 
vie  :  In  vita  sua  fecit  monstra,  et  in  morte 
mirabilia  operatus  est. 

Messieurs,  des  traits  moins  éclatants, moins 
magnifiques,  caractériseraient-ils  le  grand 
saint  Martin,  dont  j'entreprends  aujourd'hui 
l'éloge?  J'ai  à  vous  représenter  un  homme 
qu'on  vit  tout  à  la  fois  contemplatif  et  guer- 
rier ;  qui  parut  dans  le  monde  avec  la  magni- 
ficence des  prodiges,  et  l'héroïsme  de  la 
sainteté. 

Un  évoque  qui  donna  des  leçons  aux  em- 
pereurs, et  qui  en  fut  honoré;  un  apôtre 
qui  attaqua  le  paganisme  et  lui  enleva  ses 
plus  belles  conquêtes;  qui  se  souleva  contre 
l'hérésie,  et  précautionna  les  peuples  contre 
ses  artifices;  qui  gémit  de  tous  les  abus  et 
les  réprima  ;  un  thaumaturge  qui  remplit  les 
Gaules  de  ses  prodiges,  et  qui  retraça  sous 
les  yeux  des  rois  et  des  empereurs,  la  puis- 
sance des  Moïse,  des  Elie  et  des  apôtres  ;  un 
héros  qui  expire  sur  la  cendre  et  qui  est 
plus  grand  sur  ce  lit  de  pénitence  que  les 
plus  grands  monarques  sous  leurs  diadèmes; 
une  lumière  qui  ne  s'éteint  pas  avec  la  vie, 
et  qui  va  briller  jusque  dans  la  nuit  du 
tombeau  ;  un  corps  que  les  royaumes  se 
disputent,  que  les  rois  vont  visiter,  qui  sanc- 
t'tie  tout,  et  communique  à  tout  une  vertu 
merveilleuse. 

Voilà-,  Messieurs,  une  légère  idée  des  mer- 
veilles que  j'ai  à  vous  raconter,  et  que  les 
histoires  les  plus  fidèles  nous  garantissent. 
Ils  paraissent  donc  de  temps  en  temps,  ces 
hommes  de  |  uissance  et  de  sainteté;  Dieu 
renouvelle  donc,  quand  il  lui  [lait,  ces  an- 
tennes merveilles.  Il  retrace,  quand  sa  sa- 
gesse le  juge  a  propos,  les  œuvres  merveil- 
leuses des  prophètes  et  des  apôtres;  il  suscits 
pour  l'exécution  de  ses  desseins  adorables, 
des  Moïse,  des  Elie,  des  Jean-Baptiste,  des 
Paul. 

Pour  représenter  la  puissance,  la  sainteté 
de  ces  hommes  fameux,  il  suscite  dans  les 
Gaules  saint  Martin.  Le  siècle  qui  le  vit  ne 
fut  pas  moins  étonné  que  celui  qui  vit  ces 
grands  hommes.  Vous  allez  juger,  Messieurs, 
si  j'attribue  à  mon  héros  un  merveilleux 
qu'il  n'ait  pas  soutenu,  et  si  je  pouvais  le  ca- 
ractériser sous  des  idées  moins  sublimes. 

Saint  Martin,  homme  de  prodige  pendant  sa 
vie:  in  vita  sua  fecit  monstra;  saint  Martin, 
homme  de  prodige  à  sa  mort  :  in  morte  wuYa- 
bilia  operatus  est. 

Avant  d'entrer  dans  une  route  si  brillante, 
et  de  développer  de  si  grandes  merveilles, 
demandons  les  lumières  du  Saint-Esprit,  par 
l'intercession  de  la  Mère  de  Dieu.  Ave, 
Maria. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

Je  sais,  Messieurs,  que  tous  les  saints  ont 


Or.ÀTCLUS  SACRES.  BALLET. 


M5 


pratiqué  de  grandes  vertus,  que  Dieu  e^t 
admirable  dans  les  héros  de  la  religion, 
qu'il  les  conduit  souvent  par  des  routes 
mystérieuses ,  et  que  les  mondains,  surpris 
de  les  voir  fuir  les  honneurs,  se  détacher 
des  richesses,  renoncer  aux  plaisirs,  les  re- 
gardent comme  des  hommes  extraordinaires, 
exempts  de  tempérament,  de  passions,  de  fai- 
bles,ou  favorisés  de  certaines  grâces  choisies, 
plus  fortes  et  plus  puissantes  que  celles  qu'ils 
ont. 

Je  sais  qu'on  accuse  les  orateurs  chrétiens 
d'exagérer  les  louanges  de  ces  hommes  fa- 
meux qu'ils  louent  dans  l'assemblée  des 
fidèles. 

Je  sais  que  le  ciel  n'a  été  accordé  qu'à  de 
grandes  vertus,  et  que  tous  les  saints  les  on* 
pratiquées. 

Mais  je  sais  aussi,  Messieurs,  que  parmi 
tous  ces  astres  il  y  en  a  de  plus  brillants  les 
uns  que  les  autres  ;  qu'il  n'a  pas  été  donné 
à  tous  de  marcher  sur  les  traces  des  pro- 
phètes, des  apôtres,  des  évangélistes,  des 
docteurs,  des  thaumaturges  ;  qu'on  peut 
être  saint  sans  annoncer  les  événements  des 
siècles  futurs,  sans  passer  les  mers  pour  con- 
vertir les  infidèles,  sans  être  choisi  de  Dieu 
pour  raconter  ses  divines  actions  ;  sans  ces 
connaissances  et  ces  talents  qui  font  les 
maîtres  de  la  science;  sans  étonner  le  monde 
par  des  miracles. 

Dieu  les  suscite, ces  hommes  rares,  quand 
i!  lui  plaît,  pour  la  gloire  de  son  Eglise  et 
pourfaire  éclater  sa  puissance. Or,  Messieurs, 
.saint  Martin  fut  du  nombre  de  ces  hommes 
extraordinaires,  qui  étonnent  et  épuisent 
notre  admirat;on. 

Vous  verrez  des  vertus  héroïques,  des 
travaux  apostoliques,  des  miracles  de  pre- 
mier ordre.  Des  vertus  héroïques  dans 
I  homme  privé  des  travaux  apostoliques,  dans 
l'homme  public  ;  des  miracles  du  premier 
ordre  dans  le  thaumaturge.  Je  ne  suivrai 
point  le  nombre  des  années,  je  choisirai 
dans  l'histoire  fidèle  les  faits  qui  convien- 
nent à  ces  différents  états.  Heureux  si  dans 
une  matière  si  abondante,  si  vaste,  si  brillante 
je  ne  laisse  pas  échapper  les  traits  qui  vous 
frapperaient  le   plus  ! 

Faites-y  attention,  Messieurs,  ce  merveil- 
leux que  vous  al  mirerez  sans  doute  dans 
cet  éloge,  est  le  caractère  de  saint  Martin.  11 
est  répandu  dans  toute  sa  vie;  raconter  ses 
actions,  c'est  raconter  des  merveilles. 

Ce  ne  sont  point  les  réflexions  de  l'orateur, 
ni  les  fruits  d'une  imagination  vive,  capable 
de  produire  et  de  créer.  Un  homme  que 
l'Eglise  appelle  depuis  tant  de  siè  les  un 
homme  admirable,  qui  a  épuisé  les  éloges 
des  plus  grands  docteurs  et  des  souverains 
pontifes,  qui  a  toujours  été  un  des  plus  beaux 
ornements  de  L'Eglise  gallicane,  et  qui  a  fixé 
pendant  longtemps  les  plus  grands  événe- 
ments de  l'empire  des  Français ,  est  un 
homme  extraordinaire. 

L'histoire  est  trop  féconde  à  son  sujet  pour 
la  suivre  exactement;  mais  les  traits  que  je 
choisirai  vous  prouveront  que  sa  vie  a  été, 
;;u^vi  bien  que  celle  du  prophète  Elisée,  un 


enchaînement  de  merveilles  :  In  viîa  suafecit 
monstra. 

Toutes  les  vertus  de  sa  vie  privée  sont 
autant  de  victoires  qu'il  a  remportées  sur  les 
ténèbres  de  sa  naissance,  sur  la  licence  des 
troupes,  sur  les  excès  de  la  jalousie,  sur  les 
prétextes  de  la  cupidité,  sur  les  écueils  du 
monde.  Sa  foi,  sa  valeur,  sa  charité,  sa  dou- 
ceur, son  innocence,  sont  des  vertus  qui  ont 
édifié  dans  les  autres  saints,  et  qui  étonnent 
dans  Martin.  Les  obstacles  rendent  les  suc- 
cès plus  glorieux. 

Jamais  homme  ne  trouva  de  plus  grands 
obstacles  à  la  sainteté  que  notre  héros,  et  ja- 
mais homme  ne  parvint  à  une  sainteté  plus 
éminente.  II  n'appartenait  qu'à  un  Dieu  tout- 
puissant  de  changer  les  ténèbres  en  une  lu- 
mière éclatante,  et  de  montrer  un  héros  chré- 
tien là  où  on  ne  voyait  que  de  lâches  ado- 
rateurs de  La  fortune  ou  des  aveugles  mortels 
dévoués  au  culte  des  idoles. 

Vous  le  savez,  Mess'eurs,  sa  famille,  livrée 
malheureusement  ,"u  cuite  des  fausses  divini- 
tés, méconnaissait  le  vrai  Dieu;  aveuglée  par 
les  ténèbres  du  paganisme,  elle  se  proster- 
nait devant  les  idoles,  et  faisait  fumer  son 
encens  sur  les  autels  élevés  en  l'honneur  des 
dieux  de  la  fable. 

Quel  malheur,  Messieurs,  de  naî'.re  et  de 
se  trouver  enveloppé  dans  les  superstitions, 
de  n'avoir  pour  a,  ôtres  et  pour  maîtres  que 
des  parents  dévoués  par  religion  aux  abomi- 
nations de  l'idolâtrie  1  Attendez,  Messieurs, 
et  vous  verrez  les  merveilles  que  Dieu  opère. 
Rien  ne  coûte  à  sa  puissance;  les  obstacles 
et  les  préjugés  cèdent  à  sa  volonté  suprême. 

Martin,  semblable  à  ces  belles  fleurs  qui 
croissent  dans  les  épines,  s'élève  avec  le 
goût  de  la  religion  chrétienne  au  milieu  de 
ces  hommes  charnels.  Déjà  c'est  une  lumière 
qui  brille  dans  les  épaisses  ténèbres  de  l'ido- 
lâtrie ;  déjà  les  grandes  vérités  de  la  doctrine 
du  Sauveur  se  développent  à  ses  yeux  ;  il  en 
a  lmire  la  grandeur,  la  sainteté.  Les  con- 
quêtes que  Jésus-Christ  a  remportées  sur  la 
croix,  lui  parafaient  préférables  à  toutes 
c  is  victoires  si  vantées  des  Romains  ;  les 
glorieux  succès  des  apôtres,  les  vains  com- 
plots des  tyrans  conjurés  contre  ces  hommes 
divins;  la  force  invincible  des  premiers  hé- 
ros chrétiens,  qui  bravaient  leur  jalouse  fu- 
reur sur  les  évhafauds  et  sous  les  glaives;  la 
fécondité  merveilleuse  du  sang  des  martyrs, 
qui  multipliait  les  disciples  de  Jésus-Christ 
et  en  remplissait  les  empires;  la  chute  hon- 
teuse du  paganisme  dans  sa  plus  grande 
puissance,  et  le  triomphe  du  christianisme 
devenu  riche  par  ses  propres  pertes. 

Tous  ces  grands  traits  de  divinité  frappent 
Martin.  Déjà  il  répand  des  larmes  sur  les 
malheurs  de  ses  [ères.  Il  ne  les  voit  qu'avec 
horreur  courir  aux  autels  sacrilèges,  et 
se  r»rosterner  devant  des  dieux  qui  ont  sali 
l'histoire  du  détail  de  leurs  honteuses  débau- 
ches; et  soutenu  par  cette  main  puissante  qui 
conduit  avec  gloire  et  avec  succès  ces  hom- 
mes choisis,  il  se  dérobe  à  sa  famille,  et  va 
seul  adorer  le  Seigneur  et  se  mettre  au  rang 


5M7 


PAKEGïllîQLES.  ~  PAMiC.  XI,  SA1ST  MARTIN; 


2i3 


des  catéchumènes  :  Solus  pergebai  ad  lem- 
plum  Domini.  (Tob.  1.) 

Echapper  ainsi,  Messieurs,  aux  préjugés 
de  la  naissance  et  de  l'éducation  ;  passer 
des  ténèbres  à  la  lumière,  du  culte  des  idoles 
au  culte  du  vrai  Dieu,  sans  apôtre,  sans 
exemple  dans  sa  famille,  c'est  là  un  de  ces 
tia  ts  qui  annoncent  la  puissance  et  les  mi- 
séricordes de  notre  Dieu.  11  écarte  tous  les 
obstacles  qui  s'opposent  au  salut  de  ses  élus, 
et  fait  servir  à  leur  sanctification  les  dan- 
gers qui  devaient  en  apparence  les  perdre 
pour  toujours. 

Ses  desseins  sont  adorables  dans  la  route 
qu'il  a  frayée  à  ces  grands  hommes  qui  font 
1  honneur  de  la  religion.  Sous  sa  main  puis- 
sante ils  ont  évité  les  plus  grands  périls,  et 
l'enfer  a  suscité  en  vain  contre  eux  la  force 
des  tyrans  et  des  rois  dévoués  aux  honteuses 
superstitions  du  paganisme. 

Cette  giâce  puissante  et  choisie,  qui  va 
briller  aux  yeux  de  Martin  dans  le  sein 
môme  des  ténèbres;  qui  J'éclaire  le  touche, 
et  F'arra  he  à  sa  famille,  n'a-t-elle pas,  sous 
l'image  d'une  étoile  extraordinaire,  arraché 
des  rois  à  leurs  trônes ,  pour  venir  adorer  le 
Sauveur  des  hommes  dans  sa  sainte  enfance  ? 
N'a-t-elle  pas  arraché  saint  Matthieu  à  ces 
emplois  où  l'on  s'engraisse  des  sueurs  du 
peuple,  où  les  richesses,  que  saint  Paul  ap- 
pelle les  fdets  du  diable  :  laqueum  diuboli 
(I  Ti:n.,  III),  font  perdre  à  celui  qui  les  pos- 
sède l'idée  de  sa  haute  destinée,  et  où  l'on 
devient  dur  en  devenant  opulent. 

Si  l'on  est  étonné  de  la  rapidité  avec  la- 
quelle ceux  qui  manient  les  deniers   publics 
_ s'élèvent  à  une  brillante  fortune,  ne  lesera-t- 
"on  pas  davantage  si  on  les  voyait  y  renoncer 
pour  imiter  la  pauvreté  de  Jésus-Christ? 

C'est  cette  même  grâce  qui  a  brisé  le  cœur 
de  Madeleine  et  renversé  pour  toujours  l'é- 
difice de  ses  vanités  et  les  trophées  de  ses 
séduisants  appas.  C'est  elle  enfin  qui  a  arra- 
ché aux  ténèbres  du  paganisme,  aux  charmes 
de  l'hérésie,  aux  amorces  du  plaisir,  aux 
liaisons  les  plus  criminelle-,  aux  faveurs  des 
grands  et  aux  plus  brillantes  carrières  du 
n:o:ide,  des  âmes  qui  semblaient  ne  vivre 
que  pour  se  perdre.  Ne  perdons  point  de  vue, 
Messieurs,  ces  grands  objets;  Dieu  ne  tire  ses 
saints  des  dangers  où  ils  sont,  que  pour  les 
conduire  à  une  haute  perfection,  et  il  ne  les 
rend  petits  aux  yeux  du  monde,  que  pour  les 
rendre  grands  dans  la  religion.  Considérons 
le  héros  que  je  Joue.  Voici  de  nouveaux 
dangers,  mais  qui  lui  procureront  de  nou- 
velles victoires. 

Les  ordres  qui  obligent  de  servir  dans 
l'armée  le  Constance  et  de  Julien  l'Apostat 
sont  publiés.  Notre  jeune  catéchumène  est 
enveloppé  dans  cette  nouvelle  milice. 

L'ordre  au  prince  l'oblige  de  vivre  quel- 
que temps  dans  le  bruit  des  armes  .et  la 
licence  des  troupes.  Mais  la  main  de  Dieu  le 
soutiendra  dans  cette  dangereuse  situation, 
une  main  de  miséricorde  et  de  puissance;  il 
y  montrera  un  double  prodige, la  valeur  d'un 
Josué  et  la  sainteté  d'un  Moïse. 
Dieu  l'appelait  à  la  retraite,  son  penchant 


l'y  entraînait;  n^ais  la  religion  chrétienne  no 
fait  point  de  lâches.  On  peut  être  chrétien 
et  brave  tout  à  la  fois.  Quelle  foule  de  héros 
nos  annales  ne  nous  fournissent-elles  pas, 
qui  jo:gnaient  à  l'intrépidité  dans  les  com- 
bats, l'innocence  et  la  sainteté  d'une  vie  chré- 
tienne !  Je  ne  parle,  Messieurs,  que  des  com- 
bats autorisés  par  la  religion  et  qui  se  don- 
nent sous  les  étendards  du  prince;  il  dit 
anathème  à  ces  combats  singuliers  que  l'E- 
glise proscrit  et  que  nos  rois  défendent  ;  les 
braves  d'Israël,  les  vrais  chrétiens  les  ont  en 
horreur  et  les  évitent  avec  autant  de  soin 
qu'ils  montrent  de  courage  à  verser  leur 
sang  pour  la  patrie. 

Ce  n'était  point  pour  éviter  les  périls  des 
combats  que  saint  Martin  soupirait  après  la 
retraite.  Le  prince,  qui  ignorait  les  desseins 
de  Dieu,  le  pensa  ;  Martin,  qui  ne  suivait  que 
les  impressions  de  la  grâce,  le  désabusa.  Ici, 
Messieurs,  vous  vous  rappelez  ce  défi  géné- 
reux qu'il  fit  de  se  \  résenter  seul  devant  le 
camp  redoutable  des  ennemis. 

Les  actions  extraordinaires  des  saints  sur- 
prennent, parce  qu'on  regarde  l'homme  qui 
parle  et  qui  agit,  et  qu'on  ne  fait  pas  atten- 
tion à  Dieu  qui  parle  et  qui  agit  en  l'homme. 

Ainsi  le  jeune  David,  occupé  jusqu'alors 
à  conduire  paisiblement  ses  troupeaux  éton- 
na-t-il  Saùl  lorsqu'il  se  présenta  pour  com- 
battre seul  l'orgueilleux  Philistin,  la  terreur 
du  peuple  de  Dieu.  Mais  la  défaite  de  ce  su- 
perbe géant  prouva  que  le  Seigneur  n'a  [-as 
besoin  de  troupes  guerrières  pour  défaire 
de  nombreuses  armées.  Martin  seul  décon- 
certa les  ennemis  redoutables  de  l'empereur, 
et  sa  victoire  annoncera  la  volonté  de  Dieu 
sur  lui. 

En  effet,  Messieurs,  celui  qui  avait  dressé 
les  doigts  du  jeune  David  aux  combats  et  aux 
batailles,  qui  avait  appris  aux  Gédéon  à 
manier  l'épée,  inspira  au  jeune  Martin  cette 
a  tion  mémorable.  Comme  c'était  le  ciel  qu'il 
cherchait  et  non  le  repos,  le  ciel  prit  sa  dé- 
fense, il  le  revêtit  de  courage,  et  lui  procura 
des  succès  qui  étonnèrent  les  j  lus  braves, 
et  effacèrent  les  exploits  des  plus  grands  ca- 
pitaines. 

Il  paraît  devant  les  barbares,  ce  héros  qui 
devait  soutenir  tant  de  combats  dans  l'Eglise, 
et  ils  sont  épouvantés.  La  terreur  se  répand 
dans  leur  camp;  et  humiliés  de  leur  défaite-, 
ils  demandent  la  paix,  et  laissent  l'empe- 
reur maître  des  conditions.  Cette  valeur,. 
Messieurs,  est  d'autant  plus  admirable  qu'elle 
est  miraculeuse.  Dieu  renouvelle  ces  an- 
ciennes merveilles  qu'il  opéra  sous  la  sage 
Debbora.  Le  bruit,  le  feu,  l'effroi,  tout  vient 
du  ciel  qui  combat  pour  la  cause  de  Martin 
contre  les  ennemis  de  Constance  :  De  cœlo 
dimicatum  est  contra  eos.  {Judic.,Y.) 

C'est  par  ces  prodiges,  Messieurs,  qu'il 
obtient  la  permission  de  se  retirer,  et  une 
innocence  conservée  dans  la  licence  des 
troupes  le  suit  dans  la  solitude. 

Je  suis  obligé,  Messieurs,  de  rendre  jus- 
tice à  un  grand  nombre  de  militaires,  qui 
rendent  à  César  se  qui  appartient  à  César,  et 
à  Dieu  ce  qui  appartient  à  Dieu;  qui  savent 


3S0 


OIUTKUR.S  SACRES.  BALLET. 


220 


combattre  et  prier,  et  qui  savent  allier  les 
vertus  guerrières  avec  les  vertus  chrétien- 
nes. 

J'entends  par  la  licence  des  troupes,  cer- 
taine corru,  tion  qui  se  glisse  malgré  le  bon 
ordre  qui  y  règne  et  la  vigilance  de  l'officier. 
Corruption  qui  n'est  qu'une  suite  de  ce  mé- 
lange d'hommes  de  différents  climats,  de 
différents  caractères,  dont  l'éducation  n'a 
pas  toujours  été  honnête,  et  qui  sont  ordi- 
nairement plus  hardis  péJieurs  que  braves 
guerriers.  Car  des  mœurs  douces  et  polies, 
des  sentiments  humbles  et  religieux,  ont 
toujours  entré  dans  l'éloge  des  vrais  braves 
et  des  héros  chrétiens.  Mais  ce  qui  m'étonne, 
Messieurs,  c'est  de  voirie  jeune  Martin  con- 
serverdansladissipation  des  armes  le  recueil- 
lement d'un  contemplatif,  et  dans  la  licence 
dés  troupes,  l'innocence  qui  fait  quelquefois 
naufrage  dans  les  asiles  les  plus  sacrés. 

Profitez  donc  de  votre  liberté,  jeune  héros, 
pour  satisfaire  vos  pieux  désirs,  et  donner  à 
l'univers  étonné  des  exemples  de  charité,  de 
douceur  et  de  pénitence. 

Voici,  Messieurs,  une  action  qui,  pour 
avoir  été  répétée  tant  de  fois  dans  les  ebaires 
chrétiennes,  n'en  est  pas  moins  digne  de  no- 
tre admiration,  et  ne  cessera  point  d'être 
mise  au  nombre  des  prodiges. 

J'a  imire  ces  pauvres  qui  arrosent  de  leurs 
larmes  le  tombeau  de  la  Thaï  rite,  qui  racon- 
tent ses  vertus  à  saint  Pierre,  qui  publient 
.;es  louanges.  Je  vois  avec  complaisance  ces 
veuves  désolées  qui  montrent  à  cet  a;  ôlre  les 
vêtements  qu'elle  leur  donnait,  comme  de 
glorieux  trophées  érigésàson  héroïque  cha- 
rité. Vidyœ  fientes  ostendebant  tunicas  et  re- 
stée. (Act.,  IX.) 

Mais  quelque  respectable  que  soit  la  voix 
de  ces  pauvres,  la  charité  de  Martin  est  ac- 
compagnée de  traits  plus  singuliers  et  plus 
capables  de  nous  étonner.  Il  a  eu  un  Dieu 
même  pour  panégyriste.  Je  ne  dirai  pas, 
pour  confondre  tant  de  chrétiens  insensibles 
sur  los  misères  publiques  et  particulières, 
qu'il  n'était  encore  que  catéchumène  lors- 
qu'il se  dépouilla  de  son  propre  vêtement 
pour  en  couvrir  un  pauvre  aux  portes  d'A- 
miens; mais  je  dirai  que  Jésus-Christ  est 
sorti  comme  hors  de  son  secret,  qu'il  s'est 
montré  revêtu  des  dépouilles  d'un  catéchu- 
mène ;  qu'il  a  donné  lui-même  des  éloges 
magnifiques  à  la  charité  de  Martin;  et  que 
ce  merveilleux  qui  accompagne  ce  trait  de 
sa  vie,  ne  doit  pas  nous  être  suspect,  si  nous 
f  lisons  attention  au  caractère  de  prodige  qui 
lègue  dans  toutes  ses  autres  actions,  et  à 
l'autorité  àos  historiens  qui  nous  la  rappor- 
tent. 

Mais  le  héros  de  la  charité  est  aussi  le 
héros  de  la  douceur.  Je  l'ai  dit,  Messieurs, 
je  ne  suis  point  l'ordre  des  années.  Dans 
l'homme  public  il  y  a  des  faits  qui  regardent 
l'homme  privé. 

Rcpré  entez-vous  des  hommes  assez  auda- 
cieux pour  répandre  leur  venin  jusque  sur 
les  actions  les  plus  saintes  de  Martin;  des 
hommes  placés  dans  le  dernier  rang  des  lé- 
vite ,  au'  osent  censurer  la  conduite  de  ce- 


lai qui  est   assis  sur  le  trône  de  Tours,  et 
exposé  sur  le  chandelier  de  l'Eglise. 

Dans  quel  siècle  ne  trouve-t-on  pas  des 
Marie  qui  murmurent  contre  les  Moïse;  des 
Simon  qui  répandent  de  mauvais  soupçons 
sur  la  conduite  du  grand  prêtre  Onias,  et 
des  Sémcï  qui  font  des  reproches  aux  Da- 
vid? Le  sacerdoce  et  l'empire  ne  sont  point 
ménagés  par  les  ennemis  delà  religion.  L'hé- 
résie humiliée  s'est  toujours  fait  une  loi 
d'exagérer  les  taches  du  sanctuaire;  et  les 
sièges  seraient  occupés  par  des  pontifes  aussi 
saints  que  Martin,  qu'ils  trouveraient  encore 
des  auteurs  ténébreux  pour  les  faire  tomber 
clans  l'avilissement. 

Témoin  l'hérésie  arienne  clans  les  temps 
de  sa  séduction:  quelle  fureur  n'a-t-elle  pas 
exercée  sur  notre  héros,  sous  le  règne  deVa- 
lentinien  et  de  l'impératrice  Justine?  Les 
idées  affreuses  qu'on  en  donne  à  ce  prince 
trop  complaisant  pour  les  ariens,  ces  flagel- 
lations publiques  auxquelles  on  le  con- 
damne, ces  déserts  affreux  où  il  est  exilé, 
en  sont  des  preuves  sans  réplique. 

Mais  à  cette  fureur  de  ses  ennemis  Mar- 
tin oppose  une  douceur  qui  les  désarme  et 
les  confond.  Au  milieu  de  calomnies  infâ- 
mes, de  ces  persécutions  injustes,  de  ces 
supplices  honteux,  il  imite  Jésus-Christ,  iL 
garde  un  profond  silence. 

Ou;,  Messieurs,  il  était  confesseur  do  Jé- 
sus-Ch'ist,  martyr  de  la  vérité  ;  c  est  pour- 
quoi il  souffrit  avec  douceur.  On  no  le  vit 
point  faire  sentir  à  ses  inférieurs  qui  l'avaient 
outragé,  Je  poids  de  son  autorité  :  i!  les  ga- 
gna par  .>a  clémence  ;  et  Bricc,  que  l'Église 
honore  dans  ses  fastes,  est  une  conquête  de 
sa  douceur. 

Traita-t-il  les  empereurs  de  tyrans?. Le 
vit-on  se  répandre  en  injures?  Décria-t-il  la 
cour  de  Constance  dans  des  libelles?  L'en- 
tendit-on se  plaindre  dans  son  exil?  Ali! 
Messieurs,  Ja  douceur  et  l'obéissance  ont 
toujours  fait  le  caractère  des  catholiques 
sincères.  Ils  ont  en  horreur  les  démarches 
indécentes  et  les  plaintes  scandaleuses  de 
ceux  qui  ont  secoué  le  joug  de  la  déj  en- 
dance.  Saint  Martin  sait  souffrir  et  obéir; 
s'il  manque  de  douceur,  c'est  lorsqu'il  s'agit 
de  pénitence. 

Suivez,  Messieurs,  notre  saint  à  Poitiers 
où  brille  saint  Hilaire,  cette  lumière  des 
Gaules;  de  Poitiers  à  Milan  auprès  du  grand 
saint  Ambroise;  de  Milan  à  Tours.  Voyez- 
le  dans  ces  monastères  qu'il  trouve  établis,  cl 
dans  ceux  qu'il  avait  fondés.  Faites  attention 
aux  austérités  qui  se  pratiquaient  dans  ces 
siècles  reculés  ,  dans  ces  ordres  naissants  où 
l'on  s'efforçait  d'imiter  les  admirables  soli- 
taires de  l'Orient.  Dans  le  genre  de  péni- 
tence, ses  maîtres  deviennent  ses  disciples, 
Le  plaisir  qu'il  trouvait  à  se  mortifier  ferait 
en  quelque  sorte  dire  qu'il  ne  faisait  pas  pé- 
nitence» ou  que  les  mortifications  elles  seu- 
les faisaient  toutes  les  douceurs  de  sa  vie. 
Un  homme  si  admirable,  Messieurs,  devait 

l'Eglise.  Dieu 


paraître 
qui  veil 


sur  le 

lait  sur 


chaude 
lcsprog 


ier  de 


res  de  la  religion -«ans 


il 


PANEGYRIQUES.  --   PANEG.  XI,  SAINT  MARI  IN. 


L-s  Gaules,  fit  monter  saint  Martin  sur  le 
trône  de  Tours. 

C'est  clans  cette  place  éminente  que  vous 
allez  voir  des  travaux  immenses  pour  l'E- 
glise, et  toujours  l'homme  de  prodige  :  In 
vila  sua  fecit  monstra. 

Dieu  annonça,  Messieurs,  au  peupie  de 
Tours,  par  des  prodiges  et  les  plus  grands 
événements,  la  vocation  de  Martin  àTépis- 
copat.  La  voix  des  miracles  leur  disait  :  C'est 
Inique  le  Seigneur  a  choisi  pour  occuper  ce 
siège  qu'il  chérit,  pour  consoler  l'Eglise  dé- 
solée à  la  vue  des  restes  du  paganisme  qui 
régnent  dans  ces  contrées  malheureuses, 
pour  humilier  i'héré  ie  arienne,  soutenue 
par  les  empereurs  et  les  impératrices,  ins- 
pirer de  l'horreur  du  schisme  des  ithaciens, 
qui  n'est  pas  assez  redouté  par  ceux  qui  doi- 
vent travailler  à  l'éteindre,  pour  briser  les 
chaînes  des  pécheurs,  et  attacher  à  son  char 
sa  famille  désabusée  de  ses  anciennes  erreurs, 
pour  réprimer  les  abus  et  rendre  à  l'Eglise 
celte  beauté  que  ses  ennemis  obscurcissent 
i  ar  un  mélange  affecté  (('erreurs,  de  supers- 
titions et  de  dévotions  suspectes  :  Videtis 
<:ucm  elegit  Dominas.  (I  Reg.t  X.) 

Ne  le  regardez  pas  avec  les  yeux  du  monde 
qui  veulent  voir  des  dehors  de  grandeur,  de 
magnificence  dans  ceux  qui  occupent  de 
grandes  places.  Martin,  pauvre,  négligé,  vous 
paraîtrait  vil  et  méprisable;  il  n'a  point  cet 
air  imposant,  ces  manières  nobles;  il  n'est 
point  accompagné  d'un  fastueux  cortège  de 
domestiques  ;  il  ne  porte  point  ces  vêtements 
précieux  qui  annoncent  les  puissances  du 
siècle;  mais  entendez  la  voix  de  Dieu  qui 
s'explique  par  des  miracles.  Il  l'a  choisi,  il 
est  grand  à  ses  yeux  :  Videtis  quem  elegit  Do- 
minus. 

Oui,  Messieurs,  la  vocation  de  saint  Mar- 
tin fut  divine  ;  elle  porte  les  caractères  de  celle 
des  apôtres,  et  il  tetracera  aussi  dans  les 
Gaules  les  merveilles  de  ces  grandes  colon- 
nes de  l'Eglise. 

Ceux  qui  ne  firent  pas  attention  à  ces  traits 
de  divinité  qui  éclatèrent  dans  sa  vocation,  mé- 
prisèrenteet  homme  admirable.  Mais  c'étaient 
des  mondains  qui  voulaient  trouver  dans  un 
successeur  des  apôtres  les  imposants  dehors 
des  grands  de  la  terre  :  Filii  Belial  despexe- 
runt  eum.  (Ibid.) 

Pourquoi  cherche-t-on  dans  ceux  qui  doi- 
vent représenter  Jésus-Christ  pauvre,  humi- 
lié, des  apôtres  sans  nom,  sans  crédit,  tirés 
des  rivages  de  la  mer  où  ils  étaient  occupés 
à  conduire  des  barques,  la  naissance,  les 
grandes  alliances',  les  services  importants 
que  leurs  ancêtres  ont  rendus  à  l'Etat?  On  ne 
doit  faire  principalement  attention  qu'à  la 
sainteté,  aux  talents  et  aux  services  qu'ils 
pourront  rendre  à  l'Eglise. 

Et  pourquoi  aussi  le  peuple  ccnsure-t-il 
dans  ses  pontifes  une  certaine  décence  que 
la  place  qu'ils  occupent  rend  nécessaire? Se- 
rait-ce assez  aujourd'hui  aux  yeux  du  peu- 
ple d'être  saint,  zélé  et  savant,  pour  oc- 
cuper un  grand  siège  ? 

La  première  chose  h  laquelle  le  monde  fait 
attention  à  lanomination  d'un  évoque,  n'est- 


2-22 

ce  pas  h  la  naissance?  Heureux  quand  les 
vertus  et  les  talents  le  rendent  digne  de  la 
place  que  son  rang  lui  procure  1 

Dieu  n'est  pas  obligé  de  faire  des  mrraeles 
pour  manifester  la  vocation  de  ses  ministres, 
et  nous  devons  lui  rendre  grâces  de  ce  que  la 
religion  de  notre  invincible  monarque  a  fait 
choix  d'un  sage  et  fidèle  dispensateur  des 
places  de  l'Eglise  de  Fiance. 

Martin  répondit,  Messieurs,  a  cette  voca- 
tion divine  et  miraculeuse;  il  fut  dans  les 
mains  de  Dieu,  comme  les  apôtres,  u:-e 
source  de  bénédictions  et  de  victoires  pour 
l'Eglise.  Vous  allez  voir  dans  l'évêque  de 
Tours,  le  destructeur  de  i'idolàtrie,  le  fléau 
des  hérétiques,  l'ennemi  du  schisme,  l'apô- 
tre de  sa  famille,  une  sentinelle  vigilante 
dans  la  maison  d'Israël.  En  suivant,  si  vous 
pouvez,  ses  rapides  conquèles,  vous  oublie- 
rez tous  ces  t  très  pour  admirer  l'homme  de 
prodige  :  In  vila  sua  fecit  monstra. 

Une  portion  de  son  diocèse, Messieurs,  était 
encore  enveloppée  dans  les  épaisses  ténèbres 
du  paganisme.  Des  restes  abominables  de  la 
gentilité  attiraient  les  respects  de  ces  peu- 
ples grossiers.  Les  sommets  des  montagnes, 
les  routes  écartées,  les  feuillages,  les  bos- 
quets étaient  autant  d'autels  sacrilèges  où  le 
démon  recevait  les  honneurs  divins.  Il  y 
avait  des  arbres  antiques  qu'ils  révéraient. 
Là  se  retraçaient  à  ses  yeux  toutes  les  su- 
perstitions Je  la  gentilité  :  Ibi  erat  habitatio 
gentium.  (I  Mach.,  III.) 

Mais  ce  nouveau  Matathias  ne  voit  qu'avec 
horreur  ce  triomphe  de  l'enfer;  il  répand  des 
larmes  amères  sur  l'aveuglement  et  la  perte 
de  tant  d'âmes  :  Vidit  Malalhias  et  dohiit. 
(I  Mach.,  IL) 

Ne  croyez  pas,  Messieurs,  qu'il  se  con- 
tenta des  larmes  et  des  gémis>emenls  ;  c'est 
l'obligation  des  simples  fidèles  et  do  tous 
ceux  qui  n'ont .point  d'autorité.  Mais  Martin, 
qui  se  regarde,  comme  les  a]  ôlrcs,  envoyé 
pour  détruire  et  édifier,  arracher  et  planter, 
lie  borne  pas  son  zèle  à  des  larmes  stériles; 
il  fait  entendre  sa  voix  à  ces  peuples  gros- 
siers, leur  annonce  le  vrai  Dieu,  et  de  glo- 
rieux succès  suivent  ses  prédications. 

11  est  aussi  rapide  dans  ses  conquêtes  qus 
les  apôtres;  la  même  main  le  soutient  dans 
ses  pénibles  travaux.  On  voit  les  mêmes 
(  hangements  qu'on  vit  après  les  prédications 
de  Pierre  et  de  Paul  :  l'idolâtrie  est  détruite. 

Le  destructeur  de  l'idolâtrie  est  aussi, 
Messieurs,  le  fléau  de  l'hérésie. 

L'arianisme  avait  fait  des  progrès  de  son 
temps;  celte  hérésie  qui  a  soutenu  tant  de 
combats,  qui  a  trouvé  des  protecteurs  sur 
presque  tous  les  trônes  du  monde;  si  sou- 
vent abattue,  et  si  souvent  relevée  ;  qui  ne 
rougissait  ni  de  ses  défaites  ni  de  ses  for- 
faits ;  qui  vit,  sans  se  rendre,  la  protection 
(pie  Dieu  accordait  aux  Athanase,  aux  ïlilaire 
opprimés,  et  les  terribles  châtiment^  qu'il 
exerça  sur  son  chef  le  jour  même  destiné  à 
son  triomphe. 

I.a  cour  de  Valentinieu  était  infectée  de 
ces  dogmes  impies  qu'Arius  avait  débités,  et 
que  ses  disciples  insinuaient  sous  différen- 


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ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


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les  formes.  L'impératrice  Justine  écoutait  les 
apôtres  de  l'erreur;  si  l'éclat  de  son  trône 
accréditait  la  nouveauté,  la  nouveauté  la  ren- 
dait vaine  et  ridicule. 

Esprit  divin  1  qui  nous  avez  tracé  l'éloge 
de  la  femme  forte,  vous  ne  parlez  point, 
dans  les  louanges  que  vous  lui  donnez,  de 
sièges,  de  batailles,  d'affaires  importantes,  de 
politique,  de  connaissances,  de  disputes; 
vous  ne  la  faites  pas  asseoir  au  milieu  des 
docteurs  pour  dogmatiser.  Vous  nou«  la  re- 
présentez humble,  modeste,  paisible,  éco- 
nome, occupée  à  gouverner  sa  maison;  et 
dans  les  moments  de  son  loisir  vous  lui  met- 
tez le  fuseau  dans  les  mains,  et  non  le  livre 
de  la  loi  [tour  l'expliquer. 

Voilà  la  femme  forte  que  vous  nous  repré- 
sentez, que  vous  cherchez  et  que  vous  com- 
parez a  ce  qu'il  y  a  de  plus  précieux. 

Ah  1  il  était  réservé,  dit  le  célèbre  Vin- 
cent de  Lérins,  à  l'hérésie  d'introduire  les 
femmes  dans  le  sanctuaire  de  la  religion;  de 
charmer  leur  oisiveté  par  des  lectures  ou 
des  conversations  qu'elles  n'entendent  pas, 
et  qui  les  séduisent  ;  et  de  se  former  un  nou- 
veau collège  d'apôtres  inconnu  à  nos  pères 
en  matière  de  religion. 

Sa:nt  Martin  éprouva  toute  la  fureur  de  ce 
sexe  lorsqu'il  est  prévenu.  Justine  lui  ferma 
toutes  les  entrées  auprès  de  l'empereur; 
elle  le  rend  suspect  aussi  bien  que  les  catho- 
liques; et  il  fallait  son  zèle  pour  braver  les 
mépris  et  les  persécutions  de  cette  princesse 
dévouée  à  l'arianisme. 

Qu'il  est  grand,  Messieurs,  ce  zèle  1  qu'il 
est  apostolique  1  Martin  perce  hardiment 
iusque  dans  l'appartement  de  l'empereur;  il 
marche,  et  les  prodiges  le  suivent  pour 
attester  sa  doctrine;  il  paraît,  et  l'empereur 
est  obligé  de  le  prévenir  de  politesse;  il 
plaide  la  cause  de  l'Eglise,  et  obtient  du 
oecours;  et  s'il  ne  détruit  point  l'hérésie 
arienne  qui  devait  troubler  encore  quelque 
temps,  il  n'en  a  pas  moins  été  le  fléau  des 
hérétiques  et  l'ennemi  du  schisme 

Oui,  Messieurs,  il  fut  l'ennemi  du  schisme; 
et  si  ce  grand  évêque  prouve  à  tous  ses  suc- 
cesseurs l'horreur  qu'on  en  doit  avoir  par 
son  exemple,  il  leur  prouve  en  même  temps, 
par  sa  propre  expérience,  combien  il  est  dan- 
gereux d'avoir  des  complaisances  pour  les 
schismatiques. 

Il  savait,  Messieurs,  combien  ceux  qui 
rompent  l'unité  sont  désagréables  au  Sei- 
gneur. Ce  fut  la  charité  qui  le  détermina  à 
se  trouver  u::e  fois  dans  l'assemblée  des 
ithaciens.  Ce  ne  fut  point  pour  plaire  à  l'em- 
pereur, mais  pour  obtenir  la  grâce  de  quel- 
ques illustres  criminels:  il  ne  pouvait  l'ob- 
tenir qu'à  cette  condition;  il  ne  signa  aucune 
formule  avec  les  scMsroatiques  ;  cependant 
de  combien  de  larmes  n'a-t-il  pas  arrosé 
celte  démarche  charitable?  Quelle  austère 
pénitence  n'en  a-t-il  point  faite?  Avec  quelle 
délicatesse  n'a-t-il  pas  évité  toute  sa  vie  la 
fréquentation  de  ceux  qui  avaient  rompu  les 
liens  de  l'unité?  Et  pour  dire  quelque  chose 
de  plus,  Dieu,  du  hart  du  ciel,  n'a-t-il  pas 
t'ait  sentir  combien  il  avait  en  horreur  le 


schisme,  en  cessait  quelque  temps  d'opérer 
des  miracles?  Notre  grand  pontife  le  com- 
prit; il  en  gémit,  et  a  transmis  à  la  posté- 
rité cette  circonstance  mémorable,  pour  nous 
prouver  que  Dieu  n'opéra  jamais  de  vrais 
miracles  dans  les  partis  séparés  de  son 
Eglise. 

Voyez-le,  Messieurs,  passer  en  Hongre 
pour  y  devenir  l'apôtre  de  sa  famille.  Il  bai- 
gne de  ses  pleurs  un  père  qui  a  blanchi  dans 
l'idolâtrie,  et  qui  veut  y  mourir;  il  attache 
au  char  de  la  religion  sa  mère,  {lus  docile 
aux  paroles  de  vie  qui  coulent  de  sa  bouche, 
et  enfante  à  Jésus-Christ  celle  qui  l'avait 
enfanté  au  monde. 

Vous  le  montrerai -je  comme  un  autre 
Josias,  parcourant  la  vaste  étendue  de  son 
diocèse,  réprimant  tous  les  abus,  renversant 
les  trophées  que  le  peuple  érigeât  à  des 
hommes  méconnus  de  l'Eglise,  et  faisant 
cesser  toutes  les  abominations  d'un  culto 
aveugle  et  grossier?  tulit  abominât iones  im- 
pietaiis.  (Eccli.,  XLIX.) 

Après,  Messieurs,  des  vertus  si  héroïques, 
des  travaux  si  immenses  dans  l'épiscopat, 
les  miracles  les  plus  éclatants  ne  doivent  pas 
vous  étonner;  il  en  opérait  tout  les  jours,  et 
l'Eglise  le  regarde  comme  le  thaumaturge  des 
Gaules  :  In  vita  sua  fecit  monstra. 

Saint  Martin  a  toujours  été  appelé  par 
excellence  le  thaumaturge  des  Gaules.  Les 
princes  barbares,  les  empereurs  ariens  ont 
admiré  ses  miracles  aussi  bien  que  les  mo- 
narques catholiques. 

Dieu  semblait  l'opposer  à  toutes  les  doc- 
trines perverses  cpii  désolaient  alors  l'Eglise, 
et  ne  sortir  de  son  secret  que  pour  confon- 
dre l'arianisme,  l'humilier,  lui  arracher  ses 
rois,  .'es  empereurs.  Voilà  la  fin  des  miracles 
de  saint  Martin;  voilà  ce  qui  nous  le  rend  si 
prérieux. 

Des  miracles  qui  prouvent  la  puissance  de 
Jésus-Christ,  la  divinité  de  Jésus-Christ,  la 
bonté  do  Jésus-Christ,  étaient  des  miracles 
propres  à  confondre  l'arianisme.  Tels  furent 
ceux  de  notre  thaumaturge. 

Représentons-nous  cette  route  brillante 
dans  laquelle  il  marche,  les  impressions  que 
font  ses  prodiges,  et  les  changements  sur- 
prenants qu'ils  opèrent,  et  ne  nous  bornons 
pas  à  une  admiration  stérile. 

Pourquoi,  Messieurs,  les  miracles  sont-ils 
devenus  si  rares  après  l'établissement  de  la 
fei  de  Jésus-Christ?  Pourquoi  quelquefois 
un  siècle  entier  s'écoule -t-fl  sans  qu'il  pa- 
raisse un  homme  de  prodige,  un  de  ces  hom- 
mes qui  étonnent  l'univers  par  la  puissance 
admirable  que  Dieu  lui  communique?  Saint 
Paul  nous  l'apprend,  Messieurs,  les  miracles 
sont  pour  les  infidèles,  et  non  pour  ceux  qui 
ont  reçu  le  don  précieux  de  la  foi  :  Linguœ  in 
signum  sunt  non  fidelibus,  sed  infidelibus.  (I 
Cor.,  XIV.) 

Dieu  sort  avec  magnificence  de  son  secret, 
renverse  les  lois  de  la  nature,  déploie  une 
puissance  qui  l'annonce  à  ces  infortunés  plon- 
gés dans  les  ténèbres  de  l'erreur  :  Linquœ  in 
signum  suni  in  fidelibus. 

C'est  ce  qui  a  fait  dire  à  saint  Grégoire, 


225  PANEGYUlQUES.  —  PAN 

d'après  ce  grand  apôtre,  que  les  miracles 
étaient  nécessaires  dans  les  premiers  siè- 
cles de  l'Eglise  :  Fucrunt  necessaria  in  exor- 
dio  Ecclesiœ. 

Nous  pouvons  -dire  aussi  qu'ils  furent  né- 
cessaires, selon  la  sagesse  de  Dieu,  dans  le 
siècle  de  Martin,  où  l'arianisme  n'affligeait 
pas  moins  l'Eglise,  que  l'idolâtrie  qui  régnait 
sous  les  Diodétien  et  les  autres  tyrans  des 
premiers  siècles. 

Il  se  servit  de  lui  :  il  en  fit  un  thauma- 
turge qui  prouva  parles  prodiges  qu'il  opé- 
rait, la  divinité  de  Jésus-Christ. 

Que  de  traits  merveilleux  s'offrent  ici, 
Messieurs,  à  mon  imagination  1 

Pour  peindre  des  merveilles  au-dessus 
des  pensées  de  1  homme,  il  fauchait  des 
images  brillantes;  il  faudrait  cette  éloquence 
divine,  ces  expressions  sublimes  des  Moïse 
et  des  autres  écrivains  sacrés,  lorsqu'ils  ra- 
content les  merveilles  du  Dieu  d'Israël. 

Ici,  Messieurs,  je  vois  une  flamme  ven- 
geresse qui  embrase  le  siège  de  l'empereur 
Valentinien.  Dès  que  Martin  paraît  sous  ses 
veux,  ce  prince  arien  est  obligé  d'implorer 
je  secours  d'un  évêque  catholique  et  de  ren- 
dre hommage  à  la  foi  de  Nicée.  Qu'ils  doi- 
vent faire  impression ,  ces  miracles  opérés 
dans  les  palais  des  rois  ! 

Là  je  vois  des  évêques  ariens  confus  sur 
le  récit,  qu'on  leur  fait  des  miracles  opérés 
au  tombeau  du  grand  saint  Martin;  déjà  les 
empereurs,  informés  de  sa  foi,  l'opposent  à 
ees  hérétiques.  En  vain  promettent-ils  d'en 
faire  et  payent-ils  un  pauvre  pour  contre- 
faire l'aveugle.  Ceux  qui  enseignent  une 
fausse  doctrine,  dit  saint  Thomas,  ne  peu- 
vent jamais  faire  aucun  miracle  qui  la  con- 
firme. 

Dieu  atteste  la  divinité  de  son  Fils  en  dé- 
couvrant les  sacrilèges  complots  de  ces  hé- 
rétiques, et  en  les  couvrant  de  honte  dans 
le  l:eu  même  où  ils  espéraient  être  couverts 
de  gloire.  Dieu,  dans  ces  temps  malheureux, 
ne  communique  le  don  des  miracles  qu'aux 
seuls  confesseurs  de  la  foi  de  Nicée  ;  et  ja- 
mais ce  don  de  puissance  ne  sortira  de  l'E- 
glise catholique. 

Vous  dirai-je  que  Théodomir,  roi  des 
Suèves,  implore  en  vain  le  secours  de  saint 
Martin  pour  son  fils,  frappé  d'une  maladie 
incurable:  tant  qu'il  ne  promet  que  de  don- 
ner à  l'Eglise  une  partie  de  ses  richesses, 
le  ciel  est  sourd  à  ses  prières  ;  et  le  tom- 
beau qui  s'ouvrait  pour  recevoir  ce  fils  chéri, 
ne  se  ferme  que  lorsqu'il  abjure  l'arianisme 
et  confesse  la  divinité  de  Jésus-Christ. 

Vous  dirai-je  que  le  grand  saint  Nicet  de 
Trêves  exhorte  Alboin,  roi  des  Lombards,  à 
se  transporter  au  tombeau  de. saint  Martin 
pour  y  voir,  dans  les  miracles  continuels 
qui  s'y  opèrent,  une  preuve  incontestable 
de  la  foi  catholique  et  une  condamnation  so- 
lennelle de  l'arianisme  ?  Des  miracles,  Mes- 
sieurs, qui  prouvent  la  divinisé  de  Jésus- 
Christ  et  confondent  les  hérétiques,  sont 
de  vrais  miracles;  tels  sont  ceux  de  saint 
Martin. 

Mais  avançons,  et  vovons  dans  les  autres 


EG.  X!,  SAINT  MARTIN. 


2iG 


merveilles    de    cet    homme    incomparable, 
des  preuves  de  la  puissance  de  Jésus-Christ. 

La  puissance  des  apôtres  était  celle  de  Jé- 
sus-Christ même,  qui  agissait  en  eux;  et 
tous  les  prodiges  qui  accoin,  agnèrent  leurs 
prédications  étaient  autant  de  voix  éloquen- 
tes qui  disaient:  Jésus  de  Nazareth,  que 
nous  vous  annonçons,  est  véritablement  un 
Dieu  tout-puissant  auquel  rien  ne  résùte. 

Aussi,  Messieurs,  Pierre  et  Paul  et  tous 
les  autres  apôtres  n'opèrent-ils  des  miracles 
qu'au  nom  de  Jésus-Christ;  c'est  par  ce  nom 
saint  et  redoutable  qu'ils  commandent  aux 
puissances  de  l'enfer  et  à  la  mort.  Cet  au 
nom  de  Jésus  que  les  boiteux  marchent, 
que  les  aveugles  voient,  que  les  sourds  en- 
tendent, que  les  muets  parlent,  que  les 
moits  ressuscitent. 

Les  apôtres  faisaient  connaître  aux  r aïens 
et  aux  Juifs  la  puissance  du  crucifié  jarles 
miracles  qu'ils  o;  éraient.  Ce  divin  Sauveur 
n'avait  donné  à  ses  disciples  ni  richesses  ni 
autorité,  ni  ces  forces  qui  tiiomj  lient  des 
hommes  les  [lus  rebelles  ;  mais  il  leur  avait 
communiqué  le  don  des  mil  ailes;  et  ces  mi- 
racles, qui  annoncent  une  puissance  toute 
divine,  font  plier  tous  les  empires  sous 
une  religion  qui  met  la  nature  à  l'étroit, 
qui  gêne  les  passions  et  qui  humilie  l'or- 
gueil de  l'homme. 

11  était  impossible,  sans  un  grand  aveu- 
glement, de  ne  point  reconnaître  la  puis- 
sance de  Dieu  dans  les  miracles  de  Jésus- 
Christ  et  des  apôtres. 

Cette  promptitude  avec  laquelle  tout  cède 
à  leur  voix;  cette  soumission  de  tous  les 
éléments  dès  qu'ils  parlent  ;  ces  caractères 
de  grandeur,  de  magnificence  qui  éclatent 
dans  tous  les  prodiges  qu'ils  opèrent  sous 
les  yeux  des  Juifs  et  des  gentils,  do'vent 
persuader  tous  ceux  qui  n  avaient  pas  en- 
core consommé  le  mystère  de  leur  endur- 
cissement. Dans  toutes  ces  oeuvres  mer- 
veilleuses, on  ne  pouvait  r;en  attribuer  à 
l'homme,  tout  était  marqué  au  coin  de  la 
divinité. 

Or,  je  ne  crains  pas  de  le  dire,  il  était 
nécessaire  de  faire  briller  celte  puissance 
de  Jésus-Christ  dans  le  siècle  de  Martin,  où 
les  ariens,  qui  niaient  opiniâtrement  sa  di- 
vinité, niaient  en  même  tenq  s  la  puissance 
qu'il  a  comme  Dieu.  Saint  Martin  fut  choisi 
pour  la  retracer  avec  magnificem  e. 

En  effet,  Messieurs,  il  parle,  ce  grand 
thaumaturge  des  Gaules.  Ah  !  que  sa  voix 
est  magnifique!  rien  ne  lui  résiste.  Tom- 
beaux, ouvrez-vous;  morts,  sortez  des  en- 
trailles de  la  terre;  levez-vous,  paralytiques, 
et  marchez.  Sourds,  entendez;  aveugles, 
voyez.  Soyez  guéri ,  dit-il  h  un  léj  reux  aux 
portes  de  Paris.  Montagnes,  transportez- 
vous  ;  arbres ,  rochers ,  masses  énormes , 
arrêtez-vous  dans  votre  chute. 

Ce  ne  sont  pas  là ,  Messieurs  ,  de  brillantes 
images,  des  portraits  d'in  aginat'on  ni  des 
tours  d'éloquence,  ce  sont  des  fai-ts  attestés 
parles  plus  saints  et  les  j  lus  graves  h'sto 
riens  ;  ce  sont  des  merve  lies  que  l'Eglise  a 
adoptée?  et  qu'elle  célèbre  dans  ses  offices. 


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ORATEURS  SACRES.  DAl.LF.T. 


22S 


A  la  voix  de  Martin  les  morts  ressuscitent, 
les  paralytiques  marchent,  les  lépreux  sont 
guéris;  le  feu  perd  son  activité  ordinaire, 
les  rochers  ébranlés  le  respectent  en  tom- 
bant, le  poison  perd  son  venin,  la  main  des 
sacrilèges  qui  attentent  à  sa  vie  se  dessèche. 
Les  idolâtres,  les  ariens  ont  été  témoins  de 
ces  miracles  ;  et  les  empereurs  eux-mêmes, 
à  la  vue  de  tant  de  merveilles,  demandaient 
hautement:  Quel  est  donc  ce  Martin,  qui 
est  si  puissant,  qui  opère  tant  de  prodiges? 
quelle  est  sa  doctrine?  Et,  quand  on  leur 
répondait  qu'il  était  catholique,  qu'il  con- 
fessait la  foi  de  >ïi,ée,  ils  étaient  ébranlés  ;  et 
souvent  cette  puissance  de  Jésus-Christ,  qui 
agissait  dans  son  serviteur,  les  déterminait 
à  renoncer  à  l'arianisme. 

Les  miracles  de  Martin  prouvaient  la  divi- 
nité et  la  puissance  de  Jésus-Christ. 

Vous  dirai-je,  Messieurs,  que  ce  grand 
lhaumaturge  représentait  aussi  la  bonté  de 
Jésus-Christ  dans  les  guérisons  suri)!  enantes 
qu'il  opérait;  qu'il  suffisait  aux  malades  de 
lapprocher,  de  toucher  à  ses  vêtements  pour 
être  soulagés;  qu'il  porta  l'éclat  des  mira- 
cles dans  les  déserts  comme  dans  les  villes, 
dans  les  cabanes  des  pauvres  comme  dans 
-es  palais  des  empereurs? 

Tous  ceux  dont  Dieu  s'est  servi  pour  opé- 
rer des  miracles  ont  été  des  hommes  d'hu- 
milité, de  charité,  d'obéissance;  des  hommes 
de  foi.  Des  hommes  de  foi  :  ah  !  Messieurs, 
comment  des  hommes  qui  partagent  la  foi, 
qui  l'altèrent,  qui  méconnaissent  l'Eglise, 
pourraient-ils  o\  érer des  miracles? 

Pour  faire  un  homme  de  prodiges,  Jésus- 
Christ  commence  par  demander  la  foi,  et 
une  foi  soumise  à  la  doctrine  qu'il  a  ensei- 
gnée à  ses  apôtres  et  que  ses  apôtres  ont 
transmise  à  leurs  succcsscurs-.Signa autan  eos 
qui  crediderint  hœc  sequcntnr.  (Marc.   XVI) 

La  foi  de  saint  Martin  confirmait  ses  mira- 
cles, et  ses  miracles  faisaient  embrasser  sa 
foi.  C'est  pour  ces  grands  objets  que  Dieu 
l'a  suscité  dans  le  ive  siècle,  et  qu'il  l'a 
placé  dans  les  Gaules  comme  une  brillante 
lumière  qui  ne  s'est  point  éteinte  avec  sa 
vie. 

Mais  après  vous  avoir  fait  voir  les  mira- 
cles de  sa  vie,  il  me  reste  à  vous  montrer  les 
merveilles  de  sa  mort. 

Saint  Martin,  homme  de  prodiges  pendant 
sa  vie  :  In  vita  suafecit  monstra.  Saint  Mar- 
tin, homme  de  prodiges  à  sa  mort.  C'est  la 
seconde  partie  de  son  éloge. 

SECONDE  PARTIE. 

Etre  grand  à  la  mort  dans  l'ordre  de  la 
religion  ;  être  arrivé  à  cette  sainteté  con- 
sommée qui  est  exempte  de  ces  frayeurs, 
de  ces  incertitudes,  de  ces  saisissements 
que  cause  la  vue  du  tombeau  qui  s'ouvre  et 
nous  attend,  c'est  le  privilège  des  plus 
grands  héros  de  la  religion  dans  les  ombres 
de  la  mort,  dans  ces  moments  décisifs,  lors- 
que le  monde  échappe,  qu'on  en  va  être  ar- 
raché pour  entrer  dans  l'immense  étendue 
de  l'éternité.  Vous  voyez,  dit  le  Saint-Es- 
prit, trembler  et  pâlir  l'homme  de  svstème 


et  d'incerliude  :  Tribulabitur  ibi  fortis. 
[Soph.,  1.) 

A  la  mort  les  plus  grands  héros  cessent 
pour  ainsi  dire  de  l'être.  Les  approches  du 
tombeau  font  oublier  aux  guerriers  les  lau- 
riers qu'ils  ont  moissonnés  dans  les  sièges 
et  les  batailles  ;  aux  savants  les  applaudis- 
sements qu'ils  ont  reçus  dans  la  république 
des  lettres;  aux  prétendus  esprits  forts  la 
funeste  gloire  d'avoir  eu  des  disciples  de 
leur  étonnant  système;  et  s'ils  s'en  occu- 
pent, ce  n'est  que  pour  déplorer  l'estime  in- 
sensée qu'ils  ont  fait  d'une  vaine  réputation 
qui  périt  et  r:e  descend  point  avec  eux  dans 
le  tombeau  ;  les  incertitudes  dont  ils  se  fai- 
saient gloire  pendant  leur  vie  les  épouvan- 
tent au  moment  de  leur  rrort  :  Tribulabitur 
ibi  fortis. 

A  la  mort  on  ne  trouve  i  lus  aucune  trace 
de  toute  cette  gloire  que  le  monde  donne  à 
ses  héros.  Ces  <  èdres  du  Liban  sont  renver- 
sés; ces  br. liantes  lumières  sont  éteintes; 
ces  discourcers  orgueilleux  gardent  un 
profond  silence;  le  ht  delà  mort  est  |  our 
eux  un  théâtre  do  faiblesse,  et  quelquefois 
déboute  :  Tribulabitur  ibi  fortis. 

C'est,  Messieurs,  à  un  héros  tel  que  saint 
Martin  qu'il  était  réservé  de  remporter  des 
triomphes  dans  ces  moments  redoutables, 
de  monter  sur  le  lit  de  la  moit  comme  sur 
un  théâtre  de  gloire,  de  paraître  grand  où 
les  monarques  mêmes  paraissent  si  petits. 

La  cendre  sur  laquelle  i!  veut  expirer  de- 
vient un  trône  plus  éclatant  que  celui  des 
empereurs;  les  victoires  qu'ifremporte  sur 
le  démon  effacent  celles  des  plus  grands  ca- 
pitaines; et  son  tombeau,  visité  par  les  rois 
aussi  bien  que  par  les  peuples,  offre  à  nos 
yeux  un  spectacle  qui  nous  force  de  publier 
la  grandeur  du  Dieu  de  sainteté. 

La  mort  perd  pour  lui  toutes  ses  amer- 
tumes, le  démon  toute  sa  force,  le  tombeau 
toutes  ses  horreurs.  Jamais  il  n'a  été  si 
grand  que  dans  ces  moments-,  si  humiliants 
pour  les  autres. 

Voilà,  Messieurs,  ce  que  j'appelle  les  mer- 
veilles de  sa  mort  :  in  morte  mirahiiia  ope- 
ratus  est. 

Permettez-moi,  Messieurs,  un  parallèle. 
Je  vais  vous  représenter  au  montent  de  la 
mort  un  des  plus  fameux  héros  de  la  tenc, 
et  un  des  plus  grands  héros  de  la  religion. 
Alexandre,  qui  cesse  de  régner  et  de  vain- 
cre; Martin,  qui  règne  et  triomphe.  L'un 
que  les  approches  de  la  mort  déconcertent; 
l'autre  que  l'éternité  console.  L'un  qui  voit 
ave  :  douleur  les  liens  de  son  corps  se  bri- 
ser; l'autre  qui  en  attend  avec  joie  la  disso- 
lution. 

L'histoire  d'Alexandre  n'est  pas  une  fic- 
tion des  païens;  ses  étonnantes  conquêtes 
ne  sont  point  des  exagérations  des  orateurs 
profanes.  Ministre  de  la  parole  sainte,  je 
n'en  parle  que  d'après  l'Ecriture. 

C'est  elle  -qui  nous  apprend  que  toute  la 
terre  avait  été,  pour  ainsi  dire,  le  théâtre  de 
la  gloire  de  cet  homme  tant  vanté;  qu'il 
avait  renversé  les  trônes  et  brisé  les  scep- 
tre-, de  plu  leurs  souverains;  que  ceux  qui 


2-21) 


PANEGYRIQUES.  —  r.YNEG.  X!,  SAINT  MARTIN. 


S^O 


étaient  paisibles  sur  leur  trône  devaient 
leur  tranquillité  aux  hommages  qu'ils  lui 
rendaient. 

C'est  elle  qui  nous  assure  (jue  l'univers 
était  soumis  à  ses  lois,  et  que  toute  la  terre 
était  comme  interdite  a  la  vue  doses  rapides 
conquêtes  :  Silu.it  terra  in  conspeciu  ejus. 
'1  Mach.,  I.) 

Voilà  Alexandre  pendant  sa  vie.  Mais  les 
conquérants  tombent  comme  les  autres  ;  les 
■foudres  de  la  guerre  descendent  dans  le 
tombeau.  La  main  du  Dieu  des  armées,  qui 
les  a  dressés  pour  les  combats  et  qui  s'en 
est  servi  pour  humilier  et  punir  des  empires 
rebelles  à  ses  lois,  les  frappe,  les  arrête  et 
les  réduit  en  poudre. 

Ainsi,  après  avoir  vu  Alexandre  victorieux 
pendant  sa  vie,  voyez  sa  faiblesse  et  ses 
alarmes  au  moment  de  sa  mort.  Quel  chan- 
gement ! 

Ce  grand  capitaine  sent  tout  à  coup  ses 
forces  s'affaiblir;  son  corps  chancelle  ;  il  se 
met  au  lit  :  cecidit  in  lectum.  (Jbid.)  Bientôt 
il  aperçoit  la  main  qui  coupe  le  fil  de  ses 
jours,  qui  arrête  le  cours  de  ses  victoires. 
Les  ombres  de  la  mort  l'environnent  ;  il 
aperçoit  le  tombeau  qui  s'ouvre,  qui  le  de- 
mande, et  il  comprend  l'indispensable  né- 
cessité d'y  descendre  :  cegnevit  quia  more- 
retur.  (Ibid.) 

Alors  on  voit  disparaître  cet  héroïsme, 
celte  grandeur,  ce  courage  qui  étonnaient 
l'univers  entier.  Alexandre  rougit,  pour 
ainsi  dire,  de  ses  conquêtes,  ou  plutôt  de 
son  ambition;  il  se  reproche  de  ne  s'être 
pas  contenté  d'un  royaume;  il  divise  entre 
plusieurs  les  empires  qu'il  possédait  seul. 
11  apprend  par  là  aux  autres  à  modérer  leur 
ambition,  et  il  se  repent  de  n'avoir  pas  mis 
des  bornes  à  la  sienne.  N'est-ce  pas  là,  Mes- 
sieurs, condamner  ses  coupables  exploits  ? 

Quelle  différence,  Messieurs,  entre  le 
héros  que  je  loue  !  Les  approches  de  la  mort, 
la  vue  du  tombeau  ne  le  déconcertent  point. 
On  ne  voit  pas  en  lui  ces  abattements,  ces 
frayeurs  des  autres  mourants.  Le  lit  sur  le- 
quel il  veut  expirer  est  pour  lui  un  trône 
éclatant,  un  théâtre  de  gloire. 

Au  moment  de  la  mort,  Alexandre  cesse 
d'être  brave,  intrépide:  il  est  abattu,  in- 
sensible à  la  gloire  de  ses  conquêtes. 

Au  moment  de  la  mort,  Martin  est  encore 
un  a;  ôtre  zélé,  pénitent  austère,  pariait  con- 
templat'f.  Voilà  ôqs  merveilles,  Messieurs, 
réservéesàsaintMartin,  et  auxquelles  je  vous 
prie  de  faire  attention. 

Si  c'est  le  travail,  Messieurs,  qui  fait  l'a- 
pôtre, qui  le  fut  jamais  à  plus  juste  titre  que 
saint  Martin?  Les  idolâtres  convertis,  les 
hérétiques  humiliés,  les  abus  réprimés,  les 
campagnes  évangélisées,sont  des  preuves  de 
son  zèle.  Je  vous  l'ai  fait  voir  sous  ces  ima- 
ges, dans  la  première  partie  de  son  éloge. 

Mais  la  merveille  que  j'expose  présente- 
ment à  vos  yeux  est  plus  surprenante,  parce 
qu'elle  est  singulière.  Il  est  apôtre  dans  l'é- 
puisement de  ses  forces,  dans  les  ombres  de 
la  mort,  sur  le  bord  du  tombeau,  lorsque  les 
autres  cessent  de  l'être, 


lia  fini  glorieusement  sa  course;  il  e?t  T- 
arrivé  heureusement  au  terme;  la  couronne 
de  gloire  est  suspenduesur  sa  tête;  il  est  sur 
le  point  de  l'obtenir;  et  cependant  il  est  prêt, 
pour  le  salut  des  âmes,  de  recommencer  uno 
nouvelle  carrière,  rie  s'exposer  de  nouveau 
aux  écueils  et  aux  dargers  de  cette  vie,  de 
retarder  sa  félicité.  «  Seigneur,  dit-il,  si  je 
suis  nécessaire  à  votre  peu;. le  :  Si  adhuc  po- 
pulo tuo  sum  necessarius,  je  ne  refuse  point 
les  travaux  qui  sont  inséparables  de  l'àpôs- 
tolat  :  non  recuso  laborem.  Je  désire  ardem- 
ment, mon  Dieu,  de  vous  posséder,  mais  je 
désire  aussi  le  salut  du  peuple  que  vous  m'a- 
vez confié.  Je  suis  combattu  par  ces  deux 
objets  qui  se  rapportent  uniquement  à  vous: 
coactor  e  duobus.  La  mort  a  pour  moi  des  dé- 
lices, l'apostolat  ne  me  rebute  joint.  Si  je 
suis  encore  nécessaire,  Seigneur,  retardez  ma 
récompense;  laissez- moi  sur  la  terre  :  si 
adhuc  sum  necessarius.  » 

O'paroles  toutes  de  feu  !  O  discours  di- 
gnes d'un  homme  rempli  de  l' Esprit-Saint  I 
O  charité  immense  !  O  homme  admirable  ! 
digne  d'être  mis  à  côté  du  grand  Paul,  puis- 
qu'il imite  cet  homme  divin.  [Philipp.,  I.) 

Je  ne  refuse  point  le  travail  :  non  recuso 
laborem.  O  paroles  apostoliques  !  paroles 
que  tous  les  ministres  des  autels  devraient 
prendre  pour  leur  devise. 

On  ne  verrait  pas  tant  de  pauvres  délais- 
sés; les  campagnes  auraient  des  apôtres  zé- 
lés ;  les  bénéfi.  es  à  charge  d'âmes  ne  seraient 
pas  si  méprisés  et  regardés  comme  la  res- 
source de  ceux  qui  n'ont  ni  naissant  e,  ni  ta- 
lents, ni  protêt  t  on.  On  ne  s'informerait  ;  as, 
quand  on  ed  nommé  à  une  cure,  s'il  y  a  peu 
d'habitants ,  si  les  revenus  sont  abondants, 
si  le  séjour  est  agréable,  commode,  et  s'd  y 
a  de  la  société  pour  employer  un  coupable 
loisir. 

Les  bénéfices  simples  ne  fixeraient  pas 
seuls  les  désirs  des  ecclésiastiques.  Je  ne  re- 
fuse point  le  travail  :  non  recuso  laborem. 
Ah  !  que  l'Eglise  serait  consolée,  si  elle  en- 
tendait ses  ministres  parler  ainsi  dans  les 
jours  de  leur  santé  ;  car  il  était  réservé  à 
saint  Martin  d'être  apôtre  zélé  au  moment  de 
la  mort. 

Ne  regardez  pas  cependant,  Messieurs,  le 
langage  de  Martin  à  la  mort  comme  une  in- 
différence blâmable.  C'est  le  zèle  d'un  apô- 
tre qui  connaît  le  prix  des  âmes;  qui  est 
aussi  occupé  de  son  troupeau  que  lorsqu'il 
a  commencé  à  le  gouverner;  c'est  un  Paul, 
pour  lequel  vivre  etmourirestla  même  chose, 
pourvu  que  Dieu  soit  glorifié. 

Pour  comprendre  encore  mieux,  Mes- 
sieurs, ces  grandes  merveilles  dont  saint 
Martin  nous  donne  le  spectacle  à  sa  mort,  re- 
présentez-vous un  autre  mourant  approcher 
du  lit. 

Je  ne  dis  pas  de  ces  hommes  qui  pleurent 
des  iniquités,  des  impiétés  qu'ils  ont  com- 
mises de  sang-froid  ,  qu'on  voit  tremblants 
et  épouvantés,  et  qui  rendent  à  la  religion 
un  hommage  public,  comme  une  amende  ho- 
norable <jui  pré;  èdc  les  supplices  qui  leur 
sont  destinés, 


)i 


ORATEURS  SACHES.  BALLET. 


Je  ne  dis  pas  de  ces  mondains  qui  sont 
trop  effia_) es  des  approches  de  la  mort,  parce 
qu'ils  ont  été  trop  attachés  à  la  vie,  auxquels 
il  ne  reste  que  quelques  moments  pour  rom- 
pre mille  Lens  flatteurs,  expier  de  coupables 
années,  repasser  une  conduite  scandaleuse, 
arranger  des  ail'aires  domestiques,  examiner 
des  contrats  usuraircs,  réparer  des  injustices, 
recevoir  les  sacrements,  mourir  et  ètrejugés: 
leurs  frayeurs,  leurs  saisissements  sont  bien 
fondés. 

Mais  approchez  du  lit  d'un  prêtre  mourant, 
d'un  pasteur,  d'un  missionnaire.  Si  la  vuedu 
tombeau  ne  l'effraye  pas,  les  jugements  de 
Dieu  l'épouvantent;  et  souvent,  dans  ces 
moments  terribles,  les  hommes  apostoli- 
ques ont  besoin  d'apôtres.  C'est  une  mer- 
veille de  voir  saint  Martin  apôtre  zélé 
et  pénitent  austère  dans  les  ombres  de  la 
mort. 

Oui,  Messieurs,  ses  forces  diminuent;  il 
sent  qu'il  approche  du  terme,  et  il  contenue 
ses  austérités.  £on  corps  faible,  chancelant, 
prêt  à  descendre  dans  le  tombeau,  est  serré 
par  un  rude  cilice. 

Quel  édifiant  spectacle  ne  donna-t-il  pas  à 
ceux  qui  l'environnaient,  quand  ils  le  virent 
amasser  lui-même  la  cendre  sur  laquelle  il 
veut  expirer  ! 

O  lit  précieux  !  ô  trône  de  gloire  î  Que  les 
héros  de  la  pénitence  sont  admirables  !  Qâme 
bienheureuse,  qui  va  quitter  une  chair  immo- 
lée pour  Jésus-Christ  1  O  saintes  cruautés  qui 
détruisent  la  victime  1 

Quelle  est  donc  celte  puissance  qui  soutient 
et  anime  des  hommes  comme  nous  dans 
un  genre  de  martyre  si  admirable,  dans 
des  douleurs  qui  les  consument  si  lente- 
ment? 

C'est,  Messieurs,  la  puissance  de  notre 
Dieu  qui  conduit  certains  élus  à  ce  degré  de 
perfection,  pour  récompenser  leur  amour  et 
leur  obéissance.  Quelle  confusion  pour  nous  1 
Un  saint  qui  méprise  assez  la  mort  pour  ajou- 
ter aux  douleurs  de  la  maladie  de  nouvelles 
austér.tés;  et  nous,  nous  écartons  jusqu'aux 
seules  apparences  de  mortification  ;  nous  ido- 
lâtrons nos  corps  dans  la  jeunesse;  nous  les 
ménageons  dans  la  vieillesse;  nous  les  plai- 
gnons dans  la  maladie.  Nous  sommes  tou- 
jours pécheurs,  et  jamais  pénitents,  que  fe- 
rons-nous au  moment  delà  mort?  Ah!  il 
s'en  faudra  bien  que  nous  soyons,  comme 
saint  Martin,  de  parfaits  contemplatifs..  La 
terre  nous  occupe  présentement;  elle  nous 
occupera  jusqu'au  tombeau.  Celte  occupation 
fera  notre  supplice. 

C'est  sur  cet  amas  de  cendre,  sur  ce  lit  do 
pénitence,  que  Martin  qui  a  connu  la  volonté 
de  Dieu,  se  dispose  à  passer  dans  l'éternité 
bienheureuse. 

C'est  de  là  qu'il  regarde  le  ciel,  qu'il  con- 
temple la  gloire  qui  lui  est  destinée.  Ses 
veux  sont  fixés  vers  ces  montagnes  éternel- 
les. On  dirait  qu'il  habite  déjà  ce  céleste 
séjour,  et  qu'il  se  repose  dans  le  sein  de 
Dieu. 

Ne  dites  pas,  chrétiens,  qu'il  n'est  paséton- 
l.s.nl  qu'on   regarde  le  ciel  au  moment  de 


la  mort,  qu'on  s'en  occupe,  puisque  les  ob- 
jets sensibles  échappent  pour  toujours,  et 
qu'il  n'y  a  plus  de  ressources  dans  les  créa- 
tures. 

Car  je  vous  répondra1,  que  si  vous  n'é- 
prenez garde,  le  ciel  seia  ce  qui  vous  occu- 
pera le  moins  au  moment  de  la  mort.  Les 
mondains  ne  jettent-ils  pas  bans  ce  moment 
des  regards  sur  la  terre  qu'ils  quittent;  sur 
une  famille  qui  se  désole;  surdts  amis  qui 
paraissent  inconsolables  ;  sur  des  intéi  êts  de 
succession,  de  partage?  Et  tour  tout  dire, 
combien  qui  ne  pensent  au  ciel,  qui  ne  por- 
tent leurs  regards  vers  cette  céleste  patrie, 
que  lorsqu'ils. sont  dans  les  tourments  de 
l'enfer  comme  le  mauvais  riche,  et  qu'ils 
l'ont  perdu  pour  toute  l'éternité  1  Elevons 
oculos  suos  cum  esset  in  lormentis.  [Luc, 
XVI.) 

Ne  refusons  donc  point  l'admiration  que 
mérite  saint  Martin  dans  ces  derniers  mo- 
ments. Ce  contemplatif  ne  laisse  échapper 
aucun  regard  sur  la  terre,  pas  même  sur  ses 
tendres  enfants.  Les  yeux  fixés  vers  le  ciel, 
il  contem;  le  la  gloire  qui  l'attend;  il  trace, 
pour  ainsi  dire,  dans  les  airs  la  route  par 
laquelle  son  âme  bienheureuse  doit  s'envoler 
vers  son  Dieu.  En  vain  on  le  sollicite  de  se 
mettre  Vlans  une  posture  moins  gênante. 
Laissez-moi ,  dit-il ,  regarder  le  ciel  plutôt 
que  la  terre  :  Sinite  rue  cœlum  respicere  potius 
quam  terram. 

Peut-on,  Messieurs,  être  plus  occupé  du 
ciel,  plus  paisible,  plus  content  aux  appro- 
ches de  la  mort?  avait-elle  pour  lui  quelque 
amertume?  Ce  sont  là  des  merveilles  qui 
rendent  celle  de  notre  héros  illustre,  aussi 
bien  que  ses  triomphes  sur  le  démon  :  in 
morte  mirabilia  opcratus  est. 

Voici,  Messieurs,  de  nouvelles  victoires. 
Vous  allez  voir  Martin  sur  la  cendre  comme 
sur  un  trône  éclatant,  qui  humilie  le  prince 
des  ténèbres,  le  confond,  le  terrasse  et  l'at- 
tache à  son  char.  C'est  dans  ce  moment  cri- 
tique que  l'ennemi  du  salut  redouble  ses 
efforts. 

Mais  que  les  vrais  disciples  de  Jésus-Christ 
ont  de  force  et  de  puissance  1  Le  démon  les 
attaque  en  vain  :  sa  défaite  suit  de  près  le» 
combats  qu'il  a  l'audace  de  leur  livrer;  il  ne 
gagne  rien  sur  eux,  et  quelque  redoutables 
que  soient  sa  malice  et  ses  ruses,  fidèles  à  la 
grâce,  ils  en  triomphent. 

11  parcourt  en  conquérant  les  palais  des 


grands  ;  il  fail  tomber 


iquerant  le 
■  les  sases 


du  siècle,  il 


séduit  les  savants,  il  trompe  presque  tous  les 
humains  par  les  amorces  et  les  appas  du  vice. 
Presque  tous  les  hommes  aiment  son  joug 
et  s'attachent  volontairement  à  son  char  : 
Sedueit  universum  orhem.  (Apoc,  XII.) 

Mais  il  tombe  honteusement  aux  pieds 
d'Antoine  dans  le  désert;  ua  solitaire  se 
moque  des  stratagèmes  de  sa  malice,  et  le 
force  d'avouer  sa  faiblesse  lorsqu'il  attaque 
les  serviteurs  de  Dieu. 

Jamais,  Messieurs,  le  démon  ne  fut  plus 
humilié  qu'aux  pieds  de  Martin  mourant,  il 
perd  devant  lui  toutes  ses  forces,  comme  la 
mort  avait  perdu  toutes  ses  amertumes  ;  il  est 


PANEGYRIQUES.  —  PANEG.  XI,  SAINT  MARTIN. 


233 

aussi  consterné,  abattu  par  les  dernières 
paroles  que  Martin  prononça,  que  lorsqu'il 
détruisait  ses  temples,  abattait  ses  autels, 
brisait  ses  idoles,  renversait  ses  trophées  et 
lui  enlevait  ses  plus  belles  conquêtes. 

Martin  lui  porte  le  dernier  coup  en  mou- 
rant ,  et  le  triomphe  qu'il  remporte  sur  lui 
est  sa  dernière  victoire. 

Ceux  qui  ont  aimé  Jésus-Christ  pendant 
leur  vie,  qui  ont  marché  sur  ses  traces,  qui 
l'ont  copié,  peuvent  tenir  son  langage  avec 
confiance. 

Le  divin  Sauveur  avait  dit  :  Le  prince  du 
monde  ne  trouvera  rien  en  moi  qui  lui  appar- 
tienne :  Princeps  mundi  hujus  in  me  non  habet 
quidquam.  (Joan.,  XiV.)  Les  saints,  par  sa 
grâce  puissante  et  son  infinie  miséricorde, 
qui  sont  arrivés  heureusement  au  terme  com- 
blés de  vertus  et  purifiés  de  leurs  fautes  dans 
son  sang  adorable,  peuvent  dire  aussi  :  Le 
démon  ne  trouvera  rien  en  moi  qui  lui  appar- 
tienne :  In  me  non  habet  quidquam. 

C'est,  Messieurs,  sur  ces  grands  principes, 
et  non  sur  une  confiance  présomptueuse  que 
Martin  est  appuyé  ;  il  terrasse  en  mourant  îe 
démon  par  ces  paroles  :  Retire-toi,  esprit  de 
ténèbres  :\'ade,Satana.  Pourquoi  environnes- 
tu  un  pénitent  couché  sur  la  cendre,  un  pon- 
tife qui  a  terminé  sa  course  heureusement, 
comblé  des  grâces  de  son  Dieu,  et  qui  attend, 
avec  confiance,  qu'il  cousomme  ses  propres 
dons?  Tu  te  plais  dans  la  perte  des  âmes,  et 
Jésus-Christ  a  répandu  son  sang  pour  les 
racheter  :  Quidhic  aslas,  be.stia  cruenta? Tu  ne 
trouveras  rien  en  moi  qui  t'appartienne,  tout 
y  est  l'ouvrage  de  la  grâce;  mes  vertus,  mes 
travaux,  mes  souffrances,  mes  pénitences, 
...  mon  innocence  et  les  péchés  môme  que  j'ai 
évités.  Or,  la  grâce  et  les  œuvres  que  nous 
opérons  avec  elle  appartiennent  à  Dieu  :  Nihil 
in  me  funeste  reperies. 

Alors,  Messieurs,  on  vit  toute  la  puissance 
d'un  homme  consommé  dans  la  sainteté;  on 
vit  le  démon  qui  était  sorti  tant  de  fois  des 
corps  qu'il  possédait  par  l'ordre  de  Martin, 
se  retirer  couvert  de  confusion,  pour  faire 
place  aux  esprits  célestes. 

Ne  craignons  pas,  Messieurs,  de  rapprocher 
ce  triomphe  de  Martin  mourant  de  celui  de 
Jésus-Christ  dans  le  désert.  Vous  savez  que 
ce  divin  Sauveur  ne  permit  au  démon  de 
l'approcher  que  peur  nous  apprendre  à  le 
vaincre,  et  que  les  saints  font  par  son  secours 
ce  qu'il  lit  par  sa  propre  puissance. 

On  vit  dans  le  désert  cet  esprit  de  ténèbres 
sortir  humilié  et  confondu  des  combats  qu'il 
avait  livrés  à  l'Homme-Dieu;  les  anges  envi- 
ronner le  vainqueur  de  l'enfer  et  chanter  ses 
yictoires. 

On  vit  ce  même  esprit  de  ténèbres  terrassé 
par  les  dernières  paroles  de  Martin,  dispa- 
raître honteusement,  et  les  anges,  chantant 
les  victoires  de  ce  grand  pontife,  porter  son 
âme  bienheureuse  dans  le  sein  d'Abraham. 

Que  l'homme  juste  dans  les  mains  de  Dieu 
est  puissant,  Messieurs  1 

L enfer  livre  inutilement  des  combats  h 
l'incomparable  Job  sur  son  fumier;  il  rem- 
porte des  victoires  sur  lui  et  l'oblige  de  s'a- 

OjTATEURS  sacrés.  L. 


23-4 

vouer  va,incu.  En  vain  il  a  déplo.é  toute  sa 
fureur  et  toute  sa  puissance  dans  les  déserts  ; 
un  solitaire  caché  dans  les  forêts  se  moquait 
de  ses  attaques. 

11  a  souillé  les  plus  grands  trônes,  fait 
tomber  les  forts  d'Israël;  un  juste,  pauvre  et 
pénitent,  Ta  souvent  attaché  à  son  char.  Mar- 
tin expirant  sur  la  cendre  en  triomphe,  dans 
le  temps  que  les  empereurs,  à  la  tête  de  leurs 
nombreuses  armées,  sont  ses  captifs  volon- 
taires; le  jiéché  les  rend  ses  esclaves. 

Si  saint  Martin  expirant  vous  étonne,  Mes- 
sieurs, parce  qu'il  dit  au  démon  :  Tu  ne 
trouveras  rien  en  moi  qui  t'appartiei  nr  ; 
pensez  ,  je  vous  prie ,  aux  principes  de  sa 
tranquillité.  Il  avait  un  cœur  pur,  une  inno- 
cence conservée  dans  tout  son  éclat.  11  s'éta't 
accoutumé  dès  son  enfance  à  vaincre  cet  en- 
nemi de  son  salut;  il  l'avait  défait  toutes  les 
fois  qu'il  l'avait  attaqué,  et  les  jours  de  sa 
jeunesse,  ces  temps  orageux  et  bouillants, 
avaient  été  des  jours  purs  et  sereins.  11  n'est 
pas  étonnant  qu'il  le  méprise  et  le  brave  à 
la  mort. 

Il  avait  une  ferme  confiance  dans  les  mé- 
rites de  Jésus-Christ.  Que  ne  peut  point 
l'homme  avec  Jésus-Christ,  animé  de  son 
esprit,  embrasé  de  son  amour,  soutenu  de  sa 
grâce,  persuadé  de  l'efficace  de  son  sang!  Il 
défit  avec  le  grand  Apôtre,  la  faim,  le  feu,  les 
glaives,  les  persécutions  et  toutes  les  forces 
de  l'enfer. 

C'est  dans  ce  même  sens,  Messieurs,  que 
saint  Martin  ose  défier  le  démon  de  recon- 
naître en  lui  quelque  chose  qui  lui  appar- 
tienne. 

Il  ne  se  rappelle  pas,  pour  se  tranquilliser, 
ses  travaux  apostoliques,  ses  courses,  ses 
voyages,  les  ennuis  de  l'exil,  les  tourments 
qu'il  a  soufferts  pour  la  foi,  les  conquêtes 
qu'il  a  faites,  les  miracles  qu'il  a  opérés.  Il 
sait  avec  saint  Paul  qu'on  peut  prêcher  les 
peuples,  les  toucher,  les  convertir,  et  se 
perdre  soi-même  :  mais  le  bonheur  qu'il  a 
eu  de  conserver  son  cœur  pur.  Nihil  in  me 
funeste  reperies. 

Il  ne  dit  pas,  remarquez-le,  Messieurs, 
que  le  Seigneur  ne  trouvera  rien  en  lui  de 
repréhensible.  Il  sait  qu'il  trouve  des  taches 
dans  les  anges  mêmes;  qu'il  juge  les  justi- 
ces, et  que  la  vie  la  plus  sainte  a  besoin  de 
ses  infinies  miséricordes.  Mais  il  parle  à 
celui  qui  n'a  du  pouvoir  que  sur  ceux  qui 
lui  ont  livré  leur  âme  en  violant  la  loi  du 
Très-Haut,  et  en  se  souillant  volontairement 
dans  les  coupables  satisfactions  des  sens. 

Il  dit  avec  saint  Paul  :  Je  ne  me  sens  cou- 
pable de  rien  :  Nihil  conscius  sum.  (I  Cor., 
IV.  )  J'attends  la  couronne  que  le  juste  Juge 
prépare  à  ceux  qui  l'aiment  :  mais  je  ne  me 
justifie  pas  pour  cela  moi-même. 

Il  brave  la  malice  du  démon  et  sa  puis- 
sance; mais  il  implore  les  miséricordes  de 
son  Dieu. 

Ah  1  une  âme  accoutumée  à  remporter  des 
victoires  sur  ses  passions,  des  victoires  qui 
ont  été  accompagnées  des  plus  glorieux  suc- 
cès et  des  plus  éclatants  miracles,  peut  bien 
défier  l'enfer  au  moment  de  la  mort,  avec  le 


235 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


256 


Prophète,  et  dire  avec  confiance  :  Quand 
toutes  les  puissances  de  l'enfer  s'armeraient' 
contre  moi,  quand  elles  me  livreraient  les 
plus  grands  combats,  je  ne  serai  pas  ébran- 
lé :  mon  cœur  ne  sera  jamais  saisi  par  la 
crainte,  ni  mes  sens  glacés  par  l'effroi.  J'ai 
toujours  été  à  Jésus-Christ,  et  il  ne  m'aban- 
donnera pas  dans  le  moment  destiné  à  me 
récompenser  :  Si  consistant  advcrsum  me 
castra,  non  timebit  cor  meum.  (PsuLWVl.) 

Ce  n'était  donc  point  par  présomption, 
Messieurs,  que  notre  héros  bravait  le  démon 
au  moment  de  la  mort,  mais  par  une  juste 
confiance  dans  les  miséricordes  du  Seigneur. 

Comme  des  années  coulées  dans  le  crime 
désespèrent  le  pécheur  mourant,  des  vertus 
amassées  pendant  la  vie  consolent  le  juste 
à  la  fin  de  sa  carrière,  et  il  a  droit  d'espé- 
rer un  poids  immense  de  gloire  pour  des 
moments  de  tribulations. 

Mais  après  avoir  établi  ces  grands  princi- 
pes, ne  pourrais-jepas  vous  dire,  Messieurs, 
que  cette  victoire  qu'il  remporte  sur  le  dé- 
mon en  expirant,  est  une  puissance  que  Dieu 
lui  avait  communiquée  pendant  sa  vie,  et 
qu'il  doit  perpétuer  même  dans  son  tom- 
beau. Que  c'est  un  dernier  effort  de  cet  es- 
prit 'le  ténèbres,  mais  que  ce  n'est  pas  la 
dernière  victoire  que  Martin  remportera  sur 
lui.  Sa  voix  puissante  ne  le  terrassera  pas, 
mais  ses  cendres  sacrées  lui  porteront  encore 
des  coups  redoutables. 

Pour  nous,  Messieurs,  il  n'est  pas  éton- 
nant que  nous  soyons  timides  et  tremblants 
au  moment  de  la  mort.  Les  péchés  d'une 
jeunesse  vive  et  emportée,  des  passions  flat- 
tées, et  qui  se  font,  quelquefois  sentir  jus- 
ques  sur  les  glaces  de  la  vieillesse  ;  un  mo- 
ment décisif  auquel  on  n'a  pas  pensé  effica- 
cement, un  Dieu  qui  connaît  les  mystères  de 
notre  cœur,  un  bras  vengeur  qu'on  n'a  pas 
désarmé,  un  paradis  qu'on  n'a  point  désiré, 
une  éternité  qu'on  n'a  pas  méditée,  un  enne- 
mi à  eembattre  qui  est  accoutumé  à  nous 
vaincre;  tous  ces  grands  objets  nous  saisis- 
sent avec  raison,  et  nous  abattent.  Mais  un 
saint  aussi  éminent  que  Martin,  il  n'est  pas 
étonnant  que  le  démon  perde  pour  lui  toute 
saforce,  que  Dieu  môme  perpétue  ses  mer- 
veilles, et  que  le  tombeau  perde  toutes  ses 
horreurs  pour  les  précieux  restes  de  ce  grand 
héros  de  la  religion. 

Quelles  merveilles  vais-je  vous  raconter, 
Messieurs!  Une  mort  que  le  ciel  annonce 
par  des  révélations  authentiques;  un  tom- 
beau qui  fait  la  gloire  des  Gaules,  qui  les 
remplit  de  prodiges;  des  restes  précieux  que 
les  maîtres  du  monde  visitent  avec  respect, 
qui  font  remporter  des  victoires,  et  mettent 
en  déroute  les  plus  formidables  armées. 

Où  sont  donc  les  horreurs  du  tombeau 
qui  attendent  tous  les  mortels?  Où  sont  les 
victoires  de  la  mort?  Où  sont  ces  ombres  et 
ces  ténèbres  qui  couvrent  et  enveloppent 
tous  les  morts,  qui  nous  les  cachent  et  nous 
les  font  oublier?  Ahl  Messieurs,  tous  ces 
mystères  humiliants  de  notre  mortalité  ne 
sont  point  pour  Martin. 

Le  tombeau   est  appelé  par  le  Prophète 


une  terre  d'oubli  :  terra  oblivionis.  (  Psal. 
LXXXVIL)  L'expérien"e  vérifie  cette  vérité 
humiliante.  Pour  nous  qui  nous  flattons  de 
l'amitié  de  nos  amis,  de  la  tendresse  de  nos 
parents,  de  l'attachement  des  créatures,  de 
la  réputation  que  nous  acquièrent  nos  ta- 
lents, nos  ouvrages;  des  empressements  avec 
lesquels  on  nous  recherche,  on  nous  désire; 
des  intérêts  qu'on  prend  à  notre  avancement, 
à  notre  santé  ;  tant  que  nous  sommes  utiles, 
nous  sommes  agréables,  tant  que  nous  vivons 
on  s'occupe  de  nous  ;  une  fois  descendus 
dans  le  tombeau,  on  nous  oublie  :  c'est  beau- 
coup-si  on  l'arrose  de  quelques  larmes. 

C'est  beaucoup-  pour  les  savants,  quand  la 
république  des  lettres  annonce  leur  mont  et 
avoue  qu'elle  a  fait  une  perte.  Beaucoup  de 
fracas  pour  la  pompe  funèbre  des  riches,  des 
efforts  d'éloquence  pour  louer  les  exploits 
des  guerriers,  les  actions  des  maîtres  du 
monde,  et  pouraccommoderau  christianisme 
les  vertus  politiques  et  la  sagesse  du  siècle. 

C'est  avec  ce  fracas,  ce  bruit,  cette  magni- 
ficence des  obsèques  que  périt  la  mémoire 
des  plus  grands  hommes.  Periit  memoria 
eorum  cum  sonitu  (Psal.,  IX.)  On  n'en  par- 
lera plus,  ils  seront  oubliés. 

N'est-ce  pas  là,  Messieurs,  le  sort  de  tous 
les  hommes,  sans  excepter  les  rois  eux-mê- 
mes ?  Ah  !  il  n'en  est  pas  de  même  de  ceux 
qui  vivent  aux  yeux  de  Dieu,  de  tes  héros 
de  la  religion  que  l'Eglise  honore,  que  Dieu 
a  distingués  d'une  manière  si  admirable,  et 
surtout  de  saint  Martin. 

Vous  dirai-je,  Messieurs,  que  Dieu  se  bâte 
de  révéler  la  mort  dé  ce  grand  pontife.  Saint 
Séverin  à  Cologne,  saint  Ambroise  à  Milan, 
l'apprennent  par  une  révélation  divine.'*' 
Comme  c'était  l'astre  le  plus  brillant  de  l'E- 
glise,l'orient  et  l'occident  s'aperçurent  bien- 
tôt qu'il  était  é.jli,,sé. 

Ali!  Seigneur,  vous  l'aviez  rendu  fameux 
sur  toute  la  terre  par  ses  vertus  et  ses  mi- 
racles, et  vous  ne  voulez  pas  que  toute  la 
terre  ignore  le  moment  qui  nous  l'a  enlevé 
pour  le  mettre  en  possession  de  votre  gloire. 
Il  sera  précieux  et  fameux,  ce  moment  qui 
l'a  arraché  au  monde  et  donné  au  ciel. 

La  France  n'en  perdra  pas  si  tût  le  souve- 
nir, il  sera  marqué  avec  respect  dans  les  an- 
nales de  ce  royaume;  il  sera  une  brillante 
époque  pour  les  Français,  et  nos  rois  même 
se  feront  honneur,  pendant  plusieurs  siè- 
cles, de  dater  leurs  édits  de  la  mort  de  saint 
Martin. 

Vous  voyez,  Messieurs,  que  Dieu  perpé- 
tue sa  puissance  en  faveur  de  Martin,  dans 
les  suites  humiliantes  mêmes  de  la  mort. 

Ab!  je  ne  suis  point  surpris  de  voir  des 
princes,  des  évoques,  plus  de  deux  mille  re- 
ligieux, et  tous  les  peuples  de  différentes 
contrées,  conduire  avec  une  pompe  majes- 
tueuse ses  sacrées  dépouilles  dans  le  tom- 
beau. Je  ne  suis  point  surpris  de  voir  son 
culte  s'établir  rapidement;  le  jour  destiné  à 
l'honorer  mis  au  rang  des  l'êtes  les  plus 
solennelles,  et  précédé  de  jeilnes.  L'Eglise 
grecque  et  la  latine  lui  rendront  les  mêmes 
honneurs.  Des  temp  es  augustes  élevés  en 


237 


PANEGYRIQUES.  —  PANEG.  XII,  SAINT  PATRICE. 


2?3 


son  nom  ;  à  Rome,  sur  le  mont  Cassin;en 
Angleterre,  presqu'aussitôt  qu'il  fut  enlevé 
à  la  terre.  Dieu  perpétue  après  sa  mort  les 
mêmes  merveilles  qu'il  avait  opérées  pen- 
dant sa  vie. 

Vous  dirai-je  qu'on  a  vu  un  prince  ras- 
sembler ses  troupes  ,  marcher  avec  ordre 
pour  recouvrer  ses  sacrées  dépouilles,  que 
la  dévotion  d'une  province  avait  ravie  à  l'E- 
glise de  Tours,  que  nos  monarques, pénétrés 
de  respect  pour  ce  sacré  dépôt,  ont  voulu  pen- 
dant longtemps  être  inhumés  dans  le  lieu  où 
elles  reposent;  qu'il  est  paré  de  sceptres  et 
de  couronnes,  et  que  c'est  là  qu'on  recevait 
les  serments  les  plus  solennels. 

Vous  dirai-je  qu'on  a  défait  de  nombreu- 
ses armées,  humilié  plusieurs  fois  nos  enne- 
mis et  remporté  d'éclatantes  victoires,  avec 
le  seul  vêtement  de  Martin  qu'on  portait  res- 
pectueusement à  la  tête  de  nos  troupes. 

En  vain  dans  le  vin'  siècle,  les  peuples  du 
Nord  passent-ils  dans  les  Gaules,  et assié- 
gei'it-ils  la  ville  de  Tours!  Le  seul  trésor 
(ju'on  dérobe  à  leur  fureur,  c'est  le  corps 
de  Martin. 

En  vain,  les  protestants  qui  avaient  formé 
le  sacrilège  projet  d'anéantir  les  restes  pré- 
cieux des  héros  de  la  religion,  qui  pillaient 
les  trésors  des  églises,  biûlaient  les  corps 
des  saints,  s'emparent-ils  du  corps  précieux 
de  ce  grand  pontife?  La  Providence  dérobe 
à  leur  sacrilège  fureur  des  portions  vénéra- 
bles de  cet  admirable  thaumaturge ,  pour 
être  l'objet  de  la  vénération  de  toutes  les 
nations. 

A  ces  temps  d'orage  et  de  tempête  ont  suc- 
cédé des  jours  sereins,  et  tel  que  le  soleil  qui 
sort  d'un  nuage  épais  qui  l'obscurcissait,  le 
tombeau  de  Martin  a  paru  plus  que  jamais 
environné  de  gloire  et  de  puissance. 

ils  ont  retracé  aux  yeux  des  catholiques 
ces  scènes  impies ,  ces  sacrilèges  fureurs, 
qui  faisaient  l'objet  des  gémissements  du 
Prophète.  Ils  sont  entrés  comme  des  fu- 
rieux dans  l'héritage  au  Seigneur.  Venerunt 
in  heereditatem. 

Ils  ont  souillé  les  églises  par  leurs  brigan- 
ils  en  ont  fait  des  asiles  d'impiété, 
et  souvent  la  retraite  des  animaux  :  Pollue- 
runt  templum  sanctum.  (Psal.  LXXVIII.) 

Us  ont  traîné  ignominieusement  les  corps 
des  saints  dans  les  places  publiques  ;  ils  ont 
porté  l'audace  jusqu'à  dire  qu'ils  devaient 
servir  de  nourriture  aux  bêtes  féroces,  ou  de 

pâture  aux  flammes  :  Posuerunt cames 

sanctorum  bestiis  terrœ.  (Ibid.) 

Ils  ont  imité  la  fureur  des  tyrans,  en  ré- 
pandant inhumainement  le  sang  des  catho- 
liques. On  l'a  vu  rouler  par  torrents  dans  les 
provinces  où  ils  étaient  soutenus  :  E/fude- 
runt  sanguinem  lanquam  aquam.  (Ibid.) 

Mais  toutes  ces  impiétés  n'ont  pas  empê- 
ché que  le  culte  de  saint  Martin  ne  soit 
l'objet  de  la  dévotion  de  presque  tous  les 
empires  du  monde.  Et  n'eût-on  que  ce  seul 
prodige  à  leur  opposer,  il  suffirait  pour  leur 
prouver  que  Dieu  sait  faire  honorer  ses  ser- 
viteurs ,  malgré  les  fureurs  de  l'enfer,  les 


dages 


complots  de  l'hérésie,  et  les  progrès  du  liber- 
tinage. 

Peut-être,  chrétiens,  étonnés  de  cet.  en- 
chaînement de  merveilles  que  je  viens  de 
vous  exposer  dans  la  vie  et  dans  la  mort  du 
grand  saint  Martin,  vous  en  liendrez-vous  à 
l'admiration  ;  détrompez-vous. 

Il  y  a  des  choses  que  vous  ne  pouvez  qu'ad- 
mirer,  dit  saint  Bernard  ,  mais  il  y  en  a  que 
vous  devez  et  que  vous  pouvez  imiter.  Ces 
voies  extraordinaires  par  lesquelles  Dieu  l'a 
conduit;  cette  route  éclatante  de  miracles 
dans  laquelle  il  a  marché  toute  sa  vie;  le 
camp  des  barbares  rempli  de  terreur  à  sa 
seule  présence  :  ces  titres  glorieux  d'apôtre, 
de  confesseur,  de  thaumaturge,  de  prophète 
que  l'Eglise  lui  donne,  et  que  Dieu  lui  a  fait 
mériter;  ces  sentiments  héroïques  à  la  mort, 
ces  victoires  visibles  qu'il  remporte  sur  l'en- 
fer, la  gloire  de  son  tombeau  et  le  don  des 
miracles  qui  s'y  est  perpétué  si  longtemps  : 
voilà  ce  que  vous  ne  pouvez  qu'admirer. 

Dieu  choisit  qui  lui  plaît  pour  opérer  ces 
merveilles.  Mais  l'homme  d'innocence  , 
l'homme  de  miséricorde,  l'homme  de  dou- 
ceur, l'homme  de  foi,  l'homme  d'obéissance, 
l'homme  de  zèle  doit  vous  servir  de  modèle; 
parce  qu'éviter  la  corruption  du  siècle,  être 
compatissant  sur  les  misères  du  prochain, 
pardonner  les  injures,  n'avoir  point  d'autre 
doctrine  que  celle  de  l'Eglise  ,  obéir  à  ceux 
qu'elle  a  établis  pour  nous  conduire,  être  tou- 
ché des  maux  qui  l'affligent,  s'alarmer  de 
ses  pertes,  se  réjouir  de  ses  conquêtes,  re- 
prendre prudemment  son  frère  lorsqu'il 
tombe  en  notre  présence  clans  quelque  faute, 
être  le  pasteur,  l'apôtre  de  sa  famille,  de  ses 
domestiques ,  voilà  des  obligations  indispen- 
sables pour  tous  les  chrétiens. 

Séparez  de  saint  Martin,  votre  illustre  pa- 
tron", ces  voies  extraordinaires,  ces  prodiges 
qui  en  ont  fait  un  homme  admirable,  un 
thaumaturge,  vous  trouverez  toutes  ces  ver- 
tus chrétiennes  qui  en  ont  fait  un  saint 

C'est  dans  ce  genre  de  sainteté  et  non  dans 
les  actions  extraordinaires  que  vous  pouvez 
l'imiter.  Il  y  a  plusieurs  demeures  dans  la 
maison  du  Père  céleste;  il  n'est  pas  donné  à 
tous  d'y  arriver  par  la  route  sublime  des 
mi  racles  ;  mais  c'est  une  nécessité  pour  tous 
de  marcher  dans  la  voie  étroite  de  l'Evangile 
pouF  y  régner  pendant  l'éternité  bienheu- 
reuse. Ainsi  soit-il. 

PANEGYRIQUE  XII. 

SAINT  PATRICE,  APOTRE  DE  L'IRLANDE. 

Prononcé  dans  Téglise  des  BR.PP.  R 'collets 
de  Saint -Germa  in  en  Laye,  le  jour  de  sa 
fête,  que  les  milords  et  les  seigneurs  irlan- 
dais et  anglais  qui  demeurent  dans  le  châ- 
teau, font  célébrer  le  il  mars.. 

Ego  elegi  vos  ut  ealis,  et  fructum  afleratis,  et  fructus 
vesler  maneat.  (Joan.,  XV.) 

Je  vous  ai  choisis,  el  je  vous  ai  établis,  afin  que  vous 
alliez  travailler  pour  ma  gloire,  que  vous  rapportiez  du 
fruit,  el  que  voire  fruit  demeure  toujours. 

Quand  on  fait  attention  à  la  faiblesse  des 
apôtres ,  et  que  l'on  considère  leurs  travaux 


239 


ORATEURS  SACRES.  BALLET 

é  d'avouer  que 


£40 


et  leurs  succès,  on  est  oblib 
l'établissement  de  la  religion  chrétienne  est 
l'ouvrage  d'un  Dieu.  Lui  seul  peut  choisir 
ce  qu'il  y  a  de  plus  faible  pour  confondre 
infailliblement  ce  qu'il  y  a  de  plus  fort. 

Que  l'homme  est  puissant  quand  c'est 
Dieu  qui  le  conduit,  l'anime  et  le  soutient  ! 
Dès  que  l'homme  choisi  de  Dieu,  envoyé  de- 
Dieu,  chargé  des  ordres  de  Dieu,  paraît, 
l'erreur  frémit,  la  vérité  triomphe,  l'enfer 
fait  de  vains  efforts  :  on  voit  bientôt  tomber 
dans  la  honte  et  l'ignominie  le  paganisme 
avec  toute  la  vanité  de  ses  idoles  ,  les  sys- 
tèmes des  philosophes  avec  toutes  leurs  or- 
gueilleuses subtilités ,  l'hérésie  avec  toutes 
ses  audacieuses  résistances,  la  nouveauté 
avec  toutes  ses  artificieuses  ressources. 

On  peut  comparer,  Messieurs  ,  l'homme 
apostolique,   suscité  de  Dieu,   envoyé  do 
Dieu,  à  cette  petite  pierre  qui  renversa  la 
y.  superbe  statue  dont  il  est  parlé  dans  l'Ecri- 

ture. Rien  ne  lui  résiste,  rien  ne  l'arrête  , 
rien  ne  l'intimide.  Les  empereurs  et  les  phi- 
losophes paiens,  ces  idoles  vivantes  des 
premiers  siècles,  n'ont  pu  résister  à  la  voix 
des  apôtres,  parce  qu'ils  étaient  envoyés  de 
Dieu. 

Tous  ceux,  Messieurs,  qui  n'ont  pas  reçu 
cette  mission  divine,  dont  l'Eglise  seule 
peut  honorer  ses  ministres,  ont  été  des  apô- 
tres de  l'erreur  et  du  mensonge.  Comment 
peut-on  prêcher,  dit  saint  Paul ,  quand  on 
n'est  pas  envoyé  ?  Ce  sont  les'justes  repro- 
ches que  l'on  faisait  à  Wiclef ,  à  Luther,  à 
Calvin,  qui  n'ont  jamais  pu  prouver  leur 
mission. 

Reproches  qu'on  ne  peut  adresser  à  ceux 
qui  nous  ont  annoncé  la  foi.  Ils  ont  été  choi- 
sis par  Jésus-Christ.  L'autorité  de  leur  apos- 
tolat, les  succès  de  leur  apostolat,  la  durée  de 
leur  apostolat,  tout  est  renfermé  dans  ces 
admirables  paroles  qu'il  leur  adresse  :  Ego 
dcfji  vos  ut  eaiis  et  fructum  ufferatis ,  et 
fructus  vester  maneat. 

L'apôtre  des  îles  Britanniques  ,  l'incom- 
parable saint  Patrice,  dont  j'entreprends 
aujourd'hui  l'éloge ,  a  été  aussi  honoré, 
Messieurs  ,  de  cette  mission  divine.  Il  a  été 
envoyé  de  Dieu  pour  éclairer  ces  royaumes 
du  nord,  adoucir  les  mœurs  de  ces  peuples 
féroces,  dissiper  les  épaisses  ténèbres  qui 
les  enveloppaient,  et  faire  connaître  Jésus- 
Christ  à  des  hommes  livrés  à  des  supersti- 
tions grossières. 

Dieu  a  parlé  secrètement  à  son  cœur, 
l'Eglise  a  approuvé  son  zèle,  des  miracles 
éclatants  l'ont  accompagné  dans  ses  travaux. 
Ces  îles  infortunées  soumises  à  la  foi  ont 
été  ses  succès,  et  les  catholiques  que  les 
fâcheux  événements  des  derniers  siècle£ 
n'ont  pu  ébranler,  sont  encore  des  monu- 
ments glorieux,  de  ses  conquêtes  et  des  tro- 
phées éternels  érigés  à  son  zèle. 

C'est  votre  religion  et  votre  fermeté , 
Messieurs  (2),  qui  m'enhardissent  aujour- 
d'hui à  mêler  avec  les  conquêtes  de  Patrice 


les  succès  passagers  des  hérétiques;  à  vous 
rappeler  ces  révolutions  étonnantes  que  les 
charmes  de  l'indépendance  ont  causé;  ces 
tristes  changements  qui  ont  touché  toutes 
les  cours  de  l'Europe,  et  qui  ont  montré 
dans  l'Angleterre ,  autrefois  1  île  des  saints , 
un  théâtre  mobile  et  changeant  sur  toutes 
les  matières  de  la  religion. 

Je  ne  perds  point  de  vue,  Messieurs,  les 
paroles  de  Jésus-Christ.  C'est  sur  cet  oracle 
que  je  fonde  l'éloge  de  votre  apôtre. 

Les  motifs  les  plus  touchants  et  les  plus 
saints  l'ont  fait  voler  vers  vos  pères  qui 
étaient  plongés  dans  les  ténèbres  de  l'ido- 
lâtrie ;  mais  ce  "ne  fut  qu'après  avoir  été  ho- 
noré de  la  mission  de  l'Eglise  :  c'est  elle  qui 
le  députa  et  l'envoya:  Ego  elegi  vos  ut  ealis. 
Vos  pères  furent  dociles  à  sa  voix  et  répon- 
dirent à  la  grâce  qui  les  appelait.  En  peu  de 
temps  Patrice  par  ses  travauy  procura  une 
abondante  moisson  à  la  religion  chrétienne  : 
ut  fructum  ufferatis.  Malgré  les  ravages  de 
l'hérésie  et  du  schisme,  vous  êtes  catho- 
liques sincères  et  ennemis  des  \  rofapes 
nouveautés.  Nous  voyons  donc  encore  sous 
nos  yeux  des  fruits  de  ses  travaux  et 
de  son  zèle  :  et  fructus  vester  manrat.  En 
trois  mots,  Messieurs,  et  c'est  tout  le 
plan  de  l'éloge  consacré  à  la  gloire  de  votre 
apôtre:  l'autorité  de  son  apostolat;  les  succès 
de  son  apostolat;  les  restes  précieux  de  son 
apostolat.  Employons  l'intercession  de  la 
Mère  de  Dieu,  pour  obtenir  les  lumières  du 
Saint-Esorit.  Ave,  Maria. 

PREMIÈRE     PARTIE. 

J'admire,  Messieurs,  la  mission  des  apô- 
tres :  elle  est  divine.  C'est  un  Dieu  qui  les 
choisit,  qui  les  envoie,  qui  les  charge  de 
porter  ses  ordres  jusqu'aux  extrémités  de 
la  terre:  Ecce  ego  mitto  vos  (Joan.,  V)  :  un 
Dieu  descendu  du  ciel ,  un  Dieu  fait  homme 
pour  notre  salut,  un  Dieu  envoyé  de  Dieu 
pour  relever  l'homme  enseveli  dans  les  rui- 
nes de  son  ancienne  grandeur,  l'éclairer, 
l'instruire,  et  établir  sur  toute  la  terre  une 
doctrine  céleste  ,  un  Evangile  de  paix  et  d«5 
charité. 

La  mission  des  apôtres  est  la  même  que 
celle  de  Jésus-Christ.  Il  les  envoie  comme 
il  a  été  envoyé  de  son  Père ,  il  les  charge  du 
même  ministère,  de  la  même  autorité;  ne 
craignons  pas  de  le  dire  ,  Messieurs,  de  la 
môme  puissance:  Sicut  misit  me  Pater  et  ego 
milto  vos.  (  Ibid.) 

Nous  ne  devons  pas  être  surpris  des  suc- 
cès des  apôtres.  Le  mépris  des  idoles,  la 
destruction  des  temples,  la  conversion  des 
plus  grands  empires ,  la  chute  humiliante 
du  paganisme  devaient  suivre  de  près  les 
prédications  des  apôtres  :  des  hommes  en- 
voyés de  Dieu,  remplis  de  l'esprit  de  Dieu, 
opèrent. les  merveilles  qu'il  opérerait  lui- 
même. 

Anathème  à  ces  hommes  audacieux  qui 
ont   paru,  ou  qui    paraissent  encore  sans 


(2)  Los  Anglais  et  les  Irlandais  catholiques  qui  sont  à  Saint-Germain  en  Laye,  sous  la  protection  du  roi 
de  Fiance,  l'ont  célébrer  cette  fétc. 


PANEGYRIQUES.  —  PANEG.  XII,  SAINT  PATRICE. 


2S1 

mission.  Tous  ceux  que  Jésus-Christ  n'a 
pas  envoyés  sont  de  faux  apôtres,  dit  saint 
Ambroise  :  c'est  leur  doctrine  qu'ils  prê- 
chent et  non  pas  celle  du  Sauveur;  c'est 
l'enfer  qui  les  suscite  et  non  pas  l'Esprit- 
Saint.  Ils  paraissent  sans  autorité  :  malheur 
à  ceux  qui  les  écoutent. 

N'est-il  pas  tombé  promptement  dans  la 
honte  et  l'ignominie,  l'apostolat  de  ces  hé- 
résiarques qui  ont  paru  sur  la  scène  dans 
tous  les  siècles,  et  qui  se  donnaient  avec 
faste  le  nom  d'apôtre  ?  On  ne  faisait  que 
leur  dire  avecTertullien  :  Où  avez-vous  été 
cachés  si  longtemps  ?  Ubi  tamdiu  lalinstis  ? 
et  ils  étaient  confondus,  ils  n'enseignaient 
pas  la  doctrine  des  apôtres;  ils  n'opéraient 
pas  de  miracles;  ils  ne  pouvaient  donc  prou- 
ver ni  une  mission  ordinaire  ni  une  mission 
extraordinaire.  D'ailleurs,  des  mœurs  licen- 
cieuses ,  des  démarches  hardies,  des  soulè- 
vements dans  presque  toutes  les  cours  des 
souverains  ne  caractérisent  pas  l'homme 
apostolique. 

Ah  !  comment  des  royaumes  entiers  se 
sont-ils  soumis  h  des  hommes  sans  mission, 
sans  autorité?  Quelle  honte  pour  des  esprits 
éclairés  î  Voici  le  mystère,  Messieurs. 

Comme  il  faut  être  envoyé  de  Dieu  pour 
prêcher  notre  sainte  religion,  il  faut  être 
purs  et  soumis  pour  la  conserver.  La  corrup- 
tion des  mœurs  a  souvent  entraîné  la  cor- 
ruption de  la  foi.  Vous  n'ignorez  pas  la 
fameuse  époque  des  révolutions  arrivées 
en  Angleterre  au  sujet  de  la  religion.  Si 
Henri  VIII  eût  toujours  été  chaste,  il  aurait, 
toujours  été  soumis  au  Saint-Siège  :  l'erreur 
qui  s'était  glissée  avant  lui  dans  les  îles 
Britanniques  fut  toujours  timide  et  ram- 
pante, tant  que  son  cœur  ne  fut  pas  souillé 
par  des  amours  illicites.  Sa  passion  seule  a 
rendu  l'hérésie  hardie  et  furieuse.  Les  succes- 
seurs de  Wiclef  parurent  dans  l'Angleterre 
sans  mission,  sans  miracles;  mais  ils  paru- 
rent avec  une  doctrine  qui  flattait  les  pas- 
sions des  grands  la  cupidité  des  riches, 
l'orgueil  des  savants.  Ces  grands  génies, 
ces  profonds  médkateurs  qui  ont  rendu  l'a- 
cidémie  de  Londres  si  célèbre  dans  la  répu- 
blique des  lettres,  n'ont  pas  été  les  derniers 
à  embrasser  l'erreur;  ils  ne  firent  pas  atten- 
tion à  la  honte  de  l'apostolat  de  ces  hommes 
audacieux.  Ils  se  laissèrent  flatter  par  la 
voie  spacieuse  qu'ils  ouvraient  :  les  charmes 
de  l'indépendance  triomphèrent  des  prin- 
cipes de  la  raison. 

Alors  l'Angleterre  devint  le  théâtre  de 
toutes  les  fausses  religions  :  les  faux  apôtres 
y  firent  de  funestes  progrès.  On  vit  tomber 
en  ruine  une  partie  de  l'édifice  que  Patrice 
et  le  moine  Augustin  avaient  élevé  par  leurs 
travaux.  L'Angleterre  oublia  ce  qu'elle  de- 
vait h  celui  que  saint  Grégoire  le  Grand  lui 
avait  député;  et  l'Irlande,  soumise  au  trône 
de  l'Angleterre,  ne  tarda  pas  à  altérer  la  foi 
que  saint  Patrice  lui  ava!t  annoncée  Mais  si 
les  faux  apôtres  détruisent  la  religion  dans 
quelques  provinces,  les  vrais  a  nôtres  en- 
voyés de  Dieu,  remplis  de  l'esprit  de  Dieu 
n  jnorés  de  la  mission  du  souverain  pontife, 


l'établissent  avec  succès  dans  les  empires 
qui  la  méconnaissent. 

Je  remarque,  Messieurs,  deux  choses  dans 
ceux  qui  ont  prêché  la  doctrine  de  Jésus- 
Christ,  et  qui  donnent  de  l'autorité  à  leur 
apostolat:  la  mission  et  les  miracles.  Les 
apôtres  ont  été  envoyés  de  Dieu;  les  apôtres 
ont  été  des  hommes  de  prodiges  Jésus- 
Christ  leur  a  dit  :  Allez,  guérissez  les  ma- 
lades, ressuscitez  les  morts,  changez  toutes 
les  lois  de  la  nature;  allez  prêcher  des  mys- 
tères d'abaissement,  une  doctrine  qui  met  la 
nature  à  l'étroit,  qui  la  gêne,  qui  la  crucifie  ; 
et  pour  la  faire  embrasser,  malgré  la  fausse 
sagesse  du  siècle,  les  révoltes  des  sens,  prou- 
vez qu'elle  vient  de  Dieu,  par  des  miracles 
éclatants  ;  en  vous  députant,  je  vous  commu- 
nique ma  puissance  ;  vous  serez  tout  à  la 
fois  des  apôtres  et  des  thaumaturges. 

Ah  1  qui  pourra  résister  à  des  hommes  en- 
voyés de  Dieu,  revêtus  de  la  puissance  de 
Dieu?  Personne,  Messieurs.  L'enfer  même 
fera  des  efforts  inutiles  ;  Ta  mission  et  les 
miracles  assurent  les  succès  des  apôtre«.  Le 
sage  Gamaliel  le  pensait  ainsi,  lorsqu'il  as- 
surait que  rien  ne  pouvait  empêcher  les  suc- 
cès de  l'œuvre  de  Dieu. 

L'homme  peut  faire  échouer  les  desseins 
de  l'homme,  mais  la  sagesse  mondaine  ne 
peut  rien  contre  les  desseins  de  Dieu. 

Ils  volent  avec  confiance,  ces  hommes 
envoyés  de  Dieu, vers  les  nations  idolâtres. 
Ah!  que  leur  route  est  brillante  1  L'esprit  de 
Dieu  les  anime,  les  soutient  et  travaille  avec 
eux.  C'est  lui  qui  leur  enseigne  les  vérités 
qu'ils  annoncent,  c'est  lui  qui  parle  parleur 
bouche,  et  qui  marque  presque  tous  leurs 
pas  par  des  prodiges  éclatants. 

Pour  s'assurer,  Messieurs,  de  l'autorité 
d'un  apostolat,  il  faut  donc  faire  attention  a. 
ces  deux  choses  qui  manquent  dans  celui 
des  hérésiarques,  à  la  mission  et  aux  mira- 
cles :  les  miracles  étaient  nécessaires  aux 
apôtres,  parce  qu'ils  annonçaient  des  vérités 
qui  n'étaient  pas  connues;  ils  ne  sont  plus 
nécessaires  aux  prédicateurs,  parce  qu'ils 
annoncent  des  vérités  connues  de  tous  les 
fidèles;  la  mission  de  l'Eglise  leur  suffit. 

Mais  il  n'en  est  pas  de  même  de  celui  qui 
n'a  pas  la  mission  de  l'Eglise,  qu'elle  désa- 
voue, et  qui  paraît  pour  la  contredire  ;  il  faut 
qu'il  prouve  par  des  miracles  qu'il  est  ex- 
traordinairement  suscité  de  Dieu. 

Comme  saint  Patrice,  Messieurs,  était  sus- 
cité de  Dieu  pour  aller  prêcher  l'Evangile 
dans  un  royaume  qui  le  méconnaissait,  son 
apostolat  fut,  aussi  bien  que  celui  des  apô- 
tres, autorisé  par  une  mission  légitime  et 
des  miracles  éclatants  :  il  fut  choisi  comme 
eux,  et  revêtu  de  la  même  puissance,  pour 
aller  éclairer  vos  pères  qui  étaient  plongés 
dans,  les  ténèbres  de  l'idolâtrie  :  Eiegi  vos 
ut  eatis. 

Je  ne  m'arrête  pas,  Messieurs,  à  tous  ces 
faits  éclatants  qui  distinguent  la  naissance 
et  les  premières  années  de  Patrice.  Quel 
vaste  champ  pour  un  orateur  qui  distingue- 
rait les  vertus  du  christianisme  des  fonc- 
tions de  l'apostolat  !  11  vous  montrerait  la 


2S3 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


241 


sainteté  et  la  grandeur  héréditaires  dans  sa 
famille,  l'opulence  et  les  honneurs  du  siècle 
sanctifiés  par  les  vertus  chrétiennes,  des  pa- 
rents aussi  pieux  que  les  Totre,  et  des  en- 
fants qui  soutiennent  la  sainteté  de  leurs 
pères;  Patrice,  uni  par  les  liens  du  sang  au 
grand  saint  Martin,  cet  admirable  thauma- 
turge, cette  brillante  lumière  de  l'Eglise  de 
France,  et  Patrice  héritier  de  son  zèle  et  de 
sa  puissance.  Mais  les  vertus  qui  font  les 
grands  saints  ne  font  pas  toujours  des  apô- 
tres :  il  faut  être  choisi  et  appelé  pour  prê- 
cher l'Evangile;  et  tous  ne  reçoivent  pas 
la  grâce  de  l'apostolat:  Nunquid  omncs  apos- 
t'oli?  (1  Cor.,  XII.) 

Je  ne  vous  rappelle  pas  non  plus,  pour 
vous  prouver  l'autorité  de  son  apostolat,  ce 
goût  de  la  piété  qui  était  né  avec  lui  ;  les 
vertus  qu'il  pratiqua  pour  conserver  son 
innocence,  et  les  victoires  qu'il  remporta 
sur  ses  ennemis  ;  les  attraits  qu'eurent  pour 
lui  les  fonctions  du  ministère  sacré,  et  l'ar- 
deur avec  laquelle  il  se  consacra  au  service 
des  autels  ;  le  zèle  qu'il  eut  toute  sa  vie  pour 
le  salut  des  âmes,  et  les  larmes  qu'il  répan- 
dait sur  ces  contrées  qui  méconnaissaient 
le  vrai  Dieu.  S'il  avait  alors  les  vertus  d'un 
apôtre,  il  n'en  avait  pas  encore  l'autorité. 

Si  la  mission  de  l'Eglise  n'était  pas  abso- 
lument nécessaire  pour  prêcher  l'Evangile; 
si  toutes  les  voies  extraordinaires  n'étaient 
pas  sujettes  à  l'illusion,  et  n'avaient  pas  be- 
soin de  l'examen  et  de  l'approbationdeî'Eglise 
pour  être  regardées  comme  sûres  et  authen- 
tiques, je  vous  dirais  que  Patrice  fut  appelé 
par  ces  prodiges  pour  aller  travailler  à  la  con- 
version des  îles  Britanniques. 

Des  révélations,  des  inspirations,  une  voix 
secrète,  l'entraînaient  dans  ces  contrées  ido- 
lâtres. 

Dieu  qui  a  montré  à  ses  prophètes  la 
^décadence  de  quatre  grands  empires,  et  le 
moment  même  de  leur  chute,  et  à  saint 
Pierre  l'état  déplorable  de  la  gentilité,  sous 
l'emblème  d'une  multitude  d'animaux  im- 
purs, montre  à  Patrice  tous  les  pouples  d'E- 
cosse et  d'Irlande  ensevelis  dans  les  ombres 
de  la  mort  ;  des  voix  plaintives,  de  tristes 
aveux,  des  soupirs,  des  larmes,  semblent 
l'appeler  à  la  conquête  de  ces  infortunés,  et 
lui  dire  :  Levez-vous,  homme  de  Dieu,  venez 
nous  éclairer,  rompre  nos  chaînes,  renverser 
les  trophées  du  démon,  et  en  ériger  à  l'E- 
vangile de  Jésus-Christ. 

L'événement,  Messieurs,  a  justifié  la  vé- 
rité de  ces  prodiges;  mais  les  saints,  sou- 
mis à  l'Eglise,  préfèrent  son  autorité  à  l'é- 
clat des  miracles  qu'elle  n'a  pas  encore 
constatés. 

Cette  voix  extraordinaire  ne  suffit  pas  à 
Patrice,  il  attend  qu'il  soit  choisi  et  appelé 
comme  les  apôtres,  il  va  dans  plusieurs 
monastères  pour  y  consulter  le  Seigneur. 
Là,  dans  une  paisible  retraite,  les  prières  et 
les  jeûnes  le  disposent  à  l'apostolat.  Là,  la 
voix  de  l'Eglise  lui  garantit  la  voix  de's  pro- 
diges. La  voix  des  prodiges  l'avait  appelé  à 
la  conversion  de  vos  pères;  la  voix  de  l'E- 
glise lui  dit  :AUe/ travailler  dans  ces  royaumes 


du  Nord  à  l'établissement  de  l'Evangile.  Pa- 
trice, honoré  de  la  mission  de  l'Eglise,  suit 
l'ardeur  de  son  zèle,  et  vole,  comme  m  e 
nuée  bienfaisante,  dans  ces  climats  inconnus 
jusqu'alors  aux  hommes  apostoliques;  mais 
il  a  voulu  joindre  avant  aux  vertus  des  apô- 
tres l'autorité  de  l'apostolat. 

Si  des  révélations  secrètes,  des  inspirations 
extraordinaires  suffisaient  pour  être  apôtres,  - 
où  est  l'hérétique  qui  ne  pourrait  pas  prendre 
audacieusement  ce  nom  sacré?  Où  est  le  nova- 
teur qui  ne  pourrait  pas  dire  :  J'ai  eu  une 
révélation,  je  suis  choisi  de  Dieu  pour  vous 
annoncer  telle  doctrine?  Les  hérétiques  ont 
toujours  voulu  qu'on  les  crût  sur  leur  pa- 
role ;  mais  il  n'en  est  pas  ainsi,  Messieurs. 
La  sagesse  de  Dieu  a  prévu  à  tout;  il  a  choisi 
ses  apôtres,  il  les  a  envoyés  ;  les  apôtres  ont 
choisi  et  envoyé  leurs  successeurs;  et  de- 
puis que  Piere  a  eu  fixé  son  siège  à  Rome, 
c'est  de  là  que  sont  partis  tous  les  hommes 
apostoliques;  c'est  sous  les  ordres  du  suc- 
cesseur de  Pierre  qu'ont  travaillé  légitime- 
ment tous  les  ouvriers  évangéliques;  c'est 
de  lui  aussi  que  Patrice  reçoit  sa  mission 
pour  les  royaumes  d'Ecosse  et  d'Irlande, 
comme  le  moine  Augustin  la  reçoit  du  grand 
saint  Grégoire  pour  le  royaume  d'Angle- 
terre :  ainsi  son  apostolat  est  revêtu  d'auto- 
rité. L'Eglise  lui  dit  solennellement,  et  au 
nom  de  Jésus-Christ  :  Je  vous  ai  choisi  pour 
aller  vers  ces  peuples  du  nord  qui  ne  con- 
naissent pas  le  vrai  Dieu  :  Elegi  vos  ut  eatis. 

Vous  ne  l'aviez  pas,  cette  mission,  faux 
apôtres  qui  avez  prêché  de  nouvelles  doc- 
trines dans  les  îles  Britanniques  :  l'Eglise 
ne  vous  avait  point  députés,  il  a  fallu  la  quit- 
ter pour  enseigner  vos  erreurs.  Votre  apos- 
lat  a  été  accompagné  de  honte  :  celui  de 
Patrice  a  été  accompagné  de  gloire.  Il  avait 
été  suscité  pour  détruire  le  règne  du  dé- 
mon, vous  avez  été  suscités  pour  le  rétablir. 
Il  a  élevé  dans  tous  ces  royaumes  des  tro- 
phées à  la  foi  des  apôtres,  vous  les  avez 
renversés  pour  en  ériger  audacieusement  à 
l'erreur.  Il  a  formé  un  peuple  de  saints. 
Toutes  ces  contrées  converties  par  ses  tra- 
vaux ont  fait  longtemps  la  joie  et  la  conso- 
lation de  l'Eglise';  et  tous  ceux  que  vous 
avez  engagés  dans  l'erreur  sont  devenus  des 
hommes  de  trouble ,  d'indépendance ,  de 
nouveauté. 

Agitée  et  entraînée  par  le  vent  des  nou- 
velles doctrines,  l'Angleterre,  aussi  bien  que 
l'ancienne  Rome,  a  adopté  toutes  leserreurs. 
L'île  des  Saints  est  devenue  l'asile  de  tous 
les  hérésiarques  et  de  tous  les  fanatiques. 
Le  mépris  du  trône  a  suivi  de  près  celui  des 
autels.  Le  monarque  a  mis  la  main  à  l'encen- 
soir; les  peuples  ont  nus,  à  leur  gré,  des 
bornes  à  la  puissance  royale,  et  celui  qui 
s'est  déclaré  chef  de  l'Eglise  sans  caractère, 
est  devenu,  pour  ainsi  dire,  un  roi  sans  au- 
torité; le  mépris  de  la  première  majesté  a 
fait  tomber  la  seconde  dans  l'avilissement. 

Qu'il  est  humiliant,  Messieurs,  ce  ressou- 
venir, pour  tous  ceux  que  l'erreur  a  séduits 
dans  tous  ces  trois  royaumes  que  Patrice  et 
Augustin  avaient  convertis!  Quelle  différence 


245  PANEGYRIQUES.  —  PANEG.  XII,  SAINT  PATRICE  2*5 

entre  ces  deux  grandes  lumières,  ces  hommes  Les  auteurs  de  ces  religions  ont  consulté 
apostoliques  envoyés  par  le  successeur  de  l'homme  lorsqu'ils  en  ont  tracé  le  plan. 
Pierre,  et  un  malheureux  Wiclef  élevé  dans     Ils  ont  gagné  son  cœur  en  le  flattant,  Jésus- 


le  sein  de  l'Eglise  romaine,  honoré  du  sa- 
cerdoce, chargé  de  la  conduite  des  âmes, 
que  l'ambition  rend  hardi,  que  le  libertinage 
dégoûte  des  devoirs  de  prêtre  et  de  pasteur, 
que  la  science  enfle ,  que  la  dépendance 
gêne,  qui  paraît  sans  mission,  et  qui  annonce 
une  nouvelle  doctrine  ! 

Ah!  Messieurs,  un  tel  a^ôtrê  devait-il 
donc  perdre  l'Angleterre ,  y  renverser  les 
fondements  de  la  foi  que  Patrice  et  Augus- 
tin y  avaient  portée,  y  frayer  une  route 
sûre  au  luthéranisme,  au  schisme  et  à  toutes 
les  profanes  nouveautés? 

Ah  !  si  nous  n'ignorons  pas  les  coupables 
apostasies  de  l'Angleterre,  nous  ignorons 
les  péchés  qui  ont  porté  le  Seigneur  à  lui 
enlever  le  don  de  la  foi  pour  le  trans- 
porter clans  un  royaume  plus  fidèle.  Les 
ennemis  de  l'Eglise  et  des  rois  catholiques 
qu'il  a  laissé  propérer  et  triompher  sont 
des  mystères  de  sa  justice  que  nous  ne 
devons  point  sonder,  mais  que  nous  devons 
adorer. 


Christ  seul  pouvait  en  triompher  en  l'hu- 
miliant. 

Si  les  prédications  des  apôtres  n'eus- 
sent pas  été  accompagnées  de  ces  prodiges 
éclatants  qui  forcent  l'homme  de  recon- 
naître le  doigt  ,de  Dieu,  la  morale  sévère 
qu'ils  annonçaient,  les  mystères  incom- 
préhensibles qu'ils  prêchaient,  les  trophées 
qu'ils  érigeaient  aux  opprobres  du  Calvaire, 
le  mépris  qu'ils  faisaient  des  dieux  révérés 
dans  toute  la  gentilité,  n'auraient  fait  que 
révolter  les  esprits  nourris  dans  la  supersti- 
tion et  l'idolâtrie. 

Mais  Dieu  les  avait  revêtus  de  sa  puis- 
sance et  agissait  en  eux  :  l'éclat  des  miracles 
faisait  ouvrir  les  yeux  aux  sages  du  paga- 
nisme et  aux  maîtres  du  monde.  Des  hommes 
qui  sont  obéis  dès  qu'ils  parlent,  qui  rem- 
plissent un  empire  de  prodiges,  qui  mon- 
trent à  leurs  ennemis  étonnés  des  malades 
guéris,  des  boiteux  redressés,  des  aveugles 
éclairés,  des  morts  ressuscites,  qui  imposent 
silence  à  tous  les  oracles  du  démon,  et  rem- 


Non,  je  n'interrogerai  pas  témérairement     portent  des  triomphes  éclatants  sur  le  monde 


le  Seigneursurlapertede  la  religion  dans  ces 
trois  royaumes,  mais  j'interrogerai  les  An- 
glais qui  ont  adopté  l'erreur.  Quelque  ja- 
loux qu'ils  soient  des  prospérités  de  la 
Erance,  les  Français  le  sont  encore  plus 
de  leur  retour  à  l'Eglise  romaine  qu'ils  ont 
abandonnée.  Comment' ont-ils  pu  oublier  la 
sainteté,  la  mission  et  les  miracles  de  leurs 
apôtres,  et  écouter  des  hommes  sans  mis- 
sion, sans  vertus  ?  Puisqu'ils  renonçaient 
au  sacerdoce  dont  ils  étaient  revêtus  de- 
puis longtemps,  et  à  l'Eglise  romaine  dans 
laquelle  ils  étaient  nés ,  puisqu'ils  prê- 
chaient une  nouvelle  doctrine  qui  combat- 
tait celle  de  tous  les  siècles,  ils  devaient  du 
moins  leur  demander  des  miracles  pour  prou- 
ver une  mission  extraordinaire,  et  comme  ils 
n'en  opéraient  pas,  ils  devaient  leur  dire 
anathème. 

Patrice  ,  Messieurs ,  envoyé  par  l'Eglise 
dans  ces  climats  qu'habitaient  vos  pères, 
leur  annonça  une  doctrine  qui  leur  était  in- 
connue :  mais  il  y  porta  l'éclat  des  miracles, 
il  y  parut  en  apôtre  et  en  thaumaturge  ;  on 
ne  pouvait  pas  douter  de  l'autorité  de  son 
apostolat. 

Oui,  Messieurs,  les  miracles  étaient  né- 
cessaires pour  l'établissement  de  la  religion. 
Comme  un  Dieu  seul  en  pouvait  former  le 
projet,  un  Dieu  seul  pouvait  l'exécuter. 

Des  royaumes  entiers  sortis  du  sein  des 
ténèbres,  des  peuples  soumis  à  une  religion 
qui  gêne  les  passions,  qui  combat  tous  les 
penchants  de  la  nature,  à  des  mystères  qui 
révoltent  les  sens  et  confondent  la  raison, 
sont  des  changements  et  des  merveilles  du 
Très-Haut. 

Les  progrès  des  fausses  religions  qui  ré- 
gnent dans  le  monde  ne  sont  pas  étonnants: 
l'esprit  humain  avec  tous  ses  raisonne- 
ments, le  cœur  avec  tous  ses  faibles,  v 
trouvent  leur  compte. 


et  l'enfer,  forcent  les  plus  opiniâtres  à  re- 
connaître l'œuvre  de  Dieu. 

Or,  ces  miracles  qui  accompagnaient  les 
apôtres  partout  où  ils  allaient,  avaient  été 
promis  par  Jésus-Christ  lorsqu'il  leur  donna 
sa  mission  ;  il  ne  sépara  pas  pour  lors  le 
titre  de  thaumaturge  de  celui  d'apôtre  ;  et 
saint  Luc  nous  assure  que  les  prodiges  nais- 
saient sous  les  pas  de  ces  hommes  envoyés 
de  Dieu  :  sequentibus  signis. 

Mais  remarquez,  Messieurs,  avec  saint 
Paul,  que  ces  miracles  n'ont  été  opérés  que 
pour  les  infidèles,  que  pour  soumettre  ces 
empires  plongés  dans  les  ténèbres  de  l'ido- 
lâtrie à  la  doctrine  de  Jésus-Christ,  et  les 
faire  plier  heureusement  sous  le  joug  do 
l'Evangile.  Les  fidèles  n'en  ont  pas  besoin, 
l'Eglise  leur  garantit  la  doctrine  qu'ils  ont 
reçue  :  Linguœ  in  signum  sunt  non  fidelibus, 
seâ  infideiibus.  (I  Cor.,  XIV.) 

Vous  serez  donc  tout  à  la  fois  thaumaturge 
et  apôtre,  incomparable  Patrice,  parce  que 
vous  êtes  envoyé  dans  des  royaumes  qui 
ignorent  le  vrai  Dieu;  la  mission  que  vous 
avez  reçue  de  l'Eglise  est  accompagnée  du 
don  des  miracles;  votre  route  sera  éclatante 
comme  celle  des  apôtres,  parce  que  vos  tra- 
vaux sont  les  mêmes  ;  et  la  puissance  divine, 
qui  agit  en  vous,  vous  soumettra  l'enfer 
avant  même  que  de  vous  soumettre  les 
peuples  que  vous  allez  évangéliser. 

Qu'ils  sont  beaux  et  admirables,  Mes- 
sieurs, ces  triomphes  de  l'homme  de  Dieu 
sur  l'enfer!  Que  j'aime  à  me  représenter 
ces  malheureux  que  Satan  a  revêtus  de  sa 
sacrilège  puissance  humiliés  aux  pieds 
de  Patrice  ! 

Quand  je  vois  les  magiciens  de  l'Egypte 
rendre  hommage  à  l'autorité  de  Moïse  en- 
voyé de  Dieu,  avouer  leur  faiblesse  après 
avoir  lutté  contre  sa  puissance,  oublier  les 
merveilles  passagères  de  l'enfer  pour  louer, 


Ul 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


US 


des  merveilles  inimitables  du  Très-Haut,  et 
détromper  le  prince  qui  les  estimait  pour 
faire  honorer  le  serviteur  de  Dieu  qu'il  mé- 
prisait, je  dis  :  Que  l'homme  de  Dieu  est 
puissant  1 

Quand  je  vois  cet  homme  sacrilège  et  au- 
dacieux, qui  avait  rempli  toute  la  Samarie 
de  ses  prestiges,  humilié  à  Rome  par  l'apôtre 
saint    Pierre,    les  applaudissements    d'un 

f>euple  crédule  changés  en  reproches  humi- 
iants,  et  le  lieu  destiné  à  son  triomphe  de- 
venu le  théâtre  de  sa  honte,  je  dis  :  Que 
l'homme  de  Dieu  est  puissant  ! 

L'enfer  fait  de  vains  efforts  contre  lui,  ses 
plus  formidables  légions  disparaissent  en 
sa  présence;  il  suscite  en  vain  des  hommes 
pour  travailler  à  étendre  son  règne  ;  ils 
tombent  aux  pieds  de  l'homme  envoyé  de 
Dieu. 

Ici,  Messieurs,  vous  vous  rappelez 'les 
triomphes  de  saint  Patrice  sur  ces  hommes 
que  l'enfer  vomit  de  temps  en  temps  pour 
commettre  ces  œuvres  de  ténèbres,  ces  ac- 
tions mystérieuses,  ces  faits  extraordinaires 
qu'un  peuple  crédule  et  ignorant  ne  sait  pas 
distinguer  de  la  puissance  du  Très-Haut; 
ces  hommes  dont  le  nom  est  si  effrayant,  la 
science  si  vaine,  la  puissance  si  bornée  ;  ces 
hommes  qui  ont  trop  de  crédit  en  Egypte,  à 
Babylone,  chez  les  Chaldéens,pour  l'honneur 
de  ces  grands  empires,  ces  hommes  que  les 
monarques,  les  armées  les  plus  nombreuses 
consultaient  et  respectaient,  mais  qu'un  pro- 
phète, un  homme  de  Dieu  humiliait  et  con- 
fondait. 

Vous  savez  que  la  seule  présence  de  Pa- 
trice les  déconcerta,  les  humilia,  et  les  pré- 
cipita dans  les  noirs  abîmes  qui  les  avaient 
suscités. 

En  vain  ont-ils  recours  à  leurs  enchante- 
ments, et  mettent-ils  leur  confiance  dans  les 
secours  qu'ils  attendent  de  l'enfer.  Patrice 
parle,  et  l'enfer  frémit,  les  magiciens  sont 
confondus,  les  trophées  du  démon  sont  ren- 
versés, trois  expirent  aux  pieds  de  notre 
apôtre;  l'enfer  qui  les 'avait  vomis  les  reçoit. 
Dieu ,  Messieurs,,  pouvait-il  honorer  les 
commencements  de  son  apostolat  d'une  ma- 
nière plus  éclatante  ?• 

Allez,  glorieux  apôtre,  dans  les  îles  Bri- 
tanniques, parcourez  ces  vastes  royaumes 
du  Nord,  où  l'Eglise  vous  envoie,  les  mi- 
racles vous  accompagneront  :  vous  avez  lutté 
contre  l'enfer,  et  vous  en  avez  triomphé  ;  à 
des  miracles  d'un"  Dieu  vengeur,  joignez  des 
miracles  d'un  Dieu  de  miséricorde  :  portez 
partout  le  don  des  guérisons,  retracez  sur 
votre  route  la  bonté  du  Sauveur,  guérissez 
les  âmes  et  les  corps.  C'est  ce  qu'il  lit,  Mes- 
sieurs :  il  partit  en  apôtre  et  en  thaumaturge, 
ses  miracles  confirmèrent  sa  mission  à  vos 
pères,  et  ils  jugèrent  qu'il  était  envoyé  de 
Dieu,  parce  qu'il  faisait  les  œuvres  do  Dieu. 

Les  faux  apôtres  n'opèrent  pas  de  mi- 
rai les,  dit  saint  Ambroise,  ils  ne  font-  rien 
qui  rende  témoignage  à  leur  nouvelle  doc- 
trine :  Nulla  his  signa  virïutUTh,  perhibent 
testimonium.  Où  sont-elles,  les  merveilles 
que  Wiclef  et  ses  successeurs  ont  opérées 


dans  l'Angleterre  pour  prouver  qu'ils  étaient 
suscités  extraordinairement? 

11  est  vrai  qu'on  y  a  vu  des  merveilles  qui 
ont  étonné  toutes  les  cours  de  l'Europe  ;  les 
attentats  du  prince  sur  l'autel  ;  les  attentais 
du  peuple  sur  le  trône,  la  religion  réformée 
à  un  tribunal  de  laïques,  les  majestés  de  la 
terre  jugées  et  condamnées  par  une  assem- 
blée de  séditieux  ;  si  ces  scènes  scandaleuses 
font  les  apôtres  et  les  thaumaturges ,  on 
pourrait  encore  appeler  aujourd'hui  l'Angle- 
terre l'île  des  saints. 

Les  faux  apôtres  qui  ont  renversé  une 
partie  de  l'édifice  que  Patrice  et  Augustin 
avaient  élevé  voudraient-ils  encore  nous 
donner  pour  des  merveilles  qui  honorent 
leur  apostolat  tout  ce  qu'on  a  vu  en  Angle- 
terre après  la  réforme? 

Là,  vivaient  à  l'ombre  du  trône  des  vierges 
enlevées  à  leurs  monastères,  des  religieux 
dégoûtés  de  leur  état,  des  prêtres  rebelles  à 
l'Eglise  et  à  leur  prince-,  là,  des  ministres 
qui  avaient  célébré  les  saints  mystères  plu- 
sieurs années,  prêché  et  confessé,  vivaient 
tranquillement  comme  des  laïques  :  là,  des 
personnes  consacrées  à  Dieu  par  des  vœux 
monastiques,  ou  par  l'onction  sainte  du  sa- 
cerdoce, contractaient  publiquement  des  ma- 
riages sacrilèges  :  là,  tous  ceux  dont  les  pas- 
sions étaient^  trop  gênées  par  les  saintes 
règles  de  la  'religion  dans  ce  royaume,  y 
secouaient  librement  le  joug  du  célibat.  Voilà 
les  merveilles  qui  ont  suivi  l'apostolat  de 
Wiclef  et  de  ses  successeurs. 

Ces  changements  étonnants,  ces  sacrilèges 
attentats,  ces  honteuses  apostasies  sont  di- 
gnes de  tels  âpÔtres  :  s'ils  appellent  cela  ré- 
primer les  abus,  que  les  succès  de  leur  apos- 
tolat sont  déplorables  I  Et  quelle  différence 
entre  les  succès  de  Patrice  1  Je  les  examine, 
Messieurs,  sans  intervalle,  je  ne  sépare  point 
cette  seconde  partie  de  !a  première,  et  je 
vais  vous  montrer  en  peu  de  mots  les  succès 
de  son  apostolat  assurés  par  la  parole  de 
Jésus-Christ  :  Ut  fruclum  ajj'eralis. 

SECONDE    PARTIE. 

Détruire  et  établir,  c'était,  Messieurs, 
l'unique  objet  de  la  mission  des  apôtres  :  dé- 
truire le  paganisme,  établir  la  religion  chré- 
tienne. Ils  y  ont  réussi,  vous  le  savez,  mal- 
gré tous  les  obstacles  :  le  démon  a  cessé 
d'avoir  des  temples,  l'Eglise  de  Jésus-Christ 
en  a  eu  sur  toute  la  terre:  voilà  leurs  succès, 
et  les  fruits  précieux  de  leurs  travaux  que  le 
Sauveur  leur  demandait  :  LJtfructum  aiïeratis. 

Tels  furent  aussi,  Messieurs,  les  glorieux 
succès  de  saint  Patrice  votre  apôtre  ;  il  a  dé- 
truit l'idolâtrie  dans  l'Irlande  et  dans  l'E- 
cosse, il  y  a  établi  la  rel  igion  chrétienne  :  suc- 
cès sur  l'enfer,  dont  il  a  affaibli  le  règne; 
succès  sur  le  cœur  de  l'homme  qu'il  a  gagné 
à  Dieu  ;  il  a  attaché  le  démon  à  son  char,  il 
a  attaché  l'homme  au  char  de  Jésus-Christ: 
voilà-  les  succès  que  Dieu  lui  a  procurés  et 
les  fruits  précieux  de  son  apostolat  :  VI 
fructum  afferatis. 

Quels  hommages  le  démon  ne  reçoit-il 
pas  dans  ces  contrées  malheureuses  qui  ne 


219 


PANEGYRIQUES. 
Dieu?  Il  y 


connaissent  pas  le  vrai 
temples,  des  autels,  des  sacrifices;  c'est  lui 
qu'on  adore,  c'est  à  lui  qu'on  offre  et  qu'on 
immole  des  victimes,  c'est  à  lui  qu'on  adresse 
ses  vœux  et  ses  hommages;  il  tient  tous  ces 
aveugles  humains  sous  son  odieux  einpire, 
et  reçoit  paisiblement  les  honneurs  divins. 

Si,  non  content  de  régner  dans  ces  pro- 
vinces idolâtres,  il  parcourt  l'univers,  livre 
des  combats, emploie  les  appâts  et  les  amorces 
du  vice  pour  faire  tomber  tous  les  chrétiens, 
souiller  tous  les  cœurs,  porter  la  honte  du 
crime  dans  tous  les  Etats,  dans  le  sanctuaire 
et.sur  le  trône  ;  nous  devons  juger  de  l'em- 
pire qu'il  exerce  dans  ces  climats  qui  ne 
connaissent  pas  le  vrai  Dieu,  et  rougir  des 
conquêtes  qu'il  fait  parmi  nous  qui  sommes 
son  peuple  choisi. 

Là,  les  peuples  sont  à  lui  par  religion  ; 
ici,  nous  sommes  à  lui  par  le  péché.  Là, 
l'ignorance  du  vrai  Dieu  leur  fait  transporter 
le  culte  suprême  à  des  idoles  ;  ici,  la  fougue 
des  passions  flattées  nous  attache  à  de  cou- 
pables objets.  Là,  il  se  fait  obéir  en  maître 
absolu  ;  ici,  il  nous  fait  désobéir  volontaire- 
ment à  un  Dieu  suprême.  Là  le  démon  règne 
dans  ses  temples;  ici,  il  règne  dans  les 
nôtres.  Là,  il  établit  des  solennités  sacri- 
lèges; ici,  il  souille  nos  solennités  saintes. 

Réflexion  bien  humiliante  pour  nous, 
Messieurs  :  un  seul  apôtre  a  éclairé  des 
royaumes  entiers,  humilié  l'enfer  et  abattu 
le  démon  à  ses  pieds;  et  des  milliers  d'a- 
pôtres, des  prédicateurs  répandus  chez  tous 
les  peuples  chrétiens  n'arrachent  presque 
point  d'âmes  au  démon.  Les  passions  des 
hommes  sont  donc  plus  difficiles  à  dompter 
que  l'infidélité  même?  Le  sacrifice  du  cœur 
coûte  donc  plus  que  celui  de  l'esprit?  Nous 
en  sommes  des  preuves  éclatantes,  nous  qui 
croyons  tout  ce  que  la  foi  nous  enseigne,  et 
ne  pratiquons  pas  tout  ce  qu'elle  commande. 

Le  malheur  des  idolâtres  est  d'offenser  un 
Dieu  qu'ils  ne  connaissent  pas.  Le  crime  du 
chrétien  est  d'offenèer  un  Dieu  qu'il  adore. 

Quelle  différence  entre  les  succès  des 
hommes  envoyés  dans  les  royaumes  idolâ- 
tres, et  les  stériles  travaux  de  Veux  qui  prê- 
chent chez  les  chrétiens  !  Rougissons-en  , 
Messieurs. 

Patrice  n'est,  pas  plus  tôt  arrivé  chez  ces 
peuples  du  Nord  qui  forment  aujourd'hui 
ces  vastes  royaumes  d'Ecosse  et  d'Irlande, 
ces  deux  trônes  réunis  à  celui  d'Angleterre, 
que  l'enfer  frémit.  Le  démon  qui  attaque  les 
forts  d'Israël,  les  rois  même  sur  le  trône,  est 
attaqué  par  notre  apôtre.  Déjà  le  paganisme 
chancelle  dans  ces  régions  couvertes  des 
ombres  delà  mort;  la  voix  de  Patrice,  sem- 
blable à  ces  trompettes  mystérieuses  qui 
firent  tomber  les  murs  de  l'orgueilleuse  Jé- 
richo, fait  fuir  toutes  les  puissances  de  l'en- 
fer, et  annonce  la  chute  humiliante  de  l'ido- 
lâtrie. 

Rientôt  le  culte  superstitieux  tombe  dans 
l'avilissement.  Rientôt  on  rougit  de  l'encens 
que  l'on  a  offert  aux  fausses  divinités,  des 
vœux  et  des  prières  qu'on  leur  a  adressés,  de 
la   confiance   aveugle   qu'on  a  eue  dans  la 


—  PANEG.  XII,  SAINT  PATRICE. 

a  des     pierre  et  le  bois.  Vos  pères 


250 


avouent  qu'ils 
ont  possédé  le  mensonge,  ils  rougissent  de 
leurs  superstitieuses  pratiques,  et  confessent 
que  le  Créateur  seul  du  ciel  et  de  la  terre 
mérite  nos  hommages  et  nos  adorations. 
Aussitôt  les  temples  sont  détruits,  les  autels 
renversés,  les  idoles  brisées,  les  oracles  mé- 
prisés, l'enfer  confus,  la  croix  du  Sauveur 
arborée,  l'Evangile  reçu,  Dieu  seul  adoré,  le 
démon  vaincu. 

Voilà,  Messieurs,  les  premiers  succès  de 
notre  apôtre  :  la  destruction  entière  du  paga- 
nisme, le  règne  du  démon  aboli,  le  théâtre 
de  sa  gloire  devenu  le  théâtre  de  sa  honte; 
et  celui  qui  faisait  prosterner  tant  de  peuples 
à  ses  pieds  abattu  aux  pieds  de  Patrice,  et 
attaché  honteusement  à  son  char. 

Que  les  succès  de  Wiclef  et  de  ses  succes- 
seurs -dans  l'Angleterre  sont  différents,  Mes- 
sieurs 1  Si,  selon  saint  Augustin,  l'hérésie 
fait  des  plaies  plus  considérables  que  celles 
de  l'idolâtrie,  ne  peut-on  pas  appeler  leurs 
succès  passagers  les  triomphes  du  démon? 
Patrice  avait  détruit  le  paganisme  pour  éta- 
blir la  religion  chrétienne;  ils  détruisent  la 
religion  chrétienne  pour  établir  l'hérésie. 

C'est  sur  les  ruines  de  l'idolâtrie  qu'on 
élève  des  temples  au  vrai  Dieu.  C'est  sur  les 
ruines  de  la  religion  catholique  qu'on  élève 
des  autels  à  la  nouveauté.  Les  îles  Britan- 
niques renoncent  à  la  foi  qui  leur  avait  été 
annoncée  par  Patrice  et  Augustin  pour  em- 
brasser les  nouveaux  dogmes  de  quelques 
fameux  apostats. 

Ah  !  que  les  succès  de  l'erreur  ne  les  ras- 
surent pas  :  ils  sont  bien  différents  de  ceux 
de  Patrice.  Les  succès  de  Patrice  sont  ra- 
pides, ceux  des  hérésiarques  sont  lents. 

Comme  les  novateurs  n'ont  nulle  autorite, 
il  faut  qu'ils  s'insinuent  secrètement,  qu'ils 
ne  se  montrent  qu'avec  précaution  ,  qu'ils 
soient  timides  et  rampants,  qu'ils  envelop- 
pent habilement  leurs  erreurs,  et  qu'ils  sé- 
duisent par  leurs  artifices  ceux  qu'ils  ne 
pourraient  jamais  gagner  par  le  nouveau 
plan  de  leur  doctrine. 

Les  succès  de  Patrice  sont  l'ouvrage  de 
Dieu  ;  ceux  de  Wiclef  et  de  ses  successeurs 
sont  l'ouvrage  de  l'homme  ennemi:  Inimi- 
cus  homo  fecit.  (Matth.,  XIII.) 

Que  de  mystérieux  complots,  que  de  ca- 
bales sourdes,  que  de  honteuses  variations  l 
Que  d'alarmes  dans  le  prince!  Que  de  politi- 
que dans  les  grands  !  Que  de  lâcheté  dans  les 
évoques!  Que  de  soulèvements  indécents 
dans  le  peuple  1  Que  de  retranchements,  que 
d'additions  lorsqu'on  a  voulu  fixer  la  nou- 
velle croyance  des  Anglais!  Une  assemblée 
était  réformée  par  une  autre.  La  réforme 
plaisait  dans  certains  points,  etrévoltaitdans 
d'autres.  On  a  vu  les  faux  apôtres  sacrifier 
quatre  articles  de  leur  doctrine,  parce  qu'ils 
déplaisaient  à  la  reine  Elisabeth.  Voit-on  ces 
honteux  ménagements  et  ces  perpétuelles 
variations  dans  la  doctrine  des  apôtres  ?  Que 
doit-on  penser  de  ces  succès? 

Les  succès  de  Patrice  sont  immenses,  sont 
universels  dans  les,  climats  qu'il  a  évangé- 
lisés.  L'Irlande  et  1  Ecosse  ont  été  changées 


251 


ORATEURS  SACRES.  RALLET. 


234 


par  ses  prédications,  ces  grands  royaumes 
ne  reconnaissent  point  d'autre  apôtre  que 
lui. 

et  l'habileté  de 


L'intrigue 


us  de  vingt 


faux  apôtres  n'ont  pu  détruire  la  religion  ca 
tholique  dans  les  îles  Britanniques.  La  reli- 
gion du  prince  même  n'est  pas  la  plus  éten- 
due, et  la  haine  seule  de  l'Eglise  romaine  y 
fait  subsister  plus  de  cinquante  religions 
absurdes  et  grossières. 

C'est  à  un  apôtre  envoyé  de  Dieu  comme 
Patrice  qu'il  est  donné,  non-seulement  de 
détruire  le  paganisme,  d'attacher  le  démon 
à  son  char,  mais  encore  de  faire  embrasser 
les  vérités  gênantes  et  humiliantes  de  l'E- 
vangile, et  d'attacher  l'homme,  malgré  ses 
penchants  et  ses  inclinations,  au  char  de 
Jésus-Christ  :  ce  sont  là  de  glorieux  succès. . 

Où  est-elle,  la  gloire  de  ces  faux  apôtres 
qui  ont  perverti  des  royaumes  entiers,  sou- 
mis plusieurs  provinces  à  leur  nouvelle  doc- 
trine, et  dont  on  vante  tant  les  funestes  con- 
quêtes et  les  malheureux  succès?  Le  plan  de 
leur  prétendue  réforme  ne  condamnait  pas 
les  faibles  des  hommes  et  ne  gênait  pas 
leurs  coupables  penchants. 

Je  ne  parle  pas  ici,  Messieurs,  des  immen- 
ses progrès  du  mahométisme,  que  des  liber- 
tins ont  l'audace  d'opposer  aux  miraculeux 
progrès  des  apôtres  ;  il  n'est  pas  étonnant 
que  la  volupté  triomphe  de  l'homme,  il  est 
plus  étonnant  que  l'homme  en  triomphe.  Il 
ne  faut  qu'être  homme  pour  vivre  volupteu- 
sement.  Il  faut  faire  profession  de  la  doctrine 
de  Jésus-Christ,  et  être  soutenu  d'une  grâce 
puissante  pour  vivre  saintement;  il  ne  faut 
que  suivre  nos  malheureux  penchants  pour 
obéir  aux  apôtres  du  vice,  il  faut  les  dompter 
pour  obéir  aux  apôtres  de  Jésus-Christ. 

Mais  je  parle  des  apôtres  de  l'erreur  et  des 
funestes  progrès  qu'ils  ont  faits  en  Angle- 
terre, et  je  dis  que  leurs  succès  ne  sont  ni 
aussi  étonnants,  ni  aussi  dignes  de  notre 
admiration  que  ceux  de  Patrice.  En  voici 
des  preuves,  Messieurs. 

Le  prince  et  les  grands  étaient  Haltes  par 
la  nouvelle  doctrine  qu'ils  prêchaient:  la 
gloire,  l'intérêt,  la  passion  y  trouvaient  leur 
compte,  on -réunissait  audacieusement  le 
glaive  de  Pierre  au  glaive  de  Constantin. 
On  se  moquait  par  principes  des  bornes  sa- 
crées qui  séparent  les  deux  puissances.  On 
attachait  la  suprématie  de  l'Eglise  à  l'autorité 
royale  :  cela  ne  suffisait-il  pas  pour  flatter  un 
prince  qui  était  devenu  l'ennemi  du  Saint- 
Siège,  depuis  qu'il  était  devenu  l'esclave  de 
sa  passion? 

On  permettait  aux  grands,  dans  cette  nou- 
velle doctrine,  de  s'emparer  des  trésors  de 
l'Eglise,  de  dépouiller  les  ministres  de  leurs 
revenus,  et  d'agrandir  leurs  domaines  du 
patrimoine  des  pauvres.  N'était-ce  pas  là  des 
ap.iAts  pour  la  cupidité? 

On  ouvrait  les  cloîtres  des  religieuses  ;  on 
brisait  les  barrières  sacrées  qui  les  séparent 
du  inonde  dangereux;  on  dispensait  les  prê- 
tres du  célibat,  les  fidèles  de  l'abstinence, 
de  la  confession  et  de  toutes  les  pratiques 
austères  et  humiliantes  de  la  religion   ro- 


maine :  est-il  étonnant  que  des  hommes  qui 
ont  tant  de  faibles  se  soient  rangés  sous  les 
étendards  de  ces  apôtres  complaisants?  La 
passion  fait  tant  de  prévaricateurs  parmi  ceux 
mêmes  qui  respectent  la  religion  romaine, 
comment  ne  soumettrait-elle  pas  aux  apôtres 
de  l'erreur  ceux  dont  le  Saint-Siège  a  con- 
damné les  scandaleux  commerces? 

Ah!  Messieurs,  c'est  la  passion  qui  a  sus- 
cité ces  apôtres  dans  l'Angleterre  ;  ce  sont 
les  passions  des  grands  qui  les  ont  accré- 
dités, et  c'est  encore  la  passion  qui  soutient 
le  schisme  qu'ils  ont  élevé;  mais  un  apôtre 
qui  prêche  le  plan  de  Jésus-Christ  a  tracé 
lui-même  un  Evangile  qui  crucifie  la  chair, 
révolte  les  sens,  humilie  l'esprit,  met  la  na- 
ture à  l'étroit  ;  et  cependant  il  soumet  tous 
les  peuples.  Ce  sont  là,  Messieurs,  les  suc- 
cès des  hommes  envoyés  de  Dieu  :  ce  sont 
ceux  de  Patrice  envoyé  dans  l'Ecosse  et  l'Ir- 
lande. Après  avoir  détruit  l'empire  du  dé- 
mon,  il  détruisit  l'empire  des  passions: 
le  démon  fut  attaché  à  son  char,  et  l'homme 
à  celui  de  Jésus-Christ. 

On  vit  ce  grand  miracle  dont  parle  saint 
Augustin,  et  qu'il  met  à  la  tête  de  tous  les 
autres  :  des  hommes  soumis  tout  d'un  coup 
à  une  religion  gênante  et  humiliante;  un 
apôtre  qui  prêche  des  choses  qui  paraissent 
incroyables,  et  qui  soumet  les  esprits;  qui 
annonce  des  pleurs,  des  privations,  des  com- 
bats pendant  tout  le  cours  de  cette  vie,  et 
qui  persuade  ses  auditeurs  ;  un  apôtre  qui 
prêche  un  Dieu  fait  homme'1,  pauvre,  mé- 
prisé, persécuté,  attaché  à  une  croix,  et  qui 
multiplie  le  nombre  de  ses  disciples;  un 
apôtre  qui  annonce  une  voie  étroite,  le  dé- 
tachement des  richesses,  le  renoncement  aux 
plaisirs,  le  pardon  des  ennemis,  et  y  fait  en- 
trer tous  les  peuples;  un  apôtre  qui  prêche 
une  morale  qui  n-accorde  rien  aux  penchants 
du  cœur,  qui  condamne  jusqu'aux  pensées 
et  aux  désirs,  et  qui  est  écouté.  Voilà  le  mi- 
racle ,  dit  saint  Augustin  :  ces  succès  des 
apôtres  doivent  soumettre  un  esprit  raison- 
nable. 

Tels  furent  ceux  de  Patrice,  Messieurs: 
il  annonça  le  plan  austère  de  l'Evangile  à 
vos  pères,  et  ils  le  reçurent;  ses  discours 
les  tirent  courber  avec  docilité  sous  le  joug 
de  Jésus-Christ,  il  les  persuada  et  les  toucha 
efficacement.  C'est  ce  que  saint  Ambroise  ap- 
pelle les  persuasions  des  hommes  aposto- 
liques :  suasiunes  upostolicœ.  Patrice  avait 
l'autorité  dvs  apôtres,  ce  zèle,  cette  onction, 
cette  efficace  qui  touchent  les  cœurs,  les  en- 
lèvent, et  les  soumettent  aux  lois  austères  et 
humiliantes  de  l'Evangile.  C'était  un  apôtre 
de  Jésus-Christ  :  il  persuadait:  ses  paroles 
enchaînaient  les  cœurs;  ses  prédications, 
aussi  bien  que  celle  de  Pierre  et  de  Paul, 
étaient  suivies  d'éclatantes  conversions  ;  per- 
sonne ne  résistait  aux  paroles  victorieuses 
que  Dieu  mettait  sur  ses  lèvres  :  suasiones 
apostolicœ. 

Ce  sont  ces  conquêtes  qu'il  présenta  à 
Jésus-Christ,  les  succès  de  son  apostolat, 
les  fruits  précieux  que  l'Eglise  attendait  de 


PANEGYRIQUES.  —  PANEG.  XII,  SAINT  PATRICE 


253 

ses  travaux  lorsqu'elle  l'honora  de  sa  mis- 
sion :  Ut  fructum  afferatis. 

Jetons,  Messieurs,  un  voile  sur  les  com- 
plots de  l'enfer  et  sur  la  passion  de  ces  hom- 
mes d'erreur  qu'il  a  suscités  pour  détruire 
une  partie  de  l'édifice  que  Patrice  avait  élevé  : 
des  faits  plus  éclatants  et  plus  consolants  se 
présentent  à  mon  esprit.  Ce  sont  tous  les  ca- 
tholiques des  îles  Britanniques  qui  ont  ré- 
sisté à  la  tentation  ,  vous ,  Messieurs,  qui 
êtes  toujours  fidèles  à  votre  Dieu  et  à  la  doc- 
trine catholique. 

Voilà  les  restes  précieux  de  l'apostolat  de 
Patrice  qui  suhsistent  pour  la  gloire  de 
Dieu,  la  consolation  de  l'Eglise  et  la  con- 
fusion de  l'hérésie  :  Et  fructus  vester  maneai. 
C'est  la  dernière  partie  de  son  éloge. 

TROISIÈME    PARTIE. 

Qu'ils  sont  admirables  et  qu'ils  méritent 
nos  respects,  ces  restes  précieux  de  l'apos- 
tolat de  saint  Patrice!  Ce  sont,  Messieurs, 
ôe^  héros  de  la  foi  que  nous  pouvons  mettre 
à  côté  de  ces  hommes  fameux  qui  ont  dé- 
fendu la  religion  opprimée  sous  le  règne  des 
empereurs  païens.  Puisqu'ils  nous  retra- 
cent les  mêmes  vertus,  ne  méritent-ils  pas 
les  mêmes  éloges? 

L'Eglise  nous  montre,  dans  ces  grands 
combats  qu'on  livra  t  au  christianisme,  des 
hommes  qui  bravaient  la  mort,  montaient 
avec  joie  sur  les  échafauds  et  se  courbaient 
avec  docilité  sous  les  glaives  des  bourreaux; 
des  colombes  timides  qui  s'envolaient  dans 
les  déserts,  pour  éviter  dans  ces  paisibles 
retraites  les  assauts  qu'on  aurait  livré  à  la 
pureté  de  leur  foi;  des  chrétiens  zélés  qui 
allaient  hardiment  dans  les  maisons,  dans 
les  mines,  dans  les  cachots,  dans  les  am- 
phithéâtres mêmes,  exhoi ter  leurs  frères  à 
persévérer  dans  la  doctrine  des  apôtres  ;  une 
multitude  de  fidèles  qui  se  multipliaient  tous 
les  josrs  au  milieu  des  ennemis  du  nom 
chrétien. 

Image  fidèle,  Messieurs,  du  consolant 
spectacle  que  la  grâce  toute-puissante  de 
Jésus-Christ  nous  a  donné  dans  l'Angleterre, 
au  milieu  de  toutes  les  horreurs  du  schisme 
et  de  ces  grandes  révolutions  qui  ont  fait 
gémir  toutes  les  cours  catholiques. 

On  a  vu  des  échafauds  à  Londres  teints 
du  sang  des  défenseurs  de  la  foi  de  Patrice. 
On  a  vu  des  familles  illustres,  des  majestés 
même  de  la  terre,  errantes  et  fugitives,  pas- 
ser les  mers  pour  aller  professer,  en  sûreté, 
la  religion  romaine  proscrite  dans  leur  pa- 
trie. On  voit  tous  les  jours  des  prêtres  et 
des  évêques  zélés  parcourir  ces  vastes  royau- 
mes pour  y  exercer  leur  saint  ministère.  On 
y  voit  des  milliers  de  catholiques  qui  ont 
plus  de  ferveur  que  nous,  parce  qu'ils  ont 
moins  de  liberté. 

Voilà,  Messieurs,  les  précieux  restes  de 
l'apostolat  de  saint  Patrice.  Voilà  ceux  qui 
ont  échappé  à  la  séduction,  et  qui  conservent 
la  doctrine  de  leur  apôtre  :  Et  fructus  vester 
inaneat. 

Vous  ne  l'ignorez  pas,  Messieurs,  la  source 
de  toutes  ces  scènes  sanglantes,  de  tous  ces 


2o4 

changements  surprenants  qui  ont  rendu  l'An- 
gleterre méconnaissable,  obscurci  l'éclat  du 
trône  en  avilissant  la  majesté  des  autels. 

Quel  homme  vais-je  nommer,  Messieurs? 
Henri  VIII.  A  ce  seul  nom,  toutes  les  hor- 
reurs de  la  réforme  se  présentent  à  vos  es- 
prits. 11  était  grand  avant  sa  passion,  vous 
le  savez;  c'était  l'homme  de  l'Eglise,  le  pro- 
tecteur du  Saint-Siège,  le  fléau  des  héréti- 
ques; mais  il  est  devenu  odieux,  vous  le  sa- 
vez aussi,  sous  l'empire  de  la  passion  schis- 
matique  et  sacrilège. 

Celui  qui  écrivait  contre  Luther,  lorsque 
son  cœur  ne  goûtait  que  des  douceurs  légi- 
times, se  soulève  contre  l'Eglise  et  son  chef, 
lorsqu'il  est  livré  à  des  amours  illicites.  Il 
persécute  l'Eglise,  parce  qu'elle  condamne 
son  scandaleux  divorce.  11  renonce  à  la  reli- 
gion de  ses  pères,  parce  qu'elle  désapprouve 
ses  coupables  attaches.  Quel  aveuglement 
dans  un  roi,  quand  il  fait  régner  ses  passions 
avec  lui  sur  le  trône,  et  qu'il  se  sert  de  sa 
puissance  pour  le  souiller,  au  lieu  de  s'en 
servir  pour  faire  régner  Dieu  et  soutenir  l'é- 
clat de  sa  couronne!  Tel  fut  cependant,  Mes- 
sieurs, Henri  VIII.  L'histoire  fidèle  ne  me 
permet  pas  de  vous  le  représenter  sous  d'au- 
tres traits. 

Bientôt  l'ambition,  la  cupidité,  la  crainte, 
firent  des  lâches  déserteurs  de  la  religion 
catholique;  des  évoques,  des  grands  du 
royaume  se  prêtèrent  à  la  passion  du  prince. 
L'épiscopat  fut  avili  et  dépouillé  de  son  au- 
torité sacrée.  Le  parlement  fut  élevé  en  gloire, 
et  usurpa  l'autorité  apostolique.  On  vit  alors 
des  assemblées  tumultueuses  de  laïques 
dresser  à  leur  tribunal  des  professions  de 
foi.  On  vit  voler  de  toute  part  des  édits  san- 
glants contre  les  catholiques.  On  n'épargna 
rien  pour  gagner  ou  intimider  les  fidèles 
attachés  au  Saint-Siège  ;  mais  la  chute  ne  fut 
pas  générale,  Dieu  suscita  des  forts  en  Israël  ; 
il  s'est  réservé  des  milliers  de  fidèles  qui  ne 
fléchissent  point  le  genou  devant  l'idole.  Si 
la  persécution  fit  des  lâches,  elle  fit  aussi  des 
martyrs.  L'appareil  des  supplices  n'intimida 
point  les  héros  de  la  foi  catholique;  et  si  le 
sang  qu'on  a  fait  couler  n'a  pu  éteindre  le 
feu  de  la  division,  il  a  été  du  moins  une  pré- 
cieuse semence  de  nouveaux  catholiques. 

Or,  ce  sont,  Messieurs,  ces  martyrs,  ces 
hommes  admirables  qui  ont  préféré  une  mort 
glorieuse  à  une  vie  honteuse,  que  j'appelle 
les  précieux  restes  de  l'apostolat  de  saint 
Patrice. 

Le  temps  ne  me  permet  pas,  Messieurs, 
de  vous  représenter  ici  tous  ces  lugubres 
spectacles  que  l'Angleterre  donna  à  l'univers 
étonné;  de  vous  nommer  tous  ces  héros  de 
la  foi  qui  ont  été  immolés  dans  le  funeste 
ouvrage  de  la  réforme. 

Pendant  longtemps  on  vit  des  échafauds 
dressés,  des  cercueils  préparés,  un  deuil 
presque  continuel;  les  têtes  les  plus  illus- 
tres abattues  ;  le  sang  des  évêques,  des  prê- 
tres et  des  religieux  répandu  de  tous  côtés. 
Mais  si  ces  tristes  scènes  font  la  honte  de 
l'Angleterre,  elles  font  la  gloire  de  la  reli 
gion.  C'est  la  grâce  du  Sauveur  qui  a  sou- 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


2-:ô 


tenu  ces  généreux  athlètes  dans  ces  grands 
combats;  c'est  cette  même  grâce,  Messieurs, 
qui  doit  refermer  les  plaies  que  la  nature  a  re- 
çues dans  le  sacrifice  de  ces  grands  hommes. 

Ils  n'ont  point  arrosé  l'échafaud  de  leurs 
pleurs.  La  gloire  dont  ils  jouissent  ne  doit- 
elle  pas  arrêter  les  vôtres?  Ils  apprirent  avec 
joie  qu'ils  mouraient  pour  la  religion  catho- 
lique; la  cause  de  leur  martyre  doit  vous 
assurer  de  leur  couronne;  ces  illustres  vic- 
times sont  des  rentes  précieux  de  l'apostolat 
de  saint  Patrice. 

Parlerai-je  des  deux  grands  héros  de  la 
réforme,  dont  les  noms  sont  odieux  dans 
l'histoire?  Je  veux  dire  de  Cranmer  et  de 
Thomas  Cromwell.  Je  les  laisserais  dans  l'ou- 
bli, si  je  n'avais  pas,  Messieurs,  deux  grandes 
victimes  à  leur  opposer,  deux  hommes  qui 
avaient  la  foi  et  le  zèle  des  apôtres  :  vous  en- 
tendez, Messieurs,  l'illustre  Fisher  et  le 
grand  chancelier  Morus.  Quel  contraste  dans 
ces  portrait*,  Messieurs  1  J'ai  à  vous  repré- 
senter deux  hommes  qui  sont  la  honte  de  la 
réforme;  j'ai  à  vous  représenter  deux  hom- 
mes qui  font  la  gloire  de  la  religion  :  la  honte 
de  l'Angleterre  est  d'avoir  immolé  les  plus 
saints  et  les  plus  grands  personnages  du 
royaume  ;  la  gloire  do  la  religion  catholique 
est  d'avoir  eu  ces  deux  grandes  victimes  pour 
défendre  sa  foi. 

Représentez-vous,  Messieurs,  un  homme 
corrompu  qui  emploie  le  crédit  d'Anne  de 
Boulen  pour  monter  sur  le  premier  siège  de 
l'Angleterre  ;  un  fourbe  qui  cache  sa  religion 
au  Pape,  et  lui  jure  solennellement  une 
obéissance  qu'il  désavoue  dans  le  cœur;  un 
politique  qui  parle  contre  le  luthéranisme 
qu'il  professe ,  et  professe  la  religion  du 
prince  qu  il  ne  croit  pas;  un  cruel  qui  entre 
rî&tis  les  complots  de'moTt,  et  qui  il  épargne 
pas  même  celle  qui  a  contribue  à  son  éléva- 
tion. Cranmer  était  tout  cela. 

Représentez-vous  aussi,  Messieurs,  un 
homme  qui,  par  une  ambition  heureuse,  sort 
tout  à  coup  de  la  poussière  de  la  terre;  qui 
quitte  les  occupations  les  plus  viles  et  les 
plus  basses  pour  chercher  dans  les  armes 
un  état  au-dessus  de  sa  naissance  ;  que  des 
succès  passagers  ont  fait  connaître,  que  ses 
souplesses  oi.t  soutenu  auprès  des  grands; 
qui  a  eu  la  confiance  d'un  prince  déchaîné 
contre  l'Eglise,  et  qui  méritait  l'indignation 
d'un  roi  sage  et  équitable  ;  un  laïque  qui  est 
honoré  du  t'tre  de  vice-gérant  de  toute  l'E- 
glise anglicane,  et  auquel  des  évoques  et  des 
prêtres  ont  la  lâcheté  d'obéir.  Tel  était  Tho- 
mas Cromwell.  Voilà,  Messieurs,  les  deux 
grands  héros  de  la  Réforme. 

L'hérésie  leur  a  érigé  des  trophées,  elle  a 
publié  avec  ostentation  leurs  succès,  mais 
su -ces  qui  ne  sont  pas  si  immenses  qu'on 
veut  le  faire  croire.  La  foi  de  Patrice  a  eu 
île*  défenseurs  zélés;  l'illustre  Fisher  et  le 
grand  Morus  étaient  encore  des  restes  pré- 
cieux de  son  apostolat;  et  je  dirais  presque 
qu'ils  étaient  eux-mêmes  des  apôtres,  puis- 
qu'ils en  avaient  la  foi,  le  zèle  et  la  fermeté. 

Quelle  foi  n'ont-ils  pas  montrée  lorsqu'elle 
éta:t  presque  éteinte  dans  toute  l'Angleterre? 


Avec  quel  zèle  ne  se  sont-ils  pas  soulevés 
contre  les  entreprises  sacrilèges  du  prince? 
Avec  quelle  fermeté  n'ont-ils  pas  soutenu 
les  ennuis  de  la  prison  et  la  perte  de  leurs 
biens?  Avec  quelle  joie  ne  sont-ils  pas  mon- 
tés sur  l'échafaud?  Avec  quelle  docilité  ne 
se  sont-ils  pas  courbés  sous  le  glaive  des 
bourreaux  ?  Ah  !  quand  je  vois  ces  deux 
grandes  victimes  immolées,  je  me  récrie  :  La 
foi  de  Patrice  règne  encore  dans  l'Angle- 
terre ;  elle  y  est  persécutée,  mais  elle  y  fait 
des  martyrs.  Ce  sont  des  restes  précieux  de 
l'apostolat  de  saint  Patrice. 

Oui,  Messieurs,  partout  où  la  religion  ro- 
maine sera  paisible,  elle  érigera  des  tro- 
phées à  ces  hommes  magnifiques  en  foi,  à 
ces  hommes  fidèles  à  leur  Dieu  et  soumis  à 
l'Eglise  dans  des  temps  difficiles  et  orageux, 

Si  en  Angleterre  on  leur  prononce  d'in- 
justes sentences,  ici  nous  leur  donnons  do 
magnifiques  éloges  ;  ce  royaume  aura  la 
honte  d'avoir  ensanglanté  ses  échafauds  du 
sang  de  ses  rois  et  de  ses  braves;  le  nôtre 
aura  la  gloire  de  les  avoir  loués  et  admirés. 

Ce  n'est  point  pour  rouvrir  des  plaies  qui 
sont  encore  sensibles,  que  je  vous  rappello 
ces  grandes  scènes,  Messieurs,  mais  pour 
vous  montrer  ce  que  peut  la  grâce  de  Jésus- 
Christ,  pour  parler  de  votre  gloire  en  par- 
lant de  celle  des  héros,  puisque  vous  y  êtes 
intéressés,  et  que  les  pertes  que  vous  avez 
faites  sont  des  monuments  précieux  de  votre 
foi  et  des  titres  glorieux  pour  prétendre  à 
l'éternelle  félicité. 

Oui,  Messieurs,  tous  ceux  qui  dans  les 
révolutions  de  l'Angleterre  ont  quitté  leurs 
biens  pour  leur  religion  sont  des  restes 
précieux  de  l'apostolat  de  saint  Patrice. 

SahU  Paul  donne  de  magnifiques  éloges  à 
la  foi  d'Abraham,  parc?  qu'il  quitta  sa  patrie 
souillée  des  superstitions  du  paganisme, 
pour  aller  dans  des  terres  plus  pures  servir 
le  Seigneur.  Il  nous  le  montre  errant  et  fu- 
gitif, s'abandonnant  avec  confiance  aux  ten- 
dres soins  de  son  Dieu  qui  guidait  ses  pas 
et  le  conduisait  dans  une  terre  qu'il  ne 
connaissait  pas  :  Exivit  nesciens  quo  ire  t. 
(Ilebr.,  XL) 

Les  catholiques  d'Angleterre  ont-ils  eu 
moins  de  foi,  Messieurs?  N'a-t-on  pas  vu  les 
majestés  de  la  terre  et  les  glus  illustres  fa- 
milles errantes  et  fugitives  ;  un  roi  abandon- 
ner trois  couronnes  et  des  sujets  fidèles,  des 
dignités  éclatantes  et  des  revenus  immenses  ? 

N'était-ce  pas  leur  foi  qui  leur  faisait  mé- 
priser ces  grandeurs  humaines  qu'on  ne  con- 
servait ou  qu'on  n'accordait  en  Angleterre 
qu'à  de  honteuses  apostasies? 

Il  est  vrai  qu'on  ne  peut  pas  dire  de  ces 
illustres  fugitifs  ce  que  saint  Paul  dit  d'A- 
braham, qu'ils  ne  savaient  pas  où  ils  allaient  : 
Nesciens  quo  iret. 

Ils  savaient  que  les  rois  malheureux, aussi 
bien  que  les  souverains  pontifes  persécu- 
tés, avaient  toujours  trouvé  un  asile  sûr  et 
commode  dans  la  France ,  et  que  l'ombre  du 
trône  des  Français  les  protégerait;  ils  sa-, 
vaient  aussi  que  Louis  le  Gnnd  aimait  trop 


PANEGYRIQUES.  —  PANEG.  XII,  SAINT  PATRICE. 


S57 

la  religion  pour  no  pas  être  le  protecteur  ce 
ceux  qui  en  étaient  les  victimes. 

Ah!  Messieurs,  quelles  expressions  ne  me 
faudrait-il  pas  pour  louer  tout  à  la  fois  deux 
rois  dont  le  sort  est  si  différent?  Un  roi  vic- 
torieux, la  terreur  de  ses  ennemis,  le  pacifi- 
cateur des  nations,  et  un  roi  fugitif  dont  le 
trône  est  renversé,  le  sceptre  brisé,  la  ma- 
jesté proscrite  ;  un  roi  paisible  sur  son  trône, 
l'ornement  d'une  cour  brillante,  les  délices 
de  son  peuple,  et  un  roi  persécuté,  dépouillé 
de  la  pompe  royale,  accompagné  de  quelques 
sujets  fidèles  qui  partagent  ses  malheurs  ;  un 
roi  qui  soutient  la  religion  par  sa  puissance, 
(jui  a  humilié  l'orgueilleuse  hérésie,  qui  l'a 
forcée  de  sortir  honteusement  de  ses  États,  et 
un  roi  qui  n'a  point  d'autres  armes  pour  la 
combattre  que  la  foi  ;  qui  est  une  victime  de 
la  religion,  parce  qu'il  ne  peut  pas  en  être  le 
protecteur.  Ah  1  Messieurs,  nous  ne  saurions 
trop  les  louer  tous  les  deux,  l'un  pour  avoir 
été  le  protecteur  de  la  religion,  l'autre  pour 
en  avoir  été  la  victime. 

Que  de  zélés  catholiques,  Messieurs,  ont 
marché  sur  les  traces  de  leur  roi  et  sont 
venus  sur  cette  montagne  professer,  sous  la 
protection  d'un  roi  très-chrétien,  la  foi  et  la 
doctrine  de  Patrice. 

Les  dignités,  les  charges,  l'opulence,  tout 
a  été  foulé  aux  pieds  pour  la  religion  catho- 
lique. C'est  Dieu,  Messieurs ,  qui  vous  a 
donné  cette  force  que  nous  admirons.  Vous 
êtes  les  restes  précieux  de  l'apostolat  de 
Patrice. 

Craignez  Dieu,  honorez  le  roi,  dit  l'apôtre 
saint  Pierre  (I  Petr.,  II) ,  deux  devoirs  indis- 
pour  ces  pour  l'homme  ;  or,  Messieurs  ,  c'est 
pensables  deux  grands  objets  que  vous  avez 
quitté  les  honneurs  et  les  biens  que  vous 
aviez  dans  votre  patrie;  la  cause  est  juste,  vos 
pe  nés  auront  leur  récompense.  Pendant  que 
ce  que  vous  avez  de  plus  cher  vit  paisible- 
ment à  l'ombre  du  Saint-Siège,  vous  servez 
Dieu  ici  à  l'ombre  du  trône  de  notre  auguste 
monarque.  Ses  ennemis  ont  toujours  éprouvé 
sa  valeur  et  sa  clémence  ;  comme  catholiques 
zélés  et  braves  guerriers1,  vous  éprouvez  sa 
générosité  et  sa  magnificence. 

Dieu  q,:i  est  le  maître  des  temps,  qui  trans- 
fère les  royaumes  à  son  gré,  a  ses  moments 
marqués  pour  récompenser  votre  foi.  Atten- 
dez-les avec  confiance,  et  vous  ne  serez  point 
confondus. 

Vos  rois  ont  eu  assez  de  foi  pour  sacrifier 
leurs  couronnes,  vous  en  avez  aussi  assez 
pour  sacrifier  vos  biens  et  vos  dignités.  Ré- 
jouissez-vous de  ces  privations  ;  vous  avez 
résisté  aux  charmes  de  l'erreur,  et  je  vois 
dans  cet  auditoire,  avec  plaisir,  des  restes 
précieux  de  l'apostolat  de  saint  Patrice.  Ils 
sont  ici  paisibles;  considérons-les  dans  les 
îles  Britanniques,  où  ils  sont  exposés  à'.tant 
de  dangers;  et  d'abord  je  les  considère  dans 
ceux  qui  sont  honorés  du  ministère  sacé. 

Il  subsiste  encore,  l'apostolat  de  saint  Pa- 
trice, dans  ces  évoques,  ces  prêtres,  ces  reli- 
gieux que  le  zèle  transporte  dans  les  îles 
Britanniques.  Les  entreprises  schismatiqucs 
de  l'Angleterre   n'ont  pu  éteindre    le  zèle 


K$ 


apostolique.  Il  est  vrai  que  l'hé.ésie  y  n  arche 
en  triomphe,  que  les  sièges,  les  cures,  les 
abbayes  y  sont  usurpés  par  les  hérét:ques, 
qu'ils  vivent  commodément  à  l'ombre  d'un 
ample  revenu  et  de  la  protection  du  prince, 
et  que,  semblables  à  la  colombe  qui  ne  rentra 
pas  dans  l'arche  dès  qu'elle  eut  trouvé  une 
retraite  commode,  ils  seraient  fâchés  de  ren- 
trer dans  l'Eglise  romaine,  où  l'apostolat  est 
plus  pénible  et  où  les  passions  sent  plus  gê- 
nées; mais  les  successeurs  des  apôtres  cher- 
chent les  âmes  et  non  les  biens. 

Qui  jamais  mérita,  avec  plus  de  justice, 
le  glorieux  titre  d'apôtre  que  celui  qui  brave 
les  hasards,  les  périls  et  les  naufrages,  qui 
va  comme  une  brebis  docile  au  milieu  des 
loups,  qui  expose  sa  vie  au  milieu  de  ceux 
qui  l'ont  déjà  mise  à  prix,  pour  affermir  ses 
fores  dans  la  doctrine  de  Jésus-Christ,  et 
arracher  à  l'hérésie  les  âmes  qu'elle  a  séduites 
par  ses  charmes  et  par  ses  artifices. 

Or,  tels  sont,  Messieurs,  les  évoques,  les 
prêtres  et  les  religieux  qui  exercent  le  saint 
ministère  dans  les  îles  Britanniques.  Ils  y 
sont  avec  la  mission  du  souverain  pontife, 
et  je  vois  dans  ces  ouvriers  évangéliques 
des  précieux  restes  de  l'apostalat  oie  saint 
Patrice. 

Admirez  ,  je  vous  prie,  avec  moi,  Mes- 
sieurs, les  merveilles  de  la  Providence  qui 
veille  sur  l'Angleterre,  malgré  son  apostasie 
et  son  endurcissement. 

Il  y  a  autant  d'évêques,  de  pasteurs  catho- 
liques dans  les  îles  Britanniques  qu'il  y  en 
avait  avant  le  schisme  ;  il  est  vrai  qu'ils  y 
sont  sans  sièges,  sans  revenus,  sans  les  mar- 
ques éclatantes  de  leur  dignité;  mais  pour  y 
être  cachés,  pauvres,  obscurs,  persécutés, en 
sont-ils  moins  des  apôtres?  Parce  que  les 
âmes  sont  le  seul  but  de  leur  mission,  en 
est-elle  moins  sainte,  moins  digne  de  nos 
respects? 

Ah  !  quand  je  vois  dans  l'Evangile  les  ca- 
ractères de  l'homme  apostolique,  j'admire 
les  ouvriers  évangéliques  qui  travaillent  dans 
les  îles  Britanniques,  et  je  dis  qu'ils  sont 
véritablement  des  apôtres. 

Je  ne  peux  pas  leur  prêter  des  vues  d'in- 
térêt, de  commodité  dans  la  direction  de 
gloire,  d'avancement  dans  leurs  prédications, 
de  politique  et  de  souplesse  pour  parvenir 
auprès  des  grands,  de  fatigues  passagères  et 
méditées  pour  avoir  le  droit  de  demander 
une  place  éclatante,  et  traîner  un  caractère 
oisif  dans  la  dissipation  et  les  compagnies 
du  siècle.  On  fait  souvent  ce  reproche  aux 
apôtres  cpii  travaillent  dans  les  cours  catho- 
liques, et  on  a  tort  de  prêter  à  tous  ces 
vues  criminelles.  Quoi  qu'en  dise  la  critique, 
le  sanctuaire  a  encore  des  anges  sans  tache; 
et  si  le  dispensateur  des  places  de  l'Eglise 
refuse  ceux  qui  l'importunent,  il  est  quel- 
quefois refusé  par  ceux  à  qui  il  les  offre.  Les 
honneurs  vont  trouver  le  juste,  il  ne  les  re- 
cherche pas. 

Mais  pour  les  ouvriers  évangéliques  qui 
travaillent  dans  les  îles  Britanniques,  tout 
est  périls,  dangers,  privations,  persécutions; 
ils  portent  sous  un  habit  emprunté  un  corao- 


S39  ORATEURS  SACRES.  HALLET. 

tère  sacré,  un  zèle  immense,  le  cœur  du 
grand  Paul;  ils  parcourent  de  vastes  campa- 
gnes pour  annoncer  la  parole  de  Dieu,  célé- 
brer les  saints  mystères.  Ce  qu'ils  désirent, 
n'est  de  faire  connaître  la  vérité;  ce  qu'ils  cher- 
chent, ce  sont  les  âmes;  ce  qu'ils  trouvent 
souvent,  c'est  la  mort. 

Ahl  que  vous  méritez  de  lauriers,  saints 
ministres  des  autels;  vous  êtes  les  pierres 
précieuses  qui  soutiennent  encore  1  édifice 
que  saint  Pierre  a  élevé,  et  que  le  schisme  a 
renversé,  mais  vous  êtes  des  pierres  disper- 
sées :  dispcrsisunt  lapides  (Thren.,  IV);  dis- 
persés dans  les  provinces,  les  villes,  les  bour- 
gades, les  campagnes  des  îles  Britanniques, 
pour  y  soutenir  les  ruines  saintes  de  l'édi- 
fice de  Patrice  ;  dispersés  par  les  ordres  du 
souverain  pontife  qui  vous  assigne  une  con- 
trée, unchamp  à  cultiver;  dispersés  par  le 
malheur  des  temps  et  pour  le  bien  de  vos; 
frères  dispersés,  et  non  pas  détachés  ;  car, 
qui  est-ce  qui  est  plus  attaché  que  vous  au 
Saint-Siège,  au  centre  de  l'unité,  à  l'édifice 
de  3'Eglise  catholique? 

Que  les  évoques  de  l'Eglise  anglicane  oc- 
cupent les  sièges,  que  les  ministres  usurpent 
la  qualité  de  pasteurs,  l'Eglise  romaine  a  ses 
évoques  et  ses  pasteurs  dans  les  îles  Britan- 
niques; Dieu  n'a  pas  voulu  que  ces  vastes 
royaumes  perdent  entièrement  la  foi  de  Pa- 
trice. 

Et  vous,  vaste  mer,  qui  nous  séparez  de 
ces  royaumes  voisins,  calmez  vos  flots  pour 
porter  avec  respect  les  anges  du  Seigneur. 
Soitqu'ils  viennent  dans  notre  capitale  pour 
y  étudier  la  doctrine  de  l'Eglise  qu'on  a  cor- 
rompue clans  les  universités  de  Londres  et 
de  Dublin,  et  y  puiser,  dans  une  sainte  re- 
traite, l'esprit  ecclésiastique,  soit  qu'ils  lias- 
sent, par  les  ordres  du  souverain  pontife, 
oans  leur  patrie,  pour  y  exercer  les  fonc- 
tions de  leur  saint  ministère,  ils  viennent  se 
disposer  à  l'apostolat,  ils  vont  remplir  un 
pénible  et  dangereux  apostolat.  Que  leurs 
démarches  sont  brillantes  aux  yeux  de  la  foi  ! 
Que  les  pas  de  ces  hommes  de  paix  sont 
beaux!  Quam  speciosi  pcdes  evangelizantis 
pacem!  (Iiom.,  X.) 

Or,  Messieurs,  tant  d'ouvriers  évangéliques 
répandus  dans  les  îles  Britanniques,  des 
évoques,  des  prêtres  qui,  excepté  les  sièges, 
les  honneurs,  les  revenus  ,  la  tranquillité, 
exercent  le  môme  ministère  qu'ils  exerçaient 
avant  la  réforme,  ne  sont-ils  pas  de  précieux 
restes  de  l'apostolat  de  saint  Patrice?  11  sub- 
siste donc  encore  aujourd'hui  au  milieu  de 
ces  ruines;  Dieu  ne  perdra,  dans  l'Angle- 
terre, que  (eux  qui  s'obstinent  dans  le 
schisme.  Ces  milliers  de  catholiques  qui  y 
vivent  avec  ferveur  nous  assurent  que  Dieu 
n'a  pas  abandonné  tout  à  fait  ces  vastes 
royaumes  ;  ils  semblent  même  nous  y  pro- 
mettre le  rétablissement  entier  de  la  reli- 
gion. 

Vous  le  savez,  Messieurs,  la  zizanie  que 
I  homme  ennemi  a  semée  dans  l'Angleterre, 
l'Ecosse  et  l'Irlande,  n'a  pas  étouffé  le  bon 
grain,  il  croît  au  milieu  de  ces  filantes  des- 
séchées; on  y  voit  encore  des  branches  fé- 


200 

condes  attachées  au  tronc  de  l'arbre,  qui 
portent  des  fruits  précieux,  pendant  que  les 
branches  qui  en  sont  séparées  se  dessèchent 
et  périssent. 

On  voit,  dans  toutes  ces  campagnes  déso- 
lées par  le  schisme,  des  arbres  que  les  plus 
violentes  tempêtes  n'ont  pu  renverser.  Far- 
Ions  sans  figures,  Messieurs  :  on  voit  dans 
ces  trois  royaumes  des  milliers  de  catholi- 
ques fermes  dans  les  plus  violentes  persé- 
cutions, et  qui  attendent  avec  soumission 
que  la  religion  romaine  devienne  la  religion 
du  prince. 

Dieu  a  ses  desseins,  Messieurs,  dans  ces 
peuples  soumis  qu'il  soutient  au  milieu  de 
tant  de  dangers  ;  leur  foi  gémissante  et  per- 
sécutée deviendra  libre  et  victorieuse ,  et 
l'autorité  qui  l'opprime  aujourd'hui  la  proté- 
gera un  jour;  il  est  marqué  dans  les  mystè- 
res de  sa  miséricorde.  Dieu, qui  veut  bien  se 
servir  des  princes  de  la  terre  pour  étendre 
sa  religion,  change  leur  cœur,  ou  les  fait 
descendre  du  trône  quand  il  lui  plaît  ;  la 
scène  change  quand  il  le  souhaite.  N'en 
prescrivons  pas  le  moment  à  sa  puissance. 

Et  vous,  catholiques  zélés,  répandus  dans 
ces  trois  royaumes,  quels  éloges  ne  méritez- 
vous  pas?  Vous  êtes  gênés,  nous  sommes  li- 
bres, et  vous  en  faites  plus  dans  la  captivité 
que  nous  dans  la  liberté.  Ce  qui  fait  l'objet 
de  vos  désirs  sera  le  sujet  de  notre  condam- 
nation. 

Vous  désirez  que  la  religion  catholique 
soit  en  liberté,  que  le  prince  la  protège, 
qu'elle  fleurisse  à  l'ombre  de  son  trône,  que 
vos  églises  soient  ouvertes,  que  le  sacrifice 
de  la  messe  soit  rétabli  partout,  que  la 
croix  du  Sauveur  soit  arborée  sur  les  autels 
et  sur  le  diadème,  que  les  apôtres  de  l'Evan- 
gile paraissent  dans  les  chaînes,  les  minis- 
tres de  la  réconciliation  dans  les  tribunaux 
sacrés  ;  et  nous,  sous  le  règne  d'un  monar- 
que zélé  et  victorieux,  nous  avons  tout  ce 
que  vous  désirez,  nous  n'en  profitons  pas, 
nous  en  abusons. 

Ah!  quelle  différence  entre  votre  ardeur 
pour  écouter  un  apôtre  qui  passe  rapidement, 
qui  parle  le  langage  simple  de  l'Evangile,  et 
cet  esprit  de  délicatesse  et  de  critique  que 
nous  portons  aux  discours  des  plus  célèbres 
orateurs  chrétiens  ;  entre  ce  zèle  qui  vous 
fait  soutenir  des  voyages  pénibles  pour  as- 
sister au  saint  sacrifice  de  la  messe,  et  ces 
ennuis,  ces  irrévérences  lorsque  nous  y  as- 
sistons commodément";  entre  votre  respect 
pour  les  prêtres,  et  cet  avilissement  dans  le- 
quel un  nombre  de  mondains  voudrait  le 
faire  tomber. 

Eaut-il  donc  être  persécuté  pour  avoir  de 
la  ferveur?  Les  victoires  et  les  prospérités 
de  la  religion  ne  serviront-elles  qu'à  la  faire 
négliger  et  mépriser?  Et  la  puissance  reli- 
gieuse des  rois  catholiques  ne  lui  a-t-eUc 
élevé  des  temples  magnifiques  que  pour  les 
faire  profaner?  Ah  !  Messieurs,  que  ces  restes 
précieux  de  l'apostolat  de  saint  Patrice,  si 
zélés  dans  le  sein  de  l'hérésie,  nous  fassent 
rougir  de  notre  indifférence  pour  la  vérité, 


2H1  PANEGYRIQUES.  —  PANEG. 

el  de  notre  insensibilité  pour  le   succès  de 
notre  salut. 

Et  vous,  Messieurs,  pensez  que  vos  prières 
et  vos  bonnes  œuvres  ne  contribueront  pas 
peu  à  augmenter  les  progrès  de  la  foi  que 
votre  apôtre  a  établie  dans  les  îles  Britanni- 
ques. A  la  pureté  de  la  foi  que  vous  avez 
conservée  aux  dépens  de  vos  biens  et  de  vos 
grands  emplois,  joignez  des  vertus  qui  la 
fassent  respecter  de  vos  ennemis  même, 
car  c'est  aux  œuvres  saintes,  aussi  bien  qu'à 
la  foi  de  l'Eglise  catholique,  qu'est  attachée 
la  récompense  éternelle.  Je  vous  la  souhaite. 
Ainsi  soit-il. 

PANEGYRIQUE  XIII. 

saint  bonaventure,  cardinal,  éveqce 
d'albano,  et  docteur  de  l'église. 

Prononcé  dans  l'église  des  RR.  PP.  Cordc- 
liers  du  grand  couvent  de  Paris,  le  14 
juillet  1752. 

Erat  lucerna  ardens  et  lucens.  (Jouit.,  V.) 
//  était  une  lumière  ardente  el  brillante. 

C'est  peu,  Messieurs,  de  briller  par  la 
profondeur  de  l'érudition,  l'étendue  des 
connaissances,  la  beauté  du  génie,  Je  feu 
de  l'imagination,  quand  le  cœur  n'est  pas 
échauffé,  embrasé  de  cet  amour  qui  sanctifie 
les  talents,  les  rond  utiles  sur  la  terre,  et 
les  couronne  dans  le  ciel. 

La  science  sans  la  charité  n'a  jamais  pro- 
duit que  des  savants  superbes,  des  maîtres 
de  l'erreur  et  du  vice:  la  charité  avec  la 
science  a  donné  a  l'Eglise  des  savants  hum- 
bles, des  défenseurs  de  la  vérité  et  de  la 
vertu. 

L'antiquité  profane  a  eu  ses  lumières,  le 
paganisme  ses  sages.  Mais  ces  savants  si 
vantés  n'étaient-ils  pas  enveloppés  d'-épaisses 
ténèbres?  Ils  disaient  bien, ils  vivaient  mal  : 
on  dirait  que  les  belles  idées  qu'ils  donnent 
de  la  Divinité  ne  sont  pas  dictées  par  des 
païens.  On  les  admire,  on  ne  déplore  leur 
aveuglement  que  dans  les  coupables  leçons 
qu'ils  donnent  à  leurs  disciples,  et  les  sa- 
crilèges hommages  qu'ils  rendent  aux  idoles 
des  césars.  Quels  hommes,  Messieurs,  que 
ceux  qui  résistent  aux  lumières  mêmes  de 
la  raison! 

Que  sont  encore  ces  oracles  du  monde  si 
estimés,  dont  à  la  honte  de  notre  siècle  on 
admire  les  productions,  et  dont  le  savoir  au- 
dacieux ose  par  des  sacrilèges  systèmes  ré- 
former le  plan  divin  de  la  religion?  Vous  le 
savez,  Messieurs,  des  lumières  qui  n'éclai- 
rent que  ceux  qui  veulent  volontairement 
marcher  dans  la  route  de  la  perdition,  sem- 
blables à  ces  feux  légers  qui  brillent  la  nuit 
sur  les  bords  des  précipices,  et  qui  y  con- 
duisent les  téméraires.  ' 

Il  n'en  est  pas  de  môme  des  saints  doc- 
teurs de  l'Eglise;  le  flambeau  de  la  vérité 
brûlait  leur  cœur,  en  éclairant  les  fidèles; 
ces  précieuses  lumières  brûlaient  et  éclai- 
raient: lumières  ardentes  par  la  vivacité  de 
leur  amour,  lumières  brillantes  par  l'éclat 
de  leur  doctrine:  ardens  et  lucens. 


XIII,  SAINT  BONAVENTURE  2C2 

Le  .séraphique  docteur  que  je  viens  louer 
aujourd'hui  tient,  comme  vous  le  savez,  un 
rang  distingué  dans  cette  foule  majestueuse 
de  savants  qui  ont  brillé  dans  l'Eglise  par 
l'éclat  de  leur  sainteté,  la  profondeur  de 
leur  science,  l'étendue  de  leur  zèle.  Il  a 
paru  plus  tard  que  les  Chrysostome,  les  Gré^- 
goirede  Nazianze,  les  Jérôme,  les  Ambroise, 
les  Augustin,  les  Bernard  même,  mais  il  n'a 
pas  paru  avec  moins  d'éclat.  11  a  retracé  dans 
le  sur  siècle  les  vertus  et  les  talents  de 
ces  grands  hommes;  les  lumières  qui  l'ont 
précédé,  celles  de  son  siècle  si  fécond  en  sa- 
vants ne  répandent  aucun  nuage  sur  sa 
sainteté  et  sa  science. 

Le  gouvernement  d'un  ordre  naissant,  les 
combats  que  lui  livrent  les  ennemis  de  la 
pauvreté  du  Sauveur,  les  emplois  les  plus 
délicats,  les  plus  éclatantes  dignités,  les  af- 
faires de  l'Eglise ,  les  plaies  d'un  grand 
schisme,  des  écrits  marqués  au  coin  de  la 
piété  et  du  savoir,  nous  prouvent  qu'il  a  été 
la  lumière  de  son  temps,  mais  lumière  qui 
embrasait  son  cœur  en  éclairant  les  autres. 

Oui,  Messieurs,  l'amour  divin  dans  Bona- 
venture  est  un  feu  sacré  qui  brûle  et  éclaire  : 
ardens  et  lucens.  Il  brûle  dans  son  cœur,  il 
brille  dans  l'Eglise;  il  caractérise  sa  sainteté 
et  sa  science,  le  saint  et  le  savant. 

C'est  sous  ces  deux  idées  que  je  vais  vous 
représenter  ce  docteur  séraphique,  l'orne- 
ment de  l'ordre  de  François  d'Assise,  l'oracle 
des  plus  célèbres  écoles,  le  conseil  des  rois, 
la  ressource  des  souverains  pontifes,  l'ap- 
pui de  l'Eglise,  l'âme  des  conciles,  le  fléau 
des  hérétiques,  le  destructeur  du  vice,  un 
des  plus  grands  maîtres  de  la  vie  spirituelle. 
Demandons,  etc.  Ave  Maria. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

Le  feu  céleste  qui  embrase  le  cœur  de 
Bonaventure  dès  son  enfance  anime  dans  la 
suite  ses  paroles,  ses  actions,  ses  projets, 
ses  entreprises,  ses  écrits;  il  sanctifie,  con- 
sacre ses  succès,  les  honneurs  qu'on  lui  dé- 
fère ,  les  hommages  qu'on  lui  rend  ;  son 
visage  en  est  comme  allumé,  ses  maîtres 
l'admirent  et  sont  saisis  d'un  saint  respect; 
son  langage  a  la  douceur  et  l'ardeur  de  l'a- 
mour, il  touche  et  échauffe  tous  les  cœurs; 
c'est  'a  divine  charité  qui  dirige  toutes  ses 
actions;  c'est  elle  qui  marque  le  temps  de  la 
prière,  du  silence,  du  travail;  c'est  elle  qui 
le  transporte  dans  tous  les  lieux  où  son  or- 
dre a  des  hospices,  et  qui  le  multiplie  pour 
ainsi  dire;  c'est  elle  qui  éclate  dans  ses 
écrits  el  fait  naître  de  saintes  ardeurs  en 
les  lisant. 

Si  on  est  étonné,  Messieurs,  du  nombre 
de  ses  voyages,  des  chapitres  qu'il  tient,  des 
ouvrages  qu'il  compose  ;  qu'on  fasse  atten- 
tion aux  prodiges  qu'opère  l'amour  divin 
dans  un  cœur  qui  en  est  embrasé.  Le  simple 
religieux,  le  général  d'un  grand  ordre,  le 
cardinal,  l'évêque  d'Albano  fut  toujours  une 
lumière  ardente  par  sa  charité  :  Lucens  et 
ardens. 

C'est  en  suivant  l'histoire  la  plus  fidèle, 
Messieurs,  que  je  vais  raconter  les  vertus 


2G3 


ORATEURS  SACRES.  RALLET. 


2G4 


de  Bonaventure,  ou  plutôt  les  prodiges  de 
l'amour  divin. 

Dieu  suscite  des  saints  et  des  savants  à 
son  Eglise  qu'il  aime  toujours  et  qu'il  n'a- 
bandonnera jamais.  Us  se  succèdent  et  pa- 
raissent comme  des  astres  qui,  quoique  dif- 
férents en  clarté  et  par  des  caractères  singu- 
liers de  vertus,  de  sainteté,  la  défendent 
avec  le  même  zèle  contre  tous  ses  ennemis, 
sont  ses  soutiens,  ses  oracles,  sa  gloire. 

En  voulez-vous  une  preuve  ,  Messieurs? 
Rappelez-vous  les  grands  hommes  qui  paru- 
rent presque  dans  le  même  temps,  François 
d'Assise,  Bonaventure,  Jean  Scot. 

Ce  sont  les  prières  de  François  d'Assise 
qui  nous  ont  conservé  le  docteur  séraphique 
que  je  loue  aujourd'hui;  il  ferme  le  tombeau 
qui  s'ouvrait  sous  ses  yeux  dès  sa  tendre 
enfance,  il  essuie  les  pleurs  d'une  mère  in- 
consolable sur  la  perte  d'un  fils  tendrement 
chéri  ;  les  ombres  de  la  mort  s'écartent,  et 
la  main  qui  allait  moissonner  cette  jeune 
fleur  ne  s'étend  que  pour  la  soutenir  et  la 
faire  croître  dans  le  champ  de  l'Eglise. 

Ici,  Messieurs,  comme  dans  toutes  les  vil- 
les d'Italie,  François  d'Assise  paraît  en  thau- 
maturge et  en  prophète;  il  arrache  à  la  mort 
notre  saint,  il  lui  donne  un  nom  qui  annonce 
à  l'Eglise  les  importants  services  qu'il  lui 
rendrait. 

O  épouse  de  Jésus-Christ!  que  la  licence 
des  mœurs  et  les  fureurs  de  l'hérésie  afflige, 
consolez-vous  :  cet  enfant  sera  un  de  vos 
plus  grands  oracles,  une  de  vos  plus  bril- 
lantes lumières. 

Ainsi  par  là,  Messieurs,  cinq  ans  avant  la 
mort  de  François  d'Assise,  Dieu  prépaie  à 
son  ordre,  pour  le  remplacer  et  le  retracer, 
saint  Bonaventure;  et  lorsque  cette  lumière 
s'éteindra,  il  en  paraîtra  une  autre,  Jean 
Seot,  ce  saint  religieux,  ce  profond  théolo- 
gien, ce  dévot  serviteur  de  Marie,  le  défen- 
seur zélé  de  ses  prérogatives,  l'oracle  de  tou- 
tes les  écoles  catholiques ,  et  le  maître 
qu'une  foule  de  grands  hommes  se  fait  hon- 
neur d'écouter. 

Si  des  auteurs  orgueilleux,  mercenaires, 
déistes,  cachés,  enveloppés,  critiques  har- 
dis ont  eu  l'audace  de  vouloir  répandre  des 
ombres  sur  cet  astre  des  théologiens,  une 
plume  savante,  délicate  vengera  le  docteur 
incomparable;  l'ignorance,  la  passion  seront 
dévoilées,  et  leur  gloire  sera  ensevelie  dans 
l'ignominie. 

Mais  revenons,  Messieurs,  voyons  la  route 
que  la  Providence,  qui  fait  succéder  les 
grands  hommes  dans  l'Eglise,  trace  à  Bona- 
venture; c'est  celle  de  la  plus  haute  sain- 
teté. 

Une  mère  pieuse  l'avait  voué  à  l'ordre  de 
François;  l'ordre  de  François  le  possédera; 
il  fera  son  ornement,  sa  gloire.  Déjà  il  ap- 

Erouve  le  vœu  qui  a  été  fait  sans  lui  ;  il  se 
ate  de  l'accomplir,  et  va,  comme  une  vic- 
time pure  et  innocente-,  se  présentera  l'autel. 
Je  ne  m'arrêterai  pas  'ici,  Messieurs,  à 
vous  dépeindre  la  ferveur  du  novice,  ces 
divines  ardeurs  qui  embrasaient  son  âme; 
ces  Irn'ts  tout  divins  qui  éclataient  sur  son 


visage.  Je  ne  vous  i  arlerai  pas  non  plus  dos 
douceurs  qu'il  goûta  dans  son  sacrifice;  des 
vertus  qu'il  pratiqua  après  son  renonce- 
ment solennel  au  monde  ;  en  vous  disant 
qu'il  fut  un  parfait  religieux,  et  qu'il  pou- 
vait servir  de  modèle  aux  plus  zélés,  c'est, 
Messieurs,  vous  en  dire  autant  qu'il  en  faut 
pour  vous  en  donner  une  juste  idée. 
m  Voulez-vous  des  prodiges  de  vertus  ?  Re- 
présentez-vous-le  au  pied  du  crucifix  où 
son  cœur,  embrasé  d'un  feu  céleste,  s'offre 
à  son  Dieu,  ressent  toutes  ses  douleurs,  et 
répand  des  torrents  de  larmes  à  la  vue  de 
ses  plaies  sacrées;  c'est  là  où  il  puise  ces 
sentiments  tendres,  ces  vives  lumières,  cette 
onction  sainte  qui  le  caractérisent,  lui  et  ses 
ouvrages. 

Beprésentez-vous  cet  esprit  céleste  qui 
prend  sur  l'autel,  pendant  les  saints  mystè- 
res, le  corps  du  Sauveur,  pour  le  donnera 
Bonaventure;  il  s'en  était  éloigné  par  humi- 
lité. Dieu  fait  des  prodiges  pour  s'appro- 
cher de  lui. 

Ses  sentiments  de  piété  dans  son  élévation 
au  sacerdoce  sont  encore  des  [rodiges.  Il 
faudrait  vous  rapj  orter  la  prière  qu'il  com- 
posa alors,  et  que  l'Eglise  a  adoptée,  pour 
vous  en  donner  une  juste  idée;  mais  je  me 
hâte  de  vous  le  représenter  sous  les  plus 
grands  maîtres  de  son  siècle,  qu'il  étonne 
par  ses  rapides  progrès  et  par  les  charmes 
de  sa  sainteté. 

Le  célèbre  Alexandre  de  Halès  enseignait 
alors,  et  c'était,  vous  le  savez,  Messieurs,  un 
des  plus  habiles  et  un  des  plus  profonds 
théologiens  de  son  temps,  estimé  des  sa 
vants.  11  eut  une  approbation  flatteuse,  ho- 
norable et  consolante  pour  un  auteur  catho- 
lique, ce  fut  celle  d'Alexandre  IV,  qui  a  loué 
son  érudition  et  sa  doctrine. 

C'est  sous  un  si  grand  maître  que  Bonaven- 
ture étulie,  qu'il  charme,  qu'il  étonne, 
qu'il  emporte  tous  les  suffrages  ;  son  rare 
mérite  retentit  partout;  on  admire  ses  bril- 
lants talents,  on  découvre  le  trésor  caché 
sous  les  voiles  delà  modestie;  le  saint  dans 
l'homme  de  génie  et  d'érudition. 

Ici,  Messieurs,  se  retrace  à  mes  yeux  l'é- 
difiant spectacle  que  la  célèbre  Athènes  vit 
autrefois  dans  ses  écoles. 

Saint  Basile  et  saint  Grégoire  de  Nazianze, 
ces  hommes  qui  étaient  les  plus  grands  théo- 
logiens, les  plus  grands  orateurs,  étudièrent 
sous  les  mêmes  maîtres  et  lièrent  ensemble 
un  innocent  commerce  d'amitié. 

Bonaventure  et  Thomas  d'Aquin  présen- 
tent le  même  spectacle  dans  l'université  de 
Paris;  animés  du  même  amour,  embrasés  du 
même  zèle,  nés  tous  les  deux  avec  des  talents 
supérieurs,  consacrés  tous  les  deux  au  service 
de  l'Eglise,  la  modestie  et  l'humilité  excitè- 
rent seules  des  combats  entre  ces  deux  saints, 
tous  deux  parfaits  religieux,  tous  deux  en- 
nemis des  honneurs. *  Bonaventure,  qui  avait 
triomphé  de  l'humilité  de  Thomas,  est  enfin 
obligé  d'accepter  legénéralat. 

Jusqu'ici,  Messieurs,  vous  avez  vu  le  saint 
religieux  occupé  à  embellir  son  âme  des  plus 
rares  vertus  et  des  plus  belles  connaissances, 


PANEGYRIQUES.  —  PANEG.  XH1,    SAINT  BONAVEN TERE. 


SCS 

et  vous  savez  qi;els  furent  les  progrès  qu'il 
fit  dans  la  sainteté  et  la  science  :  ils  étonnè- 
rent son  siècle,  ils  furent  admirés  dans  tous 
les  royaumes  où  il  y  avait  de  la  piété  et  du 
goût. 

Le  chef  de  l'Eglise  découvrit  dans  un  jeune 
religieux  ces  talents  rares  et  distingués  qui 
annoncent  le  saint,  l'homme  suscité  de  Dieu; 
Bonaventure  est  son  conseil,  sa  ressource 
dans  les  affaires  de  l'Eglise,  et  comme  l'ordre 
de  François  en  est  une  des  plus  belles  por- 
tions, il  est  choisi  pour  le  gouverner  et  suc- 
céder à  Jean  de  Parme. 

Ne  croyez  pas,  Messieurs,  que  la  jeunesse 
de  Bonaventure  soit  un  obstacle  à  ce  choix, 
quoiqu'il  ne  fasse,  pour  ainsi  dire,  que  com- 
mencer, il  est  déjà  arrivé  à  une  sublime  per- 
fection; les  années  multiplieront  ses  vertus, 
elles  ne  le  corrigeront  d'aucun  vice  :  sa  sain- 
teté a  triomphé  de  la  corruption  du  siècle  et 
de  la  dissipation  des  études,  sa  sagesse  en 
fera  un  supérieur  doux  et  sévère. 

On  ne  verra  dans  son  gouvernement  ni 
cette  rigueur  qui  abat,  ni  cette  douceur  qui 
conduit  au  relâchement;  tout  ce  grand  ordre, 
un  peu  agité  par  les  pieux  excès  de  son  gé- 
néral, va  couler  des  jours  paisibles;  il  est 
réservé  à  Bonaventure  d'unir  les  esprits  et  les 
cœurs,  de  distribuer  ce  peuple  de  saints  en 
plusieurs  tribus,  et  de  le  donner  en  spectacle 
au  monde  chrétien  avec  tout  ce  qui  peut  l'é- 
difier et  attirer  son  admiration. 

Jean  de  Parme  avait  toutes  les  qualités  qui 
font  Je  bon  religieux,  il  n'avait  pas  celles  qui 
étaient  nécessaires  à  un  supérieur  d'un  grand 
ordre  qui  s'étendait  dans  toutes  les  parties 
du  monde,  et  qui,  par  conséquent,  était  com- 
posé de  différents  caractères;  il  était  sévère, 
et  ignorait  ces  ménagements  qui  concilient 
les  esprits,  soutiennent  les  faibles,  règlent  le 
zèle  des  fervents,  ménagements  qui  ne  sont 
point  opposés  à  la  règle  de  François  et  que 
les  souverains  pontifes,  instruits  de  son  es- 
prit, ont  approuvés  et  autorisés. 

Il  y  a,  Messieurs,  des  excès  dans  la  piété 
qui  la  détruisent  au  lieu  de  la  soutenir;  ce 
n'est  point  le  tempérament  qui  doit  la  ré- 
gler, c'est  la  loi  de  Dieu,  cette  loi  d'amour  et 
de  charité. 

Or,  Messieurs,  qui  pouvait  mieux  calmer 
les  troubles  qu'avait  excités  une  sévérité  ou- 
trée que  le  saint  que  je.  loue?  La  douceur  et 
l'amour  le  caractérisent. 

Vous  en  étiez  persuadés,  saints  religieux 
assemblés  par  l'ordre  et  sous  les  yeux  d'A- 
lexandre IV.  Là,  tous  vos  cœurs  désiraient 
Bonaventurp,  et  Jean  de  Parme,  juste  appré- 
ciateur du  mérite  et  zélé  pour  la  gloire  de 
son  ordre,  le  demande  pour  son  successeur, 
il  se  démet  avec  joie  de  sa  dignité,  pourvu 
que  Bonaventure  en  soit  revêtu. 

J'aurais  ici,  Messieurs,  des  sollicitations 
et  des  résistances  à  vous  dépeindre  :  un  saint 
pressé,  sollicité  d'accepter  une  place  émi- 
nente  et  qui  refuse  et  résiste;  un  saint  qui, 
bien  loin  d'imiter  ces  ambitieux  qui  briguent 
les  honneurs  qui  les  fuient,  se  trouble  et 
s'alarme  à  la  vue  des  honneurs  qui  viennent 
le  chercher  dans  la  retraite,  qui  oppose  son 

OlUTEUHS  SACRÉS.  L. 


200 


indignité  à  ceux  qui  sont  persuadés  de  son 
mérite,  et  qui  ne  plierait  jamais  sous  le  far- 
deau qu'on  lui  impose,  s'il  pouvait  le  feue 
sans  désobéir  à  la  voix  du  vicaire  de  Jésus- 
Christ. 

Ah!  que  de  merveilles  ne  doit-on  pas  aî- 
tendre  de  celui  qui  se  prêle  aux  honneurs 
et  qui  ne  les  recherche  pas;  qui  n'a  en  vue 
que  les  devoirs  que  la  place  impose,  et  qui 
redoute  les  distinctions  et  les  hommages  qui 
y  sont  attachés? 

Jugez-en,  Messieurs,  par  le?  succès  de 
Bonaventure  dans  le  gouvernement  de  son 
ordre,  ils  tiennent  du  prodige. 

Ici  se  vérifient  ces  paroles  du  pape  saint 
Grégoire  :  Un  cœur  embrasé  de  l'amour  di- 
vin opère  des  prodiges  :  Magna  operatur. 

En  effet,  quoi  de  plus  prodigieux  que  ce 
grand  nombre  de  chapitres  que  Bonaventure 
a  tenus?  il  vole  de  Paris  à  Narbonne,de  Nar- 
bonne  à  Pise,  de  Pise  à  Assise;  dans  ces  as- 
semblées générales,  il  y  est  l'oracle  de  la 
piété,  l'interprète  de  la  règle  de  François,  iJ 
y  retrace  son  zèle,  sa  sagesse,  sa  prudence, 
il  y  est  le  maître  de  la  vie  religieuse. 

Tout  ce  que  l'on  y  décide  est  marqué  au 
coin  de  la  sagesse,  de  la  sainteté;  savantes 
instructions  pastorales,  nouvelles  constitu- 
tions, précis  admirables  de  l'esprit  du  saint 
patriarche,  distribution  de  ce  grand  corps  en 
différentes  provinces,  uniformité,  décence 
dans  les  habits,  le  culte  de  la  sainte  Vierge 
étendu,  une  dévotion  tendre  et  publique  en- 
vers cette  mère  de  Dieu  mise  au  rang  des 
devoirs  essentiels  de  ses  enfants,  des  tro- 
phées, des  louanges  annuelles  érigées  au 
zèle,  à  la  science  des  Ambroise,  des  Jérôme, 
des  Augustin,  des  Grégoire,  des  Bernard. 

Bien  n'échappe  à  son  zèle,  à  ses  lumières, 
à  sa  piété;  ce  guide  envoyé  du  ciel,  comme 
le  dit  Alexandre  IV  dans  l'éloge  qu'il  lui 
adresse,  rend  son  ordre  une  des  plus  utiles 
et  des  plus  glorieuses  portions  de  l'Eglise; 
on  admire,  on  chante  partout  la  beauté  de 
ces  nouveaux  camps  d'Israël  ;  ils  deviennent 
la  ressource  de  la  religion  :  elle  y  trouve  des 
apôtres,  des  saints,  des  docteurs,  des  sages 
en  état  de  porter  la  parole  aux  majestés  de 
la  terre. 

Le  chef  de  ce  grand  ordre,  l'âme  qui  l'a- 
nime, le  sage  qui  le  gouverne,  c'est  Bona- 
venture. Ne  soyons  pas  étonnés  de  ces  glo-. 
rieux  succès,  l'amour  divin  opère  des  mer- 
veilles :  Magna  oprralur. 

Qu'ils  rougissent,  ces  sages  du  monde,  ces 
politiques  du  siècle  qui  osent  traiter  d'hom- 
mes inutiles  à  la  société  ceux  qui  se  dévouent 
à  la  retraite  et  au  service  des  aulels;  je  ne 
veux  que  leur  opposer  les  services  que  l'or- 
dre de  François  a  rendus  à  l'Eglise  pour  les 
confondre. 

Ces  hommes  apostoliques  que  Bonaven- 
ture envoie  chez  les  infidèles  poury  prêcher 
l'Evangile  et  y  sceller  de  leur  sang,  s'il  Je 
faut,  les  vérités  de  la  religion;  ces  hommes 
sages,  intelligents  que  le  souverain  pontife 
choisit  pour  aller  négocier  avec  les  princes 
chrétiens  les  plus  importantes  affaires  de 
l'Eglise;  ces  lumières  cachées  sous  le  bois- 


267 


ORATEURS  SACHES.  BALLET. 


208 


seau,  et  placées  ensuite  sur  la  sainte  mon- 
tagne; ces  religieux  qui  ont  brillé  sur  le 
trône  épiscopal  et  sous  la  pourpre  romaine  ; 
ces  savants  qui  ont  étendu  le  règne  de  la 
piété  et  détruit  celui  de  l'hérésie;  ces  saints 
qui  ont  poussé  les  gémissements  de  la  co- 
lombe dans  la  solitude  et  désarmé  par  leurs 
prières  le  Seigneur  irrité  et  prêt  à  se  venger 
des  coupables  excès  des  pécheurs,  sont-ils 
des  hommes  inutiles? 

Tels  sont  cependant,  Messieurs,  les  hom- 
mes que  l'ordre  de  François  a  donnés  à  l'E- 
glise sous  le  gouvernement  de  Bonaventure. 
Ah!  les  politiques  se  déshonorent,  quand  ils 
traitent  d'hommes  inutiles  ces  portions  vé- 
nérables de  l'Etat  destinées  à  la  prière,  au 
service  des  autels,  à  la  prédication  de  l'E- 
vangile, et  qu'il  leur  envient  les  douceurs 
qu'ils  goûtent  dans  la  retraite,  ou  les  biens 
consacrés  à  leur  subsistance. 

L'ordre  de  François  est  redevable,  Mes- 
sieurs, de  tous  ces  accroissements  de  gloire 
à  la  sagesse,  a  la  prudence,  aux  lumières  de 
Bonaventure  qui  le  gouverne,  qui  y  préside, 
qui  en  est  l'âme  et  qui  l'occupe  jusque  dans 
les  plus  éclatantes  dignités  de  l'Eglise. 

Les  conférences  qu'il  est  obligé  d'avoir 
avec  le  Pape  à  Lyon;  les  préparatifs  d'un 
concile  général  où  il  doit  occuper  une  plaça 
distinguée,  ne  l'empêchent  pas  d'assembler 
encore  tous  ses  enfants.  Le  dernier  chapitre 
qu'il  tient  précède  de  peu  de  jours  l'ouver- 
ture du  concile  où  cette  lumière  doit  briller 
et  s'éteindre. 

Que  la  charité  est  puissante,  Messieurs,  et 
qu'un  cœur  qui  en  est  embrasé  opère  de 
merveilles!  Saint  Bonaventure,  sous  la  pour- 
pre romaine  et  sur  le  trône  épiscopal,  va  con- 
tinuer de  vous  en  convaincre. 

Qu'ils  sont  rares,  ces  hommes  qui  "redou- 
tent les  honneurs,  qui  appréhendent  les 
chutes  en  regardant  l'élévation,  et  qui  dé- 
daignent sincèrement  l'opulence  et  la  gloire 
attachées  aux  plus  grandes  places,  quand  ils 
pensent  aux  devoirs  qu'elles  imposent  et  au 
compte  rigoureux  qu'il  faut  en  rendre  ! 

Hélas!  Messieurs,  si  l'on  ne  voyait  briguer 
aujourd'hui  que  les  distinctions  et  les  ri- 
chesses du  siècle  ;  si  les  honneurs  sacrés  du 
sanctuaire  et  le  patrimoine  du  Sauveur  n'ex- 
citaient [tas  les  coupables  désirs  des  ambi- 
tieux et  l'insatiable  cupidité  des  parents 
mondains  ;  s'ils  n'étaient  pas  accordés  à  la 
naissance  sans  talents,  ou  aux  talents  sans 
piété;  s'il  fallait  forcer  le  mérite  de  les  ac- 
cepter, et  si  l'insuffisance  hardie  ne  trouvait 
point  des  protecteurs  puissants  pour  les  ar- 
racher, nous  pourrions  nous  consoler;  nous 
laisserions  le  monde  décorer  quelque  temps 
ses  esclaves  dans  ces  places  mobiles  qui 
flattent  leur  ambition  ;  mais  des  hommes 
sans  piété,  sans  talents,  entrer  hardiment 
dans  le  sanctuaire,  en  briguer  les  premières 
places,  c'est  ce  qui  a  fait,  dans  tous  les 
siècles,  et  ce  qui  fera  toujours  la  douleur  de 
l'Eglise. 

Elle  a  été  souvent  obligée  de  forcer  les 
saints,  de  leur  faire  violence  pour  leur  faire 
accepter  les  dignités  ecclésiastiques  ;  il  faut 


aujourd'hui  qu'elle  résiste  à  la  protection, 
au  crédit,  pour  en  éloigner  les  insuffisants  ; 
les  saints  refusaient,  s'éloignaient  :  ceux-ci 
demandent, importunent;  on  voyaitles  saints 
arroser  de  leurs  pleurs  les  marques  exté- 
rieures de  leurs  dignités  :  on  voit  ceux-ci 
s'occuper  avec  joie  de  la  pompe  qui  doit  les 
accompagner.  Quelle  différence!  Messieurs, 
n'en  soyons  pas  surpris,  le  gouvernement 
des  âmes,  les  obligations  du  sacerdoce  ef- 
frayent les  uns;  les  honneurs,  les  revenus 
attachés  à  ces  places  sacrées  flattent  les 
autres, 

Bonaventure  fut,  Messieurs,  du  nombre 
de  ceux  que  l'Eglise  a  choisis  et  forcés  d'ac- 
cepter les  dignités  du  sanctuaire.  Grégoire  X 
le  regarda  comme  une  pierre  précieuse  né- 
cessaire dans  l'édifice  qu'il  soutenait  en 
qualité  de  successeur  de  saint  Pierre.  Il 
voyait  en  lui  la  sainteté,  les  talents  des  Am- 
broise,  des  Augustin;  il  y  trouva  la  même 
résistance. 

Ses  vertus,  ses  talents  l'annonçaient,  le 
faisaient  admirer;  partout  son  humilité  le 
cachait,  le  dérobait  à  ses  admirateurs.  11  ne 
faut  que  parler  de  lui  avantageusement  à 
Rome  pour  le  déterminer  à  s'éloigner  du 
souverain  pontife;  et  les  honneurs  vien- 
draient le  chercher  en  vain  dans  sa  retraite, 
si  un  bref  du  Père  des  fidèles  ne  les  accom- 
pagnait pas;  il  ne  faut  pas  moins  que  des 
ordres  et  des  menaces  du  ciel  pour  le  faire 
courber  sous  le  fardeau  qu'on  lui  impose. 

Faut-il,  Messieurs,  vous  prouver  ces  faits 
qui  annoncent  son  héroïque  humilité?  Con- 
sultons l'histoire  fidèle. 

Clément  IV  l'avait  nommé  à  l'archevê  hé 
d'York;  c'était,  vous  le  savez,  un  des  plus 
grands  sièges  des  îles  Britanniques  ;  d'amples 
revenus,  des  titres  distingués  étaient  atta- 
chés à  cette  place  sacrée. 

Que  pensa  Bonaventure,  que  répondit-il, 
que  fit-il  lorsqu'on  lui  annonça  cette  nomi- 
nation qui  aurait  flatté  tant  de  grands  hommes 
moins  occupés  de  leur  salut  que  lui?  IJ  pensa 
sincèrement  qu'il  n'en  était  pas  digne  ;  il  ré- 
pondit qu'il  ne  pouvait  pas  l'accepter;  il  de- 
meura dans  la  retraite  pour  prier,  gémir  et 
puiser,  au  pied  de  la  croix,  ces  connaissances, 
ces  lumières  qui  le  rendaient  utile  à  toute 
l'Eglise. 

Grégoire  X,  il  est  vrai,  Messieurs,  triom- 
pha de  son  humilité,  mais  après  des  refus 
sincères,  une  fuite  précipitée;  après  avoir 
employé  toute  son  autorité,  et  parlé  au  nom 
de  Dieu  dans  un  bref  tendre,  plein  d'onction, 
qu'il  lui  avait  adressé. 

Un  homme  jaloux  de  la  gloire  et  de  l'opu- 
lence est  flatté,  lorsqu'il  sait  que  le  dispen- 
sateur des  grâces  pense  à  lui;  Bonaventure 
est  effrayé.  Le  souverain  pontife,  qui  connaît 
sa  délicatesse,  le  sonde,  lui  insinue  qu'il 
veut  le  créer  cardinal;  cela  suffit.  Notre  saint 
alarmé  quitte  la  cour  de  Rome,  et  vole  à  Paris 
dans  sa  retraité.  N'est-ce  pas  là,  Messieurs, 
fuir  sincèrement  les  honneurs? 

Forcé  enfin  de  les  accepter,  de  paraître 
sous  la  pourpre  romaine,  de  monter  sur  lé 
trône  épiscopal  d'Albano,  son  humilité  se 


209  PANEGYRIQUES.  —  PANEG. 

conserve  clans  ces  dignités  éclatantes;  elle  y 
érige  des  trophées  à  la  simplicité  de  l'Evan- 
gile et  aux  humiliants  exercices  de  la  vie 
religieuse;  le  couvent  de  Bois  de  Mugal  en 
seia  à  jamais,  Messieurs,  un  monument  mé- 
morable. 

Les  nonces  du  pape  viennent  l'y  féliciter 
sur  sa  promotion,  lui  apportent  les  marques 
extérieures  de  sa  dignité,  et  ils  trouvent  le 
nouveau  cardinal  occupé  aux  offices  les  plus 
bas  du  cloître  :  ils  sont  surpris  et  plus  sur- 
pris encore  de  voir  qu'il  ne  les  interrompt 
pas  pour  les  recevoir;  ils  admirent  cepen- 
dant le  grand  religieux,  le  saint  qui  se  prête 
aux  honneurs  et  que  les  honneurs  n'occupent 
point. 

H  n'appartient  qu'aux  héros  de  la  religion, 
Messieurs,  de  conserver  cette  tranquillité, 
cet  ordre  de  conduite,  cette  estime  pour 
les  abaissements  de  l'Evangile  dans  les 
grands  événements;  les  héros  du  monde 
sont  flattés,  transportés  dans  de  glorieux 
succès  ou  consternés,  abattus  dans  les  mal- 
heurs et  les  disgrâces. 

Vous  triomphez,  chef  de  l'Eglise,  Bona- 
venture  vous  obéit  ;  je  le  vois  à  vos  pieds 
pour  recevoir  l'onction  sainte  :  vos  mains 
vont  la  répandre  sur  ce  prêtre  fidèle  ;  c'est 
vous  qui  le  forcez  d'entrer  dans  l'ordre  épis- 
copal  ;  c'est  vous  qui  serez  son  consécra- 
teur;  l'amour  divin,  qui  brûle  dans  son  cœur, 
va  éclairer  le  monde  chrétien  ;  il  a  été  une 
lumière  ardente  par  la  vivacité  de  son 
amour  :  lucerna  arclens  ;  il  va  être  une  lu- 
mière brillante  par  l'éclat  de  sa  doctrine  et 
l'étendue  de  sa  science  :  lucerna  lucens ; 
c'est  le  sujet  de  la  seconde  partie  de  son 


éloge. 


SECONDE  PARTIE. 


C'est  d'après  l'Eglise,  Messieurs,  que  je 
place  saint  Bonaventure  avec  ces  saints  doc- 
teurs, ces  brillantes  lumières  que  Dieu  a 
suscités  dans  tous  les  siècles  pour  dissiper 
les  ténèbres  de  l'erreur,  confondre  les  héré- 
tiques, éteindre  les  schismes,  défendre  la 
vérité  altérée,  les  dogmes  combattus,  la  piété 
négligée,  ou  déshonorée  par  de  coupables 
abus  et  être  les  remparts,  les  soutiens  de  la 
religion. 

En  effet,  où  cet  astre  éclatant  du  xm°  siè- 
cle n'a-t-il  pas  brillé?  Dans  quelles  écoles 
catholiques,  dans  quelles  académies,  sur 
quel  théâtre  des  sciences  n'a-t-il  pas  été  ad- 
miré, applaudi,  couronné  ?  Dans  quels  lieux 
cette  lumière  n'a-t-elle  pas  brillé? 

Il  paraît,  dans  l'université  de  Paris,  cette 
fameuse  école,  sous  les  plus  grands  maîtres 
et  à  côté  des  plus  grands  hommes  de  son 
temps;  et  c'est  là  que  l'on  admire  la  beauté 
de  son  génie,  ses  rapides  progrès,  sa  vaste 
érudition. 

11  écrit,  et  ses  ouvrages  adoptés  par  l'E- 
glise, font  les  délices  des  souverains  pon- 
tifes et  des  évêques.  Les  rois,  les  grands,  les 
savants,  les  simples  y  trouvent  une  doctrine 
pure,  une  manne  cachée  qui  nourrit  l'âme, 
une  onction,  un  feu  qui  la  touchent,  l'em- 
brasent. 


XIII,  SAINT  BONAVENTURE.  270 

Il  est  choisi  avec  Thomas  d'Aquin  po;:r 
travailler  au  grand  ouvrage  de  la  réunion 
des  Grecs;  avec  quel  zèle  ne  vole-t-il  pas  à 
l'assemblée  œcuménique  de  Lyon?  Avec  quel 
honneur  n'y  parut-il  pas?  Quels  furent  ses 
succès?  Cette  précieuse  lumière  de  l'Eglise 
ne  cesse  d'éclairer. 

J'ai  donc  à  vous  représenter,  Messieurs, 
un  docteur  qui  enseigne  dans  la  plus  fa- 
meuse université  du  monde;  un  savant  qui 
écrit  pour  la  postérité;  un  Père  de  l'Eglise 
qui  est  comme  l'âme  d'un  grand  concile  et 
toujours  une  lumière  brillante  par  l'éclat  de 
ses  talents  et  la  pureté  de  sa  doctrine  :  lu- 
cerna lucens. 

Bonaventure  est  la  lumière  de  son  siècle, 
lumière  pure,  précieuse  qui  brille  dans  le 
cloître,  dans  l'université  de  Paris,  à  la  cour, 
au  milieu  des  fidèles. 

Ses  frères  le  choisissent  pour  leur  doc- 
teur; l'université  lui  accorde  la  chaire  que 
les  plus  grands  hommes  venaient  de  rem- 
plir; Saint  Louis,  la  princesse  Isabelle  le 
consultent  et  le  prennent  pour  leur  guide 
dans  les  voies  du  salut  :  toutes  les  âmes 
pieuses  qui  veulent  marcher  sûrement  dans 
les  routes  sublimes  de  la  peefection,  écou- 
tent les  leçons  de  ce  grand  maître  de  la 
spiritualité;  il  forme  des  docteurs  et  des 
saints. 

A  l'éclat  de  ce  flambeau  lumineux,  les  uns 
pénètrent  les  saintes  obscurités  de  l'Ecri- 
ture, sondent,  avec  respect,  les  profondeurs 
de  nos  mystères  et  découvrent  tous  les  arti- 
fices des  hérétiques;  les  autres  font  des  pro- 
grès dans  la  piété,  tendent  à  la  perfection, 
et  évitent  les  écueils  et  les  illusions  d'une 
fausse   spiritualité  :  on   apprend,   sous  ce 

f;rand  maître,  à  connaître  et  à  aimer  la  re- 
igion. 

Il  est  rare,  Messieurs,  d'avoir  un  esprit  si 
orné  et  un  cœur  si  pur,  de  posséder,  dans 
une  brillante  jeunesse,  le  trésor  de  la 
science  et  celui  de  l'innocence.  C'est  le 
prodige  que  Bonaventure  montra  à  son  siècle 
étonné. 

D'abord,  cette  lumière  brille  au  milieu  de 
ses  frères  :  il  est  leur  maître,  leur  oracle; 
on  voit  couler  de  ses  lèvres,  dépositaires  de 
la  science,  ces  paroles  de  leu  qui  embrasent 
les  cœurs,  ces  grâces,  cette  onction  qui  les 
touchent,  ces  raisonnements  forts,  solides, 
qui  persuadent  l'esprit,  cette  méthode  claire, 
précise  qui  met  en  état  de  répondre  à  toutes 
les  difficultés,  et  de  défendre  les  dogmes  ca- 
tholiques contre  tous  les  efforts  de  l'hérésie 
et  de  l'incrédulité;  les  progrès  des  disciples 
font  la  gloire  du  maître. 

Un  corps  de  savants  se  forment  dans  cette 
célèbre  école,  la  science  y  devient  hérédi- 
taire; les  grands  hommes,  les  profonds 
théologiens,  les  docteurs  célèbres,  les  dé- 
fenseurs zélés  de  la  saine  doctrine  se  suc- 
cèdent :  ils  brillent  encore  aujourd'hui, 
Messieurs,  à  la  tête  des  études  dans  la 
savante  Sorbonne,  dans  les  chaires  chré- 
tiennes, dans  la  république  des  lettres. 

Vous  dirai-je  que  l'uni-versité  de  Paris  le 
choisit  pour  succéder  à  Alexandre  Halè?  et 


271 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


m 


à  Jean  ae  La  Rochelle?  Ces  hommes  qui 
avaient  enseigné  avec  tarit  d'éclat  ;  dans  la 
foule  des  savants  qui  aspiraient  à  cet  hon- 
neur, Bonaventure  est  celui  qui  enlève  tous 
les  suffrages.  H  n'a  point  l'âge  prescrit  par 
les  lois  de  cette  mère  des  sciences,  mais  il 
a  des  talents  supérieurs.  On  se  hâte  de  pla- 
cer cette  lumière  sur  un  lieu  élevé,  elle  y 
brille  et  sans  effacer  la  gloire  de  ses  maîtres, 
il  y  moissonne  des  lauriers;  ses  disciples 
sont  ses  admirateurs;  ils  érigent  des  trophées 
à  sa  profonde  érudition  et  aux  charmes  vic- 
torieux de  sa  sainteté. 

Vous  dirai-je,  Messieurs,  que  les  vifs 
rayons  de  cette  lumière  percent  jusqu'à  la 
cour?  La  cour  de  saint  Louis,  ce  héros  qui 
honora  le  trône  par  ses  vertus  et  sa  valeur; 
qui  sut  comme  Constantin,  régner  et  faire 
régner  Dieu;  qui  défendit,  avec  le  même 
zèle,  les  intérêts  de  l'Eglise  et  ceux  de  sa 
couronne,  et  qui  fut  encore  plus  grand  en 
domptant  ses  passions  qu'en  attachant  à  son 
char  ses  ennemis  humiliés  et  vaincus. 

Le  sort  d'un  pieux  monarque,  je  le  sais, 
Messieurs,  est  souvent  de  faire  des  hypo- 
crites; l'ambitieux  sait  ramper  pour  arriver 
à  la  gloire  ;  l'homme  de  vices  sait  s'envelopper 
pour  plaire  au  prince  vertueux;  il  paraît 
travaillera  l'édifice  de  son  salut,  pendant  qu'il 
ne  pense  qu'à  élever  celui  de  sa  fortune. 

Mais  un  roi,  Messieurs,  ne  mérite-t-il  pas 
des  éloges,  quand  il  force,  par  son  exemple, 
le  vice  de  se  cacher,  et  que  la  vertu  seule 
trouve  accès  auprès  de  lui;  quand  ses  favo- 
ris sont  des  saints,  et  que  les  adulateurs  et 
les  hommes  d'iniquité  n'approchent  pas  de 
son  trône?  C'est  ce  que  représentait  le  saint 
roi  David  avec  confiance  au  Seigneur  en  par- 
lant de  ceux  qui  composaient  sa  cour;  c'est 
ce  qu'aurait  pu  dire  aussi  saint  Louis.  Pour 
le  gouvernement  de  ses  Etats,  il  s'attachait  à 
avoir  auprès  de  lui  des  ministres  sages,  pru- 
dents, religieux;  pour  la  religion  et  son  culte, 
des  docteurs,  des  saints ,  des  apôtres;  les 
Bonaventure,  les  Thomas  d'Aquin,  les  Ger- 
son,  les  Robert  Sorbon. 

C'est  surtout  saint  Bonaventure  qui  eut  sa 
confiance;  c'est  à  lui  qu'il  s'adresse  pour 
marcher  sûrement  dans  les  routes  sublimes 
de  la  spiritualité  ;  il  est  son  maître  et  son 
doiteur;  il  compose,  pour  ce  pieux  monar- 
que, des  ouvrages  que  la  science  des  saints, 
l'onction,  la  charité  caractérisent,  et  où  tou- 
tes les  paroles  soni  des  traits  de  feu. 

N'est-ce  pas  à  lui  encore  que  la  princesse 
Isabelle  s'adressa  lorsquelle  voulut  fonder  la 
Célèbre  abbaye  de  Longchamp9  11  s'agissait 
d'apporter  des  adoucissements  à  ia  règle  pri- 
mitive de  sainte  Claire.  Bonaventure ,  sous 
l'autorité  du  souverain  pontife,  trace  un  nou- 
veau plan  dans  lequel,  sans  altérer  l'esprit 
de  la  règle,  il  ménage  la  faiblesse  humaine  : 
le  Saint-Siège  l'approuve,  un  saint  asile  s'é- 
lève dans  la  solitude;  la  pieuse  princesse 
assemble  des  vierges,  elle  les  édifie  par  ses 
rares  vertus,  et  y  finit  ses  jours  par  une  mort 
précieuse,  digne  du  culte  de  l'Eglise. 

Fallait-il,  Messieurs,  moins  de  lumières, 
iuoins  de  sagesse,  un  saint  moins  expéri- 


menté dans  les  voies  du  salut  pour  mêler 
à  des  rigueurs  autorisées ,  des  adoucisse- 
ments qui  ne  causassent  aucun  déchet  à  la 
solide  piété,  qui  ne  ralentissent  jania  s  la 
ferveur  des  vierges  consacrées  à  Jésus-Christ, 
et  qui  ne  donnassent  aucune  prise  aux  .es- 
prits durs  et  sévères?  Non,  Messieurs,  il 
fallait  Bonaventure. 

11  a  conduit  des  âmes  à  la  plus  sublime 
perfection ,  mais  il  n'a  jamais  formé  de  ces 
mystiques  qui  dédaignent  les  bonnes  œu- 
vres, et  qui,  sous  prétexte  d'un  saint  repos, 
sont  indifférents  pour  les  récompense?  ou  les 
peines  éternelles;  ces  routes  singulières  lui 
étaient  inconnues,  il  ne  les  a  jamais  ensei- 
gnées. 

Une  imagination  creuse  des  âmes  jalouses 
d'un  sublime  singulier,  qui  veulent  toujours 
goûter  les  douceurs  du  Thabor,  ne  suivent 
point  ces  divines  leçons,  puisqu'elle  nous 
parlent  presque  toujours  de  la  croix  et  du 
Calvaire;  suivons  les  leçons  qu'il  adonnées; 
faisons  nos  délices  des  ouvrages  qu'il  a  com- 
posés. 

La  douceur,  la  piété ,  l'amour  divin ,  la 
force  du  raisonnement,  la  beauté  du  génie, 
la  clarté  des  preuves,  les  richesses  de  l'élo- 
quence, un  choix  précieux  de  tout  ce  que 
les  anciens  Pères  ont  dit  de  plus  fort  pourfaire 
aimer  la  vertu,  combattre  le  vice,  et  défendre 
les  dogmes-  de  la  foi  ;  un  fond  surprenant 
d'érudition,une  doctrine  pure,  toute  céleste; 
voilà,  Messieurs,  des  traits  qui  caractérisent 
la  science  de  Bonaventure  ;  qui  ont  rendu  ses 
ouvrages  précieux  ;  lui  ont  mérité  des  éloges 
de  tous  les  savants  ;  lui  ont  acquis  tant  de 
gloire  dans  l'Eglise  ;  l'ont  placé  parmi  ses 
docteurs 
mière  du  xiii'  siècle 

C'est  donc  un  savant  rare,  distingué  que  je 
loue,  Messieurs,  des  ouvrages  immenses 
marqués  au  coin  du  savoir  et  de  la  sainteté  ; 
c'est  d'après  les  souverains  pontifes,  les  plus 
célèbres  universités,  les  plus  grands  hom- 
mes que  je  vous  le  dépeins  comme  un  trésor 
de  sagesse,  de  lumière,  où  les  savants  et  les 
simples  puisent  tout  ce  qui  <peut  satisfaire 
l'esprit  et  nourrir  le  cœur;  il  ne  faut  donc 
que  vous  donner  une  légère  idée  des  ouvra- 
ges de  saint  Bonaventure  pour  vous  prouver 
qu'il  fut  un  savant  pieux,  un  savant  utile,  un 
savant  exact  dans  la  doctrine. 

Il  est  rare,  Messieurs,  de  voir  une  piété  ten- 
dre avec  un  génie  vaste  et  sublime;  elle  sem- 
ble être  aujourd'hui  le  partage  des  simple  : 
on  dirait  que  le  savant  n'acquiert  des  con- 
naissances que  pour  la  mépriser;  enflé  des 
talents  qui  relèvent  au-dessus  des  autres,  il 
ne  rougit  pas  quelquefois  de  se  mettre  au- 
dessous  par  les  honteux  excès  où  il  se  livre  ; 
content  des  succès  de  sa  science,  il  brave  les 
progrés  que  la  passion  fait  sur  son  corur;et, 
comme  si  ce  n'était  pas  assez  d'attacher  ses 
admirateurs  à  son  char  par  ses  séduisants 
talents,  il  les  attache  encore  à  celui  du  dé- 
mon par  le  coupable  usage  qu'il  en  fait. 

Vous  le  savez,  Messieurs,  et  vous  en  gé- 
missez :  les  savants  de  nos  jours  alarment 
la  piété.  Quel  usa^e  font-il  des  grâces  de  l'é- 


et  l'ont  fait  regarder  comme  la  lu- 


273 


PANEGYRIQUES.  —  PANEG.  XIII,  SAINT  BONAVENTURE. 


271 


îoquence,  de  la  beauté  du  style,  de  ces  tours 
délicats  qui  leur  sont  naturels,  de  cette  dou- 
ceur insinuante  qui  gagne  le  cœur,  s'en  em- 
pare,  de  cet  art  de  peindre  les  caractères, 
les  penchants ,  les  faibles  des  humains;  de 
cette  profonde  érudition  qui  les  met  en 
état  de  parler  de  l'histoire  sacrée  et  pro- 
fane, d'en  discuter  les  faits,  de  faire  des 
réflexions,  de  décider?  Hélas!  nous  réprou- 
vons dans  ces  jours  malheureux  ;  tout  cela 
ne  sert  qu'à  mettre,  dans  les  mains  des  fidè- 
les, des  ouvrages  qui  tournent  en  ridicule  la 
piété,  allument  les  passions,  condamnent 
cette  candeur  qui  faisait  autrefois  l'orne- 
ment de  la  jeunesse ,  louent  les  intrigues 
menées  avec  art,  et  érigent  des  trophées  aux 
aj-ôtres  de  la  volupté,  aux  héros  du  vice.  Ne 
sont-ce  pas  là,  Messieurs,  les  funestes  effets 
de  ces  romans ,  de  ces  comédies,  de  tous  ces 
ouvrages  qui  nous  innondent  aujourd'hui , 
et  qui  font  le  goût  du  siècle?  Une  preuve 
qu'on  s'v  accoutume,  qu'on  les  adopte,  c'est 
que  les  auteurs  sont  couronnés  souvent  dans 
la  république  des  lettres,  admirés,  désirés  et 
regardés  comme  des  oracles  chez  des  hommes 
qui  se  disent  encore  chrétiens. 

L'éloquence  de  Bonaventure  n'avait  pas 
moins  de  grâces,  de  douceur  que  celle  de  ces 
coupables  savants  ;  mais  il  la  consacra  à  la 
piété. 

Lisez,  Messieurs,  ses  opuscules, et  surtout 
les  traités,  les  offices,  les  prières  qu'il  acom- 
poséspour  honorer  les  souffrances  de  l'Hom- 
me-Dieu,  les  prérogatives,  les  vertus  et  le 
crédit  de  sa  sainte  Mère:  vous  y  trouverez 
les  épanchements  d'un  cœur  embrasé  d'un 
feu  céleste,  des  sentiments  tendres,  tous  les 
caractères  de  la  plus  sublime  piété. 

Un  savant  pieux  est  utile,  Messieurs,  c'est 
une  lumière  qui  éclaire,  un  trésor  qui  enri- 
chit, un  fleuve  d'où  coulent  des  eaux  salu- 
taires qui  arrosent  des  terres  arides,  un  dé- 
fenseur zélé  de  la  vertu  et  de  la  vérité:  tel 
fut  Bonaventure. 

Guillaume  de  Saint-Amouret  Girard  d'Ab- 
beville  se  déclarèrent  les  ennemis  des  dis- 
ciples de  la  crèche:  ces  docteurs  ne  rougirent 
point  de  faire  paraître  des  ouvrages  remplis 
d'odieuses  maximes,  de  principes  erronés 
contre  la  pauvreté  volontaire;  Bonaventure 
est  chargé  d'y  répondre,  il  le  fait  avec  une 
précision,  une  solidité  qui  confondent  ses 
adversaires.  Son  ouvrage  de  la  pauvreté  de 
Jésus-Christ  est  admiré  du  souverain  pon- 
tife, approuvé,  comblé  d'éloges  :  les  écrits 
des  savants  superbes  sont  proscrits,  condam- 
nés solennellement. 

Saint  Louis,  Messieurs,  transmet  à  la  pos- 
térité la  plus  reculée  le  sort  différent  de  ces 
deux  ouvrages,  il  adopte  celui  de  Bonaven- 
ture, il  en  fait  ses  délices  ;  il  fait  brûler  pu- 
bliquement, dans  cette  capitale,  celui  des 
ennemis  de  la  pauvreté  du  Sauveur. 

Savant  utile,  il  explique  dans  ses  ouvra- 
ges le  plan,  l'enchaînement  des  vérités  de  la 
religion,  il  répond  aux  plus  grandes  ques- 
tions, il  résout  les  plus  grandes  difficultés, 
il  dissipe  toutes  les  ténèbres,  abat  toutes  les 
hauteurs  de  la  science  humaine  :  point  de 


faux  système  qu'il  ne  détruise  :  pointdesub- 
tilités  dont  il  ne  triomphe  :  lisez,  Messieurs, 
son  Explication  de  i ouvrage  des  six  jours, 
vous  en  serez  persuadés. 

Savant  utile  aux  souverains  pontifes,  ces 
chefs  de  l'Eglise  le  consultent,  ils  se  l'atta- 
chent peur  être  plus  à  portée  de  profiter  do 
ses  lumières. 

Savant  utile  à  tous  les  siècles,  l'Eglise,  en- 
richie de  ses  ouvrages,  y  trouvera  toujours 
des  armes  victorieuses  contre  tous  les  atten- 
tats de  l'hérésie  et  la  licence  des  mœurs. 

Si  vous  me  demandez,  Messieurs,  comment 
saint  Bonaventure,  homme  de  prière,  et 
chargé  du  gouvernement  d'un  grand  ordre, 
a  pu  acquérir  tant  de  connaissances;  je  vous 
répondrai  ce  qu'il  répondit  à  l'ange  de  l'éco- 
le, saint  Thomas  d'Aquin,  qui  lui  faisait  la 
même  question.  C'est  au  pied  de  la  croix  qu'il 
a  l'ait  ces  rapides  progrès,  c'est  Jésus  crucifié 
qui  l'a  enseigné.  On  surpasserait  tous  les  sa- 
vants, Messieurs,  quand  on  ne  saurait  avec 
l'apôtre  saint  Paul  que  Jésus  crucifié:  c'est 
là  que  Bonaventure  a  puisé  cette  doctrine 
pure,  orthodoxe,  toute  céleste,  que  l'Eglise 
a  approuvée  et  comblée  d'éloges. 

La  gloire  d'un  savant  qui  écrit,  Messieurs, 
sur  la  religion,  c'est  l'approbation  de  l'E- 
glise. Malheur  à  ceux  qui  se  font  honneur 
d'un  ouvrage  qui  combat  sa  doctrine,  et  qui 
détruisent  au  lieu  d'édifier.  Les  lauriers  que 
Luther  a  moissonnés  dans  les  sociétés  litté- 
raires et  dans  l'Allemagne ,  égalent-ils  la 
gloire  qu'Augustin  a  eue  dans  l'Eglise,  et  les 
éloges  qu'il  a  reçus  de  ses  pontifes?  La  doc- 
trine de  saint  Augustin  nous  est  précieuse, 
parce  que  l'Eglise  l'a  approuvée,  et  recom- 
mandée. Nous  concevons  de  l'horreur  de  celle 
de  Luther,  parce  qu'elle  l'a  condamnée  et 
foudroyée. 

Or,  Messieurs,  je  loue  aujourd'hui  la  doc- 
trine de  Bonaventure,  parce  qu'elle  est  aussi 
celle  de  l'Eglise;  cette  brillante  lumière  n'a 
jamais  été  obscurcie  par  le  moindre  nuage 
de  l'erreur  ou  de  la  nouveauté. 

Vous  dirai-je  que  trois  papes  ont  donné 
de  magnifiques  éloges  à  sa  doctrine,  et  or- 
donné qu'elle  fût  enseignée  dans  toutes  les 
écoles  de  l'ordre ,  à  l'exclusion  de  toute 
autre. 

Vous  dirai-je  qu'un  de  ces  chefs  de  l'E- 
glise, génie  vaste,  profond,  juste  apprécia- 
teur du  beau,  du  solide,  habile  dans  L'art  de 
gouverner,  mais  dont  on  ne  respecte  pas  as- 
sez les  grandes  qualités,  Sixte  V,  fit  connaître 
l'estime  qu'il  faisait  de  la  doctrine  de  saint 
Bonaventure,  par  la  recherche  de  tous  ses 
ouvrages,  et  la  magnifique  édition  qu'il  en 
fit  faire. 

Vousdirai-je  qu'ils  furent  proposés  comme 
les  oracles  de  la  foi,  et  la  doctrine  de  l'Eglise 
universelle  dans  le  concile  œcuménique  de 
Florence  où  les  Grecs  assistèrent. 

Quelle  estime  n'en  ont  pas  fait  les  Aato- 
nin,  les  Sixte  de  Sienne,  les  Gerson;  les 
saints,  les  savants,  les  critiques  même  en 
faisaient  une  estime  singulière:  ils  en  par- 
lent comme  d'une  lumière  qui  brilla  parmi 
les  grands  hommes  de   leur  siècle,  et  qui 


273 


ORATEURS  SACRES.  BALLLT. 


276 


brille  aussi  dans  un  concile  général  avant 
de  s'éteindre  et  de  disparaître. 

Bonaventure  et  Thomas  d'Aquin  étaient, 
Messieurs,  les  deux  astres  qui  brillaient 
dans  l'Eglise,  lorsqu'elle  fut  ailligée  par  le 
relâchement  de  ses  enfants,  par  l'oppression 
sous  laquelle  gémissaient  les  chrétiens  dans 
la  Palestine,  et  par  le  schisme  des  Grecs. 
C'est  sur  ces  deux  grands  hommes  que  Gré- 
goire X  fonde  ses  espérances.  Il  connaît  leur 
zèle,  leurs  talents.  Thomas  d'Aquin  avait 
déjà  confondu  les  erreurs  des  Grecs  schis- 
matiques  dans  un  savant  traité.  Bonavcnture 
s'était  préparé  sur  cette  importante  matière: 
ces  deux  lumières  égales  en  clarté  devaient 
briller  dans  le  concile  général  que  le  souve- 
rain pontife  avait  indiqué  à  Lyon. 

Mais  Dieu  manifeste  ses  desseins  adora- 
bles. Une  de  ces  lumières  s'éteint  dans  la 
route,  le  docteur  angelique  est  enlevé  à  l'E- 
glise, dont  il  avait  fait  la  gloire  et  la  conso- 
lation; aux  écoles  catholiques,  dont  il  avait 
été  l'oracle;  au  monde  qu'il  avait  édifié  par 
ses  vertus.  Notre  saint  cardinal  arrivera  seul 
au  concile,  il  en  sera  l'oracle,  l'âme,  ce  lieu 
mémorable  par  les  éclatants  triomphes  de 
l'Eglise  catholique  sera  son  tombeau;  les 
grecs  schismatiques  seront  éclairés,  réunis 
avant  que  ce  bel  astre  soit  éteint.  C'est  sous 
les  trophées  que  les  Pères  du  concile,  les 
princes,  les  rois,  les  Grecs  réunis  érigèrent 
a  sa  douceur,  sa  sagesse,  son  éloquence,  son 
érudition,  qu'il  sera  enseveli. 

Ici,  Messieurs,  j'avoue  mon  insuffisance, 
la  grandeur  du  sujet  est  un  poids  qui  m'ac- 
cable, l'éclat  tout  divin  de  cette  auguste  as- 
semblée, les  points  intéressants  de  la  foi  et 
de  la  discipline  qu'on  y  décide,  le  haut  rang 
que  notre  saint  cardinal  tient,  les  oracles 
qu'il  y  prononce  ;  ses  glorieux  succès,  des 
chants  d'allégresse,  et  des  pleurs,  un  tombeau 
creusé  dans  l'endroit  même  où  on  lui  avait 
presque  dressé  un  trône;  tous  ces  grands 
ohjels  demanderaient  une  plume  habile,  dé- 
licate, cet  ait  ingénieux  qui  rend  les  belles 
choses  et  les  fait  sentir. 

Voulez-vous  connaître,  Messieurs,  l'es- 
time que  l'on  fit  de  notre  saint  dans  ce  con- 
cile œcuménique?  Représentez-vous-le  à  la 
droite  du  chef  de  l'Eglise  qui  y  préside, 
après  lui  il  y  tient  la  première  place. 

Si  des  panégyristes  outrés,  et  peu  exacts 
vous  le  représentent  plus  élevé,  c'est  un 
zèle  pour  sa  gloire  que  nous  désapprouvons. 
La  \erité  seule  peut  plaire  aux  saints. 

Voulez-vous  savoir,  Messieurs,  ce  qu'il 
fut  dans  ce  concile?  Représentez-vous  tout 
a  la  fois  l'orateur,  le  docteur,  le  défenseur 
de  l'unité  de  l'Eglise.  Deux  fois  il  prêcha 
dans  cette  majestueuse  assemblée,  et  deux 
fois  il  la  charma,  la  ravit  par  la  douceur,  les 
grâces  de  son  éloquence,  les  belles  et  tou- 
chantes peintures  qu'il  fit  de  l'unité  de  l'E- 
glise, et  des  horreurs  du  schisme. 

Que  de  sagacité  d'esprit,  que  de  lumières, 
que  de  précision,  que  de  solidité  dans  les 
conférences  qu'il  eut  avec  les  Pères  grecs  1 
A-t-on  jamais  étalé,  fait  sentir  avoc  plus  de 
magnificence  les  promesses  que  Jésus-Christ 


a  faites  h  son  épouse?  A-t-on  jamais  eu  plus 
d'ascendant  sur  les  esprits  et  sur  les  cœurs 
que  lui?  Jugez-en,  Messieurs,  par  ses  glo- 
rieux succès. 

Les  Grecs  réunis  s'avouent  vaincus,  sa 
douceur  victorieuse  les  a  attachés  pour  tou- 
jours au  char  de  l'Eglise;  et,  après  avoir 
chanté  les  louanges  de  notre  saint  cardinal, 
ils  chantent  avec  les  Pères  du  concile  et  les 
illustres  comtes  de  Lyon,  le  symbole  de  la 
foi.  Trois  fois  ils  confessent  avec  eux  que  le 
Saint-Esprit  procède  du  Père  et  du  Fils. 

O  Eglise,  ô  épouse  de  Jésus-Christ,  ré- 
jouissez-vous, il  n'y  aura  plus  qu'un  seul 
troupeau  et  un  seul  pasteur  ! 

Mais,  que  vois-je,  Messieurs  !  cette  sainte 
allégresse  est  changée  tout  à  coup  en  un 
deuil  universel;  cette  colonne  delà  religion 
est  renversée,  cette  lumière  s'éteint  dans  son 
plus  grand  éclat.  Bonaventure  passe  dans  l'im- 
mense étendue  de  l'éternité,  accompagné  de 
ses  bonnes  œuvres.  Grégoire  X,  arrose  son 
tombeau  de  ses  pleurs,  tous  les  cœurs  sont 
serrés  par  la  tristesse;  le  cardinal  d'Oïtie 
fait  à  la  lace  des  saints  autels  l'éloge  de  ses 
vertus,  et  toutes  les  puissances  de  l'Eglise 
et  de  l'Etat  conduisent  ses  sacrées  dépouilles 
dans  le  tombeau. 

i  Consolez-vous,  épouse  désolée,  cette  triste 
et  lugubre  scène  changera  bientôt.  Dieu,  qui 
est  admirable  dans  ses  saints,  fera  briller  sa 
puissance  dans  le  séjour  même  de  la  mort. 
Des  prodiges  éclatants  manifesteront  la  gloire 
de  son  serviteur. 

Lyon,  cette  illustre  et  ancienne  Eglise 
des"Gaules,  sans  oublier  les  Potin  et  les 
Irénée,  érigera  des  trophées  à  la  sainteté  de 
Bonaventure.  Elle  le  mettra  à  côté  de  ses 
apôtres  :  chaque  année  elle  célébrera  ses 
vertus  avec  une  pompe,  une  magnificence 
qui  lui  sera  particulière  :  la  durée  de  cette 
solennité  annuelle,  le  nombre  des  orateurs 
qui  le  louent  annoncent  à  l'univers  la  recon- 
naissance de  ses  citoyens. 

Heureux,  Messieurs,  si  en  exposant  au- 
jourd'hui à  vos  yeux  cette  lumière  ardente 
et  brillante,  je  puis  me  flatter  que  vos  cœurs 
sont  embrasés  du  divin  amour,  et  vos  esprits 
éclairés  sur  les  vérités  de  la  religion.  Alors 
l'innocence  de  vos  mœurs  et  votre  soumis- 
sion à  l'Eglise,  vous  rendront  agréables  au 
Seigneur,  et  vous  feront  mériter  la  couronna 
qu'il  prépare  à  la  foi  et  aux  bonnes  œuvres. 
Je  vous  le  souhaite. 

PANÉGYRIQUE  XIV. 

SAINT   GAETAN,    INSTITUTEUR  DE  LA  CONGREGA- 
TION  DES  CLERCS  RÉGULIERS, 

Prononcé  le  7  août  1*753,  dans  l'église   des 
RR.  PP.  Théatins,  à  Paris. 

Vidit  et  doluit.  (I  Macli.,  II.) 

Il  vil  la  religion  dans  l'opprobre  et  son  cœur  en  fut  péné- 
tré de  douleur. 

Il  y  a,  Messieurs,  un  zèle  qui  est  feu  divin, 
allumé  par  l'Esprit  de  Dieu;  ce  zèle  s'attriste, 
gémit,  et  éclate  lorsque  la  licence  des  mœurs, 
et  la  fureur  de  l'hérésie  répandent  des  op- 


PANEGYRIQUES.  —  PANEG.  XIV,  SAINT  GAETAN. 


277 

probres  sur  la  religion  sainte;  lorsque  les 
pécheurs  s'enhardissent  dans  la  route  du 
crime;  lorsque  la  contagion  du  vice  s'insi- 
nue dans  le  sanctuaire,  et  que  les  astres,  qui 
devraient  éclairer  l'univers,  sont  eux-mêmes 
obscurcis  par  les  nuages  du  péché. 

Ces  traits,  Messieurs»  qui  caractérisent  le 
zèle  inspiré  de  Dieu,  le  zèle  apostolique; 
ne  vous  ont-ils  pas  déjà  donné  une  juste 
idée  du  héros  chrétien,  dont  j'entreprends 
aujourd'hui  l'éloge? 

Gaétan  fut-il  moins  touché  des  désordres 
et  des  scandales  de  son  siècle,  que  Mattha- 
tias  des  profanations  de  son  temps  ?  N'en- 
couragea-t-il  pas  comme  ce  héros  israélite, 
de  pieux  lévites  à  se  joindre  à  lui,  pour  atta- 
quer les  ennemis  de  la  vertu  et  de  la  vérité  ? 
Et  ne  vit-on  pas  par  leurs  travaux,  la  licence 
cesser,  la  piété  renaître,  et  le  clergé  sortir 
avec  éclat  de  l'avillissement  où  il  était  tombé? 

Si  je  ne  Jouais  aujourd'hui,  Messieurs,  que 
son  héroïque  abandonneinent  à  la  Provi- 
dence, je  ne  caractériserais  pas  l'instituteur, 
le  restaurateur  de  la  discipline  ecclésiasti- 
que, l'ouvrier  évangélique,  l'homme  aposto- 
lique. 

Les  succès  de  son  zèle  tout  divin  à  Rome, 
à  Naples,  à  Venise;  ces  grands  théâtres  où 
il  parut,  où  il  brilla,  changea  les  mœurs, 
confondit  Terreur,  et  fit  ériger  partout  des 
trophées,  à  l'innocence,  à  la  foi,  à  la  charité, 
doivent  nous  intéresser,  Messieurs,  dans  un 
siècle  où  le  libertinage  et  l'incrédulité  font 
de  si  funestes  progrès. 

Les  successeurs  du  zèle  des  Gaétan,  des 
Charles  Borromée,  des  François  de  Sales,  de 
Vincent  de  Paul,  voient  avec  douleur  les  op- 
probres que  l'on  répand  sur  l'épouse  du  Sau- 
veur. La  corruption  des  mœurs  est  le  fruit 
de  l'indocilité  ;  on  se  croit  dispensé  de  faire 
le  sacrifice  de  ses  passions,  quand  on  est 
persuadé  qu'on  ne  doit  pas  faire  celui  de  sa 
raison  ;  le  naufrage  de  l'innocence  suit  de 
près  celui  de  la  foi. 

Qu'ils  sont  consolants  pour  l'Eglise,  les 
succès  de  Gaétan  !  Qu'ils  sont  consolants 
pour  nous  !  Dieu,  qui  l'a  suscité  dans  le 
xve  siècle,  peut  le  produire  de  nos  jours; 
les  besoins  sont  aussi  pressants,  sa  grâce  est 
aussi  puissante. 

Les  maux  les  plus  pressants  excitèrent  son 
zèle  :  les  succès  les  plus  glorieux  furent  la 
récompense  de  son  zèle. 

Voilà,  Messieurs,  ce  que  je  dois  exposer 
à  votre  admiration,  et  à  votre  piété  dans  cet 
éloge  :  après  que  nous  aurons  imploré  les 
lumières  du  Saint-Esprit,  par  l'intercession 
de  la  mère  de  Dieu.  Ave,  Maria. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

L'homme  de  zèle,  suscité  de  Dieu,  n'est 
excité,  que  par  les  motifs  les  plus  purs  et 
es  plus  saints.  C'est  la  gloire  de  Dieu  mé- 
prisée; le  salut  des  âmes  négligé  :  la  vérité 
défigurée,  qui  a  allumé  le  zèle  de  ces  grands 
hommes,  qui  ont  réparé  les  ruines  du  sanc- 
tuaire, rétabli  le  règne  de  la  piété,  et  dis- 
sipé les  nuages  que  les  hérétiques  répan- 
daient sur  la  doctrine  de  l'Eglise. 


278 


Tels  furent  aussi,  Messieurs,  les  tristes 
objets  qui  affligèrent  Gaétan,  et  allumèrent 
dans  son  cœur  ce  zèle  divin  qui  eut  dans  la 
suite  de  si  glorieux  succès. 

11  vit  avec  douleur  la  beauté  du  sanctuaire 
obscurcie  :  des  mœurs  licencieuses,  une 
coupable  ambition  pour  les  richesses,  les 
artificieux  détours  de  l'hérésie  déshonoraient 
sa  sainteté;  il  gémit  et  forma  le  projet  de 
faire  sortir  l'état  ecclésiastique  de  l'opproVre 
où  il  était  tombé. 

Quels  furent  les  moyens  qu'il  employa, 
Messieurs?  Les  plus  sûrs,  les  plus  efficaces  : 
l'exemple. 

Il  opposa  une  régularité  scrupuleuse  à  la 
licence  des  mœurs  ;  un  abandonnement  hé- 
roïque à  la  Providence,  à  l'attache  aux  ri- 
chesses ;  une  soumission  parfaite  à  la  doc- 
trine de  l'Eglise,  aux  charmes  de  la  nou- 
veauté; les  prêtres  voyaient  dans  Gaétan  les 
vertus  qu'ils  n'avaient  pas  et  qui  leur  étaient 
nécessaires  ;  Gaétan  gémissait  des  vices 
qu'il  voyait  dans  les  prêtres,  et  qui  désho- 
noraient la  sainteté  des  autels  :  quels  motifs 
plus  capables  d'exciter  le  zèle  d'un  serviteur 
de  Dieu  que  ces  désordres  de  son  siècle? 
Quels  moyens  plus  sûrs  pour  les  corriger 
que  l'exemple  d'une  vie  qui  retrace  toute 
la  sainteté  du  sacerdoce? 

Consultons,  Messieurs,  l'histoire  fidèle  : 
c'est  d'après  les  faits  qu'elle  nous  fournit 
que  je  viens  louer  aujourd'hui  les  motifs 
qui  excitèrent  son  zèle  et  les  vertus  qu'il 
opposa  aux  vices  de  son  siècle. 

Quelle  histoire  que  celle  du  xvr  siècle  ! 
ll'retraçait  les  désordres  de  tous  les  siècles 
précédents  ;on  n'y  rougissait  plus  des  mœurs 
les  plus  corrompues;  les  cœurs  s'ouvraient 
avec  plaisir  pour  recevoir  les  plaies  humi- 
liantes du  péché;  une  vie  molle,  de  coupa- 
bles plaisirs,  de  honteuses  passions  souil- 
laient tous  les  Etats;  on  vit  le  "vice  régner 
où  l'erreur  n'avait  jamais  pu  pénétrer;  Rome 
même,  cet  asile  sûr  pour  la  foi,  était  deve- 
nue un  asile  dangereux  à  l'innocence. 

Ce  relâchement  des  mœurs  pénétra  dans 
le  sanctuaire,  Messieurs;  sa  beauté  fut  obs- 
curcie par  les  nuages  du  péché  ;  le  laïque  se 
rassura  dans  ses  routes  criminelles,  parce 
qu'il  y  vovait  marcher  avec  lui  les  ministres, 
du  Très-Haut. 

Les  hommes  apostoliques,  les  docteurs 
zélés,  les  directeurs  éclairés,  les  prêtres 
édifiants  étaient  rares  :  ceux  qui  rassurent 
les  mondains  par  leur  conduite  étaient  com- 
muns. 

Gaétan  parut  dans  ces  jours  d'iniquité  :  il 
vit  avec  douleur  la  piété  comme  exilée,  les 
vérités  de  la  religion  ignorées,  la  science  du 
salut  négligée,  les  sacrements  et  les  solen- 
nités saintes  abandonnés,  les  pierres  du 
sanctuaire  honteusement  dispersées  ;  alors 
son  cœur  fut  plongé  dans  l'amertume  :  vulit 
et  doluit. 

Louerions-nous  aujourd'hui  le  zèle  do 
Gaétan  s'il  eût  été  insensible  à  cet  obscurcis- 
sement du  sanctuaire,  et  à  la  perle  de  tant 
d'âmes?  Non,  Messieurs,  ce  relâchement  des 


ORATLlttS  SACHES.  BALLET. 


ÎXQ 


mœurs'a  des  suites  trop  funestes  pour  qu'un 
saint  n'en  soit  pas  touché. 

Les  jours  de  licence  et  de  désordre  ont 
toujours  paru  favorables  aux  souverains  mé- 
contents ou  ambitieux,  et  aux  hérétiques 
cachés  et  timides,  qui  savent  paraître  à  pro- 
pos ;  ils  en  profitent  :  les  uns  pour  s'étendre, 
les  autres  pour  triompher  :  voici  des  faits 
qui  justifient  ce  que  j'avance. 

Quand  l'ambition  et  la  politique  régnent 
seules  dans  les  cœurs  vies  princes,  la  modé- 
ration chrétienne  ne  les  retient  plus  :  aussi 
vit-on  Charles-Quint  et  François  1"  se  dé- 
clarer une  guerre  sanglante  :  ces  deux  puis- 
sances jalouses  ébranlent  toute  l'Europe  ;  dé- 
vastes provinces  sont  pillées  et  ravagées,  et 
le  sanctuaire  môme  se  ressent  des  horreurs 
de  la  guerre. 

Quand  les  ecclésiastiques  sont  plongés 
dans  la  mollesse  et  l'ignorance,  la  crainte  de 
trouver  dés  adversaires  redoutables  ne  re- 
tient plus  les  hérétiques  ;  après  avoir  été  ti- 
mides et  rampants,  ils  paraissent  avec  au- 
dace et  débitent  leurs  erreurs. 

Qui  ignore,  Messieurs,  que  les  hérétiques 
ont  toujours  profité  des  troubles  et  de  cer- 
tains événements  critiques  pour  se  procu- 
rer un  triomphe  qui  n'est  jamais  que  pas- 
sager? 

Gaétan  fut  touché  de  ces  tristes  suites  de 
la  licence  des  mœurs  :  son  cœur,  aussi  ar- 
dent pour  le  salut  des  âmes  que  celui  du 
grand  Paul,  qui,  selon  l'expression  de  saint 
Chrysostome,  était  le  cœur  même  de  Jésus- 
Christ,  forma  le  grand  projet  de  lui  opposer 
une  congrégation  de  prôtres  fidèles. 

Ce  projet  est  grand,  vaste,  il  vous  étonne, 
Messieurs;  mais  vous  n'ignorez  pas  que  la 
sainteté  a  des  charmes  puissants  qui  atta- 
chent souvent  à  son  char  ses  plus  grands 
ennemis.  C'est  la  sainteté  de  Gaétan  qui 
l'annonce  et  en  assure  le  succès. 

Il  paraît,  et  avec  lui  toutes  les  vertus  cjui 
soutiennent  la  grandeur  du  sacerdoce;  les 
ecclésiastiques  les  plus  mondains  sont  for- 
cés de  respecter  le  censeur  de  leur  coupa- 
ble relâchement. 

Sainteté  qui  orne  ses  premières  années  : 
les  rosées  célestes  pénètrent  son  jeune 
cœur  comme  ces  douces  pluies  qui  tombent 
sur  de  tendres  gazons  :  quasi  stillœ  super 
gramitta  (Dent.,  XXXII);  et  si  la  comtesse 
de  Thienne,  sa  mère,  le  voua  à  Marie  dès 
son  enfance,  on  peut  dire  que  Marie  n'a  ja- 
mais euun  serviteur  plus  zélé  et  plus  éclairé. 
Sainteté  édifiante  :  quelle  modestie  1  quelle 
noble  simplicité  !  quelle  douceur  !  quelle  dé- 
(  ence  dans  toutes  ses  actions  !  Tout  retraçait 
en  lui  la  vertu  et  annonçait  le  saint  du  sanc- 
tuaire. 

Sainteté  austère  :  ses  jeûnes,  ses  veilles, 
ses  mortifications  étaient  une  pénitence  de 
précaution  et  de  zèle  ;  il  craignait  de  cesser 
d'être  innocent;  il  so  punissait  pour  les 
coupables. 

Sainteté  victorieuse  des  caresses-du  monde. 

Quel  flatteur  avenir!  quelle  brillante  car- 
rière ne  lui  offrait  pas  sa  naissance?  L'illus- 
tre maison    de  Thienne,  dont    l'ancienne 


grandeur  est  si  connue  dans  l'histoire,  d'où 
sont  sortis  ces  habiles  négociateurs,  ces 
héros  de  la  guerre,  ces  savants  revêtus  de 
la  pourpre  romaine,  qui  ont  brillé  dans  l'L> 
glise  et  dans  l'Etat,  n'était -elle  pas  un  titre 
pour  attacher  au  monde  le  jeune  Gaétan? 
Oui,  Messieurs,  mais  un  cœur  que  Dieu 
seul  remplit,  dédaigne  la  grandeur  du  siè- 
cle, et,  en  se  consacrant  aux  autels,  il  ap- 
prend à  tous  les  ministres  de  Jésus-Christ 
jusqu'où  doit  aller  le  détachement  d'un  prê- 
tre fidèle. 

Vous  dirais-je  que  la  piété,  qui  l'avait  fait 
voler  à  Rome,  .s'y  soutient  dans  tout  son 
éclat  :  ni  la  licence  des  grands,  qui  n'offraient 
que  des  plaisirs  et  des  fêtes  au  jeune  comte; 
ni  les  caresses  de  Jules  11,  qui  voulut  se 
l'attacher  par  une  dignité  honorable,  ne  pu- 
rent faire  aucune  impression  sur  son  cœur. 

L'estime  de  Jules  II  faisait,  Messieurs,  l'é- 
loge des  rares  qualités  du  jeune  Gaétan  ; 
génie  délicat,  sublime,  il  savait  apprécier  le 
mérite;  homme  fin  et  profond,  il  aurait  ap- 
pris aux  princes  l'art  de  régner;  et  l'on 
peut  dire  qu'il  aurait  été  un  plus  grand  Pon- 
tife, s'il  n'eût  pas  été  un  si  grand  politique. 

Mais  il  suffit  à  Gaétan  d'apercevoir  le  (lan- 
ger des  plaisirs  et  des  honneurs,  pour  médi- 
ter sa  retraite.  La  congrégation  de  l'Amour- 
Divin,  composée  des  Ames  échappées  à  la 
corruption  du  siècle,  le  retient  quelque 
temps;  les  invitations  de  Léon  X,  successeur 
de  Jules  II,  précipitent  sa  fuite.  Et  s'il  repa- 
raît à  Rome  dans  les  commencements  de  son 
apostolat,  ce  sera  pour  y  faire  briller  une 
sainteté  victorieuse  des  menaces  et  des  sup- 
pliées. 

Vous  le  savez,  Messieurs,  l'ambition,  la 
politique,  les  disputes  de  religion,  allumè- 
rent alors  des  guerres  sanglantes  ;  on  vit  des 
ligues  se  former  dans  toutes  les  cours  ;  k 
religion  servait  de  prétexte  aux  princes  mé- 
contents ou  ambitieux. 

Charles  de  Bourbon,  infidèle  à  son  roi,  es-t 
revêtu  dans  l'empire  des  plus  éclatantes  di- 
gnités, et  lorsque  Rome  menacée  fut  délivrée 
du  général  Fromberg,  ce  disciple  de  la  doc- 
trine et  de  la  fureur  de  Luther,  elle  vit  mar- 
cher contre  elle  le  duc  de  Bourbon  à  la  tête 
des  rebelles. 

•  Ses  succès  enflent  son  orgueil,  il  veut  que 
ses  victoires  soient  arrosées  du  sang  des  catho- 
liques. Déjà  une  licence  effrénée,  une  cruauté 
barbare,  une  fureur  sacrilège,  n'offrent  plus 
que  les  tristes  spectacles  des  Romains  immo- 
lés sous  le  glaive,  des  prêtres  massacrés,  des 
vierges  violées,  des  temples  souillés,  des 
autels  renversés,  des  reliques  brûlés,  des 
richesses  du  sanctuaire  à  la  discrétion  des 
hérétiques. 

!  C'est,  Messieurs,  dans  ce  triomphe  passa- 
ger de  l'hérésie,  et  qui  fera  à.jamais  son  op- 
probre et  sa  honte,  que  Gaétan  montra  une 
sainteté  supérieure  aux  événements  les  plus 
fâcheux,  et  victorieuse  des  supplices  et  des 
menaces. 

Au-dessus  des  tourments  que  l'inhumanité 
invente,  Gaétan  et  Carratfa  retracent  la  dou  ■ 
ceur  et  la  joie  des  apôtres  clans  les  persécu- 


281  PANEGYRIQUES.  —  PANE 

lions;  ils  sont  les  victimes  de  la  foi  et  delà 
pauvreté;  si  le  martyre  ne  couronne  pas  leur 
apostolat,  il  le  précède. 

Sainteté  reconnue  universellement;  elle 
avait  comme  effacé  tous  les  grands  titres  de 
sa  naissance.  On  ne  l'annonçait  que  sous  le 
nom  de  saint.  Voyez  Messieurs ,  quel  ascen- 
dant a  une  vertu  soutenue?  Les  mondains 
mômes  canonisent  le  vertueux  comte  do 
Thienne. 

Sainteté  enfin  proportionnée  à  la  grandeur 
du  sacerdoce;  il  l'exprime  dans  ses  mœurs 
et  dans  ses  écrits;  jamais  saint  n'en  conçut 
une  plus  haute,  et  par  conséquent  une  plus 
juste  idée  ;  jamais  écrivain  ecclésiastique  n'a 
dépeint  mieux  que  lui  les  engagements  d'un 
faible    mortel  qui   en  est  revêtu. 

Aussi  vit-on  alors,  Messieurs,  l'humilité 
de  ce  saint  prêtre,  relevée  par  des  prodiges 
de  miséricorde.  Celui  qui  se  croit  indigne  de 
monter  à  l'autel  est  aussi  favorisé  que  le 
saint  viellard  Siméon  (3).  Or,  Messieurs,  une 
sainteté  aussi  éminente  que  celle  dont  je 
viens  de  vous  tracer  le  portrait,  n'etait-elle 
pas  une  continuelle  censure  de  la  licence  de 
son  siècle?  Une  vertu  si  soutenue  condam- 
nait les  hommes  de  vice  ;  son  abandonne- 
ment  héroïque  à  la  Providence  condamnait 
les  hommes  de  cupidité. 

Désirer,  accumuler  les  richesses,  y  atta- 
cher son  cœur,  en  faire  son  idole,  les  regarder 
comme  des  fonds  destinés  à  la  mollesse. 
Voilà,  Messieurs,  le  désordre  qui  régnait 
lorsque  Gaétan  leva  l'étendard  de  cette  pau- 
vreté qui  a  étonné  son  siècle. 

Pour  fournir  au  luxe,  aux  plaisirs,  aux 
fêtes,  on  désirait  des  richesses  ;  toujours 
mécontent  de  sa  fortune,  on  sacrifiait  son 
devoir,  son  innocence,  sa  foi,  son  âme,  pour 
augmenter  ses  revenus  et  étendre  ses  do- 
maines. 

On  n'honorait  alors  que  l'opulence  ;  on  ne 
redoutait  que  la  pauvreté.  Le  détachement 
des  biens  périssables  de  la  terre,  dont  des 
sages  du  paganisme  se  sont  fait  gloire,  fai- 
sait la  honte  des  chrétiens  de  ce  siècle  per- 
vers. Zenon  qui  le  recommandait  avait  eu 
des  disciples.  Jésus-Christ  qui  y  a  attaché  un 
centuple  de  gloire,  n'en  avait  presque  plus; 
les  richesses  faisaient  respecter  le  vice  ;  la 

Siauvreté  faisait  mépriser  la  vertu.  Heureux, 
Messieurs,  si  cette  cupidité  n'eût  pas  été  si 
générale;  le  détachement  de  l'Evangile  au- 
rait été  au  moins  retracé  dans  ces  saints  asi- 
les, où  la  piété  devait  être  sans  déchet,  et  où 
Vopulence  ne  devait  plus  flatter  ceux  qui  ont 
pris  le  Seigneur  pour  leur  héritage  ! 

Mais,  chez  les  pauvres  et  les  riches,  chez 
les  sujets  et  les  souverains,  chez  les  laïques 
et  les  prêtres,  régnaient  les  mêmes  vœux  et 
les  mêmes  attaches. 

Les  pauvres  méprisés  sous  les  livrées  de 
Jésus-Christ,  ne  marchaient  qu'en  murmu- 
rant sur  ses  traces  ;  les  riches  n'avaient  jamais 

(3)  La  sainte  Vierge  lui  apparut,  et  lui  présenta 
l'enfant  Jésus,  qu'il  eut  le  bonheur  de  tenir  dans  ses 
bras.  Miracle  attesté  par  les  historiens  les  plus  gra- 
ves, $t  dans  le  procès  de  sa  canonisation, 

(4)' Le  P.  Thomassin  et  M.  de  Valleraont  se  sont 


X.  XIV,  SAINT  GAETAN. 


282 


de  fonds  suffisants  pour  fournir  à  leur  luxe 
et  à  leurs  plaisirs;  les  grands  voulaient  pa- 
raître avec  autant  d'éclat  que  leurs  souve- 
rains; les  souverains  n'étaient  occupés  qu'à 
agrandir  leurs  domaines  et  étendre  leurs 
limites;  la  modération  ne  distinguait  point 
les  prêtres  des  laïques,  ils  accumulaient  les 
bénéfices;  le  patrimoine  des  pauvres  était 
dissipé  dans  les  plaisirs,  et  ce  qui  devait  ser- 
vir à  nourrir  les  membres  de  Jésus-Cbrist, 
servait  d'aliment  aux  passions  qui  les  tyran- 
nisaient et  dont  ils  ne  rougissaient  [dus. 

Ce  fut,  Messieurs,  cette  coupable  dissipa- 
tion des  revenus  ecclésiastique,  qui  fit  encore 
tomber  le  sacerdoce  dans  ravilissement.  Les 
hérétiques  eurent  soin  de  l'exagérer  auprès 
des  souverains;  ils  flattèrent  leur  cupidité, 
on  décidant  qu'ils  pouvaient  s'emparer  des 
biens  de  l'Eglise.  Bientôt,  pour  corriger  des 
abus,  on  commit  des  sacrilèges;  la  décision 
était  trop  flatteuse  pour  ne  pas  s'y  soumettre. 
Plusieurs  princes  d'Allemagne  adoptèrent  la 
doctrine  de  Luther  pour  faire  usage  de  sa 
morale. 

Pour  corriger  de  si  grands  désordres,  un 
héros  de  la  pauvreté,  un  modèle  parfait  du 
détachement  évangélique  était  nécessaire. 
Dieu  le  suscite,  Messieurs,  Gaétan  parait  : 
son  abandonnement  héroïque  à  la  Prov  idence, 
confond  tous  les  hommes  de  cupidité  : 
quelles  impressions  ne  devait-il  pas  faire? 

11  est  prudent,  universel,  victorieux  de 
tous  les  obstacles,  soutenu  par  des  prodiges 
éclatants  :  si  Gaétan  veut  tout  attendre  de 
ton  Dieu,  Dieu  se  montre  partout  le  Dieu  de 
Gaétan. 

Appellerai-je  sages  et  prudents,  ces  nom- 
mes qui  méprisent  les  fonds  de  la  Providen- 
ce,  et  veulent  tout  attendre  du  crédit,  de 
l'opulence,  de  l'industrie  des  faibles  mor- 
tels ?  Non,  Messieurs,  ce  sont  des  mondains, 
des  politiques;  ils  censurent  un  détache- 
ment prudent ,  aussi  bien  qu'un  détache- 
ment héroïque  ;  ils  blâment  également  et  les 
ordres  qui  ne  possèdent  rien,  et  les  ordres 
qui  sont  dotés  :  c'est  dans  les  projets  que  l'es 
saints  exécutent,  qu'éclatent  la  vraie  sagesse 
et  la  vraie  prudence. 

Gaétan,  dans  son  abandonnement  héroïque 
à  la  Providence,  ne  blâme  point  les  revenus 
permis  par  les  vœux  et  les  saints  canons  : 
s'il  ne  se  réserve  point  la  liberté  d'exposer 
ses  besoins,  il  ne  fait  point  aux  autres  un 
précepte  d'une  pauvreté  toujours  muette. 
Cet  abandonnement  héroïque  sera  volon- 
taire, et  n'engagera  pas  même  ces  en- 
fants (4). 

Le  caractère  éclatant  qui  annonce  î  hé- 
roïsme de  la  confiance  de  Gaétan,  qui  dis- 
tingue son  institut,  est  donc,  Messieurs,  ce 
détachement  universel  qui  a  eu  tant  de  cen- 
seurs avant  d'avoir  des  apologistes  et  des 
disciples.  La  nécessité  la  plus  pressante 
n'ouvre  point  la  bouche  de  Gaétan  pour  sol- 

troiupés,  en  disant  que  les  Théalins  font  un  vœu 
particulier  de  n'avoir  point  de  revenus;  non-seule- 
ment ils  ne  font  pas  ce  vœu,  niais  leurs  constitutions 
déclarent  que  le  concile  de  Trente  leur  a  permis  d'en 
avoir. 


283 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


23-1 


liciter  des  secours  :  il  ne  parle,  il  ne  s'expli- 
que que  pour  refuser  ceux  qu'on  lui  offre. 
Cet  abandonnement  universel  à  la  Provi- 
dence, et  victorieux  de  tous  les  obstacles, 
n'était-il  pas,  Messieurs,  une  puissante 
censure  de  la  cupidité  de  son  siècle  ?  Ils 
étonnent  le  inonde,  ces  grands  hommes  que 
le  Seigneur  suscite  pour  retracer  la  perfec- 
tion évangélique  :  la  sagesse  du  siècle  s'op- 
pose à  la  sagesse  des  saints;  mais  les  obsta- 
cles n'empêchent  jamais  les  succès  de  l'œu- 
vre de  Dieu. 

En  vain,  lescardinaux,  chargés  d'examiner 
le  projet  du  nouvel  institut,  des  évoques, 
des  corps  religieux  combattent-ils  d'abord 
la  confiance  héroïque  de  Gaétan?  Le  Dieu  en 
qui  Gaétan  espère,  lui  fait  remporter  autant 
de  victoires  qu'on  lui  livre  de  combats.  11  lui 
dicte  des  réponses  qui  changent  ses  cen- 
seurs en  apologistes  et  en  admirateurs  :  la 
pauvreté,  môme  universelle,  paraît  honora- 
ble et  glorieuse,  dès  qu'il  en  dépeint  les 
avantages. 

N'est-ce  pas,  Messieurs,  ce  qu'ont  éprouvé 
le  comte  de  Carraccioli  et  l'évêque  de  Vé- 
rone. En  vain,  opposent-ils  à  notre  salut, 
qu'il  faut  distinguer  Naples  de  Venise,  qu'il 
n'y  trouvera  pas  les  mômes  secours  ?  11  ré- 
pond que  le  Dieu  de  Venise  est  aussi  le  Dieu 
de  Naples.  En  vain,  à  titre  de  charité,  veu- 
lent-ils lui  assurer  des  aumônes  annuelles, 
il  répond  qu'elles  seraient  un  écueil  pour  la 
pauvreté  de  sa  congrégation  naissante  :  ils 
admirent,  Messieurs,  tout  l'héroïsme  de  ce 
détachement  :  ils  le  respectent  après  l'avoir 
combattu;  le  héros  de  la  pauvreté  évangéli- 
que leur  en  a  donné  de  justes  idées. 

Ici,  des  prodiges  éclatants  annoncent  hau- 
tement le  mérite  de  la  confiance  de  Gaétan. 
Dieu,  qui  a  déployé  tant  de  fois  sa  puissan- 
ce pour  nourrir,  protéger  et  conserver  le 
juste  qui  espère  en  lui,  renouvelle  ses  an- 
ciennes merveilles  en  sa  faveur.  Il  fut  nourri 
miraculeusement  à  Naples  comme  les  Paul 
et  les  Antoine  dans  le  désert.  A  Rome,  sur 
le  Tibre,  dans  les  plus  grands  dangers,  une 
puissance  divine  le  conserve,  le  protège, 
Elle  apaise  les  tempêtes  les  plus  violentes, 
change  en  agneaux  les  hommes  les  plus  fé- 
roces et  les  plus  barbares:  les  déserts  les 
plus  arides  deviennent  fertiles,  la  pauvreté 
opulente;  rien  ne  manque  à  Gaétan,  parce 
(pie  Gaétan  ne  veut  que  Dieu. 

Quel  exemple  pour  son  siècle,  Messieurs, 
et  qu'il  était  puissant  pour  corriger  les  dé- 
sordres qui  le  déshonoraient!  Mais,  si  les 
hommes  de  licence,  de  cupidité  excitèrent 
son  zèle,  les  hommes  de  nouveauté  ne  l'ex- 
citèrent pas  moins.  Sa  foi  humble  et  sou- 
mise gémit  amèrement  des  progrès  de  l'hé- 
résie. 

L'amour  de  l'Eglise  a  toujours  été  la  vertu 
des  saints;  ils  n'ont  vu  qu'avec  douleur  ces 
hommes  audacieux  qui  altèrent  sa  doctrine 
cl  rompent  l'unité. 

Ils  ne  pensaient  pas,  Messieurs,  comme 
ces  mondains  indifférents  qui  regardent  avec 
tranquillité  la  tempête  qui  agite  la  nacelle 
de   Pierre,  et  qui  ne  redoutent  des  orages 


qui  se  forment  et  qui  éclatent,  que  ce  qui 
peut  nuire  à  leur  repos  et  à  leur  fortune. 

Le  danger  de  la  foi  a  excité  le  zèle  des 
solitaires  dans  leurs  paisibles  retraites:  ils 
ont  interrompu  leur  silence  pour  défendre 
sa  pureté,  altérée  par  les  profanes  nouveautés 
des  hérésiarques. 

Les  progrès  de  l'arianisme  à  Alexandrie, 
arrachent  le  grand  Antoine  de  son  désert. 
Celui  qui  s'entretenait  dans  le  calme  avec 
son  Dieu ,  entre  en  lice  avec  les  ennemis  de 
la  vérité  :  les  maux  de  l'Eglise  changent  un 
contemplatif  en  un  apôtre. 

Gaétan,  Messieurs',  aimait  l'Eglise,  il  ne 
travaillait  que  pour  sa  gloire  :  jugez  des  im- 
pressions que  firent  sur  son  cœur  les  rava- 
ges de  l'hérésie  dans  toute  l'Italie.  Il  ne  faut, 
Messieurs,  que  se  rappeler  les  tristes  spec- 
tacles qui  se  présentèrent  à  ses  yeux,  pour 
se  le  représenter  dans  la  douleur  et  dans  l'a- 
mertume :  \idit  et  dolvit. 

Du  sein  môme  de  l'Eglise  romaine,  était 
sorti  un  de  ces  hommes  que  la  science  en- 
fle, que  la  régularité  gêne,  que  l'indépen- 
dance porte  aux  dernières  extrémités.  Mar- 
tin Luther,  homme  vif,  emporté,  fougueux  ; 
qui  étudiait  la  religion  pour  la  combattre, 
qui  ne  prêchait  que  pour  exciter  les  peuples 
à  la  révolte,  et  qui  sut  habilement  allumer 
partout  le  flambeau  de  la  discorde,  pour 
éteindre  plus  sûrement  celui  de  la  foi:  une 
ferveur  passagère  en  avait  fait  un  religieux: 
l'erreur  un  apostat;  l'incontinence,  le  sacri- 
lège époux  d'une  vierge  arrachée  du  cloître. 
Malgré  tous  ces  traits  qui  devaient  répandre 
un  éternel  opprobre  sur  Luther,  il  a  des  dis- 
ciples ;  ils  le  blâment  secrètement ,  ils  le 
louent  en  public. 

Son  hérésie  furieuse  fait  des  progrès  à  la 
faveur  des  guerres  allumées  de  tous  côtés; 
ses  triomphes  sont  ensanglantés.  C'est  dans 
le  massacre  des  hommes,  la  ruine  des  mœurs, 
la  perte  des  provinces  et  des  Etats,  qu'elle 
s'étend,  qu'elle  a  des  succès,  qu'elle  fait  des 
conquêtes,  et  qu'elle  attache  les  grands  et  les 
petits  à  son  char,  séduits  par  les  charmes 
de  la  nouveauté. 

■  Ne  soyons  pas  étonnés,  Messieurs,  de  ces 
progrès,  la  nouveauté  a  toujours  eu  des 
attraits  pour  les  penchants  de  la  nature,  pour 
les  mondains,  les  mécontents,  les  ambitieux. 
Le  siècle  de  Gaétan  goûta  les  nouvelles 
hérésies,  parce  qu'il  était  licencieux  et  cor- 
rompu. Quand  il  aurait  encore  rougi  des 
blasphèmes  de  Luther,  il  n'aurait  point  rougi 
desamorale.  Les  libertins  et  les  mondains 
n'ont  jamais  parlé  contre  les  hérétiques;  ils 
ont  toujours  parlé  contre  l'Eglise. 

L'hérésie  de  Luther  qui  désole  l'Italie  ne 
trouve  à  Rome,  dans  le  Vatican,  que  des 
foudres  et  desanathèmes  ;mais,  dans  les  cer- 
cles des  mondains,  elle  trouve  des  admira- 
teurs et  des  apologistes.  On  vit  alors  les 
courtisans  s'ériger  en  juges  de  la  foi,  et  les 
enfants  de  l'Eglise  applaudir  h  l'opiniâtre  ré- 
sistance de  ses  ennemis. 

Ce  furent  aussi,  Messieurs,  les  charmes  de 
cette  hérésie  qui  tirent  passer  du  sanctuaire 
et  du  cloître  tant  de  prêtres  et  de  religieux 


285 


PANEGYRIQUES.  —  PANEG.  XIV,  SAINT  GAETAN, 


28G 


sous  ses  étendards.  Ennuyés  du  joug  de  la 
religion,  une  honteuse  apostasie  les  mettait 
au  large,  dans  les  frontières  qui  lui  servaient 
de  rempart  ;  mais  abrégeons  un  récit  qui  doit 
nous  affliger. 

Nazies,  si  pure  dans  sa  foi  jusqu'alors,  est 
sur  le  point  de  la  perdre;  Gaétan  s'en  aper- 
çut, il  en  gémit.  Le  connétable  de  Bourbon 
ne  vient  à  son  secours,  avec  ses  troupes  vic- 
torieuses, que  pour  y  introduire  l'irréligion 
et  l'hérésie.  Et  il  faut  avouer  que  les  victoires 
qu'aurait  pu  remporter  le  général  de  Fran- 
çois i"  n'étaient  pas  à  redouter,  comme  les 
succès  de  l'erreur. 

Déjà  trois  disciples  secrets  de  la  nouveauté 
s'y  étaient  introduits:  enveloppés  dans  leurs 
prédications,  libres  dans  des  conférences  se- 
crètes, séduisants  dans  les  écrits  qu'ils  ré- 
pandent, le  venin  caché  s'insinue,  la  nou- 
veauté est  goûtée,  la  foi  des  Napolitains 
chancelle  ;  la  religion  est  en  danger. 

N'est-ce  pas  avec  raison,  Messieurs,  que 
le  zèle  de  Gaétan  s'allume,  éclate?  Pouvait- 
il  être  témoin  de  tous  ces  maux ,  sans 
les  arroser  de  ses  pleurs,  sans  former  le 
projet  de  consoler  l'Eglise,  par  une  con- 
grégation de  saint  prêtres,  purs  dans  la 
foi,  et  toujours  inviolablement  attachés  au 
Saint-Siège  ?  Non,  Messieurs ,  l'horreur  de  la 
nouveauté  et  la  soumission  à  l'Eglise  ont 
toujours  distingué  et  distingueront  toujours 
les  héros  de  la  religion  que  nous  honorons, 
des  liéros  de  parti  que  les  hérétiques  seuls 
canonisent. 

Ne  vous  représentez  pas,  Messieurs,  dans 
notre  saint,  une  piété  tendre,  mais  sans  lu- 
mières ;  une  soumission  aveugle,  mais  sans 
principes  ;  un  zèle  aident,  mais  sans  dou- 
ceurs. Ses  lumières  lui  firent  apercevoir  le 
(langer  de  la  foi.  Son  amour  pour  l'Eglise  lui 
fit  former  le  projet  d'en  garantir  les  fidèles; 
sa  charité  lui  fit  employer  les  moyens  les 
plus  capables  de  persuader  sans  révolter. 

Un  génie  cultivé,  orné,  qui  avait  toujours 
décelé  sa  grandeur,  sous  les  voiles  de  sa  mo- 
destie, une  érudition  profonde,  une  étude 
sérieuse  des  matières  ecclésiastiques  le  met- 
taient en  état  de  briller  avec  les  savants,  s'il 
eût  recherché  la  gloire. 
-(•Celui  qui  avait  moissonnédes  lauriers  clans 
la  célèbre  université  de  Pavie  pouvait  espé- 
rer des  succès  dans  des  conférences  réglées. 
Oui,  Messieurs,  mais  les  saints  dédaignent 
les  victoires  que  l'on  remporte  sur  les  héré- 
tique-, quand  on  ne  1-es  convertit  pas.  Ils 
évitent  ces  combats  de  paroles  qu;,  selon 
l'Apôtre,  perpétuent  les  disputes,  au  lieu  de 
les  terminer. 

Gaétan  n'opposa  d'abord  à  l'hérésie  que  la 
force  de  l'exemple,  la  pureté  de  sa  foi,  les 
charmes  de  sa  douceur  et  les  saints  gémisse- 
ments de  son  âme  affligée. 

Sa  foi  était  celle  de  l'Eglise  romaine;  il 
en  était  l'homme,  le  soutien,  la  gloire,  la 
consolation  ;  le  vent  des  nouvelles  doctrines, 
qui  soufflait  alors  de  toutes  parts,  le  trouva 
toujours  ferme  et  inébranlable,  et  il  trans- 
mit à  tous  ses  enfants  son  amour  pour  l'u- 
nité et  son  respect  pour  le  Saint-Sioge. 


Sa  douceur,  en  parlant  des  ravages  de 
l'hérésie  dans  l'Italie,  condamnait  les  em- 
portements des  hérétiques  ;  son  zèle  ne  ten- 
dait qu'à  les  toucher,  et  jamais  à  les  humi- 
lier. De  là  ces  larmes  amères  qu'il  répandait 
dans  le  secret  ;  ces  tristes  accents  qu'il  fai- 
sait entendre  à  son  Dieu,  ces  paroles  toutes 
de  feu  qu'il  lui  adressait  dans  ses  prières 
pour  la  paix  de  l'Eglise  et  le  retour  de  ses 
enfants  égarés. 

Il  ne  faut,  comme  vous  voyez,  Messieurs, 
que  se  rappeler  les  désordres  du  xvie  siècle, 
pour  être  persuadé  que  les  motifs  les  plus 
saints  et  les  plus  pressants  excitèrent  le  zèle 
de  Gaétan.  J'ai  ajouté  que  les  succès  les  plus 
glorieux  en  ont  été  la  récompense  ;  c'est  le 
sujet  de  la  seconde  partie  de  son  éloge. 

SECONDE    PARTIE. 

Le  zèle  que  Dieu  inspire  est  admirable, 
Messieurs,  il  suffit  pour  former  les  plus 
grands  projets  et  les  exécuter.  Rien  ne  lui  ré- 
siste, la  prudence  humaine  et  la  politique  du 
siècle ,  le  torrent  du  vice  et  l'audace  de  l'hé- 
résie, les  efforts  d'un  monde  d'iniquité  et 
d'erreur,  tout  cède  au  zèle  apostolique. 

La  Providence,  qui  veille  sur  l'Eglise,  qui 
veut  lui  rendre  sa  première  beauté,  allume 
ce  feu  divin  dans  le  cœur  de  Gaétan  ;  la  face 
du  christianisme  se  renouvelle. 

Les  apôtres  se  multiplient,  le  vice  est  atta- 
qué efforcé  de  se  cacher;  l'hérésie  avec  tous 
ses  artifices  est  dévoilée  et  confondue  ;  la 
piété  renaît,  la  beauté  du  sanctuaire  sort 
brillante  des  nuages  et  de  l'obscurcissement  ; 
une  émulation  de  vertu,  de  pénitence  éclate 
dans  toutes  les  villes  qu'il  a  évangéiisées, 
elle  passe  des  pères  aux  enfants;  ils  érigent 
des  trophées  à  leur  apôtre:  succès  rapides, 
succès  éclatants,  succès  durables.  Que  Dieu 
est  admirable  dans  ses  saints!  Qu'ils  sont 
grands,  forts,  puissants,  quand  c'est  lui  qui 
les  inspire,  qui  les  conduit,  qui  les  sou- 
tient ! 

Jamais,  Messieurs,  une  congrégation  d© 
prêtres  pieux  et  zélés  ne  fut  plus  nécessaire 
q.ue  dans  le  seizième  siècle;  il  fallait  faire 
renaître  la  piété  et  détruire  l'erreur;  Gaétan  le 
comprit,  il  en  traça  le  plan. 

Malgré  tous  les  obstacles,  Fœuvre'deDieu 
s'avance,  les  Clercs  réguliers  paraissent,  et 
avec  eux  toutes  les  vertus  du  sacerdoce  ,  et 
tout  le  zèle  des  hommes  apostoliques.  Reli- 
gieux et  apôtres,  la  sainteté  leur  fraye  la 
route  des  cœurs,  leur  zèle  en  triomphe,  la 
retraite  les  sanctifie ,  leurs  travaux  sancti- 
fient les  peuples. 

L'histoire  fidèle  nous  assure  que  des  pro- 
diges éclatants  annoncèrent  ce  corps  de  saints 
ministres,  que  Dieu  suscite  à  son  Eglise,  et 
qui  devait  être  si  redoutable  au  relâchement 
des  mœurs  et  aux  projets  des  hérétiques  : 
des  croix  lumineuses  tombées  du  Ciel ,  tra- 
cent le  signe  du  salut  sur  leurs  futures  con- 
quêtes; et,  excepté  l'hérésie,  toute  l'Italie 
applaudit  au  nouvel  institut.  Vous  dirai-je 
que  cette  congrégation,  fit  trembler  Luther 
dès  son  berceau,  et  qu'il  fut  comme  le  pro- 
phète de  la  honte  qu'elle  devait  répandre  sur 


237  ORATEURS  SACRES.  BALLET 

ése  apostolat  ?  La  pureté  de  sa  foi  , 


288 


son  saer 

l'ardeur  de  son  zèle,  l'innocence  de  ses 
mœurs  la  lui  montrent,  comme  un  cani|) 
brillant  et  terrible  aux  ennemis  de  la  reli- 
gion. 

Celui  qui  ne  craint  point  les  foudres  du 
Vatican,  redoute  les  succès  des  nouveaux 
ouvriers  évangéliques  :  il  méprise  la  bulle 
qui  le  condamne,  il  est  effrayé  au  seul  nom 
des  adversaires  qui  doivent  l'attaquer. 

C'est  Luther  lui-même,  Messieurs,  qui  a 
fait  cet  aveu  :  on  nous  prépare,  dit-il,  à 
Rome  une  guerre  cruelle:  le  plan  d'une  nou- 
velle congrégation  de  Clers  réguliers  est  tra- 
cé, présenté  au  souverain  pontife,  et  ap- 
prouvé. 

Quelle  gloire,  Messieurs,  pour  ce  nou- 
vel institut,  d'être  annoncé  par  des  mira- 
cles, désiré  par  les  fidèles  échappés  à  la  cor- 
ruption, approuvé  par  l'Eglise,  protégé  par 
les  souverains,  et  redouté  des  hérétiques. 

Je  ne  prétends  pas,  en  vous  donnant  une 
faible  idée  de  la  gloire  qui  accompagnent 
l'institut  de  Gaétan  dès  sa  naissance ,  qui  an- 
nonce son  importante  destinée ,  et  qui  le 
fait  briller  aussitôt  qu'il  paraît,  faire  naître 
dans  vos  esprits  des  idées  injurieuses  aux 
justes  que  Dieu  s'était  réservés  dans  le  sanc- 
tuaire et  dans  Je  monde  :  à  Dieu  ne  plaise, 
que  j'exagère  des  maux  qui  n'étaient  que 
trop  grands  1 

Les  premiers  pasteurs  avaient  déjà  pensé 
à  la  réformation  des  mœurs  :  il  y  avait  en- 
core dans  l'Eglise  des  ministres" fidèles.  La 
France,  qui  avait  été  menacée  d'un  schisme 
toujours  redoutable ,  ne  coulait  des  jours 
paisibles  à  l'ombre  des  trônes  de  Constantin 
et  de  Pierre ,  que  par  les  sages  négociations 
des  Pères  du  concile  de  Latran ,  ils  avaient 
réunis  habilement  les  deux  glaives;  et  les 
différends  entre  Jules  il  et  Louis  XII  furent 
appaisés. 

Adrien  VI  et  Clément  VII  avaient  formé 
des  projets  de  réformation  :  mais  le  premier 
ne  vécut  pas  assez  pour  les  exécuter;  le  se- 
cond, toujours  timide  et  irrésolu  en  différa 
trop  longtemps  l'exécution.  La  congrégation 
de  l'Amour- Divin  à  Rome  était  une  arche 
précieuse,  où  de  chastes  colombes  s'étaient 
envolées,  pour  y  gémir  sur  les  désordres  de 
leur  siècle.  La  piété  y  régnait  :  mais  rien  n'y 
fixait  les  sujets;  ce  n'était  qu'une  faible 
ébauche  de  la  congrégation  des  Clercs  régu- 
liers. 

Tel  était,  Messieurs,  l'état  de  l'Eglise, 
lorsque  Gaétan  traça  le  plan  de  son  institut: 
on  formait  des  projets,  mais  ils  n'étaient  pas 
exécutés  :  il  y  avait  encore  du  zèle,  mais  il 
se  contentait  de  gémir;  de  la  piété,  mais  elle 
était  cachée,  elle  no  pensait  qu'à  se  se  garan- 
te de  la  contagion  du  mauvais  exemple. 

C'est  à  la  congrégation  des  Clercs  réguliers, 
qu'il  était  réservé  de  dissipertous  les  nuages 
('ni  obscurcissaient  la  beauté  de  l'Eglise  :  ses 
rapides  succès  nous  annoncent  l'œuvre  de 
Dieu. 

Ici,  Messieurs,  vous  serez  sans  doute 
étonnés  ;  pour  moi ,  il  me  semble  raconter 
les  rapides   succès  des  apôtres,  dès   qu'ils 


paraissent  et  qu'ils  prêchent  :  un  institut,  qui 
retrace  leur  travaux,  leur  pauvreté,  leurs 
souffrances  ,  est  goûté,  applaudi ,  je  vois  les 
plus  grands  hommes  l'embrasser,  les  souve- 
rains le  protéger,  les  villes  les  plus  florissan- 
tes lui  procurer  des  hospices. 

Cette  gloire,  qui  orne  le  berceau  de  l'insti- 
tut ;  ces  rapides  succès  qui  le  distinguent  de 
tous  les  projets  et  de  toutes  les  entreprises 
des  politiques,  consolent 'le  saint  instituteur: 
il  est  suscité  pour  la  gloire  de  l'Eglise  :  il 
voit  s'accomplir  la  prophétie  qui  annonçait 
les  grands  hommes  qui  devaient  embrasser 
sa  doctrine ,  et  se  soumettre  à  ses  lois. 

Oui ,  Gaétan  1  Le  plan  de  votre  congréga- 
tion ne  sera  pas  plutôt  tracé,  que  vous  verrez 
les  plus  grands  hommes  de  l'Eglise,  et  de 
l'État,  s'unir  a  vous  :  Tiri  sublimes  transibunt 
ad  te.  (  Isa. ,  XLV.)  Les  Boniface,  les  Paul  , 
les  Carratfa,  les  Bernardin  Scolte  :  ces  hom- 
mes si  distingués  par  la  grandeur  de  la  nais- 
sance, l'éminence  de  la  sainteté  ,  la  supério- 
rité des  talents,  l'importance  des  emploi?  , 
l'éclat  des  dignités,  viendront  se  soumettre 
aux  saints  règlements  de  votre  institut,  et 
être  les  coopérateurs  de  votre  zèle:  Yiri  su- 
blimes transibunt  ad  te. 

Ils  quitteront  les  cours  les  plus  brillantes, 
renoncerontaux  dignités  les  plus  éclatantes, 
descendront  même  du  trône  épiscopal,  pour 
se  consacrer  avec  vous  aux  travaux  péni- 
bles de  l'apostolat  :  Yiri  sublimes  transibunt 
ad  te. 

Les  grands  de  Rome,  de  Venise,  de  Na- 
ples  ,  vous  désireront,  vous  écriront,  vous 
solliciteront  d'aller  les  évangéliser,  les  édi- 
fier; vous  serez  obligé  de  refuser  et  jamais 
de  demander  :  on  viendra  vous  chercher 
pour  vous  introduire  dans  les  asiles  et  les 
Eglises  que  leur  zèle  vous  a  préparés  '.Tiri  su- 
blimes transibunt  ad  te. 

Par  tout  où  on  aimera  l'Eglise,  on  adoptera 
et  on  respectera  votre  institut  :et  les  hom- 
mes de  naissance,  de  talents  ,  de  sainteté  s'y 
perpétueront  dans  tous  les  âges  :  Yiri  subli- 
mes transibunt  ad  te. 

N'eut-il  pas  aussi,  Messieurs,  des  charmes 
pour  saint  Ignace,  et  les  liens  de  l'amitié 
qui  l'attachaient  à  Gaétan?  A  Venise,  ne  lui 
avaient-ils  pas  fait  naître  le  désir  de  l'embras- 
ser? 11  ignorait  alors  les  desseins  de  Dieu: 
celui  qui  voulait  être  le  disciple  de  Gaétan  , 
devait  être  le  chef  d'une  société  toujours 
précieuse  à  l'Eglise  parle  zèle  apostolique 
qui  s'y  perpétue,  la  pureté  de  la  foi,  l'inno- 
cence dès  mœurs ,  l'éclat  des  talents  ,  et  le 
caractère  môme  de  ses  ennemis.  Gaétan,  et 
Ignace,  sont  comme  deux  astres  éclatants  que 
Dieu  fait  briller  dans  son  Eglise:  ces  deux 
instituteurs  lui  sont  également  utiles  pour 
corriger  les  mœurs,  et  détruire  l'erreur: 
Dieu  qui  avait  inspiré  le  zèle  qui  les  ani- 
mait ,  le  récompense  par  des  succès  rapides 
et  éclatants. 

'  Qu'ils  sont  admirables,  qu'ils  sont  conso- 
lants ,  qu'ils  sont  glorieux  ces  changements 
que  lo  zèle  apostolique  opère  1  Ce  feu  divin 
s'allume,  il  éclate,  les  moindres  étincelles 
échauffent  les  cœurs.  Gaétan  et  les  coopéra- 


2£9 


PANEGYRIQUES.  —  PANEG.  XIV,  SAINT  GAETAN. 


200 


teurs  de  son  zèle  sont  envovés ,  ils  entrent 
dans  la  pénible  carrière  de  l'apostolat  :  ces 
lumières  brillent  à  Rome ,  à  Venise,  à  Na- 
ples  ;  ces  trompettes  évangéliques  se  font 
entendre  ;  ces  hommes  de  pénitence,  de  pau- 
vreté, de  foi,  de  charité,  de  miracles  se  mon- 
tient;  le  vice  se  cache,  l'hérésie  frémit,  la 
piété  renaît,  la  foi  se  réveille,  les  ténèbres 
se  dissipent;  un  nouvel  éclat  brille  dans  l'E- 
glise, toute  la  face  du  christianisme  se  re- 
nouvelle ;  tous  les  pas  de  ces  hommes  zélés 
sont  marqués  par  de  nouvelles  conquêtes  ; 
ils  attachent  au  char  de  Jésus-Christ  ceux 
que  la  licence  des  mœurs  et  le  goût  d?.  la 
nouveauté  avaient  attachés  au  char  du  dé- 
mon. 

Je  n'exagère  pas,  Messieurs,  les  succès  de 
l'apostolat  de  Gaétan,  je  vous  les  rappelle 
moins  en  orateur  qu'en  historien  ;  si  les  faits 
manquaient,  l'imagination  pourrait  briller 
dans  des  portraits  étrangers  ;  l'éloquence  sait 
embellir  les  sujets  les  plus  simples  et  les 
moins  intéressants';  mais  ici  l'abondance 
seule  de  la  matière  rend  le  choix  difficile. 

Succès  éclatants  t  lorsqu'ils  paraissent  dans 
les  chaires,  Dieu  donne  à  leurs  discours  une 
onction  toute  céleste,  qui  remue,  touche, 
entraîne  tous  les  cœurs  :  ils  annoncent  les 
vérités  terribles  comme  les  vérités  conso- 
lantes ;  le  juste,  le  pénitent  est  animé,  con- 
solé, parce  qu'ils  lui  ouvrent  les  portes  du 
ciel;  le  pécheur,  l'impénitent,  est  saisi,  ef- 
frayé, parce  qu'ils  lui  montrent  les  abîmes 
de  l'enfer;  leurs  auditeurs  touchés,  persua- 
dés, répandent  des  pleurs;  bientôt  ils  ne 
sont  plus  les  mêmes  :  ce  sont  des  pénitents, 
des  hommes  nouveaux.  On  pourrait,  Mes- 
sieurs, compter  des  milliers  de  conversions 
éclatantes  après  leurs  prédications,  comme 
après  celles  de  saint  Pierre;  le  même  esprit 
les  anime,  la  même  puissance  les  accom- 
pagne. 

Succès  éclatants  de  leur  charité  :  elle  re- 
trace celle  du  Sauveur,  elle  sauve  les  âmes, 
elle  conserve  les  corps.  Les  ombres  de  la 
mort  étaient  répandues  sur  Venise ,  cette 
ville  superbe  et  florissante  ;  la  peste  et  la 
famine,  ces  fléaux  redoutables  qui  succédè- 
rent à  celui  de  la  guerre,  désolaient  cette 
ancienne  république:  sa  grandeur  était  plus 
propre  à  hâter  sa  ruine  qu'à  l'en  délivrer; 
elle  devenait  une  affreuse  solilude  par  la 
suite  de  ses  habitants  effrayés,  et  les  tristes 
victimes  de  la  maladie  et  de  la  disette  n'au- 
raient pas  été  consolées  et  secourues  sans  la 
charité  des  cleies  réguliers.  Les  mourants 
leur  étaient  redevables-de  leurs  saintes  dis- 
positions: ceux  qui  survivaient  aux  malheurs 
publics  leur  étaient  redevables  de  la  conser- 
vation de  leurs  jours. 

V enise,  Messieurs,  fut  plus  d'une  fois  re- 
devable à  la  charité  et  aux  prières  de  Gaétan. 

Que  n'avait-elle  pas  à  craindre  des  con- 
quêtes de  Soliman  II  et  des  vastes  projets 
des  Allemands  et  des  Français  ligués  ensem- 
ble? Toute  l'Italie  était  ïe  théâtre  d'une 
guerre  sanglante  :  cependant  elle  fut  paisi- 
ble; les  armées  victorieuses  semblaient  res- 
pecter ses  remparts.  Si  la  politique  attribue 


la  tranquillité  qu'elle  goûta  a. ors  à  la  sagesse 
seule  de  ses  magistrats,  Venise  elle-même 
la  dément  ;  elle  avoue  qu'elle  en  est  rede- 
vable à  la  pénitence ,  et  aux  prières  de 
Gaétan. 

Succès  éclatants  dans  le  rétablissement  de 
la  discipline  ecclésiastique.  Les  prêtres  em- 
brassent une  réforme  exacte  et  sévère  :  bien- 
tôt ils  forment  un  corps  respectable  de  saints 
ministres  qui  font  honorer  le  sacerdoce;  les 
fidèles  trouvent  des  apôtres  dans  les  ecclé- 
siastiques, parce  que  les  ecclésiastiques  sont 
devenus  les  fi  ;èles  disciples  des  arôtres  do 
Venise  et  de  Naples. 

Succès  éclatants  dans  la  conduite  des  âmes- 
ils  les  conduisent  à  la  plus  haute  perfection  : 
Laurence,  la  duchesse  de  Termoli,  marchent 
sur  les  pas  des  Paule ,  des  Mélanie,  des 
Claire;  elles  ne  leur  sont  pas  inférieures  en 
zèle,  en  piété;  Jes  monastères  qu'elles  fon- 
dent, les  vierges  qui  se  rangent  sous  leur 
conduite,  les  mettent  à  côté  des  saintes  insti- 
tutrices. Ne  soyons  pas  étonnés,  Messieurs, 
de  ces  progrès;  Paule  et  Mélanie  avaient 
pour  guide  saint  Jérôme;  sainte , Claire. ,  le 
grand  François  d'Assise;  Laurence  et  la  du- 
chesse de  Termoli,  Gaétan.  On  arrive  bientôt 
à  la  perfection  sous  la  conduite  des  saints  du 
premier  ordre. 

Succès  éclatants  sur  l'hérésie  :  c'est  le  zèle 
prudent,  éclairé  de  Gaétan  et  de  Marinon  qui 
découvrit  à  Naples  la  nouvelle  doctrine  des 
trois  hérétiques  qui  s'y  étaient  introduits  ; 
leurs  détours  et  leurs  artifices  furent  un  fai- 
ble rempart  contre  les  lumières  et  5a  vigi- 
lance de  nos  apôtres;  ils  furent  dévoilés, 
leurs  pernicieuses  erreurs  proscrites  ,  les 
écrits  qu'ils  avaient  répandus  condamnés 
aux  flammes  :  une  fuite  honteuse  fut  leur 
ressource;  Naples  conserva  la  foi  de  ses  pè- 
res, et  plus  les  Napolitains  pensent  aux  dan- 
gers où  elle  était,  p  lus  ils  sentent  ce  qu'ils 
doivent  aux  saints  apôtres  qui  l'ont  con- 
servée. 

Toute  l'Italie  a  donc  été,  Messieurs ,  le 
témoin  des  succès  de  Gaétan;  ils  sont  écla- 
tants, ils  sont  durables.  La  postérité  du  juste 
retrace  ses  vertus  et  son  zèle,  la  reconnais- 
sance des  peuples  lui  érige  des  trophées  qui 
en  perpétueront  le  souvenir  dans  tous  les 
âges. 

Le  juste,  selon  l'oracle  du  Sage,  qui 
suit  le  Seigneur  et  s'abandonne  à  sa  Provi- 
dence, arrive  à  une  gloire  solide  et  durable. 

Les  succès  des  pécheurs,  des  hérétiques, 
des  ambitieux,  laissent  des  traces  qui  ne 
perpétuent  que  trop  longtemps  leurs  coupa- 
bles exemples;  mais  quelle  différence,  Mes- 
sieurs, entre  les  traces  durables  que  laissent 
le  zèle  apostolique,  la  vertu,  la  sainteté? 

Ici  on  voit  des  imitateurs  constants  des 
vires  des  pécheurs,  de  la  licence  des  grands, 
de  la  résistance  des  hérétiques  :  là,  on  voit 
des  fidèles  disciples  du  zèle,  des  vertus,  de 
la  soumission  d'un  apôtre  zélé,  d'un  sa.nt 
instituteur:  les  ambitieux  font  passer  à  leurs 
enfants  des  honneurs,  des  titres,  des  biens, 
qui  sont  souvent  le  prix  de  la  bassesse,  do 
L'adulation,  de  l'injustice,  du  crime  •  hs 


B\ 


ORATEURS  SACRES.  DALLET. 


292 


conquérants  font  déplorer  souvent  leurs  suc- 
cès, leurs  victoires,  parce  qu'ils  n'offrent  que 
des  triomphes  ensanglantés,  des  villes  dé- 
truites, des  campagnes  ravagées,  et  partout 
les  tristes  images  de  la  mort ,  de  la  désola- 
tion :  les  hérétiques  ne  s'étendent  que  par 
le  mensonge,  les  artifices  ;  leurs  disciples  ne 
leur  sont  pas  plus  soumis  qu'à  l'Eglise,  ils 
s'en  séparent  pour  avoir  la  gloire  de  devenir 
chefs  de  parti ,  Terreur  fait  de  grands  pro- 
grès, l'hérétique  est  toujours  dans  la  honte 
et  l'ignominie  ;  plus  sa  doctrine  est  connue, 
plus  il  est  obligé  de  se  cacher;  les  succès 
des  pécheurs  et  des  hérétiques  font  leur 
honte  sur  la  terre  et  leur  supplice  dans  l'en- 
fer ;  pendant  que  leurs  disciples,  leurs  imi- 
tateurs les  louent  où  ils  ne  sont  plus,  ils 
s'avouent  coupables,  et  sont  tourmentés  où 
ils  sont. 

Je  loue  aujourd'hui,  Messieurs,  les  succès 
durables  de  saint  Gaétan,  parce  qu'ils  sont 
précieux,  consolants,  ils  font  la  gloire  de 
l'Eglise,  l'honneur  de  la  religion,  l'édifica- 
tion des  fidèles;  c'est  Dieu  qui  soutient  son 
ouvrage,  qui  couronne  sou  zèle,  et  qui  en 
perpétue  les  succès. 

Les  troubles  de  Naples  affligent  l'âme  de 
Gaétan,  épuisent  ses  forces,  il  quitte  la  terre 
pour  s'envoler  dans  le  ciel  :  cette  victimo 
du  zèle  apostolique  est  consumée. 

Augustin,  Messieurs,  écrivait  encore  pour 
la  grâce,  lorsque  les  Vandales  assiégèrent 
Hippone  :  Gaétan  exerçait  encore  les  péni- 
bles fonctions  de  l'apostolat,  lorsqu'une 
guerre  civile  menaçait  Naples  d'une  ruine 
totale,  et  l'on  dirait  qu'il  n'a  cessé  d'être  son 
apôtre  sur  la  terre  durant  ces  troubles,  que 
pour  aller  être  son  protecteur  dans  le  ciel. 

Mais,  avant  que  de  vous  dépeindre,  Mes- 
sieurs, les  succès  durables  de  la  gloire  de 
Gaétan,  il  faut  vous  parler  des  succès  dura- 
bles de  son  zèle. 

Que  de   monuments  précieux  m'offre  ici 


toute   l'Italie!    La 


régularité 


du  clergé,   la 


charité  qui  s'exerce  dans  les  hôpitaux,  les 
secours  prompts  et  suffisants  que  trouvent 
les  malaisés  et  les.  pauvres  dans  cet  établis- 
sement approuvé  par  les  conciles  et  les  sou- 
verains pontifes,  la  piété  qui  règne  dans  les 
familles,  la  fréquentation  des  sacrements, 
l'attachement  à  la  saine  doctrine  :  voilà,  Mes- 
sieurs', les  succès  durables  du  zèle  de 
Gaétan,  les  fruits  précieux  de  son  apostolat. 

Il  est  vrai  qu'ils  sont  entretenus  par  le 
zèle  de  ses  enfants  :  son  institut  répandu 
dans  toutes  les  plus  grandes  villes  fournit 
des  apôtres  animés  de  son  esprit,  et  qui  le 
retracent 

La  France,  comme  vous  voyez,  en  possède 
une  précieuse  portion;  la  même  autorité  gou- 
verne ces  saints  prêtres,  les  mêmes  liens  les 
unissent,  le  môme  zèle  les  anime;  c'est  à  la 
piété  de  Louis  le  Grand  que  nous  sommes 
redevables  de  cette  portion  de  l'institut  de 
Gaétan,  c'est  lui  qui  nous  a  procuré  ces 
grands  modèles  de  la  régularité  ecclésiasti- 
que :  il  consacrait,  comme  vous  savez,  les 
triomphes  de  la  guerre  à   la  gloire  des  au- 


tels :  on  voit  briller  ici  la  sainteté  et  la  science, 
les  vertus,  et  les  talents. 

Dans  quel  temps  avez-vous  vu,  Messieurs, 
ce  saint  asile  dépourvu  de  profonds  théolo- 
giens, de  directeurs  éclairés,  de  célèbres 
orateurs,  de  ces  hommes  vertueux  prudents, 
habiles,  et  capables  d'honorer  les  plus  gran- 
des places?  La  postérité  du  juste  fera  tou- 
jours la  gloire  de  l'Eglise  et  la  consolation 
des  fidèles. 

Pour  vous  prouver  que  sa  mémoire  est 
aussi  en  bénédiction,  il  me  suffit  de  vous  rap- 
peler le  zèle  des  Vénitiens,  et  des  Napoli- 
tains pour  perpétuer  sa  gloire;  ange  tuté- 
laire,  patron  de  ces  florissants  Etats,  je  vois 
partout  de  glorieux  trophées  érigés  à  ce  hé- 
ros de  la  religion. 

Je  le  vois  représenté  à  Venise  avec  tous 
les  attributs  de  la  sainteté,  comme  les  héros 
de  la  guerre  avec  tous  les  attributs  de  la  vic- 
toire :  ses  vertus  et  ses  succès  sont  gravés 
sur  le  marbre  comme  dans  les  cœurs,  la 
reconnaissance  des  Vénitiens  a  ajouté  au 
culte  que  l'Eglise  lui  a  décerné,  les  hon- 
neurs décernés  aux  souverains  et  aux  con- 
quérants. 

t.  Le  libérateur  de  Naples  est  toujours  aussi, 
Messieurs,  l'objet  des  vœux  des  Napolitains; 
les  grands  et  les  petits  volent  avec  confiance 
sous  ses  étendards;  ils  renouvellent  chaque 
année  leurs  engagements,  ils  ne  les  oublient 
jamais,  et,  si  l'apôtre  a  disparu  à  leurs  yeux 
pour  aller  goûter  les  douceurs  d'un  repos 
éternel,  la  gloire  de  son  apostolat  brille 
encore,  la  piété  et  la  reconnaissance  la  per- 
pétuent. 

Heureux,  Messieurs,  si  je  vous  ai  donné 
une  yasle  idée  d'un  saint  qui  fut  la  ressource, 
la  consolation  et  la  gloire  de  l'Eglise,  mars 
plus  heureux  encore,  si  l'éloge  d'une  vie  si 
édifiante  vous  a  touchés,  et  si  dans  un  siècle 
cù  il  y  a  presque  les  mêmes  désordres  à  évi- 
ter et  à  combattre  que  dans  celui  de  notre 
saint  apôtre,  vous  vous  conservez  purs  dans 
la  foi,  et  dans  les  mœurs,  afin  de  participer 
un  jour  à  la  gloire  dont  il  jouit  dans  le  ciel. 
Je  vous  la  souhaite. 


PANÉGYRIQUE    XV. 


APÔTRE 


SAINT    REMI,    ARCHEVEQUE    DE    REIMS, 
DE   LA    FRANCE. 

Quis  potest  similiter  sic  gloriari  tibi?  Qui  sustulisli 
mortuum  ab  inferis  :  qui  ungis  reges  ad  pœnitentiam,  et 
prophetas  lacis  sticcessorcs  posl  te.    (Eccli.,  XLVilI) 

Qui  petit  se  glorifier  comme  vous?  Vous  avez  ressuscité 
des  morts  : ...  vous  avez  sacré  les  rois  que  Dieu  suscitait 
pour  punir  les  primes  idolâtres  :  vous  avez  (orme  des  pro- 
phètes animés  comme  vous  de  l'esprit  de  Dieu 

C'est  l'Esprit- Saint,  Messieurs,  qui  em- 
ploie ces  traits  brillants  et  sublimes,  pour 
caractériser  la  sainteté  extraordinaire  d'un 
des  plus  grands  serviteurs  de  Dieu  :  l'éloge 
qu'il  consacre  à  sa  mémoire,  est  grand,  ma- 
gnifique et  pompeux.  En  trois  mots,  il  dé- 
peint l'homme  de  miracles,  l'apôtre  des  rois, 
le  maître  et  le  modèle  des  prophètes. 

Il  y  a  une  majestueuse  simplicité,  et  un 
sublime  ravissant  dans  l'Ecriture,  que  les 
plus  grands  orateurs  ne  sauraient  trop  ad- 


293 


PANEGYRIQUES.  —  PANEG.  XV,  SAINT  REMI. 


ÏU 


(5)  Saint  Rémi  étendait  le  culte  de  la  sainte  Vier- 
ge avec  un  zèle  incroyable.  En  érigeant  Févêchéde 
Laon,  il  voulut  que  la  ealhédrale  fût  sous  la  protec- 
tion de  Marie,  comme  sa  métropole.  Ces  douze  ca- 
thédrales qui,  pendant  plus  de  douze  cents  ans  com- 


mirer;les  grâces  ae  l'éloquence  humaine  que 
nous  y  ajoutons,  sont  comme  un  voile  qui 
dérobe  ces  divines  beautés. 

En  effet,  Messieurs,  tout  ce  qu'il  y  a  de 
grand,  d'important,  d'admirable,  de" divin, 
n'est-il  pas  renfermé  sous  ces  trois  traits  que 
le  Saint-Esprit  emploie  pour  louer  l'incom- 
parable Elie  ? 

Non  seulement  il  fut  prophète,  'mais  le 
père  d'une  multitude  de  prophètes  qui  habi- 
taient les  monts  solitaires  du  Carmel;  plu- 
sieurs retracèrent  son  zèle;  Elisée  fut  rem- 
pli de  son  esprit,  et  parut  avec  éclat  dans  la 
Judée  :  Prophetas  facis  successores  post  te. 

ïl  répandit  l'huile  sainte  sur  la  tête  des 
rois  d'Israël,  Azaël  et  Jéhu,  ces  hommes 
choisis  de  Dieu  pour  poursuivre  les  princes 
idolâtres,  les  défaire,  et  venger  le  culte  du 
vrai  Dieu  qu'ils  avaientvoulu  abolir  :  Ungis 
reges  ad  pœnitentiam 

Il  parut  dans  l'éclat  des  prodiges,  la  puis- 
sance divine  qui  agissait  en  lui,  le  montrait 
aux  monarques  comme  l'arbitre  de  la  nature; 
sa  voix,  qui  était  alors  celle  de  Dieu  même, 
était  entendue  dans  le  creux  des  tombeaux; 
elle  en  appelait  les  morts,  et  ils  sortaient 
pleins  de  vie  :  Sustulistî  mortuum  ab  inferis. 

Voilà,  Messieurs,  l'idée  précise  et  magni- 
fique que  le  Saint-Esprit  nous  donne  de  la 
vie  d'Elie  dans  le  pompeux  éloge  qu'il  con- 
sacre à  sa  mémoire. 

Vous  me  prévenez  sans  doute,  Messieurs; 
ces  traits  sublimes  caractérisent  si  parfaite- 
ment le  grand  saint  Rémi ,  l'apôtre  de  la 
France,  que  vous  avez  déjà  conçu  le  plan 
de  l'éloge  que  j'ai  l'honneur  de  consacrer 
aujourd'hui  à  sa  mémoire. 

En  effet,  Messieurs,  sans  vouloir  obscurcir 
ici  la  gloire  de  tous  les  grands  évêques  de 
l'Eglise  gallicane,  ne  puis-je  pas  dire  :  Qui 
peut  se  glorifier  d'avoir  retracé  depuis  lui 
les  merveilles  de  son  apostolat?  Quis  potest 
similiter  sic  gloriari? 

Non-seulement  il  fut  un  grand  évoque, 
mais  il  a  formé  de  grands  évêques,  fondé  des 
églises,  établi  des  sièges  dans  tout  l'empire 
des  Français;  il  a  eu  des  disciples  qui  ont 
retracé  ses  vertus,  son  zèle,  perpétué  ses 
travaux  :  Prophetas  facis  successores  post  te. 

Quelle  gloire  ne  s'est-iï  pas  acquise  dans 
la  conversion  du  grand  Clovis,  ce  prince 
belliqueux,  ce  premier  de  nos  rois  chrétiens? 
En  répandant  l'huile  céleste  sur  sa  tête,  en 
lui  faisant  briser  ses  vaines  idoles,  et  le  sou- 
mettant aux  abaissements  de  l'Evangile,  n'a- 
t-il  pas  fait  monter  pour  toujours  la  doctrine 
de  Jésus-Christ  sur  le  trône  des  Français? 
Ungis  reges  ad  pœnitentiam. 

Reims  n'a-t-il  pas  été  le  théâtre  de  ses  la  pi 
miracles?  N'a-t-il  pas  été  appelé  le  thauma- 
turge de  son  siècle  par  les  rois  chrétiens,  et 
les  princes  ariens  même,  dans  les  assemblées 
du  clergé  de  France,  dans  les  conciles  des 
Gaules  et  par  les  souverains  pontifes  ?  La 


résurrection  d'un  mort  n'a-t-elle  pas  attesté 
que  la  puissance  divine  agissait  en  lui  ?  5ms- 
tulisti  mortuum  ab  inferis. 

Aussi,  Messieurs,  j'ose  me  flatter  cjue  je 
vous  donne  une  juste  idée  du  saint  pontife 
dont  nous  célébrons  aujourd'hui  la  mémoire, 
en  vous  le  représentant  sous  les  traits  que 
je  viens  de  vous  développer.  Vous  verrez,  en 
suivant  l'histoire  fidèle  :  Le  modèle  des  évo- 
ques, l'apôtre  des  rois,  le  thaumaturge  des 
Gaules.  Voilà  le  plan  d'un  éloge  que  la  ten- 
dresse pastorale  m'a  fait  entreprendre,  et 
dont  je  sens  tout  le  poids.  Vierge  sainte, 
mère  de  Dieu,  que  ce  grand  pontife  honora 
toute  sa  vie  d'un  culte  pieux  et  magnifi- 
que (5),  obtenez-moi  par  votre  puissante 
intercession  les  lumières  du  Saint-Esprit  ; 
écoutez  favorablement  la  prière  que  nous 
vous  adressons.  Ave,  Maria. 

PREMIÈRE     PARTIE. 

C'est  beaucoup,  Messieurs,  de  répondre  à 
la  sainteté  du  sanctuaire,  d'en  soutenir  avec 
dignité  les  premières  places  ;  tel  est  le  mérite 
des  grands  et  des  saints  évêques.  Mais  êtro 
saint  et  former  des  saints,  être  un  grand  pon- 
tife et  former  de  grands  prélats,  gouverner 
son  Eglise  et  en  fonder  de  nouvelles,  devenir 
le  père,  le  maître,  le  modèle  des  sentinelles 
d'Israël  ;  l'astre  qui  éclaire  les  lumières 
mêmes  posées  sur  le  chandelier  de  l'Eglise» 
cette  gloire  est  particulière  au  saint  que  je 
loue.  Je  me  représente  un  Paul  qui  a  des 
disciples,  qui  fonde  des  églises  et  leur  donne 
des  pasteurs.  L'éclat  de  sa  sainteté,  la  pureté 
de  sa  doctrine,  l'ardeur  de  son  zèle,  le  firent 
regarder  comme  le  prodige  de  son  siècle; 
sous  sa  conduite  se  formèrent  les  plus  grands 
hommes,  des  saints,  des  défenseurs  de  la  foi 
des  apôtres  :  Facis  prophetas  successores 
post  te. 

Quelle  sainteté,  Messieurs,  que  celle  de 
Remiî  qu'elle  est  admirable  1  Dieu  l'annonce, 
la  promet;  il  montre  par  avance  son  éclat, 
son  empire,  ses  conquêtes;  elle  doit  sancti- 
fier une  nation  barbare  et  féroce,  détruire 
l'idolâtrie,  confondre  l'arianisme,  s'attirer  le 
respect  des  princes  païens  et  attacher  au  char 
de  l'Evangile  les  peuples  attachés  au  char  du 
démon. 

Il  n'est  pas  nécessaire,  Messieurs,  de  vous 
rappeler  l'état  déplorable  où  étaient  les  Gaules 
dans  le  vie  siècle  ;  il  me  suffit  de  vous  dire 
que,  dans  ces  jours  malheureux,  Dieu  se 
servit  des  Français  belliqueux  pour  jeter  les 
fondements  de  la  monarchie  française;  cette 
monarchie  dont  les  accroissements  ont  été  si 
immenses,  si  brillants,  et  qui  est  aujourd'hui 
"a  plus  opulente,  la  plus  puissante,  la  plus 
policée  et  la  plus  magnifique  de  l'Europe, 

Reims,  cette  ville,  distinguée  que  saiit 
Jérôme  met  au  rang  des  plus  fortes  et  des 
plus  célèbres  villes  des  Gaules  (6),  scia  le 
grand  théâtre  des  miséricordes  du  Seigneur  ; 


posaient  la  province  de  Reims,  six  portaient  lenrni 
de  la  sainte  Vierge.  (Du  Sausset,  Glor.  sancti  liemi- 
gii,  lil).  in.) 

(G)  Rèmorum  nrbs  preepotens.  (S.  IIiercn.,  Ep.  ,rf 
Age  rue  h.) 


235  ORATEURS  bACRES.  BALLET 

elle  sera  le  berceau  de  la  monarchie  fran 


ÎS5 


çaisc;  Rémi,  son  pontife,  sera  l'apôtre  du 
premier  roi  chrétien. 

Dieu  annonce  ces  merveilles  au  solitaire 
Montan,  dans  le  temps  même  que  les  bar- 
bares, répandus  dans  les  Gaules  belgiques, 
assiègent  et  prennent  Reims  (7). 

Déjà  le  deuil  est  universel,  on  massacre 
les  chrétiens,  le  sang  coule  de  toutes  parts, 
on  y  compte  presque  autant  de  martyrs  que 
d'habitants.  Nicaise  les  exhorte,  les  encou- 
rage par  ses  exemples  et  ses  prières;  le  ciel 
écoute  les  vœux  du  saint  évoque,  une  puis- 
sance divine  répand  la  terreur  dans  le  camp 
des  ennemis,  saisis,  épouvantés,  ils  pren- 
nent la  fuite, 

O  ville,  ô  province  chéries  du  ciel  !  Dieu 
vous  prépare  encore  de  nouvelles  grâces, 
de  nouveaux  prodiges  de  miséricorde;  vos 
larmes  seront  à  peine  essuyées;  Baruch1, 
successeur  de  Nicaise,  sera  eirore  occupé 
à  recueillir  avec  peine  les  débris  de  votre 
Eglise  désolée  que  Rémi  paraîtra;  Dieu  le 
suscite  pour  être  le  libérateur  de  son  peuple, 
l'apôtre  des  Français,  changer  une  nation 
féroce  et  idolâtre  en  une  nation  policée  et 
chrétienne,  etfaiie  régner  pour  toujours  la 
véritable  religion  sur  le  trône. 

Quel  homme,  quel  pontife  destine-t-il 
donc  au  siège  de  Reims,  puisqu'un  pro- 
phète annonce  sa  naissance,  son  apostolat, 
ses  succès  ?  Jugeons,  Messieurs,  de  l'éclat 
de  sa  sainteté  par  les  magnifiques  préparatifs 
qui  l'ont  annoncée. 

Sainteté  de  Reini  qui  a  brillé  en  lui  dès 
l'enfance.  Les  plus  éminentes  vertus  ont 
sanctifié  ses  plus  tendres  années;  il  mon- 
tra à  sa  nation  étonnée  l'innocence  et  la  péni- 
tence d'un  Jean-Baptiste. 

Ce  fut,  Messieurs,  vous  le  savez,  parce 
qu'il  égala  et  surpassa  môme  les  vieillards 
de  son  siècle  en  gravité,  en  prudence,  en 
lumières,  en  sagesse  ,  qu'on  le  força  à  vingt- 
deux  ans  de  remplir  la  chaire  pontificale  de 
Reims.  On  ne  viola  point  la  disposition  des 
saints  canons  ;  on  obéit  à  la  voix  du  ciel  qui 
le  demandait.  Sa  vocation  fut  divine,  des 
miracles  éclatants  garantirent  le  choix  de 
Dieu. 

Ce  fut  lui-même  qui  inspira  au  peuple  de 
Reims  la  violence  qu'il  fit  à  Rémi  pour  l'ar- 
racher à  sa  solitude  ;  c'est  par  son  ordre 
qu'on 'tira   cette   brillante   lumière    cachée 

(7)  Montan  était  un  saint,  qui  vivait  clans  une  soli- 
tude auprès  de  Laon  :  il  était  aveugle.  Ce  fut  à  lui 
que  Dieu  révéla  la  naissance  de  Réuni,  et  sa  liante 
destinée.  11  le  chargea  d'aller  trouver  Célinie,  pour 
l'assurer  que  quoiqu'elle  fût  dans  un  âge  avance, 
elle  était  destinée  pour  être  la  mère  de  L'apôtre  des 
Français.  Quand  Rémi  fut  né,  le  saint  solitaire 
recouvra  la  vue.  (Uincmar,  Vie  de  saint  liemi,  cap. 
n;  Flodoars.,  Hist.,  lit».  II,  cap.  11.)   . 

(8)  Célinie  mère  de  saint  Reini,  Principe  et  Loup, 
ses  frères,  tous  deux  évoques  de  Soissons,  sont  mis 
au  rang.dcs  saints  que  l'Eglise  honore  (l'un  culte 
public.  L'on  voit  encore  des  églises  qui  portent  leurs 
noms  dans  les  diocèses  de  Reims,  de  Laon,  et  de 
Soissons.  (Ou  Saussay,  Marlyrolog.  Gallic.)  —  Sa 
nourrice  sainte  Balsamie,  Celsin  son  fils,  frère  de 
lu  l  de  Rcmi.  et  ensuite  son  disciple,  sont  aussi  au 


dans  la  retraite  pour  la  placer  sur  le  chan- 
delier de  l'Eglise. 

Les  Ambi'oise,  les  Chrysostome ,  les  Mar- 
tin de  Tours,  les  Grégoire  le  Grand,  ont 
été  ainsi  choisis  par  la  voix  du  ciel. 

Sainteté  de  Rcmi,  qui  semble  s'être  com- 
muniquée à  toute  sa  famille. 

Famille  sainte,  précieuse,  composée  d'é- 
lus, de  ces  chrétiens  raies  qui  méritent  la 
vénération  de  la  terre,  et  qui  ne  la  quittent 
que  pour  aller  jouir  de  l'immortalité  glo- 
rieuse dans  le  ciel:  tels  furent,  Messieurs, 
les  parents  de  Rémi.  Ils  furent  les  premiers 
admirateurs  de  la  sainteté  de  Rémi  ;  ils  fu- 
rent ses  premiers  imitateurs.  Ils  ne  furent 
point  des  spectateurs  stériles  des  sublimes 
vertus  qu'il  pratiquait  sous  leurs  yeux  :  leur 
vie  les  retraçait.  Aussi  sont-ils  honorés  dans 
les  fastes  de  l'Eglise,  leur  rend-on  un  culte 
public,  et  voyons-nous  des  temples  somp- 
tueux consacrés  à  Dieu  en  leur  honneur  (8). 
Qu'une  sainteté  si  extraordinaire  devait  faire 
de  vives  impressions  sur  les  cœurs  1  Que  ses 
charmes  étaient  puissants  pour  persuader 
la  vertu  1  Aussi,  Messieurs,  non-seulement 
il  forma  le  peuple  à  la  piété,  mais  encore 
de  grands  saints  dans  l'Eglise,  des  défen- 
seurs de  la  foi  des  apôtres. 

N'attendez  pas,  Messieurs,  que  je  vous 
nomme  ici  tous  les  disciples  de  Rémi.  Quel 
prince  chrétien,  quel  évêque,  quel  soli- 
taire, quel  saint,  qui  ne  se  fit  pas  gloire  de 
l'écouter  et  de  l'imiter? 

Vous  montrerai-je  ces  ministres  des  au- 
tels arrivés  à  Reims,  du  fond  des  îles  Brita- 
niques,  pour  se  former  sous  sa  conduite  au 
saint  ministère? 

Vous  parlerai-je  de  l'estime  que  l'illustre 
sainte  Geneviève  en  faisait  ?  des  consolations 
qu'elle  goûta;.t  dans  ses  entretiens  tout  cé- 
lestes ?  consolations  qui  la  faisaient  voler 
trois  fois  l'année  à  Reims  pour  écouter  le 
saint  pont;fe  (9). 

Est-il  nécessaire  que  je  vous  nomme  ses 
principaux  disciples?  Saint  Va;t,  saint  Mé- 
dard,  saint  Antimond,  saint  Gennebaud 
saint  Léonard,  saint  Thierri  ne  font-ils 
pas  encore  sa  gloire  ?  N'est-ce  pas  lui  qui 
les  a  formés  dans  la  sainteté  et  le  ministère  ? 
Ces  grands  évoques ,  ces  saints  solitaires  ne 
Font-ils  pas  honoré  comme  leur  père?  ne 
Font-ils  pas  copié  comme  le  plus  excellent 
modèle   des  vertus  chrétiennes  et  aposto- 

nomhre  des  saints.  Il  y  a  à  Reims  une  égMse  collé- 
giale qui  porte  son  nom.  Montan,  quia  annoncé  la 
naissance  de  Reini,  est  honoré  à  Laon  le  17  mai. 
(Marlot.,  Ilist.  Rem.,  loin.  I,  lib.  I,  cap.  33.) 

(9)  Geneviève,  celte  fille  miraculeuse,  après  la 
mort  de  saint  Germain  d'Auxerre  qui  l'avait  consa- 
crée à  Dieu  dès  son  enfance  à  Nantarre,  fut  Inspirée 
de  Dieu  de  s'adresser  an  saint  archevêque  de  Reims. 
Clovis  frappé  de  l'éclat  des  vertus  de  Geneviève  et 
de  ses  "mirai  les,  n'étant  encore  que  païen,  informé 
des  fréquents  voyages  qu'elle  taisait  à  Reims  pour 
consulter  le  saint  pontife,  lui  donna  deux  métairies 
qui  étaient  sur  le  chemin  de  Paris  à  Reims,  afin 
qu'elle  put  y  loger,  et  s'y  nourrir  :  la  sainle  les  don- 
na à  saint  Rémi  ;  saint  Rémi  les  donna  à  son  Eglise. 
(Testant,  sancti  ltemigii;  Baronics;  an.  499.) 


!S7 


PANEGYRIQUES.  —  PANEG.  XV,  SAINT  REMI. 


licjucs  ?  Facis  prcplutas  successorcs  post  te. 
Tous  ces  grands  hommes  que  Rémi  avait 
formés ,  embrassèrent  sa  doctrine  ;  doctrine 
pure,  orthodoxe,  qu'il  avait  reçue  de  l'Eglise 
romaine. 

Ici,  Messieurs,  permettez-moi  de  déplorer 
l'aveuglement  de  nos  frères  séparés.  Je  fais 
attention  à  la  doctrine  de  saint  Rémi,  à  la 
foi  qu'il  annonçait  dans  son  diocèse  il  y 
près  de  douze  cents  ans,  et  je  vois  qu'il 
croyait  ce  que  nous  croyons  et  ce  qu'ils 
contestent.  Quelle  honte  pour  ceux  qui  se 
laissent  séduire  par  les  charmes  de  la  nou- 
veauté 1  quels  reproches  ne  méritent-ils  pas 
d'avoir  abandonné  la  doctrine  de  ce  grand 
apôtre  des  Français  1 

Quelle  était  en  effet,  Messieurs,  la  doc- 
trine de  saint  Rémi  ?  Vous  le  savez  :  celle 
qu'il  avait  reçue  du  vicaire  de  Jésus-Christ, 
celle  que  les  premiers  hommes  apostoli- 
ques venus  de  Rome  avait  prôchée  dans 
les  Gaules  ;  celle  que  saint  Nicaise  venait 
de  sceller  de  son  sang,  celle  que  les  apôtres 
ont  prêchée  ;  celle  que  les  premiers  conciles 
ont  reçue  avec  joie  et  avec  respect;  celle 
que  l'Eglise  romaine,  toujours  vierge  dans 
sa  foi,  a  envoyé  annoncer  dans  tous  les 
royaumes;  celle  que  saint  Denis  avait  fait 
embrasser  à  nos  pères  plus  de  trois  cents 
ans  avant  la  naissance  de  notre  saint  pon- 
tife. 

Voilà  la  doctrine  que  saint  Rémi  professe, 
enseigne,  et  que  ses  disciples  embrassent 
avec  soumission. 

Si  vous  faites  attention,  Messieurs,  au 
temps  où  saint  Rémi  vivait,  et  surtout  aux 
premières  années  de  son  épiscopat,  vous 
avouerez  qu'il  était  bien  glorieux  alors  de 
professer  la  doctrine  de  Jésus-Christ  et  la 
loi  de  l'Eglise  romaine. 

Les  païens  méconnaissaient  la  doctrine 
de  Jésus-Christ  :  les  ariens  la  combattaient. 

Le  paganisme  florissant  dans  toutes  ces 
vastes  provinces  avait  des  temples,  des  au- 
tels, des  prêtres  ;  les  peuples  et  les  monar- 
ques étaient  livrés  au  culte  des  idoles,  et  ne 
rougissaient  point  d'offrir  leur  encens  à  de 
fausses  divinités.  L'arianisme  dominait,  des 

E  rinces  puissants  goûtaient  cette  détestable 
érésie  ;  elle  avait  des  savants,  des  prêtres, 
des  évêqucs,  des  princes  illustres  qui  la 
défendaient  et  l'accréditaient. 

C'est  dans  ces  jours  de  ténèbres  et  d'er- 
reurs que  saint  Rémi  professe  et  enseigne 
la  doctrine  des  apôtres. 

Dans  tous  les  conciles  qui  se  tiendront 
après  lui  dans  les  Gaules,  on  y  louera,  on  y 
approuvera  la  doctrine  de  Rémi;  il  y  sera 
nommé  la  gloire  et  la  lumière  de  l'Eglise 
gallicane. 

^  Qui  n'aurait  pas  reconnu  la  doctrine  de 
l'Eglise  dans  celle  que  Rémi  annonçait?  Il 
prêchait  ses  dogmes,  il  se  servait  de  ses  ex- 
pressions :  prédicateur  zélé  de  la  vérité,  il 
la  taisait  connaître  et  aimer;  ennemi  déclaré 
des  nouveautés,  il  les  découvrait,  les  com- 
battait, les  réfutait;  ses  lumières,  son  zèle, 
son  érudition,  le  rendaient,  terrible  aux  hé- 
rétiques. Quelle  horreur  ne  conçut-il  pas  de 

Orateurs  sacrés.  L. 


293 

ces  hommes  audacieux,  qui  franchissent  les 
bornes  sacrées  que  nos  pères  dans  la  foi  ont 
suivies? 

Un  pontife  dont  la  doctrine  était  si  pure  ne 
s'écartait  pas,  Messieurs,  de  l'espiit  de  l'E 
glise,  lorsqu'il  s'agissait  de  la  conduite  di.s 
âmes;  il  ne  donnait  point  dans  une  sévérité 
que  cette  tendre  mère  a  toujours  condamnée, 
ni  dans  un  relâchement  qu'elle  a  toujours 
déploré;  il  marchait  entre  les  deux  extrémi- 
tés vicieuses,  et  exhortait  ses  disciples  à  y 
marcher  et  à  ne  point  suivre  les  mouvements 
d'un  tempérament  trop  austère,  ou  trop  in- 
dulgent. 

Les  plus  saints  pasteurs  ont  toujours  pen- 
ché du  côté  de  la  clémence  ;  ils  savaient  qu'ils 
représentaient  le  Sauveur  de  tous  les  hom- 
mes, qui  suspendit  la  douceur  qu'il  faisait 
éclater  envers  les  pécheurs  pénitents,  pour 
invectiver  contre  l'orgueilleuse  austérité  des 
pharisiens,  et  condamner  le  système  de  sé- 
vérité dont  cette  secte  se  faisait  gloire. 
.  Rémi,  Messieurs,  fidèle  disciple  du  prince 
des  pasteurs,  penchait  aussi  du  côté  de  la 
clémence.  Faut-il  vous  en  donnerune  preuve? 
Ecoutez  ce  saint  pontife  lorsqu'il  instruit  les 
ministres  de  la  réconciliation. 

«  Mes  frères,  leur  dit-il,  appliquez-vous  à 
gagner  les  pécheurs  et  à  ne  les  point  rebu- 
ter; ressouvenez-vous  que  Jésus-Christ,  no- 
tre divin  modèle,  ne  nous  a  pas  établis  pour 
être  les  ministres  de  sa  colère,  fais  les  mi- 
nistres de  sa  clémence.  » 

Elle  est  venue  jusqu'à  nous,  Messieurs, 
celte  divine  doctrine;  les  disciples  de  saint 
Rémi  l'ont  prêchée  à  nos  pères  ;  les  évoques 
qu'il  a  formés  l'ont  établie  dans  leurs  dio- 
cèses :  animés  de  son  esprit,  de  sa  foi,  ils 
ont  fait  briller  la  lumière  de  l'Evangile,  dis- 
sipé les  ténèbres  de  l'erreur,  enseigné  la 
saine  morale;  imitateurs  de  son  zèle  comme 
de  son  attachement  à  l'Eglise,  ils  l'ont  per- 
pétué par  leurs  travaux.  Rémi  est  retracé 
dans  tous  ces  grands  hommes,  et  l'on  peut 
dire  qu'il  vit  encure  dans  le  corps  respecta- 
ble des  évoques  de  l'Eglise  gallicane,  unis 
au  Saint-Siège  :  Facis  prophctas  successorcs 
post  te. 

Le  zèle  de  Remiétait  un  zèle  apostolique, 
immense,  divin.  Je  me  représente  le  zèle  du 
grand  Paul,  qui  forme  des  Timothée,  des 
Tite,  des  Sylas;  qui  s'étend  dans  toutes  les 
Eglises,  dans  toutes  les  provinces;  un  cœur 
vaste,  que  la  divine  charité  embrase,  trans- 
porte ;  que  le  salut  de  sa  nation  occupe  ;  j'ose 
le  dire,  Messieurs,  le  cœur  même  de  Jésus- 
Christ  qui  s'ouvre  à  tous  les  mortels  ;  qui 
voudrait  qu'aucun  ne  périsse,  mais  que  tous 
viennent  à  la  connaissance  de  la  vérité. 

Ne  m'accusez  pas,  Messieurs,  d'exagéra- 
tion ;  ne  pensez  pas  que  le  désir  d'élever 
mon  héros  au-dessus  des  autres  pontifes 
m'ait  porté  à  le  comparer  à  l'Apôtre  des  na- 
tions. 

Ses  travaux,  ses  succès,  l'état  déplorable 
où  était  alors  cette  seconde  portion  de  la 
Gaule  Belgique,  les  changements  miraculeux 
de  mœurs,  de  religion,  (pie  nos  pères  ont 
vus  de  son  lo-mp?,  justifient  ce  parallèle,  tout 

10 


S99 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


Ï00 


glorieux  qu'il  soit.  Rappelons  les  faits  les 
plus  certains,  les  plus  éclatants. 

N'a-t-il  pas,  comme  saint  Paul,  fondé  des 
Eglises,  établi  des  sièges,  envoyé  des  évo- 
ques, ou  plutôt  des  apôtres  animés  de  son 
esprit? 

Ile  vêtu  de  l'éminente  dignité  de  légat  du 
souverain  pontife,  n'est-ce  pas  lui  qui  a  érigé 
des  chaires  pontificales  à  Laon,  à  Arras,  à 
Térouane,  aujourd'hui  Saint -Orner?  Les 
Vast,  les  Antimond,  les  Gennebaud,  les  pre- 
miers évoques,  n'ont-ils  pas  été  des  apôtres 
qui  ont  prêché  la  foi,  et  soumis  leurs  pro- 
vinces au  joug  de  l'Evangile  (10)? 

Cambrai  et  Tournay  ne  lui  sont-ils  pas 
redevables  des  plus  grands  et  des  plus  saints 
pontifes  qui  ont  gouverné  leurs  Eglises,  lors- 
que la  lumière  de  l'Evangile  ne  faisait  en- 
core qu'y  percer  les  ténèbres  de  l'idolâtrie? 

N'a-t-il  pas  fondé  des  Eglises  et  envoyé 
des  pasteurs  dans  tous  les  lieux  qui  étaient 
sous, la  domination  de  Clovis?  Les  peuples 
les  plus  féroces,  les  plus  éloignés,  cachés 
dans  les  montagnes,  les  forêts,  ont-ils  échappé 
aux  ardeurs  de  son  zèle? 

Or,  Messieurs,  cette  sollicitude,  ces  tra- 
vaux, ces  Eglises  nouvellement  fondées,  ces 
hommes  apostoliques  répandus  partout,  ces 
merveilleux  agrandissements  de  l'Eglise  de 
France,  ne  caractérisent-ils  pas  un  zèle  ins- 
piré de  Dieu?  ne  retracent-ils  pas  celui  du 
grand  Paul? 

Que  dirai-je  de  son  zèle  pour  détruire  l'a- 
rianisme?  cette  hérésie  sacri.  ége  et  mons- 
trueuse, fière  et  rampante,  souple  et  hardie, 
qui  a  duré  si  longtemps,  qui  s'est  étendue 
dans  tant  de  provinces  et  d'empires,  qui  a 
séduit  tant  de  princes  et  de  savants,  et  qui, 
lorsque  Rémi  parut,  régnait  avec  l'idolâtrie 
dans  presque  toutes  les  Gaules.  Pouvons- 
nous  trop  admirer  son  ardeur,  son  activité, 
sa  prudence,  ses  succès?  Vit-il  sans  douleur 
la  divinité  du  Verbe  éternel  combattue,  et  la 
foi  de  Nicée  rejetée?  Non,  Messieurs,  il  se 
hâte  d'arracher  cette  ivraie,  semée  adroite- 
ment avec  le  bon  grain,  et  cachée  habilement 
sous  des  expressions  équivoques.  Déjà  je 
vois  les  évêques  de  la  Bourgogne  assemblés 
a  Lyon  ;  je  vois  des  conférences  célèbres;  on 
y  lit  des  lettres  de  Rémi.  A  ce  nom,  le  mo- 
narque et  les  prélats  sont  saisis  d'un  saint 
respect. 

«  C'est,  disent-ils,  le  saint  pontife  de 
Reims,  le  destructeur  des  idoles,  celui  qui  a 
donné   un  Constantin  à  l'Eglise,  qui  nous 

(10)  C'est  on  qualité  de  légat  du  Saint-Siège  que 
Reini  fondait  des  églises,  et  érigeait  des  évéeliés. 
Le  pape  Hormisdas  lui  donna  ses  pouvoirs,  eonime 
nous  le  voyons  dans  une  belle  lettre  qu'il  écrivit  au 
saint  archevêque.  Après  avoir  répondu  à  Clovis  qui 
lui  avait  écrit  et  envoyé  de  rielies  présents  ;  après 
avoir  loué  ses  vertus,  sa  doctrine,  son  attachement 
au  Saint-Siège,  l'avoir  congratulé  sur  la  conversion 
de  Clovis,  il  le  déclare  son  vicaire  et  son  légal  dans 
tous  les  Etats  de  ce  prince.  (Baronius,  an.  451.) 

(11)  Discours  d'Etienne,  évéque  de  Lyon,  à  Con- 
Uebaud,  roi  de  Bourgogne.  La  célèbre  conférence 
avec  les  ariens  se  tint  à  Lyon  le  jour  de  la  fêle  de 
caint  Just,  au  sépulcre  ilu  même  saint.  (Tons.  IV 
Candi.,  edit.  Paris.) 


conjure  de  nous  unir  à  lui  pour  détruire 
l'arianisme  :  imitons  son  zèle.  »  Les  vœux 
de  Rémi  sont  exaucés  :  tous  confessent  la 
divinité  de  Jésus-Christ,  reçoivent  la  foi  de 
Nicée,  frappent  d'anathèmes  l'arianisme,  et 
le  poursuivent  jusque  dans  ses  derniers  re- 
tranchements (11). 

Quel  succès  n'eut  pas  encore  son  zèle  dans 
le  concile  qu'il  assembla,  où  il  présida,  et 
dont  il  fut  l'âme,  la  gloire  et  l'oracle  ?  Son 
érudition  y  brilla,  mais  sans  effacer  l'éclat 
de  sa  sainteté  :  si  les  Pères  le  regardèrent 
comme  la  lumière  des  évêques,  ils  le  regar- 
dèrent aussi  comme  l'ange  du  Seigneur  ;  ce 
sont,  Messieurs,  leurs  expressions  (12).  Un 
seul  évêqne  arien,  nouveau  Goliath,  venu 
armé  de  tous  les  arguments  de  son  parti 
pour  insulter  aux  camps  d'Israël,  lui  résiste, 
lui  manque  de  respect  •  Dieu  le  punit,  sa 
langue  devient  muette.  » 

Le  seigneur  renouvelle  ce  prodige  long- 
temps après  la  mort  du  saint,  pour  approu- 
ver son  zèle.  Dans  un  autre  concile,  la  rré 
sence  de  son  saint  corps  lie  la  langue  d'un 
évêque  simoniaque.  Léon  IX,  qui  était  pré- 
sent, dit  de  Rémi  ee  que  les  Pères  du  con- 
cile de  Chalcédoine  disent  de  Flavien  :  «  Le 
saint  pontife  Rémi  vit  encore,  son  zèle 
éclate  encore  contre  l'erreur  (13). 

Se  rallentit-il,  Messieurs,  ce  zèle  de  saint 
Rémi?  Cessa-t-il  de  briller,  d'éclairer?  Et 
ne  pourrait-on  pas  dire  avec  le  Saint-Esprit, 
qu'il  parut  comme  un  feu  ardent  qui  embra- 
sait tous  les  cœurs  de  ses  divines  ardeurs? 
Surrexit  quasi  ignis.  (Eccli.,  XLVIIL)Quel 
zèle  pour  annoncer  la  divine  parole!  Sa 
carrière,  qui  fut  si  longue,  nous  montre-t-elle 
des  jours  vides?  Se  crut-il  dispensé  de  prê- 
cher dans  un  âge  même  très-avancé?  N'est- 
ce  pas  au  contraire  dans  cette  saison  de  la 
vieillesse,  destinée  ordinairement  au  repos, 
qu'il  traverse  la  Lorraine,  pénètre  dans  les 
montagnes  des  Vosges,  alors  inaccessibles, 
et  qui  n'offraient  partout  que  des  abîmes, 
pour  y  prêcher  l'Evangile  ?  lit  n'égala-t-il 
pas  les  apôtres  par  ses  prédications  et  ses 
succès  (14.)? 

Comment,  Messieurs,  ses  prédications 
n'auraient-elles  pas  été  suivies  de  glorieux 
succès?  Jamais,  au  rapport  des  plus  saints 
et  des  plus  savants  hommes  de  son  tempe, 
prédicateur  n'eut  des  talents  plus  distingues 
pour  la  chaire. 

Une  éloquence  douce,  aisée,  pieuse,  tou- 
chante,  une  onction  toute  céleste,  que  Dieu 

(12)  Sieut  angélus  suscipitur,  dit  IliHcmar.  Qua:id 
il  parut  dans  rassemblée,  tous  les  Pères  se  lèveront, 
et  le  reçurent  comme  un  an^e.  (1?aron.,  514.) 

(15)  Les  Pères  du  concile  de  Chalcédoine  avaient 
dil  :  Ecce  verilas ,  Flavianus  pont  mortem  vivit. 
Léon  IX,  dans  le  concile  de  Reims  :  Adhuc  vivit 
bealus  Remigius.  (Action  11  du  concile  de  Chaloé- 
doine.  — (Bin.,  tom.  V  Concil.  Mari.,  cap.  29.  — 
Baron.,  1049.) 

(Il)  Du  Saussay,  Glor.  S.  Remigii,  lib.  IIL  Il  y  a 
plus  de  huit  cents  paroisses  dédiées  à  sa  ni  Ri  mi 
dans  la  Lorraine,  qui  le  regarde  aussi  comme  son 
apôtre. 


sroi 

donnait  à  ses  paroles,  lui  attiraient  des  au- 
diteurs en  foule;  on  venait  de  différentes 
provinces  écouter  le  pontife  de  Reims , 
comme  l'oracle  de  son  siècle. 

Quef  cœur  résistait  à  l'onction  qui  accom- 
pagnait ses  discours?  Quel  pécheur,  disent 
ceux  qui  ont  loué  ses  brillants  talents,  a  pu 
résister  aux  charmes  victorieux  de  sa  parole? 
Prêcha-t-il  une  seule  fois  sans  entendre  des 
soupirs,  sans  voir  couler  des  pleurs,  sans 
voir  à  ses  pieds  des  pénitents  sincères,  et 
sans  être  consolé  par  d'éclatantes  conver- 
sions (15). 

Quel  plaisir  ne  trouvait  pas  Clovis,  lors 
même  qu'il  était  encore  livré  à  la  vanité  des 
idoles  1  Des  charmes  innocents  ne  s'empa- 
raient-ils pas  de  son  cœur,  lorsqu'il  lui 
parlait  des  vérités  éternelles  ?  S'il  le  regar- 
dait comme  son  père  et  son  prophète  avant 
son  baptême,  n'est-ce  pas  parce  que  les  en- 
tretiens du  saint  pontife  le  ravissaient  et 
persuadaient  son  esprit? 

Si  sa  brillante  réputation  attira  des  prin- 
ces et  des  princesses  à  ses  prédications, 
n'admirèrent-ils  pas  des  talents  plus  victo- 
rieux du  cœur  humain,  que  ceux  qu'ils  s'é- 
taient représentés?  Ne  devinrent-ils  pas  tout 
à  la  fois  ses  auditeurs  et  ses  conquêtes  (16)! 

Mais  non-seulement,  Messieurs,  notre 
saint  prélat  fut  le  plus  grand  prédicateur  de 
son  siècle,  il  fut  encore  l'oracle  de  l'Eglise 
par  ses  lumières  et  par  sa  profonde  érudi- 
tion. 

Nous  posséderions,  Messieurs,  tous  les  ou- 
vrages de  ce  saint  pontife,  si  les  injures  des 
temps  ne  nous  les  avaient  pas  enlevés;  mais 
les  témoignages,  les  éloges  des  Sidoine,  des 
Hincmar,  des  souverains  pontifes,  et  des 
oracles  même  de  la  littérature,  ne  nous  per- 
mettent pas,  de  douter  des  riches  productions 
de  sa  science:  ee  qui  nous  reste  nous  fait 
regretter  ce  que  nous  avons  perdu  (17). 

Ne  voit-on  pas  briller  la  plus  profonde 
érudition  et  la  plus  haute  piété  dans  ses 
Commentaires  sur  l'Ecriture,  et  dans  ses  Let- 
tres au  grand  Clovis? 

Parlerai-je  de  son  Testament,  où  la  charité, 
la  sagesse,  la  prudence,  l'ordre,  l'habileté 
régnent,  et  annoncent  le  saint,  le  savant  ? 
Qui  ignore  que  cet  ouvrage  a  toujours  été 
précieux  aux  grands  hommes,  et  qu'ils  l'ont 
vengé  de  la  critique,  toujours  hardie,  et  ra- 
rement modérée  et  sans  abus  en  matière  de 
piété? 

Je  n'aurais  garde,  Messieurs  d'ajouter  à  la 
gloire  de  ses  rares  vertus  et  de  ses  éclatants 
miracles,  celle  d'une  solide  et  vaste  érudi- 
tion, si  elle  n'était  pas  attestée  par  ses  con- 
temporains, et  ceux  mêmes  qui  auraient  eu 
intérêt  de  la  contester. 

(15)  Sidoine  Apollinaire,  évèque  illustre,  dans  une 
lettre  à  Principe,  fi  ère  de  saint  Rémi,  évèque  de 
Soissons.  (Epist.  14,  lib.  VIII,  IIincm.,  Vit.  Remig., 
iO.) 

(10)  Le  seigneur  de  Rethel  et  son  épouse,  après 
une  prédication  du  saint,  sont  si  touchés,  qu'ils  de- 
mandent le  baptême  et  renoncent  au  paganisme. 
(Dichesne,  Collect.  Hist.  Franc.;;  Lecointe,  Ann. 
Eceles.  Franc.,  ann.  497.) 


PANEGYRIQUES.  -  PANEG.  XV,  SAINT  REMI. 


302 

Mais  pouvais-je,  en  vous  donnant  une  idée 
de  son  zèle,  passer  sous  silence  des  talents 
qu'il  employa  uniquement  pour  les  intérêts 
et  la  gloire  de  la  religion? 

N'ai-je  pas  dit,  Messieurs,  qu'il  fut  le  mo- 
dèle des  plus  saints  et  des  plus  savants  pré- 
lats? Aurait-il  donc  été  appelé  la  lumière  des 
grands  hommes  même,  s'il  n'eût  pas  été  un 
savant  distingué?  Ses  disciples  les  plus  sé- 
lèbres  ne  firent  que«retracer  ses  vertus,  sa 
doctrine,  son  zèle,  ses  travaux,  ses  lumières; 
il  fut  leur  modèle  :  Facis  prophetas  succes- 
sores  post  te.  Il  fut  aussi,  Messieurs,  l'apô- 
tre des  rois  :  Ungis  reges  ad  pœnitentiam. 
C'est  la  seconde  partie  de  son  éloge.. 

SECONDE    PARTIE. 

La  France,  sous  h;  règne  de  Clovis,  était 
encore  plongée  dans  les  ténèbres  de  l'idolâ- 
trie. Ce  prince  guerrier  et  magnanime  était 
par  sa  naissance  dans  Je  paganisme,  attaché 
malheureusement  au  char  du  démon. 

En  possession  d'un  empire  dont  il  étenda't 
tous  lesjours  les  limites  par  sa  valeur  et  ses 
conquêtes,  il  était  assez  aveugle  pour  s'ima- 
giner qu'il  n'avait  à  redouter,  et  à  désirer, 
que  la  colère  ou  la  clémence  des  vaines  ido- 
les qu'il  adorait.  Vous  vous  trompez,  vail- 
lant monarque,  c'est  dans  le  bruit  des  armes, 
la  chaleur  des  combats,  les  horreurs  d'une 
bataille  sanglante,  la  défaite  clé  vos  puissan- 
tes armées,  que  vous  reconnaîtrez  la  puis- 
sance suprême  du  vrai  Dieu  que  vous  mé- 
connaissez, et  l'impuissance  des  dieux  que 
vous  adorez. 

En  effet,  Messieurs,  Dieu,  qui  avait  formé 
des  projets  de  miséricorde  sur  la  France,  les 
exécute  ;  elle  devient  chrétienne,  l'asile  des 
défenseurs  et  des  protecteurs  de  la  foi  ortho- 
doxe: Dieu  lui  donne  un  nouveau  Constan- 
tin. 

La  conversion  du  grand  Clovis  sera  à  ja- 
mais la  brillante  époque  de  la  profession  so- 
lennelle du  christianisme  dans  ce  royaume. 

Il  suscite  Ilemi,  le  protège  l'inspire,  pour 
opérer  ces  divins  et  admirables  change- 
ments. 

Clovis,  instruit,  touché,  éclairé  par  cet 
apôtre,  sera  un  roi  pieux,  zélé;  il  unira  son 
glaive  à  celui  de  Pierre  pour  défendre  la 
religion  contre  ses  ennemis.  Développons, 
Messieurs,  ces  merveilles  du  glorieux  apos- 
tolat de  saint  Rémi  :  les  faits  que  je  vais 
rapporter  sont,  non-seulement  célébrés  dans 
les  annales  de  l'Eglise,  mais  encore  conser- 
vés dans  les  archives  de  cette  florissante 
monarchie;  rien  de  p>lus  digne  de  votre  at- 
tention. 

Oui,  Messieurs,  c'était  à  Rémi  que  la  di- 
vine Providence  réservait  la  conquête  du 

(17)  Sidoine  marque  à  saint  Rémi  qu'il  a  lu  un 
nombre  considérable  de  ses  volumes,  et  en  fait 
l'éloge.  (Epist.  7;  lib.  IX  ,  Hincmar,  Vit.  S.  Remigii, 
10.)  Le  pape  Sylvestre  II  recommande  expressé- 
ment de  ne  donner  aucune  atteinte  au  testament  de 
saint  Rémi  :  Sulvo  et  inviolabili  Testamenlo  S.  Re- 
migii Francorum  Apostoli.  (Labb.,  Bibliotheca  nova; 
tom.  VI,  ann.  599.) 


r»03 


ORATEURS  SACRES.  DALLET. 


SOI 


grand  Clovis  au  christianisme  :  cette  con- 
quête, qui  a  causé  la  chute  du  paganisme 
dans  les  Gaules,  fait  disparaître  Farianisme, 
et  toutes  les  erreurs  d'une  nation  féroce  et 
barbare;  qui  a  donné,  dans  la  personne  de 
nos  rois,  des  défenseurs  de  la  doctrine  catho- 
lique, des  monarques  zélés  dans  tous  les 
siècles,  qui  ont  mérité  le  glorieux  titre  de 
fds  aînés  de  l'Eglise. 

Toutes  les.fois  qu'il  a  été  question  des  in- 
térêts de  la  religion,  Dieu  a  toujours  suscité 
des  hommes  qu'il  a  remplis  de  son  esprit  et 
revêtus  même  de  sa  puissance:  tel  fut  Rémi, 
Messieurs;  Dieu  l'annonce,  le  promet  :  il 
paraît. 

Dieu  avait  ses  desseins ,  en  préparant 
Rémi  à  Clovis  :  il  préparait  un  apôtre  h 
un  grand  roi  et  à  une  vaste  province. 

S'il  se  sert  des  hommes  pour  le  salut  de> 
nations,  c'est  après  les  avoir  remplis  ds  son 
esprit,  et  les  avoir  en  quelque  sorte  élevés 
au-dessus  de  l'homme  parles  hautes  vertus 
qu'il  leur  fait  pratiquer  et  la  puissance  di- 
vine qu'il  leur  communique. 

Le  saint  pontife  que  je  loue  nous  prouve 
ces  magnifiques  préparatifs  que  Dieu  fat 
lorsqu'il  s'agit  de  ces  grands  hommes  qu'il 
suscite  pour  le  salut  d'une  nation;  un  pro- 
phète l'a  annoncé,  une  mère  stérile  l'a  conçu, 
des  miracles  éclatants  décorèrent  son  ber- 
ceau. Dieu  a  désigné  ses  fonctions,  ses  tra- 
vaux, ses  succès;  les  plus  hautes  vertus  et  le 
don  des  miracles  montèrent  avec  lui  sur  le 
trône  pontifical  de  Reims. 

Ainsi  fut  recommandable,  célèbre,  saint, 
puissant,  celui  qui  devait  attacher  le  belli- 
queux Clovis  au  char  de  l'Evangile.  Après 
la  conversion  de  ce  prince  livré  au  culte -des 
idoles,  on  verra  la  lumière  briller  après  les 
ténèbres;  des  autels,  des  temples  élevés  de 
tous  côtés,  des  sièges  établis  dans  toutes  les 
provinces,  le  culte  du  vrai  Dieu  embrassé, 
toute  la  France  chrétienne. 

On  vit  autrefois  les  Moïse,  les  Elie,  les  Jé- 
rémie,  les  Isaïe,  les  Daniel  paraître  à  la  cour 
des  rois,  honorés  d'une  mission  divine,  y 
annoncer  les  oracles  dn  Seigneurr  et  y  re- 
tracer sa  puissance.  On  vit,  dans  les  premiers 
siècles  du  christianisme,  les  Ambroise,  les 
Chrysostomc,  les  Martin  de  Tours,  les  Hi- 
laire,  paraître  à  la  cour  des  empereurs  en 
apôtres,  en  envoyés  de  Dieu  pour  défendre 
la  doctrine  de  l'Eglise,  et  s'y  annoncer  par 
l'éclat  dos  miracles.  , 

On  vit,  Messieurs,  dans  le  v"  siècle  paraî- 
tre aussi  un  de  ces  hommes  que  Dieu  pré- 
pare dans  sa  miséricorde  pour  le  salut  de 
son  peuple,  qu'il  enrichit  de  ses  dons;  il 
suscite  Rémi  pour  être  l'apôtre  du  grand 
Clovis,  et  le  protège  pour  réussir  dans  l'im- 
portant projet  de  sa  conversion. 

Elle  éclate ,  Messieurs,  la  protection  du 
ciel,  lorsque  Rémi  entreprend  la  conversion 
du  grand  Clovis;  les  miracles  les  plus  écla- 


tants sont  multipliés  ;  tout  furce  ce  monar- 
que à  reconnaître  le  Dieu  de  Rémi  et  de  Clo- 
tilde. 

Ici,  Messieurs,  se  retracent  les  prodiges 
que  le  ciel  opéra  pour  donner  un  Constan- 
tin à  l'Eglise;  la  conversion  de  Clovis  suit 
de  près  des  succès  brillants  et  inespérés  ; 
Dieu  attache  au  char  de  son  évangile  ces 
deux  vainqueurs  ,  en  abattant  miraculeuse- 
ment leurs  ennemis'à  leurs  pieds. 

La  conversion  dugrand  Constantin  su't  do 
près  une  victoire  éclatante  qu'il  remporte 
sur  ses  ennemis;  la  conversion  du  grand 
Clovis  suit  de  près  la  bataille  inespérée  qu'il 
gagne  à  Tolbiac. 

Le  signe  de  notre  salut  brille  aux  yeux  de 
Constantin  sous  l'étendard  de  la  croix.  Ce 
prince  devient  invincible,  la  victoire  le  suit 
partout  ;  ses  troupes  guerrières,  entraînées 
par  une  ardeur  toute  céleste,  enfoncent 
les  bataillons  les  plus  épais  ,  défont  des 
armées  formidables;  la  terreur,  l'effroi  §e 
répandent  dans  les  camps  des  ennemis  ;  rien 
ne  résiste  à  une  poignée  de  soldats  protégés 
du  ciel,  armés  de  la  croix,  et  combattant 
sous  ses  étendards.  Le  bonheur  de  Constan- 
tin  fut  d'attribuer  au  seul  Dieu  des  armées 
ce^,  glorieux  succès,  d'embrasser  la  reli- 
g'on  chrétienne,  dont  il  est  l'auteur,  et 
d'employer  son  autorité  et  son  épée  même 
pour  étendre  son  culte  et  protéger  son  Fglhe. 

Lorsque  le  moment  de  la  conversion  de 
Clovis  fut  arrivé ,  Dieu  retraça  les  mêmes 
merveilles;  Clovis  retraça  la  même  sourai.- 
sion  et  le  même  zèle. 

Clovis,  ce  guerrier  intrépide,  accoutumé  h 
vaincre,  se  vit  à  Tolbiac  sur  le  point  d'être 
vaincu  ;  l'armée  des  Allemands,  supérieure 
à  la  sienne,  touchait  au  moment  de  la  vic- 
toire; celle  de  Clovis,  faible  et  abattue,  tou- 
chait au  moment  de  sa  défaite.  Mais  le  Dieu 
que  Rémi  prêchait,  que  la  pieuse  Clotilde  in- 
voquait, déploya  sa  puissance;  il  détacha  la 
victoire  du  char  des  Allemands,  pour  l'atta- 
chera celui  de  Clovis.  Ce  prince  vainquit,  et 
le  bonheur  de  ce  vainqueur  fut  d'attribuer 
à  la  seule  protection  divine  ces  inespérés 
succès. 

C'est  ainsi,  Messieurs,  que  Rémi  fut  pro- 
du  ciel  dans  la  conversion  du  grand 
Clovis.  Ce  miracle  le  décida;  il  se  fit  gloire 
d'être  vaincu  par  la  bonté  d'un  Dieu  qui  l'a- 
vait rendu  le  vainqueur  de  ses  ennemis. 

Ses  préjugés  sont  détruits ,  ses  ténèbres 
sont  dissipés,  et  ses  doutes  sont  levés;  les 
raisons  de  politique  ne  l'arrêtent  plus.  Après 
la  durée  miraculeuse  de  Tolbiac  il  s'ouvre  à 
saint  Rémi,  il  demande  le  baptême,  il  exhorte 
ses  sujets  a  l'imiter,  et  il  a  la  consolation  de 
les  voir  voler  avec  ardeur  sur  ses  pas;  il  les 
entend  avec  joie  renoncer  aux  dieux  du  pa- 
ganisme, et  chanter  la  puissance  du  Dieu  de 
Rémi  (18.) 

Si   notre  saint  pontife  fut  protégé  pav  le 


tégé 


(18)  Harangue  de  Clovis   à  ses  troupes  et  à  ses      de  bon  cœur  aux  dieux  mortels?  nous  ne  connais- 
principaux  sujets,    après  la   bâta  Ile  de  Tolbiac   et      sons  point  d'autre  Dieu  que  celui  que  le  saint  évê- 


sï-tre  ouvert    à  saint   Renii,  pour    les 
l'imiter  ;  ils   répondirent   tous  :  j  Nous 


engager  à      que  Rémi  nous  prêche.  «  (Grec.   Tuiion.,  cap.  3i  ; 
renonçons      Âkuoin,  lib.  I.cap:  16,   De  Gest.  Franc.) 


305 


PANEGYRIQUES.  —  PANEG.  XV,  SAINT  REME 


ciel,  dans  -a  conversion  de  Clovis,  il  fut 
aussi  aidé,  Messieurs,  par  les  conseils  et 
les  prières  des  plus  saintes  âmes  de  son 
siècle. 

Peut-on  refuser  à  saint  Vast  la  gloire  d'a- 
voir eu  part  à  la  conversion  du  grand  Clovis? 
Ce  prince  ne  fut-il  pas  le  trouver  dans  sa  so- 
litude après  la  journée  de  Tolbiac?  Ne  fut-il 
pas  le  premier  dépositaire  des  pensées  que 
le  ciel  avait  fait  naître  dans  son  coeur?  et  n'ac- 
compagna-t-il  pas  ce  nouveau  Constantin 
jusqu'àReims  pour  le  mettre  entre  les  mains 
de  son  apôtre  (19)? 

De  quel  secours  ne  lui  fut  pas  l'illustre 
Geneviève,  cette  vierge  en  qui  Dieu  faisait 
éclater  toutes  les  merveilles  de  sa  grâce  et  de 
sa  puissance,  qui  était  le  prodige  de  son  siè- 
cle et  qui  en  faisait  l'admiration  1  L'efficace 
de  ses  prières,  la  sagesse  de  ses  conseils,  ai- 
daient et  consolaient  le  saint  archevêque. 

Sainte  Clotilde,  cette  pieuse  reine,  cette 
tendre  épouse,  qui  gémissait  depuis  si  long- 
temps sur  l'aveuglement  de  Clovis,  qui  fai- 
sait sans  cesse  entendre  aussi  ses  gémisse- 
ments et  ses  soupirs;  dont  les  vues  étaient 
si  pures,  les  prières  si  ardentes,  les  bonnes 
œuvres  si  abondantes  ;  qui  connaissait 
l'humeur,  le  caractère  du  prince,  et  qui  n'i- 
gnorait pas  non  plus  la  route  de  son  cœur,  ne 
fut-elle  pas  une  grande  ressource  à  saint 
Rémi  pour  réussir  dans  la  conversion  de  ce 
monarque  (20)? 

Ah  !  que  je  me  plais,  Messieurs,  à  considé- 
rer saint  Rémi  avec  ces  deux  saintes  occu- 
pées de  la  conversion  de  Clovis  1  que  cette 
assemblée  est  respectable  1  Dieu  est  sans 
doute  au  milieu  d'eux,  comme  il  l'a  promis, 
puisqu'ils  sont  assemblés  en  son  nom  et  pour 
sa  gloire. 

Que  leurs  projets  sont  beaux  !  que  leurs 
entretiens  sont  utiles!  que  leur  ambition  est 
chrétienne!  L'apôtre  écoute  les  conseils  de 
Geneviève  et  de  Clotilde  ;  il  applaudit  à  leurs 
vœux,  il  est  aidé  de  leurs  prières,  et  Dieu 
l'inspire  pour  exhorter  et  instruire  le  grand 
Clovis,  qui  attend  avec  impatience  le  moment 
de  sa  régénération  spirituelle. 

Dieu,  qui  tient  le  cœur  des  rois  dans  ses 
mains, a  touché,  converti  le  disciple  de  Rémi; 
ce  prince  est  devenu  la  conquête  d'une  grâce 
puissante  et  magnifique. 

Déjà  son  cœur  yole  au  saint  temple,  pour 
y  être  purifié  dans  le  sang  de  l'Agneau  sans 
tache.  Déjà  le  jour  pour  cette  sainte  et  bril- 
lante cérémonie  est  marqué  (21).  Déjà  ce  zélé 
catéchumène  a  gagné  à  Jésus-Christ  plus  de 

(19)  Saint  Vast  était  un  saint  solitaire  auprès  de 
Toul  en  Loi  raine.  Clovis  fut  le  trouver  après  la 
victoire  qu'il  avait  remportée  à  Tolbiac  près  de  Colo- 
gne, lui  confia  ses  projets,  et  le  pria  de  l'accompa- 
gner à  Reims.  (Aixuin,  Vita  S.  Vedasli.) 

(20)  Sainte  Geneviève,  sainte  Clotilde  et  saint 
Rémi  conféraient  souvent  ensemble  pour  réussir 
dans  la  conversion  de  Clovis.  (Du  Sacssaï,  Gloria 
h.  Remigii,  lib.  I,  cap.  15.) 

(21)  Quoiqu'il  y  ait  diversité  de  sentiments  sur  le 
jour  el  l'église  où  Clovis  fut  baptisé,  celui  qui  mar- 
que son  baptême  au  jour  de  Noël  et  dans  la  métro- 
pole de  Reims,  est  le  plus  suivi,  le  plus   sûr   et  le 


5(;o 

trois  mille  personnes  de  sa  suite;  ii  est  apôtre 
avant  même  d'être  chrétien;  déjà  le  saint 
pontife,  transporté  d'une  sainte  allégresse, 
fait  les  préparatifs  d'une  fête  solennelle. 

La  décoration  extraordinaire  de  son  église, 
la  magnificence  des  ornements,  l'art  ingé- 
nieux des  illuminations,  la  pompe  majes- 
tueuse étalée  sur  le  passage  des  catéchu- 
mènes, présentent  un  spectacle  brillant  et  ra- 
vissant. On  disait  hautement  :  C'est  un  échan- 
tillon de  la  gloire  dont  jouissent  les  bien- 
heureux; les  cieux  se  sont  ouverts  pour  lais- 
ser échapper  ces  saintes  beautés.  Clovis  le 
pensa,  il  le  demanda,  ébloui,  saisi  d'un  si 
saint  et  si  magnifique  spectacle.  Mais  le  pon- 
tife lui  répondit,  et  lui  dit:  «  Prince,  ce  spec- 
tacle qui  vous  saisit  d'admiration  n'est  qu'une 
légère  image  des  honneurs  suprêmes  que. les 
bienbeureux  rendent  à  l'Eternel  dans  le 
ciel  ;  mais,  dans  le  culte  extérieur  que  nous 
lui  rendons,  il  faut  avouer  publiquement  sa 
souveraineté  par  la  magnificence  des  céré- 
monies. Le  paradis  que  je  vous  promets,  et 
que  vous  espérez  présentement,  est  la  récqjm- 
pense  du  culte  intérieur,  de  l'amour,  de  l'im- 
molation, de  l'obéissance  à  la  loi;  on  y  arrive 
par  la  mortification  et  les  croix  (22).  >» 

Ici,  Messieurs,  se  présentent  des  merveil- 
les, que  la  plus  brillante  et  la  plus  vive  élo- 
quence aurait  de  la  peine  à  vous  retracer  ; 
aussi  je  ne  me  flatte  pas  de  vous  les  rendre 
avec  ces  traits  heureux  qui  leur  conservent 
tout  leur  grand  et  tout  leur  sublime. 

Je  ne  vous  dirai  donc  pas  de  fixer  vos  re- 
gards sur  cette  foule  de  catéchumènes  qui 
entrent  dans  le  saint  temple  avec  un  air  d'al- 
légresse, vêtus  d'habits  blancs;  sur  le  saint 
pontife,  qui  conduit  Clovis,  son  auguste  dis- 
ciple; sur  la  pieuse  Clotilde,  et  sur  toute  la 
famille  royale.  La  piété,  l'ordre,  la  décence, 
une  sainte  ardeur  d'être  à  Jésus-Christ,  qui 
les  anime  et  les  fait  voler,  vous  édifieraient,, 
vous  toucheraient;  mais  un  spectacle  encore 
plus  grand,  plus  digne  de  votre  admiration, 
s'offre  à  mes  yeux  lorsqu'il  s'agit  du  bap- 
tême de  Clovis\ 

Le  ciel  s'ouvre,  une  innocente  colombe 
apporte  au  saint  pontife  une  huile  céleste 
pour  sacrer  le  grand  Clovis. 

Ce  baume  sacré,  ce  précieux  présent  du 
père  des  miséricordes  servira  à  tous  les  au- 
gustes successeurs  de  Clovis;  l'Eternel  mon- 
tre par  ce  prodige  la  protection  qu'il  accorde 
au  trône  des  Français,  en  distinguant  ainsi 
nos  monarques. 

O  jour  heureux  pour  la  France  l  ô  époque 

seul  adopté  des  savants.  Flodoard  dit  que  Louis  le 
Débonnaire  accorda  lesmuraillesdela  ville  pourrebà- 
tir  la  cathédrale,  en  reconnaissance  de  ce  que  Clovis 
V  avait  été  baptisé,  (llist.  Remens.,  lib.  II,  cap.  19, 
Père  Mabillon,  premier  siècle  de  Y  Histoire  de  son 
ordre.) 

(22)  Clovis  frappé  de  la  magnificence  de  celte  fête, 
dit  à  saint  Rémi  :  «  Est-ce  là,  mon  Père,  ce  paradis 
que  vous  m'avez  fait  espérer?  Non,  seigneur,  lui 
répondit  ce  saint  pontife;  ce  n'est  que  le  commen- 
cement du  chemin  pour  y  arriver.  »  (Hincmae  , 
Vie  de  saint  Rémi  ;  Grégoire  de  Tours,  liv.  H,  ebap. 
5S.) 


307 


ORATEURS  SACRES.  BALLET 


50» 


précieuse  de  son  bonheur  1  La- religion  est 
montée  sur  les  lis,  elle  n'en  descendra  pas; 
jamais,  jamais  le  schisme  ou  l'erreur  n'obs- 
curcira le  trône  des  successeurs  de  Clovis; 
nos  rois  seront  toujours  les  protecteurs  et  les 
défenseurs  de  l'Eglise;  à  l'ombre  de  leur  foi 
toujours  pure  et  de  leur  autorité  respectée, 
les  souverains  pontifes  persécutés  y  ont 
trouvé  un  asile  sûr  et  une  puissante  protec- 
tion. 

Je  n'ignore  pas,  Messieurs,  les  attentats 
de  la  critique,  quand  il  s'agit  de  cette  mer- 
veille; mais  on  doit  les  mépriser,  lorsqu'une 
tradition  respectable,  les  témoignages  des 
grands  hommes,  des  saints  mêmes,  la  véné- 
ration des  monarques,  une  raison  saine, 
éclairée,  nous  le  garantissent  (23).  Je  n'entre 
pas  ici  dans  un  combat  littéraire;  je  loue  un 
pontife  protégé  et  inspiré  du  ciel  pour  con- 
vertir le  grand  Clovis  et  l'instruire  de  ses 
devoirs. 

Ah  I  que  cet  apôtre  est  grand!  qu'il  est 
puissant  dans  cette  sainte  cérémonie  !  II  mon- 
tre alors  toute  la  liberté  évangélique;  la  pré- 
sence des  majestés  de  la  terre  ne  l'intimide 
pas.*  Apôtre  suscité,  inspiré  de  Dieu,  il  an- 
nonce les  vérités  les  plus  terribles  comme 
les  plus  consolantes;  une  onction  toute  cé- 
leste coule  sur  ses  lèvres,  et  en  peu  de  mots 
il  trace  au  monarque  tout  le  plan  de  sa  pé- 
nitence. Humiliez-vous,  Sicambre,  lui  dit-il, 
sous  la  puissante  main  du  Très-Haut  :  Mitis 
depone  colla,  Sicambcr  (24). 

Ah!  ici,  Messieurs,  je  reconnais  l'apôtre, 
J/homme  inspiré  de  Dieu,  qui  parle  en  son 
nom,  qui  le  représente. 

On  ne  voit  pas  dans  l'instruction  du  saint 
pontife  ces  tours  délicats  ,  ménagés,  lors- 
qu'il s'agit  de  représenter  aux  grands  leurs 
devoirs;  ces  noms  distingués  qui  flattent 
l'orgueil  humain;  ces  louanges  fines  que 
l'on  donne  à  des  vertus  médiocres;  ce  lâche 
silence  que  l'on  garde  sur  de  grands  dé- 
fauts ;  ces  coupables  adoucissements,  lors- 
qu'il sagit  de  rigueurs  évangéliques,  de  pé- 
nitence, de  réparation.  Jugeons-en,  Mes- 
sieurs, par  le  seul  abrégé  de  toute  l'instruc- 
tion que  saint  Rémi  ht  à  Clovis  en  le  bap- 
tisant; il  renferme  tous  ses  devoirs.  «Prince, 
lui  dit-il,  brûlez  ce  que  vous  avez  adoré  et 
adorez  ce  que  vous  avez  brûlé  :  Jncendc 
quod  adorasti;  adora  quodincendisti.  Prince, 

(23)  Les  critiques,  qui  combattent  l'authenticité 
de  la  sainte  Ampoule,  s'appuient  sur  le  silence  des 
auteurs  contemporains,  de  saint  Grégoire  de  Tours, 
d'Avitus,  évèque  de  Vienne;  mais  on  n'ignore  pas 
les  dangereuses  conséquences  de  cette  objection  sur 
bien  des  faits  de  la  religion.  Personne  ne  doute  que 
saint  Rémi  n'ait  été  L'apôtre  de  Clovis  dans  sa  con- 
version ;  cependant  Fortunat,  qui  a  écrit  la  Yie  du 
saint  Archevêque,  n'en  dit  pas  un  mol.  Jugeons  de 
là  de  l'impression  que  doit  faire  l'argument  négatif 
qu'on  tire  du  silence  des  auteurs  contemporains. 
Mais ,  sans  m'étendre  davantage ,  je  dis  que  les  té- 
moignages des  grands  hommes,  qui  ont  eu  de  la  vé- 
nération pour  celte  merveille,  méritent  noire  respect, 
et  doivent  nous  suffire  pour  la  regarder  comme  un 
fait  grave  dans  l'Eglise,  authentique  et  reconnu.  Les 
voici  :  celui  d'Hincmar,  un  prélat  illustre,  et  dont  la 
science  est  d'un  grand  poids.  11  déclara  ce  miracle 


que  la  foi  vous  fasse  découvrir  les  titres 
saints  et  glorieux  que  vous  donne  votre 
baptême  ;  vous  êtes  un  roi  chrétien,  un  dis- 
ciple de  l'Evangile,  un  enfant  de  l'Eglise,  le 
frère,  la  conquête  de  Jésus-Christ,  le  cohé- 
ritier de  sa  gloire.  Servez-vous  de  votre 
puissance  et  de  votre  épée  même  pour  faire 
régner  dans  tous  vos  Etats  le  Dieu  de  misé- 
ricorde,, qui  vous  fait  passer  des  ténèbres  à 
l'admirable  lumière  de  la  foi.  Que  ce  jour, 
où  vous  professez  solennellement  le  chris- 
tianisme, soit  ïa  fameuse  époque  de  la  chute 
du  paganisme  dans  votre  empire.  Détruisez 
ses  temples,  renverser  ses  autels,  brisez  ses 
idoles,  abolissez  son  culte;  comme  prince 
catholique,  protégez  l'Eglise  contre  les  ariens 
et  tous  les  hérétiques  qui  combattent  sa  doc- 
trine; que  votre  glaive  royal  intimide  ceux 
qui  se  moquent  de  ses  menaces  et  bravent 
ses  foudres.  Il  faut  détester  et  détruire  tou- 
tes les  idoles  de  votre  cœur  :  Incende  quod 
adorasti.  Ce  n'est  pas  assez,  prince;  il  faut 
aimer,  respecter  et  adorer  même  ce  que  vous 
avez  détesté;  renoncez  aux  délices,  aux  at- 
taches, aux  plaisirs  que  fes  païens  se  per- 
mettent; leur  morale  combat  celle  de  l'E- 
vangile. Aujourd'hui  vous  vous  soumettez 
aux  abaissements  et  aux  rigueurs  du  chris- 
tianisme, vous  arborez  l'étendard  de  1» 
croix  sur  votre  trône  et  votre  couronne;  il 
faut,  comme  chrétien,  suivre  Jésus-Christ 
dans  la  route  du  Calvaire;  il  faut,  comme 
celui  qui  représente  la  grandeur  et  la  puis- 
sance de  Dieu,  employer  votre  autorité  pour 
le  faire  servir  et  étendre  son  culte.  Elevez 
des  temples  à  sa  gloire,  décorez  ses  autels,, 
procurez  des  asiles  aux  misérables;  que  les 
profondeurs  de  nos  mystères,  et  les  saintes 
obscurités  de  notre  foi  qui  vous  révoltaient, 
soient  les  grands  objets  de  votre  respect  et 
de  vos  adorations  :  Adora  quod  incendisti.  » 

Ainsi  parla,  Messieurs,  saint  Rémi  à  Clo- 
vis, dans  la  cérémonie  de  son  baptême. 
N'était-ce  pas  là  lui  parler  en  apôtre,  en 
homme  suscité  de  Dieu,  animé  de  son  es- 
prit ? 

Vous  dirai-je  qu'il  ne  cessa  point  d'ins- 
truire Clovis,  et  de  lui  être  utile  tant  qu'il 
? 

Que  ne  lui  dit-il  pas  pour  lui  prouver  la 
nécessité  d'être  soumis  à  l'Eglise  romaine, 
uni  au  Saint-Siège,  et  toujours  pénétré  d'un 

à  Charles  le  Chauve,  à  Metz,  dans  l'église  de  Saint - 
Etienne  avant  de  le  sacrer,  et  en  présence  de  toute 
sa  cour.  En  parlant  de  Rémi,  qui  avait  sacré  Clovis, 
il  dit  :  Cœtilus  sumplo  chrismate  unde  adlutc  habe- 
vius,  peruncti  et  in  regem  sacrait.  (Shimon.,  lom.  III 
Qonr.il.  Gailiœ,  anno  860,  Car.  Calv.  30,  pag.  385). 
Celui  des  souverains  pontifes  qui  l'ont  révérée; 
Paul  IF,  Sixte  IV,  Paul  III,  de  saint  Thomas:  Exde- 
latione  olei  desuper  per  cohimbam  quo  Rex  prœfalus 
(Clovis)  fu.it  inunclus,  et  posleri  inunguntur.  (De  regi- 
mine  princ,  lib.  H,  cap.  16.)  Quand  on  la  porta  à 
Louis  XI  au  Plessis-lés-Tours,  avec  quelle  vénéra- 
tion le  parlement  de  Paris  ne  la  reçul-il  pas,  quand 
l'abbé  de  saint  Rémi ,  qui  la  portait,  y  arriva? 

(2-4)  Les  Sicambres  étaient  des  peuples  au  delà  du 
Rhin,  compris  parmi  les  Français  :  il  donna  ce  nom 
à  Clovis  pour  marquer  l'origine  de  son  empire. 


régna 


500 


PANEGYRIQUES.  —  PANEG.  XV,  SAINT  REMI. 


510 


sincère  respect  pour  le  vicaire  de  Jésus- 
Christ?  Avec  quelle  autorité  ne  l'exhorte-t-il 
pas  à  protéger  l'Eglise  dans  ses  Etats,  à- y 
faire  observer  les  saints  canons,  à  assembler 
des  conciles,  à  se  rendre  redoutable  aux  hé- 
rétiques et  précieux  aux  catholiques? 

Quelle  onction  1  que  de  puissants  motifs 
de  consolation  dans  la  lettre  qu'il  lui  écrivit 
sur  la  mort  de  sa  sœur  Alboflède  1 

Que  de  prudence,  que  de  sagesse  dans  les 
avis  qu'il  lui  donne  pour  le  gouvernement 
de  son  royaume,  lorsqu'il  eut  déclaré  une 
nouvelle  expédition  dans  l'Aquitaine,  et 
pour  sanctifier  la  guerre  qu'il  déclarait  au 
roi  Alaric  1 

Clovis  eut,  Messieurs,  tant  qu'il  vécut, 
dans  saint  Rémi,  un  apôtre  zélé,  un  père 
tendre,  un  guide  éclairé  dans  les  voies  du 
salut  et  de  la  pénitence  :  Ungis  reges  ad  pœ- 
nitentiam. 

Mais  je  me  hâte,  Messieurs;  je  m'aperçois 
que  le  plan  que  je  me  suis  tracé  n'est  'pas 
encore  rempli,  puisque  je  dois,  en  finissant 
cet  éloge ,  vous  représenter  saint  Rémi 
comme  le  thaumaturge  des  Gaules  :  Sustu- 
Usti  mortuum  ab  inferis.  C'est  le  sujet  de  la 
dernière  partie. 

TROISIÈME     PARTIE. 

Dépeindre  un  thaumaturge,  c'est,  Mes- 
sieurs, dépeindre  un  de  ces  hommes  rares, 
extraordinaires,  que  Dieu  donne  en  specta- 
cle au  monde  étonné,  pour  retracer  sa  bonté, 
sa  puissance,  sa  sagesse  ;  un  homme  puis- 
sant en  œuvres,  en  paroles  ;  que  la  gloire  des 
miracles  accompagne  partout,  et  que  l'éclat 
des  prodiges  annonce  de  môme.  Ils  ont  paru 
de  temps  en  temps,  ces  hommes  merveil- 
leux, en  qui  la  puissance  de  Dieu  agissait 
avec  magnificence,  et  dont  les  miracles  mul- 
tiples effaçaient  la  gloire  des  maîtres  du 
moule. 

Qu'étaient  les  Moïse,  les  Elie,  les  Elisée? 
vous  le  savez  ;  des  dieux  en  comparaison  des 
monarques  qu'ils  reprenaient.  Moïse  est  ap- 
pelé dans  ï'Ecrituie  le  dieu  de  Pharaon. 
L'éclat  tout  divin  de  leur  autorité  forçait  les 
rois  d'Israël  de  conncître  le  Dieu  puissant 
des  Hébreux,  qui  rendait  de  simples  mor- 
tels les  instruments  de  ses  plus  redoutables 
vengeances  ou  de  ses  plus  tendres  miséri- 
cordes. 

Jésus-Christ  communique  sa  puissance  à 
ses  apôtres;  quels  rapides  progrès  ne  fait 
pas  sa  doctrine?  Les  miracles  qu'ils  opèrent 
sous  les  yeux  des  pontifes  de  la  Judée,  des 
empereurs,  des  sages  de  l'orient ,  ne  font-ils 
pas  chanceler  et  tomber  de  suite  le  paga- 
nisme ? 

Après  avoir  attaché  au  char  de  l'Evangile 
des  milliers  de  Juifs  convertis,  n'ont-ils  pas 
fait  des  conquêtes  dans  la  célèbre  académie 
d'Athènes,  et  arboré  l'étendard  de  la  croix 
sur  le  superbe  Capitole  de  Rome? 

N'est-ce  pas  l'évidence  des  miracles  qui  a 
répandu  la  honte  sur  le  culte  des  faux  dieux  ; 
qui  a  fait  rougir  les  hommes  qui  les  avaient 
honorés  ;  qui  les  a  fait  renoncer  à  la  vanité 
des  idoles,  et  qui  les  a  déterminés  à  embras- 


ser une  religion  qui  humilie  la  raison  et 
met  la  nature  à  l'étroit?  Saint  Paul  le  mar- 
que expressément  :  Confirmata  est,  conte- 
stante Deo  signis  et  portentis.  (  Ilcbr. ,  11.  ) 

Dieu  a  suseité  de  temps  en  temps,  Mes- 
sieurs, ces  hommes  extraordinaires.  Saint 
Martin  de  Tours  ne  parut-il  pas  au-dessus 
de  l'homme  par  ses  miracles?  Ne  semblait-il 
pas  être  l'arbitre  de  la  nature?  Et  n'a-t-il 
pas  retracé  la  puissance  de  Dieu  jusque 
dans  les  palais  des  empereurs. 

Quand  l'éternel  a  voulu  rendre  la  France 
chrétienne,  n'a-t-il  pas  suscité  un  autre 
thaumaturge,  le  grand  saint  Rémi  ? 

Ce  n'est  pas  moi,  Messieurs,  qui  lui  donne 
ce  nom,  qui  distingue  l'homme  de  prodiges 
des  autres  serviteurs  de  Dieu:  c'est  ainsi 
qu'il  a  été  appelé  dans  les  conciles  par  les 
souverains  pontifes,  dans  les  assemblées  du 
clergé  de  France,  par  les  monarques,  et  les 
savants  respectables. 

En  effet,  Messieurs,  si  les  miracles  ont  pré- 
cédé et  accompagné  sa  naissance,  n'ont-ils 
pas  aussi  été  multipliés  dans  tous  les  événe- 
ments de  son  épiscopat? 

La  puissance  divine  n'est-elle  pas  descen- 
due avec  lui  dans  le  tombeau?  Et  ce  séjour 
de  ténèbres,  d'humiliation  et  d'horreur  pour 
tous  les  hommes,  n'est-il  pas  devenu  un  séjour 
de  gloire,  de  puissance  et  de  consolation? 

Je  sais,  Messieurs,  qu'en  fait  de  miracles 
il  faut  de  la  circonspection  ;  comme  ils  accré- 
ditent la  doctrine  que  l'on  prêche,  les  héré- 
tiques ont  toujours  affecté  d'en  produire  : 
mais  ont-ils  soutenu  le  grand  jour?  Ont-ils 
été  adoptés  par  l'Eglise?  Retraçaient-ils  la 
bonté,  la  puissance,  la  sagesse,  la  sainteté 
de  Dieu?  Non,  Messieurs  :  aussi  saint  Au- 
gustin les  rejetait-il  comme  des  prestiges, 
et  prouvait-il'aux  donatistes  qu'il  ne  pouvait 
s'en  opérer  de  vrais  dans  leur  parti.  11  n'en  est 
pas  de  même,  Messieurs, des  miracles  de  saint 
Rémi.  Sa  doctrine,  le  genre  de  ses  miracles, 
l'objet  de  ses  miracles,  la  perpétuité  de  ses 
miracles:  quatre  traits  qui  les  rendent  pré- 
cieux à  l'Eglise,  et  qui  nous  les  garantissent. 
L'idolâtrie,  l'arianisme  régnaient  dans  cette 
partie  considérable  des  Gaules,  lorsque  saint 
Rémi  parut.  Or,  Messieurs,  l'idolâtrie  et  l'a- 
rianisme ont-ils  jamais  eu  un  plus  grand  en- 
nemi que  notre  saint  pontife? 

Celui  qui  détruisait  les  temples  des  faux 
dieux,  qui  renversait  leurs  autels,  brisait 
les  idoles  :  celui  qui  prêchait  à  Clovis  un- 
seul  Dieu  éternel,  Créateur  du  ciel  et  de  la 
terre;  qui  l'obligeait  à  employer  sa  puis- 
sance pour  anéantir  dans  tous  ses  Etals  le 
culte  aveugle  que  l'on  y  rendait  à  des  hommes 
mortels,  ne  favorisait  pas  certainement  l'ido- 
lâtrie. Celui  qui  était  soumis  à  l'Eglise  ro- 
maine, dontles  souverains  pontifes  louaient  la 
foi,  le  zèle  et  la  sainteté,  qu'ils  déclaraient 
leur  légat  et  revêtaient  de  leurs  pouvoirs, 
ne  favorisait  pas  l'arianisme.  La  foi  de  saint 
Rémi  est  donc  pure,  sa  doctrine  orthodoxe; 
ses  miracles  ne  favorisaient  donc  aucune 
secte,  aucun  parti  :  Dieu  en  est  l'auteur  ;  l'E- 
glise toujours  belle,  brillante  et  infaillible 
aux  yeux  de  ceux  que  les  profanes  nouveautés 


5il 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


3Î2 


n'ont  pas  séduits,  les  adopte  :  premier  trait 
qui  nous  en  garantit  la  vérité. 

Dieu  pouvait-il  employer  une  voie  plus 
forte,  plus  puissante,  plus  magnifique  pour 
toucher  les  païens  et  les  ariens,  que  celle  des 
miracles?  pouvait-il  mieux  prouver  la  doc- 
trine que  Rémi  prêchait,  et  l'accréditer, 
qu'en  le  rendant  le  dépositaire  de  sa  puis- 
sance? N'est-ce  pas  faire  ce  qu'il  avait  fait 
lorsqu'il  avait  envoyé  ses  apôtres   prêcher? 

Qui  pourrait  compter  tous  les  miracles 
que  saint  Rémi  a  opérés  pendant  sa  longue  et 
brillante  carrière? 

Avant  sa  naissance  Dieu  découvre  aux. 
yeux  des  saints  la  carrière  éclatante  dans 
laquelle  il  doit  le  faire  entrer:  on  voit  des 
prophéties,  des  révélations,  à  sa  naissance 
des  guérisons,  des  prodiges:  pendant  le 
cours  de  sa  vie  que  de  malades  guéris  !  que 
d'aveugles  éclairés  1  que  de  possédés  délivrés  1 

Sa  prière  n'a-t-elle  pas  délivré  Reims  tout 
à  coup  du  fléau  redoutable  de  la  peste  ? 
N'a-t-elle  pas  éteint  les  grands  incendies  qui 
la  menaçaient  d'un  embrasement  universel? 
N'a-t-elle  pas  mis  les  plus  formidables 
armées  en  déroute? 

Je  vois  la  puissance  divine  qui  agit  dans 
ce  grand  pontife  dès  les  premiers  moments 
de  sa  vie,  et  aux  approches  de  5a  mort  :  à  sa 
naissance  il  rend  la  vue  au  solitaire  Montan; 
avant  sa  mort,  des  yeux  fermés  à  la  lumière 
depuis  quelques  années  s'ouvrent  miracu- 
leusement. 

C'étaient,  Messieurs,  ces  merveilles  mul- 
tipliées qui  lui  faisaient  donner  le  surnom  de 
thaumaturge. 

Si  un  vrai  thaumaturge  retrace  la  bonté,  la 
sagesse,  la  sainteté  de  Dieu  dans  les  miracles 
qu'il  opère,  aussi  bien  que  sa  puissance,  n'est- 
ce  pas  avec  raison  qu'on  a  donné  ce  glorieux 
titre  à  saint  Rémi?  Jugeons-en  aussi,  Mes- 
sieurs, parle  genre  de  ses  miracles.  Voit-on 
des  imperfections ,  des  lenteurs,  des  mys- 
tères dans  les  miracles  qu'il  opérait?  Fallait- 
il  attendre,  se  cacher  pour  ressentir  les 
merveilleux  effets  de  la  puissance  divine? 
Fallait-il  être  initié  dans  certaines  assem- 
blées? La  grâce  des  guérisons  ne  coulait-elle 
que  sur  certaines  personnes  qui  lui  étaient 
attachées? 

Ah!  tous  ses  miracles  étaient  une  image 
de  la  puissance  divine,  qui  fait  éclater  la 
bonté,  la  sagesse  et  la  sainteté  d'un  Dieu 
aux  yeux  des  hommes,  pour  réveiller  leur 
foi  et  toucher  leur  cœur. 

Ils  portaient  tous  ces  caractères  divins  qui 
annoncent  la  magnifique  et  absolue  puis- 
sance de  celui  qui  a  commandé  au  néant,  à 
qui  rien    ne  résiste,  et  dont  tous  les  ou- 

(25)  Alaric,  roi  dos  Visigoths  ,  avait  une  grande 
vénération  pou?  saint  Rémi,  ainsi  que  tous  les  princes 
ariens.  Il  envoya  à  notre  apôtre  un  seigneur  de  sa 
famille  affligé  depuis  longtemps,  parce  que  sa  fille 
était  tourmentée  par  le  démon'.  Rémi  pria;  elle  fut 
délivrée;  mais  elle  mourut  bientôt  après:  on  eut 
encore  recours  au  saint  ;  il  pria,  la  prit  par  la  main 
et  lui  ordonna  de  se  lever,  ce  qu'elle  lit  en  présence 
d'un  grand  peuple.  (Fortunat,  Grégoire  de  Tours, 
Uincmar. 


vrages  sont  saints  et  parfaits  .  second  trait 
qui  nous  garantit  les  miracles  de  notre  apôtre. 

Ses  miracles  sont  prompts.  Les  lenteurs 
dans  les  guérisons  n'annoncent  pas  suffi- 
samment la  puissance  d'un  Dieu  qui  est  obéi 
sur-le-champ,  quand  il  commande. 

Ses  miracles  retracent  la  bonté  de  Dieu  : 
ils  délivrent  les  malheureux  des  maux  et 
des  calamités  qui  les  affligent;  ils  s'opèrent 
sur  les  païens  et  sur  les  ariens. 

Ses  miracles  retracent  la  sagesse  de  Dieu  : 
ils  sont  multipliés  dans  un  temps  où  ils 
étaient  encore  nécessaires,  selon  saint  Paul, 
dans  une  province  ou  la  lumière  de  l'Evan- 
gile ne  faisait  que  commencer  à  briller  chez 
des  peuples  qu'il  fallait  frapper  par  de  grands 
spectacles  de  la  puissance  de  Dieu  :  Linç/uœ 
in  signum  sunt,  non  ftdetibus,  sed  infidelibus. 
(1  Cor.,  XIV.) 

Ses  miracles  retracent  les  miracles  du  pre- 
mier ordre  que  l'Homme-Dieu  a  opérés  sur 
la  terre  :  il  ressuscite  les  morts  sous  les 
yeux  des  païens  et  des  ariens  (25). 

Ah!  quel  respect  pour  le  Dieu  que  prêche 
Rémi,  et  les  vérités  qu'il  annonce,  quand  on 
le  contemple  comme  le  dépositaire  de  la 
puissance  divine  !  Quand  on  lui  entend  dire 
aussi  que  Dieu  ne  sort  de  son  secret,  ne  fait 
éclater  sa  puissance  que  pour  attirer  les 
hommes  à  la  vraie  foi  à  et  la  sainteté,  que  c'est 
là  l'objet  des  merveilles  dont  il  est  l'instru- 
ment !  Ah!  Messieurs,  voilà  encore  un  trait 
qui  nous  garantit  les  miracles  de  notre  apôtre. 

Je  me  représente,  Messieurs,  cet  évêque 
arien  qui  était  venu  dans  le  concile  où  Rémi 
présidait,  qui  y  avait  défendu  les  blasphèmes 
d'Arius  ;  et  dont  la  langue  sacrilège  avait  été 
bée  par  une  vengeance  céleste,  et  réduite  au 
silence.  En  vain  est-il  prosterné,  abattu  aux 
) ueds  de  notre  saint  thaumaturge  :  en  vain 
gémit-il,  et  par  des  signes  touchants  implore- 
t-il  son  crédit  auprès  du  Seigneur  irrité; 
Reini  ne  lui  répond  que  pour  lui  dire  :  «  Vous 
implorez  en  vain  le  secours  du  ciel,  et  vous 
comptez  inutilemer.t  sur  ma  protection  et  la 
puissance  que  Dieu  daigne  me  communi- 
quer, si  vous  êtes  toujours  arien.  Dieu  ne 
peut  passe  contredire  ;  il  ne  fera  pas  éclater 
sa  puissance  contre  son  Eglise  qu'il  aime, 
qu'il  protège  ;  elle  sera  victorieuse  de  l'er- 
reur jusqu'à  la  fin  des  siècles  ;  l'enfer  même 
ne  fera  que  de  vains  etforts  pour  la  détacher 
de  son  époux  ;  elle  lui  sera  toujours  fidèle. 
Voulez-vous  obtenir  le  miracle  que  vous 
demandez?  Soyez  catholique  sincère:  em- 
brassez la  doctrine  de  l'Eglise,  soumettez- 
vous  à  ses  décisions,  condamnez  ce  qu'elle 
a  condamné  ("26)  :  c'est  dans  son  sein  seul 
qu'il  s'opère  de  vrais  miracles. 

(2G)  Cet  évêque  arien  fondait  en  larmes  dans  le 
concile  aux  pieds  de  saint  Rémi,  qui  lui  dit  ces  pa- 
roles :  «  Au  nom  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ, 
vrai  Fils  du  Dieu  vivant,  si  tu  as  véritablement  les 
sentiments  qu'on  doit  avoir  de  sa' divinité,  parle  et 
confesse  hautement  la  créance  de  l'Eglise  catho- 
lique. »  A  la  voix  de  Rerai  le  miracle-  s'opéra. 
(Hincmàr.  )  L'évêque  parla  et  fut  un  catholique  sou- 
mis. 


313  PANEGYRIQUES.  —  P 

N'est-ce  pas  là,  Messieurs,  rappeler  l'objet 
que  Jésus-Christ  s'était  proposé  en  commu- 
niquant sa  puissance  à  ses  apôtres?  N'était-ce 
pas  pour  rappeler  tous  les  hommes  à  l'unité 
de  la  foi,  ne  faire  qu'un  seul  bercail,  qu'ils 
opéraient  tant  de  prodiges?  Ceux  qui  se 
font  pour  disperser  le  troupeau,  rompre 
l'unité,  peuvent-ils  être  regardés  comme  les 
œuvres  d'un  Dieu  dont  les  promesses  sont 
infaillibles? 

Ici,  Messieurs,  se  présente  à  mes  yeux  un 
spectacle  qui  me  touche,  me  saisit  :  c'est  le 
tombeau  de  saint  Rémi.  Notre  saint  thauma- 
turge y  est  encore  un  homme  de  miracles  ; 
Dieu  y  perpétue  ses  merveilles.  Comment 
pourrais-je  vous  exprimer  en  si  peu  de  temps 
les  tendres  sentiments  de  mon  cœur,  la 
pompe  des  différentes  translations  que  l'on  a 
faites  de  son  saint  corps,  la  vénération  des 
souverains  pontifes,  la  dévotion  des  rois,  le 
zèle  des  évoques  pour  l'agrandissement  de 
son  culte,  les  témoignages  des  princes  ariens, 
témoins  oculaires  de  sa  puissance  et  de  sa 
gloire  ? 

Ah!  je  ne  puis  que  vous  en  donner  une 
légère  idée,  et  je  crains  qu'elle  ne  soit  pas 
assez  précise,  assez  frappante  :  vous  y  sup- 
pléerez, Messieurs,  par  vos  réflexions. 

Quand  jevois  le  séjour  des  ténèbres  changé 
»n  un  séjour  de  lumière;  une  terre  d'oubli, 
selon  l'Ecriture,  visitée  par  les  majestés  de 
la  terre;  recueil  où  se  brisent  toutes  les 
grandeurs  humaines;  le  centre  des  humilia- 
tions effacer  la  gloire  des  palais  des  mo- 
narques :  quand  je  pense  que  ce  lieu  d'hor- 
reur où  les  puissants  du  siècle  sont  si  faibles, 
îes  riches  si  pauvres,  les  grands  si  humiliés, 
est  un  lieu  de  puissance,  de  richesses,  de 
gloire  pour  saint  Rémi;  qu'il  y  est  puissant, 
grand,  opulent;  qu'il  y  règne  comme  sur  un 
trône,  qu'il  y  brille  comme  sur  un  théâtre 
de  gloire;  qu'il  y  fait  couler  sur  les  mortels 
qui  le  visitent,  des  trésors  de  grâces  et  de 
bénédictions,  je  m'écrie  :  Que  tDieu  est  ad- 
mirable dans  ses  saints! 

Je  ne  m'arrête  pas,  Messieurs,  aux  somp- 
tueux édifices  qui  le  renferment:  à  l'or,  au 
marbre  précieux  qui  le  décorent  :  je  ne  fixe 
pas  mes  regards  sur  les  superbes  mausolées 

(27)  Carloman ,  frère  de  Charlemagnc,  Louis 
d'Outremer  ;  Lothaire  ;  Fréderone,  femme  de  Char- 
les le  Simple  ;  Gerberge,  femme  de  Louis  IV.  (Mar- 
lot,  Tombeau  de  saint  Ilemi,  chapitre  9.) 

(28)  Hincmar  trouva  le  corps  de  saint  Rémi  en- 
tier, et  exhalant  une  odeur  céleste,  500  ans  après  sa 
mort.  (Flodoard.,  Hist.  Rem.,  lib.  I,  cap.  21.)  Il  fut 
trouvé  de  même  en  lG46,en  présence  des  évoques  et 
des  princes,  comme  il  est  ceitilié  par  Mgr  Léonard 
d  Etampes,  archevêque  de  Reims,  qui  le  visita  et  en 
dressa  un  procès-verbal. 

(29)  La  première,  de  la  chapelle  de  saint  Chris- 
tophe dans  une  église  plus  grande,  à  cause  du  grand 
nombre  de  pèlerins  que  les  miracles  y  attiraient  ; 
la  seconde,  par  Hincmar  ;  la  troisième,  par  les  ar- 
chevêques Foulques  cl  Hervée;  la  quatrième,  par 
le  pape  Léon  IX  ;  la  cinquième,  par  le  pape  Lenon- 
court  ;  la  si-xième,  par  l'archevêque  Léonard  d'Etam- 
pes.  On  n'en  compte  que  cinq,  à  cause  que  la  pre- 
Eiiére  est  appelée  miraculeuse,  et  faite  sans  céré- 
monie. 


ANEG.  XV,  SAINT  RE.V!. 


314 


de  plusieurs  de  nos  rois,  qui  ont  voulu  que 
leurs  cendres  reposassent  auprès  de  ce  grand 
pontife  (27). 

Je  me  représente  le  saint  corps  de  Rémi 
dans  le  tombeau,  et  je  suis  saisi  d'un  saint 
respect  en  le  voyant  jouir  comme  par  anti 
ci  pat  ion  des  glorieux  privilèges  de  l'incor 
ruptibilité. 

J'admire  un  monument  éclatant  de  la  puis- 
sance divine,  qui  l'a  conservé  près  de  douze 
cents  ans  dans  une  intégrité,  une  fraîcheur 
que  la  mort  détruit  et  efface  si  promptement 
dans  ceux  qu'elle  conduit  au  tombeau  (28). 

Nousdevonsparticij  crunjour,  Messieurs, 
à  la  gloire  du  tombeau  de  Jésus-Christ  :  nos 
corps  humiliés,  détruits,  en  sortiront,  à  la 
voix  du  Tout-Puissant,  brillants  des  clartés 
célestes,  incorruptibles,  immortels.  Mais  il 
n'est  pas  donné  à  tous  les  élus  de  participer 
par  anticipation  aux  triomphes  de  Jésus- 
Christ  ressuscité  :  c'est  un  privilège  que  nous 
admirons  dans  saint  Rémi,  dépositaire  de  la 
puissance  divine  dans  le  tombeau  même. 

Je  ne  suis  pas  étonné,  Messieurs,  qu'on 
ait  visité  souvent  ces  sacrées  dépouilles  de 
l'apôtre  de  la  France,  et  que  l'on  célèbre 
dans  les  annales  de  l'Eglise  cinq  pompeuses 
translations  de  ce  saint  corps  (29). 

Je  ne  suis  pas  surpris  que  les  souverains 
pontifes  se  soient  fait  une  gloire  de  le  porter 
sur  leurs  épaules  (30):  que  les  princes  ariens 
se  soient  assurés  des  merveilles  qui  s'opé- 
raient à  son  tombeau,  et  aient  été  forcés  de 
rendre  hommage  à  la  puissance  divine  qui  y 
agissait,  qui  le  rendait  célèbre  et  précieux 
dans  toutes  les  Gaules  (31):  qu'un  grand  évo- 
que, distingué  par  son  profond  savoir,  ail 
porté  pour  étendre  son  culte,  et  le  rendre 
solennel,  une  célèbre  assemblée  du  clergé 
de  France,  el  que  tous  les  prélats  de  l'Eglise 
gallicane  aient  applaudi  à  son  zèje  (32).  Le 
sacerdoce  et  l'empire  s'accorderont  toujours, 
lorsqu'il  s'agira  d'honorer  la  mémoire  du 
saint  apôtre  des  Français. 

Pour  nous,  Messieurs,  en  vain  comptons- 
nous  sur  sa  protection,  si  nous  sommes  de 
stériles  admirateurs  des  merveilles  de  son 
apostolat  et  de  sa  puissance  dans  le  tombeau. 
Il  faut  l'imiter  dans  les  vertus  qu'il  a  prati  - 

(30)  Léon  IX  vint  à  Reims  visiter  ic  tembeau  de 
saint  Rémi  ;  il  fit  la  dédicace  d'une  nouvelle  église 
pour  y  transférer  le  corps  du  saint  pontife,  et  le 
porta  avec  respect  sur  ses  épaules  à  la  procession 
solennelle.  (  Raromcs,  anno  10-i9.) 

(51)  Alboin,  roi  des  Lombards,  envoya  des  per 
sonnes  à  Reims  au  tombeau  de  saint  Rend  pour 
s'assurer  des  miracles  qui  s'y  opéraient,  et  dont 
Glodosvinde,  son  épouse,  petite-fille  du  grand  Clo- 
vis,  lui  parlait  sans  cesse  pour  le  retirer  du  pa  li 
des  ariens;  et  ces  témoins  oculaires  lui  confirmèrei.t 
la  vérité  des  miracles  qui  s'opéraient  toujours  au 
tombeau  de  notre  saint  apôtre.  (  Kpit.  de  saint  Ni- 
cèle,  éveque  de  Trêves,  à  la  reine  des  Lombards  Clo- 
dnsrinde ,  rapportée  dans  Sirmond.,  tcm.  1  Conc 
Gall.) 

(32)  Assemblée  du  clergé  de  France  de  1057. 
Mgr  l'évèque  de  Chàions  en  Champagne  y  parla 
pour  étendre  le  culte  de  saint  Rémi.  Ces  prélats  as- 
semblés adressèrent  une. lettre  à  tous  les  éveques 
de  France. 


515 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


516 


quées,  puisque  la  sainteté  du  cœur  est  abso- 
lument nécessaire  pour  paiticiper  à  la  gloire 
dont  il  jouit  dans  le  ciel,  et  que  je  vous 
souhaite. 

PANÉGYRIQUE  XVI. 

SAINT    JEAN    NÉPOMLCENE,    CHANOINE 
ET    MARTYR. 

Prononcé  en  présence  de  la  reine,  le  16  mai 
1747,  dans  l'église  des  RR.  PP.  Rt'collets 
de  Versailles. 

Sapientiam  et  fortitudinem  dedisti  milii.  [Ban.,  II.) 

C'est  vous,  Seigneur,  qui  m'avez  donné  cette  sagesse  et 
cette  fermeté  qui  m'étaient  nécessaires  à  la  cour  d'un 
prince  qui  voulait  me  séduire. 

Madame, 

Ce  n'est  pas  l'éclat  de  la  naissance  qui 
soutient  un  prêtre  à  la  cour,  c'est  l'éclat  de 
la  sainteté:  il  doit  y  être  l'homme  de  Dieu 
en  même  temps  qu'il  s'y  montre  un  fidèle 
sujet  du  prince:  les  préjugés  des  grands  ne 
doivent  point  lui  faire  taire  les  humiliantes 
vérités  de  l'Evangile;  les  passions  d'une  se- 
conde majesté  ne  doivent  jamais  lui  faire 
manquer  à  ce  qu'il  doit  à  la  première. 

La  sagesse  et  la  fermeté  accompagnent 
toujours  un  prêtre  que  Dieu  place  lui-même 
h  la  cour.  Sa  sagesse  y  condamne  les  cou- 
pables transgressions  de  la  loi  qui  y  sont  si 
communes;  sa  fermeté  y  triomphe  des  ca- 
resses et  des  menaces  qui  y  font  tant  de  lâ- 
ches déserteurs  de  la  morale  de  l'Evangile; 
vertus  rares  et  précieuses,  que  le  Seigneur 
accorde  à  ceux  qu'il  conduit  lui-même  sili- 
ces grands  théâtres  de  la  gloire  du  monde, 
et  qu'il  refuse  à  ceux  que  1  ambition  et  l'in- 
trigue y  font  parvenir:  Sapicntiam  et  forti- 
tudinem dedisti  mihi. 

En  vous  parlant,  Messieurs,  d'un  prêtre 
que  l'Esprit  de  Dieu  conduisit  à  la  cour,  et 
que  sa  main  puissante  et  magnifique  y  sou- 
tint contre  tous  les  efforts  de  la  sagesse 
mondaine,  vous  vous  rappelez  Jean  Népo- 
mucène,  qui  éclaira  la  Bohême  par  ses  lu- 
mières, l'édifia  par  ses  vertus,  l'honora  par 
son  martyre,  et  la  console  encore  aujour- 
d'hui par  les  grâces  précieuses  qu'il  fait 
couler  sur  elle. 

Ce  nouveau  Jean-Raptistc,  qui  trouva  un 
nouvel  Hérode  à  la  cour  de  Winceslas,  qui 
y  fut  désiré  et  persécuté;  ce  dispensateur 
fidèle  des  mystères  de  Jésus-Christ,  qui  en 
défendit  la  vérité  par  ses  discours  et  par 
son  silence;  ce  premier  martyr  du  secret  de 
la  confession  que  Dieu  suscita  quelque 
temps  avant  la  naissance  de  ces  hérésiarques 
nui  devaient  le  combattre  dans  leur  nouvelle 
doctrine  :  ce  héros  de  la  foi  dont  le  culte 
s'est  établi  dans  ce  saint  Heu  par  le  zèle 
d'une  grande  reine,  qui  préfère  les  solenni- 
tés saintes  aux  fêtes  profanes  du  siècle,  qui 
redoute  les  louanges  qu'elle  mérite  présen- 
tement, et  qui  n'ambitionnent  que  celles 
que  l'Eglise  donne  à  ceux  qui  sont  arrivés 
heureusement  au  moment  décisif  pour  le 
salut. 

Oui,  Messieurs,  c'est  sous  res  idées  que 
je  vais  vous  représenter  Jean  Népdmùcène ; 


la  sagesse  et  la  fermeté  vont  le  caractériser 
et  partager  son  éloge. 

Sa  sagesse  le  fit  désirer  à  la  cour.  Sa  fer- 
meté le  fit  triompher  à  la  cour  :  Sapientian 
et  fortitudinem  dedisti  mihi.  Demandons 
les  lumières  du  Saint-Esprit  par  la  puis- 
sante intercession  de  la  mère  de  Dieu.  Ave, 
Maria. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

Madame, 

Quelle  différence  entre  la  sagesse  des 
saints  et  celle  des  mondains! 

Serait-il  nécessaire,  Messieurs,  de  vous 
peindre  celle  de  ces  hommes  du  siècle  dont 
on  vante  tant  la  politique  et  la  prudence? 
Vous  la  connaissez,  vous  l'estimez  et  vous 
lui  érigez  tous  les  jours  des  trophées. 

Arriver  à  sa  fin  par  des  routes  inconnues, 
des  cabales  secrètes,  des  intrigues  ména- 
gées; inventer  un  système,  l'arranger,  l'.sc- 
ci  éditer  :  supporter  les  lenteurs,  supplanter 
un  concurrent,  ménager  une  personne  en 
place  qui  n'a  d'aimable  quelquefois  que  le 
seul  pouvoir  d'obliger;  voilà  la  sagesse  que 
le  monde  loue,  mais  celle  que  Dieu  réprouve, 
parce  qu'il  n'en  est  pas  la  fin.  La  sagesse 
des  saints  a  des  vues  bien  plus  hautes  et 
bien  plus  dignes  d'une  âme  créée  pour  le 
ciel  ;  elle  consiste  à  se  ménager,  par  toutes 
les  ressources  que  fournit  la  religion,  des 
consolations  à  la  mort  et  une  couronne  im- 
mortelle au  delà  du  tombeau;  naissance,  ri- 
chesses, talents,  grandeurs,  trônes,  sceptres 
même,  tout  cela  perd  son  éclat  et  parait 
dangereux  à  celui  qui  rapproche  le  mo- 
ment de  la  mort  et  médite  une  destinée 
éternelle. 

Qu'elle  est  déplorable  la  sagesse  des  mon- 
dains, puisqu'elle  ne  saurait  les  consoler, 
lorsqu'ils  cessent  d'être  grands  pour  deve- 
nir cendre  et  poussière  I 

Qu'elle  est  précieuse  la  sagesse  des  saints, 
puisqu'elle  leur  procure  un  bonheur  éter- 
nel, lorsque  tout  leur  échappe  sur  la  terre 
et  que  le  tombeau  s'ouvre  pour  les  rece- 
voir ! 

Quelle  différence,  au  moment  de  la  mort, 
entre  un  grand  du  monde  qui  a  négligé  son 
salut  et  un  juste  pauvre  qui  y  a  travaillé 
efficacement!  L'un  dépouillé  de  toute  sa 
gloire  ne  peut  plus,  avec  tous  les  systèmes 
de  sa  passion,  s'imaginer  autre  chose  que  le 
néant  ou  l'enfer;  l'autre,  rappelé  d'un  exil 
où  il  gémissait  comme  étranger,  voit  avec 
douceur  et  avec  joie  les  approches  de  son 
Dieu. 

O  sagesse  que  Dieu  communique  à  ses 
serviteurs  et  (pie  le  monde  méprise,  que 
vous  êtes  précieuse  ! 

Jean  Népomucène  la  posséda,  Messieurs, 
cette  sagesse  qui  porte  ses  vues  au  delà  du 
tombeau;  elle  lui  fit  découvrir  avec  frayeur 
la  sainteté  du  sacerdoce;  elle  lui  fit  remplir 
avec  éclat  les  fonctions  saintes  du  sacerdoce; 
elle  lui  fit  refuser  avec  générosité  les  digni- 
tés éclatantes  du  sacerdoce  :  on  l'admira 
dans  l'empire,  elle  perça  à  la  cour  de  Win- 
ceslas. 


z\: 


PANEGYRIQUES.  —  PANEG.  XVI,  SAINT  JEAN  NEPOMUCENE. 


518 


Jean  Népomucène  y  fut  désiré  :  les  grands 
aiment  à  s'attacher  au  mérite  éclatant  qui 
se  cache;  les  honneurs  vont  trouver  celui 
qui  les  redoute  et  ne  viennent  jamais  assez 
tôt  pour  celui  qui  les  brigue.  Jean  Népomu- 
cène, occupé  de  son  salut,  ignore  les  idées 
que  l'on  conçoit  de  lui  :  la  cour  pense  à  son 
élévation,  et  lui  ne  pense  qu'à  ce  qu'il  faut 
faire  pour  se  sanctifier  :  n'est-ce  pas  là, 
Messieurs,  la  vraie  sagesse  ? 

La  sagesse  de  Jean  Népomucène  lui  fit  dé- 
couvrir tout  ce  qu'il  y  a  de  divin,  de  redou- 
table et  d'important  dans  le  ministère  ec- 
clésiastique; il  considéra  dans  un  prêtre, 
non  un  caractère  oisif  qui  le  distingue  du 
peuple,  qui  le  dérobe  aux  embarras  du  siè- 
cle, et  lui  procure  souvent  des  revenus  et 
des  honneurs,  mais  ce  pouvoir  surprenant, 
qu'il  reçoit  avec  l'onction  sainte,  de  pro- 
duire le  corps  de  Jésus-Christ  dans  ses 
mains,  de  remettre  les  péchés,  d'être  le 
dispensateur  des  grâces  et  des  mystères  du 
salut. 

Il  porta  ses  vues  sur  le  sanctuaire  où  son 
penchant  l'entraînait;  mais  il  ne  se  cacha 
rien  des  vertus  qu'il  exige  de  ceux  qui  s'y 
consacrent;  il  trembla  à  la  vue  d'un  carac- 
tère qui  suppose  la  sainteté  et  cjui  ne  la 
donne  pas;  et  les  grandes  idées  qu  il  conçut 
du  sacerdoce  le  rendirent  en  peu  de  temps 
un  homme  d'une  sainteté  éminente.  Ici, 
Messieurs,  l'histoire  fidèle  nous  présente 
des  prodiges  et  des  vertus;  j'aperçois  des 
traits  qui  annoncent  sa  grandeur  future  dans 
l'Eglise  et  les  importants  services  qu'il  doit 
lui  rendre. 

Quoque l'hérésie,  qui  désola  l'Allemagne 
après  la  mort  de  notre  saint,  ait  enseveli 
sous  les  ruines  des  églises  et  des  monas- 
tères ses  écrits  précieux,  ce  qui  a  échappé 
à  la  fureur  des  hérétiques  suffit  pour  nous 
donner  une  juste  idée  de  ce  grand  homme. 

Vous  dirai -je  que  sa  naissance  fut  écla- 
tante, non  pas  par  l'opulence  et  les  titres 
pompeux  qui  président  au  berceau  des 
grands,  mais  par  les  prodiges  dont  Dieu 
l'honora?  11  fut  la  récompense  des  vœux  et 
des  soupirs  d'une  mère  stérile  ;  il  parut  sous 
les  auspices  de  la  mère  de  Dieu  et  au  milieu 
des  rayons  de  gloire  qui  environnaient  son 
berceau. 

Dieu  annonce  par  ces  merveilles  le  plus 
grand  homme  qu'ait  possédé  la  Bohême;  il 
fait  paraître,  dans  le  xiv*  siècle,  cet  astre 
éclatant  que  les  ténèbres  de  l'erreur  devaient 
s'efforcer  en  vain  d'obscurcir. 

Il  y  a  des  saints  dont  la  sagesse  semble  se 
saisir  dès  l'enfance  ;  ils  n'ont  point  de  pleurs 
à  répandre  sur  la  dangereuse  saison  de  la 
jeunesse;  Jean  Népomucène  fut  de  ce  nom- 
bre. 

Ce  fut  la  sagesse  qui  lui  fit  porter  ses  pre- 
miers regards  vers  le  sanctuaire  :  ce  fut  elle 
qui  lui  en  découvrit  toute  la  grandeur  et  toute 
la  majesté  ;  ce  fut  elle  aussi  qui  lui  fit  sen- 
tir qu'il  ne  fallait  pas  y  porter  une  sainteté 
commune. 

Frappé  de  ces  grandes  vérités,  je  le  vois 
«'enfoncer  dans  la  retraite  pour  se  préparer 


à  recevoir  l'onction  sainte  du  sacerdoce;  là, 
dans  une  paisible  solitude,  il  écoute  la  voix 
du  Seigneur,  qu'on  n'entend  pas  dans  le  bruit 
du  monde;  ses  pensées,  ses  désirs,  ses  priè- 
res, ses  mortifications,  l'unissent  intime.- 
ment  à  Jésus-Christ,  et  le  préparent  à  mon- 
tera l'autel. 

Heureux,  si  tous  les  ministres  du  Sauveur 
portaient  à  l'autel,  comme  Jean  Népomucène, 
une  innocence  sans  tache,  un  cœur  embrasé 
du  divin  amour,  un  zèle  ardent  pour  le  salut 
du  prochain,  les  talents  nécessaires  pour 
triompher  des  appas  de  l'erreur  et  des  res- 
sources du  libertinage! 

On  ne  verrait  pas  quelquefois  paraître 
dans  le  sanctuaire  ceux  qui  devraient  pleu- 
rer dans  la  solitude  ;  des  cœurs  tout  de  glace, 
lors  même  qu'ils  récitent  des  paroles  toutes 
de  ieu;  on  n'éviterait  pas  les  fatigues  de 
l'apostolat  pour  s'occuper  des  honneurs  ou 
des  domaines  qui  y  sont  attachés  ;  l'homme 
ennemi  ne  profiterait  pas  des  ombres  de  la 
nuit  et  des  ténèbres  de  l'ignorance  pour 
semer  l'ivraie  avec  le  bon  grain,  et  accréditer 
ses  dangereux  systèmes. 

Ce  n'est  pas,  Messieurs,  pour  autoriser 
votre  censure  que  je  fais  cette  -plainte  à  la 
face  des  saints  autels  ;  elle  n'est  pas  assez  ré- 
servée. 

Quand  on  respecte  la  religion,  on  ménage 
ses  ministres  ;  on  n'attribue  pas  au  corps  les 
défauts  d'un  particulier.  Il  y  a  encore  des 
anges  sans  tache  dans  le  sanctuaire  ;  il  y  a 
encore  des  apôtres,  des  docteurs  ;  la  sainteté 
et  la  saine  doctrine  font  toujours  la  beauté 
de  l'Eglise  catholique;  la  nouveauté  fait  de 
vains  efforts  pourlatlétrir;  l'avilissement  dans 
lequel  on  s'efforce  de  faire  tomber  le  sacer- 
doce, est  une  preuve  de  l'irréligion  qui  rè- 
gne dans  notre  siècle. 

La  sainteté  et  les  talents  ont  fait  'désirer 
Jean  Népomucène  à  la  cour;  tous  les  hom- 
mes de  vertus  et  de  talents  sont-ils  désirés 
aujourd'hui  ?  Si  la  naissance  n'a  pas  besoin 
de  protection,  le  mérite  en  a  besoin.  Plus  un 
minis-.re  des  autels  est  occupé  de  son  minis- 
tère, moins  on  pense  à  lui.  Si  Dieu  n'avait 
pas  placé  lui-même  Jean  Népomucène  à  .a 
cour  de  Winceslas,  marchait-il  dans  la  route 
qui  conduit  à  la  fortune?  Hélas  !  il  savait 
qu'il  n'était  pas  à  propos  qu'un  prêtre  fût 
toujours  agréable  aux  grands  ;  mais  il  sa- 
vait qu'il  était  toujours  nécessaire  qu'il  lût 
utile  à  la  religion. 

Il  est  vrai  que  dans  une  cour  chrétienne 
une  vertu  solide  y  trouve  toujours  des  pro- 
tecteurs; il  y  a  des  pénitents  dans  le  centre 
des  délices,  des  hommes  d'humilité  dans 
l'éclat  des  grandeurs,  des  contemplatifs 
dans  le  tumulte  des  grandes  affaires. 

Ceux  mêmes  qui  sont  le  plus  livrés  au 
monde,  estiment  ceux  qui  le  méprisent;  on 
se  déchaîne  contre  une  piété  qui  n'est  pas 
soutenue;  on  révère  la  vertu  qui  se  dérobe 
aux  louanges  du  public;  l'homme  de  sainteté 
a  toujours  paru  un  prodige  aux  yeux  des 
mondains.  Jésus-Christ  fut  désiré  à  la  cour 
d'Hérode,  parce  qu'il  opérait  des  miracles; 
Jean  Népomucène  fut  désiré  à  la  cour  de 


"13 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


520 


Weii.e-.las,  parce  qu'il  pratiquait  des  vertus 
qui  tenaient  du  prodige. 

Mais  la  vertu  ne  plaît  pas  toujours  aux 
grands  qui  ont  des  faiblesses,  et  qui  veulent 
être  flattés;  nous  verrons  la  scène  changer. 
L'empereur  désire  un  apôtre,  il  l'aura;  il  en 
voudra  faire  un  courtisan  lâche  et  sacrilège, 
il  ne  le  pourra  jamais. 

Heureux,  si  le  vice  seul  attirait  ces  disgrâ- 
ces qui  menacent  les  courtisans!  On  ne  ver- 
rait pas  tant  de  faibles  mortels  se  faire  un 
devoir  de  les  détourner  par  de  coupables 
complaisances. 

Jean  Népomucène  édifiait  toute  la  Bohème 
par  ses  rares  vertus; le  monde  s'en  occupait, 
lui  seul  semblait  les  ignorer;  il  s'humiliait 
quand  il  comparait  sa  vie  avec  lasaintelé  du 
sacerdoce;  l'élévation  de  son  état  lui  faisait 
craindre  de  ne  pas  êtreassez  parfait  ;  il  savait 
que  les  vertus  qui  suffisent  pour  le  salut 
d'un  laïque  ne  suffisent  pas  pour  celui  d'un 
prêtre.  Cette  juste  idée  qu'il  concevait  du 
sacerdoce  en  lit  un  homme  de  sainteté  et  un 
homme  de  zèle  ;  sainteté  qui  répond  à  la 
grandeur  du  sacerdoce;  zèle  qui  lui  fait 
remplir  avec  éclat  les  fonctions  saintes  du 
sacerdoce. 

Un  prêtre  sans  piété  est  le  scandale  de  la 
religion  ;  un  prêtre  sans  talents  occupe  une 
place  inutile  dans  la  religion.  Nous  som- 
mes chrétiens  pour  nous  ;  nous  sommes  prê- 
tres pour  les  autres;  si  la  sainteté  est  néces- 
saire pour  exercer  le  ministère  des  autels, 
la  science  est  nécessaire  pour  rendre  le  mi- 
nistère des  autels  utile.  Je  tremble  pour  ce- 
lui qui  approche  du  Seigneur  sans  être  saint; 
mais  je  tremble  encore  plus  pour  celui  qui 
se  charge  de  la  conduite  des  âmes  sans  ex- 
périence et  sans  talents. 

Un  cœur  souillé  peut  se  guérir;  un  génie 
enveloppé  ne  deviendra  jamais  juste  et  pé- 
nétrant ;  les  fautes  du  cœur  peuvent  s'ex- 
pier ;  les  fautes  que  l'ignorance  fait  commet- 
tre dans  le  ministère  sont  très-souvent  irré- 
parables. 

Qu'on  demeure  dans  le  rang  des  simples  fi- 
dèles, si  on  n'a  pas  reçu  du  Seigneur  les  talents 
qui  sont  nécessaires  pour  être  utile  h  l'Eglise; 
on  se  sauvera.  Qu'on  tremble  en  vivant 
même  saintement  ;  si  on  porte  l'ignorance 
dans  les  tribunaux  de  la  pénitence,  et  dans 
le  gouvernement  des  âmes,  on  s'y  damnera. 

C'est,  Messieurs,  l'esprit  de  l'Eglise  que 
je  développe  ici  ;  ce  sont  les  oracles  qu'elle 
a  prononcés  dans  les  saints  conciles;  c'est 
ainsi  qu'ont  parlé  tous  les  saints  docteurs. 

Jean  Népomucène  était  rempli  de  ces 
grandes  vérités  ;  c'est  pourquoi  il  ne  porta  ses 
vues  vers  le  sanctuaire  que  pour  y  être  utile 
à  l'Eglise. 

La  Bohême  n'eut  jamais  un  génie  plus 
vaste,  un  docteur  plus  éclairé,  un  directeur 
plus  habile  dans  les  voies  du  [salut,  même 
les  plus  difficiles  et  les  plus  mystérieuses, 
un  orateur  plus  éloquent,  un  apôtre  plus 
zélé. 

Vous  dirai-je  qu'il  fut  l'ornement  de  l'u- 
niversité de  Prague,  cette  fameuse  école  que 
l'empereur  Charles  IV  venait  de  fonder,  ri 


qui  était  compo.  ée  alors  des  plus  célèbres 
maîtres  des  universités  de  Paris,  de  Padoue 
et  de  Boulogne  ? 

Vous  dirai-je  que  l'on  trouvait  en  lui 
tous  les  talents  qui  font  le  grand  ecclésias- 
tique ? 

Talents  pour  développer  les  grandes  matiè- 
res de  la  religion  :  il  fut  un  théologien  pro- 
fond. S'il  lui  eût  été  donné  de  voir  les  héré- 
tiques qui  parurent  a]  rès  sa  mort,  comme 
il  lui  fut  donné  de  prédire  les  ravages  qu'ils 
causèrent  dans  l'Allemagne,  ils  auraient 
trouvé  en  lui  un  redoutable  adversaire. 

Talents  de  la  direction  :  il  avait  le  don  do 
développer  les  consciences,  de  les  tranquil- 
liser ou  de  les  remuer  salulairement  ;  il 
marchait  prudemment  entre  les  deux  extré- 
mités vicieuses  qu'on  ne  saurait  trop  éviter, 
le  relâchement  et  la,  sévérité.  Les  conscien- 
ces délicates,  les  consciences  .timides rîes 
consciences  chargées  d'anciennes  iniquités, 
les  consciences  effrayées  d'une  chute  passa- 
gère, trouvaient  dans  Jean  Népomucène  des 
consolations  promptes  et  efficaces  :  il  évitait 
le  défaut  du  lévite  indifférent,  qui  ne  jette 
pas  les  yeux  sur  les  plaies  du  malade  de  Jé- 
richo ;  il  évitait  le  défaut  de  l'austère  phari- 
sien, qui  aurait  voulu  que  le  Sauveur  eût 
laissé  la  fameuse  pénitente  gémir  longtemps 
sous  le  poids  du  péché.  Bientôt  la  sagesse  du 
nouveau  directeur  fait  du  bruit  dans  Prague  : 
elle  perce  à  la  cour.  Les  pauvres,  les  riches, 
les  communautés  religieuses,  l'impératrice 
même,  veulent  se  mettre  sous  sa  conduite  : 
si  l'étendue  de  son  zèle  n'eût  pas  répondu  à 
l'étendue  de  ses  lumières,  aurait-il  pu  sou- 
tenir des  travaux  si  immenses  ? 

Talents  pour  la  chaire  :  jamais  prédicateur 
n'en  eut  de  plus  décidés,  de  plus  brillants, 
de  [dus  propres  au  succès  et  de  plus  uni- 
versellement applaudis. 

La  force,  l'onction,  l'éloquence ,  la  majes- 
té; des  images  naturelles  des  ravages  du 
péché  et  des  peines  éternelles;  des  charmes 
de  la  vertu  et  des  récompenses  qui  lui  sont 
destinées,  le  firent  regarder,  avec  justice, 
pour  le  plus  célèbre  orateur  de  son  temps. 

Il  avait  ces  grâces,  ces  manières  touchantes 
qui  vont  au  cœur:  son  talent  était  de  les 
remuer  et  de  les  arracher  à  leurs  coupables 
attaches. 

Voulez-vous,  Messieurs,  des  preuves  de  ce 
que  j'avance?  Voici  des  faits. 

Avaient  paru  avant  lui,  dans  la  basilique 
de  sainte  Marie,  le  fameux  Conrard  d'Autric 
et  le  célèbre  Mélitius,  deux  prédicateurs  qui 
avaient  enlevé  tous  les  applaudissements  de 
la  ville  de  Prague,  les  plus  éloquents  de 
leur  siècle,  dont  le  zèle  et  le  feu  entraî- 
naient tous  les  cœurs,  et  qui  avaient  eu  la 
consolation  de  voir  ce  que  saint  Chrysostome 
désirait  de  son  temps  avec  tant  d'ardeur, 
c'est-à-dire,  des  auditeurs  baignés  de  pleurs, 
les  mœurs  de  cette  grande  ville  changées, 
le  luxe  diminué,  les  débauches  cessées,  la 
vie  molle  et  voluptueuse  condamnée,  tous 
les  vices  proscrits.  C'est  après  ces  deux 
giands  hommes  que  Jean  Népomucène  pa- 
raît dans  la  chaire  :  c'est  à  des  auditeurs  dé- 


SM  PANEGYRIQUES. 

beats,  accoutumés  au  beau  et  au  sublime, 
qu'il  parle;  et  ce  sont  eux  aussi  qu'il  ravit, 
qu'il  toucbe,  qu'il  enlève:  ils  admirent  Jean 
Néoumocène  après  avoir  admiré  Conrartl  et 
Méfitius;  et,  sans  ravir  la  gloire  de  ces  grands 
hommes,  ils  avouent  que  Jean  Népomucène 
les  surpasse  ;  les  conversions  éclatantes  qui 
accompagnaient  ses  prédications,  les  succès 
immenses  le  publiaient  aussi  hautement. 

Un  homme,  qui  remplissait  les  fonctions 
du  sacerdoce  avec  tant  d'éclat,  fut  bientôt 
connu  et  désiré  à  la  cour. 

On  vit  autrefois  le  jeune  Agrippa  désirer 
avec  ardeur  d'entendre  prêcher  saint  Paul; 
on  vit  alors  l'empereur  Winceslas  demander 
avec  instance  Jean  Népomucène  pour  prêcher 
à  sa  cour. 

Notre  saint  connaissait  toute  l'importance 
de  cette  mission  :  il  savait  que,  pour  annon- 
cer la  parole  de  Dieu  aux  majestés  de  la 
terre,  il  faut  être  rempli  de  cet  esprit  de  vé- 
r  lé  qui  ne  cache  rien,  qui  ne  redoute  rien. 
Il  refusa  cet  honneur,  qui  devrait  aller  trou- 
ver tous  les  hommes  apostoliques,  et  qu'ils 
ne  devraient  jamais  briguer.  On  ie  sollicita, 
on  le  força,  et  l'obéissance  seule  le  fit  paraî- 
tre à  la  cour;  mais  il  y  parut  comme  Jean- 
Baptiste,  pour  y  reprendre  les  vices  qui  y 
régnaient. 

Il  y  montra  cette  liberté  évangélique  qui 
ouvre  les  portes  du  ciel  et  les  abîmes  de 
l'enfer,  pour  montrer  au  monarque,  aussi 
bien  qu'au  peuple,  le  sort  destiné  à  la  vertu 
et  au  vice.  Il  disait,  comme  la  prophète 
Michée  au  juste,  que  tout  allait  bien  pour 
lui;  mais  il  disait  aussi  au  pécheur  impéni- 
tent qu'il  périrait.  La  grandeur,  les  richesse.--, 
la  puissance,  l'éclat  de  la  victoire  ne  l'au- 
raient pas  empoché  de  reprendre  un  Naaman 
souillé  de  la  lèpre  du  péché;  il  lui  aurait 
dit:  Vous  êtes  grand,  vous  brillez  même  sur 
le  trône,  mais  vous  êtes  un  homme  de  vice: 
Magnus  es ,  sed  leprosus  (IV  Rcg.,Y)  ;  vous 
j  érirez  si  vous  ne  faites  pénitence. 

Il  portait  le  peuple  à  respecter  le  prince  ; 
mais  il  forçait  le  prince  à  reconnaître  un 
Dieu,  maître  absolu  de  son  trône,  de  sa  cou- 
ronne et  de  son  sort  éternel. 

Winceslas  l'écoutait  attentivement;  il  n'a- 
vait pas  encore  développé  ce  caractère  féroce 
qui  devait  donner  des  scènes  si  tragiques 
dans  son  empire. 

Dans  ces  temps  de  calme,  Jean  Népomu- 
3ène  était  l'apôtre  de  la  cour;  il  y  exerçait  un 
apostolat  aussi  saint,  aussi  édifiant,  aussi 
glorieux  que  celui  des  premiers  disciples  du 
«sauveur.  11  y  établit  le  règne  d'une  solide 
piété  et  y  fait  ériger  de  toute  part  des  tro- 
phées à  l'Evangile;  l'empereur  seul  s'en- 
durcit de  plus  en  plus  aux  grands  exemples 
de  vertu  qu'il  donne  et  aux  charmes  puis- 
sants de  ses  prédications. 

C'est  donc  faute  de  connaître  l'importance 
delà  mission,  qu'on  brigue  l'honneur  de  por- 
ter la  parole  de  Dieu  devant  les  maîtres  de 
la  terre,  qu'on  la  défigure  par  une  éloquence 
toute  profane  et  qu'on  s'efforce  d'être  à  leurs 
oreilles  comme  un  agréable  concert  de  mu- 
sique, selon  l'expression  d'un  Prophète. 


PANEG.  XVI  ,  SAINT  JIIAN  NEPOMUCENE. 


522 


Il  n'y  a  point  d'endroit  où  l'on  ait  plus 
besoin  d'apôtres  qu'à  la  cour;  on  s'y  pique 
d'esprit,  on  ne  s'y  pique  pas  de  religion;  on 
y  connaît  les  détours  de  la  politique,  on  n'y 
sait  rien  souvent  de  l'économie  de  nos  mys- 
tères; on  trouve  des  moments  pour  lire  dés 
livres  composés  dans  les  ténèbres,  on-n'en 
trouve  point  pour  lire  des  livres  de  piété  ; 
tous  les  courtisans  ont  le  temps  d'être  phi- 
losophes, très-peu  trouvent  le  temps  d'être 
chrétiens. 

Ah  !  qu'on  ne  se  contente  pas  de  désirer 
des  apôtres  à  la  cour,  qu'on  les  écoute  quand 
ils  y  paraissent. 

Jean  Népomucène  fut  écouté  h  la  cour  de 
Winceslas;  l'éclat  avec  lequel  il  remplissait 
les  fonctions  saintes  du  sacerdoce  le  fit  re- 
garder comme  le  plus  saint  et  le  plus  excel- 
lent ecclésialique  de  son  temps.  On  pensa  à 
son  élévation;  on  lui  oiï'rit  les  dignités  les 
plus  éclatantes  et  les  plus  flatteuses  ,  mais  il 
les  refusa  généreusement  et  constamment. 

Quand  nous  louons,  Messieurs,  la  sage  se 
de  ces  hommes  admirables  qui  portaient  leur 
vue  au.delà  du  tombeau,  qui  craignaient  la 
chute  en  regardant  l'élévation,  et  qu'on  voyait 
baignés  de  pleurs  lorsqu'on  leur  offrait  les 
dignités  éclatantes  de  l'Eglise,  nous  ne  pré- 
tendons pas  tirer  des  conséquences  dange- 
reuses pour  le  salut  de  ceux  que  la  nais- 
sance, la  piété  et  les  talents  placent  sur  le 
trône  épiscopal.  L'humilité  de  ces  grands  ser- 
viteurs de  Dieu  qui  sont  restés  dans  le  rang 
inférieur  des  lévites,  ne  condamne  pas  la  con- 
fiance de  ceux  qui  montent  à  l'autel  avec 
amour. 

Si  nous  donnons  des  louanges  à  ces  justes 
timides  qui  ont  refusé  l'épiscopat,  nous  en 
donnons  aussi  à  ces  ministres  zélés  qui  en 
ont  soutenu  la  dignité  par  leurs  vertus  et  par 
leurs  talents. 

Malheur  seulement  à  ceux  que  l'ambition 
et  l'intrigue  élèvent  aux  premières  places  du 
sanctuaire;  qui  sont  tlattés  par  les  honneurs 
et  les  revenus,  sans  être  effrayés  du  compté 
qu'ils  en  doivent  rendre;  h"  ces  lumières 
qu'on  place  sur  la  montagne  et  qui  devien- 
nent des  astres  errants;  à  ces  sentinelles 
qu'on  pose  pour  garder  la  cité  sainte  et  que 
l'homme  ennemi  trouve  toujours  endormies; 
à  ce  sel  de  la  terre  qui  s'affadit  et  qui  donne 
le  temps  à  la  corruption  de  s'étendre  et  do 
faire  de  funestes  progrès! 
'  Mais  pour  ceux  qui  aiment  l'Eglise  catho- 
liques, qui  respectent  ses  décisions  ,  que  les 
talents  et  les  vertus  rendent  recomman- 
dables,  que  les  fatigues  de  l'apostolat  n'ef- 
frayent pas,  qu'ils  montent  avec,  confiance 
sur  le  trône  é;  iscopal,  l'Eglise  a  besoin  de 
ces  pasteurs  ;  ils  font  sa  gloire  et  sa  conso- 
lation. 

Si  le  refus  constant  que  Jean  Népomucène 
fit  des  dignités  éclatantes  du  sacerdoce,  mérite 
aujourd'hui  notreadmiraUon  et  nos  louanges, 
c'est  qu'il  est  rare  d'avoir  une  humilité  si 
parfaite  avec  des  talents  si  brillants,  et  de 
juger,  pendant  la  vie,  des  honneurs  et  de 
l'opulence  comme  on  on  juge  au  moment  de 
la  mort;  c'est  là,  Messieurs,  la  véritable  sa- 


525 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


S?4 


si  c'était  celle  de  tous  les 


gesse  :  heureux 
chrétiens! 

11  n'y  avait  pointue  dignités  éclatantes  dans 
l'Eglise  auxquelles  Jean  Népomucène  n'eût 
pu  aspirer;  de  grands  talents  soutenus  de 
grandes  vertus,  le  faisaient  regarder  comme 
le  pjus  propre  à  remplir  les  premières  places 
du  sanctuaire. 

Déjà  l'archevêque  de  Prague  se  l'était  at- 
taché par  un  canonicat  dans  sa  métropole; 
déjà  Winceslas  avait  jeté  les  yeux  sur  lui 
pour  remplir  le  siège  de  Leitomeritz. 

Le  plus  beau  et  Te  plus  riche  bénéfice  du 
royaume  fut  aussi  à  sa  disposition.  La  pré- 
vôté de  Wischeradt,  à  laquelle  était  attaché 
le  titre  de  chancelier  héréditaire  et  des  do- 
maines immenses,  la  charge  de  grand  au- 
mônier du  royaume,  venaient  chercher  Jean 
Népomucène,  et  Jean  Népomucène  les  fuyait. 

N'y  avait-il  pas  là,  Messieurs,  de  quoi 
flatter  un  homme  qui  ne  penserait  pas  à  la 
mort?  Oui,  sans  doute;  mais  la  sagesse  de 
Jean  Népomucène  porte  ses  vues  au  delà  du 
tombeau  ;  il  redoute  ces  places  érninentes 
qui  attirent  tant  d'hommages,  ces  amples  re- 
venus qui  sont  le  patrimoine  des  pauvres. 
L'évôché  de  Leitomeritz  et  la  prévôté  de  Wis- 
Gheradt  sont  les  places  les  plus  brillantes  et 
les  plus  opulentes,  ce  sont  celles  aussi  qu'il 
refuse  constamment. 

S'il  accepte  celle  de  grand  aumônier,  c'est 
parce  qu'il  peut  y  être  utile  au  peuple,  y  pro- 
téger les  misérables,  et  qu'elle  n'est  pas  ac- 
compagnée des  honneurs  de  l'épiscopat  et 
des  domaines  de  l'Eglise. 

Ah  !  Messieurs,  comparons  ici  la  sagesse 
de  Jean  Népomucène  avec  celle  des  mon- 
dains :  Que  disent  les  mondains  sur  les  hon- 
neurs et  les  revenus  du  sanctuaire?  Ce  que 
disent  les  insensés  des  honneurs  et  des  ri- 
chesses du  siècle,  selon  le  prophète. 

Heureux  ceux  que  la  protection  a  fait  nom- 
mer à  ces  grands  sièges,  à  ces  places  bril- 
lantes, où  l'on  possède  des  domaines  pres- 
que égaux  à  ceux  de  certains  souverains! 

Heureux  ces  ecclésiastiques  qui  vivent 
commodément  à  l'ombre  d'un  bénéfice  opu- 
lent, qui  ne  supportent  point  le  poids  du 
jour  clans  la  vigne  du  Seigneur,  et  qui  ne 
sont  point  sujets  aux  pénibles  travaux  de  la 
chaire  et  du  confessional  !  Beatum  dixerunt 
cui  hœc  sunt.  Mais  que  dit  Jean  Népomu- 
cène, dont  la  sagesse  rapprochait  toujours  le 
moment  de  la  mort?  Heureux  celui  dont  les 
pénibles  travaux  n'ont  pour  principe  que  le 
salut  des  âmes,  qui  n'est  point  exposé  aux 
dangers  de  l'élévation  et  des  richesses,  à  qui 
son  Dieu  suliit  et  qui  ne  veut  rien  autre 
chose  !  Ben  tus  cujus  Dominus  JJeus  ejus. 
(Psal.  CX LUI.) 

Elle  brille  constamment  à  la  cour  de  Win- 
ceslas, cette  sagesse  de  Jean  Népomucène  : 
comme  il  y  avait  été  désiré,  il  y  fut  utile. 
Utile  aux  pauvres,  dont  il  était  le  père  et  la 
ressource  ;  utile  à  ceux  que  l'intérêt  divisait, 
ses  lumières  triomphaient  des  détours  de  la 
chicane,  et  sa  charité  faisait  régner  la  paix 
dans  les  familles  troublées  parles  procès; 
utile  aux  courtisans,  qui  apprenaient  de  lui 


à  respecter  le  prince  sans  flatter  ses  passions, 
et  à  remplir  exactement  les  devoirs  de  su- 
jets et  de  chrétiens  ;  utile  h  l'impératrice, 
qui  avançait  dans  la  vertu  sous  sa  sage  di- 
rection, et  qui  aurait  été  chérie  et  respectée 
de  Winceslas,  s'il  eût  été  moins  vicieux; 
utile  à  Winceslas  lui-même,  si  son  cœur 
livré  à  la  volupté  ne  se  fût  pas  endurci  aux 
prodiges  de  sainteté  et  de  sagesse  qu'il  avait 
montrés  à  la  cour. 

La  passion  fait  de  rapides  progrès  dans 
un  prince  qui  l'écoute  et  qui  la  flatte  :  il 
semble  qu'on  manque  à  sa  grandeur  su- 
prême, quand  on  lui  résiste.  Le  défaut  d'au- 
torité met  souvent  des  bornes  aux  faiblesses 
du  particulier;  rien  ne  s'oppose  à  celle  du 
monarque.  Les  lois  intimident  ceux  qui 
ne  respectent  pas  l'Evangile  :  l'Evangile  et 
les  lois  n'arrêtent  point  la  passion  d'un  sou- 
verain, David  joint  à  l'opprobre  de  BetLsabée 
le  meurtre  d'Urie.  Winceslas  après  avoir 
souillé  sa  cour  par  de  honteux  excès,  veut 
encore  l'ensanglanter  par  la  mort  de  Jean 
Népomucène;  elle  a  été  le  théâtre  de  ses 
voluptés,  elle  sera  le  théâtre  de  ses  fureurs: 
il  a  voulu  un  apôtre  auprès  de  lui,  il  en  fera 
un  martyr;  il  menace  déjà  celui  qu'il  aflatté. 

Mais,  ne  craignez  pas,  Messieurs,  c'est 
Dieu  lui-même  qui  a  conduit  Jean  Népomu- 
cène à  la  cour  ;  sa  main  puissante  et  magni- 
fique l'y  soutiendra  contre  tous  les  efforts 
de  la  passion  du  prince.  Sa  sagesse  l'a  fait 
désirer  à  la  cour;  sa  fermeté  le  fera  triom- 
pher à  la  cour  :  Sapientiam  et  fortitudinem 
dedisti  mihi.  C'est  la  seconde  partie  de  son 


éloge. 


SECONDE  PARTIE. 


Quel  malheur,  Messieurs,  quand  un  prince 
a  perdu  de  vue  la  première  majesté  dont  il 
tient  sa  couronne;  quand,  aveuglé  sur  les 
bornes  d'une  puissance  légitime,  il  ose  en- 
treprendre sur  les  droits  inaliénables  de 
Dieu,  et  porte  le  mépris  des  autels,  le  plus 
ferme  appui  de  son  trône,  jusqu'à  exiger  de 
ses  ministres  de  secrètes  apostasies  et  de 
sacrilèges  complaisances  1 

Heureux  ceux  que  Dieu  a  revêtus  de  force, 
en  les  plaçant  à  la  cour  d'un  prince  impie, 
qui  ont  le  courage  de  défendre  la  sainteté 
des  autels,  sans  manquer  à  la  majesté  du 
trône:  qui  n'opposent  aux  volontés  crimi- 
nelles du  monarque  que  les  ordres  suprêmes 
de  Dieu,  et  qui  ne  bravent  les  menaces  de 
la  seconde  majesté,  que  pour  éviter  le  juste 
courroux  de  la  première  ! 

Winceslas  jugea,  Messieurs,  de  sa  puis- 
sance par  sa  passion  :  c'est  souvent  le  péché 
des  grands.  11  voulut  l'étendre  jusque  sur 
les  autels  :  il  exigea  de  Jean  Népomucène 
un  aveu  de  ce  qu'if  savait  comme  tenant  la 
place  de  Dieu,  et  de  ce  qu'il  ne  savait  pas, 
.  comme  homme  et  sujet  de  son  empire  :  il 
traita  le  sacrement  de  pénitente  en  politi- 
que; et  il  osa  espérer  d'un  dépositaire  des 
secrets  des  consciences,  les  coupables  com- 
plaisances d'un  courtisan  lâche  et  flatteur. 
Mais,  si  l'on  vitalorsce  que  peut  un  souverain 
cruel  et  passionné,  on  vit  aussi  ce  que  peut 


r.25  PANEGYRIQUES.  -  PANEG.  XV 

un  prêtre  fulèle  et  éclairé.  Jean  Népomueène 
montre  à  la  cour  de  Winceslas  une  fermeté 
sacerdotale  qui  le  fait  parler  librement  en 
faveur  du  secret  de  la  confession  :  une  fer- 
meté chrétienne  qui  le  prépare  à  tout  souffrir 
Rour  le  secret  de  la  confession  :  une  fermeté 
éroïque  qui  lui  fait  donner  sa  vie  pour  le 
secret  de  la  confession. 

C'est  vous,  ô  mon  Dieu,  qui  avez  donné 
à  ce  saint  prêtre  cette  force  divine  pour  la 
■consolation  des  catholiques  ,  la  gloire  de 
votre  Eglise,  et  la  confusion  des  hérétiques 
des  derniers  siècles  :  Fortitudinem  dedisti 
mi  ht. 

Winceslas  développe,  Messieurs,  tous  ces 
mystères  d'iniquité  qu'il  avait  nourris  dans 
son  cœur  ;  il  fait  éclater  toutes  ses  honteuses 
liassions  que  la  politique  avait  retenues 
quelque  temps  :  il  se  montre  enfin  tel  qu'il 
est,  soupçonneux,  inhumain,  sacrilège. 

Héritier  du  trône  de  Charles  IV,  sans 
avoir  une  seule  de  ses  vertus  ;  époux  d'une 
princesse  sage  et  vertueuse,  sans  rendre 
justice  à  son  mérite  et  à  sa  piété  ;  possesseur 
d'un  vaste  empire  et  d'un  royaume  par  sa 
naissance  ;  tyran  redoutable  par  ses  cruau- 
tés, il  retrace  dans  sa  cour  les  scènes  san- 
glantes que  donnèrent  autrefois  ces  empe- 
reurs qui  ont  fait  la  honte  du  nom  roman. 

Jeanne  de  Bavière  se  trouvait  unie  par  les 
liens  les  plus  sacrés  à  ce  malheureux  prince: 
son  cœur  aimait  innocemment  celui  dont 
elle  détestait  les  crimes  ;  elle  voyait  tou- 
jours un  époux  dans  le  persécuteur  de  la 
vertu  ;  elle  gémissait  secrètement  ue  ses  dé- 
sordres; elle  ne  se  plaignait  pas  inutilement 
de  ses  scandaleux  excès  ,  et  elle  eut  toujours 
pour  lui  cet  amour  pur  et  tendre  que  la  re- 
ligion commande,  sans  participer  aux  pas- 
sions qu'elle  condamne. 

Ne  soyons  pas  étonnés,  Messieurs,  de  la 
piété  de  Jeanne  de  Bavière,  ni  des  vices  de 
Winceslas  :  l'impératrice  suit  les  sages  con- 
seils de  Jean  Népomueène,  le  plus  éclairé 
de  tous  les  directeurs  :  l'empereur  suit  les 
coupables  conseils  des  courtisans  dévoués  à 
ses  [tassions,  et  les  plus  débauchés  de  sa 
cour. 

Malheur  aux  princes  qui  écoutent  ceux 
qui  leur  présentent  les  amorces  et  les  appas 
du  vice,  qui  conservent  auprès  d'eux  les 
apôtres  de  la  volupté  1  il  n'y  a  point  de  sortes 
de  crimes  dont  ils  ne  souillent  leurs  trônes. 
Winceslas,  Messieurs,  peut  instruire,  par 
son  triste  sort,  tous  les  princes  de  la  terre. 

Je  ne  vous  représente  pas  ici,  Messieurs, 
un  prince  plongé  dans  la  mollesse,  qui  nour- 
rit avec  les  plus  grandes  faiblesses  les  sen- 
timents les  plus  inhumains,  qui  arrose  les 
mets  de  sa  table  du  sang  de  ceux  qui  lui 
déplaisent,  et  qui  changent  souvent,  comme 
Hérode,  la  salle  d'un  festin  en  une  salle  de 
ileuil. 

J'ai  à  vous  représenter  ses  attentats  sacri- 
lèges sur  le  secret  de  la  confession,  el  les 
efforts  impuissants  qu'il  lit  pour  tirer  de  la 
bouche  de  Jean  Néj.omucène  un  coupable 
aveu  des  secrets  des  consciences?  Vous  ver- 
rez l'empereur  tra'tcr  le  sacrement  de  péni- 


I ,  SAINT  JEAN  NEFOMCCENE.  535 

tence  en  politique;  vous  verrez  Jean  Népo- 
mueène le  défendre  en  apôtre. 

La  sacrilège  curiosité  du  prince  est  enve- 
loppée de  frivoles  prétextes  et  de  raisons 
d'Etat  ;  la  fermeté  de  Jean  Népomueène  parle 
librement  et  sans  détours. 

C'est  ici,  Messieurs,  qu'on  découvre  une 
fermeté  vraiment  sacerdotale  ;  les  réponses 
qu'il  fait  a  l'empereur  nous  retracent  la  fer- 
meté des  prophètes  devant  les  rois  impies 
d'Israël,  des  apôtres  devant  les  juges  de  la 
Synagogue,  et  des  premiers  martyrs  devant 
les  tyrans. 

Réponse  digne  d'un  fulèle  sujet  :  Je  res- 
pecte, lui  dit-il,  le  diadème  que  Dieu  a  pos.é 
sur  votre  tête,  mais  je  respecte  aussi  le  mi- 
nistère sacré  dont  je  suis  revêtu.  Je  suis 
votre  sujet,  mais  je  suis  ministre  de  Jésus- 
Christ.  Disposez  de  moi  dans  l'ordre  de  la 
puissance  temporelle,  mais  n'attentez  pas  à 
la  puissance  spirituelle.  Le  secret  de  la  con- 
fession n'est  pas  un  secret  d'Etat,  mais  un 
secret  des  consciences,  sur  lesquelles  vous 
n'avez  aucun  droit  ;  je  ne  le  sais  pas  comme 
homme,  mais  comme  Dieu  ;  et,  si  j'ai  horreur 
de  vos  sacrilèges  sollicitations,  ce  ne  sont 
pas  les  peines  que  l'Eglise  a  décernées  cen- 
tre les  ministres  indiscrets  qui  me  l'inspi- 
rent, mais  l'énormité  du  crime  que  vous  me 
proposez. 

Réponse  digne  d'un  fidèle  dispensateur 
des  mystères  du  Sauveur.  Vous  dites,  6 
prince  aveuglé  par  la  passion,  qu'il  est  à 
propos  que  les  rois  et  les  césars  n'ignorent 
rien  de  ce  qui  se  passe  dans  leurs  Etats, 
mais  l'intérieur  de  la  princesse  regarde-t-il 
le  gouvernement  de  votre  empire?  ce  qui  se 
passe  dans  le  cœur  de  l'homme  est  du 
ressort  de  Dieu  seul.  Examinez  toutes  les  lois 
des  princes  de  la  terre  et  des  plus  sages 
législateurs;  il  n'y  en  a  pas  une  qui  défende 
les  désirs  et  les  pensées;  Dieu  seul  pouvait 
dire  dans  sa  loi  sainte  :  Vous  n'aurez  point 
de  mauvais  désirs,  parce  que  lui  seul  a  droit 
sur  le  cœur  de  l'homme. 

Quand  la  princesse  me  confie  les  secrets 
de  sa  conscience,  qu'elle  me  développe  son 
intérieur,  qu'elle  gémit  à  mes  pieds,  et 
qu'elle  arrose  de  ses  pleurs  les  fautes  qui 
lui  sont  échappées,  ce  n'est  pas  comme  à 
votre  sujet,  mais  comme  à  un  prêtre  qui  re- 
présente Dieu  même  ;  c'est  un  sacrement  que 
j'administre  alors,  et  non  pas  une  affaire  tem- 
porelle que  je  négocie. 

Réponse  digne  d'un  des  plus  illustres  con- 
fesseurs de  la  foi.  Après  vous  être  efforcé 
de  m'amollir  par  les  promesses  les  {il us  flat- 
teuses, vous  vous  efforcez  de  m'intimider 
par  l'appareil  des  supplices;  mais  je  ne  crains 
point  vos  injustes  menaces  ;  je  ne  crains  que 
les  justes  jugements  de  Dieu  :  Minas  tuas 
non  timeo.  Vous  pouvez  agir  en  tyran,  pour 
moi,  j'agirai  en  prêtre  de  Jésus-Chist  :  Faciès 
quod  tyrunni.,  faciam  quod  episcopi. 

Vous  me  menacez  des  cachots,  des  cheva- 
lets, de  la  mort  même;  vous  pouvez  imiter 
les  tyrans  :  faciès  quod  tyranni,  et  moi  j'i- 
miterai la  fermeté  du  grand  Ambroise,  qui 
s'opposa  à  l'empereur  Valentinien  qui  vou- 


327 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


H 


lait  mettre  les  ariens  en  possession  des  églises 
des  catholiques.  La  réponse  du  zélé  défen- 
seur de  la  foi  de  Nicée  sera  toujours  celle  du 
défenseur  du  secret  de  la  confession  ;  il  fera 
des  martyrs  aussi  bien  que  la  coiisubstantia- 
litéduVerbe  :  faciam  quod  episcopi.  N'est-ce 
pas  là,  Messieurs,  parler  librement  en  faveur 
du  secret  de  la  confession? 

Si  l'empereur  offensé  inédite  des  complots 
de  mort,  Jean  Népomucène  va  s'y  préparer 
avec  une  fermeté  chrétienne. 

Jean  Népomucène  n'aperçoit  plus  que  les 
images  de  la  mort  dans  les  reg mis,  dans  les 
manières,  dans  les  discours  de  Winccslas;  il 
s'y  prépare  en  lié.  os  chrétien  ;  il  ne  peut  l'évi- 
ter sans  crime,  il  l'attend  sans  frayeur:  il  a'mc 
mieux  mourir  pour  le  secret  de  la  confes- 
sion, que  de  vivre  après  l'avoir  révélé;  un 
religieux  silence  lui  procurera  la  couronne 
du'martyre;  des  paroles  indiscrètes  en  au- 
raient fait  un  lâche  apostat. 

Elle  vient  d'en  haut ,  Messieurs ,  cette 
fermeté,  elle  tient  du  prodige;  dans  les  ca- 
chots, dans  les  tortures,  dans  les  honneurs, 
dans  la  liberté,  Jean  Népomucène  se  prépare 
au  martyre:  cette  bouche  éloquente,  qui 
s'est  ouverte  tant  de  fois  pour  annoncer  les 
vérités  du  salut,  ne  s'ouvrira  jamais  pour 
satisfaii  e  la  coupable  curiosité  de  Winccslas. 
Il  veut  intimider  Jean  Népomucène  par  l'ap- 
pareil des  supplices  ;  Jean  Népomucène  le 
déconcerte  par  un  profond  silence.  En  vain 
il  le  fait  jeter  dans  un  cachot  obscur,  la  sa- 
gesse y  descend  avec  lui  comme  avec  Joseph; 
il  le  sanctifiera  par  ses  prières,  il  ne  le  souil- 
lera pas  par  un  sacrilège  aveu  des  seciets 
des  consciences;  en  vain  il  le  fait  étendre 
sur  les  chevalets,  et  brûler  avec  des  torches 
ardentes  ;  les  saints  noms  de  Jésus  et  de 
Marie  sortiront  de  sa  bouche  pendant  ses 
cruels  tourments,  mais  il  n'en  sortira  aucune 
parole  contre  le  secret  de  la  confession  :  on 
se  lassera  de  le  tourmenter,  il  ne  se  lassera 
pas  de  souffrir;  il  attend  avec  joie  la  mort 
dont  on  le  menace;  et  l'empereur  attend  en 
vain  qu'il  se  rende  à  ses  sollicitations. 

La  scène  change,  Messieurs;  les  tyrans 
savent  que  les  caresses  ne  sont  [tas  moins 
redoutables  aux  héros  chrétiens  que  les  tor- 
tures ;  Winccslas  y  a  recours.  Jean  Népo- 
mucène est  remis  en  liberté,  et  rappelé 
môme  à  la  cour  avec  honneur;  mais  il  con- 
naît le  cœur  de  Winceslas,  il  se  prépare  à  de 
nouveaux  combats;  l'image  de  la  mort  qu'il 
doit  souffrir  le  suit  partout;  il  s'en  occupe 
comme  son  divin  Maître,  et  elle  a  pour  lui 
autant  de  délices,  que  le  crime  qu'on  veut  lui 
faire  commettre  a  d'horreurs. 

Oui,  Messieurs,  Jean  Népomucène  paraîtra 
h  la  cour  avec  ses  glorieuses  cicatrices  ;  il 
acceptera  la  table  du  prince,  il  pénétrera 
môme  avec  lui  dans  le  secret  de  son  palais, 
avec  cette  douceur,  ce  respect  et  cette  obéis- 
sance que  les  chrétiens  ont  toujours  montrés 
pour  les  secondes  majestés,  celles  môme  qui 
déshonoraient  leurs  trônes  par  les  persécu- 
tions les  plus  sanglantes,  comme  nous  l'ap- 
prend Tertullien;  mais  sa  langue  y  sera 
toujours  muette,  lorsqu'on  y  parlera  des  se- 


crets des  consciences;  les  saints  re.iuent  ce 
qui  est  dû  à  César,  mais  aussi  les  césars  ne 
peuvent  point  les  empêcher  de  rendre  à  Dieu 
ce  qui  lui  est  dû. 

Vous  lui  tendez  en  vain  de  nouveau  piè- 
ges, malheureux  prince  :  Jean  Népomucène 
a  déjà  souffert  sous  vos  yeux  pour  le  secret 
de  la  confession ,  et  il  se  prépare  à  mourir, 
plutôt  que  de  satisfaire  votre  sacrilège  curio- 
sité. 

Nous  admirons,  Messieurs,  la  fermeté  de 
ce  saint  prêtre,  qui  attend  la  mort,  qui  s'y 
prépare;  et  nous  ne  rougissons  pas  ue  ces 
lâches  complaisances  qui  déshonorent  le 
christianisme  efnous  creusent  l'enfer. 

Le  respect  humain,  les  maximes  du  monde, 
les  usages  de  la  cour-font  tous  les  jours  de 
lâches  déserteurs  de  la  morale  de  l'Evangile, 
et  souvent  des  prévaricateurs  de  la  loi  de 
Dieu. 

La  sanctification  des  jours  spécialement 
consacrés  au  service  du  Seigneur,  les  sages 
lois  de  l'abstinence  et  du  jeûne,  le  saint 
temps  du  carême,  une  vie  pure,  innocente, 
occupée,  sont  certainement  des  obligations 
indispensables  pour  tous  les  chrétiens;  l'E- 
glise honore,  dans  ses  fastes,  des  héros  qui 
ont  souffert  la  mort,  plutôt  que  de  manquer 
à  ces  devoirs  importants  de  là  religion.  Ce- 
pendant que  voit-on  dans  notre  siècle?  Une 
dissipation  criminelle,  des  hommes  livrés 
sans  réserve  aux  plaisirs,  des  spectacles ,  de 
longues  séances  de  jeu,  des  veilles  et  des 
excès,  et  presque  point  de  pénitence.  Per- 
mettez-moi, Messieurs,  mon  ministère  et  ma 
religion  m'y  obligent,  d'appeler  cette  con- 
duite des  fidèles  de  nos  jours,  une  infraction 
publique  des  maximes  de  l'Evangile. 

Ah!  si  Jean  Népomucène  n'eût  pas  craint 
plus  que  vous  d'offenser  Dieu,  de  commettre 
un  crime,  il  ne  se  serait  pas  préparé  avec 
tant  de  fermeté  à  mourir  pour  le  secret  de  la 
confession. 

Quel  usage  fait-il  de  la  liberté  que  le  prince 
lui  accorde  par  politique?  11  l'emploie  à  se 
préparer  à  la  mort;  persuadé  que  l'apos- 
tolat d'un  prêtre  ne  doit  finir  qu'avec  sa  vie, 
je  le  vois  reparaître  dans  les  chaires  chré- 
tiennes :  ce  corps  affaibli  par  de  longs  et  de 
cruels  tourments,  se  livre  encore  aux  péni- 
bles travaux  du  ministère;  il  ouvre,  pour 
l'instruction  des  peuples,  une  bouche  qu'il  a 
condamnée  au  silence  pour  l'honneur  de  la 
religion. 

Déjà  je  l'entends  annoncer  en  prophète  du 
vrai  Dieu  les  approches  de  sa  mort  à  ses 
auditeurs,  j'entends  sortir  de  sa  bouche  ces 
oracles  du  ï^auveur  avant  de  retourner  à  son 
Père  :  Encore  un  peu  de  temps,  et  vous  ne 
me  verrez  plus.  (Joan.,  Vil.)  Le  cœur  du 
prince  n'est  pas  changé,  Dieu  m'a  fait  la 
grâce  de  ne  point  changer  non  plus  ;  il  m'im- 
molera à  sa  fureur,  parce  qu'il  ne  pourra  pas 
me  faire  succomber  à  ses  sacrilèges  sollici- 
tations. 

Déjà  les  hérésiarques,  qui  devaient  trou- 
bler l'Allemagne,  se  présentent  à  lui;  il  an- 
nonce les  funestes  succès  de  l'hérésie  dans 
ces  Etats  si  florissants,  et  où  la  religion  ca- 


3-2!) 


PANEGYRIQUES.  —  PANEG.  XVI  ,  SAINT  JEAN  NEPOMUCENE. 


530 


tholiquo  ét.'iit   si    paisible     et    si  étendue. 

Déjà  je  le  vois  voler  à  Boleslavie  pour  se 
prosterner  au  pied  d'une  image  miraculeuse 
de  la  sainte  Vierge:  c'est  là  qu'il  s'abîme 
dans  cette  dévotion  tendre  qu'il  avait  tou- 
jours eue  pour  la  Mère  de  Dieu;  c'est  là 
qu'avec  tous  les  Pères  du  concile  d'Ephèse, 
il  implore  sa  puissante  protection  au  moment 
de  sa  mort. 

Il  approchait,  Messieurs;  Wenceslas  se 
préparait  à  consommer  ses  mystères  de 
cruauté  ;  déjà  les  ordres  étaient  donnés  :  mais 
Jean  Népomucène  s'est  préparé  à  ce  grand 
sacrifice  avec  une  fermeté  chrétienne  ;  c'est 
pourquoi  il  montrera  une  fermeté  héroïque, 
lorsqu'il  faudra  le  consommer  pour  le  secret 
de  la  confession.  Ce  point  important  de  notre 
religion  aura  des  martyrs  aussi  bien  que  les 
autres;  Jean  Népomucène  sera  le  premier: 
mais  si  l'enfer  suscitait  encore  des  Wences- 
las, la  grâce  de  Jésus-Christ  est  toujours  la 
même,  nous  aurions  encore  des  mari  vrs  du  se- 
cret de  la  confession,  quoi  qu'en  dise  l'hérésie. 

Ce  ne  sont  point  les  tourments  que  l'on 
soutire,  dit  saint  Augustin,  qui  font  les  mar- 
tyrs, mais  la  cause  que  l'on  défend  :  Non 
pœnû.,  srd  causa,  facit  martyr em. 

C'est  en  vain  que  l'orgueilleuse  hérésie, 
I  oiirsuivie  par  les  princes  catholiques,  vante 
les  supplices  auxquels  les  apôtres  de  l'erreur 
ont  été  condamnés;  les  pal  mes  et  les  couronnes 
ne  sont  destinées  qu'à  ceux  qui  souffrent  pour 
la  vérité  :  l'Eglise  n'honore  dans  ses  fastes 
que  ceux  qui  ont  donné  leur  vie  pour  sceller 
les  vérités  de  la  religion. 

Ces  principes  posés,  Messieurs,  Jean  Né- 
pomucène ne  doit-il  pas  être  compté  parmi 
ces  généreux  athlètes  qui  ont  soutenu  de 
grands  combats,  et  qui  ne  sont  arrivés  à  la 
gloire  immortelle  qu'après  avoir  passé  par  de 
grandes  tribulations? 

Le  secret  de  la  confession  est  la  cause  de 
son  martyre  :  c'est  pour  le  garder  inviola- 
blement  qu'il  donne  sa  vie  avec  une  fermeté 
héroïque;  il  meurt  pour  les  saintes  lois  du 
sacrement  de  pénitence  ;  la  gloire  du  martyre 
lui  est  duc  légitimement  :  Causa  facit  mar- 
tyrem.  Oui,  Seigneur,  vous  soutiendrez  par 
votre  grâce  ce  grand  héros  de  la  foi  dans  le 
dernier  combat  que  le  furieux  Wenceslas  va 
lui  livrer;  vous  couronnerez  de  la  gloire  du 
martyre  ce  religieux  silence  qui  honore  le 
sacrement  de  la  réconciliation,  qui  confond 
d'avance  les  erreurs  des  sectaires  qui  doivent 
désoler  l'Allemagne,  et  qui  console  tous 
ceux  qui  font  à  vos  ministres  un  humble 
aveu  de  leurs  fautes  les  plus  secrètes. 

Ne  craignez  pas,  Messieurs  :  cette  dernière 
scène  va  mettre  Wenceslas  au  rang  des  Né- 
ron et  des  Dioclétien  ,  et  Jean  Népomucène 
au  rang  des  martyrs  que  le  ciel  a  couronnés. 

L'empereur  paraît,  il  montre  des  yeux  étin- 
celants,  un  visage  allumé  du  feu  de  la  colère; 
il  fait  entendre  une  voix  menaçante,  il  est 
environné  des  ministres  de  sa  cruauté  ;  il  n'a 
qu'un  mot  à  faire  entendre  à  Jean  Népomu- 
cène :  le  détail  de  la  conscience  de  la  prin- 
cesse, ou  la  mort. 

Jean  Népomucène  parait  avec  cette  tran- 

OnATEUBS    SACRÉS.    L. 


quillité  et  cette  douceur  qui  lui  étaient  na- 
turelles; il  montre  cette  fermeté  héroïque 
que  la  grâce  de  Jésus-Christ  donne  aux  con- 
fesseurs de  la  vérité;  il  ne  repond  rien  ;  c'e.ct 
le  silence  qui  doit  lui  procurer  une  couronne 
immortelle,  c'est  lui  qui  va  lui  procurer  la 
mort  :  le  signal  est  donné,  on  l'enlève  ,  on  le 
précipite  dans  la  Molde. 

Ah  !  Seigneur,  qui  êtes  admirable  dans  vos 
saints,  Jean  Népomucène  demeurera-t-il  en- 
seveli dans  les  abîmes  des  eaux,  pendant  nue 
l'impie  Wenceslas  règne  sur  un  trône  écla- 
tant? Non,  Messieurs;  une  gloire  brillante 
suit  de  près  la  mort  du  juste,  et  l'ignominie 
est  le  partage  de  l'impie.  Voici  de  grandes 
scènes,  voici  les  oracles  de  l'Ecriture  accom- 
plis ;  on  se  ressouvient  du  juste  pour  lui 
donner  des  louanges,  et  le  nom  du  pé- 
cheur devient  odieux  à  la  postérité  la  plus 
reculée  :  Memoria  ju'sti  cum  (ûu'dibus,  et  no- 
men impiorum  putrescet.  (Prov.,  X.)  Ce  bril- 
lant spectacle,  ces  rayons  ce  gloire  qui 
avaient  environné  le  berceau  de  Jean  Népo- 
mucène, paraissent  dans  l'endroit  où  on  l'a 
précipité;  ces  phénomènes  décèlent  ce  pré- 
cieux dépôt;  le  clergé  et  le  peuple,  qui  n'i- 
gnoraient pas  la  cause  de  son  martyre,  lui 
rendent  les  honneurs  dus  à  sa  sainteté  et  à 
son  héroïque  fermeté  :  Memoria  jusli  cum 
la  tdibus.  Pour  l'empereur,troublé,  agité  dés- 
honoré, il  n'a  plus  dans  toutes  les  bouches 
que  le  nom  odieux  de  tyran  :  Nomen  impio- 
rum putrescet.  En  vain  les  disciples  de  Jean 
IIus  et  de  Jérôme  de  Prague  s'efforcent-ils  de 
détruire  son  sacré  tombeau;  la  main  puis- 
sante du  Très-Haut  le  conserve  contre  tous 
les  attentats  de  ces  sacrilèges  :  il  y  sera  un 
monument  perpétuel  de  la  gloire  que  Dieu 
procure  à  ses  serviteurs,  un  glorieux  trophée 
érigé  au  silence  de  Jean  Népomucène  ,  et  un 
sujet  de  confusion  pour  tous  ceux  qui  com- 
battent la  confession  auriculaire.  La  voix  des 
miracles  y  a  fat  et  y  fera  dans  tous  les  siè- 
cles l'éloge  du  silence  de  ce  saint  prêtre  ;  sa 
langue  conservée  incorruptible  dans  le  tom- 
be;; ii,  y  publie  hautement  la  justice  de  la  cause 
qu'il  a  soutenue  iMenit  riajusticum  hindi  as  ; 
et  si  l'impie  Wenceslas  occupe  une  \  lace  dans 
nos  histoires,  ce  n'est  que  pour  raconter  ses 
honteux  excès  et  flétrir  sa  mémoire,  comme 
il  a  lui-même  avili  son  trône  et  flétri  sa  cou- 
ronne :  Nomen  impiorum  putrescet. 

On  a  vu  les  majestés  de  la  terre  proster- 
nées au  tombeau  de  Jean  Népomucène  et 
solliciter  l'établissement  de  son  culte;  on  y 
a  vu  les  malades  guéris,  les  aveugles  éclai- 
rés, une  puissance  invisible  punir  avec  éclat 
les  mépris  et  les  railleries  des  protestants  et 
des  libertins  :  Memoria  jusfi  cum  laudibus; 
maison  n'a  jamais  pensé  au  tombeau  de  l'im- 
pie Wenceslas,  on  l'a  laissé  dans  un  honteux 
oubli  ;  si  on  le  compte  parmi  ceux  qui  ont 
occupé  le  trône  impérial  et  celui  de  Bohême, 
on  a  soin  d'avertir  la  postérité  qu'il  était  in- 
digne de  régner  :  Nomen  impiorum  putrescet. 
Y'ous  dirai-je  (pie  jamais  culte  ne  s  est  établi 
si  rapidement  et  si  universellement  que  celui 
de  saint  Jean  Népomucène,  et  que  je  pour- 
rais dire  de  lui  roqueThéodoretdit  de  cet  in- 

11 


comparable  solitaire  de  l'Orient,  du  grand 
Siraéon  St>  lite  ? 

11  nuus  assure  qu'il  n'y  avait  pas  une  fa- 
mille dans  Rome  qui  n'eût  l'image  do  ce 
serviteur  de  Dieu;  que  les  pauvres  et  les 
riches  la  portaient  avec  respect ,  et  qu'elle 
était  dans  tous  les  oratoires. 

N'est-ce  pas ,  Messieurs ,  la  même  chose 
dans  toute  la  Bohême?  L'image  de  Jean  Né- 
pomucène  n'est-elle  pas  portée  avec  vénéra- 
tion par  les  souverains  comme  par  les  sujets  ? 

Cette  dévotion  n'a-t-elle  pas  passé  dans 
la  magnifique  cour  de  France?  Eclairés  sur 
le  culte  des  saintes  images,  on  porte  sur  les 


OKATELKS  SACRES.  BALLET.  S32 

vêtements  les  plus  précieux  celle  du  grand 
défenseur  du  sacrement  de  pénitence  :  on 
porte  sa  vénération  à  l'objet  représenté;  on 
se  met  singulièrement  sous  sa  protection,  et 
on  lui  rend  un  tribut  annuel  de  louanges  : 
Memoria  justi  cum  laudibus. 

Puisse,  Messieurs,  le  récit  d'une  vie  si  édi- 
fiante toucher  nos  cœurs,  les  détacher  des 
objets  séduisants  du  siècle,  et  nous  faire 
préférer  la  mort  à  la  moindre  transgression 
de  la  loi  de  Dieu. 

C'est  honorer  les  saints  selon  l'esprit  do 
l'Eglise,  que  de  les  imiter';  marchez  sur 
leurs  traces,  vous  parliperez  a  leur  gloire.  Je 
vous  la  souhaite.  ■ 


SUJETS  DIVERS. 


SERMON   I". 

Sur  LE  SACRÉ  COEUR  DE  JÉS'  s. 

Prononce  dans  l'église  des  RR.  PP.  Récolte!*, 
à  Versailles,  le  27  juin  17V5. 

Sicut  dilexit  me  Pater,  et  ego  dilexi  vos  :  manete  in  cli- 
leitione  mea.  {Joitn.,  XV.) 

Comme  mon  père  m'a  aimé,  je  vous  ai  aimés  :  demeurez 
dans  mon  amour. 

C'est  à  l'amour  divin  que  je  consacre  ce 
discours  :  je  vais  faire  l'éloge  du  sacré  cœur 
de  Jésus;  ce  sont  ses  mystères  de  charité 
que  je  vais  m'efforcer  de  développer.  Déjà 
vous  pensez  à  mon  insuffisance:  vous  savez 
qu'il  faudrait  un  apôtre  de  la  charité,  pour 
parler  dignement  de  celle  du  Sauveur;  je 
n'ai  ni  ses  expressions  tendres,  ni  ses  sain- 
tes ardeurs,  ni  ses  traits  enflammés.  Le  cœur 
«le  Paul  répondait  au  cœur  de  Jésus-Christ  : 
ses  sentiments  intérieurs  étaient  conformes 
aux  siens,  aussi  saint  Chrysostome  n'a-t-il 
pas  fait  dilfioullé  de  dire  que  le  cœur  du 
grand  Paul  éta:t  le  cœur  de  Jésus-Christ  ? 
Cor  Pauli,  cor  ernt  Christi. 

Oui,  Messieurs,  je  sens  mon  insuffisance  ; 
et  je  sais  qu'il  faudrait  l'amour  le  plus  tendre 
pour  louer  celui  de  Jésus-Christ.  Nous  som- 
mes plus  capables  d'adorer  ses  sentiments 
intérieurs,  que  de  les  raconter;  mais,  comme 
selon  saint  Augustin,  on  n'honore  bien  Dieu 
qu'en  l'aimant,  je  viens  seulement  vous  dire 
(pie  vous  ne  pouvez  reconnaître  l'amour  de 
Jésus-Christ  pour  vous,  que  par  votre  amour 
pour  lui:  l'homme  a  une  place  dans  le  cœur 
de  Jésus:  il  faut  que  Jésus  ait  une  place 
dans  le  cœur  de  l'homme  :  n'est-ce  pas  ce 
qu'il  vous  dit  par  ces  paroles  :  Je  vous  ai  aimés, 
demeurez  dans  l'amour  :  dilexi  vos,  manete 
in  dilectione. 

La  charité  se  refroidit  tous  les  jours,  mais 
elle  n'est  pas  éteinte;  il  y  a  encore  des  cœurs 
qui  en  sont  embrasés:  les  rapides  progrès 
que  la  dévotion  au  sacré  cœur  de  Jésus  a 
laits  depuis  plusieurs  années,  consolent  l'E- 


glise et  tous  ceux  qui  lui  sont  soumis:  on 
s'affligeait  déjà  de  voir  un  grand  déchet  dans 
la  piété:  les  productions  de  l'esprit  et  du 
cœur  ne  respiraient  que  l'indépendance  et 
la  passion  :  une  âme  pure  et  innocente  a  levé 
la  première  l'étendard  de  cette  dévotion  ; 
bientôt  elle  s'est  étendue  avec  magnificence 
dans  toutes  les  villes:  la  cour  de  France, 
qui  dans  tous  les  temps  a  opposé  à  la  licence 
la  plus  effrénée  la  piété  la  plus  tendre,  a 
voulu  contribuer  à  son  agrandissement: 
quelle  joie  pour  le  souverain  pontife,  quand 
il  a  vu  le  zèle  d'une  grande  reine,  pour  l'é- 
tendre jusque  dans  son  palais  !  Quel  exemple 
pour  nous,  quand  nous  la  voyons  présente  h 
ses  solemnités,  et  se  faire  un  devoir  d'ins- 
crire son  nom  dans  ses  fastes  1 

Mais  que  vous  apprend  cette  dévotion, 
chrétiens  ?  Le  voici  :  Que  vous  avez  une  place 
dans  le  cœur  de  Jésus,  et  que  Jésus  veut 
avoir  une  place  dans  votre  cœur. 

Jésus-Cbrist  a  aimé  l'homme.  Jésus-Christ 
'veut  être  aimé  de  l'homme  :  dilexi  vos  ma- 
nde in  dilectione.  —  Ave,  Maria. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

Les  sentiments  intérieurs  de  Jésus-Christ 
exigent  nos  adorations  les  plus  profondes,  et 
sont  au-dessus  des  expressions  les  plus  su- 
blimes; c'est  le  privilège  des  âmes  parfaites 
et  tranquilles,  de  pénétrer  dans  le  cœur  ado- 
rable de  Jésus:  c'est  aux  Bernard,  aux  Bo- 
naventurc,  aux  François  de  Sales,  aux  Jean 
de  la  Croix,  aux  Thérèse,  ces  mystiques  ca- 
tholiques, qu'il  a  été  donné  de  parler  digne- 
ment de  ces  mystères  cachés  de  l'amour  du 
Sauveur:  je  parle  devant  un  auditoire  qu'il 
faut  instruire  :  et  ce  sublime  sacré  ne  serait 
pas  à  la  portée  de  tout  le  monde:  les  âmes 
solidement  pieuses  sentent  ce  qu'elles  ne 
sauraient  expliquer:  on  est  plus  heureux 
quand  on  sent  l'amour  divin,  que  quand  on 
sait  le  définir:  il  est  donc  important,  chré- 
tiens, que  vous  appreniez  que  l'homme  a 
une  place  dans  le  cœur  de  Jésus-Christ, 


33; 


SUJETS  DIVERS.  -    SERM.  I"  ,  SACRE  COEUR  DE  JESUS. 


354 


par  ce  que  JéMis-Chrisia  fait  pour  l'homme 
même:  or  voici  ce  que  la  religion  vous  en- 
seigne. 

La  Judée  a  -été  le  théâtre  de  l'amour  de 
'  Jésus-Christ  pour  les  pécheurs  :  le  Calvaire 
a. été  le  théâtre  de  l'amour  de  Jésus-Christ 
pour  tous  les  hommes:  l'autel  est  le  théâtre 
de  l'amour  de  Jésus-Christ  pour  les  enfants 
de  son  Eglise.  Cœur  tendre  de  Jésus  qui  re- 
cherche les  pécheurs  avec  bonté;  cœur  im- 
mense de  Jésus,  qui  comprend  tous  les  hom- 
mes dans  le  sacrifice  de  la  croix;  cœur  cons- 
tant de  Jésus  qui  s'immole  tous  les  jours 
pour  les  enfants  de  son  Eglise  sur  l'autel  : 
ce  sont  là,  chrétiens,  les  preuves  sensibles 
de  l'amour  de  votre  Sauveur:  voilà  ce  qu'il 
voulait  faire  pour  vous,  lorsqu'il  disait:  Je 
vous  ai  aimés  :  dilexi  vos.  J'offre  de  trop 
grands  objets  à  votre  piété,  pour  vous  de- 
mander votre  attention. 

Ne  sortons  point  de  l'Evangile,  chrétiens, 
c'est  dans  cette  histoire  des  actions  mémo- 
rables du  Sauveur,  qu'on  découvre  tous  les 
sentiments  de  son  cœur  pour  les  pécheurs. 
Us  font  le  grand  objet  de  sa  mission.  Ici  il 
nous  dépeint  ses  fatigues ,  pour  les  aller 
trouver  dans  leurs  égarements  :là,  ses  larmes 
précieuses  sur  l'endurcissement  des  cœurs 
obstinés  :  tantôt  il  nous  représente  l'aimable 
prodigalité  avec  laquelle  il  accorde  ses  fa- 
veurs à  ceux  qui  sont"  touchés  de  leurs  cri- 
mes: tantôt  il  nous  le  montre  comme  un 
zélé  défenseur  de  la  sincérité  de  leur  péni- 
tence :  sous  quels  innocents  emblèmes  ne 
nous  représente-t-il  pas  sa  patience  à  les  at- 
tendre, et  son  allégresse,  lorsque,  dociles 
aux  charmes  de  sa  grâce,  ils  se  rangent  sous 
son  empire? 

Loin  de  nous  ces  pharisiens  orgueilleux 
et  austères,  qui  abattent  le  pécheur.  Le  pé- 
cheur a  une  place  dans  le  cœur  de  Jésus. 

Paraissez,  pécheurs  et  pécheresses,  plus 
fameux  encore  par  votre  pénitence  que  par 
vos  crimes.  N'est-ce  pas  sa  douceur  qui  vous 
a  attirés?  N'êtes- vous  pas  autant  de  trophées 
érigés  à  sa  clémence  et  à  sa  miséricorde? 
L'enfer  a  été  creusé  pour  les  pécheurs  obsti- 
nés ;  le  cœur  de  Jésus  a  toujours  été  ouvert 
pour  les  pécheurs  touchés  et  convertis. 

Cœur  tendre  de  Jésus  qui  s'occupe  des  pé- 
cheurs, dans  le  sein  même  de  sa  gloire.  Dans 
les  grands  projets  de  la  miséricorde  de  notre 
Dieu,  le  pécheur  y  tenait  le  premier-rang: 
tranquille  sur  les  justes,  toute  sa  sollicitude 
se  tourne  du  côté  de  ceux  qui  languissent 
sous  le  poids  de  leurs  infirmités  :  assuré  do 
ceux  qui  marchent  dans  les  sentiers  de  la 
justice,  il  ne  parle  qu'à  ceux  qui  errent  aveu- 
glément dans  les  routes  de  la  perdition;  ils 
semblent  être  les  uniques  objets  de  sa  ten- 
dresse. Pourquoi  cela,  Messieurs?  c'est  que 
votre  Dieu  ne  punit  qu'à  regret:  son  cœur 
s'ouvre  au  pécheur  qui  le  suit  ;  son  cœur  est 
au  juste  qui  le  sert.  Il  semble  oublier  ceux 
qui  sont  à  lui,  pour  gagner  ceux  qui  s'en 
sont  éloignés.  C'est  le  vrai  sens,  Messieurs, 
de  ces  paroles  :  Je  ne  suis  point  venu  appe- 
ler les  justes,  mais  les  pécheurs:  Non  veni 
vocarejustos   sed  peccatores.  (Luc,  W 


Cœur  tendre  de  Jésus,  qui  s'expose  au\ 
fatigues  d'un  long  voyage,  pour  t  hercher 
une  femme  plongée  dans  les  ténèbres  cie 
l'erreur,  et  souillée  par  de  honteux  plaisirs. 
Approchez,  infortunée  Samaritaine,  Jésus 
vous  attend,  il  s'est  lassé  et  fatigué  pour 
venir  au  bord  de  cette  fontaine  :  Fniùjatus  ex 
ilinere  (Joan.,  IV)  :  vous  ne  le  connaissez 
pas,  et  vous  avez  une  place  dans  son  cœur; 
vos  crimes  vous  perdraient,  il  veut  vous 
sauver;  sa  bonté  ingénieuse  vous  fait  avouer 
vos  erreurs  et  vos  dérèglements  ;et  les  char- 
mes de  sa  grâce  triompheront  de  tous  vos 
obstacles;  vous  serez  sa  conquête  et  son  apô- 
tre  même  dans  Samarie.  Quels  crimes,  Mes- 
sieurs, plus  capables  d'éloigner  de  Jésus- 
Christ  que  l'erreur  et  l'adultère?  Mais  les 
plus  grands  crimes  peuvent-ils  fermer  pour 
toujours  le  cœur  de  Jésus-Christ;  il  l'ouvre 
5  tous  les  pécheurs,  il  ne  le  ferme  qu'aux 
endurcis. 

^Cœur  tendre  de  Jésus  qui  pleure  la  triste 
destinée  des  pécheurs.  S'il  mouille  le  tom- 
beau de  Lazare  de  ses  pleurs,  ce  n'est  pas  la 
mort  de  ce  disciple  chéri  qui  les  fait  couler. 
Arbitre  absolu,  il  était  sûr  qu'elle  perdrait 
son  aiguillon  et  ses  trophées,  dès  qu  il  ferait 
entendre  sa  voix  qui  est  une  voix  de  magni- 
ficence, et  que  le  séjour  de  la  mort  devien- 
drait le  séjour  des  vivants.  Mais  c'est  que 
Lazare,  (lisent  les  saints  docteurs,  représen- 
tait le  pécheur  d'habitude  :  c'est  la  perte  de 
ces  hommes  criminels  que  Jésus -Chri.-t 
pleure.  Son  cœur,  qui  voudrait  qu'aucun  ne 
périsse,  est  touché  du  sort  de  ceux  qui  ne 
veulent  point  se  sauver.  Rappelez-vous  en- 
core, Messieurs,  les  larmes  que  notre  Sau- 
veur répandit  en  portant  ses  regards  sur 
l'ingrate  Jérusalem.  Ce  peuple  obstiné  avait 
donc  encore  une  place  dans  son  cœur. 

Cœur  tendre  de  Jésus,  qui  prodigue  ses 
caresses  aux  pécheurs.  N'est-ce  pas  sous 
l'image  d'un  enfant  prodigue,  touché  de  sa 
dissipation,  qu'il  nous  peint  cette  aimable 
prodigalité  de  ses  grâces  et  de  ses  faveurs? 

Cœur  tendre  de  Jésus,  qui  prend  Ja  dé- 
fense des  pécheurs  convertis.  Que  Simon, 
cet  austère  censeur  de  sa  bonté  envers  Ma- 
deleine, murmure  et  étale  sa  pieuse  criti- 
que; que  les  pharisiens  sévères  et  scrupuleux 
le  somment  de  condamner  le  femme  adul- 
tère :  sa  bonté  ne  confond-elle  pas  ces  faux 
zèles?  Ne  devient-il  fias  l'apologiste  delà 
pénitence  qu'elles  embrassent?  N'ont-elles  pas 
un  zélé  défenseur  contre  leurs  ennemis? 
Leur  grande  misère  trouve  une  grande  mi- 
séricorde, dit  saint  Augustin.  Le  cœur  rie 
Jésus  s'ouvrait  pour  elles  avant  leur  conver- 
sion; elles  en  sont  en  possession  après  leur 
conversion. 

Cœur  tendre  de  Jésus,  qui  attend  avec  pa- 
tience le  pécheur.  N'est-ce  pas  la  patience  de 
Jésus-Christ  que  les  prophètes  ont  dépeinte, 
lorsqu'ils  ont  dit  qu'il  ne  briserait  point  le 
faible  roseau;  qu'il  conserverait  précieuse- 
ment la  moindre  étincelle,  et  lui  donnerait 
le  temps  de  former  un  feu  éclatant.  Que  des 
hommes  animés  de  faux  zèle  se  préparent  k 
arracher  l'ivraie,  ne  condamne-t-il  pas  ceUg 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


Zr>6 


précipitation'?  N'ordonnc-t-il  pas  qu'on  at- 
tende jusqu'à  la  moisson?  Que  signifient, 
chrétiens,  ces  miséricordieuses  lenteurs  de 
Jésus-Christ,  lorsqu'il  s'agit  de  punir  les  pé- 
cheurs, sinon  qu'il  punit  à  regret,  et  que 
l'homme  no  trouve  plus  de  place  dans  son 
cœur  que  lorsqu'il  est  endurci?  Ne  pensez 
pas  que  la  Judée  ait  été  le  seul  théâtre  de 
l'amour  de  Jésus-Christ.  Le  cœur  de  Je' us- 
Christ  est  un  cœur  immense  qui  comprend 
tous  les  hommes.  Le  Calvaire  est  le  théâtre 
où  il  a  signalé  son  amour  pour  tous  les  hom- 
mes, sans  en  excepter  un  seul. 

Voilà  donc,  chrétiens,  le  grand  spectacle 
que  j'odre  à  vos  yeux,  pour  vous  prouver 
l'amour  immense  de  votre  Dieu:  le  Calvaire. 
Un  Dieu  qui  meurt  pour  le  péché,  un  Dieu 
qui  expie  le  péché,  un  Dieu  qui  venge  le 
péché,  un  Dieu  offensé  par  le  péché.  Toute 
autre  victime  aurait  été  immolée  inutile- 
ment ;  son  sang  seul  pouvait  apaiser  le  Sei- 
gneur irrité  ;  sa  mort  seule  pouvait  satisfaire 
à  la  justice  divine. 

Or,  dans  ces  prodigieux  abaissements  de 
sa  passion,  dans  ces  opprobres  de  la  croix, 
dans  ces  excès  de  ses  douleurs  qui  abattent 
son  humanité  sainte,  dans  tous  ces  fameux 
oracles  qu'il  prononce  sur  le  Calvaire;  c'est 
cette  volonté  sincère  qu'il  a  de  sauver  tous 
les  hommes  qui  m'étonne  le  plus. 

Quand  je  pense  que  ce  sang  adorable  est 
d'un  prix  infini  ;  quand  je  pense  que  tous 
les  hommes  peuvent  en  profiter,  je  ne  sau- 
rais m'empêcher  de  m'écrier  :  O  cœur  im- 
mense de  Jésus-Christ  qui  comprend  tous 
les  hommes,  les  pécheurs  et  les  justes  !  C'est 
donc  en  consommant  ce  grand  sacrifice  de 
notre  réconciliation,  Messieurs,  que  Dieu 
nous  a  montré  toute  l'immensité  de  son 
amour.  Le  Calvaire  est  le  théâtre  de  cette 
charité  universelle  qui  n'exclut  aucun  mor- 
tel de  son  cœur  :  Nolcns  aliquos  perire.  (II 
Pétri,  111.) 

Le  perfide  apôtre  qui  le  trahit  avait  une 
place  dans  son  cœur;  il  méprisa  les  caresses 
d'un  Dieu  offensé,  et  il  persévéra  dans  le 
crime  qu'il  avait  médité;  le  désespoir  cou 
somma  sa  réprobation  ;  l'espérance  l'aurait 
animé  à  la  pénitence.  Dieu  voulait,  dit  saint 
Chrysostome,  sincèrement  le  sauver,  et  il 
s'est  perdu  volontairement.  Dieu  lui  ouvrait 
son  cœur  en  lui  offrant  des  grâces,  et  il  lui 
fermait  le  sien  par  le  mépris  de  ses  bien- 
faits :  tout  sacrilège  qu'il  était,  Dieu  ne  vou- 
lait point  sa  perte,  mais  son  salut  :  Nolens 
aliquos  perire. 

Les  Juifs,  disent  les  saints  docteurs,  ré- 
pandaient le  sang  de  Jésus-Christ  sur  le 
Calvaire  par  une  détestable  fureur  ;  Jésus- 
Christ  offrait  son  sang  à  son  Père  pour  leurs 
péchés  par  un  amour  immense;  ils  étaient 
tous  placés  dans  son  cœur  dans  le  temps 
même  qu'ils  crucifiaient  son  corps;  il  vou- 
lait les  sauver,  lorsqu'ils  s'opiniâtraient  à  se 
perdre.  N'est-ce  pas  sur  la  croix  même  qu'il 
implore  la  clémence  de  son  Père  en  leur  fa- 
veur; prière  indignedecet  aimahle  Sauveur, 
i'il  n'eût  pas  voulu  sincèrement  leur  salut. 
Ahl  la  perte  des  Juifs  vient  d'eux-mêmes  : 


.ils  n'ont  pas  voulu  entrer  dans  le  cœur  de 
Jésus,  et  ils  ont  péri  contre  son  gré  :  Nolens 
aliquos  perire. 

Le  criminel  qui  expire  à  ses  côtés  clans 
l'impénitence  était  placé  dans  son  cœur, 
comme  celui  qui  a  confessé  sa  Divinité  :  il 
n'était  pas  exclu  des  mérites  de  sa  mort  et 
de  son  sang;  il  n'a  pas  voulu  en  profiter.  La 
signification  mystique  de  la  gauche  et  de  la 
droite  n'aura  lieu  qu'au  jour  des  vengean- 
ces, et  c'était  le  jour  des  miséricordes;  il 
]  érira  à  côté  de  Jésus-Christ,  parce  qu'il  a 
endurci  son  cœur,  aussi  bien  que  les  Juifs, 
à  l'éclat  des  miracles  qu'il  avait  opérés  dans 
la  Judée,  aux  traits"  de  divinité  qui  éclataient 
sur  la  croix,  et  au  grand  exemple  que  lui 
donnait  le  compagnon  de  ses  crimes.  Le  Sau- 
veur voulait  sauver  l'un  et  l'autre  ;  son  cœur 
était  ouvert  pour  tous  les  deux  :  il  a  reçu  la 
pénitence  de  l'un,  il  ne  voulait  pas  l'impé- 
nitence de  l'autre  :  Nolens  aliquos  perire. 

Voyez  donc  quel  est  le  cœur  de  Jésus- 
Christ,  Messieurs,  qui  comprend  tous  les 
hommes,  et  qui  veut  les  sauver  tous  1  Repré- 
sentez-vous tous  ces  peuples  immenses  qui 
devaient  se  succéder  dans  tous  les  siècles, 
tous  ces  hommes  plongés  dans  les  ténèbres 
de  l'idolâtrie ,  ces  villes,  ces  provinces,  ces 
empires  que  l'erreur  a  séduits,  tous  ceux 
que  le  monde  corrompt,  qu'il  fait  marcher 
dans  les  routes  du  crime,  et  qu'il  attache  à 
son  char:  le  cœur  de  Jésus  les  comprenait 
sur  la  croix  lorsqu'il  consomma  son  sacrifice,, 
il  voulait  sincèrement  les  sauver  tous:  il  ne 
voulait  fias  la  perte  d'un  seul,  dit  l'apôtre  : 
nolrns  aliquos  perire. 

Le  démon,  dit  saint  Augustin,  louera  hau- 
tement l'amour  immense  de  Jésus-Christ 
pour  tous  les  hommes  au  jour  des  vengean- 
ces; il  confessera  publiquement  qu'il  n'en- 
traîne dans  les  enfers  que  ceux  qui  se  sont 
perdus  volontairement:  il  ne  dira  pas,  dit 
ce  saint  docteur:  Livrez-moi,  souverain  juge, 
celui  que  vous  avez  rebuté,  celui  que  vous 
avez  réprouvé,  et  dont  vous  n'avez  point 
voulu;  mais  celui  qui  n'a  pas  voulu  répondre 
à  votre  amour,  à  vos  grâces,  qui  a  refusé 
opiniâtrement  d'entrer  dans  votre  cœur  : 
Jubé  meum  esse  qui  tuus  esse  noluit. 

Personne  n'est  donc  exclu,  Messieurs,  du 
cœur  de  Jésus,  il  est  assez  immense  pour 
comprendre  tous  les  hommes.  En  vain  l'hé- 
résie a-t-elle  voulu  le  rétrécir  ,  ce  cœur  im- 
mense: en  vain  prétend-elle  que  Jésus- 
Christ  n'est  mort  que  [tour  les  seuls  élus,  et 
exclut-elle  du  cœur  de  Jésus  sur  la  croix 
tous  ceux  qui  ne  profitent  pas  des  mérites 
infinis  de  son  sang,  et  qui  se  perdent  vo- 
lontairement; l'Eglise  a  frappé  d'anathème 
ces  erreurs,  et  elle  proscrit  tous  ceux  qui 
les  renouvellent  comme  injurieuses  à  I  a- 
mour  de  Jésus-Christ  sur  la  croix.  Pour 
nous,  Messieurs,  qui  avons  la  consolation 
d'être  les  enfants  de  l'Eglise,  entrons  dans 
le  cœur  de  Jésus;  son  amour  est  constant 
pour  notre  salut.  Approchons  de  l'autel,  c'é:  t 
là  le  théâtre  de  sa  charité  pour  les  enfants 
de  son  Eglise. 

Ah!  que   n'ai-je  ici  la  charité  des  sera- 


537 


SUJETS  DIVERS.  —  SERM.  I"  ,  SACRE  CŒUR  DE  JESUS. 


35S 


phins,  pour  vous  raconter  les  merveilles 
dont  le  cœur  adorable  de  Jésus-Christ  fait 
un  abrégé  avant  de  consommer  le  sacrifice 
de  la  croix.  Il  faudrait  des  traits  de  feu,  et 
non  pas  des  paroles  pour  exprimer  ces  sen- 
timents. Ecoutez,  Messieurs,  le  disciple  bien- 
aimé,  il  a  reposé  sur  sa  poitrine,  les  secrets 
de  son  cœur  lui  ont  été  révélés  :  que  n'ap- 
prend-on pas  dans  le  sein  de  Jésus?  Lui 
:  eul,  en  peu  de  mots,  va  nous  développer  la 
magnificence  et  la  durée  de  son  amour. 
i  Jésus,  dit-il,  voyant  que  l'heure  de  con- 
sommer son  sacrifice  sur  la  croix  appro- 
chait :  scions  quia  venit  hora  :  comme  il 
avait  aimé  les  hommes,  il  voulut  leur  laisfer 
un  gage  éternel  de  son  amour:  cum  dilexis- 
set  suos,  in  fîncm  dilexit  eos.  (Joun.,  XIII.) 
Et  quel  est,  Messieurs,  ce  gage  perpétuel  de 
l'amour  de  notre  Dieu,  quel  est  ce  monu- 
ment authentique  de  sa  charité  pour  nous? 
C'est  le  sacrifice  de  nos  autels,  ce  sacrili.  e 
universel,  ce  sacrifice  qu'on  offre  dans  tous 
les  lieux  du  monde,  ce  sacrifice  qu'on  offre 
tous  les  jours,  et  presqu'àtous  les  instants. 
C'est  là  le  gage  de  l'amour  constant  de  notre 
Dieu.  Il  fallait  l'amour  d'un  Dien  pour  for- 
mer ces  projets  de  tendresse:  il  fallait  la 
puissance  d'un  Dieu  pour  les  exécuter. 

Ecoutez,  chrétiens,  et  soyez  saisis  d'éton- 
rement  et  d'admiration:  le  sacrifice  de  la 
croix  satisfaisait  pleinement  à  la  justice  di- 
vine, mais  il  ne  satisfaisait  pas  entièrement 
le  cœur  de  Jésus-Christ.  Il  ne  pouvait  s'im- 
moler qu'une  fois  d'une  manière  sanglante  : 
sa  charité  trouve  le  secret  de  s'immoler  tous 
les  jours  d'une  manière  non  sanglante.  Le 
sacrifice  du  Calvaire  une  fois  consommé 
l'homme  était  réconcilié,  mais  il  ne  possé- 
dait plus  Jésus-Christ:  le  sacrifice  du  Cal- 
vaire étant  perpétué  sur  nos  autels,  l'homme 
possède  tous  les  jours  Jésus-Christ.  Un  amour 
immense  avait  attaché  Jésus-Christ  à  la  croix  : 
un  amour  constant  le  fait  demeurer  éternel- 
lement sur  nos  autels.  O  cœur  adorable  de 
mon  Sauveur  1  Qui  peut  exprimer  votre 
amour  pour  l'homme?  Il  est  aussi  incom- 
préhensible que  votre  présence  réelle  sur 
nos  autels,  et  votre  présence  dans  le  séjour 
de  la  gloire.  Disons  donc,  Messieurs,  que 
Je  us-Christ,  en  instituant  le  sacrement  de 
son  corps  et  de  son  sang,  a  fait  un  abrégé  de 
toutes  les  merveilles  dont  toute  la  puissance 
d'un  Dieu  est  capable:  Fecit  memoriam  mi- 
raliilium  suorum.  (Psal.  CX.)  Un  Dieu  seul 
pouvait  perpétuer  son  amour  pour  les 
hommes  d'une  manière  si  tendre  et  si  géné- 
reuse. 

O  amour  incompréhensible  de  Jésus- 
Christ,  qui  fait  ses  délices  de  demeurer  avec 
les  hommes  1  des  hommes  quelquefois  épris 
des  choses  de  la  terre,  séduits  par  les  trom- 
peurs appâts  du  plaisir,  remplis  de  projets 
ambitieux,  ou  de  coupables  pensées. 

O  amour  incompréhensible  de  Jésus-Christ, 
qui  obéit  à  la  voix  d'un  faible  mortel,  qui  se 
niultfflie  à  chaque  instant  dans  les  mains 
des  prêtres  qui  devraient  être  saints,  et  qui 
ne  le  sont  pas  toujours. 

O    amour    incompréhensible    de  Jéus- 


Christ,  que  les  profanations  et  les  satriléges 
ne  font  point  abandonner  nos  tabernacles  ; 
qui  entre  dans  les  cœurs  souillés  du  péché, 
comme  dans  ceux  qui  sont  purifiés  par  la 
pénitence  ;  qui  se  laisse  approcher  par  les 
impies  et  les  indifférents  ! 

O  amour  incompréhensible  de  Jésus- 
Christ,  qui  attend  avec  patience  les  hom- 
mages de  quelques  saintes  âmes,  et  qui 
souffre  les  mépris  de  toutes  les  autres;  qui 
est  souvent  sans  adorateurs,  pendant  que- les 
palais  des  rois  ne  sauraient  contenir  les 
courtisans;  qui  est  presque  toujours  seul 
sur  le  trône  de  la  miséricorde,  parce  que  ce 
n'est  pas  le  trône  de  la  fortune  l 

O  amour  incompréhensible  de  Jésus- 
Christ,  qui  veut  êtrela  nourriture  del'homme, 
et  dont  l'homme  néglige  de  se  nourrir;  qui 
ne  se  rebute  point  des  délais  des  uns  et  des 
systèmes  des  autres;  qu'on  abandonne  pour 
suivre  le  torrent  de  la  passion  ou  les  pré- 
jugés de  l'erreur;  qu'on  ne  désire  point 
pendant  la  vie,  qu'on  demande  avec  larmes 
à  la  mort  1 

O  amour  incompréhensible  de  Jésus- 
Christ,  qui  ne  se  lasse  point  de  l'indifférence 
de  l'homme,  qui  l'attend  inutilement  sur  nos 
autels,  et  qui  va  amoureusement  le  trouver 
lorsque  toutes  les  créatures  lui  échappent» 
et  qu'il  est  prêt  de  |  asser  dans  l'immense 
étendue  de  l'éternité  ! 

Oui,  Messieurs,  quand  on  fait  réflexion 
sur  l'amour  constant  de  Jésus-Christ  sur  nos 
autels,  malgré  la  profanation,  les  sacrilèges, 
les  mépris  et  l'indifférence  des  hommes, 
nous  ne  pouvons  pas  nous  empêcher  de  nous 
écrier:  O  cœur  adorable  de  Jésus,  vous  ai- 
mez donc  bien  l'homme,  l'homme  tout  cri- 
minel qu'il  est  a  donc  une  place  dans  le 
cœur  de  Jésus  !    . 

Je  sais  que  l'amour  constant  de  Jésus- 
Christ  reçoit  de  profonds  hommages  de 
quelques  saintes  âmes;  que  l'on  voit  des 
prêtres,  des  vierges,  des  vieillards  qui  en- 
vironnent ce  trône  terrestre  \  que  l'on  voit 
les  majestés  de  la  terre  prosternées  aux 
pieds  des  autels.  Je  sais  les  triomphes  que 
Jésus-Christ  a  remportés  dans  l'Eucharistie, 
malgré  la  jalouse  fureur  de  l'hérésie.  Je  sais 
que  cette  arche  sacrée  est  portée  avec  ma- 
gnificence dans  les  rues  de  Sion,  et  que  les 
opprobres  que  l'hérésie  a  voulu  répandre 
sur  ses  solennités,  n'ont  servi  qu'à  rendre 
ses  fêtes  plus  pompeuses,  et  ses  triomphes 
plus  éclatants:  mais  je  sais  aussi  que  les 
triomphes  du  dogme  de  la  présence  réelle 
sur  l'hérésie  ne  serviront  pas  moins  à  con- 
damner notre  indévotion,  qu'à  attester  l'a- 
mour constant  de  Jésus -Christ  sur  nos  au- 
tels. Si  l'homme  a  une  place  dans  le  cœur 
de  Jésus,  Jésus  doit  avoir  une  place  dans  le 
cœur  de  l'homme.  Jésus -Christ  a  aimé 
l'homme,  dilecci  vos;  Jésus-Christ  veut  êlre 
aimé  del'homme,  martelé  in  diiectione  mea. 
C'est  le  sujet  de  la  seconde  partie. 

S£CO>DK    PARTIE. 

Tel  est,  chrétiens,  votre  bonheur,  d'avoir  été 
aimés  de  Jésus-Christ;  telle  est  votre  gloire, 
de  pouvoir  aimer  Jésus-Christ.  J'ose  le  dire, 


5S0 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


SiO 


Jésus -Christ  n'a  pas  fait  éclater  encore  toute 
sa  bonté  en  nous  donnant  son  cœur,  en  nous 
demandant  le  nôtre,  il  l'a  fait  briller  dans 
toute  sa  magnificence.  Notre  bonheur  est  d'a- 
voir une  place  dans  le  cœur  de  Jésus,  notre 
gloire  est  que  Jésus  désire  une  place  dans 
notre  cœur.  Qu'avez-vous  fait,  chrétiens,  pour 
être  aimés  de  Jésus?  Qu'êtes- vous,  pour 
(pie  Jésus  désire  d'être  aimé  de  vous? 

Je  ne  dis  pas  assez,  Messieurs,  quand  je 
dis  que  Jésus-Christ  désire  d'être  aimé  de 
vous  :  il  !e  veut,  il  vous  en  fait  un  précepte  : 
Manrte  in  dilectione  mea.  11  connaît  votre 
cœur;  il  sait  qu'il  ne  peut  être  sans  amour, 
il  faut  qu'il  s'attache  aux  créatures  ou  au 
Créateur;  qu'il  vole  vers  les  objets  sédui- 
sants du  siècle  ou  vers  les  objets  immua- 
bles de  l'éternité;  que  les  coupables  plaisirs 
du  monde  l'enivrent,  ou  que  les  douceurs 
innocentes  du  ciel  le  comblent  de  consola- 
tion. Il  est  fait  pour  aimer;  Jésus-Christ  veut 
être  aimé,  il  veut  le  cœur  de  l'homme,  il  veut 
tout  le  cœur  do  l'homme,  il  veut  toujours 
demeurer  dans  le  cœur  de  l'homme.  Ainsi, 
Messieurs,  pour  que  le  cœur  de  l'homme  ré- 
ponde au  cœur  de  Jésus-Christ,  il  faut  qu'il 
soit  tendre,  généreux,  constant  ;  c'est  ce  qu'il 
nous  ordonne  par  ces  paroles  :  Demeurez 
dans  mon  amour  :  Manete  in  dilectione  mea. 

Où  sont-ils  ces  cœurs  embrasés  de  l'amour 
de  Jésus-Christ;  ces  cœurs  blessés  des  traits 
de  la  divine  charité,  ces  cœurs  que  les  images 
seules  des  travaux,  des  souffrances  et  des 
miséricordes  du  Sauveur  attendrissent?  Où 
brûlc-i-il  ce  feu  sacré  que  Jésus-Christ  est  venu 
apporter  sur  la  terre?  Dans  quelques  cœurs 
purs,  innocents,  dans  ces  âmes  paisibles  et 
tranquilles,  qui  méditent  continuellement 
les  mystères  de  leur  saint,  et  qui  le  veulent 
sincèrement. 

)Je  trouve  des  cœurs  tendres,  faciles  à  en- 
tamer, des  cœurs  qui  s'attachent  aisémenl  ; 
je  vois  couler  des  pleurs,  j'entends  de  tristes 
accents;  mais  ce  sont  les  amorces  du  plais'r 
qui  entament  ces  cœurs  tendres,  ce  sont  les 
flatteuses  espérances  du  siècle  qui  les  atta- 
chent, ce  sont  des  pertes  terrestres,  des  mal- 
heurs temporels  qui  font  répandre  ces  larmes 
et  pousser  ces  tristes  accents. 

Qu'est-ce  qu'un  coeur  tendre  dans  le  monde? 
C'est  souvent  un  cœur  criminel  ;  c'est  un  cœur 
qui  forme  aisément  des  liaisons  et  qui  les 
rompt  difficilement,  qui  reçoit  avec  plaisir 
les  plaies  du  péché,  et  qui  se  ferme  aux  im- 
pressions de  la  vertu,  qui  gémit  de  ses  enga- 
gements et  qui  n'a  pas  le  courage  d'y  renon- 
cer, que  l'image  flatteuse  du  crime  a  séduit, 
et  que  le  crime  a  enchaîné. 

Qu'est-ce  qu'un  cœur  tendre  dans  le  monde? 
C'est  souvent  un  cœur  tout  terrestre  ;  un  cœur 
sensible  à  la  décadence  ou  à  la  fortune  de  ses 
parents  ot  de  ses  amis,  insensible  aux  dan- 
gers de  leur  salut,  qui  s'afflige  de  leurs  dis- 
grâces, qui  ne  s'afflige  point  de  leurs  crimes, 
qui  pleure  avec  eux  la  perte  des  biens  ou  des 
corps,  qui  ne  pleure  jamais  la  perte  de  la 
grâce  et  des  âmes,  qui  est  touché  de  com- 
passion pour  les  maux  qu'il  voit  et  qui  ne 
pense  point  à  ceux  qu'il  ne  voit  pas. 


Qu'est-ce  qu'un  cœur  tendredans  le  monde? 
C'est  souvent  un  cœur  tout  profane,  un  cœur 
que  des  malheurs  imaginaires  attendrissent, 
que  le  récit  d'une  aventure  fabuleuse  pénè- 
!re,  que  de  brillants  mensonges  et  de  feintes 
vertus  rendent  pitoyable,  que  les  disgrâces 
d'un  héros  de  théâtre  et  les  charmes  sé- 
duisants de  la  scène  plongent  dans  la  dou- 
leur. 

Le  jeune  Augustin  est-il  le  seul  qui  ait 
répandu  des  larmes  en  assistant  aux  specta- 
cles, et  ne  se  glorsiie-t-on  pas  tous  les  jours 
de  n'avo:r  pu  résister  à  la  fiction  ?  Tout  ce 
que  saint  Chrysostome  demandait  de  ses  au- 
diteurs, c'étaient  des  larmes.  11  était  réservé 
aux  chrétiens  de  nos  jours  de  les  porter  aux 
théâtres. 

Qu'est-ce  qu'un  cœur  tendre  dans  le  monde? 
C'est  souvent  un  cœur  judaïque  que  les  céré- 
monies touchent,  que  la  religion  ne  touche 
point;  qui  est  pénétré  des  représentations,  et 
qui  ne  l'est  point  des  objets  représentés;  qui 
pleure  les  malheurs  qui  suivent  le  péché  et 
qui  ne  déteste  pas  le  péché  qui  les  attire; 
<[ue  la  manière  de  débiter  certaines  vérités 
attendrit,  et  que  les  vérités  n'effraient  pas. 

Rien  de  plus  tendre  que  le  cœur  de  l'homme; 
les  images  [le  séduisent,  les  plaisirs  l'amol- 
lissent, les  malheurs  l'attristent,  les  peines 
qu'il  voit  le  pénètrent,  les  maux  qui  le  mena- 
cent l'accablent;  son  cœur  ou  est  toujours 
enivré  par  le  plaisir  ou  percé  par  la  douleur. 
Ah  !  qu'il  donne  une  place  à  Jésus  dans  son 
cœur,  qu'il  aime  Jésus  avec  cette  tendresse 
dont  il  est  capable,  et  son  cœur  sera  bientôt 
calme  et  tranquille,  Jésus-Christ  veut  être 
aimé. 

Un  cœur  tel  que  Jésus-Christ  le  demande, 
Messieurs,  c'est  un  cœur  chrétien,,  un  cœur 
pénélré  de  ce  qu'il  a  fait  pour  l'homme;  un 
cœur  occupé  des  abaissements  de  sou  incar- 
nation, des  travaux  de  sa  vie  moi  telle,  des 
souffrances  de  sa  mort,  des  sacrements  qu'il. 
a  institués,  des  grâces  qu'il  a  prodiguées,  de 
la  gloire  qu'il  nous  a  procurée.  Un  cœur 
chrétien,  c'est  un  cœur  qui  n'aime  que.  Jésus- 
Christ,  que  Jésus-Christ  trouve  dégagé  de 
toute  affection  terrestre,  où  il  habite  avec 
complaisance;  c'est  le  cœur  de  cette  sainte 
amante  de  l'Evangile  qui  arrose  ses  pieds  de 
ses  larmes,  qui  le  suit  sur  le  Calvaire,  qui 
recueille  ses  derniers  soupirs  et  ses  derniers 
oracles,  que  le  saint  amour  transporte  encore 
après  sa  mort,  qui  baigne  son  tombeau  de 
ses  pleurs  et  qui  est  inconsolable  jusqu'à  ce 
qu'elle  l'ait  vu.  C'est  le  cœur  de  Paul  si 
enraciné  dans  la  charité  de  Jésus-Christ  qu'il 
délie  les  tribulations,  la  faim,  les  chaînes, 
les  glaives  de  l'en  séparer;  qui  avait  l'avan- 
tage de  pouvoir  dire  qu'il  ne  vivait  plus,  mais 
que  c'était  Jésus-Christ  qui  vivait  en  lui. 
C'est  le  cœur  d'une  sainte, Thérèse,  que  le. 
feu  de  l'amour  divin  consumait,  qui  aima  t 
Jésus-Christ  dans  les  plus  rudes  épreuves, 
dont  les  jours  se  sont  écoulés  dans  de  saintes 
ardeurs,  et  qui  est  expirée  dans  les  flammes 
de  la  charité. 

Un  cœur  chrétien,  Messieurs,  ce  sera  le 
vôtre,  si  vous  aimez  Jésus-Christ.  Ah!  ma- 


3H 


SUJETS  DIVERS.  —  SERM.  I",  SACRE  CŒUR  DE  JESUS. 


5!9 


heur,  anathème ,  feux  de  l'enfer,  dit  saint 
Paul ,  pour  tous  ceux  qui  n'aiment  pas  le 
Seigneur  Jésus  :  Qui  non  umat  Dominum 
Jesum  analhema  sit.  [Galal.,  I.)  Malheur  à 
celui  qui  ne  veut  point  donner  une  place  à 
Jésus  dans  son  cœur,  après  que  Jésus  lui  a 
ouvert  le  sien;  malheur  aussi  à  celui  qui 
est  réservé  dans  son  amour,  il  veut  un  cœur 
tendre,  un  cœur  généreux. 

Voulez-vous  savoir,  Messieurs,  quelles 
sont  les  erreurs  et  les  illusions  de  l'homme 
sur  son  cœur?  C'est  de  se  persuader  folle- 
ment qu'il  peut  le  partager;  c'est  de  suivre 
ce  système  si  solennellement  proscrit  et  con- 
damné dans  l'Evangile,  de  vouloir  être  à 
Jésus-Christ  et(au  monde,  de  vouloir  l'aimer 
et  aimer  d'autres  objets  que  lui,  de  placer 
dans  son  cœur  avec  Jésus  l'idole  de  la  vanité 
et  du  mensonge,  l'idole  des  plaisirs  et  des 
richesses,  l'idole  de  la  grandeur  et  de  la 
prospérité,  l'idole  de  son  humeur  et  de  ses 
caprices.  Jésus-Christ  veut  tout  le  cœur  de 
l'homme,  parce  qu'il  lui  a  donné  tout  le  sien  ; 
il  faut  donc  que  notre  cœur  immole  géné- 
reusement tout  ce  qui  n'est  pas  digne  de 
Jésus-Christ,  tout  ce  qui  déplaît  à  Jésus- 
Christ,  tout  ce  qui  ne  peut  pas  demeurer  avec 
Jésus-Christ. 

Votre  cœur,  chrétiens,  est  capable  de  cette 
générosité,  et  ce  qu'il  fait  pour  le  monde,  il 
le  peut  faire  pour  son  Dieu. 

Voyez  un  cœur  qui  désire  la  gloire,  la 
grandeur,  les  richesses,  les  plaisirs.  Goûte- 
f-il  les  douceurs  du  repos  et  les  agréments 
de  la  vie?  Ne  trouve-t-il  point  d'obstacles 
pour  parvenir  à  la  gloire?  Est-il  sûr  de  la 
conserver  lorsqu'il  l'a  obtenue? 

Les  veilles  continuelles,  les  profondes  mé- 
ditations, les  brillantes  productions,  ces 
ouvrages  immenses,  ces  efforts  de  l'esprit 
humain  ont-ils  toujours  procuré  aux  savants 
là  gloire  qu'ils  espéraient?  la  ilatteuse  espé- 
rance de  briller  dans  la  république  des  lettres 
leur  a  fait  couler  des  jours  sombres  et  péni- 
bles; voyez  ce  que  l'amour  de  la  gloire  fait 
entreprendre. 

Considérez  tout  ce  qu'il  en  a  coûté  à  cet 
homme  qui  est  parvenu  à"  une  place  émi- 
nente.  Avant  d'être  superbe,  il  a  été  modeste; 
avant  de  commander,  il  a  rampé  ;  il  a  fallu 
employer  la  souplesse  et  l'intrigue,  essuyer 
les  rebuts  et  souffrir  les  lenteurs,  cacher 
ses  projets  ambitieux ,  dissimuler  son  or- 
gueil, respecter  ses  adversaires,  flatter  ses 
ennemis.  Ce  n'était  pas  par  vertu,  c'était  par 
politique.  Voyez  les  sacrifices  que  l'homme 
fait  pour  parvenir  à  la  grandeur. 

Qu'est-ce  qu'un  cœur  généreux  et  magni- 
fique selon  le  monde?  C'est  quelquefois  un 
faux  brave  qui  expose  sa  vie  dans  un  com- 
bat singulier;  les  liens  les  plus  tendres,  les 
lois  les  plus  sévères  du  prince,  les  plus  sain- 
tes maximes  de  l'Evangile,  les  peines  éter- 
nelles, rien  ne  l'arrête  :  il  vole  avec  ardeur 
répandre  son  sang  ou  celui  de  son  ennemi. 
Quel  sacrifice  pour  la  gloire  du  monde  1 

Qu'est-ce  qu'un  cœur  qui  désire  des  ri- 
chesses? Un  cœur  inquiet  et  agité,  que  l'ap- 
pât du  gain  anime,  que  les  pertes  déconcer- 


tent, que  de  nouveaux  systèmes  occupent,, 
que  de  nouvelles  acquisitions  attachent,  quo 
la  lenteur  du  commerce  attriste,  que  la  dé- 
cadence d'un  créancier  alarme,  que  les 
principes  de  la  conscience  gênent ,  que  les 
ressources  de  la  cupidité  rassurent,  et  qui 
perd  son  repos  présentement,  dans  l'espé- 
rance d'être  tranquille  un  jour  à  l'ombre  de 
ses  richesses  :  quel  sacrifice  pour  les  biens 
du  monde  1 

Qu'est-ce  qu'un  cœur  livré  au  plaisir? 
C'est  un  cœur  esclave  de  ses  passions .  ty- 
rannisé par  ses  passions,  qui  pèche  d'abord 
aveemystère,  qui  pèche  ensuite  avec  éclat; 
qui  ménageait  sa  réputation,  qui  ne  la  mé- 
nage plus;  dont  les  intrigues  étaient  secrè- 
tes, dent  le  crime  est  public;  qui  rompt  les 
nœuds  les  plus  sacrés,  qui  forme  les  liens 
les  plus  criminels,  qui  se  glorifie  des  oppro- 
bres de  son  péché  et  qui  se  moque  du  scan- 
dale que  donne  son  péché.  Quel  sacrifice  pour 
satisfaire  ses  coupables  penchants? 

Or  ces  sacrifices  que  l'homme  fait  pour 
les  objets  de  son  cœur,  Jésus-Christ  les 
exige;  il  veut  les  mêmes  efforts,  la  même 
générosité,  la  même  magnificence.  Que  Jé- 
sus-Christ occupe  dans  votre  cœur  la  place 
que  le  monde  y  occupe,  et  vous  n'aurez  plus 
de  réserve  pour  lui,  comme  il  n'en  a  pas  eu 
pour  vous.  Pourquoi  faites-vous  plus  pour 
le  monde  que  pour  Jésus-Christ?  C'est  que 
vous  êtes  plus  attachés  au  monde  qu'à  Jésus- 
Christ.  Un  cœur  partagé  n'a  jamais  été  digne 
du  cœur  de  Jésus.  Celui-là  est  bien  avare, 
dit  saint  Augustin,  à  qui  Dieu  ne  suffit  pas; 
et  moi  j'ajoute  que  l'homme  est  bien  insensé 
de  s'imaginer  pouvoir  partager  son  cœur. 
Quand  je  vois  des  martyrs  braver  les  plus 
affreux  supplices,  monter  avec  intrépidi'é 
sur  les  échafauds,  chanter  des  cantiques 
d'allégresse  sous  les  glaives  des  tyrans,  je 
dis  qu'ils  aimaient  Jésus-Christ  sans  réserve. 
Quand  je  pense  à  ces  saintes  âmes  qui  fou- 
laient aux  pieds  la  grandeur  du  siècle,  et 
renonçaient  à  ses  trompeuses  richesses,  que 
l'Evangile  immolait  continuellement  et  quo 
le  monde  tentait  inutilement ,  je  dis  qu'elles 
aimaient  Jésus-Christ  sans  réserve. 

Quand  je  vois  à  la  cour  des  personnes  que 
le  rang  y  .appelle  et  que  la  religion  y  occupe, 
qui  se  prêtent  à  la  grandeur  et  qui  ne  s'y 
attachent  point,  qui  donnent  par  devoir 
quelques  moments  aux  majestés  de  la  terre, 
et  qui  donnent  les  jours  par  inclination  au 
Dieu  immortel;  qui  sont  en  présence  du 
prince,  sans  perdre  la  présence  de  Dieu,  et 
dans  le  tumulte  et  les  délices  de  la  cour, 
sans  cesser  d'être  recueillies  et  mortifiées , 
je  dis  qu'elles  aiment  Jésus-Christ  sans  ré- 
serve :  ce  sont  là  les  cœurs  que  Jésus-Christ 
désire,  des  cœurs  généreux  et  constants. 

Remarquez,  chrétiens,  que  Jésus-Christ  no 
dit  pas  seulement  Aimez-moi,  mais,  Demeu- 
rez dans  mon  amour  :  Manete  in  délections 
mea.  Des  ardeurs  passagères,  un  feu  qu'on 
laisse  éteindre,  des  mouvements  de  ten- 
dresse que  les  objets  du  siècle  étouffent,  des 
attaches  faibles  qui  se  rompent  aisément ,  un 
cœur  volage  et  errant ,  un  cœur  changeant  et 


343 


ORATEURS  SACRES.  RAEEET. 


ili 


inconstant,  un  cœur  qui  s'ouvre  et  qui  se 
ferme,  un  cœur  aujourd'hui  tout  de  feu  et 
demain  tout  de  glace,  n'-est  pas  digne  d'ôtre 
occupé  par  Jésus-Christ.  Comme  il  ne  se  plaît 
que  dans  l'amour,  dès  que  l'amour  divin  ne 
règne  plus  dans  son  cœur,  Jésus-Christ  ne 
s'y  plaît  plus;  lui-même  a  posé  ces  lois  sa- 
crées :  Demeurez  dans  mon  amour,  si  vous 
voulez  que  je  demeure  dans  votre  cœur  : 
Mande  in  delectionc  mea. 

La  couronne  immortelle  ne  sera  accordée 
qu'à  la  persévérance  ;  ces  lâches  déserteurs 
delà  foi,  qui  ont  abandonné  la  doctrine  des 
apôtres,  après  l'avoir  embrassée,  et  quelque- 
fois soutenue  avec  éclat,  qui  avaient  dé- 
fendu l'Eglise  avec  zèle,  et  qui  l'ont  combat- 
tue avec,  fureur;  qui  ont  fait  sa  douleur, 
après  avoir  fait  sa  gloire,  excitent  nos  re- 
grets,  après  avoir  attiré  notre  admiration. 
One  les  Tertullien  et  les  Origène  seraient 
grands,  s'ils  avaient  persévéré  dans  la  doc- 
trine de  l'Eglise!  Mais  en  rompant  l'unité,  ils 
ont  perdu  la  charité;  s'ils  eussent  été  plus 
constants,  ils  seraient  plus  heureux.  Ces  lâ- 
ches déserteurs  de  la  sainteté,  ces  astres 
brillants  qui  se  sont  éclipsés,  ces  infortunés 
fameux  dans  nos  annales  qui  ont  mal  Bn;, 
après  avoir  bien  commencé,  ces  hommes 
qui  marchaient  dans  la  roule  du  ciel,  et  qui 
marchent  dans  celle  de  l'enfer;  qui  étaient 
des  modèles  de  vertu,  et  qui  sont  des  modè- 
les de  débauche  ;  qui  ne  pouvaient  compren- 
dre à  un  certain  âge  comment  on  pouvait  li- 
vrer son  corps  à  des  voluptés  criminelles,  et 
qui  ne  peuvent- point  se  persuader  aujour- 
d'hui qu'on  puisse  s'en  passer;  ils  ont  rossé 
d'aimer  Jésus-Christ,  en  cessant  d'être  inno- 
cents; ils  l'ont  banni  de  leur  cœur,  en  y 
introduisant  l'idole  du  péché;  leurs  cœurs 
inconstants  ont  changé  d'objets,  leur  desti- 
née est  aussi  changée.  La  charité  sera  cou-" 
ronnée  dans  le  ciel.  L'amour  des  créatures 
sera  puni  dan.;  les  enfers. 

Ah  !  Messieurs,  ce  n'est  pas  pour  certains 
moments,  certains  jours,  certains  temps  de 
la  vie  que  Jésus-Christ  vous  demande  une 
j'Jace,  c  est  pour  toujours:  Mande  in  dilec- 
tione  mea.  Si  on  méprise  dans  le  monde  un 
cœur  inconstant ,  ne  doit-on  pas  en  rougir 
dans  la  religion. 

Qu'un  cœur  change  dans  le  monde,  sou- 
vent c'est  politique  ;  il  y  a  des  amitiés  qui 
deviennent  suspectes  à  la  société;  il  y  a  des 
hommes  hardis  et  remuants,  dont  on  redoute 
les  projets  et  les  systèmes ,  dont  on  craint 
les  entreprises  et  lès  conseils;  c'est  une  sa- 
gesse de  s'en  séparer. 

Qu'un  cœur  change  dans  le  monde,  sou- 
vent c'est  prudence;  il  y  a  des  liaisons  qui 
déshonorent;  le  public  juge  de  nous  par 
ceux  que  nous  fréquentons  ;  il  décide  qu'il 
y  a  une  conformité  do  mœurs  et  de  senti- 
ments, quand  il  aperçoit  une  union  étroite 
et  des  assiduités  marquées;  et  quoique  sa 
malignité  aperçoive  ce  que  nous  n'apercevons 
pas,  c'est  une  prudence  de  rompre  ces  liaisons. 

Qu'un  cœur  change  dans  le  monde,  sou- 
vent c'est  la  nécessité  :  les  sociétés  qu'on  a 
formées  engagent  à  des  dépenses,  à  une  table, 


à  un  jeu,  à  un  luxe  au-dessus  do  sa  fortune; 
c'est  une  nécessité  de  rompre  avec  ces  socié- 
tés :  on  est  heureux  de  prévoir  une  chute 
prochaine  et  une  décadence  humiliante. 

Qu'un  cœur  change  dans  le  monde,  sou- 
vent c'est  vertu  :  il  y  a  des  personnes  dont 
l'amitié  est  dangereuse,  qui  inspirent  lu 
vice  en  donnant  leur  confiance  ;  dont  les  se- 
crets, les  confidences  sont  autant  de  leçons 
du  crime;  qui  n'ouvrent  leur  cœur  avec  sin- 
cérité, que  pour  entrer  dans  celui  des  autres 
avec  plus  de  facilité,  et  qui  se  plaisent  à  par- 
ler de  leurs  faibles,  pour  découvrir  habile- 
ment ceux  de  leurs  amis  :  quand  on  aime  la 
vertu,  on  renonce- à  ces  amitiés. 

Qu'un  cœur  change  dans  le  monde,  sou- 
vent c'est  perfect:on  :  il  y  a  des  personnes 
qui  sont  heureusement  détrompées  du 
monde  ;  persuadées  du  néant  des  gran- 
deurs, des  richesses  et  des  plaisirs  :  après 
avoir  été  édifié  de  leurs  vertus,  on  ne  doit 
pas  être  étonné  de  leur  retraite  :  c'est  ainsi 
qu'on  voit  quelquefois  une  jeune  personne 
se  dérober  à  la  cour,  pour  vivre  dans  le  calme 
et  le  silence  :  c'était  un  précepte  d'y  vivre 
saintement,  c'est  une  perfection  d'y  renon- 
cer absolument. 

Mais  qu'un  cœur  change  dans  1  ordre  de 
la  religion;  qu'il  cesse  d'aimer  Jésus-Chrit 
"pour  aimer  dos  objets  terrestres  et  périssa- 
bles, qu'il  bannisse  Jésus  de  son  cœur  pour 
y  introduire  l'idole  de  la  passion,  ah  1  c'est 
un  changement  dont  l'enfer  seul  j  eut  ôire 
l'auteur.  Qu'on  se  )  iqiie  d'être  constant 
dans  une  amitié  souvent  trop  tendre  pour 
être  innocente,  et  qu'on  ne  rougisse  point 
d'être  inconstant  quand  il  s'agit  d'aimer 
Jésus-Christ,  quel  aveuglement  !  Tel  est  le 
nôtre,  Messieurs,  nous  sommes  persuadés 
que  Jésus-Christ  nous  a  donné  une  place 
dans  son  cœur,  et  nous  lui  en  refusons  une 
dans  le  nôtre. 

O  cœur  sacré  de  Jésus-Christ,  recevez  au- 
jourd'hui nos  adorations,  nos  prières  et  nos 
sacrifices  1  Nous  adorons  vos  sentiments  in- 
térieurs, et  tout  ce  qui  s'est  passé  clans  ce 
sanctuaire  du  plus  pur  amour;  ces  honneurs 
infinis  que  vous  rendez  à  votre  père  céleste, 
ces  projets  de  tendresse  et  de  miséricorde 
que  vous  formiez  pour  l'homme,  et  que  vo- 
tre charité  immense  a  exécutés;  nous  ado- 
rons ce  (pie  nous  ne  saurions  expliquer  : 
bannissez  de  noire  cœur  tous  ces  objets  ter- 
restres et  criminels  qui  le  remplissent;  qu'il 
soit  conforme  au  vôtre  autant  qu'il  est  possi- 
ble; que  la  divine  charité  y  règne,  l'em- 
brase, le  consume.  Donnez-nous  le  courage 
de  vous  immoler  tous  les  trophées  de  notre 
orgueil,  toutes  les  idoles  de  nos  péchés,  tout 
ce  qui  nous  attache,  nous  séduit,  nous  en- 
chante, tout  ce  qui  nous  révolte,  nous  gône, 
nous  mortifie.  O  cœur  sacré  de  Jésus-Christ, 
que  nos  cœurs  s'unissent  aujourd'hui  au  vô- 
tre 1  que  les  grandes  merveilles  que  la  cha- 
rité seule  peut  opérer  s'accomplissent;  que 
nous  ne  sortions  point  de  votre  cœur,  et  que 
vous  ne  sortiez  point  du  nôtre  ;  que  vos  sou- 
haits aient  leurs  effets  ;  que  nous  ne  soyons 
qu'un  avec  vous,  comme  vous  n'êtes  qu'un 


SUJETS  DIVERS.  —  SERM.  II ,  POUR  UNE  PROFESSION. 


345 

avec  votre  père  céleste  :  divine  et  admirable 
union,  qui  doit  faire  tout  notre  bonheur  dans 
l'éternité.  Je  vous  la  souhaite.  Ainsi  soit-il. 

SERMON  H. 

POUR    UNE    PROFESSION. 

Prononcé  dans  l'abbaye  royale  de  Jouarrr,  lo 
ISju'in  1744. 

Nolite  diligere  raundum,  neque  ca  quœ  in  mundo  sunt. 
(I  Joan.,  II.) 

N'aimez  point  le  monde  ni  toutes  les  choses  qui  sont  dam 
le  monde. 

C'est  Dieu  lui-même  qui  est  l'auteur  de 
tous  ces  différents  états  qui  régnent  dans 
l'univers,  et  qui  en  font  toute  la  beauté.  11 
est  le  Dieu  du  monarque  et  du  sujet,  de 
l'homme  public  et  de  l'homme  privé,  du  ri- 
che et  du  pauvre,  de  celui  qui  vit  dans  le 
tumulte,  et  de  celui  qui  est  caché  dans  la 
solitude;  des  mères  de  familles,  retenues 
dans  le  siècle  par  un  lien  indissoluble,  des 
vierges  enfoncées  dans  un  cloître  par  des 
vœux  solennels.  Tous  ces  états  sont  saints, 
Dieu  les  approuve,  on  peut  s'y  sauver,  ils  ne 
forment  point  par  eux-mêmes  co  monde  et 
tous  ces  objets  qu'il  défend  d'aimer  :  Nolite 
diligere  mundum,  neque  ea  quœ  in  mundo  sunt. 
Les  cours  des  rois,  ces  palais  somptueux  où 
brillent  la  grandeur  et  la  magnificence;  ces 
villes  florissantes,  ces  amas  d'édifices,  co  peu- 
ple infini  qui  les  habite  ;  tous  ces  grands 
théâtres  des  sciences,  ces  académies  célè- 
bres, ces  écoles  fameuses,  ces  tribunaux 
augustes  où  l'on  décide  des  fortunes  et  de  la 
vie  même  des  humains;  tout  cela,  dit  saint 
Augustin,  n'est  pas  le  monde,  c'est  un  arran- 
gement de  la  Providence  :  et  si  vous  me  de- 
mandez qu'est-ce  que  le  monde?  je  vous 
répondrai  que  ce  sont  ceux  qui,  par  des  at- 
taches terrestres,  des  maximes  perverses,  des 
usages  profanes,  des  cupidités  criminelles, 
des  desseins  ambitieux,  changent  l'ordre  de 
Dieu  et  attachent  leur  cœur  à  toutes  ces 
choses  qui  doivent  passer;  ce  ne  sont  point 
ces  états  qui  sont  le  monde,  ce  sont  souvent 
ceux  qui  les  remplissent  :  Dilectores  mundi, 
mundus  simf  ;l'anathème  n'est  pas  prononcé 
contre  ceux  qui  sont  dans  le  monde,  mais 
contre  ceux  qui  sont  du  monde.  L'Eglise  a 
la  consolation  d'en  voir  à  la  cour  et  dans  les 
villes  qui  ne  sont  point  du  monde;  elle  a 
quelquefois  la  douleur  d'en  voir  dans  les  so- 
litudes et  dans  les  cloîtres  qui  sont  du 
monde  :  c'est  à  quoi  il  faut  faire  attention, 
ma  chère  sœur.  Dans  ce  moment  de  votre 
sacrifice,  vous  allez  faire  des  promeses  so- 
lennelles au  Seigneur,  un  glaive  spirituel 
va  vous  immoler  :  vous  allez  entrer  dans  ce 
tombeau  mystérieux  qui  vous  cachera  avec 
Jésus-Christ  ;  mais  cet  acte  authentique  de 
votre  immolation  est  une  cérémonie  d'un 
moment,  et  le  dépouillement  du  viel  hdmme, 
l'ouvrage  de  toute  la  vie.  Ce  n'est  point  le 
monde  qui  damne,  ce  sont  ses- maximes.  Ce 
n'est  point  le  cloître  qui  sauve,  mais  les  ver- 
tus qu'on  y  pratique.  Je   ne  vous  cacherai 


.16 


point  les  obstacles  que  vous  auriez  trouvés 
dans  le  monde  ,  ni  les  avantages  que  vous 
trouverez  dans  la  retraite.  La  peinture  que 
je  vais  faire  du  monde  vous  fera  sentir  la 
grâce  que  Dieu  vous  faite  aujourd'hui;  la 
peinture  que  je  vous  ferai  de  la  retraite  vous 
fera  sentir  vos  obi 'gâtions  jusqu'au  tombeau. 
Mais  pour  combattre  des  préjugés  très-com- 
muns et  injurieux  aux  élus  que  Dieu  s'est 
choisis  dans  tous  les  états,  posons  des  prin- 
cipes certains.  Les  voici,  retenez-les  bien, 
ma  chère  sœur. 

Lesobstacles  que  vous  auriez  trouvés  dans 
le  monde,  ne  rendent  point  le  salut  absolu- 
ment impossible.  Les  avantages  que  vous 
trouvez  dans  la  retraite  n'assurent  point 
infailliblement  le  salut.  Il  faut  du  courage 
dans  le  monde  pour  surmonter  les  obstaejes. 
Il  faut  de  la  fidélité  dans  la  retraite  i  our 
profiter  des  avantages.  En  deux  mots  ,  rno 
oyez  pas  étonnée  de  ce  dessein,  car  c'est 
une  vérité  qu'il  vous  importe  de  savoir  : 
on  peut  se  sauver  dans  le  monde,  malgré 
tous  ses  obstacles;  on  peut  se  perdre  dans 
la  retraite,  malgré  tous  ses  avantages.  De- 
mandons, etc.  Ave,  Maria. 

PREMIÈRE     PARTIE. 

Ouvrons  les  livres  divins,  ma  chère  sœur, 
le  feu  de  l'imagination,  les  grâces  de  l'élo- 
quence n'auront  point  de  part  aux  portraits 
du  monde  que  je  vais  vous  tracer.  C'est  d'a- 
près l'Espril-Faint  que  je  vais  vous  le  mon- 
trer rempli  d'écueils  et  de  précipices,  fécond 
en  scènes  et  en  événements,  redoutable  dans 
ses  caresses,  trompeur  dans  ses  promesses, 
attrayant  quandil  se  montre,  hardi  quand  il 
attaque,  fort  quand  il  combat,  glorieux  quand 
il  a  triomphé  ;  c'est  encore  d'après  l'Esprit- 
Saint  que  je  vais  vous  le  montrer  fameux 
par  les  naufrages,  riche  de  nos  dépouilles, 
réjoui  de  nos  défaites,  parcourant  tous  les 
états  avec  les  appâts  du  vice  et  les  amorces 
du  péché,  se  faisant  ses  adorateurs  depuis  la 
cabane  du  pauvre  jusqu'aux  trônes  des  sou- 
verains, et  attachant  orgueilleusement  à  son 
char  le  plus  grand  nombre  des  humains  sé- 
duits et  trompés.  Mais  malgré  cette  peintnro 
effrayante  du  monde  auquel  vous  allez  re- 
noncer solennellement,  il  n'est  pas  impos- 
sible de  s'y  sauver  :  la  main  toute-puissante 
qui  vous  dérobe  à  ces  obstacles  en  soutient 
plusieurs  au  milieu  des  dangers,  les  bons 
sont  mêlés  avec  les  méchants,  et  tous  les 
élus  ne  sont  pas  dans  la  retraite. 

Comment,  cela,  ma  chère  sœur?  Le  voici  : 
on  te  sauve  dans  le  monde,  pourvu  qu'on 
ne  soit  pas  du  monde  ;  voulez-vous  des  preu- 
ves éclatantes  de  cette  vérité?  écoutez,  jo 
vous  prie. 

Jésus-Christ  était  dans  le  monde:  In  mundo 
erat  (Joan.,  I)  ;  il  a  parcouru,  pendant  trois 
années,  les  bourgades  et  les  villes;  il  a  con- 
versé avec  les  juifs,  les  prêtres,  les  docteurs, 
les  samaritains,  les  capharnaïtes,  les  phari- 
siens, les  sadducéens;  il  s'est  trouvé  avecles 
publicains,  les  pécheurs,  les  pécheresses,  in 
mundo  erat  ;  il  était  dans  le  monde,  mais  il 


Ui 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


SIS 


n'était  pas  du  monde,  c'est  lui-même  qui  fait 
cette. distinction  :  Non  sum  de  hoc  mundo 
{Joan.,  VIII)  :  on  peut  donc  être  dans  le 
monde  sans  être  du  monde,  et  ce  n'est  qu'à 
cette  condition  que  je  dis  qu'on  peut  se  sau- 
ver dans  le  monde.  Venons  aux  apôtres  :  ils 
étaient  dans  le  monde,  c'est  le  Sauveur  lui- 
même  qui  le  dit  :  Inmundo  sunt  (Joan.  XVII); 
ils  ont  parcouru  les  provinces,  les  royaumes, 
Ijs  empires,  ils  sont  entrés  dans  les  sénats 
l.'S  plus  fameux,  dans  les  plus  célèbres  aca- 
démies; ils  ont  vécu  dans  les  villes  les  plus 
florissantes ,  les  plus  voluptueuses,  à  Co- 
rinthe ,  à  Anlioche,  à  Alexandrie,  à  Rome; 
leur  pauvreté  les  obligeait  d'accepter  les 
hospices  qu'on  leur  offrait,  in  mundo  sunt,; 
ils  étaient  dans  le  monde,  mais  ils  n'é- 
taient pas  du  monde,  non  sunt  de  mundo. 
(lbid.)  11  y  a  donc  une  grande  différence 
entre  demeurer  dans  le  monde  et  être  du 
monde  ;  c'est  souvent  une  nécessité,  une  vo- 
cation d'être  dans  le  monde  :  mais  c'est  tou- 
jours un  crime  d'être  du  monde.  Aussi  notre 
divin  Sauveur  demande-t-il  à  son  Père  pour 
ses  disciples,  non  pas  de  les  dérober  au 
monde,  de  les  cacher  dans  la  solitude,  mais 
de  lés  conserver  dans  les  dangers  qui  les 
environneraient  de  toutes  parts  :  Non  rogo 
ut  tollus  de  mundo,  sed  ut  serves  eos  a  malo. 
(Ibid.)  Pour  vous,  aujourd'hui,  ma  chère 
sœur,  Dieu  vous  dérobe  aux  dangers  du 
monde;  c'est  sa  main  qui  vous  a  conduite  dans 
cette  retraite;  sa  grâce  vvous  a  soutenue  dans 
votre  temps  d'épreuve,  et  vous  donne  aujour- 
d'hui le  courage  de  vous  immoler:  vous  au- 
riez pu  vous  sauver  dans  le  monde  malgré 
iOus  ses  obstacles,  la  religion  nous  l'apprend; 
mais  Dieu  a  eu  d'autres  vues  sur  vous. 

L'esprit  du  monde,  le  langage  du  monde, 
les  occupations  du  monde  :  trois  grands 
obstacles  au  salut.  11  s'en  trouve  qui  ont  le 
courage  de  les  surmonter,  vous  y  auriez 
peut-être  succombé  avec  la  multitude  :  que 
cette  peinture  du  monde  vous  fasse  bénir 
aujourd'hui  la  main  miséricordieuse  qui  vous 
en  a  retirée. 

L'esprit  du  monde,  ma  chère  sœur,  n'est 
pas  un  esprit  soumis  et  docile;  l'orgueil, 
(jui,  selon  saint  Augustin,  a  enfanté  toutes 
les  hérésies  et  les  erreurs,  érige  un  tribunal 
chez  tous  les  humains  ;  tribunal  de  la  raison 
humaine,  où  l'on  cite  audacieusement  toutes 
les  vérités  de  la  religion  :  c'est  là  que  l'a- 
théisme se  fortifie,  et  que  le  système  insensé 
d'un  monde  formé  par  le  hasard  ose  étaler 
ses  rêveries;  c'est  là  que  le  déisme  se  fait 
gloire  de  reconnaître  un  Etre  suprême  qui 
ne  s'est  point  manifesté  au-dchors,  qui  n'a 
établi  aucune  religion,  et  qui  n'exige  aucun 
culte;  divinité  oisive  et  indolente,  qui  ne 
présidé  à  aucun  événement  :  mystères  ado- 
rables, religion  sainte,  accomplissement  des 
prophéties,  certitude  des  miracles,  témoi- 
gnages de  tous  les  siècles,  vous  êtes  des 
laides  au  tribunal  que  les  déistes  se  sont 
érigé;  c'est  à  ce  tribunal  de  la  raison  hu- 
maine, que  la  fougueuse  hérésie  partage  la 
foi,  adopte  ou  rejette  les  dogmes  les  plus 
anciens  ;  c'est  là  qu'elle  examine  les  écritu- 


res, qu'elle  accuse  les  papes,  les  conciîos, 
les  Pères  de  l'Eglise  d'ignorance,  d'injustice, 
d'idolâtrie,  et  qu'elle  enfante  ces  erreurs  à 
l'épreuve  des  anathèmes  et  des  foudres  de 
l'Eglise;  c'est  àce  tribunal  que  le  schisme 
forme  ces  coups  éclatants,  compose  de  sé- 
duisantesapologiespour  la  révolte,  et  rassure 
habilement  ceux  qui  ont  rompu  l'unité  ;  c'est 
là  que  la  nouveauté  artificieuse  tourne  en 
ridicule  la  soumission  des  peuples,  les  dé- 
cisions des  souverains  pontifes,  les  ouvrages 
des  plus  grands  évêques,  le  zèle  des  catho- 
liques et  toutes  les  pratiques  de  piété;  c'est 
là  où  elle  justifie  ses  erreurs,  ses  artifices, 
ses  calomnies, 'ses  révoltes,  ses  ravages; 
c'est  là  que  le  fanatisme  le  plus  grossier  di- 
vinise les  scènes  les  plus  indécentes,  et  qu'il 
ose  opposer  à  la  beauté  des  camps  d'Israël  et 
aux  applaudissements  des  prophètes  l'igno- 
minie d'un  peuple  crédule  et  les  acclama- 
tions des  faux  docteurs.  C'est  là  enfin  que  la 
science  qui  enfle  enfante  tous  ces  ouvrages 
où  l'esprit  est  pour  tout,  et  la  religion  pour 
rien,  où  la  raison,  d'accord  avec  les  sens, 
forme  ces  raisonnements  éblouissants  qui 
affaiblissent  la  foi  et  justifient  le  vice.  Ces 
portraits,  ma  chère  sœur,  auraient  peut-être 
été  trop  forts  pour  les  siècles  passés,  ils  ne 
le  sont  point  assez  pour  le  nôtre  ;  nos  pères 
en  auraient  rougi ,  aujourd'hui  on  s'en  fait 
gloire. 

Ceux  qui  auraient  horreur  du  vice  s'ac- 
coutument avec  la  nouveauté;  la  piété,  qui 
est  en  garde  contre  les  amorces  du  péché,  ne 
l'est  point  contre  les  charmes  de  l'erreur. 
Nous  sommes  arrivés  à  ces  temps  dangereux 
pour  la  foi,  dont  parle  saint  Paul,  tempora 
periculosa.  (II  Tim.,  III.)  Danger  pour  la  foi  : 
combien  qui  cessent  d'être  dociles  à  l'auto- 
rité infaillible  de  l'Eglise,  par  les  exemples 
qu'ils  trouvent  dans  leurs  familles,  par  les 
leçons  de  leurs  maîtres ,  par  les  avis  de 
leurs  directeurs,  par  attache  à  un  apôtre  plu- 
tôt qu'à  un  autre,  par  l'imposante  austérité 
et  la  brillante  réputation  des  Rufins  et  des 
Mélanies  qui  se  sont  introduits  jusque  dans 
les  communautés  et  les  solitudes.  Tout  est 
danger,  tout  est  écueil  aujourd'hui,  ma  chère 
sœur,  l'esprit  d'erreur  domine  dans  le  monde. 
11  y  en  a  qui  triomphent  de  ses  obstacles  ; 
vous  y  auriez  peut-être  succombé  ;  et  la 
bonté  de  Dieu  se  manifeste  avec  d'autant 
plus  d'éclat  à  votre  égard,  qu'elle  vous  a 
ménagé  une  retraite  où  l'on  joint  aux  exem- 
ples d'une  piété  éminente  les  exemples 
d'une  soumission  parfaite.  Achevons  de 
peindre  l'esprit  du  monde  :  esprit  d'erreur 
dans  la  morale.  Vous  dirai-je  que  les  vices 
et  les  excès  sont  canonisés  par  le  monde  ; 
qu'il  y  a  un  certain  système  de  morale  op- 
posé à  celui  de  l'Evangile  ;  un  système 
adopté,  reçu,  un  système  qui  a  force  de  loi, 
une  loi  qu'on  respecte,  qu'on  observe  scru- 
puleusement, et  dont  la  moindre  transgres- 
sion choque  toutes  les  bienséances  du  monde 
et  révolte  tous  les  esprits?  Oui,  dans  la  mo- 
rale du  monde  on  loue  les  pécheurs  que 
l'Evangile  réprouve.  Laudatur  peccutor  (Psal. 
\)  :  l'homme  de  politique-,  lorsque,  par  la 


559 


SUJETS  DIVERS.  —  SERM.  II.  POER  l\NE  PROFESSION. 


530 


dissimulation  et  les  souterrains,  il  écarte  ses 
ennemis,  joue  ses  concurrents,  déplace  les 
favoris,  et  parvient  à  représenter  un  grand 
rôle  dans  un  royaume;  l'homme  de  men- 
songe, pourvu  que  les  équivoques  et  la 
fraude  soutiennent  un  commerce  brillant;  il 
serait  coupable  dans  la  décadence  la' plus 
innocente,  il  est  estimé  dans  la  fortune  la 
plus  suspecte;  l'homme  de  faste,  fût-il  défi- 
guré comme  Naaman  par  la  lèpre  du  péché, 
le  luxe  qu'il  entretient  lui  ouvre  toutes  les 
portes,  lui  attire  tous  les  regards;  la  vanité 
n'est  pas  un  crime  dans  le  monde,  la  sim- 
plicité seule  y  est  méprisée. 

L'homme  de  vengeance  :  il  est  couronné 
oc  gloire,  dès  qu'à  l'exemple  de  ces  vils 
gladiateuFS,  il  a  égorgé  son  ennemi  ;  un  com- 
bat singulier  est  un  des  points  le  plus  im- 
portants de  la  morale  du  monde;  le  "meurtre 
commis  de  sang-froid  change  de  nom,  et  les 
trophées  que  les  mondains  érigent  è  ces 
faux  braves  leur  fait  perdre  de  vue  l'Evan- 
gile et  l'enfer.  L'homme  d'intrigues  :  quand 
elles  sont  menées  habilement,  et  qu'il  sait 
l'art  de  perdre  la  vertu  sans  en  perdre  les 
apparences.  L'homme  de  richesses  :  on  jette 
un  voile  sur  les  injustices  inséparables  d'une 
fortune  rapide,  et  fût-il  aussi  stupide  que  le 
veau  d'or,  les  enfants  d'Israël  lui  formeront 
une  cour  et  lui  prodigueront  des  éloges. 
L'homme  d'ambition  :on  le  suit  dans  la  bril-^ 
lante  carrière  qu'il  s'ouvre,  et  s'il  arrive  à 
la  place  éminente  qu'il  désirait,  on  loue  des 
vertus  qu'il  n:a  jamais  eues,  on  j us t i lie  les 
ressorts  criminels  qu'il  a  fait  jouer,  on  exa- 
gère des  talents  inconnus;  après  sa  mort,  on 
érige  des  trophées  sur  son  tombeau  ;  on 
em,  loie  les  grâces  de  l'éloquence  pour  re- 
lever les  plus  faibles  vertus.  On  a  recours 
au  silence  jour  ne  pas  publier  de  grands 
vices;  il  est  loué  sur  la  terre  où  il  n'est 
plus;- il  est  tourmenté  dans  les  enfers  où  il 
e^t.  Laudatur  peccator. 

Tel  est,  ma  chère  sreur,  l'esprit  du  monde 
sur  la  morale  ;  c'est  cet  esprit  qui  anime  pres- 
que tous  les  humains,  qui  les  remue,,qui  les 
pousse,  qui  les  étourdit,  les  enivre,  les  as- 
soupit au  milieu  des  scandales  de  la  foi  et  des 
mœurs;  nous  ne  l'avons  point  reçu:  Non  ac- 
cepimus  spiritum  fin  jus  mundi  (I  Cor.,  XII)  : 
maison  nous  l'inspire, on  nous  le  commu- 
nique, voilà  lf>  danger.  Otez  quelques  âmes 
justes  qui  se  sauvent  dans  le  monde  malgié 
ce  grand  obstacle,  tous  les  mortels  pensent, 
agissent  suivant  cet  esprit  d'erreur.  C'est 
l"espnt  de  Dieu,  ma  chère  soeur,  qui  vous  a 
conduite  dans  la  retraite,  vous  avez  suivi  ses 
impressions ,  vous  l'écouterez  dans  le  si- 
lence; quelle  différence  entre  le  langage 
du  monue,  que  l'on  é.oute  si  facilement,  et 
qui  séduit  tant  d'âmes  dans  le  siècle. 

Ceux  qui  sont  les  amateurs  du  monde ,  et 
qui  forment  le  monde  môme,  comme  parle 
saint  Augustin,  dilcclores  mundi,  parlent 
des  objets  dont  leur  cœur  est  épris;  les  images 
flatteuses  du  siède  les  suivent  et  les  occu- 
pent à  la  cour  et  à  la  ville;  les  théâtres,  les 
académies  de  jeu,  les  cercles  brillants,  l'o- 
pulence, la  gloire,  les  plaisirs,  les  commo- 


dités, les  intérêts  particuliers,  les  distinc- 
tions en  tout  genre  sont  l'âme  des  conversa- 
tions; sans  tous  ces  objets  elles  languiraient; 
on  parle  aisément  et  souvent  de  ce  qu'on 
aime  ;  et  il  ne  faut  pas  être  étonné,  dit  saint 
Jean,  si  les  mondains  parlent  toujours  des 
objets  flatteurs  du  siècle,  ils  sont  du  monde, 
ils  le  composent  :  Tpsi  de  mundo  sunt,  ideo  de 
mundo  laquuntur.  (l-Joan.,  IV.)  Ne  dissimu- 
lons rien  de  ce  second  obstacle  que  l'âme 
chrétienne  trouve  dans  le  monde,  tous  ceux 
qui  le  composent  tiennent  son  langage,  lan- 
gage terrestre,  séduisant,  impie,  auquel  on 
s'accoutume,  dont  on  profite,  qui  forme  les 
prudents,  les  politiques,  les  héros  du  siècle; 
qui  n'a  jamais  formé  de  saints,  qui  allume  le 
feu  des  liassions,  qui  étouffe  les  semences 
des  vertus,  qui  excite  des  disputes  dans  la  re- 
ligion, qui  ne  lui  soumet  personne.  Achevons 
ce  portrait,  et  que  le  Saint-Esprit  lui-même 
autorise  les  jugements  que  nous  portons. 

Langage  du  monde,  langage  terrestre. 
Ecoutez  celui  qui  est  du  monde,  dit  le  Saint- 
Esprit,  il  ne  vous  parlera  que  des  choses  do  la 
terre  :  .De  terra  loquitur.  (Jean.,  III.)  Ecornez 
cet  homme  qui  possède  de  grands  domaines 
dans  les  campagnes,  qui  voit  avec  plaisir  des 
vassaux  et  des  peuples  rustiques  qui  lui 
doivent  des  hommages  que  les  cœurs  lui  re- 
fusent et, que  l'autorité  lui  fait  rendre;  il 
vous  entretiendra  de  son  opulence,  de  ses 
abondantes  récoltes,  des  honneurs  qui  lui 
sont  dus,  de  la  vaste  étendue  et  de  la  beauté 
de  ses  jardins,  des  embellissements  qu'il 
veut  fa  re;  le  poids  des  années  a  beau  lui 
montrer  le  tombeau  qui  l'attend,  il  plante, 
et  il  espère  voir  ce  que  ses  enfants  ne  ver- 
ront peut-être  pas  :  de  terra  loquitur.  Ecou- 
tez cet  homme  ébloui  de  sa  magnificence,  il 
vous  parlera  de  ses  palais  immenses;  se- 
cond Ezéchias,  il  vous  montrera  avec  com- 
plaisance ses  ameublements  précieux,  les 
choses  rares  et  curieuses  qu'il  possède; 
elles  sont  communes  au  delà  des  mers,  mais 
ici  elles  sont  inestimables  :  cet  homme,  fait 
pour  l'éternité,  n'en  parle  point  ;  son  cœur 
est  rempli  des  objets  de  la  terre;  son  cœur 
parlera  de  la  terre  :  de  terra  loquitur.  Ecou- 
tez l'homme  de  plaisirs  :  la  table  ,  le  jeu,  la 
volupté,  sont  presque  les  seules  choses  dont 
il  j  arle;  il  raconte  avec  art  et  avec  satisfac- 
tion l'arrangement  et  l'abondance  d'un  re- 
pas splendide,  les  hasards  heureux  ou  mal- 
heureux d'une  longue  séance  de  jeu,  les 
mystères  et  les  événements  de  ses  intri- 
gues; ces  discours  coulent  de  source;  il 
parle  des  plaisirs  de  la  terre;  c'est  un  maî- 
tre qui  plaît,  il  aura  des  disciples  :  de  terra 
loquitur.  Ecoutez  le  militaire;  il  vante  les 
lauriers  que  ses  ancêtres  ont  moissonnés 
dans  les  sièges  et  les  batailles;  cette  cou- 
ronne corru|  tible  que  les  hommes  distri- 
buent à  la  valeur  fait  son  entretien  et  flalto 
son  espoir  :  de  terra  loquitur.  Ecoutez  le 
savant,  il  parle  de  ses  succès  dans  les  scien- 
ces ;  les  trophées  que  la  postérité  érigera  à 
ses  ouvrages  le  flattent  plus  que  les  succès 
de  son  saint;  il  no  désire  point  que  son 
nom  soit  écrit  dans  le  ciel,  pourvu  qu'il  soit 


351 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


âS2 


célèbre  après 


après  sa  mort  dans  la  république 
des  lettres  :  de  terra  loquitur.  Ecoutez  lo 
solitaire  mécontent  dans  la  retraite;  l'image 
flatteuse  du  monde  agite  son  cœur  et  excite 
ses  regrets,  il  languit  dans  ces  lieux  écartés  ; 
et  après  avoir  parlé  de  Dieu  avec  ennui,  il 
parle  avec  sali-faction  des  fortunes  et  des 
honneurs  qu'il  a  laissés  dans  le  siècle  :  De 
terra  lo(juitt;r. 

Tel  est,  ma  chère  sœur,  le  langage  de 
tous  ceux  qui  sont  du  monde,  un  langage 
terrestre;  le  langage  des  grands  est  plus 
poli,  plus  élevé  que  celui  du  peuple,  il  n'e.^t 


également  à 


I  as  plus 
la  terre  : 


ue 
de 


pas  plus  chrétien,  le  ciel  n'y  a 
part,   il  se   borne 
terra  loquitur. 

Langage  du  monde,  langage  séduisant.  Ne 
craignez  point,  je  sais  que  dans  la  chaire  de 
vérité  tout  doit  être  pur  et  innocent  ;  que  les 
paroles  qui  coulent  de  nos  lèvres  doivent  être 
aussi  pui es  et  aussi  chastes  que  celles  de 
Dieu  môme,  et  que  nous  devons  faire  des 
portraits  du  vice  pour  en  inspirer  de  l'hor- 
reur, et  non  pas  pour  plaire.  Je  ne  vous  par- 
lerai point  de  ces  scènes  qui  font  tant  de  bruit 
dans  le  monde,  qui  portent  la  honte  et  le 
deshonneur  dans  les  plus  grandes  familles; 
je  ne  vous  montrerai  pas  l'innocence  tentée, 
ébranlée,  chancelante,  et  enfin  corrompue 
par  le  langage  séduisant  du  monde. 

Il  serait  dangereux  de  peindre  ces  mal- 
heurs: contentons-nous  de  dire  avec  l'apô- 
tre, que  les  âmes  pures  et  innocentes  sont 
exposées  dans  le  siècle,  et  que  te  langage 
du  monde  séduit  presque  tous  les  humains. 
Remarquez  encore  avec  cet  apôtre,  qu'une 
viergedans  le  commerce  du  monde  a  de 
grands  combats  à  soutenir,  et  qu'elle  doit 
craindre  la  défaite  lors  môme  qu'elle  remporte 
la  victoire.  Pourquoi  ?  C'est  que  le  langage 
du  monde  n'attaque  point  une  innocence 
perdue,  mais  une  innocence  conservée;  il 
se  pare  de  la  douceur  pour  gagner  un  cœur 
pur,  il  emploie  la  satire  pour  annoncer  les 
dérèglements  d'un  cœur  corrompu  ?  il  donne 
des  louanges  délicates  à  la  constance  d'une 
vierge  sage ,  et  il  se  moque  de  la  légèreté 
d'une  vierge  insensée;  il  séduit  l'innocence 
par  la  douceurdu  discours  et  par  les  applau- 
dissements :  Seducunt  corda  innocentium  per 
dulces  sermones  et  benedictiones.  (Rom.  XVI.) 

Ici ,  l'on  dit  à  celle  que  le  zèle  des  parents 
a  fait  croître  dans  la  piété,  qui  goûte  les 
lectures  et  les  sermons,  qui  redoute  les 
compagnies  et  les  amusements,  qui  annonce 
par  ia  candeur  de  son  froni  l'innocence  de 
son  cœur:  Laissez  la  dévotion  farouche  trai- 
ter de  coupables  plaisirs  les  divertissements 
de  votre  âge,  vous  êtes  propre  au  monde 
et  le  inonde  vous  désire  :  seducunt  per  dul- 
ces sermonrs.  Là,  quelle  peinture  ne  fait-on 
pas  des  spectacles  à  une  jeune  personne  qui 
paraît  dans  le  monde  ?  Si  elle  é  oute  ces  élo- 
quents et  séduisants  apologistes  du  théâtre, 
c'est  un  amusement  innocent,  une  école  ra- 
meuse où  l'on  décrie  délicatement  les  vit  es 
du  siècle,  où  l'on  puise  de  grands  senti- 
ments, où  la  scène  épurée  l'emporte  même 
pour  la  morale  sur  la   chaire  chrétienne  : 


seducunt  per  dulces  sermones  :  quels  arti- 
fices n'emploie-t-on  pas  pour  ébranler  la  foi 
d'une  personne,  dont  absolument  la  piété 
est  décidée?  11  n'y  a  plus  pour  elle  de  se- 
crets dans  les  livres  divins,  on  l'introduit 
dans  le  sanctuaire  de  la  religion,  il  lui  sera 
permis  de  parler,  d'examiner ,  de  mépriser 
les  premiers  pasteurs ,  son  bon  sens  lui  ser- 
vira de  soumission;  si  elle  doute,  si  elle 
craint,  celui  qui  veut  la  séduire  lui  dira 
qu'il  est  prophète  :  ego  sumpropheta (III  Rrg., 
XIII),  que  l'ange  du  Seigneur  lui  a  parlé, 
qu'il  lui  a  annoncé  la  décadence  de  l'an- 
cienne Eglise,  qu'il  en  faut  former  une  nou- 
velle plus  fidèle  et  plus  éclairée  ,  angélus  lo~ 
cutus  est  mifii  (lbid.)  :  c'est  ainsi  qu'il  la  sé- 
duit et  la  détache  du  centre  de  l'unité,  par 
ses  discours  flatteurs  :  seducunt  per  dulces 
sermones. 

Tel  est,  ma  chère  sœur,  le  langage  sé- 
duisant de  ce  monde  :  on  l'entend  à  la  cour, 
à  la  ville,  à  la  campagne,  dans  la  retraita 
quelquefois,  surtout  quand  il  s'agit  delà 
foi.  On  l'entend  dans  un  monde  ecclésias- 
tique, dans  un  monde  de  dévots,  dans  un 
monde/le  parents.  On  l'insinue  dans  Les  ou- 
vrages d'esprit ,  les  pères  le  tiennent  à  leurs 
enfants,  les  amis  à  leurs  amis,  les  maîtres 
à  leurs  disciples,  et  comme  ce  langage  plaît, 
il  séduit  l'innocence  du  cœur  et  la  pureté  de 
la  foi  :  seducunt  per  dulces  sermones. 

Langage  du  monde,  langage  impie  :  c'est 
le  malheur  de  notre  siècle,  de  voir  l'impiété 
écoutée  et  môme  applaudie  ;  parce  qu'elle 
ne  paraît  que  sous  le  beau  nom  de  critique, 
on  lui  prodigue  des  éloges  et  on  lui  érige 
des  trophées;  on  parle  beaucoup  de  reli- 
ion,  mais  c'est  pour  l'outrager,  pour  vou- 
r  tout  réformer;  on  défigure  tout  :  l'abus 
de  la  critique  en  matière  de  religion  est 
aujourd'hui  universel,  il  faut  demander 
grâce  aujourd'hui  pour  les  mystères  les  plus 
augustes  et  pour  toute  l'antiquité.  Avec 
quelques  lambeaux  des  ouvrages  d'un  en- 
nemi de  l'Eglise  on  soutient  de  longues 
conversations  contre  la  religion;  les  termes 
les  plus  hardis  ,  les  plus  méprisants ,  les 
plus  injurieux,  passent  pour  des  saillies; 
un  bon  mot  sert  de  réponse  aux  plus  grands 
oracles  de  l'Ecriture  :  voilà  ce  qui  fait  gémir 
les  ministres  zélés;  les  apôtres  de  l'impiété 
fourmillent  dans  notre  siècle.  C'est  avoir  du 
goût  (pue  de  les  écouter  ,  c'est  être  bel  esprit 
que  de  les  imiter.  Que  vous  êtes  heureuse, 
ma  chère  sœur,  de  ne  plus  entendre  le  lan- 
gage du  monde,  d'être  dérobée  à  ce  second 
obstacle  !  Pour  quelques  âmes  choisies,  que 
le  bras  tout-puissant  du  Seigneur  soutient 
dans  ces  dangereuses  épreuves,  et  qui  prou- 
vent qu'on  peut  se  sauver  dans  le  monde 
malgré  tous  ces  obstacles ,  quelle  multitude 
perdue,  réprouvée  poursuivre  son  esprit, 
écouter  son  langage  et  se  livrer  à  ses  occu- 
pations !  Je  ne  parle  toujours,  ma  chère 
sœur,  que  de  ceux  qui  composent  le  monde 

saint  Augustin  ap- 


gi( 
foi 


par  leur  attache,  et  que 
pèle  les  amateurs  du  siècle  :  dilectorcs 
mundi  :  ils  coulent,  comme  vous  le  savez, 
des  jours  précieux  dans  des  amusements 


5:,3 


SUJETS  DIVERS.  —  SERM.  H,  POUR  UNE  PROFESSION. 


"'.^ 


qui  n'entrent  pour  rien  dans  l'importante 
affaire  du  salut,  qui  la  font  môme  négliger; 
des  hommes  faits  pour  l'éternité  n'y  pensent 
point,  l'oisiveté  endort  les  uns,  les  soins  de 
cotte  vie  absorbent  tout  le  temps  des  autres. 
Les  bienséances  captivent  ceux-ci,  les 
plaisirs  fatiguent  ceux-là,  le  prince  du 
monde  les  tyrannise  tous,  et  semblable  à 
Pharaon,  dit  saint  Augustin,  qui  occupait 
les  Israélites  à  des  ouvrages  de  paille  ,  il 
agite  tous  les  amateurs  du  siècle  pour  des 
riens  aux  yeux  de  la  foi  :  de  grandes  baga- 
telles les  occupent  sérieusement.  Occupa- 
lions  inutiles,  occupations  terrestres,  oc- 
cupations gênantes  ,  occupations  crimi- 
nelles; dans  toutes  ces  agitations  des  mon- 
dains, vous  n'y. voyez  rien  pour  le  ciel;  et 
dans  cette  multitude  de  personnes  qu'on  voit 
toujours  accablées  d'affaires,  il  n'y  en  a  pas 
une  qui  s'occupe  utilement  et  salutairement  : 
Non  est  qui  facial  bonum,  non  est  usque  ad 
vnwm.  (Rom.,  JII.)  Reprenons. 

Occupations  du  monde,  occupations  inu- 
tiles :  ce  n'est  qu'une  contrariété  apparente, 
quand  nous  disons  que  l'occupation  des 
mondains  n'est  qu'une  importante  oisiveté; 
l'oisiveté  est  dans  le  monde  une  affaire  ;  l'art 
de  passer  le  temps,  sans  ennui  et  sans  appli- 
cation, est  un  art  estimé;  le  temps  qui  est 
si  court  parait  long  aux  personnes  désoccu- 
pées,  elles  deviennent  fâcheuses  pour  elles- 
mêmes  et  inutiles  pour  les  autres  :  inutiles 
fucti  sunt.ilbid.)  Ce  sont,  ma  chère  sœur, 
les  expressions  au  prophète ,  en  nous  tra- 
çant  les  caractères  des  mondains. 

De  quelle  utilité  est  pour  la  république 
la  vie  de  cet  homme  que  la  mollesse  retient 
dans  un  long  et  doux  sommeil ,  qu'un  rien 
amuse  tout  le  jour,  que  l'activité  de  toute 
la  nature  ne  saurait  tirer  de  l'indolence  et 
q  ie  le  calme  de  la  nuit  replonge  dans  le 
repos?  Une  vie  si  tranquille  fait-elle  honneur 
à  l'huma  iiié  môme  ?  Et  r.e  cesse-t-il  pas  en 
quelaue  façon  d'être  homme,  puisqu'il  est 
volontairement  inutile?  Inutiles  facli  sunt. 
De  quelle  utilité  est  pour  la  république 
l'occupation  de  ces  hommes  (pie  l'on  voit 
dans  les  places  publiques,  dans  les  prome- 
nades ,  ou  dans  ces  maisons  qui  servent  de 
retraite  à  l'oisiveté  ?  Est-il  important  qu'ils 
blAment  ou  qu'ils  approuvent  les  projets  <ies 
souverains,  qu'ils  approfondissentles  mys- 
tères de  l'Etat,  qu'ils  disent  leur  sentiment 
sur  les  négociations  les  plus  délicates,  qu'ils 
préviennent  les  sièges  et  les  batailles ,  et 
que  pour  dire  quelque  chose  ils  débitent  ce 
qu'ils  ignorent?  Telle  était  l'occupation  de 
ces  prétendus  sages  d'Athènes  ,  débiter  ou 
apprendre  des  nouvelles  :  dicere  mit  audire 
ahquid  novi  (Act.,  XV11I  )  :  c'était  là  leur 
importante  affaire;  adniliil  aîiud  vacabant 
(  Ibid.)  :  c'est  l'unique  affaire  d'une  infinité 
de  mondains;  ne  sont-ce  pas  là  des  occupa- 
tions inutiles  ?  Inutiles  facli  sunt. 

De  quelle  utilité  est  l'occupai  ion  de  ces 
aames,  qui  n'en  auraient  aucune  si  elles 
renonçaient  à  la  vanité,  qui  s'amusent  et 
amusent  les  autres  d'une  foule  de  baga- 
telles, qui  parlent  de  parures,  comme  on 


parlerait  des  plus  importantes  négociations, 
et  auxquelles  les  jours  et  les  nuits  suffisent 
à  neine  pour  le  sommeil,  la  toilette,  la  table 
et  le  jeu  ?  Est-ce  là  l'occupation  d'une  per- 
sonne créée  pour  le  ciel?  Ces  amusements 
peuvent-ils  entrer  dans  le  plan  du  salut,  et 
quand  ils  ne  seraient  pas  criminels,  ce  que 
je  n'examine  pas  ici ,  ne  sont-ils  pas  inutiles? 
Inutiles  facli  sunt. 

Occupations  du  monde,  ma  chère  sreur, 
occupations  terrestres;  on  travaille  dans  le 
monde,  dit  saint  Paulin,  mais  pour  acquérir 
des  connaissances  et  briller  par  une  vaine 
érudition,  pour  être  grand  sur  la  terre,  opu- 
lent, distingué;  c'est  pour  cela  qu'on  s'agite, 
«pion  veille,  qu'on  se  dessèche,  qu'on  se 
consume  ;  on  trouve  du  temps  pour  cela,  on 
n'en  a  pas  pour  son  salut;  on  a  le  loisir  d'être 
philosophe,  on  n'a  pas  le  temps  d'être  chré- 
tien :  Vacat  tibi  ut  philosophus  sis,  non  vacat 
ut  Chrïstianus  sis.  Les  uns  travaillent  pour 
amasser  des  biens  et  laisser  à  des  enfants 
une  florissante  fortune  ;  parce  qu'on  est  tout 
chez  les  mondains,  quand  on  est  riche  ,  on 
perd  son  repos  pour  le  devenir. 

Les  autres  passent  leur  vie  dans  la  chicane 
du  barreau;  ils  se  font  un  état  d'une  science 
qui  trouble  tous  les  autres  états  :  supplier* 
solliciter,  languir  à  la  porte  des  juges,  atta- 
quer les  vivants,  se  déchaîner  contre  les 
morts,  enlever  la  vigne  de  Naboth,  contester 
un  sépulcre  à  Abraham,  emporter  par  vio- 
lence le  droit  de  briller  dans  le  saint  tem- 
ple et  jusqu'au  pied  des  autels. 

Voilà  les  occupations  d'une  infinité  de 
mondains  :  ceux-là  renoncent  aux  douceurs 
de  la  vie,  aux  liaisons  les  plus  tendres;  on  les 
voit  voler  sur  les  frontières  pour  attaquer 
l'ennemi;  ceux  qui  habitaient  des  palais  volup- 
tueux sont  couchés  sous  des  tentes  rusti- 
ques :  la  gloire  leur  fait  mépriser  la  fatigue 
des  combats,  et  tout  couverts  de  poussière, 
ils  sont  rassurés  au  milieu  des  horreurs  de 
Ja  mort,  par  la  flatteuse  espérance  de  la  vic- 
toire, occupations  permises  et  quelquefois 
couronnées  par  le  Dieu  des  armées,  mais 
occupations  païennes  quand  elles  remplis- 
sent entièrement  le  cœur  des  héros,  et  c'est 
malheureusement  ce  que  l'on  voit  tous 
les  jours  :  on  fait  tout  pour  enlever  une 
place,  prendre  un  château,  gagner  un  peu 
de  terrain  ;  on  n'entreprend  rien  pour  son 
salut.  Ceux-ci,  placés  pat'  la  Providence  dans 
une  condition  médiocre,  travaillent  toute 
leur  vie;  la  culture  des  terres,  les  arts,  les 
travaux  publics  les  occupent.  Presque  aussi 
malheureux  que  les  Hébreux  dans  l'Egypte, 
ils  n'ont  pas  le  loisir  de  se  retirer  à  l'écart 
pour  sacrifier  au  Seigneur  :  on  a  le  temps  de 
servir  les  hommes,  on  n'a  pas  le  temps  de1 
servir  Dieu  :  Vacat  tibi  ut  philosophus  st'v, 
non  vacat  ut  Chrïstianus  sis. 

Occupations  du  monde,  occupations  de 
bienséances  :  que  de  visites,  quo  d'assem- 
blées, que  de  fêtes,  que  de  spectacles,  que 
de  conversations  les  bienséances  du  monde 
n'autorisent-elles  pas,  n'exigent-elles  [as 
même  1  Et  en  même  temps  que  d'heures, 
que  de  jours,  que  d'années  perdues!  C'oA 


3o5 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


556 


un  usage,  dit-on,  une  loi  constanle  parmi 
ceux  qui  savent  le  inonde  c'est-à-dire,  qui 
savent  se  damner  :  Nos  leyem  habemus.  [Jôau., 
XIX.)  De  là  ces  visites  fréquentes  qui  ab- 
sorbent des  journées  entières,  parce  qu'avant 
de  les  faire,  il  faut  élever  un  édifice  de  la 
vanité,  qui  prend  autant  de  temps  que  les 
vis. tes  mêmes  :  de  là  ces  assemblées  oii  l'on 
sout.ent  ces  longues  séances  de  jeu,  qui  de- 
viennent une  occupation  sérieuse,  et  qu'on 
quitte  à  regret  pour  les  reprendre  avec  plai- 
sir; de  là,  ces  repas  qu'on  se  donne  mutuel- 
lement, qu'on  prolonge  avec  excès,  où  l'on 
est  invité  par  politique;  où  l'on  va  par  céré- 
monie, dont  on  se  plaint  quand  ils  ont  été 
grands,  et  dont  on  fait  l'éloge  quand  la  joie 
y  a  régnés  de  là,  ces  spectacles  où  l'on  va, 
dit-on,  sans  inclination  et  par  nécessité,  où 
une  mère  conduit  sa  tille  par  bienséance,  où 
la  fille  suit  sa  mère  par  obéissance,  où  on  ne 
pourrait  [tas  aller  souvent,  où  l'on  veut  aller 
une  lois;-  de  là  ces  conversations  qui  occu- 
pent des  cercles  un  temps  considérable,  où, 
excepté  du  salut,  on  parie  de  tout,  où  l'on  ne 
voudrait  pas  être  longtemps,  où  l'on  est  tou- 
jours trop,  d'où  l'on  sort  satisfait  d'avoir 
paru,  parce  qu'on  ignore  qu'on  déplaisait. 

Voilà  des  occupations,  ma  chère  sœur,  que 
les  bienséances  du  monde  exigent,  il  y  a 
une  loi  expresse  qui  y  obligé  tous  les  ama- 
teurs du  siècle  :  Nos  legem  habemus. 

Occupations  du  monde,  occupations  crimi- 
nelles :  que  de  beaux  esprits  qui  se  dessèchent, 
pâlissent  sur  les  livres,  se  donnent  la  torture 
pou/  enfanter  des  ouvrages  de  ténèbres,  et 
qui  perpétueront  leur  péché  jusqu'au  dernier 
âge  du  monde  !  Combien  d'ouvriers  qui,  plus 
criminels  que  ceux  qui  fabriquèrent  le  veau 
d'or,  épuisent  leur  industrie  pour  exposer 
aux  yeux  des  enfants  d'Israël  de  séduisan- 
tes idoles?  Combien  dont  tout  le  trafic  est 
de  vendre  les  amorces  dupémé?  Telles  sont 
ma  chère  sœur,  les  occupations  du  monde, 
c'est-à-dire  des  amateurs  du  siècle  -.dilecto- 
re»  inuridi.  Je  n'ai  point  voulu  vous  dissimu- 
ler tous  les  obstacles  qu'une  âme  chrétienne 
trouve  dans  le  monde;  et  à  qui  le  dévoilera- 
t-on  avec  toutes  ses  horreurs,  si  ce  n'est  à 
vous  qui  allez  y  renoncer  solennellement,  à 
une  Epouse  de  l'Agneau,  qui  attend  avec  im- 
patience le  moment  du  sacrifice,  qui  désire 
avec  ardeur  ces  liens  éternels,  et  qui  vou- 
drait déjà  être  ensevelie  avec  Jésus-Christ? 
Je  rends  la  justice  qui  est  due  à  ceux  qui  vi- 
vent dans  le  monde  sans  être  du  monde;  le 
trône  a  ses  David,  la  cour  ses  Estlier,  l'armée 
ses  Josué,  le  sacerdoce  ses  Phinées;  il  y  a 
de  belles  fleurs  dans  le  champ  de  l'Eglise, 
quoique  l'ennemi  veuille  l'obscurcir  et  la 
défigurer;  on  trouve  encore  des  Abraham 
dans  les  riches,  des  Tobie  dans  les  pauvre-', 
des  Job  dans  les  affligés;  ils  nous  prouvent 
la  première  vérité  que  j'ai  avancée,  qu'on 
peut  se  sauver  dans  le  monde  malgré  tous 
ses  obstacles  :  niais  s'il  faut  du  courage  dans 
le  monde,  il  faut  de  la  fidélité  dans  la  re- 
traite, car  j'ai  ajouté. qu'on  peut  se  perdre 
dans  la  retraite  malgré  tous  ses  avantages,  il 
C'est  le  sujet  de  ma  seconde  partie. 


SECONDE    PARTIE. 


i.a  terre  que  vous  allez  habiter  présente- 
ment, disait  Moïse  aux  Israélites,  est  bien 
différente  de  celle  de  l'Egypte  que  vous  quit- 
tez ;  Non  est  sicut  terra  JE/jxjpti  de  qua  exi- 
slis  (  Dcut  ,  XI)  ;  ce  sont  des  lieux  escarj  es 
et  solitaires,  des  retraites  impénétrables  au 
reste  des  humains,  montuosa  est  et  campe - 
stris  (  Jbid.  );  vous  ne  pouvez  y  demeurer 
paisiblement  '■  sans  détacher  votre  cœur  de 
tous  les  objets  terrestres;  vous  faites  uno 
rupture  généreuse  et  éclatante  avec  le  monde, 
vous  lui  laissez  ses  biens,  ses  emplois,  ses 
honneurs  ,  sos  plaisirs  :  vous  ne  voulez  que 
Dieu,  il  vrussunit,de  cœlo  exspectans  pluvias* 
(Ibid.)  N'est-ce  pas  là  une  peinture  naturelle 
de  la  retraite  où  Dieu  conduit  certaines  âmes 
choisies!  ces  routes  écartées  et  ignorées  des 
mortels  ;  cette  solitude  où  on  ne  voit  aucune 
trace  de  la  ligure  du  siècle;  ce  séjour  paisi- 
ble où  la  créature  peut  mêler  sa  voix  avec 
celle  du  tendre  oiseau  qui  s'élève  dans  les 
airs  pour  bénir  son  créateur;  ces  déseits  où 
l'âme  détrompée  du  monde  goûte  d'ineflà- 
bles  délices,  et  où  elle  attend  avec  confiance 
de  son  Dieu  te  qu'elle  cherchait  inutile- 
ment dans  le  monde  :  de  cœlo  expectans 
pluvias  ! 

Telle  est,  ma  chère  sœur,  la  retraite  où  la 
main  miséricordieuse  du  Seigneur  vous  a 
conduite  ;  vous  en  avez  fait  l'épreuve,  vous  la 
connaissez;  les  vœux  solennels  que  vous 
allez  prononcer  vont  vous  en  mettre  en  pos- 
session ,  elle  sera  à  vous,  vous  serez  à  elle  : 
Terra  ad  guam  ingrederis  possidendam.  (Ibid.) 
Mais  quelque  flatteuse  que  soit  cette  pein- 
ture, il  faut  encore  delà  fidélité  pour  espérer 
sans  présomption;  les  avantages  delà  retraite 
n'assurent  point  infailliblement  le  salut;  si 
on  laissait  ses  penchants  dans  le  monde, 
comme  on  y  laisse  ses  parents  et  ses  biens, 
vous  auriez  raison  de  ne  plus  craindre;  si  Satan 
ne  parcourait  jamais  les  solitudes,  la  retraite 
serait  un  lieu  de  repos  :  mais  c'est  dans  le 
désert  que  Jésus-Christ  a  été  tenté.  Ce  divin 
Sauveur  trois  fois  attaqué  et  trois  fois  victo- 
rieux, nous  a  fait  connaître  que  la  solitude 
est  un  lieu  do  combats  ;  il  faut  que  l'ennemi 
soit  vaincu  avant  que  les  anges  paraissent. 
Où  jamais  vit-on  plus  de  combats  et  de  vic- 
toires que  dans  l'Egypte,  la  Thébaïde,  la 
Palestine  et  les  déserts  de  Scété?  Les  défai- 
tes y  furent  rares,  parce  que  la  vigilance  y 
était  continuelle  :  mais  la  chute  u'un  seul 
solitaire  ne  prouve-t-elle  pas  le  danger  de 
la  retraite,  quand  on  n'est  pas  fidèle?  Le 
monde  ignorait  la  route  qu'Antoine  avait 
prise  le  démon  ne  l'ignorait  pas.  Celui  qui 
perd  tant  d'âmes  dans  les  villes  doit  faire 
trembler  dans  la  retraite,  et  c'est  avec  raisoi, 
que  j'ai  dit  qu'on  peut  se  perdre  dans  ', 
retraite  malgré  tous  ses  avantages  qui  soi 
grands  :  les  voici.  L'esprit  de  ta  religion,  1 
langage  de  la  relig:on,  les  occupations  u. 
la  religion  :  ils  sont,  comme  vous  voyez,  ma 
chère  sœur,  opposés  aux  obstacles  du  monde, 
il  ne  s'agit  que  d'v  être  constamment  fi«.;èle 
Si  vous  ne  voulez  j  as  être  du  nombre  ue 


SUJETS  DIVERS.  —  SERM.  11,  POUR  UNE  PROFESSION. 


557 

celles  qui  prouvent  qu'on  peut  se  perdre 
dans  la  retraite  malgré  tous  ses  avantages, 
il  vous  importe  dans  ce  moment  d'écouter 
d'aussi  grandes  vérités. 

C'est  dans  la  retraite  qu'on  voit  régner 
l'esprit  de  la  religion;  voila,  ma  chère  sœur, 
le  premier  avantage;  esprit  de  foi,  esprit  de 
renoncement,  esprit  d'obéissauce,  esprit 
d'humilité,  toutes  ces  grandes  vertus  bril- 
leront à  vos  yeux  :  mais  malgré  cela  vous 
pouvez  vous  perdre,  si  vous  n'y  êtes  pas 
iidèle  ;  c'est  cette  foi  qui  découvre  les  biens 
éternels  qui  a  peuplé  les  déserts  et  les  so- 
litudes; c'est  elle  qui  a  établi  les  cloîtres, 
ces  arches  précieuses  où  les  âmes  craintives 
se  retirent  pour  éviter  les  écueils  et  les  nau- 
frages du  monde  ;  c'est  cette  foi  qui  vous  im- 
mole aujourd'hui,  qui  vous  fait  sacrifier  vos 
espérances,  votre  esprit,  votre  cœur.  La 
crainte  de  périr  dans  le  déluge  qui  mena- 
çait toute  la  terre,  anima  Noé  à  la  construc- 
tion de  l'arche  :  Metuens  aptavit  arcam(Hebr., 
Xi),  et  elle  fut  un  asile  assuré  pour  sa  fa- 
niiile;  un  petit  nombre  y  entra,  un  petit 
nombre  fut  sauvé  :  in  qua  pauci  suivi  facti 
sunt.  (Ibid.) 

Ainsi  les  cloîtres,  ces  arches  précieuses, 
sont-ils  remplis  d'âmes  craintives ,  que  les 
dangers  du  monde  ont  effrayées,  et  qui  ont 
tremblé  à  la  vue  de  ce  massacre  d'âmes  qui 
s'y  fait  continuellement  :  Metuens  aplatit 
arcam.  Là  cet  innocent  troupeau,  à  l'abri  des 
violences  et  des  fureurs  de  l'ennemi ,  coule 
des  jours  sereins  et  tranquilles;  les  torrents 
des  vices  inondent  le  monde,  mais  sa  foi 
Télève  au-dessus  des  eaux,  les  îlots  viennent 
se  briser  contre  les  murs  de  sa  retraite,  et  le 
petit  nombre  qui  entre  dans  le  cloître  assure 
son  salut,  à  moins  que,  semblable  à  la  co- 
lombe fugitive,  il  ne  porte  ses  regards  ou 
ses  pas  vers  le  monde  criminel  :  in  qua  pauci 
salvi  facti  sunt.  C'est  donc  la  foi  qui  a  établi 
les  cloîtres,  c'est  elle  qui  vous  y  a  conduite, 
c'est  elle  qui  vous  y  immole  aujourd'hui.  Or 
il  subsiste  ici,  cet  esprit  de  foi,  et  dans  toute 
sa  pureté,  non-seulement  la  foi  qui  fait  agir, 
mais  aussi  celle  qui  soumet,  qui  captive  l'en- 
tendement :  cette  foi  dont  Jésus-Christ  a  fait 
l'éloge,  en  reprochant  l'incrédulité  de  saint 
Thomas;  qui  adore  les  mystères,  malgré  les 
saintes  obscurités  et  les  ténèbres  sacrées 
dont  ils  sont  enveloppés  :  Beati  qui  credi- 
derunt  et  non  vidcrunl  (Joan.,  XX)  ;  cette  foi 
qu'Abraham  prêcha  du  haut  du  ciel  au  mau- 
vais riche  dans  les  enfers,  qui  préfère  la 
voix  du  chef  de  l'Eglise  et  des  premiers  pas- 
teurs aux  miracles  et  à  la  résurrection  même 
des  morts  :  habent  Moysen  et  prophetas  {Luc, 
XVI)  ;  cette  foi  que  Pacien  loue  si' magnifi- 
quement dans  les  premiers  chrétiens  qui  ne 
savaient  pas  disputer,  mais  qui  savaient  se 
soumettre  et  mourir  pour  les  vérités  catho- 
liques :  Nesciebant  dispulare,  sciebant  mori. 

Cette  foi,  que  saint  Augustin  opposait  à 
l'orgueil  de  tous  les  hérétiques,  qui  se  méfie 

(33)  Madame  de  Monunorin ,  aonesse  de  Jouarre. 

(34)  J'ai  trouvé  dans  l'histoire  de  l'ordre  de  la 
Merci,  dont  j'ai  l'ait  l'éloge,  ce  que  je  dis  de  la  mai- 
sou  de  Saiul-llerem  ,  qui  se  signala  aussi  bien  que 


558 


de  ses  connaissances,  de  ses  lumières,  et 
qui  préfère  l'autorité  de  l'Eglise  à  tout  ce 
qu'il  y  a  de  merveilleux  dans  les  hommes  et 
dans  les  anges  mêmes  :  fidelis  sum,  credo 
quod  nescio  :  vous  la  verrez  briller,  cette  foi, 
dans  cette  sainte  retraite,  ma  chère  sœur, 
c'est  un  avantage  particulier  aujouid'hui. 
Vous  le  conservez  avez  zèle,  Madame  (33), 
pour  la  consolation  de  l'Eglise  dans  ce  fa- 
meux monastère,  et  votre  humilité  ne  doit 
point  souffrir  ni  s  alarmer  des  éloges  qu'on 
donne  à  votre  foi.  Si  je  publiais  ici  la  gran- 
deur de  votre  naissance,  si  je  montrais,  oans 
les  siècles  les  plus  reculés,  la  maison  de 
Saint-Herem  (3k),  égale  aux  souverains  ;  si 
je  comptais  tous  ces  héros,  qui  le  disputaiei  t 
par  leur  vaillance  aux  héros  les  plus  vantés, 
et  effaçaient  par  leurs  aumônes  les  libéra- 
lités des  rois  mêmes;  si  j'allais  fouiller  dans 
les  archives  de  cet  ordre  précieux  à  l'Eglise, 
destiné  à  rompre  les  fers  des  captifs,  pour 
'montrer  vos  ancêtres  aussi  magnifiques  que 
les  rois  d'Aragon,  dans  les  monuments  dé 
piété  qu'ils  élèvent  de  toutes  parts,  votre 
humilité  s'alarmerait  et  me  désapprouverait, 
et  je  serais  coupable  d'élever  des  trophées  à 
la  grandeur  du  siècle,  dans  un  discours  des- 
tiné à  en  faire  sentir  le  néant  et  les  dangers. 
Mais  les  solitaires  mêmes  ont  été  jaloux 
des  applaudissements  de  l'Eglise,  la  vénéra- 
tion des  catholiques  et  la  haine  des  héré- 
tiques faisaient  toute  leur  gloire;  vous  par- 
tagez, Madame,  avec  ce  grand  prélat  (35), 
que  le  sang  vous  unit  si  étroitement,  <  ette 
gloire  dont  les  saints  sont  jaloux,  et  l'his- 
toire de  l'Eglise  racontera  ses  vertus  et  les 
vôtres. 

Vous  la  trouverez  encore,  cette  foi ,  ma 
chère  sœur,  dans  ces  vierges  qui  veulent 
bien  vous  associer  aujourd'hui  avec  elles; 
un  esprit  solide  et  soumis,  des  connaissances., 
et  des  lumières  puisées  dans  la  lecture  et 
l'oraison,  les  ont  rendues  dignes  des  secrets 
de  l'Agneau;  et  si  vous  marchez  sur  leurs 
traces,  on  vous  verra  animée  de  cet  esprit  de 
foi  qui  règne  dans  la  retraite. 

Esprit  de  la  religion,  esprit  de  renonce- 
ment ;  ici  vous  trouvez  ce  renoncement  qui 
fait  toute  la  perfection  de  l'Kvangilc,  qui  fai- 
sait toute  la  beauté  de  l'Eglise  naissante,  et 
que  les  premiers  apologistes  de  la  religion 
opposaient  aux  empereurs  païens.  Telle  est 
votre  céleste  doctrine,  ô  mon  Dieu  I  et  celle 
que  vous  faites  goûter  à  ces  âmes  privilé- 
giées, que  vous  voulez  cacher  dans,  le  secret 
de  votre  face,  pendant  les  jours  mauvais  :  elle 
Iftise  les  liens  les  plus  tendres  et  les  plus 
innocents;  elle  élève  au-dessus  de  la  chair 
et  du  sang;  elle  foule  aux  pieds  les  distinc- 
tions, le»  biens,  les  alliances;  elle  fait  même 
dire  un  éternel  adieu  à  un  père,  à  une  mère, 
que  vous  commandez  d'aimer  et  d'honorer, 
à  des  frères,  à  des  sœurs  qu'on  aime  sin- 
cèrement ;  elle  se  rend  insensible  aux  avis, 
aux  prières,  aux  larmes  :  elle  va  jusqu'à  faire 

Michel  d'Aragon,  dans  les  premières   rédemptions 
que  fil  l'ordre  de  la  Merci. 
(55)  Mgr  l'évêque  de  Langres. 


5o9 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


SCO 


dire:  Je  ne  vous  connais  point,  ne  pensez  plus 
a  moi,  Dieu  seul  ine  possédera,  et  un  acte 
authentique  et  solennel  apprendra  au  inonde 

3ue  je  renonce  à  tout  :  Doclrina  tua,  Domine, 
ixit  patri  suo  et  matri  suw  :  Ncscio  vos,  et 
fratribus  suis  :  Ignoro  vos.  Vous  êtes  animée 
aujourd'hui,  ma  chère  sœur,  de  cet  esprit  de 
renoncement,  vous  allez  renoncer  à  votre 
liberté,  aux  biens  du  siècle,  à  vous-même. 
Les  paroles  que  vous  allez  prononcer  seront 
écrites  et  dans  les  annales  de  cette  illustre 
maison,  et  sur  les  registres  publics;  mais  ce 
qui  doit  vous  rendre  plus  fidèle,  c'est  que 
les  promesses  que  vous  faites  à  votre  pro- 
fession, dit  saint  Augustin,  seront  récitées 
et  examinées  au  tribunal  de  Jésus-Cbrist, 
après  votre  mort  :  Recitabuntur  verba  profes- 
sionis  noslrw.  Que  l'esprit  de  renoncement 
que  vous  verrez  régner  dans  la  retraite  ne 
soit  pas  pour  vous  un  sujet  de  condamnation. 
Esprit  de  la  religion,  esprit  d'obéissance  : 
ici  1  esprit  de  la  religion  produit  les  mer- 
veilles que  l'amour  de  la  gloire  produisait 
chez  les  Romains,  un  gouvernement  sage  et 
pacifique,  qui  se  soutient  par  l'obéissance  : 
gouvernement  auquel  Judas  Machabée,  ce 
vaillant  capitaine,  donne  dans  les  livres 
saints  de  magnifiques  éloges,  et  qui  lui  fit 
rechercher  avec  empressement  la  bienveil- 
lance des  Romains  :  On  confie  à  un  seul,  dit- 
il,  la  magistrature,  et.  tous  obéissent  avec  do- 
cilité à  celui  qui  est  revêtu  de  l'autorité  : 
Committunt  unimajistratum  et  omnes  obediunt 
uni.  (I  Mach.,  VIII.  j  L'envie  ne  chagrine 
point  les  inférieurs  :  non  est  invidia  inter 
eos  (Ibid.)  ;  le  désir  de  parvenir  aux  honneurs 
du  gouvernement  ne  soulève  personne  : 
neque  zelus.  (Ibid.)  N'est-ce  pas  là,  ma  chère 
sœur,  une  vive  image  de  ce  qui  se  passe  dans 
•Jes  cloîtres,  où  une  seule  commande  et  toutes 
obéissent  :  omnes  obediunt  uni,  et  OÙ  l'on 
fait,  pour  assurer  son  salut,  ce  que  les  Ro- 
mains faisaient  pour  assurer  le  repos  de  la 
république?  Vous  verrez  donc  dans  ce  saint 
lieu  les  victoires  que  remporte  l'obéissance  : 
le  commandement  de  la  supérieure  toujours 
absolue  ;  l'obéissance  do  l'inférieure  toujours 
prompte  et  docile;  c'est  là,  dit  le  Sage,  une 
vertu,  qui  annonce  la  grandeur  de  l'âme  et  les 
victoires  qu'elle  remporte  sur  ^amour-propre. 
Esprit  de  la  religon  ,  esprit  d'humilité. 
Une  vie  cachée  en  Jésus-Christ,  c'est  la 
vie  du  cloître:  ici  on  renonce  aux  noms 
fastueux  du  siècle  pour  porter  ceux  de  ces 
saints  qpi  ont  marché  dans  la  route  du  Cal- 
vaire; comme  la  gloire  céleste  est  la  seifle 
chose  (pie  l'on  ambitionne,  on  est  charmé 
d\y  parvenir  par  les  opprobres  et  les  abaisse- 
ments, on  ne  f a  t  sentir  à  personne  ce  qu'on 
a  été  dans  le  monde,  mais  ce  que  l'on  est 
par  la  religion  ;  celle  qui  a  le  plus  de  vertu 
est  la  [dus  estimée,  et  non  pas  celie  qui  est 
la  mieux  dotée.  On  s'humilie  soi-même,  et 
l'on  n'est  point  abaissée  par  les  autres; 
on  emploie  ses  talents  pour  l'utilité  de  ses 
sœurs,  et  on  ne  s'en  sert  jamais  pour  se 
faire  distinguer;  et,  soutînt-on  seule  le  camp 
des  enfants  d'Israël,  on  dit  encore  avec  Gé- 
déon,  ce  grand  capitaine  :  Je  suis  la  plus  pe- 


tite dans  la  maison  du  Seigneur  :  Ego  sum 
minimus  in  domo  patris  mei.  (Judith.,  VI.) 
Telle  est,  ma  chère  sœur,  le  premier  avan- 
tage de  la  retraite  :  l'esprit  de  la  religion. 
Mais,  malgré  ce',  avantage,  on  peut  se  perdre. 
Comment?  Faute  de  fidélité  et  de  vigilance: 
un  cloître,  ce  ciel  terrestre,  est-il  toujours 
inaccessible  aux  a;. êtres  de  l'erreur?  Et  sous 
les  beaux  noms  de  charité  et  de  vérité,  n'a- 
t-on  pas  inspiré  l'indépendance  et  la  révolte 
dans  les  sanctuaires  de  la  pénitence  même? 
Ils  étaient  impénétrables  aux  vices  du  cœur, 
ils  ne  l'ont  pas  été  à  ceux  de  l'esprit  :  voilà 
contre  l'esprit  de  la  foi.  N'en  voit-on  pas  dans 
les  retraites,  attachées  aux  choses  qu'elles  ne 
peuvent  point  posséder,  et  toujours  charmées 
quand  on  vient  leur  dire  comme  au  Sau- 
veur (Matth.,  XII)  :  \otre  mère  et  vos  sœurs 
sont  dehors  qui  vous  demandent?  Voilà  contre 
le  renoncement.  N'en  trouve-t-on  pas  qui, 
comme  Jonas,  laissent  former  la  tempête, 
gronder  le  tonnerre  avant  d'obéir,  il  faut  les 
menacer  pour  t:rerde  leur  bouche  ces  paroles 
du  prophète  :  Faites  de  moi  ce  que  vous  vou- 
drez(Jon.,  I),  voilà  contre  l'obéissance.  «  On 
en  voiï,  dit  saint  Jérôme,  qui,  sous  la  haiie  et 
le  cilice,  conservent  l'orgueil  du  siècle,  et 
semblent  donner  des  éloges  au  monde,  en 
parlant  avec  complaisance  des  biens  et  du 
crédit  de  leurs  familles:»  voilà  contre  l'humi- 
lité. C'est  ansi  qu'on  se  peut  perdre,  malgré 
les  avantages  de  la  retraite  où  régnent  l'es- 
prit de  la  religion,  le  langage  de  la  relig:on. 
Langage  de  la  îeligion,  langage  divin: 
c'est  Dieu  lui-même,  ma  chère  sœur,  qui 
parle  à  l'âme  dans  la  retraite,  quand  c'est 
lui-même  qui  la  conduit  dans  la  solitude.  Je 
la  détromperai  des  objets  du  monde,  dit-il 
dans  les  livres  saints  :  je  tirerai  en  sa  fa- 
veur tous  ces  voiles  sé.iuisants  qui  cachent 
les  abominations  du  siècle:  je  la  séparerai 
d'un  monde  enchanteur:  je  la  placerai  dans 
des  lieux  écartés  :  Ducam  eamin  solitudincm 
(Osée,  1!);  et  dans  ce  séjour  de  paix  cl  de 
calme,  je  parlerai  à  son  cœur,  je  m'entre- 
tiendrai avec  elle  :  Loquar  ad  cor  cjus.  (It.id  ') 
Dieu  promet  donc  solennellement  dans  l'E- 
criture de  s'entretenir  avec  l'âme  retirée 
dans  la  retraite.  0  quel  langage  que  celui 
d'un  Dieu  !  O  heureuse  l'âme  qui  entend 
parler  Dieu!  Quel  avantage!  On  peut  le  sen- 
tir; on  ne  sauçait  le  définir.  Je  ne  suis  plus 
surpris  de  voir  un  Moï«€>  tout  brillant  de 
lumière,  après  un  court  entretien  avec  le 
Seigneur  sur  la  mo  .tagne.  Je  ne  suis  plus 
surpris,  grand  Antoine,  l'ornement  du  dé- 
sert, de  vous  voir  insensible  aux  hommages 
que  vous  rendaient  les  plus  grands  empe- 
reurs du  monde,  et  aux  lettres  qu'ils  vous 
adressaient  dans  les  solitudes  les  plus  af- 
freuses: Dieu  vous  parlait  et  vous  l'écou- 
liez.  Je  ne  suis  plus  surpris  de  voir  des 
saints  remplis  de  grâces,  de  lumières,  de 
charité.  Quand  Dieu  s'entretient  avec  une 
mue  et  qu'elle  l'écoute,  elle  apprend  tous 
les  secrets  de  sa  charité;  la  charité  em- 
brase son  cœur ,  le  consume  :  Loquar  ad 
cor  cjus.  Langage  de  l'a  religion ,  lan- 
gage  tout  céleste.  Les  âmes   retirées  dans 


SUJETS  DIVERS.  —  SERM.  Il,  POUR  UNE  PROFESSION. 


Soi 

la  retraite  -ont  des  âmes  mortes  au  monde, 
et  qui  ne  vivent  que  pour  Dieu:  mortuo  pec- 
calo,  vircntcs  Deo.  (Rom.,  VI.)  Lavie  du  cloî- 
tre est  cette  vie  nouvelle  dont  parle  saint  Paul, 
et  dont  Jésus-Christ  nous  a  donné  l'exemple 
par  sa  résurrection.  Vous  êtes  cachée  sous 
le  drap  mortuaire  le  jour  de  votre  consé- 
cration ;  on  vous  donne  le  nom  de  morts,  on 
vous  sépare  du    monde  comme  un  mort, 
parce  que  le  siècle  n'a  plus  aucun  droit  sur 
vous,  comme  vous  n'avez  plus  aucun  droit 
sur  lui  ;  et  si  vous  sortez  de  ce  tombeau  mys- 
térieux, ce  n'est  point  pour  le  monde  que 
vous  vivez,  mais  pour  Dieu.  Or  des  âmes 
si  parfaites  tiennent  un  langage  tout  céleste  - 
et  sont  en  état  de  dire  avec  saint  Paul  :  No- 
tre conversation  est  dans  le  ciel  :  Conversa- 
tio  nostra  in   cœlis  est.  (Philipp.,  III.)  Vous 
savez  que  Jésus-Christ,  après  sa  résurrection, 
non-seulement  ne  se  trouva  plus  dans  le 
monde,  mais  même  qu'il  ne  parla  plus  du 
monde  :  il  parut  sur  les  rivages  de  la  mer,  il 
parut  au  milieu  de  quelques  disciples  choi- 
sis, voilà  la  retraite;  mais  dans  la  retraite 
de  quois'entrelient-il?  L'Evangile  nous  l'ap- 
prend: du  royaume  de  Dieu;  il  ne  parle  point 
d'autres  choses  jusqu'à  son  ascension:  loquens 
de  regno  Dei.  (Act.,  I.)  C'est  pour  l'obten:r 
que  vous  êtes  venue  ici,  c'est  pour  le  ravir 
que  vous  vous  ferez  violence  :  c'est  lui  que 
vous  demanderez  tous  les  jours,  c'est  après 
lui  que  vous  soupirerez,  c'est  ce  royaume 
céleste  que  vous  espérez  à  la  fin  de  votre 
carrière  :  il  doit  donc  être  la  matière  de  vos 
entretiens  dans  la  retraite  :  loquens  de  regno 
Dei.  Vous  l'entendrez  ici,  ma  chère  sœur,  ce 
langage  céleste ,  on  ne  vous  parlera  pas  de 
ces  empires,  de  ces  royaumes,  de  ces  cours 
brillantes,  de  toutes  ces  scènes  que  le  monde 
représente  avec  tant  de  variété;  mais  on  vous 
parierades  choses  dxxcie], loquensderegnoDei. 
Langage  de  la  religion,  langage  charita- 
ble :  je  parle  ici  de  celles  qui  gouvernent. 
Leurs  discours,  soit  qu'elles  instruisent,  soit 
qu'elles  consolent,  soit  qu'elles  reprennent, 
sont  des  discours  charitables.  Ceux  qui  sont 
dans  la  retraite  forment  une  république  où 
U  faut  de  l'ordre,  de  la  subordination:  de  là 
ces  personnes  vénérables  qu'on  mettait  à  la 
tête  des  solitaires  del'Orient,  pour  gouverner 
ces  célèbres  monastères;  de  là  ces  confé- 
rences spirituelles,  et  dont  plusieurs,  malgré 
la  fatalité  des  temps  ,  sont  parvenues  jusqu'à 
nous;  de  là  ces  jours  [marqués  dans  la  se- 
maine où  l'on  voyait  tous  les  solitaires  pros- 
ternés aux  pieds  des  supérieurs  pour  s'ac- 
cuser des  plus  légères  imperfections  :  pra- 
tique salutaire  qui  a  passé  dans  l'Occident, 
et  qui  s'observe  encore  dans   les  cloîtres; 
pratique  qui  donne  lieu  à  la  charité  des  su- 
périeurs de  s'exercer  et  d'être  utiles,  et  un 
des  avantages  de  la  retraite.  Les  Romains 
apprirent  que  Simon  gouvernait  le  peuple  de 
Dieu,  et  ils  donnèrent  des  éloges  à  son  gou- 
vernement, aussi  bien  qu'à  celui  de  ses  pré- 
décesseurs; or,  entre  toutes  les  merveilles 
de  son  règne,  celle  que  j'admire  le  plus,  c'est 
la  sagesse  qu'il  faisait  paraître  dans  la  con- 
duite des  différents  esprits. 

Ohatkurs  sacrés:  L. 


568 


L'Ecriture  nous  apprend  qu'il  parlait  aver? 
douceur  aux  faibles;  qu'il  soutenait  avec 
bonté  ceux  que  la  timidité  ébranlait  :  Confir- 
mavit  humiles  (I  Mach.,  XIV)  ;  qu'il  avait  soin 
d'exposer  sa  loi  pour  la  faire  observer  :  legem 
exquisivit  (Ibid.);  qu'il  ne  souffrait  aucun 
vice  dans  la  république  :  abstulit  omne  ma- 
lum.  (Ibid.)  Or  c'est  sur  ces  principes,  ma 
chère  sœur,  que  les  supérieures  parlent  dans 
la  retraite;  langage  charitable  rquand  elles 
parlent  à  ces  âmes  timides  et  craintives,  à 
ces  consciences  délicates,  à  ces  esprits  em- 
barrassés de  doutes  et  toujours  dans  les 
alarmes,  elles  les  consolent  et  les  rassurent 
contre  ces  vaines  frayeurs  :  confirmavit  humi- 
les ;  langage  charitable  :  quand  elles  parlent  à 
ces  âmes  qui  aiment  à  s'affranchir  de  cer- 
tains devoirs,  elles  ont  recours  à  In  régla 
pour  condamner  ces  coupables  adoucisse- 
ments: legem  exquisivit  ;  langage  charitable: 
quand  elles  parlent  à  ces  âmes  que  l'ange  de 
ténèbres  a  séduites,  à  ces  astres  qui  ont  perdu 
leur  lumière,  elles  agissent  avec  sévérité, 
avec  menace,  avec  autorité,  pour  corriger  le 
vice  et  empêcher  ses  funestes  progrès  :  abs- 
tulit. omne  malum.  Or,  dans  toutes  ces  circons- 
tances, ma  chère  sœur,  qui  ne  doivent  point 
vous  étonner,  vous  entendrez  toujours  le  lan- 
gage de  la  charité,  qui  console,  qui  reprend, 
qui  punit. 

Langage  de  la  religion ,  langage  pur  et 
innocent  :  on  ne  cesse  point  de  parler  de 
Dieu  dans  la  retraite.  Pour  le  monde,  ses 
histoires,  ses  aventures,  ses  plaisirs,  ses 
fêtes  n'entrent  jamais  dans  le  langage  des 
épouses  de  Jésus-Christ;  on  garde  un  pro- 
fond silence  sur  ce  qu'on  a  vu  dans  le  siè- 
cle avant  d'en  sortir;  on  met  dans  un  oubli 
éternel  les  condescendances  qu'on  a  eues 
pour  les  usages  du  monde,  et  les  impressions 
qu'elles  ont  faites;  l'amitié,  l'union,  l'âge,  le 
secret  ne  rendent  point  plus  libres  ;  on  re- 
doute le  récit  des  vices  autant  que  les  vices 
mêmes;  on  ne  veut  point  s'instruire  ni  gé- 
mir des  fautes  dont  on  a  horreur,  et  qu'on  ne 
veut  point  commettre  ;  on  craint  les  images 
du  péché  toujours  séduisantes;  on  rougit  ce 
cette  grande  maxime,  qu'il  faut  s'instruire  de 
tout  ;  et  on  ferme  les  oreilles  aux  discours 
flatteurs  du  serpent  qui  veut  apprendre  le 
bien  et  le  mal.  Dans  les  récréations,  les  mo- 
ments destinés  à  dissiper  les  esprits,  dans 
les  entretiens  particuliers,  c'est  toujours  un 
langage  pur  et  innocent,  une  conversation 
chaste,  comme  le  recommande  l'apôtre  saint 
Pierre  :  castam  conversalionem.  (I  Pet?-.,  III.) 

Tel  est,  ma  chère  sœur,  le  langage  delà  reli- 
gion, opposée  celui  du  monde.  Lors  qu'Israël 
passa  dans  l'Egypte,  l'Ecriture  remarque  qu'il 
entendit  un  langage  qui  lui  était  inconnu  : 
Cum  transiret  in  JEgxjplum ,  audivit  linguam 
quam  non  noverat.  (Deut.,  XXVIII.)  Voilà 
ce  qui  arrive  quand  on  passe  du  cloître  dans 
le  monde,  ou  du  monde  dans  le  cloître  :  une 
jeune  personne,  qui  a  passé  les  années  .de 
l'enfance  dans  ces  asiles  de  la  piété,  en  sort 
par  l'ordre  de  ses  parents  qui  la  destinent 
pour  le  monde  ;  et  dans  le  sein  de  sa  famille, 
elle  entend  un  langage  qui  lui  est  inconnu; 

12 


5C3 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


364 


on  lui  parle  d'alliance,  d'établissement,  de 
plaisirs:  audhit  linguam  quant  non  noverat. 

De  même,  une  personne  qui  a  passé  une 
partie  de  sa  jeunesse  dans  le  monde,  qui  a 
écouté  le  langage  de  ses  parents,  de  ses  amis, 
langage  ter-restre,  langage  séduisant,  crimi- 
nel, lorsque,  arrachée  au  monde  par  une 
grâce  choisie,  elle  entre  dans  le  cloître,  elle 
entend  un  langage  qui  lui  était  presque  in- 
connu, un  langage  divin,  céleste,  charitable, 
pur  et  innocent  :  audivit  linguam  quant  non 
noverat.  Tel  est,  ma  chère  sœur,  le  second 
avantage  de  la  retraite.  Mais  je  soutiens  tou- 
jours ce  que  j'ai  avancé  ;  malgré  ces  avantages 
on  peut  se  perdre,  si  on  n'y  est  point  fidèle. 

Dieu  parle  dans  la  retraite,  mais  ce  n'est 
pas  à  celles  qui  sont  agitées  des  affaires  du 
siècle;  que  la  fortune  ou  la  décadence  de 
leurs  parents  trouble  et  occupe  ;  qui  s'entre- 
tiennent avec  le  monde,  malgré  ces  espaces 
immenses  qui  les  en  séparent  ;  qui  en  ap- 
prennent avec  plaisir  des  nouvelles,  et  qui 
passent  leur  temps  à  y  répondre.  Dieu  parle 
dans  la  retraite;  mais  ce  n'est  pas  à  celles 
qui,  ennuyées  de  leur  état,  en  détournent  les 
autres;  qui,  pour  se  dédommager  de  leurs 
ennuis,  apprennent  aux  mondains  qui  les 
visitent  les  regrets  qu'elles  nourrissent, Jet 
qui,  semblables  à  ceux  dont  parle  le  Prophète, 
ne  font  plus  aucun  cas  de  cette  terre  qu'elles 
ont  désirée  avec  tant  d'ardeur,  et  obtenue 
avec  tant  de  peine  :  Pro  nihilo  habuerunt 
terrant  desiderabilem.  (Psal.  CV.) 

Dieu  parle  dans  la  retraite;  mais  ce  n'est 
pas  à  celles  que  les  plus  charitables  remon- 
trances abattent,  qui  occupent  et  rebutent, 
elles  seules,  les  directeurs  les  plus  spirituels 
et  les  plus  patients;  qui  ont  de  la  conscience 
pour  écouter  les  scrupules  ,  et  qui  n'en  ont 
point  pour  les  déposer.  Dieu  parle  dans  la 
retraite;  mais  ce  n'est  pas  à  celles  que  l'on 
reprend  toujours  inutilement,  qu'on  menace, 
qu'on  punit,  sans  voir  aucun  changement  ; 
qui  renvoient  à  l'ardeur  des  novices  l'exac- 
titude de  la  règle  ,  comme  si  Dieu  en  deman- 
dait moins  à  ceux  qui  finissent,  qu'à  ceux 
qui  commencent,  et  qui  opposent  leurâge  ou 
leur  talent  pour  se  dispenser  de  plier  sous  le 
joug  qu'on  leur  impose.  Dieu  parle  dans  la 
retraite;  mais  ce  n'est  pas  à  celles  qui  écou- 
tent l'ennemi  du  salut  jusque  dans  le  paradis 
terrestre,  qui  lui  préparent  des  victoires  par 
leur  peu  de  vigilance,  et  qui  goûtent  avec 
des  confidentes  éprouvées  le  plaisir  de  dire 
et  d'écouter  ce  qu'elles  devraient  taire  ou 
ignorer.  Ne  nous  Hâtions  pas,  ma  chère  sœur; 
la  main  miséricordieuse  qui  vous  a  retirée 
du  siècle  ne  vous  a  pas  confirmée  en  grâce. 
Après  avoir  triomphé  des  Egyptiens  et  être 
entré  dans  le  désert,  il  reste  encore,  dit  saint 
Augustin,  des  ennemis  à  vaincre;  la  grâce  est 
un  trésor  [tien  précieux,  les  vases  qui  la  con- 
tiennent sont  bien  fragiles;  vous  marchez  avec 
votre  perte,  selon  l'expression  du  Sage  ;  Cum 
subversions  ambulas  (Eccli.,  XI)  ;  et  vous 
portez  les  dangers  et  les  écueils  dans  le  cloî- 
tre, parce  que  vous  vous  y  portez  vous- 
même;  et  on  peut  se  perdre  si  l'on  n'est  pas 
fidèle  a  l'esprit  de 


la  religion,  aux  occupations  de  la  religion: 
troisième  et  dernier  avantage  de  la  retraite. 

Si  la  retraite  procure  le  repos  de  l'âme,  elle 
n'autorise  point  le  repos  du  corps;  et  l'oisi- 
veté que  la  religion  condamne  ne  régna 
jamais  dans  les  solitaires  et  les  personnes 
consacrées  au  Seigneur.  On  ne  se  retire  point 
à  l'écart  pour  vivre  dans  un  lâche  repos  et 
une  molle  indolence  ;  et  c'est  un  -préjugé 
très-injuste  chez  les  mondains  de  traiter  ce 
pieuse  oisiveté  la  vie  de  ceux  que  Dieu  ap- 
pelle dans  la  retraite  ou  dans  le  sanctuaire. 
Mais  le  principe  de  ce  préjugé,  ma  chère 
sœur,  est  bien  facile  à  développer:  dans  le 
système  du  monde,  prier,  chanter  les  louan- 
ges de  l'Eternel,  méditer  sa  loi,  pratiquer 
des  austérités,  gouverner,  instruire  sans  es- 
pérance de  fortune  et  d'établissement,  tout 
cela  n'est  qu'une  pieuse  oisiveté,  une  occu- 
pation inutile;  tel  est  le  préjugé  injuste  de 
ces  mondains  qui  s'occupent  inutilement,  qui 
travaillent  sans  ordre,  qui  se  remuent,  s'agi- 
tent, et  se  remplissent  la  tête  de  projets;  ils 
sont  las,  fatigués  et  glorieux  des  peines  qu'i  ls 
se  donnent  ;  ils  tournent  en  ridicule  la  tran- 
quillité du  cloître;  et  moi  je  réponds  à  ces 
critiques  délicats,  et  je  leur  dis  :  Que  la  reli- 
gion préside  à  vos  occupations,  que  l'ordre 
règne  dans  vos  occupations,  que  la  cupidité 
ne  multiple  point  vos  occupations,  que  les 
plaisirs  ne  dérobent  rien  à  vos  occupations, 
et  vous  trouverez  dans  le  monde  même  la 
tranquillité  de  la  retraite.  Oui,  ma  chère 
sœur,  on  est  tranquille -dans  la  retraite  sans 
être  oisive;  c'est  l'ordre  qui  règne  dans  les 
occupations,  qui  procure  ce  repos  qu'on  vous 
envie  si  fort,  et  que  le  monde  ne  se  procure 
jamais. 

Occupations  de  la  religion ,  occupations 
qui  honorent  Dieu.  Saint  Jean  nous  repré- 
sente les  hommages  que  Dieu  reçoit  sans 
cesse  dans  le  ciel  d'une  manière  qui  doit 
bien  vous  consoler,  ma  chère  sœur  :  Lesanges, 
dit-il,  environnent  son  trône;  vingt-quatre 
vieillards  posent  leurs  couronnes  aux  pieds 
de  l'Agneau  immolé;  les  séraphins  se  voi- 
lent la  face,  parce  que  leurs  yeux  ne  sau- 
raient soutenir  la  vue  de  la  divinité,  et  toute 
cette  foule  d'esprits  bienheureux  chante  sans 
cesse  la  sainteté  et  la  puissance  de  celui  qui 
fait  leur  bonheur.  (Apoc,  IV,  VU.)  N'est-ce 
pas  là,  ma  chère  sœur,  une  image  naturelle 
des  occupations  naturelles  des  vierges  reti- 
rées dans  les  cloîtres?  Ne  sera-ce  pas  aussi  la 
vôtre?  Vous  pouvez  dire  ce  que  l'ange  Raphaël 
disait  àTobie  :  Je  suis  une  des  vierges  qui  se 
tiennent  respectueusement  devant  le  trône  de 
l'Agneau  pour  chanter  ses  louanges;  le  chœur 
est  le  lieu  où  elles  s'assemblent,  nous  sommes 
debout  de  vaut  l'autel  où  s'immole  notre  Epoux 
et  les  voûtes  sacrées  de  ce  sanctuaire  auguste 
retentissent  des  divins  cantiques  que  nous 
chantons  le  jour  et  la  nuit  en  l'honneur  du 
Dieu  vivant  que  nous  adorons;  nous  faisons 
sur  la  terre  ce  que  les  anges  font  dans  le  ciel  : 
Ego  sum  angélus,  unus  e  septem  qui  astamtis 
antr  Dominum.  (Tob.,  XII.) 

Occupations  de  la  religion,  occupations  qui 
vous   élèvent  jusqu'à   Dieu.  Les   objets  du 


565 


SUJETS  DIVERS.  —  SERM 


monde  font  pencher  la  créature  vers  la  terre  ; 
mais  la  méditation  des  choses  célestes  trans- 
porte l'âme  jusqu'au  ciel,  elle  entretient  dans 
l'oraison  un  commerce  avec  son  Dieu,  elle 
puise  des  lumières  et  goûte  des  consolations 
que  l'homme  ne  saurait  raconter;  c'est  dans 
cette  divine  occu|>ation  que  les  saints  ont  puisé 
cette  force  merveilleuse  quilesfaisaitadmiier 
des  empereurs  et  redouter  des  démons  mêmes; 
c'est  dans  cette  céleste  occupation  que  le  Pro- 
phète s'unissait  à  son  Dieu,  s'embrasait  du  feu 
sacré  de  son  amour,  et  éprouvait  ces  divines 
ardeurs  qu'il  fit  éclater  si  souvent  contre  les 
ennemis  de  Dieu  :  In  meditaiione  mea  exar-, 
descet  ignis.  (Psal.  XXXVIII.)  C'est  aussi , 
ma  chère  sœur,  dans  la  prière  et  l'oraison, 
ces  sublimes  exercices  de  la  retraite,  que  vous 
vous  élèverez  jusqu'à  Dieu. 

Occupations  de  la  religion  ,  occupations 
qui  expriment  la  conduite  de  Dieu.  Dieu 
n'a  pas  eu  plutôt  créé  le  monde ,  qu'il  y 
établit  un  ordre  merveilleux;  il  a  réglé  les 
temps,  les  saisons,  les  années,  les  jours,  les 
moments.  En  se  manifestant  au  dehors,  il  a 
exigé  un  culte  ,  et  dans  ce  culte  il  a  établi 
aussi  un  ordre  pour  les  fêtes  et  les  cérémo- 
nies. Car,  quoiqu'il  soit  le  Dieu  de  tous  les 
jours ,  il  y  a  des  jours  où  il  veut  l'être  d'une 
manière  particulière.  L'ordre  appartient  à  la 
religion.  Un  des  caractères  de  l'enfer  c'est  le 
désordre,  ia  confusion  :  Ubi  nullus  ordo. 
(Job.  X.)  Or,  dans  la  retraite,  ma  chère 
sœur,  on  exprime  la  conduite  de  Dieu  par 
l'ordre  qui  règne  dans  les  occupations  :  il  y 
aies  moments  pour  le  repos,  les  moments 
pour  le  silence,  le  temps  de  la  prière,  le  temps 
du  travail ,  le  temps  de  la  méditation;  et  ces 
temps  distingués  et  marqués  par  la  sagesse, 
ne  sont  jamais  confondus.  On  est  toujours 
occupé  et  toujours  libre,  toujours  agis- 
sant et  toujours  tranquille,  jamais  empres- 
sé, jamais  surpris  ;  on  agit  comme  n'ayant 
qu'une  seule  chose  à  faire ,  parce  que  l'on  n'y 
applique  son  esprit  que  lorsqu'il  faut  la  faire. 
Cet  ordre  établi  dans  tous  les  monastères, 
établis  dans  les  déserts  dès  que  les  Paul , 
les  Antoine,  les  Hilarion,  les  Pacôme  levè- 
rent l'étendard  de  la  vie  solitaire,  dès  que  les 
Basile  et  les  Benoît  eurent  fait  passer  dans 
l'Occident  la  perfection  de  la  vie  monastique, 
exprime  parfaitement,  ma  chère  sœur,  la 
conduite  de  Dieu,  conserve  l'âme  toujours 
libre  et  procure  le  salut,  dit  saint  Augustin, 
Ordo  ducit  ad  vitam. 

Occupations  de  la  religion ,  occupations 
agréables  à  Dieu.  Comme  vous  ne  choisissez 
pas  vous-même  vos  occupations  dans  la  re- 
traite ,  et  que,  semblable  aux  serviteurs  du 
centenier,  vous  êtes  soumise  à  une  supé- 
rieure qui  commande  différentes  choses,  oc- 
cupe à  différents  emplois,  sans  consulter  votre, 
goût  ni  votre  inclination,  cette  soumission 
plait  infiniment  au  Seigneur,  il  aime  ces  âmes 
dociles  qui  ne  se  choisissent  pas  elles-mêmes, 
qui  n'ambitionnent  pas  un  office  plutôt  qu'un 
autre,  et  qui  s'occupent  avec  mérite,  parce 
qu'elles  obéissent  en  s'occupant. 

Occupations  de  la  religion,  occupations  qui 
vous  communiquent  la  force  de  Dieu.  Le  pro- 


II,  POUR  UNE  PROFESSION.  3GG 

phète  Baruch  nous  apprend  que  les  Hébreux, 
pendant  leur  captivité  à  Babylone,  se  retiraient 
dans  la  solitude  le  longdufleuve,  etque  là  ils 
pleuraient,  ils  jeûnaient  et  ils  priaient  en  la 
présence  du  Seigneur:  Plorabant,  jejunabunt 
et  orabant  in  conspectu  Domini.  (Baruch,  I.) 
Telles  ont  toujours  été,  ma  chère  sœur,  les 
occupations  des  personnes  retirées  dans  la 
retraite  ,  telles  ont  été  celles  surtout  de  ces 
fameux  solitaires  de  l'Orient ,  qui  sont  deve- 
nus si  puissants  en  œuvres  et  en  paroles; 
leurs  fautes  passées  et  expiées  par  plusieurs 
années  de  pénitence ,  les  persécutions  que 
les  empereurs  excitaient,  les  ravages  que 
l'hérésie  faisait  dans  les  plus  belles  portions 
de  l'Eglise,  les  vices  du  siècle,  dont  ils  ap- 
prenaient les  funestes  progrès,  dans  leur 
solitude  même ,  leur  faisaient  répandre  des 
larmes  amères,  plorabant  ;  les  ennemis  in- 
visibles qu'ils  avaient  à  combattre  ,  les  ten- 
tations, les  pièges,  les  appâts  du  vice  que  le 
séducteur  employait  pour  leur  faire  perdre 
leur  couronne  ,  les  honteuses  révoltes  qu'il 
excitait  au  dedans  d'eux-mêmes,  et  qui  les 
alarmaient  encore  sous  le  cilice  et  la  blan- 
cheur des  cheveux,  leur  faisaient  pratiquer 
des  austérités  qui,  malgré  le  témoignage 
des  Pères  de  1  Eglise ,  et  des  empereurs 
païens  mêmes,  passeraient  presque  aujour- 
d'hui pour  des  exagérations  de  l'historien, 
jejunabavt.  La  voix  de  ces  hommes  divins  ne 
retentissait-elle  pas  dans  les  vallons  ,  sur  les 
montagnes ,  dans  les  antres  sauvages  et  dans 
les  grottes  rustiques?  Dans  la  clarté  du  jour 
et  dans  le  silence  de  la  nuit,  Dieu  entendait 
leur  voix  plaintive ,  ils  faisaient  au  ciel  cette 
violence,  qui  est  si  agréable  à  notre  Dieu, 
et  dont  parle  Tertullien  :  orabant.  Telles 
seront  vos  occupations  dans  cette  retraite, 
ma  chère  sœur  :  telles  doivent  être  celles  d'une 
victime,  d'une  Epouse  de  Jésus-Christ;  les  lar- 
mes, les  jeûnes,  les  pénitences,  les  veilles,  ce 
que  la  règle  vous  prescrit,  ce  que  vous  vous 
prescrivez  à  vous-même,  ce  que  la  supérieure 
vous  prescrira,  mortifications  de  préceptes  , 
mortifications  volontaires,  mortifications  d'é- 
preuves :  tout  cela  entre  dans  votre  sacrifice 
et  forme  cet  état  d'immolation  que  vous 
choisissez  aujourd'hui.  Mais  tout  cela  aussi, 
en  affaiblissant  le  corps,  en  captivant  l'esprit, 
en  soumettant  la  volonté,  communique  une 
force  à  l'âme ,  qui  lui  fait  remporter  autant 
de  victoires  que  l'ennemi  lui  livre  de  com- 
bats ;  une  force  toute  céleste  qui  ne  triomphe 
jamais  plus  sûrement  et  avec  plus  d'éclat  que 
dans  la  faiblesse  ,  le  déchet  et  la  destruction 
de  l'homme  charnel  :  De  cœlo  fortitudo.  (I 
Mach. ,111.)  Telles  sont,  ma  chère  sœur, 
les  différentes  occupations  de  la  religion 
dans  la  retraite  ;  mais,  malgré  tous  ces  avan- 
tages, il  y  en  a  qui  s'y  perdent.  Comment 
cela?  Le  voici.  Car,  il  est  important  que  vous 
compreniez  cette  vérité,  les  occupations  de 
la  retraite  sont  saintes:  mais  s'en  acquitte- 
t-on  toujours  saintement?  voilà  l'essentiel. 

On  peut  faire  l'œuvre  de  Dieu  et  se  perdre; 
s'immoler,  se  sacrifier,  s'ensevelir  avec 
Jésus-Christ,  comme  vous  le  faites  aujour- 
d'hui ,  et  perdre  la  couronne  promise  qu'on 


3C7 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


538 


a  choisie ,  pour  laquelle  on  a  foulé  aux  pieds 
toutes  les  couronnes  de  lleurs  que  le  monde 
présentait  :  il  ne  faut  pour  cela  que  de  la  né- 
gligence, du  relâchement,  de  la  tiédeur, 
quelques  retours  vers  le  monde  ;  parce 
qu'alors  on  est  toujours  victime,  mais  vic- 
time languissante,  victime  triste ,  affligée, 
abattue  :  victime  par  état,  par  engagement, 
mais  victime  sans  amour,  sans  charité,  sans 
consolation.  Or  l'Esprit-Saint  nous  dit  par 
les  prophètes  :  Malheur  à  celui  qui  fait  l'œu- 
vre du  Seigneur  avec  tié  eur,  qui  s'acquitte 
de  ses  devoirs  négligemment;  les  malédic- 
tions tomberont  sur  sa  tête  :  Maledictus  qui 
facit  opus  Dei  negligenter.  (Jerem.,  XLV11I.) 
Vous  voyez  ici  qu'il  ne  s'agit  point  de  cer- 
taines actions,  de  péchés  d'omission,  mais 
de  l'œuvre  de  Dieu  :  opus  Dei;  qu'il  ne  s'agit 
pas  pour  se  perdre  de  violer  ses  vœux,  de  se 
dispenser  de  ses  devoirs  :  celui  que  Dieu 
maudit  dans  cet  endroit  fait  avec  intégrité 
l'œuvre  du  Seigneur  :  facit  opus  Dei;  mais  il 
est  négligent,  tiède,  languissant  :  voilà  son 
crime  :  facit  opus  Dei  nerjlig  enter.  Or,  sur  ce 
principe,  que  penser,  ma  chère  sœur,  de 
celles  qui  sont  occupées  des  offices  du  chœur, 
sans  être  occupées  de  Dieu,  et  qui  ne  rem- 
portent des  divins  offices  que  le  seul  plaisir 
de  les  voir  finir?  Que  penser  de  celles  que 
l'inconstance  rend  inutiles ,  que  les  chan- 
gements amusent,  qui  se  plaisent  dans  les 
emplois  quelles  n'ont  pas,  et  qui  s'ennuient 
dans  ceux  qu'on  leur  confie?  Que  penser  de 
celles  que  l'ordre  incommode ,  qui  sont  tou- 
jours empressées  et  jamais  tranquilles  ,  qui 
passent  d'un  exercice  à  un  autre  sans  prépa- 
ration, et  qui  n'ont  jamais  assez  de  temps  , 
parce  quelles  en  perdent  trop?  Que  penser 
de  celles  qui  murmurent  dans  le  désert,  qui 
en  veulent  au  Moïse  qui  les  y  a  conduites , 
et  qui  gravent  sur  les  murs  et  sur  les 
arbres  de  la  solitude  leurs  ennuis  et  leurs 
chagrins?  Que  penser  de  celles  qui  des- 
cendent de  la  montagne  où  elles  se  sont 
entretenues  avec  Dieu ,  sans  force  et  sans 
ardeur,  qui  ne  peuvent  résister  au  moindre 
combat,  qui  ne  se  relèvent  que  pour  retom- 
ber ;  que  l'Epoux  trouve  toujours  dans  le 
sommeil.et  dans  l'indigence,  et  qui,  quelque- 
fois, pour  s'épargner  une  confusion  salutaire, 
s'enhardissent  à  garder  un  silence  sacrilège? 
Que  penser?  ma  chère  sœur:  ce  (pie  j'ai 
avancé,  qu'on  peut  se  perdre  dans  la  retraite 
malgré  tous  ses  avantages,  quand  on  n'y  est 
pas  fidèle?  Le  démon  n'a  pas  toujours  été 
défait  dans  la  solitude;  il  a  quelquefois  atta- 
ché à  son  char  des  solitaires  qui  avaient 
blanchi  sous  la  haire  et  le  cilice  ;  la  longueur 
de  nos  combats,  c'est  la  longueur  de  nos 
jouis.  Le  théâtre  où  nous  combattons,  c'est 
toute  la  terre,  la  sainteté  du  lieu  n'ôle  point 
à  lhomme  ce  que  le  baptême  lui  a  laissé  : 
c'est  dans  le  ciel  seul  que  nous  serons  cou- 
ronnés, parce  que  c'est  là  qu'il  n'y  aura  plus 
d'ennemis  à  craindre. 

Mais  je  vous  vois  impatiente,  ma  chère 
sœur,  de  consommer  votre  sacrifice  ,  je  ne 
veux  plus  vous  retarder;  satisfaites  votre 
amour,  prononcez  ces  paroles  qui  vous  atta- 


cheront à  Jésus-Christ,  sacrifiez  votre  cœur, 
votre  volonté  et  vos  espérances;  faites  dans 
le  printemps  de  vos  années  et  par  amour  ce 
que  les  mondains  font  lorsque  le  tombeau 
s'ouvre  et  les  attend.  Les  mondains,  au  mo- 
ment de  leur  mort,  sont  des  victimesforcées 
delà  colère  céleste  ;  ils  offrent  à  Dieu  une 
vie  qui  finit,  une  volonté  qui  n'a  plus  de 
choix,  des  biens  qui  leur  échappent  :  quel 
sacrifice  1  Cependant  il  faut  le  faire  pour 
vous,  (ma  chère  sœur,  victime  volontaire, 
victime  d'amour,  victime  prompte;  Dieu  vous 
accepte,  c'est  sa  miséricorde  qui  vous  im- 
mole :  l'autel  est  préparé,  Dieu  vous  con- 
temple ,  les  anges  vous  admirent,  ces  dignes 
épouses  de.Jésus-Christ  vous  attendent,  pour 
vous  donner  le  baiser  de  paix  et  un  gage  de 
leur  constante  amitié.  Montez  à  l'autel  pour 
vous  immoler  :  Ascende  et  morere  (Dcul. 
XXXII);  mourez  au  monde  et  vivez  pour  Dieu 
et  avec  Dieu  pendant  l'éternité.  Je  vous  la 
souhaite. 

SERMON  III 

ruÈcuÉ  a  l'odvertdre  du  jubilé, 

Dans  l'église  paroissiale  de  Gif,  diocèse  de 
Paris,  le  6 juin  174-5. 

Ecce  nunc  tcrnpus  acceptabile,  ecce  nunc  dies  salutis. 
(II  Cor.,  VI.) 
Voici  un  temps  favorable,  voici  des  jours  de  salut. 

Ils  sont  enfin  arrivés  ces  jours  de  grâce  et 
de  bénédiction,  que  vous  désirez  avec  tant 
d'ardeur.  Je  vois  avec  plaisir  ce  saint  temple 
rempli  de  chrétiens  attentifs  à  la  lecture  de 
la  bulle  du  souverain  pontife. 

Le  successeur  de  Pierre,  le  vicaire  de  Jé- 
sus-Christ (a  qui  il  a  été  dit,  Tout  ce  que  vous 
drliercz  sur  la  terre  sera  délié  dans  le  ciel 
[Matth.,  XVI,])  vient  d'ouvrir  les  trésors  de 
l'Eglise  en  faveur  de  ses  enfants.  Ces  trésors 
sont  les  mérites  infinis  de  Jésus-Christ,  qui 
donnent  seuls  le  p.rix  à  toutes  nos  actions, 
et  les  vertus  abondantes  des  martyrs  et  des 
saints  qui  avaient  encore  puisé  leur  force 
dans  celte  source  féconde  ;  car  vous  avez 
été  rachetés  par  un  prix  infini  :  Empti  estis 
pretio  magno  (I  Cor.,  VI);  le  sang  de  Jésus- 
Christ  répandu  sur  la  croix. 

Voilà  les  trésors  de  l'Eglise,  voilà  ce  qui 
a  donné  du  prix  et  de  la  valeur  à  toutes  les 
actions  de  ces  grandes  âmes  que  nous  admi- 
rons :  voilà  ce  qui  a  porté  un  Dieu  irrité  à 
accepter  les  larmes,  les  soupirs,  les  mortifi- 
cations de  tant  de  pénitents. 

Ayez  donc  confiance,  pécheurs,  dit  saint 
Chrysostome  (homilia  80,  ad  populum  Antia- 
chenum),  vous  ne  pouvez  pas  satisfaire  à 
Dieu  par  vous-mêmes  :  Tu  non  potes  :  ma  s 
votre  Sauveur  le  peut  et  le  veut  :  taus  potest 
Dominas, 

Quoique  tous  les  temps  de  la  vie  soier.t 
propres  au  salut,  quand  on  le  veut  sincère- 
ment, dit  saint  Léon  (serin,  k  De  Quadrage- 
sima)  :  quoique  tous  les  bienfaits  soient  ré- 
pandus sur  nous  avec  une  main  libérale,  et 
que  tous  les  moments  de  notre  vie  soient 
marqués  par  des  traits  singuliers  de  son  in- 
finie miséricorde  ;  il  est  cependant-,  chré- 


, 


339 


SUJETS  DIVERS.  —  SERM.  III  ,  PRECHE  A  L'OUVERTURE  DU  JUBILE. 


5_0 


tiens,  de- jours  où  il  la  lait  éclater  avec  plus 
de  magnificence  et  qu'on  peut  appeler  avec 
plus  de  confiance,  et  dans  le  sens  même  du 
grand  Apôtre,  des  jours  de  salut  :  dies  salutis. 

Quels  jours  plus  favorables,  plus  précieux 
pour  le  salut,  que  ceux  où  le  souverain  pon- 
tife, suivant  le  pouvoir  qu'il  a  reçu  de  Jé- 
sus-Christ même,  ouvre  le  trésor  de"  l'Eglise, 
et  annonce  une  amnistie  générale  ! 

En  vain  l'hérésie  a-t-elle  voulu  contester 
à  l'Eglise  le  droit  d'accorder  des  indulgen- 
ces :  l'Ecriture  et  la  tradition  l'a  foudroyée. 

On  a  dans  les  conciles,  et  surtout  dans 
celui  de  Trente,  séparé  les  abus  qui  pou- 


vaient s  y 


du   dogme   absolument 


contenu  et  renfermé  dans  le  pouvoir  de  lier 
et  de  délier. 

L'Eglise  a  le  droit  d'imposer  de  saintes 
rigueurs  :  elle  aie  droit  d'accorder  des  in- 
dulgences. Ses  rigueurs  sont  toujours  néces- 
saires et  ses  indulgences  toujours  salutaires. 
Elle  est  sage  quand  elle  soumet  les  pécheurs 
à  des  peines  temporelles;  elle  use  sagement 
de  son  pouvoir  quand  elle  en  remet  une 
partie,  et  si  elle  accorde  ces  grâces  rare- 
ment, c'est  de  crainte  d'énerver  la  sainte  sé- 
vérité de  sa  discipline.  Telle  est  la  doctrine 
de  tous  les  siècles. 

Ne  changeons  pas,  Messieurs,  ces  trésors 
de  grâces  en  des  trésors  de  colère.  Que  ce 
bienfait  universel  que  le  souverain  pontife 
accorde  ne  soit  pas  inutile  pour  nous.  Tant 
de  fléaux  différents,  le  feu  de  la  guerre  al- 
lumé dans  toute  l'Europe,  l'esprit  d'irréli- 
g'ou,  la  corruption  des  mœurs,  qui  régnent 
partout,  nous  annoncent  que  Dieu  est  irrité  ; 
efforçons-nous  de  l'apaiser  et  ne  provoquons 
pas  sa  colère  dans  le  temps  même  de  sa  mi- 
séricorde. Pour  profiter  du  jubilé,  entrons 
dans  l'esprit  de  l'Eglise;  le  voici,  et  en 
même  temps  le  plan  de  ce  discours  :  Les 
avantages  du  jubilé  ne  détruisent  pas  la  sé- 
vérité de  la  pénitence  que  méritent  nos  pé- 
chés :  première  partie  ;  les  avantages  du  ju- 
bilé suppléent  à  l'imperfection  de  la  péni- 
tence qne  nous  pouvons  faire  pour  expier 
nos  péchés  :  seconde  partie.  Demandons,  etc. 
Ave,  Maria. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

t<  La  grâce  du  jubilé  est  accordée  pour  aider 
l'homme  à  satisfaire  à  la  justice  de  Dieu  irrité 
contre  ses  crimes ,  et  non  pas  pour  le  tran- 
quilliser dans  ses  désordres,  entretenir  une 
confiance  présomptueuse ,  calmer  ses  justes 
alarmes,  effacer  de  son  esprit  et  de  son  cœur 
les  utiles  images  de  l'éternité,  éner.ver  les 
saintes  rigueurs  de  la  discipline  de  l'Eglise, 
élargir  la  voie  étroite  du  ciel,  dispenser  de 
cette  violence  nécessaire  pour  emporter  la 
récompense  promise,  et  anéantir  tous  ces 
grands  oracles  de  l'Evangile  qui  annoncent 
une  perte  inévitable  à  tous  ceux  qui  ne  font 
point  pénitence. 

Posons  des  principes,  chrétiens,  ne  di- 
minuons rien  de  la  grandeur  du  bienfait 
qu'on  nous  accorde.  Mais  aussi  ne  tou- 
chons point  aux  droits  inaliénables  que 
Dieu  a  sur  nous.  Que  le  jubilé  fasse  naître 


parmi  nous  l'esprit  de  pénitence  et  non 
point  l'esprit  de  relâchement  ;  qu'.l  nous 
fasse  espérer  le  pardon  des  péchés  que  nous 
pleurons,  mais  qu'il  ne  nous  tranquillise 
point  dans  les  péchés  que  nous  aimons.  S'il 
supplée  à  ce  que  les  pénitents  sincères  ne 
peuvent  pas ,  il  ne  fera  que  rendre  plus  cou- 
pables ceux  qui  ne  font  point  d'efforts  pour 
apaiser  le  Seigneur.  Les  avantages  du  jubilé 
ne  détruisent  point  la  sévérité  de  la  péni- 
tence. 

Car,  si  vous  y  faites  attention,  mes  frères, 
vous  verrez  que,  par  un  abus  déplorable,  le 
jubilé  ne  fait  souvent  que  des  audacieux, 
des  ingrats  et  des  lâches.  C'est  ainsi  qu'on 
change  les  plus  grands  remèdes  en  poison. 

Voulez-vous  une  preuve  de  ce  que  j'a- 
vance ?  Ecoutez,  je  vous  prie:  Voici  des 
règles  saintes,  des  règles  de  l'Eglise  dans 
tous  les  siècles  et  qu'on  ne  saurait  violer 
dans  aucun  temps,  même  dans  celui  du  ju- 
bilé. Ne  perdez  rien  de  ces  réflexions,  elles 
sont  solides  ;  et  si  vous  les  mettez  en  pra- 
tiqué, vous  profiterez  du  jubilé. 

Première  réflexion.  L'Eglise  a-t-elle  ja- 
mais accordé  des  indulgences  à  d'autres 
qu'à  ceux  qui  ont  une  sincère  douleur  de 
leurs  péchés  et  qui  les  avouent  aux  minis- 
tres de  la  réconciliation?  vere  contritis  et 
confessis.  Non,  sans  doute;  vous  le  savez, 
c'est  là  une  condition  essentielle  pour  ga- 
gner des  indulgences.  Lisez  les  bulles  des 
souverains  pontifes  ;  et  c'est  là  ce  que  nous 
opposons  aux  hérétiques  qui  les  combattent. 
Après  avoir  prouvé  le  droit  de  l'Eglise  par 
l'Evangile  même,  nous  prouvons  qu'elle  ne 
détruit  pas  la  sévérité  de  la  pénitence  j  ar 
cette  condition  qu'elle  exige. 

Seconde  réflexion.  Pour  gagner  l'indul- 
gence il  faut  se  confesser  ;  or  direz-vous 
que  l'Eglise  vous  dispense  dans  le  tribunal 
de  délester  vos  péchés,  d'aimer  Dieu,  de 
pratiquer  des  rigueurs,  parce  que  c'est  le 
temps  du  jubilé  ?  Les  hérétiques  seuls  sont 
capables  de  répandre  ces  calomnies.  Ap- 
prenez donc  aujourd'hui,  chrétiens,  tout 
le  contraire  de  ce  que  vous  avez  [eut-être 
pensé,  faute  de  principes. 

La  grâce  du  jubilé  doit  nous  faire  conce- 
voir de  l'horreur  du  péché.  La  grâce  du  ju- 
bilé doit  exciter  notre  amour  pour  un  Dieu 
qui  nous  remet  nos  péchés.  La  grâce  du  ju- 
bilé doit  nous  porter  à  de  saintes  rigueurs 
contre  nous-mêmes ,  parce  que  nous  avons 
péché. 

En  vous  prouvant  ces  grandes  vérités ,. 
vous  apprendrez  que  les  avantages  du  jubilé 
ne  détruisent  point  la  sévérité  de  la  céni- 
tence  ;  suivez-moi  attentivement. 

Si  c'est  un  crime  de  perpétuer  son  péché 
parce  que  Dieu  est  bon,  c'est  un  système 
horrible  de  ne  le  point  détester  parce  qu'il 
nous  le  pardonne  facilement. 

C'est  cependant,  mes  frères,  un  aveu- 
glement presque  universel  dont  les  hommes 
ne  sont  point  effrayés.  Dans  ce  temps  de  ju- 
bilé, de  grâces,  dans  ces  jours  d'indulgence, 
on  pense  à  la  facilité  que  l'Eglise  \  résenta 
à  ses  enfants  pour  satisfaire  à  la  justice  di- 


371 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


372 


vine,  quant  aux  peines  temporelles  qu'ils  ont 
méritées  :  on  ne  pense  point  aux  peines 
éternelles  ni  à  la  grandeur  d'un  Dieu  of- 
fensé par  le  péché.  On  fait  consister  toute  sa 
pénitence  dans  quelques  courtes  prières 
qu'on  récite  sans  en  pénétrer  le  sens,  sans 
en  sentir  l'onction;  dans  quelques  jeûnes 
accompagnés  de  tous  les  adoucissements 
que  demande  la  délicatesse  ;  dans  quel- 
ques stations  qui  ne  coûtent  rien  à  la  paresse, 
parce  que  l'on  choisit  son  temps  pour  les 
faire  ;  dans  quelques  légères  aumônes  qui  ne 
seraient  pas  même  suffisantes  dans  d'autres 
temps  pour  satisfaire  au  précepte  de  la  cha- 
rité chrétienne.  On  fait  ce  qui  est  prescrit 
par  le  souverain  pontife  pour  éviter  les 
peines  dues  au  péché,  on  néglige  de  porter 
au  tribunal  de  la  pénitence  les  dispositions 
nécessaires  pour  effacer  le  péché  quant  à  la 
coulpe,  c'est-à-dire,  pour  apaiser  un  Dieu 
offensé  par  le  péché. 

Pensez-y  sérieusement,  chrétiens;  il  y  a 
des  règles  sûres,  des  lois  sacrées  dont  le 
jubilé  ne  saurait  vous  dispenser  ;  et  ces  lois 
regardent  le  sacrement  de  la  réconciliation. 
Le  souverain  pontife  vous  en  avertit  :  pour 
gagner  cette  indulgence  universelle  il  faut 
avoir  une  douleur  de  ses  péchés,  les  détes- 
ter, les  confesser  et  s'être  mis  en  état  de  re- 
cevoir le  corps  de  Jésus-Christ  :  vcre  cotitri- 
tis  et  confessis. 

Agissez  donc  suivant  ces  grands  principes 
de  la  discipline  de  l'Eglise ,  ne  comptez  sur 
l'indulgence  qu'après  que  vous  serez  récon- 
ciliés avec  Dieu  dans  le  sacrement  de  péni- 
tence ;  séparez  les  choses  qu'il  faut  faire 
pour  rendre  votre  satisfaction  suffisante, 
des  choses  qui  vous  sont  indispensables 
pour  recevoir  l'absolution.  Or,  comme  on 
ne  la  reçoit  jamais  dignement  et  utilement 
sans  détester  le  péché,  concluez  avec  moi 
que  les  avantages*  du  jubilé,  entendus  dans 
l'esprit  de  l'Eglise,  ne  détruisent  pas  la  sé- 
vérité de  la  pénitence.  Je  dis  plus,  chrétiens, 
je  dis  que  cette  grâce  du  jubilé  doit  nous 
inspirer  encore  plus  d*horreur  du  péché;  et 
en  voici  la  preuve. 

Que  fait  la  grâce  du  jubilé  ?  Elle  nous 
aide  à  satisfaire  à  la  justice  divine ,  quand 
nous  avons  été  réconciliés  dans  le  sacré  tri- 
bunal de  la  pénitence  ;  or  ces  peines  qui 
restent  à  souffrir  après  que  le  péché  a  été 
effacé  quant  à  l'offense ,  ne  doivent-elles 
pas  nous  en  montrer  toute  la  grandeur,  et , 
par  conséquent,  nous  en  inspirer  de  l'hor- 
reur ? 

Il  faut  être  vraiment  pénitent  pour  profiter 
de  la  grâce  singulière  du  jubilé;  or,  dit 
saint  Augustin  (in  psal.  XXX,  concione 
prima),  il  n'y  a  point  de  vraie  pénitence, 
de  pénitence  sincère,  lorsqu'il  n'y  a  point 
de  naine  du  péché.  C'est  l'horreur  qu'on  a 
du  péché  qui  assure  de  la  sincérité  de  la 
pénitence  :  Pœnitentiam  certain  non  facit 
nisi  odium  peccuti. 

On  est  disposé  à  commettre  un  péché  dont 
on  n'a  point  d'horreur;  on  fait  bientôt  nau- 
frage quand  on  ne  redoute  point  le  danger. 
L'amour  de  la  réputation  fait  conserver  les 


apparences  de  la  vertu  ;  mais  il  ne  fait  pas 
conserver  la  vertu  même.  On  n'est  pas  long- 
temps innocent,  quand  on  ne  veut  l'être 
qu'aux  yeux  des  hommes.  Le  péché  a  assez 
de  difformité  par  lui-même  pour  nous  dé- 
plaire ,  et  nous  n'en  concevons  pas  l'idée 
que  Dieu  en  conçoit,  quand  nous  ne  le  regar- 
dons pas  comme  le  souverain  mal. 

Cette  juste  horreur  du  péché  a  armé  tous 
les  vrais  pénitents  contre  eux-mêmes.  Ils  ne 
se  rappelaient  leurs  égarements  que  pour 
les  expier  par  de  saintes  cruautés.  Jugeons 
par  les  sentiments  de  David,  par  les  larmes 
de  saint  Pierre,  par  celles  de  la  Madeleine, 
l'horreur  que  les  vrais  pénitents  concevaient 
du  péché.  Us  ont  toujours  pleuré  les  péchés 
qu'ils  avaient  commis  ,  et  ils  ne  sont  jamais 
retombés  dans  les  péchés  qu'ils  pleuraient. 

Voilà  des  preuves  d'une  sincère  pénitence, 
dit  Origène  (  homilia  octava  in  Numéros), 
pleurer  les  fautes  passées  :  lugere  prœterita, 
et  ne  point  retomber  dans  les  fautes  qu'on 
a  pleurées  :  cavere  futura. 

Cependant  ces  saints  pénitents  avaient  en- 
tendu des  paroles  de  miséricorde ,  le  Sei- 
gneur leur  avait  accordé  une  indulgence 
solennelle.  On  avait  dit  à  David  :  Votre  pé- 
ché a  été  transféré  ,  et  la  satisfaction  que 
Dieu  exigeait  était  marquée  clairement.  On 
avait  dit  à  Madeleine  :  Vos  péchés  vous  sont 
remis,  allez  en  paix.  Jésus-Christ  avait  jeté 
un  regard  de  miséricorde  sur  saint  Pierre. 

Mais  les  vrais  pénitents  ne  cessent  point 
de  pleurer  les  péchés  mêmes  qui  leur  ont 
été  remis  :  lugere  prœterita;  l'horreur  qu'ils 
en  ont  leur  fait  craindre  dene  pas  les  expier 
suffisamment.  Ils  déplorent  ces  moments 
qu'ils  ont  donnés  au  crime ,  qui  les  ont 
souillés  et  séparés  de  leur  Dieu,  et  ils  se  pré- 
cautionnent tellement  contre  les  amorces  et 
les  appâts  du  vice,  ils  combattent  avec  tant 
de  sévérité  leurs  penchants  et  leurs  inclina- 
tions qu'ils  ne  retombent  jamais  dans  les 
péchés  qu'ils  ne  cessent  de  pleurer  :  cavere 
futura. 

Vous  espérez,  chrétiens,  faire  votre  jubilé, 
mériter  la  grâce  que  l'Eglise  vous  offre  dans 
ce  saint  temps;  mais  il  faut  auparavant  être 
pénitent.  Or,  dit  saint  Ambroise  (lib.  IX, 
epist.  76),  il  faut  qu'un  pénitent  commence 
par  condamner  les  péchés  qu'il  a  eu  le  mal- 
heur de  commettre  :  débet  prius  damnare 
peccalum.  L'indulgence  dont  l'Eglise  use  à 
votre  égard  ne  doit  pas  vous  rendre  le  pé- 
ché moins  odieux. 

Ouoi!  des  chrétiens  souillés  de  péchés, 
épris  des  objets  du  monde,  qui  n'ont  encore 
fait  aucune  rupture,  qui  ne  se  sont  fait  au- 
cune violence,  attachés  aux  richesses,  peut- 
être  à  des  plaisirs  honteux,  qui  mènent  une 
vie  inutile,  ou  qui  ne  travaillent  que  pour 
la  terre,  qui  conservent  des  amitiés  dange- 
reuses ou  des  inimitiés  éclatantes,  qui  n'ont 
jamais  pleuré  leurs  péchés ,  qui  s'efforcent 
de  les  justifier,  qui  veulent  bien  s'en  con- 
fesser, mais  qui  ne  veulent  pas  sincèrement 
y  renoncer,  qui  en  redoutent  bien  les  suites, 
mais  qui  en  aiment  encore  les  douceurs, 
participeraient  à  la  grâce  du  jubilé,  parce 


373 


SUJETS  DEVERS.  —  SERMON  III  ,  PRECHE  A  L'OUVERTURE  DU  JUBILE. 


374 


qu'ils  feraient  quelques  prières,  quelques 
jeûnes  ,  quelques  aumônes  ,  quelques  sta- 
tions? Désabusez- vous,  mes  frères,  on  ne 
peut  point  gagner  d'indulgence  qu'on  ne 
soit  avant  réconcil  é  avec  Dieu,  et  on  n'est 
jamais  réconcilié  avec  Dieu  sans  la  haine  du 
péché  ;  c'est  pourquoi  il  faut  que  la  grâce 
du  jubilé  nous  inspire  de  l'horreur  du  péché, 
si  nous  voulons  sincèrement  la  mériter. 

Le  Calvaire  a  été  le  théâtre  de  l'amour  im- 
mense de  Jésus-Christ  pour  tous  les  hom- 
mes, puisque  c'est  là  qu'il  répand  son  sang 
pour  tous  sans  exception  :  cependant  cet 
amour  immense  de  Jésus-Christ  empêche- 
t-il  qu'il  n'y  ait  un  enfer  creusé  pour  le 
péché?  Si  le  péché  rend  les  souhaits  du  Sau- 
veur mourant  inutiles;  si  l'attache  au  péché 
rend  son  sang  inutile  dans  le  sacrement  de 
la  réconciliation,  comment  voulez-vous  pro- 
fiter de  la  grâce  du  jubilé,  si  vous  ne  détes- 
tez pas  le  péché,  si  vous  n'en  concevez  pas 
de  l'horreur. 

David  avait  une  juste  horreur  du  péché.  Il 
ne  se  rappellait  point  ses  faiblesses  comme 
une  image  flatteuse  des  douceurs  qu'il  avait 
goûtées,  mais  comme  une  image  effrayante  de 
ce  qu'il  avait  fait  contre  son  Dieu,  de  ces 
coupables  moments  qui  l'avaient  souillé,  et 
du  détestable  abus  qu'il  avait  fait  de  son  au- 
torité. C'est  pourquoi  il  disait  :  Sans  cesse, 
mon  péohé  s'élève  contre  moi:  Peccatum 
tneum  contra  me  est  semper.  (Psal.  L.)  Il  le 
voyait  toujours  avec  toutes  ses  horreurs.  Il 
lui  semble  voir  toujours  à  ses  côtés  l'ombre 
du  fidèle  Urie  qu'il  a  fait,  périr  inhumaine- 
ment,  et  l'opprobre  de  Bethsabée  qu'il  a 
déshonorée:  Peccatum  meum  contra  me  est 
semper. 

La  bonté  du  Seigneur,  le  pardon  qu'il  lui 
accorde  si  facilement,  la  parole  de  réconci- 
liation que  lui  porte  le  prophète  Nathan, 
n'ont  point  diminué  à  ses  yeux  la  laideur  et 
la  grandeur  du  péché.  Que  vous  seriez  cou- 
pables, chrétiens,  si  l'indulgence  que  l'Eglise 
vous  accorde  dans  ces  jours  diminuait  à  vos 
yeux  l'offense  que  le  péché  fait  au  Seigneur  1 
Si,  mettant  toute  votre  confiance  dans  cette 
grâce  qui  suppose  la  pénitence  et  la  haine 
du  péché,  vous  ne  portiez  au  tribunal  de  la 

Êénitence  ni  horreur  du  péché  ni  amour  de 
ieu,  vous  en  sortiriez  sans  être  réconciliés, 
et  par  conséquent  hors  d'état  de  profiter  du 
jubilé  !  Car  les  avantages  du  jubilé  no  détrui- 
sent pointla sévérité  delà  pénitence,  et  après 
nous  avoir  inspiré  de  l'horreur  du  péché,  ils 
doivent  même  nous  excitera  aimer  un  Dieu 
qui  nous  remet  nos  péchés  avec  tant  de 
bonté  et  de  magnificence. 

Ne  sortons  point  du  principe  que  nous 
avons  posé,  mes  frères,  souvenons-nous  tou- 
jours que  les  avantages  du  jubilé  ne  sont 
que  pour  les  vrais  pénitents,  pour  ceux  qui 
ont  porté  au  tribunal  les  dispositions  néces- 
saires pour  être  réconciliés  et  recevoir  di- 
gnement l'absolution. 

Or,  vous  le  savez,  une  des  conditions  es- 
sentielles pour  être  justifié  dans  le  sacrement 
de  pénitence,  c'est  de  commencer  à  aimer 
Dieu.  Telle  est  la  doctrine  du  saint  concile 


de  Trente.  La  grâce  du  jubilé  entendue  dans 
l'esprit  de  l'Eglise  n'y  donne  aucune  atteinte  : 
au  contraire,  comme  je  vais  vous  le  prouver, 
elle  doit  exciter  notre  amour. 

Serait-il  juste  qu'une  grande  miséricorde 
fermât  notre  cœur,  et  de  nous  croire  dispen- 
sés d'aimer  Dieu,  parce  qu'il  nous  comble 
de  ses  bienfaits?  A  Dieu  ne  plaise  que  je 
vous  représente  l'indulgence  que  l'Eglise 
accorde  dans  ce  saint  temps  comme  une  dis- 
pense des  règles  de  la  pénitence.  Je  vous 
abuserais,  et  j'abuserais  de  mon  ministère. 
Cette  grâce  regarde  les  peines  dues  aux  pé- 
chés qui  ont  été  remis.  Elle  les  abrège,  les 
commue  en  de  plus  légères;  mais  elle  ne 
change  pas  et  n'adoucit  point  les  disposi- 
tions que  l'Eglise  a  toujou"s  exigées  pour  re- 
cevoir l'absolution. 

Point  de  réconciliation  avec  Dieu,  dit  le 
saint  concile  de  Trente  (sess.  vi,  cap.  6),  si 
vos  cœurs  ne  se  tournent  vers  lui  et  ne  com- 
mencent à  l'aimer  comme  la  source  de  toute 
justice. 

Fausse  pénitence,  dit  saint  Augustin  (in 
psal.  XXX,  concione  prima),  que  celle  qui 
ne  renferme  point  la  haine  du  péché  et  l'a- 
mour de  Dieu.  Que  l'homme  n'y  compte 
point  :  Pœnitenliam  certain  non  "facit  nisi 
odium  peccati,  et  amor  Dei. 

Quoi  1  on  aura  livré  son  cœur  aux  créa- 
tures, le  monde  l'aura  possédé  tout  entier, 
l'idole  de  la  passion  y  aura  régné,  tous  les 
objets  du  monde  l'auront  occupé,  et  on  le 
refusera  au  Seigneur!  On  doutera  de  la  né- 
cessité de  l'aimer!  Dans  sa  conversion,  on 
fera  une  question  d'un  devoir  si  indispensa- 
ble !  Quelle  honte  pour  nous  ! 

Ce  n'est  point  une  chose  difficile  à  l'homme 
d'aimer,  dit  saint  Jérôme  (De  cuit.  Virg.)i 
Amare  nihil  difficile  homini.  Au  contraire, 
il  lui  est  difficile  de  ne  rien  aimer.  C'est 
pourquoi  si  Dieu  n'a  pas  une  place  dans  son 
cœur,  c'est  que  les  objets  terrestres  le  rem- 
plissent. Ah  !  l'Eglise  prétendrait-elle  ouvrir 
ses  trésors,  accorder  les  grâces  qui  lui  sont 
confiées  à  des  ingrats,  à  des  hommes  qui 
aiment  et  qui  se  font  gloire  d'aimer  les 
biens  fragiles  du  monde,  et  qui  n'aiment 
point  le  Créateur  du  ciel  et  de  la  terre? 

Ah!  ne  vous  contentez  pas  de  dire  (c'est 
saint  Augustin  qui  parle  [De  verbis  Apostoli, 
serm.  18,  cap.  9])  :  Je  crains  les  tourments 
de  l'enfer,  je  crains  de  brûler  dans  les  feux 
vengeurs,  je  crains  d'être  pendant  toute  une 
éternité  l'objet  de  la  colère  d'un  Dieu  : 
Gehennam  timeo  :  ardere  timeo  :  in  œternum 
puniri  timeo.  Cette  crainte  est  bonne  pour 
vous  disposer  à  la  justification;  mais  elle  ne 
peut  pas  vous  justifier.  Encore  n'est-elle  sou- 
vent en  vous  qu'une  crainte  servile,  que 
votre  mauvaise  disposition  rend  criminelle. 
Si  vous  craignez  simplement  de  brûler  avec 
les  démons,  continue  ce  Père  (Ibid.)  :  Yovs 
craignez  les  châtiments,  vous  ne  craiynez 
point  Dieu  :  Scrvilis  timor  est  quo  times  cum 
diabolo  ardere. 

Si  vous  craignez  de  déplaire  à  Dieu,  votre 
crainte  est  chaste  et  très-louable  :  Timor 
caslus  est  quo  times  Deo  displiccre.  Mais  iî 


375 


0I1ATEUB.S  SACRES.   BALLET. 


376 


faut  que  cette  crainte  salutaire  de  l'enfer, 
recommandée  dans  l'Ecriture,  qui  est  un  don 
du  Saint-Esprit,  et  que  le  saint  concile  de 
Trente  a  défendue  contre  les  erreurs  des 
hérétiques  des  derniers  temps,  introduise 
l'amour,  dit  saint  Augustin  :  ^  eniat  charitas. 
Celte  crainte  salutaire  vous  retient,  vous 
onserve  dans  la  piété  :  Custodiat  te  timor 
iste. 

Mais  après  qu'elle  vous  a  préparés,  qu'elle 
vous  a  saintement  saisis,  et  qu'elle  vous  a 
l'ait  retourner  à  votre  Dieu,  l'amour  entre 
dans  votre  cœur  et  en  bannit  la  crainte  :  In- 
Irat  charitas,  pellit  timorem. 

Et  s'il  reste  de  la  crainte  dans  les  saints, 
dans  ceux  qui  sont  sincèrement  convertis, 
c'est  cette  crainte  pure  et  sainte  dont  parle 
le  Prophète,  qui  demeure  toute  la  vie,  parce 
que  toute  la  vie  on  doit  craindre  de  déplaire 
à  son  Dieu  :  Timor  Domini  sanctus,  permu- 
nens  in  sœculum  sœculi.  (Psal.  XV11I.) 

Voilà  la  doctrine  de  l'Eglise,  chrétiens; 
voilà  ses  règles.  Elle  distingue  sagement  ce 
qui  est  utile  pour  disposer  le  pécheur  à  la 
justification  de  ce  qui  lui  est  nécessaire  pour 
être  justifié.  Or  ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'est 
que  Kamour  de  Dieu,  au  moins  commencé, 
est  une  disposition  nécessaire  pour  être  jus- 
tifié dans  le  tribunal  de  la  pénitence.  Toute 
doctrine  contraire  est  fausse. 

Or,  parce  que  nous  sommes  dans  un  temps 
d'indulgence,  s'ensuit-il  que  nous  soyons 
dispensés  d'aimer  Dieu?  Ses  bienfaits  doi- 
vent-ils faire  des  ingrats?  Et  parce  que  l'on 
nous  remet  beaucoup,  devons-nous  moins 
aimer?  Non,  chrétiens  ;  et  c'est  pourquoi  j'ai 
dit  que  la  grâce  du  jubilé  devait  exciter  notre 
amour.  Comprenez  cette  vérité  par  un  simple 
raisonnement  : 

Quelle  différence  y  a-t-il  entre  cette  con- 
fession que  vous  faites  pour  gagner  le  ju- 
bilé, et  les  autres  que  vous  faites  à  certaines 
solennités?  La  voici  :  Dans  celle-ci,  Dieu  use 
d'une  plus  grande  miséricorde  ;  il  vous  re- 
met les  peines  éternelles  et  une  partie  des 
lomporelles  :  il  use  d'indulgence.  Or  cette 
miséricordieuse  condescendance  du  Sei- 
gneur est-elle  un  titre  pour  vous  dispenser 
de  l'aimer?  Non  sans  doute,  ces  excès  de  sa 
clémence  doivent  augmenter  votre  amour. 

Qui  sont  ceux  qui  sont  plus  obligés  d'ai- 
mer? demandait  Jésus-Christ  à  Simon  le 
pharisien.  11  lui  répondit  :  Celui  à  qui  on  a 
plus  remis  :  Cui  plus  donavit.  {Luc,  VIL  ) 
Or  vous  êtes  ces  débiteurs  à  qui  on  remet 
beaucoup  dans  ce  temps  du  jubilé.  On  abrège 
votre  pénitence,  on  vous  remet  une  partie 
des  peines  temporelles  et  les  éternelles. 
Vous  êtes  donc  plus  obligés  d'aimer  :  Cui 
plus  donavit, 

Ah!  prenez-y  garde,  chrétiens,  Jésus-Christ 
ne  remet  beaucoup  qu'à  ceux  qui  aiment 
beaucoup  :  Remittuntur  ci  peccata  multa,  quia 
dilexit  multum.  (Ibid.) 

Ne  regardez  pas  le  jubilé  comme  un  temps 
de  relâchement,  où  les  habitudes  les  plus 
longues,  les  péchés  les  plus  scandaleux  sont 
effacés  sans  qu'on  éprouve  des  hommes  que 
la  seule  nouvelle  d'une  indulgence  a  traînés 


au  tribunal,  qui  n'ont  ni  douleur  ni  amour 
de  Dieu;  la  grâce  du  jubilé  n'est  que  pour 
les  pénitents  sincères,  disposés  à  pratiquer 
toutes  les  rigueurs  dont  ils  sont  capables. 

Oui,  chrétiens,  quelque  précieuse  que  soit 
la  grâce  du  jubilé,  elle  ne  vous  dispensera 
jamais  des  saintes  rigueurs  de  l'Evangile. 
Au  contraire,  si  vous  la  recevez  avec  de 
saintes  dispositions,  elle  vous  soutiendra 
dans  cette  voie  étroite,  tracée  à  tous  les  élus; 
elle  adoucira  ce  joug  que  le  Sauveur  leur  a 
imposé.  Les  vrais  chrétiens  ne  succombent 
point  sous  le  fardeau  de  la  croix. 

Ce  n'est  pas  concevoir  une  juste  idée  du 
bienfait  de  l'Eglise  que  de  le  regarder  comme 
un  titre  pour  marcher  dans  ces  routes  spa- 
cieuses qui  conduisent  à  la  mort,  pour  vivre 
dans  un  lâche  repos  et  une  coupable  indo- 
lence. Les  oracles  du  Sauveur  sont  infailli- 
bles ;  la  voie  est  étroite;  le  ciel  soutire  vio- 
lence, il  faut  faire  de  continuels  efforts,  por- 
ter sa  croix  et  suivre  Jésus-Christ.  11  n'a  point 
donné  à  son  Eglise  le  pouvoir  d'élargir  la 
route  du  ciel,  de  promettre  sa  conquête  au 
repos,  à  la  mollesse,  de  dispenser  les  hom- 
mes de  participer  à  sa  passion,  et  de  marcher 
dans  la  route  du  Calvaire.  O  divins  oracles 
sortis  de  la  bouche  d'un  Dieu!  Comment  les 
hommes  osent-ils  donc  vous  oublier,  vous 
mépriser?  Comment  ont-ils  la  témérité  de 
vous  expliquer  conformément  à  leur  déli- 
catesse, à  leurs  penchants  pour  la  mollesse, 
et  à  la  frayeur  qu'ils  ont  au  seul  nom  de 
mortification  et  de  rigueur  évangélique? 
Ignorent-ils  que  le  ciel  et  la  terre  passeront, 
mais  que  votre  parole  ne  passera  jamais? 

Quelle  est  donc  l'idée  de  ces  pécheurs  qui 
se  disent  convertis,  qui  croient  avoir  parti- 
cipé à  la  grâce  du  jubilé,  et  qui  se  croient 
par  là  dispensés  des  saintes  rigueurs  de 
î'Evang:le?  S'imaginent-ils  que  la  grâce  du 
jubilé  n'est  accordée  que  pour  faire  des 
lâches,  énerver  la  discipline  de  l'Eglise, 
opposer  au  crucifiement  de  J'Evangile  la 
mollesse  du  siècle,  et  ouvrir  les  portes  du 
ciel  à  des  pécheurs  qui  se  seront  lassés 
dans  les  routes  du  vice,  et  qui  n'auront  pas 
Voulu  entrer  dans  les  sentiers  de  la  vertu. 
Ah  !  si  l'Eglise,  par  tendresse,  veut  suppléer 
à  ce  que  vous  ne  pouvez  pas ,  elle  veut  avec 
son  divin  Maître  que  vous  fassiez  ce  que 
vous  pouvez.  Quelques  rigueurs  que  vous 
pratiquiez,  vous  avez  encore  besoin  d'indul- 
gence. 

Ecoutez  le  saint  concile  de  Trente,  chré- 
tiens, voyez  ce  qu'il  pense  de  ceux  qui  ont 
perdu  leur  innocence,  qui  sont  tombés 
dans  le  péché,  et  qui  sont  déchus  de  cette 
sainteté  qu'ils  avaient  reçue  dans  le  bap- 
tême; il  ne  désespère  point  le  pécheur 
par  un  système  de  sévérité  ;  il  ne  dispute 
point  à  l'Eglise  le  vrai  pouvoir  de  remettre 
les  péchés  :  il  ne  dit  point  avec  les  Monta- 
nistes,  qu'il  y  a  des  péchés  irrémissibles, 
ou  avec  les  Novatiens,  que  ceux  qui  sont 
tombés  après  leur  baptême  ne  doivent  pas 
être  réconciliés. 

L'Eglise  n'a  jamais  abattu  le  pécheur  par 
une  sévérité  outrée:  elle  ne  lui  a- jamais 


377 


SUJETS  DIVERS. 


SERM.  IN  ,  PRECHE  A  L'OUVERTURE  DU  JUBILE. 


378 


fermé  le  cœur  de  Jésus  :  mais  voyez  si  elle  a 
jamais  dispensé  Je  chrétien  qui  est  tombé 
des  saintes  rigueurs  de  l'Evangile  ;  et  si  elle 
a  jamais  enseigné  qu'on  pouvait  retrouver 
l'innocence  du  baptême  sans  de  grands 
efforts,  sans  larmes,  sans  travaux. 

Oui,  dit  le  saint  concile  de  Trente  (sess. 
xiv,  c.  2),  on  peut,  après  même  avoir  com- 
mis de  grands  crimes,  rentrer  en  grâce  avec 
Dieu,  recouvrer  la  vie  nouvelle,  et  l'intégrité 
qu'on  a  reçue  dans  le  baptême.  Ce  sont  là 
les  heureux  effets  du  sacrement  de  péni- 
tence :  c'est  pour  cela  que  Jésus-Christ  l'a 
institué.  Mais  ces  heureux  changements  ne 
s'opèrent  point  sans  efforts,  on  ne  rentre 
j  oint  dans  cet  état  d'innocence,  d'où  on 
était  déchu,  sans  beaucoup  de  larmes,  sans 
de  grands  travaux  :  sine  magnis  fletibus,  et 
laboribus  :  après  le  péché,  ia  pénitence  ou 
l'enfer.  Or  la  pénitence  dans  l'esprit  de 
l'Eglise  est  un  baptême  laborieux  :  laboriosus 
baplismus. 

i.ntendez-vous  parler  l'Eglise,  chrétiens, 
dans  ce  très-saint  concile,  croit-elle  avec 
vous  qu'il  soit  si  facile  d'être  parfaitement 
ré  oncilié  avec  Dieu  ?  Y  a-t-il  quelque  Ghose 
qui  autorise  ces  systèmes  de  tranquillité, 
de  sécurité,  de  mollesse,  qui  rassurent  les 
j  énitents  de  nos  jours ,  surtout  dans  ce 
temps  de  jubilé  où  l'on  se  croit  dispensé  de 
la  pénitence  dont  on  est  capable,  parce  que 
l'Eglise  veut  bien  suppléer  aux  satisfactions 
dont  nous  sommes  incapables? 

Ah  !  si  vous  n'êtes  pas  dans  une  tristesse 
salutaire  :  si  vous  ne  répandez  pas  des  lar- 
mes amères,  dit  saint  Bernard  (in  capite  3e- 
j<tnii,  serai.  2),  vous  ne  sentez  pas  la  profon- 
deur de  vos  plaies,  vous  ignorez  la  grandeur 
de  l'offense  que  le  péché  a  faite.  Vous  croyez 
Être  guéris,  et  vous  ne  l'êtes  pas  :  Si  non  p'an- 
gis,  non  sentis  animœ  vulnera.  Voyez  tous 
les  illustres  pénitents  qui  ont  mérité  de  re- 
cevoir le  pardon  de  leurs  péchés,  qui  ont 
été  absous  par  un  Dieu  même,  se  sont-ils 
épargnés?  Les  David,  les  saint  Pierre, 
les  Magdeleine  ont-ils  cessé  de  pleurer  et 
de  gémir?  L'Eglise  ne  nous  propose-t-elle 
pas  les  saintes  rigueurs  qu'ils  ont  exercées 
sur  eux,  aussi  bien  que  la  bonté  de  leur 
Dieu?  Si  vous  admirez  la  clémence  du  Sei- 
gneur, vous  admirerez  aussi  leur  pénitence. 
Us  se  ressouvenaient  de  leurs  égarements, 
pour  les  expier  par  de  salutaires  amertumes. 
Us  ne  croyaient  pas  qu'il  leur  fût  permis  de 
goûter  même  des  douceurs  innocentes  après 
s'être  souillés  par  de  coupables  plaisirs.  Ah! 
vous  n'êtes  tranquilles,  vous  ne  redoutez 
lec  saintes  rigueurs  de  la  pénitence,  que  parce 
que  vous  n'êtes  pas  sincèrement  convertis. 
La  clémence  d'un  Dieu  offensé  a  toujours 
armé  les  vrais  pénitents  contre  eux-mêmes  : 
Si  non  plangiè,  non  sentis  animœ  vulnera.  ' 

Parce  qu'on  ouvre  dans  ce  saint  temps  les 
trésors  de  la  miséricorde  divine,  qu'on  use 
d  indulgence,  que  la  bonté  de  Dieu  ne  se 
fait  aucune  réserve,  le  péché  en  est-il  moins 
grand?  Dieu  en  a-t-il  été  moins  offensé? 
Méritc-t-il  moins  d'être  pleuré  et  expié? 
Le  Seigneur,  dit  saint  Ambroise  (De  pœnit., 


lib.  II,  cap.  6),  a  commandé  à  ses  prophètes 
de  pleurer  sur  les  péchés  de  son  peuple. 
Jésus-Christ  a  pleuré  sur  l'ingrate  Jérusa- 
lem, parce  qu'elle  était  endurcie,  et  qu'elle 
ne  voulait  pas  pleurer  ses  coupables  égare- 
ments^ Quia  ipsaflere  nolebat. 

Ah  !  voulez-vous  forcer  aussi  Jésus-Christ 
à  pleurer  votre  étonnante  tranquillté?  Rien 
de  plus  criminel  et  de  plus  terrible  ,  dit 
saint  Bernard  (De  modo  bene  vivrndi  ad  soro- 
rem,  27),  que  de  n'être  point  touché  de  ses 
crimes,  que  de  ne  point  répandre  des  larmes 
sur  ses  coupables  années.  La  perte  d'un 
Dieu  ne  mérite-t-elle  pas  d'être  pleurée, 
aussi  bien  que  la  perte  d'un  objet  temporel? 
N'est-il  pas  honteux  que  vous  répandiez  si 
facilement  des  larmes  pour  un  monde  qui 
vous  échappera,  et  que  vous  n'en  répandiez 
jamais  pour  un  Dieu  que  vous  avez  offensé 
et  qui  vous  jugera?  Nihil  pejus  quam  cul- 
pam  cognoscere,  nec  flere. 

On  ne  vous  demande  pas,  chrétiens,  des 
austérités  singulières.  Dieu  n'exige  pas,  dit 
saint  Chrysostome  (De  compunctione  cordis, 
lib.  II) ,  que  vous  quittiez  les  ornements 
convenables  à  votre  état,  pour  vous  couvrir 
d'un  sac,  et  gémir  sous  un  cilice.  On  ne 
vous  fait  pas  une  loi  de  vous  enfermer  dans 
un  cloître,  ou  de  quitter  vos  familles,  pour 
aller  vous  cacher  dans  la  solitude  :  Non  rc- 
quirit  Deus  ciliciorum  pondus,  neque  in  obs- 
cur is  untris  sedere  jubet. 

Mais  on  vous  demande  un  genre  de  péni- 
tence proportionné  à  vos  péchés;  un  plan  de 
vie  qui  expie  le  passé,  et  qui  vous  précau- 
tionne  contre  l'avenir;  un  ressouvenir  amer 
de  vos  iniquités;  une  sainte  défiance  d< 
vous-même;  une  fermeté  assez  généreuse 
pour  immoler  tout  ce  qui  peut  vous  plaire, 
et  embrasser  tout  ce  qui  peut  vous  gêner, 
pour  renoncer  aux  plaisirs  permis,  après 
vous  être  livrés  aux  plaisirs  criminels;  pour 
punir  une  chair  coupable,  au  lieu  d'exciter 
ses  révoltes  pour  le  repos  et  les  délices  ; 
pour  venger  le  Seigneur  offensé,  et  ne  plus 
offenser  un  Dieu  qui  vous  a  pardonné  :  ces 
saintes  rigueurs  ne  sont  pas  si  faciles  que 
vous  le  pensez,  dit  saint  Chrysostome  (homi- 
lia  hl  in  Mallh.)  ;  Non  parvus  est  hic  crucia- 
tus  animœ. 

Mais  peut-être  me  direz-vous,  chrétiens  : 
Où  est  donc  l'avantage  du]  jubilé,  si  nous 
sommes  encore  obligés  d'expier  nos  péchés? 
Et  moi  je  vous  répondrai  :  Où  est  donc- la 
haine  du  péché,  la  douleur  du  pécheur,  l'a- 
mour de  Dieu,  si  on  oublie  sitôt  son  péché; 
si  on  n'expie  pas  ses  péchés,  si  on  ne  se 
précautionne  contre  le  péché,  si  on  s'expose 
à  commettre  encore  le  péché?  Le  jubilé, 
comme  je  vais  bientôt  vous  le  prouver,  sup- 
plée à  notre  insuffisance  lorsqu'il  faut  réparer 
le  péché,  mais  il  ne  nous  dispense  pas  deg 
rigueurs  que  nous  pouvons  pratiquer  poui 
satisfaire  un  Dieu  offensé  par  le  péché. 

Dieu  avait  oit  à  David,  à  la  Madeleine,  que 
leurs  péchés  étaient  remis;  jamais  indul- 
gence ne  fut  plus  solennelle,  jamais  réconci- 
lation  ne  fut  plus  certaine:  cependant  Dieu 
a-t-il  été  obligé  de  dire  à  ces  pécheurs  ré- 


370 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


380 


conciliés  :  Faites  pénitence,  pratiquez  de 
saintes  rigueurs.  N'ont-ils  pas,  jusqu'au  tom- 
beau, expié  dans  les  larmes,  les  soupirs,  les 
jeûnes  et  les  macérations,  le  fol  amour  qui 
les  avait  éloignés  de  leur  Dieu?  La  clémence 
du  Seigneur  les  a  armés  avec  une  sainte  in- 
dignation contre  eux-mêmes.  Pourquoi  l'in- 
dulgence de  ce  saint  temps  ferait-elle  des 
plus  grands  pécheurs  autant  de  lâches  et  de 
chrétiens  délicats? 

Regarderons  -  nous  comme  des  pénitents 
sincèrement  convertis  après  ce  temps  deju- 
b.lé  ces  hommes,  dit  saint  Ambroise,  qui 
paraissent  avec  le  même  faste,  le  même  or- 
gueil, que  l'on  voit  occupés  de  leurs  plaisirs, 
au  lieu  de  penser  à  leurs  péchés;  qui  recher- 
chent avec  ardeur  les  divertissements,  les 
spectacles,  au  lieu  de  pleurer  et  de  gémir  sur 
leurs  égarements  passés;  qui  ne  se  précau- 
tionnent point  contre  les  appâts  du  vice,  et 
qui  redoutent  les  exercices  qui  peuvent  en- 
tretenir la  vertu;  qui  commettent  de  nou- 
veaux péchés,  au  lieu  d'expier  les  anciens, 
et  qui  persévèrent  dans  une  vie  mondaine, 
après  n'avoir  montré  qu'une  piété  passagère? 
Ces  femmes  qui  sont  si  faibles  quand  il  s'a- 
git de  faire  pénitence,  et  si  fortes  quand  il 
faut  porter  le  fardeau  de  la  vanité;  qui  se 
mettent  à  la  torture  pour  paraître  avec  grâce, 
et  qui  opposent  leur  délicatesse  quand  on 
leur  parle  des  mortifications  de  l'Evangile; 
qui  résistent  a  de  longues  séances  de  jeu,  à 
de«  plaisirs  fatigants,  à  des  veilles  conti- 
nuelles, et  qu'un  jeûne  ou  la  longueur  d'un 
ofïï  e  incommodent  et  rebutent;  que  le  plai- 
sir seul  tire  de  la  mollesse  et  de,  l'oisiveté, 
et  qui  portent  dans  les  assemblées  des  chré- 
tiens les  ennuis  que  les  cercles  du  monde 
seuls  peuvent  charmer? 

Ah!  dit  saint  Ambroise  {De,  pœnit.  lib.  II, 
cap.  9),  doit-on  voir  des  pénitents  s'efforcer 
de  plaire  au  monde,  désirer  de  briller  dans 
ses  assemblées,  eux  qui  doivent  le  reste  de 
leurs  jours  pleurer  et  gémir  :  Qaos  lugere  et 
oemere  oportebat?  Doit-on  voir  encore  avec 
les  ornements  de  la  vanité,  plongées  dans  la 
mollesse  ou  exposées  aux  amorces  du  plai- 
sir, des  femmes  qui  ont  tant  de  fautes  à  ex- 
pier, et  qui  devraient,  dans  un  saint  désor- 
dre et  sous  des  vêtements  simples  et  mo- 
destes, pleurer  ces  attraits  et  ces  grâces  si 
funestes  à  l'innocence  ?  Quœ  se  ipsas  flcre 
debebant. 

Ah  !  chrétiens  ,  c'est  là  le  déplorable  aveu- 
glement de  nos  jours;  on  croit  qu'il  est  né- 
cessaire de  gagner  l'indulgence  du  jubilé; 
on  ne  croit  pas  qu'il  soit  nécessaire  d'être 
pénitent:  cependant  les  avantages  du  jubilé 
ne  détruisent  pas  la  sévérité  de  la  pénitence, 
ils  ne  font  que  suppléer  à  l'imperfection  de 
notre  pénitence;  je  vais  vous  le  prouver  en 
peu  de  mots  dans  la  seconde  partie. 

SECONDE    PAIITIK. 

Après  vous  avoir  saintement  effrayés, 
chrétiens,  je  veux  vous  consoler  utilement. 
J'ai  suivi  les  règles  de  l'Eglise  dans  tout  ce 
que  je  vous  ai  dit  jusqu'à  présent;  je  ne  m'en 
écarterai  pas  non  plus  dans  les   motifs  de 


consolation  que  je  vais  vous  présenter:  mais 
vous  ne  verrez  point  d'autre  fondement  de 
nos  espérances  que  la  pénitence. 

Si  nous  n'avions  point  d'autre  satisfaction 
à  offrir  à  Dieu  pour  nos  péchés  que  la  péni- 
tence dont  nous  sommes  capables,  nous  se- 
rions toujours  malheureux,  parce  qu'elle 
serait  toujours  insuffisante;  mais  les  mérites 
de  Jésus-Christ  joints  à  nos  efforts  rendent 
noire  pénitence  utile  et  suffisante. 

Or  comme  la  grâce  du  jubilé  est  une  effu- 
sion abondante  des  mérites  du  Sauveur,  voici 
ses  avantages  :  La  grâce  dujubilé  doit  nous 
rassurer  sur  l'insuffisance  de  notre  péni- 
tence, parce  qu'e.lle  lui  donne  un  prix  infini. 
La  grâce  dujubilé  doit  nous  rassurer  sur  la 
sévérité  que  doit  avoir  notre  pénitence,  parce 
qu'elle  supplée  aux  rigueurs  dont  nous  som- 
mes incapables.  La  grâce  du  jubilé  doit  nous 
rassurer  sur  la  longueur  de  notre  pénitence, 
parce  qu'elle  remet  une  partie  des  peines 
temporelles.  Mais  pensez  toujours  que  ces 
avantages  suppléent  à  ce  que  nous  ne  pou- 
vons pas,  et  non  pas  à  ce  que  nous  ne  voulons 
pas.  C'est  aux  vrais  pénitents  que  je  parle  : 
ces  avantages  sont  pour  eux  seuls. 

Oui,  c'est  à  vous,  pénitents  sincères,  qui, 
touchés  de  vos  crimes  et  effrayés  des  rigueurs 
que  Dieu  exige  d'un  cœur  coupable,  vous 
êtes  mis  en  état  de  profiter  de  la  grâce  du 
jubilé,  que  je  parle;  c'est  à  ceux  qui  se  sont 
représenté  avec  douleur  un  Dieu  offensé, 
qui  n'ont  vu  qu'avec  confusion  l'opprobre 
d'une  jeunesse  licencieuse,  des  années  écou- 
lées dans  l'oubli  de  Dieu,  dans  des  amuse- 
ments criminels  et  des  sollicitudes  mon- 
daines; qui  gémissent  de  leurs  coupables 
attaches  et  d'une  longue  résistance  à  la  grâce, 
que  je  vais  faire  connaître  les  avantages  du 
jubilé. 

Pour  ces  hommes  de  péchés  d'habitude, 
livrés  au  monde,  et  que  le  monde  occupe 
tout  entier  ;  que  la  nouvelle  du  jubilé  remue 
et  ne  convertit  pas;  qui  pensent  à  la  facilité 
d'obtenir  le  pardon  de  leurs  péchés;  qui  ne 
pensent  pas  à  les  détester;  qui  se  flattent  des 
avantages  de  l'indulgence,  et  qui  affectent 
d'ignorer  ce  qu'il  faut  faire  pour  la  mériter; 
qui  la  regardent  comme  un  baptême  qui  efface 
toutes  les  traces  du  péché,  mais  qui  ignorent 
que  c'est  un  baptême  laborieux,  un  baptême 
de  rigueurs,  une  grâce  qui  supplée  à  ce  qu'ils 
ne  veulent  pas,  et  dont  le  sort  est  de  faire 
des  lâches,  des  impénitents,  des  hommes 
tranquilles;  le  jubilé  ne  fera  que  les  rendre 
plus  criminels.  Ces  jours  de  salut  sont  pour 
eux  des  jours  d'abus,  de  profanation.  Les 
cent  années  que  la  bonté  de  Dieu  a  accordées 
aux  hommes  avant  le  déluge  n'ont  fait 
qu'augmenter  leur  désespoir  le  jour  de  ses 
vengeances.  Le  seul,  Noé,  qu'une  crainte  sa- 
lutaire avait  animé  à  la  construction  de  l'ar- 
che, échappa  avec  sa  famille  à  ce  châtiment 
universel. 

Dans  plusieurs  endroits  de  l'Ecriture,  et 
lorsqu'il  s'agit  des  plus  fameux  pécheurs, 
des  villes  entières,  des  empires,  nous  voyons 
toujours  un  temps  d'indulgence  et  un  temps 
de  sévérité;  ceux  qui  ne  profitent  pas  du 


381 


SUJETS  DIVERS.  -  SERM.  IU,  PRECHE  A  L'OUVERTURE  DU  JURILE. 


582 


îernps  de  la  miséricorde  périssent  dans  le 
temps  de  la  colère;  mais  jamais  on  ne  pourra 
me  |  roduire  un  seul  exemple  d'un  pécheur 
qui  ait  obtenu  miséricorde  sans  la  haine  du 
péché,  sans  amour  de  Dieu,  sans  larmes, 
sans  jeûnes,  sans  rigueurs.  Les  larmes,  les 
regrets,  les  promesses  d'Antiochus  n'ob- 
tinrent pas  miséricorde,  parce  que  le  temps 
de  la  miséricorde  était  passé.  Les  larmes 
et  les  jeûnes  des  Ninivites  arrêtèrent  le 
bras  du  Seigueur  irrité,  parce  qu'ils  pro- 
fitèrent du  peu  de  temps  que  sa  clémence 
leur  avait  accordé.  Que  ceux  dont  le  cœur 
.  n'est  point  changé,  déchiré,  contrit,  ne  comp- 
tent point  sur  la1  grâce  du  jubilé;  ce  n'est 
pas  à  eux  que  je  représente  ses  avantages. 
C'est  à  vous,  chrétiens,  qui  êtes  entrés 
dans  l'esprit  de  l'Eglise  toujours  le  même, 
qui  avez  embrassé  les  saintes  rigueurs  de  la 
pénitence.  Vous  tremblez,  parce  que  vous 
pensez  à  l'insuffisance  de  votre  pénitence  ; 
rassurez-vous,  la  grâce  du  jubilé  lui  donne 
un  prix  infini. 

Développons  ici,  chrétiens,  autant  qu'il  est 
en  nous  et  en  peu  de  mots,  la  céleste  doctrine 
de  l'apôtre  saint  Paul  sur  notre  insuffisance; 
il  y  a  de  quoi  nous  humilier,  il  y  a  de  quoi 
nous  consoler. 

Ne  soyons  pas  assez  orgueilleux  et  assez 
ingrats,  dit  ce  grand  apôtre,  pour  nous  croire 
capables  de  faire  ou  de  penser  même  le  bien. 
Sans  Jésus-Christ  et  sa  gvâce,  nous  ne  pou- 
vons rien  faire  d'agréable  à  Dieu  et  de  méri- 
toire. Toutes  les  rigueurs  dont  nous  sommes 
capables,  séparées  des  mérites  du  Sauveur, 
ne  peuvent,  point  satisfaire  la  justice  divine; 
toute  notre  suffisance  vient  de  lui  :  Sufficien- 
tia  nostra  ex  Deo  est.  (II  Cor.,  III.) 

Si  nos  larmes,  nos  soupirs,  nos  jeûnes,  nos 
prières,  nos  aumônes,  et  toutes  les  rigueurs 
dont  nous  sommes  capables,  fléchissent  la 
colère  du  Seigneur  irrité  contre  nous,  dé- 
sarment son  bras  vengeur,  ferment  l'enfer 
ouvert  sous  nos  pieds,  ouvrent  le  ciel  qui 
nous  était  fermé,  ce  n'est  point  nous  qui  leur 
donnons  ce  prix  qui  les  fait  accepter;  c'est 
Jésus-Christ  qui  leur  donne  cette  suffisance, 
qui  satisfait  la  justice  divine,  qui  nous  ré- 
concilie avec  Dieu  -.Sufftcientia  nostra  ex  Deo 
est.  C'est  lui  qui  est  notre  justice,  notre  sanc- 
tification, notre  rédemption  :  Factus  est  no- 
bis  justitia,  et  sanctificatio,  et  redemptio.  (I 
Cor.,  I.) 

Or,  selon  cette  céleste  doctrine,  chrétiens, 
examinons  ce  qui  doit  saintement  vous  ef- 
frayer, et  ce  qui  doit  absolument  vous  con- 
soler. Vous  ne  pouvez  rien  par  vous-mêmes 
dans  l'ordre  du  salut.  Les  injustices,  les  hai- 
nes, les  vengeances,  les  colères,  les  men- 
songes, les  intempérances,  les  impuretés, 
voilà  malheureusement  ce  que  l'homme  peut 
par  lui-même,  les  excès  dans  lesquels  il 
tombe  librement.  Détester  ses  crimes,  les 
quitter,  les  pleurer,  les  expier,  les  effacer, 
voilà  ce  qu'il  ne  peut  par  lui-même  sans  la 
grâce,  fruit  précieux  du  sang  d'un  Dieu. 

Or  voilà  ce  qui  doit  saintement  vous  ef- 
fraver.  L'homme  peut  tomber  de  lui-même, 
mais  il  ne  peut  se  relever  par  ses  propres 


forces.  Tel  est  l'ordre  de  Dieu,  afin  que 
l'homme  ne  se  glorifie  pas  en  lui-môme,  et 
qu'il  n'ait  point  la  témérité  de  présenter  à 
Dieu  ses  bonnes  œuvres  comme  son  propre 
ouvrage  :  Ut  non  glorietur  omnis  caro  incon- 
spectu  ejus.  (I  Cor.,  I.) 

Mais  voici  ce  qui  doit  vous  consoler,  pé- 
nitents sincères  :  c'est  que  ce  que  vous  ne 
pouvez  pas  par  vous-mêmes,  vous  le  pouvez 
avec  Jésus-Christ,  et  vous  pouvez  dire  avec 
l'Apôtre  :  Je  puis  tout  en  celui  qui  me  sou- 
tient :  Omniapossum  in  eo  qui  me  confortât. 
[Philipp.,  IV.) 

Je  peux  tout  avec  Jésus-Christ;  je  peux, 
avec  Jésus-Christ,  rompre  les  chaînes  crimi- 
nelles qui  m'attachent  au  char  du  démon; je 
peux  sortir  de  l'abîme  du  péché,  le  haïr,  le 
détester,  l'expier,  l'effacer  :  Omnia  possum 
in  eo  qui  me  confortât. 

Mes  larmes,  mes  soupirs,  mes  jeûnes,  mes 
aumônes,  les  rigueurs  que  je  pratique,  mê- 
lées avec  le  sang  de  Jésus-Christ,  jointes  aux 
mérites  de  Jésus-Christ,  peuvent  sûrement 
apaiser  le  Seigneur  irrité  contre  moi,  désar- 
mer son  bras  appesanti  sur  ma  tête  crimi- 
nelle, arrêter  s'es  vengeances,  me  restituer 
dans  son  amitié,  et  me  réconcilier  parfaite- 
ment avec  lui  :  Omnia  possum  in  eo  qui  me 
confortât. 

Les  mérites  de  mon  Sauveur  donnent  une 
efficace,  un  prix  infini  à  ma  pénitence.  Sans 
ces  mérites  je  pleurerais,  je  gémirais  inuti- 
lement, je  serais  toujours  coupable  aux  yeux 
de  Dieu,  il  verrait  toujours  en  moi  un  cri- 
minel impuissant  pour  le  satisfaire;  avec  ces 
mérites,  mes  larmes  effacent  mes  iniquités, 
mes  soupirs  sont  écoutés,  mes  jeûnes  salu- 
taires, mes  aumônes  reçues  favorablement, 
les  rigueurs  que  je  pratique  ont  le  mérite 
d'un  sacrifice,  d'une  immolation;  rien  n'est 
inutile;  tout  sert  à  mon  salut  :  Omnia  possum 
in  eo  qui  me  confortât. 

Cette  doctrine  est  consolante,  elle  humilie 
l'orgueil  de  l'homme;  mais  elle  relève  son 
courage  abattu.  Or,  chrétiens,  c'est  de  cette 
doctrine,  que  les  seuls  ingrats  peuvent  ré- 
voquer en  doute,  que  je  tire  le  crémier  avan- 
tage du  jubilé. 

Dans  tous  les  temps  de  l'année,  lorsque 
vous  vous  confessez  avec  de  saintes  disposi- 
tions, ce  sont  les  mérites  de  Jésus-Chiist  qui 
vous  obtiennent  miséricorde.  C'est  son  sang 
qu'on  vous  applique;  c'est  par  sa  force  et 
son  efficace  que  l'on  vous  remet  vos  péchés 
quant  à  la  coulpe,  c'est-à-dire  quant  à  l'of- 
fense. Vous  sortez  absous  du  tribunal,  mais 
vous  n'en  sortez  pas  quittes  envers  la  justice 
divine.  Il  y  a  des  peines  temporelles  pour 
le  péché  qui  a  été  remis,  des  satisfactions  à 
faire  à  un  Dieu  offensé  par  le  péché. 

Or  voici  le  premier  avantage  du  jubilé  : 
ce  n'est  point  autre  chose  qu'une  effusion 
abondante  et  extraordinaire  des  mérites  de 
Jésus-Christ,  une  tendre  condescendance 
de  l'Eglise  pour  vous  décharger  d'une  par- 
tie des  rigueurs  que  vous  devez  exercer 
sur  vous-mêmes.  La  grâce  du  jubilé  donne 
un  prix  infini  à  votre  pénitence,  elle  reme* 
les  peines  temporelles  telles  que  Dieu  a  droi' 


3S3 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


ZU 


de  les  cx'ger  el  elle  rend  suffisantes  celles 
que  vous  êtes  capables  de  pratiquer.  O  pré- 
cieux avantage! 

Entendez-le  dans  l'esprit  de  l'Eglise,  et, 
pour  ne  point  vous  tromper,  mes  frères, 
j  ensez  que  cette  grande  indulgence  remet  ce 
que  l'homme  ne  peut  pas,  et  non  point  ce 
quM]  ne  veut  ;  as;  ce  que  Dieu  pourrait  exi- 
ger dans  sa  sévérité,  et  non  pas  ce  qu'il  exige 
dans  sa  miséricorde;  ce  que  mérite  le  péché, 
et  non  pas  ce  que  le  pécheur  peut  faire  après 
avoir  péché. 

Elle  doit  nous  rassurer  sur  la  sévérité  que 
doit  avoir  notre  pénitence,  parce  qu'elle  sup- 
plée aux  saintes  rigueurs  dont  nous  sommes 
incapables,  et  non  point  pour  rassurer  dans 
les  frayeurs  que  nous  avons  pour  le  seul  nom 
de  pénitence. 

J'entre,  comme  vous  voyez,  dans  le  se- 
cond avantage  du  jubilé,  où  il  s'agit,  en  con- 
solant les  vrais  pénitents,  de  combattre  les 
erreurs  de  ceux  qui  s'imaginent  que  le  ju- 
bilé dispense  de  la  pénitence  dont  on  est  ca- 
pable, parce  qu'il  remet  en  partie,  c'est-à-dire, 
pour  ce  qui  n'est  pas  possible  à  notre  fai- 
blesse, les  peines  temporelles  dues  au  péché. 

Ah!  qui  me  donnera  ces  traits  vifs  et  en- 
flammés des  prophètes,  pour  représenter  la 
grandeur  du  péché,  et  les  rigueurs  qu'il  exige 
ue  ceux  qui  en  sont  souillés. 

Car  je  vois  tous  les  pécheurs  frappés  d'un 
aveuglement  d'autant  plus  déplorable  qu'il 
est  spirituel  et  qu'il  conduit  à  la  perte  de 
l'âme.  En  quoi  ronsiste-t-il,  cet  aveuglement? 
Saint  Cyprien  [De  lapsis)  nous  l'apprend  :  Ce 
sont  i\es  aveugles  spirituels,  dit-il:  Percussi 
stnt  anirni  cœcitale;  tellement  enveloppés 
dans  les  ténèbres  que  produit  la  passion, 
qu'ils  ne  comprennent  ni  la  grandeur  du  pé- 
ché, ni  la  nécessité  de  le  pleurer  amèrement  : 
Ut  nec  intelligent  delccta  nec  plangant. 

Remarquez  ces  deux  caractères  de  leur 
aveuglera  jut  :  ne  point  concevoir  la  grandeur 
du  péché,  et  ne  point  se  mettre  en  peine 
d'expier  le  péché.  N'est-ce  pas  là  ce  que  nous 
voyons  dans  tous  ceux  qui  font  consister  la 
pénitence  dans  une  confession,  faite  quelque- 
fois sans  douleur,  et  qui  ne  regardent  pas 
les  avantages  du  jubilé  avec  l'esprit  de  l'E- 
glise. 

Ah!  continue  saint  Cyprien  (Ibid.),  il  faut 
que  notre  pénitence  réponde  à  nos  péchés; 
il  faut  que  des  larmes  abondantes  et  amères, 
des  jeûnes  longs  et  austères-,  des  exercices 
pénibles  et  laborieux,  la  retraiteet  le  silence, 
les  veilles  et  la  prière,  expient  ces  joies  cri- 
minelles, ces  sensualités  et  ces  excès;  ce  lâ- 
che  repos  et  cette  criminelle  oisiveté;  cette 
continuelle  dissipation  et  ces  conversations 
licencieuses;  ces  longues  séances  de  jeu  et 
ces  assemblées  profanes.  Il  faut  que  l'es  ri- 
gueurs de  la  pénitence  soient  proportionnées 
aux  criminelles  douceurs  du  péché  :  Quant 
magna  deliquimus,  tant  grandîter  defleamus; 
que  la  grandeur  de  votre;  pénitence  égale  la 
grandeur  du  péché  que  vous  avez  commis. 
Prenez  garde  de  vous  épargner  :  ce  n'est 
point  faire  pénitence,  que  de  ne  la  point 
faire  assez  rigoureuse  ;  on  ne  doit,  pas  se  dé- 


rober à  ses  rigueurs,  quand  on  s'est  livré  aux 
douceurs  mortelles  du  trime  :  Pœnitentia 
crimine  minor  non  sit. 

Ce  n'est  pas  concevoir  une  juste  idée  des 
avantages  du  jubilé  quand  on  s'imagine  qu'il 
dispense  entièrement  des  rigueurs  dont 
nous  sommes  capables.  Consultez  tous  les 
plus  illustres  pénitents,  tous  les  grands  ob- 
jets que  la  foi  nous  présente;  et  désabusez- 
vous.  Sivousne  faites  point  pénitence,  trem- 
blez, malgré  la  grâce  du  jubilé.  Si  vous  pra- 
tiquez les  rigueurs  dont  vous  êtes  capables, 
rassurez-vous,  la  grâce  du  jubilé  supplée  à 
ce  que  vous  ne  pouvez  pas,  aux  rigueurs 
dont  yous  êtes  incapables,  et  qu'un  Dieu  of- 
fensé a  cependant  droit  d'exiger. 

Paraissez  ici,  fameux  déserts  de  la  Thé- 
baïde,  de  Scélé  et  de  Nitrie  :  vous  avez  été 
peuplés  d'illustres  !pénitents  qui  conce- 
vaient une  juste  idée  de  la  grandeur  du  pé- 
ché. Après  plusieurs  années  écoulées  dans 
les  larmes,  les  veilles,  les  austérités  les  plus 
rigoureuses,  ils  redoutaient  encore  les  ven- 
geances d'un  Dieu  offensé  par  le  péché. 

On  a  vu  le  grand  Hilarion  trembler  aux 
approches  de  la  mort.  Soixante  et  dix  années 
passées  dans  la  solitude,  et  dans  les  exer- 
cices laborieux  d'une  pénitence  qui  tenait  du 
prodige,  le  rassuraient  à  peine. 

Des  hommes,  courbés  sous  la  haire  et  le 
cilice,  qui  dormaient  peu,  qui  ne  mangeaient 
presque  point,  qui  travaillaient  beaucoup, 
qui  priaient  continuellement,  appréhen- 
daient de  ne  point  expier  suffisamment  leurs 
péchés. 

L'histoire  de  ces  hommes  merveilleux 
nous  apprend  que  plusieurs  s'erfermaient 
dans  des  étroites  prisons,  qu'ils  étaient  conti- 
nuellement baignés  de  leurs  pleurs,  qu'ils  s'a- 
nimaient à  desaintes  cruautés  pour  expier  les 
fautes  qu'ds  avaient  commises  dans  le  monde; 
que  l'image  de  ces  coupables  plaisirs,  qu'ils 
avaient  goûtés  en  passant,  les  jettait  dans  de 
saintes  frayeurs,  et  qu'ils  ne  comptaient  sur 
les  miséricordes  du  Seigneur  qu'autant  qu'i.s 
persévéraient  jusqu'à  la  mort  dans  les  ri- 
gueurs déjà  pénitence. 

O  hommes  de  pénitence  1  Vous  conceviez 
une  juste  idée  du  péché;  vous  ne  mettiez 
point  de  bornes  à  la  bonté  de  votre  Dieu, 
mais  aussi  vous  n'en  mettiez  point  à  votre 
zèle  pour  le  venger  :  vous  pratiquiez  les  ri- 
gueurs dont  vous  étiez  capables  et  sa  clé- 
mence suppléait  à  celles  dont  vous  étiez 
incapables. 

Pensez  de  même,  pécheurs  d'habitude,  pé- 
cheurs scandaleux,  qui  voulez  profiter  de  la 
grâce  du  jubilé, et  vous  en  connaîtrez  l'avan- 
tage, selon  l'esprit  de  l'Eglise  ;  vous  ferez  ce 
que  vous  pourrez  pour  expier  vos  coupables 
années,  et  l'indulgence  que  le  souverain  pon- 
tife accorde  suppléera  à  ce  que  vous  ne 
pouvez  pas.  Penser  autrement,  c'est  vouloir 
faire  l'Eglise  complice  d'un  relâchement  et 
d'une  morale  qu'elle  a  condamnée  dans  tous 
ses  conciles.  Le  cœur  seul  du  pécheur  ira;-  é- 
nitent  est  capable  de  les  adopter. 

Fameux  pécheurs,  qui  avez  péri  sous  la 
main  vengeresse  d'un  Dieuoffensepar  vospô- 


585 


SUJETS  DIVERS.  —  SERM.  III,  PRECHE  A  L'OUVERTURE  DU  JUBILE. 


385 


chés;  inondations  générales  qui  avez  ense-' 
veli  des  hommes  de  péché  dans  vos  abîmes  ; 
anges  du  Seigneur,  armés  de  glaives  pour 
punir  des  armées  souillées  du  péché  ;  sainte 
montagne  du  Calvaire,  arrosée  du  sang  d'un 
Dieu  qui  expire  pour  expier  le  péché;  abî- 
mes effrayants  de  l'enfer,  creusés  pour  pu- 
nir éternellement  le  pécheur,  vous  nous  ap- 
prenez les  rigueurs  que  méritent  nos  péchés. 
Ahl  pourquoi  les  hommes  ne  méditent-ils 
pas  ces  grands  événements  ?  Pourquoi  ne  se 
rappellent-ils  pas  ces  tristes  scènes?  Ils  con- 
cevraient une  juste  idée  du  péché. 

Rappellez-vous-lcs,  pécheurs,  ces  grands 
monuments  de  la  justice  divine  dans  ce 
temps  que  vous  regardez  comme  une  res- 
source à  tous  vos  crimes,  et  vous  ne  regar- 
derez plus  l'indulgencf»  qu'on  vous  accorde 
comme  un  titre  pour  être  admis,  sans  épreu- 
ve, à  la  participation  des  saints  mystères,  et 
vous  dispenser  d'expier  vos  années  crimi- 
nelles; vous  connaîtrez  l'avantage  du  jubilé, 
et  vous  en  profiterez,  parce  que  vous  direz 
avec  l'Eglise  :  Cette  grâce  supplée  à  ce  que 
nous  ne  pouvons  point,  et  non  pas  à  ce  que 
nous  ne  voulons  pas  :  elle  aide  les  pénitents 
sincères  à  satisfaire  à  la  justice  divine;  elle 
n'autorise  point  les  lâches  à  épargner  une 
chair  criminelle. 

Saint  Paul  a  usé  d'indulgence  envers  l'in- 
cestueux de  Corinthe;  mais  il  avait  pleuré, 
gémi,   édifié  par  une  salutaire  pénitence.  Le 


la  santé  plutôt  que  de  l'altérer;  quelques 
pratiques  de  piété  passagère»  :  ils  avaient 
une  autre  idée  de  la  justice  divine,  et  lo 
plus  grand  nombre  des  années  ne  leur  pa- 
raissait pas  trop  pour  expier  un  j  éche  qui 
méritait  l'enfer. 

Or,  sur  ces  principes  de  la  conduite  des 
vrais  pénitents,  que  penser  de  ces  pécheurs 
qui  ont  perpétué  leurs  pé,  hés  et  qui  n'ont 
pas  encore  commencé  à  faire  pénitence;  de 
ceux  qui  ont  blanchi  dans  de  honteuses  ha- 
bitudes, et  qui  ne  veulent  [joint  se  mortifier  ; 
qui  veulent  toujours  goûter  les  douceurs 
qui  les  ont  fait  tomber,  et  qui  rejettent  les 
amertumes  qui  les  préserveraient?  Serait-ce 
le  jubilé  qui  les  réconcilierait  avec  Dieu 
sans  pénitence,  qui  satisferait  à  la  justn  e 
divine  sans  rigueurs  ,  qui  effacerait  les 
traces  du  péché  sans  larmes,  qui  rompra. t 
leurs  chaînes  sans  efforts,  qui  changerait 
leur  cœur  malgré  eux,  qui  les  conserverait 
dans  la  vertu  sans  précaution? 

Quelle  erreur  de  le  penser  1  Quon  est 
aveugle  si  l'on  croit  que  c'est  là  l'avantage  de 
cette  fameuse  indulgence  qui  remue  tant 
de  coeurs  endurcis  aujourd'hui,  qui  traîne 
tant  de  pécheurs  d'habitude  au  sacré  tribu- 
nal !  Que  la  longueur  de  votre    pénitence 


égale  la  longueur  de  vos  jours,  et  la 


grâce 


du  jubilé  suppléera  à  son  peu  c;e  durée.  De 
même  que  toutes  les  rigueurs  dont  vous  êtes 
capables  ne  sont  pas  suffisantes  [  our  satis- 
faire la  justice  divine,  de  même,  quelque 
aussi  il  ne  veut  point  en  faire  un  lâche.  Il  a     longue  que  soit  votre   pénitence,  elle  sera 

toujours  trop  courte  pour  effacer  jusqu'aux 
traces  du  péché  :  il  faut  que  Dieu  use  d'in- 


grand  apôtre  ne  veut   point    l'abattre,  mais 


été  content  de  son  changement,  et  des  ri- 
gueurs qu'il  avait  pratiquées,  et  il  s'est  servi 
du  pouvoir  de  l'Eglise  pour  le  consoler  et 
abréger  sa  pénitence  ;  et  c'est  ici  un  troisiè- 
me avantage  du  jubilé,  qui  doit  nous  rassu- 
rer sur  la  longueur  de  notre  pénitence. 

Adorons,  chrétiens,  cette  rigueur  avec  la- 
quelle Dieu  punit  jusqu'aux  traces  du  pé- 
ché :  cette  justice  rigoureuse,  qui  veut  voir 
une  âme  entièrement  purifiée  des  souillures 
qu'elle  a  contractées  dans  le  monde,  avant  de 
de  la  souffrir  en  sa  présence.  C'est  un  Dieu 
très-saint  que  les  moindres  restes  du  péché 
irritent.  Si  sa  miséricorde  prévient  les  hom- 
mes, pour  les  combler  de  ses  grâces,  sa  jus- 
tice éloigne  même  les  élus,  lorsqu'ils  ont 
encore  quelques  taches. 

De  là  la  sainte  indignation  des  vrais  pé- 
nitents contre  les  moindres  restes  de  leurs 
péchés;  ils  ne  s'épargnaient  pas  dans  le 
temps,  pour  être  épargnés  dans  l'éternité. 
La  vie  la  plus  longue  ne  leur  paraissait  pas 
suffisante  pour  expier  le  dérèglement  de 
quelques  années. 

Aussi  a-t-on  vu  des  pénitents  pleurer  jus- 
qu'au tombeau  un  péché  échappé  à  l'ardeur 
d'une  bouillante  jeunesse  ;  à  peine  la  lon- 
gueur de  leur  pénitence  les  rassurait-elle 
contre  la  sévérité  d'un  Dieu  qui  veut  être 
vengé  ou  se  venger  lui-même. 

Ces  illustres  pénitente  n'étaient  pas  tran- 
quilles après  avoir  reçu  l'absolution  ;  ils  ne 
faisaient  pas  consister  la  pénitence  dans 
quelques  courtes  prières,  quelques  légères 
aumônes,  quelques  jeûne?,  qui  conservent 


dulgence  à  votre  égard  pour  vous  acquitter 
envers  lui. 

Le  plus  grand  saint  aurait  sujet  de  trem- 
bler, dit  saint  Augustin,  si  Dieu  l'examina. t 
sans  miséricorde. 

Or,  ces  grands  principes  posés,  voici  l'avan- 
tage du  jubilé  :  cette  indulgence  supplée  à 
la  longueur  de  la  pénitence.  Soyez  sincère- 
ment changés,  véritablement  convertis,  vrai- 
ment contrits  et  pénitents,  persévérez  dans 
cet  heureux  état  jusqu'à  la  mort  :  s'il  plaît  nu 
Seigneur  de  vous  ôter  du  monde  dans  ces 
sentiments  et  ces  saintes  rigueurs,  après 
quelques  jours  même  la  grâce  du  jubilé 
suppléera  à  la  longueur  de  votre  pénitence. 
Voilà  ses  avantages. 

Dieu  ne  vous  demandera  pas  compte  des 
jours  qu'il  ne  vous  aura  pas  accordés  pour 
rolonger  votre  pénitence,  mais  des  momenls 
(pie  vous  aurez  dérobés  à  la  pénitence. 
C'est  sa  miséricorde  qui  retire  l'homme  dans 
l'exercice  de  la  pénitence; c'est  sa  colère  qui 
retire  l'homme  dans  l'habitude  du  péché. 
Quelque  peu  de  temps  que  vous  viviez 
après  ce  jubilé,  si  vous  en  avez  reçu  la  grâ  e 
et  si  vous  pratiquez  les  rigueurs  dont  vo  s 
êtes  capables,  le  ciel  vous  est  ouvert,  vous 
ne  quitterez  le  monde  que  pour  posséder 
Dieu.  Voilà  les  avantages  du  jubilé  :  il  sup- 
plée à  la  longueur  de  notre  pénitence. 

Paraissez  ici,  criminel  pénitent  :  vous  êtes 
un  trophée  érigé  à  la  clémence  de  Jésus- 
Christ  attaché  à  la  croix  pour  vos  crimes  ; 


387 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


383 


vous  adorez  celui  qui  y  a  été  attaché  volon- 
tairement pour  nos  péchés;  vous  confessez 
sa  divinité  dans  les  opprobres  de  sa  .mort; 
vous  vous  déclarez  son  disciple  dès  que  vous 
le  connaissez;  les  premières  impressions  de 
sa  grâce  vous  convertissent,  et  c'est,  ce  qui 
confond  ceux  qui  vous  citent  pour  autoriser 
le  système  des  impénitents,  de  ceux  qui  at- 
tendent à  la  mort  à  se  convertir. 

Votre  cœur  est  déchiré  de  douleur;  vous 
détestez  vos  forfaits;  vous  bénissez  Dieu 
dans  votre  supplice;  le  sang  du  Sauveur  va 
vous  être  appliqué  avec  abondance  ;  cet 
Homme-Dieu  va  vous  accorder  une  indul- 
gence qui  suppléera  à  la  longueur  de  la  pé- 
nitence que  vous  devriez  faire  si  vos  jours 
étaient  prolongés.  Voici  une  voix  de  miséri- 
corde qui  vous  fait  entendre  ces  consolantes 
paroles  :  Vous  serez  avec  moi  aujourd'hui  en 
paradis.  (Luc,  XXIII.) 

Or,  chrétiens,  voilà  une  image  de  l'indul- 
gence qui  nous  assemble.  Faites  tout  ce  que 
vous'pourrez,  elle  suppléera  à  ce  que  vous 
ne  pouvez  pas.  Faites  pénitence,  et  elle  ren- 
dra votre  pénitence  suffisante  et  telle  qu'elle 
doit  être  pour  vous  obtenir  la  félicité  éter- 
nelle. Je  vous  la  souhaite  (36). 


SERMON  IV 


POUR  LE    JOCR  DE 


LA   NATIVITE 
VIERGE, 


DE    LA    SAINTE 


Prêché  dans  ÏE/jUse  det  RR.  PP.  Thc'atins, 
en  1729. 

L'nus  introitus  est  omnibus  ad  vitam.  (Sap.,  VII.; 

Il  n'y  a  pour  tous  les  hommes  qu'une  manière  d'entrer 
dans  la  vie. 

Le  berceau  est  pour  tous  les  hommes  un 
théâtre  de  faiblesses  et  d'humiliations  :  nous 
sommes  en  naissant,  par  nos  pleurs,  les  pro- 
phètes de  nos  malheurs  futurs. 

Les  destinées  des  mortels  sont  différentes, 
Messieurs  :  les  uns  naissent  pour  porter  une 
brillante  couronne,  couler  leurs  jours  dans 
la  gloire  et  l'opulence  ;  les  autres  naissent 
pour  vivre  dans  la  dépendance,  couler  leurs 
jours  dans  l'obscurité  et  les  larmes.  Variété 
admirable  des  conditions,  des  talents,  des 
succès,  des  prospérités  pendant  la  vie  de 
l'homme,  qui  publie  la  sagesse  du  Très- 
Haut!  Mais  voulez-vous  voir,  Messieurs,  tous 
les  hommes  de  niveau,  connaître  leurs  mi- 
sères, leurs  faiblesses?  Représentez-vous 
leur  berceau.  Là,  celui 'qui  doit  commander 
est  semblable  à  celui  qui  doit  obéir.  L'opu- 
lence du  siècle  vient  orner  les  infirmités  des 
enfants  des  grands;  elle  ne  les  en  exempte 
pas  :  unus  introitus  est  omnibus  ad  vitam. 

Si  la  naissance  de  Marie  eût  été  semblable 
à  la  nôtre,  Messieurs,  l'Eglise  répandrait  des 
larmes  sur  son  berceau,  au  lieu  de  lui  ériger 
des  trophées  et  de  célébrer  sa  gloire. 

Ce<  a  est  point  une  grandeur  temporelle 
qui  l'occupe  aujourd'hui  ;  ces  rois,  ces  pon- 
tifes, que  Marie  comptait  parmi  ses  ancêtres: 

(38)  Le  talent  déployé  par  Ballet  dans  le  sermon 
qu'on  vient  de  lire,  nous  engage  à  reproduire  à  la 


ce  sont  les  grandes  choses  que  le  Tout-Puis- 
sant a  opérées  en  elle.  L'Eglise  admire  ce  que 
la  grâce  a  fait  pour  élever  Marie,  et  ce  que 
Marie  a  fait  pour  répondre  à  la  grâce.  En 
deux  mots,  une  naissance  distinguée  par  les 
grâces  les  plus  précieuses,  une  naissance 
soutenue  par  les  vertus  les  plus  éminentes; 
implorons,  etc.  Ave,  Maria. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

L'Eglise  révère,  Messieurs,  dans  la  nais- 
sance de  Marie,  une  grâce  puissante  et  ma- 
gnifique qui  avait  rendu  sa  conception  pure 
et  sans  tache;  d'une  grâce  singulière  et  con- 
tinuelle qui  doit  la  préserver  toute  sa  vie  du 
péché;  une  grâce  de  choix  et  de  prédilection 
qui  la  destine  à  l'éminente  dignité  de  Mère 
de  Dieu. 

Que  l'opulence,  de  grands  noms,  des  titres 
pompeux,  de  glorieuses  destinées  sur  la 
terre  décorent  le  berceau  des  grands,  ils 
n'effaceront  point  les  taches  qui  les  souil- 
lent. Le  sang  de  Jésus-Christ  seul  peut  les 
purifier.  La  naissance  seule  de  Marie  est 
distinguée  par  des  grâces  précieuses  ;  sa 
grandeur  est  dans  l'ordre  de  la  religion  :  on 
n'y  voit  rien  de  la  pompe  et  de  la  magnifi- 
cence de  ses  ancêtres  :  une  sainteté  anti- 
cipée, une  sainteté  inaltérable,  des  titres 
tous  divins  :  voilà  ce  que  nous  allons  admi- 
rer; suivez-moi,  je  vous  prie. 

Un  péché  ineffable,  une  grande  misère, 
voilà,  Messieurs,  les  maux  qui  précèdent  et 
qui  accompagnent  notre  naissance,  dit  saint 
Bernard.  Péché  dans  j  la  conception  de 
l'homme,  misère  dans  sa  naissance.  Il  est 
criminel  avant  que  de  naître,  il  est  malheu- 
reux en  naissant  :  cujus  conceptio  culpa, 
nasci  miseria. 

Tous  les  hommes  sont  enveloppés  dans  la 
ruine  ineffable  du  premier.  Son  péché  passe 
à  tous  ses  descendants.  Péché  toujours  an- 
cien et  toujours  nouveau;  péché  qui  se 
communique  à  tous  les  mortels,  et  dont 
aucun  n'est  exempt,  dit  saint  Paul  :  Omnes 
moriuntur  in  Adam.  (I  Cor.,  XV.) 

O  orgueilleuse  raison  de  l'homme,  ne  son- 
dez pas  curieusement  les  profondeurs  de  ce 
mystère.  Cette  ineffable  communication  du 
péché  originel  est  décidée  par  la  foi  de  l'E- 
glise. De  là  ces  misères,  ces  faiblesses,  ces 
infirmités,  ces  douleurs,  ces  larmes  qui  en- 
trent avec  vous  dans  le  monde,  qui  vous 
accompagnent,  qui  vous  annoncent. 

Quelque  flatteuses  que  soient  vos  des- 
tinées sur  la  terre  par  les  droits  de  votre 
naissante  temporelle,  le  péché  et  la  misère 
\  auront  toujours  présidé.  La  sainte  Vierge 
seule  en  a  été  exempte.  C'est  l'esprit  ue 
l'Eglise  :  elle  révère  une  grâce  puissante  et 
magnifique  qui  opère  des  prodiges  pour  la 
rendre  sainte  dès  le  premier  instant  de  son 
être,  préparer  le  grand  jour  de  sa  naissance, 
et  répandre  sur  son  berceau  un  éclat  tout 
divin. 
■    C'est  du  soleil  que  l'aurore  emprunte  son 

suite  de  ses  Œuvrer,  oratoires  son  Instruction  i:ir  le 
jubilé,  qu'il  a  traité  d'une  manière  remarauabîe. 


189 


SUJETS  DIVERS 


SERM.  IV,  NATIVITE  DE  LA  SAINTE  VIERGE. 


390 


éclat  et  sa  beauté  :  c'est  de  Jésus-Christ  le 
Soleil  de  justice,  que  la  naissance  de  Marie 
tire  tout  son  éclat  et  son  ineffable  sainteté. 

Avant  que  d'être  son  fils,  il  est  son  Sau- 
veur: il  ne  la  purifie  d'aucune  tache,  mais 
il  la  préserve  de  toutes  celles  qui  nous  souil- 
lent et  nous  corrompent:  il  ne  la  tire  point 
de  l'abîme  des  misères  humaines  où  le  pé- 
ché nous  a  précipités,  mais  il  l'empêche  d'y 
tomber.  11  a  effacé  les  péchés  de  tous  les 
mortels  par  son  sang  :  il  en  a  affranchi  Marie 
par  une  grâce  puissante  et  magnifique  :  il  est 
pour  nous  un  Sauveur  de. rédemption,  il  a 
été  pour  elle  un  Sauveur  de  préservation. 
Tel  est,  chrétiens,  l'esprit  de  l'Eglise  sur 
ce  premier  privilège  de  la  naissance  de  Ma- 
rie, sa  piété  le  respecte. 

C'est  ce  privilège  que  les  Pères  du  concile 
de  Bâle  ont  respecté,  lorsqu'ils  ont  dit  qu'il 
était  conforme  à  l'honneur  que  nous  devons 
à  la  Mère  de  Dieu  et  à  l'amour  de  son  divin 
Fils  pour  elle  :  c'est  ce  privilège  que  les  Pères 
du  concile  cVî  Trente  ont  respecté,  lorsqu'ils 
ont  déclaré  qu'ils  ne  voulaient  pas  comprendre 
l'incomparable  Marie  dans  le  décret  du  péché 
originel,  et  lui  ont  donné  les  titres  glorieux 
de  Vierge  immaculée  et  de  Mère  de  Dieu': 
c'est  ce  privilège  que  les  souverains  pontifes 
ont  respecté,  lorsqu'ils  ont  désapprouvé  ceux, 
qui  le  combattent,  et  menacé  des  censures 
ecclésiastiques  ceux  qui  n'observeraient  pas 
les  constitutions  qui  inspirent  ce  respect  et 
ce  sentiment. 

Vous  dirai-je  ,  chrétiens,  que  ce  respect 
pour  ce  privilège  de  Marie  a  excité  le  zèle 
des  plus  grandes  Eglises,  et  des  plus  grands 
empereurs! 

On  a  vu  l'Angleterre  honorer,  dans  plu- 
sieurs églises  des  îles  Britanniques,  cette 
prérogative  de  Marie:  on  y  célébrait  dans  le 
onzième  siècle  sa  Conception  immaculée: 
on  a  vu  l'Eglise  de  Lyon,  une  des  plus  an- 
ciennes des  Gaules,  prévenir  même  par  son 
zèle  l'Eglise  romaine,  pour  célébrer  cette 
fête  :  'elle  n'est  coupable  aux  yeux  de  saint 
Bernard  que  parce  seul  endroit. 

On  a  vu  Emmanuel  Comnène,  ce  grand 
empereur  de  Constantinople,  solliciter  avec 
ardeur  avant  le  schisme  des  Grecs,  auprès 
d'Alexandre III,  la  permission  d'honorer,  par 
une  fête  éclatante  et  un  culte  pub'ic,  ce  pri- 
vilège de  la  sainte  Vierge. 

Vous  voyez  l'esprit  de  l'Eglise,  il  éclate,  il 
s'annonce.  Elle  révère  une  grâce  puissante 
et  magnifique,  qui  avait  rendu  sa  Conception 
pure  et  sans  tache  :  une  grâce  singulière  et 
continuelle  qui  la  préserve  toute  sa  vie  du 
péché:  grâces  précieuses  qui  distinguent 
sa  naissance  de  celle  de  tous  les  autres 
mortels. 

Ecoutez,  nations  1  Volez  en  esprit  au  ber- 
ceau de  Marie  :  contemplez  les  prodiges  du 
Seigneur;  il  a  commandé  aux  vents  et  aux 
tempêtes,  cette  sainte  créature  coulera  ses 
jours  dans  le  calme:  les  passions,  le  monde, 
l'enfer  ne  l'agiteront  jamais  :  ils  la  respecte- 
ront. Jamais  le  moindre  souille  impur  ne 
ternira  la  beauté  de  son  âme  :  jamais  l'image 
du  vice  ne  surprendra  ses  sens,  le  Seigneur 


qui  trouve  des  taches  dans  ses  anges,  n'en 
trouvera  jamais  dans  Marie. 

C'est  pour  la  consolation  des  catholiques, 
et  la  confusion  des  hérétiques,  que  nous 
étalons  aujourd'hui  aux  yeux  des  fidèles, 
dit  le  savant  Yves  de  Chartres,  ces  grâces 
précieuses  que  Dieu  accorde  àMarie  dès  les 
premiers  moments  de  sa  vie:  ces  grâces  qui 
ne  l'abandonneront  jamais,  et  qui  la  ren- 
dront toujours  inaccessible  aux  traits  de  l'en- 
nemi du  salut:  ut  lœtctur  catholicus,  confa- 
tetur  hœreticus. 

Prenez  garde,  chrétiens,  lorsque  nous  di- 
sons que  Marie  a  été  toute  sa  vie  préservée 
du  péché,  ce  n'est  pas  une  simple  opinion, 
un  pieux  sentiment  qu'on  soit  libre  d'em- 
brasser, ou  qu'il  suffise  de  respecter.  Les 
Pères  du  sa'nt  concile  de  Trente  nous  ensei- 
gnent que  c'est  la  doctrine  de  l'Eglise  :  tenet 
Ecclesia.  Contester  cette  prérogative  à  Ma- 
rie, c'est  imiter  les  hérétiques  qui  n'ont 
point  rougi  des  plus  horribles  blasphèmes. 

Saint  Augustin reconnaîtaussi  ce  privilège 
avec  toute  l'Eglise.  Il  fait  le  portrait  des 
penchants  et  des  faibles  de  l'homme ,  l'his- 
toire de  toutes  ses  misères,  et  il  prononce, 
d'après  l'apôtre  saint  Jean,  qu'aucun  mortel, 
quelque  juste  qu'il  soit,  n'est  exempt  de  pé- 
ché. Les  vertus  mêmes,  dit  ce  grand  docteur, 
ne  sont  pas  sans  défaut  :  faibles  et  fragiles, 
nous  nous  prêtons  souvent  à  l'illusion  en 
voulant  l'éviter.  Si  nous  concevons  de  l'hor- 
reur du  vice,  nous  n'en  concevons  pas  assez 
des  objets  qui  y  conduisent:  si  nous  évitons 
les  [léchés  qui  donnent  la  mort  à  l'âme,  nous 
n'évitons  pas  ceux  qui  jettent  l'âme  dans  la 
langueur  :  si  on  est  sans  crime,  on  n'est 
pas  sans  imperfection:  voilà  le  portrait  de 
tous  les  hommes. 

Ici  des  pécheurs  audacieux,  endurcis  dans 
leurs  crimes  ;  là  des  pécheurs  pénitents,  tou- 
chés de  leur  chute  :  ici  des  pécheurs  qu'ut. e 
faiblesse  passagère  a  entraînés  dans  le  préci- 
pice; là  des  pécheurs  auxquels  il  ne  manque 
qu'une  sainte  violence  pour  rompre  leurs 
chaînes:  ici  des  justes  que  la  vigilance  re- 
tient sur  la  pente  glissante  de  1  abîme;  là 
des  justes  qui  gémissent  des  révoltes  de  leur 
chair  :  icides  justes  tombés  dans  la  langueur, 
et  dont  la  charité  est  refroidie;  là  des  justes 
victorieux  des  passions  qui  les  tyrannisent. 
Voilà,  dit  saint  Augustin,  un  fidèle  tableau 
de  tous  les  enfants  d'Adam;  voilà  une  his- 
toire fidèle  de  toutes  les  suites  malheureuses 
de  notre  naissance  dans  le  péché.  Je  n'excepte 
que  la  sainte  Vierge:  excepta  sancta  1  irgine 
Maria.  Confirmée  en  grâce,  elle  est  demeu- 
rée tranquille  parmi  les  vents,  les  tempêtes 
qui  agitent,  ébranlent  et  renversent  les  fai- 
bles humains.  Nons  manquerions  à  ce  que 
nous  devons  à  Jésus-Christ  son  fils,  si  nous 
la  confondions  avec  ceux  qui  sont  tombés, 
ou  qui  peuvent  tomber:  excepta  sancta  Vir- 
ginie Maria  propter  honorem  Domini. 

Ne  soyez  donc  pas  surpris,  Messieurs,  de 
la  joie  que  l'Eglise  fait  éclater  aujourd'hui: 
les  avantages  de  la  naissance  de  Marie  épui- 
sent son  admiration  :  ces  transports  d'allé- 
gresses, ces  cantiques  de  louanges,  ces  élo- 


501 

ges  pompeux  sont  des  fleurs  qu'elle  .jette 
avec  respect  sur  son  berceau,  de  glorieux 
trophées  qu'elle  érige  à  sa  grandeur  future. 
Une  sainteté  anticipée,  une  sainteté  inalté- 
rable la  préparent  aux.  titres  tous  divins  dont 
elle  doit  être  honorée. 

Ceux  qui  naissent  pour  posséder  de  grands 
emplois,  de  grands  biens,  de  grands  talents, 
ne  naissent  pas  toujours  pour  être  heureux. 
La  haute  destinée  des  mortels  sur  la  terre 
ne  les  exempte  pas  des  suites  humiliantes 
du  péché:  mais,  entrer;  dans  le  monde  pour 
être  la  mère  d'un  Dieu  qui  se  fait  homme, 
c'est  naître  pour  être  la  plus  heureuse  de 
toutes  les  créatures.  Telle  et,  Messieurs,  la 
gloire  de  Marie,  sa  glorieuse  destinée. 

Naître  pour  posséder  des  richesses  dan- 
gereuses au  salut  et  qui  deviennent  souvent 
la  source  de  tous  les  crimes  qui  souillent  la 
vie  de  l'homme:  naître  pour  [ osséder  de 
grands  titres  qui  supposent  de  grands  talents 
qu'on  n'a  souvent  pas  et  qui  ne  servent  qu'à 
mettre  au  jour  l'insuffisance  de  celui  qui  en 
est  dé.  oré  :  naître  avec  un   génie  vaste  et 


brillant  et  ne  pas  être  inaccessible  aux  char 
mes  rie  l'erreur,  aux  attraits  de  la  flatterie, 
aux  appâts  du  vice,  quelle  félicité!  quelle 
gran  ieur.  Messieurs!  Y  a-t-il  là  de  quoi  en- 
fler l'homme,  de  quoi  nourrir  son  orgueil? 
Pourquoi  les  hommes  se  glorifient-ils  d'une 
naissant  à  laquelle  ils  n'ont  point  de  part, 
d'une  naissance  qui  les  met  de  niveau  avec 
tous  les  mortels  par  l'endroit  le  plus  humi- 
liant: je  veux  dire  le  péché  ,  les  misères  et 
les  infirmités? 

Je  me  rappelle  ici,  Messieurs,  la  naissance 
de  deux  grands  hommes  que  Dieu  destinait 
à  des  emplois  importants  dès  leur  berceau: 
Moïse  et  Cj  rus. 

Je  vois  des  prodiges  dans  la  destinée  de 
Moïse  choisi  de  Dieu,  conservé  miraculeu- 
sement sur  les  ondes  du  Nil,  élevé  dans  une 
cour  voluptueuse  dont  il  devait  reprendre 
les  vices  et  punir  les  impiétés;  je  vois  dans 
une  seule  personne  le  libérateur  des  Hé- 
breux, le  thaumaturge  de  l'Egypte,  le  Dieu 
même  de  Pharaon. 

Jamais  naissance  ne  fut  annoncée  avec 
plus  d'éclat  que  celle  de  Cyrus  ;  plus  d'un 
siècle  avant  qu'il  fût  né,  les  prophètes  la- 
va ent  dépeint  dans  leurs  oracles  et  avaient 
marqué  clairement  jusqu'à  son  nom;  il 
est  suscité  pour  prendre  Babylone,  fonder 
les  florissants  empires  des  Perses  et  des 
Mèdes,  et  donner  des  édits  pour  faire  hono- 
rer le  Dieu  de  Datrel.  Mais  ces  deux  grands 
hommes,  si  différents  par  leurs  vertus  et  leurs 
triomphes  :  Moïse,  toujours  attaché  au  Sei- 
gneur, Cyrus  quelquefois  attaché  au  culte 
dos  faux  dieux,  étaient  des  instruments  dans 
les  mains  du  Tout-Puissant,  dont  il  se  ser- 
vait pour  punir  un  empire  souillé  de  crimes, 
protéger  un  peuple  qu'il  chérissait  et  faire 
éclater  sa  puissance  chez  les  ennemis  de 
son  nom. 

Ah  !  Marie  est  annoncée  par  les  prophètes 
pour  des  merveilles  bien  plus  consolantes; 
elle  est  dépeinte  de  loin,  sous  le  nom  d'une 
vierge  de  la  race  de  David  ;  cette  vierge  con- 


ORATEURS  SACRES.   BALLET.  oC2 

cevra  le  Désiré  des  nations,  c'est  d'elle  que 
doit  naître,  non  le  libérateur  d'un  peuple, 
d'un  empire,  le  fondateur  de  plusieurs 
royaumes,  mais  celui  qui  doit  établir  le 
règne  de  la  grâce  et  de  la  charité,  sauver 
tous  les  hommes  et  expier  leurs  péchés  : 
Ipse  salvum  faciet  populum  suum  a  peccalis 
eorum.  (Matth.,  I.) 

Celui  qui  doit  naître  de  Marie  ne  délivrera 
pas  les  hommes  de  .ses  ennemis  visibles  qui 
les  attaquent  et  exercent  leur  valeur.  11  ne 
renversera  pas  les  trônes  des  rois  et  il  ne 
détruira  pas  leur  puissance;  son  royaume 
n'est  pas  de  ce  monde:  mais  il  les  délivres  a 
des  peines  que  leurs  péchés  ont  méritées;  la 
naissance  de  Marie  annonce  la  sienne.  C'est 
la  brillante  aurore  qui  [.recède  le  soleil  qii 
doit  éclairer  tous  les  hommes.  Par  lui  les  té- 
nèbres seront  dissipées,  les  portes  de  l'enfer 
brisées,  l'Eternel  désarmé,  le  ciel  ouvert, 
l'homme  coupable  réconcilié  :  Salvum  faciet 
p"pulum  suum  a  peccatis  eorum. 

Ce  sont,  Messieurs ,  toutes  ces  grandes 
vérités  qui  ont  porté  l'Eglise  à  célébrer  la 
naissance  de  la  sainte  Vierge  avec  tant  de 
pompe  et  de  solennité.  C'e>t  l'éclat  tout  di- 
vin de  cette  naissance  qui  porta  Innocent  IV 
à  donner  une  octave  à  cette  grande  fête  et  à 
accomplir  les  vœux  que  les  cardinaux  en 
avaient  faits  sous  Grégoire  IX,  lorsque  diffé- 
rentes factions  troublaient  le  Saint-Siège  et 
qu'ils  gémissaient  sous  les  coups  que  l'em- 
pereur Frédéric  portait  au  vicaire  de  Jésus- 
Christ. 

Marie,  Messieurs,  fut  fidèle  à  toutes  les 
merveilles  de  son  Dieu,  et  si  vous  ave/  vu 
une  naissance  distinguée  par  les  grâces  les 
plus  précieuses,  vous  allez  voir  une  nais- 
sance soutenue  par  les  plus  éminentes  ver- 
tus. C'est  le  sujet  de  la  seconde  partie. 


SECONDE    PARTIE. 

C'est  dans  l'ordre  de  la  religion,  Messieurs, 
que  la  naissance  de  Marie  a  des  privilèges. 
Sa  grandeur,  son  éclat  ne  viennent  point  des 
titres  que  ses  ancêtres  possédaient.  Hélas! 
on  sait  que  Marie  est  née  lorsque  la  maison 
de  David  était  tombée  dans  la  décadence  la 
plus  humiliante,  et  que  le  trône  de  ses  pères 
était  usurpé  par  Hérode.  Toute  sa  beauté, 
toute  sa  gloire  viennent  des  grâces  pré- 
cieuses qui  ornent  son  âme  :  Omnis  glorîa 
ejus  ab  intus.  (Psal.  XL1V.)  il  ne  s'agit  donc 
point  de  soutenir  l'éclat  d'une  naissance 
temporelle,  mais  l'éclat  d'une  naissance  toute 
divine  :  or  les  vertus  les  plus  éminentes 
pouvaient  seules  répondre  aux  grâces  pré- 
cieuses qu'elle  avait  reçues  ;  c'est  pourquoi 
elle  les  pratiqua.  Elle  se  donne  à  Dieu  dès 
son  enfance  par  une  olfrande  solennelle;  elle 
craint  toute  sa  vie  de  déplaire  à  son  Dieu 
par  le  péché;  elle  s'humilie  tous  les  jours  de- 
vant son  Dieu  :  la  pureté,  la  retraite,  l'humi- 
lité de  Marie,  voilà  les  vertus  qui  ont  ré- 
pondu à  la  grandeur  de  sa  naissance  dans 
l'ordre  delà  religion. 

La  pureté,  Messieurs ,  est  de  toutes  les 
vertus  celle  qui  nous  approche  le  plus  de 
Dieu.  En  nous  élevant  au-dessus  de  l'homme, 


593 


SUJETS  DIVERS.  —  SERM.  IV ,  NATIVITE  DE  LA  SAINTE  VIERGE. 


301 


elle  nous  transforme  en  anges.  Nous  sommes 
sur  la  terre  ce  que  nous  devons  être  dans 
le  ciel. 

Les  anges  n'ont  point  de  combats  à  soute- 
nir pour  se  conserver  purs;  l'homme  a  des 
ennemis  à  combattre  pour  défendre  son 
cœur.  Il  est  au-dessus  de  lui-même  quand  il 
est  chaste  ;  il  est  au-dessous  de  lhomme 
quand  il  se  livre  à  de  coupables  plaisirs.  Dieu 
n'habite  point  avec  celui  qui  se  conduit  selon 
les  mouvements  de  la  cha:r  ;  Dieu  s'approche 
de  celui  qui  est  pur.  La  pureté  unit  l'homme 
à  Dieu;  elle  le  transforme  en  quelque  sorte 
en  Dieu  :  Incorraptio  facit  esse  proocimum 
Deo.  (Sap.,  VI.) 

De  là,  chrétiens,  deux  choses  que  nous  ne 
saurions  tropadmirer  dans  Marie:  les  pro- 
diges que  Dieu  a  opérés  pour  en  faire  un 
sanctuaire  digne  de  la  Divinité,  les  saintes 
alarmes  de  Marie  sur  tout  ce  qui  pouvait  don- 
ner atteinte  à  sa  virginité.  D'un  côté,  Dieu 
cpn  assure  pour  toujours  la  pure.ô  de  son 
cœur  par  une  grâce  privilégiée;  de  l'autre, 
Marie  qui  défend  son  cœur  contre  tous  les 
objets  qui  corrompent  les  nôtres,  comme  s'il 
eût  pu  être  séduit  par  les  charmes  du  péché  : 
du  côté  de  Dieu,  des  prodiges  qui  précèdent, 
accompagnent,  suivent  la  naissance  de  Marie, 
afin  qu'elle  soit  toujours  pure  et  sans  tache  : 
du  côté  de  Marie,  des  craintes,  des  alarmes, 
des  frayeurs,  comme  si  elle  eût  pu  cesser 
d'être  vierge,  et  de  plaire  à  son  divin  époux. 

Les  grandes  choses  que  le  Tout-Puissant 
a  opérées  en  faveur  de  Marie,  sont,  Mes- 
sieurs, ces  grâces  magnifiques  qui  éclatèrent 
dans  sa  conception  et  dans  l'incarnation 
du  Verbe  éternel.  Le  démon  abattu,  ter- 
rassé ,  contraint  de  respecter  Marie  dans 
Tinstant  où  tous  les  mortels  sont  sous  son 
domaine;  sa  virginité  qui  reçoit  un  éclat 
tout  divin,  une  nouvelle  gloire  en  donnant 
au  monde  le  Fils  éternel  de  Dieu  incarné 
dans  son  sein.  Son  amour  pourla  pureté  qui 
était  en  elle  inaccessible  à  tous  les  traits  du  pé- 
ché ;  cette  crainte  qu'elle  avait  de  donner  at- 
teinte à  une  virginité  qu'elle  ne  pouvait  ja- 
mais perdre  ;J'offrande  qu'elle  en  lit  au  Sei- 
gneur dès  son  enfan:e;  voilà, Messieurs,  les 
merveilles  que  ce  mystère  nous  présente, 
les  grandes  choses  que  Dieu  fait  pour  Marie 
dans  sa  naissance,  les  vertus  que  Marie  pra- 
tique pour  soutenir  l'éclat  de  sa  naissance 
toute  divine. 

Soutenez-vous,  chrétiens,  l'éclat  de  votre 
naissance  spirituelle?  Evitez-vous,  craignez- 
vous,  ie;Ioutez-vous  tout  ce  qui  peut  souil- 
ler vos  corps  qui  sont  devenus  par  le  bap- 
tême les  temples  du  Saint-Esprit  ?  car  vous 
avez  été  lavés  et  purifiés  alors,  dit  saintPaul, 
des  taches  de  votre  conception  et  de  votre 
naissance  :  Abluti  esti?,  sanctificati  estis.  (i 
Cor.,  VI.) 

Voyez  les  grands  du  monde  :  comme  ils 
vantent  les  avantages  d'une  naissance  digne 
de  larmes,  la  noblesse  de  leur origine,  les  noms 
fastueux  de  leurs  ancêtres,  les  dignités,  les 
honneurs  qui  sont  héréditaires  dans  leur  fa- 
mille; quelle  estime  fait-on  cependant  de  ces 
l&jhes  qui  coulent  le  urs  jours  dans  la  mollesse, 

Ohatelrs  sacués.  L, 


quoiqu'ils  descendent  de  héros?  S'ils  n'ea 
soutiennent  pas  la  gloire,  quoiqu'ils  en  por- 
tent les  noms,  on  les  méprise. 

Reconnaissez,  dit  saint  Léon,  la  grandeur 
de  votre  naissance  spirituelle  :  Aynosce,  o 
chn'stiane,  diyn'Uatem  tuam.  Les  cieuxsesont 
ouverts,  alors  la  voix  de  l'Eternel  s'est  fait 
entendre;  sa  colère  a  été  désarmée,  votre 
âme  sanctifiée,  les  puissances  de  l'enfer  mises 
en  fuite,  vos  fers  brisés,  votre  corps  consa- 
cré est  devenu  le  temple  vivant  du  Saint- 
Esprit;  voilà  la  grandeur  de  votre  naissance 
spirituelle.  Ah  I  si  de  honteux  plaisirs,  des 
intrigues  criminelles,  de  coupables  pensées 
souillent  ce  temple  du  Saint-Esprit,  Dieu  le 
perdra. 

Les  grands  répondent  à  l'éclat  de  leur  nais- 
sance par  des  exploits,  des  talents  des  ma- 
nières nobles,  généreuses  :  le  chrétien  répond 
à  la  sainteté  de  sa  naissance  spirituelle  par 
la  pureté  de  son  cœur  et  la  fuite  de  tout  ce 
qui  peut  le  porter  au  péché.  Il  évite  les  dan- 
gers, il  n'expose  pas  la  grâce  qu'il  t  reyttc. 
Ici,  Messieurs,  Marie  nous  sert  encore  de 
modèle;  elle  craint  de  paraître  dans  le 
monde,  comme  si  le  monde  eût  pu  quelque 
chose  sur  elle.  La  retraite  laiises délices;  que 
nous  sommes  éloignés,  Messieurs,  d'imiter 
Marie,  de  répondre  comme  elle  aux  avanta- 
ges de  notre  naissance,  d"en  soutenir  l'é- 
clat ; 

Marie  confirmée  en  grâce,  exempte  de  tous 
les  penchants  contraires  à  la  sainteté,  qui 
n'avait  rien  à  redouter  des  dangers  du  monde, 
des  révoltes  des  sens,  des  inclinations  du 
cœur,  se  cache,  s'enveloppe  dans  la  retraite. 
Une  sainte  crainte  lui  fait  tout  redouter. 

L'homme  toujours  sur  le  penchant  de  l'a- 
bîme, et  prêt  à  c'y  précipiter;  toujours  atta- 
qué, et  prêt  à  succomber;  toujours  entraîné 
verslemal  qu'il  déteste,  et  toujours  détourné 
par  ses  penchants  du  bien  qu'il  voudrait  pra- 
tiquer, se  produit  au  dehors,  s'expose  aur. 
dangers,  ne  fuit  point  les  occasions;  quel 
aveuglement  l 

Marie  dont  la  sainteté  ne  peut  souffrir  au- 
cun déchet,  redoute  le  monde.  On  l'a  vue  au 
temple  de  Jérusalem,  aux  noces  de  Cana, 
chez  sa  cousine  Elisabeth,  sur  le  calvaire  au 
pied  de  la  croix  ;  voilà  les  seuls  endroits  où 
elle  paraît. 

*  L'homme,  dont  le  cœur  est  tendre,  si  facile 
à  entamer,  qui  connaît  ses  faibles ,  qui  a 
éprouvé  sa  faiblesse,  qui  a  fait  des  chutes, 
s'expose  dans  les  cercles,  aux  spectacles,  et 
sur  tous  les  théâtres  des  passions  humaines, 
et  dans  tous  les  lieux  fameux  par  les  nau- 
frages. Quelle  témérité  !  Ah?  je  ne  suis  pas 
étonné  de  ses  chutes  ;  on  sort  victorieux  des 
périls  qu'on  n'a  pas  recherchés;  on  périt  dans 
ceuxqu'on  a  aimés.  Soyez  où  Dieu  vousveut, 
et  il  vous  soutiendra.  Je  suis  étonné  de  la 
chute  de  Davjd,  je  suis  étonné  de  la  victoire 
de  Joseph 

David,  ce  monarque  vertusux,  dont  la  sa- 
gesse avait  guidé  tous  les  pas,  dont  les  années 
devaient  avoir  affaibli  les  passions,  est  pres- 
qu'aussitôt  vaincu  qu'attaqué.  Un  regard 
porté   sur  Bethsabée  souille  son  âme,  soii 

13 


trône,  et  le  règne  le  plus  glorieux  qui  fut  ja- 
mais. 

Joseph  nouvellement  passé  d'une  vie  cham- 
pêtre à  la  cour  d'Egypte,. dans  un  âge  où  les 
passions  sont  vives  et  impétueuses,  est  atta- 
qué et  il  résiste  :  il  préfère  les  horreurs  d'une 
j  krison  aux  faveurs  et  aux  caresses  qu'on  vou- 
lait lui  prodiguer. 

Ah  1  si  je  cherche  le  principe  de  cette 
chute  étonnante  et  de  cette  éclatante  victoire; 
si  je  suis  surpris  qu'un  ancien  d'Israël  ait  été 
renversé  si  honteusement,  et  qu'un  jeune 
esclave  soit  sorti  du  combat  avec  tant  de 
gloire;  je  n'ai  qu'à  consulter,  Messieurs,  l'E- 
vangile, le  plan  qu'un  Dieu  s'est  tracé  dans  la 
distribution  de  ses  grâces,  je  découvrirai  le 
principe  de  la  chute  de  David,  et  de  la  vic- 
toire de  Joseph.  David  n'était  pas  où  il  devait 
être;  Joseph  était  où  la  Providence  l'avait 
conduit.  L'un  a  cherché  le  péril,  il  y  est  péri; 
le  péril  s'est  venu  présentera  l'autre,  il  en  a 
triomphé. 

.  Redoutez,  Messieurs,  le  monde  comme 
Marie  ;  n'y  paraissez  qu'autant  que  la  né- 
cessité du  rang,  des  emplois,  du  ministère, 
vqus  y  oblige,  et  vous  conserverez  la  grâce 
précieuse  de  votre  naissance  spirituelle,  et 
vous  n'abuserez  point  des  grâces  que  Dieu 
vous  accorde,  et  dont  vous  avez  besoin. 

Dieu  vous  offre  sa  grâce  pour  vous  faire 
triompher  des  penchants  qui  vous  sont  res- 
tés après  votre  baptême;  mais  ce  n'est  pas 
dans  ces  cercles,  ces  spectacles  que  son 
Evangile  proscrit. 

Ce  n'est  pas  à  ces  personnes  qui  craignent 
de  ne  point  attraper  l'art  de  plaire;  qui  gé- 
missent sous  le  poids  des  parures  mondai- 
nes; qui  élèvent  avec  tant  de  soin  des  édi- 
fices de  vanité  pour  dérober  aux  yeux  de 
leurs  frères  des  défauts  réels  et  n'étaler  que 
des  grâces  empruntées.  Ce  n'est  pas  à  ceux 
qui  lisent  ces  ouvrages  qui  enseignent  le 
coupable  secret  de  perdre  la  pudeur  et  l'art 
de  former  les  nœuds  d'un  criminel  engage- 
ment; qui  louent  délicatement  les  intrigues 
menées  avec  esprit  et  les  honteux  succès 
des  corrupteurs  de  l'innocence.  Ce  n'est  pas 
à  ceux  qui  fournissent  à  leurs  passions  les 
aliments  les  plus  propres  à  les  enflammer, 
que  l'oisiveté  endort,  que  la  bonne  chère 
appesantit,  que  le  jeu  occupe,  (pue  la  péni- 
tence effraye  ;  oui ,  Messieurs,  apprenez-le 
aujourd'hui.  Vous  ne  tirez  pas  de  justes 
conséquences  de  votre  faiblesse;  elle  de- 
vrait vous  rendre  timides,  et  vous  êtes  témé- 
raires ,  elle  devrait  vous  faire  éviter  les  dan- 
gers, et  vous  les  recherchez  ;  elle  devrait 
vous  faire  craindre,  et  vous  ne  redoutez 
rien. 

S'agit-il  de  consacrer  des  titres  qu'on  a 
hérites  de  ses  ancêtres,  de  rentrer  dans  des 
biens  qui  appartiennent  par  droit  de  nais- 
sance, de  recueillir  les  successions  de  ses 
pères?  On  se  remue,  on  sollicite  :  le  barreau 
retentit  de  ses  plaintes;  on  choisit  les  plus 
grands  orateurs  pour  plaider  sa  cause. 

S'agit-il  des  grâces  précieuses,  des  avan- 
tages de  sa  naissance  spirituelle,  on  les 
expose,  on  les  perd  sans  regret?  On  ne  fait 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


3SG 


rien  pour  les  recouvrer.  O  hommes  !  où  est 
votre  foi?  Ah!  imitez  Marie  :  elle  soutient  la 
grandeur  de  sa  naissance  dans  l'ordre  de  la 
religion  par  des  vertus  éminentes  ;  elle  aime 
la  pureté  jusqu'à  la  préférer  à  la  dignité 
même  de  mère  de  Dieu;  elle  redoute  le 
monde  jusqu'à  se  cacher  dans  la  retraite; 
elle  est  humble  jusqu'à  mépriser  la  gran- 
deur de  ses  ancêtres  et  oublier  les  titres  di- 
vins dont  elle  est  honorée. 

La  grandeur  que  Marie  méprise  et  dédai- 
gne, c'est  la  grandeur  du  siècle,  c'est  l'éclat 
d'une  naissance  temporelle.  Elle  était  issue 
des  rois  d'Israël.  Elle  comptait  parmi  ses 
ancêtres  des  -pontifes,  de  grands  capitaines, 
le  sang  des  plus  illustres  familles  du  peu- 
ple de  Dieu  coulait  dans  ses  veines.  L'Evan- 
gile nous  l'apprend,  Messieurs,  elle  était  de 
la  famille  et  de  la  race  royale  de  David  : 
de  domo  et  familia  David  (Luc,  II),  mais 
grandeur  qu'elle  méprise,  à  laquelle  elle  ne 
pense  pas. 

On  ne  la  voit  point  gémir  de  la  décadence 
de  ses  pères  et  se  repaître  comme  bien 
d'autres,  dans  l'indigence  et  l'obscurité 
d'une  noblesse  qui  ne  fait  que  rendre  plus 
pesant  ,et  plus  humiliant  le  poids  de  la  mi- 
sère. 

La  grandeur,  Messieurs,  que  Marie  res- 
pecte, mais  qu'elle  oublie  pour  penser  à  sa 
bassesse,  c'est  l'éclat  tout  divin  de  sa  nais- 
sance dans  l'ordre  de  la  religion;  ces  grâces 
singulières  et  magnifiques  qui  en  firent  le 
chef-d'oeuvre  de  là  toute-puissance  de  Dieu  ; 
ces  titres  divins  de  mère  de  Dieu  qui  relè- 
vent au-dessus  de  toutes  les  créatures  ;  c'est 
par  une  profonde  humilité  qu'elle  soutient 
l'éclat  de  cette  grandeur  céleste.  Jamais  créa- 
ture ne  fut  plus  élevée,  jamais  créature  ne 
fut  plus  humble.  Abîme  surprenant,  dit 
saint  Anselme,  de  grandeur  et  d'abaisse- 
ments :  sublimis  et  humilis. 

Une  créature  élevée  à  la  dignité  de  mèro 
de  Dieu  ;  la  mère  d'un  Dieu  qui  prend  la 
qualité  de  servante;  ce  que  Dieu  pense  de 
Marie,  ce  que  Marie  pense  d'ô'ie-même, 
son  élévation,  ses  abaissements.  En  deux 
mots  :  elle  est  la  plus  grande,  »a  plus  hum- 
ble de  toutes  les  créatures  :  sublimis  et  hu- 
milis. 

Tel  est,  Messieurs,  le  plan  de  l'Evangile  : 
on  ne  soutient  la  grandeur  de  sa  naissance 
spirituelle  que  par  des  abaissements.  Dieu 
élève  celui  qui  s'abaisse. 

C'est  la  naissance  temporelle  qui  donne  le 
droit  de  porter  des  noms  illustres,  des  ti- 
tres pompeux.  Un  grand  nom  est  un  litre 
pour  arriver  aux  places  les  plus  brillantes; 
ce  que  l'on  donne  avec  mesure  au\  plus 
éclatant  mérite,  est  donné  avec  profusion  à 
l'homme  de  condition;  la  naissance  supplée 
au  mérite.  Dès  le  berceau,  les  grands  sont 
destinés  aux  plus  éclatantes  dignités  :  les 
honneurs  et  les  biens  passent  des  pères  aux 
enfants;  heureux  si  leurs  vertus  y  passaient 
aussi. 

Mais,  où  est  aujourd'hui  la  simplicité  do 
nos  pères,  leur  modestie?  Enflé  d'une 
naissance  distinguée,  on  s'imagine  ne  pou- 


597 


SUJETS  DIVERS.  —  SERM.  V  ,  SUR  LA  PRESENCE  REELLE. 


voir  en  soutenir  l'éclat  que  par  un  étalage 
fastueux  de  vanité,  un  orgueil  qui  dispute 
jusqu'aux  adorations  dues  à  l'Etre  suprême  ; 
des  airs  de  hauteur  qui  semblent  dédaigner 
tous  les  mortels,  dfc  perpétuelles  infractions 
de  la  loi  de  Dieu;  parce  qu'on  est  grand,  on 
veut  être  les  idoles  du  monde,  recevoir  ses 
hommages,  son  encens;  on  dirait  aujour- 
d'hui que  ce  n'est  plus  la  vertu  qui  honore 
la  grandeur  et  que  le  vice  seul  l'annonce, 
la  soutient. 

Ah!  chrétiens,  oubliez,  comme  Marie,  les 
avantages  d'une  naissance  temporelle;  pen- 
sez que,  dans  votre  naissance  spirituelle, 
un  sang  infiniment  plus  précieux  que  celui 
qui  coule  dans  les  veines  des  plus  grands 
hommes  vous  a  été  appliqué,  que  le  sang  de 
Jésus-Christ  a  coulé  sur  vous,vous  a  purifiés 
et  vous  a  ouvert  le  ciel. 

.Doit-on  s'élever  d'être  ne  grand,  opu- 
lent ,  puisqu'on  est  né  pécheur  et  sujet 
au  péché?  C'est  de  votre  naissance  spiri- 
tuelle que  vous  devez  vous  glorifier,  parce 
que  si  vous  en  soutenez  la  grandeur  par  les 
"Vertus  chrétiennes,  elle  vous  mettra  en  pos- 
session de  la  gloire  éternelle  après  cette  vie 
mortelle.  Je  vous  la  souhaite 

SERMON  V 

SUR     LA  PRÉSENCE    RÉELLE 

Prêché  dans  V  église  Saint-Nicolas  des  vnamps , 
àParis,  le  jour  de  la  fête  du  Saint-Sacrement, 
ï  année  1731. 

Panis  quem  ego  dabo,  caro  mea  est  pro  muncli  vita. 
(Jean.,  VI.) 

Le  pain  que  je  donnerai,  c'est  ma  chair  que  je  dois  livrer 
your  la  vie  du  monde. 

C'est  la  vérité  éternelle,  mes  frères,  qui 
prononce  cet  oracle  avant  que  de  mourir 
pour  nos  péchés;  il  atteste,  comme  vous 
voyez,  la  présence  réelle  de  ce  divin  Sau- 
veur dans  l'Eucharistie;  cet  auguste  sacre- 
ment est  véritablement  sa  chair  :  Caro  mea 
est. 

Les  apôtres,  leurs  successeurs,  les  conci- 
les, les  docteurs  de  tous  les  siècles  l'ont 
entendu  dans  ce  sens. 

11  est  donc  réservé  à  des  hommes  hardis, 
téméraires,  révoltés  contre  l'Eglise,  jaloux 
de  se  former  un  parti,  do  passer  pour  des 
réformateurs,  de  faire  violence  à  ces  pa-- 
roles  et  à  celles  de  l'institution,  pour 
substituer  des  ombres  et  des  figures  à  la 
réalité. 

Que  l'hérésie  est  téméraire  et  audacieuse  ! 
Le  triomphe  du  dogme  de  la  présence  réelle 
doit  à  jamais  confondre  ces  hommes  super- 
bes; ils  ont  en  vain  fouillé  clans  l'antiquité, 
flétri  les  siècles  les  plus  purs,  obscurci  les 
plus  brillantes  lumières,  fait  paraître  sur  la 
scène  leurs  plus  habiles  ministres;  Jésus- 
Christ  présent  dans  l'Eucharistie  reçoit  et 
recevra  toujours  les  hommages  et  les  adora- 
lions  des  chrétiens  soumis. 

Vous  en  êtes  témoins  aujourd'hui ,  mes 


398 

frères;  les  majestés  de  la  terre  et  toutes  les 
grandeurs  du  monde  s'abaissent  devant  ce 
Dieu  caché.  On  le  porto  avec  pompe  dans 
les  rues  de  Sion;  une  foule  de  lévites  en- 
vironne l'arche  sainte  ;  partout  on  lui  dresse 
des  autels  richement  parés.  Son  passage  est 
jonché  de  fleurs;  on  voit  continuellement 
des  nuages  majestueux  formés  par  l'encens 
que  lui  olfrent  les  ministres  des  autels.  L'air 
retentit  des  chants  d'allégresse  et  des  louan- 
ges que  l'on  donne  à  l'Agneau  immolé  et  vi- 
vant dans  tous  les  siècles. 

Ahl  que  ce  divin  spectacle  est  consolant 
pour  les  catholiques,  mais  qu'il  est  humi- 
liant pour  nos  frères  séparés  ! 

Il  me  semble,  saint  prophète,  que  vous 
avez  dépeint  cet  éclatant  triomphe  dans  vos 
divins  cantiques. 

Que  le  Seigneur  sorte  de  son  temple  avec 
la  pompe  majestueuse  que  son  Epouse  lui  a 
préparée  :  Exsurgat  Deus  (Psal.  LXVIL);  les 
ennemis  du  culte  suprême  que  nous  lui 
rendons  seront  confondus  par  sa  présence  : 
Dissipentur  inimici  ejus  (lbid.)  ils  se  ca- 
cheront dans  ce  jour  solennel  de  son 
triomphe  :  Fugiant  qui  oderunt  eum  a  facie 
ejus.  {lbid.)  De  saintes  délices  et  de  pures 
joies  ne  sont  que  pour  les  enfants  soumis 
de  l'Eglise,  qui  l'adorent  dans  son  sanc- 
tuaire et  dans  le  sacrement  de  son  amour  : 
Justi  epulentur  et  exsxdlent  in  conspeetu  Dei. 
[lbid.) 

Hélas  !  chrétiens,  les  preuves  se  présen- 
tent en  foule  pour  combattre  nos  frères  sé- 
parés, et  je  ne  trouve  rien  pour  justifier  la 
coupable  conduite  qui  dément  votre  créance. 
Après  avoir  prouvé  qu'ils  sont  coupables  de 
nouveauté  en  combattant  la  présence  réelle, 
j'ai  à  vous  prouver  que  vous  l'outragez  par 
votre  irréligion  ;  je  prouverai  qu'ils  ont  re- 
noncé à  la  foi  de  leurs  pères  ;  je  vous  prou- 
verai que  vous  renoncez  à  leur  piété  ;  en 
deux  mots  : 

J'établirai  la  présence  réelle  de  Jésus- 
Christ  dans  l'Eucharistie  contre  l'erreur  de 
nos  frères  séparés.  J'opposerai  la  présence 
réelle  de  Jésus-Christ  dans  l'Eucharistie  à 
la  conduite  des  chrétiens  indévots.  Deman- 
dons, etc.  Ave,  Maria 

PREMIÈRE  PARTIE. 

C'est  pour  votre  consolation,  mes  frères, 
que  j'établis  aujourd'hui  le  dogme  de  la  pré- 
sence réelle  contre  les  sacrilèges  attentats 
de  nos  frères  séparés. 

D'un  côté,  vous  verrez  ce  mystère  de  l'a- 
mour d'un  Dieu  soumettre  la  raison  des  fi- 
dèles de  tous  les  siècles,  de  tous  les  royau- 
mes, de  tous  les  lieux  où  l'Eglise  règne  et 
est  écoutée.  De  l'autre,  vous  verrez  la  fou- 
gueuse hérésie  l'attaquer  dans  un  coin  de  la 
terre;  des  hommes  élevés  dans  l'Eglise  ro- 
maine, honorés  même  du  sacerdoce,  faire 
violence  aux  paroles  efficaces  qu'ils  avaient 
prononcées  tant  de-  fois  ;  entreprendre  au- 
dacieusement  de  renverser  les  autels,  d'abo- 
lir les  sacrifices  et  ne  rougir  d'emprunter 


390 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


400 


même   de  l'enfer  des  arguments  contre  la 
doctrine  de  l'Eglise  catholique  (37). 

Pour  vous  instruire  en  confondant  l'héré- 
sie, suivons  la  méthode  du  célèbre  Vincent 
de  Lérins  (prima  commonitione)  ;  ce  savant 
pose  des  principes  sûrs.  Ce  qui  a  fait  la  foi 
de  tous  les  siècles,  de  tous  les  lieux,  de  tous 
les  fidèles,  est  une  vérité,  un  dogme,  qui 
mérite  notre  soumission  :  quod  semper,  fjnod 
ubique,  quod  ab  omnibus  :  or,  tel  est  le  dogme 
de  la  présence  réelle.  Malgré  les  raisonne- 
ments éblouissants  et  les  orgueilleux  efforts 
des  protestants,  il  a  fait  la  foi  des  premiers 
siècles  comme  des  derniers;  la  foi  de  l'O- 
rient et  de  l'Occident  ;  la  foi  de  tous  ceux 
qui  n'ont  pas  abandonné  l'Eglise. 

Consolez-vous,  chrétiens,  par  ce  détail, 
et  gémissez  sur  l'aveuglement  de  nos  frères 
séparés. 

Le  dogme  do  la  présence  réelle  n'est  pas 
d'une  nouvelle  date,  comme  il  a  plu  à  nos  frè- 
res séparés  de  l'avancer  dans  leurs  ouvrages. 

C'est,  chrétiens,  une  vérité  que  nous  avons 
apprise  de  la  bouche  même  de  notre  Sau- 
veur, qu'il  a  enseignée  à  ses  apôtres.  Les  pre- 
miers siècles  de  l'Eglise,  que  Calvin  avoue 
lui-même  avoir  été  si  purs,  nous  l'attestent 
par  des  monuments  respectables. 

Ici,  Messieurs,  leurs  aveux,  leurs  que- 
relles particulières,  leurs  variations  ne  doi- 
vent pas  moins  les  couvrir  de  confusion  que 
l'éclat  des  preuves  que  j'expose  à  vos  yeux 
.pour  votre  consolation. 

Jésus-Christ  nous  fait  une  promesse  :  Je 
vous  donnerai,  dit-il,  un  pain  qui  est  véri- 
tablement ma  chair  :  Panis  que  m  ego  dabo 
caro  mea  est.  (Juan.,  VI.) 

Or,  dans  quel  temps  ce  divin  Sauveur  fait- 
il  cette  promesse?  Quelques  jours  avant  sa 
mort.  A  qui  la  fait-il?  A  ses  apôtres,  qui  de- 
vaient instruire  et  convertir  l'univers.  Dans 
quel  sens  l'entendent-ils?  Comme  nous  l'en- 
tendons aujourd'hui.  Quelles  sont  les  paroles 
de  l'institution?  Celles-ci  :  Ceci  est  mon 
corps:  Hoc  est  corpus  tneum;  ceci  est  mon 
sang  :  hic  est  sanguis  meus.  (Mal th.,  XXVI.) 
Il  ne  dit  pas  :  Ceci  est  la  ligure,  le  signe, 
le  symbole  de  mon  corps  ;  quelques-uns  des 
évangélistes  auraient  employé  ces  expres- 
sions. 

Près  de  douze  siècles  se  sont  écoulés  avant 
que  l'hérésie  ait  avancé  ces  erreurs,  et  je 
défie  les  protestants  de  prouver  que  les  apô- 
tres, leurs  successeurs,  les  Pères  des  trois 
premiers  siècles,  se  soient  servis  de  ces  ex- 
pressions :  les  sacramentaires  les  ont  ima- 
ginées, créées  ;  ils  sont  donc  coupables 
ce  nouveauté  (38)? 

Ah!  mes  frères,  ces  paroles  de  Jésus- 
Christ  :  Ceci  est  mon  corps,  ont  toujours  cm- 
harras.se.,  confondu  nos  frères  séparés  :  elles 
sont,  dit  l'un  d'entre  cu\,  des  foudres  qui 
Jes  écrasent  (39). 

(7)7)   Conférence  que  Lulîier  eut  avec  le  Diable. 

(58)  Bérenger ,  dans  le  xir  siècle,  commença  à 
dogmatiser.  Saint  Lanfranc,  archevêque  de  Cantor- 
béry,  le  combattit  à  R:)in".  Il  dit  dans  son  Ecrit 
contre  cet  hérétique,  cap.  17  :  Credimus  panem  con- 
verti in  eaiu  carnem  (pue  in  entre  pep&ndit. 


De  là,  Messieurs,  ces  combats  entre  les 
sacramentaires,  ces  schismes  dans  le  schismo 
même,  ces  différentes  sectes,  ces  soulève- 
ments indécents  des  disciples  contre  leurs 
maîtres,  ces  désirs  orgueilleux  entre  Luther 
et  Calvin,  cette  opposition  éclatante  de  sen- 
timents sur  les  paroles  de  l'institution. 

Vous  permettez,  ô  mon  Dieu  1  ces  divisions 
entre  les  ennemis  du  sacrement  de  votre 
amour,  pour  nous  prouver  leur  crime;  leurs 
disputes  et  leur  désunion  font  l'apologie  de 
la  foi  de  l'Eglise. 

Ah  !  Seigneur,  avant  que  de  mourir  pour 
nos  péchés,  auriez-vous  parlé  obscurément 
'  à  vos  apôtres  ?  Leur  auriez-vous  laissé  pren- 
dre le  change  sur  la  manière  dont  vous  êtes 
présent  dans  l'Eucharistie?  Et  ces  hommes 
destinés  à  la  conversion  du  monde  entier, 
n'auraient- ils  détruit  l'idolâtrie  ancienne, 
que  pour  en  établir  une  nouvelle  dans  votre 
Eglise  ? 

La  fougueuse  hérésie  peut  le  penser  et  le 
dire  ;  mais  nous,  ô  mon  divin  Sauveur,  nous 
sommes  persuadés  que  les  apôtres,  instruits 
par  votre  bouche  adorable,  nous  ont  enseigné 
la  vérité. 

C'est  d'eux  que  nous  tenons  le  dogme  de 
votre  présence  réelle  dans  l'Eucharistie;  nous 
ne  pouvons  pas  être  trompés. 

Ce  dogme  n'est  pas  nouveau,  puisque  vos 
apôtres  T'ont  prêché,  puisque  le  grand  Paul, 
instruit  par  une  révélation  immédiate,  nous 
l'enseigne  si  clairement,  puisque  les  hom- 
mes des  temps  apostoliques,  les  Pères  des 
premiers  siècles  l'établissent  si  solidement 
dans  leurs  ouvrages. 

Ici,  Messieurs,  se  présente  une  preuve 
éclatante  contre  nos  frères  séparés,  c'est  le 
témoignage  de  la  plus  vénérable  antiquité; 
ce  sont  ces  siècles  que  les  protestants  n'ont 
pu  s'empêcher  de  respecter,  ces  premiers 
conciles  dont  ils  ont  fait  l'éloge. 

Or,  dans  ces  temps  éloignés  qu'ils  n'osent 
accuser  ni  de  relâchement,  ni  d'erreurs,  où 
le  trôné  de  Pierre  était  arrosé  du  sang  de  ses 
pontifes,  où  la  religion  persécutée  s'accrois- 
sait sous  les  glaives  et  sur  les  échafauds,  où 
la  gloire  de  ses  enfants  n'était  pas  de  savoir 
disputer,  mais  de  savoir  mourir  pour  la  foi, 
on  croyait  la  présence  réelle  de  Jésus-Christ 
dans  l'Eucharistie;  c'était  cette  nourriture 
sacrée  qui  faisait  les  délices  des  chrétiens, 
qui  les  soutenait  dans  les  combats  que  leur 
livrait  la  fureur  des  tyrans';  nourris  delà 
chair  de  Jésus-Christ,  abreuvés  de  son  sang 
précieux,  ils  bravaient  l'appareil  des  plus 
longs  supplices. 

Ce  sont,  Messieurs,  les  hommes  des  temps 
apostoliques,  les  saints  docteurs  de  l'Eglise, 
qui  nous  enseignent  ces  vérités  consolantes. 
Les  Ignace  d'Antioche,  les  Clément,  les  Jus- 
tin, les  Tertullien,  les  Irénée,  les  Ambroise, 
les  Jérôme,  les  Augustin. 

(59)  Mélancthon,  loin.  1  de  la  Cène  du  Seigneur, 
pag.  428,  dit,  en  parlant  des  paroles  de  l'Institution  : 
Tune  istaverbu  :  hoc  est  corpus  meum,  fulmina  erunt. 
Il  dit  qu'il  faut  n'avoir  pas  une  bonne  conscience 
pour  n'en  être  pas  effrayés. 


401 


SUJETS  DIVERS   —  SERM.  V,  SUR  LA  PRESENCE  REELLE. 


102 


Tous  assurent  que  le  sacrement  de  nos 
eutels  contient  le  corps  et  le  sang  du  Sau- 
veur; aucun  ne  parle  de  figure,  de  symbole, 
de  signe,  comme  Calvin;  aucun  ne  mêle  le 
pain  avec  la  chair,  comme  Luther.  Les  deux 
grands  apologistes  de  notre  religion  qui  en 
ont  présenté  le  plan  avec  simplicicité  aux 
empereurs,  ont  parlé  comme  les  autres  Pères 
de  l'Eglise.  S'ils  ont  employé  les  termes  de 
pain  céleste,  de  pain  sacré,  dans  leurs  écrits, 
ils  n'en  ont  pas  moins  établi  le  dogme  que 
je  défends  aujourd'hui,  en  disant  que  nous 
mangeons  la  même  chair  et  buvons  le  même 
sang  qui  avaient  été  formés  dans  le  sein  de 
Marie,  et  que  l'Eucharistie  contenait  le  même 
corps  qui  avait  été  attaché  à  la  croix  pour 
nos  péchés  (kO). 

Nos  chers  frères  errants  ne  trouvent  pas, 
comme  nous,  de  quoi  autoriser  leur  doc- 
trine dans  l'antiquité.  Avec  toutes  leurs  re- 
cherches, ils  n'ont  produit  que  quelques  an- 
ciens hérétiques  qui  ne  croyaient  pas  ce 
mystère  de  la  charité  d'un  Dieu,  et  qui  aussi 
n'échappaient  pas  au  zèle  des  saints  docteurs 
de  leurs  siècles. 

La  présence  réelle  a  donc  déjà  un  de  ces 
caractères  divins  qui  établissent  les  vérités 
de  la  foi,  selon  le  célèbre  Vincent  de  Lérins, 
et  selon  aussi  nos  adversaires,  puisque  l'un 
de  leurs  ministres  se  plaintqu'on  ne  s'y  con- 
forme pas  assez  dans  l'examen  des  dogmes. 
La  présence  réelle  a  toujours  fait  la  foi  de 
l'Eglise  :  semper;  disons  aussi  qu'elle  a  fait 
la  foi  de  tous  les  lieux  :  ubique  (k\). 

Les  progrès  du  dogme  de  la  présence  réelle 
égalent,  Messieurs,  ceux  de  l'Eglise  ;  comme 
cette  épouse  du  Sauveur  règne  dans  tous  les 
lieux,  qu'elle  a  étendu  ses  conquêtes  de 
l'orient  à  l'oxident,  et  que,  selon  la  prédic- 
tion, les  rois,  les  savants  sont  venus  se  re- 
poser à  l'ombre  de  cet  arbre  majestueux  qui 
couvre  de  ses  branches  toute  la  terre,  le 
dogme  de  la  présence  réelle  a  soumis,  aussi 
bien  que  les  autres,  tous  les  esprits;  il  a  été 
cru  dans  tous  les  lieux  où  l'Eglise  avait  des 
enfants  :  ubique. 

Avec  quelle  magnificence,  Messieurs,  le 
prophète  Malachie  n'annonce-t-il  pas  le  sa- 
crifice de  la  nouvelle  loi?  Il  le  fait  succéder 
aux  sacrifices  imparfaits  de  l'ancienne  ;  il  dé- 
peint sa  sainteté,  son  excellence,  son  éten- 
due, sa  durée  :  il  lui  attribue  tous  les  traits 
magnifiques  qui  caractérisent  l'Eglise. 

Développons,  Messieurs,  toutes  les  véri- 
tés renfermées  dans  ce  grand  oracle  avant 
que  d'opposer  à  nos  frères  séparés  la  tradi- 
tion de  l'Eglise.  J'ose  le  dire,  il  n'y  a  que 
l'aveuglement  et  l'attachement  à  l'erreur  qui 
puissent  y  résister. 

(40)  Hscrclici  ab  Eucharistia  abstinent ,  eo  quod 
non  confileantur  Eucharistiam  carnem  esse  Salva- 
loris  nostri  Jesu  Christi.  (  S.  Ignatibs  ,  Ep.  ad 
Smyrneos.) —  Incarnati  illius  Jesu  carnem  et  sangui- 
nem  esse  docti  sumus.  (Sanctus  Justinus,  sec.Apo- 
logia.) —  Eucharistia  est  corpus  et  sanguis  Christi. 
(S.  Ireneus,  lib.  IV,  adversus  hœreses,  cap.  38.)  — 
Sanctus  Clemens,  Stromalum  lib.  I  et  lib.  IV.) — 
(Tertulianus,  Apologet.) —  Panis  queni  videtis  in 

llari  sanclificatus ,  per  verbuni  Dei ,  corpus  est 


D'abord,  le  prophète  nous  apprend,  que 
Dieu  dédaigne  les  sacrifices  des  Juifs,  que 
ces  victimes  impuissantes  lui  déplaisent, 
qu'on  chargera  inutilement  les  autels  de 
présents,  qu'il  ne  s'apaisera  plus  par  le  sang 
des  animaux  immolés  :  Munus  non  suscipiam 
de  manu  vestra.  (Malach.,  I.) 
f  Ensuite  il  annonce  un  sacrifice  qui  ré- 
pondra à  la  sainteté  de  Dieu,  à  sa  grandeur, 
à  son  infinie  sagesse.  Voici  la  promesse  : 

Comme  je  règne  partout,  dit  le  Seigneur, 
on  m'offrira  partout  une  hostie  pure  et  sans 
tache  :  In  omni  loco  sacrificatur  et  offertur 
nomini  meo  oblatio  munda.  (Ibid.) 

Or,  quelle  est,  Messieurs,  cette  hostie 
pure  et  sans  tache  ?  Quelque  violence  que  les 
hérétiques  fassent  à  ces  paroles,  c'est  le  sa- 
crifice de  nos  autels  :  le  sacrifice  de  la  croix 
renouvelé  tous  les  jours  et  dans  tous-  les 
lieux;  c'est  le  corps  de  Jésus-Christ  immolé 
sur  le  Calvaire,  et  présent  sur  l'autel  par  les 
paroles  efficaces  que  le  prêtre  prononce  : 
c'est  cette  victime  immense,  toute-puissante, 
infinie,  égale  à  Dieu  en  sainteté  qui  l'apaise, 
qui  le  désarme  et  satisfait  avec  abondance 
à  sa  justice. 

Les  sacrifices  de  l'ancienne  loi  ne  s'of- 
fraient qu'à  Jérusalem  :  celui  de  la  nouvelle 
s'offre  dans  tous  les  lieux  du  monde  :  m 
omni  loco  ;  cette  vérité,  Messieurs,  a  été  en- 
seignée dans  tous  les  siècles,  elle  a  suivi 
les  progrès  de  la  foi. 

Si  les  apôtres  fondent  des  Eglises  à  An- 
tioche,  à  Rome,  à  Alexandrie  ;  si  l'Orient 
devient  chrétien  et  le  séjour  des  plus  bril- 
lantes lumières  de  l'Eglise  ;  si  les  hommes 
apostoliques  annoncent  la  foi  dans  l'Occi- 
dent; si  les  Pothin,  les  Irénée  établissent 
la  doctrine  de  Jésus-Christ  à  Lyon,  les  Denis 
à  Paris,  Jes  Remy  à  Reims,  les  Grégoire  dans 
les  îles  Britanniques;  je  vois  aussitôt  des 
autels  élevés  dans  tous  ces  lieux,  des  prê- 
tres qui  consacrent  et  offrent  l'Agneau  sans 
tache  pour  la  rémission  des  péchés  :  In  omni 
loco  sacripeatur  et  offertur  oblatio  munda. 

Je  consulte  la  foi  de  ces  nouveaux  chré- 
tiens, les  écrits  de  leurs  apôtres,  les  litur- 
gies, les  prières  de  toutes  ces  Eglises  nais- 
santes, et  je  vois  qu'ils  confessent  tous  que 
c'est  le  corps  et  le  sang  de  Jésus-Christ  qu'ils 
offrent,  qu'ils  reçoivent  :  ils  ignorent  tous 
ces  distinctions,  ces  sens  forcés  des  sacra- 
mentaires. 

Reconnaissez  donc  votre  erreur,  et  gémis- 
sez, ennemis  du  sacrement  de  nos  autels, 
pasteurs  aveugles,  qui  paissez  vos  ouailles 
d'ombres  et  de  figures. 

Vous  dites  qu'il  ne  faut  se  soumettre 
qu'aux  dogmes  qui  ont  toujours  fait  la  foi  de 

Christi,  ealix" sanguis  Christi  est.  S.  Augustinis, 
serin.  81  De  diversis.)  — Corpus  Christi  est  in  altari. 
(S.  Ambrosics,  lib.  IV   De  sacrament.,  cap.  2.) 

(il)  M.  La  Roque,  ministre,  dans  son  Histoire 
ecclésiastique,  dit,  en  parlant  de  Vincent  de  Lérins  : 
«  Cet  ancien  auteur  nous  a  laissé  pour  maxime ,  il 
y  a  plus  de  douze  cents  ans  ,  qu'il  faut  soigneuse- 
ment garder  ce  qui  a  été  cru  partout  ,  toujours  et 
par  tous,  i 


403 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


404 


l'Eglise 


et  celle  de  tous  les  lieux,  et  vous 
rejetez  celui  de  la  présence  réelle  qui  a  été 
enseigné  daus  l'Orient  et  dans  l'Occident  : 
ubiyue. 

loi,  Messieurs,  je  suis  obligé  d'opposer 
encore  la  tradition  à  nos  frères  séparés,  de 
faire  briller  à  leurs  yeux  ces  grandes  lumiè- 
res de  l'Eglise  grecque,  parce  qu'ils  osent 
assurer  que  le  dogme  de  la  transsubstantia- 
tion n'a  été  reçu  que  chez  les  Latins,  et  qu'il 
a  toujours  été  inconnu  aux  Grecs. 

Les  Basile,  les  Grégoire  de  Nyce,  les  Gré- 
goire de  Nazianze,les  Cbrysostome,  les Atha- 
nase,  ces  grandes  lumières  qui  ont  éclairé 
l'Orient,  ont  parlé  de  la  présence  réelle  de 
Jésus-Christ  dans  l'Eucharistie,  comme  les 
Pères  de  l'Eglise  latine  (4-2). 

Ils  ont  tous  reconnu  que  nous  étions  nour- 
ris de  la  chair  et  du  sang  de  Jésus-Christ  à 
la  table  sacrée,  ils  ont  tous  parlé  du  change- 
ment miraculeux  du  pain  en  son  corps,  et 
du  vin  en  son  sang;  aussi,  Messieurs,  le 
terme  de  transsubstantiation  que  l'Eglise  a 
employé  dans  la  suite  pour  confondre  les 
subtilités  et  les  différentes  erreurs  des  sa- 
cramentaires,  n'a  jamais  été  combattu  par  les 
Grecs  unis  à  l'Eglise  latine. 

Ah  1  que  cette  union,  cet  accord  de  tous 
les  lieux  doit  confondre  nos  frères  séparés 
sur  ce  point  de  notre  créance  ! 

Dans  l'Orient  et  dans  l'Occident,  Jésus- 
Christ  a  des  ministres  qui  l'offrent,  des  au- 
tels où  il  réside  réellement,  des  enfants  qui 
l'adorent  da-ns  son  sacrement,  des  défen- 
deurs qui  vengent  les  outrages  que  lui  font 
les  hérétiques. 

Bérenger,  ce  précurseur  des  sacramentai- 
rcs,  trouve  à  Rome  le  saint  et  savant  Lan- 
franc,  cette  lumière  de  l'Angleterre,  qui  le 
confond,  le  terrasse,  le  touche  et  le  déter- 
mine à  jeter  ses  écrits  dans  les  flammes. 

Quels  obstacles  n'ont  pas  trouvé  Luther 
et  Calvin  dans  l'Allemagne,  lorsqu'ils  ont 
attaqué  ce  mystère  de  la  charité  d'un  Dieu 
Sauveur;  divisés  entre  eux,  proscrits,  con- 
damnés par  l'Eglise,  errants  de  ville  en  ville, 
ils  ont  terminé  leur  carrière  dans  le  trou- 
ble et  les  disputes. 

Les  hérétiques  ont-ils  trouvé  plus  de  li- 
berté à  prêcher  contre  la  présence  réelle  en 
Angleterre?  Non,  Messieurs.  On  sait  qu'un 
des  quatre  articles  de  la  reine  Elisabeth  fut 
qu'on  ne  toucherait  pas  au  dogme  de  la  pré- 
sence réelle  (k3). 

Que  l'hérétique  parcourre  tous  les  lieux 
où  l'Eglise  est  connue,  écoutée,  il  y  trou- 
vera la  même  loi  sur  cette  vérité  de  notre 
religion:  ubique ;  tous  les  fidèles  y  sont 
soumis  :  ab  omnibus. 

Je  le  sais,  Messieurs,  et  l'Eglise  l'a  vu 
avec  douleur,  elle  en  gémit:  le  nombre  des 
sacrementaires  s'est  multiplié:  les  ennemis 

(42)  Corpus  ojus  bominibus  sufficil  ad  cibum  ut 
universi  mundi  fieret  alimonia.  (  S.  Atiiana.su;s  , 
Tract,  in  Evang.)  —  Quid  de  eo  dicenduin  est  qui 
otiose  et  inuliiiler  edere  audel  corpus,  et  Libère 
sangiiinem  Donnai  nostriJesu  Cliristi.  (S.  Basiuus 
Magnus,  lib.  I  De  Baptismo). —  In  corpus  transmu- 
tetursicut  dielum  esta  verbo  :  hoc  est  corpus  menu) 


du  sacrement*  de  nos  autels  ont  eu  des  suc- 
cès: l'hérésie  a  attaché  à  son  char  des  villes, 
des  provinces,  des  royaumes  même  :  les 
simples  ont  été  séduits  par  les  charmes  de 
la  nouveauté  ;  des  savants  ont  été  entraînés 
par  les  appâts  de  l'indépendance  ;  des  prin- 
ces ont  protégé  l'erreur  naissante  et  pros- 
crite dès  son  berceau,  pour  secouer,  par 
principe,  le  joug  de  la  soumission,  et  éten- 
dre leurs  domaines  en  s'emparant  des  biens 
sacrés  du  sanctuaire. 

Mais,  malgré  ces  progrès  que  nos  frères 
séparés  ont  grand  soin  d'exagérer  et  de  don- 
ner comme  une  preuve  de  la  protection  du 
ciel  sur  eux,  il  n'en  est  pas  moins  vrai  que 
le  dogme  de  la  présence  réelle  était  cru  par 
tous  les  enfants  de  l'Eglise,  lorsqu'ils  ont 
paru,  et  qu'il  portait  ce  caractère  éclatant 
qui,  selon  eux,  distingue  toutes  les  vérités 
de  la  foi. 

En  effet,  Messieurs,  si  j'examine  la  foi  de 
l'Eglise  lorsque  Luther  et  Calvin  ont  paru; 
si  je  me  rappelle  ce  qu'ils  étaient  et  ce  qu'ils 
sont  devenus,  la  diversité  de  leurs  senti- 
ments, les  différentes  sectes  qu'ils  ont  for- 
mées, les  obstacles  qu'ils  ont  eu  à  surmon- 
ter, tout  m'annonce  la  nouveauté  de  leur 
doctrine,  tout  m'atteste  la  foi  constante  et 
invar'able  de  l'Eglise. 

Je  vois  le  dogme  de  la  présence  réelle 
reconnu  et  défendu  par  tous  les  fidèles:  ab 
omnibus:  il  trouve  des  défenseurs  dans  ses 
ennemis  même,  et  l'on  peut  dire  que  leurs 
disputes,  leurs  divisions  sont  des  trophées 
érigés  à  la  présence  de  Jésus-Christ  dans 
l'Eucharistie. 

En  effet,  Messieurs,  en  vain  fouillent-ils 
dans  l'antiquité,  en  vain  cherchent-ils  dans 
cette  foule  de  grands  hommes  qui  les  ont 
précédés,  des  maîtres  dont  ils  puissent  se 
dire  les  disciples,  ils  n'ont  jamais  pu  pro- 
duire que  quelques  anciens  hérétiques, 
quelques  manichéens  cachés  pour  autoriser 
leurs  sacrilèges  attentats. 

Quels  hommes,  Messieurs,  pour  les  op- 
poser à  tous  les  successeurs  de  Pierre,  à 
tous  les  saints  docteurs,  à  tous  ces  peuples 
fidèles  qui  adorent  Jésus-Christ  dans  l'Eu- 
charistie? 

Quelle  autorité  pour  l'opposer  à  cette  voix 
de  toute  l'Eglise  qui  s'élève  dès  que  Béren- 
ger ose  débiter  les  erreurs,  et  qui  foudroie 
les  hérétiques  du  xvic  siècle  dès  qu'ils  en- 
trepiennent  de  les  débiter? 

Mais  avançons  :  quels  sont  ces  deux  apô- 
tres qui  ont  perdu  l'Allemagne  et  une  partie 
de  nos  frontières? 

Hélas!  Messieurs,  l'histoire  fidèle  nous 
l'apprend.  C'étaient  des  hommes  élevés  dans 
l'Eglise  romaine,  l'un  honoré  du  sacerdoce, 
religieux,  l'autre  destiné  au  service  des  au- 
tels, et  déjà  pourvu  d'un  bénéfice  :  tous  les 

in  illud  transelenienlala  eorum  qua;  apparent  na- 
tura.  (S.  GniïGoiui's  Nyssenus,  Oral,  ad  catechum., 
cap.  57.) 

(45)  Les  quatre  articles  qui  faisaient  de  la  peine  \ 
la  reine  Elisabeth,  étaiei.t  les  cérémonies,  (os  ima- 
ges la  présence  réelle,  la  suprématie  royale  (Bcrnet, 
lib.  Ht,  pag.  158). 


SUJETS  DIVERS.  —  SERM.  V,  SUR  LA  PRESENCE  REELLE. 


405 

deux  croyaient  la  présence  réelle  :  l'un 
comme  prêtre ,  offrait  les  saints  mystères; 
l'autre,  comme  simple  lévite,  y  participait 
Qu'ont  donc  vu  Luther  et  Calvin?  Quelle 
voix  ont-ils  entendue  pour  attaquer  avec  tant 
de  fureur  nos  sacrements? 

Ah!  disons-le,  Messieurs,  en  gémissant: 
ils  ont  écouté  la  voix  du  père  du  mensonge , 
la  voix  des  passions,  la  voix  de  l'ambition; 
ils  ont  été  d'abîme  en  abîme,  ils  se  sont  per- 
dus ;  ils  ont  porté  une  main  sacrilège  sur  la 
colonne  de  la  vérité  pour  la  renverser;  mais 
ils  sont  péris  sous  les  orgueilleux  efforts  de 
leur  haine. 

Il  est  vrai  que,  semblables  à  Samson,  leur 
perte  a  été  suivie  de  celle  des  peuples  qui 
les  ont  écoutés, admirés;  mais  le  plus  grand 
nombre  est  demeuré  ferme  dans  la  foi.  Bien- 
tôt la  division  manileste  l'erreur,  la  diver- 
s'té  des  sentiments  démente  la  mission  ex- 
traordinaire dont  ils  se  vantent  d'être  hono- 
rés. Calvin  devient  le  disciple  de  Luther, 
mais  bientôt  le  disciple  attaque  la  doctrine 
du  maître.  Luther  soutient  que  Jésus-Christ 
est  présent  dans  l'Eucharistie;  Calvin  sou- 
tient que  ce  sacrement  n'en  est  que  la  figure. 
Luther,  pour  combattre  l'Eglise  romaine, 
mêle  des  erreurs  avec  le  dogme  de  la  pré- 
sence réelle  ;  Calvin  le  combat  sans  distinc- 
tion. De  là  ces  différentes  sectes  des  sacra- 
mentaires  qui  sont  des  monuments  subsistants 
des  égarements  de  l'esprit  particulier  et  d'in- 
dépendance. 

Il  n'en  est  pas  de  même,  Messieurs,  de 
l'Eglise:  elle  tient  toujours  le  même  lan- 
gage ;  tous  ses  enfants  entendent  comme 
elle  ces  paroles  du  Sauveur  :  Ceci  est  mon 
corps. 

Il  n'est  aucun  fidèle,  dit  saint  Epiphane 
(in  Ancorato ,  n.  57),  qui,  appuyé  sur  la 
promesse  de  Jésus-Christ,  ne  croie  de  cœur 
et  d'esprit  la  présence  réelle  de  son  corps 
dans  le  sacrement  de  nos  autels  :  Ncque 
quisquam  est  qui  ci  sermoni  (idem  non  aahi- 
heat.  C'est  la  foi  des  pontifes  et  des  lévites, 
des  savants  et  des  simples,  des  rois  et  des 
sujets. 

Dans  quelques  lieux  de  la  terre  que  vous 
vous  transportiez ,  vous  y  trouverez  des  au- 
tels dressés  à  Jésus-Christ,  notre  victime, 
des  prêtres  qui  l'immolent,  des  fidèles  qui 
l'adorent  dans  le  sacrement  de  son'  amour. 
Dans  les  contrées  idolâtres,  dans  les  Etats 
mêmes  où  l'hérésie  est  triomphante,  il  y  a 
des  autels,  des  prêtres,  des  adorateurs  de 
Jésus-Christ  dans  l'Eucharistie.  Dès  qu'il  s'y 
trouve  des  enfants  de  l'Eglise,  il  s'y  trouve 
des  défenseurs  du  dogme  de  la  présence 
réelle  :  Neque  quisquam  est  qui  èi  sermoni 
fidem  non  adhibeat. 

Ah  !  c'est  ici ,  Messieurs ,  que  je  pourrais 

aire  aux  ennemis  de"  la  présence  réelle  ce 

que  le-  grand  saint  Optât  de  Milève  disait 

aux  donatistes:  Vous  combattez  aujourd'hui 

'le  dogme  aue  vous   avez  cru  et   soutenu 


406 

lorsque  vous  étiez  encore  avec  nous  :  com- 
ment ne  rougissez-vous  pas  de  vos  attentats, 
et  pouvez-vous  vous  familiariser  ainsi  avec 
les  sacrilèges?  Vous  abolissez  un  sacrifice 
que  vous  avez  offert  comme  nous  ;  vous  mé- 
prisez un  sacerdoce  dont  plusieurs  de  vos 
maîtres  ont  été  honorés  ;  vous  renversez  des 
autels  sur  lesquels  ils  ont  immolé  la  vic- 
time sainte  et  porté  vos  vœux ,  car  vous  avez 
autrefois  cru  comme  nous  la  présence  réelle  ; 
vous  avez  assisté  comme  nous,  et  dans  le 
môme  esprit,  à  la  célébration  des  saints 
mystères  :  Vos  aliquando  obtulistis  (kh).  Faut- 
il  commettre  tous  ces  crimes  pour  justifier 
votre  séparation?  Ecoutez  la  voix  de  votre 
conscience  et  celle  de  toute  l'Eglise,  qui 
vous  les  reprochent  ;  écoutez  aussi  les  gé- 
missements de  cette  tendre  mère,  qui  vous 
rappelle  au  bercail  et  qui  ouvre  son.  sein 
pour  vous  recevoir. 

Le  dogme  que  vous  combattez  est  la  foi 
de  tous  les  siècles,  de  tous  les  lieux  et  de 
tous  les  enfants  de  l'Eglise  :  Credjtum  est 
semper,  ubique,  ab  omnibus. 

f  Mais  ce  n'est  pas  assez,  Messieurs,  pour 
remplir  mon  ministère  et  vous  être  utile, 
d'établir  le  dogme  de  la  présence  réelle  con- 
tre les  erreurs  de  nos  frères  séparés  ,  il  faut 
encore  opposer  la  présence  réelle  à  la  con- 
duite des  chrétiens  indévols.  C'est  le  sujet 
de  la  seconde  partie. 

SECONDE    PARTIE. 

C'est  votre  foi,  chrétiens, "que  j'oppose  ici 
à  votre  conduite;  cette  fo?  vive  qui  vous 
montre  Jésus-Christ  sur  l'autel  ;  cette  foi  vic- 
torieuse des  sens  qui  perce  à  travers  les 
nuages  humiliants  qui  cachent  le  Dieu  de 
gloire  à  vos  yeux;  cette  foi  sans  mélange 
d'erreur  qui  vous  fait  croire  avec  l'Eglise  le 
changement  merveilleux  de  la  substance  du 
pain  et  du  vin  au  corps  et  au  sang  du  Sau- 
veur; cette  foi  qui  vous  assure,  contre  les 
erreurs  de  Luther,  que  Jésus-Christ  est  dans 
nos  tabernacles,  qu'il  y  mérite  et  attend  nos 
adorations  ;  or,  je  dis,  mes  frères,  que  cette 
foi  vous  oblige  à  un  culte  que  vous  démen- 
tez souvent  par  votre  conduite,  un  culte  de 
respect,  un  culte  d'adoration,  un  culte  d'im- 
molation. 

Ainsi,  pour  vous  porter  à  gémir  de  votre 
conduite,  j'oppose  le  culte  de  respect  que 
vous  devez  à  Jésus-Christ  présent  dans  l'Eu- 
charistie, à  vos  irrévérences  aux  pieds  des 
autels;  le  culte  d'adoration  qui  lui  est  dû 
comme  Dieu,  aux  coupables  attaches  de  vo- 
tre cœur;  le  culte  d'immolation  qu'il  exige, 
aux  sacrifices  que  vous  faites  au  monde,(  *> 
que  vous  lui  refusez  ;  en  trois  mots,  et  c'est 
là  votre  crime,  chrétiens  indévots. 

Vous  ne  respectez  pas  votre  Dieu  sur 
l'autel;  vous  n'adorez  pas  votre  Dieu  sur 
l'autel;  vous  ne  vous  immolez  pas  avec  vo- 
tre Dieu  sur  l'autel.  Heureux  si,  en  oppo- 


(44)  Qui  enim  est  tain  sacrilegum  quam  altaria      Cliristi  portata   sunt.  (Du  schisme  des  donatistes , 
Dei  in  quibus  et  vos  aliquando  obtulistis,  frangère,      lib.  IL)  Saint  Optât  vivait  dans  le  ive  siècle. 
raJcrc,  icmorcie  in  quibus  vota  populi  et  nicinbia 


477 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


408 


sant  votre  conduite  à  votre  foi ,  je  puis  vous 
toucher  salulairement. 

L'autel  où  Dieu  est  réellement  présent  ne 
devrait  être  environné  que  de  chrétiens 
modestes,  recueillis,  saisis  d'une  sainte 
crainte,  de  suppliants  pénétrés  de  leur  mi- 
sère, de  leur  néant,  de  pénitents  saintement 
ahattus  sous  le  poids  de  la  douleur,  et  bai- 
gnés de  leurs  pleurs,  et  nous  le  voyons  tous 
les  jours  environné  de  chrétiens  qui  l'insul- 
tent, l'outragent;  on  voit  des  hommes  dissi- 
pés qui  promènent  des  yeux  égarés  et  cu- 
rieux ;  qui  ne  semblent  approcher  du  sanc- 
tuaire que  pour  braver,  par  leurs  irrévéren- 
ces, la  majesté  qui  y  réside  ;  des  mondains 
qui  y  étalent  la  pompe  du  siècle,  qui  veu- 
lent y  être  distingués,  dont  les  parures  in- 
déjchtes,  les  ennuis,  semblent  plutôt  des 
aveux  de  leur  contrainte  que  des  actes  de 
religion;  des  pécheurs  hardis,  tranquilles 
dans  le  crime,  qui  s'en  occupent,  qui  l'ai- 
ment et  qui  sont  à  la  source  des  grâces,  sans 
penser  à  demander  celle  de  leur  conver- 
sion. 

Or,  mes  frères,  d'où  viennent  ces  désor- 
dres, ces  scandales,  ces  sacrilèges?  est-ce 
que  l'on  ne  croit  pas  à  Ja  présence  réelle  de 
Jésus-Christ  sur  l'autel?  est-ce  que  l'on  ne 
croit  pas  que  c'est  le  même  que  les  mages 
ont  adoré  dans  l'étable  de  Bethléem,  le  même 
qui  a  vu  la  pécheresse,  la  Chanéenne,  le 
centenier  humblement  prosternés  à  ses  pieds, 
le  même  dont  tant  de  personnes  ont  publié 
hautement  la  divinité  dans  les  opprobres 
môme  de  sa  passion?  On  le  croit,  et  si  vous 
me  demandez  :  Pourquoi  donc  bi  peu  de  res- 
pect, de  piété  et  tant  d'irrévérences,  d'im- 
modesties? Je  vous  répondrai  :  qu'on  ne 
rougit  point  aujourd'hui  de  démentir  sa  foi 
par  ses  œuvres.    . 

Opposition  à  notre  créance  digne  des  gé- 
missements de  toute  l'Eglise.  Opposition, 
prenez-y  bien  garde,  chrétiens,  qui  rassure 
nos  frères  séparés  dans  leurs  erreurs  dont 
ils  triomphent  et  prennent  occasion  de  nous 
insulter. 

Or,  qui  peut  vous  enhardir,  chrétiens,  qui 
croyez  la  présence  de  Jésus-Christ  sur  nos 
autels?  qui  vous  rassure?  qui  vous  empê- 
che de  trembler?  qui  vous  fait  braver  ces 
châtiments  redoutables  qu'un  Dieu  irrité  des 
sacrilèges  et  des  profanations  a  exercés  sur 
les  Oza,  les  Héliodore ,  les  Bcthsamiles 
moins  coupables  que  vous  ? 

Sont-ce  ces  voiles  humiliants  sous  les- 
quels votre  Dieu  se  cache  et  s'enveloppe? 
est-ce  son  silence  sur  ce  trône  de  miséri- 
corde? est-ce  parce  qu'il  ne  sort  pas  du  fond 
de  ces  tabernacles  une  voix  menaçante  qui 
vous  reproche  vos  dissipations,  vos  immo- 
desties? est-ce  parce  qu'il  ne  parait  pas  sur 
cet  autel  comme  sur  la  montagne  de  Sinaï, 
au  milieu  des  feux, des  éclairs  et  des  ton- 
nerres? Faut-il,  pour  vous  saisir  d'un  saint 
respect,  vous  humilier,  vous  abattre  à  ses 
pieds,  qu'il  paraisse  tout  brillant  de  gloire  a 
vos  yeux,  et  qu'il  soit  un  Dieu  terrible, 
parce  que  vous  méprisez  un  Dieu  clément? 
Laut-il  qu'il  vousïr.ontre,  comme  à  Thomas, 


ses  plaies  pour  vous  persuader  que  votre 
Sauveur  immolé  sur  la  croix  est  réellement 
présent  sur  l'autel?  Voulez-vou^  vous  assu- 
rer par  l'attouchement  le  plus  immédiat 
d'un  mystère  de  foi? 

Mais  s'il  faut  tout  cela,  chrétiens,  pour 
que  vous  soyez  saisis  de  respect,  proster- 
nés, tremblants  en  la  présence  de  votre 
Sauveur,  où  est  votre  foi?  où  est  son  mé- 
rite? 

Ces  prodiges  qui  paraissent  nécessaires 
pour  faire  cesser  vos  irrévérences,  ouvri- 
raient aussi  les  yeux  des  hérétiques;  ils  re- 
nonceraient à  leurs  erreurs,  ils  adoreraient, 
saisis  d'un  saint  respect,  Jésus-Christ  comme 
vous;  que  dis-je?  s'ils  le  croyaient  présent 
sur  nos  autels,  comme  vous  faites  profes- 
sion de  le  croire,  ils  auraient  peut-être  l'a- 
vantage sur  vous,  de  ne  point  démentir  leur 
foi  par  des  irrévérences,  des  postures  indé- 
centes, des  airs  profanes. 

Heureux,  mes  frères,  si  ceux  mômes  qui 
ne  regardent  ce  sacrement  que  comme  des 
signes  et  des  symboles,  ne  pouvaient  pas 
opposer  la  modestie  avec  laquelle  ils  assis- 
tent à  leur  cène,  à  l'immodestie  d'une  foule 
de  catholiques  qui  assistent  au  sacrifice  de 
l'Agneau  sans  tache  et  font  gémir  les  âmes 
pieuses  1 

Ah  !  dit  saint  Fulgence  (Ad  beatum  Fer- 
randum  Carthaginensem  diaconum  ;  DeBapt. 
JElh.  moribundi,  cap.  11),  soyez  tels  que  ce- 
lui que  vous  voyez  sur  l'autel  :  Estole  qued 
videtis;  vous  voyez  votre  Dieu  humilié  sous 
les  voiles  qui  cachent  sa  grandeur;  vous 
voyez  le  miracle  continuel  que  son  amour 
opère,  afin  qu'il  n'échappe  aucun  rayon  de 
sa  divinité:  son  silence  dans  nos  tabernacles  : 
vous  le  voyez  dans  les  mains  des  prêtres, 
qui  devraient  être  saints  et  qui  ne  le  sont  pas 
toujours.  Répondez  donc  à  ces  abaissement-; 
que  son  amour  lui  fait  choisir,  par  votre 
respect,  votre  recueillement,  votre  modes- 
tie :  Estote  quod  videtis. 

Environnez  l'autel,  comme  les  anges  envi- 
ronnent le  trône  de  sa  gloire  ;  la  foi  doit  vous 
saisir  du  même  respect  en  sa  présence. 

Ah!  Seigneur,  faut-il  que  vos  enfants  per- 
pétuent les  outrages  de  votre  passion,  parce 
que  vous  perpétuez  les  excès  de  votre  amour 
pour  eux?  Faut-il  que  l'autel  nous  retrace 
le  spectacle  du  Calvaire,  et  que  pour  quel- 
ques chrétiens  dévots  qui  imitent  les  sain- 
tes femmes,  le  disciple  bien-aimé,  le  crimi- 
nel pénitent,  le  centurion,  qui  vous  aiment 
dans  vos  abaissements,  se  prosternent,  frap- 
pent leur  poitrine,  répandent  des  larmes, 
confessent  hautement  votre  divinité,  une 
foule  de  mondains  vous  méprise,  vous  in- 
sulte et  brave  votre  puissance,  parce  que 
vous  ne  faites  éclater  que  votre  amour? 

Vous  ne  trouverez  donc  pas,  ô  mon  Dieu  , 
de  vrais  adorateurs  parmi  ces  hommes  au- 
dacieux qui  bravent  la  sainteté  de  voâ  autels  ; 
dès  qu'ils  ne  rougissent  point  de  leurs  irré- 
vérences, ils  ne  rougiront  point  de  leurs  cou- 
pables attaches;  s'ils  manquent  au*  culte  do 
respect,  ils  manquent  aussi  au  culte  d'ado- 
ration. 


409  SUJETS  DIVERS.  —  SERM.  V, 

Ici,  chrétiens,  l'opposition  qui  éclate  entre 
votre  foi  et  votre  conduite  allume  mon  zèle,, 
et  je  sens  qu'il  faudrait  le  feu  et  l'onction 
des  prophètes  et  des  apôtres  pour  vous  re- 
tracer ces  aveux  et  ces  désaveux  que  vous 
faites  tout  à  la  fois  de  la  Divin  té. 

Votre  Dieu  est  sur  l'autel,  vous  le  croyez, 
et,  au  lieu  de  l'adorer,  vous  affectez  de  le 
méconnaître,  vous  l'outngez. 

Semblables  à  ceux  qui  fléchissaient  le  ge- 
nou devant  cet  Homme-Dieu  pendant  sa 
passion,  et  qui  inclinaient  la  tête  pour  le  sa- 
luer, vous  vous  contentez  d'une  rapide  gé- 
nullexionensa  présence,  quelques  moments 
dans  une  posture  gênante  vous  déconcertent  ; 
votre  cœur  attaché  aux  créatures  lui  refuse 
le  culte  intérieur;  votre  corps  accoutumé  à 
la  mollesse  lui  refuse  le  culte  extérieur.  Un 
Dieu  fait  ses  délices  de  demeurer  avec  les 
enfants  des  hommes;  les  enfants  des  hommes 
ne  peuvent  demeurer,  sans  ennui,  quelques 
moments  avec  leur  Dieu  î 

Son  trône  eit  presque  toujours  sans  sup- 
pliants, sans  adorateurs,  et  les  solennités 
établies  pour  honorer  ce  sacrement  de  son 
amour  ne  font  qu'augmenter  souvent  le  nom- 
bre des  sacrilèges. 

Ecoutez,  chrétiens.  Jésus-Christ  dans  l'Eu- 
charistie est  véritablement  Dieu  ;  donc  le 
culte  suprême  lui  est  dû;  donc  vous  ne  de- 
vez environner  cet  autel  que  pour  l'adorer 
en  esprit  et  en  vérité;  donc  vous  devez  être 
prosternés,  anéantis,  abîmés  en  sa  présence; 
donc  vous  devez  imiter- le  profond  respect, 
la  sainte  frayeur  de  ces  esprits  bienheureux 
qui  célèbrent  sa  grandeur,  sa  puissance  dans 
le  ciel;  car  le  piètre  qui,  par  les  paroles 
efficaces  qu'il  prononce,  le  fait  descendre 
sur  l'autel ,  vous  avertit  que  vous  allez  pos- 
séder celui  que  les  anges  ne  cessent  de  louer, 
et  devant  lequel  toutes  les  puissances  céles- 
tes sont  saisies  d'étonnement. 

Or,  mes  frères,  tous  ces  principes  posés, 
qui  sont  incontestables,  l'opposition  ee  vo- 
tre conduite  à  votre  foi  se  manifeste,  fait  gé- 
mir l'Eglise  et  afflige  les  justes  qui  environ- 
nent avec  amour  le  sanctuaire. 

Dieu  est  sur  l'autel,  et  on  ne  l'adore  point  ! 
Devant  lui  tout  genou  doit  fléchir,  et  toute 
langue  doit  confesser  sa  puissance;  et  devant 
lui  on  forme  des  projets  de  fortune,  on  s'en- 
fle de  ses  titres,  on  étale  la  pompe  du  siècle, 
on  s'applaudit  de  ses  coupables  attaches,  on 
rend  à  des  créatures  de  sacrilèges  homma- 
ges, et  on  se  souffle,  à  l'envi ,  des  étincelles 
voluptueuses  dans  le  lieu  même  où  on  ne 
devrait  voir  fumer  que  l'encens  dû  à  la  divi- 
nité! 

Que  l'hérétique  qui  ne  reconnaît  dans  le 
sacrement  de  nos  autels' que  des  ombres  et. 
des  figures,  que  les  apparences  d'un  pain 
ordinaire  révoltent,  refuse  à  ce  Dieu  caché 
le  culte  suprême  qui  lui  est  dû,  c'est  une 
suite  de  ses  erreurs. 

Mais  qu'un  chrétien,  soumis  à  la  doctrine 
catholique  sur  la  présence  réelle,  refuse  à 
son  Dieu  caché  sous  les  voiles  que  son 
amour  lui  a  fait  choisir,  les  adorations  qui 
lui  sont  dues,  et  place  dans  un  cœur  qu'il 


SUR  UA  PRESENCE  REELLE. 


410 


demande  tout  entier  les  idoles  du  plaisir  et 
de  la  fortune ,  c'est  un  crime  dont  on  ne  con- 
çoit pas  assez  d'horreur  I 

Pourquoi,  mes  frères,  la  sainte  liberté  de 
mon  ministère  serait-elle  aujourd'hui  cap- 
tive? Pourquoi  ne  me  serait-il  pas  permis  de 
vous  couvrir  d'une  confusion  salutaire  pour 
venger  les  outrages  faits  à  Jésus-Christ  dans 
l'Eucharistie? 

Ecoutez,  je  vous  prie,  le  raisonnement  de 
l'apôtre  saint  Paul  sur  l'attentat  des  Juifs,  et 
vous  serez  persuadés  que  votre  foi  sur  la  pré- 
sence réelle  vous  rend  plus  coupables  que 
les  hérétiques  mômes,  lorsque  vous  n'êtes 
point  des  adorateurs  sincères  de  Jésus-Christ 
dans  le  sacrement  de  son  amour. 

Ce  grand  Apôtre  dit  clairement  que  les  Juifs 
n'auraient  jamais  attaché  Jésus-  Christ  a  la 
croix,  s'ils  l'eussent  reconnu  pour  le  Roi  de 
gloire  :  Si  enim  cognovissent,  nunquam  Z>o- 
minum  crucifixissent.  (I  Cor.,  II.)  C'est  parce 
qu'ils  ne  l'ont  regardé  que  comme  un  homme 
ordinaire  qu'ils  l'ont  accusé,  outragé,  cru- 
cifié. 

Il  est  donc  certain,  selon  saint  Paul ,  que 
si  les  Juifs  eussent  été  persuadés  de  la  di- 
vinité de  Jésus-Christ,  ils  n'auraient  pas 
formé  le  complot  de  sa  mort;  au  lieu  des  in- 
sultes, des  outrages,  des  blasphèmes,  on  au- 
rait vu  des  hommages,  des  adorations,  des 
aveux  de  leur  dépendance;  ils  auraient  fait 
ce  qu'ont  fait  le  criminel  pénitent,  le  centu- 
rion et  tant  d'autres  qui  ont  eu  le  bonheur 
d'être  éclairés  sur  sa  divinité  dans  le  cours 
de  sa  passion,  et  qui  disaient  dans  des  sen- 
timents de  pénitence  et  d'amour  :  Il  était  vé- 
ritablementle  Fils  de  Dieu,  et  Dieului-même, 
comme  il  l'a  prêché. 

Or,  chrétiens,  on  ne  peut  pas  dire  que  vous 
ne  connaissez  pas  Jésus-Christ  pour  le  Roi  de 
gloire;  quoique  caché  sous  des  voiles  humi- 
liants ,  votre  foi  sur  la  présence  réelle  est 
pure,  sans  mélange  d'erreur;  c'est  celle  de 
l'Eglise  catholique.  Pourquoi  donc  ne  lui 
rendez-vous  pas  le  culte  supiôme  qui  lui  est 
dû  dans  l'Eucharistie?  Pourquoi  votre  cœur, 
d'où  doit  partir  ce  culte,  est-il  livré  au  monde, 
attaché  aux  créatures,  et  peut-être  occupé  de 
coupables  objets  en  sa  présence? 

Ah!  les  outrages  que  vous  lui  faites  dans 
le  sacrement  de  son  amour  lui  sont  plus  sen- 
sibles que  ceux  qu'il  a  reçus  .des  Juifs;  ils 
ne  le  connaissaient  pas,  vous  le  connaissez; 
ils  le  regardaient  comme  ennemi  de  la  nation, 
vous  le  reconnaissez  pour  le  Sauveur  du 
inonde  ;  comprenez  l'étendue  de  votre  crime. 

S'enhardir  à  la  faveur  des  abaissements 
d'un  Dieu  et  des  voiles  humiliants  qui  ca- 
chent sa  grandeur,  ne  pas  redouter  sa  puis- 
sance, parce  qu'on  n'éprouve  que  sa  clémence 
et  immoler  son  cœur  au  monde,  là  même  où 
l'on  doit  s'immoler  avec  lui  ;  quelle  mons- 
trueuse opposition  à  votre  foi!  Tel  est  votre 
crime,  chrétiens  indévols,  jusqu'au  pie  1 
des  autels.  Le  Calvaire  et  l'autel,  voilà  les 
deux  théâtres  de  l'amour  d'un  Dieu.  Ici,  il 
s'immole  pour  nos  péchés  comme  sur  la 
croix;  sur  la  croix,  c'est  un  sacrifice  san- 
glant, on  y  voit  couler  le  sang  de  la  victime; 


III 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


412 


sur  l'autel,  c'est  un  sacrifice  non  sanglant, 
une  vraie  immolation  sans  effusion  de  sang; 
le  sacrifice  de  la  croix  se  perpétue  sur  fautel  : 
c  est  le  même  Dieu,  la  môme  victime  qui 
s'offre  et  s'immole,  disent  les  Pères  du  saint 
concile  de  Trente  (sess.  xxn,  cap.  11)  :  cet 
agneau,  qui  ôte  les  péchés  du  monde,  est  tous 
les  jours,  sur  l'autel  comme  sur  la  croix,  la 
victime  de  propitiation  :  eadem  hostia  idem 
nunc  ojferens. 

Or,  mes  frères,  cet  autel  vous  représentant 
tous  les  jours  un  Dieu  immolé,  vous  retraçant 
le  sacrifice  du  Calvaire,  non  comme  un  simple 
signe,  une  simple  mémoire,  comme  le  pré- 
tendent nos  frères  séparés,  mais  comme  une 
immolation  réelle,  votre  foi  n'exige-t-elle  pas 
de  vous  que  vous  soyez  aussi  dans  un  état 
d'immolation  et  de  sacrifice? 

Ah!  si  la  présence  réelle  de  Jésus-Christ 
dans  l'Eucharistie  faisait  dans  nos  cœurs 
l'impression  qu'elle  devrait  faire,  nous  se- 
rions dans  les  dispositions  de  saint  Thomas 
lorsqu'il  dit  :  Suivons  notre  divin  maître,  et 
mourons  avec  lui  :  Eamus  et  nos  etmoriamar 
cum  illo.  (Joan.,  XI.) 

Jésus-Christ  immole  sur  l'autel  sa  gloire, 
sa  puissance,  sa  sainteté,  son  cœur  :  immo- 
lons-nous donc  tout  entiers  en  sa  présence; 
ce  culte  d'immolation  est  une  suite  nécessaire 
de  notre  foi  :  Moriamur  cum  illo.  Victimes 
pour  victimes,  immolons  dans  notre  cœur 
l'amour  des  plaisirs,  des  richesses,  de  la 
gloire;  détruisons-y  généreusement  toutes 
les  idoles  du  péché,  n'en  conservons  aucune, 
offrons  tout  notre  être  ;  soyons  en  sa  présence 
des  victimes  dociles,  comme  il  est  aux  yeux 
de  son  Père  une  victime  soumise  à  sa  rigou- 
reuse justice  :  Moriamur  cum  illo. 

Mais  où  sont-elles,  Messieurs,  ces  victimes  ? 
Jésus-Christ  fait  hien  des  sacrifices  dans  l'Eu- 
charistie, et  les  chrétiens  indévots  ne  veulent 
être  que  les  victimes  du  monde,  n'offrir  leurs 
sacrifices  qu'au  monde;  la  vue  d'un  Dieu 
immolé  ne  peut  pas  les  faire  renoncer  à  leurs 
inclinations  criminelles,  rejeter  la  plus  lé- 
gère fumée  d'encens,  pardonner  la  moindre 
offense,  sacrifier  le  plus  vil  intérêt;  on  se 
prosterne  devant  cette  victime  de  nos  péchés, 
et  on  ne  veut  rien  lui  accorder,  rien  sacrifier. 
Quelle  opposition  à  notre  créance  sur  la  pré- 
sence réelle! 

Que  de  sacrifices  Jésus-Christ  ne  fait-il  pas 
dans  l'Eucharistie  pour  y  être  notre  victime, 
nous  appliquer  ses  mérites  infinis,  et  cacher, 
sous  de  majestueuses  obscurités,  l'éclat  de 
son  éblouissante  majesté  dont  le  poids  nous 
opprimerait  dans  cette  chair  mortelle  ! 

Sacrifice  de  sa  gloire:  dès  que  ce  divin  Sau- 
veur a  eu  laissé  échapper  un  rayon  de  sa 
divinité  sur  le  Thabor,  les  apôtres  éblouis, 
saisis,  abattus,  sont  comme  accablés,  op- 
primés sous  ce  faible  échantillon  de  la  gloire 
du  Fils  unique  de  Dieu.  Dans  nos  temples, 
il  sacrifie  cette  gloire;  son  amour  par  un 
miracle  continuel  la  dérobe  entièrement  h 
nos  yeux;  sur  l'autel,  dans  nos  tabernacles, 
ce  ne  sont  que  des  voiles,  des  nuages,  des 
ténèbres,  il  ne  laisse  échapper  aucun  trait  de 
sa  divinité;  tien  ne  relève  ses  abaissements 


volontaires  ;  c'est  un  Dieu  caché,  les  yeux 
seuls  de  la  foi  l'aperçoivent. 

Or,  chrétiens,  répondez-vous  à  ce  sacrifice 
de  votre  Sauveur  dans  l'Eucharistie,  vous  qui 
êtes  enflés  de  votre  grandeur  jusqu'au  pied 
des  autels,  qui  aimez  à  être  distingués,  qui 
étalez  dans  nos  temples  la  pompe  des  vanités 
du  siècle,  et  qui,  bien  loin  de  sacrifier  une 
gloire  réelle,  vous  faites  rendre  en  sa  pré- 
sence des  honneurs  qu'on  vous  dispute  sou- 
vent, et  que  vos  ambitieuses  poursuites  vous 
ont  fait  accorder? 

Sacrifice  de  sa  puissance,  il  l'a  fait  éclater 
dans  les  jours  de  sa  vie  mortelle;  à  sa  voix 
les  morts  ressuscitent,  les  malades  sont 
guéris,  les  démons  prennent  la  fuite.  11  l'a 
fait  éclater  dans  les  abaissements  même  de 
sa  passion:  après  son  agonie,  dans  le  jardin 
des  Oliviers,  il  renverse  et  terrasse  ses  en- 
nemis d'une  seule  parole;  sur  la  croix  toute 
la  nature  bouleversée  confesse  son  pouvoir 
et  sa  puissance;  sur  l'autel,  il  ne  brille  aucun 
trait  de  cette  puissance  absolue,  son  amour 
en  suspend  tous  les  divins  éclats;  les  in- 
sultes, les  mépris,  les  sacrilèges  ne  lassent 
point  sa  miséricorde  qui  arrête  continuelle- 
ment sa  justice;  il  veut  être  dans  l'Eucha- 
ristie, non  un  Dieu  puissant  qui  venge  les 
outrages  des  pécheurs,  mais  un  agneau  doux 
et  patient  qui  ôte  les  péchés  du  monde. 

Et  vous,  mes  frères,  devant  ce  Dieu  qui 
suspend  toute  sa  puissance,  vous  ne  voulez 
rien  céder,  rien  accorder;  vous  menacez, 
vous  vous  faites  redouter,  le  défaut  seul 
d'autorité  arrête  votre  courroux,  et  jamais 
l'amour  et  la  clémence. 

Sacrifice  de  sa  sainteté,  à  combien  de  pro- 
fanations n'est-elle  pas  exposée?  Toutes  les 
mains  qui  l'offrent  devraient  être  pures  et 
beaucoup  ne  le  sont  pas;  tous  ceux  qui  le 
reçoivent  devraient  être  saints,  et  les  pé- 
cheurs le  demandent;  des  cœurs  souillés  du 
péché,  encore  attachés  au  péché,  lui  servent 
de  sanctuaire. 

Sacrifice  de  sa  miséricorde  méprisée  :  il 
attend  continuellement  ceux  qui  le  fuient, 
et  pour  quelques  âmes  qui  Je  reçoivent  di- 
gnement, qui  l'adorent  et  environnent  avec 
respect  le  trône  de  son  amour,  il  souffre  les 
indignes  communions,  les  sacrilèges,  les  ir- 
révérences, les  froideurs  d'une  foule  de  chré- 
tiens indévots;  il  attend  dans  la  solitude  des 
adorateurs;  il  est  des  temps  considérables 
sans  suppliants,  et  il  pourrait  encore  se 
plaindre,  comme  dans  le  jardin  des  Oliviers, 
que  ses  disciples  ne  peuvent  veiller  et  prier 
avec  lui. 

Or,  mes  frères,  vous  devez  cependant  ré- 
pondre à  tous  ces  sacrifices  de  Jésus-Christ 
par  les  sacrifices  de  vos  inclinations,  de  vos 
plaisirs,  de  votre  amour-propre,  de  vos  res- 
sentiments, de  tout  votre  cœur;  vous  devez 
être  en  sa  présence  dans  un  état  d'immola- 
tion, de  victime,  et  vous  immoler  avec  lui. 

Gémissez,  mes  frères,  de  l'aveuglement  de 
nos  frères  séparés,  qui  combattent  le  dogme 
de  la  présence  réelle,  puisque  je  l'ai  établi 
solidement  contre  leurs  erreurs  par  la  doc- 
trine de  tous  les  temps,  de  tous  les  liens  et 


SUJETS  DIVERS.  -  SERM.  VI ,  SUR  LE  MYSTERE  DE  L'INCARNATION. 


413 

de  tous  les  peuples  ;  mais  gémissez  aussi  sur 
l'opposition  qui  éclate  dans  la  conduite  des 
chrétiens  indévots,  qui  croient  la  présence 
réelle,  sur  ce  petit  nombre  d'âmes  pieuses 
qui  rendent  à  Jésus-Christ,  dans  l'Eucharis- 
tie, le  culte  de  respect,  le  culte  d'adoration, 
le  culte  d'immolation  qu'il  exige  de  nous. 
C'est  en  profitant  de  la  charité  d'un  Dieu 
dans  le  sacrement  de  nos  autels,  que  vous 
recevrez  sur  la  terre  le  gage  assuré  de  l'im- 
mortalité glorieuse.  Je  vous  la  souhaite. 

SERMON  VI 

SUR    LE    MYSTÈRE    DE    L INCARNATION  , 

Prêché  à  Paris,  dans  l'église  royale  et  parois- 
siale de  Saint-Barthélémy,  le  jour  de  Noël, 
Vannée  1733. 

Verbum  caro  factum  est,  et  habitavit  in  nobis.  [Joan. 

I.) 

Le  Verbe  s'est  [ail  chair,  et  il  a  habité  avec  nous. 

Un  Dieu  fait  homme  :  voilà,  chrétiens,  un 
mystère  qui  révolte  l'orgueilleuse  raison  de 
l'homme,  qui  confond  la  fausse  sagesse  du 
monde,  et  qui  met  le  sceau  à  l'effroyable  et 
volontaire  endurcissement  des  Juifs. 

Ne  sondons  pas  les  profondeurs  adorables 
de  ce  mystère,  n'entreprenons  pas  de  déve- 
lopper ces  prodigieux  abaissements  du  Verbe 
éternel,  ni  d'expliquer  les  merveilles  qu'o- 
père son  amour  pour  l'homme. 

Quel  étonnant  spectacle  s'offre  à  mes  yeux 
aujourd'hui  1  Je  suis  saisi ,  confondu  !  Je 
crois,  j'adore,  j'admire  l'amour  et  la  puis- 
sance d'un  Dieu  dans  son  Incarnation.  Son 
amour  lui  fait  choisir  ces  abaissements  qui 
m'étonnent;  sa  puissance  qui  cache  et  dé- 
robe à  nos  yeux  l'éclat  de  sa  divinité. 

Son  amour  qui  le  fait  descendre  jusqu'à 
l'homme;  sa  puissance  qui  élève  l'homme 
jusqu'à  lui;  son  amour  qui  trace,  de  toute 
éternité,  le  plan  dû  salut  de  l'homme  dans 
le  sein  de  sa  gloire  ;  sa  puissance  qui  lui  fait 
choisir  la  chair,  les  faiblesses,  les  infirmités 
de  l'homme  pour  le  guérir  et  le  sanctifier. 

Amour  et  puissance  d'un  Dieu,  je  ne  sau- 
rais trop  méditer  les  merveilles  que  vous 
opérez  aujourd'hui.  C'est  l'amour  qui  vous 
fait  entrer  avec  toutes  les  splendeurs  de  la 
sainteté  dans  le  sein  d'une  vierge  ,  pour  vous 
y  revêtir  de  notre  chair;  c'est  l'amour  qui 
cache  votre  grandeur  sous  les  faiblesses,  les 
pleurs  de  l'enfance,  et  dans  l'obscurité  de  la 
crèche  de  Bethléem  ;  c'est  votre  puissance 
qui  rend  vos  abaissements  incompréhen- 
sibles. 

L'homme  peut  s'humilier,  un  Dieu  seul 
pouvait  s'anéantir  (4-5).  L'homme  tombé  par 
le  péché,  un  Dieu  qui  veut  relever  l'homme 
après  sa  chute;  la  misère  de  l'homme  cou- 
pable, la  glojre  de  l'homme  réconcilié,  voilà, 
mes  frères,  la  cause  et  les  avantages  de  l'In- 
carnation du  Fils  de  Dieu.  Le  Fils  de  Dieu, 
par  ses  abaissements,  descend  jusqu'à  l'hom- 
me; le  Fils  de  Dieu,  par  ses  abaissements, 
élève  l'homme  jusqu'à  lui.  En  deux  mots, 
votre  foi  admirera  dans  ce  mystère  le  pro- 


411 

dige  des  abaissements  d'un  Dieu,  le  prodige 
de  l'élévation  de  l'homme.  Demandons,  etc. 
Ave,  Maria. 

PREMIÈRE   PARTIE. 

Je  médite,  chrétiens,  les  abaissements  du 
Verbe  éternel  dans  son  Incarnation  selon  la 
vérité  des  Ecritures,  les  oracles  des  prophè- 
tes, les  grands  événements  du  peuple  juif,  et 
j'y  découvre  des  prodiges  d'amour,  des  pro- 
diges de  puissance,  des  prodiges  de  sévérité. 

Abaissements  volontaires  que  son  amour 
pour  l'homme  lui  a  fait  choisir.  Abaissements 
incompréhensibles  à  la  raison  de  l'homme, 
que  son  absolue  puissance  lui  a  fait  exécu- 
ter. Abaissements  qui  révoltent  les  gentils 
et  les  Juifs,  et  que  sa  justice  emploie  pour 
les  confondre.  Je  développe  ces  trois  traits 
importants  du  mystère  de  ce  jour,  pour  vous 
instruire  sur  le  prodige  des  abaissements 
d'un  Dieu  qui  descend  jusqu'à  l'homme  : 
suivez-moi,  je  vous  prie. 

Oui,  chrétiens,  le  plan  oe  notre  rédemp- 
tion a  été  tracé  dans  le  ciel.  C'est  l'amour 
d'un  Dieu  qui  l'a  conçu,  arrangé. 

Occupé  de  notre  salut,  de  toute  éternité 
sa  charité  lui  fait  former  le  projet  de  des- 
cendre du  ciel  sur  la  terre,  de  se  faire  sem- 
blable à  l'homme,  et  de  cacher  sa  gloire  sous 
les  abaissements  de  son  Incarnation  :  Egres- 
sus  ejus  a  diebus  œternilatis.  (Mich.,  V.) 

Or,  remarquez,  je  vous  prie,  Messieurs, 
les  caractères  de  cet  amour  du  Verbe  éter- 
nel qui  le  fait  descendre  jusqu'à  l'homme- 
Amour  tendre,  touché  de  sa  misère;  amou: 
généreux  qui  le  rend  sa  victime;  amour 
constant  que  les  intérêts  de  sa  gloire  ne  sau- 
raient diminuer.  O  hommes  !  reconnaissez 
l'amour  de  votre  Dieu  pour  vous  dans  les 
abaissements  de  son  Incarnation  1 

L'homme  prévaricateur  est  devenu  après 
son  péché  un  abîme  de  misères.. 

Les  faibles,  les  penchants,  de  coupables 
désirs,  des  passions  tyranniques,  de  hon- 
teuses révoltes  dans  les  sens,  des  ténèbres 
épaisses  dans  l'esprit,  l'entendement  obs- 
curci ,  le  cœur  corrompu,  la  chair  révoltée, 
la  libei té  blessée,  l'image  du  créateur  défi- 
gurée, l'indigence,  les  faiblesses,  les  be- 
soins, les  infirmités,  la  mort,  la  corrup- 
tion, la  damnation  éternelle  ;  voilà  les  maux 
qui  accablent  l'homme  après  son  péché  : 
ruine  ineffable  dans  laquelle  toute  sa  mal- 
heureuse postérité  est  enveloppée  :  source 
empoisonnée,  d'où  coulent  toutes  les  misères 
qui  affligent  l'homme. 

Avant  l'Incarnation  de  Jésus-Christ,  tout 
le  genre  humain,  dit  saint  Augustin  (De 
verbis  Domini  inEvang.  Joan.,  sem.  G9,eap. 
11),  était  comme  un  malade  mortellement 
blessé  et  dans  l'impuissance  de  se  guérir  : 
Jacet  grandis  œgrotus.  Et  le  Fils  de  Dieu 
touché  de  sa  misère,  de  ses  plaies  mor- 
telles, vient  comme  un  médecin  tout-puis- 
sant pour  le  guérir  :  Descendit  omnipotens 
médiats  :  il  choisit  des  abaissements  qui 
cachent  sa  Divinité  ,  le   rendent  semblable 


(45)  Expression  de  saint  Paul  :  exinanivit.  (Pltilipp,,  IL)  C'est  un  des  grands  prodiges  de  l'Incarnation. 


415 


ORATEURS  SACRES.  DALLET 

e  confondent  avec  lui  :  Humi 


116 


à  l'homme,  le  contondent  avec  lui 
liavit  se  usque  ad  mortalem  carnem. 

O  misères  de  l'homme  tombé,  qui  peut 
vous  dépeindre?  O  amour  de  mon  Dieu,  qui 
vous  fait  descendre  jusqu'à  l'homme  tombé  , 
blessé,  enseveli  dans  sa  ruine,  impuissant 
pour  se  relever  ,  que  vous  êtes  adorable  ! 

|0  homme  tombé  du  sein  de  la  gloire  dans 
un  abîme  de  misère  !  O  image  brillante  du 
Créateur,  défigurée  et  méconnaissable  1  O 
néant  révolté'  contre  votre  Dieu  ,  banni  de 
sa  présence  ,  errant  sur  une  terre  de  malé- 
diction !  O  malheureux  objet  de  la  colère  et 
des  vengeances  de  l'Eternel  !  comprenez- 
vous  l'amour  d'un  Dieu  qui  descend  jusqu'à 
vous,  qui  prend  votre  ressemblance  pour 
être  votre  victime? 

Oui ,  Messieurs  ,  l'Eternel  paraît  dans  le 
temps;  le  Dieu  immortel  devient  sujet  à  la 
mort;  le  Dieuimpassible  se  soumet  aux  souf- 
frances ;  le  Dieu  de  gloire  se  cache  sous  de 
prodigieux  abaissements  ;  le  Créateur  de 
l'homme  devient  homme  lui-même  :  il  paraît 
dans  son  enfance,  dans  ses  faiblesses  ,  ses 
infirmités,  dans  ses  douleurs,  ses  misères. 
Otez  le  péché,  il  a  tout  ce  qu'a  l'homme, 
encore  en  est-il  chargé  aux  yeux  de  son 
Père ,  et  s'est-il  rendu  volontairement  la 
victime  qui  doit  l'expier. 

Ici ,  Messieurs,  s'offre  à  mes.  yeux  ce  pro- 
dige éclatant  qu'opéra  le  prophète  Elisée 
(IV  Reg.,  IV)  et  que  tous  les  saints  docteurs 
ont  toujours  regardé  comme  une  image  na- 
turelle de  l'Incarnation  de  Jésus-Christ,  et 
des  abaissements  qu'il  a  choisis  pour  des- 
cendre jusqu'à  l'homme,  le  guérir,  le  res- 
susciter et  le  réconcilier. 

Ce  prophète  s'étendit  sur  le  corps  du  fils 
oe  la  Sunamite  pour  le  ressusciter,  il  se  pro- 
portionna en  lui  en  tout;  il  posa  ses  yeux 
sur  les  siens ,  sa  bouche  sur  la  sienne  ,  il 
prit  sa  forme,  et  le  ressuscita.  Mystérieux 
symbole  des  abaissements  du  Sauveur  dans 
.son  Incarnation;  il  descend  jusqu'à  l'homme; 
touché  de  sa  misère  ,  il  prend  sa  forme,  ça 
ressemblance,  sa  chair,  pour  être  en  état 
de  souffrir,  d'être  sa  victime  ,  et  de  se  pré- 
senter à  son  Père  que  toutes  les  autres  vic- 
times ne  pouvaient  apaiser iTunc  dixi:  Ecce 
vrnio.  (Psal.  XXXIX.) 

Voulez-vous  encore,  chrétiens  ,  connaître 
toute  l'étendue  de  l'amour  de  votre  Dieu 
dans  les  abaissements  de  son  Incarnation  ? 
Eaites  attention  aux  intérêts  de  sa  gloire', 
de  sa  divinité  que  ces  abaissements  doivent 
faire  méconnaître  par  les  Romains  ,  les  Juifs, 
et  tant  d'hérésiarques  qui  l'ont  outragé  , 
mé  onnu. 

Les  abaissements  de  la  crèche,  les  abais- 
sements de  sa  vie  mortelle,  les  abaissements 
du  Calvaire  ont  révolté  la  sagesse  mondaine. 
Insensibles  aux  traits  de  divinité  qui  échap- 
paient de  temps  en  temps  aux  oracles  des 
prophètes  qui  les  annonçaient,  les  Romains 
n'ont  point  voulu  reconnaître  un  Dieu  pau- 
rre,  humilié.  Les  Juifs,  malgré  ses  mira- 
cles ,  ne  lui  donnaient  que  la  qualité 
d'homme  :  Uic  homo  multa  signa  facit. 
(Jean.,  XVI.) 


Sa  sainte  enfance  et  la  pauvreté  de  son 
berceau  faisaient  rougir  Marcion.  Les  titres 
de  dépendance,  de  soumission  qu'il  prenait 
en  qualité  d'homme  ,  ont  enhardi  Arius 
à  prononcer  des  blasphèmes  contre  sa  di- 
vinité. 

O  amour  constant  de  mon  Dieu  1  malgré 
tous  ces  outrages ,  vous  descendez  jusqu'à 
l'homme  pour  le  sauver,  et  vous  choisissez 
volontairement  les  abaissements  qui  cachent 
et  enveloppent  votre  divinité;  j'admire  ici 
votre  absolue  puissance  qui  opère  des  pro- 
diges pour  exécuter  ce  grand  projet  de  votre 
charité. 

Oui ,  chrétiens,  les  abaissements  du  Verbe 
éternel ,  dans  son  Incarnation,  sont  incom- 
préhensibles ;  aussi  sont-ils  des  preuves  de 
la  puissance  absolue  d'un  Dieu  qui  peut  tout 
ce  qu'il  veut ,  et  qui  a,  dans  les  trésors  de 
sa  puissance  ,  le  principe  efficace  de  toutes 
ces  merveilles  qui  étonnent  l'homme  et 
révoltent  le  tribunal  de  son  orgueilleuse 
raison. 

Ecoutez,  chrétiens,  et  appliquez-vous. 

Le  Verbe  éternel  s'est  fait  homme  dans  le 
temps  et  le  moment  qu'il  a  choisi,  premier 
trait  de  sa  puissance  absolue.  Le  Verbe  éter- 
nel a  été  conçu  et  s'est  revêtu  de  notre  chair 
dans  le  sein  de  Marie,  sans  donner  atteinte 
à  son  inviolable  virginité  ,  second  trait  de  sa 
puissance  absolue.  Le  Verbe  éternel  a  caché, 
suspendu,  retenu  tout  le  temps  qu'il  a  voulu 
l'éclat  de  sa  divinité,  troisième  trait  de  sa 
puissance  absolue.  Voilà  dans  les  abaisse- 
ments de  son  Incarnation  des  prodiges  aux- 
quels on  ne  fait  pas  assez  d'attention. 

Pour  satisfaire  son  cœur  et  descendre  jus- 
qu'à l'homme ,  il  faut  que  sa  puissance 
éclate  et  qu'il  opère  des  prodiges. 

C'est  dans  les  temps  marqués,  dit  l'apôtre 
saint  Paul,  que  Dieu  a  envoyé  son  Fils  uni- 
que dans  le  monde  dans  le  moment  choisi  ; 
après  la  révolution  des  siècles  qu'il  avait  dési- 
gnés dans  ses  décrets  éternels,  lorsque  Moïse 
et  les  prophètes  l'ont  eu  annoncé  et  figuré  : 
Cum  venit phnitudo  temporis.  (Galat.,  IV.) 

Alors  le  Verbe  éternel  s'est  incarné  dans 
le  sein  de  Marie;  elle  l'a  conçu,  formé  de  sa 
substance  et  mis  au  monde  :  factura  ex 
mulirre.  (Ibid.) 

Alors  l'humanité  a  été  unie  à  la  Divinité 
sans  mélange  de  la  nature  divine  avec  la 
nature  humaine.  Un  seul  Jésus-Christ,  un 
seul  Sauveur,  un  Dieu-Homme  tout  ensem- 
ble, quel  mystère!  quel  prodige  !  Que  votre 
amour,  ô  mon  Dieu,  est  puissant  pour  exé- 
cuter des  projets  dont  la  pensée  seule  con- 
fond la  raison  de  l'homme  ! 

Quel  espace  immense  entre  l'homme  et 
son  Dieu  1  Dieu,  abîme  de  sainteté,  de  puis- 
sance, de  toutes  les  perfections  :  l'homme, 
abîme  de  corruption,  de  faiblesses,  de  toutes 
les  misères.  Comment  ces  deux  abîmes  se 
sont-ils  réunis?  Comment  un  Dieu  a-t-il  pu 
descendre  jusqu'à  l'homme,  non-seulement 
pour  l'instruire  par  ses  prophètes,  l'éclairer 
par  ses  lumières,  le  toucher  par  sa  grâce, 
l'intimider  par  ses  menaces,  l'encourager 
par  ses  récompenses,   mais  encore  jusqu'à 


417  SUJETS  DIVERS.  —  SERM.  VI  ,  SUR 

se  faire  semblable  à  lui ,  se  revêtir  de  sa 
chair,  se  soumettre  à  ses  douleurs,  ses  infir- 
mités, ses  faiblesses,  se  charger  de  ses  ini- 
quités, en  porter  tout  le  poids,  toute  la  ma- 
lédiction, toute  la  peine?  factumex  mulicre. 

Comment,  Messieurs  ?  parce  que  rien  ne 
lui  est  impossible.  Dieu  ne  s'est  fait  homme 
que  parce  que  sa  puissance  absolue  égale 
son  amour  infini.  Son  amour  l'attire  vers 
l'homme  :  sa  puissance  le  rend  semblable 
àl'homme  ;  les  abaissements  cachent  le  Dieu 
puissant  ;  le  Dieu  puissant  se  cache  sous  les 
abaissements  dans  le  sein  même  de  Marie. 

Voici,  Messieurs,  encore  un  prodige,  un 
miracle  dans  les  abaissements  de  son  Incar- 
nation t  Marie  est  mère  et  vierge  tout  à  la 
fois  ;  elle  a  la  gloire  de  la  fécondité  et  de  la 
virginité;  elle  est  véritablement  la  mère  de 
Dieu;  elle  est  véritablement  l'épouse  de 
l'Agneau. 

Qu'ils  soient  à  jamais  confondus  ,  ces 
monstres  que  l'enfer  a  vomis,  et  qui  osent 
par  leurs"  blasphèmes  combattre  la  perpé- 
tuelle virginité  de  la  Mère  de  Dieu. 

Que  les  Arius,  les  Nestorius,  les  Jul'en 
Apostat  inspirent  par  leur  fin  tragique  de 
l'horreur  à  tous  les  chrétiens  ;  ces  ennemis 
de  l'Eglise  et  de  la  religion  porteront  éter- 
nellement la  peine  etl'ignominie  dues  à  leurs 
sacrilèges  attentats. 

Pour  vous,  chrétiens  ,  admirez  dans  l'In- 
carnation du  Fils  de  Dieu  une  vierge  fé- 
conde, une  mère  vierge,  une  fécondité  qui 
donne  un  nouvel  éclat  à  la  virginité  de  Ma- 
rie, une  fécondité  toute  divine,  dont  la  vertu 
du  Très- Haut  est  le  principe,  une  fécondité 
où  l'homme  n'a  point  de  part,  et  à  laquelle 
Marie  aurait  renoncé,  toute  glorieuse  qu'elle 
est,  si  elle  eût  répandu  sur  sa  pureté  toute 
céleste  le  moindre  nuage. 

C'est  un  prodige,  un  événement  inconce- 
vable,  direz -vous;  mais  rappelez- vous  , 
chrétiens,  ce  que  dit  l'Ange  à  Marie  en  lui 
annonçant  ce  mystère.  Comme  vierge,  elle 
fut  effrayée  quand  il  lui  dit:  Vous  conce- 
vrez :  Turbata  est  (Luc,  1);  elle  lui  demanda, 
non  parce  qu'elle  doutait,  mais  parce  qu'elle 
voulait  s'instruire,  comment  s'accomplirait 
ce  mystère  :  Quomodo  ftet  istud?  (Ibid.)  11 
lui  répondit  :  Ne  craignez  rien  :  Ne  timeas 
(Ibid.)  :  tous  ces  grands  projets  de  la  miséri- 
corde de  Dieu  s'exécuteront  par  sa  puissance 
absolue  ;  rien  ne  lui  est  impossible  :  Non  erit 
impossibile  apud  Deum  omne  Yerbum.  (Ibid.) 

Voilà  donc  l'absolue  puissance  du  Verbe 
éternel  qui  opère  des  prodiges  dans  son  In- 
carnation, pour  que  Marie  possède  tout  h 
la  fois  les  glorieux  titres  de  vierge  et  de 
mère. 

Prodige  annoncé  par  les  prophètes  qui  ont 
annoncé  le  Messie.  J'exposerai  à  vos  yeux 
un  prodige  éclatant,  dit  Dieu  par  Isaie  : 
Dabit  Dominus signwn  (Isa.,  VII)  :  une  Vierge 
concevra  et  enfantera  un  Fils  :  Yirgo  conci- 
piet  et  pariet  filium  (Ibid.)  ;  mais  elle  conce- 
vra et  donnera  au  monde  le  Fils  de  Dieu, 
Dieu  lui-même;  il  sera  caché  sous  la  chair 
et  les  infirmités  de  l'homme,  sa  puissance 
absolue  retiendra  l'éclat  de  sa  divinité;  s'il 


LE  MYSTERE  DE  L'INCARNATION. 


418 


en  échappe  quelques  traits ,  c'est  lorsque  sa 
sagesse  le  jugera  à  propos.    « 

Qui,  chrétiens,  j'admire  dans  les  abaisse- 
ments de  l'Incarnation  ces  tiaits  de  la  puis- 
sance absolue  d'un  Dieu  qui  cache,  <|ui  en- 
veloppe l'éclat  de  sa  grandeur,  qui  suspend, 
retient  jusqu'aux  moindres  rayons  de  sa  di- 
vinité :  qui,  non-seulement  s'humilie,  mais 
même  s'anéantit,  selon  l'Apôtre,  qui  en 
Maître  absolu,  en  Dieu  tout-puissant,  laisse 
échapper,  quand  il  le  veut,  quelques  éclats 
de  cette  gloire  éblouissante  qui  annonce  le 
Verbe  éternel. 

Il  suspend,  jour  ainsi  dire,  un  instant, 
les  abaissements  de  son  Incarnation.  Sur  lo 
Thabor,  il  laisse  échapper  quelques  rayons 
de  sa  divinité.  Quel  éblouissant,  quel  ravis- 
sant, quel  saisissant  spectacle  celte  rapide 
transfiguration  n'offre-t-elle  pas  aux  trois 
disciples  qui  en  fuient  les  témoins  1  Ah  !  ils* 
s'écrient  :  Nous  avons  vu  la  gloire  du  Verbe 
éternel,  du  Fils  unique  de  Dieu,  qui  s'est 
fait  homme,  et  qui  habite  parmi  nous  :  Yidi- 
mus  gloriam  ejus.  (Joan.,  I.) 

Oui,  chrétiens,  la  majesté,  la  gloire,  toutes 
les  splendeurs  de  la  sainteté  et  de  la  divinité 
cachées  sous  les  abaissements  de  l'Incarna- 
tion sont  des  prodiges  qu'on  ne  médite  pas 
assez  ;  rien  ne  fait  plus  éclater  l'absolue 
puissance  d'un  Dieu  qui  fait  tout  ce  qu'il 
veut.  Un  Dieu  abaissé  jusqu'à  l'homme  est 
un  mystère  que  l'on  peut  appeler  le  mystère 
de  son  amour  et  de  sa  puissance. 

Si  ces  abaissements  aveuglent  les  sages  du 
siècle,  endurcissent  les  Juifs,  sa  justice  les 
emploie  pour  les  punir. 

Oui,  mes  frères,  les  abaissements  de  l'In- 
carnation, tous  les  voiles  humiliants  de  l'hu- 
manité, la  pauvreté  de  la  crèche  de  Bethléem, 
les  faiblesses  de  l'enfance  ont  révolté  les 
sages  du  siècle,  consommé  l'incréJulité  des 
Juifs,  et  Dieu  les  a  choisis  pour  les  confon- 
dre et  les  punir. 

Sur  quoi  fondés,  attendaient-ils  le  Messie 
dans  l'appareil  d'une  grandeur  et  d'une 
puissance  mondaine  ?  Pourquoi  se  le  repré- 
sentèrent-ils comme  un  conquérant  qui  de- 
vait venir  envahir  les  royaumes  de  la  terre, 
subjuguer  les  Romains  par  la  force  des  ar- 
mes, et  attacher  au  char  de  la  nation  juive 
ces  redoutables  ennemis?  Est-ce  là  l'idée 
qu'en  donne  l'Ecriture?  sont-ce  là  les  traits 
sous  lesquels  les  prophètes  l'ont  dépeint? 
Ont-ils  promis  un  Cyrus,  un  Alexandre, 
quand  ils  ont  promis  le  Messie?  Pourquoi 
les  Juifs  qui  lisent  les  prophètes,  qui  ont 
annoncé  le  lieu  de  sa  naissance,  le  temps 
de  sa  naissance,  qui  l'appellent  le  Prîni  e  de 
la  paix,  qui  le  montrent  pauvre,  soufflant, 
mourant  pourles  péchés  du  peuple,  Font-ils 
attendu  comme  un  roi  puissant,  jaloux  des 
empires  de  la  terre?  Pourquoi  Hérode  craint- 
il  pour  son  trône  à  sa  naissance?  pourquoi 
ces  alarmes,  ce  frémissement  des  nations  ? 
Pourquoi  le  Sauveur  dans  son  berceau  fait -il 
trembler  les  césars  dans  leurs  palais?  Voici 
le  mystère,  chrétiens.  Malgré  les  abaisse- 
ments qui  cachent  le  Messie,  les  oracles  des 
prophètes  répandent  une  lumière  importune, 


419 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


420 


ceux,  qui  ne  veulent  point  1p  reconnaître,  les 
prêtres  et  les  docteurs  les  plus  éclairés 
qu'Hérode  consulte,  rendent  hommage  aux 
prophéties;  ils  ne  contestent  ni  le  temps,  ni 
le  lieu  de  sa  naissance  :  cependant  le  Messie 
est  au  milieu  d'eux,  et  ils  ne  veulent  point 
le  reconnaître,  ses  abaissements  les  révol- 
tent. Aussi,  chrétiens,  le  Verbe  éternel  les 
emploie-t-il  pour  les  confondre  et  les  punir. 
Aveuglement,  endurcissement  prédits  aussi 
bien  que  les  abaissements  de  l'Incarnation. 

Tous  les  grands  mystères  de  mon  amour 
pour  les  hommes  seront  cachés  à  cette  nation 
ingrate  et  perfide,  dit  Dieu  dans  sa  colère:  je 
l'aveuglerai,  je  l'endurcirai;  elle  aura  mes 
oracles  dans  ses  mains,  et  elle  ne  les  com- 
prendra point;  je  paraîtrai  au  milieu  d'elle, 
et  elle  ne  me  connaîtra  point;  je  ferai  des  pro- 
diges qu'elle  ne  pourra  contester,  et  elle  niera 
toujours  ma  divinité;  tous  les  abaissements 
de  mon  Incarnation  lui  cacheront  mon  éter- 
nelle grandeur  et  mettront  le  sceau  à  sa  ré- 
probation. 

En  effet,  dit  saint  Fulgence  (Wb.l^adTrasi- 
mund.  regem,  cap.  4),  les  abaissements  de 
l'Incarnation  ont'  empêché  les  Juifs  de  voir 
Jésus-Christ,  lors  même  qu'il  était  au  milieu 
d'eux,  et  de  l'écouter  lorsqu'ils  leur  parlait. 
Ils  sont  devenus  sourds  en  écoutant  les  ora- 
cles qu'il  prononçait,  et  sa  présence  dans  la 
Judée  a  augmenté  leur  aveuglement  :  Au  ■ 
diens  Judœus  remansit  surdus,  et  videns  magis 
factus  est  cœcus. 

Leurs  docteurs  leur  lisent  dans  les  syna- 
gogues les  divins  oracles  des  Jacob,  deslsaïe, 
des  Aggée,  des  Daniel;  ils  les  entendent,  et 
ils  ferment  les  oreilles  au  sens  naturel  de  ces 
magnifiques  promesses  :  Audicns  Judœus,  re- 
mansit surdus. 

Les  événements  ont  justifié  ces  célèbres 
prophéties  :  ils  se  voient  sans  autels,  sans 
roi,  sans  autorité.  Le  prodige  annoncé  a 
éclaté  :  une  vierge  de  la  famille  de  David  a 
enfanté  le  Désiré  des  nations  à  Bethléem, 
selon  la  pré.'iction.  Les  majestés  de  la  terre 
sont  venues  l'adorer  dans  son  berceau.  L'é- 
poque de  cette  divine  naissance  est  conservée 
dans  les  archives  clos  Romains.  Le  second 
temple  a  paru  moins  beau  que  le  premier, 
mais  plus  précieux  par  la  gloire  du  Verbe 
éternel  qui  l'a  honoré  de  sa  présence.  Les 
mystérieuses  semaines  de  la  prophétie  de 
Daniel  sont  écoulées,  leurs  docteurs  le  sa- 
vent, c'est  pourquoi  ils  menacent  d'anathè- 
mes  ceux  qui  supputent  les  temps.  Ils  voient 
tous  les  oracles  accomplis,  et  ils  n'en  de- 
viennent que  plus  aveugles,  plus  endurcis  : 
Videns,  magis  factus  est  cœcus. 

Us  entendent  Jésus-Christ  prêcher  au  mi- 
lieu d'eux  :  il  leur  annonce  qu'il  est  le  Fils 
de  Dieu,  qu'il  ne  fait  qu'un  avec  lui;  qu'il 
s'est  fait  homme  pour  sauver  les  hommes; 
que  c'est  lui  que  les  prophètes  ont  promis,  et 
<[ue  c'est  de  lui  que  Moïse,  qu'ils  révèrent 
tant,  a  parlé  dans  ses  ouvrages  et  ils  ferment 
les  oreilles  à  toutes  ces  vérités  :  Audicns  Ju- 
dœus, remansit  surdus. 

Ils  voient  sous  leurs  yeux  des  preuves 
éclatantes  de  sa  divinité,  des  miracles  qu'ils 


ne  sauraient  contester,  des  miracles  opérés 
près  qu'à  chaque  instant,  des  miracles  jus- 
que dans  ses  abaissements,  jusque  sur  la 
croix  où.  il  expire  ;  ils  l'avouent  eux-mêmes  : 
Hic  homo  multa  signa  facil;  et  toutes  ces 
preuves  de  la  divinité  de  Jésus-Christ  les 
aveuglent  encore  davantage  :  Videns,  magis 
factus  est  cœcus. 

Or,  chrétiens,  pourquoi  les  Juifs  s'endur- 
cissent-ils? Pourquoi  ne  veulent-ils  pas  re- 
connaître le  Messie  au  milieu  d'eux?  En 
voici  la  raison  :  les  prodigieux  abaissements 
de  l'Incarnation  les  révoltent  ;  voilà  pourquoi 
ils  ne  donnent  à  Jésus-Christ,  malgré  tous 
ses  miracles,  que  la  qualité  d'homme  :  Hic 
homo  multa  signa  facit. 

Aussi  ce  divin  Sauveur  a-t-il  choisi  ces 
abaissements  pour  cacher  aux  sages  du  siècle 
et  aux  Juifs  infidèles  les  mystères  de  son 
amour  et  exercer  sur  eux  un  jugement  ter- 
rible. 

Vous  avez  raison,  saint  vieillard  Siméon, 
de  dire,  en  tenant  ce  divin  enfant  dans  vos 
mains,  qu'il  sera  cause  de  la  ruine  et  du  sa- 
lut de  plusieurs  en  Israël  :  Hic  positus  est  in 
ruinam  et  inresurrectienem  multorum.  (Luc, 
IL)  Ces  abaissements  ont  consommé  la  perte 
des  sages  du  siècle  et  des  Juifs  incrédules. 
Ces  abaissements  ont  procuré  le  salut  de  tous 
ceux  qui  ont  voulu  cioire  en  lui.  Il  est  des- 
cendu jusqu'à  l'homme,  afin  d'élever  l'homme 
jusqu'à  lui. 

Votre  foi,  mes  frères,  vient  d'admirer  le 
le  prodige  des  abaissements  d'un  Dieu  daiiu 
le  mystère  de  l'Incarnation;  elle  va  admirer 
dans  ce  même  mystère  le  prodige  de  l'élé- 
vation de  l'homme;  c'est  le  sujet  de  la  se- 
conde partie. 

SECONDE  PARTIE. 

Le  prodige  des  abaissements  d'un  Dieu  a 
opéré,  mes  frères,  le  prodige  de  l'élévation 
de  l'homme.  Il  ne  serait  jamais  sorti  de  l'a- 
bîme où  il  était  tombé,  dit  saint  Augustin,  si 
Dieu  n'était  venu  l'y  trouver.  Il  gémirait 
encore  dans  sa  chute  sans  la  main  puissante 
qui  l'a  relevé.  Sa  gloire  sort  des  abaissements 
d'un  Dieu. 

Dieu,  en  descendant  jusqu'à  l'homme,  a 
élevé  l'homme  jusqu'à  Dieu.  Il  est  descendu 
sur  la  terre  pour  nous  conduire  en  triomphe 
avec  lui  dans  le  ciel  :  Descendit  ille  ut  nos 
ascenderemus. 

L'union  de  la  nature  divine  avec  la  nature 
humaine  nous  fait  participer  à  la  sainteté  de 
Jésus-Christ,  à  la  divinité  de  Jésus-Christ, 
aux  titres  de  Jésus-Christ.  Voilà,  chrétiens, 
le  prodige  de  l'élévation  de  l'homme  dans  le 
mystère  de  l'Incarnation. 

Le  mystère  de  l'Incarnation,  ce  mystère 
de  notre  salut,  est  le  mystère  d'un  Dieu  fait 
homme,  d'un  Dieu  revêtu  de  notre  chair, 
d'un  Dieu  qui  unit  la  nature  divine  à  la  na- 
ture humaine,  qui  prend  un  corps  et  une 
Ame  semblables  aux  nôtres.  Voilà  pourquoi 
le  grand  Apôtre  dit  que  ce  grand  mystère  a 
été  manifesté  dans  la  chair  :  Manifestation 
est  in  carne.  (I  Tim.,  III.) 

O  chair  coupable  de  l'homme  !  O  nature 
homain»;    frappée    d'anathème!   Quelle  est 


421 


SUJETS  DIVERS.  —  SERM.  VI,  SUR  LE  MYSTERE  DE  L'INCARNATION. 


422 


aujourd'hui  voire  gloire,  voire  élévation? 
Le  Verbe  éternel,  en  vous  unissant  à  sa  di- 
vinité, relève  tous  vos  abaissements.  Sa 
sainteté  sanctifie  vos  corps.  O  hommes  ré- 
conciliés, vos  membres  sont  les  membres 
d'un  Dieu  fait  homme  1  Membra  sunt  Christi! 
(I  Cor.,  VI.)  Reconnaissez  donc  ici,  chré- 
tiens, s'écrie  saint  Léon  (serm.  2  De  Naliv. 
Dom.),  votre  dignité,  votre  élévation,  et 
prenez  garde  d'en  soutenir  la  grandeur,  la 
sainteté  :  Agnosce,  o  Chrisliane,  dignitatem 
tuam! 

Quelle  sainteté  que  celle  de  Jésus-Christ  ! 
Comme  Dieu,  il  en  est  la  source,  le  principe , 
et  la  sainteté  de  ses  plus  grands  serviteurs 
ne  saurait  lui  être  égalée  :  Non  est  sanctus, 
ut  est  Dominus.  (I  Reg.,  IL) 

Revêtu  de  notre  chair,  il  la  sanctifie,  la 
consacre  et  lui  communique  tout  l'éclat  de 
la  divinité.  Devenu  homme,  semblable  à 
nous,  il  fait  éclater  la  sainteté  dans  ses  ac- 
tions et  dans  ses  discours  pour  nous  servir 
de  modèle. 

jue  conclure,  chrétiens,  de  cette  grande 
vérité?  Ce  que  saint  Paul  en  concluait  lors- 
qu'il disait  aux  Corinthiens  :  Portez  et  ho- 
norez Jé>us-Christ  dans  vos  corps  :  Glorifi- 
eate  et  portate  Deum  in  corpore  vestro. 
(ICcr.,  VI.) 

Depuis  l'Incarnation  du  Verbe  éternel, 
vos  corps  sont  devenus  précieux,  saints,  sa- 
crés ;  ils  sont  les  membres  de  Jésus-Christ. 
Votre  chair  ayant  eu  l'honneur  d'être  unie  à 
la  divinité,  et  étant  elle-même  de  Jésus- 
Christ,  vous  devez  la  respecter,  la  conserver 
pure  et  sans  tache,  éviter  avec  une  sainte 
frayeur  tout  ce  qui  peut  la  souiller  -.Glorifi- 
cate  et  portate  Deum  in  corpore  vestro 

Avant  l'Incarnation,  l'homme  de  volupté 
pouvait  dire  :  Je  souille  mon  corps;  mais 
depuis  qu'un  Dieu  s'est  revêtu  de  notre 
chair,  il  doit  dire  :  Je  souille  les  membres 
de  Jésus-Christ  lorsque  je  me  prostitue  à  de 
coupables  plaisirs. 

Ce  n'est  pas  moi,  chrétiens,  qui  pose  ces 
principes  et  qui  tire  ces  conséquences,  c'est 
l'apôtre  saint  Paul. 

Pour  inspirer  une  juste  horreur  des  vo- 
luptés criminelles  aux  Corinthiens,  il  leur 
rappelle  l'élévation  de  la  nature  humaine 
dans  le  mystère  de  l'Incarnation;  il  leur 
prouve  que  le  Verbe  éternel  s'étant  fait 
homme,  la  chair  du  chrétien  est  celle  même 
de  Jésus-Christ,  et,  tenant  le  langage  d'un 
chrétien  sollicité,  tenté,  agité  par  les  hon- 
teuses révoltes  des  sens,  il  s'écrie  :  |Ah  ! 
plutôt  mourir  que  de  goûter  volontairement 
ces  coupables  douceurs  qui  entament  mon 
cœur;  cette  chair  que  je  flatterais,  c'est  la 
chair  même  de  Jésus-Christ,  et  ce  sont  les 
membres  du  Sauveur  que  je  prostituerais  si 
je  consentais  à  ces  honteux  commerces  :  Tol- 
lens  membra  Christi  faciam  membra  meretri- 
cis.  (ICor.,  VI.)  Ah!  pour  conserver  la  gloire 
que  notre  chair  a  reçue  dans  l'Incarnation, 
il  faut  écarter  avec  soin  jusqu'aux  moindres 
nuages  qui  pourraient  obscurcir  sa  sainteté. 

Soutenez-vous,  mes  frères,  cette  sainteté 
que  vos  corps  ont  reçue  par  l'Incarnation  de 


Jésus-Christ?  Les  respectez-vous  comme 
ses  membres,  et  les  conservez-vous  purs  et 
sans  tache?  Le  nom  même  de  ce  péché,  qui 
les  souille,  les  déshonore,  est-il  banni  de  vos 
conversations?  Est-il  inconnu  parmi  vous 
comme  il  convient  à  des  chrétiens  qui  par- 
ticipent à  la  sainteté  du  Sauveur? 

Hélas!  ces  grandes  idées  de  l'Incarnation, 
ces  divins  caractères,  imprimés  suf  nos 
corps  depuis  qu'un  Dieu  s'ett  fait  homme, 
semblent  être  ignorés  de  presque  tous  les 
chrétiens. 

De  coupables  pensées,  de  honteux  désirs, 
des  commerces  criminels,  une  liberté  indé- 
cente dans  les  parures,  les  discours,  les  ac- 
tions ne  font  plus  rougir  les  disciples  d'un 
Dieu  fait  homme.  Une  jeune  personne  ne 
craint  plus  de  salir  son  imagination  par  des 
lectures  obscènes,  des  représentations  pro- 
fanes, des  entretiens  libres.  Le  démon  de  la 
volupté  attache  à  son  char  la  jeunesse  de 
nos  jours.  Il  livre  des  combats  aux  cœurs  les 
plus  innocents;  il  souille  les  états  les  plus 
saints.  Le  mariage  figuré  par  l'Incarnation  cle 
Jésus-Christ  est  déshonoré  et  couvert  d'op- 
probre. La  passion  fait  braver  la  honte  , 
le  scandale  et  toutes  les  suites  honteuses 
du  crime  de  l'impureté. 

O  hommes  !  reconnaissez  voire  dignité, 
soutenez  votre  gloire,  votre  élévation  : 
Agnosce  dignitatem  tuam.  Vous  participez  à 
la  sainteté  de  Jésus-Christ,  parce  que  vos 
corps  sont  ses  membres  ;  vous  participez  à  sa 
divinité,  parce  qu'il  vous  a  rendus, par  son 
Incarnation,  les  enfants  de  Dieu. 

Quels  heureux  changements  pour  l'homme 
dans*  le  mystère  de  l'Incarnation  !  Il  était 
esclave,  il  devient  libre  ;  il  était  attaché  au 
char  du  démon,  et  le  Verbe  éternel  incarné 
l'attache  au  sien;  il  était  un  enfant  de  co- 
lère, il  est  devenu  enfant  de  Dieu;  dans 
l'état  d'innocence  il  avait  été  créé  à  l'image 
de  Dieu,  dans  la  loi  de  grâce  non-seulement 
il  rentre  dans  la  route  du  ciel,  mais  il  parti- 
cipe à  la  nature  divine  :  divinœ  consortes 
naturœ.  (II  Pctr.,  I)  Après  sa  chute,  quel- 
ques légers  débris  de  son  ancienne  grandeur 
lui  faisaient  sentir  tout  le  poids  de  ses  mal- 
heurs; après  qu'il  a  élé  racheté,  la  gloire 
perdue  s'oiïre  à  ses  jeux,  lui  est  promise, 
assurée.  Ce  n'est  plus  un  sujet  révolté,  c'est 
un  enfant  chéri;  il  devient  par  adoption  ce 
que  Jésus-Christ  est  par  sa  nature;  car,  dit 
l'apôtre  saint  Jean,  notre  gloire,  notre  élé- 
vation est,  non-seulement  d'être  appelés, 
mais  d'être  en  effet  les  enfants  de  Dieu  :  ut 
Filii  Dei  nominemur  et  simus.  (I  Joan.,  III.) 
Voilà  la  gloire,  l'élévation,  la  prérogative 
que  Dieu  accorde  aux  hommes  par  l'Incar- 
nation de  son  Fils  unique  :  De  dit  illis  pote- 
statem  filios  Dei  fieri.  {Joan.,  I.) 

Avant  l'Incarnation  Dieu  ne  voyait  dans 
l'homme  que  son  péché,  sa  révolte  ;  après 
l'Incarnation  il  y  voit  l'amour,  les  mérites 
l'efficace  de  la  grandeur,  de  la  sainteté  et  du 
sang  de  son  FUs  unique.  Avant  l'Incarnation 
il  voyait  l'homme  avec  tous  les  traits  du 
péché,  tous  les  caractères  le  la  désobéis- 
sance; après   l'Incarnation  il  le  voit  avec 


4-23 


OKATEUKS  SACHES.  BALLET. 


424 


tous  les  traits  de  la  sainteté,  tous  les  carac- 
tères du  nouvel  homme;  il  contemple 
l'homme  dans  son  Fils,  parce  que  son  Fils 
s'est  fait  homme,  et  il  dit  à  l'homme  comme 
■h  son  peuple  chéri  :  Depuis  que  mou  Fils 
bien-aimé  s'est  fait  semblable  à  vous,  mes 
yeux  vous  contemplent  avec  plaisir.  Vous 
êtes  des  vases  d'honneur  et  revêtus  d'une 
gloire  qui  efface  toute  la  honte  de  votre 
chute  :  Uonorahilis  factus  es  in  ocutis  )neis  et 
gloriosus.  (Isa.,  XL1JI.)  Je  vous  ai  aimé,  je 
vous  ai  racheté  :  Dilexi,  redemi  te. 

Or,  chrétiens,  quel  est  le  principe  de  cette 
gloire,  de  cette  élévation  qu'on  semble  igno- 
rer dans  ce  lieu  d'exil ,  qu'on  n'estime  pas 
assez ,  dont  on  ne  soutient  pas  l'éclat ,  et  que 
l'on  semble  môme  oublier  pour  voler  à  la 
gloire  fugitive  du  siècle  ?  C'est  le  Verbe  éter- 
nel revêtu  de  notre  chair,  ce  sont  ses.  abais- 
sements qui  font  notre  élévation,  dit  saint 
Cyprien.  lia  pris  la  nature  humaine,  pour 
que  nous  participions  à  la  nature  divine  :  il 
a  voulu  devenir  ce  que  nous  sommes,  afin 
que  nous  devinssions  ce  qu'il  est.  Ce  pro- 
digieux abaissement  du  Verbe  éternel  dans 
son  Incarnation  opère  le  prodige  de  l'éléva- 
tion de  l'homme  tombé  :  Homo  esse  Christus 
VQÎuit,ut  et  homo  possit  esse  quod  Christus  est. 
'De  idolorum  vanitote.) 

Ne  doutez  pas  de  celte  gloire,  de  cette 
élévation,  chrétiens;  elle  est  assurée  par 
l'Incarnation  du\rerbe  éternel,  dit  saint  Au- 
gustin (Epist.  ad  Honor.,  I'jO,  alias  120, 
cap.  3  et  k);  il  s'est  fait  homme  ,  il  a  habite 
avec  nous.  Il  faut  nier  ce  grand  mystère  de 
notre  salut  pour  douter  de  notre  adoption 
divine. 

Il  ne  s'agit,  reprend  saint  Léon  (Serin.  2 
De  jejunio  decimi  mensis  et  collée tis,  cap.  1), 
que  de  soutenir  l'éclat  de  cette  dignité  par 
votre  soumission  à  la  volonté  de  l'Eternel  et 
la  sainteté  de  votre  vie. 

Comment  participons-nous,  chrétiens,  à  la 
divinité  de  Jésus-Christ?  Par  la  foi,  parla 
grâce,  par  son  union  avec  nous  :  or,  où  sont- 
ils  ces  hommes  de  foi,  occupés  de  cette  gloire 
du  chrétien  ,  de  cette  ineffable  élévation  à  la 
qualité  d'enfants  de  Dieu?  Hélas!  on  l'i- 
gnore ,  ou  on  n'y  pense  point ,  on  n'est  oc- 
cupé, ébloui  que  de  cette  gloire  passagère 
attachée  à  la  naissance  ,  aux  talents ,  aux 
richesses  :  on  court ,  on  vole  après  ce  fan- 
tôme éblouissant  :  on  est  indifférent  pour 
celle  qui  nous  rapproche  de  Dieu,  nous 
élève  jusqu'à  lui. 

Où  sont-ils  ces  hommes  qui  estiment  la 
grâce  du  Rédempteur,,  qui  seule  fait  notre 
grandeur,  notre  élévation?  Hélas!  on  ne 
craint  point  de  la  perdre  :  le  riche  met  sa 
gloire  dans  ses  trésors,  le  guerrier  dans  ses 
exploits,  les  grands  dans  la  noblesse  de  leurs 
aïeux  :  Je  savant  dans  les  productions  de 
son  esprit  :  on  n'ambitionne ,  on  ne  relève  , 
on  ne  respecte  que  la  gloire  périssable  du 
siècle,  que  les  dehors  de  l'homme  lia  beauté, 
l'innocence,  la  gloire  de  l'âme  ornée  de  la 
grâce  divine  ne  touchent  point.  File  serait 
souillée  des  taches  les  plus  honteuses,  qu'on 
se  croirait  encore  grands  ;  si  on  appréhende 


des  chutes,  des  perles,  ce  sont  celles  qui 
humilient  notre  orgueil,  nous  abaissent  de- 
vant les  hommes. 

Où  sont-ils  ces  hommes  qui  répondent  a 
l'union  de  Jésus-Christ  avec  le  chrétien, 
cette  union  précieuse,  divine,  qui  fait  notre 
gloire,  noire  élévation?  Ce  ne  sont  pas  ceux 
qui  lui  sont  opposés,  qui  combattent  ses 
maximes,  son  esprit,  son  Evangile,  qui  se 
rangent  sous  les  étendards  d'un  monJe  qu'il 
a  proscrit,  jugé,  condamné  ;  qui  sont  les 
apologistes  de  ses  erreurs,  de  ses  maximes, 
de  ses  plaisirs;  qui  s'attachent  volontaire- 
ment à  son  chiir;  qui  se  déclarent  ses  apôtres, 
lorsqu'il  s'agit  de  décréditer  les  apôtres  de 
l'Evangile,  et 'd'arrêter  leurs  progrès.  Ah! 
n'est-ce  pas  renoncer  à  cette  divine  union 
dont  Jésus-Christ  nous  a  honorés  dans  son 
Incarnation,  que  de  s'unir  avec  les  ennemis 
de  sa  croix,  de  son  Evangile,  de  sa  morale? 
Peut-on  servir  deux  maîtres  à  la  fois?  Non  , 
Messieurs.  Cette  conduite  ,  non-seulement 
nous  sépare  de  Jésus-Christ,  mais  encore 
elle  nous  fait  perdre  les  titres  glorieux  qu'il 
nous  a  mérités  et  procuiés  par  son  incarna- 
tion. 

Développons ,  Messieurs ,  la  céleste  doc- 
trine de  l'apôtre  saint  Paul ,  et  nous  décou- 
vrirons tout  le  fond  de  cette  gloire  ,  de  celte 
élévation  de  l'homme  depuis  l'incarnation  du 
Verbe  éternel. 

Quand  cet  Apôtre  dit  :  Dieu  nous  a  ressus- 
cites avec  son  Fils,  nous  a  fait  asseoir  sur  le 
trône  de  sa  gloire  avec  lui,  nous  regarde 
comme  les  cohéritiers  de  son  royaume  :  Cum 
essemus  mortui  peccatis...  conresuscitavit  et 
eonsedere  freit  in  cœlestibus  in  Christo  Jesa. 
(Ephes.,  II.),  il  parle  de  Jésus-Christ  comme 
homme,  revêtu  de  noire  chair;  car,  comme 
Dieu,  il  jouit  de  toute  éternité  de  la  gloire 
du  Père  céleste  :  c'est  par  lui  que  toutes 
choses  ont  été  faites  :  c'est  comme  homme 
qu'il  est  né  dans  le  temps,  qu'il  est  mort, 
qu'il  est  ressuscité,  et  que  1  humanité  unie 
à  la  divinité  est  placée  au-dessus  de  toutes 
les  intelligences  célestes  :  or  les  titres  do 
ce  divin  chef  sont  ceux  aussi  de  tous  ses 
membres.  Nous  sommes  les  cohéritiers  do 
sa  gloire,  voilà  le  droit  qu'il  nous  a  a  quis 
au  royaume  des  cieux  :  Cohœredes  Clirisii 
(Roin. ,  VIII)  :  Dieu  nous  fera  régner  avec 
lui  dans  sa  gloire  :  eonsedere  :  il  ressuscitera 
nos  corps  avec  la  môme  beauté,  la  môme 
clarté  qui  éclateront  dans  le  corps  de  Jésus- 
Christ  ressuscité  :  Hefurmabil  corpus  humi- 
litalis  nostrœ  configuration  corpori  claritaîis 
ejus.  (Rom.,  VIII). 

Or,  l'humanité  sainte  de  Jésus-Christ  sor- 
tie éblouissante  de  gloire  du  tombeau,  reçue 
par  droit  de  conquête  dans  le  ciel,  placée  à 
la  droite  de  L'Eternel,  nous  assure  des  pri- 
vilèges de  notre  résurrection, des  droits  que 
nous  avons  à  la  gloire  du  ciel,  et  du  saint  et 
ineffable  repos  que  nous  y  goûterons  pendant 
toute  l'immense  éternité. 

.0  hommes!  ô  chrétiens ,  pensez-vous  h 
cette  élévation  ,  à  cette  glorieuse  destinée? 
Ces  titres  divins  vous  flatlent-ils?  En  soute- 
nez-vous l'éclat ,  la  grandeur  ?  Et  n'y  renoc- 


425 


SUJETS  DIVERS.  —  SERM.  VII,  ASSOMPTION 

satisfaire  vos  coupables 


426 


cez-vous  pas  pour 
penchants? 

Hélas!  cette  grandeur  future,  cette  glo- 
rieuse destinée,  ces  titres  si  consolants 
pour  un  chrétien  occupé  des  vérités  du  sa- 
lut, sont  ignorés  ou  oubliés  par  les  enfants 
des  hommes. 

On  n'aspire  pas  à  être  grand  dans  l'ordre 
de  la  religion,  on  n'aspire  qu'aux  grandeurs 
de  la  terre  ;  on  est  indifférent  pour  l'héri- 
tage céleste  ;  on  est  plein  d'ardeur  pour  ra- 
masser les  successions  de  la  terre.  On  ne 
parle  point  des  titres  divins  que  Jésus-Christ 
nous  a  procurés,  parce  qu'ils  sont  communs 
à  tous  les  enfants  de  Dieu ,  aux  pauvres 
comme  aux  riches  ;  on  étale  avec  ostenta- 
tion les  titres  de  sa  naissance  temporelle, 
les  grands  noms  qu'on  s'est  acquis  par  ses 
exploits,  ses  talents,  ses  succès,  parce  qu'ils 
distinguent,  décorent  et  nous  rendent  les 
idoles  du  inonde. 

On  ne  se  gêne  point,  on  ne  surmonte 
aucun  obstacle  pour  soutenir  ses  titres  et 
la  gloire  de  sa  destinée  éternelle  ;  on  est 
délicat,  on  se  gêne  ,  on  brave  les  dangers  , 
on  combat  son  inclination  pour  soutenir  l'é- 
clat de  son  rang,  le  faire  sentir,  respecter 
même. 

Ah!  mes  frères,  si  c'est  un  prodige  de 
voir  l'homme  élevé  jusqu'à  Dieu  dans  le 
mystère  de  l'incarnation,  n'est-ce  pas  un 
prodige  de  voir  l'homme  dédaigner  cette 
élévation,  ne  point  s'en  occuper,  lui  pré- 
férer les  fragiles  grandeurs  de  la  terre,  et 
ne  rien  faire  pour  en  soutenir  l'éclat  et 
mériter  d'en  jouir  éternellement?  Tel  est 
cependant  l'aveuglement  de  la  plupart  des 
chrétiens. 

'  Pour  vous,  mes  frères,  que  le  prodige  des 
abaissements  d'un  Dieu  qui  descend  jus- 
qu'à vous  dans  le  mystère  de  l'Incarnation 
vous  persuade  de  la  grandeur  de  son  amour; 
appliquez- vous  à  reconnaître  son  immense 
charité  pour  l'homme  tombé,  plutôt  qu'à 
examiner  curieusement  ses  abaissements  in- 
compréhensibles ;  que  le  prodige  de  l'éléva- 
tion de  l'homme  jusqu'à  Dieu  vous  persuade 
de  l'obligation  où  vous  êtes  d'imiter  la  sain- 
teté de  Jésus-Chnst,  d'être  des  hommes  tout 
célestes  et  de  souffrir  avec  lui,  pour  être 
glorifiés  avec  lui  dans  l'éternité  bienheu- 
reuse. Je  vous  la  souhaite. 


SERMON  VII. 


sun 


L  ASSOMPTION  DE    LA    SAINTE   VIERGE. 

Prêché  dans  l'église  royale  et  paroissiale  de 
Saint-Louis,  à  Versailles,  l'année  1750. 

Veni,  coronaberis.  (Cmit.,  IV.) 

Venez  recevoir  la  couronne  de  gloire  qui  vous  esUvrépa- 
rée. 

Il  est  donc  arrivé,  ce  moment  qui  devait 
relever  tous  les  abaissements  de  Marie  , 
couronner  ses  héroïques  vertus  et  la  mettre 
en  possession  d'une  gloire  préparée  à  son 
éminente  dignité  de  Mère  de  Dieu. 

Ce  moment,  Messieurs,  est  celui  qui  sé- 
I*ara  son  âme  de  son  corps,  qui  rompit  les 

Orateurs  sacrés.  L. 


liens  qui  la  retenaient  sur  la  terre,  qui 
ferma  ses  yeux  à  la  lumière  du  monde,  qui 
lui  ouvrit  le  ciel  et  la  réunit  à  son  divin 
Fils. 

O  mort  de  Marie  !  que  vous  êtes  précieuse  ! 
Vos  approches  ne  lui  causent  point  de 
frayeurs  ;  votre  présence,  de  douleurs  ;  vos 
suites,  d'humiliations.  Vous  essuyez  ses 
pleurs,  vous  faites  cesser  ses  gémissements, 
vous  satisfaites  ses  désirs,  vous  lui  annon- 
cez ses  triomphes,  vous  la  faites  passer  sur 
un  trône  éclatant  où  elle  régnera  autant  que 
Dieu. 

Ne  jugez  donc  point,  Messieurs,  de  la 
mort  de  Marie  par  celle  des  autres  mortels. 
Elle  est  exempte  d'amertumes,  de  douleurs 
et  de  ses  suites  humiliantes.  C'est  un  doux 
sommeil,  un  saint  repos.  Ce  sont  les  saintes 
ardeurs  de  la  charité  qui  l'ont  consumée; 
c'est  la  voix  de  son  divin  Epoux  qui  l'ap- 
pelle pour  la  couronner  :  Veni,  coronaberis. 
La  mort  de  Marie  est  privilégiée  aussi  bien 
que  sa  gloire. 

Les  plus  intrépides  tremblent  au  moment 
de  la  mort,  dit  le  Saint-Esprit  :  Tribulabitur 
ibi  fortis.  (Soph.,  1.)  Des  amertumes  dans  le 
cœur,  des  déchirements  dans  la  chair;  au 
dehors  des  ombres,  des  ténèbres  ;  au  dedans 
une  lumière  importune,  une  voix  secrète 
qui  les  accuse,  un  avenir  qui  les  effraye; 
la  vue  d'un  tombeau  qui  s'ouvre  et  les  de- 
mande ;  l'image  de  ce  séjour  de  corruption, 
de  destruction,  qui  les  confond  :  voilà  les 
victoires  de  la  mort  sur  nous  ;  mais  où  est 
la  victoire  de  la  mort  sur  Marie  ?  Ubi  est  Vic- 
toria? (I  Cor.,  XV.)  Elle  goûte  des  douceurs 
ineffables;  son  saint  corps  est  enlevé  du 
tombeau  sans  déchet  et  porté  en  triomphe 
dans  le  ciel;  c'est  là  où  elle  jouit  d'une 
gloire  privilégiée,  puisqu'elle  est  au-dessus 
de  tout  ce  qui  n'est  pas  Dieu. 

La  mort,  Messieurs,  est  l'écueil  de  toutes 
les  grandeurs.  Le  lit  de  la  mort  est  le  théâ- 
tre de  tous  les  abaissements  et  de  toutes  les 
humiliations  de  l'homme. 

En  vain  est-il  né  grand  ;  en  vain  a-t-il 
coulé  ses  jours  dans  la  gloire,  l'opulence  et 
les  plaisirs.  Ce  moment,  qui  l'enlève  au 
monde,  l'enlève  à  tous  ses  objets  enchan- 
teurs; la  scène  brillante  du  siècle  dispa- 
raît; une  jSrène  triste  et  lugubre  com- 
mence, et  quelle  scène,  grand  Dieu!  Les 
liens  de  la  mortalité  qui  se  brisent,  le 
monde  qui  fuit,  le  tombeau  qui  s'ouvre, 
l'éternité  qui  se  présente  avec  sa  vaste  et  in- 
compréhensible étendue;  un  Dieu  qui  fait 
sentir  ses  approches;  la  nature  qui  gémit 
de  sa  destruction  ;  l'âme  qui  soupire  et  s'é- 
lance vers  l'éternité;  une  conscience  in- 
quiète, troublée,  agitée.  Tel  est,  Messieurs, 
l'état  d'une  infinité  de  chrétiens  au  moment 
de  la  mort;  telles  sont  leurs  peines,  leurs 
alarmes,  leurs  angoisses.  Or,  la  mort  de 
Marie  est  une  mort  douce,  précieuse;  une 
mort  qui  lui  procure  tous  les  triomphes  et 
toute  la  gloire  due  à  son  éminente  dignité 
de  Mère  de  Dieu. 

Arrêtons-nous,  chrétiens,  à  ces  deux  idées, 
elles  vous  instruiront  sur  le  mystère  de  ce 


427 


jour  :  les  prérogatives  de  la  mort  de  Marie  ; 
les  prérogatives  de  ia  gloire  de  Marie.  De- 
mandons, etc.  Ave  Maria. 

PREMIÈRE   PARTIE. 

Deux  triomphes  éclatants  distinguent  la 
mort  de  la  sainte  Vierge  de  celle  de  tous  les 
autres  mortels. 

Les  approches  de  la  mort,  les  suites  de  la 
mort;  voilà  le  sujet  de  nos  frayeurs  et  de 
nos  humiliations.  Or,  Marie,  par  des  pré- 
rogatives dues  à  la  vivacité  de  son  amour  et 
à  sa  dignité  de  Mère  de  Dieu,  triomphe  au- 
jourd'hui des  approches  redoutahles  et  des 
suites  humiliantes  de  la  mort. 

Son  âme  goûte  par  anticipation,  au  moment 
de  la  mort,  les  délices  du  ciel  ;  son  corps 
jouit  par  anticipation,  après  sa  mort,  de  la 
gloire  du  ciel  ;  ces  victoires  sur  les  amer- 
tumes de  la  mort  et  sur  les  horreurs  du  tom- 
beau; voilà,  Messieurs,  les  prérogatives  que 
l'Eglise  veut  nous  faire  révérer,  lorsqu'elle 
dit  que  Marie  a  été  exemple  de  tout  ce  que 
la  mort  a  d'amer  et  d'humiliant  :  Nec  tamen 
mortis  nexibus  deprimi  potuit.  (Dans  Y  Orai- 
son du  jour.)  Suivez-moi,  je  vous  prie. 

Ce  n'est  pas  à  ceux  qui  tendent  à  la  per- 
fection, mais  à  ceux  qui  y  sont  déjà  arrivés, 
dit  saint  Augustin,  qu'il  est  donné  de  goûter 
des  douceurs  et  des  délices  aux  approches 
de  la  mort;  celui  qui  est  parfait  :  qui  perfec- 
tus  est,  gémit  continuellement  dans  cette 
vallée  de  larmes;  la  longueur  de  son  exil 
est  le  sujet  de  ses  douleurs.  11  erre  triste- 
ment dans  ce  lieu  de  pèlerinage,  il  l'ar- 
rose de  ses  pleurs,  il  n'arrive  pas  assez  tôt 
à  son  gré  dans  la  céleste  patrie  ;  les  délais 
affligent  son  âme ,  et  ce  n'est  que  la  sou- 
mission à  la  volonté  de  son  Dieu  qui  lui  fait 
supporter  patiemment  la  longueur  de  ses 
jours  :  patienter  viviL  Mais  aussi  pour  ce 
juste  parfait,  continue  saint  Augustin,  le 
temps  de  goûter  des  douceurs  et  des  délices, 
c'est  le  moment  de  la  mort;  ses  approches 
pénètrent  son  âme  d'une  sainte  joie;  il  meurt 
dans  des  transport  d'allégresse  :  delectabiliter 
moritur. 

Tout  ce  qu'il  y  a  de  terrible,  d'effrayant 
au  delà  du  tombeau,  se  présente  au  pécheur 
mourant;  il  meurt  dans  l'abattement,  la 
crainte,  le  saisissement.  Tout  ce  qu'il  y  a 
de  ravissant,  de  consolant  dans  le  ciel  se 
fait  sentir  au  juste  mourant;  il  meurt  avec 
une  joie,  une  satisfaction  ineffable  :  delecta- 
biliter moritur. 

Or,  sur  ce  principe,  chrétiens,  que  de- 
vons-nous penser  de  la  mort  de  Marie?  Eut- 
elle  pour  elle  des  amertumes  ?  Ses  approches 
purent-elles  l'effrayer,  l'abattre?  Se  présen- 
ta-t-elle  à  elle  sous  ces  images  saisissantes 
qui  font  pâlir  les  mortels  attachés  à  la  terre? 
Lui  montia-t-elle  un  avenir  effrayant?  Ah! 
Marie,  au-dessus  des  justes  les  plus  parfaits, 
meurt  dans  de  saints  transports  d'amour  et 
d'allégresse  :  delectabiliter  moritur. 

Soumise  aux  ordres  du  Très-Haut  qui  la 
laissait  sur  la  terre  ,  elle  adorait  ces  délais 
qui  affligeaient  son  âms  ;  ces  saintes  lan- 
gueurs dans   lesquelles  elle   vivait  depuis 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 

l'ascension  de 


428 


son  divin  Fils  lui  faisaient 
pousser  vers  le  ciel  de  tristes  accents.  Elle 
se  plaignait  de  la  longueur  de  ses  jours  ; 
mais  c'était  le  plus  pur  amour  qui  foimait 
ses  plaintes,  qui  les  animait,  dit  saint  Au- 
gustin. 

O  le  plus  cher  objet  de  mon  cœur  !  pour- 
quoi ne  suis-je  pas  encore  où  vous  êtes  ? 
Pourquoi  me  laissez-vous  si  longtemps  où 
vous  n'êtes  pas  ?  Quare  nondumsum  ibi  ? 
'"  Pourquoi  mon  âme  est-elle  retenue  si 
longtemps  dans  les  liens  de  cette  chair  mor- 
telle ?  O  Sauveur  de  tous  les  hommes  !  Vous 
êtes  mon  Dieu  et  vous  êtes  mon  Fils.  Je  suis 
votre  servante  et  je  suis  votre  mère.  Pour- 
quoi suis-je  séparée  si  longtemps  de  vous? 
Pourquoi  ne  suis-je  pas  encore  avec  vous  ? 
Quare nundum  sum  ibi? 

Or,.  Messieurs,  pour  une  âme  si  pure,  qui 
se  consume  ainsi  dans  les  saintes  ardeurs 
de  la  charité,  qui  s'élance  avec  tant  de  vi- 
vacité vers  le  ciel ,  les  approches  de  la  mort 
peuvent-elles  avoir  quelque  chose  d'amer , 
d'effrayant?  Non,  chrétiens;  la  mort  a  pour 
Marie  des  douceurs,  des  délices  ;  elle  meurt 
dans  une  allégresse  ineffable  :  delectabiliter 
moritur. 

Elle  regarde  le  ciel,  elle  contemple  la 
gloire  qui  lui  est  destinée;  ses  yeux  sont 
fixés  vers  ces  montagnes  éternelles ,  on  dirait 
qu'elle  habite  déjà  ce  céleste  séjour,  et  qu'elle 
se  repose  dans  le  sein  de  Dieu  :  delectabi- 
liter moritur. 

La  voix  de  son  bien-aimé  l'appelle  pour 
la  couronner;  la  violence  du  divin  amour 
sépare  sa  sainte  âme;  les  jours  de  son  exil 
sont  écoulés;  le  moment  de  ses  triomphes, 
de  sa  gloire,  est  arrivé;  elle  sort  du  désert 
de^ce  monde  comblée  de  délices,  appuyée 
sur  son  bien-aimé,  elle  est  enlevée  par  les 
anges ,  et  portée  sur  un  trône  éclatant  de 
gloire  :  delectabiliter  moritur. 

Ah  !  chrétiens,  go.ûterez-vous  ces  dou- 
ceurs, ces  délices,  aux  approches  de  la  mort  ? 
Aurez-vous  même  la  confiance  du  juste  dans 
ces  moments  redoutables  ?  Hélas  !  ce  n'est 
qu'avec  peine  que  je  tire  d'un  sujet  si  glo- 
rieux à  Marie  une  morale  si  humiliante 
pour  vous. 

J'approche  du  lit  d'un  mourant  ;  je  ne  dis 
pas  de  ces  hommes  qui  pleurent  des  ini- 
quités, des  impiétés  qu'ils  ont  commises  de 
sang-froid;  il  n'est  pas  étonnant  de  les  voir 
tremblants, épouvantés;  ils  rendent  àla  re- 
ligion un  hommage  public ,  comme  une 
amende  honorable  qui  précède  les  supplices 
qui  leur  sont  destinés. 

Je  ne  dis  pas  de  ces  mondains  qui  sont 
trop  effrayés  des  approches  de  la  mort, 
pane  qu'ils  ont  trop  été  attachés  à  la  vie, 
auxquels  il  ne  reste  que  quelques  moments 
pour  rompre  mille  liens  flatteurs ,  expier  de 
coupables  années,  réparer  une  conduite 
scandaleuse,  arranger  des  affaires  domes- 
tiques, examiner  des  contrats  usuraires, 
réparer  des  injustices,  recevoir  les  sacre- 
ments, mourir  et  être  jugés;  leurs  saisis- 
sements sont  bien  fondés. 

Mais  j'approche  du  lit  d'un  juste  mourant, 


429 


SUJETS  DIVERS.  -  SERM 


d'un  prêtre ,  d'iin  apôtre  ;  et  je  le  vois  encore 
trembler  aux  approches  de  la  mort;  ce  n'est 
pas  la  vie  qu'il  regrette,  c'est  l'examen  de 
ses  actions  qu'.l  redoute  ;  la  vue  du  tombeau 
qui  s'ouvre  ne  l'effraye  pas,  mais  les  juge- 
ments de  Dieu  qui  approchent  l'épouvan- 
tent. Les  Hilarion,  les  Jérôme  désiraient  la 
mort;  les  Hilarion,  les  Jérôme  redoutaient 
le  tribunal  du  souverain  juge.  Dans  ces  mo- 
ments terribles  les  hommes  apostoliques  ont 
besoin  d'apôtres. 

Ce  calme,  ce  repos,  cette  confiance,  cette 
•  allégresse  de  Marie,  aux  approches  de  la 
mort,  devaient,  chrétiens,  faire  nécessai- 
rement ses  délices.  Nous  devons  regarder 
cette  ineffable  tranquillité  de  sa  sainte  âme 
comme  la  récompense  de  son  héroïque  dé- 
tachement et  de  son  éminente  sainteté. 

Deux  choses  effrayent  les  mondains  dans 
ce  moment  décisif,  les  objets  terrestres  aux- 
quels leur  cœur  est  attaché;  les  péchés  dont 
leur  cœur  est  souillé.  Ils  redoutent  une  sé- 
paration qui  les  dérobe  pour  toujours  à  un 
monde  visible  qu'ils  ont  criminellement 
aimé,  et  qui  les  fait  [tasser  sous  le  domaine 
d'un  Dieu  qu'ils  ont  volontairement  offensé. 

Quelle  amertume  !  quelles  angoisses  1 
quelles  douleurs  1  quelles  craintes  quand  le 
tombeau  s'ouvre  sous  les  yeux  de  ces  riches 
et  qu'ils  voient  fuir  devant  eux  ces  biens,  ces 
domaines,  ces  honneurs,  toutes  ces  créatures 
qui  remplissaient  leurs  cœurs,  quand  des 
douleurs  vives ,  des  déchirements  du  corps 
leur  annoncent  qu'il  faut  cesser  de  vivre  sur 
la  terre!  Quand'T'effrayante  image  de  leur  des- 
truction se  présente  à  leur  imagination  trou- 
blée, égarée;  quand  l'immense  étendue  d« 
l'éternité,  l'appareil  d'un  jugement  rigou- 
reux qui  doit  décider  pour  toujours  de  leur 
sort ,  s'offrent  à  leur  foi  sortie  de  son  assou- 
pissement et  qui  leur  fait  sentir  clairement 
combien  il  faudrait  qu'ils  fussent  saints 
alors  ,  et  combien  ils  sont  coupables  :  qu'ils 
devraient  être  pleins  de  bonnes  œuvres  et 
qu'ils  sont  pleins  de  crimes.  Ah  1  il  faut  aller 
auprès  de  ces  mondains  expirants  pourvoir 
toutes  les  frayeurs  que  causent  les  appro- 
ches de  la  mort  :  c'est  d'après  ce  qu'ils  pen- 
sent ,  ce  qu'ils  disent  :  c'est  d'après  leur  sou- 
pirs, leurs  larmes,  qu'on  en  pourrait  tracer 
un  fidèle  portrait. 

La  confiance,  dans  ce  redoutable  moment, 
est  la  consolation  du  juste  qui  a  été  détaché 
de  la  terre  et  qui  a  amassé  des  bonnes  œu- 
vres. La  sécurité,  l'allégresse,  le  calme, 
furent  le  privilège  de  Marie. 

Tout  ce  que  le  monde  a  de  plus  séduisant, 
plaisirs  ,  richesses  ,  honneurs  ,  sceptres  , 
trônes  même  n'avaient  pu  charmer  ses  en- 
nuis dans  cette  terre  d'exil.  La  plus  légère 
trace  du  péché  n'avait  point  souillé  sa  sainte 
âme  :  son  divin  époux  remplissait  seul  son 
cœur  :  la  mort  terminait  donc  ses  larmes,  ses 
soupirs,  et  la  mettait  en  possession  du  sou- 
verain bien. 

Quels  furent  ses  transports  de  joie  lors- 
qu'une douce  langueur  affaiblit  son  saint 
corps  1  que  l'ardeur  de  la  charité  lui  causa 


VII,  ASSOMPTION.  430 

des  défaillances  :  qu'elle  entendit  la  voix  do 
son  Fils  qui  l'appelait  l  Elle  seule  pourrait 
nous  raconter  toutes  les  merveilles  que  Dieu 
opéra  dans  la  séparation  de  son  âme  d'avec 
son  corps  :  il  nous  suffit  de  savoir  que  la 
mort  de  la  Mère  de  Dieu  ne  fut  pour  elh 
qu'une  divine  extase,  un  doux  sommeil 
Telles  sont,  chrétiens,  les  prérogatives  de  U 
mort  de  Marie ,  d'avoir  été  exempte  des 
frayeurs  de  la  mort  et  des  suites  humiliante- 
de  la  mort.  Son  âme  goûte,  par  anticipation, 
au  moment  de  la  mort ,  les  délices  du  ciel  ; 
son  corps  jouit,  par  anticipation,  après  sa 
mort ,  de  la  gloire  du  ciel. 

Le  prophète  demandait  au  Seigneur  s'il 
ne  ferait  pas  de  merveilles  en  faveur  des 
morts  ?  Nunquid  mortuis  faciès  mirabilia  ? 
{Psal.  LXXXVII.)  Le  tombeau  de  Marie  , 
Messieurs,  est  le  séjour  de  ces  merveilles, 
de  ces  prodiges  dont  le  prophète  veut  pailer. 
11  n'appartient  qu'à  Dieu  de  faire  éclater  sa 
puissance  dans  le  tombeau  :  lui  seul  peut 
changer  ce  séjour  d'humiliation  en  un  sé- 
jour de  gloire  :  il  le  peut,  il  l'a  fait  en  fa- 
veur de  la  sainte  Vierge,  nous  le  croyons 
pieusement  avec  l'Eglise  :  son  corps  jouit, 
après  sa  mort,  par  anticipation  ,  de  la  gloire 
du  ciel. 

Ecoutez  ,  critiques  téméraires  ,  savants 
indociles,  livrés  à  des  recherches  indis- 
crètes, qui  languissez  dans  de  vaines  ques- 
tions et  de  perpétuelles  disputes  :  ne  con- 
testez pas  à  Marie  cette  prérogative  ,  dit 
saint  Augustin  ,  à  cause  qu'elle  n'est  pas 
établie  dans  l'Ecriture  :  lorsque  l'Ecriture 
ne  parle  pas  d'un  fait  que  l'Eglise  révère,  il 
faut  qu'une  raison  saine  et  dégagée  de  pré- 
vention nous  fasse  adopter  ce  qui  convient 
à  la  vérité  :  Divina  Scriptura  nihil  commé- 
morât; quœrendum  est  ratione  qaod  conveniat 
veritati. 

Nous  ne  craignons  point  de  dire  que 
Marie  a  été  soumise  à  la  mort  temporelle  : 
Jésus-Christ  ,  son  Fils  ,  revêtu  ae  notre 
chair,  y  a  été  soumis  aussi  ;  mais  nous 
n'aurons  jamais  la  témérité  de  dire  qu'elle 
a  été  en  proie  aux  horreurs  du  tombeau  ,  les 
suites  humiliantes  de  la  mort  n'étaient  pas 
pour  elle. 

Et  si  vous  me  demandez  pourquoi ,  dit 
saint  Augustin,  je  soutiens  cette  prérogative 
de  Marie  :  c'est  que  la  chair  de  Jésus-Christ 
est  la  chair  de  Marie  :  Caro  Jesu,  caro 
Mariœ. 

Les  merveilles  que  Jésus-Christ  a  opérées 
dans  le  tombeau,  par  sa  propre  puissance, 
pour  se  ressusciter,  il  les  a  opérées  en  fa- 
veur de  Marie,  pour  délivrer  son  saint  corps 
des  suites  humiliantes  de  la  mort  :  la  pour- 
riture, les  vers,  cette  famille  des  morts, 
comme  l'Ecriture  les  appelle,  l'ont  respecté  ; 
il  a  joui  par  anticipation  des  privilèges  de  la 
résurrection  des  saints. 

Que  des  savants  téméraires,  que  des 
critiques  hardis  décident  le  contraire,  conti- 
nue saint  Augustin,  pour  moi,  je  n'ose  avoir 
d'autres  sentiments  :  aliter  sentir e  non  au- 
deo  :  et  je  n'aurai  jamais  la  hardiesse  d'en- 
seigner une  doctrine  contraire  à  la  pieuse 


431 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


m 


créance  de  l'Eglise:  aliter  dicere  non  prœ- 
sumo  :  le  ciel  était  plus  digne  de  posséder 
ce  sacré  dépôt  que  la  terre  ;  l'incorruptibi- 
lité devait  suivre  une  virginité  telle  que  la 
sienne,  et  non  pas  les  suites  humiliantes  de 
la  mort. 

Pourquoi  cherchez-vous  dans  le  sépulcre, 
dit  saint  Jean  Damascène,  celle  qui  a  été 
portée  en  triomphe  dans  les  tabernacles  éter- 
nels ?  Les  anges  ont  enlevé  le  saint  corps  de 
Marie,  et  n'ont  laissé  daus  son  tombeau  que 
les  suaires  qui  sont  les  ornements  des 
morts. 

Si  le  tombeau  de  sainte  Marie,  dit  saint 
Bonaventure,  devient  aujourd'hui  un  séjour 
de  gloire;  si  elle  en  soit  triomphante  avant 
que  son  corps  ait  souffert  la  moindre  altéra- 
tion, le  moindre  déchet,  c'est  que  Marie  est 
l'arche  très-sainte  du  Dieu  vivant  :  il  ne  con- 
venait pas  qu'elle  fût  sujette  aux  suites  hu- 
miliantes de  la  mort,  et  qu'elle  restât  dans 
les  horreurs  du  tombeau  :  une  gloire  com- 
plète par  anticipation  devait  suivre  une 
mort  aussi  précieuse  que  la  sienne. 

Ce  privilège  que  nous  révérons  dans  Ma- 
rie, Messieurs,  et  qui  est  un  des  traits  du 
mystère  de  sa  mort  glorieuse,  n'est  pas  l'o- 

{ union  de  quelques  dévots  peu  éclairés;  c'est 
a  pieuse  créance  de  l'Eglise ,  le  sentiment  de 
ses  plus  grands  docteurs. 

Quelle  gloire  peuvent  donc  s'acquérir  cer- 
tains savants  enle  lui  disputant?  Pourquoi,  par 
de  brillants  raisonnements,  vouloir  confon- 
dre le  saint  corps  de  la  Mère  de  Dieu  avec 
les  tristes  dépouilles  des  mortels?  Pourquoi 
supposer  qu'il  a  été  oublié  par  un  Dieu  ad- 
mirable dans  ses  saints,  qui  a  opéré  tant  de 
prodiges  pour  rendre  leurs  tombeaux  célè- 
bres, y  faire  éclater  sa  toute-puissance,  et 
en  faire  des  séjours  de  gloire  et. de  mer- 
veilles? 

Je  vois  les  tombeaux  de  ses  serviteurs  de- 
venir, selon  l'expression  de  saint  Chrysos- 
tome,  plus  brillants  que  les  palais  des  em-- 
pereurs  ;  je  vois  leurs  ossements  précieux 
retracer,  par  la  vertu  du  Tout-Puissant,  les 
guérisons  surprenantes  que  faisaient  les  apô- 
tres ;  je  les  vois  ornés  de  tous  les  trophées 
érigés  à  la  sainteté  de  ces  héros  :  les  maîtres 
du  monde,  dépouillés  de  la  pompe  royale, 
y  paraissent  prosternés,  et  y  sollicitent  des 
grâces. 

Toutes  ces  merveilles  opérées  dans  l'O- 
rient et  dans  l'Occident,  rapportées  par  les 
plus  grands  hommes  et  les  plus  saints  histo- 
riens, n'ont  reçu  aucune  atteinte  des  plus 
subtils  raisonnements  de  la  critique,  et  je 
supposerai  témérairement  que  le  tombeau 
de  Marie  a  été  un  séjour  d'humiliation,  que 
son  saint  corps  y  a  été  livré  à  toutes  les  hor- 
reurs do  la  mort?  Ah  1  loin  de  moi,  Mes- 
sieurs, une  idée  si  contraire  au  respect  dû  à 
la  Mère  de  Dieu. 

Ma  piété  me  fait  croire,  avec  l'Eglise,  que 
son  corps  sacré  a  été  enlevé  du  tombeau  par 
les  anges  sans  aucun  déchet,  et  porté  en 
triomphe  dans  le  ciel. 

Ici,  Messieurs,  l'histoire  fidèle  nous  a 
transmis  des  faits  qui   nous  autorisent  à 


prêcher  ce  privilège  de  la  sainte  Vierge  à 
sa  mort. 

En  vain  certains  critiques,  lorsque  nous 
leur  opposons  l'oubli  humiliant  où  serait 
tombé  le  tombeau  de  Marie,  la  gloire  qu'au- 
raient au-dessus  d'elle  les  dépouilles  mor- 
telles des  autres  saints,  si  elle  n'était  pas  réu- 
nie par  anticipation  à  son  corps  dans  le  ciel, 
nous  répondent-ils  qu'il  en  est  de  son  tombeau 
comme  de  celui  de  Moïse,  ce  grand  servi- 
teur de  Dieu,  qui  est  demeuré  inconnu 
jusqu'à  présent,  et  qui  est  un  mystère  pour 
tous  les  mortels;  mais  où  ont-ils  vu  que  lo 
tombeau  de  la  sainte  Vierge  était  un  lieu 
ignoré  de  tous  les  fidèles?  L'empereur  Mar- 
cien  et  Pulchérie  ne  l'ont-i-ls  pas  vu  et  visiié 
àGethsemani?  Juvénal,  évêque  de  Jérusa- 
lem, ne  leur  a-t-il  pas  montré  ce  saint  lieu? 
Neleura-t-il  pas  assuré  que  son  saint  corps, 
y  avait  été  posé,  mais  que  la  terre  n'étant 
pas  digne  de  posséder  un  si  grand  trésor, 
les  anges  l'avaient  enlevé  et  porté  dans  le 
ciel?  Leur  piété  n'éleva-t-elle  pas  un  temple 
magnifique  pour  être  un  glorieux  trophée 
érigé  à  la  gloire  anticipée  de  son  saint  corps? 
Monument  précieux  du  privilège  de  Marie  à 
sa  mort,  attesté  depuis  plus  de  quatorze 
cents  ans. 

Enfin,  Messieurs,  quand  le  sentiment  aes 
savants  qui  soutiennent  que  le  tombeau  de 
Marie  est  à  Ephèse,  et  qui  s'appuient  sur 
une  lettre  du  grand  concile  qui  y  fut  tenu 
contre  Nestorius,  cet  ennemi  de  sa  maternité 
divine,  serait  le  plus  sûr,  l'objection  des  cri- 
tiques tomberait  toujours;  il  ne  serait  pas 
inconnu,  ignoré, etun  mystère,  comme  celui 
de  Moïse. 

Or,  chrétiens,  voici  mon  raisonnement,  et 
je  vous  prie  de  vous  appliquer,  afin  d'en  tirer 
avec  moi  de  justes  conséquences. 

Le  tombeau  de  Marie  est  connu,  il  a  été 
visité  par  les  plus  saints  et  les  plus  grands 
personnages  du  monde;  ils  n'y  ont  point 
trouvé  son  saint  corps,  ni  aucun  reste  de 
ses  précieuses  dépouilles.  S'il  n'a  pas  été 
transporté  dans  le  ciel,  et  réuni  par  antici- 
pation à  son  âme  bienheureuse,  Dieu,  qui  est 
admirable  dans  ses  saints,  l'a  donc  oublié? 
Les  ossements  et  les  cendres  de  saint 
Etienne,,  de  saint  Gervais  et  desaint  Prêtais, 
d'un  saint  Martin  de  Tours,  auront  donc  eu 
des  privilèges,  des  honneurs  que  les  restes 
sacrés  de  la  chair  de  Marie  n'ont  pas? 

O,  voilà  ce  que  la  piété  ne  saurait  penser, 
sans  manquer  au  respect  dû  à  la  Mère  de 
Dieu,  voilà  ce  qui  a  décidé  le  grand  saint 
Augustin  à  soutenir  le  privilège  de  là  sainte 
Vierge  à  la  mort,  que  je  vous  prêche  aujour- 
d'hui. 

La  chair  de  Jésus,  dit  ce  grand  docteur, 
est  la  chair  de  Marie  :  Caro  Jesu,  caro  Ma- 
riœ.  C'est  dans  son  sein  qu'il  a  été  conçu; 
c'est  de  sa  substance  qu'il  a  été  formé; 
Marie  a  participé  aux  abaissements,  aux 
douleurs,  à  la  mort  de  son  Fils;  mais  comme 
il  n'y  a  point  eu  de  suites  humiliantes  pour 
le  corps  de  Jésus  dans  le  tombeau,  il  n'y  en 
a  pas  eu  non  plus  pour  celui  de  sa  sainte 
Mère.  Comme  c'était  la  même  chair,  elle  a 


iZZ 


SUJETS  DIVERS.  —  SERM.  VII,  ASSOMPTION. 


i3i 


participé  à  la  même  gloire,  aux  mêmes 
triomphes  :  Caro  Jcsu,  caro  Mariœ  :  c'est 
pourquoi,  ajoute  ce  môme  Père,  quand  je 
fais  réflexion  à 'celte  dignité  de  la  chair  de 
Marie,  j'ai  horreur  de  penser  qu'elle  eût  été 
sujette  à  toutes  les  suites  humiliantes  de  la 
mort.  Je  suis  persuadé  qu'un  Dieu  admi- 
rable dans  ses  saints  l'a  été  aussi,  lorsqu'il  a 
été  question  de  glorifier  sa  propre  chair  dans 
celle  de  Marie. 

Je  crois  que  son  saint  corps  jouit  par  an- 
ticipation ,  dans  le  ciel,  de  la  gloire  préparée 
aux  élus.  Je  prêcherai'  et  je  soutiendrai 
toujours  ce  privilège  accordé  à  la  Mère  de 
Dieu. 

Pénétré  du  respect  qui  lui  est  dû,  et  de 
toutes  les  grandes  choses  que  le  Tout-Puis- 
sant a  opérées  en  sa  faveur,  je  n'ose  avoir 
d'autres  sentiments  ;  je  croirais  être  coupa- 
ble, de  penser  que  son  corps  eût  été  sujet  à 
la  déstructiou  humiliante  qui  suit  la  mort 
des  moi  tels  :  Aliter  sentire  non  audco.  Je  me 
garderai  bien  aussi  de  favoriser  dans  mes 
écrits  ou  dans  mes  discours  ceux  qui  con- 
testent à  la  sainte  Vierge  cette  exemption 
des  suites  humiliantes  de  la  mort.  Loin  de 
moi  ces  attentats  que  la  présomption  des  sa- 
vants leur  fait  commettre  lorsqu'il  s'agit  de 
ses  prérogatives  :  Aliter  dicere  non  prœ- 
sumo. 

C'est  ainsi,  mes  frères,  que  saint  Augus- 
tin raisonne  lorsqu'il  est  question  du  second 
Erivilége  de  la  mort  de  Marie.  Ce  grand 
omme  savait,  sans  doute,  mettre  la  diffé- 
rence qu'il  convient  entre  les  faits  que 
l'Eglise  croit  pieusement,  et  'ceux  qu'elle  a 
décidé  être  de  foi,  mais  un  savant  pieux  et 
docile  respecte  ce  qu'elle  respecte,  et  ne 
craint  point  de  s'égarer  en  imitant  sa  piété 
et  son  respect  pour  les  prérogatives  de  la 
Mère  de  Dieu. 

Ces  prérogatives  de  Marie  à  la  mort  étaient 
dues,  Messieurs,  à  son  éminente  dignité  ;  il 
convenait  que  cette  sainte  Mère  de  Dieu  fût 
paisible  et  victorieuse  des  combats  d'une 
chair  de  péché,  et  des  suites  humiliantes  de 
^a  destruction.  Il  était  juste  que  sa  mort  fût 
douce  et  tranquille,  et  que  son  corps,  qui 
avait  servi  de  sanctuaire  à  la  Divinité,  ne 
fût  pas  exposé  aux  horreurs  du  tombeau. 
Les  privilèges  de  sa  mort  nous  la  font  regar- 
der comme  le  terme  de  ses  abaissements  et 
le  commencement  de  sa  gloire  et  de  ses 
triomphes. 

Les  tombeaux  s'ouvrent,  Messieurs,  pour 
les  monarques  comme  pour  les  sujets.  La 
voix  du  Tout-Puissant  brise  les  cèdres  du 
Liban  ;  elle  couvre  les  plus  florissants  royau- 
mes des  ombres  de  la  mort,  renverse  et  met 
en  poudre  les  têtes  les  plus  augustes.  Les 
rois  tombent  de  leurs  trônes  dans  le  sépul- 
cre, les  pauvres  y  sont  conduits  de  leurs 
cabanes. 

Les  grands  pourrissent  plus  lentement; 
les  baumes,  les  odeurs  suaves  les  conser- 
vent quelque  temps,  mais  ils  ne  pourrissent 
pas  moins.  Les  pauvres  pourrissent  plus 
promptement;  on  les  néglige,  on  omet  ces 
recherches,  ces  précautions  de  la  vanité  qui 


ne  changent  point  leur  sort;  mais  la  vanité 
cède  à  la  corruption,  ils  deviennent  égaux. 

Le  tombeau  du  grand  et  le  tombeau  du 
pauvre  renferment  la  même  corruption  ;  la 
cendre  de  l'un  n'est  pas  plus  illustre  que  la 
cendre  de  l'autre.  La  mort  met  tous  les  hom- 
mes de  niveau,  dit  saint  Ambroise,  et  si 
vous  voulez  voir  une  égalité  parfaite,  re- 
gardez dans  les  tombeaux  des  morts  :  Re- 
spicc  in  sepulcra  hominum. 

A  la  mort,  l'âme  fugitive  passe  dans  l'im- 
mense étendue  de  l'éternité.  Le  corps,  après 
avoir  passé  par  tous  ces  degrés  humiliants 
dont  parle  Job,  disparaît  ;  on  le  cherche  en 
vain,  et  l'on  se  demande  avec  étonnement 
où  il  est:  Ubi,  quœso. 

Réflexions  humiliantes  pour  nous,  Mes- 
sieurs ;  mais  après  avoir  parlé  des  privilèges 
éclatants  de  la  mort  de  Marie,  peut-on  pas- 
ser sous  silence  les  mystères  humiliants  de 
notre  mortalité  ?  Vous  ne  pouvez  pas  les 
éviter,  mais  vous  pouvez  vous  procurer  des 
consolations  pour  le  dernier  jour,  et  adou- 
cir les  amertumes  des  approches  de  votre 
mort.  Qu'elle  soit  séparée  du  péché,  et  vous 
ne  la  redouterez  pas.  La  mort  délivre  le 
juste  de  tous  les  maux,  et  le  met  en  posses- 
sion de  tous  les  biens.  Une  mort  précieuse 
conduit  à  une  gloire  durable.  Marie  passe 
de  la  terre  au  ciel  toujours  distinguée  par 
des  privilèges  que  nous  ne  pouvons  qu'ad- 
mirer. Prérogatives  singulières  sur  la  terre 
à  sa  mort;  prérogatives  singulières  dans  le 
ciel  où  elle  règne  dans  la  gloire  ;  c'  st  le  su- 
jet de  la  seconde  partie. 

SECONDE    PARTIE. 

,  f  Si  les  oracles  d'un  Dieu  ne  nous  appre- 
naient pas,  Messieurs ,  qu'il  y  a  différents 
degrés  de  gloire  dans  le  ciel,  vous  seriez 
peut-être  étonnés  de  m'enteudre  distinguer 
Marie  de  cette  foule  innombrable  de  bien- 
heureux dont  la  félicité,  selon  l'Ecriture,  est 
pleine  et  parfaite,  et  qui  sont  comme  eni- 
vrés des  torrents  des  célestes  voluptés  ; 
mais  vous  savez  qu'il  y  a  différentes  demeu- 
res dans  le  séjour  de  l'immortalité  glorieuse  ; 
que  les  pierres  précieuses  de  l'édifice  éter- 
nel sont  placées  chacune  dans  l'ordre  mar- 
qué par  la  suprême  sagesse  ;  que  la  mesure 
des  récompenses  est  proportionnée  à  l'é- 
tendue des  mérites;  que  ceux  qui  auront 
enseigné  et  pratiqué  seront  revêtus  d'une 
clarté  plus  brillante  que  les  autres,  puisque 
Jésus-Christ  les  compare  à  ces  feux  étince- 
lants  qui  brillent  dans  les  roseaux;  enfin, 
vous  savez  cpie  si  tous  les  saints  sont  re- 
gardés par  l'apôtre  saint  Paul  comme  des  as- 
tres, il  nous  avertit  qu'ils  diffèrent  entre 
eux  en  lumière,  et  qu  ils  ne  répandent  pas 
tous  le  même  éclat  :  Stella  enim  a  Stella  dif- 
fert.  (I  Cor.,  XV.) 

Or,  d'après  tous  ces  oracles,  nous  cievons 
donc  croire  qu'il  y  a  différents  ordres  dons 
le  ciel,  différentes  hiérarchies;  et  c'e^t, 
Messieurs,  sur  ce  principe  que  j'établis  les 
prérogatives  de  la  gloire  de  Marie,  et  qu'o- 
bligé, dans  ce  jour  de   son  triomphe,  dit 


435 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


436 


vous  en  donner  une  idée  ;  j'avance  deux 
propositions.  Les  voici  : 

Je  dis,  premièrement,  que  Marie  est  dis- 
tinguée dans  le  ciel  par  le  rang  éminent 
qu'elle  y  occupe,  première  prérogative;  elle 
n'a  que  Dieu  au-dessus  d'elle;  elle  est  au- 
dessus  de  toutes  les  créatures. 

Je  dis,  secondement,  que  Marie  est  dis- 
tinguée dans  le  ciel  par  l'étendue  de  son 
crédit  auprès  de  Dieu,  seconde  prérogative  ; 
son  intercession  est  la  plus  puissante  et  la 
plus  efficace  que  nous  puissions  employer; 
deux  traits,  Messieurs,  de  la  gloire  de  Ma- 
rie que  je  vais  développer,  et  auxquels  je 
vous  prie  de  faire  une  sérieuse  attention. 

Nous  croyons,  Messieurs,  et  nous  espé- 
rons, au  delà  du  tombeau,  une  félicité  éter- 
nelle ;  mais  ce  poids  immense  de  gloire  qui 
doit  être  la  récompense  d»  quelques  mo- 
ments de  tribulations,  selon  saint  Paul  ;  ce 
spectacle  des  choses  divines  qu'il  n'est  pas 
donné  à  l'homme  de  raconter  sur  la  terre  ; 
ces  biens  ineffables  préparés  à  tous  les  élus, 
que  les  veux  d'un  mortel  ne  sauraient  voir, 
que  ses  oreilles  ne  sauraient  entendre,  et 
que  son  cœur  ne  peut  comprendre,  tout  cela 
est  un  mystère  pour  nous  que  nous  ne  de- 
vons pas  entreprendre  d'approfondir. 

Or,  Messieurs,  si  nous  ne  pouvons  pas 
comprendre  ce  mystère  de  gloire  préparé 
aux  serviteurs  de  Dieu,  ne  serais-je  pas  té- 
méraire d'oser  développer  ce  fond  ineffable 
de  félicité  dont  Marie  jouit  dans  le  ciel  ?  Oui, 
Messieurs,  c'est  pourquoi,  sans  approfondir 
ce  mystère  ineffable  des  grandeurs  de  la 
sainte  Vierge,  je  me  contente  de  vous  dire, 
et  de  vous  prouver  que  sa  prérogative,  après 
le  triomphe  de  son  Assomption,  est  d'être 
distinguée,  par  le  rang  qu'elle  tient  dans  le 
ciel,  de  tout  ce.  qui  n'est  pas  Dieu;  d'être 
élevée  au-dessus  de  toutes  les  créatures  qui 
jouissent  de  l'immortalité  glorieuse. 

Telle  est,  Messieurs,  l'esprit  de  l'Eglise,  le 
sujet  de.l'allégresse  qu'elle  fait  éclater  aujour- 
d'hui, d'ans  ses  prières,  dans  ses  cantiques. 
C'est  l'élévation  de  Marie  au-dessus  de  tout 
ce  qui  n'est  pas  Dieu.  C'est  ce  que  ses  plus 
grands  serviteurs,  les  Ambroise,  les  Jérôme, 
Tes  Augustin,  les  Bernard,  les  Anselme,  les 
Bohâventure  admirent  et  relèvent  aujour- 
d'hui en  parlant  de  sa  triomphante  Assomp- 
tion. 

ïl  ne  s'agit  donc  pas ,  chrétiens,  de  saisir 
vos  sens,  de  flatter  vos  oreilles  i>ar  des  des- 
criptions magnifiques  et  pompeuses  du 
triomphe  dé  Marie,  il  s'agit  seulement  de 
vous  développer  le  principe  de  sa  première 
prérogative  dans  le  ciel  :  le  voici. 

Elle  a  été  sur  la  terre  la  plus  grande,  la 
plus  favorisée,  la  plus  humble  de  toutes  les 
créatures  ;  elle  est  dans  le  ciel  la  pins  élevée. 
Dieu  seul  est  au-dessus  d'elle;  elle  e^t  au- 
dessus  de  tout  ce  qui  n'est  pas  Dieu.  Préro- 
gative, par  le  rang  qu'elle  tient  dans  le  ciel, 
qui  répond  à  son  éminente  dignité  de  mère 
de  Dieu ,  à  la  plénitude  de  grâces  qu'elle 
seule  a  reçues,  a  la  profondeur  de  ses  abais- 
sements. Ce  détail  demande,  mes  frères, 
loute  votre  application. 


La  maternité  divine  avec  une  perpétuelle 
virginité  :  être  mère  et  vierge  tout  à  la  fois, 
voilà,  dit  saint  Bernard,  le  privilège  singu- 
lier, la  prérogative  de  Marie  :  Mariœ  privi- 
legium  est.  Cette  prérogative  ne  sera  accor- 
dée à  aucune  créature;  aucune  n'aura  cet 
honneur,  cette  distinction  :  Non  dabitur  al- 
teri  :  or,  le  rang  que  Marie  tient  dans  le 
ciel,  la  gloire  dont  elle  jouit  après  son  As- 
somption, l'éclat  de  son  triomphe  perpétuel, 
tout  cela-répond  à  cette  première  distinction 
dont  elle  fut  honorée  sur  .la  terre  :  voilà  ce 
qui  nous  fait  dire  qu'elle  forme  elle  seule 
une  hiérarchie  entre  Dieu  et  les  saints,  qu'elle 
est  placée  sur  un  trône  aux  pieds  de  son 
divin  Fils,  et  que  tous  ceux  qui  rendent 
continuellement  les  hommages  suprêmes 
au  Très-Haut,  admirent  et  contemplent 
avec  respect,  dans  la  mère  du  Fils  uni- 
que de  Dieu,  sa  grandeur  ineffable:  après 
Dieu  ils  ne  connaissent  qu'elle  qui  mérite 
un  culte  et  des  hommages  particuliers. 

Voilà  ce  qui  autorise  l'Eglise,  quoi  qu'en 
disent  les  protestants,  à  lui  donner  le  titre 
glorieux  de  Reine  du  ciel,  et  à  mettre  dans 
ses  prières,  au  rang  de  ses  serviteurs  et  de 
ses  sujets,  les  patriarches,  les  prophètes  et 
tous  les  plus  saints  héros  de  la  Synagogue; 
les  apôtres,  ces  astres  du  monde/ces  colon- 
nes de  la  religion,  les  martyrs  qui  l'ont  scellée 
de  leur  sang;  les  confesseurs  qui  l'ont  pro- 
fessée devant  ses  ennemis  ;  les  pontifes  qui 
ont  étendu  son  culte,  sontenu  ses  autels,  et 
travaillé  au  salut  des  âmes;  ces  docteurs  qui 
ont  défendu  la  pureté  de  la  foi  contre  les 
entreprises  de  l'hérésie;  ces  pénitents  que 
l'Evangile  a  immolés  lentement;  ces  vierges 
qui  ont  suivi  dans  l'innocence  l'Agneau  sans 
tache;  les  anges  même,  et  les  plus  suhlimes 
intelligences  ;  elle  nous  représente  Marie 
dans  la  gloire  sur  un  trône  éclatant,  distin- 
gué, il  est  vrai,  de  celui  de  son  divin  Fils, 
placé  au-dessous,  mais  distingué  aussi  de 
ces  douze  trônes  suriesquels  Jésus-Christ  a 
placé  ses  apôtres  comme  il  leur  avait  promis, 
distingué  de  ces  rangs  éclatants  que  forment 
tous  les  esprits  célestes. 

Voilà  enfin  ce  qui  a  fait  dire  à  saint  An- 
selme que  la  plus  sublime  créature  ne  doit 
pas  être  égalée  à  la  sainte  Vierge;  que  la 
(lignite  de  Mère  de  Dieu,  et  le  rang  qu'elle 
tient  dans  le  ciel  l'élèvent  au-dessus  de  tou- 
tes les  créatures  :  Nihil  est  œquale  Mariœ,  et 
que  pour  se  représenter  quelque  chose  au- 
dessus  d'elle,  il  faut  se  représenter  Dieu 
seul,  le  principe  de  toute  sa  grandeur  et  de 
toute  sa  gloire  :  Nihil  nisi  Deus  majus  Ma- 
ria. 

La  plénitude  degiâce  que  Mario  a  reçue 
sur  la  terre,  nous  oblige  aussi  à  reconnaître 
la  plénitude  de  gloire  dont  elle  jouit  dans  le 
ciel.  La  grâce  a  été  donnée  aux  autres  créa- 
tures par  mesure,  dit  saint  Jérôme,  Marie 
ost  la  seule  qui  l'ait  reçue  sans  mesure,  et 
avec  plénitude  :  Gratia plena.  (Luc,  l.) 

Or,  Dieu  qui  lui  a  prodigué  ces  dons  céles- 
tes pour  enrichir  son  âme  eben  faire  le  chef- 
d'œuvre  de  sa  toute-puissance,  aura-t-il 
quelque    réserve    pour  elle  dans   la  gloire? 


437 


SUJETS  DIVERS. 


SEUM.  VII,  ASSOMPTION. 


458 


Placera  t-il  sa  Mère,  que  des  miracles  de  la 
grâce  ont  rendue  si  nure,  si  sainte  et  si  dis- 
tinguée sur  la  terre,  dans  un  rang  inférieur 
Ou  égal  à  celui  que  tiennent  les  saints  qui 
lui  ont  été  si  inférieurs  en  grâces  et  en  mé- 
rite? Non,  Messieurs.  Marie  tient  un  rang 
distinguédansle  ciel:  une  plénitude  de  gloire 
répond  à  la  plénitude  des  grâces  qu'elle  a 
reçue  sur  la  terre. 

Enfin,  Messieurs,  je  dis  que  Marie  est 
distinguée  dans  le  ciel  par  une  plénitude  de 
gloire  qui  répond  à  la  profondeur  de  son  hu- 
milité, et  qui  est  la  récompense  de  tous  ses 
abaissements. 

Ici ,  Messieurs  ,  je  parle  d'après  Jésus- 
Christ  même.  C'est  l'oracle  que  ce  divin 
Sauveur  a  prononcé  dans  son  Evangile  qui 
me  fait  avancer  qu'une  plénitude  de  gloire 
était  due  aux  abaissements  de  Marie  sur  la 
terre  :  l'élévation  du  juste  égalera  ses  abais- 
sements, et  le  plus  grand  dans  le  royaume  des 
cieux,  sera  celui  qui  aura  été  le  plus  humble 
sur  la  terre  :  or,  Messieurs,  sur  ces  principes 
posés  par  Dieu  même,  quelle  doit  être  l'élé- 
vation de  la  sainte  Vierge  dans  le  ciel  ?  Jamais 
créature  fut-elle  plus  humble  qu'elle?  Jamais 
Dieu  a-t-il  fait  passer  ses  élus  dans  des  rou- 
tes plus  humiliantes  que  celles  qu'il  a  tra- 
cées à  Marie  sur  la  terre?  Quelqu'un  d'entre 
eux  y  a-t-il  marché  plus  fidèlement  ?  Etquand 
nous  n'aurions  pour  monument  de  son  hu- 
milité que  ce  beau  cantique  qu'elle  a  chanté 
chez  sa  cousine  Elisabeth,  où  elle  se  donne 
le  litre  de  servante  de  celui  qui  l'a  choisie 
p-our  sa  Mère,  ne  pouvons-nous  pas  dire 
qu'elle  a  été  la  plus  humble  de  toutes  les 
créatures,  et,  par  conséquent,  que  le  rang 
distingué  qu'elle  tient  dans  le  ciel,  est  la  ré- 
compense de  ses  profonds  abaissements? 

Celte  gloire  ineffable  et  singulière  de  Marie 
fut  montrée,  Messieurs,  au  disciple  bien- 
aiiné  sous  des  traits  symboliques  ;  et  l'Eglise 
nous  rappelle  aujourd'hui  ce  magnifique 
spectacle  qui  s'offrit  à  ses  yeux,- pour  nous 
donner  une  idée  de  la  gloire  ineffable  et  des 
triomphes  éclatants  de  la  Mère  de  Dieu;  c'est 
pourquoi,  Messieurs,  je  n'hè'site  pas  aussi 
de  vous  la  représenter  sous  ce  brillant  em- 
blème 

Le  ternpie  qu'habite  l'Etre  suprême  s'ou- 
vrit tout  à  coup  dans  ce  séjour  de  la  gloire 
céleste;  saint  Jean  aperçut  un  objet  éclatant 
et  singulier  :  c'était  une  femme  revêtue  du 
soleil  qui  avait  la  lune  sous  ses  pieds,  et  une 
brillante  couronne|sur  lajête,  composée  de 
douze  étoiles.  Sans  nous  arrêter,  Messieurs, 
à  l'interprétation  des  savants  commentateurs, 
ne  pouvons-nous  pas  regarder,  avec  l'Eglise, 
cette  pompeuse  description  comme  une  image 
naturelle  de  la  gloire  de  Marie  dans  le  ciel, 
et  du  rang  distingué  et  privilégié  que  son  di-  pi 
vin  Fils  lui  a  donné. 

Qu'un  malheureux  Luther  profère  des 
blasphèmes  contre  la  Mère  de  Dieu;  qu'il  ait 
l'audace  dédire  dans  ses  prédications  que 


nous  égalons  Marie  en  sainteté,  en  mérites, 
en  prérogatives  :  Sitmus  pares  Matri  Dei,  je 
suis  surpris  que  l'Allemagne  l'ait  [entendu 
tranquillement.  Je  ne  suis  point  sur]  ris  de 


ses  blasphèmes,  ils  sont  communs  dans  la 
bouche  des  hérétiques. 

Que  l'Angleterre-  ait  supprimé  la  solennité 
qui  nous  rassemble  aujourd'hui ,  je  n'en 
suis  pas  surpris  non  plus;  il  fallait  bien, 
dans  le  schisme,  se  distinguer  de  l'Eglise 
romaine;  on  ne  rougissait  pas  alors  de  pros- 
crire les  plus  grandes  vérités  pour  avoir  le 
plaisir  de  censurer  son  culte  et  de  blâmer  sa 
piété. 

Quelle  différence,  Messieurs,  entre  l'An- 
gleterre et  la  France;  la  dévotion  à  la  sainte 
Vierge  est  héréditaire  dans  nos  rois  comme 
dans  leurs  sujets;  ce  royaume  catholique  est 
sous  sa  protection  d'une  manière  particu- 
lière. 

Nos  monarques  ont-ils  imploré  en  vain  son 
secours?  Des  batailles  désespérées  gagnées; 
des  victoires  éclatantes  remportées  sur  nos 
ennemis;  des  armées  formidables  mises  en 
déroute;  les  troupes  fugitives  et  dispersées  : 
voilà,  Messieurs,  ce  que  la  France  a  éprouvé 
plusieurs  fois;  et  le  vœu  de  Louis  XIII,  ce 
pieux  monarque  que  Louis  le  Grand  et  Louis 
le  Bien-aimé  ont  renouvela,  et  dont  ils  ont 


fait  une  loi  par  des  édits  qui  seront  à  jamais 
des  monuments  précieux  de  leur  confiance 
en  la  Mère  de  Dieu,  n'en  est-il  pas  une 
preuve? 

Vous  allez,  Messieurs,  le  renouveler  au- 
jourd'hui, ce  vœu  solennel,  avec  la  solennité 
la  plus  éclatante.  Ah!  que  ce  spectacle  est 
beau  !  qu'il  est  touchant  !  qu'il  est  consolant 
pour  les  catholiques  ! 

Que  les  ennemis  de  la  gloire  et  du  culte 
de  Marie  soient  donc  à  jamais  confondus  ; 
qu'ils  ne  disent  plus  que  ses  dévots  servi- 
teurs ne  sont  que  des  pauvres,  des  simples- 
et  des  ignorants  ;  les  rois  posent  aujourd'hui 
leurs  sceptres  et  leurs  couronnes  aux  pieds 
de  Marie  ;  les  évêques  et  les  prêtres  voient  à 
leur  suite  tous  les  grands  du  royaume  et 
toutes  les  cours  souveraines;  ils  volent 
avec  la  même  ardeur  que  le  peuple,  et  avec 
une  piété  plus  éclairée,  sous  les  étendards  de 
Marie. 

Oui,  Vierge  sainte  1  malgré  la  fureur  de 
l'hérésie,  on  posera  à  vos  p.ieds  les  sceptres 
et  les  couronnes  ;  toute  la  grandeur  du  siècle 
s'abaissera  aujourd"hui  devant  vous;  le  sa- 
cerdoce et  l'empire  s'uniront  pour  vous  louer; 
et  prosternés  devant  l'image  qui  vous  repré- 
sente, ils  vous  adresseront  leurs  vœux  et 
leurs  prières  :  Vultum  tuum  deprecabuntur 
omnesdivites plebis  (Psal.  XLIV)  ;  persuadés 
que  vous  êtes  distinguée  dans  le  ciel  par 
votre  pouvoir,  aussi  bien  que  par  le  rang  émi- 
nent  que  vous  y  tenez  :  seconde  prérogative 
de  la  gloire  de  Marie;  l'étendue  de  son  pou- 
voir auprès  de  Dieu;  son  intercession  est  la 
plus  puissante  et  la  plus  efficace  que' nous 
puissions  employer. 

Le  pouvoir  de  Marie  dans  le  ci'el  est  une 
vérité  solidement  établie  dans  tous  les  siè- 
cles. L'Eglise,  qui  a  décidé  contre  les  héré- 


tiques que  les  saints  étaient  des  intercesseui  s 
puissants  qui  nous  obtenaient  des  grâces  et 
des  secours  dans  celte  vallée  de  larmes,  a 
reconnu  dans  la  sainte  Vierge  une  étendus-. 


439 


ORATEURS  SACRES.  RALLET. 


HO 


de  puissance  supérieure  à  celle  de  lous  les 
bienheureux:;  c'est  "ce  qui  a  excité  sa  con- 
fiance, ce  qui  lui  fait  implorer  son  secours 
si  souvent,  et  ce  qui  lui  fait  rendre  un 
culte  distingué  de  celui  qu'elle  rend  aux 
héros  de  la  religion  qui  .régnent  dans  la 
gloire. 

Prenez  garde,  chrétiens,  qu'en  vous  déve- 
loppant ici  la  seconde  prérogative  de  Marie 
dans  la  gloire,  qui  est  une  étendue  de  pou- 
voir, de  crédit,  de  puissance  que  les  saints 
n'ont  pas,  je  ne  prétends  pas  vous  la  repré- 
senter dans  le  ciel  autrement  que  la  foi  nous 
la  représente,  et  que  l'Eglise  se  la  représente 
elle-même,  c'est-à-dire  autrement  qu'une 
puissante  avocate  qui  sollicite,  qui  demande 
et  qui  obtient  à  cause  de  son  éminente  di- 
gnité de  Mère  de  Dieu.  Nous  ne  disons  pas 
qu'elle  est  le  principe  des  grâces,  mais  nous 
disons  qu'elle  est  le  canal  par  où  le  Seigneur 
se  plaît  à  faire  couler  ses  bienfaits  sur  ses 
créatures.  Nous  établissons  l'efficace  de  son 
pouvoir  pour  demander  et  obtenir,  et  non 
pas  pour  exaucer  et  accorder;  et  si  nous  di- 
sons qu'elle  est  toute-puissante  dans  le  ciel, 
c'est  en  qualité  de  suppliante  et  de  protec- 
-trice.  Voilà  des  vérités  que  vous  ne  devez 
pas  ignorer. 

Mais  ces  vérités  établies,  et  dont  je  serais 
fâché  de  m'écarter  en  distinguant  le  crédit 
de  Mar:e  de  celui  des  saints,  je  soutiens 
qu'une  des  prérogatives  de  la  gloire  de  la 
sainte  Vierge  dans  le  ciel  est  l'étendue  de 
son  pouvoir  auprès  de  Dieu,  et  je  l'établis 
avec  les  saints  docteurs  sur  le  choix  qu'il  a 
fait  de  cette  sainte  créature  pour  opérer  les 
mystères  de  notre  salut,  sur  son  ineffable 
dignité  de  Mère  de  Dieu,  sur  tout  ce  qu'il  a 
accordé  aux  prières  de  ses  serviteurs.  Appli- 
quez-vous, chrétiens;  sans  rien  dire  contre 
la  précision  de  la  foi,  vous  apprendrez  et  se- 
rez persuadés  qu'une  des  prérogatives  de  la 
gloire  de  Marie  dans  le  ciel  est  l'étendue  de 
son  pouvoir. 

Quelles  sublimes  idées  de  grandeur,  de 
gloire,  do  distinction  se  présentent  à  mon 
esprit,  lorsque  je  fais  attention  au  choix 
que  Dieu  a  fait  de  Marie  pour  opérer  les 
mystères  de  notre  salut  1 

N'est-ce  pas  la  distinguer  de  toutes  les 
autres  créatures?  N'est-ce  pas  nous  faire 
connaître  qu'elle  a  été  l'objet  de  ses  com- 
plaisances; qu'il  l'a  rendue,  par  ses  dons 
ineffables,  digne  de  lui?  C'est  sans  doute  ce 
choix  de  prédilection  qui  a  fait  dire  à  saint 
îîcrnard  que  Jésus-Christ  a  voulu  que  Marie 
■fût  le  canal  de  toutes  les  grâces  et  de  tous 
les  bienfaits  que  sa  miséricorde  veut  faire 
couler  sur  nous  :  Totum  nos  habere  voluit 
per  Mariam. 

Le  corps  dont  le  Verbe  éternel  s'est  re- 
vêtu ,  qui  a  été  attaché  à  la  croix;  le  sang 
qu'il  a  répandu  pour  la  rémission  de  nos 
péchés;  celte  grande  victime  qui  a  été  im- 
molée pour  apaiser  la  colère  du  Père  éter- 
nel :  tout  cela  doit  nous  prouver  l'amour 
immense  de  notre  Dieu,  mais  nous  rappeler 
«•"m  môme  temps  que  dans  le  plan  qu'il  s'était 
tracé  pour  opérer  ces  grands  mystères  de  sa 


charité  pour  les  hommes ,  il  a  choisi  Marie 
pour  former  ce  corps ,  donner  au  monde 
cette  victime  et  nous  procurer,  par  là  toutes 
les  grâces  et  les  secours  nécessaires  pour 
notre  sanctification  :  Totum  nos  habere  voluit 
per  Mariam. 

Or,  si  Dieu  a  voulu  que  nous  ayons 
tout  dans  l'ordre  du  salut  par  Marie  ,  il  veut 
donc  qu'on  ait  recours  à  elle ,  qu'on  em- 
ploie sa  protection.  Oui,  dit  saint  Bernard, 
telle  est  sa  volonté  :  Sic  est  vohmtas  ejus. 

Puis-jc  donc,  Messieurs,  me  représenter 
la  sainte  Vierge  dans  le  sein  de  la  gloire  cé- 
leste, élevée  au-dessus  de  tout  ce  qui  n'est 
pas  Dieu,  placée  sur  un  trône  aux  pieds  de 
son  Fils,  et  douter  de  l'étendue  de  son  crédit? 
Puis-je  me  rappeler  le  choix  que  Dieu  en  a 
fait  pour  coopérer  aux  grands  mystères  de 
mon  salut,  sans  me  la  représenter  dans  son 
triomphe  éternel ,  comme  une  puissante 
protectrice  qui  demande  et  qui  obtient  ? 
Puis-je  penser  que  Dieu  la  distingue  de  la 
gloire  par  le  rang  éminent  qu'il  lui  a  donné, 
et  qu'il  ne  la  distingue  pas  lorsqu'elle  sol- 
licite pour  nous  des  grâces?  La  eontern- 
plerai-je  au-dessus  de  toutes  les  intelligen- 
ces célestes  mêmes,  sans  être  persuadé  que 
son  crédit  est  plus  étendu ,  plus  efficace  que 
celui  de  ceux  qui  la  révèrent  et  lui  rendent 
leurs  hommages?  Non,  Messieurs;  je  re- 
connaîtrai toujours  dans  Marie  un  crédit 
auprès  de  Dieu,  un  pouvoir  pour  demander 
et  obtenir,  distingués  du  crédit  et  du  pouvoir 
des  saints. 

Mais  avançons ,  et  disons  avec  saint  Au- 
gustin que  Marie  étant  la  Mère  de  notre 
Sauveur  et  de  notre  juge,  Mater  Redempto- 
ris  etjudicis,  cette  éminente  dignité  rend 
son  intercession  puissante  et  efficace  dans 
le  ciel. 

Marie  est  la  Mère  du  Sauveur  de  tous  les 
hommes  :  quel  titre  pour  être  écoutée  et 
exaucée  1  Mater  Redcmptoris.  Quoi  !  celle  qui 
a  formé  de  sa  propre  substance  le  corps  de 
Jésus,  ce  corps  qu'il  a  offert  à  son  Père  en 
entrant  dans  le  monde,  qui  a  été  immolé 
sur  la  croix;  ce  corps  sorti  plein  de  gloire 
et  de  puissance  du  tombeau,  que  les  anges 
adorent  dans  le  ciel ,  n'aurait  pas  un  pouvoir 
qui  répondît  à  sa  dignité  et  au  rang  qu'elle 
tient  dans  la  gloire?  Quoi  1  Jésus,  qui  lui 
,  était  soumis  dans  les  jours  de  sa  vie  mor- 
telle, qui  l'a  recommandée  au  disciple  bien- 
aimé  sur  la  croix,  ne  la  distinguerait  pas, 
lorsqu'il  s"agit  de  faire  couler,  par  son  ca- 
nal, ses  miséricordes  et  ses  grâces  sur 
nous?  Sa  Mère  suppliante  n'aurait  pas  au- 
près de  lui  un  crédit  et  un  pouvoir  dis- 
tingués? Ah!  Messieurs,  comptons  sur  l'effi- 
cace  de  l'intercession  de  Marie  dans  le  ciel, 
lorsqu'il  s'agit  de  notre  salut  :  le  pouvoir  et 
la  volonté  ne  lui  manquent  point,  dit  saint 
Bernard.  Mère  d'un  Dieu  qui  a  donné  sa 
vie  pour  nous  ouvrir  le  ciel,  sa  charité  pour 
les  hommes  répond  à  celle  de  son  Fils; 
Mère  d'un  Dieu  qui  l'a  platée  auprès  du 
trône  de  sa  gloire,  et  qui  l'a  élevée  au-des- 
sus de  tous  les  bienheureux  ,  son  crédit  ré- 
pond à  son  éléva'ion. 


lil 


SUJETS  DIVERS. 


SERM.  VII.  ASSOMPTION. 


Son  heure  est  venue,  Messieurs,  ce  mo-, 
ment  dont  Jésus-Christ  lui  parlait  lorsqu'elle 
le  sollicita  en  faveur  des  époux  de  Cana  ; 
elle  est  triomphante  dans  le  ciel,  le  temps 
de  ses  abaissements  est  passé.  La  mis- 
sion de  son  Fils  est  consommée,  les  jours 
de  son  triomphe  sont  arrivés  ;  c'est  à  pré- 
sent qu'elle  demande  et  qu'elle  est  exaucée. 

O  Jésus!  Fils  de  Marie,  pouvons-nous 
douter  du  crédit  de  votre  sainte  Mère  sans 
vous  offenser,  et  ne  devons-nous  pas  croire 
que  vous  ne  refusez  rien  à  celle  que  vous 
avez  récompensée  si  magnifiquement? 

Marie  est  la  mère  de  notre  Juge  :  Mater 
Judicis.  Quel  titre  encore  pour  solliciter  et 
obtenir;  je  ne  dis  pas,  Messieurs,  pour  par- 
ler en  faveur  de  ces  pécheurs  obstinés  qui 
perpétuent  volontairement  leurs  désordres, 
et  dont  le  cœur  est  souillé  de  crimes  et  sans 
douleur,  sans  componction;  la  Mère  d'un 
Dieu  ne  s'intéressera  jamais  pour  les  impé- 
nitents ;  les  outrages  faits  à  son  Fils  seront 
punis  dans  2'étermté,  quand  ils  n'auront  pas 
été  expiés  dans  le  temps;  mais  pour  obtenir 
ces  jugements  de  justice  et  de  miséricorde 
qui  punissent  le  vice  accrédité  par  les  mé- 
chants, et  vengent  la  vérité  et  la  vertu  ou- 
tragée par  les  funestes  progrès  de  l'incrédu- 
lité et  du  libertinage. 

Marie  est  puissante  dans  le  ciel,  où  elle 
jouit  d'une  gloire  privilégiée,  où  elle  est 
placée  entre  Jésus-Christ  et  son  Eglise  pour 
être  le  canal  de  ses  grâces,  de  ses  faveurs  et 
de  ses  prodiges.  C'est  sous  ces  traits  que 
nous  devons  nous  la  représenter,  dit  saint 
Bernard,  après  sa  triomphante  Assomption  : 
Potens  est  inter  Christum  et  Ecclesiam  con- 
stituta. 

Quelle  idée  aurions-nous  de  sa  gloire,  si 
nous  doutions  de  son  pouvoir  auprès  de 
Dieu,  et  si,  persuadés,  comme  nous  le  som- 
mes par  la  foi,  que  les  saints  sont  des  inter- 
cesseurs puissants  dans  le  ciel  qui  nous  ob- 
tiennent des  grâces,  et  qu'il  est  utile  de  les 
invoquer,  comme  l'Eglise  l'a  décidé  dans 
ses  conciles,  nous  ne  nous  la  représentions 
pas  au-dessus  de  tous  ces  élus  que  Dieu 
écoute  et  exauce,  si  Dieu  ne  la  distinguait 
pas  dans  les  grâces  qu'il  lui  accorde  comme 
dans  le  triomphe  qu'il  lui  a  décerné?  Ou  il 
faut  lui  disputer  ce  trône  distingué  de  gloire 
qu'elle  occupe,  ou  il  faut  reconnaître  que 
son  pouvoir  auprès  de  Dieu  est  aussi  dis- 
tingué de  celui  des  saints. 

Marie  est  puissante  dans  le  ciel  :  potens  est  : 
prenez  garde,  chrétiens,  c'est  pour  solliciter, 
supplier,  être  écoutée,  exaucée  ;  elle  est 
placée  entre  son  divin  Fils  et  son  Eglise,  non 
pas  comme  la  source  et  le  principe  des  grâces, 
mais  comme  le  canal  par  lequel  Dieu  se  plait 
à  les  faire  couler  sur  nous  :  inter  Christum 
et  Ecclesiam  constituta. 

Elle  est  puissante  pour  obtenir  ce  qu'elle 
demande  :  potens  est,  et  qui  pourrait  en  dou- 
ter, sans  oublier  son  élévation  dans  le  ciel,  et 
les  traits  singuliers  de  son  éternel  triomphe? 

Les  Moise,  les  Josué,  les  Elie  ont  été  puis- 
sants sur  la  terre  avant  d'être  consommas 
dans  la  charité.  Moïse  sollicite,  demande 


grâce  pour  des  coupables,  et  le  bras  ve*ngeur 
du  Seigneur  est  arrêté  ;  sa  foudre  près  d'écla- 
ter sur  des  têtes  criminelles,  suspendue. 
Josué  sollicite,  demande,  et  pour  lui  donner 
le  temps  de  remporter  une  éclatante  vic- 
toire, le  soleil  s'arrête  dans  sa  course.  Elie 
sollicite,  demande,  et  le  ciel  s'ouvre  ou  se 
ferme  à  son  gré.  Le  Saint-Esprit  nous  assure 
que  Dieu  semble  se  faire  une  gloire  d'obéir 
à  la  voix  du  juste  qui  le  sollicite  :  obediente 
Domino  voci  hominis. 

Or,  si  ces  justes  ont  été  si  puissants  sur  la 
terre  pour  obtenir  ôes  grâces,  que  devons- 
nous  penser  du  pouvoir  de  Marie  dans  le 
ciel?  La  Mère  de  Dieu  dans  un  abîme  inef- 
fable de  gloire,  récompensée  avec  toute  la 
magnificence  d'un  Dieu  riche  en  miséri- 
corde, sollicitera-t-elle,  demandera-t-elle  inu- 
tilement? Loin  de  nous,  Messieurs,  ces  idées 
injurieuses  à  la  gloire  de  la  sainte  Vierge; 
elle  obtient  tout  ce  qu'elle  demande,  parce 
que  ses  prières  sont  toujours  agréables  à  son 
Fils.  Nous  ne  pouvons  pas  employer  une 
intercession  plus  puissante  et  plus  efficace  : 
sa  dignité  distingue  son  crédit  comme  son 
rang  dans  le  séjour  de  l'immortalité. 

O  épouse  de  Jésus-Christ  !  O  Eglise  tou- 
jours attaquée,  combattue  par  la  fougueuse 
hérésie,  par  les  apostasies  de  vos  enfants 
rebelles,  vous  êtes  dans  l'affliction  et  l'amer- 
tume aujourd'hui,  en  voyant  les  pièges  que 
l'on  tend  à  ceux  qui  vous  sont  soumis  ;  la 
licence  des  mœurs,  fruit  funeste  des  cou- 
pables productions  des  déistes  et  des  liber- 
tins, s'étendre  et  défigurer  la  beauté  du 
christianisme;  un  esprit  d'incrédulité  ré- 
gner dans  tous  les  Etats  ;  mais  consolez- 
vous  :  Marie,  cette  puissante  avocate,  est 
placée  entre  Jésus-Christ  et  vous  :  Potens  est 
inter  Christum  et  Ecclesiam  constituta;  par 
son  crédit,  vous  serez  victorieuse  de  vos  en- 
nemis, la  tempête  cessera,  les  nuages  sa 
dissiperont,  les  efforts  de  l'esprit  humain 
seront  inutiles,  le  vice  honteux  se  cachera. 

L'histoire  des  premiers  siècles  de  l'Eglise 
ne  nous  fournit-elle  pas,  Messieurs,  des 
monuments  éclatants  de  la  puissance  et  du 
crédit  de  Marie?  N'a-t-elle  pas  étouffé  toutes 
les  hérésies,  et  confondu  tous'  les  héré- 
siarques que  l'enfer  avait  vomis  ?  Que  sont 
devenus  les  Arius,  les  Nestorius,  les  Julien 
Apostat  qui  lui  ravissaient  ses  prérogatives 
par  leurs  erreurs  sur  la  divinité  de' Jésus- 
Christ?  Leur  fin  tragique  est  connue  dans 
l'histoire ,  aussi  bien  que  leurs  sacrilèges 
attentats. 

Où  jamais,  Messieurs,  reconnut-on  plus 
solennellement  la  gloire  et  le  pouvoir  de 
Marie  que  dans  le  saint  et  fameux  concile 
d'Ephèse?  Quels  glorieux  trophées  n'a-t-on 
pas  érigés  dans  cette  sainte  assemblée  à  sa 
dignité  de  Mère  de  Dieu,  à  ses  triomphes, 
a  son  crédit?  Que  n'en  dit  pas  le  grand  saint 
Cyrille  en  prêchant  l'ouverture  de  ce  saint 
concile  dans  un  temple  qui  lui  était  déjà 
dédié? 

C'est  par  vous,  Vierge  sainte,  dit  ce  zélé 
>atriarcne,  que  l'hérésie  a  été  détruite,  que 
es  pécheurs  ont  embrassé  la  pénitence,  que 


443 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


:-:i 


toutes  les  Eglises  ont  été  fondées  :  tout  nous 
est  venu  par  vous,  parce  que  c'est  par  vous 
que  nous  est  venu  Jésus-Christ,  Fauteur  et 
le  consommateur  de  notre  foi.  Peut-on  re- 
connaître, Messieurs,  dans  la  sainte  Vierge 
une  protection  plus  puissante,  un  crédit 
plus  distingué,  un  pouvoir  plus  efiicace  ? 
Potens  est  inter  Chris tum  et  Ecclesiam  con- 
slituta. 

Or,  chrétiens,  si  vous  êtes  persuadés  avec 
l'Eglise  de  ce  pouvoir  distingué  que  la  sainte 
Vierge  a  auprès  de  Dieu,  après  sa  triom- 
phante Assomption,  recourez  donc  à  elle 
avec  confiance,  dit  saint  Bernard  :  AdMariam 
recurre,  appelez-la  à  votre  secours  dans  tous 
les  dangers  qui  vous  environnent  :  Voca 
Mariant. 

Hélas  1  qu'ils  sont  communs  aujourd'hui, 
les  dangers  qui  vous  environnent,  qu'ils 
sont  effrayants  1 

Dangers  pour  la  foi  :  ce  brillant  flambeau 
s'éteint,  il  ne  jette  plus  que  de  faibles  étein- 
ceiles.  Le  tribunal  de  la  raison  est  en  vogue 
plus  que  jamais;  on  y  cite  les  plus  g.andes 
vérités  pour  les  examiner,  les  rendre  dou- 
teuses; les  plus  grands  génies  sont  des  hom- 
mes de  doute  et  d'incertitude;  on  a  la  té- 
mérité d'opposer  leurs  coupables  écrits  à 
l'Evangile,  aux  écrits  des  apôtres,  aux  dé- 
cisions de  l'Eglise.  Ah!  si  vous  voulez  con- 
server la  pureté  de  !a  foi  dans  ces  temps 
délicats  et  dangereux,  et  ne  pas  être  en- 
traînés par  les  charmes  de  l'erreur,  mettez- 
vous  sous  la  protection  de  Marie,  appelez-là 
a  votre  secours  :  Ad  Mariam  recurre,  voca 
Mariai  n. 

Dangers  pour  l'innocence  :  la  licence  des 
mœurs  n'effraye  plus  la  jeunesse  aujour- 
d'hui; les  intrigues  criminelles,  la  vio 
molle,  les  conversations  libres,  les  spectacles, 
le  jeu,  sont  des  désordres  accrédités;  c'est 
être  ridicule  que  de  les  condamner;  on  est 
méprisé  quand  on  les  évite. 

Que  ne  doit  pas  craindre  une  jeune  per-. 
sonne  au  milieu  de  tous  ces  écueils,  de  tous 
ces  -précipices",  avec  ses  faiblesses,  ses  pen- 
chants? Conservera-t-ellc  le  précieux  trésor 
de  la  grâce  qu'elle  porte  dans  un  vase  fra- 
gile? Son  innocence  échappera-t-elle  au  nau- 
frage dans  ces  cercles,  ces  compagnies,  où 
on  ne  respire  que  le  plaisir,  où  on  ne  parle 
que  le  langage  du  monde,  où  l'on  répand 
avec  art,  un  certain  ridicule  sur  la  vie  pieuse 
et  modeste?  Non,  sans  doute.  A  moins  qu'elle 
lie  'es  évite,  qu'elle  ne  veille,  qu'elle  ne 
prie',  et  qu'elle  n'implore  surtout  la  puis- 
sante protection  de  la  sainte  Vierge  :  Vota 
Mariam. 

Vierge  sainte,  daignez  jeter  des  regards 
de  miséricorde  sur  ce  royaume  qui  s'est  mis 
sous  votre  protection  d'une  manière  par- 
ticulière, et  qui  vous  rend  aujourd'hui  un 
culte  si  éclatant;  employez  auprès  de  votre 
divin  Eils  ce  crédit  dont  la  France  a  res- 
senti tant  de  fois  l'efficace,  pour  que  la  piété, 
la  foi,  l'union  le  fassent  respecter  de  nos 
voisins,  comme  sa  grandeur,  sa  force,  la  sa- 
gesse de  son  gouvernement  le  font  redouter 
à  nos  ennemis.  Que  lui  servirait-il  de  briller 


par  la  magnificence,  la  valeur,  la  science,  si 
le  vice,  l'incrédulité,  le  schisme  y  faisaient 
disparaître  la  sainteté  des  moeurs  et  la  pureté 
de  la  foi  ? 

Présentez,  Vierge  sainte,  à  Jésus-Christ 
les  vœux  d'un  monarque  qui  aime  l'Eglise  ; 
qu'il  vieillisse  dans  les  lis  pour  notre  bon- 
heur ;  les  prières  d'une  reine  dont  les  vertus 
nous  retracent  les  Çlotilde  et  les  Bathiide 
sur  le  trône;  d'une  famille  royale  qui  ne 
nous  présente  que  des  spectacles  de  religion, 
d'union  et  de  sagesse.  S'ils  sont  exaucés, 
Dieu  sera  servi,  l'Eglise  ne  sera  plus  affligée, 
l'innocence  et  la  foi  sortiront  des  nuages  qui 
les  obscurcissent,  et  nous  rendront  un  peu- 
ple de  saints,  dignes  de  l'éternité  bienheu- 
reuse. Je  vous  la  souhaite. 

SERMON  VIII. 

pour  l'indulgence  de  la  portioncule. 

Prêché  le  jour  de  la  Notre-Dame  des  Anges, 
dans  l  église  des  RR.  PP.  Cordeliers  du 
grand  couvent,  à  Paris,  le  2  août  1752. 

Servus  meus  orabit  pro  vobis  et  faciem  ejus  suscipiam. 

{Job.,  yi.n.) 

M  en  Serviteur  priera  pour  vous,  et  je  le  regarderai  et 
f écouterai  favorablement. 

Le  Saint-Esprit  vous  dépeint,  Messieurs, 
la  force,  la  puissance,  les  succès  de  la  prière 
dujust'e.  C'est  elle  qui  arrête  le  bras  ven- 
geur du  Seigneur,  qui  suspend  ses  foudres 
près  d'éclater  sur  les  têtes  criminelles  :  c'est 
elle  qui  procure  la  victoire  aux  plus  vaillants 
capitaines,  qui  déconcerte  leurs  ennemis, 
et  attache  la  victoire  à  leurs  étendards  ;  c'est 
elle  qui  arrête  le  soleil  dans  sa  course,  qui 
fait  descendre  le  feu  du  ciel  ;  elle  le  ferme, 
elle  l'ouvre.  Dieu  semble  se  faire  une  gloire 
d'obéir  à  la  voix  du  juste  ;  il  obtient  tout: 
obediente  Domino  voci  hominis.  (Josue,  X.) 
Un  Moïse,  un  Josué,  un  Elie  ne  sont-ils  pas, 
Messieurs,  de  ces  justes  qui  obtiennent  tout? 
Les  prodiges  les  plus  éclatants  sont  accordés 
h  leurs  prières. 

La  prière  de  François  d'Assise  dans  la 
chapelle  de  Portioncule  n'est  pas  moins  puis- 
sante ,  pas  moins  efficace ,  Messieurs  ;  la 
prière  de  ce  pauvre  fait  un  ciel  de  la  terre  : 
Dieu  fait  de  ce  lieu  sanctifié  depuis  long- 
temps par  la  présence,  les  larmes,  les  jeûnes, 
les  prières  de  François,  un  trône  d'où  cou- 
lent les  grâces  les  plus  précieuses.  Cette 
paisible  retraite  devient  le  séjour  de  sa 
gloire  et  de  ses  miséricordes  d'une  manière 
particulière. 

Un  saint  respect  saisit  le  patriarche  Jacob, 
parce  qu'il  vit  une  échelle  mystérieuse,  et 
des  anges  qui  entretenaient  un  saint  com- 
merce avec  la  terre.  Ravi  en  extase,  il  s'écria 
(pie  ce  lien  était  terrible.  11  l'appelle  la  mai- 
son du  Seigneur,  la  porte  du  ciel.  Dans  la 
chapelle  de  Portioncule,  c'est  l'Homme-Dieu, 
accompagné  de  sa  sainte  Mère,  environné 
d'une  foule  d'esprits  célestes,  qui  se  montre 
à  François,  pour  le  rendre  en  quelque  sor'.e 
le  dépositaire  de  ses  faveurs. 

Aussi,  Messieurs,  cette  brillante  appari- 
tion est-elle  comme  une  dédicace  solennelle 


445  SUJETS  DIVERS.  —  SERM.  VIII,  POUR  L'INDULGENCE  DE   LA  PORTIONCULE.  Aid 


de  toutes  les  maisons  de.  l'ordre  de  François. 
Le  Seigneur  consacre  lui-même  ce  premier 
hospice  avec  un  appareil  majestueux. 

Malgré  le  goût  de  notre  siècle  qui  n'ap- 
plaudit, Messieurs,  qu'aux  coupables  pro- 
ductions des  incrédules,  j'entreprends  la 
défense  de  la  fameuse  indulgence  de  la 
Portioncule,  parce  que  l'esprit  de  François 
et  l'esprit  de  l'Eglise  la  justifient  :  l'esprit  de 
François  qui  la  demande  et  qui  l'obtient, 
l'esprit  de  l'Eglise  qui  l'adopte  et  la  publie. 
Demandons,  etc.  Ave  Maria. 

PREMIÈRE  PARTIE. 

Je  ne  viens  pas  ici  vous  raconter,  Mes- 
sieurs, ces  faits  merveilleux  que  l'Eglise 
désavoue ,  qui  ne  semblent  se  répandre  , 
s'accréditer  que  pour  diminuer  la  soumission, 
affaiblir  la  foi,  combattre  la  vérité,  et  auto- 
riser l'indépendance  et  le  relâchement.  Ces 
visions  de  certaines  personnes,  dont  l'ima- 
gination échauffée,  la  dévotion  creuse,  la 
singularité  dans  la  conduite  font  tout  le 
mérite. 

Je  viens,  Messieurs,  vous  édifier,  vous 
instruire  d'un  fait  grave ,  conforme  à  la 
sainteté  de  la  religion,  à  la  charité  de  Jésus- 
Christ,  et  digne  de  notre  attention  et  de 
notre  respect. 

L'esprit  de  François  qui  demande ,  et 
qui  obtient  cette  fameuse  indulgence  que 
je  prêche,  la  justifie  contre  les  attentat:  de 
la  critique  et  tous  les  reproches  des  ennemis 
de  l'Eglise. 

Esprit  de  piété  dans  la  chapelle  de  la  Por- 
tioncule qui  le  rend  agréable  à  Jésus-Christ. 
Esprit  de  charité  qui  le  fait  penser  du  salut 
ce  que  Jésus-Christ  en  a  pensé.  Esprit  de 
prière  qui  obtient  de  Jésus-Christ  les  grâces 
les  plus  précieuses  :  or,  un  saint  de  ce  carac- 
tère ne  doit  pas  nous  être  suspect,  lorsqu'il 
nous  raconte  la  merveilleuse  apparition,  et 
la  fameuse  Indulgence  que  je  prêche. 

Serait-il  nécessaire  de  vous  prouver  que 
le  juste  est  agréable  au  Seigneur,  qu'il  aies 
yeux  fixés  sur  lui,  qu'il  le  protège,  qu'il  est 
toujours  paisible  et  tranqu  lie,  malgré  les 
combats  que  lui  livrent  les  puissances  du 
monde  et  de  l'enfer.  Ouvrez  les  livres  saints, 
et  voyez  si  quelque  chose  manque  à  sa 
gloire. 

Tantôt  c'est  un  arbre  que  le  Seigneur  a 
planté  le  long  des  eaux,  qui  donne  des 
fruits  abondants,  qui  se  conserve  sans  dé- 
chet, et  dont  toutes  les  entreprises  sont  sui- 
vies de  glorieux  succès. 

Tantôt  c'est  l'homme  de  Dieu  sur  la  terre, 
Fobjet  de  son  amour,  le  canal  de  ses  grâces, 
l'interprète  de  ses  volontés,  le  dépositaire 
de  sa  puissance.  Tel  est  le  juste,  Messieurs, 
selon  le  Saint-Esprit  :  tel  fut  François  d'As- 
sise, selon  l'histoire  la  plus  fidèle/ 

Un  homme  suscité  de  Dieu  pour  retracer 
à  un  monde  de  plaisirs  et  de  richesses  les 
grands  mystères  de  la  crèche  et  du  Calvaire, 
qui  a  effacé  la  gloire  des  philosophes  par  sa 
sagesse,  celle  des  politiques  par  l'établisse- 
ment de  son  ordre,  celle  des  empires  parles 


hpnneurs  éclatants  qu'on  lui  a  rendus  dans 
tous  les  siècles;  un  homme  d'une  si  grande 
sainteté  était  agréable  au  Seigneur  :  un 
homme  tel  que  François  ne  pouvait  pas  nous 
en  imposer. 

Je  respecte  le  témoignage  d'un  saint  si 
grand  dans  son  humilité,  si  opulent  dans  sa 
pauvreté,  si  admirable  dans  sa  pénitence  : 
respecté  des  rois  et  des  peuples  ,  admiré 
des  barbares,  et  couronné  jusque  dans  l'em- 
pire de  Mahomet  même. 

Je  défère  au  témoignage  d'un  saint  si 
agréable  à  Jésus-Christ ,  qui  lui  est  si  con- 
forme, qui  a  retracé  sur  la  terre  ses  vertus, 
sa  pauvreté,  ses  souffrances,  ses  miracles. 

Je  dirai  qu'un  homme  si  pur  dans  sa  foi, 
si  soumis  au  Saint-Siège,  si  redoutable  à 
l'hérésie,  n'était  point  capable  de  débiter  un 
faux  merveilleux,  pour  s'accréditer  et  se 
faire  estimer. 

Taisez-vous  donc,  critiques  orgueilleux, 
savants  indociles,  qui  ne  voulez  faire  aucune 
attention  à  la  dignité  de  François;  vous  igno- 
rez que  Dieu  est  admirable  dans  ses  saints: 
c'est  aux  simples  qu'il  révèle  les  mystères  de 
sa  miséricorde  :  c'est  aux  humbles  qu'il 
donne  ses  grâces  les  plus  précieuses  ;  la  sa- 
gesse des  mondains  ignore  les  merveilles  du 
Seigneur. 

Cette  brillante  apparition  de  Jésus-Christ 
dans  la  chapelle  de  Portioncule ,  les  ma- 
gnifiques promesses  qu'il  fait  à  François 
vous  étonnent,  Messieurs;  mais  faites  atten- 
tion à  la  haute  sainteté  de  cet  homme  admi- 
rable. 

Le  lieu  où  il  prie,  l'esprit  avec  lequel 
il  prie,  les  grâces  qu'il  demande,  la  pro- 
tection qu'il  emploie  pour  obtenir  ce  qu'il 
demande,  tout  est  agréable  à  Jésus-Christ. 

Il  se  retire  à  l'écart  dans  le  recueillement, 
et  c'est  dans  la  solitude  que  Dieu  parle  à 
l'âme,  qu'il  l'entretient,  et  lui  développe  ses 
mystères. 

Il  arrose  le  pavé  de  ses  pleurs,  il  s'humi- 
lie, s'anéantit,  et  Dieu  a  promis  de  regarder 
favorablement  le  pauvre  humilié  qui  sent  sa 
.misère.  Il  demande  des  grâces  de  salut,  de 
conversion,  et  Dieu  aime  les  Ames,  il  ne  veut 
pas  qu'aucune  périsse.  Il  honore  Marie,  il 
réclame  son  crédit,  il  met  son  ordre  sous  sa 
protection. 

Reconnaissez-vous  là,  Messieurs,  quel- 
qu'un de  ces  traits  qui  caractérisent  la  sin- 
gularité ,  la  nouveauté,  l'adresse  des  faux 
dévots.  Tout  n'annonce-t-il  pas  le  saint,  le 
pénitent?  Tout  n'est-il  pas  dans  l'ordre  de 
\  religion?  Oui,  Messieurs,  esprit  de  piété 
jui  rend  François  agréable  à  Jésus-Christ  ; 
esprit  de  charité  qui  le  rend  conforme  à  Jé- 
sus-Christ ;  or,  Messieurs,  où  règne  l'esprit 
de  Jésus-Christ,  là  règne  la  vérité,  et  non  le 
mensonge,  l'erreur,  l'illusion,  comme  dans 
le  faux  merveilleux. 

La  charité  de  François  d'Assise  n  est  pas 
moins  admirable,  Messieurs,  que' cette  bril- 
lante apparition  de  la  chapelle  de  Portion- 
cule. Elle  a  ses  prodiges,  ses  miracles:  on 
n'y  fait  pas  assez  d'attention. 

Qu'un  Dieu  tire  les  voiles  qui  cachent  et 


iil 

enveloppent  les  rayons  éblouissants  de  sa 
divinité  en  faveur  d'un  juste  qui  l'aime, 
qui  est  animé  de  son  esprit  :  je  n'ensuis  pas 
étonné. 

Un  Moïse,  sur  la  montagne  de  Sinaï,  a  mé- 
rité de  s'entretenir  avec  mi.  Un  Jacob,  dans 
les  horreurs  d'un  désert,  a  été  honoré  de  ses 
laveurs.  Pierre,  Jacques  et  Jean  ont  vu  sa 
gloire  sur  le  Thabor.  Le  grand  Paul  a  été 
ravi  au  troisième  ciel  ,  a  entendu  des 
choses  admirables.  C'étaient  des  hommes, 
de  faibles  mortels  encore  chargés  des  dé- 
pouilles de  la  chair,  encore  obligés  de  com- 
battre. Ils  n'étaient  pas  arrivés  au  terme  : 
on  ne  peut  donc  pas  nier  que  la  terre  n'ait 
été  souvent  le  théâtre  des  merveilles  du  Sei- 
gneur ! 

Je  sais,  Messieurs,  qu'il  ne  faut  pas  croire 
à  tout  esprit.  Je  connais  la  prudence  de  l'E- 
glise, les  règles,  qu'elle  nous  donne  pour 
nous  faire  discerner  ce  qui  vient  de  Dieu  ou 
de  l'homme,  les  faveurs  que  son  amour  ac- 
corde au  juste,  des  fausses  histoires  que 
l'erreur  ou  l'ignorance  débite. 

Or,  ces  principes  posés,  je  dis  que  l'esprit 
de  charité  qui  anime  François  doit  nous  faire 
respecter  la  merveille  que  je  prêche  comme 

et  très- 
illusion   et 


un  fait  grave,  digne  de 


la  religioi 


propre  à  condamner  l'erreur 
l'aveuglement  des  mondains. 

Il  pense  du  salut  comme  Jésus-Christ  en  a 
pensé  ;  il  s'en  occupe  comme  Jésus-Christ 
s'en  occupait.  S'il  passe  des  temps  considé- 
rables dans  la  chapelle  de  Portioncule  ;  s'il 
arrose  le  pavé  de  ses  pleurs;  s'il  fait  enten- 
dre une  voix  plaintive  et  de  tristes  accents, 
c'est  pour  obtenir  du  ciel  ces  grâces  magni- 
fiques et  puissantes  qui  touchent  le  pécheur, 
le  remuent  et  le  convertissent. 

Dans  tout  ce  spectacle  ravissant  qu'il  aper- 
çoit ,  ces  consolations  ineffables  dont  il 
abonde ,  à  la  vue  du  Sauveur,  de  sa  sainte 
Mère  et  d'une  multitude  d'esprits  célestes, 
son  cœur  est  toujours  touché  de  la  perte  des 
âmes.  11  s'oublie  lui-même,  et  oublie  les 
besoins  de  son  ordre  naissant, et  ne  demande 
que  la  conversion  de  ceux  qui  se  perdent; 
quelle  charité!  Que  ces  motifs  sont  purs, 
sublimes  1  Ils  sont  conformes  aux  souhaits 
de  Jésus-Christ,  qui  veut  sauver  tous  les 
hommes,  et  qui  est  mort  pour  tous  ;  aux  dé- 
sirs de  sa  sainte  Mère,  qui  est  le  refuge  des 
pénitents  :  à  ceux  des  saints  anges  qui  se  ré- 
jouissent dans  le  ciel  de  la  conversion  d'un 
seul  pécheur. 

Ah!  ce  spectacle  éblouissant  que  la  criti- 
que combat,  que  les  mondains  tournent  en 
ridicule,  est  conforme  à  la  charité  de  Fran- 
çois. Elle  le  méritait  autant  que  la  créa- 
ture en  est  capable.  L'esprit  d'erreur,  de 
nouveauté  n'a  point  d'intérêt  à  l'adopter,  aie 
défendre. 

Des  hommes  qui  ferment  le  cœur  de  Jé- 
sus sur  la  croix  h  tant  de  peuples  qu'ila  créés; 
des  hommes  qui  parlent  de  Marie, sa  sainte 
Mère,  avec  autant  d'indécence  que  les  pro- 
testants ;  des  hommes  qui  sont  jaloux  de  la 
clémence  de  Jésus-Christ  pour  les  pécheurs, 
et  qui  les  laissent  gémir  tant  d'années  sous 


ORATEURS  SACRES.  BALLET.  ,48 

le  poids  de  leurs  péchés,  n'ont  pas  t  esprit  de 
François.  11  n'est  pas  étonnant  que  le  fait 
merveilleux  qu'il  raconte  lesrévolte,  et  qu'ils 
le  combattent. 

Que  sont-ils,  ces  prétendus  sages,  ces 
hommes  si  délicats  qui  appréhendent  de 
donner  dans  le  merveilleux?  Hélas  I  je  rou- 
gis de  le  dire,  ce  sont  des  hommes  assez 
hardis  pour  accréditer  les  systèmes  les 
plus  extravagants,  justifier  la  licence  des  au- 
teurs les  plus  téméraires,  et  vanter  les  pro- 
grès des  religions  les  plus  absurdes  et  les 
plus  grossières. 

Quelle  différence,  Messieurs,  entre  le  té- 
moignage de  François  et  celui  des  mondains  ; 
entre  l'esprit  qui  anime  ce  saint  pénitent  et 
celui  qui  anime  ces  hommes  d'indépen- 
dance ;  les  vues  de  l'homme  de  Dieu  et  les 
vues  des  ennemis  de  la  vertu  ? 

Ah  !  François,  uniquement  occupé  du  salut 
de  ses  frères,  mérite  mon  admiration,  ma 
confiance.  Je  médite  les  grâces  qu'il  de- 
mande, et  je  ne  suis  point  surpris  qu'il  soit 
exaucé.  11  prie  dans  l'ordre  du  salut.  Il  a 
reçu  d'en  haut  l'esprit  de  prière. 

Non,  Messieurs,  je  ne  suis  po'nt  étonné 
que  François  ait  été  exaucé.  Ce  qu'il  demande 
est  conforme  à  l'amour  de  Jésus-Christ.  Ja- 
mais prière  ne  fut  plus  pure,  plus  désinté- 
ressée, plus  héroïque.  Il  ne  demande  pas 
les  richesses  de  la  terre,  il  les  méprise,  il 
les  redoute;  il  ne  demande  pas  même  cette 
médiocre  fortune  que  le  Sage  loue,  et  qu'il 
regarde  comme  un  rempart  nécessaire  con- 
tre les  dangers  de  l'indigence. 

Il  ne  demande  pas  les  succès  et  la  gloiro 
dans  ses  entreprises,  toutes  saintes  qu'elles 
soient;  les  besoins  de  son  orgueil  n'occupent 
point  son  cœur. 

Embrasé  d'un  feu  tout  céleste,  tout  divin, 
animé  d'une  charité  héroïque,  il  s'oublie, 
il  oublie  les  avantages  de  son  ordre;  le  salut 
des  âmes,  la  conversion  des  pécheurs,  sont 
les  seuls  objets  de  ses  larmes,  de  ses  sou- 
pirs, de  ses  prières  dans  ce  saint  lieu,  et 
dans  cette  brillante  apparition. 

Ah  1  comment  Jésus-Christ  n'aurait-il  pas 
accordé  à  François  ce  qu'il  demandait? 
François  demandait  des  grâces  que  Jésus- 
Christ  nous  otfre,  que  son  amour  ne  refuse 
à  personne,  que  sa  mort  a  méritées  pour  tous 
les  hommes.  Jésus-Christ  connaissait  le  cœur 
de  François,  François  savait  que  tous  les 
hommes  avaient  une  place  dans  le  cœur  de 
Jésus. 

Pierre  a  vu  srn  divin  Maître  dans  une 
gloire  éblouissante  sur  le  Thabor.  Enlevé, 
ravi,  à  la  vue  d'un  spectacle  si  brillant,  cette 
faveur  passagère  l'attache;  il  prie,  il  forme 
des  vœux,  mais  pour  demeurer  toujours 
dans  ce  séjour  de  paix;  prière  que  Dieu 
n'exauce  point,  vœux  indiscrets,  contraires  au 
plan  que  Jésus-Christ  s'est  tracé.  François 
est  plus  élevé,  plus  conforme  aux  desseins 
de  la  Providence,  aux  désirs  de  Jésus-Christ. 
La  brillante  apparition  dont  il  est  honoré 
dans  la  chapelle  de  Portioncule  ne  l'attacho 
point  h  ce  saint  lieu.  Il  prie,  non  pas  pour  y 
fixer  sa  demeure,  pour  y  goûter  toujours  ces 


U9         SUJETS  DIVERS.  -    SERM.  VIII,  POUR    L'INDULGENCE  DE  LA  PORTIONCULE. 


450 


célestes  douceurs.  Son  zèle,  son  amour,  lui 
représentent  cette  jfoule  de  pécheurs  qui 
s'égarent,  qui  se  damnent.  Il  prie  pour  leur 
conversion;  la  seule  grâce  qu'il  demande 
dans  cette  faveur  singulière,  c'est  leur  salut. 
Il  n'est  pas  dans  ce  moment  inférieur  aux 
Moïse,  aux  Paul,  qui  souhaitent  d'être  ana- 
thèmes  pour  leurs  frères.  Aussi  François 
demande,  et  il  obtient. 

La  prière  de  Salomon  fut  agréable  au  Sei- 
gneur, parce  qu'il  lui  demandait  la  sagesse. 
La  prière  de  François  fut  agréable  à  Jésus- 
Christ,  parce  qu'il  lui  demanda  des  grâces  de 
conversion  et  de  salut.  Un  Dieu  qui  veut 
sauver  tous  les  hommes  pouvait-il  résister 
à  une  prière  si  pure,  si  désintéressée ,  si 
conformeà  son  amour.  C'estaussi,  Messieurs, 
l'esprit  de  François  qui  a  fait  respecter  aux 
plus  grands  saints,  et  aux  plus  savants  ce 
fait  mémorable,  dont  je  vous  entretiens  au- 
jourd'hui. 

Vous  dirai-je  que  les  Bernardin  de 
Sienne,  les  Antonin,  les  Brigitte,  ces 
grandes  âmes  qui  ont  fait  la  gloire  de  leur 
siècle,  et  la  consolation  de  l'Eglise  par  leur 
haute  sainteté,  leur  zèle,  les  merveilles  de 
leur  vie,  ont  respecté  et  admiré  cette  grâce 
singulière  accordée  à  François? 

Vous  dirai-jd  que  les  plus  célèbres  uni- 
versités de  l'Italie,  de  la  France  et  de  l'Es- 
pagne l'ont  adoptée  comme  un  fait  grave,  di- 
gne de  la  sainteté  de  notre  religion,  et  con- 
forme à  la  doctrine  de  l'Eglise  ? 

Vous  dirai-je  que  le  cardinal  Bellarmin, 
ce  célèbre  controversiste,  si  honoré  parmi 
les  savants,  si  redoutable  à  l'hérésie,  l'a  dé- 
fendue, soutenue  contre  les  attentats  de  la 
critique  et  les  efforts  des  libertins? 

En  vain  nous  opposerions  ici  la  censure 
de  quelques  prélats.  S'ils  condamnent  la 
témérité  de  quelques  prédicateurs  peu  exacts 
dans  la  foi,  ils  ont  soin  de  manquer  leur  res- 
pect pour  la  faveur  accordée  à  François  : 
ils  révèrent  son  témoignage,  son  autorité. 

En  vain  nous  jppose-t-on  le  silence  de 
saint  Bonaventure.  Le  silence  de  ce  grand 
cardinal  ne  d'jnne  aucune  atteinte  à  la  mer- 
veille que  je  prêche.  On  sait  ce  que  les  sa- 
vants pensent  d'un  argument  négatif.  Un 
chrétien  soumis  à  la  tradition  n'en  ignore 
pas  les  dangers.  Le  silence  des  évangélistes 
et  des  saints  docteurs  sur  des  faits  que  nous 
croyons,  et  que  nous  sommes  obligés  de 
croire,  n'a  jamais  été  que  robje<t;on  des 
hérétiques. 

Mais  je  dis  plus,  Messieurs,  quand  saint 
Bonaventure  aurait  attesté,  défendu,  l'indul- 
gence de  la  Portioncule,  ceux  qui  nous  oppo- 
sent son  silence  auraient  méprisé  alors  son 
autorité. 

Eii  voulez-vous  la  preuve,  Messieurs,  rap- 
pelez-vous le  prodige  du  mont  Alverne,  les 
stigmates  miraculeux  dont  François  fut  ho- 
noré. Saint  Bonaventure  raconte  ce  fait  mer- 
veilleux; il  l'atteste.  Son  zèle  en  a  fait  un 
historien  fidèle.  Quel  cas  ces  critiques  font- 
ils  de  son  autorité?  Parlent-ils  plus  respec- 
tueusement des  stigmates  de  saint  François, 
que  de  l'apparition  dont  il  fut  honoré  dans 


la  chapelle  de  Portioncule?  Non,  Messieurs, 
ce  n'est  donc  que  pour  en  imposer  qu'ils  op- 
posent le  silence  de  saint  Bonaventure.  Ne 
nous  arrêtons  donc  pas,  Messieurs,  à  l'esprit 
de  critique  et  d'incertitude,  attachons-nous 
àj'espritde  la  religion,  à  l'esprit  de  l'Eglise. 
L'esprit  de  religion,  nous  le  reconnaissons 
dans  François  d'Assise,  qui  demande  et  ob- 
tient l'indulgence  de  Portioncule.  L'esprit  de 
l'Eglise,  nous  le  reconnaissons,  lorsqu'elle 
adopte  et  publie  l'indulgence  de  Portioncule. 
C'est  le  sujet  de  la  seconde  partie  de  ce  dis- 
cours. 

SECONDE    PARTIE. 

L'Eglise,  toujours  assistée  de  son  divin 
Epoux,  n'agit  que  conformément  à  son  es- 
prit. On  le  reconnaît  toujours  dans  sa  con- 
duite. 

Esprit  de  sagesse  et  de  lumière  qui  lui 
fait  adopter  les  merveilles  que  François  lui 
annonce. 

Esprit  de  douceur  et  de  clémence,  qui  lui 
fait  étendre  sur  tous  les  fidèles  les  giâces 
que  François  a  obtenues. 

Esprit  de  vérité  et  de  sainteté  qui  instruit 
les  fidèles  pour  mériter  les  grâces  que  Jésus- 
Christ  a  accordées  à  François.  Suivez-moi, 
Messieurs,  ce  détail  est  très-important  pour 
votre  instruction. 

C'est  à  l'Eglise,  Messieurs,  a  constater  la 
sainteté,  les  miracles,  et  toutes  les  merveil- 
les des  serviteurs  de  Dieu.  Lorsqu'elle  a 
parlé,  nous  rendons  un  culte  éclatant  aux 
héros  de  la  religion,  nous  publions  leurs 
vertus  et  leurs  miracles  ;  les  œuvres  de 
l'homme,  et  les  œuvres  de  Dieu  ;  ce  qu'ils 
ont  fait  pour  se  sanctifier,  ce  que  Dieu  a 
fait  pour  les  faire  honorer.  Nous  louons  leurs 
vertus;  nous  louons  la  grâce  qui  les  a  fait 
pratiquer. 

Tout  ce  qui  n'est  pas  en  état  de  souffrir 
l'examen  de  l'Eglise,  d'être  exposé  au  grand 
jour;  tout  ce  qui  est  publié  par  une  autre 
autorité  que  la  sienne,  nous  est  suspect. 

Sainteté  extraordinaire,  prodiges,  guéri- 
sons,  prophéties,  révélations,  vous  êtes  sus- 
pects aux  catholiques  soumis  quand  l'Eglise 
ne  vous  a  pas  adoptés,  quand  cet  esprit  de 
sagesse  et  de  lumière  dont  elle  est  animée 
ne  vous  a  pas  approuvés.  Je  ne  veux  ni  vous 
admirer,  ni  vous  respecter.  Alors  je  crains 
l'illusion,  les  pièges  ,  les  adresses  de  l'or- 
gueil, de  l'hérésie  :  avec  l'autorité  de  l'Eglise 
je  suis  tranquille,  je  ne  saurais  m'égarer. 

Telle  fut,  Messieurs,  la  conduite  de  Fran- 
çois :  catholique  sincère,  soumis  à  |l'Eglise, 
il  va  lui  confier  les  faveurs  qu'il  a  reçues  du 
ciel.  Il  soumet  à  l'examen  et  au  jugement 
d'Honoré  III,  souverain  pontife,  tout  ce  qu'il 
a  vu,  tout  ce  qu'il  a  entendu,  tout  ce  que 
Dieu  lui-  a  promis  dans  la  chapelle  de  Por- 
tioncule. C'est  par  sa  voix  que  les  fidèles  ap- 
prendront ce  fait  merveilleux  ;  c'est  par  son 
autorité  qu'il  sera  exposé  à  la  vénérat'on  et 
à  la  piété  des  peuples.  Tout  est  dans  l'ordre 
établi  par  Jésus-Christ. 

L'Eglise  le  fait  paraître  dans  tous  les  siècle^. 
Messieurs,  cet  esprit  de  sagesse  et  de  lumière 


451 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


rsz 


qui  discerne  les  œuvres  de  Dieu  des  œuvres 
de  l'homme  ;  les  voies  extraordinaires  par 
lesquelles  il  conduit  certaines  âmes,  des  rou- 
tes cachées  où  l'ennemi  veut  les  faire  en- 
tier ;  les  inspirations  du  Saint-Esprit,  des 
adresses  de  Satan  ;  la  vérité  du  mensonge. 

J'ouvre  son  histoire,  Messieurs,  et  je  vois 
dans  tous  les  siècles  cet  esprit  de  sagesse  et 
de  lumière  discerner  ee  qui  venait  de  la 
grâce  de  ce  qui  n'était  que  l'ouvrage  de 
l'homme.  Je  vois  les  imposteurs  confondus, 
leur  sainteté  prétendue  méprisée,  leur  dan- 
gereuse doctrine  proscrite,  leurs  faux  mi- 
racles décriés,  les  trophées  que  la  crédulité 
des  peuples  leur  avait  érigés,  renversés  ; 
mais  comme  la  sagesse  de  l'Eglise  lui  fait 
discerner  la  vérité  du  mensonge,  je  vois  des 
serviteurs  de  Dieu,  des  thaumaturges,  des 
prophètes,  des  miracles,  des  révélations,  ho- 
norés dans  ses  fastes,  exposés  à  notre  piété. 
Elle  a  reconnu  l'ouvrage  de  Dieu,  elle  les 
a  adoptés. 

Or,  Messieurs,  voilà  ce  qui  doit  nous  ren- 
dre respectable  la  solennité  de  ce  jour.  L'E- 
glise, toujours  sage  et  éclairée,  a  adopté  les 
faits  merveilleux  que  nous  prêchons.  C'est 
d'après  elle  que  nous  vous  les  racontons  ; 
c'est  en  suivant  son  esprit  que  nous  les  res- 
pectons et  que  nous  les  défendons  contre  les 
attentats  de  la  critique  [et  les  discours  des 
savants  indociles. 

Il  faut  faire  attention  à  trois  choses,  Mes- 
sieurs, dans  les  faits  merveilleux  que  l'on 
débite  au  peuple  :  à  la  doctrine  de  celui  qui 
les  raconte,  au  sentiment  qu'il  veut  défendre 
et  établir,  aux  idées  qu'il  veut  donner  de  lui- 
même.  Si  celui  qui  me  raconte  des  merveilles 
n'est  pas  soumis  à  l'Eglise,  je  ne  veux  seu- 
lement pas  les  examiner;  si  les  sentiments 
qu'il  veut  autoriser  par  ces  merveilles  sont 
condamnés  par  l'Eglise,  je  décide  que  Dieu 
n'en  est  pas  l'auteur  ;  s'il  veut  se  faire  hon- 
neur de  ces  merveilles,  je  reconnais  l'illu- 
sion, l'amour-propre. 

C'est  l'Eglise,  Messieurs,  qui  me  donne 
ces  règles  ;  c'est  son  esprit  que  je  suis,  esprit 
Ue  sagesse  et  de  lumière  qui  lui  fait  adopter 
ou  rejeter  les  merveilles  que  l'on  publie. 

Sur  ces  principes,  je  ne  suis  pas  étonné 
qu'elle  ait  adopté  les  faits  merveilleux  de 
l'indulgence  de  Portioncule.  François  d'As- 
sise était  un  catholique  sincère,  soumis  au 
Saint-Siège,  le  fléau  des  hérétiques  de  son 
temps.  Les  merveilles  qu'il  raconte  n'auto- 
risent aucune  nouveauté;  elles  annoncent 
la  clémence  de  Dieu  pour  les  pécheurs  pé- 
nitents :  il  ne  les  raconte  pas  pour  donner 
des  idées  avantageuses  de  lui,  mais  pour  les 
revêtir  de  l'autorité  légitime.  Ah  !  je  recon- 
nais l'esprit  de  l'Eglise  dans  sa  conduite  : 
esprit  de  sagesse  et  de  lumière  qui  lui  fait 
adopter  les  merveilles  que  François,  lui  an- 
nonce ;  esprit  de  douceur  et  de  clémence  qui 
lui  fait  étendre  sur  tous  les  fidèles  les  grâces 
que  François  a  obtenues. 

Oui,  Messieurs,  c'est  la  tendresse  de  l'E- 
glise qui  lui  a  fait  étendre  sur  tous  ses  cil- 
lants la  fameuse  indulgence  de  Portioncule. 
D'*bord  elle  n'était  accordée  que  pour  ceux 


qui  visitaient  ce  lieu  sanctifié  par  les  prières, 
les  larmes  de  François.  Ces  grâces  singu- 
lières ne  devaient  être  reçues  que  dans  ce 
célèbre  oratoire  où  Jésus-Christ  s'était  mon- 
tré à  son  serviteur.  Telles  sont  les  promesses 
du  Sauveur  à  cette  magnifique  dédicace  de 
l'ordre  de  François. 

Elles  me  rappellent,  Messieurs,  celles  qu'il 
fit  à  Salomon  après  qu'il  eut  élevé  ce  fameux 
temple  qui  fit  l'admiration  de  l'univers,  et 
qu'il  en  eut  célébré  la  dédicace  avec  une 
pompe,  une  magnificence  qui  saisissaient  le 
peuple  d'un  saint  respect. 

Le  Seigneur  lui  apparut  dans  ce  saint  lieu, 
il  le  remplit  de- sa  gloire  et  de  sa  majesté,  il 
fit  entendre  sa  voix  à  Salomon  dans  ce  sai- 
sissant spectacle.  J'ai  exaucé  votre  prière, 
lui  dit-il  :  Audivi  orationem  tuam  (111  Reg., 
IX);  mon  peuple  éprouvera  dans  ce  saint 
lieu  ma  clémence  et  mes  plus  tendres  misé- 
ricordes dès  que  je  le  verrai  touché  de  ses 
crimes.  Je  lui  prodiguerai  mes  faveurs,  j'es- 
suierai ses  pleurs;  je  ferai  cesser  tous  les 
fléaux  qui  l'affligent  ;  j'oublierai  ses  ingrati- 
tudes, je  le  comblerai  de  mes  grâces  les  plus 
précieuses  ;  je  serai  ici  un  Dieu  de  clémence 
et  non  un  Dieu  vengeur  :  c'est  dans  c*>  lieu 
que  j'userai  d'indulgence,  et  que  je  serai 
propice  aux  pécheurs  pénitents  :  In  loco  ir.to. 

Voilà,  Messieurs,  une  peinture  naturelle 
du  spectacle  tout  divin  que  vit  François 
dans  la  chapelle  de  Portioncule.  J'y  trouve 
les  mêmes  traits,  les  mêmes  promesses,  les 
mêmes  conditions.  La  dédicace  du  premier 
oratoire  de  l'ordre  de  François  n'est  ]  as 
moins  brillante,  moins  pompeuse  que  celle 
d  u  temple  de  Salomon.  François  y  prie  comme 
ce  prince  pacifique;  Dieu  exauce  sa  prière 
et  lui  fait  des  promesses  magnifiques  en  fa- 
veur des  pécheurs  pénitents.  Mais  remar- 
quez que  cette  indulgence  ne  sera  d'abord 
accordée  qu'à  ceux  qui  prieront  dans  ce  saint 
lieu  :  In  loco  isto.  C'était  dans  ce  seul  temple 
qu'on  pouvait  la  gagner;  c'est  là  que  se  ren- 
daient des  peuplés  infinis  ;  c'est  là  que  l'on  a 
vu  les  [dus  grands  personnages  de  l'Eglise 
et  de  l'Etat  .s'empresser  de  mériter  ces  fa- 
veurs singulières. 

Si  cette  indulgence  s'est  étendue  dans 
toutes  les  maisons  ,de  l'ordre  de  Fançois,  et 
par  conséquent  dans  toutes  les  villes,  les 
provinces,  les  empires,  c'est  la  clémence  de 
l'Eglise  qui-  a  étendu  ce  bienfait  à  tous  ses 
enfants.  Animée  de  cet  esprit  de  douceur  et 
de  clémence  que  son  divin  Epoux  a  toujours 
fait  éclater  envers  les  pécheurs  pénitents, 
elle  a  voulu  que  tous  ses  enfants  pussent 
profiter  de  cette  grâce  singulière  dans  tous 
les  lieux  où  son  autorité  est  reconnue  :  de 
là  ces  bulles  d'extension  que  les  souverains 
pontifes  ont  données,  où  ils  déclarent  que 
toutes  les  maisons  de  l'ordre  de  François 
auront  le  môme  privilège  que  la  chapelle  de 
Portioncule.  La  même  autorité  qui  a  adopté 
l'indulgence  que  je  prêche  l'étend  dans  tous 
les  lieux  du  inonde.  L'Eglise  ouvre  avec  sa- 
gesse ci  avec  bonté  les  trésors  des  grâces 
dont  Dieu  l'a  rendue  dépositaire.  Elle  gémit 
comme  une  chaste  colombe  après  le  retour 


453  SUJETS  DIVERS.  —  SERM.  VIII  ,  POUR  L'INDULGENCE  DE  LA  PORTIONCULE. 

de  ses  enfants  égarés  ;   elle  ne  les  rebute 


J!U 


point  par  une  sévérité  outrée,  elle  condamne 
ces  austères  pharisiens  qui  multiplient  à  leur 
gré  les  degrés  delà  pénitence:  elle  ne  veut 
point  les  laisser  gémir  trop  longtemps  dans 
leurs  péchés,  sous  prétexte  de  leur  en  faire 
sentir  le  poids  ;  mais  comme  elle  est  aussi 
animée  de  l'esprit  de  vérité  et  de  sainteté, 
elle  les  instruit  afin  qu'ils  n'abusent  point  du 
temps  de  la  miséricorde. 

En  vain,  Messieurs,  reconnaissons-nous 
que  l'Eglise  a  le  pouvoir  d'accorder  des  in- 
dulgences, si  nous  ne  suivons  point  l'esprit 
de  vérité  et  de  sainteté  dont  elle  est  animée. 
L'indulgence  que  je  prêche  remet  toutes  les 
rigueurs  dont  vous  n'êtes  pas  capables;  mais 
elle  ne  diminue  rien  de  la  sévérité  de  la  pé* 
nitence  que  Jésus-Christ  a  prêchée.  Elle  sup- 
plée à  l'imperfection  de  la  satisfaction  que 
vous  devez  à  la  justice  divine;  elle  n'au- 
torise point  cette  coupable  condescendance 
que  vous  avez  pour  une  chair  criminelle. 

Si  des  catholiques  ignorants  s'imaginent 
qu'il  suffit  de  visiter  une  église  certains 
jours,  certaines  heures ,  de  réciter  certaines 
prières,  de  se  confesser  sans  douleur,  de 
communier  sans  amour  pour  être  déchargés 
de  toutes  les  peines  dues  à  leurs  péchés, 
nous  désavouons  leur  conduite,  nous  la  con- 
damnons ,  parce  que  l'indulgence  ne  nous 
dispense  que  des  saintes  rigueurs  dont  nous 
ne  sommes  point  capables  ;  elle  supplée  à 
l'imperfection  de  notre  pénitence,  elle  n'au- 
torise point  notre  délicatesse. 

Qu'ils  écoutent  l'Eglise,  elle  les  instruit 
dans  les  mêmes  bulles  qui  leur  accordent 
les  indulgences,  et  je  ne  veux  que  ce  seul 
trait  pour  confondre  les  hérétiques  et  tous 
ceux  qui  osent  l'accuser  de  relâchement. 
,;  L'Eglise  promet  une  indulgence,  une  grâce 
singulière  qui  suppléent  à  la  sévérité  de  la 
pénitence  dont  nous  sommes  incapables  ; 
mais  à  qui?  Ecoutez,  chrétiens  lâches,  in- 
dulgents lorsqu'il  s'agit  de  vous  gêner.  Aux 
vrais  pénitents,  à  ceux  qui  ont  le  cœur  dé- 
chiré de  -douleur,  qui  pleurent,  qui  gémis- 
sent et  qui  confessent  avec  humilité  leurs 
fautes ,  leurs  crimes  :  Vere  contritis  et  con- 
fessis.  Suivez  cette  instruction,  et  vous  ne 
ne  violerez  pas  les  saintes  règles  de  la  péni- 
tence. L'indulgence  sera  un  supplément  à  ce 
que  vous  ne  pouvez  pas,  et  non  point  un 
titre  pour  vous  dispenser  de  ce  que  vous 
pouvez. 


L'indulgence  dont  Dieu  a  usé  envers  un 
David  ,  une  Madeleine,  a-t-elle  empêché  ces 
saints  pénitents  de  pleurer  leurs  péchés  et 
de  les  expier  par  toutes  les  saintes  rigueurs 
dont  ils  étaient  capables. 

L'indulgence  que  Dieu  a  accordée  à  Fran- 
çois dans  la  chapelle  de  Portioncule  l'a-t-elle 
rendu  moins  vigilant,  moins  mortifié?  A-t-ii 
cessé  ses  austérités,  et  la  longueur  de  sa 
pénitence  n'a-t-elle  pas  égalé  la  longueur  de 
ses  jours?  Tous  ses  fi  ères  auxquels  il  fit  part 
de  cette  grâce  singulière,  ont-ils  moins  édifié 
l'Eglise  par  leur  pénitence?  Et  son  ordre  en- 
tier, cet  ordre  devenu  si  florissant,  aban- 
donne-t-il  les  saintes  rigueurs  de  l'Evangile? 
Se  repose-t-il  sur  cette  indulgence?  Ah!  ils 
savent  que  les  grâces  que  l'on  promet  aux 
pécheurs  supposent  toujours  la  pénitence 
et  toutes  les  rigueurs  dont  nous  sommes  ca- 
pables. 

Quelle  pénitence  que  celle  où  on  ne  trouve 
ni  haine  du  péché,  ni  amour  de  Dieu;  quo 
celle  qui  ne  répond  point  à  l'étendue  et  h 
l'énormité  du  péché,  que  celle  où  on  ne  voit 
ni  pleurs  ni  efforts,  ni  travaux  !  Elle  est  fausse, 
selon  saint  Augustin,  saint  Cyprien  et  le  saint 
concile  de  Trente.  Pourquoi,  chrétiens?  Le 
voici.  C'est  que  l'homme  ne  fait  pas  ce  qu'il 
peut,  et  la  clémence  d'un  Dieu  ne  peut  que 
suppléer  à  ce  que  nous  ne  pouvons  pas. 

Je  vois  Jésus-Christ  qui  cherche  les  pé- 
cheurs, qui  les  caresse  lorsqu'il  les  trouve  ; 
il  est  le  défenseur  de  la  femme  adultère,  de  la 
Madeleine,  de  l'enfant  prodigue;  voilà  des 
preuves  de  sa  bonté.  Je  l'entends  qui  dit  :  Si 
vous  ne  faites  pénitence,  vous  périrez  tous; 
voilà  des  preuves  de  la  sévérité  de  sa  justice. 

S'il  n'usait  pas  d'indulgence,  je  ne  pourrais 
satisfaire  sa  justice  offensée  ;  toutes  les  ri- 
gueurs dont  je  suis  capable  seraient  insuffi- 
santes ;  mais  avec  l'indulgence  d'un  Dieu  qui 
connaît  ma  faiblesse,  la  pénitence  dont  je 
suis  capable  devient  suffisante.  L'application 
des  mérites  de  Jésus-Christ  et  des  saints 
donne  un  prix  à  ma  pénitence  et  la  rend 
agréable  au  Seigneur  que  j'ai  offensé.  Telle 
est,  Messieurs,  la  doctrine  de  l'Eglise;  elle» 
l'enseigne  à  ses  enfants,  afin  qu'ils  puissent 
profiter  des  indulgences  qu'elle  accorde,  et 
que  leur  satisfaction,  jointe  à  celle  de  Jésus- 
Christ,  qui  est  d'un  prix  infini,  leur  obtienne 
la  rémission  des  peines  dues  à  leurs  péchés, 
et  la  gloire  éternelle  après  cette  vie  mortelle, 
Ainsi  soit-il. 


iS* 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


45$ 


INSTRUCTIONS 

SUR  LÀ  PÉNITENCE  DU  CARÊME, 

TIRÉES  DE  L'ÉCRITURE,  DES  CONCILES  ET  DES  PÈRES. 


PREFACE. 


Le  zèle  pour  l'observance  d'une  loi  aussi 
sainte  et  aussi  respectable  que  celle  de  l'E- 
glise m'a  fait  entreprendre  cet  ouvrage  que 
je  donne  au  public. 

Il  y  a  longtemps  que  je  gémis  de  voir  les 
jeûnes  et  l'abstinence  du  carême  violés  d'an- 
née en  année  avec  des  accroissements  de 
mépris  et  de  scandale.  La  conduite  et  les 
discours  d'un  grand  nombre  de  chrétiens, 
dans  le  saint  temps  de  carême,  annoncent 
des  hommes  qui  ne  font  aucun  cas  du  pré- 
cepte de  l'Eglise.  On  n'avait  autrefois  que 
les  hérétiques  à  combattre  ;  aujourd'hui  il 
faut  combattre  la  licence  des  catholiques. 

Un  grand  nombre,  sans  infirmité  réelle, 
se  dispense  de  la  pénitence  annoncée  par 
l'Eglise  :  l'infraction  du  jeûne  et  de  l'absti- 
nence est  publique,  on  ne  la  regarde  pas 
comme  un  crime;  et  pour  se  justifier,  on 
ne  rougit  pas,  ou  de  faire  valoir  les  objec- 
tions des  protestants,  ou  de  tourner  en  ridi- 
cule la  pieuse  docilité  de  ceux  qui  prati- 
quent exactement  les  jeûnes  et  l'abstinence. 

Quoique  je  ne  sois  pas  encore  arrivé  à  la 
vieillesse,  j'ai  vécu  assez  pour  voir,  avec 
douleur,  l'esprit  de  mortification  et  d'obéis- 
sance presque  éteint. 

J'ai  vu  dans  ma  jeunesse  la  pénitence  du 
carême  observée,  et  plus  généralement  et 
plus  religieusement;  il  fallait  une  incommo- 
dité réelle  pour  manger  des  œufs,  il  fallait 
être  malade  pour  se  mettre  au  gras:  on  ne 
se  dispensait  du  jeûne  ou  de  l'abstinence 
qu'à  regret,  et  avec  la  permission  des  supé- 
rieurs ecclésiastiques.  Il  y  avait  des  infrac- 
teurs,  mais  eu  petit  nombre,  ils  se  cachaient; 
ils  étaient  méprisés,  au  lieu  d'être  applaudis 
et  imités. 

Aujourd'hui  le  mépris  de  la  loi  de  l'Eglise 
a  lait  un  tel  progrès,  que  l'infraction  du 
jeûne  et  de  l'abstinence  n'étonne  plus,  ne  ré- 
volte plus;  on  dirait  que  cette  loi,  n'oblige 
plus  comme  autrefois,  ou  que  ceux  qui  l'ob- 
servent encore  font  une  œuvre  de  subroga- 
tion :  on  met  les  jeûnes  et  les  abstinences  de 
la  quarantaine  au  rang  des  mortifications 
du  cloître,  ou  des  pénitences  que  les  chré- 
tiens fervents  s'imposent  volontairement. 

Or,  d'où  est  venu  ce  relâchement  général? 


De  l'irréligion  de  notre  siècle.  Qui  l'a  accré- 
dité ?  L'esprit  d'indépendance.  Qui  lui  a  ôté 
la  honte  dont  il  devrait  être  toujours  couvert? 
La  délicatesse,  la  sensualité  des  mondains: 
le  vice  prend  des  accroissements  dans  les  af- 
faiblissements de  la  foi. 

Jamais  on  n'a  tant  parlé  de  religion  qu'à 
présent,  jamais  on  n'en  a  eu  si  peu  ;  jamais 
on  n'a  tant  raisonné,  jamais  on  n'a  plus  douté. 
Noire  siècle  est  un  siècle  de  génie,  d'érudi- 
tion, de  lumières,  et  jamais  siècle  ne  fut 
moins  docile  aux  vérités  de  la  foi  et  aux  pré- 
ceptes de  l'Eglise.  On  dirait  que  les  savants 
de  nos  jours  sont  chargés  d'examiner  le  plan 
de  la  religion  chrétienne  et  l'économie  de 
nos  mystères,  de  réformer  les  lois  et  les  dé- 
cisions de  l'Eglise. 

Les  libertins  et  les  inciédules  ont  répandu 
tant  de  doutes  et  d'incertitudes  dans  leurs 
ouvrages,  qu'on  aurait  besoin  aujourd'hui 
de  prouver  dans  les  chaires  chrétiennes  la 
divinité  de  Jésus-Christ  et  l'immortalité  de 
nos  âmes. 

Est-il  étonnant  que  dans  cet  affaiblisse- 
ment de  la  foi  l'autorité  de  l'Eglise  soit 
méprisée,  et  que  ses  préceptes  soient  violés 
publiquement? 

Les  mépris  et  les  révoltes  qui  l'affligent 
aujourd'hui  sont  une  suite  des  coups  que 
l'incrédulité  porte  depuis  longtemps  à  la  re- 
ligion que  son  divin  Epoux  a  établie.  Ce 
sont  les  ennemis  de  l'Evangile  qui  accrédi- 
tent la  licence  des  mœurs  :  on  devient  aisé- 
ment des  hommes  de  vice,  quand  on  est  de- 
venu des  hommes  de  doute,  et  l'on  brave 
tout  quand  on  ne  croit  plus  rien. 

Mon  zèle  m'a  donc  fait  examiner  et  la 
cause  et  les  progrès  du  relâchement  qui 
m'afflige,  et  j'ai  pensé  que  des  instructions 
sur  la  pénitence  du  carême  pourraient  être 
utiles  à  plusieurs  de  mes  frères,  que  le  tor- 
rent de  l'exemple  entraîne,  et  que  la  délica- 
tesse, plutôt  que  l'irréligion,  met  au  rang 
des  infracteurs. 

Je  divise  en  trois  classes  les  chrétiens  ca- 
tholiques, par  rapporta  la  pénitence  solen- 
nelle du  carême. 

La  première  est  composée  des  enfants 
soumis  à  la   loi  de   l'Eglise,  des  chrétiens 


437 


INSTRUCTION  SUR  LA  PENITENCE  DU  CAREME.  —  PREFACE. 


458 


qui  observent  les  jeûnes  et  les  abstinences 
de  la  sainte  quarantaine  ;  caria  désobéissance 
n'est  pas  générale.  Sans  les  cloîtres  et  les 
communautés,  il  y  a  des  familles  chrétiennes 
qui  se  soumettent  avec  zèle  et  avec  ferveur 
à  la  pénitence  du  carême.  Tous  les  états  de 
la  société  nous  offrc.it  des  modèles  d'obéis- 
sance au  précepte  de  l'Eglise. 

La  seconde  est  composée  de  ces  chrétiens 
délicats,  flottants,  qui  n'ont  pas  assez  de 
courage  pour'entrcr  seulement  dans  cette 
carrière  de  pénitence,  et  qui  n'ont  pas  non 
plus  assez  de  force  pour  résister  au  torrent 
de  l'exemple;  qui  n'étudient  pas  assez  l'é- 
tendue du  précepte,  et  qui  écoutent  trop  leur 
délicatesse  ;  qui  se  rassurent  sur  de  vains 
prétestes,  parce  qu'ils  ne  pourraient  pas 
braver  le  crime  d'une  infraction  décidée. 

La  troisième,  est  composée  de  ces  hommes 
que  l'incrédulité  et  le  libertinage  soulèvent 
audacieusement  contre  la  religion  et  ses 
plus  saintes  pratiques  ,  qui  opposent  les 
hauteurs  de  la  science  et  du  génie  aux  ma- 
jestueuses ténèbres  de  la  foi,  et  les  systèmes 
qui  flattent  le  plus  la  nature  corrompue,  aux 
saintes  maximes  de  l'Evangile. 

Hommes,  dit  l'Apôtre,  qui  se  donnent  pour 
des  sages,  mais  dont  l'orgueil  a  fait  des  in- 
sensés dignes  de  nos  gémissements.  Heu- 
reux encore,  si  aujourd'hui  cette  classe  n'é- 
tait composée  que  de  quelques  savants  su- 
perbes ;  mais  par  leurs  coupables  produc- 
tions, ils  ont  attaché  à  leur  char  des  chré- 
tiens sans  érudition,  sans  connaissance  ;  dans 
tous  les  états  ils  ont  des  disciples:  une  sail- 
lie, une  difficulté  spécieuse  leur  suffisent 
pour  briller  dans  un  cercle;  avec  un  bon 
mot  d'un  savant  impie,  ils  s'imaginent  avoir 
renversé  les  solides  fondements  du  christia- 
nisme ;  et  parce  qu'ils  se  font  gloire  de  douter 
de  tout,  ils  se  flattent  de  prouver  qu'il  n'y  a 
rien  de  vrai. 

Aveugles  mondains,  apologistes  insensés 
delà  nature,  approbateurs  perpétuels  de  ses 
plus  honteuses  faiblesses,  ils  ne  nous  lais- 
sent pas  lieu  de  douter  que  leur  cœur  a  été 
corrompu  avant  leur  esprit,  qu'ils  seraient 
plus  soumis  aux  vérités  de  la  foi,  s'ils  n'é- 
ta:ent  pas  si  soumis  à  de  criminelles  volup- 
tés, et  qu'ils  n'auraient  point  de  peine  h  faire 
le  sacrifice  de  leur  raison,  s'ils  avaient  la 
force  de  faire  celui  de  leurs  passions. 

Or,  les  Instructions  que  je  donne  aujour- 
d  hui  sont,  selon  moi,  utiles  et  nécessaires  : 
pourquoi  ?  Parce  qu'elles  consoleront  les 
premiers  chrétiens,  elles  détromperont  les 
seconds,  et  elles  couvriront  les  troisièmes  de 
confusion. 

Les  enfants  de  l'Eglise,  pieux  et  soumis, 
verront  tous  ces  grands  modèles  de  pénitence 
qui  les  ont  précédés,  leur  zèle  h  fournir  cette 
sainte  carrière  de  mortifications;  ils  verront 
que  les  solitaires  ajoutaient  h  leurs  austéri- 
tés ordinaires  de  nouvelles  rigueurs  dans  le 
carême,  que  les  monarques  étaient  pénitents 
aussi  bien  que  les  sujets,  et  qu'ils  n'imitent 
aujourd'hui  qu'imparfaitement  les  jeûnes  et 
les  privations  des  chrétiens  qui  ont  vécu  jus- 
qu'au xii'  siècle. 

ClUTEURS  saches.   L 


Cependant,  cette  différence,  cet  affaiblisse- 
ment des  grands  jeûnes  r.e  les  jettera  pas 
dans  l'abattement,  parce  que  je  leur  apprends 
qu'ils  sont  en  sûreté  de  conscience,  en  pra- 
tiquant les  jeûnes  comme  on  le  fait  aujour- 
d'hui, puisque  l'Eglise,  notre  mère,  ne  ré- 
clame point  contre  ces  adoucissements , 
qu'elle  les  tolère,  et  qu'elle  s'y  prête  même 
par  condescendance  jour  ses  enfants,  en 
avançant  l'office  de  vêpres,  afin  qu'ils  puir- 
sent  mangera  midi.  Qu'il  est  consolant  d'o- 
béir à  une  mère  si  tendre  et  si  compatis- 


sante ! 

Les  chrétiens 
par  le  torrent  de 
le  crime  de  leur 


délicats,  séduits,  entraînes 
l'exemple,  connaîtront  tout 
infraction,  en  voyant  l'au- 
torité, l'antiquité  et  toute  la  force  de  la  loi 
que  l'Eglise  leur  impose  dans  le  carême. 
'  Soit  qu'ils  écoutent  trop  leur  santé,  soit 
qu'ils  se  rassurent  sur  le  grand  nombre  des 
i  a  frac  leur  s ,  soit  qu'ils  suivent,  contre  les 
alarmes  de  leur  conscience,  les  avis  des  pa- 
rents, des  amis  et  des  médecins;  soit  enfin 
qu'ils  se  laissent  séJ-uire  par  les  discour; 
des  libertins  et  des  incrédules,  qui  criti- 
quent et  raillent  la  pénitente  du  carême.  Ln 
lisant  attentivement  cet  ouvrage,  ils  verront 
que  l'abstinence,  le  jeûne  et  les  morlifi  a- 
tions  de  ce  saint  temps  ont  été  pratiqués 
dans  tous  les  siècles  depuis  la  naissance  de 
l'Eglise  ;  que  ce  n'est  pas  une  loi  d'une  nou- 
velle date,  et  que  l'Eglise  ne  l'a  pas  imposée 
à  ses  enfants,  dans  les  derniers  siècles,  far 
politique,  ou  ]  ar  un  esprit  de  domination, 
comme  les  protestants  et,  d'après  eux,  les  li- 
bertins osent  l'avancer. 
'  Ils  apprendront  des  saints  docteurs  des 
premiers  siècles,  et  des  saints  conciles,  que 
l'infraction  de  cette  loi  est  un  péché  mortel, 
et  qu'il  ne  faut  que  manquer  un  seul  jeûne 
ou  une 'abstinence  de  précepte  pour  êhe 
damné,  lorsqu'on  n'en  est  pas  dispensé  pair 
une  infirmité  réelle.  Or,  des  chrétiens  qui 
ont  encore  de  la  foi  rentreront  en  eux-mê- 
mes, en  voyant  cette  foule  de  preuves  qui 
établissent  la  pénitence  du  carême. 

Pour  les  incrédules  et  les  libertins,  qui 
forment  la  troisième  classe,  il  est  à  présu- 
mer qu'ils  ne  liront  pas  cet  ouvrage  :  tout  ce 
epui  est  marqué  au  coin  de  la  piété,  de  la  sou- 
mission; tout  ce  qui  paraît  avec  l'approbation 
de  l'Eglise  et  l'autorité  du  prince,  ne  pique 
pont  leur  curiosité;  ils  le  dédaignent,  pane 
qu'ils  sont  persuadés  que  tout  y  est  conforme 
à  la  doctrine  qu'ils  combattent,  et  à  la  pureté 
des  mœurs  qu'ils  corrompent;  ils  ne  sont 
avides  que  des  productions  de  la  Hollande 
et  de  l'Angleterre,  et  de  tous  ces  prétendus 
esprits  forts,  qui  se  mettent  a  la  torture  pour 
ôter  à  notre  samle  religion  les  divins  carac- 
tères qui  la  distinguent  de  toutes  les  autres, 
et  établir  le  pyrrhonisme,  quelque  honteux 
qu'il  soit  à  la  raison  saine  et  dégagée  des 
passions. 

Mais  quoiqu'ils  ne  lisent  pas  cet  ouvrage, 
il  suffit  qu'il  les  développe,  qu'il  découvre 
le  faible  de  leur  raisonnement,  la  honte  de 
leurs  systèmes,  l'indécence  de  leurs  rej  ro- 
ches, la  corruption   de  leurs  mœurs,  j  oui 


459 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


460 


être  utile.  Le  chrétien,  en  apprenant  à  les 
connaître,  apprendra  à  les  mépriser;  il  dis- 
tinguera les  apôtresjfe  la  mollesse  des  apô- 
tres de  la  pénitence,' et  l'autorité  qui  établit 
3a  pénitence  du  carême  lui  paraîtra  aisément 
préférable  à  celle  qui  s'efforce  de  l'anéantir. 

Cet  ouvrage  est  divisé  en  quarante-six 
chapitres;  et  je  me  halte  d'avoir  renfermé 
tout  ce  qui  était  nécessaire  pour  prouver 
l'antiquité  et  la  force  de  la  loi  de  l'Eglise, 
réfuter  les  objections  des  protestants  et  des 
incrédules,  confondre  les  raisonnements  in- 
décents des  libertins,  condamner  la  délica- 
tesse des  mondains,  la  lâcheté  des  chrétiens 
infracteurs,  animer  et  consoler  les  enfants 
de  l'Eglise  fervents  et  soumis. 

Je  n'avance  rien,  dans  tout  cet  ouvrage, 
que  d'après  l'Ecriture,  les  conciles  et  Tes 
Pères. 

On  voit  le  jeûne,  en  général,  prescrit,  loué 
et  récompensé  dans  l'Ecriture;  et  cela  suffit 
pour  condamner  ceux  qui  le  désapprouvent. 
Les  apôtres,  à  qui  Jésus-Christ  avait  donné 
l'exemple  d'un  jeûne  de  quarante  jours,  ne 
montrent-ils  pas  qu'ils  étaient  animés  de  son 
Esprit,  lorsqu'ils  ont  institué  la  sainte  qua- 
rantaine, qui  précède  la  fête  de  Pâques? 

Les  conciles  et  tous  les  Pères  qui  ont  re- 
connu cette  institution  apostolique,  ne  for- 
ment-ils pas  une  tradition  respectable  à  tout 
eutre  qu'à  ceux  qui  la  rejettent  pour  détruire 


les  vérités  anciennes,  et  établir  leurs  nou- 
veautés profanes? 

Comme  il  s'agit  de  prouver,  d'instruire, 
je  n'ai  négligé  ni  les  autorités  ni  les  exhor- 
tations; ainsi  l'on  trouvera  des  preuves  so- 
lides de  la  doctrine  de  l'Eglise,  débarrassés 
des  expressions  et  des  sécheresses  de  la  sco- 
lastique  et  de  la  controverse;  l'esprit  de  l'E- 
glise, des  conciles  et  des  Pères  y  est  exposé 
d'une  manière  claire  et  instructive.  On  y 
trouvera  aussi  des  portraits  de  tous  les  éga"- 
rements  des  mondains,  de  la  délicatesse,  des 
excès,  des  repas,  des  excuses,  des  prétextes 
qu'ils  opposent;  des  avis  touchants  pour 
pratiquer  toutes  les  vertus  qui  doivent  ac- 
compagner le  jeûne  et  l'abstinence,  et  rendre 
utile  et  salutaire  la  pénitence  du  carême. 
J'ai  marché  entre  les  deux  extrémités  vi- 
cieuses. On  ne  trouvera  ni  cette  sévérité  ou- 
trée qui  abat,  ni  ce  relâchement  qui  séduit. 
J'apprends  à  respecter  et  à  profiter  de  la  ten- 
dresse de  l'Eglise,  qui  a  toléré  les  adoucis- 
sements des  grands  jeûnes,  et  à  déplorer  et 
éviter  la  délicatesse  et  la  sensualité  qui 
rompent  l'intégrité  du  jeûne  et  énervent  la 
sainte  pénitence  du  carême. 

Mais  en  vain  travaillons-nous  à  la  sancti- 
fication de  nos  frères,  si  le  Seigneur  ne  tra- 
vaille pas  avec  nous.  Je  le  prie  donc,  de  tout 
mon  cœur,  de  répandre  sa  bénédiction  sur 
cet  ouvrage,  afin  que  ceux  qui  le  liront  en 
retirent  le  fruit  que  je  me  propose. 


CHAPITRE  PREMIER. 

Gémissements  d'une  âme  fidèle  à  la  vue  des 

infractions  publiques  de  la  sainte  pénitence 

du  carême. 

Versez,  mes  yeux,  des  torrents  de  larmes 
à  la  vue  du  relâchement  des  chrétiens  sur  la 
pénitence  du  carême.  La  sainte  loi  du  jeûne 
et  de  l'abstinence  est  méprisée  par  un  grand 
nombre  de  catholiques.  On  devient  de  plus 
en  plus  indocile  à  la  voix  de  l'Eglise,  qui 
annonce  ces  jours  déjeunes  solennels.  Mal- 
gré les  adoucissements  que  cette  tendre  mère 
a  eu  la  condescendance  de  permettre,  on  est 
saisi  d'une  coupable  frayeur  aux  approches 
vie  la  sainte  quarantaine. 

On  voit  dans  ce  saint  temps  de  pénitence 
la  même  dissipation,  les  mêmes  jeux,  les  mê- 
mes plaisirs,  la  même  délicatesse,  la  même 
sensualité,  les  mêmes  excès,  les  mêmes 
vices. 

Ah  l  où  porterai-je  mes  regards  pour  con- 
soler mon  âme  affligée  et  plongée  dans  l'a- 
mertume, à  la  vue  de  cette  foule  d'infrac- 
teurs  scandaleux,  d'enfants  rebelles,  d'escla- 
ves attachés  honteusement  au  char  du  plaisir 
et  de  la  sensualité  ? 

Je  les  porterai,  ô  mon  Dieu,  sur  ce  petit 
nombre  de  fidèles  qui  vous  aiment,  et  qui 
vous  craignent,  qui  se  courbent  avecdocilité 
.-.ous  la  croix  de  votre  divin  Fils  notre  Sau- 
veur, qui  participent  au  calice  de  sa  mort, 
pour  participera  la  gloire  de  sa  résurrection, 
«t  qui  embrassent  avec  joie  la  sainte  péni- 


tence du  carême;  car  il  y  a  encore,  grâces 
vous  en  soient  rendues,  ô  mon  Ditu,  des  chré- 
tiens fervents  qui  portent  sur  leurs  corps  la 
mortification  de  Jésus-Christ. 

Je  les  porterai  dans  ces  saintes  retraites, 
dans  ces  cloîtres  où  l'on  ajoute  de  saintes  ri- 
gueurs à  la  pénitence  qu'impose  une  règle 
dure  et  austère,  et  où  le  sexe  le  plus  délicat 
se  nourrit  déjeunes,  de  prières,  de  veilles  et 
de  larmes. 

Je  les  porterai,  ô  mon  Dieu,  sur  le  tou- 
chant spectacle  que  l'Eglise,  votre  épouse  fi- 
dèle, présente  à  mes  yeux  dans  ce  saint  temps  : 
il  me  touche,  il  m'anime,  il  me  console  ;  cette 
tendre  épouse  fait  entendre  partout  la  trom- 
pette évangélique,  pour  annoncer  ce  jeûne 
solennel  ;  elle  se  couvre  de  ses  vêtements  de 
deuil,  elle  supprime  ses  cantiques  de  joie 
et  d'allégresse  ;  ses  ministres  prient  et  gémis- 
sent prosternés  entre  le  vestibule  et  l'autel  : 
ses  temples  sont  dépouillés  de  leurs  orne- 
ments de  fête  ;  ses  héros  sont  cachés  sous  des 
voiles  obscurs,  ainsi  que  les  trophées  érigés 
à  leur  sainteté  ;  tout  a  un  air  triste  et  lugu- 
bre, et  annonce' qu'il  faut  fléchir  votre  co- 
lère, ô  mon  Dieu,  par  une  sincère  péni- 
tence. 

Ah  1  j'entrerai  dans  l'esprit  de  votre  Eglise, 
ô  mon  Dieu,  je  commencerai  avec  elle  cette 
pénitence  solennelle  ;  ses  prières  et  celles 
de  tant  de  justes  saintement  affligés  me  sou- 
tiendront dans  cette  sainte  carrière  qui  ré- 
volte les  sensuels  et  les  délicats. 

Je  veux  participer  à  la  résurrection  démon 


VA 


INSTRUCTION  SUR  LA  PENITENCE  DU  CAREME.  —  CFIAP.  III. 


462 


Sauveur,  il  faut  que  je  participe  à  ses  souf- 
frances ;  les  saintes  joies  pascales  ne  sont 
que  pour  ceux  qu'une  tristesse  salutaire  a 
fait  gémir  tout  le  saint  temps  du  carême. 

Pour  vous,  infracteurs  de  cette  loi  sacrée, 
riches  sensuels,  dont  les  tables  sont  couver- 
tes des  viandes  défendues;  libertins  qui  vous 
faites  une  gloire  de  votre  désobéissance,  et 
qui,  armés  des  ridicules  arguments  des  héré- 
tiques, osez  blâmer  la  loi  de  l'Eglise;  vous, 
chrétiens,  qui,  entraînés  par  le  torrent  de 
l'exemple,  rompez  sans  scrupule  le  jeûne  et 
l'abstinence,  vous  m'épouvantez,  vous  ne  me 
séduisez  pas.  Je  gémis  de  vos  prévarications, 
et  je  pleure  sur  votre  sort,  parce  que  vous  ne 
pleurez  pas  vous-mêmes. 

CHAPITRE   II. 

De   V antiquité  et  de   V autorité  du  précepte 
de  la  sainte  pénitence  du  carême. 

Pour  trouver  l'origine,  la  naissance  de  ce 
jeûne  solennel,  de  cette  pénitence  publique 
des  disciples  de  Jésus-Christ,  il  faut  remon- 
ter jusqu'au  temps  des  apôtres.  Le  jeûne  du 
carême  n'est  pas  d'une  date  moins  ancienne; 
ce  n'est  pas  une  nouveauté,  un  établissement 
auquel  la  piété  d'un  nombre  de  chrétiens  fer- 
vents ait  donné  naissance. 

Ecoutons  saint  Augustin:  Dès  que  je  lis 
l'Evangile  et  les  Epîtres  des  apôtres,  dit-il, 
je  vois  partout  le  jeûne  de  précepte  ;  il  est 
vrai,  continue  ce  saint  docteur,  que  les  jours 
que  l'on  doit  jeûner  n'y  sont  pas  décidés, 
et  c'est  ce  qui  me  fait  dire  que  le  jeûne  so- 
lennel du  carême,  que  je  voispartoutétabli,a 
été  annoncé  parles  apôtres,  etestd'une  tradi- 
tion très-ancienne  (46). 

Saint  Jérôme  et  presque  tous  les  Pères  ont 
assuré  aussi  que  la  sainte  quarantaine  que 
nous  passons  dans  les  jeûnes  et  la  péni- 
tence, pour  nous  disposer  à  célébrer  la  fête 
de  Pâques,  est  de  tradition  apostolique  (kl). 

Pourquoi  Luther  et  Calvin,  qui  ont  respecté 
eux-mêmes  les  trois  premiers  siècles  de  l'E- 
glise, ne  respectent-ils  pas  la  pénitence  so- 
lennelle du  carême,  puisqu'elle  s'y  trouve 
établie  et  observée  avec  tant  de  rigueur  et 
de  sévérité? 

Je  vois  les  chrétiens  de  l'Eglise  naissante 
passer  les  quarante  jours  qui  précèdent  la 
solennité  pascale,  dans  les  jeûnes,  les  veilles, 
les  larmes,  les  prières  et  les  gémissements. 

Je  vois  les  solitaires  de  l'Orient,  ces  anges 
de  la  terre,  se  séparer,  s'enfoncer  dans  les  so- 
litudes au  commencement  du  carême,  pour 
y  retracer  la  pénitence  du  Sauveur.  Je  vois 
tous  les  chrétiens,  jusqu'au  siècle  de  saint 
Bernard,  ne  manger  qu'au  soir  dans  ce  saint 
temps;  se  contenter  d'un  repas  simple  et 
frugal.  Que  dois-je  penser  de  la  pénitence  du 
carême  ? 

Après  ces  autorités,  ces  exemples,  on  doit 
sentir  toute  la  faiblesse  des  objections  des 

(46)  Video  praceptum  esse  jejunium  quibus  au- 
tem  diebus  non  oporteat  jejunare  et  quibus  oporteat 
prœcept»  Domini,  vel  apostolorum  jejunio  non  defi- 
nitum.  (Epist.  46  ad  Casulanum). 


protestants  sur  la  loi  du  carême  et  des  faux 
raisonnements  desindévots  de  nos  jours,  qui 
ne  rougissent  point  de  copier  les  hérétiques, 
de  parler  d'après  eux  contre  les  lois  de  l'Egli- 
se, et  même  avec  encore  moins  de  décence. 

On  sait  les  efforts  inutiles  qu'ont  faits  les 
plus  habiles  ministres  de  la  réforme,  pour 
ôter  à  la  pénitence  du  carême  ce  caractère 
d'ancienneté  qui  la  rend  vénérable  aux  ca- 
tholiques: on  n'ignore  pas  les  ruses  et  les 
chicanes  de  l'hérésie,  pour  affaiblir  les  preu- 
ves les  plus  fortes  et  les  plus  décisives. 
Malgré  cela,  quelle  a  été  leur  ressource, 
lorsqu'on  leur  a  montré  cette  pénitence  éta- 
blie dès  les  premiers  siècles  ?  De  se  préva- 
loir des  usages  et  des  coutumes  qui  distin- 
guaient les  Grecs  et  les  Latins  pourle  temps, 
ou  la  longueur  du  jeûne  du  carême  ;  de  sai- 
sir avec  joie  les  adoucissements  que  l'E- 
glise n'a  point  ordonnés,  mais  tolérés  dans 
les  grands  jeûnes  depuis  le  xn'  sièrle. 
Mais  ces  différents  usages,  ces  adoucisse- 
ments prouvent-ils  que  la  pénitence  du  ca- 
rême est  d'une  nouvelle  date?  Non,  je  sou- 
tiens qu'ils  prouvent  le  contraire. 

C'est  à  vous  que  je  parle  présentement, 
chrétiens  catholiques,  enfants  de  l'Eglise, 
frères  de  ces  premiers  fidèles  si  fervents; 
c'est  à  vous  que  je  rappelle  l'autorité  et 
l'ancienneté  de  la  pénitence  solennelle  du 
carême;  c'est  à  vos  yeux  que  j'expose  tous 
ces  chrétiens  qui  ont  observé  avec  une  sainte 
rigueur  les  grands  jeûnes  jusqu'au  xn* 
siècle. 

Comment  osez-vous  mépriser  une  autorité 
si  respectable,  violer  des  lois  si  sacrées, 
blâmer  le  zèle  des  ministres  qui  vous  re- 
prennent, vous  rendre  si  dissemblables  h 
vos  frères  fidèles  à  la  loi?  Je  suis  surpris  de 
vos  infractions  scandaleuses  dans  ce  saint 
temps,  et  vous  devez  craindre  d'en  être 
punis  sévèrement. 

Qui  a  donc  pu  autoriser  les  chrétiens  d  ! 
nos  jours  à  violer  la  sainte  loi  du  jeûne  e 
de  l'abstinence?  Le  plus  grand  nombre  s'en 
dispense.  On  ne  voit  plus  que  de  légères 
traces  de  la  pénitence  des  chrétiens  fervents  : 
les  tables  sont  servies  à  l'ordinaire  et  cou- 
vertes des  viandes  défendues:  ce  n'est  point 
une  infirmité  réelle  qui  force  ces  chrétiens 
lâches  à  se  dispenser  du  jeûne  et  de  l'absti- 
nence; c'est  la  délicatesse,  c'est  une  fausse 
idée  qu'on  a  de  la  loi.  On  s'enhardit  les 
uns  et  les  autres;  dans  tous  les  rangs,  dans 
tous  les  états  on  voit  régner  les  mêmes  in- 
fractions. Ah!  disons  que  le  déchet  déplo- 
rable et  scandaleux  de  la  pénitence  du  ca- 
rême est  une  suite  de  l'irréligion  de  nctre 
siècle. 

CHAPITRE  III. 

Tous  les  fidèles  doivent  participer  à  la  péni- 
tence du  carême. 

Je  sais  qu'il  y  a  des  infirmités  réelles  qui 

(47)  Unam  quadragesimam  secundum  Iraditionena 
apostolnrum  teinpoie  nobis  congruo  jejunamus 
(S.  Hieron.  Epist.  ad  Murcellam  adversus  errores 
Hontani.) 


IG3 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


434 


g 


dispensent  de  la  loi  du  jeûne  ou  de  l'absti- 
nence ordonnée  dans  le  saint  temps  du  ca- 
rême, sous  peine  de  péché  mortel,  à  tous 
ceux  qui  peuvent,  sans  un  danger  évident 
de  leur  santé,  l'observer  ;  mais  cea  infirmités, 
ces  obstacles  à  l'observance  de  la  loi  du 
jeûne  et  de  l'abstinence,  que  j'examinerai 
dans  la  suite,  n'empêchent  pas  les  disciples 
de  Jésus-Christ  et  les  enfants  de  l'Eglise  de 
participer  à  la  pénitence  du  carême  par  d'au- 
tres retranchements,  d'autres  privations, 
des  exercices,  des  bonnes  œuvres  qui  font 
l'esprit  de  cette  pénitence  publique,  selon 
les  livres  saints,  les  conciles  et  les  Pères. 

Saint  Bernard  (serin.  3  De  Quadrag.)  disait 
à  ses  religieux  aux  approches  de  la  sainte 
quarantaine  :  Jusqu'à  présent,  mes  frères, 
nous  avons  jeûné  seuls,  nous  nous  sommes 
engagés  à  des  pénitences,  à  des  austérités 
qui  n'obligent  que  nous  :  Hactenus  jejuna- 
vimus  soli.  Mais  voici  le  saint  temps  du  ca- 
lêine.  Une  pénitence  publique  est  annoncée 
dans  tous  les  Etats  catholiques.  Tous  les 
enfants  de  l'Eglise  vont  se  mortifier  et  faire 
pénitence  avec  nous.  Les  rois,  les  princes, 

clergé,  le  peuple,  les  riches,  les  pauvres, 
les  justes,  les  pécheurs,  les  cours  des  mo- 
narques, les  palais  des  grands,  les  maisons 
des  riches,  les  cabanes  des  pauvres  renfer- 
meront, aussi  bien  que  les  cloîtres,  des 
hommes  déjeune,  de  larmes,  de  retraite,  de 
mortification.  Dans  les  autres  temps  de  l'an- 
née, nous  sommes  distingués  des  fiJôles  qui 
vivent  dans  le  monde  par  des  austérités 
particulières.  Présentement,  ils  vont  être 
confondus  avec  nous  par  une  pénitence  so- 
lennelle, publique,  universelle  :  Nunc  jeju- 
nabunt  nobiscum. 

Or,  il  est  aisé  de  conclure,  de  ces  paroles 
de  saint  Bernard  à  ses  religieux,  que  la  pé- 
nitence du  carême  était  universellement 
observée  de  son  temps.  On  n'y  voyait  pas 
cette  foule  d'infracteurs  qui  nous  font  gémir 
aujourd'hui;  presque  .toutes  les  familles 
chrétiennes  donner  hardiment  à  leurs  en- 
fants et  à  leurs  domestiques  le  coupable 
exemple  de  la  transgression  de  la  loi.  On 
ne  débitait  pas  des  railleries,  des  histoires 
badines  sur  la  vénérable  institution  de  cette 
pénitence. 

On  ignorait  alors  ces  privilèges,  ces  pré- 
textes, ces  prétendues  nécessités  qui  rassu- 
rent aujourd'hui  tant  de  lâches  chrétiens  ; 
on  ne  voyait  pas  les  enfants  de  l'Eglise,  dans 
le  saint  temps  du  carême,  courir  aux  spec- 
tacles, se  livrer  aux  plaisirs,  au  jeu,  aux 
amusements  du  monde,  se  donner  des  repas 
et  se  moquer,  pour  ainsi  dire,  du  deuil,  des 
larmes,  des  prières  de  l'Eglise  et  du  lou- 
chant spectacle  de  pénitence  qu'elle  offre  à 
leurs  yeux  par  une  vie  sensuelle,  dissipée 
et  mondaine. 

Il  y  avait,  sans  doute,  des  chrétiens  infir- 
mes, malades,  hors  d'état  de  soutenir  les  ri- 
gueurs des  grands  jeûnes  et  de  l'abstinence, 
et  qui  en  étaient  légitimement  dispensés; 
niais  ils  n'en  participaient  pas  moins  à  la 
pénitence  solennelle  du  carême.  La  retraite, 
la   prière,,  l'aumône,    la    componction    du 


cœur,  la  patience  dans  leurs  doulehrs,  la 
privation  de  tout  ce  qui  n'était  pas  absolu- 
ment nécessaire  au  rétablissement  de  leur 
santé,  suppléaient  au  jeûne  et  à  l'abstinence. 

Or,  c'est  ainsi  que  tous  les  chrétiens  doi- 
vent et  peuvent  participer  à  la  pénitence  du 
carême  :  les  personnes  robustes  et  celles  qui 
sont  faibles;  les  malades  et  celles  qui  sont 
en  santé.  11  y  a  différents  genres  de  péni- 
tence. 

On  a  donc  aujourd'hui  une  fausse  idée  de 
la  pénitence  du  carême  :  on  n'est  pas  per- 
suadé qu'elle  oblige  tous  les  fidèles,  et  voici 
l'erreur  commune  sur  cette  sainte  loi  de 
l'Eglise. 

On  commence  par  ne  la  faire  consister  quo 
dans  le  jeûne  et  l'abstinence;  ensuite  on  se 
persuade  que  le  prétexte  le  plus  frivole,  la 
plus  légère  incommodité,  la  nécessité  de  se 
conserver  pour  sa  famille,  ou  le  bien  public, 
la  modicité  de  ses  revenus,  la  cherté  des 
mets  permis  dans  ce  saint  temps  dispensent 
de  la  loi  ;  de  là  le  grand  nombre  d'infracteurs, 
de  chrétiens  lâches  qui  renvoient  la  péni- 
tence du  carême  dans  les  cloîtres,  qui  se 
contentent  de  l'admirer  dans  quelques  per- 
sonnes pieuses,  et  qui  vivent  aussi  délicate- 
ment, aussi  mollement  dans  ces  saints  jours 
que  clans  les  autres  temps  de  l'année ,  comme 
si  ce'.te  pénitence  n'était  que  pour  un  petit 
nombre  d'âmes  qui  ont  moins  de  fautes  à 
expier  qu'eux  ;  comme  si  elle  ne  devait  plus 
subsister  que  dans  le  deuil,  les  prières,  les 
gémissements  de  l'Eglise  et  les  fatigues  des 
hommes  apostoliques  qui  paraissent  tous 
les  jours  dans  les  chaires. 

Or,  pour  détruire  cette  erreur,  je  dis 
qu'outre  le  précepte  du  jeûne  et  de  l'absti- 
nence, la  pénitence  du  carême  renferme 
encore,  selon  l'esprit  de  l'Eglise,  une  obli- 
gation indispensable  de  se  priver  des  plai- 
sirs ,  des  amusements  même  permis  dans  les 
autres  temps;  de  prier,  de  gémir,  de  pleu- 
rer ses  péchés,  de  faire  l'aumône;  d'assistet 
aux  instructions,  d'observer  la  retraite,  (k 
se  priver  de  ce  qui  peut  flatter  le  goûJ  ;  en 
un  mot,  de  se  mortifier  par  quelques  er 
droits  ;  et  c'est  dans  ce  sens  que  je  diî  q.uo 
ceux  mômes  qui  sont  légitimement  dispensés 
du  jeûne  ou  de  l'abstinence,  doivent  et  peu- 
vent participer  à  la  pénitence  universelle  du 
carême.  Malheur  à  ceux  qui  n'y  prennent 
aucune  part  1 

CHAPITRE  IV. 

L'esprit  de  l'Eglise  dans  les  adoueissements 
de  la  sainte  pénitence  du  carême. 

J'ai  présentement  deux  sortes  de  person- 
nes à  combattre  pour  venger  l'Eglise  contre 
les  calomnies  de  ses  ennemis  et  le  relâche- 
ment de  ses  enfants.  Les  hérétiques  et  les 
chrétiens  lâches;  les  hérétiques  qui  accusent 
sa  condescendance  de  prévarication  ;  les 
chrétiens  lâches  qui  violent  le  précepte  du 
jeûne  et  de  l'abstinence,  malgré  les  adoucis- 
sements qu'elle  tolère. 

Je  vais  réfuter  les  calomnies  des  premiers, 
en  prouvant  que  l'esprit  de  l'Eglise  est  tou- 


105 


INSTRUCTION  SUR  LA  PENITENCE  DU  CAREME.  —  CHAP.  Y. 


m 


jours  le  môme  sur  la  pénitence  solennelle  du 
carême  ;  je  vais  confondre  la  lâcheté  des  se- 
conds qui  violent  une  loi  dont  les  rigueurs 
et  les  austérités  sont  adoucies  par  la  ten- 
dresse compatissante  de  l'Eglise. 

Les  hérétiques  terrassés  par  cette  foule 
d'autorités  qui  prouvent  que  la  pénitence  du 
carême  est  d'institution  apostolique,  ne  pou- 
vant nous  faire  que  des  objections  vaines  et 
artificieuses  contre  la  pratique  constante  de 
tous  les  siècles,  ont  saisi  avec  joie  et  une  es- 
pèce de  triomphe  les  adoucissements  que 
l'Eglise  a  tolérés  depuis  le  xh*  siècle.  Ils  l'ont 
accusée  de  relâchement,  et  l'ont  blâmée  d'a- 
voir avancé  l'heure  du  repas. 

Or  je  vais  prouver  que  l'esprit  de  l'Eglise 
sur  la  pénitence  du  carême  est  toujours  le 
même  ;  et  par  conséquent  qu'ils  ont  tort  de 
blâmer  l'indulgence  qu'elle  a  pour  ses  en- 
fants. 

Qui  peut  mieux  nous  prouver  l'esprit  de 
l'Eglise  sur  la  pénitence  du  carême,  que  ce 
qu'elle  en  a  dit  dans-ses  conciles,  sans  excep- 
ter celui  de  Trente,  le  dernier  œcuménique  ; 
par  la  bouche  des  saints  Pères  dans  tous  les 
siècles;  par  celle  de  tous  les  évêques  dans 
leurs  instructions  pastorales,  par  celle  des 
prédicateurs  qui  instruisent  les  fidèles  ;  enfin, 
par  les  annonces  publiques  que  l'on  fait  aux 
peuples  catholiques  de  cette  pénitence  solen- 
nelle? 

Or  je  défie  les  protestants  de  nous  citer  un 
seul  concile,  un  seul  Père,  un  seul  évêque, 
un  seul  prédicateur  qui  ait  annoncé  comme 
un  nouveau  précepte,  une  nouvelle  loi ,  les 
adoucissements  tolérés  depuis  le  xu"  siècle. 
Tous  su  contraire  représentent  aux  fidèles  la 
sainte  sévérité  de  la  pénitence  du  carême, 
les  larmes,  les  abstinences,  les  longs  jeûnes 
des  chrétiens  pendant  douze  cents  ans;  ils 
s'efforcent  de  soutenir  la  ferveur  des  uns  et 
de  confondre  la  lâcheté  des  autres  par  ces 
peintures  touchantes  de  la  rigoureuse  péni- 
tence de  nos  premiers  frères.  Les  prières 
que  l'Eglise  récite  le  premier  jour  de  la  qua- 
rantaine, le  tombeau  qu'elle  ouvre  sous  les 
yeuT  de  ses  enfants,  la  cendre  qu'elle  répand 
sur  leur  tête,  tout  leur  annonce  que  ce  saint 
temps  est  un  temps  de  pleurs,  déjeunes  et 
de  saintes  rigueurs.- 

Si  l'Eglise  eût,  je  ne  dis  pas  retranché  les 
jeûnes  et  les  abstinences  comme  Luther  et 
Calvin,  mais  fait  une  loi  générale  de  l'indul- 
gence dont  elle  use  envers  ses  enfants,  nos 
frères  séparés  seraient  un  peu  mieux  fondés 
à  l'accuser  de  relâchement;  encore  iraient- 
ils  contre  le  droit  qu'elle  a  et  le  pouvoir 
qu'elle  a  reçu  de  Jésus-Christ  d'user  d'indul- 
gence envers  ses  enfants,  selon  les  temps  et 
les  besoins. 

Blâmeront-ils  la  dispense  que  l'Eglise  ac- 
corde à  ceux  qui'  n'ont  pas  vingt  et  un  ans, 
aux  vieillards  faibles  et  languissants,  aux 
femmes  enceintes,  à  celles  qui  nourrissent 
lorsqu'il  s'agit  de  jeûne;  aux  infirme*,  aux 
malades  lorsqu'il  s'agit  de  l'abstinence?  Mais 
cette  condescendance  est  digne  de  sa  ten- 
dresse; elle  a  hérité  de  cette  charité  compa- 
tissantd  de  Jésus-Christ,  son  divin  Epoux. 


Il  ne  s'agit  donc  que  de  l'usage  qui  s'est 
introduit  d'avancer  le  repas  ;  car  elle  ensei- 
gne toujours  que  le  jeûne  consiste  dans  l'u- 
nité de  repas,  et  que  ce  que  l'on  prend  le 
soir,  ne  doit  être  qu'un  léger  rafraîchisse- 
ment. Or  cet  usage  s'est  introduit  parles  be- 
soins de  certains  chrétiens  que  les  grands 
jeûnes  incommodaient.  On  a  avancé  l'heure 
du  repas  qui  n'était  qu'au  soleil  couché  ; 
insensiblement  on  l'a  fixé  à  midi  ;  on  a 
avancé  aussi  les  vêpres,  pour  apprendre  aux 
chrétiens  que  c'était  par  indulgence  qu'on 
n'attendait  pas  au  soir.  L'Eglise  a  toléré  cet 
usage  par  condescendance  pour  la  faiblesse 
de  ses  enfants.  Est-ce  là  toucher  au  précepte 
du  jeûne  ?  Et  les  protestants  qui  ont  secoué 
publiquement  et  sans  honte  le  joug  de  tou- 
tes les  mortifications  chrétiennes,  ont-ils 
bonne  grâce  d'oser  accuser  l'Eglise  de  relâ- 
chement? 

Mais  vous,  chrétiens  catholiques,  qui  par 
délicatesse,  sensualité,  violez  la  sainte  loi  du 
jeûne  et  de  l'abstinence,  annoncée  solen- 
nellement aux  approches  de  la  quarantaine, 
que  penser  de  vous  ?  Que  vous  êtes  des  lâ- 
ches, de  coupables  infracteurs  que  rien  ne 
I  eut  excuser;  que  vous  ne  respectez  point 
ce  qu'il  va  de  plus  saint  et  de  plus  sacré  dans 
les  pratiques  de  l'Eglise. 

Bien  loin  de  gémir  avec  cette  tendre  Epouse 
de  la  différence  qu'il  |y  a  entre  notre  péni- 
tence et  celle  de  nos  premiers  frères,  d'avoir 
recours  à  des  adoucissements ,  lorsque  nos 
péchés  exigent  une  réparation  plus  sévère, 
vous  transgressez  sans  scrupule  toute  la  loi 
du  jeûne  et  de  l'abstinence  ;  vous  êtes  dans 
le  saint  temps  de  carême,  comme  dans  le 
reste  de  l'année,  des  hommes  de  bonne  chère, 
de  jeu,  de  plaisir;  malgré  les  adoucissenîents 
tolérés,  la  pénitence  du  carême  vous  inspire 
une  coupable  frayeur.  Vous  vous  proposez 
audacieusement  de  ne  pas  essayer  seulement 
vos  forces;  vous  donnez  vos  ordres  pour 
avoir  une  nourriture  succulente  ;  vos  repas 
seront  aussi  longs  et  aussi  multipliés  que 
dans  les  autres  jours.  La  sensualité  seule  et 
le  désir  de  varier  les  mets,  feront  paraître  le 
maigre  sur  vos  tables.  Ah  1  le  péché  mortel 
ne  vous  effraye  donc  pas  ?  Ce  temps  de  salut 
sera  donc,  pour  vous  un  temps  de  damna- 
tion? Jésus-Christ  versera  donc  inutilement 
son  sang  pour  vous,  puisque  vous  ne  voulez 
pas  vous  mortifier  avec  ses  disciples?  Et  les 
adoucissements  que  l'Eglise  tolère  dans  la 
pénitence  du  carême,  prouvent  donc  que 
vous  êtes  des  chrétiens  lâches,  puisqu'elle 
vous  effraye  encore? 

CHAPITRE  V. 

De  la  préparation  à  la  sainte  pe'nitencz  âù 

carême. 

Quelle  différence,  ô  mon  Dieul  entre  la 
conduite  des  justes  et  celle  des  mondains 
aux  approches  de  la  sainte  quarantaine  ;  en-ire 
l'esprit  de  foi,  de  piété,  de  componction  qui 
anime  les  uns,  et  l'esprit  d'irréligion,  de 
licence,  d'impénitence  qui  fait  agir  les  au- 
tresl 


167 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


403 


Je  vois  dans  votre  Eglise,  parmi  vos  enfants, 
des  chrétiens  touchés  de  vos  miséricordes, 
séparés  du  monde  de  cœur  et  d'esprit; je  les 
vois  consoler  votre  Epouse  désolée  par  leur 
tendre  piété,  environner  ses  autels,  proster-  . 
nés,  abîmés  devant  l'Agneau  immolé  pour 
nos  péchés,  laver  leur  faute  dans  son  sang 
adorable,  pousser  de  tristes  accents,  faire 
entendre  les  gémissements  de  la  colombe,  et 
vous  conjurer  dans  l'amertume  de  leur  cœur 
de  toucher  ces  aveugles  qui  se  livrent  avec 
fureur  et  sans  retenue  à  de  coupables  plai- 
sirs et  à  de  honteux  excès  dans  les  jours  qui 
précèdent  la  sainte  pénitence  du  carême. 

Je  vois  d'un  autre  côté,  ô  mon  Dieul  et 
mon  cœur  en  est  plongé  dans  l'amertume, 
des  enfants  de  votre  Eglise,  nés  dans  son 
sein,  nourris  de  ses  sacrements,  mépriser 
ses  touchants  avis-,  ses  douces  invitations; 
l'abandonner  clans  son  deuil,  ses  gémisse- 
ments; mépriser  ses  solennités,  s'opposer  à 
son  esprit,  élever  autel  contre  autel,  prendre  le 
parti  dudémon.remplirles  spectacles,  célébrer 
ses  fêtes,  se  livrer  aux  excès  du  plaisir,  de  la 
licence,  de  l'intempérance;  couvrir  d'igno- 
minie l'image  du  Créateur,  et  cacher  le  chré- 
tien sous  des  vêtements  ridicules,  indécents, 
et  quelquefois  sous  la  forme  des  animaux. 

O  Epouse  de  Jésus- Christ  1  vous  avez 
frappé  de  vos  anathèmes  ces  honteuses  apos- 
tasies de  la  piété,  dans  ces  jours  qui  précè- 
dent la  quarantaine  1  Vous  vous  etforcez  de 
ramener  vos  enfants  égarés  par  le  spectacle 
de  votre  deuil,  par  vos  gémissements,  par 
des  solennités  touchantes;  vous  exposez 
Jésus-Christ  à  leurs  jeux  sur  l'autel  ;  vous 
demandez  pour  eux  miséricorde,  le  don  de 
la  pénitence,  de  la  componction,  des  larmes. 
Heureux  si  je  puis,  tout  indigne  que  j'en 
suis,  contribuer  à  leur  retour,  et  les  porter  à 
suivre  votre  esprit  1 

Et  vous,  chrétiens,  qui  lisez  cet  ouvrage, 
de  quel  côté  vous  rangez-vous  dans  ces  jours 
qui  précèdent  le  carême? 

Voilà  deux  partis:  celui  de  la  piété,  celui 
du  plaisir;  celui  de  Jésus-Christ,  celui  du 
démon;  de  ceux  qui  se  préparent  à  la  péni- 
tence, de  ceux  qui  la  redoutent  et  ne  veu- 
lent point  s'y  soumettre.  Si  vous  voulez 
vous  y  préparer  avec  fruit,  écoutez. 

Le  grand  pape  saint  Léon,  pour  porteries 
fidèles  à  se  préparer  aveefruit  à  la  pénitence 
solennelle  du  carême,  se  sert  de  ces  parole» 
de  ,1'apôlre  saint  Paul  :  Nous  vous  exhor- 
tons, mes  frères,  de  ne  pas  recevoir  en  vain 
la  grâce  que  le  Dieu  des  miséricordes  vous 
offre.  Voici  un  temps  favorable  pour  rentrer 
en  grâce  avec  lui;  voici  des  jours  de  salut: 
Adjuvantes  exhortamur  ne  in  vacuum  gra- 
liam  Dei  recipiaiis:  ecce  nunc  lempus  accep- 
tabile  ;  ecce  nunc  aies  salutis.  (II  Cor.,  VI.) 

Voici  une  pénitence  propre  à  nous  purifier 
des  taches  qui  ont  souillé  noire  âme  dans 
les  autres  temps  de  l'année  (i8). 

Mais  comment  faut-il  s'y  préparer?  Ecou- 

(18)  Neoesse  est  mundano  de  pulvere  etiam  reli- 
giosa  eorda  sordescere  :  ut  ad  reparandam  mentium 


tez,  voici  l'esprit  de  l'Eglise  :  par  la  retraite, 
la  prière  et  une  confession  sincère  et  dou- 
loureuse de  tous  ses  péchés. 

Pendant  que  les  mondains  se  dissipent, 
s'amusent,  se  livrent  au  jeu,  aux  repas,  aux 
plaisirs,  gardez  la  retraite,  'méditez  dans  le 
silence  les  grands  mystères  qui  occupent  l'E- 
glise, et  les  puissants  motifs  qui  vous  doivent 
porter  à  la  pénitence. 

L'Eglise,  depuis  la  SeptuagesrsTne,  nous 
fait  lire  l'histoire  de  la  chute  du  premier 
homme  qui  nous  a  rendus  tous  coupables, 
pour  nous  porter  à  la  pénitence ,  et  exciter 
en  nous  des  sentiments  de  componction. 
Ce  n'est  pas  dans  le  tumulte  des  compagnies, 
des  festins,  des  danses,  que  ces  grands  ob- 
jets feront  de  saintes  impressions  sur  nous: 
c'est  dans  le  silence  et  la  retraite. 

Pour  éviter  les  dangers  de  ce  temps  ae 
scandale  et  de  séduction,  pour  obtenir  la 
grâce  de  soutenir  avec  ferveur  et  avec  fruit 
cette  carrière  de  la  pénitence,  il  faut  prier, 
il  faut  aller  dans  le  saint  temple  avec  les 
âmes  fidèles  adorer  Jésus-Christ  dans  le 
sacrement  de  son  amour,  et  lui  dire,  avec 
cet  aveugle,  dont  l'Eglise  nous  expose  la 
guérisonje  dimanche  de  laQuinquagésin.e, 
ainsi  que  la  Passion  du  Sauveur  :  Seigneur, 
ouvrez  mes  yeux,  les  yeux  de  la  foi,  afin 
que  je  puisse  voir  :  Domine,  ut  videam  [Luc, 
XVIII)  ;  que  je  connaisse  les  avantages  de 
la  pénitence  que  l'Eglise  m'impose,  les 
grâces  précieuses  que  votre  mort  et  votre 
résurection  me  procureront:  Domine,  ut  vi- 
deam; que  je  sente  tout  le  malheur  et  l'aveu- 
glement de  mes  frères  qui  s'égarent  et  courent 
comme  des  insensés  attachés  au  char  du  dé- 
mon, aux  folles  joies  du  siècle  :  Domine,  ut 
videam;  que  je  sonde  les  abîmes  de  ma  cons- 
cience; que  j'y  découvre  la  multitude  et 
l'énormité  de  mes  péchés  pour  les  pleurer,  les 
confesser  à  vos  ministres  et  en  obtenir  la 
rémission,  afin  de  commencer  avec  une  cons- 
cience pure  la  sainte  pénitence  du  carême.. 

Tel  est  l'esprit  de  l'Eglise;  c'est  pourquoi 
elle  ordonne  aux  curés  d'avertir  leurs  pa- 
roissiens qu'ils  se  préparent  à  la  pénitence 
du  carême  par  une  sincère  confession  de 
leurs  péchés. 

Les  jeûnes,  les  abstinences  peuvent-ils 
être  agréables  au  Seigneur  quand  onl  est 
souillé  du  péché  mortel,  et  que  l'on  com- 
mence la  sainte  quarantaine,  ou  qu'on  la 
passe  même  chargé  d'iniquités  et  des  cou- 
pables dissolutions  accréditées  dans  les  jours 
qui  l'ont  précédée  ? 

CHAPITRE  VI. 

Du  jeûne  comme  précepte. 

Rien  de  plus  souvent  annoncé  dans  l'E- 
criture ;  rien  de  plus  religieusement  ob- 
servé; rien  de  plus  propre  à  apaiser  la  co- 
lère du  Seigneur,  h  nous  faire  triompher  de 
nos  passions,  à  terrasser  le  démon,  et  à  l'at- 
tachera notre  char,  que  le  jeûne. 

puritatem  quadraginta  no-bis  dierum  exercitafo  me- 
derctur.  (S.  Léo  serni.  i  De  Quc.drogesima.) 


4H9 


INSTRUCTION  SUR  LA  PENITENCE  DU  CAREME.  —  ClIAP.  VII. 


470 


J'ouvre  les  livres  saints,  et  je  vois  des 
jeûnes  solennels  et  particuliers  pratiqués  et 
mériter  les  grâces  les  plus  précieuses. 

Le  jeûne  solennel  des  Ninivites  change 
l'arrêt  de  mort  prononcé  par  l'Eternel  en 
un  arrêt  de  miséricorde  et  de  clémence. 
Le  jeûne  donne  un  nouvel  éclat  à  la  vertu 
et  à  la  beauté  des  Judith  et  des  Esther  ; 
elles  deviennent  les  libératrices  de  leur 
nation  ;  elles  en  sont  la  joie,  l'honneur  et  la 
gloire. 

Que  dirai-je  de  Jésus -Christ  notre  Sau- 
veur, notre  modèle?  N'a-t-il  pas  jeûné? 
N'a-t-il  pas  recommandé  le  jeûne?  Il  a  jeûné 
quarante  jours  dans  le  désert  ;  et  c'est  pour 
1  imiter,  disent  les  saints  docteurs,  que  les 
apôtres  ont  établi  le  jeûne  du  carême. 

Les  apôtres,  instruits  par  leur  divin  Maî- 
tre, n'ont-ils  pas  ordonné,  pratiqué  des 
jeûnes?  Lorsqu'il  s'agit  de  l'élection  et 
d'imposer  les  mains,  nous  vovons  dans  les 
Actes  (XVII,  XIV,  XXVII),  qui  est  l'his- 
toire de  l'Eglise  naissante,  qu'ils  jeûnaient 
et  priaient. 

Comment  Luther  et  Calvin  osent-ils  donc 
blâmer  l'Eglise  d'ordonner  des  jeûnes  à  ses 
enfants?  Comment  osent-ils,  dans  leurs  ou- 
vrages, débiter  les  impiétés  que  je  ne  rap- 
porte pas  ici,  pour  ne  pas  affliger  les  lecteurs 
pieux  (49)  ? 

En  vain  nous  opposent-ils  les  reproches 
que  Dieu  faisait  aux  juifs,  qui  souillaient 
leurs  jeûnes  par  des  injustices  ;  les  repro- 
ches que  Jésus-Christ  fait  aux  pharisiens 
qui  jeûnaient  par  ostentation,  et  qui  faisaient 
connaître  leurs  jeûnes  par  la  tristesse  de 
leurs  visages  et  l'abattement  affecté  de  leurs 
corps:  en  vain  nous  opposent-ils  la  réponse 
qu'il  fit,  lorsqu'on  lui  demanda  pourquoi 
ses  disciples  ne  jeûnaient  point.  Il  ne  faut 
qu'un  peu  de  bon  sens  pour  comprendre  la 
faiblesse  de  toutes  ces  objections. 

Nous  dirons  bien  avec  eux  que  le  jeûneavec 
les  injustices,  que  le  jeûne  pratiqué  par  hy- 
pocrisie, pour  s'attirer  l'estime  des  hommes, 
n-'est  d'aucun  mérite  :  et  voilà  les  défauts  des 
jeûnes  des  Juifs  et  des  pharisiens. 

Nous  avouons  que  Jésus-Christ  a  dit  que 
ses  apôtres  ne  jeûneraient  pas  tant  qu'il  se- 
rait avec  eux;  mais  nous  dirons  qu'il  a  an- 
noncé qu'ils  jeûneraient  quand  il  leur  serait 
enlevé:  Tune  jrjunabunt.  (Matth.,l\.)  Et 
c'est  ce  qu'ils  ont  fait  comme  il  paraît  dans 
les  Actes,  et  par  le  jeûne  de  quarante  jours 
qu'ils  ont  institué,  selon  tous  les  saints  doc- 
teurs, comme  je  l'ai  dit,  en  prouvant  l'an- 
cienneté et  l'autorité  de  la  pénitence  du 
carême. 

Reconnaissez,  chrétiens,  l'aveuglement  de 
nos  frères  séparés  sur  le  jeûne;  mais  vous 
qui  êtes  soumis  à  l'Eglise ,  reconnaissez 
qu'elle  a  le  pouvoir  de  faire  des  préceptes,  et 
que  celui  du  jeûne  vous  oblige  sous  peine 
de  péché  mortel,  lorsque  vous  n'êtes  pas  dans 
le  cas  d'une  dispense  légitime. 

Ecoutez,  chrétiens,  dit  saint  Ambroise 
(serm.  1  inpsal.  CXVIII)  :1e  jeûne  solennel 


du  carême  vous  a  été  annoncé  :  fndictum 
est  jejuniam.  Pensez  que  vous  êtes  obligésde 
l'observer;  n'en  violez  pas  un  seul  :  Cave  ne 
negligas.  Il  vous  a  été  annoncé  publique- 
ment. C'est  l'Eglise  votre  mère  qui  a  reçu 
de  Jésus-Christ  l'autorité  pour  faire  des  com- 
mandements et  des  préceptes:  indictum  est. 
Si  vous  manquez  à  un  seul  des  jeûnes  de 
la  quarantaine,  sans  en  être  dispensés  légi- 
timement, vous  donnerez  la  mort  à  votre 
âme  :  Cave  ne  negligas. 

On  peut  s'imposer  des  jeûnes  dans  les 
autres  temps  de  l'année,  dit  saint  Augustin 
(serm.  62  De  temp.),  alors  on  est  libre  :  c'est 
une  pénitence  qui  n'est  point  de  précepte  ; 
mais,  manquer  un  jeûne  dans  le  carême  , 
c'est  un  péché,  et  un  péché  mortel  :  In  Qua- 
dragesima  non  jejunare  peccatum  est. 

Prenez  bien  garde,  dit  saint  Léon  (serm. 
1,  Dejejunio  septimi  mensis),  que  c'est  par 
l'autorité  de  l'Eglise  que  nous  vous  annon- 
çons le  jeûne  comme  un  précepte  qui  oblige 
souspeinede  péché:  Exauctoritateindicimus. 
C'est  par  charité  que  nous  vous  persuadons 
de  vous  y  soumettre  pour  sauver  vos  âmes  : 
Ex  charitate  suademus. 

Ah  1  que  je  suis  pénétré  de  douleur,  lors- 
que je  considère  aujourd'hui  cette  foule  de 
transgresseurs  de  la  loi  du  jeûne;  lorsque 
je  vois  des  hommes  robustes  remplir  les  ca- 
barets, et  ne  point  discontinuer  leur  intem- 
pérance dans  ce  saint  temps;  des  riches  faire 
deux  repas  longs,  succulents  et  délicats: 
d'autres  prendre  des  rafraîchissements,  man- 
ger plusieursfois  le  jour,  céder  h  l'occasion, 
à  l'invitation,  ou  s'exciter,  sous  les  plus  lé- 
gers prétextes,  à  violer  la  loi  du  jeûne,  et  à 
donner  la  mort  à  leurs  âmes  1  Les  chrétiens 
catholiques  doivent-ils  penser  ainsi  d'un 
précepte  de  l'Eglise? 

CHAPITRE  VII. 

Des  vertus  qui  doivent  accompagner  le  jeûne 
pour  le  rendre  utile  et  méritoire. 

Lorsqu'il  s'agit  d'un  jeûne  solennel,  Dieu 
dit  à  ses  ministres:  Sanctifiez  vos  jeûnes  pu- 
blics parles  vertus  qui  peuvent  rendre  agréa- 
ble à  mes  yeux  cette  pénitence  universelle  : 
Sanclificatejejunium.  (Joël,  I.) 

Or  l'Evangile,  les  conciles,  tous  les  Pères 
de  l'Eglise,  disent  la  même  chose  aux  chré- 
tiens catholiques  qui  se  soumettent  au  jeûne 
solennel  du  carême  :  Sanctifiez  votre  jeûne 
parla  douleur  de  vos  péchés,  par  la  cessation 
du  péché,  par  la  privation  des  plaisirs  même 
permis  dans  les  autres  temps  ;  par  la  prière, 
l'aumône,  et  les  œuvres  de  justice  et  de  mi- 
séricorde :  Sunctificate  jrjunium. 

Toute  la  perfection  de  notre  jeûne,  dit 
saint  Léon  (serm.  h  De  Quadragcsima),  no 
consiste  pas  a  se  retrancher  quelques  repas, 
à  se  priver  des  choses  qui  peuvent  fortifier 
la  chair  et  la  rendre  impérieuse;  mais  en- 
core à  se  priver  de  tout-  ce  qui  peut  corrom- 
pre l'esprit  et  le  cœur. 

Ne  serait-ce  pas  un  aveuglement  déplora  - 


(49)  Luther,  Respomione  ad  Ambrpsium  Catkarinam;  C\lvin,  lib.  IV  Institut,  cap.  12,  sect.  19 


*7! 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


472 


Lie,  que  des  chrétiens  fissent  fond  sur  le 
mérite  d'un  jeûne  souillé  du  péché,  pratiqué 
dans  l'habitude  d'un  péché  chéri,  qu'on  ne 
déteste  pas;  coupables  d'injustices  qu'on  ne 
veut  pas  réparer;  livrés  aux  plaisirs  enchan- 
teurs du  siècle,  et  insensibles  à  toutes  les 
misères  du  pauvre.  Ah!  tels  étaient  les  jeû- 
nes des  juifs  et  des  pharisiens,  que  Dieu 
rejetait  et  détestait',  et  qui  lui  firent  pronon- 
cer cet  oracle  qui  doit  confondre  les  protes- 
tants qui  nous  reprochent  d'établir  un  jeûne 
que  le  Seigneur  réprouve. 

Le  voici  cet  oracle,  il  est  clair.  Dieu  ne 
défend  pas  le  jeûne  fait  dans  un  esprit  de 
pénitence,  dans  l'innoccnre  du  cœur,  avec 
des  aiains  pures.  Ne  jeûnez  point  comme 
vous  avez  jeûné  jusqu'à  présent,  dit  Dieu 
aux  juifs  :  Nolite  jejunare  sicut  usque  adhanc 
diem.  (Isa.  LVIIl'.)  Il  ne  défend  pas  le  jeûne  ; 
mais  il  veut  leur  prouver  que  la  vertu,  l'in- 
nocence, la  justice,  doivent  l'accompagner; 
et  tout  cela  manquait  aux  jeûnes  que  Dieu 
reprend.  Il  s'explique:  Vos  jeûnes  me  dé- 
plairont tant  que  le  cris  de  vos  péchés,  de 
vos  injustices,  montera  jusqu'au  trône  de  ma 
gloire:  ut  audiatur  in  excelso  c'amor  vester. 
(Ibid.) 

Ainsi,  dans  l'Ancien  et  dans  le  Nouveau 
Testament,  lorsqu'il  est  parlé  du  jeûne,  il 
est  toujours  pailé  des  vertus  qui  doivent 
l'accompagner  pour  qu'il  soit  agréable  au 
Seigneur. 

SI  y  a  deux  choses  à  considérer  dans  le 
jeûne,  dit  saint  Augustin  (serm.  207  inQua- 
dro.'j.)  ;  les  retranchements  de  la  nourriture, 
qui  font  son  intégrité;  la  pratique  des  vertus, 
qui  nous  le  rendent  utile  et  agréable  à  Dieu. 
Quant  à  la  première,  ce  saint  docteur  dit 
que  l'intégrité  du  jeûne  du  carême  consiste 
à  se  priver  du  repas  que  l'on  fait  à  midi  dans 
les  autres  temps:  Per  hos  autem  dies  etiam 
foncessa  prandia  removenda.  Comme  l'inté- 
grité du  jeûne  consiste  dans  l'unité  de  re- 
pas, et  que  du  temps  de  saint  Augustin  on  ne 
mangeait  que  le  soir,  cette  sévérité  ne  doit 
pas  nous  étonner  ;  elle  n'a  été  adoucie,  com- 
me je  l'ai  déjà  dit,  que  depuis  le  xn*  siècle. 

Quant  à  la  seconde ,  ce  saint  docteur  dit 
(tract.  17  inJoan.,  n.  k)  que  ce  qui  rend 
notre  jeûne  grand,  parfait  et  méritoire  au  tri- 
bunal de  notre  Dieu,  c'est  d'éviter  et  de  con- 
cevoir une  juste  horreur  du  vice  et  de  tous 
les  plaisirs  qui  peuvent  souiller  notre  cœur: 
Est  abstinere  ab  iniquitatibus  et  illicitis  vo- 
luplatibus  sœculi.  Voilà,  dit-il ,  le  grand  jeû- 
ne, le  jeûne  solennel,  le  jeûne  parfait  des 
Chrétiens,  des  disciples  de  Jésus-Christ  : 
jejunium  magnum  et  générale,  perfectum 
jejunium. 

C'est  d'après  l'Ecriture  que  les  saints  doc- 
teurs montrent  la  nécessité  d'accompagner 
nos  jeûnes  des  vertus  chrétiennes. 

Tantôt  il  est  dit  que  la  prière  et  l'aumône 
rendent  notre  jeûne  précieux  aux  yeux  du 
Seigneur  :  Bonu  est  oratio  cum  jejunio  et 
cleemosyna.  (Tob.,  XIL) 

Qu'est-ce  qu'un  chrétien  qui  ne  prie  point? 
C'est  un  orgueilleux  qui  ne  sent  point  sa  mi- 
S'ire,  sa  dépendance,  le  besoin  qu'il  a  do  lu 


grâce  pour  se  convertir,  persévérer  dans  la 
pénitence  ;  ce  n'est  donc  pas  un  vrai  péni- 
tent; il  jeûne  donc  sans  fruit,  sans  mérite. 

Qu'est-ce  qu'un  chrétien  dur  et  insensible 
envers  les  membres  de  Jésus- Christ  souf- 
frant? C'est  un  homme  sans  charité,  sans  ten- 
dresse ,  sans  humanité,  qui  ne  veut  point 
racheter  ses  péchés  par  l'aumône,  et  qui  re- 
fuse aux  pauvres  ce  qu'il  retranche  de  sa 
table  et  de  ses  délices  :  ce  n'est  donc  pas  un 
vrai  pénitent;  il  jeûne  donc  sans  fruit,  sans 
mérite. 

Tantôt  il  est  dit  que  la  vraie  pénitence 
consiste  dans  le  jeûne,  dans  les  pleurs  et 
dans  la  douleur  du  cœur  :  In  jejunio,  in 
plane  tu,  scindite  eorda  vestra.  (Joël,  IL) 

Ces  chrétiens  volages,  dissipés,  livrés  à  la 
joie ,  aux  plaisirs  dans  Je  carême  comme 
dans  les  autres  temps  de  l'année  :  ces  chré- 
tiens ennemis  de  la  retraite,  du  silence,  des 
méditations  sérieuses ,  qui  n'abandonnent 
point  les  cercles,  les  jeux,  les  spectacles 
même  ;  ces  chrétiens  que  l'histoire  de  leucs 
péchés  n'effraye  point,  n'alarme  pas;  qui  se 
promettent  dé  la  réciter  à  Pâques  au  confes- 
seur le  plus  commode,  le  plus  indulgent 
qu'ils  pourront  trouver,  et  dont  toute  la  dou- 
leur consistera  dans  une  formule  de  paroles 
auxquelles  le  cœur  n'aura  point  de  part,  ne 
sont  donc  point  de  vrais  pénitents.  Ils  jeû- 
nent donc  sans  fruit,  sans  mérite.  Rendez 
votre  jeûne  utile  et  méritoire  par  la  pureté 
de  votre  cœur  et  la  pratique  des  bonnes 
œuvres. 

CHAPITRE  VIII. 

.  De  l'abstinence  comme  précepte. 

L'Eglise,  toujours  assistée  du  Saint-Esprit, 
a  fait  à  ses  enfants  un  précepte  de  l'absti- 
nence du  gras  certains  jours  de  l'année,  et 
dans  tout  le  saint  temps  du  carême,  pour 
des  raisons  de  mortification  et  de  péni- 
tence. 

Cette  pratique  est  autorisée  par  la  plus 
vénérable  antiquité.  Les  chrétiens  de  l'Eglise 
naissante,  les  plus  grands  docteurs  des  pre- 
miers siècles  en  ont  parlé  avec  éloge;  ils 
l'ont  observée  religieusement,  et  ces  derniers 
ont  combattu  dans  leurs  ouvrages  les  héré- 
tiques qui  blâmaient  ce  genre  de  pénitence 
et  de  mortification. 

Saint  Jérôme  (lib.  II  adversus  Jovinia- 
num)  et  saint  Augustin  (Lib.  de  hœres.,  cap. 
82)  ont  confondu  Jovinien,  qui  soutenait 
que  l'abstinence  n'était  d'aucun  mérite  aux 
yeux  de  Dieu. 
^Commc  les  hérétiques  se  copient,  il  n'est 
pas  étonnant  que  les  protestants  aient  mar- 
ché sur  les  traces  de  cet  ancien  hérésiarque, 
et  qu'ils  aient  fouillé  dans  l'antiquité  pour 
nous  opposer  des  faits  qu'il  est  facile  de  dé- 
truire. 

Les  hérétiques  des  derniers  siècles  nous 
font  quatre  objections  sur  l'abstinence  de 
certaines  viandes  les  jours  consacrés  à  la  pé- 
nitence. 

1°  C'est,  disent  ils,  imiter  les  juifs  et 
déshonorer  la  liberté  évangélique;  2"  c'est 
imiter  les  priscillianistes  et  les  manichéen?, 


4"3  INSTRUCTION  SUR  LÀ  PENITENCE  DU  CAREME.  —  CIIAP.  IX 

s'abstenaient  de  certaines   choses ,   et 


474 


qui  s  aostenaieni  ue  certaines  cnube;.,  ci 
s'en  privaient  avec  horreur;  3°  c'est  exposer 
les  fidèles  à  commettre  des  péchés  mortels, 
que  de  leur  faire  un  précepte  de  l'absti- 
nence; k°  c'est  aller  contre  la  leçon  de  Jésus- 
Christ,  qui  nous  assure  que  ce  qui  entre 
dans  le  corps  ne  souille  point  l'âme. 

Les  protestants  sont  d'autant  plus  coupa- 
bles de  nous  faire  ces  objections,  qu'ils  en 
sentent  tout  le  faux,  et  connaissent  l'esprit 
de  l'Eglise  qui  justifie  sa  conduite  et  le  pré- 
cepte qu'elle  fait  à  ses  enfants  de  l'absti- 
nence. 

Quelle  différence,  en  effet,  entre  nous  et 
les  juifs!  Croyons-nous  que  les  viandes  dont 
nous  nous  abstenons  par  un  esprit  de  péni- 
tence, soient  impures  et  souilleraient  nos 
âmes?  Si  nous  pensions  ainsi,  nous  imite- 
rions alors,  non-seulement  les  juifs,  mais 
encore  les  priscillianistes  et  les  manichéens  ; 
mais,  comme  eux,  nous  nous  en  priverions 
toute  l'année,  nous  en  aurions  horreur. 

Nous  ne  croyons  donc  pas  que  le  gras  soit 
mauvais  en  lui-même,  impur,  puisque  nous 
en  usons  toute  l'année,  et  que  nous  ne  nous 
en  privons  que  dans  les  jours  consacrés  à  la 
pénitence. 

De  même,  nous  disons  avec  Jésus-Christ, 
que  ce  qui  entr  e  dans  le  corps  ne  souille 
point  l'âme  (Matlh.,  XV);  mais  nous  disons 
que  la  désobéissance  à  l'Eglise  la  souille. 
Si  c'est  exposer  les  fidèles  que  de  leur  faire 
un  précepte  de  l'abstinence  les  jours  de  pé- 
nitence, il  faut  ôter  tous  les  préceptes  de 
l'Eglise  ,  et  les  ministres  de  la  réforme  doi- 
vent eux-mêmes  effacer  ceux  qu'ils  font  à 
leurs  disciples;  car  je  puis  assurer  qu'un  de 
leurs  plus  grands  maîtres  nous  justifie  sur 
l'abstinence  ainsi  que  sur  d'autres  articles. 

C'est  suivant  notre  esprit,  et  non  par  une 
police  temporelle,  qu'on  a  retenu  l'absti- 
nence et  des  jeûnes  en  Angleterre  ;  car,  dit 
ce  fameux  docteur  de  la  réforme  (50),  l'absti- 
nence accompagnée  de  la  dévotion  et  de  la 
prière,  est  un  moyen  très-efficace  pour  avan- 
cer notre  salut  et  nous  rendre  agréables  à 
Dieu;  nous  ne  pensons  pas  autrement.  Pour- 
quoi méprise-t-il  donc  le  précepte  de  l'E- 
glise, et  veut-il  recevoir  cette  loi  de  morti- 
fication du  roi  et  du  parlement?  C'est  le 
même  esprit  qui  ordonne  l'abstinence  dans 
ce  royaume  schismatique  ;  ce  n'est  pas  la 
même  autorité. 

Heureux  si  les  libertins  et  les  indévôts  de 
notre  siècle,  qui  ignorent  ces  aveux,  n'imi- 
taient pas  les  mépris  qu'ils  font  de  la  loi  de 
l'Eglise  1  Mais  hélas!  aujourd'hui  on  viole 
sans  scrupule  la  loi  de  l'abstinence  ;  on  com- 
met de  sang-froid  ce  péché  qui  donne  la  mort 
à  l'âme.  La  transgression  est  publique,  scan- 
daleuse, presque  universelle.  Le  maigre  et 
le  gras  est  servi  presque  sur  toutes  les  ta- 
bles; on  tend  des  pièges  à  la  conscience  des 
faibles;  on  badine  l'exactitude  des  enfants 
soumis  ;  on  n'a  aucune  des  incommodités  qui 
dispensent  légitimement  du  maigre  ;  des 
soins  excessifs  de  sa  santé,  la  crainte  de  l'al- 


térer, la  délicatesse,  la  sensualité,  l'esprit  da 
désobéissance  :  voilà  la  cause  de  ces  infrac- 
tions scandaleuses  dans  le  saint  temps  de 
carême. 

Quelle  différence  entre  la  conduite  de  ces 
chrétiens  et  celle  des  enfants  soumis  qui 
craignent  le  Seigneur! 

Un  petit  nombre,  comme  Daniel ,  pleure  , 
jeûne,  se  prive  des  mets  délicats  et  succu- 
lents, et  le  grand  nombre  brave  la  loi  de 
l'Église  et  vit  dans  de  coupables  délices. 

Des  hommes  sages,  éclairés  dans  l'Église, 
à  la  cour,  dans  les  rangs  les  plus  distingués, 
disent  avec  saint  Augustin  (lib.  X  Confess., 
cap.  31)  :  Nous  obéissons  à  la  loi  de  l'Eglise, 
nous  nous  abstenons  par  mortification  d'une 
nourriture  forte,  d'un  gras  nourrissant,  non 
pas  que  nous  croyons  ces  viandes  impures 
dans  ce  saint  temps,  mais  pour  mortifier  nos 
sens,  éviter  les  dangers  d'une  chair  nourrie 
délicatement  et;  obéir  surtout  à  l'Eglise  qui 
nous  fait  une  loi  de  cette  pénitence. 

Telle  fut  la  disposition  du  peuple  de  Cons- 
tantinople,  lorsque  l'empereur  Justinien, 
alarmé  d'une  grande  disette  qui  privait  cette 
ville  impériale  des  aliments  nécessaires  pour 
le  carême,  permit  de  vendre  publiquement 
les  viandes  défendues  par  la  loi  de  l'Eglise. 

Ce  peuple  chrétien  et  soumis,  dit  Nicé- 
phore  (Uist.,  lib.  XVII,  c.  32),  ne  voulut 
point  user  de  cette  liberté.  On  vit  partout  le 
respect  pour  la  loi  de  l'Eglise.  Les  grands  et 
les  petits,  les  riches  et  les  pauvres  craigni- 
rent d'offenser  Dieu  et  de  souiller  leurs 
âmes  par  la  désobéissance,  parce  qu'ils  sa- 
vaient, dit  saint  Chrysostome  (hom.  2  in 
Gènes.),  en  confirmant  ce  fait  de  l'histoire, 
que  les  rois  et  les  sujets  sont  soumis  à  la  pé- 
nitence du  carême.  I 

Aujourd'hui  on  craint  si  peu  d'offenser 
Dieu  mortellement,  que  les  remontrances 
charitables  des  pasteurs  et  des  prédicateurs 
ne  suffisent  pas  :  il  faut  toute  la  diligence 
des  magistrats  pour  empocher  les  infrac- 
tions publiques. 

CHAPITRE   IX. 

Il  faut  éviter  la  délicatesse  dans  ht  pénitence 
du  carême. 

Quelle  idée  l'Ecriture  nous  donne-t-ello 
de  la  pénitence?  quelle  idée  les  saints  en 
concevaient-ils?  quel  fut  et  quel  est  encore 
l'esprit  de  l'Eglise  sur  la  pénitence  du  ca- 
rême ?  voilà  ce  que  ne  consultent  point  les 
riches  du  siècle,  qui  même  observent  l'abs- 
tinence dans  ce  saint  temps.  Ce  n'est  pour 
eux  qu'un  changement  de  délices,  une  va- 
riété qui  satisfait  le  goût,  ce  n'est  point  une 
mortification. 

Si  l'on  pouvait  être  de  vrais  pénitents 
avec  une  table  splendidement  servie,  en  re- 
cherchant tous  les  raffinements  de  la  délica- 
tesse et  de  la  sensualité,  avec  l'usage  du 
maigre,  nous  en  pourrions  compter  encore 
beaucoup  :  on  sait  que  les  mets  en  ce  genro 


(50)  M.  Bi'RjiET,  Histoire  d'Angleterre,  page 545. 


ORATEURS  SACRES.  BALLET 

plus  délicats 


475 

sont  plus  exquis,  plus  varie) 
aussi  ne  sont-ils  pas  oubliés  dans  les  festins, 
dans  les  repas  et  sur  les  tables  des  grands  : 
ils  sont  mêlés  avec  art  "avec  le  gras  succu- 
lent, et  sont  plus  recherchés  par  les  délicats 
et  les  sensuels  que  les  autres. 

Mais  il  faudrait  ignorer  l'esprit  du  chris- 
tianisme et  toutes  les  privations  qui  forment 
It  vraie  pénitence,  pour  ne  pas  être  persuadé 
que  celte  abondance  de  mets  délicats  est 
contraire  à  la  pénitence  imposée  à  tous  les 
chrétiens  dans  le  saint  temps  du  carême. 

Quand  l'Ecriture  nous  parle  des  péniten- 
ces publiques  qui  ont  apaisé  le  ciel  irrité, 
et  arrêté  le  bras  vengeur  du  Tout-Puissant 
prêt  à  s'appesantir  et  à  frapper  les  têtes  cri- 
minelles, elle  nous  montre  des  hommes  de 
pleurs,  de  gémissements,  courbés  sous  la 
cendre  et  le  cilice,  et  ne  mangeant  qu'un 
pain  de  douleur  détrempé  de  leurs  larmes  : 
tel  est  le  portrait  qu'elle   nous  trace  de  la 

ifénitence    des  Ninivites    et   du   saint    roi 
)avid. 

L'Evangile  ne  nous  parle  pas  d'un  pénitent, 
mais  d'un  réprouvé,  lorsqu'il  nous  parle 
d'un  riche  qni  se  nourrit  délicatement,  et 
dont  la  table  est  tous  les  jours  couverte  des 
mets  les  plus  exquis  :  Epulabatur  quotidie 
splendide.  (Luc,  XVI.) 

Or,  d'après  l'Evangile,  peut-on  dire  qu'un 
riche  qui,  à  la  faveur  de  son  opulence,  fait 
tous  les  jours  des  repas  longs  et  splendides 
en  maigre,  invite  ses  amis  et  leur  offre  une 
table  abondamment  couverte,  tout  ce  qui 
peut  plaire  aux  yeux  et  flatter  le  goût,  est 
un  vrai  pénitent,  qu'il  se  mortifie,  et  qu'il 
se  conduit  selon  l'esprit  de  l'Eglise  dans  la 
pénitence? 

Prononçons  d'après  l'Evangile;  La  conti- 
nuelle délicatesse  du  riche  dont  il  annonce 
le  malheureux  sort,  le  fit  descendre  dans  les 
feux  éternels  après  sa  mort.  Que  devons- 
nous  penserdes  chrétiens  délicats,  sensuels, 
et  dont  les  délices  de  la  table  ne  sont  que 
variés  et  jamais  retranchés  dans  le  saint 
temps  de  carême  ?  Je  tremble  sur  leur  sort. 

Quelle  est  l'idée  que  les  premiers  chré- 
tiens et  tous  les  saints  ont  conçue  de  la  pé- 
nitence solennelle  du  carême?  Jugeons-en 
par  les  saintes  rigueurs  qu'ils  pratiquaient 
pendant  toute  la  quarantaine. 

Non-seulement  tous  les  chrétiens,  dans 
ces  grands  jeûnes,  ne  mangeaient  qu'au  soir, 
se  privaient  du  beurre  et  du  laitage,  mais 
encore  plusieurs  pratiquaient  la  xérophasie; 
c'est-à-dire  ne  mangeaient  que  des  fruits 
secs,  et  quelques-uns  même  se  condamnaient 
au  pain  et  à  l'eau.  C'est  Tertullien  qui  nous 
apprend  ces  excès  de  pénitence  des  premiers 
chrétiens  dans  le  carême;  et  il  ne  doit  pas 
nous  être  suspect,  puisque  c'est  dans  un 
traité  qu'il  a  composé  en  faveur  des  monta- 
nistes  qu'il  en  parle. 

Les  solitaires,  ces  hommes  d'austérités, 
dont  les  jeûnes,   les  mortifications   étaient 


476 

nouvelles 


continuels,  inventaient  encore  do 
rigueurs  dans  ce  saint  temps. 

On  sait  la  merveilleuse  abstinence  que 
tous  les  saints  ont  pratiquée  dans  le  carême  : 
celle  de  saint  Louis  est  connue  dans  l'his- 
toire, quoiqu'il  vécût  dans  la  décadence  des. 
grands  jeûnes. 

Enfin,  l'esprit  de  l'Eglise,  dans  la  péni- 
tence du  carême  est,  par  le  jeûne  et  l'absti- 
nence, de  réprimer  les  violentes  saillies  de 
la  chair,  d'élever  l'esprit  au-dessus  des  sens, 
de  mettre  le  chrétien  en  état  de  pratiquer 
la  vertu  et  d'en  obtenir  la  récompense  (51)  ; 
c'est  encore  pour  le  disposer  à  célébrer  avec 
fruit  le  mystère  des  souffrances  de  l'Homme - 
Dieu  et  à  participer  à  la  gloire  de  sa  résur- 
rection, retracer,  copier  ce  saint  pénitent 
dans  le  désert.  Or,  la  délicatesse  n'est-elle 
pas  opposée  à  cet  esprit  de  l'Eglise,  sur  la 
pénitence  du  carême  ? 

Prenez  donc  bien  garde,  chrétiens,  dit  saint 
Augustin  (serm.  207),  de  ne  faire  que  chan- 
ger de  délices  au  lieu  de  les  retrancher  • 
Cavendum  est  ne  mutes  non  minuas  voluptates 
Joignez  à  vos  jeûnes,  dans  ce  saint  temp 
de  pénitence,  une  table  simple,  frugale;  re 
tranchez  tous  ces  mets  rares,  délicats,  ces 
liqueurs,  ces  vins  exquis  :  Parcimonia  jeju- 
7iiis  conjungatur;  et  donnez  aux  pauvres  ces 
superflus  que  vous  retranchez  et  que  votre 
rang  semble  autoriser  dans  les  autres  temps. 
Alors  vous  pourrez  dire  que  vous  participez 
à  la  sainte  et  solennelle  pénitence  du  carême. 

CHAPITRE  X. 

Il  faut  se  priver  des  plaisirs,  même  permis, 
dans  la  sainte  pénitence  du  carême. 

Comme  une  douleur  intérieure  est  de  l'es- 
sence de  la  pénitence,  que  c'est  elle  qui  en 
est  l'âme,  qui  la  rend  agréable  à  Dieu,  le 
désarme,  nous  rapproche  de  lui  et  nous  pro- 
cure ses  grâces  et  ses  caresses  ;  peut-on  dire 
qu'un  homme  livré  aux  plaisirs  même  les 
plus  innocents  en  apparence,  qui  soutient 
tous  les  jours  de  longues  séances  de  jeu  ;  qui 
se  trouve  dans  les  cercles  où  l'on  ne  compte 
pour  rien  la  perte  du  temps;  qui  est  dissipé, 
volage,  enjoué,  qui  ne  se  refuse  rien  de  toutes 
les  douceurs  et  de  toutes  les  satisfactions  du 
monde,  sous  prétexte  qu'elles  sont  chez  les 
grands  des  choses  permises,  et  que  les  hon- 
nêtes gens  n'y  attachent  aucune  idée  du 
crime,  est  un  vrai  pénitent?  Ah  1  qu'il  faudrait 
peu  connaître  en  quoi  consiste  la  vraie  péni- 
tence 1  Comme  il  n'y  a  point  de  vraie  péni- 
tence sans  douleur,  il  n'y  a  point  de  vrais 
pénitents  parmi  ceux  qui  se  livrent  aux  plai- 
sirs, t 

Le  retranchement  des  plaisirs  les  plus  in- 
nocents, de  l'allégresse  la  [il us  sainte  et  la 
plus  pure,  a  toujours  été  regardé  comme  né- 
cessaire à  la  pénitence  publique. 

La  douleur  des  Ninivites  était  cachée  sous 
le  sac  et  la  cendre.  Un  deuil  universel  l'an- 


(51)  Qui  corporali  jejunio  vida  comprimais 
Ltctes.  in  niissa  de  Qucdragesima.) 


menteni   élevas,  virtutem   largiris  cl  premia.   (Pra'fatio 


177 


INSTRUCTION  SUR  LÀ  PENITENCE  DU  CAREME.  —  CI1AP.  XI. 


478 


nonçait  aux  étrangers  et  dans  le  palais  du 
prince  ainsi  que  dans  la  cabane  du  pauvre; 
on  n'y  voyait  couler  que  des  pleurs;  on  n'y 
voyait  aucun  signe  de  joie;  tout  ce  grand 
peuple  était  tristement  occupé  de  ses  péchés 
et  appliqué  à  les  réparer. 

Dans  les  grands  jeûnes  des  juifs,  tous  les 
divertissements,  les  joies  publiques,  les  amu- 
sements ordinaires  étaient  interdits;  et  cette 
pénitence  publique  s'étendait  jusqu'à  dé- 
fendre l'usage  du  lit  nuptial.  Privations  de 
douceurs  permises,  que  les  chrétiens  des 
premiers  siècles  regardaient  comme  néces- 
saires dans  la  pénitence  solennelle  du  ca- 
rême, qui  a  honoré  les  jeûnes  et  la  péni- 
tence des  saints  et  des  chrétiens  qui,  dans 
tous  les  siècles,  avaient  une  juste  idée  des 
grands  jeûnes  du  carême. 

Rien  de  plus  pur  que  l'allégresse  de  l'E- 
glise, que  ses  chants  de  joie;  cependant  elle 
les  supprime  dans  le  carême  et  dans  les  jours 
déjeunes,  pour  s'abandonnera  la  douleur 
et  toucher  son  divin  époux  par  ses  tristes 
accents  et  ses  chants  lugubres. 

Que  sert-il  de  s'abstenir  de  certains  repas, 
de  certains  mets,  si  l'on  ne  se  prive  pas  des 
plaisirs  qui  flattent  le  coeur  et  des  amuse- 
ments qui  nous  dérobent  aux  exercices  de  la 
piété?  Un  vrai  pénitent  doit-il  moins  morti- 
fier son  cœur,  son  esprit  que  son  corps? 

Mettrai-je  au  rang  des  pénitents,  dans  ce 
saint  temps  de  carême,  ces  personnes  qui  ne 
retranchent  rien  de  tout  ce  qui  les  flatte?  Un 
riche  duvet,  un  long  sommeil,  des  visites, 
des  assemblées,  des  jeux,  des  spectacles,  tout 
cela  a-t-il  jamais  entré  dans  le  plan  de  la  pé- 
nitence du  carême  ?  Et  quand  on  aurait  jeûné 
et  pratiqué  l'abstinence,  pourrait-on,  à  la 
solennité  pascale,  se  flatter  d'avoir  été  de 
vrais  pénitents? 

Ecoutons  saint  Chrysostome,  cet  éloquent 
docteur  de  l'Eglise  grecque  ;  il  va  désabuser 
ces  chrétiens  dissipés,  volages,  ardents  pour 
les  plaisirs  dans  le  temps  du  carême  comme 
dans  les  autres  temps  de  l'année  ;/il  va  leur 
prouver  qu'ils  auront  de  quoi  rougir  après  la 
quarantaine,  s'ils  n'ont  que  des  jeûnes,  des 
abstinences  pratiquées  dans  la  dissipation, 
le  plaisir  et  le  jeu  à  montrer  au  Seigneur. 

De  quelle  utilité  est  votre  jeûne,  dit  ce 
Père  (nom.  6  et  hom.  16),  si  toute  votre  pé- 
nitence consiste  à  vous  priver  de  quelques 
repas,  et  si  votre  vie  est  aussi  dissipée,  aussi 
mondaine  dans  le  carême  que  dans  les  autres 
iours1! Quœutilitas  jejanii?  Remarquez,  chré- 
tiens, que  saint  Chrysostome  parlait  alors  à 
des  personnes  qui  observaient  les  grands 
jeûnes  du  carême,  qui  ne  mangeaient  que  le 
soir,  et  cependant  il  les  assure  que  ces  grands 
jeûnes  leur  seront  inutiles  à  Pâques,  parce 
qu'ils  sont  trop  dissipés  et  livrés  au  plaisir. 
Ecoulez  ce  qu'il  dit  :  Vous  pratiquez  de  longs 
jeûnes,  vous  attendez  que  le  soleil  soit  cou- 
ché pour  manger  dans  ces  saints  jours  :  Tota 
die  nihil  comedis;  mais  vous  ne  vous  privez 
point  du  jeu;  vous  faites  vos  parties  à  l'ordi- 
naire avec  la  même  ardeur,  le  même  goût; 
vous  y  risquez  les  mêmes  sommes  :  tuais. 
Vous  ne  vous  {rivez  pas  des  promenades, 


des  visites,  des  conversations,  des  concerts 
et  de  tous  ces  amusements  frivoles  qui  an- 
noncent la  légèreté,  la  dissipation,  la  joie 
mondaine  :  Nuguris.  Mais  vous  perdez  des 
jours  entiers  dans  une  molle  oisiveté;  votre 
indifférence  pour  les  exercices  de  la  religion, 
la  prière,  la  lecture,  les  offices  divins,  la 
visite  des  pauvres,  vous  donne  un  coupable 
loisir  qui  vous  embarrasse  vous-mêmes  tout 
le  jour:  Totum  perdis  diem.  Ah!  que  vous 
servira-t-il  de  dire  dans  la  solennité  pascale  : 
J'ai  jeûné  tout  le  carême  :  Totam  jejunavi 
quadragesimam,  si  vous  ne  vous  êtes  point 
privés  de  tout  ce  qui  pouvait  rendre  votre 
jeûne  désagréable  au  Seigneur?  Quœ  utilitas 
jejunii?  Peut-on  mieux  prouver  la  nécessité 
de  se  priver  des  plaisirs  même  permis  dans 
le  saint  temps  du  carême? 

CHAPITRE  XI. 

Les  riches  doivent  faire  plus  d'aumône  dans 
le  carême  que  dans  les  autres  temps. 

Les  chrétiens  doivent  être  persuadés  que 
l'aumône  est  un  précepte  indispensable.  Je 
ne  m'arrête  pas  ici  à  le  prouver,  ni  à  faiie 
des  peintures  touchantes  des  malheureux 
pour  exciter  leur  compassion;  c'est  la  ma- 
tière d'un  discours  particulier  qui  ne  regarde 
pas  le  sujet  que  je  traite. 

Il  s'agit  ici  de  leur  montrer  comment  1  au- 
mône est  nécessaire  à  la  pénitence  solennelle 
du  carême,  et  en  est,  selon  l'esprit  de  l'E- 
vangile, inséparable. 

Je  remarque  deux  choses  dans  la  pénitence 
solennelle  du  carême,  quand  elle  est  prati- 
quée selon  l'esprit  de  l'Evangile  :  les  retran- 
chements qu'elle  exige;  les  grâces  qu'elle 
procure. 

r  Les  riches  pénitents  ne  doivent  point  faire 
les  mêmes  dépenses  dans  ces  jours  de  pri- 
vation; par  conséquent  ils  doivent  faire  des 
aumônes  plus  abondantes.  Les  riches  péni- 
tents espèrent  la  rémission  de  leurs  péchés  ; 
par  conséquent  ils  doivent  faire  l'aumône, 
puisque  c'est,  selon  le  Saint-Esprit,  le  moyen 
le  plus  efficace  pour  éteindre  le  feu  vengeur 
qu'ils  ont  mérité. 

C'est  donc  aux  personnes  aisées  qui  jouis- 
sent d'une  certaine  fortune,  et  qui  dans  leur 
opulence  veulent  participer  à  la  pénitence 
du  carême,  à  saisir  ce  point  important  de 
morale. 

Si  elles  observent  la  sainte  pénitence  du 
carême,  je  ne  dis  pas  comme  autrefois,  mais 
même  selon  l'indulgence  que  l'Eglise  notre 
tendre  mère  accorde  depuis  les  adoucisse- 
ments qu'elle  a  tolérés;  que  de  privations! 
que  de  dépenses  retranchées;  et  par  consé- 
quent quel  fonds  pour  les  pauvres! 

Comme  je  suppose  ces  riches  touchés  et 
pénitents  dans  la  sainte  quarantaine,  je  ne  me 
représente  plus  chez  eux  qu'un  seul  repas, 
une  table  simple,  frugale,  dont  les  mets  dé- 
licats et  précieux  sont  bannis.  Je  ne  la  vois 
plus  environnée  de  ces  personnes  enjouées 
qui  veulent  être  bien  traitées,  qui  prolongent 
la  longueur  du  repas  et  en  occasionnent  sou» 
vent  des  excès. 


4"9 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


4S0 


Je  ne  vois  plus  de  jeux,  de  concerts,  de 
bals,  de  spectacles;  ie  ne  vois  plus  toutes 
ces  brillantes  bagatelles,  ces  artifices  de  la 
vanité  que  la  cupidité  des  ouvriers  invente, 
et  que  l'amour-propre  paye  si  cher.  Or,  tous 
ces  retranchements  laissent  aux  riches  péni- 
tents des  fonds  pour  assister  les  malheureux, 
si  leur  pénitence  est  sincère. 

Quelle  pénitence  serait  donc  celle  des 
riches  dans  le  saint  temps  du  carême,  siceux 
qui  n'ont  ni  pain,  ni  vêtement,  niasile^  n'a- 
vaient rien  sur  les  fonds  que  la  pénitence 
leur  fait  augmenter? "Quelle  espèce  de  péni- 
tents dans  le  christianisme,  que  des  chré- 
tiens durs  et  insensibles  sur  les  misères  du 
prochain  1 

Quoi  1  les  jeûnes,  les  abstinenc.es,  les  pri- 
vations ne  serviraient  qu'à  grossir  leurs  tré- 
sors 1  Ils  verraient  avec  joie  les  fruits  de 
leurs  mortifications  dans  leurs  coffres,  et 
leurs  frères  gémir  et  languir  sous  le  poids 
de  l'indigence  1  Ah!  leur  pénitence  serait 
rejelée  du  Seigneur.  Quand  on  retranche  ses 
dépenses  par  esprit  de  mortification  et  non 
point  par  nécessité,  ces  retranchements  doi- 
vent être  le  fonds  des  pauvres.  Aussi  tous  les 
saints  docteurs,  à  l'occasion  de  la  pénitence 
du  carême,  exoitaient-ils  les  riches  à.  des  au- 
mônes plus  abondantes. 

Je  dis  que  le  désir  que  les  riches  pénitents 
ont  d'obten'r  la  rémission  de  leurs  péchés, 
doit  encore  les  porter  à  d'aïondantes  aumônes 
dans  le  saint  temps  do  carême,  parce  que 
c'est  un  moyen  très-efficace  pour  fléchir  le 
Seigneur  et  obtenir  miséricorde. 

Trois  effets  merveilleux  de  l'aumône,  selon 
le  Saint-Esprit,  doivent  prouver  aux  riches 
qui  veulent  se  sauver,  combien  elle  est  né- 
cessaire dans  la  pénitence  qu'ils  pratiquent 
avec  tous  les  enfants  soumis  de  l'Eglise. 

Elle  délivre  de  la  mort  éternelle  :  A  morte 
libérât  (Tob.,  XiS)  ;  elle  expie  les  péchés  : 
Purgat  pcccata  (Ibid.);  elle  ouvre  le  sein 
de  la  miséricorde  et  nous  mérite  le  ciel  : 
Facil  inrcnire  misericordiam  et  vitam  œtcr- 
nân.  (Ibid.) 

Or,  riches,  personnes  aisées  qui  vous  sou- 
mettez à  la  pénitence  solennelle  du  carême, 
ne  sont-ce  pas  là  les  grâces  précieuses  que 
vous  sollicitez,  que  vous  espérez  par  vos 
jeûnes  et  vos  privations?  Que  l'aumône  fasse 
donc  une  partie  de  votre  pénitence;  que  Jé- 
sus-Christ voie  ses  membres  nourris  et  cou- 
verts des  retranchements  que  vous  faites  sur 
la  table,  le  jeu,  les  plaisirs,  le  luxe. 

Vous  faites  pénitence  pour  ne  point  brûler 
éternellement  :  faites  l'aumône,  c'est  une  eau 
salutaire  qui  éteindra,  ainsi  que  vos  larmes, 
les  feux  éternels  que  vos  péchés  ont  allumés  ; 
vous  voulez  expier  vos  péchés  par  des  jeûnes 
et  des  abstinences,  joignez  à  ces  mortifications 
d'abondantes  aumônes  ;  elles  les  rachèteront. 
Vous  priez  le  Seigneur  d'user  de  clémence 
envers  vous,  d'épargner  des  coupables  con- 
trits et  humiliés.  Achetez  par  vos  aumônes 
la  voix  du  pauvre;  elle  touche  le  cœur  de 
Jésus,  elle  ouvre  le  sein  de  sa  miséricorde 
a*  elle  introduit  les  hommes  de  miséricorde 
dans  les  tabernacles  delà  gloire  éternelle. 


Ne  soyez  pas  dans  le  saint  temps  du  ca- 
rême, des  hommes  de  jeûne,  de  mortifica- 
tion, de  contrition,  sans  être  des  hommes  de 
charité. 

CHAPITRE  XII. 
Les  chrétiens,  dans  le  carême,  doivent  accom- 
pagner leur  pénitence  de  prières  et  de  gé- 
missements. 

L'Eglise  multiplie  ses  prières  et  ses  gé- 
missements tous  les  jours  de  la  sainte  qua- 
rantaine; ses  ministres  prosternés  ajoutent 
aux  offices  ordinaires  des  prières  touchantes  ; 
ils  emploient  les  paroles  des  plus  grands 
pénitents  dont  l'Ecriture  nous  rapporte  les 
cris,  les  pleurs  et  les  gémissements;  ces  priè- 
res, faites  presqu'à  toutes  les  heures  du  jour, 
font  une  sainte  violence  au  ciel  irrité  de  nos 
péchés,  parce  qu'elles  sont  des  aveux  solen- 
nels de  nos  prévarications,  de  notre  misère, 
do  notre  néant,  de  l'état  déplorable  où  le 
péché  nous  a  réduits,  parce  qu'elles  expri- 
ment nos  regrets,  les  déchirements  de  notre 
cœur  et  le  besoin  qne  nous  avons  d'une 
grande  miséricorde  pour  ne  pas  tomber  sous 
le  domaine  d'une  rigoureuse  justice. 

Pendant  tout  ce  saint  temps,  l'Eglise  gé- 
mit comme  la  colombe.  Serait-il  convenable 
que  des  chrétiens  qui  se  disent  pénitents  ne 
mêlassent  point  leur  voix  à  la  sienne?  Où 
est  le  vrai  pénitent  qui  ne  demande  pas 
grâce  et  n'avoue  point  qu'il  est  coupable? 

C'est  donc  un  exercice  nécessaire  dans  la  pé- 
nitence du  carême  que  de  demander  souvent 
grâce,  d'exposer  souvent  sa  misère,  et  do 
demander  souvent  avec  un  cœur  contrit  la 
rémission  de  ses  péchés  qu'on  n'expie  qu'im- 
parfaitement par  ses  propres  forces, ses  jeû- 
nes et  ses  abstinences. 

Mais  quelles  sont  les  prières  que  nous  ae- 
vons  ajouter  dans  ce  saint  temps  à  celles  que 
nous  faisons  le  matin  et  le  soir  dans  tout  le 
cours  de  l'année;  les  voici:  selon  l'esprit  de 
l'Eglise,  elles  sont  tirées  des  offices  qu'elle 
récite  et  des  demandes  qu'elle  fait  à  Dieu 
pour  ses  enfants  tous  les  jours  de  la  qua- 
rantaine. 

1"  Nous  devons  demander  à  Dieu  le  aon 
d'une  sincère  pénitence.  C'est  lui  qui  touche 
le  cœur,  le  change,  le  convertit  ;  nous  n'al- 
lons à  lui  qu'après  qu'il  est  venu  à  nous. 
Pourquoi  tant  de  faux  pénitents?  C'est  qu'il 
yen  a  beaucoup  qui  comptent  sur  leurs  pro- 
pres forces ,  qui  prennent  l'apparence,  les 
dehors  de  la  pénitence  pour  la  pénitence 
même;  or,  Dieu  dédaigne  la  cendre  et  le  ci  lice, 
les  jeûnes  et  les  abstinences  du  chrétien  dont 
le  cœur  n'est  pas  déchiré,  brisé  de  douleur. 
Demandons-lui  donc  le  temps  et  la  grâce  de 
pratiquer  une  pénitence  .salutaire;  ne  point 
demander  tous  les  jours  ce  don  précieux: 
c'est  le  crime  du  pécheur  tombé,  qui  s'ima- 
gine pouvoir  par  ses  propres  forces  sortir  de 
l'abîme  sans  la  main  toute-puissante  du 
Dieu  des  miséricordes;  c'est  ne  point  sentir 
sa  misère,  sa  faiblesse;  c'est  dédaigner  les 
secours  du  ciel  qui  ne  sont  accordés  qu'à  la 
prière,  et  à  la  prière  persévérante. 

u2°  Nous  devons  demander  tous  les  jours  à 
Dieu  la  grâce  de  remplir  celle  sainte  carrière 


4SI 


INSTRUCTION  SUR  LA  PENITENCE  DU  CAREME.  —  CHAP.  XII!. 


483 


avec  ferveur,  avec  piété  et  dans  l'innocence 
du  cœur. 

En  vain  affligeons-nous  nos  corps  par  les 
ieûnes  et  les  abstinences,  si  nous  n'humi- 
lions pas  nos  esprits,  et  ne  fermons  pas  nos 
cœurs  aux  attraits  séduisants  du  péché?  Que 
nous  serviront  nos  jeûnes  corporels,  si  nous 
n'avons  pas  retenu  nos  penchants,  réprimé 
nos  passions  et  dérobé  à  nos  cœurs  tous  les 
aliments  du  vice?  Que  nous  servira-t-il  d'a- 
voir jeûné  quarante  jours  et  observé  les  abs- 
tinences, si  ces  mortifications  sont  souillées 
par  le  péché?  Quel  sera  le  fruit  de  notre  pé- 
nitence à  la  fin  du  carême,  si  nous  ne  pou- 
vons pas  dire  :  j'ai  pardonné  à  mes  ennemis, 
j'ai  restitué  ce  que  j'avais  au  prochain,  j'ai 
dompté  telle  passion,  quitté  telle  habitude; 
j'ai  acquis  du  goût  pour  la  piété;  ma  cons- 
cience pure  me  fait  goûter  des  douceurs  que 
je  n'avais  jamais  éprouvées  ?  Une  fausse  tran- 
quillité, une  fausse  paix,  dit  saint  Chrysos- 
tome  :  Quid  lucrum  si  recte  factis  carentes  ; 
jejunium  transegerimus  ?  Sialius  dicat  totam 
jejunavi  quadragesimam  :  tu  die  :  initnicum  ha- 
bebam,  et  conciliatus  sum  :  habebam  detra- 
hendi  consuetudinem  et  destiti  : juranditene- 
bar  usu  et  mos  iinprobus  mihi  correctus  est. 
(Hom.  16  ad  populum  Antiochenum.) 

Ce  n'est  donc  pas  assez  d'entrer,  de  four- 
nir même  la  sainte  carrière  de  îa  pénitence 
du  carême;  il  faut,  à  l'exemple  de  l'Eglise, 
demander  tous  les  jours  h  Dieu  qu'il  sancti- 
fie nos  jeûnes  corporels  par  sa  grâce  et  les 
dons  de  sa  miséricorde. 

3°  Nous  devons  demander  tous  les  jours  à 
Dieu  la  grâce  de  participer  aux  mérites  de  la 
passion  du  Sauveur  et  aux  saintes  joies  de 
sa  résurrection. 

C'est  pournous  préparer  àcélébrerces  deux 
grands  mystères  de  notre  salut  que  les  apôtres 
ont  institué  la  sainte  pénitence  du  carême: 
aussi  l'Eglise  dans  presque  toutes  ses  prières 
demande-t-elle  à  Dieu  que  ses  enfants  se  pu- 
rifient par  les  jeûnes  et  les  mortifications, 
afin  qu'ils  arrivent  avec  un  cœur  innocent  à 
la  solennité  pascale. 

On  ne  peut  point,  ô  mon  Dieu ,  participer 
à  la  gloire  de  votre  résurrection  sans  parti- 
ciper aux  douleurs  de  votre  mort.  Votre 
grand  Apôtre  m'apprend,  ô  mon  adorable 
Sauveur,  qu'il  faut  souffrir  avec  vous  pour 
être  glorifié  avec  vous  :  Si  compaiimur,  ut  et 
glorifkemur.  [Rom.,  VIII.) Nous  n'aurons  au- 
cune part  au  triomphe  de  votre  tombeau,  si 
nous  ne  prenons  point  de  part  aux  oppro- 
bres du  Calvaire.  Cet  oracle  m'effraye,  ômon 
divin  Rédempteur  1  je  crains  que  les  jeûnes 
et  les  abstinences  que  je  pratique  dans  ce 
saint  temps  ne  soient  pas  suffisants  pour  des 
chrétiens  qui  doivent  vous  copier  et  vous 
retracer;  faites  donc,  ô  mon  Dieu  1  que  j'a- 
joute à  ces  jeûnes  corporels  la  mortification 
de  l'esprit  et  du  cœur;  que  je  sois  doux, 
humble,  patient  dans  les  contradictions,  les 
peines,  les  douleurs  qu'il  vous  plaira  m'en- 
yoyer,  afin  qu'ayant  porté  ma  croix  (tous  les 
jours  avec  vous  et  vous  avoir  suivi  constam- 
ment sur  le  Cavaire,  m'y  être  immolé  avec 
vous,  je  ressuscite  aussi  avec  vous. 


Quelle  idée  avons-nous  de  la  mort  et  de  la 
résurrection  de  Jésus-Christ  dans  les  jeûnei 
établis  pour  nous  préparer  à  célébrer  ces 
grands  mystères,  si  nous  négligeons  cette 
prière  ? 

CHAPITRE  XIII. 

Les  chrétiens  pénitents  dans  le  carême  doi- 
vent  se  faire  un  devoir  d'assister  tous  les 
jours  à  la  messe  et  aux  instructions. 

Quoi  de  plus  capable  d'exciter  l'ardeur,  la 
confiance,  l'amour  des  chrétiens  pénitents 
dans  ce  saint  temps,  que  le  sacrifice  de  nos 
autels;  c'est  là  où  ils  trouvent  une  victime 
qui  a  tout  ce  qu'il  faut  pour  apaiser  le  Dieu 
qu'ils  ont  offensé;  c'est  là  où  coule  un  sang 
précieux,  efficace,  dans  lequel  ils  peuvent 
laver  et  purifier  leurs  âmes;  c'est  là  un  trône 
de  clémence  et  de  miséricorde,  dont  ils  peu- 
vent approcher  avec  confiance. 

Là  Jésus-Christ  s'immole  pour  eux,  s'of- 
fre pour  eux,  prie  pour  eux.  Ah  1  ne  serait- 
ce  pas  vouloir  se  priver  des  grâces  les  plus 
précieuses,  des  secours  les  plus  efficaces,  du 
plus  grand  de  tous  les  biens,  que  de  négli- 
ger d  assisterions  les  jours  de  la  quarantaine 
à  ce  sacrifice  de  propitiation? 

Si  vous  commencez,  pénitents  du  carême, 
à  aimer  Dieu  comme  source  de  toute  justice, 
votre  cœur  ne  vous  fera-t-il  pas  voler  à  ce 
nouveau  Calvaire  où  se  renouvelle  tous  Icj 
jours  le  sacrifice  de  la  croix?  N'y  frapj  erez- 
vous  pas  votre  poitrine  avec  douleur,  comme 
ces  hommes  touchés  des  prodiges  qui  s'opé- 
rèrent à  la  mort  rie  l'IIomme-Dieu?  N'y  pa- 
raîtrez-vous  pas  baignés  de  vos  pleurs  comme 
les  saintes  femmes  qui  se  tenaient  au  pied  de 
la  croix?  N'y  implorerez-vous  pas  la  miséri- 
corde de  votre  Dieu  avec  le  criminel  péni- 
tent ? 

Que  vous  vous  privez  de  grâces,  de  secours 
en  vous  privant  d'assister  à  la  messe  I  Que 
voulez-vous  que  je  pense  de  vos  jeûnes-,  de 
vos  abstinences,  en  voyant  votre  indifférence 
pour  le  sacrifice  de  nos  autels? 

Est-il  possible  que  vous  ne  puissiez  pas 
vous  dérober  quelques  moments  pour  courir 
à  la  source  des  grâces  ?  Est-il  |  ossible  qu'une 
action  si  sainte,  qu'un  spectacle  si  touchant 
pour  la  piété,  ne  fassent  aucune  impression 
sur  un  cœur  pénitent? 

Ah  I  retranchez  de  votre  sommeil,  retran- 
chez vos  amusements,  vos  récréations  or- 
dinaires, manquez  plutôt  à  ces  visites  de 
cérémonie,  ne  donnez  pas  tant  de  temps  à  ces 
conversations  au  moins  inutiles,  supprimez 
ces  lectures  qui  ne  font  que  vous  amuser, 
faites-vous  un  plan  dans  ce  saint  temps  de 
pénitence,  qu'il  n'y  ait  aucun  moment  pour 
le  plaisir,  le  jeu,  le  monde  dans  fordre  lu 
jour,  et  les  moments  qu'il  vous  faut  pour 
assister  au  saint  sacrifice  de  la  messe  tien- 
dront le  premier  rang  dans  la  distribution  de 
votre  temps. 

Comme  il  n'y  a  point  d'endroit,  de  moment 
où  le  pécheur  contrit,  touché  de  fes  péchés, 
puisse  plus  sûrement  et  plus  efficacement 
demander  et  obtenir  miséricorde  qu'au  pied 
de  l'autel,  et  dans  le  temps  que  Jésus-Christ 


433 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


484 


s'offre  à  son  Père  pour  être  notre  victime; 
on  peut  dire  que  les  chrétiens,  qui  négligent 
pendant  la  pénitence  solennelle  du  carême 
d'assister  à  la  messe,  ne  sont  point  de  sin- 
cères pénitents,  puisqu'ils  sont  indifférents 
pour  un  Dieu  qui  s'immole  et  prie  pour  eux. 

Je  ne  suis  pas  étonné  que  des  chrétiens 
indifférents  pour  le  sacrifice  de  nos  autels, 
le  soient  aussi  pour  la  parole  de  Dieu  qui 
s'annonce  tous  les  jours  dans  le  saint  temps 
du  carême,  ou  qu'ils  ne  l'entendent  que  par 
curiosité  et  sans  en  tirer  aucun  fruit. 

L'Eglise  multiplie  les  instructions  dans  le 
saint  temps  du  carême  ;  les  hommes  aposto- 
liques se  répandent  dans  tous  les  lieux;  les 
trompettes  évangéliques  se  font  entendre 
tous  les  jours;  les  chaires  chrétiennes  sont 
remplies;  le  zèle  des  pasteurs  s'accommode 
aux  heures  et  aux  lumières  de  leurs  ouailles  ; 
il  y  a  des  instructions  pour  les  ouvriers  et 
les  pauvres,  il  y  en  a  pour  les  grands  et  les 
riches.  L'Evangile  est  annoncé  sans  art  et 
avec  simplicité  aux  premiers,  il  est  annoncé 
avec  tous  les  charmes  de  l'éloquence  et  de 
l'érudition  aux  seconds.  Il  y  a  des  orateurs, 
il  y  a  des  apôtres  ;  on  a  égard  à  la  délicatesse 
du. savant,  on  descend  jusqu'à  la  simplicité 
avec  les  ignorants;  peut-on  une  plus  grande 
condescendance? 

Ah  !  chrétiens,  répondez  donc  dans  ce  saint 
temps  au  zèle  de  l'Eglise  votre  mère,  allez 
avec  docilité  dans  le  saint  temple  écouter  les 
apôtres  que  la  Providence  vous  envoie  ;  suivez 
pendant  la  sainte  quarantaine  ce  cours  d'ins- 
tructions précieuses;  choisissez  l'heure  com- 
mode à  votre  état,  à  vos  obligations;  atta- 
chez-vous au  prédicateur  qui  vous  touche  le 
plus,  et  non  pas  à  celui  qui  vous  flatte  davan- 
tage; faites  un  amas  précieux  de  toutes  les 
vérités  que  vous  entendrez;  conservez-les 
dans  votre  cœur  et  mettez-les  en  pratique, 
car  le  bonheur  d'un  chrétien  ne  consiste  pas, 
dit  Jésus-Christ,  à  entendre  la  parole  de  Dieu, 
mais  à  la  pratiquer  :  Beati  qui  audiuni  et 
custodiunt  verbum  Dei.  (Luc,  XL) 

Ah!  quel  sujet  n'avons-nous  pas  de  gémir 
sur  le  coupable  abus  qu'on  fait  aujourd'hui 
de  la  sainte  parole  pendant  la  sainte  qua- 
rantaine; on  voit  des  schismes,  des  divi- 
sions à  l'occasion  des  prédicateurs  ;  on  les 
cite  au  tribunal  de  la  délicatesse  de  l'esprit 
du  siècle,  de  la  plus  sévère  critique  :  les 
uns  se  déclarent  pour  Paul ,  les  autres 
pour  Apollon,  ceux-ci  pour  Céphas;  il 
se  forme  des  cabales  pour  annoncer,  accré- 
diter, porter  certains  apôtres;  il  s'en  forme 
pour  obscurcir  les  talents ,  empêcher  les 
succès  des  autres;  on  ne  s'attache  qu'aux 
grâces  ou  aux  défauts  de  l'orateur  chrétien, 
on  ne  retient  que  les  portraits  qui  retracent 
les  défauts  des  autres,  on  ne  retient  rien 
pour  soi.  Aussi  la  précieuse  semence  tornbe- 
t-elle  pendant  la  sainte  quarantaine  presque 
toujours  dans  les  pierres,  dans  les  épines  et 
sur  des  grands  chemins  ;  c'est-à-dire  dans 
des  cœurs  durs,  attachés  aux  richesses,  dis- 
sipés; il  n'y  a  qu'un  petit  nombre  de  chré- 
tiens pénkents  qui  en  profite  dans  ce  saint 
teta-.'j  de  carême,  et  qui  console  l'Eglise  par 


leur  assiduité  au  saint  sacrifice  et  à  la  pré- 
dication. 

CHAPITRE  XIV. 

Les  chrétiens,  qui  veulent  tirer  du  fruit  de  la 
pénitence  du  carême ,  doivent  commencer 
par  se  réconcilier  avec  leurs  ennends. 

Qu'est-ce  qu'un  chrétien  pénitent?  C'est 
un  homme  qui  sent  tout  le  poids  de  son 
péché,  qui  en  connaît  toute  l'énormité,  qui 
en  gémit,  le  déteste,  veut  l'expier  par  ses 
pleurs,  sa  douleur,  ses  jeûnes,  ses  mortifica- 
tions, ses  prières;  c'est  un  homme  qui  se  pré- 
sente devant  l'Etre  suprême  qu'il  a  offensé, 
outragé  par  ses  infractions,  ses  révoltes,  qui, 
le  cœur  contrit,  humilié,  déchiré  de  douleur, 
implore  sa  clémence,  sa  miséricorde  ;  le  con- 
jure de  ne  point  entrer  en  jugement  avec 
lui,  de  suspendre  sa  foudre,  de  lui  pardon- 
ner, d'accepter  son  repentir  et  les  faibles 
satisfactions  d'une  créature  qui  a  offensé  soa 
Créateur. 

Qu'est-ce  qu'un  chrétien  qui  entre  dans  ift 
carrière  de  la  pénitence  quadragésimale? 
C'est  un  homme  qui  veut  par  ses  mortifi- 
cations unies  à  la  pénitence  des  justes,  aux 
prières  de  toute  l'Eglise  gémissante  et  dans 
le  deuil,  se  préparer  à  célébrer  avec  fruit  les 
grands  mystères  de  la  mort  et  de  la  résurrec- 
tion de  Jésus-Christ.  Or,  que  penser  de  la 
pénitence  d'un  chrétien  qui,  dans  le  saint 
temps  du  carême,  refuse  de  se  réconcilier 
avec  ses  ennemis,  ne  veut  point  pardonner, 
ferme  son  cœur  à  son  frère,  et  qui,  bien  loin 
de  faire  les  avances  commandées  par  Jésus- 
Christ,  se  refuse  obstinément  à  toutes  les 
voies  de  réconciliations  que  lui  fraye  le  zèle 
de  ses  amis.  Ah  !  je  dirai  que  sa  pénitence 
est  fausse,  inutile;  que  ses  jeûnes,  ses  morti- 
fications, ses  prières,  ses  aumônes,  ses  lar- 
mes, ne  suppléeront  jamais  à  la  charité  qui 
lui  manque,  et  que  Dieu  ne  lui  ouvrira  jamais 
son  cœur  tant  qu'il  fermera  le  sien  à  son 
frère. 

Quatre  choses  doivent  confondre  les  chré- 
tiens qui  comptent  sur  leurs  jeûnes,  leurs 
mortifications ,  leurs  bonnes  œuvres  dans  la 
sainte  quarantaine,  malgré  leur  haine,  ou  au 
moins  leur  froide  indifférence  pour  ceux  qui 
les  ont  offensés  :  1°  leurs  péchés;  2°  les  peines 
que  méritent  leurs  péchés  ;  3"  la  miséricorde 
qu'ils  implorent;  h"  les  mérites  de  Jésus- 
Christ  sur  lesquels  seuls  ils  doivent  mettre 
leur  confiance. 

Le  chrétien  jeûne,  se  mortifie  pour  expier 
ses  péchés;  mais  quels  sont  ces  péchés?  Dos 
infractions  de  la  Loi  d'un  Dieu  qui  com- 
mande et  qui  veut  être  obéi.  Péchés  de  com- 
mission, péchés  d'omission.  'Vous  avez  fait 
ce  qu'il  vous  a  défendu  ;  vous  n'avez  pas  fait 
ce  qu'il  vous  a  commandé.  Cet  être  infini  a 
été  outragé  par  vos  actions  criminelles  et 
par  vos  coupables  négligences;  il  ne  voit  en 
vous  que  les  vices  qui  irritent  son  courroux  ; 
il  n'y  voit  point  les  vertus  qui  méritent  sa 
clémence.  Que  deviendriez-vous  donc,  s'il 
vous  fermait  son  cœur,  comme  vous  fermez 
le  vôtre  à  votre  frère  ,  s'il  n'accordait  pas  le 
pardon  à  votre  repeiitir,  à  vos  pleurs,  à  vos 


185 


INSTRUCTION  SUR   LA  PENITENCE  DU  CAREME.  —  CHAP.  XV. 

CHAPITRE  XV. 


4SG 


prières  dans  ce  saint  temps,  parce  que  vous 
ne  voulez  pas  l'accorder  aux  sollicitations, 
aux  avances  de  ceux  qui  vous  ont  offensé? 
Êtes-vous,  néant  révolté,  cendre  et  poussière, 
à  l'égard  de  votre  frère,  ce  que  Dieu  est  au 
vôtre?  Sa  faute  égalet-elle  l'énormité  et  la 
multitude  de  vos  crimes  ?  Et  un  seul  attentat 
contre  la  majesté  divine,  ne  devrait-il  pas 
vous  faire  oublier  les  plus  sanglants  ou- 
trages? 

Pouvez-vous  penser  aux  peines  que  mérite 
un  seul  de  vos  péchés  sans  frémir?  11  mé- 
rite l'enfer,  un  feu  vengeur  éternel.  Dieu 
punit  en  Dieu;  vous  ne  pouvez  vous  venger 
qu'en  homme  faible  ,  impuissant,  injuste,  à 
qui  l'autorité  manque,  et  qui  n'a  souvent  que 
la  volonté  de  nuire,  d'humilier,  de  perdre 
un  ennemi.  Ah  1  comment  un  coupable  qui 
mérite  des  supplices  éternels,  peut-il  re- 
noncer à  la  clémence,  quand  il  s'agit  de  par- 
donner des  fautes  que  l'intention  peut  jus- 
tifier, ou  du  moins  que  la  seule  sensibilité 
trouve  inexcusable?  Vous  implorez  la  misé- 
ricorde du  Seigneur  tous  les  jours  dans  ce 
temps  de  carême. 

Seigneur,  dites-vous  avec  l'Eglise,  usez 
de  clémence  envers  des  coupables  proster- 
nés à  vos  pieds  dans  la  douleur  et  le  repen- 
tir; oubliez  ces  crimes  et  ces  iniquités  dont 
nos  âmes  sont  souillées  ;  arrêtez  le  bras  ven- 
geur de  votre  justice  prêt  à  nous  punir;  ne 
laites  éclater  sur  nous  que  les  effets  de  votre 
bonté  paternelle;  faites  briller  '.ù  gloire  de 
votre  nom  par  des  excès  de  clémence  ;  ne 
faites  point  briller  votre  justice  par  des  excès 
de  sévérité. 

Or,  quelle  monstrueuse  contradiction! 
Demander  miséricorde  et  ne  point  vouloir 
en  user  envers  les  autres;  demander  qu'on 
vous  remette  beaucoup  et  ne  point  vouloir 
remettre  peu;  prétendre  toucher  le  cœur  de 
Dieu,  pendant  qu'on  ne  peut  pas  toucher  le 
nôtre;  espérer  qu'il  oubliera  des  crimes 
énormes,  lorsque  nous  ne  voulons  pas  ou- 
blier des  fautes  légères!  Concevez,  s'il  se 
peut,  faux  pénitents  du  carême,  votre  aveu- 
glement. 

En  vain  mettez-vous  votre  confiance  sur 
les  mérites  infinis  et  efficaces  du  Sauveur  im- 
molé pour  nous  sur  la  croix.  Son  sang  a  été 
répandu  pour  ses  bourreaux  comme  pour 
les  autres  ;  il  est  répandu  pour  celui  que  vous 
haïssez  comme  pour  vous.  Jésus  lui  offre 
une  place  dans  son  cœur  comme  à  vous,  et 
son  sang  n'effacera  pas  vos  péchés,  si  la  cha- 
rité n'efface  pas  dans  votre  cœur  jusqu'aux 
traces  du  ressentiment.  Remettez,  on  vous 
remettra. 

Ne  comptons  pas  sur  nos  jeûnes,  nos  abs- 
tinences et  tout  l'appareil  de  pénitence  ,  si 
en  commençant  la  sainte  quarantaine  nous 
ne  sommes  pas  réconciliés  avec  nos  enne- 
mis. C'est  pour  nous  y  engager  que  l'Eglise 
nous  fait  lire  le  troisième  jour  l'Evangile  où 
ce  précepte  est  solennellement  intimé. 


Les  motifs  qui  doivent  porter  les  chrétiens  à 
pratiquer  avec  zèle  la  sainte  pénitence  du 
carême. 

La  loi  expresse  de  l'Eglise  nous  oblige  au 
jeûne  et  à  l'abstinence,  à  moins  que  des  in- 
lirmités  réelles  ne  vous  en  dispensent.  Nous 
devons  obéira  l'Eglise. 

Toutes  les  plaies  que  nous  avons  faites  à 
notre  âme  dans  le  cours  de  l'année  ,  toutes  les 
taches  dont,  elle  est  souillée  exigent  néces- 
sairement que  nous  prenions  un  temps  pour 
la  purifier  de  toutes  ses  souillures.  Malheur 
à  celui  qui,  par  délicatesse  pour  son  corps, 
laisse  son  âme  dans  la  mort  du  péché  et  tou- 
jours souillée  des  traces  du  péché! 

L'exemple  de  toute  l'Eglise,  des  justes,  des 
chrétiens  pénitents  dans  la  sainte  quaran- 
taine, doit  nous  animer  à  la  pénitence  pu- 
blique. Malheur  à  celui  qui  refuse  de  s'affli- 
ger avec  les  justes  et  qui  se  range  du  côté 
des  pécheurs  délicats  et  infracteurs  ! 

La  loi  qui  nous  est  imposée,  les  péchés 
que  nous  avons  à  expier,  les  modèles  que  ce 
saint  temps  nous  présente  :  voilà  les  motifs 
qui  doivent  nous  faire  embrasser  avec  zèle  la 
sainte  pénitence  du  carême  :  tout  doit  con- 
fondre ,  faire  rougir  les  chrétiens  qui  s'en 
dispensent. 

La  loi  de  l'Eglise,  sur  la  pénitence  du  ca- 
rême, est  une  loi  solennellement  annoncée, 
et  toujours  en  vigueur:  elle  a  été  vengée 
dans  tous  les  temps,  par  les  conciles,  les 
saints  docteurs,  les  édits  des  princes  catho- 
liques, des  atteintes  que  l'hérésie  licencieuse 
a  voulu  lui  donner.  C'est  une  loi  dont  l'in- 
fraction est  suivie  de  la  mort  de  l'âme  :  c'est 
une  loi  qui  annonce  tout  à  la  fois  l'autorité , 
la  charité  et  la  tendresse  de  l'Eglise  ;  son 
autorité  qu'elle  tient  de  Jésus-Christ  son 
Epoux;  sa  charité  qui  s'occupe  toujours  de 
notre  salut,  sa  tendresse  qui  dispense  des 
rigueurs  de  cette  pénitence  les  infirmes  qui 
ne  peuvent  point  absolument  les  prati- 
quer. 

Or,  toutes  ces  vérités  une  fois  bien  com- 
prises ,  comment  excuser  les  infracteurs  de 
la  sainte  pénitence  du  carême?  Excusera-t-on 
des  hommes  rebelles  qui  méprisent  une  au- 
torité divine?  car,  selon  l'Evangile,  c'est 
mépriser  Jésus-Christ  que  de  mépriser  son 
Eglise  ;  c'est  refuser  de  l'écouter ,  quand  on 
ne  l'écoute  point  (Luc,  X)  ;  et  l'on  doit, 
selon  lui,  mettre  au  nombre  des  publuams 
et  des  païens  ces  contempteurs  de  ses  lois, 
au  lieu  de  les  compter  parmi  ses  enfants. 
{Math.,  XVIII.)  . 

Excusera-t-on  des  cœurs  impénitents,  des 
pécheurs  qui  ne  veulent  point  guérir;  qui 
refusent  les  remèdes  les  plus  salutaires  et 
les  plus  efficaces,  et  qui  ne  veulent,  ni  se 
relever  de  leurs  chutes,  ni  se  précautionner 
contre  celles  dont  ils  sont  menacés  ,  qui  se 
plaisent  sous  l'empire  du  démon  ,  et  qui  ne 
pensent  pointa  se  réconcilier  avec  leur  Dieu 
irrité  de  leurs  iniquités  multipliées  ? 

Excusera-t-on  des  délicats,    qui,  n'ayant 


w 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


438 


point  les  infirmités  réelles,  pour  lesquelles 
l'Eglise  a  tant  d'indulgence ,  ont  recours  à 
des  prétextes  frivoles,  pour  violer  tranquil- 
lement sa  sainte  loi? 

Ah!  à  Dieu  ne  plaise  qu'on  justifie  ces 
coupables  infracteurs.  Ils  sont  dans  un  état 
de  mort,  parce  que  la  désobéissance  à  la  loi 
de  l'Eglise  a  souillé  leurs  âmes. 

O  mon  divin  Sauveur  1  votre  Epouse  parle, 
commande  :  j'obéirai,  je  me  rangerai  avec 
ses  enfants  soumis  dans  ce  saint  temps,  pour 
pratiquer  toutes  les  mortifications  dont  je 
suis  capable.  La  loi  de  votre  Eglise,  mes 
fléchés  sont  de  puissants  motifs  pour  me 
faire  embrasser  cette  pénitence  publique. 

Que  de  fautes  ne  commettons-nous  pas  dans 
le  .-ours  de  l'année?  Que  de  plaies  faites  à 
notre  âme  dans  le  commerce  du  monde? Que 
d'indulgences  pour  une  chair  de  péché?  Que 
rie  taches  dans  un  cœur  qui  doit  être  à  Dieu? 
Or,  dit  saint  Léon  (serin.  4  De  Qundraq.) ,  si 
nous  ne  sommes  point  capables  de  cette  aus- 
;érité  continuelle  de  certains  justes,  embras- 
sons du  moins  avec  ferveur  la  sainte  péni- 
tence du  carême  pour  nous  purifier  de  nos 
péchés  ;  et  quand  nos  âmes  ne  seraient  pas 
blessées  mortellement,  pensons  qu'il  est  né- 
cessaire d'effacer  par  des  jeûnes,  des  prières 
et  des  larmes,  les  taches  qui  souillent  les 
:œurs  des  justes,  les  traces  que  le  péché  y 
laisse ,  et  tout  ce  que  le  commerce ,  les  solli- 
citudes, les  images  du  monde  y  ont  intro- 
duit d'impur  cl  de  criminel. 

Oui,  mon  Dieu,  le  besoin  que  j'ai  de  pu- 
rifier mon  cœur,  d'expier  une  multitude  de 
fautes  commises  dans  le  cours  de  l'année , 
me  fait  embrasser  avec  joie  et  avec  ferveur 
la  sainte  pénitence  de  l'Eglise.  Je  vais  m'ef- 
forcer  d'imiter  tous  les  modèles  de  pénitence 
que  j'ai  sous  mes  yeux,  malgré  la  corruption 
de  notre  siècle. 

David  ,  lorsqu'il  était  un  modèle  de  la  fai- 
blesse humaine,  comme  il  a  été  un  modèle 
de  la  pius  sincère  pénitence ,  exhortait  le 
fidèle  Urie  revenu  du  combat,  à  aller  goûter 
avec  son  épouse  les  douceurs  du  repos  et  de 
la  société;  mais  ce  brave  soldat  lui  répondit: 
à  Dieu  ne  plaise,  prince,  que  je  vive  ainsi 
délicatement.  Joab,  mon  général,  habite 
sous  une  tente  rustique: toute  l'armée  d'Is- 
raël est  dans  la  campagne  exposée  à  toutes 
les  rigueurs  de  la  faim,  de  la  soif  et  de  la 
mort  :  Nonfaciem  rem  liane,  (il  Req.,  XI.) 

Ah  1  voilà  ce  que  devrait  se  dire  un  chré- 
tien, dans  la  sainte  quarantaine,  pour  s'en- 
courager à  la  pénitence  uJesus-Christ ,  mon 
divin  chef,  prend  la  route  du  Calvaire  pour 
s'immoler  :  toute  l'Eglise  est  en  deuil:  tant 
de  religieux  et  de  religieuses  augmentent 
leurs  austérités  :  tant  de  grands,  de  riches  , 
de  savants,  de  chrétiens  de  tous  les  états, 
ieûnent,  se  mort  fient;  et  moi  je  n'aurai  pas 
le  courage  do  les  imiter?  Chrétien  comme 
eux  ,  je  les  regarderai  combattre  du  sein  de 
la  mollesse?  Ils  seront  pénitents,  et  je  serai 
délicat?  Ah  1  il  n'en  sera  pasainsi;  je  ne  ferai 
pointée  que  la  délicatesse  demande  :jY<m 
fticuiv  rem hanc. 

Voilà  les  motifs  qui  doivent  animer  les 


chrétiens  h  la  pén'lence  au  carême,  oî 
confondre  les  infracteurs  de  la  loi  de  l'E- 
glise. 

CHAPITRE  XVI. 

La  cérémonie  des  cendres  doit  exciter  les 

chrétiens  à  la  pénitence  du  carême. 
Quel  spectacle  plus  touchant  que  celui  que 
tous  les  catholiques  donnent  au  monde  le 
premier  jour  de  là  quarantaine  !  On  les  voit 
tous  prosternés,  prier,  gémir,  pleurer  avec 
l'Eglise,  courber  leur  tête  sous  la  cendre,  et 
entendre  avec  docilité  prononcer  leur  arrêt 
de  mort,  et  avec  toutes  les  suites  humiliantes 
de  leur  mortalité. 

Là,  le  ministre,  la  cendre  dans  les  mains, 
prêt  à  la  répandre  sur  le  peuple  fidèle ,'  dit  à 
tous  ces  mortels,  sans  distinction  :  N'oubliez 
pas  que  vous  n'êtes  qu'un  vil  amas  de  pous- 
sière, et  que  bientôt  vous  retournerez  en 
poussière  :  Mémento,  homo  ,  quia  pultis  es  . 
et  in  pulverem  revrrteris.  (Gcn. ,  III.) 

Il  le  dit  à  la  brillante  jeunesse  ainsi  qu'à 
la  languissante  vieillesse  ,  aux  riches  comme 
aux  pauvres,  aux  savants  comme  aux  igno- 
rants, aux  monarques  comme  aux  sujets.  Le 
tombeau  s'ouvre  pour  tous  également;  nous 
y  descendons,  nous  y  pourrissons,  et  nous 
y  sommes  enfin  réduits  en  un  petit  amas  do 
poussière:  Mémento,  homo,  quia  pulvis  es, 
et  in  pulverem  reverlcris. 

Mais  si  tous  les  catholiques  se  soumettent 
à  cette  humiliante  cérémonie,  tous  ne  sai- 
sissent point  l'esprit  de  l'Eglise  qui  l'a  insti- 
tuée. 

On  se  prosterne  sans  recueillement  ;  on 
récite  les  psaumes  les  plus  touchants  sans 
componction;  on  implore  la  miséricorde  de 
Dieu,  sans  se  mettre  en  peine  de  l'obtenir; 
on  le  conjure  d'avoir  égard  aux  larmes,  aux 
jeûnes,  aux  mortifications  qui  vont  former 
ta  pénitence  du  carême  ;  et  le  grand  nombre 
n'aura  ni  larmes  sincères,  ni  jeûnes  intè- 
gres, ni  privations  volontaires  à  offrir  à  Pâ- 
ques. On  veut  bien  entendre  prononcer  l'ar- 
rêt de  sa  mort;  mais,  comme  le  moment  de 
l'exécution  est  inconnu,  on  se  le  représente 
comme  dans  un  lointain  :  il  ne  fait  aucune 
impression.  On  veut  bien  se  laisser  répan- 
dre un  peu  de  cendre  sur  la  tête  ;  niais  ce 
symbole  de  notre  misère,  de  notre  néant, 
n'humilie  pas  les  beautés  fières,  les  riches 
orgueilleux,  les  savants  entêtés,  les  grands 
enflés  de  leurs  titres,  les  pécheurs  audacieux 
dafis  le  crime  :  il  ne  détache  point  le  cœur 
des  vanités,  des  richesses,  des  louanges,  de 
l'élévation,  des  plaisirs; c'est  une  cérémonie 
stérile  pour  la  plupart  des  chrétiens. 

Plusieurs  y  viennent  en  sortant  du  sein 
des  divertissements,  fatigués  des  excès  du 
plaisir,  abattus  et  comme  tristes  de  voiries 
jours  de  dissolution  écoulés. 

Grand  Dieu!  quelle  préparation  à  la  péni- 
tence! quelle  différence  entre  l'esprit  de 
1  Eglise  et  l'esprit  des  enfants  du  siècle  1 

L'tëglise,  dans  ce  jour,  rappelle  à  ses  en- 
fants l'appareil  lugubre  des  pénitences  pu- 
bliques du  peuple  de  Dieu,  les  saintes  ri- 
gueurs qu'elle  exerçait  sur  les  pécheurs  qui 


IS9 


INSTRUCTION  SUR  LA  PENITENCE  DU  CAREME.  —  CIIAP.  XVII. 


490 


se  soumettaient  à  la  pénitence  publique;  les 
images  de  la  mort,  la  clémence  du  Seigneur, 
les  souffrances  de  Jésus-Christ.  La  solennité 
pascale  peut-elle  leur  offrir  de  plus  grands 
objets,  pour  les  porter  à  la  pénitence  du  ca- 
rême? 

Quel  fut  l'appareil  extérieur  des  péni- 
tences publiques  dans  l'Ancien  Testament? 
Le  sac,  la  cendre,  le  ciliée.  Soit  que  nous 
nous  rappellions  la  pénitence  de  toute  une 
ville,  soit  que  nous  ne  nous  arrêtions  qu'à 
celle  d'un  seul  pécheur,  nous  voyons  ces 
dehors  lugubres  et  humiliants  présider  à  la 
pénitence.  Le  sac,  la  cendre,  le  cilice,  de- 
viennent les  ornements  des  Ninivites,  et  font 
la  pompe  de  David  :  quand  la  justice  de  Dieu 
voyait  le  cœur  humilié  et  contrit,  elle  s'apai- 
sait, et  faisait  place  à  sa  clémence. 

Autrefois  l'Eglise  mettait  les  pécheurs 
solennellement  en  pénitence  le  premier  jour 
de  la  quarantaine;  mais  comment  parais- 
saient-ils devant  l'évèque  qui  faisait  celte 
cérémonie?  revêtus  de  cilices,  couverts  de 
sacs  et  de  cendres,  baignés  de  leurs  pleurs, 
et  disposés  à  satisfaire  selon  leurs  forces  à 
la  justice  divine;  alors  ils  étaient  condamnés 
aux  jeûnes,  aux  humiliations,  aux  gémisse- 
ments, et  différés  jusqu'au  jeudi  saint  pour 
leur  réconciliation. 

C'est  pour  retracer  à  ses  enfants  cette  an- 
cienne pénitence,  que  l'Eglise  fait  dans  ce 
jour  la  cérémonie  dos  cendres,  et  que 
ses  ministres  prient  entre  le  vestibule  et 
l'autel  pour  le  retour  des  pécheurs  à  Dieu. 

En  leur  montrant  les  restes  humiliants  de 
ce  corps  qu'on  délicate,  qu'on  souille,  et 
que  l'on  fait  servir  au  crime;  en  leur  mon- 
trant Jésus-Christ  dans  la  route  du  Calvaire, 
et  leur  l'appelant  sa  mort  douloureuse  sur 
la  croix;  en  leur  annonçant  les  saintes  so- 
lennités pascales,  auxquelles  nous  né  pou- 
vons participer  sans  avoir  avant  participé 
aux  souffrances  du  Sauveur,  n'est-ce  pas 
leur  dire  que  le  temps  du  carême  doit  être 
pour  eux  un  temps  de  deuil,  de  larmes,  de 
jeûnes,  de  privation  et  d'une  amère  péni- 
tence. 

Or,  l'Eglise  rappelle  à  ses  enfants  tous  ces 
grands  Objets  le  premier  jour  de  la  quaran- 
taine. C'est  donc  faute  d'entrer  dans  son  es- 
prit que  l'on  se  forme  une  fausse  idée  de  la 
pénitence  du  carême,  qu'on  ne  la  fait  con- 
sister que  dans  quelque  privation  qui  ne 
mortifie  ni  le  corps,  ni  le  cœur,  ni  l'esprit; 
qu'on  se  dispense  même,  sans  infirmités 
réelles,  du  jeûne  et  de  l'abstinence,  et  qu'on 
est  dans  ce  saint  temps  comme  dans  les  au- 
tres, sensuels,  délicats,  dissipés,  licencieux, 
livrés  au  monde,  à  ses  plaisirs,  et  l'esclave 
de  ses  tyranniques  usages. 

Pénétrez  donc  l'esprit  de  l'Eglise  dans  la 
cérémonie  des  cendres.  Regardez  avec  les 
yeux  de  la  foi  les  autels  dépouillés  de  leurs 
ornements,  les  ministres  et  le  peuple  pros- 
ternés. Méditez  ces  prières  que  l'on  récite, 
les  grâces  que  l'on  demande,  les  promesses 
que  l'on  fait;  et,  si  vous  ne  vous  soumettez 
pas  avec  zèle  à  la  pénitence  du  carême,  vous 

Oratecks  sacrés.  L. 


n  avez 
bler. 


qu'une  foi  morte,  vous  devez  trem- 

CHAPITRE  XV li 

L'exemple  de  Jésus-Christ,  pénitent  dans  le 
désert,  doit  animer  les  chrétiens  ù  la  sainte 
pénitence  du  carême-. 

Nous  devons  faire  attention  à  quatre  cho- 
ses qui  éclatent  dans  la  pénitence  de  notre 
divin  Sauveur;  le  lieu  qu'il  choisit  pour 
pratiquer  le  jeûne;  la  longueur  de  son 
jeûne  ;  les  artifices  que  le  démon  emploie 
pour  le  tenter;  les  armes  dont  il  se  sert  pour 
le  terrasser  et  en  triompher. 

C'est  dans  le  désert  que  ce  chef  de  tous  les 
pénitents  se  retire  pour  ce  grand  jeûne  qui 
nous  est  marqué  dans  l'Evangile;  le  Saint- 
Esprit  qui  procède  de  lui  comme  de  son 
Père,  l'y  conduit  :  là,  dans  les  horreurs  de  la 
solitude,  éloigné  de  la  vue  des  mortels  et  du 
tumulte  du  siècle,    dans  la  compagnie  des 


bêtes  sauvages,  ce  Dieu  éternel, 
saut,  revêtu  de  notre  chair 


chargé 


tout-puis- 
de  nos 


iniquités,  s'offre  à  son  Père  comme  un  péni- 
tent qui  doit  apaiser  sa  colère,  qui  a  des 
fautes  à  expier,  des  dangers  à  éviter,  des 
précautions  à  prendre. 

O  mon  divin  Sauveur  1  pourquoi  fuyez- 
vous  le  monde?  Vous  êtes  venu  pour  le 
sanctifier;  vous  convertissez  les  pécheurs  ; 
vous  mettez  en  fuite  les  démons;  vous  dé- 
veloppez les  consc  iences  ;  vous  manifestez 
tous  les  mystères  d'iniquités  cachés  dans  les 
cœurs  des  pharisiens  ;  vous  communiquez 
la  grâce,  la  sainteté  à  tout,  et  rien,  dans  le 
monde  le  plus  corrompu,  le  plus  séduisant, 
ne  peut  obscurcir  la  beauté  toute  divine  uo 
voire  âme. 

O  sagesse  éternelle  !  avez-vous  besoin, 
comme  nous,  de  recueillement,  de  retraite, 
de  calme  pour  vous  tracer  un  nouveau  plan 
de  vie,  prendre  de  nouvelles  résolutions, 
ranimer  la  ferveur,  sonder  les  plaies  du 
péché?  Et  c'est  vous,  ô  divin  Jésus!  qui 
avez  les  clefs  de  la  vie  et  de  la  mort,  c'e.  t 
vous  qui  ôtez  les  péchés,  c'est  vous  qui  ve- 
nez en  détruire  l'empire. 

C'est  donc  pour  nous  servir  de  modèle, 
que  vous  joignez  la  retraite  au  jeûne?  Les 
actions  que  vous  pratiquez  comme  homme, 
sont  des  leçons  que  vous  nous  donnez  ;  vos 
serviteurs  îidèles,  ô  divin  chef  des  péni- 
tents !  ont  marché  sur  vos  traces  :  les  Paul, 
les  Antoine,  les  Pacôme,  les  Hilarion  et 
cette  foule  innombrable  d'anachorètes  qui 
ont  peuplé  l'Orient  et  rendu  célèbres  ses 
déserts  les  plus  affreux,  se  sont  dérobés  au 
monde  et  ensevelis  dans  l'épaisseur  des  fo- 
rêts, pour  ne  vaquer  qu'à  la  contemplation 
des  choses  divines. 

Malgré  la  corruption  de  notre  siècle,  que 
d'âmes  fidèles  et  craintives  se  dérobent  au 
commerce  le  plus  innocent  des  créatures 
pendant  cette  sainte  quarantaine!  Quel -re- 
cueillement dans  les  cloîtres!  Quel  calme 
dans  les  familles  chrétiennes  !  Les  visites, 
les  assemblées,  le  jeu,  sont  supprimés. 

En  vain  compte-t-on  sur  le  jeûne  que  l'on 
pratique  dans  ce  saint  temps,  si  on  est  dis- 

16 


*<îi 


ORATLLT.S  SACRES.  BALLET. 


iH 


sipé,  agité,  répandu  dans  lo  monde  comme 
à  l'ordinaire.  La  pins  solide  piété  souffre 
toujours  un  grand  déchet  dans  le  commerce 
des  créatures  ;  l'innocence  y  fait  toujours 
quelque  perte  ;  la  charité  s'y  refroidit  ;  le 
cœur  y  reçoit  quelques  coupables  impres- 
sions ;  l'âme  y  devient  au  moins  languis- 
sante. 11  faut  donc,  pour  remédier  à  ce  dé- 
chet de  la  vertu,  réparer  ces  pertes  spiri- 
tuelles, rallumer  ce  feu  sacré  qui  s'éteint, 
préserver  son  cœur  des  engagements  qui  le 
flattent,  guérir  la  langueur  de  son  âme,  se 
retirer  à  l'écart,  se  faire  une  solitude  dans 
le  monde  même,  y  écouter  lEsprit  de  Dieu 
qui  y  conduit  les  âmes  fidèles  et  y  parle  à 
Jtiurs  cœurs;  et  sur  ces  divins  oracles  médi- 
tés dans  l'Evangile,  réformer  le  plan  de  sa 
vie,  s'en -tracer  même  un  nouveau  s'il  est 
nécessaire  et  y  faire  entrer,  surtout,  tout  ce 
qui  forme  soit  une-  pénitence  d'expiation, 
soit  une  pénitence  de  précaution. 

Voilà,  chrétiens,  qui  voulez  participer  à 
la  pénitence  solennelle  du  carême,  la  pre- 
mière leçon  que  "Jésus-Christ  vous  donna 
comme  modèle  des  pénitents;  une  sépara- 
tion du  monde,  au  moins  de  cœur  et  d'esprit, 
dons  ce  saint  temps. 

Le  jeûne  de  Jésus-Christ  dans  le  désert 
fut  long  et  rigoureux;  il  passa  quarante 
jours  et  quarante  nuits  sans  boire  ni  man- 
der. Ce  divin  Sauveur  suspendit  durant  ce 
temps  sa  toute-puissance,  pour  se  livrer  aux 
besoins  de  lïiumanité,  éprouver  les  ri- 
gueurs de  la  faim  comme  homme,  se  mor- 
tifier et  se  présenter  à  son  Père  en  qualité 
de  pénitent. 

Moïse  et  Elie  avaient  jeûné  le  même 
nombre  de  jours  dans  l'ancienne  loi  ;  sur 
quoi  il  est  bon  de  savoir  : 

1°  Que  Jésus-Christ  souffrit  plus  dans  son 
long  jeûne,  que  ces  deux  héros  de  la  loi  et 
des  prophètes,  parce  qu'ils  étaient  soutenus 
par  une  puissance  divine  qui  suspendait  les 
nécessités  du  corps.  L'homme,  sans  ce  se- 
cours divin,  ne  pouvant  pas  être  si  long- 
temps sans  manger,  c'est  par  un  pareil 
prodige  que  certains  saints  dont  Thistoire 
ecclésiastique  nous  atteste  un  jeûne  aussi 
surprenant,  passaient  le  saint  temps  du  ca- 
rême sans  boire  ni  manger;  mais  Jésus- 
Clirist  se  livrait  aux  rigueurs  de  la  faim  vo- 
lontairement, et  suspendait  pour  cela  toute 
la  puissance  qu'il  avait  comme  Dieu. 

2°  Que  Jésus-Christ  ne  jeûna  que  le  nom- 
bre de  quarante  jours,  comme  Moïse  et  Elie, 
p^ur  cacher  sa  divinité,  ne  point  paraître 
au-dessus  d'eux  :  car  il  aurait  pu  jeûner 
plus  longtemps  et  d'une  manière  plus  sin- 
gulière; mais  il  agit  comme  homme  alors, 
et  comme  notre  modèle.  C'est  pour  imiter, 
autant  qu'il  est  possible  à  la  faiblesse  hu- 
maine, ce  jeûne  du  Sauveur,  marcher  sur 
les  traces  de  ce  divin  pénitent,  que  l'Eglise 
naissante  instruite  parles  apôtres,  observait 
ce  nombre  de  jeûnes,  disent  les  saints  doc- 
teurs. 

O  divin  chef  des  pénitents  !  c'est  donc  sur 
VOS  traces  que  je  marche  quand  j'entre  dans 
la  carrière  de  la  pénitence  du  carême,  que 


je  jeûne,  que  je  me  mortifie:  soutenez  ma 
faiblesse,  agréez  mes  faibles  efforts,  sancti- 
fiez mes  jeûnes  en  purifiant  mon  cœur  des 
taches  que  le  péché  y  a  laissées.  Quoi  de  plus 
capable  d'animer  les  chrétiens  à  la  péni- 
tence que  celle  d'un  Dieu  fait  homme  ! 

Mais  le  monde  nous  tente  dans  le  saint 
temps  du  carême  :  le  démon  a  ses  suppôts 
qui  s'approchent  de  nous  après  quelques 
jours  de  jeûnes,  d'abstinences,  et  qui  nous 
disent:  pourquoi  altérer  votre  santé,  vous 
exposer  à  des  infirmités?  Le  Seigneur  ne 
demande  point  ces  austérités  ;  cette  pratique 
est  bonne  pour  les  cloîtres:  elle  n'est  point 
d'institution  divine;  il  faut  laisser  cette  pé- 
nitence à  ceux  qui  ne  sont  point  utiles  et 
nécessaires  comme  vous  à  une  famille,  à  la 
société:  rompez  sans  scrupule  ces  jeûnes, 
ces  abstinences  cpii  vous  échauffent  et  pré- 
judicient  à  votre  santé.  Ainsi  parlent  les 
mondains,  ils  tiennent  le  langage  du  démon 
qui  s'approcha  du  Sauveur  dès  qu'il  eut 
faim,  et  le  sollicita  défaire  un  miracle  pour 
changer  les  pierres  du  désert  en  pain  •  Die 
ut  lapides  isti  panes  fiant.  (Matlh.,  IV.)  Mais 
l'Homtne-Dieu,  qui  n'a  voulu  être  tenté  au 
dehors,  dit  saint  Augustin  (in  psal.  XC), 
que  pour  nous  fournir  des  armes  victorieuses 
contre  le  tentateur,  nous  fournit  la  réponse 
que  nous  devons  faire  à  ceux  qui  veulent 
nous  porter  à  l'infraction  de  la  loi  zScrîptum 
est,  il  est  écrit,  vous  obéirez  à  l'Eglise,  vous 
observerez  ce  qu'elle  vous  ordonnera;  c'est 
désobéir  à  Dieu  que  de  lui  désobéir;  c'est 
donner  la  mort  à  son  âme  que  de  violer  ses 
préceptes  :  Scriptum  est.  Le  jeûne  du  carême 
est  un  précepte  solennellement  intimé  à  tous 
les  fidèles  catholiques  :  la  loi  de  l'abstinence 
est  publiée;  tous  les  justes  s'y  soumettent. 
Ah  !  à  Dieu  ne  plaise  que  je  m'en  dispense 
sans  une  infirmité  réelle  :  la  morale  des 
mondains  sur  la  pénitence  du  carême  mo 
fait  sécher  de  douleur;  elle  ne  me  séduit 
point;  l'exemple  de  mon  Sauveur  m'anime; 
sa  grâce  mesoutiendra;  sa  bonté  suppléera  a 
l'imperfection  de  ma  pénitence. 

CHAPITRE  XVIII. 

L'exemple  (le  Jésus -Christ  souffrant  doit 
animer  les  chrétiens  à  la  péniknee  du 
carême. 

Tous  les  excès  de  douleur  auxquels 
l'Hommc-Dieu  a  été  livré  dans  sa  passion, 
est  le  grand  objet  qui  occupe  l'Eglise  dans 
toute  la  sainte  quarantaine  :  elle  quitte  ra- 
rement son  deuil  pendant  tout  le  temps  qui 
précède  la  mort  de  son  divin  Epoux ,  il  faut 
une  grande  solennité;  elle  remet  à  célébrer 
avec  joie  les  jours  consacrés  h  la  mémoire 
de  ses  héros  après  la  solennité  pascale.  Tou- 
jours triste,  dans  la  douleur,  pénétrée  de  ce 
que  l'amour  immense  d'un  Dieu  lui  a  fait 
souffrir  pour  l'homme,  elle  ne  cesse  de  re- 
présenter à  ses  enfants  le  grand  spectacle 
du  Sauveur  expirant  sur  la  croix  pour  nos 
péchés. 

C'est  pour  cela  que,  dès  le  vie  siècle,  il  ù\i 
ordonné  qu'on  ne  célébrerait  pas  dans  le  ta- 


tas 


INSTRUCTION  SUR  LA  PENITENCE  DU  CAREME.  —  CHAP.  XIX. 


«4 


sème  les  fêtes  des  martyrs,  qu'elles  seraient 
remises;  que  le  sacrement  de  mariage,  éta- 
bli pour  sanctifier  une  union  innocente  et 
légitime,  ne  serait  pas  non  plus  administré 
dans  ces  jours  de  pénitence,  afin  que  les 
fidèles  ne  soient  occupés  que  du  touchant 
spectacle  du  Calvaire  (52). 

C'est  pour  cela  que  dans  le  onzième  sy- 
node de  Milan,  on  ordonne  de  célébrer,  sur- 
tout les  vendredis  de  carême,  des  offices  qui 
retracent  aux  fidèles  les  excessives  douleurs 
que  Jésus-Christ  a  souffertes  pour  nous  dans 
sa  passion,  afin  de  toucher  leur  cœur,  de  les 
porter  à  la  componction,  et  à  répandre  des 
larmes  d'une  salutaire  pénitence  (53). 

C'est  pour  suivre  cet  esprit  que  l'Eglise  a 
fait  connaître  dans  tous  les  siècles,  que  celle 
de  Paris  a  institué  une  fête  pour  honorer  les 
cinq  plaies  du  Sauveur  le  premier  vendredi 
de  la  quarantaine,  et  composé  un  office  très- 
touchant  et  très-consolant  pour  les  pécheurs 
pénitents,  qui  trouvent  dans  ces  plaies  ado- 
rables un  asile  et  des  secours  efficaces  pour 
obtenir  la  grâce  de  leur  réconciliation. 

Or,  il  ne  suffit  pas  que  les  chrétiens  con- 
naissent i'espriï  de  l'Eglise  sur  la  pénitence, 
il  faut  qu'ils  le  suivent  et  en  tirent  le  fruit 
que  cette  tendre  mère  se  propose.  Us  paraî- 
traient aussi  en  vain  touchés,  attendris  de 
l'appareil  triste  et  lugubre  qu'elle  expose  à 
leurs  yeux  dans  ce  saint  temps,  du  récit 
qu'elle  leur  fait  des  douleurs  du  Calvaire.  Ils 
répandraient  aussi  inutilement  des  larmes, 
lorsqu'on  expose  à  leurs  yeux  Jésus  attaché 
à  la  croix,  ou  qu'un  prédicateur  zélé,  éloquent 
leur  retrace  tout  ce  qui  s'est  passé  dans  le 
jardin  des  Oliviers,  dans  les  tribunaux  de  la 
Synagogue,  et  sur  le  Calvaire.  Si  leur  cœur 
n'est  pas  touché,  pénitent,  ce  divin  Jésus 
agonisant  ce  divin  Jésus  outragé,  ce  divin 
Jésus  expirant  sur  la  croix,  leur  dit  encore 
comme  aux  femmes  de  Jérusalem,  Ne  pleu- 
rez point  sur  moi,  mais  sur  tous  [Luc.  XXIH). 
C'est  le  péché  que  je  me  suis  chargé  d'expier 
qui  me  fait  boire  jusqu'à  la  lie  le  calice  d'a- 
mertume que  mon  Père  irrité  contre  la  race 
coupable,  me  présente. 

Si  jesuis  abattu  dans  lejarclin  des  Oliviers, 
si  une  tristesse  mortelle  saisit  mon  âme,  si 
une  sueur  de  sang  couvre  mon  corps,  si  j'en- 
tre en  agonie,  c'est  que  je  commence  ma  pas- 
sion par  la  pénitence  du  cœur,  je  me  pré- 
sente à  mon  Père  comme  un  pénitent  public. 
L'horreur  du  péché,  la  douleur  du  péché,  la 
satisfaction  rigoureuse  qu'exige  le  péché; 
voilà  ce  qui  me  réduit  à  cette  agonie  qui 
vous  touche  et  vous  attendrit.  Que  me  ser- 
vent les  larmes  que  vous  répandez,  si  le  pé- 
ché ne  fait  pas  les  mêmes  impressions  sur 
vous  ;  si  vous  êtes  sans  cette  douleur,  cette 
contrition,  ce  déchirement,  cette  tristesse 
salutaire  que  doit  causer  le  péché? 

La  justice  divine  n'est  apaisée,  le  Père 
céleste,  offensé  par  le  péché,  n'est  entière- 
ment satisfait  que  lorsque  j'ai  expiré  sur  la 
croix  et  répandu  tout  mon  sang. 

C2>  Ex  Capitulis  sancti  Martini  Bracarénsis  epi- 
scopi  ante  aniium  580,  cap.  48. 


Or,  concevez-vous  une  juste  idée  du  pé~ 
ché,  de  l'outrage  qu'il  fait  à  la  divinité,  âô 
la  réparation  qu'il  exige  lorsque  vous  vous 
attendrissez  sur  mes  souffrances  sans  détes- 
ter, sans  pleurer,  sans  expier  vos  péchés;  en 
me  voyant  sur  la  croix  expirant  pour  votre 
réconciliation,  entrez-vous  dans  des  senti- 
ments de  pénitence  et  de  componction, 
comme  ceux  qui  descendirent  du  Calvaire, 
le  cœur  brisé  de  douleur,  et  en  frappant  ru- 
dement leur  poitrine?  Si  vous  vous  couron- 
nez de  Heurs  sous  un  chef  [courouné  d'épi- 
nes; si  vous  êtes  un  membre  délicat  sous  un 
chef  crucifié;  si  vous  prétendez  me  suivre 
dans  le  triomphe  de  ma  résurrection  en  m'a- 
bandonnant  dans  la  route  des  souffrances; 
si  vous  espérez  arriver  au  ciel  par  cette  route 
commode,  aisée,  qui  ne  gêne  point  la  nature, 
ne  la  met  point  h  l'étroit,  vous  êtes  dans 
l'erreur  et  l'aveuglement. 

Rien  de  plus  efficace  pour  nous  porter 
dans  ce  saint  temps  de  carême  à  toute  la  sé- 
vérité dont  nous  sommes  capables,  pour  nous 
faire  renoncer  à  celte  délicatesse  qui  fournit 
tant  de  fausses  excuses,  tant  de  prétextes  fri- 
voles pour  se  dispenser  de  la  pénitence  du 
carême,  que  la  méditation  des  mystères  du 
Calvaire  :  au  pied  de  la  croix,  on  rougit  non- 
seuleraent  des  infractions  volontaires,  mais 
des  adoucissements  les  [dus  légers. 

CHAPITRE  XÏX. 

Les  chrétiens  doivent  moins  redouter  les  ri- 
gueurs de  la  pénitence  du  carême  que  les 
révoltes  d'une  chair  bien  nourrie  et  délica- 
tée. 

Si  l'on  avait  une  foi  vive;  si  l'on  pensait 
du  salut  comme  on  doit  en  penser;  si  l'on 
redoutait  la  perte  des  biens  éternels  ;  si  l'on 
faisait  attention  à  ses  faibles,  à  ses  penchants, 
aux  combats  que  le  corps  livre  sans  cesse  à 
l'esprit,  une  pénitence  aussi  adoucie  qu'est 
présentement  celle  du  carême  n'aurait  rien 
de  rigoureux  et  d'effrayant  aux  yeux  des  chré- 
tiens raisonnables. 

D'où  viennent  donc  ces  alarmes  aux  appro- 
ches de  la  quarantaine  ?  Ces  soins  excessifs 
de  sa  santé,  ces  craintes  pour  tout  ce  qu'on 
s'imagine  l'altérer?  D'où  vient,  dans  ce  saint 
temps,  que  l'on  trouve  dans  son  tempérament 
tant  de  faiblesse  après  avoir  été  assez  robus- 
te pour  soutenir  de  longs  repas,  de  longues 
séances  de  jeu,  le  tumulte  des  assemblées 
nocturnes,  des  bals,  des  spectacles  et  de 
tous  les  plus  indiscrets  et  les  plus  fatigants 
plaisirs. 

Ahl  c'est  qu'on  ne  considère  dans  la  péni- 
tence que  ce  qu'elle  a  de  mortifiant  pour  la 
nature  corrompue  :  on  ferme  les  yeux  aux 
douceurs  qu'elle  répand  dans  l'âme  ;  on  voit 
la  croix,  dit  saint  Bernard  (serm.  2  De  dedi- 
calione),  on  en  est  effrayé,  on  ne  fait  point 
attention  à  l'onction  qui  la  fait  porter  avec 
allégresse  :  Crucem  videntes ,  sed  non  un* 
ctionem. 


(ï>3)  Ex  synodo  dicecesana  Mediolaner.si  unc'cci 
amto  15S4. 


m: 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


C'est  donc  faute  de  foi,  de  réflexion,  que 
tant  de  mondains  sont  effrayés  de  la  péni- 
tence du  carême  ;  s'en  dispensent  sans  scru- 
pule, sans  remords  :  Hinc  mulil  abominantur 
et  fagiunt  pœnitcntiam. 

Pour  vous,  mes  frères,  continue  saint  Ber- 
nard,'courbés  avec  allégresse  sous  le  fardeau 
de  la' croix,  vous  sentez  l'onction  qui  l'ac- 
compagne, vous  éprouvez  les  dou  eurs  qui 
consolent  l'âme,  pendant  que  les  mortifica- 
tions abattent  le  corps,  et  vous  avouez  que 
nos  jeûnes,  nos  veilles,  nos.  larmes,  nos  pri- 
vations sont  accompagnés  de  douceur,  de 
suavités,  de  consolations  qui  rendent  notre 
pénitence  délicieuse  :  Eocperti  estis  et  scitis 
quia  suavis  et  delcctabilis  est  pw.nitenlia 
nostra. 

Certainement,  une  pénitence  qui  abat  no- 
tre ennemi  le  [.lus  redoutable,  qui  nous  fait 
régner  sur  tous  nos  sens,  qui  calme  les  [las- 
sions, a.iaise  les  révoltes  de  la  chair,  lui 
dérobe  tous  les  aliments  du  vice  ;  une  pé- 
nitence qui  est  un  glaive  victorieux  pour 
défendre  notre  innocence,  l'entrée  de  noire 
cœur,  le  trésor  de  la  grâce  que  nous  portons 
dans  des  vases  fragiles;  une  pénitence  qui 
nous  met  en  état  de  prier,  de  méditer,  de 
mériter  des  grâces  et  de  travailler  efficace- 
ment à  notre  salut,  est  une  pénitence  douce 
pour  des  chrétiens  qui  ont  de  la  foi.  Or,  tel 
est  l'avantage  de  celle  que  nous  pratiquons 
dans  le  saint  temps  du  carême,  elle  nous 
sépare  d'un  monde  profane,  elle  afflige  nos 
corps  souillés  du  péché,  elle  purifie  nos 
âmes;  elle  nous  dispose  à  célébrer  avec  fruit 
les  grands  mystères  de  notre  salut  :  Suavis 
est  pœnitentia  nostra. 

J'entends  le  grand  Apôtre  qui  dit  :  je  châ- 
tie mon  corps,  je  le  réduis  en  servitude  (I  Cor. 
IX),  c'est-à-dire,  comme  il  l'explique  dans  un 
autre  endroit  :  Je  me  livre  aux  rigueurs  de  la 
pénitence,  aux  jeûnes,  aux  veilles,  aux  lar- 
mes, aux  privations.  Pourquoi  ces  austérités  ? 
Il  nous  l'apprend. 

Il  craint  d'être  réprouvé  en  prêchant  les 
autres  ;  il  redoute  les  combats  que  la  chair 
lui  livre;  il  ne  pense  point  à  conserver  un 
corps  qu'il  regarde  comme  son  ennemi  ;  il 
ne  s'occupe  au'à  préserver  son  âme  des  coups 
mortels  qu'iî  peut  lui  porter. 

Il  n'est  point  question,  pour  des  chrétiens, 
dans  ce  saint  temps,  de  ces  rigueurs  exces- 
sives de  pénitence  qui  ont  immolé  tant  de 
saints;  celle  du  carême  adoucie,  accompa- 
gnée d'indulgence  de  la  part  de  l'Eglise,  n'a 
rien  d'effrayant  ;  pourquoi  donc  alarme-t- 
elle dans  ses  approches  presque  tous  les 
chrétiens  de  nos  jours?  Voici  le  mystère  : 
c'est  qu'on  n'a  presque  plus  de  foi;  c'est 
que  l'incrédulité  a  fait  de  funestes  progrès; 
c'est  que  l'affaire  du  salut  est  regardée 
comme  la  moins  importante. 

On  craint  d'altérer  sa  santé  par  des  jeûnes 
faciles  à  pratiquer,  des  abstinences  passa- 
gères, que  tant  de  religieux  et  de  religieuses 
soutiennent  toute  leur  vie  :  et  on  ne  craint 
point  de  l'altérer  par  une  vie  de  plaisir, 
d'excès.  Ah  I  si  un  esprit  d'irréligion  ne  sug- 
gérait pa3  ces  prétextes  de  la  santé ,  on  crain- 


95 

de  la  bonne 


drait  plus  les  suites  funestes 
chère,  des  liqueurs,  des  plaisirs,  des  veilles, 
que  la  faiblesse  prétendue  dans  laquelle 
peut  faire  tomber  la  pénitence  du  carême. 

Que  devons-nous  penser  de  ces  femmes 
qui  exposent  au  commencement  du  caiême 
la  délicatesse  de  leur  tempérament,  qui 
semblent  à  peine  pouvoir  se  soutenir,  et 
qu'on  a  vu  dans  les  jours  de  dissolution,  qui 
précèdent  la  sainte  quarantaine,  voler  de  re- 
pas en  repas,  de  cercle  en  cercle,  de  bal 
en  bal  :  passer  les  nuits  entières  dans  le 
bruit,  le  tumulte  et  sous  l'attirail  gênant  et 
incommode  des  vanités  mondaines.  Crai- 
gnaient-elles alors  d'altérer  leur  santé? 
Opposaient-ell-es  aux  invitations  d'un  monde 
réprouvé,  la  délicatesse  de  leur  tempéra- 
ment ? 

Que  devons-nous  penser  de  ces  personnes 
qui  ne  peuvent  point  seulement  essayer  de 
la  pénitence  du  carême,  parce  qu'elles  se 
sont  trop  tassées  dans  les  routes  de  l'ini- 
quité; que  les  excès  du  plaisir  ont  étendues 
sur  un  lit  de  douleurs;  qu'une  coupable  fu- 
reur, pour  les  divertissements,  a  rendues  in- 
firmes, et  qu'un  cœur,  toujours  attaché  au 
crime,  rend  impénitents?  Qu'elles  sont  les 
victimes  du  plaisir  et  les  objets  de  la  colère 
de  Dieu. 

La  pénitence  du  carême  n'a  pas  ces  suites 
funestes;  et  c'est  à  tort  que  l'on  s'effraye  de  ses 
rigueurs  apparentes.  Son  objet  n'est  pas  de 
détruire  la  santé,  mais  de  mortifier  un  corps 
qui  se  soulève  contre  l'esprit.  On  en  a  plus 
vu  blanchir  dans  les  jeûnes  et  à  une  table 
frugale,  que  dans  des  longs  repas  et  les  dé- 
lices recherchées. 

Mais  faut-il  donc  ménager  la  santé,  quand  il 
s'agit  d'observer  le  précepte  de  l'Eglise,  pen- 
dant qu'on  la  prodigue  pour  suivre  les  cou- 
pables usages  du  monde?  Ne  devons-nous 
pas  plus  redouter  les  révoltes  d'une  chair 
délicatée,  que  les  légères  austérités  qui  la 
domptent;  le  déchet  de  la  vertu,  que  celui 
de  la  santé  ;  la  perte  des  forces  de  l'âme,  que 
celle  des  forces  du  corps? 

La  beauté,  les  forces,  la  vertu  des  Judith 
et  des  Esther  prennent  de  merveilleux  ac- 
croissements dans  les  jeûnes.  La  valeur,  ta 
raison,  la  vie  des  Balthazar,  des  Holopherne 
disparaissent  dans  les  excès  de  la  table.  Une 
vie  sensuelle  est  le  tombeau  de  l'inuocence: 
une  vie  pénitente,  mortifiée  en  est  la  gar- 
dienne. 

Ne  redoutons  donc  pas  les  rigueurs  de  la 
pénitence  du  carême,  puis  qu'elles  sont  né- 
cessaires, pour  triompher  des  révoltes  de 
nos  sens,  et  qu'elles  sont  moins  contraires 
h  la  santé  que  les  plaisirs  fatigants  du 
monde. 

CHAPITRE  XX. 

Les  chrétiens  doivent,  en  considérant  leurs 
péchés,  embrasser  avec  ferveur  la  pénitence 
du  carême. 

Ce  sont  malheureusement  ceux  qui  ont  le 
plus  de  péchés  à  expier,  qui  redoutent  la 
pénitence  du  carême  :  ce  sont  des  hommes 
sensuels,  délicats,  accoutumés  à  satisfaire 


197 


INSTRUCTION  Si'R  LA  PENITENCE  DU  CAREME.    —  CIIÀP.  XX. 


4?  1 


jeurs  sens  ;  qui  mettent  leurgloire  h  engrais- 
ser un  corps  de  péché;  des  ennemis  de  la 
croix  du  Sauveur,  cjui  se  font  un  Dieu  de 
leur  ventre,  comme  parle  l'apôtre  saint  Paul  ; 
des  intempérants  que  de  coupables  excès 
dans  le  boire  et  le  manger  ont  souvent  ense- 
velis dans  l'ivresse  et  fait  languir  dans  la 
maladie  et  les  douleurs. 

Ce  sont  des  hommes  de  volupté,  coupables 
des  commerces  les  plus  honteux,  dont  la 
passion  a  porté 'la  honte  et  le  déshonneur 
dans  les.familles,  séduit  l'innocence  et  scan- 
dalisé le  public;  qui  ont  par  conséquent  des 
}>enchants  violents  à  réprimer,  des  flammes 
impures  à  éteindre,  une  chaîne  de  réproba- 
tion à  briser,  des  scandales  à  réparer,  un 
cœur  à  purifier,  des  sens  à  calmer,  des  cri- 
mes à  pleurer  et  à  expier. 

Ce  sont  des  hommes  qui  se  piquent  d'es- 
prit, qui  ont  ad.opté  l'irréligion  et  l'incré- 
dulité de  notre  siècle,  qui  vont  de  cercle 
on  cercle  débiter  avec  complaisance  leurs 
sacrilèges  satires  sur  les  dogmes,  la  morale 
et  le  plan  du  christianisme;  qui  s'y  distin- 
guent par  leurs  doutes  et  leurs  incertitudes 
sur  les  mystères ,  leurs  plaisanteries  sur  la 
dévotion  qui  ébranlent  les  simples,  et  ont 
peut-être  éteint  dans  plusieurs  le  flambeau 
de  la  foi. 

Ce  sont  des  riches  pour  lesquels  l'opu- 
lence a  été  une  source  de  crimes  ;  qu'elle  a 
rendus  sensuels,  vains,  durs,  attachés  à  la 
terre,  aux  aises  et  aux  commodités  de  la 
vie;  qui  ont  été  prodigues  pour  la  table,  le 
jeu,  le  luxe,  les  plaisirs  ;  économes,  avares 
môme  lorsqu'il  a  été  question  d'assister  les 
pauvres,  ou  de  quelques  bonnes  œuvres  pu- 
bliques. 

Ce  sont  des  femmes  toujours  plongées 
dans  le  sein  de  la  mollesse,  qui  n'ont  jamais 
essa, é  leurs  forces  que  pour  porter  le  far- 
deau des  parures  mondaines,,  et  jamais  pour 
porter  le  joug  de  l'Evangile  ;  qui  se  gênent 
continuellement  pour  remplir  les  devoirs 
du  monde,  et  jamais  pour  satisfaire  aux  de- 
voirs de  la  religion  ;  des  femmes  que  l'oisi- 
veté, la  mollesse,  les  artifices  de  la  vanité, 
la  licence  des  conversations,  la  fureur  du 
plaisir,  le  désir  de  plaire,  l'amour  de  soi- 
même,  l'art  funeste  de  rehausser,  d'embel- 
lir des  grâces  qui  ne  sont  pas  assez  éclatan- 
tes, de  toucher,  d'attacher  à  leur  char  une 
foule  d'adorateurs,  ont  rendues  coupables 
d'une  multitude  de  crimes. 

Enfin,  ce  sont  des  personnes  qui  ont  be- 
soin d'une  austère  pénitence  pour  expier  de 
coupables  années  ;  ce  sont  tous  ceux  dont 
la  vie  est  la  plus  licencieuse,  la  moins  édi- 
fiante, qui  refusent  de  se  soumettre  à  la  pé- 
nitence du  carême;  ce  sont  ceux-là  qu'elle, 
alarme,  qu'elle  effraye,  qu'elle  révolte.  Les 
chrétiens  fervents,  pieux,  pénétrés  des  vé- 
rités de  l'Evangile,  la  trouvent  douce,  facile, 
et  l'on  en  voit  plusieurs  enchérir  sur  les 
mortifications  de  précepte  dans  ce  saint 
temps. 

Ce  sont  donc  les  pécheurs  qui  ont  besoin 
d'une  rigoureuse  pénitence  que  j'exhorte 
dans  ce  chapitre  à  saisir  au  moins  la  péni- 


tence du  carême ,  pour  se  rapprocher  do 
Dieu,  et  obtenir  la  grâce  de  leur  conversion  ; 
et,  comme  ils  forment  malheureusement  le 
plus  grand  nombre,  la  pénitence  du*  carême 
reprendrait,  pour  ainsi  dire,  son  premier 
éclat  si  je  les  touchais. 

Pensez  donc,  pécheurs  qui  êtes  les  pre- 
miers à  vous  dispenser  de  la  pénitence  du 
carême ,  au  malheureux  état  dans  lequel 
vous  demeurez  volontairement.  Outre  la  dé- 
sobéissance dont  vous  vous  rendez  coupa- 
bles- envers  l'Eglise  par  cette  scandaleuse 
infraction,  vous  montrez  un  cœur  impéni- 
tent qui  lassera  la  clémence  de  Dieu,  et  vous 
amassera  un  trésor  de  colère  pour  le  jour 
des  vengeances  célestes. 

Dès  que  vous  êtes  coupables  d'un  seul 
péché  mortel,  il  faut  que  vous  vous  punis- 
siez vous-mêmes,  ou  que  Dieu  vous  punisse 
dans  sa  colère;  que  vous  satisfassiez  à  sa 
justice  offensée  par  vos  péchés,  ou  qu'il  la 
venge  lui-même  de  vos  coupables  attentats  ; 
il;faut  que  vous  arrêtiez  sa  foudre  suspendue 
sur  vos  tôtes  criminelles,  ou  que  vous  vous 
attendiez  à  en  être  écrasés;  il  faut  recouvrer 
votre  innocence  par  des  pleurs,  des  jeûnes, 
des  mortifications,  des  prières,  ou  vous  dé- 
terminer à  descendre  dans  le  tombeau  ,  et  h 
paraître  au  tribunal  de  Dieu  sans  la  robe 
nuptiale,  pour  vous  y  voir  condamner  aux 
supplices  éternels.  Si  vous  vous  épargnez, 
Dieu  ne  vous  épargnera  pas;  si  vous  ne  fai- 
tes pas  pénitence  efficacement  dans  le  temps; 
vouslafcrez  inutilement  dans  l'éternité. 

Qu'est-ce  qu'un  chrétien  qui  a  commis 
un  péché  mortel  après  son  baptême?  C'est 
un  infortuné  qui  a  fait  un  triste  naufrage, 
dans  lequel  il  a  perdu  ce  qu'il'avait  de  plus 
précieux  :  son  innocence.  Or,  disent  les 
saints  conciles  et  tous  les  Pères  de  l'Eglise, 
la  pénitence  est  la  seule  planche  qui  reste  h 
cet  infortuné,  pour  arriver  au  port  après  ce 
triste  naufrage.  Ne  vouloir  point  s'en  servir, 
c'est  vouloir  périr  sans  ressource.  Appli- 
quons présentement  ces  grandes  vérités. 

Une  pénitence  solennelle  est  annoncée 
dans  tous  les  Etals  catholiques;  elle  est  de 
précepte  pour  tous  les  enfants  de  l'Eglise; 
elle  n'a  aucune  de  ces  rigueurs  qui  détrui- 
sent la  santé.  Les  malades,  les  infirmes  peu- 
vent et  doivent  y  participer  en  suppléant  aux 
jeûnes  et  aux  abstinences  par  d'autres  bon- 
nes œuvres.  Tous  les  justes  s'y  soumettent. 
Est-il  donc  raisonnable  que  des  mondains, 
qui  ont  tant  de  crimes  à  expier,  s'en  dispen- 
sent, et  y  renoncent  avec  scandale? 

Ah  !  coupables  infracteurs  de  la  loi  de  l'E- 
glise, si  vous  pensiez  à  vos  péchés,  si  vous 
en  conceviez  une  juste  idée,  bien  loin  de 
vous  séparer  des  justes  pénitents,  on  vous 
verrait  avec  édification  ajouter  des  rigueurs 
au  précepte  de  votre  Mère. 

On  vous  verrait  retracer  la  pénitence  des 
premiers  siècles.  Vous  regarderiez  ce  saint 
temps  où  les  justes  se  mortifient,  jeûnent, 
prient,  pleurent,  comme  des  jours  favorables 
jtour  aimer  votre  pénitence,  la  rendre  agréa- 
ble à  Dieu.  Vous  le  prieriez,  comme  faisaient 


4ÎI9 


ORATEURS  SACRES.  DALLET. 


500 


.es  pénitents  publics,  d'implorer  pour  vous  la 
miséricorde  divine. 

Humiliés,  déclarés  de  douleur,  on  serait 
obligé  même  d'arrêter  votre  zèle;  mais  vous 
ne  pensez  pas  à  vos  péchés,  aux  châtiments 
qu'ils  ont  mérités  :  voilà  pourquoi  nous  vous 
voyons  séparés  de  vos  frères,  insensibles 
aux  exemples  qu'ils  vous  donnent,  conti- 
nuer dans  ce  saint  temps  le  plan  de  vie  ai- 
sée, commode,  dissipée,  que  vous  vous  êtes 
tracé. 

La  même  table,  les  mêmes  plaisirs ,  le 
même  jeu,  la  même  indifférence  pour  les  of- 
fices divins,  les  exercices  de  piété,  le  même 
esprit  d'irréligion  régnent  chez  vous;  vous 
voulez  mourir  impénitents,  c'est-à-dire  ré- 
prouvés. 

CHAPITRE  XXI. 

Les  menaces  que  Dieu  fait  aux  impénitents 
doivent  faire  trembler  les  chrétiens  qui  se 
dispensent  de  la  pénitence  du  carême. 

Le  Seigneur  fait  entendre  une  voix  mena- 
çante dans  tous  les  livres  saints,  lorsqu'il 
parle  aux  mortels  souillés  du  péché.  Sa  bonté 
les  a^appelle ,  mais  sa  justice  éclate  sur  eux 
d'une  manière  terrible  lorsqu'ils  refusent  de 
se  rendre  à  ses  caresses. 

Or,  je  distingue  trois  sortes  de  pénitences 
également  nécessaires  aux  chrétiens  pour 
être  sauvés,  puisqu'elles  sont  accompagnées 
des  plus  redoutables  menaces.  Une  pénitence 
d'expiation,  une  pénitence  de  précaution, 
une  pénitence  d'imitation.  Ainsi,  la  pénitence 
est  nécessaire  aux  pécheurs  pour  expier  leurs 
crimes,  aux  justes  pour  conserver  leur  in- 
nocence, à  tous  les  disciples  de  Jésus-Christ 
pour  le  suivre  et  l'imiter.  En  prouvant  que 
Dieu  fait  les  plus  terribles  menaces  à  tous 
ceux  qui  se  dispensent  de  cette  pénitence, 
cpie  devons-nous  penser  du  sort  des  infrac- 
teurs  de  la  pénitence  solennelle  du  carême'? 

Or,  il  ne  faut  qu'ouvrir  l'Evangile,  pour 
être  convaincu  que  des  feux  vengeurs  sont 
préparés  aux  pécheurs  impénitents,  que  des 
chutes  honteuses  suivent  de  près  la  vie  tiède 
et  immortifiée  des  justes  ;  que  le  ciel  sera 
fermé  à  tous  les  disciples  du  Sauveur  qui 
ne  l'auront  pas  copié  dans  ses  souffrances. 
Ali  1  comment  peut-on  s'effrayer  de  la  péni-      | 


tence  du  carême,  quand  on  croit  ces  vérités? 

Ecoutez,  pécheurs  délicats  et  sensuels,  qui 
ne  voulez  pas  vous  soumettre  à  la  pénitence 
publique  de  l'Eglise,  qui  la  laissez  pratiquer 
aux  justes;  écoutez  l'oracle  que  Jésus- 
Christ  prononce  dans  son  Evangile,  et  trem- 
blez si  vous  n'êtes  pais  endurcis  entièrement, 
il  y  a  de  quoi  remuer  et  troubler  salutaire- 
mènt  votre  cœur  tout  souillé  du  péché  qu'il 
soit. 

Si  vous  ne  faites  pénitence,  dit  ce  divin 
Sauveur,  vous  périrez  tous.  Après  votre 
péché,  il  n'y  a  que  celte  seule  ressource 
pour  vous  dérobera  mes  rigoureuses  ven- 
geâmes :  Nui  pœnitentiam  egeritis,  omnes 
siiniliter  peribiiis.  [Luc,  XIII.) 

Pesons  toutes  ces  paroles;  iî  n'y  en  a  pas 
une  qui  ne  renferme  une  vérité  importante. 
Si  vous  ne  faites  pénitence;  nisi,  voilà  le 


précepte,  la  nécessité  ;  pœnitentiam,  voilà 
les  regrets,  les  douleurs,  les  larmes,  les 
jeûnes,  les  mortifications;  vous  périrez  :  pe- 
ribiiis. Périr  selon  le  monde,  c'est  ne  pas 
réussir  dans  ses  entreprises,  c'est  perdre  son 
bien,  sa  réputation,  la  vie  présente.  Périr 
selon  Dieu,  c'est  être  damné,  condamné 
aux  feux  éternels;  c'est  être  dans  toute  l'é- 
tendue de  l'immense  éternité  dans  les  tour- 
ments, l'objet  delà  colère  et  des  vengeances 
d'un  Dieu  tout-puissant,  ùmnes  similiter, 
vous  périrez  tous  également,  grands,  riches, 
savants  :  les  titres  pompeux  du  siècle,  les 
avantages  de  l'opulence,  les  talents  brillants, 
ne  sauveront  jamais  les  pécheurs  impéni- 
tents. 

Ecoutez  donc  cette  menace  de  voire  Dieu, 
infracteurs  de  la  loi  de  l'Eglise;  méditez-en 
les  terribles  suites.  Vous  êtes  souillés  d'une 
multitude  de  péché.  Pour- éviter  de  périr 
éternellement,  vous  avez  besoin  d'expier  vos 
crimes  par  une  rigoureuse  pénitence  ;  et  les 
jeûnes,  les  abstinences,  imposés  dans  le  ca- 
rême, vous  révoltent  parce  que  vous  êtes 
grands,  riches,  savants.  Vous  ne  voulez  pas 
être  pénitents  ;  vous  ajoutez  à  vos  crimes 
multipliés  celui  d'une  désobéissance  scan- 
daleuse;   vous    épargnez  une  chair  crimi- 

âme  périra 
Dieu  seront 


nelle.  Ah!  votre  malheureuse 
éternellement  ;  les  menaces  de 
exécutées  sur  vous. 

11  y  a  aussi  une  pénitence  de  précaution 
nécessaire  aux  justes,  pour  persévérer  dans 
l'innocence,  et  c'est  ce  qui  doit  les  engager  à 
pratiquer  avec  ferveur  les  saintes  mortifica- 
tions qui  nous  sont  imposées  dans  le  carême 

C'était  à  ses  disciples  appesantis  par  le 
sommeil,  que  Jésus-Christ  disait  :  Veillez  et 
priez,  si  vous  voulez  triompher  de  la  tenta- 
tion :  Mfjilatc  et  orate  ne  intretis  in  tentatio- 
nem.(Marc,  XIV.) 

On  ne  se  perfectionne  dans  la  foi ,  on  ne 
fait  des  progrès  dans  la  vertu,  on  neterrass-e 
l'ennemi  de  son  salut  que  par  la  prière  et  le 
jeûne,  dit-il  encore  à  ses  apôtres  :  Nisi  in 
oratione  etjejunio.  (Matth.,  IX.) 

Or,  de  ces  oracles  du  Fils  de  Dieu,  quelle 
conséquence  en  tirer  pour  ces  justes  qui  ne 
veillent  point ,  ne  prient  point,  ne  jeûnent 
oint;  et  qui,  satisfaits  de  leur  innocence 
présente,  n'ont  pas  recours  aux  mortifica- 
pour  la  conserver  pure  et 
es  révoltes  des  sens,  les 
la  chair,  le  feu  des  pas- 
les  dangers  qui  les  environ- 
nent, les  combats  que  leur  livrent  leurs  pen- 
chants, le  monde  et  ledémon?  La  conséquence 
que  nous  devons  en  tirer,  c'est  que  suivant 
les  menaces  du  Fils  de  Dieu,  ils  ne  persévé- 
reront pas  longtemps  dans  la  vertu.  Ils  se- 
ront sans  force  pour  résister  à  la  tentation  ; 
leur  innocence  fera  un  triste  naufrage  ,  et  k> 
démon  les  attachera  aisément  à  son  char. 

Puisque  vous  êtes  obligés,  chrétiens,  de 
mortifier  votre  corps  pour  persévérer  daiïo 
l'innocence,  livrez-vous  donc  avec  joie  aux 
saintes  mortifications  de  la  pénitence  du  ca- 
rême ;  ne  vous  dispensez  d'aucune,  si  votre 
santé  vous  le  permet,  et  suppléez  à  celU 


t.ons  chrétiennes 
sans  tache  dans 
soulèvements  de 
sioiis,  les  écueils, 


roi 


INSTRUCTION  SU  i  LA  PENITENCE  DU  CAREME. 


C1IAP.  XXII. 


SC2 


que  vous  ne  pouvez  pas  absolument  prati- 
quer, par  la  vigilance,  la  prière  et  quelques 
t/ieux  exercices  qui  mettent  toujoxirs  la  na- 
ture à  l'étroit. 

Enfin  il  y  a  une  pénitence  d'imitation  né- 
cessaire à  tous  les  disciples  (Je  Jésus-Christ, 
parce  qu'ils  sont  obligés  de  le  copier. 

Que  l'oracle  que  ce  divin  Sauveur  a  pro- 
noncé sur  la  nécessité  de  l'imiter,  doit  faire 
trembler  et  confondre  les  infiacteurs  de  la 
pénitence  du  carême  ! 

Si  quelqu'un,  dit  cet  aimable  Sauveur, 
veut  être  mon  disciple,  adopter  ma  doc- 
trine et  participer  à  ma  gloire,  il  faut  qu'il 
se' renonce  lui-même,  qu'il  porte  tous  les 
jours  sa  croix  et  qu'il  me  suive  dans  la 
route  des  abaissements  et  des  souffrances  : 
Si  quis  vult  post  me  venire ,  abneget  semet- 
ipsum,  et  tollat  crucem  suamquotidic  et  sequa- 
tur  me.  (Luc.  IX.) 

Remarquez  avec  saint  Luc  que  ce  n'est 
pas  à  ses  seuls  apôtres  qu'il  annonce  cette  vie 
pénitente  et  crucifiée,  mais  à  tous  ceux  qui 
l'environnaient,  qui  l'écoutaient  et  qui  em- 
brasseraient sa  doctrine  :  Dicebat  ad  omnes. 
(Jbid.)  Or  il  faut  donc,  pour  être  disciples  de 
Jésus-Christ,  porter  sa  croix  tous  les  jours, 
quotidie  ;  il  ne  laisse  aux  enfants  de  l'Evangile 
aucun  temps  pour  les  plaisir-s,  les  joies  du 
siècle.  Tous  les  jours  doivent  être  pour  eux 
des  jours  de  pénitence  et  de  mortification  : 
Quotidie. 

D'après  cette  grande  vérité,  que  penser 
des  chrétiens  qui,  bien  loin  de  porter  leur 
croix  tous  les  jours,  ne  veulent  seulement 
pas  essayer  des  jeûnes ,  des  abstinences  et 
des  mortifications  imposées  par  l'Eglise  dans 
le  carême?  qui  ne  veulent,  dans  ce  saint 
temps,  se  priver  d'aucun  plaisir,  d'aucune 
satisfaction?  Ahl  nous  pouvons  dire  qu'ils 
ne  sont  point  disciples  de  Jésus-Christ,  qu'ils 
n'entreront  point  dans  son  royaume,  puis- 
qu'ils ne  marchent  point  dansla  seule  route 
qui  y  conduit.  C'est  sur  eux  que  s'exécu- 
teront toutes  les  menaces  faites  dans  les 
livres  saints  contre  les  impénitents  et  les 
immortifiés,  puisqu'ils  ne  veulent  point  les 
éviter  par  la  pratique  des  mortifications 
chrétiennes. 

CHAPITRE  XXII. 

Les  chrétiens  qui  méditent  les  rigueurs  de  la 
justice  de  Dieu  ne  sont  point  alarmés  de  la 
pénitence  du  carême. 
Les  motifs  qui  doivent  effrayer  et  consoler 
les  pécheurs  sont  également  vrais  et  tirés 
des  perfections  de  Dieu;  sa  justice  est  ri- 
goureuse, sa  miséricorde  n'a  point  de  bor- 
nes; sa  justice  punit  sévèrement  le  péché, 
sa  miséricorde  le  pardonne;  sa  justice  pour- 
suit jusqu'aux  traces  du  péché,  sa  miséri- 
corde en  efface  jusqu'aux  moindres  souil- 
lures ;  on  doit  redouter  de  l'offenser  par  le 
péché  ;  on  doit  espérer  de  l'apaiser  par  la 
pénitence.  Malheur  au  pécheur  qui  en  se  re- 
présentant un  Dieu  bon,  se  représente  un 
Dieu  insensible  aux  outrages  du  péché ,  et 
à  la  persévérance  dans  le  péché.  Malheur  à 
celui  qui  en  se  représentant  un  Dieu  juste, 


se  représente  un  Dieu  implacable  et  insen- 
sible aux  larmes  et  au  repentir  des  cou- 
pables. La  présomption  fait  des  impénitents, 
le  désespoir  fait  des  réprouvés  :  sa  justico 
est  rigoureuse ,  mais  on  peut  l'apaiser  par 
une  sincère  pénitence  ;  sa  miséricorde  est 
infinie,  mais  on  peut  la  lasser  par  une  opi- 
niâtre persévérance  dans  le  péché. 

Les  pécheurs  ne  peuvent  donc  apaiser  un 
Dieu  offensé,  quCen  se  mettant  eux-mêmes 
à  sa  place  pour  punir  le  péché  et  venger  sa 
grandeur  offensée  :  or,  en  nous  mettant  à  la 
place  de  Dieu  pour  punir  nous-mêmes 
les  péchés  que  nous  avons  commis  ,  il  faut 
nous  représenter  alors,  non  pour  nous  dé- 
courager, mais  pour  nous  animer  à  la  pé- 
nitence, toutes  les  rigueurs  de  sa  justice. 

Quand  Dieu  punit  lui-même  le  péché,  rien 
de  plus  terrible  que  la  vengeance  qu'il  en 
tire.  Punitions  temporelles  :  tantôt  il  inonde 
l'univers  par  un  déluge  universel;  tantôt  il 
fait  descendre  le  feu  du  ciel  pour  réduire 
en  cendre  des  villes  voluptueuses;  tantôt 
il  ouvre  la  terre  pour  engloutir  des  rebelles; 
il  commande  à  la  mer  d'ensevelir  dans  ses 
abîmes  les  ennemis  de  son  peuple;  il  envoie 
des  anges  exterminateurs  qui ,  le  glaive  à  la 
main ,  immolent  à  sa  fureur  les  impies  et  les 
sacrilèges. 

Je  vois  des  monarques  tombés  de  leurs 
trônes  dans  les  chaînes,  des  empires  éteints, 
de  longues  captivités,  des  pécheurs  arrêtés 
dans  leur  course  criminelle ,  et  écrasés  sous 
la  foudre  de  la  main  vengeresse  qui  les  pour- 
suit. 

Punitions  éternelles  :  un  enfer  creusé, 
des  feux  vengeurs  allumés  ,  entretenus  par 
le  souffle  de  la  colère  du  Tout-Puissant,  l'as- 
semblage de  tous  les  maux,  la  privation  de 
tous  les  biens;  un  lieu  où  l'on  pleure,  l'on 
se  désespère;  un  lieu  où  le  péché  est  puni 
sans  pouvoir  être  expié,  et  où  la  longueur 
delà  pénitence  ne  diminuera  jamais  la  gran- 
deur de  l'offense. 

Enfin,  si  je  me  représente  le  grand  spec- 
tacle du  Calvaire  ,  c'est  là  où  je  vois  éclater 
toutes  les  rigueurs  de  la  justice  divine. 

Cette  rigoureuse  justice  n'est  pas  apaisée 
par  les  abaissements  du  Verbe  éternel  dans 
son  incarnation ,  par  les  travaux  de  sa  vie 
mortelle ,  par  le  sang  qu'il  répand  sous  le 
couteau  de  la  circoncision,  dans  son  agonie 
au  jardin  des  Oliviers,  dans  une  cruelle  fla- 
gellation. La  justice  divine  poursuit  cet  in- 
nocent chargé  d'expier  nos  péchés,  avec  une 
rigoureuse  sévérité  :  il  faut  qu'il  accepte  le 
calice  de  douleurs,  qu'il  le  boive  jusqu'à  la 
lie  ,  qu'il  monte  sur  le  Calvaire  chargé  dosa 
croix,  qu'il  y  soit  attaché,  qu'il  y  répande 
jusqu'à  la  dernière  goutte  de  son  sang,  qu'il 
y  expire  :  la  rigoureuse  justice  d'un  Dieu 
offensé  par  le  péché,  n'est  satisfaite  que 
lorsque  la  victime  est  détruite. 

Nous  voyons  par  l'Ecriture  et  l'histoire  de 
l'Eglise,  que  tous  les  saints  pénitents  se  re- 
présentaient ces  rigueurs  de  la  justice  di- 
vine ,  non  comme  je  "ai  déjà  dit ,  pour  se 
décourager,  mais  pour  s'animer  à  la  péni- 


:05 


ORATEURS  SACRES.  RALLET. 


504 


tence  et  ne  point  ménager  un  corps  souillé 
du  péché. 

Quoique  David  eût  à  offrir  à  Dieu  une 
longue  et  sévère  pénitence,  des  jeûnes, 
des  veilles ,  des  prières,  des  macérations, 
des  larmes  et  surtout  les  continuels  déchi- 
rements d'un  cœur  humilié  et  hrisé  de  dou- 
leur ,  il  le  conjurait  de  ne  point  entrer  en 
jugement  avec  son  serviteur  :  Ne  intres  in 
judicium  cumservo  tuo.  ( Psal.  CXL1I.) 

Quoique  les  solitaires  de  l'Egypte  et  de  la 
Thébaïde  eussent  vieilli  sous  la  haire  et  le 
cilice,  ils  craignaient  encore  que  la  longueur 
et  la  sévérité  de  leur  pénitence  ne  répondît 
point  à  la  grandeur  des  fautes  qui  leur  étaient 
échappées.  Le  grand  Hilarion,  après  avoir 
servi  Dieu  soixante-dix  ans  dans  le  désert, 
est  encore  effrayé  à  la  mort  de  la  rigoureuse 
justice  du  Seigneur. 

C'est  en  considérant  cette  rigueur  de  la 
justice  divine,  que  l'Eglise  imposait  des  pé- 
nitences si  sévères  dans  les  premiers  siècles 
aux  pécheurs. 

Or,  si  les  chrétiens  de  nos  jours  médi- 
taient sérieusement  ces  rigueurs  de  la  jus- 
tice divine;  s'ils  étaient  persuadés  qu'ils  ne 
peuvent  échappera  ses  redoutables  vengean- 
ces après  le  péché,  qu'en  se  mettant  à  la 
place  de  Dieu  pour  se  punir  eux-mêmes; 
qu'en  s'armant  de  son  indignation  et  de  sa 
colère,  pour  exercer  sur  eux  toutes  les  ri- 
gueurs dont  ils  sont  capables;  seraient-ils 
alarmés  de  la  pénitence  du  carême?  Les  ef- 
fraierait-elle? S'en  dispenseraient-ils  comme 
ils  font?  La  feraient-ils  avec  ces  ménage- 
ments, ces  adoucissements  qui  font  manquer 
a  l'intégrité  du  jeûne,  et  à  l'esprit  de  morti- 
fication qui  doit  animer  cette  pénitence? 

Quoi  1  des  pécheurs  obligés  indispensable- 
noent  de  se  punir  eux-mêmes,  s'ils  ne  veu- 
lent pas  être  punis  par  un  Dieu  dont  la  jus- 
tice est  rigoureuse,  ne  veulent  point  se  sou- 
mettre à  une  pénitence  aisée,  et  dont  la  seule 
délicatesse  peut  être  effrayée?  Ils  verront 
les  justes  prier,  jeûner,  se  mortifier,  et  ils 
vivront  dans  la  dissipation,  la  bonne  chère, 
les  plaisirs  ?  Ah  !  ils  éprouveront  le  sort  ter- 
rible de  ces  hommes  charnels  qui  buvaient, 
mangeaient,  se  réjouissaient,  pendant  que  le 
juste  Noé  travaillait  à  échapper  aux  ven- 
geances divines  ;  la  mort  les  surprendra,  Je 
tombeau  s'ouvrira,  ils  y  descendront;  et,  sous 
le  domaine  de  la  rigoureuse  justice  d'un  Dieu 
offensé  et  irrité,  ils  seront  punis  éternelle- 
ment, puisqu'ils  ne  veulent  pas  se  punir  eux- 
mêmes  dans  le  temps 

Seigneur,  en  méditant  les  rigueurs  de  vo- 
tie  justice,  j'admire  aussi  l'étendue  de  vos 
miséricordes.  Quelle  justice  I  qu'elle  est  re- 
doutable I  .Mais aussi  quelle  clémence!  qu'elle 
est  consolante  !  Le  pécheur  mérite  d'être 
puni,  mais  vous  voulez  bien  qu'il  se  punisse 
lui-même;  vous  mettez  les  droits  de  votre 
justice  entre  ses  mains  ;  et  pourvu  qu'il  fasse 
les  efforts  dont  il  est  capable,  vous  êtes  sa- 
tisfait. Ah  !  mon  Dieu,  je'  profiterai  de  cette 
clémence  ;  je  vous  vengerai,  autant  qu'il  sera 
en  moi,  par  ma  pénitence;  je  vais  surtout 
pratiquer  avec  zèle  celle  de  l'Eglise,  pour 


obéir  à  son  précepte,  pour  être  aidé  par  les 
prières  et  les  mortifications  des  justes,  et 
pour  m'accoutumer  à  punir  toute  ma  vie  les 
1  échés  que  j'ai  commis. 

CHAPITRE  XXIII. 

La  pensée  de  la  mort  doit  porter  les  chrétiens 
à  la  pénitence  du  carême 

"Les  soins  excessifs  des  chrétiens  pour  leur 
santé;  cette  frayeur  pour  tout  ce  qui  peut 
affaiblir  ou  mortifier  le  corps;  ces  coupables 
résolutions  qu'ils  prennent,  avant  même  la 
quarantaine,  de  ne  pas  essayer  du  jeûne  ou 
de  l'abstinence ;" tout  cela  peut-il  les  garantir 
de  la  mort  qui  les  menace,  dont  ils  ignorent 
le  moment,  et  qui  surprend  tous  les  jours 
ceux  qui,  pleins  de  santé,  comptent  le  plus 
sur  la  vie? 

Nous  ignorons  tous  l'heure,  le  genre  et  le 
lieu  de  notre  mort;  nous  devons  ctonc,  dans 
la  santé,  nous  y  préparer  comme  dans  la  ma- 
ladie. Jésus-Christ  ne  dit  pas  dans  l'Evan- 
gile :  Préparez-vous  à  la  mort  ;  ce  serait  sup- 
poser que  nous  avons  quelques  moments 
dont  nous  pouvons  disposera  Mais  il  dit  : 
Soyez  prêts  :  Estote  parati.  (Matth.,  XXIV.) 
Soyez  prêts  à  paraître  devant  le  tribunal  de 
Dieu,  dans  la  jeunesse  comme  dans  la  vieil- 
lesse, dans  la  santé  comme  dans  la  maladie; 
avec  ce  tempérament  robuste  qui  vous  flatte, 
comme  dans  cette  langueur  qui  vous  attriste; 
le  matin,  à  midi,  le  soir.  Rapprochez  le  mo- 
ment de  la  mort,  au  lieu  de  le  regarder 
comme  dans  un  lointain;  si  elle  est  à  la  porte 
des  vieillards,  elle  dresse  des  embûches  aux 
jeunes  gens;  il  n'est  plus  temps  de  se  pié- 
parer  quand  elle  arrive.  Soyez  toujours 
]  rets  :  Estote  parati. 

Hélas!  Seigneur,  disait  le  saint  roi  Ezé- 
chias:  du  matin  au  soir  vous  décidez  du  sort 
des  mortels;  je  me  suis  levé  aujourd'hui 
plein  de  santé,  et  avant  la  fin  du  jour  vous 
me  faites  descendre  dans  la  nuit  du  tom- 
beau :  De  mane  usque  ad  vesperam  finies  me. 
(Isa.,  XXXVIII.)  Vous  m'enlevez  à  la  terre 
comme  la  tente  d'un  berger  qu'on  change 
de  place  dans  un  instant.  C'en  est  fait,  je  ne 
verrai  plus  aucun  mortel,  et  aucun  mortel 
ne  me  verra  plus  :  Non  aspiciam  hominem 
ultra,  (lbid.)  Ah  !  Qu'est-ce  que  la  santé? 
Qu'est-ce  que  le  tempérament  le  plus  ro- 
buste? Qu'est-ce  que  toute  la  vie  de  l'homme? 
Une  vapeur  qu'un  souille  léger  dissipe  ; 
Yapor  ad  modicum  parens.  (Jac,  IV.) 

•  Les  infracteurs  de  la  pénitence  du  carême 
ne  peuvent  pas  douter  de  ces  effrayantes 
vérités;  l'expérience  nous  en  assure  tous  les 
jours;  les  impies,  les  incrédules  ne  les  com- 
ballent  pas  non  plus;  leur  aveuglement  est 
d'en  tirer,  comme  les  insensés  dont  parle  l'E- 
criture, de  fausses  conséquences,  de  regarder 
le  tombeau  comme  le  terme  de  toutes  cho- 
ses, et  s'imaginer  follement  un  anéantisse- 
ment de  l'âme  et  du  corps  à  la  mort.  Système 
imaginé  par  le  libertinage,  et  qui  n'aurait 
point  de  partisans  dans  notre  siècle  si  notre 
siècle  n'était  pas  si  corrompu 


INSTRUCTION  SUR  LA  PENITENCE  DU  CAREME. 


CIIAP.  XXIV. 


506 


Or,  comme  tous  les  infracteurs  du  carême 
ne  sont  point  des  incrédules,  je  leur  de- 
mande comment  ils  peuvent,  étant  persua- 
dés de  la  brièveté  de  la  vie,  de  l'incertitude 
du  moment  de  la  mort,  du  peu  de  fonds 
qu'on  doit  faire  sur  le  tempérament  le  ilus 
robuste,  ils  osent,  pour  ménager  un  corps 
qui  peut  être  détruit  dans  un  instant,  violer 
volontairement  les  lois  de  l'Eglise,  et  s'ex- 
poser  à  paraître  devant  Dieu,  coupables 
d'une  infraction  qui  donne  la  mort  à  leurs 
âmes. 

Vous  voulez  conserver  votre  santé,  pro- 
longer vos  jours,  il  n'est  tel  que  de  vivre, 
dites-vous.  Mais  la  pénitence  du  carême, 
telle  qu'on  la  pratique  aujourd'hui,  est-elle 
capable  d'altérer  la  santé,  de  détruire  le 
tempérament,  do  jeter  dans  la  langueur, 
d'abréger  vos  jours?  Mais  des  jeûnes  si 
adoucis  peuvent- ils  vous  incommoder  à 
l'excès? 

Sonl-cc  les  jeûnes,  les  mortifications  du 
carême,  qui  font  languir  dans  les  infirmités 
ces  hommes  de  bonne  chère  et  île  plaisir, 
et  auxquels  les  médecins  conseillent  un 
genre  do  vie  encore  plus  simple  et  plus  gê- 
nant que  celui  des  pénitents  du  earéuic,  pour 
rétablir  leur  santé? 

Sout-ce  les  jeûnes,  les  mortifications  du 
carême,  qui  ont  altéré,  usé  le  tempérament 
de  ces  jeunes  gens,  que  tout  l'art  des  mé- 
decins ne  peut  conserver  a  leurs  familles, 
et  qui  descendent  dans  le  tombeau  dus  le 
printemps  de  leurs  jours? 

Sunl-ce  leî  jeûnes  et  les  mortifications  du 
caerme,  qui  ont  incommodé  ces  femmes 
abattues,  faibles,  languissantes,  dès  les  pre- 
miers jours  de  la  quarantaine,  parce  qu'ou- 
bliant dans  les  jours  de  dissolution  qui  la 
précèdent,  leur  dé  icatessc  naturelle,  elles 
ont  ligure  avec  les  mondains  les  plus  forts 
et  les  plus  robustes  dans  les  jeux,  les  plai- 
sirs, les  assemblées  nocturnes,  les  liais; 
parce  qu'elles  ont  oublié  a  lors  qu'elles  avaient 
besoin  d'un  long  sommeil,  d'un  genre  de  vie 
douce,  tranquille,  do  manger  plusieurs  fois, 
et  de  s'en  tenir  à  un  gras  succulent? 

Enfin,  sont-ce  les  jeûnes  et  les  mortifica- 
tions du  carôme  qui  font  descendre  tous  les 
jours  dans  le  tombeau  ces  personnes  qui 
jouissaient  d'une,  parfaite  santé,  et  dont  la 
jeunesse  brillante,  l'embonpoint,  la  vigueur 
du  tempérament,  semblaient  promettre  une 
longue  carrière?  Ahl  la  vie  simple  et  fru- 
gale, une  nourriture  légère  conservent  les 
jours  de  l'homme;  la  bonne  chère,  les  plai- 
sirs les  abrègent.  De  grandes  austérités  n'ont 
pas  empêché  les  Pauls,  les  Antoines  de  vivre 
plus  d'uivsiècle:  comment  la  pénitence  du 
carême,  qui  n'a  aucune  de  ces  rigueurs, 
pourrait-elle  abréger  la  vie  des  chrétiens  de 
nos  jours? 

Si  les  chrétiens  concevaient  donc  une 
juste  idée  de  la  mort,  s'ils  pensaient  sérieu- 
sement aux  accidents  qui  menacent  leurs 
jours,  ils  ne  renonceraient  pas  à  la  péni- 
tence du  carême,  mais  aux  plaisirs,  à  la 
bonne  chère  :  l'incertitude  du  moment  de  la 
mort,   ses  suites  effrayantes  et  humiliantes 


les  porteraient  à  embrasser  avec  joie  la  douce 
et  sainte  pénitence  du  carême? 

Je  n'ai  point  d'infirmité  réelle  qui  me  dis- 
pense légitimement  du  jeûne  et  de  l'absti- 
nence ;  ce  n'est  que  la  crainte  de  m'incom- 
moder,  d'altérer  ma  santé  qui  me  fait  violer 
la  loi  de  l'Eglise  ;  mais  si  la  mort,  dont  le 
jour  m'est  caché  afin  que  je  m'y  prépare 
tous  les  jours,  me  surprend;  ces  ménage- 
ment me  seront  inutiles,  j'aurais  commii 
un  péché  mortel  sans  prolonger  mes  jours  ; 
un  jugement  rigoureux  suit  la  mort  :  Post 
hoc  autem  judicium.  (Hebr.,  IX.)  J'y  porte- 
rai donc  une  infraction  volontaire  d'une  loi 
qui  oblige,  sous  peine  de  damnation:  mon 
corps  pourrira  dans  le  tombeau  ;  les  soins 
excessifs  que  j'ai  de  sa  conservation  aux  dé- 
pens du  salut  de  mon  Ame,  sont,  donc  bien 
criminels? 

Je  n'appréhende  point  d'abréger  mes  jours, 
d'avancer  le  moment  de  ma  mort,  quand  il 
s'agit  des  plaisirs;  je  suis  donc  bien  coupa- 
ble de  la  redouter  lorsqu'il  s'agit  de  la  péni- 
tence du  carême;  voilà  les  conséquences 
que  les  chrétiens  raisonnables  devraient  ti- 
rer de  la  nécessité  et  de  l'incertitude  de  la 
mort. 

C'est  en  pensant  sérieusement  à  ce  mo- 
ment de  la  mort,  ce  moment  décisif  pour 
l'éternité,  que  les  saints  se  sont  livrés  aux 
rigueurs  de  la  pénitence.  Périsse  ce  miséra- 
ble corps  de  péché,  disaient-ils,  pourvu  que 
l'âme  trouve  grâce  devant  Dieu  lorsqu'elle 
en  sera  séparée;  et  les  infracteurs  de  la  pé- 
nitence du  carême  semblent  dire  hautement 
par  leur  |conduite;  périsse  plutôt  l'âme  que 
le  corps,  si  notre  désobéissance  à  l'Eglise 
souille  notre  ûme,  comme  on  le  dit,  elle  en- 
tretiendra l'embonpoint  de  notre  corps. 

Peut-on,  sans  un  effroyable  aveuglement, 
penser  ainsi  ?  Si  la  bouche  des  chrétiens  que 
je  combats  ne  le  dit  pas,  leur  conduite  le 
fait  entendre. 

CHAPITRE  XXIV. 

Le  jugement  que  Dieu  fera  à  notre  mort  de 
toutes  nos  actions,  doit  porter  les  chré- 
tiens à  faire  la  pénitence  dont  ils  sont  ca- 
pables. 

Il  y  a  des  chrétiens  qui  se  croient  légiti- 
mement dispensés  de  la  pénitence  du  carê- 
me, parce  qu'ils  ont  examiné  leurs  forces  au 
tribunal  de  la  chair,  qu'ils  ont  écouté  et 
suivi  ses  plaintes,  ses  alarmes  et  sa  délica- 
tesse. On  se  persuade  qu'il  faut  un  tempé- 
rament extrêmement  robuste  pour  soutenir 
les  jeûnes  et  l'abstinence  de  la  sainte  qua- 
rantaine; et  parce  qu'on  n'a  pas  cette  vigou- 
reuse santé  à  l'épreuve  même  des  excès,  on 
se  met  au  rang  des  infirmes,  on  se  détermine 
à  ne  pas  obéir  à  la  loi  de  l'Eglise;  on  se 
rend  aux  sollicitations  des  parents,  des 
amis:  on  les  prend  pour  les  juges  de  sa 
conscience,  qui  réclame  secrètement  contre 
la  prévarication.  Ces  juges  complaisants 
prononcent  qu'il  faut  conserver  sa  santé, 
qu'on  se  doit  à  sa  famille,  au  public:  ils 
débitent  avec  gravité  une  morale  toute  hu- 


K07 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


508 


manc.  Ils  étalent  la  bonté  de  Dieu  qui  ne 
veut  point  que  nous  nous  détruisions;  et 
opposant,  pour  ainsi  dire,  le  Seigneur  a  la 
loi  solennelle  de  l'Eglise,  ils  la  condamnent 
comme  trop  sévère  :  ils  méprisent  son  autorité 
et  lui  désobéissent  par  principes. 

Voilà  le  premier  tribunal  que  les  infrac- 
teurs  du  carême  consultent,  le  tribunal  de  la 
chair  et  du  sang;  ils  suivent  ses  décisions; 
ils  se  trouvent  bien  jugés;  ils  ne  sentiront 
ni  troubles  ,  ni  remords  pendant  la  qua- 
rantaine. 

Le  second  tribunal  où  ils  citent  leur  déli- 
catesse alarmée,  c'est  celui  des  médecins.  Je 
sais  que  c'est  à  eux  à  prononcer  sur  l'état  de 
la  santé  d'une  personne  qui  les  consulte,  à 
juger  par  l'exposé  qu'on  leur  fait  de  ses  in- 
firmités, si  les  jeûnes  et  les  abstinences  sont 
absolument  contraires.  Je  suis  persuadé 
même  de  leur  religion  et  de  leur  respect 
pour  la  loi  de  l'Eglise  ;  mais  ces  infracteurs 
de  la  pénitence  du  carême,  dont  je  parle,  et 
qui  consultent  les  médecins,  sont-ils  réelle- 
ment infirmes,  les  ont-ils  consultés  pour  se 
livrer  aux  plaisirs?  Leur  ont-ils  demandé 
un  régime  pour  conserver  leur  santé  dans 
les  jours  de  divertissements  et  aux  tables 
splendides;  leur  avouent-ils  que  très-sou- 
Aent  dans  le  cours  de  l'année,  ils  sont  plus 
longtemps  à  jeun  que  l'usage  ne  l'exige  dans 
le  carême  ;  qu'ils  font  très-souvent  de  grands 
repas  en  maigre  sans  en  être  incommodés, 
qu'ils  le  mêleront  même  avec  le  gras  dans 
la  quarantaine?  Non,  on  expose  des  insom- 
nies, un  sang  échauffé,  une  santé  délicate  , 
des  occupations  gênantes,  des  craintes,  des 
alarmes  :  un  médecin  conseille  le  gras,  on 
est  tranquille,  ses  oracles  rassurent,  le  ju- 
gement est  porté,  on  l'exécutera. 

Le  troisième  tribunal  que  les  infracteurs 
de  la  loi  du  carême  consultent,  et  dont  ils 
suivent  les  décisions,  c'est  celui  du  monde. 
Le  monde  s'est  fait  une  loi  de  mépriser 
celle  de  l'Eglise  sur  la  pénitence  du  ca- 
rême :  il  a  accrédité  et  justifié  les  infractions 
publiques  du  jeûne  et  de  l'abstinence.  Le  gras 
est  servi  partout,  et  si  l'on  y  mêle  le  maigre, 
c'est  plus  pour  faire  briller  sa  délicatesse 
et  sa  profusion,  que  pour  satisfaire  la  piété 
de  quelques  obserrateurs  Je  la  loi.  Or  ce 
coupable  exemple  que  donne  la  multitude, 
semble  autoriser  les  chrétiens  de  nos  jours, 
ils  se  laissent  entraîner  par  le  torrent,  et  le 
jugement  que  le  monde  porte  de  la  loi  du 
carême,  est  pour  eux  une  décision  qui  l'em- 
porte sur  celle  de  l'Eglise. 

Enfin  des  chrétiens  plus  soumis,  qui  veu- 
lent rompre  la  pénitence  du  carême  sans 
ïemords,  consultent  leurs  confesseurs,  leurs 
pasteurs;  se  soumettent  à  l'Eglise,  et  de- 
mandent une  dispense;  mais  ces  juges  pieux, 
éclairés  que  l'on  consulte,  ne  peuvent  juger 
que  selon  l'exposé. qu'on  leur  fait;  la  per- 
mission qu'ils  accordent,  suppose  une  in- 
firmité réelle,  un  besoin  pressant  ;  un  ob- 
stacle invincible  au  jeûne  et  à  l'abstinence, 
n'éclate  pas  toujours  au  dehors;  sans  la  mai- 
greur du  corps,  la  pâleur  du  visage,  la  fai- 
Blosse  extérieure,  on  peut  avoir  des  infir- 


mités très-réelles;  il  faut  donc  que  ces  juges 
s'en  rapportent  à  l'exposé  qu'on  leur  fait. 
S'il  est  sincère,  la  dispense  est  légitime;  si 
la  délicatesse  l'a  dicté,  si  la  seule  crainte  de 
s'incommoder  le  fait  valoir;  si  des  raisons 
humaines  d'économie  y  entrent  autant  que 
les  soins  excessifs  de  là  santé,  la  dispense 
est  nulle,  et  ces  chrétiens  ont  tort  d'être 
tranquilles,  parce  qu'ils  ont  obtenu  une  per- 
mission d'un  pasteur,  qui  a  toujours  soin  ea 
la  donnant,  d'en  charger  la  conscience  de 
ceux  qui  la  demandent. 

Or  si  tous  ces  chrétieus  se  représentaient 
le  tribunal  de  Dieu  où  ils  paraîtront  aussitôt 
après  leur  mort,  s'ils  s'examinaient  comme 
ils  seront  examinés  alors,  ils  penseraient 
autrement;  les  prétextes  qu'ils  apportent 
pour  se  dispenser  de  la  pénitence  du  ca- 
rême, ne  leur  paraîtraient  plus  que  de  cou- 
pables artifices  que  la  délicatesse  emploie 
pour  se  soustraire  aux  mortifications.  Un 
juge  à  qui  rien  n'est  caché,  qui  voit  dans 
notre  cœur,  qui  sait  ce  que  nous  pouvons  ei 
ce  que  nous  ne  pouvons  pas,  porte  un  autre 
jugement  que  les  hommes  qui  ne  peuvent 
voir  que  le  dehors. 

C'est  donc  ce  moment  terrible  où  nous 
tomberons  entre  les  mains  d'un  Dieu  vivant 
qu'il  faut  rapprocher,  pour  décider  sûrement 
si  nous  sommes  dispensés  de  la  pénitence 
du  carême. 

Toutes  nos  actions  seront  examinées  alors 
par  un  Dieu  infiniment  bon;  par  conséquent 
il  n'exigera  rien  au-dessus  de  nos  forces. 

Rassurez-vous,  malades,  infirmes  qui  n'a- 
vez pas  pu  jeûner,  ni  observer  l'abstinence , 
Dieu  se  contente  de  votre  bonne  volonté;  il 
a  vu  vos  gémissements,  il  a  entendu  vos 
prières,  il  est  témoin  de  toutes  ces  bonnes 
œuvres  que  vous  avez  faites  pour  suppléer  à 
la  pénitence  ordinaire  du  carême  :  votre 
douleur,  vos  privations  volontaires,  votre 
patience  dans  vos  maux,  ne  vous  ont  i  as 
moins  rendus  précieux  à  ses  tveux,  que  ceux 
qui  jeûnaient  et  observaient  l'abstinence. 

Mais,  pour  vous  qui  avez  transgressé  la 
pénitence  du  carême  sur  les  décisions  de  la 
chair  et  du  sang,  d'un  monde  corrompu  et 
prévaricateur,  qui  avez  consulté  des  juges 
complaisants,  relâchés  dans  la  morale;  qui 
avez  exagéré  à  l'Eglise  vos.  infirmités»  corpo- 
relles, et  caché  l'iniquité  de  votre  cœur, 
tremblez;  Dieu  à  qui  les  soins  excessifs  do 
votre  corps  n'étaient  point  cachés,  punira 
avec  sévérité  vos  coupables  infractions.  Ces 
jeûnes,  ces  abstinences  dont  vous  vous  dis- 
pensez si  aisément,  seront  mis,  par  ce  juge 
redoutable  au  rang  des  crimes  (pie  vous  avez 
commis.  Il  en  jugera  bien  autrement  que 
tous  les  juges  que  vous  consultez  sur  la 
terre  :  le  relâchement,  la  complaisance,  l'i- 
gnorance de  votre  situation,  la  bonne  foi, 
la  surprise  peuvent  leur  faire  porter  des  ju- 
gements faux.  Rien  ne  peut  en  imposer  à 
celui  qui  sonde  les  abîmes  du  cœur  humain. 

Ah  1  Seigneur,  puisqu'il  s'agit  d'une  loi 
solennelle  de  l'Eglise,  à  laquelle  vous  me 
commandez  d'être  soumis,  et  dont  vous  vou- 
lez que  j'écoute  les  oracles,  sous  peine  d'être 


5C9 


INSTRUCTION  SLR  LA  PENITENCE  DU  CAREME.  —  CHAP.  XXV 


ilO 


n.iis  au  rang  des  païens  et  des  publicaîns. 
C'est  devant  vous,  ô  mon  Dieu,  que  j'exa- 
minerai mes  infirmités  pour  décider  si  elles 
sont  suffisantes  pour  me  dispenser  de -la  pé- 
nitence ducarême.  Je  préviendrai  votre  juge- 
ment, je  me  jugerai  moi-même  avec  la  sainte 
rigueur  du  christianisme,  afin  de  ne  pas  être 
confondu  et  condamné  à  votre  tribunal  après 
ma  mort. 

CHAPITRE  XXV. 

La  méditation  des  peines  de  l'enfer,  doit 
porter  (es  chrétiens  à  embrasser  avec  ioie 
la  sainte  pénitence  du  carême. 

Les  incrédules  et  les  libertins  ont  beau 
traiter  de  fable  l'existence  d'un  lieu  de  sup- 
plices éternels  au  delà  du  tombeau,  où  les 
coupables  morts  dans  l'impénitence  seront 
brûlés,  sans  être  détruits,  dans  les  feux  ven- 
geurs que  la  puissance  divine  a  allumés  et 
préparés  dès  la  naissance  du  monde.  La  vé- 
rité de  l'enfer  n'en  sera  pas  moins  incontes- 
table :  elle  fait  un  dogme  de  notre  foi,  qui  a 
été  établi  avec  la  religion,  embrassé  par  tous 
les  savants  qui  se  sont  soumis  à  l'Evangile. 
11  faut  fermer  les  yeux  à  l'idée  que  nous  pré- 
sente l'existence  d'un  être  suprême,  infi- 
niment juste,  pour  ne  pas  admettre  des 
récompenses  et  des  punitions  dans  la  vie 
future. 

Tant  de  pécheurs  dont  les  crimes  sont  im- 
punis dans  cette  vie;  tant  de  justes  affligés 
et  persécutés  nous  prouvent  cette  séparation 
marquée  dans  l'Evangile,  de  la  paille  et  du 
froment,  des  méchants  et  des  bons,  des  élus 
et  des  réprouvés.  Ils  ne  seront  séparés  que 
pour  aller  en  différents  lieux  :  les  bons  dans 
le  ciel,  pour  y  régner  éternellement  avec 
Dieu;  les  méchants  dans  l'enfer,  pour  y  souf- 
frir des  supplices  éternels  :  Ibunt  là  in  sup- 
plicium  œternum,  justi  autem  in  vildm  œter- 
nam.  {Matth.,  XXV.)  Jésus-Christ  établit  la 
vérité  de  l'enfer  dans  son  Evangile;  Jésus- 
Christ  nous  apprend  à  redouter  l'enfer. 

Que  ce  qui  est  dit  du  mauvais  riche  soit 
une  histoire,  ou  une  simple  parabole  ;  ce 
divin  Sauveur  a  toujours  voulu  nous  ins- 
truire. Or,  il  nous  représente  ce  malheureux 
après  sa  mort,  tourmenté  et  souffrant  dans 
des  flammes  ardentes.  (  Luc,  XVI.  )  Le  genre 
de  son  supplice,  la  durée  de  son  supplice, 
l'inutilité  de  ses  regrets  et  de  ses  désirs,  tout 
est  clairement  marqué. 

Quand  ce  divin  Sauveur  annonce  toutes 
les  circonstances  de  son  dernier  supplice, 
qu'il  parle  de  cette  scène  saisissante  qui 
doit  terminer  celle  du  monde,  de  la  sentence 
décisive  qu'il  prononcera  contre  les  pécheurs, 
et  où  par  conséquent  il  n'est  pas  question 
de  parabole,  de  figure,  il  assure  qu'il  en- 
verra les  méchants  brûler  dans  un  feu  éter- 
nel. {Matth.,  XXV.) 

Quand  il  nous  dit  :  Ne  vous  laissez  pas 
intimider  par  les  menaces  ni  amollir  par  les 
caresses  du  monde  ;  ne  redoutez  pas  ceux 
qui  n'ont  du  pouvoir  que  sur  le  corps,  et 
qui  peuvent  le  détruire  par  des  supplices 
passagers;  mais  redoutez  un  Dieu  outragé 
par  le  péché,  et.  qui  peut  tout  à  la  fois  pré- 


cipiter l'âme  et  le  corps  dans  des  supplices 
éternels.  {Matth. ,X.)  N'est-ce  pas  en  établis- 
sant la  vérité  d'un  enfer,  nous  apprendre  à 
le  craindre? 

Ah  1  chrétiens,  si  ces  paroles  :  Faites  pé- 
nitence {Matth.,  IV) ,  vous  révoltent;  pour- 
quoi celles-ci  :  Allez  ,  maudits,  aux  feux 
éternels  (Matth.,  XXV),  ne  vous  font-elles 
pas  trembler  ? 

11  y  a  des  feux  vengeurs  allumés,  un  enfer 
creusé  pour  punir  pendant  l'immense  éten- 
due de  l'éternité  ceux  qui  ne  font  point  pé- 
nitence après  le  péché. 

Etes-vous  sans  péché?  n'avez-vous  pas  d'i- 
niquités à  expier  ?  pourquoi  donc  ne  voulez- 
vous  pas  entendre  parler  de  pénitence?  pour- 
quoi celle  que  l'Eglise  vous  impose  dans  la 
sainte  quarantaine,  vous  effraye-t-elle? 

Ah  !  c'est  à  vous  que  je  parle,  chrétiens 
délicats,  infracteurs.  Les  jeûnes,  les  absti- 
nences, les  privations  de  ce  saint  temps  vous 
gênent  trop,  mortifient  trop  votre  sensualité: 
mais  comment  ferez-vous  donc,  lorsque  vous 
serez  plongé  dans  ces  feux  vengeurs,  et  que 
votre  habitation  sera  dans  des  ardeurs  éter- 
nelles? Quis  poterit  habitare  de  vobis,  cum 
iijne  dévorante,...  cum  ardoribus  sempiter- 
nis?  {Isa.,  XXXHI).  L'infraction  volontaire  de 
la  pénitence  du  carême  souille  votre  âme, 
lui  donne  la  mort,  et  par  conséquent  métito 
cet  enfer  si  certain  et  si  redoutable. 

Ah!  si  vous  méditiez  les  peines  de  l'enfer 
avec  un  esprit  de  foi,  dit  saint  Augustin 
(in  Epist.  Joan.,  tract,  3,  n.  12),  vous  n'ap- 
préhenderiez plus  les  peines  de  cette  vie. 
Tout  ce  qui  mortifie  la  chair  et  l'esprit  ne 
vous  révolterait  plus  ;  les  menaces  du  Tout- 
Puissant,  les  châtiments  qui  suivent  l'infrac- 
tion de  ces  saintes  lois,  feraient  disparaître 
toutes  ces  frayeurs  et  ces  alarmes  pour  tes 
mortifications!  Aimez  les  récompenses  que 
le  Tout-Puissant  vous  promet,  redoutez  les 
menaces  qu'il  fait;  et  rien  ne  vous  paraîtra 
plus  amer,  ni  difficile. 

Faut-il,  direz-vous,  par  la  seule  crainte 
d'altérer  une  santé,  de  causer  quelque  dé- 
chet à  l'embonpoint  d'un  corps  de  péché, 
violer  une  loi  solennellement  intimée? 
Sont-ce  les  infirmités  qui  pourront  surve- 
nir, ou  celles  que  j'ai  déjà,  qui  me  dispen- 
sent de  la  pénitence  du  carême?  Et  si  je  puis 
l'observer,  ne  dois-je  pas  craindre  les  sup- 
plices de  l'autre  vie,  pour  ne  pas  avoir  pra- 
tiqué  quelques  mortifications    passagères  ? 

Que  tous  les  chrétiens  qui  ne  sont  pas 
soumis  aux  maux  de  cette  vie,  qui  vou- 
draient des  jours  heureux,  tranquilles*  et 
que  rien  ne  troublât  leurs  plaisirs,  ne  gênât 
leurs  inclinations  et  ne  mortifiât  leur  déli- 
catesse, méditent  les  peines  éternelles  de 
l'enfer,  dit  saint  Augustin  {De  Urbis  exord., 
cap.  k,  n.  h)  :  Unusquisque  Chris tianus  ge- 
hennas  coçjitet  ;  et  alors  ils  trouveront  la 
pénitence  que  Dieu  leur  impose  bien  légère. 
*  Que  ces  chrétiens  délicats,  audacieux  qui 
se  proposent  avant  même  la  quarantaine,  de 
n'observer  ni  les  jeûnes  ni  les  abstinences  ; 
qui  se  tracent  pour  tout  ce  temps-là  un  plan 
de  vie  contraire   à  celui  que   l'Eglise  qoiis 


511 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


;ii 


trace  dans  sa  loi  ;  qui  méprisent  son  pré- 
cepte ;  que  ceux  qui  sans  raison  légitime  et 
de  leur  propre  autorité,  n'observent  que 
certains  jours  qu'il  leur  plaît  d'assigner,  re- 
tranchent par  l'ordre  qu'ils  donnent  dans 
leur  famille,  la  moitié  de  la  pénitence  du 
carême  ;  comme  si  le  respect  qu'ils  montrent 
en  apparence  pour  certains  jours,  empêchait 
qu'ils  ne  fussent  coupables  de  toute  la  trans- 
gression de  la  loi.  Que  tous  ces  chrétiens 
infracteurs  méditent  les  peines  de  l'enfer  : 
Unusquisque  Christianus  gehennas  cogitet  ; 
et  ils  verront  s'ils  ont  raison  de  négliger  de 
faire  pénitence  dans  ces  jours  de  salut,  de 
s'alarmer,  de  s'effrayer  des  jeûnes  et  des 
abstinences  ordonnés  par  l'Eglise. 

Ah  !  mon  Dieu  !  l'enfer  que  vous  avez 
creusé  dans  votrecolère  pour  punir  le  péché, 
me  d.t  de  faire  une  rigoureuse  pénitence  |de 
mes  fautes  avant  ma  mort,  si  je  veux  évi- 
ter d'y  faire  pénitence  inutilement  pendant 
toute  l'éternité.  Comment  pourrais-je  donc 
refuser  de  me  soumettre  à  celle  que  l'Eglise 
m'impose,  et  ajouter  une  coupable  préva- 
rication a  tant  de  péchés  qui  ont  mérité  l'en- 
fer? Non,  mon  Dieu,  je  la  pratiquerai  cette 
pénitence,  afin  qu'elle  m'obtienne  la  grâce 
de  ma  conversion  et  la  rémission  de  mes 
\  échés. 

CHAPITRE  XXVI. 

La  méditation  des  peines  du  purgatoire  doit 
porter  les  chrétiens  àpratiquer  avec  ferveur 
(a  pénitence  du  carême. 

Le  purgatoire  est  un  lieu  où  les  âmes  des 
justes  sorties  de  cette  vie  achèvent  de  se 
purifier,  et  expient  par  des  souffrances  tem- 
porelles, les  fautes  légères  dont  elles  étaient 
coupables  lorsqu'elles  wnt  été  séparées  de 
leurs  corps. 

Avant  de  faire  les  réflexions  que  je  me 
propose  sur  les  rigueurs  que  la  justice  di- 
vine exerce  sur  ces  justes,  encore  souillés 
de  quelque  tache  pour  porter  les  chrétiens 
à  ne  point  s'épargner,  lorsqu'il  s'agit  de  la 
pénitence  ;  j'examine  d'une  manière  abrégée, 
1°  La  vérité  du  purgatoire;  2°  qui  sont  ceux 
qmysont  condamnes  après  leur  mort;  3°  les 
peines  qu'ils  y  souffrent;  car  il  y  a  un  lieu 
de  pénitence  salutaire  au  delà  du  tombeau; 
il  y  a  des  saints  qui  font  encore  pénitence 
au  delà  du  tombeau;  on  ne  redoute  pas  as- 
sez la  pénitence  que  la  justice  divine  impose 
au  delà  du  tombeau.  Or,  je  soutiens  que 
toutes  ces  vérités-  approfondies,  méditées, 
nous  animeraient  à  nous  punir  nous-mêmes, 
sous  le  règne  de  la  miséricorde  et  nous  feraient 
trouver  des  douceurs  dans  la  pénitence  la 
plus  austère. 

1"  Il  y  a  un  lieu  de  pénitence  au  delà  du 
tombeau  ;  en  vain  l'hérétique  et  l'incrédule 
contestent-ils  ce  dogme  de  notre  foi,  l'Eglise 
l'a  décidé  dans  tous  les  siècles;  ils  ont  contre 
eux,  sur  cette  erreur  aussi  bien  que  sur  les 
autres,  la  créance  de  la  plus  vénérable  anti- 
quité, tous  les  conciles,  tous  les  saints  Pères, 
la  pratique  de  tous  les  temps. 

Les  livres  de  l'Ancien  Testament,  où  la 
prière  et  les  sacrifices  pour  les  morts  sont 


recommandés ,  sont  déclarés  canoniques 
par  l'Eglise;  et  ils  ne  perdent  rien  de  leur 
autorité,  pour  être  rejetés  par  Calvin.  La 
vie,  la  doctrine,  les  variations  de  cet  héré- 
siarque prouvent  bien  qu'il  n'était  ni  suscité 
de  Dieu,  ni  assisté  de  I  Esprit-Saint. 

Dans  les  plus  anciennes  liturgies,  on  y 
trouve  des  prières  pour  les  morts.  On  voit 
dans  tout  l'Orient  les  solitaires  chanter  des 
psaumes,  faire  des  prières,  offrir  des  sacri- 
lices  pour  les  âmes  des  compagnons  de  leur 
pénitence.  On  voit  dans  les  écrits  des  saints 
docteurs,  et  surtout  dans  saint  Cyprien, 
qu'excepté  les  enfants  morts  aussitôt  après 
le  baptême,  et  les  martyrs  qui  avaient  répand  u 
leur  sang  pour  la  doctrine  de  Jésus-Christ, 
l'Eglise  était  persuadée  que  tous  les  justes 
pouvaient  encore  avoir  quelques  fautes 
a  expier  après  leur  mort;  ce  qui  "ne  se 
peut  pas  dans  l'enfer,  où  il  n'y  a  aucun  mé- 
rite dans  les  souffrances  ;  ni  dans  le  paradis, 
où  rien  d'impur  ne  peut  entrer. 

Saint  Augustin  est  aussi  décisif  sur  ce 
point  de  notre  créance  ;  il  l'établit  solidement 
dans  un  ouvrage  où  il  enseigne  la  manière 
d'être  utile  à  nos  frères  défunts,  etl'effL-aeité 
des  suffrages  de  l'Eglise. 

Sa  mère,  sainte  Monique,  cette  veuve  qui 
avait  coulé  ses  jours  dans  la  pénitence,  doi.t 
les  prières  et  les  larmes  ont  donné  à  l'Église 
un  de  ses  pi  us  grands  docteurs  qui  sur  la  lin 
de  sa  vie  était  comme  consumée  dans  les 
flammes  de  l'amour  divin,  et  avait  des  avant- 
goûts  ineffables  de  la  félicité  éternelle,  ne  se 
regardait  pas  encore  comme  assez  pure  pour 
jouir  (ie  Dieu  aussitôt  après  sa  mort  ;  elle 
s'attendait  à  aller  se  purifier  dans  le  purga- 
toire ;  c'est  pourquoi  elle  prie  son  fils  et  tous 
les  prêtres,  de  se  ressouvenir  d'elle  à  l'autel 
lorsqu'ils  offriront  la  victime  sainte. 

Mais,  sans  toutes  ces  preuves,  et  sans  avoir 
recours  àiune  controverse  inutile  dans  cet 
ouvrage  de  piété,  il  suffit  aux  catholiques  que 
l'Eglise  ait  décidé  et  donné  à  ses  enfants, 
comme  un  dogme  dans  ses  conciles,  l'exis- 
tence d'un  purgatoire  :  or,  c'est  ce  qu'elle  a 
fait. 

C'est  donc  à  vous,  chrétiens,  de  tirer  une 
conséquence  de  cette  vérité  :  il  y  a  un  lieu 
où,  pour  des  fautes  légères,  de  simples  traces 
du  péché,  un  ménagement  dans  la  pénitence 
qu'on  fait  sur  la  terre,  des  justes  souffrent 
longtemps  sous  le  domaine  de  la  justice  di- 
vine. Que  devons-nous  penser  des  chrétiens 
qui  craignent  de  se  trop  mortifier  en  prati- 
quant la  pénitence  du  carême? 

2°  Qui  sont  ceux  qui  souffrent  dans  le  pur- 
gatoire? Ce  sont  des  justes,  des  saints,  des 
élus,  des  amis  de  Dieu  dont  le  sort  bienheu- 
reux n'est  tpie  différé,  qui  sont  certains  d'ob- 
tenir la  couronne  immortelle  qu'ils  voient 
suspendue  sur  leur  tête  ;  des  pierres  pré- 
cieuses, choisies  et  destinées  pour  entrer 
dans  la  céleste  Jérusalem;  des  vainqueurs 
de  la  chair,  du  monde  et  du  démon;  des  per- 
sonnes dont  l'innocence  des  mœurs  ou  l'aus- 
térité de  la  pénitence  ont  mérité  l'admiration 
et  les  éloges  de  tous  ceux  qui  les  ont  vus. 

Quoique  l'Eglise  prie  jour  tous  cen  q'.ti 


513 


INSTRUCTION  SUR  LA  PENITENCE  DU  CAREME.  —  CHAP.  XXVII. 


Eli 


sont  morts  dans  son  sein,  il  ne  faut  pas  croire 
pour  cela  que  le  nombre  de  ceux-qui  vont 
dans  le  purgatoire  excède  celui  qui  marche 
dans  la  voie  étroite  qui  conduit  au  ciel,  et 
dont  le  Sauveur  a  dit  avec  une  espèce  d'ex- 
clamation :  Que  le  nombre  est  petit!  Quam 
pauci !  (Matth.,  VII.)  Comme  les  peines  du 
purgatoire  sont  temporelles;  que  ce  lieu  de 
pénitence  au  delà  du  tombeau  ne  subsistera 
plus  après  la  destruction  de  ce  monde  visi- 
ble, et  qu'il  n'y  aura  plus  que  les  deux  éter- 
nités, le  paradis  et  l'enfer,  les  âmes  qui  au- 
ront achevé  de  se  purifier  dans  le  purgatoire 
entreront  dans  le  ciel,  et  formeront  ce  petit 
troupeau  d'élus  dont  Jésus-Christ  parle  sou- 
vent et  clairement  dans  son  Evangile. 

Ainsi,  soit  en  parlant  du  ciel,  soit  en  par- 
lant du  purgatoire,  nous  pouvons  dire  et 
parler  exacte'ment  :  Seigneur,  qu'il  y  en  a 
peu  qui  marchent  avec  persévérance  et  avec 
succès  dans  la  route  qui  conduit  au  bonheur 
éternel,  soit  aussitôt  après  la  mort,  soit  après 
les  peines  que  l'on  souffre  dans  le  lieu  de 
pénitence  que  votre  justice  a  établi  au  delà 
du  tombeau  !  Quam  pauci! 

Ainsi,  chrétiens,  pour  vous  animer  à  la 
pénitence,  considérez  deux  sortes  de  per- 
sonnes dans  le  purgatoire  :  des  justes  et  des 
[  écheurs  pénitents,  des  justes  qui  expient 
des  fautes  légères  échappées  à  la  fragilité 
humaine,  des  pécheurs  qui  ont  prié,  pleuré, 
jeûné,  mortifié  leur  chair  :  les  premiers  souf- 
frent pour  purifier  leurs  âmes  des  taches 
qu'elles  ont  contractées  dans  le  commerce 
Ou  monde;  les  seconds  souffrent  pour  n'a- 
voir pas  fait  entrer  dans  leur  pénitence  tou- 
tes les  rigueurs  dont  ils  étaient  capables. 

Or,  ces  vérités  établies,  et  dont  vous  ne 
devez  point  douter  si  vous  croyez  ce  que 
croit  l'Eglise,  quel  est  votre  aveuglement, 
chrétiens  délicats,  qui  vous  dispensez  si  aisé- 
ment de  la  pénitence  du  carême ?# 

Vous  croyez  un  lieu  de  pénitence  établi 
au  delà  du  tombeau  pour  expier  les  fautes 
les  plus  légères;  et  vous,  coupables  de  tant 
de  péchés  mortels,  souillés  par  tant  d'ini- 
quités, vous  ne  voulez  pas  vous  soumettre 
à  une  pénitence  douce,  aisée,  à  des  mortifi- 
cations où  n  n'entre  aucune  rigueur! 

Vous  croyez  que  la  pénitence  des  pécheurs 
convertis  qui  n'aura  pas  été  assez  rigou- 
reuse pour  satisfaire  à  la  justice  divine,  où 
il  sera  entré  quelque  ménagement  ou  qui 
n'aura  pas  été  assez  longue,  sera  perfection- 
née au  delà  du  tombeau  sous  le  domaine  de 
la  justice  de  Dceu,  et  vous  êtes  effrayés  des 
jeûnes  et  des  abstinences  que  l'Eglise  vous 
impose  ! 

Ah  !  à  quelles  rigueurs  ne  vous  exposez- 
vous  pas  après  votre  mort!  Est-il  donc  plus 
aisé  d'expier  ses  péchés  sous  le  règne  d'une 
rigoureuse  justice  que  sous  le  règne  d'une 
tendre  miséricorde?  Ce  que  soutirent  ces 
âmes  qui  achèvent  de  se  purifier  après  être 
sorties  de  cette  vie  est  incompréhensible. 
11  y  a  une  grande  différence  entre  se  punir 
soi-même  ou  être  puni  par  un  Dieu  tout- 
puissant. 
S'il  effraye  l'univers,  quand  il  fait  éclater 


sa  colère  sur  des  coupables  mortels,  dans  le 
temps  même  de  sa  miséricorde,  combien  est- 
il  terrible  quand  il  punit,  lorsque  sa  justice 
seule  agit  et  se  venge? 

La  charité  et  l'espérance  soumettent  les 
pénitents  du  purgatoire  aux  souffrances  qui 
les  purifient,  et  voilà  ce  qui  distingue  ces 
justes  des  réprouvés;  mais  leur  pénitence 
n'en  est  pas  moins  rigoureuse;  leur  amour 
et  leur  espoir  augmentent  leurs  supplices; 
l'amour  est  un  poids  qui  les  entraîne  vers  le 
Dieu  qu'elles  aiment,  et  qui  les  repousse; 
un  bonheur  différé  afflige  des  âmes  qui 
doivent  l'obtenir ,  et  qui  en  connaissent  ie 
prix. 

Si  l'on  méditait  sérieusement  ces  vérités 
de  la  foi,  au  lieu  de  violer  la  sainte  pénitence 
du  carême,  on  se  mettrait  à  la  place  de  Dieu, 
puisque  sa  bonté  le  veut  bien,  on  pleurerait, 
on  jeûnerait;  on  s'exciterait  à  la  douleur  la 
plus  vive,  la  plus  étendue;  on  expierait  sur 
la  chair  criminelle  ses  péchés,  et  ferait  en- 
trer dans  sa  pénitence  toutes  les  rigueurs 
dont  on  est  capable;  persuadé  qu'il  est  plus 
doux  de  foire  pénitence  pendant  cette  vie 
que  dans  l'autre 

CHAPITRE    XXVII. 

La  méditation  du  paradis  doit  porter  les 
chrétiens  à  ne  point  se  dispenser  de  la  pé- 
nitence du  carême. 

Qu'est-ce  que  le  paradis?  Ne  nous  arrêtons 
pas  à  toutes  les  peintures  magnifiques  et  ra- 
vissantes que  l'Ecriture  nous  fait  de  la  gloire 
éternelle  préparée  aux  élus;  elles  sont  à  la 
portée  de  l'esprit  humain;  elles  nous  repré- 
sentent des  objets  que  nous  pouvons  saisir, 
qui  nous  ravissent  et  nous  (Sonnent  une  lé- 
gère idée  du  souverain  bonheur  que  nous 
espérons,  et  qui  est  préparé  à  notre  fidélité; 
mais  tous  ces  différents  emblèmes  qui  nous 
représentent  le  paradis  comme  un  royaume, 
une  couronne,  une  pierre  précieuse,  ïin  lieu 
de  délices,  un  séjour  de  repos,  de  lunvère, 
de  gloire,  ne  nous  définissent  pas  encore  io 
paradis  tel  que  la  foi  doit  le  concevoir,  et 
tel  que  Dieu  l'a  défini  lui-même  en  peu  de 
mots  à  son  serviteur  Abraham,  lorsqu'il  lui 
dit  :  Je  serai  moi-même  la  récompense 
ineffable  de  votre  foi,  de  votre  détachement, 
de  votre  obéissance  :  Ego  merees  tua  magna 
nimis.  (Gènes.,  XV.) 

Le  paradis  ,  c'est  Dieu  ;  la  félicité  des 
saints,  c'est  la  possession  de  Dieu;  ils  jouis- 
sent de  tous  les  biens  réels ,  parce  qu'ils 
jouissent  de  Dieu,  ils  n'ont  plus  rien  à  dési- 
rer, parce  qu'ils  possèdent  Dieu  ;  rien  ne 
peut  ni  partager,  ni  altérer  leur  bonheur, 
parce  que  rien  ne  peut  les  séparer  (ie  Dieu  ; 
leur  félicité  est  réelle,  parfaite,  éternelle, 
parce  que  Dieu  en  est  le  seul  principe.  Sans 
concevoir  donc  aucune  enceinte,  aucun  es- 
pace terrestre,  ni  rien  des  délices,  des  ri- 
chesses, des  beautés  de  ce  bas  monde,  je  dis 
que  là  où  Dieu  se  fait  voir  tel  qu'il  est  à  ses 
élus,  là  est  le  paradis,  parce  qu'alors  les  élus 
le  voient  sans  énigmes,  sans  nuages  ;  parce 
que  tous  les  voiles  qui  le  cachent  aux  mer- 


si: 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


810 


tels  sont  levés,  toutes  les  saintes  obscurités 
qui  l'enveloppent  sont  dissipées;  ils  sont  in- 
vestis des  clartés  divines,  embrasés  d'un  feu 
divin-,  perpétuellement  ravis  par  le  specta- 
cle des  perfections  de  l'Etre  suprême. 

Mais  cette  félicité  ineffable  que  nous  espé- 
rons et  qui  est  promise  solennellement  aux 
cbréticns  fidèles,  à  quelles  conditions  nous 
est-elle  promise?  Lisez  l'Evangile  :  àcondi- 
ditiou  que  nous  serons  sur  la  terre  des  hom- 
mes de  larmes,  de  gémissements,  de  soupirs, 
de  prières,  de  mortifications,  d'abnégation, 
de  crucifiement,  c'est-à-dire  des  hommes  de 
pénitence. 

Oui,  le  ciel  nous  prêche  la  pénitence,  il 
faut  une  pénitence  de  précaution  pour  ne  le 
point  perdre:  il  faut  une  pénitence  d'expia- 
tion pour  nous  l'ouvrir  après  que  nos  péchés 
nous  l'ont  fermé;  ceux  qui  y  sont  entrés  avec 
leur  innocence  ne  l'ont  conservé  dans  les 
dangers  du  monde  que  par  la  retraite,  la 
prière,  la  vigilance,  la  mortification  et  les 
saintes  rigueurs  qu'ils  exerçaient  sur  leur 
chair,  dès  qu'elle  voulait  se  soulever.  Ils  dé- 
robaient à  leur  corps  tout  ce  qui  pouvait  ser- 
vir d'aliment  à  ses  penchants  déréglés,  afin 
de  conserver  leur  âme  pure  et  sans  tache. 
Ceux  qui  y  sont  entrés  après  le  péché,  n'y 
60nl  parvenus  que  par  les  pleurs,  la  douleur, 
le  déchirement  du  cœur,  les  jeûnes,  les  veil- 
les, les  macérations,  qu'après  avoir  fait  ser- 
vira la  justice  tout  ce  qui  avait  servi  à  l'ini- 
quité, et  s'être  armés  contre  eux-mêmes, 
pour  désarmer  le  bras  vengeur  qui  les  pour- 
suivait. 

Méditez  ces  vérités,  chrétiens  délicats,  ido- 
lâtres de  votre  santé,  indulgents  pour  un  cerps 
de  pécbé;  il  faut  pour  entrer  dans  le  ciel,  y 
porter  une  innocence  conservée  ou  recou- 
vrée. On  la  perd  dès  qu'on  ne  réduit  pas  son 
corps  en  servitude.  On  ne  la  recouvre  pas 
après  l'avoir  perdue,  sans  beaucoup  de  pleurs 
et  de  mortifications. 

Jésus-Christ  dit  :  Faites  des  efforts  pour 
entrer  dans  le  ciel,  et  vous  ne  voulez  pas 
vous  gêner,  veus  mortifier;  la  pénitence  du 
carême  vous  révolte.  11  dit  que  le  royaume 
de  Dieu  soulfre  violence,  qu'il  faut  se  la  faire 
continuellement  pour  en  faire  la  conquête, 
et  vous  êtes  des  lâches  qui  ne  voulez  pas 
seulement  essayer  des  jeûnes  et  des  absti- 
nences ordonnées  par  l'iïglise.  11  dit  que 
l'âme  est  plus  que  le  corps,  et  vous  négligez 
et  laissez  périr  ce  qui  est  immortel  pour 
délicater  et  conserver  ce  qui  périt.  Saint  Paul 
traitait  rudement  sa  chair  de  crainte  d'être 
réprouvé,  et  vous  vous  la  délicatez  aux  dé- 
pens du  salut  de  votre  âme  ;  nous  devons  gé- 
mir comme  des  étrangers  sur  la  terre,  si  nous 
voulons  nous  réjouir  cninmo  citoyens  dans 
le  ciel:  nos  pleurs  ne  doivent  être  essuyées 
qu'en  sortant  de  notre  exil,  et  vous  voulez 
vous  réjouir  avec  le  monde.  Peu  en  peine  de 
ce  changement  de  scène  qui  se  fait  à  la  mort, 
où  la  joie  est  changée  en  tristesse  et  la  tris- 
tesse en  joie,  selon  l'Evangile;  quel  est  votre 
aveuglement! 

Jésus-Christ,   notre   chef,   nous  propose 
t/ois  choses,  dit  saint  Bernard  (De  divers!*, 


scrm.68),  pour  entier  avec  lui  dans  la  gloire: 
Tria  proposuil  Cliristus.  En  vain  nous  liât- 
tous-nous  d'obtenir  le  ciel,  d'être  heureux 
au  delà  du  tombeau  si  nous  ne  les  pratiquons 
pas;  l'abnégation  de  nous-mêmes,  l'humilité 
et  la  pénitence  :  Servilutem,  vilitalem,  aspe- 
ritatem. 

Ces  trois  traits  qui  doivent  caractériser  la 
vie  des  disciples  du  Sauveur,  sont  claire- 
ment marqués  dans  cet  oracle  de  l'Homme- 
Dieu  :  Si  quelqu'un  veut  régner  avec  moi  dans 
mon  royaume,  qu'il  renonce  à  lui-même,  qu'il 
porte  sa  croix  et  qu'il  me  suive.  (Luc,  IX.) 

Renoncer  à  soi-même  pour  s'attacher  à 
Dieu;  renoncer  à  la  sagesse  orgueilleuse  du 
monde  pour  se-soumettre  à  la  sainte  folie  de 
la  croix;  mener  une  vie  pénitente  et  cruci- 
fiée pour  imiter  Jésus-Christ  clans  ses  souf- 
frances, trois  obligations  indispensables  pour 
nrôriter  d'entrer  dans  le  paradis  après  sa  mort. 

Or  les  infraetcurs  de  la  loi  de  l'Eglise  les 
remplissent-ils  ces  obligations  indispensa- 
bles du  chrétien?  Ces  hommes  idolâtres  de 
leur  corps,  qui  en  craignent  la  moindre  alté- 
ration, le  moindre  déchet  lorsqu'il  s'agit  de 
pénitence,  qui  écoutent  ses  désirs,  sa  déli- 
catesse, et  qui  se  font  un  devoir,  non-seule- 
ment de  le  nourrir,  mais  de  l'engraisser.  Ces 
hommes  que  la  croix  effraye,  et  qui  se  conten- 
tent de  fléchir  le  genoux  devant  elle  à  la  fin 
du  carême,  comme  si  c'était  participer  aut 
souffrances  de  Jésus-Christ,  que  d'imiter  ses 
ennemis  qui  le  saluaient.  Ces  hommes  dont 
la  vie  est  molle,  sensuelle,  plus  occupés  à  se 
procurer  de  nouveaux  plaisirs  qu'à  punir 
ceux  qui  souillent  leur  âme  depuis  si  long- 
temps. 

Ah  I  en  vain  croit-on  un  paradis  :  en  vain 
l'espère-t-on,  si  l'on  ne  marche  pas  dans  la 
roule  pénible  qui  y  conduit.  Le  ciel  prêôhe 
la  pénitence,  et  Jésus-Christ  ne  l'a  pas  an- 
noncée, sans  annoncer  en  même  temps  la 
nécessite»  de  la  pénitence  :  Pœnitentiam 
agite  quia  apprepinquavit  regnum  ccelorum. 
(Mallh.,  IV.) 

CHAPITRE  XXVIII. 

Les  sentiments  des  Pères  assembles  dans  les 
.      conciles,  sur  la  pénitence  du  carême. 

L'Eglise  dispersée  ou  assemblée  est  tou- 
jours l'Epouse  fidèle  de  Jésus-Christ,  qu'il 
a  revêtu  de  sa  divine  autorité  pour  enseigner 
les  fidèles  :  il  ne  l'a  pas  rendue  infaillible 
pour  un  temps  seulement,  puisqu'il  a  dit 
qu'il  serait  avec  elle  jusqu'à  la  consommation 
des  siècles  :  il  ne  l'a  pas  resserrée  dans  un 
coin  du  monde,  puisqu'il  lui  a  dit  d'instruire 
et  de  baptiser  toutes  les  nations  :  il  ne  lui  a 
pas  dit  qu'il  fallait  absolument  qu'elle  fût 
assemblée  pour  défendre  la  vérité  ou  pros- 
crire l'erreur,  puisqu'il  dis;  erse  les  apôtres, 
et  les  envoie  dans  les  différents  royaumes, 
sans  cesser  d'être  avec  eux.  11  n'a  pas  dit 
qu'elle  souffrirait  des  obscurcissements  qui 
la  feraient  méconnaître,  puisqu'il  la  repré- 
sente comme  une  brillante  lumière  placée 
sur  une  haute  montagne  qui  éclairerait  tous 
les  peuples  :  il  n'a  pas  dit  qu'elle  languirait 


sr 


INSTRUCTION  SLR  LA  TEMTENCE  DL  CAREME.  —  CIÎAP.  XXIX. 


518 


dans  une  veillasse  méprisable  qui  lui  ferait 
adopter  des  nouveautés  profanes,  et  aban- 
donner la  foi  que  son  divin  Epoux  lui  a  con- 
fiée, puisque  jusqu'à  la  consommation  des 
siècles  sans  excepter  un  seul  jour,  il  a  pro- 
mis d'être  avec  elle,  et  de  se  plaire  avec 
elle. 

Enfin,  il  n'a  pas  prétendu  excuser  ceux 
qui  fermeraient  les  yeux  à  l'éclat  de  cette 
lumière,  qui  résisteraient  aux  décisions  de 
ce  tribunal  toujours  subsistant,  qui  viole- 
raient ses  lois,  puisqu'il  met  au  nombre  des 
publicains  et  des  païens  ceux  qui  n'écoutent 
pas  l'Eglise,  et  qu'il  proteste  que  mépriser 
cette  autorité  infaillible  qu'il  a  établie  pour 
nous  conduire,  c'est  le  mépriser  lui-même, 
et  le  Père  céleste  qui  l'a  envoyé. 

Or,  toutes  ces  vérités  de  foi  établies  dans 
l'Evangile  condamnent  nos  frères  séparés 
qui  font  finir  la  fidélité  et  la  beauté  de  l'E- 
glise avec  le  troisième  siècle  ;  qui  lui  attri- 
buent un  déchet  dans  la  pureté  de  la  doctrine 
et  de  la  morale,  qui  la  séparent  de  son  Epoux, 
qui  entreprennent  audacieusement  d'élever 
une  nouvelle  Eglise  sur  l'édifice  inébranla- 
ble que  Jésus-Christ  a  posé  lui-même,  et  de 
renverser  la  colonne  de  la  vérité  avec  les 
armes  du  mensonge. 

Au  reste,  tous  les  hérétiques  n'ont  pas  plus 
respecté  l'Église  assemblée  que  l'Eglise  dis- 
persée ;  ce  sont  les  catholiques  soumis  qui 
la  respectent,  soit  qu'elle  décide  sans  con- 
cile, soit  qu'elle  décide  dans  un  concile. 

Or,  c'est  aux  infracteurs  de  la  pénitence 
du  carême  que  j'oppose  les  oracles,  les 
exhortations  et  les  menaces  que  cette  Epouse 
du  Sauveur  a  prononcés  dans  les  saintes 
assemblées  que  la  nécessité,  la  protection 
des  souverains,  les  circonstances  des  temps 
lui  ont  fait  convoquer. i 

Ecoutez,  chrétiens  délicats,  ce  que  les  Pères 
assemblés  dans  les  conciles  ont  dit  de  la 
pénitence  du  carême,  ce  qu'ils  ont  pensé 
des  infractions  que  vous  ne  voulez  pas 
mettre  au  rang  des  péchés  qui  donnent  la 
mort  à  votre  âme. 

Tantôt  ils  décident  que  ceux  qui  rompent 
le  jeûne  ou  l'abstinence  du  carême  sans  une 
extrême  nécessité,  sans  un  danger  évident 
de  la  santé,  ne  peuvent  point  participer  aux 
grâces  de  la  mort  et  de  la  résurrection  de 
Jésus-Christ,  et  ne  doivent  pas  être  admis 
à  la  communion  dans  le  temps  pascal  (54-). 

Tantôt  ils  prononcent  que  dans  ce  temps 
de  jeûne  et  d'abstinence,  les  chrétiens  doi- 
vent pratiquer  une  pénitence  qui  s'étende  sur 
tout  ce  qui  peut  mortifier  l'esprit,  le  cœur  et 
les  sens.  Que  la  prière,  la  yjsite  des  pau- 
vres, l'assiduité  aux  offices  divins,  doivent 
remplir  les  moments  que  l'on  donne  au  jeu, 
aux  compagnies  et  aux  plaisirs  permis  dans 
les  autres  temps  (55). 

Tantôt  ils  approuvent  le  choix  des  mets 
que  l'Eglise  ordonne  pour  mortifier  la  chair 
dans  ce  temps  de  pénitence,  la  privation  de 
ceux  qui  sont  succulents,  et  regardent  comme 

(5-4)  Concil.  Tolotan.,  octav.,  anno  C>17> ,  oan.  fl. 
(55)  Concil.  Metliolan.  quinium  sub.   S.  Caiolo, 


des  infracteurs  que  Dieti  punira  dans  ses 
vengeances,  ceux  qui  violent  celte  sainte  loi 
de  la  mortification  chrétienne  (56). 

Or  ces  oracles  suffisent  pour  condamner 
la  délicatesse,  les  prétextes  et  tous  les  rai- 
sonnements des  chrétiens  qui  rompent  le 
jeûne  ou  l'abstinence  du  carême,  et  qui  se 
livrent  aux  plaisirs  dans  ce  saint  temps. 

Dès  qu'il  n'y  a  pas  une  infirmité  réelle, 
c'est  un  péché  mortel  que  de  manquer  un 
seul  jour  au  jeûne  ou  à  l'abstinence.  Péché 
qui  fait  perdre  à  ces  infracteurs  les  fruits 
précieux  de  la  mort  et  de  la  résurrection  de 
Jésus-Christ;  péché  pour  lequel  ils  doivent 
être  jugés  indignes  d'être  admis  à  la  commu- 
nion pascale;  péché  qui  renferme  une  déso- 
béissance au  précepte  de  l'Eglise,  qui  chan- 
gera à  leur  égard  un  Dieu  clément  en  un 
Dieu  vengeur.  Voilà  l'esprit  des  conciles. 

Quoique  l'on  aperçoive  à  la  sainte  table 
dans  la  solennité  pascale,  une  foule  de  ces 
infracteurs  audacieux;  quoique  Dieu  ne  fasse 
pas  éclater  sur  eux  encore  sa  justice  irritée, 
ces  vérités  n'en  sont  pas  moins  constantes. 

CHAPITRE  XXIX. 

Témoignage  de  Tertullîen  sur  la  pénitence  du 
carême. 

Tertullien  est  célèbre  dans  l'Eglise  par  la 
vaste  étendue  de  son  érudition,  la  beauté  de 
son  génie,  l'ardeur  de  son  zèle,  la  fameuse 
apologie  qu'il  a  faite  des  chrétiens,  qui  est 
un  morceau  admirable,  la  pureté  de  ses 
mœurs. 

Jamais  homme  ne  fut  plus  digne  d'admi- 
ration. 11  a  été  une  brillante  lumière,  un  doc- 
teur sublime,  un  défenseur  ardent  de  la  doc- 
trine de  Jésus-Christ,  le  tléau  des  Romains 
idolâtres.  Jamais  personne  n'a  humilié  le  pa- 
ganisme comme  lui,  ni  si  bien  développé 
l'extravagance  du  culte  qu'on  renda.t  aux 
fausses  divinités. 

Mais  hélas!  ce  grand  homme  est  encore 
devenu  plus  fameux  par  sa  chute  que  par 
ses  rares  talents.  Ce  bel  astre  s'est  éclipsé, 
ce  défenseur  de  l'Eglise  est  devenu  son  per- 
sécuteur, et  il  est  l'objet  de  ses  gémisse- 
ments après  avoir  été  l'objet  de  ses  éloges. 
11  est  puni  éternellement  avec  ses  enfants 
rebelles  après  avoir  été  le  guide  de  ses  en- 
fants soumis. 

Tremblez,  savants  présomptueux,  votre 
profond  savoir  sera  recueil  de  votre  foi  si 
vous  manquez  de  docilité  et  de  soumission; 
si  vous  ne  soumettez  pas  vos  lumières  aux 
saintes  obscurités  de  la  foi ,  si  vous  n'écou- 
tez pas  l'Eglise,  et  ne  préférez  pas  ses  déci- 
sions aux  vôtres. 

Tertullien  suivit  l'impétuosité  de  son  zèle, 
son  penchant  pour  une  extrême  sévérité.  Il 
commença  |  ar  blâmer  l'Eglise  de  sa  dé- 
mence envers  les  pécheurs  pénitents,  il  l'ac- 
cusa de  rclâihement  et  rompit  le  lien  sacré 
de  l'unité;  alors  on  vit  cet  homme  tout  bril- 
lant de  lumière,  tomber  dans  un  abîme  de 

amio  1570,  parlitit.  3. 
(oC;\  Concil.  Trident,  sess.  xxv,  cap.  21. 


519 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


?a& 


ténèbres.  Point  d'égarements,  d'excès,  d'ex- 
travagances même  où  il  ne  donne  aveuglé- 
ment. * 

Celte  [ilume  savante,  qui  avait  combattu 
avec  tant  de  succès  les  niarcionites,  les  va- 
Jentiniens,  attaqua  l'Eglise  du  Sauveur. 
Celui}  qui  avait  reproché  aux  hérétiques  la 
trace  de  leur  nouveauté,  se  laissa  séduire 
par  le  faux  merveilleux  que  débitait  un  mi- 
sérable Montai);  celui  qui  avait  représenté 
aux  empereurs  la  sagesse,  la  décence  et  la 
pureté  (lu  culte  des  chrétiens,  adopte  les  rê- 
veries d'une  troupe  d'imposteurs  et  de  fem- 
mes séduites. 

Grand  Dieul  qu'est-ce  l'homme?  Quel 
fond  devons-nous  faire  sur  nos  lumières, 
nos  talents?  Heureux  les  savants  soumise 
l'Eglise  ! 

Comme  Tertullien  a  beaucoup  écrit  pour 
l'Eglise  avant  de  Ja  quitter,  ses  ouvrages 
sont  conservés  et  estimés.  On  cite  son  auto- 
rité parce  qu'elle  est  d'un  grand  poids;  tout 
ce  qu'il  a  écrit  étant  catholique  est  mar- 
qué au  coin  de  l'érudition,  de  la  vérité  et  de 
la  sincérité  ;  c'est  pourquoi  je  vais  rapporter 
ce  qu'il  a  dit  de  la  pénitence  des  chrétiens 
et  des  jeûnes  du  carême. 

Dans  un  ouvrage  môme  contre  les  catho- 
liques où  il  ne  veut  pas  que  l'on  innove, 
il  dit  (Libro  contra  Psych.,  id  est  calholicos 
scripto,  capite  13)  qu'il  faut  observer  les 
jeûnes  et  la  pénitence  indiqués  avant  la  fête 
de  Pâques  :  Propler  Pascha  jejunantes.  Il 
exhorte  même  ceux  qui  le  pourront  a  pous- 
ser l'austérité  jusqu'à  se  contenter  de  pain 
et  d'eau  à  leurs  repas.  Et,  en  répondant  à 
ceux  qui  disaient  que  les  jeûnes  n'étaient 
l'as  de  précepte,  il  dit  que  les  évoques  an- 
nonçant et  obligeant  tous  les  fidèles  à  ces 
mortifications,  il  ne  leur  est  pas  libre  de  s'en 
dispenser. 

ÏViais  c'est  surtout  dans  son  Apologie  qu'il 
faut  l'entendre  parler  de  la  pénitence  des 
premiers  chrétiens;  car  c'est  dans  cet  ou- 
vrage qu'il  expose  aux  empereurs  tout  ce 
qui  se  pratiquait  parmi  eux  :  c'était  un  récit 
sincère  qu'il  faisait  de  la  vie  des  disciples  de 
Jésus  de  Nazareth,  que  les  païens  accusaient 
de  commettre  des  crimes  dans  leurs  assem- 
blées et  dans  leurs  mystères. 

Il  était  très-aisé  d'avoir  la  preuve  de  ce 
qu'il  avançait  dans  la  défense  qu'il  présen- 
tait aux  puissances. 

«  Si  vous  vouliez  savoir  quelle  est  notre  pé- 
nitence, ô  empereur,  il  faudrait  non-seule- 
ment lire  le  récit  que  je  vous  en  fais,  mais 
encore  nous  voir.  Vous  verriez  des  hommes 
desséchés  par  de  .longs  jeûnes,  une  chair 
domptée  par  les  rigueurs  que  nous  exerçons 
sur  elle,  des  hommes  qui  se  privent  de  tou- 
tes les  douceurs  que  la  terre  donne,  cou- 
verts de  sacs  et  de  cendres,  qui  font  une 
sainte  violence  au  ciel  |  ar  leurs  gémisse- 
ments continuels,  et  qui  touchent  Dieu  par 
la  douleur  et  l'amertume  dont  leur  cœur  est 
rempli.  Ainsi,  pendant  qu'un  Jupiter  inces- 
tueux est  honoré  par  le  sacrilège  encens  que 
vous  lui  offrez,  nous  forçons  la  justice  di- 
vine à  faire-  place  à  la  miséricorde  par  les  ri- 


gueurs de  notre  pénitence  :  Cum  mhencor- 
aîam  extorserimus,  Jupiter  honoralur.  »  (In 
Apologelico  adversus  gentiles,  cap.  kO.) 

Ah!  dans  ce  saint  temps  du  carême  ne 
pourrions-nous  pas  tenir  le  même  langage? 
Pendant  que  les  chrétiens  pénitents  apaisent 
la  colère  du  Seigneur  irrité,  les  chrétiens 
délicats  sacrifient  leurs  âmes  à  la  mollesse, 
à  la  sensualité,  au  plaisir. 

CHAPITRE  XXX. 

Témoignage  de  saint  Cyprien  sur  la  pénitence 
et  le  jeûne  du  carême. 

Saint  Cyprien  fut  un  des  plus  beaux  gé- 
nies de  son  temps  et  un  docteur  d'une  pro- 
fonde et  sublime  doctrine.  11  a  passé  des  té- 
nèbres du  paganisme  à  la  lumière  de  l'Evan- 
gile par  le  zèle  et  les  leçons  du  prêtre  Cé,i- 
lius.  Aussi  l'honera-t-il  toute  sa  vie  comme 
son  père  dans  Ja  foi ,  et  se  fit  une  gloire 
d'ajouter  son  nom  au  sien. 

Ce  savant  homme  n'embrassa  pas  le  chris- 
tianisme sans  avoir  mûrement  délibéré;  il 
ne  préféra  l'école  de  Jésus-Christ  aux  aca- 
démies de  la  Grèce  qu'après  avoir  été  per- 
suadé de  la  divinité  de  Jésus  de  Nazareth  et 
de  la  vanité  des  idoles. 

On  |  eut  donc  le  mettre  au  rang  de  ces  gé- 
nies élevés  et  sublimes,  figurés  par  ces  oi- 
seaux dont  parle  l'Evangile,  qui  sont  venus 
se  reposer  à  l'ombre  de  cet  arbre  majestueux 
qui  couvre  de  ses  branches  florissantes  toute 
la  terre,  c'e-t-à-dire  qui  sont  entrés  dans 
l'Eglise  du  Sauveur,  qui  en  ont  l'ait  la  gloire 
et  la  consolation. 

Quelle  confusion  pour  ces  prétendus  es- 
prits forts  qui  osent  débiter  que  le  christia- 
nisme n'a  été  embrassé  que  par  des  simples 
et  des  ignorants,  quand  on  leur  oppose  tou- 
tes ces  brillantes  lumières  sorties  du  sein 
même  des  ténèbres  du  paganisme? 

Le  saint  docteur  dont  j'emprunte  l'auto- 
rité, pour  prouver  aux  chrétiens  lâches  la 
nécessité  de  la  pénitence  et  l'utilité  du 
jeûne,  a  fait  la  gloire  de  l'Eglise  par  ses 
travaux,  ses  éi  rils  et  son  martyre.  Ses  tra- 
vaux dans  des  temps  dilliciles,  sont  marqués 
au  roin  du  zùle  apostolique;  on  voit  flans 
ses  écrits  une  érudition,  une  éloquence,  nés 
grâces,  une  onction,  une  piété  qui  annon- 
cent le  saint  et  le  savant.  On  voit  dans  les 
actes  de  son  martvro,  tout  l'héroïsme  que 
peut  inspirer  la  divine  charité  et  la  foi  la 
plus  vive. 

Si,  autorisé  par  la  coutume  que  les  évo- 
ques d'Asie  avaient  introduite,  de  rebapti- 
ser les  hérétiques  qui  rentraient  dans  le 
sein  de  l'Eglise,  il  a  résisté  longtemps  aux 
sentiments  du  pape  saint  Etienne  qui  déci- 
dait le  contraire,  il  faut  taire  attention  à 
trois  choses  dans  cette  fameuse  dispute, 
pour  ne  pas  tomber  dans  l'aveuglement  de 
ceux  quren  tirent  une  conséquence  fausse, 
pour  justifier  ceux  qui  refusent  de  se  sou- 
mettre aux  décisions  du  Saint-Siège,  reçues 
par  le  corps  des  premiers  pasteurs.  1"  Le 
fonds  de  celte  dispute  était  un  point  de  dis- 
cipline et  ne  regardait  point  la  foi.  2"  Saint 


521 


INSTRUCTION  SUR  LA  PENITENCE  DU  CAREME. 


CIIAP.  XXXI. 


524 


Cyprien  ne  cessa  jamais  de  reconnaître 
l'autorité  du  vicaire  de  Jésus-Christ,  et  fut 
toujours  attaché  inviolablement  à  la  chaire 
de  saint  Pierre.  3°  Il  a  lavé  dans  son  sang 
'e  scandale  qu'il  avait  pu  donner  par  sa  sé- 
vérité. Saint  Augustin  dit  que  sa  résistance 
fut  une  tache  uans  un  cœur  très-pur  :  ma- 
cula in  torde  purissimo.  Or,  d'après  le  por- 
trait que  je  viens  de  tracer,  on  reconnaîtra 
aisément  que  l'autorité  de  ce  Père  de  l'E- 
glise doit  être  d'un  grand  poids. 

Si  je  parlais  seulement  de  la  pénitence 
que  tout  chrétien,  qui  a  eu  le  malheur  de 
souiller  son  âme  par  un  péché  mortel,  est 
obligé  de  faire  sous  peine  de  damnation, 
quel  vaste  champ  ne  m'offrirait  pas  son 
traité  de  ceux  qui  sont  tombés  1  II  n'ouvre 
les  cieux  aux  pécheurs  après  leur  chute,  il 
ne  les  flatte  de  l'espoir  du  pardon,  qu'après 
beaucoup  de  pleurs,  de  gémissements,  de 
saintes  rigueurs  exercées  sur  leur  chair  cri- 
minelle; il  veut  que  l'on  pleure  les  péchés 
qu'on  a  commis  et  qu'on  ne  commette  plus 
les  péchés  que  l'on  pleure;  il  ne  veut  point 
qu'il  entre  dans  la  pénitence  d'adoucisse- 
ments, de  ménagements;  il  soutient  qu'il 
faut  que  la  pénitence  réponde  à  tous  égards 
au  nombre,  à  l'énormité  de  nos  fautes  :  Pœ- 
nitentia  crimine  minor  non  sit.  (De  lapsis.) 

Mais  je  ne  rapporte  ici  que  ce  qu'il  a  dit 
sur  le  jeûne,  pour  toucher  ou  confondre 
ceux  qui  méprisent  et  violent  la  loi  de  l'E- 
glise sur  la  pénitence  du  carême. 

Il  commence  par  louer  le  jeûne  de  Moïse. 
Le  saint  législateur,  dit-il,  mérita  par  un 
jeûne  de  quarante  jours  d'être  avec  Dieu 
sur  la  montagne  de  Sinaï,  de  le  voir  autant 
qu'il  est  permis  à  un  mortel  encore  étranger 
sur  la  terre,  et  retenu  dans  les  liens  d'une 
ehair  périssable;  c'est  dans  cette  longue  abs- 
tinence qu'il  goûta  les  douceurs  ineffables 
des  divins  entretiens  dont  le  Seigneur  vou- 
lut bien  l'honorer. 

Ensuite  il  parle  du  jeûne  d'Elie,  qui  fut 
aussi  long;  jeûne,  dit-il,  auquel  ce  saint 
prophète  joignit  une  parfaite  retraite;  occupé 
dans  une  profonde  solitude  des  choses  cé- 
lestes, il  était  comme  hors  de  ce  monde  ter- 
restre. 

Il  faut  remarquer  ici  que  presque  tous  les 
saints  Pères  n'ont  point  parlé  du  jeûne  que 
Jésus-Christ  a  pratiqué  pendant  quarante 
jours  dans  le  désert,  sans  parler  de  celui  de 
Moïse  et  d'Elie,  qui  jeûnèrent  le  même 
nombre  de  jours,  et  qu'ils  en  ont  conclu 
tous  que  la  loi,  les  prophètes  et  l'Evangile 
autorisaient  l'établissement  du  carême  des 
chrétiens. 

Enfin  saint  Cyprien  parle  du  jeûne  des 
chrétiens  :  C'est  dans  le  christianisme,  dit-il 
(Serm.  de  jrjun.  et  tentât..  Christi),  qu'on  a 
reconnu  l'utilité  des  jeûnes;  c'est  parmi  les 
disciples  de  Jésus-Christ  qu'éclate  la  péni- 
tence que  Moïse,  Elie  et  Jésus-Christ  ont 
pratiquée  dans  le  désert  :  Utilitas  jejuniorum 
temporihus  Christianis  clarius  patuit. 

Nous  ne  voyons  point,  dit-il,  de  chrétiens 
arriver  à  une  solide  piété,  et  persévérer  dans 
la  vertu  ,  quand  ils  ne  sont  point  des  hom- 

CaATELKS  SACRÉS.    L. 


mes  de  jeûne  et  d'abstinence.  Dès  que  le: 
chrétiens  entreprennent  quelque  chose  d'im 
portant,  ils  jeûnent  pour  attirer  les  béné- 
dictionscélestes  sur  Jpurs entreprises;  quant 
ils  veulent  fléchir  efficacement  la  colère  di 
Seigneur  irrité,  ou  obtenir  de  sa  bonté  quel 
que  gâce,  ils  se  présentent  à  lui  mouillés  do 
leurs  pleurs, couverts  de  cendres,  revêtus  de 
cilices,  affaiblis  par  de  longs  jeûnes  ;  c'est 
dans  cet  état  qu'ils  lui  offrent  un  cœur  dé- 
chiré, contrit,  humilié,  leurs  gémissements, 
leurs  prières. 

Saint  Cyprien  a  souffert  le  martyre  au  mi- 
lieu du  ine  siècle;  ainsi  voilà  un  monument 
de  l'antiquité  qui  atteste  les  jeûnes  et  la 
pénitence  des  chrétiens,  et  condamne  ceux 
qui  censurent  et  violent  la  loi  de  l'Eglise 
sur  la  pénitence  du  carême. 

CHAPITRE  XXXI. 

Témoignage  de  saint  Ambroise  sur  le  jeûne  et 
la  pénitence  du  carême. 

On  n'ignore  pas  le  rang  distingué  que 
saint  Ambroise  tient  parmi  les  docteurs  "de 
l'Eglise  latine  :  une  foule  de  merveilles  se 
présentent  à  l'esprit  dès  que  l'on  veut  don- 
ner seulement  une  légère  idée  de  ce  grand 
homme. 

Quelle  sagesse  1  quei  esprit!  quelle  pru- 
dence dans  le  maniement  des  affaires  1  Mi- 
lan'et  toute  la  province  dont  il  fut  longtemps 
gouverneur,  ne  se  contentèrent  pas  d'admi- 
rer dans  ce  grand  homme  l'intégrité  et  la 
probité  qui  font  la  gloire  du  magistrat;  ils  y 
découvrirent  encore  les  vertus  qui  font  le 
saint  évêque  et  l'apôtre  zélé. 

Aussi,  dès  que  saint  Ambroise  se  fut  rendu 
à  l'Eglise  pour  apaiser  les  troubles  qui  s'é- 
taient élevés  entre  les  ariens  et  les  catholi- 
ques assemblés  pour  donner  un  successeur 
à  Auxence,  fameux  arien ,  évêque  de  Milan, 
et  mort  attaché  opiniâtrement  à  cette  furieuse 
hérésie,  sa  présence  dissipa  la  sédition, 
calma  les  esprits  agités,  et  tous,  saisis  d'un 
saint  respect  et  inspirés  sans  doute  par  le 
ciel,  relevèrent  malgré  lui  sur  le  trône  épis- 
copal. 

On  dit  que  Dieu,  qui  inspire  qui  il  lui 
plaît,  se  servit  d'un  enfant  pour  annoncer  au 
peuple  assemblé  qu'Ambroise  était  choisi 
par  le  ciel  pour  remplir  le  siège  de  Milan., 
La  résistance  que  fit  notre  saint,  et  qu'if 
poussa  si  loin,  qu'on  fut  obligé  de  lui  donner 
des  gardes,  prouve  combien  il  était  effrayé 
du  fardeau  qu'on  voulait  lui  imposer. 

Les  premières  dignités  de  l'Eglise  ont 
toujours  fait  trembler  les  saints;  elles  ne 
flattent  que  ceux  qui  n'en  connaissent  pas 
les  obligations  indispensables. 

Ambroise,  après  son  baptême  et  sa  conver- 
sion, fit  voir  tout  ce  que  peut  un  pasteur 
suscité  de  Dieu,  choisi  de  Dieu  et  appelé  de 
Dieu  au  gouvernement  des  âmes. 

11  fit  couler  dans  tout  son  diocèse  des  tor- 
rents d'une  céleste  doctrine;  il  attaqua  les 
hérétiques  et  les  terrassa;  il  combattit  le 
vice  et  le  força  de  se  cacher.  Il  parut  à  la 
cour  des  empereurs  avec  le  zèle  et  la  sain- 

i7 


523  ORATEURS  SACRES 

teté  de  Jean-Baptiste  ;  il  représenta  au  grand 
Théo-dose  son  péché,  et  Théodose  le  pleura 
et  en  fit  pénitence.  Les  charmes  de  son  élo- 
quence entraînaient  les  cœurs  cjuand  il  prê- 
chait; les  plus  grands  pécheurs  ne  pouvaient 
résister  à  l'onction  que  Dieu  avait  mise  sur 
ses  lèvres. 

Le  jeune  Augustin  est  curieux  de  l'en- 
tendre,, le  jeune  Augustin  sera  sa  conquête. 

L'Eglise,  enrichie  des  écrits  de  notre  saint, 
y  trouve  tous  ces  traits  qui  annoncent  le 
saint,  le  savant  évoque,  et  une  des  plus 
brillantes  lumières  du  ive  siècle. 

Or,  c'est  le  témoignage  d'un  si  grand 
homme  que  j'oppose  aux  infracteurs  de  la 
sainte  pénitence  du  carôme;  à  ces  libertins, 
à  ces  prétendus  beaux  génies  qui  représen- 
tent l'inutilité  des  jeûnes  avec  tous  les  tours 
de  l'éloquence  mondaine  et  les  saillies  d'une 
imagination  libertine. 

Ce  saint  docteur  nous  rapporte  la  coupa- 
ble doctrine  de  certains  savants  infectés  îles 
erreurs  de  Jovinien. 

J'entends,  dit-il,  parler  des  personnes 
contre  les  saintes  pratiques  de  l'Eglise  :  se- 
lon ce  qu'elles  débitent,  le  jeûne,  lasobriété 
ne  sont  d'aucun  mérite  ;  elles  traitent  d'in- 
sensés ceux  qui  domptent  la  chair  par  le 
jeûne,  et  qui  la  soumettent  à  l'esprit  par  les 
saintes  rigueurs  qu'ils  exercent  sur  elle.  No 
dirait-on  pas,  ajoute  ce  saint  docteur,  que 
saint  Paul,  ce  vase  d'élection,  était  aussi 
dans  le  délire  lorsqu'il  châtiait  sa  chair  et 
réduisait  son  corps  en  servitude ,  de  crainte 
d'être  réprouvé  après  avoir  prêché  les 
autres? 

Ah!  quelle  est  la  nouvelle  école,  la  nou- 
velle académie  qui  a  instruit  ces  épicuriens? 
Quœ  istos  epicureos  nova  schola  misit? 

De  quelle  autorité  sont  donc  ces  nouveaux 
maîtres  qui  rejettent  le  mérite  du  jeûne? 
Qui  sunt  ergo  hi  prœceptores  novi  qui  meri- 
tum  excludant  jejunii?  lisse  donnent  pour 
des  sages,  des  philosophes,  mais  ce  sont  des 
ignorants,  des  apôtres  de  la  volupté,  des  dé- 
lices, des  ennemis  de  la  vérité. 

Or  ne  pourrais-je  pas  tenir  aujourd'hui 
le  même  langage  aux  prétendus  esprits  forts, 
aux  libertins  qui  censurent ,  méprisent  la 
sainte  pénitence  du  carême  ? 

Dans  quelle  école  ont-ils  appris  à  com- 
battre la  sainte  pratique  du  jeûne?  Sont-ce 
les  maîtres  qui  leur  ont  donné  les  premiers 


BALLET. 


52-1 


principes  de  la  religion  et  des  sciences?  Non 
certainement.  A  quelle  école  ont-ils  donc 
appris  à  être  sensuels,  délicats,  ennemis 
des  mortifications?  Qui  leur  a  donné  ces  le- 
çons de  mollesse?  Qui  leur  a  dit  que  le  jeûne 
et  l'abstinence  n'étaient  d'aucune  utilité,  et 
qu'on  pouvait  sans  danger  et  sans  crime, 
violer  la  loi  qui  défend  tout  ce  qui  peut  sou- 
lever et  révolter  un  corps  de  péché?  Quœ 
istos  epicureos  nova  schola  misit? 

Notre  saint  docteur  est  encore  précis  sur 
le  jeûne  de  la  quarantaine  ;  le  jeûne  solennel 
du  carême  vous  a  été  annoncé,  mes  frères  : 
Jndiclum  est  jejunium  ;  pensez  que  vous 
êtes  obligés  de  J'observer  sous  peine  de  pé- 
dié  :  Cave  ne   ncfjlvjas   (serm.  1   in  psal. , 


CXVI11);  prenez  garde  de  vous  en  oispenser 
un  seul  jour  sans  une  infirmité  réelle.  Résis- 
tez à  la  délicatesse,  aux  prétextes,  aux 
exemples,  à  la  coutume,  aux  objections  des 
mondains,  des  libertins,  des  hérétiques,  des 
impies  :  Cave  ne  negligas. 

Que  ce  témoignage  du  iv*  siècle  doit 
nous  rendre  la  pénitence  du  carême  pré- 
cieuse, et  nous  affermir  dans  la  pratique 
du  jeûne  1 

CHAPITRE   XXXII. 


Témoignage  de  saint  Jérôme  sur  le  jeûne  et 
la  pénitence  du  carême. 

L'Eglise  remercie  le  Seigneur  dans  ses 
prières,  d"avoir  suscité  cet  incomparable 
docteur  pour  traduire  et  expliquer  les  divi- 
nes Ecritures.  La  version  que  cette  Epousedu 
Sauveur,  seule  dépositaire  du  vrai  sens  des 
Ecritures,  a  consacrée  sous  le  nom  de 
Yulgaie ,  est  presque  toute  de  ce  savant 
homme. 

La  sainteté,  la  pénitence,  les  travaux,  l'é- 
rudition, les  lumières  de  cet  illustre  Père  de 
l'Eglise  latine,  ont  de  quoi  épuiser  notre  ad- 
miration. Quel  héroïsme  dans  ses  vertus  1 
Quelles  rigueurs  dans  sa  pénitence  1  Quelles 
fatigues  dans  ses  voyages  !  Quels  succès  dans 
les  combats  qu'il  soutint  contre  les  héréti- 
ques! Quelle  beauté,  quelle  éloquence,  quel 
feu  dans  ses  écrits  ! 

11  fut  un  spectacle  d'admiration  pour  les 
anges  dans  la  grotte  de  Bethléem.  Sa  chère 
solitude,  ce  saint  berceau  du  Sauveur  nais- 
sant, eut  toujours  pour  lui  des  délices.  11  en 
fut  absent  quelquefois  pour  les  intérêts  de 
l'Eglise,  son  cœur  y  était  toujours  d'affec- 
tion. Il  édifia  la  cour  de  Rome,  lorsque  les 
souverains  pontifes,  informés  de  ses  bril- 
lants talents  et  de  ses  rares  vertus,  se  l'atta- 
chèrent. De  quelle  utilité  ne  fut-il  pas  au 
pape  saint  Damase,  sous  lequel  il  écrivit  tant 
d'épîlres,  et  toutes  les  réponses  aux  consul- 
tations synodales  de  l'Orient  et  de  l'Occident? 

Les  manuscrits  les  plus  rares  et  les  plus 
précieux  excitent  sa  sainte  ardeur  de  savoir; 
il  visite  tous  les  lieux  de  la  Palestine;  il 
fait  de  savantes  observations  sur  tous  les 
endroits  que  le  Sauveur  a  honorés  de  sa  pré- 
sence; il  s'attache  les  plus  savants  des  Juifs; 
il  se  remplit  de  tous  les  tours  de  la  langue 
hébraïque;  il  se  transporte  à  Alexandrie 
pour  consulter  Didyme  sur  les  endroits  les 
plus  diilieiles  de  l'Ecriture. 

Etude  pénible,  que  le  zèlo  de  la  religion 
lui  fait  entreprendre  pour  être  utile  à  l'E- 
glise ;  étude  que  la  vaste  étendue  de  son  gé- 
nie lui  rend  cependant  facile;  étude  qui  a 
procuré  à  l'Eglise  le  plus  riche  et  le  plus 
beau  monument  d'une  sainte  érudition.  Etude 
que  notre  saint  regardaitencore  comme  un  re- 
mède contre  les  révoltes  des  sens,  et  contre 
les  images  importunes  de  la  volupté  qui  vou- 
laient salir  son  imagination,  et  soulever  sa 
chair  serrée  d'un  rude  ciliée,  et  desséchée 
d'austértiés. 
"Saint  Grégoire  de  Nazianze  se  fait  gloire 
de  l'avoir  pour  auditeur  à  Constantinopie; 


5<25 


INSTRUCTION  SLR  LA  PENITENCE  DL  CAREME. 


CHAP.  XXXIU. 


saint  Augustiale  regarde  comme  son 'père 
et  le  consulte;  il  garde  la  douceur  et  la  sou- 
mission d'un  enfant,  lors  môme  que  saint 
Jérôme ,  dont  le  caractère  sévère,  éclatait 
aussi  bien  dans  ses  écrits  et  dans  les  dispu- 
tes que  dans  sa  pénitence,  parlait  en  maître. 

Si  l'on  veut  connaître  la  pureté  de  sa  doc- 
trine et  sa  soumission  au  Saint-Siège,  il  n'y 
a  qu'à  se  rappeler  qu'il  méconnut  l'autorité 
de  Paulin  et  île  Mélèce,  lorsqu'il  fut  ques- 
tion de  prononcer  sur  les  trois  hvpostases, 
qu'il  consulta  le  souverain  pontife  pour  fixer 
sa  foi. 

Enfin,  si  l'on  veut  connaître  la  charité  de 
te  grand  homme,  il  n'y  a  qu'à  se  représenter 
les  secours  qu'il  donna  dans  sa  grotte  de 
Bethléem  à  cette  foule  de  Romains  du  pre- 
mier rang,  qui,  après  la  prise  de  Rome  par 
les  Goths,  trouvèrent  dans  ses  libéralités  une 
ressource  pour  subsister.  Cette  noblesse  dé- 
pouillée de  ses  biens,  dans  l'indigence,  sub- 
sista par  les  bienfaits  d'un  solitaire. 

Ce  grand  docteur  éclaira  la  fin  du  iv" 
et  le  commencement  du  vc  siècle.  Ainsi, 
son  autorité  sur  le  jeûne  et  la  pénitence 
du  carême  est  encore  un  monument  de  la 
vénérable  antiquité;  écoutons-le  parler  sur 
celte  sainte  pratique  des  chrétiens. 

Ce  saint  docteur  définit  le  jeûne  :  Ce  n'est 
point,  dit-il,  une  vertu  absolument  :  Jeju- 
nium  non  pcrfecta  virtus ,  mais  c'est  le  fon- 
dement ,  l'appui  de  toutes  les  vertus  :  Scd 
tirtutum  fundamentum.  C'est  pourquoi  nous 
ne  vous  ordonnons  pas  des  jeûnes  excessifs, 
meurtriers  :  Immodernta  jejunia;  une  absti- 
nence rigoureuse  et  continuelle  :  Enormem 
ciborum  abstincntiam.  L'Eglise  ne  veut  point 
vous  imposer  des  austérités  qui  détruisent 
vos  corps  :  Quibus  corporadelieata  franyun- 
tur  ;  mais  des  jeûnes,  des  mortifications  qui 
domptent  les  coupables  penchants  de  la 
chair  et  triomphent  de  ses  continuelles  ré- 
voltes, afin  que  vous  ne  deveniez  pas  faibles, 
languissants,  prévaricateurs  môme  dans  vos 
devoirs  de  piété  :  Sedut  fracto  corporis  ap- 
petitu,nec  in  lectione,  nec  in  psalmis,  nec  in 
vigiliis  solito  quid  minus  facias.  (Epist.  8  ad 
Demetriadem,  cap.  6.) 

Et  dans  un  autre  endroit  il  dit  :  Il  n'y  a 
point  d'autres  ressources  pour  les  pécheurs 
que  de  prendre  les  armes  de  la  pénitence  ; 
et  ces  armes  sont  le  jeûne,  les  pleurs,  le  sac 
et  la  cendre.  [In  cap.  III  Jonœ.) 

Ces  seules  paroles  de  saint  Jérôme  suffi- 
sent pour  prouver  que  ce  grand  docteur  con- 
naissait et  le  prix  et  la  nécessité  du  jeûne, 
puisqu'il  le  recommande  et  l'observe,  et 
qu'il  justifie  l'Eglise,  qui  en  fait  un  précepte 
dans  certains  temps  de  l'année,  des  repro- 
ches que  les  hérétiques  lui  font  d'exposer  par 
ses  rigueurs  la  santé  délicate  de  ses  enfants. 

Si  les  chrétiens  de  nos  jours  ne  préféraient 
pas  leurs  corps  à  leurs  âmes  ;  s'ils  ne  bra- 
vaient pas  les  révoltes  des  sens;  >'ils  ne  se 
familiarisaient  pas  avtfc  tous  les  désirs,  les 
pensées  qui  souillent  l'âme,  ils  ne  crain- 
draient pas  tant  d'affaiblir  un  corps  que  tous 
les  saints  ont  regardé  comme  leur  plus  grand 
ennemi. 


Enfin,  saint  Jérôme  va  parler  expressément 
du  jeûne  du  carême,  de  la  sainte  quaran- 
taine qui  précède  la  fête  de  Pâques,  et  que 
les  chrétiens  passent  dans  la  pénitence  :  en- 
tendons-le parler. 

Il  ne  dit  pas  que  c'est  une  pratique  nou- 
vellement introduite  dans  l'Eglise,  qui  doive 
son  établissement  à  quelque  pénitent  zélé; 
une  pratique  embrassée  par  un  évêque  ou 
quelque  monastère;  une  pratique  qui  ne  fait 
pas  une  loi;  il  dit  clairement  que  le  carême 
est  établi  par  les  apôtres.  Nous  observons, 
dit-il,  religieusement  tous  les  ans  les  jeû- 
nes et  l'abstinence,  les  quarante  jours  qui 
précèdent  la  fêle  de  Pâques ,  parce  que  c'est 
une  pratique  établie  par  les  apôtres,  et  que 
nous  tenons  d'eux  par  tradition  :  Unam  qua- 
dracjesimam  secunditm  traditioncm  apostolo- 
rum  lemporenobis  congruojejunamus. (Epist. 
ad  Marcellam  adversus  errores  Montant.) 

Je  suis  surpris,  après  ces  témoignages  de 
l'antiquité,  que  les  protestants  aient  traité 
d'invention  humai-ne  la  sainte  pénitence  du 
carême;  et  je  suis  encore  plus  surpris  que 
des  chrétiens  catholiques  la  violent  avec 
scandale  et  en  parlent  avec  moins  de  ména- 
gement encore  que  les  hérétiques. 

CHAPITRE  XXXIIL 

Témoignage  de  saint  Augustin  sur  le  jeûne  et 
la  pénitence  du  carême. 

Voici  une  autorité  qui  seule  serait  suffi- 
sante pour  confondre  les  protestants  qui  con- 
testent l'institution  apostolique  du  carême, 
si  nous  pensions  comme  eux;  mais  quelque 
élevé  que  soit  saint  Augustin  au-dessus  des 
autres  docteurs,  il  n'est  grand  dans  l'Eglise 
que  parce  qu'il  lui  a  été  soumis;  nous  ne 
professons  sa  doctrine  que  parce  que  l'Eglise 
l'a  adoptée,  et  s'est  servie  de  ses  expressions 
dans  plusieurs  décisions  solennelles  de  ses 
conciles. 

Nous  le  louons  comme  l'oracle  de  l'Eglise, 
parce  qu'il  a  toujours  défendu  sa  foi,  son 
unité,  son  autorité,  sa  visibilité,  son  univer- 
salité et  son  infaillibilité. 

Nous  regardons  ses  ouvrages  comme  un 
trésor  précieux  d'où  coulent  une  doctrine 
pure  et  céleste,  des  règles  sûres  de  morale, 
parce  que  l'Eglise  les  a  approuvés  avec  de 
magnifiques  éloges  :  car  quelque  profonds 
que  soient  ses  écrits,  ils  ne  seraient  d'aucune 
autorité  en  matière  de  foi,  s'ils  n'étaient  pas 
revêtus  de  celle  de  l'Eglise. 

En  effet,  si  ce  grand  docteur  a  dit  qu'il  ne 
croirait  pas  à  l'Evangile  même  si  l'Eglise  ne 
l'avait  pas  reçu,  et  ne  le  lui  présentait  pas 
comme  la  parole  de  vie  sortie  de  la  bouche 
du  Verbe  incarné  ,  ne  serions-nous  pas  bien 
fondés  à  dire  aussi  que  nous  ne  suivrions 
pas  les  sentiments  et  la  doctrine  de  saint 
Augustin,  si  l'Eglise  ne  nous  assurait  pas 
que  c'est  sa  doctrine  qu'il  a  enseignée  et  que 
ses  sentiments  sont  les  siens? 

Que  servait  donc  à  Luther  et  à  Calvin  de 
faire  sonner  si  haut  leur  attachement  au* 
ouvrages  de  saint  Augustin,  de  dire  sans 


i>27 


ORATEURS  SACRES.  DALLET. 


5-28 


«  esse:  Augustin  est  pour  nous,  dès  qu'ils  se 
séparaient  de  l'Eglise,  et  que  TEglise  était 
contre  eux?  Peut-on  penser  raisonnablement 
que  leur  doctrine  est  pure,  quoique  donnée 
sous  le  nom  de  celle  d'Augustin,  pendant 
que  l'Eglise  la  condamne?  Elle  comble  d'é- 
loges celle  de  l'évêqued'Hippone,  elle  frappe 
d'anatlièmes  celle  des  protestants,  comment 
osent-ils  se  dire  ses  disciples?  S'il  est  leur 
maître,  qu'ils  l'écoutent  donc;  c'est  un  maître 
qui  mérite  l'attention  de  toute  la  terre;  il  a 
paru  comme  un  prodige  dans  l'Eglise. 

Prodige  de  faiblesse  et  d'égarements  dont 
une  grâce  victorieuse  l'a  affranchi  :  prodige 
de  science  qui  le  rendit  l'oracle  de  son  siè- 
cle :  prodige  de  zèle  qui  lui  fit  attacher  toutes 
l'es  hérésies,  et  laisser  des  armes  victorieuses 
contre  tous  les  hérétiques:  prodige  de  sou- 
mission qui  lui  fit  respecter  toutes  les  sain- 
tes décisions  de  l'Eglise,  et  toutes  les  salu- 
taires pratiques  qu'elle  avait  établies  de  son 
temps  :  prodige  de  pénitence  qui  l'immola 
tous  les  jours  aux  larmes,  aux  jeûnes,  aux 
veilles  et  aux  plus  grandes  austérités  :  pro- 
dige de  charité  qui  embrasa  son  cœur  des 
flammes  de  l'amour  divin,  et  le  fit  soupirer 
sans«cesse  après  son  Dieu,  celte  beauté  tou- 
jours ancienne  et  toujours  nouvelle. 

Or,  de  l'aveu  même  des  protestants,  l'au- 
torité de  saint  Augustin  est  d'un  grand 
poids  ;  son  témoignage  sur  le  jeûne  et  la 
pénitence  du  carême  devrait  donc  faire  im- 
pression sur  eux. 

11  est  vrai  que  les  hérétiques  varient, 
qu'ils  se  démentent  ;  leurs  disciples  n'y  pren- 
nent pas  assez  garde.  On  a  vu  les  prolestants, 
après  avoir  donné  saint  Augustin  pour  un 
docteur  infaillible,  qu'il  était  plus  sûr  de 
suivre  que  l'Eglise  même,  décrier  son  érudi- 
tion, rendre  suspecte  sa  sincérité,  et  l'accu- 
ser d'avoir  pris  le  change  en  matière  même 
de  doctrine.  Ils  prennent  dans  ses  ouvrages, 
comme  dans  l'Ecriture,  les  textes  qui  leur 
paraissent  les  plus  propres  à  favoriser  et  à 
appuyer  leurs  nouveautés;  mais  sur  le  jeûne 
et  la  pénitence  du  carême ,  ce  saint  docteur 
est  clair,  précis;  comment  donc  mépriser  son 
témoignage? Premièrement,  ce  saint  docteur 
établit  l'utilité  du  jeûne.  Vous  ne  manquerez 
pas,  dit-il,  de  trouver  dans  le  monde  des 
personnes  qui  blâmeront  les  rigueurs  que 
vous  exercez  sur  votre  chair.  Pourquoi  jeû- 
nez-vous? diront-elles  ,  Quid  facis,  quiaje- 
junas?  Votre  vie  doit  vous  être  précieuse, 
et  vous  l'abrégez  par  ces  privations  de  nour- 
riture; vous  ne  satisfaites  pas  ses  besoins; 
n'avez-vous  pas  assez  de  mortifications  sans 
vous  en  imposer  de  nouvelles?  Vous  êtes  les 
destructeurs  de  votre  santé;  vous  êtes  homi- 
cides de  vous-mêmes  :  luus  ipse  tortor  et  cru- 
ciator.  Etcs-vous  assez  simples  pour  vous 
imaginer  plaire  à  Dieu  par  ces  pénitences 
et  ces  rigueurs?  Ergo  Deo placet  quia  te  cru- 
cias  ?  Ah  1  Dieu  est  bon,  et  il  serait  cruel  s'il 
se  plaisait  à  vous  voir  détruire  votre  corps 
par  (ie  longs  jeûnes,  s'il  prenait  plaisir  à  vous 
voir  abattus  et  dans  la  défaillance  :  Ergo  cru- 
dciis  est  qui  delectatur  pœnis  tuis. 

Voilà,  continue  saint  Augustin,  ies  dis- 


cours que  vous  tiendront  les  hérétiques,  les 
libertins,  les  mondains,  lorsque  vous  vous 
soumettrez  aux  jeûnes  ordonnés  par  l'E- 
glise. 

Ne  dirait-on  pas  que  ce  saint  docteur  tra- 
çait le  portrait  des  mondains  de  nos  jours, 
de  ces  chrétiens  complaisants,  flatteurs ,  en- 
nemis de  la  pénitence? 

Tous  les  jours  avec  ces  trompeuses  paro- 
les :  //  faut  se  conserver  ;  Dieu  ne  veut  point 
quon  détruise  sa  santé',  on  s'enhardit  à  violer 
la  sainte  loi  du  jeûne  et  de  l'abstinence  ; 
mais  apprenez,  chrétiens  soumis  à  l'Eglise, 
de  saint  Augustin  la  réponse  que  vous  devez 
faire  à  ces  apôtres  délicats  et  complaisants: 
Dites  à  ces  tentateurs  artificieux:  Itespcnde 
hujusmodi  tentatori  (Tractatu  de  uiilitate 
jejunii,  cap.  3):  Je  me  punis  moi-même,  afin 
que  Dieu  m'épargne;  je  pratique lesjrigueurs 
dont  je  suis  capable,  afin  que  sa  miséricorde 
supplée  à  ce  que  je  ne  puis  pas  ;  j'expie  mes 
péchés  autant  qu'il  est  en  moi,  pour  être 
agréable  à  ses  yeux,  pour  goûter  les  saintes 
suavités  qu'il  répand  dans  les  cœurs  contrits 
et  humiliés.  Peut-on  établir  plus  clairement 
l'utilité  du  jeûne? 

Dans  un  autre  endroit  (serm.  62  De  tempore), 
saint  Augustin  décide  formellement  qu'on 
commet  un  péché  quand  on  viole  les  jeûnes  or- 
donnés par  l'Eglise  pendant  le  saint  temps  de 
carême  :  In  Quadragesima  nonjejunare  pecca- 
tumrst.  Remarquez  ces  mots  dans  le  carême, 
In  Quadragesima.  Saint  Augustin,  outre  les 
jeûnes  ordonnés  dans  les  différents  temps  de 
l'année,  reconnaît  donc  les  quarante  jours 
de  jeûne  qui  précèdent  la  fêle  de  Pâques. 
Voilà  le  nombre  fixé;  il  reconnaît  aussi  que 
cette  sainte  quarantaine  est  d'institultoo 
apostolique,  'comme  je  l'ai  prouvé  dans  le 
chapitre  qui  traite  de  l'antiquité  du  jeûne. 

Je  me  persuade  que  si  les  mondains  de 
nos  jours,  qui  se  piquent  tant  d'esprit,  n'é- 
taient pas  si  ignorants  sur*  cette  matière,  ils 
respecteraient  plus  la  loi  de  l'Eglise  sur  1q 
jeûne  et  l'abstinence,  qu'ils  ne  font. 

CHAPITRE  XXXIV. 

Témoignage  de  saint  Jean  Chrysoslome  sur  h 
jeûne  et  la  pénitence  du  carême. 

Saint  Chrysostome  est  un  des  plus  émi- 
nents  docteurs  de  l'Eglise  grecque;  il  fil 
briller  les  grâces  ravissantes  de  son  élo- 
quence, d'abord  dans  le  barreau,  ensuite 
dans  les  chaires  chrétiennes.  Jamais  orateur 
ne  posséda  mieux  que  lui  ce  style  noble, 
élevé,  brillant,  ingénieux,  véhément,  qui 
plaît,  ravit,  touche,  entraîne  les  auditeurs. 

On  voit  dans  ses  écrits  des  tours  d'élo- 
quence qui  surprennent;  des  portraits  du 
cœur  humain  qui  le  représentent  avec  tous 
ses  faibles,  ses  inclinations,  ses  mystères; 
des  peintures  du  vice,  des  mœurs,  des  scan- 
dales de  son  temps,  qui  en  retracent  toute  la 
licence  et  la  corruption  ;  des  invectives  contre 
les  désordres  accrédités,  qui  montrent  tout 
le  feu  et  le  zèle  apostolique. 

Ce  fleuve  d'éloquence  se  répand  tantôt 
avec  douceur,  tantôt  avec  irn  étuosité  ;  il 


m 


INSTRUCTION  SUR  LA  PENITENCE  DU  CAREME.—  CIIAP.  XXXV. 


850 


touche  le  peuple,  il  enchante  la  cour,  il  ter-     vous  disposez  à  pratiquer  la  sainte  pénitence 
rasse  l'hérésie,  il  humilie  le  vice  et  mérite  par 
les  grâces  extraordinaires  de  son  éloquence 
le  surnom  de  Bouche  d'Gr. 

Deux  des  plus  savants  et  des  plus  pieux 
ministres  de  Jésus-Christ  furent  ses  pères  et 
ses  maîtres  :  saint  Mélèce  et  saint  Flavien. 
Saint  Mélèce,  patriarche  d'Antioche,  le  bap- 


tisa et  le  fit  lecteur  de  son  Eglise.  Saint  Fla- 
vien l'ordonna  prêtre  et  le  chargea  du  mi- 
nistère de  la  parole.  Ses  rapides  et  prodigieux 
succès  dans  la  prédication  lui  attirèrent  l'es- 
time et  l'admiration  de  l'empereur  Arcadius; 
il  l'éleva^sur  le  trône  patriarcal  de  Constan- 
tinople;  et  l'innocence,  la  sainteté,  les  ta- 
lents, le  zèle  y  montèrent  avec  lui. 

Quoique  sa  santé  fût  usée  par  les  austéri- 
tés qu'il  avait  pratiquées  après  son  baptême 
dans  une  affreuse  solitude,  il  soutint  coura- 
geusement les  fatigues  de  l'épiscopat,  les 
persécutions  que  lui  suscitèrent  les  ariens, 
la  fureur  de  l'impératrice  Eudoxie,  à  qui  le 
zèle  de  notre  saint  déplaisait  ;  les  ennuis,  l'es 
peines  de  l'exil,  et  même  l'indignation  de 
deux  grands  saints  qui  avaient  été  surpris 
par  la  calomnie,  de  saint  Epiphane  et  de  saint 
Cyrille  d'Alexandrie. 

Dieu  se  déclara  pour  son  serviteur  ;  il  em- 

loya  la  voie  des  miracles  pour  annoncer  sa 

aihteté  et  la  pureté  de  sa  foi.  Un  horrible 

remblement  de  terre  pensa  renverser  Cons- 

iantinople,  dès  que  l'impératrice  l'eut  envoyé 

en  exil.  Elle  le  rappela  aussitôt  pour  apaiser 

la  colère  du  Seigneur  irrité   des  outrages 

qu'on  lui  faisait;  mais  sa  fermeté  à  reprendre 

le  vice  et  l'erreur  protégés  à  la  cour,  le  fit 

exiler  une  seconde  fois.  C'est  en  allant  dans 

son  exil  qu'il  mourut  plein  de  vertus,  après 

avoir  souffert  et  combattu   généreusement 

pour  les  intérêts  de  l'Eglise  et  la  gloire  de 

Dieu. 

Ecoutons  donc  avec  attention  ce  savant  et 
éloquent  Père  de  l'Eglise  grecque  sur  le 
jeûne  et  la  pénitence,  et  faisons  de  sérieuses 
réflexions  sur  les  oracles  qu'il  prononce. 

Ceux  qui  regardent  le  jeûne  comme  une 
privation  inutile,  comme  un  joug  qu'on  im- 
pose mal  à  propos  aux  chrétiens,  et  dont  il 
est  prudent  de  se  dispenser,  auront  de  quoi 
rougir. 

Voici,  dit-il,  un  temps  de  miséricorde  qui 
approche  ;  un  temps  favorahle  pour  nous 
purifier  de  nos  péchés  :  Propitialionis  tem- 
pus  adest.  11  parle  des  jours  de  jeûne  or- 
donnés par  l'Eglise.  Ne  passons  donc  pas  ce 
temps  sans  fruit;  ne  méprisons  donc  pas  ces 
grâces  précieuses  qui  nous  sont  offertes  :  Ne 
contemnamus . 

Pratiquons  les  jeûnes  ordonnés  par  l'E- 
glise; privons-nous  de  ces  repas,  de  ces  mets 
qu'elle  nous  interdit  :  Jejunemus  a  cibis. 
Mais  commençons  par  détester  nos  péchés, 
cesser  de  les  commettre  :  Sed  primumapec- 
catis. 

Ceux  qui  ont  le  bonheur  de  connaître  .es 
avantages  du  jeûne  et  qui  savent  se  sevrer 
des  délices  du  siècle,  goûtent  des  douceurs 
ineffables  dans  leur  pénitence. 

O  vous,   chrétiens,  ajoute  ce  Père,  qui 


que  l'Eglise  vous  impose,  cessez  d'être  ef- 
frayés des  rigueurs  qu'elle  renferme;  no 
vous  arrêtez  pas  à  considérer  simplement 
ces  privations  qui  affligent  votre  chair  déli- 
cate ,  mais  faites  attention  aux  fruits  quo 
votre  âme  immortelle  en  tirera  :  Ne  allendas 
ad  laboretn,  sed  etiam  ad  fructum. 

Les  passions  domptées,  la  chair  humiliée, 
tout  ce  corps  de  péché  abattu,  laissent  jouir 
votre  âme  d'un  innocent  repos:  vous  semez 
dans  les  larmes  pour  recueillir  dans  la  joie. 
La  faiblesse  de  votre  corps  fait  toute  la  force 
de  votre  âme  :  elle  n'est  victorieuse  que 
lorsqu'il  est  réduit  en  servitude. 

Que  la  couronne  préparée  à  ceux  qui  n'é- 
pargnent point  leurs  corps  pour  sauver  leurs 
âmes,  vous  anime  à  la  pénitence.  C'est  l'es- 
pérance de  recueillir  une  abondante  récolte 
qui  anime  le  laboureur  au  travail,  et  quidiH 
fait  jeter  dans  la  terre  le  grain  qui  doit 
profiter  et  se  multiplier;  c'est  l'espérance 
d'obtenir  le  ciel  par  nos  jeûnes,  nos  pleurs 
et  nos  mortifications,  qui  doit  nous  soutenir 
dans  la  pénitence. 

La  chair  se  plaint  dans  la  pénitence,  elle 
s'afflige  dans  les  jeûnes  et  les  privations  : 
Dolet  in  jrjuniis  caro.  La  délicatesse  mur- 
mure; de  là  les  frayeurs  de  tant  de  lâches 
chrétiens,  lorsque  la  pénitence  du  carême 
approche;  mais  l'âme  goûte  alors  de  saintes 
douceurs;  libre  dans  un  corps  qui  n'est  plus 
appesanti  par  les  excès  du  boire  et  du  man- 
ger, dans  une  chair  qui  n'est  plus  en- 
graissée par  des  mets  succulents  :  elle  se 
nourrit,  dans  le  calme  des  passions,  des 
chastes  délices  des  amis  de  Dieu;  elle  est 
plus  élevée,  plus  ardente  dans  la  prière,  dans 
la  méditation  et  dans  tous  les  exercices  de 
la  piété.  Les  douceurs  célestes  la  remplis- 
sent, lorsqu'on  refuse  au  corps  les  aliments 
de  ses  passions  :  Epulatur  anima.  (Serm.  1 
De  jejunip.) 

On  trouve  donc,  dans  ce  seul  morceau  de 
saint  Chrysostome  sur  le  jeûne,  des  preuves 
de  sa  nécessité  et  de  ses  avantages. 

CHAPITRE  XXXV. 

Témoif/nage  de  'saint  Léon,  pape  et  docteur 
de  VEglife,  sur  le  jeûne  et  la  pénitence  du 
carême. 

Saint  Léon  a  mérité  le  surnom  de  Grand 
par  ses  éminentes  vertus,  par  ses  rares  ta- 
lents et  ses  travaux  pour  l'Eglise. 

Comment  pourrais-je  donner  une  juste 
idée  de  ce  grand  homme,  ou  en  ébaucher 
même  le  portrait  dans  le  peu  que  le  plan  de 
mon  ouvrage  me  permet  d'en  dire?  L'his- 
toire de  son  pontificat  forme  elle  seule  un 
ouvrage  considérable  :  jamais  on  n'a  vu  tant 
d'actions  éclatantes ,  tant  de  combats  livrés 
aux  hérétiques,  tant  d'écrits  lumineux  et 
apostoliques  pour  venger  la  vérité  défi- 
gurée, combattue;  pour  maintenir  la  disci- 
pline de  l'Eglise,  et  lui  conserver  sa  beauté 
et  son  autorité. 

Grand  par  sa  naissance,  puisqu'il  sortait 
d'une  illustre  maison   de  Toscane,  il  fut 


531 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


53i 


plus  grand  encore  par  les  rares  qualités  de 
son  esprit  et  de  son  cœur  ;  grand  dans  son 
amitié,  il  s'attacha  à  Sixte  III,  qui  l'avait 
ordonné  diacre  ;  il  fut  jusqu'à  la  mort  son 
ami  fidèle  et  son  défenseur  dans  les  persé- 
cutions qu'on  lui  suscita  :  grand  par  sa  sa- 
gesse, sa  prudence  et  sa  fermeté,  il  fut  choisi 
pour  négocier  la  réconciliation  d'Arcius  et 
d'Albin,  gouverneurs  des  armées  romaines; 
il  fut  trouvé  digne  de  monter  sur  la  chaire 
de  saint  Pierre,  et  il  en  fut  l'ornement  et  la 
gloire  par  sa  sainteté  et  sa  science.  Grand 
dans  sa  foi,  il  défendit  avec  zèle  et  avec 
succès  la  doctrine  de  l'Eglise  attaquée  par 
les  manichéens,  les  pélagiens,  les  eutychiens, 
les  nestoriens  ;  grand  dans  le  plus  célèbre 
de  tous  les  conciles  œcuméniques,  je  veux 
dire  dans  celui  de  Chalcédoine,  composé 
de  plus  de  six  cents  évoques  :  les  Pères  de 
cette  sainte  assemblée  louent  hautement  la 
pureté  de  sa  foi,  et  s'écrient  tous  que  Pierre 
à  parlé  par  la  bouche  de  Léon  :  Petrus  locu- 
tus  est  per  Leonem;  grand  dans  son  atta- 
chement à  ses  ouailles,  et  sa  tendresse  pour 
les  secourir,  il  sort  de  Rome ,  il  va  au-de- 
vant d'Attila,  ce  prince  barbare  qui  s'était 
fait  appeler  le  fléau  de  Dieu  et  la  terreur  de 
l'univers,  qui  avançait  avec  ses  armées  for- 
midables vers  la  capitale  du  monde  chré- 
tien, et  qui  se  promettait,  comme  un  autre 
Antiochus,  de  la  piller,  de  la  réduire  en 
cendres,  et  d'attacher  honteusement  à  son 
char  ses  habitants  vaincus.  Il  paraît  devant 
ce  foudre  de  la  guerre,  ce  destructeur  des 
villes  et  des  provinces:  il  lui  parle  avec  cet 
air,  ce  ton  que  donne  la  sainteté,  et  que 
Dieu  rend  [terrible  à  ses  ennemis  quand  il 
lui  plaît;  et  la  force  diyinedeson  éloquence 
terrasse  celui  qui  bravait  le  fer  et  le  feu. 
Attila  prend  la  fuite;  Rome  est  délivrée. 

Je  ne  dis  rien  du  style  de  ce  saint  docteur  : 
on  sait  qu'il  est  élevé,  pur;  on  sait  aussi 
qu'il  est  de  tous  les  Pères  de  l'Eglise  celui 
qui  a  traité  avec  le  plus  de  profondeur  les 
mystères  de  notre  salut. 

Par  tout  ce  que  je  viens  de  dire,  on  com- 
prend aisément  que  l'autorité  de  ce  grand 
pane  doit  être  d'un  grand  poids  lorsqu'il  dé- 
cide ou  rapporte  la  pratique  de  l'Eglise.  Or 
aucun  des  saints  docteurs  n'a  parlé  plus  clai- 
rement et  plus  souvent  que  lui  des  jeûnes 
ordonnés  par  l'Eglise  et  de  la  pénitence  du 
carême. 

Premièrement,  comme  je  l'ai  dit  dans  un 
autre  endroit,  ce  Père  dit  (serm.  1  De  jeju- 
nio  seplimi  mensis)  que  c'est  par  l'autorité 
de  l'Eglise  qu'il  annonce  aux:  fidèles  ces  jours 
de  jeûne  et  d'abstinence  :  Ex  auctoritate  in- 
dicimus. 

Or  quelle  est  cette  autorité  que  ce  grand 
pape  annonce  à  son  peuple,  si  ce  n'est  celle 
que  ses  prédécesseurs  ont  reconnue  lorsqu'il 
a  été  question  d'obliger  les  chrétiens  à  ces 
mortifications;  celle  que  les  Tertullien,  les 
Cyprien,  les  Jérôme,  les  Ambroise,  les  Au- 
gustin, les  Chrysostomc,  ont  fait  valoir  lors- 
qu'ils ont  traité  cette  matière;  celle  d'une 
tradition  constante,  vénérable,  et  qui  remon- 
tait jusqu'au  temps  des  apôtres,  que  tous  ont 


regardés  comme 


ceux  qui  avaient  établi  le 
carême? 

Voilà  l'autorité  que  ce  grand  pape  oppose 
à  ceux  qui  auraient  été  capables  de  désap- 
prouver les  jeûnes  et  la  pénitence  du  ca- 
rême :  une  tradition  apostolique. 

Ce  saint  docteur  disait  donc  à  son  peuple, 
dans  le  v*  siècle  :  Ce  n'est  point  une  nou- 
veauté, ce  n'est  point  un  nouveau  joug  que 
nous  vous  imposons,  quand  nous  vous  indi- 
quons des  jeûnes  d'obligation,  des  abstinen- 
ces, des  mortifications  ;  c'est  une  loi  dans 
l'Eglise  de  Jésus-Christ,  depuis  son  établis- 
sement; une  loi  établie  parles  apôtres,  puis- 
que nous  la  voyons  observée  religieusement 
par  ceux  qui  leur  ont  succédé  :  Ex  auctori- 
tate indicimus. 

Si  nous  employons  des  exhortations  vives 
et  pressantes,  si  nous  nous  arrêtons  à  com- 
battre votre  délicatesse,  à  réfuter  vos  pré- 
textes ;  si  nous  vous  faisons  des  menaces,  si 
nous  punissons  vos  coupables  infractions  par 
des  délais  qui  vous  privent  de  la  communion 
pascale,  c'est  la  charité  de  Jésus-Christ  qui 
nous  presse  ;  ce  sont  les  entrailles  d'un  Père 
tendre  qui  sont  émues  à  la  vue  des  châti- 
ments que  vous  vous  préparez.  Nous  sommes 
persuadés  qu'un  seul  jour  déjeune  ou  d'abs- 
tinence, violé  par  délicatesse  et  sans  une 
extrême  nécessité,  donne  la  mort  à  votre 
âme,  et  c'est  la  charité  chrétienne,  le  zèle 
de  votre  salut,  qui  nous  portent  à  vous 
exhorter  d'observer  religieusement  ces  jeû- 
nes et  ces  mortifications  ordonnés  par  l'E- 
glise :  Ex  charitate  suademus. 

Or  cette  autorité  que  saint  Léon  opposait 
dans  le  v?  siècle,  nous  l'opposons  aujour- 
d'hui aux  protestants,  qui  nous  accusent 
d'avoir  innové  dans  l'Eglise  sur  la  pénitence 
du  carême;  nous  l'opposons  aux  libertins  de 
nos  jours,  aux  chrétiens  délicats,  et  à  tous 
ceux  que  l'irréligion  de  notre  siècle  a  per- 
vertis, et  qui  ont  levé  l'étendard  de  l'indé- 
votion  et  de  la  désobéissance  à  l'Eglise. 

Saint  Léon  parle  expressément  de  la  péni- 
tence du  carême;  il  l'appelle  (serm.  k  De 
Quadragesima)  un  jeûne  très-saint  et  très- 
solennel  :  Sacra! issimum  maximumque  jrju- 
nium.  11  marque  le  temps  qu'il  doit  être  ob- 
servé :  c'est  dans  les  jours  qui  nous  prépa- 
rent à  célébrer  les  mystères  de  la  mort  et  de 
la  résurrection  de  Jésus-Christ. 

CHAPITRE  XXXVI. 

Témoignage  de  saint  Bernard  sur  le  jeûne  et 
la  pénitence  du  carême. 

Quoique  saint  Rernard  soit  nommé  le  der- 
nier des  Pères  de  l'Eglise  latine,  eu  égard 
au  temps  où  il  a  vécu,  on  peut  dire  qu'il  n'est 
pas  inférieur  aux  plus  célèbres  en  sainteté, 
en  zèle,  en  science,  en  lumières. 

11  a  été  l'ange  du  désert,  l'apôtre  des  rois, 
le  conseil  des  souverains  pontifes,  l'appui  de 
l'Eglise,  le  lléau  des  hérétiques. 

Le  goût  qu'il  avait  pour  la  retraite  et  la 
pénitence  le  fit  entrer  dans  l'ordre  de  Cîteaux 
à  l'âge  de  vingt-deux  ans;  les  progrès  rapides 
qu'il  y  fit  dans  la  vie  religieuse  le  firent  choi- 


T33 


INSTRUCTION  SUR  LA  PENITENCE  DU  CAREME. 


CHAP.  XXXV11. 


534 


sir  cinq  ans  après  pour  ôtre  le  premier  abbé 
de  Clairvaux. 

C'est  dans  cette  profonde  solitude  que  l'on 
vit  saint  Bernard,  à  la  tête  de  ses  frères,  re- 
tracer toute  la  perfection  des  solitaires  de 
l'Orient  :  les  cellules,  les  veilles,  les  jeûnes, 
les  prières,  le  travail,  la  nourriture,  tout  re- 
traçait la  vie  céleste,  pénitente,  pauvre  et 
crucifiée  de  ces  Pères  du  désert. 

Ce  qui  est  le  plus  admirable,  c'est  que 
l'espiit  de  retraite  et  de  pénitence  le  suivit 
partout;  il  parut  à  la  cour  des  rois,  dans  le 
JuinuUe  du  monde,  dans  les  conciles,  devant 
ies  hérétiques;  partout  le  saint  seul  parut, 
et  jamais  l'homme. 

Son  cœur  était  dans  la  solitude,  pendant 
que  son  corps  en  était  absent;  il  en  sortait 
par  zèle,  il  y  était  toujours  d'affection;  et 
quoiqu'il  se  regardât  lui-même  avec  étonne- 
ment  comme  la  chimère  du  monde,  et  qu'il 
gémît  des  voyages  fréquents  que  les  besoins 
de  l'Eglise,  les  ordres  des  souverains  pon- 
tifes et  des  princes  chrétiens  le  forçaient  de 
faire,  il  est  très-sûr  qu'il  a  toujours  été  soli- 
taire et  pénitent;  les  ennemis  mêmes  de  l'E- 
glise ont  respecté  ses  vertus,  ses  miracles, 
ses  lumières,  ses  succès,  ses  écrits. 

Quelle  sainteté,  en  effet,  que  celle  qui  se 
soutient  sur  les  plus  grands  théâtres  du 
monde,  comme  dans  la  plus  profonde  soli- 
tude !  Quels  miracles  plus  authentiques  que 
ceux  que  Dieu  opère  pour  la  condamnation 
du  vice  et  de  l'erreur!  Quelles  lumières  que 
celles  qui  éclairent  les  âmes  dans  les  voies 
sublimes  de  la  spiritualité,  qui  découvrent 
les  erreurs  mêlées  avec  les  subtilités  de  la 
plus  fine  dialectique  !  Quels  succès  quand 
on  terrasse  et  convainc  un  philosophe  tel 
qu'Abailard,  un  théologien  tel  que  Gilbert 
de  la  Porée,  un  hypocrite  aussi  enveloppé 
qu'Arnaud  de  Bresce  ;  quand  on  est  l'âme 
des  conciles,  et  qu'on  y  est  appelé  pour  en 
être  l'oracle  !  Quels  écrits  que  ceux  qui  mé- 
ritent les  éloges  de  l'Eglise,  dont  elle  fait 
ses  délices,  et  qu'elle  met  au  rang  de  ceux 
des  plus  grands  docteurs!  Car,  quoique  saint 
Bernard  dise  que  les  arbres  de  sa  solitude 
avaient  été  ses  maîtres,  on  trouve  dans  ses 
écrits  une  piété  éclairée,  une  onction,  un 
feu,  une  éloquence,  des  tours  ingénieux, 
des  réflexions  solides,  une  force  de  raison- 
nement, qui  ne  se  ressentent  nullement  des 
bois  et  des  forêts  qu'il  habitait. 

Tel  fut  ce  grand  homme,  cette  brillante 
lumière  qui  s'éteignit  dans  le  xii'  siècle,  ce 
Père  d'une  multitude  de  saints  religieux, 
qui  mourut  entre  les  bras  de  ses  enfants, 
âgé  de  soixante-trois  ans,  consumé  par  les 
flammes  du  divin  amour  aussi  bien  que  par 
ses  pénibles  travaux  et  ses  excessives  aus- 
térités. 

Or,  ce  saint  docteur  a  parlé  dans  ses  ou- 
vrages du  jeûne  et  de  la  pénitence  du  carême. 
Il  n'y  avai  t  encore  aucun  déchet  de  son  temps  ; 
les  grands  jeûnes  étaient  encore  observés 
avec  exactitude.  Ecoutons  ce  qu'il  dit,  c'est 
le  premier  jour  même  de  la  quarantaine  qu'il 
parle. 

Aujourd'hui,  mes  frères,  dit-il,  commence 


le  saint  temps  du  carême;  ce  temps  de  pé- 
nitence dans  tout  le  christianisme,  ne  nous 
regarde  pas  seuls,  mais  tous  les  catholiques  : 
Hœc  observatio  una  omnium  est. 

Tous  ceux  qui  veulent  conserver  l'unité 
de  la  foi  "s'y  soumettent  :  Quicunque  jidei 
conreniunt  unitatem. 

C'est  donc,  selon  saint  Bernard ,  faire  une 
sorte  de  schisme,  désapprouver  l'Église  à  la- 
quelle on  doit  se  conformer  et  obéir,  que  de 
se  dispenser  de  la  pénitence  du  carême , 
parce  que  le  jeûne  et  l'abstinence  de  ce  saint 
temps  est  de  précepte  pour  tous  les  chrétiens 
catholiques;  c'est  une  pénitence  commune  à 
tous  :  Commune  je junium  omnibus  Christianis. 

Ce  saint  dit  encore  des  choses  merveil- 
leuses de  la  pénitence  du  carême  dans  un 
autre  discours. 

Mes  frères,  dit-il  (il  parle  à  ses  religieux), 
entrez  avec  toute  la  dévotion  dont  vous  êtes 
capables  dans  cette  sainte  carrière  de  jeûnes 
et  de  mortifications  que  l'Eglise  impose  à 
ses  enfants  les  quarante  jours  qui  précè- 
dent la  fête  de  Pâques  :  Rogo  vos,  tota  devo- 
tione  suscipite  quadragesimale  jejunium. 

Si  nous  avons  jeûné  jusqu'à  présent  pour 
observer  la  règle  que  nous  avons  embrassée, 
nous  devons  jeûner  dans  ce  saint  temps  de  ca- 
rême avec  une  nouvelle  ferveur  et  une  nou- 
velle rigueur  :  Sancto  hoc  tempore  j cj unandum 
nobis  est  multo  dcvotius.  Voilà  donc  saint 
Bernard  qui  distingue  les  grands  jeûnes  des 
chrétiens,  qui  obligent  tous  ceux  qui  sont 
soumis  à  l'Eglise,  des  jeûnes  que  prescrit  la 
règle  des  religieux.  Ce  qu'il  dit  après  con- 
firme cette  vérité. 

Si  nous  ajoutons,  dit-il,  à  nos  austérités 
ordinaires,  dans  ce  saint  temps,  de  nouvelles 
rigueurs,  cela  ne  doit  pas  nous  paraître  ef- 
frayant ;  il  est  convenable  même  d'augmenter 
notre  pénitence;  quelque  pesant  que  soit  le 
fardeau  que  nous  nous  imposons,  nous  ne 
succomberons  pas,  puisque  toute  l'Eglise  le 
porte  avec  nous ,  et  que  tous  les  chrétiens 
catholiques  jeûnent  et  se  mortifient  :  Nobis 
onerosum  non  sit  qnod  Ecclesia  portât  uni- 
versel nobiscum.  (Serm.  3  De  Quadragesima.) 
Peut-on  marquer  plus  clairement  la  péni- 
tence du  carême  et  la  soumission  des  chré- 
tiens de  son  temps  à  l'observer  1 

Qu'il  est  triste  de  voir  aujourd'hui  cette 
pénitence  abandonnée,  méprisée  par  les  en- 
fants de  l'Eglise,  d'entendre  des  chrétiens 
débiter  des  doutes  sur  son  autorité  ? 

CHAPITRE    XXXVII. 

Témoignage  de  Théodulphe,  évéque  d'Orléans, 
sur  le  jeûne  et  la  pénitence  du  carême. 

Nous  avons  plusieurs  ouvrages  de  ce  grand 
évêque  dans  la  Bibliothèque  des  Pères,  très-es- 
timés. Son  Ca/nVu/ueVe  surtout  est  rempli  d'ins- 
tructions chrétiennes  sur  plusieurs  points 
de  la  morale,  de  la  discipline  et  des  prati- 
ques de  l'Eglise.  11  y-a  huit  chapitres  qui 
traitent  des  jeûnes  et  des  abstinences  du  ca 
renie,  dans  lesquels  il  prouve  aux  chrétiens 
la  nécessité  de  se  soumettre  à  cette  pénitence 


535 


orateurs  sacres,  ballet. 


SS3 


universelle  de  l'Eglise  et  fa:t  connaître  tout 
le  crime  de  ceux  qui  s'en  dispensent. 

Le  respect  que  l'on  a  pour  l'autorité  de  ce 
savant  et  pieux  auteur  a  fait  former  plu- 
sieurs canons  des  décisions  qu'il  donne  sur 
la  pénitence  du  carême.  On  les.  a  insérés 
dans  le  nouveau  Bréviaire  de  Paris,  et  nous 
les  lisons  les  premiers  jours  de  la  quaran- 
taine, à  primes.  Ils  tiennent  un  rang  parmi 
ceux  des  conciles  tenus  sous  saint  Charles 
Dorroméeet  desautres  assemblées  de  l'Eglise. 

Cet  auteur  fut  célèbre  par  sa  doctrine  et 
sa  piété.  Ses  lumières  répandirent  un  grand 
éclat  dans  l'Eglise,  et  ses  vertus  sanctifièrent 
sa  science.  On  voit  dans  ses  ouvrages  un 
homme  qui  s'est  rempli  de  tout  ce  que  l'E- 
criture, les  conciles,  les  Pères  disent  de  plus 
fort  pour  établir  les  vérités  de  la  religion  ou 
pour  les  défendre  contre  ceux  qui  osent  les 
attaquer.  On  voit  un  homme  versé  dans  la 
science  du  salut,  profond  dans  la  doctrine, 
pur  dans  la  morale,  éclairé  sur  la  discipline 
de  l'Eglise,  ferme  et  zélé  lorsqu'il  est  ques- 
t'on  de  son  devoir,  et  toujours  le  chrétien 
humble,  pieux  et  soumis. 

L'empereur  Charlemagne  et  Louis  le  Pieux 
firent  un  grand  cas  de  ce  savant  de  leur 
siècle;  ils  respectèrent  ses  vertus  et  ses  ta- 
lents, il  fut  leur  oracle  et  leur  conseil. 

C'est  ce  même  Théodulphe  qui  fut  envoyé 
en  exil  à  Alger;  on  ne  sait  pas  par  quel  en- 
droit il  déplut.  On  peut  être  malheureux 
sans  être  coupable  ;  les  fautes  no  sont  pas 
toujours  punies  et  la  vertu  n'est  pas  tou- 
jours récompensée  sur  la  terre.  Les  justes 
profitent  des  disgrâces  pour  se  détacher  du 
monde  et  s'attacher  au  Seigneur;  c'est  ce  que 
notre  pieux  auteur  fit  dans  son  exil;  il  s'y 
occupa  à  méditer  les  vérités  éternelles  et 
a  composer  des  prières  touchantes  et  pleines 
du  feu  do  la  charité.  Entre  autres  il  composa 
ces  vers  que  nous  chantons  le  jour  des  Ra- 
meaux au  retour  de  la  procession  :  Gloria 
laus,  etc.,  et  il  les  chanta  lui-même  dans  celto 
cérémonie  avec  tant  de  piété,  de  recueille- 
ment et  d'un" ton  si  doux  et  si  tendre,  qu'il 
toucha  tous  les  cœurs.  On  fut  édifié  de  sa 
foi  et  de  sa  piété;  il  devint  cher  après  avoir 
été  désagréable,  on  le  rappela  de  son  exil. 

Or  ce  sont  les  canons  que  l'Eglise  a  formés 
des  ouvrages  de  ce  grand  homme,  que  je 
vais  opposer  aux  mépris  que  font  les  mon- 
dains de  nos  jours  de  la  sainte  pénitence 
du  carême;  on  doit  sentir  par  tout  ce  que 
je  viens  de  dire,  que  son  autorité  est  res- 
pectable. 

Qu'on  n'ait  pas  la  témérité,  dit-il,  de  se 
dispenser  un  seul  jour  du  carême  du  jeûne 
ordonné  par  l'Eglise  ;  ce  jeûne  que  Jésus- 
Christ  a  consacré  dans  le  désert  par  sa  pé- 
nitence, on  en  est  dispensé  les  seuls  jours 
de  dimanches.  Tous  les  chrétiens  doivent 
passer  ce  saint  temps  du  carême  dans  la 
sainteté  et  la  pratique  des  vertus  chrétiennes 
avec  une  nouvelle  ferveur  ;  manquer  un 
seul  jour  à  jeûner  dans  le  carême,  c'est  vio- 
ler le  précepte  du  Seigneur,  puisque  les 
malades  et  les  enfants  seuls  en  sont  dispen- 


sés. L'infracteur  de  cette  sainte  loi  du  jeûne 
se  prépare  des  châtiments  redoutables. 

Or  je  remarque  trois  choses  dans  ce  ca- 
non :  1°  Le  jeûne  est  d'obligation  pour  tous 
les  chrétiens  catholiques,  sans  distinction 
du  rang;  la  loi  n'en  dispense  que  les  infirmes 
et  les  enfants,  c'est-à-dire  ceux  qui  n'ont 
pas  encore  vingt  et  un  ans,  comme  l'a  décidé 
l'Eglise  par  rapport  au  jeûne,  et  non  par 
rapport  à  l'abstinence  :  prœter  infirmos  ac 
parvulos.  2°  Violer  un  jeûne,  c'est  transgres- 
ser le  précepte  du  Seigneur  :  Hoc  tempore 
non  jejunare  prœceptum  Dei  transcendere 
est.  Non  pas  que  le  précepte  du  jeûne  soit 
un  des  préceptes  du  Décalogue,  mais  parce 
que  c'est  désobéir  à  Dieu  môme  que  de 
désobéir  à  son  Eglise,  qui  a  reçu  de  lui  le 
pouvoir  de  faire  des  lois,  et  qu'il  nous  a 
ordonné  de  nous  y  soumettre.  3°  Celui  qui 
rompt  un  jeûne  sans  une  infirmité  réelle, 
expose  son  âme  aux  châtiments  préparés 
dans  l'autre  vie  aux  infracteurs  de  la  loi: 
cette  transgression  est  un  péché  mortel  qui 
fait  perdre  la  grâce  sanctifiante,  et  mérite 
l'enfer:  Quisquis  non jejunaverit pœnaui  sili 
acr/uirit. 

Or  les  mondains  de  nos  jours  conçoivent- 
ils  cette  idée  du  jeûne  ordonné  dans  le  ca- 
rême? Ces  riches  délicats,  ces  ouvriers  in- 
tempérants, ces  personnes  qu'un  étourdis- 
sement  passager,  une  légère  faiblesse  d'es- 
tomac, un  voyage,  peut-être  une  compagnie, 
déterminent  a  rompre  le  jeûne?  Sont-ils  en 
sûreté,  en  se  mettant  au  rang  des  malades 
et  des  enfants,  ceux  qui  tiennent  table  dans 
le  carême,  des  deux  ou  trois  heures  de  suite  ; 
ceux  dont  les  collations  sont  des  repas  que 
les  pauvres  regarderaient  comme  des  fes- 
tins, soit  par  la  qualité  des  mets,  soit  par  la 
quantité?  Pensent-ils  qu'ils  violent  un  pré- 
cepte du  Seigneur,  et  pèchent  mortellement? 
Enfin,  tous  les  infracteurs  de  la  loi  du  ca- 
rême pensent-ils  aux  châtiments  redoutables 
que  mérite  leur  coupable  désobéissance? 
Ah  !  ou  c'est  aveuglement,  ou  c'est  irréli- 
gion :  qu'ils  sont  dignes  de  larmes  1 

CHAPITRE  XXXVIII. 

La  pénitence  du  carême  est  une  préparation 
à  la  solennité  pascale.' 

Est-ce  connaître  l'esprit  du  christianisme 
que  de  se  dispenser  des  mortifications  qui 
en  sont  inséparables?  Quel  est  le  plan  que 
Jésus-Christ  en  a  tracé  lui-même?  Qu'or- 
donne-t-il?  Que  promet-il  à  ses  disciples 
dans  l'Evangile?  11  ordonne  de  le  suivre  en 
portant  sa  croix;  il  ne  promet  que  des  pri- 
vations, des  pleurs.  Il  faut  mourir  avec  lui, 
être  enseveli  avec  lui,  pour  ressusciter 
avec  lui. 

Les  chrétiens  délicats,  sensuels;  les  mon- 
dains qui  oui  leurs  consolations  sur  la  terre, 
qui  vivent  dans  la  joie,  les  aises,  les  com- 
modités, ne  participeront  point  aux  fruits 
de  sa  mort  et  de  sa  résurrection,  quoiqu'il 
soit  mort  pour  eux  comme  pour  les  autres, 
Cette  scène  de  félicité  temporelle  changera 


INSTRUCTION  SUR  LA  PENITENCE  DU  CAREME.  —  CIIAP.  XXXVIII. 


i; 


5Ï7 

eu  puis  tar;l  à  leur  mort,  et  la  tristesse  suc- 
cédera à  la  joie. 

Au  contraire,  pendant  que  le  monde  ré- 
prouvé est  dans  la  joie,  qu'il  se  couronne 
de  fleurs,  qu'il  écarte  tout  ce  qui  gêne  la  na- 
ture, la  mortifie,  la  met  à  l'étroit,  et  se  fait 
une  loi  de  mépriser  celle  de  la  pénitence 
chrétienne,  les  justes  portent  leur  croix, 
jeûnent,  se  mortifient,  pleurent  et  gémis- 
sent. Mais  cette  scène  se  change  pour  leur 
consolation;  la  joie  succède  à  la  tristesse. 
Toutes  ces  vérités  sont  renfermées  dans  cet 
oracle  du  Sauveur  :  Le  monde  se  réjouira 
et  vous  pleurerez  :  Mundus  gaudebit,  vos  au- 
tem  plorabitis.  (Joan.,  XVI.)  Mais  votre  tris- 
tesse, vos  souffrances,  vos  privations,  vos 
jeûnes,  vos  larmes,  vous  prépareront  à  une 
félicité  éternelle,  à  un  repos  ineffable,  à  uno 
joie  pure  et  inaltérable  :  Sed  tristitia  vestra 
vcrtetur  in  gaudium.  (Ibid.) 

En  vain  les  infracteurs  de  la  pénitence  du 
carême  se  flattent-ils  de  participer  aux 
grands  mystères  de  la  mort  et  de  la  résur- 
rection de  Jésus-Christ  ;  en  vain  voient-ils 
avec  joie  les  jours  de  la  pénitence  écoulés; 
en  vain  donnent-ils  quelques  moments  à  la 
iété  dans  ces  jours  qui  terminent  le  carême  , 
les  voit-on  assidus  aux  saintes  et  touchantes 
cérémonies  de  l'église;  en  vain  fléchissent- 
ils  le  genou  devant  l'étendard  de  notre  sa- 
lut, et  paraissent-ils  avec  les  adorateurs  de 
la  croix  ;  en  vain  assiégent-ils  dans  ce  saint 
temps  le  confessionnal  d'un  lévite  commode, 
qui  à  peine  jette  les  yeux  sur  les  plaies  du 
malade  de  Jéricho,  et  vont-ils  avec  une  abso- 
lution précipitée,  reçue  sans  douleur,  dans 
Tattache  et  l'habitude  du  péché,  manger 
l'Agneau  pascal.  L'infraction  volontaire, 
continuelle  et  scandaleuse  de  la  pénitence 
du  carême,  ne  les  a  pas  préparés  à  la  Pâque  ; 
elle  les  en  a  rendus  indignes. 

Ecoutez  Jésus-Christ  :  C'est  avec  mes  dis- 
ciples que  je  veux  faire  la  pâque  :  Pascha 
cum  discipulis  meis.  (Luc,  XXII.) 

Or  des  impénitents,  des  rebelles  à  l'Eglise, 
qui  violent  publiquement  ses  lois  ;  des  hom- 
mes qui  se  réjouissent,  se  nourrissent  déli- 
catement, s'engraissent  pendant  qu'elle  est 
dans  le  deuil,  les  larmes,  les  jeûnes,  ne  sont 
point  ses  disciples,  par  conséquent  ils  ne 
participent  point  avec  fruit  à  la  solennité 
pascale. 

Or,  d'après  ces  principes,  je  dis  que  le  ca- 
rême étant  établi  pour  nous  purifier  par  la 
pénitence  de  toutes  les  taches  et  de  toutes 
les  souillures  que  nous  avons  contractées 
dans  les  autres  temps  de  l'année,  et  nous 
faire  mériter,  comme  le  demande  l'Eglise, 
de  participer  aux  fruits  précieux  de  la  mort 
et  de  la  résurrection  du  Sauveur,  il  s'ensuit 
que  les  chrétiens  qui  ne  participent  point  à 
la  pénitence  du  carême ,  qui ,  dans  ces 
jours  de  jeûne,  d'abstinence,  de  deuil, 
vivent  avec  la  même  délicatesse,  la  même 
sensualité,  la  même  ardeur  pour  le  plaisir, 
sont  indignes,  aux  yeux  de  Dieu  et  de  l'E- 
glise, de  participer* aux  grâces  que  Jésus- 
Christ  nous  a  méritées  par  sa  mort  et  sa  ré- 
surrection. 


538 


Est-ce  se  préparer  à  la  fête  de  Pâques  que 
d'arriver  à  ce  saint  jour  coupable  de  Ta  trans- 
gression d'une  loi  solennelle  de  l'Eglise  ? 
Peut-on  raisonnablement  se  flatter  que  les 
l'en  itents  et  les  impénitents  seront  également 
traités? 

Qui  ne  reconnaît,  dit  saint  Augustin 
(epist.  113,  cap.  15),  la  sagesse  de  l'Eglise, 
toujours  conduite  par  le  Saint-Esprit  dans 
l'établissement  du  carême?  Pouvait -elle 
mieux  fixer  ce  temps  de  pénitence  que  dans 
les  jours  qui  précèdent  la  solennité  de  Pâ- 
ques? Quoi  de  plus  propre  à  préparer  ses 
enfants  à  célébrer  ces  grands  mystères,  que 
ces  jours  de  deuil,  de  prièrest  de  gémisse- 
ments continuels?  Quoi  de  plus  capable  de 
les  purifier  que  les  jeûnes,  les  abstinences 
et  les  mortifications  qu'elle  ordonne?  Ah  I 
il  convenait  que  "les  jours  qui  précèdent 
la  célébration  des  mystères  de  l'amour  du 
divin  Sauveur  fussent  consacrés  à  la  péni- 
tence. 

Ce  saint  docteur ,  dans  un  autre  endroit 
(tract.  17  in  Joan.),  distingue  encore,  selon 
l'esprit?  de  l'Eglise,  deux  temps  différents: 
le  temps  qui  précède  la  tête  de  Pâques,  et 
celui  qui  la  suit  :  Duo  tempora  ante  Pascha, 
etpost  Pascha. 

Celui  qui  précède  la  fête  de  Pâques,  dit-il, 
est  un  temps  de  pénitence,  de  pleurs,  de  gé- 
missements ;  l'autre  est  un  temps  d'un  saint 
repos,  de  joie,  d'allégresse;  l'un  est  l'image 
de  la  vie  présente,  qui  est  une  vie  de  dou- 
leurs, de  peines  ;  l'autre  est  une  image  de 
la  vie  future,  qui  est  une  félicité  de  pures 
délices  :  or  quelle  est  l'idée  de  ce  saint  doc- 
teur, en  parlant  ainsi  à  ses  auditeurs?  La 
voici  :  C'est  de  leur  prouver  que  la  vie  des 
chrétiens  qui  espèrent  une  vie  future,  un 
repos  éternel,  une  vie  nouvelle  avec  Dieu, 
doit  être  une  vie  de  combats,  de  pénitence, 
de  pleurs,  de  gémissements,  de  saints  dé- 
sirs. Et,  pour  rendre  son  raisonnement  plus 
sensible,  il  leur  rapporte  ce  qui  se  passe 
dans  l'Eglise  tous  les  ans,  la  pénitence  du 
carême  et  les  saintes  joies  pascales.  Avant 
Pâques,  dit-il,  on  jeûne,  on  se  mortifie,  on 
pleure,  toute  l'Eglise  est  en  deuil;  après 
Pâques,  une  sainte  allégresse  succède  à 
la  douleur,  des  chants  de  joie  à  de  tou- 
chantes lamentations.  L'Eglise  prend  ses 
ornements  de  fêle  ,  et  elle  permet  à  ses 
enfants  l'usage  des  choses  qu'elle  leur  avait 
interdites  par  un  esprit  de  mortification. 

Or  il  est  donc  évident  que  les  chrétiens 
du  temps  de  saint  Augustin  se  préparaient 
à  la  fête  de  Pâques  par  une  pénitence  de 
quarante  jours,  puisqu'il  se  sert  de  cetle 
pratique  pour  prouver  les  combats  de  la  vie 
présente  et  le  repos  de  la  vie  future,  qu'il 
désigne  l'une  par  la  pénitence  du  carême, 
et  l'autre  par  la  sainte  allégresse  du  temps 
pascal. 

Par  conséquent,  les  chrétiens  qui  pas- 
sent le  saint  temps  du  carême  dans  la  dissi- 
pation, le  plaisir;  qui  n'observent  ni  les 
jeûnes  ni  les  abstinences,  ne  participeront 
point  aux  saintes  joies  pascales,  parce  qu'ils 
n'y  seront  pas  préparés  par  la  pénitence. 


539 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


540 


CHAPITRE  XXXIX. 


Ce  que  doivent  faire  les  chrétiens  qui  ne  peu- 
vent point  jeûner  dans  le  saint  temps  de 
carême. 

Il  est  certain  qu'il  y  a  des  personnes  que 
le  jeûne  incommoderait  considérablement. 
L'Eglise,  cette  tendre  mère,  qui  n'a  point 
fait  une  loi  du  jeûne  pour  détruire  la  santé, 
mais  pour  affaiblir  Ja  concupiscence  qui 
nous  porte  violemment  au  mal  ;  apaiser  les 
révoltes  d'une  chair  qui  veut  assujettir  l'es- 
prit à  ses  coupables  penchants,  les  en  dis- 
pense, persuadée  qu'ils  y  suppléeront  par 
un  autre  genre  de  mortilication. 

Nous  ne  comprenons  donc  pas  ici  dans  la 
classe  de  ceux  qui  sont  dispensés  légitime- 
ment du  jeûne,  ceux  qjui  le  redoutent  par 
délicatesse  et  par  un  soin  excessif  de  leur 
santé;  ceux  qui  ne  jeûnent  point,  parce  qu'ils 
ont  été  malades  l'année  précédente,  ou  parce 
qu'ils  craignent  que  le  jeûne  les  incom- 
mode; ceux  qui  le  quittent  après  quelques 
jours ,  parce  qu'ils  se  sentent  un  peu  affai- 
blis, un  peu  échauffés,  ou  que  la  faim  les 
presse;  ceux  qui  prétendent  que  des  voyages, 
<les  .affaires  de  commerce,  l'occasion  d'un 
ami,  d'un  parent,  les  excusent  de  l'infrac- 
tion du  jeûne.  Tout  doit  céder  à  la  loi  de 
l'Eglise. 

C'est  comme  homme  que  Jésus-Cbrist  a 
jeûné,  c'est  pour  nous  servir  de  modèle  ;  or 
il  a  soufTert  la  faim  :  Esuriit.  (Matth.,  IV.) 
Le  démon  l'a  sollicité  inutilement  de  chan- 
ger les  pierres  en  pain.  Malgré  l'appétit  et 
la  faim,  malgré  les  raisons  d'intérêt,  ce  que 
peuvent  nous  dire  des  parents,  des  amis, 
nous  devons  donc  accomplir  la  loi  du  jeûne. 
Ces  principes  posés,  venons  à  ceux  que  l'E- 
glise dispense  du  jeûne;  mais  ne  nous  éloi- 
gnons pas  de  son  esprit. 

Les  infirmes,  les  vieillards,  les  femmes 
enceintes,  ceux  qui  sont  appliqués  à  des  tra- 
vaux rudes  et  pénibles  ;  voilà  ceux  qu'elle 
dispense  de  la  loi  du  jeûne;  il  ne  s'agit  que 
de  ne  point  prendre  le  change,  et  de  ne 
point  faire  consister  toute  la  pénitence  du 
carême  dans  le  jeûne. 

1°  Les  infirmes  sont  dispensés  du  jeûne. 
Nous  entendons  ici  par  infirmes  non-seu- 
lement ceux  que  la  fièvre  ou  d'autres  maux 
violents  étendent  sur  un  lit  de  douleur, 
mais  encore  ceux  qu'une  extrême  délica- 
tesse, des  douleurs  d'estomac  ou  de  poi- 
trine, de  pressants  besoins  jettent  dans  la 
langueur,  la  défaillance,  lorsqu'ils  sont  long- 
temps sans  rien  prendre  ;  voilà  un  obstacle 
au  jeûne  ;  mais  ce  n'est  pas  toujours  un  obs- 
tacle à  l'abstinence;  c'en  est  encore  moins 
un  à  la  prière,  à  la  retraite,  à  l'aumône,  à  la 
douleur  du  cœur,  à  la  patience,  à  la  charité. 
Ces  personnes  infirmes  doivent  suppléer  au 
jeûne,  en  se  privant  dans  le  saint  temps  de 
carême  des  plaisirs  les  plus  innocents,  en 
donnant  à  la  prière,  au  recueillement  les  mo- 
ments qu'elles  donnent  aux  visites,  aux  ré- 
créations, au  jeûne;  en  faisant  jeûner  leurs 
yeux,  leur  langue,  et  surtout  leur  cœur.  La 
chanté  doit  prendre  des  accroissements  dans 


la  faiblesse  du  corps;  et  le  cœur  peut  être 
pénitent,  quand  la  sanlé  ne  permet  pas  de 
pratiquer  d'austérités. 

2U 11  y  a  des  vieillards  dispensés  du  jeûne; 
mais  ce  sont  ceux  que  le  poids  des  années  a 
affaiblis  et  rendus  débiles,  selon  les  termes  de 
l'Eglise  ;  car  il  y  a  des  personnes  âgées  dont 
la  force  et  la  vigueur  peuvent  soutenir  de 
longs  jeûnes  :  on  en  voit  que  rien  n'incom- 
mode; on  en  voit  qui  perpétuent  même  les 
excès  de  la  table  jusquau  tombeau.  Une 
nourriture  légère  prolonge  les  jours  des 
vieillards,  la  moindre  intempérance  les 
abrège.  IL  n'y  a  donc  point  d'âge  fixé  lors- 
qu'il s'agit  d'être  dispensé  du  jeûne. 

Mais  quels  doivent  être  lessentiments  des 
vieillards  que  la  débilité  empêche  de  jeûner 
dans  le  saint  temps  de  carême?  Des  senti- 
ments de  douleur,  de  componction.  Hélas  1 
doivent-ils  dire  en  eux-mêmes,  plus  j'ai  be- 
soin de  faire  pénitence,  moins  je  suis  en 
état  de  la  pratiquer.  Le  tombeau  s'ouvre  sous 
mes  yeux,  je  vais  y  descendre  ;  Dieu  m'a 
accordé  bien  des  années  sur  la  terre,  et  elles 
n'ont  servi  qu'à  multiplier  mes  iniquités. 
Mon  corps  abattu,  mes  membres  languis- 
sants ne  peuvent  point  supporter  d'austéri- 
tés, mais  mes  yeux  peuvent  répandre  des 
larmes,  mon  cœur  peut  être  pénitent  et  dé- 
chiré par  la  douleur  :  voilà  ma  ressource, 
j'en  profiterai. 

3°  Que  les  jeunes  gens  apprennent  que 
s'ils  sont  dispensés  du  jeûne  jusqu'à  vingt 
et  un  ans,  ils  ne  sont  pas  dispensés  de  la  pé- 
nitence ;  que  le  feu  d'un  tempérament  qui 
n'est  pas  encore  formé  les  expose  tous  les 
jours  au  feu  de  la  vengeance  céleste,  et  que 
ce  n'est  que  par  la  sobriété,  la  vigilance,  la 
prière  et  la  mortification  chrétienne,  que 
leur  innocence  échappera  au  naufrage  qui 
les  menace. 

4-°  Les  nourrices  et  les  femmes  enceintes 
sont  dispensées  du  jeûne,  mais  elles  ne  sont 
pas  dispensées  de  se  mortifier  :  elles  ne  peu- 
vent pas  être  longtemps  sans  manger,  mais 
elles  peuvent  se  priver  de  bien  des  choses 
qui  mortifient  sans  préjudiciel"  à  la  sanlé. 
L'Eglise  appréhende  que  le  jeûne  ne  nuise 
au  fruit  qu'elles  portent,  et  elles  ne  crai- 
gnent pas  souvent  de  lui  nuire  par  des  excès 
dans  le  boire  et  le  manger,  par  des  liqueurs, 
des  veilles,  une  fureur  pour  le  plaisir.  Si 
elles  suivaient  l'esprit  de  l'Eglise  en  profi- 
tant de  son  indulgence,  elles  seraient  plus 
prudentes  et  plus  mortifiées;  elles  pratique- 
raient un  genre  de  pénitence  dans  le  carême 
plu*  propre  à  les  conserver  qu'à  les  détruire. 

Enfin,  les  ouvriers  dont  les  travaux  sont 
continuels,  rudes  et  pénibles,  sont  dispen- 
sés du  jeûne  ;  mais  cette  indulgence  de  l'E- 
glise n'excuse  pas  tous  les  péchés  que  com- 
mettent ces  gens  grossiers,  qui  ne  mettent 
aucune  différence  entre  les  saints  jours  du 
carême  et  les  autres  temps  de  l'année;  qui 
fréquentent  les  cabarets  dans  ce  temps  de 
pénitence,  qui  y  soutiennent  de  longues 
séances  et  ajoutent  aux  excès  du  vin  des 
discours  obscènes  et  des  chants  dissolus. 
Des  chrétiens  qui  sont  obligés  de  manger 


&M 


INSTRUCTION  SUR  LA  PENITENCE  DU  CAREME.  —  ÇBAP.  XL. 


552 


souvent  pour  résister  au  travail ,  doivent  au 
moins  s'interdire  le  cabaret  dans  le  carême. 
11  est  scandaleux  de  voir  ces  lieux  remplis 
dans  un  temps  de  pénitence  universelle  ;  et 
les  confesseurs  ne  sauraient  être  trop  fermes 
envers  ceux  qui  y  vont  et  ceux  qui  les  reçoi- 
vent. Quand  on  ne  peut  point  jeûner,  on 
doit  suppléer  au  jeûne  par  d'autres  mortifi- 
cations. On  est  toujours  coupable  quand  on 
n'est  pas  pénitent  dans  le  carême. 

CHAPITRE  XL. 

Ce  que  doivent   faire  les  chrétiens  qui  ne 
peuvent  point  observer  /' 'abstinence. 

Le  gras  n'est  pas  absolument  aussi  néces- 
saire à  la  santé  que  les  mondains  délicats 
se  l'imaginent.  S'ils  respectaient  la  loi  de 
l'Eglise,  tous  les  obstacles  qu'ils  trouvent 
lorsqu'il  s'agit  de  pratiquer  l'abstinence, 
s'évanouiraient  ;  mais  ils  ne  sont  alarmés 
sur  leur  santé,  et  ils  ne  craignent  de  l'al- 
térer que  lorsqu'il  s'agit  de  se  mortifier  et  de 
satisfaire  aux  devoirs  du  christianisme. 

Cette  santé  qui  leur  est  si  précieuse, 
qu'ils  craignent  tant  d'affaiblir  par  l'absti- 
nence, combien  n'est-elle  pas  prodiguée 
lorsqu'il  s'agit  de  l'intérêt ,  du  plaisir  et  de 
satisfaire  ses  inclinations? 

Ménage-t-on  sa  santé  à  ces  longs  repas 
où  l'on  mange  avec  excès,  où  l'on  boit  de 
même,  où  l'on  échauffe  son  sang  par  les  ra- 
goûts piquants  et  les  liqueurs  violentes  qui 
en  font  l'àme  et  l'ornement?  11  faut  avoir 
recours  à  la  diète,  aux  rafraîchissements,  et 
quelquefois  à  des  remèdes  plus  prompts  et 
plus  violents  pour  réparer  le  déchet  que  la 
bonne  chère  a  fait  à  la  santé.  On  ne  voit  pas 
les  chrétiens  mortifiés  ni  ceux  qui  obser- 
vent l'abstinence  ordonnée  par  l'Eglise,  ex- 
posés à  ces  révolutions. 

Les  veilles,  les  parties  de  plaisir,  une  vie 
de  mouvement ,  d'agitation  ;  un  dérange- 
ment continuel  pour  les  heures  du  sommeil, 
des  repas,  tantôt  un  loisir  qui  ennuie,  tantôt 
une  occupation  qui  fatigue;  tout  cela  altère 
la  santé,  qui  demande  un  régime,  un  ordre 
dans  le  plan  de  notre  vie.  Cependant  les 
mondains  ne  s'en  plaignent  point.  Ils  aiment 
les  plaisirs,  ils  les  goûtent  aux  dépens  de 
leur  santé  ;  ils  n'opposent  leur  délicatesse 
que  lorsqu'il  s'agit  de  l'abstinence  ordonnée 
par  l'Eglise.  Ah  !  si  l'on  avait  plus  de  piété, 
on  n'aurait  plus  d'obstacle  à  opposer  à  la 
loi. 

Je  pourrais  dire  ici  que  l'abstinence  n'in- 
commode certaines  personnes  que  parce 
qu'elles  ne  se  contentent  pas  d'un  mets 
simple,  doux  et  léger.  L'art  avec  lequel  on 
prépare  les  aliments  de  carême,  tout  ce 
qu'on  y  mêle  pour  piquer  le  goût ,  satisfaire 
la  sensualité  ;  voilà  ce  qui  nuit  à  la  santé ,  et 
non  pas  l'abstinence  du  gras. 

Combien  de  personnes  qui  pratiquent 
l'abstinence  toute  l'année  dans  ces  différents 
ordres  de  l'Eglise  1  Ne  voit-on  pas  dans  leurs 
retraites  plus  de   vieillards  que  dans   les 


cours  des  grands  ?  Quelle  santé  plus  robuste 
que  celle  des  pauvres  des  campagnes,  dont 
la  vie  est  si  frugale,  et  qui,  bien  loin  d'a- 
voir un  gras  succulent,  n'ont  pas  même 
souvent  des  légumes  ? 

Oui,  cette  foule  de  chrétiens  qui  se  dispen- 
sent aujourd'hui  de  l'abstinence,  n'auraient 
pas  une  seule  excuse  si  l'irréligion  ne  pré- 
sidait pas  à  l'examen  de  leur  santé. 

A  mesure  que  la  piété  s'est  affaiblie,  le 
nombre  des  infracteurs  a  augmenté;  at, 
comme  l'on  semble  avoir  aujourd'hui  se- 
coué le  joug  de  la  foi ,  il  ne  faut  pas  s'éton- 
ner de  ce  grand  déchet  que  nous  voyons 
dans  la  pénitence  du  carême. 

Cependant  à  Dieu  ne  plaise  que  je  prête 
à  tous  ceux  qui  font  gras  dans  le  carême  les 
mêmes  vues  d'indépendance  et  d'irréligion  ! 
11  y  a  des  infirmes  et  des  personnes  qui 
même,  sans  être  malades,  ont  dans  leur 
tempérament  un  obstacle  invincible  au  mai- 
gre, et  qui  par  conséquent,  sont  légitime- 
ment dispensés  de  l'abstinence.  11  ne  s'agit 
que  de  faire  observer  à  ces  chrétiens  com- 
ment ils  doivent  user  de  l'indulgence  de 
l'Eglise. 

Or  je  ne  saurais  leur  rien  dire  de  plus 
sûr  et  de  plus  touchant  que  ce  que  saint 
Charles  Borromée  dit  dans  un  des  conciles 
qu'il  a  tenus  pendant  qu'il  occupait  le  siège 
de  Milan.  Ses  paroles  sont  celles  mêmes  do 
saint  Augustin,  qu'il  rapporte. 

Que  les  infirmes,  dit-il,  qui,  par  l'extrême 
faiblesse  de  leur  santé,  ne  peuvent  point 
pratiquer  l'abstinence,  gémissent  et  s'exci- 
tent à  la  douleur  en  prenant  leur  repas  ; 
qu'ils  s'affligent  intérieurement  d'être  sépa- 
rés des  fidèles  qui  jeûnent  et  sont  dans  la 
pénitence;  qu'ils  mangent  en  secret  autant 
qu'ils  pourront;  qu'ils  évitent  de  s'associer 
avec  ceux  qui  font  maigre,  et  qu'ils  prennent 
garde  de  les  exciter  par  leur  exemple  à  vio- 
ler la  sainte  loi  qui  oblige  tous  les  chrétiens 
dans  ces  saints  jours  à  la  pénitence  (57). 

Or  ceux  qui  sont  dispensés  de  l'absti- 
nence dans  le  carême  doivent  faire  attention 
à  trois  choses,  rapportées  dans  ce  canon  du 
cinquième  concile  de  Milan  :  1°  C'est  comme 
malades,  infirmes,  qu'ils  sont  dispensés  lé- 
gitimement de  l'abstinence  :  œyroti;  par  con  - 
séquent  il  faut  une  infirmité  réelle,  un  obs 
tacle  invincible  au  maigre,  ou  un  danger 
évident  pour  être  dispensé  de  l'abstinence 
dans  le  carême.  2°  Ils  doivent  suppléer  à 
cette  pénitence  corporelle  par  une  pénitence 
intérieure  :  ils  doivent  gémir  et  être  contrits 
de  leur  faiblesse  et  d'avoir  besoin  d'une  si 
grande  indulgence,  pendant  que  leurs  pé- 
chés exigent  une  pénitence  rigoureuse  : 
Animi  dolore  gemituque  cibum  captant;  par 
conséquent  ceux  qui,  sous  prétexte  que  le 
gras  leur  est  accordé  par  l'Eglise,  ont  une 
table  servie  avec  abondance  et  délicatesse  , 
y  paraissent  avec  joie  et  assaisonnent  leurs 
repas  comme  à  l'ordinaire  des  conversa- 
tions libres  et  enjouées,  pèchent  contre  la 
loi  de  la  pénitence  du  carême.  3°  Ils  doivent 


(57)  ExConcilio  Mediolanensi  quinlo  sub  S.  Carolo,  aimo  1579,  p.l,  lit.  3. 


si; 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


&M 


prendre  garde  d'exciter  les  autres  à  la  trans- 
gression de  la  loi  par  leur  exemple,  c'est-à- 
dire,  ou  par  les  discours  qu'ils  tiennent,  ou 
par  la  délicatesse  recherchée  des  mets  qu'on 
leur  sert,  ou  par  les  avis  qu'ils  donnent  : 
Ne  alios  suo  exetnplo  ad  violandum  provo- 
cent  ;  par  conséquent  ceux  qui  invitent  leurs 
amis,  qui  leur  donnent  le  choix  du  gras  ou 
du  maigre,  qui  se  contentent  des  prétextes 
qu'ils  apportent,  ou  de  la  permission  qu'ils 
ont  de  leur  médecin,  pèchent  contre  la  loi* 
qui  n'accorde  qu'un  gras  nécessaire  à  la 
santé,  et  lorsqu'il  y  a  une  infirmité  réelle. 

Quols  malades  que  ceux  qui  s'invitent,  se 
traitent  dans  le  carême  1  Quels  pénitents  que 
ceux  qui  recherchent  la  compagnie,  la  bonne 
chère  I  Quand  je  vois  ces  prétendus  infirmes 
assister  à  de  longs  et  splendklcs  repas  dans 
le  carême  ,  je  dis  qu'il  n'y  a  ni  infirmité 
réelle,  ni  respect  pour  la  loi  de  l'Eglise. 

CHAPITRE  XLI. 

Dieu  soutient  ceux  qui,  par  respect  pour  la 
loi  de  l'Eglise,  s'efforcent  de  pratiquer  le 
jeûne  et  l'abstinence  dans  le  saint  temps  de 
carême.  j 

Dieu  soutient  ceux  qui  se  mortifient,  s'af- 
fligent, pleurent  pour  expier  leurs  péchés 
et  venger  sa  justice  offensée  ;  il  répand  des 
douceurs  et  des  suavités  dans  la  pénitence 
la  plus  amère.  Les  jeûnes,  les  ahstinences, 
les  veilles,  les  larmes  ont  toujours  fait  la 
joie  des  pénitents  sincères;  ils  ne  les  ont 
pas  détruits. 

Je  ne  parle  pas  ici  des  miracles  que  Dieu 
a  opérés  pour  nourrir  dans  le 'désert  les  Paule, 
les  Antoine,  les  Marie  Egyptienne  et  tant 
d'autres  pénitents.  La  longueur  de  leurs 
jours  et  les  rigueurs  de  leur  pénitence  sont 
des  prodiges  qui  prouvent  sa  puissance  et 
confondent  certains  sages  de  la  Grèce  qui 
portaient  par  orgueil  la  sévérité  et  la  so- 
briété à  un  excès  qui  séduisait  les  peuples. 

Je  parle  ici  des  chrétiens  fidèles  aux  ri- 
gueurs de  leur  règle,  ou  à  la  pénitence  que 
l'Eglise  impose  à  ses  enfants  :  rigueurs  et 
pénitence  qui  n'ont  rien  d'extraordinaire, 
qui  affligent  la  chair  sans  la  détruire,  qui  ré- 
priment les  jiassions  du  corps  et  conservent 
la  beauté  de  l'âme. 

Or  j'avance  deux  choses  qui  sont  incon- 
testables, et  que  l'expérience  nous  prouve. 
La  première,  que  la  pénitence  du  carême, 
pratiquée  même  dans  toute  son  étendue,  se- 
lon l'esprit  de  l'Eglise,  avec  les  adoucisse- 
ments qu'elle  a  tolérés,  n'a  rien  de  contraire 
à  la  santé.  La  seconde,  que  Dieu,  qui  récom- 
pense les  moindres  efforts  de  ses  enfants 
soumis,  soutient  ceux  qui,  n'écoutant  point 
leur  faiblesse  ,  entrent  avec  zèle  dans  la 
sainte  ('arrière  de  la  pénitence  du  carême. 

Pour  prouver  ma  première  proposition,  je 
dois  vous  faire  observer  que,  malgré  l'irré- 
ligion de  notre  siècle,  il  y  a  encore  beau- 
coup d'âmes   fidèles  et  soumises  à  l'Eglise. 

Dans  tous  les  cloîtres,  toutes  les  commu- 
nautés religieuses,  les  congrégations,  les 
séminaires,  les  sociétés  religieuses,  on  ob- 


serve le  carême,  on  prat'que  exactement  lo 
jeûne  et  l'abstinence,  malgré  les  longs  offi- 
ces, les  veilles  de  la  nuit,  les  exercices  péni- 
bles du  chant  de  l'Eglise. 

Dans  le  monde  même  ,  tout  corrompu 
qu'il  est,  nous  ne  pouvons  pas  dire  avec  le 
Prophète  qu'il  n'y  a  plus  d'âmes  fidèles  : 
Déficit  sanctus  (Psal.  XI)  ;  qu'il  n'y  a  pas 
v.n  seul  chrétien  vertueux  et  j  énitent  : 
Non  estusque  ad  unitrn.  [Psal.  LU.) 

Que  de  familles  édifiantes  1  Que  de  laïques 
exacts  observateurs  de  la  loi  1  A  la  cour,  à  la 
ville,  dans  les  grands  et  les  petits,  les  riches 
et  les  pauvres,  les  savants  et  les  simples,  il 
y  a  de  religieux  observateurs  de  la  pénitence 
du  carême.  Or  voyez -vous  tous  ces  péni- 
tents sincères  chargés  d'infirmités  après  le 
carême?  les  jeûnes  et  l'abstinence  ont-ils 
détruit  leur  santé?  en  voyez-vous  beaucoup 
après  la  quarantaine  dans  l'épuisement,  la 
défaillance? 

Ah  1  c'est  après  les  plaisirs,  les  longs  re- 
pas, que  l'on  voit  les  mondains  épuisés, 
languissants,  chargés  d'infirmités.  La  bonne 
chère  en  a  [lus  fait  descendre  dans  le  tom- 
beau que  la  pénitence.  Combien  de  jeunes 
gens  nés  avec  un  tempérament  sain,  robuste, 
dont  la  santé  usée  ne  se  soutient  plus  que 
par  les  artifices  de  l'art  1  Est-ce  la  pénitence 
du  carême  qui  a  détruit  ces  colosses?  Non. 
Demandez-le  aux  mondains,  ils  vous  en  di- 
ront la  cause  en  deux  mots  :  ïl  a  vécu,  c'est- 
à-dire,  s'il  avait  été  plus  tempérant,  plus 
sobre;  s'il  eût  mené  une  vie  plus  frugale, 
sa  carrière  serait  plus  longue  et  moins  dou- 
loureuse. 

Que  les  médecins  vous  avouent  ce  qu'ils 
éprouvent  tous  les  ans,  ils  vous  diront  qu'ils 
visitent  un  nombre  de  personnes,  dans  le 
commencement  de  la  quarantaine ,  dont  la 
maladie  est  une  suite  des  plaisirs,  des 
excès, des  dissolutions  du  carnaval;  mais  ils 
ne  vous  diront  pas  qu'ils  visitent  après 
Pâques  des  personnes  dont  la  maladie  est 
causée  par  les  jeûnes  et  l'abstinence  que 
l'on  pratique  aujourd'hui. 

Cessez  donc,  chrétiens  lâches  et  délicats, 
d'être  alarmés  de  la  pénitence  du  carême,  à 
laquelle  l'Eglise  vous  oblige  avec  les  adou- 
cissements qu'elle  a  tolérés,  puisqu'elle  n'a 
rien  qui  détruise  la  santé,  et  qu'elle  vous 
expose  à  moins  d'infirmités  que  les  plaisirs 
et  la  bonne  chère  dont  vous  avez  tant  de 
peine  à  vous  priver. 

Vous  hésitez  à  pratiquer  la  pénitence  du 
carême  :  les  jeûnes,  l'abstinence  vous  ef- 
frayent ;  vous  n'avez  point  d'infirmités 
réelles,  mais  vous  avez  une  santé  faible  et 
délicate;  vous  craignez  de  l'altérer;  vous 
appréhendez  une  faiblesse,  un  épuisement; 
vous  respectez  la  loi  de  l'Eglise,  vous  vou- 
driez l'observer,  mais  vous  vous  méfiez  de 
votre  tempérament,  de  vos  forces.  Ah!  puis- 
que vous  n'avez  pas  au  commencement  de 
la  quarantaine  d'infirmités  réelles,  essayez, 
entrez  dans  cette  sainte  carrière  de  la  pé- 
nitence; commencez,  et  Dieu  vous  fiou- 
tiendra;  il  récompensera  vos  faibles  efforts, 


INSTRUCTION  SUR  LA  PENITENCE  DU  CAREME.  —  CHAP.  XLH. 


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et  vous   serez  peut-être   étonnés  de    votre 
i,anté  après  la  solennité  pascale. 

Daniel,  avec  d'autres  jeunes  Hébreux,  a  la 
cour  de  Nabuchodonosor  à  Babylone,  ayant 
appris  que  ce  monarque  avait  ordonné  qu'ils 
fussent  nourris  délicatement,  et  qu'on  leur 
.servît  les  mômes  viandes  et  le  même  vin 
qu'on  servait  sur  sa  table,  forma  la  résolu- 
tion de  plutôt  mourir  que  de  manger  ce  qui 
lui  était  interdit  par  sa  loi  :  Proposait  in 
corde  suo  ,  ne  pollueretur  de  mensa  régis. 
(Dan.,  I.)  Celui  qui  était  chargé  des  ordres 
du  prince  lui  dit  qu'il  voulait  bien  l'obliger, 
mais  qu'il  craignait  que  sa  santé  n'en  fût 
altérée,  et  que  s'il  n'était  point  dans  l'em- 
bonpoint et  une  brillante  santé  lorsqu'il  fau- 
drait paraître  devant  le  roi,  il  le  ferait  périr 
sous  le  glaive.  Daniel  lui  dit-:  Le  Dieu  que 
nous  servons  nous  soutiendra;  ne  craignez 
point,  éprouvez-nous  seulement  dix  jours, 
ne  nous  servez  que  des  légumes  et  de  beau  : 
Tenta  nos,  obseero ,  deeem  diebus.  (Ibid.) 
Après  ce  temps  de  pénitence  vous  ferez  un 
parallèle  de  notre  santé  avec  celle  de  ceux 
qui  mangent  à  la  table  du  roi  :  Contemplare 
vultus  noslros,  et  vultus  puercrum  qui  ve- 
teuntur  cibo  regio.(Jbid.)S\  vous  nous  trou- 
vez dépéris,  languissants,  vous  nous  défen- 
drez cette  abstinence  :  Sicut  videris  faciès. 
(Jbid.)  Ce  seigneur,  qui  aimait  Daniel,  lui 
accorda  cette  épreuve;  et,  après  ce  temps,  il 
vit  avec  admiration  que  Dieu  soutient  ses 
serviteurs  fidèles  dans  la  pénitence.  Ces 
trois  jeunes  Hébreux  étaient  plus  forts,  et 
avaient  une  santé  plus  brillante  que  tous 
ceux  qui  avaient  été  nourris  délicatement  : 
Apparucrunt  vultus  eorum  meliores  et  cor- 
pulentiores  prœ  omnibus  paeris  qui  vesceban- 
tur  cibo  regio.  (Ibid.) 

Or,  chrétiens,  qui  ,  hésitez  d'embrasser  la 
pénitence  du  carême  à  cause  de  votre  santé, 
essayez  du  moins  quelques  jours  :  Tenta, 
obseero, \dccem  diebus  (Ibid.);  Dieu  vous  sou- 
tiendra, il  récompensera  votre  respect  pour 
la  loi;  il  soutient  les  vrais  pénitents.  Si 
après  cette  épreuve  votre  santé  s'altère, 
s'affaiblit,  vous  n'aurez  rien  à  vous  repro- 
cher; vous  pourrez  alors  avoir  recours  à 
l'indulgence  de  l'Eglise  :  Sicut  videris  fa- 
ciès. (Ibid.) 

CHAPITRE  XLII. 

Le  crime  des  chre'ticns  qui  violent  la  sainte 
pénitence  du  carême  avec  scandale. 

Quelle  espèce  d'ennemis  que  l'Eglise  ren- 
ferme encore  dans  son  sein,  que  ces  hommes 
qui  méprisent  son  autorité,  violent  ses  lois 
les  plus  sacrées,  et  élèvent  autel  contre  au- 
tel !  Tels  sont  ces  mondains  qui  se  font  une 
gloire  dans  le  carême  de  violer  le  jeûne  et 
l'abstinence,  et  qui  opposent  à  la  pénitence 
publique  de  l'Eglise  une  vie  de  plaisirs  et 
de  bonne  chère. 

Sous  quels  traits  doit-on  représenter  ces 
pécheurs  scandaleux,  ces  infracteurs  or- 
gueilleux, ces  apôtres  de  la  licence,  ces  cen- 
seurs audacieux  des  pratiques  de  l'Eglise? 

S'ils  rompaient  le  jeûne  etj'abstinence  en 


secret,  s'ils  prétextaient  quelques  infirmités, 
s'ils  approuvaient  ceux  qui  obéissent  à  la 
loi  de  l'Eglise,  et  paraissaient  mortifiés  de 
ne  pas  être  pénitents,  l'infraction  de  la  pé- 
nitence du  carême  ne  nuirait  qu'à  eux  seuls; 
mais  leur  conduite,  leurs  discours,  leurs 
railleries,  leurs  objections,  annoncent  des 
hommes  qui  ont  levé  l'étendard  de  l'irréli- 
gion. Comment  donc  les  dépeindre?  Ah  I 
disons  que  ce  sont  des  aveugles  qui  ont  re- 
cours aux  ressources  que  leur  fournit  un 
génie  brillant,  mais  faux,  pour  justifier  la 
corruption  de  leurs  cœurs. 

Il  n'y  a  point  de  religion  dans  le  monde 
qui  n'ait  ses  pratiques  de  piété,  ses  jours  de 
pénitence.  Le  mahométisme ,  le  luthéra- 
nisme, le  calvinisme,  ont  des  pratiques  du 
pieté,  des  jeûnes.  Entend-on  un  mahométan, 
un  luthérien,  un  calviniste  parler  contre  ces 
pratiques  de  piété,  ces  jeûnes?  Se  fait-il  une 
gloire  de  les  violer?  Raille- t-il  ceux  qui  s'y 
soumettent?  Ose-t-il  dire  que  c'est  l'esprit  de 
domination,  l'intérêt,  la  politique,  qui  ont 
présidé  à  l'établissement  de  ces  pénitences? 
C'est  ce  que  l'on  n'a  jamais  entendu.  11  était 
donc  réservé  à  des  hommes  qui  se  disent 
encore  chrétiens  catholiques,  de  railler  la 
religion  qu'ils  professent,  de  censurer  ses 
lois,  de  les  violer  publiquement,  et  de  se 
faire  honneur  de  leur  coupable  révolte? 

Or  comment  n'aperçoit-on  pas  tout  le 
crime  de  ces  pécheurs  scandaleux  ,  tout  le 
faux  de  leurs  raisonnements?  Pourquoi  ne 
les  humiJie-t-on  pas?  Pourquoi  ne  les  a-t-on 
pas  en  horreur?  Un  homme  qui  blâme,  cen- 
sure la  religion  qu'il  professe,  n'est  plus  un 
homme  d'esprit,  c'est  un  impie  qui  se  joue 
de  ce  qu'il  y  a  de  plus  saint  r  on  doit  le  fuir. 
Que  les  hommes  n'ont-ils  pas  à  redouter  de 
lui,  s'il  manque  à  Dieul  Les  progrès  que 
l'incrédulité  a  faits  dans  notre  siècle,  les  ef- 
forts de  l'esprit  humain  empêchent  qu'on  en 
conçoive  une  juste  idée. 

Mais  examinons  [dus  en  détail  le  crime  de 
ceux  qui  violent  la  sainte  ]  énitence  du  ca- 
rême avec  scandale,  on  en  apercevra  toute 
l'énormité  et  toutes  les  suites  malheureuses. 

1°  J'appelle  infracteurs  scandaleux  de  la 
sainte  pénitence  du  carême  ceux  qui,  publi- 
quement et  sans  aucune  infirmité,  rom- 
pent les  jeûnes  et  l'abstinence  ordonnes 
dans  ce  saint  temps,  et  je  dis  qu'ils  commet- 
tent un  crime  qui  combat  ouvertement  l'au- 
torité de  l'Eglise. 

11  est  certain  que  l'Eglise  a  reçu  de  Dieu 
toute  autorité  sur  la  terre  pour  le  gouverne- 
ment des  âmes,  la  conservation  de  la  foi,  la 
même  que  Jésus-Christ  avait  et  qu'il  avait 
reçue  de  son  Père:  or  cette  vérité  posée,  n'est- 
ce  pas  combattre  l'autorité  de  l'Eglise  que 
de  violer  ses  lois  solennellement  intimées 
et  annoncées?  N'est-ce  pas  dire  qu'on  ne  la 
reconnaît  pas,  qu'on  la  méprise,  que  de  se 
livrer  à  la  bonne  chère,  que  de  manger  gras 
publiquement  dans  le  carême,  sans  apporter 
d'autre  cause  de  son  infraction  que  sa  vo- 
lonté. Tel  est  le  premier  caractère  de  ces  pé- 
cheurs scandaleux. 

2°  Les  discours  indécents  de  ces  infrac- 


5-i7 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


548 


tours  scandaleux  approuvent  et  accréditent 
les  arguments  des  hérétiques  contre  la  pé- 
nitence du  carême,  et  les  surpassent  môme 
en  matièro  de  critique  et  de  censure  :  aussi 
le  nom  de  chrétiens  catholiques  qui  leur 
reste  procure-t-il  de  funestes  progrès  à  leur 
pernicieuse  morale. 

Les  plus  hahiles  ministres  protestants, qui 
ont  écrit  contre  la  pénitence  du  carême,  ont 
trouvé  dans  l'Eglise  romaine  des  adversaires 
redoutables.  Ils  n'ont  pu  résister  quelque 
ternes  qu'en  chicanant  sur  le  nombre  des 
jours  du  carême  ;  et  nous  ne  voyons  pas  que 
leurs  écrits  aient  causé  à  cette  sainte  péni- 
tence le  déchet  que  causent  depuis  une  cin- 
quantaine d'années  les  discours  licencieux 
nés  catholiques  corrompus  dans  les  mœurs. 
Qui  pourrait  entendre,  sans  être  pénétré 
de  douleur,  ces  mondains  délicats  et  incré- 
dules, débiter  avec  orgueil  les  réflexions  cri- 
tiques de  quelques  savants  impies  sur  l'éta- 
blissement de  la  pénitence  du  carême  ;  l'at- 
tribuer à  la  politique,  à  l'intérêt;  enchérir 
sur  les  objections  des  hérétiques  par  de 
fades  plaisanteries?  Comment  des  chrétiens, 
qui  ont  encore  de  la  foi,  peuvent-ils  les  en- 
tendre? Comment  osent-ils  s'asseoir  avec 
eux  à  une  table  couverte  de  mets  défendus 
par  la  loi?  Second  caractère  du  crime  des 
infracteurs  scandaleux  de  la  pénitence  du 
carême.  Leurs  discours  causent  plus  de  mal 
que  tous  les  écrits  des  hérétiques. 

3°  Crime  dont  le  coupable  exemple  en- 
traîne dans  la  désobéissance  un  grand  nom- 
bre de  chrétiens  peu  affermis  dans  la  foi,  et 
qui  fait  triompher  les  protestants. 

La  déférence  que  l'on  a  pour  les  lumières, 
le  rang,  les  accueils  de  ces  mondains  infrac- 
teurs, font  qu'on  les  écoute;  ensuite  on  ap- 
fdaudit,  enlin  on  les  imite.  Les  prédicateurs 
es  plus  zélés,  les  apôtres  mêmes  en  chaire,  ne 
font  pas  les  conquêtes  que  font  ces  hommes 
d'incrédulité:  les  protestants  triomphent  de 
ces  infractions  publiques  et  sans  nombre 
de  la  pénitence  du  carême  des  chrétiens;  l'E- 
glise et  toutes  les  âmes  fidèles  en  gémissent; 
mais  que  ces  succès  des  infracteurs  scanda- 
leux sont  déplorables  1  qu'ils  leur  causeront 
de  regrets  et  de  larmes  I 

Malheur  à  celui  qui  désobéit  à  l'Eglise; 
malheur  à  celui  par  qui  vient  le  scandale  ; 
malheur  à  celui  qui  sert  d'instrument  au  dé- 
mon pour  perdre  son  frère.  Les  infracteurs 
scandaleux  de  la  pénitence  du  carême  font 
tout  cela,  ils  encourent  donc  tous  ces  ana- 
thèmes. 

Vous  commencez,  ô  Epouse  de  Jésus- 
Christ,  à  leur  faire  sentir  l'énormité  de  leur 
crime,  en  ordonnant  dans  vos  saintes  assem- 
blées aux  confesseurs,  de  les  priver  de  la 
grâce  de  l'absolution  e-t  de  la  communion 
pascale. 


CHAPITRE  XL1II. 


Le  crime  des  chrétiens  qui  se  servent  de  leur 
autorité  ou  de  l'ascendant  quils  ont  sur 
leurs  enfants ,  leurs  domestiques ,  leurs 
amis,  pour  leur  faire  violer  la  sainte  péni- 
tence au  carême. 

Quel  temps  1  quelle  foil  quelles  mœurs! 
Jamais  siècle  ne  fut  plus  irréligieux  que  le 
nôtre  ;  jamais  la  foi  n'a  été  plus  rare  ;  jamais 
les  mœurs  n'ont  été  plus  licencieuses.  Notre 
siècle  est  éclairé,  fécond  en  beaux  génies; 
la  foi  est  la  matière  de  toutes  les  conversa- 
tions :  on  ne  cesse  d'écrire,  de  disputer  sur 
les  objets  qu'elle  nous  propose.  Les  mœurs 
louées,  accréditées,  combattent  la  morale, 
les  maximes  de  l'Evangile  ;  les  pères  et  les 
maîtres,  les  amis  sont  autant  d'apôtres  qui 
enseignent  le  mépris  de  la  loi,  qui  promet- 
tent une  fausse  paix,  qui  égarent  ceux  qu'ils 
conduisent,  et  qui  les  enhardissent  au  crime, 
à  l'impiété. 

Qui  croirait  que  dans  la  maison  d'un  chré- 
tien catholique  il  y  eût  du  danger  pour  le 
salut?  qu'on  y  fût  perpétuellement  tenté  de 
désobéir  à  l'Eglise  et  même  forcé  de  violer 
ses  lois  les  plus  sacrées  ?  C'est  cependant  ce 
que  nous  voyons  tous  les  ans  avec  douleur. 

Des  parents  irréligieux  ne  se  contentent 
pas  de  rompre  l'abstinence,  ils  la  font  rompre 
a  leurs  enfants:  en  vain  la  délicatesse  de 
leur  conscience  réclame -t- elle  contre  des 
ordres  que  le  mépris  de  la  loi  seule  a  dictés  ;  en 
vain  opposent-ils  leur  santé,  leur  tempéra- 
ment; en  vain  leur  piété  gémit-elle  :  les  ordres 
sont  donnés,  il  faut  obéir  à  ces  parents  infrac- 
teurs, et  désobéir  à  l'Eglise.  Un  prétexte  fri- 
vole les  a  déterminés  à  faire  gras,  un  système 
d'économie  les  détermine  à  s'associer  leurs 
enfants  pour  violer  la  sainte  pénitence  du 
carême.  On  ne  servira  point  d'autres  mets 
dans  tout  ce  saint  temps  que  ceux  qui  sont 
défendus  par  l'Eglise. 

Sentez-vous,  parents  irréligieux,  toute  l'é- 
normité de  votre  crime?  vous  ôtez  à  vos  en- 
fants un?  vie  mille  fois  plus  précieuse  que 
celle  que  vous  leur  avez  donnée,  la  vie  de 
l'âme;  vous  étouffez  dans  leurs  tendres  cœurs 
les  sentiments  de  piété  que  la  grâce  y  a  fait 
naître;  vous  voulez  qu'ils  vous  obéissent,  et 
vous  les  forcez  à  désobéir  au  Seigneur  en 
les  forçant  de  désobéira  son  Eglise.  Vous 
êtes  le  pasteur  de  votre  famille,  l'évêque, 
l'apôtre,  et  vous  leur  prêchez  une  morale 
qui  combat  celle  de  l'Evangile.  Vous  les  con- 
duisez dans  les  routes  de  la  perdition;  vous 
leur  apprenez  à  mépriser  les  ordres  et  les 
menaces  de  l'Eglise,  les  avis  d'un  confesseur 
éclairé,  prudent,  ferme;  il  faut  qu'ils  le 
quittent  poursuivre  le  plan  de  vie  criminelle 
que  vous  leur  tracez ,  et  qu'ils  s'adressent 
comme  vous  à  des  guides  commodes,  indiffé- 
rents sur  la  perte  des  âmes  qu'ils  conduisent. 
Ahl  la  perte  de  ces  enfants  que  l'Eglise  a  re- 
çus dans  son  sein  et  régénérés  dans  les  eaux 
sacrées  du  baptême,  que  des  ministres  zélés 
ont  instruits  et  formés  à  la  piété,  vous  sera 
imputée  ;  elle  fera  une  partie  de  votre  far- 
deau au  tribunal  de  Jésus-Christ  et  de  voire 


so 


INSTRUCTION  SUR  LA  PENITENCE  DU  CAREME.  —  C1I.VP.  XL1V. 


550 


supplice  dans  les  enfers.  S'ils  sont  aussi 
mondains,  aussi  irréligieux,  aussi  impéni- 
tents que  vous  dans  la  suite,  vous  aurez  été 
leurs  maîtres  :  leur  malheur  sera  de  vous 
avoir  imités.  C'est  vous  qui  les  aurez  attachés 
au  char  du  démon.  Vous  ahusez  de  votre 
autorité'  pour  éteindre  la  piété  dans  leurs 
cœurs,  et  les  rendre  complices  de  vos  infrac- 
lions  scandaleuses  ;  ils  la  délesteront,  ils  la 
maudiront  dans  l'enfer,  s'ils  ont  le  malheur 
d'y  être  ensevelis  avec  vous. 

Que  dirai-je  de  ces  maîtres  qui  forcent 
leurs  domestiques  à  violer  la  sainte  péni- 
tence du  carême?  Le  nombre,  hélas!  en  est 
grand  dans  notre  siècle.  L'irréligion  qui  ne 
régnait  autrefois  que  dans  les  grands  sans 
piété  ou  chez  le  peuple  ignorant  et  grossier, 
s'estintroduitede  nos  jours  dans  le  tiers  état  : 
des  bourgois  notables,  par  la  seule  raison 
d'économie,  violent  l'abstinence  du  carême, 
et  la  font  violer  à  leurs  domestiques  ;  il  en 
coûterait  trop  pour  préparer  différents  mets. 
Cela  suffît:  ceux  qui  sont  défendus  par  l'E- 
glise seront  les  seuls  que  l'on  servira. 

Quel  piège  tendu  à  la  piété  d'un  domes- 
tique 1  S'il  craint  le  Seigneur,  s'il  ne  veut 
point  souiller  son  âme  par  une  désobéissance 
formelle  à  la  loi  de  l'Eglise,  il  faut  qu'il  perde 
sa  condition,  qu'il  quitte  des  maîtres  catho- 
liques, parce  que  sa  conscience  y  est  plus 
gênée  que  chez  un  protestant. 

Un  luthérien,  un  calviniste  serait  mésé- 
difié  de  voir  un  catholique  faire  gras  dans  le 
carême  ;  et  un  maître,  qui  professera  religion 
romaine,  menace  un  domestique  qui  refuse 
d'imiter  sa  coupable  audace  à  violer  la  loi  de 
l'Eglise. 

Avec  quel  art  des  amis  sans  religion  n'en- 
hardissent-ils pas  leurs  amis  à  l'infraction  de 
la  sainte  pénitence  du  carême  !  Us  les  alar- 
ment sur  leur  santé,  ils  leur  rappellent  des 
infirmités  passées;  leurs  enfants,  leurs  em- 
plois, leurs  talents ,  tout,  selon  eux,  les  au- 
torise à  rompre  le  jeûne  et  l'abstinence  pour 
conserver  des  jours  précieux  à  une  famille, 
à  la  société. 

Fait-on  connaître  de  la  délicatesse,  des  re- 
mords, ces  séducteurs  s'accommodent  à  la 
piété;  ils  parlent  de  Dieu  :  Dieu  n'exige  pas, 
disent-ils,  ces  austérités;  votre  pénitence  dé- 
placée lui  déplairait;  le  cœur  est  tout  ce  qu'il 
demande  ;  les  jeûnes  et  l'abstinence  peuvent 
être  pratiqués  par  des  solitaires  morts  au 
monde,  par  des  religieux  ou  des  religieuses 
dans  la  retraite  et  dégagés  des  embarras  du 
siècle;  par  des  personnes  dévouées  à  la  piété, 
et  qui  n'ont  pas  autre  chose  à  faire;  mais 
vous,  que  des  occupations  perpétuelles  agi- 
tent, que  les  sollicitudes  d'un  commerce, 
d'une  fortune  commencée,  que  l'établisse- 
ment d'une  famille  inquiètent,  que  des  ta- 
lents utiles  rendent  nécessaires,  il  faut  vous 
conserver  et  vous  dispenser  de  la  pénitence 
ordonnée  par  l'Eglise. 

C'est  ainsi  que  ces  infracteurs,  en  étalant 
la  bonté  de  Dieu,  inspirent  du  mépris  pour 
l'autorité  de  l'Eglise,  s'efforcent  d'augmen- 
ter le  nombre  des  désobéissants. 

Ah!  quel  apostolat  cpie  celui  qui  s'exerce 


pour  détruire  et  faire  mépriser  tout  ce  qui  a 
été  enseigné  et  établi  par  les  apôtres  de  la 
doctrine  de  Jésus-Christ!  Quel  est  le  crime 
de  ces  séducteurs!  Us  sont  plus  à  redouter 
que  les  hérétiques  mêmes. 

CHAPITRE  XLIV. 

Le  déchet  de  la  sainte  pénitence  du  carême 
qui  nous  afflige  aujourd'hui,  est  une  suite 
du  déchet  de  la  foi. 

Pour  peu  qu'on  réfléchisse  sur  l'antiquité 
delà  pénitence  du  carême,  qu'on  fasse  attent 
tion  à  l'autorité  de  ceux  qui  l'ont  établ-e,  aux 
témoignages  de  ceux  qui  en  ont  parlé,  à  la 
ferveur  des  chrétiens  qui  l'ont  observée  si  re- 
ligieusement pendant  une  longue  suite  de 
siècles,  à  l'esprit  de  l'Eglise  qui  n'a  jamais 
varié  sur  l'essence  de  cette  sainte  pratique, 
et  à  la  solennité  avec  laquelle  elle  annonce 
encore  aujourd'hui  ces  jours  de  jeûne  et 
d'abstinence;  on  aperçoit  un  déchet  déplo- 
rable de  la  foi  :  on  ne  trouve  plus  aucune 
conformité  avec  celle  de  nos  pères. 

La  plus  vénérable  antiquité,  les  traditions 
apostoliques,  les  lois  de  l'Eglise,  la  soumis- 
sion de  ses  enfants,  tout  est  critiqué,  cen- 
suré, blâmé  aujourd'hui. 

Or  d'où  vient  ce  mépris?  Quelle  est  Ja 
source  de  cette  révolte,  de  ces  désobéissan- 
ces, de  ces  trangressions  publiques?  L'irré- 
ligion de  notre  siècle,  les  funestes  progrès 
de  l'incrédulité,  les  coupables  productions 
de  certains  savants  superbes,  sans  religion. 

L'esprit  a  voulu  régner,  briller;  ses  sacri- 
lèges efforts  ont  séduit,  on  les  a  admirés;  la 
simplicité  de  la  foi  a  déplu,  parce  qu'elle 
humilie  l'orgueilleuse  raison  de  l'homme. 
On  n'a  pas  redouté  les  écrits  des  savants  in- 
crédules, on  les  a  lus,  ils  se  sont  déb  tés, 
ils  ont  même  reçu  des  applaud  ssen  ents. 
De  là  des  doutes  sur  les  plus  grandes  véri- 
tés, ensuite  des  désaveux  solennels  des  faits 
les  plus  graves,  les  mieux  attestés  ;  enfin, 
les  progrès  du  déisme,  du  matérialisme,  et 
de  tous  les  systèmes  qui  s'accommodent  aux 
penchants,  aux  passions  du  cœur  huma.n. 

On  gémit  aujourd'hui  de  ces  funestes  pro- 
grès, on  aperçoit  le  danger  pour  la  foi  dans 
ce  royaume  :  ce  ne  sont  pas  seulement  cer- 
tains savants,  certains  mondains  distingués, 
mais  ce  sont  des  chrétiens  de  tous  les  états 
qui  ont  été  séduits,  qui  méprisent  la  simpli- 
cité de  la  foi,  que  ses  saintes  obscurités  ré- 
voltent, qui  critiquent  et  raillent  les  lois, 
les  pratiques  de  l'Eglise  les  plus  sacrées. 

Dcslibelles  impies  passés  de  main  en  main 
h  la  faveur  des  ténèbres  ont  corrompu  tous 
les  cœurs  et  séduit  tous  les  esprits. 

Le  chrétien  fidèle  redoute  la  compagnie 
des  autres  chrétiens,  parce  qu'armés  des 
anecdotes  scandaleuses,  des  réflexions  liber- 
tines, des  décisions  téméraires  d'un  savant 
accrédité,  on  raille,  on  combat,  on  nie  même 
les  dogmes  de  la  religion  dans  un  cercle,  à 
une  table;  toutes  les  vérivés  de  la  foi  sem- 
blent n'être  plus  aujourd'hui  que  des  pro- 
blèmes dans  la  bouche  des  enfants  du  siè- 


551 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


ftSi 


cle  :  Diminuâtes  sunt  veritates  a  filiis  homi- 
nu:n:  (Psal.  XL) 

Or  il  n'est  pas  douteux  que  cet  esprit 
d'irréligion  si  accrédité,  est  aujourd'hui  la 
cause  de  ce  déchet  déplorable  de  la  péni- 
tence du  carême,  qui  nous  afflige  :  qu'on  y 
fasse  attention,  il  a  augmenté  à  mesure  aue 
l'incrédulité  a  fait  des  progrès. 

Remontons  aux  premiers  siècles  de  l'E- 
glise, ces  temps  où  la  foi  était  si  vive,  si  sou- 
mise. Nous  y  verrons  la  pénitence  du  carême 
(pratiquée  avec  une  rigueur  qui  nous  étonne, 
et  dont  nous  nous  croyons  incapables. 

Les  jeûnes  et  les  abstinences  de  la  quaran- 
taine étaient  regardés  comme  des  préceptes 
dont  on  ne  pouvait  pas  se  dispenser  sans 
s'exposer  à  la  damnation,  sans  manquer  au 
respect  dû  à  une  institution  apostolique,  à 
une  loi  sacrée  de  l'Eglise,  parce  que  les  fidè- 
les étaient  animés  de  cette  foi  qui  ne  sait  pas 
disputer,  mais  se  soumettre  et  mourir  même 
pour  la  doctrine  du  Sauveur.  Ils  étaient  tous 
dans  ce  saint  temps,  sans  distinction,  des 
pénitents  sincères. 

Pendant  douze  cents  ans,  la  pénitence  du 
carême  a  été  observée  avec  cette  sévérité  que 
nous  nous  contentons  d'admirer.  Pourquoi? 
Parce  que  la  foi  était  plus  vive,  plus  soumise; 
parce  qu'on  ne  s'érigeait  pasaudacieusement 
en  censeurs  des  lois  de  l'Eglise,  qu'on  ne  lui 
disputait  pas  son  autorité. 

Ensuite  se  sont  introduits  les  adoucisse- 
ments dans  les  grands  jeûnes,  que  la  ten- 
dresse de  l'Eglise  a  tolérés;  mais  les  chrétiens, 
en  profitant  de  ces  adoucissements,  prati- 
quaient avec  respect  le  jeûne  et  l'abstinence, 
il  fallait  encore  une  infirmité  réelle  pour  se 
dispenser  du  jeûne  ou  de  l'abstinence,  et 
l'on  peut  dire  que  ce  mépris  scandaleux  de 
la  pénitence  du  carême  n'a  fait  ces  progrès 
étonnants  qui  nous  aftligent,  que  dans  notre 
siècle  où  l'on  se  pique  tant  d'esprit  et  de  lu- 
mières. 

11  n'y  a  pas  longtemps  que  les  infracleurs 
de  la  loi  du  carême  ne  se  cachent  plus,  qu'ils 
s'applaudissent  hautement,  et  tournent  en 
ridicule  ceux  qui  ne  les  imitent  pas.  D'année 
en  année,  le'nombre  des  pénitents  diminue  : 
le  carême  n'est  presque  plus  rien  aujour- 
d'hui: je  n'en  suis  pas  étonné,  ce  déchet  de 
la  pénitence  est  une  suite  du  déchet  de  la  foi. 

Comment  respectcra-t-onla  loi  de  l'Eglise? 
on  a  répandu  sur  ses  conciles,  sur  ses  déci- 
sions les  plus  solennelles,  sur  les  écrits  de 
ses  saints  docteurs,  des  nuages,  des  obscuri- 
tés. L'incrédule  audacieux  défigure,  llétril 
ses  plus  beaux  siècles  par  ses  sacrilèges  sub- 
limités et  ses  spécieuses  objections.  Il  est 
écouté,  applaudi  ;  on  respecte  ses  décou- 
vertes, sus  lumières;  on  lui  sait  gré  de  faire 
tomber  le  bandeau  importun  de  Ta  foi,  et  de 
faire  triompher  la  raison  qui  était  obligée  de 
se  taire. 

Ah  !  il  n'est  pas  étonnant  que  des  hommes 
de  doutes,  d'incertitudes,  méprisent  l'autorité 
de  l'Eglise,  lui  prêtent  des  vues  de  politique, 
cfêintérêt,  et  se  lassent  une  gloire  de  leur  dé- 
sobéissance. Ses  ennemis  ne  seront  jamais 
ù-cs  hommes  de  foi  et  de  piété. 


Nous  voyons  donc  avec  douleur,  ô  mon 
Dieu!  dans  ces  jours,  l'irréligion  et  la  licence 
des  mœurs  triompher.  L'une  est  une  suite 
de  l'autre  :  ce  déchet  de  la  piété  et  de  la  sou- 
mission est  le  fruit  de  l'erreur  accréditée. 
Rendez ,  ô  mon  Dieu  !  la  paix  à  votre  Eglise.' 
Quand  elle  n'aura  plus  d'enfants  rebelles , 
elle  n'aura  plus  dans  son  sein  d'infracteurs 
audacieux  de  ses  préceptes.  La  pénitence 
solennelle  du  carême  sera  observée  comme 
dans  les  siècles  précédents,  où  l'on  disputait 
moins,  mais  où  l'on  vivait  mieux. 

CHAPITRE  XLV. 

Les  motifs  gui  doivent  consoler  les  chrétiens 
affligés  du  déchet  de  la  tainte  pénitence  du 
carême. 

Je  le  sais  ,  ô  chrétiens  fidèles  et  soumis  à 
la  sainte  pénitence  du  carême!  une  douleur 
amère  afflige  votre  cœur  dans  ce  saint  temps. 
Cette  foule  d'enfants  rebelles  qui  désobéis- 
sent à  l'Eglise,  qui  insultent  à  son  deuil, 
vous  attriste  :  vous  êtes  dans  la  désolation 
en  voyant  ce  contraste  qui  étonne  nos  enne- 
mis. Dans  le  sein  même  de  l'Eglise,  un 
spectacle  de  piété,  de  larmes ,  de  pénitences; 
un  spectacle  de  plaisirs,  de  délices,  de  li- 
cences. Notre  zèle  s'excite,  s'alarme  comme 
celui  des  Moïse,  des  Phinées,  des  Matathias, 
à  la  vue  de  ces-infracteurs  de  la  loi  :  votre 
zèle  est  louable;  mais  contentez-vous  de 
prier,  de  gémir  dans  la  retraite,  ou  au  pied 
des  saints  autels  :  fuyez  le  commerce  de  ces 
chrétiens  désobéissants. 

C'est  dans  le  saint  temps  de  carême,  que 
l'âme  fidèle  pourrait  dire  avec  le  saint  roi 
d'Israël:  Je  m'éloigne  du  monde  pendant  la 
sainte  quarantaine ,  je  me  retire  à  l'écart  ;  je 
me  ferai  une  solitude  dans  ma  maison ,  je 
n'en  sortirai  que  pour  aller  prier  et  gémir 
dans  le  saint  temple,  et  répandre  mon  âme 
affligée  devant  le  Dieu  des  consolations  : 
Elongavi  fugiens ,  et  munsi  in  solitudine. 
(Psal.  LIV.)  Pourquoi?  Parce  que  je  vois  ré- 
gner partout,  dans  ce  saint  temps,  l'iniquité 
et  la  contradiction  :  Quoniam  vidi  iniquita- 
tem  et  contradictionemincivitate.  (Ibid.) 

Je  vois  dans  une  ville  chrétienne  des  hom- 
mes qui  se  font  gloire  des  péchés  qu'ils 
commettent;  qui  accréditent  par  leurs  exem- 
ples la  désobéissance  aux  plus  saintes  lois; 
je  vois  une  contradiction  dans  ceux  qui 
professent  la  même  foi  ,  qui  m'ébranlerait  si 
l'Evangile  ne  m'apprenait  pas  que  le  nombre 
des  élus  est  petit. 

Des  chrétiens  fidèles  jeûnent,  se  mortifiont; 
les  offices  sont  plus  longs,  les  exhortations 
plus  fréquentes  :  on  s'efforce  de  toucher  le 
Seigneur  par  sa  douleur  et  ses  gémisse- 
ments, et  tous  les  autres  chrétiens  se  déli- 
catent,  s'engraissent ,  se  livrent  aux  [  lai- 
sirs,  vont  aux  spectacles,  et  désavouent  pu- 
bliquement la  nécessité  de  cette  pénitence: 
)  tôt  iniquitatem  et  contradictionem  incivitute. 
Ah!  je  ne  porterai  pas  mes  yeux  sur  ce 
monde  d'infracteurs;  je  le  fuirai  pour  nie 
consoler  avec  le  troupeau  fiuèle  qui  obéit  à 
l'Eglise. 


S53 


INSTRUCTION  SUR  LA  PENITENCE  DU  CAREME.  -  CHAP.  XLYI. 


>H 


La  première  réflexion  qui  doit  vous  ras- 
surer et  vous  consoler,  âmes  fidèles,  dans 
ce  déchet  déplorable  de  la  sainte  pénitence 
du  carême,  c'est  l'esprit  de  l'Eglise  qui  est 
toujours  le  môme.  Elle  a  combattu  dans 
tous  les  siècles  et  la  doctrine  des  hérétiques 
et  le  relâchement  de  ses  entants  sur  la  péni- 
tence du  carême.  Les  décisions  de  ses  der- 
niers conciles ,  comme  celles  des  premiers  ; 
les  mandements  des  évoques  d'aujourd'hui, 
comme  ceux  des  premiers  siècles;  les  exhor- 
tations des  pasteurs,  les  discours  des  pré- 
dicateurs, vous  annoncent  la  pénitence  du 
carême,  comme  on  l'annonçait  autrefois.  Si 
la  misère ,  la  rigueur  des  saisons ,  la  re- 
présentation des  magistrats  l'a  déterminée  à 
user  d'indulgence,  ce  n'est  qu'en  gémissant, 
et  en  vous  rappelant  l'ancienne  sévérité  du 
carême  de  nos  premiers  frères,  qu'elle  vous 
l'accorde. 

Ce  déchet  de  la  pénitence  du  carême  qui 
vous  afflige  est  donc  non-seulement  désa- 
voué, mais  encore  condamné  par  l'Eglise. 
Quelle  consolation  pour  vous,  âmes  fidèles, 
d'entrer,  autant  que  vous  en  êtes  capables, 
dans  l'esprit  de  l'Eglise! 

Quoique  vous  ne  pratiquiez  point  les  ri- 
gueurs des  premiers  chrétiens ,  vous  avez 
toujours  la  consolation  d'imiter  leur  respect 
pour  la  loi  de  l'Eglise.  Vos  jeûnes  ne  sont 
pas  aussi  longs,  vos  repas  aussi  frugals, 
vos  privations  aussi  parfaites  :  mais,  en  obser- 
vant la  sainte  pénitence  du  carême,  avec  les 
seuls  adoucissements  que  l'Eglise  permet; 
en  ajoutant  le  jeûne  spirituel  au  jeûne  cor- 
porel ;  en  priant,  en  gémissant  avec  l'Eglise 
pendant  la  sainte  quarantaine,  vous  entrez 
dans  son  esprit,  vous  ne  vous  séparez  pas 
des  saints  pénitents,  comme  les  mondains 
qui  violent  toute  la  pénitence  du  carême. 

Oui,  mon  Dieu,  ce  qui  me  console  dans 
l'amertume  de  mon  cœur,  c'est  que  cette 
pénitence  du  carême ,  combattue  par  les 
hérétiques,  mépvisée  et  abandonnée  par  les 
mondains,  a  été  pratiquée  par  des  enfants  de 
l'Eglise,  fervents  et  soumis  dans  tous  les 
siècles;  c'est  qu'elle  a  toujours  été  annoncée 
solennellement  dans  le  même  temps;  c'est 
que  les  plus  grands  Saints,  ceux  que  vous 
avez  distinguas  par  le  don  des  miracles  et 
de  prophétie,  les  plus  illustres  docteurs,  les 
empereurs  et  les  puissants  du  siècle,  ont  eu 
une  profonde  vénération  pour  la  loi  de  votre 
Epouse;  aucun  ne  croyait,  s'en  dispenser: 
vous  vous  réservez,  Seigneur,  dans  tous  les 
états,  des  âmes  fidèles  que  le  monde  ne  sé- 
duit pas,  et  qui  condamnent  par  leur  obéis- 
sance la  coupable  révolte  des  mondains. 

Dans  ce  siècle  même,  tout  corrompu  qu'il 
est,  dans  ces  jours  de  révolte  et  d'incrédu- 
lité, je  vois,  ô  mon  Dieu!  par  votre  miséri- 
corde, de  saints  pénitents  ;  j'en  vois  dans 
tous  les  états  et  dans  toutes  les  conditions  : 
je  vois  ceux  qui  vous  sont  fidèles  faire  des 
efforts  pour  pratiquer  les  jeûnes  et  les  abs- 
tinences selon  l'esprit  de  votre  Eglise  :  il  y  en 
a  même  plusieurs  qui  pratiquent  les  grands 
jeûnes,  et  dont  on  est  obligé  de  modérer  les 
rigueurs  qu'ils  voudraient  s'imposer  dans  ce 

OlUTEUKS    SACHES.    L, 


saint  temps.  Je  vois  aussi  avec  j  la's'r,  6 
mon  Dieu  I  la  pénitence  du  carême  respectée 
et  observée  h  la  cour.  Les  ennemis  du  jeûne 
et  de  l'abstinence  sont  obligés  d'y  tenir  un 
autre  langage  que  celui  qu'ils"  tiennent 
dans  le  cercle  des  libertins  et  des  incrédules. 
L'exemple  d'un  grand  roi  et  d'une  grande 
reine  les  confond.  Us  y  sont  témoins  d'une 
soumission  parfaite  à  la  loi  du  jeûne  et  de 
l'abstinence,  et  jamais  d'aucune  transgres- 
sion. 

C'est  cette  fidélité  de  ceux  qui  vous  crai- 
gnent, qui  me  console,  Seigneur,  dans  le 
déchet  étonnant  de  la  pénitence  du  carême. 

Après  avoir  médité  ces  motifs  de  consola- 
tion, il  faut  implore;-  le  secours  du  ciel  pour 
ne  pas  être  ébranlé  ou  séduit  par  les  coupa- 
bles exemples  que  donnent  les  ennemis  de 
la  pénitence  du  carême.  Il  faut  imiter  la  foi 
et  la  fidélité  de  Noé,  ce  fidèle  serviteur  de 
Dieu. 

Pendant  que  des  hommes  corrompus  so 
livraient  aux  plaisirs  des  sens,  qu'ils  buvaient 
et  mangeaient,  peu  en  peine  de  fléchir  le 
Seigneur  irrité  de  leurs  crimes,  par  une  sin- 
cère pénitence,  le  juste  Noé  s'appliquait  à 
mériter  grâce  devant  Dieu  par  sa  foi,  son 
obéissance-et  son  travail.  Pendant  ce  déluge 
d'iniquités  dont  notre  siècle  ne  rougit  point  ; 
pendant  que  les  mondains  se  livrent  aux 
plaisirs,  et  se  moquent  de  ceux  qui  jeûnent 
et  se  mortifient,  respectez  la  loi  de  l'Eglise, 
cette  arche  précieuse;  pratiquez  la  pénitence 
qu'elle  vous  impose,  et  vous  vous  sauverez. 

CHAPITRE    XLYI. 

Ce  que  doivent  faire  les  chrétiens  fidèles 
après  avoir  pratiqué  la  sainte  pénitence  du 
carême. 

Ce  serait  un  grand  aveuglement  que  de 
confondre  les  saintes  joies  pascales  avec  les 
joies  profanes  du  siècle,  et  de  n'avoir  ter- 
miné une  carrière  de  pénitence,  que  pour 
entrer  dans  une  carrière  de  plaisirs. 

L'Eglise,  il  est  vrai ,  est  dans  l'allégresse 
après  la  sainte  quarantaine.  Les  victoires  de 
son  divin  Epoux  sur  la  mort,  la  gloire  de 
son  tombeau,  l'accomplissement  de  tous  les 
divins  oracles  sortis  de  sa  bouche,  qni  j  rouve 
sa  divinité,  ce  peuple  d'esclaves,  attaché  au 
char  du  démon,  délivré,  notre  résurrection 
assurée  par  la  sienne  ;  tout  cela  essuie  les 
pleurs  qu'elle  a  versés  en  célébrant  les  mys- 
tères douloureux  du  Calvaire  ;  change  ses 
ornements  de  deuil  en  ornements  de  fêtes, 
ses  chants  tristes  et  lugubres  en  chants  d'al- 
légresse et  de  joie. 

Mais  cette  joie  est  pure,  céleste;  c'est  la 
foi  et  la  reconnaissance  qui  excitent  ces 
saints  transports  ;  elle  ne  détourne  j  as  les 
yeux  de  dessus  la  croix  pendant  tout  le 
temps  pascal  ;  dans  tous  ses  offices,  elle  lui 
rend  les  hommages  qui  lui  sont  dus.  C'est 
donc  méconnaître  son  esprit  que  de  renon- 
cera la  mortification  après  le  carême. 

L'Eglise  vous  dispense  du  jeûne  et  de  1  ab- 
stinence ordonnés  dans  la  quarantaine,  mas 
elle  ne  ceut  pas  vous  dispenser  de  la  vie 

13 


ORATEIRS  SACRES.  BALLET. 


556 


inorlifiëe  et  pénitente  dont  l'Evangile  fait 
un  précepte  à  tous  les  disciples  du  Sau- 
veur. 

Quoique  le  temps  du  carême  soit  écoulé, 
il  faut  toujours  marcher  dans  la  voie  étroite, 
puisque  c'est  la  seule  qui  conduise  au  ciel  ; 
il  faut  toujours  porter  sa  croix,  puisque  sans 
cela  on  n'est  pas  disciple  de  Jésus-Christ; 
il  faut  toujours  se  mortifier,  se  gêner,  com- 
battre ses  passions,  veiller,  prier,  se  pré- 
cautionner, puisque  nous  avons  toujours  les 
mêmes  penchants,  puisque  notre  chair  nous 
livre  les  mêmes  combats,  et  que  nous  trou- 
vons dans  le  monde  les  mêmes  pièges,  les 
mômes  écueils,  les  mêmes  dangers.  Toute 
la  vie  de  l'homme  peut  ne  pas  être  un  temps 
de  jeûne  et  d'abstinence,  mais  toute  la  vie 
d'un  chrétien  doit  être  une  milice  conti- 
nuelle, dit  le  Saint-Esprit. 

Or,  ces  principes  posés,  on  sent  aisément 
que  ceux  qui  ne  sortent  de  la  carrière  de  la 
pénitence,  à  Pâques,  que  pour  rentrer  dans 
la  route  aisée,  commode  où  marchent  les 
mondains,  sont  dans  l'erreur  et  l'illusion. 
C'est  cependant  ce  que  font  les  pénitents 
qui  comptent  les  jours  ,  et  dont  la  tristesse 
diminue  à  mesure  que  le  temps  pascal  ap- 
proche. 

On  médite  clans  sa  pénitence  même  des 
dédommagements;  on  se  trace  un  plan  de 
vie  aisée;  on  forme  des  parties  de  plaisir 
pour  les  exécuter  après  la  quinzaine  ;  et 
plusieurs  renoncent,  non-seulement  à  la  pé- 
nitence, mais  encore  à  la  dévotion  quand  le 
carême  est  fini,  et  qu'ils  ont  satisfait  au  de- 
voir pascal. 

A  voir  la  conduite  d'une  foule  de  chré- 
tiens peu  instruits,  on  dirait  que  la  piété 
n'est  nécessa;re  que  dans  le  carême.  C'est, 
excepté  quelques  grandes  solennités,  le 
seul  temps  où  les  temples  sont  fréquentés, 
les  hommes  apostoliques  écouté-:,  et  où  le 
monde,  les  spéciales,  les  plaisirs  sont  un 
peu  abandonnés.  La  communion,  qui  doit 
donner  une  nouvelle  ferveur,  semble  être 
Je  terme  de  la  dévotion  de  ces  chrétiens. 
])ès  qu'ils  ont  rempli  leurdevoir  pascal,  ils  se 
regardent  comme  déchargés  de  toutes  les 
obligations  du  christianisme.  Aussi,  après 
la  quinzaine,  les  églises  sont-elles  désertes, 
les  solennités  abandonnées,  les  instructions 
négligées;  les  cercles,  les  spectacles,  les 
promenades  peuvent  à  peine  contenir  la 
foule  des  chrétiens  qui  n'ont  eu  qu'une 
piété  passagère. 


Hélas  1  que  sert-il  d'avoir  fait  quelques  ef- 
forts pendant  le  carême,  si  le  monde  triom- 
phe si  aisément  de  nous?  que  nous  servira- 
t-il  même  dvêlre  sortis  du  tombeau  avec  Jé- 
sus-Christ, si  nous  y  rentrons  aussitôt  ?  No- 
tre conversion  n'aura  été  qu'un  fantôme  de 
résurrection,  si  elle  n'est  pas  persévérante. 
Suffit-il  de  se  séparer  des  mondains  pendant 
quarante  jours  et  de  les  imiter  le  reste  de 
l'année?  N'est-ce  pas  s'exposer  à  avoir  un 
sort  encore  plus  terrible  qu'eux? 

Ecoutez,  chrétiens,  qui  avez  passé  le  saint 
temps  du  carême  dans  la  pénitence  telon 
l'esprit  de  l'Eglise. 

Le  temps  pascal  est  un  temps  où  vous  devez 
paraître  plus  fervents,  plus  détachés  de  la 
terre  que  jamais;  vous  devez  être  des  hom- 
mes tout  célestes,  dépouillés  de  tout  ce  qui 
appartient  à  l'ancien,  et  ne  retracer  que  lo 
nouvel  Adam;  c'est-à-dire  Jésus-Christ.  En 
deux  mots  vous  devez  retracer  toute  volro 
vie  et  dans  toutes  vos  actions,  la  mort  et  la 
résurrection  de  ce  divin  Sauveur. 

Pourquoi  Jésus-Christ,  après  sa  résurrec- 
tion, a-t-il  conservé  sur  sa  chair  sacrée  les 
impressions  de  ses  plaies ,  la  place  des  clous 
qui  avaient  percé  ses  pieds  et  ses  mains,  et 
de  la  lance  qui  avait  ouvert  son  côté?  C'est, 
disent  les  saints  docteurs,  pour  les  opposer 
e\  aux  incrédules,  qui  ne  voudraient  pas 
croire  sa  résurrection,  et  aux  chrétiens  lâches 
qui  mèneraient  une  vie  molle.  Vous  devez 
donc,  même  après  le  saint  temps  du  carême, 
ne  point  perdre  de  vue  les  mystères  du  Cal- 
vaire, à  l'exemple  de  l'Eglise,  et  montrer  par 
votre  conduite  que  vous  êtes  un  disciple  de 
la  croix. 

Si  vous  êtes  ressuscites  avec  Jésus-Christ, 
vous  devez  mener  une  vie  nouvelle  ;  ne  goû- 
ter que  les  choses  célestes;  être  sortis  pour 
toujours  du  tombeau  de  vos  péchés,  et  no 
plus  vous  trouver  avec  ces  pécheurs,  ces 
hommes  morts  à  la  grâce. 

Jésus-Christ  ne  parut  plus,  après  sa  résur- 
rection, avec  les  juifs,  les  pharisiens  et  les 
pécheurs:  il  ne  se  montra  qu'à  ses  disciples 
sur  le  rivage  de  la  mér,  et  dans  des  endroits 
écartés.  Vous  devez  donc  aussi  ne  fré- 
quenter, ne  vous  lier  après  votre  résurrec- 
tion spirituelle,  qu'avec  les  vrais  disciples 
du  Sauveur,  les  hommes  de  foi  et  de  piété. 
Celte  conduite  vous  rendra,  âmes  fidèles  ,  la 
pénitence  du  carême  salutaire. 


5S7 


INSTRUCTIONS  SUR   LE  JUBILE.  —  PARTIE  I,  CIÎAP.  I. 


558 


INSTRUCTIONS 

SUR  LE  JUBILÉ, 


DIVISEES   EN    TROIS   PARTIES 

$UI  CONTIENNENT  LESPRIT  ET  LA  DOCTRINE  DE  L'ÉGLISE,  SUB  t'iïïDULGENCE  QU'ELLE  ACCORDF 
A  SES  ENFANTS  ;  DES  RÉFLEXIONS  SUR  LES  EFFETS  DE  LA  MISÉRICORDE  ET  DE  LA  JUSTICE 
DU  SEIGNEUR  ;  DES  SENTIMENTS  DE  PÉNITENCE  ,  ET  LES  DISPOSITIONS  NÉCESSAIRES  ^OVK 
PROFITER    DE    LA    GRACE    DU    JUBILÉ. 


AVERTISSEMENT  DE  L'AUTEUR. 


Ce  petit  ouvrage,  qui  paraît  aujourd'hui, 
était  composé  il  y  a  déjà  du  temps  ;  mais,  mes 
infirmités  m'ayaht  empêché  d'y  mettre  la  der- 
nière main  avant  l'ouverture  du  jubilé,  je 
ne  comptais  plus  le  donner  au  public  dans  ce 
saint  temps. 

Ce  sont  les  conseils  de  quelques  person- 
nes pieuses  et  éclairées  qui  m'ont  déterminé. 
Dès  qu'elles  ont  vu  ma  santé  un  peu  plus 
forte,  elles  m'ont  fait  entendre  qu'on  aurait 
encore  le  temps  de  profiter  des  instructions 
qu'il  renferme;  d'ailleurs,  qu'il  serait  utile 
dans  tous  les  temps  aux  personnes  de  piété, 
puisque  le  but  que  je  me  suis  proposé  dans 
cet  ouvrage  est  de  prouver  que  le  temps  de 
la  sévérité  suit  de  près  celui  de  la  miséri- 
corde, et  que  l'on  devient  les  victimes  de  la 


vengeance  du  Seigneur,  quand  on  ne  veut 
pas  être  les  conquêtes  de  sa  clémence.  J'ai 
divisé  cet  ouvrage  en  trois  parties  :  dans*  la 
première,  j'explique  l'esprit  et  la  doctrine 
de  l'Eglise  sur  l'indulgence  qu'elle  accorde 
à  ses  enfants  ;  dans  la  seconde,  je  fais  des 
réflexions  sur  plusieurs  traits  de  l'Ecriture 
sainte,  qui  nous  donnent  une  juste  idée  de 
la  miséricorde  et  de  la  justice  du  Seigneur; 
clans  la  troisième,  je  m'efforce  d'inspirer  des 
sentiments  de  .pénitence,  et  de  montrer  le? 
dispositions  nécessaires  pour  profiter  de  la 
grâce  du  Jubilé. 

Je  prie  le  Seigneur  de  répandre  ses  béné- 
dictions sur  ce  petit  ouvrage,  pour  le  salu' 
de  ceux  epri  le  liront,  et  la  gloire  de  son 
saint  nom. 


PREMIERE  PARTIE. 


CHAPITRE  PREMIER. 

On  exhorte  tous  1rs  fidèles  â  profiter  de  la  yrâce 
du  Jubilé. 

Faites  attention,  chrétiens,  à  ces  paroles 
de  saint  Paul  :  Voici  un  temps  favorable,  voici 
des  jours  de  salut  (I(  Cor.,  VÏ);  l'Eglise  vous 
les  a  annoncés  avec  une  grande  solennité; 
elle  a  ouvert  tous  les  trésors  des  mérites  et 
des  grâces  de  Jésus-Christ  dont  elle  est  dé- 
positaire; le  souverain  pontife  étend  dans 
tous  les  Etats  catholiques  la  grâce  précieuse 
que  tant  de  fidèles  ont  reçue  dans  la  capitale 
du  monde  chrétien,  l'année  dernière. 

Les  ministres  de  l'Evangile  vous  répètent 
partout  ces  paroles  du  grand  apôtre  :  Nous 
vous  exhortons  comme  les  coopérateurs  de  Dieu 
dans  l'importante  affaire  de  votre  salut,  de  ne 
point  recevoir  en  vain  la  yrâce  qui  vous  est 
accordée,  car  Dieu  a  dit  à  son  peuple  :Jc  vous 
ai  exaucé  dans  un  temps  favorable,  et  je  vous 


ai  secouru  dans  un  jour  de  salut;  or  ces  jours- 
ci  sont  des  jours  de  salut  ;  ce  temps  où  je  vous 
parle,  est  un  temps  favorable  pour  obtenir  le 
pardon  de  vos  péchés .  (I I  Cor.,  V I  ;  Isa.,  X  UX ,  ) 

Saint  Paul  cite  dans  cet  endroit  un  passage 
tiré  du  quarante-neuvième  chapitre  d'Isaïe, 
où  Dieu  dit  à  son  peuple,  qu'il  y  a  un  temps 
où  sa  miséricorde  se  plaît  à  éclater  singuliè- 
rement. Pour  ce  temps  favorable  dont  par.le 
saint  Paul,  c'est,  selon  les  interprètes,  ou  le 
temps  de  cette  vie,  comparé  avec  le  moment 
de  la  mort  ;  ou  le  temps  de  la  prédication  de 
l'Evangile,  comparé  avec  celui  du  paganisme; 
ou  le  temps  de  la  nouvelle  loi,  comparé  à 
celui  de  l'ancienne. 

Mais  il  est  certain  que  ces  paroles  doivent 
être  adressées  aux  fidèles,  particulièrement 
dans  le  temps  dujubilé. 

L'Eglise  s'en  sert  pour  exhorter  ses  enfants, 
au  commencement  du  carême,  à  la  pénitence 
et  aux  bonnes  œuvres. 


*>M 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


560 


Quoique  tous  les  jours  de  la  vie,  dit  saint 
Léon  (sermone  IV  De  quadragesima),  soient 
des  jours  de  saint,  et  qu'il  n'y  en  ait  aucun 
qui  ne  soit  marqué  parles  bienfaits  de  notre 
Dieu,  il  est  cependant  vrai,  continue  ce  saint 
docteur,  qu'il  y  a  des  jours  et  un  temps 
plus  favorables  pour  Héchir  le  Seigneur, 
apaiser  sa  colère,  et  changer  des  arrêts  de 
mort  en  des  arrêts  de  vie.  Ce  grand  pape 
parle  aussitôt  des  saints  jours  de  carême,  où 
toute  l'Eglise  en  pénitence,  en  deuil,  en 
pleurs,  fait,  par  ses  gémissements,  ses  priè- 
res, ses  jeûnes,  une  sainte  violence  au  ciel. 
Il  appelle  ces  jours,  des  jours  de  salut  :  Vies 
salutis. 

Or,  ces  jours  du  jubilé  peuvent,  avec  au- 
tant de  raison,  être  appelés  des  jours  de  sa- 
lut. L'Eglise  ouvre  tous  les  trésors  de  grâce 
dont  elle  est  dépositaire,  les  mérites  infinis 
de  Jésus-Christ,  ceux  de  la  sainte  Vierge, 
sa  mère,  ceux  des  martyrs  et  de  tous  les 
saints,  auxquels  le  sang  de  ce  divin  Sauveur 
donne  seul  du  prix  et  de  la  valeur. 

Voilà  le  trésor  précieux  où  vous  pouvez 
puiser,  dans  ces  jours,  les  grâces  les  plus 
étendues.  Or,  l'indulgence  dont  l'Eglise  use 
dans  ce  saint  temps  pour  vous  remettre  les 
peines  dues  à  vos  péchés,  ne  doit-elle  pas 
vous  faire  regarder  ces  jours  comme  des 
jours  favorables  au  salut  ? 

Oui,  ces  jours  malheureux  où  nous  vi- 
vons, ces  jours  de  corruption  et  de  licence, 
ces  jours  de  libertinage  et  de  scandale,  ces 
jours  d'incrédulité  et  d'irréligion,  ces  jours 
dangereux  à  l'innocence,  à  la  piété,  à  la 
foi,  seront  pour  vous  des  jours  de  salut; 
si  vous  le  voulez,  des  jours  de  grâce, de 
miséricorde,  des  jours  qui.  vous  acquitte- 
ront entièrement  envers  Dieu,  qui  le  satis- 
feront, parce  qu'il  verra,  avec  tous  les  efforts 
dont  vous  êtes  capables, le  sang  de  son  Fils, 
ce  sang  d'un  prix  infini,  et  dont  une  seule 
goutte  était  suffisante  pour  sauver  dix  mille 
mondes. 

Ne  laissez  donc  pas  échapper  ces  jours  de 
salut,  ce  temps  favorable  pour  votre  conver- 
sion. Que  l'indulgence  de  l'Eglise  vous  fasse 
embrasser  au  plus  tôt  toutes  les  saintes  ri- 
gueurs dont  vous  êtes  capables  ;  c'est  peut- 
être  la  dernière  indulgence  dont  vous  pour- 
rez profiter. 

CHAPITRE  II. 

Idée  d  a  jubilé. 

On  entend  par  jubilé  une  inau.gence  plé- 
n'ère  accordée  par  le  souverain  pontife  au 
nom  de  toute  l'Eglise,  dont  il  est  le  chef  vi- 
sible sar  la  terre. 

Cette  indulgence  plénière  ,  telle  que  celle 
qu'on  vient  de  publier  dans  tous  les  Etats 
catholiques,  n'est  établie  qu'en  1300  par  le 
pape  Boniface  VIII.  Sixte  IV,  dans  sa  bulle 
(ie  1473,  est  le  premier  qui  ait  donné  le  nom 
de  jubilé  à  cette  fameuse  indulgence  :  alors 
ces  jubilés  ne  s'accordaient  que  de  cent  ans 
en  cent  ans.  Le  pape  Clément  VI,  en  1542, 
les  ré  luisit  à  cinquante  ans  ;  Grégoire  XI,  à 

faisant  atlen- 
hoinmes,  ar- 


trente-trois  ans;  mais  Paul  II, 
tiun  à  la  brièveté  de  la  vie  des 


rêtr.  qu'on  accorderait  dorénavant  cette  in- 
dulgence plénière,  appelée  jubilé,  tous  les 
vingt-cinq  ans;  et  c'est  ce  qui  s'eat  toujours 
observé  depuis. 

:*  Ainsi,  dans  la  nouvelle  loi,  il  y  a  un  ju- 
bilé aussi  bien  que  dans  l'ancienne,  bien 
différent  cependant  :  le  nôtre  nous  accorde 
des  grâces  précieuses  ;  celui  des  juifs  ne 
leur  accordait  que  des  biens  temporels. 

On  voit  dans  le  XXV  chapitre  du  Lévitique, 
quelle  était  l'année  du  jubilé  des  juifs,  et  eii 
quoi  il  consistait. 

Il  était  annoncé  avec  pompe  et  une  cérémo- 
nie éclatante,  auson  des  trompettes;  c'était  la 
cinquantième  année.  Ceux  quiavaient  vendu 
leurs  biens  ou  leur  liberté  recouvraient 
l'un  et  l'autre  dans  le  temps  du  jubilé.  Alors 
c'étaient  des  fêtes  et  des  réjouissances  publi- 
ques :  on  voyait  des  esclaves  couronnés  dans 
la  maison  de  leurs  maîtres  ;  mais  que  re- 
couvraient-ils? une  liberté,  des  biens  tem- 
porels. 

Le  jubilé  des  chrétiens  est  bien  plus  pré- 
cieux, il  remet  non  des  dettes  contractées 
avec  des  hommes  comme  nous,  mais  ce  q\:e 
nous  redevons  à  la  justice  d'un  Dieu  offensé, 
après  cependant  avoir  fait  tous  nos  efforts 
pour  nous  acquitter  avec  lui;  il  nous  fait 
rentrer,  non  dans  des  biens  périssables,  et 
qu'on  peut  encore  nous  enlever  ;  mais  il  remet 
les  peines  dues  au  péché,  qui  retardent  encore 
notre  entrée  dans  l'héritage  des  biens  éter- 
nels. 

L'absolution  nous  a  rendu  la  liberté  que 
nous  avions  perdue  par  le  péché.  Le  jubilé 
nous  procure  la  grâce  de  satisfaire  entière- 
ment à  un  Dieu  que  nous  avions  offensé. 
Toutes  les  peines  temporelles  dues  à  nos 
péchés,  pour  satisfaire  à  la  justice  divine, 
sont  remises  par  celte  indulgence  plénière 
accordée  aux  fidèles;  toutes  les  rigueurs  de 
votre  pénitence  seraient  insuffisantes  sans 
cette  indulgence;  avec  elle  les  rigueurs  dont 
vous  êtes  capables  sont  suffisantes 

CHAPITRE  III. 

Avantages   du  jubilé. 

t*our  connaître  les  avantages  du  jubilé,  il 
faut  faire  attention  à  deux  choses,  aux  peines 
dues  au  péché,  après  même  qu'il  a  été  remis 
dans  le  tribunal  de  la  pénitence,  et  à  la  ri- 
gueur que  l'Eglise  a  toujours  exercée  envers 
les  pén.tents,  pour  leur  faire  expier  leurs 
péchés. 

1°  Il  est  certain  que,  par  le  pouvoir  des 
clefs,  le  pécheur  qui  confesse  ses  péchés  avec 
sincérité,  avec  une  vive  douleur,  avec  une 
ferme  résolution  de  ne  les  plus  commettre, 
en  reçoit  l'absolution;  mais  le  péché  alors 
n'est  remis  que  quant  à  la  coulpe,  c'est-à-dire, 
quant  à  l'offense.  11  faut  ensuite  que  le  pé- 
cheur satisfasse  ou  dans  ce  inonde,  ou  dans 
l'autre;  c'est  ce  que  l'on  appelle  la  satisfac- 
tion, qui  est  une  des  parties  du  sacrement 
de  pénitence. 

De  là  l'obligation  d'expier  nos  fautes,  re- 
mises dans  le  sacrement  de  pénitence,  par 
des  rigueurs  proportionnées  à  l'énormité  de 


5'JI 


INSTRUCTIONS  SIU  LE  JUL»LE.  —  PARTIE  I,  CHAP.  V. 


5G2 


l'offense;  de  là,  tant  de  justes  morts  da.ns  la 
grave  et  la  charité,  qui  ont  encore  des  restes 
a  expier  dans  le  purgatoire.  Excepté  les  mar- 
tyrs qui  ont  répandu  leur  sang  pour  Jésus- 
Christ,  ceux  encore  qui  meurent  immédiate- 
ment après  leur  baptême,  qui  peut  assurer 
que  les  autres  justes  n'aient  eu  aucune  tache 
à  expier? 

Or,  la  grâce  du  jubilé,  reçue  dans  de  saintes 
dispositions,  remet  toutes'les  peines  tempo- 
relles dues  au  péché,  pourvu  que  le  pécheur 
joigne  à  cette  grâce  précieuse  toutes  les  ri- 
gueurs et  les  satisfactions  dont  il  est  capable; 
alors  sa  pénitence  expie  tous  les  restes  de 
ses  péchés. 

2°  L'Eglise  a  toujours  usé  d'une  sainte 
ligueur  envers  ceux  qui  avaient  perdu  la 
grâce  de  leur  baptême.  Cette  sainte  épouse 
du  Sauveur  voyait  dans  les  pécheurs,  avec 
saint  Paul,  des  hommes  qui  avaient  crucifié 
de  nouveau  son  divin  Epoux,  perdu  sa  grâce, 
p.rofané  son  sang;  alors  elle  leur  faisait  en- 
tendre que  la  pénitence  qu'ils  demandaient 
doit  être  un  baptême  laborieux,  un  baptême 
de  feu,  par  la  vivacité  de  leur  amour,  un 
baptême  de  sang,  par  les  saintes  rigueurs 
qu'il  fallait  exercer  sur  leur  chair  criminelle, 
et  elle  leur  dit  encore  dans  son  dernier  con- 
cile œcuménique  qu'on  ne  peut  rentrer  dans 
sa  première  intégrité  sans  de  grands  gémis- 
sements, de  grands  travaux,  suie  magnis  no- 
stris  fletibus  et  laboribus,  parce  que  la  justice 
d'un  Dieu  offensé  l'exige  ainsi,  divina  id 
exigente  justitia.  (Ex  Concilia  Tridentino, 
sessione  xiv,  cap.  2.)  Or,  l'avantage  du  ju- 
bilé est  que  l'Eglise  se  relâche  de  cette 
sévérité  sainte;  elle  use  d'indulgence  en  re- 
mettant toutes  les  peines  dues  aux  péchés. 
Détestez  vos  péchés ,  pleurez  vos  péchés , 
confessez  vos  péchés,  punissez-vous  avec 
une  sainte  rigueur  de  vos  péchés,  ils  vous 
seront  remis,  quant  à  la  coulpe  et  quant  à  la 
peine,  parla  grâce  du  jubilé. 

CHAPITRE  IV. 

L'Eglise  a  le  pouvoir  d'accorder  des  indul- 
gences. 
Jésus-Christ  a  dit  à  ses  apôtres  -.Tous  les  pe'ch 's 
que  vous  remettrez  seront  remis,  et  tous  ceux 
que  vous  reticndrezserontre  tenus  :(/oan.,XX); 
voilà  le  pouvoir  que  Jésus-Christ  a  donné  à 
son  Eglise,  sur  quoi  il  est  aisé  de  répondre 
aux  protestants  qui  lui  contestent  ce  pouvoir. 
Jésus-Christ  aurait  donné  à  ses  apôtres,  et 
à  leurs  successeurs,  le  pouvoir  de  remettre 
et  de  retenir  les  péchés;  il  les  aurait  établis 
les  juges  pour  prononcer  une  sentence  d'ab- 
solution aussitôt  que  l'on  s'accuse  de  ses 
péchés,  ou  pour  la  différer,  et  ils  n'auraient 
pas  le  pouvoir  de  remettre  une  partie  de  ces 
peines  qui  sont  dues  au  péché,  après  même 
qu'il  a  été  remis.  Quelle  erreur  d'admettre 
l'un  sans  l'autre  1 

Si  les  protestants  nient  la  nécessité  des 
œuvres  satisfactoires,  après  même  que  les 
péchés  ont  été  remis  par  l'absolution  sacra- 

(58)  Ce  fait  est  rapporté  par  saint  Clément  d'A- 
lexandrie et  par  Eusèùe. 


menlelle,  qu'ils  effacent  donc  de  l'Ecriture 
les  endroits  qui  l'approuvent.  Les  Israélites 
qui  avaient  murmuré  contre  Moïse  et  Aaron 
obtinrent  par  leur  prière  le  pardon  de  leurs 
péchés;  cependant  presque  tous  furent  pu- 
nis de  mort,  et  n'entrèrent  point  dans  la 
terre  promise.  (Num.,  IV.) 

Le  prophète  Nathan  assure  David  que 
Dieu  lui  a  pardonné  son  adultère;  mais  il 
ajoute  que  le  fils  qui  est  né  de  ce  crime 
mourra.  (II  Reg.,  XXII.) 

Ce  même  prince  avait  obtenu  le  pardon 
de  la  faute  qu'il  avait  commise  en  faisant 
faire  le  dénombrement  de  ses  troupes.  Ce- 
pendant, Dieu  l'oblige  de  choisir  un  de  ces 
trois  fléaux  :  la  famine,  la  guerre,  la  peste. 
(lbid.,  XXIV.) 

Dieu,  en  remettant  le  péché,  quant  à  la 
coulpe,  se  réserve  donc  la  peine  qui  lui  est 
due.  Or  c'est  une  partie  de  ces  peines  dues 
au  péché  après  qu'il  a  été  remis,  dont  l'E- 
glise dispense  ses  enfants,  lorsqu'elle  juge  à 
propos  d  user  d'indulgence. 

11  n'y  a  point  de  siècles  de  l'Eglise,  point 
de  conciles  qui  ne  nous  fournissent  des 
preuves  des  indulgences  accordées  aux  pé- 
cheurs pénitents. 

Si  j'écrivais  un  traité  de  controverse,  je 
les  rapporterais  toutes  ;  mais  il  me  suffit  de 
dire  que  saint  Paul  était  persuadé  qu'il  avait 
ce  pouvoir  que  les  hérétiques  des  derniers 
siècles  contestent  à  l'Eglise,  quand  il  abré- 
gea la  pénitence  de  l'incestueux  de  Corinthe 
(II  Cor.,  Il)  ;  et  saint  Jean  l'Evangéliste  en 
était  persuadé  aussi,  lorsqu'il  rétablit  dans 
la  communion  de  l'Eglise  ce  chef  de  voleurs 
qu'il  avait  converti  (58).  Le  saint  concile 
de  Trente  (sessione  xxy,  Décret,  de  indul- 
gent.) décide  aussi  que  l'Eglise  a  ce  pouvoir 
contre  les  erreurs  de  Luther. 

On  sait  que  cet  hérésiarque  ignorait  ce 
qu'étaient  les  indulgences,  lorsqu'il  les  com- 
battit. L'envie  qu'il  portait  à  Jean  Tecel,  do- 
minicain, fut  le  motif  qui  le  fit  déclamer 
avec  tant  de  fureur  contre  les  indulgences. 
C'est  un  de  ses  disciples  qui  nous  apprend 
cette  circonstance  (59). 

CHAPITRE  V. 

Quel  est  le  trésor  de  grâces  que  l'Eglise  ouvre 
à  ses  enfants. 

Ce  trésor  précieux,  infini,  et  qui  ne  peut 
jamais  tarir;  ce  trésor  confié  à  l'Eglise,  avec 
lequel  elle  a  été  fondée  ;  ce  trésor  qui  a  été 
notre  rançon,  qui  nous  a  rachetés, c'est  le  sang 
adorable  de  Jésus-Christ  répandu  sur  la 
croix  :  ce  sont  les  mérites  infinis  de  cette 
victime  offerte  pour  nos  péchés. 

Or,  comme  c'est  ce  sang  précieux  qui  a 
effacé  l'arrêt  de  mort,  prononcé  contre  nous, 
qui  a  pacifié  tout  dans  le  ciel  et  sur  la  terre, 
qui  nous  est  appliqué  dans  les  sacrements, 
l'Eglise  trouve  dans  ce  sang  d'un  Dieu  des 
mérites  abondants,  infinis  ;  elle  puise  dans 
cette  source  sacrée  et  intarissable  les  grâces 
qu'elle  accorde  à  ses  enfants;  les  principes 

<5f)  Sllidam.  Itht.,  lib.  xm. 


5o3 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


504 


de  cette  indulgence  dont  elle  use  envers  eux 
dans  certains  temps;  la  grandeur  de  la  sa- 
tisfaction de  Jésus-Christ  est  ineffable;  elle 
répond  à  la  grandeur  d'un  Dieu  offensé,  elle 
nous  assure  d'une  surabondance  de  mérites 
au-dessus  de  toutes  les  offenses. 

Jésus-Christ,  dit  l'apôtre  saint  Jean,  est  la 
victime  de  propitiation  qui  a  été  offerte  pour 
nos  péchés.  Que  dis-je?  non-seulement  pour 
nos  péchés,  mais  même  pour  ceux  de  tout 
le  monde  :  lpse  propiliatio  pro  peccatis 
nostris,  non  pro  nostris  autem  tantum,  sed 
ctiampro  totius  mundi.  (II  Jean.,  II.)  Aucun 
mortel  n'est  exclu  de  son  cœur.  Et  quand  il 
y  aurait  dix  mille  mondes,  les  mérites  infinis 
de  son  sang  répandu  les  rachèteraient,  sans 
que  le  trésor  de  ses  grâces  diminuât. 
'  Voilà  la  source  où  l'Eglise  puise  avec  con- 
fiance cette  rémission  d'une  partie  des  peines 
temporelles  qu'elle  accorde  h  ses  enfants  dans 
le  jubilé. 

Le  mérite  de  la  sainte  Vierge,  mère  de 
Dieu,  des  martyrs  et  des  saints,  entre  aussi 
dans  ce  trésor  de  grâces  dont  l'Eglise  est  dé- 
positaire; non  pas  que  ces  mérites  aient  un 
prix,  une  yaleur,  une  surabondance  par  eux- 
mêmes,  puisque  c'est  le  sang  seul  de  Jésus- 
Christ  qui  les  a  formés  et  rendu  dignes  d'être 
couronnés,  mais  parce  que  Dieu  veut  bien 
nous  appliquer  les  mérites  de  sa  sainte  Mère 
conçue  sans  péché,  et  cependant  toujours 
éprouvée  par  les  afflictions  ;  et  les  mérites  des 
martyrs,  qu'une  charité  héroïque  a  fait  mou- 
rir pour  l'Evangile  dans  les  plus  cruels  sup- 
plices; ce  qui  faisait  dire  à  saint  Cyprien  (lib. 
IV,  epist.  2),  que  les  martyrs  passaient  sans 
aucun  délai  de  la  terre  au  ciel,  et  à  saint  Au- 
gustin (sermone  il  De  verbis  Apostoli),  qu 'on 
l'ait  injure  à  un  martyr  quand  on  prie  pour 
lui  :  Injuriam  facit  martyri  qui  orat  pro  mar- 
tyre. 

CHAPITRE  VI. 

Jésus-Christ  a  satisfait  avec  une  surabondance 
de  mérites  qui  forme  dans  l'Eglise  un  trésor 
inépuisable  de  grâces. 

Jésus-Christ  est  notre  victime,  Jésus-Christ 
est  Dieu.  Quel  prix  ne  doivent  pas  avoir  eu 
ses  souffrances  1 

Je  me  rappelle  le  grand  spectacle  du  Cal- 
vaire; je  regarde  avec  un  saint  respect  cette 
victime  attachée  à  la  croix  ;  j'écoute  les  ora- 
cles qu'elle  prononce  avant  de  consommer 
son  sacrifice;  je  vois  des  prodiges  qui  attes- 
tent la  divinité  de  celui  qui  meurt  pour  mes 
péchés. 

Des  prodiges  d'amour  :  ses  ennemis,  ceux 
qui  le  crucifient  ont  encore  une  place  clans 
son  cœur;  des  prodiges  de  miséricorde  :  un 
criminel  se  convertit,  plusieurs  sont  touchés 
et  frappent  leur   poitrine;  des  prodiges  de 
sévérité  :  les  juifs  s'endurcissent,  le  mystère 
de  leur  réprobation  est  consommé,  ils  le  prou- 
vent en  disant  eux-mêmes  :  Que  son  sang 
retombe  sur  nous  et  sur  nos  enfants  :  Sati- 
ns cjus  super  nos  et  super  filios  nostros. 
''itth.,  XXVII.)  Imprécation    terrible  qui 
"on  effet  sous  Titus  et  Vespasien.  La 


ruine  de  Jérusalem  a  été  le  commencement 
de  leurs  malheurs. 

Prodiges  de  puissance  1  Le  voile  du  temple 
s'est  déchiré,  les  pierres  se  sont  fendues,  le 
soleil  s'est  éclipsé,  les  tombeaux  se  sont 
ouverts,  les  morts  sont  ressuscites,  et  plu- 
sieurs ont  crié  hautement  que  c'était  un  Dieu 
qui  mourait  sur  la  croix  :  1ère  hic  homo  Fi- 
lins Dei  erat.  (Marc,  XV.) 

Or,  Jésus-Christ  étant  Dieu,  le  prix  de  ses 
souffrances  est  d'un  mérite  infini;  c'est  un 
Dieu  qui  apaise  un  Dieu  offensé.  Ses  prières, 
ses  jeûnes,  ses  abaissements,  ses  douleurs, 
son  sang,  sa  mort  font  une  satisfaction  non- 
seulement  pleine,  entière  pour  le  péché,  mais 
même  surabondante;  il  reste  toujours  un 
trésor  de  mérites  infinis  après  la  rédemption 
du  genre  humain. 

Aussi  saint  Paul  ne  dit  pas  que  la  grâce 
que  Jésus-Christ  nous  a  donnée  a  égalé  le 
péché  pour  lequel  il  est  venu  au  monde; 
mais  il  dit  qu'elle  a  été  surabondante  :  ibi 
abundavit  delictum  superabundavit  gratia. 
(Rom.,  Y.) 

Ainsi,  en  faisant  attention  à  la  dignité  de 
la  victime  qui  a  été  immolée  pour  nous,  à  la 
divinité  de  notre  Rédempteur,  nous  recon- 
naissons qu'il  a  satisfait,  non-seulement  par 
des  mérites  suffisants,  mais  encore  par  des 
mérites  surabondants,  infinis,  et  auxquels 
l'Eglise  a  toujours  recours,  comme  à  un  tré- 
sor précieux  et  intarissable,  pour  y  puiser 
les  secours,  les  grâces  qu'elle  fait  couler  sur 
ses  enfants,  les  principes  de  miséricorde,  de 
condescendance,  d'indulgence  dont  elle  use 
dans  certains  temps. 

CHAPITRE  VIL 

Dans  quel  sens  les  mérites  de  la  sainte  Vierge 
et  des  saints  font  partie  de  ce  trésor  que 
l'Eglise  ouvre  à  ses  enfants. 

Ce  trésor,  comme  nous  l'avons  dit,  n'est 
autre  chose  que  la  satisfaction  infinie  et  sur- 
abondante de  Jésus-Christ;  trésor  intaris- 
sable, toujours  suffisant,  et  qui  ne  peut  être 
augmenté  par  les  mérites  de  la  sainte  Vierge 
et  des  saints,  puisque  leurs  mérites  ne  tirent 
leur  valeur  et  leur  prix  que  de  ce  trésor  de 
grâces. 

Quand  nous  disons  que  les  mérites  de  la 
sainte  Vierge  et  des  saints  font  une  partie  de 
ce  trésor  que  l'Eglise  ouvre  à  ses  enfants, 
nous  entendons  que  la  satisfaction  de  Jésus- 
Christ  a  tant  de  force,  qu'elle  a  rendu  les 
mérites  des  saints  dignes  d'être  offerts  à  Dieu 
pour  nos  péchés  avec  ceux  de  Jésus-Christ. 

La  passion  du  Sauveur,  dit  saint  Ambroise 
(De  instit.  viry.,  cap.  VII,  n.  k&),  n'a  pas  be- 
soin des  secours  des  saints  pour  être  efficace 
et  satisfaire  abondamment  pour  nous  :  Cttristi 
passio  adjutorio  non  eguit. 

Tout  ce  qu'on  admire  de  grand,  de  divin 
dans  ces  héros  de  la  religion,  a  pour  principes 
la  sainteté  et  la  grâce  de  Jésus-Christ.  C'est 
de  cette  source  sacrée  que  coulent  toutes  les 
vertus  et  tous  les  mérites  qu'il  couronne  dans 
le  ciel. 

Or,  ces  principes  posés,  il  est  facile  de  ré- 


505 


INSTRUCTIONS  SUR  LE  JUBILE.  —  PARTIL  1,  CliAP.  IX. 


M 


pondre  aux  objections  de  Calvin  et  de  con- 
fondre cet  hérésiarque  qui  fait  toujours  des 
re;  roches  à  l'Eglise. 

1°  11  dit  que  la  sainte  Vierge  et  les  martyrs 
même  n'ont  pas  satisfait  plus  qu'il  ne  fallait 
par  leurs  vertus  et  leur  souffrances. 

A  cela  nous  répondons  que  si  on  considère 
ce  qu'un  Dieu  infini  mérite,  ils  n'ont  rien 
fait  qu'ils  ne  dussent  faire.  Mais  que,  si  l'on 
considère  la  satisfaction  que  demandaient 
leurs  péchés,  ils  ont  plus  fait  qu'il  n'en  fal- 
lait pour  les  expier. 

C'est  dans  ce  sens  que  l'Eglise,  faisant  at- 
tention à  la  vie  pure  et  sans  tache  de  la  sainte 
Vierge,  regarde  ses  souffrances,  ses  abais- 
sements, ses  vertus  comme  des  mérites  di- 
gnes d'être  offerts  pour  nos  péchés  avec  ceux 
de  Jésus-Christ,  dont  ils  tirent  leur  prix. 

Il  en  est  de  même  de  la  pénitence  de  Jean- 
Baptiste  qui  fut  sanctifié  dès  le  sein  de  sa 
mère  ;  des  tourments  des  martyrs  qui  sont 
morts  pour  la  foi. 

L'histoire  de  la  plus  vénérable  antiquité 
avec  saint  Cyprien  nous  assure  que  les  mar- 
tyrs accordaient  des  indulgences  aux  péni- 
tents. Dans  le  m°  siècle,  les  martyrs  de  Lyon 
en  accordaient  à  ceux  qui  avaient  renoncé 
à  la  foi  dans  la  persécution. 

2°  Calvin  se  plaint  qu'on  confond  les  méri- 
tes des  saints  avec  ceux  de  Jésus-Christ  dans 
le  trésor  de  l'Eglise. 

Eausse  accusation.  On  ne  les  met  avec  Jé- 
sus-Christ, que  pour  lui  en  rendre  l'hom- 
mage qui  lui  est  dû,  comme  étant  ses  propres 
dons  et  pour  louer  la  magnificence  de  sa 
%rkce'.Inlaudemgloriœgratiœsuœ.(Ephes.,l.) 

Quand  saint  Paul  dit  que  les  apôtres  et  les 
ministres  de  l'Evangile  sont  lescoopérateurs 
de  Dieu,  Deienim  sumus  adjutores  (Ibid.),  il 
ne  veut  point  dire  que  Dieu  a  besoin  d'être 
aidé  de  l'homme,  lorsqu'il  veut  faire  quel- 
que chose  ;  mais  Dieu  veut  bien  s'en  servir, 
les  soutenir  par  sa  grâce,  et  récompenser 
même  leurs  mérites.  C'est  dans  ce  sens  que 
les  mérites  des  saints  sont  une  partie  du  tré- 
sor de  l'Eglise. 

CHAPITRE  VIII. 

L'application  des  mérites  de  la  sainte  Mergect 
des  saints  ne  font  point  injure  aux  mérites 
de  Jésus-Christ. 

Nous  n'avons  qu'un  seul  rédempteur  qui 
est  Jésus-Christ.  Lui  seul  a  satisfait  pleine- 
ment pour  nos  péchés,  et  nous  a  réconciliés 
avec  son  Père. 

ésus-Christ,  dit  saint  Paul,  s'est  fait  no- 
tre justice  et  notre  rédemption.  Factus  est 
nobis  justitiu  etredemptio.  (I  Cor.,  I.) 

Me'ttre  sa  confiance  dans  d'autres  mérites 
que  les  siens  ;  croiro  que  les  mérites  de  la 
ainte  Vierge  et  ceux  des  saints  sont  suffi- 
sants pour  nous  remettre  les  peines  dues  à 
nos  péchés,  indépendamment  de  ceux  de  Jé- 
sus-Christ ;dire  qu'ils  sont  joints  à  ceux  de 
ce  divin  Sauveur,  parce  qu'ils  ne  sont  pas 
suffisants  par  eux-mêmes,  et  qu'il  a  besoin 
d'être  aidé  par  ses  serviteurs  qui  n'ont  pu 
rien  sans  lui,,  et  qui  ne  sont  saints  que  par 


lui;  ce  serait  avancer  des  erreurs,  et  alors 
les  protestants  auraient  raison  de  nous  fairo 
les  reproches  qu'ils  nous  font. 

Mais  ce  n'est  pas  là  l'esprit  de  l'Eglise. 
Elle  ne  reconnaît  qu'un  Rédempteur  qui  est 
Jésus-Christ,  et  qui  pouvait  seul  satisfaire 
pour  nos  péchés.  Si  des  auteurs  catholiques 
ont  appelé  les  saints  nos  rédempteurs,  nos 
libérateurs,  c'est  dans  un  sens  étendu,  comme 
lorsqu'on  lit  dans  l'Evangile  :  J'ai  dit  :  Vous 
êtes  des  dieux  (Psal.  LXXXI.)  :  car  c'est  ainsi 
que  le  Saint-Esprit  appelle  les  magistrats  et 
les  juges  dans  le  sens  que  saint  Paul  l'en- 
tendait, lorsqu'il  disait  :  Je  me  suis  fait  tout 
à  tous  pour  les  sauver  tous  :  OmnVJus  omnia 
factus  sum,  ut  omnes  facerem  salvos.  (I  Cor. 
IX.)  Il  ne  prétendait  pas  par  là  dire  qu'ilde- 
venait  leur  sauveur,  leur  rédempteur.  Lui, 
qui  disait  si  hautement  aux  mêmes  Corin- 
tlrens,  est-ce  qu'Apollon,  est-ce  queCéphas, 
est-ce  que  Paul  ont  été  crucuiés  pour  vous  ? 
Nunquid  Paulus  crucifixus  est  pro  vobis  ? 
(I  Cor.,  I.) 

Les  mérites  de  la  sainte  Vierge  et  des 
saints,  que  l'Eglise  reconnaît  faire  une  par- 
tie du  trésor  qu'elle  ouvre  à  ses  enfants,  ne 
font  donc  point  injure  à  la  satisfaction  de 
Jésus-Christ.  Au  contraire,  ils  rendent  un 
hommage  éclatantà  ses  mérites  infinis,  sur- 
abondants, puisqu'eux  seuls  les  ont  rendus 
dignes  d'être  offerts  à  Dieu, 

D'ailleurs,  il  faut  considérer  deux  choses 
dans  ce  qu'ont  fait  les  saints.  Le  mérite  et  la 
satisfaction. 

Ils  n'ont  jamais  pu  trop  mériter;  mais  plu- 
sieurs ont  fait  beaucoup  plus  qu'il  n'en  fal- 
lait pour  expier  leurs  péchés.  Ainsi,  quant  à 
la  satisfaction,  ils  ont  des  mérites  abondants 
que  l'Eglise  nous  applique  dans  le  jubilé; 
et  celte  application  des  mérites  des  saints, 
ne  fait  point  injure  à  la  satisfaction  de  Jé- 
sus-Christ, puisque  nous  reconnaissons 
qu'elle  en  est  le  principe;  qu'on  lui  rap- 
porte tout  ce  que  ces  saints  ont  de  grand  et 
d'héroïque  ;  que  ce  sont  ses  propres  dons  quo 
Dieu  veut  bien  agréer,  récompenser  et  nous 
appliquer. 

CHAPITRE  IX. 

La  satisfaction  que  l'Eglise  exige  des  pdèics 

ne  fait  point  injure  aux  mérites  de  Jésur- 
)    Christ. 

La  satisfaction  a  toujours  fait  dans  l'Eglise 
une  partie  du  sacrement  de  la  réconciliation. 
Ce  n'est  pas  un  sentiment  particulier,  une 
opinion  d'école;  c'est  une  vérité  émanée  de 
Jésus-Christ  même,  prêchée  par  les  apôtres, 
et  leurs  successeurs,  reconnue  dans  les  uius 
grands  et  les  plus  saints  conciles. 

Calvin,  sous  prétexte  de  rendre  hommage 
aux  mérites  infinis  de  Jésus-Christ,  a  voulu 
ôter  les  œuvres  satisfactoires;  il  les  a  com- 
battues. Mais  l'Eglise  l'a  foudroyé ,  comme 
renversant  les  fondements  que  ce  divin- Sau- 
veur a  lui-même  posés. 

En  effet,  si  l'Eglise  regardait  les  saintes 
rigueurs  qu'elle  exige  des  pécheurs  conver- 
tis, .comme  nécessaires  pour  rendre  les  mé- 
rites de  Jésus-Christ  suffisants,  pour  obtenir 


Ï67 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


jC* 


la  grâce  de  la  réconciliation,  Calvin  aurait 
raison,  parce  que,  ses  mérites  étant  infinis, 
ils  n'ont  besoin  d'aurun  secours  pour  être 
efficaces.  Mais  elle  exige  du  pécheur  ces 
saintes  rigueurs,  pour  répondre  aux  dos- 
seins  et  à  la  volonté  de  Dieu  dans  le  plan 
même  de  notro  réconciliation. 

Or,  quels' sont  les  desseins  de  ce  divin 
Sauveur  en  mourant  môme  pour  nos  péchés  ? 
L'Evangile  nous  l'apprend;  c'est  d'avoir  des 
disciples  de  sa  croix,  des  hommes  de  larmes, 
d'austérités;  des  hommes  qui  vengent,  au- 
tant qu'il  est  en  eux,  le  péché,  et  qui  l'ex- 
p'ent  par  une  rigoureuse  pénitence. 

Jésus-Christ  ignorait-il  que  ses  mérites 
étaient  infinis,  ou  voulait-il  qu'on  y  fit  in- 
jure par  les  œuvres  satisfactoires  qu'il  recom- 
mandait? 

Pourquoi  nous  a-t-il  fait  un  précepte  de 
porter  sa  croix  et  de  souffrir?  Est-ce  que  ses 
souffrances  n'étaient  pas  suffisantes  pour 
nous  sauver? 

Pourquoi  saint  Paul  dit-il  qu'il  accomplit 
dans  sa  chair  ce  qui  manque  à  la  passion  de 
Jésus-Christ?  Son  sacrifice  était-il  imparfait 
et  insuffisant  par  lui-môme  pour  notre  salut? 
Loin  de  nous  ces  blasphèmes.  Mais  c'est  que 
Jésus-Christ  en  soulfrant  pour  nous  n'a  pas 
voulu  nous  dispenser  de  souffrir  ;  il  a  voulu, 
nu  contraire,  que  ses  disciples  le  suivissent 
sur  le  Calvaire;  les  mérites  de  ses  souffrances 
ne  sont  appliqués  qu'à  ce  prix. 

Pourquoi  les  apôtres,  après  la  mort  du 
Sauveur,  prêchent-ils  la  pénitence?  Exigent- 
ils  des  larmes,  des  prières,  des  aumônes,  des 
jeûnes?  Ignoraient-ils  que  les  mérites  de 
Jésus-Christ  étaient  infinis?  Non.  Mais  ils 
avaient  appris  de  leur  divin  Maître  qu'il  fal- 
lait que  le  péché  fût  expié  dans  ce  monde  ou 
dans  l'autre;  que  les  œuvres  satisfactoires 
que  le  pécheur  pénitent  pratique  et  que  l'E- 
glise exige  de  lui,  ne  font  point  injure  aux 
mérites  infinis  de  Jésus-Christ,  non  plus  que 
les  larmes  de  la  pécheresse,  de  saint  Pierre, 
les  macérations  de  saint  Paul  et  do  tant  d'au- 
tres pénitents  qui  avaient  reçu  l'absolution 
de  leurs  péchés. 

CHAPITRE  X. 

La  sainte  sévérité  de  l'Eglise  justifiée  par  la 
doctrine  du  saint  concile  de  Trente. 

La  sévérité  de  l'Eglise  n'est  point  une  sé- 
vérité d'humeur,  d'ostentation  ;  elle  est  bien 
éloignée  d'imiter  la  sévérité  apparente  des 
pharisiens  qui  imposa'ont  des  fardeaux 
qu'ils  n'auraient  pas  voulu  porter  eux  - 
mômes. 

On  sait  comme  dans  tous  les  siècles  elle 
s'est  soulevée  contre  certains  novateurs  qui 
fermaient  le  ciel  aux  pécheurs  touchés,  en 
lui  refusant  le  pouvoir  de  les  absoudre  de 
certains  péchés.  Malgré  les  services,  les  ta- 
lents, le  zèle,  la  sainteté  de  Tertullien,  clic 
a  condamné  sa  sévérité  outrée. 

On  sait  ce  qu'elle  pense  aussi  de  ceux  qui 
1  lissent  gémir  les  pénitents  des  années  en- 
tières sous  le  poids  de  leurs  péchés  avant  de 


les  absoudre,  sous  prétexte  de  leur  en  faire 
sentir  tout  le  poids. 

Epouse  toujours  fidèle  do  Jésus-Christ, 
qui  recherchait  les  pécheurs,  qui  les  rece- 
vait avec  joie  et  leur  prodiguait  ses  caresses, 
elle  ne  les  rebuta  jamais  par  une  sévérité 
outrée,  ni  par  des  délais  affectés.  Mais  elle 
sait  aussi  que  le  pécheur,  quoique  absous  de 
son  péché  quant  à  la  coulpe,  c'est-à-dire  quant 
à  l'offense,  est  encore  redevable  à  la  justice 
divine,  quant  à  la  peine  que  mérite  son  pé- 
ché, soit  dans  ce  monde,  soit  date  l'autre. 
C'est  pourquoi  elle  l'exhorte  à  pratiquer 
toutes  les  rigueurs  dont  il  est  capable,  po.  r 
venger  le  Seigneur  offensé. 

C'est  la  doctrine  du  saint  concile  de  Trente, 
sur  laquelle  nous  allons  faire  quelques  ré- 
flexions. 

1"  Ce  saint  concile  dit  (sess.  XIV,  c.  2)  que 
les  effets  du  sacrement  de  pénitence  sont  dif- 
férents de  ceux  du  baptême  :  Alius  baptismi, 
alias  pœnitentiœ  fructus.  Par  le  baptême, 
nous  sommes  revêtus  de  Jésus-Christ,  nous 
devenons  une  nouvelle  créature,  nous  rece- 
vons une  rémission  totale  de  nos  péchés. 

Mais  par  le  sacrement  de  pénitence,  nous 
ne  saurions  parvenir  à  ce  renouvellement 
total  et  entier,  sans  beaucoup  de  gémisse- 
ments et  de  grands  travaux  :  Sine  magnis 
fletibus  et  laboribus ,  parce  que  la  justice 
divine  exige,  continue  ce  saint  concile,  que 
nous  vengions  sur  nous  les  péchés  que  nous 
avons  commis  depuis  notre  baptême  :  Divina 
id  exigente  justilia. 

Quand  l'Eglise  exige  de  nous,  après  nos 
péchés,  des  œuvres  satisfactoires,  des  lar- 
mes, des  gémissements,  des  jeûnes,  des 
mortifications,  des  aumônes,  et  toutes  les  ri- 
gueurs dont  nous  sommes  capables,  elle 
n'exige  donc  de  nous  que  ce  que  la  justice 
divine  exige  elle-même  des  pécheurs  qu 
veulent  rentrer  en  grâce  :  Divina  id  exigente 
justifia. 

2°  Ce  saint  concile  appelle  la  pénitence  un 
baptême  laborieux  ;  Pccnitentia  taboriosus 
baptismus.  Il  approuve  et  loue  tous  les  saints 
docteurs  qui  l'ont  appelée  ainsi. 

Or,  ôtez  les  œuvres  satisfactoires,  les 
saintes  rigueurs  que  l'Eglise  impose  à  ses  en- 
fants qui  veulent  satisfaire  à  la  justice  di- 
vine dans  ce  monde,  il  n'y  aurait  plus  de 
différence  entre  le  baptême  et  la  pénitence. 

Mais  ce  n'est  point  la  foi  de  l'Eglise,  c'est 
un  baptême  laborieux.  On  ne  rentre  dans 
l'intégrité  première  que  partie  grands  gémis- 
sements et  de  grands  travaux. 

CHAPITRE  XL 

Le  jubilé  ne  dispense  que  des  rigueur*  dont 
nous  ne  sommes  pas  ((niables. 

Il  est  aisé  de  comprendre  quelles  sont  les 
rigueurs  dont  nous  ne  sommes  pas  capables 
par  nous-mêmes;  ce  sont  celles  qui  apaise- 
raient par  elles-mêmes  un  Dieu  offensé  par 
le  péché. 

Or,  quelques  rigueurs  que  nous  exercions 
sur  nous  pour  expier  nos  péchés,  elles  ne 
pourront  jamais  satisfaire  pleinement  la  jus- 


SfiO 


;  INSTRUCTIONS  SUR  LE  JCBILÈ.  —  PARTIE  I,  CIÏAP.  XII. 


570 


tice  uivino,  sans  être  mêlées  avec  les  mé- 
rites de  Jésus-Christ. 

Toute  la  suffisance,  la  force,  l'efficace  de 
notre  pénitence  vient  d'un  Dieu  Sauveur  : 
c'est  de  son  sang  qu'elle  tire  son  prix,  sa 
valeur,  qu'elle  porte  ces  traits  divins  qui 
touchent  un  Dieu  offensé,  l'apaisent,  le  dé- 
sarment et  le  satisfont  -.Sufficienlia  nostra  ex 
Deo  est.  (II  Cor.,  III.) 

Si  nous  considérons  notre  propre  fond,  dit 
le  saint  concile  de  Trente  (sessione  XIV, 
cap.  8),  nous  ne  pouvons  rien  de  nous-mêmes  ; 
mais  si  nous  faisons  attention  aux  secours 
puissants  d'un  Dieu  Sauveur  qui  nous  aide, 
nous  fortifie,  nous  pouvons  tout  :  Ex  nobis 
tanquain  ex  nobis  nihil possumus ,  eo  coopé- 
rante qui  nos  confortât,  omnia  possumus. 

Or,  ces  principes  posés,  je  dis  que  nous 
sommes  incapables  par  neus-mêmes  de  cette 
satisfaction  rigoureuse  que  Dieu  exige  après 
le  péché;  que,  sans  l'application  des  mérites 
de  Jésus-ChrUt,  nos  larmes,  nos  jeûnes,  nos 
prières,  nos  mortifications,  nos  aumônes  et 
toutes  les  œuvres  dont  nous  sommes  capa- 
bles, seraient  insuffisantes. 

Qui  sait  si  Dieu,  infiniment  offensé  par  le 
péché,  est  entièrement  satisfait  h  la  mort  d'un 
pénitent,  quoiqu'il  ait  passé  plusieurs  an- 
nées dans  les  exercices  d'une  rigoureuse  pé- 
nitence, et  s'il  ne  lui  reste  pas  encore  des 
traces  du  péché,  des  souillures  à  expier 
dans  le  purgatoire? 

Or,  l'avantage  du  jubilé  est  de  remettre 
toutes  ces  peines  temporelles  dues  à  nos 
péchés;  d'appliquer  les  mérites  de  Jésus- 
Christ,  et  ceux  des  saints,  dans  le  sens  que 
nous  l'avons  dit  aux  exercices  de  pénitence 
dont  nous  sommes  capables. 

Mais  l'avantage  du  jubilé  ne  consiste  pas 
à  nous  dispenser  des  rigueurs  dont  nous 
sommes  capables  ;  il  ne  nous  exempte  pas 
de  pleurer  nos  péchés,  de  les  détester,  de 
les  expier  autant  que  notre  faiblesse  le 
permet. 

On  fait  attention  aux  conditions  extraor- 
dinaires que  le  souverain  pontife  exige 
pour  gagner  le  jubilé,  aux  stations ,  aux 
prières;  on  ne  fait  point  attention  à  la  plus 
essentielle  sans  laquelle  on  ne  peut  point 
le  gagner,  qui  est  la  douleur  de  ses  péchés; 
car  ce  n'est  qu'aux  cœurs  contrits  qu'il  pro- 
met cette  indulgence  précieuse  dans  sa  bulle  : 
vere  conlritis. 

Or  des  pécheurs  contrits  pleurent,  gé- 
missent, s'affligent,  pratiquent,  de  saintes  ri- 
gueurs comme  David,  saint  Pierre,  Made- 
leine et  tant  d'autres  pénitents.  Cette  seule 
condition,  exprimée  dans  la  bulle  de  notre 
saint-père  le  pape,  |  rouve  donc  que  le  ju- 
bilé ne  nous  dis]  ense  point  de  la  pénitence 
dont  nous  ioiinv.es  capables. 

CHAPITRE  XII. 

Le  jubilé  supplée  à  l'imperfection  de  ta  pé- 
nitence que  nous  pouvons  faire. 

Notre  pénitence,   quelque  amère  qu'elle 


puisse  être,  quelque  longue,  quelque  rigou- 
reuse que  nous  la  supposions,  a  toujours  be- 
soin de  la  clémence  et  de  la  misérico"de  de 
Dieu. 

Malheur  à  la  vie  même  la  plus  sainte  et  h 
plus  digne  de  louange,  Seigneur,  s'écr'e 
saint  Augustin  (Ccnfcssionvm,  libr.  IX,  cap. 
13),  si  vous  ne  l'examinez  point  dans  votre 
miséricorde.  Les  justes  avec  leurs  combats, 
leurs  bonnes  œuvres,  les  pécheurs  pénitents 
avec  leurs  larmes,  leurs  austérités,  auront 
encore  sujet  de  craindre  et  de  trembler,  rœ 
etiam  laudabili  vilœ  si  remola  misericorclia 
discutias  eam. 

Il  faut  donc  que  la  miséricorde  de  Dieu 
apaise  la  sévérité  de  sa  justice,  pour  que 
nous  puissions  espérer  que  Dieu  sera  sa- 
tisfait de  notre  pénitence  :  s'il  entrait  en  ju- 
gement avec  nous,  qui  pourrait  être  justifié? 
C'est  en  parlant  de  sa  mère,  sainte  Monique, 
que  saint  Augustin  prononce ,  avec  une 
sainte  frayeur,  les  paroles  que  je  viens  de 
rapporter,  en  louant  ses  vertus,,  ses  larmes, 
en  rapportant  même  les  avants-goûts  qu'elle 
eut  de  la  félicité  éternelle  aux  approches  de 
la  mort.  11  craint  encore  :  qu'elle  n'ait  eu 
quelques  fautes  à  expier  dans  le  purgatoire, 
que  ce  qui  pouvait  lui  être  échapi é  n'eût 
pas  été  assez  sévèrement  expié  dans  ce 
monde. 

Cette  sainte  veuve  le  craignait  aussi, 
parce  qu'elle  faisait  attention  qu'un  Dieu 
infini,  offensé  par  sa  créature,  demandait 
une  pénitence  sévère  et  rigoureuse ,  c'est 
pourquoi  elle  conjure  tous  les  prêtres  de  se 
ressouvenir  d'elle  à  l'autel  :  tout  cela  doit  nous 
efl'raver  et  nous  faire  connaître  tout  l'avan- 
tage du  jubilé,  puisqu'il  supplée  à  l'imper- 
fection de  notre  pénitence. 

Vous  êtes  irrité,  Seigneur,  contre  nos  pé- 
chés, la  corruption  des  mœurs,  le  libertinage, 
l'incrédulité  font  tous  les  jours  de  funestes 
progrès;  la  religion  est  l'objet  des  railleries 
des  impies;  votre  Eglise  est  insultée  par 
nombre  de  vos  enfants  ;  vos  ministres  sort 
méprisés,  vos  temples  profanés,  vos  sacre- 
ments négligés,  vos  solennités  abandonnées; 
les  justes  gémissent,  l'innocence  alarmée  est 
obligée  de  se  cacher,  le  crime  se  montre,  ,ie 
produit  et  provoque  votre  colère. 

Mais,  malgré  cela,  l'oracle  du  prophète 
s'accomplit  dans  ces  jours,  lorsque  vous 
avez  le  plus  sujet  d'être  irrité  contre  nous 
et  que  vous  l'êtes  en  effet;  vous  suspende?, 
votre  colère  pour  nous  faire  sentir  les  heu- 
reux effets  de  votre  miséricorde  :  Cum  ir-a- 
tus  fueris,  misericordiœ  reevrdaberis.  (//a- 
bacuc,  III.) 

Le  chef  de  l'Eglise  ouvre  le  trésor  de 
grâces  qui  lui  est  confié,  il  joint  à  l'insuffi- 
sance de  notre  pénitence  les  mérites  infinis 
de  votre  Fils  unique,  notre  Sauveur.  Alors 
notre  pénitence,  les  efforts  dont  nous  som- 
mes capables,  nos  larmes,  nos  gémissements, 
nos  prières,  nos  aumônes,  nos  jeûnes  vous 
seront  agréables  et  satisferont  votre  justice  ; 
cette  indulgence,  que  l'Eglise  nous  accorde, 
supplée  à  1  imperfection  de  nuire  pénitence 


B7i 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


572 


CHAPITRE  XIII. 


Sentiments  des  justes  aux  approches  du 
jubilé. 

Le  jubilé  augmente  la  vigilance,  la  dou- 
leur, l'amour,  le  zèle  et  la  reconnaissance 
des  justes.  Ils  ne  le  regardent  pas  comme 
une  grâce  qui  ne  demande  pas  une  grande 
préparation. 

Ils  apprennent  avec  joie  la  nouvelle  de  ce 
temps  d'indulgence,  ils  s'y  préparent  par  la 
prière,  la  méditation  des  vérités  du  salut, 
l'examen  de  la  conscience ,  la  séparation  des 
créatures,  autant  que  leur  état  le  permet. 

La  vue  des  fautes  qui  leur  sont  échappées 
excite  en  eux  une  douleur  vive,  sincère, 
brise  leur  cœur  et  fait  couler  des  larmes  de 
leurs  yeux;  l'indulgence  qu'on  va  leur  ac- 
corder ne  diminue  point  à  leurs  yeux  l'é- 
nprmité  du  péché ,  elle  les  pénètre  même 
davantage  de  la  bonté  infinie  d'un  Dieu  qui 
aime  à  pardonner. 

Plus  il  leur  remet,  plus  ils  l'aiment;  le 
zèle  qu'ils  ont  pour  le  salut  de  leurs  frères, 
la  gloire  de  Dieu,  la  paix  de  l'Eglise,  la  pros- 
pecté- du  royaume  les  fait  prier  avec  ardeur 
dans  ces  saints  jours  pour  la  conversion  des 
pécheurs,  la  destruction  du  vice  et  de  l'er- 
reur; ils  remercient  le  Seigneur  de  la  grâce 
précieuse  qu'il  accorde  à  son  peuple,  quoi- 
qu'il s'en  soit  rendu  indigne  par  ses  prévari- 
cations. 

Sentiments  des  justes  sur  le  péché;  lagrâi  e 
du  jubilé  ne  les  empoche  point  de  le  regar- 
der comme  le  souverain  mal ,  un  attentat 
énorme  contre  la  Divinité  que  la  créature 
doit  punir  avec  toute  la  sévérité  dont  elle  est 
capable. 

Sentiments  des  justes  sur  la  pénitence; 
la  grâce  du  jubilé  ne  les  dispense  pas  de 
l'embrasser  et  de  le  faire  dans  l'amertume 
de  leur  cœur,  ils  pleurent,  ils  jeûnent,  ils 
prient,  ils  se  mortifient,  ils  assistent  les  pau- 
vres, ils  sont  dans  le  recueillement  et  espè- 
rent tout  de  l'indulgence  qu'on  leur  accorde, 
quand  ils  ont  fait  tout  ce  qui  était  en  leur 
1  ouvoir  pour  venger  le  Seigneur. 

Sentiments  des  justes  sur  les  conditions 
que  le  souverain  pontife  met  dans  la  bulle 
pour  gagner  le  jubilé;  ils  admirent  la  con- 
descendance et  la  bonté  de  l'Eglise  qui  a 
égard  à  la  faiblesse  de  ses  enfants,  qui  exige 
si  peu  pour  une  grâce  si  précieuse;  ils  ren- 
trent dans  leur  cœur  pour  y  trouver  par  leur 
amour,  leurs  regrets,  leurs  gémissements,  la 
matière  d'une  pénitence  intérieure,  d'une 
immolation  agréable  au  Seigneur. 

Sentiments  des  justes  sur  les  peines  qui 
leur  sont  remises  dans  le  jubilé;  cette  grâce 
sert  et  à  leur  donner  de  l'horreur  du  péché, 
et  à  les  précautionner  contre  le  péché.  Le 
péché  fait  perdre  l'amitié  de  Dieu,  nous  fer- 
me le  ciel,  nous  ouvre  l'enfer;  le  péché  qui 
est  remis  dans  le  tribunal  de  la  pénitence 
parle  sang  de  Jésus-Christ,  mérite  encore 
des  peines  temporelles.  Ahl  je  le  craindrai, 
J3  l'éviterai ,  et,  s'il  m'en  échappe  quelques- 
uns,  je  les  pleurerai  toute  ma  vie,  je  les 


expierai  dans  ce  monce  par  une  austère  pé>- 
nitence. 

CHAPITRE  XIV. 

Sentiments  des  pécheurs  touchés  aux  appro- 
ches du  jubilé. 

Les  pécheurs  qui  sont  touchés  de  l'état  du 
péché,  état  déplorable  dont  ils  connaissent 
toutes  les  malheureuses  circonstances,  sai- 
sissent avec  empressement  ce  temps  de  ju- 
bilé et  d'indulgence  pour  rentrer  en  grâce 
avec  leur  Dieu,  et  briser  tous  les  liens  du 
péché. 

Mais  cette  indulgence  de  l'Eglise  ne  leur 
fait  point  perdre  de  vue  les  plaies  qu'ils  ont 
faites  à  leur  âme,  la  justice  de  Dieu  qu'ils  ont 
irritée,  l'enfer  qu'ils  ont  mérité,  la  pénitence 
qu'ils  doivent  embrasser,  les  scandales  et  les 
injustices  qu'il  faut  réparer,  les  obstacles 
qu'il  faut  surmonter,  en  un  mot  le  grand 
ouvrage  de  la  conversion,  qui  est  le  fruit  de 
la  grâce  et  de  la  fidélité  du  pécheur  à  y  ré- 
pondre. 

C'est  pourquoi  ils  se  retirent  à  l'écart,  ils 
gémissent ,  ils  prient,  ils  s'humilient,  ils 
sondent  avec  exactitude  les  abîmes  de  leur 
conscience,  ils  n'en  voient  qu'avec  confusion 
toutes  les  horreurs,  ils  les  détestent,  ils  s'en 
accusent,  ils  commencent  à  les  expier  et  ils 
espèrent  de  la  miséricorde  de  Dieu  tout  ce 
qu'ils  ne  peuvent  point  par  eux-mêmes. 

Seigneur,  dit  un  pécheur  touché  aux  ap- 
proches du  jubilé,  l'Eglise  ouvre  le  trésor 
précieux  des  mérites  infinis  de  Jésus-Chrisc, 
elle  les  applique  à  tous  ses  enfants  pour  ai- 
der leur  failtlesse  et  suppléer  à  la  satisfaction 
dont  ils  sont  capables.  Faites  éclater  dans  ce 
temps  d'indulgence  vos  miséricordes  sur 
moi  :  Mirifica  misericordias  tuas .  (Psal.  XVI.) 

11  s'agit,  ô  mon  Dieu!  d'un  prodige  de 
conversion,  d'une  guérison  miraculeuse; 
j'ai  besoin  de  vos  miséricordes  les  plus  écla- 
tantes :  Mirifica  misericordias  tuas. 

J'ai  croupi  si  longtemps  sous  de  honteux 
désordres,  j'y  suis  retenu  par  des  liens  si 
forts ,  si  flatteurs  ;  je  suis  devenu  tellement 
l'esclave  de  mes  coupables  habitudes;  je  me 
suis  malheureusement  si  fort  accoutumé  à 
vivre  sous  l'empire  du  démon,  qu'il  faut,  ô 
mon  Dieu  !  des  prodiges  de  votre  miséricorde 
pour  changer  mon  cœur,  rompre  mes  fers, 
et  passer  du  vice  à  la  vertu  :  Mirifica  miseri- 
cordias tuas. 

Pour  profiter  de  la  grâce  du  jubilé,  il  faut 
que  je  sois  réconcilié  avec  vous  et  ressuscité 
à  la  grâce.  Parlez  à  mon  cœur,  ô  mon  Dieul 
dans  votre  miséricorde;  parlez -lui  avec 
force,  dites  à  cet  aveugle  :  Regardes  les  biens 
que  tu  as  perdus;  à  ce  lépreux  :  Sois  guéri; 
à  ce  mort  depuis  si  longtemps  dans  la  cor- 
ruption :  Sors  de  ton  tombeau.  Parlez  avec 
force,  avec  puissance,  ô  mon  Dieu!  dans  ce 
temps  de  miséricorde  :  Mirifica  misericordias 
tuas. 

On  peut  se  flatter  de  sentir  les  effets  d'une 
grande  miséricorde,  dit  saint  Grégoire  (hu- 
milia 18  in  Ezechictem,  libro  11),  quand  une 
grâce  intérieure  nous  fait  jeter  les  yeux  sur 
notre   misère  pour  en  gémir  et  implorer  le 


573 


INSTRUCTIONS  SUR  LE  JUBILE  —  PARTIE  I,  CHAP.  XVI. 


,~i 


secours  du  Tout-Puissant  :  Tune  7iobis  misr- 
ricordiœ  Domini  mirœ  fiant  cum  nobis  ad 
memoriam  miseriœ  nostrœ  revocanttir. 

Tels  sont  les  sentiments  îles  pécheurs  tou- 
chés aux  approches  du  jubilé,  ils  ne  le  re- 
gardent pas  comme  un  temps  favorable  pour 
se  décharger  du  fardeau  de  leurs  crimes  plus 
aisément,  parce  que  les  confesseurs  sont  plus 
indulgents.  Ils  ne  se  promettent  pas  une  paix 
solide  à  la  faveur  d'une  confession  faite  sans 
douleur,  et  de  stations  que  l'on  fait  le  plus 
commodément  que  l'on  peut.  C'est  la  sincé- 
rité de  leur  conversion  qui  les  fait  compter 
sur  la  grâce  du  jubilé. 

CHAPITRE  XV. 

Sentiments  des  mondains  aux  approches  du 
jubile'. 

Il  faudrait  une  source  abondante  de  lar- 
mes pour  pleurer  les  égarements  des  mon- 
da ns  en  matière  de  salut  dans  ce  temps 
même  de  miséricorde  et  de  grâce. 

11  ne  faut  que  les  entendre  parler,  exami- 
ner le  plan  qu'ils  se  tracent  pour  faire  le  ju- 
b  lé,  leur  conduite,  leur  confiance,  leur  pré- 
cipitation, leurs  alarmes,  leur  j  énitence 
pour  décider  qu'ils  ne  regardent  pas  cette 
grâce  avec  les  yeux  de  la  foi,  qu'ils  ne  veu- 
lent que  suivre  la  foule  pour  ne  pas  se  dis- 
tinguer, s'en  acquitter  comme  ils  s'acquit- 
tent du  devo;r  pascal  pour  conserver  des 
dehors  de  relig;on  ;  qu'ils  se  mettent  peu  eu 
peine  de  s'instruire  des  sentiments  de  péni- 
tence que  le  jubilé  exige,  des  effets  qu'il 
produit  pour  ne  s'attacher  qu'à  la  rémission 
îles  peines  dues  à  leurs  péchés  offerte  à  des 
conditions  très-aisées,  et  qu'ils  ne  veulent 
être  pénitents  qu'en  apparence  et  en  pas- 
sant. 

Voilà  comme  pensent  un  grand  nombre  de 
mondains  que  les  approches  du  jubilé  re- 
muent, déterminent  à  se  présenter  au  tribu- 
nal de  la  pénitence;  et  à  se  mêler  avec  les 
justes  et  les  pécheurs  touchés;  chrétiens  de 
solennité,  mondains  d'inclination;  pénitents 
pendant  quelques  jours,  pécheurs  toute  leur 
vie  ;  arrachés  quelques  moments  à  leurs 
plaisirs,  dissipés  quelques  jours  des  objets 
qui  occupent  leur  cœur,  mais  sans  regret, 
sans  douleur  de  leurs  péchés ,  dissipati  nec 
cvmpuncti.  (Psal.,  XXXIV.) 

Ils  s'informent  des  avantages  du  jubilé, 
des  conditions  que  le  souverain  pontife 
exige  pour  le  gagner,  du  nombre  des  sta- 
tions ;  on  se  promet  de  choisir  des  lieux  les 
plus  près,  les  plus  commodes,  de  les  faire  à 
son  aise;  on  est  charmé  de  ne  point  voir  de 
jeûnes  d'obligation  imposés  dans  la  bulle, 
d'y  voir  les  confesseurs  revêtus  de  tous  les 
pouvoirs  pour  absoudre  des  cas  réservés  ; 
on  compte  plus  sur  leur  facilité  à  admettre  à 
la  participation  des  sacrements  dans  ce 
saint  temps  que  dans  les  autres  temps  de 
la  vie. 

Tout  cela  réveille  pour  quelque  temps  les 
mondains  de  leur  assoupissement,  les  solli- 
cite, détermine  ceux  uiêrnes  qui  manquent 
au  devoir  pascal  ;  ils  vont  assiéger  les  con- 


fessionnaux pour  se  tranquilliser  par  un 
récit  historique  de  leurs  désordres  ;  ils  visi- 
tent les  églises  désignées,  ils  se  hâtent,  ils 
comptent  les  jours,  et  voient  avec  plaisir  la 
fin  de  ces  exercices  importants. 

Enfin,  ils  ont  fait  leur  jubilé  sans  douleur, 
sans  gémissements,  sans  avoir  réformé  le 
plan  de  leur  vie,  sans  mortification,  presque 
sans  aumônes,  sans  haine  du  péché,  du 
monde,  de  ses  maximes,  et  peut-être  sans 
s'être  réconciliés  avec  leurs  ennemis,  et  sans 
avoir  réparé  les  injustices  faites  au  prochain 
dans  ses  biens  ou  dans  son  honneur  :  quel 
aveuglement  1  quelle  fausse  sécurité  1 

Ah  !  dit  saint  Grégoire  (homilia  18  in  Eze- 
ehielem,  libro  II),  quand  nous  aimons  le 
monde,  que  nous  sommes  encore  attachés  à 
ses  biens,  à  ses  plaisirs,  à  ses  honneurs,  nous 
n'aimons  pas  les  dons  célestes,  nous  n'aimons 
que  les  plaies  que  notre  âme  reçoit  par  le 
péché,  non  gaudia  sèdvuînera  amamus. 

Les  mondains  dont  je  viens  de  parler  ne 
veulent  point  non  plus  guérir;  ils  préfèrent 
les  objets  séduisants  qui  les  blessent  à  la 
grâce  du  jubilé  qui  les  soutiendrait  dans  la 
su'te.  Ils  ne  veulent  point  goûter  les  dou- 
ceurs de  l'innocence;  ils  veulent  conserver 
les  plaies  dont  leur  âme  est  couverte,  parce 
qu'ils  ne  veulent  point  employer  les  remèdes 
amers  qui  les  guériraient. 

CHAPITRE  XVI. 

Sentiments  des  pécheurs  d'habitude  aux  ap- 
proches du  jubile'. 

A  Dieu  ne  plaise  que  je  désespère  ici  les 
pécheurs  d'habitude  en  leur  fermant  le  ciel, 
en  leur  disant  qu'il  n'y  a  plus  pour  eux  de 
ressource  dans  les  trésors  de  la  miséricorde 
du  Seigneur,  que  la  grâce  du  jubilé  n'est 
point  pour  eux. 

J'avancerais  une  erreur;  l'Eglise  me  con- 
damnerait avec  justice;  Jésus-Christ  qui  ou- 
vre son  cœur  aux  plus  grands  pécheurs,  dans 
lequel  le  perfide  Judas  avait  encore  une  place 
s'il  eût  voulu  en  profiter,  dont  il  n'a  |  as 
exclu  même  sur  la  croix  les  juifs  qui  répan- 
dirent son  sang,  deviendrait  mon  juge,  et 
me  condamnerait  par  les  fréquents  exemples 
de  clémence  qu'il  a  donnés  sur  la  terre. 

Non,  pécheurs,  la  multitude  de  vos  péchés 
n'égale  pas  encore  la  grandeur  des  miséri- 
cordes de  votre  Dieu  ;  quelques  foi  tes  et  an- 
ciennes que  soient  vos  habitudes,  nous  di- 
rons qu'il  est  difficile  de  les  rompre,  nous 
ne  dirons  pas  qu'il  est  impossible;  Dieu  est 
plus  puissant  pour  vous  sauver,  que  vous 
ne  l'avez  été  pour  l'offenser. 

Rentrez  dans  votre  cœur,  brisez-le  de  dou- 
leur, pleurez,  gémissez,  demandez  avec  hu- 
milité le  secours  du  ciel;  rompez  vos  lien?, 
séparez-vous  des  objets  qui  vous  séduisent, 
faites-vous  une  violence  continuelle  pour 
éteindre  ce  feu  des  passions  qui  vous  dévore, 
pour  résister  à  ces  tentations  qui  vous  atta- 
quent; et  quand  vous  vous  serez  éprouvés, 
corrigés,  profitez  avec  confiance  de  la  grâce 
du  jubilé.  Le  trésor  de  l'Eglise  est  ouvert  à 
tous  ceux  qui  sont  touchés  de  leurs  péchés, 
qui  les  détestent,  vere  contrids. 


K7L* 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


&"6 


Mais,  ce  ne  sont  pas  là  malheureusement 
les  sentiments  des  pécheurs  d'habitude  aux 
approches  du  jubilé;  il  ne  faut  que  faire 
attention  à  l'idée  qu'ils  en  conçoivent,  au 
peu  de  temps  qu'ils  emploient  pour  s'y  pré- 
parer, et  aux  fiuits  qu'ils  en  retirent  pour 
appréhender  que  leur  conversion  prétendue 
ne  soit  qu'une  fausse  pénitence. 

Que  pensent-ils  dujubilé,  et  de  leurs  ha- 
bitudes criminelles?  Ils  pensent  que  le  jubilé 
autorise  les  confesseurs  à  être  indulgents 
aux  dépens  des  règles  que  nous  prescrivent 
les  saintes  lois  de  la  pénitence,  comme  si  la 
grâce  qui  nous  est  offerte  pour  la  rémission 
de  ;  pe  nés  temporelles  dues  à  nos  péchés, 
regardait  les  dispositions  indispensables 
pour  recevoir  l'absolution  de  ses  péchés, 
quant  à  la  coulpe,  qui  sont  la  douleur,  la  dé- 
testat'on  du  péché,  le  ferme  propos  de  n'y 
jamais  retomber. 

Ils  pensent  qu'iP  est  très-facile  de  rompre 
leurs  mauvaises  habitudes,  qu'ils  le  feront 
quand  ils  voudront,  et  ils  le  veulent  pour 
faire  leur  jubilé,  ils  le  promettent. 

Mais  combien  ont-ils  employé  de  temps 
pour  ce  grand  ouvrage,  peut-être  pas  un  seul 
jour  sincèrement;  on  a  entendu  parler  du 
jubilé  depuis  longtemps,  de  grandes  solen- 
nités, les  jours  pascals  se  sont  écoulés,  on 
n'a  fait  aucun  effort  pour  briser  ses  liens. 

Les  jours  du  jubilé  sont  venus,  on  s'est 
déterminé,  on  a  cherché  un  confesseur  :  on 
a  fait  des  promesses,  on  a  été  admis,  on  se 
congratule,  on  a  fait  son  jubilé,  on  n'a  plus 
rien  à  faire  de  pénible  pour  son  salut,  on 
va  vivre  comme  auparavant;  nous  verrons 
régner  les  mêmes  vices,  les  mêmes  passions, 
le  même  scandale,  le  même  dégoût  de  la 
piété,  et  des  choses  saintes.  Fruits  funestes 
des  fausses  idées  que  les  pécheurs  d'habi- 
tude se  sont  formées  de  la  grâce  du  jubilé. 

CHAPITRE  XVII. 

Sentiments  des  libertins  et  des  incrédules  aux 
approches  dujubilé. 

Hélas  1  combien  qui  méprisent  ce  trésor 
de  grâces  que  l'Eglise  ouvre  dans  ces  saints 
jours. 

L'esprit  d'irréligion,  si  fort  accrédité  dans 
notre  siècle,  fait  regarder  aux  libertins,  et 
aux  prétendus  esprits  forts,  les  indulgences 
que  l'Eglise  accorde  comme  de  flatteuses 
i tc  messes  qui  entretiennent  la  piété  du  peu- 
ple, la  réveillent,  et  lui  font  respecter  un 
pouvoir  qu'elle  n'a  pas. 


Esprits  superbes!  cœurs  corrompus  1  qui 
ne  rougissent  pas  de  copier  le  langage  hardi 
et  licencieux  d'un  Luther,  qui  ignorent  la 
doctrine  des  indulgences  comme  cet  héré- 
siarque l'ignorait,  lorsqu'il  commença  à  la 
combattre;  les  uns  veulent  justifier  leur  li- 
bertinage, les  autres  veulent  se  faire  globe 
de  leur  système. 

De  là,  le  peu  de  cas  qu'ils  font  de  ces  jours 
de  grâce,  les  subtilités  qu'ils  emploient  pour 
en  combattre  les  avantages,  le  mépris  qu'ils 
font  des  instructions,  des  prières,  des  sta- 
tions, et  de  tous  les  exercices  de  piété  qui 
forment  un  spectacle  édifiant. 

Ils  ne  méritent  pas  qu'on  les  réfute,  ce  ne 
sont  point  des  raisonnements  qu'il  faut,  ma!s 
des  larmes,  comme  Jésus-Christ  en  répandit 
sur  les  juifs  endurcis,  qui  ne  profitèrent 
point  du  temps  de  sa  visite  et  de  sa  miséri- 
corde. 

Ah  !  hommes  de  vices  qui  vous  êtes  fami- 
liarisés avec  vos  cou;  ables  habitudes,  pour- 
quoi renoncez-vous  à  la  grâce  qui  vous  est 
offerte  aujourd'hui  ? 

Vous  dites  que  vous  n'avez  pas  de  con- 
fiance dans  ces  indulgences.  Ah!  dites  plu- 
tôt que  vous  ne  voulez  pas  faire  d'effoits 
pour  rompre  des  liens  honteux  qui  vous  re- 
tiennent, qu'une  passion  criminelle  vous 
tyrannise,  que  vous  êtes  livrés  à  une  idole 
qui  occupe  votr«  cœur,  et  que  vous  aimez 
mieux  laisser  échapper  une  grâce  précieuse 
que  l'Eglise  n'accorde  que  quatre  fois  dans 
un  siècle,  que  de  renoncer  aux  attraits  d'une 
vie  voluptueuse. 

Et  vous,  hommes  d'incrédulité,  prétendus 
esprits  foi ts,  qui  vous  a  dit  que  l'Eglise 
n'avait  pas  le  pouvoir  d'accorder  des  indul- 
gences? qui  vous  a  dit  que  la  grâce  du  ju- 
bilé ne  consistait  pas  dans  la  rémission  d'une 
partie  des  peines  temporelles  dues  au  péché, 

Dans  quelle  source  avez-vous  puisé  cette 
doctrine?  Dans  les  ouvrages  des  protestants, 
d'un  Baylc,  de  vos  maîtres  dans  l'incrédulité  I 

Et  moi,  depuis  le  siècle  de  la  publication 
de  l'Evangile  jusqu'au  nôtre,  je  vous  mon- 
trerai le  dogme  des  indulgences  reconnu, 
point  de  conciles,  point  de  souverains  pon- 
tifes, point  de  saints  docteurs,  point  d'évè- 
ques  qui  aient  parlé  comme  vous. 

Jugez  du  cas  que  je  fais  de  votre  doctrine 
par  le  poids  de  votre  autorité  ;  malgré  vous, 
tous  les  fidèles  les  plus  illustres,  les  plus 
précieuses  portions  de  l'Eglise  iront  puiser, 
dans  le  trésor  qui  leur  est  ouvert,  des  grâces 
de  salut. 


SECONDE  PARTIE. 


CHAPITRE   PREMIER. 

Des  motifs  qui  doivent  nous  porter  à  profiter 
de  la  gréée  du  jubilé. 

Il  ne  faut  que  méditer  les  oracles  de  l'E- 
criture, faire  attention  aux  grands  événe- 
ments marqués  dans  l'Histoire  sainte. 

Ces  punitions  terribles,  ces  longues  cap- 


tivités, ces  chutes  étonnantes  des  plus  grands 
empires,  et  enfui  la  réprobation  du  peu;  le 
juif,  pour  êlre  persuadé  que,  s'il  y  a  un  temps 
de  miséricorde,  il  y  a  un  temps  de  sévérité, 
et  que  Dieu  fait  éclater  sa  justice  sur  les 
pécheurs  obstinés,  lorsqu'ils  ont  volontai- 
rement lassé  sa  clémence. 
Partout  nous  voyons  un  temps  d'indul- 


577 


INSTRUCTIONS  SLR  LE  JUBILE.  —  PARTIE  IL  CHAP.  IL 


878 


genre  et  un  temps  do  rigueur  ;  la  clémence 
précède  toujours  la  sévérité,  et  les  hommes 
impénitents  et  endurcis  ne  s'amassent  des 
trésors  de  colère  pour  le  jour  des  vengean- 
ces, dit  saint  Paul  [Rom.,  II),  que  parce 
qu'ils  ont  lassé  la  longue  patience  de  Dieu, 
et  méprisé  les  jours  de  sa  miséricorde. 

Ces  adorables  lenteurs,  lorsqu'il  s'agit  de 
punir  le  pécheur,  cette  voix. tendre  qui  l'ap- 
pelle, ces  bras  étendus  si  longtemps  pour  le 
recevoir,  ces  courses,  ces  fatigues  pour  le 
chercher  dans  ses  égarements  ,  ces  invita- 
tions, ces  promesses,  voilà  le  temps  de  la 
miséricorde;  ce  temps  où  Dieu  se  moque  du 
pécheur  qui  l'invoque,  s'éloigne  de  lui,  l'a- 
bandonne à  lui-même,  à  ses  remords,  à  ses 
frayeurs,  à  son  désespoir,  voilà  celui  de  la 
sévérité. 

Or,  de  toutes  ces  vérités  clairement  expli- 
quées dans  l'Ecriture,  et  souvent  annoncées 
par  notre  divin  Sauveur,  nous  devons  tirer 
oeux  conséquences  ;  lune  qui  prouve  la 
démence  de  notre  Dieu  qui  veut  nous  sau- 
ver, l'autre  qui  condamne  le  pécheur  qui 
périt,  parce  qu'il  ne  veut  point  profiter  de 
fa  clémence  ;  le  temps  de  la  miséricorde  pré- 
cède celui  de  la  sévérité;  profitez  du  pre- 
mier, vous  éviterez  le  second. 

Ces  jours  où  vous  vivez  sont  des  jours  de 
grâces ,  d'indulgence.  Toutes  les  richesses 
de  la  bonté,  de  la  patience  du  cœur  tendre 
d'un  Dieu  qui  ne  punit  qu'à  regret,  vous 
sont  préparées ,  les  mépriserez-vous  ?  lais- 
serez-vous  fermer  ce  trésor  sans  y  avoir 
puisé  les  grâces  du  salut  dont  vous  avez  be- 
soin 1  An  divitias  bonitatis  ejus  contemnis? 
(Rom.  II.) 

Vos  péchés  demandent  une  si  grande  mi- 
séricorde, il  y  a  si  longtemps  que  la  grâce 
vous  appelle,  vous  avez  tant  formé  de  pro- 
jets de  conversion,  vos  années  s'accumu- 
lent, vous  avancez  vers  le  tombeau,  vous  y 
descendrez  peut-être  dans  peu  de  temps;  le 
trésor  de  ces  grâces  singulières  que  l'Eglise 
vous  offre  aujourd'hui  va  être  fermé  pour 
vingt-cinq  ans;  serez-vous  encore  sur  la 
terre  dans  ce  temps-là?  êtes-vous  sûrs  de 
ne  pas  être  passés  sous  le  lègne  de  la  jus- 
tice divine?  Aujourd'hui  on  vous  dit:  voici 
un  temps  d'indulgence;  au  moment  de  la 
mort  une  voix  secrète  vous  dira  non-seule- 
ment, il  n'y  a  plus  pour  vous  de  temps  d'in- 
dulgence, mais  il  n'y  a  plus  de  temps  du 
tout  :  Non'erit  tempus  amplius.  (Apoc,  X.) 
Il  faut  entrer  dans  l'éternité.  Ah  1  méprisez- 
vous  les  richesses  de  la  bonté  d'un  Dieu  qui 
vous  appelle,  qui  vous  attend  et  qui  vous 
I  romet  d'user  d'indulgence?  An  divitias  bo- 
niialis  ejus  contemnis? 

CHAPITRE  II. 

Réflexions  sur  l'histoire  du  déluge. 

Le  grand  événement  du  déluge  universel 
nous  fournit  des  traits  éclatants  de  la  misé- 
ricorde et  de  la  sévérité  du  Seigneur;  le 
temps  quia  précédé  cette  inondation  géné- 
rale a  été  un  temps  d'indulgence;  le  temps 
où  toate  chair  a  été  ensevelie  dans- les  abî- 


mes des  eaux  a  été  un  temps  de  rigueur  et 
de  vengeance. 

Eaisons  des  réflexions  sur  toutes  les  cir- 
constances de  cette  fameuse  histoire  du  pre- 
mier âge  du  monde,  et  appliquons-les  au 
temps  où  nous  vivons. 

Les  hommes  étaient  devenus  charnels,  et, 
pour  contenter  leurs  honteuses  passion?, 
ils  faisaient  des  alliances  avec  les  ennemis 
de  Dieu  (Gènes.,  VI),  la  corruption  de'leurs 
cœurs  faisait  tous  les  jours  de  nouveaux 
progrès  (Ibid.),  ils  buvaient  et  mangeaient, 
et  ne  pensaient  qu'à  satisfaire  leurs  coupa- 
bles désirs;  criminels  excès  qu'ils  conti- 
nuèrent jusqu'au  moment  où  Noé  entra 
dans  l'arche  :  Usque  ad  eum  diem  quo  intra- 
vit  JSoe  in  arcam.  (  Matth.,  XXIV.  ) 

Ils  ne  profitèrent  pas  du  temps  de  la  mi- 
séricorde ;  ils  n'ouvrirent  les  yeux  que  lors- 
que le  moment  des  vengeances  du  Seigneur 
fut  arrivé  :  Non  cognoverunt  donec  venit  di- 
luvium  et   tulit  omnes.  (Ibid.) 

Ah  !  si  nous  avons  imité  ces  malheureux 
dans  leurs  péchés,  ne  les  imitons  pas  dans 
leur  impénitence,  profitons  de  ce  temps  de 
miséricorde  et  d'indulgence,  n'attendons  pas 
qu'il  soit  écoulé;  le  trésor  de  la  clémence 
divine  se  fermera,  celui  de  la  colère  et  des 
vengeances  s'ouvrira,  et  nous  périrons  sous 
les  coups  d'un  Dieu  irrité  et  méprisé. 

Il  y  a  eu  un  temps  d'indulgence,  de  misé- 
ricorde pour  les  hommes  avant  le  déluge. 
Noé  a  employé  cent  ans  à  bâtir  l'arche;  tout 
ce  temps  était  un  temps  de  clémence,  de 
patience,  de  grâce;  ils  étaient  avertis  par  la 
patience,  la  soumission  de  Noé  qui  construi- 
sait l'arche;  c'était  un  juste  parfait  dont  la 
vie  innocente  condamnait  leurs  coupables 
excès  :  Perfectus  et  jus  tus.  (Eccli.,  XLIV.) 
L'arche  qu  il  bâtissait,  selon  les  ordres  du 
Seigneur,  leur  apprenait  qu'il  n'y  avait  point 
d'asile  sûr  pour  la  vertu  dans  le  monde,  elle 
le  réprouvait  :  Per  quam  damnavil  mundum. 
(Ilebr.,  XI.)  Enfin  c'était  un  apôtre,  un 
prédicateur  zélé  de  la  justice  et  de  la  sain- 
teté, car  Dieu,  dans  sa  miséricorde,  donne 
tous  les  secours  nécessaires  aux  pécheurs 
pour  les  toucher  et  les  convertir  :  Justitiœ 
prœconem.  (II  Petr.,  IL) 

Cependant  ces  malheureux  abusent  de 
tous  ces  secours,  de  tous  ces  exemples,  le 
temps  de  la  miséricorde  s'écoule,  les  mena- 
ces de  Dieu  s'accomplissent,  le  moment  des 
vengeances  arrive,  les  cieux  irrités  s'ouvrent 
et  versent  des  torrents  d'eau  sur  la  terre,  ils 
périssent  tous  :  Venit  diluviitm  et  tulit  omnes . 
(Matth.,  XXIV.) 

Jésus-Christ  compare  la  mort  au  déluge, 
le  temps  qui  a  précédé  le  déluge,  celui  qui 
précède  notre  mort  sont  des  temps  de  clé- 
mence et  de  miséricorde,  le  déluge  ei  la  mort 
sont  pour  les  pécheurs  impénitents,  le  temps 
des  vengeances  célestes  :Sicut  venit  diluvium 
et  tulit  omnes,  ita  erit  et  adventus  filii  homi- 
nis.  (Ibid.) 

i  Saint  Pierre  nous  trace  encore  un  portrait 
très-sensible  des  hommes  avant  le  déluge; 
ils  étaient  témoins  de  la  patience  du  Sei- 
gneur :  Spectabant  Dei  patientiam,  mais  ils 


579 

étaient  incrédules, increduli.  (I  Petr.,  111,20.) 
Le  ciel  s'obscurcit,  ils  ne  changent  point; 
des  torrents  d'eau  inondent  la  terre ,  ils 
montent  sur  la  cime  des  montagnes  ;  image 
naturelle  des  hommes  qui  ne  profitent  pas 
de  la  grâce  du  jubilé  :  on  les  prêche,  ils  se 
moquent;  on  ouvre  les  trésors  de  l'Eglise, 
ils  les  méprisent;  ils  sont  menacés  d'éprou- 
ver des  fléaux,  des  calamités,  ils  sont  tran- 
quilles; le  tombeau  s'ouvrira,  ils  s'efforce- 
ront encore  de  braver  la  mort,  çt  ils  seront 
les  victimes  de  la  colère  du  Seigneur,  parce 
qu'ils  n'auront  pas  voulu  être  les  conquêtes 
ce  sa  miséricorde. 


CHAPITRE  III. 

Réflexions  sur  l'endurcissement  de  Pharaon. 

On  est  effrayé ,  quand  on  entend  Dieu 
di.-e,  j'endurcirai  le  cœur  de  Pharaon  :  Indu- 
rabo  cor  ejus  (Exod. ,  Vil) ,  et  que  l'on  en 
voit  après  le  funeste  accomplissement  :  In- 
duration est  cor  Pharaonis.  (Ibid.) 

Mais  faisons  réflexion  à  ce  qui  a  donné  lieu 
à  cet  endurcissement,  et  nous  serons  per- 
suadés que  c'est  le  cœur  de  ce  malheureux 
prince  qui  a  été  insensible  à  tous  les  traits 
de  la  clémence  et  de  la  puissance  du  Sei- 
gneur, et  qu'il  n'a  été  abandonné  de  Dieu 
qu'après  l'avoir  abandonné  le  premier. 

Il  y  a  eu  pour  lui,  comme  pour  tous  les 
autres  pécheurs,  un  temps  de  miséricorde, 
et  c'est  pour  en  avoir  abusé  qu'il  a  été  puni 
dans  celui  de  la  sévérité;  que  son  exemple 
nous  instruise,  craignons  d'abuser  de  ces 
jours  de  grâces  et  d'indulgences,  qui  seront 
suivis  des  jours  de  la  sévérité  et  de  la  ven- 
geance. 

Voici  les  péchés  qui  le  conduisirent  à  l'en- 
durcissement. 1°  L'ingratitude  :  L'Ecriture 
dit,  il  parut  un  nouveau  roi  dans  l'Egypte  qui 
n'avait  pas  connu  Joseph  :  Surrexit  rex  no- 
vus  qui  ignorabut  Joseph.  (Exod.,  I.)  Il  ne 
connaissait  pas  Joseph,  mais  il  était  informé 
de  sa  sagesse,  de  sa  prudence,  ces  terres 
cultivées,  tous  ces  biens  qu'il  avait  répan- 
dus dans  l'Egypte  devaient  lui  faire  respec- 
ter les  enfants  d'Israël  comme  un  peuple 
protégé  de  Dieu,  et  il  fut  insensible  à  tout 
cela. 

Craignons  d'être  coupables  du  même  pé- 
ché. L'Eglise  enfantée  sur  la  croix,  ce  champ 
précieux  cultivé  et  arrosé  par  les  sueurs  des 
apôtres,  le  sang  des  martyrs,  les  pleurs  des 
nénitents,  ce  trésor  de  grâces  ouvert  à  tous 
les  fidèles  ;  tout  cela  peut-il  être  indifférent 
à  des  chrétiens,  et  peuvent-ils  mépriser  tous 
ces  bienfaits  sans  être  coupables  aux  yeux 
de  Dieu  d'une  monstrueuse  ingratitude. 
2"  Le  mépris  qu'il  fit  des  prédicateurs  que 
Dieu  lui  envoya.  Dieu  lui  envoya  Moïse  et 
Aaron,  et  ils  lui  dirent,  voici  ce  que  dit  le 
Seigneur  :  Hœc  dicit  Dominus  (I  Exod.,  V),  et 
ce  prince  impie  a  l'audace  de  dire,  que)  est 
celui  au  nom  duquel  vous  me  parlez?  quis 
Dominus  ?  (ibid.)  Je  ne  connais  point  le 
Seigneur:  Nescio  Dominum.  (Ibid.) 

Dans  ce  saint  temps  tous  les  hommes  apos- 
toliques, honorés  de  la  mission  de  l'Eglise 


OÏUTEUKS  SACHES.  BALLET.  530 

vous  parlent  de  la  part  du  Seigneur;  ils  vous 
annoncent,  non  ses  vengeances,  mais  ses 
miséricordes,  ils  ne  vous  parlent  que  d'in- 
dulgence, négligerez-vous  de  les  entendre? 
mépriserez-vous  leurs  invitations?  renonce- 
rez'-vous  aux  grâces  qu'ils  vous  offrent?  Ah  1 
si  cela  était,  craignez  l'endurcissement,  ce 
temps  de  miséricorde  s'écoulera,  et  vous  le 
regretterez  inutilement.  3°  La  rechute  dans 
son  péché  d'obstination. 

Dieu  fait  éclater  sa  puissance ,  il  couvre 
l'Egypte  de  plaies,  dans  l'affliction  ce  prince 
a  recours  aux  prières  de  Moïse,  priez  pour 
moi  le  Seigneur,  dit-il  :  Orale  Dominum. 
(A\rod.,  VIII.)  II.  fait  des  promesses  ;  mais, 
dès  que  Dieu  a  retiré  son  bras  vengeur,  qu'il 
laisse  régner  sa  clémence,  son  cœur  s'endur- 
cit :  Yidens  quoddala  essetrequies,  ingravavit 
cor  suum.  (Ibid.) 

On  vous  a  vus  dans  l'affliction  ,  dans  des 
calamités  publiques  recourir  au  Seigneur, 
implorer  sa  clémence,  et  le  conjurer  de  re- 
tirer le  glaive  vengeur  suspendu  sur  vos 
têtes;  serait-ce  donc  parce  que  la  clémence 
seule  du  Seigneur  règne  clans  ces  jours, 
qu'on  ne  vous  [tarie  que  de  rémission,  que 
d'indulgence,  que  les  trésors  delà  vengeante 
céleste  semblent  être  fermés,  pour  ne  lais- 
ser couler  sur  vous  que  les  richesses  de  la 
patience  et  de  la  bonté  de  Dieu,  vous  se- 
riez indifférents  et  tranquilles  dans  vos 
désordres?  Mais  vous  imiteriez  alors  Pha- 
raon. 

Quand  Dieu  lui  envoie  Moïse  et  Aaron, 
quand  il  fait  des  miracles  sous  ses  yeux, 
quand  il  fait  cesser  les  plaies  qui  le  désolent 
à  la  prière  de  Moïse,  c'est  là  le  temps  de  la 
miséricorde;  quand  il  l'abandonne,  l'endur- 


cit, l'ensevelit  sous  les  flots  de  la  mer  Rouge, 
c'est  là  le  temps  de  la  sévérité.  Méditez  bien 
ces  deux  temps. 

Ces  jours  de  jubilé  où  Dieu  vous  offre  sa 
grâce,  où  il  vous  invite;  voilà  pour  vous 
un  temps  de  miséricorde  ,  mais  il  s'écou- 
lera ;  et,  si  vous  en  abusez,  le  temps  de 
la  sévérité  vous  surprendra  dans  votre  pé- 
ché. 

CHAPITRE  IV. 

Réflexions  sur  la  pénitence  des  Ninivites. 

On  peut  dire  dans  un  sens  que  la  prédic- 
tion du  prophète  Jor.as  aux  Ninivites  a  été 
accomplie,  dit  saint  Augustin.  (De  civitale, 
Dei,  Mb.  XXI,  cap.  14.)  Ce  prophète  disait  que 
Ninive  serait  détruite  dans  quarante  jours, 
et  cela  est  arrivé  dans  un  sens  moral  : 
Factum  est  ergo  quod  prœdixit. 

Cette  ville  criminelle  a  été  changée  totale- 
ment, et  est  devenue  une  ville  pénitente. 
Toutes  les  maximes  qui  étaient  les  coupables 
fondements  de  ses  crimes  ont  été  renversées; 
et  toutes  les  vertus  qui  font  les  pécheurs 
pénitents  ont  été  établies.  Eversa est  Ninivc 
quœ  mala  erat,  et  bona  wdi/icata  est  quœ  non 
crut. 

Ainsi  cette  ville  célèbre  a  été  détruite,  con- 
tinue saint  Augustin,  non  dans  ses  murailles, 
ses  édifices,  ses  forteresses,  et  la  mort  de  ses 
habitants  :  stantibus  mœnibus  atque  domilms; 


881 


INSTRUCTIONS  SUR  I  E  JUCHE    -  PARTIE  II    CHAP.   V. 


581 


mais  dans  ses  mœurs  corrompues,  ses  excès, 
ses  désordres.  Eversaest  inperditis  moribus. 

Ces  grands  pécheurs  ont  profité  du  temps 
de  la  miséricorde,  de  la  clémence  du  Sei- 
gneur :  ils  ont  fait  pénitence,  ils  ont  changé 
leur  conduite.  Dieu  a  changé  les  arrêts  de 
mort  qui  supposent  l'impénitence  et  l'obsti- 
nation dans  le  crime. 

Que  la  pénitence  des  plus  grands  pécheurs 
est  efficace,  lorsqu'ils  profitent  de  la  clé- 
mence du  Seigneur,  et  qu'avant  les  moments 
destinés  à  les  punir,  ils  entreprennent  avec 
courage  de  venger  sa  justice  offensée  ! 

Le  Seigneur  dit  à  Jonas  :  Allez  à  Ninive, 
cette  ville  immense  est  plongée  dans  des  dé- 
sordres qui  ont  irrité  ma  colère;  prêchez  ce 
peuple  voluptueux.  Yude  in  Ninive n  et  prœ- 
dica  in  ea.  (Jonas,  III.) 

O  clémence  de  mon  Dieu,  que  vous  êtes 
adorable  !  Ce  peuple  a  provoqué  votre  colère  ; 
les  excès  de  son  crime  sont  parvenus  jus- 
qu'à vous,  et  il  a  encore  une  place  dans  votre 
cœur.  Vous  lui  envoyez  un  prophète,  un 
apôtre  pour  le  prêcher."  Sommes-nous,  hélas  ! 
plus  justes  que  les  Ninivites?Ne  devons- 
nous  pas  craindre  même  qu'ils  s'élèvent 
contre  nous  au  jour  des  vengeances,  si  nous 
n'écoutons  pas  les  apôtres  que  Dieu  nous 
envoie  dans  ce  saint  temps,  et  la  voix  tendre 
de  l'Eglise  qui  nous  appelle  à  la  pénitence? 

Encore  quarante  jours,  et  Ninive  sera  dé- 
truite. Ad  hue  quadraginta  dies,  et  subvertc- 
tur.  (lbid.)  Voilà  un  délai  que  la  miséricorde 
de  Dieu  donne  à  de  grands  pécheurs  :  profi- 
tons de  ce  temps  pour  faire  pénitence,  ren- 
versons l'édifice  de  nos  crimes,  détruisons 
nos  péchés,  afin  que  Dieu  ne  nous  détruise 
point  dans  sa  colère.  Encore  quelques  jours, 
encore  quelques  mois,  ce  temps  de  clémence 
sera  passé,  le  jubilé  sera  fini,  et  ce  cœur 
endurci,  ce  pécheur  obstiné  sera  renversé, 
précipité  dans  le  tombeau  ;  Dieu  le  détruira 
dans  sa  colère,  parce  qu'il  n'aura  pas  voulu 
détrui'e  son  péché  dans  le  temps  de  la  misé- 
ricorde. Adhuc  quadraginta  dies  ,  et  subver- 
tetur. 

Jonas  se  plaint  au  Seigneur  de  ce  que  sa 
prédiction  n'a  pas  été  accomplie;  mais  Dieu 
lui  dit,  vous  êtes  touché  de  la  perte  d'un 
lierre  dont  l'ombrage  vous  garantissait  des 
ardeurs  du  soleil;  vous  le  regrettez.  Ah! 
pourquoi  ne  pardonnerai-je  pas  à  plus  de 
cent  vingt  mille  pécheurs  touchés  et  péni- 
tents? Vous  connaissez  peu,  prophète,  mon 
cœur.  Vous  ignorez  que  je  me  plais  à  par- 
donner, que  je  ne  punis  qu'à  regret,  t'et  que 
ceux-là  seuls  éprouvent  ma  sévérité  qui  abu- 
sent de  ma  clémence. 

CHAPITRE  V. 

Réflexions  sur  la  pénitence  de  David. 

David  peut  être  regardé  comme  un  modèle 
parfait  des  pénitents.  11  s'est  peint  lui-même 
dans  les  sacrés  cantiques  qu'il  a  composés  :  il 
y  publie  les  miséricordes  du  Seigneur:  il 
invite  tous  les  pécheurs  à  recourir  à  sa  clé- 
mence, à  profiter  de  ses  grâces;  mais  il  ne 
leur  dorme  pas  de  fausses  idées  de  la  bonté 


de  ce  pe.e  tendre.  Ses  larmes,  ses  soupirs, 
ses  gémissements,  ses  jeûnes,  ses  veilles,  ses 
mortifications,  la  douleur  et  le  déchirement 
de  son  cœur,  le  ressouvenir  amer  de  son  pé- 
ché ,  leur  prouvent  qu'il  n'a  mérité  d'échap- 
peraux  vengeances  d'un  Dieuirrité,  que  parce 
qu'il  a  profité  du  temps  de  la  miséricorde 
pour  expier  son  péché. 

Une  ingénieuse  parabole  du  prophète  Na- 
than touche  le  cœur  de  ce  prince  enseveli 
dans  le  sommeil  de  la  mort.  Tranquille  sur 
son  trône,  qu'il  avait  souillé  par  un  adultère 
et  un  homicide,  il  reconnaît  la  grandeur  de 
sa  chute,  il  en  conçoit  de  l'horreur,  il  la  dé- 
teste, et  son  cœur  contrit  et  humilié  prononce 
cet  aveu  plutôt  que  ses  lèvres  :  J'ai  péché  :  Pec- 
ravi.  (II  Reg.,  XII.)  N'est-ce  pas  là  profiter  de 
la  grâce  qui  le  touche,  de  la  clémence  du  Sei- 
gneur qui  le  cherche,  de  l'instruction  d'un 
prophète  qui  lui  parle  librement,  et  lui  dit  : 
Prince,  c'est  vous  qui  avez  commis  ces  cri- 
mes que  vous  détestez  dans  les  autres.  Tu  is 
ille  vir.  (lbid.) 

La  miséricorde  de  Dieu  a  son  temps  :  mal  - 
heur  à  ceux  qui  n'en  profitent  pas.  Man- 
quons-nous de  Nathans  qui  nous  reprochent 
nos  égarements?  La  trompette  évangélique 
ne  retentit-elle  pas  dans  toutes  les  chaires, 
dans  tous  les  lieux  du  monde  dans  ce  temps 
du  jubilé?  Une  main  sévère  nous  repousse-t- 
elle, lorsque  nous  nous  présentons?  L'Eglise 
exige-t-elle  de  nous  ce  qu'elle  exigeait  dans 
les  premiers  siècles?  Son  dessein  est-il  de 
nous  rebuter  par  de  longs  délais,  de  nous 
priver  longtemps  du  pain  de  vie,  de  nous 
fermer  le  trésor  des  mérites  de  Jésus-Christ? 
Hélas!  cette  tendre  mère  use  d'indulgence. 
Soyez  touchés,  contrits,  pénitents;  elle  vous 
remet  une  partie  des  peines  temporelles 
dues  à  vos  péchés. 

Nathan  dit  à  David  :  Le  Seigneur  vous  a 
pardonné  vos  crimes.  Dominus  transtulit  pec- 
catum  tuum.  (lbid.)  Mais  il  ne  lui  dit  pas  :  11 
vous  remet  les  peines  satisfactoires  qu'il 
exige  :  au  contraire,  son  péché  remis,  il  lui 
annonce  un  châtiment  temporel.  Le  fils  qui 
est  né  de  votre  adultère,  lui  dit-il,  vous  sera 
enlevé  par  une  mort  précipitée  :  Verumta- 
tem  Mius  qui  natus  est  tibi  morte  morietur. 
(lbid.) 

L'Eglise  ne  nous  fait-elle  pas  entendre  au- 
jourd'hui des  paroles  plus  consolantes?  Non- 
seulement  ses  ministres  nous  disent  dans  les 
tribunaux  de  la  pénitence,  lorsque  nous 
sommes  touchés  et  contrits  :  Vos  péchés  vous 
sont  remis  :  Dominus  transtulit  peccatum 
tuum  ;  mais  ils  nous  disent  dans  ce  temps  do 
jubilé  :  Les  peines  temporelles  dues  à  vos 
péchés  vous  sont  remises  aussi.  Faites  ce 
que  vous  pouvez,  les  mérites  de  Jésus-Christ 
vous  sont  appliqués  pour  suppléer  à  ce  que 
vous  ne  pouvez  pas. 

Jamais  pénitent  n'a  chanté  avec  plus  d'al- 
légresse, ni  exalté  avec  plus  de  magnificence 
les  miséricordes  du  Seigneur,  que  David  ; 
et  cependant  jamais  pécheur  n'a  été  plus  sin- 
cèrement et  plus  constamment  pénitent  que 
lui  :  quand  il  dépeint  un  cœur  contrit,  humi- 
lié, agréable  au  Seigneur  c'est  le  sien.  C'est 


583 

un  malheur  d'abuser  de  la  miséricorde  de 
Dieu;  il  est  patient»  parce  qu'il  est  tout-puis- 
sant; il  se  vengera,  si  nous  ne  le  vengeons 
pas  nous-mêmes  :  sa  clémence  doit  nous 
attirera  lui,  et  non  pas  nous  en  éloigner. 

CHAPITRE   VI. 

il/flexions  sur  Vimpénitencc  cVAntiochus. 

Ah!  que  la  mort  de  ce  malheureux  prince 
est  terrible  !  qu'elle  est  déplorable  ,  ef- 
frayante !  Ce  n'est  pas  la  mort  d'un  homme 
enlevé  au  printemps  de  ses  jours,  que  le 
Saint-Esprit  nous  dépeint,  d'un  homme 
dont  un  accident  imprévu  a  abrégé  le  nom- 
bre des  années  ;  d'un  homme  consumé  dans 
un  incendie  ,  englouti  dans  les  eaux,  écrasé 


sous  les  ruines  d'un  édifice,  péri  sous  le 
glaive  d'un  ennemi  :  ces  différents  genres  de 
mort  ne  rendent  point  celle  des  justes  moins 
précieuse  aux  yeux  de  Dieu  et  des  hommes. 
La  mort  séparée  du  péché  n'est  pas  un  mal- 
heur, elle  délivre  de  tous  les  maux  et  met 
en  possession  de  tous  les  biens. 

Mais  la  mort  d'Antiochus  est  terrible, 
redoutable  :  et  pourquoi  ?  parce  qu'elle  a 
été  accompagnée  du  péché;  parce  qu'à  ce 
moment  redoutable  son  cœur  était  encore  atta- 
ché au  péché;  parce  que  sa  volonté  n'était  pas 
changée  ;  et ,  pour  tout  dire ,  parce  qu'il 
avait  laissé  écouler  le  temps  de  la  miséri- 
corde sans  se  convertir;  et  parce  qu'il  n'exa- 
mine, ne  déteste  ses  péchés,  ne  les  pleure 
que  lorsqu'il  est  arrivé  au  temps  de  la  sé- 
vérité et  des  vengeances  du  Seigneur. 

Que  ne  doivent  point  craindre  ces  hommes 
de  péché,  qui  remettent  depuis  si  longtemps 
le  grand  ouvrage  de  leur  conversion  ;  qui 
n'ont  pas  profité  de  tant  de  solennités  saintes, 
de  tant  de  grâces  précieuses,  de  tant  d'exem- 
ples de  la  sévérité  de  Dieu;  qui  laissent  en- 
core écouler  ces  jours  de  jubilé  et  d'indul- 
gence sans  se  confesser,  sans  quitter  le. 
péché  et  l'expier  ?  Ah  1  ils  doivent  appré- 
hender qu'il  n'y  ait  plus  pour  eux  de  temps 
de  miséricorde  après  celui-ci  ;  ils  doivent 
craindre  que  leurs  regrets,  leurs  larmes, 
leurs  promesses  ne  soient  rejelées  au  mo- 
ment de  leur  mort,  et  que  tout  ce  qu'ils 
feront  alors  ne  leur  soit  d'aucun  mérite. 

Qu'on  ne  se  rassure  point  en  disant  que 
les  crimes  d'Antiochus  étaient  trop  grands 
pour  qu'il  pût  en  obtenir  le  pardon  :  qu  on  ne 
nous  oppose  point  les  excès  de  son  orgueil , 
lorsqu'il  se  vantait  de  se  rendre  à  Jérusalem, 
et  de  ne  faire  qu'un  monceau  de  morts  de  tous 
les  juifs  :  ses  profanations,  lorsqu'il  souilla 
le  suint  temple  de  ses  honteuses  débauches, 
y  plaça  la  statue  de  Jupiter  et  ôla  les  fêtes 
et  les  solennités  :  ses  cruautés,  lorsqu'il 
lit  massacrer  les  juifs  et  périr  sous  le  glaive 
des  millions  d'hommes,  de  femmes  et  d'en- 
fants :  son  idolâtrie,  lorsqu'il  força  les  juifs 
à  sacrifier  aux  idoles;  car  je  dirai  que  ces 
crimes,  quelque  énormes  qu'ils  fussent, 
n'étaient  pas  irrémissibles. 

Si  l'Eglise  reconnaît  que  Judas  et  les  juifs 
pouvaient  par  la  péniten  c  obtenir  le  pardon 
de  leur  attentat,  Antiochus  le  pouvait  aussi  ; 
il  n'a  éprouvé  les  rigueurs  d'un  Dieu  irrité 


ORATEURS  SACRES.  DAELET.  584 

que  parce  qu'il  n'avait  pas  proGlé  de  la  clé- 
mence d'un  Dieu  patient;  il  a  pleuré  inuti- 
lement, parce  qu'il  a  pleuré  trop  tard;  il  a 
promis  de  réparer  ses  crimes  lorsqu'il  ne  le 
pouvait  plus,  et  il  n'a  point  voulu  les  expier 
lorsqu'il  le  pouvait  :  il  y  a  eu  pour  lui,  comme 
pour  tous  les  hommes,  deux  temps;  un 
temps  de  miséricorde  et  un  temps  de  sévérité. 
La  justice  de  Dieu  venge  sa  miséricorde, 
lorsqu'elle  est  méprisée  et  qu'elle  ne  fait 
que  des  impénitents,  elle  frappe  le  pécheur 
obstiné  ,  d'une  plaie  mortelle  ;  une  maladie 
dangereuse  se  déclare  :  Percussit  euminsa- 
nabili et  invisibiliplaga.  (Il  Machab.  IX.)  Les 
forces  diminuent ,  on  sent  les  approches  de 
la  mort,  le  tombeau  s'ouvre,  l'éternité  se 
présente  ,  les  jugements  de  Dieu  se  font  re- 
douter; alors  on  pleure,  on  gémit,  on  de- 
mande miséricorde  ;  on  promet  ,  comme 
Antiochus,  d'orner  les  temples  du  Seigneur 
qu'on  a  profanés ,  d'honorer  et  pratiquer  les 
exercices  de  la  religion  qu'on  a  méprisés; 
de  faire  des  voyages,  de  visiter  les  saints 
lieux ,  d'être  l'apôtre  de  la  clémence  et  de  la 
puissance  de  Dieu  :  en  un  mot,  on  donne  un 
spectacle  qui  édifie  les  assistants  ,  les  touche 
et  les  rend  les  panégyristes  d'un  réprouvé. 
Mais,  fausse  pénitence  ;  la  volonté  n'est  pas 


changée  ;  hommage  forcé  rendu  à  la  bonté  de 
Dieu,  mais  trop  tard  ,  le  temps  de  la  miséri- 
corde ]est  passé  :  et  pourquoi  ?  C'est  qu'un 
juste  jugement  de  Dieu  est  exercé  sur  cet 
impénitent  qui  a  laissé  échapper  les  jours 
de  la  clémence  :  Supcrvenerat  enim  in  eutn 
justum  Dei  judicium.  (  Jbid.) 

Pourquoi  ceux  qui  ne  profitent  pas  de  ce 
temps  du  jubilé,  qui  diffèrent  leur  conversion, 
ne  craignent-ils  pas  un  sort  si  redoutable 

CHAPITRE  VII. 

Réflexions  sur  la  pénitence  de  la  Madeleine. 

Voici  celte  femme  pécheresse  prosternée 
aux  pieds  du  Sauveur,  dans  la  maison  du 
pharisien;  n'y  trouve-t-elle  pas  un  favorable 
accès  ?Implore-t-elle  en  vain  sa  miséricorde? 
Méprise-t-il  son  humiliation,  ses  larmes, 
son  amour,  son  silence  même?  Lui  fenne- 
t-il  son  cœur  à  cause  qu'elle  avait  livré  lo 
sien  à  de  coupables  attaches  ?  Lui  reproche- 
t-il  ses  égarements  passés?  Non  ,  elle  trouve 
une  place  dans  le  cœur  de  Jésus,  dès  qu'elle 
revient  à  lui  sincèrement 

Allons  dès  aujourd'hui  nous  prosterner 
aux  pieds  de  Jésus,  arrosons-les  de  nos 
pleurs;  donnons  aux  pauvres  toutes  les  su- 
perlluités  de  la  vanité  mondaine  :  bannissons 
de  notre  cœur  les  criminels  objets  qui  l'at- 
tachent :  donnons-le  tout  entier  à  Jésus,  il 
l'acceptera,  il  ne  le  méprisera  pas,  quoiqu'il 
ail  été  souillé  par  lo  péché  :  nous  sommes 
assurés  de  sa  bonté  et  de  son  penchant  à 
pardonner. 

Un  cœur  brisé  par  une  douleur  vive  et 
intérieure,  uncœur purifié  par  le  feu  céleste 
du  divin  amour ,  n'est  plus  un  cœur  cri- 
minel, c'est  un  cœur  pénitent  où  Jésus 
entre  et  demeure  avec  complaisance. 

L'orgueilleux  pharisien  croit  toujours 
celte  femme  grande  pécheresse,; parce  qu'il 


sss 


INSTRUCTIONS  SUR  LE  JUBILE.  —  PARTIE  IL  CI1ÀP.  VIÎI. 


580 


ignore  les  neureux  changements  de  son 
cœur,  les  saintes  nouveautés  que  la  grâce  y 
a  opérées;  mais  Jésus  les  connaît  :  ce  cœur 
changé,  sanctifié,  purifié  par  l'amour  divin, 
lui  est  connu;  c'est  pourquoi  il  devient  son 
défenseur,  son  panégyriste,  son  libérateur. 

Ecoutez,  ô  sainte  pénitente!  les  arrêts  de 
grâce,  d'absolution,  dlindulgence,  que  le 
Sauveur  va  prononcer  en  votre  faveur,  dans 
cette  fameuse  assemblée  qui  censure  votre 
démarche,  et  la  sainte  hardiesse  qui  vous  a 
fait  approcher  de  Jésus  :  I  os  péchés  vous 
sont  remis,  allez  en  paix.   (Luc,  VIII.) 

O  consolantes  paroles!  Celui  qui  sonde  le 
cœur,  qui  juge  de  son  repentir,  de  sa  dou- 
leur, de  son  amour,  est  content  des  dispo- 
sitions du  vôtre  :  ce  cœur  changé  va  être 
rempli  de  sa  grâce,  animé  de  son  esprit  ;  il  va 
goûter  les  douceurs  ineffables  d'une  paix 
toute  céleste.  O  sainte  pénitente  !  vos  péchés 
sont  effacés,  vos  liens  brisés;  vous  êtes  à 
Jésus,  et  Jésus  est  à  vous  ;  Allez  en  paix. 

Vous  aviez  beaucoup  commis  de  péchés, 
mais  vous  avez  beaucoup  aimé  :  l'amour  a 
effacé  la  multitude  de  vos  iniquités;  vous 
vous  êtes  aimée  jusqu'au  mépris  de  Dieu, 
veus  aimez  Dieu  à  présent  jusqu'au  mépris 
de  vous-même;  l'amour  divin  opère  des  pro- 
diges, des  miracles;  votre  conversion  écla- 
tante est  une  merveille  qu'on  racontera  dans 
tous  les  siècles  et  dans  tous  les  lieux  où 
l'Evangile  sera  prêché  :  Allez  en  paix. 

Nous  les  entendons,  ces  paroles  conso- 
lantes dans  le  tribunal  de  la  pénitence  ;  le 
prêtre  qui  nous  absout,  nous  dit  :  Vos  pèches 
sont  remis,  allez  en  paix.  Mais  ce  ministre  de 
Jésus-Christ  ne  connaît  pas  les  dispositions 
de  notre  cœur;  il  le  présume  changé,  con- 
trit, parce  que  nous  le  lui  disons.  Ah  !  s'il  est 
toujours  le  même,  Dieu  nous  condamne 
pendant  que  son  ministre  nous  absout. 

Ce  sacrifice  généreux  que  la  Madeleine 
fait  de  tous  les  objets  du  péché,  aux  pieds 
(le  Jésus,  nous  avertit  que  nous  ne  devons 
pas  compter  sur  la  clémence  de  notre  Dieu, 
même  dans  ce  temps  d'indulgence,  si  nous 
ne  lui  immolons  pas  tous  les  objets  de  notre 
péché,  et  ne  faisons  point  servir  à  la  justice 
tout  ce  qui  a  servi  à  l'iniquité. 

CHAPITRE  VIII. 

Reflexions  sur  le  pardon  accordé  à  ta  femme 
adultère 

Les  pharisiens  conduisirent  aux  pieds  de 
Jésus-Christ  une  femme  qui  avait  été  sur- 
prise dans  l'adultère  :  ce  n'était  point  pour 
la  délivrer  du  supplice  qu'elle  méritait,  se- 
lon la  loi,  mais  pour  surprendre  le  Sauveur, 
dit  saint  Augustin. 

Ils  voulaient  avoir  lieu  de  l'accuser,  ou  de 
mépriser  la  loi  de  Moïse,  ou  de  manquer  de 
douceur  en  livrant  à  la  mort  cette  misérable 
pécheresse;  mais  ils  furent  confus  et  obligés 
de  se  retirer,  quand  ils  virent  que  la  misé- 
ricorde s'accordait  avec  la  justice  ;  ils  ap- 
prirent que  les  transgresseurs  mêmes  de  la 
loi  devaient  avoir  de  l'indulgence  pour  ceux 
oui  étaient  tombés  par  faiblesse,  et  qu'il  était 

OllATKURS  saches     L, 


honteux  qu'un  coupable  fût  puni  par  d'autres 
coupables. 

N'attendons  pas  de  grâce  ni  de  compassion 
des  hommes;  ils  sont  des  juges  sévères  et 
inexorables  de  nos  actions,  ils  se  pardonnent 
tout,  et  ne  pardonnent  rien  aux  autres,  et 
si  nous  ne  succombons  pas  sous  leurs 
coups,  c'est  l'autorité  qui  leur  manque  et 
non  la  volonté? 

Combien  de  pharisiens  flans  le  monde,  qui 
sont  étonnés  que  Dieu  n'écrase  point  sous 
son  tonnerre  les  pécheurs  qui  leur  dé- 
plaisent, et  qui  ne  sont  pas  étonnés  de  sa 
longue  patience  à  supporter  leur  zèle  amer 
et  leur  orgueilleuse  sévérité. 

C'est  à  vos  pietls  seuls,  ô  mon  divin  Sau- 
veur !  que  les  pécheurs  touchés  trouvent 
une  grande  miséricorde;  vous  usez  d'indul- 
gence envers  ceux  qui  s'avouent  coupables, 
et  il  suffit  de  détester  son  crime  Dour  en  ob- 
tenir le  pardon. 

Les  pharisiens  s'étant  retirés  les  uns  après 
les  autres,  cette  pécheresse  confuse  et  tou- 
chée se  trouva  seule  avec  le  Sauveur,  une 
femme  coupable  d'un  crime  honteux  avec 
l'auteur  de  toute  sainteté!  Remansit adultéra 
et  Dominus.  Un  cœur  souillé  et  couvert  des 
plaies  du  péché  avec  le  souverain  médecin 
des  âmes  I  Remansit  vulnerata  et  medicus. 
Une  grande  misère  et  une  grande  miséri- 
corde !  Remansit  magna  miser  ta  et  magna  mi- 
sericordia.  (S.  Aug.,  Enarr.  inpsal.  L.) 

O  femme,  que  vous  êtes  heureuse!  Vous 
voilà  seule  aux  pieds  de  Jésus,  de  cet  homme. 
Dieu  qui  est  venu  chercher  les  pécheurs, 
qui  les  reçoit  avec  bonté,  qui  leur  ouvre  son 
cœur  ;  vous  êtes  aux  pieds  du  trône  de  la 
clémence,  de  la  miséricorde,  vous  recevrez 
une  prompte  absolution  de  votre  péché. 

Ecoutez  les  paroles  du  Sauveur  :  Personne 
ne  vous  a  condamné,  je  ne  vous  condamnerai 
pas  non  plus  ;  je  ne  suis  pas  venu  dans  le 
monde  pour  exercer  des  jugements  de  ri- 
gueur, mais  de  miséricorde.  Ne  péchez  plus  : 
Vade  et  jam  amplius  noli  peccare.  (Joan., 
VIII.)  Telle  est  la  bonté  de  notre  Dieu,  sa 
promptitude  à  pardonner,  l'indulgence  dont 
il  use  envers  les  pécheurs. 

Que  cette  indulgence  excite  votre  amour, 
qu'elle  vous  fasse  pleurer  vos  péchés  passé-. 
et  qu'elle  vous  dispose  h  plutôt  mourir  que 
de  retomber  dans  les  péchés  que  vous  pleu- 
rez aujourd'hui.  Allez,  ne  péchez  plus:  Yad;i 
et  jam  amplius  noli  peccare. 

Que  nous  serions  coupables ,  si  la  clé- 
mence de  notre  Dieu  nous  enhardissait  h 
pécher,  et  si  nous  ne  demandions  l'absolu- 
tion de  nos  fautes  que  pour  en  commettre 
de  nouvelles  ! 

Dieu  hait  souverainement  le  péché;  et 
dans  le  même  temps  qu'il  nous  dit  :  Je  vous 
remets  votre  péché;  il  nous  dit  :  Ne  péchez 
plus  ;  après  avoir  fait  régner  ma  miséricorde, 
je  ferai  régner  ma  justice  ;  vous  êtes  jus- 
tifiés, craignez  de  devenir  coupables;  vous 
sortez  de  mon  tribunal  absous.  Allez,  ne  pé- 
chez plus  :  Vade  et  jam  amplius  noli  peccare. 


19 


E37 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


^83 


CHAPITRE  IX. 


Réflexions  sur  la  parabole  de  l'enfant  pro- 
digue. 

Jésus-Christ  notre  divin  maître  a  voulu 
nous  montrer,  sous  cette  parabole,  l'état 
affreux  du  pécheur  dans  l'éloignement  île 
son  Dieu;  la  confiance  que  doit  avoir  le  pé- 
cheur, lorsqu'il  retourne  sincèrement  à  son 
Dieu;  les  saintes  caresses  que  Dieu  pro- 
digue au  pécheur  touché  sincèrement  de 
ses  péchés. 

Vous'avez  dépeint,  ô  mon  Sauveur!  votre 
clémence  et  votre  miséricorde  dans  cette  pa- 
rabole. Ahl  vous  excitez  ma  confiance,  vous 
dissipez  mes  frayeurs,  vous  m'encouragez. 

Après  la  plus  affreuse  dissipation  de  vos 
dons,  je  puis  encore  espérer  l'adorable  pro- 
digalité de  vos  caresses;  mon  cœur  ne  sera 
pas  plutôt  touché  que  le  vôtre  me  sera  ou- 
vert; j'irai  à  vous,  vous  viendrez  au-devant 
de  moi;  j'avouerai  mon  péché,  vous  me  le 
pardonnerez  ;  je  vous  demanderai  d'être  au 
nombre  de  vos  serviteurs ,  vous  me  mettrez 
au  nombre  de  vos  enfants.  Ah!  que  je  pro- 
fite de  cette  indulgence  dont  vous  avez  usé 
envers  dos  coupables  qui  ont  mérité  votre 
colère. 

Ce  jeune  homme,  qui  nous  figure  le  pé- 
cheur éloigné  de  vous,  s'éloigne  d'un  père 
tendre  qui  le  chérit;  il  s'en  va  dans  des  ter- 
res étrangères,  ot  là,  emporté  par  la  fougue 
de  ses  [lassions,  il  se  livre  à  de  honteux 
excès,  et  dissipe  tout  son  bien  par  de  coupa- 
bles prodigalités;  il  passe  du  sein  des  plai- 
sirs criminels  dans  le  sein  de  la  plus  affreuse 
misère  :  Cœpit  egerc  (Lue.,  XV),  d'un  état 
honnête  et  distingué  aux  occupations  les  plus 
viles,  et  de  la  compagnie  d'un  père  tendre 
dans  celle  des  animaux  les  plus  immondes: 
Misit  illum  in  villam  suam  ut  pasccrctporcos. 
(S.  Aug.,  Confessa  lib  VI,  cap.  16.) 

Malheur  à  1  âme  audacieuse,  dit  saint  Au- 
gustin, qui  espère  trouver  du  repos  et  de  vé- 
ritables satisfactions  en  s" éloignant  de  vous, 
ô  mon  Dieu!  Le  cœur  de  l'homme  sera  tou- 
jours inquiet,  troublé,  agité,  tant  qu'il  ne 
sera  pas  a  vous;  on  ne  vous  a  pas  plutôt 
abandonné ,  qu'on  tombe  dans  un  abîme 
affreux  de  misère,  d'afflictions;  une  nudité 
affreuse,  une  famine  redoutable,  la  honte,  le 
inépris  accablent  le  pécheur  qui  a  dissipé 
vos  grâces. 

Qu'il  est  encore  heureux  ce  pécheur,  quand 
il  rentre  en  lui-même,  qu'il  est  confus  et 
troublé  de  sa  misère  ,  qu'il  désire  le  sort  des 
justes,  et  qu'aidé  par  votre  grâce  il  forme 
Je  projet  de  retourner  à  vous  plein  de  con- 
fiance, assuré  de  votre  miséricorde:  Surgam 
et  ibo  ad  palrern.  (Luc,  XV.) 

Oui,  mon  Dieu!  c'est  votre  bonté,  l'indul- 
gence dont  vous  usez  envers  les  pécheurs 
touchés  et  pénitents,  qui  excite  ma  confiance, 
malgré  cette  affreuse  dissipation  de  vos  dons, 
malgré  les  honteux  excès  dans  lesquels  je 
me  suis  plongé;  quoiqu'il  y  ait  longtemps 
que  je  sois  séparé  de  vous, 'j'espère  encore 
dans  vos  miséricordes; j'irai  me  prosterner 
à  vos  pieds,  je  les  arroserai  de  mes  pleurs, 


je  confesserai  mes  péchés ,  j'avouerai  mon  in- 
dignité, et  j'éprouverai  votre  clémence, quoi- 
que j'aie  mérité  toute  votre  indigation  :  Sur* 

gain  et  ibo  ad  patrem. 

Ecoutez,  pécheurs  touchés  et  pénétrés  de 
votre  misère,  les  oracles  de  la  miséricorde; 
le  Sauveur  les  prononce  dans  cette  parabole; 
il  vous  dépeint  l'admirable  prodigalité  de  ses 
caresses,  dès  que  le  pécheur  pleure  l'af- 
freuse prodigalité  de  ses  bienfaits;  il  est  touché 
de  vos  premières  démarches  ;  il  vient  au-de- 
vant vous,  il  vous  ouvre  son  cœur,  il  vous 
embrasse,  il  oublie  vos  égarements,  il  fait 
éclater  sa  joie,  vous  êtes  réconciliés;  vous 
avez  droit  de  vous  asseoir  à  la  table  du  fes- 
tin dès  que  vous  êtes  revêtus  des  vêtements 
de  l'innocence;  si  quelques  justes  murmu- 
rent de  ses  caresses,  de  cette  prompte  récon- 
ciliation, on  leur  dira  que  vous  étiez  perdus, 
et  que  vous  êtes  retrouvés;  que  vous  étiez 
nions,  et  que  vous  êtes  ressuscites. 

La  clémence  de  notre  Dieu  n'attend  que 
notre  retour,  notre  repentir,  la  confession  de 
nos  péchés,  notre  douleur,  nos  larmes,  les 
sentiments  de  notre  misère,  pour  nous  j  roui- 
guer  les  mêmes  caresses. 

CHAPITRE  X. 

Réflexions  sur  la  guérison  du  paralytique. 

Saint  Matthieu  nous  dit  que  des  hommes, 
attirés  par  les  miracles  du  Sauveur,  lui  offri- 
rent un  paralytique  couché  dans  son  lit,  et 
que  non-seulement  Jésus-Christ  le  guérit  de 
son  infirmité  corporelle,  mais  inémequM  lui 
remit  tous  ses  péchés. 

Saint  Marc  (XI)  et  saint  Luc  (V)  nous  ap- 
prennent une  autre  circonstance  que  saint 
Matthieu  omet;  ils  disent  que  Jésus-Christ 
prêchait  dans  une  maison,  et  que  la  foule  du 
peuple  qui  l'environnait  était  si  grande,  que 
ceux  qui  portaient  le  paralytique  découvri- 
rent le  toit  de  la  maison,  et  le  descendirent 
dans  l'endroit  où  était  Jé-^us. 

Faisons  de  sérieuses  réflexions  sur  les  cir- 
constances de  ce  miracle;  tout  nous  y  an- 
nonce la  bonté  et  la  miséricorde  de*  Dieu 
pour  les  misérables  qui'ont  recours  à  lui. 

Jésus-Christ  admire  la  foi  de  ceux  qui  por- 
taient le  paralytique,  et  qui  s'empressaient 
d'obtenir  sa  guérison;  il  semble  que  ce  soit 
en  considération  de  cette  foi  et  de  ce  zèle 
qu'il  dit  au  paralytique  :  Ayez  confiance, 
mon  fils,  vos  péchés  vous  sont  remis  :  Yidens 
fidem  illorum,  dixil  puralytico,  confuie,  fi'i, 
libiremittuntur  peccata  tua.  (Mut th.,  IX.)  Ce 
qui  fait  dire  à  saint  Ambroise  (lib.  V  in  Lu- 
cam)  que  le  Seigneur  est  grand  en  miséri- 
corde, qu'il  accorde  aux  uns  le  pardon  de 
leurs  péchés,  parles  mérites  et  les  prières 
des  autres  :  Magnus  Dominus  qui  aliorum 
merito  ignoscit  aliis. 

Tous  les  saints  prient  dans  ce  temps  favo- 
rable pour  nous;  profitons  des  prières,  des 
gémissements,  des  bonnes  œuvres  des  jus- 
tes pour  obtenir  la  rémission  de  nos  péchés  ; 
ces  saintes  Ames  nous  olî'rent  à  Jésus-Christ 
pour  obtenir  notre  guérison. 

Ce  paralytique  était  couché  dans  son  lit  : 
Jacentem  in   lecto.   (Matth.,   IX.)   Ah!  Sei- 


5S9 


INSTRUCTIONS  SUR  LE  JUMLE. 


gncur  !  il  y  a  longtemps  que  je  suis  infirme  ; 
il  y  a  longtemps  que  mon  âme  a  reçu  des 
l^aies  mortelles;  il  y  a  longtemps  qu'elle 
est  ensevelie  dans  le  sommeil  de  la  mort  ; 
qui  la  guérira,  qui  la  ranimera,  qui  lui  ren- 
dra ses  forces?  Vous  seul,  ô  mon  Dieu  !  Par- 
lez-lui dans  votre  miséricorde;  dites-lui, 
comme  au  paralytique,  de  se  lever  et  de  mar- 
cher. 

Me  voilà  à  vos  pieds,  ô  mon  divin  Sauveur  1 
c'est  l'Eglise  votre  épouse  qui  me  présente 
à  vous  ;  ce  sont  les  vertus ,  les  prières,  les 
désirs  des  saintes  âmes  qui  vous  demandent 
ma  guérison,  le  salut  de  mon  âme ,  qui  est 
dans  un  assoupissement  mortel  :  regardez 
leur  foi,  exaucez-les. 

J'emploie,  Seigneur,  l'intercession  des 
justes,  parce  que  je  ne  suis  pas  digne  de 
vous  demander  une  grâce  si  précieuse;  je 
sens  mon  indignité,  je  reconnais  mes  fautes, 
je  veux  les  pleurer,  les  expier  en  joignant 
ma  pénitence  à  celle  des  justes,  j'ai  con- 
fiante d'en  obtenir  le  pardon. 

Les  saints  vous  prieront,  Seigneur,  dans 
ce  temps  favorable,  dans  ce  temps  d'indul- 
gence ,  de  miséricorde  :  Orabit  ad  te  07nnis 
sanctus  in  tempore  opportuno.  (Puai.  XXXI.) 
Et  c'est  dans  ce  temps  que  j'entendrai  aussi 
ces  paroles  consolantes  :  Mon  fils,  ayez  con- 
fiance, vos  péchés  vous  sont  remis  :  Confide, 
fili,  remittuntur  (i!;i peccatatua.  (Mailh.,  IX.) 

Prononcez-les,  Seigneur,  ces  paroles  con- 
solantes pour  mon  âme,  quand  votre  mi- 
nistre les  prononcera  sur  moi ,  que  je  mérite 
par  mes  saintes  dispositions  d'ôtre  absous 
de  vous  qui  connaissez  les  secrets  de  mon 
cœur  ;  l'absolution  que  me  donnera  celui 
qui  a  le  pouvoir  de  remettre  les  péchés , 
supposera  les  dispositions  nécessaires  pour 
la  recevoir.  Donnez-les-moi,  Seigneur,  ces 
dispositions  que  vous  exigez  du  pécheur, 
afoi  que  ces  paroles  que  j'entendrai  sur  la 
terre  :  Vos  péchés  vous  sont  remis,  dimittun- 
tur  tibi  peccata  tua,  soient  ratifiées  dans  le 
ciel.  O  pénitents  touchés ,  contrits  ,  vous  de- 
vez avoir  cette  confiance  ! 

CHAPITRE  XL 

R/flexions  sur  la  pénitence  au  bon  larron 
et  l'indulacncc  qui  lui  fut  accordée  sur  la 
croix. 

Ce  criminel  pénitent  est  devenu  dans  un 
moment  un  confesseur  de  la  divinité  de  Jé- 
sus-Christ, un  martyr,  un  grand  saint  que 
l'Eglise  honore  dans  ses  fastes,  le  premier , 
selon  presque  tous  les  saints  docteurs,  qui 
entra  dans  le  ciel. 

O  précieuse  conquête  du  sang  d'un  Dieu 
sur  le  Calvaire  !  (pic  votre  douleur,  que  vos 
larmes  ,  que  votre  foi ,  que  votre  amour  fu- 
rent promptement  et  magnifiquement  récom- 
pensés !  quel  excès  de  clémence  suit  de  près, 
l'excès  de  votre  repentir  ! 

Ecoutez  cette  voix  de  miséricorde  ;  Jésus 
vous  parle  sur  la  croix,  les  pieds  et  les 
mains  percés,  baignés  dans  son  sang;  dans 
les  opprobres  du  Calvaire  qui  vont  être  re- 
levés par  des  miracles  éclatants  ,  il  vous  dit  : 


PARTIE  II,  CIIAP.  XI.  5S0 

Aujourd'hui  vous  serez  avec  moi  dans  1q 
paradis  :  Hodie  mecum  cris  in  paradisc. 
(Luc,  XXIII.) 

Que  dites-vous  ?  ô  mon  divin  Sauveur  ! 
vous  êtes  attaché  à  la  croix,  vous  allez  ex- 
pirer dans  les  tourments  destinés  aux.  cri- 
minels ;  on  vous  insulte,  on  vous  blasphème, 
et  vous  promettez  le  paradis  à  un  des  com- 
pagnons de  votre  supplice  :  Crocifixus  es  et 
clavis  affixus,  et  paradisum  polliceris  !  Oui , 
je  le  promets  ;  et  c'est  pour  faire  éclater  ma 
puissance  sur  la  croix  même  :  Ut  in  cruce 
virtutem  meam  ediscas.  (S.  Cuysost.,  De  cruce 
et  latrone  homilia.) 

Mon  amour  pour  tous  les  hommes  m'a  fait 
monter  sur  le  Calvaire  ;  ma  puissance  le  ren- 
dra un  théâtre  de  merveilles,  toute  la  na- 
ture y  reconnaîtra  ma  divinité.  Le  soleil 
cachera  sa  lumière,  le  voile  du  temple  sr» 
déchirera;  les  tombeaux  s'ouvriront,  les 
morts  ressusciteront,  les  pieires  se  fen- 
dront; mais, parmi  toutes  ces  merveilles,  la 
conversion  des  pécheurs  y  tiendra  le  pre- 
mier rang.  Le  cœur  d'un  criminel  à  mes 
côtés  touché  d'un  amer  rc^eî.tir,  embrasé 
du  zèle  de  ma  gloire,  éclairé  tout  à  coup 
des  lumières  de  la  foi,  purifié  par  son 
amour  et  son  sang  de  tous  ses  crimes ,  admis 
au  moment  de  sa  mort  dans  le  ciel  ;  voilà  un 
prodige  qui  doit  vous  prouver  ma  divinité, 
ma  puissance  sur  la  croix  même.  Je  suis 
juge  et  Sauveur  sur  cet  autel  où  je  suis  im- 
molé ,  j'y  récompense  la  pénitence  et  y 
punis  l'impénitence  :  Ut  in  cruce  virttilem 
mcam  ediscas. 

Que  je  m'attache,  ô  mon  Dieul  à  votre 
croix,  ou  plutôt  attachez-y-moi  vous-même 
par  les  afflictions,  les  peites  de  bien,  les 
injures,  les  railleries  des  mondains;  je 
suis  votre  disciple  :  comment  pourrai  -je 
vous  ressembler  dans  les  souffrances  ?  Je 
suis  pécheur  :  comment  pourrai-je  expier 
mes  crimes  sans  répandre  des  larmes,  pra- 
tiquer des  mortifications,  punir  mon  corps, 
affliger  mon  esprit,  briser  mon  cœur?  J'es- 
père participer  à  votre  gloire,  entrer  dans 
votre  royaume  :  comment  le  pourrai-je  sans 
participer  à  votre  calice? 

Ah  !  Seigneur,  que  je  déteste  mes  crimes, 
que  je  les  efface  par  mes  larmes  ;  que  je  pu- 
blie votre  innocence,  votre  amour,  votre 
puissance  aux  ennemis  de  votre  croix,  à 
ceux  qui  se  scandalisent  de  votre  mort,  afin  de 
recevoir  comme  le  larron  pénitent,  l'abso- 
lution et  la  rémission  de  mes  péchés. 

Quelle  différence  entre  le  pénitent  et  l'im- 
pénitent au  moment  de  la  mort  1  Celui  qui 
a  exposé  ses  crimes ,  vengé  le  Seigneur  of- 
fensé ,  entend  ces  paroles  consolantes  :  Vos 
tourments  vont  finir,  la  mort  va  vous  en- 
lever à  la  terre  et  vous  introduire  dans  le 
ciel:  Hodie  mecum  eris  in  paradiso  ;  celui 
qui  a  toujours  conservé  la  volonté  de  pé- 
cher, qui  n'a  point  fait  pénitence,  entend 
cet  oracle  effrayant:  Tu  vas  expirer  coupa- 
ble aux  yeux  du  Seigneur  et  être  précipité 
dans  les  feux  vengeurs.  Ah!  Seigneur,  que 
je  mérite  au  moment  de  la  mort  cette  indul- 
gence que  vous  avez  accordée  au  bon  Iar- 


soi 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


5»9 


ron  ;  que  je  l'imite  dans  sa  pénitence,  dans 
son  repentir. 

Mais  qu'a  donc  fait,  dites -vous,  cet 
homme  chargé  de  crimes,  pour  mériter  d'en- 
trer dans  le  paradis?  Quidfecit  latro,  ut  post 
crueem  paradisum  sil  adcplus  ?  Ce  qu'il  a 
fait?  reprend  saint  Chrysostome.  Tout  ce 
qu'il  y  a  de  plus  grand,  de  plus  généreux, 
de  plus  héroïque.  Saint  Pierre  nie  Jésus- 
Christ,  les  autres  apôtres  l'abandonnent.  Les 
Juifs  furieux  le  couvrent  d'opprobres;  le 
voleur  impénitent  blasphème,  et  lui  souffre 
avec  amour  le  supplice  que  méritaient  ses 
crimes.  Il  reconnaît  la  divinité  de  Jésus- 
Christ;  il  la  défend  contre  ses  ennemis,  il 
implore  sa  miséricorde.  11  le  reconnaît  pour 
le  maître  du  ciel  et  de  la  terre,  dans  les 
opprobres  mêmes  de  sa  passion  ;  il  s'ap- 
plique son  sang  adorable  et  répond  avec 
fidélité  à  la  grâce  qui  l'a  touché  :  Agnovit 
cœlorum  Dominant.  (S.  Chrvsost.,  loco  supra 
citato.)  Ah!  une  telle  pénitence,  sous  les 
yeux  d'un  Dieu  mourant  pour  tous  les 
hommes  sur  le  Calvaire,  pouvait-elle  ne  pas 
être  suivie  d'une  indulgence  prompte  et 
plénière?  Les  plaies  du  Sauveur  n'étaient 
ouvertes  que  pour  y  recevoir  les  pécheurs 
louches  et  pénitents* 

CHAPITRE  XII. 

Réflexions  sur  l'indulgence  accordée  à  l'inces- 
tueux de  Corinthe  par  l'apôtre  saint  Paul. 

Ce  pécheur  scandaleux  entretenait  un 
commerce  honteux  avec  la  femme  de  son 
père.  Ce  crime  était  public,  et  les  Corin- 
thiens le  toléraient  et  ne  le  dénonçaient 
point  aux  magistrats,  qui  l'auraient  fait 
punir  comme  les  lois  grecques  et  romaines 
l'ordonnaient. 

Plusieurs  interprètes  croient  que  les  Co- 
rinthiens ménagaient  cet  incestueux  à  cause 
de  son  éloquence  et  de  ses  talents;  voilà 
pourquoi  saint  Paul  les  reprend  avec  tant  de 
zèle  et  les  humilie  si  fort.  Il  y  a,  dit-il,  un 
incestueux  au  milieu  de  vous  que  vous 
souffrez,  que  vous  ne  reprenez  seulement 
]>as.  Et  après  cela ,  vous  êtes  enflés  d'orgueil, 
au  lieu  de  verser  des  pleurs  et  de  retrancher 
du  milieu  de  vous  celui  qui  a  commis  ce  crime. 
(I  Cor.,  V.) 

Une  vaine  philosophie,  des  sciences  pro- 
fanes vous  font  tolérer  un  crime  "dont  les 
païens  rougiraient.  Pour  moi,  j'en  porte  un 
autre  jugement,  quoique  absent  de  corps,  mais 
présent  en  esprit  :  je  m'unis  à  votre  Eglise  ;  et 
au  nom  de  Jésus-Christ,  dont  je  suis  1  apôtre, 
je  déclare  que  celui  qui  a  commis  ce  crime  doit 
être  par  la  puissance  de  Jésus-Christ  livré  à 
Satan,  afin  que  son  âme  soit  sauvée.  (ItriJ.) 

Les  paroles  de  ce  grand  apôtre  nous  don- 
nent lieu  de  remarquer  trois  choses  :  1° 
l'horreur  que  l'on  avait  du  crime  ;  2"  com- 
bien les  chrétiens  devaient  en  être  touchés  ; 
3°  les  saintes  rigueurs  qu'on  imposait  à  ceux 
qui  l'avaient  commis. 

(30)  Cette  histoire  est  tirée  des  Œuvres  de  saint 
Clément  d'Alexandrie,  dans  le  traité:  Quel  est   le 


Ce  Corinthien  incestueux  est  regardé  par 
saint  Paul  comme  l'objet  de  l'horreur  du 
ciel  et  de  la  terre,  comme  un  membre  |  ourri 
capable  de  causer  une  corruption  générale. 

On  ne  saurait  concevoir  trop  d'horreur  du 
péché,  et  surtout  d'un  péché  public.  A  com- 
bien de  personnes  ne  pourra't-on  pas  faire 
le  reproche  que  saint  Paul  faisait  aux  Corin- 
thiens? Vous  êtes  enflés  d'orgueil ,  au  lieu  de 
répandre  des  larmes.  Non-seulement  vous  to- 
lérez ,  mais  vous  briguez  la  bienveillance,  la 
société,  la  protection  des  plus  grands  pé- 
cheurs; des  hommes  de  vices,  quand  ils  ont 
des  talents  ,  des  richesses  ou  du  crédit  ;  des 
âmes  qui  périssent  sous  vos  yeux.  Votre 
Dieu  offensé  ne  vous  touche  point.  Ah  ! 
entrez  dans  l'esprit  de  l'Eglise,  pleurez, 
gémissez  pour  le  salut  de  leurs  âmes,  de- 
mandez à  Dieu  qu'il  leur  fasse  la  grâce  de 
souffrir  dans  un  esprit  de  pénitence  les  sain- 
tes rigueurs  et  les  peines  que  méritent  leurs 
[léchés. 

Ce  n'est  qu'après  que  l'incestueux  de  Co- 
rinthe a  eu  supporté  avec  une  tristesse  salu- 
taire, des -larmes  et  des  gémissements,  la 
peine  de  l'excommunication,  et  toutes  les 
rigueurs  d'une  sainte  pénitence;  que  lors- 
qu'il est  contrit ,  abattu  ,  que  saint  Paul  use 
d'indulgence,  abrège  sa  pénitence,  et  s'unit 
aux  fidèles  de  Corinthe,  pour  le  rend: e  à 
l'Eglise. 

C'est  assez ,  dit-il,  que  le  coupable  ait  subi 
la  correction  qui  lui  a  été  imposée.  Usez  d'in- 
dulgence à  présent  ;  consolez-le,  de  crainte 
qu'il  ne  soit  accablé  par  un  excès  de  tristesse. 
(II  Cor.,  II) 

Voilà  une  indulgence  accordée  solennel- 
lement, une  pénitence  abrégée,  des  peines 
temporelles  remises;  mais  après  que  le  pé- 
cheur a  pratiqué  toutes  les  rigueurs  dont  il 
était  capable. 

En  vain  comptons-nous  sur  l'indulgence 
de  l'Eglise  ,  si  un  sincère  repentir,  des  lar- 
mes amères,  une  tristesse  salutaire  ne  prou- 
vent pas  notre  changement.  A  quoi  nous  ser- 
virait l'indulgence  de  l'Eglise,  si  nous  étions 
toujours  attachés  au  péché?  S'agit-il  de  re- 
mettre les  peines  dues  au  péché ,  quand  le 
péché  n'est  pas  remis?  Et  le  péché  est-il  re- 
mis sans  douleur,  sans  repentir,  sans  amour? 
Ahl  l'Eglise,  en  accordant  une  indulgence 
plénière,  veut  aider  et  consoler  les  pénitents; 
elle  ne  veut  point  flatter  et  autoriser  les 
impénitents. 

CHAPITRE  X11I. 

Réflexions  sur  l'indulgence  accordée  par 
saint  Jean  l'Lvangélisle  à  un  fameux  vo- 
leur (GO). 

Qui  jamais  a  mieux  connu  le  cœur  de  Jé- 
sus-Christ que  saint  Jean  l'Evangéliste,  ce 
disciple  bien-aimé  qui  a  reposé  sur  son  sein 
pendant  la  cène,  qui  est  demeuré  constam- 
ment au  pied  de  la  croix ,  sur  laquelle  il  est 
expiré?  Non ,  jamais  homme  mortel   n'est 

riche  qui  sera  sauvé  ?  et  rapporté  par  Eusèbe ,  dans 
son  Histoire  ecclésiastique,  livre  lîl,  chapitre  7. 


593 


INSTRUCTIONS  SUR  LE  JUBILE.  —  PARTIE  III,  CHAP.  P 


K94 


entré  plus  avant  dans  ce  cœur  adorable.  11  a 
été  d'une  manière  singulière  le  confident 
des  mystères  de  son  amour  pour  les  hom- 
mes. Aussi  pensait-il  comme  ce  divin  Sau- 
veur du  salut  des  âmes  :  il  en  connaissait  le 
prix;  il  pleurait  leur  perte,  et  regardait  la 
conversion  d'un  péjheur  comme  le  plus 
beau  trophée  qu'il  pût  ériger  à  l'amour  et  à 
la  charité  de  son  divin  maître 

L'histoire  que  nous  allons  rapporter  vous 
fera  connaître  son  zèle  pour  le  salut  d'une 
seule  âme,  la  pénitence  qu'il  fait  avec  le  pé- 
cheur qu'il  a  converti ,  et  l'indulgence  dont 
il  use  ,  quand  il  a  pleuré  son  péché. 

Cet  apôtre  de  la  charité,  en  revenant  de 
l'île  de  Pathmos  où  il  avait  été  exilé,  con- 
vertit un  jeune  homme  dans  sa  roule:  il  le 
confia  à  un  saint  évoque  qui  lui  donna  le 
baptême  et  la  confirmation  ;  mais,  hélas  !  le 
démon  ne  tarda  pas  à  l'arracher  à  la  vertu 
pour  l'attacher  à  son  char.  11  révolta  ses  sens, 
lui  présenta  les  séduisantes  images  du  plai- 
s  r,  et  se  servit  des  libci tins  qui  étaient  au- 
tour de  lui  pour  le  corrompre.  Bientôt  il  se 
livra  à  tous  les  désordres  d'une  vie  volup- 
tueuse, et  parcourut  sans  remords  tous  les 
sentiers  du  crime.  Et  celui  qui  n'avait  pas 
craint  de  souiller  son. corps  par  de  honteuses 
débauches,  ne  craignit  pas  non  plus  de 
tremper  ses  mains  dans  le  sang  de  ses  frères: 
elles  ne  servaient  plus  qu'aux  meurtres  et 
aux  injustices.  Un  jeune  néophite  devint 
tout  à  coup  le  chef  d'une  troupe  de  bri- 
gands. 

O  saint  apôtre!  la  conquête  de  vos  larmes, 
de  vos  divines  instructions,  de  votre  ardente 
charité,  est  devenue  la  conquête  du  démon. 
Cette  brebis  a  méprisé  les  leçons  du  pasteurs 
qui  la  conduisait;  elle  a  écouté  la  voix  du 
père  du  mensonge,  elle  est  égarée: cette 
brebis,  qui  paraissait  si  docile,  est  devenue 
un  lion  furieux  qui  vit  de  carnage  et  de 
sang. 


A  peine  saint  Jean  a-t-il  appris  du  saint 
évoque  cette  chute  étonnante  ,  que  son  zèle 
le  transporte  :  il  oublie  qu'il  a  cent  ans,  que 
la  faiblesse  fait  chanceler  ses  pieds  ;  ii  se  fat 
mettre  sur  un  cheval  ;  il  vole  au-devant  des 
voleurs  répandus  dans  ces  cantons  :  ils  atta- 
quent le  saint  apôtre,  le  conduisent  à  leur 
chef  qui  le  reconnaît,  veut  lui  échapper; 
mais  ses  soupirs,  ses  larmes  ,  la  douceur, 
l'onction  do  ses  paroles,  la  grâce  de  Jésus- 
Christ,  l'abattent  à  ses  pieds;  il  se  rend  ,  il 
répand  dos  torrents  de  larmes.  Saint  Jean  le 
ramène  à  l'Eglise  :  là  il  pleure,  il  jeûne  avec 
lui.  Ce  fameux  pécheur  fait  de  sa  pénitence 
un  second  baptême  laborieux.  L'apôtre  le 
quitte;  mais  après  l'avoir  réconcilié,  con- 
solé et  abrégé  les  rigueurs  que  méritaient  ses 
crimes  par  l'indulgence  qu'il  lui  accorda. 

Nous  ne  devons  pas  être  étonnés  que  saint 
Jean  ait  usé  si  promptement  d'indulgence 
envers  ce  fameux  pécheur.  Il  était  touché, 
contrit,  pénitent  :  il  avait  pleuré,  jeûné  et 
pratiqué  toutes  les  rigueurs  dont  il  était  ca- 
pable. Saint  Jean  avait  mêlé  ses  larmes  ,  ses 
mortifications,  ses  prières  avec  les  siennes. 
Cette  pénitence,  quoique  courte,  fut  sans 
doute  très-agréable  au  Seigneur. 

L'Eglise  invite  les  pécheurs  égarés  dans 
ce  saint  temps  par  ses  larmes,  par  ses  prières, 
ses  gémissements  :  elle  leur  dit ,  comme 
saint  Jean  à  ce  fameux  voleur  :  Ne  craignez 
pas,  mes  enfants  ;  revenez  avec  confiance,  je 
vous  assure  du  pardon  de  vos  péchés,  si 
vous  les  détestez  et  les  pleurez.  Réconciliez- 
vous  avec  votre  Dieu  que  vous  avez  offensé  ; 
j'userai  d'indulgence  ,  je  vous  remettrai ,  au 
nom  de  Jésus-Christ,  les  peines  temporelles 
dues  à  vos  péchés.  Les  justes  pleureront, 
jeûneront,  prieront  avec  vous.  Cette  péni- 
tence des  saints,  unie  à  celle  des  pécheurs 
convertis,  la  rend  efficace  pour  satisfaire  à 
la  justice  divine 


TROISIEME  PARTIE. 


CHAPITRE  PREMIER. 

Il  faut  nous  animer  à  la  pénitence  à   la  vue 

de  la  bonté  d'un  Dieu  qui  nous  recherche  et 

nous  invite. 

La  miséricorde  de  Dieu,  si  nous  avions  la 
foi,  devrait  nous  déterminer  à  punir  nos  pé- 
chés avec  une  sainte  rigueur ,  au  lieu  de 
nous  contenter  de  les  confesser. 

Persuadés  que  notre  pénitence  désarme 
son  bras  vengeur,  satisfait  sa  justice  offen- 
sée, expie  nos  péchés,  pourquoi  tardons- 
nous  à  l'embrasser?  Qui  vous  a  enseigné, 
qui  vous  a  flatté  que  vous  pourriez  échapper 
aux  châtiments  redoutables  réservés  à  l'im- 
pénitence?  dit  saint  Jean  :  Quis  ostendit 
vobis  fiujere  aventura  irai  {Luc,  111.) 

Serait-ce  la  miséricorde?  Mais  si  la  misé- 
ricorde précède  la  justice,  la  justice  ne  suit- 
elle  pas  la  miséricorde? 

il   est  marqué  dans  l'Ecriture  :  Ne  dites 


pas  la  miséricorde  de  Dieu  est  grande,  pour 
vous  rassurer  dans  votre  péché  et  autoriser 
votre  impénitence  ;  car  vous  serez  surpris 
tout  à  coup  par  la  colère  de  Dieu.  La  cognée 
n'est-elle  pas  déjà  posée  à  la  racine  de  l'ar- 
bre, dit  saint  Jean?  Jésus-Christ  n'a-t-il  pas 
dit  :  Si  vous  ne  faites  pénitence,  vous  péri- 
rez tous  ? 

Mais  en  quoi,  direz-vous,  consiste  donc  la 
miséricorde  de  Dieu?  Samt  Paul  vous  l'ap- 
prend: à  vous  attendre  avec  une  longue  pa- 
tience ;  à  vous  rechercher  lorsque  vous  le 
fuyez;  à  vous  appeler,  à  vous  inviter  par  sa 
grâce. 

Elle  vous  accorde  du  temps  pour  vous 
convertir;  elle  arrête  le  bras  delà  justice, 
élevé  pour  vous  punir  quand  vous  commet- 
tez un  crime. 

Sa  miséricorde  est  grande,  si  vous  consi- 
dérez qu'elle  vous  cède  le  droit  de  vous  pu- 


595 


OHATEl'ttS  SACHES.  BALLET. 


5&5 


nir  vous-mêmes,  et  que  vous  pouvez,  parles 
peines  temporelles  que  vous  vous  imposez, 
éviter  les  peines  éternelles  que  vous  avez 
méritées. 

Qui  vous  a  donc  enseigné  que  vous  pou- 
viez, sans  faire  pénitence,  échapper  aux  re- 
doutables vengeances  du  Seigneur?  Quis 
ostendit  vobis  fugere  a  ventura  ira?  Ce  n'est 
pas  l'idée  que  Dieu  vous  donne  de  sa  misé- 
ricorde, puisqu'il  nous  assure  qu'une  jus- 
tice rigoureuse  la  doit  suivre  de  près. 

Serait-ce  l'indulgence  que  l'Eglise  vous 
promet  dans  ce  temps  de  jubilé?  Mais 
la  promet-elle  aux  impénitents?  La  pro- 
met-elle à  ceux  qui  se  seront  confessés 
sans  douleur  ,  sans  repentir,  sans  haine  du 
péché  ?  Et  peut-on  être  contrit,  se  repentir, 
haïr  le  péché  comme  il  doit  être  haï,  sans 
pratiquer  une  pénitence  d'expiation  et  de 
précaution? 

Ah!  c'est  parce  que  Dieu  me  donne,  dans 
ce  saint  temps,  des  preuves  de  sa  bonté  et 
de  sa  miséricorde,  que  je  punirai  avec  plus 
de  rigueur  cecorps  de  péché.  Plus  il  me  re- 
met, moins  je  m'épargnerai  :  l'étendue  de 
ma  pénitence  sera  proportionnée,  autant  que 
j'en  suis  capable,  à  l'étendue  de  ses  miséri- 
cordes 

Comment  n'aurais-je  pas,  ô  x?.on  Dieu  I 
des  sentiments  sincères  de  pénitence?  Com- 
ment veudrais-je  éviter  d'expier  sur  ma 
chair  criminelle  tant  de  coupables  prévari- 
cations de  votre  sainte  loi?  puisque  mon 
péché  s'élève  toujours  contre  moi  :  Pecca- 
tum  meum  contra  me  est  semper.  (Psal.  L.) 

Ces  années  écoulées  dans  l'oisiveté;  cet 
abus  que  j'ai  fait  de  vos  grâces  ;  ces  habitu- 
des criminelles  que  j'ai  laissé  fortifier;  ces 
scandales  que  j'ai  donnés  ;  ces  injustices 
que  j'ai  commises;  ce  dégoût  des  choses 
saintes  que  j'ai  toujours  eu  ;  tant  de  honteu- 
ses passions  que  j'ai  flattées,  satisfaites, 
s'élèvent  aujourd'hui  contre  moi  :  Peccatum 
meum  contra  me  est  semper.  Je  n'aurais  pas 
le  temps  d'en  faire  pénitence,  si  vous  exer- 
ciez votre  justice;  mais  votre  tondre  misé- 
ricorde me  donne  le  temps  de  punir  un  cou- 
pable que  vous  voulez  sauver  :  je  le  punirai 
donc  ^j'entreprendrai  avec  confiance  de  sa- 
tisfaire h  votre  justice  dans  ce  temps  d'indul- 
gence; les  mérites  de  Jésus-Christ  votre  Fils 
suppléeront  aux  rigueurs  dont  je  suis  inca- 
pable. 

Profitez,  pécheurs,  de  ce  temps  favorable 
pour  la  pénitence  :  c'est  dans  ces  jours  où 
nos  efforts  seront  efficaces  :  c'est  dans  ces 
jours  où  nos  regrets,  nos  jeûnes,  nos  larmes, 
nos  mortifications,  nos  prières,  nos  aumô- 
nes auront  du  prix  et  de  la  valeur  :  les  mé- 
rites de  Jésus-Christ,  de  sa  mère,  des  mar- 
tyrs, des  saints,  nous  seront  appliqués. 

Ne  nous  dispensons  point  de  faire  péni- 
tence dans  un  temps  où  l'on  nous  offre  tout 
ce  qui  peut  la  rendre  suffisante,  cilicace  et 
agréable  à  Dieu. 


CHAPITRE   II. 


Il  faut  travailler  à  détruire  les  habitudes  du 
pèche',  pour  profiter  de  la  grâce  du  jubilé. 

On  ne  saurait  assez  déplorer  l'aveugle- 
ment de  certains  pécheurs  et  de  certains 
mondains  dans  ce  saint  temps  :  on  dirait,  à 
les  entendre,  que  la  grâce  dujubilé  dispense 
des  saintes  règles  de  la  pénitence. 

Frappés  de  l'indulgence  plénière  que  l'E- 
glise accorde  à  ses  enfants,  peu  touchés  de 
l'outrage  que  le  péché  fait  a  Dieu  ,  tranquil- 
les lorsqu'ils  l'ont  irrité,  rassurés  sur  une 
absolution  reçue  à  la  hâte  et  sans  douleur, 
uniquement  occupés  des  peines  temporelles 
qu'on  remet,  sans  attention  pour  les  disposi- 
tions qu'on  exige,  remplis  de  fausses  idées 
sur  la  condescendance  des  confesseurs,  re- 
mués, troublés  dans  leurs  désordres,  à  la 
voix  des  pasteurs  qui  publient  l'indulgence  , 
excités  parleurs  invitations,  entraînés  par 
l'exemple  édifiant  d'un  grand  nombre  de  fidè- 
les, ils  sedisposent  à  faire  leur  jubilé;  mais 
ils  ne  se  disposent  pas  à  se  réconcilier  avec 
Dieu  :  c'est  une  quinzaine  de  jours  qu'ils 
dérobent  à  leurs  plaisirs  ,  à  leurs  satisfac- 
tions ;  c'est  une  cérémonie  dont  ils  s'acquit- 
teront; c'est  peut-être,  hélas  1  un  sacrilège 
qu'ils  ajouteront  au  trésor  de  leurs  iniquités. 

Quelle  ignorance  des  règles  et  de  l'esprit 
de  l'Eglise!  Quel  aveuglement!  Ahl'ne 
comptez  pas  sur  la  grâce  du  jubilé,  pécheurs 
qui  ne  faites  point  d'efforts  pour  rompre  vos 
criminelles  habitudes,  dont  le  cœur  est  en- 
core attaché  au  péché  :  l'Eglise,  qui  vous 
annonce  cette  grande  indulgence,  vous  en 
avertit. 

A  qui  la  promet-elle?  A  ceux  qui  ont  une 
douleur  sincère  de  leurs  péchés,  qui  les 
confessent  avec  humilité,  et  qui  reçoivent 
dignement  le  corps  de  Jésus-Christ  :Vest  à 
ces  conditions,  surtout  énoncées  dans  la 
bulle,  qu'il  faut  s'attacher,  et  c'est  ce  que 
vous  ne  faites  pas  ;  vous  ne  faites  attention 
qu'aux  conditions  qu'elle  exige  lorsque  vous 
êtes  réconciliés  avec  votre  Dieu,  aux  stations, 
aux  prières  courtes  et  aisées,  à  de  légères 
aumônes  ;  mais  prenez  garde  que  l'Eglise  ne 
vous  remet  une  partie  des  peines  temporelles 
dues  à  vos  péchés,  que  lorsqu'elle  vous  sup- 
pose réconciliés  avec  Dieu,  que  vos  \  échés 
sont  remis  quant  h  l'offense. 

Or,  vous  ne  pouvez  être  réconciliés  avec 
Dieu  que  lorsque  vous  ne  serez  plus  dans 
l'habitude  du  péché,  que  vous  l'aurez  quille: 
un  confesseur  ne  peut  et  ne  doit  j  as  vous 
absoudre  sans  ceia,  dans  le  temps  môme  du 
jubilé;  ou  vous  l'avez  trompé,  ou  il  vous  a 
séduits,  s'il  vous  a  admis  à  la  participation 
des  saints  mystères,  dans  l'habitude  du  pé- 
ché, dans  l'occasion  prochaine  du  péché, 
dans  l'attache  au  péché.  Vous  n'êtes  pas  ré- 
conciliés avec  Dieu  ;  vos  péchés  ne  sont  pas 
remis  quant  à  l'offense;  vous  méritez  les 
peines  éternelles,  et  l'Eglise  ne  remet  dans 
le  jubilé,  (pue  les  peines  temporelles  dues 
aux  péchés  qui  ont  été  remis  :  vous  ne  profi- 
tez donc  pas  de  la  grâce  du  jubilé. 

Ah!  Seigneur,  je  connais  mon  aveugle- 


£37 


INSTRUCTIONS  SIR  LE  JIITLE.  -  PARTIE  I!!,  CIÎAP.  III. 


£93 


ment  ;  je  penserai  autrement  de  mon  péché 
et  des  liens  qui  m'y  retiennent  :  Cogitabo 
pro  peccato  mco.  (Psak  XXXV1Î.)  J'exami- 
nerai ces  acquisitions  que  j'ai  laites  dans 
des  temps  de  misère,  ces  héritages  qui  ont 
agrandi  mon  domaine  et  que  je  n'ai  point 
achetés  leur  valeur;  je  restituerai  les  fruits 
injustes  que  j'en  ai  tirés;  je  déchirerai  ces 
contrats  usuraires  et  je  remettrai  à  mes  dé- 
biteurs les  intérêts  que  j'ai  injustement  exi- 
gés ;  je  combattrai  mes  habitudes  crimi- 
nelles; j'examinerai  si  c'est  l'intempérance 
ou  l'avarice,  le  mensonge  ou  la  médisance, 
l'ambition  ou  l'oisiveté,  la  volupté  ou  le  jeu 
qui  forment  mon  habitude;  je  la  combattrai 
et  m'efforcerai  de  Ja  détruire  avant  de  me 
présenter  au  tribunal  de  la  pénitence;  je 
prendrai  toutes  les  mesures,  je  pratiquerai 
Joutes  les  vertus;  je  ferai  tous  les  etforts 
dont  je  suis  capable,  pour  triompher  des 
objets  qui  me  séduisent,  rompre  les  liens 
'pii  me  retiennent  dans  le  péché  :  CoyiUibo 
pro  peccato  meo. 

CHAPITRE  111. 

//  faut  examiner  sa  conscirnee  dans  V amer- 
tume de  son  cœur,  pour  profiter  de  (a  grâce 
du  jubilé. 

Vn  défaut  dans  lequel  tombent  tous  les 
pécheurs,  qu'une  solennité,  une  cérémonie, 
le  temps  pascal  ou  le  jubilé,  conduit  au  con- 
fessionnal, c'est  le  défaut  d'examen. 

Ils  s'examinent  quelques  moments  avant 
de  se  confesser;  ils  se  représentent  certains 
péchés  qui  ne  peuvent  échapper  à  leur  mé- 
moire, qui  les  troublent  et  forment  un  far- 
deau qui  fait  gémir  leur  conscience;  ils  s'en 
accusent  et  s'imaginent  que  toutes  les  fautes 
qu'ils  ont  oubliées  par  leur  peu  d'attention, 
leur  indifférence,  les  fausses  idées  qu'ils  con- 
çoivent de  la  bonté  d'un  Dieu  offensé,  ne 
subsistent  plus,  sont  effacées:  défaut  qui 
rend  une  confession  nulle. 

Car,  quelle  apparence  que  des  péchés  que 
l'on  ne  veut  point  connaître,  qu'on  se  met 
peu  en  peine  de  découvrir,  soient  remis 
dans  le  tribunal?  Quelle  apparence  qu'on 
n'ait  rien  à  se  reprocher,  lorsqu'on  a  donné 
moins  de  temps,  moins  d'attention  pour  se 
réconcilier  avec  Dieu,  qu'on  en  donne  pour 
éviter  de  se  tromper  dans  les  affaires  tempo- 
relles? 

Si  Dieu  a  compassion  de  notre  faiblesse 
lorsque  nous  péchons,  nous  parJonucra-t-il 
notre  coupable  indifférence,  lorsqu'il  s'agit 
de  confesser  nos  péchés  ? 

Ah  !  si  vous  voulez  profiter  de  la  grâce  du 
jubilé,  commencez  donc  par  vous  réconci- 
her  avec  votre  Dieu;  sondez  les  abîmes  de 
votre  conscience;  fouillez  dans  les  replis  les 
plus  cachés  de  votre  cœur;  prenez  dans  vos 
mains  la  loi  du  Se.'gneur,  ce  flambeau  écla- 
tant, cette  lumière  "sûre,  qui  éclairait  David 
dans  tous  les  sentiers  de  sa  vie  (Psa!. 
CX VIII)  ;  repassez,  à  l'exemple  d'Ezéchias, 
toutes  vos  années  dans  l'amertaïuC  de  votre 
cœur,  (/sa.,  XXXVIII.) 

Rappelez-vous  le  temps  de  la  jeunesse. 


que  vous  avez  peut-être  passé  dans  la  dis- 
sipation, le  jeu,  les  plaisirs  et  les  habitudes 
criminelles;  vos  penchants,  vos  liaisons,  les 
mauvais  exemples  que  vous  avez  donnés  ou 
ceux  que  vous  avez  suivis. 

Repassez  le  temps  d'un  âge  plus  avancé, 
ce  temps  où  l'on  pense  à  s'établir,  à  embras- 
ser un  état  :  en  avez-vous  rempli  les  de- 
voirs ?  Avez-vous  les  talents,  les  veitus 
qu'il  demande?  Avez-vous  toujours  été  des 
pères  et  des  mères  chrétiens,  des  enfants 
soumis,  des  maîtres  doux,  des  serviteurs 
fidèles?  Vos  mains  ne  sont-elles  pas  souil- 
lées par  l'injustice,  votre  langue  par  la  mé- 
disance, votre  cœur  par  de  mauvais  désirs, 
votre  corps  par  quelques  actions  crimi- 
nelles. 

Repassez  tout  ce  qui  s'est  dit  dans  ce* 
conversations,  dans  ces  visites;  tout  ce  qui 
s'est  passé  dans  ces  spectacles,  dans  ces  as- 
semblées, dans  ces  repas,  dans  ces  longues 
séances  de  jeu,  dons  ces  démarches  que 
vous  avez  faites  pour  obtenir  un  emploi,  un 
bénéfice,  pour  supplanter  un  concurrent,  dé- 
placer un  voisin,  un  confrère. 

Examinez  ce  que  vous  avez  acheté  et  ce 
que  vous  avez  vendu  ;  les  clauses  de  ce  con- 
trat, de  ce  marché,  de  cette  acquisition  dont 
vous  êtes  si  content. 

Examinez-vous  sur  les  devoirs  de  la  reli- 
gion. L'avez-vous  respectée?  Ne  l'avez-vous 
point  déshonorée  par  votre  indévotion,  mé- 
prisée par  vos  railleries,  outragée  par  vos. 
doutes,  vos  résistances,  fait  gémir  par  vos 
insultes,  vos  impiétés?  N'avez-vous  pas 
loué  ses  ennemis,  fait  l'éloge  de  leurs  ou  - 
vrages,  applaudi  à  leur  critique? 

Le  pauvre  ne  se  plaint-il  pas  de  votre  du- 
reté? La  veuve  et  l'orphelin  ne  gémissent-ils 
pas  sous  le  poids  de  vos  vexations?  L'ou- 
vrier if  attend-il  pas  après  son  salaire;  vos 
domestiques  après  leurs  gages?  N'êtes-vous 
pas  un  sujet  de  scandale  pour  vos  enfants, 
vos  voisins?  Etes-vous  des  époux  fidèles, 
des  vierges  sages? 

Ah!  peut -on  dans  quelques  moment* 
compter,  peser,  séparer  toutes  les  fautes  qui 
sont  échappées  pendant  une  année  entière 
et  peut-être  plus? 

Tant  de  devoirs,  tant  d'obligations,  tant 
de  faiblesses,  de  penchants,  doivent  nous 
faire  craindre  bien  des  chutes,  des  infrac- 
tions, et  nous  ne  prendrons  pas  un  temps 
suffisant  pour  nous  examiner!  Quelle  né- 
gligence !  Quelle  témérité! 

Si  vous  voulez  vous  réconcilier  avec  Dieu, 
profiter  do  la  grâce  du  jubilé,  prenez  un 
temps  suffisant  pour  examiner  dans  l'amer- 
tume de  votre  cœur  toutes  vos  actions,  vos 
paroles,  vos  désirs,  vos  pensées;  mettez- 
vous  en  état  de  déclarer  à  votre  confesseur 
le  nombre,  l'énormilé,  les  circonstances, 
l'espèce  de  vos  péchés. 

Dites  avec  l'aveugle  de  l'Evangile  :  Sei- 
gneur, faites-moi  la  grâce  de  voir  toute  l'é- 
tendue, toute  l'énoruiité,  toutes  les  suites 
de  mon  infirmité  :  Domine,  utvideam(Marc, 
X);  que  je  connaisse  bien  tous  mes  péchés, 
jpour  les  pleurer  tous,  les  c&kîiesscr  et  Isa 


589 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


CCO 


expier;  éclairez  mes  ténèbres,  illumina  tene- 
bras  mcas  ;  levez  le  voile  qui  me  cache  moi- 
même  à  moi-même;  qu'il  n'y  ait  point  dans 
mon  cœur  de  profondeurs,  de  replis,  de  se- 
crets que  je  ne  pénètre;  point  d'idoles  que 
je  n'immole;  point  de  faiblesses,  d'inclina- 
tions, d'attaches,  de  désirs,  de  plaies  que  je 
n'avoue,  que  je  n'expose  aux  ministres  ue 
la  réconciliation. 

Suivez  ce  plan  abrégé,  prenez  le  temps 
suffisant  pour  le  réduire  en  pratiquent  vous 
vous  mettrez  en  état  de  faire  une  bonne  con- 
fession, d'être  réconciliés  avec  Dieu  et  de 
profiter  de  la  grâce  du  jubilé. 

CHAPITRE  IV. 

//  faut  haïr  et  détester  souv(rainement  le  pè- 
che', pour  être  réconcilié  avec  Dieu  et  pro- 
fiter delà  (jràce  du  jubilé. 

Le  péché  est  le  souverain  mal.  Dieu  Ieha;t 
souverainement.  Avec  quelle  sévérité  ne 
l'a-l-il  l'as  punidanstous  les  temps? 

Le  crime,  les  complices  du  crime,  tout  ce 
qui  avait  servi  au  crime,  les  traces  mêmes 
du  crime  ont  éprouvé  les  rigoureuses  ven- 
geances que  Dieu  exerce  contre  le  péché. 

Avec  quelle  sévérité  n'a-t-il  pas  traité  son 
propre  fils,  parce  qu'il  s'était  chargé  de  nos 
iniquités?  Le  spectacle  seul  du  Calvaire  doit 
nous  convaincre  de  la  haine  que  Dieu  porte 
au  péché. 

Considérons  aussi  tous  ces  élus,  ces  justes 
morts  dans  la  grâce  et  la  charité,  et  qui  ce- 
pendant sont  encore  éloignés  de  sa  face  ado- 
rable, repoussés  par  le  bras  de  sa  justice, 
lorsqu'ils  s'élancent  vers  lui,  et  souffrent 
quelquefois  des  temps  considérables  dans  le 
purgatoire.  N'est-ce  pas  parce  que  Dieu  \  unit 
jusqu  aux  traces  du  péché,  les  restes  du  péché 
remis  par  rabsolutiou  sacramentelle,  le  dé- 
faut môme  de  sévérité  dans  la  pénitence 
qu'on  a  exercée?  Jugeons  de  là  de  la  haine 
que  Dieu  a  du  péché. 

Or,  peut-on  être  réconcilié  avec  Dieu,  si 
on  ne  hait  i  as  le  péché  comme  lui,  si  on  ne 
le  hait  pas  souverainement,  si  on  ne  le  hait 
pas  toujours  dans  toutes  les  circonstances, 
si  on  ne  hait  pas  les  péchés  qui  paraissent 
les  plus  légers,  les  plus  pardonnables  à  la 
jeunesse,  à  la  faiblesse  humaine,  aux  hom- 
mes environnés  d'écueils  et  dans  des  posi- 
tions délicates? 

Quoi!  vous  irez  vous  présenter  au  tribunal 
delà  pénitence,  confesser  vos  péchés ,  en 
demander  l'absolution,  et  vous  les  aimerez 
encore  ;  vousy  serez  encore  attachés  !  Fausse 
pénitence.  Vous  ne  serez  point  réconciliés: 
il  uy  a  que  \l>  haine  que  vous  concevez  de 
vos  péchés,  dit  saint  Augustin  (inpsal.  XXX, 
eonc.  1),  qui  puisse  vous  assurer  do  la  sin- 
cérité (le  votre  pénitence:  Pœnitcnliam  cer- 
tain non  facit,  nisi  odium  peccati. 

Savez-vous  la  première  chose  que  le  pé- 
nitent doit  faire,  dit 'saint  Ambroise,  lors- 
qu'il veut  se  réconcilier  avec  son  Dieu?  C'est 
de  condamner  son  péché,  de  le  haïr  souve- 
rainement, d'être  saisi  d'horreur  de  l'outrage 
qu'il  a  t'ait  à  Dieu,  des  biens  précieux  qu'il 


lui  a  enlevés, des  plaies  qu'il  a  faites  à  son  âme, 
ties  taches  honteuses  dont  il  l'a  souillée, 
des  châtiments  redoutables  qu'il  lui  a  méri- 
tés. Pœnitens  débet  prias  damnare  precatum. 
Or,  lorsque  vous  excusez  votre  péché,  que 
vous  le  regardez  comme  une  suite  néces- 
saire de  votre  faiblesse,  de  votre  tempéra- 
ment, des  tentations  qui  vous  attaquent,  des 
dangers  qui  vous  environnent,  comme  une 
suite  nécessaire  de  votre  état,  de  votre  rang, 
des  circonstances  embarrassantes,  délicates 
où  vous  vous  trouvez  souvent;  lorsque  vous 
le  comparez  avecd'autres  plus  énormes  pour 
le  rendre  moins  odieux,  vous  le  pardonner 
plus  aisément,  et  le  commettre  avec  moins 
de  remords,  haïssez-vous  votre  péché,  le 
détestez-vous  comme  Dieu  l'exige?  Et,  par 
une  conséquence  juste,  pouvez- vous  vous 
ilatter  d'être  réconciliés  dans  le  tribunal  de 
la  pénitence? 

Ah!  Seigneur  ,  je  gémis  sous  le  poids  de 
mes  péchés;  c'est  un  fardeau  pesant  qui 
m'accable  :  omis  grave  (Psal.  XXXVII);  c'est 
le  démon  qui  me  l'a  imposé,  c'est  ma  volonté 
qui  l'a  accepté,  c'est  la  corruption  de  mon 
cœur  qui  me  le  fait  porter  si  longtemps,  c'est 
l'aveuglement  de  mon  esprit  qui  me  le  fait 
paraître  si  doux,  si  léger.  Présentement 
j'en  ai  horreur,  je  le  déteste,  je  veux  m'en 
décharger,  ô  mon  Dieu!  recouvrer  ma  liber- 
té; délivrez-m'en  par  votre  miséricorde, 
Seigneur;  je  promets  de  préférer  la  mort  aux 
moindres  infractions  de  votre  sainte  loi. 

O  péché  1  ô  attentat  énorme  contre  Dieu  1 
ô  néant  révolté  contre  la  divinité  !  Je  vous 
éviterai.  Vos  images  les  plus  séduisantes  me 
causeront  autant  de  frayeur  que  la  vue  du 
serpent.  [Eccli.,  XXI.)' Mon  cœur  ne  s'ou- 
vrira plus  pour  recevoir  vos  plaies  moitel- 
les..  Je  ne  craindrai  que  vous,  je  ne  haïrai 
que  vous. 

Les  plaisirs,  les  richesses,  les  honneurs, 
les  succès  avec  le  péché  le  plus  léger  même, 
n'auront  aucun  attrait  pour  moi. 

Je  ne  balancerai  pas  à  les  sacrifier  poujr 
éviter  le  péché.  Les  privations,  les  infirmi- 
tés, les  menaces,  les  tourments,  la  mort 
même,  n'auront  rien  d'effrayant  pour  moi, 
lorsqu'il  faudra  vous  offenser,  pour  les  évi- 
ter. Partout  où  je  verrai  le  péché,  je  n'y  trou- 
verai «pie  l'objet  de  ma  haine  et  de  mon  in- 
dignation. 

Un  pénitent  dans  ces  sentiments 
compter  sur  le  pardon  de  ses  péchés 
grâce  du  jubilé. 

CHAPITRE  Y. 

Très-peu  de  personnes  conçoivent  de  la  dou- 
leur de  leurs  péchés,  et  les  pleurent  comme 
de  vrais  pénitents. 

L'on  dit  ordinairement  que  l'on  n'est  pas  le 
maître  de  ses  pleurs;  que  l'on' petit  être  tou- 
ché d'un  vrai  repentir  sans  répandre  des' lar- 
mes. Je  sais  qu'il  y  a  des.  cœurs  plus  tendres 
les  uns  que  les  autres;  je  sais  qu'il  y  a  des 
personnes  qui  se  trouvent  saisies  et  serrées 
par  la  douleur  sans  pouvoir  pleurer  ;  mais 
je  sais  aussi  que  les  larmes  annoncent  ordi- 


doit 
et  la 


COI 


INSTRUCTIONS  SUR  LE  JUBILE. 


PARTIE  III,  CIIAP.  VI. 


602 


na' rcment  la  douleur  du  cœur,  et  que  les 
plus  célèbres  pénitents  n'ont  cessé  de  pleu- 
rer leurs  péchés,  même  après  qu'ils  leur 
avaient  été  remis. 

David  arrosait  le  pavé  de  ses  larmes  ;  il  en 
répandait  aussi  abondamment  pendant  la 
nuit.  Saint  Pierre  pleura  amèrement  son  pé- 
ché toute  sa  vie.  La  femme  péjheresse  bai- 
gna les  pieds  du  Sauveur  dans  la  salle  du 
pharisien.  Les  larmes  ont  toujours  annoncé 
la  douleur  des  vrais  pénitents.  Si  vous  no 
pleurez  pas  après  avoir  péché,  dit  saint  Ber- 
nard (in  caprte  Jcjnnii,  serin.  2),  vous  n'en 
concevez  pas  une  juste  idée;  vous  ne  sentez 
pas  les  plaies  mortelles  que  le  péché  a  causées 
a  votre  âme.  Si  non  plangis,  non  sentis  ani- 
mœ vulnera. 

Pourquoi  ces  personnes,  dont  le  cœur  est 
si  tendre,  qu'un  récit  louchant,  la  représen- 
tation d'une  pièce  de  théâtre,  les  malheurs 
d'un  héros  fabuleux  remuent  et  font  pleurer, 
ne  pleurent-elles  pas  leurs  péchés  et  les  plaies 
de  leur  âme? 

Pourquoi  ces  mêmes  personnes  qui  sont 
inconsolables  à  la  mort  d'un  parent,  d'un 
ami,  qu'une  disgrâce,  une  peste,  une  trahi- 
son, une  infidélité,  font  fondre  en  larmes, 
ont-elles  des  yeux  si  secs,  sont-elles  si  in- 
différentes, lorsqu'il  s'agit  du  péché  qui  a 
souillé  leur  âme  et  provoqué  la  colère  du 
Seigneur? 

Pourquoi  voyons-nous  des  femmes  répan- 
dre des  larmes  abondamment  sur  la  perte 
d'un  objet  criminel,  sur  les  événements  les 
plus  imposteurs,  au  lieu  de  pleurer  sur  les 
plaies  de  leur  âme;  des  hommes  touchés, 
inconsolables  d'un  accident,  d'un  malheur 
qu'ils  ne  pouvaient  éviter,  et  tranquilles  et 
satisfaits  après  les  plus  grands  désordres  et 
exposés  à  un  malheur  éternel  ? 

Tout  cela  ne  prouve-t-il  pas  que  l'on  ne 
sent  pas  les  plaies  de  son  âme,  l'outrage  que 
le  péché  fait  à  Dieu?  On  a  des  larmes  à  ré- 
pandre, mais  on  les  réserve  pour  les  repré- 
sentations, les  pertes  des  objets,  les  événe- 
mentsdu  monde  ;  on  en  a  point  pour  pleurer 
la  perte  de  la  giâ  e  et  celle  de  son  âme  ,  les 
outrages  faits  à  un  Dieu  bon  et  patient. 

Ah!  pénitents  de  cérémonie,  vous  ne  sen- 
tez pas  le  malheureux  état  de  votre  âme, 
puisque  vous  ne  pleurez  pas.  Si  non  plangis, 
non  sentis  animœ  vulnera. 

Savez-vous,  dit  saint  Bernard  {De  modo 
bene  vivendi  ad  sororem,  27),  dans  un  autre 
endroit,  qu'il  n'y  a  rien  de  plus  honteux,  de 
plus  criminel  et  de  moins  pardonnable  aux 
yeux  de  Dieu,  que  de  connaître  ses  crimes, 
les  confesser,  et  ne  les  point  pleurer  :  Nihil 
pjuSj  quam  culpam  cognoscere,  et  non  flcre. 

Cjuoi  !  vous  avez  offensé  un  Dieu  qui  vous 
a  comblés  de  ses  grâces  et  de  ses  bienfaits; 
un  Dieu  qui  a  dissimulé  vos  mépris  et  vos 
attentats,  un  Dieu  qui  pouvait  vous  écraser 
de  la  foudre  dès  votre  première  révolte,  et 
vous  précipiter  dans  des  feux  éternels;  un 
Dieu  qui  vous  a  attendus  avec  patience,  qui 
vous  reçoit  avec  bonté,  et  vous  ouvre  son 
cœur  tout  indigne  que  vous  soyez  d'y  entrer, 
et  votre  cœur  ne   sera  point  brisé   de  dou- 


leur; vous   n'exprimerez  pas    vos   regrets 
par  des  larmes  de  componction? 

Quoi  !  vous  rappellerez  à  votre  mémoire 
la  multitude  de  vos  iniquités,  vous  en  expli- 
querez aux  prêtres  le  nombre,  les  circons- 
tances, la  malice,  les  suites  funestes;  votre 
foi  vous  fera  apercevoir  un  cœur  corrompu, 
une  chair  souillée,  une  âme  couverte  de 
plaies  mortelles,  un  enfer  creusé  sous  vos 
pieds,  un  Dieu  irrité  qui  attend  encore  votre 
repentir,  vos  larmes,  et  vous  ne  serez  pas 
pénétrés  de  la  plus  vive  douleur?  vous  ne 
pleurerez  pas  !  vous  ne  sentez  donc  pas  en- 
core le  malheureux  état  de  votre  âme?  Si 
non  plangis,  non  sentis  animœ  vulnera. 

Ah!  que  le  nombre  despécheurs  est  grand  ! 
que  le  nombre  des  vrais  pénitents  est  petit  ! 
Beaucoup  qui  environnent,  qui  assiègent 
les  confessionnaux  dans  ce  saint  temps  avec 
l'histoire  de  leurs  péchés  dans  la  mémoire, 
mais  sans  douleur,  sans  com|  onction,  sans 
larmes,  par  conséquent  très-peu  qui  sont 
véritablement  réconciliés  avec  Dieu,  et  pro- 
fitent de  la  grâce  du  jubilé. 

Divin  Jésus,  accordez-moi  le  don  des 
grâces  pour  pleurer  mes  péchés;  mais  de 
ces  larmes  amères,  précieuses  à  vos  yeux, 
de  ces  larmes  qui  vous  touchent  et  lavent 
les  péchés. 

J'ai  fait  une  perte,  ô  mon  Dieu!  qui  ne 
peut  être  réparée  que  par  votre  sang  ado- 
rable, l'étendue  de  vos  [dus  grandes  misé- 
ricordes, la  perte  de  mon  âme  que  vous 
avez  rachetée,  de  mon  Dieu  que  j'ai  outragé, 
du  ciel  dont  je  me  suis  rendu  indigne,  des 
grâces  dont  j'ai  abusé,  d'un  temps  de  clé- 
mence que  j'ai  laissé  écouler  sans  en  pro- 
fiter. 

Ah!  mes  yeux,  fondez  en  larmes,  arrosez 
le  pain  que  je  mange,  le  lit  sur  lequel  je 
repose,  purifiez  cette  chair  coupable  ,  le- 
temps  de  la  clémence  n'est  pas  encore  écoulé, 
j'espère  encore  dans  les  îuiséricordes  de 
mon  Dieu. 

CHAPITRE  VI. 

Où  on  continue  de  prouver  quil  faut  pleurer 
ses  pèches,  et  qu'il  y  en  a  très-peu  qui  don- 
nent des  preuves  d'un  sincère  repentir. 

Saint  Cyprien  ne  fait  point  difficulté  do 
dire,  que'ccux  qui  ne  conçoivent  pas  une 
juste  idée  de  l'énormité  et  de  la  grandeur  du 
péché,  qui  ne  le  pleurent  point,  sont  frappés 
d'un  aveuglement  spirituel  qui  est  le  plus 
redoutable  châtiment  pour  un  chrétien  qui  a 
encore  de  la  foi  :  Percussi  sunt  animi  cœ- 
cilate. 

C'est  cet  aveuglement,  continue  ce  saint 
docteur,  qui  rend  les  pécheurs  sensibles  à 
l'outrage  que  le  péché  fait  à  Dieu,  aux  feux 
éternels  qu'il  allume;  c'est  lui  qui  les  rend 
tranquilles  et  satisfaits,  lorsqu'ils  devraient 
gémir  et  pleurer;  c'est  lui  qui  leur  cache 
tellement  la  laideur  du  péché,  ses  suites 
funestes  ,  qu'ils  ne  la  regardent  pas  com- 
me le  souverain  mal,  un  attentat  rju'ils  de- 
vraient pleurer  toute  lenr  vie  h  1  exemple 
des  saints  pénitents:  Ut  net  intelligantdelicta, 
necplangant. 


•*■ 


603 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


OOi 


Un  seul  péché  moi-tel  suffirait  pour  des 
pleurs  éternels.  Qu'ai-je  fait,  quand  j'ai  pé- 
ché? Je  me  suis  révolté  contre  mon  Dieu, 
j'ai  méprisé  sa  loi ,  j'ai  outragé  sa  sainteté, 
j'ai  souillé  mon  âme,  rendu  inutiles  le  sang 
et  les  mérites  de  Jésus-Christ,  je  me  suis 
rendu  digne  de  l'enfer  ;  la  différence  qu'il  y 
a  entre  moi  et  un  réprouvé,  c'est  qu'il  est  ar- 
rivé au  terme,  et  que  je  suis  encore  dans  la 
voie  ;  c'est  qu'il  ne  peut  plus  faire  une  péni- 
tence méritoire  ,  et  que  je  peux  expier  mes 
péchés;  c'e.^t  que  ses-  regrets  sont  inutiles, 
et  moi  je  peux  toucher  mon  Dieu  par  mes 
pleurs  et  mes  gémissements;  c'est  qu'il 
est  passé  sous  le  règne  d'une  justice  rigou- 
reuse et  inexorable,  et  que  je  suis  encore 
sous  un  règne  de  miséricorde  et  de  grâce  ; 
mais  que  la  mort  me  surprenne  aujourd'hui, 
que  Dieu  irrité  de  mes  péchés  me  cite  pré- 
sentement à  son  tribunal;  n'ai-je  pas  lieu  de 
craindre  le  sort  de  réprouvé?  Faut-il  être 
plus  coupable  que  je  le  suis  pour  mériter 
l'indignation  éternelle  de  Dieu? 

Ah!  peut  on  faire  de  ces  réflexions  sans  être 
saisi  d'une  crainte  salutaire,  sans  être  touché 
de  la  bonté  d'un  Dieu  qui  nous  attend,  sans 
être  effrayé  des  maux  dont  nous  sommes 
menacés,  sans  répandre  des  torrents  de 
larmes  ? 

Jésus-Christ  a  pleuré  sur  l'ingrate  Jérusa- 
lem, dit  saint  Ambroise  (De  pœnitenlia,  lib.  II, 
cap.  3J,  parce  qu'elle  ne  voulait  pas  pleurer 
ses  crimes,  son  aveuglement  et  sa  ruine  pro- 
chaine,7«<a  ipsa  flcre  nolebat. 

Ah  !  voufez-vous  forcer  Jésus-Christ  à  ré- 
pandre des  larmes  sur  votre  âme,  parce  que 
vous  ne  voulez  pas  pleurer  vos  égarements 
passés,  profiter  des  visites  de  la  grâce,  du 
temps  d'indulgence,  et  que  vous  attendez  le 
pardon  des  péchés  que  vous  ne  détestez  point 
et  ne  pleurez  pas. 

Dieu  fait  reprocher  à  son  peuple  ses  pé- 
chés, ses  prévarications;  on  lui  rappelle  l'his- 
toire de  sa  désobéissance,  et  ce  peuple,  au 
récit  de  ses  iniquités,  est  touché,  attendri; 
il  rougit  de  ses  coupables  excès,  et  d'avoir 
abandonné  un  Dieu  si  bon,  qui  le  recherche 
jusque  dans  ses  égarements,  lui  offre  le  par- 
don de  ses  crimes,  lors  môme  qu'il  ne  pense 
pas  à  retourner  à  lui  parla  pénitence;  une 
douleur  vive  et  sincère  pénètre  son  cœur;  il 
verse  des  torrents  de  larmes  :  Cum  loquere- 
tur  angélus  Dominiad  filios  Israël,  fleverunt. 
(Judic.,  IL)  Larmes  abondantes,  amères,  cé- 
lèbres dans  l'Ecriture,  et  qui  ont  fail  appeler 
le  lieu  où  il  les  répandit,  le  lieu  des  pleurs  : 
Yocatum  est  nomen  loci  illius,  locus  flentiam, 
sive  lacrymarum.  (lbid.) 

Ah  !  pécheurs  qui  vous  disposez  à  vous 
réconcilier  avec  Dieu,  s'il  y  a  un  lieu  qui 
doive  être  arrosé  de  vos  larmes,  c'est  sans 
doute  le  saint  temple,  le  tribunal  de  la  péni- 
tence, où  vous  allez  raconter  ^histoire  hu- 
miliante de  vos  désordres;  c'est  là  que  la 
vue  d'un  Dieu  qui  vous  offre  le  pardon  de 
vos  crimes  doit  toucher  votre  cœur,  exciter 
en  vous  une  salutaire  componction,  et  faire 
couler  des  larmes  de  ves  yeux;  mais  hélas! 
vous  n'avez  pas  souvent  cette  consolation, 


ministres  de  la  réconciliation;  les  confes- 
sionnaux sont  environnés  dansce  sainttem  js, 
comme  la  piscine  probatique,  d'une  foule  de 
malades,  mais  de  malades  qui  ne  veulent  pas 
guérir,  qui  ne  sentent  point  la  grandeur  de 
leur  mal  ;  on  s'accuse  des  plus  grands  crimes 
sans  douleur,  sans  componction. 

Vous  voyez  des  hommes  attachés  au  char 
du  démon  depuis  plusieurs  années,  qui  ne 
sont  point  touchés  de  leur  esclavage;  ils 
vous  découvrent  des  plaies  invétérées  qui 
vous  effrayent,  et  ils  n'en  connaissent  pas  le 
danger;  ils  vous  annoncent  les  malheurs  de 
leurs  âmes  sans  répandre  de  larmes;  vous 
tremblez  pour  eux  à  la  vue  des  saintes  règles 
de  la  pénitence  qui  vous  obligent  de  vous 
assurer  de  la  contrition  des  pécheurs  avant 
de  les  réconcilier,  parce  qu'ils  n'en  donnent 
aucun  signe  extérieur.  An!  qui  ne  tremble- 
rait pas  pour  des  pécheurs  qui  ne  sont  ni 
touchés  ni  contrits! 

CHAPITRE  VII. 

La  bonté  d'un  Dieu  qui  use  d'indulgence  di- 
vers nous,  et  nous  remet  beaucoup  dans  i  e 
saint  temps,  doit  exciter  noire  amour. 

L'on  est  obligé  de  s'exciter  à  l'amour  de 
Dieu,  lorsqu'on  se  présente  au  tribunal  de 
la  pénitence. 

Le  saint  concile  de  Trente  (sess.  vi,can.  G) 
déclare  que  Dieu  ne  se  réconcilie  qu'avec 
les  pécheurs  sincèrement  touchés,  véritable- 
ment contrits,  et  qui  commencent  à  l'aime* 
comme  source  de  toute  justice  :  Tanjuam 
omnis  justitiœ  fontem. 

Il  y  a  une  crainte  salutaire  qui  trouble  le 
pécheur  salutairemcnt,  qui  répand  une  sainte 
frayeur  des  jugements  de  Dieu  dans  son 
âme,  l'excite,  le  remue;  cette  crainte  ne- 
rend  pas  plus  hypocrite,  comme  le  veulent- 
les  hérétiques;  elle  est  un  don  du  Saint-Es- 
prit. Cependant,  ajoute  le  saint  concile  de 
Trente,  elle  ne  fait  que  disposer  à  la  récon- 
ciliation; elle  n'obtient  pas  la  rémission  des 
péchés;  il  faut  une  douleur  intérieure,  un 
vrai  repentir,  un  sincère  propos  de  changer, 
une  haine  souveraine  du  |  éché,  un  cœur 
tourné  du  côté  de  Dieu,  qui  soupire  après 
lui,  le  désice,  et  commence  à  l'aimer  comme 
la  source  de  toute  justice  :  Tanquam  omnis 
justitiœ  fontem. 

Or,  ce  n'est  pas  seulement  un  Dieu,  le 
principe  de  toute  justice,  de  toute  sainteté, 
de  toute-puissance,  qui  demande  votre  cœur 
aujourd'hui;  c'est  un  Dieu  de  miséricorde, 
de  patience,  de  clémence;  un  Dieu  qui  vous 
appelle  avec  tendresse,  qui  vous  offre  le 
pardon  de  toutes  vos  fautes,  qui  suspend  ses 
rigueurs  pour  vous  accorder  des  indulgen- 
ces, qui  vous  remet  beaucoup. 

Ah  !  notre  cœur  est  encore  bien  attaché  ai 
monde,  aux  créatures,  aux  objets  de  notre 
péché,  si  nous  ne  le  donnons  pas  à  notre 
Dieu  dans  le  temps  qu'il  nous  accorde  kvs 
grâces  les  plus  précieuses! 

Quels  sont  les  pécheurs  sur  lesquels  Dieu 
fait  le  plus  éclater  son  amour  dans  ce  saint 
temps?  Quiscrgo  eumghis  diHgit?(Liic,,  NIL) 


C05 


NSTRUCTIONS  SLR  LE  JL'CÎLE, 


Ce  sont  sans  doule  ceux  à  qui  il  remet  plus 
de  péchés,  is  cui  plus  donavit.  (L«c.,-VII.) 
Ime  Madeleine,  un  Saul,  un  Augustin,  une 
Marie  Egyptienne,  voilà  des  conquêtes  pré- 
cieuses de  sa  grâce  et  de  son  amour. 

Dans  ce  saint  temps,  des  pécheurs  de  plu- 
sieurs années,  courbés  sous  le  fardeau  de 
leurs  iniquités,  iniquités  de  toutes  les  es- 
pèces; des  mondains  dont  la  vie  n'a  été  qu'un 
désaveu  continuel  de  l'Evangile  et  de  ses 
plus  saintes  maximes;  des  hommes  d'im- 
piété, dont  les  coupables  exemples  ont  fait 
gémir  l'innocence  et  la  foi  des  vrais  fidèles, 
que  Dieu  cependant  touche  par  sa  grâce,  que 
sa  clémence  reçoit,  auxquels  il  pardonne,  et 
remet  tous  les  péchés  et  les  peines  qu'ils 
méritent;  voilà  ceux  à  qui  Dieu  remet  le 
plus  :  Js  cui  plus  donavit. 

Or,  si  ces  grands  pécheurs  éprouvent  dans 
le  temps  du  jubilé,  aussi  bien  que  les  plus 
célèbres  pénitents,  une  miséricorde  plus 
étendue,  une  plus  grande  clémence,  une 
grâce  plus  puissante,  une  charité  plus  im- 
mense que  ceux  qui  n'avaient  pas  contracté 
des  dettes  aussi  considérables  qu'eux,  ne 
sont-ils  pas  obligés  à  une  reconnaissance 
plus  vivo,  à  un  amour  plus  ardent?  Ferme- 
ront-ils leur  cœur  à  un  Dieu  qui  leur  ouvre 
le  sien  avec  tant  de  bonté? 

Ah!  pécheurs,  vous  voulez  rentrer  en 
grâce  avec  votre  Dieu.  Vous  le  pouvez,  il 
vous  appelle,  il  vous  attend,  il  vous  recevra 
avec  tendresse  :  soyez  sûrs  de  son  cœur,  mais 
faites  aussi  attention  qu'il  veut  le  vôtre; 
vous  avez  beaucoup  péché,  aimez  beaucoup, 
l'amour  obtient  tout  ;  tous  les  désordres  dont 
Madeleine  était  coupable  lui  ont  été  remis, 
parce  qu'elle  a  beaucoup  aimé  :  Remittuntur 
ei  peccafa  multa  quia  dilexit  multum.  (Ibid.) 

Ah!  Seigneur,  je  vous  aimerai,  diligam  le, 
Domine;  mon  cœur  n'est  devenu  coupable 
que  pour  avoir  aimé  le  monde,  ses  vanités, 
ses  plaisirs,  ses  biens,  ses  honneurs,  et  toutes 
les  idoles  de  chair  qui  m'ont  souillé  et  rendu 
criminel  à  vos  yeux;  dans  ma  conversion,  je 
vous  le  rends,  ce  cœur  que  votre  grâce  a 
purifié,  et  dans  lequel  vous  voulez  bien  ré- 
gner; il  n'aimera  que  vous,  parce  que  vous 
seul,  Seigneur,  méritez  d'être  aimé  :  Diligam 
te.  Domine.  [Psal.  XVII.) 

Je  vous  aimerai,  Seigneur,  parce  que  vous 
êtes  ma  force  :  Diligam  te,  fortitudo  mca. 
(Ibid.)  Hélas  !  je  n'étais  fort  que  pour  le  mal  ! 
Dès  que  je  voulais  secouer  le  joug  du  dé- 
mon, je  sentais  ma  faiblesse,  mon  impuis- 
sance ;  c'est  vous  qui  avez  brisé  mes  liens, 
guéri  mes  plaies ,  changé  mon  cœur,  com- 
mandé aux  tempêtes  qui  s'élevaient  dans 
mon  âme  de  se  calmer,  et  abattu  mes  enne- 
mis à  mes  pieds. 

Je  vous  aimerai,  Seigneur,  parce  que  vous 
êtes  mon  libérateur,  liberator  meus.  (Pi-al. 
LIX.)  De  quel  honteux  esclavage  ne  m'avez- 
vous  pas  délivré,  ô  mon  Dieu!  Le  démon 
me  tenait  attaché  à  son  char,  le  monde  exer- 
çait sur  moi  un  empire  absolu,  ses  lois,  ses 
maximes,  ses  usages,  ses  caprices  faisaient 
la  règle  de  ma  vie  criminelle  ;  mes  fiassions 
me  tyrannisaient  en  souveraines,  j'en  étais 


PARTIE  III,  CHAP.  VIII.  COtf 

le  jouet,  l'esclave;  j'en  aurais  été  un  jour  la 
triste  victime,  si  vous  n'étiez  pas  venu  à  mon 
secours. 

Je  vous  aimerai,  Seigneur,  parce  que  vous 
me  recevez  aussi  avec  bonté  :  susceptor 
meus.  (Psal.  XVII.)  Vous  ne  rejetez  pas  un 
malheureux  qui  vous  a  oublié,  outragé  si 
longtemps;  il  trouve  encore  votre  cœur  ou- 
vert pour  le  recevoir,  vos  bras  étendus  pour 
l'embrasser;  il  éprouve  toute  l'étendue  de 
votre  clémence,  vous  lui  pardonnez  ses  pé- 
chés, et  toutes  les  peines  qu'ils  méritent. 

Ah!  mon  cœur,  ne  soyez  tendre,  ne  soyez 
ardent  que  pour  aimer  votre  Dieu;  que  lui 
seul  y  règne,  l'occupe;  que  tous  les  objets 
qui  l'ont  occupé  ou  partagé,  en  soient  ban- 
nis oour  toujours. 

CHAPITRE   VIII. 

Dans  quels  sentiments  on  doit  prier  dans  ce 
temps  de  jubilé. 

Jésus-Christ  a  dit  :  Demandez,  et  vous  re- 
cevrez :  Petite  et  accipietis.  (Joan.,  XVI.) 
Admirons  la  bonté  d'un  Dieu  qui  attache  àia 
prière  d'une  créature  les  grâces  dont  elle 
a  besoin  pour  vivre  sur  la  terre,  et  y  mériter 
à  la  fin  de  son  pèlerinage  un  bonheur  éternel. 

Quel  est  le  monarque,  quel  est  le  puissant 
du  siècle,  quel  est  le  riche  qui  vous  dise, 
demandez  et  vous  obtiendrez  sûrement?  Ah  1 
il  n'y  a  qu'un  Dieu  qui  puisse  accorder  des 
grâces  à  tous  ceux  qui  lui  exposent  leurs 
besoins  ;  la  source  de  ses  dons  ne  diminue 
jamais. 

Recourez  donc  tous  à  votre  Dieu  dans  ce 
saint  temps;  environnez  le  trône  de  ses  mi- 
séricordes, il  est  près  de  vous  :  Invocate 
Dominum  dum  prope  est.  (Isa.,  LV.) 

Priez,  pécheurs,  pour  obtenir  la  grâce  de 
votre  conversion,  la  componction,  Je  don 
des  larmes,  le  temps  et  le  courage  d'expier 
vos  péchés  par  de  saintes  rigueurs;  Dieu 
exauce  les  pécheurs  touchés,  pénétrés  de 
leur  misère  ;  la  grâce  de  la  prière  ne  leur 
manque  jamais;  plus  l'abîme  où  vous  êtes 
tombés  est  profond,  plus  vous  devez  crier 
vers  le  Seigneur  qui  seul  peut  vous  en  re- 
tirer. 

Priez,  justes,  pour  persévérer  dans  la  jus- 
tice et  vous  sanctifier  de  plus  en  plus;  poussez 
les  gémissements  de  la  colombe;  les  écueils, 
les  dangers,  les  maximes  du  monde  deman- 
dent des  intercesseurs  zélés. 

Mais  priez  tous  dans  des  sentiments  d'hu- 
milité, de  paix  et  de  charité. 

Sentez  votre  misère,  pensez  que  vous 
êtes  des  pauvres  qui  frappez  à  la  porte  du 
ciel  pour  en  obtenir  des  grâces  -précieuses, 
et  que  l'orgueil,  le  faste,  l'amour-propre  ne 
conviennent  pas  à  un  pécheur  qui  veut  ob- 
tenir miséricorde. 

Aimez  la  paix  et  l'union,  pensez  qujl 
faut  remettre  à  votre  frère  les  outrages  qu'il 
vous  a  faits,  avant  que  Dieu  vous  remette  les 
péchés  qui  l'ont  offensé?  Quel  crime  !  si  vos 
ennemis  ne  trouvaient  point  une  place  dans 
votre  cœur,  dans  le  temps  même  que  Diea 
vous  en  offre  une  dans  le  sien,  et  si  vous 


f>07 


ORATEURS  SACRES.  BALLET. 


C08 


r.e  vouliez  pas  prier  pour  ceux  que  Dieu  a 
appelés  comme  vous,  et  veut  combler  des 
mêmes  grâces. 

Priez  pour  l'Eglise  affligée  de  l'incrédulité, 
de  la  résistance ,  et  de  l'indévotion  d'un 
grand  nombre  de  ses  enfants;  si  vous  l'ai- 
mez, si  vous  lui  êtes  soumis,  vous  devez 
partager  sa  douleur,  et  pleurer  avec  elle  la 
perte  de  tant  d'âmes. 

Adressez  aussi  vos  vœux  au  Seigneur 
pour  la  prospérité  et  la  tranquillité  de  ce 
royaume,  la  conservation  et  le  salut  d'un 
monarque  cher  à  son  peuple,  d'une  reine 
qui  donne  des  exemples  de  la  plus  haute 
sainteté  à  la  cour  de  France,  de  Monsieur  le 
dauphin  et  Madame  ladauphineque  les  liens 
précieux  de  la  vertu  et  de  l'amitié  unissent 
si  parfaitement,  et  qui  ne  demandent  au  ciel 
un  prnee  que  pour  assurer  notre  bonheur. 

Se;gneur,  qui  ouvrez  les  trésors  de  vos 
grâces  dans  ce  saint  temps,  qu'elles  coulent 
sur  toutes  les  nations,  sur  toutes  vos  créa- 
tures; que  les  idolâtres  brisent  leurs  vaines 
idoles,  que  les  hérétiques  reconnaissent  leurs 
erreurs,  que  les  schismatiques  rentrent  dans 
ie  sein  de  l'Eglise,  que  le  règne  de  l'incrédu- 
lité, de  l'irréligion  et  du  vice  soit  détruit, 
alin  que  votre  saint  nom  soit  sanctifié ,  béni 
et  adoré  sur  toute  la  terre  comme  il  l'est 
dans  le  ciel.  Ainsi  soit-il. 

CHAPITRE  IX. 

Dans  quel  esprit  on  doit  faire  les  stations  or- 
données par  le  souverain  pontife. 

Malheur  à  ceux  qui  n'évitent  pas  les  abus 
que  le  monde  mêle  ordinairement  dans  les 
choses  les  plus  saintes. 

C'est  une  ruse  du  démon  défaire  perdre 
aux  fidèles  le  fruit  des  plus  grandes  solenni- 
tés par  les  péchés,  les  irrévérences  qu'il  leur 
fait  commettre  dans  ces  jours  de  miséricorde 
et  de  salut. 

Faites  exactement  le  nombre  des  stations 
marquées  dans  la  bulle  de  Sa  Sainteté,  et 
dans  l'ordre  qui  vous  est  prescrit  par  votre 
évoque,  n'en  omettez  aucune,  à  moins  que 
vous  n'en  soyez  dispensés  légitimement. 
C'est  une  condition  essentielle. 

L'Eglise,  qui  vous  remet  les  peines  tempo- 
relles dues  à  vos  péchés,  a  droit  de  vous  im- 
poser des  œuvres  pénibles,  et  de  vous  en 
fixer  le  nombre. 

Elisée  envoya  Naaman  se  laver  sept  fois 
dans  l'eau  du  Jourdain  pour  obtenir  la  gué- 
rison  de  sa  lèpre  (IV  Rer/.,  V),  que  Dieu 
pouvait  sans  doute  guérir  sans  <*ela. 

Pensez  que  ces  courses,  ces  visites,  quel- 
que pénibles  qu'elles  vous  paraissent,  n'ap- 
prochent pas  de  la  pénitence  et  des  rigueurs 
que.méritent  vos  péchés;  peuvent-elles  être 
mises  en  parallèle  avec  ces  longs  et  dange- 
reux pèlerinages  auxquels  on  obligeait  au- 
trefois certains  pécheurs  qui  n'étaient  pas 
peut-être  plus  coupables  que  vous? 

Si  vous  assistez  aux  processions  générales, 
que  le  recueillement,  la  modestie,  la  com- 
ponction vous  accompagnent;  l'cspritdeDieu 
iw  retrouve  point  dans  le  trouble,   l'ag'la- 


tion  :  ce  sont  les  cris  et  les  gémissements  du 
cœur  qui  l'attirent,  c'est  la  voix  de  la  charité, 
de  la  douleur,  des  gémissements,  qui  fait  au 
ciel  une  sainte  violence. 

Si  vous  faites  vos  stations  en  particulier, 
évitez  la  dissipation  ;  ne  vous  associez  pas 
avec  ceux  qui  pourraient  diminuer  votre 
piété,  et  par  des  entretiens  inutiles  ou  peut- 
être  peu  charitables,  vous  faire  perdre  le 
fruit  de  votre  pénitence. 

Lorsque  vous  êtes  entrés  dans  le  saint 
temple,  commencez  par  y  adorer  Dieu  qui 
repose  dans  son  sanctuaire;  donnez  l'exem- 
ple à  ceux  qui  vous  accompagnent  en  leur 
disant  avec  David  :  Tenez,  adorons  Dieu, 
prosternons  -nous  au  pied  du  trône  de  sa 
clémence,  arrosons-le  de  nos  pleurs.  (Psal. 
XCIV.) 

Invoquez  ensuite  les  saints  sous  l'invoca- 
tion desquels  ces  temples  sont  consacrés  à 
Dieu,  et  ceux  dont  vous  révérez  les  pré- 
cieuses dépouilles  qui  y  reposent. 

Proposez-vous  de  les  imiter;  les  uns  ont 
été  les  martyrs  de  la  foi,  les  autres  ont  été 
les  martyrs  de  la  sévérité  de  l'Evangile: 
Malheur  à  celui  qui  fait  V œuvre,  de  Dieu  né- 
gligemment.(Jerem.,\LYUl.]  Evitez  par  votre 
piété  et  votre  ferveur  cette  terrible  malédic- 
tion. 

CHAPITRE  X. 

Les  sentiments  que  Von  doit  exciter  dans  son 
cœur  avant  d'aller  se  confesser  pour  le 
jubilé. 

Je  suppose  une  personne  qui  veut  sincè- 
rement rentrer  en  grâce  avec  Dieu  et  profi- 
ler ensuite  de  la  grâce  du  jubilé;  qui  n'a  pas 
choisi  parmi  les  ministres  de  la  réconcilia- 
tion celui  qui  se  distingue  des  autres  par  una 
sévérité  outrée  ou  par  un  pernicieux  relâ- 
chement, l'Eglise  condamne  ces  deux  extré- 
mités vicieuses,  mais  un  ministre  éclairé, 
prudent,  pieux,  habile  dans  l'art  de  conduiie 
les  âmes. 

Voici  les  sentiments  qu'elle  doit  exciter 
dans  son  cœur  : 

1°  Des  sentiments  d'indignation  contre 
elle-même.  Lorsque  David  fut  sincèrement 
touché  de  son  péché,  il  dit  :  J'avouerai  l'ini- 
quité dont  je  suis  coupable,  ô  mon  Dieu  !  Je 
ne  m'excuserai  point,  et  vous  m'en  accorde- 
rez la  rémission  :  Confitcbor  adversum  vie 
iniquitatem  meam.  (Psal.  XXXI.) 

Oui,  Seigneur,  je  suis  coupable;  je  pou- 
vais éviter  ce  péché  qui  a  souillé  mon  âme, 
cette  injustice  qui  a  souillé  mes  mains,  celte 
colère,  cette  médisance  ,  ce  mensonge,  cette 
intempérance,  toutes  ces  fautes  qui  ont  scan- 
dalisé mes  frères  ;  je  ne  m'excuserai  pas  sur 
ma  faiblesse,  sur  les  tentations,  les  dangers, 
les  'peines,  les  affaires,  les  caractères  des 
personnes  avec  lesquelles  j  ai  vécu;  je  suis 
coupable,  je  me  suis  abandonné  librement: 
toute  l'indignation  que  mérite  le  péché  doit 
retomber  sur  moi  seul  :  Confitcbor  adversum 
me. 

2°  Des  sentiments  de  componction.  Le  pé- 
cheur aux  pieds  d'un  prêtre  a-t  cet  enfant 


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INSTRUCTIONS  SIR  LE  JIJRILE.  —  PARTIE  III,  CIIAP.  XII. 


CIO 


prodigue  qui  a  dissipé  ses  biens  dans  de 
honteux  plaisirs. 

Oui,  mon  Dieu,  j'ai  péché  contre  le  ciel 
et  contre  vous,  je  ne  suis  pas  digne  que  vous 
nie  mettiez  au  nombre  des  justes  qui  sont 
demeurés  fidèles;  je  reconnais  mon  indignité, 
et  la  clémence  dont  vous  usez  envers  moi 
aujourd'hui  me  fera  pleurer  sans  cesse  mas 
égarements  passés. 

3°  Des  sentiments  de  confiance.  Je  serais 
absolument  abattu  et  sans  espérance,  ô  mon 
Dieu  1  si  je  ne  faisais  attention  qu'à  la  mul- 
titude de  mes  iniquités;  mais,  pour  m'en- 
courager  à  la  pénitence,  j'implore  toute  l'é- 
tendue de  vos  miséricordes  ;  je  suis  sûr  que 
vous  ne  rejetterez  pas  les  gémissements,  les 
regrets,  les  larmes  d'un  pécheur  qui  retourne 
sincèrement  à  vous. 

Ahl  ceux-là  ne  connaissent  point  votre 
cœur  ni  votre  penchant  à  pardonner,  qui 
disent  comme  Cain,  mon  péché  est  trop  grand 
pour  que  je  puisse  en  espérer  le  pardon.  (G en., 
IV.)  Le  nombre  de  mes  péchés  est  infini,  ô 
mon  Dieu!  mes  plaies  sont  profondes,  mes 
habitudes  sont  invétérées  ;  mais  votre  misé- 
ricorde est  infinie,  votre  grâce  toute-puis- 
sante! Si  je  crains  tout  de  moi-môme,  j'es- 
père tout  de  votre  bonté. 

k°  Des  sentiments  d'obéissance  et  de  sou- 
mission. Seigneur!  ce  sont  des  hommes  que 
vous  avez  revêtus  de  votre  puissance  pour 
m 'absoudre  de  mes  péchés  ouïes  retenir; 
c'est  vous  que  j'écouterai  en  les  écoutant. 
Ah  !  j'entendrai  avec  une  salutaire  confusion 
les  reproches  qu'ils  me  feront  de  votre  part; 
j'accepterai  les  saintes  rigueurs  qu'ils  m'im- 
poseront, je  suivrai  les  avis  salutaires  qu'ils 
me  donneront;  aumônes,  jeûnes,  privations, 
ruptures,  sacrifices,  tout  cela  sera  accepté  et 
exécuté  s'ils  l'exigent,  et  j'adorerai  encore 
votre  miséricorde  qui  se  contente  d'une  pé- 
nitence si  courte  et  si  facile. 

CHAPITRE  XI. 

Les  sentiments  que  l'on  doit  exciter  dans  son 
cœur  avant  de  communier  pour  gagner  le 
jubilé. 

C'est  dans  le  sacrement  de  nos  autels  que 
vous  donnez,  ô  mon  divin  Jésus  !  des  preuves 
d'un  amour  tendre,  ardent,  magnifique  ;  j'a- 
dore les  prodiges  de  votre  excessive  charité 
pour  les  hommes  ! 

Ce  miracle  continuel  de  votre  amour  ingé- 
nieux, qui  vous  reproduit  tous  les  jours  et  à 
tous  les  instants  dans  les  mains  des  prêtres 
pour  être  ma  nourriture,  qui  cache  votre 
éblouissante  majesté  et  l'éclat  de  votre  gloire 
sous  ses  sombres  voiles,  pénètre  mon  cœur, 
et  vc  us  l'ouvre  aujourd'hui  pour  toujours. 

Vous  avez  dit  dans  vos  Ecritures  que  vous 
faisiez  vos  délices  d'être  avec  les  entants  des 
hommes.  (Prov.,  VIII.) 

O  divin  Jésus!  vous  faites  vos  délices 
d'être  avec  les  enfants  des  hommes;  et  pour 
satisfaire  votre  inclination  miséricordieuse, 
vous  vous  cachez  dans  le  fond  u'un  taber- 
nacle, vous  habitez  un  sanctuaire  qui  est 
souvent  profané  par  des  irrévérences,  pour 


vousentreteniravecquelquesjustes qui  vous 
visitent  dans  cette  solitude  sa<rée;  voussup. 
portez  les  mépris,  les  froideurs,  les  outrages 
d'une  infinité  de  pécheurs.  Quel  excès  de 
clémence  ! 

Ah!  mon  Dieu,  que  je  fasse  dorénavant 
mes  délices  d'être  avec  vous;  que  je  vous 
prépare  une  demeure  pure  et  sainte,  et  que 
je  pleure  les  coupables  douceurs  qui  m'ont 
privé  si  longtemps  de  votre  chair  adorable. 

Seigneur,  ne  pourrais-je  pas  vous  dire 
avec  saint  Pierre  de  vous  éloigner  de  moi, 
parce  que  je  suis  un  pécheur.  (Luc,  V.) 

Hélas  !  si  je  fais  attention  à  l'abîme  de 
votre  très-sainte  majesté  et  à  l'abîme  de  ma 
misère,  je  n'oserai  jamais  vous  recevoir  ;  je 
craindrai  de  ne  pas  être  assez  purifié;  j'ap- 
préhenderai que  vos  ministres  n'aient  usé 
d'une  trop  grande  indulgence  envers  moi. 

Préparez  vous-même  mon  cœur  par  votre 
grâce;  purifiez-le  par  le  feu  de  votre  divin 
amour,  afin  qu'il  soit  digne  de  vous. 

O  mon  divin  Sauveur  !  quand  vous  demeu- 
rerez en  moi,  et  que  je  demeurerai  en  vous  ; 
quelle  joie  !  quelles  délices  I  quelles  conso- 
lations mon  âme  ne  goûtera-t-elle  pas!  O 
malheureuses  habitudes!  ô  honteuses  pas- 
sions! O  trompeuses  douceurs  du  monde! 
Pourquoi  vous  ai-je  préférées  aux  célestes 
délices  dont  mon  âme  est  saintement  enivrée 
dans  la  communion?  Sans  vos  charmes  sé- 
duisants et  les  plaies  que  vous  faisiez  à  mon 
cœur,  j'aurais~pu  environner  souvent  la  table 
sacrée,  et  me  nourrir  du  pain  des  anges; 
mon  âme  n'aurait  pas  été  privée  si  longtemps 
de  son  Dieu. 

Ah!  Seigneur,  mon  unique  douleur  dans 
la  suite  sera  d'être  privé  de  la  communion, 
de  n'être  pas  assez  pur,  assez  saint  pour  vous 
recevoir;  je  me  précautionnerai  contre  le 
péché  ;  je  confesserai  avec  douleur  les  fautes 
qui  me  seront  échappées;  cène  sera  point 
la  solennité  pascale,  le  jubilé  ou  les  appro- 
ches de  la  mort  qui  me  feront  communier, 
mais  la  foi,  l'amour,  un  désir  ardent  de  m'u- 
nira vous  et  de  vous  posséder;  confirmez,  ô 
mon  Dieu!  ces  projets  de  mon  cœur. 

CHAPITRE  XII. 

Il  faut  conserver  précieusement   les   grâces 
qu'on  a  reçues  dans  le  temps  du  jubilé. 

Jésus-Christ  trouva  dans  le  temple  le  pa- 
rai} tique  qu'il  avait  guéri  le  jour  du  sabbat, 
et  dont  la  guérison  avait  soulevé  tous  les 
pharisiens,  et  il  lui  dit  :  Vous  voilà  guéri  ; 
ne  péchez  point  davantage,  de  crainte  que 
vous  ne  tombiez  dans  un  état  plus  funeste 
et  [dus  malheureux  que  le  premier:  Ecce 
sanus  factus  cs,jam  noli  peccare,  ne  deterius 
libi  aliquid  contingat.  (Joan.,  V.) 

Je  sais  malheureusement  qu'on  ne  peut 
pas  dire  de  tous  ceux  qui  ont  approché  des 
sacrements,  fait  des  stations,  et  ce  qu'ils  ap- 
pellent le  jubilé,  qu'ils  sont  guéris.  Combien 
qui  ne  l'ont  fait  que  comme  une  cérémonie 
extérieure,  sans  componction,  sans  amour, 
sans  aucun  changement  dans  le  cœur  et  dans 


C1T 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SURIAN 


613 


la  conduite,  et  par  conséquent  qui   n'ont 
point  profité  de  cette  grâce  précieuse  1 

Je  parle  à  un  chrétien  qui  a  apporté  les 
dispositions  nécessaires  pour  être  réconcilié, 
et  je  lui  dis  :  Vous  voilà  guéri  :  Ecce  sanus 
fucttts  es;  vos  liens  so:;t  brisés,  vos  péchés 
remis,  votre  cœur  est  purifié,  votre  âme  a 
recouvré  sa  beauté,  son  innocence;  vous 
êtes  établi  dans  la  paix  et  l'amitié  du  Sei- 
gneur :  Ecce  sanus  faclus  es. 

Mais  prenez  bien  garde  aux  rechutes;  crai- 
gnez de  nouvelles  plaies;  n'abusez  pas  de 
votre  liberté  et  de  la  clémence  du  Seigneur 
pour  contracter  de  nouvelles  dettes,  faire  à 
votre  âme  de  nouvelles  blessures  :  Jam  noli 
peccare. 

'Sous  êtes  sorti  du  tribunal  de  la  pénitence 
absous,  mais  vous  n'en  êtes  pas  sorti  con- 
firmé en  grâce;  vous  portez  dans  des  vases 
fragiles  les  dons  précieux  que  vous  avez  re- 
çus; méfiez-vous  de  vous-même;  fuyez, 
priez,  veillez,  la  chair  est  fragile,  l'esprit 
est  prompt;  si  l'ennemi  vous  enlève  le  tré- 
sor que  vous  possédez  présentement ,  s'il 
vous  attache  de  nouveau  à  son  char ,  si  votre 


âme  reçoit  de  nouvelles  plaies,  ce  dernier 
état  sera  pire  que  le  premier 

Un  seul  péché  mortel  vous  aura  fait  perdre 
la  grâce  sanctifiante,  le  fruit  de  vos  dévotions 
passagères,  les  avantages  d'un  jubilé  que 
vous  ne  reverrez  peut-être  jamais;  vos  ha- 
bitudes se  fortifieront,  votre  conversion  de- 
viendra très -difficile;  craignez  enfin  une 
rechute;  elle  vous  conduria  peut-être  à  la 
réprobation  :  Jam  noli  peccare,  ne  detcrius 
tibi  uliquid  continuât. 

Seigneur,  aidez-moi,  secourez-moi;  sans 
votre  grâce  je  ne  suis  que  faiblesse;  je  n'ai 
de  force  que  pour  m'égarer:  assurez-vous 
de  moi,  afin  que  je  ne  vous  échappe  point  ; 
ie  nie  propose  de  conserver  les  grâces  pré- 
cieuses dont  vous  m'avez  comblé  dans  ce 
saint  temps;  mais  sans  vous,  les  plaisirs  du 
monde  me  séduiront,  ses  honneurs  m'ébloui- 
ront,  ses  biens  m'attacheront,  mon  cœur  se 
laissera  entamer,  mes  passions  se  ranime- 
ront. Conservez  -  moi ,  Seigneur,  dans  les 
saints  propos  que  vous  m'avez  inspirés;  ne 
laissez  point  échapper  cette  conquête  de 
votre  sang  orécieux.  Ainsi  soit-il. 


*EUy.fei4^T;,T-TiigpiMC&ai 


NOTICE  SUR  LE  P.    SUIUAN. 


Jean-Baptiste  Surian,  de  l'Oratoire,  évo- 
que de  Yencc,et  prédicateur  célèbre,  naquit 
à  Saint-Chamans,  en  Provence,  le  20  septem- 
bre 1670  (en  1668,  suivant  les  Mémoires  pour 
servir  à  /' Histoire  ecclésiastique  du  xvm'  siè- 
cle ).    11  entra  dans  la  congrégation  de  l'Ora- 
toire, et  se  livra  h  la  prédication  avec  le  plus 
grand  succès.  Deux  avents  et.  deux  carêmes 
qu'il  prêcha  à  la  cour,  consolidèrent  sa  répu- 
tation et  lui  valurent,  en  1728,  l'évêché  de 
Vence,  su  tira  gant  d'Embrun.  A  la  mort  de  M. 
de  Coislin,  évoque  de  Metz,  il  fut  nommé  mem- 
bre de  l'Académie  française.  Son  Petit  carê- 
me, prêché  en  1719  pendant  la  minorité  de 
Louis  XV,  a  été  imprimé  en   1768  (Paris, 
Nyon,  1  vol.  in-12).  Ses  autres  sermons,  re- 
vus et  publiés  par  l'abbé  de  La  Chambre 
(  Liège,  Broncart,   ou  Paris,  Guérin;  2  vol. 
in-12),  sont  accompagnés  d'autres  sermons 
qui  ne  sont  pas  évidemment  de  la  même 
plume.  Aussi  une  nouvelle  édition  de  ses 
œuvres  nous  eût  présenté  d'insurmontables 
difficultés,  si  nous  n'avions  pas  eu  l'insigne 
bonheur  de  trouver,  à  la  vente  des  livres  de 
Monseigneur  Guillon,  évoque  de  Maroc,  deux 
volumes  manuscrits  des  Sermons  de  Surian, 
suriesquels  nous  avons  confronté  l'édition 
de  Liège.  Quelques  aimées  avant  sa  mort  on 
lui  avait  proposé  de  les  faire  imprimer,  mais 
il  répondit  que,  par  inadvertance,  le  feù  avait 
pris  h  ses  cahiers  et  qu'ils  avaient  été  brûlés 
on  grande  partie.'  Le  soin  avec  lequel  sont 
écrits  les   deux   volumes    manuscrits  dont 
nous  venons  de  parler,  les  nombreuses  abré- 
viations qui  les  émaillent,  le  luxe  de  la  re- 
liure, tout  fait  présumer  l'authenticité  des 
sermons  qu'ils  renferment,  en  permettant  de 


croire  qu'ils  ont  appartenu  à  l'auteur  ou  à 
sa  famille.  —  Le  Sermon  sur  le  petit  nombre 
des  élus  passe  avec  raison  pour  le  chef- 
d'œuvre  de  l'auteur;  il  est  rempli  de  traits 
d'éloquence,  et  de  raisonnements,  solides, 
qui  convainquent  l'esprit  et  touchent  le 
cœur.  Nous  regrettons  de  ne  pouvoir  donner 
son  Oraison  funèbre  de  Victor-Amédée  III, 
roi  de  Sardaigne,  qu'il  avait  prononcée  en 
1733;  mais  nos  recherches  n'ont  pu  nous  la 
faire  trouver. 

Malgré  la  distance  qui  existe  entre  Massil- 
lon  et  Surian;  on  lit  encore  avec  intérêt  et 
plaisir  son  Petit  carême,  ne  fut-ce  qu'à  titre  de 
rapprochement  curieux.  Ce  qu'on  peut  dire 
de  Surian,  c'est  que  la  parole  sacrée  n'a  pas 
périclité  en  passant  par  sa  bouche,  et  qu'il 
peut  tenir  une  place  honorable  après  nos 
plus  illustres  prédicateurs.  11  mourut  le  3 
août  175V,  et  fut  remplacé  à  l'Académie 
française  par  le  fameux  d'Alembcrt.  Nos  lec- 
teurs liront  certainement  avec  plaisir  l'extrait 
du  discours  prononcé  par  ce  philosophe  le 
19  décembre  1754,  et  la  réponse  de  Gresset 
à  ce  discours. 

EXTRAIT    DU    DISCOURS   DE    d'aLEMBERT. 

Messieurs, 

Monsieur  l'évoque  de  Vence  ne  fut  rede- 
vable qu'à  lui-même  de  la  réputation  et  des 
honneurs  dont  il  a  joui  ;  il  ignora  la  sou- 
plesse du  manège,  la  bassesse  de  l'intrigue, 
et  ces  antres  moyens  vils  qui  mènent  aux 
dignilés  par  le  mépris  :  il  fut  éloquent  et  ver- 
tueux, et  mérita  par  ces  deux  qualités  l'épis- 
cojat  et  vos  suffrages.  Permettez-moi.  Mes- 


M3 


NOTICE. 


PU 


sieurs,  do  commencer  l'hommage  que  je 
dois  à  sa  mémoire  par  quelques  réflexions 
sur  le  genre  dans  lequel  il  s'est  distingué  : 
j'ai  puisé  ces  réflexions  dans  vos  ouvrages, 
et  je  les  soumets  à  vos  lumières. 

L'éloquence  est  le  talent  de  faire  passer 
rapidement  et  d'imprimer  avec  force  dans 
i"âinc  des  autres  le  sentiment  profond  dont 
on  est  pénétré:  ce  talent  précieux  a  son  ger- 
me dans  une  sensibilité  rare  pour  le  grand, 
l'honnête  et  le  vrai  ;  la  même  agitation  de 
l'âme,  capable  d'exciter  en  nous  une  émotion 
vive,  suffit  pour  en  faire  sortir  l'image  au 
dehors;  il  n'y  a  donc  point  d'art  pour  l'élo- 
quence, puisqu'il  n'y  en  a  point  pour  sentir. 
Ce  n'est  point  à  produire  des  beautés,  c'est 
à  faire  éviter  les  fautes  que  les  grands  maî- 
tres ont  destiné  les  règles.  La  nature  forme 
les  hommes  de  génie,  comme  elle  forme  au 
sein  de  la  terre  les  métaux  précieux,  brutes, 
informes,  pleins  d'alliage  et  de  matières 
étrangères.  L'art  ne  fait  pour  le  génie  que  ce 
qu'il  fait  pour  ces  métaux  ,  il  n'ajoute  rien  à 
leur  substance,  il  les  dégage  de  ce  qu'ils  ont 
d'étranger,  et  découvre  l'ouvrage  de  la 
nature. 

Suivant  ces  principes,  qui  sont  les  vôtres, 
Messieurs,  il  n'y  a  de  vraiment  éloquent 
que  ce  qui  conserve  ce  caractère  en  passant 
d'une  langue  dans  une  autre  ;  le  sublime  se 
traduit  toujours,  presque  jamais  le  style. 
Pourquoi  les  Cicéron  et  les  Démosthène 
intéressent-ils  celui  même  qui  les  lit  dans 
une  autre  langue  que  la  leur,  quoique  trop 
souvent  dénaturés  et  travestis?  Le  génie  de 
ces  grands  hommes  y  respire  encore,  et,  si 
■on  peut  parler  ainsi,  l'empreinte  de  leur  âme 
y  reste  attachée. 

Pour  être  éloquent,  môme  sans  aspirer  à 
celte  gloire,  il  ne  faut  à  un  génie  élevé  que 
de  grands  objets.  Descartes  et  Newton  (par- 
donnez, Messieurs,  cet  exemple  à  un  géo- 
mètre qui  ose  parler  de  l'éloquence  devant 
vous)  Descartes  et  Newton,  ces  deux  légis- 
lateurs dans  l'art  de  penser  que  je  ne  pré- 
tends pas  mettre  au  rang  des  orateurs,  sont 
éloquents  lorsqu'ils  parlent  de  Dieu,  du 
temps  et  de  l'espace.  En  effet,  ce  qui  nous 
élève  l'esprit  ou  l'âme  est  la  matière  propre 
de  l'éloquence,  par  le  plaisir  que  nous  res- 
sentons à  nous  voir  grands  ;  ce  qui  nous 
anéantit  à  nos  yeux  n'y  est  pas  moins  propre, 
en  ce  qui  semble  aussi  nous  élever,  par  le 
contraste  entre  le  peu  d'espace  que  nous  oc- 
cupons dans  l'univers,  et  l'étendue  immense 
que  nos  réflexions  osent  parcourir,  en  s'é- 
lançant,  pour  ainsi  dire,  du  centre  étroit  où 
nous  sommes  placés. 

Rien  n'est  donc,  Messieurs,  plus  favora- 
ble à  l'éloquence  que  les  vérités  de  la  reli- 
gion; elles  nous  offrent  le  néant  et  la  di- 
gnité de  l'homme.  Mais  plus  un  sujet  est 
grand,  plus  on  exige  de  ceux  qui  le  traitent 
et  les  lois  de  l'éloquence  de  la  chaire  com- 
pensent par  leur  rigueur  les  avantages  de 
l'objet.  Presque  tout  est  écueil  en  ce  genre; 
la  difficulté  d'annoncer  d'une  manière  frap- 
pante et  cependant  naturelle  des  vérités 
que  leur  importance  a   rendues  communes  ; 


la  forme  sèche  et  didactique,  si  ennemie  des 
grands  mouvements  et  ues  grandes  idées; 
l'air  de  prétention  et  d'apprêt  qui  décèle  un 
orateur  plus  occupé  de  lui-même  que  du 
Dieu  qu'il  représente;  enfin  le  goût  des  or- 
nements frivoles  qui  outragent  la  ms;esté  du 
sujet.  Des  différents  styles  qu'admet  /'élo- 
quence profane,  il  n'y  à  proprement  que  le 
style  simple  qui  convienne  à  celle  delà  chaire; 
le  sublime  doit  toujours  être  dans  le  senti- 
ment ou  dans  la  pensée,  et  la  sinq  licite  dans 
l'expression. 

Telle  fut,  Messieurs,  .l'éloquence  de  l'o- 
rateur qui  est  aujourd'hui  l'objet  de  vos  re- 
grets ;  elle  fut  touchante  et  sans  art,  comme 
la  religion  et  la  vérité;  il  semblait  l'avoir 
formée  sur  le  modèle  de  ces  discours  nobles 
et  simples,  par  lesquels  un  de  vos  plus  illus- 
tres confrères  inspirait  au  cœur  tendre  et 
sensible  de  notre  monarque  encore  enfant, 
les  vertus  dont  nous  goûtons  aujourd'hui 
les  fruits. 

Qu'il  serait  à  souhaiter  que  l'Eglise  et  ia 
nation,  après  avoir  joui  si  longtemps  de  l'é- 
loquence de  mon  prédécesseur,  pussent  en 
recueillir  les  restes  après  sa  mort  1  La  lec- 
ture de  ses  ouvrages  en  eût  sans  doute  jus- 
tifié le  succès.  Mais  M.  l'évêque  de  Vence, 
par  un  sentiment  que  nous  oserions  blâmer 
si  nous  n'en  respections  le  principe,  se  dé- 
fia, comme  il  le  disait  de  lui-même,  de  sa 
jeunesse  et  de  ses  partisans;  il  fut  trop 
éclairé  rour  n'être  pas  modeste;  son  âme 
ressemblait  à  son  éloquence,  elle  était  sim- 
ple et  élevée.  La  simplicité  est  la  suite  or- 
dinaire de  l'élévation  des  sentiments,  parce 
que  la  simplicité  consiste  à  se  montrer  tel 
que  l'on  est,  et  que  les  âmes  nobles  gagnent 
toujours  à  être  connues. 

Enfin,  ce  qui  honore  le  plus,  Messieurs, 
la  mémoire  de  M.  l'évêque  de  Vence,  c'est 
son  attachement  éclairé  ]  our  la  religion.  Il 
la  respectait  assez  pour  vouloir  la  faire  ai- 
mer aux  autres;  il  savait  que  les  opinions 
des  hommes  leur  sont  du  moins  aussi  chères 
que  leurs  passions,  mais  sont  encore  moins 
durables  quand  on  les  abandonne  à  elles- 
mêmes;  que  l'erreur  ne  résiste  que  trop  à 
l'épreuve  des  remèdes  violents;  que  la  mo- 
dération, la  douceur  et  le  temps  détruisent 
tout,  excepté  la  vérité.   11  fut  surtout  bien 


éloigné  de  ce  zèle 


aveugle  et  barbare,  qui 


cherche  l'impiété  où  elle  n'est  pas ,  et  qu 
moins  ami  de  la  religion  qu'ennemi  des 
sciences  et  des  lettres,  outrage  et  noircit  des 
hommes  irréprochables  dans  leur  conduite 
et  dans  leurs  écrits.  Où  pourrais-je,  Mes- 
sieurs, réclamer  avec  plus  de  force  et  de 
succès  contre  cette  injustice  cruelle,  qu'au 
milieu  d'une  compagnie  qui  renferme  ce 
que  la  religion  a  de  plus  respectable,  l'Etat  de 
plus  grand,  les  lettres  de  plus  célèbre  ?  La  re- 
ligion  doit  aux  lettres  et  à  la  philosophie  l'af- 
fermissement de  ses  principes; les  souverains, 
l'affermissement  de  leurs  droits,  combattus  et 
violés  dans  des  siècles  d'ignorance;  les  peu- 
ples, cette  lumière  générale,  qui  rend  l'auto- 
rité plus  douce  et  l'obéissance  ulus  fidèle. 


615 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SURIAN. 


CiG 


péponse   de    grssset    au  discours   de 
d'alembert. 

Monsieur, 

Dans  un  jour  consacré  à  la  gloire  des  ta- 
lents et  des  succès,  pourquoi  faut-il  mêler 
la  voix  de  la  douleur  au  langage  des  applau- 
dissements? Vous  avez  tracé,  Monsieur,  avec 
autant  de  vérité  que  d'énergie,  l'image  de 
l'illustre  prélat  que  l'Académie  française 
vient  de  perdre  ;  mais  nos  regrets  sont  trop 
étendus,  trop  sensibles  et  trop  légitimes 
pour  ne  point  arrêter  encore  un  moment 
nos  regards  sur  son  tombeau.  Quelle  perte 
l'éloquence  vient  de  faire  1  Et  quel  génie 
lumineux  viendra  dissiper  les  profondes  té- 
nèbres qui  la  couvrent! 

Notre  siècle  n'a  que  trop  de  ces  esprits 
médiocres,  de  ses  talents  subalternes  qui, 
se  croyant  sublimes,  ne  peuvent  manquer 
de  se  trouver  éloquents,  et  d'être  pris  pour 
tels  par  le  vulgaire  de  tous  les  rangs.  Dans 
toutes  les  tribunes,  ainsi  que  dans  la  plu- 
part des  sociétés  ,  on  n'a  que  trop  à  essuyer 
ou  de  cette  froide  éloquence  prétendue,  qui 
n'est  qu'une  stérile  abondance  de  mots,  un 
vain  étalage  de  raisonnements  sans  prin- 
cipes et  sans  objet,  un  chaos  d'idées  et  de 
sentiments  sans  force  et  sans  chaleur;  ou 
de  cette  éloquence  ridicule  qui  n'est  que 
le  langage  faible  du  bel  esprit,  le  jargon 
fastidieux  de  l'antithèse,  et  la  manie  puérile 
de  mettre  tout  en  épigrammes.  Pour  assurer 
à  notre  siècle  une  suite  nombreuse  de  pa- 
reils déclamateurs,  il  ne  faut  que  deux  qua- 
lités qui,  malheureusement,  ne  sont  pas 
prêtes  à  manquer:  la  merveilleuse  facilité 
de  parler  longtemps  sans  avoir  rien  à  dire, 
et  la  confiance  intrépide  qui  accompagne 
toujours  les  talents  médiocres  et  les  beaux 
esprits  sans  génie. 

Mais  qui  nous  rendra  le  vrai  talent  de 
parler  avec  raison,  avec  force,  avec  utilité, 
ce  génie  mâle  et  majestueux,  sensible  et  pé- 
nétrant, simple  et  sublime,  dont  Athènes  et 
Rome  ont  laissé  dos  monuments  que  le  der- 
nier siècle  a  peut-être  surpassés  parmi  nous, 
et  que  le  nôtre  n'atteint  plus?  Qui  nous 
rendra  surtout  l'éloquence  de  la  chaire,  ce 
talent  si  rare,  si  difficile  et  si  souvent  usur- 
pé, ce  talent,  le  premier  de  tous  par  la  né- 
cessité, la  grandeur  et  la  supériorité  de  son 
objet?  Qui  nous  rappellera  ces  orateurs 
puissants,  ces  modérateurs  de  l'esprit  hu- 
main, ces  maîtres  des  passions  elles-mêmes, 
ces  ministres  vraiment  dignes  d'annoncer 
aux  hommes  la  vérité  éternelle,  l'unique 
vérité  devant  qui  la  terre  doit  rester  en  si- 
lence avec  ses  maîtres  et  ses  sages?  Enfin, 
qui  ranimera  les  cendres  de  l'orateur  illus- 
tre que  nous  regrettons  aujourd'hui,  lo 
dernier  qui  nous  restait  du  siècle  de  l'élo- 
quence véritable,  et  dont  les  talents  avaient 
balancé  quelquefois  les  succès  de  Massillon? 
Il  avait  comme  lui  recueilli,  dans  cette  com- 
pagnie, l'héritage  et  la  place  de  Rossuet  et 
de  Fléchier.  Nous  voyons  nos  pertes,  nous 
les  pleurons,  et  nos  larmes  sont  d'autant 


plus  justes  que  les  dédommagements  sont 
devenus  plus  rares,  et  que  l'éloquence  sacrée 
attend  encore  ici  un  restaurateur. 

Malgré  le  faux  axiome  respecté  dans  les 
écoles,  et  proscrit  par  le  goût ,  vous  avez 
eu  raison  de  dire,  Monsieur,  qu'on  ne  doit 
la  grande  éloquence  qu'aux  dons  lumineux, 
à  l'impulsion  rapide  de  la  nature,  et  non 
au  pesant  secours  des  règles,  ni  au  pedan- 
tisme  des  préceptes  ;  le  génie  ne  s'apprend  - 
ni  ne  se  copie;  mais  à  cette  vérité  j'en  dois 
ajouter  une  plus  essentielle  encore,  et  que 
la  mémoire  de  M.  l'évêque  de  Vence  rap- 
pelle naturellement  pour  sa  gloire  et  pour 
l'instruction  de  ses  imitateurs  :  les  dons  de 
la  nature,  à  quelque  degré  de  perfection 
qu'on  les  suppose,  ne  sont  pas  suffisants;  le 
génie  lui-même  n'est  point  encore  assez 
pour  un  ministre  de  la  parole  sainte,  il  n'a 
rien,  il  n'arrive  à  rien  s'il  ne  joint  aux  ta- 
lents et  au  génie  l'autorité  de  l'exemple  et 
l'éloquence  des  mœurs;  on  n'inspire  point 
ce  qu'on  ne  sent  pas  vivement,  il  faut  être 
convaincu  pour  convaincre,  et  agir  pour 
persuader;  avec  toute  l'élévation  des  idées, 
foutes  les  grâces  de  l'expression  et  toute  la 
force  du  sentiment,  on  est  bien  faible  contre 
les  passions  d'autrui ,  quand  on  est  soup- 
çonné de  les  partager,  quand  on  n'est  an- 
noncé que  par  la  vanité,  le  désir  de  plaire  et 
la  profane  ambition. 

Ce  ne  fut  point  sous  de  pareils  auspices 
que  M.  l'évêque  de  Vence  entra  dans  la  car- 
rière; rempli  des  grandes  vérités  du  chris- 
tianisme, nourri  de  l'étude  des  livres  saints, 
il  n'eut  de  guide  que  la  religion  elle-même; 
ses  talents  pour  la  chaire  furent  bientôt  pro- 
clamés par  la  voix  publique,  et  ses  succès 
décidés;  il  n'était  point  de  ces  prédicateurs 
frivoles  et  méprisables,  qui  à  la  face  des  au- 
tels mêmes,  cherchant  moins  les  palmes  du 
sanctuaire  que  les  lauriers  des  spectacles, 
viennent  montrer  qu'ils  ne  savent  que  le 
langage  du  monde,  ne  veulent  que  lui  plaire, 
et  n'emportent  de  nos  temples,  aux  yeux  du 
christianisme  et  de  la  raison,  qu'une  gloire 
sacrilège  et  des  succès  ridicules.  Ses  dis- 
cours énergiques  et 'sensibles,  embellis  par 
toutes  les  grâces  extérieures  du  talent,  rece- 
vaient un  nouveau  poids,  une  autorité  nou- 
velle, de  la  réputation  de  sa  vertu.  Solitaire 
paisible,  philosophe  chrétien,  sans  cabale, 
sans  protecteur,  attendu  par  un  peuple  nom- 
breux, et  sans  avoir  mendié  d'auditeurs,  du 
fond  de  sa  retraite,  il  venait  apporter  la  lu- 
mière, dévoiler  les  chimères  du  monde,  les 
illusions  de  l'amour-propre,  les  petitesses  de 
la  grandeur,  la  faiblesse  des  esprits  forts,  le 
néant  de  la  sagesse  humaine:  il  venait  con- 
soler l'infortune;  attendrir  la  prospérité,  ap- 
prendre aux  impies  à  trembler,  aux  incré- 
dules à  adorer,  aux  grands  à  mourir,  aux 
hommes  à  s'aimer;  il  était  pénétré,  il  tou- 
chait. 11  n'appartient  qu'à  la  vertu  réelle  que 
donne  et  consacre  la  religion  ,  d'élever  cette 
voix  impérieuse  qui  soumet  la  raison,  qui 
fait  taire  l'esprit,  qui  parle  au  cœur  et  com- 
mande le  devoir. 

La  glo>rc  qu'il   ne  cherchait  pas,  vint  le 


617 


PETIT  CAREME.  -  SERMON  I",  POUR  LA  PURIFICATION. 


CI3 


trouver  dans  sa  solitude,  et  l'illustrer  sans 
changer  ses  mœurs.  Arrivé  à  l'épiscopat  sans 
brigues,  sans  bassesses  et  sans  hypocrisie,  il 
y  vécut  sans  faste,  sans  hauteur  et  sans  né- 
gligence. Ce  ne  fut  point  de  ces  talents  qui 
se  taisent  dès  qu'ils  sont  récompensés,  de 
ces  bouches  que  la  fortune  rend  muettes,  et 
qui,  se  fermant  dès  que  le  rang  est  obtenu, 
prouvent  trop  qu'on  ne  prêche  pas  toujours 
pour  des  conversions.  Dévoué  tout  entier  à 
l'instruction  des  peuples  confiés  à  son  zèle, 
il  leur  consacra  tous  ses  -talents,  tous  ses 
soins,  tous  ses  jours,  pasteur  d'autant  plus 
cher  à  son  troupeau,  que  ne  le  quittant  jamais, 
il  en  était  plus  connu.  Louange  rarement 
donnée  et  bien  digne  d'être  remarquée  :  dans 
le  cours  de  plus  (Je  vingt  années  d  épiscopat, 
M.  l'évêque  (Je  Venre  ne  sortit  jamais  de  son 
diocèse,  que  quand  il  fut  appelé  par  son  de- 
voir à  l'assemblée  du  clergé;  bien  différent 
de  ces  pontifes  agréables  et  profanes,  crayon- 
nés autrefois  par  Despréaux,  et  qui  regar- 
dant leur  devoir  comme  un  ennui,  l'oisiveté 
comme  un  droit,  leur  résidence  naturelle 
comme  un  exil,  venaient  promener  leur  inu- 
tilité parmi  les  écueils,  le  luxe  et  la  mol- 
lesse de  la  capitale,  ou  venaient  ramper  à  la 
cour,  et  y  traîner  de  l'ambition  sans  talents, 
de  l'intrigue  s«ns  affaires,  et  de  l'importance 


sans  crédit.  Enfin,  plein  d'années,  de  ver- 
tus et  de  gloire,  il  est  mort  pleuré  des  siens, 
comme  un  père  tendre,  honoré  et  chéri,  ex- 
pire au  milieu  des  gémissements  d'une 
famille  éplorée,  dont  il  emporte  l'estime,  la 
reconnaissance  et  les  regrets. 

L'éloge  des  morts  ne  serait  pas  plus  utile 
que  la  critique  des  vivants,  s'il  n'était  une 
leçon  pour  ceux  qui  restent.  Souvenons-nous 
donc,  en  regardant  ce  tombeau,  que  les  let- 
tres et  les  talents  n'ont  de  réelle  et  durable 
gloire  que  quand  la  raison  et  la  religion  y 
sont  unies.  A  la  voix  de  ces  cendres  encore 
éloquentes,  que  la  noble  émulation  s'en- 
flamme dans  tous  ceux  qui  osent  se  destiner 
à  l'éloquence,  en  quelque  genre  que  ce  soit, 
On  se  plaint  qu'elle  dégénère;  mais  que  la 
nature  seule  soit  consultée  et  suivie,  que  le 
goût  de  l'étude  renaisse,  que  le  cœur  ins- 
pire, que  la  raison  parle ,  alors  l'éloquence 
véritable  se  relèvera  dans  toutes  les  tribu- 
nes. Laisserions-nous  enlever  cette  palme 
du  génie  à  la  splendeur  d'un  empire,  qui, 
sous  les  lois  heureuses  du  plus  grand  des 
monarques,  réunit  tous  les  lauriers  des  ta- 
lents et  des  arts,  et  tous  les  titres  immortels 
qui  consacrent  la  gloire  du  maître  et  le  bon- 
heur des  sujets? 


SERMONS 


DU  P.  SURIAN 


DE  L'ORATOIRE, 

EYEQUE   DE  VENCE. 

PETIT  CARÊME. 


SERMON  r\ 


POUR    LA    PURIFICATION    DE    LA  SAINTE    VIERGE. 

Tulerunt  Jesum  in  Jérusalem  ut  darent  hostiam.  (Luc, 
II.) 

jjt  portèrent  Jésus  à  Jérusalem  afin  d'offrir  une  hostie. 
Sire, 

Deux  grands  objets,  et  dignes  surtout 
de  l'attention  de  Votre  Majesté,  nous  sont 
offerts  aujourd'hui  dans  le  saint  temple: 
Jésus  qui  se  soumet  à  la  loi  malgré  sa  jeu- 
nesse la  plus  tendre;  Marie  qui  se  soumet  à 
la  loi,  malgré  sa  dignité  la  plus  sublime,  et 
qui  l'un  et  l'autre  ne  croiraient  pas  pouvoir 
Orateurs  sacrÉ9.  L, 


avec  bienséance  paraître  devant  le  Seigneur, 
s'ils  n'y  venaient  par  leur  oblation  accomplir 
toute  justice. 

Quelle  leçon  pour  nous,  prince  auguste  1 
Ce  Roi  des  rois,  à  qui  seul  il  appartient  d'in- 
struire les  souverains,  et  qui  depuis  votre 
naissance  vous  a  parlé  par  tant  de  voix,  vient 
vous  dire  aujourd'hui  par  ces  deux  hosties 
si  grandes,  que  ni  l'âge  si  tendre  où  vous 
êtes,  ni  la  place  si  haute  que  vous  tenez,  ne 
peuvent  vous  dispenser  de  vous  soumettre 
à  la  loi  de  Dieu;  et  que,  loin  de  vous  faire 
de  la  jeunesse  ou  de  la  grandeur  un  prétexte 
de  dispense,  votre  jeunesse  même  et  votre 
grandeur  vous  doivent  èlre  de  puissants 
motifs  d'embrasser  sans  délai  et  sans  bornes 

20 


619 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SURIAN, 


C20 


cette  aimable  loi  qui  fait  seule  la  gloire  des 
souverains  et  la  félicité  des  empires. 

Vous,  ô  mon  Dieu!  éternel  protecteur  de 
ce  royaume,  aidez-moi  à  graver  profondé- 
ment l'amour  de  votre  sainte  loi  dans  le 
coeur  de  celui  que  vous  nous  avez  donné 
pour  maître.  Autrefois  vous  ordonnâtes  à  un 
de  vos  ministres  de  porter  cette  loi  à  la  cour 
de  Josias,  et  ce  prince,  si  jeune  encore,  vint 
l'écouter  au  pied  du  saint  autel,  et,  au  mi- 
lieu de  son  peuple,  s'obligea  par  un  serment 
solennel  à  l'observer  toute  sa  vie  :  Fœdus 
percussU  ut  custodiret.  (IV  Rcg.,  XXIII.)  Re- 
nouvelez ici,  Seigneur,  un  spectacle  si  tou- 
chant. Que  le  prince  devant  qui  je  parle, 
plein  d'amour  pour  la  sainte  loi  que  je  viens 
lui  offrir  aujourd'hui  de  votre  part,  se  sente 
pressé  à  ce  moment  de  se  dévouer  pour  ja- 
mais à  elle.  Que  ces  autels,  que  co  temple 
soient  témoins  de  son  engagement  sacré. 
Eh  !  quel  bonheur  pour  lui  !  quelle  joie  pour 
nous,  si  l'on  pouvait  dire  encore  :  Nul  roi 
jusqu'à  ce  jeune  prince  ne  fut  plus  chéri  du 
ciel,  parce  qu'il  fut  fidèle  à  Dieu  et  qu'il  ac- 
complit toute  sa  loi  sainte  :  Juxta  omnem 
legem.  {lbid.)  Demandons  pour  lui  cette 
grâc,e  à  Dieu,  et  les  lumières  de  son  esprit, 
par  l'entremise  de  Marie  :  Ave  Maria. 

PREMIER   POIIST. 

Sire, 
Dieu  l'avait  dit  par  Isaïe  :  O  rois,  et  vous, 
puissants  du  siècle,  soumettez-vous  dès  votre 
enfance  à  la  sainte  loi,  et  donnez  au  Seigneur 
les  prémices  de  votre  vie.  Mais  ce  qu'il  avait 
dit  par  son  prophète  lui  paraît  si  nécessaire 
aux  grands,  qu'il  vient  lui-même,  Maître 
divin,  le  leur  dire  pas  son  exemple;  et  en 
effet,  dans  l'obéissance  que  Jésus  rend  au- 
jourd'hui à  la  loi,  tout  est  digne  de  notre 
amour;  mais  ce  qui  me  touche  le  plus,  c'est, 
la  tendresse  de  son  âge.  Quarante  jours 
après  sa  naissance,  hostie  seule  digne  de 
Dieu,  il  veut  être  porté  au  Temple,  et  là, 
impatient  d'obéir,  à  quelle  loi  ne  se  soumet- 
il  pas?  à  la  loi  du  sacrifice,  il  s'immole 
comme  premier-né;  à  la  loi  de  l'humilité, 
en  lui  un  Dieu  même,  sous  la  forme  de 
pécheur,  devient  hostie  ;  à  la  loi  de  la  cha- 
rité ,  il  commence  dès  ce  jour  le  grand  ou- 
vrage du  salut  du  monde;  à  la  loi  de  la  pé- 
nitence, son  état  ici  n'est  qu'une  mortifica- 
tion, et  lorsque  sa  bouche  est  encore  dans 
le  silence,  son  cœur,  déjà  pénitent,  s'écrie  à 
Dieu  :  Mon  Père,  vous  n'avez  pas  voulu  pour 
vous  apaiser  des  hosties  étrangères,  mais 
vous  m'avez  formé  un  corps,  laissez-le  croî- 
tre, avec  lui  croîtront  mes  douleurs;  hélas! 
vous  n'aurez  pas  longtemps  à  attendre; 
bientôt  ces  membres  trop  faibles  se  fortifie- 
ront pour  les  grands  tourments;  ces  pieds 
s'étendront  pour  la  croix,  ces  mains  s'élar- 
giront pour  les  giandes  plaies,  ce  sang  à 
peine  formé  pourra  un  jour  consacrer  le 
monde.  Je  ne  fais  que  de  naître,  et  me  voici 
prêt  à  mourir  :  Ecce  venio.  Mais  souvenez- 
vous  qu'il  est  écrit  de  moi  :  il  s'offrira  dès 
sa  naissance,  et  pour  le  consoler,   je  lui 


donnerai  plusieurs  disciples:  Idcodispcrtiam 
ilti  plufimos.  (Jsa.,  Lill.) 

Mes  frères,  où  aperçoit-on  la  vérité  de  ces 
promesses?  On  ne  voit  dans  les  grands  du 
monde,  dès  leurs  premiers  ans,  qu'infraction 
à  la  loi  sainte;  que  leur  inspire-t-on?  l'or- 
gueil, la  mollesse,  la  volupté,  l'amour  du 
inonde;  il  faudrait  bien  penser  plutôt  à  leur 
inspirer  la  vertu.  A  quoi  s'occupent-ils? 
Plût  à  Dieu  que  ce  fût  à  former  leurs  mœurs 
à  la  piété  et  à  la  sagesse!  Plût  à  Dieu  que 
ce  fût  à  être  humbles,  dociles,  patients,  mor- 
tifiés, charitables  !  De  quoi  se  remplissent- 
ils?  Que  Jésus-Christ  voudrait  qu'on  pût 
dire  :  de  son  esprit,  de  ses  exemples,  de  son 
amour,  de  sa  pénitence?  11  n'a  pas  cette  con- 
solation; leurs  cœurs,  révoltés  contre  les 
moindres  devoirs,,  ne  sont  ouverts  qu'aux 
joies  et  aux  dissipations  mondaines;  ils  ne 
commencent  à  connaître  Dieu  que  pour  com- 
mencer à  le  combattre.  Ils  n'ont  point  d'autre 
objet  que  le  plaisir;  ce  temps,  le  plus  pré- 
cieux de  la  vie,  qu'un  Dieu  même  consacre 
ici  à  l'observance  de  la  loi,  on  le  croit  un 
titre  suffisant  pour  les  violer  toutes;  on  s'en 
fait  une  excuse  contre  les  devoirs  les  plus 
saints.  Il  semble  que  la  piété  n'est  pas  de 
cet  âge,  qu'elle  ne  s'y  accorde  pas,  que  la 
bienséance  même  la  lui  défend,  et  qu'en  un 
mot  il  suffit  d'être  jeune  pour  être  dispensé 
d'être  chrétien. 

O  illusion  !  que  de  princes,  que  de  grands 
vous  avez  perdus,  et  que  vous  en  perdiez 
encore  1 

Hélas!  mes  frères,  mille  raisons  au  con- 
traire devraient  donner  en  vous  cet  âge  à 
Jésus-Christ;  et  celui-là  est  lien  aveugle, 
qui  ne  voit  et  plus  de  justice  et  plus  de  né- 
cessité, et  plus  de  mérite,  et  plus  de  facilité 
à  se  sacrifier- jeune  au  Seigneur,  qu'aux  au- 
tres temps  de  fa  vie. 

Plus  de  justice;  et  n'est-il  pas  juste,  en 
effet,  que  nos  premiers  mouvements  aillent 
ici  à  ce  premier  principe  de  notre  être?  N'est- 
il  pas  juste  que  dès  que  notre  langue  se  dé- 
noue, nous  bénissions  Dieu  ;  qu  à  mesure 
(pie  nos  yeux  s'ouvrent,  ils  se  tournent  vers 
leur  Créateur;  qu'à  l'instant  que  notre  cœur 
aime,  il  aime  son  Dieu;  qu'au  moment  que 
nous  pouvons  marcher,  nous  entrions  dans 
ses  voies  divines  ;  qu'au  premier  pas,  pour 
ainsi  dire,  que  nous  faisons  par  le  baptême 
dans  le  royaume  de  Jésus-Christ,  nous  ob- 
servions lès  lois  chrétiennes?  Et  si  ces  mo- 
tifs de  se  donner  sans  remise  à  Dieu  sont  si 
justes  dans  tous  les  hommes,  que  sera-ce 
des  grands  qui  ont  plus  reçu  de  lui?  Que 
serait-ce  d'un  prince  que  Dieu  aurait  pré- 
venu dès  son  enfance  de  ses  plus  saintes  bé- 
nédictions, d'un  prince  au-devant  de  qui 
Dieu,  ce  semble,  aurait  couru  d'abord  avec 
ses  grâces  les  plus  précieuses;  d'un  prince 
dont  la  vie  entière  n'aurait  été  que  l'ouvrage 
de  ses  compassions?  Ah!  pourrait-il  sans 
ingratitude  être  lent  à  se  donner  à  lui,  et  ce 
roi  si  chéri  de  vous  ne  doil-il  pas  être  à  vous 
aussitôt  qu'il  est  à  lui-même? 

Secondement.  11  y  a  plus  de  nécessité  dans 
le  premier  âire  à  se  mettre  sous  le  joug  heu- 


C2I 


FETIT  CAREME.  —  SERMON  I".  POUR  LA  PURIFICATION. 


Cil 


reux  de  la  loi.  E.ht  sans  -elle  où  irait  donc  un 
jeune  cœur  tout  plein  encore  de  passions  si 
vivantes  alors  et  si  fougueuses?  Je  crois  voir 
un  vaisseau  sans  gouvernail  et  sans  pilote, 
qui,  dans  une  nuit  profonde,  agité  des  vents 
furieux,  donne  tantôt  sur  un  écueil,  tantôt 
sur  un  autre ,  et  après  avoir  été  le  jouet 
malheureux  des  flots,  fait  bientôt  un  triste 
naufrage. 

O  jeunesse  !  s'écrie  saint  Augustin ,  on 
vous  appelle  la  Heur  de  la  vie,  mais  vous 
êtes  le  péril  du  coeur,  et  si  Ton  ne  vous 
retient  par  les  liens  sacrés  de  la  loi,  vous 
nous  devenez  dans  tous  les  temps  une  source 
amère  de  larmes.  Une  jeunesse  sage  fait  une 
vieillesse  heureuse;  mais  des  plaisirs  du 
premier  âge  naissent  les  pleurs  des  derniers 
ans.  Dans  l'enfance  en  effet  la  raison  est 
obscure  et  enveloppée,  les  passions  violentes 
et  impétueuses,  les  réflexions  faibles  et  rares, 
l'attrait  au  vice  fort  et  touchant,  les  petites 
au  mal  plus  rapides,  le  charme  plus  puissant, 
la  témérité  plus  extrême  avec  tous  les  maux 
plus  proches,  tous  les  remèdes  plus  éloignés. 
Ah!  n'est-il  donc  pas  nécessaire  que  là  soient 
la  prière,  la  docilité,  les  lectures  saintes,  la 
pénitence,  la  mortification,  où  sont  les  fai- 
blesses? ne  faut-il  pas  que  le  temps  des 
périls  soit  celui  de  la  vigilance,  que  l'âge  le 
plus  fatal  à  la  piété  soit  défendu  par  l'exercice 
de  la  piété  même?  Ne  pouvant  trouver  alors 
qu'aux  pieds  de  Jésus-Christ  un  asile  h  votre 
innocence,  ne  devez-vous  pas  l'y  chercher  en 
vous  déposant  sans  délai  dans  ses  mains 
divines?  Et  puisque,  selon  le  Sage,  plus  le 
danger  est  grand,  plus  la  loi  nous  est  néces- 
saire, un  jeune  roi,  dont  la  situation  réunit 
pour  le  salut  tous  les  périls  ensemble,  peut-il 
assez  tôt  l'embrasser?  Sans  cette  digue  salu- 
taire, Ciel  !  quel  affreux  torrent  de  péchés 
va  se  déborder  sur  lui  1  Quel  déluge  d'ini- 
quités va  inonder  toute  sa  vie?  Par  quelle 
voie,  dit  le  Prophète,  un  prince  dans  son 
premier  âge  peut-il  prévenir  l'égarement? 
Et  il  se  répond  à  lui-même  :  Seigneur,  je 
n'en  vois  point  d'autre  que  l'observance  de 
votre  sainte  loi. 

J'ai  ajouté  qu'à  être  de  bonne  heure  à  Dieu 
par  l'obéissance  à  sa  loi,  il  y  a  plus  de  mérite 
encore;  c'est  l'âge  qui  nous  est  le  plus  cher, 
qui  coûte  le  plus  à  offrir,  qui  fait  durer  plus 
longtemps  le  sacrifice,  où  le  cœur,  cette 
grande  victime  de  la  nouvelle  loi,  qui  ren- 
ferme essentiellement  toutes  les  autres  vic- 
times ensemble,  est  le  plus  plein  de  désir, 
d'amour,  de  sentment,  de  passions,  de  vie, 
et  dont  par  conséquent  ce  premier  de  tous 
les  êtres  semble  surtout  être  jaloux;  oui, 
lui  qui  toujours  eut  à  dégoût  ces  victimes  de 
rebut  qui  donnèrent  au  monde  les  prémices 
de  leur  amour;  lui  qui  reje  te  avec  horreur 
ces  hosties  lentes,  tardives,  languissantes, 
dont  son  ennemi  ne  veut  plus,  et  que  l'infir- 
mité souvent  et  la  disgrâce  lui  amènent  plutôt 
que  la  charité.  Ah!  si  une  victime  jeune  en- 
core et  toute  vivante  vient  s'offrir  à  lui;  si 
un  roi  dans  l'âge  le  plus  tendre  avec  cette 
candeur  et  cette  beauté  de  l'innocente  pre- 
mière, vient  se  jeter  entre  ses  bras,  lui  j  ré- 


sente un  cœur  tout  fidèle  encore,  qui  n'est 
jamais  sorti  de  ses  mains,  où  son  image  n'est 
point  obscurcie,  dont  les  affections  coulent 
toutes  pures  dans  son  sein,  où  il  voit  encore 
avec  joie  l'impression  de  sa  grâce  et  les  traits 
si  aimables  de  sa  charité;  si  un  prince,  dans 
cette  saison  la  plus  belle  de  sa  vie,  vient  lui 
protester  ici,  versant  devant  lui  des  larmes 
de  joie  et  de  tendresse,  qu'il  veut  l'aimer 
toujours  comme  un  enfant  aime  son  père, 
qu'il  ne  veut  vivre,  qu'il  ne  veut  régner  que 
pour  lui,  qu'il  met  avec  joie  à  ses  |  ieds  et 
sa  grandeur,  et  son  scejtre  et  sa  couronne, 
honteux  de  n'avoir  pas  à  lui  offrir  davan- 
tage ;  ah  !  quel  charme  pour  le  cœur  de  Dieu, 
et  pour  ce  prince  heureux  quel  fonds  de 
mérite  ! 

Enfin  on  trouve  dans  ses  premiers  ans 
plus  de  facilité  à  s'offrir  à  Dieu  et  à  se  sou- 
mettre à  sa  loi  sainte.  Un  arbre  encore  tendre 
se  plie  et  se  redresse  avec  facilité;  un  prince 
encore  jeune  se  tourne  sans  peine  à  la  vertu, 
au  lieu  que  celui  qui  n'est  pas  chrétien  de 
bonne  heure,  ne  l'est  plus  que  difficilement. 
Un  tigre,  un  lion,  un  monstre  qui,  dès  sa 
naissance,  eût  pu  être  étouffé  sans  peine,  si 
on  le  laisse  croître,  dévore  celui  qui  l'a 
nourri.  Ainsi  un  vice,  qui  d'abord  n'aurait 
presque  rien  coûté  à  vaincre,  fortifié  par  le 
temps,  devient  indomptable,  et  vous  donne 
enfin  le  coup  de  la  mort. 

Effrayé  d'un  malheur  si  grand,  hâtez-vous, 
Sire,  je  vous  en  conjure  par  les  entrailles  de 
Jésus-Christ,  hâtez-vous  de  vous  donner  ni 
à  Dieu  et  à  sa  loi  sainte  ;  si  votre  innocence 
vous  est  chère,  si  votre  grâce  vous  est  pré- 
cieuse ,  mettez-vous  sans  cesse  sous  un 
joug  si  nécessaire  et  si  doux.  Et!  pour- 
quoi tarderiez-vous  ?  Dieu  a-t-il  tardé  à 
vous  aimer?  a-t-il  diffé.é  pour  vous  ses 
compassions  et  ses  grâces?  pourquoi  dif- 
férer pour  lui  votre  amour?  Hélas!  en  vous 
que  de  motifs,  que  de  raisons  de  vous  écrier 
avec  le  Roi-Prophète  :  Domine,  memor  fui 
ab  initio  operum  tuorum,  et  dixi  :  Nunc  cœpi. 
(Psal.  LXXVI.)  Seigneur,  je  me  suis  souvenu 
de  ce  que  vous  avez  fait  pour  moi  dès  mon  en- 
fance, ab  inilio.  Comme  d'abord  vous  m'avez 
conservé  la  vie,  comme  d'abord  vous  m'avez 
élevé  au  trône,  comme  vous  m'avez  donné 
une  éducation  aussi  belle  que  ma  naissance, 
comme  vous  avez  mis  dans  mon  âme  des  in- 
clinations si  heureuses  pour  la  vei  tu  ;  comme 
enfin  mes  premiers  moments  ont  été  vos  plus 
grandes  grâces,  et  dixi,  et  j'ai  dit,  touché 
d'une  bonté  si  prévenante ,  si  paternelle  : 
Nunc  cœpi;  fih  !  puisqu'un  Dieu  a  été  sitôt  à 
moi,  pourrais-je  différer  ici  d'être  à  lui:  je 
veux  imiter,  par  ma  fidélité,  sa  miséricorde  ; 
je  veux  lui  rendre  empressement  pour  empres- 
sement. Quand  je  pourrais,  dans  un  âge  si  fai- 
ble, dans  une  place  si  dangereuse,  n'être  pas 
à  lui  par  besoin,  je  voudrais  y  être  par  re- 
connaissance. Non,  mon  Dieu,  je  n'aurai  pas 
la  honte  de  me  faire  désirer  ni  attendre;  dès 
ce  moment  je  me  donne  à  vous,  je  m'y  con- 
sacre :  Ecce  nunc  cœpi.  Et  que  sais-je  ?  peut- 
être  cette  jeunesse  si  tendre  qui  s'immole  ici 
à  vous,  vous  touchera:  peut-être  cedon  que  je 


vous  faps  ici  des  prémices  de  ma  vie  vous  at- 
tendrira ;  peut-être  que  la  vue  d'un  roi  orphe- 
lin, qui  vous  choisit  aujourd'hui  pour  son 
père,  vous  intéressera  à  ses  périls  ;  peut-être 
que  ces  premières  années  que  j'ai  résolu  de 
passer  dans  la  piété  et  dans  l'innocence  attire- 
ront sur  le  reste  de  mes  jours  vos  bénédictions 
et  vos  grâces  ;  peut-être  qu'elles  vous  engage- 
ront à  prendre  soin  de  mon  salut,  à  m'aimer, 
à  me  secourir,  à  me  sauver  des  pièges  sans 
nombre  qui  m'environnent.  Ah!  trop  de  rai- 
sons ici  m'en  pressent  ;  à  l'exemple  de  Jésus- 
Christ  votre  fils  j'ai  commencé  à  m'olïrir  à 
vous  dès  ma  jeunesse  la  plus  tendre  :  Ecce 
nunc  cœpi  ;  et  une  preuve  que  mon  sacrifice 
est  sérieux,  que  ma  résolution  est  sincère, 
c'est  que  je  vais  sans  cesse  avec  lui  observer 
vos  commandements  et  pratiquer  votre  loi 
sainte  :  Et  custodivi  legem  tuam.  (PsaL, 
CXVIII.) 

La  jeunesse,  loin  d'être  une  dispense,  est 
donc  un  motif  de  vous  sacrifier  ici  à  Dieu,  et 
Jésus  vous  l'a  fait  voir  dans  cette  solennité  si 
grande. 

SECOND    POINT. 

JVIais  quelle  leçon  vous'v  vient  faire  Marie, 
dont  la  dignité  ne  voit  que  Dieu  au-dessus 
d'elle?  Elle  vous  apprend,  dans  le  saint  tem- 
ple où  elle  vient  se  purifier,  que  l'éminence 
du  rang,  quelque  haute  qu'elle  puisse  être, 
n'exempte  jamais  de  la  loi  de  Dieu.  Loin  de 
chercher,  pour  se  soustraire,  des  prétextes 
dans  sa  dignité,  elle  regarde  sa  dignité  comme 
une  raison  de  se  soumettre;  les  prérogatives 
de  mère  de  Dieu  ne  l'empêchent  pas  de  rem- 
plir les  devoirs  de  sa  servante  ;  elle  se  fait 
de  son  élévation  même  un  motif  de  fidélité, 
et  plus  elle  a  de  grandeur,  plus  elle  veut  avoir 
d'obéissance. 

Vous  au  contraire,  quand  vous  êtes  d'une, 
certaine  élévation,  vous  vous  regardez  comme 
au-dessus  des  lois  que  vous  renvoyez  aux 
âmes  vulgaires;  être  humble,  modeste,  pé- 
nitent, mortifié,  recueilli,  ennemi  du  monde, 
réglé  dans  sa  dépense,  fidèle  à  l'abstinence 
et  au  jeûne;  tout  cela,  selon  vous,  est  im- 
compatible  avec  la  noblesse  du  sang  et  les 
grandes  places  ;  vous  vous  permettez  la  hau- 
teur, l'inutilité,  la  mollesse,  le  faste,  comme 
un  privilège  de  votre  état  ;  il  semble  qu'il  y 
ait  un  autre  évangile,  une  autre  voie  de  sa- 
lut pour  vous.  Il  yen  a  une  autre  en  effet, 
mais  c'est  qu'étant  plus  exposés  et  plus 
pécheurs,  vous  devez  être  plus  pénitents  et 
plus  fidèles. 

Et  pour  confondre  cette  vaine  erreur  qui 
croit  que  les  souverains  et  les  princes  sont 
moins  obligés  à  l'observance  de  la  loi,  quel 
spectacle  auguste  et  plein  d'une  salutaire 
instruction  nous  est  offert  dans  l'écriture? 
A  ce  jour  solennel  où  le  grand-prêtre  Joiada 
dans  le  saint  temple,  au  milieu  des  vœux  et 
des  acclamations  du  peuple,  éleva  sur  le 
trône  le  jeune  Joas,  reste  précieux  de  la  mai- 
son de  David;  en  même  temps  qu'il  lui  mit  le 
diadème  sur  la  tête,  il  lui  mit  aussi  dans  la 
main  la  loi  de  Dieu:  Imposuerunt  diadema  ?t 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SLRIAN. 


024 

dederunt  in  manu  ejus   tenendam  legem.    (U 
Parai.,  XXXIII.) 

Mon  Dieu,  que  cette  circonstance  est  belle! 
que  cette  attitude  est  sainte  I  qu'un  roi 
est  grand  dans  cet  appareil  mystérieux  1 
qu'il  est  un  objet  digne  des  regards  de 
l'univers  '  que  je  voudrais  le  donner  ici 
en  spectacle  à  tous  les  souverains  et  à  tous 
les  rois  de  la  terre  !  Le  saint  Pontife,  à  la  vue 
des  périls  affreux  où  la  royauté  va  exposer 
ce  jeune  prince,  est  saisi  d'effroi  ;ses  entrail- 
les s'émeuvent,  son  cœur  s'attendrit,  et  crai- 
gnant que  ce  roi  si  cher  qu'il  avait  élevé  et 
qu'il  aimait  comme  son  enfant ,  n'abusât 
bientôt  de  sa  dignité  nouvelle,  il  se  hâte,  après 
lui  avoir  donné  le  diadème,  de  lui  donner 
aussi  la  loi  ;  il  ne  veut  pas  qu'il  soit  sur  le 
trône  un  moment  sans  elle.  Il  n'ose  le  laisser 
seul  avec  la  souveraine  puissance,  seul  avec 
la  royauté;  il  le  met  sous  la  garde  de  la  loi  ; 
il  le  confie  à  elle  pour  le  soutenir,  pour  le 
préserver,  pour  empêcher  qu'il  ne  s'égare, 
qu'il  ne  tombe,  pour  le  suspendre  sur  tant 
d'abîmes  que  la  grandeur  suprême  ouvre 
sous  ses  pieds:  sans  cette  règle  sainte,  rien 
ne  lui  répond  plus  de  sa  vertu,  de  sa  piété, 
de  son  innocence  :  Dederunt  in  manu  ejuste- 
nendam  legem.  11  essaie  de  corriger  en  lui  lo 
danger  de  la  puissance  royale  par  la  sain- 
teté de  la  loi  divine.  Il  veut  lui  insinuer 
qu'en  même  temps  qu'un  souverain  gou- 
verne ses  peuples,  il  doit  se  laisser  lui-même 
gouverner  par  Dieu,  dont  il  n'est  que  le  pre- 
mier sujet;  que  son  autorité  n'est  pas  la 
sienne,  mais  celle  de  la  sainte  loi  :  qu'il  n'est 
roi  que  pour  l'observer  et  pour  la  faire  obser- 
ver aux  autres;  que  sa  domination,  quoique 
absolue,  n'est  pas  arbitraire,  mais  soumise  et 
subordonnée  à  l'équité  des  saintes  lois; 
qu'autant  le  prince  est  au-dessus  de  nous, 
autant  Dieu  est  au-dessus  du  prince  ;  que  le 
premier  des  empires  est  celui  qu'il  prend 
sur  ses  passions,  et  que  si  le  diadème  le 
rend  roi  de  ses  sujets,  la  loi  de  Dieu  doit  le 
rendre  roi  de  lui-même  :  Jmposuerunl  dia- 
dema et  dederunt  in  manu  ejus  tenendam  le- 
gem. 

Comme  s'il  lui  eût  dit:  Prince,  notre  joie, 
notre  unique  espérance,  non,  ce  n'est  point 
ici  pour  nous  un  spectacle  vain,  ni  une 
pure  cérémonie;  un  grand  sens  est  renfermé 
dans  cet  appareil  auguste  où  vous  êtes.  Si 
nous  vous  donnons  aujourd'hui  la  loi  en 
vous  donnant  le  diadème,  c'est  pour  vous 
apprendre  qu'en  vous  ces  deux  choses  insé- 
parables doivent  toujours  aller  ensemble  :  la 
loi  sans  l'autorité  ne  serait  que  faiblesse; 
l'autorité  sans  la  loi  ne  serait  que  tyrannie  : 
de  leur  union  se  forme  un  règne  sage  et 
heureux.  La  loi  vous  est  offerte  ici  avec  vo- 
tre puissance  pour  la  tempérer,  pour  l'adou- 
cir, pour  la  sanctifier,  pourlarendre  aimable 
à  vos  peuples  ;  parce  diadème  vousêtcsleur  . 
roi,  et  par  cette  loi  vous  êtes  leur  père.  Si  la 
couronne  dont  je  couvre  ici  votre  front  est 
la  marque  de  votre  pouvoir,  il  faut  que  cette 
loi  que  je  vous  mets  entre  les  mains  en  soit 
la  règle.  Quand  vous  régnerez  sur  votre  peu- 
ple, qu'elle   règne   sur   votre  cœur,  qu'elle 


G25 


Ï'ETIT  CAREME.  -  SERMON  I'.  TENTATIONS  DES  ROIS. 


626 


parle,  qu'elle  agisse,  qu'elle  ordonne,  qu'elle 
récompense,  qu'elle  puniss«  en  votre  per- 
sonne;  qu'elle  soit,  pour  ainsi  dire,  votre 
premier  ministre  ou  plutôt  l'unique  souve- 
rain de  votre  Etat,  l'âme  et  l'esprit  de  votre 
empire.  On  vous  la  met  ici  dans  la  main  afin 
que  vous  la  pratiquiez,  que  vous  ne  la  per- 
diez jamais  de  vue,  que  vous  la  confrontiez 
sans  cesse  avec  vos  moindres  actions  ;  que 
chaque  jour  vous  les  fassiez  repasser  toutes 
devant  elle.  Si  vous  abusez  de  votre  au- 
torité, cette  loi  inflexible  est  auprès  de 
vous  pour  vous  condamner,  pour  vous  con- 
fondre: vous  avez  en  elle  un  juge  plus  grand, 
plus  fort,  plus  redoutable  que  vous.  Les 
princes  meurent,  mais  la  ^oi  de  Dieu  est  im- 
mortelle, et  elle  sera  pour  les  rois,  au  delà 
des  temps,  s'ils  l'ont  méprisée,  leur  supplice 
éternel;  ou  leur  éternel  bonheur,  s'ils  l'ont 
suivie.  Jmposucrunt  diadema  et  dederunt  in 
manu  ejus  tenendam  legem. 

Sire,  à  ces  deux  traits  si  vénérables  et  si 
saints,  qui  peut  ne  pas  vousreconnaitre?  Ehl 
dans  quel  prince  jamais,  dès  l'âge  le  plus 
tendre  et  le  diadème  et  la  loi  parurent-ils 
plus  réunis?  A  quel  prince  jamais  furent-ils 
plus  propres?  Ah  î  quand  votre  bisaïeul,  mou- 
rant au  milieu  de  nos  sanglots  et  de  nos  lar- 
mes, vous  disait  :  Mon  fds,  vous  allez  régner 
après  moi,  observez  la  loi  de  Dieu;  alors, 
sans  doute,  alors,  du  haut  du  ciel,  un  père 
plus  tendre  encore  et  un  roi  plus  grand  vous 
parla;  sans  doute  une  puissance  plus  souve- 
raine et  plus  haute  transmit  alors  dans  votre 
âme  son  double  esprit  de  royauté  et  de  règle  ; 
sans  doute  une  main  invisible,  plus  immor- 
telle que  la  sienne,  vous  mit  avec  lui  le  dia- 
dème sur  la  tête,  et  dans  la  main  la  sainte 
loi;  cardes  ce  jour  éternellement  mémorable, 
avec  quel  éclat  avons-nous  vu  briller  dans 
Votre  Majesté  cet  accord  si  beau,  mais  si 
rare,  du  diadème  et  de  la  loi  1 

D'une  part,  quel  prince  élevé,  ce  semble, 
au-dessus  de  l'enfance,  a  paru  plutôt  être 
roi,  penser  en  roi,  parler  en  roi,  agir  en  roi, 
représenter  en  roi  ;  qui  eut  plus  de  la  royauté 
l'air,  le  maintien,  le  sérieux,  la  majesté,  les 
grâces?  tout  en  vous  découvre  le  souverain, 
tout  annonce  le  diadème  :  Imposuerunt  dia- 
dema, et  avec  la  royauté  la  loi  de  Dieu 
alors  vous  fut  donnée.  En  effet,  quel  roi  si 
jeune  encore  fut  plus  docile  à  la  loi,  plus  ami 
de  l'ordre,  plus  zélé  pour  la  règle,  plus  atta- 
ché au  devoir,  plus  fidèle  à  Dieu  et  à  lui- 
même  et  eut  plus  la  loi  dans  sa  main,  pour 
l'observera  chaque  instant  et  pour  la  suivre? 
Et  dederunt  in  manu  ejus  tenendam  legem 

C'était  donc  vous,  prince  auguste,  c'était 
vous  que  l'Esprit-Saint  voyait  en  éloigne- 
ment  quand  il  disait  :  Un  germe  précieux 
vous  restera,  il  sera  fidèle  à  la  sainte  loi, 
aussi  ses  peuples  l'aimeront. 

Que  nous  vérifions  ici  à  l'envi  une  pro- 
messe si  touchante!  Oui,  mon  Dieu,  ce  roi 
qui  vous  est  cher,  nous  est  cher  aussi  à  nous- 
mêmes,  et  qui  pourrait  ne  pas  aimer  en  lui 
tant  de  piété,  tant  d'innocence?  comment  re- 
voir dans  cette  image  fidèle  des  princes  que 
nous  avons  perdus,  ces  mêmes  traits,  ces 


mêmes  vertus  qui  nous  les  rendaient  si  ai- 
mables, sans  s'attendrir,  sans  pleurer  de  joie, 
sans  se  sentir  pressé  de  vous  crier  avec  le 
Prophète  :  O  vous  qui  donnez  le  salut  aux 
rois,  conservez-nous  chèrement  le  nôtre  ;  qu'il 
vive,  qu'il  croisse  sous  la  tendresse  de  vos 
regards;  orphelin  sur  la  terre,  qu'il  ait  en 
vous  dans  le  ciel  un  père  tendre  qui  l'aime. 
(PsaL,  X.)  Versez  sot  cet  objet  de   notre 
amour  vos  bénédictions  les  plus  saintes;  lais- 
sez-lui remplir  pour  le  bonheur  de  Tunivers 
ses  hautes  destinées.  Qu'elles  commencent 
glorieusement!  Pour  les  rendre  chaque  jour 
plus  belles,  conservez-lui  le  régent  auguste, 
dépositaire  de  son  autorité,  qui  s'acquiert 
dans  une  minorité  la  gloire  des  plus  beaux 
règnes.  Conservez-lui  ce  grand  prince,  vrai 
sang  des  héros,  qui,  ayant  reçu  les  plus  hau- 
tes vertus  comme  par  héritage,  va  les  trans- 
mettre ici  par  l'éducation.  Conservez-lui,  si 
vous  l'aimez,  cet  homme  sage,  si   capable, 
si  digne  de  nous  former  un  grand  roi,  puis- 
que le  grand  roi  se  forme  sur  le  grand  homme. 
Conservez-lui  ce  pontife  si  éclairé,  si  pieux, 
dont  les  progrès  du  prince  font  si  bien  l'é- 
loge.  Conservez-lui  surtout,  ô  mon  Dieul 
lui-même  en  pleurs  vous  le  demande,  con- 
servez-lui un  bien  plus  cher  et  plus  précieux 
que  sa  couronne  et  sa  vie,  votre  grâce,  votre 
esprit,  votre  crainte,  votre  amour,  sa  religion, 
son  innocence.  Non,  que  jamais  ce  cœur  qui 
vous  aime  si  tendrement  ne  se  corrompe; 
non,  que  jamais  un  prince  qui  vous  doit  tant, 
ne  vous  oublie  ;  que  toujours  il  aime  en  vous 
son  bienfaiteur  et  son  père;  que  toujours  il 
serve  en  vous  son  souverain  et  son  maître; 
que  toujours  il  craigne  en  vous  son  juge  et 
son  Dieu,  afin  qu'un  jour  il  possède  en  vous 
son  vrai  bonheur  dans  l'immortalité  de  votro 
gloire. 

SERMON  II. 

Pour  le  premier  dimanche  de  Carême. 

SUR  LES  TENTATIONS  DES  ROIS. 

Non  in  solo  pane  vivit  homo,  sed  in  omni  verbo  quod 
procedit  de  ore  Dei.  (Mallh.,  IV.) 

L'homme  ne  vit  pas  seulement  de  pain,  mais  de  toute 
parole  qui  sort  de  la  bouche  de  Dieu. 

Sire, 
Cette  parole  divine  qui  sanctifie  l'univers, 
et  qui  seule  a  fait  les  bons  rois,  vient  encore 
aujourd'hui  vous  instruire  par  ma  bouche. 
Ecoutez-la,  prince  :de  quel  respect  est  digne 
un  Dieu  qui  vous  fait  entendre  sa  voix,  qui 
daigne  vous  servir  de  maître  et  qui,  après 
vous  avoir  donné  son  image,  veut  encore 
vous  donner  ici  ses  leçons?  Car  Dieu  tout 
seul  vous  parlera  durant  le  cours  de  cette 
carrière  sainte;  ce  ne  sera  point  ma  parole, 
mais  la  sienne  qui  vous  instruira;  c'est  son 
Evangile  que  je  me  propose  de  vous  expli- 
quer. Quel  dessein  plus  beau,  plus  grand, 
plus  digne  d'un  roi  chrétien  pouvais-je  for- 
mer? Ce  que  l'instruction  humaine  a  si  bien 
commencé,  un  Dieu  lui-même  vient  l'ache- 
ver par  l'efficacité  de  sa  parole.  Cette  parole 
seule  a  une  force  et  une  autorité  à  qui  nulle 
autorité  sousle  soleil  ne  peut  être  comparée} 


É27 


ORATEURS  SACRES,  LE  P.  Sl'RIAN. 


0-23 


tout  entière  elle  va  se  tourner  en  instruc- 
tion pour  vous,  et  en  vous  offrant  sans  cesse 
Jésus-Christ  comme  la  règle  de  vos  mœurs, 
elle  vous  apprendra  et  tout  ce  qui  peut  vous 
faire  régner  saintement  sur  la  terre,  et  tout 
ce  qui  peut  vous  faire  régner  éternellement 
dans  le  Ciel;  car  Jésus-Christ,  qui  est  venu 
réformer  le  monde  et  sanctifier  tous  les  états, 
n'a  voulu  naître  du  sang  royal  que  pour  ser- 
vir aux  rois  de  modèle  et  pour  se  proposer 
à  eux  comme  la  règle  souveraine  qu'ils  doi- 
vent suivre,  et  parce  que  les  plus  grands 
malheurs  des  rois  viennent  des  tentations 
qui  les  environnent,  c'est  contre  elles  que 
]  Esprit-Saint  se  hâte  d'abord  de  vous  forti- 
fier, en  vous  offrant  les  remèdes  qui  en  pré- 
servent. On  le  sait,  la  royauté  est  pour  les 
souverains  une  tentation  universelle;  mais 
trois  grandes  tentations  surtout  font  le  dan- 
ger de  leur  vie:  le  plaisir,  la  flatterie,  l'or- 
gueil. Aussi  est-ce  par  là  que  le  démon  atta- 
que Jésus-Christ  dans  le  désert,  et  les  armes 
dont  il  se  sert  contre  ces  tentations  sont  celles 
qu'il  vous  met  en  main  pour  les  combattre 
vous-même  ;  la  suite  de  notre  Evangile  vous 
en  instruira.  Vous,  ô  mon  Dieu!  bénissez 
mes  efforts;  faites  descendre  du  plus  haut 
des  cieux  celte  lumière  sainte  qui  instruit 
les  rois;,  mettez  dans  ma  bouche  les  vérités 
propres  à  celui  qui  m'écoute;  que  mes  pa- 
roles, comme  des  traits  de  feu,  pénètrent 
cette  âme  royale,  et  que  je  contribue,  selon 
ma  vocation,  à  former  dans  le  bien  le  prince 
le  plus  cher  à  ses  sujets  cl  le  plus  précieux 
au  monde.  Demandons  les  lumières  du  Saint- 
Esprit,  par,  etc. 


FUEMIER    POINT. 


Sire, 


Première  tentation  de  Jésus-Christ,  le 
plaisir  :  le  démon  le  voyant  après  son  jeûne 
pressé  de  la  faim,  et  voulant  profiter  d'une 
circonstance  si  favorable  pour  le  tirer  de 
l'ordre  de  Dieu,  lui  dit  :  Souffrirez-vous  long- 
temps un  état  si  triste?  commandez  à  ces 
pierres  de  se  changer  en  pain,  c'est-à-dire 
passez  d'un  état  de  peine  et  de  souffrance  à 
un  état  de  soulagement  et  de  plaisir,  et  ne 
vous  refusez  pas  au  moins  une  satisfaction 
si  naturelle. 

Et  voilà  le  premier  endroit  par  où  le 
démon  vous  attaque  :  le  trône  et  la  grandeur 
sont  comme  environnés  de  plaisirs.  Tout  ce 
que  les  objets  ont  de  charmes,  tout  ce  que  le 
monde  a  de  délices  semble  se  réunir  à  votre 
cœur  comme  à  son  centre,  et  conspirer  à 
vous  amollir;  et  comment  sauver  son  âme 
d'un  poison  si  dangereux  et  si  aimable? 
Comment,  dans  l'âge  le  plus  tendre  où  les 
passions  sont  si  vives,  résister  aux  doux  at- 
traits de  la  volupté,  et  tenir  son  cœur  comme 
en  suspens  au  milieu  de  tant  d'objets  qui 
cherchent  à  le  surprendre?  Comment  ne 
suivre  que  son  devoir  quand  on  est  maître 
de  ne  suivre  que  ses  désirs  ?  Comment  enfin 
conserver  son  innocence  dans  ces  places 
éminentes  où  l'on  peut  tout  ce  qu'on  veut,  et 
oA,  par  le  malheur  inséparable   de   l'huma- 


nité, on  veut  d'ordinaire  ce  qui  corromot  et 
ce  qui  dérègle? 

Triste  condition  des  grands  1  le  monde 
envie  leur  sort;  aux  yeux  de  la  foi,  qu'ils 
sont  à  plaindre  I  qu'on  se  sent  pressé,  quand 
on  les  aime,  de  pleurer  sur  eux  comme  Sa- 
muel pleurait  sur  Saùl.  Hélas  I  vous  portez 
votre  trésor,  qui  est  la  grâce,  dans  un  vase 
d'argile,  qui,  tout  riche,  tout  précieux  qu'il 
est  par  ses  ornements,  est  toujours  bien  fra- 
gile par  sa  matière,  et  dans  un  danger  con- 
t'nucl  d'être  brisé.  L'innocence  dans  les  par- 
ticuliers est  un  mérite  ,  mais  dans  les  rois 
elle  est  un  miracle. 

Et  Dieu  lui-môme  trouve  le  péril  si  grand 
qu'à  l'égard  des  princes  qu'il  aime,  il  se 
hâte,  dit  l'Ecriture,  de  les  tirer  du  monde. 
Hélas,  Sire,  dans  votre  auguste  sang  quel 
exemple!  11  se  hâta  de  peur  que  le  poison 
de  la  volupté  ne  surprît  leur  âme.  11  surprit 
bien  le  cœur  du  plus  sage  et  du  plus  éclairé 
des  rois.  Avant  que  le  goût  des  vains  plai- 
sirs entraînât  ce  prince,  quelle  pureté  de 
vie,  quelle  innocence  de  mœurs!  11  était 
l'ouvrage  du  Très-Haut  le  plus  saint,  et  où 
sa  main  semblait  être  le  plus  empreinte;  il 
avait  la  raison  de  Dieu  pour  guide,  son  es- 
prit pour  maître,  sa  sagesse  pour  règle,  sa 
volonté  pour  loi,  son  image  pour  ornement, 
sa  religion  pour  apanage,  l'impression  de 
son  sceau  divin  pour  caractère  et  pour  mar- 
que. Rien  n'était  plus  grand,  plus  respec- 
table dans  l'univers.  Mais  à  peine  a-t-il  cédé 
aux  profanes  voluptés, que  toutes  ses  vertus 
lui  échappent.  Le  voilà  dégradé  de  sa  pre- 
mière grandeur;  il  ne  se  reconnaît  pas  lui- 
même;  tout  ce  qu'il  avait  d'innocence  et  de 
piété  ne  lui  paraît  plus  qu'un  songe;  il  est 
même  étonné  du  chemin  que  son  cœur  a  fait 
depuis  qu'il  a  quitté  les  voies  de  Dieu.  Les 
sages  dépositaires  de  son  enfance  et  de  son 
éducation  le  regardaient  tristement  et  pleu- 
raient de  douleur  de  voir  leurs  peines  et 
leurs  espérances  perdues;  mais  il  ne  son- 
geait qu'à  les  éloigner  de  sa  présence  ;  leur 
vue,  autrefois  si  aimable,  était  pour  lui  une 
contrainte  et  un  reproche.  Enfin  l'amour  des 
plaisirs  et  de  la  volupté  le  jette  d'abîme  en 
abîme,  et  par  elle  le  plus  sage  des  rois  de- 
vient le  plus  insensé  des  hommes  ! 

Mais  qu'opposer,  me  direz-vous,  à  un  en- 
nemi si  redoutable?  Les  mêmes  forces  que 
Jésus-Christ  daigne  lui  opposer  lui-même, 
la  parole  de  Dieu.  Celte  parole  qui  imposo 
la  pénitence  aux  rois  comme  aux  peuples; 
cette  parole  qui  veut  que  tout  chrétien  porte 
sa  croix,  mortifie  ses  sens,  immole  sa  chair  ; 
cette  parole  qui,  dans  tous  les  états,  maudit 
les  joies  profanes,  dit  anathème  au  plaisir, 
et  même  dans  les  palais  des  rois  foudroie 
la  voluptéet  la  mollesse.  Voilà  quelles  armes 
un  prince,  s'il  veut  être  fidèle  à  Dieu,  doit 
employer  contre  l'attrait  des  vains  plaisirs. 
Voilà  de  quel  pain  il  doit  se  nourrir  pour 
se  fortifier  contre  les  attaques  de  la  volupté, 
et  pour  apprendre  à  la  vaincre.  L'homme  ne 
rit  pas  seulement  de  pain,  mais  de  toute  pa- 
role qui  sort  de  (abouche  de  Dieu. 
Ah!  Siro,  n'oubliez  jamais  que  c'est  l'a- 


G29 


PETIT  CAREME.-    SERMOxN  11,  TENTATIONS  DES  ROIS. 


650 


mour  des  plaisirs  qui  a  fait  presque  tous  les 
mauvais  princes.  Regardez  la  volupté  comme 
la  plus  grande  ennemie  des  rois,  et  comme 
l'écueil  le  plus  fatal  à  leur  salut  et  à  leur 
'gloire.  Qui  ne  sait  pas  maîtriser  son  cœur 
gouverne  mal  ses  peuples,  et  le  premier  de 
tous  les  empires. est  celui  qu'on  a  sur  ses 
dési-s.  Au  jour  de  votre  baptême,  à  la  face 
du  ciel  et  de  la  terre,  vous  avez  renoncé  à 
tout  plaisir  criminel;  ce  fut,  entrant  dans 
l'Eglise,  votre  serment  le  plus  solennel.  Or, 
un  roi  à  qui  il  importe  tant  qu'il  n'y  ait 
point  de  parjure,  voudrait-il  l'être  lui-même 
envers  son  Dieu?  voudrait-il  donner  au 
monde  l'exemple  d'un  serment  violé,  et  ne 
serait-il  pas  honteux  pour  vous  de  n'aimer 
pas  à  être  fidèle  à  Dieu,  quand  nous  aimons 
tant  à  vous  être  fidèles  à  vous-même. 

Première  tentation  vaincue,  le  plaisir.  Se- 
conde tentation,  la  flatterie. , 

SECOND  POINT. 

Le  démon  transporte  Jésus-Christ  dans  la 
ville  sainte,  et,  le  mettant  sur  le  haut  du 
temple,  il  lui  dit  :  Jetez-vous  en  bas,  car  il  est 
écrit  :  Les  anges  vous  soutiendront,.  (Matth., 
IV.)  Voilà,  dans  ce  père  de  mensonge,  les  di- 
vers caractères  de  la  flatterie  :  il  cache  le  péril, 
il  déguise  la  vérité,  il  inspire  une  fausse  con- 
fiance, il  donne  une  vaine  présomption,  et 
c'est  le  poison  que  les  rois  ont  le  plus  à 
craindre,  et  qui  corrompt  davantage  leur 
vertu;  partout  où  il  y  a  de  la  grandeur,  il  y  a 
de  la  flatterie;  auprès  des  rois  un  grand  in- 
térêt l'anime,  aussi  y  fait-elle  de  plus  grands 
efforts. 

Aujourd'hui,  Sire,  vous  êtes  en  sûreté 
entre  les  mains  des  sages;  mais  quand  les 
années  vous  auront  rendu  maître  de  vous, 
et  que  Dieu  aura  remis  en  vos  seules  mains 
"la  souveraine  puissance,  ciel  !  quelle  foule 
de  flatteurs  vous  assiégeront  ;  vous  les  ver- 
rez, ces  hommes  pliants  et  souples,  étudier 
vos  faibles,  s'accommoder  à  vos  penchants, 
prendre  le  caractère  le  plus  conforme  à  vos 
inclinations,  entrer  dans  vos  joies  et  dans 
vos  peines,  vous  ménager,  selon  vos  goûts, 
des  plaisirs  et  des  réjouissances;  ce  ne  sera 
autour  de  vous  qu'empressement,  qu'admi- 
rât on,  que  complaisance;  toujours  prêts 
à  vous  applaudir,  attentifs  à  ne  jamais  vous 
contredire,  vous  irez  et  ils  iront,  vous  blâ- 
merez et  ils  blâmeront,  vous  louerez  et  ils 
loueront,  n'ayant,  ce  semble,  de  volonté  ni 
de  raison  que  la  vôtre;  paraissant,  non  ce 
qu'ils  sont,  mais  ce  que  vous  les  voudrez 
être;  prenant  autant  de  formes  que  vous 
aurez  de  désirs.  Avec  eux  vous  n'aurez  ja- 
mais tort;  toutes  vos  actions  seront  justes; 
ils  donneront  à  vos  défauts,  si  vous  en  avez, 
des  noms  d'honneur  et  de  gloire.  Si  un  roi 
fait  .des  cruautés,  ils  disent  qu'il  fait  de 
grands  exemples;  s'il  opprime  ses  peuples, 
ils  disent  qu'il  les  tient  dans  le  devoir;  si 
vous  êtes  vindicatif,  ils  diront  que  vous  êtes 
juste;  si  vous  avez  l'âme  ambitieuse,  ils  di- 
ront que  vous  l'avez  grande  ;  si  vous  êtes 
indolent,  ils  vous  appelleront  pacifique;  dé- 
tournant le  nom  des  choses  de  leur  propre 


signification,  ils  font  aux  rois  des  vertus  de 
tous  leurs  vices.  Que  sais-je?  s'il  le  faut, 
fourbes  et  hypocrites,  ils  abuseront,  pour 
vous  surprendre,  de  la  vertu  même.  Ils  fein- 
dront de  la  piété,  si  c'est  par  la  piété  qu'on 
peut  vous  prendre,  et,  pour  se  mieux  jouer 
de  vous,  ils  se  joueront  de  Dieu  même. 

Voilà  les  vrais  caractères  des  flatteurs.  La 
cour  des  rois  abonde  en  ce  genre  de  mons- 
tres :  c'est  là  leur  séjour;  c'est  là  leur  cen- 
tre. Aussi  lorsque  Dieu  irrité  contre  le  roi 
Josaphat  appelle  pour  le  punir  un  esprit 
d'adulation  et  de  mensonge,  il  s'en  offre  une 
multitude  énorme  pour  y  aller,  tant  leur 
penchant  les  y  porte,  et  à  l'envi  ils  s'écrient  : 
Ero  spiritus  mendax  et  prœvalebo.  (III  Reg., 
XXII;  II  Parai.,  XVIII.)  C'est  moi  qui  irai 
à  ce  roi  misérable;  je  serai  contre  lui  un 
esprit  de  flatterie,  et  bientôt  je  prévaudrai  : 
El  prœvalebo. 

Et  en  effet,  à  l'égard  d'un  roi  qui  lui  donne 
entrée,  sur  quoi  le  démon  de  la  flatterie  ne 
prévaut-il  pas?  Il  prévaut  sur  son  innocence, 
sur  sa  raison,  sur  sa  piété,  sur  ses  lumières, 
sur  sa  religion,  sur  ses  intentions  les  plus 
droites,  sur  son  naturel  le  plus  heureux,  sur 
les  conseils  des  sages  qui  seuls  le  chéris- 
sent véritablement,  sur  l'amour  de  ses  peu- 
ples, sur  la  félicité  de  ses  sujets,  sur  son 
esprit,  sur  son  cœur,  sur  toute  sa  personne, 
sur  tout  lui-même  ;  il  éteint  tout,  il  corrompt 
tout,  il  anéantit  tout. Quand  un  roi  prête  l'o- 
reille à  la  flatterie,  la  vérité  tremblante  s'é- 
loigne elle-même  de  son  palais;  personne 
n'ose  la  lui  dire,  la  terre  entière  garde  le 
silence  devant  lui;  tout  dans  son  royaume 
conspire  à  le  tromper;  toutes  les  langues  ne 
se  délient  que  pour  le  séduire  :  Spiritus 
mendax  in  ore  omnium.  Et  chacun  dit  pour 
parvenir  et  pour  arriver  au  titre  si  impor- 
tant de  favori,  je  l'emporterai  sur  tous  mes 
concurrents,  et  je  prévaudrai  par  mes  adu- 
lations sur  tous  les  autres  flatteurs  ensem- 
ble :  Ero  spiritus  mendax  et  prœvalebo.  Mon 
Dieu!  qu'un  jeune  roi  ainsi  livré  aux  flat- 
teurs fait  pitié  à  ceux  qui  l'aiment  l  Non, 
les  tigres,  les  lions,  les  bêtes  les  plus  féro- 
ces, sont  moins  à  craindre  pour  lui,  et  le 
dévoreraient  avec  moins  de  rage.  De  tous  les 
fléaux  dont  Dieu  punit  Roboam,  le  plus  ter- 
rible sans  doute  fut  de  le  livrer,  au  commen- 
cement de  son  règne,  à  ces  jeunes  flatteurs 
qui  l'endormirent  dans  ses  vices,  et  qui,  maî- 
tres de  son  cœur,  y  entretinrent  la  hauteur, 
la  dureté  et  l'injustice.  Lorsque  les  anciens, 
par  tendresse  pour  lui,  par  reconnaissance 
pour  son  père  qui  les  avait  comblés  de  bien- 
faits, lui  donnaient  des  conseils  si  propres 
à  le  faire  aimer,  les  autres  le  portèrent  au 
contraire  à  ne  dire  au  peuple  que  des  paro- 
les d'affliction ,  et  fir.ent,  comme  il  arrive, 
d'un  roi  flatté,  un  roi  cruel,  un  roi  malheu- 
reux, un  roi  odieux,  haï  de  Dieu  et  des  hom- 
mes. 

Mais  quelles  armes  employer  contre  ces 
ennemis  en  cela  plus  redoutables  qu'ils  nous 
plaisent.  Jésus-Chrjst  daigne  vous  l'appren- 
dre. Il  les  faut  fuir,  il  les  faut  éloigner,  il 
les  faut  proscrire.  Quand  l'esprit  d'adulation 


631 


ORATEURS  SACRES.   LE  P.  SIR1A.N. 


032 


le  tente,  il  s'écrie  :  Retire-toi,  Satan.  Ainsi 
devez-vous  dire,  regardant  le  llatteur  selon 
l'idée  qu'en  donne  le  Sage,  tantôt  comme  un 
poison  subtil  qui,  entrant  de  lui-même,  sai- 
sit le  cœur  et  tue  l'âme  ;  tantôt  comme  un 
serpent  qui,  caché  sous  des  fleurs,  fait  mou- 
rir par  ses  piqûres  le  malheureux  qui  s'en- 
dort auprès  de  lui  ;  tantôt  comme  ces  mons- 
tres cruels,  qui,  par  la  douceur  de  leur  voix, 
ôtent  la  vie  à  ceux  qui  les  écoutent.  Vous, 
craignez-les,  évitez-les,  détestez-les;  si  vo- 
tre innocence  vous  est  chère,  si  votre  gloire 
même  vous  est  précieuse,  exterminez  de  vo- 
tre cour  les  flatteurs,  comme  vous  feriez  les 
traîtres,  et  croyant  voir  en  leur  personne  le 
démon  lui-même,  écriez-vous  à  leur  appro- 
che comme  Jésus-Christ  :  \ade  rétro,  Satan  a, 
retire-toi,  Satan.  Les  flatteurs  seuls  font  les 
tyrans  ;  ils  sont  plus  funestes  à  un  roi  que 
tous  ses  autres  ennemis  ensemble.  Contre 
ce  genre  d'hommes  si  méprisables  et  si  bas, 
n'emplovez  même  que  la  grandeur  et  la  no- 
blesse de  votre  âme  ;  il  y  a  autant  de  lâ- 
cheté de  cœur  dans  celui  qui  se  laisse  flat- 
ter, qu'il  y  en  a  dans  celui  qui  flatte.  Pour 
vous  mieux  défendre  des  flatteurs,  commen- 
cez par  ne  pas  vous  flatter  vous-même.  Car, 
mes  frères,  notre  cœur  d'ordinaire  nous  aide 
à  nous  abuser;  le  plus  dangereux  de  nos 
séducteurs,  c'est  notre  amour-propre;  on  ne 
nous  trompe  jamais  qu'en  second  ;  l'adula- 
tion même  tire  toute  sa  force  de  notre  fai- 
blesse et  de  notre  crédulité,  et  en  vain  les 
autres  voudraient  nous  flatter,  si  nous  ne 
nous  flattions  nous-mêmes.  Vous,  prince  au- 
guste, à  la  place  de  la  flatterie,  appelez  au- 
près de  vous  la  vérité,  la  sainte  et  céleste 
vérité,  vous  écriant  avec  le  roi  Ezéchias  : 
Domine,  sit  vrritas  in  diebus  meis.  (IV  Req., 

Seigneur,  si  vous  m  aimez,  si  vous  avez 
quelque  pitié  d'un  roi  si  jeune  qui  vous  im- 
Tilore  :  ahl  mettez  dans  ma  vie  ta  vérité  au 
lieu  de  la  flatterie.  Je  pourrais  vous  deman- 
der de  remplir  mes  jours  de  prospérités,  de 
victoires,  je  ne  vous  demande  que  la  vérité: 
hélas!  si  elle  méfait  triompher  des  flatteurs, 
ce  sera  pour  moi  une  assez  belle  victoire  :  Sit 
veritas  in  diebus  meis.  Eh  !  que  de  princes  dif- 
fèrent rie  la  voir  cette  vérité,  au  lit  de  la  mort, 
au  pied  de  votre  tribunal  terrible;  mais  qu'a- 
lors elle  est  affreuse  pour  eux  ;  cette  opposi- 
tion des  fausses  louanges  qu'on  leur  a  don- 
nées, avecles  vicestrop  réels  que  votrejustice 
leur  montre,  fait  leur  plus  cruel  tourment. 
Moi  je  vous  la  demande  pour  ma  jeunesse, 
pour  mes  plus  beaux  jours,  pour  tout  le 
cours  de  ma  vie  '.Sit  veritas  in  diebus  meis. 
Que  loin  de  la  fuir  j'aille  moi-même  au-de- 
vant de  cette  lumière  sainte;  que  toujours 
auprès  de  mon  trône  elle  m'éclaire,  elle  me 
guide;  qu'elle  règne  avec  moi,  et  par  moi, 
et  sur  moi  ;  que  j  aime  ces  hommes  sages 
qui  me  la  disent,  et  que  j'abhorre  ces  âmes 
lâches  qui  me  la  cacheront.  Je  sais  qu'en 
apparence  elle  est  austère,  mais  que  de  biens 
no  procure-t-clle  pas!  Fortifiez,  mon  Dieu, 
ce  goût  naturel  que  vous  m'avez  donné  pour 
elle,  et  que  toute  ma  vie  j'aie  le  courage  de 


l'écouter   et  la  force  de  la  suivre  :  Domine, 
sit  veritas  in  diebus  meis. 

TROISIÈME    rOIXT. 

Enfin,  dernière  tentation,  celle  de  l'or- 
gueil. Le  démon,  confus  de  n'avoir  pu  vain- 
cre'Jésus-Christ,  essaie  une  attaque  nouvelle, 
qu'il  croit  la  plus  forte.  11  transporte  le  Sau- 
veur sur  une  montagne  fort  haute,  et  lui 
montrant  tous  les  royaumes  du  monde  avec 
la  gloire  qui  les  accompagne,  il  lui  dit  :  Je 
vous  donnerai  toutes  ces  choses  si,  en  vous 
prosternant,  vous  m'adorez.  Cette  situation 
de  Jésus-Christ,  qui  n'était  pour  lui  qu'une 
fiction,  une  espèce  de  charme  et  de  prestige, 
est  dans  les  rois  une  réalité.  Ils  se  trouvent 
placés  sur  le  trône  comme  dans  un  lieu  émi- 
nent  d'où  ils  voient  à  leurs  pieds  le  reste  du 
monde.  Les  royaumes  delà  terre,  avec. toute 
leur  pompe,  non-seulement  leur  sont  mon- 
trés, mais  leur  sont  donnés.  Ce  n'est  pas  ici 
un  spectacle,  c'est  une  possession,  et  leur 
vie  est  un  état  tout  de  splendeur  et  tout  de 
gloire. 

Que  cette  tentation  pour  eux  est  délicate  1 
Qu'il  est  difficile  de  se  défendre  de  cette 
ivresse  de  cœur  que  la  royauté  donne  !  Que 
par  elle  la  faiblesse  humaine  est  attaquée 
fortement!  Dans  quel  danger  elle  met  l'hu- 
milité chrétienne!  Plus  votre  condition  est 
élevée,  s'écrie  saint  Augustin,  et  plus  elle 
est  périlleuse,  quanta  aitior,  tanto  periculo- 
sior.  La  souveraine  puissance  laisse  dans 
l'âme  je  ne  sais  quel  charme  qui  la  rem- 
plit et  l'occupe  tout  entière;  on  s'attribue 
une  supériorité  de  mérite  quand  on  a  une 
supériorité  de  grandeur;  on  tegarde  l'ambi- 
tion comme  Je  sentiment  et  presque  la  vertu 
des  grandes  âmes. 

Oh  !  qu'il  est  à  craindre  que  ceux  à  qui  le 
monde  accorde  tout,  ne  se  refusent  rien  à 
eux-mêmes  !  et  qu'enchantés  des  hommages 
que  les  peuples  vous  rendent,  vous  n'oubliiez 
ceux  que  vous  devez  à  Dieu! 

Aussi  c'est  sur  le  trône  que  Balthasar  croit 
être  un  Dieu.  C  est  sur  le  trône  qu'Antio- 
chus  s'adore  lui-même.  C'est  sur  le  trône 
que  Pharaon,  enflé  de  sa  puissance,  s'écrie 
orgueilleusement  :  c'est  moi  qui  me  suis 
fait.  C'est  sur  le  trône  que  Nabuchodonosor, 
séduit  par  sa  propre  grandeur,  fait  proster- 
ner les  peuples  devant  son  idole.  C'est  sur 
le  trône  qu'on  voit  dans  l'Ecriture  un  jeune 
prince,  avide  de  gloire,  tenter  l'empire  de 
l'univers;  concevoir  le  projet  superbe  de 
soumettre  à  ses  lois  toutes  les  nations , 
comme  si  elles  n'étaient  qu'un  seul  homme; 
vouloir  mettre  dans  sa  chaîne  le  genre  hu- 
main; saisir,  pour  ainsi  dire,  par  ses  désirs, 
le  globe  du  monde;  écouter  enfin  le  démon, 
quand  il  lui  dit,  en  lui  montrant  en  esprit 
tous  les  royaumes  de  la  terre  :  Si  vous  m'a- 
dorez, si  vous  voulez  obéir  à  mes  lois,  sui- 
vre mes  maximes,  être  ambitieux  sans  bor- 
nes et  sans  règle,  sacrifier  à  la  gloire  de  vo- 
tre nom  le  repos  et  le  bonheur  de  vos  peu- 
ples; enfin,  sous  le  titre  de  héros  être  un 
tyran,  et  le  fléau  de  la  terre,  je  vous  donne- 
rai toutes  ces  choses  :  Jlac  omnia  tibi  ûufco. 


633 


PETIT  CAREME. 


SERMON  îl    TENTATIONS  DES  ROIS. 


6ôi 


(Matth.,  IV.)  Mais  comment  le  Sauveur  re- 
pousse-t-il  cet  esprit  d'orgueil  et  de  super- 
be? lotis  adorerez,  dit-il,  le  Seigneur  voire 
Dieu,  (lbid.) 

Et  voilà  ce  qu'après  lui  je  dis  encore  ici 
au\  grands  du  inonde,  pour  les  défendre  de 
la  vanité  que  la  grandeur  leur  inspire  :  Vous 
adorerez  le  Seigneur  votre  Dieu;  c'est-à- 
dire,  puisque  vous  avez  besoin  de  plus 
grandes  grâces  pour  combattre  l'impression 
des  grands  objets  qui  frappent  sans  cesse 
votre  Ame,  pour  vaincre  l'éclat  trompeur  des 
vanités  et  des  pompes  du  monde;  puisque 
cette  élévation  où  vous  êtes  vous  expose  à 
de  plus  grands  périls,  forme,  pour  ainsi 
d.re,  sous  vos  pieds  de  plus  grands  abîmes, 
vous  prépare  ,  au  jugement  de  Dieu  ,  un 
compte  plus  terrible  et  des  supplices  plus 
rigoureux,  qu'elle  vous  porte  davantage  à 
recourir  à  lui,  à  le  prier,  à  le  conjurer  d'a- 
voir pitié  de  votre  état,  et  à  l'adorer  par  un 
culte  plus  fervent,  plus  religieux,  plus 
fidèle  :    Dominum    Deum     tuum    adorabis. 

C'est-à-dire,  le  dessein  du  démon,  en  vous 
offrant  les -royaumes  du  monde,  est  de  vous 
remplir  d'orgueil  ;  au  contraire,  que  cette 
vue  vcus  humilie,  vous  épouvante  par  le 
nombre  infini  de  vos  dangers  et  de  vos  de- 
voirs; que  ce  spectacle  de  tant  de  peuples 
qui  vous  sont  soumis  et  à  qui  vous  devez 
l'exemple,  vous  inspire  un  désir  ardent  de 
les  édifier,  de  les  sanctifier,  et  de  les  porter 
à  adorer  Dieu,  en  l'adorant  vous-même  : 
Dominum  Deum  tuum  adorabis. 

C'est-à-dire,  au  lieu  de  vous  livrer  au  désir 
insensé  d'acquérir  de  nouveaux  royaumes, 
(ie venez  vous-même  le  royaume  de  Dieu  en 
le  faisant  régner  souverainement  dans  votre 
âme.  Les  plus  belles  conquêtes  d'un  roi 
chrétien  sont  la  vertu,  la  piété,  l'amour  des 
peuplés,  la  soumission  aux  lois,  la  douceur, 
la  bonté,  la  justice.  Voilà  l'empire  qu'il  doit 
conquérir;  voilà  le  royaume  auquel  il  doit 
prétendre.  S'il  aime  tant  la  guerre,  qu'il  la 
fasse  donc  aux  plus  grands  ennemis  des  rois, 
au  faste,  à  l'orgueil,  à  la  vanité,  à  cette  am- 
bition inquiète  et  insatiable  qui  veut  tout 
avoir,  et  toujours  croître.  La  plus  noble  va- 
leur est  celle  qui  combat  les  vices  ;  et  celui 
qui  dompte  son  cœur,  dit  le  Sage,  vaut  mieux, 
est  plus  hérosque  celui  qui  prend  des  villes. 
La  véritable  gloire  d'un  roi  est  d'être  roi  de 
lui-même;  de  ranger  ses  vices  au  nombre  de 
ses  sujetSj  et  qu'il  n'y  ait  rien  dans  son 
cœur  dont  il  ne  soit  le  maître.  Sans  doute 
de  toutes  les  guerres  que  font  les  souverains, 
la  plus  nécessaire  pour  eux  et  la  plus  glo- 
rieuse est  celle  qu'ils  font  à  leurs  passions. 
Vous,  Sire,  avant  que  les  vôtres  croissent, 
combattez-les,  surmontez-les;  rapportez  à 
Dieu  seul  toute  votre  ambition,  toute  votre 
grandeur,  toute  votre  puissance,  et  que  tout 
vous-même  soit  pour  lui  un  hommage  uni- 
versel, une  seule  adoration  et  un  grand  sa- 
crifice :  Dominum  Deum  tuum  adorabis. 

Enfin,  si  la  gloire  du  trône  vous  tente, 
loin  d'en  regarder  l'éclat  et  la  pompe,  con- 
sidérez-en la  fragilité.  Vovez  comme  sou'- la 


suprême  majesté  de  Dieu  les  sceptres  et  les 
couronnes  s'évanouissent  ;  voyez  à  ses  pieds 
fondre  et  s'anéantir  toutes  le»  grandeurs  de 
la  terre;  voyez  dans  ce  torrent  des  siècles, 
qui,  se  poussant  les  uns  les  autres,  s'écou- 
lent si  rapidement,  tant  de  rois ,  tant  de 
princes  disparaître.  Hélas!  sire,  et  à  qui  sur 
ce  point  la  providence  rigoureuse  du  Sei- 
gneur a-t-elle  jamais  fait  coup  sur  coup  des 
leçons  plus.  Listes!  I!  ne  se  peut  qu'à  ce 
moment  nos  entrailles  ne  s'émeuvent.  Voyez 
enfin  comme  sous  le  soleil  rien  n'est  durable; 
et  au  milieu  du  dépérissement  général  de 
toutes  choses,  adorez  Dieu,  seul  grand,  seul 
vrai,  seul  roi,  seul  toujours  lui-même,  seul 
immuable  et  immortel  au  milieu  de  la  dé- 
cadence de  tout  le  reste.  Seul  digne  d'être 
adoré,  vous  devez  le  craindre,  l'aimer,  le 
servir  uniquement,  puisqu'il  est  votre  seul 
maître  :  Dominum  Deum  tuum  adorabis,  et 
iili  soli  servies.  (Matth.,  IV.) 

A  ces  paroles,  le  démon  vaincu  laissa  le 
Sauveur,  dit  l'Evangile,  et  les  anges  de 
Dieu  s'approchèrent  de  lui  et  le  servirent  : 
Acccsserunt  angeti  et  minislrabart- 'et.  (lbid.) 

Puissiez-vous  ainsi  l'éprouver,  prince  au- 
guste ;  laissez-le,  esprit  mauvais;  éloignez- 
vous  à  jamais  d'une  âme  si  pute;  et  vous, 
approchez  de  lui,  esprits  célestes  ;  anges 
saints,  veillez  sur  lui  ;  faites  la  garde  autour 
de  son  cœur;  empêchez  que  son  innocence 
ne  lui  échappe,  et  qu'on  ne  lui  ci. lève  son 
trésor;  nous  confions  en  vos  mains  fidèles 
un  dépôt  si  cher. 

Et  vous,  mon  Dieu,  du  haut  du  ciel,  écou- 
tez la  prière  que  vous  fait  ici ,  avec  David, 
ce  prince  votre  enfant,  l'objet  de  vos  misé- 
ricordes :  Deus  fortis  meus  (II  llcg.,  XX11), 
ô  mon  Dieu  !  o  ma  force  :  Elevator  meus 
(lbid.),  vous  qui  m'avez,  contre  toute  ap- 
parence, élevé  sur  le  trône,  et  qui  pouvez 
seul  m'y  servir  d'asile  contre  ses  dangers, 
et  refugiummeum  (lbid.)  Ah!  da'gnez jeter 
sur  moi  un  regard,  il  n'en  faudra  pas  davan- 
tage pour  vous  toucher  de  compassion  ;  re- 
spicein  me  et  miserere  (Psal.  XXIV),  ayez 
pitié  de  ma  jeunesse  ,  ayez  pitié  de  mon 
état.  Que  je  suis  à  plaindre!  Torrcntet  cir- 
cumdedcrunt  me,  sur  le  trône,  ce  n'est  pas 
une  tentation  seule  qui  m'attaque,  c'est  un 
torrent  de  vices  et  de  péchés  qui,  élevé  sur 
moi,  semble  vouloir  engloutir  mon  âme. 
Funcs  inferni  invenerunt  me  (II  lîeg.,  XXII), 
l'orgue  1,  la  volupté,  la  flatterie,  toutes  les 
passions,  comme  des  liens  d'enfer,  s'avan- 
cent vers  moi  pour  m'enchaîner  et  me  ren- 
dre \cuv osd<\vu. Ad  te  cou f agi.  (Psal.  CX.LIL) 
Alarmé  sur  moi-môme,  j'ai  retours  à  vous; 
je  me  jette  entre  vos  bras;  m'abandonne- 
riez-vous,  père- tendre?  eh!  que  devien- 
drai-je,  sans  vous  ;  hâtez-vous  de  me  secou- 
rir; attendrissez-vous  sur  un  prince  qui,  au 
comble  même  de  la  grandeur  humaine,  se 
trouve  malheureux  par  le  danger  seul  où  il 
est  de  vous  perdre  :  Tu  aulem  adjura  me. 
(Psal.  CVIII.  )  Dieu  terrible  et  miséricor- 
dieux ,  hélas!  dans  les  premiers  jours  de  ma 
vie,  par  quelles  disgrâces  m'avez-vous  af- 
fligé? Quanta»  ostcnaisli  inihi  Iribulationesl 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  Sl'RlÀN. 


635 

(  Psal.  LXX.  )  Elles  ont  été  infinies  dans  leur 
nombre  et  extrêmes  dans  leur  grandeur  : 
Multas  et  magnas.  De  abyssis  terra  rcduxisti 
me  (  Ibid.  ) ,  '  vous  m'avez  retiré  moi-même 
de  l'abîme  de  la  mort  où  j'étais  près  de  tom- 
ber ;  ô  Dieu  !  ô  mon  Dieu  !  pour  mon  salut 
j'ai  de  pins  grands  périls  à  craindre!  Cus- 
lodi  itinocentinm  (Psal.  XXXVI),  si  je  vous 
suis  encore  cher,  si  vous  avez  quelque  égard 
à  la  piété  de  mes  pères,  aux  prières  si  ten- 
dres, si  redoublées  que  vous  font  ici  pour 
moi  ceux  à  qui  mon  éducation  est  confiée  ; 
conservez-moi  l'innocence,  cette  innocence 
dans  un  jeune  roi  si  exposée,  si  combattue  ; 
après  tant  de  pertes,  que  du  moins  je  ne 
fasse  pas  celle  de  mon  Dieu;  ce  serait  la 
plus  lamentable  :  Custodi  innocentiam.  Non, 
que  jamais  ce  cœur  qui  vous  aime  si  tendre- 
ment ne  vous  offense;  non,  que  jamais  vo- 
tre image  en  moi  ne  se  flétrisse.  Si  je  con- 
naissais un  bien  plus  précieux,  je  vous  le 
demanderais  ;  je  vous  demande  la  grâce  de 
ne  jamais  vous  offenser,  de  perdre  plutôt  ma 
couronne  et  ma  vie  que  de  commettre  un 
seul  péché  :  Custodi  innocentiam.  Si  cette 
grA  ce  ne  s'accorde  qu'à  nos  larmes,  les  mien- 
nes coulent  ici  pour  l'implorer.  Soyez-en 
touvhé,  Seigneur,  songez  qu'elles  vous  de- 
mandent pour  moi  de  vous  aimer  toujours, 
de  ne  jamais  vous  perdre,  d'être  sans  cesse 
auprès  de  vous,  comme  un  enfant  auprès  de 
son  père.  Bmedicam  tibi,  si  j'obtiens  un 
bien  si  cher,  je  vous  en  bénirai  et  et  sur  la 
terre  et  dans  le  ciel  durant  toute  l'éternité 
bienheureuse.  Je  vous  la  souhaite. 

SERMON  III. 

Pour  le  second  dimanche  de  carême. 

SUR    LES   CARACTÈRES  DE  LA    GRANDEUR    CHRÉ- 
TIENNE. 

Hic  est  Filins  meus  dilectas,  ipsum  audile.  (Mattli., 
XVII.) 

C'est  ici  mon  Fils  bien-aimé,  écoutez-le. 

Sire, 

C'est  aux  grands'  et  aux  rois  surtout  que 
Jésus-Christ,  en  ce  saint  jour,  daigne  se 
donner  en  spectacle.  C'est  à  eux  que  du  haut 
du  ciel  le  Père  ordonne  de  l'entendre.  Quel 
maure  plus  grand,  plus  saint,  plus  digne 
d'eux;  et  que,  dans  les  circonstances  de  ce 
mystère  glorieux,  il  leur  fait  des  leçons  pro- 
pres et  touchantes! 

Non,  pour  vous,  puissants  du  siècle,  rien 
n'est  vide,  rien  n'est  stérile  sur  le  Thabor; 
chaque  parole  due  le  Sauveur  y  dit  est  une 
vérité  qu'il  y  enseigne;  chaque  démarche 
qu'il  y  fait  contient  un  devoir  qu'il  y  im- 
pose. 11  veut  que  s'il  y  est  l'image  visible  de 
votre  gloire,  vous  y  deveniez  les  imitateurs 
fidèles ide  sa  sainteté.  11  s'y  tourne  tout  en- 
tier en  instruction  pour  vous  ;  que  les  grands, 
que  les  princes,  que  les  rois,  que  le  monde 
entier,  prosterné  devant  lui,  l'éroutent  ;  c'est 
le  maître  de  l'univers  :  Ipsum  audite.  Et 
dans  l'explication  et  l'homélie  de  notre  évan- 
gile, vous  allez  voir  l'un  après  l'autre  les 
caractères  de  la  grandeur  chrétienne  tracés 


636 


en  la  personne  même  d'un  Dieu,  et  mis  dans 
un  jour  si  beau,  qu'il  vous  serait  égale- 
ment, et  impossible  de  ne  les  pas  voir,  et 
honteux  de  ne  les  pas  suivre.  Ne  perdez 
rien,  Sire,  d'un  spectacle  si  grand,  et  dans 
lequel,  comme  en  abrégé,  se  trouvent  re- 
cueillis et  tout  le  bonheur  et  toute  la  reli- 
gion d'un  prince.  Demandons  les  lumiè- 
res, etc. 

Sire , 

Jésus  ayant  pris  avec  lui  Pierre,  Jacques 
et  Jean  son  frère,  les  fit  aller  sur  une  mon- 
tagne éloignée.  C'est  ici  un  des  principaux 
devoirs  de  la  grandeur  chrétienne.  Ce  Roi 
des  rois  et  ce  modèle  des  princes,  Jésus- 
Christ,  ne  veut  pas  seulement  vous  faire  con- 
naître, par  le  choix  qu'il  fait  de  ces  trois 
apôtres  pour  avoir  part  à  sa  confiance,  qu'un 
roi  (chose  rare)  doit  avoir  des  amis,  et  qu'il 
doit  les  prendre  d'ord-inaire  dans  son  pro- 
pre sang;  car  Jésus-Christ  préfère  ici  son 
frère;  mais  qu'à  l'exemple  du  Sauveur  qui 
choisit  Pierre,  distingué  par  sa  foi  si  iné- 
branlable, Jacques  si  plein  de  zèle  pour  la 
vérité,  Jean  si  recommandable  par  l'inno- 
cence de  ses  mœurs;  un  prince,  destiné  à 
gouverner  les  peuples,  ne  doit  prendre  de 
liaisons  étroites  qu'avec  des  hommes  sages 
et  vertueux,  car  les  liaisons  qu'il  prend  dé- 
cident presque  toujours  de  ses  mœurs  et  de 
sa  gloire.  On  nous  croit  tels  que  ceux  que 
nous  aimons;  nous  devenons  même  ce  que 
nous  chérissons,  et  rien  n'est  plus  propre  à 
nous  rendre  vertueux  que  d'aimer  la  vertu 
même. 

Mais  une  instruction  plus  nécessaire  en- 
core vous  est  ici  donnée,  par  le  soin  qu'a 
Jésus-Christ  de  se  dérober  au  monde  pour 
aller  dans  un  lieu  solitaire  et  retiré,  in  mon- 
tem  seorsum.  Et.  que  vcut-il  apprendre  par 
là  aux  grands  du  siècle,  à  ces  hommes  tou- 
jours dissipés  et  absents  d'eux-mêmes,  tou- 
jours attirés  et  répandus  au  dehors,  toujours 
dans  l'agitation  et  le  tumulte  du  monde,  tou- 
jours étrangers  à  leur  propre  cœur,  et  qui 
n'ont  rien  de  plus  éloigné  d'eux  qu'eux- 
mêmes?  Il  leur  apprend  que  plus  leur  état 
les  dissipe,  plus  ils  doivent  s'efforcer  de  se 
recueillir,  et  se  ménager  au  moins  des  mo- 
ments heureux  où  ils  puissent,  sous  l'œil  de 
Dieu,  retrouver  quelquefois  leur  Ame,  et  se 
mettre  dans  cette  situation  si  désirable  où 
furent  les  apôtres  sur  le  Thabor,  lorsque, 
rendus  invisibles  à  tout  le  reste,  ils  ne  vi- 
rent plus  (pie  Jésus  seul  :  Nihil  viderunt. 
nisi  solum  Jcsum. 

Et  n'allez  pas  dire,  prince  auguste,  que 
c'est  le  malheur  de  votre  condition  d'être 
incompatible  avec  la  retraite.  Ehl  quoi,  igno- 
rez-vous que  c'est  être  hors  du  inonde  que 
de  ne  pas  l'aimer;  (pie  Dieu,  qui  est  esprit, 
demande  de  vous  une  solitude  d'esprit;  que 
c'est  le  cœur  qui  fait  notre  dissipation  ou 
notre  retraite,  et  qu'au  milieu  de  la  cour 
môme  nous  sommes  solitaires,  s'il  esta  Dieu, 
et  dissipés  dans  le  désert,  s'il  est  au  monde? 
Ignorez-vous  qu'il  y  a,  selon  saint  Paul;  une, 
retraite  morale  intérieure  et  nécessaire  où 


6Ô7 


PETIT  CAREME.  —  SERMON  III,  GRANDEUR  CHRETIENNE. 


c:.o 


l'éloignemcnt  du  cœur  supplée  à  la  distance 
des  lieux  ,  et  où  le  chrétien  ,  fût-il  prince, 
fût-il  roi,  ne  pouvant  sortir  du  monde,  fait 
sortir  le  monde  de  lui-même,  y  demeure  par 
ce  qui  y  engage,  et -en  est  dehors  par  ce  qui 
y  corrompt?  Semblable  à  ces  anges  qui,  par 
le  corps,  au  milieu  des  peuples  exerçaient 
sur  la  terre  des  ministères  de  salut,  par  l'es- 
prit un  prince  demeure  toujours  uni  à  Dieu, 
et  imite  en  quelque  sorte  cet  Etre  suprême 
qui,  mêlé  ici  et  répandu  en  toutes  choses, 
n'a  point  de  part  à  leur  corruption. 

David,  au  milieu  des  soins  de  son  royau- 
me, au  milieu  même  de  l'éclat  de  ses  victoi- 
res, crie  à  Dieu  :  Seigneur,  j'ai  retrouvé  mon 
cœurfugitiflorsqualescharmesde  la  royauté, 
lorsque  la  gloire  de  mes  triomphes,  lorsque 
les  occupations  inséparables  de  l'empire 
étaient  près  de  me  l'enlever;  je  l'ai  repris 
avec  force,  je  l'ai  ramené  à  vous,  et  l'ai  tout 
recueilli  en  votre  présence,  Domine,  inverti 
cor.  Et  s'il  sut  alors  recueillir  son  cœur,  est- 
il  une  situation  où  nous  ne  puissions  re- 
trouver le  nôtre?  Duxit  cos  in  montent  seor- 
sum  ;  il  les  mena  sur  une  montagne  éloignée, 
et  là  il  fut  transfiguré  devant  eux  :  Et  transfi- 
gurât us  est. 

Qu'il  fut  beau  de  voir  Jésus-Christ  au  mi- 
lie  i  de  ses  apôtres  passer  tout  en  gloire, 
prendre  une  forme  nouvelle  et  céleste,  lais- 
ser, ce  me  semble,  tout  ce  qu'il  avait  de 
l'homme  pour  ne  paraître  que  Dieu.  J'ose 
le  dire,  tel  doit  être  un  roi  destiné  à  servir 
de  spectacle  au  monde.  Au  milieu  de  ses 
peuples,  il  doit,  apparaître  comme  transfi- 
guré en  quelque  chose  de  sacré  et  de  divin, 
selon  l'expression  de  Dieu  même.  O  rois  I 
vous  êtes  des  dieux:  DU  cslis.  (Psal.  LXXXI.) 
Un  prince  élevé  sur  le  trône  doit  se  regarder 
comme  un  homme  qui  représente  Dieu,  qui 
tient  la  place  de  Dieu,  dont  les  prensées,  les 
désirs,  les  sentiments,  les  vues  doivent  avoir 
quelque  chose  de  noble,  d'élevé,  qui  exprime 
Dieu  et  qui  soit  digne  de  Dieu;  à  l'image  de 
la  grandeur  de  Dieu  conviennent  les  choses 
grandes ,  et  à  l'image  de  se.  sainteté,  les  cho- 
ses saintes.  En  lui,  quand  il  gouverne  ses 
peuples  ,  l'homme,  s'il  se  peut  dire,  doit 
disparaître  avec  ses  faiblesses,  avec  ses  pas- 
sions, avec  ses  vices,  pour  ne  laisser  voir 
que  la  sainteté  de  Dieu  dont  il  est  l'image  : 
'J'rans/îguratus  est. 

Il  faut  que  celte  ressemblance  avec  Dieu 
lui  change  le  cœur,  lui  élève  l'cime,  le  rende 
une  autre  personne  et  un  homme  nouveau  : 
Transfiguratus  est-  La  royauté,  comme  étant 
un  rayon  et  un  écoulement  de  la  majesté  di- 
vine, doit  l'élever  au-dessus  des  sentiments 
de  la  haine,  de  l'intérêt,  de  la  vengeance,  le 
porter  à  pardonner,  à  compatir,  à  soulager 
comme  Dieu  ;  à  conduire  comme  lui  les  hom- 
mes à  la  vertu  par  des  bienfaits  et  des  grâ- 
ces ;  il  faut  que  dans  un  roi  tout  exprime 
Dieu,  tout  se  ressente  de  Dieu  ,  que  toutes 
ses  actions  respirent  je  ne  sais  quoi  de  grand, 
de  saint,  de  céleste,  à  quoi  on  reconnaisse 
l'homme  de  Dieu  sur  les  peuples.  11  faut 
«f'ï'un  prince  que  Dieu  a  transformé  en  l'i- 
mage Je  sa  grandeur,  de  son  autorité,  de  sa 


puissance,  se  transforme  lui-même  en  l'i- 
mage de  sa  justice,  de  sa  bonté,  de  sa  misé- 
ricorde ,  et  que  cette  ressemblance  auguste, 
qui  commence  en  vous  par  l'éminence  de 
votre  rang,  s'y  achève  par  la  sainteté  de  votre 
vie  :  Transfiguratus  est. 

11  faut  qu'on  puisse  dire,  ce  roi  que  vous 
voyez  sur  le  trône  semble  régner,  mais  c'est 
Dieu  qui  par  lui  règne  ;  il  a,  ce  semble, 
pris  sa  place;  sa  royauté  n'est  qu'une  portion 
de  la  royauté  divine;  en  sa  personne  Dieu 
juge,  Dieu  parle,  Dieu  punit,  Dieu  récom- 
pense, Dieu  fait  la  paix,  Dieu  fait  la  guerre  ; 
son  règne  est  l'empire  de  Dieu,  sa  puissance 
est  sa  puissance;  il  n'agit  que  par  son  es- 
prit; il  n'est  pas  roi  pour  lui-même,  mais 
pour  Dieu;  et  imitant  comme  il  le  peut  sur 
le  trône  Jésus-Christ  sur  le  Thabor,  il  paraît 
comme  caché,  comme  perdu,  comme  absorbé 
dans  la  sa:nteté  de  Dieu,  et  en  lui  on  ne  voit 
presque  plus  rien  de  l'homme  :  Transfigu- 
ratus est. 

>-  O  roisl  s'écrie  à  ce  sujet  saint  Grégoire, 
vous  qui  êtes  revêtus  de  l'image  et  de  la 
puissance  de  Dieu,  révérez  cette  autorité  qui 
n'est  f  as  la  vôtre,  mais  la  sienne  :  vivez  sain- 
tement, puisque  vous  êtes  comme  transfor- 
més en  un  Dieu  saint.  Eu  égard  au  caractère 
de  la  divinité  que  vous  portez,  respectez- 
vous  vous-mêmes;  ayez  pour  vos  personnes 
sacrées  une  espèce  de  religion  qui  vous  em- 
pêche de  vous  déshonorer  par  aucun  désor- 
dre. Vos  moindres  péchés  ne  sont-ils  pas  en 
vous  des  profanations  et  des  irrévérences 
énormes?  Et  quelle  audace  monstrueuse 
serait-ce  à  un  roi  d'user  de  la  puissance  d'un 
Dieu  miséricordieux  pour  faire  des  actions 
cruelles?  De  livrer  en  vous  l'image  de  Dieu 
au  péché  et  à  l'infamie;  d'être  assis  sur  le 
trône  de  Dieu  et  de  violer  toutes  les  lois  di- 
vines? Dieu  se  représente-t-il  par  l'injustice 
et  le  crime?  Reconnaissez  mieux  le  grand 
mystère  de  Dieu  en  vous  ;  il  gouverne  le 
ciel  par  lui-même  et  il  partage  avec  vous 
l'empire  de  la  terre.  Soyez  donc  des  dieux 
pour  vos  sujets;  c'est-à-dire,  gouvernez-les 
comme  Dieu  gouverne  le  monde,  avec  sa- 
gesse, avec  bonté,  avec  clémence,  d'une  ma- 
nière noble,  juste,  bienfaisante,  en  un  mot 
divine;  sans  cela  votre  jugement  sera  plus 
rigoureux,  et  si  vous  n'êtes  ici  de  grands 
exemples  de  la  sainteté  de  Dieu,  vous  serez 
un  jour  de  grands  exemples  de  sa  justice  : 
Tra  n  sjig  u  rat  us  est. 

Mais  voyons  dans  les  circonstances  de  la 
transfiguration  sainte  de  Jésus-Christ  les  le- 
çons (ju'il  daigne  vous  faire  encore.  11  pa- 
rut, dit  l'Evangile,  brillant  de  lumière,  et 
ses  vêtements  étaient  blancs  comme  la  neige. 
U  exprimait  par  là,  dit  saint  Chrysostome, 
deux  devoirs  essentiels  à  tout  chrétien  :  l'un, 
qu'il  doit  s'instruire  lui-même  et  se  rem- 
plir, pour  ainsi  dire,  de  lumière;  l'autre, 
qu'il  doit  édifier  les  peuples  et  leur  offrir 
des  mœurs  pures  et  réglées.  Mais  si  ces 
devoirs  sont  imposés  à  tous  les  chrétiens, 
qu'ils  le  sont  davantage  à  un  roi,  et  à  un  roi 
dans  un  Age  tendre  I  II  se  doit  à  lui-même 
l'instruction,  et  à  ses  sujets  l'exemple.  11 


639 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SURlAN. 


G40 


faut  qu'on  puisse  dire  de  lui  :  il  parut  au 
milieu  d'eux  tout  brillant  de  lumière. 

D'ordinaire  la  jeunesse  des  rois  paraît  la 
partie  o'e  leur  vie  la  plus  indifférente  et  la 
plus  vide.  Elle  est  en  eux  comme  une  sus- 
pension générale  de  toutes  les  actions  écla- 
tantes qui  font  la  gloire  des  souverains;  c'est 
néanmoins  !a  plus  importante,  la  plus  pré- 
cieuse, d'où  dépendent  les  autres  âges  :  la 
jeunesse  seule  est  le  temps  d'apprendre. 
Celui  qui  apporte  au  gouvernement  l'igno- 
rance, est  assuré  de  la  conserver  toujours;  il 
n'apprendra  plus  que  par  l'expérience,  qui 
est  le  plus  mauvais  des  maîtres  ;  il  vaut 
mieux  devoir  sa  sagesse  à  l'instruction. 

Et  de  quoi  un  roi  doit-il  s'instruire?  Loin 
d'imiter  ces  grands  du  monde,  qui,  croyant 
que  leur  seule  naissance  leur  suffît  et  leur 
tient  lieu  de  mérite,  s'endorment  dans  la 
mollesse  et  l'oisiveté,  font  gloire  même  de 
leurs  ténèbres,  n'ont  d'autre  science  que  les 
plaisirs,  savent  tout  ce  qu'ils  devraient  igno- 
rer, ignorent  tout  ce  qu'ils  devraient  savoir, 
et  marchant  ainsi  dans  une  nuit  profonde, 
font  autant  de  chutes  qu'ils  font  de  pas.  Un 
jeune  prince  doit  s'instruire  de  tout  ce  qui 
peut  le  rendre  sage  et  ses  peuples  heureux  ; 
il  doit  apprendre,  et  avec  soin,  l'histoire  du 
monde,  l'histoire  de  son  état,  et  surtout 
l'histoire  sainte,  ce  livre  où  est  peinte  avec 
tant  de  force  la  grandeur  de  Dieu,  qui  en  est 
.'âme  et  comme  le  seul  héros;  il  y  tire  et 
du  bien  et  du  mal  qu'on  y  a  fait,  des  secours 
puissants  pour  sa  conduite.  Là,  mieux  que 
nous,  Saùl  réprouvé  pour  sa  désobéissance 
lui  apprend  à  se  soumettre  à  Dieu;  là  Salo- 
mon,  de  voluptueux  devenu  idolâtre,  lui 
inspire  une  horreur  sainte  pour  les  profanes 
plaisirs;  là,  les  grâces  dont  Dieu  comble  Jo- 
saphat,  ce  prince  si  religieux,  l'animent  for- 
tement à  la  piété;  là,  Josias  béni  de  Dieu 
pour  avoir  écouté  sa  loi  et  rétabli  son  culte, 
le  remplit  de  respect  et  de  zèle  pour  la  pa- 
role sainte  et  pour  la  religion;  là,  quand  il 
voit  Néhémias  devenir  le  plus  cher  objet  des 
miséricordes  du  Seigneur  pour  avoir  sou- 
lagé son  peuple,  il  sent  naître  dans  son  cœur 
un  amour  tendre  pour  ses  sujets.  L'histoire 
sacrée  est  comme  un  grand  livre  toujours 
ouvert  devant  ses  yeux  pour  y  voir  Dieu,  et 
pour  le  suivre;  il  y  étudie  ses  voies,  il  y 
adore  ses  ordres;  chaque  événement  y  est 
une  leçon  pour  lui,  pour  lui  chaque  roi  y  de- 
vient un  maître  qui  lui  apprend,  ou  la  pa- 
tience au  milieu  des  plus  grands  malheurs, 
ou  l'humilité  au  comble  de  la  gloire  et  dans 
te  torrent  des  prospérités.  Sans  cesse  il  y 
prend  des  exemples  de  ce  qu'il  y  voit  de 
grand  et  de  saint,  il  y  forme  ses  mœurs  sur 
la  sagesse  de  tous  les  siècles;  il  semble  que 
toute  l'antiquité  sainte  n'a  agi  que  pour  lui; 
il  semble  qu'elle  lui  ait  prépaie  de  loin  des 
sentiments  sages  et  religieux  pour  toutes  les 
situations ,  pour  toutes  les  épreuves  dans 
•esquelles  ,ici-bas  un  prince  peut  être  ;  il 
rapporte  à  son  instruction  tout  ce  (pie  Dieu 
y  a  dit,  tout  ce  que  Dieu  y  a  fait.  Ce  qu'il  y 
noit  de  bon  séparément  dans  (harpie  roi.  il 
,ls.saie  de  le  recueillir,  de  le  rassemble- en  lui 


seul;  il  met  dans  son  empire  comme  en  abré- 
gé la  félicité  de  tous  les  temps;  il  s'enrichit 
des  vertus  et  de  la  piété  de  tous. les  règnes. 
Ah!  lisez,  sire,  et  relisez  l'histoire  du  Sei- 
gneur, quel  trésor  préoieux  pour  vous  1  et 
pour  nous  quelle  espérance,  quelle  joie,  de 
pouvoir  retrouver  par  là  dans  notre  seul  roi 
tous  les  bons  rois  ensemble  î 

Et  que  devez-vous  apprendre  encore  ?  l'art 
de  régner  et  de  conduire  sagement  vos  peu- 
ples. Car  ce  n'est  pas  assez  pour  un  roi  d'a- 
voir au  dehors  de  la  valeur  et  du  courage,  il 
faut  qu'il  a;t  aa  dedans  de  la  prudence  et  de 
la  capacité.  David  n'était  pas  seulement  vic- 
torieux à  la  tète  de  ses  armées,  mais  à  Jéru- 
salem nul  avant  lui  ne  fut  si  habile  dans  la 
science  de  régner;  ce  même  roi  était  dans  la 
guerre  un  héros,  et  dans  la  paix  un  grand 
homme. 

Mais  si  un  souverain  doit  savoir  la  loi  des 
peuples  qu'il  gouverne,  il  doit  bien  plus 
encore  s'instruire  de  la  loi  de  Dieu;  cette  loi 
qui  le  jugera;  cette  loi  qui  peut  seule  le  san- 
ctifier, cette  loi  que  Moïse  voulait  que  les  rois 
lussent  sans  cesse,  qu'ils  la  portassent  avec 
eux  pour  en  faire  leur  étude  et  leur  règle;  il 
doit,  comme  (ht  l'Apôtre,  se  remplir  de  la 
science  suréminente  de  Jésus-Christ,  de  son 
esprit,  de  son  Evangile,  de  ses  vertus,  de 
ses  préceptes,  de  ses  jugements,  et  se  les 
imprimer  au  plus  profond  de  son  âme.  Enfin, 
comme  il  est  dit  du  jeune  Salomon,  un  roi 
doit  être  au  milieu  de  son  Etat  ce  que  le  so- 
leil est  au  milieu  du  monde,  une  lumière 
vive  et  féconde  qui  anime  tout,  qui  éclaire 
tout;  il  doit  être  l'âme  et  l'intelligence  dé  son 
empire,  et  il  faut  qu'on  puisse  dire  de  lui, 
comme  aujourd'hui  de  Jésus-Christ  :  il  pa- 
rut au  milieu  d'eux  tout  brillant  de  lumière, 
resplcnduil  sicut  sol. 

Et  pourquoi  l'Evangile  a-t-il  ajouté  que 
ses  habits  parurent  blancs  comme  la  neige? 
C'est  pour  vous  apprendre,  prince  auguste, 
qu'à  la  lumière  de  l'instruction  vous  devez 
ajouter  celle  de  l'exemple.  Car  un  roi,  si  de- 
vant Dieu  il  veut  trouver  grâce,  doit  rapporter 
toutesa  vie  au  seul  point  de  l'édification;  il  ne 
saurait  ni  se  perdre,  ni  se  sauver  seul.  Je 
l'avoue,  il  peut  charger  ses  ministres  de  la 
police  extérieure  de  son  Etat;  il  peut  se  repo- 
ser sur  eux  des  fonctions  de  la  justice,  de  la 
culture  des  arts,  de  l'ordre  de  ses  finances, 
du  commandement  de  ses  armées,  mais  il  ne 
peut  se  reposer  que  sur  lui-môme  du  bon 
exemple;  il  est  chargé  de  ce  précieux  dépôt; 
c'est  son  devoir  le  plus  propre.  Dans  la 
sphère  sublime  où  Dieu  l'a  attaché,  il  doit 
mouvoir  comme  lui  tous  les  cœurs  à  la  vertu. 
Et  quel  emploi  fut  plus  beau  !  quelle  desti- 
née fut  plus  noble  1  L'empire  semble  com- 
posé comme  un  grand  tableau  où  chaque 
personnage  selon  son  état  doit  avoir  sa  perfec- 
tion propre,  mais  où  il  faut  que  la  princi- 
pale figure,  qui  est  le  roi,  soit  plus  achevée 
et  plus  finie;  en  lui  la  primauté  du  rang  de- 
mande la  primauté  de  la  vertu.  Nous  som- 
mes faits  de  ti-le  sorte,  que  l'exemple  des 
grands  nous  plie  et  nous  tourne  de  quel  côté 
il  veut;  on  vl  par  rapport  à  ce  qu'on  aime, 


Cil 


PETIT  CAREME.  —  SERMON  III,  GRANDEUR  CHRETIENNE. 


612 


et  comme  on  aime  la  grandeur,  on  vit  comme 
la  grandeur  même.  Quand  Hérode  méprise 
.Jésus-Christ,  tout  son  peuple,  tousses  sol- 
dats imitent  ce  mépris  impie  :  Sprcvit  eum 
lïerodes  cum  omni  exercitu  suo.  (  Luc.  , 
XXIII.)  Le  caractère  du  prince  forme  les 
mœurs  de  l'Etat;  sa  passion  favorite  devient 
d'ordinaire  le  vice  dominant  de  ses  sujets; 
des  biens  infinis  et  inestimables  accompa- 
gnent ses  vertus;  mais  s'il  est  par  ses  désor- 
dres un  roi  scandaleux,  quelle  plaie  ne 
deviei:t-il  pas  dans  un  royaume  ï  de  com- 
bien d'âmes  n'est-il  [tas  le  meurtrier?  de 
combien  de  crimes  se  trouvera-t-il  chargé 
au  tribunal  de  Dieu?  N'est-il  [as  cet  homme 
de  péché  qui,  la  couronne  sur  la  tête,  préci- 
pite en  foule  dans  l'enfer  les  âmes  rachetées 
du  sang  divin  de  l'Agneau,  et  y  tombe  après 
plus  profondément  lui-même.  Seigneur,  s'é- 
criait un  roi  effrayé,  ah  I  faites-moi  grâce  sur 
les  péchés  étrangers  que  mes  sujets  ont  faits 
sir  mon  exemple. 

Au  contraire,  que  les  princes  pieux  rece- 
vront aux  pieds  de  Jésus-Christ  de  bénédic- 
tions et  de  grâces  !  Leur  bon  exemple  aura 
produit  dans  tous  les  cœurs  une  émulation 
sainte  de  piété:  ils  auront  été  pour  leurs 
peuples  une  source  féconde  de  sanctification  ; 
en  eux  de  grands  exemples  auront  fait  naî- 
tre de  grandes  vertus.  Oh  !  qu'ils  seront  alors 
un  objet  agréable  à  Dieu  1  qu'ils  sont  mainte- 
nant un  don  aimable  de  sa  main,  et  un  présent 
bien  cher  de  sa  miséricorde  ! 

Aussi  lorsque  Dieu,  attendri  sur  Israël,  veut 
lui  donner  une  marque  éclatante  de  son 
amour,  il  lui  dit:  Je  vous  donnerai  le  roi 
Asa,  qui  sera  sur  vous  par  ses  vertus  comme 
une  lumière  brillante.  Sa  piété,  regardée  et 
comme  en  spectacle,  animera  tous  les  cœurs 
au  bien:  Dabo  Asa  quasi  lucernam  in  Israël 
(III  Reg.,  XI);  et  il  ajoute  que  dans  le  pré- 
sent qu'il  leur  fait  de  ce  prince  édifiant,  il  a 
égard  h  la  piété  de  David  dont  il  venait  d'oc- 
cuper le  trône  :  Propter  David.  (Ibid.)  Ainsi 
Dieu  veut  que  ce  jeune  roi  édifie  son  peuple, 
parce  que  le  père  de  ses  pères  avait  été  un 
roi  religieux;  et  si  Dieu,  dans  sa  miséricor- 
de, observe  ici  la  même  loi,  si  encore  au- 
jourd'hui l'arrière- petit-fils  est  édifiant  à 
proportion  de  ce  que  le  bisaïeul  fut  pieux, 
sire,  que  nous  devons  attendre  de  vous  de 
grands  exemples  1 

Et  en  quoi  donc,  me  direz-vous,  consiste 
cet  exemple  que  les  rois  doivent  à  leurs  su- 
jets? Jésus-Christ  sur  le  Thabor  va  vous  l'ap- 
prendre, continuant  à  vous  y  offrir  les  vrais 
caractères  de  la  grandeur  chrétienne.  Il  ap- 
pelle auprès  de  lui  Moïse  et  Elie  ;  Moïse  qui 
était  le  législateur  des  Juifs,  Elie  qui  était 
leur  plus  grand  prophète;  sans  doute  pour 
vous  apprendre,  ô  rois!  à  qui  dans  ce  mys- 
tère de  gloire  il  daigne  sans  cesse  parler, 
que  vous  n'édifierez  vos  peuples  qu'autant 
que  vous  observerez  la  loi,  c'est-à-dire,  que 
vous  serez  justes,  bons,  modérés,  patients, 
fidèles  aux  préceptes  du  Seigneur  et  des  lois 
saintes  de  son  Eglise  ;  qu'autant  que  vous 
respecterez  les  prophètes,  c'est-à-dire,  ceux 
qui  vous  sont  envoyés  de  la  part  de  Dieu 


pour  vous  instruire  et  pour  vous  annoncer 
la  vérité.  Car  voilà  uniquement  à  quoi  vous 
êtes  appelés;  voilà  les  grandes  vues  de 
Dieu  en  vous  élevant  au  plus  haut  degré  des 
choses  humaines,  c'est  pour  montrer  en  vous 
de  plus  loin  et  dans  un  [tins  grand  jour  toute 
l'observance  de  la  loi  et  la  pratique  des 
vertus  chrétiennes  :  Apparuerunt  Moyses  et 
Elias. 

Oui ,  Sire,  quand  Jésus-Christ,  ici  votre 
modèle,  à  peine  élevé  dans  la  majesté  de  sa 
gloire,  rassemble  autour  de  lui  l'Ancien 
Testament  et  le  Nouveau,  la  Synagogue  et 
l'Eglise»  la  Loi  et  l'Evangile,  les  prophètes 
et  les  apôtres,  Moïse  et  Elie,  c'est-à-dire, 
toute  la  piélé  de  l'univers,  toute  la  relig;on 
recueillie  en  lui  comme  en  son  centre,  il 
veut  vous  apprendre  que  dès  qu'un  prince, 
par  la  royauté,  se  voit  élevé  au  faîte  de  Ja 
gloire,  il  doit  se  fortifier  centre  elle  par  la 
religion;  qu'il  en  doit  recueillir  en  lui  les 
traits  les  plus  sacrés  et  les  caractères  les 
plus  augustes  ;  qu'il  doit  se  mettre  sans  cesse 
sous  la  garde  de  la  piélé,  l'appeler  à  son  se- 
cours pour  sanctifier  sa  grandeur,  pour  en 
faire  un  contre-poids  à  son  autorité,  un  rem- 
part contre  sa  puissance,  un  frein  sacré  à  ses 
passions,  d'autant  plus  dangereuses  dans  les 
rois,  qu'elles  sont  plus  libres. 

Quand  Jésus-Christ  sur  le  Thaborfait  en- 
trer, ce  semble,  la  religion  elle-même  en 
partage  de  sa  félicité;  quand  il  compose  ici 
son  bonheur  de  ce  qu'il  y  a  de  plus  saint  au 
monde,  il  veut  lui  insinuer  que  le  vrai  bon- 
heur d  un  roi  n'est  pas  dans  sa  gloire,  mais 
dans  sa  piété;  qu'il  n'est  heureux  qu'autant 
qu'il  est  saint  ;  qu'il  doit,  comme  aujourd'hui 
Jésus-Christ,  répandre  son  bonheur  sur  tous 
ceux  qui  l'environnent,  et  rendre  heureuse 
l'Eglise  de  Dieu  ;  que  non-seulement  la  reli- 
gion sainte  est  pour  un  roi  la  force  et  la  féli- 
cité de  son  empire,  mais  encore  celle  de  son 
cœur  ;  que  sans  elle  un  prince,  bientôt  vaincu 
par  ses  vices,  est  esclave  quoique  roi,  faible 
quoique  puissant,  sans  gloire  quoiqu'élevé 
au  comble  de  la  grandeur,  et  nullement  sou- 
verain puisqu'il  ne  l'est  pas  de  lui-môme. 

Quand  Jésus-Christ  veut  aujourd'hui  que 
le  pjlusbel  éclat  de  sa  gloire  vienne,  ce  sem- 
ble, des  objetsde  la  piété,  il  veut  vous  dire 
que  loin  de  rougir  comme  font  les  grands  du 
monde  des  pratiques  saintes  de  la  foi,  vous 
en  devez  tirer  toute  votre  gloire  ;  que  vous 
devez  vous  honorer  vous-même  des  exerci- 
ces de  la  piété,  la  glorifier  en  vous,  et  la 
rendre  par  là  plus  respectable  aux  peuples; 
il  veut  vous  dire  que  le  plus  grand  spectacle 
qu'un  souverain  puisse  offrir  à  l'univers,  à 
ses  sujets,  est  celui  d'une  vie  sainte;  que 
vous  n'êtes  roi  que  pour  donnera  la  religion 
plus  d'éclat,  plus  de  magnificence,  plus  de 
pompe,  pour  faire  rejaillir  sur  elle  les  plus 
beaux  rayons  de  votre  majesté,  pour  offrir 
sans  cesse  au  mond;>  cette  alliance  si  vénéra- 
ble delà  royauté  et  de  la  religion,  d'où  naît 
la  splendeur  des  Etats  et  la  prospérité  des 
empires;  qu'enfin  pour  exprimer  ici  le  Sau- 
veur, il  faut  qu'un  roi  chrétien  recueille  en 
lui  toute  la  religion,  qu'il  en  rassemble  danJ 


613 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SU  RI  AN. 


Cil 


ses  mœurs  les  traits  les  plus  saints,  les  ca- 
ractères les  plus  augustes  ;  il  faut  qu'il  se 
place,  ce  semble,  entre  Moïse  et  Elie,  c'est- 
à-dire,  entre  la  douceur  et  le  zèle;  qu'il 
soit  gardé,  comme  dit  le  Sage,  d'un  côté  parla 
loi.  ue  l'autre  |;ar  la  vérité  (mon  Dieu,  que 
c'est  là  une  belle  garde  pour  un  roi,  et  qu'elle 
est  sûre!),  il  faut,  en  un  mot,  qu'on  puisse 
dire  de  vous  comme  aujourd'hui  de  Jésus- 
Christ  :  dès  qu'il  fut  élevé  sur  le  trône  de  sa 
gloire,  on  vit  paraître  avec  lui  Moïse  et  Elie, 
c'est-à-dire,  tout  ce  que  la  loi-a  ordonné  de 
juste,  tout  ce  que  les  prophètes  ont  prédit  de 
saint,  et  par  là  toute  la  piété,  toute  la  vertu, 
toute  la  sainteté,  la  religion  tout  entière: 
Apparuerunt  cum  eo  Moyscs  et  Elias. 

Sur  un  roi  si  chrétien  comme  ici  sur  Jésus- 
Christ,  non-seulement  du  haut  du  ciel  les 
grâces  divines  se  répandent,  mais  ici-bas  en- 
core son  peuple  content  et  heureux  le  bé- 
nit; sous  son  règne  aimable  chacun  s'écrie- 
transporté  de  joie  et  hors  de  lui-même, 
comme  Pierre  sur  la  montagne  :  Bonuin  est 
nos  hic  esse.  Oh  !  que  notre  sort  est  doux 
ici  1  que  nos  destinées  y  sont  belles!  Pour- 
rions-nous quitter  un  si  bon  maître?  Fixons 
auprès  de  lui  notre  demeure,  et  dans  la  fidé- 
lité que  nous  aurons  pour  ce  roi  si  cher,  sui- 
vons également  et  notre  devoir,  et  notre 
religion,  et  notre  tendresse:  Faciamus  hic 
tria  tabernacula. 

Mais  que  les  rois  achèvent  d'apprendre  du 
Sauveur  transfiguré  les  vertus  par  lesquelles 
ils  peuvent  régner  saintement.  Déjà,  pour 
leur  apprendre  à  être  bons,  doux,  attables  à 
leurs  peuples,  et  à  chercher  moins  à  s'en 
faire  craindre  qu'à  s'en  faire  aimer,  voyez 
avec  quelle  tendresse  Jésus-Christ  s'appro- 
che de  ses  disciples  que  l'éclat  de  sa  gloire 
avait  ébo'uis  :  Accessit;  voyez  comme  il  re- 
lève leur  courage  :  Dicens  :  Surçjite,  comme  il 
dissipe  leur  frayeur  :  Nolitc  timere.  11  parait 
leur  maître  par  sa  grandeur,  et  par  sa  bonté 
leur  père.  Déjà,  pour  leur  apprendre  à  se  for- 
tifier par  la  pénitence  contre  ce  fond  de  mol- 
lesse attaché,  ce  semble ,  à  leur  condition, 
voyez  comme  il  rappelle  au  milieu  mémo  de 
sa  gloire  l'image  même  de  ses  douleurs,  et 
cet  excès  de  souffrances  qu'il  devait  accom- 
plir à  Jérusalem  :  De  excessù  quem  complé- 
tants rrat  in  Jérusalem.  Mais,  parce  qu'eu 
égard  à  la  hauteur  de  leur  état,  il  regarde 
l'humilité  comme  la  vertu  la  plus  nécessaire 
aux  rois  et  la  plus  difficile,  admirez  comme 
il  l'a  répand  ici  sur  tous  les  endroits  do  son 
mystère.  Peu  de  témoins  appelés,  parmi  les 
apôtres  celui-là  choisi  qui- devait  le  renon- 
cer; toute  cette  gloire  bornée  à  la  seule  mon- 
tagne; une  nuée  môme  qui,  pour  tempérer 
l'éclat  de  sa  chair,  l'enveloppe  et  dérobe  au 
moins  parla  une  partie  du  spectacle;  ce 
spectacle  seulement  offert  pour  augmenter 
par  son  opposition  l'ignominie  de  ses  souf- 
frances. Encore  si  cette  gloire  était  d'une 
longue  durée;  mais  à  peine  la  charité  l'a 
montrée,  que  l'humilité  jette  son  voile  pour 
la  cacher;  et  celui  qui,  plutôt  qu'on  ignorât 
les  humiliations  de  sa  naissance  et  de  sa 
niori,  fait  descendre  des  anges,  fait  éclipser 


des  astres  pour  l'annoncer,  s'il  laisse  échap- 
per un  faible  rayon  de  gloire,  des  prières, 
des  instances,  des  ordres  réitérés  de  n'en 
point  parler  :  ISemini  dixeritis  et  prœccpit 
eis. 

Grands  du  monde,  vous  aspirez  à  la  même 
gloire;  mais,  après  cela,  la  vanité  y  mène- 
t-elle  ?  mais  l'orgueil  et  la  superbe  y  condui- 
sent-ils? Non,  les  voies  que  Jésus-Christ 
vous  offre  sur  le  Thabor  sont  les  seules;  on 
périt  dès  qu'on  les  quitte,  et  si  vous  n'y  en- 
trez dès  à  présent,  il  faut  vous  résoudre  à 
être  pour  jamais  privés  de  sa  gloire. 

Soyez  etîayé, Sire,  d'un  malheur  si  grand; 
pour  l'éviter,  donnez  à  votre  grandeur  au- 
tant que  le  permet  la  faiblesse  humaine,  les 
sacrés  caractères  que  Jésus-Christ  donne 
aujourd'hui  à  la  sienne  ;  offrez  sur  le  trône 
les  mêmes  vertus  qu'il  offre  sur  le  Thabor. 
Si,  comme  lui,  dans  l'éclat  même  qui  vous 
environne,  vous  êtes  humble,  bon,  mortifié, 
pénitent,  ennemi  du  monde ,  sur  vous  comme 
aujourd'hui  sur  lui  le  ciel  s'ouvrira,  l'esprit 
de  Dieu  descendra,  la  grâce  sainte  vous  rem- 
plira, et  du  sein  de  sa  gloire  Jésus-Christ 
lui-môme  prononcera  sur  vous  ces  paroles 
si  consolantes,  que  lui  fait  entendre  avec 
tant  d'amour  le  Père  céleste  :  Hic  est  Filius 
meus  dilectus.  C'est  ici  mon  fils  bien-aimé; 
son  père  et  sa  mère  l'ont  abandonné,  j'en 
fais  mon  enfant;  je  lui  'suppléerai  ce  qu'il 
avait  de  plus  cher.  Non,  il  n'est  pi  us  orphe- 
lin, car  je  l'adopte,  et  que  bienheureux  l'en- 
fant qui  a  Dieu  pour  père!  Hic  est  filius  meus 
dilectus.  Sans  cesse  je  lui  donnerai  des 
marques  de  mon  amour;  sans  cesse  il  sera 
sous  la  tendresse  de  mes  regards;  son  état 
me  touche,  sa  jeunesse  me  ià.t  pitié  Réveil- 
lerai-sur  son  cœur,  je  lui  conserverai  son 
innocence  si  précieuse;  j'éloignerai  de  son 
âme  le  moindre  mal;  les  autres  rois  sont  mes 
ministres,  sont  mes  images  ;  celui-ci  sera 
mon  enfant;  je  me  sens  pour  lui  un  cœur  et 
des  entrailles  de  père  :  Hic  est  filius  mens  di- 
lectus; c'est  mon  enfant  chéri ,  mon  fils  bien- 
aimé  :  Filius  7neus  dilectus,  in  quo  mihi  bene 
complacui ;  je  me  complairai  en  lui  comme 
en  mon  ouvrage;  je  mettrai  mon  plaisir  à 
l'enrichir  de  mes  grâces,  à  verser  dans  son 
âme  toutes  les  vertus,  à  le  combler  de  mes 
miséricordes,  à  le  faire  croître  en  piété  à  me- 
sure qu  il  croit  en  âge  ;  enfin,  je  ferai  ma 
joie  de  sa  sanctification  jusqu'à  ce  qu'enfin 
réuni  à  moi  dans,  le  ciel,  il  jouisse  éternelle- 
ment de  ma  gloire.  Je  vous  la  souhaite. 

SERMON  IV 

Pour  l'annonciation  de  la  Vierge. 

SUR  L'HUMILITÉ. 

(,)iio<l  nascetur  px  te  sanclum  vocabnur,  Filius  Dej... 
Di\iL  ci  Maria  :  Ecce  ancilla  Domini.  (Luc,  I.) 

Le  fruit  saint  qui  naîtra  de  vous  sera  appelé  le  Fiis  de 
Dieu...  Marie  lui  répondit  :  V  oki  tu  servante  du  Sei- 
gneur. 

Sire , 

De  toutes  les  vertus  la  plus  nécessaire  aux 
rois  et  la  plus  rare  est  sans  doute  l'humilité; 


PETIT  CAREME.  —  SERMON  IV,  SUR  L'HUMILITE. 


645 

et  ce  qui  leur  rend  cette  vertu  si  difficile, 
c'est  que  dans  ce  haut  degré  d'élévation  où 
]a  Providence  les  a  fait  naître ,  ils  ne  connais- 
sent ni  le  modèle  ni  le  mérite  de  l'humilité. 
Or,  le  mystère  de  ce  jour  va  leur  otl'rir  l'un 
et  l'autre,  et  dans  les  objets  les  plus  grands, 
les  plus  saints,  les  plus  dignes  d'eux,  puis- 
que, dans  les  circonstances  de  notre  évangile, 
Dieu  aime,  ce  semble,  à  vous  exposer  d'abord 
le  modèle  le  plus  parlait  de  l'humilité  dans 
un  Dieu  qu'elle  fait  homme  :  Quod  nàscttur 
ex  te.  sanctum  vocabitur Filius Dei.  Ensuite  le 
mérite  le  plus  sublime  de  l'humilité  dans  une 
Vierge  qu'elle  rend  mère  de  Dieu  :  Ecce 
ancilla  Domini.  Ainsi  le  modèle  de  l'humilité 
en  Jésus-Christ,  le  mérite  de  l'humilité  en 
Marie,  voilà  tout  mon  dessein. 

Mon  Dieu  !  que  cette  vertu  placée  dans  un 
jour  si  beau  paraît  aimable  !  qu'elle  a  pour 
un  cœur  de  puissants  attraits  !  Ouvrez-lui  le 
vôtre,  prince  auguste;  peut-être  dans  ce 
point  suprême  de  grandeur,  où  il  n'y  a  rien 
(jui  vous  égale,  dédaigneriez-vous  d'appren- 
dre l'humilité  d'un  homme;  mais  comment 
rcfuseriez-vous  de  l'apprendre  aujourd'hui 
d'un  Dieu?  D'un  Dieu,  tout  grand  que  vous 
êtes,  votre  souverain,  [votre  seigneur,  votre 
maître.  D'un  Dieu  qui,  en  prenant  l'humilité 
sur  lui,  l'a  rendue  si  respectable,  en  a  fait 
comme  roi  et  comme  Dieu  une  vertu  royale 
et  divine.  Non,  depuis  qu'un  roi  s'est  rendu 
humble  ,  c'est  par  l'orgueil  qu'un  roi  se  dé- 
grade; il  s'élève,  il  s'ennoblit  par  l'humilité; 
par  elle  il  devient  grand,  puisque  par  elle  il 
devient,  saint.  Ahl  donnez-vous,  Sire,  don- 
nez-vous encore  cette  sorte  de  grandeur;  et 
déjà  l'image  de  Dieu  par  votre  puissance, 
aimez  à  l'être  aussi  par  votre  humilité.  Nous 
vous  demandons  pour  lui  cette  grâce,  ô  mon 
Dieu!  et  les  lumières  de  votre  esprit,  par 
l'intercession  de  Marie,  etc. 


PREMIER   POINT. 


Sire, 


S'il  est  de  ,a  perfection  d'un  modèle  d'ex- 
primer vivement  tout  ce  qu'il  offre  à  imiter, 
grands  du  siècle,  où  l'humilité  pour  vous 
pouvait-elle  être  mieux  marquée  que  dans  le 
mystère  du  Verbe  fait  chair?  Examinez,  dit 
un  Père,  ce  qui  le  précède,  ce  qui  l'accom- 
pagne, ce  qui  le  suit,  vous  y  verrez  "partout 
cet  Homme-Dieu  entre  les  bras  de  l'humilia- 
tion et  dans  tous  les  degrés  de  la  bassesse. 

Et  d'abord,  pourquoi  ces  figures  si  augus 
tes,  ces  promesse  si  magnifiques,  ces  signes 
si  éclatants,  ces  attentes  si  longues,  ces  pré- 
paratifs si  pompeux,  cette  idée  donnée  de  si 
loin  au  monde  d'un  Messie  tout  brillant  de 
gloire  et  de  majesté,  si  ce  n'est  pour  augmen- 
ter par  cette  opposition  lasimplicitéde  sa  ve- 
nue? Pourquoi  un  ange,  de  sa  nature  invisible, 
seul  dépositaire  de  ce  secret,  va-t-il  l'an- 
noncer, non  au  palais  des  grands  du  monde, 
mais  à  un  bourg  méprisé  des  Juifs,  sinon  pour 
diminuer  su  moins  parla  l'éclat  de  ce  grand 
prodige?  pourquoi  quelque  temps  aupara- 
vant fait-il  taire  les  prophètes  et  les  oracles? 
fait-il  cesser  les  prodiges  et  toutes  les  voies 
extraordinaires,  sinon  pour  arriver,  s'il  se 


C4« 

peut  dire,  dans  le  silence  de  l'univers,  et 
pour  venir  quand  rien  n'avertissait  de  sa 
venue?  Pourquoi  choisir  un  temps  où  le 
crime  plus  débordé  inondait  toute  la  face  de 
la  terre,  où  les  gentils  étaient  plus  idolâtres 
et  les  Juifs  plus  superstitieux,  si  ce  n'est 
pour  se  faire  de  ce  monde  impur  et  souillé 
un  séjour  plus  humiliant  et  plus  contraire? 
Et  encore  ne  choisit-il  pas  pour  sa  mère  une 
vierge  d'une  noblesse  reconnue,  mais  dont 
la  famille  depuis  David  était  tombée  peu  h 
peu,  et  comme  par  degrés,  afin  de  se  prépa- 
rer une  naissance  basse  et  obscure;  une 
vierge  à  la  vérité  pleine  de  grâce,  mais  vide 
de  tout  le  reste,  et  dont  l'unique  bien,  les 
seules  richesses  étaient  ce  que  les  grands 
du  monde  n'estiment  guère,  l'onction  divine 
du  £aint-Esprit;  enfin  ne  veut-il  pas  avoir 
pour  père  un  simple  artisan,  qui  n'avait 
pour  partage  que  beaucoup  d'innocence  et 
beaucoup  de  pauvreté? 

Mais,  dans  l'exécution  mêmede  ce  mystère, 
voyez  comme  il  épuise  sa  puissance  dans  la 
recherche  des  moyens  par  lesquels  il  pouvait 
s'abaisser;  loinde  prendre  un  corps  glorieux, 
immortel,  impassible,  ne  fait-il  pas  un  miracle 
pour  changer  sa  force  en  faiblesse*,  sa  gran- 
deur en  infirmité,  sa  sagesse  en  enfance,  son 
bonheur  et  son  éternité  dans  un  état  de 
peine  et  de  mort? 

Ah!  puissants  du  siècle,  un  Dieu  sent, 
comme  il  le  doit,  des  humiliations  si  pro- 
fondes, son  âme  est  trop  grande  pour  n'être 
pas  touchée  d'un  abaissement  si  prodigieux, 
mais  il  regarde  le  cœur  de  son  Père  qu'il 
fallait  calmer,  il  considère  vos  cœurs  super- 
bes qu'il  fallait  guérir,  et  il  adoucit  par  cette 
vue  la  honte  d'un  état  si  vil,  au  point  de 
l'aimer,  de  s'y  plaire,  et  de  s'y  animer,  en 
supportant  les  abaissements  d'une  naissance 
pleine  de  misères,  d'une  yio  toute  d'abjec- 
tions, et  d'une  mort  qui  sera  pour  lui 
le  comble  des  humiliations  et  des  oppro- 
bres. Que  tout  ceci,  mes  frères,  mérite  de 
réflexions  !  Voilà  un  Dieu,  dit  saint  Ba>ilo 
qui,  le  plus  grand  de  tous,  est  humilié  plus 
que  tous;  mais  se  réduirait-il  à  un  état  si 
abject,  s'il  ne  voulait  nous  y  servir  de  mo- 
dèle, et  nous  dire  de  lui-même  ce  qu'il  a  dit 
depuis  d'un  autre?  Si  vous  ne  devenez  par 
l'humilité  aussi  petits  que  cet  enfaut,  vous 
n'entrerez  jamais  dans  ma  gloire;  non,  grands 
du  monde,  que  personne  ici  ne  se  flatte  à  sa 
propre  ruine,  c'est  un  principe  inébranlable 
de  la  religion,  que  nul  n'aura  de  part  à  l'in- 
carnation sainte  de  Jésus-Christ,  et  par  con- 
séquent les  grâces  des  mystères  se  tenant 
l'une  avec  l'autre,  il  ne  recueillera  aucun 
des  fruits  qu'il  vient  répandre  sur  la  terre, 
s'il  ne  l'imite  en  ses  abaissements. 

L'imitons-nous,  mes  chers  frères  t  Descen- 
dons une  fois  en  nous-mêmes,  et  voyons- 
nous  dans  ce  cœur  où  nous  n'entrons  jamais, 
et  où  nous  sommes  véritablement;  y  portons- 
nous  un  seul  trait  des  humiliations  de  ce 
Dieu  enfant?  et  quelque  humides  que  nous 
nous  croyions,  pouvons-nous  sans  confusion, 
comparer  ici  les  princiuaux  caractères  de 


CA7 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SIKIAS. 


GIS 


l'humilité  de  Jésus-Christ  ave- les  caractères 
de  la  nôtre? 

1°  En  Jésus-Christ  incarné  humilité  pro- 
fonde; connaît-t  Ile  des  ménagements,  et  en 
prenant  aujourd'hui  la  forme  de  pécheur, 
ne  va-t-il  pas  jusqu'au-dessous  du  néant 
même  ? 

En  nous  l'humilité  craint  toujours  de  trop 
descendre;  nous  appréhendons  de  nous  dé- 
grader, de  prendre  trop  sur  notre  rang,  sur  nos 
dignités,  sur  les  bienséances  de  notre  condi- 
tion, de  notre  naissance  ;  nous  assignons 
selon  nos  caprices  à  cette  vertu  ses  temps 
marqué;  et  ses  lieux  propres,  et  lorsqu'un 
Dieu  embrasse  aujourd'hui  celte  vertu  sans 
restriction,  nous,  vils  pécheurs,  nous  lui 
donnons  en  nous  des   bornes  et  des  règles. 

2°  En  Jésus  incarné  humilité  sincère  :  si  en 
lui  dans  ce  mystère  tous  les  dehors  sont 
simples  et  abjects,  le  fond  de  son  cœur  l'est 
I  lus  encore. 

En  nous  au  contraire  humilité  fausse , 
trompeuse,  hypocrite.  Quand  les  dehors  ré- 
formés semble  offrir  la  modestie,  le  cœur 
qui  les  dément,  demeure  vain  et  superbe; 
nous  conservons  au  fond  de  l'âme  un  désir 
secret  de  tout  ce  qui  peut  nous  donner  de  la 
distinction,  et  un  amour  des  louanges  qui 
dégénère  en  faiblesse  ;  lors  môme  que 
nous  n'avons  dans  la  bouche  que  des  paroles 
d'abjection  et  de  bassesse,  ce  ne  sont  en  se- 
cret que  mouvements  inquiets  qui  tendent  en 
nous  à  la  gloire  des  dignités,  du  crédit,  de 
la  réputation,  de  l'estime  ;  c'est  une  imposture 
éternelle  de  vanité,  qui  ne  s'humilie  qu'afin 
qu'on  l'élève,  qui  ne  fuit  qu'afin  qu'on  la 
cherche.  Tandis  que  ceux  qui  ont  moins 
d'éducation  et  moins  d'usage  du  monde, 
rendent  les  é;anchements  de  leur  orgueil 
plus  naturels  et  plus  sensibles,  se  louant  fa- 
dement  eux-mêmes;  nous,  plus  adroits,  allons 
à  la  gloire  par  des  voies  plus  détournées, 
mais  plus  sÀres  ;  nous  sommes  vains  avec 
plus  d'artifice,  plus  de  subtilté,  plus  de  mé- 
thode; nous  essayons  de  nous  parer  à  la  fois, 
et  de  notre  grandeur  et  de  notre  modestie: 
nous  faisons  de  cette  modestie  à  notre  mérite 
et  à  nos  talents  ce  que  l'art  fait  des  ombres 
aux  figures  d'un  tableau,  un  secours  qui  en 
relève  l'éclat  et  les  fait  paraître  davantage  ; 
nous  nous  ménageons  toutes  les  douceurs  de 
l'orgueil  sans  en  prendre  ledécri  et  la  honte; 
nous  cachons  une  recherche  avide  de  la 
gloire  en  faisant  semblant  de  la  mépriser. et, 
en  cela,  disent  les  Saints,  nous  avons  une 
humilité  plus  orgueilleuse  que  l'orgueil 
même. 

3°  En  Jésus  incarné  humilité  constante, 
soutenue;  le  mystère  de  ce  jour  ne  va  ètro 
pour  lui  qu'une  longue  suite  d'humiliations 
toujours  nouvelles. 

Pour  nous,  nous  n'avons  qu'une  humilité 
passagère  et  démentie  à  la  moindre  épreuve. 
Je  l'avoue,  dans  la  ferveur  de  la  prière ,  nous 
conviendrons  humblement  de  nos  misères , 
nous  sentirons  la  profondeur  de  nos  maux; 
mais  il  est  étrange  combien  hors  de  là  le  moin- 
dre mépris  nous  trouve  vifs,  la  moindre  injure, 
sensibles,  le  moindre  honneur,  emnressés,  la 


moindre  louange,  crédules.  Que  l'on  con- 
vienne avec  nous  des  défauts  mêmes  que  nous 
déplorions,  tout  l'homme  en  nous  se  révolte; 
nous  nous  sentonsà  lafoiset  intiniment  misé- 
rables et  infini  ment  orgueilleux  par  un  prodige 
qu'on  ne  peut  comprendre,  et  nous  sommes 
forcés  d'ajouter  à  tant  de  misères  qui  nous 
humiliaient,  celle  de  nous  y  surprendre  su- 
perbes. 

4°  En  Jésus  incarné  humilité  libre,  volon- 
taire, choisie.  Et  quel  autre  poids  que  ce- 
lui de  son  amour  le  fait  descendre  aujour- 
d'hui à  tant  de  bassesse  !  Il  s'est  humilié  lui- 
même,  dit  l'Apôtre  (Philip. ,  II),  et  il  a  aimé 
d'être  abject. 

L'humiliation  en  nous  est  toute  forcée  ;  ce 
n'est  pas  nous  qui  nous  humilions,  c'est 
Dieu,  ce  sont  les  hommes,  ce  sont  les  événe- 
ments et  les  conjonctures  qui  nous  humilient. 
Nulle  abjection  de  notre  choix,  de  notre  goût 
et  de  notre  ordre  ;  si  nous  nous  tenons  dans 
la  bassesse,  c'est  que  la  faveur  se  refuse, 
c'est  que  les  biens  manquent,  c'est  que  les 
appuis  et  les  ressorts  qui  élèvent  les  antres 
hommes  nous  sont  ôtés  ;  nous  n'avons  qu'une 
humilité,  pour  ainsi  parler,  humaine  et  na- 
turelle, qui  n'est  qu'une  impuissance  démon- 
ter plus  haut,  une  nécessité  de  nous  tenir  à 
notre  place;  nous  ne  sommes  pas  humbles 
par  religion,  mais  ;  av  raison,  et  quand  nous 
paraissons  dans  l'abaissement,  c'est  plus 
notre  état  qui  est  abject  que  ce  n'est  notre 
co'ur  qui  est  hum  Ne. 

5"  EnJésusincarné  humilité  propre,  singu- 
lière, personnelle  ;  on  n'avait  pas  vu  encore 
ce  genre  d'humiliation  :  un  Dieu  enfant,  un 
Dieu  anéanti,  et  plus  cet  abaissement  est 
pour  lui  propre  et  personnel,  plus  il  l'aime. 

Nous  (car  je  veux  suivre  l'homme  jusque 
dans  les  replis  les  plus  secrets  de  son  cœur  et 
confondre  ici  toute  sa  superbe) ,  nous  n'ei 
mons  que  les  humiliations  vagues  et  com- 
munes; qu'il  s'agisse  du  genre  humain  en 
général,  nous  en  dirons  sans  peine  tout  !e 
mal  possible;  la  corruption  de  notre  nature, 
les  ténèbres  de  notre  esprit,  la  faihlessede 
nos  penchants;  tous  ces  motifs  d'humiliation 
si  communs  avec  le  reste  des  hommes,  nous 
trouvent  éloquents  ;  nous  descendrons  aussi 
bas  qu'en  voudra,  pourvu  que  ce  soit  avec 
tout  le  monde  ;  mais  sur  ce  que  nous  avons 
de  personnel  et  de  propre,  nous  sommes  dé- 
licats; un  défaut  qui  n'est  que  le  nôtre,  s'il 
nous  est  reproché,  nous  trouve  vifs  et  sen- 
sibles; qu'on  nous  rappelle  le  faible  de  notre 
envie,  l'indignité  de  nos  attaches,  la  bizar- 
rerie de  notre  humeur,  certain  vice  qui  nous 
caractérise,  certaine  passion  qui  nous  dis- 
tingue, nous  nous  élevons  avec  chaleur,  et 
toute  humiliation  qui  nous  est  propre  nous 
est  insupportable. 

Que  dirai-je  encore?  En  Jésus  incarné, 
humilité  pleine,  entière,  sans  dédommage- 
ment au  dehors  et  sans  ressource.  Nous,  si 
devant  Dieu  nous  nous  humilions,  nous  te- 
nons, pour  ainsi  dire,  à  nos  abaissements 
mille  compensations  toujours  prêtes;  nous 
voulons  encore  briller  par  cet  éclat  étranger 
et  emprunté  qui  nous  environne.  Trop  nu- 


6i9  PETIT  CAREME.  —  SERMON  IV,  Si'R  L  HUMILITE. 

miliés  par  le  sentiment  de  nos  misères  se- 


650 


crêtes,  nous  sortons  hors  de  nous  et  essayons 
d'adoucir  la  triste  conviction  de  nos  maux  en 
nous  regardant  dans  nos  biens,  dans  nos  di- 
gnités, dans  nos  emplois,  dans  nos  titres; 
vous,  rois-,  dans  vos  sujets,  dans  votre  souve- 
raineté, dans  votre  empire  ,  dans  tout  ce  qui 
est  hors  de  vous  et  qui  n'est  pas  vous-mêmes  ; 
toute  bizarre  que  nous  paraisse  la  vaine  opi- 
nion des  hommes,  nous  ne  pouvons  souffrir 
d'en  être  effacés  ,  et  nous  allons  jusqu'à  être 
touchés  des  louanges  que  notre  cœur,  mieux, 
instruit,  méconnaît  au  fond  et  désavoue. 
L'erreur  même,  qui  nous  croit  ce  que  nous  ne 
sommes  pas,  ilatte  notre  orgueil;  nous  nous 
élevons  de  la  méprise  publique ,  charmés 
qu'on  se  trompe  en  notre  faveur,  et  consolés, 
dit  saint  Augustin,  d'être  vicieux  là  où  nous 
sommes ,  pourvu  que  nous  soyons  vertueux 
là  où  nous  ne  sommes  pas,  ce  qui  est  un 
aveuglement  digne  de  larmes. 

Enfin,  en  Jésus  incarné  humilité  produite 
dans  ses  vertus  mêmes.  En  effet,  dans  ce 
grand  mystère,  ne  dérobe-t-il  pas  au  monde 
entier  le  prodige  de  sa  charité  et  le  bien  ines- 
timable qu'il  vient  faire  aux  hommes? 

Qu'en  cela  nous  l'imitons  peu,  mes  chers 
frères  !  Le  souffle  de  l'orgueil  entle  en  nous 
jusqu'à-la  piété  même.  On  veut  paraître  dans 
le  bien  qu'on  fait;  dans  l'œuvre  de  Dieu  on 
cherche  la  gloire  du  monde  ;  les  édifices 
môme  que  les  grands  élèvent  à  la  religion  ou 
à  la  charité,  portent  l'empreinte  de  leur  or- 
gueil et  les  marques  de  leur  superbe.  Les 
vertus  obscures  délaissées,  celles  où  nous 
sommes  seuls  notre  propre  spectateur ,  la 
simplicité,  la  modestie,  la  retraite,  sans 
attraits  pour  nous  et  sans  charmes,  sont  plus 
pénibles  à  pratiquer.  Nous  avons  de  la  peine 
à  consentir  de  n'être  chrétiens  qu'à  nos  pro- 
pres yeux  dans  les  Sacrifices  que  nous  faisons 
à  Dieu,  comme  si  ses  regards  divins  ne  suffi- 
saient pas,  et  qu'auprès  de  ce  témoin  et 
de  ce  Juge  immortel,  on  dût  compter  les 
hommes  pour  quelque  chose.  Nous  les  appe- 
lons, pour  ainsi  dire,  à  notre  secours  ;  il  faut 
que  la  réputation  et  l'éclat  viennent  soutenir 
notre  faiblesse  ;  il  faut  que  notre  âme  se  re- 
pose sur  le  bien  qu'on  dira  de  nous;  cette 
approbation  et  cette  estime  publique,  qui  ne 
devraient  être  au  plus  que  la  récompense  de 
notre  piété,  en  sont  seules  ie  motif  et  la  source. 
Quoiqu'en  nous  le  bien  dépérisse  dès  qu'il  y 
est  vu  et  qu'on  ne  puisse  guère  le  reconnaître 
en  soi  sans  le  perdre,  nous  le  regardons  en  nous 
avec  complaisance,  nous  le  montrons  aux  au- 
tres avec  joie,  nous  aimons  mieux  l'anéantir 
devant  Dieu" que  de  le  diminuer  devant  les 
hommes  ;  peu  attentifs  à  ce  que  nous  sommes, 
beaucoup  à  ce  qu'on  nous  croit,  et  consentant 
à  être  moins  hommes  de  bien  pour  le  paraître 
davantage.  En  un  mot,  et  au  dedans  et  au  de- 
hors nous  ne  sommes  que  superbe,  et  si 
l'humilité  se  manifeste  en  Jésus-Christ  par 
tous  les  endroits,  l'orgueil  prend  chaque 
jour  en  nous  des  faces  presque  infinies. 

Mais,  répondez-moi,  puissants  du  siècle, 
qui- peut  encore  vous  autoriser  dans  cet 
amour  aveugle  do   la' gloire?  doutez-vous 

OaiTiaus  sackés.  L. 


qu'il  no  soit  mauvais,  niez-vous  que  l'humi- 
lité ne  soit  salutaire?  Résistez  donc,  si  vous 
le  pouvez,  à  toute  la  force  de  ce  raison- 
nement. 

L'idée  principale  qu'Isaïe  ,  parlant  à  un 
roi  de  la  tei  re,  lui  donne  du  Verbe  fait  chair, 
est  celle  d'un  Dieu  qui,  en  prenant  notre 
nature,  réprouve  le  mal  et  choisit  le  bien. 
(Et  plût  à  Dieu  qu'on  pût  le  dire  aussi  de 
vous,  prince  auguste,  cet  enfant  chéri  du 
ciel  au  milieu  de  son  peuple  saura  réprouver 
le  mal  et  choisir  le  bien  :  Puer  iste  sciet  re- 
probare  malum  et  eligere  bonuml  (Isa.,  VII.) 
Or,  je  vous  le  demande,  que  réprouve-t-il 
dans  ce  mystère?  N'est-ce  pas  les  honneurs, 
puisqu'il  n'en  peut  souffrir  sur  lui  la  moindre 
trace?  Donc  ils  sont  un  mal  et  un  grand  mal, 
il  les  faut  éviter,  il  les  faut  craindre.  Que 
choisit-il?  N'est-ce  pas  l'humilité?  puisqu'il 
la  prend  toute  sur  lui  ;  donc  elle  est  un  bien 
et  un  grand  bien  :  il  la  faut  aimer,  il  y  faut 
vivre.  Qu'opposer  à  l'autorité  d'un  *  Dieu 
contre  vous,  à  son  jugement,  à  son  exemple? 
Ce  qu'estime  le  monde?  il  est  dans  l'erreur; 
ce  que  demandent  les  sens?  ils  sont  déré- 
glés; ce  que  vous  inspirent  les  flatteurs?  ils 
sont  suspects;  ce  que  voudrait  l'amour- 
propre?  mais  l'amour-propre  n'est-il  pas  le 
plus  mortel  ennemi  des  grands?  Non,  que 
tout  désolé  il  demande  grâce;  depuis  qu'un 
Dieu  s'est  rendu  visible,  tout  est  décidé  par 
son  choix;  il  s'y  faut  plier ,  il  s'y  faut  rendre. 

Rendez-vous-y,  Sire,  je  vous  en  conjure 
par  les  abaissements  sacrés  de  Jésus-Christ, 
qui  lui-même,  comme  il  le  peut,  vous  le 
demande  du  sein  de  Marie  ;'il  ne  reste  à  un 
roi  chrétien  qu'un  seul  moyen  de  s'élever, 
c'est  de  savoir  descendre  du  comble  de  la 
grandeur  et  de  devenir  humble.  Et  après 
tout  dans  les  rois  seuls,  ce  semble,  l'humi- 
lité honore  Dieu,  parce  qu'en  eux  seuls  elle 
lui  offre  de  grands  hommages  ;  elle  lui  sou- 
met de  grands  orateurs,  elle  lui  fait  de  grands 
sacrifices.  L'humilité  dans  les  petits  est  plu- 
tôt une  bienséance  qu'une  vertu:  en  eux  le 
néant  de  la  misère  appelle  celui  des  sen- 
timents ;  quand  rien  ne  nous  élève,  il  en 
coûte  peu  d'être  abject,  et  l'humilité  com- 
mencée, pour  ainsi  dire,  par  la  nature, 
est  aisément  continuée  par  la  religion  ;  mais 
être  humble  au  plus  haut  degré  des  choses 
humaines,  être  humble  sur  le  trône,  c'est 
l'être  avec  plus  de  mérite  et  plus  de  valeur, 
c'est  l'être  d'une  humilité  d'autant  plus 
agréable  à  Dieu,  qu'on  imite  alors  Jésus- 
Christ  son  Fils,  qui  allie  aujourd'hui  la  plus 
sublime  grandeur  avec  l'humilité  la  plus 
profonde.  Laissez-vous  gagner,  Sire,  par  une 
ressemblance  si  belle  et  si  chère.  Abaissez 
sans  cesse  votre  majesté  royale  sous  l'humi- 
lité chrétienne,  et  de  la  bouche  de  votre 
cœur  écriez-vous,  comme  cette  âme  si  élevée 
et  si  grande  :  ô  le  Dieu  d'Israël  et  le  Christ 
que  Sion  désire,  vous  voilà  donc  semblable 
à  nous,  nos  péchés  vous  ont  rendu  comme 
le  souffle  de  notre  bouche  :  Spiritus  oris 
nostri  Christus  Dominus,  in  umbra  tua  vi- 
vemus.  (Thren.,  IV.)  Nous  adorons-vos  saints 
abaissements,  ils  ont  jour  nous  une  onction 

£1 


er.i 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SLRIAN. 


C"->. 


de  grâce  qui  gagne  nos  cœurs;  souffrez, 
Seigneur,  que  tout  souverain  que  je  suis,  je 
nie  joigne  ici  à  vous;  devant  un  Dieu  créa- 
teur, un  roi  n'est  qu'un  homme  ;  devant  un 
Dieu  rédempteur,  un  roi  n'est  qu'un  es- 
clave; devant  un  Dieu  juge,  un  roi  n'est 
qu'un  criminel;  devant  un  Dieu  enfant,  un 
roi  ne  doit  être  qu'abjection  et  que  bassesse. 
O  divin  enfant,  que  vous  êtes  aujourd'hui 
'jn  remède  heureux  à  l'orgueil  des  roisl 
Oue  vous  nous  attirez  puissamment  par  des 
humiliations  si  extrêmes  !  Je  veux  vivre  à 
votre  ombre  ;  je  veux  entrer  dans  votre  néant  ; 
je  veux  me  cacher  dans  vos  bienheureuses 
obscurités;  je  veux  partager  toutes  vos  bas- 
sesses saintes  :  //;  umbra  tua  vivemus. 

Vous  avez  vu  le  modèle  de  l'humilité  en 
Jésus-Christ,  voyons-en  le  mérite  en  Marie. 

SECOND    POINT. 

Et  certes,  sans  m'arrêterici  à  tous  les  en- 
droits de  notre  évangile  par  où  se  relève  en 
Marie  le  mérite  de  l'humilité,  vous-même 
avez  pu  y  remarquer  ces  deux  sublimes 
avantages  :  premièrement  elle  attire  dans 
son  cœur  la  plénitude  de  la  grâce;  en  second 
lieu  elle  lui  fait  concevoir  un  Dieu.  Quelle 
veftu  offre  ici-bas  un  mérite  plus  éclatant  et 
de  plus  douces  récompenses  ? 

Oui,  après  que  l'ange  l'a  saluée  et  qu'il  l'a 
trouvée  pleine  d'humilité,  il  l'appelle  pleine 
de  grâce,  ç/ratia  plena;  comme  s'il  lui  eût 
dit  :  plus  vous  êtes  vide  de  vous-même  et 
plus  la  grâce  vous  remplit.  Ces  abîmes  heu- 
reux qu'elle  a  faits  en  vous,  ne  servent  qu'à 
vous  la  faire  recevoir  avec  plus  de  surabon- 
dance ;  anéantie  par  son  onction,  vous  êtes 
toute  changée  en  elle;  tout  en  vous  est 
grâce.  Ce  don  céleste  occupe  toutes  vos  puis- 
sances, toutes  vos  pensées,  tous  vos  désirs, 
tous  vos  sentiments,  toutes  vos  paroles, 
toutes  vos  actions,  tout  votre  esprit,  tout  votre 
cœur,  toute  votre  personne,  tout  vous-même, 
gratta  plena.  L'humilité  vous  donne  toutes 
Tes  grâces;  la  grâce  de  la  foi,  qui  n'est 
qu'une  raison  soumise  ;  la  grâce  de  la  mor- 
tification, qui  n'est  qu'une  chair  assujettie  ; 
la  grâce  de  l'obéissance,  qui  n'est  qu'une 
volonté  souple;  la  grâce  de  la  charité,  qui 
n'est  qu'un  cœur  abaissé  et  dépris  de  lui- 
même  pour  s'unir  à  Dieu;  la  grâce  de  la 
patience,  qui  n'est  qu'une  âme  résignée  et 
docile;  enfin,  la  plénitude  de  l'humilité  vous 
donne  celle  de  la  grâce,  et  vous  réunissez 
tous  les  dons  de  Dieu  dans  lo  centre  de 
votre  bassesse  :  Gratta  plena. 

Eh!  comment  le  seriez-vous  pleins  de 
grâ^e,  vous,  grands  du  monde,  à  qui  celte 
vertu,  seule  capable  de  la  donner,  est  si 
odieuse  et  si  insupportable!  Hélas!  montrez- 
vous  ici  vous-mêmes  à  vous-mêmes,  vous 
trouverez  au  contraire  que  si  l'humilité  fait 
en  Marie  toutes  les  impressions  du  bien, 
l'orgueil  renferme  en  vous  tous  les  principes 
du  désordre. 

C'est  l'orgueil  qui  vous  fait  secouer  le 
joug  bienheureux  de  la  foi  ,et  qui,  vous  ren- 
dant curieux  ,  vous  rend  incrédules ,  et  par 
là  il  devient  en  vous  il  religion:  c'est  l'or- 


gueil qui ,  vous  cachant  vos  désordres ,  vca.> 
fait  croire  que  vous  ne  méritez  pas  les  afflic- 
tions si  justes  que  Dieu  vous  envoie,  vous 
révolte  chaque  jour  contre  sa  main  venge- 
resse ,  et  par  là  il  devient  en  vous  mur- 
mure, impatience,  impiété,  blasphème.  C'est 
l'orgueil  qui  vous  éloigne  tant  des  yeux  de 
Dieu,  qui  vous  inspire  tant  d'aversion  pour 
la  retraite  où  on  le  goût<%  soit  à  cause  que 
dans  la  retraite  l'orgueil  des  grands  ne  sau- 
rait trouver  la  nourriture  qu'il  demande,  hon- 
neurs, respects,  hommages;  soit  parce  que  la 
solitude  vous  met  dans  la  nécessité  de  vous 
voir  et  devons  humilier  parle  spectacle  tro,> 
présent  de  vos  misères,  et  parla  il  devient  e.i 
vous  oubli  de-Dieu,  dissipation,  amour  du 
monde.  C'est  l'orgueil  qui  peut-être,  pour 
vous  avancer  dans  les  dignités  de  l'Fglise, 
emploie  la  brigue,  la  faveur,  les  sollicitations, 
l'intrigue;  vous  fait  acheter  le  sanctuaire  de 
Dieu  comme  un  héritage  profane,  et  par  là 
il  devient  en  vous  simonie,  profanation,  sa- 
crilège. C'est  l'orgueil  qui  vous  remplit  d'une 
fausse  idée  de  vous-mêmes,  ef,  dès  que  les 
autres  n'entrent  pas  dans  votre  erreur ,  ne 
parlent  pas,  n'agissent  pas  conformément  à 
l'opinion  outrée  que  vous  avez  de  votre  mé- 
rite, vous  élève  contre  eux  et  vous  trans- 
porte, vous  rend  insupportable  le  moindre 
affront,  et  par  là  il  devient  en  vous-  haine, 
colère,  vengeance.  C'est  l'orgueil  qui,  en 
vous  insatiable  de  gloire,  est  affligé  de  celle 
de  vos  frères  ,  regarde  ce  qu'on  leur  donne 
de  louanges  comme  s'il  vous  était  ôlé,  et 
fait  de  leur  bonheur  votre  supplice,  et  par 
là  il  devient  en  vous  envie,  jalousie.  C'est 
l'orgueil  qui,  par  mille  artifices  coupables, 
s'efforce  de  relever  en  vous  une  vaine  beauté  , 
et  parla  il  devient  en  vous  immodeslie, 
mondanité,  scandale.  C'est  l'orgueil  qui, 
pour  détromper  le  monde  en  notre  faveur  de 
l'idée  avantageuse  qu'on  à  des  autres  et  pour 
supplanter  vos  concurrents  ,  vous  fait  répan- 
dre des  bruits  qui  les  noircissent ,  qui  les 
déchirent,  et  par  là  il  devient  en  vous  médi- 
sance, détraction,  calomnie.  C'est  l'orgue  1 
qui  vous  fait  condamner  vos  frères  avec  pré- 
cipitation, sans  fondement,  sans  preuve, 
sans  raison,  sans  vraisemblance,  et  par  là 
il  devient  en  vous  jugement  faux  et  témé- 
raire. C'est  l'orgueil  (car  il  est  surprenant  en 
combien  de  péchés  ce  péché  seul  se  diversi- 
lie,  et  plaise  à  Dieu,  prince  auguste  ,  plaise 
à  Dieu  d'éloigner  de  vous  un  vice  si  fécond, 
un  monstre  si  funeste  aux  rois  et  à  leurs 
peuples  I),  c'est  l'orgueil,  mes  frères,  qui. 
avec  les  grands,  vousfait  pour  leur  complaira 
déguiser  la  vérité,  avilir  votre  caractère; 
vous  rend  ministres  de  leurs  voluptés,  com- 
plu es  de  leurs  désordres;  vous  fait  épouser 
leurs  passions,  et  plutôtquc  de  manquer  d'ap- 
pui, vous  prostitue  à  leurs  crimes,  et  par  là  ii 
devient  en  vous  bassesse,  lâcheté,  adula- 
tion, flatterie.  C'est  l'orgueil  qui  d'une  autre 
part,  ne  pouvant  s'accommoder  de  la  dépen- 
dance, vous  donne  ces  répugnances  si  invin- 
cibles pour  obéir  à  vos  maîtres,  vous  fait 
censurer  leurs  ordres,  condamner  leurs 
choix,  et  par  là  il  devient  en  vous  indocilité, 


Ç53 


PETiT  CAREME.  —  SEKMON  IV,  SLR  L'HUMILITE. 


63  i 


désobéissance,  révolte.  C'est  l'orgueil  encore 
qui  vous  déplace  ,  vous  élève  à  des  postes 
disproportionnés  à  votre  capacité  ,  au-dessus 
de  vos  talents  et  de  vos  lumières ,  et  par-là 
il  devienten  vous  présomption  et  nécessaire- 
ment injustice.  C'est  l'orgueil  qui,  pour 
fournir  à  vos  ambitieux  projets  et  à  vos  dé- 
penses énormes,  vous  recueille  tout  en  vous 
sans  être  secourables  aux  pauvres,  vous  fait 
regarder  comme  légitimes  toutes  les  voies  de 
vous  enrichir,  et  par  là  il  devient  en  vous 
usurpation,  inhumanité,  rapine.  C'est  l'or- 
gueil ,  rois  de  la  terre  ,  qui  vous  rend  am- 
bitieux sans  borne  et  sans  règle ,  vous  fait 
allumer  partout  des  guerres  sanglantes,  et, 
pour  remplir  l'univers  de  vos  noms  ,  rem- 
plit vos  états  de  misère,  et  par  là  il  devient 
en  vous  cruauté,  oppression,  tyrannie.  C'est 
l'orgueil,  grands  du  monde,  qui  vous  pla- 
çant, ce  semble,  dans  une  région  supérieure, 
vous  fait  regarder  au-dessous  le  reste  des 
hommes  comme  des  victimes  malheureuses 
qui  ne  sont  nées  que  pour  être  immolées  à 
vos  passions,  et  fait  qu'iei-bas  vous  ne  voyez, 
vous  n'aimez,  vous  n'adorez  que  vous-mêmes, 
et  par  là  il  devient  en  vous  fierté,  hauteur, 
dureté,  idolâtrie.  Que  dirai-je,  mes  frères? 
C'est  l'orgueil  aussi  qui, pour  surprendre  la 
vaine  estime  des  hommes  contrefait  en  vous 
l'homme  de  bien,  emprunte  les  apparences 
de  la  vertu  quand  votre  cœur  est  plein  de 
vices,  et  par  là  il  devient  en  vous  dissimu- 
lation ,  hypocrisie ,  imposture.  C'est  l'or- 
gueil qui,  par  les  plus  monstrueuses  absur- 
dités, justifie  à  vos  yeux  les  plus  grands 
ce  unes,  ne  vous  laisse  jamais  croire  que  vous 
soyez  mal,  vous  empêche  de  confesser  au 
saint  ministre  vos  maux  secrets  et  d'implo- 
rer humblement  sur  vous  la  miséricorde 
divine ,  et  par  là  il  devient  en  vous  aveugle- 
ment, insensibilité,  endurcissement,  impé- 
nitence. Enfin,  tous  vos  crimes  ne  sont  que 
les  divers  degrés  de  l'orgueil  élevés  les  uns 
sur  les  autres;  il  vous  rend  faux,  durs,  cruels, 
inhumains,  barbares,  sans  moeurs,  sans  foi, 
sans  probité,  sans  religion,  sans  Dieu,  sans 
conscience;  il  est,  dit  le  Sage  ,  le  mal  uni- 
versel, l'iniquité  tout  entière;  et  en  un 
mot,  si  l'humilité  donne  à  Marie  la  pléni- 
tude de  la  grâce,  l'orgueil  donne  à  notre 
âme  la  plénitude  du  péché  :  Omne  peccatum 
aupcrbia.  (Eccli. ,  X.) 

Mais  voici  où  le  mérite  cie  l'humilité  se 
relève  le  plus  en  Marie  :  Ecce  concipies. 
Après  que  l'ange  lui  a  prédit  qu'elle  sera  la 
mère  d'un  Dieu,  elle  s'abaisse  sous  le  poids 
d'une  dignité  si  immense;  son  humilité  lui 
dérobant  toute  sa  grandeur,  toute  sa  vertu, 
la  fait  rougir  d'un  si  sublime  ministère  ;  elle 
compare  le  profond  abîme  de  sa  misère  avec 
l'abîme  de  la  grandeur  de  Dieu,  et  elle  se 
confond;  elle  a  honte  de  se  voir  dans  un 
rang  si  proche  de  lui  :  quelque  temps  elle  de- 
meure en  silence  ,  et  ce  n'est  enfin  que  son 
humble  obéissance  qui  presse  son  consente- 
ment, et  lui  fait  prononcer  en  tremblant  cette 
parole  d'abjection  et  de  bassesse  :  ecce  ancilla 
Domini,  voici  donc  la  servante  du  Seigneur. 

Parole  pleine  de  Dieu,  et  qui  a  la  force  de 


le  faire  descendre  en  elle;  parole  d'où  sort 
une  dignité  qui  élève  Marie  à  l'alliance  inef- 
fable avec  Dieu,  et  la  confessant  l'humble 
servante  du  Seigneur,  lui  fait  mériter  d'être 
sa  mère  :  Ecce  ancilla  Domini.  Et  quelle  ins- 
truction veut  nous  donner  l'Esprit-Saint  par 
ces  dernières  circonstances?  C'e^t,  mes  frè- 
res, que  nous  ne  concentrons  ce  Dieu  de 
salut  au  fond  de  notre  cœur  que  dans  l'a- 
baissement et  la  profonde  humiliation  d^ 
notre  âme  :  In  humilitate  animœ  vestrce  pa- 
rietis  saiutem.  Ah!  vous  l'éprouvez  trop, 
grands  du  monde,  que  jusqu'ici,  loin  de  con- 
cevoir ce  Dieu  de  salut,  vous  n'avez  conçu, 
comme  ajoute  haie,  que  le  souille  de  l'or- 
gueil et  le  vent  de  la  gloire  humaine  :  Concc- 
pimus  spiritum  et  non  saiutem.  [Isa.,  XXVI.) 
Vous  avez  mieux  aimé  que  l'esprit  superbe, 
que  le  démon  de  l'ambition  et  de  la  vanité 
.se  produisît  en  vous,  que  ce  Dieu  de  salut 
et  de  miséricorde  ;  aussi,  tandis  que  les  âmes 
humbles,  pour  n'avoir  pris  aucune  paît  à  la 
gloire  du  monde,  en  auront  une  si  grande 
à  celle  du  ciel,  il  ne  vous  restera  pour  l'autre 
vie  que  la  honte  de  votre  présomption,  et 
vous  aurez  à  vous  reprocher  éternellement 
que  vous  n'aurez  embrassé  qu'un  souffle 
vain  et  des  honneurs  qui  ne  sont  qu'une  va- 
peur et  une  ombre  :  Concepimus  spiritum  et 
non  saiutem. 

Mon  Dieu  !  que  ce  partage  a  de  malheurs  I 
Pourrions-nous  encore  le  prendre?  Ahl  qua 
jamais  ce.  ne  soit  le  vôtre,  Sire;  mais,  à 
l'exemple  de  David,  humilié  ici  devant  Dieu, 
pour  l'inviter  à  descendre  en  vous  et  à  venir 
dans  votre  âme,  écriez-vous  :  Ante  Dominum 
qui  elegit  me,  vilior  fiam  et  cro  humilis.  (II 
Reg.,  VI.)  Malgré  l'éclat  de  ma  grandeur  et 
de  la  majesté  royale,  je  m'abaisserai  profon- 
dément et  je  serai  humble  devant  le  Seigneur 
qui  m'a  choisi  dès  l'âge  le  plus  tendre,  et  m'a 
fait  roi  par  préférence  même  à  ce  que  j'avais 
de  plus  cher  :  Ante  Dominum  qui  eleqit  me, 
vilior  fiam;  plus  que  nul  autre  l'enfant  de  sa 
grâce,  l'ouvrage  de  son  amour,  l'objet  de  sa 
miséricorde,  je  serai  plus  que  nul  autre  le 
disciple  de  son  humilité;  plus  je  lui  dois, 
plus  je  m'abaisserai;  pourrais-je  jamais  assez 
descendre?  Vilior  fiam.  Oui,  devant  ce  Dieu 
de  gloire,  devant  ce  suprême  dominateur  de 
l'univers,  aux  yeux  de  qui  tous  les  rois  en- 
semble ne  sont  qu'un  atome ,  je  m'humilie- 
rai, je  m'anéantirai  ;  hélas!  aujourd'hui  pour 
moi  il  s'est  bien  humilié,  il  s'est  bien  anéanti 
lui-même;  j'essayerai  de  le  consoler  de  ses 
abaissements  par  les  miens;  les  hommages 
que  mes  peuples  me  rendent,  je  viendrai  les 
lui  rendre  ici;  après  avoir  paru  sur  le  trône 
en  souverain,  je  paraîtrai  à  ses  pieds  en  sup- 
pliant. Que  n'ai-je  à  lui  sacrifier  plus  do 
gloire  encore?  Vilior  fiam.  Devant  lui  j'ou- 
blierai que  je  suis  rôi,  pour  penser  seule- 
ment que  je  suis  homme,  que  je  suis  faible, 
que  je  suis  mortel,  que  je  suis  pécheur,  que 
je  suis  chrétien,  que  je  suis  un  orphelin  dont 
il  veut  bien  être  le  père  ;  je  me  ferai  de  tout 
cela  comme  autant  de  degrés  pour  m'abaisser 
et  pour  descendre  :  Et  ero  humilis,  etgloric- 
sior  apparebo  [Ibid.)  ;  et  par  là  T.êmc,  que  de 


'63 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SIRIAN. 


655 


sortes  de  gloire  je  m'attirerai  1  La  gloire  de 
rendre  à  mon  Dieu  ce  qui  lui  est  dû  ;  la  gloire 
de  savoir  déjà  me  mettre  à  ma  place  ;  la  gloire 
de  sentir  devant  lui  toute  ma  misère  ;  la 
gloire  d'offrir  à  mon  peuple,  dès  ma  jeunesse, 
l'exemple  de  la  plus  difficile  des  vertus  ;  la 
gloire  de  faire  aujourd'hui  ce  que  fait  un 
Dieu;  la  gloire  de  me  mettre  par  l'humilité 
au-dessus  de  la  gloire  même  :  Ero  humilis 
et  qloriosior  apparebo.  Si  j'ose  me  glorifier  de 
quelque  chose,  c'est  que  j'ai,  comme  roi, 
plus  de  gloire,  plus  d'honneur,  plus  de  faste 
à  mépriser;  c'est  qu'étant  plus  élevé,  je  puis 
m'abaisser  davantage;  c'est  qu'étant  ici  le 
plus  grand,  je  puis  y  être  le  plus  humble  : 
Gloriosior  apparebo  ;  c'est  qu'enfin  si,  selon 
votre  parole,  ô  mon  Dieu!  celui  qui  se  sera 
le  plus  abaissé  sera  le  plus  exalté,  m'étant 
plus  humilié  sur  la  terre,  je  serai  plus  glo- 
rifié dans  le  ciel  :  Gloriosior  apparebo.  C'est 
la  grâce  que  je  vous  souhaite. 

SERMON  V. 

Pour  le  quatrième  dimanche  de  Carême. 

SLR    LA    BONTÉ    DUS    ROIS. 

4'crepit  Jésus  panes  et  'distribuit  discumbentibus. 
(Joui.,  VI.) 

ISsus  prit  les  pains  et  les  distribua  à  ceux  qui  étaient 
assis 

Sire, 

C'est  ici  la  fonction  dans  laquelle  j'aime 
davantage  à  vous  offrir  Jésus-Christ  lorsqu'il 
fait  du  bien  aux  hommes.  C'est  ici  la  vertu 
dont  lui-même  se  plaît  le  plus  à  vous  mon- 
trer l'exemple,  la  bonté.  Que  cette  vertu  a 
de  grandeur  dans  les  rois  !  qu'elle  y  a  de 
charmes  !  C'est  par  elle  qu'ils  portent  plus 
sensiblement  l'image  de  Dieu,  qu'ils  appro- 
chent le  plus  près  de  lui,  qu'ils  font,  sur  la 
terre,  à  l'égard  des  hommes,  sa  plus  noble 
fonction,  et  elle  leur  donne,  avec  ce  Père 
commun,  le  plus  beau  trait  de  ressemblance. 
C'est  par  elle  que  les  rois  régnent  véritable- 
ment, puisqu'elle  leur  donne  l'empire  des 
cœurs,  le  plus  beau,  le  plus  doux  et  le  plus 
sûr  des  empires.  De  toutes  les  vertus,  la 
bonté  sans  doute  est  celle  dont  les  souverains 
tirent  de  plus  grands  avantages;  elle  donne 
à  leur  couronne  son  plus  bel  éclat,  et  elle 
fait  le  plus  ferme  appui  de  leur  trône;  elle 
sanctifie  leur  grandeur,  elle  assure  leur  puis- 
sance, elle  forme  ces  nœuds  si  chers  et  si 
aimables  qui  lient  les  peuples  aux  rois  et  les 
rois  aux  peuples;  par  elle  ils  sont  aimés  dans 
la  paix,  ils  sont  redoutés  même  dans  la 
guerre,  puisqu'elle  leur  acquiert  l'amour  des 
peuples,  qui  est  la  plus  grande  force  d'un 
Ktat,  et  qu'un  roi  aimé  est  un  roi  invincible. 
Enfin,  la  bonté  seule  l'ait  d'un  prince  un  hé- 
ros, un  chrétien,  un  enfant  de  Dieu,  un  dis- 
ciple de  Jésus-Christ,  et  elle  le  rend  au  mi- 
lieu de  ses  sujets  tel  que  le  Sauveur  est 
aujourd'hui  au  milieu  de  cette  multitude, 
leur  ressource,  leur  salut,  leur  consolateur, 
leur  père. 

Consacrons  donc  ce  discours  à  une  vertu 
«1  glorieuse  aux  rois,  si  nécessaire  aux  peu- 


ples, et,  suivant  l'une  après  l'autre  les  cir- 
constances de  notre  évangile,  montrons,  et 
dans  le  plus  saint  et  le  plus  sublime  des  mo- 
dèles, d'abord  quels  doivent  être  les  carac- 
tères de  la  bonté  des  rois,  ensuite  quels  en 
sont  les  avantages. 

Je  l'avoue,  je  n'ouvris  jamais  la  bouche 
avec  un  désir  plus  ardent  de  persuader.  Que 
Dieu,  qui  est  charité,  anime  chaque  parole  de 
ce  discours  1  Qu'elles  se  gravent  profondé- 
ment dans  l'âme  du  prince  qui  m'écoute  1  et 
qu'un  roi,  pour  qui  Dieu  a  été  si  bon,  ap- 
prenne de  lui  à  être  bon  à  ses  peuples  1  De- 
mandons les  lumières  du  Saint-Esprit,  etc. 


PREMIER    POINT. 


Sire, 


Nul  de  nous  ne  vit  pour  soi-même,  dit  saint 
Paul  (Rom.,  XIV),  mais  pour  les  autres  ;  que 
cet  oracle  convient  aux  rois  1  Car  un  roi, 
dans  les  desseins  de  Dieu,  n'est  pas  à  lui, 
mais  aux  peuples  à  qui  Dieu  l'a  donné;  c'est 
un  personnage  public  né  pour  le  bien  de  ses 
sujets;  il  se  doit  tout  entier  à  eux,  et  son 
temps,  et  ses  soins,  et  sa  vie  même.  La 
royauté  est  dans  ses  mains  un  dépôt  sacré 
dont  il  leur  est  comptable.  Oui,  qui  dit  roi, 
dit  plus  qu'on  ne  pense;  c'est  une  vaste  ex- 
pression qui  renferme  des  sens  et  des  devoirs 
immenses  ;  car  être  roi  n'est  pas  seulement 
porter  la  couronne,  avoir  des  sujets,  vivre 
dans  la  pompe  et  le  faste,  prévaloir  par  son 
autorité  sur  une  multitude  d'hommes  ;  c'est 
les  défendre,  c'est  les  secourir,  c'est  les  ai- 
mer, c'est  les  rendre  bons  et  heureux.  Voilà 
les  vues  de  Dieu  en  vous  élevant  sur  nos 
têtes.  De  là  il  résulte  que  la  bonté  est  la  plus 
grande  vertu  des  rois,  et  qu'en  les  disant  les 
)  ères  du  peuple,  c'est  moins  leur  donner 
une  louange,  que  leur  marquer  leur  devoir. 
Il  y  a,  Sire,  entre  vous  et  vos  sujets  des  en- 
gagements mutuels  et  des  obligations  réci- 
proques. Nous  vous  devons  nos  respects, 
notre  fidélité,  même  notre  vie;voiis  nous 
devez  la  bonté.  Malheur  à  nous  si  nous 
manquons  à  nos  engagements,  vous  auriez 
droit  de  nous  punir;  mais  si  vous  manquez 
aux  vôtres,  une  majesté  plus  haute,  plus  re- 
doutable que  la  vôtre,  vous  jugera,  et  contre 
ses  jugements  la  puissance  des  plus  grands 
rois  est  la  faiblesse  même. 

Mais  quels  caractères  surtout  doit  avoir 
la  bonté  des  rois?  L'Esprit-Saint,  par  la 
bouche  môme  d'un  roi,  daigne  vous  l'ap- 
prendre. Il  faut  qu'elle  soit  une  bonté  affa- 
ble, une  bonté  compatissante,  une  bonté 
secourable;  affable  dans  les  manières,  com- 
patissante dans  les  sentiments,  secourable 
dans  les  actions.  Ehl  que  dans  le  miracle 
que  Jésus-Christ  fait  aujourd'hui  en  faveur 
de  ces  peuples  malheureux,  ces  trois  carac- 
tères de  la  bonté  sont  sensibles!  Avec  quelle 
affabilité  il  s'approche  d'eux!  Avec  quelle 
sensibilité  il  voit  leur  misère!  Avec  quelle 
libéralité  il  les  nourrit  et  les  soulage!  Mon 
Dieu!  que  la  bonté  des  rois,  si  elle  avait  ces 
traits  aimables,  leur  gagnerait  de  cœurs? 
Car  à  quoi,  grands  du  monde,  devez-vous 
aspirer   davantage    qu'à    vous    gagner    les 


657 


PEUT  CA11EME.  —  SERMON  V,  SUR  LA  BONTÉ  DES  ROIS. 


C5S 


coeurs?  Dans  cette  abondance  infinie  de  tou- 
tes choses  où  vous  met  la  grandeur,  c'est 
l'unique  bien  qui  vous  manque. 

Bonté  affable  :  Jésus-Christ  venait  de  rem- 
plir la  Judée  du  bruit  de  ses  miracles,  et 
tout  grand,  tout  Dieu  qu'il  est,  il  s'abaisse 
jusqu'à  ce  vil  peuple  ;  il  les  écoule,  il  leur 
parle,  il  les  fait  asseoir;  il  cache  le  miracle 
pour  ne  laisser  voir  que  le  bienfait,  et  il  les 
oblige  autant  par  la  manière  de  leur  donner, 
que  par  le  don  lui-même. 

Et  voilà,  puissants  du  siècle,  ce  que  vous 
devez  être  à  l'égard  de  vos  peuples  :  Affabi- 
lem  te  facito  {Eccli.,  IV),  vous  crie  le  Sage. 
Au  lieu  de  ressembler  à  ces  princes  fiers  et 
farouches  qui,  renfermés  dans  leur  gran- 
deur comme  dans  un  fort  inaccessible,  n'en 
sortent  jamais,  mettent  entre  eux  et  leurs 
peuples  de  cruelles  séparations,  ne  nous 
offrent  qu'une  grandeur  toujours  menaçante, 
toujours  armée,  ne  paraissent,  ce  semble, 
que  pour  jeter  dans  les  esprits  l'épouvante 
et  le  trouble  ,  et  en  un  mot  ne  sont  rois  que 
par  la  crainte,  sans  jamais  l'être  par  l'amour , 
vous,  à  l'exemple  de  Jésus-Christ,  rendez- 
vous  affable,  doux,  d'un  accès  libre  et  facile  : 
Affabilem  te  facito.  N'oubliez  jamais  que 
vous  êtes  homme  et  que  vous  régnez  sur 
des  hommes.  Par  l'affabilité,  vertu  si  rare 
dans  les  princes,  élevez-nous  jusqu'à  vous, 
abaissez-vous  jusqu'à  nous.  Ne  sortez  ja- 
mais de  la  bienséance,  mais  sortez  quelque- 
fois de  la  grandeur,  vous  dépouillant  du 
spectacle  trop  éblouissant  de  la  royauté  et 
de  l'autorité  suprême.  Quittez  le  théâtre  et 
le  personnage,  pour  vous  montrer  humain 
et  populaire. 

Ces  hommes  sages,  à  qui  Salomon  avait 
confié  l'éducation  de  Roboam  son  fils ,  ne 
cessaient  de  lui  donner  cet  avis  si  salutaire  , 
die  verba  lenia  (III  Reg.,  Xll),  parlez  avec 
douceur  à  ce  peuple  qui  vous  aime;  il  ne 
le  fit  pas,  il  mérita  par  sa  dureté  d'être  ap- 
pelé la  folie  de  sa  nation  et  la  honte  de  son 
siècle.  Vous,  loin  d'imiter  un  si  triste  exem- 
ple, montrez-vous  accessible,  prévenant,  affa- 
ble; une  parole  douce,  dit  le  Sage,  vaut 
mieux  qu'un  présent,  et  des  refus  mêmes 
souvent  elle  fait  des  grâces.  Dédaignant  la 
fierté  qui  n'ajoute  rien  à  la  grandeur  et  qui 
ôte  beaucoup  aux  grands,  mettez  à  sa  place 
la  douceur,  l'humanité,  la  politesse.  Portez 
vos  soins  à  plaire,  comme  il  convient  dans 
l'éminence  de  votre  rang  et  à  la  dignité  de- 
votre  place,  et  n'allez  pas  dire  :  je  crains  de 
me  commettre  par  ma  bonté.  Non,  Sire,  avec 
un  peuple  comme  le  vôtre,  vovis  ne  perdrez 
rien  à  être  bon  ;  il  y  a  dans  le  cœur  des  Fran- 
çais un  assez  grand  fonds  de  vénération  pour 
leur  maître,,  pour  subsister  au  milieu  des 
marques  les  plus  sensibles  do  vos  bontés. 
Soyez  affable,  votre  peuple  ne  vous  en  res- 
pectera pas  moins  et  vous  y  gagnerez,  s'il 
se  pouvait,  d'en  être  aimé  davantage. 

Mais  dès  que  la  bonté  est  affable  et  qu'elle 
daigne  voir  la  misère  extrême  des  peuples, 
i  est  bien  naturel  qu'elle  devienne  compa- 
tissante. Aussi  à  peine  dans  notre  évangile, 
Jésus-Christ  s'approchant    de  cette    multi- 


tude, a  vu  l'excès  de  ses  besoins,  qu'il  sent 
son  cœur  s'attendrir,  et  il  s'écrie  :  Ah!  j'ai 
compassion  de  tout  ce  peuple  l  Misereor  su- 
per turbnm  ! 

Et  voilà  ce  que  doit  être  un  grand  à  l'é- 
gard de  ses  vassaux,  un  roi  envers  son  peu- 
ple. 11  faut  que  ces  sentiments  tendres  de 
Jésus-Christ  passent  dans  son  cœur,  s'im- 
priment profondément  dans  son  âme.  Re- 
présentez-vous un  bon  père  au  milieu  de  sa 
famille  ;  il  n'est  occupé  que  des  besoins  de 
ses  enfants  ;  il  les  porte  tous  dans  son  cœur  : 
il  vit  moins  pour  lui  que  pour  eux.  A  leur 
vue  quand  ils  souffrent,  ses  entrailles  s'é- 
meuvent ;  il  s'attendrit  sur  l'un,  il  s'affiigo 
sur  l'autre,  il  est  père  pour  tous;  il  ne  sau- 
rait avoir  de  joie  qu'il  n'ait  vu  finir  leur  mi- 
sère, et  le  moment  où  il  espère  de  les  ren- 
dre heureux,  sera  le  plus  doux  moment  de 
sa  vie. 

C'est  l'image  naïve  de  ce  qu'un  roi  doit 
être  au  milieu  de  ses  sujets.  Les  7'ois  sont  faits 
sur  le  modèle  des  pères.  11  doit  s'attendrir  sur 
eux,  compatir  à  leurs  maux ,  ressentir  vive- 
ment leurs  peines;  il  doit  se  rendre  triste  et 
malheureux  en  leur  personne,  et  s'écrier 
avec  Jésus-Christ  dans  les  sentiments  de  la 
charité  la  plus  tendre  :  misereor  super  tur- 
bam  !  Ah  !  ce  peuple  que  j'aime  comme  un 
bon  père  aime  ses  enfants,  devient  à  mes 
yeux  un  spectacle  de  pitié,  un  objet  de  dou- 
leur et  de  larmes!  misereor  s:ipcr  turbam! 

11  doit  plus  faire  :  Jésus-Christ,  attendri 
sur  ces  peuples,  choisit  pour  les  secourir  les 
apôtres  les  plus  compatissants,  André  et  Phi- 
lippe, qui  lui  exposent  avec  amour  les  be- 
soins de  cette  multitude,  et  l'aident  dans  la 
manière  de  la  soulager;  et  voilà  ce  qu'un  roi 
doit  faire,  s'il  est  sensible  aux  maux  de  ses 
sujets;  il  doit  choisir  pour  ministres  des 
hommes  doux,  compatissants,  charitables, 
qui  aient  au  moins  des  principes  d'huma- 
nité et  de  justice;  qui,  touchés  des  misères 
des  peuples,  les  leur  mettent  sous  les  yeux  ; 
des  hommes  qui  se  servent  de  l'accès  que 
leur  bonté  leur  donne  pour  leur  présenter 
les  vœux  des  pauvres  et  les  prières  des  mal- 
heureux, comme  font  dans  l'Ecriture  ces 
anges  de  paix,  qui  portent  au  trône  de  Dieu 
les  larmes  et  les  supplications  des  miséra- 
bles, et  en  rapportent  de  douces  bénédictions 
et  une  abondance  de  grâces;  des  hommes 
enfin  qui  osent  vous  dire,  comme  aujour- 
d'hui Philippe,  si  jamais  il  venait  (ce  que 
Dieu  éloigne)  des  temps  de  calamité  et  de 
disette  :  Maître,  les  pauvres  en  grand  nom- 
bre n'ont  pas  de  pain  :  Non  habent  quidman- 
ducent.  S'ils  ne  sont  soulagés,  ils  périront  de 
misère  :  déficient. 

Car,  est-ce  assez  que  la  bonté  des  rois  soit 
compatissante?  On  voit  assez  dans  le  monde 
de  ces  cœurs  tendres  que  la  misère  des  pau- 
vres touche;  mais  leur  compassion  fausse  et 
stérile  ne  les  soulage  point.  Les  grands,  pour 
la  plupart,  sont  sur  nos  têtes  comme  ces 
nuées  plus  hautes  et  plus  brillantes,  mais 
qu'une  pluie  salutaire  ne  suit  jamais,  et  qui, 
belles  seulement  pour  le  spectacle,  ne  font  à 
la  terre  aucun  bien  :  Nubcs  sine  aqxta.  (Jud.% 


«59 


ORATKURS  SACRES.  LE  P.   SIRIAN. 


CG3 


12.)  La  bonté,  pora  plaire  à  Die:-,  dot  être  se- 
eotirable  et  se  produire  par  des  eifets.  Si  vous 
êtes  notre  pasteur,  disaient  à  leur  nouveau 
roi  les  Israélites,  paissez  votre  troupeau  : 
Pasce  popuhim  tuum.  (Mich.,  VII.) 

Et  voici  l'endroit  de  notre  évangile  où 
Jésus-Christ  offre  au  monde  le  spectacle  le 
plis  touchant.  Levant  les  ijeux  au  ciely  car  la 
bonté  des  rois  doit  être  une  vertu  non  hu- 
maine, non  politique,  mais  chrétienne,  mais 
divine,  et  qui  ait  son  principe  dans  le  ciel;  et 
ayant  rendu  grâce,  car  les  rois  doivent  recon- 
naître que  tout  le  bien  qu'ils  ont,  et  tout  le 
bien  qu'ds  font  vient  de  Dieu;  il  distribua  à 
ceux  gui  étaient  assis  les  pains  multipliés  mi- 
raculeusement dans  sa  main  divine.  Mon 
Dieu!  que  c'est  là  une  bonté  féconde  et  agis- 
sante !  et  que  doit  faire  un  roi  pour  huiler 
cette  charité  si  aimable?  Il  doit  faire  à  ses 
sujets  tout  le  b;en  dont  il  est  capable.  Car  si 
le  souverain  bonheur  est  de  pouvoir  faire 
tout  le  bien  qu'on  veut,  la  vertu  suprême  est 
de  vouloir  faire  tout  le  bien  qu'on  peut.  II 
doit,  regardant  la  royauté  dans  les  intentions 
de  Dieu  même,  soulager  ses  sujets,  adoucir 
leurs  peines,  et  songer  moins  à  conquérir  de 
nouveaux  peuples,  qu'à  rendre  heureux  ce- 
lui qu'il  a;  il  doit,  comme  il  le  promet  à  son 
sacre  par  un  serment  solennel,  n'employer 
sa  puissance  et  sa  vie  qu'au  bonheur  de  son 
Etat,  et  si  nous  vous  y  jurons  fidélité,  vous 
nous  y  jurez  miséricorde. 

Et  voilà  uniquement,  grands  du  monde, 
par  où  vous  devez  souffrir  patiemment,  et 
aimer  même  votre  état  que  d'ailleurs  vous 
ne  sauriez  trop  craindre,  par  l'occasion  si 
favorable  qu'il  vous  offre  de  faire  du  bien. 
Voilà  par  où  votre  condition  doit  vous  deve- 
nir précieuse  et  respectable,  par  l'usage  de 
la  bonté.  Non,  si  vous  avez  au-dessus  de  nous 
un  privilège  qu'on  puisse  envier,  une  dis- 
tinction qui  flatte,  ce  n'est  pas  d'être  éievé  au 
faîte  de  la  grandeur  et  de  la  gloire,  c'est 
d'être  en  état  de  faire  des  heureux,  d'essuyer 
des  larmes,  de  remettre  la  joie  et  le  calme 
en  des  cœurs  affligés;  c'est  de  devenir,  après 
Jésus-Christ,  comme  les  seconds  rédemp- 
teurs de  l'homme,  le  rachetant  de  la  misère, 
comme  il  l'a  racheté  du  péché;  c'est  de  pou- 
voir vous  livrer  à  votre  gré  à  ce  doux  pen- 
chant, à  ce  charme  secret  d'un  cœur  né  bien- 
faisant et  charitable;  c'est  de  vous  voir  envi- 
ronnés d'une  foule  de  malheureux  qui  à 
l'envi  vous  bénissent,  vous  reconnaissent 
pour  leur  sauveur,  pour  leur  libérateur,  pour 
leur  père.  C'est  plus  encore,  de  pouvoir  atti- 
rer sur  vous  la  compassion  de  Dieu  par  celle 
que  vous  aurez  pour  vos  peuples.  Car  l'Es- 
piit-Saint  l'assure;  Dieu  qui  aime  les  hom- 
mes qu'ils  a  faits,  par  un  retour  de  sa  misé- 
ricorde rend  aux  rois  les  biens  qu'ils  font  à 
leurs  sujets;  plus  le  prince  nous  comble  de 
biens  ,  et  plus  Dieu  le  comble  de  grâces.  La 
mesure  de  votre  amour  pour  nous  est  celle 
de  ses  miséricordes;  c'est  un  accord  ainsi 
fait.  Ht  Néhémias  le  savait  bien,  lorsque  après 
avoir  exposé  le  bien  qu'il  a  fait  au  peuple, 
comme  s'il  l'avait  mis  en  dépôt  dans  le  sein 
de  Dieu,  il  s'écrie  par  un  transport  subit  : 


Rendez-ie  moi,  Seigneur,  et  faites  à  voire 
serviteur  ce  que  j'ai  fait  à  ce  peuple  :  Sicut 
feci  ;_populo  huic.  (Il  Esdr.,  V.) 

Or  dès  que  les  grands  du  monde  se  pénè- 
trent d'un  principe  si  beau,  si  consolant,  si 
favorable,  et  qu'ils  se  disent  à  eux-mêmes  : 
que  Dieu  a  donc  mis  ses  grâces  à  ce  prix 
qu'ils  aimeront  leurs  peuples;  peuvent-ils 
assez  les  aimer,  assez  les  soulager,  assez  les 
défendre?  S'ils  sont  touchés  des  intérêts  de 
leur  salut,  peuvent-ils  ne  pas  saisir  aveejoie 
ce  moyen  si  aimable  d'attirer  sur  eux  les  se- 
cours du  ciel,  si  nécessaires  dans  les  périls 
de  leur  état?  Peuvent-ils  se  voir,  |  aria  bonté, 
arbitres  de  tous  les  dons  de  Dieu,  sans  en 
avoir  une  infinie  pour  leur  peuple?  Attirés 
par  un  commerce  si  doux,  peuvent-ils  assez 
y  mettre?  Ne  doivent-ils  pas  rapporter  à  la 
seule  bonté  toute  leur  grandeur,  toute  leur 
puissance,  puisqu'à  la  bonté  seule  semble 
être  attachée  leur  sanctification?  Et  qui  veut 
devenir  un  roi  très-chrétien,  ne  doit-il  pas  se 
rendre  un  très-bon  prince  ? 

Ah!  Sire,  Dieu  met-il  donc  ses  grâces  à  un 
prix  qui  doive  tant  vous  coûter?  11  les  atta- 
che à  votre  amour  pour  nous ,  et  vous  n'a- 
vez, pour  vous  rendre  éternellement  heu- 
reux, qu'à  nous  rendre  heureux  nous-mê- 
mes. 

SECOND   POINT. 

Vous  avez  vu  les  caractères  de  la  bonté 
des  rois;  voyons-en  les  avantages.  Je  sais 
qu'un  bon  cœur  est  déjà  assez  payé  du  bien 
q  •  'il  fait  par  leplaisir  qu'il  trouve  à  le  faire, 
et  plus  encore  par  les  récompenses  immor- 
telles que  lui  prépare  le  ciel.  Mais  ce  Dieu 
de  toute  bonté,  et  qui  aime  cette  vertu,  a 
voulu  pour  la  rendre  plus  chère  aux  rois,  y 
ajouter  môme  ici-bas  d'autres  avantages;  et 
quels  sont-ils  ces  avantages?  Saint  Ambroise 
nous  les  a  marqués;  rien,  dit  ce  Père,  n'est 
si  utile  aux  princes  que  la  bonté.  Elle  vous 
fait  respecter,  elle  vous  fait  aimer  :  Hono- 
rarifacit  et  diligi.  Deux  idées  bien  chères  à 
notre  cœur,  mais  nécessaires  aux  rois  dans 
l'émincnce  de  leur  place.  Et  n'est-ce  pas  ce 
double  avantage  que,  pour  vous  servir  d'at- 
trait, Jésus-Christ  même  en  ce  jour  fait  voir 
en  lui  après  son  miracle?  Ces  peuples,  dit 
l'Evangile,  touchés  d'une  bonté  si  tendre,  si 
paternelle,  qui  avec  cinq  pains  avait  rassasié 
cinq  mille  hommes,  tantôt  frappés  d'admira- 
tion, l'honorent  du  nom  de  prophète  :  Hic 
est  vrre  propheta  (Joun.,  VI);  tantôt  épris 
d'amour  pour  lui ,  veulent  l'enlever  pour  le 
faire  roi  :  Ut  facerent  regem.  (lbid.)  Mon 
Lieu,  que  la  bonté  a  donc  de  force  dans  les 
cœurs  !  qu'elle  y  a  de  charmes  ! 

Oui,  la  royauté  déjà  si  vénérable  par  elle- 
même,  l'est  bien  davantage  quand  elle  a  pour 
campagne  la  bonté.  C'est  la  bonté  seule  qui 
fait  la  véritable  gloire  des  rois,  qui  immorta- 
lise leur  nom,  et  les  rend  respectables  au 
monde  ;  parce  que  la  bonté  seule  assure  leur 
vertu,  et  empêche  qu'elle  ne  dégénère.  Ht 
en  effet,  si  la .  bonté  n'en  réglait  l'usage, 
leur  vaillance  ne  serait  qu'une  fureur,  leur 
justice  qu'une  cruauté,  leur  puissance  qu'une 


661 


PETIT  CAREME.  —  SERMON  V,  SLR  LA  BONTt  DES  ROIS. 


CC2 


oppression,  leur  courage  qu'un  emporte- 
ment, toute  leur  grandeur  qu'une  tyrannie. 
Sans  la  bonté,  tout  en  eux  tournerait  à  leur 
désavantage;  loin  d'être,  comme  ils  le  doi- 
-  vent,  le  bonheur  du  monde,  ils  en  seraient 
!a  plaie  ;  ils  ne  seraient  plus  grands  que  pour 
faire  déplus  grands  maux,  et  pour  s'attirer 
une  plus  grande  honte.  Il  ne  resterait  d'eux- 
mêmes  que  leur  décri. 

Non,  mes   frères,  Dieu  dans   le  ciel ,  et 
les  hommes  dans  leurs  histoire-. ,  ne  comp- 
tent aux  maîtres  du  monde  que  les  jours 
marqués  par  quelques  bienfaits  ;  ils  ne  trans- 
mettent à  la  postérité  que  les  actions  de  clé- 
mence. Ces  rois  qui  n'ont  voulu  que  se  faire 
craindre  meurent  tout  entiers,  et  leur  gloire 
s'évanouit   comme   un  songe.   Ils    ressem- 
blent au  tonnerre  qui,  sur  la  tète  des  hom- 
mes, donne  quelque  effroi,   mais  dans   un 
instant  se  dissipe,  et  ne  laisse  après  lui  que. 
l'infection.  Mais  la  mémoire  des  rois  misé- 
ricordieux triomphe  des  temps  et  des  siè- 
cles ;   nous  louons  encore  la  clémence  de 
David,  la  bonté  de  Josias  ;  nous  pensons 
sur  eux  comme  pensaient  les  Israélites,  et 
leur  nom,,  transmis  à  nous  par  leur  bonté, 
durera  autant  que  le  monde.  Qui  ne  se  rap- 
pelle ici  avec  joie  l'idée  même  de  cet  empe- 
reur païen  qui,  lorsqu'il  faisait  du  bien  à  ses 
sujets,  goûtait  le  plaisir  des  plus  glorieuses 
victoires,  et  à  qui  l'univers  entier,  devenu 
heureux  sous  son  règne,  déféra  le  titre  si  dou  <c 
de  Très-bon?  On  aurait  voulu,    par  respect 
pour  sa  clémence,  tirer  Trajan  de  l'enfer; 
des  Pères  mêmes  de  l'Eglise  le  revendiquent 
en  faveur  de  sa  bonté.  On  n'a  rien  oublié 
pour  l'enlever  au  paganisme, pour  en  faire 
honneur  à  la  religion,  pour  en  décorer  la 
foi  chrétienne;  tant  la  bonté  est  la  véritable 
gloire  des  rois,  tant  elle  doit  leur  être  chère. 
Et  qu'on  ne   dise  pas,  après  tout,  cette 
vertu  toujours  paisible  ne  fait  voir  dans  les 
souverains  ni  victoires,   ni   triomphes.  Eh 
quoi!  n'est  ce  donc  pas  uneassez  belle  victoire 
que  celle  qui  vous  gagne  tous  les  cœurs  ?  Eh 
quoi  1  n'est-ce  pas  pour  un  bon  roi  le  jour 
d'un  beau  triomphe  que  celui  où  il  soulage 
son  peuple,  où  il  rend  heureux  ses  sujets  ? 
Ace  triomphe,  je  l'avoue,  on  ne  voit  ni 
villes  saccagées,  ni  remparts  renversés,  ni 
provinces  désolées,  ni  ennemis  enchaînés; 
mais  on  y  voit  un  plus  doux  spectacle  ;   la 
pauvreté  surmontée,  l'indigence  vaincue,  la 
misère  captive,  ennemis  seuls  redoutables  à 
un  bon  roi,  et  dont  la  défaite  pour  lui  est 
la  plus  belle.  On  y  voit  avec  lui  marcher  en 
triomphe  la  piété,  la  modération,  la  justice; 
on  y  voit  l'abondance,  la  joie  ,  le  repos  et  la 
félicité  publique.  11  est  vrai,  à  ce  triomphe 
nouveau,   on   n'entend  point  le  bruit  des 
instruments,   ni  les    cris   des   misérables; 
mais  quelque  chose  de  plus  touchant,    les 
vœux  et  les  acclamations  d'un  peuple  con- 
tent et  heureux,  un  concert  secret  de  tous 
les  cœurs  qui,' à  l'envi,  vous  applaudissent, 
et  comblent  de  bénédictions  celui  qui  leur 
a  fait  une  destinée  si  douce.  Mon  Dieu!  que 
ces  victoires  sont  aimables  !  que  ces  triom- 
phes sont  beaux  !  qu'un  prince  est  grand  à 


mes  yeux,  qu'il  est  héros  au  milieu  de  la 
félicité  publique!  Si  les  rois  sont  hommes, 
cette  gloire  pour  eux  n'est-elle  pas  plus 
flatteuse  que  celle  de  ravager  la  terre,  de 
faire  couler  des  larmes ,  de  verser  le  sang 
humain?  S'ils  entendaient  leur  véritable 
gloire,  ne  la  trouveraient-ils  pas  plutôt  à 
être  le  bonheur  du  monde,  à  représenter 
Dieu  sur  la  terre,  faisant  la  félicité  des  hu- 
mains, et  à  être  son  image  par  leur  bonté, 
comme  ils  le  sont  par  leur  puissance? 

Orois  !  n'oubliez  jamais  cette  maxime:  c'est 
être  grand  que  d'être  bon  ;  vos  bienfaits  seuls 
feront  votre  véritable  gloire  ;  la  plus  belle  cou- 
ronne des  princes  est  celle  qui  est  tissuepar 
l'affection  des  peuples,  et  le  plus  ferme  appui 
de  leur  trône  est  l'amour  de  leurs  sujets.  Les 
hommages  qu'on  rend  à  la  grandeur  sont  peu 
sincères  et  peu  durables  ;  ceux  que  l'on  rend 
à  la  bonté  naissent  du  cœur,  et  un  roi  qui 
est  grand  dans  les  cœurs  de  ses  sujets,  l'est 
bientôt  dans  l'idée  de  tout  l'univers,  et  le  sera 
dans  l'opinion  de  tous  les  siècles. 

Car,  second  avantage   de  la    bonté  d'un 
roi,  elle  fait  qu'on  l'aime.  Oui,  l'amour  est 
le  tribut  légitime  que  les  cœurs  payent  à  la 
bonté;  aussi,  quand  Jésus-Christ  a  soulagé 
la  faim  de  ces  peuples  misérables,  touchés 
d'une  bonté  si  tendre,  ils  veulent  le  faire 
leur  roi  :  Ut  facerentregem.  Celte  vertu  seule, 
saisissant  leur  cœur,  leur  paraît  digne  du 
trône  et  de  l'empire.  Et,  sans  doute,  si  les 
peuples   se  choisissaient  des  rois,   ils   ne 
prendraient  pas  les  plus  vaillants,  les  plus 
fastueux,    les   plus    magnifiques,  mais  les 
plus  doux,  les  plus  humains,  les  plus  com- 
patissants   pour  eux  et   les    plus    tendres. 
Nous  aimons  des  maîtres  qui  nous  aiment. 
Les  princes  qui  ont  régné  sans  bonté,  ont 
.été  l'exécration  du  montre.  On  les  regarda 
comme  comme  des  monstres  que  Dieu,  ir- 
rité contre  le  genre  humain,  envoya  pour 
punir  les  crimes  des  peuples.  Leur  nom  tout 
seul  est  un  outrage:  un  Achab,  un  Néron, 
un  Hérode  nous  font  encore  horreur;  nous 
les  haïssons  même  dans  les  histoires  qui 
nous  en  parlent  ;  leur  disgrâce  nous  réjouit , 
leur  prospérité  nous  afflige  ;  nous  déplorons 
les  peuples  assez  malheureux  pour  avoir 
vécu  sous  leur  empire.  Ils  ont  contre  eux 
le  passé,  le  présent,  l'avenir  même.  Odieux 
à  toutes  les  générations  des  hommes,  ils  ne 
léguaient  que  sur  des  esclaves,   il  ne  vi- 
vaient qu'avec  des  ennemis  ;  les  maux  qu'ils 
faisaient  à  leurs  peuples  appartenaient,  ce 
semble,  à  toute  l'humanité  ;  ils  excitent  en- 
core des   ressentiments  universels,  et  ces 
tyrans  de  quelques  jours  sont  l'horreur  de 
tous  les  siècles- 
Mais  pour  un  bon  roi,  ah  !  il  est  l'amour 
et  les  délices  de  ses  peuples.    On   l'aime 
comme    un  bien  public.  A  son  idée   seule 
tous  les  cœurs  touchés  s'attendrissent  ;  on 
se  félicite  de  l'avoir  pour  roi.  Son  règne 
n'est  qu'une  longue  fête  ;  son  mal  le  plus 
léger  devient  dans    un    Etat  une  calamité 
publique  ;  sans  cesse  on  fait  des  vœux  au 
(  iel  pour  la  conservation  de  ses  jours  si 
chers,  si  précieux,  qui  coulent  pour  le  bon-- 


663 


ORATEURS  SACRES.  LE  I'    SIRIAX. 


C64 


heur  des  nôtres;  tous  s'empressent  de  le 
voir,  et  chacun,  en  le  voyant,  croit  voir  un 
ami,  un  bienfaiteur,  un  père;  qu'a-t-il  be- 
soin qu'autour  de  lui  on  veille?  un  bon  roi 
a  toujours  avec  lui  sa  plus  sûre  garde,  l'a- 
mour'des  peuples  et  les  cœurs  de  ses  sujets. 
Toutes  les  nations  se  l'envient.  Israël  et 
Juda  disputent  entre  eux  d'amour  et  de  zèle 
en  faveur  de  David.  Après  une  action  de 
clémence  qu'il  vient  de  faire,  chacun  veut 
avoir  un  si  bon  roi,  et  l'un  dit  à  l'autre  : 
Magis  ad  me  perlinet  r/uam  ad  te  (II  Reg., 
XIX)  ;  il  est  à  moi  plutôt  qu'à  vous.  C'est  la 
bonté  seule  qui  produit  un  combat  si  doux. 
Pour  éviter  une  guerre  sanglante,  il  faut 
qu'entre  eux  également,  ce  prince  si  cher  se 
partage.  Un  bon  roi  est  un  trésor  public  que 
tous  les  cœurs  se  disputent  ;  que  ne  peut- 
il  se  multiplier  !  Si  ses  voisins  jaloux  vou- 
lent  le  combattre,  ils  le  trouvent  aimé,  c'est- 
à-dire,  armé  de  toutes  les  forces  de  l'Etat. 
Car  un  peuple  qui  aime  son  roi,  ne  sépare 
plus  ses  intérêts  du  sien.  Pour  le  secourir, 
tout  coule  de  source;  rien  ne  lui  coûte,  ni 
ses  biens,  ni  son  sang,  ni  sa  vie  même.  Peut- 
il  assez  payer  son  bonheur  et  la  félicité 
commune?  Au  moment  qu'il  est  attaqué,  sa 
bonté  semble,  du  haut  de  son  trône,  apjieler 
tous  ses  peuples  à  son  secours  ;  chacun  veut 
combattre  avec  lui;  avec  lui  chacun  croit 
vaincre;  en  un  mot,  cette  bonté  qui  paraît 
une  vertu  si  douce,  est  pourtant  plus  forte 
que  les  armées  les  plus  formidables  ;  elle 
est  le  rempart  le  plus  invincible  d'un  Etat. 
et  un  roi  qui  par  elle  s'est  rendu  maître 
des  cœurs,  peut  se  rendre  maître  du  monde. 

Aimez,  Sire,  aimez  une  vertu  qui  a  de  si 
grands  avantages;  goûtez  le  plaisir  de  faire 
<iu  bien,  il  est  le  plus  doux  ;  formez  dès  à 
présent  pour  nous  le  plan  d'un  empire  heu- 
reux, et  tracez  sur  ce  plan  tous  les  projets  de 
votre  fvie.  Au  moindre  trait  de  bonté  qui 
vous  échappe,  nos  cœurs  sont  transportés  de 
joie;  nous  nous  le  redisons,  nous  nous  en 
félicitons,  nous  en  tirons  pour  l'avenir  de 
douces  espérances. 

Puisse  en  vous  ce  fonds  de  bonté  chaque 
jour  croître  !  Puissiez-vous  faire  de  la  misé- 
ricorde et  de  la  charité  votre  caractère  pro- 
pre I  Puisse  ce  titre  de  bon,  qui  renferme 
tous  les  autres,  vous  être  un  jour  déféré  par 
l'univers  1  Puissiez-vous,  surtout  par  la  bonté 
que  vous  aurez  pour  votre  peuple,  recon- 
naître celle  que  Dieu  a  eue' pour  vous,  lui 
niant  avac  David  :  Domine,  bonitatem  fccisti 
cum  servo  tuo.  (Psal.  CXV1II.)  O  Dieu  !  cen- 
tro  de  toute  compassion  et  de  toute  miséri- 
corde, depuis  ma  naissance  il  n'y  a  eu  sorte 
de  b'jrté  que  vous  n'ayez  eue  pour  votre  ser- 
viteur- ,  pj  mon  Ame  à  ce  moment  en  est  ici 
tout  attendrie.  De  quels  périls,  grand  Dieu! 
ni'avez-vous  tiré!  0uel'°  grâce  encore  vous 
nie  faites!  Quel*  se  ours  vous  avez  mis  au- 
près de  moi  1  Toute  ma  vie  n'est  que  l'ou- 
vrage de  vos  compassions  !  et  plus  je  me  re- 
garde, plus  je  me  sens  pressé  de  vous  dire  : 
Jionitatem  fecisti  cum  servo  tuo,  Domine  ;  Sei- 
gneur, dans  mes  malheurs  extrêmes  vous 
m'avez  donné  des  marques  d'une  bonté  qui 


n'a  point  de  bornes  :  Inbonitate  tua  doce  me 
(Ibid.);  que  votre  bonté  soit  donc  la  règle  de 
la  mienne;  qu'elle  m'attendrisse,  et  me 
rende  sensible  aux  misères  de  mes  sujets,  et 
aux  besoins  des  pauvres;  comme  les  pau- 
vres je  suis  votre  enfant,  comme  les  pauvres 
je  suis  orphelin,  n'ayant  que  vous  pour  père. 
Que  cette  ressemblance  avec  eux  me  porte  à 
soulager  leurs  peines;  que  j'apprenne  de 
votre  compassion  pour  moi ,  celle  que  je  dois 
avoir  pour  mon  royaume. Vous  êtes  mon  père, 
que  je  sois  le  père  de  mon  peupla,  le  meil- 
leur des  peuples,  à  qui  je  suis  si  cher,  et  qui 
par  son  amour  pour  moi  mérite  tant  ma  ten- 
dresse :  In  bonitate  tua  doce  me. 

Si  vous  entrez,  Sire,  dans  ces  dispositions 
si  chrétiennes,  vous  éprouverez  en  ce  monde 
cette  parole  :  heureux  ceux  qui  sont  doux  , 
parce  qu'ils  posséderont  la  terre;  et  dans 
î'autie  celle-ci  plus  consolante  encore;  heu- 
reux ceux  qui  sont  miséricordieux,  parce 
qu'ils  obtiendront  dans  le  ciel  une  éternelle 
miséricorde.  Je  vous  la  souhaite. 

SERMON  VI. 

Pour  le  dimanche  de  la  Passion. 

SLR    LA  PIÉTÉ   DES  ROIS. 

Ego  nonorifico  Palrrm.  (Joan  ,  VI.) 
Je  [ah  honorer  mou  Pure. 

Sire, 

Voilà  ce  qu'avec  Jésus-Christ,  le  roi  des 
rois  et  le  modèle  des  souverains ,  un  prince 
chrétien  chaque  jour  doit  dire;  tout  son  règne, 
toute  sa  vie  ne  doivent  être  employés  qu'à 
honorer  Dieu  et  à  le  rendre  respectable  aux 
peuples.  Il  n'est  prince,  il  n'est  roi  que  pour 
offrir  au  pied  des  autels,  un  hommage  plus 
solennel  à  celui  de  qui  tout  empire  relève  ;  la 
mesure  de  sa  grandeur  doit  être  celle  de  son 
culte,  et  eu  égard  aux  grâces  qu'il  a  reçues  de 
Dieu,  se  regardant  plus  que  le  commun  des 
hommes,  comme  son  enfant,  il  doit  pouvoir 
di  re  :  que  les  autres  l'aiment,  qu'ils  l'honorent; 
moi,  par  ma  religion  et  par  ma  piété,  je  veux 
encore  faire  aimer,  je  veux  faire  honorer 
mon  père  :  Ego  honorifico  Patrem. 

Consacrons  donc  ce  discours  à  marquer  les 
traits  augustes  et  vénérables  de  la  religion 
des  rois ,  et  montrons  quelle  forme  doit 
prendre  en  eux,  pour  plaire  à  Dieu,  la  piété 
chrétienne; cette  piété,  le  plus  riche  apanage 
des  souverains  et'  l'ornement  le  plus  pré- 
cieux de  leur  couronne;  cette  piété,  la 
source  de  leur  gloire,  l'appui  de  leur  trône, 
le  gage  de  leur  bonheur,  la  sûreté  de  leur 
empire,  leur  Véritable  prospérité,  et  d'où 
naissent  pour  eux  les  plus  beaux  triomphes; 
cette  piété,  qui  loin  d'être  contraire  à  la 
royauté,  donne  seule  aux  rois  cette  grandeur 
d'âme,  cette  noblesse  de  sentiment,  cette 
élévation  de  cœur,  ce  vrai  héroïsme  qui  les 
rend  capables  des  plus  grandes  choses,  et 
leur  devient  à  des  périls  sans  fins  une  res- 
source sans  borne;  cette  piété  enfin, qui  met 
sur  eux  le  sceau  de  Dieu,  et  qui,  les  faisant 
régner  sagement  durant  la  brièveté  de  cette 
misérable  vie,  leur  assure  dans  le  ciel  un 


C(ii 


PETIT  CAREME.  —  SERMON  VI,  SUR  LA  PIÉÏÉ  DES  ROIS. 


c::o 


roj  aume  éternel  dont  l'empire  de  l'univers 
ne  mérite  pas  d'être  l'ombre. 

Kt  puisque  dans  notre  Evangile  où  Jésus- 
Christ  offre  en  lui-même  aux  grands  du 
monde  les  sacrés  caractères  la  piété,  il  dit 
d'abord  aux  Juifs  qui  refusaient  de  le  suivre  : 
quelle  est  la  loi  que  j'ai  violée?  et  qui  de 
vous  peut  me  reprendre  de  péché?  Puis- 
qu'ensuite,  peu  content  de  n'être  pas  au  peu- 
ple un  sujet  de  scandale,  il  croit  devoir  ho- 
norer Dieu  par  les  œuvres  les  plus  éclatantes, 
ego  honorifico  Patrem,  moi  je  gloritie  mon 
père;  puisqu'enfin ,  humble  dans  ses  mira- 
cles même,  il  en  rapporte  toute  la  gloire  à 
Dieu,  non  quœro  gloriam  meam,  je  ne  cher- 
che point  ma  propre  gloire  ;  montrons  sur  ce 
plan  sacré  que  nous  trace  ici  un  Dieu  même, 
comment  la  vraie  piété  des  grands  doit  être  : 
1°  une  piété  sensible  et  exemplaire;  2°  une 
piété  généreuse  et  magnifique;  3"  enfin  une 
piété  humble  et  soumise. 

Encore  qu'on  puisse  envisager  la  piété 
sous  une  infinité  de  formes  différentes,  parce 
qu'elle  tient  de  son  objet  qui  n'a  point  de 
bornes,  renfermons-nous  dans  ces  trois  idées, 
comme  plus  convenables  à  ce  lieu  sacré  et 
aux  circonstances  de  notre  évangile. 

Vous,  ô  mon  Dieu  1  plus  que  jamais  donnez 
bénédiction  à  votre  parole,  qu'en  apprenant 
à  cet  auguste  prince  ce  qu'un  roi  chrétien 
doit  être,  j'annonce  par  avance  ce  qu'il  sera, 
ci  que  ce  soit  moins  ici  pour  lui  une  simple 
instruction  qu'un  heureux  présage.  Nous 
vous  le  demandons,  et  les  lumières  de  votre 
Esprit,  etc. 

PREMIER    POIXT. 

Sire, 

Premier  caractère  de  la  piété  des  grands, 
une  piété  exemplaire  et  sensible.  L'illusion 
la  plus  commune  où  ils  sont  presque  tous  à 
l'égard  de  la  piété  est  de  croire  qu'il  suffit 
pour  eux  qu'elle  soit  au  fond  de  leur  âme; 
que  certains  dehors  de  la  dévotion  convien- 
nent davantage  au  peuple,  et  que,  dans  la 
nécessité  où  sont  les  grands  du  monde  de 
remplir  les  bienséances  de  leur  état,  l'essen- 
tiel de  leur  religion  est  dans  le  cœur;  mais 
outre  que  je  pourrais  vous  répondre,  puis- 
sants du  siècle,  que  lorsque  le  cœur  est  chré- 
tien, on  ne  s'avise  guère  de  disputer  à  Dieu 
les  œuvres  chrétiennes,  ne  devez-vous  pas 
encore  plus  que  nul  autre  en  rempljr  toute 
votre  vie,  par  l'obligation  si  indispensable 
où  vous  êtes  d'édifier,  de  devenir  au  milieu 
de  vos  peuples  un  grand  spectacle  de  piété, 
et  les  imitateurs  fidèles  de  Jésus-Christ,  lors- 
qu'il dit  :  Quelle  est  la  loi  que  j'ai  violée,  et 
oui  de  vous  peut  me  reprendre  de  péché? 

Oui,  mes  frères,  les  âmes  communes  et 
vulgaires,  bornées,  ce  semble,  à  elles-mêmes, 
peuvent  se  sanctifier  sans  offrir  au  dehors  des 
œuvres  de  piété  si  sensibles;  leur  foi  est  ce 
ti-ésor  caché  dans  le  champ  du  Père  céleste; 
elles  peuvent  lui  rendre  des  hommages  sans 
être  obligées  de  lui  en  attirer;  Dieu  leur 
suffit,  et  contentes  de  l'avoir  pour  témoin 
secret  de  leur  vertu ,  elles  en  sont  moins 
responsables  aux  hommes.  II  n'en  est  pas 


ainsi  de  vous,  rois  de  la  terre  ;  redevables  au 
peuple  de  votre  piété,  il  faut  la  rendre  exem- 
plaire et  sensible  ;  vous  ne  devez  pas  être 
pieux  ni  en  religieux,  ni  en  solitaire,  mais 
en  roi.  La  vertu  d'un  personnage  public  doit 
être  publique,  il  faut  qu'en  vous  toutes  vos 
actions  parlent  ;  étant  sur  la  terre  le  grand 
objet  des  regards  des  hommes,  vous  en  devez 
révérer  l'attention,  vous  en  devez  respecter 
les  jugements,  vous  en  devez  animer  la  piété, 
en  ne  leur  offrant  que  des  exemples  de  reli- 
gion et  de  justice;  il  faut  qu'avec  Josias, 
dans  le  saint  temple,  vous  écoutiez  avec 
l'attention  la  plus  respectueuse  la  parole  du 
Seigneur  ;  il  faut  qu'avec  David ,  à  la  vue 
de  votre  peuple,  vous  approchiez  de  l'arche 
sainte  avec  la  plus  profonde  adoration;  il 
faut  qu'à  l'exemple  de  Néhémias  vous  édifiiez 
l'Eglise  sainte  par  l'exercice  public  de  la 
charité;  il  faut  qu'avec  Samuel,  par  l'assis- 
tance la  plus  pieuse  au  sacrifice  de  l'agneau, 
vous  le  rendiez,  s'il  se  peut,  plus  vénérable, 
au  peuple  ;  il  faut  enfin,  que  donné  ici  en 
spectacle  à  vos  inférieurs,  vous  leur  offriez 
avec  éclat  et  avec  force  l'exemple  continuel 
de  toutes  les  vertus. 

Et  pourquoi  dans  un  souverain  une  piété 
si  exposée  et  si  publique?  C'est,  répond 
l'Apôtre,  que  vous  êtes  le  ministre  de  Dieu 
sur  la  terre,  pour  établir  le  bien  et  pour  le 
répandre  :  Ministcr  Dei  in  bonum.  (Rom., 
XIII.)  C'est  que  Dieu  ne  vous  a  pas  fait  roi 
précisément  pour  avoir  plus  de  grandeur  et 
jJus  de  magnificence  que  les  autres,  mais 
pour  avoir  plus  de  religion,  pour  être  élevé 
au  milieu  de  votre  empire  comme  un  spec- 
tacle de  piété  autour  duquel  les  peuples  se 
rangent  ;  c'est  qu'enfin  la  vertu  ne  passe  guère 
dans  les  peuples  que  par  les  grands,  et  que 
de  leur  piété  ou  de  leur  impiété  dépendent 
leurs  mœurs  publiques.  Eh  !  qui  peut  dire  en 
effet,  grands  du  monde,  qui  peut  dire  les 
maux  que  produit  dans  un  Etat  le  scandale 
de  votre  vie  !  C'était  à  vous  à  former  les 
peuples  au  bien,  et  c'est  vous  qui  leur  deve- 
nez, par  la  licence  de  vos  mœurs,  une  source 
de  désordres.  Depuis  que  vous  avez  levé,  ce 
semble,  l'étendard  du  péché  tous,  àl'envi  s'y 
abandonnent.  Cette  corruption  si  générale, 
si  excessive,  dont  on  se  plaint,  est  peut-être 
votre  ouvrage;  les  peuples,  imitateurs  éter- 
nels des  grands,  trouvent  une  sorte  de  vanité 
à  faire  le  mal,  depuis  que  par  là  ils  vous 
ressemblent  ;  vous  avez  donné  à  la  licence  un 
air  de  noblesse  et  de  grandeur  que  chacun 
affecte  de  prendre.  On  fait  gloire  de  suivre 
ceux  que  la  gloire  suit  partout.  C'est  dans 
un  royaume  pour  fournir  aux  plaisirs  des 
grands,  une  conspiration  universelle  de  pé- 
chés, et  parce  que  vos  cœurs  sont  pervertis, 
il  faut  que  tous  les  cœurs  d'un  Etat  se  per- 
vertissent. 

Mon  Dieu  !  quel  fléau  est  donc  pour  un 
empire  un  roi  qui  ne  vous  sert  j  as  !  Quel 
effroi  pour  lui,  quand,  paraissant  un  jour 
auprès  de  votre  tribunal  terrible,  il  se  verra 
chargé  des  crimes  de  tous  ses  sujets,  et  que 
vous  pourrez  dire  de  lui  comme  de  cette 
idole  de  scandale  :  Parce  qu'elle  a  fait  pécher 


CC7 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SERIAN 


QCS 


mon  peu[)le,  qu'elle  soit  dévorée  par  le  feu  : 
Igné  succendatur.  (Jerem.,  XXI.) 

Au  contraire,  quel  présent  Dieu  fait  à  un 
empire  quand  il  lui  donne  un  roi  édifiant; 
îous  son  règne  aimable  les  plaisirs  publics 
languissent,  l'impiété  tombe  dans  le  décri, 
le  libertinage  odieux  se  cache;  non-seule- 
ment vous  ôtez  au  crime  son  crédit,  mais 
vous  rendez  à  la  vertu  son  lustre.  La  piété, 
honorée  et  florissante  dans  votre  personne, 
se  fait  aimer  de  tous  vos  sujets,  vos  mœurs 
pour  nous  deviennent  les  lois,  chacun  s'em- 
presse de  les  suivre;  les  vertus  du  prince 
sont  bientôt  les  vertus  de  tout  l'Etat,  les 
moindres  pratiques  même  de  la  religion  de- 
viennent grandes  quand  on  en  voit  l'exemple 
dans  son  souverain;  tout  s'élève,  tout  s'em- 
bellit en  des  mains  si  nobles.  Ce  n'est  pas 
une  honte,  c'est  une  gloire  d'être  chrétien, 
dès  que  par  là  on  vous  ressemble.  Une  infi- 
nité d'âmes  qui  n'osaient  être  pieuses,  régu- 
lières, pénitentes,  aiment  à  l'être  quand  vous 
le  devenez.  Quel  courage  vous  jetez  dans  les 
cœurs!  quelle  sainte  émulation  vous  faites 
naître  dans  les  âmes  !  Vous  avancez  plus  le 
royaume  de  Jésus-Christ  par  le  spectacle  de 
vos  mœurs,  que  nous  ne  l'avançons  par  les 
efforts  de  notre  zèle  ;  votre  vie  est  pour  les 
peuples  une  exhortation  à  la  piété  plus  per- 
suasive que  tous  nos  discours  ;  et,  en  un 
mot  tout  se  sanctifie  dans  l'univers,  quand 
vous  vous  y  sanctifiez  vous-mêmes. 
*  O  que  par  là  les  destinées  d'un  roi  sont 
belles  !  qu'un  prince  es,t  grand  quand  il  est  à 
Jésus-Christ!  Mon  Dieu  !  que  l'empire  que  sa 
piété  lui  donne  sur  les  cœurs  est  au-dessus 
de  celui  qu'il  tient  de  sa  puissance  !  Quand 
l'intérêt  seul  de  son  salut  ne  lui  suffirait 
pas  pour  lui  faire  aimer  la  vertu,  l'intérêt 
de  tant  d'àmes  qu'il  sauve  en  les  édifiant, 
ne  devrait-il  pas  le  toucher?  Est-il  un  plai- 
sir plus  doux  pour  un  bon  cœur  que  celui 
d'être  une  source  de  salut  et  de  félicité  pour 
ses  frères  ? 

Vous,  Sire,  animé  par  un  motif  si  beau, 
ne  vous  sentez-vous  pas  ici  un  désir  ardent 
de  vous  sanctifier  pour  sanctifier  ensuite 
tout  votre  peuple?  La  vertu,  déjà  si  aimable 
par  elle-même,  prendra  pour  nous  de  nou- 
veaux charmes  ;  lorsque  par  là  nous  vous 
imiterons ,  votre  exemple  nous  la  rendra 
plus  chère  et  plus  dou:e  en  votre  personne 
auguste;  il  lui  sera  plus  facile  de  se  gagner 
nos  cœurs,  et  de  l'amour  que  nous  avons 
pour  vous  nous  passerons  aisément  à  avoir 
de  l'amour  pour  elle.  Premier  caractère  de 
la  piété  des  grands,  une  piété  exemplaire 
et  sensible. 

SECOND   POINT. 

Second  caractère  :  une  piété  généreuse  et 
magnifique  qui  melte  un  roi  chrétien  dans 
cette  disposition  si  haute  et  si  grande  de 
pouvoir  dire  avec  Jésus-Christ  :  Moi  je  glo- 
rifie mon  Père  :  Ego  honorifico  Patrem.  Et 
en  quoi  doit  paraître  dans  les  grands  cette 
élévation  sainte  de  la  piété  ? 

1°  A  surmonter  les  jugements  et  les  contra- 
dictions des  esprits  faibles.  Quand  Jésus- 


Christ  veut  aujourd'hui  rendre  à  son  Père  le 
culte  qui  lui  est  dû,  les  uns  l'appellent  Sa- 
maritain, d'autres  lui  disent  qu'il  est  pos- 
sédé du  démon  ;  tous  essayent  de  l'arrêter  par 
des  respects  humains  et  des  vues  politiques. 
Mais  sa  religion  ferme  et  courageuse  en 
prend,  ce  semble,  de  nouvelles  forces,  et 
plus  on  attaque  sa  piété,  plus  elle  triomphe. 

On  voit  tous  les  jours  des  grands  du 
monde  qui  auraient  du  goût  pour  la  piété  et 
quelque  tendresse  même  de  conscience, 
mais  une  mauvaise  honte  les  arrête.  Us  sont 
effrayés  du  spectacle  des  jugements  hu- 
mains ;  ils  craignent  de  frapper  les  yeux  du 
monde  par  un  changement  trop  marqué.  Ce 
personnage  si  aimable  d'homme  de  bien  leur 
fait  peur:  ils  ont  delà  valeur  dans  les  combats, 
ils  n'en  ont  pas  dans  la  vertu;  et  ces  héros 
dans  la  guerre  sont  des  lâches  dans  la  reli- 
gion. Que  Jésus-Christ  peut  bien  leur  dire 
ce  qu'il  dit  aujourd'hui  aux  princes  de  la 
Synagogue  :  Ames  faibles ,  autant  j'honore 
mon  Père  par  l'élévation  et  la  noblesse  de 
ma  piété:  Ego  honorifico  Patrem,  autant 
vous  me  déshonorez  par  la  lâcheté  et  la  bas- 
sesse de  la  vôtre  :  Et  vos  inhonorasiis  nie. 
Ah!  que  les  grands  du  monde  craignent 
Dieu,  cette  crainte  en  eux,  loin  d'être  une 
faiblesse,  est  la  véritable  valeur;  par  elle 
un  cœur  est  plus  grand  et  une  âme  plus 
élevée  :  Gloria  magna  est  timenti  Deum. 
(Eceli.,  XXXI11.)  Vous,  pourquoi  vous 
déshonorer  vous-mêmes  ?  pourquoi  désho- 
norer la  vertu  par  la  crainte  lâche  des 
hommes ,  de  ces  hommes  que  d'ailleurs 
vous  mé;  risez  tant;  de  ces  hommes  que, 
hors  de  là,  vous  rougiriez  de  craindre  ?  Lais- 
sez la  crainte  au  vice  :  c'est  à  lui  de  trem- 
bler ;  donnez  de  l'assurance  à  la  vertu  ,  il 
lai  convient  d'être  intrépide.  Dans  un  prince, 
le  plus  beau  des  triomphes  est  de  surmonter 
le  respect  humain.  Un  roi  qui  dompte  ce 
monstre  mérite  seul  le  nom  de  héros;  et  pour 
lui,  dit  le  Sage,  oser  pratiquer  la  vertu  est 
plus  glorieux  que  de  remporter  des  victoi- 
res :  Magis  quam  expagnare  urbes.  (Ibid.) 

2°  La  piété  dans  les  grands  doit  être  gé- 
néreuse et,  s'il  se  peut  dire,  héroïque  pour 
vaincre  les  obstacles  si  infinis  que  leur  état 
oppose  à  la  sanctification.  Et  en  effet,  quelle 
force  de  courage  ne  faut-il  pas  dans  ces  âmes 
royales  pour  être,  sur  le  trône,  pénitentes 
au  milieu  de  tout  ce  qui  peut  réjouir  les 
sens,  pures  parmi  tous  les  objets  les  plus 
capables  de  corrompre;  libres  avec  tout  ce 
qui  peut  captiver  un  cœur  et  le  surprendre; 
vivantes  dans  un  séjour  où  le  cœur,  pour 
ainsi  dire,  ne  saurait  sortir  hors  de  soi  sans 
rencontrer  un  ennemi  qui  le  cherche  pour 
lui  donner  le  coup  de  la  mort;  vigilantes  au 
milieu  de  mille"  dissipations  inévitables  et 
nécessaires,  chrétiennes  enfin,  où  l'on  ne 
peut  l'être  qu'avec  effort  et  par  miracle. 
Ceux  que  Dieu  a  laissés  dans  l'obscurité 
n'ont  que  des  épreuves  légères,  et  une 
force  commune  leur  suffit;  mais  en  vous, 
do  grands,  périls  demandent  un  grand  cou- 
rage. Il  faut  que  vous  vous  éleviez  sans 
cesie  au-dessus  de  vos  propres  liassions  ei 


GO 


PETIT  CAREME.  —SERMON  VI  SUR  LA  PIETE  DES  ROIS. 


CTO 


des  passions  mêmes  de  ceux  qui  vous  envi- 
ronnent ;  il  faut  que  vous  soyez  en  état  de 
surmonter  la  nature  à  chaque  instant,  et 
dans  les  choses  les  plus  difficiles  et  les  plus 
douloureuses  ;  il  faut  que  vous  soyez  prêts 
à  obéir  à  la  loi  de  Dieu  au  préjudice  d'un 
grand  intéiêt,  ayant  sans  cesse  dans  vos 
mains  et  votre  grandeur  et  votre  vie  même, 
s'il  vous  la  demandait  pour  sa  gloire  ou  pour 
votre  salut;  et  qu'en  un  mot,  plus  vous  êtes 
grands,  plus  vous  combattiez  de  grandes 
passions  ,  plus  vous  ayez  de  grandes  vertus, 
plus  vous  fassiez  de  grands  sacrifices. 

Or,  pour  tout  cela,  que  vous  avez  besoin 
d'une  grande  piété,  d'une  piété  ferme,  cou- 
rageuse, héroïque;  d'une  piété  qui  vous 
rende  contre  le  péché  une  colonne  de  fer, 
un  mur  d'airain,  une  place  défendue  de 
tous  côtés  et  que  rien  ne  force  !  Hélas  !  et 
c'est  parce  que  la  piété  est  si  contraire  aux 
passions  des  grands  que  presque  tous  ils  la 
rejettent  et  l'éloignent  d'eux  comme* leur 
ennemie  ;  je  crois  voir  ces  princes  des  Philis- 
tins qui,  embarrassés  de  l'arche  sainte,  s'é- 
crient en  la  renvoyant  :  Elle  nous  attire  des 
guerres  trop  cruelles,  elle  nous  fait  des 
plaies  trop  sanglantes ,  elle  ne  nous  apporte 
que  des  maux  ;  qu'elle  s'éloigne  de  nous  : 
Jieccdat  a  nobis.  (I  Rcg.,V.) 

Insensés  1  nous  ne  pensons  pas  qu'en  éloi- 
gnant la  piété  de  notre  cœur,  nous  lui  ôtons 
toute  sa  paix,  tout  son  bonheur,  et  que  les 
maux  apparents  qu'elle  nous  fait  seraient 
pour  nous  le  plus  grand  des  biens  et  la  féli- 
cité véritable. 

Enfin,  cette  élévation  ei  cette  magnificence 
qui  conviennent  à  la  piété  des  grands,  doivent 
se  produire  dans  les  œuvres  même  de  la  reli- 
gion, et  dans  leur  zèle  pour  le  divin  culte. 
Je'sais  que  la  vraie  beauté  d'une  âme  chré- 
tienne est  au  dedansd'elle,  et  dans  l'assembla- 
ge précieux  de  toutes  les  vertus.  Je  sais  qu'en 
nous  Dieu  est  plus  touché  de  l'innocence  de 
la  vie  que  de  la  magnificence  des  dons,  et 
que  celui  qui  porte  dans  son  temple  une 
conscience  pure,  lui  plaît  davantage  que  ce- 
lui qui  lui  élève  des  autels;  mais  la  vocation 
des  rois  est  d'allier  l'un  et  l'autre.  Les  peu- 
ples, pour  qui  Dieu  n'a  lait  que  des  choses 
communes  et  ordinaires,  peuvent  ne  lui  ren- 
dre qu'un  culte  ordinaire  et  commun;  leur 
zèle,  destitué  de  tout  secours,  se  borne  à 
prier,  à  gémir,  à  aimer,  à  offrir  à  Dieu  de 
bons  désirs  et  de  saintes  pensées.  Ce  n'est 
pas  assez  pour  un  souverain:  la  piété  d'un 
roi  doit  être  royale  ;  il  ne  peut  concevoir 
pour  la  religion  d'assez  grands  desseins,  ni 
des  projets  assez  nobles.  11  faut  que  sa  piété, 
portant  les  caractères  de  sa  grandeur,  l'élève 
aux  œuvres  les  plus  magnifiques.  Eh  quoi! 
tout  dans  les  princes  es-t  si  somptueux  et  si 
splendide  ;  n'y  aurait-il  que  la  piété  qui  ne 
le  fût  pas?  Une  magnificence  même  exces- 
sive éclate  dans  leurs  palais,  et  l'on  n'en  ver- 
rait pas  le  moindre  trait  dans  nos  saints 
temples?  Et  grands  rien  que  pour  eux-mê- 
mes, ils  ne  le  seraient  jamais  pour  Dieu? 

Non.  dit  saint,  Augustin,  la  religion  chré- 


tienne puise  dans  une  meilleure  source  les 
principes  qui  doivent  la  régler.  Dieu  à  l'égard 
des  rois  a  été  magnifique  dans  ses  dons,  ils 
doivent  être  majestueux  dans  leurs  homma- 
ges; c'est  de  Dieu  que  l'Esprit-Sai  nt  a  dit  :  qu'il 
est  magnifique  dans  sa  sainteté;  et  c'est 
d'un  roi,  sa  vive  image,  qu'il  a  ajouté  :  une 
grande  magnificence  a  paru  dans  sa  sanctifi- 
cation. Les  rois,  en  effet,  ne  peuvent  se  sanc- 
tifier qu'en  imitantdans  leurculte  cette  ma- 
gnificence de  Dieu,  et  qu'en  se  portant  pour 
la  religion  aux  choses  grandes  et  signalées. 
On  en  voit  qui,  bornés  aune  piété  fausse, 
étrangère,  mal  entendue,  établie  où  elle 
n'est  pas,  n'ont  que  la  dévotion  du  peuple, 
sans  avoir  la  dévotion  du  roi.  Leur  religion, 
dit  saint  Paul  (  1  Cor.,  XV  ),  est  défectueuse  ; 
il  faut  que  dans  le  ciel  tous  les  astres  brillent; 
mais  autre  est  l'éclat  d'une  étoile,  autre  l'éclat 
du  soleil  ;  il  y  a  une  dévotion  des  princes 
différente  de  celle  des  particuliers,  par  la- 
quelle ils  font  des  actions  de  piété  qu'il  n'y 
a  que  les  rois  qui  puissent  faire. 

C'est  à  eux  à  élever  des  temples  au  vrai 
Dieu,  à  lui  dresser  des  autels,  h  décorer  son 
sanctuaire,  à  rendre  l'appareil  de  son  sacri- 
fice plus  respectable  et  plus  pompeux,  à 
remplir  de  splendeur  et  de  majesté  la  célé- 
bration du  sacré  culte.  C'est  à  eux  à  fonder 
des  asiles  à  l'innocence,  des  secours  à  la  ver- 
tu, des  ressources  publiques  à  ,  l'infirmité  et 
à  l'indigence.  C'est  à  eux  à  extirper  les  vices, 
à  dissiper  les  scandales,  à  s'opposer  au  tor- 
rent de  l'impiété  et  de  la  licence.  C'est  à  eux 
à  étouffer  les  sectes  profanes,  à  proscrire 
l'erreur,  a  foudroyer  les  hérésies.  C'est  à 
eux  à  protéger  l'Eglise,  à  redonner  h  cette 
épouse  de  Jésus  Christ  toute  sa  beauté, 
toutes  ses  grâces;  à  maintenir  ses  lois,  à 
faire  observer  ses  règles,  à  conserver  sa  doc- 
trine pure,  ses  mœurs  chastes,  ses  droits  in- 
violables, à  lui  donner  de  dignes  pasteurs. 
et  à  ne  confier  qu'à  des  saints  les  choses 
saintes.  C'e^t  à  eux  à  entretenir  en  elle 
la  sainte  subordination,  cette  alliance  si 
vénérable,  cette  harmonie  si  nécessaire  du 
sacerdoce  et  de  l'empire  qui  fait  sa  force 
et  sa  beauté,  à  consoler  ses  peines,  à  calmer 
ses  troubles,  et  a  la  faire  jouir  d'une  douce 
tranquillité  à  l'abri  de  leur  autorité  saciée. 
Enfin,  leur  règne  ne  doit  être  que  le  règne 
de  Jésus-Christ,  et  le  plus  noble  usage  qu'ils 
peuvent  faire  de  leur  grandeur,  est  de  l'em- 
ployer à  la  grandeur  de  Dieu  même  :  Ego 
honorifîco  Patrem. 

Car  voilà  quelle  a  été  dans  tous  les  temps 
la  dévotion  des  rois,  et  la  vraie  piété  des 
princes.  Ainsi  David  en  grand  triomphe  fait, 
transporter  l'arche  du  Seigneur,  et  enrichit 
des  dépouilles  des  rois  subjugués  le  divin 
sanctuaire;  ainsi  Salomon  épuisa, pour  bâtir 
le  temple  saint,  toute  la  magificence  humaine, 
et  voulut  que  la  maison  du  Dieu  de  l'univers 
fût  la  plus  belle  du  monde;  ainsi  Ezéchias  fit 
célébrer  la  pâque  avec  la  plus  pompeuse  so- 
lennité, et  conserva  dans  le  cœur  des  peu- 
ples le  sentiment  du  vrai  Dieu  par  le  culte 
le  plus  majestueux  et  le  plus  splendide; 
ainsi  J«  -aphat   honora  de  sa  protection  lès 


67i 


ORATLURS  SACRES.  LE  P.  SUR1AN. 


672 


saints  lévites,  cxterm'nales  bois  sacrilèges, 
ôta  l'opprobre  d'Israël,  et,  selon  l'expression 
de  l'Ecriture,  dissipa  tous  les  crimes  d'un  de 
ses  regards  :  Dissipavit  omne  malum  intuitu 
suo.  (  Prov.,  XX.) 

Et  pour  vous  offrir,  Sire,  des  exemples 
moins  éloignés,  et  pris  de  votre  trône  et  de 
votre  sang  même:  ainsi  Charlemagne  donna 
dans  ce  royaume  au  culte  divin  cette  splen- 
deur et  cet  éclat  qui  nous  le  rendent  si  véné- 
rable; ainsi  saint  Louis  enrichit  nos  églises 
des  tré«ors  précieux  de  la  foi  et  de  l'appareil 
&acré  de  notre  rédemption  sainte,  éleva  des 
retraites  aux  veuves,  aux  orphelins,  aux  aveu- 
gles, et  sa  charité  magnifique  et  royale  soulage 
encore  toutes  les  misères  de  nos  jours  ;  ainsi 
votre  bisaïeul  Louis  XIV,  grand  contre  tout, 
contre  ses  ennemis,  contre  l'hérésie,  contre 
le  duel,  contre  le  blasphème,  contre  l'im- 
piété, contre  la  licence,  grand  contre  la  mort 
môme,  le  fut  encore  dans  les  œuvres  de  sa 
piété;  après  avoir  vaincu  en  David,  il  bâtit 
un  temple  en  Salomon,'et  ce  qui  avait  échap- 
pé à  la  charité  si  étendue  de  saint  Louis, 
consacra  à  la  jeune  noblesse  et  à  la  valeur 
malheureuse  des  édifices  pompeux  qui  se- 
ront des  monuments  éternels  et  de  sa  reli- 
gion'et  de  sa  gloire. 

TROISIÈME      POINT. 

Mais  achevons  :  dernier  caractère  de  la 
piété  des  rois,  une  piété  humble  et  soumise; 
après  que  Jésus-Christ  a  dit  aux  Juifs  qu'il 
glorifie  son  Père  par  les  œuvres  de  sa  piété, 
il  ajoute  qu'en  les  faisant  il  ne  cherche  pas 
sa  propre  gloire,  et  que  sa  gloire  n'est  rien: 
Gloria  mea  nihil  est. 

Et  voilà  dans  quelle  disposition  un  roi 
chrétien  doit  être;  dans  ce  qu'il  fait  de  plus 
grand  pour  la  religion  il  doit  s'anéantir  et  se 
confondre,  s'éciiant  avec  ce  roi  d'Israël  après 
les  oblations  les  plus  magnifiques,  je  suis 
un  pauvre  et  un  indigent.  (I  Reg.,\\\l\.) 
D'ordinaire  nous  nous  complaisons  dans  le 
bien  que  nous  faisons,  nous  ramenons  tout 
à  nous-mêmes  comme  si  nous  étions  notre 
Dieu  et  la  source  de  nos  bonnes  œuvres. 
Souvent,  dit  un  Père,  les  grandes  actions 
font  naître  dans  l'âme  un  grand  orgueil  ; 
notre  amour-propre  est  en  nous  ce  monstre 
(lui  se  nuurrissait  des  victimes  les  plus  belles; 
il  s'entretient  de  nos  plus  saintes  vertus, 
et,  en  faisant  semblant  de  chercher  la  gloire 
do  Dieu,  nous  cherchons  notre  gloire  propre. 
Un  roi  pieux  doit  abaisser  sans  cesse  sa  ma- 
jesté royale  sous  l'humilité  chrétienne.  Il 
doit  se  regarder  sur  le  trône  et  dans  ce  qu'il 
fait  de  plus  grand  pour  la  religion,  comme 
un  serviteur  qui  a  soin  de  la  gloire  de  son 
maître,  qui  se  trouve  trop  heureux  qu'il 
da;gne  agréer  son  faible  ministère  pour 
l'exaltation  de  son  nom,  et  dont  la  gloire  sé- 
parée de  celle  de  Dieu  n'est  rien,  et  loin  d'a- 
voir de  la  valeur,  n'est  qu'une  usurpation  et 
un   crime  :  Gloria  mea  nihil  est. 

Vous  avez  donc  vu,  Sire,  les  sacrés  carac- 
tères de  la  piété  des  rois;  eh  1  qui  empêche 
■que  dès  ce  moment  vous  ne  vous  consacriez 
à  elle?  Sans  la  piété  vous  seriez  comme  un 


enfant  qui,  s'éloignant  de  sa  mère,  tombe  par 
sa  faiblesse  naturelle  dès  le  premier  pas; 
ôtez  aux  rois  la  piété,  vous  leur  ôtez  leur 
gloire,  leur  bonheur;  ils  ne  sont  plus  que  le 
vil  jouet  des  passions,  et  même,  au  comble 
de  la  grandeur,  les  plus  misérables  des  hom- 
mes. Evitez,  Sire,  un  si  triste  sort  ;  que  vos 
mœurs  s'accordent  avec  le  nom  de  très-chré- 
tien que  vous  portez.  Frémissezà  cette  idée, 
un  roi  sans  piété.  Ecoutez  une  voix  intérieure 
et  secrète  qui ,  au  fond  du  cœur,  vous  dit  sans 
cesse  que  vous  êtes  le  fils  d'un  saint:  Filii 
sanctorum  sumus.  (Tob. ,111.)  Pour  ne  pas 
dégénérer  d'une  naissance  si  belle,  à  l'exem- 
ple de  David,  élevé  à  ce  moment  au-dessus 
de  vous-même,  réunissant  pour  cette  grande 
action  toutes  les  forces  de  votre  âme,  appe- 
lant pour  spectateurs  et  pour  témoins  d'un 
si  noble  effort  Dieu  et  les  anges,  avec  une 
ferme  confiance  dans  le  secours  d'en-haut, 
faites  ici  h  Dieu,  dans  son  saint  temple,  en 
présence  de  votre  peuple,  à  la  face  de  ces 
autels,  un  serinent  solennel,  un  vœu  irrévo- 
cable de  vous  sacrifier  tout  entier  à  lui  et 
de  vous  dévouer  pour  jamais  à  la  piété  chré- 
tienne. 

Avec  quelle  joie  lesanges  saints  vont  por- 
ter au  trône  de  Dieu  une  hostie  si  grande  et 
si  chère  !  Recevez-la,  Dieu  de  miséricorde, 
tous  ensemble  nous  vous  la  présentons;  dans 
cette  innocence  si  pure,  qu'elle  est  agréable 
à  vos  yeux  !  Comblez-la  de  vos  bénédictions 
les  plus  saintes;  qu'elle  vive,  qu'elle  croisse 
sous  la  tendresse  de  vos  regards.  Mettez  sur 
ce  prince  auguste  votre  sceau  divin  :  c'est 
votre  ouvrage,  c'est  votre  enfant;  recevez-le, 
conservez-le,  chérissez-le,  sanctifiez-le,  afin 
qu'un  jour  réuni  à  vous  il  puisse  vous  pos- 
séder dans  l'immortalité  de  votre  gloire.  Je 
vous  la  souhaite. 

SERMON  VIL 
Pour  le  dimanehe  des  Rameaux. 

SUR   I.E  MÉPRIS  DÈS  GRANDEURS  HUMAINES. 

Clamabant  dicenles  :  husanua  fiiio  David.  (Marc,  XI.) 
Ils   s'écriaient  en  disant  :  Salut  et   gloire  au  (ils  de 
Dzvid. 

Sire, 
La  grande  leçon  que  Jésus-Christ  daigne 
aujourd'hui  vous  faire  est  un  mépris  gé- 
néral du  monde,  de  ses  joies,  de  ses  gran- 
deurs, de  ses  prospérités,  de  sa  gloire.  En 
effet,  c'est  pour  en  détromper  votre  âme  qu'il 
vous  les  fait  voir  difficiles  dans  leur  re- 
cherche, incapables  de  contenter  ceux  qui 
les  possèdent,  si  fragiles,  si  passagères,  qu'on 
en  éprouve  aussitôt  la  privation  que  la  jouis- 
sance. Depuis  sa  venue  sur  la  terre,  il  n'a 
cherché  qu'à  établir  dans  la  Judée  son  em- 
pire divin,  et  ce  n'est  que  dans  les  derniers 
jours  de  sa  vie  qu'il  y  est  reconnu  pour  roi  ; 
au  milieu  même  de  son  triomphe  et  des  cris 
do  joie  qui  accompagnent  son  entrée,  il  pa- 
raît triste  et  affligé.  Enfin  cette  réception  si 
ponricusc,  qui  ne  dure  qu'un  moment,  se 
change  bientôt  pour  lui  en  l'appareil  de  sa 
passion  et  de  sa  mort  douloureuse.  Que  les 


673 


PETIT  CAREME.  —  SERMON  VII,    SUR  LE  MÉPRIS  DES  GRANDEURS. 


C"4 


grands  du  siècle  sont  à  plaindre,  si,  dans  ces 
trois  circonstances  du  triomphe  de  Jésus- 
Chri.st,  si  tardif,  si  insuffisant,  si  rapide,  ils 
ne  découvrent  trois  puissants  motifs  de  mé- 
priser comme  lui  les  joies  et  les  grandeurs 
du  monde!  Ehl  quel  fonds  faire  sur  elles? 
premièrement,  leur  recherche  nous  trompe  ; 
secondement,  leur  possession  ne  nous  satis- 
fa  t  pas;  troisièmement,  leur  instabilité  nous 
aiflige.  De  leur  nature  elles  sont  fugitives, 
elles  sont  vides,  elles  sont  périssables;  com- 
ment peut-on  les  aimer;  comment  peut-on, 
si  l'on  est  sage,  ne  pas  leur  préférer  Dieu  et 
les  biens  du  salut,  qui,  toujours  offerts  et 
présents  à  notre  cœur,  le  préviennent;  qui, 
toujours  pleins  et  rassasiants,  le  remplis- 
sent ;.qui,  toujours  durables  et  constants,  l'ar- 
rêtent et  le  fixent.  Développons  ces  trois 
idées,  et  plaise  à  Dieu  qu'imprimant  aujour- 
d'hui profondément  dans  l'âme  du  prince  au- 
guste qui  m'écoute,  le  mépris  des  joies  et 
des  grandeurs  du  monde,  je  puisse  l'appli- 
quer avec  force  au  soin  de  son  salut,  ici-bas 
l'unique  bien,  et  pour  les  rois  comme  pour 
le  moindre  de  ses  sujets  la  seule  chose  né- 
cessaire. Demandons  les  lumières,  etc 


PREMIER  POINT. 


Siro, 


Le  grand  objet  au  Très-Haut  et  le  mystère 
profond  do  sa  souveraine  sagesse,  en  nous 
envoyant  son  Fils,  était,  selon  l'Apôtre,  d'éta- 
blir sur  les  enfants  des  hommes  sa  divine 
royauté.  C'est  à  quoi  tout  semblait  tendre 
en  lui  dès  sa  naissance  bienheureuse;  tant  de 
travaux,  tant  d'instructions,  tant  de  vertus, 
tant  de  prodiges;  tout  en  un  mot  se  rappor- 
tait à  cette  promesse  adorable  :  les  nations 
de  la  terre  le  reconnaîtront  pour  roi,  et  dans 
un  triomphe  pompeux  on  verra  courir  au- 
devant  de  lui  les  peuples  du  monde.  Cepen- 
dant ju?qu'à  ce  jour  nulle  trace  en  lui  de 
cette  royauté  sainte  et  au  lieu  des  hommages 
qu'il  méritait,  il  ne  reçoit  que  des  outrages. 
Et  par-là  que  veut-il  offrir  aux  grands  du 
siècle  qu'il  instruisait?  Le  premier  motif 
qui  doit  leur  faire  mépriser  les  joies  et  les 
grandeurs  du  monde,  je  veux  dire  le  mé- 
compte et  l'inutilité  de  leur  recherche  et  de 
leur  attente;  car,  avouez-le,  puissants  du 
siècle,  vous  avez  tous  le  même  désir,  qui  est 
de  vous  rendre  heureux,  et  tous  le  même 
sort,  qui  est  de  ne  pouvoir  l'être.  Ah!  qu'il  y 
a  longtemps  qu'en  secret  vous  en  gémissez, 
et  que  votre  cœur,  laissé  seul  avec  ses  désirs, 
vous  devient  un  cruel  supplice;  vos  pen- 
chants, par  exemple,  vous  entraînent  vers 
les  plaisirs,  mais  ils  se  dérobent  à  vos  pour- 
suites ;  vous  épuisez  vos  soins  sur  les  hon- 
neurs, mais  rien  n'est  plus  stérile  pour  vous 
que  leur  recherche;  vous  n'aspirez  qu'aux 
cîouceurs  et  aux  délices  de  la  vie,  mais  elles 
semblent  fuir  devant  vous.  Selon  l'expres- 
sion du  Sage,  tous  vos  projets  sont  trompeurs, 
toutes  vos  prévoyances  incertaines  Le  che- 
min que  vous  croyez  sûr  pour  avancer,  pres- 
que toujours  vous  recule;  vous  trouvez  un 
piège  où  vous  attendiez  un  appui;  vous  êtes 
tomme  un  homme  qui  a  fait  naufrage  sur  le 


vaisseau  qu'il  croyait  devoir  l'enrichir;  sou- 
vent même  vos  desseins  les  mieux  concertés 
échouent  par  les  précautions  que  vous  aviez 
prises  pour  le  succès;  vos  mouvements  in- 
quiets, vos  entreprises  pénibles  ressemblent 
au  songe  de  celui  qui  s'agite  durant  le  som- 
meil, et  à  qui  il  ne  reste  d'une  grantie  agi- 
tation qu'une  grande  inquiétude.  Que  sais- 
je,  grands  du  monde  ;  il  y  a  même  dans  votre 
vie  des  endroits  tristes,  où  toutes  vos  pas- 
sions  à  la  fois,  pour  vous  rendre  plus  mal- 
heureux, sans  pouvoir  s'accorder  semblent 
vouloir  se  satisfaire;  ce  que  la  volupté  sou- 
haite, est  combattu  par  la  vanité  ;  ce  que  l'or- 
gueil demande,  la  mollesse  ne  le  veut  pas; 
l'avarice  est  un  obstacle  à  l'ambition,  et  à 
l'amour  du  repos  celui  de  la  gloire;  peur 
rendre  heureuse  une  de  ses  passions,  il  faut, 
pour  ainsi  parler,  mettre  les  autres  en  escla- 
vage; toutes  insatiables,  elles. deviennent 
incompatibles;  votre  cœur  misérable,  mal 
d'accord  avec  lui-même,  ne  sait  alors  qu'aban- 
donner, ni  que  choisir;  assez  faible  pour 
s'ouvrira  toutes  les  passions,  il  n'est  j  as  as- 
sez fort  pour  servir  les  désirs  d'aucune;  il 
s'agite,  il  se  consume  dans  l'inutilité  de  .--es 
transports;  ainsi  la  vie  entière  se  passe  à  dé- 
sirer et  à  souffrir;  elle  n'est  qu'une  longue 
privation,  un  vain  elfort,  une  misère  conti- 
nuelle, et  vous  en  verrez  arriver  la  fin,  sans 
jamais  avoir  joui  ni  de  Dieu,  ni  du  monde, 
ni  de  vous-mêmes. 

Oh!  que  plus  sage  est  celui  qui  ne  veut 
que  Dieu!  Dieu  n'est-il  pas,  à  i'âme  qui  le 
cherche,  un  bien  toujours  offert,  touj  urs 
présent?  Loin  de  fuir  devant  nous,  ne  nous 
prévient-il  pas  par  sa  tendresse  infinie?  ne 
nous  recherche-t-il  pas  lui-même  comme  s'il 
devait  se  rendre  heureux  par  notre  amour? 
et  l'âme  fidèle  qui  le  sert,  ne  trouve-t-elle 
pas  en  lui  ce  repos  et  ce  bonheur  que  lui 
refusait  le  monde? 

Ah  !  que  je  sois  enfin,  ô  mon  Dieu  !  cette 
âme  bienheureuse;  il  y  a  si  longtemps  que 
vous  m'en  pressez.  Hélas!  par  mes  mal- 
heurs, je  me  suis  devenu  à  moi-même  un 
spectacle  de  pitié;  j'ai  vieilli  dans  les  rebuts 
de  la  cour  et  de  la  fortune  ;  et  où  est  donc 
ce  bonheur  que  depuis  si  longtemps  j'y 
cherche?  Tous  les  objets  de  mes  passions 
me  fuient;  quand  je  suis  prêt  d'y  atteindre, 
je  sens  une  main  invisible  qui  me  repousse 
et  les  éloigne  de  mon  cœur  ;  c'est  votre 
main,  ô  mon  Dieu  !  je  la  reconnais  cette  main 
aimable  et  paternelle,  qui,  par  une  violence 
miséricordieuse ,  voudrait  me  ramener  à 
vous;  eh  bien  encore  éloignez  tout,  encore 
refusez  tout,  mais  donnez-vous  vous-même, 
Seigneur,  j'aurai  tout  en  vous  possédant ,  et 
je  trouverai  dansvotie  amour  un  bonheur 
que  même  les  heureux  du  siècle  ne  goûtent 
pas  au  comble  de  l'élévation  et  au  iaîte  djB 
la  gloire  humaine. 

Et  voici,  grands  du  monde,  le  second  mo- 
tif qui  doit  vous  portera  les  mépriser,  le 
vide  de  leur  possession  et  de  leur  usage. 

SECOND    POINT. 

Jésus-Christ  entre  aujourd'hui  dans  Je- 


C75 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SURIAN. 


C73 


rusalem  comme  un  roi  victorieux  dans  sa 
ville  capitale;  tout  se  ressent,  dans  cette 
auguste  solennité,  de  l'appareil  d'un  triom- 
phe ;  une  multitude  empressée  accourt  à  lui 
de  toutes  parts;  ce  ne  sont,  autour  du  Sau- 
veur, que  cris  de  joie  et  qu'acclamations  'pu- 
bliques; les  uns  jettent  leurs  vêtements  sur 
le  chemin  où  il  passe,  d'autres  arrachent  des 
branches  d'arbres  pour  ajouter  à  son  entrée 
un  éclat  nouveau;  ce  n'est  partout  que 
pompe  et  que  magnificence,  et  au  milieu  de 
tant  de  gloire,  il  demeure  triste  et  affligé; 
il  sent  le  vide  et  la  fausseté  de  toute  la  féli- 
cité humaine;  son  cœur  n'y  peut  trouver  de 
repos,  et  peu  satisfait  des  joies  et  des  gran- 
deurs du  monde,  il  n'est  occupé  que  de 
Dieu,  l'unique  objet  de  ses  désirs  et  de  ses 
pensées. 

Et  que  voulait-il,  par  ces  dispositions,  vous 
apprendre  alors,  grands  du  siècle?  que  ja- 
mais vous  ne  serez  heureux  par  tout,  ce  que 
le  monde  pourra  vous  offrir  de  plus  flatteur 
et  de  plus  aimable.  Oui,  quand  je  vous  ac- 
corderais ces  objets  qui  se  refusent  si  sou- 
vent à  vos  recherches,  vous  n'auriez  rien 
gagné  pour  votre  bonheur;  pourquoi?  parce 
qu'en  désirant  encore,  vous  êtes  toujours 
malheureux,  et  qu'aux  termes  d'isaïe,  nour- 
ris comme  dans  un  songe ,  vous  n'êtes  ja- 
mais rassasiés  :  Comcdct  et  non  saturabitur. 
(Isa.,  IX.  )  Et  en  effet,  je  vous  le  demande, 
dans  vos  places  les  plus  éminentes,  par  où 
vous  trouvez-vous  heureux  ?  est-ce  par  ces 
richesses  immenses  que  vous  avez  acquises? 
mais  vous  êtes  forcés  de  nous  répondre 
qu'elles  ne  vous  ont  pas  donné  la  félicité, 
parce  qu'elles  ne  vous  ont  pas  ôté  la  cupi- 
dité ;  que  ce  bien  est  au  dehors  de  vous,  et 
tout  détaché  de  votre  âme;  mais  que  le  de- 
dans, c'est-à-dire  vous-mêmes,  est  encore 
pauvre  et  indigent;  que  les  besoins  de  votre 
cœur  excèdent  votre  abondance;  qu'il  y  a, 
ce  semble,  un  malheur  inséparable  des  ri- 
chesses, qui  fait  qu'elles  étendent  le  vide 
qu'elles  promettent  de  remplir;  qu'elles 
multiplient  le  crime,  sans  assouvir  la  pas- 
sion, et  qu'au  lieu  de  nourrir  le  cœur,  elles 
l'affament  davantage  :  Comcdct  et  non  satu- 
rabitur. Est-ce  par  les  honneurs  et  par  la 
gloire?  mais,  avouez-le.  votre  cœur  est  moins 
satisfait  de  l'honneur  qu'il  reçoit,  qu'inquiet 
pour  celui  qu'il  désire  encore;  ce  qui  lui 
parut  d'abord  le  comble  de  l'élévation  ne 
lui  semble  plus,  quand  il  y  est,  qu'un  état 
commun  et  médiocre;  si,  au-dessus  de  .'es 
attentes,  il  est  au-dessous  de  ses  désirs,  il 
éprouve  trop  ce  /pie  dit  le  Sage,  que  l'hon- 
neur est  un  pain  de  mensonge  qui  ne  donne 
jamais  à  l'âme  le  rassasiement  qu'il  pro- 
met :  Comcdct  et  non  saturabitur. 

Est-ce  par  les  voluptés  et  les  délices  de 
la  vie?  Mais  combien  de  fois  avons-nous 
arraché  de  votre  bouche  cet  aveu  sincère, 
que  le  remèie  des  plaisirs,  ce  sont  les  plai- 
sirs mêmes;  que  leur  usage  en  inspire  le 
dégoût;  qu'ils  laissent  dans  l'âme  un  poids 
d'amertume  qui  l'accable;  qu'on  n'en  goûte 
guère  que  l'espérance;  mais  que  dans  la 
possession  on  cherche  ce  bien  qu'ils  ont 


tant  promis;  que  si  l'on  ôte  de  la  paîsion 
les  inquiétudes  qui  la  précèdent  et  les  re- 
mords qui  la  suivent,  ce  milieu  qui  reste 
est  un  point  bien  léger,  un  intervalle  bien 
court,  s'il  n'a  lui-même  déjà  son  poids  et 
son  trouble;  qu'enfin  les  plaisirs  ne  peu- 
vent contribuer  à  nous  rendre  heureux,  car 
s'ils  sont  médiocres  vous  ne  les  sentez  pas, 
et  s'ils  sont  outrés  ils  vous  deviennent  insi- 
pides :  Comcdct  et  non  saturabitur. 

Est-ce  enfin  par  la  facilité  où  votre  con- 
dition semble  vous  mettre  de  satisfaire  à 
votre  gré  tous  vos  penchants?  Mais,  votre 
âme  en  est-elle  au  fond  plus  heureuse?  Je 
le  veux,  dans  l'élévation  où  Dieu  vous  a  fait 
naître,  vous  trouvez  la  pompe  de  la  gran- 
deur, la  magnificence  des  palais,  la  somp- 
tuosité des  habits,  la  délicatesse  des  repas, 
le  charme  des  spectacles,  et  par-dessus  cela 
des  chagrins,  des  inquiétudes,  des  remords, 
un  vide  immense  qui  vous  dévore  ;  lorsque 
le  monde  vous  croit  heureux,  vous  n'êtes 
pas  même  tranquilles;  votre  bonheur  n'est 
que  dans  la  surface;  vous  cachez,  sous  un 
faux  dehors  de  félicité,  une  âme  au  fond  plus 
misérable;  vous  êtes  comme  cet  arbre  de 
l'Ecriture  qu'un  feuillage  encore  frais  cou- 
vrait au  dehors ,  mais  doid  un  ver  secret 
rongeait  le  cœur  et  dévorait  toute  la  sub- 
stance; vous  avez  beau  vous  donner  des  di- 
vertissements et  des  réjouissances,  vous 
n'en  avez  jamais  que  de  trompeuses;  vous 
vous  dégoûtez  de  vos  passions  par  vos  pas- 
sions elles-mêmes;  plus  votre  condition 
vous  offre  de  bonne  heure  l'usage  des  plai- 
sirs, et  plus  tôt  vous  en  avez  la  satiété  et  la 
lassitude;  heureux  plutôt  que  nous,  vous 
cessez  plus  tôt  de  l'être.  Vos  plaisirs  une 
fois  épuisés,  vous  êtes  livrés  à  l'ennui,  la 
grande  plaie  des  grands,  et  néanmoins  la 
destinée  la  plus  douce  qu'ils  puissent  at- 
tendre ;  votre  propre  félicité  vous  est  à 
charge  ;  tout  ce  qui  a  pour  vous  un  carac- 
tère de  nouveauté  peut  vous  plaire  quelque 
temps,  à  peu  près  comme  le  changement  de 
situation  plaît  à  un  malade;  il  se  trouve 
mieux  parce  qu'il  n'est  plus  comme  il  était; 
mais  cette  consolation  n'est  pas  longue,  et 
la  douleur  la  suit  de  près  ;  dès  que  votre  in- 
quiétude a  essayé  de  toutes  les  places, 
qu'elle  a  usé  toutes  ses  ressources,  il  ne 
vous  reste  plus  rien  pour  être  heureux; 
dans  cet  état  même  de  dégoût,  vous  qui  êtes 
si  difficiles  à  réjouir,  vous  qui  ne  sentez 
plus  aucun  plaisir,  vous  êtes  plus  sensibles 
à  la  peine;  la  moindre  contrainte  vous  ac- 
cable, le  moindre  plaisir  dérangé  vous  dé- 
sespère; vous  vous  faites  des  chagrins  de 
ce  qui  serait  des  moments  de  félicité  pour 
le  peuple.  Alors  le  crime  même  en  vous  ap- 
portant de  la  honte,  ne  vous  cause  plus  aucune 
joie,  et  en  un  mot,  tous  les  objets  ensemble, 
loin  de  donner  à  votre  cœur  le  rassasiement, 
rendent  sa  faim  [dus  cruelle  :  Comedet  et 
non  saturabitur. 

Tous,  enfin,  mes  frères,  tous  ici  sous  l'œil 
de  Dieu,  interrogeons-nous  :  depuis  que  nous 
avons  abandonné  misérablement  ce  père  ai- 
mable, sommes-nous  contents,  avons-nous 


G77 


PETIT  CAREME.  —  SERMON  Vil    SUIl  LE  MEPRIS  DES  GRANDEURS. 


«78 


trouvé  le  bonheur  dans  ces  choses  où  notre 
imagination  nous  l'a  fait  attendre?  Us  sont 
venus  quelquefois  ces  moments  heureux  qui 
bornaient  tous  les  désirs  de  notre  âme,  cer- 
tains jours  privilégiés,  bien  rares  dans  la 
vie,  où  tout  semblait  autour  de  nous  conspi- 
rer à  nous  rendre  heureux.  Avouons -le, 
nous  y  croyions  déposer  notre  cœur  comme 
dans  son  repos  et  dans  son  centre,  nous  nous 
proposions  à  cette  fois  d'être  heureux  sans 
Jésus-Christ.  Hélas  1  y  avons-nous  réussi? 
nos  passions  étaient  satisfaites,  nous-mêmes 
l'étions-nous?  Nos  sens  étaient  flattés,  ma  s 
notre  cœur  était -il  content?  "Le  sentions- 
nous  plein  et  tranquille?  Ah!  il  soupirait 
encore,  il  se  plaignait'  à  nous,  il  se  trou- 
vai malheureux  et  déplacé;  secrètement  il 
accusait  le  monde  et  toutes  ses  joies  d'im- 
posture et  de  vide;  il  nous  disait  par  ses 
ennuis,  par  ses  dégoûts,  par  ses  alarmes,  par 
son  trouble,  par  l'effort  qu"il  faisait  d'aller 
plus  avant,  que  quelque  chose  lui  manquait  : 
c'était  Dieu,  et  tout  avec  lui. 

Vous  le  voulez  ainsi,  Seigneur  (dites-le 
avec  moi,  prince  auguste,  ce  sont  les  senti- 
ments d'un  roi  chrétien  que  j'exprime),  vous 
le  voulez  ainsi,  Seigneur,  par  une  disposi- 
tion de  miséricorde,  que  celui  qui  n'a  be- 
soin  sur  la  terre  que  de  vous,  ne  trouve  rien 
ailleurs  qui  le  contente;  vous  l'ordonnez,  et 
il  est  juste  que  tout  désir  soit  un  fardeau  à 
celui  qui  ne  vous  aime  pas,  beauté  éternelle; 
que  tout  bien  appauvrisse  celui  qui  ne  vous 
veut  pas,  trésor  immense  ;  que  tout  honneur 
dégrade  celui  qui  ne  vous  cherche  pas,  gloire 
immortelle,  que  tout  plaisir  tourmente  celui 
qui  ne  vous  goûte  pas,  félicité  sainte;  pour 
me  forcer  à  ne  désirer  que  vous,  vous  vou- 
lez (pie  rien  ne  vous  supplée,  vous  me  deve- 
nez seul  nécessaire  afin  de  m'être  unique- 
ment cher.  Seigneur,  ahl  plus  que  jamais 
sur  le  trône  môme  entretenez,  étendez  en 
moi  ce  vide  immense  qui  vous  réclame , 
creusez  en  mon  cœur  de  nouveaux  abîmes 
qui  me  forcent  à  vous  redemander  ;  ôtez  sans 
cesse  aux  créatures  le  pouvoir  de  me  rendre 
heureux;  qu'elles  fondent  encore,  qu'elles 
se  perdent  dans  l'immensité  de  mes  désirs; 
tenez  toujours  devant  moi  ma  couronne, 
mon  empire,  ma  royauté,  l'univers  entier 
dans  l'impuissance  de  me  satisfaire.  En  sa 
place,  venez  en  mon  âme,  vous,  ô  mon  Dieu  ! 
source  intarissable  de  délices  ;  vous,  ici-bas 
même  le  véritable,  l'unique  bonheur  des  rois, 
seul  plus  grand  que  mon  âme,  seul  plus  im- 
mense que  mon  cœur;  animez-moi,  possé- 
dez-moi, remplissez-moi;  non,  on  n'est  bien 
qu'avec  vous;  là  est  la  misère  où  vous  n'êtes 
pas;  notre  repos  c'est  notre  Dieu,  et  un  roi 
qui  vous  porte  dans  son  cœur  est  assuré  d'y 
avoir  tous  les  biens  ensemble. 

TROISIÈME    POINT. 

S'il  est  nécessaire  qu'il  soit  à  Dieu,  le  cœur 

des  grands,  déjà  si  malheureux,  parce  que 

les  objets  qu'ils  aiment  sont  insuffisants,  il 

t  ne  l'est  pas  moins  parce  que  ces  objets  sont 

'fragiles.  J'ai  tout  éprouvé,  disait  le  Sage, 

assis  lui-même  sur  le  trône.  Et  quelle  force  a 


ici  cet  aveu  fait  par  un  roi  à  un  autre  roi,  ;  ar 
le  plus  sage  des  rois  au  pi  us  chéri  des  roi  s?  J'ai 
tout  éprouvé,  et  partout  j'ai  trouvé  d'abord  le 
vide,  ensuite  l'allliction  ;  le  vide  dans  l'usage, 
vanitate'm  (Eccli.,  II),  et  un  moment  aj  î  es 
l'affliction  dans  la  perte,  et  afflirtionem  (ibid.), 
et  n'est-ce  pas  ce  dernier  motif  de  mépriser 
les  joies  et  les  grandeurs  du  monde,  que  Jé- 
sus-Christ, dans  notre  Evangile  daigne,  au- 
jourd'hui nous  offrir?  Que  sa  gloire  est  peu 
durable  !  tout  change  autour  de  lui  ;  ces 
mêmes  bouches  qui  le  comblaient  de  béné- 
dictions et  avec  des  transports  de  joie  s'é- 
criaient :  Salut  et  gloire  au  fils  de  David,  un 
moment  après  demandent  qu'il  meure  ,  et 
son  triomphe  si  solennel  se  tourne  subite- 
ment en  un  cruel  sacrifice. 

Image  naturel  de  la  fausseté  de  la  gran- 
deur et  de  la  gloire  du  monde  ;  elle  se  dissipe 
comme  une  vapeur  à  mesure  qu'elle  s'élève. 
Non,  rien  n'a  de  durée  sur  la  terre:  tout  s'y 
dément  et  tombe  comme  de  lui-même  par 
ce  caractère  d'instabibilité  que  Dieu  lui  im- 
prime ;  les  sceptres  eux-mêmes  et  les  cou- 
ronnes entrent  dans  celte  vanité  qui  domii  e 
ici-bas  toutes  les  choses  humaines.  Non-seu- 
lement les  hommages  qu'on  rend  aux  grands, 
mais  les  grands  eux-mêmes  disparaissent,  et 
par  je  ne  sais  quelle  fatalité,  plus  tôt ,  (e 
semble,  que  les  autres  hommes.  On  dirait 
que  cet  arbitre  souverain  de  la  destinée  des 
princes,  qui  se  joue  là-haut  de  leurs  projets, 
se  plaît  à  montrer,  surtout  en  eux,  combien 
vaine  est  la  figure  du  monde,  combien  fragile 
et  empruntée  est  leur  grandeur,  et  ils  ne 
sont  plus  élevés  que  pour  montrer  de  plus  loin 
à  l'homme  son  néant  et  toute  la  vanité  de  sa 
gloire. 

Et  quelles  leçons,  Sire ,  quelles  terribles 
leçons  vous  a  faites  sur  ce  point  presque  en 
naissant  la  divine  Providence!  Qu'avons- 
nous  vu?  O  ciel!  quels  événements!  quels 
spectacles!  Et  que  pour  vous  instruire  il  en  a 
coûté  à  l'univers  !  La  France  voyait  avec  joie 
au  milieu  d'une  cour  floiissante,  autour  de 
son  auguste  maître,  tant  d'héritiers  prochains 
de  sa  couronne,  de  tous  les  âges,  de  tous  les 
caractères,  de  toutes  les  vertus;  elle  voyait 
dans  votre  aïeul  si  respectable  ses  délices  les 
plus  chères;  elle  voyait  dans  votre  père  si 
pieux  ses  espérances  les  plus  douces,  et  dans 
un  clin-d'œil  tout  a  disparu  comme  un  songe; 
ni  la  piété,  ni  l'innocence  n'ont  pu  retarder 
là-haut  des  malheurs  si  grands.  Pour  rendre 
l'instruction  plus  forte,  avec  son  auguste 
mère,  un  tendre  orphelin  vient  s'y  joindre: 
une  même  pompe  funèbre,  pourquoi  nos  yeux 
ont-ils  vu  un  objet  si  triste?  une  même  pomi  e 
funèbre,  aumiiieu  de  nos  sanglots  et  de  nos 
larmes,  les  a  tous  conduits  au  tombeau,  et  la 
France,  dans  un  seul  jour,  n'a  fait  qu'un 
même  deuil  de  ce  qui  devait  faire  son  bon- 
heur pour  tant  d'années. 

Eh!  pourquoi  Dieu  s'est-il  hâté  de  mettre 
ainsi  sous  vos  yeux,  comme  en  abrégé,  des 
le  commencement  de  votre  vie,  toute  la  fra- 
gilité de  la  gloire  humaine,  et  jusqu'où  peiii 
aller  son  néant?  Pourquoi  a-t-il  frappé  dès 
vos  premiers  jours,  et  dans  ce  que  vous  aviez 


679 


OÎUTFARS  SACHES.  LE  P.  SURIAN. 


CSO 


de  plus  cher,  des  coups  qu'il  ne  frappe  or- 
dinairement que  dans  la  succession  de  plu- 
sieurs siècles,  et  ne  vous  a-t-il  élevé  au 
comble  de  la  grandeur  que  par  l'exemple  le 
plus  inoui  et  le  plus  lamentable  de  sa  vanité, 
sinon  pour  vous  apprendre,  ô  précieux  reste 
de  tant  de  rois,  qu'il  n'y  a  de  grand,  de  vrai, 
d'immuable  et  d'éternel  que  Dieu,  sinon 
pour  imprimer  plus  profondément  dans  votre 
âme  le  mépris  du  monde  et  tout  son  néant; 
sinon  pour  armer  d'avance  votre  coeur  contre 
le  charme  de  la  grandeur  et  pour  vous  dé- 
fendre de  ses  dangers  par  l'image  la  plus 
vive  de  son  inconstance;  pour  vous  dire  en- 
lin  qu'il  n'y  a  dans  les  grands  que  la  piété 
qui  soit  durable,  qui  ne  soit  pas  sous  l'em- 
pire du  temps,  qui  échappe  à  ce  torrent  im- 
pétueux qui  emporte  ici-bas  avec  une  rapi- 
dité si  extrême,  et  les  peuples  et  les  rois,  et 
les  empires  et  le  monde  lui-même; qu'il  faut 
placer  vos  désirs  plus  haut,  dans  un  asile 
plus  inaccessible,  et  qu'enfin,  puisque  sous 
la  main  suprême  de  Dieu  tout  s'écroule,  tout 
fond,  tout  disparaît,  tout  s'évanouit,  tout  est 
ruineux,  tout  est  périssable,  vous  devez  donc 
vous  attacher  uniquement  à  ce  Maître  aima- 
ble, seul  digne  de  votre  cœur,  seul  capable 
de  vous  fixer,  seul  immuable  et  immortel  au 
milieu  de  la  décadence  de  tout  le  reste,  et 
qui  seul  étant  quelque  chose,  mérite  seul 
d'être  aimé? 

Profitez,  Sire, d'une  leçon  si  grande;  plus 
Dieu  as'acrifié  pour  vous  la  donner,  plus  vous 
devez  en  faire  usage  pour  le  salut.  Quelque 
long,  quelque  glorieux  que  soit  votre  règne, 
et  s'il  est  réglé  sur  nos  vœux,  il  sera  le  plus 
long  et  le  plus  glorieux  des  règnes,  occupez- 
vous  sans  cesse  de  l'idée  de  sa  vanité.  Uni  à 
Dieu,  fixé  à  Dieu,  sous  sa  main  et  dans  son 
ordre  ,  considéré  dans  la  sphère  sublime  où 
sa  providence  vous  a  placé  pourêtre  ici-bas  le 
coopéraleur  de  ses  grâces,  l'exécuteur  de  ses 
desseins  sur  les  entants  des  hommes,  sancti- 
fiant votre  âme  et  les  peuples  qu'il  vous  a 
confiés;  dans  ce  point  de  vue,  que  vous  êtes 
grandi  Mais  séparé  de  Dieu  et  regardé  uni- 
quement dans  la  gloire  humaine  qui  vous 
environne,  quel  est  votre  partage?  la  vanité 
et  le  néant.  Ah!  pour  donner  à  votre  grandeur 
de  la  réalité  et  de  la  durée,  rapportez-la  donc 
tout  entière  à  Dieu;  vivez  pour  Dieu,  régnez 
pour  lui,  faites-le  vivre  et  régner  dans  votre 
âme,  et  de  la  bouche  de  votre  cœur,  écriez- 
vous  avec  ce  roi  de  l'Ecriture  que  Dieu,  le 
préférant  à  tant  d'autres,  avait  pris  aussi, 
comme  par  la  main  pour  l'élever  sur  le  trône. 

O  mon  Dieu  !  pourrais-je  me  laisser  éblouir 
à  cet  é;lat  trompeur  de  ma  couronne  :  Tua 
est  (jloria  (I  Par.,  XXIX)  ;  toute  la  gloire 
est  à  vous;  c'est  votre  bien;  vous  l'ôtez 
et  vous  la  donnez  à  qui  il  vous  plaît;  j'en 
suis  une  preuve  si  touchante:  Ta  soins  Rex 
[Esiher,  XIV)  ;  au  milieu  de  nos  empires, 
il  n'y  a  que  vous  de  roi;  nous  ne  som- 
mes nous  -  mêmes  que  vos  sujets  et  vos 
esclaves;  seul  du  haut  du  ciel  vous  atrissez 


sur  les  Etats  et  sur  les  rois  d'une  manière 
souveraine  et  dominante  :  Quis  ego  sum?  Au- 
près d'une  majesté  si  adorable,  si  immortelle, 
que  suis-je  donc?  Peregrinus  et  advenu  sicut 
ornnes  patres  mei  [Psal.  XXXVIII)  ;*je  suis 
sur  lé  trône,  ainsi  que  tous  les  rois  mes  pè- 
res, un  étranger  qui  passe ,  un  voyageur  qui 
ne  doit  point  aimer  un  lieu  où  personne  n'est 
fixé  :  Et  dixi,  serviam  tibi,  dans  cette  con- 
viction profonde  de  la  vanité  de  tout  et  de 
ma  grandeur  même,  j'ai  formé  dans  mon 
cœur  une  résolution  sincère  de  vous  servir, 
de  vous  craindre,  de  vous  aimer.  O  grandeur 
immuable  et  éternelle  :  Custodi  hanc  volun- 
tatem  meam,  je  sens  combien  dans  une  jeu- 
nesse extrême  il  est  difficile  à  un  roi  d'être 
fidèle  à  cette  résolution;  ah!  conservez-la 
moi,  Seigneur!  par  votre  grâce;  affermissez- 
moi  dans  le  projet  que  je  fais  ici ,  à  la  face 
de  ces  autels,  d'être  à  vous  jusqu'au  dernier 
moment  de  ma  vie.  D'autres  rois  vous  de- 
manderont des  succès,  des  prospérités,  des 
victoires,  je  vous  demande  ma  sanctifica- 
tion; à  la  place  des  triomphes,  donnez-moi 
des  grâces;  aimez-moi  moins  pour  ma  gloire 
que  pour  mon  salut.  Je  serai  un  roi  pieux; 
j'aurai  assez  de  prospérités,  si  j'observe  vos 
divins  préceptes;  la  gloire  du  trône,  déjà  si 
passagère ,  n'est  souvent  pour  les  princes 
qu'un  piège  et  une  tentation;  que  par  le  mé- 
pris que  j'en  aurai,  que  par  le  saint  usage 
que  j'en  ferai,  elle  devienne  pour  moi  un 
moyen  de  salut  et  une  voie  pour  arriver  à  la 
gloire  éternelle. 

SERMON    VIII. 

DE  LA  RÉSURRECTION  DE    JESUS-CHRIST  (1). 

Dixit  illis  :  Nolile  expavescere,  Jesum  quseritis  Nazare- 
nuni  erueifixum  :  snrrexit,  non  est  hic.  (XVI.) 

l'ange  leur  dit:  N'ayez  point  de  peur;  vous  chercliez  Jé- 
sus de  Nazareth  qui  a  été  crucifié,  il  est  ressuscité  et  n'est 
plus  ici. 

Que  ces  paroles  sont  consolantes  pour 
une  âme  qui  vit  de  la  foi,  et  qu'il  lui  est 
doux,  après  s'être  tant  affligée  sur  la  mort  du 
Sauveur,  de  pouvoir  avec  confiance  s'aban- 
donner à  la  joie  sainte  de  sa  glorieuse  ré- 
surrection! 

Et  certes,  dans  ce  premier  jour  du  momie 
nouveau  qu'éclaire  une  lumière  invisible  et 
éternelle,  le  plus  saint  de  tous  lcsjours  dans 
cette  auguste  solennité  qui  consacre  toutes 
les  autres;  dans  ce  mystère  universel  qui 
comprend  la  vérité,  la  foi,  la  grâce,  le  Saint- 
Esprit  de  tous  les  autres  mystères,  soit 
qu'une  âme  fidèle  jette  les  veux  sur  Jésus- 
Christ,  soit  qu'elle  se  regarde  elle-même, 
que  de  mouvements  de  consolation  et  de  joie  ! 
celui  (jui  s'immola  1  a i-raême  pour  nos  péchés 
sort  triomphant  de  la  mort  et  du  tombeau, 
il  se  rend  à  lui-même  une  vie  qu'il  avait 
quittée  volontairement  ;  le  spectacle  affreux 
de  sa  croix  se  change  en  spectacle  merveil- 
leux de  son  triomphe,  il  se  soustrait  à  l'em- 
pire du  péché  pour  rentrer  dans  la  majesté 
de  son  Père,  son  corps  sort  victorieux  du 


(i)  Ce  sermon   est  imprimé  dans  le  volume  (iu      ments,  que  nous  avons  préféré  nous  en  tenir  au 
Petit  Carime ,   mais  avec  de  si  nombreux  change-      manuscrit. 


est 


PETIT  CAREME.  —  SERMON  YM  ,  DE  LA  RESURRECTION  DE  J.-C 


est 


sépulcre,  et  il  en  efface  pour  jamais  cette 
image  de  mort  imprimée  sur  sa  chair  pas- 
sible; tout  ce  qu'en  naissant  il  avait  apporté 
des  infirmités  et  des  misères  du  vieil  homme 
s'absorbe  et  s'anéantit  par  la  puissance,  la 
force  et  lés  riches  qualités  du  nouveau;  il 
désarme  l'enfer,  il  terrasse  la  mort,  il  défait 
le  pé^hé;  il  met  la  vérité  de  sa  religion  hors 
d'attointe  à  l'imposture,  son  sacrifice  est  con- 
sommé, sa  divinité  reconnue.  Un  seul  trait 
de  sa  résurrection  répare  en  lui  l'ignominie 
de  toutes  ses  souffrances,  et  le  met  au  com- 
ble de  la  félicité  et  de  gloire:  Sarrexit,  non 
est  hic. 

Ah  !  quand  il  ne  lui  reviendrait  aucun 
avantage  en  voyant  ainsi  ressusciter  son 
,Dieu,  l'âme  fidèle  ne  devrait-elle  pas  sentir 
une  joie  parfaite,  et  si  ce  mystère  est  tout 
pour  elle,  s'il  rassure  sa  foi,  s'il  dissipe  ses 
doutes,  s'il  étouffe  sa  crainte,  s'il  élève  ses 
sentiments,  s'il  embrasse  ses  désirs,  s'il 
é;mre  ses  pensées,  s'il  couronne  sa  patience, 
s'il  console  ses  misères,  s'il  est  toute  sa 
force,  toute  sa  justification,  tout  son  appui, 
tout  son  salut,  toute  son  espérance,  et  le 
germe  bienheureux  de  son  immortalité,  ah! 
pourrait-elle  jamais  se  lasser  de  l'entendre 
cette  parole  de  bénédiction  :  Surrexit;  et 
que  Jésus-Christ  lui  répète  cet  oracle  sacré 
avec  les  consolations  tendres  dont  il  l'ac- 
compagne :  Ego  dixi  :  DU  eslis  et  filii  Excelsi 
omnes  (Psal.  LXXXI)  ;  peut-elle  se  suffire  à 
elle-même,  se  trouve-t-elle  assez  de  courage 
pour  sentir  ce  qu'il  lui  dit,  et  ne  s'écrie-t-eile 
pas  avec  le  prophète  :  Mon  Dieu,  selon  la 
multitude  de  mes  chagrins  et  de  mes  peines, 
vos  consolations  m'ont  inondé  le  cœur,  et  en 
me  réveillant  par  la  tribulation,  vous  m  avez 
comblé  de  joie.  {Psal.  L.) 

Pour  nous,  chrétiens  mes  frères,  notre 
disposition  n'est  pas  la  môme.  Par  un  ef- 
fet tout  contraire,  nous  réduisons  tout  le 
fruit  de  la  résurrection  du  Sauveur  à  une 
joie  extérieure  et  sensible,  et  la  fête  véné- 
rable de  Pâques  nous  est,  comme  aux  Juifs, 
une  cérémonie  sans  fruit  et  une  solennité 
sans  suite.  D'où  vient  donc  qu'au  lieu  de 
recueillir  ici  cet  esprit  de  conversion,  ce  souf- 
fle de  vie  nouvelle,  cette  source  de  résur- 
rection et  de  grâces  qui  sortent  de  l'âme  et 
du  corps  de  Jésus-Christ,  nous  ne  voulons, 
comme  les  soldats  et  les  gardes,  d'autre  part 
à  son  triomphe  que  l'épouvante  et  l'effroi, 
et  aimons  mieux  demeurer  dans  le  tombeau 
et  la  corruption  de  nos  désordres,  que  d'en 
sortir  par  un  changement  salutaire.  Ce  mal- 
heur vient  de  ce  que  nous  n'avons  jamais 
bien  connu  ni  les  voies,  ni  les  avantages  de 
cette  vie  nouvelle,  que  le  Sauveur  vient 
nous  offrir  :  sentons-les  donc  en  ce  jour,  et 
pour  vous  exposer  en  forme  d'homélie  l'E- 
vangile d'aujourd'hui,  découvrons-  tout  le 
mystère  de  votre  conversion  d'abord  dans 
les  démarches,  ensuite  dans  le  succès  de  ces 
femmes  pieuses  qui  cherchent  le  Seigneur  à 
son  tombeau.  Par  leurs  démarches  vous 
connaîtrez,  1°  par  quelles  voies  vous  pouvez 
aller  à  la  vie  nouvelle  de  Jésus-Christ;  2°  par 
leur  succès  vous  apprendrez  quels  avantages 

OnATEU'HS  sacrés.  L. 


en  reviennent  à  ceux  qui  ont  le  bonheur  d'y 
aller.  Demandons  les  lumières  qui  nous  sont 
nécessaires  par  l'intercession  de  Marie. 
Àve,  Maria. 

PREMIER    POINT. 

Les  voies  les  plus  saintes,  les  plus  propres 
pour  arriver  à  cette  nouveauté  de  vie,  qui 
fait  la  vraie  conversion,  sont  un  vif  empres- 
sement de  retrouver  ce  Dieu  aimable  qu'on 
a  perdu,  c'est  le  choix  d'un  guide  fidèle  qui 
nous  y  conduise  sûrement  ;  c'est,  enfin,  une 
douleur  amère  de  nous  être  séparés  de  lui. 
Or,  ces  voies  nous  sont  toutes  tracées  dans 
les  démarches  de  ces  femmes  pieuses  qui 
cherchent  Jésus-Christ  :  d'abord  elles  pa- 
raissent transportées  dans  l'empressement 
qu'elles  ont  de  recevoir  leur  Sauveur,  ensuite 
elles  s'adressent  à  un  ange  pour  s'instruire 
du  moyen  de  le  retrouver  ;  elles  ne  cessent 
enfin  de  verser  des  pleurs  dans  cette  recher- 
che si  sainte.  Que  vos  miséricordes  sont 
grandes,  ô  mon  Dieu,  d'avoir  ainsi  pourvu  à 
nos  malheurs,  et  nous  avoir  ménagé  un  che- 
min si  facile  et  si  sûr  pour  notre  conversion. 

1°  D'abord,  avant  le  jour,  elles  courent 
au  tombeau  de  Jésus-Christ,  inquiètes  et 
embarrassées  sans  lui  ;  elles  sentent  bien 
qu'elles  ne  peuvent  s'en  passer,  tant  qu'elles 
auront  à  vivre  sur  la  terre  ;  elles  voudraient 
le  posséder,  elles  préparent  des  parfums,  dis- 
posent des  onctions  de  plusieurs  sortes;  leur 
ardent  amour  ne  sait  comment  se  satisfaire  : 
leur  empressement  est  si  grand,  leurs  désirs 
si  violents,  qu'elles  ne  songent  qu'à  le  trou- 
ver, qu'elles  ont  un  oubli  formé  de  leurs 
faiblesses,  de  leur  santé,  de  leurs  biens,  de 
leur  repos,  de  leur  vie  même.  Tout  leur  est 
indifférent,  hors  Jésus-Christ;  elles  sentent 
bien  que  si  elles  le  trouvent,  elles  seront 
plus  fortes,  plus  riches,  plus  heureuses  que 
par  la  conquête  de  tout  un  monde  entier  ; 
Et  valde  mane  una  sabbatorum  veniunt 
ad  monumentum.  (Marc,   XVI.  ) 

Ah  !  quand  on  désire  sincèrement  de  se 
convertir  à  Jésus-Christ,  on  sent  au  fond  du 
cœur  une  forte  impression  ,  on  a  une  inquié- 
tude salutaire  d'en  être  privé,  une  désolation 
sainte  de  l'avoir  perdu;  le  désir  qu'on  a  de  le 
retrouver  l'emporte  si  fortement  sur  l'âme 
chrétienne,  qu'elle  s'oublie  elle-mêmt:  pour 
se  recueillir  en  lui  seul.  Il  n'y  a  plus  de  monde; 
pour  elle,  uniquement  occupée  de  Jésus- 
Christ,  elle  ne  peut  être  arrêtée  ni  par  l'a- 
mour séduisant  des  faux  biens  du  siècle,  ni 
par  l'attrait  du  repos  et  des  douceurs  de  la 
vie,  ni  par  le  fantôme  du  respect  humain,  ni 
par  ces  frivoles  raisons  de  bienséance  et  de 
timidité  victorieuses  des  plus  grands  obsta- 
cles; sa  ferveur  dévore  tout,  elle  se  souvier.t 
que  trop  longtemps  et  avec  trop  de  sensibi- 
lité elle  s'est  livrée  au  monde,  et  toute  hon- 
teuse, hélas!  elle  voudrait  sentir  pour  lo 
Sauveur  ce  qu'elle  sentait  pour  de  vaines 
créatures.  Avec  une  disposition  si  heureuse, 
elle  ne  s'occupe  plus  que  de  son  Dieu,  ell« 
ne  soupire  plus  qu'après  son  royaume,  ellî 
ne  se  plaît  plus  que  dans  ses  chastes  entre- 
tiens; elle  ne  parle  que  de  ses  perfections, 

23 


683 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  Sl'RlAN. 


GS4 


elle  ne  se  nourrit  que  de  son  amour.  Dieu 
est  le  tout  à  une  âme  qui  est  touchée  et  qui 
veut  effectivement  se  convertir  à  lui  comme 
les  saintes  femmes  de  notre  évangile.  Elle  se 
joint  aux  âmes  pieuses  pour  s'entr'aider  à  le 
chercher  dès  le  matin,  vatde  diluculo  ;  elle  le 
cherche  par  la  prière  à  toutes  les  heures  du 
jour  et  de  la  nuit.  Je  n'attendais  pas  que  l'au- 
rore m'éveillât,  je  la  réveillais  moi-même, 
dit-elle.  Ni  ces  ténèbres  profondes  qui  cou- 
vrent la  face  de  la  terre  :  Cum  adhuc  teneur  œ 
essent  ad  monumentum  venit,  ni  l'appréhen- 
sion de  Madeleine  qui ,  après  avoir  donné 
la  mort  a  Jésus-Christ  par  ses  péchés,  trem- 
ble de  paraître  devant  lu:  après  sa  résurrec- 
tion, ni  les  censures  et  les  railleries  des  pé- 
cheurs qui  voudraient  l'empêcher  de  ressus- 
citer :  et  qui  e.nim  erant  custodientes  Jesum, 
timuerant  valde  :  rien  de  tout  cela  ne  peut 
ralentir  son  zèle;  elle  a  pour  trouver  son 
Dieu  cet  empressement  et  cette  plénitude 
de  désirs  qu'elle  avait  eus  pour  le  perdre: 
exierunt  cito. 

Ces  jours  saints,  mes  frères,  ont-ils  vu  en 
vous  cette  activité  salutaire,  cet  empresse- 
ment sacré  pour  Jésus-Christ?  Hélas  1  tout 
vous  intimide,  tout  vous  arrête  dans  votre 
conversion ,  et  si  vous  venez  chercher  le 
Sauveur  ressuscité ,  vous  n'y  apportez 
qu'un  cœur  pesant,  qu'une  âme  dégoûtée. 
11  aura  couru  après  vous,  il  vous  aura  appelé, 
sollicité  par  la  voix  de  ses  ministres,  par  la 
pompe  de  ses  solennités,  etvous  n'avez  pour 
lui  qu'une  molle  pesanteur;  vous  cher- 
chez Dieu  comme  on  le  pt-rd.  par  l'in- 
dolence et  la  paresse.  11  est  vrai  que  dans  ces 
grandes  fêtes  où  les  plus  morts  semblent 
uonner  quelque  signe  de  vie,  vous  laissez 
voir  quelque  signe  de  conversion.  Votre 
conscience  timide  vous  a  fait  peut-être  rou- 
gir de  votre  état;  vous  auriez  été  confus  de 
demeurer  dans  l'inaction,  lorsque  autour  de 
vous  tout  se  remue;  vous  auriez  eu  honte  de 
demeurer  insensibles  dans  la  corruption  de 
vos  voies,  pendant  que  tout  gémit  de  vous 
y  voir,  et  que  tant  d'autres  à  vos  yeux 
s'empressent  de  sanctifier  les  leurs  ;  mais 
avez-vous  eu  cette  activité  des  saintes  fem- 
mes? où  sont  les  vrais  efforts  que  vous  avez 
faits  ?  Qu'avez-vous  sacrifié  pour  votre  con- 
version? Quelle  preuve  peut  vous  donner 
votre  cœur  interrogé?  Où  sont  ces  dégoûts 
du  monde,  de  ses  faux  biens,  de  ses  vains 
plaisirs  et  de  tout  ce  qui  vous  a  fait  perdre 
Jésus-Christ,  et  avec  lui  votre  innocence  et 
tout  votre  bonheur?  Où  est  cet  amour  géné- 
reux et  empressé  qui  seul  peut  vous  le  faire 
retrouver;  il  connaît,  lui  qui  pénètre  le  se- 
cret et  pèse  le  fond  des  cœurs,  que  toute 
ardeur,  que  toute  étincelle  de  ce  feu  divin 
est  éteinte  dans  votre  âme,  qu'il  n'est  rien 
en  vous  que  peut-être  un  air  hypocrite  qui 
sente  lia  vie  nouvelle  de  votre  conversion, 
que  le  peu  de  mouvement  que  vous  vous 
donnez  pour  le  retrouver  fait  bien  voir  que 
vous  vous  consolez  aisément  de  sa  perte, 
que  ce  qui  vous  amène  dans  ce  temple ,  ce 
qui  vous  fait  approcher  de  sa  table  sacrée, 
c'est  bien  plus  parce  que  vous  craignez  les 


hommes,  que  parce  que  vous  aimez  Jésus- 
Christ;  c'est  bien  plutôt  parce  cpie  vous  êtes 
hypocrites,  que  parce  que  vous  êtes  péni- 
tents; c'est  que  semblables  à  ce  roi  irnpie  vous 
venez  à*  la  fête  de  Pâques,  plutôt  pour  ne 
point  être  l'abomination  d'Israël,  que  pour 
y  participer  et  vous   y  renouveler  dans  la 
réconciliation  divine.  Il  voit  que  vous  n'avez 
ni  sollicitude,  ni  zèle;   cependant  que  per- 
sonne ne   se  ilatte,    ce  n'est  qu'à  l'activité 
sainte  qu'on  peut  reconnaître  la  véritable 
conversion  :  tout  ce  qu'il  y  a  eu  de  pénitents 
dans  l'Eglise,  ont  été  fervents  et  empressés  : 
Pœnitentes  ferventiores    innocentibus ,     dit 
saint  Grégoire  ;  l'âme  innnocente,  qui  a  con- 
servé sa  pureté,  est  plus  tranquille  dans  la 
main  de  Dieu  qui  la  soutient.  Elle  contem- 
ple, elle  jouit,  toutes  ses  fonctions  sont  pai- 
sibles; elle  n'a  ni  longueur  de  chemin,  ni 
effort  de  faire  rechercher  pour  regagner  et  se 
rapprocher  de  celui  qui,  en  cette  vie  comme 
en  l'autre,  fait  son  repos  et  sa  félicité;  comme 
elle  n'a  jamais  quitté  Dieu,  il  ne  lui  faut 
que  la  persévérance  pour  le  conserver,  elle 
jouit  sans  violence  du  fruit  de  sa  fidélité. 
Mais  il  n'en  est  pas  de  même  de  l'âme  péni- 
tente :  el'e  revient  à  Dieu  de  si  loin,  sans 
effort  elle  ne  le  peut  atteindre,  l'expérience 
nous  le  fait  sentir;  elle  revient  tout  affa- 
mée, tout  altérée  de  cet  objet  aimable  dans 
un  cœur  que  tout  le  reste  a  si  mal  rempli. 
II  y  a  dans  l'âme  pénitente  je  ne  sais  quoi  de 
plus  tendre  qui  la  pousse,  qui  l'excite,  qui 
l'enlève,  et  lui  fait  regagner  par  la  rapidité 
de  sa  course,  ce  que  lui  avait  fait  perdre  l'é- 
garement de  sa  vie.  Ainsi,  David  pécheur, 
dès  qu'il  est  touché,  il  devient  converti;  ainsi 
Saùl,  dès  qu'un  trait  céleste  a  blessé  son 
âme,  il  se  fait  une  violence  sainte   qui  le 
presse  de  recourir  à  son  Dieu;  ainsi  la  Sama- 
ritaine passe  tout  d'un  coup  de  la  servitude 
du  vice  à  l'heureuse  liberté  de  la  charité. 
Il  en  est  comme  de  ces  pauvres  captifs  qui  se 
trouvent  dégagés  des  fers  qui  les  enchaî- 
naient :  plus  leur  esclavage  renfermait  de 
tristesse  et  de  peine,  plus  leur  délivrance  a 
pour  eux  de  joie  et  de  plaisir.  Tel  a  été  le 
caractère  du  retour  des  pécheurs  vers  Dieu, 
telle   la  promptitude    de  cette    conversion 
fameuse  de  saint  Pierre  qui  console  plus 
l'Eglise  par  sa   pénitence,  qu'il  ne  l'aurait 
aflligée   par  son   infidélité.    Imitez-les,  ces 
grands  modèles,  vous  pourriez  revenir  avec 
moins  d'empressement  et  de  sollicitude,  si 
votre  égarement  était  moins   profond  ;  mais 
peut-être  êtes-vous  des  plus  égarés  et  des 
plus  perdus  dans  vos  désordres,  soyez  donc 
des  plus  animés   et  des   plus  perdus  dans 
votre  conversion,  et  comme  les  saintes  fem- 
mes que  l'évangile  vous  propose  pour  exem- 
ple, cherchez  Jésus-Christ  avec  cet  esprit  de 
ferveur  et  de  zèle  dont  est  digne  un  objet  si 
grand  et  si  aimable  :  Et  valde  marie  renient 
ad  monumentum. 

2°  Mais  à  quoi  servirait  cette  première  dis- 
position, si,  en  recherchant  Jésus-Christ  avec 
empressement,  vous  ne  vous  adressez  à 
un  guide  fidèle  qui  vous  y  conduise,  car 
voilà  la  démarche  de  ces  femmes  pieuses  de 


6S5 


PETIT  CAREME.  -  SERMON  VIII  ,  DE  LA  RESURRECTION  DE  J.-C. 


CÎ6 


l'évangile  et  le  deuxième  pas  que  vous  avez 
à  faire  dans  votre  conversion.  Après  avoir 
tant  hâté  leurs  pas,  ces  pieuses  femmes 
arrivèrent  au  tombeau  de  Jésus-Christ;  elles 
y  descendent  et  n'y  trouvent  plus  leur  Dieu. 
Toutes  désolées,  tout  en  pleurs,  elles  vont 
à  Tango  qu'elles  aperçoivent,  et  le  conjurent 
de  leur  dire  où  il  est  et  de  les  y  conduire  : 
Dicite  mihi  ubi.posuistis  eum. 

Et  voilà,  mes  frères,  ce  que  vous  avez  à 
faire  pour  votre  conversion  ;  ne  vous  con- 
tentez pas  de  porter  un  coup  d'œil  timide 
et  passager  dans  votre  conduite  criminelle; 
développez-la  tout  entière,  et  descendez 
dans  le  fond  du  sépulcre  ;  entrez-y  et  regar- 
dez de  près  :  introeuntes  in  monumetitum,  vous 
y  parcourrez  toute  votre  vie  passée  ,  tout 
votre  intérieur,  vos  vertus  môme,  et  en  tout 
cet  abiuie  n'y  trouvant  point  Jésus-Christ  : 
et  non  invenerunt  corpus  Jcsu,  ne  trouvant 
plus  môme  la  place  bienheureuse  où  il  avait 
été  mis  -dans  votre  âme  par  le  baptême  : 
nescio  ubi  posuerunt  eum  ;  vous  irez,  après 
cet  examen  et  celte  recherche,  aux  ministres 
de  la  pénitence,  et  les  conjurant  de  vous 
rendre  votre  Dieu,  vous  leur  demanderez 
ce  qu'ils  en  ont  fait,  où  ils  l'ont  mis,  où 
vous  pourrez  le  trouver  :  Dicite  mihi  ubi  po- 
suisiis  eum;  vous  imiterez  ces  saintes  femmes 
jusque  dans  le  choix  que  vous  avez  à' faire 
d'un  bon  guide,  et  loin  de  prendre,  comme 
on  fait  toujours,  le  moins  réglé  et  le  moins 
habile,  vous  en  choisirez  un  dont  la  pureté 
de  ses  mœurs  ressemble  à  la  blancheur  de 
la  neige:  vestimentum  ejus  sicut  niœ;  vous 
prendrez  un  homme  dont  les  lumières  et  la 
capacité  imitent  le  brillant  et  la  beauté  qui 
étaient  sur  le  visage  de  cet  ange  :  aspectus 
ejus  sicut  fulgur;  un  homme  qui  ait  de  la 
science  pour  vous  instruire,  de  l'onction 
pour  vous  toucher,  de  la  vertu  pour  vous 
édifier,,  de  la  charité  pour  vous  aider;  un 
homme  qui,  par  de  saintes  frayeurs  sur  la 
misère  de  votre  état,  sache  ébranler  votre 
cœur  endurci,  l'attendrir  et  l'émouvoir,  en 
faisant,  comme  l'ange,  trembler  la  terre  : 
Ecce  terrœmotus  factus  est  magnus  ;  un 
homme  intrépide  et  désintéressé,  qui  vous 
fasse  connaître  tout  le  péril  de  votre  état,  et 
le  malheur  infaillible  où  vous  vous  exposez, 
si  vous  ne  changez  de  vie  ;  un  homme  qui 
vous  fasse  baisser  les  yeux  par  respect, 
comme  l'ange  fit  aux  saintes  femmes,  mais 
qui  bientôt,  adhérant  à  vos  faiblesses,  oublie 
qu'il  est  jeune,  pour  se  souvenir  qu'il  est 
père;  qui  vous  fasse  sentir  qu'autant  vos 
péchés  doivent  vous  donner  d'effroi,  autant 
la  bonté  de  votre  Dieu  doit  vous  inspirer  de 
la  confiance  en  sa  miséricorde,  et  qui,  comme 
l'ange,  vous  dise  :  Rassurez-vous,  ne  crai- 
gnez rien  :  Notite  expavescere  ;  un  homme 
qui,  sachant  sa  religion  et  où  habite  son 
Dieu,  puisse  vous  dire  :  Ah  1  je  sais  qu'en 
ces  saints  jours  vous  venez  chercher  Jésus- 
Christ,  et  si  vous  y  apportez  un  cœur  droit 
et  sincère,  vous  le  trouverez,  nous  vous  le 
montrerons  :  Jesum  quœritur  Nazarenum; 
mais  hélas  !  que  jusqu'ici  vous  l'avez  mal 
cherché;  vous  avez  cru  le  trouver  dans  les 


soins  et  les  embarras  du  siècle,  dans  l'illu" 
sion  des  vanités,  dans  le  néant  des  richesses 
dans  le  vide  des  plaisirs,  dans  les  fades 
consolations  de  la  terre,  dans  l'oisiveté  d'une 
vie  molle  et  mondaine.  Ah  !  ce  n'est  pas  l'i 
qu'on  le  trouve,  non  est  hic;  vous  allez  le 
chercher  dans  la  tiédeur,  dans  cette  noncha- 
lance mortelle  où  votre  cœur  ne  se  déclare 
ni  pour  le  bien  ni  pour  le  mal,  dans  cette 
vaine  disposition  flottante  qui  vous  porte 
tantôt  d'un  côté,  tantôt  de  l'autre;  chrétien 
aux  grandes  fêtes,  vous  êtes  païen  le  reste 
de  l'année  ;  aujourd'hui  dévot  et  mondain, 
dans  tous  les  autres  jours  soigneux  de  votre 
salut  en  de  certaines  occasions,  et  le  hasar- 
dant témérairement  dans  mille  autres.  Ahl 
ce  n'est  point  là  qu'il  est  :  non  est  hic  ;  vous 
avec  cru  le  trouver  dans  les  assemblées  des 
mondains,  dans  leurs  jeux,  dans  leurs  spec- 
tacles, dans  la  compagnie  de  ces  personnes 
suspectes  et  dangereuses;  eh  !  où  allez-vous 
chercher  la  vie,  même  parmi  les  morts  ;  vous 
voulez  le  trouver,  cherchez-le  dans  la  prière, 
dans  la  retraite,  dans  la  mortification,  dans 
la  piété,  dans .  la  charité,  dans  toutes  les 
voies  où  il  a  passé,  et  bientôt  il  vous  accor- 
dera l'honneur  de  sa  [  résence,  et  votre  âme 
jouira  bientôt  d'un  repos  bienheureux:  et 
invenietis  requiem  animabus  vestris  {Matlh.-, 
XI).  Mon  Dieu,  qu'heureuse  est  une  âme  à 
qui  vous  donnez  un  confesseur  d'un  tel  ca- 
ractère ;  elle  peut  bien  dire  qu'en  lui  elle  a 
trouvé  son  salut  et  sa  vie. 

Ma'is  quelle  leçon  vient  nous  donner  en- 
core Jésus-Christ,  lorsqu'il  fait  couler  des 
larmes  si  abondantes  et  si  amères,  des  yeux 
des  femmes  pieuses  de  notre  évangile  :  lu- 
gentîbus  et  flentibus  ;  c'est  pour  nous  appren- 
dre que  pour  être  véritablement  converti,  il 
ne  suffit  pas  de  verser  quelques  larmes  pas- 
sagères sur  ce  tombeau ,  c'est-à-dire  sur  ce 
cœur  ou  Jésus-Christ  a  été  si  longtemps 
mort  par  le  péché;  mais  qu'il  faut  les  éten- 
dre sur  toute  notre  vie  :  lugentibus  et  flen- 
tibus, et  c'est  ainsi,  chrétiens,  où  j'ai  à  me 
plaindre  de  l'indigne  abus  que  vous  faites 
de  nos  plus  grandes  solennités;  vous  y  re- 
gardez comme  passé  le  temps«de  la  péni- 
tence que  vous  auriez  à  faire  ;  mais  quelle 
idée  avez-vous  donc  de  nos  augustes  mys- 
tères, nos  fêtes  saintes  sont-elles  donc  éta- 
blies pour  flatter  votre  délicatesse;  l'Eglise 
pure  et  sans  tache,  sortie  avec  son  époux  de 
la  poussière  du  tombeau,  donne  aujourd'hui 
des  marques  d'une  joie  santé.  11  est  vrai,  un 
petit  nombre  de  chrétiens,  vraiment  ressus- 
cites, peuvent  donner  quelques  marques 
d'allégresse,  et  faire  éclater  leur  joie  en  ce 
saint  temps,  je  l'avoue;  mais  vous,  ou  qui 
êtes  encore  dans  les  liens  de  la  mort,  ou  qui 
du  moins  encore  vous  en  portez  l'image,  peut- 
être  en  qui  Jésus-Christ  n'est  point  encore 
ressuscité,  la  joie  doit-elle  être  votre  par- 
tage? est-ce  là  ce  que  votre  devoir  vous  de- 
mande, êtes-vous  un  pécheur  à  donner  in- 
tervalle à  vos  gémissements;  vos  péchés 
sont-ils  assez  pleures,  ne  vous  demandent- 
ils  pas  quelques  nouvelles  larmes;  est-ce 
trop  d'une  pénitence  de  toute  sa  vie  pour 


687 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SLRIAN. 


6«S 


réparer  des  égarements  qui  n'ont  point  eu 
de  bornes;  peut-on  les  oublier  en  si  peu  de 
temps,  et  tant  qu'on  s'en  souvient,  peut-on 
ne  pas  s'en  affliger  pour  obliger  le  Seigneur 
à  vous  les  pardonner;  est-ce  trop  que  d'a- 
bandonner à  leur  expiation  ce  reste  malheu- 
reux de  jours  qu'il  vous  laisse  pour  cela  ; 
votre  tristesse  se  doit-elle  laisser  interrom- 
pre sitôt  :  vous  voulez  qu'à  la  fin  de  la  sainte 
quarantaine,  tout  exercice  pénible  et  affli- 
geant cesse  en  vous  ;  mais  tout  péché  y  aura- 
t-il  aussi  sa  fin,  comme  si  la  passion  du 
Sauveur  n'allait  pas  bientôt  recommencer 
dans  votre  âme,  par  la  rechute  du  péché, 
comme  si  l'appareil  de  toutes  ses  souffran- 
ces n'était  pas  encore  entier  dans  nos  cœurs, 
comme  si  le  temps  même  où  nous  allons  en- 
trer n'offrait  pas  l'occasion  de  commettre  de 
plus  grands  désordres,  comme  si  les  com- 
pagnies et  les  assemblées  plus  fréquentes 
n'étaient  pas  la  triste  résurrection  du  péché, 
et  la  source  fatale  de  la  corruption  du  cœur  : 
lugentibus  et  flentibus.  Ah  !  qu'une  âme 
vraiment  convertie  prend  des  résolutions 
bien  plus  salutaires  :  la  perte  de  son  Dieu 
l'avait  rendue  inconsolable,  et  quand  elle  le 
retrouve  elle  en  devient  plus  tranquille  ;  mais 
cette  tranquillité  n'exige  point  que  ces  dou- 
leurs cessent,  elle  n'ose  ôterl'appareil  quand 
à  peine  ces  plaies  sont  fermées,  elle  sait 
bien  que  plus  la  privation  de  Jésus-Christ 
lui  a  été  amère,  plus  elle  doit  embrasser  et 
aimer  ce  qui  lui  conserve  sa  bienheureuse 
possession.  Que  de  faible  pénitent,  il  peut 
devenir  un  pécheur  outré  sorti  du  tombeau 
de  ses  iniquités,  il  peut  aisément  y  redes- 
cendre, si  une  pénitence  continuelle  ne  le 
préserve  du  vice  :  lugentibus  et  flentibus  ;  il 
trouve  dans  les  plaies  de  Jésus-Christ  un  at- 
traitetdes  motifs  bien  touchants, pour  ne  plus 
essayer  du  monde  et  des  folles  joies  après  sa 
résurrection,  et  il  s'écrie  avec  l'âme  fidèle  : 
Seigneur ,  en  quelque  état  que  je  me 
trouve  au  milieu  môme  de  ces  joies  inté- 
rieures qu'on  ne  peut  se  refuser,  je  n'ou- 
blierai point  vos  i  laies  adorables,  je  me  dirai 
sans  cesse  £  moi-môme,  que  vous  ne  les 
laissiez  toujours  ouvertes  que  pour  m'inviter 
à  tout  moment  à  y  entrer.  Ah!  je  veux 
que  dans  mon  cœur,  comme  dans  le  vôtre 
elles  soient  pour  moi-môme  une  source  de 
grâces,  les  précieux  gages  de  mon  salut  et 
le  sceau  sacré  de  ma  prédestination  éter- 
nelle. Êntfez,  chrétiens,  dans  ces  dispositions 
saintes,  elles  achèveront  votre  conversion; 
mais  après  en  avoir  vu  les  voies  dans  les 
démarebcs  de  pieuses  femmes  de  notre 
évangile,  sentez  encore  les  avantages  par 
le  succès  bienheureux,  qui  suive  leur  em- 
pressement. Je  n'en  dirai  que  deux  paroles 
pour  laisser  tout  le  temps  aux  solennités  de 
l'Eglise. 

SECOND   POINT. 

Les  plus  doux  avantages  que  trouve  dans 
sa  conversion  une  âme  véritablement  renou- 
velée, c'est  de  ne  rencontrer  que  d'heureu- 
ses facilités  dans  tout  ce  qui  lui  avait  paru 
d'invincibles  obstacles,  c'est  de  trouver  tout  ce 


qu'elle  avait  souffert  dans  la  recherche  em- 
pressée de  son  Dieu,  abondamment  récom- 
pensée par  sa  résurrection  en  elle.  C'est  de 
reconnaître  des  gages  assurés,  de  le  contem- 
pler un  jour  dans  Je  royaume  de  sa  gloire; 
or,  ces  trois  avantages  pourraient-ils  mieux 
nous  être  exprimés  que  dans  ce  qui  se  passe 
dans  les  saintes  femmes  de  l'évangile  de  ce 
jour  :  d'abord  cette  pierre  si  pesante,  qui 
ferme  le  tombeau  de  Jésus-Christ,  leur  pa- 
raît un  obstacle  insurmontable  ;  cependant 
dès  qu'elles  arrivent  la  pierre  se  trouve  levée 
sans  qu'elles  aient  fait  le  moindre  effort  pour 
cela  :  Invenernnt  revolutum  lapident  a  monu- 
mento.  Ensuite  elles  se  fussent  trouvées  heu- 
reuses de  pouvoir  embaumer  le  corps  de 
Jésus-Christ,  et  un  ange  se  présente  à  elles 
qui  leur  dit  qu'il  est  ressuscité :Dixit  mulie- 
ribus  :  Surrexit.  Enfin,  comme  cette  douleur 
où  elles  étaient  d'avoir  perdu  le  Sauveur, 
ne  pouvait  être  bien  consolée  que  par  lui- 
même,  on  les  assure  que  bientôt  elles  le 
rencontreront  par  l'éclat  de  sa  gloire  qui  leur 
frappera  les  yeux  :  etibi  eum  videbitis. 

Ali  !  que  peut  goûter  de  plus  doux  une 
âme  qui  retourne  sincèrement  à  vous  ,  ô  mon 
Dieu!  Ces  avantages  sont  si  aimables,  ce- 
pendant, lâches  pécheurs,  ils  ne  peuvent 
toucher  votre  insensibilité. 

1°  D'abord,  je  le  sais,  en  ces  saints  jours, 
où  tout  est  impression  de  grâces,  vous  vous 
êtes  dit  à  vous-même  :  Je  voudrais  bien  re- 
venir à  mon  Dieu;  il  y  a  si  longtemps  que 
je  suis  dans  sa  haine;  mais  quelle  appa- 
rence y  a-t-il  que  je  puisse  quitter  cette 
vieille  habitude,  me  défaire  de  ce  genre  de  vie 
qui  s'est  changé  chez  moi  en  une  deuxième 
nature,  et  qui  ayant  endurci  mon  cœur  dans 
le  néclié,  en  a  fait  une  pierre  si  pesante  et 
si  lourde  :  Quis  revolvetnobis  lapident  ab  ostio 
monumenti? 

Ah!  pourquoi  vous  intimider  ainsi  vous- 
mêmes?  Ces  frayeurs  ne  viennent  point  de 
Dieu,  mais  de  sa  miséricorde;  qu'il  tremble 
lui-même,  cet  ennemi,  qu'il  frémisse,  qu'il 
s'alarme,  à  la  vue  d'une  pénitence  qui  ne  doit 
être  funeste  que  pour  lui ,  qui  lui  enlève  ses 
conquôtes;  mais  vous,  pourquoi  vous  effrayer 
du  plus  grand  bonheur  de  votre  âme  J  la 
piété  a  des  rigueurs,  je  l'avoue;  et  puisque 
Jésus-Christ  le  dit  lui-même,  je  n'ai  garde,  en 
changeant  ainsi  le  langage  de  l'esprit  de 
Dieu,  de  vouloir  ôteràcette  précieuse  vertu 
le  caractère  d'expiation  du  péché,  si  conso- 
lant pour  l'âme  juste  ;  mais  je  puis  vous  as- 
surer que  quelque  grandes  que  vous  parais- 
sent ces  difficultés,  elles  seront  bientôt 
aplanies,  quand  vous  l'aurez  embrassé  et  que 
vous  y  marcherez  avec  courage  :  les  saintes 
femmes  trouvèrent  la  pierre  levée,  quelque 
grosse  qu'elle  fût  :  et  respicientes  viderunt 
revolutum  lapident  ;  erat  quippe  magnus  valde. 

Ces  obstacles  vous  paraîtront  légers,  ces 
dégoûts  passeront,  ces  horreurs  s'adouci- 
ront, lorsque  vous  prendrez  la  voie  du  salut, 
tpie  vous  ne  la  quitterez  point  par  incons- 
tance et  par  lâcheté ,  que  vous  ferez  marcher 
devant  la  pénitence  une  foi  vive,  une  espérance 
ferme,  une  volonté  sincère;    vous  verrez 


PETIT  CAREME.   —  SERMON  VIII ,  RE  LA  RESURRECTION  DE  J.C. 


690 


bientôt  ces  difficultés  s'évanouir  et  disparaî- 
tre à  vos  yeux,  comme  un  fantôme  :  et  respi- 
cientes  viderunt  revolutum  lapidem;  là-des- 
sus, si  vous  aviez  quelque  doute,  malgré 
l'assurance  que  je  vous  en  donne,  interrogez 
une  de  ces  âmes  pieuses  qui,  ayant  trouvé 
pour  leur  conversion  les  mômes  difficultés 
que  vous,  ont  eu  la  consolation  de  les  voir 
levées  et  de  trouver  une  heureuse  facilité 
dans  les  voies  de  la  justice  :  Interroga  pa- 
trem  tuum  et  annuntiabit  tibi,  tuis  majores,  et 
dicenttibi.  (Deut.,  XXXII.)  Ah!  elle  vous  dira 
qu'elle  a  bien  éprouvé  que  le  propre  de  la 
grâce  de  Jésus-Christ  est  de  changer  en  une 
bien  plus  heureuse  facilité  tous  les  obstacles 
qui  semblaient  les  plus  insurmontables,  de 
vaincre  l'habitude  et  d'aplanir  les  plus 
grandes  difficultés;  elle  vous  dira  que.  pres- 
que dès  le  premier  pas,  elle  a  senti  ses  alarmes 
se  tourner  en  douces  espérances,  ses  peines 
en  douces  consolations  ;  qu'avant  de  se  mettre 
dans  la  voie,  elles  avaient,  comme  vous,  un 
poids  d'autant  plus  difficile  à  surmonter, 
qu'il  lui  plaisait  même  en  l'accablant,  qu'elle 
avait  de  l'attachement  comme  vous  à  un  ob- 
jet malheureux  qu'elle  désespérait  de  vain- 
cre, et  dont  elle  croyait  ne  pouvoir  jamais  se 
passer;  que  cependant,  par  la  force  invisible 
de  la  grâce  de  son  Dieu ,  cet  objet  si  cher  est 
tout  d'un  coup  sorti  de  son  cœur,  qu'elle  a 
de  la  peine  à  se  reconnaître  elle-même,  tant 
elle  est  changée ,  qu'elle  se  resserre,  et  ne  se 
trouve  plus,  que  cette  pierre  qui  l'effrayait 
si  fort  n'a  pu  cependant  être  sitôt  levée  que 
par  un  secours  d'en  haut;  mais  que  la  grâce 
détache  sans  peine  ;  qu'elle  a  une  suavité  qui 
rend  la  pénitence  plus  aimable  que  les  vo- 
luptés les  plus  sensibles,  et  qui  fait  qu'une 
âme  attendrie  aime  mieux  ses  douleurs  et 
ses  larmes  que  tous  les  plaisirs  et  les  vaines 
joies  de  la  terre  :  viderunt  revolutum  lapi- 
dem. 

Ahl  si  vous  pouviez  l'entendre,  cette  âme 
touchée  et  désabusée  ,  qu'elle  vous  rendrait 
jalouse  de  son  sort,  qu'elle  vous  mettrait  au 
point  d'envier  sa  destinée  1  elle  vous  ferait 
connaître  que  ce  qui  causait  autrefois  sa 
frayeur  fait  maintenant  toute  sa  joie;  que  la 
journée  de  sa  vie  où  elle  a  goûté  le  plus  sen- 
sible bonheur  a  été  celle  de  sa  conversion  ; 
que  si  la  vie  nouvelle  a  des  amertumes  et 
des  aigreurs,  la  charité  les  corrige  et  les  con- 
vertit en  douceurs  ;  que  l'on  est  bien  coupa- 
bles de  n'oser  entrer  dans  cette  terre  si  déli- 
cieuse, où  coulent  le  miel  et  le  lait,  et  où  au 
lieu  de  monstres  qu'on  se  figure,  on  ne  trouve 
que  des  anges  de  paix  et  des  sujets  de  con- 
solation. Enfin,  au  lieu  de  vous  effrayer  par 
ces  austérités  si  rudes  en  apparence ,  par  ces 
rigueurs  qui  vous  révoltent  si  fort,  interro- 
gez les  vrais  serviteurs  de  Dieu,  ces  vérita- 
bles convertis  :  Jnterroga  majores  luos  et  di- 
centtibi; ils  vous  diront  comme  Esdras  dit 
au  peuple  qui  s'affligeait  sur  l'explication  de 
la  loi  :  Nolite  contristari  gaudium,  enim  Do- 
mini  est  foriitudo  nostra  (II  Esdr.,  VIII),  ne 
nous  plaignez  pas  dans  notre  pénitence.  Nous 
sommes  les  heureux  de  cette  vie,  et  vous  les 
misérables;  la  joie  de  Dieu  fait  tonte  notre 


force  ;  nous  sentons  un  si  grand  plaisir  à  sa- 
tisfaire pour  nos  péchés  la  justice  du  Sei- 
gneur, que  la  pénitence  la  plus  rigoureuse 
ne  paraît  rien  à  notre  zèle  :  gaudium  Do- 
mini  est  fortitudo  nostra;  il  donne  un  si  doux 
charme  à  nos  douleurs,  que  nous  ne  les  sen- 
tons point;  il  verse  sur  nos  travaux  et  sur 
les  plus  pénibles  exercices  de  la  piété,  des 
consolations  si  aimables,  qu'ils  deviennent 
pour  nous  des  joies  ineffables  :  gaudium 
Domini,  etc.  ;  d'ailleurs  les  délices  toutes  cé- 
lestes qu'il  nous  prépare  après  nos  mortifica- 
tions et  nos  austérités,  nous  encouragent  cf 
nous  fortifient  à  les  souffrir  :  gaudium  Do- 
mini, etc.  ;  le  plaisir  même  qu'une  expia- 
tion lui- cause  nous  anime  et  nous  soutient: 
gaudium  Domini,  etc. 

Ah  1  plût  à  Dieu  que  vous  voulussiez  en 
faire  l'expérience  !  Que  bientôt  vous  chan- 
geriez de  sentiment,  dclangage  !  Oui,  comme 
vous  le  dites,  la  pénitence  de  loin  paraît 
triste,  inquiète,  accablante;  mais  essayez- 
en  ;  c'est  un  poids  que  rien  ne  peut  soulager, 
et  c'est  l'ennemi  mortel  de  la  nature  ;  mais 
essayez-en  ;  on  n'y  trouve  ni  délices,  ni 
plaisirs,  ni  contentements;  elle  n'offre  qu'a- 
mertumes, que  dégoûts  ;  mais  essayez-en. 
Ah  !  que  si  une  fois  vous  en  aviez  goûté,  que 
bientôt,  gagnés  par  ses  charmes,  vous  senti- 
riez que  le  fardeau  de  Jésus-Christ  rend  con- 
tents ceux  qui  le  portent,  et  que  si  la  con- 
version a  quelques  peines,  elle  sont  bien 
payées  par  celui  qui,  en  les  agréant,  a  porté 
plus  de  bonheur  que  toutes  ces  peines  ne 
sont  grandes,  et  qui  donne  cette  joie  et  cette 
consolation  de  pouvoir  dire  :  Jésus-Christ 
est  ressuscité  en  moi  et  moi  en  lui  :  Dixit 
mulicribus  :  Surrexit.  Car  voilà  le  second 
avantage  de  la  conversion  :  c'est  qu'on  sent 
bien  que  ce  Dieu  aimable,  qu'on  avait  fait 
mourir  dans  son  âme  par  le  péché,  y  est  re- 
devenu vivant  par  la  pénitence  ;  que  ce  germe 
divin  que  nous  avions  étouffé  influe  dans 
nous  la  résurrection  et  la  vie,  et  que  l'homme 
nouveau  me  renouvelle  tout  entier.  Ah  !  dans 
moi  nouveau  projets,  nouvelles  intentions, 
nouvelles  maximes  ou  nouvelles  pensées, 
nouveaux  jugements  :  voilà  pour  l'esprit; 
en  moi  nouvelle  joie,  nouvelle  tristesse, 
nouveau  goût,  nouvelle  crainte,  nouvel  in- 
térêt, nouvelle  espérance,  nouvel  amour, 
nouvelle  aversion,  nouveaux  désirs,  nou- 
veaux plaisirs,  nouvelles  passions  :  voilà 
pour  le  cœur;  en  moi  nouvelles  forces,  nou- 
velles affaires,  nouveaux  soins,  nouvelles 
occupations,  nouveauxcommerces,  nouveaux 
usages,  nouveaux  yeux,  nouvelle  langue, 
nouveaux  discours,  nouvelles  actions,  vie 
nouvelle  :  voilà  pour  le  corps  :  Novus  homo 
rénovât  omnia.  Tout  se  renouvelle  en  celui 
qui  est  converti;  on  se  sent  une  âme  nou- 
velle; on  est  créé  une  seconde  fois;  ce  n'est 
plus  nous  qui  vivons,  c'est  lui  qui  vit  en 
nous;  c'est  l'homme  nouveau,  mais  plus 
saint,  plus  grand,  plus  noble  que  nous,  qui 
a  pris  notre  place;  il  aime,  il  agit,  il  parle,  il 
voit,  il  pense  en  nous  et  ne  se  manifeste  plus 
que  par  l'image  de  son  renouvellement  : 
Novus  homo  rénovai  omnia. 


691 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  St'RlAN. 


C92 


3°  Cet  avantage  est  sans  cloute  bien  grand, 
mes  frères  ;  mais  qu'a-t-il  de  comparable  à 
celui  de  voir  bientôt,  face  à  face  Jésus-Christ 
ressuscité.  Celui  des  pieuses  femmes  de 
notre  évangile  fut  à  son  comble,  lorsque 
l'ange  leur  apprit  que  Jésus  se  trouverait 
avant  elles  en  Galilée,  qu'elles  l'y  verraient 
bientôt  :  Prœcedet  vos  in  Gaiilœam;  ibi  eum 
videbitis. 

Mon  Dieu,  que  res  dernières  paroîes  ren- 
ferment de  consolations  pour  ceux  qui  sont 
vraiment  ressuscites  ;  oui,  nous  le  verrons  un 
jour  dans  le  ciel  :  ibi  eum  videbitis.  Tandis 
que  le  monde  ne  prépare  aux  pécheurs  qu'un 
avenir  plein  de  misères,  qu'il  ne  leur  offre 
que  des  inquiétudes  et  des  alarmes,  la  con- 
version nous  donne  une  espérance  solide,  et 
fait  renaître  en  nous  cette  douce  assurance 
de  posséder  un  jour  Jésus-Christ.  Maintenant 
que  nous  habitons  encore  une  terre  :  dixit; 
que  nous  ne  sommes  qu'en  passant  dans  ce 
monde,  nous  ne  le  voyons  qu'en  énigmes  et 
en  figures;  il  se  dérobe  à  nous-mêmes  et 
à  notre  vue  pour  exercer  notre  foi  et  éprou- 
ver notre  fidélité;  mais  alors,  citoyens  de  la 
Jérusalem  céleste,  nous  le  contemplerons 
face  à  face  :  ibi  eum  videbitis. 

Ame  fidèle  ,  qui  ne  pouvez  ici  que  le  dé- 
sirer, qui  ne  faites  que  le  goûter,  que  l'at- 
tendre, ah  !  vous  le  verrez  bientôt  ce  Dieu  si 
doux,  cet  objet  si  aimable,  qui,  absent,  fait 


toute  votre  attente,  tout  votre  attachement  ; 
qui,  présent,  fera  tout  votre  bonheur,  toute 
votre  félicité  ;  et  ce  bonheur  vous  est  d'au- 
tant plus  assuré,  qu'il  l'a  promis  lui-même, 
qu'il  est  appuyé  sur  le  témoignage  infaillible 
de  sa  divine  "parole,  et  qu'il  l'a  prédit  lui  - 
même  de  loin  comme  on  fait  des  grandes 
choses  :  sicut  ego  pradixi  vobis. 

Mon  Dieu,  qu'on  se  saura  bon  gré  de 
s'être  laissé  gagner  aux  mouvements  tendres 
de  votre  grâce,  qu'on  s'applaudira  d'être  en- 
tré dans  les  voies  de  pénitence  qui  sont  les 
seules  capables  de  conduire  les  pécheurs  au 
salut,  que  l'on  se  réjouira  du  dessein  qu'on 
a  pris  de  se  consacrer  entièrement  à  Jésus- 
Christ,  qu'on  appellera  le  jour  heureux  de  sa 
vie  celui  de  sa  conversion,  qu'on  se  souvien- 
dra du  peu  de  comparaison  qu'il  y  a  à' faire 
entre  les  rigueurs  d'une  pénitence  passagère 
et  les  biens  immenses  qui  en  doivent  reve- 
nir, que  cette  vue  portera  de  joie  dans  vos 
cœurs,  qu'elle  mettra  de  lumières  dans  vos 
esprits,  que  vous  serez  bien  consolés,  heu- 
reux pénitents,  de  ces  larmes  et  de  cette 
tristesse  apparente  que  vous  offre  la  conver- 
sion, puisqu'elles,  vous  feront  trouver  votre 
Sauveur,  et  avec  lui  l'immortalité  bienheu- 
reuse dont  sa  résurrection  est  le  gage  pré- 
cieux :  ibi  eum  videbitis  sicut  ego  prœdixi 
vobis.  C'est  ce  que  je  vous  souhaite  au  nom  du 
Père  et  du  Fils  et  du  Saint-Esprit.  Amen. 


SERMONS  POUR  LE  CARÊME 


(2) 


SERMON  I"  (3). 

DU    JEUNE. 

Sanctificate  jejunium.  (Joël-,  II.) 
Sanctifiez  votre  jeûne. 

C'était  sans  doute,  Messieurs,  un  specta- 
cle bien  touchant,  lorsqu'après  le  désordre 
du  peuple,  on  voyait  sortir  du  sanctuaire  le 
pontife  du  Seigneur,  qui,  saisi  d'une  tris- 
tesse profonde,  sous  le  sac  et  dans  la  cendre, 
annonçait  d'une  voix  lugubre  le  lemps  mar- 
qué de  l'expiation  des  péchés,  et  c'est  dans 
une  disposition  toute  pareille,  qu'après  ces 
jours  déplorables,  qui  ont  été  comme  une 
apostasie  publique  de  la  piété,  et  un  renon- 
cement déclaré  au  christianisme,  je  parais 
dans  ce  saint  lieu  la  tristesse  dans  le  cœur, 
la  cendre  sur  la  tête,  pour  offrir  à  mes  audi- 
teurs une  carrière  do  douleur,  et  que  je 
viens  vous  adresser  à  tous  cette  grande  pa- 
role, qui  est  comme  l'indication  générale  du 
jeûne,  et  comme  le  signal  de  la  pénitence 
connue  de  tous  les  chrétiens.  Sanctificate 
jejunium. 

Qu'ici  finissent  les  offenses  :  c'est  trop 

(2)  Nous  indiquerons  par  des  notes  les  sermons 
imprimés  dans  l'édition  de  Liège;  tous  les  autres  le 
sont  pour  la  première  fois.  Nous  avons  préféré  sui- 
vre le  manuscrit  pour  ceux  déjà  imprimés,  dan» 


avoir  irrité  Dieu  par  nos  crimes;  il  est  temps 
enfin  de  l'apaiser  par  notre  pénitence.  Ah  1 
lorsqu'aujourd'hui,  entre  le  vestibule  et  l'au- 
tel, les  ministres  du  Seigneur  fondent  en 
larmes,  que  tout  conspire  à  vous  rendre  fa- 
vorable la  miséricorde  du  Seigneur  ,  que 
l'Eglise,  toute  gémissante,  prend  des  orne- 
ments de  tristesse,  supprime  ses  cantiques 
d'allégresse  et  de  joie,  et  fait  monter  jus- 
qu'au ciel,  dans  un  appareil  lugubre,  cette 
prière  touchante.  O  Dieu!  daignez  regarder 
d'un  œil  de  compassion  ces  misérables  pé- 
cheurs, pardonnez-leur  charitablement  leurs 
offenses,  prenez  pitié  de  leur  état  déplora- 
ble; vous,  Messieurs,  qui  êtes  les  tristes  ob- 
jets des  larmes  et  des  soupirs  de  cette  mère 
tendre  pour  seconder  ses  intentions  et  rom- 
pre le  mur  de  séparation  qui  est  entre  Dieu 
et  vous,  sanctifiez  donc  votre  jeûne,  qui  est 
la  plus  favorable,  et  peut-être  l'unique  res- 
source que  la  miséricorde  vous  offre  :  San- 
ctificate, etc. 

Non,  Messieurs,  ne  vous  contentez  pas 
d'un  jeûne  qui  ne  soit  qu'un  simple  retran- 
chement de  la  nourriture  ordinaire,  et,  si 

l'intérêt  de  l'unité  de  la  présente  reproduction. 

(3)  Imprimé  dans  l'édition  de  Liège  ,  tome  1", 
page  1. 


695 


CAR2ME.   -   SERMON  I",    DU  JEUNE. 


C04 


jusqu'ici  vous  avez  cru  que  c'en  était  assez, 
comprenez  aujourd'hui  qu'un  tel  jeûne,  qui 
n'est  point  consacré  par  la  pratique  des  ver- 
tus et  par  les  œuvres  de  la  religion,  loin 
d'être  pour  vous  un  mérite  et  un  appui  au- 
près de  Dieu,  n'est  qu'un  amusement  et  une 
illusion;  mais  si  vous  voulez  qu'il  vous 
sanctifie  comme  il  sanctifia  les  Israélites, 
qu'il  vous  instruise  de  la  loi  de  Dieu  comme 
Moïse  ;  qu'il  vous  préserve  de  la  persécution 
comme  David,  qu'il  vous  procure  une  force 
plus  commune,  comme  à  Samson,  qu'il  vous 
mette  en  main  les  clefs  du  ciel,  comme  à 
Elie,  qu'il  vous  soit  un  germe  d'innocence, 
comme  à  Samuel,  qu'il  vous  affermisse  dans 
la  vertu,  comme  Daniel,  qu'il  suspende  dans 
la  main  de  Dieu  la  foudre  toute  prête  à  par- 
tir, comme  il  fit  à  Ninive,  qu'il  vous  arme 
de  zèle  et  de  courage,  comme  Judith  ,  qu'il 
vous  couronne,  comme  Esther,  qu'il  vous 
fasse  prendre  pour  un  ange,  pour  un  Dieu, 
comme  Jean-Baptiste,  qu'il  vous  rende  vic- 
torieux de  toutes  les  tentations,  comme  Jé- 
sus dans  le  désert,  qu'il  soit  enfin  pour  vous 
une  pénitence  salutaire  et  un  préservatif  ex- 
cellent, le  trésor  de  toutes  les  vertus,  et  l'ex- 
piation de  tous  les  vices,  sanctifiez-le  :  San- 
ctificate  jejunium. 

Mais  en  quoi  consiste-t-elle,  cette  sancti- 
fication ?  Je  la  réduis  à  deux  choses  :  1°  à 
joindre  au  jeûne  ordinaire  le  jeûne  des  sens, 
c'est-à-dire  leur  mortification;  2°  à  toujours 
accompagner  le  jeûne  ordinaire  du  jeûne 
du  cœur,  c'est-à-dire  sa  réforme;  voilà  ce 
que  les  saints  ont  appelé  sanctifier  le  jeûne, 
et  parce  que  l'on  ne  se  met  point  en  peine 
dans  le  monde  de  ce  jeûne  des  sens  et  du 
cœur,  j'avance,  en  conséquence  de  ce  prin- 
cipe, une  proposition  qui  doit  faire  trembler 
tou's  ceux  qui  m'écoutent,  c'est  que  parmi 
la  multitude^  des  fidèles  qui  depuis  long- 
temps observent  le  carême,  nul  n'a  peut- 
être  jeûné  selon  l'esprit  de  la  loi,  c'est  que 
peut-être  tous  leurs  jeûnes  sont  infructueux, 
et  pourquoi,  encore  une  fois? 

1°  C'est  que  nul  ne  joint  au  jeûne  ordi- 
naire le  jeûne  des  sens.  Première  raison. 

2°  C'est  que  personne  n'accompagne  le 
jeûne  ordinaire  du  jeûne  de  cœur.  C'est  la 
seconde,  et  tout  mon  dessein. 

Plus  ces  vérités  sont  terribles,  plus  elles 
demandent  d'attention,  et  plus  j'ai  besoin 
de  lumières  pour  vous  les  éclaircir.  Dieu 
puissant,  qui  daignez  les  mettre  dans  la 
bouche  du  plus  faible  ministre,  pour  les 
annoncer  à  votre  peuple ,  ne  me  refusez  pas 
les  secours  qui  me  sont  nécessaires,  signa- 
lez dès  l'entrée  de  ma  carrière  les  premiers 
coups  de  votre  grâce.  Je  vais  parler  aux 
oreilles  de  mes  auditeurs,  portez  jusqu'au 
fond  de  leurs  cœurs  le  glaive  de  la  pénitence, 
c'est  ce  que  nous  vous  demandons  par  l'en- 
tremise de  Marie.  Ave,  Maria, 

PREMIER    POINT. 

Quand  je  dis  que  dans  le  monde  personne 
ne  jeûne  selon  le  véritable  esprit,  je  n'atta- 
que pas  les  sensuels  et  les  impies  qui  n'ont 
point  d'autres  lois  que  leurs  passions,  je 


n'en  veux  point  non  plus  à  ceux  qui,  alar- 
més au- premier  coup  d'une  pénitence  passa- 
gère, pour  ménager  une  santé  chancelante, 
allèguent  des  prétextes  spécieux,  qui  n'ont 
rien  de  véritable,  secouent  le  joug  du  jeûne 
solennel  établi  par  l'Eglise,  et  affaiblissent 
par  leur  mauvais  exemple  la  force  du  pré- 
cepte; je  ne  parle  pas  de  ces  chrétiens  lâches 
et  délicats  qui,  par  des  adoucissements  et 
des  raffinements  inconnus  à  nos  pères,  dé- 
shonorent la  sainte  abstinence  du  carême,  ou 
qui,  dans  leurs  repas,  passent  les  bornes 
prescrites,  et,  loin  de  garder  le  jeûne,  n'ob- 
servent pas  même  la  sobriété.  Je  laisse  en- 
core à  part  tant  de  personnes  abusées  qui, 
sous  prétexte  de  l'âge,  du  sexe,  de  la  nais- 
sance, du  rang,  de  la  complexion,  des  em- 
plois ,  se  dispensent  de  celle  obligation 
commune,  et  qui,  infirmant  par  mollesse  les 
sacrés  commandements,  par  mollesse  aussi 
demeurent  impénitents;  je  ne  m'élève  point 
enfin  contre  ces  hypocrites  qui  se  font  une 
religion  de  demander  à  l'Eglise  le  droit  de 
la  tromper,  qui  font  servir  leur  dispense  à 
leur  sensualité,  dispense  que  leur  propre 
conscience  leur  refuse,  et  qui,  obtenue  con- 
tre l'intention  de  l'Eglise,  devient  un  viole- 
ment  nouveau.  Eh!  comment  toutes  ces  sor- 
tes de  gens  suivraient-ils  l'esprit  du  jeûne, 
ils  n'en  observent  pas  même  le  corporel,  et 
par  où  seraient-ils  pénitents?  ils  ne  sont  pas 
même  fidèles  !  Non,  Messieurs,  malgré  cetle 
multitude  si  énorme,  mon  discours  ne  tombe 
point,  c'est  vous  qui  vous  croyez  plus  fidèles 
à  la  sainte  loi  du  carême,  et  j'ose  dire  qu'il 
en  est  encore  peu  parmi  vous  qui  remplis- 
sent la  vérité  de  cet  oracle,  qui  est  un  pré- 
cepte sans  lequel  on  se  damne,  sanctifiez 
votre  jeûne  :  Sanctificate  jejunium. 

Pour  vous  convaincre  de  cette  obligation 
et  du  malheur  de  ceux  qui  la  violent,  re- 
montons au  principe  du  précepte  et  à  la  fin 
de  son  institution.  Que  s'est  proposé  Jésus- 
Christ  dans  l'établissement  du  jeûne?  N'est- 
ce  pas  la  mortification  des  sens?  donc  pour 
entrer  dans  son  esprit  il  faut  joindre  au  jeûne 
ordinaire  le  jeûne  des  sens,  et  la  raison  en 
est  évidente  :  avant  que  le  péché  les  eût 
souillés,  le  péché  leur  était  naturel,  mais 
depuis  leur  péché,  presque  tous  leurs  usages 
étant  devenus  criminels,  rien  n'est  plus  juste 
que  de  les  faire  servir  au  jeûne  et  à  la  péni- 
tence, 1"  en  les  séparant  de  ce  qui  les  flatte, 
2°  en  les  appliquant  à  ce  qui  les  sanctifie. 

Aussi  pour  établir  ce  premier  jeûne  des 
sens,  qui  est  une  séparation  entière  de  ce  qui  ■ 
les  flatte,  l'Eglise  nous  adresse  ces  paroles 
si  saintes  :  Parlons  moins,  veillons  davantage, 
retranchons  de  nos  plaisirs,  de  nos  commo- 
dités, de  nos  aises  pendant  ce  saint  teams  de 
pénitence. 

Ah!  que  l'explication  que  nous  en  donne 
saint  Bernard  est  pleine  de  grâce  et  d'onc- 
tion! Qu'en  ce  saint  temps,  dit-il,  tous  vos 
sens  jeûnent.  Il  ne  dit  pas  qu'ils  ne  doivent 
jeûner  que  le  carême,  tous  nos  jours  sont  à 
Dieu,  et  comme  il  n'en  est  pas  où  il  ne  soit 
offensé,  il  n'en  est  point  aussi  où  l'on  ne  doive 
faire  pénitence;  mais  ce  Père  dit  en  ce  saint 


693 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  Sl'RIAN. 


69£ 


temps,  Jésus-Christ  l'a  consacré,  la  pénitence 
le  sanctifia,  l'Eglise  l'a  déterminé,  des  grâces 
plus  abondantes  y  découlent;  il  est  établi 
pour  découvrir  nos  plaies  et  lâcher  de  les 
guérir  par  des  remèdes  propres,  le  carême 
e  t  comme  la  dîme  des  termes  et  de  la  péni- 
tence que  nos  sens  doivent  à  Dieu;  et,  dans 
un  temps  consacré  à  la  pénitence,  refuser  de 
lui  payer  cette  dette,  ce  serait  un  crime  des 
plus  énormes.  Que  l'oreille  jeûne  donc,  con- 
clut ce  dévot  Père,  que  l'œil  jeûne,  que  le 
corps  jeûne,  et  puisque  tout  l'homme  a  péché 
en  vous,  tout  ce  que  vous  ne  sacrifiez  point 
au  jeûne  devient  sacrilège  à  l'égard  de  Dieu  : 
Jejunet  auris,  jrjunet  ocutus  et  totum  corpus 
unumjejunium. 

Or,  sur  ce  principe,  je  vous  le  demande, 
Messieurs,  le  jeûne  chrétien  est-il  bien  com- 
mun clans  le  monde,  et  qui  de  vous  l'observe? 
En  ce  sens,  un  chrétien  qui  sanctifie  son 
jeûne,  qui  en  garde  l'esprit,  qui  en  espère 
le  mérite,  et  qui  veut  l'accomplir  d'une  ma- 
nière capable  d'apaiser  le  Seigneur  qu'il  a 
offensé,  c'est  un  homme  qui  se  dit  à  lui-même 
qu'il  doit  expier  ses  péchés,  ce  qui  ne  peut 
se  faire  qu'en  captivant  ses  sens,  qu'en  les 
détournant  des  objets  qui  ont  pu  et  qui  pour- 
raient encore  le  corrompre  :  Jejunet  totus 
homo.  Unchrét;en  qui  jeûne,  c'est  un  homme 
qui,  ayant  l'idée  qu'il  doit  avoir  de  la  sain- 
teté du  carême,  pour  punir  la  trop  grande 
liberté  de  ses  yeux,  ne  les  ouvre  que  sur  les 
misères  do  son  âme;  qui,  pour  les  punir  de 
quelques  regards  criminels,  leur  interdit 
même  les  regards  curieux,  et  oppose  sans 
cesse  la  modestie  à  ce  qui  pourrait  les  égarer  : 
jejunet  oculus;  un  chrétien  qui  jeûne  est  un 
homme  qui,  frappé  des  saintes  terreurs  des 
jugements  de  son  Dieu,  n'a  presque  plus  de 
parole,  et  regarde  le  langage  des  mondains 
comme  des  amusements  frivoles,  comme  des 
paroles  séduisantes,  comme  un  tissu  de  mé- 
disances et  de  mensonges,  et  qui,  pour  s'in- 
terdire tous  ces  entretiens  enjoués,  évite 
même  les  discours  les  plus  sérieux  :  jejunet 
lingua;  un  chrétien  qui  jeûne,  c'est  un  homme 
qui,  sourd  aux  mondanités  et  à  la  licence,  ne 
veut  plus  rien  entendre  de  flatteur  et  de  sédui- 
sant, ets'eslime  commeun  mort,  qui  n'anisen- 
t  i ment,  ni  organes,  ni  attention,  ni  curiosité  : 
jejunet  auris  ;  un  chrétien  qui  jeûne,  c'est  un 
homme  qui  ne  se  borne  point  au  simple  re- 
tranchement des  viandes  qui  sont  défendues, 
mortifie  encore  son  goût  jusque  dans  l'absti- 
nence, par  la  privation  volontaire  des  mets 
trop  délicats,  et  se  laisse  encore  la  faim  et  la 
soif,  que  Jésus-Christ  nous  fait  assez  voir 
être  de  l'essence  du  jeûne  -.jejunet  gustus; 
un  chrétien  qui  jeûne,  c'est  un  homme  qui 
fait  entrer  la  mortification  jusque  dans  la 
simplicité  de  ses  habits,  dans  la  modestie  de 
ses  démarches  et  de  son  air,  qui,  entrant 
dans  l'esprit  de  l'évangile,  se  dit  à  lui-même 
que  tout  ce  qui  éclate  n'appartient  point  à  un 
affligé,  que  (es  parures  et  les  riches  étoffes 
ne  conviennent  pointa  un  pénitent,  que  la 
robo  la  plus  sombre  ne  l'est  point  encore 
assez  pour  un  infortuné  qui  a  su  perdre  son 
innocence;  que  David,  qu'Ezéchias,  qu'Es- 


ther,  que  Ninive  étaient  dans  la  cendre,  dans 
les  pleurs,  dans  les  habits  de  deuil,  dans 
le  sac  et  dans  la  bure  pendant  le  temps  de 
leur  pénitence  et  de  leur  jeûne,  et  que 
si  tant  de  pécheurs  ne  paraissaient  autre- 
fois que  sous  la  rigueur  des  haires  et  dans 
l'âpreté  du  cilicc ,  il  doit  bien  prendre  des 
vêtements  plus  simples  que  le  reste  des 
hommes,  pour  porter  à  la  face  de  tous  ceux 
qu'il  avait  scandalisés  par  son  luxe  et  sa 
magnificence,  les  tristes  marques  de  sa  dou- 
leur et  de  sa  pénitence  :  jejunet  vestis;  enfin 
le  chrétien  qui  jeûne,  est  un  homme  qui  ré- 
pand surtout  lui-même  une  douleur  univer- 
selle, qui,  par  une  retraite  profonde,  s'arra- 
che par  un  seul  coup  de  tout  le  monde  en- 
tier, qui  se  rend  l'objet  de  toutes  les  mortifi- 
cations, fût-il  plus  propre  que  tout  le  monde, 
il  y  renonce  et  vient  aujourd'hui  dans  le  tem- 
ple pour  mourir  aux  plaisirs  et  à  toutes  les 
choses  profanes,  et,  comme  ces  hommes  de 
l'Ecriture  s'imaginant  toujours  voir  venir  la 
mort,  il  croit  qu'avec  la  cendre  mystérieuse 
qu'il  a  reçue  ce  matin ,  il  a  reçu  en  mémo 
temps  l'impression  de  la  mort,  et  se  regarde 
comme  une  victime  sur  qui,  chaque  jour  de 
sa  carrière,  il  doit  frapper  un  coup,  jusqu'à 
ce  que  sur  la  croix  il  puisse,  comme  son  di- 
vin Maître,  consommer  son  bienheureux  sa- 
crifice. 

Mon  Dieu,  qu'une  telle  hostie  vous  serait 
agréable!  qu'une  telle  victime  vous  réjoui- 
rait! et  que  de  bénédictions  et.  de  grâces  des- 
cendraient sur  elle  1 

Voilà  pourtant  jusqu'à  quels  degrés  doit 
aller  la  sanctification  de  notre  jeûne  ;  ce  ne 
sont  point  des  règles  hasardées  ou  arbitraires, 
c'est  un  précepte  dont  on  ne  peut  se  dispen- 
ser sans  crime;  quiconque  connaît  le  véri- 
table esprit  de  l'Eglise,  ne  peut  nous  repro- 
cher de  pousser  les  choses  à  l'excès,  car  en- 
fin, malgré  les  murmures  et  les  révoltes  de 
la  chair,  on  ne  peut  point  disconvenir  que  la 
loi  du  jeûne  ne  soit  une  loi  sainte  qu'il  ne 
faut  pas  profaner  ;  or  les  plaisirs  mondains 
ne  sont-ils  pas  aussi  profanes  que  les  ali- 
ments défendus,  et  si  on  se  fait  scrupule 
d'user  de  ceux-ci  pendant  le  jeûne,  pourquoi 
ne  regardera-t-on  pas  comme  juste  la  défense 
de  ceux-là,  et  pourquoi  celui  qui  use  des 
mets  interdits  par  l'Eglise  sera-t-il  plus  scan- 
daleux que  celui  qui  prodigue  ses  sens  con- 
tre l'esprit  et  l'intention  de  Jésus-Christ. 

Mais  s'il  en  est  ainsi,  comme  on  ne  peut 
en  douter,  depuis  que  vous  jeûnez,  avez- 
vous  observé  un  seul  carême  comme  il  faut? 
On  sait  bien  que  vous  vous  plaignez  de  sa 
sévérité  et  de  sa  longueur,  mais  avez-vous 
songé  à  le  sanctifier.  Aussi  esclave  de  vos 
sens  qu'auparavant,  vous  8vez  souhaité  de 
voir  bientôt  la  fin  de  la  sainte  quarantaine 
pour  goûter  avec  de  nouveaux  charmes  les 
fausses  délices  du  monde,  mais  pensez-vous 
à  faire  jeûner  chacun  de  vosjsens  en  par- 
ticulier? Vos  regards  ne  sont-ils  pas  aussi 
dissolus,  vos  paroles  aussi  licencieuses,  vos 
assemblées  aussi  profanes,  vos  visites  aussi 
mondaines,  vos  habits  aussi  immodestes, 
\otre  luxe  aussi  scandaleux?  Vous  portez 


607 


CAREME.  -  SERMON  I".  DU  JEUNE. 


608 


nicorcune  langue  médisante  dans  les  cercles 
<  tdan;  les  entretiens,  sur  les  défauts  de  votre 
I  rochain.  Vous  prêtez  encore  l'oreille  à  tout 
ce  qui  peut  remuer  et  allumer  vos  passions; 
encore  vos  yeux  tombent  et  s'arrêtent  sur 
tous  les  objets  aimables  qui  veulent  les 
frapper,  encore  vous  cherchez  à  flatter  votre 
délicatesse  dans  les  repas;  vous  fréquentez 
encore  les  spectacles ,  les  concerts ,  les 
théâtres,  la  bonne  chère,  les  académies  de 
jeu  et  de  divertissement  comme  auparavant, 
encore  l'on  voit  en  vous,  mômes  liaisons, 
mêmes  habitudes  de  mollesse,  mêmes  raf- 
finements de  sensualité.  On  ne  discerne  pas 
même  de  ces  jours  déplorables  qui  ont  pré- 
cédé, ces  jours  de  bénédiction  qui  exigent 
des  chrétiens  une  religion  plus  pure,  et  une 
vie  plus  mortifiée,  et  si  \e  carnaval  a  eu  ses 
extravagances  et  ses  désordres  particuliers, 
le  carême  a  ses  plaisirs  à  part,  des  amuse- 
ments et  des  joies  qui  lui  sont  propres.  On 
dirait  que  la  religion  ne  prescrit  le  carême 
que  comme  une  règle  de  bienséance  et  de 
police,  propre  à  entretenir  la  société  civile; 
vous  y  êtes  contents  de  vous-mêmes,  si  vous 
y  avez  évité  les  excès,  comme  s'il  vous  était 
"permis  d'être  voluptueux  et  mondains,  parce 
que  vous  êtes  sobres  et  tempérés,  comme 
si  vous  observiez  toutes  les  espèces  de 
jeûnes  commandés,  parce  qu'il  y  en  a  un 
que  vous  ne  violez  pas,  car  si  vous  mortifiez 
tous  vos  sens,  parce  qu'il  y  en  a  un  seul  qui 
se  mortifie,  et  encore  comment  se  mortihe- 
t-il?  tous  les  autres  sont  ennemis  de  la 
croix  de  Jésus-Christ  et  de  ses  souffrances, 
pardonnez-moi  ce  détail,  Messieurs,  il  faut 
le  dire.  Eh  pourquoi  seriez-vous  plus  hardis 
à  pécher  que  moi  à  vous  répondre  :  dans  la 
privation  des  viandes  défendues,  votre  mol- 
lesse trouve  encore  le  moyen  de  ne  rien 
perdre.  On  cherche  à  se  faire  du  plaisir  jus- 
que dans  le  sein  même  de  la  pénitence  :  pour 
quelques-uns.  et  Dieu  veuille  qu'il  n'y  en  ait 
aucun  dans  mon  auditoire,  pour  quelques- 
uns,  le  carême  est  un  temps  plus  agréable  et 
plu?  délicat  que  les  autres  saisons  de  l'an- 
née; la  nourriture  qu'on  y  prend  étant  mieux 
assaisonnée  que  les  autres  viandes  d'ordi- 
naire, devient  une  nouvelle  source  de  sen- 
sualité, l'amour-propre  qui  se  sent  alarmé, 
invente  mille  manières  d'adoucir  ce  qu'il  y 
a  de  gênant  et  d'incommode  dans  le  jeûne. 
On  redonne  à  la  délicatesse  ce  que  l'on  ôte 
au  rassasiement,  oubliant  que  c'est  en  ôter 
tout  le  mérite  que  d'en  ôter  toute  la  dif- 
ficulté, on  anéantit  presque  toute  la  rigueur 
du  jeûne  par  les  adoucissements  qu'on  y 
apporte.  On  fait  si  bien  son  compte  que  de 
sommeil  dédommage  de  la  privation  des 
aliments,  et  pour  mieux  attendre  la  délica- 
tesse de  la  table,  on  se  tranquillise  dans  la 
mollesse  du  lit. 

Dieu  terrible,  jusqu'à  quand  les  hommes 
se  joueront-ils  donc  de  vos  lois  et  de  vos 
instructions?  Croiront -ils  donc  mortifier 
leur  goût  lorsqu'ils  ne  cherchent  qu'à  le 
flatter?  est-ce  donc  là  une  pénitence  capable 
d'apaiser  votre  colère,  et  de  suppléer  aux 
justes  châtiments  que  vous  préparez  à  leurs 


péchés?  est-ce  là  crucifier  sa  chair,  mourir  à 
soi-même  comme  vous  l'ordonnez,  et  vous, 
chrétiens,  que  prétendez-vous  donc  par  une 
conduite  si  déplorable  que  ce  précepte  n'est 
point  fait  pour  vous  et  qu'il  vous  soit  permis 
d'être  impénitents  et  immortifiés  dans  un 
temps  destiné  aux  mortifications  et  à  la  péni- 
tence. Ah!  était-ce  là  les  prémices  saintes  do 
notre  foi,  l'usage  de  ces  premiers  temps  que 
les  apôtres  consacraient  au  jeûne  et  à  l'absti- 
nence? Hélas,  vivaient-ils?  mouraient-ils? 
Un  repas  unique  qu'ils  ne  prenaient  qu'après 
le  soleil  couché,  où  ils  ne  mangeaient  simple- 
ment que  ce  qui  leur  était  absolument  néces- 
sa;re  pour  soutenir  une  vie  innocente,  le  pa«n 
et  l'eau  en  composaient  toute  l'économie,  les 
sanglots  et  les  larmes  en  étaient  tout  l'assai- 
sonnement. Enfin,  tout  ce  qui  pouvait  les 
aflliger,  les  mortifier,  était  la  matière  de  leur 
jeûne:  ne  donnant  presque  rien  à  la  nature,  ils 
donnaient  à  leur  sanctification,  ils  n'avaient 
point  d'autre  objets  que  le  ciel,  d'autre  com- 
merce qu'avec  Dieu ,  d'autre  plaisir  que 
l'aimer  et  le  servir,  d'autre  guide  que  la  foi, 
d'autre  espérance  qu'en  ses  promesses,  d'au- 
tre crainte  que  celle  de  ses  jugements,  d'au- 
tre lecture  que  son  Evangile,  d'autre  spec- 
tacle que  ses  autels;  entre  eux  ils  ne  s'oc- 
cupaient que  de  la  prière,  n'avaient  d'autre 
pensée,  que  l'éternité,  d'autre  désir  que  le 
paradis,  d'autres  parures  qu'un  cilice,  d'au- 
tres demeures  qu'un  tombeau,  et  des  déserts 
ou  ils  s'ensevel  issaient  tout  vivants,  et  où  ils 
finissaient  leurs  jours,  lorsqu'ils  ne  trou- 
vaient point  la  mort  sur  les  échafauds  et  dans 
les  fers.  Un  chrétien  qui  aurait  dit  :  Je  veux 
jeûner,  mais  je  ne  saurais  user  des  aliments 
communs  et  grossiers,  aurait  été  renvoyé 
parmi  les  pécheurs  et  rave  du  nombre  des 
pénitents.  Enfin  la  pénitence  de  ces  pre- 
miers temps  était  si  cruelle,  qu'on  aurait 
regardé  le  martyre  comme  un  tempérament, 
comme  une  faveur,  comme  une  grâce  à  ceux 
qui  ne  pouvaient  supporter  la  rigueur  de 
leur  jeûne. 

Cependant  n'outrons  rien,  Messieurs,  dans 
une  matière  déjà  si  rebutante  d'elle-même. 
L'Eglise,  comme  une  bonne  mère,  craignant 
que  ses  enfants  ne  fussent  dans  la  condam- 
nation de  ceux  qui  n'observent  point  le 
jeûne,  a  changé  d'ordre  et  de  conduite.  Il  est 
vrai  que  depuis  qu'elle  a  modéré  quelque 
chose  de  sa  discipline,  les  mœurs  des  chré- 
Uens  sont  devenus  méconnaissables,  tant 
1  homme  a  besoin  de  ce  frein  pour  se  sou- 
tenir. Cependant  il  faut  l'avouer,  son  in- 
dulgence est  sage,  elle  est  respectable,  et 
les  anciennes  sévérités  de  la  primitive  Eglise 
seraient  aujourd'hui  imprudentes  et  indis- 
crètes; mais  ne  vous  y  trompez  pas,  Mes- 
sieurs, en  adoucissant  les  grandes  austé- 
rités du  carême,  elle  n'a  rien  retranché  de 
l'abstinence  des  sens  ;  non,  elle  ne  dit  plus  : 
Mêlez  la  (tendre  avec  votre  pain,  mais,  que 
vos  tables  soient  plus  frugales  ;  elle  ne  dit 
plus  :  Ilevêtez-vous  du  sac  et  du  cilice,  mais , 
que  vos  vêtements  soient  plus  modestes, 
elle  ne  dit  plus:  Enfoncez-vous  dans  les  som- 
bres déserts ,   mais  évitez    les  assemblées 


6!)9 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SUR1AN. 


700 


mondaines,  renfermez-vous  dans  un  domes- 
tique réglé  :  elle  ne  dit  plus  :  Allez  au  mar- 
tyre, mais  souffrez  avec  patience  les  maux 
qui  vous  arrivent.  Or,  ces  lois  immuables 
subsisteront  éternellement.  Ce  genre  de 
jeûne  ne  change  jamais,  le  carême  de  vos 
jours  est  le  même  que  du  temps  de  la  pri- 
mitive Eglise;  plus  cette  sage  nièce  adoucit 
le  jeûne  ordinaire,  et  plus  elle  nous  de- 
mande de  sévérité  pour  le  jeûne  des  sens, 
et  veut  que  ce  qui  manque  de  sévérité  entre 
notre  jeûne  et  celui  de  nos  pères  se  retrace 
dans  nous  par  les  autres  mortifications. 

Mais,  après  ce  que  vous  venez  d'entendre 
de  la  pénitence  des  premiers  fidèles,  quel 
vide  à  remplir  !  quelle  compensation  à  faire  ! 
qu'elle  se  fait  peu  en  jeûnant  comme  vous 
faites,  en  cherchant  dans  une  folle  joie,  dans 
des  amusements  criminels  à  vous  dédomma- 
ger, en  donnant  dans  tout  ce  qui  peut  vous 
faire  tuer  le  temps!  Vous  oubliez  vous-mêmes 
et  la  sainte  abstinence  en  vous  jouant,  comme 
vous  faites,  des  préceptes  que  Jésus-Christ 
vous  fait  de  vous  mortifier  et  de  jeûner  : 
quam  maie  compensas. 

Allez  à  la.  maison  des  pieux  réchabites, 
disait  autrefois  le  Seigneur  au  prophète  Jé- 
rémié;  offrez-leur  le  vin  et  ce  qui  llatte  le 
plus  les  sens,  ils  vous  diront  :  Notre  Père 
nous  le*  a  défendus;  nous  n'y  toucherons 
point,  nous  obéirons  à  son  commandement  : 
Pater  noster  prœcrpitnobis.  (Jercm.,  XXXV.) 
Et  vous,  mon  peuple,  ajoute  le  Seigneur, 
vous  ne  m'avez  pas  obéi  à  moi  qui  suis  votre 
Père,  votre  Créateur,  votre  souverain  et  votre 
Dieu;  vous  n'avez  pas  tenu  compte  de  ma  loi, 
c'est  pour  cela  que  j'ai  béni  les  fidèles  ré- 
chabltes,  et  que  je  répandrai  sur  vous,  au 
contraire,  l'affliction  universelle  :  Ecce  ego 
adducam  super  Juda  universam  af/lictioncm. 
(Ibid.) 

Craignez  que  le  Sauveur  ne  vous  réponde 
la  même  chose,  chrétiens  lâches,  qui  violez 
ou  altérez  le  précepte  du  jeûne.  11  vous  dit 
par  ma  bouche  :  Portez  vos  pas  dans  ces  asiles 
sacrés,  dans  ces  maisons  régulières  et  fidèles, 
où  vous  trouverez  des  hommes  et  des  femmes 
religieuses;  pressez-les  d'user  de  ces  mêmes 
raffinements  de  délicatesse,  de  prendre  part 
à  ces  plaisirs  et  à  ces  joies  insensées  des 
mondains,  ils  vous  répondront  :  Notre  Père 
nous  les  a  interdites  :  Non  bibemus  vinum, 
Pater  noster  prœcepit  nobis  (Ibid.);  notre 
Seigneur  et  notre  Dieu  nous  les  a  défendues, 
nous  lui  obéirons  :  obediemus.  Je  dis  plus, 
ajoute  le  Seigneur:  Allez  à  ces  enfants  du 
siècle  qu'une  aveugle  fureur  entraine  vers 
l'objet  de  leurs  passions;  offrez-leur  les  dou- 
ceurs, les  plaisirs  opposés  à  leurs  fins  per- 
nicieuses, ils  vous  diront  :  Le  monde,  qui 
est  notre  père,  nous  a  défendu  de  prendre  ce 
chemin;  il  nous  dit  :  Prenez  de  la  peine  si 
vous  voulez  goûter  mieux  le  plaisir;  ôtcz- 
vous  le  sommeil,  la  joie,  la  santé,  le  repos 
quand  il  s'agira  de  gagner  de  l'argent,  d'ac- 
quérir des  honneurs,  de  faire  une  conquête; 
et  nous  voulons  suivre  tout  ce  qu'il  nous 
suggère  et  tout  ce  qu'il  nous  dit  :  ôbedientes 
fuimus  juxta  omnia  <juœ  prox  pit  nobis  Jo- 


nadab  Pater  noster.  {Ibid.)  Mais  quoi  1  ré- 
plique le  Seigneur,  les  saints  et  les  profanes, 
tous  se  mortifient,  parce  que  leur  père  leur 
commande  :  Obedivrunt  prœcepto  patris  sui. 
(Ibid.)  Et  moi  qui  suis  votre  Dieu,  le  meil- 
leur de  tous  les  pères,  le  plus  absolu  de  tous 
les  maîtres,  si  je  vous  demande  de  mortifier 
vos  sens,  déjeuner  mieux  que  vous  ne  faites, 
vous  ne  m'obéissez  pas  :  Ego  autem  locutus 
sum  ad  vos,  et  non  obedistis  rnihi.  (Ibid.)  Ah  1 
tous  mes  fléaux  vont  tomber  sur  vous  ;  je 
répandrai  sur  tous  vos  plaisirs,  sur  tous  vos 
amusements  frivoles,  sur  toutes  les  fausses 
douceurs  que  vous  cherchez ,  l'amertume 
et  l'ennui,  la  tristesse  et  l'affliction  :  Ecce  ego 
adducam  super  omnes  habitatores  Jérusalem 
universam  afflictionem.  (Ibid.)  Hélas  !  qu'il 
est  à  craindre  qu'aujourd'hui  la  menace  ne 
se  vérifie  à  l'égard  de  tant  de  chrétiens  re- 
belles et  immortifiés  !  Jug«z  si  du  haut  du 
ciel  il  n'a  pas  bien  raison  de  vous  dire  par  la 
bouche  de  ses  prédicateurs  :  Sanctifiez  votre 
jeûne. 

Mais  le  jeûne  des  sens  ne  se  borne  pas  à 
la  simple  séparation  de  ce  qui  les  tlatte,  il 
va  encore  les  appliquer  à  ce  qui  les  sancti- 
fie; le  carême  est  celte  règle  qui  sert  à  deux 
usages  :  l'un  pour  faire  mourir,  l'autre  pour 
faire  vivre  :  unum  ad  occidendum,  alterum  ad 
rivificandum.  L'abstinence,  pour  être  par- 
faite, doit  être  une  mort  qui  arrache  nos  sens 
au  démon,  et  une  vie  qui  les  porte  vers  Dieu. 
Une  mort  qui  les  dérobe  au  monde,  et  une 
vie  qui  les  cache  en  Jésus-Christ. 

Aussi  c'était  ce  qu'un  grand  pape  prêchait 
à  son  peuple  pour  le  porter  à  observer  di- 
gnement le  carôma.  Soyez  à  Dieu  de  tous  les 
mêmes  sens  que  vous  avez  été  au  monde  et 
à  Satan;  faites  à  Jésus-Christ,  dit  saint  Paul, 
des  sacrifices  d'expiation  ce  qui  fut  la  matière 
de  vos  offenses;  et  comme  vous  aviez  fait 
servir  vos  membres  au  péché  pour  votre 
perte,  faites-les  servir  à  la  justice  pour  votre 
sanctification  :  Sicuc  exhibuistis  membra  vc- 
stra  servire  immunditiœ  et  iniquitati  ad  ini- 
(juitatetn,  ita  nunc  exhibete  membra  vestra 
servire.justitiœ  in  sanctifica.'ionem  (Rom.,  VI); 
sans  cela  vous  ne  recueillerez  de  l'abstinence 
du  carême  que  le  triste  souvenir  d'avoir 
privé  vos  sens  de  ce  qui  les  flattait  davantage, 
et  votre  jeûne  sera  un  abattement  et  non  une 
pénitence. 

Mais  sur  ce  principe  chrétien,  en  est-il 
dans  le  monde  qui  jeûnent  comme  il  faut? 
Hélas!  presque  personne,  j'en  conviens;  ou 
s'il  en  est  encore  quelques-uns,  c'est  cet 
homme  fidèle,  cette  femme  pieuse  qui,  reve- 
nue d'une  vie  trop  déplorable,  et  fàclfée  d'a- 
voir offensé  son  Dieu,  s'écrie  :  Seigneur,  je 
le  reconnais,  mes  sens  sont  en  moi  un  don 
de  votre  bonté; au  lieu  de  vous  les  consacrer, 
de  vous  les  attacher,  je  les  ai  profanés  ;  il  est 
temps  que  je  vous  les  renne,  hélas!  J'appli- 
querai ces  yeux  h  la  lecture  des  solides 
vérités  de  vos  Ecritures  et  de  votre  loi;  sans 
cesse  je  les  lèverai  au  ciel  et  ne  regarderai 
rpie  vous,  ô  Dieu  d'amour!  cette  bouche  ne 
s'ouvrira  désormais  que  pour  vous  bénir, 
vous  louer,   que  pour  vous  exposer  mes 


701 


CAREME   —  SERMON  I",  DU  JEUNE. 


702 


besoins,  mes  misères,  que  pour  vous  confes- 
ser mes  offenses,  que  pour  vous  prier  et 
vous  demander,  non  le  bonheur  temporel  de 
ma  vie,  mais  la  conversion  spirituelle  de  mon 
cœur,  et  que  pour  vous  dire  en  tremblant  : 
Seigneur,  ayez  pitié  de  moi,  malgré  le  nom- 
bre et  l'énormité  de  mes  péchés  ;  Dieu  de 
miséricorde,  ces  oreilles  ne  seront  attentives 
qu'aux  chants  de  votre  Eglise,  qu'aux  hymnes 
et  aux  cantiques  de  vos  ministres;  je  n'é- 
couterai que  vous  et  votre  sainte  parole. 
Dieu  de  force  et  de  lumière;  j'appliquerai 
ces  mains  à  un  saint  usage,  à  des  œuvres 
pieuses  ;  je  ne  les  ferai  servir  qu'à  secourir 
les  pauvres,  qu'à  soulager  les  infirmités,  qu'à 
faire  l'aumône,  compagne  inséparable  du 
jeûne,  et  n'auront  de  mouvement  et  d'action 
que  pour  vous,  ô  Dieu  de  cbarité  !  sur  la 
ruine  de  mes  sens  immortifiés,  terrestres, 
impurs  etrebelles,  j'en  élèverai  de  nouveaux 
qui  seront  plus  purs,  plus  spirituels,  plus 
célestes,  plus  soumis,  et  le  monde  ne  leur 
étant  plus  rien,  vous  leur  serez  toutes  choses  : 
Deus  meus  et  omnia. 

Demandez  après  cela,  Messieurs,  qui  pour- 
rait jeûner  dans  le  inonde  Vous-mêmes,  si 
vous  avez  ces  heureuses  dispositions  (mais, 
hélas!  que  vous  en  êtes  éloignés!);  si,  con- 
tents de  vous  retrancher  des  désordres,  vous 
ne  pratiquez  pas  plus  de  vertus:  si,  en  vous 
retirant  du  péché,  vous  ne  pratiquez  pas  la 
pénitence  ;  si  vous  vous  contentez  de  vous 
retirer  du  théâtre  sans  être  davantage  dans 
le  temple;  vous  vous  retirez  peut-être  des 
assemblées  tumultueuses  en  ce  saint  temps, 
mais  sans  vous  consacrer  à  une  retraite  et  à 
une  solitude  salutaires;  vous  rendez  peut- 
être  votre  table  plus  frugale,  mais  vous  ré- 
servez en  sordides  épargnes  ce  que  vous 
devez  à  l'aumône  ;  vous  laissez  peut-être  là 
ces  parties  d'éclat,  ces  compagnies  dange- 
reuses ,  mais  sans  vous  jeter  dans  les  saintes 
horreurs  de  la  mortification;  votre  vie  est 
un  repos  et  non  une  pénitence  ;  votre  con- 
duite est  peut-être  devenue  plus  sage,  mais 
sans  devenir  plus  chrétienne,  c'est-à-di;e 
que  peut-être  vous  gardez  une  espèce  de 
jeûne,  mais  vous  ne  le  sanctifiez  point,  et  en 
mourant  au  plaisir  vous  ne  vivez  point  pour 
la  pénitence. 

Ai-je  donc  eu  raison  de  dire  que  le  jeûne 
est  bien  rare  parmi  les  chrétiens  ?  Eh  !  selon 
ces  grands  principes  y  a-t-il  eu  dans  toute 
votre  vie  un  jeûne,  une  abstinence,  un  ca- 
rême sur  lequel  vous  puissiez  compter? 
et  si  vous  dites  comme  ces  infortunés  de 
l'Ecriture  qui  avaient  jeûné  soixante-dix 
ans  sans  quitter  leurs  désordres;  faut-il 
donc  que  nous  passions  le  carême  dans  la 
pénitence  et  dans  le  jeûne,  que  nous  tra- 
vaillions pendant  le  reste  de  notre  vie  à  nous 
sanctifier  comme  nous  avons  déjà  fait  pen- 
dant plusieurs  autres  carêmes  :  Nunquid 
flendum  est  mihi  in  quinto  mense,  vel  sancti- 
/icare  me  débet  sicut  feci  multis  nnnis? 
(Zach.,  Vil.)  Ah!  ce  Dieu  terrible  ne  vous 
répond-il  pas  comme  il  fit  à  ce  peuple  :  En- 
fants de  mort ,  quand  vous  avez  jeûné, 
était-ce  donc  mon  jeûne?  était-ce  pour  moi 


que  vous  jeûniez?  Nunquid  jejunium  jeju- 
nastis  mihi?  C'était  le  jeûne  du  monde,  du 
temps,  de  la  coutume,  de  la  bienséance,  de 
l'hypocrisie;  n'était-ce  pas  un  jeûne  à  votre 
gré,  de  votre  goût,  du  choix  de  votre  mol- 
lesse, de  votre  délicatesse  ;  n'y  apprêtiez- 
vous  pas  vos  raffinements?  Mais  était-ce 
mon  jeûne?  celui  que  je  vous  ai  fait  expli- 
quer par  mes  prophètes,  celui  qu'ont  ob- 
servé tous  mes  saints,  celui  que  mon  Eglise 
vous  a  recommandé  :  Nunquid  jejunium  je- 
junastis  mihi  (Ibid.)  ;  avait-il  les  conditions 
de  celui  qui  vous  en  a  donné  l'exemple  le 
premier?  Est-ce  celui  qui  attira  dans  le  cé- 
nacle l'Esprit  divin  sur  mes  apôtres?  Est-ce 
celui  que  moi-même  dans  le  désert  j'ai 
voulu  accompagner  de  prière,  de  vigilance, 
de  patience,  d'humilité,  de  douceur,  de  ré- 
sistance aux  tentations,  de  combats,  de  vic- 
toires, de  toutes  les  vertus  chrétiennes,  de 
la  mortification  de  mes  sens,  de  la  sépara- 
tion entière  du  monde,  de  la  privation  de 
tout  ce  qui  peut  les  flatter  et  d'une  consécra- 
tion tout  aux  fonctions  de  la  pénitence  ; 
car  voilà  mon  jeûne  :  Nunquid  jejunium  je- 
junaslis  mihi;  est-ce  là  celui  que  vous  avez 
pratiqué?  dès  que  le  vôtre  n'est  pas  comme 
le  mien,  il  est  un  jeûne  de  mort;  quelle  mi- 
sère, quelle  affliction  !  mais  peut-être  que 
le  jeûne  du  cœur  est  plus  commun  que  celui 
des  sens,  et  qu'on  répond  par  là  à  l'esprit 
de  ce  commandement  :  Sanctifiez  votre  jeûne, 
sanclificute  jejunium  ;  examinons-le  dans 
l'autre  partie  de  ce  discours. 

SECOND    POINT. 

Personne  presque  ne  jeûne  chrétienne- 
ment dans  le  monde,  parce  que  nul  ne  joint 
au  jeûne  ordinaire  celui  du  cœur.  Pour  mieux 
sentir  le  malheur  d'une  infraction  si  com- 
mune, établissons  d'abord  la  nécessité  de  ce 
jeûne  :  le  cœur  est  la  partie  la  plus  inté- 
rieure et  la  plus  vivante  de  nous-mêmes  par 
laquelle  nous  sommes  et  hors  laquelle  nous 
n'avons  plus  d'être  ni  de  vie,  tant  que  dure 
cette  première  innocence  qui  nous  fut  don- 
née, le  cœur  en  a  été  rempli,  consacré  et 
sanctifié  par  son  onction,  il  ne  respirait  que 
la  vertu  ;  mais  depuis  que  le  manquement 
de  soumission  aux  ordres  de  notre  Dieu 
nous  a  rendus  infidèles,  ce  même  cœur  est 
devenu  la  source  intarissable  de  nos  mal- 
heurs, le  théâtre  du  libertinage  et  de  l'im- 
piété, la  boutique  où  se  forgent  toutes  nos- 
îniquités,  le  centre  de  nos  passions,  et  est 
enfin  devenu  le  premier  coupable.  C'est  là 
que  le  péché  est  souffert,  aimé  et  chéri; 
c'est  là  qu'il  prend  naissance;  c'est  là  qu'il 
se  consomme,  qu'il  se  distingue  des  sens, 
qu'il  met  en  mouvement  toutes  les  passions 
différentes  de  la  vie.  Nos  désirs  criminels  ne 
sont  que  les  diverses  affections  de  notre 
cœur;  c'est  la  pendule  ou  la  montre  où  sont 
tous  les  ressorts  qui  mettent  en  train  la 
machine  ;  c'est  de  cette  fournaise  d'où  sor- 
tent ces  noires  vapeurs  qui  gâtent  nos  idées, 
qui  qualifient  nos  actions,  qui  ternissent 
nos  vertus  ;  c'est  là  que  réside  la  cause  de 
tous  nos  penchants,  de  toutes  nos  erreursj 


703 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SLRIAN. 


704 


de  toutes  nos  maladies,  de  toutes  nos  ténè- 
bres ;  dans  ce  cœur  enfin  se  forme  un  poids 
qui  nous  entraîne  où  il  lui  plaît,  et  qui  e^t 
la  racine  de  nos  révoltes  et  de  nos  prévari- 
cations, n'en  est-ce  pas  assez  dire;  ceux  qui 
se  glorifient  de  l'avoir  plus  plein  de  senti- 
ments, éprouvent  infailliblement  qu'il  est 
plus  plein  de  désordres,  et  que  si  autrefois 
il  était  plus  attaché  à  la  vertu,  il  est  devenu 
plus  esclave  du  vice. 

Or,  si  c'csfle  cœur  qui  pèche,  ne  faut-il 
pas  aussi  qu'il  jeûne,  et  puisqu'il  a  été  de 
tout  ce  qni  a  déréglé  l'homme  de  ses  repas, 
de  ses  plaisirs,  de  son  élévation,  de  sa  for- 
tune, de  ses  abus,  de  ses  crimes,  ne  doit-il 
pas  être  aussi  de  ce  qui  le  convertit,  de  sa 
tristesse,  de  sa  douleur,  de  sa  componction, 
de  son  jeûne  et  de  sa  pénitence.  Si  son  cœur 
a  pris  part  à  tout  ce  qui  le  réjouissait  dans 
son  péché,  son  jeûne  ne  doit-il  pas  être  de 
s'affliger  et  de  s'abstenir  dans  sa  pénitence 
de  tout  ce  qui  pourrait  lui  plaire  davantage? 
Aussi  quand  le  Seigneur  avertit  son  peuple 
déjeuner,  il  ne  sépare  jamais  la  pureté  et 
la  mortification  du  cœur  de  leur  jeûne  :  Pu- 
rificate  corda  vestra  (Jac,  IV),  dit-il,  par 
un  de  ses  apôtres,  purifiez  vos  cœurs  :  Sein- 
dite  corda  vestra  {Joël.,  Il),  dit-il  encore  par 
un  de  ses  prophètes.  Ainsi  qu'est-ce  donc 
qu'un  cœur  qui  jeûne?  C'est  un  cœur  déta- 
ché, c'est  un  cœur  affligé;  l'explication  de 
ces  vérités  serviront  de  preuve  du  petit 
nombre  de  chrétiens  qui  jeûnent,  et  qui 
vous  montreront  la  nécessité  de  suivre  ces 
paroles  si  admirable  :  Sanctificate  jejunium. 

1°  Non,  sans  cette  réforme  de  cœur,  tout 
le  reste  que  vous  faites  pour  le  carême  n'est 
rien:  mortifier  ses  sens  est  une  cérémonie 
très-utile,  mais  cela  ne  suffit  pas  ;  c'est  dans 
le  cœur  que  le  jeûne  doit  véritablement 
se  trouver;  comme  c'est  en  lui  que  repose 
le  germe  du  péché,  il  est  juste  de  le  purifier 
devant. 

Je  ne  puis  m'em  pêcher  de  vous  rapporter 
la-dessus,  ce  qui  est  écrit  chez  le  prophète 
Daniel  :  Un  arbre  prodigieux  paraît  s'élever 
jusqu'aux  nuées  et  couvrir  toute  la  terre  : 
ecce  arbor  in  medio  terrœ  et  altitudo  ejus 
nimia.  Et  comme  si  Dieu  se  trouvait  offensé 
de  la  prodigieuse  grandeur  de  cet  arbre,  il 
descend  du  ciel,  sanctus  de  cœlo  descendit, 
et  ordonne  qu'on  le  dépouille  de  ses  bran- 
ches, que  l'on  remue  son  tronc,  qu'on 
abatte  ses  feuilles,  qu'on  disperse  tous  ses 
fruits,  mais  que  l'on  conserve  la  racine  sur 
la  terre,  qu'on  ne  touche  au  germe,  verum- 
tamen  germen  radicum  ejus  in  terra  sinite 
(Dan.,  IV),  qu'on  l'attache  avec  des  liens  de 
fer,  avec  une  chaîne  d'airain  :  alligetur  vin- 
culo  ferreo.  (Ibid.)  Image  bien  naturelle  de 
la  loi  du  jeûne  du  carême.  Oui,  je  viens 
vous  dire  comme  le  prophète  à  Nabuchodo- 
nosor  :  C'est  vous  qui  êtes  cet  arbre,  tu  es 
arbor;  c'est  vous-mêmes  qui,  passant  de  pé- 
ché en  péché,  vous  vous  êtes  rendus  mons- 
trueux dans  vos  actions  qui  en  sont  comme 
les  fruits  dans  tout  ce  corps  de  péché,  qui 
en  est  comme  le  tronc.  Le  Dieu  saint  des- 
cend du  nie!  à  l'entrée  du  jeûne  du  carême  : 


sanctus  de  cœlo  descendit;  et  déjà  vous  a 
fait  dire  plusieurs  fois  :  ébranlez  ce  colossa 
d'iniquité,  succidile  arborem  (Dan.,  IV); 
dissipez  ces  pensées  terrestres  et  charnelles, 
renoncez  à  ces  paroles  trop  libres,  à  ces 
discours  empoisonnés,  à  ces  mots  équivo- 
ques, à  ces  chansons  dissolues  :  excutite 
folia  (Ibid.);  détestez  ces  actions  criminelles, 
réformez  cette  conduite  scandaleuse,  rompez 
les  liaisons  funestes,  fuyez  ces  occasions 
dangereuses  :  dispergite  fructus  ejus  (Ibid.'); 
mortifiez  ces  sens,  réprimez  les  saillies  im- 
pétueuses de  votre  chair  ;  mais  ce  n'est  point 
encore  assez,  avec  tous  cela  il  reste  au  de- 
dans de  vous  une  racine  de  péché  toujours 
renaissante,  détruisez  ce  germe  malheureux 
qui  produit  sans  cesse  l'iniquité,  enchaînez 
vos  passions,  réprimez  vos  penchants,  taris- 
sez cette  source,  et  détachez  ce  cœur  de  telle 
manière  qu'il  ne  se  porte  plus  vers  la  terre  : 
Germen  radicum  ejus  in  terra  sinite  et  alli- 
getur vinculo  ferreo. 

Je  ne  regarde  point  votre  jeûne,  dit  le 
Seigneur  à  Israël,  parce  qu'il  vient  d'un 
cœur  corrompu.  En  vain  vous  couvrez-vous 
du  sac  et  de  la  cendre,  si  vous  persistez  dans 
vos  iniquités:  le  jeûne  que  je  vous  de- 
mande, c'est  que  vous  rompiez  les  miséra- 
bles chaînes  qui  vous  retiennent  dans  le 
péché  :  Nonne  hoc  est  magis  jejunium  quod 
elegi?  dissolve  colligationes  impictatis.  (Isa., 
LVIII.) 

Mais,  s'il  en  est  ainsi,  Dieu  redoutable,  s'il 
est  vrai  ce  que  vos  Ecritures  nous  appren- 
nent qu'aujour  solennel  de  l'expiation  vous 
n'êtes  miséricordieux  qu'autant  que  vous 
voyez  le  cœur  converti ,  en  est-il  beaucoup 
ici  qui  ne  soient  l'anathème  du  jeûne  et  de 
la  pénitence.  Hélas  !  votre  cœur  répond  ici 
pour  vous,  Messieurs;  toutes  les  cupidités 
vous  empêchent  encore  d'être  meilleurs  ; 
encore,  pendant  le  carême,  la  volupté,  la 
colère,  l'orgueil,  l'avarice,  la  vengeance,  la 
jalousie,  la  haine  l'emportent  sur  la  péni- 
tence, sur  la  douceur,  sur  l'humilité,  sur  la 
patience,  sur  le  désintéressement,  sur  l'a- 
mour et  la  pratique  de  la  vertu;  encore  au- 
jourd'hui, chaque  passion  vous  quitte,  et 
vous  reprend  ;  vous  êtes  encore  le  triste 
jouet  des  funestes  passions  qui  tour  à  tour 
tyrannisent  votre  cœur;  encore  aujourd'hui 
vous  êtes  avides  du  fatal  poison  que  le 
monde  vous  présente,  vous  êtes  encore  af- 
famés des  faux  biens  qu'il  vous  promet, 
quoique  l'Eglise  vous  rappelle  sans  cesse 
dans  ses  prière-,  dans  ses  cantiques,  l'obli- 
gation où  vous  êtes  de  renoncera  vos  péchés; 
quoique  la  religion  n'ait  aujourd'hui  qu'une 
seule  voix,  qu'un  même  langage  pour  vous 
dire:  Abstenez-vous  du  vice,  vous  ne  vous 
en  abstenez  point,  malgré  toutes  les  lumières, 
malgré  toutes  les  menaces,  malgré  tous  les 
avertissements  que  la  sainte  quarantai  ne  vous 
adresse,  vous  êtes  encore  au  vice  et  le  péché 
est  encore  vivant  et  aussi  maître  de  votre 
cœur  qu'il  L'était  auparavant.  Achab,  frappé 
îles  reproches  d'un  prophète, couvert  d'un  sac, 
enseveli  dans  la  cendre,  prosterné  contre 
terré",  s'abîme  dans  la  pénjtence,  et  votre  jeûna 


7P5 


CAREME.  -  SERMON  I",  DU  JEUNE. 


706 


n'est  -qu'une  ombre  du  sien.  Cependant, 
Dieu  le  réprouve,  parce  qu'il  aimait  le  vice, 
et  que  le  péché  régnait  encore  dans  son 
cœur;  avec  ces  jeûnes,  vous  serez  donc  une 
victime  infortunée  de  l'enfer  si  vous  n'y 
joignez  celui  du  cœur,  et  si,  avec  vos  absti- 
nences et  vos  mortifications  sensibles,  vous 
entretenez  encore  vos  passions  et  vos  habi- 
tudes ;  mais  ce  n'est  point  encore  assez  que 
le  cœur  se  détache,  il  faut  qu'il  s'afflige. 
Dernière  condition. 

2°  En  etret,  quel  mérite  doit-on  attendre 
d'un  détachement  qui  ne  vient  qu'après 
s'être  donné  tout  entier  et  trop  longtemps 
au  monde  et  au  péché?  En  est-il  pas  plus 
longtemps  l'ouvrage  que  de  la  grâce  ?  11  est 
un  pur  dégoût  que  l'on  ressent,  un  délasse-  . 
ment  qu'on  se  promet  après  les  grands  plai- 
sirs; il  est  retenu  vers  la  vertu  dont  les 
charmes  se  montrent  par  avance,  et  se  font 
sentir  après  le  désordre  ;  mais  en  est-il  de 
même  d'un  vrai  pénitent  qui  ajoute  l'afflic- 
tion à  son  détachement.  Il  est  triste  dans  le 
cœur,  inconsolable  au  fond  de  l'âme,  après 
tous  ses  péchés  ;  et  c'est  cette  tristesse,  celte 
affliction  intérieure  que  le  Seigneur  deman- 
dait aux  Juifs  dans  l'expiation  solennelle  des 
péchés.  Vous  affligerez  vos  cœurs,  vous 
vous  abstiendrez  de  tout  travail  profane, 
vous  ne  ferez  aucune  œuvre  servile  ni  ter- 
restre, ni  encore  moins  aucune  "œuvre  de 
péché;  le  vide  que  vous  aurez  dans  le  cœur 
sera  rempli  de  sanglots  et  de  larmes,  de 
douleur  et  de  compassion.  Votre  unique  oc- 
cupation sera  d'affliger  vos  âmes,  et  tout 
Touvrage  que  vous  avez  à  faire  est  de  tenir 
vos  cœurs  dans  l'abattement  et  dans  la  tris- 
tesse :  Affligetis  animas  restras,  nullumque 
opus  facietis  in  hue  die;  expiatio  erit  vestri 
atquc  mundatio  ab  omnibus  peccatis  vestris. 
(Levit.y  XVI.) 

Ah!  l'avez-vous  donc,  Messieurs!  cette 
tristesse  chrétienne ,  et  si  Dieu  ajoutait  ici 
ce  qu'il  a  dit  dans  le  Lévilique,  que  ceux-là 
périssent  dans  un  moment  qui  n'auront  point 
affligé  leur  cœur  ;  que  quiconque  aura  donné 
ses  désirs  et  ses  œuvres  vers  autre  chose 
que  vers  lui,  soit  biffé  du  livre  de  vie  et 
rayé  du  nombre  de  son  peuple  :  Omnis  ani- 
ma quœ  afflicta  non  fuerit  die  hac  peribit  et 
quœ  operis  quippiam  feccrit  delebo  eam  de 
populo.  [Lcrit.,  XXIII.)  Y  aurait-il  ici  une 
assemblée,  un  peuple  ?  Hélas!  loin  d'avoir 
dans  le  carême  ce  cœur  pénitent  que  l'Eglise 
demande  à  Dieu  avec  larmes,  dans  ces  jours 
que  vous  regardez  comme  sombres  et  mal- 
heureux; vous  laissez  régner  dans  votre 
Ame  une  joie  aussi  mondaine,  aussi  profane 
que  si  vous  étiez  exempts  de  tout  péché;  au 
lieu  de  cette  componction  tendre  et  sincère 
que  le  Seigneur  exige  de  vous,  vous  n'avez 
qu'une  douleur  pharisaïque  que  le  Seigneur 
défend,  qu'un  abattement  de  dégoût  et  de 
mollesse  ;  loin  que  la  pénitence  occupe  vo- 
tre esprit,  elle  ne  touche  au  plus  que  votre 
corps,  sans  faire  la  moindre  impression,  le 
moindre  changement  dans  votre  cœur,  et 
faut-il  s'étonner  qu'elle  se  trouve  toujours 


en  vous  sans  force,  sans  vigueur  et  sans 
effet. 

Ici,  Messieurs,  faisons  une  courte  réfle- 
xion qui  renferme  tout  le  fruit  de  ce  dis- 
cours. Dans  le  cours  de  l'année  nous  nous 
rendons  coupables  de  mille  crimes,  nous  ne 
faisons  proprement  de  pénitence  que  ce  jeûne 
de  quelques  jours  bien  courts.  Hélas!  pour 
expier  tant  d'ofl'enses  et  tant  de  péchés  :  c'est 
là  cependant  ce  que  l'Eglise  nous  prescrit 
contre  la  colère  de  Dieu,  pour  attirer  sur 
nous  sa  miséricorde  et  soutenir  notre  con- 
fiance en  sa  bonté  ;  mais,  pour  nous  rassurer 
avec  quelque  fondement,  cette  mère  tendro 
veut  (pie  nous  accompagnions  le  jeûne  ordi- 
naire du  jeûne  des  sens  et  de  celui  du 
cœur.  Vous  l'avez  vu,  qu'il  n'y  a  que  par 
ce  double  jeûne  où  vous  puissiez  espérer 
votre  salut.  Je  vous  le  demande,  Messieurs, 
frappé  de  terreur  pour  moi-même  ;  dans  les 
autres  temps  de  l'année,  nous  irriterions 
Dieu,  et  dans  celui-ci  nous  ne  l'apaiserions 
pas?  Quelle  e.'t  donc  notre  folie,  dans  quel 
danger  sommes-nous?  qui  nous  autorise  à 
être  si  rassurés?  Ne  nous  y  trompons  pas, 
si  nous  ne  changeons,  notre  partage,  c'est 
l'enter,  et  notre  damnation  est  certaine. 

Ah  1  sortez  donc  de  la  malédiction  et  de 
l'anathème,  mes  très-chers  frères;  je  vous 
en  conjure  par  ces  paroles  toutes  saintes  et 
par  le  jeûne  même  dont  Jésus-Christ  vous 
donne  un  si  touchant  exemple?  Je  le  ferais 
par  quelque  chose  de  plus  tendre,  s'il  était 
possible.  Ne  jeûnez  plus  ce  carême  comme 
vous  avez  jeûné  les  autres  années,  revenez 
de  vos  erreurs  et  de  vos  égarements;  if  est 
encore  temps  de  vous  jeter  entre  les  bras 
de  la  miséricorde  :  encore  quarante  jours 
pour  le  jeûne  et  pour  la  pénitence,  et  si, 
après  cela,  Ninive  ne  se  convertit  pas,  celle 
ville  criminelle  sera  détruite  :  peut-être, 
après  ce  temps,  périrez-vous  tous  par  votre 
obstination  et  votre  impénitence.  Ah!  com- 
mencez donc  à  jeûner  comme  il  faut,  à  vous 
mortifier  dès  l'entrée  de  la  sainte  quaran- 
taine. Voici  des  jours  de  miséricorde  et  de 
salut  que  l'Eglise  vous  présente  :  ecce  dies 
salutis.  Voici  un  temps  favorable  où  tout  est 
une  impression  de  bonté  et  de  fruits  pré- 
cieux de  rédemption  :  ecce  nune  tempus  ac- 
ceptabile.  (11  Cor.,  VI.)  Jamais  temps  ne  fut 
plus  propre  à  vous  réconcilier  avec  ce  Dieu 
que  vous  avez  tant  offensé;  mais,  loin  d'en 
abuser,  montrez-y  plus  que  dans  tout  autre 
temps,  une  patience  plus  invincible  dans  les 
injures,  dans  les  persécutions,  dans  les  mé- 
pris :  in  midta  patientia.  (Rom.,  IX.)  Souf- 
frez-y les  afflictions,  les  calamilés,  les  misè- 
res, les  perles,  les  maladies,  les  disgrâces, 
les  revers  comme  des  grâces  que  le  Seigneur 
vous  fait  en  vous  les  envoyant;  in  tribula- 
iionibus,  in  anqustiis  (II  Cor..  VI);  prenez-y 
une  vie  [dus  éloignée  des  sens,  plus  opposée 
à  votre  mollesse,  et  que  les  plaies  que  vous 
ferez  sur  votre  corps  par  les  macérations 
expient  celles  que  vos  sensualités  ont  faites 
dans  votre  âme  :  in  plagis.  (Jbid.)  Ah  1  si  vous 
n'êtes  pas  dignes  n'être  les  heureux  captifs 
et  les  martyrs  généreux  de  la  religion  que 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SERiAN. 


707 

vous  professez,  signalez-vous  du  moins  par 
le  soulagement  des  prisonniers,  par  les  liens 
aimables  de  la  charité  envers  les  pauvres  et 
les  nécessiteux  ;  n'y  épargnez  point  cette 
chair  coupable  que  vous  avez  appesantie  par 
l'assoupissement  des  choses  de  la  terre; 
veillez ,  crainte  que  l'ennemi  de  votre  salut 
ne  vous  surprenne  ;  travaillez  à  la  seule 
chose  qui  vous  est  nécessaire  pour  réparer 
tout  ce  temps  si  lâchement  perdu  dans  la 
mollesse  et  dans  l'oisiveté:  in  laboribus ,  in 
vigiliis  (Il  Cor.,  VI).  Appliquez-vous-y  à  de 
saintes  lectures,  à  des  oraisons  ferventes,  et 
vous  y  instruisez  de  Jésus-Christ  et  de  ses 
santés  volontés,  in  scient  ia  [Ibid.);  écoulez-y 
avec  attention,  avec  docilité,  les  paroles  de 
vérité  qui  vous  y  sont  annoncées  pour  les 
mettre  en  pratique  :  m  verbo  veritalis  (Ibid.)  ; 
efforcez-vous  d'être  plus  véritables,  c'est-à- 
dire  plus  sincères,  plus  chastes,  plus  doux, 
plus  charitables  :  in  castitate,  in  suavitate,  in 
charitate  non  ficla.  (Ibid.)  Que  les  anges  du 
ciel,  qui  se  réjouiront  de  votre  conversion, 
voient  en  vous  ,  dans  ce  saint  temps,  plus  de 
c'rcônspection,  plus  de  modestie,  plus  de 
simplicité,  plus  d'union  avec  vos  ennemis, 
avec  votre  famille,  avec  votre  prochain:  per 
i  jnobilitalem  et  bonam  famam.  (Ibid.)  Exer- 
cez-y  avec  amour,  avec  joie,  avec  courage  les 
œuvres  les  plus  ]  énibles  qui  vous  sont  com- 
mandées en  ce  saint  temps  de  pénitence  :  in 
îejuniis,  surtout  sanctifiez-y  le  jeûne  com- 
mun par  celui  des  sens  et  du  cœur,  et  vous 
serez  assez  pénitents  et  assez  purs  pour  mé- 
riter une  couronne  de  gloire  dans  l'éternité 
bienheureuse  que  je  vous  souhaite.  Amen. 
SERMON  II  (k). 

DES    OBLIGATIONS    DU    CHRÉTIEN    ET   DE   SES 
ENGAGEMENTS. 

Nonne  et  ethnici  hoc  faciunl?  (Mattli.,  V.) 

Les  païens  ne  [ont-ils  pas  la  même  chose  que  vous  ? 

Quelle  est,  dit  saint  Chrysostome,  cette 
perfection  que  demande  l'évangile,  et  qui 
nous  distingue  tous  des  païens  et  des  idolâ- 
tres, sinon  l'état  bienheureux  du  christia- 
nisme? Mais  hélas!  si  rien  n'est  aujourd'hui 
plus  commun  dans  le  monde  que  le  nom  de 
chrétien,  rien  n'y  est  aussi  plus  rare  que  de 
l'être  et  de  remplir  dignement  les  devoirs 
essentiels  d'une  vocation  si  sainte  :  c'est  ce 
qui  nous  accable  d'affliction,  et  qui  nous  est 
un  nouveau  sujet  de  larmes  ;  car  s'il  ne  s'a- 
gissait que  de  former  entre  nous  une  société 
humaine,  si  nous  n'étions  appelés  qu'à  être 
sages,  officieux,  réglés,  équitables,  quelque 
corruption  qui  règne  dans  le  monde,  on  trou- 
verait encore  des  hommes  de  ce  caractère, 
et  parmi  vous  et  parmi  les  Juifs,  on  verrait 
encore  beaucoup  d'honnêtes  gens  selon  le 
monde;  mais  depuis  notre  baptême,  ce  n'est 
point  assez  pour  nous  d'être  des  sages,  il 
faut  être  des  chrétiens;  nous  composons  un 
corps  de  fidèles  qui  a  reçu  des  lois  pures  et 
célestes;  notre  vocation  est  d'être  chrétiens, 
c'est-à-dire  un  autre  Jésus-Christ  :  chrislia- 


î(!8 


nu*  aller  Christus.  Voilà  ce  qu'il  faut  être; 
et  ne  le  pas  être,  c'est  la  damnation  éternelle. 
Or,  ce  qui  me  pénètre  de  douleur,  c'est  que, 
dans  un  siècle  où  l'on  se  glorifie  d'être  chré- 
tien, et  où  tout  retentit  d'une  profession  si 
sainte,  il  n'y  ait  jamais  au  moins  de  vrais 
fidèles;  à  peine  en  trouve-t-on  un  seul  qui 
soutienne,  par  la  pureté  de  ses  mœurs,  la 
sainteté  du  nom  qu'il  porte;  de  ce  grand  feu 
que  Jésus-Christ  est  venu  apporter  sur  la 
terre,  il  n'en  reste  plus  qu'une  étincelle  mou- 
rante, et  on  dirait  qu'il  n'y  a  plus  de  chré- 
tiens dans  le  christianisme  môme. 

Est-ce  ici  une  exagération?  Plût  à  Dieu  î 
Mais  c'est  une  vérité  si  sensible  et  si  palpa- 
ble, qu'il  est  impossible  de  ne  point  la  voir; 
car,  je  vous  le  demande  à  vous-même,  qui 
vous  récriez  contre  une  proposition  si  ef- 
frayante, êtes-vous  un  chrétien,  et,  vivant 
comme  vous  vivez,  pouvez-vous  vous  glori- 
fier de  l'être?  Pour  en  juger,  définissons  le 
chrétien,  car  cet  auguste  nom  est  une  énigme 
cachée  qu'il  faut  ici  vous  découvrir;  et  puis- 
que le  chrétien  tire  son  nom,  son  modèle  et 
sa  règle  de  Jésus-Christ,  voyons  dont;  ce  qu'a 
été  Jésus-Christ  lui-même. 

Trois  grands  traits  le  caractérisent  et  nors 
le  font  connaître  :  à  l'égard  de  Dieu,  un  es- 
prit de  relig'on;  à  l'égard  ûes  hommes,  un 
esprit  de  charité;  à  l'égard  de  lui-même,  un 
esprit  de  mortification.  Voyons  là  tout  Jésus- 
Christ,  ses  principaux  caractères,  non  imagi- 
nés, mais  tracés  dans  l'évangile  parle  doigt 
de  Dieu,  et  avec  les  rayons  d'une  lumière 
toute  divine.  C'est  donc  là  aussi  tout  le  chré- 
tien; ce  sont  là  ses  vér'tablcs  caractères  : 
nous  ne  le  sommes  qu'autant  que  nous  [sor- 
tons sur  nous  ces  impressions  du  Sauveur, 
et  que  nous  vivons  dans  un  esprit  de  reli- 
gion à  l'égard  de  Dieu,  dans  un  esprit  de 
charité  à  l'égard  du  prochain,  et  dans  un  es- 
prit de  mortification  à  l'égard  de  nous-mê- 
mes. Voyons  là  de  quoi  nous  dépendons,  ce 
qui  nous  constitue  chrétiens,  et.  voyons  là 
d'où  naît  la  triste  conviction  que  vous  n'êtes 
point  chrétiens,  parce  que  vous  n'avez  pas  à 
l'égard  de  Dieu  cet  esprit  de  religion  si  lé- 
gitime :  première  raison;  parce  que  vous 
n'avez  point  à  l'égard  du  prochain  cet  esprit 
de  charité  si  essentiel  :  seconde  raison;  parce 
qu'à  l'égard  de  vous-mêmes,  vous  n'avez 
{joint  cet  esprit  de  mortification  si  néces- 
saire :  troisième  raison.  Que  ces  vérités  sont 
grandes!  Non,  tout  ce  que  vous  avez  d'at- 
tention n'est  point  capable  de  les  compren- 
dre sans  le  secours  du  ciel  ;  et  vous,  ô  mon 
Dieu!  en  leur  aidant  à  devenir  chrétiens, 
faites-leur  sentir  combien  il  est  important 
de  l'être;  nous  vous  le  demandons  par  l'in- 
tercession de  Marie.  Ave,  Muria. 

PREMIER    POINT. 

Nul  peut-être  parmi  vous,  mes  frères,  n'est 
véritablement  chrétien,  parce  que  nul  ne  vit 
dans  un  esprit  de  religion  et  de  sacrifice  en- 
vers Dieu  ;  car,  en  quoi  consiste  cette  reli- 
gion? à  vous  rapporterdout  à  lui,  à  vous  se- 


(4)  Imprimé  dans  l'édit;on  de  Liège,   tom.  I",  page  IL 


700 


CAREME.  —  SERMON  II.  OBLIGATIONS  ET  ENGAGEMENTS  DU  CHRETIEN. 


crifier  tout  pour  lui  :  c'est  là  tout  le  fonde- 
ment de  la  morale  chrétienne;  et  il  le  faut 
bien,  puisque  Jésus-Christ  en  a  fait  toute 
notre  règle,  occupé  de  ce  qui  regardait  son 
Père,  et  tout  recueilli  en  lui.  Or,  si  nous  ne 
sommes  chrétiens  que  parce  que  nous  res- 
semhlons  à  Jésus-Christ,  qui  de  nous  peut 
se  flatter  de  l'être?  Où  aperçoit-on  en  vous 
ce  rapport  de  vos  actions  et  de  vos  moeurs? 
O  Dieu,  entrons  en  discussion  avec  vous; 
faisons  l'examen  de  votre  vie,  et  puisque 
tout  l'homme  se  réduit  à  ce  qu'il  fait  et  à  ce 
qu'il  sent  :  agit  et  sentit.  Sur  ces  deux  grands 
rapports,  jugeons  si  vous  êtes  chrétiens. 

1"  Agissez-vous  par  Dieu?  Je  ne  vous  de- 
mande pas  si  vous  priez,  si  vous  respirez,  si 
vous  vivez  par  lui  :  on  peut  avec  tout  cela 
n'être  que  l'ombre  d'un  fiièle;  mais  agissez- 
vous  par  lui?  Occupe-t-il  tout  votre  temps? 
Remplit-il  toutes  les  journées,  toutes  les 
heures,  tous  les  moments  de  votre  vie?  Soit 
que  nous  vivions  ou  que  nous  mourions,  soit 
que  nous  veillions  ou  que  nous  dormions, 
soit  que  nous  travaillions,  soit  que  nous 
nous  reposions,  dit  l'Apôtre,  nous  sommes 
toujours  au  Seigneur  :  Sire  vivimus,  sive  mo- 
rimur  Domini  sumus.  (Rom.,  XIV.)  Or,  pa- 
raît-il que  vous  soyez  à  lui,  mes  frères,  par 
quelqu'une  de  ces  choses?  par  l'usage  que 
vous  faites  de  votre  temps,  de  vos  biens,  de 
vos  talents,  de  tout  vous-mêmes,  p^iaît-il 
que  vous  soyez  à  Dieu?  Tout  cela  est-il  pour 
lui?  Toutes  ces  choses  ont-elles  quelque 
connexion  avec  lui?  Les  lui  rappelez-vous 
entièrement?  Osez-vous  dire  que  vous  rap- 
portez à  Dieu  ces  veilles  si  prolongées  par 
l'excès  de  plaisirs  défendus?  ces  festins  où 
l'intempérance  et  la  sensualité  trouvent  si 
bien  leur  compte?  ce  soin  si  outré  de  vous 
parer  et  de  plaire,  qui  absorbe  la  meilleure 
partie  d'un  temps  destiné  à  remplir  les  de- 
voirs de  votre  état  et  de  votre  salut?  Série  z- 
vous  assez  impies  pour  nous  dire  que  c'est 
pour  Dieu  que  vous  allez  à  ces  théâtres  qu'il 
défend,  à  ces  spectacles  dont  il  a  horreur, 
aux  joies  de  ce  monde  qu'il  réprouve,  à  ces 
écoles  du  siècle  qu'il  déteste?  Or,  rappelez 
toutes  ces  différentes  situations  où  vous  vous 
trouvez  tous  les  jours  dans  le  monde  ;  en 
est  il  une  où,  loin  d'être  à  Dieu,  vous  ne 
soyez  pas  contre  lui? 

Peut-être  direz-vous  que  cela  seul  ne 
compose  point  votre  vie,  et  que  vous  rem- 
plissez tous  les  devoirs  de  votre  religion; 
mais  en  est-il  une  de  ces  œuvres  par  qui 
Dieu  soit  glorifié;  quoi  !  ces  prières  si  froides  ; 
quoi  ces  jeûnes  si  affaiblis  où  la  délicatesse 
est  si  bien  ménagée;  quoi  ces  aumônes  si 
légères  où  il  entre  plus  d'orgueil  que  de 
charité;  quoi  1  ces  confessions  si  sèches,  si 
abrégées,  si  contraintes,  où  jamais  le  cœur 
ne  déteste  ce  que  la  bouche  déclare,  tout 
cela  peut-il  être  offert  à  Dieu;  en  est-il  glo- 
rifié ou  insulté,  réjoui  ou  affligé  jusqu'au 
fond  de  l'âme;  pouvez-vous  lui  rapporter  tout 
ce  que  vous  êtes,  combien  d'exercices  et 
d'oeuvres  de  religion  faites  par  habitude,  par 
bienséance  ,  par  respect  humain,  par  hypo- 
crisie, et  qui  loin  de  se  rapportera  la  gloire 


710 

de  Dieu,  ne  se  rapportent  qu'à  vous-mêmes  ; 
si  vous  rapportiez  au  Seigneur  ces  prières 
faites  dans  le  temple,  ces  jeûnes  faits  à  la 
maison,  ces  aumônes  faites  dans  les  paroisses 
ou  dans  les  hôpitaux,  et  qui  vous  dit  repre- 
nez-y ce  qui  est  à  vous,  ne  faudrait-il  pas 
tout  y  reprendre,  tout  n'y  est-il  pas  pour 
vous  et  pour  le  monde. 

Et  après  cela  définissez-vous,  qu'êtes-vous  ? 
Si  le  nom  de  chrétien  était  un  nom  vide,  qui 
n'eût  rien  de  réel,  sans  nulle  action  de  pé- 
nitence et  de  sacrifice  qui  y  fût  attaché;  si 
c'était  assez  que  le  seul  baptême,  sans  en 
a"complir  les  promesses,  sans  en  contracter 
les  obligations  ,  vous  seriez  un  chrétien , 
mais  parce  que  ce  nom  est  plein  et  suppose 
de  grands  devoirs  que  vous  négligez,  de 
grands  engagements  dont  vous  vous  jouez, 
mais  parce  que  vous  n'avez  droit  de  le  por- 
ter qu'autant  que  vous  l'accompagnerez 
d'actions  saintes,  de  vertus  héroïques,  et 
comme  il  ne  s'en  trouve  nulle  en  vous,  vous 
paraissez  un  chrétien  ;  ah  dehors  et  au  fond 
vous  ne  l'êtes  pas  :  un  chrétien  vit  chrétien- 
nement. On  vous  le  dit  tous  les  jours,  vous 
vous  le  dites  j, eut-être  vous-même.  Puis 
donc  que  vous  ne  menez  pas  cette  vie  chré- 
tienne, vous  n"êtes  donc  pas  chrétien  ,  vous 
êles  tout  hors  une  chose,  dit  saint  Paulin  : 
Christianus  non  es,  c'est  que  vous  n'êtes  [  as 
un  chrétien. 

A  cette  parole  vous  ne  frémissez  pas,  vo- 
tre cœur  ne  se  trouble  pas;  ce  titre  le  plus 
noble  ,  le  plus  grand,  le  plus  précieux  ce 
tous  est  le  seul  que  vous  perdez  sans  peine, 
sans  scrupule,  et  à  peine  y  pensez-vous 
ap-rès  tant  de  grâces  reçues  dans  le  baptême, 
après  tant  de  promesses  renouvelées  aux 
pieds  du  confesseur.  Dès  que  vous  n'êtes 
point  un  chrétien,  eh  qu'êtes-vous  donc  1  je 
vais  vous  l'apprendre  :  vous  êtes  un  ingrat, 
un  perfide,  un  apostat,  un  sacrilège,  un  pro- 
fanateur, un  malheureux,  un  monstre  ,  une 
victime  de  l'enfer,  réunissant  en  vous  tous 
les  trimes,  et  malheureusement,  ah!  que 
vous  êtes  endormi  :  vous  êtes  mort  si  vous 
ne  vous  réveillez,  si  vous  ne  vous  effrayez 
pas  au  bruit  de  tant  de  foudres. 

Encore  si  vous  étiez  chrétien  dans  les 
sentiments  ,  l'essentiel  est  d'être  chrétien 
dans  le  cœur,  2e  réflexion,  les  œuvres  exté- 
rieures ne  sont  que  les  feuilles  de  l'arbre, 
ou  c'est  le  cœur  qui  en  est  la  racine  ;  mais 
pour  être  chrétien  dans  le  cœur,  il  faudrait 
rapporter  à  Dieu  toutes  les  passions  de  l'âme, 
n'aimer,  ne  haïr,  ne  se  réjouir,  ne  s'affliger 
que  pour  Die-u  sur  le  modèle  de  Jésus-Christ, 
car  vous  voyez  comme  il  dévoue  ,  comme  il 
dirige  à  son  père  tous  les  mouvements  de 
son  cœur  ;  s'il  désire,  c'est  l'accroissement 
de  sa  gloire  et  de  son  règne  ;  s'il  craint, 
c'est  qu'on  ne  l'offense  ;  s'il  entre  en  colère, 
c'est  contre  les  profanateurs  de  son  temple; 
s'il  s'afflige,  c'est  sur  la  ville  infortunée  qui 
abandonne  son  culte;  s'il  a  de  la  haine,  c'est 
pour  le  monde  qui  lui  est  opposé;  s'il  a  de 
l'amour,  ce  n'est  que  pour  ceux  qui  font  sa 
volonté;  enfin,  tout  le  cœur  de  Jésus-Christ 
est   pour  Dieu,  et  il  n'a  de  sentiments  quo 


:n 


ORATEURS  SACHES.  LE  P.  SUR1AN. 


Ht 


pour  son  Pèie;  or,  pour  être  chrétien,  il  faut 
imiter  cette  disposition  si  juste,  c'est  pour 
leur  fournir,  dit-il,  un  modèle  de  justice  et 
de  sanctification,  que  je  me  sanctifie  moi- 
môme  :  Pro  eis  sanclijico  meipsum  ut  sint 
etipsi  sanctificati  [Joan.,  XVII);  après  cela 
est-il  bien  difficile  de  juger,  mes  frères,  si 
vous  êtes  des  chrétiens;  rapprochons  tous  ces 
traits,  puisque  de  cette  ressemblance  dépend 
votre  état  de  chrétien,  et  que  ne  point  rappor- 
ter à  Dieu  tous  vos  sentiments  et  les  mouve- 
ments de  votre  âme,  n'est  point  être  chrétien. 

Examinons  vos  désirs  :  pouvez-vous  ren- 
dre ce  bienheureux  témoignage  qu'ils  sont 
tous  pour  le  Seigneur?  Hélas  1  une  foule  de 
plaisirs  terrestres  remplit  toutos  les  puissan- 
ces de  votre  âme,  quelque  soin  que  Ton 
prenne  de  vous  en  relever,  le  poids  de  vo- 
tre cœur  vous  y  entraine  et  vous  ramène  à 
ces  principes,  à  ces  maximes,  à  ces  orages 
du  siècle,  à  cet  esprit  du  monde  si  contraire 
à  celui  de  votre  religion  ;  une  fois  chrétien, 
vous  devriez  comme  un  aigle  vous  élever 
au-dessus  des  nues,  et  rampant  comme  un 
serpent  contre  la  terre,  vous  y  attachez  tou- 
tes vos  pensées,  toutes  vos  affections. 

Examinons  vos  espérances.  Espérez-vous 
en  chrétien  ?  vos  plus  douces  attentes  sont- 
elles  dans  les  richesses  de  la  grâce  et  de  la 
miséricorde  de  votre  Dieu,  ne  les  placez- 
vous  point  ailleurs,  si  vous  êtes  de  bonne 
foi,  vous  conviendrez  que  vous  n'attendez 
rien  de  Dieu,  mais  tout  du  inonde,  de  ses 
fortunes,  de  ses  promesses,  dont  vous  de- 
vriez, par  tant  d'endroits  sensibles,  être 
désabusés  ;  les  faux  biens  de  la  terre  renfer- 
ment toutes  vosespérances,  et  les  vrais  biens 
du  ciel  sont  à  votre  égard  comme  un  spec- 
tacle étranger,  qui  ne  vous  regarde  point, 
ou  comme  un  de  ces  trésors  publics  qu'on 
étale  aux  veux  du  peuple,  mais  où  il  est  dé- 
fendu d'y  toucher  et  d'y  prétendre. 

Examinons  vos  joies.  Dieu  fait-il  toutes 
vos  délices,  les  connaissez-vous  même  ces 
joies  délicieuses  que  l'on  trouve  dans  le 
Seigneur.  Ahl  vous  avez  bien  d'autres  prin- 
cipes de  plaisir  dans  le  monde  ;  car  quelles 
sont  les  choses  qui  vous  y  réjouissent  :  un 
gain  inespéré,  une  protection  nouvelle,  la 
facilité  d'être  de  tous  les  plaisirs ,  l'assou- 
vissement d'une  passion  violente  ,  le  péché, 
le  crime,  le  désordre;  avez-vous  une  seule 
joie  que  l'Evangile  ne  condamne  et  qu'il  ne 
i'allût  pleurer  avec  des  larmes  de  sang  ? 

Examinons  ici  vos  tristesses,  et  ne  croyez 
pas  que  je  veuille  m'en  dispenser,  tout  le 
premier  je  l'ai  fait  sur  moi,  et  si  je  vous  fais 
trembler,  ce  n'est  qu'après  avoir  tremblé 
moi-même,  car  vous  connaissez,  6  mon  Dieu, 
ïa  grandeur  de  nos  devoirs  et  la  faiblesse  de 
nos  penchants  :  il  faut  tant  pour  être  chré- 
tien et  si  peu  pour  ne  point  l'être.  Pesons 
vos  afflictions.  Vos  larmes  coulent-elles  pour 
vos  péchés  qui  vous  en  demandent  tous  les 

iurs  de  si  ainôres  ?  Vous  trouvez-vous  dans 

infortune  comme  dans  la  prospérité?  Met- 
tez-vous tous  vos  chagrins  à  ne  pouvoir 
vaincre  vos  passions,  à  être  obligé  de  vivre 
comme  les  mondains?  Non,  vos  tristesses 


i 


comme  vos  joies,  tout  vient  d'un  principe 
purement  humain,  tout  en  vous  est  profane, 
un  projet  échoué ,  une  fortune  contraire, 
une  grandeur  méprisée,  un  honneur  atta- 
qué, un  jeu  qui  n'est  pour  vous  qu'un  mal- 
heur, une  passion  qui  ne  produit  que  de 
l'inquiétude,  une  générosité  qui  ne  fait  que 
des  ingrats,  que  sais-je,  peut-être  l'impossi- 
bilité d'être  d'un  certain  monde  et  de  cer- 
tains plaisirs,  c'est-à-dire  l'impuissance  de 
faire  à  Dieu  des  plaies  plus  sanglantes  :  voila 
vos  tristesses,  et  s'en  trouve- t-il  quelqu'un 
dans  le  monde  qui  en  ait  d'autres  ? 

Examinons  encore  ici  votre  amour,  et  que 
votre  cœur  nous  réponde  :  respondeat  cor 
vestrum  :  n'aimez-vous  rien  dans  le  monde 
ou  plus  que  Dieu  ou  contre  Dieu?  Quand  on 
aime  bien  un  objet,  ah!  toujours  quelque 
tra't  échappe  qui  le  fait  connaître,  mais  vous 
à  quoi  paraît-il  que  vous  aimiez  Dieu?  Vous 
lui  dites  dans  vos  prières  que  vous  l'aimez, 
rien  de  plus  facile  à  dire,  mais  au  fond  de 
l'âme,  quelle  prière  monstrueuse ,  car  pour 
être  sincère,  il  faudrait  dire  :  Je  vous  aime, 
Seigneur,  mais  je  fais  mon  supplice  de  vous 
servir,  et  le  temps  que  je  passe  avec  vous 
m'accable  de  dégoût  et  d'ennui  ;  je  vous 
aime,  mais  à  condition  que  je  ne  prendrai 
rien  sur  ma  mollesse,  sur  mes  plaisirs,  sur 
mes  passions  ;  je  vous  aime,  mais  j'aime 
avec  vous  plusieurs  autres  choses,  et  vous 
êtes  l'objet  que  je  suis  toujours  le  plus  dé- 
terminé à  prendre;  je  vous  aime  ,  mais  par 
des  liaisons  étroites  que  je  conserve  avec  le 
monde  votre  ennemi,  je  suis  prêt  à  tout  faire, 
dès  qu'il  le  veut,  les  plus  sanglants  outrages, 
c'est-à-dire  je  vous  aime  et  je  vous  hais  tout 
à  la  fois  :  car  si  ce  n'est  point  là  le  langage 
de  votre  bouche,  c'est  la  disposition  de  vo- 
tre cœur,  car  voilà  ce  que  disent  vos  senti- 
ments et  ce  que  vos  mœurs  expriment  ;  en 
vain  vous  récriez-vous  contre  ces  blasphè- 
mes ,  vous  avez  raison,  ils  font  horreur, 
mais  si  votre  cœur  pouvait  se  faire  entendre, 
voilà  ce  qu'il  dirait  :  Dieu  l'entend,  et  c'est 
ce  qui  enflamme  toute  sa  colère.  Or,  recueil- 
lons ce  que  nous  venons  de  dire  :  vous  ne 
rapportez  donc  à  Dieu  ni  vos  actions  ,  ni 
vos  sentiments,  c'est  vous-mêmes,  c'est  le 
monde  qui  est  le  centre  et  la  fin  de  tout  ce 
que  vous  faites,  je  vous  en  ai  donné  une 
preuve  convaincante  et  démonstrative  par  le 
détail  de  vos  mœurs;  tirez  maintenant  cette 
conséquence  si  nous  ne  sommes  chrétiens 
que  par  ces  deux  rapports  d'actions  et  de 
sentiments  avec  Jésus-Christ,  êtes-vous  des 
chrétiens  ,  et  si  vous  ne  l'êtes  pas,  devriez- 
vous  être  si  tranquilles ,  si  quelqu'un  vous 
disait  :  Renoncez  au  baptême,  à  la  foi ,  à  la 
religion,  cette  proposition  impie  vous  révol- 
terait. Cependant,  qu'est-ce  toute  votre  vie, 
qu'une  abjuration  de  vos  vœux,  qu'un  re- 
noncement de  Jésus-Christ ,  qu'une  infrac- 
tion ouverte  de  sa  loi  et  de  son  Eglise  :  vous 
avez  horreur  de  cette  exécration  dans  les 
autres,  et  dans  vous  elle  ne  fait  aucune  im- 
pression. La  peinture  qu'on  vous  en  fait 
vous  épouvante,  et  sa  réalité  vous  plaît; 
vous  frémissez  quand  on  vous  dit  de  renon* 


CAREME.  -  SERMON    II,  OBLIGATIONS  ET  ENGAGEMENTS  DIÎ  CHRETlE? 


7Î3 

eer  à  votre  foi,  et  vous  n'avez  point  de  honte 
qu'on  vous  démontre  que  vous  y  avez  re- 
noncé. En  effet,  d'où  vient  donc  cette  af- 
freuse sévérité,  n'est-ce  pas  qu'on  ne  doit 
point  non  plus  compter  sur  vous  que  sur  un 
païen,  que  sur  un  idolâtre  ?  Grand  D:eu  !  de 
quel  œil  voyez-vous  du  haut  du  ciel  des 
abîmes  si  affreux  et  si  détestables  ?  Est-ce 
donc  là,  Dieu  infini  de  patience  et  de  mi- 
séricorde, ce  que  vous  voulûtes  faire  de 
nous  en  nous  couvrant  de  votre  sang  au 
baptême  ;  nous  courons  empressés  et  misé- 
rables après  une  vaine  imago  de  grandeur 
qui  n'est  qu'illusion ,  et  nous  dédaignons 
d'être  des  chrétiens,  c'est-à-dire  d'être  vos 
enfants,  vos  élus,  vos  héritiers,  une  portion 
de  vous-même.  Ah  !  combien  dans  l'enfer  de 
sages  infidèles  nous  envient  la  grâce  du 
christianisme,  nous  disent  qu'ils  en  auraient 
bien  mieux  usé  ;  et  nous,  ingrats  ,  qui  con- 
naissons un  bien  si  cher,  nous  n'y  pensons 
pas,  nous  le  profanons  dans  tous  les  moments 
de  notre  vie,  par  toutes  nos  actions,  par  tous 
nos  sentiments.  Quel  spectacle  !  peut-on  y 
songer  sans  fondre  en  larmes  ? 

Venez  donc,  après  cela,  vous  applaudir  d'a- 
voir été  préférés  à  tant  d'idolâtres,  c'est  le 
comble  de  vos  malheurs;  on  demandera  plus 
à  qui  aura  plus  reçu,  c'est  la  honte  du  chré- 
tien ;  ce  titre  si  glorieux,  mais  si  cruellement 
méprisé,  ajoutera  encore  à  vos  autres  péchés 
un  trait  d'ingratitude  noire,  de  lâche  per- 
fidie, de  damnation  qui  épouvante.  Mauvais 
chrétien ,  oui ,  ce  nom  seul  fera  ton  arrêt, 
de  Jésus-Christ,  ton  plus  cruel  ennemh,  ta 
désolation,  ton  enfer  :  Ubi  est  ergo  gloria  tua? 
{Rom.,  III.)  Quel  sujet  avez-vous  donc  de 
vous  glorifier?  Ahi  plût  à  Dieu  avoir  été 
dans  le  monde,  un  idolâtre,  disons  mieux,  y 
avoir  été  chrétien,  y  avoir  vécu  en  chrétien, 
avoir  répondu  à  ce  que  Jésus-Christ,  votre 
modèle  et  votre  chef,  voulait  faire  de  vous, 
c'est-à-dire,  un  saint  élu,  un  fidèle,  un  com- 
pagnon de  ses  travaux  et  de  sa  gloire  !  Plût 
à  Dieu  que  vous  vous  fussiez  rapporté  tout 
entier  à  lui,  c'est-à-dire  toutes  vos  actions, 
tous  vos  sentiments  par  un  esprit  de  reli- 
gion :  vous  ne  l'avez  pas  fait,  d'où  il  faut 
conclure  que  vous  n'êtes  point  un  chrétien 
à  l'égard  de  Dieu;  l'êtes-vous  davantage  à 
l'égard  de  vos  frères,  c'est  ce  que  nous  allons 
examiner  après  avoir  respiré  un  moment. 

SECOND   POINT. 

Nul  peut-être  parmi  vous  n'est  chrétien, 
parce  qu'à  l'égard  du  prochain  nul  de  vous 
n'a  cet  esprit  de  charité  que  le  christianisme 
demande;  car,  selon  l'Apôtre,  la  charité  est 
la  vie  de  l'homme  nouveau,  et  la  vertu  propre 
du  fidèle  :  Aimez-vous  les  uns  les  autres,  disait 
Jésus-Christ  à  ses  disciples  au  dernier  mo- 
ment de  sa  vie,  et  son  exemple  le  disait 
encore  mieux  que  ses  paroles,  puisqu'il  allait 
mourir  pour  nous,  et  qu'avant  même  de 
rendre  le  dernier  soupir,  il  priait  pour  ses 
bourreaux  ;  c'est  à  ce  caractère  qu'il  veut  que 
l'on  reconnaisse  ses  enfants,  et  il  ne  fait  du 
chrétien  et  de  la  charité  qu'une  même  chose; 
or,  sur-ce  principe,  où  sont  les  vrais  chré- 

OftiTEURS   sacrés.   L. 


"Ii 

tiens,  et  en  voit-on  encore  aujourd'hui  quel- 
que trait.  Le  nom  de  charité,  je  l'avoue,  paraît 
doux  ;  il  plaît  au  cœur  quand  on  le  prononce  : 
comment  n'aimer  pas  une  vertu  qui  peut 
être  à  nos  maux  une  ressource  si  utile  ;  mais, 
dès  qu'il  faut  la  pratiquer,  elle  ne  nous  pa- 
rait plus  si  aimable  et  si  chère;  et,  en  effet, 
qui  de  nous  peut  ici  prétendre  d'être  chré- 
tien par  titre  d'une  telle  chose  ;  sondons-nous, 
et  puisque  -,  dans  la  première  Epître  aux 
Corinthiens,  nous  trouvons  le  portrait  de  h 
charité  fait  de  la  main  de  Dieu  même,  voyons 
si  nous  nous  y  reconnaissons;  hélas  1* que 
cette  courte  confrontation  va  nous  convaincre 
que  nous  ne  sommes  pas  charitables,  et  par 
conséquent  point  chrétiens. 

La  charité,  qui  fait  le  chrétien,  est  patiente 
envers  nos  ennemis  jusqu'à  n'avoir  que  des 
sentiments  de  paix  et  de  douceur  parmi  les 
plus  sanglants  outrages  :  Charitas  patiens  est 
(I  Cor.,  XIII);  mais  où  trouve-l-on  de  ces 
cœurs  patients?  Pardonner,  selon  le  monde, 
c'est  bassesse,  c'est  Lâcheté.;  il  faut  tirer  de 
cet  affront,  de  cette  injure  la  plus  cruelle 
vengeance,  et  rendre,  je  ne  dis  pas,  le  double 
du  moindre  mal,  mais  le  centuple  ;  et  pourvu 
qu'on  se  venge  dans  les  règles  que  prescrit 
le  monde,  on  croit  se  venger  innocemment, 
et  vous  seriez  chrétien  avec  cela,  auelle  chi- 
mère 1 

La  charité  est  douce,  benigna  est  (Ibi.d)  :  en 
quel  endroit  de  la  terre  la  trouve-t-on,  cette 
douceur  aimable?  A  chacun  de  vous  sa  langue 
un  feu,  qui  dévore,  une  flèche  cruelle  dont 
les  traits  donnent  la  mort;  vos  assemblées  ne 
sont  que  censures  publiques,  que  satires 
sanglantes,  que  critiques  impitoyables!  vous 
n'y  épargnez  ni  le  sacré,  ni  le  |  rofane;  vos 
entretiens  languissent  dès  que  la  médisance 
ne  les  assaisonne  pas  ;  et  vous  direz,  après 
cela,  que  vous  êtes  des  chrétiens;  hélas  1  à 
peine  êtes-vous  des  hommes. 

La  charité  est  bienfaisante,  et  où  le  paraît- 
elle  en  vous?  Qui  de  vous  donne  selon  ses 
moyens,  je  ne  dis  pas  son  nécessaire,  mais 
seulement  le  superflu  de  ses  biens,  selon  les 
misères  présentes,  au  soulagement  de  ses 
frères?  On  ne  voit  que  des  cœurs  serrés  et 
impitoyables,  qui  ne  sauraient  se  dessaisir  de 
ce  qu'ils  ont  dans  leurs  coffres  et  entre  leurs 
mains  :  l'orgueil,  l'avarice,  la  volupté,  le  jeu, 
le  luxe,  l'intempérance,  tous  ces  monstres 
cruels  ont  une  voix  plus  forte  sur  votre  cœur 
que  la  faim,  la  soif,  la  mendicité  de  vos  frères 
misérables;  vous  donnez  dans  le  faste;  que  fe- 
riez-vous  donc  de  plus  si  vous  étiez  les  disci- 
ples et  les  membres  d'uruchef  et  d'un  maître 
plongé  dans  les  délices?  comment  donc  en  agi- 
riez-vous  autrement  si  vous  étiez  de  cette  secte 
malheureuse  qui  ne  reconnaît  point  d'autre 
divinité  qu'unJDieu  voluptueux?  Que  si  vous 
aviez  juré  dans  le  baptême  d'être  sensuel, 
charnel,  mondain,  vous  auriez  raison  de 
mener  cette  vie  de  sensualité;  mais  parce 
que  vous  y  avez  promis  d'adorer  un  Dieu 
mort,  c'est-à-dire  d'être  chrétien,  il  faut 
donc  sans  peine  et  sans  délai  la  changer 
tout  entière,  et  en  mener  une  plus  morti- 
fiée. Ahl  Seigneur,  si  un  prophète  pleurait 

.23 


7!3 


ORATEURS  SACRES.  LE  1».  SLRIAN. 


m 


amèrement  auïrefois  de  voir  l'idole  de  la 
volupté  placée  dans  le  lieu  saint,  devons- 
nous  être  moins  inconsolables  de  voir  tout 
un  christianisme,  tout  votre  peuple  plongé 
dans  les  plus  honteux  désordres.  O  mon 
Dieul  prenez  pitié  de  votre  Eglise;  le  mal 
est  aujourd'hui  à  son  comble,  les  siècles 
précédents  n'ont  point  vu  ce  que  voit  le 
nôtre,  et  on  peut  dire  que  le  monde  aurait 
besoin  d'un  nouveau  déluge  pour  le  purifier, 
et  qu'encore  une  seconde  fois  il  aurait  be- 
soin que  vous  vinssiez  le  laver  par  votre 
sang,  tant  la  corruption  est  extrême. 

Mais  ce  n'est  point  assez  de  s'abstenir  du 
plaisir,  un  chrétien  doit  encore  embrasser 
la  peine,  et  c'est  ce  que  Tertullien  appelle  le 
poids  du  baptême,  pondus  baptismi;  c'est- 
à-dire  qu'un  chrétien  est  obligé  de  vivre  dans 
la  douleur,  dans  les  combats,  dans  la  vio- 
lence :  car  voilà  à  quel  titre  vous  êtes  chré- 
tien, et  sans  quoi  en  vain  prétendriez-vous 
l'être.  Or,  en  quoi  voit-on  en  vous  que  vous  le 
soyez?  en  quoi  paraît-il  que  vous  allligiez 
votre  chair,  que  vous  combattiez  vos  passions? 
Je  vous  montrerais  aisément  dans  toute  votre 
vie  mille  traits  de  mollesse,  montrez-m'en 
un  seul  de  mortification;  cette  croix  pré- 
cieuse de  Jésus-Christ,  si  vous  la  portiez, 
adoucirait  toutes  les  autres,  et  c'est  la  seule 
que  vous  ne  portez  point;  car  en  quoi  com- 
battez vous  vos  appétits,  en  quoi  vous  faites- 
vous  de  grandes  violences.  En  vérité,  paraît- 
il  sur  vous  un  fardeau  bien  accablant,  hélas! 
non,  vous  ne  portez  point  en  vous  le  poids 
du  baptême.  Pondus  baptismi,  et  par  consé- 
quent vous  n'êtes  point  des  chrétiens. 

Encore  s'il  arrivait,  comme  à  ces  Ames 
saintes,  que  ce  fussent  les  douceurs  de  la 
grâce  qui  vous  rendissent  le  joug  de  Jésus- 
Christ  léger,  j'en  serais  consolé,  et  j'envie- 
rais votre  sort;  mais  si  vous  ne  le  sentez 
pas,  c'est  que  vous  ne  le  touchez  pas,  c'est 
que  vous  l'adoucissez  par  vos  artifices  de 
délicatesse,  c'est  que  vous  l'affaiblissez  et 
que  vous  le  réduisez  à  la  simple  pratique  de 
quelques  œuvres  superficielles,  à  quelques 
aumônes,  à  quelques  prières,  à  quelques 
confessions,  sans  jamais  mortifier  votre  es- 
prit,votre  cœur,  votre  corps  parune  pénitence 
proportionnée;  car  voilà  la  religion,  et  tout 
ce  qui  ne  va  point  jusque-là  n'est  qu'un  fan- 
tôme et  une  ombre  de  religion  et  de  christia- 
nisme. 

Or,  où  sont  donc  les  chrétiens  sur  ce  pied? 
en  reste-t-il  beaucoup  ici,  et  vous-même  sur 
quel  fondement  ;pensez- vous  l'être?  et  si 
tous  ne  l'êtes  pas ,  qu'ôtes-vous  donc  ?  Hélas  ! 
si  vous  ne  changez,  vous  êtes  un  réprouvé, 
un  arbre  infructueux  destiné  aux  llammes 
éternelles. 

Voilà  donc  la  triste  conclusion  de  ce  dis- 
cours et  des  vérités  affligeantes  que  vous  me 
forcez  de  recueillir:  peut-être,  hélas!  la  perte 
de  tous  ceux  qui  m'écoutent;  vous  aviez 
bien  plus  de  consolations,  premiers  ministres 
de  l'Eglise  naissante,  quand  vous  annonciez 
les  vérités  de  la  foi  :  je  viens  en  ministre 
affligé  pleurer  dans  la  chaire  chrétienne  sur 
le  peu  de  chrétiens  que  je  trouve,  et  vous  n'y 


paraissiez  qu'avec  la  douce  conso.ation  d'en 
voir  de  plus  en  plus  multiplier  le  nombre  ;  je 
viens  m'attrister  sur  les  infidélités  d'un  peu- 
ple qui  prend  injustement  le  nom  de  fidèle  I 
Heureux  temps,  siècles  fortunés,  quand  re- 
viendrez-vous.  Mes  chers  frères,  que  sommes- 
nous  en  comparaison  de  ces  premiers  fidèles? 
dussiez-vous  en  rougir,  je  vais  vous  les 
représenter  ici. 

Ces  habitants  de  la  terre,  avec  un  même 
corps  et  les  mêmes  faiblesses  que  nous , 
menaient  une  vie  toute  céleste;  en  tous  temps, 
en  tous  lieux  ,  ils  levaient  leurs  mains  au 
ciel;  la  prière  commençait  leur  ouvrage,  et  l'ac- 
tion de  grâce  le  finissait;  pour  se  préparera 
la  fraction  du  pain,  ils  s'examinaient,  ils  se 
recueillaient  en  eux-mêmes;  quelle  joie 
pour  eux  de  recevoir  Jésus-Christ,  ce  divin 
objet  de  leur  amour!  chaque  maison  était  un 
temple,  chaque  famille  une  église;  ils  appor- 
taient à  l'explication  de  la  sainte  parole  un 
respect  et  une  attention  que  rien  n'était  ca- 
pable de  troubler  :  c'était  un  pain  dont  ils  se 
nourrissaient  tous  les  jours,  c'était  une  digue 
qu'ils  opposaient  au  torrent  du  siècle;  on  les 
enterrait  même  avec  l'Evangile  sur  le  cœur, 
pour  que  ce  qui  avait  fait  leur  consolation 
pendant  la  vie  fût  encore  leur  espérance 
après  la  mort;  ils  avaient  à  tous  leurs  devoirs 
un  attachement  et  une  fidélité  respectables  à 
tous  les  idolâtres  mêmes;  et  de  l'aveu  même 
des  païens,  les  princes  n'avaient  point  de 
sujets  plus  soumis,  les  villes  de  citoyens 
plus  zélés,  les  femmes  d'époux  plus  fidèles, 
et  ils  n'étaient  meilleurs  que  les  autres  qu'à 
cause  qu'ils  étaient  chrétiens:  car  ce  n'était 
point  seulement  dans  l'usage  et  dans  les 
exercices  de  la  religion  ;  tout  était  chrétien 
dans  les  premiers  chrétiens  :  chrétiens  dans 
leur  travail,  dans  leur  commerce,  dans  leurs 
voyages,  dans  leurs  maisons,  dans  leurs  dis- 
cours, dans  leurs  lectures,  dansleurs  sociétés, 
dans  leurs  visites,  partout  ils  étaient  chré- 
tiens, partout  leur  foi  les  animait,  et  le  chris- 
tianisme se  répandait  sur  toute  leur  personne. 
Leurs  habits  étaient  simples,  leurs  repas  so- 
bres, leurs  logements  modestes  ;  le  mariage 
n'était  chez  eux  qu'une  commune  sanctifica- 
tion de  deux  personnes  qui  se  sont  chères;  ils 
vivaient  dans  le  monde  mais  éloignés  de  ses 
honneurs,  de  ses  fortunes,  de  ses  plaisirs;  ils 
y  tenaient  le  moins  de  place  qu'ils  pouvaient, 
ils  ne  se  glorifiaient  que  d'être  chrétiens. 
Quand  le  juge  les  interrogeait,  leur  demandait 
leur  nom,  leur  pays,  leur  famille,  ils 
répondaient:  Je  suis  chrétien,  et  par  là  ils 
croyaient  tout  dire;  rien  n'égalait  la  pureté  de 
"eur  vie,  et  c'était  la  plus  belle  apo.ogie  de 
leur  religion;  quand  on  leur  reprochait  leur 
crime,  ils  répondaient  qu'être  chrétien  et 
criminel  sont  deux  choses  incompatibles. 

Mais  quelle  était,  mon  Dieu,  leur  charité? 
on  reconnaissait  les  chrétiens  en  ce  qu'ils 
s'étudiaient  à  faire  du  bien  à  tout  le  monde; 
doux,  affables,  généreux,  simples,  mais  de 
cette  noble  simplicité  qui  distingue  le  chré- 
tien, ils  étaient  tous  parent»,  mais  par  une 
affinité  toute  divine  et  plus  noble  mille  fois 
que  celle  du  sang  et  dos  alliances;  ils  e\er- 


TI7        PETIT  CAREME.  —  SERMON  H,  OBLIGATIONS  ET  ENGAGEMENTS  DE  CHRETIEN. 


ÎH 


paient  entre  eux  une  hospitalité  si  exacte 
qu'en  quelque  endroit  qu'ils  se  trouvassent 
ils  n'y  étaient  jamais  comme  étrangers;  ils  s'y 
regardaient  comme  frères,  et  c'était  assez 
d'avoir  reçu  leur  foi  pour  être  regardés 
comme  membres  de  la  même  famille  dont  ils 
ne  faisaient  tous  qu'un  cœur  et  qu'une  âme. 
Les  femmes  comme  les  hommes  retranchaient 
les  superfiuités,  et,  à  la  place  de  ces  orne- 
ments étrangers,  ils  y  mettaient  la  candeur, 
la  pudeur,  la  retraite",  la  simplicité,  le  soin, 
chacun  de  leur  famille;  et  ce  que  l'Eglise 
ôtait  à  la  cupidité,  après  le  nécessaire,  ils  le 

Eortaient  aux  pieds  des  apôtres  pour  les 
esoins  de  leurs  frères.  Ils  vivaient  dans 
la  peine  et  dans  la  souffrance  :  toujours  atta- 
chés à  la  croix  de  Jésus-Christ  comme  à 
l'instrument  de  leur  salut  et  à  la  source  de 
leur  bonheur,  leur  plus  grand  désir  était  le 
martyre,  et,  quand  ils  ne  pouvaient  l'obtenir, à 
la  mort,  ils  s'en  faisaient  un  de  la  crainledu  sort 
qui  leur  étaitpréparé,  dès  le  commencement  du 
monde.  Vous  que  rien  n'alarme,  pensez-vous 
que  ce  jour  ternblearrive?qu'allez-vous  deve- 
nir? vous  y  touchez  peut-être,  vous  y  êtes, 
vous  sentez-vous  assez  charitables  pour  y  être 
trouvés  chrétiens?  ceci  est  bien  décisif  pour 
vous.  Quelle  sera  votre  destinée,  il  faut  vous 
l'apprendre,  le  ciel  est  pour  le  chrétien  cha- 
ritable, l'enfer  pour  ceux  qui  ne  le  sont  point. 
Vous  vous  connaissez,  vous  prenez  votre 
place,  mais  si  vous  n'êtes  donc  chrétiens  ni 
a  l'égard  de  Dieu  ni  à  l'égard  du  prochain, 
voyons  si  vous  Fêtes  du  moins  à  l'égard  de 
vous-mêmes. 


TnOISIKME    POINT. 

Nul  peut-être  parmi  nous  n'est  véritable- 
ment chrétien,  parce  qu'à  l'égard  de  soi- 
même  nul  n'a  cet  esprit  de  mortification  si  né- 
cessaire; car  les  deux  autres  dispositions 
commencent  pour  ainsi  dire  le  chrétien,  la 
mortification  le  finit  et  l'achève  ;  elle  lui 
donne  le  premier  trait  de  ressemblance  avec 
Jésus-Christ,  cet  homme  de  douleur  dont 
toute  lavie  n'a  été  qu'une  continuelle  et  longue 
peine  :  il  a  commencé  par  une  crèche  et  a  fini 
par  une  croix.  Or,  si  nul  ne  peut  être  chrétien 
sans  cet  esprit  de  mortification,  l'êtes-vous? 
et  sur  quel  fondement  pouvez-vous  croire 
l'être?  où  paraît  cette  mortification  dans  votre 
vie?  A  la  réserve  d'un  petit  nombre  de  vrais 
pénitents,  à  qui  la  religion  doit  ce  glorieux 
titre  qu'ils  ont  mérité  par  le  sacrifice  qu'ils 
ont  fait  à  Dieu  de  tout  ce  qu'ils  sont,  quel 
autre  peut-il  s'en  glorifier:  plus  j'en  cher- 
che et  moins  j'en  trouve,  et,  à  mesure 
que  je  définis  ce  qu'il  faut  pour  l'être,  je  dé- 
couvre qu'il  y  en  a  bien  peu;  car  où  sont 
ceux  qui  crucifient  leur  chair,  qui  mortifient 
leurs  sens  et  qui  laissent  dans  leur  corps 
ce  glaive  qu'ils  ont  reçu  dans  leur  baptême? 
Nous  devrions  imiter  ce  libérateur  d'Israël 
qui  laissa  dans  le  corps  du  roi  des  Moabites 
l'épéedont  il  l'avait  frappé  h  mort:  Nec  edu- 
xit  gladium,sedita  ut percusscrat  reliquit  in 
corpore  (Judic,  III);  ainsi  nous-mêmes  ayant 
juré  de  renoncer  à  notre  chair,  d'en  réprimer 
les  saillies  impétueuses,  dejiercer  nos  corps 


du  glaive  de  la  pénitence,  nous  devrions  l'y 
laisser  toujours  sans  jamais  le  retirer;  mais 
bêlas!  avec  quelle  promptitude  le  retirons- 
nous,  avec  quelle  lâcheté  nous  sommes-nous 
d'abord  offerts  à  réparer  la  plaie  que  nos 
voeux  et  nos  plaies  avaient  faite  à  notre  chair; 
combien  flattent  lâchement  par  le  plaisir  et 
par  la  mollesse  ce  corps  qu'ils  avaient  pro- 
mis de  frapper  par  la  pénitence  et  par  la 
mortification;  et  puisque  la  mortification 
consiste  en  deux  choses,  à  s'abstenir  du 
plaisir  et  à  embrasser  la  pénitence,  voyons 
s'il  en  est  beaucoup  parmi  nous  qui  se  mor- 
tifient véritablement,  et  si,  par*  conséquent, 
il  y  en  a  beaucoup  de  vrais  chrétiens. 

Premièrement,  un  chrétien,  s'il  est  digne 
du  nom  qu'il  porte,  doit  éviter  avec  soin  tout 
plaisir    profane  :   et  vous    n'êtes    occupés 
dans  le  monde  quà  flatter  vos  sens  et  à  ren- 
dre votre  vie  une  longue  suite  de  plaisirs; 
Temps  sacré,  temps  profane,  vous  y  faites  tout 
servir,  et  vous  comptez  pour  un  temps  perdu 
celui  que  vous  ne  donnez  point  à  quelque 
beauté  nouvelle  ;  vous  prenez  même  le  plai- 
sir  pour  le   plaisir  :  car  si  vous   cherchiez 
quelque  délassement  après  un  travail  salu- 
taire et  utile,  mais  de  quel  travail  vous  re- 
posez-vous ?  toute  votre  occupation  est  de 
courir  du  lit  à  la  table,   de  la  table  aux  pa- 
rures, des  parures  au  jeu,  -du  jeu  à  la  pro- 
menade; vous  cherchez  à  vous  délasser  d'un 
plaisir  à  un  autre,  et  ne  faites  que  changer  de 
volupté;  la  seule  joie  que  vous  ne  connais- 
sez pas,  c'est  celle  de  la  grâce.  Encore  s'il  n'y 
avait  que  peu  de  personnes,  mais  les  mœurs 
sont  toutes  corrompues;  que  l'Eglise  et  la  foi 
nous  condamnent,  n'importe,  la  voix  de  la 
volupté  est  la  plus  forte,  la  jeunesse  croit 
être  toute  faite  et  consacrée  pour  le  plaisir, 
l'âge  le  plus  avancé  n'ose  y  renoncer,   la 
vieillesse  et  des  personnes  mêmes  à  qui  la 
bienséance  ne  permet  plus  d'y  courir  avec 
tant  de  fureur,  ne  pieuvent  s'en  détacher;  et 
de  tous  les  sacrifices  celui  qu'on  fait  le  der- 
nier, c'est  toujours  celui  du  plaisir.  Après  cela 
vous  êtes  un  chrétien  qui  adore  un  Dieu  cru- 
cifié! Aveugles,  que  feriez-vous?  tels  furent  les 
grands  modèles  dès  le  commencement  de  son 
Eglise  que  Dieu  voulut  donner  aux  hommes; 
mais  par  où  leur  ressemblons-nous?  Le  nom 
de  chrétien,  il  est  vrai,  nous  est  resté,  mais 
paraît-il  en  nous  les  moindres  vestiges  de 
leur  fidélité;  on  dirait  que  ce  sont  là  pour 
nous  des  hommes  fabuleux;  car,  que  n'oppo- 
sons-nous pas   à  ces  grands  exemples  qui 
nous  sont  proposés?  Si  on  nous  presse  de  les 
imiter,  nous  nous  écrions  aussitôt,  c'étaient 
là  les  premiers  chrétiens,  et  nous  ne  sommes 
plus   de  ce  temps-là  ;  mais  c'est  pour  cela, 
vous  dirai-je,  qu'il  faut  les  suivre,  eux  qui 
reçurent   les  prémices    de    la  foi ,    et    îe« 
premières     semences     du     christianisme  ; 
c'étaient  les  premiers  chrétiens,  je  l'avoue," 
mais  vous  qu'êtes- vous  donc?  des  païens  et 
des  idolâtres?  Si  tous  se  rendirent  si  saints, 
si  vertueux,  si  parfaits,  ayant  comme  eux  la 
même  grâce,  le  même  Evangile,  le  même 
baptême,  pourquoi  n'êtes-vous  pas  ce  Qu'ils 
étaient  ? 


719 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SURIAN. 


7*0 


C'étaient  la  les  premiers  chrétiens,  oui, 
mais  s'ils  n'ont  fait  que  ce  que  Jésus-Christ 
avait  fait  lui-môme  le  premier,  pourquoi 
vous  en  dispenseriez- vous  plutôt  qu'eux  ; 
mais  s'ils  pouvaient  se  sauver  par  des 
moyens  si  relâchés,  par  une  vie  si  douce, 
ils  étaient  donc  bien  malheureux  et  vous 
bien  heureux?  Peut-on  le  penser  sans  impiété 
et  le  dire  sans  blasphème;  c'étaient  les  pre- 
miers chrétiens,  pourquoi  vous  croiriez-vous 
exempts  d'en  faire  autant  :  ah  1  puisque  les 
mœurs  des  premiers  chrétiens  vous  parais- 
sent si  belles,  que  ne  les  rappelez-vous  donc 
par  votre  imitation  !  Au  siècle  où  vous  vivez, 
si  quelqu'un  d'entre  eux  reparaissait  parmi 
nous,  y  reconnaîtrait-il  la  première  Eglise. 
Reportez-vous  aux  premiers  jours  de  votre 
renaissance;  c'était-là  ce  qui  les  affermissait 
dans  la  ferveur,  et  chaque  année  ils  rappe- 
laient le  jour  de  leur  baptême  qui  les  fit 
chrétiens,  jour  plus  beau  pour  eux  que  celui 
du  triomphe  des  plus  grands  conquérants. 
Ils  y  reprenaient  leurs  habits  baptismaux,  et 
sanctifiaient  cet  heureux  jour  par  plus  de 
piété  et  par  le  renouvellement  de  leurs  pro- 
messes et  de  leurs  vœux  qu'ils  scellaient  de 
leurs  gémissements  et  de  leurs  larmes. 

Imitons  en  eux  une  pratique  si  louable: 
tous,  prosternés  aux  pieds  du  Seigneur,  ren- 
gageons-nous à  lui  par  de  nouveaux  vœux 
et  de  nouvelles  promesses,  et  nous  écrions  : 
O  Dieu  saint,  l'auteur  de  toute  grâce,  voici 
des  infidèles  qui,  les  larmes  aux  yeux,  se 
présentent  aujourd'hui  à  vous  pour  repren- 
dre la  qualité  de  chrétiens  qu'ils  ont  perdue 
] ar  leur  faute;  au  lieu  de  retrouver  en  nous 
cette  onction,  cette  grâce  du  baptême,  nous 
n'y  trouvons,  hélas  1  que  des  crimes,  que  des 
profanations  dont  le  nombre  et  la  grandeur 
nous  épouvante;  nous  avons  dans  notre  mi- 
sère une  consolation,  c'est  que  nous  la  sen- 
tons profondément  et  que  nous  voulons  en 
sortir.  En  rappelant  ainsi  nos  premiers  vœux, 
rappelez-nous  en  votre  première  grâce; 
qu'en  avons-nous  fait,  grand  Dieu  1  vous  le 
voyez,  tout  est  violé,  tout  est  profané,  et 
nos  promesses  solennelles  sont  comme  si 
nous  n'en  avions  jamais  fait.  Oui,  mon  Sau- 
veur, nous  les  renouvelons  en  votre  pré- 
sence, à- là  face  du  ciel  et  de  la  terre  ces 
premiers  vœux;  comme  le  premier  jour  de 
notre  baptême,  nous  renonçons  pour  jamais 
à  Satan  et  h  ses  œuvres,  au  monde  et  à  ses 
pompes,  à  la  chair  et  à  ses  désirs,  au  péché 
et  à  nous-mêmes;  du  haut  du  ciel,  bénissez, 
grand  Dieu,  ces  promesses  si  solennelles,  et 
nous  aidez  à  les  remplir;  faites  descendre 
sur  nous  votre  esprit,  comme  au  jour  dejjno- 
tre  baptême,  et  commandez  au  démon  de 
sortir  de  nos  âmes;  allumez  en  nous  les  lu- 
mières saintes  de  votre  charité,  plongez-nous 
dans  le  bain  salutaire  de  la  pénitence  et  des 
mortifications;  en  un  mot,  donnez-nous  cet 
esprit  de  religion  en  vous,  qui  nous  fasse 
vous  rapporter  toutes  nos  actions  et  tous  nos 
sentiments,  cet  esprit  de  charité  envers  le 
prochain,  qui  nous  en  fasse  remplir  tous  les 
caractères,  cet  esprit  de  mortification  envers 
nous,  qui  nous  rende  des  victimes  agréables 


à  vos  yeux,  et  pendant  que  nous  renouve- 
lons ici  nos  vœux,  renouvelez  en  mémo 
temps  vos  grâces  sur  nous,  afin  que  nous 
puissions  espérer  de  jouir  de  votre  gloire 
dans  l'éternité  bienheureuse,  que  je  vous 
souhaite  au  nom  du  Père  et  du  Fils  et  du 
Saint-Esprit.  Amen. 

SERMON   III. 

AMOUR    DE  DIEU. 

Eslote  ergo  vos  pprfecli  sicut  et  Pater  ves'.er  cœlestis 
perfeclus  esr.  (Matth.,  Y.) 

Soyez  doue  parfaits  comme  voire  Père  céleste  est  par- 
fait. 

Quelle  est  donc  cette  perfection  que  Jésus- 
Clirist  demande  à  tousles  fidèles?  C'est,  dit 
l'Apôtre,  la  divine  charité,  le  sacrifice  de  son 
propre  cœur  :  sans  le  cœur,  en  effet,  l'homme 
n'est  plus  rien,  sa  piété  n'est  qu'erreur,  sa 
foi  qu'illusion,  son  culte  qu'hypocrisie,  et 
toutes  ses  vertus  sont  réprouvées  de  Dieu  et 
inutiles  pour  lui-même;  parle  cœur  il  est 
chrétien  comme  il  est  homme,  il  vit  à  Dieu 
comme  il  vit  à  lui-même  ;  c'est  par  le  cœur 
qu'il  plaît,  qu'il  mérite,  qu'il  adore,  et,  du 
seul  fonds  de  sa  charité,  coulent  de  source 
toutes  les  vertus  qu'il  pratique  et  tout  le 
bien  qu'il  fait. 

O  heureuse  habitude  de  l'amour  divin  1 
il  est  toute  la  piété  de  l'homme,  le  fond 
de  la  liberté  chrétienne,  l'asile  de  la  re- 
ligion, le  centre  mystérieux  où  se  réunissent 
l'expérience  du  pécheur  et  le  salut  du  juste 
tout  ensemble.  Tout  enfin  est  mort  en  moi  sous 
la  charité,  dit  saint  Chrysostome;  elle  seule  me 
donne  l'être,  à  l'égarcf  de  Dieu,  par  la  recon- 
naissance qu'elle  m'inspire;  elle  seule  me 
fait  vivre  à  moi-même  par  le  bonheur  dont 
elle  me  remplit  :  sans  elle,  j'avoue  ou  que 
je  ne  suis  rien,  nihil  sum,  ou  que  si  je  suis 
quelque  chose,  je  ne  suis  qu'un  ingrat , 
qu'un  misérable,  ingratus  sum  et  miser. 

Sur  ces  deux  paroles  simples,  j'établis 
deux  grands  motii's  de  l'amour  de  Dieu. 
Nous  devons  l'aimer,  dit  saint  Bernard,  et 
pour  lui  et  pour  nous,  et  propter  ipsum  cl 
propter  nos  :  pour  lui,  à  cause  des  biens  qu'il 
nous  l'ait  ;  pour  nous,  afin  de  nous  faire 
du  bien  à  nous-mêmes  ;  par  conséquent,  sans 
la  charité,  nous  sommes  ingrats  et  malheu- 
reux, ingratus  et  miser;  ingrats  d'intérêts 
qui  seuls  doivent  vous  porter  à  aimer  le 
Seigneur  comme  vous  le  devez. C'est  à  vous, 
Saint-Esprit,  à  donner  à  mes  paroles  toute 
l'onction  que  demande  la  matière  que  je 
traite;  ouvrez  ma  bouche  pour  parler,  et  le 
cœur  de  mes  auditeurs  pour  aimer  :  nous 
vous  en  conjurons  par  l'intercession  de  Ma- 
rie. Ave,  Maria. 

PREMIER     POINT. 

Nous  n'avons  qu'à  ouvrir  les  yeux  sur  ce 
que  nous  sommes,  pour  nous  convaincre  in- 
vinciblement de  l'obligation  d'aimer  Dieu 
sons  peine  de  la  plus  noire  ingratitude.  En 
effet,  dans  la  loi  de  grâce  comme  dans  la  loi 
de  nature,  que  s'otfre-t-il  à  nos  yeux  de 
nous-mêmes  qui  neporteune  impression  des 


CAREME.  —  SERMON  III,  AMOUR  DE  D1EC 


72-i 

bienfaits  de  Dieu,  et  qui,  par  conséquent,  ne 
doive  nous  porter  à  reconnaître  sérieuse- 
ment le  tribut  qu'il  en  exige.  Si  j'étais,  di- 
sait un  Père,  l'ouvrage  de  mes  propres 
mains,  et  que  je  me  fusse  sauvé  de  moi- 
même,  je  devrais  mettre  en  lui  mon  amour 
et  ma  confiance,  comme  en  l'Etre  suprême; 
et  pourquoi,  n'étant  rien  qui  ne  soit  ou  un 
Irait  de  sa  main,  ou  le  prix  de  ses  souffran- 
ces, ne  m'écrierais-je  pas:  Vous,  Seigneur, 
qui  m'avez  créé,  vous  qui  m'avez  racheté, 
tout  ce  que  je  trouve  en  moi  me  dit,  que, 
comme  hommme  et  comme  chrétien,  je  vous 
dois  aimer  uniquement  d'un  amour  le  plus 
tendre. 

Et  d'abord,  si  nous  pouvions  un  peu  ré- 
fléchir à  ce  que  Dieu  a  fait  pour  l'homme,  où 
trouverions-nous  assez  d'âme  et  de  cœur  en 
nous  pour  l'aimer;  si  nous  pouvions  penser 
une  bonne  fois  que  c'est  lui  qui  nous  a  fait 
passer  du  néant  stérile  à  l'honneur  de  lui 
ressembler  ;  que  c'est  lui  qui,  ayant  formé 
la  lumière  dès  le  commencement  du  monde 
pour  nous  éclairer,  en  rassemble  les  ravons 
pour  nous  échauffer;  qui  fournit  les  élé- 
ments dont  nous  sommes  composés,  qui  a 
mis  au-dessus  de  nous  les  cieux  pour  nous 
couvrir,  au-dessous  la  terre  pour  nous  por- 
ter, au  dedans  la  substance  qui  nous  forme, 
au  dehors  les  vêtements  qui  nous  servent, 
«T.Uour  de  nous  ces  variétés  qui  nous  charment, 
que  c'est  lui  qui  pénètre  l'homme  et  qui  l'in- 
vestit de  ses  dons.  Ah!  Seigneur,  qui  les 
connaît  tous  ces  dons  admirables,  si  ce  n'est 
celui  qui  a  su  les  répandre;  et  qui  peut  les 
surpasser  si  ce  n'est  l'amour  infini  par  lequel 
vous  y  avez  mis  le  comble. 

O  mon  Dieu!  quelle  serait  l'âme  assez  in- 
sensible pour  n'être  pas  touchée,  pour 
n'être  pas  ébranlée  par  une  ingratitude  sj 
noire  et  si  universelle,  ingrat  us.  Tout  est 
plein  de  ces  âmes  abusées,  et  parmi  ceux 
même  cpii  se  croient  les  plus  fidèles,  n'en 
est-il  pas  une  infinité  qui,  sans  rien  fairo 
pour  Dieu,  vous  disent  qu'ils  l'aiment,  parce 
qu'ils  viennent  avec  indolence  et  tiédeur 
renouveler  aux  pieds  des  autels  quelques 
actes  languissants  d'une  piété  infirme. 
Quand  vous  nous  dites  que  vous  aimez  Dieu 
en  .agissant  de  la  sorte,  de  quel  front  pou- 
vez-vous  le  soutenir,  lorsqu'en  vous  on  ne 
voit  nul  zèle  pour  ses  intérêts,  nul  soin  de 
lui  plaire,  nul  empressement  de  vous  unir 
à  lui?  i^a  charité  est-elle  donc  où  elle  n'agit 
pos ,  où  elle  ne  fait  pas  même  de  grandes 
choses?  n'y  aurait-il  donc  que  celui  qui  est 
saint  et  charitable  qui  fût  oisif  et  inutile; 
mais  quand  vous  aimez  les  créatures,  vous 
êtes  si  fort  dans  le  mouvement  et  dans  l'ac- 
tion !  La  source  peut-elle  être  vive  sans 
faire  couler  des  ruisseaux?  la  divine  charité 
peut-elle  être  agissante  sans  produire  des  ver- 
tus? Eh!  où  sont  donc  les  fruits  sacrés  de  cet 
amour  en  vous?  par  où  respire-t-il  et  où  se 
montre-t-il?  Vous  suffit-il  de  vouloir  Dieu? 
\  ous  l'aimez,  dites -vous,  mais  pour  cela 
prenez -vous  sur  vos  penchants,  sur  votre 
mollesse,  sur  vos  plaisirs,  sur  votre  repos, 
sur  votre  personne,  sur    tout  vous-même? 


72? 


Hélas!  il  semble  que  la  divine  charité  soit 
en  vous  une  possession  froide  qui  demeure 
dans  votre  esprit,  comme  ferait  une  pure 
idée,  sans  passer  jusque  dans  votre  cœur, 
comme  un  véritable  sentiment.  Vous  aimez 
Dieu  :  mais  s'il  était  à  la  liberté  de  votre 
choix  de  devenir  heureux  par  l'amour  de 
ses  créatures  ou  par  le  sien,  lequel  préfére- 
riez-vous?  Si  votre  amour  devait  vous  coû- 
ter un  poste  avantageux ,  un  emploi  consi- 
dérable, renonceriez-vous  volontiers  à  ceux- 
ci  pour  vous  attacher  à  celui-là,  s'il  sa 
présentait  une  de  ses  conjonctures  où  ii 
s'agit  de  plaire  au  monde  ou  à  Dieu,  d'obéir 
au  Seigneur  ou  à  votre  passion. 

Selon  le  portrait  que  le  Sage  nous  fait  du 
divin  amour,  trouvons-nous  dans  le  vôtre 
un  seul  de  ses  traits  :  il  est  fort,  et  vous 
cédez  aux  premières  attaques.  Les  plus 
légères  tentations  vous  ébranlent  ;  il  est 
courageux ,  et  le  moindre  combat  vous 
rebute,  la  moindre  peine  vous  fait  peur, 
et  pendant  que  vous  paraissez  infatigable:; 
pour  le  monde,  tout  vous  paraît  pénible  et 
affreux  pour  votre  Dieu.  11  est  constant,  et 
le  moindre- objet  vous  emporte  :  vous  tour- 
nez à  tous  vents,  vous  voudriez  changer  à 
tout  moment  de  situation  ,  et  votre  âme 
flottante  passe  mille  fois  de  l'amour  à  l'in- 
différence., de  la  justice  au  péché  et  du  crime 
à  la  pénitence  ;  il  est  pur,  il  est  unique ,  et 
cette  grande  passion  absorbe  toutes  les 
autres,  et  l'on  ne  voit  en  vous  que  d'in- 
dignes partages ,  que  de  malheureuses 
attaches  avec  le  monde  qui  est  son  ennemi  ; 
et  vous  disposez  en  faveur  du  premier  ob- 
jet qui  vous  plaît,  vous  disposez  de  ce  cœur 
toujours  trop  étroit  pour  aimer  et  contenir 
un  objet  si  aimable  et  si  grand  1 

Vous  aimez  Dieu:  mais  quand  on  l'aime 
comme  il  faut ,  il  sort  de  ce  cœur  enflammé 
des  sentiments  tendres ,  des  nrières  fer- 
ventes, des  aspirations  vives,  des  onctions 
saintes,  et  vous,  quoique  excités  par  xo* 
misères,  avertis  par  vos  besoins,  vous  le 
servez  si  lâchement!  vous  le  priez  si  froide- 
ment! vous  le  désirez  si  faiblement!  vous 
le  cherchez  si  lentement  !  vous  l'honorez 
par  des  œuvres  si  tièdesl  Est-ce  donc  ainsi 
qu'il  vous  a  aimés?  La  charité  qu'il  a  eue 
pour  vous,  ressemble-t-elle  à  la  vôtre?  et  le 
môme  amour  était-il  si  vif,  si  immense,  si 
généreux  dans  le  Créateur;  si  faible  et  si 
borné  dans  la  créature  ?  Ah  1  il  faut  donc 
avouer  que  c'est  une  illusion  d'appeler, 
amour  de  Dieu  ce  qui  n'est  qu'un  lâche- 
amour  de  vous-mêmes.  La  charité  stérile 
ne  vaut  guère  mieux  que  l'ingratitude,  et 
avec  un  tel  amour,  vous  demeurez  aussi 
méconnaissant  envers  Dieu  que  si  vous  lui 
portiez  une  haine  marquée. 

Vous  le  savez,  Messieurs,  Dieu  a  envoyé 
son  Fils  unique  sur  la  terre  pour  nous  déli- 
vrer du  péché  et  pour  nous  combler  de 
grâces;  pour  nous  rendre  ses  enfants  malgré 
notre  esclavage,  et  nous  faire  des  saints 
malgré  nos  prévarications.  N'est-ce  pas  là 
mettre  le  comble  à  ses  bienfaits ,  et  ne  se- 
rait-ce pas,  pour  un  chrétien  quin  estchrô- 


723 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SIRIAN. 


734 


tien  que  par  le  Fils  de  Dieu ,  l'ingratitude  la 
plus  énorme  ,  de  ne  pas  en  avoir  la  plus 
tendre  reconnaissance?  Sentons-la  donc,  s'il 
se  peut,  cette  noire  ingratitude,  et  si  nous 
sommes  dans  la  haine  ou  dans  l'indifférence, 
hâtons -nous  d'en  sortir,  et  demandons  à 
Jésus-Christ  un  cœur  pour  l'aimer;  car  ne 
!e  point  aimer,  c'est  ne  point  avoir  de  cœur: 
et  certes  peut-on  imaginer  quelle  est  l'in- 
sensibilité d'un  chrétien  qui  ne  serait  point 
pénétré  d'amour  pour  ce  Dieu,  qui,  du  sein 
de  ses  grandeurs,  a  voulu  se  mettre  au 
nombre  des  petits  pour  nous  glorifier,  qui 
s'est  sacrifiépoursauverle  chrétien  de  la  mort 
de  l'enfer;  qui  s'est  pour  ainsi  dire  anéanti 
pour  s'accommoder  à  sa  faiblesse  et  se  don- 
ner tout  entier  à  lui,  quoique,  dit  saint  Ber- 
nard, le  poids  de  son  amour  n'eût  point 
encore  abaissé  Dieu  jusqu'à  l'homme,  déjà 
il  était  aimé  ;  "et  il  était  dit  :  Malheur  à  l'in- 
grat qui  n'aime  point  celui  qui  l'a  créé.  Qui 
aurait  donc  pu  introduire  parmi  nous,  et 
dans  notre  sainte  religion  cette  affreuse 
tache  d'ingratitude,  si  odieuse  à  nos  pères 
et   si   fort  condamnée  dans  une  loi  moins 

fiarfaite?  Qu'aura-t-il  paru  dans  le  nouveau 
égislateur,  qui  eût  pu  nous  faire  déchoir 
dans  un  devoir  si  juste?  seraient-ce  les  humi- 
liations, les  opprobres,  les  souffrances,  et 
les  ignominies  où  vous  avez  voulu  passer, 
ô  mon  Sauveur,  pour  nous  mériter  une 
parfaite  réconciliation  et  apaiser  la  colère 
de  votre  Père?  Seraient-ce  les  soins,  les  tra- 
vaux et  les  peines  d'une  vie  aussi  triste , 
aussi  pénitente  que  celle  que  vous  aviez 
menée  sur  la  terre?  seraient-ce  ces  plaies 
adorables  causées  par  nos  offenses,  et  tou- 
jours ouvertes  pour  nous,  recevoir  avec 
amour;  serait-ce  enfin  le  choix  que  vous 
avez  fait  d'une  rédemption  si  douloureuse, 
vous  qui,  ayant  pu  nous  racheter  d'une 
seule  parole ,  l'avez  fait  aux  dépens  de 
votre  vie  et  de  tout  votre  sang. 

Triste  mais  trop  naturelle  image  de  nos 
cœurs  qui  sont  comme  une  glace  d'hiver  sur 
qui  tombe  une  pluie  de  feu  et  de  feu  le 
plus  ardent,  sans  que  rien  soit  capable  de 
les  échauffer  et  de  les  fondre  :  Ingrati  spes 
lanquamglacies  hibernalis  (Sap.,  XVI.)  Et  en 
effet,  que  de  son  esprit  saint,  que  de  ses  ins- 
pirations divines,  que  de  ses  mouvements 
intérieurs,  que  de  ses  exemples  touchants, 
que  de  ses  afflictions  salutaires,  que  de  sa 
longue  patience,  que  de  toutes  ses  flammes  si 
divines,  si  puissantes,  l'amour  de  Jésus-Christ 
forme  une  pluie  de  feu  qui  tombe  sur  nos 
cœurs  pour  en  amortir  la  dureté  et  en  fon- 
dre la  glace  ;  hélas!  quel  fruit  en  tiron.; 
nous?  cet  esprit  saint,  nous  le  consistons; 
ces  inspirations,  nous  les  étouffons;  les  mou- 
vements, nous  les  arrêtons;  les  exemples, 
nous  les  méprisons  ;  ces  afflictions,  nous  en 
murmurons;  sa  patience,  nous  en  abusons; 
sa  parole,  nous  la  rejetons  ;  ses  sacrements, 
nous  les  profanons;  enfin,  tout  perd  sa  force 
sur  nos  cœurs  endurcis,  toutes  les  flammes 
d'un  divin  amour  qui  tombent  sur  nos  âmes 
ne  sont  point  capables  d'en  attendrir  l'in- 
sensibilité, et  ce  cœur  demeure  tout  de  glace 


au  milieu  des  feux  qui  l'environnent, 
O  ciel!  je  frémis  sur  une  ingratitude  si 
monstrueuse.  Vous  l'aviez  bien  prévu,  grand 
Dieu!  et  comment  ne  nous  a-t-il  pas  empêché 
d'abuser  de  tant  de  grâces  et  de  tant  de  bien- 
faits; mourrons-nous  donc,  Messieurs,,  sans 
l'avoir  jamais  aimé,  ce  Sauveur  sï  aimable! 
Ahl  que  saint  Paul  sentait  bien  mieux 
que  nous  ce  qu'il  devait  à  Dieu,  lui  qui,  à 
la  vue  des  grâces  et  de  la  rédemption  que 
nous  devons  à  Jésus -Christ ,  se  sentant 
pressé  par  les  transports  les  plus  violents 
du  divin  amour,  défiant  le  ciel  et  fa  terre 
de  jamais  pouvoir  l'en  séparer,  s'écrie, 
par  un  trait  de  l'éloquence  la  plus  vive  : 
Quis  ergo  nos  separabit  a  charitate  Christi 
(  Rom.,  VIII  )  ;  qui  donc  nous  séparera  de  Ta 
charité  que  nous  devons  à  Jésus-Christ? 
Seront-ce  les  plus  rudes  tribulations,  seront- 
celes  fers,  les  prisons,  an  anguslia?  (Ibid.) 
mais  quand  j'aurai  avec  moi  le  Tout-Puis- 
sant, je  n'aurai  pas  de  peine  à  rompre  les 
liens  et  les  chaînes  du  monde  qui  ne  pèsent 
guère  à  quiconque  aime  son  Dieu;  sera-ce 
la  faim,  an  fumes?  (Ibid.  )  mais  dois-je  la 
craindre,  quand  j'ai  dans  moi  le  pain  des- 
cendu du  ciel  pour  me  nourrir?  seront-ce  les 
périls;  an  periculum?  mais  Dieu  étant  le 
protecteur  de  mes  jours,  que  dois-je  craindre? 
sera-ce  la  persécution  et  le  glaive  :  An  per- 
secutio  au  gladius?  (Ibid.)  mais  celui  que 
j'aime  étant  le  Dieu  terrible,  le  Dieu  fortr 
ne  me  défendra-t-il  pas  contre  mes  ennemis  ; 
et  s'il  est"  appelé  le  Dieu  de  toute  consola- 
tion, n'est-ce  pas  pour  en  inonder  ceux  qui 
l'aiment?  la  mort  même  serait  un  gain  pour 
moi;  et  les  plus  grandes  persécutions  qui 
puissent  m'arriver  du  côté  des  hommes  ne 
me  paraissent  rien  en  comparaison  des  ré- 
compenses que  j'attends  de  mon  Dieu; 
non,  ni  la  mort  ni  la  vie  :  Neque  mors  neque 
vita  (  Ibid.  ),  ni  les  anges,  ni  les  principau- 
tés :  Neque  angeli,  neque  principatus  (Ibid.)y 
ni  l'excès  des  peines  présentes,  ni  la  crainte 
des  maux  à  venir,  ni  la  hauteur  des  digni- 
tés du  siècle,  ni  les  profondeurs  de  ses  hu- 
miliations :  Neque  altitudincs  neque  pro- 
fundum.  (  Ibid.)  Qu'on  m'élève  jusqu'aux 
nues,  qu'on  me  précipite  de  la  plus  haute 
tour,  jamais  aucune  créature,  jamais  rien 
ne  pourra  me  détacher  de  l'amour  de  Jésus- 
Christ  :  Neque  creatura  alia  poterit  nos 
separare  a  charitate  quœ  est  in  Deo.  (Ibid.) 
Et  vous,  chrétiens,  rien,  au  contraire,  ne 
peut  vous  en  rapprocher  de  ce  Sauveur  ai- 
mable :  ni  les  afflictions  amères  qu'il  vous 
envoie,  ni  les  disgrâces  imprévues  qui  vous 
arrivent,  ni  les  accidents  fâcheux  qui  vous 
surviennent,  ni  les  chagrins  qui  troublent 
votre  esprit,  ni  la  faim  que  souffre  une  âme 
qu'il  ne  nourrit  pas,  ni  la  honteuse  nudité 
de  bonnes  œuvres  qui  vous  exclut  du  festin 
de  l'Epoux,  ni  le  glaive  vengeur  qui  ver- 
sera un  jour  le  sang  des  cœurs  ingrats  et  in- 
sensibles, ni  les  périls  auxquels  le  combat 
cruel  de  vos  passions  vous  expose  ;  non,  ni 
la  crainte  d'une  mort  toujours  prochaine,  ni 
les  dégoûts  d'une  vie  toujours  traversée  et 
pleine  de  chagrins,  ni  l'espérance  d'une  fé- 


723 


CAREME.  —  SERMON  III,  AMOUR  DE  DIEU. 


72$ 


licite  éternelle  qui  est  offerte  à  ceux  qui 
aiment  Dieu,  ni  ce  gouffre  de  maux  qui  vous 
menacent;  si  vous  ne  l'aimez  pas,  rien  n3 
peut  vous  ramener  à  la  charité  de  Jésus- 
Christ.  Quelle  honte  pour  vous  ;  rien  ne 
peut  en  séparer  le  grand  Apôtre,  et  rien  ne 
peut  vous  y  attacher,  rien  ne  peut  vous  sé- 
parer d'une  beauté  passagère  ou  d'un  hon- 
neur chimérique,  d'une  fortune  inconstante, 
au  lieu  qu'un  rien  vous  ôte  votre  Dieu,  un 
rien  vous  le  fait  quitter;  et,  quand  vous 
avez  tant  fait  que  de  le  perdre,  rien  ne  peut 
vous  y  ramener. 

Ohl  dites  donc,  cœurs  ingrats  et  insensi- 
bles, ce  qu'il  faut  qu'un  Dieu  fasse  pour  se 
faire  aimer  de  vous;  faut-il  plus  faire?  il  le 
fera  encore;  mais  souvenez-vous  du  souf- 
fle qui  vous  a  formés  ;  ne  perdez  pas  de  vue 
ce  sang  précieux  qui  vous  a  rachetés  ;  il  vous 
a  donné  tout  ce  que  vous  êtes  et  tout  ce  que 
vous  avez;  il  s'est  fait  tout  ce  que  vous  êtes, 
pour  vous  faire  tout  ce  qu'il  était.  Ah  !  s'il 
y  a  quelque  tendresse  dans  nos  cœurs,  à 
qui  do  t-elle  aller  plutôt  et  plus  justement 
qu'à  vous?  n'est-ce  pas  vous  qui  nous  don- 
nez tant  de  biens,  plus  qu'à  une  créature 
qui  ne  vous  cause  que  des  malheurs?  vous 
êtes  notre  Seigneur  et  notre  Rédempteur; 
votre  charité  sera  notre  unique  et  plus 
chère  passion,  et  l'exercice  le  plus  doux  de 
notre  vie  ;  puisqu'il  faut  un  amour  à  notre 
cœur,  nous  voulons  lui  donner  le  plus  par- 
fait pour  qu'il  soit  digne  de  lui,  et  par  là, 
Messieurs,  vous  vous  aimerez  vous-mêmes; 
car  si  le  défaut  de  la  charité  vous  rend  in- 
grats, il  vous  rend  aussi  méprisables;  c'est 
l'autre  partie  de  ce  discours. 

SECOND    POINT. 

Ce  qu'il  y  a,  dit  un  saint  docteur,  de  plus 
essentiel  à  l'homme,  et  ce  qui  fait  sur  la 
terre  tout  le  sujet  de  son  bonheur  ou  de  son 
malheur,  c'est  qu'il  désire ,  qu'il  agisse, 
qu'il  espère.  S'il  désire  ce  qu'il  peut  possé- 
der, mais  d'une  possession  durable;  s'il 
agit  pour  une  tin  qu'il  peut  obtenir  avec 
assurance;  s'il  espère  une  chose  qui  lui 
convienne  et  qui  ne  soit  point  au-dessus  de 
son  mérite  et  de  sa  portée,  il  peut  dire  qu'il 
est  heureux;  il  ne  l'est  pas,  au  contraire,  si 
ses  désirs  sont  sans  effet,  ses  actions  sans 
fruit  et  son  attente  sans  fondement  ;  et  voilà 
l'idée  qu'avait  David  d'un  homme  véritable- 
ment heureux,  lorsqu'il  a  dit  :  Ils  sont  ras- 
sasiés dans  les  désirs  de  leur  cœur;  les  œu- 
vres de  leurs  mains  ne  les  ont  point  corrom- 
pus ;  ils  ne  seront  plus  confondus  dans  leurs 
espérances. 

Et  d'abord,  que  l'homme  soit  malheureux 
dans  ses  désirs,  c'est  ce  dont  l'Ecriture  nous 
donne  une  preuve  assez  forte,  lorsque  Dieu 
le  menace  de  le  livrer  à  ses  désirs  comme  à 
un  malheur  infini  ;  mais  saint  Augustin  nous 
donne  une  raison  bien  naturelle  de  ce  mal- 
heur. L'homme,  dit  ce  Père,  ne  peut  être  sans 
désir,  parce  qu'il  ne  peut  vivre  sans  amour; 
mais  s'il  ne  rassemble  tous  ses  désirs  en 
Dieu,  qui  seul  peut  être  son  bien  souverain, 
il  se  répandra  sur  la  variété  des  créatures, 


et  de  là  son  véritable  malheur,  et  pourquoi  ? 
parce  que,  ou  il  ne  les  obtiendra  pas,  elles 
sont  fugitives  et  fragiles,  et  alors  quelle  agi- 
tation, quelle  inquiétude  1  ou  s'il  y  arrive, 
s'il  parvient  à  les  obtenir,  elles  ne  le  rem- 
pliront pas,  elles  sont  trop  défectueuses  et 
trop  vides,  et  alors  quelle  faim,  quelle  in- 
digence !  voilà  quel  est  votre  sort  sur  ht 
terre: Tous  vos  désirs  tendent  à  vous  ren- 
dre heureux  avec  les  créatures,  et  tous  vos 
chagrins  sont  de  ne  pouvoir  jamais  l'être; 
le  seul  désir  d'un  objet  est  souvent  un  ob- 
stacle pour  y  arriver;  votre  penchant  vous 
entraîne  vers  le  plaisir,  mais  il  semble  vous 
fuir  et  se  dérober  à  vos  plus  vives  recher- 
ches ;  toute  votre  attention  est  pour  les  hon- 
neurs, pour  les  dignités  et  les  emplois,  mais- 
tout  semble  contribuer  à  vous  les  rendre 
impossibles  ;  tout  les  éloigne  de  vous  :  des- 
patrons  qui  vous  manquent,  des  amis  qui 
vous  insultent,  des  commerçants  qui  vous 
supplantent  ;  il  y  a  dans  les  vices  certaine 
incompatibilité  qui  semble  ne  servir  qu'à 
tourmenter  davantage  ceux  qui  veulent  les. 
allier  ensemble;  les  passions  qui  se  com- 
battent et  qui  sont  jalouses  l'une  de  l'autre, 
font  toujours  que  l'on  n'en  contente  au- 
cune; ce  que  l'orgueil  demande,  la  mollesse 
ne  le  veut  pas;  l'avarice  combat  ce  que  la 
volupté  souhaite;  pour  rendre  heureuse  une 
de  ces  passions,  il  faut  nécessairement  met- 
tre les  autres  en  esclavage  ;  tout  insatia- 
bles qu'elles  sont,  elles  deviennent  toutes 
incompatibles;  votre  cœur  misérable  ne  sait 
quoi  abandonner  ou  quoi  choisir;  assez 
vaste  pour  souhailer  toute1,  les  passions  en- 
semble, il  n'est  point  assez  fort  pour  con- 
tenter les  désirs  d'aucune;  toute  sa  force  se 
consume  en  des  transports,  en  des  idées,  en 
des  souhaits  qui  ne  s'accomplissent  jamais; 
et  c'est  ainsi  que  la  vie  se  passe  à  désirer  et 
à  souffrir  ;  on  y  éprouve  une  misère  conti- 
nuelle ;  on  n'y  fait  que  de  vains  efforts,  et 
on  la  voit  finir  sans  jamais  avoir  pu  jouir 
de  Dieu,  ni  du  monde,  ni  de  soi-même. 

Non,  Messieurs,  avouons-le,  nous  ne  don- 
nons pas  à  ce  malheur  qui  nous  regarde 
toute  la  compassion  dont  il  est  digne  ;ô  vous 
qui  êtes  assez  ennemis  de  vous-mêmes  pour 
livrer  votre  âme  à  des  désirs  qui  la  rendent 
malheureuse,  soyez  troublés  de  son  trouble 
et  de  ses  agitations;  prenez  pitié  de  ses  éga- 
rements et  la  faites  revenir  à  son  Dieu  par 
le  soin  que  vous  prendrez  de  lui  plaire  ;  réu- 
nissez en  lui  seul  tous  vos  mouvements  et 
tous  vos  désirs;  renfermez-vous  dans  son 
saint  amour,  puisqu'il  n'y  a  que  lui  qui  soit 
capable  de  vous  fixer  :  Miserere  animée  tuœ 
placens  Deo,  et  contine  [Eccli.,  XXX);  faites- 
en  l'unique  objet  de  vos  empressements,  et 
fixez  votre  cœur  dans  les  voies  de  la  tran- 
quillité sainte  :  Conyrega  cor  tuum  in  s  an- 
ctitate  ejus.  (Ibid.)  Par  là  vous  vous  délivrerez 
des  maux  qui  vous  accablent.  Ne  cherchez  et 
ne  désirez  que  Dieu,  et  vous  serez  heureux. 
Vous  le  serez  sans  doute,  parée  que  c'est  un 
bien  toujours  présent,  toujours  offert,  et 
plus  encore  parce  qu'étant  la  plénitude  de 
votre  titre,  et  de  tous  les  biens  ensemble»  il 


m 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SIJRIAN. 


738 


est  seul  capable  de  remplir  la  plénitude  de 
vos  désirs.  Oui,  quand  une  fois  il  est  dans 
un  cœur ,  qu'il  y  règne,  les  remords  s'apai- 
sent, les  inquiétudes  finissent,  les  troubles 
cessent,  les  désirs  sont  remplis;  tout  y  est 
dans  la  joie,  dans  le  calme,  dans  le  conten- 
tement. Hélas  I  il  n'en  est  pas  de  même  du 
vôtre,  parce  que  votre  Dieu  n'y  règne  pas , 
et  quand  je  vous  accorderais  que  vous  pos- 
sédez tous  ces  autres  objets  que  vous  cher- 
chiez, vous  n'auriez  encore  rien  gagné, 
parce  que,  dans  leur  jouissance  même,  vous 
seriez  encore  malheureux ,  et  qu'aux  termes 
d'Isaïe,  votre  âme  nourrie  de  toutes  les  cho- 
ses de  la  terre ,  comme  dans  un  songe , 
se  trouve  toujours  vide  à  son  révoil,  et  n'en 
est  jamais  rassasiée  :  Sicut  somniat  esterions 
et  comedit,  cum  autem  fuerit  expergefactus, 
unira  est  anima  ejus.  (Isa,,  XXIX.) 

Et  en  effet,  riches  du  monde,  quand  vous 
avez  obtenu  ces  richesses  tant  désirées,  tant 
recherchées,  êtes-vous  heureux  parleur  pos- 
session ?  Forcés  de  nous  répondre ,  ne  vous 
dites-vous  pas  qu?elles  ne  vous  ont  point 
donné  la  félicité  que  vous  y  espériez,  parce 
qu'elles  n'ont  point  Ôté  de  votre  cœur  la  cu- 
pidité qui  y  régnait  ;  que  plus  vous  avez, 
plus  vous  voudriez  avoir;  que  vous  êtes  ri- 
ches en  dehors,  mais  que  le  dedans  est  encore 
pauvre;  que  les  apparences  sont  belles,  mais 
qu'elles  cachent  des  inquiétudes  bien  réel- 
les; qu'il  y  a  un  malheur  inséparable  des  ri- 
chesses, qui  fait  qu'elles  multiplient  les  pei- 
nes sans  assouvir  les  fiassions,  et  que  le 
cœur  n'en  est  jamais  rassasié  :  Comedent  et 
von  saturabuntur.  (Ose.,  IV.) 

Et  vous,  philosophes,  prétendus  sages  du 
siècle ,  qui  voulez  séparer  des  plaisirs  ce 
qu'ils  ont  d'amer,  d'incommode  et  d'insensé, 
pour  n'en  prendre  que  ce  qu'ils  ont  de  plus 
doux  et  de  plus  sage;  qui  travaillez  à  re- 
cueillir toute  la  fleur  du  plaisir,  sans  en 
avoir  les  épines,  outre  que  votre  cupidité 
n'est  pas  assez  docile,  que  votre  raison,  que 
votre  esprit  étant  contents ,  votre  tempéra- 
ment ne  le  sera  peut-être  pas,  que  vous  ne 
pouvez  assurer  que  vous  ne  passerez  pas  les 
bornes,  et  que  c'est  mal  connaître  votre  pas- 
sion, que  de  croire  lui  donner  des  limites. 
Je  veux  cependant  vous  assurer  que,  quoi- 
que vous  soyez  assez  maîtres  de  vous-mêmes 
pour  n'en  prendre  que  ce  vous  voulez  bien  , 
malgré  toutes  vos  précautions,  j'en  atteste 
votre  propre  conscience,  êtes-vous  heureux 
dans  vos  plaisirs?  Ah!  si  vous  nous  parlez 
de  bonne  foi ,  ne  nous  avouerez-vous  pas  que 
vous  souffrez  encore  plus  à  modérer  vos  pas- 
sions* que  vous  ne  feriez  à  les  suivre,  que  plus 
vous  vous  servez  de  vos  réilexions,  plus  elles 
servent  a  vous  tourmenter;  que  votre  sévé- 
rité même  vous  est  à  charge,  que  votre  tran- 
quillité vous  inquiète,  que  vous  sentez  bien 
qu'il  n'y  a  que  l'amour  de  Dieu  qui  mette 
votre  cœur  à  sa  place ,  et  qu'il  ne  s'agit  pas 
de  donner  des  bornes  à  ses  passions,  mais 
de  les  lier  sans  bornes  à  l'objet  immense 
qui  n'en  a  pas  :  Comedent  et  non  saturabuntur. 

Vous  le  voulez  ainsi,  Seigneur,  par  une 
disposition  de  votre  miséricorde,  que  celui 


qui  n'a  besoin  que  de  vous  ne  trouve  rien 
ailleurs  qui  le  contente,  vous  le  voulez,  et  al 
est  juste  que  les  plus  parfaites  de  vos  créa- 
tures dégoûtent  celui  qui  ne  vous  aime  pas , 
ô  beauté  éternelle;  que  tous  les  biens  de  la 
terre  appauvrissent  celui  qui  ne  vous  pos- 
sède pas,  trésor  immense  ;  que  tout  dégrade 
celui  qui  ne  vous  goûte  pas,  félicité  inalté- 
rable ;  que  tout  séduise,  que  tout  trompe 
celui  qui  ne  se  règle  pas  sur  vous ,  vérité 
adorable  ;  vous  semez  partout  des  peines  et 
des  chagrins ,  ô  mon  Dieu  !  afin  de  nous  for- 
cer à  ne  rien  aimer  que  vous,  et  vous  nous 
devenez  seul  nécessaire,  afin  de  nous  être 
seul  aimable. 

Seigneur,  étendez  en  nous  ce  vide  im- 
mense qui  nous  force  à  vous  redemander, 
après  vous  avoir  éloigné  de  nous  par  le  pé- 
ché; creusez  encore  en  nous  de  nouveaux 
abîmes  qui  nous  fassent  recourir  à  vous,  ré- 
pandez sur  tous  les  objets,  qui  peuvent  nous 
charmer, de  nouveaux  dégoûts,  ôtez-leur  le 
pouvoir  de  nous  rendre  heureux,  qu'ils  se 
perdent  dans  l'immensité  de  nos  désirs  et 
nous  faites  sans  cesse  souvenir  qu'ils  sont 
dans  l'impuissance  absolue  de  nous  jamais 
satisfaire:  heureuse  impuissance  qui  nous 
rend  à  un  Diela  qui  seul  peut  suffire  à  nous 
rendre  heureux,  non-seulement  dans  nos 
désirs,  mais  même  dans  nos  actions. 

Oui ,  Messieurs,  et  nulle  action  n'a  démé- 
rite qu'autant  qu'elle  est  élevée  à  Dieu  rar 
Jésus-Christ.  11  est  le  seul  pontife  qui  ofie 
et  la  seule  victime  qu'on  puisse  lui  otfrir,  et, 
par  conséquent,  Jésus-Christ  doit  entrer  dans 
toutes  nos  actions  que  nous  offrons  err  sa- 
crifice à  son  Père,  et  ne  faire  qu'une  seule  et 
mêrne  action  avec  lui  ;  or,  c'est  la  charité 
qui  forme  cette  union  bienheureuse-,  c'est 
cette  excellente  vertu  qui  élève  nos  œuvres 
à  un  ordre  surnaturel,  qui  ne  fait  de  nos 
sacrifices  qu'une  même  victime  avec  le  Sau- 
veur, qui  sanctifie  toutes  vos  actions  et  leur 
donne  le  poùis  et  le  mérite  qu'elles  doivent 
avoir.  Sans  la  charité,  nous  sentons  trop 
bien  que  nos  actions,  je  ne  dis  pas  les  plus 
terrestres  elles  plus  charnelles,  mais  les 
plus  chrétiennes,  sont  séparées  de  Jésus- 
Christ,  et  par  conséquent  nous  rendent  mi- 
sérables. 

Mais  ce  malheur  se  fera  mieux  sentir  par 
le  détail  des  maux  où  nous  sommes  réduits 
sans  la  charité,  soit  dans  les  vertus  que  nous 
pratiquons,  soit  dans  les  sacrements  que 
nous  recevons,  puisque  l'un  et  l'autre,  selon 
le  grand  Apôtre,  ne  sont  rien  en  nous  sans  la 
charité,  qui  en  est  l'âme;  et  en  effet,  qui  ne 
dira  pas  après  saint  Paul  :  En  vain  in'aban- 
donnerais-je  à  l'état  le  plus  vil,  en  vain  me 
ferais-je  petit  comme  un  enfant,  et  le  servi- 
teur de  tous  les  autres,  en  vain  serais-je  l'op- 
probre et  la  risée  du  public,  serais-je  en 
butte  aux  railleries  des  mondains,  si  je  n'ai 
la  charité  avec  cela,  je  ne  suis  rien,  et  mon 
humilité  n'est  qu'une  honte  et  une  infamie 
pour  moi  :  Nihil  sum.  (Il  Cor.,  XÎI.)  t 

Je  donnerais  tout  mon  bien  aux  pauvres, 
je  me  dépouillerais  de  tout  pour  revêtir  les 
nus,  si  je  ne  donne  mon  cœur  à  Dieu,  mon 


7-20 


CAREME.  —  SERMON  III,  AMOUR  DE  DIEU. 


~0 


aumône  n'est  qu'une  pratique  humaine,  qui 
ne  mérite  rien  devant  le  Seigneur  :  Nihil 
sum. 

Je  pardonnerais  à  mes  ennemis  les  plus 
grandes  offenses,  je  remettrais  à  mes  débi- 
teurs tout  ce  qu'ils  me  doivent,  et  oublie- 
rais pour  jamais  le  tort  que  les  méchants 
m'ont  fait,  si  je  n'ai,  mon  Dieu,  la  charité 
pour  le  prochain,  tout  cela  n'est  que  faiblesse 
et  que  lâcheté  :  Nihil  sum. 

Je  prierais  sans  cesse,  je  réciterais  les 
psaumes  et  tous  les  cantiques  les  plus  tou- 
chants, si  je  n'ai  la  charité  dans  l'âme  ,  mes 
prières  seront  vaines  et  mes -oraisons  me 
resteront  tout  entières  :  Nihil  sum. 

Enfin,  tout  ce  que  nous  faisons  sans  l'a- 
mour du  Seigneur,  n'est  qu'un  édifice  bâti 
sur  du  sable  :  tout  le  mérite  de  nos  vertus  et 
de  nos  œuvres  est  dans  le  sentiment  du 
cœur;  lui  seul  les  forme,  les  élève,  les  pré- 
l  are,  leur  donne  cette  couleur  de  grâce,  qui 
les  rend  agréables  à  Dieu,  et  sans  la  charité, 
ni  l'homme,  ni  le  chrétien  ne  sont  rien  :  Ni- 
hil sum. 

Ne  pas  aimer  Dieu,  c'est  donc  être  bien 
misérable,  car  toutes  ces  actions  qui  nous 
coûtent  beaucoup  ne  nous  servent  à  rien, 
vous  portez  sans  fruit  le  joug  de  la  grâce, 
tout  est  stérile  dans  vôtre  cœur.  Vous  re- 
cueillez des  épines  dans  un  champ  que  l'onc- 
tion sainte  n'arrose  pas,  et  faute  de  livrer 
votre  âme  aux:  douceurs  du  saint  amour, 
vous  perdez  tout  le  fruit  de  votre  sainte  re- 
ligion, et  vous  en  devenez  la  victime  sans 
en  mériter  les  récompenses. 

Mais  les  sacrements  sans  la  charité,  vous 
seraient-ils  plus  utiles  que  les  vertus,  quel 
fruit  retireriez-vous  de  vos  communions; 
hélas,  elles  vous  seraient  un  principe  de 
langueur  et  d'infirmité,  au  lieu  de  les  soute- 
nir et  de  vous  fortifier.  Qu'espérer  de  la  cha- 
rité, si  elle  n'est  accompagnée  de  la  péni- 
tence ;  vous  gémirez  comme  des  coupables, 
mais  vous  ne  mériterez  pas  comme  des 
saints. 

Ce  n'est  pas,  Messieurs,  que  je  rejette  la 
crainte,  je  sais  que  c'est  le  commencement  de 
la  sagesse  (Psal.  CX),  et  eu  égard  à  nos  éga- 
rements, elle  est  assez  notre  partage.  A  Dieu 
ne  plaise  que  nous  pensions  à  ôter  aux  chré- 
tiens le  frein  de  leurs  passions  1  craignez 
Dieu  et  observez  ses  divins  commande- 
ments ,  mais  à  cette  crainte  salutaire,  joi- 
gnez le  saint  amour  ;  la  charité  sans  la  crainte 
est  le  partage  du  ciel,  lacrainte  sans  l'amour 
est  celui  de  l'enfer  ;  mais  la  crainte  et  l'a- 
mour sont  le  partage  de  ce  bas  monde.  Si  la 
charité  est  essentielle  aux  chrétiens  pour 
mériter  dans  les  moindres  actions,  le  serait- 
elle  moins  dans  les  plus  nobles  et  dans  les 
plus  parfaites»  puisque  c'est  le  violement  du 
premier  précepte,  qui  a  rendu  le  chrétien 
malheureux.  N'est-ce  pas  par  la  pratique  de 
ce  commandement  qu'il  faut  qu'il  répare  sa 
faute  :  cet  enfant  dont  il  est  parlé  dans  l'E- 
criture, n'eût  jamais  été  ressuscité  par  la 
main  du  serviteur,  s'il  n'eût  ressenti  la  cha- 
leur du  maître  qui  s'étendit  sur  tout  le  corps 
de  l'enfant  mort;  ainsi  ministres  du  Sei- 


gneur, en  vain  comme  Giézi,  étendrez-vous 
le  bâton,  c'est-à-dire  l'autorité  que  vous  avez 
sur  les  pécheurs  que  vous  voulez  ressusci- 
ter, si  Jésus-Christ  par  sa  charité  ne  s'étend 
lui-même  sur  le  mort. 

O  divine  charité,  que  vous  êtes  puissante, 
céleste  ardeur,  venez  à  mon  secours  ;  venez 
pénétrer  de  vos  flammes  mon  âme;  avec  vous, 
j'aurai  la  vie,  sans  vous  tout  est  mort  en  moi. 
L'on  est  heureux  quand  on  vous  possède,  et 
tout  est  misérable  là  où  vous  n'êtes  point. 
Faites  cette  réflexion  salutaire,  Messieurs, 
sur  le  divin  amour;  pensez  qu'il  faut  que 
Dieu  soit  bien  bon,  bien  miséricordieux  de 
choisir  nos  penchants  pour  en  faire  le  fond 
de  nos  mérites,  de  prendre  notre  cœur  par 
l'amour  qui  lui  est  si  naturel  et  hors  lequel 
nous  nous  rendons  malheureux,  non-seule- 
ment dans  nos  désirs  et  nos  actions ,  mais  / 
encore  dans  nos  espérances. 

Quoi  !  vous  n'avez  jamais  aimé  Dieu  sur  la 
terre,  et  vous  croyez  en  aller  jouir  dans  le 
ciel  !  sentez  bien  toute  l'illusion  de  cette  es- 
pérance, c'est  Dieu  lui-même  qui  parle  :  la 
terre  a  été  d'airain  pour  moi,  le  ciel  sera  de 
bronze  pour  elle;  l'homme  n'a  joint  eu  d'a- 
mour pour  moi,  il  s'est  endurci  contre  tous 
mes  attraits  et  mes  grâces;  l'ingrat  n'a  eu  que 
de  l'insensibilité  pour  mes  bienfaits,  il  a 
épuisé  par  sa  dureté  tout  ce  que  j'avais  do 
plus  tendre  pour  lui  dans  le  cœur;  mais  qu'il 
sache  qu'autant  il  m'a  oublié,  je  l'oublierai 
lui-même.  Hélas,  Messieurs,  si  Dieu  nous  ou- 
blie, que  deviendrons-nous,  et  fussions-nous 
dans  la  situation  la  plus  heureuse  et  la  plus 
riante,  cette  seule  pensée  que  Dieu  nous  ou- 
bliera si  nous  l'oublions,  ne  change-t-elle 
pas  tout  ce  que  nous  pourrons  goûter  de 
joie  et  de  tranquillité  en  des  impressions 
amèies  et  désespérantes.  Ah  !  il  est  encore 
temps  de  bannir  de  nos  cœurs  ce  défaut  d'a- 
mour; ne  souffrons  jamais  qu'il  y  entre,  ou 
s'il  y  est  entré,  détestons-le  ,  puisqu'il  nous 
est  si  funeste  et  qu'il  nous  rend  si  ingrats  et 
si  misérables  :  Ingratus  et  miser;  songeons  à 
ranimer  cette  flamme  sainte  qui  nous  serait 
une  source  de'consolation  si  touchante. 

Vous  vous  souvenez  de  ce  qui  est  rapporté 
dans  le  second  livre  des  Machabccs  (c.  I)  :  par 
un  prodige  très-surprenant,  le  feu  sacré  se 
trouva  changé  en  une  eau  bourbeuse  :  Non 
invenerunt  igncm,sed  aquam  crassam;  tout  le 
peuple  en  fut  effrayé,  on  ne  pouvait  plus 
faire  des  sacrifices,  ni  présenter  des  victimes 
au  Seigneur  dans  tout  Israël,  parce  qu'on 
avait  besoin  de  cette  flamme  pour  les  dévo- 
rer; Néhémias  enfin,  inspiré  de  Dieu,  ayant 
présenté  cette  eau  bourbeuse  aux  rayons  du 
soleil,  elle  redevint  une  flamme  sainte  qui 
ranima  la  confiance  du  peuple,  ce  qui  finit 
les  malheurs  d'Israël. 

Vous  me  prévenez,  sans  doute,  Messieurs, 
et  vous  ne  demandez  point  sur  qui  tombe 
l'application  de  celte  figure  sacrée;  vous 
vous  dites  que  c'est  en  vous,  que  c'est  en 
votre  âme  que  la  grâce  .du  baptême,  cette 
ardeur  divine,  s'est  changée  en  corruption 
et  en  péché;  que  de  bonnes  inclinations, 
que  des  affectons  salutaires  se  trouvent  par 


73! 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SURIAN. 


73-2 


voire  faute  converties  en  désirs  charnels,  en 
froideur  et  en  indifférence  criminelle  :  In 
ïtquam  crassam,  et  que  par  là  comme  Israël, 
vous  êtes  devenus  ingrats  et  misérables; 
niais  comment  réparer  un  si  funeste  change- 
ment? Ah  1  il  faut  comme  Néhémias,  dans  la 
componction  du  cœur,  présenter  au  Seigneur 
toute  cette  corruption  de  votre  âme,  toutes 
ces  attaches  terrestres  et  mondaines;  expo- 
ser cette  eau  bourbeuse  à  Jésus-Christ,  vrai 
soleil,  le  prier,  le  conjurer,  le  solliciter  de 
faire  en  vous  un  salutaire  changement,  de 
rallumer  par  les  rayons  de  la  divine  grâce 
son  amour  qui  est  presque  éteint  en  vous, 
et  qui,  n'y  paraissant  plus  au  dehors, n'y  rè- 
gne plus  au  dedans,  et  bientôt  il  séchera  cet 
eau  bourbeuse  de  votre  cœur,  il  en  consu- 
mera tout  ce  qui  le  corrompait  :  Accensus 
estiijnis  magnus...  vorabit  vos.  (II  Much.,  I.) 
Alors  vous  ne  serez  plus  ingrats,  vous  ne 
serez  plus  misérables,  et  vous  vous  sentirez 
enflammés  de  son  divin  amour,  et  par  là 
vous  arriverez  à  ce  bonheur  que  la  foi  mon- 
tre, que  l'espérance  attend,  mais  que  la  seule 
charité  donne.  C'est  ce  que  je  vous  souhaite 
au  nom  du  Père.  Amen. 

SERMON  IV 

DE  LA  NECESSITE  DE   LA  PÉNITENCE   CONTRE  LES 
FAUX  PRÉTEXTES  DE  S*EN    DISPENSER. 

Cum  jejunasset  quadraginla  diebus  et  quadraginla  no- 
clibus  poslea  esuriit.  (Mutlli.,  IV.) 

Jésus-Christ  an  vil  jeûné  quarante  jours  et  quarante 
nuits,  eut  faim  ensuite. 

Que  de  raisons  dispensaient  Jésus  de  la 
loi  du  jeûne  et  de  la  pénitence  1  Une  vie  tou- 
jours pure  et  une  charité  toujours  soumise, 
il  n'avait  nul  mal  à  expier,  nulle  trahison  à 
craindre;  mais  lui,  dit  saint  Crégoire,  qui 
songeait  à  nous  guérir,  voulait  par  l'attrait 
d'une  haute  vertu  nous  ôter  tout  prétexte  de 
demeurer  dans  l'abîme  du  péché;  lorsque  les 
lois  de  sa  justice  et  de  sa  sainteté  rélevaient 
au-dessus  de  toute  mortification  et  de  toute 
pénitence,  celles  de  son  amour  et  de  sa  misé- 
ricorde l'y  assujettissaient.  Et  en  faisait-il 
trop?  jugez-en,  Messieurs.  Sa  pénitence, 
toute  surabondante  qu'elle  est,  a-t-elle  pu 
vaincre  notre  moliesse.  Et  que  feriez-vous 
sans  un  Dieu ,  sans  mortification  et  sans 
plaies,  vous  qui  fuyez  avec  tant  de  soin  la 
pénitence? 

Je  viens  donc  vous  l'annoncer  ici  cette 
pénitence,  dont  le  Sauveur' vous  a  donné  de 
si  touchants  exemples.  Je  vous  apportai  déjà 
mercredi  les  motifs  qui  doivent  vous  porter 
à  la  faire;  je  veux  aujourd'hui  combattre  les 
excuses  que  vous  apportez  pour  vous  en  dis- 
penser ;  qu'elles  sont  injustes  ces  excuses, 
vous  les  prenez  toutes  du  même  fonds  de  cor- 
ruption, d'où  naissent  vos  iniquités  ;  vous 
péchez  toujours,  et  par  conséquent  vous  êtes 
dans  la  nécessité  indispensable  de  la  faire 
toujours  :  vous ,  en  ce  que  vous  croyez  vos 
fautes  légères,  et  de  là  vous  vous  croyez  en 
droit  de  vivre  dans  l'impénitcnce  :  vous, 
parce  uue  !e  monde  séduit  votre  cœur  par  ses 
charmes,  et  sur  cela  vous  établissez  l'exemp- 


tion de  faire  pénitence  :  vous,  parce  que  vous 
êtes  d'un  certain  rang,  d'une  certaine  qua- 
lité où  l'on  pèche  plus  facilement  qu'en  tout 
autre,  et  c'est  ce  rang,  cette  qualité  qui  vous 
donnent  le  privilège  de  vous  dispenser  de 
faire  pénitence:  vous,  enfin,  parce  que  vous 
êtes  infirmes  et  malades,  et  comme  vos  péchés 
viennent  toujours  de  ces  maladies  et  de  ces 
infirmités,  ce  sont  aussi  ces  maladies  et  ces 
infirmités  qui  conspirent  le  plus  à  vous 
exempter  de  pénitence.  Ainsi  quand,  touchés 
de  vos  malheurs,  nous  venons  vous  conjurer 
de  ne  pas  laisser  couler  votre  vie  sans  faire 
pénitence,  vous  nous  répondez  : 

Pourquoi  faire  pénitence,  je  ne  suis  pas  un 
si  grand  pécheur  :  premier  prétexte.  Com- 
ment la  faire,  je  me  trouve  engagé  dans  le 
monde  :  second  prétexte.  Quand  on  est  d'un 
certain  état,  d'une  certaine  condition,  la  péni- 
tence ne  convient  pas  :  troisième  prétexte. 
Je  suis  si  faible,  si  infirme  que  je  ne  puis  la 
faire  :  quatrième  prétexte. 

Renversons-les  l'un  après  l'autre,  sans  in 
terrompre  ce  discours.  Mais  que  dis-je,  les 
renverser,  comment  le  faire  sans  vous,  Sei- 
gneur? le  démon,  le  monde,  les  passions, 
l'amour-propre,  toutes  les  voix  s'élèvent 
contre  la  pénitence. Parlez-y  à  votre  tour,  mais 
d'une  voix  plus  touchante  et  plus  forte,  qui 
pénètre  et  brise  les  cœurs  et  fasse  compren- 
dre à  tous  ces  pécheurs  la  fausseté  de  leurs 
excuses  et  la  nécessité  qu'il  y  a  d'embrasser 
la  pénitence.  C'est  la  grâce  que  nous  vous 
demandons  pour  l'intercession  de  Marie. 
Ave,  Maria. 

PREMIER    POINT. 

Premier  prétexte  de  négliger  la  pénitence. 
Vous  ne  vous  croyez  point  assez  pécheurs,  et 
vous  nous  dites,  quand  nous  vous  parlons  de 
pénitence  :  Retirez-vous,  je  suis  assez  pur. 
Quoi  !  de  grands  saints  qui  n'ont  jamais  con- 
tristé  Dieu,  en  qui  se  trouve  encore  le  mé- 
rite de  l'innocence  et  de  la  pureté  qu'ils  ont 
reçue  au  baptême,  qui,  comme  Job,  sont 
demeurés  inébranlables  jusque  sur  le  fumier, 
te  sont  méfiés  de  leurs  meilleures  actions, 
et  y  trouvaient  de  quoi  pleurer  et  leur  faire 
appréhender  la  mort,  et  des  pécheurs  asser- 
vis au  péché,  accoutumés  à  boire  l'iniquité 
sans  la  connaître,  marchent  avec  assurance 
dans  le  dérèglement  de  leurs  voies,  et  s'ac- 
cordent le  droit  de  ne  point  faire  pénitence  l 
Quel  funeste  etfet  d'un  aveuglement  encore 
plus  déplorable  1 

Mais  vous  qui  parlez  ainsi,  avez-vous  bien 
pesé  toutes  ces  actions  que  vous  croyez  in- 
nocentes aux  pieds  de  Jésus-Christ  et  à  la 
balance  de  son  Evangile?  Que  faut-il  pour 
vous  rendre  un  grand  pécheur  devant  Dieu? 
Croyez-vous  qu'il  faille  pour  cela  remplir 
le  cours  de  votre  vie  d'actions  énormes  et 
criantes  devant  les  hommes;  mais  Jésus- 
Christ,  et  tous  les  Pères  après  lui,  nous  di- 
sent qu'aimer  le  monde*  ses  plaisirs*  ses 
honneurs;  suivre  ses  maximes,  ses  coutu- 
mes comme  vous  les  aimez,  vous  y  faire  un 
fonds  de  mollesse  et  d'oisiveté  qui  dure  au- 
tant que  votre  vie;  y  vivre,  comme  vous  y 


735 


CAUEME.  —  SERMON  IV  ,  NECESSITE  DE  LA  PENITENCE. 


loi 


vivez,  dans  cet  amour  de  vous-mêmes,  dans 
cette  indolence,  dans  cette  froideur  d'un 
cœur  qui  n'est  pas  à  Dieu,  c'est  porter  le  ca- 
ractère de  criminel,  et,  par  conséquent,  être 
sujet  aux  plus  sévères  lois  de  la  pénitence. 
Ignorez-vous  qu'un  homme  inutile  est  la 
même  chose  qu'un  homme  pécheur,  que  ne 
point  amasser  des  trésors  de  mérite,  c'e-t 
perdre  ceux  qu'on  avait;  que  ne  point  faire 
du  hien  c'est  faire  du  mal ,  et  que,  par  l'ex- 
cellence de  sa  vocation,  celui-là  est  un  grand 
pécheur  qui,  obligé  de  mener  une  vie  par- 
faite, n'en  mène  qu'une  commune.  Vous 
n'êtes,  dites-vous,  ni  avare,  ni  violent,  ni 
scandaleux,  ni  débauché,  ni  injuste  :  je  le 
veux;  mais  êtes-vous  chrétien?  Vous  le  pa- 
raissez peut-être  aux  yeux  des  hommes; 
mais  l'êtes-vous  devant  Dieu?  Vous  avez  peu 
de  vices;  mais  avez-vous  assez  de  vertus? 
Si  vos  actions  sont"  bonnes,  vos  intentions 
sont-elles  droites?  Ne  tenez-vous  point  ici- 
bas  par  quelques  liens  de  cupidité?  S'il  n'y 
a  point  de  gros  crimes  dans  votre  vie,  n'y 
en  a-t-il  point  au  moins  de  fragilité?  Or, 
ces  fautes,  quoique  légères,  ne  sont-elles 
pas  punissables  au  jugement  de  Dieu,  et, 
puisqu'elles  sont  continuelles,  n'obligent- 
elles  pas  à  de  continuelles  satisfactions? 
N'y  avait-il  pas  dans  l'ancienne  loi  des  vic- 
times de  différents  prix,  et  celui  qui  destine 
des  récompenses  au  peu  de  vertus  qu'on 
pratique,  n'imposera-t-il  point  des  peines 
aux  moindres  vices?  Ah!  justice  divine,  je 
sais  que  de  tous  les  saints  l'Eglise  n'en  recon- 
naît qu'un  ou  deux  qui  aient  été  de  grands 
pécheurs,  et  une  infinité  qui  se  sont  donnés 
à  la  pénitence.  Je  suis  dans  le  monde,  je  ne 
puis  faire  pénitence.  Ah!  que  ne  suiviez- 
vous  la  grâce  de  Jésus-Christ,  quand,  dès  vos 
premières  années,  elle  vous  inspirait  le  des- 
sein d'une  retraite  salutaire;  pourquoi  y 
y  résistiez-vous  ?  Vous  n'auriez  pas  à  vous 
reprocher  des  jours  si  déplorables;  vous  au- 
riez souventgoûté  aux  pieds  de  Jésus-Christ 
la  consolât  ion  qu'il  va  de  lui  être  consacré  tout 
entier.  Mais  enfin  vous  y  êtes  dans  ce  monde 
dont  vous  avez  aimé  le  séjour,  et  il  s'agitde  re- 
cevoir. Si  c'est  pour  vous  une  excuse  légitime 
d'impénitence,  je  prétends  que  rien  n'est  [dus 
frivole  que  cette  excuse  prétendue  ;  car  où 
le  péché  est  plus  grand  et  plus  ordinaire, 
c'est  là  où  l'on  a  plus  de  besoin  de  l'expier  par 
la  pénitence.  Or,  en  quel  endroit  le  péché 
a-t-il  plus  d'empire  et  trouve-t-il  plus  d'oc- 
casions de  régner  que  dans  le  monde  ?  Ah  ! 
plût  à  Dieu  qu'il  fût  nécessaire  de  vous  le 
prouver!  Qui  de  vous  ne  peut  pas  s'appliquer 
en  gémissant  ces  paroles  de  l'Ecriture  :  j'y  ai 
vu  toutes  les  iniquités  passées  en  revue?  En 
effet,  en  combien  de  manières  n'y  ofTense- 
t-on  pas  le  Seigneur  :  tantôt  dans  l'abus  de 
ses  grâces  ,  tantôt  dans  la  profanation  de  ses 
mystères;  ici  dans  le  mépris  de  ses  lois,  là 
dans  le  renoncement  de  son  culte?  On  n'y 
conserve  qu'une  surface  de  religion  ;  oh 
n'y  a  nul  goût  pour  sa  parole,  nulle  craints 
de  ses  jugements,  nulle  reconnaissance  de 
ses  boutés,  nul  désir  de  sa  possession, 
nulle  douleur  de  sa  perte.  Avou°z-le,  Mes- 


sieurs, votre  âme  est  dans  le  monde  cor- 
rompu, dans  cette  terre  d'oubli  dont  parle  lo 
Prophète.  Son  salut  est  la  chose  où  vous 
pensez  le  moins  ;  vous  la  sacrifiez  sans  res- 
source, vous  l'abandonnez  sans  réserve. 
Vous  ne  travaillez  dans  le  monde  que  pour 
satisfaire  vos  cupidités  ;  le  sang  qui  coule 
dans  vos  veines  ne  s'épuise,  ne  s'altère  que 
pour  contenter  vos  criminels  désirs,  et  une 
malice  nouvelle  y  succède  toujours  à  une 
autre  malice;  soit  envie  jour  les  riches, 
soit  haine  pour  les  malheureux;  soit  idolâ- 
trie pour  les  uns,  soit  haine  pour  les  autres, 
vous  y  trouvez  autant  de  passions  que  vous  y 
rencontrez  de  personnes  ;  occupant  tous  vos 
sens  de  ce  qui  vous  plaît  davantage,  vous 
ne  laissez  qu'ennui  dans  votre  esprit,  que 
dérèglement  dans  votre  volonté.  Presque  ja- 
mais vos  yeux  ne  sont  modestes,  votre  langue 
réglée ,  votre  bouche  discrète,  vos  oreilles 
chastes,  vos  mains  innocentes,  rien  ne 
passe  dans  votre  cœur  qui  soit  pur,  rien  ne 
va  jusqu'à  votre  âme  qui  ne  fasse  quelque 
blessure  mortelle  ou  dangereuse.  Les  crimes 
s'y  transportent  de  tout  l'homme, et  cette  pa- 
role du  Sage  ne  se  vérifie  que  trop  en  vous  : 
Pêne  fui  in  omni  malo.  (Prov.,V.)  J'y  ai  reçu 
toutes  les  iniquités,  et  ce  monde  m'a  été 
presque  un  péché  universel.  Or,  vouloir  que 
dans  ce  monde,  où  toutes  les  occupations 
tendent  à  offenser  le  Seigneur,  ce  soit  pour 
vous  un  titre  de  ne  point  satisfaire  à  ces  of- 
fenses, de  persuader  qu'on  est  exempt  do 
satisfactions  dans  l'endroit  où  l'on  est  le 
plus  coupable  ;  de  croire  que  dans  ce  monde 
vous  aurez  pu  donner  l'essor  à  la  plus  vaste 
ambition ,  à  la  plus  cruelle  avarice ,  à  la  plus 
impétueuse  volupté,  sans  y  être  obligés  de 
livrer  votre  esprit  à  l'humiliation,  votre 
cœur  à  la  charité,  vos  sens  à  la  mortification  ; 
de  penser  que  vous  avez  pu  y  vivre  dans  la 
bonne  chère,  dans  les  excès,  sans  jamais 
vous  y  livrer  à  l'abstinence  et  à  la  modéra- 
tion ;  quel  prétexte  est-ce  donc  là  :  je  suis 
dans  le  monde?  et  de  quel  fondement  peut- 
il  servir  à  votre  croyance,  surtout  n'en 
ayant  point  d'autre  garant  que  le  monde 
maudit  lui-même,  déclaré  son  ennemi,  re- 
connu trompeur  et  toujours  appliqué  à 
vous  séduire?  Que  ce  monde  réprouvé,  dont 
vous  avez  promis  de  détester  toutes  les  pom- 
pes et  promesses ,  auquel  vous  avez  juré  de 
renoncer  et  de  ne  jamais  écouter  les  dis- 
penses ni  les  maximes  ;  monde  imposteur, 
que  tu  mérites  bien  l'anathème  que  le  Sau- 
veur a  prononcé  contre  toi  !  Quelle  marque 
plus  visible  de  ta  réprobation,  quel  plus 
terrible  arrêt  pourrais-tu  rendre  contre  toi- 
même  qu'en  déclarant  que  la  pénitence  ne 
te  convient  pas,  c'est-à-dire  que  ces  res- 
sources de  salut  et  ces  voies  salutaires  de 
l'éternité  bienheureuse  ne  sont  pas  pour 
toi  ?  Eh  !  que  peut-il  donc  te  rester  que  des 
iniquités  cl  des  malédictions  ? 

Ne  vous  abusez  donc  plus  ,  Messieurs  ,  par 
un  prétexte  si  frivole  et  si  peu  raisonnable; 
être  chrétien  et  être  pénitent  est  une  même 
chose.  Jésus-Christ,  le  chef  commun  de  tous 
les  hommes,  leur  a  laissé  à  tous  sa  croix  eu 


orateurs  SACRES.  LE  p.  slrsan. 


736 


partage  ;  l'Eglise  n'est  qu'une  nation  d'hom- 
mes gémissants  qui  l'embrassent;  cette  su- 
périorité de  vertu  T  qui  distingue  les  reli- 
gieux des  gens  du  monde,  ne  regarde  que 
quelques  pratiques  plus  sublimes  et  plus 
parfaites  que  celles  qui  n'ont  pas  la  force 
d'aller  jusqu'au  conseil.  Cette  pénitence 
n'est  point  une  profession  libre  que  Dieu 
nous  propose  ;  c'est  un  commandement  ab- 
solu qu'il  nous  fait,  dont  nous  avons  plus 
de  besoin  que  ces  solitaires  qui  ont  pour  se 
soutenir  des  lectures  plus  saintes,  des  orai- 
sons plus  ferventes  et  plus  longues,  une  vie 
plus  dégagée  de  soin;  hélas  1  ils  ne  sau- 
raient périr  à  moins  qu'ils  ne  se  précipitent 
eux-mêmes.  La  pauvreté,  la  chasteté,  l'o- 
béissance ,  sont  de  fortes  barrières  qui  les 
gardent,  et  ils  n'ont  point  d'autres  tenta- 
tions qu'eux-mêmes.  C'est  toujours  beau- 
coup, je  l'avoue;  mais  c'est  encore  bien  peu 
par  rapport  à  vous  qui,  outre  le  danger 
mortel  des  honneurs,  des  richesses,  des 
plaisirs ,  avez  à  combattre  des  passions  plus 
crdentes  et  plus  irritées.  Eh  !  qu'allez-vous 
donc  devenir  si  vous  vous  ôtez  ces  remèdes , 
ce  frein  de  la  pénitence  que  Dieu  ne  vous 
laissait  que  pour  préserver  vos  dangers  et 
vous  servir  à  vous  relever,  lorsque  vous 
seriez  tombés. 

Le  troisième  prétexte  prend  sa  source 
dans  le  privilège  de  sa  condition.  C'est  lui 
qui  élude  témérairement  les  plus  saintes 
lois  de  l'Eglise  ;  c'est  lui  qui  vous  accorde 
d'indignes  adoucissements  contre  le  jeûne  et 
la  pénitence.  Mais  à  ce  prétexte  j'oppose 
deux  grandes  vérités  :  la  première,  que  ces 
personnes  de  qualité  comme  les  autres  sont 
obligées  à  la  pénitence;  la  deuxième,  qu'elles 
y  sont  plus  obligées  que  les  autres,  et  sur  cela 
je  pose  ce  principe  avec  saint  Paul,  c'est  que 
quelque  élevés  que  nous  soyons  au-dessus 
des  autres  devant  les  hommes,  nous  avons 
une  qualité  commune  en  qualité  de  chrétiens, 
qui  nous  abaisse  devant  Dieu.  Elle  nous  raj>- 
proche,  elle  nous  confond,  elle  s'occupe  à 
nous  réunir,  et  à  rassembler  les  membres 
du  corps  mystique  de  Jésus-Christ.  Elle 
n'a  nul  égard  à  la  diversité  des  états,  et  à  la 
disposition  des  conditions;  toute  pierre, 
pourvu  qu'elle  soit  vivante,  lui  sert  à  la  con- 
struction du  temple  saint.  Dès  que  nous  deve- 
nons fidèles  par  le  baptême,  nous  devenons 
tous  égaux  ;  elle  veut  que  si  nos  fortunes  et 
nos  rangs  sont  dissemblables,  nos  obliga- 
tions et  nos  devoirs  soient  les  mêmes.  Or, 
cette  règle  de  morale  ne  doit-elle  se  démen- 
tir qu'à  l'égard  de  la  pénitence?  Qui  vous 
dispense,  grands  de  la  terre,  de  cette  vio- 
lence à  laquelle  le  royaume  des  cieux  est 
attaché?  Quel  nouvel  apôtre  vous  a  dé- 
claré que  vous  pouvez  être  les  membres 
d'un  Dieu  crucifié  sans  vous  mortifier  en 
rien,  et  que  vous  êtes  semblables  h  un  Dieu 
souffrant,  sans  rien  souffrir;  s'il  est  mort 
pour  tous,  les  élus  ne  doivent-ils  pas  parti- 
ciper, sinon  à  sa  mort,  du  moins  à  sa  péni- 
tence. Nous  voyons  assez  que  les  mêmes 
autres  qui  l'ont  prôchée  dans  les  déserts,' 
cette  pénitence,  l'ont  prediéc  dans  les  villes; 


qu'ils  n'en  ont  excepté  ni  rang,  ni  cOBlir 
tion,  qu'ils  l'ont  même  imposée  plus  parti- 
culièrement aux  riches  avec  qui  nous  som- 
mes égaux  en  tout  le  reste. Quoi  donc!  pour 
être  d'une  autre  qualité  que  les  pauvres  , 
avez-vous un  autre  Dieu,  un  autre  Evangile? 
et  n'est-il  pas  juste  que  ceux  qu'un  même 
baptême  regénère,  qu'une  même  onction 
consacre,  qu'une  même  grâce  forme,  qu'une 
môme  foi  soutient,  qu'une  même  espérance 
anime,  qu'un  même  sacrement  justifie,  qu'un 
même  pain  nourrit,  qu'un  même  exil  assem- 
ble, qu'une  même  patrie  attend,  que  les  mê- 
mes misères  humilient,  que  les  mêmes  ob- 
jets regardent,  que  les  mêmes  péchés  rendent 
coupables  devant  Dieu,  essaient  de  s'apaiser 
par  la  même  satisfaction  et  par  la  même  péni- 
tence;,voudriez-vous  que  les  pauvres,  déjà  si 
maltraités  du  côté  de  la  fortune,  le  fussent 
encore  ducôté  de  la  religion?  Non,  mon  Dieu, 
vous  ne  l'avez  pas  prétendu  ainsi,  le  précepte 
que  vous  avez  fait  de  la  pénitence  est  iuq  osé 
à  tous,  et  personne  n'en  est  exempt. 

Pour  trouver  grâce  devant  le  Seigneur,  dit 
saint  Ambroise,  on  n'a  pas  besoin  d'être 
riche,  mais  on  ne  peut  se  passer  d'être  péni- 
tent, et  s'il  y  avait  plusieurs  portes  au  tem- 
ple matériel  de  Jérusalem  par  rapport  aux 
justes  et  aux  matériels  qui  en  avaient  l'en- 
trée, pour  vous,  céleste  Jérusalem,  vous  n'of- 
frîtes qu'une  seule  porte  pour  tous  les  chré- 
tiens :  pourle  juge  et  pour  le  client,  pour  le 
•rince  et  pour  le  sujet,  pour  le  prêtre  et  pour 
o  peuple,  pour  le  pauvre  et  pour  le  riche, 
pour  le  grand  et  pour  le  petit,  pour  le  sa- 
vant et  pour  l'ignorant,  et  c'est  la  pénitence. 
J'avoue  qu'à  regarder  les  personnes  de  qua- 
lité du  côté  le  plus  riant,  on  les  croirait 
moins  obligées  à  la  pénitence  que  les  pau- 
vres, parce  qu'elles  paraissent  devoir  moins 
pécher:  la  nécessité,  l'obscurité,  l'esclavage 
dans  lequel  on  les  réduit,  le  mépris  qu'on 
en  fait,  la  dureté  avec  laquelle  on  les  traite, 
tout  donne  aux  pauvres  de  mauvais  conseils, 
tout  les  porte  à  l'impatience  et  au  murmure. 
Mais  pour  vous,  riches  et  grands  du  siècle, 
qui  voyez  tous  vos  désirs  remplis  ,  qui  pou- 
vez vivre  tranquilles  et  contents,  à  qui  tout 
ri,  et  à  qui  rien  ne  manque,  vous,  que  tout 
porte  à  servir,  à  aimer,  et  à  rendre  grâce  au. 
Seigneur,  sans  qu'aucune  inquiétude  vous 
en  empêche,  par  où  donc  avez-vous  besoin 
d'une  pénitence  plus  rude  que  les  pauvres? 
Vous  étiez  si  réglés  lorsque  vous  n'aviez 
qu'une  fortune  médiocre  :  depuis  que  vous 
êtes  devenus  plus  opulents,  quel  torrent 
d'iniquités  !  Richesses  sur  richesses  ont  été 
péchés  sur  péchés;. honneurs  sur  honne.urs 
ont  été  crimes  sur  crimes,  et  tandis  que  les 
pauvres  ne  se  tirent  de  la  règle  que  peu  à 


peu,    et   comme    malgré   eux, 


grands 


secouent  le  joug  en  un  instant.  Ils  brisent  du 
premier  coup  les  liens  heureux  qui  les  atta- 
chaient à  Dieu  :  Hi  s'unul  confrrgerunl  ju- 
yum,  ruperunt  vincula.  (Jercm.,  V.) 

Voyez  David,  que  de  grandeur  dans  sa 
vie,  mais  que  de  pénitence!  Il  est  roi  d'un 
vaste  empire;  mais  il  en  témoigne  sa  douleur 
par  ses  cris  lamentables.  11  est  puissant  e*; 


737 


CAREME.  - 


terrible  à  ses  ennemis,  mais  sa  force  et  sa 
valeur  l'abandonnent  dès  qu'il  se  regarde 
l'ennemi  de  son  Dieu;  tout  lui  rit,  tout  lui 
prospère,  mais  il  ne  peut  avoir  de  joie  et  de 
contentement  qu'il  ne'  soit  réconcilié  avec 
cet  objet  aimable  qu'il  a  offensé;  il  se  mon- 
tre à  ses  peuples,  non  pas  avec  ces  marques 
•de  triomphe  et  de  gloire,  mais  tout  confus 
et  tout  humilié;  devenu  un  objet  de  pitié  par 
l'excès  de  sa  tristesse;  pleurant  son  Dieu,  se 
pleurant  lui-même,  croyant  que  son  péché 
l'a  tellement  dégradé  qu'il  ne  lui  est  plus 
permis  de  jouir  d'aucun  des  charmes  de  la 
royauté;  que  toutes  les  pompes  et  les  attraits 
de  sa  grandeur  lui  sont  devenus  illégitimes 
et  défendus.  Ainsi  quel  honneur,  et  quelle 
humiliation  1  quelle  grandeur  et  quelle  péni- 
tence !  en  un  mot  quel  homme  et  quel  homme, 
comme  roi  il  était  vêtu  de  pourpre,  et  comme 
un  pécheur  un  cilice  est  son  vêtement!  11 
était  couché  sur  des  lits  superbes,  et  main- 
tenant il  ne  couche  que  sur  la  cendre;  sa  voix 
faisait  trembler  tout  Israël,  et  son  palais  ne 
retentit  plus  que  de  ses  soupirs  et  de  ses 
sanglots;  enfin  David  est  tout  sanctifié  :  il 
attache  à  sa  grandeur  de  grandes  mortifi  a- 
tions,  et  plus  il  est  un  grand  prince,  plus  il 
croit  devoir  être  un  grand  pénitent. 

Laissez-vous  gagner,  Messieurs,  à  l'attrait 
d'un  si  touchant  exemple;  songez  que, dès 
que  vous  avez  eu  le  malheur  de  déplaire  h 
Dieu,  votre  condition  c'est  la  pénitence.  Ne 
regardez  point  ni  à  votre  rang,  ni  à  vos 
biens,  ni  à  vos  emplois,  ni  à  votre  naissance; 
ne  voyez  en  vous  qu'un  infortuné  et  un  mi- 
sérable, qui  a  besoin  de  tristesse  et  de  gé- 
missements. Il  vous  suffirait  d'être  riches 
pour  croire  que  Dieu  était  en  colère  contre 
vous,  et  que  par  conséquent  vous  lui  deviez 
de  grandes  expiations  pour  apaiser  une 
grande  indignation  :  T'a?  vobis  divitibus. 
(Luc,  VI.)  Sont-ce  vos  désordres  qui  l'ont 
apaisé,  et  sont-ce  les  crimes  que  vous  avez 
commis  en  cet  état  de  prospérité  qui  ont 
mis  la  paix  entre  vous  et  votre  Dieu?  Ah! 
que  saint  Jacques  connaissait  bien  tout  le 
malheur  de  votre  état,  quand  il  s'est  écrié  : 
Entrez  dans  le  trouble  et  dans  l'agitation, 
riches  de  la  terre,  pleurez  et  vous  affligez  sur 
les  misères  qui  vous  menacent,  vous  vous 
amassez  dans  vos  richesses  un  trésor  de 
colère  pour  le  jugement  des  vengeances  : 
Agite  nunc,  divilcs,  plorate,  ululate.  (Jcrc,  V.) 
C'est  assez  aux  pauvres  de  vivre  avec  pa- 
tience dans  leur  état,  et  leur  misère  naturelle 
fait  partie  de  leur  pénitence  ;  mais  vous  qui, 
outre  la  malédiction  de  votre  état,  commet- 
tez encore  des  crimes  énormes,  fondez  en 
larmes  et  en  gémissements.  De  grands 
maux  veulent  de  grandes  pénitences  :  vous 
vous  damnez  dans  le  grand  monde,  si  Dieu 
ne  vous  fournit  pas  ce  moyen  -de  vous  sau- 
ver, et  puisque  Dieu,  auteur  de  votre  rang 
et  de  votre  condition,  a  voulu  vous  distin- 
guer en  vous  les  donnant  préférablement  à 
tant  d'autres  qui  peut-être  les  méritent  mieux 
que  vous,  répondezàses  intentions,  redonnez 
de  l'éclat  à  votre  qualité,  par  votre  pénitence: 
Plorate  ululantes  in  miseriis  vestris.  (  Ibid. } 


SE11MON  IV ,  NECESSITE  DE  LA  PENITENCE.  7:R 

Mais  achevons  :  au  défaut  de  cette  ex- 
cuse, on  en  ajoute  une  quatrième  dont 
tout  le  monde  se  prévaut.  Je  ne  puis  faire 
de  pénitence,  dit-on,  je  suis  si  faible. 
A  cela  je  n'ai  rien  à  répondre,  votre  propre 
cœur  vous  répond  que  vous  n'êtes  que  des 
lâches,  quand  vous  vous  croyez  infirmes;  que 
ce  que  vous  appelez  faiblesse,  n'est  que  dé- 
licatesse et  sensualité;  que  tant  qu'il  s'agit 
de  travailler  et  de  se  faire  violence  pour  le 
monde ,  vous  paraissez  infatigables;  qu'il  n'y 
a  que  pour  la  pénitence  que  vous  ne  l'êtes 
point;  que  rien  ne  vous  coûte  poux  un  hon- 
neur chimérique  ou  un  fade  plaisir,  et  que 
tout  vous  rebute  pour  le  salut  et  pour  l'ex- 
piation de  vos  péchés;  que  ces  forces,  qui 
vous  quittent  pour  servir  le  Seigneur  et  apai- 
ser sa  justice  redoutable,  se  tiouvent  tou- 
jours pour  l'offenser  par  les  excès  les  plus 
fatigants,  parles  veilles  les  plus  longues  : 
-en  cela  semblables  au  corbeau  de  l'arche  qui 
fut  assez  fort  pour  aller  chercher  des  cada- 
vres infects  jusque  dans  les  contrées  infec- 
tées, et  trop  faible,  pour  revenir  comme  la 
colombe  avec  un  rameau  d'obvier,  qui  de- 
mandait bien  moins  de  force,  il  vous  faut 
sortir  de  l'état  du  péché  où  vous  croupissez 
depuis  longtemps.  Ce  n'est  point  faute  de 
force  que  vous  y  demeurez,  c'est  faute  de 
courage;  ce  n'est  pas  la  faiblesse  naturelle, 
c'est  le  dégoût  de  la  ]  énitence  qui  vous  y 
retient;  il  vous  en  coûte  bien  plus  de  peine 
et  de  contrainte  pour  servir  le  monde  que 
pour  servir  Jésus-Christ  ;  mais  ce  qui  vous 
empêche  de  quitter  l'un  pour  rej  rendre  l'au- 
tre, c'est  que  le  monde  vous  plaît,  que  vous 
l'aimez,  et  que  votre  moindre  peine  est  d'a- 
voir perdu  et  d'être  éloignés  de  Jésus-Christ. 
Voilà  ce  que  vous  entendriez  de  votre  cœur, 
si  vous  le  consultiez  de  bonne  foi,  et  si  le 
tumulte  de  vos  passions  pouvait  vous  per- 
mettre de  l'entendre,  et  ce  que  tant  de  bon- 
nes âmes  véritablement  converties  pourraient 
vous  dire.  Quand  la  grâce  était  hors  de  chez 
elles,  elles  se  disaient  faibles  comme  vous, 
le  cœur  les  trompait  aussi  là-dessus,  et  tan- 
dis que  comme  vous  elles  n'écoutaient  que 
la  délicatesse,  elles  faisaient  tout  pour  offen- 
ser Dieu  et  ne  pouvaient  rien  pouf  le  satis- 
faire; maintenant  qu'elles  sont  converties, 
elles  sentent  au  fond  de  leur  cœur  une  vi- 
gueur et  une  for  e  secrète  qui  ne  les  rebutent 
de  rien;  la  grâce  leur  découvre  ce  fond  de 
mollesse  et  de  lâcheté  qui  les  arrêtait  dans 
les  ténèbres  du  péché;  elles  éprouvent  heu- 
reusement ce  qu'a  dit  saint  Augustin,  que  si 
la  charité  n'appauvrit  personne  de  ceux  qui 
la  font,  la  pénitence  n'affaiblit  point  les  jus- 
tes qui  la  pratiquent  comme  ceux  dont  il 
est  parlé  dans  l'Ecriture:  la  mortification  les 
nourrit,  le  jeûne  les  fortifie  ;  est-ce  donc  leur 
complexion  qui  est  changée?  non,  c'est  leur 
sentiment  ;  est-ce  qu'elles  ont  un  autre  tem- 
pérament ?  non ,  c'est  le  cœur  qui  a  d'autres 
dispositions,  toute  leur  force  est  dans  l'ob- 
jet qu'elles  aiment;  elles  aiment  la  pénitence 
et  tout  leur  y  paraît  praticable  et  facile. 
Mon  Dieu,  que  ne  sommes-nous  dans  les  dis- 
positions de  ces  âmes  justes,  et  nous  aurions 


759 


ORATEURS  SACRES.   LE  P.  SURIAN. 


740 


la  consolation  déprouver  comme  elles  ces 
heureuses  facilités  de  la  pénitence. 

Mais,  quand  vous  ne  pourriez  pas  vous 
mortifier  selon  le  corps,  ne  le  pouvez-vous 
pas  selon  l'esprit?  si  la  pénitence  ne  peut 
être  qu'un  deuxième  baptême  qui  vous  lave 
au  dehors,  ne  doit-elle  pas  être  un  breuvage 
qui  vous  lave  au  dedans  ;  et  lorsqu'aucune 
partie  de  votre  corps  ne  peut  souffrir  le  tran- 
chant des  mortifications  chrétiennes,  n'y  a- 
t-il  pas  des  larmes  amères,  une  douleur  sin- 
cère, des  violences  secrètes,  qui  portent  le 
coup  à  votre  volonté  et  qui  affligent  votre 
esprit.  Votre  complexion  ne  vous  permet  pas 
de  refuser  à  votre  corps  tous  les  besoins,  eh 
bien  1  faites  donc  cette  pénitence  de  l'esprit 
qui  consiste  à  rabaisser  cette  fierté  si  insup- 
portable, à  réprimer  cet  orgueil  si  dominant, 
à  soumettre  cet  empire  si  absolu;  faites  la 
pénitence  de  pensée,  qui  consiste  à  la  réduire 
toute  à  l'image  la  plus  sainte,  à  l'objet  le 
plus  mortifiant,  en  un  mot  à  l'appliquer  sans 
cesse  sur  vos  désordres,  et  sur  les  châti- 
ments qui  vous  attendent;  faites  la  péni- 
tence du  cœur  qui  consiste  à  dompter  vos 
passions  les  plus  dominantes,  à  retenir  vos 
penchants  déréglés,  à  souffrir  avec  amour, 
avec  joie,  avec  reconnaissante,  les  mauvais 
traitements  qu'on  vous  fait,  les  injures  qu'on 
vous  dit,  les  inégalités  de  l'humeur  de  ceux 
avec  qui  vous  avez  à  vivre,  les  dégoûts  que 
vous  trouvez  à  la  compagnie  des  gens  de 
bien;  à  supporter  les  contradictions  d'un 
mari,  d'une  femme,  les  emportements  d'un 
père,  les  bizarres  contraintes  d'une  mère, 
les  assiduités  et  les  soins  gênants  d'une 
charge  que  vous  avez  à  remplir  avec  exacti- 
tude; car  ce  n'est  pas  là  une  pénitence  lé- 
gère, qui  se  réduit  à  prendre  en  paix  et  avec 
soumission  la  révolution  de  la  fortune,  le 
changement  des  temps ,  des  saisons,  le  dé- 
rangement de  vos  affaires;  à  vous  souffrir 
vous-mêmes,  et  surtout  dans  ces  antipathies 
naturelles ,  qui,  pour  être  involontaires,  de- 
viennent une  pénitence  d'autant  plus  méri- 
toire qu'elle  est  de  votre  'choix;  faites  une 
pénitence  de  sentiment  qui  consiste  à  rendre 
muettes  toutes  vos  actions  et  toutes  vos  afflic- 
tions, en  vous  plaignant  plus  à  Dieu  de  vos 
péchés,  qu'aux  hommes  de  vos  misères. 

Enfin,  si  vous  ne  pouvez  embrasser  les  pei- 
nes, au  moins  abstenez-vous  des  plaisirs; 
suppléez  par  la  retraite,  par  la  prière,  par 
L'aumône, aux  mortifications  extérieures;  si 
vous  ne  pouvez  pas  vous  soutenir  sans  vos 
repas  ordinaires,  poussez  du  moins  avant  de 
manger,  en  mangeant,  des  soupirs  secrets,  et 
vous  plaignez  au  fond  de  l'Ame  d'une  néces- 
sité que  vos  péchés  vous  ont  attirée  en  rui- 
nant votre  santé  :  Antequam  comedam  su- 
spiro.  (Job,  III.)  Faites,  par  les  désirs  réels 
d  une  volonté  soumise,  ce  que  vous  ne  pou- 
vez exécuter  sur  une  chair  coupable;  et  ex- 
primant en  vous  toutes  les  paroles  du  Roi- 
Prophète,  dites  avec  lui  :  Seigneur,  si  vous 
voulez  ce  corps,  déjà  frappé  de  maladie 
et  de  faiblesse,  et  qui  par  ses  révoltes  est 
déjà  tout  exténué:  Si  voluissrs,drdissem  uli- 
que  (Psal.  L);  mais  vous  n'aimez  point  les 


holocaustes,  les  victimes  charnelles  ne  vous 
plaisent  plus  :  Holocaustis  non  delectaberis. 
(Ibid.)Cest  un  esprit  confus  et  troublé,  c'est 
ce  cœur  contrit  et  humilié  par  les  sentiments 
les  plus  vifs  de  la  pénitence  que  je  vous 
offre  :  Sacrificium  Deo  spiritus  contribulalus; 
cor  contrition  et humiliatum.  (Ibid.)  Ah!  mon 
Dieu,  je  me  flatte  que  vous  ne  le  dédaigne- 
rez pas  :  Deus,  nondespicics.  (Ibid.) 

SECOND    POINT. 

La  faiblesse  et  l'infirmité  ne  deviennent 
donc  pas  une  dispense  de  la  pénitence?  elles  en 
sont,  au  contraire,  un  motif  bien  puissant; 
elles  vous  disent  :  Le  temps  de  la  vie  est  bien 
court,  l'heure  de  ma  mort  s'approche,  je  dois 
me  préparer  à  partir,  il  faut  me  disposer  à  pa- 
raître devant  mon  juge?  Car,  quand  est-ce 
qu'on  doit  nettoyer  sa  maison,  sinon  quand 
on  doit  recevoir  la  visite  de  son  Seigneur; 
quand  est-ce  qu'une  main  prudente  doit  frap- 
per les  premiers  coups,  si  ce  n'est  quand  le 
maître  est  à  la  porte;  quand  serait-il  temps 
d'expier  vos  crimes,  si  ce  n'est  lorsque  votre 
juge  va  paraître,  et  vous  redemander  votre 
âme:  tout  la  menace,  cette  âme  revêtue  d'un 
corps  faible,  de  la  chasser  de  cette  maison 
de  boue  qui  s'écroule  de  toutes  parts,  et  si 
vous  ne  lui  préparez  par  la  pénitence  une 
demeure  éternelle,  que  va-t-elle  devenir? 
Quoi  !  pécheur,  la  cognée  est  déjà  à  la  racine 
de  l'arbre,  elle  l'ébranlé,  il  va  tomber,  peut- 
être  n'a-t-il  point  encore  porté  un  seul  fruit 
de  pénitence,  et  s'il  tombe  sans  en  avoir 
porté,  qui  pourra  le  sauver  du  feu  ? 

Qu'on  ne  dise  donc  plus  que  la  pénitence 
n'est  que  pour  ceux  qui  ont  une  santé  ro- 
buste, un  corps  plein  de  vigueur  et  de  force; 
quel  bonheur  de  pouvoir  lui  offrir  le  tribut 
de  l'expiation  ,  quand  on  est  si  près  de  lui 
payer  celui  de  la  viel  Quelle  consolation 
pour  les  personnes  infirmes  qui  ont  perdu 
leur  âme,  de  pouvoir  la  racheter  par  le  peu 
qui  leur  en  reste  pour  faire  pénitence;  et 
quand  elles  ont  eu  le  malheur  de  refuser  à 
la  pénitence  leurs  plus  beaux  jours,  qu'elles 
sont  heureuses  de  pouvoirles  renfermer  dans 
le  sein  de  Dieu,  avec  ces  derniers  moments 
qu'ils  ont  à  vivre  dans  les  larmes. 

Voyez-vous  donc,  pécheurs,  la  multitude 
de  tous  vos  prétextes  confondue  ;  et  quelle 
autre  excuse  pourrait  encore  vous  séduire? 
l'espérance  d'avoir  toujours  le  temps  de  faire 
pénitence?  mais  le  danger  qu'il  y  a  d'être  sur- 
pris, et  l'importance  de  ce  devoir  méritent- 
ils  que  vous  les  différiez  davantage  ;  la  crainte 
et  le  respect  des  hommes?  mais  qu'importe 
que  les  hommes  murmurent,  pourvu  que 
le  Seigneur  soit  content;  les  horreurs  que 
cette  pénitence  présente?  mais  avec  la  grâce 
tout  ne  paraît-il  pas  aisé? la  miséricorde  de 
Dieu?  mais  ce  Dieu  de  bonté,  n 'est-il  pas  le 
principe  et  la  fin  de  la  pénitence? 

Ah  1  ne  vous  otez  donc  pas  cet  unique  re- 
mède, cette  seule  et  salutaire  ressource  do 
salut.  Hélas!  depuis  longtemps  vous  sentez 
que  vous  avez  besoin  de  soupirs  et  de  lar- 
mes pour  apaiser  votre  juge,  et  loin  de  vous 
y  être  condamnés,  vous  en  avez  éludé  toute 


CAREME.  -  SERMON  V,  SUITE  DES  OCCASIONS  DU  PÉCHÉ. 


7H 

la  force,  vous  en  avez  rejeté  la  pratique.  Ahl 
tant  de  péchés  que  vous  avez  commis  n 'out- 
ils donc  pu  encore  tirer  de  votre  esprit 
iiveuglé  et  de  votre  cœur  endurci  un  seul 
moment  de  pénitence  ;  voici  un  temps  favo- 
rable, voici  des  jours  de  salut  :Eccc  nunc 
tempus  acceptabile,  dies  satutis.  (II  Cor.,  VI.) 
•Brisez  vos  cœurs,  affligez  vos  esprits,  aban- 
donnez-vous aux  douleurs  et  au  deuil  que 
l'Eglise  commence;  tristes  et  confus  d'avoir 
offensé  Dieu,  ne  vous  épargnez  en  rien  pour 
l'a  aiser. 

Mais  en  vain  faisons-nous  tous  nos  efforts  ; 
sans  votre  secours,  ô  mon  Sauveur,  nos  mi- 
sères vous  sont  toutes  présentes,  c'est  à  vous 
-a  nous  les  faire  expier;  vous  voilà  dans  le 
désert  pour  vous  donner  en  spectacle  de  pé- 
ri, tence  aux  pécheurs  durant  cette  sainte 
quarantaine.  Charité  divine,  touchez-nous; 
grâce  ineffable,  animez-nous;  sainteté  aima- 
ble, purifiez-nous;  lumière  pure,  éclairez- 
nous;  patience  adorable,  attendez-nous;  vé- 
rité éternelle,  conduisez-nous.  S'il  vous  faut 
des  ténèbres  qui  soient  profondes,  des  éga- 


7-22 


vaincre,  daigne  nous  servir  de  règle  dans 
les  diverses  occasions  où  nous  sommes  ex- 
posés ;  et  comment?  Le  voici. 

1°  A  peine  est-il  baptisé  qu'il  évite  tous 
les  objets  profanes  du  siècle,  et  le  même 
Esprit  qui  le  remplit  le  mène  dans  le  déseit, 
sans  doute,  pour  nous  apprendre  que  nous 
ne  pouvons  nous  empêcher  d'éviter  les  oc- 
casions prochaines  du  vice;  car,  si  un  Dieu, 
qui  est  la  sainteté  par  essence  et  la  toute- 
puissance  même,  prend  la  précaution  de 
s'éloigner  des  occasions,  comment  nous, 
qui  sommes  si  corrompus  et  si  faibles, 
nous  exposerions-nous  témérairement  à  ces 
mômes  occasions.. 

2°  Si  Jésus-Christ  est  tenté  dans  sa  retraite, 
et  si  le  même  esprit  qui  permet  qu'il  soit 
tenté  par  le  démon  lui  donne  des  armes 
pour  résister  et  pour  vaincre,  c'est,  sans 
doute,  pour  nous  faire  comprendre  que  si, 
dans  l'état  et  la  condition  où  la  Providence 
nous  a  placés,  nous  sommes  exposés  à  des 
occasions  involontaires   du  péché,  nous   y 


trouverons  des  secours  suffisants  pour  eh 
re.ments  qui  soient  déplorables,  puissance  sortir  victorieux  et  triomphants  parle moven 
invincible,  agissez  sur  nous;  miséricorde     de   nos   résistances  et  de  nos  combats;  "car 


infinie,  agissez  sur  nous;  bonté  adorable, 
prenez  pitié  de  nous,  transmettez  dans  nos 
cœurs  les  soupirs  enflammés,  les  larmes 
amères,  les  cris  douloureux,  l'amour  du 
jeûne,  de  la  retraite,  de  la  mortification,  en 
un  mot  tout  cet  homme  de  pénitence,  afin 
qu'étant  ici-bas  les  compagnons  de  vos  dou- 
leurs, nous  puissions  un  jour  devenir  dans 
le  ciel  les  héritiers  de  votre  gloire.  Je  vous 
la  souhaite,  Messieurs,  au  nom  du  Père,  du 
Fils  et  du  Saint-Esprit.  Amen. 

SERMON  V  (5). 

DE  LA  SUITE  DES  OCCASIONS    DU  PÉCHÉ,   OU  SUR 
LES  TENTATIONS. 

Jésus  ductus  est  in  deserlum  a  Spiritu  ut  tentareJor  a 
diabolo.'  (Mattlt.,  IV.) 

Jésus  fut  conduit  dans  le  désert  par  le  Saint-Esprit,  pour 
y  être  tenté  du  démon. 

■Qua  veut  nous  apprendre  le  Sauveur  par 
ces  dispositions  si  différentes,  Messieurs? 
Ainsi  livré  tour  à  tour  à  ces  deux  esprits  si 
contraires  :  au  Saint-Esprit  qui  l'éloigné  du 
monde,  ductus  est  a  Spiritu;  à  l'esprit  malin 
qui  le  tente  dans  sa  retraite,  ut  tentaretur  a 
diabolo  ;  voici  les  deux  grandes  leçons  qu'il 
daigne  nous  faire  aujourd'hui  :  il  y  a  deux 
sortes  d'occasions  auxquelles  le  chrétien  est 
exposé  sur  la  terre,  les  unes  délibérées,  les 
autres  involontaires.  Les  premières  sont 
celles  où  nous  nous  exposons  par  notre  té- 
mérité et  notre  imprudence;  les  secondes 
sont  celles  où  nous  exposent  malgré  nous 
notre  condition  et  notre  faiblesse  :  voilà  le 
principe  de  tous  nos  malheurs,  et  qui  de- 
vrait bien  tirer  de  nos  yeux  une  source  in- 
tarissable de  larmes. 

Or,  Jésus-Christ,  qui  a  bien  voulu  être 
tante  par  tous  les  endroits  pour  nous  ap- 
prendre le   grand  art  de  combattre  et  de 


si  un  Dieu,  qui  est  la  force  même,  veut 
bien  combattre  dans  le  désert,  comment 
nous,  qui  ne  sommes  que  faiblesse,  ne  com- 
battrions-nous pas  dans  les  occasions  né- 
cessaires, et  dès  qu'il  promet  de  r.ous  aider 
à  combattre,  quel  succès  ne  devons-nous 
pas  espérer;  en  un  mot,  dans  les  occasions 
où  Dieu  ne  vous  appelle  pas,  fuyez  ;  la  fuite 
seule  vous  préservera  du  péril  :  voilà  mon 
premier  point.  Dans  les  occasions  où  la 
Providence  vous  expose  par  votre  état  et 
votre  condition,  combattez,  la  seule  résis- 
tance vous  assurera  la  victoire  :  ce  sera  le 
second,  et,  soit  dans  la  fuite  et  dans  le  com- 
bat, quelle  gloire  pour  vous  d'avoir  un 
Dieu  pour  guide  et  pour  appui;  car  voilà 
les  deux  grandes  difficultés  et  les  grandes 
vues  qui  tentent  aujourd'hui  Jésus-Christ 
dans  le  désert,  pour  vous  apprendre  à  fuir 
l'occasion  du  péché  et  à  le  combattre.  Que 
le  même  espritqui  mène  le  Sauveur  m'anime 
aussi  moi-même  dans  ce  discours  si  difficile, 
et  peut-être  le  plus  important  que  j'aie  en- 
core prêché  dans  les  chaires  chrétiennes; 
demandons-lui  cette  grâce  par  l'intercession 
de  Marie.  Ave,  Maria. 

PREMIER  POINT. 

Sur  quoi  comptez-vous  donc,  âmes  im- 
prudentes, lorsque  vous  vous  exposez  à 
l'occasion  du  péché,  et  sur  qui  prenez-vous 
les  prétextes  qui  vous  rassurent  ;  est-ce  sur 
Dieu,  est-ce  sur  vous-mêmes  ?  Du  côté  de 
Dieu,  vous"  vous  dites  :  Il  n'est  point  de 
tentation  que  je  ne  puisse  vaincre  avec  la 
grâce  ;  du  côté  de  vous-mêmes,  exagérant 
et  votre  force  et  votre  faiblesse,  vous  vous 
dites  tantôt  :  Il  m'est  impossible  de  résis- 
ter, et  tantôt  :  Rien  ne  m'est  plus  facile  que 
de  résister.  Or,  Jésus-Christ,  en  fuyant  dans 


(5)  Imprimé  au  tome  Ier,  page  06  de  l'édition  de  Liège,  sous  le  titre  de  :    ionviie  sur  les  tentations. 


7i: 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SU  RI  AN. 


7ii 


le  désert,  confond  vos  deux  téméraires  pré- 
textes. Quel  aut-e  que  lui  pouvait  plus 
compter  sur  la  grâce,  puisqu'il  en  est  l'au- 
teur, et  qu'il  est  la  grâce  même?  Cependant 
il  se  défie  de  lui-même,  et  fuit  l'occasion, 
sans  doute  pour  nous  apprendre  qu'en  nous 
exposant  volontairement  dans  l'occasion  du 
péché,  nous  ne  devons  compterni  sur  la  grâce, 
ni  sur  nous,  et  que,  par  conséquent,  c'est 
en  nous  une  grande  imprudence  et  une 
coupable  témérilé  de  nous  y  exposer. 

Premier  prétexte  :  point  d'occasion  dont 
je  ne  sorte  victorieux  avec  la  grâce,  et  n'est- 
ce  pas  pour  me  soutenir  contre  la  tentation 
que  la  grâce  de  Dieu  m'est  donnée?  C'était 
par  ce  premier  prétexte  que  le  démon,  vou- 
lant faire  illusion  au  Sauveur,  lui  dit  :  Si 
vous  êtes  Fils  de  Dieu,  jetez-vous  du  haut 
en  bas  du  temple;  que  risquez-vous?  Il  est 
écrit  que  lesanges  viendrontà  votre  secours, 
et  qu'ils  vous  recevront  entre  leurs  bras 
sans  qu'il  vous  en  arrive  aucun  mal  :  mitte 
te  chorsum.  (Ma'Jh.,  IV.) 

Je  l'avoue,  mes  frères,  elle  soutient,  celte 
grâcs  du  Seigneur,  une  âme  qui  demeure 
dans  la  voie  que  la  Providence  lui  a  marquée, 
encore  même  y  est-elle  toute  tremblante, 
tout  alarmée;  cependant  il  est  delà  fidélité 
que  le  Seigneur  doit  à  ses  promesses  de  ne 
point  permettre  que  cette  âme  succombe 
dans  le  danger  où  elle  ne  s'est  point  expo- 
sée d'elle-même  :  ainsi  soutint-il  Abraham 
dans  l'Egypte,  Lot  dans  Sodome  ,  Daniel 
dans  la  fosse  aux  lions,  Esther  dans  la  cour 
d'Assuérus,  les  enfants  hébreux  dans  la 
fournaise;  pourquoi?  C'est  que  c'était  par 
son  ordre  que  la  tentation  les  avait  éprouvés, 
et  qu'il  manquerait  à  lui-même  s'il  manquait 
de  soutenir  ceux  qui  se  tiennent  fidèlement 
dans  la  voie  de  sa  divine  providence;  mais  il 
n'en  est  pas  de  même  de  ceux  qui  s'exposent 
d'eux-mêmes.  Voyez  saint  Pierre,  quand  il 
s'expose  de  lui-même  :  il  tremble  et  tombe 
dans  l'infidélité  à  la  seule  parole  d'une  ser- 
vante ;  mais  voyez-le  ensuite  devant  les  ty- 
rans où  Dieu  l'appelle  :  il  y  est  intrépide, 
et  brave  en  héros  chrétien  toute  leur  bar- 
barie. 

Voilà  donc  les  seuls  qui  peuvent  compter 
sur  la  grâce  :  ce  sont  ceux  qui  se  trouvent 
exposés  à  la  tentation  par  l'ordre  de  Dieu, 
et  qui  ne  sortent  point  des  voies  de  sa  pro- 
vidence; mais  ce  principe  ne  vous  confond-il 
point,  ô  vous  qui  comptez  si  fort  sur  la 
grâce,  en  vous  exposant  témérairement  à 
l'occasion  du  péché?  Est-ce  par  l'inspiration 
dG  Dieu  et  dans  l'ordre  de  sa  providence, 
que  vous  donnez  dans  toutes  ces  mondani- 
tés, si  opposées  à  la  simplicité  et  à  la  modes- 
tie chrétiennes;  que  vous  cherchez  ces  com- 
pagnies si  dangereuses  qui  ne  soufflent  que 
l'esprit  du  monde  et  ses  folles  vanités;  que 
vous  vous  engagez  dans  ces  parties  de  plai- 
sirs, dans  ces  sociétés  contagieuses  si  capa- 
bles de  vous  séduire  et  de  corrompre  voire 
pureté  môme?  Est-ce  la  volonté  de  Dieu  que 
vous  vous  opposiez  à  ces  lectures  profanes, 
qui  laissent  après  elles  de  si  mauvaises  im- 
pressions, et  où  sans  le  sentir  on  devient 


sitôt  infidèle?  Est-ce  de  l'ordre  de  Dieu  que 
vous  vous  exposez  à  ces  débauches  scanda- 
leuses, à  ces  festins  délicieux  si  propres 
à  vous  engraisser  d'iniquités,  et  à  nourrir 
l'intempérance  et  la  sensualité?  Est-ce  la 
volonté  de  Dieu  que  vous  donniez  aux  agi- 
tations, aux  brigues,  aux  inquiétudes  de  la 
fortune,  un  temps  et  une  attention  qui  ne 
vous  sont  donnés  que  pour  travailler  à  l'im- 
portant ouvrage  de  votre  salut?  Est-ce  par 
l'esprit  de  Dieu  que  vous  sollicitez,  que  vous 
recherchez  avec  tant  d'empressement  et  d'a- 
vidité ces  postes  si  dangereux  pour  le  salut, 
si  délicats  pour  la  conscience,  et  où,  selon 
l'Apôtre, vous  trouvez  à  chaque  pas  un  piège 
de  corruption  et  de  mort?  Est-ce  la  volonté 
de  Dieu  que  vousliiezces  commerces  secrets, 
que  vous  voyiez  ces  personnes  suspectes, 
que  vous  entreteniez  ces  liaisons  funestes, 
que  vous  formiez  ces  intrigues  criminelles 
d'où  vous  ne  sortez  jamais  comme  vous  y 
êtes  entrés,  et  où  la  grâce  de  Jésus-Christ 
fait  un  si  triste  naufrage  ?  En  vérité,  est-ce 
pour  remplir  ces  saints  engagements  que  vous 
courez  aux  théâtres,  course  contre  laquelle 
depuis  si  longtemps  toute  la  piété  se  récrie; 
qui  ne  sont  qu'une  abjuration  détestable  de 
vos  premiers  voeux,  et  un  renoncement  for- 
mel à  toutes  les  promesses  que  vous  avez  fai- 
tes dans  le  baptême?  A  ces  théâtres  où  presque 
tous  ceux  qui  en  approchent  reçoivent  la 
première  plaie  et  la  conservent  jusqu'au  der- 
nier instant  de  leur  vie;  à  ces  théâtres  qui 
sont  le  poison  de  l'esprit,  l'égarement  de  l'i- 
magination, l'enchantement  des  sens,  la  ruine 
des  vertus  chrétiennes;  d'où  coule  comme 
une  source  empoisonnée  cette  dissolution 
signalée  dans  le  monde  et  qui  semble  augmen- 
ter à  mesure  qu'ils  se  multiplient  à  ces 
théâtres  où  l'on^étudie  si  bien  le  penchant 
de  l'homme  pour  le  séduire,  et  où  ce  que 
l'on  appelle  intéresser  le  spectateur,  c'eft  le 
corrompre;  à  ces  théâtres  où  tout  devient  nn 
piège  si  dangereux  à  la  faiblesse  humaine, 
et  où,  comme  si  les  scandales  de  nos  jours 
ne  suffisaient  pas,  on  fait  revivre  les  anciens 
crimes,  l'on  en  feint  de  fabuleux  pour  en 
inspirer  de  véritables,  et  où  l'on  s'efforce 
d'apprivoiser  notre  âge  avec  des  monstres 
que  l'on  n'y  connaît  pas;  à  ces  théâtres  où 
l'on  est  obligé  pour  vous  faire  penser  aux 
membres  de  Jésus-Christ,  de  vous  ordonner 
d'en  confier  le  dépôt  aux  suppôts  de  Satan; 
à  ces  théâtres  où  l'on  s'instruit  bien  plus  du 
mal  que  du  bien;  où  la  prétendue  réforme 
est  d'en  préparer  plus  subtilement  le  poi- 
son, et  où  la  morale  des  passions  est  d'au- 
tant plus  dangereuse  qu'elle  est  plus  délica- 
tement insinuée  ;  à  ces  théâtres  où  le 
péché,  qui  ne  frappe  qu'une  partie  de  l'homme 
dans  les  autres  occasions  le  frappe  tout  entier; 
sesyeux  par  l'enchantement  du  spectacle  qu'on 
y  voit;  ses  oreilles,  par  l'harmonieuse  lubri- 
cité qu'on  y  entend;  ses  sens,  par  l'indécence 
(\os  objets  qui  s'y  présentent;  son  cœur,  par 
les  attraits  des  plaisirs  qu'on  y  sent  :  tout 
l'homme  enfin  s'y  trouve  investi  du  péché. 
Qu'appcllera-t-on  occasion  prochaine,  si  le 
théâtre  n'en  est  une  véritable,  et  quelle  sera 


143 


CAÎ\EME.  —  SERMON  V,  FUITE  DES  OCCASIONS  DU  PECHE. 


7>6 


la  matière  du  péché,  si  ce  n'est  tous  les  pé- 
chés ensemble?  Or,  revenons  aux  secours 
que  vous    osez  attendre   de   Dieu  dans   de 
pareilles  occasions.  En  vous  quel  prodige  de 
présomption  d'y  attendre  sa  grâce  sainte  ! 
doit-elle    donc  s'y  rendre  complice  de  vos 
iniquités  !  Quoi  !  celte  grâce  que  les  Hilarion, 
les  Paul,   n'étaient  pas  sûrs  de  .trouver  dans 
les  creux  des  rochers  et  dans  toutes  les  aus- 
térités du  désert,  s'offrirait  donc  à  vous  dans 
le  centre  des  mondanités,  de  la  mollesse,  et 
des  divertissements  du  siècle  1  Eh!  ne  doit- 
elle  pas  encore  moins  s'oll'rir  à  vous  qu'à  un 
autre?  Car  enfin  que  ceux  à  qui,  Dieu  a  mon- 
tré moins  d'amour  le  quittent  à  la  moindre 
occasion,   l'offense   paraît    en  quelqua  ma- 
nière plus  pardonnable;  mais  que  vous  qu'il 
a  fait  naître  dans  le  sein  de  sa  religion,  qu'il 
y  comble  de  son  amour  et  de  ses  miséricor- 
des, le  quittiez  pour  un  rien,  pour  une  baga- 
telle, pour  un  vil   intérêt,   pour  un  plaisir 
passager  ;  que  vous  ne  le  supportiez  qu'avec 
peine,  vous  ne  lui  oiïïiez  qu'un  cœur  dont 
toutes  les  inclinations,  les  soins,  sont  de  le 
quitter  et  de  le  perdre,  ah  1  c'est  pour  lui  un 
souvenir  tropdoulnureux.  Une  âmesi  ingrate 
n'est  pas  digne  de  sa  protection,  et  quand  il 
vous  voit  si  peu  attentifs  à  le  retenir  avec 
vous   et    si  opiniâtres   à  lui   refuser  votre 
amour,  il  est  bien  juste  qu'il  vous  quitte  à 
son  tour,  et  qu'il  vous  refuse  ses  grâces.  Il 
est  donc  vrai  que  lorsque  vous  vous  exposez 
de  vous-mêmes  h  l'occasion  du  \  éché,  vous  ne 
pouvez  compter  sur  le  secours  et  sur  la  grâce 
de  votre  Dieu.  Or,  en  cette  situation,  quel  est 
donc  votre  extrême  malheur,  et  de  là,  n'êtes 
vous  pas  réduits  à  la  dernière  des  misères, 
sans  appui,  sans  protection,  sans  secours,  sans 
grâce,  sans  Dieu?  Ah  I  peut-on  y  penser  sans 
frémir  jusque  dans  la  moelle  des  os,  et  peut- 
on  se  promettre  de  ne  pas  tomber  en  cet  état? 

O  mon  Dieu!  que  j'ai  pitié  d'un  si  aveu- 
gle chrétien!  et  la  grande  raison  pour  laquelle 
je  crains  tout  pour  lui,  c'est  parce  qu'il  ne 
se  craint  pas  lui-même.  Vous  prenez  des 
précautions,  dit  saint  Ambroise  contre  les 
révolutions  de  la  fortune.  Ah!  qu'il  vaudrait 
bien  mieux  que  vous  en  prissiez  contre  les 
occasions  du  péché  !  Il  est  bien  plus  avanta- 
geux pour  vous  de  les  éviter,  et  bien  plus  à 
craindre  de  vous  y  engager.  Vous  voulez 
encore  éprouver  vos  forces,  mais  vos  pre- 
mières tentatives  ont  été  si  malheureuses;  le 
passé  vous  annonce  trop  clairement  l'avenir 
et  pour  en  faire  un  nouvel  essai,  vous  devez 
vous  attendre  qu'il  ivous  en  coûtera  une 
nouvelle  chute.  Ah!  si  vous  voulez  faire 
quelque  nouvel  essai  de  vos  forces,  que  ne 
le  faites  vous  sur  la  vertu?  que  ne  pre- 
nez  vous  les  mates  qui  y  mènent  ?. Il  n'y 
a  qu'une  seule  digue  contre  le  débordement 
du  crime  :  c'est  de  ne  jamais  le  commettre, 
et  je  ne  vois  point  d'occasion  plus  prochaine 
du  péché,  que  le  péché  lui-même. 

Mais  je  veux  que  vous  soyez  tranquilles; 
comme  vous  dites  que  la  grâce  de  Dieu  et 
sa  miséricorde  se  trouvent  plus  abondantes 
en  vous  que  les  attaques  du  monde  et  les 
tentations  du  démon,  est-ce  une  raison  de  le 

OaATEUBS     SACRÉS.    L, 


quitter,et  de  l'abandonner,  ce  Dieu  de  bonté, 
et  de  vous  livrer  de  propos  délibéré  aux 
ennemis  de  votre  salut,  parce  que  lui- 
même  vous  a  voulu  jusqu'ici  tenir  entre  ses 
bras  et  couvrir  du  bouclier  de  sa  puissante 
protection? 

Enfin,  dernier  prétexte  si  commun  par- 
mi les  chrétiens;  ce  n'est  plus  présomption, 
c'est  pusillanimité  :  vous  alléguez  votre  fai- 
blesse. Je  ne  puis  me  dérober  à  l'occasion, 
je  ne  me  sens  point  assez  de  force  pour  fuir 
et  résister,  dites-vous;  et  moi  je  disque  vous 
mentez  au  Saint-Esprit,  que  ce  n'est  pas  la 
force  qui  vous  manque,  mais  le  courage  et 
la  volonté,  et  voici  comment  :  combien  ici 
qui,  dans  un  gouvernement  nouveau,  aspi- 
rent à  de  nouvelles  fortunes,  cherchent  à  en- 
trer dans  l'administration  des  affaires,  solli- 
citent un  poste,  un  emploi  ?  Si  Ton  vous  ac- 
corde la  grâce,  et,  selon  vous,  la  justice  que 
vous  demandez,  direz-vous  :  Je  suis  faible 
pour  résister  aux  veilles  et  aux  grandes 
applications  que  cet  emploi,  que  cette  charge, 
que  ce  poste  demande?  Direz-vous  que  vous 
ne  vous  sentez  pas  assez  fort,  pour  ne  pas 
vous  y  laisser  corrompre  et  séduire?  Ah  !  il 
n'est  rien  qui  balance  vos  forces;  nej-vous 
faites-vous  pas  un  front  jd'airain  contre 
toutes  les  plaintes  et  les  gémissements  du 
public? 

C'est  ainsi  que  vous  êtes  tout  prêts  pour 
la  fortune,  et  rien  pour  le  salut;  vous  pou- 
vez tout  quand  le  monde  commande,  et  vous 
ne  pouvez  rien  quand  c'est  Dieu  qui  or- 
donne; peut-être  me  direz-vous  que  c'est  la 
gloire  ou  l'intérêt  qui  l'emporte  sur  l'amour; 
mais  qu'importe  qui  vous  rende  forts  peur 
le  siècle,  si  vous  ne  l'ôtps  pas  pour  le  ciel? 
N'ert-i]  pas  bien  honteux  que  dans  un  cœur 
la  passion  fasse  ce  que  ne  peut  y  faire  la  re- 
ligion; que  l'espérance  d'un  établissemest 
temporel  fasse  rompre  à  un  chrétien  des 
biens  que  la  vue  de  l'éternité  ne  saurait  lui 
faire  briser?  Il  est  bien  honteux  que  vous 
vous  rendiez  le  maître  de  tout,  que  vous 
surmontiez  tout,  quand  il  s'agit  d'un  vil  in- 
térêt, d'un  frivole  point  d'honneur,  et  que  le 
péché  seul  vous  paraisse  un  objet  si  doux  et 
si  aimable  pour  ne  point  le  quitter  ;  que  pour 
y  demeurer  vous  nous  alléguiez  des  pré- 
textes que  vous  jugeriez  vains  et  frivoles  en 
toute  autre  occasion. 

Ah!  condamnez-les  donc,  ces  frivoles  pré- 
textes, qui  ne  sont  que  trop  injustes  :  Exitc 
de  medio  eorum  et  separamini  (II  Cor.,  VI)  ; 
sortez  du  milieu  de  ces  occasions  si  funestes 
à  votre  innocence,  et  quand  vous  les  aurez 
quittées  ne  les  reprenez  plus;  séparez-vous 
pour  jamais  de  ces  objets  très-contagieux,  et 
quand  vous  aurez  rompu  vos  liens,  fuyez  les 
occasions  d'en  contracter  de  nouveaux  :  Se- 
paramini.  Vous  avez  formé  de  si  grands  en- 
gagements dans  le  baptême,  pourquoi  vous 
exposer  à  les  démentir  par  de  nouvelles  chaî- 
nes dans  le  cœui?  Les  occasions  font  autant 
d'infidèles  que  de  présomptueux,  et  n'allez 
pas  dire  qu'il  faudrait  donc  être  sans  cesse  on 
garde  contre  soi-même.  Quelle  folie  de  voua 
endormir  quand  vous  savez  que  l'ennemi  e:t  i 

24 


747  ORATEURS  SACRES.  LE  P 

votre  porte ,  qui  ne  cherche  qu'à  vous  sur- 
prendre !  Eloignez  cet  objet  qui  est  la  source 
de  tant  d'offenses,  qui  vous  fait  si  fort  ou- 
blier votre  salut;  dites-lui  comme  ce  père 
infortuné  à  la  vue  de  ce  qu'il  avait  de  plus 
précieux  et  de  plus  cher  :  Heu  me!  dcc(pisli 
me;  occasions  trop  aimées,  vous  m'avez 
trompé;  je  ne  m'attendais  pas  à  votre  surprise 
et  à  vos  séductions,  mais  quoi  qu'il  en  soit, 
quelque  chères  que  vous  me  soyez,  je  vais 
vous  immoler  aux  soins  de  monsalut  :  Im- 
molabo  te.  C'en  est  fait,  je  vais  m'éloigner 
pour  jamais  des  attraits  séduisants  du  péché, 
je  vais  rompre  tous  ces  liens  profanes  qui 
m'attachaient  au  monde  trompeur  et  à  ses 
vaines  créatures;  plût  à  Dieu  l'avoir  plus 
tôt  fait.  Il  va  m'en  coûter  quelque  violence, 
je  m'y  attends  bien,  mais  dès  qu'on  veut  se 
sauver  il  faut  en  prendre  le  chemin,  et  ja- 
mais je  ne  pourrai  faire  autrement  mon  salut  : 
Àliud  farere  non  potero .Toni  ici  me  demande 
ce  sacrifiée:  le  repos  que  je  cherche,  l'inquié- 
tude que  je  soulfre,  mes  dégoûts,  mes  re- 
mords, mes  alarmes  dans  les  occasions  du 
péché;  vous-même,  ô  mon  Dieu,  que  je  sens 
à  regret  que  j'ai  quitté;  tout  m'oblige  à  fuir, 
h  m'éloigner  des  occasions  mauvaises  :  ma 
conscience,  mon  baptême,  ma  religion,  tout 
m'engage  à  cette  fuite,  à  cet  éloignement  sa- 
lutaire :  Aliud  fucere  non  potero.  Mais  ce 
n'est  pas  tout,  vous  venez  de  voir  que  dans 
les  occasions  du  péché  il  faut  fuir,  voyons 
encore  comme  dans  celles  où  il  nous  engage 
il  faut  vaincre:  c'est  la  deuxième  partie  de 
ce  discours. 


SURIAN. 


748 


SECOND  POINT. 

Quelles  sont,  Messieurs,  ces  occasions  in- 
volontaires et  inévitables  qui  s'opposent  à 
votre  salut,  et  auxquelles  Dieu  semble  nous 
engager?  Si  nous  faisons  réflexion  sur  nous- 
mêmes,  nous  trouverons  qu'elles  se  rédui- 
sent ou  aux  nécessités  et  aux  peines  de  la 
vie,  ou  aux  illusions  et  aux  vaines  promes- 
ses du  monde,  ou  aux  dégoûts  et  aux.  séche- 
resses de  la  piété  même;  car  le  Sauveur, qui 
sait  que  la  tentation  nous  est  nécessaire, 
nous  laisse  exposés  à  ces  trois  sortes  d'é- 
preuves; mais  ce  qui  doit  en  même  temps 
nous  consoler  c'est  qu'en  nous  mettant  devant 
les  yeux,  dans  l'évangile  de  ce  jour,  l'image 
de  ses  combats,  il  nous  met  en  même  temps 
des  armes  en  main  pour  combattre  et  vaincre 
comme  lui.  1"  Si  nous  sommes  tentés  et  ex- 
posés à  l'occasion  pressante  des  nécessités  et 
des  peines  de  la  vie,  Jésus-Christ,  tenté  de 
changer  les  pierres  en  pain,  nous  apprend 
qu'avec  la  parole  de  Dieu  nous  sortirons  vic- 
torieux de  cette  occasion  :  Non  in  solo  pane 
vivit  homo  sed  in  omni  verbo  quod  procedit 
de  ore  Dei;  2°  si  nous  sommes  tentés  d'ou- 
blier Dieu  à  la  vue  du  monde  et  de  ses  faux 
charmes,  Jésus-Christ,  tenté  par  le  pom- 
peux étalage  de  tous  les  royaumes  delà  terre, 
nous  apprend  qu'en  adorant  et  en  servant 
Dieu  comme  nous  le  devons,  nous  triomphe- 
rons de  cette  deuxième  attaque  :  Dominum 
J)cum  tuum  adorabis  et  illi  soli  servies;  3°  en- 
fin si  nous  sommes  tentés  jusque  dans  la 


piété  par  le  dégoût  que  le  séducteur  peut 
nous  en  inspirer,  Jésus-Christ  nous  apprend, 
par  le  commandement  qu'il  fait  à  Satan  de  se 
retirer,  que  c'est  par  une  crainte  véritable 
d'abandonner  Dieu  et  de  perdre  sa  grâce  que 
nous  surmonterons  ce  troisième  danger  '.Non 
tentabis  Dominum  Dcum  tuum.  Vous  me  di- 
rez sans  doute  qu'être  toujours  tenté  est  un 
sort  bien  triste;  je  l'avoue,  Messieurs;  mais 
qu'il  est  en  même  temps  consolant  d'avoir 
Jésus-Christ  pour  chef  et  pour  modèle  !  S'il 
est  dit  dans  l'Écriture  que  pour  avoir  lafore-e 
de  combattre  et  de  vaincre,  c'est  assez  d'avoit» 
un  Dieu  pour  témoin  de  ses  combats  :  Oeuli 
Domini  prœbent  fortitudinem  his  qui  corde 
perfecto  credunt  ineum  (II  Parai., XVI);  com- 
ment ne  serions-nous  pas  encouragés  quand 
nous  venons  à  penser  que  Jésus-Christ  com- 
bat avec  nous  et  pour  nous? 

Première  occasion  de  péché:  ce  sont  les  né- 
cessités et  les  peines  de  la  vie;  tout  nous 
manque  disons-nous,  tout  nous  méprise,  tout 
nous  abandonne,  dans  notre  extrême  misère 
nous  ne  savons  à  qui  avoir  recours;  nous 
nous  trouvons  sans  appui,  sans  ressource, 
et  c'est  alors  que  l'ennemi  du  salut,  qui  ne 
fait  qu'épier  les  occasions,  se  présente  à 
nous  pour  nous  révolter  contre  la  Providence, 
qu'il  nous  porte  aux  murmures  et  aux  plain- 
tes, et  nous  fait  chercher  toutes  sortes  de 
moyens  justes  ou  injustes  de  changer  cet 
état  si  dur  en  un  autre  plus  doux. 

Ainsi  tenta-t-il  Jésus-Christ  quand,  pressé 
par  la  faim  après  dix  jours  d'un  jeûne  ri- 
goureux, il  lui  dit  :  Soulfrirez-vous  encoro 
longtemps  un  état  si  triste  et  si  mortifiant? 
Si  vous  êtes  le  Fils  de  Dieu,  que  ne  dites- 
vous  que  ces  pierres  se  changent  en  pain? 
Si  Filius  Dei  es,  die  ut  lapides  isli  panes  fiant. 

Mais  de  quelles  armes  le  Sauveur  se  sert- 
il  pour  repousser  le  tentateur  dans  une  oc- 
casion si  pressante?  De  la  parole  de  Dieu; 
c'est  tout  ce  qu'il  oppose  h  l'attrait  de  la  né- 
cessité de  la  vie.  L'homme  ne  vit  pas  seu- 
lement de  pain,  mais  de  toute  parole  qui 
sort  de  la  bouche  de  Dieu  :  Non  in  solo  pane 
vivit  homo,  sedin  omni  verbo,  etc. 

Et  voilà,  Messieurs,  comme  vous  êtes 
obligés  de  combattre  contre  les  misères  et 
les  nécessités  de  la  vie  :  il  faut  y  opposer  la 
parole  de  Dieu.  En  effet,  parcourez  les  saintes 
Ecritures,  méditez-les;  quelle  source  de  con- 
solation ne  trouverez- vous  pas  contre  votre 
indigence?  quel  adoucissement  à  vos  peines? 
Là  vous  entendrez  votre  Dieu  qui  vous  dit 
que  c'est  pour  votre  .bien  qu'il  vous  afflige, 
que  c'est  pour  vos  péchés  qu'il  vous  châtie; 
que  vous  auriez  fait  un  trop  mauvais  usage 
des  richesses  de  la  terre,  s'il  vous  en  eût 
rendus  les  dépositaires,  que  ceux  qui  les  pos- 
sèdent sont  bien  en  plus  grand  danger  de  se 
perdre  que  vous;  là  vous  verrez  que  le  Sei- 
gneur ne  vous  laisse  dans  une  si  grande  mi- 
sère que  pour  .exercer  plus  abondamment 
sur  vous  ses  grandes  miséricordes,  et  quet 
s'il  semble  vous  abandonner  par  des  épreuves 
si  sensibles,  c'est  pour  vous  rendre  plus  con- 
formes à  son  image  et  vous  façonner  mieux 
selon  son  cœur. 


749 


CAREME.  —  SERMON  V,  FUITE  DES  OCCASIONS  DU  PECHE. 


7:;o 


Or  pouvons-nous  voir  tant  de  leçons  et 
d'exemples  de  patience  sans  en  recevoir 
quelque  soulagement  dans  nos  besoins?  Une 
âme  chrétienne  qui  se  remplit  avec  foi  de 
ces  vérités  infaillibles,  qui  les  lit  avec  goût 
et  sentiment,  qui  les  écoute  avec  docilité 
et  attention,  qui  les  entend  dans  nos 
saints  temples,  où  surtout  elles  ont  plus 
d'onction  et  de  force,  n'y  sent -elle  pas  une 
consolation  secrète,  un  saint  plaisir  qui  Ja 
pénètre,  qui  la  soutient,  qui  la  nourrit, 
comme  si  Dieu  lui  parlait  lui-même?  N'en 
sort-elle  pas,  comme  les  disciples  d'Eramaûs, 
plus  enflammée  d'amour,  plus  rassurée  dans 
ses  alarmes,  plus  soulagée  dans  ses  peines, 
lorsqu'elle  voit  Dieu  par  les  yeux  de  sa  foi, 
qu'elle  le  possède  déjà  par  les  ardeurs  de  sa 
charité,  qu'elle  s'occupe  des  biens  à  venir 
par  la  fermeté  de  son  espérance;  lorsqu'elle 
voit  dans  les  Livres  saints  son  Dieu  qui  se 
feit  chair  pour  lui  servir  de  nourriture,  qui 
se  cache  dans  les  pauvres  comme  dans  ses 
membres  et  ses  favoris;  lorsqu'elle  y  décou- 
vre la  toute-puissance  du  Seigneur,  marquée 
d'une  manière  si  sensible  dans  la  création 
et  l'harmonie  de  ce  grand  univers,  qu'elle 
y  reconnaît  que  toutes  les  révolutions  et  les 
accidents  qui  arrivent  sur  ce  grand  théâtre 
du  monde,  où  se  jouent  tant  de  tragédies 
différentes,  ne  tournent  qu'à  la  gloire  du 
héros  qui  sait  les  faire  entrer  dans  l'écono- 
mie.des  grâces  du  Seigneur  et  les  rapporter 
su  salut  de  son  âme;  lorsqu'elle  voit  dans 
les  saintes  Ecritures  que  Dieu  est  un  Père 
tendre,  qui  ne  châtie  ses  enfants  que  parce 
qu'il  les  aime,  peut-elle  ne  pas  recevoir  avec 
douceur  et  résignation  toutes  les  peines  qui 
lui  viennent,  toutes  les  nécessités  où  elle 
se  trouve,  toutes  les  misères  qui  lui  arri- 
vent? Et  quand  elle  envisage  toutes  ces 
éj  reuves  de  la  vie  dans  l'ordre  de  la  Provi- 
dence de  son  Dieu  et  dans  l'économie  de 
son  salut,  ne  juge-t-elle  pas  qu'il  est  bien 
plus  avantageux  pour  elle  de  s'en  remettre 
à  la  sagesse  et  à  l'amour  de  cette  providence 
paternelle,  que  de  s'en  chagriner  et  de  s'en 
inquiéter?  Enfin,  si  elle  se  sent  tentée  parle 
démon,  ébranlée  par  les  occasions  du  péché 
qui  se  présentent  à  elles  pour  arrêter  son 
impatience,  ne  s'écrie-t-elle  pas  avec  Jésus- 
Christ  :  Scriptum  est  ?  Je  me  trouve  dans  un 
état  digne  de  compassion;  ceux  qui  de- 
vraient me  soulager,  me  persécutent,  et  je 
souffre  tout  à  la  fois  toutes  les  incommodi- 
tés de  la  vie.  Mais  pourquoi  nie  laisser  abat- 
tre et  me  décourager,  n'est-il  pas  écrit,  que 
bienheureux  sont  les  pauvres,  que  les  béné- 
dictions du  ciel  sont  jour  ceux  qui  auront 
été  persécutés  sur  la  terre  :  Scriptum  est;  et 
n'en  est-ce  ]  ;z  pour-  me  soutenir  dans 

mes  peines,  contre  les  murmures  et  les  im- 
patiences?Je  m'attendais  sur  ma  famille  que 
je  vois  si  pauvre  et  si  nombreuse,  et  c'est 
ce  qui  me  donne  du  chagrin;  mais  pourquoi 
m'en  inquiéter?  Je  vois  écrit  qu'il  est  une 
Providence  qui  donne  l'accroissement  aux 
lis  des  campagnes  et  l'aliment  nécessaire 
aux  oiseaux  du  ciel.  Ne  dois-je  pas  croire 
qu'elle  me  donnera  la  subsistance  nécessaire? 


Scriptum  est.  Je  me  vois  à  deux  doigts  de 
ma  ruine,  et  sur  le  point  de  n'avoir  pas  peut- 
être  du  pain  ;  mais  n'est-il  pas  écrit  que 
l'homme  ne  vit  pas  tant  du  pain  qu'il  mange 
que  de  cette  divine  parole  où  il  n'y  a  pas  une 
maxime,  pas  un  mot  qui  ne  serve  de  motif 
à  notre  confiance  et  de  consolation  à  nos 
peines  ?  Scriptum  est  enim  :Non  in  solo  pane 
vivit  homo,  sed  in  omni  verbo  quod  procedii 
de  ore  Dei. 

Le  démon,  honteux  et  confus  de  n'avoir 
pu  tenté  le  Sauveur  en  voulant  le  faire  pas- 
ser d'un  état  de  peines  et  de  nécessités  à  un 
état  de  délassement  et  de  repos,  lui  présente 
une  autre  occasion  pour  le  faire  tomber;  il 
veut  lui  faire  oublier  Dieu  à  la  vue  des 
pompes  et  des  richesses  de  la  terre,  et  l'en- 
levant jusqu'au  sommet  d'une  haute  mon- 
tagne, il  lui  montre  tous  les  royaumes  et 
les  grandeurs  du  monde,  et  lui  promet  de 
lui  donner  tout  cela,  s'il  veut  quitter  le  Sei- 
gneur pour  s'attacher  à  lui  :Hœc  omnia  libi 
dabo,  si  cadens  adoraveris  me. 

Ainsi  le  démon  vous  tente-t-il  encore 
tous  les  jours,  et  c'est  en  cette  occasion  si 
délicate  qu'il  ne  réussit  que  trop  à  vous 
faire  oublier  le  Seigneur.  Chaque  jour  en- 
core, il  étale  à  vos  yeux  les  séduisants  spec- 
tacles des  biens  et  des  grandeurs  mondaines, 
pour  surprendre  votie  estime;  le  monde, 
pour  mieux  vous  enchanter,  grossit  les  at- 
traits de  ses  faux  biens,  il  emprunte  jus- 
qu'aux illusions  pour  éblouir  votre  esprit, 
il  emploie  les  charmes  les  plus  puissants 
pour  gagner  votre  cœur,  il  fascine  vos  sens 
j  ar  son  éclat  et  sa  figure  trompeuse;  il  fait 
plus,  il  accommode  les  objets  qui  vous  plai- 
sent à  vos  penchants,  à  vos  faiblesses;  il 
vous  promet  même  de  vous  les  donner, 
quoiqu'il  n'en  soit  pas  le  maître  etqu'H  vous 
les  vernie  bien  cher:  Hac  omnia  tibi  dabo,  si 
cadens  adoraveris  me.  Ainsi,  vous  qui  avez 
du  penchant  à  l'avarice,  je  contenterai  vo- 
tre passidn  si  vous  m'adorez;  c'est-à- 
dire,  si  vous  voulez  être  dur,  cruel,  in- 
juste, impitoyable,  sans  compassion  pour 
les  pauvres,  sans  conscience,  sans  honneur, 
n'ayant  point  d'autre  Dieu  que  vos  richesses, 
d'autre  soin  que  d'accumuler  biens  sur 
biens;  à  ce  prix  je  vous  les  donnerai  :  Tibi 
dabo.  Sait-il  que  vous  avez  du  penchant  à 
la  volupté,  au  plaisir?  il  vous  en  représente 
tous  les  charmes  et  vous  dit  :  Si  vous  voulez 
m'adorer  je  vous  les  procurerai ,  si  cadens 
adoraveris  me;  c'est-à-dire,  si  vous  voulez 
être  lâche,  sensuel;  si,  par  une  apostasie 
honteuse,  vous  voulez  renoncer  à  Jésus- 
Christ,  à  vos  vœux,  à  votre  baptême,  pour 
vous  livrer  à  la  créature,  aux  jeux,  aux  di- 
vertissements, aux  cpectacles;  si  vous  vou- 
lez vous  rendre  le  jouet,  l'esclave,  la  vic- 
time, l'idolâtre  d'une  beauté  mortelle,  d'un 
objet  enchanteur;  si  vous  voulez  être  sans 
pudeur,  sans  parole,  immolant  à  quelques 
plaisirs  passagers,  à  quelque  légère  satis- 
faction votre  âme,  votre  salut,  votre  éter- 
nité ;  à  ce  prix  je  vous  les  ferai  tous  goûter: 
Uœc  omnia  tibi  dabo,  si  cadens  cdorarerU 
me. 


;i 


ORATEURS  SACRES.  LE  ?.  SURIAK. 


7K2 


Mais,  répliquez- vous,  comment  adorer 
Dieu  dans  le  monde?  c'est  une  chose  im- 
possible. Et  moi  je  dis  que  c'est  dans  le 
monde  môme,  où  dès  que  vous  y  êtes  pla- 
cés de  la  main  du  Seigneur,  vous  pouvez 
mieux  servir  votre  Dieu,  et  l'adorer,  parce 
que  c'est  dans  le  monde  où  vous  pouvez 
pratiquer  plus  de  vertus  et  des  plus  subli- 
mes. Eh!  quelles  vertus  plus  grandes  puis-jo 
y  pratiquer  îQuelles  vertus,  Messieurs"?  La  pé- 
nitence, la  mortification  chrétienne.  Vous  y 
avez  tant  de  chagrins  et  de  sujets  de  tristest  e  : 
ce  que  vous  espériez  qui  ferait  votre  bon- 
heur y  fait  votre  peine,  enfin  votre  enfer  ; 
n'est-ce  pas  là  de  quoi  offrir  à  votre  Dieu, 
n'est-ce  pas  pour  lui  une  vraie  adoration? 
Quelles  vertus  ?  La  douceur,  la  patience, 
l'humilité;  n'y  êtes-vous  pas  à  tous  moments 
exposés  au  caprice,  à  la  bizarrerie,  h  la  mau- 
vaise humeur,  au  mépris,  à  l'injustice,  aux 
railleries,  aux  censures,  aux  médisances, 
aux  calomnies,  aux  persécutions  des  autres. 
Quelles  vertus  1  La  vigilance,  la  prière;  car, 
qui  doit  plus  se  tenir  sur  ses  gardes  que  ce- 
lui qui  est  entouré  de  précipices  et  d'enne- 
mis? où  doit-on  plus  demander  à  Dieu  do 
secours  que  lorsqu'on  est  au  milieu  de  tant 
de  besoins  réels  et  sensibles,  et  peut-on 
s'endormir  dans  l'ardeur  du  péril?  Quelles 
vertus?  La  piété,  la  dévotion,  et  par  là  vous 
édifierez  votre  prochain  et  serez 'plus  nHlcs 
à  l'Eglise  que  le  solitaire  par  ses  austérités 
et  ses  larmes.  Quelles  vertus  encore?  La  ré- 
gularité, la  modestie,  la  charité  :  car  le 
monde,  tout  corrompu  qu'il  est,  ne  laisse 
pas  de  se  récrier  et  de  condamner  vos  com- 
merces scandaleux,  vos  dérèglements  in- 
sensés, vos  débauches  honteuses,  vos  perfi- 
dies criantes,  votre  insensibilité  cruelle;  il 
veut  que  vous  soyez  sages  et  prudents,  alfa- 
blés,  reconnaissants,  secourables;  et  sur 
tous  ces  points  Dieu  et  le  monde  s'accor- 
dent. Quelles  vertus  enfin?  Le  zèle  et  la  fer- 
veur pour  Dieu  ;  car  le  monde  est  pour  vous 
un  grand  maître,  si  vous  savez  en  profiter, 
et  la  manière  dont  il  veut  que  ses  partisans 
ie  servent,  vous  peut  bien  apprendre  celle 
dont  il  faut  que  vous  serviez  le  Seigneur. 
Vous  y  apprendrez,  de  ce  qu'on  y  fait  pour 
la  fortune,  ce  qu'il  faut  y  faire  pour  le  salut  ; 
par  la  déférence  qu'on  y  a  pour  les  usages 
profanes  du  siècle,  la  docile  obéissance 
qu'on  doit  aux  saintes  lois  de  l'Eglise  ;  de 
l'attention  et  du  respect  qu'on  y  a  pour  les 
ordres  des  grands  combien  on  doit  écouter 
et  se  soumettre  quand  un  Dieu  a  parlé  ;  si 
vous  veniez  à  comparer  tout  ce  que  vous  fai- 
tes pour  l'un  avec  le  peu  que  vous  faites  pour 
l'autre,  vous  en  rougiriez,  vous  en  gémiriez; 
car  voilà  ce  que  le  monde  vous  peut  ensei- 
gner, et  vous  trouveriez  un  puissant  motif 
dans  l'école  môme  du  monde,  pour  vous  dé- 
tacher de  ce  monde  si  corrompu,  si  infi  lôle, 
si  perfide,  où  le  bonheur  n'est  qu'une  agréa- 
Lie  chimère,  et  le  chagrin  et  la  peine  qu'une 
triste  réalité;  car  son  inconstance,  son  infi- 
délité, son  impuissance  ne  vous  refroidi- 
raient-elles pas  assez  sur  ses  espérances 
frivoles,  sur  ses  promesses  vaines?  ses  dé- 


goûts, ses  tristesses,  ses  amertumes'  ne  vous 
détacheraient-elles  pas  de  ses  folles  joies, 
de  ses  festins,  de  ses  attachements,  de  ses 
fêtes?  Si  le  monde  a  un  côté  dangereux  qui 
séduit  et  qui  tente,  n'en  a-t-il  pas  un  autre  sa- 
lutaire qui  guérit  et  qui  corrige?  et  les  mô- 
mes objets  qui  sont  la  plaie  de  l'Ame,  n'en 
portent-ils  pas  avec  eux  le  remède?  Ah!  re- 
connaissez donc  ici  la  nécessité  où  vous 
ôtes  d'adorer  le  Seigneur  au  milieu  même 
du  monde,  la  facilité  même  que  vous  y  av?z 
de  résister  et  de  vaincre  l'attrait  de  ses  faux 
biens,  en  demeurant  attaché  au  service  de 
Dieu,  et  en  implorant  avec  confiance  le  se- 
cours de  sa  grâce.  Ne  puis-je  pas  vous  dire 
ici  ce  qu'un  prophète  disait  autrefois  aux 
Juifs  :  Ne  croyez  pas  que  les  idoles  d'Egypte, 
que  tous  les  mondains  adorent  à  vos  yeux, 
puissent  vous  empocher  d'adorer  le  Sei- 
gneur :  donnez-vous  bien  de  garde  de  leur 
ressembler,  et  pour  résister  au  torrent  de 
Babylone,  dites  sans  cesse  au  fond  de  vos 
cœurs  :  ïl  faut,  ô  mon  Dieu,  que  nous  vous 
adorions  seul  et  sur  toute  autre  chose  :  Dicite 
in  cordibus  vestris  :  Te  opcrSzt  adorari.  Do- 
mine. (Baruch.,  VI.) 

Il  est  vrai  que  le  salut  de  ces  âmes  fer- 
ventes qui  s?  sont  retirées  dans  la  solitude, 
comme  dans  un  port  contre  tant  de  nau- 
frages, est  le  plus  sûr,  et  que  souvent  je  l'ai 
envié,  moi  qu'une  Providence  plus  rigou- 
reuse a  laissé  dans  le  siècle,  mais  il  ne 
renferme  pas  moins  de  difficultés;  et,  pour 
nous  fortifier  et  nous  encourager,  nous 
n'avons  qu'à  nous  dire  sans  cesse  au  in  il' eu 
de  nos  plus  grands  dangers  :  Dicite  in  cordibus 
vestris  :  Te  oporlet  adorari,  Domine. 

Enfin,  dernière  tentation:  le  dégoût  de  la 
piété  même.  Le  démon  transporte  le  Sauveur 
sur  le  pinacle  du  temple,  et  lui  dit  :  Si  vous 
êtes  Fils  de  Dieu  jetez-vous  du  haut  en  bas  ; 
que  craignez-vous?  les  anges  ne  viendront- 
ils  pas  à  votre  secours?  Milte  te  deersum.  Et 
voilà  comme  il  parle  encore  aux  âmes  les 
plus  avancées  dans  la  voie  de  la  perfection; 
il  leur  dit  :  Descendez  de  cet  état  si  su- 
blime, si  gênant,  si  austère  à  un  état  plus  à 
votre  portée,  plus  conforme  à  la  délicatesse 
de  votre  tempérament  et  à  la  faiblesse  de 
votre  santé  :  Milte  te  deorsum. 

Riais  que  répond  Jésus-Christ?  Vous  ne 
tenterez  point  le  Seigneur.  Pourquoi  voulez- 
vous  attendre  des  miracles  sans  nécessité? 
qu'est-il  besoin  de  mettre  ici  à  l'épreuve  la 
puissance  de  Dieu?  Non  tentabis  Dominum 
Deum  tuum.  Car  voilà  l'écueil  où  tombe  si 
souvent  la  fidélité  de  ces  âmes  vertueuses 
qui  comptent  trop  sur  leur  justice,  et  qui, 
pour  trop  se  prévaloir  du  secours  de  la  grâce, 
s'exposent  aux  plus  dangereuses  occasions, 
et  par  un  peu  trop  de  présomption,  éloignent 
Dieu,  qui  ne  veut  point  qu'on  le  tente,  et 
tombent  sans  s'en  apercevoir  dans  le  relâ- 
chement :  Non  tentabis  Dominum  Dcxim  tuum. 

Quelle  misère  pour  ceux  que  cette  occa- 
sion fait  succomber  1  Plus  on  tombe  de  haut, 
et  plus  on  se  brise.  Ah!  que  l'idée  seule  d'un 
tel  malheur  vous  saisisse  d'une  crainte  sa- 
lutaire, et  si  vous  ne  voulez  pas  que  le  dé- 


?53 


CAREME.  —  SERMON  VI,  DE  LA  TRIERE. 


mon  vous  abatte,  répon  icz-lui  :  Non  lentabis 
Dominum  Deum  litum,  et  à  ces  paroles  le  dé- 
mon laissa  le  Sauveur,  et  aussitôt  les  anges 
s'approchèrent  de  lui  pour  lui  offrir  leurs 
services  :  Tune  reliquat  eum  diabolus,  cece 
angeli  accesserunl  et  ci  minisirabant. 

Bienheureux  état!  Messieurs;  quand  sera- 
ce  te  mien,  ô  mon  Dieu?  De  tous  côtés  le 
démon  m'attaque,  et  il  m'environne  tout  en- 
tier de  ses  pièges.  Je  lui  échappe  par  un 
endroit,  il  me  tente  par  un  autre;  il  se  joue 
de  ma  fragilité,  et  ce  qu'il  y  a  de  plus  triste 
pour  moi,  c'est  qu'instruit  comme  je  suis  de 
sa  malice,  je  vais  même  au-devant  de  lui.  Je 
me  livre  témérairement  à  ces  funestes  oc- 
casions; je  ferme  les  yeux  à  ses  malheureux 
pièges,  et  m'aveugle  moi-même,  jusqu'à 
l'aire  ma  joie  de  ma  perte.  Ah!  Seigneur! 
quand  jetterez-vous  sur  moi  un  regard  pro- 
pice :  Domine,-  quando  respicies  ?  {  Psal. 
XXXIV.)  Ne  permettez  pas  que  je  m'égare 
plus  longtemps,  que  ce  soit  ici  le  moment 
de  votre  miséricorde  sur  moi,  levez-vous  et 
venez  à  mon  secours  Œxsurge  in  adjutorium 
mihi.  (Ibid.)  Dos  qu'un  pécheur  est  si  déplo- 
rable, n'est-il  pas  un  objet  bien  digne  de 
votre  pitié  ?  Appréhende  arma  et  sciilum 
(Ibid.)  :  prenez  en  main  les  armes  et  le  bou- 
clier, et  les  faites  passer  dans  les  miennes, 
c'est-à-dire  le  jeûne,  la  retraite,  la  parole  de 
Dieu,  la  crainte,  la  ferveur,  afin  de  combat- 
tre et  de  vaincre  en  toute  occasion  l'ennemi 
de  mon  salut  :  Appréhende  arma  et  scutum; 
dites  à  mon  âme  que  vous  êtes  sa  force,  sa 
défense,  son  appui,  son  salut  :  Die  animœ 
meœ  :  Salus  tua  ego  sum.  (Ibid.) 

Je  l'avoue  avec  larmes,  mon  Dieu,  que  je 
n'ai  jamais  eu  tant  de  besoin  de  cette  parole 
dernière  de  miséricorde  et  de  consolation. 
Vous  le  savez  :  depuis  longtemps  je  me  sens 
combattu,  et  à  la  veille  de  succomber,  mes 
périls  redoublent,  les  occasions  du  péché  se 
multiplient,  ma  faiblesse  recule,  les  forces 
me  manquent.  Je  suis  au  bord  du  précipice, 
le  moindre  souffle  de  mon  ennemi  peut  m'y 
faire  tomber,  jamais  peut-être  je  n'ai  été  plus 
près  de  périr  ;  dites  à  mon  âme  que  vous  êtes 
sa  ressource,  sa  couronne,  sa  vie  :  Die  animœ 
meœ  :  Salus  tua  ego  sum;  que  j'entende  sortir 
de  votre  bouche  ces  paroles  si  tendres  :  Non, 
je  ne  souffrirai  pas  que  ce  misérable  pécheur 
périsse,  j'en  ferai  un  entant  de  ma  grâce.  Je 
le  protégerai  contre  les  efforts  de  ses  en- 
nemis, et  le  secourerai  dans  toutes  les  oc- 
casions les  plus  dangereuses,  pourvu  qu'il 
s'applique  à  les  fuir  et  à  les  combattre,  car 
l'excès  de  ses  malheurs  me  touche.  Dieu 
d'amour,  si  j'éprouve  un  sort  si  doux  et  si 
heureux,  mon  âme  se  réjouira  dans  le  Sei- 
gneur :  Anima  mea  exsultabit  in  Domino 
(Ibid.),  toute  ma  vie  se  passera  à  vous  louer, 
et  à  méditer  vos  justices  et  vos  miséricordes, 
et  lingua  mea  meditabitur  justitiam  tuum, 
tola  die  laudem  tuam.  (Ibid.)  Je  bénirai  sans 
cesse  sur  la  terre  votre  saint  nom,  jusqu'à 
ce  que  je  puisse  vous  glorifier  dans  le  ciel  : 
c'est,  Messieurs,  ce  que  je  vous  souhaite,  au 
non>  du  Père,  etc.  Amen. 


SERMON  VI 

DE    LA    PRIÈRE. 

Et  ecre  millier  Chananœa  a  finibus  illls  rçressa  clamn- 
vit  dicens  ei  :  Miserere  mei,  Domine,  flii  David .'{MatUt., 

XV.) 

Une  femme  cliananéenne  qui  était  sortie  de  son  pays,  s  e- 
crta  :  Seigneur,  (ils  de  David,  ayez  pitié  de  moi. 

C'était  peu  à  Jésus-Christ  de  nous  avoir 
fait  un  précepte,  c'était  peu  à  son  amour 
d'avoir  consacré  un  exercice  déjà  si  saint 
par  sa  bouche,  par  ses  yeux  par  ses  sou- 
pirs, par  ses  larmes,  par"  l'élévation  de  ses 
mains,  par  les  mouvements  de  son  cœur, 
enfin  par  toute  sa  personne  adorable  ;  sa 
compasion ,  en  nous  proposant  l'exemple 
d'une  mère  affligée  qui  prie  et  qui  obtient 
l'objet  bienheureux  de  sa  prière,  veut  ache- 
ver de  nous  en  inspirer  l'amour. 

Mais  qui  doit  plus  nous  surprendre,  de  la 
miséricorde  d'un  Dieu  qui  veut  qu'on  le 
prie ,  ou  de  l'obstination  de  l'homme  qui  re- 
fuse de  l'invoquer?  L'un,  quel  besoin  a-t-il 
qu'on  l'invoque?  L'autre ,  s'il  n'ouvre  la  bou- 
che et  n'élève  les  mains  au  ciel,  dans  quel 
gouffre  de  maux  nes'abîme-t-il  pas?  Ce  sont 
ces  malheurs  qui  font  dire  à  Jésus-Christ  : 
priez,  vos  besoins  sont  extrêmes;  demandez, 
vous  ne  trouverez  nul  secours  en  vous- 
mêmes;  cherchez  et  vous  trouverez,  être 
craignez  point  que  la  porte  soit  fermée,  frap- 
pez, on  vous  ouvrira. 

Mais  aussi  sachez  que  la  plus  grande  mi- 
sère est  de  ne  point  prier;  c  est  dans  l'esprit 
un  assoupissement  funeste;  c'est  dans  lo 
cœur  une  froideur  mortelle,  et  dans  tout 
l'homme  une  insensibilité  déplorable,  et  pour 
réduire  tous  ces  malheurs  à  leur  véritable 
source,  je  dis  avec  saint  Augustin  :  c'est  de 
l'empêcher  de  prier,  ou  de  ne  lui  faire  pous- 
ser que  des  prières  impuissantes. 

Je  m'élève  aujourd'hui  contre  ces  désor- 
dres qui  méritent  véritablement  toute  notre 
compassion  :  ou  nous  ne  prions  point  ou  nous 
prions  mal.  Je  veux  vous  faire  sentir  tout  le 
mal  que  vous  faites,  et  pour  le  chasser  de 
notre  cœur,  vous  avez  besoin  de  la  prière  : 
voilà  mon  premier  point;  et  vous  apprendre 
les  conditions  nécessaires  pour  bien  prier  : 
ce  sera  le  deuxième.  A  vous  seul,  ô  mon 
Dieu!  est  borné  le  secret  de  nous  en  ins- 
truire et  de  nous  faire  entendre  à  vous.  Hé- 
las !  depuis  si  longtemps  nous  sentons  que 
nous  avons  besoin  d»  soupirs  et  de  larmes  , 
et  toujours  notre  dureté  et  notre  mauvais 
cœur  nous  les  refusent.  Jusqu'ici,  vous  n'a- 
vez pu  tirer  de  nous  une  prière  digne  de 
vous!  Ah!  bonté  divine  !  ajoutez  à  la  grâce 
qui  nous  fera  sentir  nos  maux  celle  qui  nous 
en  fasse  implorer  le  remède  :  c'est  ce  que 
nous  vous  demandons  par  l'intercession  de 
Marie.  Ave,  Maria. 

PREMIER  POINT. 

Que  nous  gémissions  sous  le  poids  de  l'ini- 
quité, ou  que  nous  goûtions  la  douce  liberté 
des  enfants  fidèles,  il  faut  prier,  dit  l'Apôtre, 
et  les  justes  comme  les  pécheurs  ont  besoin 
de  prières    Ah  !  que  David  le  sentit  bien,  ce 


735 


ORATFXT.S  SACHES.  LE  P.  SURIAS. 


->-,(, 


double  besoin  de  la  prière,  lui  qui  avait 
éprouvé  les  deux  états  de  juste  et  de  pécheur. 
Vous  le  représenterai-je  tantôt,  du  fond  de 
l'abîme  ou  ses  faiblesses  l'avaient  plongé? 
C'est  maintenant  que  toutes  les  faiblesses  de 
mon  cœur  implorent,  ù  mon  Dieu!  le  secours 
de  votre  main  toute-puissante.  Soyez  h  ja- 
mais béni  de  n'avoir  point  retiré  de  moi  ma 
prière,  et  avec  elle  votre  miséricorde!  Tantôt, 
marchant  avec  confiance  dans  les  voies  de  la 
miséricorde,  il  ne  craint  point  d'en  faire  ta- 
rir la  source,  et  s'écrie  :  Que  le  bras  qui  me 
frappe  me  soutienne,  que  la  main  qui  m'abat 
me  relève. 

Arrêtons-nous,  mes  frères,  à  ces  deux 
idées,  et  soit  que  nous  soyons  pécheurs,  soit 
que  nous  soyons  justes,  reconnaissons  le  be- 
soin que  nous  avons  de  la  prière. 

Et  d'abord,  voyons  le  besoin  qu'en  ont  les 
pécheurs.  Depuis  que  nous  avons  tant  fait 
que  de  déplaire  à  Ditu  par  le  péché,  dit 
saint  Basile,  comme  toutes  les  créatures  ne 
sont  pas  capables  de  payer  ce  tribut  de  gloire 
que  chaque  créature  lui  doit,  comme  tous 
les  hommes  ensemble  ne  peuvent  suppléer 
à  vos  infirmités,  ni  vous  rendre  la  justice 
après  l'avoir  perdue,  que  vous  rcste-t-il  à 
faire,  sinon  de  demander  au  Tout-Puissant 
Jes  choses  qui  vous  manquent,  sinon  de 
chercher  auprès  de  lui  et  dans  lui  ce  que 
vous  ne  sauriez  trouver  dans  votre  fonds  pro- 
pre ,  ni  pour  exciter  votre  foi,  ni  pour  mettre 
en  mouvement  les  pensées  saintes,  qui  demeu- 
reraient stériles  sans  la  prière,  ni  pour  im- 
primer dans  votre  âme  les  grandes  idées  du 
jugement  et  de  l'éternité,  que  le  monde  dis- 
sipe, ni  pour  imiter  et  obéir  Jé>us-Christ,  qui  a 
prié  et  qui  veut  qu'on  prie? Non,  vos  besoins 
les  plus  pressants  sont  :  1°  celui  d'une  grâce 
qui  vous  guérisse  des  plaies  honteuses  du 
péché;  2°  celui  d'une  miséricorde  qui  vous  le 
pardonne;  car  ces  grâces  et  ces  miséricor- 
des ne  s'accordent  pas  sans  demander.  Dieu, 
qui  est  le  maître  de  ces  dons ,  qui  les  atta- 
che h  telles  conditions  qu'il  lui  plaît,  a  voulu 
qu'elles  fussent  le  fruit  de  la  prière.  Oh  ', 
si  l'Esprit-Saint  voulait  nous  servir  de  guide 
et  de  lumière  pour  nous  découvrira  nos  pro- 
pres yeux  tels  que  nous  sommes  au  dedans, 
que  la  vue  de  notre  misère  et  de  notre  im- 
puissance, bien  mieux  que  tous  les  livres  et 
les  sermons,  nous  diraient  les  besoins  pres- 
sants que  nous  avons  de  vous  prier  et  de 
vous  invoquer,  ô  mon  Dieu!  Hélas!  il  n'y  a 
aucune  partie  dans  nous  qui  n'implore  votre 
secours.  Erreur  dans  l'esprit,  corruption 
dans  la  volonté,  dérèglement  dans  le  cœur. 
Une  âme  captive  qui  toute  seule  ne  peut  ja- 
mais rompre  les  liens  qui  l'attachent  à  la 
terre  ;  nulles  vertus,  des  vices  sans  nombre  : 
que  de  diverses  infirmités  nous  accablent, 
et  que  nous  sommes  à  plaindre  !  Nous  nous 
trouvons  tout  à  la  fois  aveugles,  sourds, 
muets,  paralytiques,  et  ne  pouvant  ni  guérir, 
ni  voir,  ni  être,  ni  respirer  que  par  la  grâce 
du  libérateur,  quel  besoin  avons-nous  donc, 
de  l'implorer,  celle  grâce,  seul  remèdeà'.ant 
de  maux  qui  ne  peuvent  être  ni  cachés  à  ses 
lumières,  ni  indifférents  à  sa  tendresse!  Ah! 


combien  ces  sentiments,  pleins  tout  h  la  fois 
de  confiance  et  de  larmes,  ne  doivent-ils  pas 
nous  exciter  à  prier,  et  à  pousser  nos  gémis- 
sements et  nos  cris  vers  cet  aimable  Sau- 
veur, pour  le  forcer  à  venir  en  nous  avec: 
une  vertu  toute-puissante,  à  qui  rien  ne'ré- 
sistel  Car  enfin,  à  qui  avoir  recours  parmi 
tant  de  misères  ?  Compterions-nous  sur  nous- 
mêmes ,  sur  cette  raison  obscure,  faible, 
reste  des  débris  du  naufrage  d'Adam?  Hélas  ! 
notre  nature  sait  faire  des  infirmes,  mais 
faire  un  homme  sain  n'est  pas  son  ouvrage; 
elle  ne  sait  faire  que  des  blessés,  et  ne  sau- 
rait en  guérir  aucun.  Ah  !  si  la  prière  est 
non-seulement  un  moyen  efficace,  mais  le 
seul  moyen  pour  obtenir  la  délivrance  de 
nos  maux,  quelle  nécessité  donc  d'y  avoir 
recours  et  de  nous  en  servir,  surtout  quand 
nous  sommes  toujours  près  du  péril?  Nous 
voyons  dans  l'évangile  de  ce  jour  que  Jésus- 
Christ  ne  guérit  la  fille  de  la  Cbananéenne 
que  parce  qu'elle  le  prie,  et  qu'elle  im- 
plore ardemment  son  secours;  et  un  Père  nous 
assure  que  les  guérisons  miraculeuses  ne 
descendent  point  du  ciel,  qu'auparavant  les 
vœux  et  les  soupirs  n'v  soient  montés  pour 
les  demander  :  Ascendant  vota,  desreiuhtnt 
miracula.  O  prière  sainte,  que  vous  êtes 
puissante!  quels  prodiges  de  grâces  n'atti- 
rez-vous pas  surles  hommes  !  Autrefois,  dans 
la  Judée,  vous  triomphâtes  des  lions  barba- 
res en  Daniel,  des  ténèbres  épaisses  dans 
Tobic ,  des  fers  et  de  la  prison  en  saint 
Pierre,  de  la  mort  même  en  La/are.  Ces  pro- 
diges furent  grands  sans  doute;  mais  au- 
jourd'hui, changer  mon  cœur  déréglé,  arrê- 
ter le  cours  de  mes  désordres,  rompre  tous 
mes  malheureux  attachements,  abaisser  mon 
orgueil ,  dompter  mes  passions,  vivifier  mon 
âme,  seraient  des  prodiges  plus  grands  en- 
core que  ceux  que  vous  opérâtes  autrefois. 
Ah!  ne  se  feront-ils  donc  jamais  en  moi,  ces 
bienheureux  miracles?  O  vertu  divine!  ve- 
nez au  secours  de  ma  faiblesse,  descendez 
en  moi  pour  opérer  ces  prodiges;  sans  vous 
le  péché  ne  trouve  aucun  remède  sur  la  terre, 
ni  clans  le  ciel  aucun  pardon. 

Sentez,  pécheurs,  le  besoin  que  vous  avez 
de  la  prière;  si  la  vôtre  est  vive,  elle  perce 
les  nues  ;  elle  ne  se  repose  point  qu'elle  n'ait 
trouvé  Dieu  ;  et  voyez  comme  elle  l'attire,  et 
comme  elle  le  force  avec  violence  de  venir 
secourir  un  pauvre  cœur  qui  le  recherche; 
considérez  comme  elle  touche  sa  clémence, 
comme  elle  émeut  ses  entrailles,  comme 
elle  désarme  son  bras,  comme  elle  fait  de 
Jésus-Christ  tout  ce  qu'elle  veut,  comme 
elle  le  gagne  et  le  force  à  regarder  en  pitié 
vos  misères,  et  à  vous  obtenir  un  pardon  que 
tout  le  reste  semblait  vous  rendre  impossi- 
ble. Ah  !  que  de  compassion  dans  le  Sauveur  ! 
mais  «pie  de  force  dans  la  prière  du  fidèle! 
Après  cela,  que  je  vous  plains,  ô  vous  qui 
alliez  des  crimes  infinis  avec  un  silence  fu- 
neste, et  qui  ne  faites  retentir  partout  que  la 
voix  tumultueuse  de  vos  crimes,  et  jamais 
celle  de  la  prière ,  comme  si  les  miséricor- 
des ur  Dieu  pouvaient  vous  être  indifférentes  ! 
Oue  vous  m'alarmez,  vous,  gens  dû  monde, 


7S7 


CAREME.  —  SERMON  V),  DE  LA  PRIERE. 


758 


qui,  donnant  tout  à  ce  commerce  usuraire, 
d'e  nos  jours  si  commun,  à  ces  plaisirs  frivo- 
les dont  on  se  fait  de  misérables  nécessités, 
à  ce  gouffre  de  jeux,  où  se  perdent  vos  biens, 
votre  santé,  votre  repos,  votre  probité,  votre 
conscience,  n'avez  plus  le  loisir  de  prier, 
qui  n'en  trouvez  pas  même  assez  pour  vos 
crimes  !  Vous  avez  donc  quelque  chose  de 
plus  pressant  que  votre  salut?  vous  avez 
donc  d'autres  intérêts  plus  grands  que  ceux 
de  sauver  une  âme?  Eh!  faudrait -il  vous  le 
dire?  était-il  besoin  d'un  ordre  exprès  de  ,lé- 
sus-Christ  pour  vous  obliger  de  vous  aller 
jeter  aux  pieds  de  ses  autels?  Quoi  de 
plus  facile  pour  vous  que  de  lui  ouvrir  un 
cœur,  que  de  lui  faire  voir  une  conscience 
qui  voudrait  se  changer,  et  qui  ne  le  peut 
sans  son  secours,  que  de  lui  exposer  vos  mi- 
sères, en  les  laissant  parler  elles-mêmes? 
Pouvez-vous  croire  que  la  prière  ait  la  vertu 
d'attirer  la  miséricorde  du  Seigneur  sur  vous, 
et  en  négliger  l'exercice?  Hélas!  si  Dieu, 
pour  le  pardon  de  vos  fautes,  exigeait  de 
vous  de  grandes  aumônes,  vous  pourriez 
lui  répondre  :  je  ne  le  peux  ;  mais  il  ne  vous 
demande  qu'une  prière  fervente  ,  qu'un  cri, 
qu'un  gémissement,  qu'un  soupir,  qu'une 
larme.  11  n'attend  point,  ici  de  vous  tout  ce 
qu'il  y  a  de  cruel,  d'austère,  de  mortifiant; 
il  est  près  de  se  livrer  à  vous  sur  la  simple 
exposition  de  vos  faiblesses,  à  l'humble  im- 
ploration de  ses  miséricordes,  et  quand  il 
voudrait  les  faire  couler  sur  vous,  ces  misé- 
ricordes, ah!  ne  les  feriez-vous  pas  rentrer 
dans  son  sein  par  une  cruelle  indifférence? 
Oui,  s'il  plaisait  àJésus-Christ  de  vousfaire 
voir  l'état  déplorable  où  une  âme  est  plon- 
gée, ce  grand  fonds  de  dettes  -qu'elle  con- 
tracte envers  lui  de  jour  en  jour,  et  avec 
tout  cela  le  refus  qu'elle  fait  d'implorer  son 
secours,  pourriez-vous  assez  déplorer  un 
infortuné  qui  veut  se  perdre,  qui  craint  de 
sentir  les  miséricordes  de  Dieu ,  qui  se  re- 
tranche de  la  société  des  élus,  où  l'on  n'est 
admis  que  par  la  prière,  qui,  sortant  même 
du  sein  de  l'Eglise,  où  l'on  ne  demeure  que 
par  l'oraison,  se  juge,  se  réprouve  lui- 
même  faute  de  prier,  et  descend  de  té- 
nèbres en  ténèbres,  d'offenses  en  offenses, 
jusqu'à  ce  qu'il  se  trouve  au  fond  de  l'a- 
bîme, où  la  voix  de  la  miséricorde  n'entre 
jamais,  d'où  nul  pécheur  ne  peut  se  faire 
entendre  au  Dieu  de  toute  compassion,  et 
où  livré  à  la  seule  justice  et  frappé  de  son 
malheur,  il  va  porter  jusque  dans  l'éternité 
la  juste  peine  de  son  silence. 

Non,  direz-vous  en  vous-même,  je  ne 
serai  point  celte  âme  infortunée  ,  je  me  vois 
séparé  de  vous,  ô  mon  Dieu,  par  le  nom- 
bre et  l'énormité  de  mes  péchés,  qui  sont 
immenses,  mais  j'espère  que  vous  m'enten- 
drez lorsque  j'aurai  recours  à  vous.  Sei- 
gneur, moi  qui,  par  votre  grâce,  me  vis 
autrefois  dans  un  état  si  haut  et  si  sublime, 
aujourd'hui ,  du  fond  de  mes  iniquités ,  de 
mes  tristes  misères ,  de  mes  besoins  ex- 
trêmes: du  fond  de  mon  aveuglement  dé- 
plorable,du  plus  profond  de  tous  les  abîmes, 
chargé  de  fers,  couvert  de  chaînes;  je  trouve 


encore  une  ressource  aans  la  force  de. mes 
cris,  dans  la  vertu  de  ma  prière,  et  dans 
l'excès  de  votre  tendresse  :  De  profundis 
clamavi  ad  te,  Domine.  (Psal.  CXXIX.)  Au 
défaut  de  mes  paroles ,  Seigneur ,  écoutez 
la  voix  de  mes  larmes,  elles  partent  d'un 
cœur  si  sincère  et  viennent  d'un  si  grand 
fonds  de  malheurs  qu'elles  méritent  bien 
que,  par  votre  pitié,  vous  les  exauciez  : 
Domine,  exaudi  vocem  meam.  (Ibid.)  Soyez 
attentif  à  mes  vœux  ,  rendez-vous-y  pro- 
pice; je  suis  si  éloigné  de  vous  par  mes 
péchés  qu'il  faut  vous  faire  effort  pour  m'en- 
tendre  :  Fiant  aures  tuœ  intendentes.  (Ibid.) 
Autant  mes  crimes  vous  parlent  haut,  autant 
ma  prière  se  redouble  :  ainsi  n'écoutez  point 
la  voix  de  mes  désordres,  ils  vous  deman- 
daient ma  perte,  mais  écoutez  la  voix  de 
ma  prière,  elle  vous  demande  mon  salut  : 
In  vocem  deprecationis  mcœ.  (Ibid.)  Si  mes 
iniquités  s'élevaient  à  vous  sans  mes  gémis- 
sements et  mes  larmes,  ah  I  quel  poids 
aurajs-je  à  soutenir  et  n'en  serais-je  pas 
accablé?  Si  iniquitates  observaveris ,  Domine, 
Domine,quis  sustinebit?  (Ibid.)  Mais  dès  qu'un 
pénitent  demande  grâce  à  vos  pieds  vous  ne 
regardez  plus  ses  offenses,  vous  ne  voyez  que 
ses  malheurs ,  parce  qu'il  y  a  en  vous  un 
fonds  inépuisable  de  miséricorde  et  de  bonté  : 
quia  apud  te  propitiatio  est  (Ibid.);  dans  vos 
écrits  vous  vous  êtes  fait  une  loi  d'avoir  pitié 
du  misérable  pécheur,  dès  qu'il  vous  recher- 
che de  bonne  foi  :  loi  aimable,  loi  consolante,, 
qui  semble  être  faite  pour  moi,  pour  me 
rassurer  dans  mes  justes  frayeurs  et  m'aider 
à  soutenir  votre  présence ,  ô  mon  Dieu  !  et 
propter  legem  tuam  sustinui  te  ,  Domine. 
(Ibid.)  Si  je  n'envisageais  que  mes  fai- 
blesses ,  hélas  !  que  pourrais-je  espérer  de 
moi-même?  et  quelle  raison,  au  contraire  , 
n'aurais-je  pas  dans  mes  offenses  de  déses- 
pérer ?  Il  a  promis  à  ma  prière  de  lui  être  fa- 
vorable ,  de  l'écouter  :  ah  1  toute  mon  âme 
s'y  abandonne  :  Sustinuit  anima  mea  in  verbo 
ejus  (Ibid.);  et  parce  que  sa  parole  est  in- 
faillible, que  ses  promesses  sont  irrévo- 
cables ,  mon  espérance  est  aussi  ferme  et 
inébranlable  :  Speravit  anima  mea  in  Do- 
mino. Serais-je  le  seul?  espérez  aussi,  Israël, 
et  puisqu'il  fait  encore  jour  et  que  viendra 
une  nuit  où  il  ne  sera  plus  temps  de  prier 
le  Seigneur,  espérons,  et  que  tous  les  peu- 
ples implorent  à  mon  exemple  la  délivrance 
de  leurs  maux  :  A  custodia  matutina  tisque 
ad  noctem  speret  Israël  in  Domino.  (Ibid.) 
Il  est  vrai  que  si  j'avais  offensé  un  homme 
comme  j'ai  offensé  mon  Dieu,  je  devrais  ne 
pas  comptter  sur  ma  prière,  il  faudrait  y  re- 
noncer et  désespérer  du  pardon  de  mes 
offenses;  mais  il  n'en  est  pas  de  même  delà 
prière  que  nous  faisons  à  Dieu,  comme  de 
celles  que  nous  faisons  aux  hommes  :  c'est 
assez  d'avoir  recours  en  lui  et  d'y  croire 
fermement  pour  en  espérer  tout  secours  :-. 
Quia  apud  Dominum  misericordia.  (  Ibid.) 
Il  y  a  toujours  en  Dieu  plus  de  miséricorde 
que  de  malice  dans  l'homme ,  plus  de  ré- 
demption dans  le  Seigneur  que  de  captivité 
dans  le   pécheur  :  Et  copiosa  apud  eum  re- 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SliRIAN. 


demptio  (Psaï.  CXXIX.);  il  n'est  point  d'es- 
clavage si  honteux  dont  le  Tout-Puissant 
ne  soit  prêt  à  racheter  Israël,  et  jamais  le 
crime  ne  nous  fera  de  chaînes  si  pesantes 
que  sa  compassion  ne  puisse  briser  :  Et  ipse 
redimet  Israël  ex  omnibus  iniquitatibus  cjus. 
(Ibid.) 

Vous  le  voyez  ,  mes  frères,  le  pécheur  a 
donc  besoin  de  la  prière  ;  mais  ne  croyez- 
vous  pas  que  les  âmes  pures  n'aient  pas 
grande  raison  quand  elles  prient  ?  et  quel- 
que justes  que  vous  puissiez  être ,  n'avez- 
vous  pas  un  pressant  besoin  de prier?C'estee- 
que  Daviil  avait  hien  compris,  lorsque  rap- 
pelant l'état  dépiorahle  d'où  le  Seigneur 
l'avait  tiré,  il  s'écrie  dans  des  transports  de 
reconnaissance  et  de  joie  :  Hélas!  que  j'étais 
à  plaindre  sans  votre  secours ,  ô  mon  Dieu  ! 
au  dehors  tous  mes  ennemis,  au  dedans 
tous  mes  combats  me  faisaient  sentir  le  be- 
soin pressant  que  j'avais  de  la  prière,  et 
c'est  pour  cela  que  je  me  suis  dit  à  moi- 
même,  dans  mes  peines  j'invoquerai  le 
Seigneur,  et  il  écoutera  mes  vœux  et  mes 
prières  :  In  tribulatione  mea  invocabo  I)o- 
minum ,  et  ad  Deum  meum  clamabo  [Psal. 
CXVII);;et  qu'elle  ressource  en  effet  pour 
l'âme  juste  quand  elle  pense  que  tout  l'at- 
taque au  dedans  et  au  dehors,  quand  elle 
fait  réflexion  sur  ce  nombre  infini  de  ten- 
tations qui  la  pressent,  sur  les  misères  qui 
l'accablent,  sur  les  dangers  fréquents  où 
elle  est  exposée,  au  milieu  d'un  monde 
tout  mauvais  qui,  pour  séduire  la  plus  solide 
vertu,  lui  présente  des  rivages  qui  enchan- 
tent, des  honneurs  qui  flattent,  des  exemples 
qui  entraînent,  des  biens  qui  attachent 
mais  qui  trompent,  des  plaisirs  qui,  trop 
souvent  par  le  penchant  qu'on  y  a,  emportent 
avec  violence?  Ahl  cette  âme  juste*  peut- 
elle  se  voir  entourée  de  tant  de  pièges  sans 
prier  Dieu  qu'il  veuille  bien  la  fortifier 
et  la  rassurer  sur  ce  qui  fait  le  plus  juste 
sujet  de  ses  frayeurs,  sans  se  mettre  entre 
ses  mains,  où  elle  sera  bien  mieux  que 
•lans  les  siennes  propres,  sans  recourir  au 
divin  spectateur  de  ses  violences  et  de  ses 
efforts  ,  qui  nous  assure  lui-même  que 
si  nous  implorons  son  secours  et  qu'il  se 
déclare  pour  nous,  nos  combats  se  tour- 
neront en  victoires? 

Et  en  effet,  fussiez-vous  des  saints,  quoi 
de  plus  ordinaire  en  vous  que  ces  combats 
avec  vous-mêmes,  que  ces  contraintes  que 
nous  sentons  entre  la  chair  et  l'esprit , 
entre  la  passion  et  la  religion?  Quoi  de  plus 
commun  et  de  plus  dangereux  que  ces  op- 
positions de  nous-mêmes  à  nous-mêmes, 
que  ces  guerres  intestines  où  tout  l'homme 
s'oppose  et  résiste  à  tout  l'homme  chrétien; 
où  un  même  cœur  se  prête  et  se  résiste,  s'at- 
taque et  se  défend; où,  s'il  veut  aller  à  Dieu, 
son  propre  poids  le  fait  retomber  vers  le 
monde,  et  où,  s'il  veut  se  donner  au  monde, 
un  remords  de  conscience  le  fait  retourner 
vers  le  ciel  ;  où  tout  ce  qui  flatte  ses  pen- 
chants expose  son  innocence,  où  tout  ce 
qui  lui  est  cher  lui  est  funeste;  où,  partagé 
misérablement  entre  son  plaisir  et  son  de- 


750 

voir,  entre  l'attrait  du  bien  et  celui  du  mal, 
entre  la  volonté  humaine  et  la  soumission 
chrétienne,  qui  se  choquent  continuel- 
lement et  se  contredisent;  où  enfin  Jésus- 
Christ  et  le  démon  qui  luttent  dans  son  âme 
comme  les  deux  enfants  de  llebecca  se  com- 
battaient dans  son  sein,  nous  tiennent  dans 
un  danger  continuel  de  notre  perte,  dans  une 
grande  incertitude  de  notre  salut,  et  nous 
montrent  trop  clairement  que  notre  sort  est 
déplorable?  Si  nous  y  pensions,  combien  ces 
misères  et  ces  périls  feraient-ils  sortir  de 
prières  de  notre  bouche!  car  ce  n'est  qu'après 
la  prière  qu'il  nous  accorde  des  forces,  qu'il 
nous  aide,  qu'il  nous  tient  sur  notre  pente 
malheureuse  pour  le  crime  dans  une  heu- 
reuse disposition  de  sainteté,  et  il  termine  à 
notre  avantage  les  combats  de  notre  vie;  et, 
quand  nous  ne  le  prions  point,  est-il  étrange 
que  le  poids  de  la  concupiscence  prenne  1& 
dessus,  que  la  charité  y  descende,  et  que 
Jésus-Christ  diminue  en  nous,  qu'il  y  cède 
sa  place  à  son  ennemi  ?  Et  de  la  ces  déi'ail- 
lements  dans  la  piété,  ces  dévotions  lan- 
guissantes et  froides,  ces  privilèges  odieux 
qu'on  s'accorde ,  ces  relâchements  prodi- 
gieux qui  étonnent,  ces  monstrueux  adou- 
cissements qui  font  le  scandale  de  la  reli- 
gion et  la  honte  du  christianisme.  Ainsi  cet 
apôtre  si  fidèle  qui,  pendant  que  Jésus-Christ 
prie,  s'endort,  est  bientôt  puni  de  sa  né- 
gligence, il  passe  de  l'assoupissement  à 
l'apostasie  et  de  l'oubli  de  la  prière  au  re- 
noncement de  son  Dieu. 

Ahl  prions  donc,  mes  frères;  nous  avons 
sur  nos  lèvres  l'arbitre  des  dons  de  Dieu  et 
le  dépositaire  de  ses  miséricordes;  em- 
ployons-la donc  pour  les  obtenir;  que  jamais 
le  jour  ne  s'ouvre  et  ne  se  ferme,  que  nous 
n'ouvrions  notre  cœur  au  Seigneur  par  l'o- 
raison; regardons  comme  trop  téméraire  et 
trop  hasardé  un  jour  passé  sans  la  prière; 
croyons  un  vice  mal  attaqué,  une  venu  mal 
défendue,  s'ils  ne  le  sont  pas  par  la  prière. 
Dans  un  lieu  d'exil  nous  sommes  bien  diffé- 
rents de  ceux  qui  sont  dans  la  véritable  pa- 
trie ;  laies  justes  ne  prient  plus:  ils  n'ont 
plus  de  combats  et  de  guerres  à  soutenir; 
ils  jouissent,  et  nous  attendons;  ils  se  re- 
posent à  l'ombre  de  leur  gloire,  et  nous  com- 
battons pour  l'acquérir;  ils  bénissent,  et 
nous  gémissons;  ils  sont  dans  le  port  à  cou- 
vert de  toute  tempête,  et  nous  au  milieu 
d'une  pleine  nier  d'écueils  et  d'orages.  Nous 
devons  crier  sans  cesse  :  Seigneur!  sauvez- 
nous;  nous  allons  périr,  si  vous  ne  venez  à 
notre  secours.  Voilà,  mes  frères,  ce  que  vous 
devez  dire,  justes  ou  pécheurs,  et  plût  à  Dieu 
que  vous  le  disiez  avec  les  dispositions  d'une 
prière  sainte!  Je  vais  vous  les  marquer  on 
peu  de  mots  dans  l'autre  partie  de  ce  dis- 
cours, 

SECOND    POINT. 

Peut-on  penser  h  ce  qu'est  Dieu,  sans  com- 
prendre ce  que  doit  être  la  prière?  îl  est 
grand,  dit  le  Prophète  :  il  faut  donc  qu'elle 
soit  humble  ;  il  est  saint  :  il  faut  donc  qu'elle 
soit  recueillie;  il  est  véritable  :  il  faut  donc 


qu'elle  soit  sincère.  Comme  une  mère  aime 
son  enfant,  ajoute  le  Prophète,  le  Seigneur 
aime  ceux  qui  le  prient;  il  est  bon  envers 
ceux  qui  l'invoquent,  c'est-à-dire,  que  l'hu- 
milité, la  sincérité,  le  recueillement,  l'amour 
sont  comme  les  ailes  qu'emprunte  la  priés  e 
pour  s'élever  jusqu'au  ciel.  Ainsi  David, 
frappé  de  la  grandeur  de  Dieu  dans  sa  prière, 
ne  trouve  rien  qui  lui  convienne  mieux  que 
de  se  présenter  devant  lui  comme  un  men- 
diant et  un  pauvre  :  E'jo  mendicus  sum  et 
pauper  (Psal.  XXXIX),  puis  il  s'écrie  :  Sei- 
gneur, j'ai  retrouvé  mon  cœur  fugitif  tout 
recueilli  pour  vous  prier  :  Inveni  cor  ut 
crem  te.  Ensuite  il  l'assure  que  c'a  été  du 
fond  du  coeur,  et  non  avec  des  lèvres  trom- 
peuses, qu'il  lui  a  adressé  ;ves  vœux  et  ses 
prières  :  Non  in  labiis  doldsis.  (Psal.  XVI.) 
Enfin  il  dit  que  dans  sa  méditation  il  trouve 
une  chaleur  sainte  qui  le  consume  :  In  medita- 
tione  mea  exardescet  iynis.  (Psal.  XXXVIII.) 
Oh  !  qu'heureux  est  un  chrétien  dont  la 
prière  est  humble,  recueillie,  sincère,  fer- 
vente et  que  l'humilité  produit,  que  le  re- 
cueillement accompagne,  que  la  sincérité 
soutient,  que  la  charité  couronne! 

Mais  l'humilité  est  encore  la  fin  principale 
de  la  prière;  car  Jésus-Christ  en  nous  recom- 
mandant de  prier  veut  par  là  nous  humilier; 
c'est  son  premier  objet;  car,  quand  il  veut 
être  prié,  ne  vous  imaginez  pas  que  ce  soit 
qu'il  nous  oublie;  c'est  que  nous  pourrions 
nous  oublier  nous-mêmes.  Ce  n'est  point 
pour  nous  exaller,  c'est  pour  humilier  notre 
orgueil;  c'est  que  la  vue  de  notre  état  de 
mendicité  et  de  misère  est  seul  capable  d'é- 
touffer et  d'anéantir  en  nous  toute  enflure  : 
voilà  la  fin  de  la  prière. 

Donc  toute  prière  qui  n'est  point  humble, 
comme  celle  qui  se  fait  dans  le  lieu  sainj 
avec  un  amour  de  distinction,  y  paraissant 
avec  faste,  y  traînant  tout  ce  que  le  luxe  et 
les  pompes  mondaines  ont  d'éclat,  vous  dé- 
robant toute  l'énormité  de  vos  péchés,  vous 
laissant  toutes  les  folles  préventions  sur  le 
rang  et  sur  votre  condition,  abusant  de  votre 
naissance  et  de  votre  qualité  pour  soutenir 
votre  vanité,  portant  un  esprit  présomptueux, 
un  cœur  enflé  de  vos  œuvres,  de  vos  justices, 
et  vous  y  tenant  dans  un  état  qui  n'a  rien 
de  suppliant;  toutes  ces  sortes  de  prières 
sont  défectueuses  dans  leur  principe  et  sans 
nul  effet  pour  ceux  qui  les  font;  la. majesté 
de  Dieu  ne  les  reçoit  point;  il  n'agrée  jamais 
l'encens  qui  lui  vient  des  hauts  lieux,  c'est- 
à-dire  de  la  superbe;  mais  il  aime  à  remplir 
de  ses  dons  une  âme  véritablement  humble; 
et  plus  il  voit  de  vide  en  elle,  plus  il  prend 
plaisir  à  y  mettre  l'abondance.  Voyez  la 
femme  chananéenne:  elle  ne  demande  que  les 
miettes  qui  sont  le  partage  des  chiens,  et  le 
Sauveur  lui  accorde  le  pain  des  enfants  et  la 
guérison  de  sa  fille;  et  voilà  aussi  ce  qui 
donna  tant  de  force  au  publicain  par  sa 
prière  :  c'est  qu'elle  partait  d'un  cœur  humi- 
lié et  vraiment  louché  de  ses  misères,  tandis 
que  le  pharisien  révèle  ses  vertus,  qu'il  les 
exalte.  Voyez  comme  le  publicain  raconte 
toutes  ses  faiblesses;  comme  saisi  de  fraveur 


CAREME.  -   SERMON  VI,  DE  LA  TRIERE. 


K-2 


et  Je  crainte,  il  voudrait  disparaître  tout  en- 
tier, comvr.e  prosterné  la  face  contre  terre,  il 
s'écrie  :  Seigneur,  avez  pitié  de  moi,  qui  suis 
un  malheureux  pécheur.  Quel  sens  renfer- 
ment ces  paroles?  Il  n'ose  dire,  comme  Da- 
vid :  O  mon  Dieu  !  ô  mon  Père  i  noms  qui 
renferment  beaucoup  de  présomption  dans 
celui  qui  s'en  sert;  mais,  Seigneur"!  Domine! 
Il  ne  demande  point,  comme  Job,  qu'on  lui 
fasse  miséricorde  :  Propitivs  esto  [Psal. 
LXXVIII);  il  laisse  à  ceux  qui  le  méritent 
la  consolation  de  se  dire  les  serviteurs  de 
Dieu  ;  pour  lui  il  se  regarde  comme  n'ayant 
aucun  titre  d'approcher  et  de  demander. à 
Dieu  :  Mihi;  et  s'il  prend  quelque  qualité, 
ce  n'est'  que  celle  du  pécheur  :  Peccatori. 
Ah!  chrétiens,  si  vous  priiez  de  la  sorte, 
votre  prière  arrêterait  le  cours  de  vos 
désordres  et  vous  en  obtiendrait  le  pardon. 

Vous,  unies  égarées  et  errantes,  qui  ne 
portez  ici  qu'une  foule  d'images  mondaines, 
venez-vous  pour  "nsultcr  Jésus-Christ  au  mi- 
lieu même  de  son  temple?  Ah!  devant  un  Dieu 
réduit  pour  l'amour  de  vous  en  un  si  pet-t 
espace,  où  va  votre  esprit  agité?  que  devien- 
nent vos  péchés  dans  l'essortde  vos  passions? 
Il  n'est  ni  à  Dieu  ni  à  vous-mêmes.  Il  oublie 
tout  à  la  fois  et  ce  qu'il  demande  et  celui 
qu'il  vier.t  invoquer;  et  tandis  que  Jésus- 
Christ  n'a  que  l'illusion  de  vos  paroles,  le 
monde,  son  ennemi,  a  toute  la  réalité  de  vos 
intentions. 

Et  ne  dites  pas  que  vous  êtes  naturelle- 
ment volages  ;  laissez  aux  âmes  justes  qui 
gémissent  en  secret  de  celte  maladie  natu- 
relle de  l'homme  qui  ne  leur  permet  pas 
d'arrêter  toutes  leurs  pensées  et  de  les  fixer 
vers  l'objet  aimable  où  elles  voudraient  toutes 
aller.  Ah!  laissez-leur  le  triste  plaisir  de 
gémir  de  leur  dissipation  involontaire,  de 
leur  inattention  et  de  l'impuissance  de  leurs 
désirs  tout  célestes.  Mais  vous,  votre  inap- 
plication est-elle  excusable?  N'est-ce  pas  le 
peu  de  respect  que  vous  avez  pour  la  pré- 
sence de  Dieu,  le  peu  de  conviction  de  la 
grandeur  et  du  nombre  de  vos  maux,  le  peu 
de  foi  que  vous  avez  à  ses  promesses,  le  peu 
de  crainte  que  vous  avez  de  ses  menaces, 
votre  peu  de  goût  pour  les  choses  du  salut, 
votre  indifférence  pour  les  biens  éternels, 
une  indolence  funeste  pour  tout  ce  qui  re- 
garde le  ciel,  vous  qui  montrez  tant  de  con- 
fiance et  de  fermeté,  de  recueillement  et 
d'attention  pour  tout  ce  qui  s'appelle  fortune, 
gloire,  plaisirs;  qui,  consacrés  à  l'amour  de 
ces  faux  biens,  y  pensez  sans  cesse  et  vous 
faites  même  une  habitude  d'y  penser,  qui 
les  aimez  avec  fureur,  sans  que  rien  puisse 
vous  en  détourner?  Ah!  lorsque  vous  venez 
nous  dire  que  vous  n'avez  pas  la  force  d'ar- 
rêter ici  un  moment  vos  pensées,  n'est-ce 
pas  que  l'affaire  du  ciel  vous  touche  et  vous 
intéresse  bien  moins  que  celles  du  siècle? 
Ce  chaos  épais  qui  est  entre  Dieu  et  vous, 
n'estrce  pas  l'ouvrage  de  vos  lectures  pro- 
fanes, de  vos  discours  séculiers,  de  vos  de- 
sordres et  du  débordement  de  vos  passions? 
Et  quand  vous  venez  ici  demander  à  Dieu  la 
rémission  de  vos  péchés,  ne  l'évitez- veus 


"03 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SURIAN. 


704 


pa*  en  fuyant  tout  ce  qui  aurait  j>u  vous 
"attirer,  et  par  conséquent  vos  prières  dis- 
traites ne  sont-elles  pas  volontaires,  délibé- 
rées, sujettes  à  ia  colère  du  Seigneur?  O 
mon  Dieul  comment  l'exauceriez-vous?  Une 
vie,  hélas  1  dont  tous  les  moments  ont  été  si 
déplorables,  des  maux  qui  étaient  si  réels, 
des  supplices  éternels  dont  on  était  menacé, 
tout  cela  méritait  bien  dans  la  prière  un  es- 
prit attentif,  un  cœur  recueilli,  une  âme 
tout  appliquée?  Avec  tant  de  misères,  vous 
vous  feriez  un  scrupule,  mes  frères,  de  ne 
jamais  prier,  et  vous  auriez  raison;  mais 
l'obligation  de  penser  à  Dieu  quand  vous  lui 
parlez  est-elle  moins  indispensable  pour 
vous  que  de  le  prier  quand  vous  avez  besoin 
de  lui?  Ah  1  voulez-vous  que  vos  prières 
soient  écoutées  et  fléchissent  la  divine  jus- 
tice sur  toutes  vos  offenses,  comme  Jésus- 
Christ  allez  le  prier;  retirez-vous  à  l'écart 
pour  parler  à  votre  Dieu  :  Ascendit  solus 
orare.  (Matth.,  XIV.) 

Laissez-là  le  monde,  il  est  trop  profane 
pour  être  de  cette  affaire  sérieuse,  il  est  trop 
corrompu  pour  être  de  ce  commerce  sacré  ; 
laissez  à  part  tout  ce  qui  lui  appartient,  et  à 
l'abri  du  tabernacle  saint,  faites-vous  un 
doux  asile  où  seul  avec  Dieu  et  avec  vous- 
mêmes  ,  vous  recueilliez  toute  la  force  de 
votre  âme,  où  vous  ne  portiez  rien  qui  puisse 
vous  ôter  Jésus-Christ  de  la  pensée  et  du 
cœur,  où  pour  invoquer  un  Dieu  caché, 
vous  vous  cachiez  au  monde  pour  ne  vous 
produire  qu'à  vous-mêmes  et  à  votre  Dieu, 
à  peu  près  comme  les  anges  qui,  devant  le 
sanctuaire,  voilaient  leur  visage,  couvraient 
même  leurs  pieds,  afin  qu'étant  absorbés  par 
Dieu,  il  ne  parût  rien  d'eux.  Mais  ce  n'est  pas 
seulement  en  esprit,  c'est  encore  en  vérité 
que  Jésus-Christ  veut  qu'on  le  prie.  Ici,  mes 
frères,  je  ne  puis  vous  dissimuler  une 
chose  qui  vous  sera  sans  doute  amère,  c'est 
(pie  toutes  vos  prières  sont  presque  en  exé- 
cration devant  Dieu  ;  pourquoi?  Parce  quelles 
ne  sont  point  sincères,  condition  qui  paraî- 
trait bien  essentielle,  si  on  songeait  qu'on 
j  aile  de  l'affaire  capitale  de  la  vie,  à  un  Dieu 
qui  déteste  et  maudit  toute  prière  trompeuse 
et  fausse.  Sur  ce  principe,  mon  Dieu,  que  les 
nôtres  le  sont!  et  pour  nie  borner  à  celle  qui 
est  toute  la  religion  du  chrétien,  montrons 
qu'elle  se  dément  si  fort  qu'on  ne  peut  y 
compter. 

Ah!  où  en  serons-nous,  mes  frères,  si  le 
cœur  de  Jésus-Christ  sur  la  croix  eût  démenti 
la  prière  que  sa  bouche  faisait  pour  nous  et 
qui  fut  scellée  et  appuyée  de  tout  son  sang? 
It  lorsqu'un  Dieu  se  présente  à  nous  avec 
un  désir  sincère  de  nous  soulager,  quand 
nous  l'en  prions  de  bon  cœur,  nous  vou- 
erons le  tromper,  lui  qui  voit  tout,  qui  con- 
naît tout,  et  lorsque  rien  n'est  plus  réel  que 
nos  maux,  nous  voudrions  que  rien  ne  fut 
plus  feint  et  nions  sincère  que  nos  priè:es! 
Ali!  craignez  que  vos  prières  trompeuses, 
<  hangées  en  pé  liés,  ne  retournent  dans  votre 
sein  pleines  de  la  colère  éternelle.  Ah!  (pie 
plus  sincère  et  par  conséquent  plus  heureuse 
était  la  prière  de  lanière  de  Samuel.  Darceaue 


tout  était  d'accord  en  elle,  et  qu'elle  priait  de 
tout  son  cœur!  Loquebatur  in  corde  suo.  (I 
Reg.,  l.)Sa  prière  trouva  grâce  auprès  de  Dieu 
parce  quelle  était  pénétrée  de  ce  qu'elle  de- 
mandait, et  qu'elle  priait  du  fond  du  cœur, 
sans  même  faire  entendre  sa  voix,  et  vox  pe- 
nitus  nonaudiebatur.  (Jbid.)  Elle  prie  avec  des 
empressements  et  des  transports  si  violents, 
qu'on  aurait  dit  qu'elle  était  tombée  dans  l'al- 
légresse :  Usqucquo  ebriaeris?  (Ibid.)Ce  n'est 
donc  point  dans  un  tas  de  paroles  récitées  du 
bout  des  lèvres,  mais  gravées  dans  le  cœur, 
écrites  au  fond  de  l'âme,  et  animées  d'un 
saint  amour,  que  la  prière  consiste. 

En  effet  ne  convient-il  pas  que  l'amour 
fasse  des  demandes  que  le  seul  amour  peut 
accorder?  Dieu  qui  est  tout  amour  peut-il  se 
gagner  que  par  la  charité? La  prière,  qui  est 
la  plus  noble  fonction  de  l'homme,  ne  doit- 
elle  pas  sortir  de  la  plus  noble  de  ses  parties 
qui  est  son  cœur,  et  puisque  c'est  par  le 
cœur  que  Dieu  nous  punit,  ou  nous  cou- 
ronne, n'est-ce  pas  aussi  par  le  cœur  qu'il 
veut  être  prié  et  adoré?  Et  comme  notre  fai- 
blesse est  notre  plus  pressant  besoin,  n'est- 
il  pas  juste  que  nous  employions  tout  ce  (pie 
nous  avons  de  plus  précieux  pour  en  obtenir 
du  soulagement?  Et  en  effet  l'oraison  qu'est- 
elle  autre  chose  que  l'expression  et  le  mou- 
vement, le  désir  du  cœur?  Vous  priez,  quoi- 
que vous  soyez  dans  le  silence,  si  votre  cœur 
se  fait  entendre  :  c'est  la  véritable  prière  à 
laquelle  Dieu  ne  peut  rien  refuser. 

Moïse  muet,  consterné,  après  le  crime  d'Is- 
raël,  s'interdit  et  s'afflige,  et  Dieu  lui  dit: 
Pourquoi  criez-vous  si  fort  vers  moi?  Quid 
clamas  ad  me  ?  (Exod.  XIV.)  Que  veut  donc- 
dire  le  Seigneur?  Tout  se  tait  devant  sa  co- 
lère, son  serviteur  le  commande  à  tout  le 
peuple;  il  demeure  lui-même  dans  un  silence 
profond,  il  n'ose  même  se  tourner  vers  lui, 
et  il  se  plaint  que  sa  prière  est  trop  vive, 
quid  clamas  admet  Ah!  c'est,  disent  les 
Pères,  cpie  Moïse  sentait  alors  un  frémisse- 
ment ducœur, un  mouvement  extraordinaire 
du  saint  amour  et  delà  divine  charité  qui 
touchait  Dieu  et  qui  le  pressait  vivement,  et 
par  là  il  nous  apprend  que  si  notre  bouche 
parle  à  l'oreille  de  l'homme  parla  voix,  no- 
tre cœur  parle  à  l'oreille  de  Dieu  par  la  cha- 
rité. 11  y  a  dans  le  fond  de  l'âme  un  langage 
caché  qui  dit  bien  [dus  que  le  son  de  la  voix 
qui  articule. 

Nous  ne  l'avons  pas,  cette  langue  de  l'amour 
saint  (pii  parle  à  l'oreille  de  Dieu,  et  de  là 
tant  de  lâcheté  et  de  corruption,  soit  dans  nos 
prières,  soit  dans  la  transgression  qui  les 
suit,  et  que  partout  elles  portent  le  triste  ca- 
ractère de  notre  froideur  et  de  notre  indiffé- 
rence. Nous  lisons  dans  les  livres  de  piété 
les  oraisons  les  plus  enflammées,  mais  sans 
le  moindre  amour  et  la  moindre  charité,  nos 
prières  ne  sont  guèreque  de  simples  pensées, 
dans  lesquelles  il  n'entre  presque  jamais  de 
sentiments.  Auprès  des  hommes,  nous  y  mê- 
lons tant  de  feu  et  de  vivacité,  qu'on  ne  peut 
refuser  de  s'y  rendre,  et  auprès  de  Dieu  nos 
prières  sont  tonte  de  glace. Quelquefois  nous 
nous  jetons   aux  pieds  de  Jésus-Christ  avec 


7C5 


CAREME.  —  SEltMON  VII,  DE  L'IMPORTANCE  DU  SALUT. 


706 


des  soupirs  et  des  larmes,  mais  ce  ne  sont 
que  des  tristes  marques,  que  des  effusions 
sensibles  d'une  nature  qui  souffre,  et  non 
pas  de  purs  sentiments  des  saintes  affections 
de  la  charité  qui  parlé  à  Dieu. 

Et  comment  l'aurions-nous,  la  charité, 
dans  le  cœur,  lorsque  nous  prions?  La  charité 
s'ennuie-t-elle  de  s'entretenir  avec  son  bien 
aimé?  se  dégoûte-t-elle  d'assister  à  ses  au- 
gustes mystères?  compte-t-elle  les  moments 
qu'elle  passe  avec  lui?  se  montre-t-elle  im- 
patiente de  sortir  de  son  temple?  regarde-t- 
elle  comme -un  temps  perdu  celui  qu'elle  em- 
ploie à  le  prier?  Vous  éprouvez  toutes  ces 
misères,  donc  vous  ne  priez  pas  du  cœur, 
donc  vous  êtes  pires  que  les  païens  et  les  in- 
fidèles. Ah!  si  la  charité  pouvait  entrer  dans 
vos  prières,  comme  autant  d'étincelles  en 
sortiraient  toutes  les  vertus,  et  la  charité 
leur  donnerait  tous  ses  bienheureux  carac- 
tères. Elle  est  patiente,  nos  prières  le  seraient 
aussi;  la  charité  est  aitive,  donc  vos  prières 
ne  seraient  plus  une  pieuse  oisiveté,  mais  un 
exercice  continuel  de  toutes  les  vertus.  La 
charité  ne  se  lasse  point,  vous  prierez  avec 
persévérance,  sans  jamais  vous  rebuter,  vous 
décourager,  vous  plaindre,  persuadés  qu'on 
doit  bien  attendre  quelque  temps  ce  qu'on 
doit  posséder  pour  toujours  et  sans  bornes. 
La  charité  espère  tout,  donc  la  prière  devrait 
vous  faire  tout  espérer,  vous  disant  à  vous- 
mêmes  que  celui  qui  se  donne  déjà  lui- 
même  en  cette  vie  ne  peut  rien  vous  refuser 
pour  l'autre.  La  charité  croit  tout,  donc  la 
prière  doit  vous  faire  éloigner  toute  incerti- 
tude, tout  doute  sur  la  foi;  la  charité  ne  fi- 
nit point,  ainsi  la  prière  doit  se  changer  en 
actions  de  grâces  et  en  éternelles  bénédic- 
tions. 

_  Divin  Sauveur,  vos  derniers  mystères  vont 
s'accomplir  bientôt  et  en  nous  voyant  atten- 
dris, vous  semblez  nous  dire  avant  de  nous 
quiter,  ce  qu'Elîe  disait  à  Elisée  :  Bientôt  je 
serai  enlevé  dans  le  ciel  sur  un  tourbillon 
de  feu,  hâtez-vous  de  me  demander  ce  que 
vous  voulez  que  je  vous  laisse  avant  de  vous 
quitter.  Ah!  Seigneur,  vous  avez  dans  votre 
sein  un  double  esprit  :  Obsccro  ut  fiât  in  me 
duplex  spiritus  tuus  (IV  lie;/.,  11);  donnez- 
nous  maintenant  ce  double  esprit  qui  fait  la 
bonne  prière,  jusqu'à  ce  que  réunis  en  vous, 
nous  puissions  vous  louer  et  vous  bénir 
éternellement  dans  le  ciel;  c'est,  mes  frères, 
ce  que  je  vous  souhaite  au  nom  du  Père,  etc. 
Amen. 


SERMON 

DE     L'IMPORTANCE 


DU     SALUT. 


IYrvenit  in  vos  regnum  Dei.  (Luc,  II.) 
Le  royaume  de  Dieu  est  parvenu  jusqu'à  vous. 

Que  ce  royaume  devrait  vous  être  cher,  mes 
frères,  puisqu'il  a  tant  coûté  à  un  Dieu,  et 
que  pour  vous  l'obtenir,  il  a  donné  môme  sa 
vie!  Mais  hélas!  quand Jésus-Chrislfait tant 
pour  nous  sauver,  ne  voulons-nous  travailler 
que  |  our  nous  perdre?  ?Cotre  âme  ne  nous 
est  rien,  nous  en  faisons  froidement  le  sa- 
crifice volontaire,  et  ce  soin  du  bonheur,  qui 


devrait  être  le  premier  de  tous,  ne  vient  pas 
même  après  les  autres.  Oui,  chrétiens,  en 
vain  mille  voix  plus  fortes  que  la  mienne 
vous  ont  représenté  les  attraits  des  miséri- 
cordes et  la  terreur  des  jugements  de  Dieu; 
la  douce  paix  de  ceux  qui  se  sauvent  et  l'in- 
quiétude de  ceux  qui  se  la;ssent  périr,  la 
fragilité  des  choses  présentes  et  l'excellence 
des  biens  avenir;  en  vain  toutes  les  créatures 
au  dehors,  et  toutes  les  grâces  au  dedans, 
sont  autant  de  bouches  qui  vous  invitent  à 
tendre  vers  le  ciel;  en  vain  il  a  plu  à  Jésus- 
Christ  se  servir  de  tout  ce  qui  tombe  sous 
les  sens  pour  en  tracer  des  images  sensibles 
qui  soient  plus  à  notre  portée,  en  l'appelant 
tantôt  un  trésor,  pour  réveiller  notre  amour; 
tantôt  une  couronne,  pour  piquer  notre  am- 
bition ;  tantôt  un  doux  repos,  pour  flatter  no- 
tre mollesse;  quelquefois  une  conquête  glo- 
rieuse, un  royaume  éternel,  pour  satisfaire 
les  grands  cœurs,  les  âmes  nobles;  en  vain 
encore  ici  il  vous  conjure,  par  les  entrailles 
de  sa  miséricorde  de  ne  pas  vous  laisser 
périr,  de  regarder  l'abîme  avant  que  de  vous 
y  plonger:  rien  de  tout  cela  ne  peut  vous  dé- 
terminer à  prendre  pitié  de  votre  âme,  rien 
n'est  capable  de  faire  impression  sur  votre 
dureté;  le  charme  des  sens  nous  possède. 
Couverts  dans  une  erreur  trop  commune, 
nous  préférons  le  temps  qui  }  asse  à  une 
éternité  qui  ne  finit  point,  nous  n'aimons 
que  l'orage  et  la  tempête  sans  nous  souvenir 
d'aller  au  port;  la  vie  tumultueuse  du  siècle 
nous  parait  plus  tranquille  que  des  soins 
si  heureux,  dit  saint  Chrysostome.  Le  Sau- 
veur qui  se  jouait  de  toutes  les  affaires  du 
monde  s'épuisa  pour  l'affaire  du  salut;  nous 
au  contraire  nous  nous  amusons  et  consu- 
mons follement  dans  les  soins  du  siècle,  et 
nous  faisons  un  jeu  de  l'affaire  du  salut  et 
l'objet  de  nos  occupations  les  moins  sérieuses. 

Mon  Dieu,  est-ce  la  raison  qui  est  séduite, 
ou  la  foi  qui  ne  vit  plus  en  nous?  faut-il  nous 
plaindre  comme  chrétiens,  ou  nous  réprou- 
ver comme  infidèles?  Ce  désordre  me  tou- 
che jusqu'au  fond  de  l'àme,  et  pour  y  remé- 
dier, s'il  est  possible,  mon  dessein  est  de 
vous  rappeler  au  soin  de  votre  salut,  et  pour 
cela  je  ne  veux  que  deux  propositions  connues 
et  familières:  le  salut  est  notre  grande  affaire, 
voilà  la  première  ;  le  salut  est  notre  unique 
affaire,  c'est  la  seconde. 

1°  Le  salut  est  notre  grande  affaire,  elle 
doit  donc  avoir  nos  plus  grands  soins. 

2°  Le  salut  est  notre  unique  affaire,  elle 
doit  donc  faire  notre  unique  soin. 

Ici,  peut-être,  vous  vous  faites  un  secret 
reproche  de  la  triste  nécessité  où  vous  nous 
réduisez  de  venir  vous  prêcher  de  ne  point 
vous  perdre;  mais  hélas!  telle  est  votre  mi- 
sère,et  je  désespère  même  de  pouvoir  tirer 
quelque  fruit  de  ce  discours,  si  celui  qui 
seul  peut  le  faire  ne  me  prête  son  assistance, 
et  si  en  même  temps  que  je  parle  à  l'oreille 
de  mes  auditeurs  il  ne  parle  à  leur  cœur  par 
ea  grâce,  et  ne  vous  dit  secrètement  à  tons: 
Miserere  animœ  tuœ  (iïccli.,  XXX),  prenez 
pitiéde  vplreâme.  Demandons  lui  cette  grâce 
par  l'intercession  de  Marie.  Aie  Maria. 


757 


PREiSIEH    POINT. 


Cette  aveugle  indifférence  ou  ce  mépris 
insensé  où  vous  vivez  dans  le  monde  sur 
j'affaire  du  salut  vientsans  doute  du  peu  d'at- 
tention que  vous  avez  à  tout  ce  qui  peut 
vous  en  donner  une  haute  idée,  et  vous  por- 
ter à  croire  que  c'est  pour  vous  une  grande 
affaire. 

En  effet,  si  Dieu  se  faisait  sentir  à  vous, 
qu'il  lui  plût  de  rompre  le  charme  qui  vous 
fascine  les  jeux  et  que  vos  passions  vous 
permissent  de  faire  quelques  réflexions  sé- 
rieuses sur  l'importance  de  votre  salut, 
ali!  que  ce  soin  prendrait  bientôt  la  plaie 
des  autres  soins,  puisqu'il  n'est  aucune  af- 
faire qui  soit  si  grande  dans  ses  moyens  et 
dans  sa  fin,  aucune  si  grande  dans  les  moyens 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SUIUAN.  7G3 

rapides,  qu'une  attention  si  interrompue  ? 
est-ce  le  vouloir  que  de/  tout  donner  vo- 
tre temps  à  vos  emplois,  à  vos  affaires,  a 
vos  plaisirs,  à  votre  foi  tune,  à  vos  projets, 
sans  que  le  salut  y  entre  pour  rien?  est-ce 
le  vouloir  que  de  ne  rien  rabattre  de -vos  dé- 
penses, de  votre  luxe  ,  de  votre  ambition  de 
vos  cupidités,  vérifiant  trop  en  vous  ces  pa- 
roles du  prophète  :  Le  salut  a  passé  en  un  mo- 
ment ?  Quoi  1  croirai-je  que  vous  voudrez 
votre  salut,  tant  que  je  ne  verrai  en  vous 
que  des  pensées  vaines  et  stériles  do  l'éter- 
nité, que  certains  mouvements   d'une  piété 


ingénieuse,  qui  donne  à  la  conscience  un 
repos  trompeur,  et  qui  ne  change  rien  en 
votre  conluite  toute  profane?  quand  je  vous 
verrai,  à  l'égard  de  votre  salut,  dans  ce  som- 
meil d'inaction  et  de  paresse  ,  dans  cette  l'é- 


qui  l'avancent,  nulle  si  grande  dans  la  lin  qui     thargie  de  cœur,  dans  cette  épouvantable  in- 


la  termine.  Arrêtons-nous  à  ces  deux  circons- 
tances qui  vous  donneront  une  idée  sublime 
de  l'affaire  du  salut. 

Et  d'abord  songez  atout  ce  que  Dieu  a  fait 
pour  saliver  votre  Ame,  comme  il  ajeté  sur 
elle  un  regard,  de  miséricorde,  appelant 
votre  salut  son  ouvrage  chéri,  opus  meum; 
comme  ces  accidents  et  ces  révolutions  di- 
verses arrivent  sous  des  coups  favorables 
pour  la  faire  revenir  à  son  devoir  ;  voyez 
comme  se  sont  opérés  en  sa  faveur  tant  de 
miracles  auxquels  on  ne  se  montre  insensi- 
ble que  parce  qu'ils  sont  en  trop  grand  nom- 
bre, etqiulsse  passent  trop  près  de  nous; 
mais  qui  n'eu  sortent  pas  moins  des  trésors 
de  la  toute-puissance  divine;  considérez 
cette  main  paternelle,  qui  est  sans  cesse  ap- 
pliquée h  régler  le  cours  des  moindres  événe- 
ments de  la  vie,  elle  sait  tout  rectifier,  jus- 
qu'à vos  propres  cupidités.  Remarquez 
comme  Dieu  tourne  sur  vous  les  vues  de  sa 
providence  et  fait  agir  toutes  les  mesures  de 
sa  sagesse  :  elle  éclaire  vos  pas  et  vous  conduit 
à  vos  fins.  Considérez  tous  les  égards  de  sa 
miséricorde,  elle  souffre  vos  offenses  et  les 
pardonne;  toutes  les  lenteurs  de  sa  patience, 
elle  vous  attend  ;  mais  surtout  estimez-vous 
et  pesez  bien-ce  que  vous  valez  par  tout  ce  que 
voire  Dieu  a  fait  pour  vous  :  il  a  sacrifié  son 
propre  Fils,  et  a  mieux  aimé  rendre  Jésus- 
Christ  la  victime  de  votre  salut  que  de  con- 
sentir à  votre  perte.  O  combien  est  donc 
grande  la  dignité  de  votre  âme,  et  que 
l'amour  d'un  Dieu  épuisé  sur  vous,  doit  bien 
vous  faire  connaître  le  soin  que  vous  devez 
à  votre  salut! 

^  Mais  pour  bien  comprendre  la  grandeur  de 
l'affaire  du  salut,  il  faudrait  pouvoir  com- 
prendre ce  que  Dieu  est  lui-même;  que  si 
elle  est  si  importante  au  jugement  de  Dieu, 
pourquoi  en  faites-vous  donc  si  peu  de  cas? 
D'où  vient  qji'un  ouvrage  qu'un  Dieua  payé 
de  tout  son  sang,  que  son  Esprit-Saint  a  scellé 
du  sceau  de  sa  vérité,  ne  vous  paraît  pas  di- 
gne (ie  vos  réflexions,  de  vos  pensées  et  de 
vos  soins  ?  D'où  vient  que  lorsque  tout  cons- 
pire à  vous  faire  désirer  voire  salut,  vous 
^onl  ne  le  voulez  pas  ?  car  est-ce  ic  vouloir 
que  de  no  lui  donner   que  des  moments  si 


sensibilité  aux  attraits  de  la  grâce,  dans  un 
amour  aveugle  pour  votre  propre  personne, 
ou  pour  les  autres  créatures;  vous  bornant  à 
l'écorce  et  à  la  superficie  de  la  loi,  à  quelque 
retours  lâches  et  sans  fruits;  livrés  à  l'esj  rit 
de  mollesse  et  de  lâcheté,  qui  fait  couler  le 
vice  jusque  dans  vos  reins  ;  uniquement 
occupés  de  ce  qui  flatte  vos  passions  et  vos 
penchants,  aimant  mieux  être  embarrassés  des 
plaisirs,  des  misères,  des  amusements  de  la 
vie  présente,  que  de  penser  au  salut,  comme 
s'il  ne  devait  avoir  aucune  part  dans  tous 
vos  soins  et  dans  toutes  vos  démarches,  et 
que  votre  objet  principal  fût  la  crainte  de 
vous  sauver?  En  effet,  si  vous  ne  l'aviez  pas 
cette  crainte  insensée,  ah!  vous  verrait-on 
tourner  h  votre  perte  ce  qui  ne  vous  a  été 
donné  que  pour  vous  sauver?  vous  enfler 
par  les  bienfaits  de  la  nature  ou  de  la  for- 
tune, et  vous  abattre  par  les  afflictions  et 
les  adversités  ?  tout  altérer,  tout  corrompre , 
ce  qu'il  y  a  de  plus  rationnel  et  de  plus  pau- 
dans  la  religion?  ne  faire  aucun  usage  des 
moyens  de  salut  que  Jésus-Christ  vous  of- 
fre, les  tourner  môme  contre  vous  par  l'a- 
bus que  vous  faites  chaque  jour  des  mystères 
et  des  sacrements  qu'il  a  institués,  et  em- 
barrassés de  lui,  comme  ce  malheureux  juge, 
vous  écrier  :  Quid  faciam  de  Jcsu  (Matth., 
XXV11)?  que  voulez-vous  que  je  fasse  de  Jé- 
sus-Christ? Mes  frères,  ce  que  vous  en  ferez? 
ah  !  faites-en  dans  vos  dangers  un  asile,  dans 
vos  combats  un  bouclier,  dans  vos  craintes 
un  soutien,  dans  vos  maux  une  ressource, 
et  dans  ces  affreux  moments  de  la  mort  votre 
salut  et  votre  grâce. 

Eh  !  quoi  donc,  mes  frères,  le  salut  ne  se- 
rait-il donc  ici  que  l'ouvrage  de  Jésus-Christ 
et  non  le  vôtre?  ce  Dieu  de  bonté  ne  vous  au- 
rait laissé  que  la  liberté  de  yous  perdre,  sans 
vous  accorder  celle  de  vous  sauvor?il  est 
toujours  prêt  à  concourir  avec  vous,  con- 
courez aussi  avec  lui  et  travaillez  à  votre 
salut,  comme  à  un  ouvrage  qui  est  propre- 
ment le  vôtre  :  El  opus  me um  cum  Deo  mco. 
iîélas  !  je  l'avoue,  je  me  sens  trop  faible:  l'af- 
faire de  mon  salut,  difficile  comme  elle  est,  a 
besoin  de  grands  efforts;  mais  je  veux  y  tra- 
vailler avec  celui  qui  est  la  force  même  et  il 
ne   me  sera   pas  reproché  une  i'v  laisserai 


.7C9 


CAREME.  —  SERMON  VII,  DE  L'IMPORTANCE  DU  SALUT. 


travailler  Jésus-Christ  seul.  J'entrerai  en 
communication  de  travaux  avec  lui ,  je  join- 
drai mes  gémissements  et  mes  prières  aux 
siennes;  toutes  mes  actions,  mes  peines, 
mes  soins  ne  seront  plus  qu'une  môme  chose 
avec  les  siennes  :  Opus  meum  cum  Deo  meo. 
Je  me  joindrai  à  lui  de  cœur,  de  sentiments, 
dépensées;  je  prendrai  ses  mêmes  maximes, 
ses  mêmes  voies,  son  même  esprit  pour 
opérer  mon  salut.  J'y  travaillerai  comme  lui 
aux  dépens  de  mon  honneur,  de  mes  plaisirs, 
de  mon  repos,  de  mes  biens,  de  ma  santé  , 
de  ma  vie  même.  J'avancerai  cet  ouvrage 
par  le  crucifiement  de  mes  passions,  par 
toutes  les  violences  sur  mes  appétits,  sur 
mes  penchants,  sur  mes  volontés,  et  par 
un  sacrifice  universel ,  qui  réponde  à  ce- 
lui de  mon  Sauveur  :  Opus  meum  cum  Deo 
meo. 

Et  ce  qui  me  soutiendra  dans  mes  travaux 
et  dans  mes  peines  ,  c'est  cette  fin  dernière  , 
ces  jours  éternels,  celte  grande  image  d'un 
redoutable  avenir;  terme  fatal  qui  plus  que 
les  moyens  rend  encore  l'affaire  du  salut  une 
grande  et  importante  affaire.  Seconde  cir- 
constance. 

Et  certes,  que  penserez-vous  quand  vos 
âmes  seront  prêtes  d'être  rappelées  d'ici  bas? 
Perdre  un  Dieu  par  sa  faute,  ne  le  pouvoir 
plus  recouvrer  si  on  l'a  perdu,  ne  plus  ja- 
mais le  perdre  si  on  le  possède,  trouver  tout 
avec  lui,  ou  ne  trouver  rien  sans  lui;  entrer 
pour  jamais  avec  des  larmes  amères  dans  un 
gouffre  de  misères  et  de  tourments  crueis, 
ou  s'élancer  par  des  transports  de  joie  dans 
un  séjour  de  délices  et  d'éternelles  volup- 
tés, se  voir  près  d'être  accablé  de  maux  où 
comblé  de  biens,  destiné  à  un  souverain 
bonheur  ou  à  un  malheur  inconcevable  : 
quelle  alternative!  Que  ces  deux  faces  de 
1  éternité,  ou  avec  toute  sa  gloire  ,  ou  avec 
toutes  ses  horreurs,  ont  de  force  sur  un  es- 
prit capable  de  réflexion,  sur  un  cœur  capa- 
ble de  sensibilité!  et,  quelle  peut  êt;e  l'im- 
pression du  salut  dont  les  conséquences 
sont  si  décisives,  et  si  terribles.  Ah!  mes 
frères ,  tout  ceci  demande  bien  plus  de  sen- 
timents que  de  réflexions,  et  de  religion  que 
de  paroles;  parlons-nous  à  nous-mêmes  et  di- 
sons-nous :  De  quoi  s'agit-i!  ici?  Il  est  donc  vrai 
que  je  doive  bientôt  paraître  devant  le  tri- 
bunal de  Jésus-Christ,  pour  mon  bonheur,  ou 
mon  malheur  éternel!  Si  cela  est  ainsi,  àquoi 
ai-je  donc  pensé  jusqu'ici  ?  que  dois-je 
faire  maintenant,  ou  quefais-je?  il  y  va  do 
tout  pour  moi,  et  puisque  cette  affaire  ne 
souffre  point  de  partage,  mais  qu'elle  dé- 
cide de  tout,  qu'elle  renferme  tout  ce  qui 
est  en  moi  et  tout  ce  que  je  dois  devenir,  il 
faut  aussi  que  je  m'en  occupe  tout  entier, 
que  mon  âme,  mon  corps,  mon  cœur,  mon 
esprit,  que  tout  agisse  en  moi  de  concert 
et  sans  partage  à  cette  grande  affaire;  cjue  je 
remplisse  tout  le  reste  de  ma  vie  des  vertus 
les  plus  saintes,  que  j'amasse  un  trésor  de 
lonnes  œuvres  dans  le  temps,  afin  quelles 
arlent  pour  moi  devant  mon  Juge,  quand 
toutsera  contre  moi.  Ce  que  vous  devez  faire, 


770 

fruits  de  justice;  si  vous  êtes  pécheurs,  c  est 
de  porter  de  dignes  fruits  de  pénitence;  c'est 
d'observer  dans  la  fortune  ,  l'humilité  ;  dans 
l'adversité,  la  patience  ;  c'est  de  faire  un  fonds 
de  mérites  et  vous  attirer  un  trésor  de  grâces; 
Afin  que  cette  grande  affaire  se  termine  un 
jour  à  votre  avantage,  mettez  à  profit  tout  ce 
que  vous  avez  et  ce  qui  vous  est  offert; 
puisque  cette  vie  n'est  faite  que  pour  l'autre 
et  que  ce  tetnps  misérable  ne  vous  est  donné 
que  pour  vous  assurer  une  éternité  qui  ne 
le  soit  pas,"  et  à  laquelle  vous  rapportiez  tou- 
tes choses,  ce  que  vous  devez  faire  le  voici  : 
disposez  de  vos  craintes,  de  vos  espérances, 
de  vos  .talents,  de  vos  biens  ,  de  votre  répu- 
tation, de  vos  forces,  de  tout  vous-même. 
Pour  votre  salut,  dites-vous  sans  cesse,  qu'un 
travail  faible ,  quelques  soins  pasagers,  une 
pénitence  douce,  une  contrainte  légère  ne 
suffisent  pas  pour  réussir  dans  une  si  impor- 
tante affaire,  que  les  voies  les  plus  sévères 
ne  sont  point  encore  trop,  et  que  pour  ga- 
gner un  bien  si  parfait,  ou  éviter  un  mal  si 
extrême,  on  ne  doit  rien  ménager  et  qu'on 
ne  peut  jamais  assez  faire. 

Mais  que  faites-vous  cependant,  chrétiens 
pour  vous  sauver,  en  comparaison  de  ce  que 
vous  faites  tous  les  jours  pour  vous  perdre? 
Si  j'examine  vos  sentiments  ,  votre  conduite, 
je  ne  trouve  partout  en  vous  qu'une  inaction, 
une  indifférence,  une  lâcheté,  une  noncha- 
lance déplorable  à  l'égard  du  salut.  Les  uns 
se  chargent  de  tant  d'affaires  temporelles, 
ils  s'accablent  de  tant 'd'embarras,  ils  s'im- 
posent tant  de  bienséances  affectées,  tant  de 
devoirs  prétendus  et  d'usages  du  siècle;  les 
soins  se  multiplient  tellement  à  mesure 
qu'ils  avancent  en  âge ,  en  crédit,  en  hon- 
neurs, en  fortune,  que  parmi  ce  chaos  d'oc- 
cupations profanes  ,  ils  ne  trouvent  plus  le 
loisir  de  se  sauver,  et  qu'après  avoir  long- 
temps vécu  pour  les  autres,  ils  voient  à  la 
mort  qu'ils  auraient  besoin  de  vivre  encore 
pour  eux  ,  ci  qu'ayant  tout  fait  pour  la  répu- 
blique, ils  n'ont  rien  fait  pour  leur  salut.  Les 
autres,  vivant  sans  occupations,  sans  affaires, 
sans  embarras  ,  sans  emplois  ,  jettent  fort  pi- 
toyablement un  regard  sur  l'aveuglement 
presque  général  de  tant  de  gens  si  empres- 
sés, si  inquiets  et  si  cruellement  occupés; 
et  sans  considérer  que  tous  leurs  jours  vi- 
des etstériles  sont  perdus,  ils  demeurenttran- 
qui  lies  et  semble  nt  a  voir  fa' t  le  sacr  fice  affreux 
de  leur  éternité,  et  du  salut  de  leurs  âmes. 
Quelle  étrange  nié.  rise!  presque  tous  perdez 
de  vue  la  fin  qui  doit  vous  occuper;  tout 
en  vous  se  réduit  à  louer  ceux  qui  travail- 
lent efficacement  à  se  sauver.  Vous  plaindrez 
volontiers  ceux  qui  ont  le'  malheur  de  périr 
par  leur  faute,  mais  pour  vous  ,  vous  bornez 
tout  à  quelques  discours  vagues,  à  quelques 
dehors  su;  erficiels;  vous  vous  arrêtez  à  l'il- 
lusion du  goût  et  des  paroles,  sais  jamais 
en  venir  à  la  réalité  des  désirs  et  dos  œuvres; 
vous  méditez  peut-être  quelque  bon  dessein 
d'y  travailler  un  jour  véritablement  et  vous 
vous  dites  à  vous-mêmes  que  vous  n'atten- 
dez que  l'heureux  inornent,  pour  vous  rendra 


ah!  si  vous  êtes  fidèles,  c'eit  déporter  des     sensibles  à  cette  grande  affaire.  Mais  vous  re- 


771 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SURIAN. 


772 


tardez  toujours,  et  vos  sentiments  pieux  s'é- 
vanouissent avec  vos  meilleures  résolutions. 
Si  enfin  votre  cœur  touché  se  met  en  état  de 
les  exécuter,  ah  !  le  moindre  obstacle  vous 
arrête  :  vous  ne  voulez  qu'il  vous  en  coûte 
ni  violence,  ni  gène,  ni  privations;  è  cela 
près  vous  seriez  tout  disposés  à  recevoirjl'hé- 
ritage  que  Dieu  a  promis  et  le  bonheur  du 
ciel. 

Ah!  vous  donc,  chrétiens,  qui  vous  croyez 
plus  sages,  salva  aniiiiam  tuam  (Gen.,  XIX), 
sauvez  votre  âme.  Pourquoi  périrait-elle?  elle 
n'est  pas  faite  pour  périr;  formée  des  mains 
de  Jésus-Christ,  teinte  de  son  sang,  rachetée 
par  sa  mort,  qu'elle  est  précieuse,  qu'elle 


conséquent  vous  devez  y  donner  tous  vos 
soins  et  votre  unique  application;  c'esl  la 
deuxième  partie  de  ce  discours. 

SECOND    POINT. 

Dieu  qui  en  lui-même  a  plusieurs  opéra- 
tions, dit  saint  Augustin,  n'a  pourtant  qu'une 
seule  chose  à  faire,  c'est  de  se  contempler  ; 
il  se  porte  au  dehors  à  des  œuvres  diffé- 
rentes, néanmoins  une  seule  l'applique, 
c'est  la  conduite  de  l'univers.  H  a  beaucoup 
agi  et  souffert  sur  la  terre.  Cependant  il  n'y 
avait  qu'une  seule  chose  à  faire-,  c'était 
notre  salut.  Comment  donc  accorder  cette 
unité   d'affaires  avec  cette  multiplicité  de 


est  chère!  Appelée  à  son  héritage,  destinée     travaux  et  de  mouvements?  C'est,  répond 
à  sa  gloire,  qu'elle  peut  être  heureuse  !  Ah!      ce  Père,   que   l'œuvre   qui  l'occupe  est  si 

importante,  que  toutes  les  autres  sont  comp- 


as v,,  quellep 
si  vous  ne  travaillez  point  à  la  sauver  pour 
l'amour  d'un  Dieu  immolé  pour  elle,  faites 
du  moins  quelque  chose  par  intérêt  et 
compassion  pour  vous,  salva  animam  tuam. 
Eh  quoi!  auriez-vous  plutôt  soin  de  flatter 
vos  penchants  pendant  quelques  jours,  quel- 
ques mois,  quelques  années,  que  de  les 
empêcher  d'être  contraints,  d'être  cruelle- 
ment enchaînés  durant  tous  les  siècles  des 
siècles.  Dans  la  comparaison  de  deux  biens, 
vous  pourriez  balancer,  mais  dans  l'alter- 
native d'un  bonheur  ou  d'un  malheur  éter- 
nel,  y  a-t-il  le  moindre  sujet  d'hésiter?  Un 
court  et  frivole  plaisir  n'est -il  pas  trop 
acheté  d'une  éternité  de  supplices?  salva 
animam  tuam.  Non,  dans  ces  grands  coups 
de  malheur,  vous  n'é/argnez  rien  pour  sau- 
ver vos  biens,  vos  charges,  votre  réputation; 
mais  dans  la  vie,  est-il  quelque  chose  qui 
vous  soit  plus  précieux,  que  votre  Ame,  et 


tées  pour  rien,  et  qu'étant  toutes  rapportées 
à  celle-là,  elle  n'ont  qu'une  seule  affaire 
avec  elle,  et  voilà  dans  quel  sens  votre  salut 
est  une  affaire  unique  :  c'est  que  toutes  vos 
autres  affaires  ne  sont  rien  devant  elle , 
parce  que  son  importance  les  absorbe,  pre- 
mière réflexion  ,  ou  que  sa  fin  les  confond  , 
deuxième  réflexion;  ne  perdez  rien  de  ceci. 
Oui,  à  la  vue  du  salut,  toutes  les  autres 
affaires  perdent  le  nom  d'affaires,  car  le  plus 
sage  de  tous  les  hommes,  guidé  parl'Esprit- 
Saint ,  nomme  vanité  les  moyens  et  la  fin ,  et 
tout  ce  que  l'homme  se  prépare  sur  la  terre  : 
vanitas  vanitatum  et  omniavanitas  ;  vanité  de 
péché,  de  néant ,  de  songe  ;  et  ecce  universa 
vanitas.  (Eccli.,  I.)  11  est  partout  vanité  :dans 
son  esprit  il  n'est  qu'affliction,  dans  son  cœur 
que  misère,  dans  ses  désirs  qu'inquiétude, 
dans  sa  volonté  qu'inconstance,  dans  ses  sens 


qui  vous  soit  plus  propre  que  vous-même?  qu'illusion  et  dans  sa  vie  qu'une  ombre  fugi 

salva  animam  tuam.  Non  je  ne  viens  point  tive.  Oui,  cet  homme  en  quitout  est  si  grand, 

ici  vous  solliciter  en  faveur  de  ce  corps  mor-  si  réel,  si  précieux,  lorsqu'il  aspire  au  ciel  et 

tel  qui  vous  coûte  tant  de  peines  et  qui  fait  qu'il  porte  ses  vues  dans  le  sein  de  Dieu, 

à  Jésus-Christ  tant  d'outrages  :  il  a  trop  vos  n'est  plus  rien  dès  qu'il  s'occupe  des  choses 

soins  et  votre  attachement.  Je   parle   pour  périssables,  et  qu'il  s'applique  à  des  objets 

cette  âme  immortelle  qui,  dans  vos  yeux,  est  terrestres,  parce  qu'il  échappe  bientôt  à  tous 

impure,  dans  vos  mains  est  avare,  sur  votre  ces  objets,  que  ce  fond  de  mortalité  semble 

langue  est  cruelle,  qui  dans  votre  cœur  est  à  tout  moment  l'en  arracher,  et  que,  quand 

corrompue  et  qui    dans  tous  vos  sens  est  rien  ne  vous  manquerait  en  cette  vie,  vous 


l'iniquité  tout  entière;  ah!  je  la  vois  sur 
le  bord  de  l'abîme,  hâtez-vous  de  la  retirer  : 
Salva  animam  tuam. 

Mes  frères ,  vous  voyez  bien  que  la  vie 
que  vous  menez  ne  vous  conduira  pas  au 
salut,  tous  les  jours  nous  vous  en  avertis- 
sons, Jésus-Christ  vous  l'a  dit,  peut  être  que 
vous  touchez  à  ce  dernier  moment  où  tout 
l'homme  en  vous  sera  sans  action,  sans 
mouvement,  sans  vie.  Eh  quoi!  voudriez- 
kous  donc  que  votre  âme  y  fût  encore  sans 
grâce,  sans  salut  et  sans  «miséricorde? 
Ah!  sauvez-la  du  moins,  sauvez-la  de  la 
colère,  de  la  justice  de  votre  Dieu  ;  sauvez-la 
des  supplices  de  l'enfer,  de  la  rage  des  dé- 
mons ;  Prenez  pitié  de  vous-mêmes  et  de 
votre  propre  fin  :  Salvâ  animam  tuam;  si 
vous  gagnez  votre  âme ,  que  pouvez-vous 
avoir  perdu?  et  si  vous  la  perdez  que  pou- 
vez-vous gagner?  carie  salut  n'est  [tas  seule- 
ment pour  vous  une  grande  et  importante 
affaire,  il  est  votre  unique  affaire,  et_q;ar 


manqueriez  bientôt  à  toutes  choses. 

Mais  si  1'  homme  qui.  agit  pour  la  terre 
n'est  rien ,  les  moyens  qu'il  prend  sont  en- 
core moins  ;  soit  qu'une  passion  en  traverse 
une  autre  ou  que  Dieu  se  joue  de  vos  pen- 
sées téméraires  et  de  vos  projets  frivoles, 
vous  ne  l'éprouvez  que  trop  tous  les  jours, 
que  les  moyens  que  vous  prenez  sont  ou 
incertains  ou  inutiles,  que  les  voies  que 
vous  suivez  sont  trompeuses;  vos  déplaisirs 
sont  causés  par  les  soins  excessifs  que  vous 
prenez  de  plaire  ;  vous  trouvez  un  piège  où 
vous  attendiez  un  appui,  vos  projets  échouent 
par  les  précautions  mêmes  que  vous  aviez 
prises  pour  en  assurer  le  succès.  Vos  entre- 
prises les  plus  pénibles  et  les  plus  vastes 
ressemblent  aux  rêveries  d'un  homme  qui 
s'agite,  se  tourmente,  s'inquiète,  ou  qui 
pendant  le  sommeil  se  croit  riche,  heureux, 
en  possession  d'un  royaume  florissant,  et  à 
qui,  api  es  le  sommeil,  il  ne  rote  rien  qu'une 
grande  lassitude  et  un  bonheur  chimériaué 


773 


CAREME.  —  SERMON  Vil,  DE  L'IMPORTANCE  DU  SALUT. 


774 


Mais  je  vous  accorde  que  vous  réussissiez 
dans  vos  projets  ,  que  vous  veniez  à  bout  Je 
vos  grandes  entreprises ,  que  vos  travaux 
soient  récompensés;  avec  tout  cela  que  ga- 
gnez-vous à  servir  le  inonde?  Je  sais  que 
vous  en  faites  grand  cas,  et  qu'à  des  yeux 
charnels  la  figure  paraît  belle  ;  mais  si  des 
yeux  de  la  foi  vous  en  faisiez  l'examen , 
bientôt  vous  seriez  détrompés.  Que  ce 
monde  qui  vous  enchante  se  soutient  mal! 
ses  plaisirs,  qu'ils  coûtent  cher!  sa  gloire, 
qu'elle  est  vaine  !  l'estime  des  hommes,  qu'il 
y  a  de  mécomptes  !  l'amitié  des  grands  n'est 
que  politesse  stérile,  qui  ne  produit  rien. 
Quoi  donc  encore?  sont-ce  les  honneurs? 
l'apparence  en  est  brillante,  mais  au  fond 
qu'il  y  a  peu  de  solide  1  Seraient-ce  les  ri- 
chesses? eh!  qu'ont-elhes  de  plus  réel  que 
la  peine  de  les  acquérir,  que  la  crainte  de 
les  perdre,  que  le  regret  de  les  quitter.  Et 
quand  ce  seraient  même  des  trônes  et  une 
couronne,  ils  entrent,  hélas  1  comme  tout  le 
reste,  dans  ce  qui  compose  la  figure  du 
monde  :  tout  cela  n'est  qu'un  vain  fantôme 
et  un  pompeux  néant.  J'ai  cherché,  dit  le 
Sage,  dans  tous  les  états  de  la  vie,  parmi 
tous  les  talents  et  les  privilèges  de  la  nature, 
et  j'ai  reconnu  que  tout  n'était  qu'erreur  et 
affliction  d'esprit,  illusion  et  vanité:  Et 
agnovi  quod  in  liis  quoque  essct  labor  et 
afflictio  spiritus,  eo  quod  in  multa  sapientia 
multa  sit  indignatio,  et  qui  addit  scientiam 
addit  et  laborcm.  (Eccle.,  1.) 

Ce  que  l'homme  appelle  affaire  sérieuse 
dans  le  monde  ne  l'est  donc  pas.  Cen'est 
donc  qu'une  misère  réelle  et  une  vérita- 
ble affliction  d'esprit;  et,  par  cette  raison 
visible ,  il  doit  avouer  que  sur  la  terre  il  n'y 
a  qu'une  seule  et  unique  affaire  ;  c'est  celle 
de  son  salut,  c'est  un  bonheur  céleste  inva- 
riable ;  et  dans  les  moyens  qu'il  emploie,  ce 
sont  des  grâces  surnaturelles  qui  lui  sont 
toujours  présentes,  et  dans  la  fin  qu'il  se 
propose,  c'est  la  possession  éternelle  d'un 
Dieu.  Ah!  le  salut  est  donc  l'unique  affaire 
que  la  foi  et  la  raison  reconnaissent  dans 
l'homme  pour  être  véritable,  et  la  seule  qui 
mérite  ses  soins.  Oui,  quand  tout  retom- 
bera dans  l'abîme  dont  il  a  été  tiré,  les  pas- 
sions et  leurs  objets,  le  monde  et  ses  faux 
biens,  cet  ouvrage  subsistera  toujours  et 
survivra  seul  à  la  chute  entière  de  l'uni- 
vers 

Mais,  si  le  salut  est  notre  unique  affaire, 
d'où  vient  donc  qu'elle  est  la  seule  que 
nous  ne  faisons  pas  ?  Avouons-le  :  sans  cesse, 
répandus  au  dehors,  nous  ne  rentrons  pres- 
que jamais  au  dedans  de  nous-mêmes  pour 
y'  traiter  de  cette  unique  affaire.  11  suffit 
qu'un  objet  paraisse  à  nos  yeux  pour  en- 
lever toute  notre  attention  ;  nous  nous  y 
appliquons  par  des  passions  fortes;  toute 
la  vie  n'est  pour  nous  qu'un  cercle  d'amuse- 
ments frivoles,  qu'une  succession  de  crain- 
tes, d'inquiétudes,  d'entreprises,  d'alarmes, 
de  peines  et  de  plaisirs.  Ce  n'est  jamais 
assez  de  charges,  d'emplois,  de  biens:  il 
faut  encore  ajouter  un  nouveau  titre ,  une ' 
nouvelle  dignité  à  ceux  qu'on  avait  déjà;  il 


faut  encore  tenter  ce  projet,  entrer  dans  ce 
négoce,  faire  cette  acquisition.  Occupés  de 
toute  autre  chose,  nous  ne  pensons  jamais 
à  nous-mêmes;  et,  pendant  qu'on  roule, 
qu'on  travaille,  qu'on  poursuit  mille  af- 
faires vaines  et  frivoles,  l'uni  [ue  néces- 
saire ne  se  fait  point,  elle  tombe  en  ruine* 
Mon  Dieu  !  pouvons-nous  y  penser  sans  fré- 
mir? Mais,  quand  un  jour  on  verra  que  le 
salut  est  ainsi  négligé,  et  qu'après  avoir 
fait  tout  le  reste,  on  n'aura  rien  fait  :  quels 
remords  affreux,  quel  cruel  désespoir  ! 

Oh  !  combien  dilfère  le  bienheureux  état 
d'une  âme  qui  fait  sa  principale  et  son  uni- 
que affaire  de  son  salut  !  Tout  dans  le  monde 
ne  lui  parait  plus  qu'un  vide  affreux  ,  qu'un 
misérable  passage,  qu'un  triste  exil  où  il  ne 
faut  point  se  fixer.  Toujours  attentive  aux 
délices  de  sa  patrie,  elle  ne  pense  qu'au 
ciel  ;  elle  brise  cette  chaîne  infinie  d'occu- 
pations terrestres  qui  accablent  ceux  qui  la 
portent.  Souvent,  en  son  particulier  ou  au 
fond  d'un  oratoire,  elle  se  rappelle  ces  pa- 
roles, qu'on  n'a  qu'une  âme,  et  par  consé- 
quent qu'une  atlâire;  qu'il  sert  bien  peu 
d'acquérir  de  la  gloire  devant  les  hommes, 
si  devant  Jésus-Christ  on  n'a  que  de  la  con- 
fusion ;  qu'il  sert  peu  à  l'homme  d'amasser 
de  grands  biens ,  si  l'on  vient  à  se  perdre 
soi-même  ;  que  tout  le  profit  qu'on  fait  parmi 
les  créatures ,  est  un  désavantage  pour  le 
salut;  qu'on  ne  saurait  accorder  aucun 
succès  spirituel  avec  les  fruits  du  péché,  et 
que  notre  éternité  doit  donc  être  notre 
unique  affaire  et,  \  ar  conséquent,  emporter 
tous  nos  soins. 

Mais  ne  me  trompé-je  pas?  L'homme,  étant 
appliqué  à  tant  de  choses  différentes,  à  tant 
d'emplois  et  charges  qui  redoublent  ses  af- 
faires, n'en  aurait-il  qu'une  seuie?  Non, 
parce  que  toutes  les  autres  se  doivent  rap- 
porter à  celle-là;  non,  disait  un  grand  saint, 
la  religion  et  la  vie  civile  ne  sont  point  in- 
compatibles. Les  devoirs  de  celle-ci ,  si  on  y 
est  placé  de  la  main  de  Dieu ,  servent  à 
remplir  ceux  de  l'autre,  en  sorte  que,  loin 
que  les  soins  du  chrétien  et  de  l'honnête 
homme  soient  inaliénables,  ils  coucourent 
ensemble  pour  l'avancement  du  salut  :  Non 
multa,  sed  unum. 

Après  cela ,  quel  prétexte  pourrait  passer 
et  vous  dispenser  d'y  travailler?  Vous  excu- 
serez-vous  sur  la  fonction  de  voire  emploi, 
de  votre  charge?  Mais  les  remplir  avec  jus- 
tice, avec  fidélité,  c'est  opérer  votre  salut. 
Apporterez-vous  pour  excuse  les  soins  et  les 
embarras  de  votre  famille?  Mais  c'est  taire 
votre  salut  que  d'y  entretenir  le  bon  ordre, 
et  (l'y  donner  des  leçons  et  des  exemples 
de  piété  et  de  ferveur.  Prendriez-vous  pour 
piétexte  le  métier  de  la  guerre  ?  Mais  y  ser- 
vir Dieu,  c'est  le  moyen  d'y  servir  mieux 
le  prince;  et  si  vous  sanctifiez  la  guerre,  la 
guerre  vous  sanctifiera.  Piétexteiez-vous 
l'étude  que  vous  avez  à  faire  ?  Mais  la  vraie 
science,  c'est  celle  du  salut,  et  vous  saurez 
tout  quand  vous  aurez  appris  le  secret  de 
vous  sauver.  Vous  excuserez-vous  sur  des 
procès  qui  durent  depuis  longtemps  et  vous 


775  ORATEURS  SACRES 

mettent  hors  la  voie  du  salut?  Mais  eu 
gardant  la  charité,  la  modération,  la  bonne 
ioi,  la  droiture,  la  justice,  la  religion,  ces 
moyens  d'offense  que  vous  faites  valoir, 
vous  deviendront  des  moyens  de  salut,  et 
vous  sauverez  votre  ennemi,  en  prenant  le 
chemin  de  vous  sauver  vous-même.  Ainsi  il 
n'est  pas  un  seul  état,  une  seule  profession 
qui  ne  soit,  si  on  le  veut,  une  voie  de  sa- 
lut. Il  est,  le  salut,  dans  la  robe  et  dans  l'é- 
pée ,  dans  la  magistrature  comme  dans  la 
finance  ,  dans  le  commerce  comme  dans  la 
mécanique,  dans  le  mariage  comme  dans  le 
célibat,  dans  le  prince  comme  dans  le  peu- 
ple, dans  le  serviteur  comme  dans  le  maître. 
En  vain  voudriez-vous  élever  une  barrière 
impénétrable  entre  vous  et  le  salut,  entre 


LE  P.  SUR1AN. 


776 


vos  affaires  et  votre  religion  ;  il  n"est  rien 
de  plus  facile  que  de  les  accorder  ensem- 
ble. Appliquez-vous  aux  devoirs  temporels 
sans  vous  y  attacher;  vos  occupations  légi- 
times, quelque  grandes  qu'elles  soient,  ne 
sont  point  incompatibles  avec  le  soin  de 
votre  salut.  Pourvu  que  les  affaires  du  siècle 
vous  occupent  sans  vous  arrêter,  elles  ne 
vous  damneront  point  :  comme  elles  sont 
dans  Tordre  de  la  divine  Providence,  elles 
peuvent  servir  de  voies  et  vous  conduire  à 
sa  possession.  Ajoutez-y  une  droite  et  sainte 
intention  de  ne  rien  faire  que  ce  que  Dieu 
e\ige  de  vous ,  et  alors  vous  en  ferez  le 
salut  même.  On  ne  demande  pas  que  vous 
soriiez  du  monde  pour  faire  votre  salut  : 
non;  ne  renoncez  pas  h  cette  charge,  mais 
à  vos  injustices  ;  ne  renoncez  point  à  vos  em- 
plois, mais  à  vos  passions.  Tout  ce  que 
vous  faites,  faites-le  par  rapport  au  salut; 
tout  ce  que  vous  ferez  pour  lui  vous  sera 
compté  pour  l'éternité.  Oui,  le  soin  que 
vous  prendrez  de  votre  salut  attirera  sur 
vous  de  nouvelles  forces  et  de  nouvelles 
grâces  pour  l'opérer;  et  avec  cela,  vous 
remplirez  tous  vos  autres  devoirs  de  chré- 
tien. 

Ah  1  ne  le  refusez  donc  point,  ce  soin  du 
galut,  faites-en  votre  importante  et  unique 
affaire,  hélas!  jusqu'ici  vous  avez  fait  les  af- 
faires de  tout  le  monde,  et  vous  n'avez  point 
fait  la  vôtre  :  Rogamus  vos,  [ralrcs,  utabunde- 
fis  ma ,gis, ut  vestrumnegotiumagatis.il  Tkess., 
IV.)  Nous  vous  conjurons,  mes  frères,  de 
travailler  maintenant  pour  vous  et  pourvotre 
âme,  et  n'allez  pas  nous  dire,  que  c'est  perdre 
votre  fortune  que  dclravailler  à  votre  «alut. 
Eh*!quoi  donc?  posséder  Jésus-Christ  et  avec 
lui  tous  les  biens  ensemble,  appelez-vous 
cela  perdre  votrei  fortune? quoi  donc?  éviter 
des  maux  éternels,  et  vous  assurer  une  éter- 
nité de  bonheur,  est-ce  là  ce  que  vous  nom- 
mez une  infortune?  Ah  1  que  sont  donc  les 
plus  riantes  fortunes  auprès  des  trésors  du 
ciel  ?  l'un  est  la  souveraine  misère  et  l'autre 
le  souverain  bonheur.  Ah  '.que  rien  donc  dé- 
sormais ne  vous  arrête,  préférez  votre  salut  h 
toute  autre  chose,  puisque  toutes  choses  ne 


sont  rien  sans  celle-là  :  Porro  unuvfest  ne~ 
eessarium.  (Luc,  X.)  Faites  donc  delà  meil- 
leure, de  la  |  lus  utile  de  toutes  les  affaires 
votre  seule  et  unique  affaire  ;  promettez  ici 
à  Jésus-Christ  que  vous  y  travaillerez  sans 
cesse  et  sans  relâche  ;  et  pourquoi  ne  le  faites 
vous  pas  tout  à  l'heure? 

Grand  Dieul  prêtez  moi  votre  voix,  elle 
seule  peut  réveiller  tant  de  lâches  chrétiens 
de  l'assoupissement  mortel  où  ils  sont  au 
sujet  de  leur  salut.  Ah  !  voudriez-vous;anéan- 
tir  toutes  vos  miséricordes,  laisser  inutiles 
tous  lesméritesde  votre  mort?  Eh  I  que  vous 
servirait  ce  titre  si  aimable  de  Sauveur,  si 
vous  ne  preniez  pi  tié  des  âmes  qui  se  perdent? 
Remplissez  ce  nom  de  salut  et  de  grâce, 
en  sauvant  ceux  qui  implorent  votre  secours  : 
Domine,  Deus  salutis  mcœ(Psal.  XXXVII),  ô 
le  maître  et  le  Di«u  de  mon  salut,  je  vous  le 
coniie  tout  entier  ;  ne  l'abandonnez  ni  à  la 
malice  de  mes  ennemis,  ni  au  débordement 
de  mes  passions,  ni  à  la  corruption  de  mon 
cœur,  ni  à'  la  rapidité  de  mes  penchants.  J'ai 
déjà  tant  éprouvé  dans  mes  faiblesses  un 
Dieu  de  force,  dans  mes  malheurs  un  Dieu 
de  consolation,  dans  mes  iniquités  un  Dieu 
de  miséricorde  !  Ah  !  aujourd  nui  queje  suis 
prêta  succomber  encore,  soyez-moi  un  Dieu 
de  salut  :  Domine,  Deus  salutis  meœ  ;  ah  1  ne 
soyez  pas  sourd  a  mes  vœux,  daignez  exau- 
cer ma  prière.  Eh  1  quoi  m'abandonneriez 
vous,  Père  si  tendre?  je  vous  ai  tant  coûté, 
n'ayez  aucun  égard  à  mon  indignité  ;  je  sais 
que  je  ne  mente  rien,  mais  regardez  vos 
plaies,  écoutez  la  voix  de  votre  sang,  qui 
vous  parle  en  ma  faveur,  et  justifie  en  moi 
ces  paroles  :  Opus  consummavi.  J'avais  com- 
mencé cet  ouvrage  de  salut  de  l'homme  en 
les  rachetant  de  mon  sang  ;  je  l'avais  conti- 
nué en  le  purifiant  par  mes  grâces,  je  l'a- 
chève enfin  maintenant  en  le  comblant  dès 
cette  vie  de  mes  miséricordes  pour  le  cou- 
ronner en  l'autre  de  ma  gloire  éternelle. 
C'est,  mes  frères,  ce  queje  vous  souhaite  au 
nom  du  Père  et  du  Fils  et  du  Saint-Es.  rit. 
Amen. 

SERMON  Vlli  (h). 

DE   L'ENFANT  PF.ODÏGCE 

In  se  au!om  reversas  dixit  :  Surgam  el  ibo  ad  palrem 
meiim.  (Luc,  XV.) 

L'enfant  prodiijue  étant  revenu  à  soi,  dit  :  Je  nie  lèverai 
ei  j'irai  trouver  mon  père. 

Jusques  à  quand,  mes  frères,  résisterez 
vous  à  la  miséricorde  de  Dieu  et  vous  refu- 
serez-vous  à  sa  tendresse?  Pour  vous  attirer 
à  lui,  quelles  voies  ne  vous  offre-t-il  pas 
dans  son  Evangile  ?  par  quel  moyen  ne  clier- 
che-t-il  pas  à  vous  rappeler  à  vous-mêmes*? 
Mais  de  tous  les  traits  de  son  amour  voici 
sans  doute  le  plus  touchant;  par  les  entrailles 
de  sa  compassion,  ne  le  rendez  point  inutile. 
Voici  à  quelle  occasion  Jésus-Christ  propose 
aux  Juifs  et  en  même  temps  à  tous  les  chré- 
tiens la  parabole  du  prodigue. 


(6)  Imprimé  avec  Je  nombreux  changements  <lans      l'égarement  au  pécheur;  combien  les  prétexte 
l'édition  de  Liège,  tome  1er,  page  261  ,  avec  ce  ti-      l'empêchent  de  revenir  à  Dieu  sont  mal  fondés, 

lrf>  •     P^r/inhr.ita    mr    Vfinùml    nrirlii/iutt  '     imflCie    dû 


Ire  :  Paraphrase  sur  l'enfant  pndique  ;   i/nage  de 


777 


CAREME.     -  SERMON  Vllï ,  DE  L'ENFANT  PRODIGUE. 

PREMIER    I'OI.NT 


773 


Les  pécheurs  et  les  publicains  touchés 
de  la  bonté  que  Jésus-Christ  avait  pour  eux 
s'approchent  de  lui,  l'invitent  avec  empres- 
sement démanger  avec  eux,  et  cherchent  par 
ce  moyen  à  soulager  leurs  maux  dans  cette 
source  de  grâces  et  de  sainteté;  mai  s  les  scribes 
et  les  pharisiens,  qui  voulaient  paraître  par 
des  soins  affectés,  s'offensent  de  la  bonté  avec 
laquelle  Jésus-Christ  reçoit  ces  publicains  et 
ces  pécheurs, 

Or,  pour  confondre  leur  faux  zèle,  leur 
hypocrite  délicatesse,  le  Sauveur  leur  pro- 
pose cette  parabole  de  l'enfant  prodigue  : 
parabole  si  touchante  pour  une  âme  éloignée 
de  son  Dieu,  si  favorable  au  malheureux  pé- 
cheur, si  intéressanteetsipropreàcaptivervo- 
t  re  attention;  parabole  toute  prise  dans  le  cœur 
de  Dieu  et  dans  les  sentiments  de  l'homme,  et 
parla  si  capable  de  faire  sur  vous  des  impres- 
sions de  salut  et  de  pénitence;  parabole  en- 
fin que  le  pécheur  n'a  qu'à  faire  pour  con- 
naître les  excès  de  sa  misère,  les  motifs  de 
son  retour,  et  les  consolations  de  pénitence, 
car  voilà  les  trois  grands  obstacles  qui  s'op- 
posent à  la  conversion  des  pécheurs,  que 
Jésus-Christ  vient  lever  dans  la  parabole  de 
ce  jour. 

Premier  obstacle.  Vous  ne  connaissez  point 
assez  vos  malheurs,  et  dans  ceux  du  prodi- 
gue Dieu  *e  plaît  à  vous  offrir  l'image  des 
vôtres.  Second  obstacle.  Eclairés  peut-être 
sur  vos  égarements  vous  vous  abusez 
sur  la  nature  des  regrets,  et  dans  ceux  du 
prodigue,  Jéjus-Christ  s'applique  à  vous 
montrer  quels  doivent  être  les  vôtres.  Troi- 
sième obstacle.  Effrayés  des  violences  que 
demande  votre  cœur  vous  n'y  envisagez  que 
tristesse  et  que  peine,  et  dans  la  joie  que 
goûte  le  prodigue  à  son  retour,  le  Sauveur 
veut  vous  faire  sentir  quelles  seront  les  con- 
solations et  les  avantages  du  vôtre. 

Ainsi,  dans  les  malheurs,  dans  les  regrets, 
dans  la  joie  de  l'enfant  prodigue  vous  allez 
voir  l'image  de  vos  misères,  le  caractère  de 
vos  regrets  et  les  consolations  de  votre  pé- 
nitence; voilà  comme  dans  l'évangile  de  ce 
jour,  le  Fils  de  Dieu, toujours  plein  de  bonté 
envers  le  pécheur,  lui  offre  tous  les  moyens 
de  lever  les  obstacles  qui  l'arrêtent  dans  sa 
conversion  ;  voilà  les  importantes  instruc- 
tions qu'il  daigne  attacher  à  ce  discours,  si 
elles  ne  vous  convertissent  point,  je  crains 
bien  qu'elles  ne  vous  endurcissent.  Ne  le 
permettez  pas,  ô  mon  Dieu.  Cet  évangile  au- 
trefois, quand  on  l'annonçait  à  votre  peuple, 
faisait  fondre  la  glace  des  pécheurs  les  plus 
endurcis,  et  tous  fondaient  en  larmes  au  ré- 
cit d'une  parabole  si  touchante;  rendez,  Sei- 
gneur, à  mes  paroles  toute  la  force  et  l'onc- 
tion nécessaires,  pour  en  tirer  le  fruit  que 
nous  devons  en  attendre,  opposez  à  mes  cri- 
mes vos  infinies  miséricordes,  et  par  le  plus 
indigne  de  vos  enfants  rendez  tous  mes  au- 
diteurs sensibles  aux  bontés  du  plus  tendre 
Père.  C'est  la  grâce  que  nous  vous  deman- 
dons par  l'intercession  de  votre  sainte  Mère. 
Ave  Maria. 


Orateurs  sacrés.  L. 


Quels  sont  les  différents  degrés  du  pécheur  ? 
Les  voici,  tels  que  saint  Augustin  les  a  tra- 
cés lui-même  :  D'abord,  dit-il,  le  pécheur  veut 
jouir  de  soi-même  et  de  la  vie  dans  l'indé- 
pendance ;  ensuite  il  s'éloigne  de  Dieu,  puis 
abuse  de  ses  dons  et  corrompt  toutes  ses  grâ- 
ces; d'abord  vide  des  biens  spirituels,  il  ne 
sent  en  lui  que  faim. et  misère ,  après  il  se 
rend  esclave  ,  infidèle ,  vicieux ,  enfin  il  s'ac- 
coutume avec  ses  malheurs ,  il  les  aime  et 
fait  sa  joie  de  ses  crimes . 

Or,  voilà  les  degrés  par  lesquels  l'Evangile 
nous  apprend  que  l'enfant  prodigue  est  tom- 
bé dans  la  misère  ;  ne  sont-'ce  pas  aussi  ceux 
par  où  vous  vous  êtes  plongés  dans  l'abîme? 
Mon  Dieu,  que  tout  y  est  ressemblant  :  on 
dirait  que  Jésus-Christ  a  parlé  dans  sa  para- 
bole ,  et  je  vois  en  vous  tous  le  prodigue  : 
Homo  quidam  habuit  duos  filios  et  dixit  ado- 
lezcentior  ex  Mis  pulri.  Un  homme  avait 
deux  enfants  dont  le  plus  jeune  lui  parla  en  ces 
termes.  Tous  les  hommes  sont  les  enfants  de 
Dieu,  mais  dans  cette  famille  immense  il  ya 
des  enfants  sages  figurés  par  l'aîné  des  deux 
fils  ,  il  y  en  a  d'autres,  libertins  et  rebelles, 
qui  nous  sont  représentés  par  le  plus  jeune, 
et  si  vous  me  demandez  pourquoi  Jésus- 
Christ  choisit  le  plus  jeune  pour  être  le  su- 
jet de  sa  parabole,  c'est  que,  pour  quitter  un 
Dieu  si  bon, si  libéral  et  si  tendre,  il  faut 
être  frivole ,  léger,  inconsidéré  comme  le 
sont  d'ordinaire  les  jeunes  gens:  adolescen- 
tior  ex  Mis  dixit  palri . 

D'ailleurs  vous  savez  qu'il  n'est  que  trop 
ordinaire  à  la  jeunesse  d'abandonner  Dieu; 
cet  âge  qui  est  la  fleur  de  la  vie  en  est  aussi 
la  plaie  et  la  honte.  Une  expérience  trop  fu- 
neste nous  apprend  que  c'est  en  cette  belle 
saison  où  l'on  est  plus  rebelle ,  où  l'on  sup- 
porte avec  plus  de  peine  les  sages  leçons 
d'un  fière  tendre,  que  plus  il  veut. nous"  te- 
nir attachés  auprès  de  lui,  plus  nous  vou- 
lons prendre  l'essor  vers  les  autres  créatu- 
res; que  nous  nous  faisons  un  joug  insup- 
portable de  son  obéissance  ;  que  plus  il  s'ef- 
force de  nous  serrer  entre  ses  bras,  plus 
nous  sommes  las  de  sa  présence#et  de  ses 
caresses. 

Eh!  n'était-ce  pas  là  votre  conduite  à  l'é- 
gard de  Dieu,  au  printemps  de  votre  âge? 
Souvenez-vous-en,  mes  frères  ,  vous  faisant 
alors  un  mérite  ,  un  air  d'abandonner  le  Sei- 
gneur, de  chercher  à  vous  introduire  dans  le 
monde,  ne  lui  avez-vous  pas  dit  comme  l'en- 
fant prodigue  :  Da  mihi  portionem  substantiel 
quœ  me  confinait,  Donnez-moi  la  part  du  bien 
qui  m'appartient  Hélas!  ce  partage  que  vous 
demandiez  de  si  bon  cœur  sans  le  savoir, 
c'est  le  péché  :  voilà  ce  qui  revient  à  l'homme 
qui  quitte  son  Dieu.  11  est  vrai  que,  dans  cette 
indigne  révolte,  ce  père  tendre  lui  laisse  en- 
core la  liberté  pour  ressource,  car  voilà  le  seul 
bien  qui  vous  reste  dans  le  naufrage  de  votre 
première  innocence  ;maisdepuis qu'emportés 
par  l'amour  de  l'indépendance  ,  vous  avez 
dit  orgueilleusement  à  votre  Dieu,  Donnez^ 
moi   ma   uortion,  vous  lui  ayez  demandé 

25 


779 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  StRIAiN. 


780 


l'affliction  et  la  misère  ;  il  pourrait  vous  la 
refuser,  ce  père  tendre  ,  ce  soleil  de  justice , 
qui  perce  jusque  dans  l'avenir  le  plus  recu- 
lé, il  est  touché  jusque  dans  le  fond  de  vo- 
tre éloignement;  il  voudrait  vous  avoir  au- 
près de  lui ,  il  prévoit  le  mauvais  usage  que 
vous  ferez  de  votre  liberté  qu'il  vous  laisse, 
mais  il  la  respecte  trop  pour  la  contraindre  . 
Quelle  congélation  pour  lui  et  quelle  gloire 
pour  vous,  si  vous  lui  faites  un  sacrifice  de 
cette  précieuse  liberté  ;  il  vous  en  dédom- 
magerait au  centuple,  si  vous  la  lui  consa- 
criez de  bonne  heure;  mais  il  ne  veut  em- 
ployer pour  cela  ni  force,  ni  contrainte  ;  c'est 
un  présent  qu'il  -vous  a  fait  dont  vous  serez 
toujours  le  maître;  et,  quoique  à  regret,  il 
vous  donne  ce  qui  vous  appartient  :  et  divi- 
sit  Mis  substantiam.  Aveugles,  où  êtes-vous, 
où  allez-vous  avec  ce  partage?  Presque  aus- 
sitôt il  se  saisit  de  tout  ce  que  son  père  ve- 
nait de  lui  accorder  et  s'en  alla  voyager  dans 
des  pays  étrangers.  lien  coûta  peut-être 
quelques  regrets  à  ce  prodigue ,  un  reste  de 
tendresse  naturelle  se  renouvelle  dans  son 
cœur, et  peut-être  que,  sur  le  point  de  se  sé- 
parer de  ses  parents,  il  sentit  en  lui-même 
quelque  émotion;  on  ne  porte  pas  tout  d'un 
coup  une  grande  jeunesse  à  de  grands  ex- 
cès, et  les  premiers  plaisirs  que  l'on  dérobe 
coûtent  quelque  trouble  et  quelque  alarme  : 
le  prodigue  se  sent  ému  et  attendri,  mais  il 
ne  laisse  pas  de  partir ,  il  pleure  et  s'éloi- 
gne. 

Tout  pécheur  s'élo:gne  de  Dieu,  il  est  vrai , 
mais  les  uns  s'en  éloignent  plus  que  les  au- 
tres ;  c'est  l'énormité  du  péché  qui  règle  l'é- 
loignement  du  pécheur,  car  Dieu  et  le  péché 
sont  deux  extrémités  contraires ,  et  c'est  as- 
sez d'être  à  l'un  pour  être  éloigné  de  l'autre. 
Sur  ce  principe  ne  puis-je  pas  dire  que  vous 
êtes  loin  de  Dieu,  pécheurs  qui  peut-être 
depuis  tant  d'années  avez  perdu  votre  inno- 
cence, et  ne  vous  rappelez-vous  pas  par 
quels  pas  redoublés  vous  vous  éloignâtes  de 
ce  père  tendre?  Une  fois  sortis  de  son  sein 
parle  péché,  vous  fîtes  quelques  pas  en 
tremblant,  vous  goûtiez  assez  de  douceurs 
dans  la  justice  pour  appréhender  de  trouver 
de  l'amertume  dans  le  vice  ;  il  se  présenta 
des  honneurs,  une  fortune,  une  place  dis- 
tinguée, un  établissement  avantageux  qui 
vous  firent  faire  encore  une  démarche  ;  des 
occasions  favorables  de  joie  et  de  divertis- 
sement, les  spectacles,  le  jeu,  les  assem- 
blées mondaines  vous  engagèrent  encore 
plus  loin  ;  enfin  vous  prîtes  goût  aux  choses 
de  ce  monde,  et  l'amour  du  plaisir,  de  la 
bonne  chère,  du  luxe,  de  la  mollesse,  vous 
ont  enfin  enfoncés  dans  le  vice  :  ainsi,  comme 
vous  marchez  toujours  dans  le  précipice  ,  et 
qu'en  marchant  vous  vous  égarez,  que  vos 
passions,  qui  s'aigrissent  à  mesure  que  vous 
les  contentez,  vous  éloignent  de  plus  en 
plus  de  Jésus-Christ,  ah!  faut-il  s'étonner 
si  vous  êtes  allés  si  loin ,  dans  une  ré- 
gion si  éloignée,  qu'enfin  vous  vous  êtes 
perdus  et  si  l'égarement  du  prodigue  vous 
étonne,  étonnez-vous  vous-mêmes  sur  le  vô- 
tre ,  et  .songeant  qu'il  y  a  entre  ce  père  ten- 


dre et  vous  un  chaos  immense  qui  fait  que 
vous  n'en  approchez  plus  que  par  les  regards 
et  les  pensées ,  avouez  que  rien  ne  vous 
convient  mieux  que  le  sens  de  ces  paroles  : 
profectus  est  in  rcgionem  Icnginquam .  Le 
prodigue  s'en  est  allé  dans  un  pays  lointain. 
Ah  !  Seigneur,  qui  me  laissezaller  si  loin,  que 
vous  êtes  terrible  !  mais  aussi  que  vous  êtes 
miséricordieux  1  peut-être  qu'un  égarement 
extrême  m'aurait  laissé  moins  sensible  au 
retour  de  votre  grâce  ;  je  me  trouve  attendri 
sur  l'excès  de  mes  malheurs,  et  déjà  je  sens 
que  j'aurais  été  pécheur  plus  obstiné  si 
j'eusse  été  pécheur  moins  énorme  ;  profec- 
tus est  in  regionem  longinquam . 

Mais  comment  conserver  les  grâces  et  les 
précieux  dons  de  Dieu,  après  que  l'on  s'en  est 
si  fort  éloigné  par  la  révolte  et  par  le  crime. 
Le  prodigue  dissipa  son  bien  follement  dans 
ces  régions  perdues  :  et  ibi  dissipavit  sub- 
stantiam. 

Mes  frères  ,  je  ne  vous  l'annonce  qu'avec 
douleur,  et  vous  ne  vous  en  souvenez  peut- 
être  point  peut-être  assez  vous-mêmes: 
votre  éloignement  de  Dieu  a  été  en  vous 
une  dissipation  des  biens  de  la  nature  et  de 
ia  grâce  en  vous;  le  partage  de  l'homme,  c'est 
la  raison  que  Dieu  avait  attachée  à  notre  na- 
ture, mais  cette  raison,  le  vice  l'a  éteinte; 
cette  sainte  éducation  ,  mais  le  viee  l'a  dis- 
sipée; la  santé,  le  vice  l'a  ruinée  ;  les  ri- 
chesses ,  le  vice  les  a  prodiguées  ;  la  réputa- 
tion, le  vice  l'a  flétrie;  l'esprit,  le  vice  l'a 
aveuglé  ;  la  volonté,  le  vice  l'a  enchaînée  ;  la 
conscience,  le  vice  l'a  noircie;  le  partage 
d'un  chrétien  c'est  la  foi,  le  vice  l'a  étouffée; 
la  sainteté,  le  vice  l'a  profanée;  la  charité,  le 
vice  l'a  refroidie  ;  l'espérance ,  le  vice  l'a  af- 
faiblie ;  la  justice,  le  vice  l'a  anéantie;  la 
force,  Je  vice  l'a  vaincue;  la  prudence,  le 
vice  l'a  déréglée;  ce  n'est  plus  en  vous  que 
caprice  et  dérangement .  C'était  votre  cœur 
qui  était  votre  bien  le  plus  précieux ,  la 
source  de  tous  vos  biens,  et  le  péché  l'a  cor- 
rompue ;  les  bons  désirs,  la  constance,  l'a- 
mour, la  fidélité,  le  péché  a  détruit  tout  ce- 
la: vous  avez  dissipé  tous  ces  biens  depuis 
que  vous  avez  laissé  demeurer  le  vice  dans 
votre  âme.  Que  vous  dirai-je  encore?  ce 
fonds  heureux,  ces  inclinations  toutes  chré- 
tiennes, ce  noble  penchant  pour  la  vertu  et 
pour  le  bien  du  ciel ,  vos  passions  en  ont 
lait  une  dissipation  la  plus  triste  ;  peu  h 
peu  elles  ont  effacé  toutes  les  impressions 
saintes  que  Dieu  avait  mises  en  vous  ;  fait 
perdre  de  vue  ses  promesses,  oublier  ses 
bienfaits  ,  mépr  ser  ses  menaces,  violer  ses 
préceptes,  transgresser  ses  lois,  contraindre 
ses  maximes,  contrister  son  saint  esprit; 
anéantir  ses  joies,  ses  consolations,  ses  mé- 
rites, les  vertus  mêmes  que  vous  |  ratiquiez 
pendant  votre  innocence,  le  jeûne,  l'aumô- 
ne, la  prière,  les  lectures  pieuses,  la  mo- 
destie, l'humanité  ,  le  droit  bienheureux  à  la 
céleste  patrie,  car  tout  cela  était  votre  bien 
et  vous  l'avez  perdu  dans  le  temps  même 
que  vous  étiez  plus  près  d'en  recueillir  les 
fruits  salutaires: dissipavit  substantiam  suam 
vivendo  luxuriose. 


781 


CAREME.  —  SERMON  VIII,  DE  L'EfSfANT  PRODIGUE. 


Depuis  que  vous  êtes  livrés  à  tous  les 
désirs  impurs,  que  vous  avez  souillé  votre 
âme  par  les  sales  passions,  il  ne  vous  reste 
plus  un  seul  don  de  Dieu;  l'abus  et  la  perle 
de  ses  grâces  sont  les  plus  punissables  de 
vos  pécbés,  vous  avez  dissipé  tout  ce  qui 
vous  rendait  aimables  aux  yeux  de  Dieu  et  des 
hommes,  vous  vous  êtes  dégradés  de  la  noble 
dignité  de  chrétien.  Il  ne  vous  reste  plus 
rien  de  cet  heureux  partage  que  le  meilleur 
de  tous  les  pères  vous  avait  donné,  et  dans 
vos  égarements  vous  êtes  à  charge  à  vous- 
mêmes:  dissipavit  substantiam  suam  vivendo 
luxuri ose. Dans  cette  triste  situation,  que  pou- 
vez-vousyespérer?  Apprenez-le  de  l'exemple 
du  prodigue.  Et  postquam  umnia  consum- 
tnasset,  facta  est  famés  valida  inregione  Ma; 
après  qu'il  eût  consommé  tout  ce  qu'il  avait 
reçu,  survint  une  grande  famine  dans  le  pays 
où  il  était.  Loin  de  son  père,  ce  fils  dénaturé 
n'attendait  que  de  la  joie  et  du  plaisir,  et  il 
ne  trouve  que  désolation  et  que  misère  ;  c'est 
l.à  votre  sort,  pécheur  misérable  :  où  vous 
vous  promettiez  l'abondance  et  une  félicité 
parfaite,  vous  n'y  avez  éprouvé  que  la  faim 
et  le  vide,  famés  valida.  Les  apparences  du 
péché  vous  Uattaient  agréablement,  un  cœur 
encore  jeune,  sans  expérience,  et  qui  n'avait 
point  encore  fait  l'essai  des  plaisirs,  vous 
vous  y  êtes  enfin  livré  et  vous  y  avez  pris 
goût;  mais  bientôt  vous  avez  reconnu  qu'ils 
ne  sont  pas  ce  qu'ils  vous  paraissaient,  que 
bien  loin  de  vous  mettre  en  repos,  ils  ne 
causent  en  vous  que  trouble  et  qu'agitation, 
et  que  ce  que  vous  regardiez  comme  un 
rassasiement  et  un  bonheur  n'est  au  fond 
que  famine  et  misère  :  facta  est  famés  in 
regione  Ma. 

En  effet,  dans  quelque  région  que  le  cœur 
égaré  se  porte,  dans  quelques  passions  qu'il 
s'engage,  il  peut  dire  avec  vérité  cpie  tout 
amour  profane,  que  tout  bien  temporel  est 
pour  lui  un  pays  étranger  où  il  éprouve  la 
faim  et  l'indigence;  vous  avez  cherché  dans 
la  jeunesse  à  nourrir  votre  cœur  de  l'amour- 
propre  et  de  l'attachement  au  p.aisir,  et  loin 
de  se  contenter  dans  cette  situation,  il  vous 
est  devenu  à  charge  ;  vous  y  avez  trouvé 
mille  amertumes  secrètes,  et  en  croyant  vous 
y  rassasier,  vous  êtes  tombé  dans  une  faim 
plus  dévorante  et  plus  cruelle  ;  dans  un  âge 
plus  avancé,  le  brillant  des  honneurs  vous 
éblouissait  :  vous  avez  cru  devenir  plus  heu- 
reux en  devenant  plus  élevé,  vous  avez 
donné  dans  l'ambition  et  dans  la  vaine  gloire, 
dans  l'amour  des  distinctions,  et  vous  avez 
reconnu  que  ce  n'est  pas  là  la  vraie  félicité, 
que  loin  d'en  être  plus  tranquille,  vous  en  êtes 
plus  esclave,  et  qu'au  lieu  de  la  satisfaction 
que  vous  y  espériez,  vous  n'y  avez  éprouvé 
que  l'inanition  et  le  vide  :  facta  est  famés 
valida;  dans  la  vieillesse  vous  avez  cru  trou- 
ver votre  bonheur  dans  l'amour  des  biens 
et  des  richesses  de  la  terre,  vous  avez  tout 
usé,  tout  consommé  pour  en  amasser,  et  la 
seule  fortune  est  devenue  votre  idole;  mais 
vous  avez  senti  des  peines  trop  réelles  sous 
cette  apparente  félicité,  vous  avez  éprouvé 
que  plus  l'on  a  plus  on  veut  avoir,  que  loin 


782 

de  rassasier  votre  cœur  la  fortune  n'a  servi 
qu'à  l'affamer  davantage  :  facta  est  famés  va- 
lida in  regione  Ma. 

Vous  lavez  dit,  ô  mon  Dieu!  et  il  est 
vrai  que  vous  êtes  seul  la  vraie  félicité  de 
l'homme,  qu'il  n'y  a  que  vous  capable  de  le 
rendre  heureux.  Quel  malheur  à  celui  qui  se 
retire  de  vous,  et  dont  la  témérité  va  jusqu'à 
croire  qu'il  sera  heureux  sans  vousl  Jusques 
à  quand  nous  reposerons  -  nous  sur  une 
vaine  confiance  en  ce  monde  qui  n'a  point 
encore  fait  d'heureux,  et  qui  n'en  peut  jamais 
faire  ;  changeons  de  place,  essayons  de  tous 
ses  faux  biens,  laissons  ces  plaisirs,  rendons- 
les  plus  grossiers,  partout  nous  ne  trouverons 
que  des  peines  et  des  chagrins,  et  nous  serons 
toujours  forcés  d'avouer  que  quiconque  s'é- 
loigne de  Dieu  et  ne  l'a  pas  avec  soi  est 
misérable. 

A  ce  malheur,quelle  ressource?  Il  s'en  alla, 
dit  l'Evangile,  il  quitta  ce  pays  désolé  pour 
en  aller  chercher  un  meilleur,  et  abiit, 
c'est-à-dire  qu'il  passe  d'un  malheur  à  un 
autre;  car  voilà  le  sort  trop  ordinaire  au 
pécheur,  il  change  non  d'état,  mais  d'inquié- 
tude, non  de  cœur,  mais  d'objet  et  de  pas- 
sion :  et  adhœsit  uni  civium  regionis  Mius. 
Le  prodigue  s'en  va  dans  un  autre  pays  où 
il  ne  trouvait  pas  moins  de  misère  que  dans 
celui  d'où  il  sortait.  Il  se  mit  au  service  d'un 
maître  dans  ce  pays-là.  C'est  toujours  la 
figure,  et  vous  êtes  toujours  Fa  vérité  :  vous 
qui  vous  piquez  de  tant  de  liberté ,  voilà 
l'usage  que  vous  en  faites  en  avançant  dans 
les  voies  du  péché,  vous  devenez  esclaves 
d'autant  de  maîtres  que  vous  changez  d'ob- 
jets, d'autant  de  tyrans  que  vous  feues  de 
passions;  et  maîtres  absolus  de  votre  cœur, 
ils  semblent  tous  vous  dire  ce  qu'une  armée 
entière  disait  à  Samson:Nous  sommes  venus 
pour  vous  lier  et  pour  vous  enchaîner  :  Li- 
garefinquiunt,  te  venimus;  car,  si  vous  n'étiez 
point  esclaves,  de  quel  air  viendriez-vous  tous 
les  jours  nous  dire  que  vous  ne  sauriez  sortir 
de  l'état  du  péché,  qu'il  vous  est  impossible; 
que  pour  revenir  de  votre  passion,  il  faut  une 
grâce  toute-puissante  qui  vous  en  arrache, 
et  ne  dites  vous  point  encore  :  J'aime  ma 
captivité  !  pourquoi  donc  tant  de  fois  en  se- 
cret détestez-vous  le  malheureux  moment 
où  vous  vous  êtes  engagés  ;  pourquoi  si 
souvent  gémissez-vous  sur  le  poids  de  vos 
chaînes  et  regrettez-vous  les  plus  beaux 
jours  de  votre  vie  où  vous  n'avez  rien  fait 
de  ce  que  vous  auriez  voulu  faire,  et  qui, 
selon  votre  propre  aveu,  se  sont  passés  dans 
la  langueur  et  dans  un  triste  enchaînement 
dépassions?  Non-seulement  le  prodigue  passe 
de  l'indigence  extrême  au  plus  grand  escla- 
vage; mais  il  ajoute  l'ignominie  et  la  honte 
à  cette  nouvelle  misère.  Son  maître  l'envoya 
d'abord  à  une  de  ses  terres  de  campagne  pour 
y  garder  les  pourceaux. 

Tel  est  encore  le  progrès  de  vos  mal- 
heurs, mes  frères.  En  quittant  le  Père  cé- 
leste, vous  avez  voulu  être  heureux,  et  vous 
êtes  devenus  misérables  ;  vous  avez  voulu 
devenir  libres,  et  vous  êtes  devenus  cap- 
tifs ;  vous  aviez  présumé  d'être  grands,  et 


ÏS5 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SURIAN. 


784 


vous  êtes  tombés,  loin  de.  lui,  dans  la  der- 
nière bassesse.  Oui,  vous  qui  trouviez  trop 
pesants  et  trop  rudes  le  joug  et  les  lois  d'un 
Dieu  doux  et  miséricordieux;  vous  qui  ne 
vouliez  pas  servir  un  maître  le  plus  puis- 
sant et  le  plus  riche  de  tous  les  maîtres  ;  un 
souverain  qui  fait  les  royaumes  et  les  sou- 
verainetés et  dont  le  service  est  plus  glo- 
rieux mille  fois  que  l'empire  même  du 
monde;  vous,  dont  la  destinée  faisait  envie 
aux  anges  mêmes  ;  dont  le  culte  et  la  fidé- 
lité devaient  être  récompensés  d'une  cou- 
ronne immortelle,  d'un  torrent  de  délices; 
vous,  en  faveur  de  qui  avaient  été  faites  tant 
de  si  avantageuses  promesses,  vous  qui  étiez 
appelé  à  vous  nourrir  de  la  propre  chair 
d'un  Dieu,  à  manger  à  sa  table  sacrée,  et  à 
vous  rendre  participant  de  sa  divine  nature; 
pour  avoir  voulu  vous  éloigner  de  lui,  le 
quitter  et  servir  un  autre  maître,  vous  voilà 
dégradé  de  tous  ses  glorieux  privilèges, 
frustré  de  toutes  ses  abondantes  récompen- 
ses ;  vous  voilà  misérablement  réduit  à  la 
honteuse  condition  des  animaux  les  plus 
immondes;  vous  voilà  confondu  avec  eux, 
prive  des  aliments  les  plus  nécessaires  qui 
ae  sont  pas  refusés  aux  plus  misérables  des 
hommes;  obligé  de  souhaiter  pour  toute 
nourriture  les  glands  qu'ils  ramassent  dans 
la  fange,  vous  voilà  devenu  le  plus  infâme 
de  tous  les  pécheurs,  le  plus  vil,  le  plus 
haïssable  des  'mortels,  devenu  à  Dieu,  au 
monde,  à  vous-même  le  vilain  objet  de  mé- 
pris et  de  dégoût,  et  un  spectacle  d'horreur 
et  d'ignominie;  il  y  a  plus  encore,  dans  cette 
triste  situation,  vous  souhaiteriez,  et  vos 
souhaits  ne  seront  point  remplis;  Dieu  per- 
met que  vous  désiriez  encore,  et  que  tout 
manque  à  vos  désirs  comme  à  ceux  du  pro- 
digue qui  souhaitait,  pour  étourdir  sa  faim, 
remplir  son  ventre  du  gland  que  les  pour- 
ceaux mangeaient,  et  personne  ne  lui  en 
donnait;  c'est  la  triste  situation  du  pécheur, 
depuis  qu'il  sert  un  autre  maître  que  son 
Dieu;  il  désire  toujours  et  n'a  jamais  ce 
qu'il  désire  ;  tous  les  objets  remuent  ses 
passions,  et  aucun  ne  contente  ses  désirs; 
il  semble  que  deux  choses  opposées  sont 
d'accord  pour  le  tourmenter;  l'essor  qu'il 
donne  à  ses  désirs  et  le  mécompte  qu'il 
trouve  dans  les  objets  où  il  aspire,  tout  l'in- 
quiète, tout  le  trouble,  tant  est  vaste  le  fond 
cîe  ses  souhaits;  il  songe  qu'un  sort  plus 
digne  l'attend  et  le  redemande  ;  qu'un  parti 
plus  glorieux  lui  était  proposé,  et  il  ne  sent 
rien  au  dedans  de  lui,  il  ne  trouve  rien  au 
dehors  de  lui  qui  puisse  le  lui  procurer  et 
le  conduire;  le  prodigue  souhaitait  se  nour- 
rir des  écorces  que  les  pourceaux  man- 
geaient, et  personne  ne  lui  en  donnait  :  et 
nemo  illi  dabat. 

Quelle  image,  Messieurs,  et  qu'elle  est 
propre  à  peindre  votre  étatl  Vous  en  souve- 
nez-vous ?  Peu  touchés  des  plaisirs  purs  et 
honnêtes,  vous  êtes  allés  jusqu'à  souhaiter 
des  vices  horribles,  des  passions  honteuses; 
excellant,  pour  ainsi  dire,  le  sort  des  bêtes, 
vous  auriez  voulu  avoir  la  liberté  de  vous 
livrer  à  de  brutales  voluptés,  à  de  sales  dé- 


bauches; vous  étiez  prêts  de  connaître  les 
plus  grands  désordres  sans  vue  de  Dieu, 
sans  crainte  de  lui  déplaire,  sans  frayeur  de 
ses  redoutables  jugements  et  d'une  suite 
éternelle  de  peines;  toujours  courbés  et 
rampant  contre  terre,  vous  formiez  de  pro- 
fanes désirs,  mais  tout  se  soulevait  contre 
vous,  votre  conscience,  votre  pudeur,  votre 
salut,  votre  Dieu,  tout  combattait,  tout  ab- 
horrait ses  désirs  insensés,  et  rien  ne  vous 
en  favorisait  l'accomplissement  funeste  : 
Cupiebat  implere  rentrent  smim  de  siliquis 
quos  porci  manducabant,  et  nemo  illi  dabat. 

Voilà  pourtant  où.  pas  à  pas,  vous  a  con- 
duits cet  éloignement  de  Dieu;  ce  premier 
désordre  en  a  attiré  bien  d'autres  en  vous,  et 
vous  voilà  au  comble  de  vos  malheurs  ;  par 
quelque  endroit  que  vous  regardiez  la  pein- 
ture de  vos  égarements,  vous  vous  y  trou- 
vez toujours  tristement  représentés  ;  encore, 
si,  alarmés  de  vos  misères, yous  en  gémissiez; 
encore,  si  vous  sentiez  cette  miséricorde  in- 
finie qui  vous  cherche  jusque  dans  vos  plus 
atfreux  égarements  ;  encore,  si  vous  pouviez 
vous  déterminer  à  revenir  promptement  à 
Dieu  par  la  peine  qu'il  y  a  de  ne  point  y 
être,  je  serais  consolé  ;  mais  c'est  là  votre 
ouvrage,  ô  mon  Dieu!  frap)  ez-les  ces  pé- 
cheurs, humiliez-les,  effrayez-les,  morti- 
fiez-les, qu'importe,  pourvu  que  vous  les 
retiriez  de  l'abîme  où  ils  se  sont  plongés; 
ah!  quand  sera-ce  que,  dégoûtés  du  vice, 
ils  désireront  au  moins  la  pénitence?  quand 
sera-ce  que,  par  une  heureuse  récipis- 
cence,  ils  voudront  revenir  à  vous,  et  qu'a- 
près avoir  déploré  les  malheurs  de  leurs 
égarements,  nous  aurons  à  bénir  les  regrets 
de  leur  pénitence.  C'est  un  second  trait  du 
tableau  du  prodigue,  et  la  seconde  situation 
où  se  trouve  le  pécheur  qui  lui  ressemble. 
C'est  ce  que  vous  allez  voir. 

SECOND    POINT. 

On  ne  peut  revenir  à  Dieu,  dit  saint  Au- 
gustin, que  par  des  voies  contraires  à  celles 
qui  en  sont  éloignées;  sur  ce  principe,  mes 
frères,  rappelez  les  circonstances  de  vos  éga- 
rements, vous  y  allez  voir  successivement 
les  devoirs  de  votre  pénitence.  La  dissipa- 
tion vous  éloigna  de  Dieu;  le  premier  pas 
que  vous  avez  à  faire  pouf  y  revenir,  c'est 
de  rentrer  en  vous-même;  ensuite,  le  goût 
des  choses  du  siècle  vous  fit  abandonner  le 
Seigneur;  le  premier  pas  que  vous  avez  à 
faire  est  d'en  concevoir  du  dégoût  pour 
vous  attacher  à  la  piété  et  aux  exercices 
saints.  Enfin  un  attachement  au  péché  vous 
fit  oublier  le  plus  tendre  des  pères  ;  le  pre- 
mier pas  que  vous  avez  à  faire  dans  la  péni- 
tence, c'est  de  vous  en  retirer  et  de  retour- 
ner à  votre  Père.  Eclairez-moi,  Seigneur, 
par  vos  miséricordes  ,  afin  que  j'expose  uti- 
lement aux  pécheurs  qui  m'écoutent  les 
voies  que  vous  leur  avez  tracées  dans  l'é- 
vangile de  ce  jour,  pour  retourner  à  vous. 
Vous  voyez  dans  mon  cœur,  exaucez-y  le 
désir  que  j'ai  qu'ils  reviennent  comme  le 
prodigue,  au  meilleur  et  au  plus  aimable  do 


rss 


CAREME.  —  SERMON  VIII,  DE  L'ENFANT  PRODIGUE. 


786. 


tous  les  pères,  in  se  autem  reversas.  Le  voilà 
donc-  enfin  reconnu  ce  goutïre  de  misères; 
il  n'aurait  fallu  que  le  voir  pour  concevoir 
toute  l'horreur  que  cause  une  si  triste  vue. 
Pécheurs,  commencez  donc  à  revenir  à  vous- 
mêmes.  Comme  votre  crime  est  venu  d'être 
sorti  de  vous-mêmes,  il  faut  que  votre  péni- 
tence soit  d'y  rentrer  :  Redite, prœvaricatores, 
ad  cor  (Isa.,  XLVI).  Quelquefois  un  pécheur 
passera  toute  sa  vie  sans  se  voir,  sans  se  sui- 
vre; mais  quand  en  cet  état  d'absence  Dieu 
commencée  porter  sa  lumière  dans  un  cœur, 
dès  lors  les  offenses  se  multiplient,  les  cri- 
mes se  grossissent,  le  pécheur  a  horreur  de 
lui-même,  quand  il  daigne  se  montrer  à  ses 
yeux,  quand  des  réflexions  salutaires  le  rap- 
pellent à  Dieu,  car  c'est  en  nous-mêmes  et 
non  dans  le  tumulte  du  monde,  qu'il  se 
veut  faire  entendre  ;  il  est  en  nous  pour 
que  nous  le  voyions;  il  nous  y  parle  secrè- 
tement par  ses  inspirations  et  ses  grâces, 
afin  que  nous  l'y  écoutions.  Quand  donc  il 
plaît  au  Seigneur  de  faire  sentir  au  pécheur, 
dans  la  solitude  intérieure,  le  triste  état  de 
son  âme ,  quel  reproche  ne  se  fait-il  pas  à 
lui-même;  quand  une  fois  il  aperçoit  les  dé- 
sordres, peut-il  encore  les  aimer?  Ahl  il 
tombe  dans  un  dégoût  de  lui-même,  et  a 
peine  à  se  supporter  :  in  se  autem  reversus 
dixit.  Misérable  que  je  suis/ se  disait  le  pro- 
digue à  lui-même  ;  et  vous  le  pouvez  dire 
après  lui,  pécheurs  qui  lui  ressemblez  si 
fort;  puis-je  me  voir  sans  frémir,  depuis 
que  j'ai  quitté  la  voie  du  salut,  en  quittant 
mon  Dieu.  Quel  enchaînement  de  désordres, 
ma  vie  en  a  été  toute  remplie,  toutes  mes 
paroles  ont  été  autant  d'infidélités,  mes  pen- 
sées autant  d'adultères,  de  fornications;  tou- 
tes mes  actions  ont. été  des  crimes;  encore 
si  dans  tous  ces  vices  mon  cœur  s'était  trouvé 
heureuxl  Mais  quand  je  viens  à  me  considé- 
rer de  près,  que  trouverai-je  en  moi ,  qu'un 
infortuné  coupable  que  tout  alarmait,  que 
tout  inquiétait;  mes  passions  me  sont  plus 
contraires  que  favorables;  je  traîne  une  mi- 
sérable vie  qui  m'est  à  charge  à  moi-même, 
et  qui  peut-être  l'est  encore  à  bien  d'autres. 
Je  ne  sens  dans  moi  qu'une  âme  très-em- 
barrassée ,  qu'un  cœur  serré,  qu'une  con- 
science troublée.  Sont-ce  donc  là  les  plai- 
sirs que  je  me  promettais,  loin  de  la  maison 
de  mon  père?  est-ce  là  ce  qui  convenait  à 
mon  cœur?  ne  eomprendrai-jc  donc  jamais 
toute  l'extravagance  de  ma  conduite?  son- 
geai-je,  en  quittant  mon  Sauveur,  qu'il  y  a 
un  enfer,  un  jugement,  une  mort,  une  éter- 
nité, un  Dieu  vengeur  du  crime  et  de  l'ini- 
quité? pensai-je  qu'il  y  a  aussi  un  ciel,  une 
miséricorde,  une  vie  éternelle,  une  patrie, 
une  maison  paternelle  où  j'étais  appelé,  et 
où  vivent  tant  de  serviteurs  de  mon  père, 
dans  une  abondance  délicieuse,  tandis  que 
je  meurs  de  faim  et  de  misère  :  Quanti  mer- 
cenarii  in  domo  patris  mei  abundant  pani- 
bus,  ego  autem  hic  faine  pereo;  car  voilà  le 
sentiment  naturel  que  produit  dans  le  pro- 
digue son  retour  sur  lui-même. 

Mais  de  cette  parole  d'affliction  et  de  mi- 
sère :  Je  meurs  de  faim  :  famé  pereo,  naissent 


ces  autres  paroles  de  pénitence  et  de  con- 
version :  surgam  et  iho  ad  palrem  meum.  Je 
me  lèverai  et  j'irai  trouver  mon  père.  Ahl 
comme  le  prodigue,  dites  donc:  Mes  égare- 
ments, mes  crimes,  m'ont  affaibli  ;  mais  je 
ferai  un  effort,  et  quelle  raison  pourrait  me 
retenir  dan»  l'état  où  je  suis,  mais  Dieu  est 
ma  force,  et  si  j'ai  été  si  fort  pour  le  crime, 
ne  serai-je  donc  faible  que  pour  la  vertu.  Ah  1 
si  je  pense  encore  à  tous  ces  détestables  en- 
gagements, ce  n'est  que  pour  demander  à 
mon  Dieu  la  force  pour  les  combattre.  Quoi, 
encore  la  vue  de  mes  péchés  qui  sont  en  si 
grand  nombre  ;  mais  la  vue  de  vos  miséri- 
cordes plus  grandes  encore  que  mes  crimes, 
ne  m'encourage-t-elle  pas  assez  à  retourner 
à  vous?  Grand  Dieu  1  jusqu'ici  j'ai  perdu  tout 
mon  bien ,  mon  héritage,  mon  rang,  ma  li- 
berté ;  j'ai  souffert  la  faim,  la  pauvreté,  l'es- 
clavage, la  honte  ;  mais  tout  cela  me  touche 
peu  ;  ce  qui  m'afflige,  c'est  d'avoir  pu  offen- 
ser un  si  bon  Père  -.peccavi.  Mon  père,  j'ai 
péché  ;  que  deviendrais-je  si  je  confessais 
mes  péchés  sans  trouver  en,  même  temps  un 
père  tendre  qui  me  les  pardonne.  Ah  !  si  tout 
égaré,  tout  rebelle  que  j'étais,  vous  n'avez 
point  cessé  d'être  mon  Père,  ne  puis-je  pas 
espérer,  qu'étant  tout  en  pleurs,  j'implorerai 
votre  miséricorde,  et  vous  me  pardonnerez, 
mon  Dieu.  Vous  avez  à  signaler  vos  grâces; 
voici  comment  j'ai  péché  contre  le  ciel  par 
mon  impiété,  par  mes  murmures;  j'ai  péché 
contre  le  ciel  dont  j'ai  violé  les  lois,  profané 
les  dons,  méprisé  les  couronnes;  contre  le 
ciel  que  j'ai  rendu  le  triste  témoin  de  tant 
d'horreurs  et  de  tant  de  scandales;  mais,  si 
le  repentir,  si  la  douleur  sincère  tiennent 
lieu  d'innocence,  et  s'il  est  un  grand  moyen 
pour  en  obtenir  le  pardon,  je  me  justifierai 
par  ces  paroles:  Pater,  peccavi  coram  te. 
Voilà  dans  ces  courtes  paroles  tous  les  ca- 
ractères d'une  pénitence  vraie  :  accusation, 
douleur,  expiation;  je  ne  suis  plus  digne 
que  vous  me  regardiez  comme  un  de  vos 
enfants ,  mais  souffrez-moi  du  moins  comme 
un  de  ces  serviteurs  qui  sont  à  vos  gages  : 
Jam  non  sum  dignus  vocari  filius  tuus,  fac 
me  sicut  unum  de  mercenariis  tuis.  Au  re»tc, 
tous  ces  sentiments  de  retour  que  vous 
venez  de  voir  dans  le  prodigue,  ne  sont  que 
dans  son  cœur  comme  le  fruit  dans  son 
germe;  jusqu'ici  en  .ui  ce  ne  sont  que  des 
résolutions,  que  des  projets  ;  mais  qu'ajoute 
l'évangile?  et  surgens  venit  ad patrem  suum; 
il  se  relève  enfin,  il  part  et  vient  trouver  son 
père. 

Mes  frères,  que  cet  exemple  vous  con- 
damne !  Combien  d'entre  vous,  aux  appro- 
ches des  saints  jours  où  la  conscience  se  ré^ 
veille  après  un  de  nos  discours,  se  disent 
à  eux-mêmes  :  Je  me  lèverai,  j'irai,  je  me 
convertirai,  et  cependant  ne  se  lèvent  point, 
ne  viennent  point  et  ne  se  convertissent 
point,  ou,  s'ils  font  quelques  pas  vers  la 
vertu,  laissent  toujours  par  quelque  en- 
droit leur  cœur  attaché  au  mal,  ce  qui 
fait  que  le  désir  du  salut  n'avance  point  ; 
qu'à  quelques  conditions,  à  quelques  pa- 
roles près,  tout  le  reste  de  vous-mêmes  de- 


787 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  Sl'RlAN. 


?83 


meure  dans  le  crime;  et  qu'au  fond  vous  ne 
voulez  po.nt  votre  conversion. 

Funeste  état,  vous  n'avez  point  été  celui 
du  prodigue;  ce  qu'il  a  résolu  dans  son 
cœur,  il  l'exécute  dans  ses  œuvres,  il  se  hâte 
de  retourner  à  son  père,  il  en  approche  en- 
fin et,  dès  que  ce  père  tendre  l'aperçoit  de 
loin,  il  s'attendrit  sur  lui,  ses  entrailles  s'é- 
meuvent de  pitié,  il  éclate  en  pleurs,  et  cet 
enfant,  indigne  qu'il  est,  reçoit  autant  de 
consolation  dans  son  retour  qu'il  avait 
éprouvé  de  honte  dans  son  égarement.  Vous 
venez  de  voir  ses  regrets,  qu'il  vous  sou- 
vienne que  je  vous  ai  promis  les  consola- 
tions de  pénitence. 

Cum  autem  adhuc  longe  esset,  vidit  illum 
pater  ipsius  et  misericordia  motus  est.  Voici 
enfin  le  plus  bel  endroit  de  la  parabole  et 
que  j'aime  le  plus  à  vous  expliquer.  Tout  va 
prendre  une  face  nouvelle;  mon  sujet  de- 
vient tout  consolant;  infortuné  pécheur ,ayez 
courage;  vous  allez  voir  jusqu'où  va  la  mi- 
séricorde divine:  d'abord  elle  prévient 
l'homme  coupable,  comme  le  père  tendre 
prévient  son  fils  dès  qu'il  veut  revenir  à 
lui;  il  court  au-devant  de  lui,  ensuite  il  lui 
en  fait  sentir  une  joie  si  douce;  il  se  jette  à 
son  cou  :  exeidit  super  collum  ejus.  11  l'ad- 
met à  sa  table,  le  rétablit  dans  tous  ses 
droits,  et  le  fait  participant  de  ses  mystères, 
de  ses  grâces. 

Mes  frères,  suivons  ces  circonstances,  fi- 
nissons notre  évangile  et  achevons  l'œuvre  de 
Dieu.  En  finissant  ce  discours,  son  père  le 
vit  de  loin.  Que  les  yeux  d'un  père  qui  a 
perdu  son  fils  sont  perçants  ;  sentant  à  son 
aspect  se  réveiller  toute  sa  tendresse,  il  court 
vers  lui  et  fait  les  premières  démarches. 
Peut-être  un  autre  père  aurait  attendu  le 
prodigue  et,  feignant  son  amour,  aurait  peut- 
être  fait  des  reproches  à  ce  fils  dénaturé; 
mais  parce  que  ce  père  signifiait  Dieu,  il 
fallait  qu'il  se  laissât  aller  au  désir  empressé 
de  se  réconcilier  avec  son  enfant  :  occurrens, 
et  voilà  la  première  consolation  de  Dieu. 
Le  pécheur  à  son  retour:  non-seulement  ce 
père  tendre  le  voit  de  loin;  ce  regard  que  vit 
saint  Pierre  et  qui  le  convertit,  et  que  David 
demandait  avec  tant  d'ardeur  ;  mais,  quand  ce 
moment  prédestiné  dans  ses  décrets  est 
enfin  arrivé,  il  va  au-devant  du  pécheur  et 
lui  facilite  les  moyens  de  revenir  contre 
tous  les  obstacles  qui  pourraient  le  retenir; 
car,  hélas,  que  faudrait-il  pourarrêter  en  che- 
min un  pécheur  encore  faible  qui,  du  milieu 
de  ses  égarements,  forme  le  désir  de  reve- 
nir à  la  pénitence  ;  tout  le  retient,  tout  l'em- 
pêche d'avancer;  les  objets  trop  chéris  qui 
se  présentent  à  son  souvenir;  qui,  pour 
l'arrêter  au  passage,  lui  retracent  tous  leurs 
charmes  et  se  peignent  plus  aimables  que  ja- 
mais dans  son  imagination  encore  toute  trou- 
blée, armée  de  ce  qu'il  a  de  plus  terrible  et  de 
plus  doux;  de  ses  censures, de  ses  railleries, 
de  ses  menaces  pour  épouvanter  le  pécheur, 
oe  ses  joies,  de  ses  plaisirs,  de  ses  hon- 
neurs, de  ses  richesses,  de  ses  fêtes,  de  ses 
images  toujours  plus  belles  que  lui  et  plus 
dangereuses  encore;  car,  on  peut  se  laisser 


prendre  par  ces  paroles  qui  ne  sont  en  lui 
qu'illusion,  au  lieu  que  la  vérilé  de  ses 
chagrins ,  la  réalité  de  ses  peines,  n'est-ce 
pas  là  de  quoi  arrêter  en  chemin  le  malheu- 
reux penchant  du  pécheur. 

Aussi  saint  Jean,  dans  son  Apocalypse, 
dit  que  les  habitants  de  la  terre  ont  été  sé- 
duit, non-seulement  en  ce  qu'ils  ont  adoré 
la  bête,  mais  même  son  image  :  et  seduxit 
habitantes  in  terra  dicens  ut  faciant  imagi- 
nent bestiœ.  (Apoc,  XIII.)  Par  comhien 
d'obstacles  ce  pécheur  n'est-il  pas  encore 
arrêté:  le  respect  humain,  la  fausse  honte, 
l'embarras  des  affaires,  les  austérités  de  la 
vertu,  le  sentier  étroit  du  salut,  tout  étonne 
sa  pénitence,  tout  alarme  sa  délicatesse  ;  mais 
que  fait  ce  père  tendre  à  qui  il  veut  retour- 
ner, il  le  prévient,  il  court  au-devant  de 
lui,  il  lui  offre  du  secours  et  lui  facilite  toutes 
les  voies  qui  ramènent  à  lui.  Dieu  fait,  à 
l'égard  du  pécheur,  ce  que  lui  demandait  le 
Prophète.  Je  me  suis  égaré  comme  une  bre- 
bis qui  se  perd,  Seigneur,  cherchez  votre 
serviteur:  Erravi  sicut  ovis  quœ  periit; 
quœre  servum  tuum.(Psal.,  CXVIII.)  Avouez- 
le,  Messieurs,  Dieu  vous  cherche  partout, 
et  dès  que  vous  voulez  revenir  à  lui,  il  va 
au-devant  de  vous.  Etes-vous  dans  son 
temple,  c'est  par  des  inspirations  plus  pres- 
santes, par  des  instructions  plus  touchantes 
qu'il  va  au-devant  de  vous;  êtes-vous  dans 
la  solitude,  c'est  par  des  réflexions  plus  pro- 
fondes et  des  méditations  plus  sublimes; 
venez-vous  dans  nos  sacrés  tribunaux,  c'est 
par  une  accusation  bien  plus  circonstanciée, 
par  un  propos  plus  ferme,  par  des  regrets 
plus  sensibles  ;  êtes-vous  dans  les  engage- 
ments du  monde,  c'est  par  un  détachement 
universel,  et  en  vous  faisant  choisir  unobjet 
qui  soit  plus  digne  de  vous.  Enfin,  tout  vous 
porte  dans  la  voie  de  Dieu  quand  vous  vou- 
lez sincèrement  marcher  partout.  Je  crois 
voir  ce  père  miséricordieux  qui,  avec  toute 
sa  tendresse,  court  après  son  fils  égaré, 
craignant,  ce  semble,  qu'un  objet  si  cher  ne 
lui  échappe. 

Plût  à  Dieu,  pécheurs,  que  vous  puissiez 
éprouver,  et  que  tous  ceux  qui  forment  quel- 
que dessein  de  conversion,  vissent  dans  le 
cœur  de  Jésus-Christ  toute  la  tendresse  qu'il 
a  pour  eux,  qu'ils  connussent  dans  ce  père 
tendre  tout  ce  qu'il  est  prêt  de  faire  et  tout 
ce  qu'il  fait  pour  un  pécheur  qui  revient  à 
lui;  qu'ils  envisageassent  ce  fonds  de  joie  qui, 
non-seulement  les  encourage  dans  leur  sa- 
lutaire dessein,  mais  les  aide  et  les  soulage, 
et  leur  fait  oublier  qu'ils  sont  coupables 
pour  se  souvenir  uniquement  qu'ils  lui  sont 
chers.  Oui,  mon  Dieu,  accompagné  d'une 
impression  plus  vive,  les  premiers  efforts 
d'un  pécheur  qui  veut  rentrer  dans  ses 
voies,  il  lui  fait  sentir  ce  goût  des  choses 
spirituelles  que  l'homme  grossier  et  charnel 
ne  goûte  point;  il  lui  fait  trouver  agréable 
jusqu'à  ses  peines,  et  des  charmes  à  fondre 
en  pleurs  à  ses  pieds;  il  lui  fait  enfin  com- 
prendre par  lui-même,  combien  il  est  doux 
d'être  uni  à  son  Dieu,  malgré  toutes  les 
épreuves  capables  de  s'en  séparer,  combien 


789 


CAREME.  —  SERMON  IX  ,  DE  L'AUMONE. 


780 


il  est  délicieux  do  l'avoir  pour  père ,  pour 
ami,  pour  maître;  d'être  entre  ses  bras,  de 
recevoir  ses  chastes  embrassements  :  Ceci- 
dit  super  collum   ejus  et  osculatus   est  eum. 

Enfin,  la  dernière  consolation  que  le  père 
de  famille  donne  à  son  fils  retrouvé,  nous 
est  marquée  par  l'empressement  qu'il  a  de  le 
voir  rétabli  dans  tous  ses  droits;  et  dans  les 
marques  singulières  d'honneur  qu'il  lui  fait 
rendre.  11  dit  à  ses  serviteurs,  allez  vite  cher- 
cher sa  première  robe  et  l'en  revêtez,  mettez- 
lui  un  anneau  au  doigt,  une  chaussure  neuve 
aux  pieds,  et  apportez  le  veau  gras  pour 
manger  et  nous  réjouir  avec  lui  :  Cito  pro- 
ferte  stolam  primam  et  induite  illum.  Mes- 
sieurs, dans  ce  père  attendri  que  de  traits 
d'amour!  Il  ne  sait  que  faire  à  ce  fds  re- 
trouvé, biens,  honneurs,  festins,  distinc- 
tions, il  ne  sait  que  lui  offrir. 

Ainsi  parle  Jésus-Christ  aux  pécheurs  pé- 
nitents :  cito  proferle  stolam  primam.  C'est- 
à-dire  qu'on  lui  rende,  dit-il  à  ses  minis- 
tres, par  l'absolution  son  innocence  pre- 
mière, cette  robe  pure  sans  laquelle  il  ne 
peut  être  reconnu  pour  mon  enfant,  qu'on  la 
revête  de  mon  esprit,  de  mes  grâces,  de  mes 
mérites,  de  mes  vertus;  car,  selon  l'Apôtre 
saint  Paul,  Jésus-Christ  doit  être  notre  vête- 
ment, et  nous  devons  nous  en  revêtir  :  et 
induite  illum  ;  date  annulum  in  manum  ejus  ; 
qu'on  lui  donne  un  anneau  au  doigt;  c'est- 
à-dire  qu'après  avoir  porté  si  longtemps  le 
caractère  de  pécheur,  on  voie  briller  en  lui 
les  traits  de  l'homme  juste;  qu'après  avoir 
vécu  en  dégradé,  on  lui  rende  les  premiers 
titres  de  noblesse,  et  que,  s'étant  rendu  digne 
de  l'enfer;  on  le  rétablisse  dans  le  droit  qu'il 
avait  à  la  patrie  sainte  :  et  ealceamenta  in 
pedes  ejus;  qu'on  lui  mette  des  souliers  aux 
pieds;  c'est-à-dire  qu'on  lui  fournisse  des 
puissants  secours ,  des  moyens  faciles  et 
ofïicaces  pour  marcher  d'un  pas  ferme  dans 
les  pures  voies  du- ciel,  sans  toucher  aux 
sales  voluptés  de  la  terre  :  et  adducite  vitu- 
lumsaginatum. Amenez  le  veau  gras,  qu'on  le 
tue,  et  que  nous  le  mangions  ensemble; 
c'est-à-dire  qu'on  le  réconcilie,  qu'on  l'ad- 
mette à  la  table  sacrée  de  Jésus-Christ,  qu'on 
le  nourrisse  de  sa  chair  adorable  :  sympho- 
niam  et  chorum;  qu'il  soit  reçu  à  l'harmo- 
nie sacrée  de  l'Eglise,  qu'il  chante  un  can- 
tique d'actions  de  grâces  et  qu'il  participé 
au  doux  concert  des  anges  et  des  saints. 

Ainsi,  toute  la  maison  du  Seigneur  est 
faite  pour  le  retour  du  pécheur.  C'est  à  cette 
occasion  et  dans  ce  temple,  où  il  me  semble 
entendre  la  joie  des  esprits  célestes  sur  la 
conversion  du  pécheur,  sur  la  brebis  égarée 
ramenée  au  bercail  :  mais  Dieu  ne  doit-il 
pas  avoir  ici  une  joie  d'autant  plus  grande 
que  son  espérance  était  plus  éloignée,  la 
joie  de  recouvrer  un  bien  perdu  est  plus 
grande  que  de  l'avoir  toujours  possédée,  un 
plaisir  est  plus  sensible  après  la  privation 
qu'avant  la  possession.  Et  c'est  ce  qui  fait 
dire  à  Jésus-Christ,  comme  au  père  du  pro- 
digue sur  les  plaintes  de  son  aîné:  Faux  jus- 
tes, vous  murmurez  de  la  compassion  et  des 
larmes  que  je  verse  sur  le  retour  de  ce  pé- 


cheur pénitent,  et  commeit  ne  m'attendri- 
rais-je  pas  en  cette  occasion?  Je  cro, ais  mon 
enfant  mort  et  il  est  ressuscité  ;  je  le  croyais 
perdu  et  je  le  retrouve;  je  ne  m'attendais 
plus  à  le  revoir  et  je  le  retiens  entre  mes 
bras;  je  le  pleurais  contre  toute  espérance, 
le  voici  revenu  dans  mon  sein  ;  je  voulais  en 
faire  un  élu,  et  le  voici  soumis  à  mes  vo- 
lontés; qu'il  soit  à  jamais  dans  le  ciel  com- 
blé de  mes  délices,  qu'on  excite  par  toute 
sorte  d'endroits  ma  joie  et  ma  consolation,  et 
comment  voudriez-vous  que  j'en  usasse  au- 
trement :  epulari  autem  et  gaudere  oportcbat 
quia  frater  tuus  hic.  mortuus  erat  et  revixit, 
pericrat  et  inventusest.  Sort  fortuné,  partage 
aimable!  Que  tardez-vous,  âmes  pécheresses, 
à  devenir  de  bienheureux  objets  de  la  joie 
de  votre  Dieu?  Il  y  a  si  longtemps  qu'il  vous 
pleure,  qu'il  vous  cherche,  ne  vous  possé- 
dera-t-il  jamais,  ne  devinerez -vous  point 
toute  la  parabole  de  cette  vérité?  Vous  avez 
été  si  longtemps  l'enfant  prodigue:  quand 
serez-vous  l'enfant  réconcilié,  où  sont  vos 
excuses  pour  ne  point  revenir  à  Jésus-Christ? 
N'avez-vous  pas  au  contraire  mille  raisons 
d'y  revenir,  les  mystères  qui  approchent,  les 
grandes  solennités  qu'on  vous  annonce, 
toute  l'Eglise  en  prières,  la  voix  de  ses  mi- 
nistres, qui  vous  annonce  cette  parabole 
toute  faite  pour  vous,  vos  années  qui  s'é- 
coulent, l'éternité  qui  avance,  votre  vie  toute 
déplorable  sans  votre  Dieu  ;  ce  Dieu  lui- 
même,  qui  vous  ouvre  ses  trésors  et  son 
sein,  qui  vous  tend  ses  bras,  qui  fait  parler 
ici  sa  passion,  ses  plaies,  sa  miséricorde,  sa 
patience,  son  cœur,  son  amour,  tout  lui- 
même,  et  vous  tiendrez  contre  tant  de  voix 
si  touchantes  et  si  fortes? 

Non,  mon  Dieu  1  Je  n'en  ai  pas  la  force, 
recevez-moi,  bonlé  suprême,  lorsque  je  re- 
viens à  vous,  convaincu  que  loin  de  vous 
l'on  est  perdu  ;  je  viens  me  jeter  entre  les 
bras  de  votre  miséricorde  :  c'en  est  fait,  ici 
commence  mon  bonheur,  ici  finit  ma  misère  ; 
déjà  je  sens  un  bienheureux  repos  en  vous, 
et  avec  vous,  lorsque  je  me  dis  à  moi-même: 
Non,  l'objet  de  tant  de  tendresse  ne  périra 
point,  me  voilà  pénitent  dans  votre  maison 
sainte;  j'irai  vivre  auprès  de  vous  comme 
un  enfant  soumis  et  fidèle,  bien  résolu  de 
ne  voir,  de  n'aimer  que  mon  père  ;  jusqu'à 
ce  que  ce  même  père,  qui  me  reçoit  aujour- 
d'hui si  misérieordieusement,  m'unisse  h 
lui  dans  le  centre  de  sa  gloire  pour  en  jouir 
éternellement.  C'est  ce  que  je  vous  souhaite 
au  nom  du  Père  et  du  Fils  et  du  Saint- 
Esprit.  Amen. 

SERMON  IX. 

ne   l'au m.o n b. 

Accepit  Jésus  panes  et  cum  gratias  egisset  distribuit 
discumbentibus.siniiliter  et  ex  piscibus -quantum  volebant. 
(Joan..  VI.) 

Jésus  prit  des  pains,  et  après  avoir  rendu  grâces  à  son 
Père,  il  les  distribua  à  ceux  qui  étaient  présents,  il  en  fit 
de  même  des  poissons  et  ils  en  eurent  autant  qu'ils  en  vou- 
laient. 

Ce  qu'il  y  a  de  plus  consolant,  mes  frères, 
dans  la  morale  de  Jésus-Christ,  c'est  que  les 


m 


ORATEURS  SACHES.  LE  P.  SU  RI  AN. 


exemples  y  vont  toujours  à  côté  des  précep- 
tes. Non  content  de  nous  avoir  fait  en  mille 
endroits  de  l'Evangile    un   commandement 
do  l'aumône ,    ce    Sauveur     aimable    veut 
encore    aujourd'hui     sur    la    montagne    la 
pratiquer  lui-même,  pour  nous  encourager 
a  la  faire.  Déjà,  qu'y  avait-il  dans  le  monde 
qui  ne  nous  en  fit  une  leçon?  toutes  les  cho- 
ses de  l'univers,    qui  fournissent  aux    be- 
soins   de   l'homme  ;   cette  entière  destina- 
tion des  créatures  à  le  conserver,  l'idée  seule 
d'une  providence  qui  dans  le  partage   iné- 
gal qu'elle  a  fait  des  biens  serait  cruelle  et  in- 
juste, si  elle  ne  nous  supposait  généreux,  su- 
jets aux  mêmes  faiblesses  qu'eux,  aux  mêmes 
révolutions,   aux   mômes   misères,   et   par 
conséquent  intéressés  aux  mêmes  secours, 
à  la  môme  pitié,   à  la  même  assistance  ;  ce 
germe  d'amour  mutuel  que  Dieu  a  mis  au 
fond  de  nos   âmes;  cet   attendrissement   de 
nos  cœurs,  qui  nous  porte  à  plaindre  ou  à 
soulager  tout  ce  qui  est  malheureux;cesliens 
de  la  société,  qui  doivent  tous   nous  unir 
comme  sujets  du  même  souverain,  comme 
serviteurs  du  môme   maître,  comme  mem- 
bres du  môme  chef,  et  qui  de  tous  les  hom- 
mes ne  doit  faire  qu'un  seul  homme;  le  res- 
pect môme  que  nous  devons  aux  pauvres, 
qui  sont  l'image  d,'un  Dieu,  ses  amis,  ses 
favoris;  l'intention  expresse  de  l'auteur  de 
nos  biens,  qui  les  destine  à  l'usage  de  cha- 
cun en  particulier;  enfin,  les  promesses  in- 
faillibles faites  à  l'homme  compatissant,  les 
menaces  terribles  réitérées  dans   les  deux 
Testaments  contre  les  cœurs  impitoyables, 
l'avantage  que  nous  avons  de  faire  tous  en- 
semble un  même  corps  de   religion,  dont 
Jésus-Christ  est  le  chef,    et  dont  chacun  de 
nous  est  une  portion  :  que  dirai-je  encore, 
la  conversion  des  mœurs,  la  mort  de  la  cupi- 
dité, la  persévérance  dans  la  vertu,  la  paix, 
le  salut,  la  gloire,  le  ciel  donné  aux  mérites 
de  l'aumône,    seule   dépositaire  des  miséri- 
cordes de  Dieu,  et  moins  une  grâce  particu- 
lière que  toutes  les  grâces  ensemble,  il  n'y 
avait  rien  qui  n'eût  déjà  établi  la  loi  divine 
de  l'aumône.  Mais  qu'aujourd'hui  l'exemple 
du  Sauveur,qui,  pouvant  par  d'autres  moyens 
rassasier  ces  troupes  nombreuses  qui  le  sui- 
vent dans  le  désert,  veut  cependant  le  faire 
de  ses  propres   mains,  ajoute  un  nouveau 
trait  à  ce  précepte.  Aussi  je  ne  viens  pas 
vous  le    prouver  :    cet  exemple  de   Jésus- 
Christ  est  une  preuve  si  sublime  et  si  forte, 
qu'elle  défend  de  douter;  mais  je   viens,  ri- 
ches du  siècle,  ôter  à  votre  dureté  toute  ap- 
parence d'excuse,   et  vous  montrer    que  ce 
précepte    vous    regarde    personnellement, 
.l'ose  défendre  ici  la  cause  des  pauvres   et 
des  petits  contre  l'insensibilité  des  grands 
ot  des  opulents  de  la  terre;  je  viens,  sans 
partager  autrement  ce  discours,  vous  mon- 
trer que  tous  les  prétextes  dont  vous  vous 
servez  pour  vous  dispenser  de   faire   l'au- 
mône, en  sont  des  motifs  plus  pressants  et 
plus  naturels.  Je  les  réduis  tous  à  deux  sor- 
tes :  les  uns  sont  généraux,  tirés  de  la  na- 
-urc    mémo  des  biens  et  du   précepte;  les 
Vitres  sont  particulier,  lires  de  l'état   el  île 


la  condition.  Les  premiers  sont  injustes,  les 
deuxièmes  téméraires,  voilà  tout  mon  des- 
sein. Ah  !  que  ce  point  est  décisif  pour  vous, 
riches  du  monde,  c'est  maintenant  que  nous 
allons  voir  si  vous  appartenez  à  la  miséri- 
corde du  Seig-neur  ou  à  sa  colère,  si  vous 
portez  en  vous  le  sceau  de  prédestiné,  ou  le 
caractère  affreux  de  réprouvé;  nous  allons 
voir,  en  un  mot,  si  vous  êtes  charitables,  et 
juger  par  conséquent  si  vous  êtes  chrétiens. 
Examinons-les  après  avoir  salué  Marie.  Ave, 
Maria. 

PREMIER    POINT. 

Trois  prétextes  semblent  d'abord  dispen- 
ser les  riches  du  précepte  de  l'aumône;  mes 
biens  sont  à  moi,  je  les  possède  par  des  voies 
légitimes,  voilà  le  premier;  l'aumôhe  n'ett 
qu'une  œuvre  de  surérogation,  dont  on  peut 
se  dispenser  sans  péché  mortel,  deuxième 
prétexte;  les  temps  sont  trop  mauvais,  il  faut 
songer  à  soi-même  et  se  précautionner,  c'est 
le  troisième.  Renversons  ces.  injustes  pré- 
textes, et  montrons  aux  riches  l'injustice. 

J'attaque  ces  hommes  aveugles  et  abusés 
qui  se  reposent  sur  l'équité  de  leurs  ri- 
chesses, qui  croient  que  la  juste  possession 
de  leurs  biens  est  un  titre  suffisant  pour 
s'en  retenir  tout  l'usage,  qui,  s'estimant  lé- 
gitimement riches,  s'applaudissent  de  l'être, 
et  qui,  parce  qu'ils  ne  sont  ni  les  tyrans,  ni 
les  oppresseurs  de  leurs  frères,  se  retran- 
chent dans  une  propriété  opiniâtre  dont  on 
ne  peut  rien  arracher,  opinion  fausse  et 
ridicule  ;  car,  dites-moi ,  ô  vous  qui  vous 
abusez  de  la  sorte!  l'aumône  est -elle  li- 
bre et  arbitraire,  ou  absolue  et  néces- 
saire? Pensez-vous  qu'un  père  si  tendre  ne 
laisse  dans  l'indigence  tant  de  ses  enfants, 
que  pour  vous  enrichir  à  leur  préjudice?  Ce 
bien,  qui  vous  paraît  si  légitimement  possédé, 
et  vous  appartenir  avec  tant  de  justice, 
n 'appartient-il  pas  aussi  à  l'indigent?  n'êtes- 
vous  pas  faits  l'un  pour  l'autre?  pouvez-vous 
usurper  les  largesses  du  Seigneur?  quel- 
que pures  que  soient  vos  acquisitions ,  vous 
exceptent-elles  de  la  règle  générale,  qui  met 
tout  le  mérite  du  riche  dans  la  charité, 
comme  elle  met  tout  le  salut  du  pauvre 
dans  la  patience?  Quelque  légitimes  que  vous 
paraissent  vos  richesses,  sont-elles  moins 
une  grâce  du  Seigneur?  êtes-vous  dispensés 
d'en  faire  part  à  vos  frères?  et  si  vous  les 
retenez  contre  l'ordre  de  Dieu,  fixé  au  seul 
plaisir  d'en  jouir,  ne  deviennent-elles  pas 
injustes  el  criminelles?  Eh  quoi!  le  privilège 
de  votre  intégrité  et  de  votre  justice  seront 
donc  de  regorger  de  biens,  tandis  que  tant 
de  misérables  manquent  du  nécessaire , 
comme  si  ces  biens,  pour  être  bien  acquis, 
étaient  moins  écoulés  de  cette  source  pri- 
mitive et  féconde.  Ah  I  s'ils  sont  le  fruil  de 
vos  travaux,  n'est-ce  pas  Dieu  qui  vous 
donne  la  force  de  les  soutenir  et  qui  les  ar- 
rose de  ses  bénédictions?  Si  vous  leS  devez 
à  vos  talents,  à  votre  esprit  et  à  votre  mérite, 
n'est-ce  pas  le  Seigneur" qui  en  est  l'unique 
auteur  et  la  première  cause?  S'ils  sont  à 
vous  par  succession  et  par  droit  de  nais 


CAltEME.  -   SERMON  IX,  DE  L'AUMONE. 


794 


sance,  n'esc-cp  pas  Dieu  qui  transmet  aux 
enfants  l'héritage  de  leurs  pères?  Vos  ri- 
chesses, quelque  légitimes  qu'elles  soient, 
ne  sont-elles  donc  pas  toujours  au  Seigneur, 
et  par  conséquent  aux  pauvres,  qui,  dans 
leur  pauvreté,  sont  établis  sur  la  terre 
comme  ses  ministres,  pour  recevoir  ce  tri- 
but dont  tous  vos  biens  sont  chargés? 

Je  dis  plus,  Messieurs,  c'est  à  vous  préci- 
sément que  s'adresse  ce  précepte,  c'est  vous 
surtout  qu'il  regarde,  riches  du  siècle.  Non, 
ce  n'est  ni  l'usurier,  ni  le  concussionnaire, 
ni  l'usurpateur  audacieux,  ni  le  pécheur  in- 
juste que  ce  précepte  regarde ,  puisque 
Jésus-Christ  a  fait  pour  eux  une  loi  de  la  res- 
titution ;  c'est  encore  moins  pour  le  pauvre, 
puisqu'il  n'a  rien  à  donner;  il  est  donc  tout 
entier  pour  vous  qui  êtes  riches,  et  qui  l'êtes 
légitimement.  Ah!  si  le  riche  de  l'Evangile 
fut  précipité  dans  l'abîme  pour  s'être  trop 
confié  en  la  jouissance  paisible  de  ses  riches- 
ses, pour  en  avoir  gardé  tout  l'usage  pour 
lui  seul,  combien  de  riches  ici  m'écoutcnt 
qui  tombent  sous  ce  même  arrêt  aussi  effroya- 
ble qu'infaillible  :  Sic  est  qui  sibi  thesmiri- 
zat  et  non  est  in  Deum  dives  (Luc,  XII.)  Tel 
sera  le  malheureux  sort  de  tous  ceux  qui  ne 
thésaurisent  que  pour  eux,  et  qui  ne  font 
point  servir  leurs  richesses  selon  l'intention 
de  la  divine  providence.  Jésus-Christ,  Mes- 
sieurs, pouvait-il  opposer  au  prétexte  de  la 
juste  possession,  une  réponse  plus  précise 
et  plus  claire? 

Autre  prétexte,  la  subrogation  de  l'au- 
mône, on  la  regarde  comme  une  action 
fcbre,  comme  une  œuvre  de  conseil,  et  non 
pas  comme  un  commandement  :  peu  l'allè- 
guent ce  prétexte,  je  l'avoue,  car  douter  de 
sa  nécessité,  c'est  douter  s'il  y  a  un  Dieu,  et 
qu'il  soit  le  père  commun  des  hommes  ;  mais 
s'il  yen  avait  de  ces  faux  riches,  je  leur  de- 
manderais si  ce  qui  est  enjoint  sous  peine 
de  l'enfer,  n'est  pas  d'obligation  et  de  pré- 
cepte pour  les  confondre  ;  ne  me  suffirait-il 
pas  de  rapporter  l'histoire  du  riche  réprouvé 
[»our  n'avoir  pas  assisté  le  pauvre  Lazare, 
(lui  ne  luj  demandait  que  les  miettes  de  sa 
fable;  d'où  vient  que  Jésus-Christ  ferait  un 
premier  chef  de  condamnation  aux  riches, 
de  ne  l'avoir  point  assisté  dans  la  personne 
de  ses  membres?  J'ai  eu  faim,  leur  dira-t-il 
au  jugement  dernier,  et  vous  ne  m'avez  pas 
donné  à  manger,  j'ai  eu  soif,  et  vous  ne  m'a- 
vez pas  présenté  à  boire,  j'ai  été  nu,  et  vous 
ne  m'avez  pas  recouvert  ;  allez,  maudits,  au 
feu  éternel  qui  vous  est  préparé.  Dieu  dam- 
ne-t-il  donc  pour  l'omission  d'une  œuvre 
de  subrogation,  et  pour  transgression  d'un 
simple  conseil,  étant  déjà  abandonnée  quoi- 
quelle  soit  un  précepte. 

Mais  voici,  riches  du  monde,  où  votre  du- 
reté se  retranche?  Ce  n'est,  dites-vous,  que 
dans  les  besoins  extrêmes  que  l'aumône  est 
d'obligation?  décision  déplorable,  étrange 
aveuglement!  car  quoi  qu'aujourd'hui  il  ne 
soit  que  trop  vrai  (pie  les  besoins  extrêmes 
sont  les  besoins  communs,  et  quoique  les 
misères  du  temps  soient  toutes  presque  ex- 
cessives, d'où  vient  que  vous  ce  leur  devriez 


du  secours  que  quand  ils  ne  sont  plus  en 
état  d'en  profiter;  et  pourquoi  vouloir  atten- 
dre à  leur  conserver  de  misérables  jours 
qu'une  faim  longue  et  cruelle  les  ait  rendus 
presque  agonisants  et  demi-morts;  n'est-ce 
pas  les  faire  mourir  que  de  ne  les  pas  sou- 
lager dès  que  vous  connaissez  leurs  besoins; 
ne  deviennent-ils  donc  vos  frères  et  les  mem- 
bres de  Jésus-Christ,  que  lorsque  leurs  be- 
soins sont  devenus  extrêmes  et  sans  res- 
source? Et  en  effet ,  vous  ne  soulagez  point 
ce  pauvre  malade  dans  le  commencement  de 
sa  maladie,  un  épuisement  va  le  réduire  tout 
d'un  coup  au  tombeau;  vous  n'avancez  rien 
à  ce  débiteur  que  l'on  prend,  et  bientôt  dans 
une  affreuse  prison,  il  périra  faute  d'avoir 
été  soulagé  :  après  cela,  entrailles  cruelles, 
cœur  inhumain,  direz-vous  qu'il  faut  atten  • 
dre  que  leurs  besoins  soient  pressants  pour 
les  soulager!  Il  n'y  a  donc  pas  assez  de  mal- 
heurs dans  vos  frères  pour  vous  toucher,  ils 
souffrent  donc  trop  peu  pour  vous  attendrir, 
leurs  pleurs  ne  coulent  pas  avec  assez  d'a- 
bondance, il  vous  faudrait  l'épuisement  de 
leurs  forces  et  le  triste  spectacle  de  leur 
mort.  Quel  tigre,  quel  monstre,  êtes-vous  !  et 
qu'est-ce  que  l'on  peut  juger  de  ce  riche  qui 
ne  veut  soulager  les  pauvres  que  dans  leurs 
besoins  extrêmes,  sinon  une  insensibilité 
extrême? 

Mais,  direz-vous  encore,  les  temps  sont 
trop  mauvais,  il  faut  d'abord  songer  à  soi,  la 
précaution  n'est  point  défendue.  Troisième 
prétexte,  à  entendre  parler  ainsi  le  riche,  ne 
dirait-on  pas  qu'il  a  quelque  raison;  mais 
écoutons  ce  que  le  Sage  nous  en  dit  lui- 
même  :  le  malheur  des  temps,  dit-il,  est  l'ex- 
cuse que  vous  alléguez  toujours  avec  tant 
d'injustice,  auquel  vous  ne  sauriez  penser 
sans  murmurer  et  vous  plaindre  :  Tempus 
causabitur  [Eceli:,  XXIX);  mais  avant  de  ré- 
pondre, je  vous  demande  si  ce  malheur  des 
temps  que  vous  nous  rapportez  pour  excuse 
n'est  point  vofre  ouvrage,  si  ce  n'est  poii.t 
vos  courussions,  vos  usures,  vos  vexations* 
vos  violences,  votre  insatiable  cupidité  qui 
les  ont  rendus  tels;  si  vous  n'êtes  point  de 
ces  hommes  que  l'Ecriture  appelle  les  sang- 
sues de  tout  le  peuple;  si  vous  n'êtes  point 
de  ces  loups  ravissants  qui  ne  se  nourrissent 
que  de  pillage,  et  qui  ne  laissent  après  eux 
que  désolation  et  carnage;  si  vous  n'êtes 
point  de  ces  hommes  affamés,  qui  sans  foi, 
sans  probité,  sans  conscience,  sans  pitié, 
sans  humanité,  dévorant  le  peuple,  dit  le 
Seigneur,  comme  un  morceau  de  pain  :  gu§ 
detiorant  plebem  meam  sicut  escam  panis. 
(PsaL,  LU);  car  si  vous  étiez  un  homme  de 
ce  caractère,  ce  ne  serait  pas  trop  de  tout 
votre  bien  pour  les  grands  malheurs  que 
vous  auriez  causés,  et  ce  qui  dans  les  autres 
est  aumône,  ne  serait  en  vous  que  restitu- 
tion: mais  pour  vous  qui  n'avez  que  ce  ce-» 
proche  à  vous  faire,  de  causer  le  malheur 
des  temps,  ne  vous  en  servez  pas  non  plus 
de  prétexte,  et  pensez  que  c'est  plutôt  pour 
vous  un  motif  et  une  raison  de  faire  l'aumô- 
ne, qu'une  excuse  et  une  dispense  qui  vous 
empêche  de  la  faire.  Eh!  pourquoi  donc  les 


793 


OKATEIKS  SACHES.  LE  P.  St'MAN. 


795 


temps  sont-ils  mauvais?  Est-ce  que  Dieu  au- 
rait oublié  le  monde,  ou  qu'il  serait  trop  fai- 
llie pour  le  secourir,  n'est-ce  donc  pas  lui- 
môme  qui  permet  ce  malheur  des  temps  pour 
donner  aux  riches  occasion  de  s'en  faire  un 
bonheur,  et,  en  effet,  quand  les  calamités 
n'entrent  que  par  la  pensée  et  par  l'oreille 
des  riches,  leur  cœur  n'en  est  point  ému,  il 
faut  qu'elles  se  montrent  à  leurs  yeux;  et  c'est 
pour  cela,  riches  du  monde,  que  la  miséri- 
corde de  Dieu  qui  veut  votre  salut,  approche 
de  vous  la  misère  et  l'affliction,  afin  que  la 
présence  des  misères  communes  et  excessi- 
ves vous  rende  plus  secourables  dans  ce 
grand  fonds  d'insensibilité  où  vous  vivez  : 
le  Seigneur  veut  que  le  spectacle  de  tant  de 
maux  amollisse  un  peu  votre  âme,  etque.se- 
i  hant  ce  que  c'est  qu'être  malheureux,  vous 
deveniez  charitables;  cette  calamité  publique 
n'est  donc  qu'une  voix  favorable'dc  la  bonté 
de  Dieu,  qui  vous  d>t  :  Soyez  sensibles  en 
sentant  approcher  la  misère,  je  ne  tous  suis 
rigoureux,  qu'afin  que  vous  soyez  libéraux; 
puisque  le  temps  e.t  mauvais,  rachetez-le 
par  l'aumône;  à  quoi  sert  pour  vous  que  les 
besoins  soient  grands,  si  je  ne  vous  trouve 
jamais  secourables;  et  c'est  le  ra  sonnernent 
qui  doit  vous  engager  à  la  charité  plus  qu'en 
un  autre  temps,  car  si  les  temps  étaient 
meilleurs,  les  pauvres  n'auraient  jkis  tant  be- 
soin de  vos  secours,  plus  les  besoins  sont 
excessifs  et  plus  votre  obligation  de  donner 
redouble;  l'abîme  des  misères  n'appelle-t-il 
pas  l'abîme  des  miséricordes;  n'est-ce  pas 
quand  la  sécheresse  tarit  les  fontaines  com- 
munes, que  l'eau  de  la  charité  doit  couler  et 
se  répandre?  Ah!  si  vous  souffrez,  riches,  il 
faut  donc  que  les  pauvres  dépérissent;  si 
vous  commencez  à  trembler  pour  vous  qui 
avez  tout  le  bien,  votie  inquiétude  n'annon- 
ce-t-elle  pas  leur  désespoir;  si  le  feu  de  la 
calamité  prend  au  bois  vert,  avec  combien 
plus  de  vivacité  n'embrasera-t-il  pas  le  bois 
sec.  (Luc,  XXIII.) 

Vous  croyez  répondre  à  tout  quand  vous 
dites,  les  temps  sont  mauvais;  croyez-vous 
donc  faire  illusion  à  Dieu  comme  aux  hom- 
mes, et  n'appréhenuez-vous  point  que  sa  jus- 
tice ne  vous  punisse?  Oui,  les  temps  sont 
mauvais,  et  pour  qui,  pour  ce  marchand 
ruiné  qu'on  ne  paye  point,  pour  ce  domes- 
tique épuisé  que  l'on  renvoie  sans  salaires, 
pour  ce  pauvre  qui  manque  de  tout  et  à  qui 
personne  ne  donne  rien;  mais  ces  temps  si 
tristes  pour  Jésus-Christ  et  pour  ses  mem- 
bres, le  sont-ils  pour  vous?  toujours  mômes 
babils,  môme  train,  même  fureur  pour  le  jeu, 
môme  assiduité  pour  les  théâtres;  toujours 
môme  dépense,  un  luxe  qui  se  répand  en 
mille  superfluités,  un  argent  qui  ne  coûte 
rien  pour  satisfaire  ses  désirs;  vous  rougi- 
riez môme  que  l'on  vous  crût  pauvres  : 
oélasl  nos  jours  ont-ils  vu  plus  grand  mal- 
heur que  celui  qui  vient  de  vos  désordres; 
tandis  que  les  pauvres  épuisés  ne  trouvent 
plus  aucune  ressource,  n'avons-nous  pas  la 
douleur  de  voir  que  vous  ne  refusez  rien  à 
vos  cupidités,  et  s'il  arrive  a  votre  coeur  de 
se  faire  quelque  idole,  ne  trouvez-vous  pas 


de  quoi  lui  faire  un  sacrifice,  et  semblablesà 
cette  femme  qui  apfès  avoir  dit,  je  ne  le  puis, 
mes  récolles  sont  trop  mauvaises,  trouva  ce- 
pendant de  quoi  immoler  aux  idoles  étran- 
gères; lorsque  vous  vous  plaignez  le  plus  de 
la  misère  des  temps,  n'êtes-vous  j  as  pleins  de 
ressources  pour  fournir  à  vos  passions,  et 
vous  entend-on  dire  en  celte  occas;on  que 
les  temps  sont  mauvais.  Quoi  donc!  vous 
croiriez  perdre  vos  biens  si  vous  les  met- 
tiez entre  les  mains  de  Jésus-Christ?  Croyez- 
vous  que  vos  passions  soient  un  fonds  plus 
assuré,  et  qu'elles  vous  rapportent  davantage 
pour  le  crime  que  pour  la  vertu?  Que  faut-il 
donc  pour  vous  faire  revenir  à  Jésus-Christ, 
et  que  feriez-vons,  heureux,  si  vous  lui  re- 
fusez du  secours  tout  misérables  que  vous 
êtes. 

Ah!  que  sont  devenus  ces  temps  heureux 
où  il  fallait  mettre  des  bornes  à  la  charité 
des  ti  lôles  toujours  tremblants  el  alarmés  de 
ne  point  donner  assez  pour  le  soulagement 
de  leurs  frères;  où  la  charité  surabondante 
trouvait  des  fonds  inépuisables  pour  surve- 
nir à  toutes  sortes  de  besoins.  Qui  nous  le« 
ramènera  ces  beaux  jours  où  l'on  n'avaii  à 
se  défendre  que  du  péché,  où  l'on  ne  con- 
naissait de  richesses  que  celles  de  la  vertu 
et  de  la  perfection;  où  l'on  n'avait  d'autre 
soin  dans  ces  temps  de  calamité  et  de  misè- 
res, qu'à  se  montrer  meilleurs  que  les  temps, 
qu'à  triompher  de  la  stérilité  des  saisons, 
par  le  redoublement  des  bonnes  œuvres,  et 
à  suppléer  aux  malheurs  suscités  de  la  divine 
providence,  par  l'amour  des  charités  et  l'a 
bondance  des  aumônes  des  fidèles.  Ne  les 
reverrons-nous  jamais,  ces  premiers  siècles, 
où  il  ne  s'agissait  que  de  modérer  une  trop 
grande  ferveur,  qu'à  essuyer  des  larmes, 
qu'à  remettre  le  calme  dans  des  consciences 
pieusement  alarmées,  qu'à  rendre  la  vie  du 
moins  supportable  à  une  foule  de  malheu- 
reux qui  vous  eussent  reconnu  pour  leur 
libérateur  et  pour  leur  père. 

Ah!  que  les  temps  sont  changés  :  non,  ce 
goût  aimable  de  la  charité  mutuelle,  de  la 
piété  divine,  n'est  plus  de  notre  siècle,  la 
terre  n'est  plus  digne  de  ces  sentiments  cé- 
lestes :  l'orgueil,  la  mollesse,  la  volupté  ont 
tout  endurci;  ces  monstres  cruels  ont  une 
voix  plus  forte  que  la  nudité,  que  la  faim, 
que  la  soif  et  la  misère,  que  le  désespoir  de 
nos  frères.  Nous  ne  pouvons  rien  obtenir  de 
vous,  riches  du  monde,  cependant  que  vous 
demandons-nous  à  présent?  que  vous  soyez 
anathèmes  pour  vos  frères?  que  vous  don- 
niez votre  sang,  votre  vie  peur  eux?  Non, 
nous  ne  vous  demandons  qu'une  faible  au- 
mône, et  vous  la  refusez  ;  nous  vous  sup- 
plions, el  vous  ne  nous  répondez  pas  ;  nous 
ne  cessons  de  vous  prier  pour  les  pauvres, 
et  nous  ne  fûmes  jamais  moins  exaucés.  Ah! 
sont-ils  ici  les  domestiques  de  la  foi,  ou  les 
partisans  de  l'erreur?  Prêchons-nous  à  des 
hommes,  ou  à  des  rochers?  à  des  chrétiens, 
ou  à  des  infidèles?  à  des  enfants  de  l'Eglise, 
où  à  des  disciples  de  Satan?  Mes  frères,  que 
tout  ceci  se  ressent  bien  de  cette  triste 
vérité,   malheur  à  vous   riches  (Luc,  VI), 


797 


CAREME.    -  SERMON  IX  ,  DE  L'AUMONE, 


703 


de  Ja  terre,  qu'il  est  difficile  qu'un  riche  soit 
sauvé.  Je  l'ai  pensé  mille  fois  avec  douleur, 
si  notre  sainte  religion  l'emporte  si  fort  sur 
toutes  les  autres,  et  par  la  force  et  l'évidence 
de  ses  principes,  et  par  la  sainteté  de  sa  mo- 
rale, et  par  la  divinité  de  son  auteur,  et  par 
la  pureté  de  ses  maximes;  hélas  1  elle  ne 
l'emporte  plus  par  notre  manière  de  vivre, 
par  l'intégrité  de  nos  mœurs,  par  la  mollesse 
de  nos  sentiments.  Les  Juils  donnent  encore 
la  dîme  de  leurs  biens  ;  les  infidèles  ne  souf- 
frent point  parmi  eux  de  misérables;  les  hé- 
rétiques qui  se  flattent  de  rapprocher  les  an- 
ciens temps  se  prêtent  tous  mutuellement  du 
secours  et  affectent  d'être  tous  unisentr'eux, 
et  nous  le  peuple  choisi,  la  nation  sainte, 
les  enfants  de  la  vraie  Eglise,  les  disciples 
de  Jésus-Christ,  nous  abandonnons  ses  mem- 
bres, nous  sommes  insensibles  aux  besoins 
de  nos  frères,  et,  à  la  honte  du  nom  chrétien, 
une  partie   se   plonge  dans  l'abondance  et 
dans   les  profusions,  pendant  que  tout    le 
reste  demeure  sans  assistance  etsans  secours! 
On  appréhende,  dit-on,  de  s'appauvrir  lors- 
qu'on fait  l'aumône;  c'est-à-dire  donc  que 
vous  craignez  de  vous  mettre  dans  un  degré 
trop   proche  de  ressemblance   avec  Jésus- 
Christ  votre  chef  et  votre  modèle,  lui  qui 
n'est  venu  s'appauvrir  que  pour  vous  enri- 
chir par  son  indigence. 

Justice  de  mon  Dieu,  qu'un  jour  vous  dis- 
siperez cette  funeste  illusion,  quelle  force 
aura  alors  la  plainte  que  fera  l'indigent  contre 
le  riche,  si  Jésus-Christ  est  dans  tous  les 
pauvres  pour  demander,  tous  les  pauvres 
seront  au  iugement  dernier  dans  Jésus- 
Christ  pour  nous  juger;  que  ce  jugement  sera 
rigoureux  et  plein  de  terribles  reproches. 
Si  celui-là  est  digne  de  mort  qui  refuse  la 
charité  à  Jésus-Christ,  quel  sujet  de  fraveur, 
quel  supplice  assez  cruel  pour  vous  qui. la 
refusez  tous  les  jours  à  ses  membres  et  à 
vos  semblables. 

Mais  passons  à  des  prétextes  qui  parais- 
sent plus  spécieux  encore;  ce  sont  ceux 
qu'on  tire  de  l'état  et  delà  condition,  et 
après  avoir  montré  l'injustice  des  premiers, 
faisons  voir  encore  la  témérité  des  seconds. 
C'est  le  sujet  de  mon  second  point 

SECOND    POINT. 

Trois  prétextes  servent  encore  à  autoriser 
la  dureté  des  riches  envers  les  pauvres  :  Je 
tiens  un  rang  dans  le  monde,  et  il  faut  que 
je  dépense  à  proportion  de  ma  condition; 
première  excuse.  J'ai  grosse  famille  et  la 
chanté  m'oblige  à  préférer  mes  enfants  aux 
étrangers; seconde  excuse.  Les  pauvres  sont 
en  trop  grand  nombre  :  mes  moyens  ne  sont 
pas  assez  farts  pour  les  soulager  tous;  troi- 
sième excuse.  Achevons  de  les  combattre  et 
de  les  anéantir,  ces  téméraires  prétextes. 

Le  premier  est  le  prétexte  du  rang  :  on 
croit  tfue  tout  est  permis,  que  l'on  est  dis- 
pensé de  tout  quand  on  est  d'un  état,  d'une 
condition  relevée  :  ah  !  plût  à  Dieu  que  cela 
fût  ainsi.  Vous  seriez  bien  moins  à  plaindre, 
grands  et  riches  de  la  terre,  mais  il  en  est 
bien  autrement,  et  c'est  pour  vous  un  grand 


malheur  de  n'être  pas  nés  pauvres.  Ne  le 
comprendrez-vous  jamais?  vous  êtes  trop  à 
plaindre  de  vivre  dans  un  état  et  dans  une 
condition  dont  l'oisiveté,  la  mollesse,  la  sen- 
sualité, le  luxe,  la  vanité  sont  presque  insé- 
parables. C'est  donctroppeu  pour  vous  d'être 
dans  un  état  où  vous  vous  dispensez  du  tra- 
vail, des  veilles,  des  fatigues,  des  peines, 
des  mortifications,  des  souffrances,  des  mi- 
sères de  Ja  vie;  il  faut  que  vous  vous  dis- 
pensiez encore  des  lois  les  plus  essentielles 
du  christianisme.  Ah  !  si  vous  aviez  le  moin- 
dreesprit,vousqui  vous  flattez  tantd'en  avoir, 
vous  croiriez-vous  dispensés  d'être  charita- 
bles, parce  que  vous  êtes  grands,  et  vous 
croiriez-vous  exempts  de  faire  l'aumône  , 
parce  que  vous  y  êtes  plus  obligés  que  tout 
autre,  mais  voyons  si  votre  excuse  est  légi- 
time. Je  dis  qu'il  n'est  rien  plus  faux  que 
votre  état  et  votre  rang  vous  dispensent  de 
l'aumône,  et  cela  pour  deux  raisons  incon- 
testables :  la  première  parce  que  votre  état 
ne  vous  dispense  pas  d'être  chrétiens,  et  la 
seconde  que  pour  êtes  chrétien  dans  votre 
rang,  vous  avez  besoin  de  plus  grandes  grâ- 
ces que  les  autres. 

Non ,  grands  du  monde,  vous  ne  cessez 
point  d'être  chrétiens;  c'est  toujours  entre 
vos  distinctions  et  vos  dignités,  votre  titre 
primitif,  et  vous  n'oseriez  dire  de  votre  con- 
dition qu'elle  renonce  à  l'Evangile  ,  mais,  si 
vous  reconnaissiez  cette  vérité,  mon  Dieu, 
que  vos  pauvres  seraient  consolés!  Dès  lors, 
malgré  tousles  usages  profanes  du  siècle,  vos 
tables  deviendraient  frugales,  vos  habits  mo- 
destes, vos  meubles  simples,  vos  logements 
moins  vastes  et  moins  somptueux;  on  ne 
verrait  nulle  portion  de  vos  biens  assignée 
au  luxe,  à  l'intempérance,  aux  vanités,  à  la 
sensualité.  Vous  réduisant  à  une  médiocrité 
chrétienne,  toute  votre  vie  serait  pauvre, 
solitaire,  mo  tiliée  ;  l'aumône  sainte  levée 
sur  vos  cupidités  serait  féconde  et  abon- 
dante de  ce  que  l'Evangile  ôte  à  l'indécence 
de  vos  parures,  à  l'entretien  de  vos  passions, 
à  la  délicatesse  de  votre  goût,  à  l'excès  de 
votre  jeu,  dont  les  moindres  pertes  suffi- 
raient à  la  subsistance  des  familles  entières. 
Vous  trouveriez  de  quoi  fournir  abondam- 
ment aux  besoins  de  vos  frères,  vous  ne  trou- 
veriez plus  que  de  l'inutile  et  du  superflu, 
là  ou  vous  vous  persuadez  faussement  qu'il 
n'y  a  que  du  nécessaire,  et  ne  regardant  plus 
votre  qualité  et  vos  conditions  que  comme 
un  ministère  et  une  dispensation  de  misé- 
ricorde et  de  charité,  vous  emploieriez  ces 


biens  à  préserver  le  jus**?,  à  conserver  J  in- 
nocent, et  à  soutenir  ".'affligé  ;  enfin,  vous 
deviendriez  dans  toute  une  ville,  dans  toute 
une  province,  comme  le  trésor  public  et 
comme  une  ressource  très- favorable  à  tous 
les  gens  de  malheur,  car  voilà  ce  que  c'est 
d'être  un  riche  chrétien.  Peut-on  l'être,  en 
réservant  tous  ces  biens  par  un  amour  aveu- 
gle de  sa  propre  personne,  de  ses  commodi- 
tés et  de  ses  aises?  peut-on  l'être  et  toujours 
craindre  de  n'en  avoir  jamais  assez  pour 
fournir  à  son  salut  et  à  sa  délicatesse,  parce 
que  vous  êtes   devenus    ambitieux.    Vous 


799 

seriez  en  droit  d'abandonner  les  membres 
de  notre  commun  chef  à  la  honte  et  à  l'igno- 
nrnie,  parce  que  vous  avez  enchéri  sur  la 
médiocrité  de  vos  ancêtres,  vous  vous 
croyez  autorisés  de  marcher  sur  la  tête  des 
autres,  quoique  n'ayant  point  de  condition 
ni  de  fortune  réglée  vous  assureriez  que  tout 
vous  est  nécessaire  dans  votre  état. 

Mais  un  chrétien  peut-il  penser  que  Jésus- 
Christ  lui  demandant  un  jour  compte  de  tout 
ce  qu'il  a  fait  et  de  tout  ce  qu'il  a  reçu,  il 
pourra  lui  représenter  comme  nécessaires  à 
son  état  le  luxe,  la  mollesse,  la  bonne  chère, 
le  faste  et  tout  ce  qu'il  foudroie ,  tout  ce 
qu'il  frappe  d'anathème  dans  ses  livres  sa- 
crés ,  et  tout  ce  qu'il  réprouve  comme  la 
ruine  de  son  salut;  un  chrétien  au  lieu  de 
s'affliger,  de  s'humilier  des  dangers  où  sa 
prospérité  et  sa  grandeur  l'exposent ,  des 
maux  trop  véritables  qui  le  menacent,  des 
besoins  déjà  trop  réels  qui  l'accablent,  doit- 
il  se  faire  de  chimériques  idées  de  son  état, 
pour  ôter  aux  pauvres  la  seule  ressource  qui 
leur  reste  par  l'aumône;  encore  un  coup, 
un  chrétien  dont  les  grands  besoins  sont  les 
gémissements  et  les  larmes,  qui  ne  doit  se 
croire  grand  que  par  l'anéantissement,  heu- 
reux que  par  les  souffrances,  glorieux  que 
par  sa  conformité  parfaite  avec  Jésus-Christ 
soutirant,  peut-il  penser  que  le  nécessaire 
de  son  état  soit  une  gloire  démesurée,  que 
le  privilège  de  sa  naissance  soit  la  mollesse 
et  l'intempérance,  que  le  titre  de  son  nom  et 
de  sa  qualité  soit  d'affliger  Jésus-Christ,  et 
de  laissée  périr  ses  membres;  peut-il  s'ima- 
giner qu'au  milieu  de  son  Eglise  ce  Dieu 
sage  ait  établi,  par  ses  largesses  et  ses  pro- 
fusions sur  les  riches,  une  condition  de 
sensualité  et  un  genre  d'hommes  qu'il  n'au- 
rait comblés  de  ses  biens  que  pour  affamer 
les  autres  par  leurs  excès  et  pour  donner  le 
triste  spectacle  des  richesses  et  de  la  gran- 
deur qui  ne  servent  qu'à  faire  murmurer  le 
pauvre,  qu'à  faire  oublier  le  Seigneur,  et  à 
devenir  un  vain  objet  de  magnificence  et 
aux  yeux  du  public?  Ah!  riches  du  siècle, 
instruisez-vous  ici  de  vos  devoirs,  rien  de 
plus  grand,  de  plus  sublime  que  le  nom  de 
chrétien;  mais  aussi,  rien  de  plus  terrible, 
de  plus  funeste,  que  de'le  porter  inutile- 
ment et  mal  à  propos,  et  de  vouloir  l'associer 
à  ce  fantôme  de  condition  qui  vous  abuse  et 
qui  vous  trompe;  après  cela  venez  nous 
dire  :  Dans  mon  état  tout  m'est  nécessaire,  et 
je  ne  vois  rien  de  superflu;  pesons  au  poids 
du  sanctuaire  ces  paroles  d'illusion. 

1°  .Mais,  qu'appelez-vous  donc  votre  étal? 
est-ce  un  état  de  chrétien  ou  d'idolâtre?  est- 
ce  un  état  réel  ou  imaginaire?  est-ce  un  état 
de  scandale  ou  de  sanctification?  est-ce  un  état 
borné  ou  un  abîme  immense,  ce  que  vous 
appelez  votre  état?  n'est-ce  point  ce  que 
vous  affectez  d'être,  ou  ce  que  vous  voulez 
être,  quand  vous  prenez  un  essor  trop 
haut,  et  que  vous  donnez  carrière  à  votre 
luxe  et  à  votre  vanité  ;  le  public  lui-même 
se  plaint  que  ce  n'est  point  là  votre  état,  que 
vous  vous  oubliez,  que  vous  sortez  de  votre 
place,  et  dans  quel  endroit  de   l'Evangile, 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SERIAN.  800 

dans  quelle  page  des  saintes  Ecritures  trou- 
vez-vous un  état  qui  autorise  le  jeu,  les 
compagnies,  les  spectacles,  les  divertisse- 
ments, la  volupté;  un  état  qui  flatte  la  mol- 
lesse, l'ambition,  la  cupidité,  est-ce  là  un 
état  chrétien?  est-ce  là  l'état  d'un  disciple, 
d'un  enfant,  d'un  membre,  d'une  image  d'un 
Dieu  pauvre  et  crucifié?  est-ce  là  une  con- 
dition, où  il  faille  étendre  le  nécessaire  sur 
toutes  vos  passions,  aux  dépens  des  pau- 
vres et  de  Jésus-Christ?  est-ce  là  un  état 
assez  important  à  l'Etat,  assez  utile  à  la  re- 
ligion pour  y  sacrifier  toutes  les  ressources 
des  malheureux;  vous  ne  pouvez  faire  l'au- 
mône à  cause  du  nécessaire  à  votre  état.  Jl 
faut  que  vous  fassiez  figure,  que  vous  vous 
souteniez  dans  le  monde,  mais  le  savez-vous, 
Messieurs,  il  y  a  un  monde  réprouvé  de 
Jésus-Christ  et  chargé  de  tous  ses  anathèmes, 
c'est  donc  dans  celui-là  que  vous  devez  fi- 
gurer, car  l'autre  est  un  monde  de  simplicité, 
de  modestie,  d'humilité,  qui  abhorre  les 
grandeurs  et  l'éclat  :  donc,  dire  je  ne  puis 
faire  l'aumône  à  cause  de  mon  état,  c'est-à- 
dire  je  ne  puis  faire  l'aumône  parce  que  je 
veux  vivre  dans  ce  monde  réprouvé,  c'est-à- 
dire  je  veux  être  tout  ce  que  sont  les  réprou- 
vés ;  quelle  horreur,  grand  Dieu  !  quel  blas- 
phème, mais  avançons  1 

Dans  mon  état  tout  m'est  nécessaire  :  dé- 
cider jusqu'où  va  ce  nécessaire,  ce  n'est 
pas  une  chose  facile,  c'est  le  point  le  plus 
éùneux  de  la  morale,  chacun  l'élend  et 
l'expose  à  son  avantage  ;  rien  de  plus  im- 
portant, mais  rien  aussi  de  plus  difficile  que 
de  discerner  au  juste  le  superflu  du  néces- 
saire: cependant,  mes  frères,  appliquez-vous, 
le  voici  selon  la  raison  saine. 

Le  nécessaire  est  tout  ce  qui  se  prend  pour 
la  substance  frugale  de  votre  personne  pour 
la  conservation  essentielle  d.e  votre  santé,  de 
votre  vie,  pour  l'entretien  honnête  de  votre 
famille,  pour  la  bienséance  modeste  de  votre 
rang,  pour  le  maintien  raisonnable  de  vos 
charges,  pour  l'établissement  proportionné 
de  vos  enfants,  et  même  pour  le  délassement 
réglé  que  la  nature  demande  ;  vous  plain- 
drez-vous  après  cela  que  nous  resserrons 
trop  le  nécessaire  :  le  voilà  tel  que  hors  des 
passions  les  pauvres  le  demandent,  et  si  les 
riches  s'en  tenaient  là,  les  aumônes  seraient 
bien  abondantes;  mais  ferez-vous  entrer 
dans  votre  nécessaire  un  jeu  ruineux  dont 
vous  vous  faites  un  métier,  et  qui  loin  de 
vous  délasser  vous  fatigue,  un  luxe  des  pa- 
rures, des  habits  somptueux  qui, loin  de  vous 
renfermer  dans  les  bornes  de  la  bienséance, 
vous  rendent  les  malheureux  objets  de  l'im- 
modestie et  de  la  volupté,  des  festins,  et  une 
bonne  chère  continuelle,  qui,  loin  de  con- 
server votre  santé,  la  ruinent  et  vous  usent 
le  corps,  des  divertissements  et  des  fêtes 
mondaines  qui,  loin  de  vous  réjouir,  vous 
épuisent;  appellerez-vous  votre  nécessaire 
ce  qui  est  contraire  à  votre  repos,  à  votre 
salut  et  à  votre  éta  ?  J'avoue  que,  si  c'est  là 
ce  qu'on  doit  appeler  le  nécessaire,  vous 
n'avez  rien  de  trop,  et  les  plus  grands  re- 
venus ne  seront  pas  suffisants,  mais  avouez 


801 


CAREME.         SERMON  IX,  DE  L'AUMONE. 


80-2 


que  si  tout  cela  est  de  votre  nécessaire,  c'est 
être  un  païen,  un  dénaturé,  un  monstre  ; 
c'est  forcer  Dieu  ou  à  laisser  mourir  de  faim 
ses  créatures,  ou  à  les  nourrir  par  miracle. 
Ah  1  pour  donner  à  votre  nécessaire  les  jus- 
tes bornes  que  je  viens  de  vous  prescrire, 
ne  vous  suffit-il  pas  de  vous  souvenir  que 
vous  êtes  chrétiens?  N'est-ce  pas  assez  de 
penser  que  vous  êtes  hommes,  loin  que  ce 
luxe  énorme,  cette  orgueilleuse  affectation 
de  pompes  et  de  parures,  de  cette  mon- 
danité scandaleuse,  soient  de  votre  néces- 
saire? peuvent-ils  même  entrer  dans  la  con- 
duite d'un  chrétien  qui  a  renoncé  à  toutes 
ces  choses  par  son  baptême,  et  qui  doit  en 
être  séparé  par  sa  qualité  de  inombre  d'un 
Dieu  pauvre  et  dépouillé  de  tout,  tout  cela 
peut-il  donc  entrer  dans  cette  portion  de 
vous-même,  qu'il  a  racheté  de  son  sang  et 
tout  ce  qui  ri  y  entre  pas  peut-il  être  de  votre 
nécessaire,  tout  ne  vous  invite-t-il  pas  à  par- 
tager votre  bien  avec  le  pauvre?  c'est  comme 
vous  l'enfant  de  Dieu  c'est  ^otre  frère, c'est  un 
autre  vous-même;  vous  êtes  avec  lui  un  même 
esprit,  un  même  homme;  pourriez- vous 
penser  à  tout  cela  et  lui  refuser  l'aumône? 

Enfin,  dites-vous,  je  ne  vois  rien  en  mon 
état  de  superflu  ;  mais  avec  quels  yeux  le  re- 
gardez-vous, cet  état,  et  les  biens  que  vous 
y  possédez  ;  avec  les  yeux  de  la  mollesse, 
de  la  passion,  de  la  mondanité,  auxquels 
rien  ne  peut  suffire.  Mais,  un  moment,  regar- 
dez-vous avec  des  yeux  de  chrétien,  de  dis- 
ciple de  Jésus- Christ,  votre  Juge  et  votre 
Maître,  et  ce  superflu  vous  deviendra  inutile. 
Ah!  ce  superflu  que   vous  n'y  voyez  pas, 
bien  d'autres  le  voient  pour  vous.  Fiez-vous- 
en  au  jugement  du  pauvre  :  lui  qui  n'a  pas 
un  morceau  de  pain,  voit  bien  le  superflu  de 
vos  tables  et  de  votre  bonne 'chère;  lui  qui 
n'a  pas  de  quoi  couvrir  sa  nudité,  voit  bien 
le  superflu  de  vos  vêtements  superbes  ;  lui 
qui  n'a  pas  où  reposer  sa  tête ,  voit  bien  le 
superflu  de  vos  maisons  et  de  vos  ameuble- 
ments; lui  qui  languit  dans  une  indigène 
affreuse  de  toutes  choses,  voit  bien  le  su 
perflu  de  cette  abondance  et  de  ces  profusions 
clans  lesquelles  vous  vivez  :  il  le  voit  dans 
vos  dépenses,  dans  vos  équipages,  dans  vos 
trains  superbes,  dans  ce  cortège  de  domesti- 
ques qui  mangent  leur  portion,  etleurs  gémis- 
sements et  leurs  larmes  s'en  expliquent  assez. 
Car  enfin,  que  peut-il  penser  en  voyant  que 
vous ,  qui  êtes  chrétiens  comme  lui ,  et  qui 
par  conséquent  avez  renoncé  aussi  bien  que 
Ini  au  monde  et  à  ses  pompes,  à  la  chair  et  à 
ses  convoitises,  passez  cependant  votre  vie 
dans  un  continuel  excès,  dans  une  abondance 
de  toutes  choses,  pendant  qu'il  manque  du 
nécessaire  à  la  vie  et  qu'il  fait  horreur  par 
l'extrémité  de  sa  misère  ;  il  ne  vous  reproche 
point  ce  qui  sert  à  vos  habits,  il  ne  vous  en- 
vie point  le  nécessaire,  il  vous  passe  même 
sans  peine  ce  qui  vous  est  nécessaire  pour 
l'honnête  et  le  commode;  mais   il  ne  peut 
voir  sans  douleur,  sans  impatience  ce  que 
vous  donnez  au  crime  et  au  contentement  de 
vos  passions.  Il  vous  demande  ce  superflu 
c/.ui  lui  a,  partient  et  que  vous  retenez  contre 


l'ordre  de  Dieu,  qui  vous  porte  à  pécher,  qui 
devient  le  péché  même;  il  vous  le  demande 
comme  un  bien  que  Dieu  lui  a  destiné;  et, 
s'il  n'y  a  point  de  fonds  pour  l'aumône  parmi 
tant  de  richesses,  le  commandement  en  est!- 
donc  inutile;  ce   devoir  si  juste  et  si  légi-l 
time  n'est  donc  plus  qu'une  chimère,  et  il  ne 
faut  que  devenir  ambitieux  et  dissolu  pour 
en  être  dispensé.   La  conséquence   est  ab- 
surde, la  vôtre  l'est  donc  aussi.  Ah  1  voulez- 
vous  nous  donner  et  à  vous  aussi  quelque 
espérance  de  salut  dans  l'état  où  vous  êtes, 
laites  passer  le  superflu  de  votre  abondance 
jusque   dans  le  sein   du  pauvre;  tant  que 
vous  le  retiendrez,  il  sera  pour  vous  un  fonds 
de  corruption  et  de  péché.  La  manne,  quand 
on  en  retenait  au  delà  du  nécessaire,  se  tour- 
nait en  poison,  il  en  sera  de  même  de  vos 
richesses  tant  que  vous  en  réserverez  plus 
que  vos  besoins  ne  le  demandent  :   elles  se 
tourneront  en  une  corruption  mortelle.  Puis- 
que le  Seigneur  vous  a  donné  des  biens  en 
abondance,  aimez  à  les  répandre,  et  ne  dites 
point  que  c'est  à  nous ,  qui  ne  connaissons 
point  le  monde,  à  régler  votre  nécessaire  et 
à  juger  de  vos  dépenses;  je  pourrais  vous  ré- 
pondre que  nous  connaissons  l'Evangile,  et 
c'est  assez;  mais  non,  nous  vous  attendons 
à  ce  moment  où  ,  frappés  de  l'impression  de 
la  mort  qui  approche,  à  ces  dernières  extré- 
mités où  les  plus  pures  lumières  de  la  raison 
et  de  la  religion  luiront  à  vos  yeux.  C'est  là, 
que  bien  différents  de  vous-mêmes,  vous  dé- 
ciderez, vous  penserez,  vous  jugerez  bien  au- 
trement que  vous  n'avez  lait  auparavant  ;  c'est 
là  que,  bien  plus  sévères  que  nous  sur  l'exé- 
cution de  l'aumône  et  sur  l'usage  des  biens, 
vous  réduirez  à  peu  le  nécessaire  d'un  mal- 
heureux pécheur  qui  n'aura  fait  qu'offenser, 
qu'oublier  son  Dieu.  Et  c'est  là,  enfin,  que 
vous  reconnaîtrez  que,  s'il  n'y  a  point  de  su- 
perflu, ce  n'est  que  pour  un  juste  qui  n'aura 
eu  que  les  larmes  en  partage  et  une  charité 
tendre  pour  ses  frères. 
Mais,  si  ce  prétexte  de  l'état  tombe,  parce 

3ue  votre  condition  ne  vous  dispense  pas 
'être  chrétien,  il  tombe  bien  davantage  en- 
core, parce  que  dans  votre  état  vous  avez 
besoin  de  plus  grandes  grâces.  En  effet ,  le 
pauvre,  plus  docile  au  bien  et  à  l'instruction, 
est  défendu  contre  le  vice  par  le  privilège 
même  de  son  état  ;  une  grâce  commune  le 
soutient  dans  la  justice;  il  est  chrétien. 
Naturellement  il  ne  voit  rien  qui  ne 
le  détache  de  la  vie,  qui  ne  lui  donne  du 
mépris  de  ce  monde  parce  qu'il  n'en  goûte  pas 
les  |douceurs  :  mais  que  des  périls  attaquent 
l'innocence  d'un  riche  et  d'un  grand  de  la 
terre  ,  l'abondance  qui  amollit,  les  honneurs 
qui  flattent,  los  plaisirs  qui  enchantent,  l'oi- 
siveté qui  corrompt,  tout  vous  est  en  cet 
é.at  une  tentation,  un  piège,  un  écueil  ;  avec 
li  s  richesses,  le  démon  vous  offre  l'image  de 
tout  le  mal,  de  toute  l'injustice,  de  toute  la 
mollesse;  vous  avez  donc  besoin  de  plus 
grands  secours  pour  vous  soutenir  dans  cet 
état,  et  pour  tous  les  périls,  vous  n'avez  point 
trop  de  toutes  les  grâces.  Or  le  Saint-Esprit 
l'a  dit,  toutes  les  grâces  sont  renfermées  dans 


803 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SUR!AN. 


804 


l'aumône;  elle  a  sa  force  qui  résiste,  son 
onction  qui  détache,  sa  douceur  qui  attire. 
Faites  l'aumône,  disait  un  père  tendre  à  son 
enfant,  regardez  d'un  œil  compatissant  tous 
les  pauvres  qui  se  présenteront  à  vos  yeux, 
et  sans  y  penser  vous  vous  attirerez  les  re- 
gards favorables  et  miséricordieux  de  votre 
Dieu.  En  vous  donnant  des  richesses,  je  vous 
ai  suscité  un  redoutable  ennemi  ;  mais  vous 
trouverez  pour  le  combattre  et  le  vaincre  de 
puissantes  armes  dans  l'aumône.  Je  vous  ai 
préparé  un  grand  sujet  d'illusion  et  de  vanité 
dans  l'abondance  que  je  vous  laisse;  mais 
l'aumône  ne  permettra  pas  que  vous  tombiez 
dans  le  péché  et  que  vous  en  soyez  aveuglé  : 
Eleemosynu  ab  omni  pcccato  et  a  morte  li- 
bérât, et  mn  patictur  animam  ire  in  tenebras. 
(Tob.,  IV.)  Je  vous  ai  fait  un  penchant  bien  ra- 
pide au  cime,  mais  l'aumône  soutiendra  votre 
cœur,  et  vous  ne  tomberez  point;  elle  seule 
vous  mettra  en  sûreté  au  milieu  de  vos  périls 
et  de  vos  tentations  ;  elle  ôtera  aux  richesses 
cette  fatale  propriété  de  pervertir  et  de  cor- 
rompre et  saura  vous  procurer  ces  grâces  de 
résistance  et  de  force,  et  erit  fortitudo  tua  ; 
il  est  donc  évident  que  l'aumône  vous  est 
plus  nécessaire  dans  votre  état,  riches  du 
monde,  non-seulement  parce  que  vous  y 
avez  besoin  de  plus  grandes  grâces  et  que 
l'aumône  seule  en  est  la  dépositaire. 

Sur  es  principe,  si  tous  les  riches  injustes, 
corrompus  ,  sensuels  ,  impies,  laissant  aller 
leurs  passions  sans  frein,  sans  crainte  ni 
respect  pour  les  lois  et  les  commandements 
du  Seigneur,  vivent  dans  un  libertinage  af- 
freux de  mœurs  et  de  conduite,  se  rendent 
les  malheureux  esclaves  de  l'argent,  de  la 
vanité  du  monde,  des  plaisirs  et  d'eux- 
mêmes;  s'abandonnant  aux  excès  les  plus 
honteux,  rampant  contre  terre  comme  les 
animaux  immondes,  sans  jamais  lever  les 
yeux  vers  le  ciel,  dont  ils  tiennent  tout,  et 
qui,  dans  toutes  leurs  pensées  et  leurs  dé- 
sirs, leurs  actions,  donnent  toutes  les  preuves 
les  moins  équivoques  de  leur  réprobation. 
A  quoi  pouvons-nous  attribuer  le  malheur 
d'une  si  aveugle  destinée,  sinon  à  cette  du- 
reté qui  sèche  la  source  des  grâces,  sinon  à 
cette  insensibilité  qui  fait  qu'ils  n'osent  voir 
les  pauvres  crainte  d'en  être  touchés,  sinon 
à  cette  vanité  aveugle  qui,  les  plaçant  dans 
une  région  supérieure,  leur  fait  regarder  les 
misérables,  ou  comme  des  créatures  d'une 
espèce  différente  d'eux,  ou  comme  des  vic- 
times infortunées  qui  ne  sont  nées  que  pour 
servir  à  leurs  penchants  et  à  leurs  passions , 
sinon  à  cet  amour-propre  qui  leur  l'ait  sacri- 
fier à  leur  seule  personne  tout  le  reste  des 
hommes,  sinon  à  cette  extinction  de  ce  beau 
feu  de  la  charité  qui  est  éteint  en  eux  et 
dans  lequel  consistent  le  salut  et  la  grâce  du 
chrétien. 

Eh  quoi  doncl  riches  du  monde,  votre  con- 
dition ne  s'étend-elle  que  pour  nuire  et  ja- 
mais pour  soulager.  Imitez  votre  Dieu,  rien 
ne  le  rend  plus  grand  (pie  le  concours  de  sa 
bonté  et  de  sa  puissance.  Seigneur,  s'écrie 
le  Sage,  vous  avez  pour  tous  une  charité  sans 
bornes,  parce  que  vous  pouvez  tout  :  Mise- 


reris  omnium  quia  omnia  potes.  (Sop.,  XI.) 
Faites  de  votre  pouvoir,  riches  du  monde, 
la  règle  de  vos  charités.  Faites  l'aumône  par- 
ce que  vous  êtes  opulents;  soyez  charitables 
parce  que  vous  possédez  de  grands  biens  ; 
participez  à  la  miséricorde  de  Dieu,  vous 
qui  participez  à  sa  grâce  ;  ôtez  à  vos  richesses 
par  l'aumône  ce  caractère  de  malédiction 
que  Jésus-Christ  y  a  attaché  ;  elles  sont  comme 
un  fleuve  rapide  qui  emporte  tout  en  coulant. 
Depuis  quand  pensez-vous  qu'il  faille  moins 
accorder  au  Sauveur,  à  votre  cupidité  et  à 
vos  passions ,  qui  vous  ôtent  si  souvent ,  je 
ne  dis  pas  seulement  le  superflu  de  vos  biens, 
mais  même  le  nécessaire?  Jésus-Christ  ne  vous 
demande  pour  ses  membres  que  ce  que  vous 
prodiguez  pour  vos  passions,  pour  vos  crimes, 
pour  vos  misères,  peut-être  hélas!  pour  votre 
damnation.  Est-ce  trop  vous  en  demander, 
et  pouvez-vous  vous  en  plaindre?  Ah  !  si  nous 
avions  un  peu  de  foi,  croirions-nous  en  faire 
trop  de  nourrir  de  notre  superflu  un  Dieu 
qui  nous  nourrit  de  sa  propre  chair  et  qui 
voudrait  un  jour  nous  rassasier  de  sa  gloire? 
Mon  Dieu,  que  ce  refus,  que  cette  résistance 
laisseraient  voir  de  dureté  dans  les  riches, 
qu'elles  montreraient  d'ingratitude  et  d'in- 
sensibilité. 

2°  Mais  voyons  à  quel  prétexte  cède  cette 
parole,  faites  l'aumône.  J'ai  des  enfants,  il 
faut  songer  à  les  établir;  ma  famille  est 
grande,  il  faut  y  pourvoir.  Quoi  1  dit  saint 
Basile,  quand,  dans  vos  prières,  vous  deman- 
diez à  Dieu  des  enfants,  lui  avez-vous  dit  : 
Seigneur,  accordez-moi  des  héritiers,  des 
successeurs  qui  ôtent  le  pain  que  je  vous 
donne  ?  Vous  avez  des  enfants,  c'est  donc  a 
l'aumône  à  reconnaître  ce  bienfait  de  Dieu, 
qui  vous  les  a  donnés;  c'est  donc  par  l'au- 
mône que  vous  devenez  comme  Job.  Dans 
cette  persuasion  certaine ,  multipliez  vos 
offrandes.  Avec  vos  enfants  se  multiplient 
vos  offenses,  vos  omissions,  vos  scandales; 
vous  appréhendez  qu'ils  ne  soient  point 
assez  riches  en  ce  monde.  Et  d'où  vient  que 
vous  ne  craignez  pas  d'être  vous-mêmes  trop 
malheureux  dans  l'autre?  votre  âme  ne  veut- 
elle  pas  une  charge,  un  établissement?  Vous 
voulez  leur  laisser  du  bien  par  l'amour  que 
vous  leur  portez  ;  mais  n'y  a-t-il  pas  un  autre 
amour,parlequel  vous  devez  vousaimer  vous- 
mêmes  :  votre  salut,  votre  Dieu?  Et  la  preuve 
de  cet  amour,  c'est  l'aumône.  Quoi  1  pensez- 
vous  donc  que,  tandis  que  vous  serez  les  tris- 
tes victimes  du  bien  que  vous  aurez  voulu  faire 
à  vos  enfants  aux  dépens  des  pauvres  et  de  vos 
sueurs,  ingrats  et  dénaturés,  ils  s'en  diverti- 
ront pendant  que  vous  brûlerez  dans  l'enfer  1 
Non,  il  n'est  nul  prétexte  plus  faux  que  celui 
d'amasser  de  grandsbiensà  vosenfants.Ouils 
serontvertueux,etalors  ilsenauront  toujours 
assez;  ou  ils  seront  vicieux,  et  alors  ils  en  au- 
ront toujours  trop;  rien  ne  leur  manquera  s'ils 
sont  pieux;  s'ils  sont  dissipés,  vous  ouvrez 
un  gouffre  à  toutes  sortes  de  vices  ;  s'ils  sont 
sages,  en  leur  laissant  trop  de  biens,  vous 
exposez  leur  innocence  et  tendez  un  piège  à 
leur  vertu;  s'ils  sont  méchants,  vous  jetez  la 
mort  dans  leur  sein;  vous  leur  facilitez  l'as- 


80* 


CAREME.  —  SERMON 


souvissement  de  toutes  leurs  passions,  et  il 
vaudrait  mieux  que  vous  fussiez  leur  bour- 
reau que  leur  j  ère. 

3°  Mais  à  ces  deux  prétextes  on  en  ajoute 
un  dernier  :  le  grand  nombre  de  pauvres;  la 
face  de  la  terre  en  est,  dit-on,  toute  couverte  ; 
comment  secourir  tout  cela?  qui  pourrait 
survenir  à  tant  d<^  différentes  misères,  outre 
celles  que  renferment  les  asiles  publics,  qui 
ne  sont  déjà  que  trop  surchargés?  Combien 
de  pauvres  honteux,  que  d'indigents  autre- 
fois riches  n'osent  découvrir  leurs  misères, 
aiment  mieux  demeurer  cachés  au  comble  de 
leur  pauvreté,  que  de  la  laisser  trop  voir,  et 
qui  ne  pouvant  vivre,  faute  du  nécessaire, 
meurent  continuellement  et  traînent  un  reste 
de  vie  plus  languissant  et  [dus  à  charge  que 
la  mort  même. 

Oui,  je  l'avoue.  Messieurs,  qui  sait  péné- 
trer le  mystère  do  ia  pauvreté,  le  trouve  plus 
immense  qu'on  ne  peut  l'exprimer,  et  que 
jamais  le  nombre  des  pauvres  ne  fut  si  grand. 
Mais  devrait-on  se  faire  d'un  si  grand  spec- 
tacle de  compassion  un  rempart  impénétrable 
contre  la  charité  ?  de  si  grands  objets  de  pitié 
devraient-ils  vous  rendre  plus  impitoyables? 
ne  sont-ils  pas  assez  à  plaindre  par  cette 
même  circonstance  qu'ils  sont  en  plus  grand 
nombre?  Si  vous  ne  les  assistez,  que  voulez- 
vous  donc  qu'ils  fassent?  Et  parce  qu'ils  ne 
peuvent  s'entr'aider,  voulez-vous  qu'ils  s'en- 
tredévorent?  Ah!  quand  toute  la  terre  im- 
plore votre  secours,  est-ce  pour  vous  une 
raison  de  n'être  point  secourables?  Quand 
tous  vos  sens  se  trouvent  frappés  et  émus, 
et  qu'ils  ne  peuvent  s'empêcher  de  tomber 
sur  quelque  objet  misérable,  faut-il  que  vos 
veux  se  ferment,  que  vos  oreilles  soient 
bouchées,  que  vos  mains  se  rétrécissent, 
que  vos  entrailles  s'endurcissent  et  que  vous 
refusiez  la  charité,  parce  qu'elle  est  d'un 
plus  grand  usage  ?  Si  toutes  les  puissances  du 
monde  n'ont  pu  ébranler  la  foi  de  Jésus-Christ, 
il  faut  que  toutes  les  misères  de  la  terre  ne 
puissent  épuiser  la  charité  et  appliquer  la 
portion  de  miséricorde  à  la  portion  des  mi- 
sères qu'on  y  voit;  et  après  tout  refuser  de 
secourir  les  pauvres  parce  qu'ils  sont  en 
grand  nombre,  est-ce  aimer  Jésus-Christ  ? 
Vous  le  savez,  mes  frères,  quand  on  aime 
quelqu'un,  tout  ce  qui  lui  appartient  nous 
intéresse;  ses  images  nous  sont  chères;  on 
essaye,  par  ses  portraits,  à  se  consoler  de  son 
absence.  Ah  !  la  foi  nous  l'apprend,  rien  ne 
lui  ressemble  mieux  que  le  malheureux  et 
le  pauvre;  vous  l'aimez  donc  bien  peu,  si 
vous  vous  plaignez  qu'il  se  trouve  partout, 
si  ses  figures  et  ses  ressemblances  vous  dé- 
plaisent, si  vous  vous  en  trouvez  si  fort  im- 
portunés, et  si  vous  ne  lui  devenez  durs  et 
cruels,  que  parce  qu'il  se  montre  à  vous  par 
trop  de  représentations  et  d'images. 

Hélas  1  cet  aimable  Sauveur  se  fait  tant  de 
violence  de  laisser  souffrir  ses  créatures,  ses 
membres  et  ses  enfants,  et  cependant  il  la 
sacrifie,  cette  violence,  au  mérite  qu'il  veut 
que  vous  tiriez  d'une  occasion  si  favorable; 
il  consent  à  s'attrister,  pourvu  qu'il  vous  at- 
tendrisse, cl  rendant  inutiles  tous  les  soins 


IX,  DE  L'AUMONE.  jr0fl 

que  vous  lui  laissez,  cette  double  peine  de 
voir  les  uns  malheureux  et  les  autres  impi- 
toyables. Non,  mon  Dieu,  je  n'en  aurai  pas 
la  force;  je  sens  mes  entrailles  s'émouvoir 
sur  cette  multitude  de  pauvres,  et,  si  vous 
me  le  permettez,  j'oserai  m'écrier  avec  vous: 
Misereor  super  turbam.  (Marc,  VIII.)  Ah  1  ce 
grand  nombre  de  malheureux  m'amollit  le 
cœur;  ils  sont  trop  pour  me  laisser  sans  pitié; 
s'ils  étaient  moins,  je  pourrais  espérer  qu'ils 
se  passeraient  de  mes  aumônes  :  misereor 
super  turbam.  Je  sais  qu'il  y  a  quelques  res- 
sources publiques;  mais  qu'est-ce  que  cela 
pour  tant  de  monde  :  quid  hœc  sunt  inler 
tantos?  (Ibid.)  11  y  en  a  encore  un  grand  nom- 
bre qui  n'ont  point  le  nécessaire  à  la  vie,  qui, 
dans  le  chemin  qu'ils  ont  fait,  se  sont  épui- 
sés; qui  se  sont  tourmenté,  fatigué,  usé  le 
corps  et  la  santé,  pour  trouver  dans  le  besoin 
pressant  un  morceau  de  pain  qu'ils  n'ont  pu 
s'assurer  :  nechabent quod  manducent.  (Ibid.) 
Si  je  ne  me  hâte  de  les  secourir,  si  je  les 
laisse  plus  longtemps  dans  la  misère,  ils 
mourront  en  chemin  :  si  dimisero  eos  jejunos 
in  domum  suam  déficient  in  via.  (Ibid.)  Il  me 
semble  entendre  la  voix  des  pasteurs  qui 
s'écrient  :  Où  pourrons-nous  prendre  assez 
de  pain  pour  nourrir  tout  ce  [  euple  affamé  : 
undc  ememus  panes  ut  manducent  hi?  (Ibid.) 
Et,  à  la  vue  de  tant  de  pauvres,  je  croyais 
me  trouver  riche.  Ce  titre  d'opulent  qui  me 
sépare  de  mes  frères  me  fait  peur,  et  au  mi- 
lieu de  tant  de  misérables,  je  ne  veux  plus 
être  qu'un  homme  affligé,  qu'un  chrétien, 
qu'un  membre  de  Jésus-Christ.  Ah  1  si  sou- 
vent ce  Dieu  de  miséricorde  se  trouve  pi- 
toyable, se  laisse  fléchir  à  mes  prières  et  à 
mes  larmes,  lui  refuserai- je  ce  qu'il  me 
demande  avec  tant  de  tendresse  et  tant  d'em- 
pressement pour  mes  frères  ;  et  après  l'avoir 
fait  mourir  sur  la  croix  par  mes  péchés,  je 
pourrais  encore  le  laisser  périr  de  faim  dans 
ses  membres?  Non,  tant  de  dureté  m'épou- 
vante :  misereor  super  turbam. 

Allez  donc,  mes  frères,  au  sortir  de  ce 
temple,  exercer  envers  les  pauvres  un  si 
glorieux  ministère;  que  votre  emploi  est 
honorable  1  Dieu  se  charge  de  nourrir  les 
oiseaux  du  ciel  et  de  vêtir  les  lis  des  champs  ; 
mais  il  vous  laisse  l'honneur  de  nourrir  et 
de  vêtir  ses  membres;  que  ce  sort  est  aima- 
ble !  Ah  !  puisque  en  ce  moment  vous  n'avez 
plus  aucun  prétexte  qui  vous  dispense  de 
faire  l'aumône,  que  votre  cœur  est  attendri, 
que  Jésus-Christ  attend  de  vous  cette  misé- 
ricorde, le  plus  beau  trait  de  ressemblance 
avec  lui,  ne  lui  donnez  pas  une  fausse  joie; 
tenez-lui  ce  que  vous  venez  de  lui  promettre 
par  ma  bouche;  répandez  avec  amour,  avec 
humilité,  avec  abondance,  les  biens  qu'il  lui 
a  plu  de  vous  donner;  car  j'ose  présumer 
de  votre  charité  qu'il  ne  s'agit  plus  que  de 
la  manière  de  la  faire,  et  que,  comme  les 
pains  du  sanctuaire  étaient  couronnés  de 
deux  couronnes  :  coronis  duabus,  de  même 
aussi  le  pain  de  vos  aumônes  vous  procurera 
une  double  couronne  de  grâce  en  cette  vie 
et  de  gloire  dans  l'autre.  C'est  ce  que  je  vous 
souhaite,  etc.  Amen. 


807 


CONTRE    LES 


ORATEURS  SACHES.  LE  P.  SURÎAN. 


808 


SERMON  X. 

OBSTACLES    QU'ON 
CONVERSION. 


OPPOSE   A     SA 


Vis  sanus  ficri?  (Joan.,\.) 
Voulez-vous  être  guéri'! 

Ainsi  vous  parle  Jésus-Christ  depuis  long- 
temps au  fond  de  vos  cœurs,  attendri  devons 
voir,  comme  ce  paralytique,  vieillir  dans 
votre  maladie,  presque  accablés  sous  le  poids 
de  vos  habitudes  criminelles  ;  n'est-il  pas 
temps  enfin  de  sortir  de  ce  malheureux  état 
où  vous  réduisent  vos  désordres,  de  faire 
cette  grande  démarche  de  conversion?  et 
mènerez-vous  jusqu'à  la  fin  une  vie  toute 
misérable,  abandonnés  aux  remords  de  votre 
conscience,  et  dans  un  trouble  continuel  de 
vos  pensées etde  vos  désirs?  Voulez-vous  être 
guéris:  Vis  sanus /?erii*  Est-ce  que  le  parti  delà 
vertu  et  de  la  pénitence  ne  serait  point  meil- 
leur pour  vous?  Et  aujourd'hui  que  la  piscine 
salutaire  vous  est  ouverte  et  qu'on  vous  an- 
nonce un  Evangile,  où  semble  être  attachée 


la  grâce, de  votre  guérison,  ne  voulez-vous 
point  être  guéris  vous-mêmes?  Vis  sanus 
fieri  ? 

A  cette  voix  miséricordieuse  qui  s'élève 
depuis  longtemps  du  fond  de  votre  âme,  vous 
opposez  m  die  obstacles  frivoles  et  vains 
pour  n'y  point  répondre';  or,  tout  l'évangile 
de  ce  jour  est  destiné  de  Dieu  à  les  com- 
battre et  h  les  dissiper  ces  vains  obstacles; 
et  Jésus-Christ  vient  vous  offrir  dans  tous 
ceux  qui  sont  guéris  dans  la  piscine  proba- 
tique,  de  quoi  les  confondre,  ces  frivoles 
prétextes;  et,  en  effet,  quelles  sont  ici  les 
infirmités  qui  servent  d'obstacles  à  votre 
conversion  et  qui  /vous  font  désespérer  de 
votre  pénitence?  Les  voici  figurés  bien  na- 
turellement dans  les  divers  malades  de  l'é- 
vangile de  ce  jour  :  11  y  avait  sur  les  bords 
de  la  piscine  un  grand  nombre  d'infirmes, 
les  uns  n'étaient  que  languissants,  d'autres 
qui  étaient  aveugles,  d'autres  boiteux,  d'au- 
tres qui  avaient  les  membres  desséchés; 
tous  attendaient  le  mouvement  de  l'eau,  et  il 
y  avait  aussi  un  paralytique  depuis  trente- 
huit  années.  Quelles  images  1  et  que  tous  ces 
malades  ensemble  représentent  bien  votre 
état,  pécheurs,  et  les  divers  obstacles  que 
vous  opposez  à  votre  conversion. 

Si  nous  vous  proposons  avec  instance  de 
revenir  de  vos  égarements  et  de  vous  plon- 
ger dans  la  bain  sacré  de  la  pénitence,  vous 
nous  répondrez  que  vous  êtes  faibles,  lan- 
guissants :  languentium;  mais,  parmi  ces  ma- 
lades guéris,  il  y  en  avait  d'aussi  faibles  que 
vous.  Encore,  dites-vous,  si  je  voyais  clair 
dans  ces  vérités  de  la  foi  ;  mais  je  n'y  vois 
rien  :  tout  y  est  obscur  et  en  énigmes  :  cœco- 
rum;  mais  n'y  avait-il  pas  des  aveugles  au 
bord  de  la  piscine?  Vous  vous  plaignez  que 
vous  êtes  nés  d'un  caractère  inconstant,  que 
vous  ne  sauriez  vous  fixer  et  marcher  d'un 
pas  ferme  :  claudorum;  mais  parmi  ces  in- 
firmes guéris,  il  y  avaient  des  boiteux  qui 
chancelaient  et  ne  pouvaient  se  soutenir; 
niais,  ajoutez-vous,  je  ne  sens  nul  goût  pour 


la  piété;  je  ne  sens  (pie  des  sécheresses  et 
de  l'ennui  pour  la  pénitence  :  aridorum  ;  n'y 
avait-il  pas  des  hommes  dont  les  membres 
étaient  secs  et  arides,  qui  ne  se  sentaient 
pas  ?  D'ailleurs,  dites-vous,  j'attends  la  grâce, 
qu'il  vienne  un  moment  qui  me  touche  : 
Expectantium  aquœ  mplum  ;  tous  attendaient 
le  mouvement  de  l'eau  au  bord  de  la  piscine; 
enfin,  mon  habitude  est  trop  longue,  mes 
maux  trop  invétérés  :  erat  autem  homo  ibi  tri- 
ginta  et  octo  art/nos  habens  in  infirmitate  sua  ; 
niais  du  nombre  de  ces  infirmes  était  encore 
un  homme  paralytique  depuis  trente -huit 
ans. 

Or,  corn;. ter  que  comme  tous  ces  malades 
étaient  guéris  tour  à  tour,  pourvu  que  l'ange 
y  descendit  pour  en  troubler  l'eau,  et  qu'ils 
voulussent  effectivement  leur  guérison,  et 
vous  aussi  qui  réunissez  peut-être  toutes 
ces  infirmités  ensemble,  vous  serez  guéris 
comme  eux;  c'est  Dieu  qui  vous  en  assure 
par  ma  bouche  ;  pourvu  que  vous  vous  met- 
tiez en  état  de  pénitence,  vous  vous  conver- 
tirez; je  ne  vois  point  en  vous  de  maladie, 
si  grande  qu'elle  puisse  être,  qui  vous  en 
puisse  empêcher,  et  tous  ces  mêmes  obsta- 
cles que  vous  nous  alléguez  vous  en  devien- 
nent les  raisons  les  plus  fortes. 

Combattons-les  les  uns  après  les  autres, 
ces  obstacles,  et  pour  donner  quelqu'ordrea 
ce  discours,  commençons  par  ceux  que  vous 
tirez  de  votre  propre  fonds,  et  ensuite  nous 
détruirons  ceux  qui  vous  viennent  du  de- 
hors; obstacles  dans  vous-mêmes,  voilà  mon 
premier  point;  obstacles  hors  de  vous-mê- 
mes, ce  sera  le  second.  Faudrait-il,  ômon 
Dieu,  que  vous  demandassiez  au  malheureux 
pécheur  s'il  veut  être  guéri;  n'est-ce  pas  à 
lui  à  vous  demander  avec  larmes  sa  guéri- 
son  !  implorons  les  secours  dont  nous  avons 
besoin  pour  une  matière  si  importante,  et 
pour  l'obtenir  adressons-nous  à  Marie.  Ave. 
Maria. 

PREMIER    POINT. 

Faut-il  que  l'homme  soit  si  ennemi  de 
lui-même,  qu'il  cherche  dans  son  propre 
fonds  ce  qui  peut  servir  à  fomenter  sa  perte , 
et  entretenir  son  malheur  1  C'est,  Messieurs, 
cependant  ce  qui  arrive  parmi  presque  tous 
les  chrétiens  ,  qui  au  lieu  de  tirer  de  leurs 
infirmités  des  motifs  de  vigilance  et  defec» 
veur,  en  prennent  des  prétextes  de  chute  et 
d'endurcissement;  je  nie  sens  dans  un  étst 
de  langueur  qui  m'abat,  dans  une  incons- 
tance qui  m'empêche  de  marcher  d'un  pas 
ferme,  je  ne  sens  aucun  goût  pour  la  piété. 
Trois  obstacles  que  l'on  trouve  en  soi  pour 
ne  point  travailler  h  sa  conversion. 

Premier  obstacle  a  voire  conversion,  votre 
faiblesse  qui  vous  rend  languissants, languen- 
tiam;  il  y  avait  au  fond  de  la  piscine  des 
hommes  languissants;  mais  encore  qui  est-ce 
ici  qui  nous  allègue  toute  sa  faiblesse?  Est- 
ce  un  homme  humble,  timide,  qui  se  défie 
de  son  propre  cœur,  qui  fait  de  sa  faiblesse 
un  motif  de  sa  vigilance,  le  sujet  de  sa  crain- 
te, et  une  raison  d'élever  sans  cesse  les  yeux 
au  ciel,  d'où  seul  il  lui  peut  venir  du  secours 


809 


CAREME.  —  SERMON  X,  OBSTACLES  A  LA  CONVERSION. 


MO 


pour  sa  guérison,  et  qui  dise  comme  David  : 
Seigneur,  je  voudrais  aller  vers  vous,  mais  je 
me  sens  faible  ;  aidez-moi  à  faire  cette  heu- 
reuse démarche, *prenez  pitié  de  moi:  Mise- 
rere mci,  Domine,  quoniam  infirmus  sum. 
(Psal.  VI.)  A  une  âme  faible  qui  parlerait 
ainsi,  je  dirais,  c'est  un  grani  préjugé  pour 
votre  guérison  de  ce  que  vous  sentez  votre 
mal,  et  que  vous  demandez  au  Tout-Puissant 
.du  secours  ;  c'est  une  grande  préparation 
pour  obtenir  une  grande  grâce  ;  les  plus 
grands  pénitents  ont  été  faibles  aussi  bien 
que  vous,  et  Dieu  lesachoisisau  nombre  de 
ses  élus  pour  confondre  ceux  qui  étaient 
forts;  espérez  en  lui  et  comprenez  que  si 
vous  êtes  faibles,  eu  égard  à  vous-mêmes, 
vous  êtes  pleins  de  force  par  la  grâce  et  par 
la  miséricorde  de  Dieu:  Robusiisumus.  Voilà 
ce  que  je  dirais  à  une  âme  qui  craindrait  sa 
faiblesse  ;  mais  vous  pour  qui  ce  prétexte  n'a 
rien  de  sérieux,  pour  qui  il  n'est  autre  phose 
qu'un  artifice  de  l'amour-propre  pour  co- 
lorer votre  paresse ,  votre  mollesse  et  votre 
indolence;  vous  qui  ne  nous  alléguez  que 
vous  êtes  faibles  que  parce  que  vous  êtes  lâ- 
ches, qui  en  parlez  non  en  gémissant  et  avec 
compassion,  mais  avec  complaisance  et  avec 
joie,  et  qui,  après  vous  être  dit  à  Vous-mê- 
mes, si  j'avais  des  forces,  il  faudrait  les  em- 
ployer contre  mes  penchants,  en  concluez 
aussitôt:  Je  suis  donc  faible.  Il  n'y  a  que  la 
crainte  qui  naîtrait  des  violences  qu'il  fau- 
drait vous  faire,  si  vous  vous  disiez  forts, 
qui  vous  fait  parler  ainsi  :  vous  appréhendez 
d'être  obligés  d'enlrer  dans  un  chaos  d'af- 
faires qu'il  faudrait  é:laircir,  dans  les  replis 
d'une  conscience  qu'il  faudrait  développer, 
dans  le  détail  de  mille  choses  chères  qu'il 
faudrait  sacrifier;  ce  n'est  que  dans  l'idée 
iausse  que  vous  êtes  encore  trop  jeunes  pour 
vous  donnera  Dieu,  que  vos  passions  sont 
encore  trop  nouvelles  pour  vous  en  défaire 
et  y  résister;  vous  qui  dites  que  vous  êtes  si 
faillies  pour  revenir  à  Dieu,  ah!  vous  êtes  si 
forts  pour  l'irriter  et  pour  nourrir  toutes  vos 
passions,  l'avarice,  l'ambition,  l'impureté, 
les  vengeances  ;  car  pour  tout  cela  quelles 
preuves  me  donnerez-vousde  votre  faiblesse? 
que  ne  surmontez-vous  pas?  que  ne  dévorez- 
vous  jias?  Peines,  contraintes,  esclavage, 
chagrins,  que  n'essuyez-vous  pas  pour  con- 
tenter uue  folle  passion? On  fait, ce  semble, 
l'impossible,  et  la  moindre  partie  des  efforts 
qu'on  donne  à  la  cupidité  suffirait  pour  une 
conversion  sainte. 

Vous  donc  qui  vous  dites  si  faibles  pour 
revenir  a  Dieu  etqui  vous  montrez  si  forts 
pour  l'offenser  sans  cesse,  que  puis-je  vous 
dire  ici,  sinon  que  votre  disposition  est  af- 
freuse ,  que  votre  langage,  votre  conduite 
me  paraissent  une  contradiction  manifeste; 
sinon  que  cette  faiblesse  affectée  est  un 
grand  préjugé  pour  vous  et  la  marque  la  plus 
certaine  de  votre  damnation,  et  que  dire,  je 
suis  faible  quand  il  faut  se  convertir,  c'est 
dire,  je  suis  réprouvé. 

Grand  Dieu  1  jusqu'à  quelle  extrémité 
portons-nous  l'injure  que  nous  vousfaisonsl 
Est-ce  donc  un  si  grand  mal  de  vous  aimer, 

Orateurs  sacrés.  L. 


qu'il  faille  plutôt  tomber  dans  l'extravagance 
et  la  folie  que  de  revenir  à  vous  de  bonne 
foi  :  premier  obstacle  renversé,  votre  faible. 

Deuxième  obstacle,  votre  inconstance  et 
votre  |  eu  de  fermeté,  claudorum:  il  y  avait 
au  bord  de  la  piscine  des  boiteux  qui  ne 
pouvaient  se  soutenir;  voici  une  image  bien 
naturelle  du  prétexte  que  vous  apportez  à 
votre  conversion:  Je  voudrais  bien  me  don- 
ner à  Dieu,  entrer  dans  la  voie  de  la  piété, 
mais  je  crains  de  ne  pouvoir  m'y  soutenir, 
et  d'y  être  ce  que  je  suis  dans  tout  le  reste, 
inégal  et  inconstant.  Il  n'en  est  pas  ainsi 
dans  vos  entreprises  temporelles;  ces  ter- 
reurs paniques  ne  vous  arrêtent  pas  ainsi 
dans  les  voies  profanes  du  siècle.  Avares, 
ambitieux,  songez-vous  à  parvenir  au  som- 
met de  la  fortune,  au  comble  des  honneurs  ? 
ah!  vous  paraissez  infatigables,  intrépides, 
et  votre  cœur  ne  se  rebute  de  nen  ;  haïssez- 
vous?  votre  haine  est  inflexible,  et  vous  la 
portez  jusque  dans  le  tombeau;  voulez-vous 
plaire?  vous  le  voulez  aussi  constamment  que 
si  vous  vouliez  être  éternels,  et  autant  vous 
vous  plaignez  de  votre  inconstance,  autant 
nous  plaignons-nous  de  votre  fermeté. 

Mais  quand  il  vous  en  coûterait  quelque 
peine  pour  vous  fixer  dans  la  vertu  et  qu'il 
faudrait  vous  faire  autant  d'efforts  pour  elle 
que  vous  en  faites  pour  le  monde,  le  mérile- 
t-elle  moins  que  lui,  vaut-elle  moins?  le 
joug  si  aimable  et  si  doux  de  Jésus-Christ, 
pour  ceux  qui  le  portent  de  lion  gré,  n'est-iJ 
pas  plus  propre  à  fixer  votre  cœur  incons- 
tant, que  le  joug  cruel  du  péché  qui  accable, 
qui  brise  ceux  qui  en  sont  chargés;  et  quand 
on  vous  voit  demeurer  si  fermes,  et  si  opi- 
niâtrement attachés  dans  les  voies  de  l'ini- 
quité, ne  peut-on  pas  espérer  que  vous  seriez 
fermes  aussi  dans  les  voies  du  salut,  si  vous 
aviez  le  courage  d'y  entrer. 

D'ailleurs,  vous  qui  craignez  si  fort  votre 
inconstance  et  votre  légèreté,  je  vous  le  de- 
mande, la  conversion  est-elle  donc  pour 
vous  un  de  ces  partis  indifférents  où  il  soit 
permis  de  délibérer,  sur  lequel  on  puisse 
opter,  choisir,  que  l'on  puisse  prendre  ou 
laisser  à  son  gré?  Non  sans  doute,  Mes- 
sieurs, et  cependant  vous  demandez:  pour- 
rais-je  m'y  soutenir?  Cela  serait  bon,  s'il  en 
était  comme  de  ces  préférences  volontaires 
qu'on  donne  au  cloître,  et  la  religion,  s'il 
en  était  de  votre  conversion  comme  de  ces 
engagements  libres,  vous  feriez  bien  d'y  son- 
ger, et  les  inconvénients  de  la  précipitation 
dans  votre  choix  pour  un  genre  de  vie.  Mais 
faire  pénitence,  se  convertir,  ce  n'est  pas  un 
engagement  arbitraire  et  libre,  mais  essen- 
tiel et  nécessaire  :  fût-il  plus  difficile  en- 
core, dût-on  s'y  soutenir  ou  non,  il  faut  y 
entrer,  il  faut  absolument  l' embrasser  sous 
peine  de  damnation  éternelle.  Il  n'y  a  point 
ici  à  s'essayer,  à  mesurer  ses  forces,  à  déli- 
bérer, on  ne  délibère  point  sur  une  néces- 
sité souveraine;  il  n'y  a  plus  d'autres  voies 
de  salut  pour  v»ous,  pécheurs,  que  celle  de 
la  pénitence,  et,  quelque  condition  qu'elle 
vous  impose,  c'est  sur  cette  condition  que 
vous  devez  la  prendre. 

26 


811 


OSÎATEURS    SACRES.  LE  P.  SUR1AN. 


812 


Venez  donc  nous  dire  que  vous  vous  con- 
vertirez, si  vous  ne  craignez  votre  incons- 
tance et  votre  peu  de  fermeté;  ah  I  c'était  on 
quittant  le  Seigneur,  en  vous  engageant  dans 
le  crime  qu'il  aurait  fallu  dire  que  vous  êtes 
un  inconstant,  et,  tout  tremblant,  vous  te- 
nir à  vous-même  ce  langage  :  Infortuné  que 
je  suis,  je  vais  abandonner  le  meilleur  des 
pères  en  m'engageant  dans  le  crime,  mais 
pourrai-je  bien  m'y  soutenir?  mais  mon 
cœur  inquiet  ne  va-t-il  pas  aussitôt  me  re- 
demander mon  Sauveur  et  mon  Dieu?  Tout 
me  fera  sentir  mon  trouble,  tout  me  viendra 
reprocher  mon  inconstance  criminelle;  mes 
remords,  mes  ennuis,  ma  honte,  ma  dou- 
leur; le  besoin  où  je  me  trouverai  d'un  Dieu 
sans  lequel  je  ne  puis  rien,  duquel  je  tiens 
tout  ;  la  nécessité  où  je  me  trouverai  aux 
grandes  solennités,  d'approcher  des  saints 
mystères  et  des  sacrements  de  l'Eglise  ;  la 
mort  qui  peut  me  surprendre,  le  jugement 
qui1  je  ne  saurais  éviter,  l'éternité  qui  s'a- 
vance, tout  cela  m'obligera  bien  de  quitter 
un  parti  si  insoutenable;  et  quelle  folie  de 
croire  pouvoir  se  soutenir  et  se  fixer  dans 
un  état  de  vie  si  malheureux,  où  l'on  ne  vou- 
drait pas  mourir  1 

Voilà  ce  que  vous  devriez  vous  dire,  et 
toute  la  crainte  que  vous  devriez  avoir; 
c'est  en  quittant  le  Seigneur  que  vous  devez 
vous  alarmer,  mais  votre  cœur  n'est  jamais 
inconstant  quand  il  revient  à  Dieu;  il  revient 
à  sa  place,  dès  qu'il  revient  à  son  devoir  : 
le  centre  du  chrétien  c'est  Dieu.  Tant  que 
vous  pécherez,  vous  êtes  un  inconstant  qui 
n'êtes  pas  où  vous  devriez  être  ;  il  n'y  a  que 
la  pénitence  qui  puisse  vous  remettre  à  vo- 
tre place,  et,  après  tout,  une  fois  converti, 
dussiez-vous  retomber  dans  le  désordre,  ce 
serait  du  moins  autant  de  temps  passé  sans 
olfenser  Dieu,  et  quelques  jours  chrétien- 
nement écoulés  d'une  vie  si  déplorable; 
mais  il  y  a  plus  :  quand  vous  le  quittâtes,  ce 
père  tendre,  ah!  vous  ne  connaissiez  pas 
encore  ce  qu'il  en  coûte  pour  s'éloigner  de 
lui  ;  mais  aujourd'hui  que  vous  éprouvez 
tous  les  maux  que  le  péché  fait  à  votre  âme, 
tous  les  malheurs  qu'il  vous  attire,  et  tout 
ce  qu'il  en  coûte  d'être  loin  de  son  Dieu,  ah! 
l'expérience  vous  est  un  sûr  garant  de  la 
fidélité  que  vous  observeriez  dansle  service, 
si  vous  y  entriez  par  la  pénitence.  Charmés 
des  saintes  voluptés  que  vous  goûteriez  avec 
votre  Dieu,  vous  ne  voudriez  plus  les  quit- 
ter, et  au  lieu  de  songer  à  vous  en  éloi- 
gner, vous  ne  concevriez  pas  qu'il  soit  pos- 
sible de  ne  pas  demeurer  avec  lui;  et, 
après  les  amertumes  et  les  troubles  du  pé- 
«îié,  vous  goûteriez  combien  il  est  dilficile 
de  quitter  la  bonne  voie  pour  reprendre  la 
mauvaise.  Oui,  mon  Dieul  à  quiconque  vous 
a  bien  goûté,  votre  loi  est  un  poids  aimable 
qui  le  fixe;  le  monde,  avec  toutes  ses  joies 
et  ses  fortunes,  ne  saurait  fixer  un  cœur, 
parce  qu'il  ne  peut  ni  le  remplir,  ni  le  sa- 
tisfaire par  ses  biens  périssables  et  frivoles; 
vous  seul,  qui  ne  changez  point,  pouvez 
empêcher  l'homme  de  changer,  vous  sevl 
pouvez  faire  des  constants,  parce  que  vous 


pouvez  seul  faire  des  heureux:  qu'il  n'y  a 
que  ceux  qui  se  convertissent  à  vous  qui 
puissent  goûter  cette  paix  solide  et  ce  re- 
pos durable  que  le  monde  ne  peut  don- 
ner, et  qu'en  vain  l'on  veut  chercher  dans 
le  crime,  où  il  n'y  a  que  trouble  et  agitation. 
lrrcquietum  cormeum,  disait  le  prophète,  do- 
nec  requiescal  in  te:  je  ne  puis  me  soutenir 
dans  la  vertu. 

Troisième  obstacle  :  en  moi,  dites-vous,  nul 
goût  pour  la  pénitence  ;  c'est  pour  elle 
dans  mon  cœur  une  aversion  insurmontable, 
et  voilà  par  où  sont  bien  exprimés  ces  ma- 
lades qui  avaient  les  membres  desséchés  et 
arides  au  bord  de  la  piscine  :  Aridorum. 

Mais  sans  m'arrêter  longtemps  à  combattre 
ce  vain  obstacle,  il  est  aisé  de  comprendre 
que,  pour  revenir  à  Dieu  par  la  conversion, 
ces  attraits  délicieux  ne  sont  point  néces- 
saires; que  c'est  non  le  goût,  mais  la  péni- 
tence que  le  Seigneur  vous  demande,  et  que 
vous  êtes  après  tout  des  cœurs  bien  dérai- 
sonnables de  lui  demander  des  consolations 
et  des  douceurs  que  des  âmes  innocentes 
n'ont  jamais  goûtées,  et  qu'il  a  même  quel- 
quefois refusées  à  ses  épouses  les  plus  chè- 
res; je  pourrais  même  vous  dire  que  si  Dieu 
versait  en  l'état  où  vous  êtes  les  onctions  de 
la  pénitence  sur  vous,  vous  ne  les  goûteriez 
pas,  vous  ne  les  sentiriez  pas,  vous  ne  les 
voudriez  pas  recevoir;  que  souvent  il  les  a 
offertes  à  votre  cœur,  que  les  délices  du 
monde  et  celles  de  Dieu  sont  incomparables; 
que  tant  que  votre  cœur  se  nourrira  des  faus- 
ses joies  du  péché,  il  n'est  pas  surprenant 
qu'il  trouve  insipides  les  consolations  de  la 
pénitence;  enfin,  je  pourrais  vous  dire  qu'il 
n'y  a  qu'à  commencer  pour  y  trouver  du 
goût,  que  ce  n'est  que  dans  l'exercice  que 
vous  y  trouverez  des  douceurs  ;  que  le  cœur 
de  David  se  dilate  à  mesure  qu'il  avance 
dans  la  voie  des  commandements  de  son 
Dieu  ;  qu'il  y  a  mille  choses  dans  le  monde 
pour  qui  vous  aviez  d'abord  du  dégoût,  et 
que  vous  avez  enfin  aimées;  qu'ainsi  vous  vé- 
rifierez en  vous  ces  paroles.du  prophète  :  11  est 
sorti  de  l'eau  de  la  pierre  aride,  et  celui  qui  se 
trouvait  sans  goût  s'est  trouvé  inondé  d'une 
onction  toute  divine;  troisième  obstacle,  vo- 
tre peu  de  goût  et  votre  sécheresse  pour  la 
pénitence  :  Aridorum. 

Voilà,  Messieurs,  en  peu  de  mots,  les 
principaux  obstacles  que  vous  trouvez  dans 
votre  propre  fond  pour  opposer  à  votre  con- 
version; voyons  ceux  que  vous  tirez  du  de- 
hors, qui  ne  contribuent  pas  moins  à  vous 
empêcher  de  faire  pénitence  :  c'est  ce  que 
nous  allons  exposer  dans  la  deuxième  partie 
de  ce  discours,  après  avoir  respiré  un  mo- 
ment. 

SECOND  POINT. 

Si  le  pécheur  ne  trouvait  que  dans  lui- 
même  de  difficultés  à  sa  conversion,  je  n'en 
serais  pas  si  surpris:  hélas!  que  sommes- 
nous?  misérables  vers  de  terre;  de  quoi 
sommes-nous  capables?  mais  il  en  cherche 
jusque  hors  de  lui-même;  et-qu'avec  le  se- 
cours qu'il  trouve  dans  sa  religion  et  dans  la 


815 


CAREME.  —  SERMON  X,  OBSTACLES  A  LA  CONVERSION.  8U 

de  sûr  dans  ma  religion  ?  Cœcorum.  Ce  n'est 
donc  point  la  faute  de  la  religion,  si  vous  ne 
croyez  rien  ;  c'est  la  vôtre  ;  c'est  celle  de  vos 
passions.  La  foi  ne  vous  est  devenue  sus- 
pecte que  quand  elle   vous  est  devenue  re- 
doutable. Vous  êtes  donc  corrompus,  mais 
vous  n'êtes  point  incrédules.  Il  ne  vous  est 
venu  contre  votre  religion  nulle  preuve  nou- 
velle.  Vous  vous  êtes  trouvés   intéressés  à 
nier  votre   foi,  et  vous  l'avez  niée;  ce  n'a 
point  été  par  un  effort  de  déraisonnement. 
Vous  vous  êtes  donné  le  change  à   vous- 
mêmes  sur  cela  ;  et  ce  n'est  point  l'incrédulité 
qui  vous  a  fait  pécher,  mais  le  péché  qui  a 
voulu  vous  rendre  incrédules;  et  la  preuve 
que  c'est  un  faux  personnage  que  vous  jouez, 
c'est  qu'au  moindre    événement  qui   vous 
frappe,  vous  faites  des  réflexions  tristes  sur 
l'état  malheureux  du  pécheur  :  vous  voudriez 
mener  une  vie  plus  chrétienne.  Or,  si  votre 
incrédulité   était  plus  sincère,  plus  réelle, 
elle  serait  toujours  la  même;  et  dès  qu'elle 
varie,  elle  vient  de  votre  cupidité  et  de  vos 
passions,  variables  de  leur  nature.  Et  il  est, 
si  vrai  que  votre  incrédulité  et  vos  passions 
ne   sont  qu'une  même   chose,  que  la  mort 
va    vous   arracher    ce   que   vous    aviez   le 
plus   tendrement   aimé.   Votre    incrédulité 
n'est  plus  la  même  que  dans  les  autres  |é- 
cheurs.  Il  est  si  vrai  que  votre  incrédulité 
est   une   chimère,   que  dans   certains  mo- 
ments de  retour  vers  Dieu,^ce  ne  sont  point 
vos   doutes  sur  la  foi  qui  vous   arrêtent, 
mais  le  seul  poids  de  votre  cupidité  et  de 
vos  .passions  qui  vous  retient.   Votre  rai- 
son est  rendue;  mais  votre  cœur  se  rend  dif- 
ficilement, et  votre  peine  n'est  point  de  com- 
mencer à  croire ,  mais  de  cesser  de  vivre 
mal.  Ce  qu'il  y  a  de  plus  incompréhensible 
dans  la  foi,  comme  sont  les  mystères,  vous 
trouve  dociles;  les  seuls  dogmes  vous  révol- 
tent, parce  qu'ils  répriment  vos  penchants 
déplorables  et  qu'ils  condamnent  votre  vie 
criminelle,  c'est-à-dire  que  vous  êtes  un  lâche 
qui  craint  des  supplices  et  qui  n'ose  voir; 
un  paresseux  qui  appréhende  la  violence 
qu'il  faut  se  faire,  les  mouvements  qu'il  faut 
se  donner  quand  on  croit,  et  qui,  à  cause  dé- 
cela, essaye  de  ne  rien  croire;  un  indolent 
qui  refuse  de  croire,  parce  qu'il  faut  de  l'ac- 
tion ,  et  que  le  seul  parti  d'un  homme  qui 
croit  est  la  pénitence  :  c'est-à-dire  qu'au  lieu 
d'être  recueilli  et  sur  vos  gardes,  vous  êtes 
un  e?prit  dissipé  à  qui  par  hasard  il  est  venu 
des  doutes  sur  la  foi ,  qui  les  a  reçus,  et  qui 
ne  fait  rien  pour  les  vaincre;  peut-être  êtes- 
vous  un  ignorant  qui  blasphème  ce  qu'il  ne 
connaît  pas,  qui  s'enfonce  dans  des  doutes 
mal  fondés,  sans  science,  sans  réflexion,  sans 
système,  qui  récite  ce  qu'il  a  ouï,  et  qui  ne 
sait  pas  douter  lui-même;  peut-être  êtes- 
vous  un  de  ces  prétendus  esprits  forts  de 
nos  jours  si  communs  dans  le  siècle,  qui  veu- 
lentse  singulariser;  un  de  ces  esprits  orgueil- 
leux qui,  n'étant  rien  d'ailleurs  par  lui-même, 
veut  par  l'incrédulité  devenir  quelque  chose  ; 
un  de  ces  prétendus   beaux  esprits   qui , 
croyant  effectivement  dans  le  cœur  ce  qu'il 
contredit  au  dehors,  se  dément  rar;s  cessa 


miséricorde  de  son  Dieu,  il  ose  se  rebuter,  et 
renoncer  à  l'ouvrage  de  sa  pénitence,  c'est 
ce  qui -le  rend  inexcusable  et  ce  que  je  ne 
saurais  bien  comprendre. 

Entrons  donc  en  discussion  avec  ce  lâche 
pécheur,  et  voyons  quels  obstacles  il  oppose 
à  sa  conversion  :  le  premier  est  du  côté  de 
la  foi,  le  second  du  côté  de  la  grâce,  le  troi- 
sième du  côté  de  l'habitude.  Je  n'y  vois  pas 
clair  dans  les  vérités  de  la  foi,  j'attends  le 
moment  favorable  de  la  grâce  ,  mon  habi- 
tude est  trop  invétérée.  Achevons  de  confon- 
dre ou  de  détromper  ce  malheureux  pécheur 
par  les  autres  malades  de  notre  Evangile. 

Premier  obstacle.  —  Encore  si  je  voyais 
clair  dans  les  choses  de  la  foi;  mais  je  n'y 
vois  rien  :  Cœcorum.  Il  y  avait  des  aveugles 
près  de  la  piscine  :  si  vous  parliez  de  bonne 
foi,  je  vous  dirais  que  vous  êtes  donc  bien 
aveugles  de  ne  point  voir  clair  dans  notre 
sainte  religion.  Rome  et  Athènes,  la  synago- 
gue et  le  paganisme,  la  philosophie  et  les 
passions  lui  ont  rendu  un  témoignage  plus 
favorable  ,  et  le  monde,  devenu  fidèle  par 
elle,  est  ce  qui  forme  la  plus  grande  autorité 
que  nous  puissions  avoir  sur  la  terre.  Qu'il 
vous  sied  mal  de  vous  inscrire  en  faux  con- 
tre une  foi  signée  pour  ainsi  dire  de  la  main 
de  l'univers,  et  posée  au  pied  de  la  croix 
comme  la  pierre  fondamentale  de  votre  sa- 
lut; c'est  bien  à  vous  à  vouloir  la  rejeter  avec 
des  armes  faibles  et  usées  par  ceux  mêmes 
qui  savaient  mieux  les  manier  que  vous,  et 
qui  n'ont  rien  négligé  pour  en  venir  à  bout, 
sans  y  avoir  jamais  pu  réussir.  Je  vous  dirais, 
si  vous  étiez  de  bonne  foi,  que  ce  serait  à 
Dieu  et  non  à  vous  de  se  plaindre  que  vous 
l'avez  perdue,  cette  foi;  car,  depuis  que 
ce  don  précieux  vous  a  été  confié,  qu'en 
avez-vous  fait?  Vos  passions  vous  l'ont  ravie, 
non  sans  résistance  ;  car  au  commencement 
vous  sentiez  quelque  peine  à  vous  révolter 
contre  les  vérités  saintes.  Quoil  par  vos  dé- 
sordres vous  vous  arrachez  les  yeux,  et  vous 
vous  plaignez  après  cela  de  ne  rien  voir! 
voilà,  si  vous  étiezdesaveuglesdebonnefoi, 
ce  que  je  vous  dirais  et  ce  qui  serait  contre 
vous  sans  réplique;  mais  vjous  qui  dites  que 
vous  vous,  convertiriez  à  Dieu,  si  vous 
croyiez,  vous  vous  donnez  pour  incrédu- 
les, et  au  fond  vous  ne  l'êtes  pas.  Il  n'est  pas 
besoin  d'employer  les  grandes  et  fortes  preu- 
ves de  notre  sainte  religion;  non,  il  ne 
faut  que  vous  opposer  vous-mêmes  à  vous- 
mêmes,  qu'à  vous  démasquer,  et  voira  quoi 
doit  se  rapporter  votre  prétendue  incrédulité  ; 
car  vous  ne  commencez  pas  par  douter  de  la 
foi,  et  vous  livrer  ensuite  à  vos  passions  : 
s'il  en  était  ainsi,  nous  pourrions  croire  que 
votre  peu  de  foi  serait  un  obstacle  à  votre 
conversion;  mais  n'est-il  pas  vrai  que  vous 
avez  commencé  par  vos  passions,  puis  que 
vous  avez  ensuite  perdu  la  foi  qui  vous  avait 
été  donnée?  qu'une  fois  pécheurs,  pour  vous 
rassurer  contre  les  remords  importuns  de 
votre  conscience  et  contre  les  frayeurs  d'un 
enfer  dont  les  vérités  de  la  foi  menacent  vos 
crimes,  vous  êtes  devenus  aveugles,  et  vous 
\ous6lcs  dit  à  vous-mêmes:  je  ne  vois  pi  us  rien 


8ii 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SURIAN. 


81G 


lui-même,  et  vent,  pour  se  donnerun  relief 
dans  les  compagnies  et  dans  les  cercles,  af- 
fecter de  passer  pour  ce  qu'il  n'est  pas. 

En  vérité,  pécheurs,  est-ce  là  un  obstacle 
capable  de  vous  empêcher  de  vous  conver- 
tir? Celte  fausse  tranquillité  sur  laquelle 
vous  vous  retranchez  est-elle  une  raison  suf- 
fisante pour  vous  faire  dire  que  vous  n'avez 
point  assez  de  foi?  Ce  faux  semblant  vous 
met -il  h  couvert  d'une  éternité  qui  vous 
menace,  et  n'êtes-vous  pas  insensés  de  vous 
refuser  à  Dieu,  qui  vous  appelle  en  mille 
manières  différentes,  pour  vous  rendre  à  un 
si  frivole  prétexte?  O  homme  faux  et  trom- 
peur, s'écrie  un.  Père  de  l'Eglise,  est-ce 
donc  ici  un  jeu  et  vous  moquez-vous  donc 
ainsi  de  votre  foi?  Homo  fallax  omnino 
jocaris.  Veus  voulez  le  nier,  et  elle  vous 
pique  :  Negas  et  mordet  ;  vous  dites  qu'elle 
est  un  songe,  et  au  fond  de  l'âme  elle  vous 
presse  :  Negas  et  urget  ;  vous  la  traitez  de 
fable,  et  vous  la  sentez  vivement  dans  votre 
cœur  par  les  remords  qu'elle  y  cause  :  Ne- 
gas et  sentis  ;  vous  la  demandez,  comme  si 
elle  était  absente,  et  elle  est  présente  dans 
vous,  où  elle  vous  juge  et  vous  condamne  : 
Te prœsens  judicat.  Quelle  est  votre  erreur! 
vous  dites  que  vous  voudriez  bien  avoir  la 
foi,  et  qu'heureux  sont  ceux  qui  l'ont  ;  mas 
vous  la  désirez  donc,  vous  l'enviez  donc, 
cette  foi,  vous  la  regardez  donc  comme  un 
grand  bien  ?  Eh  !  dès  là  je  vous  soutiens 
que  vous  l'avez  :  Habes  quod  amas.  A  ces 
traits,  je  reconnais  la  foi;  les  plus  plus  grands 
pécheurs  qui  reviennent  à  Dieu  n'en  ont.pas 
davantage  ;  vous  la  demandez,  et  je  vous  dé- 
clare qu'elle  est  au  milieu  de  vous  :  In  te  est. 
Oh  !  il  est  donc  vrai  que  c'est  un  vain  obstacle 
que  vous  apportez  à  votre  conversion,  quand 
vous  dites  que  vous  n'avez  point  de  foi  ; 
cessez  donc  de  vous  tromper  davantage  ;  non, 
ce  n'est  point  la  foi ,  c'est  la  volonté  qui  vous 
manque;  et  puisque  maintenant  je  vous  ai 
fait  voir  que  vous  l'avez,  convertissez-vous 
donc  sans  cesse,  écoutez  ce  que  Jésus-Christ 
vous  dit  dans  saint  Jean;  non,  ne  vous  abu- 
sez pas,  un  reste  de  lumière  est  encore  en 
vous  :  Adhuc  modicum  lumen  in  vobis  est. 
(Joan.,  XII.)  Pendant  que  vous  avez  encore 
ce  ravon  lumineux,  profitez-en,  et  sortez  de 
vos  égarements  :  Ambulate  dum  hicemhabctis 
(Ibid.),  de  peur  que  les  ténèbres  d'une  vérita- 
ble incrédulité  ne  vous  offusquent  tellement 
que  vous  ne  puissiez  plus  vous  reconnaître  : 
Ût  non  vos  tenebrœ  comprehendant  (Ibid.)  ;  car 
celui  qui  marche  dans  les  ténèbres  ne  sait  où 
il  va  :  Qui  ambulat  in  tenebris  nescit  quo  vadit. 
(Ibid.)  Il  court  d'abîme  en  abîme,  jusqu'à  ce 
Qu'il  trouve  l'enfer  ouvert  sous  ses  pieds  ; 
funeste  état!  situation  lamentable  ,  préser- 
vez-nous-en, ô  mon  Dieu!  Premier  obstacle 
(pie  le  pécheur  trouve  hors  de  lui  pour  ne 
point  se  convertir,  ou  défaut  de  foi:  Cœco- 

Mais  en  voici  un  second  sur  lequel  votre 
lâcheté  se  retranche  :  J'attends  ,  dites-vous  , 
un  bon  moment,  le  momenlfavorable  de  la 
grâce ,  pour  me  convertir,  e.rspcrlantium 
ayuœ  motum;  tous  ces  malades  qui  étaient 


au  bord  de  la  piscine  attendaient  que  l'ange 
eût  troublé  l'eau.  Jusqu'ici ,  pécheurs,  vos 
prétextes  ont  été  bien  injustes  ;  mais  en 
voici  l'horreur,  le  comble,  le  prodige,  le 
monstre,  la  contradiction;  vous  en  allez 
convenir  vous-mêmes. 

L'excès  de  votre  injustice  est  de  vous 
plaindre  que  Dieu  ne  vous  donne  plus  sa 
grâce  ,  lorsque  vous  en  avez  au  delà  du  né- 
cessaire pour  vous  convertir;  c'est  de  vous 
en  prendre  au  Seigneur  plutôt  qu'à  vous- 
mêmes,  parce  qu'il  est  plus  court  pour  vors 
de  dire  :  je  n'ai  point  la  grâce ,  j'attends  son 
moment,  que  de  dire:  je  n'ai  pas  le  courage 
d'embrasser  un  nouveau  genre  de  vie,  je  ne 
saurais  me  résoudre  à  quitter  les  attache- 
chements  et  les  liaisons  que  j'ai' avec  ie 
monde  pour  me  donner  entièrement  à  Dieu. 
Mais  quelle  extravagance  de  vouloir  attendre 
une  grâce  du  premier  ordre  qui  vous  arrache 
tout  d'un  coup  à  vos  désordres,  sans  au 
moins  vous  y  préparer  par  la  prière,  par  la 
retraite,  parla  fréquentation  des  sacrements  1 
Le  comble  de  votre  injustice  :  c'est  de  de- 
mander que  Dieu  vous  donne  une  grâce , 
dont  la  privation  est  le  plus  grand  de  tous 
les  maux,  sans  penser  seulement  à  ce  que 
vous  demandez,  en  ne  le  demandant  que 
froidement  du  bout  des  lèvres  ;  craignant 
même  de  l'obtenir  sitôt,  pour  être  autorisés 
à  croupir  dans  le  crime;  l'excès  de  votre 
injustice,  c'est  d'attendre  cette  grâce  en 
outrageant  toujours  Te  Dieu  qui  la  donne  ; 
en  laisant  mille  efforts  impies  contre  elle  , 
en  fuyant  tous  les  lieux  sacrés  où  elle  se 
distribue;  en  lui  offrant  dans  votre  âme  un 
abîme  de  corruption  capable  de  l'éteindre. 
Voyez  où  les  malades  de  l'Evangile  atten- 
daient leur  guérison:  ce  n'était  point  au 
milieu  des  joies  mondaines  et  du  tumulte  de 
Jérusalem,  mais  au  bord  de  la  piscine,  au- 
près du  saint  remède  qui  pouvait  les  guérir. 
Mais  vous ,  où  l'attendez-vous,  cette  grâce  ? 
dans  le  plaisir,  au  milieu  des  joies  profanes, 
dans  la  mollesse  et  la  vanité,  dans  le  jeu  et 
les  spectacles  ;  vous  l'attendez  comme  on 
attend  un  ennemi,  en  vous  fortifiant  contre 
ses  approches  ,  contre  ses  touches  secrètes  ; 
vous  dites  que  vous  l'attendez  et  vous  J'éloi- 
gnez ,  vous  la  détestez,  vous  l'abhorrez. 

O  homme  !  qui  vous  piquez  de  tant  de  rai- 
son sur  tout  le  reste,  comment,  dans  l'affa  re 
de  votre  salut,  tenez -vous  un  procédé  si 
déraisonnable  et  si  injuste!  Le  prodige  de 
votre  injustice,  c'est  d'attendre  une  grâce 
qui  change  votre  cœur  en  un  moment  sans 
l'affliger,  sans  lui  causer  la  moindre  violen;  e; 
une  grâce  qui  ait  coûté,  à  Jésus-Christ  tout 
son  sang,  et  qui  ne  vous  coûte  rien ,  ni  com- 
bats, ni  douleurs,  ni  repentirs,  ni  regrets  1 
une  grâce  qui  fasse  toute  seule  l'ouvrage 
de  votre  salut  sans  que  vous  y  contribuez 
en  rien  de  votre  côté,  c'est-à-dire  une  grâce 
qui  ne  fut  jamais ,  qui  ne  peut  !  Eh  !  mes 
frères,  si  vous  attendez  une  telle  grâce  pour 
vous  convertir,  j'ose  vous  le  dire,  et  pour- 
quoi vous  le  cacher,  votre  conversion  est 
impossible. 

Enfin  le  comble  de  votre   injustice  c'est 


817 


CAREME.  —  SERMON  X,  OBSTACLES  A  LA  CONVERSION. 


SiS 


&3    d're,    pour   me   convertir  j'attends  la 
grâce,  lorsqu'elle  a  rempli  tous  les  moments 
ue  votre  vie,  que  depuis  votre   naissance 
elle  n'a  cherché  qu'à  défendre  votre  cœur 
contre  le  vice,    qu'à  vous  inspirer  jusque 
dans  le  crime  un  goût  pour  la  vertu,  qu'à 
rompre  vos  chaînes ,  qu'à  traverser  vos  pas- 
sions, qu'à  répandre  des  amertumes  tien 
réelles  sur  vos  plaisirs  trompeurs,  qu'à  vous 
faire  embrasser  et  aimer  une  vie  triste,  sé- 
vère ,  languissante,  qu'à  vous  encourager  à 
la  pénitence  par  mille  facilités  heureuses, 
par  mille  secours  miséricordieux  !  Mus  je 
vous  envisage,  et  plus  je  suis  surpris  de 
votre  ingrat  tude  ;  en  vous  je  découvre  une 
main  invisible  et  toute  céleste  qui  vous  pro- 
tège et  vous  conserve,   un  |  ère  tendre  qui 
vous  aime,  qui  vous  comble  de  ses  biens; 
partout  en  vous  je  ne  vois  que  des  grâces. 
Ahl  qui  en  a  plus  reçu  que   vous!  comptez- 
les,  s'il  est  possible:  tous  vos  jours  se  pas- 
sent à  vous  roidir  et  à  vous  fortifier  contre 
leurs    sollicitations,   et   à  repousser  leurs 
pressantes  attaques.  Injustes!  il  vous  sied 
bien  de  dire,  j'attends  la  grâce,  quand  c'est 
la  grâce  qui  vous  poursuit  partout ,  jusqu'à 
vous  importuner   au  milieu  même  de   vos 
désordres  pour  vous  en  faire  revenir  ;  il  est 
bien  indigne  à  vous  de  dire  que  vous  at- 
tendez la  grâce   quand  Dieu   l'épuisé   sur 
vous  ,  çt  que  vous  réunissez  en  vous  seul 
des  grâces  qui  suffiraient  pour  convertir  tous 
les  pécheurs  ensemble.  Et  quel  temps  choi- 
sissez-vous encore  pour  faire  cette  injuste 
plainte?  est-ce  à  ce  moment  dans  co  saint 
temple  où  elle  agit  davantage,  où  elle  vous 
rend  plus  sensibles  aux  grandes  vérités  de 
la  foi,  où  elle  fait  sur  vous  ce  que  peut-être 
elle  n'y  avait  point  encore  fait;  où,  voulant 
attendrir   votre  cœur  sur  le  triste  état  où 
vous  êtes,  elle   excite  des  troubles  et  des 
frayeurs  salutaires;  où  elle  fait  tomber  dans 
vos  consciences  de  saintes  horreurs ,  comme 
autant  de  foudres  et  de  tempêtes  ;  où,  redou- 
blant par  ma  bouche  ses  tendres  efforts,  elle 
vous  presse  de  faire  dès  ce  moment  la  plus 
précieuse  des  grâces.  Aveugles,  vous  vous 
plaigne!  de  ne  point  en  avoir  :  eh  !  à  ce  mo- 
ment n'en  avez-vous  point  trop?  et  l'abus 
que  vous  faites  ici  de  ses  amoureuses  pour- 
suites ne  met-il  point  le  sceau  à  votre  ré- 
probation? et  si  vous  résistez  encore  à  ce 
dernier  effort,  n'est-il  pas  à  craindre  que  ce 
Dieu  juste,  pleurant  sur  vous  et  sur  votre 
perte ,  comme  autrefois  fit  Jésus-Christ  sur 
l'infidèle  Jérusalem,   ne    vous  dise  :    Ame 
infortunée,  ton  état  me  perce  le  cœur,  il  ne 
faut  donc  plus  rien  espérer  de  toi  ;  ton  mal- 
heur m'arrache  des  larmes;  ah  1  si  tu  avais 
connu,  du  moins  en  ce  jour,  la  paix  et  le 
bonheur  que  je  voulais  te  procurer  :  Si  co- 
gnovisses  et  tu  et  quidem  in  hac  die  tua  quœ 
ad  pacem  tibi  (  Luc,  XIX)  ;  si  tu  avais  dai- 
gné répondre  à  ce  que  je  faisais  dans  ton 
cœur  pour  le  toucher,  l'attendrir,  le  rappeler 
à  la  pénitence,  in  hac  die,  en  ce  jour  où  tout 
n'était  ce  semble  que  pour  toi ,  où  tout  cons- 
pirait à  te  faire  grâce  ;   en  ce  jour  qui  n'était 
point  encore  le  mien,  mais  qui  était  le  tien, 


si  tu  y  avais  répondu,  c'aurait  été  un  pré- 
sage consolant  de  la  paix  que  j'étais  venu 
t'apporter,  quœ  ad  pacem  tibi.  Mais  ton  mal- 
heur est  que  tu  ne  le  vois  pas  en  demeurant 
dans  le  péché;  les  efforts  que  ma  grâce  fait 
sur  toi ,  les  biens  que  je  veux  te  procurer, 
tout  cela  est  caché  à  tes  yeux  ;  un  jour  vien- 
dra après  celui  qui  viendra,  des  jours  où  je 
t'abandonnerai  à  ta  triste  destinée ,  renient 
di(s  in  te.  Semblable  à  Jérusalem  du  côté  de 
l'ingratitude,  tu  le  seras  aussi  du  côté  de  la 
punition;  tu  deviendras  la  proie  de  tes  en- 
nemis, les  démons  ne  feront  de  toi  qu'une 
grande  ruine:  Circumdabunt  te  inimici  lui 
ralh ,  et  coungustahunt  le  undique  (Luc, 
XIX)  ;  lu  étais  mon  temple,  ma  fille,  et  on  ne 
te  reconnaîtra 'pi  us,  il  ne  restera  plus  pierre 
sur  pierre;  il  n'y  aura  plus  en  toi  ni  grâce, 
ni  foi,  ni  vestige  de  religion  :  Non  relinquent 
in  te  lapidera  super  lapidem  (Ibid.))  ;  et  la 
grande  raison  ,  c'est  que  tu  n'auras  pas  con- 
nu le  temps  de  mes  visites,  les  bons  mo- 
ments de  ma  grâce,  eo  quod  non  cogncverii 
tempus  visitationis  tues  (Ibid.)  ;  c'est  que  lu 
n'as  point  connu  cet  heureux  temps  où 
ma  miséricorde  vous  visitait;  cette  heure, 
ce  moment  actuel  où  je  te  parle,  où  je  te 
cherche  ,  où  je  te  conjure,  au  nom  de  mou 
sang,  de  revenir  à  moi ,  et  tu  refuses  de  te 
rendre  à  mes  instances ,  eo  quod  non  cogno- 
reris,  etc. 

Terrible  arrêt,  pécheurs  :  est-ce  qu'il  ne 
vous  effraye  point?  est-ce  qu'il  ne  vous  tou- 
che point? ah!  vousl'allez  donc  subir!  Cessez 
donc  de  dire  j'attends  la  grâce  ;  ah  l  vous  la 
voyez,  c'est  la  grâce  même  qui  vous  attend, 
vous  en  avez  plus  que  vous  n'en  attendez  et 
que  vous  n'en  devez  espérer.  Cessez  de  dire 
que  vous  attendez  un  bon  moment  ;  vous  le 
voyez,  ce  bon  moment,  c'est  Jésus-Chrit  lui- 
même  qui  attend  le  mouvement  de  l'eau, 
aquœmotum;  oui,  il  attend  que  vos'yeux  pleu- 
rent, que  vous  vous  repentiez  sincèrement, 
que  vous  soyez  attendris;  s'il  voyait  en  vous 
un  mouvement  de  compassion  et  de  dou- 
leur, vous  seriez  guéris. 

Reste  encore  un  dernier  obstacle  :  la  lon- 
gueur de  la  maladie.  Mon  habitude  est  trop 
invétérée;  mais  la  miséricorde  de  Dieu  ne 
vous  offre  la  guérison  d'un  paralytique  de 
trente-huit  ans  que  pour  vous  faire  espérer 
la  vôtre  et  vous  faire  comprendre  que  si  vous 
vouliez  bien,  il  n'est  point  de  désordres  ni 
d'état,  quelque  désespéré  qu'il  paraissej, 
dont  vous  ne  puissiez  sortir  avec  la  grâce 
qui  vous  a  été  donnée  :A  quacunque  detine- 
batur  infirmitate. 

Sans  employer  ici  de  grands  raisonne- 
ments, arrêtons-nous  aux  exemples;  l'exem- 
ple du  grand  Augustin,  de  la  force  et  de 
la  félicité  avec  laquelle  il  vainquit  sa  mau- 
vaise habitude,  dès  qu'il  le  voulut  effective- 
ment, suffira  pour  vous  prouver  que  vous 
pouvez  sortir  de  la  vôtre,  pourvu  que  vous 
le  vouliez  comme 
couché  par  terre,  il 
écoutez -le  comme 


lui  :  depuis  longtemps 


ne  pouvait  se  relever  ; 

il   s'en  explique  :  Je  ne 

faisais,  dit-il  que  me  rouler  dans  mon  boiir- 

>,  je  u«- 


bier  et  me  débattre  dans  mes  chaîne.- 


819 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  STJRIAN. 


820 


pouvais  ni  me  quitter  moi-même,  ni  me 
souffrir  tel  que  j'étais  ;  mes  habitudes  me 
disaient  :  Tu  veux  donc  nous  quitter,  pen- 
ses-tu le  pouvoir?  ainsi  j'étais  l'esclave  de 
l'habitude,  désespérant  de  pouvoir  la  vain- 
cre. Voilà  mon  frère  l'état  d'Augustin  avant 
sa  conversion  ;  vous  y  reconnaissez-vous? 
car  tel  est  l'état  de  tous  les  pécheurs  qui 
n'ont  point  recours  à  vous,  ô  mon  Dieu  !  mais 
fait-il  quelques  efforts,  il  devient  le  vain- 
queur; écoutez  ce  que  ce  saint  pénitent  con- 
tinue de  dire  de  lui,  il  en  parle  bien  diffé- 
remment :  Alors,  dit-il,  je  poussais  des  sou- 
pirs profonds  mêlés  de  larmes  vers  le  ciel, 
et  le  conjurais  de  me  regarder  en  pitié  ;  je 
cherchais  la  solitude,  et  m'éloignais  de  l'objet 
de  mes  passions  ;  je  lisais  et  relisais  de 
saints  livres  (remarquez,  mes  frères,  comme 
1  ouvrage  de  sa  conversion  s'avance);  j'es- 
saye enfin  de  sortir  du  précipice  où  j'étais 
plongé,  je  me  trouve  déjà  sur  le  bord, 
moins  esclave  que  je  n'étais,  et  peu  s'en 
fallait  que  je  ne  fusse  tout  à  fait  libre  quand 
l'habitude  me  demandait  si  je  pouvais  me 
passer  d'elle,  et  je'me  demandais  à  moi-même 
pourquoi  donc  ne  pourrai-je  pas  ce  qu'ont 
pu  tant  d'autres  avant  moi. 

Grâce  à  votre  miséricorde,  ô  mon  Dieu, 
vous  demandiez  à  ce  malade  s'il  voulait  être 
guéri;  il  le  voulut,  et  il  fut  guéri  ;  or,  pour- 
quoi, pécheurs  d'habitude,  si  vous  vous  fai- 
siez les  mêmes  efforts  que  le  fit  saint  Au- 
gustin, si  vous  entriez  dans  les  mêmes 
dispositions  de  religion  et  de  pénitence,  si 
vous  étiez  ce  qu'il  était,  ne  deviendriez- 
vous  pas  ce  qu'il  devint?  le  bras  du  Tout- 
Puissant  est-il  raccourci?  vous  feriez-vous 
un  sujet  de  découragement  de  vos  longues 
habitudes,  en  voyant  un  pécheur  aussi  invé- 
téré que  vous  parfaitement  converti  ?  Quoi  ! 
notre  malade  allègue-t-il  sa  longue  maladie, 
quand  Jésus-Christ  lui  demande  s'il  veut 
être  guéri?  Non,  il  le  voulut,  et  il  le  fut; 
voulez-le  comme  lui,  et  bientôt  vos  habitu- 
des les  plus  enracinées  ne  seront  plus  qu'un 
faible  obstacle  à  votre  conversion;  que  sa- 
vez-vous?  peut-être  la  longueur  de  votre 
habitude  vous  est  ici  un  présage  de  votre 
constance  et  de  votre  fidélité  au  service  de 
Dieu.  Vous  êtes  d'un  caractère  à  être  long- 
temps ce  que  vous  êtes,  vous  êtes  un  de  ces 
cœurs  fidèles  capables  de  tenir  longtemps 
un  parti;  plus  vous  avez  été  un  pécheur  obs- 
tiné, plus  vous  serez  un  pénitent  constant; 
le  même  fond,  qui  a  fait  en  vous  une  habi- 
tude criminelle ,  y  fera  la  persévérance 
chrétienne,  et  jusqu'à  la  profondeur  do  vos 
maux,  tout  servira  à  la  grâce  pour  amollir 
votre  cœur  et  pour  vous  convertir  si  vous 
voulez,  et  y  répondre;  car,  je  le  répète,  vous 
n'avez  qu'à  vouloir  votre  conversion  pour 
l'obtenir;  ah  1  la  voulez-vous  donc,  mais 
efficacement,  mais  sincèrement,  mais  véri- 
tablement :  Vis  sanus  fîerï?  Commencez-la 
sans  cesse,  que  ce  soit  ici  le  dernier  de  vos 
délais:  tout  se  réduira-t-il  à  être  touché  pour 
un  moment  et  à  promettre  aujourd'hui  ce 
que  vous  ne  tiendrez  pas  demain  ;  n'aurez- 
vous  jamais  que  des  velléités,  quelques  ré- 


solutions passagères  que  vous  n'effectuerez 
jamais  véritablement.  Ahl  devrions-nous 
être  obligés  d'appuyer  si  longtemps  sur 
l'importance  qu'il  y  a  de  vous  sauver;  jus- 
qu'à quand  balancerez-vous  à  prendre  votre 
parti,  puisque  la  pénitence  est  indispensable  ; 
ne  risquez-vous  pas  en  la  différant  de  ne 
point  la  faire;  ahl  pourrez-vous  bien  vous 
résoudre  à  sortir  de  l'état  déplorable  du 
péché  ?  Ferez-vous  bien  cet  effort  de  tra- 
vailler tout  de  bon  à  sauver  votre  âme,  il  y 
a  longtemps  que  vous  devriez  l'avoir  fait  ; 
n'allez- vous  pas  tout  à  l'heure  en  prendre 
la  résolution,  le  jurer  aux  pieds  de  Jésus- 
Christ  ;  vous  avez  tant  différé,  n'est-il  pas 
temps;  la  grâce  n'a  qu'un  moment;  l'ange 
ne  descend  pas  à  tout  moment  dans  la  pis- 
cine pour  en  troubler  l'eau  ;  il  n'est  qu'un 
temps  bien  court,  après  lequel  la  guérison 
n'est  plus  possible  :  Angélus  Domini  de- 
scendebat  secundum  tempus  in  piscinam  ;  ah  ! 
le  voyez-vous',  [ce  bienheureux  moment  : 
l'ange  est  descendu,  l'eau  se  trouble,  la 
grâce  est  en  mouvement ,  saisissez  l'ins- 
tant favorable;  si  vous  le  manquez,  vous  en 
serez  fâché,  mais  vos  regrets  viendront  trop 
tard  :  celui  qui  a  été  le  plus  tôt  prêt  a  été 
guéri  le  premier  :  Qui  prior  descendisset , 
sanus  fiebat.  Ayez  entre  vous  une  émula- 
tion sainte  à  qui  se  convertira  le  plus  tôt; 
direz-vous  comme  le  paralytique  que  vous 
n'avez  point  d'homme  pour  vous  y  pion 
ger,  dans  ce  bain  sacré  de  la  pénitence  : 
Hominem  non  habeo  ?  A  la  ville  plus  qu'à'la 
campagne  ils  s'offrent  sans  cesse  à  vous,  ces 
hommes  de  miséricorde;  ces  confesseurs 
charitables,  pour  vous  encourager  et  vous 
jeter  dans  les  eaux  sacrées  de  la  pénitence  ; 
surtout,  je  vous  en  conjure  au  nom  de  Jésus- 
Christ,  par  ce  qu'il  y  a  de  plus  tendre,  ne 
nous  alléguez  point  ces  prétextes,  toutes 
ces  vaines  excuses,  pour  vous  dispenser.de 
vous  convertir,  ou  au  moins  de  le  faire  sitôt: 
ne  sont-elles  point  épuisées  ces  folles  ex- 
cuses, ne  les  ai-je  pas  assez  renversées, 
anéanties,  détruites;  qu'en  reste-t-il  sur 
quoi  vous  puissiez  compter  ;  oseriez-vous 
les  apporter  au  lit  delà  mort,  vous  en  servir 
au  tribunal  de  Jésus-Christ?  je  ne  vous  crois 
pas  assez  impie;  et  puisqu'elles  vous  con- 
damneraient, qu'elles  vous  réprouveraient 
devant  votre  juge,  pourquoi  ne  pas  ici  les 
condamner  et  les  repousser  elles-mêmes. 

Ah  1  dites  donc,  mais  de  bonne  foi  :  je  le 
confesse,  ô  mon  Dieu,  que  toutes  ces  ex- 
cuses sur  lesquelles  je  négligeais  ma  con- 
version étaient  vaines  et  insensées;  et  peut- 
il  y  en  avoir  de  raisonnables?  Insipienter 
locutus  sum  (Job,  XLII)  ;  j'étais  un  insensé  : 
mais  présentement  que  vous  m'avez  dé- 
trompé, ô  mon.  Dieu,  je  n'attends  pas  que 
vous  me  condamniez,  je  me  condamne  moi- 
même  à  faire  pénitence  :  Auditu  auris  au- 
divite,  ideirco  ipse  me  reprehendo  (Ibid.); 
j'étais  un  lâche  qui  n'osait  m'y  résoudre, 
que  tout  effrayait,  mais  à  présent  que  vous 
m'avez  encouragé,  je  m'y  soumets  avec  plai- 
sir, et  pour  jamais  j'en  fais  mon  sort  et  mon 
partage  :  Et  aijo  pœnitentiam   in  favilla   et 


3-21 


CAREME.  —  SEHMOX  XI,  CONTRE  L'IMPURETE. 


cinere.(Job. ,XL1I.J  Plût  à  Dieu  l'avoir  plus  tôt 
fàitel  que  si  mes  sens  et  la  nature  en  crient, 
je  les  mortifierai  si  bien  qu'ils  seront  forcés 
de  se  taire,  et  mes  plus  chères  passions  ne 
seront  désormais  que  mes  plus  grandes  pei- 
nes: j'ouvre  enfin  les  yeux  sur  mon  état  dé- 
plorable, il  m'attendrit,  et  j'ai  résolu  d'édi- 
fier autant  par  ma  pénitence  que  j'ai  scan- 
dalisé par  mes  crimes  ;  encore  vaut-il  mieux 
la  faire  dans  le  reste  de  temps,'  peut-être, 
hélas  1  bien  court,  que  j'ai  à  vivre  ,  que 
pendant  toute  une  éternité  :  Ago  pœniten- 
tiam,  etc. 

Faitcs-ladonc,  mes  frères,  et  pour  la  faire 
dignement,  suivez  les  règles  que  le  Sauveur 
nous  marque  dans  la  guérison  du  paralytique  : 
Surge  ;  levez-vous  forts  et  du  péché,   et  de 
toute   occasion    prochaine:    toile  grabatum 
tuum;    emportez   votre  lit,   faites-vous   un 
genre  de  vie  pénible  et  laborieuse,  gémissez 
sur  les  mêmes  choses  sur  lesquelles  vous  vous 
reposiez;  faites  plus,  ambula  ,  avancez-vous 
de  plus  en  plus  dans  les  voies  de  la  pénitence, 
expiez  vos  péchés  par  la  pratique  des  vertus 
contraires,  ne  vous  contentez  pas  de  guérir 
une  passion  en  conservant  l'autre.  J'ai  guéri 
l'homme  tout  entier,  dit  Jésus-Christ;  guéris- 
sez-vous aussi  tout  entier  par  la  retraite,  par 
la  vigilance,  par  les  mortifications,  de   peur 
que  votre  état  ne  soit  pire,  et  ce  pire  c'est  la 
damnation  éternelle;  enfin,  une  fois  convertis, 
bénissez  Dieu  sans  cesse,  et  le  remerciez  de 
vous   avoir  accordé  la  grâce  île  votre  con- 
version. Le  premier  u-age  que  le  paralytique 
fait  de  sa  guérison,  c'est  de  passer  de  la  pis- 
cine au  temple  :  Postca  invenit  eum  Jcsus  in 
lemplo.  Et  vous  aussi,  âme  convertie,  allez  au 
sortir  d'ici  vous  offrir  au  Seigneur  au    pied 
desesautelsen  actions  de  grâces,  et  pqurriez- 
vous  lui  en  rendre  jamais  assez?  c'est  un  si 
grand  bonheur  d'être  à  Dieu,  une  consolation 
si  sensible  de  vivre  pour  lui,  et  de  respirer 
tranquillement  dans  la  paix  de  la  vertu,  après 
avoir  gémi  si  longtemps   dans  l'inquiétude 
du  crime!  C'est  une  joie  si  grande  de  pou- 
voir s'assuror  un  avenir  heureux,  et  avec 
Jésus-Christ  une  possession  de  tous  les  biens 
dans  l'immortalité  de  la  gloire  1  Je  vous  la 
souhaite,  mes  frères,  au  nom  du  Père,  etc. 
Amen. 

SERMON  XI  (7). 

CONTRE    L'iMPUUETÉ. 

Cum  immundus  spirilus  exierit  de  homine,  ambulat  per 
oca  inaquosa,  quserens  requiem  et  non  inveniens.  (tue, 

Lorsque  l'esprit  impur  sort  de  l'homme,  il  se  promène 
par  des  lieux  arides  et  cherche  du  repos  sans  en  trouver. 

En  deux  paroles,  l'Esprit-Saint  renferme 
les  deux  principaux  caractères  de  l'esprit  im- 
pur, quand  il  dit  qu'il  est  aveugle,  qu'il 
cherche  du  repos  sans  jamais  en  trouver. 

Sentez-vous,  Messieurs,  toute  la  force  de 
cette  image  ,  et  sous  quelles  couleurs  plus 
affreuses,  mais  plus  naturelles,  Jésus-Christ 
pouvait-il  nous  représenter  le  péché  charnel? 
ce  péché,  le  malheur  du  monde,  la  grande  plaie 


de  l'âme,  la  désolation  de  l'héritage  de  Dieu, 
le  scandale  de  la  foi,  l'affliction  de  l'Eglise, 
ce  péché  qui  a  pris  la  place  des  persécuteurs 
et  des  tyrans,  et  qui  est  devenu  plus  cruel  et 
plus  redoutable  qu'eux;  ce  péché  qui  dégrade 
tout  l'homme,  qui  profane  tout  le  chrétien,  et 
qu'on  aime  tout  déplorable  qu'il  est;  ce  pé- 
ché de  tous  les  temps,  de  tous  les  états,  de 
tous  les  âges,  de  tous  les  sexes,  du  inonde  et 
de  la  retraite,  de  la  vieillesse  et  du  premier 
âge,  de  l'homme  et  de  la  femme,  du  héros  et 
du  vil  esclave,  la  tentation  des  forts  et  des 
faibles  ;  le  profond  abîme  des  grands  et. 
des  petits,  des  pauvres  et  des  riches,  des 
ignorants  et  des  savants,  des  justes  et  des 
pécheurs  ;  ce  péché  aujourd'hui  si  débordé,, 
que  les  saints,  que  les  fidèles  n'osent  lever 
les  yeux  sur  la  terre  sans  gémir;  ce  péché 
qui  oblige  Dieu  à  détourner  la  vue  de  dessus 
son  peuple,  pour  n'en  pas  apercevoir  les 
abominations,  et  qui  ne  laisse  voir  partout 
qu'un  grand  malheur  ;  ce  péché  qui  par  sa 
contagion  semble  se  faire  respecter,  que  notre 
ministère  n'ose  plus  attaquer,  tant  il  s'est 
fait  de  partisans,  comme  si,  pour  ménager 
une  innocence  qui  n'est  plus,  nous  devions 
ménager  un  vice  qui  est  plus  que  jamais  ; 
comme  si  la  pudeur  pouvait  être  un  rempart 
contre  la  pudeur  même,  et  que  le  silence 
pût  servir  de  barrière  contre  tous  les  ana- 
thèmes  dont  Jésus-Christ  a  frappé  ce  vice 
abominable. 

Osons  cependant  en  parler  ;  combattons  ce 
monstre  redoutable,  et  rendons  à  ce  péché 
ses  véritables  traits;  s'il  est  peint  dans  tout 
son  naturel,  il  n'est  pas  à  craindre  qu'il  plaise; 
et  comment  ne  se  ferait-il  pas  abhorrer?  Dans 
la  peinture  de  l'esprit  immonde,  vous  consi- 
dérerez donc,  1° comme  il  vous  rend  pveugle: 
celui  qui  était  possédé  de  ce  démon  ne  voyait 
point,  cœcus;  2"  comme  il  vous  rend  misé^ 
rable  :  il  cherchait  du  repos,  et  n'en  trou 
vait  point,  quwrens  requiem  et  non  inveniens. 
Aveuglement  et  misère,  passion  insensée  et 
tyrannique,  en  vérité  le  portrait  de  ce  vice 
honteux  pourrait-il  faire  sur  vous  une  autre 
impression  que   d'horreur  et  de  haine;  et 
cette  passion  qui  vous  ôte  tout  à  la  fois  et  vos 
lumières  dans  son  commencement,  et  votre 
repos  dans  les  suites,  pourrait-elle  ne  pas  vous 
paraître  détestable  et  monstrueuse?  j'avoue 
qu'il  serait  bien  {dus  consolant  pour  nous  de 
garder  le  même  silence  sur  ce  vice  qu'on  fai- 
sait au  premier  siècle  de  l'Eglise;  mais,  puis- 
que les  temps  sont  changés  ;  il  faut  bien  que 
nous  changionsde  langage.  Vous,  ômonDieu! 
purifiez  ma  langue  et  mon  cœur,  ne  permet- 
tez pas  qu'une  bouche,  consacrée  à  révélerau 
peuple  vos  plus  adorables  mystères,  se  souille 
en  racontant  les  abominations  de   l'homme 
charnel;  ne  souffrez  pas  que  je  les  fasse  rou- 
gir de  mes  paroles,  en  voulant  les  faire  rougir 
de  leurs  actions;  et  que  je  devienne  un  scan- 
dale aux  justes  plutôt  qu'un  sujet  de  terreur 
et  do  confusion  aux  pécheurs.  C'est  la  grâce 
que  nous  vous  demandons  par  l'intercession 
de  Marie.  Ave,  Maria. 


(7)  Imprimé  au  tome  II,  page  1,  de  Tédition  de  Liège. 


S-i3 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SLMAN. 


824 


PREMIER    POINT. 


Toute  passion  aveugle  l'homme  dans  quel- 
que partie  de  lui-même;  mais  celle  dont  je 
parle  aveugle  tout  l'homme  en  l'assujettis- 
sant à  la  chair,  et  parce  que  toutesles  lumières 
de  l'homme  sont  sa  conscience,  sa  raison,  sa 
foi,  pour  .montrer  que  ce  vice  est  un  aveugle- 
ment profond  de  tout  l'homme,  il  faut  prou- 
ver qu'il  éteint  en  lui  et  toutes  les  lumières 
de  sa  conscience,  et  toutes  les  lumières  de  sa 
raison,  et  toutes  les  lumières  de  sa  foi,  et 
c'est  ce  que  je  vais  vous  démontrer  en  |  eu 
de  mots.  Oh  !  que  l'homme  impur. est  donc 
aveugle  1  plût  à  Dieu  que  le  premier  effet  de 
ce  malheureux  vice  ne  fût  point  de  vous  em- 
pêcher ici  de  sentir  votre  aveuglement  :  cœcus. 

J'ai  dit ,  1°  aveuglement  dans  la  conscience  ; 
la  conscience  a  deux  lumières  qu'éteint  en, 
vous  cette  infâme  passion;  elle  vous  aveugle 
sur  toutes  les  voies  qui  conduisent  à  ce  pé- 
ché et  sur  l'énormité  de  ce  péché  même, 
voilà  ce  que  ce  vice  a  de  singulier  au-dessus 
des  autres,  et  ce  qui  doit  contribuer  davan- 
tage à  vous  le  rendre  haïssable. 

Et  d'abord,  quand  une  conscience  n'était 
point  encore  obscurcie  par  ces  vapeurs  gros- 
sières et  charnelles,  quel  jugement  ne  por- 
tait-elle pas  de  toutes  ces  voies  qui  précipi- 
tent au  crime  honteux?  tout  alarmait  son  in- 
nocence :  lectures  profanes,  spectacles  dan- 
gereux, conversations  enjouées,  entretiens 
trop  libres,  intempérances,  mollesse,  il  n'en 
fallait  pas  tant  pour  l'effrayer,  il  n'y  avait 
point  de  voie  à  ce  crime  qui  ne  lui  fut  sus- 
pecle;  et,  voyant  en  David  la  curiosité  punie 
par  l'adultère,  la  sensualité  en  Bethsabée  par 
l'infidélité,  l'imprudence  dans  Dina  par  la 
perte  de  toute  sa  gloire,  elle  se  défiait  de  tout, 
elle  voyait  du  péril  partout  et  se  craignait 
surtout  elle-même,  car,  par  les  malheureux 
penchants  que  nous  avons  à  ce  crime ,  nous 
sommes  à  nous-mêmes  notre  plus  grande 
tentation. 

Telle  a  été  toute  âme  chrétienne  avant  d'ê- 
tre tombée  dans  ce  vice;  d'où  lui  venaient 
ses  frayeurs?  De  ce  que  Dieu  éclairait  sa 
conscience, alarmait  sa  pudeur  sur  toutesles 
voies  qui  conduisent  au  crime  dont  je  parle; 
de  ce  qu'il  lui  représentait  au  naturel  toute 
la  honte  qu'entraîne  avec  soi  cette  passion 
infâme  :  mais  dès  qu'une  fois  elle  s'y  est  li- 
vrée, toutes  ses  lumières  divines  s'évanouis- 
sent. L'Esprit-Saint  l'a  dit,  que  du  cœur  de 
l'homme  naissent  en  foule  l'orgueil,  l'ava- 
rice, les  fornications,  les  mauvaises  pensées 
qui  se  communiquent  dans  toutesles  parties 
de  l'homme  et  le  souillent  tout  entier  :  Ab 
intus  de  corde  hominummalœ  cogitationes  pro- 
cédant adalteria,  fornicationcs,  etc.,  et  coin- 
quinant  hominem  (Matlh.,  XV)  ;  et  quel  oracle 
se  trouve  plus  véritable?  La  conscience,  frap 
pée  d'un  aveuglement  profond,  ne  verra  plus 
tous  ces  vices;  elle  aura  les  yeux  fermés  sur 
toutes  les  avenues  qui  la  conduisent  au  préci- 
pice :  Etnonvidelrit;  et  qui  les  aperçoit  en  effet 
ces  voies  pitoyables?  qui  voit-on  autre  chose 
dans  le  monde  que  des  hommes  aveugles  qui, 
dès  qu'ils  ont  donné  entrée  au  fol  amour, 


s'offrent  ensuite  sans  frayeur  à  toutes  les 
occasions  d'un  mal  qui  n'est  déjà  que  trop 
grand;  qui  se  répondaient  à  eux-mêmes  du 
succès  malheureux  que  bientôt  on  y  fait 
quand  on  le  suit?  Qu'y  voit-on?  que  des 
femmes  insensées  qui,  dès  qu'un  objet  a  su 
leur  plaire,  se  reposent  sans  rien  craindre 
sur  une  fierté  qui  n'est  qu'une  chimère,  s'al- 
lèguent à  elles-mêmes  pour  sq  rassurer  une 
délicatesse  de  sentiments  qui  n'est  qu'en 
idée,  s'exposent  sans  frayeur  à  toutes  les 
occasions  du  mal,  se  permettent  comme  des 
choses  innocentes  toutes  celles  qu'elles  re- 
gardaient auparavant  comme  criminelles  :  je 
veux  dire  ces  liaisons  familières  entre  diffé- 
rents sexes,  ces  entretiens  secrets  et  dérobés, 
ces  complaisances  funestes  où  l'on  se  souffle 
réciproquement  le  poison  de  la  mort,  je  veux 
dire  ces  jarties  de  plaisirs,  ces  assemblées 
mondaines  d'où  l'on  ne  revient  jamais  avec 
l'innocence  qu'on  y  porte;  je  veux  dire  ces 
lectures  profanes  qui  laissent  de  si  mauvaises 
impressions  et  où  les  mystères  d'amour  se 
réveillent;  je  veux  dire  ces  chansons  infâmes 
où  la  jeunesse  trouve  le  libertinage  avant  la 
raison  ;  je  veux  dire  cet  empressement  qu'on 
témoigne  pour  tous  ces  ouvrages  pervers  où 
le  fol  amour  est  exprimé;  je  veux  dire  cette 
facilité  avec  laquelle  on  court  à  ces  théâtres, 
à  ces  spectacles,  où  le  venin  le  plus  subtil  de 
la  passion  entre  par  tous  les  sens  jusqu'au 
fond  de  l'âme  ;  je  yeux  dire  le  peu  de  scru- 
pule avec  lequel  on  arrête  les  yeux  sur  ces 
peintures  indécentes,  sur  ces  nudités  scanda- 
leuses qui  salissent  l'imagination  et  excitent 
des  flammes  criminelles;  je  veux  dire  l'im- 
modestie et  le  luxe  des  habits,  que  l'usage  ne 
peut  justifier  dès  que  l'Eglise  les  condamne; 
je  veux  dire  ces  artifices  ingénieux  auxquels 
on  a  recours  pour  relever  une  fade  beauté,  et 
se  faire  un  mérite  imposteur;  je  veux  dire 
la  liberté  des  regards,  la  licence  des  paroles 
qui  avertissent  si  bien  de  la  corruption  du 
cœur;  je  veux  dire  enfin  l'excès  des  repas, 
l'intempérance  des  plaisirs,  la  mollesse  de  la 
vie,  que  sais-je,  tant  d'autres  voies  perni- 
cieuses dans  lesquelles  le  pécheur  dont  je 
parle  s'engage  sans  scrupule.  Et  d'où  vient 
qu'on  ne  le  voit  point  aller  s'accuser  de  tout 
cela  aux  pieds  du  prêtre  comme  auparavant? 
Ah!  c'est  que  la  passion  les  aveugle  et  que 
Dieu,  pour  se  venger,  fait  qu'ils  vérifient  en 
eux  ce  terrible  oracle  :  De  corde  exeunt  for- 
nicationcs, superbia,  et  omniahœc  mala  au  in- 
tus procédant  et  communicant  hominem. 
(Marc,  VII.)  Pour  n'avoir  pas  défendu  son 
cœur  contre  les  premiers  traits  de  ce  péché , 
il  l'aveuglera  sur  toutes  les  voies  qui  y  pré- 
parent :  Et  nen  videbit;  hélas!  que  rapide- 
ment ces  funestes  moyens  y  conduisent  1  car, 
ô  mon* Dieu,  vous  n'avez  pas  fait  un  pacte 
avec  l'homme  de  le  préserver  du  danger 
quand  il  s'y  expose  aussi  délibéiémcnt;  de 
prendre  soin  de  conserver  son  innocence, 
lorsqu'il  cherche  à  la  perdre,  et  de  le  sus- 
pendre au-dessus  de  l'abîme  quand  il  fait  sa 
plus  grande  joie  d'y  tomber;  mais  quand  le 
pécheur  dont  je  parle  est  aveugle  sur  les 
voies  qui  conduit  eut  à  ce  péché,  il  s'aveuglo 


8-25 


CAREME. 


SERMON  Xi,  CONTRE  L'IMPURETE. 


826 


sur  le  péché  môme;  car  voilà,  à  la  honte  de 
notre  sainte  religion,  jusqu'où  se  porte  le 
pécheur  impur,  jusqu'à  devenir  impie,  voilà 
jusqu'où  sa  conscience  s'aveugle.  David  l'a- 
vait bien  prédit  qu'il  s'engraisserait  de  son 
iniquité,  que  son  crime  passerait  jusqu'à 
l'affection  de  son  cœur:  Transierunt  in  af- 
fectum  cordis  ,  prodiit  r/uusi  ex  adipe  ini- 
guitas  eorum  {Psal.  LXXIIj;  qu'ensuite  il 
irait  jusqu'à  l'abomination  des  sens  :  Cor- 
rupti  sunt  et  abominabiles  facli  sunt  in  ini- 
quitatibas  (Psal.  XIII);  que  cependant  la  lu- 
mière de  ces  sortes  de  pécheurs,  qui  est 
leur  conscience,  n'en  a  rien  vu,  ne  s'est 
aperçue  de  rien  :  Et  hom-o  non  inlellexit 
comparants  est  jumentis  insipienlibus.  [Psal. 

xlvui.) 

Quand  d'abord  l'homme  impur  se  produi- 
sit avec  des  personnes  d'un  sexe  durèrent , 
quand  sa  conscience  encore  tendre  était  maî- 
tresse de  ses  lumières,  il  qualifiait  de  péché 
un  amour  qui,  hors  le  nom,  avait  tous  les  ca- 
ractères du  fol  amour,  amour  dominant  qui 
ruine  le  premier  des  commandements  de 
Dieu,  et  lui  ravit  les  adorations  qui  ne  sont 
dues  qu'à  lui;  amour  violent,  qui  par  ses 
penchants  emporte  si  loin  l'homme,  et  qui, 
au  lieu  de  conduire  à  Jésus-Christ,  comme 
doit  suivre  tout  amour,  en  détourne  et  en 
dégoûte;  amour  actif,  qui  veut  sans  cesse 
faire  des  progrès  nouveaux,  qui  a  ses  inquié- 
tudes, ses  chagrins,  ses  tristesses,  aussi  bien 
que  ses  plaisirs  et  ses  joies,  enlève  au  Créa- 
teur des  cœurs  qui  ne  sont  faits  que  pour  lui, 
pour  les  dévouer  à  ïa  créature  qui  ne  fut  ja- 
mais digne  d'elle;  amour  scandaleux,  car  le 
public  ne  démêle  point  en  vous  les  senti- 
ments d'estime  de  ceux  de  la  brutalité;  amour 
damnable,  contre  qui  s'élevait  autrefois  saint 
Paul,  lorsqu'il  disait  :  Nous  n'avons  plus  à 
combattre  contre  les  infûmes  de  la  chair  et 
du  sang,  mais  contre  l'impureté  de  l'esprit 
et  du.cœur  :  Non  est  nobis  colluctatio  adver- 
sus  camem  et  sanguinem,  sed  adversus  prin- 
cipes et  potestates,  contra  spiritiialia  nequitiœ 
(Ephes.,  VI);  d'impureté  spirituelle  d'autant 
plus  à  redouter  et  à  fuir,  qu'elle  porte  tous 
les  caractères  du  fol  amour  et  qu'elle  offre 
l'image  du  péché  par  quelque  endroit  qu'on 
l'envisage  ;  c'était  là,  Messieurs,  les  senti- 
ments sincères  de  la  conscience  encore  pure, 
eteette  heureuse  disposition  venait  de  Dieu; 
mais  une  fois  tombé  dans  le  péché,  cette  in- 
clination du  cœur  ne  paraît  pas  même  soup- 
çonnée de  crime.  Toutes  ces  apostasies  spi- 
rituelles ne  passent  tout  au  plus  que  pour  un 
enjouement;  c'est,  dit-on,  un  pieux  strata- 
gème que  j'ai  mis  en  usage  pour  voir  jusqu'où 
peut  aller  ma  vertu,  pour  exercer  mes  talents, 
pourfaire  connaître  mon  mérite;  voilà  comme 
vous  en  jugez,  quoique  vous  sachiez  au  fond 
de  l'âme  que,  toutes  choses  bien  pesées,  ce 
qui  se  passe  entre  un  homme  et  un  homme, 
ou  entre  un  homme  et  une  femme,  doive  for- 
mer en  vous  un  sentiment  tout  contraire; 
mais  attendez,  dit  Ezéchiel,  ce  Dieu  saint 
jugera  vos  faux  jugements,  il  découvrira 
votre  turpitude  et  vous  fera  sentir  combien 
la  pas  ion  vous  aveugle  :   Yidcbunt  omnem 


turpitudincm  tuam ,  et  judicabo  de  indiciis 
adulterarinn.  [Ezech.,  XVI.) 

Vous,  cependant;  sacrés  ministres,  quand, 
au  tribunal  de  la  pénitence,  vous  trouvez  ces 
malheureux  liens  avec  ce  glaive  que  vous 
portez,  rompez-les,  brisez-les  impitoyable- 
ment, coupez-les  jusqu'au  vif,  et  vous  sou- 
venez que  laisser  dans  un  cœur  la  moindre 
étincelle  d'amour,  c'est  y  préparer  l'incendie  ; 
le  cœur  est  la  source  de  tous  les  vices,  celui 
dont  je  parle  y  pi  end  son  origine  et  sa  fin,  et, 
pour  peu  qu'on  lui  donne  entrée  par  quel- 
qu'un des  sens,  il  va  bientôt  jusqu'au  cœur  : 
et  de  là  à  combien  d'abominations  ne  se 
porte-t-on  pas?  Par  respect  pour  ce  saint 
Temple,  ne  les  exposons  pas,  on  en  com- 
prend assez  quand  nous  craignons  d'en  dire 
trop;  mais  de  tous  ceux  qui  voient  les  autres 
vices  avec  le  plus  d'horreur,  en  est-il  un  seul 
qui  ne  voie  celui-ci  d'un  œil  tranquille?  Où 
est  l'homme  impur  qui  ne  regarde  ce. vice 
comme  le  faible  de  l'humanité,  comme  la 
passion  des  grandes  âmes,  qui  ne  dise  comme 
ce  pécheur  de  l'Ecriture,  guid  mali  feci?  Où 
est  l'homme  impur  qui  n'allègue,  pour  en- 
dormir sa  conscience,  que  des  inclinations 
que  nous  apportons  en  naissant  ne  sauraient 
être  si  criminelles  devant  Dieu,  et  qui  ne 
regarde  ce  péché  comme  la  faiblesse  la  plus 
pardonnable  qui  puisse  être  dans  l'homme; 
mais  si  ce  vice  est  si  pardonnable  et  si  peu 
de  chose  devant  Dieu,  d'où  vient  donc  qu'il 
a  toujours  eu  le  Seigneur  pour  ennemi,  et 
qu'il  s'en  est  déclaré  le  vengeur? D'où  vient 
que  dans  l'Ecriture  il  est  appelé  exécrable, 
et  que  nous  voyons  ceux  qui  en  étaient 
souillés  si  rigoureusement  punis?  D'où  vient 
qu'il  oblige  Dieu  même  à  se  repentir  d'avoir 
fait  l'homme?  D'où  vient  qu'il  attire  les  fou- 
dres et  les  carreaux  sur  des  villes  entières; 
qu'il  est  châtié  par  l'effusion  de  tout  le  sang 
d'une  nation,  par  un  déluge  universel,  et 
encore  aujourd'hui  peut-être  par  le  poids 
désolant  de  toutes  les  calamités  ensemble? 
car,  sous  les  maux  qui  nous  accablent,  nous 
devons  le  juger  ainsi,  et  si,  dit  un  prophète, 
la  misère  est  excessive',  o'est  que  le  vice  est 
extrême?  Si  donc  ce  vice  est  si  peu  de  chose 
que  vous  dites,  si  celui  qui  le  commet  est 
aussi  innocent  que  vous  le  faites ,  pourquoi 
donc  rougissez-vous  d'en  être  cru  coupable? 
Pourquoi  en  faites-vous  votre  malheur  et 
votre  supplice?  Pourquoi  le  reprochez-vous 
à  vous-même?  Pourquoi  le  condamnez-vous 
tant  dans  les  autres?  Pourquoi,  pourquoi  le 
combattez-vous  si  longtemps,  et,  après  L'avoir 
vaincu,  pourquoi  sentez-vous  une  joie  si 
vive  et  si  consolante?  Pourquoi  regardez- 
vous  ceux  qui  s'y  livrent  comme  des  hommes 
faibles, et  ceux  qui  s'en  préservent  comme  des 
hommes  vertueux?  tout  cela  ne  confond-il 
pas  l'innocence  prétendue  de  vos  penchants? 
Si  ce  penchant  est  vice  pour  les  autres, 
d'où  vient  qu'il  n'en  est  pas  un: pour 
vous,  et  d'où  vient  donc  que  ce  cœur,  que 
vous  dites  être  son  centre,  vous  fait-il  sentir 
par  ses  inquiétudes  et  ses  remords  qu'il  ne 
lui  est  point  naturel!  Quelle  chimère  de 
s'imaginer  aue  ce  cœur  qui   sent  qu'il  est 


827 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SI  RI  AN. 


fait  pour  Dieu  tirera  du  fond  môme  de  son 
être  une  raison  de  l'outrager,  et  qui,  ne  re- 
gardant poirt  ce  péché  comme  quelque  chose 
d'étranger  à  son  état  naturel,  regardera  ce 
vice  honteux  comme  sa  propre  destinée? 
Quand  vous  parlez  ainsi,  hommes  impudi- 
ques, vous  connaissez-vous  bien  ?  Ne  prenez- 
vous  point  le  châtiment  de  votre  révolte 
pour  apanage  de  votre  nature  et  votre  dérè- 
glement pour  vous-mêmes  ?  Par  tout  ce  que 
je  viens  de  vous  dire  de  ce  vice  infâme,  vous 
devez  avoir  compris  (pie  votre  conscience 
n'a  plus  de  lumière,  déjà  donc  quel  aveugle- 
ment funeste!  quelle  nuit  profonde,  cœcusl 
Mais  ce  n'est  pas  tout. 

2°  J'ai  dit,  en  second  lieu,  qu'il  aveugle  la 
raison  :  comme  elle  n'a  en  nous  de  lumière, 
cette  raison,  qu'autant  qu'elle  a  de  règle, 
dès  qu'elle  devient  déréglée,  elle  n'a  plus  de 
lumière;  or,  comme  de  toutes  les  passions, 
il  n'en  est  point  de  plus  désordonnée  que 
celle  du  profane  amour,  il  n'en  est  joint 
aussi  qui  fasse  plus  d*un  homme  sage,  un 
insensé;  voyez  ce  que  fait  la  passion  dans 
un  impudique,  elle  le  porte  jusqu'à  lui  faire 
un  sacrifice  de  tout  ce  qu'il  avait  de  plus 
cher  et  de  tout  ce  que  sa  raison  jugeait  le 
plus  digne  de  son  attachement;  venons  au 
détail  :  sa  rifice  de  sa  réputation;  onsait  qu'on 
deviendra  un  objet  de  dérision  devant  ceux 
mêmes  qui  avaient  pour  nous  le  plus  d'es- 
time, et  David  qui,  avant  son  adultère,  avait 
toute  l'estime  publique  de  son  peuple,  ne 
devint-il  pas  le  mépris  et  la  raillerie  de 
toute  une  ville  par  l'assouvissement  de  ses 
flammes  impures. 

Sacrifice  de  sa  fortune  :  ah!  périssent  toutes 
les  fortunes  plutôt  que  de  manquer  à  con- 
tenter sa  passion  avec  un  objet  si  cher!  Ce 
prince  d'Israël  n'abandonne-t-il  pas  l'espé- 
rance d'une  couronne  pour  une  créature 
qu'il  aime.  Sacrifice  de  ses  talents  :  tel  qui, 
s'il  se  fût  vaincu  là-dessus,  aurait  pu,  par  la 
pénétration  de  son  esprit  et  de  ses  belles 
qualités  devenir  le  spectacle  du  monde,  faire 
la  gloire  de  son  siècle,  l'espérance  de  sa  re- 
ligion, éteint  tout  cela  dans  l'assouvissement 
de  sa  passion,  et  ne  laisse  voir  aux  hommes 
qu'un  triste  exemple  delà  faiblesse  humaine. 
Sacrifice  de  ses  biens:  ahl  que  ne  lui  coûte- 
t-il  pas  pour  contenter  l'objet  du  fol  amour, 
ou  pour  nourrir  son  avarice  insatiable,  ou 
pour  fournir  à  son  luxe  énorme,  ou  pour 
entretenir  ses  dépenses  excessives?  Car  tel 
est  le  malheur  de  cette  passion  qu'elle  vaut 
seule  toutes  les  autres  passions  ensemble  ;  il 
n'est  point  de  fond  qu'elle  ne  tarisse,  point  de 
ressource  qu'elle  n'épuise  :  Hérode  compte 
pour  rien  de  sacrifier  la  moitié  de  son 
royaume  pour  contenter  la  sienne.  Sacrifice 
des  bienséances  de  l'âge  :  cette  passion  les 
renverse  toutes;  ceux  qui  tentèrent  Susanne 
étaient  des  vieillards.  Sacrifice  des  dignités, 
des  charges  et  des  emplois:  et  combien  de 
magistrats  profanent  le  sanctuaire  de  la  jus- 
tice, et  consultent  plutôt  cette  infâme  passion 
que  l'équité  des  lois;  avant  leur  aveugle- 
ment les  juges  d'Israël  étaient  respectables 
par  leur  droiture  et  par  leur  sagesse.  Sacri- 


fice du  ministère  le  plus  sacré  :  les  enfants 
du  grand  prêtre  sont-ils  possédés  de  celte 
passion,  ils  deviennent  l'exécration  du  peu- 
ple, la  désolation  de  leur  père,  et  sont  re- 
gardés comme  les  enfants  de  Déliai.  Sacrifice 
du  rang  :  la  femme  de  Putiphar  sollicite  son 
esclave.  Sacrifice  de  paroles  et  de  la  discré- 
tion :  ceux  qui  sont  possédés  de  cette  infâme 
passion  n'ont  plus  aucune  retenue,  ils  ne 
regardent  plus  ni  politesse,  ni  prudence,  les 
nudités,  les  paroles  obscènes. 

Voilà  le  bon  air  et  le  style  du  temps,  et  la 
langue  vulgaire  des  mondains  ;  l'Apôtre  ne 
voulait  pas  qu'on  nommât  seulement  ce  vice 
de  son  temps,  et  aujourd'hui  tout  le  caracté- 
rise, tout  le  signifie;  on  n'entend  par  tous  les 
cercles  et  les  compagnies  qu'allégories  hon- 
teuses, infâmes  allusions,  qu'équivoques  in- 
sensées :  In/juinatœ  sunt,  etmens,  et  conscien- 
tia  {l'if.,  1);  celte  passion,  ladirai-je,  Mes- 
sieurs,le  souHrirez-vous?  Cette  passion  fait 
encore  sacrifier  la  bienséance  même  du  sexe  ; 
hélas  !  en  connaît-il  seulement  aujourd'hui  1 

0  sainte  pudeur,  modestie  aimable,  pré- 
cieux trésor  des  femmes  chrétiennes  ,  qu'ô- 
tes-vous  devenues?  A  votie  place  règne 
maintenant  une  licence  effrénée  qui  ne  rou- 
git de  rien,  un  libertinage  d'esprit  qui  em- 
poisonne tout,  et  si  le  monde  même  s'en 
plaint,  que  feront  les  sacrés  ministres  ?  Voilà 
cependant,  si  vous  les  en  croyez,  ce  qui 
n'est  que  bagatelle  et  enjouement  d'esprit. 
Ah!  que  vous  connaissez  mal  ce  vice!  Sa- 
crifice encore  de  vos  plus  heureuses  incli- 
nations que  cette  passion  change  et  enlève  : 
vous  étiez  né  bon,  sincère,  doux,  affable,  gé- 
néreux, el  cette  passion  vous  rend  faux, 
cruel,  dur,  fourbe,  plein  de  caprices  et  de 
mauvaises  humeurs.  Sacrifice  de  vos  devoirs 
les  plus  chers  et  les  plus  indispensables  :  il 
n'est  rien  en  vous  que  votre  |  assion  ne  cor- 
rompe ;  par  elle,  vous  devenez  fils  désobéis- 
sant, père  dénaturé,  sujet  rebelle,  époux  infi- 
dèle, la  passion  parle  encore  plus  haut  que 
la  nature  et  la  loi;  vous  ne  parlez  plus  que 
par  son  organe,  vous  ne  voyez  plus  que  par 
ses  yeux,  vous  n'agissez  plus  que  par  ses 
impressions,  vous  ne  respirez  que  par  ses 
influences  ;  c'est  par  elle  que  vous  vous  esti- 
mez heureux  ou  malheureux  ;  faut-il  le  dire, 
enfin  ?  ah  !  vous  n'adorez  plus  que  ses  idoles. 
J'oubliais  encore  un  sacrifice,  c'est  celui  de 
votre  santé:  car  enfin,  comme  l'impudique 
ne  possède  plus  son  corps,  il  n'en  est  plus 
le  maîlre,  il  l'abandonne  au  crime,  et  par 
conséquent  à  cette  multitude  de  maux  qui 
d'ordinaire  l'accompagnent.  La  passion  im- 
pure ne  fait  plus  de  la  vie  de  ce  pécheur  in- 
fâme qu'une  triste  langueur,  qu'une  infir- 
mité continuelle  :  elle  vieillit  la  jeunesse, 
elle  désespère  la  vieillesse,  elle  atténue 
l'âge  viril,  et  sacrifie  à  son  tour  l'infortuné 
qui  lui  a  sacrifié  toutes  choses;  mais  ne  faut- 
il  pas  que  sur  celui  qui  se  livre  à  ce  vice  dé- 
testable s'exécute  l'oracle  du  Seigneur  :  Mon 
esprit  ne  reposera  jamais  dans  cet  homme, 
parce  qu'il  est  tout  charnel,  et  que  Ja  raison 
et  la  chair  sont  incompatibles  ensemble: 
Non  permanchi!  spîritus  meus   in  homine,  in 


820 


CAREME.  —  SERMON  XI,  CONTRE  L'IMPURETE. 


830 


(eiernum,  quia  caro  est.  Quoi  donc  de  plus 
insensé  que  cet  homme  que  la  passion  aveu- 
gle; ah  1  cet  homme,  s'il  voulait  parler  sin- 
cèrement, pourrait  nous  dire  ici  :  Oui,  il 
est  vrai,  par  mes  faiblesses,  je  suis  devenu 
un  grand  mystère  à  moi-même,  et  un  prodige 
de  folie  qui  ne  se  comprend  pas  ;  car  quoi 
nlus  insensé  que  ce  qui  se  présente  ici  1  Ma 
fortune  ,  ma  gloire  ,  mes  intérêts  ,  mes  de- 
voirs, mon  repos,  ma  santé,  j'ai  tout  sacrifié  ; 
triste  et  déplorable  destinée  !  je  hais  tout  ce 
que  je  devrais  aimer,  et  aime  tout  ce  que 
je  devrais  haïr:  ensorcelé  par  un  objet  fatal, 
je  suis  tout  et  rien  :  homme  d'affaires  par 
mon  état  et  inutile  par  ma  faiblesse;  homme 
public  par  mes  emplois  et  mes  charges,  et 
toujours  retiré  et  invisible  par  ma  passion; 
sage  par  mes  réflexions,  et  insensé  dans  ma 
conduite;  austère  dans  mes  maximes,  et  dé- 
bordé dans  mes  mœurs;  n'étant  rien  de  ce 
que  je  devrais  être,  et  étant  tout  ce  que  je  ne 
devrais  pas  être;  devenu  par  l'excès  de  ma 
passion,  non-seulement  un 'fou,  mais  un 
monstre,  un  prodige,  un  paradoxe  qui  m'é- 
tonne moi-même  :  Fartas  sam  mihi  in  por- 
tentam.  Ah!  mon  Dieu,  un  plaisir  si  honteux 
n'est-il  pas  déjà  trop  chèrement  payé  par 
l'extinction  de  sa  raison  et  de  sa  conscience; 
non,  il  faut  qu'il  le  soit  encore  par  l'extinc- 
tion de  sa  foi  et  de  sa  religion. 

3°  La  passion  dont  je  parle  éteint  dans  ce- 
lui qu'elle  possède  toutes  les  lumières  de  sa 
foi  ;  et  certes  un  homme  trouve  d'abord  sa 
foi  contre  lui  quand  il  veut  aller  au  désor- 
dre, et  il  est  bien  triste  de  se  dire  à  soi-même 
au  fond  du  cœur  :  ce  crime  que  je  vais  com- 
mettre doit  être  puni  dans  un  avenir  éternel 
de  supplices  inévitables  1  Quelle  amertume 
vient  répandre  dans  une  âme  une  idée  si 
terrible  !  Il  faut  s'en  délivrer,  dit  le  pécheur 
impur;  de  là  il  dit  à  son  cœur  qu'il  faudrait 
qu'il  n'y  eût  point  de  Dieu,  c'est-à-dire: 
Que  je  serais  heureux  s'il  n'y  avait  point  de 
Dieu.  Il  se  complaît  dans  cette  pensée  impie, 
et  parce  qu'elle  est  favorable  à  ses  penchants, 
il  aime  tout  ce  qui  peut  l'y  entretenir,  il  ne 
cherche  que  dans  le  doute  à  se  détromper  de 
ce  qu'il  appréhende  de  voir,  et,  pour  s'aveu- 
gler sur  ce  qu'il  désire  avec  violence,  il  ta- 
che de  se  rendre  sa  religion  odieuse  ;  il  se 
demande  :  Après  tout,  est-il  bien  clair  que 
cet  avenir  soit  si  certain  qu'on  nous  l'assure? 
au  lieu  de  surmonter  le  vice  par  sa  foi,  il 
combat  sa  foi  par  sa  passion.  Quel  prestige  ! 
Mais  le  pécheur  impur  le  porte  encore  plus 
avant  :  viennent  ensuite  des  ténèbres  [dus 
épaisses  pour  le  plonger  dans  l'abîme,  il 
tombe  dans  une  incrédulité  où  son  aveugle- 
ment se  consomme  :  d'abord  la  passion  la 
voit  éloignée  des  secours  et  privée  des  lu- 
mières qui  viennent  ordinairement  de  la 
retraite,  de  la  prière,  de  la  pénitence,  des 
sacrements;  car  tout  cela  est  un  supplice  à 
l'homme  charnel,  et  que  lui  substitue-t-elle  ? 
ces  livres  monstrueux  où  l'on  fait  de  l'irré- 
ligion un  dogme  :  ces  écrits,  dignes  des 
flammes,  où  l'on  apprend  à  devenir  impurs 
j>ar  principes  ,  par  règles;  car,  à  toutes  ces 
»ectures,  le  lâcheur  impudique  trouve  un 


goût  et  montre  une  avidité  terrible.  Or, 
quand  ces  lumières  sont  éteintes,  est-il 
étrange  que  vous  soyez  incrédules,  et  que 
déjà  athées  dans  les  mœurs,  vous  le  soyez 
dans  la  créance  :  Cum  sint  abominait,  et  in- 
credibilcs  (TH.,  I)  ;  et  n'allez  pas  me  dire  :  Si 
je  suis  incrédule,  c'est  par  faiblesse  et  non 
par  irréligion;  car  je  vous  dirai  à  mon  tour 
que  ce  n'est  que  depuis  que  vous  vous  êtes 
formé  des  chaînes  criminelles,  que  depuis 
que  vous  avez  fait  des  liaisons  funestes,  que 
vous  combattez  la  foi  ;  que  votre  incrédulité 
n'a  commencé  à  paraître  que  depuis  que  vous 
vous  êtes  aperçu  que  votre  religion  cooubat- 
ta't  vos  attachements  damnables;  que  si 
vous  n'étiez,  comme  vous  le  dites,  incrédule 
que  par  conviction  et  non  par  faiblesse,  d'où 
vient  que  dans  certains  moments  où  vous 
voulez,  ce  semble,  revenir  à  Dieu,  vous 
comptez  pour  rien  tous  vos  doutes;  d'où 
vient  qu'aux  portes  de  la  mort ,  où  vous  ne 
pouvez  plus  être  impur,  vous  commencez  à 
cesser  d'être  impie;  n'est-ce  pas  parce  que 
vous  n'avez  pris  le  parti  d'être  impie  qu'après 
avoir  pris  celui  d'être  impur;  c'est  que  la 
foi  se  déclarant  contre  votre  passion,  vous 
vous  déclarez  contre  Dieu  même  ;  ce  sont  vos 
passions  qui  obscurcissent  votre  foi,  et  vous 
n'êtes  incrédule  dans  la  foi  que  parce  que 
vous  êtes  impie  dans  vos  mœurs.  Voilà  toute 
la  cause  de  votre  incrédulité.  Voilà  toute 
l'évidence  que  vous  nous  vantez,  et  qui 
l'emporte  sur  l'invincible  clarté  de  toutes 
les  preuves  ensemble  de  notre  sainte  reli- 
gion ;  voilà  tout  l'héroïsme  de  l'irréligion, 
la  honte  de  l'humanité,  l'opprobre  du  monde; 
tout  plongé  dans  les  sens,  vous  ne  voulez 
qu'eux  pour  garants  de  toute  votre  créance. 

Oh  !  qu'il  est  glorieux  à  notre  sainte  re- 
ligion d'avoir  de  tels  adversaires,  et  qu'il  lui 
est  honorable  qu'on  n'éprouve  des  armes 
contre  elle  que  dans  le  péché!  qu'il  est  grand 
pour  le  christianisme  de  n'être  point  incor- 
poré avec  ces  cœurs  impurs,  et  que  jaloux 
de  sa  gloire  il  en  sépare  les  hommes  dès 
qu'ils  sont  souillés  de  ce  vice  honteux!  qu'il 
est  beau  pour  la  foi  de  partager  toute  seule 
cette  partie  de  la  vie  qui  coule  dans  l'inno- 
cence !  mais  qu'il  est  honteux  pour  vous, 
impudiques,  de  ne  devenir  incrédules  qu'a- 
près avoir  renoncé  à  la  vertu,  à  la  probité, 
à  la  justice,  et  à  être  homme  même. 

Grand  Dieu,  que  c'est  avec  justice  que 
vous  appelez  Je  |  éch'é  de  ces  insensés  un 
feu  dévorant  jusqu'à  la  perdition,  puisqu'il 
consume  en  eux  tout  sentiment  de  religion, 
et  qu'il  déracine  toutes  les  impressions  de 
foi  que  vous  aviez  fait  naître  dans  leur 
cœur  :  Ignis  est  et  usque  ad  perditionem 
devorans  et  omnia  eradicans  genimina  (Job, 
XXXI)  ;  il  est  encore  justement  appelé  un 
démon  aveugle  dans  l'Evangile,  puisque  dans 
l'homme  impur  ni  sa  conscience,  ni  sa  raison, 
ni  sa  foi,  n'ont  plus  de  lumières.  O  Seigneur, 
si  votre  pitié  pouvait  s'étendre  jusqu'à  moi, 
je  suis  ce  pécheur  aveugle  qui  ai  perdu  la 
lumière;  éclairez,  de  grâce,  mes  ténèbres,  et 
que  verrai-je  alors?  que  dans  ma  conscience 
il  n'y  a  rien  de  plus  criminel,  que  dans  ma 


551 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SURIAN. 


832 


raison  il  n'y  a  rien  de  plus  insensé,  que  dans 
ma  religion  il  n'y  a  rien  de  plus  impie  que 
cette  infâme  passion  ;  mais  non-seulement 
le  pécheur  impur  est  aveugle,  il  est  encore 
misérable;  c'est  l'autre  partie  de  ce  discours. 

SECOND  POINT. 

Comme  le  bonheur  de  l'homme  sur  la 
terre  vient  de  la  tranquillité  de  son  cœur  et 
de  l'espoir  de  son  salut,  tout  son  malheur 
doit  par  conséquent  venir  du  trouble  de  ce 
cœur  et  du  désespoir  de  son  salut.  Or,  fut- 
il  jamais  passion  plus  propre  à  troubler 
noire  cœur,  et  h  nous  faire  désespérer  du 
salut  de  notre  âme  que  l'amour  profane? 

Pour  vous  en  convaincre  je  ne  veux  que 
les  paroles  de  Jésus-Christ  :  Quœrens  re- 
quiem et  non  iiweniens  ;  l'esprit  impur 
cherche  du  repos  et  n'en  trouve  point.  Pre- 
mière réflexion  qui  prouve  les  agitations 
cruelles  du  cœur  de  l'homme  impur  :  Dicit  : 
lîevertar  in  domum  meum,  unde  exivi:  il  dit  :  Je 
retournerai  dans  ma  maison  d'où  je  suis  sorti. 
Seconde  réflexion  qui  prouve  l'impénitence 
finale  et  le  désespoir  du  salut.  Ces  deux 
grands  abîmes  de  misère  ne  vous  effrayent- 
ils  pas  ? 

1"  La  plus  grande  source  des  malheurs  de 
l'homme,  c'est  son  cœur,  et  les  peines  qui 
naissent  du  cœur  sont  les  plus  sensibles, 
Jes  autres  misères  qui  viennent  des  sens 
font  une  impression  moins  vive;  ce  n'est 
proprement  point  l'homme,  c'est  le  dehors 
de  l'homme  sur  qui  elles  tombent  ;  mais  la 
douleur  qui  vient  du  cœur  frappe  l'homme 
tout  entier,  et  la  même  sensibilité  qui  nous 
rend  dans  le  cœur  plus  sensibles  pour  le 
plaisir  nous  rend  aussi  plus  misérables 
pour  la  peine.  Or,  comme  de  toutes  les 
peines  qui  peuvent  agir  sur  le  cœur  il  n'y 
en  a  point  de  plus  cruelles  que  celles  qui 
viennent  du  profane  amour ,  il  n'en  est 
point  aussi  qui  soient  plus  désespérantes  et 
plus  propres  à  le  rendre  malheureux.  Au- 
gustin, qui  l'éprouva,  nous  en  donne  une  rai- 
son bien  triste  :  si  la  charité  est  le  suprême 
bonheur  de  l'homme,  parce  qu'elle  l'unit 
toujours  avec  Dieu,  l'infâme  passion  est 
d'un  caractère  tout  opposé,  parce  qu'elle  n'a 
qu'un  objet  faux  et  borné;  il  faut  qu'elle  soit 
inquiète,  etc.  Opposons  l'amour  saint  à  l'a- 
mour profane,  les  caractères  de  l'un  aux  ca- 
ractères de  l'autre,  et  que  tout  justifie  ici  la 
vérité  de  ces  paroles  :  Quœrens  requiem  et 
non  inventais. 

J'ai  dit  d'abord  passion  inquiète.  La  cha- 
rité est  tranquille,  parce  qu'elle  unit  le  cœur 
à  Dieu  qui  est  son  centre;  mais  le  profane 
amour,  parce  qu'il  déplace  ce  cœur  fait  pour 
Dieu,  le  rend  misérable;  ne  rappelons  donc 
plus  les  inquiétudes  que  peut  avoir  ce  pé- 
cheur du  poids  de  sa  confusion,  de  la  honte 
de  son  état,  du  sacrifice  qu'il  fait  de  ce  qu'il 
a  de  plus  cher  :  car  en  certains  moments  où 
la  passion  ne  lui  fait  point  illusion,  son 
cœur  se  trouve  forcé  de  se  rappeler  tout  ce 
que  lui  coûte  le  profane  amour;  il  le  sent 
vivement,  et  quand  elle  ne  lui  causerait 
point  d'autres  misères,  n'en  est-ce  pas  déjà 


une  bien  cruelle,  ou  pour  une  femme,  ou 
pour  un  homme,  ou  pour  un  homme  entêté 
de  n'être  plus  tranquille,  nulle  parti] é  trouver 
inséparable  d'eux  tout  ce  qui  peut  les  jeter 
dons  le  trouble  et  dans  la  consternation  ;  de 
se  faire  un  enfer  de  son  domestique,  trou- 
vant odieux  tout  ce  qu'il  est  obligé  de  voir 
atout  moment;  de  ne  former  que  des  pen- 
sées sombres  et  lugubres,  que  des  désirs  in- 
quiets et  dévorants  ;  fuyant  tout  le  reste  et 
ne  pouvant  se  fuir  soi-même ,  portant  par- 
tout  l'idée  des  coupables  objets  dont  l'a- 
mour le  ronge  et  le  dévore  comme  un  poids 
immortel,  et  ne  faisant  de  tout  le  reste  de  sa 
vie  qu'un  long  et  cruel  tourment;  c'était   là 
où  cependant  l'infortuné  cherchait  son  re- 
pos et  où  il  espérait  trouver  tout  le  bonheur 
de  son  âme  :  Quœrens  requiem,  etc.;  mais 
quand  vous  répondez  à  votre  passion,  n'est- 
ce  pas  une  peine  d'être  livré  aux  soupçons, 
aux  défiances ,  aux  jalousies  et  à  mille  et 
mille  autrespeines  qui  suivent  le  fol  amour. 
Ah  !  qu'un  cœur  que  la  charité  porte  à  Dieu 
est  bien  à  couvert  de  ces  misères  ;  cet  océan 
délicieux  suffit  à  tous,  et  les  jalousies  n'y 
sont  point  à  craindre  ;  en  lui  toutes  les  joies 
y  sont  communes  ;  le  même  feu  qui  embrase 
tous  les  cœurs  ne  diminue  jamais;   et  un 
chrétien  fidèle  voudrait  y  porter  tous  les  au- 
tres, parce  qu'il  sait  bien  que  dans  cet  abîme 
de  félicité,  le  monde  entier  pourrait  se  perdre 
sans«épuiser  son  amour  ;  mais  l'objet  profane 
est  borné,  et  c'est  pour  cela  qu'il  fait  des  ja- 
loux. Mais  de  quelle  fureur,  de  quel  escla- 
vage n'est  pas  accoiiq  agnée  celte  jalousie  ! 
Dieu  peut-il  se   venger   plus  sensiblement 
d'un  impudique?  Souffrir  et  faire  souffrir, 
c'est  son   partage;  tout  ce  qu'il  voit  et  ne 
voit  pas  fait  son  supplice,  toutes  les  chi- 
mères deviennent  des  réalités  pour  lui,  et 
toutes  les  réalités  deviennent  des  chimères. 
La  pureté  de  la  chaire  et  la  dignité  de  mon 
ministère  m'empêchent  d'aller  plus  loin;  il 
suffit  de  vous  dire,  avec  le|Saint-Esprit,  que 
celui  qui  donne  entrée  à  ce  serpent  dans 
son  âme  tombe  dans  le  deuil  et  dans  l'afflic- 
tion, et  sent  son  cœur  continuellement  dé- 
chiré :  Dolor  cor  dis  et  lue  tus  mulier  zelotypa; 
a-t-il  besoin,  ce  pécheur,  d'un  autre  tourment, 
d'un  autre  bourreau,  d'un  autre  tyran  que 
lui-même;  et  ne  Irouve-t-il  pas  le  feu  de 
l'enfer  et  tous  les  tourments  ensemble  dans 
cette  passion  honteuse  où  il  cherchait  toute 
la  félicité  de  son  âme  :  Quœrens  requiem  et 
non  inveniens  ? 

Mais,  si  on  est  à  couvert  de  ces  cruelles 
jalousies,  n'est-il  pas  bien  triste  pour  ce  pé- 
cheur d'être  livré  a  mille  craintes  mortelles  ? 
Tantôt  c'est  une  fille  qui  craint  que  les  yeux 
de  sa  mère  ne  s'ouvrent  sur  une  intrigue, 
sur  un  mauvais  commerce;  tantôt  c'est  une 
épouse,  qui  appréhende  que  ses  mystères  ne 
se  découvrent,  et  que  le  courroux  d'un  mari 
n'éclate;  tantôt  vous  craignez  que  vos  yeux 
mêmes  ne  vous  trahissent,  que  votre  faible 
ne  parle  devant  ceux  qui  vous  voient,  que 
le  public  si  curieux  sur  les  nouvelles  scènes 
ne  pénètre  jusqu'au  fond  de  votre  âme  et 
ne  devine  ce  que  vous  prenez  tant  de  soin 


833 


CAREME..  —  SERMON  X!,  CONTRE  L'IMPURETE. 


Soi 


d'y  tenir  caché  ;  que,  malgré  tous  les  dehors 
affectés  et  si  bien  étudiés  de  pudeur  et 
de  vertu  dont  vous  vous  parez,  il  ne  vous 
échappe  quelque  parole,  quelque  œillade, 
quelque  signe  qui  vous  démasque  et  vous 
fasse  connaître  tel  que  vous  êtes,  c'est-à- 
dire  un  impur;  car  tout  parle  dans  cette  pas- 
sion, il  en  coûte  tant  à  se  contrefaire!  le 
grand  soin  et  l'affectation  même  qu'on  ap- 
porte à  la  cacher  la  découvre,  et  souvent  ce 
que  vous  croyez  un  secret  profond  est  une 
histoire  publique.  A  la  crainte  que  l'objet  de 
votre  passion  ne  réponde  pas  à  votre  fidélité 
opposons  l'assurance  que  vous  avez  de  la 
part  de  Dieu  :  car  à  mesure  que  vous  avancez 
dans  l'amour  que  vous  lui  portez,  à  mesure 
aussi  il  augmente  sa  tendresse  pour  vous  ; 
mais  il  n'en  est  pas  de  même  des  créatures,  les-' 
quelles  sentent  que  vous  leur  devez  trop  : 
non-seulement  elles  ne  vous  donnent  plus 
rien,  mais  elles  vous  deviennent  à  charge.  A  la 
crainte  que  votre  passion  ne  tombe  quand  elle 
est  si  violente  et  si  forte  opposons  encore  la 
divine  charité,  car  votre  amour,  ô  mon  Dieu, 
se  nourrit  d'excès,  il  ne  peut  jamais  aller,  ni 
trop  vite,  ni  trop  loin;  mais  il  n'en  est  pas  de 
même  du  profane  amour  :  comme  il  se  forme 
sa  raison,  la  violence  fait  sa  perte;  le  cœur  de 
l'homme  aime  par  faiblesse,  et  par  faiblesse 
bientôt  il  n'aime  plus  :  combien  de  pareils 
exemples  n'en  a-t-on  pas  vus  dans  tous  les 
temps  !  vous  avez  beau  vous  parer,  vous  com- 
poser, vous  farder,  dit  Jérémie,  cet  amour 
que  vous  marquaient  vos  profanes  amants 
se  changera  en  horreur  et  en  mépris  pour 
vous,  et  autant  ils  vous  paraissent  dévoués, 
autant  s'efforceront-ils  de  vous  perdre  :  Fru- 
stra componeris,  contempserunt  te  amatores 
tui,  animam  tua'm  quœrent.  (Jerem.,lV.)  Cet 
amour  insensé,  dit  un  autre  prophète,  dont 
vous  prenez  tant  de  plaisir  à  rassasier  votre 
âme,  dégénérera  en  haine  et  en  fureur,  et  ceux 
qui  s'épuisaient  pour  fournir  à  vos  folles  dé- 
penses vous  chasseront  comme  un  miséra- 
nle,  et  vous  livreront  à  la  honte  et  à  l'igno- 
minie :  Et  agent  tecum  in  odio  et  dimhlent 
te  nudam  ignominia  plenam,  etc.  (Ezech., 
XXIII.)  Alors,  ce  cœur  enflammé  et  fidèle  se 
voyant  trompé,  se  voyant  trahi,  regardera 
en  haine  et  en  horreur  cet  objet  infidèle  et 
trompeur,  dont  il  espérait  tout  le  bonheur 
de  sa  vie.  Quel  déchirement  dans  l'âme  de  ce 
pécheur  !  ce  n'est  plus  une  vie,  dit  saint  Au- 
gustin, c'est  une  langueur,  c'est  une  mort 
continuelle,  et  une  situation  désespérante  ; 
et  Dieu  la  permet,  afin  de  vérifier  cet  oracle  : 
Quœrens  requiem  et  non  inveniens  ;  l'impu- 
dique cherche  du  repos  et  jamais  n'en 
uouve. 

Voilà  cependant  les  joies  impures  que 
vous  préférez  aux  chastes  consolations  qui 
accompagnent  l'amour  de  votre  Dieu;  ce  sont 
là  cependant  ces  tristes  plaisirs  que  vous 
trouvez  plus  aimables  que  les  saintes  dou- 
ceurs de  la  grâce  ;  vous  avez  rejeté  la  croix 
de  Jésus-Christ,  et  a  quelles  croix  la  pas- 
sion impure  ne  vous  attache-t-elle  point  ? 
Vous  avez  refusé  ce  calice  si  aimable  du 
Sauveur,  mais  à  quel  calice  d'amertume  et 


de  tribulations  la  passion  honteuse  ne  vous 
livre-t-elle  point?  car  vous  l'avez  ainsi  or- 
donné, ô  mon  Dieu,  que  l'impie  qui  vous 
ravit  son  cœur  soit  puni  par  son  cœur  même. 
Ah  1  s'il  le  faut,  augmentez  encore  ses  pei- 
nes pour  le  faire  revenir  à  vous  ;  que  ses 
joies  trop  insensées  lui  deviennent  un  abîuje 
de  tristesse  et  un  nouveau  tourment;  que 
plus  il  cherche  son  repos  dans  ce  honteux 
péché,  plus  il  y  trouve  son  supplice,  et  avec 
son  supplice  sa  conversion  :  Quœrens  re- 
quiem, etc. 

2°  Passion  insatiable  dans  le  cœur  de 
l'homme:  quand  Dieu,  qui  est  un  bien  im- 
mense et  infini,  s'y  trouve,  ce  doit  être  pour 
lui  une  surabondance  aimable,  un  déborde- 
ment de  joie  qui  l'inonde  et  qui  le  force 
presque  à  s'écrier  avec  cette  homme  aposto- 
lique, c'est  assez;  mais  ce  n'est  pas  le  lan- 
gage de  l'homme  impie  :  Salomon  l'a  dit,  et 
pourquoi  le  Seigneur  a-t-il  permis  qu'un 
homme  si  sage,  le  plus  sage  de  tous  les  hom- 
mes, finît  sa  vie  par  la  plus  monstrueuse  des 
folies,  sinon  pour  apprendre  aux  hommes 
à  se  tenir  sur  leurs  gardes,  pour  donner  plus 
de  poids,  et  rendre  plus  invincible  un  té- 
moignage que  toutes  les  lumières  de  la  sa- 
gesse, de  l'autorité,  de  la  raison  et  de  l'ex- 
périence nous  confirment  et  nous  rendent 
indubitable?  Salomon  l'a  dit,  et  après  lui 
l'expérience  le  fait  connaître,  que  le  cœur  du 
voluptueux  est  un  abîme,  qui  désire  tou- 
jours mille  fois  plus  qu'il  n'a,  et  qui  ne  peut 
jamais  dire,  c'est  assez;  c'est  un  gouffre  si 
profond  qu'il  aurait  plus  de  plaisir,  et  de 
joie  qu'il  eu  espère,  et  dirait  encore  :  Ce  n'e.--t 
rien;  j'en  voudrais  davantage.  Est-il  ici  be- 
soin de  grands  raisonnements?  Parlez  à  ma 
place,  victimes  infortunées  de  la  passion 
impure;  je  sais  que  quelquefois  sur  cela 
votre  bouche  trahit  les  sentiments  de  votre 
cœur;  mais  si  vous  nous  parliez  sincère- 
ment et  de  bonne  foi  comme  vous  le  pensez, 
vous  nous  diriez  :  Oui,  il  est  vrai  que  le  sort 
de  ce  pécheur  est  le  dégoût  et  l'ennui  ;  que 
vos  cœurs  n'ont  été  que  malheureux  depuis 
que  vous  aimez  ;  que  les  plaisirs  charnel» 
n'entrent  point  dans  la  vraie  félicité  de 
l'homme,  et  qu'avec  eux  vous  vous  trouvez 
misérables  ;  que  si  vous  vouliez  nous  parler 
dans  une  religieuse  ingénuité,  vous  nous 
diriez  que  si  quelquefois  vous  avez  res- 
senti quelques  joies  imaginaires,  de  tristes" 
moments  qui  leur  succédaient  les  ont  bien- 
tôt démenties,  et  que  vous  avez  bientôt  re- 
connu dans  le  vide  de  votre  cœur  de  vérita- 
bles peines,  qui  vous  rendaient  insupporta- 
bles à  vous-mêmes;  vous  nous  avoueriez  qiœ 
quelque  violence  que  vous  eût  coûtée  la  ré- 
sistance, vous  auriez  toujours  bien  gagné  à 
résister  aux  attraits  de  cette  folle  passion  ; 
que  tous  les  jours  encore  vous  vous  souve- 
nez avec  larmes  et  regrets  de*  votre  pudeur, 
de  votre  innocence,  et  de  la  paix  que  vous 
goûtiez  dans  cet  heureux  temps,  et. qu'enfin 
à  votre  malheur  votre  sort  est  bien  changé; 
vous  nous  confesseriez  ici  que  dans  cet  ob- 
jet qui  a  su  vous  charmer,  vous  y  trouvez 
bientôt  des    faiblesses,  des  imperfections, 


855 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SURIAN. 


838 


des  travers,  des  bizarreries,  qui  le  rendent 
indigne  de  votre  attachement,  qui  vous 
avertissent  que  votre  cœur  aveugle  s'est 
trompé;  vous  nous  diriez,  que  depuis  long- 
temps vous  courez  de  passion  en  passion 
pour  y  trouver  un  bonheur  que  jamais  vous 
n'y  rencontrez,  et  que  si  enfin  vous  avez 
choisi  un  objet  auquel  vous  donnez  tous  vos 
désirs  insensés,  ce  n'est  pas  que  vous  soyez 
plus  contents  de  votre  choix,  c'est  que  vous 
vous  êtes  lassés  du  changement  et  que  vous 
êtes  honteux  de  l'inconstance  -.Quœrens  re- 
quiem. L'impudique  cherche  en  vain  du  repos 
dans  sa  passion',  il  n'en  trouve  jamais;  vous 
nous  diriez  enfin  que  toutes  ces  fatales  vo- 
luptés ne  sont  que  de  grandes  peines,  de 
grands  regrets,  une  grande  honte  quand  on 
y  fait  réflexion,  de  criminelles  misères  ;  que 
le  plaisir  qu'on  a  goûté  est  un  charme  fugitif 
et  passager,  et  une  peine  fixe  et  permanente; 
que  vous  éprouvez  trop  ce  que  le  sage  a  dit 
que  l'impudique  perd  son  âme  à  cause  de 
l'indigence  et  de  la  pauvreté  de  son  cœur  : 
Qui  adultcr  est  propler  cordis  inopiam  perdet 
animam  suam  [Prov.,  VI)  ;  et  qu'enfin,  dans 
tout  vous-mêmes  et  dans  tous  les  objets  de 
votre  passion,  vous  justifiez  trop  cette  pa- 
role :  Quœrens  requiem  et  non  inveniens  ; 
l'impudique  cherche  du  repos  et  n'en  trouve 
point. 

Voilà  pourtant  cette  passion  à  laquelle 
presque  tous  les  cœurs  se  livrent  aveuglé- 
ment; les  voilà  ces  attachements  honteux 
dont  tous  les  jours  on  nous  dit  que  les  pei- 
nes sont  des  plaisirs,  que  sur  les  théâtres  on 
ne  représente  qu'en  beau,  et  dont  on  cache 
ou  déguise  les  amertumes  et  les  chagrins 
par  la  pompe  des  habits,  par  le  brillant  des 
spectacles,  par  les  parures  toutes  mondai- 
nes :  ici  vous  la  voyez,  cette  passion,  dans 
tout  son  naturel,  hors  du  langage  du  monde, 
dépouillée  de  ce  charme  trompeur  qui  fas- 
cine les  sens,  qui  flatte  l'imagination,  toute 
abstraction  faite  de  ce  qu'on  lui  attribue 
qu'elle  n'a  point,  c'est-à-dire  dans  la  réalité 
et  dans  la  vérité  toute  pure,  et  dans  cette 
peinture  fidèle,  qu'est- elle,  sinon  un  poids 
accablant,  un  tourment  affreux,  toutes  les 
misères  ensemble? 

O  feu  infernal!  ô  passion  infâme!  Si  c'est 
\h  tout  le  bonheur  que  tu  procures,  favo- 
vorises-en  tes  esclaves  ;  pour  nous,  ô  mon 
Dieu,  ce  n'est  qu'en  vous  et  avec  vous  que 
nous  voulons  chercher  des  plaisirs  vérita- 
bles, ceux  que  cherchent  ces  malheureux 
pécheurs  ne  le  sont  pas,  ils  n'en  ont  tout  au 
plus  que  l'apparence,  et,  pour  comble  de 
malheur,  c'est  que  la  même  passion  qui  les 
rend  inquiets  et  insatiables  dans  le  cœur  les 
rend  encore  impénitents  pour  le  salut  :  Tune 
vadit  et  ussumii  septem  alios  spiritus  secum, 
ner/uiores  se,  et  ingressi  habitant  ibi.  Autre 
comble  de  misère,  je  n'en  dirai  que  deux 
paroles. 

3"  Ce  qui  forme  dans  le  pécheur  l'état 
d'impénitence,  ce  sont  deux  choses  :  Dieu 
et  l'homme  :  Dieu  qui,  irrité,  suspend  ses 
grâces,  et  l'homme  qui,  affaibli,  tient  davan- 
tage à  son  péché;  or,  de  toutes  les  passions 


il  n'en  est  point  qui  tende  plus  à  consommer 
l'impénitencedans  un  cœur  que  l'impudicité. 
Pourquoi?  parce  qu'i'  n'en  est  aucune  par  qui 
Dieu  soit  plus  porté  h  suspendre  ses  grâces, 
ni  en  qui  l'homme  plus  profondément  cor- 
lompu  aime  plus  son  péché,  c'est-à-dire  que 
par  la  passion  honteuse  Dieu  est  moins  dans 
la  voie  de  sa  miséricorde,  l'homme  est  moins 
dans  la  voie  de  sa  conversion  :  abomination 
de  la  désolation  :  Ciel, quel  affreux  achemi- 
nement à  l'impénitence  finale  ! 

Et  d'abord,  que  voit  Dieu  dans  l'homme 
impur?  Il  le  regarde  et  y  reconnaît  son 
sang  précieux  foulé  aux  pieds,  sa  grâce  toute 
changée  en  dissolution  et  en  désordre,  gra- 
ttant transferentes  in  luxuriant  (Jud.,  IV),  dit 
saint  Jude.  Que  voit  encore  Dieu  dans 
l'homme  impur?  Il  y  voit  toutes  les  trompe- 
ries de  sa  passion  et  un  enchaînement  do 
péchés  qui  en  sont  les  malheureux  effets;  il  y 
voit  la  discorde  qui  divise,  l'infidélité  qui 
trahit,  l'intempérance  qui  abrutit,  la  mollesse 
qui  corrompt,  la  jalousie  qui  désespère,  car 
cette  passion, malheureusement  trop  féconde, 
pullule  une  infinité  de  péchés;d'elle,  comme 
de  leur  source,  naissent,  dit  saint  Augustin, 
presque  tous  les  autres  vices,  et  ce  crime, 
dit  saint  Bernard,  renferme  lui  seul  tous  les 
autres,  et  c'est  pour  cela  qu'on  appelle  l'hom- 
me impur  l'homme  de  péché,  comme  s'il 
était  le  péché  même.  Aussi  dans  l'Evangde 
le  démon  immonde  est  appelé  une  légion, 
parce  qu'il  comprend  tous  les  démons  en- 
semble. Que  voit  Dieu  dans  le  pécheur  im- 
pur ?  Il  y  voit  une  âme  créée  à  son  image,  ra- 
chetée au  prix  de  sa  vie,  qui  n'est  plus 
qu'une  prostitution  infâme  du  péché  et  à 
qui  tous  les  sens  servent  d'instruments  d'i- 
niquité; il  y  voit  surtout  une  chair,  depuis  la 
baptême  si  vénérable  ,  ennoblie  par  son 
alliance,  purifiée  par  sa  grâce,  imbue  et  en- 
graissée de  ses  mystères,  plus  respectable 
que  son  temple,  plus  sainte  que  ses  autels, 
profaner  en  elle  tous  les  dons  de  son  Dieu, 
se  dégrader  et  se  confondre  avec  les  vils  ani- 
maux. Dieu  voit  dans  le  pécheur  impur  l'a- 
bomination et  la  désolation  dans  le  lieu 
saint,  c'est-à-dire',  en  un  mot,  l'impureté 
dans  un  chrétien. 

Or,  quel  attrait  pour  la  grâce,  qu'une  si 
horrible  profanation  1  Oh  !  peut-elle  assez  , 
cette  grâce  pure,  s'éloigner  de  tant  de  cor- 
ruption; non,  j'ose  le  dire,  il  n'y  a  plus  de 
société  ni  de  commerce  entre  Dieu  et  le 
pécheur  impur.  Job  craignait  que,  si  son 
âme  formait  une  seule  pensée  impure,  elle 
ne  fût  indigne  de  l'alliance  de  son  Dieu;  mais 
ce  que  Job  craignait  pour  lui,  vous  l'éprou- 
verez sur  vous.  Quelle  espérance  donc  pour 
une  chair  souillée  de  mille  ordures?  Ah! 
n'en  doutons  pas,  Messieurs;  Dieu,  aban- 
donné si  honteusement  par  l'impudique, 
est  un  démon  qui  en  prendra  sept  autres 
avec  lui,  s'empareront  de  votre  âme,  ils  y  fe- 
ront une  demeure  fixe  :  Et  ingressi  habitant 
ibi. 

k"  Mais  s'il  ne  vous  reste  point  de  res- 
source du  côté  de  Dieu,  prenez  vous-en  à 
vous-mêmes,  dont  ce  vice  détestable  a  con- 


837 


CAREME.  —  SERMON  XI,  CONTRE  L 'IMPURETE. 


833 


sumé  toute  la  vigueur,  qui  n'êtes  plus  que 
faiblesse  et  la  misère  même;  et  pourquoi  la 
pénitence  doit  être  nécessairement  une  vio- 
lence héroïque,  un  combat,  une  carrière 
pénible  qui  demande  des  forces  extrêmes? 
comment  donc  soutenir  ses  efforts,  vous  qui 
ne  trouvez  en  vous  que  de  l'épuisement  et 
de  la  faiblesse,  qui  ne  sentez  plus  qu'un  es- 
prit abattu  dans  une  chair  languissante,  et 
qui,  bien  loin  de  faire  assez  d'efforts  pour 
retrouver  le  Seigneur,  ne  pouvez  plus  vous 
retrouver  vous-mêmes  ;  comment  pourriez- 
vous  le  ramener  dans,  ce  cœur  épuisé,  qui  a 
perdu  cette  sainte  sensibilité  que  la  grâce 
lui  avait  donnée  et  qai  ne  s'imagine  point 
d'autre  plaisir  que  dans  ce  vice  honteux  , 
dans  ce  cœur  en  qui  tout  conspire  à  éterni- 
ser la  passion,  et  rien  à  pratiquer  la  péni- 
tence? car,  d'où  l'attendrez-vous,  celte  pé- 
nitence, est-ce  de  votre  volonté?  mais  elle 
est  devenue  votre  passion  elle-même,  dit 
saint  Augustin,  non  vult;  en  vain,  dit-il,  je 
lui  ai  donné  le  temps  de  fairp  pénitence  :  Non 
vult,  dedi  ei  tempus  utpœniteret.  Une  volonté 
naissante  voudrait  rompre  ses  chaînes, mais 
une  volonté  plus  forte  serre  les  liens  da- 
vantage, et  ne  fait  que  se  tourner  et  retour- 
ner, sans  quitter  sa  place,  non  vult;  quel- 
quefois, regrettant  la  précieuse  innocence 
que  vous  avez  perdue,  ou  effrayé  par  les 
images  affreuses  de  la  mort  que  vous  crai- 
gnez, vous  voudriez  vous  relever  de  l'a- 
bîme où  vous  êtes  plongé, mais  vous  retombez 
toujours  par  le  seul  poids  de  la  cupidité 
que  vous  aimez  plus  que  vous  ne  voudriez, 
parce  que  vous  avez  aimé  plus  que  vous  ne 
'deviez.  Enfin,  vous  plaignant  toujours  de 
vos  malheurs  et  cherchant  tout  ce  qui  peut 
vous  rendre  malheureux,  est-ce  donc  là  se 
convertir,  et  si  vous  ne  le  faites  pas,  n'est-ce 
pas  que  vous  ne  le  voulez  pas  comme  il 
faut  :  Non  vult. 

Mais  d'où  l'attendriez-vous  encore  cette 
pénitence?  serait-ce  des  exercices  delà  reli- 
gion où  les  autres  pécheurs  la  trouvent? 
mais  cette  passion  vous  en  rend  incapables; 
encore  si  vous  confessiez  vos  désordres 
tels  qu'ils  sont,  et  que  vous  le  fissiez  sou- 
vent, mais  cette  passion  qui  vous  enchaîne 
ne  vous  le  permet  pas;  elle  en  inspire  de 
l'éloignement  et  de  l'horreur,  non  vult;  en- 
core si  vous  demandiez  à  Dieu,  parla  prière, 
la  grâce  de  vous  en  délivrer  ;  mais,  selon  le 
langage  de'  l'Evangile,  l'esprit  immonde  est 
muet;  encore  si  vous  pouviez  entendre 
Dieu,  lorsque  vous  parlez  en  tant  de  ma- 
nières; mais  le  démon  impur  est  sourd;  en- 
core, si,  par  votre  assiduité  au  saint  temple, 
par  l'usage  des  sacrements,  vous  pouviez 
espérer  d  être  participants  de  ces  onctions 
divines,  de  ces  eaux  toutes  célestes,  de  ces 
rosées  salutaires  que  l'Eglise  distribue  et 
que  le  Sauveur  communique  aux  fidèles; 
mais,  selon  l'Evangile,  ce  démon  impur  qui 
vous  possède  ne  cherche  que  des  lieux  secs 
et  arides,  les  spectacles,  les  compagnies 
mondaines,  les  parties  de  plaisir,  lieux  brû- 
lants et  desséchés,  où  la  grâre  ne  coula  ja- 
mais :  Ambula!  per  lùca  inaquosa. 


D'où  l'aticndriez-vous,  cette  \  énilence?  de 
la  vieillesse?  mais  cet  âge  reçoit  toujous 
l'ardeur  que  la  passion  lui  apporte,  mais  1 
ne  la  rend  presque  jamais.  C'est  un  ver  qui 
ne  meurt  point,  et  ici  le  pécheur  va  tonjouis 
aussi  loin  que  l'homme  ;  mais,  si  vous  avez 
croupi  longtemps  dans  l'impudicité,  que 
pouvez-vous  espérer?  Fussiez-vous  même 
convertis,  vous  devez  tout  appréhender,  et 
presque  toujours  c'est  une  fausse  pénitence 
après  ce  malheureux  péché.  Ce  vice  vous  a 
rendus  inconstants,  comme  il  est  dit  du  démon 
impur  de  l'Evangile,  tantôt  dans  l'eau  et 
tantôt  dans  le  feu;  aujourd'hui  dans  l'eau  de 
la  pénitence,  dans  le  repentir  et  les  larmes, 
et  demain  dans  le  feu  de  la  passion,  dans  les 
intrigues  et  les  parties  de  plaisir.  Il  est  inu- 
tile de  former  des  résolutions  et  des  pro- 
messes, vous  ne  vous  en  souvenez  [dus  le 
lendemain.  Rappelez-vous  te  qui  peut-être 
déjà  vous  est  plusieurs  fois  arrivé  :  dans  une 
maladie,  dans  une  disgrâce,  dans  un  cha- 
grin, dans  un  dépit,  vous  fîtes  les  plus  belles 
résolutions  du  monde;  vous  formâtes  le 
dessein  de  ne  plus  voir  l'objet  de  votre 
passion,  de  briser  pour  toujours  vos  mal- 
heureuses chaînes;  dégoûtés  du  vice  peut- 
être  par  l'usage  même  du  vice,  vous  eûtes 
des  mouvements  aimables  de  conversion  ;  et 
a/rès  des  réflexions  toutes  sages,  honteux 
de  votre  état,  vous  résolûtes  de  rendre  à 
Dieu  votre  cœur.  Vous  avouâtes  que  sans  lui 
vous  seriez  toujours  misérables;  déjà,  ce  sem- 
ble, vous  sentiez  toute  la  ditférenc  de  l'amour 
divin  à  l'amour  profane.  Fidèles  à  la  grâce 
du  Seigneur,  qui  vous  éclairait,  vous  fîtes 
une  rupture  éclatante  avec  les  complices  de 
vos  désordres  ;  vous  vîntes  chercher  à  nos 
pieds  un  remède  à  vos  maux,  et  nous, 
vous  consolant,  vous  déliant  de  la  part  de 
Jésus-Christ,  nous  vous  dîmes  comme  lui  : 
Allez  en  paix,  et  vous  donnez  bien  de  garde 
de  retomber  dans  ce  péché  :  Noli  amplius 
peccare.  (Joan.,  VIII.) 

Nous  avez-vous  obéi,  âme  fidèle?  Ah! 
votre  état  répond  pour  vous.  Toujours  mê- 
mes passions,  mêmes  désordres,  mêmes 
liaisons  ;  à  la  vue  même  de  ceux  qui  vous 
connaissent  et  à  la  honte  de  votre  repentir, 
vous  ne  fûtes  jamais  plus  impure.  Eh  !  à  quoi 
.  donc  aboutissent  ces  faibles  larmes  de  péni- 
tence? A  vousrendre  plus  impénitents  et  à  vé- 
rifier encore  celte  parole  que  la  passion  im- 
pure est  un  enfer  fermé  d'où  il  n'échappe  aux 
démons  aucune  proie  :  Rcvertar  in  domum 
meam  unde  exivi.  Si  j'ai  quitté  cette  âme,  ce 
n'est  que  pour  un  temps  :  j'en  suis  le  maîlre. 
Une  pensée,  une  parole,  un  regard,  un  sou- 
venir m'y  rétablira  :  Rcvertar.  Je  l'avoue, 
peut-être  que  par  les  sacrements  cette  mai- 
son, qui  était  impure,  est  lavée  et  nettoyée; 
mais,  par  le  retour  de  cette  passion  seule, 
je  la  salirai,  je  l'infecterai  davantage  :  Rc- 
vertar. Voilà  comme  parle  le  démon  impur; 
et  il  ne  revient  point  seul  dans  l'âme  infor- 
tunée: il  prend  avec  lui  sept  autres  démons 
plus  méchants  encore  que  lui.  Entre  ceux-là 
est  le  démon  du  désespoir;  désespoir  ter- 
rible pendant  la  vie,  et  plus  encore  à  la  mort 


8T.) 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SURïAN. 


840 


de  voir  que  vous  êtes  encore  plus  fortement 
que  jamais  attachée  à  l'objet  infâme  que  Dieu 
vous  arrache;  de  prouver  que,  jusqu'aux, 
pieds  du  tribunal  de  Jésus-Christ,  vous  por- 
terez votre  passion,  parce  que  l'habitude 
vous  enchaîne  et  qu'il  n'y  a  plus  de  péni- 
tence à  espérer  pour  vous,  parôe  qu'il  ne 
vous  reste  plus  de  temps  pour  la  faire;  et 
que,  passant  ainsi  des  flammes  de  l'impu- 
reté au  feu  de  l'enfer,  donnant  à  l'impudique 
le  triste  exemple  des  liaisons  presque  indis- 
solubles qu'il  y  a  entre  l'impureté  de  la  vie 
et  l'impénitence  de  la  mort,  vous  justifierez 
plus  misérablement  que  jamais  toute  la  vé- 
rité de  ces  effrayantes  paroles  :  El  ingressi 
habitant  ibi;  les  démons,  y  étant  une  fois  en- 
trés ,  y  habitent  pour  jamais. 

Etat  lamentable,  mes  frères;  s'il  était  connu, 
on  le  pleurerait  avec  des  larmes  de  sang. 
Ah!  prévenez-le,  je  vous  en  conjure,  et 
souffrez  qu'en  finissant ,  je  vous  adresse  ces 
paroles  de  saint  Paul  :  Obsecro  vos,  fraires , 
per  misericordiam  Dei,  ut  exhibeatis  corpora 
vestra  hostiam  viventem  sanctam  Deo  placen- 
tcm.  (  Rom. ,  XII.  )  Ah  !  que  voulez-vous 
faire  encore  d'une  passion  qui  vous  rend 
aveugles,  misérables,  impénitents?  Comme 
ministre  de  Jésus-Christ  je  vous  exhorte  ,  je 
vous  supplie  de  la  vaincre,  de  la  rejeter;  il 
est  de  votre  intérêt,  et  tout  en  vous  le  de- 
mande. Tout  avec  moi  vous  y  convie  :  votre 
réputation  perdue  ou  en  danger  de  l'être, 
votre  gloire  flétrie,  votre  fortune  en  désor- 
dre, vos  affaires  négligées;  votre  santé 
ruinée,  votre  conscience  agitée,  votre  repos 
troublé,  votre  cœur  inquiet,  tous  vos  inté- 
rêts du  temps  et  de  l'éternité.  Ah!  que  de 
voix  fortes  semblent  se  joindre  à  la  mienne  ! 
niais  une  plus  forte  encore,  c'est  celle  de  la 
miséricorde  de  Dieu  :  Per  misericordiam 
Dei.  (Ibid.)  Ce  sang  de  Jésus-Christ  répandu 
pour  tous  les  hommes  est  prêt  encore  à  cou- 
ler sur  vous  dans  ces  saints  jours,  au  nom 
de  celte  même  miséricorde  qui  a  converti  les 
pécheresses,  les  Samaritaine,  les  Augustin, 
les  Paul,  et  qui  voudrait  en  vous  faire  en- 
core revivre  ces  grands  prodiges  de  péni- 
tence :  Obsecro  vos  per  misericordiam  Dei. 
Mais  que  vous  demandons-nous  encore  ? 
D'honorer  votre  chair,  de  l'élever  à  la  di- 
gnité d'hostie  sainte,  hostiam  sanctam;  d'en 
faire  une  victime  pure  et  vivante  de  la  vie 
de  la  grâce.  Direz-vous  que  vous  vous  sen- 
tez trop  faibles  pour  cela  ?  Mais  c'est  par  la 
miséricorde  de  Dieu  que  nous  vous  exhor- 
tons :  Per  misericordiam  Dei;  quelle  source 
de  force  et  de  courage  1  Nous  vous  deman- 
dons que  vous  fassiez  de  vos  corps  autant 
(ie  victimes  qui  soient  agréables  à  Dieu  : 
Deo  placrntem.  Direz-vous  que  c'est  acheter 
un  peu  bien  cher  les  désirs  de  plaire  à  Dieu  ? 
mais  songez-vous  que  celui  à  qui  nous  vou- 
lons que, vous  soyez  agréables,  c'est  un 
Dieu  qui  par  l'excès  de  son  amour,  a  tant 
mérité  le  vôtre  ? 

Mais  comment  me  vaincre  moi-même  ? 
comme  tant  d'autres  pénitents  ont  fait,  en 


évitant  les  occasions  prochaines  du  péché, 
en  ôtant  au  démon  tous  les  moyens  qu'il 
emploie  pour  vous  gagner  et  vous  retenir  : 
toutes  ces  lectures  profanes,  tous  ces  spec- 
tacles criminels,  toutes  ces  assemblées  mon- 
daines, tout  ce  qui  peut  porter  votre  cœur 
au  crime  et  le  rappeler  à  ses  désordres? 
Comment  vous  vaincre?  en  priant  souvent,  en 
approchant  des  sacrements  J'ai  bien  senti, 
disait  le  Sage,  que  la  chasteté  m'était  néces- 
saire, c'est  pourquoi  je  l'ai  demandée  au 
Seigneur  de  toute  mon  âme.  Comment  vous 
vaincre?  en  écoutant  la  parole  de  Dieu, 
d'où  sortent  mille  traits  va;nqueurs  contre 
le  démon  impur,  ennemi  juré  de  votre  salut. 
Comment  vous  vaincre  ?  en  faisant  par  la  re- 
traite, par  le  travail,  par  la  pénitence,  par 
les  œuvres  de  charité  et  de  religion,  une 
diversion  aimable  à  ce  vice  honteux.  Com- 
ment vous  vaincre,  mes  frères?  en  appelant 
à  votre  secours  le  grand  spectacle  des  juge- 
ments de  Dieu,  la  terreur  salutaire  de  ses 
vengeances  ;  car  à  cet  aspect  toute  passion 
tombe,  toute  flamme  s'éteint.  Comment  vous 
vaincre?  en  opposant  à  ce  fol  amour  l'amour 
saint;  car  nous  ne  voulons  pas  dépouiller  votre 
cœur  de  tout  amour,  et  le  réduire  à  une  sé- 
cheresse rebutante.  Aimez,  mais  plus  fidèle- 
ment, mais  plus  chrétiennement,  mais  plus 
heureusement,  mais  plus  raisonnablement  ; 
j'ose  le  dire  :  toute  votre  conversion  n'est 
qu'un  amour  plus  heureux,  plus  doux,  plus 
tranquille  et  plus  long. 

Ah!  donnez-le-nous,  ô  mon  Dieu,  cet 
amour  divin.  Vous  êtes  venu  l'apporter  sur 
la  terre  ;  mettez-le  à  la  place  de  cet  amour 
profane  qui  cause  nos  malheurs  ;  ôtez-nous, 
si  vous  voulez,  tout  le  reste,  mais  donnez- 
nous  la  pureté,  l'innocence,  qui  est  le  plus 
grand  bien  que  nous  puissions  jamais  avoir 
en  ce  monde.  Que  de  nos  cœurs  à  jamais 
toute  impureté  soit  bannie.  Venez-y,  vous, 
Dieu  de  sainteté,  Dieu  de  grâce  et  cîe  misé- 
ricorde ;  animez-nous,  possédez-nous  et  nous 
remplissez  de  vos  llammes  innocentes.  Du 
haut  de  votre  croix,  où  votre  chair  fut  sa- 
crifiée, faites  sur  la  nôtre  des  impressions  de 
salut  et  de  pénitence.  Que  vos  regards  nous 
touchent;  que  votre  parole  nous  guérisse; 
que  votre  sang  nous  lave;  que  vos  douleurs 
nous  encouragent  ;  que  votre  amour,  enfin, 
sanctifie  le  nôtre,  afin  qu'ayant  le  cœur  pur, 
nous  puissions  vous  voir  et  vous  posséder 
dans  l'immortalité  de  votre  gloire.  Amen. 

SERMON  XII  (8). 

DES  PEINES  DE   L'ENFER. 

Miserere  mei...  quia  crueior"  in  hac  flamma.  (Luc, 
XVI.) 

Âyezvitié  de  moi ..  parce  que  je  souffre  d'extrêmes  tour- 
ments dans  cette  flamme. 

Que  le  langage  de  ce  pécheur  en  l'autre 
vie  est  différent  de  celui  qu'il  tenait  en 
celle-ci:  il  disait  sur  la  terre,  flatté  parle 
faux  charme  d'une  trompeuse  prospérité: 
Mon  âme  goûte  avec  joie  les  plaisirs  divers 


(8)  Imprimé  au  tome  î",  p.ige  224. ,  de  L'édition  de  Liège,  sous  ce  titre  :   De  la  vie  molle. 


SH 


CAREME. 


SERMON  XII,  DES  fEINES  DE  L'ENFER. 


8ii 


que  la  fortune  vous  offre,  et,  sans  aller  jus- 
qu'aurcoupables  voluptés,  faites-vous  un  sort 
si  doux  que  les  plus  heureux  du  monde 
vous  l'envient.  Aujourd'hui,  du  fond  des 
enfers  où  des  misères  trop  réelles  ont  suc- 
cède aux  fausses  joies,  devenu  un  spectacle 
de  compassion  et  d'horreur,  il  s'écrie  :  O 
vous  qui  voyez  l'excès  de  mes  peines,  père 
Abraham,  ayez  pitié  de  moi,  je  suis  bien 
digne  de  toute  votre  compassion:  miserere 
met.  En  ce  monde,  il  animait  tous  ses  sens 
au  plaisir,  il  s'invitait  lui-même  à  s'y  repo- 
ser loin  de  ces  crimes  grossiers  qui  fatiguent; 
et  dans  l'autre  une  source  de  remords  cau- 
sés par  les  flammes  vengeresses  qui  le  dé- 
vorent, lui  arrache  ces  tristes  plaintes: 
ah  1  que  je  souffre  d'extrêmes  tourments 
dans  cette  flamme  !  crucior  in  hac  flamma. 
Ce  qu'il  croyait  permis  ne  l'était  donc  pas? 
il  se  trompait  donc  quand  il  pensait  que  des 
mœurs  exemptes  de  grands  crimes  étaient 
exemptes  de  supplices,  et  le  système  qu'il 
s'était  fait  d'une  vie  inutile  et  heureuse 
était  donc  faux?  les  ménagements  qu'il  au- 
rait voulu  garder  entre  le  vice  et  la  vertu, 
entre  le  crime  et  le  plaisir,  l'ont  conduit  où 
il  ne  voulait  pas  aller,  et  c'est  à  la  vue  d'un 
sort  si  inattendu  que  sont  montés  jusqu'au 
ciel  ces  cris  lamentables  :  Père  Abraham, 
ayez  pitié  de  moi,  non-seulement  parce  qua 
je  suis  plongé  dans  le  fond  de  l'abîme,  mais 
parce  que  je  souffre  d'extrêmes  maux  dans 
cette  flamme:  Miserere  mei,  crucior  in 
hac  flamma. 

O  vous,  faux  justes  du  siècle,  que  tout  le 
reste  jusqu'ici  a  trouvés  sourds  et  insensi- 
bles, pour  vous  confondre  l'enfer  s'ouvre 
aujourd'hui,  lorsqu'un  réprouvé,  du  milieu 
des  flammes,  pousse  ses  tristes  cris;  lorsque 
par  mon  ministère  il  semble  obtenir  aujour- 
d'hui l'effet  de  sa  demande,  qui  fut  d'en- 
voyer avertir  ses  frères  des  maux  qu'il  en- 
durait, afin  qu'ils  eussent  grand  soin  de  les 
éviter.  Ahl  soyez  ici  attentifs  à  une  leçon  si 
pressante  et  qui  vous  intéresse  si  fort  :  ce 
que  Jésus-Christ  a  voulu  faire  par  la  voie  de 
l'exemple,  et  d'un  exemple  de  votre  nature, 
de  votre  état,  peut-être  de  votre  caractère  : 
c'était  un  homme,  un  homme  qui  n'était 
que  riche,  qu'heureux  dans  le  siècle,  con- 
damné cependant  au  dernier  supplice. 

Dieu  est  sans  doute  juste  dans  ses  juge- 
ments ;  c'est  donc  à  nous  à  examiner  si  nous 
m  tombons  point  sous  son  arrêt,  c'est  à  nous  à 
nous  rapprocher  et  du  coupable  et  du  mal- 
heureux, c'est-à-dire  à  voir  :  1°  sur  les  vices 
de  sa  vie  si  la  nôtre  est  sûre  ;  2°  par  ses 
peines  combien  les  nôtres  seront  affreuses 
si  nous  lui  ressemblons.  C'est  à  ces  deux 
points  que  je  vais  rapporter  toutes  les  cir- 
constances de  notre  Evangile:  selon  quel- 
ques-uns parabole  pour  ce  riche,  pour  nous, 
hélasl  trop  triste  vérité  et  peut-être  trop  cer- 
taine prédiction.  Voyons,  après  avoir  salué 
Marie.  Ave,  Maria. 

PREMIER   POINT. 

Pour  ne  pas  amuser  votre  attente  sur  "un 
sort  si  déplorable,  à  la  tête  de  l'histoire  du 

OaiTEL'US  SÀCiVÉS.    L. 


mauvais  riche,  Jésus-Christ  met  d'abord  les 
titres  funestes  qui  ont  servi  à  sa  condam- 
nation, et  il  semble  même  les  presser  tant, 
qu'il  craint  que  vous  ne  les  ignoriez.  Il  y  avait 
un  homme  riche  ;  que  ce  peu  de  mots  m'a- 
larme  !  que  je  voudrais  pour  votre  repos  que 
l'image,  unique  et  seul  modèle  que  le  Sau- 
veur nous  représente  d'un  réprouvé,  eût  des 
traits  plus  terribles  et  des  couleurs  plus 
odieuses  !Ne  craignez  pas  que  je  justifie  trop 
ce  riche  de  notre  Evangile,  et  que  je  vous  le 
fasse  moins  mauvais  afin  que  vous  le  parais- 
siez davantage  ;  je  ne  parle  qu'après  les 
Pères:  il  y  avait  un  homme  riche  :  homo 
quidem  eratdivs.  Encore  s'il  l'était  devenu 
comme  on  le  devient  aujourd'hui,  par  les 
usurpations,  les  rapines,  les  usures,  les 
violences;  mais  ces  paroles  trop  simples 
r.ous  démontrent  que  ses  biens  lui  étaient 
venus  par  les  voies  ordinaires  d'une  suc- 
cession légitime;  qu'il  les  avait  par  droit 
d'héritage  et  de  naissance  :  erat  dites.  Eh 
quoi  donc  1  l'abondance  est-elle  un  titre  de 
damnation?  Ce  qui  n'est  particulier  qu'à  un 
seul,  n'est-ce  pas  une  preuve  qu'on  peut 
être  opulent  et  aimé  de  Dieu  tout  ensem- 
ble? Donc  la  vraie  cause  de  la  réprobation 
du  riche,  c'est  qu'il  aimait  l'état  tranquille, 
d'abondance,  où  il  était  né;  c'est  qu'il  y  vi- 
vait dans  l'indifférence  et  dans  la  froideur 
pour  Dieu;  c'est  qu'il  faisait  son  bonheur, 
sa  consolation  de  ses  richesses,  et  qu'il 
changeait  en  Jouissance  et  en  amour  du  re- 
pos ce  qu'il  n  avait  reçu  que  pour  l'usage  et 
pour  fournir  à  la  nécessité  :  erat  dives.  Voilà 
le  premier  état  de  sa  perte  :  il  était  riche. 

Le  second,  c'est  qu'il  était  revêtu  de  pour- 
pre et  de  soie,  qu  il  portait  des  habits  ma- 
gnifiques :  indaebatur  purpura  et  bysso  ; 
qu'il  faisait  tous  les  jours  bonne  chère: 
epuiabaiur  quotidie.  Jésus-Christ,  pour  la 
perdre,  ne  demande  pas  que  ces  repas  excè- 
dent sesrevenus  et  ses  forces,  qu'ils  ru:nent 
sa  famille  et  altèrent  sa  santé-,  il  suffit  qu'il 
joigne  à  la  magnificence  des  habits  la  dé- 
licatesse de  sa  table,  et  qu'il  conserve  un 
goût  et  une  inclination  pour  les  commodités 
de  la  vie,  c'est-à-dire  que  tout  le  crime 
de  ce  réprouvé,  que  ses  supplices  n'ont  fait 
paraître  si  pécheur,  et  dont  notre  amour- 
propre  nous  fait  une  image  si  affreuse,  tout 
son  crime,  dis-je,  se  réduit  à  deux  chefs  : 
1°  à  une  mollesse  de  cœur  qui ,  sans  nulle 
passion  coupable ,  l'attachait  à  lui-même 
préférablemcnt  à  son  Dieu;  2°  à  une  mol- 
lesse des  sens  qui,  sans  se  livrer  aux  sales 
voluptés,  l'attachait  à  une  vie  douce  et  com- 
mode qui  lui  faisait  négliger  ses  devoirs  les 
plus  essentiels:  mollis  corde,  mollis  et  sen- 
sibus.  Voilà  tout  son  crime  et  les  traits 
effrayants  de  sa  sentence. 

Nous  devons  tout  espérer  de  la  miséri- 
corde de  Dieu,  mes  frères,  et  ne  point  dé- 
sespérer sur  l'excès  des  peines  que  le  mau- 
vais riche  endure  ;  mais  si  nous  en  jugeons 
selon  ce  principe  redoutable,  que  de  vices 
semblables  aux  siens  sont  punis  de  la  dam- 
nation éternelle?  à  combien  d'âmes  ce  riche 
ouvre-t-il  l'abîme?  Qu'il  y  a  ici  de  réprou- 

27 


8*3 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SURIAN. 


S 14 


vés  qui  ne  le  paraissent  pas  î  combien  s'y 
trouve-t-il  de  chrétiens  dont  on  loue  les  ver- 
tus, qui  appartiennent  à  l'enfer,  et  qui  sont 
dans  la  voie  commune  qui  y  mène,  qui  sont 
plus  figurés  que  vous  ne  pensez  par  ce  riche 
déplorable?  Car, ayez  le  courage  d'examiner 
le -fond  de  votre  état  et  de  votre  conduite, 
qu'est-elle  autre  chose  que  l'usage  continuel 
de  ces  deux  mollesses  du  cœur  et  des  sens, 
qui  font  tout  le  crime  du  riche  malheu- 
reux ,  et  ,  combien  d'amitiés  purement 
humaines ,  d'affections  trop  naturelles  où 
Dieu  ne  trouve  aucune  part,  auxquelles  vous 
donnez  tous  vos  sentiments,  toutes  vos  pen- 
sées, et  à  qui  vous  consacrez  tous  vos  ta- 
lents, tous  vos  soins,  tout  votre  temps,  tout 
votre  être?  Cette  mollesse  a  même  dans  votre 
cœur  ses  raffinements  et  sa  délicatesse;  elle 
voudrait  le  rendre  heureux  du  côté  de  la 
piété  dont  elle  lui  laisse  le  désir,  et  du  côté 
de  la  volupté  dont  elle  lui  épargne  les  re- 
mords; elle  ne  veut  ni  passions  violentes 
qui  maîtrisent  le  cœur,  ni  scrupules  piquants 
qui  l'inquiètent;  elle  l'empêche  de  courir 
trop  fortement  après  les  objets  qui  se  pré- 
sentent à  lui;  mais  elle  veut  pourtant  qu'il 
en  ait  toujours  quelqu'un  qui  l'amuse,  et 
l'inclination  qui  le  laisserait  trop  à  lui-même 
lui  serait  à  charge.  Craignant  pour  ce  cœur 
un  changement  trop  rapide,  elle  essaye  de 
le  retenir  dans  une  situation  qui  le  fixe,  et 
pour  empêcher  qu'il  ne  passe  trop  vite  du 
plaisir  au  repos,  elle  lui  laisse  ce  qu'il  y  a 
ne  flatteur,  de  doux,  de  tranquille  dans  la 
volupté,  en  lui  ôtant  ce  qu'il  y  a  de  violent 
et  d'ennuyeux  ;  car  voilà  ce  que  j'appelle 
mollesse  du  cœur  inconnue  aux  libertins  et 
aux  grands  pécheurs,  mais  qui  fait  la  douce 
occupation  des  sages  du  sic.  le  et  des  plus 
vertueux. 

D'un  autre  côté ,  que  ne  respirent  pas  vos 
sens  ennemis  d'une  grossière  fatigue  ?  ils 
n'ont  garde  de  combattre  la  mollesse  de  vo- 
tre cœur;  ils  vont  à  ce  qui  leur  parait  le 
plus  commode,  et  pour  les  rassasier,  vous 
leur  accordez  des  lectures  profanes,  des  re- 
présentations divertissantes,  et  sans  les  as- 
sujettir à  ce  qu'il  y  a  de  pénible  et  de  gê- 
nant dans  la  sensualité,  vous  ne  leur  pro- 
posez cependant  que  des  objets  agiéables. 
Las  de  ces  assemblées  tumultueuses,  vous 
vous  renfermez  dans  des  cercles  plus  étroits 
où  vous  trouvez  des  plaisirs  plus  délicats  et 
plus  tranquilles  ;  vos  ennemis  mortels  sont 
la  contrainte  et  la  gêne  ;  tout  ce  qui  est  sé- 
rieux vous  paraît  triste  ;  tout  ce  qui  est  obli- 
gation et  devoir  vous  accable  ;  si  jamais  vous 
vous  occupez,  ce  n'est  que  par  contenance; 
si  vous  lisez,  ce  n'est  que  par  amusement  ; 
si  vous  priez,  ce  n'est  que  par  habitude;  si 
vous  agissez,  ce  n'est  que  lorsque  l'oisiveté 
vous  est  une  peine;  si  vous  parlez  de  dé- 
votion avec  des  personnes  pieuses,  ce  lan- 
gage n'est  qu'une  politesse.  Votre  seul  em- 
barras, votre  unique  étude  est  de  vous 
égayer,  et  l'envie  de  vous  rendre  heureux 
par  des  plaisirs  qui  ne  sont  jamais  unifor- 
mes ,  vous  faites  succéder  le  jeu  au  repos, 
les  repas  aux  promenades  ;  ce  n'est  qu'une 


mollesse  continuelle,  un  enchaînement  de 
bagatelles,  tout  le  fond  de  votre  état,  l'es- 
sentiel de  votre  condition,  le  privilège  de 
votre  abondance.  Or,  dans  cet  état  qui  ré- 
pond si  peu  à  la  dignité  de  l'homme,  et  en- 
core moins  à  celle  de  chrétien,  j'ose  vous 
dire  que  si  quelque  chose  est  digne  de  l'en- 
fer, c'est  votre  vie. 

Venez,  après  cela,  nous  dire  :  Mais  quel 
mal  fais-je?  on  ne  me  voit  ni  aux  théâtres 
ni  aux  jeux  publics  comme  un  tel  et  un  tel  ; 
je  n'étends  point  les  limites  de  mes  terres 
dans  le  champ  de  mes  voisins  ;  je  ne  profite 
point  des  misères  d'autrui,  et  n'élève  point 
sur  les  malheurs  publics  ma  fortune  parti- 
culière. Je  ne  suis  ni  aA'are,  ni  violent,  ni 
vindicatif,  ni  impudique,  pourquoi  me  cen- 
surez vous? 

Abl  mes  frères,  s'il  ne  fallait  que  plaire 
aux  hommes,  vous  nous  paraîtriez  inno- 
cents; mais  ce  n'est  pas  assez  pour  plaire  à 
Dieu;  une  probité  humaine  ne  lui  suffit 
pas,  il  exige  davantage,  et  il  condamne  le 
serviteur  de  l'Evangile,  non  parce  qu'il  est 
infidèle,  mais  parce  qu'il  est  oisif.  11  ré- 
prouve une  ville  entière  à  cause  de  son 
abondance  et  de  l'oisiveté  de  ses  habitants  : 
Jlœc  fuit  iniquitas  Sodomœ  abundanîia,  et 
olium  ipsius  et  fdiarum  cjus.  11  brise  le  vase 
qui  est  inutile:  Contrivi  Moab  sicut  vas  in- 
utile. Ce  n'e£t  point  assez  devant  lui  que  vos 
mœurs  soient  honnêtes,  il  faut  qu'elles 
soient  chrétiennes.  Tout  plaisir,  quelque 
innocent  qu'il  vous  paraisse  ,  dès  là  qu'il 
domine  ce  cœur  qui  est  fait  pour  Dieu,  est 
sacrilège  ;  une  vie  qui  n'est  point  sainte  ne 
peut  jamais  justifier;  la  mollesse  seule  sans 
grands  désordres  est  une  disposition  de 
mort  à  ses  yeux,  et  les  flammes  vengeresses 
brûlent  ici  un  infortuné  riche  qui  n'était 
que  ce  que  vous  êtes,  et  qui  vivait  sous  une 
loi  moins  parfaite,  qui  semblait  rendre  plus 
es.usablela  vie  mondaine  que  sous  l'empire 
delà  croix.  Je  vous  demande,  si  cela  est  ainsi, 
(pie  peut  attendre  votre  mollesse?  il  faut  ac- 
cuser Jésus-Christ  comme  injuste,  ou  que 
vous  vous  condamniez  déjà  vous-mêmes 
comme  réprouvés. 

Mais  montrez-moi  donc  les  crimes  si  énor- 
mes de  ma  Yie,  direz-vous,  et  n'est-ce  point 
ici  l'artifice  du  zèle  ou  de  l'éloquence  que 
vous  employez  pour  m'alarmer?  Ah.!  plût  à 
Dieu,  mes  frères,  que  cela  fût  ainsi  ÎMais  de 
ce  que  nous  avançons,  nous  en  avons  j-,our 
fondement  tout  le  christianisme;  et  puis- 
que vous  aimez  à  être  éclaircis,  vous  allez 
voir  que  si  la  mollesse  du  cœur  anéantit  le 
fond  de  la  religion,  la  mollesse  des  sens 
énerve  vos  promesses  les  plus  solennelles. 

Et  d'abord,  dans  cette  mollesse  des  sens 
qui  règne  en  vous,  quelle  vertu  opnosez- 
vous  à  la  justice  divine?  Est-ce  la  foi?  vous 
ne  voulez  nulle  preuve;  l'humilité?  vous 
ne  connaissez  en  vous  nulle  misère;  la  pa- 
tience? vous  ne  voulez  nulle  douleur;  la 
gloire?  vous  ne  voyez  nul  danger  dans  votre 
étal;  la  pénitence?  vous  ne  voulez  nulles 
mortifications;  l'espérance?  vous  n'avez  nul 
mérite  :  car  ce  qui  ^e  fait  par  les  sentiments 


3*5 


CAREME,  —  SERMON  XII,  DES  PEINES  DE  L'ENFER. 


Sir, 


de  la  nature  ne  mérite  rien  et  ne  peut  espé- 
rer de  récompense. 

Or,  dans  cette  mollesse  du  cœur,  la  dispo- 
sition de  votre  âme  est-elle  surnaturelle?  y 
a-t-il  quelque  chose  de  céleste  et  un  carac- 
tère divin?  est-elle  bien  contraire  au  torrent 
des  passions  humaines  et  des  penchants  na- 
rels?  faut-il  se  faire  bien  de  la  violence, 
pour  vivre  comme  vous  vivez  ?  et  ce  prix 
inestimable,  qui  a  coûté  si  cher  aux  saints, 
serait-il  donné  pour  rien  à  la  mollesse  et 
au  plaisir?  oseriez-vous  le  demander,  l'at- 
tendre dans  votre  état?  Et  de  là  concluez 
que  l'espérance  est  une  vertu  dont  vous 
perdez  l'usage,  et  que  le  désir  du  ciel,  si  com- 
mun et  si  indispensable  au  chrétien,  se 
trouve  tout  éteint  en  vous.  En  etfet,  je  con- 
çois bien  comment  un  cœur  qui  ne  tient  point 
à  la  terre,  fait  de  cette  demeure  aimable  l'ob- 
jet de  ses  impatients  désirs;  mais  vous, 
hommes  du  monde,  femmes  du  siècle,  le 
reproche  est  commun  à  tous  ceux  qui  vivent 
dans  la  moljesse;  lorsque,  dans  une  vie  toute 
mondaine,  vous  vous  trouvez  heureux  ici- 
bas,  comment  votre  cœur  formerait-il  ces 
divins  transports  qui  élèvent  au  ciel,  et 
comment  le  désir  d'une  autre  félicité  serait- 
il  naturel  dans  un  cœur  où  règne  l'amour  du 
repos,  et  où  elle  se  fait  un  bonbeur  de  la 
dissipation  de  la  vie?  Comment  la  terre  se- 
rail-eUe  un  lieu  de  gémissements  et  une  val- 
lée de  larmes  n  quiconque  aime  ses  joies  et 
ses  douceurs?  Ah  1  qu'il  est  facile  d'oublier 
le  terme  quand  tout  plaît  dans  la  voie. 

Mais  sur  toutes  les  vertus,  Ja  charité  qui 
les  comprend  toutes,  semble  mourir  dans  cet 
état  de  mollesse.  Et  en  effet,  aimez-vous  Dieu 
d'un  amour  dominant,  supérieur  à  tout? 
est-il  seul  votre  félicité,  la  fin  unique  de 
votre  être,  de  toutes  vos  actions?  Ah  1  je  ne 
le  demande  qu'à  vous-même,  c'est  à  vous 
que  je  m'en  rapporte,  âme  molle;  depuis  que 
vous  vous  êtes  fait  un  plaisir  dans  la  vie 
d'être  mondaine,  n'est-il  pas  vrai  que  vous 
ûvi-z  de  la  peine  à  vous  y  reconnaître?  Ce 
cœur  autrefois  si  tendre  et  si  sensible,  qui 
ne  croyait  point  être  jamais  heureux  sans 
son  Dieu,  n'est-il  pas  tout  changé?  Ce  qui 
faisait  autrefois  votre  joie,  fait  aujourd'hui 
toute  votre  affliction;  aujourd'hui  si  vous 
écoulez  sa  parole,  quel  ennui  1  si  vous  lisez 
son  Evangile,  quel  dégoût!  si  vous  venez 
l'adorer,  quelle  peine  !  si  vous  l'invoquez, 
quelle  langueur  1  si  vous  assistez  à  ses  mys- 
tères, quelle  pesanteur  1  si  vous  vous  jetez 
à  ses  pieds  pour  confesser  vos  offenses,  quel 
gêne,  quelle  contrainte  !  La  mollesse  glace 
tout  votre  cœur  pour  Dieu,  et  après  cela  vous 
demandez  où  est  le  crime,  et  moi  je  vous 
demande  où  n'est-il  pas? 

Mais  peut-être  votre  mollesse  n'est-elle 
point  opposée  à  la  charité  que  vous  devez  à 
vos  frères;  mais  voyons  le  riche  de  notre 
évangile.  11  y  avait  un  certain  mendiant, 
nommé  Lazare,  crat  quidem  mendicus  no~ 
mine  Lazarus.  11  était  si  languissant  qu'il  no 
pouvait  se  soutenir,  qui  jacebat;  il  était  si 
exposé  aux  yeux  du  riche  qu'il  ne  pouvait 
s'empêcher  de  le  voir  :  il  était  couché  à  sa 


porte,  adjanuam  ejus.  11  était  si  infirme  qu'il 
était  couvert  d'ulcères  et  de  plaies,  objet 
sans  doute  bien  digne  de  compassion,  ulce- 
ribus  plenus  ;  si  faible  et  si  épuisé  par  ses 
maux  et  par  la  faim,  qu'il  n'avait  pas  même 
la  force  de  se  plaindre;  la  voix  lui  manquait 
et  il  ne  pouvait  que  désirer,  cupiens.  Il  était 
si  sobre  qu'il  se  serait  contenté  des  miettes  , 
saturari  de  micis;  si  discret  qu'il  ne  songe 
pas  même  au  festin,  mais  seulement  à  ce 
qui  tombe  sous  la  table,  quœ  cadebant  de 
mensadivitis.  Et  cependant  ni  ce  riche,  ni  au- 
cun de  sa  compagnie  ne  donne  la  moindre 
chose  à  ce  pauvre  malheureux,  et  nemo  illi 
dabat.  Ah!  qu'il  est  difficile  de  faire  d'un 
homme  riche  un  homme  charitable!  aussi 
Lazare  ne  trouve-t-il  dans  le  cœur  du  mau- 
vais riche  qu'insensibilité,  et  toutes  ces 
plaies  et  ces  misères  qui  semblent  lui  de- 
voir faire  un  objet  de  compassion  ne  font 
que  consommer  sa  dureté. 

Oh!  qu'à  ce  prix  on  est  heureux,  ô  mon 
Dieu,  de  ne  point  avoir  de  quoi  vivre  dans 
l'abondance  et  la  mollesse,  et  que  si  cet  état 
d'indigence  et  de  pauvreté  est  une  grande 
misère  selon  le  monde,  que  c'est  une  grande 
miséricorde  selon  vous!  Car  tel  est,  riches  du 
siècle,  l'effet  de  votre  mollesse  et  de  votre 
abondance.  Dans  votre  cœur  elle  y  étouffe 
tellement  tout  sentiment  même  de  tendresse 
humaine  que  c'est,  ce  semble,  pour  l'atten- 
drir et  pour  forcer  votre  compassion  que 
Dieu  multiplie  tous  les  jours  ces  objets 
si  tristes  et  si  misérables;  qu'il  change  toute 
la  terre  en  un  grand  spectacle  de  misère,  et 
qu'il  expose  sous  vos  yeux  tant  de  pauvres 
Lazares  pour  exciter  dans  vos  entrailles 
dures  un  tendre  mouvement  de  charité.  Mais 
en  vous  la  mollesse  forme  un  fond  de  dureté 
que  rien  nesaurait  exciter,  l'amour  de  vous- 
même  absorbe  tout  autre  sentiment,  et  tan- 
dis que  des  personnes  d'une  naissance  et 
d'une  fortune  médiocre,  tirent  du  fond  même 
de  leur  nécessaire  de  quoi  servir  de  matière 
à  la  charité  envers  leurs  frères,  vous  qui 
peut-être  par  vos  injustices  avez  contribue  à 
faire  tant  de  malheureux ,  vous  refusez  en- 
core de  leur  donnerquelque  soulagement,  et 
montrez  à  leur  égard,  malgré  vos  fausses 
vertus,  un  cœur  plus  cruel  que  les  pécheurs 
les  plus  déclarés. 

Demandez  donc,  après  cela  où  est  le  crime 
de  votre  mollesse?  Déjà  pour  vous  c'est  un 
grand  crime  de  n'être  pas  un  saint,  pas  même 
un  bon  chrétien  :  que  sera-ce  donc,  barbare 
impie,  sans  amour  pour  Dieu,  sans  charité 
pour  vos  frères,  que  sera-ce  de  mettre  une 
incompatibilité  entre  vos  sentiments  et  ceux 
que  la  religion  vous  inspire?  que  sera-ce 
d'anéantir  par  là  le  saint,  le  chrétien,  l'homme 
même  en  vous,  et  de  n'y  laisser  que  faiblesse, 
que  lâcheté,  qu'indifférence?  Ne  vous  y  trom- 
pez donc  pas,  hommes  riches;  parce  que  cette 
mollesse  de  cœur  est  douce,  secrète,  cachée, 
elle  paraît  moins  horrible,  mais  sachez  qu'un 
homme  dont  le  cœur  est  mou,  sensuel  et 
attaché  à  lui-même,  est  tous  les  pécheurs 
ensemble;  que  cette  vie  commode,  oisive, 
douce,  renferme  toutes  les  iniquités,  et  que 


847 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SUR1AN. 


8<S 


devant  Dieu,  qui  n'en  porte  pas  le  même  ju- 
gement que  vous,  vous  devenez  plus  cou- 
pables et  plus  redevables- à  sa  justice  que 
les  autres  pécheurs. 

Cette  mollesse  des  sens  ,     tout   éloignée 
qu'elle  est  des  grossières  voluptés,  n'en  est 
pas  moins   criminelle;  elle  viole  les    pro- 
messes les  plus  sacrées  et  les  plus  solen- 
nelles  du  christianisme   à    votre    baptême. 
Avez-vousditje  renonce  à  un  certain  monde, 
plus  voluptueux  et  plus  grossier,  plus  tu- 
multueux et  plus   embarrassant,    mais   je 
m'en  réserve  un  plus  doux  et  plus  délicat, 
plus  commode  et  plus  tranquille?  L'Eglise, 
justement  indignée  contre  vous,  aurait  dé- 
savoué vos   vœux,  et  vous   méconnaissant 
pouf  un  de  ses  enfants,  elle  vous  aurait  re- 
jeté de  son  sein  comme  un  profane;  mais  ce 
que   vous  avez  juré   sur    les  fonts  sacrés, 
c'est  de  renoncer  pour  jamais  au  monde  et  à 
ses  moindres  plaisirs,  à  toutes  ses  pompes  et 
à  ses  folles  joies,  à  ses  assemblées  profanes 
et  à  son  commerce,  à  ses  amusements  et  à 
ses  spectacles;  votre  serment  fut  d'attacher  à 
la   croix  votre  corps  avec  ses   sens,  votre 
cœur  avec  ses  convoitises.  Par  vos  promesses, 
vous  vous  consacrâtes  à  la  pénitence  et  à  la 
mort  :  Dieu  et  les  anges  en  furent  les   té- 
moins; l'Eglise,  qui  en  est  la  dépositaire,  les 
scella  du  sang  de  son  époux,  et  on  les  voit 
encore  écrites  dans  le  livrede  vie  avec  des 
traits  si  ineffaçables  que  vous  ne  pouvez  les 
nier.  Or  je  vous  le  demande,  mes  frères,  cette 
vie  molle  que  vous  menez  est-elle  une  exé- 
cution  de    ces   promesses  saintes  ?  dit-elle 
anathème  à  tout  ce  que  dès  lors  vous  dé- 
testâtes? Kaisonnables  comme  vous  vous  pi- 
quez d'être,  si  vous  aviez  juré  d'aimer  le 
inonde  et  d'embrasser  ses  commodités  et  ses 
plaisirs,   pourriez-vous  jamais  mieux  tenir 
votre   parole  ?  vivriez-vous  autrement   que 
vous  vivez?  auriez-vous  mené  une  autre  vie 
que  celle  que  vous  menez?  Cette  vie  où  d'un 
côté,  ôtant  tous  les  excès  criminels,  vous  y 
laissez  tous  les  plaisirs  honnêtes;  où,    de 
l'autre, vous  réservant  de  la  religion  les  pra- 
tiques qui  vous  sont  les   plus  commodes, 
comme  la  probité,  la  pudeur,  la  justice,  pour 
en  retrancher  toutes  celles  qui  demandent  la 
moindre  violence,  comme  la  médiocrité,  ;la 
charité,  la  pénitence  ;  cette  vie  où  d'une  part 
vous  semblez  vouloir  réformer  le  monde,  et 
où  de  l'autre  vous  mitigez  la  religion;  où 
d'uncôlé,  enbannissant  les  grandsexcès,  vous 
vous    permettez   les  vices  délicats;  où,  de 
l'autre,  produisant  quelques  œuvres  toutes 
naturelles,  vous  retranchez  les  grandes  ver- 
tus de  votre  état,  et  ne  vous  en  tenez  dans 
la  religion  qu'à  celles  qui  sont  communes  et 
faciles,   comme  quelques  jeûnes   adoucis, 
quelques    confessions  froides  et  sans  dou- 
leur, quelques  prières  récitées  sans  foi  et 
du  bout  des  lèvres,  quelques  inesses  enten- 
dues sans  recueillement  et  sans  attention; 
cette  vie  enfin  où,  relâchant  un  peu  du  crime 
et  de  la  vertu,  on  n'est  d'une  part  ni  trop 
sensuel,  ni  assez  mortifié,  corrigeant  ce  que 
l'une  a  de  trop  sévère  par  ce  que  l'autre  a 
de  plus  doux,  essayant  d'accorder  l'un  avec 


l'autre,  d'avo:r  part  au  mérite  de  la  vert:!, 
sans  renoncer  aux  douceurs  de  vice,  et  de 
joindre  la  paix  delà  conscience  avec  la  mol- 
lesse des  mœurs  ;  une  telle  vie,  je  vous  le 
demande,  suffit-elle  à  un  chrétien?  Croyez- 
vous  qu'elle  dégage  votre  foi,  et  qu'ellesoit 
assez  pure,  assez  rigoureuse  pour  répondre 
à  la  sincérité  et  h  l'étendue  des  serments  que 
vous  fîtes  au  baptême? 

Quoi  donc  l  cette  perfection  sublime  des 
préceptes  divins  que  vous  jurâtes  de  gar- 
der fidèlement;  toute  la  grandeur,  toute 
la  noblesse  et  tout  l'héroïsme  de  votre  sainte 
religion  se  termineraient-ils  à  une  vie  aisée, 
commode, naturelle,  et  conforme  à  vos  pen- 
chants? Est-ce  là  où  se  réduit,  toute  la  dignité 
de  votre  vocation,  et  Dieu  lui-même  v  re- 
connaît-il vos  engagements  et  vos  promes- 
ses ?  Est-ce  renoncer  au  monde  que  de  tenir  à 
lui  par  les  liens  les  plus  doux?  Est-ce  haïr 
sa  chair  que  de  la  traiter  avec  moins  de  ri- 
gueur et  plus  de  délicatesse?  Appelle-t-on  cela 
se  crucifier  au  monde,  y  renoncer,  y  mourir? 
Ahl  c'est  bien  plutôt  profaner  vos  vœux  les 
plus  sacrés,  trahir  vos  \  romesses  les  plus 
solennelles;  ne  vous  y  trompez  pas,  c'est  ab- 
jurer votre  foi,  briser  le  sceau  respectable 
de  votre  salut  apposé  par  votre  régénération 
divine  sur  les  fonts  baptismaux;  avec  des 
mœurs  si  lâches,  si  molles,  si  mondaines, 
toute  votre  vie  peut-elle  être  autre  chose 
qu'une  longue  prévarication,  qu'un  parjure 
énorme,  qu'une  apostasie  abominable? 

Mais  si  vos  promesses  violées  par  la  mol- 
lesse des  sens  vous  rendent  perfides,  vos  en- 
gagements ne  vous  rendent-ils  pas  difformes 
avec  celui  que  vous  avez  \  ris  |  our  votre 
chef  et  pour  votre  modèle?  Quels  sont-ils,  ces 
engagemenfs?  Saint  Pierre  vous  dit  que  c'e:-t 
de  vous  rendre  conformes  à  Jésus-Christ,  et 
que  votre  vocation  consiste  à  souffrir  et  à 
suivre  les  traces  qu'il  nous  a  laissées:  In 
hoc  erdin  vocaîi  estis,  quia  et  Christus  pas- 
sus  est  pro  nabis,  vubis  relinquens  exern- 
plum  ut  sequamini  vestigia  ejus.  (I  Petr.,  II.) 
Or,  toute  la  vie  de  Jésus-Christ  s'est-elle 
terminée  à  celte  mollesse  du  cœur  et  des 
sens  ?  est-ce  là  tout  ce  que  lui  a  coûté  sa 
gloire?  et  n'est-il  le  Saint  des  saints  quo 
pour  n'avoir  été  ni  usurpateur,  ni  sacrilège, 
ni  adultère,  ni  impie?  N'a-t-il  pris  de  la  pé- 
nitence et  du  travail  que  ce  qui  l'accommo- 
dait ?Toute  sa  sainteté  ne  consistait-elle  pen- 
dant son  séjour  en  ce  monde,  qu'à  éviter  les 
excès  infâmes?  N'a-t-il  pas  pratiqué  les  vertus 
les  plus  rigoureuses,  passé  par  les  tourments 
les  plus  ignominieux  avant  de  parvenir  à  la 
gloire?  N'a-t-il  pas  toujours  montré  dans  ses 
sens  et  dans  sou  cœur  les  exercices  de  la 
religion  les  plus  austères?  N'a-t-il  pas  sans 
cesse  parlé  par  ses  exemples,  et  poussé  ia 
vertu  jusqu'au  retranchement,  à  la  violence, 
aux  mortifications  et  à  la  pratique  de  la  pé- 
nitence la  plus  sévère?  Donc,  lorsque  par  la 
mollesse  vous  ne  retranchez  de  votre  vie  que 
l'usage  des  choses  défendues,  sans  en  venk 
à  la  pratique  des  choses  pénibles  et  doulou- 
reuses; lorsque  vous  ne  vous  abstenez  que 
i  es  grands  crimes,  sans  vous  priver  des  cho- 


Si!) 


CAREME.  —  SERMON  XI!,  DES  PEINES  DE  L'ENFER. 


8SO 


ses  agréables,  remplissez-vous  votre  vocation 
et  vos  engagements?  conservez-vous  les  sen- 
timents de  ressemblance  à  Jésus^-Cbrist de  ne 
faire  avec  lui  qu'un  même  esprit,  qu'un  même 
cœur,  qu'une  même  vie,  qu'une  même  mort? 
Auquelueses  mystères  pourriez  vous  rappor- 
ter cette  mollesse  mondaine,  cet  état  de  délica- 
tesse où  vous  êtes?  h  quelles  circonstances  de  ta 
vieappliquericz-vous  les  traits  de  la  vôtre  lors- 
qu'il vous  montre  des  pleurs,  vous  témoignez 
de  la  joie  ;  lorsqu'il  vous  expose  des  souffran- 
ces, vous  voulez  avoir  toutes  vos  aises  ;  lors- 
qu'il vous  présente  des  jeûnes,  des  violences, 
des  travaux,  des  peines,  vous  y  répondez  |  ar 
t!e  continuelles  bonnes  chères, par  vos  com- 
modités, par  votre  oisiveté,  par  vos  plaisirs. 
Ou  est  donc  la  proportion  entre  votre  vie  et 
Ja  sienne?  quelle  conformité  voyons-nous  de 
vous  à  lui?  Kst-ce  là,  enquoivbus  l'imitez? 
est-ce  là  le  suivre,  et  marcher  sur  les  traces  de 
son  sang  et  de  ses  souffrances?  in  hoc  vccati 
esiis ,  etc.  Avec  une  vie  si  sensuelle,  si  molle, 
ne  perdez  vous  pas  tous  les  rapports  sacrés 
que  vous  aviez  promis  d'avoir  ayec  Jésus- 
Christ,  et  toutes  les  vraies  qualités  d'enfants 
de  Dieu  ne  sont-elles  pas  en  vous  défigurées 
et  anéanties  par  cette  indigne  mollesse? 

Ah  1  je  veux  qu'avec  des  mœurs  si  lâches, 
avec  cette  vie  si  commode,  votre  cœur  affai- 
bli et  désarmé  puisse   encore  trouver  assez 
de  force  pour  résister  au  péché,  ce  qui  n'ar- 
rive guère;  que  cette  mollesse  ne  dégénère 
pas  bientôt  en  désordre,  ce  qui  est  très-rare  ; 
je  veux  que,  dans  cette  source  de  langue!  r 
et  de  paresse,    vous  n'omettiez  aucun  des 
avoirs  de  votre  profession  et  de  votre  état, 
es  qui  ne  se  fait  point  sans  miracle  ;  je  veux 
que  cette  vie  sensuelle,  étant  une  occasion 
prochaine  de'commettre  le  péché,  ne  devienne 
pas  un  péché  elle-même,  ce  que  nul  n'a  ja- 
mais  osé   assurer.  Je   veux   encore  que  la 
grâce  de  Jésus-Christ  puisse    compatir  en 
vous  avec  elle,  ce  qui  n'est  guère   vraisem- 
blable. N'est-ce  pas  déjà  un  crime  assez  grand 
de  vous  mettre  avec  Dieu  dans  une  contra- 
diction universelle?  Votre  vie  comparée  avec 
celle  de  ces  hommes  débordés  et  licencieux, 
xous  paraît  moins   dangereuse  et  peut-être 
tout  à  fait  innocente,  mais  confrontée  avec, 
celle  d'un  Dieu  crucifié,   souffrant  et   péni- 
tent, n'est-clle  pas  une  monstrueuse  diffor- 
mité et  un  excès  abominable  ?  Sera-ce  donc 
sur  le  monde  ou   sur  Jésus-Christ  crucifié, 
que  vous  serez  jugés?  D'ailleurs  vous  voyez 
par  l'exem.ïle  du  riche  que  la  mollesse  portée 
à  un  certain  degré  est  punie  des  plus  affreux 
supplices;  or,  qui  vous  assurera  que  la  vôtre 
n'a  point  le  caractère  qu'il  faut  pour  l'enfer, 
et  qu'étant  la  voie  large  de  la  multitude,  elle 
ne  vous  damnera  point  avec  la  multitude? 
Quand  vous  la  voyez  si  opposée, celte  mollesse, 
aux  vœux  de  votre  baptême,  aux  maximes  de 
l'Evangile,  àla  parole  et  aux   exemples  de 
Jésus-Christ,  par  où  pouvez-vous  la  trouver 
innocente,  et  où  trouverez  vous  jamais  du 
crime,  si  cette  mollesse  n'en  est  pas  un? et  qui 
pourrez  vous  damner,  si  votre  vie  toute  sen- 
suelle ne  vous  damne  pas  ? 
Ah  !  permettez-moi  de  vous  dire  ici  t°que  je 


ne  vois  rien  dont  les  effets  et  les  suites  soient 
plus  terribles  que  celles  de  votre  mollesse, 
et  quelque  horreur  que  me  donnent  les  cri- 
mes grossiers,  je  n'en  augure  pas  si  mal  que 
de  votre  indolente  tiédeur,  parce  que  vous 
vous  flattez  d'une  justice  imaginaire  qui  vous 
fait  croire  que  vous  êtes  bons  quand  vous 
êtes  abominables,  et  qu'il  n'y  a  rien  à_ chan- 
ger dans  votre  conduite  pendant  que  tout  y 
est  pernicieux.  2°  Les  grands  pécheurs  sen- 
tent tout  le  malheur  de  leur  état,  et  les 
grands  crimes  qui  se  présentent  à  eux  leur 
demandent  des  expiations  et  des  larmes;  mais 
Cc-l  état  de  mollesse,  de  tiédeur,  ne  se  fait 
point  sentir,  vous  y  regardez  la  pénitence  et 
les  mortifications  'comme  étrangères  à  votre 
état,  et  au  lieu  de  vouloir  les  embrasser,  vous 
en  faites  toute  votre  appréhension.  3°  Les  in- 
fâmes voluptés  ne  sont  que  d'un  certain  âge, 
elles  ne  durent  pas  toujours;  mais  cette  mol- 
lesse est  un  péché  de  toute  la  vie  :  c'est  un  feu 
qui  brûle  si  vivement,  dans  votre  cœur,  qu',1 
est  presque  impossible  de  l'éteindre,  et  voilà 
ce  que  l'Esprit-Saint  appelle  chez  Jérémie 
une  blessure  désespérée,  une  plaie  très- 
mauvaise  :  Insanabilis  fractura  tua,  pessima 
plat/a  (Jcrem.,  XXX),  et  tout  ce  qui  fait  le  dé- 
sespoir de  la  guéridon  de  votre  i  laie,  c'est 
que  vous  ne  la  sentez  pas,  c'est  que  vous 
rainiez  toute  dangereuse  qu'elle  est.  Aussi 
voyons-nous  que  tandis  que  les  plus  grands 
pécheurs  viennent  se  jeter  à  nos  pieds  pour 
se  décharger  dupoids  de  leurs  offenses,  vous 
demeurez  tranquilles  et  insensibles  au  mi- 
lieu des  vôtres. 

Ah!  qui  donnera  à  mes  yeux  des  larmes, 
h  mon  cœur  des  sentiments,  à  ma  boucheries 
expressions  assez  touchantes  pour  vous  émou- 
voir sur  un  état  si  déplorable,  et  vous  le  faire 
envisager  non-seulement  comme  un  crime 
affreux,  mais  comme  un  malheurlamentable? 
Car  si  vous  avez  vu,  par  les  suites  funestes 
de  la  vie  du  mauvais  riche,  combien  la  vôtre 
est  déplorable,  vous  allez  voir  par  l'image 
de  ses  peines  combien  les  vôtres  seront  ter- 
ribles, c'est  mon  second  point,  je  n'en  dirai 
que  deux  paroles. 

SECOND    POINT. 

Une  double  mollesse  rend  le  mauvais  riche 
coupable  pendant  sa  vie,  et  une  double 
peine  le  rend  malheureux  après  sa  mort  :  à 
chaque  espèce  de  péché  répond  un  genre 
différent  de  supplice,  et  si  son  cœur  et  ses 
sens  firent  tout  son  crime,  ils  feront  tous  deux 
ensemble  son  tourment;  tourment  dans  son 
cœur,  privé  du  bien  suprême  qu'il  désire, 
vidita  longe  ;  dans  ses  sens  par  la  douleur 
extrême  qu'il  souffre,  crucior  in  hac  (lamma. 
Ainsi  tout  ce  qui  offensa  Dieu  dans  le  riche, 
le  venge,  et  rien  ne  servit  à  sa  mollesse  qui 
ne  serve  à  son  supplice. 

1°  Telle  sera  la  triste  situation,  pécheurs, 
où  vous  vous  trouverez  à  la  dernière  heure 
de  la  vie;  vous  étiez  faits  pour  être  heureux 
avec  Dieu,  c'était  le  penchant  le  plus  fort 
que  pût  avoir  une  âme  aussi  noble  de  sa 
nature  qu'est  la  vôtre.  11  lui  fallait  un  Dieu 
pour  remplir  toute  sa  capacité  qui  est  infinie-. 


?5I 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  Sl'RIAN. 


«53 


mais  rompant  des  rapports  si  doux,  vous 
lui  substituez  des  fantômes  qui  l'amusent  : 
ils  se  dissiperont  à  votre  mort,  et  votre  pros- 
périté, venant  à  fondre  sous  vos  pieds,  vous 
ouvrira  un  affreux  abîme;  et,  ouvrant  alors 
ces  yeux  que  le  charme  des  passions  avait 
tenus  fermés,  vous  verrez  votre  Dieu  dans  un 
si  grand  éloignement  qu'il  vous  paraîtra 
impossible  d'y  atteindre:  Elevons  autem  ocu- 
los  suos.  Le  premier  objet  qui  les  frappera 
sera  un  Dieu  perdu  sans  ressource,  et  vidit 
a  longe;  tout  exprès  il  se  montrera  à  vous,  ce 
Dieu  aimable,  avec  les  charmes  les  plus 
éblouissants,  et.sous  une  forme  qui  vous  le 
rendra  infiniment  désirable.  Exprès  il  vous 
paraîtra  le  plus  caressant  de  tous  les  maîtres, 
le  meilleur  de  tous  les  pères,  réunissant  en 
lui  toutes  les  beautés,  toutes  les  délices,  et 
toutes  les  félicités  ensemble;  exprès  il  ren- 
dra vos  lumières  plus  vives,  vos  mouvements 
plus  actifs, et  lorsque  votre  cœur,  rendu  tout 
entier  à  lui-même  pour  sentir  ses  forces  qui 
étaient  partagées,  s'élancera  vers  ce  Dieu 
perdu,  une  main  invisible  le  repoussera 
et  le  replongera  dans  le  fond  de  l'abîme; 
toutes  les  liaisons  qui  étaient  entre  vous  et 
lui  seront  alors  rompues  :  comme  vous  ne 
serezplussonimage,  il  ne  sera  plus  yotre Dieu. 

Plus  votre  Dieu,  ô  homme  I  ô  chrétien! 
ô  pécheur!  Pouvez-vous  sans  sécher  d'effroi 
entendre  ces  tristes  paroles ,  que  vous  soyez 
séparés  de  votre  Dieu?  Pour  lui  c'est  peu"  de 
chose,  mais  pour  vous  est-il  de  plus  épou- 
vantable malheur  et  qui  pourra  vous  en 
consoler?  et  vidit  a  longe. 

Mais  voyons  encore  comment  la  perte  de 
votre  Dieu  punira  cette  mollesse  qui  vous 
enchantait  pendant  la  vie.  Maintenant  votre 
cœur,  mou,  sensuel,  voluptueux,  ne  cher- 
che ici  que  des  plaisirs  tranquilles,  que  des 
passions  qui  le  flattent  ;  il  ne  lui  faut  que  de 
ces  mouvements  doux  qui  le  frappent  déli- 
catement sans  le  gêner,  sans  l'incommoder, 
et  alors  loin  de  Dieu  ,  il  ne  trouvera  que 
troubles,  qu'agitations,  qu'inquiétudes.  Ses 
désirs  insatiables  et  incompatibles  le  com- 
battront sans  cesse,  et  deux  mouvements 
contraires  qui  se  contrediront,  l'un  d'envie 
de  se  joindre  à  son  Dieu,  l'autre  de  déses- 
poir de  ne  pouvoir  y  atteindre,  vous  déchi- 
reront impitoyablement,  sans  que  l'inclina- 
ton  qui  vous  y  fera  tendre,  diminue  en  rien 
la  haine  que  vous  en  aurez  toujours.  Attrait 
puissant  et  toujours  obstacle  invincible,  tou- 
jours ardeur  violente  de  le  posséder,  et  tou- 
jours douleur  amère  de  le  perdre  ;  toujours 
désir  impuissant,  et  toujours  crainte  acca- 
blante; toujours  fureur  de  vous  venger,  et  ] 
toujours  impossibilité  absolue  de  le  faire;  et 
par  conséquent  que  de  contraintes  malheu- 
reuses, que  de  sentiments  désespérants!  Le 
riche  vit  Abraham  de  loin,  vidit  a  longe. 
Mon  Dieu,  si  ces  choses  sont  si  terribles  à 
entendre,  que  sera-ce  de  les  éprouver  et  de 
les  sentir?  quel  sera  votre  sort  si  on  dit  de 
vous  comme  de  l'infortuné  de  notre  évangile: 
du  milieu  de  ses  tourments,  il  n'a  vu  Dieu  que 
de  loin,  cum  esset  in  lormentis,  vidit  Abra- 
ham a  longe?  Qui  pourra  vous  consoler  dans 


une  si  grande  affliction?  sera-ce  le  supplice 
de  vos  sens?  ah!  il  vous  rendra  encore  plus 
inconsolables. 

2°  Ici,  mes  frères,  les  expressions  man- 
quent et  les  idées  affaiblissent  le  sujet,  et 
quand  on  aura  dit  que  ce  sont  des  peines 
excessives  sans  aucun  adoucissement,  sans 
nul  partage,  sans  aucune  fin;  que  tout  ce  qui 
accable,  ce  qui  afflige,  ce  qui  tourmente,  ce 
qui  désespère,  se  trouve  ramassé  dans  ces 
lieux  de  tourments  ;  que  c'est  dans  ce  centre 
de  tous  les  maux  que  sont  rassemblés  un 
tas  de  désespérés  qui  s'entredéchirent  sans 
cesse  ;  que  c'est  là  où  règne  une  sociéid  de 
furieux  qui  s'entremaudissent  et  se  dévo- 
rent; que  c'est  là  que  livrés  à  une  foule  de 
monstres  épouvantables  qui,  à  l'envi  épui- 
seront sur  vous  leur  rageet  leur  inhumanité, 
vous  serez  abîmés  de  maux,  de  tourments. 
Quand  on  vous  aura  dit  que  chaque  partie 
de  votre  corps  aura  son  supplice  propre;  que 
l'horreur  du  spectacle  le  plus  hideux  succé- 
dera à  l'amour  insensé  de  cet  objet  chéri  qui 
faisait  vos  délices  ;  qu'une  accablante  capti- 
vité punira  en  vous  l'attachement  que  vous 
avez  à  vos  commodités  et  à  vos  aises;  qu'une 
faim  cruelle  y  vengera  Dieu  d'avoir  flatté 
votre  goût,  et  satisfait  vos  appétits  par  tous 
les  raffinements  de  la  délicatesse.  Quand  on 
aura  donné  à  ces  paroles  du  riche  :  crucior 
in  hac  flamma,  tout  leur  sens,  ah  !  mon  corps 
devenu  plus  sensible  et  tout  consumé  de 
douleurs,  rend  mes  peines  inconcevables, 
crucior.  En  moi  tout  est  (hangé  en  feux  dé- 
vorants, tout  y  est  transformé  en  flammes 
cruelles,  et  ma  chair  et  mes  membres,  tout 
est  enflammé,  tout  brûle  en  moi,  tout  y  est 
tellement  pénétré  qu<>  mes  os  et  ma  substan- 
ce sont  tout  en  feu,  sans  que  je  puisse  seule- 
ment fournir  une  goutte  d'eau  à  la  vivacité 
de  mes  ardeurs,  crucior  in  hac  flamma. 

Quand  par  des  peintures  plus  vives  j'aurai 
excité  votre  imagination,  ce  ne  sera  encore 
que  des  ombres,  que  des  images  infiniment 
moins  horribles  que  la  réalité,  et  je  n'aurai 
touché  que  lasuperlicie  de  l'enfer.  Il  y  reste 
toujours  des  profondeurs  impénétrables,  où 
la  pensée  se  perd,  où  les  idées  se  confondent; 
il  n'y  a  que  Dieu  et  les  tristes  victimes  de 
sa  colère,  qui  connaissent  l'excès  de  ces  tour- 
ments, et  nous  ne  pouvons  en  parler  qu'avec 
des  frissonnements,  de  vives  terreurs  et  des 
secousses  mortelles  :  crucior  in  hac  flamma. 

Encore  si  ces  peines,  toutes  terribles  qu'el- 
les sont,  avaient  quelque  issue,  si  on  y  voyait 
une  fin,  elles  seraient  supportables  par  l'espoir 
qu'un  jour  elles  finiraient;  mais  à  vos  maux 
résents,  Dieu  en  ajoute  de  plus  grands 
encore  pour  l'avenir  :  le  poids  de  son  éter- 
nité qui  se  présentera  à  vous  tout  entière, 
et  dont  vous  serez  obligés  de  vous  occuper, 
mettra  le  comble  à  votre  désespoir,  et  il  ne 
faut  qu'un  seul  point  de  cette  éternité  terri- 
ble pour  vous  accabler  autant  que  l'éternité 
même  tout  ensemble. 

O  Dieu  terrible  !  vous"écrierez-vous  dans 
des  transports  de  rage  et  de  douleur,  ne  fîni- 
rez-vous  jamais  mes  peines?  faut-il  toujours 
souffrir?  Oui,  toujours,  vous  répondra  ce 


853  CAREME.  —  SERMON  XïII, 

Dieu  juste  :  Tnter  nos  et  vos  chaos  magnum 
ftimatum  est;  entre  vous  et  moi  il  y  a  une  dis- 
tance infinie,  et  il  est  impossible  de  passer 
de  l'abîme  où  vous  êtes  à  l'heureux  séjour 
que  j'habite;  il  y  a  entre  nous  deux  un  chaos 
impénétrable  qui  nous  sépare  pour  tou- 
jours :  d'un  côté  vos  péchés  poussés  jusqu'à 
la  mort,  vos  passions  assouvies,  votre  chair 
flattée,  vos  penchants  écoutés;  et  de  l'autre 
mon  sang  foulé  aux  pieds ,  mes  mérites 
anéantis,  mes  grâces  méprisées,  ma  patience 
lassée,  ma  miséricorde  épuisée,  ma  justice 
irritée.  Partout celale  puits  de  cet  abîme  est 
fermé  sur  vous  et  ne  peut  s'ouvrir,  en  sorte 
que  ceux  qui  voudront  en  sortir  pour  venir 
à  moi  ne  le  pourront  jamais  :  Ut  hi  qui  vo- 
lant hinc  transire  ad  vos  non  possunt,  ne  que 
inde  hue  transmeare. 

Oui,  la  plus  affreuse  des  misères  est  de 
vous. voir  dans  un  état  fixe  et  immuable  de 
tourments.  Vous  avez  insulté  à  la  majesté 
d'un  Dieu  qui  est  infinie  ,  il  faut  que  vos 
supplices  soient  sans  fin  ;  vos  péchés  ont  été 
continuels,  il  faut  que  vos  peines  soient  éter- 
nelles. Vous  ne  vous  êtes  point  repentis  de 
vos  crimes,  dira  Dieu,  je  ne  me  repentirai 
point  de  vous  faire  souffrir;  vous  ne  vous 
êtes  point  lassés  d'être  rebelles  à  mes  or- 
dres, je  ne  me  lasserai  point  d'être  ven- 
geur de  ma  miséricorde  ;  rien  n'a  pu  mesu- 
rer ni  retenir  vos  crimes,  rien  aussi  ne 
mesurera  et  ne  retiendra  vos  tourments. 
Votre  âme  qui  a  péché  est  immortelle,  il  lui 
fc.ut  denc un  supplice  éternel-;  et,  afin  qu'elle 
ne  voie  jamais  finir  ses  maux,  que  sa  vie  ne 
finisse  jamais;  sa  vie  ne  finira  jamais  :  In- 
ier  vos  et  nos   chaos  magnum  firmatum  est. 

Hélas  !  quand  on  vient  à  songer  que  pour 
une  seule  mauvaise  pensée  l'on  soit  damné, 
que  la  moindre  désobéissance  passe  par  les 
flammes  de  l'enfer,  quelle  peine  1  y  rester 
quelque  temps,  quel  supplice!  mais  tou- 
jours y  demeurer,  se  faire  une  habitation 
tue,  et  une  maison  ordinaire  de  son  éternité: 
là-dessus  a-t-on  des  paroles  pour  s'expri- 
mer, des  pensées  pour  comprendre  et  assez 
d'âme  pour  s'effrayer?  Mon  Dieul  on  sait  ici 
que  cet  enfer  est  pour  les  âmes  molles  et 
tout  est  plein  de  chrétiens  mous  et  sen- 
suels :  une  vie,  qui  n'est  seulement  que 
commode  et  heureuse ,  suffit  pour  con- 
duire à  cet  abîme  affreux,  et  tous  ici  veulent 
être  heureux  et  avoir  toutes  leurs  aises.  Qu'y 
a-t-il  de  plus  terrible  ici  ou  des  peines  de 
l'enfer,  ou  de  l'insensibilité  de  tant  d'âmes 
qui  s'y  précipitent  de  propos  délibéré? 

Mais  vous,  mes  frères,  quel  fruit  retirerez- 
vous  de  ce  discours?  Est-ce  de  nous  dire, 
comme  on  fait  ordinairement  après  ces  sor- 
tes de  matières  :  mais  si  Dieu  prépare  à  la 
vie  commune  des  habitants  du  monde,  des 
supplices  qui  ne  sont  point  pour  ceux  qui 
habitent  les  déserts,  il  faut  donc  déserter  les 
villes  et  s'enfuir  dans  d'affreuses  solitudes? 
Croyez-moi,  mes  frères,  tirez  de  l'exemple 
du  mauvais  riche  des  conséquences  plus  sé- 
rieuses et  plus  sages  :  puisque  l'abus  de 
son  cœur  et  de  ses  sens  lui  ont  attiré  des 
malheurs  si  grands,  il  faut  donc  quo  vous 


DE  LA  GLOIRE  DE  CIEL 


854 


fassiez  des  vôtres  un  usage  plus  chrétien 
que  vous  soyez  plus  modérés  dans  vos  plai- 
sirs, plus  solides  et  plus  circonspects  dans 
l'usage  de  vos  sens;  possédant  vos  biens, 
mais  sans  en  jouir,  selon  le  conseil  de  l'Apô- 
tre; en  usant  comme  n'en  usant  pas,  et  regar- 
dant sans  goût  et  sans  attache  les  choses  de 
ce  monde  qui  passent  par  vos  mains  et  qui 
tombent  sous  vos  sens;  composez-vous  y 
une  forme  de  vie,  et,  sur  l'intention  de  celui 
qui  fait  la  parabole,  et  aux  dépens  de  celui 
dont  on  la  fait,  prenez-y  tout  ce  qui  esi  de 
Jésus-Christ,  et  n'y  prenez  rien  de  la  con- 
duite du  riche  réprouvé.  Conservez  tout  ce 
qui  est  de  l'un,  rejetez  tout  ce  qui  est  de 
l'autre;  entretenez  l'union  et  la  société  avec 
vos  -  frères  par  des  commerces  honnêtes  ; 
mangez  ensemble  avec  sobriété,  et  formez 
entre  vous  et  eux  toutes  les  liaisons  qui  ont 
pour  fin  la  charité  chrétienne  :  cela  est  de 
Jésus-Christ,  conservez-le.  Fuyez  l'oisiveté, 
la  mollesse,  le  plaisir,  la  tiédeur,  l'amour 
d'une  vie  douce  et  commode,  cela  est  du  ri- 
che, rejetez-le.  Jésus-Christ  est  l'objet  et  le 
terme  que  vous  devez  avoir  toujours  en  vue, 
le  riche  est  le  point  fatal  où  commence  la 
mollesse  qui  finit  par  l'enfer;  imitez-1'un, 
éloignez- vous  de  l'autre,  et  assurez-vous 
que  si  on  se  précipite  dans  des  tourments  si 
affreux  en  suivant  la  mollesse  du  riche,  on 
s'élève  jusque  dans  le  séjour  de  l'éternelle 
félicité  en  embrassant  les  souffrances  et  la 
vie  mortifiée  dont  Jésus-Christ  nous  a  donné 
l'exemple.  C'est  ce  que  je  vous  souhaite. 
Amen. 

SERMON    XIII. 

DE  LA   GLOIRE  DU  CIEL. 

Transfigurât  us  rst  ante  eos.  (Matth.,  XVII.) 
Il  se  transfigura  devant  eux. 

Quelle  est  la  sainte  montagne  à  qui  mieux 
qu'au  Thabor  peuvent  être  appliquées  les 
paroles  de  l'Ecriture  :  elle  sera  pleine  de  la 
gloire  du  Seigneur  et  des  voies  du  salut  de 
l'homme? 

En  effet,  Messieurs,  Jésus-Christ  à  qui  son 
amour  fait  prendre  tant  de  soins  différents 
pour  nous  gagner,  en  pouvait -il  jamais 
prendre  un  plus  glorieux  et  plus  salutaire? 
Lui  qui  cachant  l'éclat  de  sa  majesté  sous  les 
sombres  voiles  d'une  chair  mortelle  ,  n'avait 
paru  jusque-là  qu'un  homme  devant  les 
nommes,  aujourd  hui  permettant  à  sa  gloire 
de  se  communiquer,  parait  tout  Dieu;  ce  qui 
rend  sa  divinité  toute  sensible,  et  son  huma- 
nité toute  brillante,  fait  voir  à  la  terre  qu'il 
les  réunit  dans  sa  personne  et  justifie 
que  les  paroles  qu'il  en  donne  sont  vraies; 
que  le  Thabor  est  non-seulement  cette  mon- 
tagnep  leine  de  la  gloire  du  Seigneur,  mais 
encore  des  voies  du  salut  des  hommes. 

Ces  voies  bienheureuses,  ce  sont  les  traces 
des  vertus  que  Jésus-Christ  y  imprime,  ce 
sont  les  saintes  instructions  qu'il  y  fortifie. 
Rien  n'est  vide,  rien  n'est  stérile  sur  le 
Thabor,  chaque  parole  que  le  Sauveur  y  dit 
est  une  vérité  qu'il  y  enseigne,  chaque  dé- 
marche qu'il  y  fait  est  un  devoir  qu'il  y  im- 
pose. 


855 


Ali!  plût  à  Dieu  qu'il  me  fût  permis  de 
tous  faire  entrer  clans  le  cœur  de  Jésus-Christ 
transfiguré  I  que  vous  verriez  dans  cette  pléni- 
tude de  gloire  une  image  naturelle  des  désirs 
glorieux  qui  doivent  vous  faire  aspirer  à  vo- 
tre centre  !  que  vous  y  entendriez  dans  les 
'  voies  bienheureuses  des  leçons  salutaires 
que  sa  mère  vous  offre.  Car  voilà  en  quoi 
consiste  le  fruit  du  mystère  de  ce  jour,  et  ce 
sera  aussi  tout  le  sujet  de  ce  discours.  Il  s'y 
faut  pénétrer  de  ces  pensées  consolantes 
que  Jésus-Christ  n'est  point  transfiguré  pour 
lui-même,  mais  pour  nous;  et  que,  loin  de 
retenir  pour  lui-môme  toute  sa  gloire,  son 
désir  le  plus  pressant  a  été  qu'il  se  répande 
et  se  réfléchisse  sur  les  siens;  il  faut  se  dire 
de  soi-même  qu'un  Dieu  n'a  point  rassemblé 
tant  et  de  si  grands  prodiges  sur  la  sainte 
montagne  pour  donner  un  vain  spectacle  à  la 
curiosité,  mais  afin  que  nous  en  tirions  toute 
l'utilité  et  tout  l'usage.  Premièrement,  il 
nous  y  montre  sa  gloire  à  découvert,  afin 
d'exciter  pour  elle  nos  désirs.  Deuxième- 
ment, il  nous  y  trace  ces  voies  bienheureuses 
qui  y  mènent,  afin  de  vous  y  faire  entrer. 
Expliquons  donc  aujourd'hui  ce  grand  mys- 
tère sans  sortir  des  circonstances  de  nobe 
évangile  ;  voyons  comment  le  Thabor  ren- 
ferme seul  notre  sainte  religion.  Première- 
ment, d'abord  les  biens  qu'elle  doit  désirer; 
deuxièmement  ensuite  les  vertus  qu'elle  doit 
pratiquer  pour  atteindre  à  la  gloire,  ou  si 
vous  voulez  la  nature  de  la  félicité  qui  vous 
est  aujourd'hui  représentée  et  le  chemin  qui 
y  conduit,  voilà  tout  mon  dessin.  Vous,  ô 
mon  Dieu,  donnez-nous  ce  que  vous  deman- 
dait autrefois  un  prophète,  de  voir  votre  lu- 
mière par  votre  lumière  même,  c'est-à-dire 
de  voir  votre  gloire  par  votre  grâce  ;  nous 
vous  le  demandons  par  l'intercession  de  Ma- 
rie. Ave,  Maria. 

TREMIER    roiNT. 

<  L'homme  est  né  pour  être  heureux,  Mes- 
sieurs; il  sort  par  la  création  du  sein  de  la 
félicité  et  de  la  gloire,  son  penchant  le  plus 
nsiurel  et  le  plus  immuable  c'est  d'y  retour- 
ner. Consultons-nous ,  nous  y  trouverons 
que  ce  désir  nous  suit  partout:  il  anime  nos 
I  entées  et  nos  actions,  il  conduit  nos  projets, 
no«  démarches. Nous  ne  sentons  plus  rien 
au  fond  de  notre  être  et  de  notre  substance 
que  ce  désir,  et  qui  ne  sait  que  notre  cœur 
nous  porterait  toujours  vers  cette  félicité, 
si  cl  °bord  notre  aveuglement  et  ensuite  nos 
défiances,  nous  empêchant  deda  connaître  et 
de  l'espérer,  ne  nous  arrêtaient  à  ce  qui  nous 
rend  ici-bas  misérables  ? 

Et  certes,  Messieurs,  s'élever  au-dessus 
des  sens,  percer  les  adorables  voiles  du  sanc- 
tuaire, aller  prendre  l'idée  de  l'éternelle 
gloire  jusque  dans  le  sein  de  celui  qui  en 
est  le  principe,  notre  faiblesse  ne  le  pourrait 
pas;  cendre  et  poussière  que  nous  sommes, 
comment  pouvons-nous  nous  élancerjusqu'à 
la  divinité  qui  fait  toute  l'essence  de  notre 
béatitude?  Mais  celui  qui  nous  prépare  des 
biens  tant  au-dessus  de  nous,  veut  pourtant 
bien  nous  les  faire  connaître;  se  pourrait-il 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SURIAN.  856 

donc  après  cela  que  notre  cœur  ne  les  dési- 
rât pas? 

Hâtez  -  vous  donc,  hommes  profanes  et 
charnels,  nous  dit  le  prophète,  de  monter 
sur  un  lieu  élevé  ;  appesantis  par  le  triste 
poids  qui  vous  accable,  vous  n'avez  jus- 
qu'ici cherché  votre  bonheur  dans  ce  bas 
monde,  que  dans  la  possession  des  viles  créa- 
tures; votre  désir  n'est  pas  monté  p lus  haut. 
Transportés  en  esprit  sur  la  montagne  mysté- 
rieuse qui  brille  en  ce  jour,  contemplez-y  les 
merveilles  qui  s'y  passent  du  haut  du  Tha- 


bor, voyez  le  monde  de  ce  point  sublime 
jugez  de  l'univers  ;  de  cette  élévation  lixe 
mesurez  le  temps  et  tout  ce  qu'il  renferme; 
d'un  lieusiéminent  voyez  tous  les  honneurs, 
les  plaisirs  s'anéantir  sous  vos  yeux,  les 
grandeurs  de  la  terre  s'écrouler,  les  années 
et  les  siècles  passer  rapidement  sans  que 
rien  les  arrête,  toutes  les  choses  humaines 
se  rétrécir,  décroître  et  disparaître.  Éle- 
vez-vous sur  cette  montagne,  et  là  contem- 
plez un  objet  plus  grand  et  plus  parfait  que 
toutes  les  créatures  ensemble;  voyez  |  einte 
dans  un  Dieu  même  l'image  de  votre  bien- 
heureux héritage;  comprenez  sur  le  Thabor 
le  bonheur  parfait,  et  dans  la  personne  du 
Sauveur  transfiguré,  tous  les  traits  différents 
de  la  gloire  céleste.  O  félicité  charmante  au- 
dessus  de  tous  les  termes  et  de  toutes  les 
expressions  de  l'éloquence  humaine,  quelle 
bonté  dans  un  Dieu  d'élever  si  haut  des 
hommes  qui  ne  sont  ici-bas  que  misère  1 11 
ne  m'étonne  donc  plus  si  au  seul  souvenir  de 
ce  bonheur  David  s'é;  riait  dans  son  tressail- 
lement :  ah  1  quand  viendra  ce  moment 
heureux  ! 

Ah!   que   ces  transformations  glorieuses 
seront  aimables,  et  qui  ne  les  convoiterait 
pas,  et  qui  ne  soupirerait  pas  après  elles* 
Seigneur,  s'il  est  si  doux  de  les  comprendre, 
que  sera-ce  de  les  sentir;  si  là,  comme   ici, 
plus   le    bonheur  est  grand  ,   plus   il  fait 
naître  l'envie;  si  la  félicité  des  uns  ne  le  satis- 
faisait  qu'en    piquant   la  jalousie  des  au- 
tres, le  bonheur  des  justes  serait  plein  de  la 
partde  Dieu,  mais  il  recevrait  quelqu'atteinte. 
de  la  part  des  hommes.   Mais  rien  de  j  areil 
n'arrive  dans  le  ciel,  et  lorsque  nous  voyons 
sur  le  Thabor  des  hommes  si  différents  de 
condition,  un  prophète,  des  apôtres  assen> 
blés,  ceux-là  des  limbes,  ceux-ci  du  sein  de 
l'obscurité  où  ils  étaient  encore  cachés,  celte, 
heureuse  union  de  sentiments,  de  désirs,  de 
pensées  et  d'actions    ne  nous  transporte-t- 
elle  pas  dans  la  paisible  possession  au  bon- 
heur des  saints, où  nous  serons  tous  à  Jésus- 
Christ  sans  trouble  et  sans  division,  où  la 
gloire, quelque  faible  qu'elle  soit,  ne  fait  point 
de  jaloux,  où  les  plaisirs  sont  toujours  purs, 
sans  mélange,  où  les  élus  ayant  chacun  la 
mesure  de  félicité  à  leur  poids  de  béatitude 
éternelle,  conspireront  à  se  rendre  heureux, 
et  où  tous  réunis  dans  le  sein  de  Dieu,  n'ayan* 
plus  qu'un  même  cœur  et  une  même  âme, 
ils  deviendront  en  quelque  sorte  Dieu  même. 
Ne  vous  scmble-l-il  pas,  Messieurs,  voir  tous 
la  figure  du  Thabor,  ce  festin    spirituel  o\\ 
tout  ce  que  la  naissance  et  le  sang  ont  pro- 


CAREME.  —  SERMON  XIII,  DE  LA  GLOIRE  DU  CIEL. 


857 

duit  de  parents  se  trouve  rassemblé,  où  Jé- 
sus-Christ est  cet  époux  sacré  qui  réunira 
tous  ses  membres,  tous  ses  enfants,  tous  ses 
disciples,  tous  ses  fidèles  serviteurs,  tous  ses 
amis,  et  où,  saisis  de  l'objet  bienheureux  de 
notre  amour,  nous  nous  reposerons  éternel- 
lement en  lui. 

Mon  Dieu,  un  tel  bonheur  m'attend  et  je 
puis  encore  souffrir  la  vie  !  Ah  !  mon  âme, 
n'aspirons  donc  tout  le  reste  de  nos  jours 
qu'à  nous  mériter  .cette  félicité. 

Mes  frères,  que  vous  dirai-je  encore?  ce 
bonheurne  serait  pas  parfait  s'il  pouvait  être 
interrompu,  et  l'on  n'en  goûleraitpasassezles 
douceurs,  si  la  crainte  de  le  perdre  s'y  trou- 
vait mêlée.  Ce  que  vous  pouvez  espérer  de 
meilleur  ici  en  cette  vie,  c'est  que  la  peine 
et  le  plaisir  se  succèdent  mutuellement.  Vos 
excès  de  la  plus  grande  joie  sont  bientôt 
suivis  de  tristesse,  et  c'est  presque  assez 
d'être  aujourd'hui  content  pour  être  certain 
que  demain  il  vous  arrivera  quelque  chose 
de  fâcheux.  Mais  il  n'en  est  pas  de  même  du 
bonheur  des  élus:  il  n'y  a  ni  mélange  ni  in- 
constance, c'est  le  comble  des  divines  volup- 
tés, c'est  un  état  fixe  où  la  joie  ne  s'altère  ja- 
mais. Après  des  millions  de  siècles,  ils  goûte- 
ront une  félicité  aussi  pure  et  aussi  nouvelle 
que  s'ils  venaient  d'y  entrer;  là  ils  ne  trou- 
•  veront  tous  qu'un  même  jour  auquel  nulle 
nuit  ne  succédera,  qui  n'empruntera  point 
de  lumière  étrangère,  parce  que  ce  Dieu, 
divin  soleil  de  justice,  1  éclairera  lui-même. 

Enfui  par,tous  ces  divins  caractères  ne  vous 
semble-t-il  pas  voir  cette  montagne  lumi- 
neuse dont  parle  saint  Jean  dans  son  Apoca- 
lypse? La  sainte  Jérusalem  que  voyait  cet  apô- 
tre, c'est  le  séjour  céleste  de  la  félicité;  l'a- 
gneau qui  y  préside,  c'est  Jésus-Christ  tout 
brillant  de  gloire;  ces  milliers  de  serviteurs  cïe 
Dieu  qui  avaient  le  nom  du  Père  éternel  gravé 
sur  le  front,  sont  tous  les  saints  qui  environ- 
nent le  Sauveur;  qui,  par  le  seul  plaisir  de  Je 
posséder, chantent  sans  cesse  autour  de  lui  des 
cantiques  de  joie  et  d'allégresse,  et  qui  tous 
contents  de  jouir  de  Dieu, s'enivrent  dans  cette 
source intarissablededélices.etquiplus  ils  en 
jouissent,  plus  ils  veulent  en  jouir.  O  monta- 
gne éternel  le,  quand  serez-vous  notre  demeu- 
re !  gloire  du  ciel,  dont  le  Thabor  nous  offre 
ici  une  image  si  touchante,  quand  vous  pos- 
séderons-nous, et  quand,  transportés  nous- 
mêmes  jusque  dans  ce  séjour  délicieux', 
pourrons -nous  nous  écrier  comme  saint 
Pierre  :  Bonum  est  nos  hic  esse!  ah  !  qu'il  est 
bon  d'être  ici  1  Mais,  hélas!  que  ferions- 
nous,  faibles  ministres,  par  toutes  ces  belles 
représentations,  qu'augmenter  ensuite  nos 
justes  douleurs;  lorsqu'il  faut  que  nous  je- 
tions la  vue  sur  votre  indigne  tiédeur  et  sur 
l'oubli  presque  général  où  vous  êtes  à  l'égard 
des  biens  éternels,  objet  unique  et  néces- 
saire qui  n'a  jamais  dominé  dans  votre  cœur, 
vous  n'y  êtes  point  même  sensibles.  Non, 
toute  précieuse  et  toute  manifeste  qu'elle 
soit,  cette  gloire  divine,  on  ne  l'envisage 
point,  on  ne  la  désire  point,  on  n'a  pour  elle 
que  du  dégoût  et  du  mépris;  et  ce  voile  iu- 
neste  que  saint  Paul  reprochait  aux  Juifs  de 


8S8 


laisser  sur  les  yeux  de  leur  esprit,  n'est  point 
encore  levé  de  dessus  les  vôtres.  Partout  on 
ne  voit  que  des  âmes  tardives  et  pesantes 
qui  s'attachent  à  la  terre  par  des  aU'ections 
basses  et  des  sacrifices  profanes,  indignes 
d'un  chrétien  destiné  pour  le  ciel  ;  on  n'en 
voit  que  trop  qui  oublient  leur  véritable  pa- 
'  trie  dans  le  triste  séjour  de  leur  exil,etqui, 
loin  de  soupirer  et  de  chercher  à  s'en  re- 
mettre en  possession,  l'ont  même  perdue  de 
vue.  O  plaie  sanglante  à  la  religion  1  Oui, 
Messieurs,  c'est  cet  amour  céleste,  si  doux 
aux  premiers  fidèles,  qui  s'est  presque  p°rdu 
dans  leurs  descendants;  cette-  noblesse  de 
pensées,  cette  sùj  ériorité  de  désirs  qui  leur 
faisaient  croire  qu'ils  se  seraient  dégradés, 
s'ils  avaient  eu  pour  les  choses  de  la  terre 
le  moindre  attachement ,  et  qu'ils  ne  pou- 
vaient jamais  être  satisfaits  que  par  la  gloire 
du  ciel,  se  convertissent  dans  vous  en  uésirs 
terrestres  et  en  pensées  rampantes.  En  vain 
Jésus-Christ  vous  monjre  toute  sa  gloire, 
son  image  ne  vous  touche  point,  et  vos 
cœurs  ont  acquis  pour  elle  une  dureté  im- 
pénétrable. 

Mais  songez  aux  tristes  conséquences  qui 
doivent  vous  intimider:  c'est  que  la  tiédeur 
et  l'indifférence  où  vous  vivez  à  l'égard  de  la 
félicité  du  ciel ,  est  un  état  qui  vous  assure 
l'enfer;  que  jamais  n'y  penser  et  n'y  tour- 
ner son  cœur,  est  une  disposition  qui  par 
elle-même  réprouve;  c'est  que  ne  [  oint  ten- 
dre à  l'éternelle  vie,  est  tendre  à  l'éternelle 
mort;  que  vos  prétentions  seraient  bien  in- 
justes de  croire  que  vos  noms  fussent  écrits 
dans  le  lieu  même  où  n'auraient  jamais  été 
vos  pensées;  songez  enfin  qu'il  n'y  a  de  vé- 
ritable connaissance  de  ce  bonheur  céleste 
que  celle  qui  renferme  un  dégoût  pour  le 
monde,  des  gémissements  sincères  d'être 
éloigné  de  sa  patrie,  une  crainte  salutaire 
d'en  être  privé,  une  espérance  vaine  d'y  ar- 
river, c'est-à-dire  toutes  les  vertus  ensem- 
ble et  une  horreur  de  tous  les  vices;  car 
nul  ne  peut  croire  qu'il  est  né  pour  une  féli- 
cité si  parfaite,  s'il  ne  l'aime  et  s'il  ne  la  dé- 
sire ;  quiconque  n'a  pas  cet  amour  et  ces  dé- 
sirs de  la  béatitude,  ne  peut  ressentir  ici-. 
bas  qu'un  abandon  et  un  vide  général,  ci 
après  la  mort,  qu'un  arrêt  redoutable  de  U 
bouche  de  son  juge. 

Sur  ce  principe,  ô  mon  Sauveur,  que  vous 
en  rejeterez,  que  vous  en  perdrez  au  jour 
de  vos  vengeances!  Epée  du  Seigneur,  que 
vous  immolerez  de  victimes,  niais  pour  di- 
minuer, s'il  est  possible,  votre  dureté,  gens 
du  monde,  n'oublions  pas  que  Jésus-Christ 
nous  montre  sa  gloire  sur  le  Thabor,  non- 
seulement  pour  nous  la  faire  connaître,  mais 
pour  nous  la  faire  désirer:  c'est-à-dire  qu'a- 
près avoir  fondé  notre  estime,  il  a  voulu 
nourrir  notre  espérance. 

Ici,  mes  frères,  plaignons-nous  à  ncus- 
mêmes,  et  avouons  que  nous  sommes  bien 
malheureux  d'attacher  nos  désirs  à  tant  de 
choses  vaines  qui  ne  peuvent  remplir  notre 
espérance,  et  de  ne  les  point  fixer,  de  ne  point 
les  élever  à  l'accomplissement  des  promesses 
et  à  l'acquisition  d'une  gloire  qui  ont  Dieu 


■•) 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SURIAN. 


860 


pour  garant.  Kélas!  peut-on  y  penser  sans 
s'attendrir  ou  se  confondre?  L'un,  tout  em- 
pressé, court  après  une  distinction  chiméri- 
que, un  poste  honorable,  et  un  fantôme  de 
gloire  qui  se  dissipe  comme  l'ombre  et  qui 
ne  descend  jamais  avec  lui  dans  la  sépulture; 
l'autre,  après  de'faux  plaisirs,  après  de  fa- 
des douceurs  cjui  n'aboutissent  qu'à  des 
regrets  et  a  des  larmes.  Celui-ci  consacre  à 
des  richesses  une  âme  qui  était  faite  pour 
des  biens  plus  réels  ;  celui-là  se  donne  tout 
entier  à  la  poursuite,  à  la  conquête  d'une 
misérable  créature ,  dont  son  cœur  abuse 
quand  il  en  est  devenu  le  maître.  Chacun 
prodigue  en  vaines  prétentions,  en  profits 
insensés,  en  folles  dépenses,  un  temps,  un 
argent,  une  santé  dont  il  aurait  pu  s'assurer 
un  royaume  éternel.  Tous  vous  avez  résolu, 
comme  les  Israélites  aveugles  et  ingrats,  de 
vendre  (tour  rien  cette  terre  si  désirable,  si 
chère  :  Pro  nihilo  habuerunt  terram  deside- 
rabilem  (Psal.  CV);  tous  encore  vous  sacrifiez 
3e  ciel  pour  des  attentes  qui  trompent,  pour 
des  plaisirs  qui  fatiguent,  pour  des  posses- 
sions qui  dégoûtent  :  Pro  nihilo;  tous  vous 
renoncez  à  votre  patrie  pour  des  grandeurs 
'  ui  ne  subsistent  qu'en  idée,  pour  des  for- 
tunes qui  ne  sont,  que  chimères,  pour  des 
;  Ifaires  qui  ne  sont  que  sujétion,  pour  des 
joies  qui  ne  sont  que  fatigues,  pour  des  liai- 
•  ons  qui  ne  sont  qu'inquiétudes,  pour  un 
luxe  qui  n'est  que  vanité,  pour  des  monda- 
nités qui  ne  sont  qu'erreur  v  Pro  nihilo, 
pour  une  science  qui  n'est  qu'une  vaine  cu- 
riosité où  l'on  apprend  à  compter  ses  rai- 
sons au  milieu  do  ses  misères;  pour  un  gain 
sordide  qui  n'est  qu'une  vraie  perte;  pour 
des  conversations  qui  ne  sont  qu'une  lon- 
gue fable,  qu'un  grand  mensonge;  pour  une 
vie  qui  n'est  qu'un  souille  que  le  moindre 
accident  peut  ravir,  qui  ne  revient  plus 
quand  on  l'a  perdue,  et  qui  est  toujours  un 
songe  quand  on  en  jouit  :  Pro  nihilo;  pour 
le  service  d'un  monde  qui  n'est  que  vide, 
qu'illusion,  le  néant  même;  pour  des  créatu- 
res insolentes  et  perfides  qui  rendent,  par 
leur  inconstance  et  leur  légèreté,  un  conti- 
nuel hommage  à  l'immutabilité  de  Dieu,  seu 
assez  grand  pour  remplir  nos  désirs  :  Pro 
nihilo  habuerunt  terram  deside-rabilem, 

O  héritiers  du  ciel  !  ô  membres  de  Jésus- 
Christ  !  de  quoi  sommes-nous  capables?  à 
quoi  sommes-nous  bornés?  comment  accor- 
der des  espérances  si  hautes  avec  des  senti- 
ments si  bas?  Oublions  nous  la  quai 'té  su- 
blime de  ces  biens  infinis  que  notre  foi  nous 
promet,  et  auxquels  elle  nous  élève?  ne  nous 
souvenons-nous  donc  point  que  tout  n'est  ici 
que  corruption,  qu'il  n'est  personne  qui  ne 
doive  gémir  dans  cette  terred'exil?  O  vous  qui 
avez  le  bonheur  d'être  chrétiens,  placez  donc 
mieux  vos  désirs  et  vos  espérances,  dites  au 
Seigneur  :  Souvenez-vous  de  mes  malheurs 
et  de  la  misère  où  je  suis  :  liecordare paaper- 
tatis meœ (thren.,  III),  elquecesouvenirvous 
fasse  lever  les  yeux  au  ciel  pour  y  voir  tous 
les  biens  infinis  qu'il  vous  y  présente, et  dès 
le  moment  fa  vorable  où  Jésus-Christ  vous  offre 
sa  gloire,  répondez  lui  comme  le  prophète  : 


Oui,  mon  Sauveur,  je  consens  à  cette  impre's 
sion  de  bonheur  [que  vous  voulez  faire  sur 
moi;  je  veux  désormais  y  rapporter  mes  pen- 
sées, y  donner  tous  mes  soins  et  toute  mon 
application;  j'y  porterai  tous  mes  désirs  et 
les  plus  doux  mouvements  de  mon  cœur  : 
Hœc  recolens  in  corde  meo  (Thren.,  III);  l'idée 
que  vous  m'en  donnez,  m  élèvera  à  son  es- 
pérance ;  l'une  et  l'autre  me  la  feront  imiter 
sans  cesse,  mon  âme  en  sera  toute  rem- 
plie :  Tabescet  iivme  anima  mea  (Ibid.);  je 
ferai  de  mon  Dieu  tout  mon  partage,  je  ne 
vivrai  plus  que  dans  l'attente  de  sa  bienheu- 
reuse possession  :  Pars  mea  Dominns,  prop- 
terea  exspectabo  ilhim  (Ibid.),  et  je  ne  cher- 
cherai plus  que  les  voies  qui  me  peuvent  y 
conduire.  Ji.es  voici,  ces  voies  bienheureu- 
ses, et  c'est  Jésus-Christ  lui-même  qui  va 
nous  les  montrer  encore  sur  la  montagne  du 
Thabor;  ne  vous  lassez  point  de  m'entendre 
dans  un  sujet  qui  doit  avoir  tant  de  charmes 
pour  vous. 

SECOND  POINT. 

11  n'y  a  que  notre  misère,  si  nous  savons 
l'étudier,  qui  nous  doive  paraître  grande, 
Messieurs;  aveuglés  clans  l'idée  que  nous 
avons  de  la  véritable  félicité,  nous  le  som- 
mes encore  plus  dans  les  voies  que  nous 
prenons  pour  y  atteindre  •  nous  voulons  y 
aller  par  une  curiosité  tout  inquiète,  par 
les  faux  plaisirs  des  sens,  par  la  vanité  des 
grandeurs  du  siècle.  Pourquoi  ne  pas  dire 
avec  le  Saint-Esprit  :  depuis  que  le  péché  a 
mis  entre  la  terre  et  le  ciel  un  chaos  immen- 
se, que  les  voies  de  l'un  à  l'autre  sont  deve- 
nues plus  difficiles,  tout  se  conduit  dans  le 
monde  par  l'aveugle  concupiscence  des  yeux, 
par  la  grossière  convoitise  de  la  chair,  par 
l'amour  effréné  des  plaisirs  sensibles.  Voies 
si  déplorables,  qu'on  peut  bien  dire  de  vous 
que  tout  ce  qui  se  passe  par  vous,  donne  et 
ressent  la  mort  I 

Mais  qui  doit  nous  attendrir  le  plus  ou 
de  la  mort  de  l'homme  qui  s'égare,  ou  de  l'a- 
mour de  Jésus-Christ  qui  prend  soin  de  nous 
redresser?  Car  on  peut  dire  que  c'est  là  cet 
1  ange  céleste  qui  brille  à  la  porte  du  paradis, 
non  plus  pour  en  empêcher  l'entrée,  -mais 
pour  nous  l'ouvrir,  et,  pour  me  servir  de 
l'expression  de  l'Apôtre,  Jésus-Christ  s'offre 
aujourd'hui  à  nous  sur  le  Thabor,  pour  y 
tracer  une  voie  nouvelle  et  vivante  au  tra- 
vers des  voiles  de  sa  chair  :  Quam  initiavit 
nobis  viam  viventem  et  novam  per  vclamen, 
id  est  curnem  suam  (Ilebr.,  X)  :  voie  de  re- 
traite, opposée  à  la  vaine  curiosité  des  yeux  ; 
voie  de  souffrance,  opposée  à  l'amour  des 
faux  plaisirs  des  sens;  voie  d'humilité,  qui 
attaque  l'orgueil  de  la  vie  :  Initiavit  nobis 
viam  novam  et  viventem. 

O  vous  qui  faites  ici-bas  tout  votre  bon- 
heur do  votre  attente, et  qui  mettez  votre  espé- 
rance la  plus  douce  à  être  semblablesà  Jésus- 
Christ,  votre  chef  et  votre  Sauveur,  car  tout 
ce  qui  ne  tend  point  là  vous  damne ,  songez 
que  les  lumières  de  sa  gloire  qu'il  dit  être 
inaccessible,  ne  le  sont  point  à  ces  trois 
belles  vertus,  et  ce  qu'il  dit,  faites  selon  te 


£31 


CAREME.  —  SERMON  XIII,  DE  LA  GLOIRE  DE  CIEL. 


modèle  que  je  vous  ai  tracé  sur  la  montagne, 
suivez-le,  et  vous  pourrez  espérer  d'attein- 
dre à  la  v'e  de  la  gloire. 

Oh, quel  présent  plus  digne  d'un  Dieu  qu'une 
âme  qui  aime  la  retraite!  En s'éloignant  des 
occasions,  elle  écarte  d'elle  le  péché;  en  pra- 
tiquant la  vertu,  elle  triomphe  de  tous  lès 
vices  ensemble;  elle  est  le  sentier  écarté  qui 
mène  sûrement  à  la  vie. 

Mais  s'il  y  mène,  d'où  vient  donc  que  vous 
n'y  entrez  point,  gens  du  monde;  que  loin 
de  vous  y  porter  au  moins  de  temps  en  temps, 
vous  vous  en  éloignez  et  vous  moquez  même 
de  ceux  qui  s'y  assujettissent?  Pourquoi  tenir 
sans  cesse  toutes  les  portes  de  vos  sens  ou- 
vertes à  tant  dépassions,  et  faire  de  vos  yeux 
autant  de  glaives  meurtriers  qu'ils  jettent 
de  regards?  Si  la  retraite  est  une  vertu  si 
nécessaire  et  si  avantageuse  au  chrétien, 
pourquoi  ne  chercher  que  l'embarras,  que 
les  compagnies  et  le  tumulte  du  siècle?  Pour- 
quoi y  demeurez-vous  donc  encore  errants 
et  dissipés  dans  le  monde  qui  vous  éloigne 
si  fort  de  votre  Dieu?  Pourquoi  ne  pas  dé- 
tourner vos  regards  de  dessus  ses  objets  qui 
vous  séduisent,  occuper  votre  esprit  de  ses 
modes,  de  ses  coutumes,  des  ses  maximes, 
de  ses  usages  qui  vous  corrompent  et  qui 
vous  perdent? 

Et  ne  dites  point,  comme  on  fait  tous  les 
jours,  que  votre  état  est  incompatible  avec 
la  retraite,  que  vos  affaires  ne  vous  le  per- 
mettent point.  Ignorez-vous  donc  qu'il  ne 
faut  pas  être  hors  du  monde  pour  serecueil- 
lir  en  soi-même?  qu'il  y  a  une  retraite  mo- 
rale nécessaire  atout  chrétien,  une  retraite 
spirituelle,  selon  saint  Paul,  par  laquelle  on 
s'éloigne  du  crime  où  l'on  vit  avec  le  monde, 
sans  l'aimer,  où  l'on  use  de  ses  biens  comme 
si  l'on  n'en  usait  pas ,  où  l'on  y  demeure,  sans 
s'y  attacher,  où  l'on  commerce  avec  les  autres 
hommes  pour  les  sanctifier ,  où  l'on  s'éloi- 
gne d'eux,  quand  ils  sont  capables  de  nous 
corrompre?  qu'il  y  a  une  retraite  par  laquelle 
le  chrétien,  ne  pouvant  sortir  du  siècle, 
fait  sortir  le  siècle  de  lui-même  ;  où  une  Ame 
attachée  à  son  Dieu  comme  à  l'unique  objet 
de  son  amour  est  tout  entière  à  lui  au  mi- 
lieu même  du  monde  ;  où,  tenant  aux  hommes 
par  le  corps,  on  est  toujours  uni  à  Dieu  par 
l'esprit,  et  où  imitant  en  cela  cet  Etre  su- 
prême qui,  mêlé  aux  choses  de  la  terre,  n'a 
point  de  part  à  leur  corruption? 

Ah!  Messieurs, apprenez  donecette  vertuqui 
vousestprésentéecommela  première  et  la  plus 
sûre  voie  de  la  félicité,  et  puisque  votre  état 
et  vos  engagements  vous  obligent  de  demeu- 
rer dans  le  monde,  rompez  du  moins  toute 
liaison  et  tout  commerce  avec  les  méchants, 
dont  la  contagion  ne  manquerait  jamais  de 
vous  infecter,  ce  que  Jésus-Christ  réprouve 
ensuite.  Si  vous  voulez  de  l'union  et  de  la 
société,  que  ce  soit  avec  le  petit  nombre  de 
chrétiens  qui  se  regardent  comme  étrangers 
ici-bas,  qui  n'ont  rien  tant  à  charge  que  cette 
misérable  vie  qui  retarde  leur  bonheur;  qui, 
peu  contents  d'appréhender  et  de  fuir  le 
monde,  le  méprisent  elle  haïssent.  Aimez 
la  retraite  dans  la  même  disposition  que  les 


Israélites  captifs  sur  les  fleuves  de  Babylone, 
et  dites  comme  eux  :. Hélas!  forcés  d'habi- 
ter ce  monde  ,  où  nos  liens  nous  retiennent 
malgré  nous ,  nous  n'y  avançons  pas ,  nous 
demeurons  toujours  assis  au  bord  de  ce 
fleuve  :  Super  {lamina  Babylonis  illic  sedimus 
(Psal.  CXXXVI);  nous  craignons  tropque  les 
eauxeorrompues  etamères  ne  nous  gagnent. 
Nous  nous  levons  loin  de  ses  agitations,  de 
sa  corruption  et  du  gouffre  de  ses  iniquités  : 
Illic  sedimus.  Nous  y  voyons  avec  douleur 
périr  ceux  que  leur  aveuglement  et  leur  té- 
mérité y  jettent,  que  leur  imprudence  y  en- 
fonce. Pour  nous,  menons  une  vie  plus  tran- 
quille; et  si  nous  avons  de  l'inquiétude  et 
des  ennuis,  ce  n'est  que  par  la  bienheureuse 
espérance  de  revoir  la  sainte  Sion,  notre  vé- 
ritable patrie. 

Mais  remarquez,  Messieurs,  qu'ils  y  ver- 
sent aujourd'hui  des  larmes  pour  nous  ap- 
prendre  que  l'affliction  est  une  voie  aussi 
essentielle  à  l'éternelle  félicité  que  la  re- 
traite, et  n'est-ce  pas  ce  que  Jésus-Christ 
nous  enseigne  encore  dans  le  mystère  du 
Thabor,  lorsqu'il  s'y  entretient  avec  Moïse  et 
Elie  de  l'excès  des  douleurs  qu'il  doitsouffr  r 
àJérusalem  :Dicebant  cxccssnrn  ejusquemeom- 
pleturus  erat  in  Jérusalem  ?  {Luc,  IX.)  Lors- 
que tout  à  coup,  quittant  la  joie  et  l'éclat  de 
sa  gloire,  le  Sauveur  change  de  situation  et 
de  langage,  reprend  les  peines  du  dedans  et 
du  dehors,  en  fait  part  à  eux-mêmes  qui  de- 
vaient être  les  spectateurs  de  sa  glorieuse 
transfiguration,  et  leur  trace  dès  ce  moment 
une  image  véritable  de  ce  qu'il  doit  souffrir 
un  jour  sur  le  Calvaire  :  Diccbant  excessum 
ejus  quem  complétants  erat  in  Jérusalem;  sur 
quoi  je  voudrais,  Messieurs,  vous  faire  faire  ici 
quelques  réflexions  si  naturelles.  Un  Dieu  qui 
eu  égard  à  son  infinie  sainteté,  pouvait  pas- 
ser des  joies  de  la  terre  aux  déli<  es  du  ciel , 
rejette  cependant  cette  voie,  et  ne  veut  arri- 
ver aux  consolations  éternelles  que  par  la 
privation  des  passagères;  quelle  rigueur 
pourlui-même,  et  vous,  pécheurs  misérables, 
quelle  lâcheté  de  vouloir  réserver  pour  vous 
ce  que  le  Sauveur,  dont  nous  sommes  les 
membres,  n'a  pas  voulu  prendre  pour  lui- 
même;  et,  n'étant  jamais  conformes  à  l'image 
de  l'homme  de  douleur,  nous  présumerons 
de  l'être  à  l'image  de  l'homme  de  gloire  I 
Quelle  injustice!  un  Dieu  place  le  souvenir 
de  la  croix  au  milieu  de  sa  félicité,  quelle 
bonté  !  Et  nous  loin  de  sortir  un  instant  de  la 
joie  et  du  plaisir,  de  retrancher  un  seul  mo- 
ment Je  notre  mollesse  et  de  notre  sensualité, 
nous  étudions  l'art  et  le  secret  de  les  perpé- 
tuer et  (ie  les  étendre,  et  nous  voulons  tou- 
jours aller  au  même  terme  que  Jésus-Christ 
nous  montre,  sans  passer  par  la  même 
voie  qu'il  nous  a  tracée.  Quel  mécompte, 
quelle  erreur!  Et  l'esprit  peut-il  se  soutenir 
dans  des  prétentions  si  déraisonnables? 

Mais  achevez,  ô  mon  Sauveur,  de  redresser 
nos  voies.  Et  comme  cette  victime,  dont  vous 
racontez  les  souffrances  à  vos  favoris,  devait 
être,  non-seulement  séparée  et  frappée,  mais 
encore  cachée  aux  yeux  des  spectateurs  r 
Ne  mini  dixeritis   visionem,  ne  dites  à  per- 


6G3 


sonne  ce  que  vous  venez  de  voir  ;  vous  venez 
nous  apprendre  qu'après  nous  être  séparés 
du  monde  par  la  retraite,  après  nous  être 
frappés  nous-mêmes  par  les  mortifications, 
ou  l'avoir  été  de  votre  main  par  les  tribula- 
tions et  par  l'affliction,  nous  devons  encore 
mener  une  \ie  cachée  et  humble  sur  le  mo- 
dèle de  votre  humilité  sainte. 

Et  en  effet,  Messieurs,  Jésus-Christ  savait 
trop  bien  que  l'humilité  est  la  vertu  la  plus 
essentielle  à  l'homme  qui  veut  arriver  à  la 
gloire;  que  l'orgueil  l'ayant  chassé  du  para- 
dis, il  ne  lient  y  rentrer  que  par  l'humilité; 
que,  selon  l'Ecriture,  les  places  des  anges 
superbes  dans  le  ciel  ne  peuvent  être  remplies 
que  par  des  hommes  humbles;  que  moins  on 
prend  de  gloire  sur  la  terre,  plus  on  s'en  pré- 
pare dans  le  ciel;  qu'il  n'y  a  que  les  vides 
heureux  des  choses  de  ce  monde  qui 
puissent  obliger  un  Dieu  tout  grand  et 
tout  parfait  à  les  remplir  de  lui-même.  Aussi 
quel  cas  ne  fait-il  pas  de  ceux  qui  ont  en 
partage  celte  vertu  parmi  les  apôtres,  il 
choisit  celui  qui  do:t  le  renier  et  celui  qui 
doit  demeurer  caché  dans  son  sein  ;  toute 
celte  gloire  dont  il  nous  montre  aujourd'hui 
la  splendeur  se  borne  à  la  seule  montagne, 
une  nuée  môme  s'élève  qui  en  tempère  l'éclat, 
qui  l'enveloppe  et  dérobe  aux  spectateurs 
une  partie  du  spectacle,  et  pour  en  modérer 
tous  les  charmes,  il  y  mêle  les  humiliations 
de  sa  mort  et  l'ignominie  de  ses  souffrances, 
comme  s'il  voulait  nous  dire: ce  visage  plus 
brillant  que  le  soleil  paraîtra  bien  plus  défi- 
guré, bien  plus  outragé  par  les  soufflets  et 
les  crachats  dont  il  sera  couvert  au  temps  de 
ma  passion.  Ces  habits,  plus  blancs  que  la 
neige,  me  feront  paraître  bien  plus  méprisa- 
ble et  plus  odieux,  lorsque  mes  ennemis  les 
mettront  en  pièces  et  que  mes  bourreaux  les 
tireront  au  sort.  La  voix  de  mon  Père  qui  du 
haut  du  ciel  m'appelle  son  fils  bien-aimé,  en 
qui  il  met  se»  plus  chères  complaisances,  me 
rendra  plus  sensibles  et  plus  outrageants  les 
cris  barbares  de  ce  peuple  furieux  qui  de- 
mandera que  je  meure,  que  je  sois  crucifié, 
et  ces  deux  hommes  heureux  qui  sont  aujour- 
d'hui âmes  côtés  pleins  d'une  majesté  si  au- 
guste, et  tout  couverts  de  la  splendeur  qui 
m'environne,  ajouteront  à  toutes  mes  autres 
douleurs  la  triste  confusion  de  mourir  entre 
deux  hommes  infâmes,  et  tout  cela,  disent  les 
Pères,  pour  vérifier  cet  oracle,  que  le  Fils  de 
l'homme  sera  abaissé  et  humilié  d'autant 
plus  qu'il  aura  paru  exalté  et  glorifié. 

Encore  si  cette  gloire  du  Sauveur  sur  le 
Thabor  avait  été  de  quelque  durée  :  mais  à 
peine  Jésus-Christ  a-t-il  manifesté  tant  de 
grandeur  que  l'humilité  jette  son  voile  pour 
la  couvrir;  s'il  laisse  échapper  un  rayon  do 
gloire  qui  enflamme  toute  la  montagne  et 
qui  éblouit  tous  ceux  qui  en  sont  les  témoins, 
il  leur  fait  aussitôt  des  prières  tendres,  de 
fortes  instances,  il  leur  donne  <les  ordres 
réitérés  de  n'en  jamais  parler  :  Ncminidixeri- 
lis  visionem,  etc. 

Chrétiens   vous  aspirez   tous  à  la   menu 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SURIAN, 

loire  que  Jésu 


801 


p.^.iy.  MU^  -vo  o  Christ  vous  montre  en  ce 
jour,  mais  y  allez-vous  par.  la  même  route 
qu'il  vous  trace?  Le  faste,  l'ambition,  l'or- 
gueil, la  vanité  sont-ils  le  chemin  qu'il 
prend  et  que  vous  devez  prendre  vous- 
mêmes.  En  vérité  unDieusi  humble  la  donne- 
ra-t-il,  cette  gloire,  à  tous  ces  vains  transports 
de  superbe  qui  vous  tiennent  comme  charmés 
de  vous-mêmes,  qui  font  que  vous  vous 
applaudissez  d'une  naissance  qui  vous  con- 
fondra à  la  mort  avec  le  plus  petit  et  le  plus 
pauvre,  d'un  titre  de  noblesse  que  vous  dé- 
gradez par  les  inclinations  les  plus  basses, 
de  quelques  talents  et  qualités  naturels 
qui  ne  viennent  pas  de  vous,  et  dont  peut- 
être  vous  faites  un  si  déplorable  usage  ?  La 
donnera-t-il  à  ces  airs  hautains,  à  ces  vains 
efforts  de  tout  surpasser,  de  tout  éclipser, 
de  tout  éblouir  par  le  luxe  et  les  folles  dé- 
penses ce  qui  vous  environne?  Non,  Mes- 
sieurs, les  verges  que  Jésus-Christ  vous 
montre  sur  le  Thabor,  sont  les  seules  par  où 
vous  pouvez  atteindre  à  la  possession  de  sa 
gloire;  dès  qu'on  les  quitte  on  périt,  et  si 
vous  ne  pratiquez  ses  vertus,  vous  demeure- 
rez à  jamais  privés  de  sa  gloire. 

Privés  de  sa  gloire  !  Ah  1  Messieurs,  à  ces 
paroles  vous  ne  frémissez  pas?  et  votre  cœur 
ne  se  trouble  point?  et  vous  le;,  écoutez  sans 
alarmes?  O  sommeil  funeste,  ô  déplorable 
insensibilité  des  chrétiens  de  nos  jours;  tou- 
chez-les, divin  Sauveur  et  les  réveillez, 
comme  sur  le  Thabor  vous  reveillâtes  ceux 
qui  s'endormaient  au  milieu  de  votre  gloire; 
inspirez-leur  l'amour  et  le  désir  de  votre  fé- 
licité, et  ne  permettez  pas  qu'ils  prennent 
d'autres  voies  pour  y  parvenir  que  celles 
que  vous  venez  de  leur  montrer. 

Vous  êtes  appelé  le  Seigneur  des  vertus, 
en  même  temps  que  vous  êtes  reconnu  pour 
le  roi  de  gloire,  Dominits  virtutum  ipse  est 
lirx  gîoriœ;  vous  êtes  le  roi  de  gloire  puis- 
qu'elle n'appartient  qu'à  vous,  que  cesta 
un  Dieu  seul  à  la  donner,  qu'elle  vous  a 
coûté  la  vie,  que  vous  l'avez  acquise  au  prix 
de  votre  sang;  le  Seigneur  des  vertus,  non- 
seulement  des  armées  célestes,  mais  de  la 
retraite,  de  la  pénitence,  de  l'humilité  qui 
sont  vôtres,  parce  que  vous  les  avez  pratiquées 
et  scellées  du  sceau  sacré  de  votre  passion 
et  de  vos  douleurs  ;  ô  souverain  roi  de  gloire, 
ô  Seigneur  aimable  des  vertus,  distribuez 
nous  ici  la  force  de  mépriser  ce  bas  monde, 
la  victoire  absolue  sur  nos  passions,  en  un 
mot,  les  vertus  dans  le  temps,  et  dans  l'éter- 
nité votre  gloire;  c'est,  Messieurs,  ce  que  je 
vous  souhaite.  Au  nom  du  Père  et  du  Fils  et 
du  Saint-Esprit.  Amen. 

SERMON  XIV  (9). 

DE    I.A    PÉNITENCE    DIFFÉllÉE    A    LA   MOUT. 

Ego  vado,  et  qua?.relis  me,  et  in  peccato  vestro  rao.ie- 
mini.  (Jotw.,  VIII.) 

Je  m'en  vais,  vous  me  cherchera  el  vous  mourrez  dam 
voire  péché. 

Quel  coup  de  foudre,  mes  frères,  pour 


(9)  Imprimé  au  tome  II,  page  147  de  l'édition  de  Li<;ge,  sous  ce  titre  ;  De  t'impénitence  finale, 


8f>5 


CAREME.  —  SERMON  XIV,  DE  LA  PENITENCE  DIFFEREE  A  LA  MORT. 


SGO 


une  âme  pécheresse  qui  diffère   sa    péni- 
tence au  lit  de  la  mort;  et  si  une  seule  de 
ces  paroles  suffît    pour  l'accabler,    quelle 
ruine,  grand  Dieu,  quel  désespoir  doit  por- 
ter en  son  cœur  l'union  de  toutes  ensemble  ! 
Un  pécheur  à  qui  Jésus-Christ,  immuable 
vérité,  déclare  qu'il  s'en  va  et  que  pour  lui 
en  ce  triste  état  tout  va  se  retirer,  tout  va 
disparaître  pour  lui,  et  le  monde  et  la  nature, 
el  son  Sauveur  lui-même,  ego  vatlo ;  un  in- 
signe coupable  qui  au  lit  de  la  mort  recher- 
che, redemande  inutilement  son  Dieu;  qui 
fait  de  vains  efforts,  pour  retrouver  sa  mi- 
séricorde   perdue  ,  qui  voit    un  chaos  ef- 
froyable entre  le  ciel  et  la  terre  et  qui  éprouve 
trop  alors  ce  qu'il  n'a  jamais  pu  croire,  qu'il 
y  a  enfin  une  recherche  du  Sauveur  suivie 
de  la  damnation  éternelle,  qua  relis  me  ;  un 
obstiné  pécheur  affermi  dans  les  maux,  dans 
les  disgrâces  divines,  dont  tous  les  jours 
déplorables  coulent  dans  l'iniquité,  qui  fait 
du  crime  son  état  fixe ,  qui  y  trouve  son  re- 
pos monstrueux  et  une  assurance  stu.iide 
de  salut;  un  endurci  en  qui  l'impénitence 
du  trémas  punit  l'impénitence  de  la  vie,  et 
qui  voit,  jointes  enfin,   les  deux   choses  si 
terribles  l'une  sans  l'autre,  le  péché  et  la 
mort,  le  péché  qui  rend  la  mort  si  malheu- 
reuse, la  mort  qui  rend  le  péché  si  irrémé- 
diable. 

O  Ciel  !  que  de  désastres  dans  un  seul ,  et 
que  le  redoutable  mystère  des  vengeances 
de  Dieu  est  consommé  dans  l'homme  pé- 
cheur par  l'effet  de  cet  oracle  :  Je  m'en  vais  , 
vous  me  chercherez  et  vous  mourrez  dans 
votre  péché,  egovado,  etc. 

Mes  frères,  pour  vous  effrayer  d'avantage, 
est-il  donc  nécessaire  de  développer  ici  le 
sens,  dirai-je  de  cette  menace,  ou  de  cette 
prophétie?  Faut-il  que  j'ajoute  a  des  paroles 
si  effrayantes  de  nouveaux  sujets  de  ter- 
reur? et  soit  qu'elles  présagent  votre  desti- 
née ou  qu'elles  la  préviennent,  ne  devraient- 
elles  pas  seules  porter  dans  vos  cœurs  la 
pénitence  et  l'effroi?  Elles  le  devraient,  je 
l'avoue,  mais  hélas  î  disons-le  à  la  honte  du 
christianisme,  elle  ne  produisent  point  ce- 
pendant ce  bienheureux  effet,  et  l'homme 
pécheur  qui  les  écoute  avec  frayeur,  quand 
nous  les  annonçons  dans  les  chaires  évan- 
géliques,  se  fait  bientôt  des  ressources  in- 
dignes qui  le  rassurent  dans  sa  déplorable 
conduite. 

Otons  les  lui,  ces  ressources,  et  le  faisons 
voir  ici  Iui-n:*.me  a  lui-même,  au  lit  de  la 
mort ,  dans  l'abandon  général  de  toutes 
choses  et  môme  de  son  Dieu;  prouvons-lui, 
avec  tous  les  Pères  de  L'Eglise,  que  la  péni- 
tence différée  à  la  mort  et  l'impénitence  fi- 
nale ne  diffèrent  presqu'en  rien ,  et  que  si 
le  pécheur  misérable  ne  se  convertit  tout  à 
l'heure,  il  ne  se  convertira  jamais. 

C'est  au  simple  retranchement  de  ces  res- 
sources trompeuse  que  je  réduis  tout  le 
plan  de  ce  discours,  ne  pouvant,  dans  la  con- 
fusion où  me  jette  un  sujet  si  effrayant,  gar- 
der l'ordre  et  les  règles  ordinaires;  mais 
avant  de  commencer,  implorons  les  lumières 


de  l'Esprit-Saint  par    l'intercession"  de   la 
sainte  Vierge.  Ave  Maria. 

PREMIER    POINT. 

Considérez-vous  donc,  pécheurs  qui  diffé- 
rez votre  conversion,  je  ne  dis  pas  dans  les 
surprises  les  moins  ordinaires  d'une  mort 
subite,  mais  dans  un  lit  frappé  de  maladies, 
respirant  encore  longtemps  sous  le  poids  de 
vos  maux  et  de  vos  infirmités;  représentez- 
vous  dans  un  genre  de  mort  le  plus  favorable 
à  vos  délais  et  à  vos  téméraires  remises. 

Quelle  est  la  première  ressource  à'  vos 
espérances,  à  vos  attentes?  d'où  attendez- 
vous  la  pénitence,- dans  un  besoin  si  pres- 
sant ? 

Je  l'attends,  dites-vous,  de  la  grâce  de  mon 
Sauveur.  Cette  espérance  est  bientôt  formée, 
mais  avez-vous  de  quoi  l'appuver,  et  qui 
peut  donc  vous  soutenir  dans  'cette  auda- 
cieuse attente?  Je  sais  que,  selon  le  dogme, 
tant  qu'il  y  a  espérance  de  vie  dans  un  pé- 
cheur, il  y  a  encore  espérance  de  salut;  que 
jusqu'au  dernier  soupir  il  ne  faut  point 
désespérer  de  la  miséricorde;  que  la  grâce 
du  Seigneur,  figurée  par  cciîe  eau  miracu- 
leuse qui  suivait  les  Israélites  jusque  dans 
les  déserts  arides,  nous  accompagne  jusqu'à 
la  fin  de  notre  courte  vie.  Mais  quvil  sera 
difficile  de  surmonter  des  fiassions  que  le 
temps  et  l'habitude  auront  rendues  invin- 
cibles 1  Que  si  Dieu  laisse  aller  le  cours  des 
choses,  que  doit  attendre  le  pécheur  obstiné, 
sinon  la  damnation  éternelle  qui  est  lo 
triste  sort  de  tous  ceux  qui  nous  ressemblent? 
qu'il  nous  faut  donc  une  de  ces  grâces  rares, 
fameuses  par  leur  singularité,  assez  forte 
pour  briser  toute  la  durée  de  votre  cœur, 
assez  active  pour  mettre  toute  la  pénitence 
en  alarmes,  et  pour  renfermer  les  sincères 
regrets  d'une  vie  entière  de  «rimes. 

Or,  quelle  hardiesse  pour  le  pécheur  im- 
pénitent de  croire  qu'il  aura  cette  première 
grâce  du  salut  en  sa  disposition  de  se  regar- 
der comme  le  maître  do  cette  faveur  singu- 
lière; et  peut-il  compter  de  l'avoir  quand  il 
voudra?  Ah!  quelle  témérité  a  un  pécheur, 
de  se  promettre  un  secours  tout-puissant 
que  Dieu  ne  peut  lui  accorder  à  ce  dernier 
moment  sans  aller  contre  sa  parole ,  contre 
sa  conduite,  contre  sa  justice  et  même  contré 
sa  miséricorde! 

Je  dis  contre  sa  parole.  Ah  !  si  le  pécheur 
à  la  mort  pouvait  compter  sur  cette  grâce 
finale  ,  que  deviendraient  donc  toutes  les 
expressions  que  le  Seigneur  en  laisse  pour 
faire  voir  que  la  vaine  espérance  de  ce  témé- 
raire sera  confondue?  qu'il  n'étendra  plus 
alorsla  main  que  pour  renverser  et  que  pour 
abattre;  que  le'pécheur  gémira,  dans  le  temps; 
qu'il  verra  périr  ses  injustes  désirs  !  Noli 
esse  stultus  ne  moriaris  in  tempore  non  tno. 
(Ecclc,  VII.)  Si  cette  grâce  était  si  certaine, 
que  voudraient  donc  dire  les  oracles  si  sou- 
vent répétés  qui  renferment  tant  d'épou- 
vante à  votre  mort?  Je  me  rirai  de  vous,  in 
interitu  vestro  ridebo  [Prou:,  1);  je  me  reti- 
rerai de  vous,  et  vous  abandonnerai  comme 
vous  m'aurez  abandonné,  recédant;  je  vous 


Î?S7  ORATEURS   SACRES.  LE.  P 

Oublierai  comme  vous  m'aurez  oublié  :  obii- 
viscar. 

Oui  pécheurs  lorsque  tout  en  vous  sem- 
blera m'invoquer,  que  les  yeux  à  demi  fer- 
més voudront  me  regarder  en  face  pour  me 
toucher;  que  les  mains  tremblantes  levées 
au  ciel  sembleront  implorer  mon  secours  ; 
que  cette  bouche  suppliante  pleine  des  plus 
tendres  aspirations  voudra  me  réclamer;  que 
cette  âme,  toute  occupée  de  ses  vives  dou- 
leurs, ne  songera  qu'avec  frémissement  au 
grand  ouvrage  de  son  salut,  tous  ces  efforts 
ne  me  gagneront  point ,  tout  cela  s'empres- 
sera inutilement  île  uf  attendrir  ;  je  me  mo- 
querai de  votre  imprudence  et  de  votre  folle 
confiance:  subsannabo.  (Prov.,  1.) 

Cette  retraite  d'un  Dieu,  le  dégoût  affreux, 
ces  railleries  cruelles,  cette  dérision  ter- 
terrible  à  l'égard  du  pécheur  obstiné  qui  le 
réclame  à  l'heure  de  la  mort,  neseraient  donc 
qu'un  vain  langage,  que  des  pures  exagé- 
rations pour  nous  amuser  et  nous  sur- 
prendre? Tous  les  oracles  si  respectables 
qui  portent  l'effroi  jusque  dans  les 
âmes  les  plus  endurcies,  n'auraient  donc 
rien  que  de  frivole  et  de  chimérique?  les 
tendres  avertissements  qui  nous  sollicitent 
de  sortir  promptement  de  l'état  du  péché,  de 
peur  que  la  mort  ne  nous  y  surprenne;  les 
châtiments  réservés  aux  âmes  lâches,  aux 
tièdes  et  aux  impénitents  dont  tout  retentit 


SIJRIAN. 


SCS 


dans  la  sainte  Ecriture,  ne  seraient  donc 
plus  que  de  vains  artifices  pour  alarmer  les 
simples  et  les  âmes  timorées?  les  menaces 
si  vives  que  Dieu  fait  à  l'impie  de  se  retirer 
de  lui  à  la  mort,  comme  le  soleil  se  retire  de 
ses  régions  éloignées  qu'il  éclairait  et  où  il 
animait  tout,  neseraient  donc  plus  qu'un  tour 
de  pensée  et  d'imagination,  et  quand  Jésus- 
Christ  dans  l'Evangile  nous  dit  qu'il  s'en  va, 
que  nous  le  chercherons,  et  que  nous  mour- 
rons dans  notre  péché,  ego  vado,  etc.,  ce  ne 
serait  donc  qu'un  esprit  de  mensonge  et  non 
de  vérité? 

Ah  !  que  le  téméraire  pécheur  se  confonde 
donc  ici  ;  que  par  toutes  les  absurdités 
monstrueuses  qui  se  suivent  de  sa  présomp- 
tion, il  convienne  de  son  malheureux  sort; 
qu'il  reconnaisse  maintenant  que  s'il  ne  fait 
pas  pénitence  à  l'heure  qu'il  est,  il  est  bien 
en  danger  de  ne  la  faire  jamais.  Qu'il  ap- 
prenne à  mieux  juger  de  la  miséricorde 
d'unDieujuste, et  quepuisquetoutesles  véri- 
tés effrayantes  qui  condamnent  les  coupables 
délais,  sont  renfermées  dans  la  sainte  Ecri- 
ture, et  que  cette  assurance  seule  sur  la- 
quelle il  compte  tant  ne  s'y  trouve  point, 
c'est  donc  contre  la  parole  de  son  Dieu  qu'il 
se  promet  à  la  mort  un  secours  aussi  rare 
que  puissant. 

J'ajoute  encore  contre  sa  conduite  qu'elles 
sont  constamment  terribles,  les  vérités  à  l'é- 
gard du  pécheur  qui  vieillit  dans  l'impéni- 
tence.  Esaû  demande  avec  larmes  d'être  reçu 
à  pénitence,  et  le  Seigneur  ne  l'écoute 
point;  Saùl  confesse  sa  faute,  il  la  pleure 
et  il  est  homicide  de  lui-môme:  Judas  re- 
connaît son  crime,  il  en  est  touché  de  re- 
pentir et  puis  se  désespère;  Antiochus  im- 


plore avec  douleur. une  miséricorde  qu'il 
n'obtiendra  jamais;  dans  Sodoine ,  toute  une 
ville;  dans  la  Judée,  tout  un  royaume  ;  dans 
l'Egypte,  tout  un  monde  impénitent  est 
abandonné  à  la  colère  du  Seigneur,  et  en- 
core aujourd'hui  les  traits  célestes  éclatent 
en  tous  lieux.  Les  uns  abandonnés  à  eux- 
mêmes,  à  toutes  les  ténèbres  de  leur  esprit, 
à  toute  la  corruption  de  leur  cœur,  à  toute 
la  faveur  de  leurs  désirs,  sacrifiant  encore 
jusqu'au  bord  du  tombeau  à  l'objet  infâme 
île  leurs  passions,  font  bien  voir  que  leur 
arrêt  est  déjà  signé,  et  qu'avec  une  âme 
philosophe,  ils  ne  feront  que  passer  du  feu 
criminel  de  la  concupiscence  qu'ils  ont  tou- 
jours entretenue,  au  feu  vengeur  de  l'enfer, 
qu'il  n'ont  pas  [iris  assez  de  soin  d'éviter  :  de 
igné  in  ignem.  Tant  d'autres  pleurent,  gé- 
missent, font  à  Dieu  et  à  la  vertu  des  répa- 
rations solennelles  en  mourant,  qui  toute- 
fois leur  sont  inutiles;  les  humiliations  sont 
pour  ainsi  dire  de  l'arrêt  et  font  partie  de  la 
peine  qu'ils  ont  méritée. 

Dieu  le  permet  ainsi  pour  sa  gloire  et  pour 
notre  instruction,  et  tout  cela  n'empêche 
pas  qu'après  cette  amende  hunnorable  le 
pécheur  obstiné  ne  soit  traîné  au  dernier 
supplice. 

Enfin  je  vois  partout  que  la  bonté  de  Dieu, 
quoique  infinie  ,  a  pourtant  des  bornes  mar- 
quées au  delà  desquelles  il  ne  va  point; 
qu'il  ne  pardonne  que  jusqu'à  une  certaine 
mesure  de  pé«  liés;  que,  quand  la  mesure  est 
à  son  comble,  on  ne  doit  plus  rien  en  at- 
tendre sans  un  miracle  de  sa  miséricorde. 

Pourquoi  donc  nous  abuser  ainsi,  pé- 
cheurs obstinés.  Dieu  ferait-il  une  loi  nou- 
velle pour  nous  ,  dont  la  vie  n'est  qu'un 
continuel  outrage  de  sa  patience,  'qu'un 
abus  déplorable  do  sa  bonté,  et  par  consé- 
quent une  préparation  à  ce  dernier  délais- 
sement dont  il  nous  menace  ,  ego  vado.  Ah! 
si  maintenant  vous  ressemblez  tant  à  ces 
âmes  impénitentes  par  vos  délais  et  par  le 
soin  continuel  de  satisfaire  vos  passions, 
comment  pourrez-vous  croire  que  vous  en 
serez  si  différents  à  la  tin'  de  votre  vie  ;  de 
dix  mille  à  peine  en  sauve-t-il  un,  donc 
pour  un  degré  d'espérance,  vous  en  aurez 
dix  mille  d'effroi. 

INinive  qui  avait  espéré  de  fléchir  la  colère 
du  Seigneur  par  ses  larmes  et  par  la  péni- 
tence, ne  fut-elle  pas  menacée  de  périr  par 
le  glaive?  d'être  mise  au  pillage,  d'être  ex- 
terminée de  fond  en  comble  et  livrée  à  la 
fureur  du  Dieu  vivant?  voilà  de  quelle  ma- 
nière la  miséricorde  s'oppose  à  la  grâce 
finale  que  vous  osez  témérairement  nous 
promettre  après  une  vie  tout  entière  de 
<  rimes. 

Mais  si  Dieu  avait  pitié  de  vous  à  ce  der- 
nier moment,  n'irait-il  pas  encore  contre  la 
justice?  elle  consiste,  cette  justice,  à  être 
favorable  aux  bons  et  sévère  aux  méchants , 
à  rendre  à  chacun  selon  ses  œuvres;  or,  le 
Seigneur  ferait-il  l'un  et  l'autre,  si,  n'ac- 
cordant la  grâce  finale  qu'aux  larmes  des 
justes,  qu'à  leurs  soupirs  et  à  une  vie 
entière  de   régularité   et  de   [énitence,  il 


m 


CAREME.  —  SERMON  XIV  ,  DE  LA  PENITENCE  DIFFEREE  A  LA  MORT. 


870 


l'offrait  en  tout  temps  et  en  toute  occasion  à 
la  première  demande  des  méchants ,  qui 
l'ont  tant  de  fois  rejetée  et  qui  ne  cessent 
de  l'offenser  et  de  mépriser  ses  secours? 
Ah  1  si  l'on  pouvait  [tasser  ainsi  des  joies  du 
temps  au  bonheur  de  l'éternité,  tandis  que 
l'autre  se  condamne  à  la  tristesse  et  aux 
amertumes  de  ce  monde  pour  mériter  les 
délices  et  la  félicité  du  ciel ,  que  le  sort  des 
âmes  justes  serait  triste,  que  la  destinée 
des  pécheurs  serait  douce  !  Si  donc  vous 
prétendez  que  le  Seigneur  accorde  au  premier 
désir  de  votre  volonté  criminelle  ce  qui 
n'est  dû  qu'à  la  plus  constante  et  qu'à  la 
plus  exacte  pénitence,  il  faut  que  vous 
«vouiez  ou  que  Dieu  est  juste  dans  ses  juge- 
ments, ou  que  vous  vous  abusiez  vous- 
mêmes  dans  votre  attente. 

N'allez  pas  me  demander  où  est  donc  cette 
bonté  de  Dieu  tant  vantée,  car  vous  nous 
interrogez  ici  sur  sa  compassion,  sur  sa 
'endresse  envers  les  pécheurs  ;  que  sont  de- 
venues, dites-vous,  ses  infinies  miséri- 
cordes? Quoi  I  pécheur  misérable,  vous 
n'êtes  plus  au  fond  de  l'abîme  ,  et  vous  nous 
demandez  si  votre  Dieu  ne  fait  point  grâce  1 
quelle  plus  grande  grâce,  après  un  million 
d'offenses  et  d'infidélités,  que  vous  laisser 
encore  le  temps  et  les  moyens  de  faire  pé- 
nitence 1  ah  1  s'il  en  faisait  davantage,  sa 
miséricorde  ne  s'opposerait-elle  pas  à  sa 
miséricorde  même?  en  effet,  serait-il  de  la 
miséricorde  de  Dieu  d'autoriser  les  remises 
continuelles  de  tant  d'âmes  mondaines  qui 
aiment  le  plaisir,  mais  qui  craignent  l'enfer, 
et  qui,  comptant  sur  cette  bonne  disposition 
finale,  ne  manqueraient  pas  de  se  reposer 
sur  la  grâce  d'une  meilleure  vie,  dont  la 
seule  miséricorde,  à  la  mort,  serait  le  gage. 
Serait-il  de  la  bonté  de  Dieu  d'autoriser  le 
pécheur  obstiné  à  passer  toute  sa  vie,  depuis 
sa  naissance  {jusqu'à  sa  mort,  dans  l'ini- 
quité, seulement  parce  qu'il  serait  bien 
résolu  de  prévenir  la  mort  d'un  moment  et 
de  quitter  alors  toute  la  matière  de  ses 
soins;  ah  I.si  cette  grâce  finale  était  si  cer- 
taine, qui  ne  serait  tenté  d'adorer  Dieu, 
pendant  la  vie,  dans  celle  folle  confiance 
qu'on  le  retrouverait  au  dernier  jour,  et  du 
dernier  jour  à  la  dernière  heure,  et  de  la 
dernière  heure  au  dernier  instant,  et  s'il 
était  permis  de  compter  sur  une  telle  assu- 
rance ,  quel  torrent  d'iniquités  ne  répan- 
drait-elle pas  dans  toute  une  ville,  dans 
tout  un  royaume?  Si  Achab  mourant  eût 
trouvé  grâce,  que  son  sort  eût  fait  d'impies  1 
Si  Saiil  expirant  dans  les  larmes  eût  obtenu 
la  rémission  de  ses  péchés,  que  son  sort 
eût  fait  d'envieux  !  Si  Hérode  repentant 
eût  à  la  mort  opéré  son  salut,  que  son  sort 
eût  fait  d'impudiques  !  Si  Antiochus  gémis- 
sant eût  fléchi  la  miséricorde  divine,  que 
son  bonheur  eût  fait  de  sacrilèges  !  Si  Judas, 
revenuàlui-mêine,  eût  été  assurédu  pardon 
de  son  crime ,  que  sa  grâce  eût  fait  de  traî- 
tres et  de  profanateurs!  Depuis  tant  d'exem- 
ples terribles,  si  l'on  pouvait  s'assurer  que  la 
miséricorde  s'ouvrît  encore  aux  souhaits  d'un 
pécheur  mourant,  qui  ne  serait  tenté,  à  son 


exemple,  d'abandonner  Dieu  pendant  la  vie, 
parce  qu'on  le  retrouverait  toujours  à  la 
mort,  et  quel  ennemi  fatal  cette  assurance 
ne  deviendrait-elle  pas  à  la  re.igion  ? 

11  est  donc  vrai  et  vous  ne  le  sentez  que 
trop,  Messieurs,  que  Dieu  es!  bon,  que  sa 
bonté  a  une  raison  plus  forte  de  vous  perdre 
que  de  vous  sauver  à  la  mort;  qu'après  l'a- 
voir méprisée  par  des  résistances  trop  in- 
justes, elle  voudra  justifier  son  honneur  à 
vos  dépens;  quelle  raison  aurioz-vous  donc 
de  vous  rassurer  sur  la  miséricorde  de 
Dieu,  puisque,  s'il  autorisait  les  pénitences 
tardives,  il  autoriserait  en  même  temps  vos 
offenses,  au  lieu  qu'en  les  punissant,  il  veut 
arrêter  le  désordre;  car,  en  vous  perdant,  à 
combien  de  pécheurs  fait-il  grâce?  Si  vous 
différez  donc  davantage  votre  pénitence  à 
la  mort,  votre  perte  est  assurée;  ce  n'est  plus 
un  doute,  ce  n'est  plus  une  vraisemblance, 
ce  n'est  plus  un  peut-être  :  c'est  une  vérité 
infaillible,  puisque  Dieu  tout  entier  s'op- 
pose à  votre  folle  espérance,  puisque  sa  mi- 
séricorde même  est  un  arrêt  contre  vous. 
Pour  être  toujours  tranquilles  sur  un  sujet  si 
effrayant,  il  faut  donc  que  votre  présomp- 
tion ait  plus  de  poids  et  d'autorité  pour 
vous  assurer  sur  le  dernier  moment,  que  la 
parole,  que  la  conduite,  que  la  justice,  que 
la  miséricorde  de  votre  Dieu  n'en  ont  pour 
vous  le  faire  appréhender;  il  faut  que  vous 
soyez  sûrs  qu'il  vous  privilégiera  plutôt 
qu'un  si  grand  nombre  de  pécheurs  morts 
dans  l'impénitence  ;  il  faut  que  vous  comp- 
tiez qu'il  fera  un  prodige,  un  miracle  en  vo- 
tre faveur;  qu'il  sortira,  pour  l'amour  d'un 
obstiné  qui  l'a  tant  offensé,  des  voies  ordi- 
naires de  sa  divine  sagesse.  Tout  témé- 
raires que  vous  êtes,  voudriez-vous,  l'ose- 
riez-vous,  misérables  vers  de  terre,  vous 
reposer  sur  un  prodige,  compter  sur  un 
miracle,  lorsqu'il  s'agit  de  votre  fortune,  de 
votre  santé,  de  votre  élévation ,  de  votre 
gloire?  ne  faites-vous  pas  de  votre  côté  tous 
les  efforts,  n'apportez-vous  pas  tous  les 
soins,  toutes  les  précautions  imaginables 
pour  la  réussite  d'une  affaire  dont  vous  n'a- 
vez d'autre  assurance  que  dans  vous-mêmes? 
Eh!  comment  donc  renvoyer  à  la  dernière 
heure  de  votre  vie,  cette  importante  affaire 
de  votre  conversion  et  de  votre  salut,  sur  la 
seule  présomption  que  vous  avez  qu'alors 
vous  vous  convertirez?  Celte  espérance  est- 
elle  appuyée  sur  la  moindre  apparence  de 
raison,  et  une  vie  tout  entière  de  crimes 
ne  mérite-t-elle  pas  que  Jésus-Christ  vous 
dise  à  la  mort  ce  qu'il  dit  aujourd'hui  aux 
endurcis  :  Je  m'en  vais,  vous  me  cherche- 
rez, mais  trop  tard,  et  vous  mouriez  dans 
votre  péché  :  Ego  vado. 

Mes  chers  frères,  Jérémie  voyant  le  tem- 
ple de  Dieu  tombé  en  ruines,  en  est  affligé  : 
Idcirco  ego  plorans  ;  mais  quand  il  songe 
que  Dieu  n'y  est  plus,  qu'il  s'en  est  retiré 
dans  sa  colère,  il  fond  en  pleurs  et  devient 
inconsolable  :  Quia  longe  factus  est  a  me 
consolator.  (Thren.,  I.) 

Souffrez  que  je  vous  le  dise,  Messieurs  : 
la  même  chose  m'arrive  quand  je  vois  mourir 


8?» 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SURIAN. 


873 


un  pécheur;  ce  composé  de  corps  ei  u'âme 
qui  se  dissout  me  frappe,  le  temple  vivant 
de  Dieu  qui  se  détruit  me  touche,  j'en  suis 
affligé  ;  mais  ce  qui  me  l'ait  fondre  en  larmes, 
c'est  la  crainte  où  je  suis  que  le  Seigneur  ne 
se  soit  retiré  de  lui,  qu'il  ne  l'abandonne  et 
que  sa  grâce  dont  il  a  tant  de  fois  abusé  pen- 
dant sa  vie,  ne  lui  soit  refusée  à  la  mort  : 
Jdcirco  ego  piorans  quia  longe  factus  est  ;  le 
moribond  ne  le  sent  peut-être  pas  ce  mal- 
heur. Dieu  se  retire  quelquefois  sans  bruit, 
sans  éclat,  sans  donner  au  pécheur  la  moin- 
dre alarme;  mais  le  calme,  le  silence  d'un 
Dieu  qui  s'en  va  sourdement,  crainte  qu'on 
ne  le  rappelle,  n'est-il  pas  le  comble  de  tous 
les  maux,  et  si  je  ne  versais  un  torrent  de 
larmes  sur  lui,  ne  serais-je  pas  plus  insen- 
sible qu'un  rocher?  Idcirco,  etc. 

Mais  vous  trouverez  encore  une  dernière 
ressource  dans  votre  volonté.  Si  je  veux  me 
convertir  à  la  mort;  Dieu  ne  me  fera-t-il  pas 
miséricorde?  C'est  le  seul  parti  qui  vous 
reste  à  prendre;  mais  illusion  toute  pure. 
Vous  croyez  avoir  alors  la  volonté  de  vous 
convertir,  et  elle  vous  manquera,  et  en  vous 
trompant  comme  vous  faites,  vous  éprouverez 
à  votre  grand  malheur,  que  différer  sa  péni- 
tence au  dernier  moment,  n'est  pas  seule- 
ment prendre  mal  le  temps  de  Dieu,  mais 
que  c'est  mal  prendre  le  vôtre. 

Et  certes,  s'il  n'y  avait  en  vous  qu'une  seule 
espèce  de  volonté,  nous  aurions  peut-être 
quelque  espérance  de  l'avoir  à  cette  dernière 
heure  ;  mais  ce  qui  doit  nous  alarmer,  c'est 
qu'il  y  a  plusieurs  sortes  de  volontés,  et  que 
n'y  en  ayant  qu'une  espèce  qui  peut  nous 
sauver,  il  y  en  a  une  infinité  qui  peuvent 
vous  perdre;  celle  qui  peut  vous  justifier, 
pécheurs  impénitents,  c'est  une  volonté  sin- 
cère, véritable,  et  les  autres  sont  toutes 
trompeuses  et  hypocrites,  imparfaites.  Mais 
puisqu'il  suffit  que  la  vôtre  ait  un  de  ces  ca- 
ractères pour  vous  damner,  pouvez-vous 
présumer  qu'aucun  de  ces  défauts  ne  se 
trouvera  pas,  et  que  vous  les  aurez  toutes 
ensemble  à  la  mort?  Et  d'abord  pourrez-vous 
disconvenir  que  cette  volonté  soit  contrainte 
et  forcée  en  ce  dernier  moment? la  preuve 
n'en  est  que  trop  certaine. 

Mais  il  faudra  bien,  dites-vous,  que  cette 
volonté  soit  sincère;  la  nécessité  sera  si 
pressante.  Ah!  par  conséquent,  quand  il  n'y 
a  point  de  nécessité,  il  n'y  a  donc  point  chez 
vous  de  pénitence;  par  conséquent  si  la  ma- 
ladie ne  vous  pressait  pas,  vous  ne  songeriez 
pas  a  votre  salut.  Ce  n'est  donc  que  depu:s 
que  vous  êtes  un  mourant  que  vous  faites  le 
personnage  de  pénitent.  Dieu  ne  commence 
donc  à  vous  être  quelque  chose  que  lorsque 
vous  devenez  au  monde  un  objet  d'horreur 
et  de  mépris  :  il  le  faudra  bien.  Donc  tant 
que  vous  avez  été  capables  d'offenser  le  Sei- 
gneur, vous  n'avez  point  songé  à  le  satis- 
faire ;  donc  c'est  la  seule  impression  de  la 
mort  qui  vous  fait  jeter  dans  la  vertu,  et  si 
vous  étiez  immortel,  vos  abominations  se- 
raient éternelles  :  il  le  faudra  bien;  c'est 
donc  la  mort  qui  vous  effraye  et  non  pas 


vos  crimes  qui  vous  déplaisent  ;  ce  n'est 
donc  pas  vous  qui  quittez  vos  péchés,  ce 
sont  vos  péchés  qui  vous  abandonnent,  dit 
saint  Augustin  :  Peccata  te  dimittunt,  non  tu 
itla. 

En  effet,  si  vous  la  formez  cette  volonté 
trompeuse  de  vous  convertir,  ce  n'est, 
comme  ce  roi  impie  de  l'Ecriture,  qu'après 
avoir  employé  les  remèdes  les  plus  efficaces, 
cherché  les  moyens  les  plus  certains  pour 
vous  garantir  dés  malheureuses  atteintes  de 
la  mort  ;  comme  c'est  du  bon  ou  du  mauvais 
succès  que  vous  faites  dépendre  votre  pé- 
nitence, vous  ne  la  feriez  pas  si  les  remèdes 
avaient  réussi,  si  votre  santé  se  fût  rétablie  et 
si  vous  eussiez  pu  éloigner  encore  le  triste 
moment  qui  vous  effraye.  Il  vous  faut  donc 
les  tristes  approches  du  trépas,  l'aspect  hi- 
deux d'une  mort  évidente  et  certaine,  la 
présence  terrible  de  votre  juge,  pour  exciter 
vos  cœurs,  pour  fléchir  votre  volonté  rebelle, 
pour  faire  couler  vos  larmes.  Il  faut  que  le 
glaive  soit  levé  sur  vos  têtes  coupables  pour 
les  faire  plier  sous  le  joug  de  la  pénitence  ; 
c'est-à-dire,  que  vous  espérez  de  vous  con- 
vertir rhalgré  vous.  Ahl  sur  une  telle  volonté 
quel  fond  peut-on  faire  ? 

Mais  rien  n'est  plus  incertain  encore  que 
cette  trompeuse  volonté;  l'expérience  ne 
vous  en  a-t-elle  point  déjà  convaincus?  N'ê- 
tes-vous  jamais  revenus  de  ces  extrémités 
fâcheuses  où  un  seul  point  sépare  la  mort  de 
la  vie?  Quel  désaveu  n'y  faisiez-vous  pas  de 
votre  conduite  passée  1  Vous  y  teniez  le  lan- 
gage des  saints.  Le  spectacle  édifiant  que 
vous  y  donniez  vous  fit  canoniser  de  tous  les 
spectateurs  ;  vos  parents,  vos  amis,  vos  en- 
nemis mêmes,  tous  jugeaient  sur  de  fidèles 
apparences  que  vous  seriez  sauvés.  Avaient- 
ils  raison  de  le  juger  ainsi?  Vos  [trières,  vos 
gémissements,  vos  protestations,  vos  pro- 
messes, vos  regrets  si  touchants  au  dehors 
venaient-ils  du  dedans?  tout  cela  était-il  sin- 
cère et  d'une  volonté  parfaite  ?  La  suite  en 
doit  faire  juger.  La  santé  est-elle  revenue, 
avec  elle  sont  revenus  les  mêmes  plaisirs 
et  plus  intéressants,  les  mêmes  liaisons  et 
plus  fortes,  les  mêmes  habitudes  et  plus 
ménagées,  les  mêmes  doutes'et  plus  affec- 
tés, les  mêmes  passions  et  mieux  entrete- 
nues, la  même  indifférence  pour  le  salut  et 
plus  fortement  soutenue.  Revonu  du  des- 
sein de  faire  pénitence,  vous  l'avez  été  de 
quitter  le  péché;  avec  les  espérances  de 
vivre  est  revenu  le  projet  d'offenser  Dieu; 
vos  jours  prolongés  n'ont  fait  que  prolonger 
vos  crimes  ;  vos  soupirs  à  la  mort  étaient 
comme  ceux  des  matelots  pendant  l'orage  et 
jusqu'à  la  fin  de  la  tempête;  quelle  frayeur, 
quelle  alarme  durant  le  danger!  mais  quelle 
joie,  quel  calme  lorsqu'ils  en  sontéchappél 
Mais  si  vous  avez  repris  si  facilement  des 
désordres  que  vous  détestiez  si  fort  pendant, 
votre  première  maladie;  si  vous  avez  éprouvé 
par  vous-mêmes  ou  par  l'exemple  de  plusieurs 
autres  pécheurs  comme  vous,  qu'il  ne  faut 
point  compter  sur  les  conversions  tardives, 
quel  fond  pouvez-vous  donc  faire  sur  cette 
même  volonté  devenue  encore  depuis  plus 


CAREME.  —  feERMON  XIV,  PENITENCE  DIFFEREE  A  LA  MORT. 


873 

coupable  ?  Si  elle  rendit  alors  votre  pénitence 
vaine,  votre  conversion  nulle,  pouvez-vous 
espérer  que,  devenue  plus  corrompue  et  plus 
fortifiée  dans  le  péché,  elle  la  rendra  plus 
infaillible  et  plus  certaine? 

Ne  dites  donc  plus  :  je  voudrai  me  convertir 
à  la  mort,  c'est-à-dire  que  tout  le  monde  le  vou- 
dra pour  vous;  mais  vous-même  le  voudrez- 
vous  ?  c'est-à-dire  que  toute  une  famille  gémis- 
sant au  pied  de  votre  lit,  une  épouse  incon- 
solable, des  amis  affligés,  des  enfants  tout  en 
pleurs  le  voudront  sans  doute  pour  vous? 
c'est-à-dire  que  les  plaies  du  Christ,  tou- 
jours ouvertes  à  vos  yeux  défaillants,  ses 
mérites,  sa  mort,  sa  passion  retracés  sur  le 
crucifix  qu'on  vous  présente,  le  voudront 
pour  vous;  la  bienséance  qu'il  faut  garder 
jusqu'à  la  fin,  la  crainte  de  la  flétrissure  de 
votre  réputation,  vos  remords,  votre  fai- 
blesse, votre  amour-propre  le  voudront  pour 
vous;  votre  tombeau  déjà  ouvert,  votre  bière 
ioute  prête,  votre  testament  tout  fait,  les 
vœux  du  peuple,  les  cris  du  prêtre,  les  prières 
de  l'Eglise,  le  saint  sacrifice  déjà  offert,  tout 
cela  le  voudra  pour  vous;  mais  vous-même 
le  voudrez-vous?  et  si  vous  ne  le  voulez  de 
cette  volonté  ferme,  sincère,  constante,  iné- 
branlable, ah  1  que  deviendront  votre  âme  et 
votre  salut?  Et  par  le  second  endroit,  cet.  ar- 
rêt terrible  de  Jésus-Christ  ne  s'accomplit-il 
pas  en  vous  :  Je  m'en  vais;  vous  me  cher- 
cherez, mais  avec  une  volonté  si  imparfaite, 
que  vous  mouriez  dans  votre  péché  :  Eqo 
vado,  etc.;  mais  allons  plus  loin  :  vous  vou- 
drez vous  convertir,  mais  le  pourrez-vous? 
Entrons  dans  cet  abîme,  après  avoir  laissé 
un  moment  reposer  vos  attentions. 

SECOND   POINT. 

La  conversion,  pour  être  parfaite,  surtout 
quand  on  la  diffère  au  lit  de  la  mort,  de- 
mande et  au  dedans  et  au  dehors  des  dispo- 
sitions si  essentielles  que  si  une  seule  vient 
à  manquer,  une  âme  est  à  jamais  perdue. 
Elle  demande  au  dedans  une  raison  saine, 
une  cons'ance  préparée,'  un  cœur  changé, 
tout  l'homme  entier  en  expiation  et  en  péni- 
tence. Elie  demande  au  dehors  un  concours 
de  plusieurs  circonstances  difficiles  à  assem- 
bler et  indispensablement  nécessaires. 

Sur  ce  principe,  pécheur  obstiné,  où  est 
votre  raison  dont  vous  êtes  si  jaloux  sur 
tout  le  reste,  et  dont  vous  négligez  tout  l'u- 
sage à  l'égard  du  salut?  Alors,  quelle  force, 
quelle  action  aura-t-elle  en  vous?  De  captive 
qu'elle  est  maintenant,  d'esclave  malheureuse 
de  tant  de  passions,  revienura-t-elle  à  ce 
dernier  moment  maîtresse  et  absolue  souve- 
raine d'un  empire  que  tant  d'objets  séduc- 
teurs et  d'habitudes  déplorables  lui  font  per- 
dre? Comment  pourra-t-elle  juger  alors  de 
ce  qu'elle  n'aura  jamais  bien  connu?  L'aurez- 
vous  cette  raison  aussi  entière,  aussi  saine 
qu'aujourd'hui?  Et  si  à  présent  elle  ne  peut 
vous  faire  comprendre  que  la  pénitence  est 
nécessaire,  qu'elle  est  préférable  à  toutes  les 
fausses  jo  es  de  la  terre,  eh  lie  pourra-t-elle, 
quand  elle  n'aura  presque  plus  de  force, 
qu'il  ne  lui   restera  que  certaines  lueurs 

OuATKUîtS  SAC3É3.    L. 


obscurcies  et  qu'elle  sera  comme  mourante? 

Peut-être  que  la  voix  de  la  conscience  fera 
sur  le  pécheur  expirant  ce  que  la  raison 
n'a  pu  faire;  mais  alors  quelle  est  sa  dispo- 
sition? ou  elfe  est  endormie,  ou  elle  est  em- 
barrassée. A  force  de  vous  trouver  sourd,  à 
ses  remontrances,  de  fermer  les  yeux  à  ses 
lumières,  de  vous  roidir  contre  ses  accusa- 
tions, de  vous  obstiner  contre  ses  avertis- 
sements, de  vous  révolter  contre  ses  sen- 
timents, de  vous  mettre  au-dessus  de  ses 
reproches,  d'étouffer  soigneusement  ses  re- 
mords ,  d'émousser  ses  pointes,  de  vous 
étourdir  sur  ses  déchirements,  de  contredire 
ses  maximes,  de  justifier  vos  passions,  de 
vous  déclarer  l'apologiste  éternel  du  vice, 
hélas  !  elle  est  devenue,  cette  conscience, 
sans  force*. sans  action,  sans  mouvement, 
sans  autorité  ;  elle  est  tombée  dans  une  lé- 
thargie si  grande,  dans  un  assoupissement  si 
profond,  dans  une  insensibilité  si  funeste  à 
l'égard  dés  plus  grands  péchés,  qu'elle  paraît 
comme  morte  ;  du  moins  ce  qui  vous  en 
reste  est  enveloppé  dans  un  nuage  si  épais 
de  passions  et  de  .désordres,  qu'il  lui  est 
presque  impossible  d'éclairer  ce  chaos,  d'ap- 
profondir cet  abîme;  et  vous  espérez  cepen- 
dant que  cette  conscience,  à  la  mort,  tout 
d'un  coup  amollie  et  dégagée,  ou  vous  ré-1 
veillera  de  tout  votre  assoupissement,  ou 
vous  fera  revenir  en  un  instant  de  tous  vos 
égarements?  Vous  vous  imaginez  qu'elle 
rentrera  dans  une  assez  grande  lumière  pour 
vous  faire  alors  découvrir  jusqu'aux  moin- 
dres taches  de  votre  âme?  que  cette  seule 
pensée  :  je  vais  mourir,  lui  rendra  toute  sa 
force,  toute  son  autorité,  toute  sa  pénétra- 
tion, toute  sa  vivacité?  qu'après  avoir  si 
longtemps  vécu  dans  les  mêmes  désordres* 
vous  aurez  assez  de  présence  d'esprit  pour 
rectifier  toutes  vos  confessions  par  une  gé- 
nérale,  car  il  le  faut?  Vaine  espérance,  fri- 
vole amusement  1  car  si  la  conscience  se 
laisse  encore  voir  à  vous  à  ce  moment  fatal, 
ce  n'est  que  pour  être  votre  supplice;  son 
poids  vous  accablera  sans  que  ses  lumières 
vous  instruisent;  si  elle  se  fait  encore  en- 
tendre à  vous,  ce  sera  pour  vous  accuser 
sans  que  les  lois  vous  justifient  ;  à  ce  passage 
redoutable,  elle  ne  vous  parlera  que  comme 
un  juge  sévère  et  inexorable,  pour  vous  con- 
damner au  flambeau  de  la  mort.  Vos  péchés, 
les  scrupules  endormis  ne  se  réveilleront 
que  pour  vous  déchirer  par  des  morsures 
sanglantes  ;  alors  il  n'y  aura  plus  de  plaisirs, 
plus  de  fêtes,  plus  de  parties  mondaines 
pour  endormir  le  démon  cruel  qui  vous  re- 
garde déjà  comme  sa  proie;  il  faudra  sans 
partage  vous  livrer  tout  entier  à  la  douleur, 
aux  regrets,  à  la  t.istesse,  et  vous  ne  trou- 
verez  que  désolation,  que  désespoir,  où  les 
justes  mourants  trouvent  un  asile  si  conso- 
lant et  si  doux. 

Grand  Dieu  1  si  vous  êtes  le  Dieu  terrible 
et  redoutable  dans  ce  dernier  chaos,  quelle 
nuit,  quel  enfer  vous  lavssez  dans  une  âms 
impénitente  au  lit  de  la  moi  t  !  quelle  abomina-» 
tion  qu'une  conscience  à  qu:  vos  lnm  ères  ne 
sont  plus  rien,  et  à  qui  vous  faites  portef  tout 

2$ 


S75 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SURIAN. 


876 


le  sens  de  ces  terribles  paroles  :  Je  m'en  vais  : 
E(]0  vado;  vous  me  chercherez  :  quœretis  me; 
mais  avec  une  conscience  si  endormie,  si 
embarrassée,  que  vous  ne  me  trouverez  pas 
et  que  vous  mourrez  dans  votre  péché  :  et 
in  peccato  veslro  moriemini. 

Mais  je  veux  qu'au  lit  de  la  mort  votre 
conscience  réveillée  et  libre  rappelle  toutes 
ses  lumières  et  toutes  ses  forces,  pour  vous 
remettre  devant  les  yeux  tous  vos  égare- 
ments. Pensez-vous  que  votre  cœur  se  brisera 
par  la  douleur  et  qu'il  se  convertira  entière- 
ment au  Seigneur?  Qu'est-ce  qui  convertira 
son  cœur  à  Dieu?  L'idée  de  la  conversion 
vient  du  ciel  et  nous  est  donnée  par  Dieu 
même;  c'est  en  faire  un  cœur  nouveau  qui 
ne  soit  plus  le  même;  c'est  de  vous  attacher 
à  ce  que  vous  aviez  toujours  haï,  et  détester 
ce  qui  avait  fait  si  longtemps  toute  la  joie 
de  votre  âme;  c'est  passer  d'un  amour  infini 
à  une  aversion  extrême;  c'est  faire  changer 
le  cœur  de  goût,  de  penchants,  d'objet,  de 
haine,  d'amour,  de  joie,  de  douleur,  de 
crainte,  d'espérance,  d'affection,  de  senti- 
ment, de  passion  et,  pour  ainsi  dire,  de  na- 
ture ;  long  ouvrage,  entreprise  immense  et 
qui  devient  cependant  à  la  mort  d'une  obli- 
gation indispensable,  je  ne  dis  pas  pour  être 
parfait,  mais  pour  être  sauvé. 

Or,  soyez  ici  votre  propre  juge,  pécheur 
obstiné  :  le  faible  cœur  sera-t-il  capable ,  à  la 
mort ,  d'un  changement  si  héroïque  ,  et  sur 
quel  fondement  pouvez-vous  l'espérer?  Un 
long  assoupissement,  clans  le  crime,  une  suite 
continuelle  d'infidélités,  des  habitudes  invé- 
térées donnent -ils  les  heureuses  facilités 
de  se  convertir,  de  se  détacher  de  tout  ce 
qu'on   aimait  le   plus  pour  s'attacher  à  ce 

3u'on  avait  le  plus. en  aversion?  l'esclavage 
'une  passion  dominante,  les  langueurs  de 
l'âge  et  les  défaillances  de  la  nature  qui,  du 
corps  passent  jusque  dans  l'âme ,  inspirent- 
ils  du  courage,  delà  vigueur  et  de  la  fermeté? 
toutes  les  tentations  qui  redoublent  avec  les 
efforts  de  l'ennemi  commun  du  salut  promet- 
tent-elles à  cet  infortuné  bien  des  secours 
du  côté  de  la  grâce  dont  il  s'est  rendu  si  in- 
digne, et  dont  il  a  tant  de  sujet  d'appréhen- 
der le  refus  et  la  soustraction?  les  grands 
obstacles  avancent-ils  beaucoup  de  pures 
velléités  et  de  faibles  projets,  et  le  principe 
du  mal  en  devient-il  la  ressource  ?  Avouez- 
le,  Messieurs,  déjà  vous  ne  le  reconnaissez 
plus,  ce  cœur  déplorable,  autrefois  timide 
sur  le  moindre  mal,  sensible  au  plus  faible 
attrait  du  bien  et  de  la  vertu;  il  ne  l'est 
plus  :  il  l'a  perdue,  celte  heureuse  sensibilité. 
Au  goût  des  fades  douceurs  de  la  terre  a 
succédé  eu  lui  un  accablement  mortel  de 
s'en  voir  privé;  il  n'est  presque  point  de 
jour  qui  ne  le  retrouve  plus  coupable,  pres- 
que point  d'heure  qui  n'ajoute  un  nouveau 
degré  de  malice  à  son  impénitence  ;  [ce  qui 
n'était  d'abord  en  lui  que  faiblesse  est  deve- 
nu une  vieille  habitude,  et  vous  vous  per- 
suadez qu'il  pourra  changer  tout  à  coup 
l'attachement  au  crime  en  l'amour  de  la  sain- 
teté; que,  n'ayant  fait  que  des  progrès  dans 
le  vice ,  il  en  fera  sitôt  et  si  facilement  dans 


la  vertu  ?  Quoi  1  vous  pensez  que  des  pas- 
sions si  douces,  si  flatteuses  s'arracheront 
de.  votre  cœur  en  un  instant  pour  faire  place 
à  l'amour  et  à  la  reconnaissance  que  vous 
devez  à  votre  Dieu?  Quoi!  vous  vous  ima- 
ginez que  deux  ou  trois  jours,  hélas  I  peut- 
être  moins  encore,  que  deux  ou  trois  jours 
de  maladie ,  de  douleur,  d'angoisses,  vous 
rendront  chaste,  humble,  détaché,  pénitent, 
chrétien  enfin,  vous  qui  avez  passé  toute  votre 
vie  sans  l'être  ;  vous  croyez  que  dans  ces 
derniers  moments  de  langueur  et  de  faiblesse 
vous  ferez  le  grand  et  pénible  sacrifice  de 
cet  objet  si  cher  qui  roule  encore  dans  toutes 
vos  pensées,  dont  vous  avez  l'imagination 
si  peinte,  qui  se  présentera  peut-être  encore 
à  vous,  et  que  son  affliction  vous  rendra  en- 
core plus  aimable  que  jamais;  vous  croyez 
qu'en  ces  tristes  approches  de  la  mort  yous 
aurez  assez  de  courage  et  de  force  pour  porter 
sur  le  cœur,  accoutumé  à  la  mollesse  et  aux 
plaisirs,  les  grands  coups  qui  le  frappent 
dans  ce  qu'il  a  de  plus  sensible  et  de  j  lus 
tendre?  Quoi!  tous  les  ]  enchants  vers  le 
mal ,  toutes  les  ardeurs  pour  les  biens,  les 
honneurs,  les  plaisirs  de  ce  monde,  qui  s'a- 
mortissent à  peine  après  des  années  entières 
de  pénitence  si  amère,  déjeunes  si  rigoureux 
et  de  prières  si  ferventes,  tomberaient  en  vous 
dans  un  seul  instant  ;  vous  croyez  que  vous 
oublierez  tout,  que  vous  vous'  détacherez  de 
tout,  que  vous  mépriserez  tout  ce  qui  vous 
charmait  davantage  sur  la  terre?  Pécheur  témé- 
raire, que  vous  vous  promettez  de  miracles  ! 

Dircz-vous  donc  qu'alors  le  cœur,  forcé 
de  quitter  le  péché,  s'en  détachera  de  lui- 
même?  Mais  n'avez-vous  jamais  éprouvé 
qu'il  s'attache ,  qu'il  s'inquiète,  qu'il  s'em- 
barrasse davantage  par  la  privation  que  par 
la  possession  de  son  objet;  que  jamais  il 
n'aime  plus  une  chose  que  lorsqu'il  se  voit 
près  de  s'en  départir  malgré  lui,  et  que 
plus  on  lui  fait  de  violence  pour  l'arracher 
de  ce  qu'il  aime,  plus  il  s'acharne  à  le  con- 
server et  à  le  maintenir;  par  conséquent, 
que  ce  redoublement  de  fureur  ne  se  fera 
pas  alors  dans  vos  désirs? Quel  feu  dans  vos 
passions  quand  on  voudra  vous  les  ravir 
sans  retour  et  sans  espérance  ! 

Ne  nous  donnez  plus  votre  cœur  pour  res- 
source à  l'heure  de  la  mort.  Hélas  !  si,  touché 
de  compassion  pour  votre  état  déplorable, 
je  vous  exhorte  à  le  changer,  ce  cœur  si  cou- 
pable, source  unique  de  vos  malheurs  ;  si 
je  vous  veux  porter  à  réprimer  les  funestes 
penchants,  à  rompre  les  chaînes  si  pesantes, 
à  vaincre  les  passions  si  violentes,  vous  me 
répondrez  que  ce  n'est  pas  une  chose  si  fa- 
cile; qu'un  tel  changement  n'est  pas  l'ou- 
vrage d'un  jour,  mais  de  plusieurs  années-; 
qu'il  faut  prendre  son  temps  de  loin  pour  y 
songer  sérieusement;  qu'il  faut  combattre 
sans  cesse,  sans  cesse  résister,  et  que  sou- 
vent, avec  toutes  ces  précautions,  n'y  réus- 
sit-on pas  encore. 

Quand  vous  parlez  de  la  sorte,  vous  avez 
raison,  je  l'avoue;  mais  accordez-vous  donc 
avec  vous-même,  et  ne  remettez  pas  à  l'heure 
de  la  mort  cette  conversion  qui  ne  se  peut 


877 


CAREME.  —  SERMON  XIV  ,  PENITENCE  DIFFEREE  A  LA  MORT. 


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l'acre  qu'à  peine  dans  tout  le  cours  des  an- 
né3s  ;  n'attendez  pas  au  temps  de  la  maladie 
et  des  infirmités  à  commencer  et  finir  tout 
à  la  fois  cet  ouvrage,  que  vous  n'avez  même 
pas  le  courage  d'entreprendre  dans  un  état 
de  force  et  de  santé  parfaite.  Quoi  donc  1  ce 
que  vous  n'aurez  pu  faire  pendant  une  vie 
entière  de  liberté,  de  vigueur,  de  présence 
d'esprit,  sera  le  fait  d'un  dernier  moment , 
partagé  avec,  le  soin  des  affaires ,  avec  l'ac- 
cablement de  la  douleur,  avec  les  distractions 
les  plus  invincibles?  Demandez-vous  si, 
en  ce  triste  état  où  vous  saurez  à  peine 
si  vous  avez  un  cœur,  il  vous  sera  possi- 
ble de  lui  faire  rompre  les  liaisons  crimi- 
nelles, dissiper  les  pensées  importunes, 
élever  vers  Dieu  les  désirs  terrestres,  le  faire 
changer  de  goût  et  d'affection,  lui  imprimer 
cette  componction,  ce  repentir,  cette  contri- 
tion qui,  selon  les  Pères,  doivent  le  briser 
et  le  fendre  ;  demandez-vous  qui ,  de  vous 
ou  de  nous,  a  le  plus  de  raison:  de  vous 
qui  répondez  de  la  constante  conversion 
d'un  cœur  que  vous  avez  toujours  senti 
faible  et  inconstant,  ou  de  nous  qui  croyons 
qu'il  le  sera  encore  à  la  mort,  et  si  vous 
n'avez  pas  sujet  d'appréhender  que,  dans 
l'impuissance  morale  où  il  sera  réduit,  il  ne 
porte  en  un  quatrième  sens  tout  le  poids  de 
cet  humble  anathème:  Je  m'en  vais,  vous 
me  chercherez,  mais  avec  un  cœur  si  faible 
que  vous  mourrez  dans  votre  péché  :  Ego 
vado,  etc. 

Mais  ce  n'est  point  la  seule  conversion 
du  cœur  qui  devient  moralement  impossi- 
ble au  lit  de  la  mort.  Comment  y  faire  cette 
pénitence  que  vos  péchés  multipliés  doivent 
vous  rendre  plus  indispensable  et  plus  ri- 
goureuse? car  il  faut  distinguer  deux  sortes 
de  pénitence:  l'une  de  réparation,  qui  nous 
fasse  expier  nos  péchés  par  les  habitudes 
des  vertus  contraires;  l'autre  de  proportion, 
qui  soit  en  rapport  de  ce  que  Dieu  a  fait  pour 
-îous  et  de  ce  que  vous  faites  pour  lui,  de 
ce  que  vous  avez  fait  pour  le  monde  et  de  ce 
que  vous  devez  faire  pour  le  Seigneur. 

A  ce  premier  genre  de  pénitence,  pécheur 
obstiné,  n'êtes-vous  point  saisi  d'effroi? 
comment  changer  en  'si  peu  de  temps  vos 
crimes  en  vertus?  comment  faire  expier  à 
vos  sens  tant  d'agréments  criminels,  à  votre 
•volonté  tant  de  désirs  coupables,  à  ces  yeux 
tant  de  regards  impudiques,  à  ce  corps,  qui 
devrait  être  la  victime  de  la  pénitence,  tant 
de  mollesse?  Comment  pouvoir  imposer,  pour 
la  première  lois,  tant  de  mortifications  à  une 
chair  qui  n'en  connaît  ni  la  pratique  ni  l'u- 
sage, qu'un  seul  coup  épouvante  et  afflige, 
et  qu'au  lit  de  la  mort  vous  serez  encore 
plus  obligé  que  jamais  de  ménager  et  de 
flatter?  Comment  faire  jeûner  le  cœur  et  les 
sens  si  accoutumés  à  la  délicatesse  et  à  la 
volupté?  Ah  I  si  faire  pénitence  selon  les 
Pères,  c'est  rajuster  un  vaisseau  brisé  par  la 
tempête  et  en  ramasser  toutes  les  pièces; 
si  c'est  rétablir  une  santé  longtemps  perdue 
et  lui  rendre  toute  |sa  vigueur;  si  c'est  re- 
lever un  édifice  tombé  en  ruine,  dont  toutes 
les  pierres  sont  dispersées,  ^comment  exé-  ^ 


cuter  en  un  moment  ce  qui  ne  peut  se  faira 
qu'avec  une  lenteurextrême  ?  comment  pour- 
rez-vous  pratiquer  en  si  peu  de  temps  tant 
de  vertus  contraires  aux  péchés  que  vous 
avez  tant  aimés  et  que  vous  aimerez  peut- 
être  encore?  Sera-ce  l'abstinence?  vous 
n'avez  plus  de  goût;  la  chasteté?  vous  n'avez 
plus  de  sentiment;  la  foi?  vous  n'avez  plus 
de  raison  ;  la  modération  ?  tout  vous  quittera  ; 
la  prière  ?  vous  n'avez  plus  d'attention;  le 
renoncement?  tout  vous  abondonnera;  l'ab- 
négation? tout  vous  dégoûtera;  le  bon  exem- 
ple? vous  n'avez  plus  de  scandale  adonner; 
l'humilité?  eh  !  vous  serez  réduit  en  un  ins- 
tant où  toute  la  gloire  va  s'éclipser,  où  tout 
vos  titres,  tous  vos  honneurs  vont  se  ren- 
dre avec  vous  dans  le  tombeau.  11  siérait 
bien  à  un  ver  de  terre,  qui  va  devenir  la  pâ- 
ure  des  autres  vers,  de  vouloir  s'élever. 

Oh!  le  triste  état  que  le  vôtre,  pécheurs 
impénitents,  où,  sûrs  de  vos  crimes,  vous  le 
serez  si  peu  de,votre  pénitence  ;  où  vos  vices 
conservant  toute  leur  énormité,  vos  vertus 
devenues  comme  forcées,  seront  sans  mérite, 
et  où,  chargés  de  dettes  devant  Dieu,  vous 
deviendrez  tout  à  fait  insolvables  :  vous  n'au- 
rez donc  pas  cette  pénitence  de  réparation 
qui  vous  est  si  nécessaire.' 

Mais  aurez-vous  celle  de  proportion  qui 
n'est  pas  moins  essentielle  pour  être  sauvé? 
Voyons  ce  que  Jésus-Christ  a  fait  pour  vous. 
Je  le  vois  tout  appliqué  à  vous  faire  du  bien  : 
dès  le  sein  de  son  Père,  il  songe  à  se  faire 
homme  pour  l'amour  de  vous  ;  son  premier 
soupir  est  un  vœu  pour  votre  salut.  A  peine 
a-t-il  commencé  de  vivre,  qu'il  a  commencé 
à  jsouffrir  pour  vous;  à  peine  est-il  entré 
dans  le  monde,  qu'il  sacrifie  sa  gloire,  sa 
joie,  son  plaisir,  son  repos,  ses  trésors,  sa 
vie  même  pour  vous  sans  interruption,  sans 
exception,  sans  partage  ;  à  mesure  qu'il  a  crû. 
en  âge,  ses  grâces  se  sont  multipliées,  et 
toutes  ses  miséricordes  ont  couru  au-devant 
de  vous,  de  peur  que  vous  ne  vous  perdiez. 
Obstiné  pécheur,  en  usez-vous  ainsi  à  son 
égard?  au  dernier  soupir  revenez -vous  à 
Dieu  par  la  pénitence  comme  il  est  tant  de 
fois  venu  et  revenu  à  vous  par  sa  bonté  ?  Quel 
rapport  y  a-t-il  entre  votre  faible  satisfaction 
et  cette  donation  'd'un  Dieu  si  entière  et  si 
absolue,  vous  qui,  aimant  le  monde  et  offen- 
sant le  Seigneur,  l'avez  fait  de  tout  votre 
esprit  et  de  tout  votre  cœur,  de  tous  vos  sen- 
timents, de  toutes  vos  pensées,  de  toutes 
vos  actions,  de  toutes  vos  forces,  de  toute 
votre  personne,  de  tout  votre  être  ;  vous  vous 
trouverez  réduit  dans  le  lit  de  la  mort  à  ne 
l'aimer  et  à  ne  le  satisfaire  que  de  toute  votre 
faiblesse,  que  de  toute  votre  légèreté,  que 
de  toute  votre  langueur,  que  de  toute  votre 
inapplication,  que  de  toute  votre  inaction, 
que  de  toute  votre  misère,  que  de  tout  votre 
néant  ;  vous  qui  n'opposez  à  tant  d'amour, 
à  tant  de  bienfaits  que  ce  que  vous  laisse  la 
mort  qui  s'avance,  c'est-à-dire  des  sens  sai- 
sis, une  âme  interdite,  des  passions  usées, 
un'esprit  abattu,  des  sentiments  forcés,  des 
pensées  confuses ,  des  demi-volontés ,  des 
désirs  infirmes,  une  faible  lueur  de  foi,  un 


ÈT9 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SURIAS. 


880 


court  intervalle  de  raison,  quelques  marques 
équivoques  de  piété  risquée  et  qu'on  ne  peut 
soutenir  un  moment; quelques  prières  entre- 
coupées de  sanglots  qui  ne  sont  peut-être 
que  des  plaintes,  des  soupirs  qui  ne  sont 
peut-être  qu'un  symptôme  de  la  mort  qui 
vous  saisit,  des  regrets  qui  ne  sont  peut-être 
qu'un  désespoir  de  quitter  cette  vie;  une 
pénitence  qui  n'est  peut-être  qu'une  convul- 
sion, de  simples  mouvements  animaux  de  la 
machine  qui  se  brise,  que  les  tristes  débris 
d'une  nature  qui  se  détruit,  un  cadavre  enfin, 
une  corruption. 

O  Dieu  terrible,  sera-ce  donc  ainsi  que  vous 
vous  apaiserez  !  est-ce  donc  là  le  poids  salu- 
taire, cette  force  héroïque,  cette  énergie  sainte 
que  doit  avoir  pour  vous  apaiser  la  pénitence 
chrétienne  1  Sont-ce  donc  des  fruits  de  con- 
version et  de  pénitence  capables  de  modérer 
votre  colère,  de  suppléer  les  peines  de  l'en- 
fer que  méritent  nos  péchés,  et  de  servir  de 
compensation  à  une  éternité  de  tourments  ! 
Sur  ce  point,  jugez,  pécheurs  obstinés,  quel 
fonds  vous  devez  faire  sur  cette  conversion  ; 
à  la  mort,  les  choses  parlent  d'elles-mêmes  ; 
c'est  vous  tromper  que  de  compter  sur  une 
pénitence  si  injurieuse  à  Dieu,  et  autoriser 
encore  Jésus-Christ  à  vous  faire  porter  dans 
un  cinquième  sens  tout  le  poids  de  ces  terri- 
bles paroles,  ego  vado,  je  m'en  vais,  vous 
me  chercherez,  mais  si  tard,  que  vous  mour- 
rez dans  votre  péché  :  Qnœretis  me  et  in 
peccato  vestro  meriemini.  Reste  encore  une 
ressource  au  pécheur  obstiné.  Je  |  arle  long- 
temps, je  l'avoue;  mais  ne  faut-il  pas  que  le 
malheureux  impénitent  apprenne  tout  le 
danger  de  son  état?  Cependant  j'abnége  cl  je 
finis. 

Ici,  Messieurs,  pour  la  dernière  fois,  ayez, 
s'il  se  peut,  le  courage  de  vous  repré.-  enter 
vom-mêmes  à  vous-mêmes  dans  le  spectacle 
le  [tins  touchant,  dans  cette  situation  la  plus 
triste,  où  le  malheureux  pécheur  se  trouve 
au  lit  de  la  mort,  et  où  votre  malice  vous  an- 
nonce que  vous  devez  être,  si  vous  attendez 
à  ce  dernier  moment  à  faire  pénitence.  Déjà 
tout  s'alarme  pour  vous  :  votre  famille  trem- 
blante envoie  chercher  le  médecin;  le  méde- 
cin arrrive,  on  le  consulte  ;  il  approche  du 
malade,  il  examine  en  vain  sa  disposition  ;  sa 
parole,  ses  regards,  ses  lèvres,  sa  respira- 
tion, tout  lui  est  d'un  triste  augure.  En  revien- 
dra-t-il?  en  mourra-t-il?  Hélas  !  le  maître  de 
l'art  consulté  répond  qu'il  n'en  sait  rien  lui- 
même;  le  moment  vient  pourtant,  on  presse 
le  remède;  on  appelle  une  seconde  lois  le 
médecin,  mais  inutilement.  11  assure  enfin 
qu'il  n'y  a  plus  d'espérance  pour  votre  vie, 
et  que  vous  êtes  un  homme  mort;  c'est  à 
vous  qu'il  faudrait  le  dire,  et  vous  êtes  le 
seul  qui  l'ignorez.  Tout  ce  que  vous  avez  de 
plus  cher  au  monde  se  détourne  de  vous 
pour  vous  cacher  sa  tristesse  et  vous  pleurer 
en  liberté;  on  se  demande  l'un  à  l'autre:  no 
faudrait-il  pas  le  lui  annoncer?  et  pendant  que 
chacun  refuse  de  se  charger  d'une  si  triste 
commission,  les  plus  intéressés  répondent  : 
attendez  encore,  attendez.  Cruels,  n'a-t-il 
donc  pas  'assez  attendu?  Périssent  les  ména- 


gements meurtriers,  source  de  la  damnation 
de  tant  d'Ames  l  On  vous  laisse  à  deviner 
que  vous  allez  mourir,  et  quand  vous  l'au- 
rez deviné,  pauvre  homme,  dans  quel  abat- 
tement tomberez-vous,  dans  quelle  confusion 
de  pensées,  dans  quelle  perj  lexité  de  raison 
et  d'esprit,  dans  quel  saisissement  de  cœur 
et  de  tous  les  sens  I  Alors  il  faut  oublier  lé 
monde,  et  avec  lui  toutes  ses  joies,  tous  ses 
b;cns,  tous  ses  honneurs,  et  dire  un  dernier 
adieu  à  tout  ce  que  vous  avez  de  plus  cher 
sur  la  terre.  De  plus  grands  objets  viennent 
en  confusion  s'offrir  à  vous,  et  dès  lors  se 
découvre  à  votre  imagination  troublée  tout 
ce  qui  est  au-dessus,  au-dessous,  au  dehors 
et  au  dedans  de  vous  ;  la  terre  et  le  ciel,  le 
paradis  et  l'enfer,  le  temps  et  l'éternité,  votre 
Sauveur  et  votre  Juge,  tout  porte  l'effroi 
jusqu'au  fond  de  votre  Ame;  et  après  avoir 
rappelé  les  noirceurs  d'une  vie  tout  entière 
de  crimes  :  Rcminiscens  malorum  quœ  feci  in 
Jérusalem  (I Mach., VI),  jetantunprofond  sou- 
pir :  Un  confesseur!  dites-vous.  Hélas  1  com- 
ment ai-je  vécu;  que  n'ai-je  plutôt  fait  péni- 
tence 1  Mes  frères,  vous  sentez  donc  à  ce  der- 
nier moment  la  nécessité  qu'il  y  a  de  faire  de 
bonne  heure  cette  pénitence;  vous  changez 
donc  alors  de  langage  ;  vous  vous  trompiez 
donc  de  croire  qu'il  serait  assez  temps  de  la 
faire  à  la  mort.  Nous  avions  donc  raison  de 
condamner  vos  délais  et  vos  remises  Cepen- 
dant le  ministre  appelé  vient  à  vous,  mais  trop 
tard  :  plus  il  a  de  lumières,  plus  il  a  de 
zèle,  plus  il  a  de  charité,  et  plus  il  gémit, 
plus  il  s'afflige,  plus  il  se  désole  de  vous 
trouver  dans  un  état  si  distrait,  si  troublé, 
si  abattu,  si  languissant;  au  défaut  de  pa- 
roles qui  vous  manquent,  de  la  raison  qui 
s'obscurcit,  il  supplée  par  ses  demandes,  par 
ses  interrogations,  par  ses  signes,  par  ses 
devinations  à  l'examen  de  votre  conscience 
que  vous  ne  pouvez  faire,  à  la  confession  do 
vos  péchés  que  vous  n'avez  pas  la  force  de 
déclarer. 

Ah  !  que  ne  peut-il  aussi  suppléer  en  vous 
les  œuvres  par  ses  œuvres,  la  douleur  par 
sa  douleur,  la  componction  par  sa  tristesse, 
la  foi  qui  vous  manque  par  sa  foi,  la  charité 
par  sa  charité  ;  il  est  vrai  que  sur  quelques- 
soupirs,  que  sur  quelques  signes  équivo- 
ques qu'il  interprèle  favorablement,  il  vous 
accorde  la  divine  absolution  et  prononce  sur 
vous  un  arrêt  de  miséricorde  ;  mais  qu'il  se 
défie  de  ces  sortes  de  rémissions  que  sou- 
vent Dieu  désavoue  pendant  que  le  prêtre 
les  accorde!  que  son  ministère  alors  rembar- 
rasse! 11  ne  s'en  explique  pas,  mais  il  voit 
que  vous  prenez  le  change;  il  le  dirait  s'il 
osait,  que  c'est  plutôt  la  nature  qui  agit  en 
vous  que  la  grâce,  que  tous  ces  beaux  dehors 
sont  plutôt  l'effet  de  votre  inquiétude  que 
de  votre  pénitence,  que  du  milieu  même  de 
vos  soupirs  et  de  vos  larmes,  il  détourne  un 
cœur  encore  endurci.  Si  en  public  il  vous 
encourage,  dans  le  secret  de  son  âme  il  se  dé- 
sespère, et  quand  on  vous  apporte  le  pain 
de  vie  il  vous  exhorte  à  recevoir  avec  con- 
fiance votre  divin  Sauveur,  il  s'alarme  au 
fond  de  son  cœur  de  voir  que  yous  allez  ro- 


£31  CAREME.  -  SERMON  XV  ,  DE 

cevoir  votre  juge,  et,  tremblant  pour  les  pé- 
cheurs qui  diffèrentleur  conversion  à  la  morl, 
il  appréhétide  que  vous  ne  mettiez  par  cette 
action^  si  sainte  le  comble  à  vos  malheurs. 

De  là  plus  de  ressource  ;  une  sueur  froide 
déroule  de  votre  front,  votre  visage  se  défi- 
gure, vos  yeux  demeurent  collés  et  fixés  au 
même  endroit  où  tombent  vos  regards,  vos 
oreilles  sont  fermées,  tout  votre  corps  est 
sans  mouvement,  le  reste  de  chaleur  natu- 
relle se  retire,  vous  vous  agonisez.  En  vain 
l'homme  de  Dieu  vous  exhorte,  vous  presse 
de  demander  grâce,  d'implorer  pour  la  der- 
nière fois  la  miséricorde  du  Sauveur;  en  vain 
fait-il  retentir  à  vos  oreilles  sourdes  des 
a.;tes  réitérés  du  divin  amour;  en  vain  veut- 
il  vous  faire  embrasser  l'image  de  Jésus- 
Christ  qui  t«mbe  de  vos  mains  défaillantes; 
en  vain  présentant  tendrement  le  crucifix 
sur  vos  lèvres  mourantes,  il  essaye  de  vous 
réconcilier  avec  le  Dieu  vengeur 'devant  qui 
lésâmes  les  plus  pures  tremblent,  le  dernier 
moment  vient  toujours  plutôt  qu'on  ne 
pense.  Pendant  qu'autour  de  vous  tout  est 
en  prières  et  en  larmes,  vous  rendez  le  der- 
nier soupir,  vous  n'êtes  plus;  vous  avez 
rendu  l'âme. 

Ame  infortunée,  qu'es-tu  devenue  et  quel 
est  ton  sort?  réponds-nous  ici;  ton  juge  si 
justement  irrité  se  contente-t-il  de  quelques 
moments  donnés  à  la  pénitence?  doit-on  se 
confier  tant  à  ce  dernier  soupir  ?  doit-on 
compter  si  fort  sur  le  bon  peccavi?  les  con- 
versions tardives  ont-elles  devant  Dieu  la 
valeur  et  le  prix  que  le  monde  aveugle  et 
corrompu  leur  donne?  Pauvre  âme,  qui  te 
pourrait  suivre  au  tribunal  de  Jésus-Christ 
verrait  bien  si  la  miséricorde  est  si  com- 
mune qu'on  le  pense ,  s'il  faut  de  si  grands 
crimes  et  une  si  grande  suite  de  préva- 
rications pour  mourir  impénitent,  et  si, 
comme  les  Juifs  que  Jésus-Christ  réprouve 
parce  qu'ils  sont  de  ce  monde,  quia  de  hoc 
mandatas  estis (Joan. ,VUl),  le  seulamourdu 
monde,  de  ses  maximes,  de  ses  biens,  de  ses 
plaisirs, de  ses  honneurs,  de  ses  usages  et  de 
ses  coutumes,  ne  suffit  pas,  pour  vous  attirer 
en  un  dernier  sens  cette  terrible  malédiction, 
ego  vado,  je  m'en  vais,  vous  me  chercherez 
et  vous  mourrez  dans  votre  péché;  vous  y 
demeurerez  une  éternité  tout  entière,  et  ma 
justice  ne  se  lassera  point  de  punir  votre 
téméraire  présomption  :  Et  in  peccuto  vestro 
moriemint.  (Joan.,Yll\.) 

Mes  frères,  saisi  pour  vous  d'une  frayeur 
vive,  je  ne  puis  rien  ajouter  à  l'affreuse 
I  cinture  que  je  vous  ai  faite  du  pécheur 
obstiné,  je  vous  laisse  en  ce  triste  état  vous- 
mêmes,  en  méditation  à  vous-mêmes;  dans 
l'affliction  profonde  de  mon  âme,  je  puis 
bien  vous  dire  comme  le  prophète  Mïchée  : 
Peuple  alarmé  d'un  malheur  si  funeste,  plût 
è  Dieu  qu'en  vous  l'annonçant,  l'esprit  de 
vérité  ne  fut  point  en  moi  et  que  je  ne  fusse 
qu'un  prophète  de  mensonge:  Ulinam  non 
essem  vir  lia  h  èns  ?p  iriiam  et  mendaciarnpotius 
loqnerer.  (Mieh.,\\l.)  îl  d'éj  end  encorede  vous 
de  rendre  mes  menaces  vaines,  Dieu  vous 
laisse  encore  quelques  moments  à  délibérer- 


LA  CORRECTION  FRATERNELLE. 


8SÎ 


si  vous  êtes  sages  et  prudents,  ne  remettez 
point  votre  pénitence  à  l'heure  de  la  mort; 
rompez  dès  maintenant  tout  commerce  avec 
le  crime.  Convertissez-vous  sans  cesse  à  la 
grâce,  c'est  le  seul  moyen  de  vous  rendre 
favorable  la  miséricorde  du  Seigneur  et  d'ar- 
river un  jour  en  sa  gloire.  C'est  ce  que  ja 
vous  souhaite.  Au  nom  du  Père,  etc.  Amen. 

SERMON  XV. 

DE'  VA    CORRECTION  FHATEUNEI.Lt. 

Si  peccaverilin  te  frater  tuiis,  vadeet  corrige  euminter 
te  ei  ipsum  solum.  (Mattli.,  XVIII.) 

Si  votre  frère  a  péché  contre  vous,  allez  lui  représenter 
sa  faute  en  particulier,  entre  vous  et  lui. 

A  voir  les  fréquentes  leçons  de  charité^ 
que  nous  fait  le  Sauveur  du  monde  dans  l'E- 
vangile, ne  dirait-on  pas  qu'il  n'est  venu  sur 
la  terre  que  pour  établir  l'union  et  l'amour 
parmi  les  hommes  ?  Et  certes,  mes  frères,  quel 
autre  soin  l'a  plus  occupé  durant  le  cours  de 
sa  vie  mortelle?  Qu'a-t-iJ  plus  fortement 
recommandé  à  ses  apôtres,  et  que  nous  a-t-il 
recommandé  à  nous-mêmes  plus  expressé- 
ment que  l'amour  envers  nos  frères?  Tantôt, 
pour  bannir  de  nos  cœurs  tout  sentiment  de 
naine,  de  vengeance,  il  nous  ordonne  de 
partager  les  outrages  ou  les  injures  qu'on 
nous  lait,  d'aimer  nos  propres  ennemis,  de 
bénir  ceux  qui  nous  calomnient,  de  prier 
même  pour  ceux  qui  nous  persécutent; 
tantôt,  pour  nous  attendrir  envers  les  mal- 
heureux, il  veut  que  nous  fassions  part  de 
notre  opulence  à  ceux  qui  sont  dans  la 
disette,  et  que  nous  soulagions  les  pauvres 
dans  leurs  nécessités  temj  orelles,  par  nos 
aumônes;  enfin,  pour  nous  enflammer  du  zèle 
du  salut  des  âmes,  il  nous  dit  dans  jnotra 
Evangile  d'assister  nos  frères  dans  leurs  be- 
soins spirituels,  et  de  les  retirer  de  l'abîme 
du  péché  par  la  voie  de  la  correction  frater- 
nelle, correction  si  nécessaire,  si  avanta- 
geuse, si  utile  au  salut  du  prochain;  correc- 
tion sur  laquelle  nous  avons  de  si  étroitos 
obligations,  et  dont  l'observance  est  cepen- 
dant si  négligée  dans  le  monde;  ou  l'on  se 
dispense  de  la  faire,  ou  on  la  fait  presque 
toujours  contre  les  règles  de  l'Evangile.  On 
se  dispense  de  la  faire,  hélas  1  parce  qu'on 
ne  la  regarde  pas  comme  une  obligation  in- 
dispensable; on  la  fait  contre  les  règles  de 
l'Evangile,  parce  qu'on  ne  reprend  son  pro- 
chain que  pariin  faux  zèle,  que  par  un  esprit 
d'emportement  et  de  sévérité.  C'est  contre 
ces  abus  que  l'Eglise  s'élève  dans  notre 
évangile  en  nous  proposant  l'obligation  de 
la  correction  fraternelle,  et  en  nous  prescri- 
vant les  règles  de  la  faire  :  Si  peccaverit  in 
te  frater  tuus,  vade  et  corrige  eum;  si  votre 
frère  a  péché  en  votre  présence,  allez  le  trou- 
ver, et  reprenez-le;  voilà  l'obligation  de  la 
correction  fraternelle.  Voici  la  manière  dont 
elle  doit  être  faite  :  reprenez-le  en  particulier 
entre  vous  et  lui  :  Corrige  eum  inter  te  et 
ipsum  solum. 

L'obligation  de  la  correction  fraternelle;  la 
manière  dont  elle  doit  être  faite,  ce  sont  les 
deux  réllexions  qui  feront  lo  partage  de 
ce  discours. 


883 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SERIAIS. 


8Si 


Seigneur,  qui  nous  ordonnez  de  corriger 
nos  frères,  et  qui  par  notre  ;ministère  nous 
avez  donné  la  sainte  liberté  de  reprendre  le 
vice  et  de  nous  élever  contre  lui,  partout 
où  il  se  rencontre,  donnez  à  ma  voix  la  vertu 
de  votre  grâce,  et  toute  l'autorité  nécessaire 
sur  les  esprits;  purifiez  mes  lèvres  par  un 
charbon  ardent  et  sacré  que  l'ange  appliqua 
sur  les  lèvres  d'un  de  vos  prophètes,  afin 
que  je  ne  prononce  que  des  paroles  de  cha- 
rité, et  que  l'amour  de  votre  loi  mettra  dans 
ma  bouche.  Je  vous  demande  cette  grâce  par 
l'entremise  de  Marie,  en  lui  disant  avec  l'ange, 
Ave,  Maria. 

PREMIER    POINT. 

C'est  une  erreur,  dit  saint  Chrysostome, 
et  une  erreur  qui  n'est  que  trop  commune 
parmi  les  enfants  du  siècle,  de  regarder  la 
correction  fraternelle  comme  un  simple  con- 
seil, et  non  comme  une  obligation  indispen- 
sable pour  tous  les  chrétiens.  Les  uns  asser-. 
vis  à  des  bienséances  humaines,  ou  retenus 
par  une  crainte  servile,  n'osent  reprendre 
leurs  frères  dans  la  crainte  |d'encourir  leur 
disgrâce  et  leur  indignation,  ou  de  se  fer- 
mer, par  une  correction  mal  reçue,  toutes 
les  voies  qui  sont  ouvertes  à  leur  fortune, 
et  aiment  mieux  les  ménager  par  de  lâches 
complaisances  et  par  d'indignes  flatteries; 
les  autres,  séduits  par  de  faux  préjugés  qu'in-. 
vente  l'amour-propre,  se  contentent  de  ré- 
gler leur  conduite,  sans  penser  à  réformer 
celle  des  autres,  s'imaginant  qu'il  suffit  de 
travailler  à  sa  propre  sanctification,  sans 
qu'on  soit  chargé  du  salut  de  ses  frères,  ni 
responsable  de  leur  perte,  erreur  dont  il  faut 
les  désabuser  aujourd'hui  en  leur  montrant 
toute  l'étendue  de  l'obligation  que  porte. 
avec  soi  le  précepte  de  la  correction  frater- 
nelle, et  pour  ne  pas  causer  de  confusion 
dans  vos  esprits,  par  un  désordre  de  propo- 
sitions mal  ordonnées.  Je  vais  établir  cette 
]  roposition  'et  cette  vérité  sur  trois  raisons 
qui  en  feront  sentir  toute  l'obligation. 

La  première,  c'est  le  zèle  que  nous  devons 
avoir  pour  la  gloire  de  Dieu;  la  deuxième, 
c'est  l'amour  que  nous  devons  avoir  pour 
notre  prochain;  la  troisième,  c'est  le  compte 
que  Dieu  nous  demandera  un  jour  de  la  fidé- 
lité  ou  de  la  négligence  avec  laquelle  nous 
aurons  rempli  cet  important  devoir;  obliga- 
tion de  la  correction  fondée  sur  le  zèle  du 
service  de  Dieu  dont  nous  devons  procurer 
la  gloire;  obligation  de  la  correction'  fondée 
fur  l'amour  du  prochain  dont  nous  devons 
pronuer  le  salut;  obligation  de  la  correc- 
tion fondée  sur  les  châtiments  exemplaires 
que  Dieu  exercera  sur  ceux  qui  la  négligent; 
examinons  ces  trois  considérations. 

Pour  peu  que  nous  fassions  attention  sur 
nos  engagements,  nous  trouverons  que  le 
zèle  de  la  gloire  de  Dieu  est  le  plus  indis- 
pensable de  tous  nos  devoirs.  Il  est,  en  effet, 
un  amour  surnaturel  et  absolu  que  nous  de- 
vons a  celui  qui  ne  nous  a  mis  au  monde 
que  pour  l'honorer  et  le  servir.  Or,  nous  ne 
pouvons  l'honorer  plus  SQuveyainement  et 


travailler  plus  utilement  à  sa  gloire  que  par 
la  correction  de  ceux  qui  l'offensent;  car, 
s'il  est  vrai  que  rien  ne  nous  doit  toucher 
davantage  que  la  gloire  de  Dieu,  il  est  cer- 
tain que  rien  ne  nous  doit  plus  toucher  ni 
enflammer  notre  zèle  que  les  outrages  qu'on 
lui  fait.  Ainsi,  autant  que  nous  sommes  at- 
tachés à  la  gloire  de  Dieu,  autant  devons- 
nous  sentir  les  impressions  qu'il  reçoit. 
Uniquement  occupés  de  ses  intérêts,  tout  ce 
qui  le  regarde  nous  doit  toucher,  tout  ce 
qui  le  déshonore  doit  animer  notre  zèle  et 
exciter  notre  indignation;  et  comme  le  péché 
mortel  attaque  la  gloire  de  Dieu  et  la  sainteté 
de  son  nom,  nous  devons  recourir  à  la  correc- 
tion fraternelle  pour  détruire  ce  monstre 
dès  sa  naissance  et  le  venger  de  cet  ennemi 
capital  qui  le  déshonore  et  qui  l'outrage. 

Cependant,  quoique  ce  soit  là  notre  prin- 
cipale obligation,  la  gloire  de  Dieu  est  la 
sc«de  chose  dont  nous  sommes  le  moins  tou- 
chés. Nous  sommes  vifs  pour  tout  ce  qui 
peut  blesser  notre  honneur,  ternir  notre 
gloire,  altérer  notre  réputation,  et  nous  vi- 
vons dans  une  lâche  indifféreuco  pour  ses 
intérêts  ;  on  nous  voit,  garder  un  lâche  silence 
quand  il  s'agit  de  corriger  le  libertin  qui  le 
déshonore,  trop  contents  de .  nous-mêmes 
pourvu  que  nous  n'ayons  point  de  part  à  l'im-. 
piété  de  ceux  qui  l'offensent.  Comme  si  l'a- 
mour que  nous  devons  avoir  pour  Dieu  n'é- 
tait pas,  selon  la  pensée  de  saint  Augustin, 
un  amour  de  zèle,  de  jalousie  pour  sa  gloire, 
un  amour  de  courage  et  d'intrépidité  qui  n'est 
ni  muet,  ni  indifférent  pour  ce  qui  le  touche, 
et  qui ,  dans  les  outrages  qu'on  lui  fait,  ne 
sait  garder  d'autres'mesures  que  celles  qu'ins- 
pire le  zèle  pour  reprendre  ceux  qui  sont 
coupables.  C'était  là  le  zèle  dont  brûlait  le 
Roi-Prophète  lorsqu'il  s'écriait  dans  un  es- 
prit plein  de  jalousie  pour  la  gloire  de  Dieu  : 
Seigneur,  n'ai-je  pas  haï  ceux  qui  vous  haïs- 
saient? ne  séehé-je  pas  de  dépit  en  voyant 
les  prévarications  de  vos  ordonnances?  Non- 
ne qui  te  oderunt,  Domine ,  perfecto  odio  ode- 
ram?[Psal.  CXXXV1II.)  Témoin  de  leurs  em- 
portements ,  je  m'élevais  contre  eux  tant 
qu'ils  s'élevaient  contre  vous,  et  je  ne  pen- 
sais pas  même  que-  ce  fût  assez  de  n'avoir 
point  de  part  à  leurs  crimes,  mais  je  faisais 
tous  mes  efforts  pour  les  retirer  de  l'éga- 
rement; peu  satisfait  de  les  éloigner  du 
vice ,  je  voulais  leur  inspirer  l'amour  et  la 
pratique  de  votre  sainte  loi.  Je  savais,  qu'au- 
tant que  leurs  péchés  vous  avaient  désho- 
noré, autant  leurs  vertus  servaient  à  votre 
gloire.  Voilà  la  règle  de  votre  conduite ,  si 
vous  brûlez  d'un  véritable  zèle  pour. la  gloire 
de  Dieu,  et  si  vous  voulez  lui  marquer  votre 
amour  par  de  solides  effets,  vous  vous  em- 
ploierez de  toutes  vos  forces  à  détruire  le 
péché,  cet  ennemi  capital  que  Dieu  déteste, 
et  qui  était  le  seul  objet  de  cette  haine  que 
David  portait  à  tous  les  ennemis  de  Dieu. 
Non  content  de  vous  être  préservé  de  sa 
tyrannie,  préservez-en,  dégagez-en  vos  frère» 
par  la  correction;  si  votre  irère  a  commis 
quelque  faute  en  voli*e  présence,  qu'il  soit 
ami  ou  indifférent,  qu'il  puisse  vous  protéger 


835 


CAREME.  —  SERMON  XV  ,  DE  LA  CORRECTION  FRATERNELLE. 


88C 


ou  vous  nuire,  allez  le  trouver  et  reprenez- 
le  de  son  action  ;  il  s'agit  de  la  cause  de  Dieu . 
Si  vous  l'aimez,  vous  ne  sauriez  être  insen- 
sible à  l'outrage  qu'il  lui  l'ait,  à  moins  que 
vous  ne  vouliez  encourir  le  reproche  qu'un 
prophète  fit  à  un  roi  de  JuJa  :  Vous  favorisez 
les  injustes  et  vous  faites  alliance  avec  ceux 
qui  haïssent  le  Seigneur  :  lmpio  prœbes  auxi- 
liumet  hisqui  oderunt  Dominum  amicitia jun- 
grris.  (II Parai.,  XIX.)  C'est  votre  frère  qui 
a  péché  :  Si  peccaverit  in  te  fratcr  tuus. 
Vous  êtes  donc  obligé  de  lui  représenter 
sa  faute  et  de  lui  rendre  tous  les  secours 
qu'il  attend  de  votre  charité;  second  motif 
de  la  correction  fraternelle  fondée  sur  l'a- 
mour du  prochain  dont  nous  devons  pro- 
curer le  salut. 

L'amour  que  nous  devons  avoir  pour  nos 
frères  ,  n'est  pas  un  amour  aveugle,  fondé 
sur  d'indignes  complaisances  ;  ce  n'est  pas 
un  amour  flatteur  et  carressant  qui  l'entre- 
tienne dans  ses  crimes ,  mais  un  amour 
réglé  qui  nous  porte  à  le' secourir  dans  ses 
divers  besoins  et  à  l'aimer  selon  Dieu.  Qu'est- 
ce  qu'aimer  son  prochain  selon  Dieu?  C'est, 
répond  saint  Augustin,  l'aimer  comme  Dieu 
même  et  dans  le  même  ordre  que  Dieu  même; 
c'est  l'aimer  pour  son  salut,  préférablement 
à  tous  les  autres  biens  qu'on  peut  lui  procu- 
rer ;  c'est  le  porter  lui-même  à  aimer  Dieu,  afin 
que,  par  un  mutuel  concours  de  pensées,  de 
désirs,  d'affections,  nous  allions  tous  nous 
rendre  au  terme  et  au  centre  commun. 

On  ne  peut  aimer  le  prochain  (c'est  tou- 
jours la  pensée  de  saint  Augustin  que  je  con- 
tinue) d'une  amitié  de  nature,  d'une  amitié, 
de  raison,  d'une  amitié  de  piété  et  de  reli- 
gion; l'aimer  d'une  amitié  de  nature,  c'est 
l'aimer  d'un  amour  charnel  qui  nous  est  com- 
mun avec  les  animaux  ;  l'aimer  d'une  amitié 
de  raison,  c'est  l'aimer  d'un  amour  humain, 
mais  intéressé,  puisque  nous  ne  l'aimons  le 
plus  souvent  que  par  rapport  à  nous-mêmes  ; 
l'aimer  d'une  amitié  de  religion,  c'est  aimer 
son  salut;  et  comme  cet  amour  est  plus  par- 
fait que  tous  les  autres,  il  nous  impose  aussi 
de  plus  grandes  obligations  ;  car  alors  nous 
devons  l'instruire  dans  ses  devoirs  quand 
il  est  dans  l'ignorance,  le  réconcilier  avec 
Dieu  quand  il  l'a  offensé,  le  remettre  par  nos 
salutaires  conseils  dans  la  voie  du  ciel  quand 
il  s'en  est  éloigné,  lui  servir  de  guide,  de 
médecin,  de  père,  lui  rendre  de  bons  offices, 
selon  le  don  que  nous  avons  reçu,  comme 
étant  de  fidèles  dispensateurs  des  différentes 
grâces  et  dons  du  Seigneur,  dit  l'apôtre  saint 
Jacques. 

Et  certes  nous  croyons-nous  obligés  par 
l'ordre  de  la  divine  Providence  à  une  même 
société,  de  nous  secourir  dans  nos  besoins 
temporels  par  de  mutuels  offices  de  charité, 
sans  penser  à  nous  rendre  d'autres  secours 
dans  nos  besoins  spirituels;  et  si,  selon  la 
pensée  de  saint  Augustin,  c'est  être  homi- 
cide du  pauvre  que  de  ne  le  pas  secourir  : 
Qccidisti  si  non  pavisti,  ne  doit-on  pas  re- 
garder comme  meurtrier  de  l'âme  de  son 
prochain,  quiconque  le  voit  indifféremment 
dans  le  péché  sans  l'en  retirer  par  kt  correc- 


tion? Nous  croyons-nous  obligés,' en  vertu 
du  précepte  de  la  charité,  d'assister  nos  frè- 
res dans  leurs  nécessités  temporelles  par  des 
aumônes,  et  dispensés  de  les  secourir  dans 
leurs  nécessités  spirituelle^  par  nos  conseils? 
C'est  peu  de  chose,  dit  saint  Augustin,  de 
faire  l'aumône  à  votre  frère  qui  est  pauvre, 
vous  pouvez  lui  donner  quelque  chose  de 
plus;  si,  outre  la  pauvreté  temporelle,  il  en- 
dure encore  l'indigence  des  biens  célestes, 
vous  avez  une  langue  pour  sauver  son 
âme.  Quel  plus  pressant  besoin,  en  effet, 
votre  frère  peut-il  avoir  de  votre  secours  que 
lorsqu'il  a  péché  en  votre  présence,  et  quel 
plus  grand  témoignage  pouvez-vous  lui  ren- 
dre de  votre  amour  qu'en  le  relevant  de  sa 
chute  par  une  salutaire  correction  :  ce  n'est 
pas  un  homme  attaqué  par  quelques  acci- 
dents imprévus  qu'il  souffre  par  l'incons- 
tance de  la  fortune,  c'est  un  homme  qui  en- 
dure une  plus  grande  disette,  dont  l'âme  a 
reçu  des  plaies  mortelles.  Ce  n'est  pas  une 
portion  de  bien  temporel  que  vous  lui  refu- 
sez, vous  laissez  mourir  son  âme  de  faim  en 
lui  retranchant  le  pain  de  la  divine  Provi- 
dence, dont  Dieu  vous  a  fait  l'économe  et  le 
dispensateur  ;  il  ne  s'agit  pas  de  le  retirer 
d'une  misère  temporelle  et  d'un  malheur  qui 
ne  peut  durer  qu'autant  que  sa  vie,  il  s'agit 
de  le  délivrer  d'une  nécessité  spirituelle  et 
d'une  misère  qui  ne  finira  pas  même  après 
sa  mort;  il  ne  s'agit  pas  d'être  son  père  nourri- 
cier, il  s'agit  d'êUe  le  rédempteur  et  le  saur 
veur  d'une  âme  rachetée  par  le  sang  d'un 
Dieu.  Et  vous  le  verrez  dans  ce  déplorable 
état  sans  le  soulager?  vous  le  laisserez  misé- 
rablement périr  faute  de  bons  conseils  ?  Où 
est  votre  zèle,  où  est  votre  charité?  Ne  peut- 
on  pas  vous  faire  le  même  reproche  que  sain! 
Pierre  fit  autrefois  aux  Corinthiens,  pour 
avoir  souffert  le  scandale  dans  leur  ville? 
Eh  quoi  1  vous  aurez  pu  voir  au  milieu  de 
vous,  dit-il,  le  plus  scélérat  de  tous  les 
hommes,  vous  n'en  aurez  pas  gémi  devant 
Dleu'l Nonmagis  luctum habuislis?  (ICor.,  V.) 
Vous  avez  vu  ce  jeune  homme  former  des 
liaisons  criminelles,  ce  médisant  lancer  des 
traits  de  langue  sur  la  réputation  de  son 
frère,  la  noircir  par  ses  railleries  piquantes 
et  des  tours  ingénieux  ;  cet  avare  opprimer 
cruellement  tant  de  pauvres  par  ses  injusti- 
ces, recourir  à  des  profits  infâmes  pour  s'en- 
richir aux  dépens  du  peuple,  élever  sa  mai- 
son sur  la  ruine  de  plusieurs  familles;  ce 
magistrat  vendre  ses  jugements,  favoriser  le 
riche ,  opprimer  le  faible  ;  ce  grand  et  ce 
puissant  du  siècle  abuser  de  son  crédit  et  de 
son  autorité;  vous  aurez  été  témoins  de  tous 
ses  désordres  :  Auditur  inter  vos  fornicatio 
(Ibicl.),  et  vous  n'en  avez  pas  été  touchés?  Vous 
les  avez  soufferts  par  d'indignes  et  lâches  com- 
plaisances? vous  n'avez  pas  élevé  votre  voix 
comme  Jean-Baptiste,  pour  condamner  cet 
Hérode  adultère;  vous  n'avez  osé  repren- 
dre, comme  Nathan,  ce  David  homicide?  Al- 
lez, malheureux,  vous  êtes  responsables  de 
leur  perte,  et  le  juste  Juge  qui  sonde  les 
reins  et  les  cœurs  vous  imputera  leurs  pé- 
chés comroo  si  vous  en  étiez  effectivement 


&S7 


OUATEURS  SACRES.  LE  P.  SURIAN. 


coupables.  Troisième  motif'  qui  doit  vous 
faire  trembler  et  vous  porter  à  travailler 
avec  plus  de  soin  au  bien  spirituel  de  vos 
frères. 

Comme  il  y  a  d<*s  fautes  personnelles,  il  y 
p  aussi  des  péchés  étrangers  dont  on  rendra 
un  compte  très-rigoureux  au  jugement  de 
Dieu.  L'Ecriture  ne  maudit-elle  pas  égale- 
ment et  celui  qui  tue  son  frère  en  lui  plon- 
geant le  poignard  dans  le  sein,  et  celui  qui 
épargne  ce  même  frère,  et  qui,  par  une  fausse 
délicatesse,  n'ose  répandre  son  sang  par  le 
glaive  de  la  correction?  C'est  consentir  au 
crime  que  de  se  taire?  quedis-je,  consentir: 
c'est  le  soutenir,  l'autoriser  :  ce  n'est  pas 
assez,  nous  sommes  plus  coupables  que  ce- 
lui qui  le  commet,  dit  saint  Augustin.  Si 
nous  négligeons  de  le  reprendre,  nous  pé- 
chons également,  dit  saint  Grégoire,  soit  en 
disant  mal,  soit  en  gardant  un  lâche  silence 
à  l'égard  du  bien,  et  s'il  n'y  avait  point  de 
péché  à  se  taire,  Isaïe  ne  dirait  pas  :  Malheur 
a  moi  parce  que  je  me  suis  tu  :  Yœ  mihi 
guod  tacui  !  (ha.,  Y].) 

Il  est  écrit  dans  le  Deutéronome  que,  lors- 
que l'on  trouverait  un  homme  assassiné  dans 
la  campagne,  on  tirerait  un  cordeau,  et  que 
les  habitants  de  la  ville  la  plus  proche  seraient 
censés  être  coupables  de  sa  mort,  par  la 
seule  raison,  dit  l'abbé  Rupert,  qu'ils  au- 
raient manqué  de  veiller  charitablement 
sur  les  voyageurs  qui  tombent  entre  les 
mains  des  voleurs.  Appliquez-vous  cette 
ligure;  vous  voyez  souvent  périr  votre  frère 
par  ses  débauches  scandaleuses,  vous  le 
trouvez  souvent  réduit  au  même  état  que 
cet  homme  dont  parle  saint  Luc,  surpris  par 
des  voleurs,  dépouillé,  maltraité  et  laissé  à 
demi  mort,  je  veux  dire,  avec  saint  Augus- 
te, surpris  par  le  démon  qui  la  dépouillé 
de  son  innocence  et  qui  l'a  fait  mourir  par 
le  péché.  Cependant  vous  le  voyez  dans 
ce  déplorable  état  sans  le  soulager ,  vous 
passez  indifféremment  comme  le  pharisien 
et  le  lévite  :  un  bon  avis  le  remettrait  dans 
le  chemin,  l'huile  de  la  correction  appli- 
quée remédierait  à  ses  blessures  et  le  gué- 
rirait entièrement  ;  cependant  vous  lui  refu- 
sez tous  les  secours  qu'il  attend  de  votre 
charité.  Ahl  on  tirera  le  cordeau  contre  vous, 
sa  perte  vous  sera  imputée  et  le  juste  Juge 
vous  demandera  compte  de  son  sang  :  San- 
guinem  ejus  de  manu  tua  requiram.  (Ezech., 
III.)  C'est  la  menace  qu'il  nous  fait  par  la 
bouche  du  prophète  Kzéchiel,  dont  nous 
devons  craindre  d'éprouver  le  triste  effet  si 
nous  négligeons  de  nous  acquitter  fidèle- 
ment d'une  si  importante  obligation.  Ne  re- 
fusons, pas,  comme  Jouas,  de  l'avertir,  et 
qu'il  ne  soit  pas  dit  que  notre  frère  ait  péri 
par  notre  négligence;  corrigeons-le  dans 
son  libertinage  de  peur  d'être  responsables 
de  sa  perte  :  Et  vade  et  corrige  eum  inter 
te  elipsum  solum.  Si  votre  frère  a  péché  con- 
tre vous,  allez  le  trouver  et  lui  représentez 
sa  faute;  mais  comment  le  ferez-vous,  c'est 
ce  que  vous  allez  apprendre  dans  la  deuxiè- 
me partie  de  ce  discours. 


SECOND   POINT. 

Si  la  charité  était  le  seul  motif  de  la  cor- 
rection fraternelle,  si  le  trouble,  la  colère, 
l'emportement  n'y  avaient  aucune  part,  on 
reprendrait  tous  ies  pécheurs  avec  succès  et 
avec  utilité ,  parce  qu'on  les  reprendrait 
avec  prudence,  avec  douceur,  avec  sainteté: 
trois  conditions  qui  doivent  accompagner  la 
correction  fraternelle  et  sans  lesquelles  elle 
ne  peut  être  utile  au  prochain  et  à  vous- 
même.  La  prudence  en  corrige  les  erreurs  et 
la  rend  sage  et  raisonnable,  la  douceur  en 
modère  l'amertume  et  la  sévérité,  et  la  rend 
honnête,  modeste,  compatissante;  la  sainteté 
en  rectifie  les  actions  et  les  desseins,  et  la 
rend  fructueuse,  efficace,  salutaire  au  pro- 
chain :  Lncratus  eris  fratrem  tuum.  (Matth., 
XVIII.)  Développons  toutes  ces  vérités, 

1°  La  guérison  de  l'âme  est  bien  plus  difficile 
que  celle  du  corps,  dit  saint  Chrysostome  ;  un 
frénétique  est  bien  [dus  facile  à  traiter  qu'un 
pécheur;  si  on  ne  sait  dorer  subtilement  la 
coupe  qu'on  lui  présente,  on  le  désespère  au 
lieu  de  le  servir  :  car  le  cœur  de  l'homme  est 
d'une  si  étrange  nature ,  que  quelques  ef- 
forts qu'on  fasse,  on  trouve  toujours  en  lui 
de  la  résistance.  Lorsqu'il  le  rend  plus  diffi- 
ede  à  manier,  il  se  porte  toujours  au  dessein 
qu'on  a  de  le  gagner,  il  s'irrite,  il  s'aigrit,  il 
se  désespère  dès  qu'on  veut  le  reprendre  ; 
de  là  tant  de  conditions  à  observer,  tant  de 
mesures,  tant  de  circonstances  à  ménager 
pour  le  corriger  avec  succès.  Il  faut  étudier 
son  inclination,  savoir  son  faible,  connaître 
son  caractère,  prendre  ses  bons  moments,  se 
comporter  avec  lui  comme  un  sage  médecin 
qui  n'ose  purger  un  malade  lorsqu'il  voit  ses 
humeurs  trop  émues,  mais  qui  attend,  dit 
saint  Ambroise  ,  la  saison  propre  où  il  peut 
recevoir  ,1a  purgation  avec  utilité.  L'erreur 
est  pernicieuse  si  on  prétend  le  reprendre 
sans  ordre,  sans  retenue.  Dieu  approuve  le 
zèle,  mais  il  veut  qu'il  soit  réglé  par  la  pru- 
dence, car  il  y  a  un  temps  pour  toutes  cho- 
ses que  la  sagesse  découvre  et  que  la  dis- 
crétion fait  ménager.  On  ne  reprend  pas  un 
homme  ivre  clans  la  chaleur  du  vin,  mais  on 
attend  que  le  sommeil  en  ait  abattu  les  fu- 
mées. M'allumez  pas,  dit  le  Saint-Esprit,  les 
charbons  des  pécheurs  en  les  reprenant,  de 
peur  que  le  feu  de  leurs  péchés  ne  vous  con- 
sume par  ses  flammes;  c'est-à-dire  ne  leur 
résistez  pas  en  face,  lorsqu'ils  seront  encoro 
tout  embrasés  du  feu  de  leurs  passions , 
parce  qu'ils  ne  s'appliqueraient  qu'à  tendre 
des  pièges  à  vos  paroles,  soit  en  rejetant  la 
vérité,  soit  en  s'efforçant  de  les  rendre  cri- 
minelles dans  votre  bouche,  pour  avoir  lieu 
de  se  justifier  eux-mêmes  dans  leurs  désor- 
dres. Il  n'est  pas  temps  de  reprendre  un  pé- 
cheur dans  l'emportement  de  sa  colère  :  les 
remontrances  ne  serviraient  qu'à  l'irriter 
davantage;  il  faut  attendre  qu'il  soit  rentré 
en  lui-même  et  devenu  capable  de  faire  ré- 
flexion sur  ce  qu'on  lui  dira.  La  prudence 
ne  précipite  rien  ,  |elle  ménage  le  temps  et 
les  circonstances,  elle  observe  les  conjonc- 
tures, aplanit  les  obstacles,  radouoit  les  d.f- 


889 


CAREME.  —  SERMON  XV,  DE  LA  CORRECTION  FRATERNELLE. 


890 


ficultés.  Jonathas  n'entreprend  pas  de  fléchir 
Saùl  quand  il  court  la  lance  à  la  main  pour 
percer  David,  mais  dès  qu'il  le  voit  plus 
tranquille,  il  lui  fait  connaître  l'injustice  de 
son  procédé,  et  détourne  si  à  propos  son  es- 
prit qu'il  en  tire  cette  parole  si  favorable  : 
Assurez  David  qu'il  ne  mourra  pas.  Admirez 
la  prudence  dont  usa  le  prophète  Nathan  à 
l'égard  de  David.  Ce  prophète  ne  va  pas 
avec  un  zèle  imprudent  le  reprendre  en  pu- 
blic de  ses  crimes  ,  il  ne  crie  pas  :  Ah  !  l'a- 
dultère 1  ahl  l'homicide  !  Il  s'adresse  à  lui 
en  particulier,  et  se  sert  d'une  parabole  pour 
ne  pas  aigrir  son  esprit;  il  l'épargne  dans 
un  discours  figuré  pour  l'obliger  à  confesser 
lui-même  sa  faute,  à  prononcer  l'arrêt  de  sa 
condamnation,  et  à  s'écrier  dans  l'amertume 
de  son  cœur  :  Peccavi  (II  Reg.,  XII),  j'ai  péché 
contre  le  Seigneur  1  Une  correction  ménagée 
avectantde  pruûencene  peutavoirqucd'heu- 
reux  succès,  au  lieu  que  celle  qui  manque  de 
cet  art  si  nécessaire  pour  la  rendre  utile,  est 
également  pernicieuse  à  celui  qui  la  fait  et 
à  celui  qui  la  reçoit.  Semblable  à  une  flèche 
qui,  étant  décochée  avec  violence  ,  revient 
avec  la  même  impétuosité  contre  celui  qui 
l'a  tirée,  dit  saint  Ambroise,  mais  la  prudence 
est  absolument  nécessaire  à  la  correction, 
la  douceur  est  une  deuxième  qualité  qu'elle 
doit  avoir.  La  charité,  dit  saint  Berr.ard,  est 
la  plus  tendre  et  la  plus  officieuse  de  toutes 
les  mères  :  elle  regarde  tous  les  hommes, 
dans  quelque  état  qu'ils  se  trouvent,  comme 
ses  enfants.  Quand  elle  console  les  affligés, 
c'est  avec,  une  affectueuse  simplicité  qui  ne 
reconnaît  point  d'artifices.  Quand  elle  assiste 
de  ses  biens  les  misérables,  c'est  avec  des 
secours  si  prompts  et  si  efficaces,  qu'elle  les 
tire  en  partie  de  leur  misère.  Enfin  quand 
elle  corrige  les  pécheurs ,  c'est  avec  une 
douceur  et  une  tendresse  qui  les  gagnent. 

2°  En  effet,  on  gagne  plutôt  un  homme  par 
la  douceur  que  par  la  rigueur;  l'esprit  natu- 
rellement libre  ne  se  gouverne  pas  par  la 
contrainte,  une  pluie  douce  s'insinue  aisé- 
ment dans  la  terre  et  la  rend  féconde ,  un 
violent  torrent  renverse  tout  au  lieu  d'y  ap- 
porter quelque  profit ,  la  correction  qui  est 
faite  avec  douceur  est  plus  utile  que  celle 
qui  est  faite  avec  emportement  :  la  première 
inspire  le  repentir,  et  la  deuxième  excite 
l'indignation  ;  celle-ci  n'a  que  le  dessein  de 
nuire,  celle-là  n'a  que  le  dessein  de  corriger 
sans  aigrir  l'esprit  par  une  rigoureuse  ré- 
sistance, elle  le  gagne  par  ses  charmes,  l'a- 
paise, l'adoucit. 

Selon  l'avis  que  les  conseillers  de  Roboam 
donnèrent  au  prince  :  si  vous  voulez  apai- 
ser le  peuple,  traitez-le  avec  douceur,  il 
vous  sera  éternellement  soumis.  C'est  pour- 
quoi l'Apôtre,  instruisant  ceux  à  qui  le  salut 
des  âmes  est  confié,  dans  la  personne  de  son 
disciple  Timotbée*  pour  remplir  dignement 
son  ministère,  lui  recommandait  en  toutes 
choses  la  douceur,  comme  celle  de  toutes 
les  vertus  qui.  était  la  plus  propre  à  attirer 
les  bénédictions  du  ciel  sur  ses  travaux. 
L'Apôtre  veut  qu'il  ait  pour  ses  frères  des 
ent:fii!!es  de  charité  toujours  prêtes  à  ré- 


pandre, pour  leur  édification  et  leur  salut,  la 
douceur  du  lait  dont  elles  sont  pleines,  et  le 
miel  qui  est  sur  ses  lèvres  :  Reprenez,  pres- 
sez, sollicitez,  poursuivez,  corrigez,  mais  en 
même  temps,  ajoute-t-il,  conjurez  et  priez. 
(I  Tim.,  IV.)  Avec  quelle  manière  compatit- 
il  lui-même  quand  il  fut  obligé  d'excommu- 
nier cet  infâme  Corinthien  qui  avait  désho- 
noré sa  patrie,  et  commis  un  crime  que  la 
sainteté  de  la  chaire  ne  permet  pas  de  nom* 
mer?Illefit  d'une  manière  si  particulière, 
et  avec  un  si  grand  témoignage  d'amour  et 
de  charité,  qu'il  lui  fit  reconnaître  l'énor- 
mité  de  son  crime,  non  pas  comme  un  juge  sé- 
vère, mais  comme  un  père  tendre  qui  ne 
veut  pas  perdre  son  enfant,  et  qui  ne  lui 
montre  sa  faute  que  pour  le  rendre  plus 
parfait.  Le  prophète  Elie  ne  ressuscita  que 
par  la  douceur  de  son  souffle  l'enfant  de  la 
Sunamite,  que  son  disciple  n'avait  pu  faire 
revivre  par  la  vertu  de  son  bâton  :  sur  quoi 
saint  Grégoire  fait  cette  belle  réflexion,  que  la 
crainte  figurée  par  le  bâton  fit  place  à  l'amosr, 
et  que  celui  que  cette  même  crainte  n'aurait 
pu  ressusciter  reçut  la  vie  par  l'amour  et  la 
douceur  de  l'esprit  du  prophète.  La  femme 
surprise  en  adultère  étant  présentée  par  les 
Juifs  à  Jésus-Christ,  charmée  de  la  bonté 
qu'il  eut  pour  elle,  fut  pénétrée  de  regret 
pour  son  péché,  lorsqu'elle  vit  que  bien  loin 
de  la  dédaigner  par  une  fière  et  orgueilleuse 
vertu,  il  la  prit  sous  sa  protection  et  fit  son 
apologie  ;  elle  ne  peut  résister  à  tant  de 
bonté,  à  tant  de  douceur,  et  le  Sauveur  du 
monde  trouva  le  secret  de  la  convertir  en  la 
défendant  contre  les  invectives  des  phari- 
siens, en  compatissant  à  sa  faiblesse  et  en  la 
traitant  avec  douceur.  Les  apôtres,  dit  saint 
Chrysosto'me,  ne  convertirent  toute  la  terre 
que  par  la  douceur  ue  l'Evangile,  et  saint 
Pierre  ne  se  rendit  maître  du  cœur  des  Juifs 
que  par  la  force  et  la  douceur  de  son  élo- 
quence ,  il  ne  les  étonna  pas  en  leur  repro- 
chant leur  ingratitude  et  leur,  perfidie 
d'avoir  crucifié  leur  Dieu  ;  il  n'avait  garde  de 
leur  témoigner  qu'il  les  considérait  comme 
les  homicides  du  Messie,  il  tache  au  con- 
traire d'adourir  leur  esprit  en  excusant  leur 
péché,  en  l'attribuant  à  leur  ignorance  ,  et 
en  leur  montrant  même  qu'il  fallait  que  les 
choses  se  passassent  de  la  sorte,  puisqu'elles 
avaient  été  prédites  par  ics  prophètes. 

Telle  est  la  règle  que  nous  devons  garder 
en  reprenant  nos  frères  ;  il  faut  nous  insinuer 
par  douceur  dans  leur  esprit,  ils  sont  malades 
et  nous  sommes  leurs  médecins  spirituels, 
dit  sa'nt  Grégoire  ;  il  faut  donc,  avant  que  de 
leur  faire  une  douloureuse  incision,  leur  mon- 
trer par  notre  charité  que  nous  ne  venons 
qu'à  dessein  de  les  guérir  et  d'adoucir  par 
la  douceur  de  la  charité  ces  remontrances 
amères  que  nous  voulons  leur  donner.  Voyez 
de  quelle  manière  le  prophète  Elisée  cor- 
rigea l'amertume  des  herbes  que  ses  disciples 
avaient  servies  aux  enfants  des  prophètes; 
il  versa  quantité  de  farine  dessus,  et  les  ren- 
diî,  par  ce  moyen,  si  douces  que  tout  le 
monde  en  mangea.  (IV  Reg.,  IV.) 

La  correction  qu'on  peut  nous  foire  es| 


891 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SURIAX. 


892 


aussi  arrière  que  les  herbes  que  servirent  les 
cisciples'diEhsée  aux  enfants  des  prophètes; 
notre  vanité,  notre  amour-propre,  notre  pré- 
somption nous  empêchant  de  goûter  les  paro- 
les dévie;  mais  la  charité,  figurée  par  la  farine 
du  prophète,  est  capable  d'adoucir  Lamer- 
tume  de  nos  remontrances  sans  nous  laisser 
emporter  à  un  zèle  indiscret,  ou  nous  aban- 
donner à  une  charité  précipitée,  sans  em- 
ployer ni  la  rigueur  des  termes  aigres,  ni 
la  fureur  des  invectives,  ni  la  sévérité  des 
menaces;  représentons  à  nos  frères  leurs 
fautes  avec  douceur,  et  pour  les  persuader 
avec  plus  de  force,  souvenons-nous  que  la 
charité  doit  régler  notre  correction  pour 
la  rendre  utile,  c'est  la  troisième  règle  de  la 
correction  fraternelle,  et  dont  les  premiers 
chrétiens  ont  donné  l'exemple. 

3°  Ils  s'opposaient,  à  la  vérité,  aux  vices  de 
leur  siècle,  n'en  pouvant  souffrir  les  désor- 
dres; mais  c'était  par  des  vertus  contraires 
au  libertinage  auquel  ils  s'opposaient,  c'était 
par  leur  sainte  vie  qu'ils  reprenaient  celles 
des  autres,  c'était  par  de  bons  exemples,  par 
des  discours  édifiants  qu'ils  entreprenaient 
de  les  réformer.  Le  momie  même  de  nos  jours 
voit  tout  au  contraire  qu'il  s'est  élevé  dans 
l'Eglise  une  espèce  de  chrétiens  qui,  affec- 
tant un  air  extérieur  de  réforme,  s'imaginent 
que  de  fausses  apparences  de  vertu  leur  suf- 
lisent  pour  censurer  toutes  les  actions  du 
genre  humain;  des  esprits  chagrins  par  tem- 
pérament dont  la  passion  se  change  souvent 
en  zèle;  des  censeurs  rigoureux  de  tout  ce 
qui  n'est  pas  selon  leur  idée,  jamais  contents 
des  autres  ni  d'eux-mêmes,  qui,  semblables 
aux  vagues  de  la  mer  qui  rejettent  sans  cesse 
leur  écume,  rejettent  sans  cesse  leur  amer- 
tume sur  ceux  dont  ils  censurent  la  conduite 
pendant  que  la  leur  est  si  sujette  h  la  cen- 
sure, bien  éloignés  de  s'appliquer  l'avis  im- 
portant que  saint  Paul  donne  à  son  disciple 
Timothée,  de  prendre  garde  à  soi  et  à  sa  doc- 
trine, de  n'entreprendre  pas  de  réformer  les 
autres   sans  se    réformer  auparavant   eux- 
mêmes.  Curieux  de  porter  leur  vue  sur  tout 
ce  qui  se  passe  au  dehors  sans  jamais  réflé- 
chir sur  ce  qui  se  passe  au  dedans  d'eux,  tour- 
nant les  yeux  comme  la  femme  de  Lot  vers 
Sodome,  dont  ils  regardent  en  gémissant  la 
triste  ruine,  et  bouchant  l'oreille  à  la  voix 
de  l'ange  qui  leur  crie  d'en  sortir  ;  inquiets, 
affligés  de  voir  régner  une  infinité  d'abus 
dans  le  monde,  ils  s'arrêtent  à  les  condamner 
sans  penser  qu'ils  contribuent  eux-mêmes  à 
cette  dépravation  générale  par  leurs  désor- 
dres particuliers.  Aveugles  qu'ils  sont,  ils 
distinguent  une  paille  dans  les  yeux  de  leur 
frère,  et  ils  lie  voient  pas  une  poutre  qui 
crève  les  leurs;  ils  tiennent  toujours  la  main 
levée  contre  les  autres,  et  n'aperçoivent  pas 
le  doigt  de  leur  conscience  qui  écrit  dans  le 
secret  leurs  propres  péchés. Toujours  occupés 
des  affaires   étrangères  et  toujours  fugit;fs 
de  leur  propre  cœur,  semblables  à  un  torrent 
qui  répand  ses  eaux  dans  la  campagne,  et 
qui  laisse  son  propre  lit  vide  par  la  séche- 
resse. 
Est-ce  ainsi,  indignes  critiques,  que  vous 


remplissez  le  devoir  de  la  correction  frater- 
nelle? Oh!  si  c'est  la  charité  qui  vous  porte 
à  reprendre  les  autres,  usez-en  auparavant  en- 
vers vous-mêmes  et  condamnez  votre  propre 
péché,  qui  est  plus  grand  et  plus  visible  que 
ceux  que  vous  condamnez;  appliquez-vous 
tellement  à  vous  connaître  vous-mêmes  qu'il 
ne  vous  reste  plus  de  temps  pour  examiner 
les  défauts  des  autres;  appliquez  un  appareil 
à  vos  blessures  avant  que  d'en  appliquer  à 
celles  de  vos  frères;  souvenez-vous  enfin  que, 
pour  avoir  droit  de  faire  la  correction  et  pour 
la  faire  avec  sainteté,  il  faut  être  soi-même 
irrépréhensible. 

Je  finis  avec  cette  réflexion.  Le  prophète 
Samuel,  voulant  reprocher  aux  Juifs    leur 
perfidie  et  leur  ingratitude  à  l'égard  de  Dieu, 
qui  les  avait  comblés  de  tant  de  biens,  de- 
manda le  témoignage  de  ce  peuple,  et  les  fit 
convenir  de  son  équité  et  de  son  innocence 
pour  avoir  lieu  de  lui  représenter  son  crime  ; 
il  y  a  longtemps,  lui  dit-il,  que  je  vis  avec 
vous,  vous  savez  l'éducation  que  j'ai  donnée 
à  mes  enfants,  et  vous  avez  été  témoins  de 
toutes  les  actions  de  ma  vie,  présentement 
que  je  suis  sur  le  déclin  de  l'âge  près  de 
rendre  compte  à  Dieu  des  talents  qu'il  m'a 
confiés  ;  dites,  je  vous  prie,  ce  que  vous  pensez 
de  moi?  Est-il  quelqu  un  qui  trouve  quelque 
chose  à  reprendre  dans  ma  conduite?  Est-il 
quelqu'un  qui  puisse  me  taxer  de  larcin,  de 
violence,  d'injustice.  — Non,  répondit  le  peu- 
ple, vous  êtes  irréprochable,  nous  en  conve- 
nons, et  il  ne  vous  est  jamais  arrivé  de  nous 
avoir  maltraité.  —Eh bien!  dit  Samuel,  après 
en  avoir  appelé  à  votre  jugement,  venez  pré- 
sentement que  je  vous  reprenne  et  que  je 
vous  juge  :  Nunc  ergo  state  ut  judicio  cen- 
lendam  adversus   vos.    (I  Reg.,    XII.)   Vous 
souvenez-vous  des  grâces  que  Dieu  vous  a 
faites.  Quoi!  lâches  ingrats,  avez-vous  oublié 
les  prodiges  qu'il  a  faits  pour  tirer  vos  pères 
du    cruel   esclavage  et  de  la  servitude  de 
l'Egypte?  De  combien  de  faveurs  ne  vous 
a-t-il  pas  prévenus  vous-mêmes,  et  cepen- 
dant vous  avez  oublié,  méprisé,  abandonné 
un  tel  maître?  Nunc  ergo  state  ut  judicio 
contendam  adversus  vos. 

Ainsi,  devez-vous  à  l'exemple  de  ce  saint 
homme  reprendre  vos  frères  après  en  avoir 
appelé  à  leur  propre  jugement.  Ainsi,  devez- 
vous  vous  consulter  vous-mêmes  et  examiner 
votre  propre  conduite  avant  que  de  censurer 
celle  des  autres;  éteindre  le  feu  de  votre 
propre  maison ,  avant  que  de  répandre  de 
l'eau  sur  celle  de  votre  voisin  qui  brûle; 
assister  vos  frères  qui  pèchent  par  vos  priè- 
res, par  vos  bons  exemples;  demander  à 
Dieu  leur  conversion,  le  prier  de  leur  donner 
un  cœur  pur  et  un  esprit  nouveau,  afin  qu'ils 
le  glorifient  avec  vous  sur  la  terre  et  dans  le 
ciel  par  la  participation  de  la  gloire  que  je 
vous  souhaite  au  nom  du  Père,  du  Fils  et  du 
Saint-Esprit-  Amen. 


833 


CAREME.  —  SERMON  XVI,  DU  SCANDALE 
SERMON  XVI. 


894 


DU  SCANDALE. 

Tune  accédantes  dfacipuli  ejus  dixerunt  'ei  :  Scis  quia 
phirisœi,  audilo  verbo  hoc,  scandalizali  sunt  ?  (Maltli., 
XV.) 

Alors  ses  disciples  s'approclianl  de  lui,  lui  dirent  :  Sei- 
gneur, savez-vous  que  les  pliarisiens  ayant  entendu  ce  que 
vous  venez  de  dire,  s'en  sont  scandalisés  ? 

Origène,  ayant  à  faire  l'apologie  de  la  foi, 
et  à  réparer  les  calomnies  dont  un  païen 
l'avait  chargé ,  insiste  principalement  sur  la 
vie  exemplaire  des  chrétiens,  et  tire  du  ta- 
bleau de  leurs  vertus  la  preuve  la  plus  forte 
de  la  vérité  de  la  religion. 

Mais  où  nous  mènerait  aujourd'hui  ce  rai- 
sonnement, et  combien  serait-il  fatal  à  notre 
sainte  religion,  si  nous  voulions  nous  en 
servir?  N'aurait-on  pas  droit  de  le  rétorquer 
contre  vous,  et  de  le  tourner  à  la  ruine  et  à 
l'extirpation  de  notre  foi?  N'avez-vous  pas 
rompu  ce  divin  sceau  et  dépouillé  l'Evan- 
gile de  cette  démonstration  convaincante? 
Vos  mœurs  sont-elles  comme  elles  étaient 
autrefois,  une  infusion  de  votre  créance? 
votre  conduire  répond-elle  à  la  sainteté  de 
votre  profession?  vos  œuvres  font -elles 
honneur  à  vos  sentiments,  et,  du  gros  de 
votre  vie,  résulte-t-il  une  preuve  en  faveur 
de  votre  culte. 

Au  contraire,  le  mauvais  exemple  n'a-t-il 
pas  pris  la  place  de  l'édification?  Hélas! 
Messieurs,  vous  ne  le  savez  que  'trop, 
rien  n'est  plus  commun,  parmi  les  chré- 
tiens, que  le  scandale.  Le  vice  l'emporte  de 
beaucoup  sur  la  vertu,  le  mal  y  prévaut  sur 
le  bien,  l'éclat  de  la  vérité  s'y  trouve  presque 
tout  à  fait  obscurci  ;  cette  lumière,  dont  parle 
l'Evangile,  qui  doit  sortir  de  chacun  de  vous, 
que  vous  devez  faire  briller  aux  yeux  des 
autres  pour  les  conduire,  et  qui  doit  les 
porter  à  rendre  h  Dieu  et  au  prochain  ce 
qu'ils  leur  doivent,  ne  se  montre  presque 
plus  nulle  part.  Si  on  se  produit  au  dehors, 
c'est  pour  souffler  le  venin  et  la  contagion  ; 
si  on  se  resserre  au  dedans,  c'est  pour  étu- 
dier les  moyens  de  rompre  toute  digue,  de 
n'avoir  plus  de  frein  dans  ses  désirs.  On 
s'excite  l'un  l'autre  à  lever  l'étendard  du 
crime,  à  consacrer  l'anathème  du  péché,  et 
à  ne  plus  regarder  comme  honteux  les  vices 
les  plus  détestables.  Les  grands  désordres,  si 
déplores  par  un  prophète,  infectent  plus  que 
jamais  le  siècle  où  nous  vivons,  et  encore 
aujourd'hui,  comme  du  temps  d'Osée,  la  ma- 
lédiction et  le  mensonge,  l'adultère  et  l'im- 
piété, l'homicide  et  les  trahisons,  les  vols 
et  les  concussions,  les  fornications  et  les 
vengeances,  le  luxe  et  l'intempérance  se 
montrent  partout  tête  levée;  l'iniquité  qui 
inonde  la  terre  ne  peut  plus  se  celer;  c'est 
un  torrent  qui,  coulant  avec  impétuosité, 
entraîne  tout  après  soi,  et  l'on  ne  rougit  pres- 
que plus  d'aucun  de  ces  vices  odieux  dont 
le  nom  seul  était  en  horreur  à  nos  pères  : 
Maledictum  et  mendacium,  et  homicidiam,  et 
fttrtum,  et  adulterium  invenerunt  et  sanguis 
sanguinem  t&ligit.  (Ose.,  IV.) 

Voilà  ce  qui  nous  fait  entrer  dans  une 


sainte  indignation,  et  ce  qui  demande  toute 
la  vivacité  du  ministère  évangélique  ;  voilà 
une  corruption  portée  à  son  comble,  et 
contre  qui  les  pierres  de  la  maison  de  Dieu 
s'élèveraient,  si  nous  gardions  le  silence. 
Parlons  donc  en  ce  jour,  et  parlons  dans  un 
lieu  fait  de  la  main  des  hommes;  mais  dans 
le  cœur  du  chrétien,  ce  sanctuaire  vivant, 
dont  le  Seigneur  est  l'architecte,  et  sur  votre 
front,  où  est  gravée  l'image  du  Sauveur, 
rendons  à  Dieu  tout  l'honneur  qui  lui  est 
dû,  et  à  l'homme  tous  les  secours  qu'il  at-> 
tend  de  nous,  en  rappelant  l'amour  de  la 
vertu  sur  la  terre,  dont  elle  est  presque  en<- 
tièrement  exilée;  c'est  ce  que  je  vais  pro- 
poser de  faire  par  deux  raisons  suivies  de 
deux  conséquences  qui  vont  partager  ce- 
discours.  Le  scandale  fait  à  Dieu  l'injure  la 
plus  atroce;  donc  de  tous  les  péchés  il  est 
le  plus  énorme  :  première  raison,  première 
conséquence,  et  la  première  partie  de  ce 
discours.  Dieu,  de  son  côté,  exige  du  scan^ 
dale  la  pénitence  la  plus  rigoureuse;  donc 
de  tous  les  crimes  le  scandale  est  le  plus 
difficile  à  expier  :  seconde  raison,  seconde 
conséquence,  et  la  seconde  partie  de  ce  dis- 
cours. Le  scandale  est  un  crime  très-énorme  ; 
c'est  un  crime  très-difficile  à  expier  :  voilà 
tout  mon  dessein  qui  mérite  toute  votre  at- 
tention, et  si  l'on  vous  parle  aujourd'hui 
avec  quelque  véhémence,  prenez-vous-en  à 
la  matière  qui  y  porte  comme  nécessaire- 
ment; ce  sont  les  désordres  de  la  saison  et 
du  siècle  qui  le  demandent;  mais  pour  en 
profiter,  tAchons  d'obtenir  pour  nous  la  pa- 
tience d'écouter  la  vérité,  et  pour  moi  la 
force  de  la  dire  ;  c'est  ce  que  nous  vous  de- 
mandons, Esprit-Saint,  par  l'intercession  de 
Marie.  Ave,  Maria. 

PREMIER    POINT. 

Je  dis,  chrétiens,  que  le  scandale  fait 
à  Dieu  l'injure  la  plus  fatroce.  Pourquoi  ? 
Parce  qu'en  même  temps  et  d'un  seul  coup 
il  anéantit  la  loi  et  les  prophètes;  il  viole 
les  deux  grands  préceptes  qui  les  contien- 
nent en  substance  ;  il  brave  la  majesté  divine 
et  détruit  sa  véritable  image,  c'est-à-dire 
qu'il  joint  l'impiété  déclarée  à  l'homicide 
spirituel  ;  il  attaque  Dieu  dans  sa  gloire,  qui 
est  ce  qu'il  a  de  plus  cher;  il  insulte  le  pro- 
chain dans  son  âme,  qui  est  ce  qu'il  a  de 
plus  précieux. 

En  effet,  le  pécheur  scandaleux  n'est 
point  un  de  ces  esprits  ou  faibles,  ou  mé- 
diocres, qui  demande  qu'on  lui  rende  un 
compte  à  sa  portée  de  nos  mystères,  et  qui, 
faute  de  science  plutôt  que  de  soumission^ 
confond  ce  qui  est  du  ressort  de  la  raison 
naturelle  avec  ce  qui  n'en  est  pas.  Ce  n'est 
po'nt  seulement  un  de  ces  esprits  philoso- 
phes qui  se  révolte  contre  ce  que  la  foi  chré- 
tienne a  d'obscur  et  de  ténébreux,  dogma- 
tise en  cachette  pour  disputer  en  public, 
réforme  la  religion  au  gré  de  ses  désirs,  en 
substitue  une  nouvelle  à  la  place  de  celle  de 
Jésus-Christ.  Ce  n'est  point  seulement  un  de 
ces  timides  esprits  faibles  qui  se  demande  à 
lui-môme,  et  qui  demande  tout  bas  aux  au- 


S93 


très  :  A  quoi  devons-nous 
que  penserons-nous  de  tant  de  mystères  que 
nous  ne  comprenons  pas?  qui  s'étonne  en 
secret  qu'un  Dieuait  voulu  s'anéantir  sous  de 
viles  espèces  pour  nous  donner  sa  chair  à 
manger  dans  l'Eucharistie,  qui  trouve  confi- 
dentiellement à  redire  à  l'obscurité  de  la 
naissance  du  Sauveur,  qui  se  scandalise  se- 
crètement de  l'incarnation  du  Verbe,  de  la 
passion  de  Jésus-Christ,  et  débauche  sans 
bruit  quelques  âmes,  qu'il  entretient  dans 
l'erreur  avec  lui.  Mais  un  scandaleux,  ce 
sera  tantôt  un  de  ces  libertins  qui[tournera  la 
religion  en  ridicule,  qui  raillera  la  simpli- 
cité de  ceux  qui  croient  à  nos  mystères,  qui 
prendra  un  air  de  componction  et  de 
piété  pour  quiconque  ne  sera  pas  infatué 
comme  lui  de  ses  illusions  et  de  ses  rêve- 
ries; qui  nommera  faiblesse  ce  qui  est  .pas- 
sion, qui  appellera  tempérament  et  nature 
la  corruption  et  l'habitude  la  plus  désespé- 
rée; tantôt  ce  sera  un  ennemi  de  la  dévotion 
et  de  la  piété  qui  les  attaquera  ouverte- 
ment, qui  les  traitera  d'amusement  des  gens 
oisifs,  de  partage  des  simples,  de  retour  de 
l'âge,  de  dégoût  de  la  vie  mondaine,  d'hy- 
pocrisie, de  politique  et  de  pratique  austère 
toujours  redoutable  à  la  nature  et  nuisible  au 
bien  public;  tantôt  ce  sera  une  bouche  ha- 
cile  aux  blasphèmes,  aux  jurements,  et 
toute  remplie  du  venin  de  l'aspic,  qui  parle 
par  avance  le  langage  des  démons,  qui  ne 
s'ouvre  qu'aux  mensonges  et  aux  calomnies, 
accusant  Dieu  même,  se  soulevant  contre 
ses  divins  attributs,  injuriant  ses  saints,  in- 
sultant à  sa  religion,  à  sa  loi,  à  ses  sacre- 
ments. Tantôt  ce  sera  vous-même  qui  débi- 
terez des  maximes  fatales  à  l'innocence  de 
votre  frère,  qui  lui  tendrez  des  pièges  dans 
vos  discours,  qui  lui  aplanirez  artificieuse- 
ment  toutes  les  voies  du  péché,  qui  étouffe- 
rez ce  qui  nous  restait  de  religion  en  sa 
présence  ;  qui,  mettant  à  l'épreuve  sa  pu- 
deur, lui  proposerez  les  desseins  les  plus 
honteux,  lui  chanterez  des  chansons  immo- 
destes, lui  raconterez  mille  histoires  de  ga- 
lanterie, mille  exemples  de  fragilité  [  our  les 
lui  faire  aimer.;  qui  lui  augmenterez  le  plai- 
sir de  la  transgression,  et  lui  diminuerez  la 
reine  des  remords  qui  y  sont  attachés;  qui 
lui  représenterez  la  religion  seulement  op- 
posée à  la  brutalité  du  peuple,  mais  non  pas 
à  la  délicatesse  des  honnêtes  gens;  qui  tire- 
rez de  l'Evangile  même  des  armes  contre 
l'Evangile,  oui  ferez  servir  les  sacrements  à 
nourrir  votre  intérêt  et  a  •'  ontenter  vos  pas- 
sions; tantôt  ce  sera  vous  qui  insulterez 
Dieu  jusqu'aux  pieds  de  ses  autels,  et  qui 
changerez,  par  vos  irrévérences,  son  saint 
temple  en  une  maison  profane;  qui  désho- 
norerez publiquement  nos  églises,  je  ne  dis 
pas  seulement  en  y  entrant  •précipitamment 
e>  sans  préparation,  en  v  demeurant  sans  at- 
tention et  sans  respect/mais  en  y  tenant  des 
discours  purement  se  uliers,  mais  en  y  bra- 
vant la  majesté  suprême  par  des  postures 
indécentes,  par  des  nudités  honteuses,  par 
un  luxe  profane  et  par  le  mépris  le  plus 
marqué;  mais  en  y  faisant  hommage  à  la 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SUR1AN.  896 

nous  en  tenir?     créature  en  présence  et  dans  la  maison  même 


du  Créateur;  en  rendant  inaccessibles,  par  la 
pompe  et  le  faste  mondain,  des  sanctuaires 
qu'on  ne  doit  approcher  qu'en  tremblant  et 
avec  humilité,  en  faisant  amèrement  pleurer 
les  anges  de.  paix,  trop  faibles  encore  et  trop 
peu  vigilants  pour  arrêter  tant  de  désordres. 

Mais  l'endroit  où  le  scandale  attaque  Dieu 
avec  plus  d'insolence,  où  il  triomphe  le  plus 
impunément,  est  dans  les  spectacles  profanes. 
En  effet,  pour  dire  quelque  chose  de  précis 
sur  cet  article  si  essentiel,  qu'est-ce  que  le 
théâtre  d'aujourd'hui?  et  parmi  nous,  est-ce 
autre  chose  qu'une  chaire  païenne,  où  l'on 
enseigne  toutes  sortes  de  passions  et  de  vi- 
ces, un  apprentissage  de  dissolutions  et  de 
débauches,  un  cercle  d'intrigues  et  d'impu- 
dicités?  Car  raisonnons  un  moment  d'une 
manière  sensible  sans  prévention  sur  ce  su- 
jet ,  ne  trouverons-nous  pas  que  tous,  ou 
presque  tous  les  objets  qui  y  paraissent,  les 
vers  qu'on  y  débite,  les  airs' qu'on  y  entend, 
ne  tendent  qu'à  allumer  le  feu  de  l'amour 
dans  un  cœur;  ce  n'est  pas  de  cet  amour  au- 
le  torisé  par  l'Evangile,  commandé  par  le  Sei- 
gneur, fortifié  par  les  sacrements.  Hélas!, 
celui-ci  est  le  sujet  le  plus  ordinaire  des 
•railleries  du  théâtre  :  c'est  donc  l'amour  cri- 
minel de  la  fornication  et  de  l'adultère  que 
l'on  y  prêche  et  que  l'on  veut  nous  inspirer  ? 
Ces  termes  si  doux  :  il  faut  aimer,  se  laisser 
enflammer,  la  jeunesse  est  la  saison  des 
plaisirs;  ces  paroles  et  mille  autres  que 
nous  ne  savons  que  trop,  et  que  je  fais  gloire 
d'ignorer,  pour  être  réduites  à  leur  juste 
valeur  et  a  leur  sens  propre ,  ne  vous  disent- 
elles  pas:  il  faut  vous  dépouiller  de  toute  pu- 
deur, franchir  les  bornes  de  toute  retenue, 
se  livrer  au  gré  de  ses  désirs,  satisfaire  ses. 
passions,  se  plonger  dans  les  plus  sales  vo- 
luptés, user  de  tous  les  moyens  qui  peuvent 
y  conduire. 

Ah!  si  cela  était,  que  deviendrait  donc  le 
précepte  de  l'Eglise,  qui  ordonne  de  s'accu- 
ser d'une  mauvaise  pensée,  d'éloigner  de 
soi  tant  de  désirs  charnels,  de  rougir  d'un 
seul  mouvement  naturel,  d'aller  au-devant 
d'une  impression  dangereuse,  de  se  couper 
le  pied,  l'œil,  la  main,  quand  ils  nous  scan- 
dalisent (Maiih.,  V),  de  -fuir  jusqu'à  son 
père, sa  mère, ses  proches,  s'ils  nous  donnent 
de  mauvais  exemples,  de  souffrir  le  martyre 
pour  la  confession  de  Jésus-Christ,  d'éviter 
jusqu'aux  moindres  occasions  de  péché,  de 
plutôt  mourir  que  d'offenser  le  Seigneur? 
Eh!  que  nous  veulent  donc  dire  les  violen- 
ces d'un  Paul,  les  austérités  d'un  Jérôme, 
la  solitude  d'un  Antoine,  les  épines  d'un 
Benoît,  les  mortifications  d'un  François,  les 
oraisons  ferventes  d'un  François  d'Aquin? 
Ah!  votre  chair  porte-t-clle  les  stigmates 
de  Jésus-Christ  comme  le  grand  Apôtre  ?  por- 
te-t-elle  tous  les  dégoûts  de  la  solitude, 
comme  fit  saint  Jérôme  ?  se  punit-elle  sur 
elle-même  d'un  regard  inconsidéré,  d'un  sou- 
venir trop  agréable,  d'une  tentation  délicate, 
comme  tous  les  grands  saints  dont  je  viens 
de  vous  parler?  Quelques  précautions  qu'ils 
prissent  pour  éloigner  d'eux  tout  péché,  ils 


897 


CAROÏE.  —  SERMON  XVI,  DÛ  SCANDALE. 


898 


ne  croyaient  cependant  jamais  assez  crucifier 
leur  chair,  ils  la  chargeaient  impitoyable- 
ment de  haires  et  de  cilices,  ils  la  reléguaient 
dans  les  déserts  les  plus  affreux,  la  condam- 
naient à  des  retraites,  à  des  prières,  à  des 
méditations,  à  des  combats,  à  des  jeûnes  sans 
adoucissement  et  sans  fin.  La  vôtre  est-elle 
donc  soumise  à  un  autre  chef,à  un  autre  évan- 
gile? votre  corps  n'est-il  pas,  comme  le  leur, 
un  corps  de  mort?  l'ange  de  Satan  ne  resni- 
re-t-il  pas  en  vous,  et  n'éprouvez-vous  pas  les 
mêmes,  que  dis-je?  de  plus  fréquentes  et  de 
plus  dangereuses  tentations?  D'où  vient  donc 
qu'au  milieu  des  périls  vous  demeuriez 
indifférents  et  tranquilles  pendant  que  ces 
grands  saints,  au  fond  d'un  saint  asile,  ont 
toujours  cru  devoir  être  dans  la  crainte  et 
dans  la  vigilance?  Dieu  vous  a-t-il  promis 
qu'il  renouvellera  en  vous  le  fameux  mira- 
cle de  la  fournaise,  que  vous  échapperez  des 
périls  où  vous  vous  exposez,  qu'au  milieu 
des  occasions  et  des  attraits  de  l'impureté 
vous  vous  conserverez  chastes?  que,  joignant 
sans  relâche  à  une  chair  délicate,  à  un  tem- 
pérament tout  de  feu ,  à  des  idées  peut- 
être  encore  toutes  récentes  du  vice,  le  dé- 
plorable enchantement  des  assemblées  mon- 
daines, des  spectacles  profanes  où  le  poison 
mortel  est  d'autant  plus  à  craindre  qu'il 
s'écoule  plus  agréablement  dans  votre  cœur? 
Pouvez-vous,  en  cette  situation,  vous  pro- 
mettre qu'il  ne  se  passe  rien  en  vous  qui 
déplaise  au  Dieu  de  pureté,  qui  cause  en 
vous  le  crime  ou  qui  vous  y  conduise? 

Ahl  que  je  crains  que  cette  prétendue 
vertu  sur  laquelle  vous  comptez  ne  soit  un 
endurcissement;  loin  de  vous  croire  inno- 
cent parmi  tant  de  dangers,  qu'il  y  a  bien 
plus  d'apparence,  au  contraire,  que  votre 
chasteté  est  une  véritable  gangrène  qui  ne 
peut  plus  se  guérir  que  par  le  fer  et  le  feu 
que  nous  voulons  y  appliquer;  que  votre 
prétendue  force  est  une  véritable  faiblesse, 
votre  vie  intérieure  qu'une  mort  certaine, 
votre  tranquillité  sur  le  salut  qu'une  répro- 
bation commencée  et  anticipée,  presque 
scellée  par  votre  présomption  et  par  votre  té- 
mérité; que  la  religion,  la  raison  et  l'expé- 
rience sont  toutes  désespérantes  pour  nous. 
Voilà  ce  qui  résulte  de  ma  première  preuve  : 
le  scandale  attaque  Dieu  dans  sa  gloire,  ce 
qu'il  a  de  plus  cher  ;  en  voici  une  seconde 
qui  ne  fait  pas  moins  connaître  son  énor- 
in  té,  c'est  qu'il  tue  le  prochain  dans  son 
âme,  ce  qu'il  a  de  plus  précieux. 

11  y  a  un  double  penchant  dans  l'homme  : 
le  premier  est  au  péché:  l'Evangile  en  fait 
foi;  le  deuxième  est  à  une  passion  plutôt 
qu'à  une  autre,  et  le  monde  en  est  la 
preuve.  Le  scandale  pousse  donc  une  âme 
par  un  double  effort  sur  ces  deux  faibles 
principaux  :  d'une  part  il  aggrave. le  poids 
qui  l'entraîne  au  péché,  il  lui  facilite  les 
voies,  et  lui  en  rappelle  l'idée  ;  de  l'autre  il 
enflamme  sa  passion  pour  le  porter  à  imiter 
ce  qu'il  voit,  et  lui  en  présente  une  manière 
facile.  Ainsi  une  personne,  par  ses  parures 
immodestes  et  par  son  luxe,  inspire  aux  au- 
tres les  parures  et  les  porte  à  se  parer  comme 


elle,  ce  qui  a  fait  dire  à  quelques  Pères  de 
l'Eglise  que  le  scandale  est  l'instrument  le 
plus  fatal  au  salut.  Oui,  Messieurs,  les  pa- 
rures sont  un  piège  à  l'innocence,  et  un 
scandale  qui  entraine  au  péché.  Un  air  trop 
mondain,  un  trop  grand  soin  de  rehausser  ce 
que  la  nature  nous  a  donné,  une  affectation 
d'exposer  un  honteux  étalage  aux  yeux  de 
son  prochain  :  les  yeux  éblouis  font  taire  la 
raison,  et  les  sens  charmés  n'écoutent  point 
la  religion;  et  delà  le  péché  qui  habite  en 
nous  se  réveille,  la  chair  se  révolte;  comme 
à  la  première  considération  que  l'on  a  pour 
vous,  notre  amour-propre  se  réveilie,  de 
même  aussi,  en  considérant  les  autres,  vous 
vous  trouvez  excités.  L'attention,  la  chute, 
le  vice,  tout  cela  se  suit  de  si  près  dans 
cette  triste  matière,  tout  s'y  ressemble  si 
fort,  tout  s'y  aperçoit  si  peu,  que  presque 
toujours  on  tombe  et  sans  le  savoir  ;  qu'or- 
dinairement la  grâce  se  retire  d'un  cœur  dès 
que  les  sens  sont  frappés  de  l'image  du 
crime;  qu'à  peine  se  sent-on  effleuré  qu'on 
est  percé  d'un  trait  mortel;  que  l'adultère 
devienne,  par  un  seul  regard,  l'affection  do-» 
minante,  et  que  tel  qui  paraît  seulement 
compatissant  aux  désordres  qu'il  voit  dans 
son  frère,  va  bientôt  faire  compassion  lui- 
même  et  mener  une  vie  qui  sera  une  horreur 
marquée  de  tous  les  crimes. 

Dites-nous  donc,  après  cela,  Mesdames  : 
mon  rang  m'oblige  à  me  parer,  à  m'accom- 
moder  comme  je  suis,  mes  parents  me  l'or- 
donnent, mon  mari  le  veut,  ma  qualité  de 
jeune  fille  ou  déjeune  femme  m'y  engage. 
Dites-nous  encore  :  je  n'ai  point  mauvaise 
intention  en  m'accommodant  comme  je  fais. 
Pourquoi  est-on  si  faible,  que  ne  détourne- 
t-on  les  yeux;  si  l'on  y  trouve  du  mal,  que 
ne  demeure-t-on  chez  soi  ?  pourquoi  venir 
nous  chercher,  pourquoi  s'exposer  dans  les 
assemblées  et  dans  les  promenades,  si  on  est 
si  facile  à  se  scandaliser?  Dites-nous,  après 
cela,  que  ce  sont  des  visions  toutes  pures, 
des  scrupules  d'une  dévotion  trop  austère  et 
sauvage;  des  illusions  qui  tiennent  de  la 
simplicité  du  cloître,  des  maximes  imprati- 
cables d'une  sévérité  outrée,  des  jugements 
téméraires  de  gens  qui  n'ont  aucune  con- 
naissance du  monde,  et  qu'on  veut  malgré 
vous  vous  mettre  au  nombre  des  religieux 
et  des  dévots. 

A  eela  j'oppose  pour  réponse  deux  princi- 
pes tirés  de  deux  grands  apôtres  :  ie  premier 
est  de  saint  Paul,  qui  répond  au  scandale 
pris  injustement  :  Si,  mon  frère,  dit-il,  se 
scandalise  de  me  voir  manger  de  la  chair,  je 
proteste  devant  Dieu  que  je  n'en  mangerai 
de  ma  vie,  plutôt  que  de  lui  donner  occasion 
de  scandale  :  Si  esca  scandalizat  fralrem 
meum,  nonmanducabo  inaternum,  ne  fralrem 
meum  scandalizem  (I  Cor.,  VIII),  votre  dis- 
position est-elle  semblable  à  celle  du  grand 
Apôtre?  Le  second  principe  qui  répond  à  votre 
objection  est  tiré  de  YEpîirede  saint  Pierre, 
qui  défend  aux  femmes  chrétiennes  la  frisure 
des  cheveux,  les  parures  de  la  tête,  l'or,  les 
pierreries,  les  modes  et  l'éclat  des  habits,  et 
ne  veut  qu'elles  aieftt  d'autres  ornement» 


899 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SUR1AN. 


'900 


que  ceux  de  la  vertu,  de  la  piété ,  de  la 
religion;  d'autre  soin  que  de  purifier  et  d'em- 
bellir leur  âme  de  toutes  les  taches  du  pé- 
chés, ni  d'autre  application  ,  d'autre  étude 
qu'à  répondre  à  leur  vocation,  à  remplir  les 
devoirs  de  leur  état  et  à  se  sanctifier.  C'est 
ainsi  que  les  saintes  femmes  se  parent  lors- 
qu'elles mettent  leur  espérance  en  Dieu. 
Sic  enim  aliquando  et  sanctœ  mulieres  spe- 
rantes  in  Deo  ornabant  se.  (I  Petr.,  III.) 

Mais  si  le  scandale  de  vos  parures  et  de 
votre  luxe  est  si  funeste  à  notre  sexe,  il  n'est 
pas  inoins  préjudiciable  aux  personnes  du 
vôtre  ;  car,  si  la  religion  des  hommes  y  fait 
un  si  triste  naufrage,  !a  simplicité  des  femmes 
y  trouve  aussi  son  plus  funeste  écueil.  En 
etfel,  ne  trouve-t-on  pas  dans  ce  faste,  dans 
cette  pompe  mondaine  toutes  les  condi- 
tions confondues,  et  où  tous  les  états  sont 
absorbés?  Qui  vous  a  donc  appris  à  vous 
détuurer  de  la  sorte,  à  sortir  ainsi  de  votre 
état  et  de  votre  condition  ?  ne  sont-ce  pas  les 
mauvais  exemples  de  vos  semblables,  la  con- 
tagion de  leurs  modes,  de  leurs  parures? 
Elles  vous  ont  pîu  par  là,  vous  avez  aussi 
voulu  leur  plaire;  le  monde  vous  a  paru  goûter 
ce  nouvel  ajustement,  vous  l'avez  pris  incon- 
tinent; l'on  a  exalté  leur  manière  de  se 
mettre,  et  aussitôt  vous  avez  voulu  l'imiter; 
vous  avez  cru  devoir  enchérir  sur  les  airs 
et  les  parures  d'une  personne  qui  vous  est 
inférieure  en  naissance  et  en  mérite,  vous 
n'avez  pu  vous  voir  effacer  par  des  gens  que 
vous  croyez  cent  piques  au-dessous  de  vous. 
A  quelques-unes  c'a  été  un  moyen  d'établisse- 
ment, elles  ont  su  s'attirer  un  compliment, 
exciter  une  flamme  par  un  appât  nouvelle- 
ment étudié  ;  on  en  cherche,  on  en  invente , 
on  en  emploie  cent  autres  à  même  fin  ;  de 
là  toutes  ces  modes  qui  sont  devenues  si  à 
charge,  ces  changements  d'habits  si  ruineux, 
ces  parures  si  gênantes,  tuut  cet  attirail  de 
luxe  et  de  vanité  pour  lequel  on  s'épuise  ;  on 
emprunte,  et  on  se  prostitue  souvent  soi- 
même.  L'Eglise  en  gémit,  les  pauvres  en 
souffrent,  les  marchands  s'en  plaignent,  et 
tous  les  fléaux  dont  Dieu  frappe  depuis 
tant  d'années  le  royaume,  n'ont  pas  été  ca- 
pables de  diminuer  en  rien  ni  de  donner  la 
moindre  atteinte  à  ce  luxe  et  à  ces  super- 
lluilés  scandaleuses.  Jugez  donc  par  là,  si  le 
scandaleux  n'est  pas  le  plus  meurtrier  enne- 
mi du  prochain,  et  l'instrumentale  plus 
funeste  du  démon. 

Qu'est-ce  qui  a  introduit  parmi  les  chré- 
tiens ce  barbare  trafic  qui  enrichit  en  peu 
de  mois,  cette  étrange  manière  de  soulager 
le  prochain,  qui  le  ruine  en  le  secourant, 
cette  cruelle  charité  qui  vole  son  frère  en 
l'assistant?  Qu'est-ce  qui  a  porté  le  enfants 
à  se  révolter  contre  leurs  pères  et  mères? 
qui  leur  a  inspiré  du  mépris  pour  les  ima- 
ges de  Dieu  les  plus  ressemblantes  qui 
soient  sur  la  terre?  qui  a  mis  dans  cette 
union  fraternelle  autrefois  si  étroite,  si  fi- 
dèle, si  respectée  des  pensées  de  révolte, 
des  sentiments  de  discorde,  de  haine  et  de 
partialité?  Qu'est-ce  qui  a  fait  des  mariages 
une  école  de  feinte  et  de  dissimulation,  une 


matière  de  division  et  de  divorce,  un  théâ- 
tre d'infidélité  et  de  perfidie,  quelquefois 
de  scènes  tragiques  données  au  public? 
n'est-ce  pas  le  mauvais  exemple?  Qui  est-ce 
qui  a  banni  de  la  finance  l'honneur  et  la  pro- 
bité? On  en  a  vu  se  frayer  un  chemin  tout 
nouveau  aux  richesses,  aux  dignités,  aux 
emplois,  au  crédit-,  y  arriver  en  violant 
toutes  les  lois  de  la  religion  et  de  l'huma- 
nité, en  foulant  aux  pieds  toutes  les  règles 
de  la  bienséance  et  de  la  charité,  tous  les 
devoirs  les  plus  vénérables  delà  société; 
changer  une  profession  innocente  en  elle- 
même,  peut-être  une  des  plus  salutaires  de 
ce  monde,  en  un  gouffre  d'injustices,  de 
vexations  et  d'usures; s'en  servir  pour  sat:S' 
faire  leurs  passions  au  lieu  de  soulager  les 
peuples,  accabler  sans  scrupule  le  pauvre, 
faire  tort  aux  riches,  faire  crier  tout  le 
monde  pour  travailler  à  une  fortune  mons- 
trueuse qui  bientôt  les  ensevelira  sous  ses 
ruines,  comme  tant  d'autres,  qui  les  ont 
précédés  :  et  de  là  est  venu  le  dessein  de 
s'enrichir  comme  eux  et  de  faire  en  aussi 
peu  de  temps  le  même  chemin.  Qu'est-ce 
qui  a  introduit  l'injustice  dans  le  barreau* 
la  mauvaise  foi  dans  le  commerce,  la  corrup- 
tion dans  tous  les  états?  n'est-ce  pas  paive 
qu'on  a  vu  les  uns  écouter  les  sollicitations, 
donner  à  la  faveur,  prolonger  les  procès,,  en- 
tasser chicane  sur  chicane,  substituer  l'im- 
posture à  la  vérité,  tourner  du  mauvais  côté 
les  meilleures  raisons  et  vendre  honteuse-1 
ment  leur  crédit  et  leur  autorité  ?  C'est  qu'on 
en  a  vu  d'autres  prêter  à  usure,  frustrer  im- 
punément leurs  créanciers,  augmenter  leurs 
dépenses,  ne  mettre  ordre  à  rien,  lâcher  la 
bride  à  leurs  enfants,  se  livrer  aveuglément 
au  plaisir,  soutenir  qu'une  promesse  faite  à 
Dieu  au  pied  des  autels,  de  la  manière  la 
plus  solennelle,  n'engage  pointa  une  invio- 
lable fidélité,  tyranniser  peut-être  une  femme 
et  vivre  avec  elle  comme  avec  une  esclave. 
Et  de  là  qu'est-il  arrivé  ?  le  mal  a  paru  moins 
affreux,  parce  qu'il  est  devenu  plus  commun, 
la  contagion  s'est  insensiblement  répandue, 
le  scandale  a  gagné  jusqu'au  sein  des  plus 
belles  alliances  ;  on  s'est  lassé  de  la  gêne  et 
de  la  contrainte  qu'on  trouve  dans  le  mariage, 
cet  assujettissement  a  paru  trop  pesant  à  la 
nature,  on  a  donné  dans  le  changement  qui 
lui  plaît.  Le  plus  grand  nombre  des  époux 
fidèles  est  bientôt  devenu  le  plus  petit  ;  ceux 
qui  avaient  pris  le  bon  parti  se  jettent  dans 
le  mauvais  :  pour  peu  de  penchant  que  l'on 
eût  vers  le  mal,  on  a  bientôt  suivi  les  perni- 
cieux exemples  qu'on  avait  devant  les  yeux. 
Le  inonde  corrompu  a  perverti  les  plus  saint?, 
tout  a  changé  de  face  sur  la  terre,  tout  a  pris 
un  fonds  de  corruption,  de  dérèglement,  et 
il  n'est  presque  plus  rien  sous  nos  yeux  qui 
ne  prouve  trop  clairement  que  le  scandaleux 
est  un  instrument  dont  se  sert  le  démon 
pour  faire  le  plus  sanglant  outrage,  non- 
seulement  à  Dieu,  mais  à  son  Eglise,  mais 
à  ses  saints,  et  qui  tue  le  prochain  en  mille 
manières  différentes,  et  voilà  l'énormité  du 
scandale,  voyons  encore  la  difficulté  extrême 
qu'il  y  a  de  le  réparer,  c'est  ce  que  je  vais 


901  CAREME.  —  SERMON 

vous  montrer  dans  l'autre  partie  de  ce  dis- 
cours. 

SECOND    POINT. 

Je  tire  la  difficulté  d'expier  le  scandale  des 
mômes  sources  que  j'ai  tiré  leur  énormité, 
c'est-à-dire,  du  double  rapport  qu'il  a: 
1°  à  Dieu  ;  2°  au  prochain. 

Difficulté  d'expier  le  scandale  du  côté  de 
Dieu  :  le  scandaleux  a  été  non  un  seul  homme 
dans  son  péché,  dit  saint  Bernard,  qu'il  soit 
donc  non  un  seul  homme,  mais  plusieurs 
dans  sa  pénitence,  s'il  ne  veut  être  non  un 
seul,  mais  plusieurs  réprouvés  dans  l'enfer. 
Le  scandaleux  a  fait  à  Dieu  une  injure  publi- 
que, dont  il  faut  qu'il  fasse  une  publique 
réparation,  s'il  veut  épargner  la  réparation 
publique,  qu'il  devra  faire  au  jour  du  juge- 
ment :  voici  le  désolant  de  mon  sujet. 

Vous  aimeriez  mieux,  dites-vous,  réparer 
en  secret  le  scandale  que  vous  avez  causé 
que  de  le  faire  en  public,  faire  à  Dieu  une  ré- 
paration plus  forte,  pourvu  que  ce  fût  d'une 
manière  cachée  ;  expier  plus  abondamment 
vos  péchés  dans  le  particulier,  que  de  don- 
ner au  public  une  scène,  flétrir  tant  soit  peu 
votre  réputation  par  une  satisfaction  publi- 
que. Il  est  vrai,  dites -vous  à  un  confesseur, 
comme  Saùl  à  Samuel,  j'ai  péché,  et  peut- 
être  que  ma  faute  a  un  peu  éclaté  ;  mais  je 
ne  suis  pas  encore  tout  à  fait  perdu  d'hon- 
neur; on  m'excuse  d'en  avoir  agi  de  la  sorte; 
bien  des  gens  me  justifient  encore,  ne  m'o- 
bligent pas  à  une  réparation  qui  me  désho- 
norerait. Sauvez  du  moins  le  peu  de  réputa- 
tion qui  me  reste  dans  le  monde  :  Peccavi,  scd 
nunc  honora  me  coram  senioribus  popuiimei. 
(1  Reg.,  XV.) 

Cette  délicatesse  est  si  grande,  Messieurs, 
que  si  quelqu'un  de  ces  pécheurs  scandaleux 
se  trouvait  avoir  assez  de  courage  et  de  reli- 
gion pour  accepter  la  réparation  qu'un  zélé 
confesseur  lui  demande,  sa  famille,  ses  amis, 
tout  le  monde  y  mettraient  obstacle  ;  on  se  ré- 
crierait contre  la  sévérité  du  ministre  et  l'on 
condamnerait  sans  miséricorde  les  auteurs 
d'une  démarche  si  honteuse.  Cependant,  que 
du  crime  public  on  en  doive  exiger  une  ré- 
paration publique,  c'est  la  règle  que  saint 
Paul  donnait  à  son  disciple  Timotliée.  Si 
quelqu'un,  lui  disait-il,  a  commis  une  faute 
publique,  reprenez-le  devant  tout  le  monde  : 
Peccantes  coram  omnibus  argue.  (I  Tim.,  V.) 
C'est  la  pratique  de  toute  l'Église  ancienne, 
qui  était  si  ferme  là -dessus,  qu'elle  n'en 
exemptait  pas  môme  les  têtes  couronnées, 
témoin  l'empereur  Théodosc,  condamné  par 
Ambroise  à  la  pénitence  publique.  C'est  le 
sentiment  de  saint  Thomas,  qui  condamne 
à  une  satisfaction  publique,  jusqu'aux  usu- 
riers, quoique  l'usure  ne  soit  pas  le  scandale 
le  plus  contagieux;  c'est  la  décision  du  con- 
cile de  Trente  -.Quando  crimen  publiée  com- 
missum  est,  etc.,  qui  dit,  que  quand  le  péché 
a  été  commis  publiquement ,  il  faut  que  la 
pénitence  soit  aussf  publiquement  imposée. 
C'était  l'usage  ordinaire  de  saint  Charles,  et 
le  sacré  ';oncik!  n'a  fait  qu'en  renouveler  la 
doctrine  ;  c'est  cnûn  la  conduite  que  Dieu 


XVI  ,  DU  SCANDALE.  9C2 

même  a  tenue  à  l'égard  des  anciens  patriar- 
ches de  l'Ancien  Testament.  Vous  avez  voulu 
tenir  votre  crime  caché,  disait-il  à  David 
convaincu  d'adultère,  mais  je  le  révélerai  à 
la  face  de  tout  Israël,  et  le  ferai  connaître 
partout  où  le  soleil  portera  ses  rayons  :  lu 
enim  fecisti  abscondite  ,  ego  auteni  faciam 
verbum  illud  in  conspectu  omnis  Israël  et  in 
conspectu  solis.  (Il  Reg.f  XII.)  Vous  faut-il* 
Messieurs,  une  preuve  plus  étonnante  et 
1)1  us  certaine? 

Voilà  donc  l'obligation,  où  est  tout  chré- 
tien de  satisfaire  publiquement  pour  un 
crime  public;  or,  quoi  de  plus  public  que  le 
scandale,  qui  n'est  précisément  péché,  que 
parce  qu'il  est  public?  De  là  concluez  donc 
qu'il  faut  pour  l'expier  une  satisfaction  pu- 
blique ;  il  le  faut,  mais  hélas  1  qui  est-ce  au- 
jourd'hui, qui  se  soumet  volontiers  à  cette 
salutaire  confusion,  qui  ne  la  traite  pas  de 
sévérité  outrée  et  désespérante? Les  tribu- 
naux séculiers  et  ecclésiastiques  ne  reten- 
tissent que  de  crimes  ou  nouveaux  ou  in- 
fâmes ;  on  no  parle  que  de  gens  qui  ont  violé 
les  lois  les  plus  sacrées,  qui  abjurent  ouver- 
tement leur  foi  par  les  dérèglements  de  leur 
conduite,  qui  démentent  la  sainteté  de  leur 
baptême  par  la  corruption  de  leurs  mœurs  ; 
les  yeux  et  les  oreilles  de  l'Eglise  en  sont  frap- 
pés. Que  de  mystères  d'iniquités  qui  se  ré- 
vèlent; mais  de  pénitence  publique,  de  satis- 
faction solennelle,  de  réparations  sensibles, 
on  n'en  voit  nulle  part,  le  temps  en  est  passé. 
Cependant  il  faut  l'avouer,  il  est  encore  de 
grands  pécheurs  qui  veulent  paraître  de 
bons  chrétiens  ;  les  plus  scandaleux  se  con- 
vertissent, ils  demandent  pardon  à  Dieu,  ils 
se  confessent  de  leurs  péchés;  ils  reçoivent 
le  corps  adorable  de  Jésus-Christ.  Ils  vont 
comme  les  autres,  du  moins  en  certain  temps, 
puiser  dans  les  sources  de  grâce  et  de  misé- 
ricorde; ils  font  une  fin  qui  les  fait  louer  après 
leur  mort,  et  se  flattent  après  avoir  si  long- 
temps outragé  Dieu,  sans  aucune  satisfaction 
d'avoir  part  aux  prières  communes  de  l'E- 
glise; n'est-ce  pas  là  encore  le  désolant  de 
mon  sujet,  et  je  n'ose  l'approfondir  tant  il 
est  effrayant.  Quoi  donc!  nous  dira-t-on,  moi 
prince,  moi  magistrat,  moi  qui  suis  un 
homme  en  place,  ministre,  grand  seigneur, 
homme  d'armée,  du  rang  et  de  la  profession 
la  plus  obligée  de  l'édifier  par  ma  bonne 
conduite,  vous  exigerez  de  moi  que  je  fasse 
amende  honorable  à  Dieu,  à  l'Eglise,  à  mes 
frères?  Vous  me  désespéreriez  et,  à  cela  ma 
religion  serait  en  grand  danger.  Voilà  comme 
parlent  tous  ceux  qui  se  sentent  coupables 
du  crime  horrible  que  je  décris,  et  je  n'exa- 
gère point  leurs  lâches  prétextes. 

Mais  pour  vous  répondre;  pécheurs  scanda- 
leux, faux  et  timides  pénitents  :  l°avez-vous 
raison  de  refuser  à  Dieu  même,  pour  éviter 
un  malheur  éternel,  ce  que  vous  accordez 
tous  les  jours  à  des  hommes  comme  vous, 
pour  éviter  un  malheur  temporel?  Que  vous 
ayez  offensé  un  particulier,  l'on  vous  oblige 
par  arrêt  de  lui  faire  une  réparation  publi- 
que, et  vous  vous  y  soumettez  ;  voilà  ce  que 
Dieu  demande  de  vous,  vou.s  l'avez   pupli* 


9C5 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SURIAK 


904 


quement  outragé,  déshonoré  par  vos  scan- 
dales ;  on  vous  ordonne  de  sa  pari,  dans  un 
tribunal  où  vous  reconnaissez  son  autorité, 
de  lui  faire  une  satisfaction  publique  et  vous 
la  lui  refusez? 2°  N'y  a-t-il  pas  un  genre  de 
pénitence  publique,  qui,  loin  de  vous  faire 
rougir  et  de  vous  faire  mépriser,  Vous  rend 
au  contraire  plus  précieux,  et  plus  respec- 
table aux  yeux  même  de  ceux  devant  qui 
vous  le  fa  tes? 

J'entends  par  cette  pénitence  publique, 
une  grande  modestie  par  exemple,  qui  prend 
la  place  d'un  grand  luxe,  un  saint  recueille- 
ment qui  succèjeàde  profanes  distractions; 
j'appelle  pénitence  publique,  des  yeux  chas- 
tes et  un  certain  air  de  pudeur,  après  des 
yeux  lascifs  et  des  manières  trop  libres;  une 
langue  chrétienne,  et  des  lèvres  pures  après 
un  langage  obscur  et  des  paroles  désbonnê- 
tes  ;  une  assiduité  aux  églises,  aux  offices, 
aux  instructions,  après  avoir  assisté  si  long- 
temps aux  spectacles,  aux  assemblées  abso- 
lument mondaines  et  toujours  très-dange- 
reuses. J'appelle  pénitence  publique,  un  em- 
ploi plus  évangélique  de  son  bien,  un  usage 
plus  sacré  ue  ses  richesses,  une  charité  plus 
éuiliante  envers  les  pauvres,  après  avoir  s-a- 
cnlié  à  l'idole  de  l'avarice,  avoir  fait  servir 
ses  revenus  à  l'entretien  de  ses  passions, 
avoir  rebuté  et  laissé  périr  de  faim  les  mem- 
bres de  Jésus-Christ,  et  n'avoir  fait  des  dé- 
penses que  pour  le  service  du  monde  et  du 
démon.  J'appelle  enfin  pénitence  publique, 
le  courage  et  la  force  de  supporter  les  rail- 
leries du  siècle,  de  mépriser  ses  critiques  et 
ses  jugements  après  les  avoir  si  fort  respec- 
tés et  appréhendés;  vivre  enfin  d'une  ma- 
nière tout  opposée  à  la  conduite  déplora- 
ble, dont  le  public  avait  été  témoin,  et  l'édi- 
fier autant  par  ses  vertus  qu'on  l'avait  scan- 
dalisé par  ses  crimes.  Y  a-t-il  donc  rien  en 
cela  de  si  injurieux  et  de  si  flétrissant,  et  cette 
sorte  de  pénitence  et  de  satisfaction  n'est- 
elle  pas  plus  propre  à  sauver  et  à  étendre 
votre  réputation ,  qu'à  vous  la  diminuer 
et  à  vous  la  faire  perdre. 

Rc-te  donc  à  réparer  le  scandale  par  rap- 
port au  prochain,  et  je  soutiens  qu'il  n'est 
pas  possible  de  le  réparer  en  tout.  En  effet, 
vous  avez  scandalisé  vos  frères,  chrétiens 
impies  ;  c'est-à-dire  que  vous  les  avez  amenés 
jusqu'à  douter  des  vérités  de  la  religion; 
vous  avez  jeté  dans  l'incrédulité  une  infinité 
de  personnes  par  vos  discours  séduisants,  par 
vos  vains  raisonnements,  par  vos  mauvais 
exemples;  vous  avez  scandalisé  votre  pro- 
chain, femmes  mondaines,  par  vos  parures, 
par  vos  immodesties  :  c'est-à-dire  que  vous 
l'avez  tué  dans  l'âme,  que  vous  avez  allumé 
dans  les  cœurs  des  flammes  criminelles,  que 
vous  avez  livré  au  démon  des  âmes  inno- 
centas, que  vous  avez  séduit  et  attiré  [dans 
le  piège  des  personnes  trop  crédules  et  trop 
simples.  Ceux-ci  une  fois  déréglés  par  vous 
en  ont  peut-être  déréglé  d'autres,  qui  ont 
été  aussi  à  leurs  fières  une  occasion  de 
chute  à  leur  tour.  Comment  s'y  prendre 
pour  réparer  tout  ce  mal  que  vous  avez  cau- 
sé à  des  gens  peut-être  déjà  endurcis,  peut- 


être  déjà  morts  ?  quel  moyen  d'en  arrêter  le 
cours  ?Quand  même  tous  ceux'que  vous  avez 
scandalisés  seraient  ici  maintenant  rassem- 
blés, auriez-vous  la  force,  le  courage  d'en 
faire  la  réparation  devant  eux  ?  Cependant  ils 
n'y  sont  point,  vous  ne  pouvez  les  voir  et 
les  rassembler  ;  vous  ne  savez  ce  que  sont 
devenus  la. plupart  ;  le  mal  que  vous  leur 
avez  fait  est  donc  irréparable  de  votre  part, 
et  en  quelque  endroit  qu'ils  soient,  ils  vous 
doivent  leur  malheur  et  leur  perte.  S'ils  sont 
encore  sous  vos  yeux  et  à  votre  portée,  le  mal 
est  entré  si  avant  dans  leur  cœur  que  vous 
ne  pourrez  plus  l'en  faire  sortir.  Mais  ceux 
qui  sont  morts  après  vous  avoir  imités,  aptes 
s'être  rencius  à  vos  malignes  suggestions, 
que  sont-ils  devenus?  par  quelles  voies  les 
pourriez-vous  tirer  de  ces  tourments,  où 
vous  les  avez  précipités,  et  la  plaie  que  vous 
leur  avez  faite  n'est-elle  pas  comme  celle  dont 
parle  le  Seigneur  dans  Jérémie,  une  plaie  incu- 
rable? Insanabilis  fractura  tua,  passiva  piara 
tua.  (Jar.,XXX.)  Je  dis  que  c'est  un  mal  incu- 
rable non-seulement  dans  ceux  qui  sont  morts 
ou  que  vous  ne  connaissez  point*  mais  à  l'é- 
gard de  ceux  même  que  vous  connaissez  en- 
core et  qui  sont  avec  vous  ;  qu'il  ne  vous  est 
pas  possible  de  les  dédommager  pleinement 
du  tort  que  vous  leur  avez  eau;  é,  ni  de  leur 
restituer  ce  que  vous  leur  avez  enlevé.  Car, 
que  leur  avez-vous  ôté  à  la  plu;  art?  aux  uns 
la  vigilance  chrétienne,  aux  autres  la  sou- 
mission à  l'Eglise  ;  à  ceux-ci,  la  simplicité  d& 
la  foi,  à  ceux-là  l'horreur  du  péché  ;  à  quel- 
ques-uns l'innocence  baptismale,  à  d'autres 
le  respect  pour  le  sacerdoce; à  tous  le  tendre 
amour  de  Dieu,  et  ces  deux  tables  de  la  loi 
divine  et  humaine  que  le  Seigneur  en  les 
formant  avait  gravées  de  son  doigt. 

Que  leur  avez  vous  encore  ôté  à  la  plupart? 
A  cette  femme,  l'inviolable  fidélité  qu'elle 
devait  à  son  époux,  à  cette  fille  la  précieuse 
c-indeur  attachée  àson  sexe,  à  cette  mère  l'ap- 
plication à  son  devoir,  au  père  l'éducation 
de  ses  enfants  et  le  soin  de  sa  maison,  à  cette 
veuve  l'esprit  de  paix  et  de  continence;  à 
mille  autres  l'inclination  qu'ils  avaient  pour 
le  bien,  l'amour  de  la  vertu  qui  était  né  avec 
eux,  la  haine  du  monde  auquel  ils  avaient 
renoncé,  la  terreur  des  jugements  de  Dieu, 
le  désir  et  la  gloire  du  salut  et  de  la  reli- 
gion. 

Tout  cela  se  rend-il,  et  quand  on  a  perdu 
tous  ses  biens,  peut-on  les  réparer  par  soi- 
même  sinon  que  très-difficilement,  qu'avec 
de  très-grands  efforts? 

Mais  supposons  que  le  scandale  que  vous 
avez  donné  ne  soit  que  d'avoir  rendu  des 
chrétiens  lâches,  que  des  indévots,  que  des 
libertins:  en  ête*-vous  plus  à  portée  de;  ré- 
parer le  tort  que  vous  leur  avez  fait?  Tombés 
peut-être  depuis  dans  l'endurcissement,  et 
de  la  langueur  où  vous  les  avez  jetés,  dans 
l'insensibilité,  ils  se  moqueront  de  ce  que 
vous  pourrez  leur  dire,  et  de  ce  que  vous 
pourrez  faire  pour  les  détromper  et  pour  les 
convertir  ;  il  est  bien  des  pécheurs  qui  veu- 
lent tomber  avec  David,  mais  il  en  est  bien 
peu  qui  se  relèvent  avec  lui,  peut-être  comme 


905 


CAREME.  —  SERMON  XVII  ,  DE  LA.  FAUSSE  DEVOTION. 


SUS 


Pharaon,  ce  pé  heur  endurci  vous  promettra 
de  revenir  à  Dieu,  et  par  .la  crainte  de  jus- 
tes châtiments  il  vous  paraîtra  touché  et 
ébranlé  de  votre  retour,  mais  sans  jamais 
changer  au  fond  du  cœur,  et  conservant  tou- 
jours trop  malheureusement  les  premières 
impressions  que  vos  scandales  or.t  faites  sur 
lui. 

Telle  est  la  difficulté  de  réparer  le  scan- 
dale tant  du  côté  de  Dieu  que  du  côté  du 
proenain.  Y  a-t-il  donc  rien  de  plus  déplora- 
ble dans  la  religion?  ne  faut-il  pas,  selon  un 
grand  saint  qui  craignait  d'avoir  scandalisé 
son  frère,  que  Dieu,  pour  sauver  un  scanda- 
leux, ait  pitié  de  lui  dans  sa  plus  grande  mi- 
séricorde, et  si  sa  foi  ne  nous  enseignait 
qu'il  n'y  a  aucun  péché  qui  soit  irrémissi- 
ble en  cette  vie,  ne  regarderions-nous  pas 
comme  tel  le  péché  de  scandale? 

O  vous  donc  qui  avez  le  malheur  d'être 
du  nombre  de  ces  grands  pécheurs,  com- 
mencez par  couper  la  racine  du  mal,  arra- 
chez-vous cet  œil  meurtrier,  cette  main  ho- 
micide qui  donne  la  mort  à  vos  frères  et 
qui  outrage  votre  Dieu;  c'est-à-dire  qu'il 
faut  que  vous  tâchiez  de  sanctifier  ceux  que 
vous  avez  pervertis;  que  vous  travailliez, 
mais  de  toutes  vos  forces,  d'en  ramener,  par 
votre  hon  exemple,  plusieurs  autres  à  Dieu, 
afin  de  le  dédommager  de  ceux  que  vous  lui 
p.yez  enlevés  ;  demandez  avec  larmes  et  sans 
cesse  la  rémission  de  tous  les  pèches  que 
vos  frères  ont  commis  et  commettent  tou- 
jours sur  votre  compte,  parce  que  la  mau- 
vaise habitude  où  ils  sont  plongés  par  votre 
faute  ne  peut  être  vaincue  et  heureusement 
convertie  que  par  sa  grâce  et  par  sa  plus 
grande  miséricorde;  acceptez  de  hon  cœur 
la  pénitence,  les  humiliations  et  les  mépris, 
comme  une  expiation  surnaturelle  de  votre 
libertinage,  de  votre  orgueil  et  de  vos  va- 
nités ;  elforccz-vous  d'édifier  vos  frères  dans 
le  même  genre  que  vous  les  avez  scandali- 
sés; brûlez  de  zèle  pour  cette  gloire  de  Dieu 
que  vous  vous  efforciez  de  ternir,  et  vous 
sacrifiez  comme  Saul  parle  bien  et  l'accrois- 
sement de  cette  sainte  religion  que  vous 
avez  persécutée  par  vos  scandales;  ainsi, 
lèverez-vous  l'anathème  de  dessus  vous  et 
de  dessus  vos  frères,  fulminé  dans  l'Evan- 
gile contre  le  scandale  :  ainsi  aurez-vous  en- 
<  ore  quelque  espérance  à  l'héritage  des  en- 
fants, et  après  avoir  édifié  la  terre  par  des 
vertus  contraires  à  vos  désordres,  vous  pour- 
rez espérer  de  posséder  le  ciel  dans  l'éter 
nité  bienheureuse  que  je  vous  souhaite,  etc. 
Amen. 

SERMON   XVII 

DE   LA  FAUSSE    DÉVOTION. 

Tune  aeccdcnles  discipv.li  ejus  dixerunt  ei  :  Scis  quia 
pharisaei,  audito  verbo  hoc,  scandalizati  sunt.  (Mailli., 
XV.) 

Alors  ses  disciples  s' approchant  de  lui,  lui  dirent':  Savet- 
vous  que  les  pharisiens  ayant  entendu  ce  que  vous  venez,  de 
dire  se  sont  scandalisés. 

Telle  était  l'injustice  des  pharisiens  :  assez 
hardis  pour  préférer  leurs  traditions  à  la  pa- 
role de  Dieu,  assez  critiques  pour  se  scan- 
Ouateers  sacrés.  L, 


daliser  des  moindres  défauts  de  leurs  hè- 
res, ils  regardent  comme  un  grand  crime, 
dans  les  disciples  de  Jésus-Christ,  l'omission 
d'une  pratique  indifférente,  ils  ne  peuvent 
souffrir  qu'on  les  reprenne,  qu'on  découvre 
les  illusions  de  leur  piété,  qu'on  établisse 
la  pureté  du  culte  de  Dieu  et  le  véritable 
esprit  de  la  loi  contre  leurs  vaines  obser- 
vances, contre  leurs  interprétations  frivoles, 
et  la  vérité  les  blesse  parce  qu'elle  s'oppose 
à  leurs  préjugés  et  à  leur  amour-propre.     • 

Ainsi  ont  pensé  de  tout  temps,  ainsi  pen- 
sent encore  aujourd'hui  les  faux  dévots  ac- 
coutumés à  se  couvrir  du  voile  de  la  reli- 
gion, à  confondre  leurs  intérêts  avec  ceux  ce 
Dieu,  ils  veulent  qu'on  respecte  leurs  erreurs, 
qu'on  épargne  leurs  vices  :  les  attaquer,  c'est 
s'en  prendre  à  Dieu  même,  c'est  mettre  la 
religion  en  danger,  c'est  scandaliser  les  fai- 
bles, c'est  fournr  des  armes  aux  libertins; 
mais  leur  injuste  délicatesse  fermera-t-elle 
la  bouche  aux  ministres  de  Jesus-Christ?  ar- 
rarhera-t-elle  à  ses  disciples  cette  liberté 
précieuse  dont  leur  langue  s'est  servie  avec 
tant  d'avantages?  Jésus-Christ  a-t-il  cessé  de 
montrer  la  vérité  dans  toute  sa  force,  parce 
qu'elle  choquait  les  pharisiens ,  et  la  crainte 
d'un  prétendu  scandale  empêchera-t-elle  ses 
ministres  (un  des  plus  grands  abus  qui  soient 
dans  le  christianisme)  de  donner  des  règles 
sûres  pour  distinguer  la  vraie  piété  d'avec 
la  fausse ,  et  d'instruire  les  fidèles  du  fond 
même  de  leur  religion. 

Parlons  donc  aujourd'hui  avec  toute  la  li- 
berté que  nous  donne  notre  ministère,  mais 
en  même  -temps  avec  toute  l'attention  et 
avec  tous  les  ménagements  que  demande  la 
prudence  chrétienne;  confondons  les  faux 
dévots,  mais  ne  fournissons  pas  des  armes 
aux  mondains;  arrachons  aux  uns  et  aux 
autres  les  vains  prétextes  dont  ils  se  cou- 
vrent ;  en  un  mot,  faisons  triompher  la  re- 
ligion et  de  la  fausse  piété  des  uns  et  du  liber- 
tinage des  autres;  tels  sont  le  but  et  le  plan 
de  ce  discours  pour  lequel  je  vous  demande 
une  singulière  attention.  1°  Rien  de  plus 
opposé  au  véritable  esprit  de  l'Evangile  que 
la  fausse  dévotion  :  ce  sera  mon  premier 
point;  2°  rien  de  plus  injuste  que  les  con- 
séquences que  les  mondains  tirent  de  la 
fausse  dévotion  contre  la  vraie  piété  :  ce  sera 
mon  second  point  et  tout  le  sujet  de  ce  dis- 
cours. Saluons  auparavant  Marie.  Ave , 
Maria. 

PREMIER    POINT. 

Pour  vous  donner  une  juste  idée  de  la 
fausse  dévotion,  il  suffit  de  ramasser  les  dif- 
férents traits  dont  l'Evangile  se  sert  pour 
nous  dépeindre  les  pharisiens.  C'étaient  des 
hommes  distingués  par  l'ancienneté  de  leur 
secte,  par  leur  savoir,  par  une  étude  conti- 
nuelle de  la  loi  ;  un  extérieur  mortifié,  de 
longues  prières,  des  jeûnes  réitérés,  des 
aumônes  abondantes,  des  austérités  presque 
incroyables  leur  attiraient  la  vénération  du 
peuple,  et  il  ne  leur  manquait  aucune  des 
apparences  de  la  vertu.  Pourquoi  donc  Jé- 
sus-Christ les  reprend-t-il  si  fort  dans  l'E- 

29 


CC>7 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SL'RIAN. 


908 


vangile?  pourquoi  prononce-t-il  si  souvent 
contre  eux  des  malédictions  et  des  anathè- 
mes?  pourquoi  semble-t-il  leur  réserver 
toute  sa  colère  et  toute  son  indignation? 
"  Ah  1  mes  frères,  c'est  que  cette  piété  appa- 
rente était  fausse  et  mal  entendue;  c'est  que 
l'orgueil,  le  inépris  de  leurs  frères,  un  atta- 
chement à  leurs  propressens,  une  recherche 
continuelle  de  leurs  propres  intérêts  anéan- 
tissaient le  mérite  de  leurs  œuvres,  et  que, 
scrupuleusement  attachés  à  l'écorce  de  la 
loi,  ils  n'en  avaient  ni  l'esprit  ni  les  vertus, 
car  voilà  ce  que  Jésus-Christ  leur  reproche 
dans  l'Evangde.  Malheur  à  vous,  scribes  et 
pharisiens,  hypocrites  qui  payez  exactement 
la  dîme,  et  qui  négligez  ce  qu'il  y  a  de  plus 
essentiel  dans  la  loi,  savoir,  la  justice  et  la 
miséricorde.  (Luc,  XI.) 

Tel  est  le  caractère  des  faux  dévots  :  net- 
toyer le  dehors  de  la  coupe  et  laisser  le  de- 
dans plein  d'impureté,  affaiblir  et  éluder  la 
loi  dans  ce  qu'elle  a  d'intérieur  et  de  pé- 
nible, et  l'accomplir  avec  exactitude  dans 
ce  qu'elle  a  d'extérieur,  de  facile;  acheter, 
par  quelques  pratiques  arbitraires,  le  droit 
de  satisfaire  impunément  ses  passions,  être 
éclairé  sur  les  défauts  d'autrui  et  aveugle 
sur  les  siens,  ne  rien  pardonner  aux  autres, 
se  pardonner  tout  à  soi-même,  avoir  tou- 
jours le  nom  de  Dieu  dans  la  bouche  et  ja- 
mais son  amour  dans  le  cœur,  voilà  le  crime 
des  pharisiens,  voilà  celui  des  chrétiens  de 
nos  jours,  voilà  ce  qui  est  entièrement  op- 
posé à  l'esprit  de  l'Evangile.  Pour  vous  en 
convaincre,  il  suffit  de  remarquer  que  l'es- 
prit de  l'Evangile  est  un  esprit  de  vérité, 
1e  liberté  et  d'humilité  ;  trois  caractères  de 
l'esprit  de  l'Evangile  auquel  la  fausse  dé- 
votion est  directement  opposée. 

En  premier  lieu  c'est  un  esprit  de  vérité. 
Dieu  est  esprit,  dit  l'Evangile,  et  il  faut  que 
ceux  qui  l'adorent,  l'adorent  en  esprit  et  en 
vérité  (Joan.,  IV),  c'est-à-dire  qu'il  ne  suffit 
pas  d'adorer  Dieu ,  mais  qu'il  faut  l'adorer 
d'une  manière  qui  lui  convienne,  d'une  ma- 
nière qu'il  approuve,  qu'il  autorise,  qui  soit 
agréable  à  ses  yeux,  c'est-à-dire  que  le  culte 
qu'on  lui  rend  doit-être  sincère,  intérieur,  ex- 
clure toute  duplicité,  tout  mensonge,  toute 
hypocrisie ,  qu'il  consiste  principalement 
dans  les  dispositions  du  cœur:  c'est  du  cœur 
que  sortent  les  bonnes  ou  les  mauvaises  ac 
tions,  c'est  par  le  cœur  qu'on  honore  Dieu 
ou  qu'on  l'offense  :  c'est  le  cœur  qui  souille 
l'homme  ou  qui  le  justifie. 

Sur  ces  principes,  que  devons-nous  pen- 
ser de  ces  dévotions  aveugles  et  mal  enten- 
dues où,  soiis  prétexte  d'une  régularité 
exacte,  on  néglige  de  s'instruire  des  devoirs 
les  plus  essentiels  de  la  nature  du  culte  de 
Dieu,  du  véritable  esprit  de  l'Evangile,  piété 
capricieuse  où,  plein  d'indifférence  pour 
les  dévotions  les  plus  anciennes ,  les  plus 
respectables,  les  mieux  établies,  on  donne 
dans  toutes  les  nouveautés,  dans  toutes  les 
illusions,  dans  toutes  les  singularités  d'une 
dévotion  bizarre,  piété  superficielle  qui,  tout 
occupée  à  régler  les  dehors  des  actions,  ne 
songe  jamais  à  en  purifier  les  principes,  qui, 


laissant  le  cœur  plein  de  lui-même  et  vide 
de  tout  bon  sentiment,  l'abandonne  à  tous 
ses  penchants  et  à  toutes  les  faiblesses.  Ah  1 
qu'en  penser,  sinon  que  ce  sont  là  des 
aveugles  qui  ne  marchent  pas  à  la  lumière 
de  l'Evangile,  des  hypocrites  qui  se  trom- 
pent eux-mêmes  et  qui  trompent  les  autres, 
dont  le  cœur  dément  les  paroles  et  les  ac- 
tions ;  des  insensés  qui  honorent  Dieu  sans 
fruit,  parce  qui'ls  suivent  des  maximes  et 
des  ordonnances  humaines?  Qu'en  penser, 
sinon  que,  lorsqu'au  jour  du  jugement  ils 
diront  à  Dieu  :  Seigneur,  ri avons-nous  pas 
prophétise'  en  votre  nom  ?  riavins-nous  pas  fuit 
en  votre  nom  des  actions  éclatantes?  il  leur 
ré,  ondra  hautement:  J  e  ne  vousai jamais  con- 
nus ;  vous  ri  avez  pas  agi  en  mon  nom,  parce  que 
vous  riavez  pas  agi  par  mon  esprit,  par  mes 
impressions.  (Matth.  VII.)  Selon  ma  parole 
et  les  règles  de  mon  Evangile  ,  vous  ne 
m'avez  pas  aimé,  vous  ne  m'avez  pas  vérita- 
blement honoré,  je  ne  trouve  dans  votre 
culte  ni  lumière,  ni  justice,  ni  vérité;  je  n'y 
trouve  qu'illusion,  qu'aveuglement,  qu'igno- 
rance, que  singularités,  qu'amour-proprc; 
vous  avez  ébloui  les  hommes,  vous  les  avez 
séduits  par  de  fausses  apparences  de  vertu  : 
eh  bien!  que  les  hommes  vous  récom- 
pensent !  pour  moi  je  ne  vous  ai  jamais 
connus,  et  si  je  vous  connais  aujourd'hui, 
c'est  pour  vous  rejeter  pour  toujours  de  de- 
Arant  mes  yeux,  nunquam  novi  vos. 

Terribles  paroles  dans  la  bouche  d'un 
Dieu  :  Je  ne  vous  ai  jamais  connus  ;  et  qui 
connaissez-vous,  Seigneur,  si  vous  ne  con- 
naissez pas  ceux  qui  vous  ont  invoqué  pen- 
dant les  jours  de  leur  vie.  Ah!  je  ne  recon- 
naîtrai et  ne  recevrai  dans  ma  gloire  que  ceux 
qui  font  la  volonté  de  mon  Père  qui  est  dans 
les  cieux.  Vous  qui,  depuis  si  longtemps,  faites 
profession  de  la  piété,  qui  cependant  n'en 
êtes  pas  plus  avancés  dans  la  vertu,  je  ne  vous 
connais  pas  :  Nunquam  novi  vos.  Quelle  ma- 
tière de  réflexions,  quel  sujet  de  trembler  1 

J'ai  dit  en  deuxième  lieu  que  l'esprit  de 
l'Evangile  était  un  esprit  de  liberté,  et  c'e.'t 
là  proprement  ce  qui  fait  ce  caractère  de  la 
loi  nouvelle,  Lorsque  nous  étions  encore  en- 
fants, dit  l'apôtre  saint  Paul  aux  Galates, 
nous  étions  assujettis  aux  premières  et  plus 
grossières  instructions  que  Dieu  a  données; 
mais  lorsque  les  temps  ont  été  accomplis , 
Dieu  a  envoyé  son  Fils,  formé  d'une  femme 
et  assujetti  à  la  loi,  pour  nous  rendre  enfants 
adoptifs;  aucun  de  vous  n'est  donc  point  cer- 
tainement serviteur,  mais  enfant., (Gai.,  IV.) 
Dans  le  même  chapitre,  saint  Paul,  aj  rès  avoir 
comparé  les  deux  alliances  aux  deux  femmes 
d'Abraham,  dont  la  première  était  esclave  et 
la  deuxième  véritablement  libre,  conclut 
que  nous  ne  sommes  pas  les  enfants  de  la 
servante,  mais  de  la  femme  libre,  et  que  c'est 
Jésus-Christ  qui  nous  a  acquis  cette  liberté. 
Est-ce  à  dire  que  nous  ne  soyons  plus  as- 
sujettis à  aucune  loi,  que  nous  puissions 
suivre  sans  scrupule  tous  les  desseins  de 
notre  cœur?  Non  sans  doute,  saint  Paul  a 
prévenu  cette  conséquence,  mes  frères  :  Vous 
êtes  appelés  à  une  pleine  liberté,  ayez  soin 


9C9 


CAREME.  —  SERMON  XVII  ,  DE  LA  FAUSSE  DEVOTION. 


910 


seulement  que  celle  liberté  ne  vous  serve  pas 
d'occasion  pour  vivre  selon  la  chair.  (Gai.,  V) 
Que  veut-il  donc  nous  apprendre  par  là  ?  C'est 
que  nous  ne  devons  plus  nous  conduire  par 
un  esprit  de  crainte  et  de  servitude,  mais 
par  un  esprit  d'amour;  c'est  que,  délivrés  du 
joug  de  la  loi  mosaïque  et  soumis  à  une  loi  de 
grâce,  nous  ne  devons  plus  nous  soucier  de 
ces  observances  légales,  de  ces  pratiques  dé- 
fectueuses et  impuissantes,  qui  ne  servent 
de  rien  à  ceux  qui  s'y  assujettissent  ;  c'est 
que  nous  ne  devons  craindre  que  le  péché 
et  ne  rechercher  que  la  sanctification  de 
notre  âme. 

Voilà  le  véritable  esprit  de  l'Evangile,  au- 
quel la  fausse  dévotion  est  directement  op- 
posée :  elle  nous  ôte  cette  liberté  précieuse, 
que  Jésus-Christ  nous  a  acquise,  elle  renou- 
velle le  judaïsme  et  l'esprit  de  servitude, 
elle  appesantit  le  joug,  parce  qu'elle  mul- 
tiplie les  pratiques,  et  qu'elle  ne  diminue  pas 
la  cupidité,  en  un  mot  elle  nous  rend  ti- 
mides et  superstitieux,  mais  elle  ne  nous 
rend  ni  vertueux  ni  saints.  Car  voilà  un 
aveuglement  qui  paraît  inconcevable  :  toute 
la  corruption  du  cœur  humain  et  toutes 
les  illusions  de  l'amour-propre ,  en  môme 
temps  qu'elle  enchérit  d'un  côlé  sur  la  loi, 
elle  l'affaiblit  de  l'autre  par  de  fausses  in- 
terprétations; ces  mêmes  hommes,  si  ardents 
à  s  imposer  des  pratiques  que  la  loi  ne  com- 
mande pas,  sont  les  premiers  à  la  violer  dans 
ce  qu'elle  a  de  plus  essentiel,  d'où  vient 
cela?  c'est  que  la  pratique  exacte  de  la  re- 
ligion leur  coûte  trop,  et  qu'ils  aiment  mieux 
pratiquer  certaines  œuvres  aisées  et  com- 
modes que  de  suivre  les  sentiments  de  leur 
religion  et  d'en  posséder  les  vertus. 

Oui,  mes  frères,  la  religion  prise  dans  son 
véritable  point  de  vue  a  quelque  chose  de 
trop  difficile  pour  la  plupart  des  hommes  ; 
il  faut  veiller  sans  cesse  sur  soi-même,  ré- 
primer jusqu'aux  moindres  mouvements  do 
son  cœur,  opérer  son  salut  avec  crainte  et 
tremblement;  aucune  indulgence  pour  ses 
passions,  aucun  retour  sur  soi-même,  au- 
cune ressource  pour  l'amour-propre,  voilà 
la  véritable  et  solide  piété,  mais  voilà  en 
même  temps  ce  que  les  hommes  faibles  et 
orgueilleux  ne  peuvent  souffrir.  Que  fait-on 
donc  pour  accorder  les  intérêts  de  la  con- 
science avec  ceux  delà  cupidité?  On  accom- 
mode la  religion  à  sa  faiblesse,  on  se  fait  à 
soi-même  une  espèce  de  piété  fausse,  qui 
séduit,  qui  cache  le  véritable  état  de  l'âme, 
qui  fait  mettre  notre  confiance  en  certaines 
œuvres  extérieures  de  justice,  qui,  en  mul- 
tipliant les  pratiques  et  les  austérités,  n'en- 
gagent ni  à  corriger  les  vices,  ni  à  mortifier 
ses  passions  :delà  ces  dévotions  bizarres  et 
mal  entendues,  qui  déshonorent  la  piété  et 
qui  font  triompher  le  monde.  Celui-ci  mul- 
tipliant les  pratiques  se  charge  d'exercices 
non  commandés,  mais  il  ne  songe  ni  à  ré- 
primer sa  langue,  ni  à  conserver  la  charité 
avec  sesfrères  ;  celui-là,  zélé  pour  les  jeûnes 
et  les  actions  extérieures  de  justice,  ne  laisse 
pas  de  conserver  une  attache  impure  et  une 
passion  criminelle  :  l'un  fait  des  aumônes  et 


enrichit  les  hôpitaux,  pendant  qu'il  frustre 
ses  créanciers  ;  l'autre,  charitable  et  libéral 
à  l'égard  des  étrangers,  laisse  périr  impi- 
toyablement des  parents  pauvres  qui  sont 
dans  la  misère  :  on  est  plein  de  zèle  et  d'ac- 
tivité pour  les  œuvres  singulières  et  écla- 
tantes, et  on  ne  peut  souffrir  ce  qui  est  dans 
l'ordre  commun  du  christianisme;  aucune 
attention,  aucune  régularité,  aucune  fidélité 
à  la  loi  :  c'est  le  goût  ou  le  caprice  qui  dé- 
cide ;  on  veut  être  dévot,  mais  à  sa  manière, 
sans  qu'il  en  coûte  rien  à  la  nature;  et  une 
piété  répandue  sur  tout  le  détail  des  actions, 
bornée  à  certaines  pratiques  arbitraires, 
devient  une  ressource  pour  les  passions  et 
une  illusion  de  l'amour  propre. 

Ah  !  ne  puis-je  pas  vous  dire  aujourd'hui 
ce  que  l'apôtre  saint  Paul  disait  autrefois  aux 
Galates  (Gai.,  Y)  :  Vous  êtes  libres  en  Jésus- 
Christ.  Tenez-vous-en  là,  et  ne  vous  mettez 
point  sous  le  joug  d'une  nouvelle  servitude  ; 
ne  mêlez  pas  les  superstitions  judaïques  avec 
la  piété  chrétienne;  songez  que  ce  qui  fait  le 
prix  et  le  mérite  de  nos  actions,  c'est  la  foi 
animée  par  la  charité.  Conduisez-vous  selon 
l'esprit,  et  vous  n'accomplirez  pas  les  des- 
seins de  votre  chair.  Les  fruits  de  l'esprit 
sont  la  joie  ,  la  charité,  la  patience,  la  paix, 
la  modestie,  la  continence,  la  chasteté:  voilà 
les  vertus  du  christianisme,  voilà  à  quoi  tout 
culte  solide  et  véritable  doit  aboutir.  Ceux 
qui  appartiennent  à  Jésus-Christ,  dit  le  même 
apôtre  (Ibid.),  ont  crucifié  leur  chair  avec  ses 
vices  et  ses  desseins  déréglés.  Toute  piété  qui 
ne  tend  pas  là,  est  une  piété  fausse,  mal  enten- 
due, capable  d'éblouir  les  hommes,  mais  in- 
capable de  nous  justifier  devant  Dieu. 

Le  troisième  défaut  de  la  fausse  dévotion, 
c'est  l'orgueil,  et  rien  n'est  plus  opposé  à  l'es- 
prit de  l'Evangile  qui  est  Un  esprit  d'humi- 
lité. Lorsque  vous  faites  l'aumône,  dit  Jésus- 
Christ,  que  votre  main  gauche  ne  sache  pas 
ce  que  fait  votre  main  droite  :  voilà  précisé- 
ment ce  qui  nous  marque  la  supériorité  de 
la  loi  nouvelle.  La  sagesse  humaine  peut 
aller  jusqu'à  condamner  les  œuvres  et  les 
actions  extérieures  de  la  justice  ;  mais  sans 
en  rectifier  les  principes,  sans  en  purifier  les 
motifs.  N'agir  jamais  qu'en  vue  de  Dieu  et  de 
l'éternité;  non-seulement  ne  pas  rechercher 
l'estime  des  hommes,  mais  envier  à  soi- 
même  jusqu'à  cette  complaisance  secrète  qui 
paraît  si  juste  et  si  naturelle  lorsqu'on  a. bien 
fait:  voilà  ce  qui  est  au  dessus  de  l'homme, 
voilà  ce  qui  nous  marque  sensiblement  la 
pureté  et  la  sublimité  de  la  loi  évangélique, 
voilà  ce  qui  ne  peut  venir  que  de  Dieu.  La 
fausse  dévotion  est  bien  éloignée  de  ces  sen- 
timents :  elle  fait  le  bien,  mais  par  des  mo- 
tifs tout  humains,  par  des  vues  basses  d'in- 
térêt, lorsqu'il  est  le  principe  de  toutes  ses 
actions;  et  comme  elle  ne  cherche  qu'à  plaire 
aux  hommes ,  elle  ne  nous  inspire  que  de 
fausses  vertus. 

Telle  est  l'idée  que  l'Evangile  nous  donne 
des  pharisiens.  Ces  faux  dévots  du  judaïsme 
cherchaient  avec  empressement  les  premières 
places  et  les  premières  chaires  dans  les  sy- 
nagogues; ils  aimaient  qu'on  les  saluât  dans 


OH 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SURïAN. 


012 


les  places  publiques,  et  comme  ils  recevaient 
leur  récompense  en  ce  monde,  ils  ne  devaient 
lias  en  attendre  d'autre.  (Mat th.,  XX1ÏI.) 

Ahl  mes  frères,  à  combien  de  chrétiens  ne 
pourrait-on  pas  faire  aujourd'hui  le  môme 
reproche?  Car,  sans  parler  ici  de  ces  hommes 
sans  conscience,  qui  font  servir  la  religion  à 
leurs  passions,  qui  n'affectent  un  extérieur 
de  piété  que  pour  s'ouvrir  un  chemin  à  la 
faveur,  à  la  fortune,  aux  dignités  de  l'Eglise 
eî.  du  siècle,  d'autant  plus  criminels  qu'ils 
s'efforcent  de  paraître  plus  vertueux.  Que 
d'illusions,  que  d'amour-propre  dans  la 
piété  de  la  plupart  des  autres  1  Avouons-le, 
et  que  chacun  entre  ici  dans  le  secret  de  son 
cœur  :  pourquoi  tant  d'amour  pour  les  pré- 
séances et  les  distinctions  ;  tant  d'ardeur 
pour  les  oeuvres  éclatantes  qui  donnent  de 
la  réputation  ;  tant  de  répugnance  pour  les 
vertus  obscures  et  qui  ne  sont  connues  que 
de  Dieu? pourquoi  tant  d'attaches  à  son  pro- 
pre sens,  tant  de  sensibilité  aux  moindres 
injures,  tant  d'éloignement  pour  eaux  qui  ne 
pensent  pas  comme  nous  ;  et  d'où  vient  tant 
de  jalousies,  tant  de  haine,  tant  d'animosité, 
tant  de  défauts  qui  défigurent  la  piété  et  que 
le  monde  confond  iavec  la  piété  véritable, 
sinon  de  ce  qu'on  recherche  ses  intérêt:  en- 
core plus  que  ceux  de  Jésus-Christ,  de  ce 
.ju'on  ne  regarde  pas  l'humilité  comme  le 
fondement  cie  toute  piété  solide,  et  qu'on 
veut-être  dévot  sans  renoncer  à  soi-même? 
Ah]  mes  frères,  ce  ne  sont  pas  là  les  carac- 
tères de  la  piété  chrétienne.  11  n'y  a  point  de 
véritable  piété  sans  la  charité,  parce  que  la 
marité  est  patiente,  elle  est  douce  et  bien- 
faisante :  la  charité  n'est  point  envieuse,  elle 
ae  s'enlle  point  d'orgueil,  elle  n'a  point  de 
.nauvais  soupçons,  elle  tolère  tout,  elle  croit 
iout,  elle  espère  tout,  elle  souffre  tout  :  donc 
si  vous  n'avez  aucune  de  ces  vertus,  vous 
a'avez  pas  la  charité  ;  et  si  vous  n'avez  point 
la  charité,  malgré  toutes  vos  œuvres  exté- 
rieures de  justice,  malgré  toutes  vos  actions 
éclatantes,  votre  piété  n'est  que  fantôme  et 
illusion.  Mon  Dieu,  'que  de  piétés  fausses, 
jue  de  voies  qui  paraissent  droites  et  qui 
néanmoins  conduisent  à  la  mort  !  Que  de  ver- 
ius  qui  attirent  l'estime  des  hommes,  et  qui 
seront  réprouvées  devant  vous  !  Faut-il  donc 
abandonner  le  parti  de  la  piété?  faut-il  que 
lavue  de  la  perfection  de  la  loi  et  de  notre 
extrême  faiblesse  nous  jette  dans  l'abatte- 
ment et  le  désespoir?  A  Dieu  ne  plaise!  ce 
serait  la  plus  dangereuse  de  toutes  les  illu- 
sions ;  rien  de  plus  affreux  que  de  renoncer 
au  soin  de  son  âme  et  au  désir  de  son  salut, 
et  il  vaut  encore  mieux  se  tromper  dans  la 
piété  que  de  n'en  avoir  point  du  tout.  Que 
fant-il  donc  faire?  C'est  le  fruit  de  cette  pre- 
mière partie  :  il  faut  trembler  pour  soi-même, 
se  délier  de  saproprejuslice,cxamineratten- 
tivement  ses  œuvres,  les  motifs,  les  disposi- 
tions les  plus  secrètes  de  son  cœur,  voir  ce 
qu'il  y  a  dans  sa  piété  d'humain,  de  terres- 
tre, de  défectueux,  d'impur,  et  travailler  sans 
cesse  à  le  corriger;  acquérir  cet  esprit  de  vé- 
rité, cet  esprit  de  liberté,  cet  esprit  d'humi- 
lité qui  font  le  véritable  caractère  de  la  loi 


nouvelle.  En  un  mot,  il jfaut  se  jeter  entre 
les  bras  de  la  miséricorde  de  Dieu,  et  lui  dire 
avec  le  prophète  David,  dans  les  sentiments 
d'une  profonde  humilité  :  Nous  avons  péché, 
Seigneur,  nous  a^ons  commis  l'iniquité  au 
lieu  de  vous  chercher,  nous  nous  som- 
mes cherchés  nous-mêmes,  et  dans  le  temps 
que  nous  faisions  profession  de  vous  servir, 
nous  nous  sommes  écartés  de  la  voie  de  vos 
prophètes  et  de  vos  ordonnances.  Ce  n'est 
donc  pas  sur  la  foi  de  notre  propre  justice 
que  nous  vous  offrons  nos  prières  en  nous 
]  rosternant  devant  vous,  mais  c'est dans  la 
vue  de  la  multitude  de  vos  bontés.  Exaucez- 
nous,  Seigneur,  faites-nous  marcher  dans  vos 
voies,  sauvez-nous,  pour  l'amour  de  vous-mê- 
me, parce  que  nous  sommes  votre  peuple,  que 
nous  avon.slagloirede  portervolrenom.  Pour 
vous, mondains,  qui  critiquez  malicieusement 
la  dévotion,  qui  en  relevez  les  défauts,  qui 
les  exagérez,  qui  prenez.de  là  occasion  de 
décrier  la  véritable  piété,  d'insulter  à  la  re- 
ligion même,  lie  vous  imaginez  pas  que  les 
faiblesses  de  vos  frères  vous  justifient  :  si  leur 
piété  n'est  pas  exempte  de  censure,  vos 
désordres  sont  inexcusables,  et  il  ne  vous 
sied  guère  de  vous  moquer  clés  autres,  pen- 
dant que  vous  devez'trembler  pour  vous-mê- 
mes. C'est  le  sujet  de  ma  deuxième  partie, 
où  je  vous  ferai  sentir  toute  l'injustice  des 
conséquences  que  le  monde  tire  delà  fausse 
dévotion  contre  la  véritable  piété. 

SECQNIJ    PCINT. 

Ce  n'est  pas  seulement  la  malignité  natu- 
relle à  l'homme  qui  rend  les  mondains  si 
attentifs  à  remarquer  les  abus  de  la  dévo- 
tion, à  les  relever,  à  les  exagérer,  à  en  faire 
le  sujet  de  leurs  railleries  les  plus  vives  et 
les  plus  arriéres,  il  y  a  encore  un  intérêt  se- 
cret qui  les  y  engage,  par  là  ils  s'imaginent 
autoriser  leur  conduite,  justifier  leur  indiffé- 
rence pour  les  choses  de  Dieu,  relever  cette 
probité  morale  dont  ils  se  piquent  si  fort  et 
à  laquelle  ils  réduisent  toutes  leurs  vertus 
en  rendant  la  piété  méprisable;  mais  ne  leur 
souffrons  pas  ce  vain  triomphe,  ôtons-leur  tout 
appui,  toute  ressource,  et  faisons  leur  voir 
aujourd'hui  qu'ils  sont  souverainement  in- 
justes :  1"  En  ce  qu'ils  prennent  pour  fausse 
dévotion  ce  qui  ne  l'est  pas;  2°  en  ce  qu'ils 
rejettent  sur  la  piété  même  les  défauts  de 
ceux  qui  en  font  profession;  3"  en  ce  qu'ils 
se  trouvent  eux-mêmes  dans  un  état  plus  fâ- 
cheux et  plus  déplorable  que  celui  qu'ils 
reprochent  aux  faux  dévots.  Appliquez-vous, 
chrétiens:  il  n'est  peut-être  joint  de  sujet 
plus  utile  et  plus  intéressant  pour  vous. 

Je  dis  :  1"  que  les  mondains  |  rennent  pour 
fausse  dévotion  ce  qui  ne  l'est  pas,  voilà  en 
quoi  consiste  leur  erreur  ou  plutôt  leur  in- 
justice; ils  se  forment  injustement  une  per- 
fection chimérique  au-dessus  de  la  nature 
humaine  et  à  laquelle  personne  ne  peut  at- 
teindre ;  toute  piété  qui  ne  tend  pas  là,  dans 
laquelle  ils  remarquent  quelque  négligence, 
quelque  imperfection,  quelque  retour  d'a- 
mour-propre,  leur  paraît  une  piété  fausse  et 
mal  entendue  qu'ils  traitent  hardiment  d'il- 


CAREME.  —  SERMON  XVII,  DE  LA  FAUSSE  DEVOTION. 


914 


lusion  :  de  là  cette  critique  sévère,  celte  cen- 
sure inexorable  à  l'égard  de  ceux  qui  font 
profession  de  piété;  cette  liberté  qu'on  se 
donne  de  juger,  de  condamner,  d'examiner 
leurs  pratiques,  d'interpréter  leurs  motifs, 
de  fouiller  jusque  dans  le  plus  secret  de  leur 
cœur,  pour  y  trouver  de  quoi  affaiblir  le 
mérite  de  leurs  œuvres  ;  de  là  ces  railleries 
piquantes,  ces  airs  de  triomphe  et  d'insulte 
lorsqu'il  leur  échappe  quelques  fautes,  lors- 
que la  fragilité  humaine  les  fait  écarter  de 
la  loi  :  mais  en  vérité  se  peut-il  rien  de  |  lus 
injuste?  Quoi  donc,  parce  que  votre  frère 
fait  profession  de  piété,  parce  qu'il  tâche 
d'arriver  à  la  perfection  évangélique,  s'en- 
suil-il  qu'il  soit  tout  à  coup  transformé  en 
ange,  exempt  de  toute  faiblesse?  n'est-il  pas 
toujours  homme  ,  par  conséquent  toujours 
faible,  toujours  pécheur,  toujours  porté  au 
mal,  toujours  exposé  aux  combats  rie  la 
chair  <  outre  l'esprit?  Jésus-Christ  a-t-il  pro- 
mis à  ceux  qui  le  suivraient  deles  rendre  im- 
peccables, ne  les  a-t-il  pas  plutôt  avertis 
qu'il  fallait  toujours  combattre,  toujours 
faire  des  efforts-,  toujours  travailler,  à  pré- 
venir les  chutes?  0  mon  Dieu!  où  en  serions- 
nous,  si  vous  nous  jugiez  avec  la  même 
sévérité  que  les  hommes,  si  vous  regardiez 
comme  un  défaut  tout  ce  qui  n'est  pas 
exemrt  de  faiblesse  !  Oui,  mon  frère,  les 
gens  de  bien  ont  des  passions,  mais  ils  tra- 
vaillent sans  cesse  à  les  vaincre;  ils  sont 
sujets  à  l'erreur,  mais  ils  cherchent  toujours 
sincèrement  la  vérité  ;  ils  font  des  fautes, 
mais  ils  en  gémissent,  ruais  ils  s'en  humi- 
lient devant  Dieu  ;  ils  succombent  même 
quelquefois,  car  vous  le  permettez  ainsi, 
Seigneur,  afin  que  l'homme  ne  se  glorifie 
pas  dans  ses  propres  forces,  mais  leurs  chu- 
tes mêmes  leur  sont  utiles  :  elles  les  rendent 
[dus  vigilants,  elles  raniment  leur  zèle  et 
redoublent  leur  charité.  D'ailleurs  est-ce  à 
vous  à  juger  les  serviteurs  de  Dieu,  à  décider 
si  leur  piété  est  fausse  ou  vraie.  Hommes 
charnels  livrés  à  l'amour  du  siècle,  il  vous 
sied  bien  de  traiter  avec  des  mains  profanes 
le  mystère  ;'e  la  piété!  Avez-vous  les  lumiè- 
res nécessaires  pour  un  examen  si  difficile 
et  dans  lequel  les  personnes  les  plus  éclai- 
rées courent  risque  de  se  tromper?  Vous  ne 
comprenez  pas,  dites-vous,  à  quoi  aboutis- 
sent ces  prières  longues  et  réglées,  ces  con- 
fessions si  fréquentes  si  assidues,  ces  lec- 
tures dont  ils  se  font  une  loi,  ces  pratiques 
non  commandées  et  auxquelles  ils  sont  si 
fidèles;  il  vous  paraît  dans  tout  cela  de  l'a- 
musement, de  la  puérilité;  mais  prétendez- 
vous  réduire  la  religion  à  une  spéculation, 
à  un  amour  de  Dieu  stérile,  qui  n'oblige  à 
rien  ceux  qui  la  suivent?  ne  faut-il  pas  que 
>ceux  qui  sont  a  Dieu  en  portent  les  marques 
honorables  et  glorieuses,  qu'ils  se  distin- 
guent dû  reste  des  hommes  par  une  attache 
particulière  à  son  service!  Ces  pratiques  ne 
sont  pas  le  fond  de  la  religion,  ni  la  piété 
même,  je  l'avoue;  mais  elles  sont  des  secours 
pour  la  vertu,  des  soutiens  dans  la  piété  :  il 
est  utile  de  les  suivre  et  dangereux  de  les 
négliger.  Elles  vous  paraissent  petites  et  mé- 


prisables; mais  les  œuvres  des  saints  n'ont- 
.elîes  pas  toujours  été  un  sujet  de  dérision 
pour  les  profanes?  Ainsi  l'insensée  Michol  ne 
pouvait  souffrir  que  David  dansât  devant 
l'arche;  ainsi  les  j  arents  de  Tobie  se  mo- 
quaient de  ses  aumônes  et  de  l'amour  qu'il 
avait  d'ensevelir  les  morts.  Mais  qu'importe 
au  juste  d'être  estimé  par  les  hommes, 
pourvu  qu'il  so:t  approuvé  de  Dieu  :  les  pra- 
tiques qui  paraissent  petites  et  méprisables 
deviennent  la  source  de  leur  sanctification, 
c'est  à  leur  fidélité,  à  leur  exactitude  dans 
l'exécution  de  ces  choses,  qu'ils  doivent  la 
victoire  sur  leurs  passions  et  la  couronne 
même  du  salut.  Faites  le  tour  de  Jéricho  pen- 
dant six  jours,  dit  le  Seigneur  à  Josué,  que 
le  septième  jour  les  prêtres  prennent  les  sept 
trompettes  dont  on  se  sert  dans  l'année  du 
jubilé,  qu'ils  marchent  devant  l'arche  ;  vous 

.  ferez  sept  fois  le  tour  de  cette  ville  et  les 
prêtres  sonneront  de  la  trompette.  Quoi  de 
plus  opposé  aux  règles  do  la  prudence  hu- 
maine !  quoi  de  plus  inutile  en  apparence 
pour  prendre  une  ville  bien  fortifiée!  Cepen- 
dant Josué  obéit,  le  peuple  attentif  à  sa  voix 
exécute  avec  une  exactitude  scrupuleuse 
ce  que  le  Seigneur  avait  prescrit,  enfin  le 
septième  jour  arrivé  la  parole  du  Seigneur 
s'accomplit,  une  main  invisible  renverse  les 
murailles  de  Jéricho,  et  Israël  doit  à  son 
obéissance  et  à  sa  fidélité  la  plus  éclatante 
de  ses  victoires. 

Mais  je  veux  que  vos  jugements  soient 
équitables,  qu'il  y  ait  de  l'illusion  dans  la 
piété  de  quelques-uns  de  vos  frères,  qu'ils  ne 
marchent  pas  selon  la  vérité  de  l'Église  :  je 
dis  que  vous  ne  laissez  pas  d'être  injustes. 
Pourquoi?  Parce  que  vous  tirez  delà  des 
conséquences  trop  étendues,  et  que  vous  re- 
jetez sur  la  piété  même  les  défauts  de  ceux 
qui  en  font  profession. 

2*  Oui,  mes  frères,  si  vous  vous  con- 
tentiez de  nous  dire  qu'il  y  a  des  hypo- 
crites, de  faux  dévots  qui  déshonorent  la 
piété,  parce  qu'ils  la  font  servir  de  voile 
à  leurs  passions  et  à  leurs  désirs  déréglés, 
nous  serions  d'accord  avec  vous;  car,  hélas  1 
on  ne  peut  nier  qu'il  y  a  trop  d'ivraie  parmi 
le  bon  grain,  qu'un  levain  funeste  corrompt 
souvent  toute  la  masse;  mais  conclure  de  là 
que  toute  piété  est  fausse,  envelopper  les 
gens  de  bien  dans,  la  même  condamnation 
que  les  faux  dévots,  se  croire  en  droit  de  re- 
garder le  nom  même  de  dévot  comme  odieux, 
commcuue  marque  d'illusion  et  defaiblesse, 
c'est  une  injustice  criante,  c'est  un  aveugle- 
ment inconcevable. 

lit  certes  la  piété  doit-elle  souffrir  des  dé- 
fauts de  ceux  qui  en  font  profession  ?  Il  y  a 
des  dévots  orgueilleux,  ignorants,  supersti- 
tieux, délicats  sur  le  point  d'honneur,  sen- 
sibles aux  moindres  injures,  durs  et  inflexi- 
bles sur  tout  ce  cpii  regarde  les  intérêts  du 
prochain;  mais  est-ce  la  piété  qui  leur  ins- 
p;re  ces  sentiments  ?  au  contraire  ne  leur 
conseille-t-elle  pas  l'humilité,  la  patience, 
le  support  de  leurs  frères  ,  le  détachement 
du  monde  et  de  ses  vains  intérêts?  Non,  mes 

.  frères,  rien  de  plus  grand,  rien  de  plusno' 


915 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SURIAN. 


OIC 


ble  que  la  piété,  lorsqu'elle  est  prise  comme 
il  faut  et  sur  le  véritable  esprit  de  l'Evangile; 
elle  éclaire  l'esprit,  elle  élève  l'âme,  elle 
adoucit  l'humeur,  elle  épure  les  sentiments, 
elle  est  utile  à  tous,  dit  saint  Paul,  elle  rend 
les  hommes  doux,  civils,  compatissants,  cha- 
ritables, patients  dans  les  maux,  tranquilles 
dans  la  joie,  et  indépendants  de  tout  ce  qui 
tes  environne. 

Telle  est  votre  loi  éternelle,  ô  mon  Dieu, 
si  juste  et  si  raisonnable  que  môme  par  rap- 
port à  la  vie  présente,  il  est  infiniment  avan- 
tageux de  la  suivre;  pourquoi  donc  tant  de 
personnes,  qui  font  depuis  si  longtemps 
profession  de  piété,  ont-elles  des  défauts 
directement  opposés  à  toutes  les  vertus? Ah! 
mes  frères,  c'est  qu'elles  ont  voulu  être  leurs 
propres  guides  dans  les  voies  dusalut,  qu'elles 
ont  choisi  des  conducteurs  aveugles  qui  les 
ont  écartées  du  droit  chemin,  qu'elles  n'ont 
jamais  pris  soin  de  s'instruire  du  véritable 
esprit  de  l'Evangile  ;  c'est  qu'à  la  piété  solide 
et  véritable,  elles  ont  substitué  une  piété 
fausse  et  compatible  avec  les  passions,  leur 
amour-propre;  mais  grâce  à  la  même  loi  de 
Dieu,  il  est  encore  aujourd'hui  des  âmes 
choisies  dont  la  piété  fait  honneur  à  la  reli- 
g;on,  dont  la  vie  est  une  fidèle  expression 
de  l'Evangile  :  rien  de  bas,  rien  d'humain, 
rien  de  terrestre  dans  leur  piété;  tout  y  est 
grand,  noble,  solide,  digne  de  Dieu  et  de  la 
sainteté  de  la  foi;  uniquement  occupées  de 
leur  salut,  éclairées  sur  les  voies  qui  y  con- 
duisent, délicates  sans  scrupules,  chrétien- 
nes sans  affectation,  on  les  voit  porter  le  mys- 
tère de  la  foi  dans  une  conscience  pure, 
s'éloigner  également  et  des  superstitions  des 
juifs,  et  de  la  fausse  liberté  des  mondains, 
allier  les  devoirs  de  la  société  avec  ceux  de 
la  religion,  la  fidélité  aux  obligations  de  leur 
état  avec  la  pratique  des  bonnes  œuvres,  et 
forcer  les  hommes  les  plus  injustes  à  cette 
admiration  qu'on  ne  peut  refuser  àla  vertu. 
Il  n'y  a  pas  même  d'état,  point  de  condition 
qui  ne  vous  fournisse  de  grands  modèles, 
le  trône  a  ses  Davids,  la  cour  a  ses  Mardo- 
chées,  la  guerre  ses  Josués,  le  ministère  ses 
Josephs,  le  sacerdoce  ses  Aarons.  Non,  Sei- 
gneur, vous  ne  souffrirez  jamais  que  leLvéri- 
table  piété  disparaisse  entièrement  de  dessus 
la  terre,  il  y  va  de  votre  gloire  :  vous  avez  soin 
de  vous  réserver  des  adorateurs  fidèles  pour 
honorer  la  religion  et  pour  confondre  le 
monde.  Les  exemples  sont  rares,  dites-vous, 
il  y  a  peu  d'hommes  de  ce  caractère;  mais 
n'est-ce  pas  un  effet  de  votre  prévention  et 
de  votre  malice,  n'est-ce  pas  un  intérêt  se- 
cret, qui  diminue  à  vos  yeux  le  nombre  des 
gens  de  bien?  et  comment  rendriez-vous  jus- 
tice a  la  vertu,  vous  qui  souhaiteriez  qu'il 
n'y  en  eût  point  sur  la  terre?  Ces  exemples 
sont  rares,  mais  n'est-ce  pas  sur  le  petit 
nombre  de  gens  de  bien  que  vous  devez  ju- 
ger de  la  piété  et  non  pas  sur  la  multitu  !e 
des  faux  dévots  qui  la  déshonorent?  ces 
exemples  sont  rares,  mais  quelque  rares 
qu'ils  soient,  ne  suffisent-ils  pas  pour  justifier 
la  religion,  pour  vous  faire  sentir  toute  votre 
injustice,  pour  vous  confondre  si  vous  ne  les 


suivez  pas  ?  Il  y  a  peu  de  gens  de  bien,  je 
veux  qu'ils  soient  encore  plus  rares  que  vous 
ne  le  pensez  ;  mais  enfin  il  y  en  a  et  vous 
êtes  forcés  d'en  convenir  vous-mêmes,  il  y 
en  a  de  tout  âge,  de  tout  sexe,  de  toute  qua- 
lité, de  toute  condition;  donc  la  véritable 
piété  n'est  pas  bannie  de  dessus  la  terre, 
donc  elle  n'est  pas  impraticable,  donc  vous 
êtes  inexcusables,  si  vous  ne  faites  pas  des 
efibrts  pour  imiter  ceux  qui  marchent  dans 
les  voies  du  salut.  Voilà,  mondains,  où  il  en 
faut  venir,  à  rentrer  dans  votre  propre  cœur, 
à  faire  des  reflexionsserieus.es  sur  votre  état, 
à  tourner  contre  vous-mêmes  cette  critique 
sévère  et  impitoyable  que  vous  exercez  si 
injustement  contre  votre  frère. 

3°  Hélas  !  que  votre  état  est  déplorable  1  il 
est  affreux  devant  Dieu  :  s'il  vous  reste  quel- 
que foi, qu'il  est  digne  de  vos  gémissements 
et  de  vos  larmes  1  Ici,  mondains,  il  ne  s'agit  ni 
des  distinctions  de  la  noblesse  et  du  rang,  ni 
des  qualités  de  la  raison,  ni  de  ces  vertus 
purement  humaines  qui  vous  relèvent  de- 
vant les  hommes;  tout  cela  n'est  pas  compte 
par  rapport  à  «l'éternité,  un  chrétien  n'est  vé- 
ritablement que  ce  qu'il  est  aux  yeux  de 
Jésus-Christ.  Or,  aux  yeux  de  Jésus-Chris» 
et  selon  les  règles  de  là  foi,  qu'êtes-vous,  si- 
non des  hommes  de  chair  et  de  sang,  livrés  à 
toutes  vos  passions  et  à  tous  vos  désirs  dé- 
réglés, épris  de  l'amour  du  siècle,  esclaves 
de  ses  maximes,  adorateurs  de  ces  biens, 
enivrés  de  ses  plaisirs,  chrétiens  par  votre 
vocation,  païens  par  vos  œuvres,  objets  de 
la  colère  de  Dieu  et  dignes  de  tous  les  sup- 
plices de  l'enfer. 

Vous  vous  réduisez  donc  à  une  probité 
morale,  à  une  certaine  droiture  qui  vous 
rend  souverainement  ennemis  de  l'injustice  ; 
mais  qu'est-ce  que  cette  probité  devant  Dieu? 
un  fantôme  de  vertu  qui  disparaît  aux  lu- 
mières de  la  foi,  un  arbre  stérile  cpii  ne  porte 
point  de  fruit  pour  l'éternité,  un  vain  titre 
dont  l'orgueil  humain  se  pare  et  se  sert  pour 
se  rassurer  contre  les  remords  de  sa  cons- 
cience. Est-ce  sur  les  règles  de  cette  probité 
ou  sur  celle  de  l'Evangile  que  vous  serez  ju  - 
gés?Que  vous  servira  au  dernier  jour  d'avoir 
été  honnêtes  gens  selon  le  monde,  si  vous 
n'avez  jamais  été  chrétiens;  d'ailleurs  cette 
probité  dont  vous  vous  piquez  si  fort,  vous 
vous  en  flattez,  je  l'avoue,  le  monde  même 
vous  en  flatte  ;  mais  ses  jugements  sont-ils 
recevables  ?  Notre  siècle  ne  donne-t-il  pas  ce 
titre  d'honnête  homme  avec  trop  de  facilité? 
Si  votre  raison  n'était  pas  séduite  par  vos 
préjugés  et  par  vos  passions,  si  vous  écoutiez 
la  voix  de  votre  conscience,  ne  vous  rendrait- 
elle  pas  un  témoignage  bien  différent?  Vous 
ne  faites  pas  d'injustices  criantes,  vous  ne 
ravissez  pas  le  bien  d'autrui,  vous  né  trou- 
blez pas  la  tranquillité  publique,  vous  ne  dé- 
chirez pas  la  réputation  de  votre  frère  par  de 
noires  calomnies,  mais  cela  suffit-il  pour  un 
honnête  homme?'Mais  ces  flatte  lies  basses,  ces 
complaisances  serviles  que  vous  prodiguez 
lâchement  aux  idoles  delà  fortune,  ces  voies 
détournées  dont  vous  vous  servez  pour  sup- 
planter le  concurrent,  les  pièges  que  vous 


917 


CAREME.  —  SERMON  XVIII,  DE  LA  CONSCIENCE  CONTRE  LES  SCRUPULES. 


918 


dressez  à  l'innocence  de  cette  jeune  personne 
dont  vous  flétr-issez  la  réputation,  dont  vous 
ruinez  peut-être  la  fortune,  cette  haine  im- 
pla  able  contre  votre  ennemi  qui  éclate  dans 
toutes  les  occasions  où  vous  ne  gardez  pas 
même  les  mesures  de  la  bienséance,  ce  luxe 
sans  bornes,  ce  jeu,  ces  délicatesses,  ces 
sensualités  excessives  qui  altèrent  votre 
réputation,  votre  santé,  votre  fortune  :  tout 
cela  est-il  dans  les  règles  d'une  exacte  probi- 
té? Est-ce  là  le  modèle  de  conduite  que  vous 
olFrent  ces  païens  que  vous  admirez  si  fort, 
et  leur  exemple  ne  peut-il  pas  servir  à  vous 
confondre  ? 

Voilà  votre  véritable  état,  mondains,  mal- 
gré les  beaux  dehors  qui  vous  couvrent,  qui 
vous  dérobent  aux  yeux  des  hommes  ,  voilà 
ce  que  vous  êtes  devant  Dieu  ,  voilà  ce  que 
vous  n'apprendrez  jamais  de  cette  troupe  de 
flatteurs,  d'âmes  viles  et  mercenaires  qui  vous 
environnent. 

Mais  voilà  ce  que  la  sainte  liberté  de  notre 
ministère  nous  empêche  de  dissimuler  : 
heureux,  si  en  vous  découvrant  toute  la  pro- 
fondeur de  vos  plaies,  nous  vous  engagions 
à  chercher  les  moyens  de  les  guérir  I  Or,  je 
vous  le  demande,  dans  un  état  si  triste,  si 
fâcheux,  si  déplorable,  vous  sied-il  d'insul- 
ter à  la  faiblesse  de  ceux  dont  la  piété  n'est 
pas  assez  éclairée  et  assez  sincère?  Toute  la 
sévérité  de  votre  censure  ne  doit-elle  pas  se 
tourner  contre  vous-mêmes,  et  ne  puis-je  pas 
vous  dire  ce  que  Jésus-Christ  dit  dans  l'E- 
vangile :  Pourquoi  voyez-vous  une  paille  dans 
l'œil  de  votre  frère,  vous  qui  ne  voyez  pas 
une  poutre  dans  votre  œil;  ôtez  d'abord  la 
poutre  de  votre  œil,  et  alors  vous  verrez  com- 
ment vous  pourrez  tirer  la  paille  de  l'œil  de 
votre  frère  (Matth. ,  VU);  commencez  par 
vous  guérir  vous-mêmes,  par  chasser  de  vo- 
tre cœur  cette  ambition,  cette  avarice,  cette 
sensualité,  cette  passion  impure,  et  tous  les 
autres  tyrans  qui  y  régnent  avec  un  souve- 
rain empire  ;  alors  vous  songerez  à  corriger 
les  imperfections  de  vos  frères,  et  voilà  à 
quoi  doivent  vous  servir  ces  réflexions  si 
utiles  ,  que  vous  faites  quelquefois  sur  les 
défauts  de  ceux  qui  font  profession  de  la 
piété.  Si  j'embrassais  le  parti  de  la  piété ,  je 
me  donnerais  à  Dieu  tout  de  bon  ,  plus  de 
retour  vers  le  monde,  plus  de  ménagements 
avec  le  siècle ,  tout  serait  pour  Dieu  et  pour 
l'éternité.  Mes  frères,  qui  vous  empêche  de 
mettre  ces  réflexions  en  pratique  et  vous  en 
servir  [  our  vous-mêmes,  au  lieu  de  les  em- 
ployer inutilement  à  relever  les  défauts  de 
vos  frères.  Ah!  puisque  vous  avez  une  idée 
si  juste  et  si  exacte  de  la  piété ,  vous  êtes 
donc  inexcusables,  si  vous  ne  la  suivez  pas, 
puisque,  selon  vous,  les  plus  légères  faibles- 
ses sont  indignes  d'un  chrétien;  pouvez- 
vous  vous  flatter  de  l'être,  vous  qui  vous 
abandonnez  sans  scrupule  à  tous  les  désirs 
de  votre  cœur?  Jésus-Christ  ne  pourra-t-il 
pas  vous  répondre,  au  jour  du  jugement,  ce 
qu'il  dit  à  ce  lâche  serviteur  dont  il  est  parlé 
dans  l'Evangile  :  Mauvais  serviteur,  vous 
saviez  que  je  suis  un  maître  sévère,  difli- 
cile,  jaloux  de  ses  droits,   qui  demande  le 


cœur  sans  réserve,  qui  ne  peut  souffrir  rien 
de  terrestre,  d'impur,  d'imparfait  dans  ceux 
qui  s'attachent  à  mon  service  ;  vous  If  sa- 
viez, jusqu'à  en  faire  des  leçons  aux  autres, 
jusqu'à  blâmer  hautement  la  piété  de  ceux 
en  qui  vous  remarquiez  quelques  faiblesses; 
pourquoi  donc  n'avez-vous  pas  profité  do 
cette  connaissance?  pourquoi,  bien  loin  de 
me  servir  avec  la  pureté,  avec  la  perfection 
que  vous  saviez  que  je  demande,  avez-vous 
refusé  de  vous  soumettre  aux  règles  les  plus 
communes  de  l'Evangile?  Vos  propres  lu- 
mières déposent  contre  vous;  vous  avez 
vous-mêmes  prononcé  votre  arrêt;  votre  con- 
damnât1 on  est  sortie  de  votre  propre  bou- 
che :Dc  ore  tuo  tejudico.  (Luc,  XIX.) Préve- 
nez, mes  frères,  un  si  grand  malheur;  qu'on 
ne  voie  plus  une  si  énorme  contradiction 
entre  votre  créance  et  vos  mœurs.  Puisque 
vous  pensez  bien,  agissez  encore  mieux; 
que  toutes  vos  réflexions  se  tournent  en  ef- 
fet pour  acquérir  cette  piété  qui  seule  peut 
vous  conduire  à  la  gloire  éternelle  que  je 
vous  souhaite.  Au  nom  du  Père,  du  Fils  el 
du  Saint-Esprit.  Amen 

SERMON  XVIII. 

DE    LA    CONSCIENCE    CONTRE   LES    SCIUPULES. 

Non  lotis  manibus  manducare  non  coinauinat  hominem 
(Miitlli.,  XV.) 

Manger  avant  d'avoir  lavé  ses  mains  n'est  pas  ce  qui 
souille  l'homme. 

C'est  ainsi  que  Jésus-Christ,  qui  s'arrête 
peu  à  l'extérieur  et  aux  observances  inu- 
tiles, renvoie  l'homme  incertain  sur  ses  de- 
voirs, à  son  propre  cœur  et  à  sa  conscience  ; 
en  effet,  si  vous  pouviez  rentrer  souvent 
dans  votre  cœur,  le  consulter  et  l'entendre, 
nulle  tristesse,  nulle  alarme,  nulle  inquié- 
tude ne  pourraient  vous  troubler;  pourquoi 
fêla?  parce  que  vous  portez  dans  vous- 
même  une  règle  certaine  qu'on  ne  peut  ni, 
méconnaître  ni  anéantir,  c'est-à-dire  la  con- 
science :  cette  conscience,  lumière  pure  qui 
luit  dans  les  cœurs  les  plus  ténébreux;  loi 
vivante  qui  subsitte  dans  les  âmes  les  plus 
rebelles;  maître  assidu  qui  fait  des  leçons 
continuelles  de  justice  et  de  sainteté;  voix 
secrète  qui  avertit  du  bien  que  vous  avez  à 
faire  et  du  mal  que  vous  devez  éviter;  mi- 
roir fidèle  qui  nous  peint  nos  vices  et  nos 
vertus  dans  tout  leur  naturel  ;  flambeau  lu- 
mineux qui  porte  sa  lumière  dans  toutes  les 
parties  de  notre  âme,  et  à  qui  rien  n'échappe; 
cette  conscience,  guide  intime  ,  que  Dieu  a 
jointe  à  notre  âme  pour  la  diriger  et  |.our  la 
réprimer;  livre  toujours  ouvert  à  notre  es- 
prit, où  une  main  invisible  nous  trace  nos 
devoirs  et  nous  représente  nos  obligations; 
cri  perçant  qui  trouble  les  pécheurs  jusque 
dans  leurs  plaisirs,  les  fait  trembler  dans 
leurs  égarements,  et  rappelle  dans  leur  âme 
l'innocence  et  la  pénitence;  cette  conscience, 
qu'on  peut  dire  être  tantôt  une  ferme  espé- 
.  rance  en  Dieu,  et  une  sainte  confiance  de  lo 
trouver  un  jour  favorable  ;  tantôt  réprobalion 
funeste  devant  ce  tribunal  de  justice;  tantôt 
réponse  salutaire  qui  console;  tantôt  repre^ 


e\o 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SURIAN. 


che  amer  qui  confond;  juge  exact  qui  a 
dans  vous  son  tribunal  toujours  dressé  pour 
absoudre  et  jour  condamner;  censeur  sé- 
vère, redoutable  accusateur  qu'on  porte  par- 
tout et  qu'on  ne  peut  non  plus  fuir  que  soi- 
même;  cette  conscience  enfin  qui  est  un  re- 
pos du  soleil  de  justice,  un  supplément  de 
la  divinité,  qui  parle  en  son  nom,  qui  sou- 
tient ses  intérêts  et  qui  nous  devient  un  lé- 
gislateur perpétuel  et  domestique. 

Quoi  donc,  avec  tant  de  lumière,  l'homme 
pourrait-il  n'être  pas  éclairé,  et  peut-il  lui 
venir  encore  des  inquiétudes  et  des  doutes 
avec  un  guide  si  fidèle?  Il  n'en  vient  que 
trop,  Messieurs,  et,  soit  qu'on  ne  consulte 
point  sa  conscience,  ou  qu'obscurcie  par  les 
ténèbres  des  passions,  elle  ne  nous  repré- 
sente qu'imparfaitement  l'état  de  notre  âme, 
il  y  a  une  infinité  de  fidèles  exposés  aux 
doutes  et  aux  alarmes;  et  en  qui,  Ija\  que 
la  conscience  soit  un  fond  de  vérité,  de  cer- 
titude et  de  tranquillité,  elle  est  une  source 
de  combats,  d'inquiétudes  et  de  peines. 

Essayons  de  les  guérir  d'un  mal  si  dange- 
reux. Et  comme  la  nature  a  donné  plus  de  fai- 
blesse à  ces  âmes  malades,  ayons  aussi  pour 
elles  plus  de  compassion,  et  sondons  la  profon- 
deur de  leurs  peines  sans  les  flatter  ;  rendons- 
leur  cette  paixqui  est  aux  vrais  enfantsle  bien 
le  plus  cher  et  le  plus  doux.  Toutes  leurs  pei- 
nes viennent  de  deux  sources  :  ou  d'une 
conscience  trop  incertaine,  ou  d'une  cons- 
cience trop  délicate  :  je  vais  donc  vous  don- 
ner des  remèdes  sûrs  et  faits  pour  vous  gué- 
rir de  ces  deux  grandes  maladies.  Vos  peines 
viennent-elles  d'incertitude ,  consultez  ;  mais 
qui  devez-vous  consulter?  Je  vais  vous  l'ap- 
prendre dans  mon  premier  point.  Viennent- 
elles  de  la  délicatesse,  combattez;  mais  con- 
tre qui  devez-vous  combattre?  Vous  l'allez 
voir  dans  mon  second.  La  conscience  incer- 
taine éclairée;  la  conscience  tremblante  ras- 
surée: voilà  tout  mon  dessein.  O  vous,  Dieu 
de  paix  et  de  miséricorde  !  pourriez-vous  ne 
pas  ra'aider  à  éclairer  et  rassurer  ces  âmes 
timides  que  la  seule  crainte  de  vous  offen- 
ser rend  si  misérables?  Nous  vous  le  deman- 
dons par  l'intercession  de  Marie,  à  qui  nous 
allons  dire  :  Ave,  Maria. 

PREMIER  POINT. 

L'incertitude  est  en  vous,  Messieurs,  la 
source  des  peines  de  votre  conscience;  elle 
vient  de  ce  que  votre  esprit  confus,  indécis, 
embarrassé  de  lui-môme,  flotte  sans  cesse 
entre  ce  que  la  nature  vous  demande  et  ce 
que  la  piété  exige  de  vous;  n'ayant  ni  assez 
de  lumière  pour  connaître  ce  qui  est  per- 
mis, ni  assez  de  courage  pour  rejeter  ce  qui 
est  défendu,  tourne  son  jugement  de  tous 
côtés,  et  demeure  suspendu  dans  l'équili- 
bre sans  trouver  de  point  fixe.  Et  doit-on 
s'en  étonner?  Le  bien  est  si  près  du  mal; 
les  bornes  qui  séparent  l'innocence  du  pé- 
ché sont  si  imperceptibles,  qu'on  passe  de 
l'un  à  l'autre  sans  s'en  apercevoir.  Ainsi 
effrayés  des  crimes  énormes,  on  ne  se  fait 
point  un  cas  de  conscience  de  toutes  les  au- 
tres petites  fautes;  vous  ne  savez  si,  parce 


920 

que  vous  êtes  dans  le  monde  vous  devez  y 
mener  une  vie  d'oisiveté,  d'indolence,  d? 
dissipation,  de  mollesse.  Vous  ressentez  d'é- 
temelles alarmes  sur  certaines  distractions 
profanes,  qui  viennent  toujours  vous  trou- 
bler dans  vos  prières,  et  qui  vous  paitagent 
trop  un  cœur  que  vous  devez  tout  entier  à 
Dieu.  Vous  n'êtes  point  en  repos  sur  mille 
injustices  apparentes  que  vous  commettez 
contre  le  prochain.  Vous  ignorez  si  la  dis- 
position où  vous  êtes  de  pardonner  les  inju- 
res qu'on  vous  a  faites,  quand  l'occasion  s'en 
présentera,  est  un  état  de  salut  pour  vous. 
Sur  tous  ces  points,  vjlre  conscience  vous 
forme  des  doutes  continuels;  le  remède  est- 
il  donc  de  l'étourdir  et  de  tacher  de  la  sé- 
duire? Ne  s'agit-il  que  de  lui  mettre  un  ban- 
deau pour  la  faire  passer  plus  aisément  sur 
le  commandement  qui  l'épouvante?  Qu'à 
Dieu  ne  plaise!  il  faut  chercher  un  point 
qui  puisse  vous  fixer  et  vous  faire  sortir  de 
vos  doutes  et  de  vos  incertitudes;  il  faut,  se- 
lon-le  sage,  avant  de  rien  faire,  j  rendre  un 
conseil  ferme ,  il  faut  se  faire  une  règle  im- 
muable :  Ante  omnem  actum  consiliam  stabilc. 
Eccli.,  XXXVII.) 

Mais  où  la  trouver  cette  règle?  première 
objection;  qui  m'éclairera  dans  mes  doutes? 
deuxième  objection.  Répondons -y  l'une 
après  l'autre;  et  d'abord,  cette  règle  qui  nous 
met  dans  un  point  fisc,  où  la  trouver  ?  Sera-ce 
dans  le  monde?  Ses  maximes  sont  fausses,  ses 
décisions  trompeuses,  sa  morale  corrompue. 
Jésus-Christ  a-t-il  confié  le  salut  de  ses  enfants 
à  son  ennemi  déclaré,  qui  ne  devait  jamais  lui 
faire  assez  d'outrages  1  Sera-ce  dans  votre  pro- 
pre cœur  ?  Depuis  que  l'homme  est  devenu  cri- 
minel, il  est  devenu  aveugle;  tout  ce  qui  lui 
plaît  lui  paraît  légitime;  il  aime  tout  ce  qui 
favorise  ses  penchants  ;  et  nous  sentons  bien 
que  la  règle  de  la  justice  ne  doit  jamais  être 
favorable  au  crime.  Sera-ce  dans  nos  pas- 
sions? Elles  sont  assez  larges,  assez  hardies, 
pour  décider;  et  dès  qu'elles  décident,  elles 
sont  une  erreur.  L'opinion  troublée  et  assu- 
rée par  leurs  vapeurs  et  par  leur  impétuo- 
sité ne  peut  rien  connaître;  elles  portent 
une  haine  si  générale  pour  tout  ce  qui  les 
contredit  que  tout  y  doit  être  suspect,  et 
que  tout  ce  qu'elles  appellent  la  difficulté  et 
la  vertu  est  un  dérèglement  du  péché.  Cette 
règle  serait-elle  dans  la  coutume?  11  faut  ti- 
rer sa  certitude  d'un  principe  plus  chrétien 
et  plus  sûr.  Depuis  que  l'on  a  souillé  sa  voie, 
ce  qne  l'on  fait  n'est  presque  plus  ce  qu'on 
doit  faire.  L'usage  commun  n'est  (dus  qu'une 
erreur  générale ,  qu'une  illusion  qui  ne 
peut  être  que  funeste  à  celui  qui  la  suit.  Sera- 
l-elle  dans  la  multitude,  celte  règle?  C'est 
suivre  la  multitude  ,  c'est  s'égarer  avec  plu- 
sieurs, marcher  avec  le  plus  grand  nombre, 
c'est  errer  et  se  perdre  avec  lui,  comme  nous 
l'avons  déjà  vu;  et  nous  sommes  dans  une 
loi  où  l'on  ne  vit  plus  par  autorité  et  par 
exemple;  mais  par  principe  et  par  raison': 
où  la  trouver  donc  cette  règle?  Sera-ce  dans 
la  simple  opinion  des  hommes?  11  en  est 
dont  la  molle  indulgence  vous  endormirait 
dans  le  crime,  au  lieu  de  vous  en  faire  sor- 


K'kï  CAREME.  —  SERMON  XVH!,  DE  LA  CONSCIENCE  CONTRE  LES  SCRUPULES.  92'i 

cen'estpoint  cette  voie  large  qui  conduit  h  la 
mort  :  Appîicate,  etc.  Examinez  si  dans  tou- 
tes ces  occasions  où  vous  ne  ]  ouvez  expo- 
ser votre  honneur  sans  ie  risquer,  où  vous 
ne  sauriez  trouver  le  moyen  de  multiplier 
vos  biens  sans  usurper  celui  des  autres,  et 
vous  vous  faites  un  fonds  de  leur  pauvreté; 
jugez  si  tout  cela  est  compatible  avec  l'E- 


lir.Toul  ce  qui  peut  servir  h  tromper  ne  peut 
êlrequ'unfondementruincux.  Rien  n'est  plus 
incertain  que  les  jugements  des  hommes. 
Oseriez-vous  compter  absolument  sur  un  sim- 
ple vraisemblablement?  Tout  ce  qui  juge 
par  l'apparence  est  sujet  à  l'erreur.  11  y  a 
une  voie  qui  paraît  droite  à  l'homme,  et  qui 
cependant  conduit  à  la  mort.  L'intérêt  du  sa- 
lut est  trop  grand  pour  le  risquer  sur  une 
opinion  incertaine.  Céder  son  éternité  sur 
un  sentiment  équivoque,  c'est  en  faire  un 
espèce  de  hasard,  rien  de  plausible  ne  pre- 
nant contre  l'éternelle  sûreté,  et  jamais  une 
fausse  vraisemblance  ne  peut  autoriser  tics 
crimes  que  la  vérité  condamne. 

Mais  cette  règle  fixe,  certaine,  parfaite, 
qui  doit  être  le  remède  à  nos  peines,  la  so- 
lution de  nos  doute.-,  où  la  trouver?  C'est 
l'Evangile,  cet  Evangile  invariable  et  éter- 
nel, comme  l'appelle  l'Apôtre;  l'Evangile, 
ne  directeur  universel  des  hommes,  le  ca- 
suiste  des  chrétiens,  qui  contient  seul  les 
mœurs  d'un  Dieu  ,  sa  vie,  ses  volontés,  ses 
préceptes,  ses  maximes,  ses  consens,  ses 
actions;  l'Evangile  où  est  le  dépôt  sacré  de 
la  morale  chrétienne,  dont  la  vérité  demeure 
invariable  et  supérieure  h  tous  les  chan- 
gements et  à  toutes  les  vicissitudes  humai- 
nes. Loi  vénérable,  qui  brise  tout  ce  qu'elle 
ne  règle  pas,  et  qui,  si  elle  ne  nous  guide 
;ur  la  terre,  nous  jugera  dans  le  ciel.  Oui , 
l'Evangile,  cette  règle  immuable  sur  laquelle 
chacun  doit  régler  sa  conduite  et  sa  vie,  ce 
divin  livre,  aussi  infaillible  dans  ce  qu'il 
ordonne  qu'admirable  dans  ce  qu'il  révèle; 
et  s'il  est  impossible  en  matière  de  religion 
de  ne  point  tomber  dans  l'erreur,  si  on  ne 
s'attache  à  ces  dogmes  comme  à  la  règle  es- 
sentielle de  la  foi ,  il  est  aussi  impossible  en 
matière  de  morale  de  ne  point  tomber  dans 
le  péché,  si  on  ne  s'attache  a  ses  préceptes, 
comme  à  la  règle  générale  des  mœurs.  L'E- 
vangile enfin  auquel  le  salut  est  tellement 
attaché  que  tout  ce  qui  s'y  trouvera  conforme 
sera  glorifié,  et  tout  ce  qui  ne  s'y  accorde 
pas  est  anathématisé. 

C'est  donc  l'Evangile  de  Jésus-Christ  qui 
est  cette  règle  invariable,  consultez-le,  et 
vous  rassurez  sur  ses  décisions  :  Applicateca 
ad  legem  Dei  et  jtidicate  ;  qu'après  avoir  tiré 
votre  esprit  du  nuage  de  vos  passions,  in- 
struisez vos  voies;  si  cette  vie  si  molle  et 
si  aisée,  si  naturelle,  si  délicate,  qui  vous 
attache  à  vos  commodités  est  conforme  à  cet 
esprit  de  pénitence,  de  travail,  de  mortifica-i 
lion,  de  violence,  dont  Jésus-Christ  vous  y 
fait  un  précepte  ;  et  si  au  contraire  elle  n'y 
est  pas  tout  opposée,  décidez  la-dessus  et 
éclaircissez  le  doute  que  vous  aimez  :  Ap- 
pîicate ea  ad  legem  Dei  et  judicale.  Voyez  si 
cette  recherche  des  plaisirs  du  monde,  si  cet 
assemblage  des  joies  et  des  délices  du  siècle 
qui  corrompent  votre  cœur,  sont  d'accord  avec 
cet  oracle  de  l'Evangile  {Malih.,  Y)  :  Heu- 
reux ceux  qui  sont  dans  latristçsse  et  dans  les 
pleurs,  parce  qu'ils  seront  consolés;  décidez 
si  ces  mœurs  si  contraires,  si  mondaines,  si 
relâchées,  vous  font  marcher  dans  cette  voie 
étroite  qui  conduite  la  vie,  et  si  au  contraire, 


vangile,  c'est-à-dire  si  en  prêtant  à  vos 
frères  vous  n'exigez  rien  d'eux;  et  si  nu 
contraire  la  charité  que  vous  prétendez  leur 
faire,  n'est  point  une  loi  barbare  qui  achève 
de  les  ruiner  :  Appîicate,  etc.  Voyez  si 
ce  préjugé  où  vous  êtes,  que  la  naissance,  qre 
la  qualité  est  un  titre,  un  privilège  qui  vous 
permet  le  faste,  le  luxe,  la  fierté,  la  mollesse, 
est  conforme  à  l'Evangile  de  Jésus-Chris», 
qui,  loin  de  donner  cet  avantage  aux  grands 
et  aux  riches  de  la  terre,  les  frappe  de  ma- 
lédiction et  d'anathème,  exige  d'eux  des 
vertus  i  lus  chrétiennes  a  cause  du  rang 
plus  élevé  où  ils  sont  placés,  des  dignités 
plus  éminentes  dont  ils  sont  revêtus,  et  veut 
qu'on  trouve  dans  leurs  personnes,  toute 
l'humilité  et  toute  la  pénitence  qui  man- 
quent dans  leur  état  :  Appîicate,  etc.  Déridez 
si  l'opinion  où  vous  êtes,  que  ce  qui  suit  la 
coutume  en  faveur  du  rang,  de  l'âge,  du 
sexe,  devient  légitime;  que  depuis  qu'en 
vous  tolère,  l'oisiveté,  le  jeu,  les  spectacles, 
tout  cela  vous  est  permis  ;  qu'il  y  a  des  usa- 
ges qui  sont  devenus  des  lois,  que  vous 
devez  suivre  ceux  qui  vous  ont  précédés,  et 
que  certains  abus  qui  sont  venus  jusqu'à 
vos  emplois,  à  vos  charges,  à  votre  état  par- 
ticulier, vous  dispensent  de  certains  de- 
voirs, qui  sans  cela  seraient  indispensables. 
Voyez  là-dessus.  l'Evangile  :  cette  règle  di- 
vine, supérieure  à  tous  les  temps,  à  tous 
les  âges,  à  tous  les  états,  vous  ap|  rendra 
qu'il  faut  s'en  tenir  à  ce  qui  est  dit  de  la  bou- 
che de  la  vérité  même,  et  non  pas  à  ce  qui 
s'est  fait  par  les  hommes  corrompus,  et  que 
celui  qui  hait  le  mal  le  premier,  réprouve 
ceux  qui  le  suivent  :  Appîicate,  etc.  Voyez 
si  ces  désirs  de  s'élever  et  de  s'agiandir,  de 
faire  fortune  qu'on  se  force  d'auiotnplir,  si 
ces  inquiétudes  dévorantes  qui  nous  font 
envier  la  place  et  la  faveur  d'un  concurrent 
heureux,  et  ce  qu'on  appelle  grandeur  d'âme, 
louables  efforts  d'un  cœur  bien  placé.  Jugez 
s'ils  sont  d'accord  avec  cet  oracle  de  Jésus- 
Christ  :  Heureux  les  pauvres  d'esprit,  Us 
humbles  de  cwur  (Matlh.,  V),  et  si  votre  vie 
n'est  point  un  violement  déplorable  de  l'E- 
vangile :  Appîicate,  etc. 

Prenez  encore  ce  flambeau  de 
et  le  portez  dans  votre  proj  re  eœur,  pour  y 
examiner  si  ce  plaisir  secret  qu'on  prend 
avec  la  ciéature,  si  cet  engagement  si  tendre 
qu'on  forme  avec  cette  personne,  si  ces  liai- 
sons, ces  habitudes  qu'on  en  retient  avec 
tant  de  soin,  si  ces  parures  qui  occupent 
si  fort,  si  tout  (ela  peut  compatir  avec  cette 
unité  d'amour,  avec  cette  totalité  de  cœur, 
avec  cette  pureté  de  vie  dont  l'Evangile  vous 
fait  un  si  grand  précepte.  Jugez  si  vos  beaux 
voiles  de  vertu  dont  vous  couviez  vos  vices 
&e  sohl   point  un  empressement  pour  ItJ 


'Evangile 


9^5 


ORATEURS  SACRES.  LE  F.  SLRlAtV 


»2î 


hommes,  un  amour  déréglé  des  biens  de  la 
terre,  un  coup  plus  sûr  pour  arriver  au  plai- 
sir que  vous  vous  promettez  :  Applicate, 
etc.  Proposez-vous  à  vous-mêmes  si  ne 
point  faire  du  mal  à  ceux  qui  vous  haïssent 
est  assez  pour  un  chrétien,  et  si  ne  faire 
aucun  bien  à  ceux  qui  vous  ont  offensé  est 
le  langage  de  Jésus-Christ,  et  si  c'est  sur- 
passer la  justice  des  scribes  et  des  phari- 
siens de  ne  pas  avoir  une  charité  plus  par- 
faite vers  le  prochain;  mettez  d'un  côté 
cette  maxime  si  aimable  de  Jésus-Christ  : 
Donnez,  conseillez,  soulagez,  compatissez; 
et  de  l'autre  côté,  cette  dureté,  cette  insensi- 
bilité, ce  mépris  que  vous  avez  pour  vos  frè- 
res, pour  les  pauvrts  et  pour  les  affligés  : 
Applicate,  etc.  Dans  ces  doutes  qui  vous 
viennent,  consultez  l'Evangile  et  vous  ver- 
rez si  vous  êtes  sages  de  préférer  la  vie 
molle  et  aisée  à  une  vie  dure  et  pénitente, 
s'il  ne  faut  pas  préférer  un  état  à  un  autre, 
à  un  établissement  plus  riche,  un  établisse- 
ment plus  saint,  a  une  charge  dangereuse 
un  emploi  plus  sûr  :  Applicate,  etc. 

Que  vous  dirai-je  encor:*,  appliquez-vous 
la,  cette  loi  de  Dieu,  sur  votre  conduite,  sur 
vos  désirs,  sur  vos  pensées,  sur  vos  mouve- 
ments, sur  vos  actions,  sur  toutes  vos  mœurs, 
comparés  à  toutes  ces  règles  de  l'Eglise.  Sei- 
gneur, par  cette  comparaison  si  elle  est  exacte 
et  fidèle,  que  de  doutes  éclaircis,  que  de  ques- 
tions terminées,  que  de  contestations  finies 
par  cette  application  si  elle  est  juste,  que 
de  cas  de  conscience  décidés,  que  de  joies 
interdites,  que  de  liaisons  défendues,  que 
de  craintes  dans  les  richesses,  que  de  pé- 
rils dans  les  emplois,  dans  les  charges, 
dans  les  dignités!  par  cette  évidence,  si  on 
d'y  ferme  pas  les  yeux,  que  de  ténèbres 
iissipées,  que  de  vicissitudes  fixées;  de 
combien  de  difficultés  cette  loi  sainte  ne  de- 
vient-elle pas  le  dénoûment,  quand  bientôt 
les  doutes  des  chrétiens  incertains  sur  le 
péché  se  changent  en  certitude  que  ce  qui 
ne  vous  faisait  qu'un  peu  de  peine  est  rem- 
pli d'horreur  [jour  vous. 

Mais  voyez  une  seconde  objection  :  qui 
m'éelaircira  dans  mes  doutes?  faute  de  lu- 
mières je  n'y  trouve  point  d'éclaircisse- 
ment. 

Je  n'ose  vous  effrayer  trop  sur  cet  ar- 
ticle, je  ne  vois  (]ue  des  reproches  là-dessus 
dans  F'E:ritUre.  Cette  colonne  mystérieuse, 
toute  brillante,  qui  apparut  pour  les  enfants 
de  Dieu,  n'a  pour  ses  ennemis  que  des 
obscurités  impénétrables;  il  n'y  a  guère  que 
celui  qui  ha  t  la  loi  de  Dieu  qui  la  trouve 
obscure,  qui  onque  la  pratique  en  comprend 
aisément  le  sens.  Rien  n'est  plus  ordinaire 
(pie  de  laisser  indécis  ce  que  l'on  prévoit 
nous  devoir  faire  de  la  peine,  ce  que  vous 
cherchez  dans  l'Eglise  est  ce  que  vous  aimeriez 
à  y  trouver  :  c'est  la  tolérance  de  votre  luxe, 
de  votre  mollesse,  de  votre  oisiveté,  de  vos 
aises,  si  contraires  à  la  pénitence,  à  la  morti- 
fication chrétienne  ;  il  vous  vient  des  re- 
mords, des  doutes  là-dessus  que  votre  igno- 
rance vous  cause.  Ah  !  cette  loi  sainte  sur 


ces  points  n'offre  rien  que  d'obscur  au  pé- 
cheur, parce  qu'elle  ne  lui  représente  rien 
que  de, contraire  à  ses  inclinations;  mais  au 
juste,  elle  est  une  lumière  universelle  :  Tota 
est  lux;  son  cœur  tourné  au  bien  en  est  le 
plus  fidèle  interprète  ;  quand  môme  la  lettre 
de  l'Evangile  serait  ambiguë,  l'esprit  ne  l'est 
jamais,  et  si  le  cas  de  conscience  qu'on  se 
fait  n'y  est  pas  précisément  expliqué,  des 
principes  qui  l'établissent  découlent  des 
conséquences  lumineuses  qui  dissipent  les 
plus  obscurs  comme  les  moindres  nuages. 

Mais  je  veux  que  tout  cela  ne  puisse  se 
décider  par  l'Evangile,  n'aurez-vous  pas 
autour  de  vous  tant  de  brillantes  lumières, 
tant  de  savants  interprètes,  tant  de  sages 
maîtres,  tant  d'habiles  casuistesqui  sont  les 
plus  sûrs  guides  du  salut?  Allez  donc  à  ces 
flambeaux  d'Israël,  à  ces  conducteurs  fidèles 
à  qui  Dieu  a  confié  le  secret  de  ses  volontés 
et  la  clef  de  ses  divines  Ecritures.  S'il  vous 
arrive  quelque  chose  de  difficile  et  d'em- 
brouillé, si  vous  ne  savez  quel  parti  prendre- 
dans  les  doutes  qui  vous  surviennent,  disait 
Moïse  à  Israël,  vous  irez  trouver  les  prêtres 
qui  sont  établis  les  juges  et  les  maîtres  de 
la  vérité,  vous  les  consulterez,  et  ils  vous 
résoudront  toutes  vos  difficultés  selon  la 
loi  de  Dieu  :  Si  difficile  et  ambigiium  apud 
te  judicium  esse  perspexeris,  venies  ad  sa- 
cerdotes  et  adjudicem  qui  ftterit  illo  tempore, 
et.  docuerint  te  juxta  legem  cjus.  (Veut. , 
XV11.)  Dieu  par  ma  bouche  vous  fait  le 
môme  avertissement,  si  vous  avez  des  diffi- 
cultés et  des  doutes,  allez  trouver  les  prêtres 
du  Seigneur  pour  les  consulter,  non  pas 
comme  Ta  femme  de  Jéroboam,  qui  se  déguise 
sous  une  forme  étrangère,  lorsqu'elle  va  con- 
sulter le  prophète  ;  non  pas  comme  Saul, 
qui  se  défigure  quand  il  va  consulter  la  py- 
thonisse,  pour  en  arracher  une  décision  fa- 
vorable, mais  dans  la  sincérité  et  la  bonne 
foi  pour  leur  demander  le  sens  véritable 
de  la  loi;  ne  leur  voilez  pas  une  partie  de  la 
difficulté;  exposez-leur  tout  le  doute,  met- 
tez dans  un  grand  jour  les  raisons  que  vous 
croyez  les  plus  favorables  pour  vous,  agissez 
avec  le  piètre  du  Seigneur  comme  avec 
vous-mêmes;  ne  lui  faites  point  violence 
pour  l'attirer  dans  votre  sens,  ne  dissimulez 
rien,  et  n'excusez  rien  par  de  vains  artifi- 
ces, par  des  détours  capricieux;  non,  Mes- 
sieurs, n'apportez  au  ministre  que  vous  ve- 
nez consulter  aucune  de  ces  dispositions 
pernicieuses;  mais  ouvrez-lui  votre  cœur, 
exposez- lui  vos  doutes  avec  confiance, 
avec  simplicité,  avec  droiture,  et,  après  sa 
décision,  tenez-vous  où  il  vous  met,  n'im- 
porte qu'elle  vous  paraisse  rigoureuse;  lais- 
sez-vous conduire;  prenez  toujours  le  parti 
qui  apporte  au  salut  le  moins  d'obstacles, 
vous  défiant  toujours  de  votre  lâcheté  ; 
comptez  plus  sur  un  sentiment  qui  vous 
afflige,  qui  va  à  contredire  vos  inclina- 
tions, et  qui  vous  renvoie  triste  du  mi- 
nistre, que  sur  celui  qui  vous  plaît,  qui 
vous  réjouit,  et  qui  paraît  favorable  à  votre 
amour-propre;  voilà  comment  vous  pouvez 
vous   éclaircir  de  vos  doutes  ;  \oilà  ccque 


925  CAREME.  -  SERMON  XVIII,  DE  LA  CONSCIENCE  CONTRE  LES  SCRUPULES. 

vous  uevez  vous  adresser  pour  dissiper  vos 


026 


nuages. 

Ah!  votre  conscience  instruite  et  éclairée, 
semblable  à  certains  animaux  aidés  et  éprou- 
vés, s'élèvera  alors  jusqu'au  trône  de  Dieu 
pour  y  [miser  la  vérité  dans  le  sein  même 
de  la  Divinité;  ah!  votre  conscience  tran- 
quille recevra  d'une  eau  pure  qui  la  désal- 
térera, et  se  sentira  éclairée  des  lumières  de 
son  Dieu. 

Que  si,  après  des  décisions  si  favorables, 
votre  incertitude  dure  encore,  ah  !  ce  n'est 
plus  crainte  de  Dieu,  c'est  amour-propre 
qui  vous  y  retient  ;  vous  ne  manquez  plus 
lie  lumières  pour  connaître,  vous  manquez 
décourage  pour  exécuter;  vous  ne  doutez 
d'une  chose  que  pour  ne  la  point  pratiquer, 
votre  esprit  n'est  irrésolu  que  parce  que  vo- 
tre cœur  est  trop  lâche  ;  vous  ne  balancez  à 
prendre  un  parti  que  parce  qu'il  vous  paraît 
trop  difficile  à  remplir;  vos  devoirs  sont 
assez  marqués,  mais  voire  cupidité  vous 
rend  trop  aveugles;  elle^seule  vous  fait  des 
cas  de  conscience,  parcequ'elle  s'entretient 
dans  le  trouble  :  vous  ne  cherchez  par  ces 
incertitudes  qu'à  pécher  plus  tranquillement; 
vous  craignez  que  vos  crimes  ne  frappent 
trop  visiblement  à  la  porte  de  votre  cœur, 
vous  leur  mettez  un  beau  voile  qui  les  lui 
cache  ;  mais  attendez,  âme  lâche,  vous  ne 
pouvez  demeurer  plus  longtemps  dans  l'é- 
quilibre où  vous  êtes;  votre  vertu  s'affai- 
blissant  peu  à  peu,  vous  tournerez  bientôt 
du  côté  du  pé  hé,  et  ce  qui  n'est  maintenant 
qu'une  légère  peine  d'esprit,  deviendra 
bientôt  un  mortel  accablement  de  cons- 
cience, car  les  peines  de  l'homme  ne  vien- 
nent pas  seulement  de  l'incertitude,  mais  de 
trop  de  délicatesse  de  la  conscience  :  vous 
'"allez  voir  dans  ma  seconde  partie. 

SECOND  POINT. 

Quand  je  parle  ici  de  dissiper  les  peines 
jui  naissent  d'une  conscience  trop  délicate, 
ae  croyez  pas,  Messieurs,  que  je  veuille  lui 
Mer  celte  pudeur  sainte,  cette  heureuse  sen- 
sibilité, cette  timidité  salutaire  qui  lui  fait 
craindre  d'offenser  son  Dieu,  et  d'irriter 
•outre  elle  sa  justice;  ah!  que  plutôt  je 
serve  à  augmenter  cette  tendresse  qui  est 
une  impression  sainte  de  sa  miséricorde; 
que  plutôt,  mes  frères,  votre  conscience  s'a- 
mollisse, et  que,  bien  loin  d'étouffer  sa 
voix,  vous  appréhendiez  son  silence;  qu'elle 
parle  danscette  conscience;  mais  quel  bruit, 
§rand  Dieu!  pourquoi  faut-il  qu'à  la  venue 
Je  Jésus-Christ  miséricordieux  dans  vos 
jœurs,  il  se  fasse  des  guerres,  des  combats, 
ies  visions,  qu'il  s'élève  des  frayeurs  * 
Jes  troubles,  des  alarmes,  et  qu'à  ce  signe 
anique  on  doive  lever  la  tête  et  reconnaître 
sa  rédemption;  pourquoi  faut-il,  dit  l'apôtre 
saint  Pierre,  qu'on  ne  puisse  aspirer  aux 
louccurs  de  la  grâce,  si  on  n'a  éprouvé  les 
(dus  rudes  secousses  !  Ah  !  une  âme  trem- 
blante surtout  ne  voit  partout  que  des  pé- 
:hés:  tout  ce  qu'elle  regarde  à  travers  ses 
scrupules  prend  une  figure  énorme,  (die  ne 
se  représente  dans  tout  ce  qu'elle  lit.  dans 


tout  ce  qu'elle  entend,  que  des  images  af- 
freuses pour  elle;  ennemie  de  son  propre  re- 
pos, elle  recueille  tout  ce  qui  peut  la  trou- 
bler, elle  se  croit  toujours  coupable  par  la 
crainte  de  le  devenir;  au  défaut  des  péchés 
vils,  elle  s'en  attribue  d'imaginaires,  elle 
n'ose  p§ser  les  pieds  sur  aucun  endroit  qui 
ne  lui  paraisse  un  précipice;  tous  les  pas 
qu'elle  fait  lui  paraissent  des  chutes  mortel- 
les, elle  a  des  frayeurs  accablantes  où  il  n'y  a 
nul  sujet  de  s'effrayer;  onéreuse,  insuppor- 
table à  elle-même,  elle  ne  goûte  jdusde  joie 
nulle  part,  la  terre  ne  lui  présente  que  des 
monstres  toujours  prêts  à  la  dévorer,  que 
des  pièges  toujours  tendus  pour  l'attraper, 
que  des  abîmes  qui  s'ouvrent  sous  ses  pas  ; 
du  côté  du  ciel,  elle  ne  voit  que  des  fou- 
dres et  des  tempêtes  prêts  à  fondre  sur  sa 
tête  criminelle,  et  tandis  que  les  anges  se 
réjouissent  de  son  salut,  elle  croit  voir  l'en- 
fer ouvert  sous  ses  pieds  ;  si  vous  voulez  la 
consoler  en  cet  état,  une  tristesse  sombre 
vient  bientôt  dissiper  cette  faible  consola- 
tion, et  il  entre  dans  cette  âme  des  frayeurs 
si  vives  que  sa  seule  vue  les  découvre  au 
ministre  zélé  qui  venait  pour  les  calmer. 

Encore  si  cet  état  n'était  que  triste  pour 
cette  âme!  mais  il  est  contraire  à  son  salut; 
Dieu  en  souffre  lui-même,  parce  qu'il  n'est 
point  servi  comme  il  faut  avec  ces  scrupules; 
on  ne  porte  plus  à  la  piété  qu'un  extérieur 
réglé,  tout  l'intérieur  est  chargé  de  frayeurs 
et  de  distractions;  dès  lors  le  courage  s'abat, 
le  cœur  se  dessèche,  les  désirs  deviennent 
si  languissants  !  les  pensées  se  relâchent 
enfin  sur  ses  devoirs  capitaux,  l'ennemi 
commun  de  votre  salut  vous  consume,  vous 
épuise  par  ses  fausses  alarmes; et  en  voulant 
vous  attacher  avec  scrupule  au  superficiel 
et  à  l'extérieur  de  la  loi ,  vous  en  négligez 
l'esprit  et  l'essentiel,  et  voulant  devenir  trop 
dévot,  on  tombe  dans  l'aversion  des  sacre- 
ments dont  l'approche  paraît  comme  un 
supplice  ;  on  dégoûte  les  autres  de  la  piété,  on 
s'en  dégoûte  soi-même,  n'y  trouvant  que  des 
chagrins  et  des  peines,  le  seruj  ule  est  véri- 
tablement un  piège  qui  retarde  l'âme  chré- 
tfenne,  qui  la  fait  marcher  avec  peine  et  qui 
l'empêche  de  se  maintenir  dans  la  vertu. 

Contre  de  tels  maux  quels  remèdes?  les 
voici,  mais  il  est  bien  plus  facile  au  ministre 
prudent  de  les  donner  qu'à  une  âme  alarmée 
de  les  suivre. 

La  première  règle  contre  les  peines  d'une 
conscience  troublée,  c'est  de  vous  exposer  à 
vous-mêmes  ce  cpi'il  y  a  dans  votre  cœur,  de 
vous  représenter  sincèrement  tout  ce  qui 
rend  témoignage  à  votre  innocence,  à  vot  e 
vertu  découragée;  vous  nous  direz  :  non,  je 
n'ai  jamais  aimé  mon  Dieu,  je  n'ai  jamais 
senti  la  grâce  dans  mon  cœur;  mais  étudiez 
voire  âme  pénitente;  ah!  d'où  vient  cette 
défiance  inquiète,  sinon  d'une  conduite  |  lus 
parfaite  qui  vous  fait  tenir  un  amour  plus 
tendre?  La  voix  de  mes  crimes  me  fait  gé- 
mir! mais  d'où  partent  ces  gémissements, 
sinon  d'une  justice  plus  abondante?  Je  trem- 
ble de  n'avoir  pas  assez  de  foi;  mais  ces 
frayeurs  ne  viennent-elles  pas  de   ce   que 


9*7 


ORATEURS  SACRES.  LE  I'.  SUUAN. 


928 


vous  êtes  vraiment  fi  ièles  et  que  la  piété 
vous  est  chère?  Je  me  reproche  sans  cesse 
mon  peu  de  vertu  ;  mais'  ce  reproche  ne 
vient-il  pas  de  ce  que  vous  voudriez  les 
posséder  toutes?  et  qui  vous  le  l'ait  faire, 
sinon  le  désir  ardent  de  vous  remylir  de 
plus  grandes? Mon  ignorance  me  tourmente, 
je  ne  sais  si  en  matière  de  volupté  le  désir 
n'a  point  accompagné  la  pensée  ,  et  si  le 
consentement  n'a  point  suivi  le  dés-'r;  mais 
songez  bien  :  ce  doute  ne  rnarque-t-il  pas  la 
délicatesse  de  votre  pureté,  le  soin  que  vous 
avez  (ie  la  conserve-,  et  ce  que  vous  prenez 
pour  l'impression  du  mal,  n'est-il  pas  l'effet 
de  votre  pieuse  résistance?  Dites-vous  donc  à 
vous-mêmes  avec  le  roi  prophète:  Mon  âme, 
pour  juoi  ôtes-vous  triste  et  où  trouvez-vous 
tant  de  sujet  do  vous  troubler  :  Qttctrs  irislis 
en,  anima  viea,  et  quart  centurbas  me?  (Psal. 
XLIJ.)  Haïssez-vous  voire  Dieu,  votre  unique 
bien,  votre  5 cul  trésor!  si  alors  la  conscience 


interrogée 


ne  répond  rien,  il  faut  vous  ras- 


surer; ah!  elle  est  "plus  timide  que  crimi- 
nelle, ce  n'est  point  votre  cœur  qui  est  cor- 
rompu, c'est  votre  imagination  qui  est  trop 
vive,  et  vous  êtes  extrêmes  dans  vos  sen- 
timents sans  être  coupables  dans  votre  con- 
duite. 

La  seconde,  c'est  en  suspendant  vos  pro- 
pres connaissances  de  porter  vos  scrupules 
aux  pieds  d'un  ministre  charitable,  savant  et 
homme  de  bien  :  charitable,  pour  compat  r  à 
vos  peines,  pour  y  entrer  lui-môme  afin  de 
vous  remettre  daiis  la  voie  de  la  vérité  ; 
.'avant,  pour  bien  démêler  le  vrai  du  faux 
et  vous  expliquer  clairement  la  vérité; 
homme  de  b'en  ,  pour  ne  point  l'altérer  et  la 
corrompre;  ah  !  s'il  est  tel,  il  s'appliquera  de 
bon  cœur  à  vous  faire  sortir  d'un  état  si 
triste,  si  accablant,  il  entrera  avec  vous 
dans  l'exaxien  de  toutes  vos  fautes  pour 
vous  faire  connaître  qu'elles  ne  sont  point  si 
criminelles  que  vous  le  dites;  s'il  est  tel, 
iJ  vous  expo  era  une  bonne  fois  le  pardon 
de  toutes  ces  fautes  légères,  pour  n'y  plus 
revenir,  il  mettra  un  [feu  plus  au  large  votre 
conscience  tro.i  resserrée,  il  la  pressera  de 
peur  qu'elle  ne  se  relâche,  il  la  rendra  plus 
difficile  sur  le  jugement  qu'elle  perte  de  son 
calut;  s'il  est  tel,  il  développera  toutes  vos 
pensées,  vous  les  fera  voir  plus  nuisibles  à 
votre  âme  et  plus  contraires  h  votre  salut  que 
vous  ne  pensez,  et  alors  il  vous  ordonnera 
d'être  tranquilles,  en  paix  et  en  repos  du 
(ôté  de  votre  conscience,  et  pourquoi  ne  le 
seriez -vous  pas  après  les  ouvertures  que 
vous  avez  faites  à  ce  ministre.  Si  par  mal- 
heur il  vous  conseillait  mal,  la  faute  n'en 
tomberait  plus  sur  vous;  quand  son  juge- 
ment serait  faux ,  votre  docilité  à  le  croire 
et  à  le  suivre  aurait  tout  son  mérite;  son 
erreur  ne  serait  plus  la  vôtre;  il  est  vrai ,  dit 
saint  Augustin,  qu'on  n'est  heureux  que 
quand  on  a  trouvé" la  vérité,  mais  on  doit 
être  en  sûreté  quand  on  l'a  demandée  et 
cherchée  sincèrement,  et  de  lionne  foi. 

Ah!  sacrifiez  donc  à  Dieu  votre  volonté 
propre,  reposez-vous  sur  les  avis  de  son  mi- 
nistre, tel  que  je  vous  l'ai  proposé;  faites  cé- 


der à  ses  lumières  tous  vos  doutes,  à  ses 
dérisions  vos  ince:titudes.  11  est  revêtu  de 
l'autorité  de  Jésus-Chrht,  et  en  ce  sens  il 
est  aussi  infaillible  que  Jésus-Christ  même; 
ses  sentiments  ne  sont  plus  les  sentiments 
d'un  homme,  ce  sont  ceux  d'un  Dieu;  donc 
s'abandonner  encore  à  son  propre  jugement 
après  s'être  soumis  à  celui  du  ministre,  pro- 
tester que  ces  scrupules  sont  levés,  et  n'oser 
franchir  le  pas,  assurer  qu'on  ne  viendra 
plus  chercher  ses  confessions  précédentes, 
et  y  revenir  dès  la  première  fois,  n'est-ce  pas 
indocilité,  désobéissance,  présomption  en- 
vers Dieu,  et  sur  cette  conduite  rebelle  ne 
devriez-vous  pas  avoir  un  scrupule  plus  réel 
et  plus  juste  que  sur  tout  autre  objet? 

La  troisième  règle  pour  empêcherla  peine 
de  sa  conscience,  c'est  d'éloigner  avec  soiii 
les  réflexions  qui  l'entretiennent  et  lui  don- 
nent la  vie;  car  la  pensée  augmente  le  scru- 
pule à  peu  près  comme  une  plaie  qu'on 
aigrit  en  la  touchant,  et  qui  n'avait  qu'une 
légère  apparence  de  mal  entretenue  par  la 
réflexion  ,  devient  un  monstre  qui  épou- 
vante :  ce  nuage  d'abord  si  petit,  que  vit  1» 
prophète  Elie,  se  grossit  tellement,  qu'i! 
obscurcit  tout  le  ciel  et  donna  à  tout  le  peu- 
ple d'Israël  une  pluie  si  abondante,  que  la 
mer  ne  la  pouvait  plus  contenir  ;  ces  peines 
encore  légères,  grossies  parles  réflexions 
de  l'esprit,  le  troublent  et  l'obscurcissent 
tellement,  que  lien  ne  peut  plus  l'éclaircir 
ni  le  calmer;  loin  donc  de  relever  ces  scru- 
pules qui  vous  viennent ,  laissez  les  tomber, 
faites-vous,  par  la  prière,  par  la  pénitence, 
par  une  sainte  application  à  vos  devoirs, 
un  rempart  contre  cette  faiblesse  humiliée  ; 
recourez  au  pain  des  forts,  et  il  vous  sera 
regagné  en  peu  de  temps  par  la  présence  du 
Dieu  tout-puissant  et  par  le  double  ;  ainsi 
s'apaisa  la  tempête  qui  agitait  la  barque  des 
apôtres,  dès  qu'il  y  fut  entré. 

Que  si,  malgré  ces  règles  saintes,  vos  peines 
durent  encore,  ah  !  supportez  cet  état  dans 
un  esprit  de  pénitence;  s'il  a  ses  dangers  , 
il  a  aussi  ses  avantages  ;  faites  de  cette  mal- 
heureuse situation,  par  votre  dévouement 
aux  ordres  de  la  divine  Providence,  un  re- 
mède salutaire  pour  la  pureté  de  votre  cons- 
cience :  peut-être  dans  vos  ténèbres,  Dieu 
la cho-t-il  sa  main  pour  vous  faire  expier  les 
péchés  de  votre  conscience;  peut-être  veut- 
il  châtier  cette  assurance  intrépidé  que  vous 
aviez  autrefois  à  l'offenser;  peut-être  que 
votre  orgueil  a  besoin  de  ce  contre-poids 
pour  vous  tenir  dans  l'humilité  ,  peut-être 
le  Seigneur  veut-il  exciter  par  ta  votre  vigi- 
lance, réveiller  votre  assoupissement,  ra- 
nimer vos  vertus  et  vous  entretenir  dans  la 
soumission  et  dans  la  dépendance,  parla 
vue  continuelle  de  vos  faiblesses  ;  peut-être 
en  vous  appliquant  à  ces  scrupules  violents, 
prétend-il  vous  empêcher  de  mettre  voire 
attachement  et  donner  toutes  vos  pensées  a 
nue  misérable  créature  qui  aurait  pu  vous 
plaire;  peut-être  veut-il,  en  augmentant  les 
pensées  de  votre  esprit  diminuer  l'amour 
déréglé  que  vous  auriez  eu  pour  le  monde  , 
el  que  celte  disposition,  toute  triste  qu'elle 


9*9 


CAREME.  —  SERMON  XIX,  DE  LA  PROVIDENCE  DE  21EU. 


e:o 


est,  ne  sert  qu'au  salut  et  à  la  conservation 
de  votre  âme. 

Ah  1  cessez  donc,  pécheurs  misérables  , 
de  regarder  avec  mépris  et  avec  dérision  ces 
âmes  humiliées  et  craintives;  il  vous  sied 
bien  de  tourner  en  raillerie  et  en  ris'ée  des 
justes  que  la  main  du  Seigneur  veut  éprou- 
ver. Vous  n'en  aurez  point,  vous,  de  ces 
scrupules,  vous  êtes  bien  éloignés  de  ces 
délicatesses  de  conscience  ;  mais,  dites-moi, 
n'aurez-vous  pas  vos  peines  ,  vos  troubles 
et  vos  inquiétudes  ?  qui  est  le  plus  digne 
de  dérision,  ou  de  celui  qui  se  détache  de 
tout,  mettant  tout  son  bonheur,  tous  ses 
trésors,  tout  son  sort  entre  les  mains  de  son 
Dieu,  et  souil'rc  par  la  crainte  de  l'offenser 
ou  de  le  perdre,  ou  de  celui  qui,  idolâtre 
d'un  objet  criminel,  et  assujetti  au  joug 
honteux  de  ses  passions,  est  obligé  d'en 
essuyer  toute  la  bizarrerie  ,  de  passer  de 
tristes  jours,  de  se  condamner  à  mille  assi- 
duités gênantes  ,  de  supporter  tous  les  cha- 
grins et  les  agitations  cruelles  inséparables 
de  son  état;  vous  dites  que  ces  âmes  timides 
et  inquiètes  décrient  la  piété  par  les  peines 
qu'elles  s'y  font;  mais  nous  la  faites- 
vous  bien  respecter  en  vivant  contre  toutes 
les  règles  et  en  faisant  des  plaies  sanglantes 
à  toutes  ses  lois?  Khi  n'est-on  pas  encore 
plus  édifié,  plus  animé  par  la  sainte  délica- 
tesse de  celui  qui  craint  le  mal,  que  par  la 
monstrueuse  intrépidité  d'un  cœur  corrompu 
qui  s'y  dévoue  ?  Que  si  ces  âmes  justes  souf- 
frent pour  vouloir  être  trop  parfaites  ,  car 
enfin  elles  ont  leurs  peines  ici-bas,  ne  peu- 
vent-elles pas  espérer  d'èire  bientôt  soula- 
gées? mais  vous,  à  la  suite  de  ces  biens  pé- 
rissables, à  la  recherche  d'un  honneur  chi- 
mérique, à  la  poursuite  d'un  plaisir  pas- 
sager, ne  sentez-vous  pas  un  poids  qui  vous 
accable,  sans  en  pouvoir  espérer  de  dédom- 
magement après  la  mort?  elles  font  un  David 
fidèle  qu'il  éprouve;  en  vous,  un  Saùl  que 
le  Seigneur  r(\  rouve 

Oui,  pécheurs  misérables,  en  vain  es- 
savez-vous  de  remplir  toutes  les  parties  de 
votre  âme  du  soin  de  vos  plaisirs  et  de  vos 
contentements,  afin  que  les  remords  ne 
trouvent  plus  de  place,  ce  ver  rongeur  se 
fait  encore  sentir  dans  votre  âme  criminelle 
malgré  toutes  vos  précautions.  Si  le  serpent 
se  laisse  quelquefois  endormir,  il  mord 
plus  rruellement  après  être  éveillé,  il  est 
vrai  que  le  scrupule  se  fait  sentir  pendant 
quelque  temps  à  l'âme  juste;  mais  les  peines 
des  pécheurs  ne  les  suivent-elles  pas  par- 
tout? qui  pourrait  pénétrer  dans  m\  cœur 
possédé  de  l'avarice,  de  l'ambition ,  de  la 
volupté,  de  l'orguel ,  de  la  mollesse,  en- 
nemis irréconciliables  de  son  repos  ,  de  son 
salut ,  n'y  trouverait  que  plaies  funestes  , 
qu'horribles  meurtrissures,  qui  sont  la 
peine  et  le  tourment  essentiel  cie  l'âme  cri- 
minelle. Vous  portez  sans  cesse  une  con- 
science toute  déchirée  par  les  péchés,  et  vos 
remords  sont  comme  une  portion  du  feu  de 
l'enfer,  et  comme  votre  supplice  commencé 
dès  ce  monde.  Respectez  donc  dans  ces  âmes 


saintes  jusqu'à  leurs  faiblesses  et  leurs  pei 
nés  dont  vous  n'êtes  pas  dignes. 

Et  vous,  ôle  Dieu  des  consciences  !  faites 
aujourd'hui  de  votre  crainte  un  partage  égal: 
diminuez-la  dans  ces  fidèles  alarmés,  aug- 
mentez-la dans  ces  pécheurs  endurcis;  ici 
calmez  des  agitations,  des  tempêtes,  là  excitez 
des  troubles  et  des  orages,  surtout  prenez 
soin,  Dieu  de  bonté,  de  ces  âmes  désoles 
qui  vous  réclament,  qui  vous  aiment,  et  qui 
n'espèrent  qu'en  vous  ;  elles,  vous  sont  si 
chères  par  tant  d'endroits ,  elles  sont  déjà 
si  maltraitées  du  côté  de  leurs  consciences. 
O  Père  !  voudriez-vous  exercer  toutes  vos 
rigueurs  sur  des  âmes  innocentes  qui  vous 
adorent,  qui  vous  servent,  et  qui  se  jettent  à 
vos  pieds  pour  vous  de  mander  toutes  vos  mi- 
séricordes. O  Dieu  de  paix  !  consolez  et  véri- 
fiez en  elles  cet  oracle  de  vos  Ecritures  :  Dabo 
pacem  super  pacem.  Je  lui  donnerai  conso- 
lation sur  consolation  ,  paix  sur  paix  ;  dites- 
leur  que  vous  allez  bientôt  faire  finir  leurs 
peines  et  leur  faire  sentir  le  bonheur  qu'il 
y  a  de  vous  avoir  servi  ;  amenez  à  leur  âme 
alarmée  cette  aimable  tranquillité,  ce  calme 
dont  elles  vont  bientôt  jouir  ;  assurez  les 
que  vous  allez  dans  peu  les  rendre  heu- 
reuses, et  qu'après  les  amertumes  et  les 
peines  qu'elles  ont  trouvées  ici-bas  dans  la 
pratique  d'un  amour  trop  pai  fait,  elles  vont 
bientôt  goûter  dans  le  ciel  les  délices  inef- 
fables que  vous  préparez  à  vos  élus;  dites- 
leur  enfin  qu'après  les  troubles  et  les  alar- 
mes de  cette  courte  vie,  vous  allez  leur 
donner  paix  sur  paix  dans  l'éternité  bien- 
heureuse :  je  vous  la  souhaite,  mes  frères, 
au  nom  du  Père,  du  Fils  et  du  Saint-Espeit. 
Ainsi  soit-il. 

SERMON  XIX. 

DE. LA    PROVIDENCE    DE    DIEU. 

Cum  sublerasset  oculos  Jésus,  et  vidisset  quia  mullitu- 
do  maxima  venit  ad  cum,  dixit  ad  Philippam  :  Inde 
cmemus  panes  utmanducent  hi?  (Joan.,  VI.) 

Jésus  ayant  levé  /es  yeux,  et  vojfiint  qu'une  grande  foule 
dépeuple  venait  à  lui,  dit  à  Philippe:  D'où  achèterons- 
nous  des  pains  pour  donner  à  manger  à  tout  ce  monde. 

Il  me  semble,  mes  frères,  qu'il  ne  faut  que 
rapporter  ici  l'homélie  de  notre  Evangile  dans 
toutes  ses  circonstames,  pour  remplir  do 
religion  des  esprits  chrétiens,  touchant  la 
diverse  conduite  de  la  divine  Providence. 

Voir  d'adord une  grande  foule  de  |  euplequi 
va  à  la  suite  du  Sauveur,  qui  court  après  lui 
sans  avoir  ni  de  quoi  se  loger,  ni  de  quoi.se 
nourrir  pendant  le  voyage; 

Voir  ensuite  Je  us-Christ  si  peu  attentif 
en  ap|  arence  aux  besoins  de  cette  multitude 
empressée,  qu'il  laisse  passer  une  journée 
ent  ère  sans  lui  donner  de  secours,  jusqu'à 
ce  que  les  a;  ôtres  viennent  lui  dire  qu'ils 
tombent  en  défaillance  ; 

Voir  des  a;  ôtres  inquiets  et  embarrassés  sur 
les  moyens  de  soulager  tant  de  misérables 
languissants  et  allâmes,  jusqu'à  douter  des 
ressources  de  leur  divin  Maître  ; 

Voir  enfin  Jésus-Christ  par  le  miracle  de 
la  multiplication  des  cinq  pains  et  des  deux 
poissons,  non-seulement  rassasier  cotte  gran- 


9~1 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SURI  AN. 


97/2 


de  multitude  de  peuple,  mais  en  recueillir 
encore  douze  corbeilles  pleines,  après  les 
avoir  tous  rassasiés. 

N'est-ce  pas  avoir  devant  les  yeux  l'image 
naturelle  de  la  divine  Providence,  soit  dans 
ce  qu'elle  renferme  de  plus  caché,  soit  dans 
ce  qu'elle  montre  de  plus  sensible. 

Je  dis  1°  dans  ce  qu'elle  a  de  plus  caché  ; 
car  c'est  sa  conduite  ordinaire  de  se  cacher 
quelquefois  sous  des  nuages  si  épais  que 
toute  la  lumière  de  l'esprit  humain  ne  puisse 
les  percer  :  Posait  tcnebras  latibulum  suum. 
(Psal.  XV  II.) 

Je  dis  2°  dans  ce  qu'elle  a  de  plus  sen- 
sible, c'est  son  propre  de  se  manifester  quel- 
quefois à  Thomme  par  des  traits  si  évidents 
qu'on  ne  puisse  le  méconnaître  :  in  sole  po- 
sait tabernaculum  suum.  (Psal.  XVIII.) 

S'il  m'était  permis  d'entrer  dans  les  secrets 
de  la  sagesse  éternelle,  je  dirais  que  Dieu 
nous  cache  quelquefois  les  desseins  de  sa 
divine  Providence,  pour  éprouver  notre  foi 
et  attirer  notre  soumission;  mais  qu'il  nous 
les  manifeste  quelquefois  pour  exercer  notre 
fidélité  et  conduire  nos  pas;  ainsi  se  com- 
portait-il à  l'égard  de  son  peuple  errant  au- 
trefois dans  le  désert;  quelquefois  il  l'envi- 
ronnait de  nuages  pour  l'arrêter,  et  d'autres 
fois  il  répandat  sur  lui  des  clartés,  pour  le 
conduire  et  l'empêcher  de  s'égarer;  quand 
le  nuage  paraissait  sur  le  tabernacle,  et  que 
ce  divin  trône  du  Seigneur  était  couvert 
d'obscurités  et  de  ténèbres,  il  ne  fallait  point 
partir  du  lieu  où  l'on  se  trouvait,  et  le  peuple 
demeurait  soumis  et  presque  immobile  dans 
la  confiance  du  Très-Haut;  tous  les  enfants 
d'Israël  demeuraient  dans  une  heureuse  at- 
tente :  Tune  manebant  in  eodem  loco.  (Exod., 
XI.)  Mais  quand  le  nuage  était  retiré  de 
dessus  le  tabernacle,  il  fallait  lever  les  tentes, 
marcher  et  suivre  les  routes  que  les  lumi- 
neuses clartés  découvraient  :  Quando  nubes 
tabernaculum  deserebat,  proficiscebantur  fdii 
Israël  per  turmas  suas.  (Jbid.) 

Deux  caractères  augustes  que  nous  remar- 
quons dans  la  divine  Providence,  et  qui  vont 
nous  apprendre  les  deux  grandes  obligations 
que  nous  contractons  à  son  égard  :  Provi- 
dence tantôt  mystérieuse  et  cachée  à  notre 
égard,  qui  demande  notre  soumission  et  nos 
respects  :  première  réflexion;  Providence 
tantôt  évidente  et  sensible  sur  nous,  qui 
exige  nos  soins  et  notre  fidélité  :  deuxième 
considération.  Ainsi  je  reconnais  une  Provi- 
dence cachée  dont  il  faut  que  j'adore  hum- 
blement les  secrets  :  voilà  mon  premier  point; 
une  Providence  sensible  dont  je  suis  obligé 
de  suivre  les  desseins  et  les  routes  :  ce  sera 
le  second.  Soumission  parfaite  pour  adorer 
les  mystères  de  la  Providence  cachée,  fidélité 
vive  et  animée  poursuivre  les  mouvements  de 
la  Providence  visible  ;  l'une  arrêtera  les  mur- 
mures et  la  curiosité  de  l'esprit  humain  ;  l'au- 
tre excitera  la  ferveur  et  la  reconnaissance  du 
cœur.  Implorons  lès  lumières  du  Saint-Esprit 
par  l'intercession  de  Marie.  Ave,  Maria. 

PREMIER    POINT. 

O  profondeur  des  trésors  de  la  sagesse  et 


de  la  science  de  Dieu!  que  ses  jugements 
sont  inconcevables!  que  ses  voies  sont  in- 
compréhensibles et  cachées!  C'est  ainsi  que 
saint  Paul,  cet  [homme  transporté  jusqu'au 
troisième  ciel,  nous  parle  de  la  conduite  de 
Dieu  touchant  la  destinée  des  hommes,  qu'il 
forme  par  le  conseil  secret  de  ses  jugements, 
et  qu'il  règle  par  la  sagesse  de  ses  voies, 
mais  jugements  qui  sont  incompréhensibles 
pour  nous  :  Quam  ineomprehensibilia  judi- 
cia  (Job,  IX)!  mais  ses  voies  nous  sont  ca- 
chées et  inconnues  :  Quam  investigabi.'es  viœ 
ejus  (Rom.,  XI)!  et  c'est  ce  qui  fait  dans  la 
Providence  divine  cette  obscurité  sainte  qui 
nous  laisse  à  son  égard  sans  connaissance  et 
sans  lumière. 

Si  nous  n'avions  à  considérer  de  la  Provi- 
dence que  ce  que  nous  avons  sans  cesse  de- 
vant les  yeux  dans  le  monde  naturel,  que 
cette  proportion  des  corps  terrestres  qui 
forment  un  si  bel  ordre  dans  l'univers,  que 
cette  justesse  de  mouvements  dans  les  deux 
et  dans  les  astres,  que  cette  charn  ante  variété 
dans  les  effets  et  productions  de  la  nature, 
nous  ne  pourrions  sans  doute  méconnaître 
le  doigt  tout-puissant  qui  soutient  cette  ma- 
chine du  monde  et  la  sage  main  de  cette 
Providence  divine  qui  gouverne  et  conduit 
toutes  choses  à  son  gré;  c'e.t  ce  qui  nous 
est  si  clair  et  si  visible,  dit  le  grand  Apôtre, 
qu'il  n'est  pas  possible  de  s'y  méprendre  : 
lnvisibilia  ipsius  ,  a  creatura  mundi,  per  ea 
quœ  facta  sunt  intellecta  conspiciuntur. 
(Rom.,  I.) 

Mais  quand  on  vient  à  entrer  dans  la  con- 
fusion de  ce  monde  visible  où  régnent  toutes 
les  passions  des  hommes,  tout  le  dérègle- 
ment de  leur  esprit  et  de  leur  cœur,  ah  !  on 
y  perd  bientôt  tous  les  traits  et  l'idée  admi- 
rable qu'on  s'était  formée  de  la  divine  Pro- 
vidence; on  y  méconnaît  bientôt  la  sage 
conduite  d'un  Dieu.  Dans  ce  monde  pervers 
où  règne  tant  d'aveuglement  et  de  désordre, 
où  la  ra;son  est  méprisée  et  la  religion  pro- 
fanée, où  il  y"  a  tant  de  coupables  absous, 
tant  d'innorents  condamnés,  tant  de  mé- 
chants protégés  et  tant  de  justes  opprimés; 
où  l'on  voit  tant  de  biens  entre  les  mains  des 
impies,  où  tant  de  maux  sont  le  partage  des 
gens  do  bien,  où  l'hypocrisie  est  en  vénéra- 
tion, la  vertu  en  hutte  à  la  maligne  censure, 
et  le  vice  triomphant  dans  l'impunité,  à  tra- 
vers tout  ce  chaos,  ah  !  comment  reconnaître 
cette  sage  Providence;  et  s'il  n'est  pas  pos- 
sible d'en  perdre  les  traces,  comment  du 
moins  pouvoir  la  justifier? 

La  philosophie  païenne  a  tranché  court  en 
disant  qu'elle  n'a  aucune  paît  dans  la  con- 
duite des  hommes,  et  que,  tout  occupée  du 
règlement  des  astres  et  des  deux,  elle  ne  se 
met  point  en  peine  de  ce  qui  se  pa.'sc  sur  la 
terre,  et  nous  laissant  nous  débattre  ici-bas  au 
gré  de  nos  passions,  elle  croit  indigne  de  ses 
soins  et  de  son  attention  tout  ce  qui  se  passe 
parmi  nous. 

Ainsi  parle  un  faux  sage  dans  ses  discours 
et  dans  les  leçons  qu'il  donre  à  ses  discij  les. 
C'est  un  terrible  blasphème  dans  la  bouche 
de  cet  infidèle,  et  rien  n'est  [due  injuiieux  à 


S33 


CAREME.  —  SERMON  XIX,  DE  LA  PROVIDENCE  DE  DIEU. 


:ô4 


la  divine  Providence;  mais  quelque  aveugle 

3ue  soit,  l'esprit  de  ce  païen,  il  ne  laisse  pas 
'avouer  qu'il  trouve  lui-môme  sa  volonté 
fort  ébranlée  en  faveur  d'une  providence 
plus  qu'humaine,  lors  même  qu'il  pense  aux 
événements  les  plus  bizarres  et  aux  dérègle- 
ments monstrueux  des  passions  des  hommes. 
Or,  plus  la  philosophie  païenne  se  fait  un 
argument  des  désordres  et  de  la  conduite 
bizarre  des  habitants  de  la  terre  contre  la 
Providence  divine,  et  plus  la  raison  humaine 
s'y  trouve  embarrassée;  plus  nous  devons 
reconnaître  la  nécessité  d'adorer  la  profon- 
deur des  jugements  de  Dieu.  Les  mystères 
impénétrables  d'une  sagesse  cachée,  d'une 
puissance  inconnie,  d'une  miséricorde  inef- 
fable :  voilà  ce  que  l'Ecriture  semble  nous 
insinuer;  celte  sagesse  forme  ses  desseins  : 
Omnia  in  sapientià  fecisti  (Psal.  CII1)  ;  sa 
puissance  exécute  ses  nobles  entreprises  : 
In  manu  potenti  et  brachio  excelso  (Psal. 
CXXXV),  et  sa  miséricorde  règle  toutes  ses 
actions  :  Et  miscraliones  ejus  super  omnia 
opéra  ejus.  (Psal.  CXLIV.)  Sagesse  qui  doit 
confondre  nos  vains  raisonnements  contre  la 
certitude  de  la  Providence;  puissance  e>ui 
doit  dissiper  nos  craintes  et  nos  défiances 
sur  la  conduite  de  la  Providence;  miséri- 
corde qui  doit  calmer  nos  troubles  et  nos 
agitations  sur  les  soins  et  les  attentions  de  la 
Providence,  de  sorte  que  par  un  humble 
aveu  et  une  aveugle  soumission  nous  de- 
vons nous  sentir  disposés  à  louer  tout  dans 
sa  sagesse,  à  espérer  tout  de  sa  puissance, 
à  nous  reposer  en  tout  sur  sa  miséricorde  : 
voilà  les  justes  idées  que  nous  devons  nous 
former  de  la  Providence  divine. 

1°  Louer  tout  dans  sa  sagesse,  c'est  le  pre- 
mier pas  que  demar.de  de  nous  la  foi  que 
nous  devons  avoir  à  cette  divine  Providence  ; 
car  qu'est-ce  que  cette  Providence  ?  C'est  la 
souveraine  raison  de  celui  qui,  ayant  tout 
créé,  conduit  aussi  toutes  les  créatures  à 
l'ordre  où  elles  sont  destinées,  et  où  elles 
doivent  se  rendre.  Or  cet  ordre  n'est  connu 
que  de  Dieu  seul,  et  c'est  ce  qui  demande 
une  telle  soumission  de  nos  esprits  que 
nous  nous  persuadions  bien  vivement  que 
tout  est  gouverné  par  des  jugements  admi- 
rables, par  des  voies  incompréhensibles,  et 
que  nous  tombions  d'accord  que  tout  ce  qui 
se  passe  et  ce  qui  arrive  dans  le  monde, 
roule  sur  la  sagesse.  Et  comment  pourrions- 
nous  refuser  cet  aveu  à  la  divine  sagesse  de 
la  Providence,  puisque  la  raison  nous  ap- 
prend même  à  respecter  les  conseils,  la  pru- 
dence, les  jugements  et  le  gouvernement 
des  hommes;  car,  quelque  défectueux 
que  puissent  être  les  jugements  du  monde, 
il  est  de  la  sagesse  humaine  île  ne  pas  tou- 
jours les  approfondir,  parce  que  quelquefois 
on  a  été  obligé  de  cacher  beaucoup  de 
choses  qu'il  n'est  pas  permis  aux  particu- 
liers de  vouloir  éclaircir,  et  qu'on  peut  avoir 
eu  de  bonnes  raisons  pour  prendre  le  parti 
qu'on  a  pris  et  que,  par  conséquent,  nous  ne 
saurions  légitimement  blâmer. 

Je  ne  vous  nie  pas  cependant  que  ces  sages- 
ses politiques  ne  se  soient  méprises  ou  n'aient 


pu  se  tromper;  aussi  arrive-t-il  trop  souvent 
qu'elles  prennent  la  vaine  gloire  pour  magna- 
nimité, la  faiblesse  pour  modération ,  l'entê- 
tement et  l'opiniâtreté  pour  constante  fermeté, 
la  dureté  pour  prudence,  les  préventions  pour 
bon  conseil  ;  car  quel  est  l'esprit  humain  qui 
ne  s'aveugle?  quel  est  l'homme  qui  ne  soit 
sujet  à  mille  défauts?  Mais  je  dis  aussi 
qu'il  y  a  de  la  présomption  à  vouloir  entrer 
trop  avant  dans  les  vues  des  autres  hommes, 
et  que ,  s'd  est  de  la  prudence  de  ne  pas 
toujours  juger  des. apparences,  il  y  a  de  la 
témérité  à  vouloir  quelquefois  trop  appro- 
fondir les  secrets  qui  se  trouvent  dans  la 
conduite  des  politiques  et  des  sages.  Ce  sont 
là  des  principes  que  la  raison  et  la  sagesse 
humaine  n'osent  même  contester. 

Quelle  soumission  ne  devons-nous  donc 
pas  avoir  pour  cette  sage  Providence,  dans 
la  conduite  de  laquelle  il  n'y  a  ni  erreur  ni 
mécompte,  ni  faiblesse,  ni  prévention  même, 
où  tout  est  réglé  sur  des  jugements  infail- 
libles, où  tout  se  conduit  \  ar  des  voies  incon- 
cevables. 

2°  Voilà  le  premier  hommage  que  nous 
devons  à  la  providence  de  Dieu  :  c'est  uno 
soumission  parfaite  de  cette  sagesse  qui 
confond  nos  téméraires  jugements.  En  voui 
une  seconde  qui  doit  dissiper  nos  craintes 
et  nos  défiances  :  c'est  l'espérance  ferme  que 
nous  devons  avoir  en  sa  puissance,  qui  nous 
est  quelquefois  aussi  inconnue  dans  son 
exécution  que  sa  sagesse  l'est  dans  ses  cen- 
sé.1s  et  dans  ses  voies,  Voies  inq  énétrables 
à  tout  homme  et  qui  sont  les  seules  qu'on 
ne  puisse  découvrir;  car,  quelque  soin  que 
prenne  un  homme  habile  de  cacher  sa  mar- 
che, il  peut  toujours  être  découvert  par  quel- 
que autre  aussi  subt  1  et  aussi  versé  que  lui 
dans  l'art  de  dissimuler  et  de  feindre,  et 
c'est  pour  cela  qu'à  tout  moment  on  voit  tai.t 
de  projets  déconcertés,  tant  de  mesures 
rompues,  tant  de  mortels  se  supplanter  et  se 
nuire  les  uns  aux  autres;  tandis  que  dans  le 
ciel  ni  sur  la  terre,  il  n'y  a  nulle  intelligence, 
nul  esprit  qui  puisse  comprendre  ni  décou- 
vrir les  routes  cachées  de  la  toute-puissance 
divine. 

Savez-vous,  disait  le  Seigneur  à  Job,  par 
quelle  voie  la  lumière  descend  du  ciel  et  se 
ré;  and  dans  l'univers,  comment  la  chaleur 
se  communique  sur  la  terre,  comment  la 
pluie  tombe  avec  tant  de  rapidité  et  où  se 
forment  les  foudres  et  le  tonnerre,  comment 
les  cieux  et  les  astres  perdent  depuis  tant  de 
siècles  et  reprennent  chaque  année  leurs 
mêmes  mouvements.  Ah!  grands  ouvrages 
de  la  sagesse  et  de  la  toute-puissance  de 
celui  qui  a  créé  et  gouverne  tout  l'univers, 
qui  ne  viennent  point  à  nos  connaissances. 
Mais  en  savons-nous  davantage  sur  les 
moyens  par  lesquels  il  dispose  à  son  gré  du 
cœur  et  de  l'intérieur  des  hommes?  Savez- 
vous  comment  il  précipite  dans  l'opprobie 
et  dans  la  misère,  celui  qui  était  dans  l'élé- 
vation et  dans  l'opulence,  et  comment  il 
élève  et  enrichit  celui  qu'il  avait  fait  naître 
dans  l'indigence  et  la  poussière?  Savez-vous 
par  quelle  voie  il  tire  la  lumière  des  ténè- 


ORATEURS  SACRES,  LE  P.  SL'RIAN. 


95G 


bres,  la  vérité  du  mensonge,  et  relève  l'in- 
nocence dans  la  plus  noire  calomnie  ?  Eh  ! 
comment  pourr.ions-nous  le  savoir,  puisque 
le  plus  souvent,  celte  toute-puissante  Pro- 
vidence se  sert,  pour  l'exécution  de  ses 
adorables  desseins,  des  moyens,  non-seule- 
ment les  plus  disproportionnés,  mais  les 
plus  contraires  en  apparence.    - 

Ainsi,  la  Providence  laisse  Joseph  en  proie 
a  la  cruelle  jalousie  de  ses  frères,  pour  le 
rendre  le  plus  puissant  profiteur  de  l'E- 
gypte ;  ainsi  laisse-l-elle  exposer  le  jeune 
Moïse  sur  les  ilôts  du  Nil  pour  en  faire  le 
fléau  de  Pharaon  et  le  libérateur  de  sou 
peuple  ;  ainsi  permet-elle  que  Susanne 
tombe  entre  les  mains  d'impudiques  vie  I- 
lards,  qui  l'aceusent,  pour  mieux  découvrir 
son  innocence  et  faire  connaître  la  maligne 
imposture  de  ses  accusateurs?;  ainsi  euuse- 
t-clle  à  Tégard  de  DavM,  tau  tôt  en  l'aban- 
donnant à  la  fureur  de  Saùl,  tantôt  en  le  li- 
vrant à  la  perfidie  de  son  fils  et  au  pouvoir 
do  5 es  ennemis,  po  ir  mieux  affermir  par  là 
sa  couronne  et  la  rendre  héréditaire  à  toute 
sa  postérité;  ainsi  permet-elle  que,  sous  le 
règne  (i'Assuérus ,  l'humble  Mardochée  soit 
en  butte  à  la  jalousie  du  fier  Aman;  pour 
faire  triompher  la  vertueuse  Esther  de  cet 
indigne  favori  ;  ainsi  permet-elle  que  le  re- 
doutable Holoferne  assiège  Bethulie,  pour 
rendre  Judith  plus  glorieuse  dans  la  victoire 
que  les  Israélites  remportent  sur  les  Assy- 
riens. 

Oii!  que  dans  l'Ecriture  il  se  trouve  de 
traits  de  cette  Providence  toute-puissante, 
qui,  par  des  ressorts  inconnus  et  cachés,  et 
par  des  moyens  tout  contraires  mène  quel- 
quefois a  -là  gloire  par  l'ignominie  et  à  la 
liberté  par  la  servitude,  et  qui  sait  exé  uter 
ses  desseins  par  les  voies  qui  y  paraissent 
{es  plus  opposées. 

En  effet,  n'en  avons-nous  pas  des  preuves 
toutes  sensibles?  Ne  voyons-nous  pas  que  ce 
qui  devait,  ce  semble,  abîmer  un  homme, 
c'est  ce  qui  le  relève  ;  ce  qui  devait  le  per- 
dre, c'est  ee  qui  le  soutient;  que  cet  appui 
d'une  main  favorable  et  puissante  qui  lui  a 
rranqué,  c'est  ce  qui  l'a  conduit  à  un  éta- 
blissement plus  solide  et  plus  considérable; 
que  cet  ennemi  cpii  voulait  vous  perdre, 
c'est  lui  qui  vous  a  sauvé;  que  cet  enfant 
dont  vous  attendiez  le  moins  est  celui  qui 
vous  a  le  plus  consolé,  et  que  cet  autre,  sur 
lequel  vous  comptiez  si  fort  pour  l'honneur  et 
le  soutien  de  votre  maison,  en  a  fait  le  dés- 
honneur et  la  ruine.  C'est  la  divine  Provi- , 
dence  qui  conduit  tout  cela  de  celte  sorte 
et  qui,  par  des  chemins  souterrains  et  se- 
crets, nous  mène  h  un  terme  où  nous  ne 
croyons  jamais  parvenir. 

Mais  ce  n'est  encore  là  que  le  moindre 
ouvrage  de  celte  Providence  cachée.  Les 
biens  temporels  sont  si  peu  de  chose  qu'ils 
ne  méritent  pas  son  occupation  ;  elle  les 
prodigue  quelquefois  à  ses  plus  grands  en- 
nemis; elle  emploie  quelquefois  les  biens 
terrestres  et  passagers  pour  récompenser 
(ies  vertus  purement  naturelles;  comme  les 
Humains  qui  furent  payés  d'une  gloire  pas- 


sagère pour  une  sagesse  tout  humaine; 
mais,  les  plus  gran  s  objets  t!a  la  Provi- 
dence, ce  sont  les  biens  éternels  et  célestes 
auxquels  elle  conduit  les  chrétiens  par  des 
routes  tout  à  fait  inconnues  qui  sont  celles 
de  sa  miséricorde.  Troisième  hommage  que 
nous  devons  à  cette  Providence  cachée. 

3°  Dans  cette  obscurité  il  se  forme  u.i  gros 
nuage  d'afflictions,  de  chagrins,  d'infirmités, 
dans  lequel  la  Providence  divine  enveloppe 
ses  adorables  desseins  sur  sa  créature;  et  de 
là  elle  tire  de  grands  avantages  pour  le  salut 
des  âmes,  puisqu'elle  fait  tirer  au  juste  la 
paix  de  la  persécution,  la  vicloiie  des  com- 
bats et  la  vie  de  la  mort.  A  ne  juger  que  par 
les  apparences  et  selon  des  vues  charnelles , 
hélas  !  on  dirait  que  cette  Providence  ne 
veut  faire  de  ces  justes  que  des  malheureux  : 
tant  elle  les  accable  d'afflictions,  d'infirmi- 
tés, de  chagrins,  de  pertes,  de  disgrâces; 
et  c'est  là  où  se  perd  la  rabon  humaine  sé- 
duite par  les  apparences  trompeuses,  et  ne 
jugeant  que  sur  une  surface  de  confusion  et 
de  désordre  qui  régnent  dans  le  monde;  et, 
ne  pouvant  jamais  sonder  cet  intérieur  ca- 
ché où  se  forgent  le  bien  et  le  mal,  il  lui 
semble  que  le  vice  et  la  vertu  ne  reçoivent 
aucune  distinction  de  cette  Providence  éclai- 
rée, et  que  tout  est  également  entraîné  par 
ce  torrent  de  maux  qui  inonde  la  terre  ;  mais 
dans  ce  chaos  obscur  le  juste  découvre  des 
traits  d'une  Providence  invisible  qui  par  sa 
miséricorde  infinie,  ayant  destiné  les  hom- 
mes pour  des  biens  éternels,  travaille  à  se- 
vrer ses  élus  de  celte  joie  de  la  terre  qui 
les  priverait  du  salut,  et  à  les  faire  passer 
par  un  chemin  de  tribulations  et  de  peii:cs 
pour  les  faire  arriver  à  l'heureux  terme  de 
la  félicité. 

Voilà  des  raisons  que  Jésus-Christ  appor- 
tait à  ses  apôtres  pour  les  engager  à  suppor- 
ter les  mauvais  traitements  de  la  part  du 
monde.  Mes  chers  disciples ,  feur  disait-il , 
vous  n'êtes  pas  de  ce  monde,  c'est  pour- 
quoi vous  ne  devez  participer  en  rien  à  ses 
biens,  à  ses  honneurs,  à  ses  joies,  à  ses 
plaisirs.  Tout  cela  n'est  pas  pour  vous;  mais 
vous  n'y  perdez  rien,  puisque  je  vous  ré- 
serve cet  héritage  éternel  que  mon  Père  m'a 
préparé  :  Et  ego  dispono  vobis ,  sient  dispo- 
sait mihi  Pater  meus  regnum.  (Luc. ,  XXlî.) 
Songez  seulement  que  vous  n'y  parviendrez 
que  par  les  contradictions  et  les  croix,  et 
qu'il  ne  vous  en  coûtera  pas  moins  qu'à  moi 
pour  avoir  part  à  ce  royaume. 

Voilà  ce  que  la  sagesse  humaine  ignorera 
toujours,  et  que  la  faible  raison  ne  com- 
prendra jamais;  or,  dites-moi,  mes  frères, 
est-il  rien  de  plus  essentiel  et  de  plus  efficace, 
pour  le  cœur  môme  le  plus  révolté,  que  d'a- 
voir toujours  en  vue  cette  Providence  misé- 
ricordieuse qui  sait,  mieux  que  nous-mêmes, 
ce  qui  nous  est  nécessaire;  que  d'adorer 
humblement  cette  Providence  cachée  qui  ne 
nous  fait  souffrir  que  pour  nous  sauver,  et 
qui,  des  plus  grands  maux  que  nous  endu- 
rons, en  tirera  nos  plus  grands  avantages. 

Je  ne  sais  si  jamais  vous  avez  bien  compris 
que  dans  les  plus  grands  maux  qu'on  endure, 


937 


CAREME.  —  SERMON  XIX,  DE  LA  PROVIDENCE  DE  DIEU. 


s:§ 


il  n'est  point  un  j  lus  grand  soulagement  que 
de  penser  qu'un  Dieu  même  veut  bien  com- 
patir avec  nous,  qu'il  ne  permet  que  nous 
soyons  affligés  que  pour  nous  consoler,  qu'il 
ne'nous  frappe  en  cette  vie  par  des  courtes  et 
légères  tribulations  que  pour  nous  épargner 
des  châtiments  horribles  et  éternels  ;  mais,  au 
contraire,  qu'il  n'y  a  point  de  douleur  plus 
violente,  d'accablement  plus  grand,  de  mal 
plus  pesant  pour  ceux  qui  ignorent  ou  re- 
jettent   la    providence    miséricordieuse  du 
Seigneur,  que  de  porter  seuls  leurs  maux, 
que  de  ne  savoir  avec  qui  les  partager,  ni 
auprès  de  qui  chercher  du  soulagement  et 
de  la  consolation  qu'ils  ne  trouvent  point  en 
eux-mêmes;  et  comment,  en  effet,  la  trouve- 
raient-ils en  eux-mêmes  celte  consolation? 
Quoi!  au  milieu  de  leurs  faiblesses,  dans  le 
trouble,  dans  les  craintes,  dans  les  agitations 
et  dans  mille  autres  sujets  tristes  et  acca- 
blants?  Sera-ce  dans  les  autres  créatures 
qu'ils  la  chercheront  cette  consolation  dans 
leurs  maux?  Hélas  I  veulent-ils  seulement  y 
prendre  part?  Ils  lediseait  à  la  vérité  et  veu- 
lent qu'on  les  en  croie;  mais,  si  on  les  met- 
tait à  l'épreuve,  tiendraient-ils  leur  parole? 
Et  quand  même  ils  y  prendraient  quelque 
part,  quelle  consolation  pourrait-on  en   re- 
cevoir! Ah!  que  peuvent  les  Lommes  sans 
un  Dieu,  dont  la  privation  est  le  comble  de 
tous  les  maux  et  le  plus  grand  de  tous  les 
supplices  !  Etre  sans  Dieu  en  ce  monde  :  Sine 
Deo  in  hoc  mttndo  {Ephes.,  11),  dit  saint  Paul, 
oh  !  la  terrible  parole  !  Etre  en  ce  monde  où  il 
n'y  a  que  chagrin,  que  trouble,  qu'affliction, 
qu'abattement,  que  désolation,  et  y  être  privé 
de  l'aimable  présence  du  Dieu  de  toute  conso- 
la! ion  qui  abandonne  ces  rebelles  et  aveugles 
créatures  à  toutes  sortes  de  tribulations  qui 
leur  arrivent,  et  qui,  les  livrant  à  toutes  leurs 
faiblesses,  devient  indifférent  à  tous  leurs 
maux!  Qui  est-ce  qui  l'a  dit?  C'est  lui-même  : 
Ce  sera  moi  qui  vous  frapperai,  après  vous 
avoir    guéri.    Vous  n'avez  point  voulu  re- 
connaître ma  miséricorde,  mais  vous  recon- 
naîtrez malgré  vous  ma  justice.  Allez,  je  ne 
suis  plus  votre  pasteur,  mais  je  serai  toujours 
votre  juge;  je  serai  indifférent  à  tous  les 
cours  de  misères  humaines  qui  fondront  sur 
vous,  et  je  dirai  d'un  ton  tranquille  que  tout 
ce  qui  doit  tomber,  tombe,  que  celui  qui  va 
mourir,  meure  :  Non  pascam  vos  :  quod  mo- 
ritur  moriatur,  et  quod  succiditur  succidatur 
(Zach.,  XI);  que  celui  qui  a  échappé  une  fois 
au  glaive  de  la  mort,  tombe  le  reste  de  sa  vie 

»dans  les  plus  grands  malheurs.  Et  pourquoi 
cela,  Grand  Dieu?  C'est  parce  qu'ils  n'ont 
point  voulu  reconnaître  ma  providence  bien- 
faisante dans  tous  les  divers  événements  de 
cette  vie. 

Voilà  comme  la  Providence  invisible  se 
venge  des  rebelles  pécheurs  qui  l'ont  mé- 
connue ou  rejetée  ;  mais,  pendant  ce  temps- 
là,  les  âmes  des  justes  se  jettent  entre  les 
mains  de  Dieu  :  Justorum  animœ  in  manu  Dei 
sunt.  (Sap.  III.)  Comme  il  ne  leur  arrive  rien 
que  par  l'ordre  du  Seigneur,  ils  souffrent  tout 
pour  l'amour  de  lui;  aies  voir  affligés,  per- 
sécutés, outragés,  dans  la  disgrâce  et  dans 

Orateurs  sacrés.  L, 


l'obscurité,  on  les  croit  tristes,  chagrins* 
désolés;  mais  ils  ne  sont  pastels,  ils  demeu* 
rent  tranquilles  et  en  paix  entre  les  mains  da 
la  Providence  divine  ,  illi  autem  sunt  in  pace 
(Ibid.);  voilà  leur  état,  persuadés  qu'ayant 
Dieu  pour  eux,  tout  le  reste  ira  bien:  soumis  à 
tous  les  jugements  du  Seigneur,  convaincus 
de  l'intégrité  de  sa  justice,  livrés  aux  tribula- 
tions les  plus  amères,  remplis  d'espérance 
contre  toute  espérance,  ils  ne  sont  point  dé- 
couragés par  les  peines  et  les  misères  de  leur 
état;  contents  de  leur  mauvaise  fortune,  ils 
se  soutiennent  eux-mêmes  avec  fermeté,  sans 
envier  la  prospérité  des  autres,  sans  désirer 
un  état  plus  relevé  et  une  meilleure  destinée, 
sans  errer  de  projets  en  projets,  sans  s'in- 
quiéter des  biens  de  l'avenir,  sans  se  troubler 
de  tout  ce  qu'ils  peuvent  avoir  à  craindre, 
illi  aulem  sunt  in  pace,  à  l'ombre  d'une  Pro- 
vidence qui  ne  peut  les  abandonner,  ils  de- 
meurent clans  une  paix  profonde  sur  tous  les 
événements  de  la  vie,  dans  une  humble  at- 
tente, parce  qu'ils  sont  prêts  à  faire  tout  ce 
qu'il  plaira  à  cette  divine  Providence,  et. 
qu'ils  sont  assurés  que  les  secours  ne  man- 
quent pas  à  quiconque  met  en  Dieu  sa  con- 
fiance. 

Voilà  la  première  instruction  que  j'avais  à 
vous  donner  sur  cette  providence  cachée,  et 
ce  que  la  foi  doit  vous  inspirer  au  sujet  dé 
cette  mystérieuse  providence;  mais,  si  elle 
vient  à  se  manifester  et  à  nous  marquer  ses 
volontés  par  quelques  signes  visibles,  je  dis 
qu'alors  nous  devons  suivre  fidèlement  les 
routes  qu'elle  nous  propose.  C'est  à  quoi  je 
vais  vous  exhorter  dans  la  seconde  oartie  de 
ce  discours. 

SECOND    POINT* 

Le  même  Dieu  qui,  dans  les  conseils  de  sa 
providence,  nous  cache  ses  mystères  sous  des 
nuages  épais,  nous  découvre  aussi  ses  vo- 
lontés et  ses  desseins  par  des  signes  évidents» 
en  sorte  qu'on  peut  dire  qu'il  a  ses  secrets 
et  ses  connaissances,  son  silence  et  sa  parole* 
ses  énigmes  et  ses  explications,  sa  profon- 
deur où  il  se  retire  et  ses  hauteurs  où  il  se 
manifeste;  et  comme  autrefois,  dans  la  plus 
profonde  nuit,  il  ne  manquait  jamais  de  faire 
marcher  une  colonne  de  feu  qui  guidait  son 
peuple,  ainsi  l'on  peut  dire  que  la  Provi- 
dence, dans  ses  plus  grandes  obscurités,  ne 
manque  point  de  jeter  sur  nous  des  rayons 
lumineux  qui  règlent  nos  mouvements  eï  nos 
démarches. 

Tout  notre  soin  doit  donc  être  de  ne  point 
perdre  de  vue  ces  rayons  qui  nous  sont 
donnés  pour  nous  éclairer  et  r.ous  conduire, 
et,  sans  nous  écarter  ni  d'un  côté  ni  d'autre, 
de  tenir  le  droit  chemin  que  le  Seigneur  nous 
montre;  c'est  ce  que  disait  un  saint  roi  de 
Juda»  au  milieu  de  ses  ennemis  où  il  se  trou- 
vait destitué  de  tout  secours  et  hors  d'état  da 
pouvoir  tenir  tête  à  une  armée  si  formidable  i 
Nom»  sommes  trop  faibles»  hélas!  pour  ré- 
sister à  cette  multitude  effroyable  d'ennemis^ 
qui  viennent  fondre  sur  nous  ;  mais,  comme 
nous  ignorons,  6  mon  Dieu!  le  parti  qU3 
nous  avons  à  prendre ,  quelle  ressource  nous 


933 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SUR1AN. 


c;o 


reste-t-il,  sinon  de  tenir  nos  yeux  attachés 
sur  vous,  pour  en  apprendre  ce  que  nous 
avons  a  faire  :  Dcus  nosler:  sed  cum  ignore- 
mus  qu'ici  agere  debeamus,  hoc  solum  habemus 
résidai,  ut  cculos  nostros  dirigamus  ad  te. 
(Il  Parai,  XX.) 

Yroilà  quelle  doit  être  la  règle  de  notre 
conduite  :  c'est  de  bien  observer  le  dessein  et 
les  mouvements  de  la  Providence  sur  cha- 
cun de  nous  et  de  nous  y  conformer.  Or, 
cette  divine  Providence  se  manifeste  en  deux 
manières  :  ou  bien  par  des  nécessités  aux- 
quelles elle  vous  assujettit  pour  vous  faire 
souffrir  tous  les  maux  qu'elle  veut,  ou  bien  par 
•des  facilités  qu'elle  vous  procure  pour  faire 
tout  le  m'en  dont  elle  nous  fournit  l'heureuse 
occasion;  c'est  ainsi  que  nous  apercevons 
en  elle  un  caractère  de  force  qui  assujettit  : 
Attingens  a  fine  ad  finem  fortiter  (Sap.,  VIII) , 
et  un  caractère  de  douceur  qui  dispose  :  Dis~ 
ponit  omnia  suaviter  (ïbid.)  ;  force  qui  nous 
met  dans  la  nécessité  de  souffrir  tous  les  maux 
qui  peuvent  nous  survenir  dans  la  vie;  dou- 
ceur qui  nous  offre  des  facilités  pour  opérer 
le  bien  que  Dieu  nous  ordonne  de  faire. 
Voilà  quelle  est  la  conduite  de  la  Providence 
envers  nous,  quelle  est  la  pratique  que  nous 
devons  garder  envers  elle,  c'est  :  l°de  nous 
soumettre  entièrement  à  la  nécessité  qu'elle 
nous  impose  dans  tous  les  maux  de  cette  vie  ; 
2"  de  profiter  de  la  facilité  qu'elle  nous  pro- 
cure pour  faire  le  bien;  c'est  sur  cette  né- 
cessité que  nous  devons  régler  nos  désirs, 
c'est  par  cette  facilité  que  nous  devons  ré- 
gler nos  actions. 

i"  Quand  je  dis  que  la  Providence  divine 
nous  impose  des  nécessités,  je  ne  prétends 
pas  qu'elle  applique  jamais  aucune  con- 
trainte à  la  volonté  de  l'homme,  qu'elle  la 
détermine  au  mal  par  une  motion  à  laquelle 
on  ne  puisse  résister  ;  et  que,  comme  l'ont  pré- 
tendu certains  hérétiques,  elle  nous  fasse 
faire  des  crimes  que  nous  ne  vouions  pas. 
Ànathème  h  une  telle  doctrine  qu'il  faut 
combattre  en  toute  occasion,  puisqu'elle  a 
été  foudroyée  de  l'Eglise,  puisqu'elle  tombe 
d'elle-même  par  sa  sévérité  outrée,  et  qu'elle 
ne  peut  être  à  l'homme  qu'un  principe  de  dé- 
sespoir. Sans  toucher  à  cette  liberté  que  Dieu 
a  laissé  à  l'homme,  je  dis  que  la  nécessité 
dont  il  s'agit  ici  consiste  dans  un  certain  en- 
chaînement de  circonstances,  dans  un  certain 
ordre  de  conjonctures,' d'ans  une  suite  d'ac- 
cidents qui  se  succèdent  ou  se  trouvent  en- 
semble, dans  un  arrangement  de  faits  et 
d'événements  dont  Dieu  ï>e  sert  pour  nous 
engager  dans  les  maux  de  cette  vie ,  et  par 
lesquels  il  dispose  de  toutes  nos  fortunes, 
de  nos  conditions,  de  nos  santés  de  notre 
réputation,  de  notre  repos,  de  notre  vie 
même.  Je  parle  de  cette  nécessité  par  laquelle 
la  volonté  de  Dieu  tient  les  uns  dans  l'obs- 
curité, dans  le  mépris  malgré  tout  leur  or- 
gueil et  leur  ambition,  et  élève  les  autres 
aux  charges,  aux  emplois  et  aux  dignités 
malgré  leur  modestie,  leur  humilité  et  la  ré- 
pugnance qu'ils  y  ont  ;  nécessité  qui  élève 
on  qui  humilie  qui  il  lui  plaît:  Il  une  exaltai, 
hune  humiliât  [Fsal.  LXXIVj,   et  qui  rend 


toujours  nos  entreprises  inutiles  et  vaines, 
malgré  tous  les  etforts  que  nous  employons 
pour  les  faire  réussir.  Ils  ont  beau,  ces  esprits 
orgueilleux,  dit  le  Prophète,  former  des  pro- 
jets, prendre  des  mesures  pour  l'accomplis- 
sement de  leurs  passions,  de  leurs  œuvres 
d'iniquité,  ce  ne  sont  que  des  vapeurs  qui 
s'exhalent  en  fumée,  et  celui  qui  est  dans  le 
ciel  dissipera  ces  desseins  insemés  et  se 
moquera  de  ces  néants  superbes  :  Qui  habi- 
tat in  cœlis  irfidebit  cos.  (Psal.  II.) 

Oui,  Dieu  vous  voit  du  haut  de  son  trône; 
rendez-vous  attentifs  à  une  vérité  que  nous 
éprouvons  tous  les  jours  et  dont  nous  no 
profitons  pas  :  Dieu  vous  voit  faire  le  plan 
de  votre  fortune,  jeter  les  yeux  de  tous  cô- 
tés ,  frapper  à  toutes  les  portes  ,  faire  toutes 
sortes  d'avances  et  de  démarches,  destiner 
des  enfants,  les  uns  au  monde  et  les  autres 
à  l'Eglise,  et  régler  leur  vocation  sur  ce  qui 
vous  paraît  devoir  le  plus  contribuer  à  votre 
avarice,  à  votre  ambition  ;  Dieu  vous  voit 
seconder  de  vos  biens  et  de  votre  crédit  le 
parti  le  moins  sûr,  pour  détruire  ou  affaiblir 
le  parti  le  plus  saint;  Dieu  vous  voit  fa're 
agir  mille  ressorts,  remuer  ciel  et  terre,  em- 
ployer tous  vos  amis  et  en  chercher  de  nou- 
veaux, compter  sur  des  patrons  qui  vous 
promettent  d'avoir  grand  soin  de  vous,  vous 
efforcer  d'entrer  dans  la  bienveillance  de 
tous  ceux  qui  peuvent  vous  conduire  à  vos 
lins,  tenter  par  argent  ou  par  intrigue  d'at- 
trapper  ce  que  jamais  vous  ne  jouiriez  espé- 
rer d'obtenir  par  le  mérite,  écarter  avec  soin 
tous  les  obstacles  et  tous  les  concurrents  qui 
peuvent,  s'opposer  à  vos  desseins,  lier  si 
bien  une  affaire  qu'elle  ne  puisse  vous  man- 
quer, et  avec  cela  vous  flatter  enfin  que  tout 
vous  réussira  ,  et  que  tout  ce  que  vous  pro- 
jetez aura  son  heureuse  exécution.  Voilà 
comme  vous  agissez  et  comme  vous  jugez  ; 
mais,  malheureusement  pour  vous,  Dieu, 
qui  dispose  tout  à  son  gré,  juge  et  agH  tout 
autrement  que  \ous  ne  faites,  et  voyant  que 
vous  comptez  sur  vous-même  et  sur  de  faibles 
bras  de  chair,  il  dit  :  Non,  cela  ne  sera  pas 
ainsi,  cette  entreprise  ne  sera  pas  exécutée, 
ce  projet  s'en  ira  en  fumée,  tout  cela  sera 
renversé  :  Non  slabil.  (Isa.,  VII).  Ce  n'est  pas 
moi  qui  le  dis,  c'est  un  prophète  qui  l'a  en- 
tendu lui  même  de  la  bouche  du  Seigneur,  au 
sujet  d'une  conspiration  de  deux  puissants 
rois  de  Juda  qui  croient  fouler  aux  pieds 
leurs  ennemis:  Non,  non,  dit  le  Seigneur, 
ni  par  la  force  ni  par  leur  argent,  ils  ne 
viendront  à  bout  île  leurs  téméraires  des- 
seins :  Non  slabil  nec  illuderit.  (Ïbid.) 

Or,  sans  faire  ici  le  prophète,  ne  puis-je 
pas  en  dire  autant  à  beaucoup  de  personnes 
qui,  dans  le  dessein  de  contenter  leur  am- 
bition et  leur  cupidité,  trouveront  toujours 
la  Providence  divine  opposée  à  leurs  des- 
seins, et  ne  puis-je  pas  leur  annoncer  de  la 
pari  de  Dieu  qu'ils  ne  viendront  jamais  à 
bout  de  leurs  superbes  projets  :  Non  siabit. 
Ne  les  yoyons-nous  pa,s  tous  les  jours  frap- 
per à  la  porte  des  hommes,  des  pestes,  des 
emplois  et  des  grands  établissements  sans 
pouvoir  y  entrer?  Ne  les  voit-on  pas  se  fa- 


841 


CAREME.    -  SERMON  XIX,  DE  LA  PROVIDENCE  DE  DIEU. 


942 


tiguer,  s'épuiser,  se  tourmenter  dans  le 
chemin  de  la  fortune  sans  pouvoir  y  avan- 
cer, mendier  l'aide  des  uns,  des  autres  pour 
l'accomplissement  de  quelques  grands  des- 
seins sans  pouvoir  y  réussir?  Ne  voit-on  pas 
que  la  Providence  a  décidé  en  prononçant 
ce  :  Non  stabit  ?  Non,  jamais  vous  ne  sortirez 
de  cette  médiocrité  où  vous  êtes  né  ;  non,  ja- 
mais vous  ne  pourrez  surmonter  les  obsta- 
cles qui  s'opposent  à  l'élévation  que  vous 
cherchez  ;  non,  jamais  vous'ne  parviendrez 
au  but  où  votre  ambition  vous  fait  aspirer; 
non,  jamais  vous  n'exécuterez  ce  dessein  que 
vous  méditez  ;  jamais  vous  n'obtiendrez  cet- 
emploi  que  vous  briguez  :  Non  stabit,  non 
erit  illud. 

L'arrêt  de  te  Dieu  est  irrévocable  ;  quand 
il  a  résolu  qu'une  chose  soit  faite,  elle  se 
fera  :  Dixit  et  facta  sunt  (Gen. ,  Ij  et  quand 
il  a  dit  qu'elle  ne  se  fera  pas,  jamais  elle  ne 
pourra  être  faite  ;  on  aura  beau  y  employer 
des  intrigues ,  des  amis  ,  toujours  naîtra 
quelque  nouvelle  difficulté,  toujours  se  pré- 
sentera quelque  nouvel  obstacle  qui  rompra 
vos  mesures ,  qui  fera  échouer  vos  projets  ; 
tantôt  les  occasions  vous  échapperont,  tantôt 
vous  serez  trahis  ou  mal  servis  par  vos  amis, 
tantôt  vous  vous  y  prendrez  trop  lard ,  et 
tantôt  vous  irez  trop  vite;  tantôt  vos  amis 
auront  agi  trop  mollement,  et  tantôt  avec 
trop  de  précipitation;  tantôt  paraîtront  des 
concurrents  plus  heureux  qui  vous  supplan- 
teront ,  et  tantôt  des  contretemps  fâcheux 
qui  renverseront  tout  l'édifice  de  votre  am- 
bition; tantôt  vous  perdrez  un  protecteur 
qui  était  bien  intentionné  pour  vous,  et  tan- 
tôt vous  confierez  vos  intérêts  et  votre  se- 
cret à  un  imprudent  et  à  un  fourbe;  tantôt 
vous  userez  de  trop  de  politique,  et  tantôt 
vous  irez  trop  à  la  bonne  foi  ;  quelquefois  ce 
sera  tendresse  de  conscience,  et  une  autre 
fois  ce  sera  défaut  de  religion;  en  un  mot, 
de  quelque  côté  que  vous  vous  tourniez, 
vous  demeurerez  toujours  dans  celui  où  vous 
aura  mis  la  Providence.  Non,  il  n'en  sera 
point  autrement,  et  rien  de  ce  que  vous  pro- 
jetez ne  vous  réussira  :  Non  stabit,  non  erit 
illud. 

Vous  ne  le  savez  pas,  puisque  l'on  vous 
entend  dire  à  tout  moment  que  c'est  une 
injustice  qu'on  vous  fait,  que  ce  sont  vos  en- 
nemis qui  sont  cause  de  ce  mauvais  succès, 
que  c'est  par  politique  qu'on  a  préféré  un 
autre  à  vous;  vous  ne  le  savez  pas  puisque 
vous  vous  en  prenez  à  votre  mauvaise  étoile, 
que  vous  en  mettez  la  faute  sur  vos-amis,  sur 
vos  patrons.  Ah!  quand  vous  raisonnez  de 
la  sorte,  que  vous  êtes  aveugles l  Hélas! 
vous  n'êtes  pas  au  fait,  vous  n'allez  pas  à  la 
source?  Non,  non,  ce  n'est  ni  aux  hommes 
ni  aux  révolutions  que  vous  devez  vous  en 
prendre,  c'est  à  la  providence  de  D-ieu  qui  a 
tout  arrêté  vos  entreprises,  c'est  elle  qui  est 
votre  partie  et  qui  contredit  généralement 
toutes  vos  prétentions,  qui  fait  avorter  tons 
vos  ambitieux  desseins,  qui  fait  échouer 
tous  vos  frivoles  projets. 

Eh  !  comment  est-ce  que  vous  ne  le  con- 
naissez pas?  n'est-il  pas  aisé  d'en  compren- 


dre les  mouvements?  ne  voyez-vous  pas 
qu'il  n'est  pas  naturel  qu'avec  tous  les  moyens 
puissants  que  vous  avez  employés  pour  réus- 
sir dans  votre  entreprise,  vous  n!en  fussiez 
venu  à  votre  honneur,  si  Dieu  ne  s'en  était 
mêlé;  puisque  avec  moins  de  fureur  et  de 
soins,  tant  d'autres  ont  réussi  et  se  sont  avan- 
cés, il  faut  donc  bien  que  ce  soit  Dieu  qui  ait 
ôté  le  bon  vent  et  qui  en  a  mis  un  tout  con- 
traire ;  voilà  ce  que  vous  auriez  dû  savoir  et 
ce  qui  est  très-évident. 

Or,  que  pourrez-vous  faire  contre  les  or- 
dres de  cette  divine  providence  ?  Quoi  1 
batailler  sans  cesse  contre  elle  par  des  pro- 
jets et  des  entreprises  qu'elle  n'approuva 
pas?  Hélas!  combats  bien  inutiles,  qu'y  ga- 
gnerez-vous,  d'une  part,  sinon  beaucoup  de 
peines, de  veilles, de  fatigues, sinon  l'altération 
de  votre  santé,  de  votre  esprit, l'épuisement  de 
vos  forces,  le  violement  des  devoirs  que  Dieu 
avait  attachés  à  votre  état,  sans  pouvoir  ja- 
mais vous  avancer;  d'autre  part  que  perdrez- 
vous?  vous  perdrez  tout,  vous  abrégerez  le 
cours  de  votre  vie,  vous  négligerez  l'exer- 
cice de  votre  religion,  la  pratique  de  la  piété 
et  des  autres  vertus;  vous  perdrez  enfin  votre 
repos,  votre  âme,  votre  salut,  car  de  toutes 
les  humiliations  que  le  Seigneur  avait  pré- 
parées à  ceux  qui  s'écartent  de  lui,  vous  n'en 
perdrez  aucune,  et  vous  ne  trouverez  rien  de 
ces  prétendus  avantages  que  la  cupidité  vous 
faisait  désirer,  et  ne  croyez  pas  que  cette 
providence,  qui  vous  déclare  une  si  fâcheuse 
guerre,  relâche  et  veuille  mettre  fin  à  vos 
peines,  non  elle  ne  mollira  jamais,  et  vous 
la  trouverez  toujours  contraire  à  vos  coupa- 
bles entreprises  :  Non  stabit  neque  erit  illud. 

Ahl  que  voulons-nous  faire?  n'est-il  pas 
iuste  que  Dieu  ait  l'avantage  sur  nous?  vou- 
lons-nous disputer  avec  lui,  dit  saint  Paul, 
et  oserons-nous  mesurer  nos  forces  avec  les 
siennes  :  An  œmulamur  Dominum?  Nunquid 
fortiores  illo  sumus  ?  (1  Cor.  X.)  Et  à  quoi  vos 
tentatives  aboutiront-elles,  sinon  àvous  faire 
accabler  de  maux  et  de  misères?  puis  donc 
qu'il  n'y  a  rien  à  gagner  pour  nous  et  qu'au 
contraire  tout  est  perdu  à  nous  écarter  des 
routes  que  nous  trace  la  divine  providence, 
prenons  le  parti  de  la  soumission  et  nous  con- 
formons à  sa  sainte  volonté  ;  voilà  à  quoi  nous 
devons  nous  déterminer,  à  une  entière  rési- 
gnation à  cette  providence  qui  se  déclare  trop 
dans  les  maux  auxquels  elle  nous  assujettit 
pour  n'être  pas  connue;  mais  venons  au  se- 
cond article,  c'est-à-dire  à  cette  douceur  con- 
descendante qui  nous  offre  de  si  heureuses 
facilités  pour  le  bien  qui  nous  est  ordonné, 
et  ce  second  caractère  demande  de  nous  une 
grande  iidélité. 

2°  Mais  quelle  est  cette  providence  douce 
et  condescendante?  Je  vais  vous  la  faire  con- 
naître dans  tout  ce  qui  vous  environne,  et 
par  tout  ce  qui  vous  arrive;  car  il  faut  vou- 
loir s'aveugler  soi-même  pour  ne  pas  la  re- 
connaître, d'un  côté  dans  les  choses  les  plus 
ordinaires;  telles  sont  la  naissance,  la  con- 
dition, le  génie,  le  tempérament,  les  incli- 
nations, les  qualités  de  chaque  personne  en 
particulier,   en  sorte  qu'elle  montre  à  ue 


sn 


ORATEIRS  SACRES.  LE  P.  SÎIRIAN. 


Ui 


chacun  l'état  et  la  vocation  où  le  Seigneur 
l'appelle,  première  marque.  Ln  voici  une 
autre  :  cette  providence  met  quelquefois  une 
âme  dans .des  peines,  des  amertumes,  des 
dégoûts;  elle  rompt  île  tels  liens,  cause  de 
telles  séparations,  envoie  de  telles  contra- 
dictions de  telles  afilii  lions  ;  elle  presse  m 
fort,  elle  accable  de  telle  manière  un  homms, 
qu'elle  veut  lui  faire  connaître  la  nécessité 
de  sortir  du  péché  pour  revenir  à  Dieu. 
Autre  disposition  de  cette  providence  sensi- 
ble qui  offre  aux  hommes  différentes  roules 
pour  faire  le  bien  tquelquefoiselle  leurdonne 
«les  capacités  et  des  talents,  elle  les  élève  à 
une  telle  réputation  et  à  un  tel  crédit,  à  tant 
â'hontieur  et  de  gloire  dans  le  monde, 
qu'elle  leur  déclare  par  toutes  ces  faveurs 
que  ce  sont  autant  d'engagements  pour  eux 
de  faire  le  bien,  et  qu'ils  y  trouvent  des  faci- 
lités merveilleuses  par  la  situation  où  elle 
Jes  a  nus  :  providence  qui  prépare  les  cœurs 
h  faire  le  bien  par  les  douceurs  qu'elle  leur 
communique,  par  les  emplois,  les  dignités, 
les  charges  qu'elle  leur  confie. 

Ah!  que  tout  serait  bien  gouverné  dans  ce 
monde,  et  que  les  troubles  en  seraient  ban- 
nis si  la  volonté  de  Dieu  y  était  bien  obser- 
vée, et  l'intention  de  sa  bienfaisante  provi- 
dence bien  secondée;  mais  savez-vous  ce 
qui  fait  tout  le  désordre,  c'est  qu'on  se  sou- 
lève contre  les  ordres  si  bien  marqués  de 
cette  providence;  les  marques  de  vocation 
qu'elle  avait  mises  dans  ces  jeunes  gens, 
ah  !  elles  se  trouvent  confondues  parles  vues 
basses  de  l'intérêt  ou  de  l'ambition  de  leurs 
pères  et  mères.  Les  conditions  sont  établies 
par  la  Providence  comme  autant  de  voies  dif- 
férentes et  faciles  d'opérer  son  salut,  et  les 
passions  des  hommes  en  font  autantde  voies 
de  perdition,  les  bonnes  œuvres  sont  plus 
particulièrement  attachées  à  certaines  pla- 
ces et  les  premiers  rangs  sont  fails  pour  don- 
ner de  grands  exemples:  mais  la  cupidité 
renverse  tout;  de  laces  désordres  quiarrivent 
par  ceux  qui, sans  mérite  et  sans  capacité,  rem- 
plissent des  places  où  ils  sont  entrés  sans 
vocation  ;delà  cette  profanation  des  revenus 
les  plus  sacrés  dans  les  dignités  ecclésiasti- 
ques ;  de  là  l'impunité  du  crime  dans  les 
charges  du  barreau;  de  là  le  délaissement 
des  pauvres  dans  les  riches;  de  là  le  mépris 
et  la  honte  de  notre  sainte  religion  dans  les 
lâches  et  les  faibles;  de  là  enfin  ce  renver- 
sement presque  universel  dans  le  siècle  et 
dans  l'Eglise;  sur  quoi  quelquefois  nous 
nous  récrions  :  O  divine  providence,  où  ètes- 
vous  I  Mais  sur  quoi  il  faudrait  s'écrier  au 
contraire  :  O  malignité  des  hommes,  ô  per- 
versité du  cœur  humain,  que  tu  fais  de  ra- 
vages !  Car  la  Providence  avait  tout  réglé, 
et  c'est  la  cupidité  qui  fait  tout  échouer;  la 
Providence  avait  pourvu  à  tout,  et  l'iniquité 
fait  tout  manquer.  Pourquoi  vous  [daignez- 
vous  de  la  Providence  dans  le  délaissement 
des  pauvres?  plaignez-vous  plutôt  dos  riches 
qui  par  leur  dureté  refusent  aux  indigents 
un  bien  qui  leur  avait  été  donné  pour  sou- 
lager leur  misère;  n'accusez  pas  la  Providence 
do  laisser  sans  teiours  et  sans  protection  la 


veuve  et  le  pupille,  et  de  souffrir  qne  Jcs 
petits  so:ent  opprimés  par  les  grands;  accu- 
sez-en plutôt  ceux  qui,  par  leurs  chargea  et 
leurs  emplois,  sont  chargés  de  les  défendre 
et  de  les  protéger,  ou  qui  abusent  de  leur  au- 
torité par  injustice,  ou  qui  la  trahissent  par 
lâcheté;  n'accusez  point  la  Providence  déco 
•  pie  la  religion  de  Jésus-Christ  est  mal  sou- 
tenue, et  les  gens  de  bien  si  fort  persécutés, 
mais  qu'on  s'en  prenne  à  ceux  qui  sont  en 
place  pour  la  défendre,  mais  qui  négligent 
ou  trahissent  la  cause  de  Dieu  pour  leurs  in- 
térêts propres.  Le  bien  ne  se  fait  pas,  e:t-ce 
la  faute  de  la  Providence?  Non,  c'est  la  faute 
de  ceux  qu'elle  avait  chargés  ici-bas  de,  le 
faire,  et  qui  niéprisenlou  oublient  cet  impor- 
tant devoir  :  le  mal  s'est  répandu  partout, 
parce  que  partout  il  y  a  des  méchants;  après 
cela  nous  venons  crier  sur  l'injuttice  de  la 
Providence,  malheureux  que  nous  sommes  l 
elle  nous  donne  des  marques  sensibles  de  la 
règle  et  du  bon  ordre  qu'elle  a  mis  dans  le 
monde,  et  nous  la  renversons,  nous  faisons 
servir  les  secours  qu'elle  nous  donne  à  tou- 
tes nos  passions,  et  nous  nous  plaignons!  Si 
donc  nous  aimons  à  nous  plaindre,  cène  pour- 
rait être  que  de  ce  qu'elle  nous  a  laisse  ce'.?.i 
liberté  qui  rompt  tous  ses  projets,  ce  sera  t 
de  ce  que  Dieu  ayant  fait  l'homme  libre,  il 
veut  s'en  faire  obéir,  non  pas  comme  d'un 
maître  à  un  esclave,  mais  d'un  père  à  un  en- 
fant :  Sicut  autem  ,  Pater,  providentia  yubtr- 
nat  (Sap.,  XIV)  ;  ce  serait  de  nous  attirer  avec 
bien  plus  de  justice  ces  reproches  terribles 
que  le  Seigneur  faisait  autrefois  à  l'ingrate  et 
rebelle  Jérusalem  :  Quoties  volui  conyregare 
filios  tuos  ,  et  noluUti!  (Matth.,  XX111;  Luc, 
Xlll.)  Combien  de  fois  vous  ai-je  marqué  ma 
volonté  et  vous  y  avez  toujours  résisté?  quels 
bons  désirs  ne  vous  ai-je  pas  inspirés,  et 
vous  ne  m'y  avez  jamais  secondé  ?  quel  bien 
ne  vous  aûrais-je  pas  fait,  et  vous  vous  y 
êtes  toujours  opposés?  Avec  quelle  sagesse 
vous  aurais-je  conduit  dans  les  voies  d  hon- 
neur et  de  sainteté,  malgré  toutes  les  embû- 
ches de  cette  vie  mortelle,  si  vous  n'étiez  pas 
toujours  sortis  malgré  moi  de  l'ordre  que  je 
vous  avais  prescrit  :  Et  noluisti. 

Sentez-vous,  Messieurs,  toute  l'affection  de 
cette  providence  paternelle?  n'êles-vous  pas 
touchés  de  ses  miséricordieuses  démar- 
ches pour  vous  faire  revenir  de  vos  égare- 
ments, soufl'rirez-vous  plus  longtemps  qu'on 
vous  reproche  votre  révolte  et  que  l'on  vous 
accuse  d'être  des  déserteurs  et  des  fuyards, 
comme  parle  saint  Bernard  :  fugitivi  Provi- 
dentiœ,  ne  sentez-vous  pas  au  fond  de  la 
conscience  un  secret  remords,  qui  vous  fasse 
rentrer  en  vous-mêmes,  etqui  vous  fas.fe  dire 
avec  le  Prophète  :  Tuus  sum  ego;  salvuui  me 
fac?  [PsaL,  CXVIII.)  Ah!  mon  Dieu,  sauvez 
moi,  je  suis  une  créature,  je  n'attends  de  se- 
cours que  de  vous,  et  si  par  malheur  et  trop 
long-temps  je  me  suis  écarté  de  vous,  ah  1  j'y 
reviens  avec  sincérité  et  ne  reconnais  d'autre 
consolation  que  celle  de  vous  appartenir  et 
d'être  avec  vous  :  tuus  sum  ego  ;  salvum  me 
fac.  Quelle  consolation  n'est-ce  pas  en  efnt 
de   penser  qu'on  est  entre  les  mains  d'une 


045  CAREME.  —  SERMON  XX,  RESPECT  DU  AUX  EGLISES. 

Providence  si  attentive  à  tous  nos  besoins  et 


9i6 


si  prête  à  les  soulager.  Que  ferait  le  pauvre, 
chargé  d'une  grosse  famille,  s'il  n'avait  con- 
fiance à  Dieu,  qu'il  ne  l'abandonnera  pas  ? 
que  ferait  le  malade,  l'affligé,  le  persécuté, 
s'il  ne  songeait  que  Dieu  sera  son  soutien  et 
sa  consolation,  qu'il  daignera  agréer  ses  lar- 
mes et  écouter  ses  gémissements?  que  ferions 
nous  tous  dans  tant  de  fâcheux  accidents, 
dans  tant  d'affaires  épineuses,  dans  tant  de 
calamités  et  de  traverses,  que  deviendrions- 
nous  enfin  à  la  vue  de  cette  mort  si  terrible  et 
peut-être  si  prochaine,  dans  les  frayeurs  des 
jugements  de  Dieu,  dans  les  doutes  et  l'in- 
certitude où  sont  tous  les  hommes  sur  la  pré- 
destination et  le  salut,  et  à  la  seule  idée 
des  supplices  éternels  qui  attendent  le  pé- 
cheur? Ah!  que  deviendrions  nous,  si,  met- 
tant en  Dieu  seul  notre  confiance  nous  ne 
lui  disions  avec  un  cœur  sincère  :0  Seigneur 
sauve2-moi  parce  que  je  suis  avec  vous  : 
Tuussam  ego  ;  salvurn  me  fac  :  non-seulement 
je  suis  à  vous  par  ma  création,  par  ma  con- 
servation, mais  par  mon  amour,  par  ma  re- 
connaissance, par  le  fond  de  mon  âme  :  tuus 
sum  ego;  je  suis  à  vous  non-seulement  par  le 
droit  que  vous  avez  sur  mon  corps,  sur  ma 
vie,  mais  par  toute  l'affection  de  mon  cœur 
et  par  une  résignation  entière  de  ma  volonté 
à  la  vôtre;  enfin,  je  su' s  à  vous  non-seulement 
de  parole,  mais  d'effet  :  tuus  sum  ego;  je  suis 
à  vous,  non-seulement  comme  une  créature 
à  son  créateur,  mais  comme  un  enfant  est  à 
son  père  :  tuus  sum  ego,  oui  je  suis  tout  à 
vous,  préparée  tout  ce  qu'il  vous  plaira,  à 
la  pauvreté  comme  aux  richesses,  à  l'obscu- 
rité comme  à  la  grandeur,  au  mépris  comme 
à  l'estime  des  hommes,  à  la  maladie  comme 
à  la  santé,  à  l'opprobre  comme  à  la  gloire,  au 
travail  comme  au  repos,  à  la  mort  comme  à 
la  vie;  je  suis  prêt  à  tout,  à  perdre  comme  à 
gagner,  à  marcher  et  à  demeurer  selon  qu'il 
vous  [flaira  de  me  faire  connaître  vos  ordres 
et  vos  saintes  volontés.  Ah!  quiconque  par- 
iera de  la  sorte  en  disant  :  Seigneur,  je  suis 
à  vous,  sauvez-moi,  peut  être  assuré  que  Dieu 
sera  aussi  à  lui  dans  le  temps  par  sa  grâce 
et  dans  l'éternité  par  sa  gloire  :  je  vous  la 
souhaite,  au  nom  du  Père  et  du  Fils  et  du 
Saint-Esprit.  Amen. 

SERMON  XX. 

DU    RESPECT  DU   AUX    EGLISES. 

Invenit  in  templo  vendentes.  (Joan.  II,) 

Il  trouva  dans  le  temple  des  gens  qui  vendaient 

Il  faut  donc  que  les  irrévérences  qui  se 
commettent  dans  nos  églises  soient  devant 
Dieu  un  crime  bien  énorme  ctbien  injurieux 
a  sa  suprême  majesté,  puisque  le  Sauveur, 
le  plus  doux,  le  plus  modéré  de  tous  les  hom- 
mes, s'anime  aujourd'hui  d'un  zèle  rigou- 
reux contre  les  profanations  du  lieu  saint, 
et  que  ce  Dieu  de  bonté,  qui  a  toujours  té- 
moigné aux  hommes  tant  de  tendresse,  qui 
a  versé  des  larmes  touchant  l'endurcisse- 
ment des  pécheurs,  qui  a  prié  le  Père  cé- 
leste au  moment  de  sa  mort  de  pardonnera 
les  ennemis   et   aux    profanateurs  do  son 


corps  adorable,  ne  peut  voir  la  profanation 
de  nostemplessans  en  être  irrité,  sans  prendre 
le  fouet  en  main,  pour  être  le  vengeur  de  la 
gloire  de  son  Père  ;  cependant,  quoi  de  moins 
criminel  et  de  plus  excusable  en  apparence 
que  ces  profanateurs?  c'étaient  des  hommes 
qui  trafiquaient  pour  les  usages  du  temple  : 
ils  vendaient  des  victimes  pour  les  sacrifi- 
ces qui  s'offraient-,  ils  avaient  établi  un 
change  pour  faciliter  les  aumônes  du  peuple  ; 
ils  ne  se  tenaient  que  dans  le  parvis  du 
lieu  saint,  le  temple  lui  même  n'était  que 
la  figure  de  nos  églises,  de  cette  arche  d'al- 
liance où  Jésus-Christ  fait  sa  demeure. 

Que  devez-vous  donc  penser,  demande  le 
Vénérable  Bède,  de  toutes  les  immodesties 
qui  se  commettent  pendant  même  la  célé- 
bration de  nos  saints  mystères  dans  un  lieu 
que  l'Ecriture  appelle  tantôt  le  sanctuaire  de 
la  gloire  du  Tout-Puissant,  où  son  nom  ado- 
rable doit  être  glorifié  :  locum  habitationis 
gloriœ  tuœ  [Psal.  XX V)  ;  tantôt  la  porte  du  ciel 
et  la  fontaine  salutaire  d'où  découlent  les 
grâces,  et  où  nous  allons  puiser  toutes  ces 
eaux  qui  jaillissent  jusqu'à  la  vie  éternelle  : 
Non  est  hic  aliud  nisi  domus  Dei  et  porta  cœli 
(Gen.,  XXVIII);  tantôt  la  nouvelle  Jérusalem 
descendue  des  cieux,  un  tabernacle  nouveau 
où  les  bienheureux  sont  prosternés  au  pied 
du  trône  du  Seigneur,  où  il  se  rend  favorable 
à  nos  prières  et  à  nos  vœux  :  Novam  Jérusalem 
descendentem  de  cœlo  a  Deo...  Ecce  Dei  taber- 
naculum  cum  hominibus.  (Apoc,  XXI.) 

Concevez  donc  aujourd'hui  pour  nos  égli- 
ses les  sentiments  de  respect  et  de  vénéra- 
tion qui  leur  sont  dus;  car  qu'est-ce  qu'un 
temple?  C'est  un  lieu  consacré  par  la  religion 
pour  y  rendre  à  Dieu  un  culte  public.  Vous 
êtes  donc  bien  coupables,  lorsque  vous  y  ve- 
nez pour  y  déployer  publiquement  vos  irrévé- 
rences et  vos  immodesties, première  réflexion. 
Qu'est-ce  qu'un  temple?  C'est  un  lieu  choisi 
de  Dieu  pour  y  renouveler  les  mystèresles 
plus  augustes  de  sa  religion.  Vous  êtes  donc 
bien  criminels,  lorsque  vous  y  assistez  avec 
des  pensées  profanes  et  des  sentiments  tout 
terrestres,  deuxième  réflexion.  Culte  pu- 
blie, qui  demande  de  vous  des  témoignages 
publics  et  extérieurs  de  respect,  voilà  mon 
premier  point  ;  culte  sacré,  qui  demanue 
de  vous  des  sentiments  intérieurs  profonds 
de  respect,  sera  mon  second  et  tout  mon  des- 
sein, d'où  vous  allez  voir  les  deux  sources 
funestes  des  profanations  qui  se  commet- 
tent dans  nos  églises.  Demandons  et  implo- 
rons l'assistance  de  l'Esprit  par  f  inierces •• 
sion  de  Marie.  Ave,  Maria. 

PltF.MIER    POINT. 

Non,  mes  frères,  ce  n'est  point  seulement 
pour  rendre  à  Dieu  un  culte  intérieur,  unis 
public  (pue  nos  églises  sont  consacrées  par 
la  religion;  nous  pouvons,  j'en  conviens,  lui 
offrir  en  tous  lieux  le  sacrifice  de  notre 
cœur,  élever  vers  lui  nos  affections  et  nos  dé- 
sirs, lui  adresser  nos  vœux  et  nos  hommages; 
mais,  outre  cela,  il  s'est  choisi  des  temples 
où  il  veut  que  nous  allions  lui  paver  ouver- 
tement le  tribut  légitime  de  nos  adorations, 


547 


ORATEURS  SACRES.   LE  P.  SURIAN. 


943 


c'est  pour  nous  en  avertir  qu'on  fait  graver 
à  l'entrée  :  Deo  optimo,  maximo,  ce  lieu  est 
consacré  au  Dieu  très-grand,  très-puissant; 
ce  qui  nous  apprend,  lorsque  nous  entrons 
dans  un  temple,  que  c'est  pour  reconnaître  le 
Seigneur  comme  seul  grand  par  les  adora- 
tions que  nous  lui  devons  :  Domum  maje- 
statis  meœ  glorificabo  {Isa.,  LX),  c'est  pour 
le  reconnaître  comme  le  seul  parfait  et  le 
seul  digne  de  notre  amour  par  les  cantiques 
et  les  louanges  que  nous  lui  adressons,  (ans 
ejus  in  Ecclcsia  sanctorum  (Psal.  CXL1X), 
enfin,  c'est  pour  le  reconnaître  comme  ie  seul 
parfait  auteur  de  tous  les  biens  par  les  vœux 
et  les  prières  que  nous  répandons  au  pied  de 
ses  autels  :Domus  mea  domus  orationis  voca- 
bitur.  (Isa.,  LVI.) 

Or,  quelle  conséquence  tirerons-nous  de 
ces  trois  principes  pour  votre  instruction 
particulière?!  "que  vous  devez  vous  tenir  dans 
nos  églises,  dans  un  état  d'anéantissement 
pour  adorer  la  majesté  souveraine  de  votre 
Dieu;  2"  que  vous  devez  y  paraître  dans  un 
esprit  de  recueillement  pour  offrir  à  sa  sain- 
teté parfaite  le  sacrifice  de  vos  louanges  ; 
3'  enfin,  que  vous  devez  y  venir  dans  un  es- 
prit de  prière  et  d'oraison  pour  implorer  ses 
grâces  et  ses  miséricordes.  Donnez  à  ces  trois 
importantes  réflexions  toute  l'attention 
qu'elles  demandent. 

Je  dis  :  1°  que  nous  devons  être  dans  nos 
temples  dans  un  état  d'anéantissement  pour 
reconnaître  en  sa  présence  que  nous  ne 
sommes  que  cendre  et  poussière ,  par  la 
protestation  que  nous  y  devons  faire  haute- 
ment à  la  face  du  ciel  et  de  la  terre  et  de 
toutes  les  créatures,  qu'il  est  le  seul  auteur 
de  notre  être  et  que  nous  n'y  venons  que 
pour  l'adorer  et  fléchir  les  genoux  à  ses 
pieds  :  Venite,  Adoremus  et  procidamus  ante 
Deum  (Psal.  XCIV);  c'est  pour  nous  instruire 
de  cette  vérité  que  le  Seigneur,  dans  ce  tem- 
ple magnifique  que  Salomon  lui  avait  con- 
sacré, voulait  qu'on  répandît  le  sang  des 
boucs  et  des  agneaux,  et  qu'on  les  mît  sur 
l'autel  des  haulocaustes,  afin  que,  par  son 
pouvoir  sur  ces  victimes  étrangères  qui  y 
étaient  consommées,  nous  connussions  le 
droit  absolu  qu'il  a  sur  nous,  et  qu'il  peut, 
quand  il  luf  plaît,  d'un  souffle  seul  nous  faire 
rentrer  dans  le  néant  d'où  il  nous  a  tirés;  il 
y  avait  à  ce  temple  des  portes  vers  l'orient, 
vers  l'occident,  vers  toutes  les  parties  du 
monde,  afin  de  nous  faire  voir  qu'il  n'est  pas 
seulement  le  Dieu  d'un  peuple  particulier, 
mais  le  maître  absolu  de  tous  les  peuples,  etde 
toutes  les  nations  du  monde;  et  voilà  pour- 
quoi l'Eglise,  qui  invite  ses  enfants  à  la  sim- 
plicité, s'est  montrée  superbe  dans  la  struc- 
ture de  nos  temples,  dans  l'embellissement 
de  ses  autels,  dans  la  pompe  de  ses  cérémo- 
nies, dans  la  magnificence  de  ses  ornements, 
afin  de  nous  rendre  par  là  la  présence  de 
Dieu  plus  respectable. 

Or,  pour  entrer  dans  l'esprit  et  dans  l'in- 
tention de  cette  chaste  épouse  de  Jésus- 
Christ,  dans  quel. esprit  devez-vous  paraître 
dans  nos  temples?  dans  un  esprit  de  modes- 
tie, de  simplicité,  de  bienséance,  d'humilité; 


vous  y  devez  paraître  anéanti,  confondu, 
perdu  pour  ainsi  dire  dans  la  foule  des  fi- 
dèles comme  ces  sages  vieillards  que  saint 
Jean  nous  dépeint  dans  son  Apocalypse  :  h 
peine  voient-ils  celui  qui  règne  dans  les 
siècles  des  siècles,  qu'ils  déposent  tous  les 
couronnes  à  ses  pieds,  afin  de  lui  marquer 
qu'ils  le  reconnaissaient  comme  seul  digne 
de  recevoir  l'honneur  et  la  gloire  des  anges 
et  des  hommes,  comme  le  seul  créateur  de 
toutes  choses  et  que  tout  ne  subsiste  quo 
par  un  effet  de  sa  toute-puissance  :  Dignus 
es,  Domine  Deus  noster,  accipere  gloriam  ei 
honcrem  et  virtulem,qina  tu  creasti  omnia, 
etc.  (Apoc,  IV.) 

Ah!  s'il  en  est  ainsi,  corame  on  n'en  peut 
douter,  quittez  donc,  lorsque  vous  entrez 
dans  nos  temples,  ce  cortège  nombreux,  ces 
parures  affectées,  ce  visage  artificiel,  cette 
ostentation  fastueuse,  et  tous  ces  étendards 
de  vanité  dont  vous  venez  accompagnés  dans 
nos  églises.  Quoi  !  mes  frères,  dans  le  temps 
que  vous  venez  faire  dans  nos  temples  un 
aveu  de  votre  néant  et  de  vos  misères,  on 
vous  y  verra  disputer  une  vaine  préséance, 
une  distinction  chimérique  du  rang  et  (le  la 
condition,  et  vous  tenir  debout  devant  Jésus- 
Christ,  jusqu'au  pied  du  sanctuaire,  pendant 
que  le  pauvre  publicain  se  prosterne  à  la 
porte  et  n'ose  seulement  lever  les  yeux  vers 
l'autel,  comme  si,  pour  être  plus  grand  de- 
vant les  hommes,  vous  en  étiez  plus  grand 
devant  Dieu.  Que  vous  les  ayez  dans  les 
assemblées  mondaines  ces  marques  d'hon- 
neur et  de  distinction,  je  n'en  suis  pas  sur- 
pris, elles  sont  instituées  par  le  monde 
même,  cet  ennemi;  déclaré  de  Jésus-Christ; 
mais  qu'à  la  face  des  saints  autels  vous  ayez 
l'audace  de  vous  en  servir,  que  vous  y 
vouliez  affecter  des  places  et  des  droits 
dont  il  ne  peut  être  permis  d'user  qu'aux 
princes  et  aux  puissants  du  monde,  que 
vous  n'y  paraissiez  point  sans  avoir  sous 
vos  genoux  un  relief  de  mollesse  etd'orgueil, 
qu'en  venant  adorer  votre  Dieu,  vous  atta- 
chiez le  culte  que  vous  lui  rendez  à  ces 
longues  superiluités  de  vêtements  que  vous 
traînez  ou  faites  traîner  après  vous.  Ah  !  c'est 
l'outrager  et  non  pas  l'adorer  ;  mais,  que  dis- 
je  l'adorer,  ne  venez-vous  point  plutôt  lui 
ravir  des  adorateurs  et  lui  disputer  les  hom- 
mages qu'on  lui  rend,  plus  attentifs  à  attirer 
sur  vous  les  regards  des  hommes  qu'à  fixer 
les  vôtres  sur  la  victime  sainte  qu'on  immole, 
vous  pensez  moins  à  demander  des  grâces 
qu'à  inspirer  des  crimes,  vous  n'approchez 
plus,  il  est  vrai,  des  autels  comme  les  en- 
fants d'Aaron  pour  éteindre  le  feu  du  sanc- 
tuaire, mais  vous  venez  y  en  allumer  un 
tout  profane  dans  les  cœurs  et  placer  à  la 
face  du  Dieu  d'Israël  l'idole  de  la  jalousie  : 
Irfolum  ad  zcli  provocandam  œmulationem. 
(Ezcch.,  IV.) 

No  vous  y  trompez  pas,  mes  frères;  non, 
le  Seigneur  ne  reçoit  point  de  pareils  homma- 
ges, le  trône  de  sa  gloire  n'est  point  destiné 
à  recevoir  le  faste  de  votre  orgueil  et  de  vos 
vanités  ;  souvenez-vOus  que  c'est  sur  ces 
iouts  baptismaux  que  vous  avez  promis  do 


943  CAREME.  —  SERMON  XX, 

ne  point  aimer  le  monde,  de  renoncer  à  ses 
pompes  et  à  ses  vanités;  avec  quel  front  ve- 
nez-vous donc  étaler  la  bizarrerie  des  pa- 
rures et  des  modes,  et  vous  dédire  du  renon- 
cement solennel  que  vous  en  avez  l'ait.  Pré- 
somptueux mortels,  cen  !re  et  poussière, 
vous  vous  croyez  plus  q.:e  les  autres,  et 
osez  même  vous  élever  contre  la  majesté 
divine,  jusque  dans  sa  maison  sainte;  mais 
ouvrez  ces  tombes  où  sont  réduit  avec  les 
vers  et  humiliés  sous  la  poussière  des  plu^ 
magnifiques  sépulcres,  tous  ces  ancêtres  si 
fameux,  toutes  ces  puissances  du  siècle  si 
redoutables,  tous  ces  riches  et  ces  grands 
foulés  aux  pieds  et  dégradés  dans  ce  môme 
temple  où,  comme  vous,  i!s  avaient  voulu 
faire  éclater  leur  orgueil  et  ils  vous  appren- 
dront que,  si  vous  continuez  à  insulter  le 
Seigneur  dans  sa  maison,  viendra  un  jour 
et  il  est  peut-être  bien  proche,  où  vous  au- 
rez le  malheur  de  voir  briser  l'idole  de  votre 
orgueil  aux  pieds  de  l'arche  sainte;  ce  sera 
là  que,  dépouillés  do  tous  ces  vêtements  su> 
perbes,  de  tous  ces  ornements  étrangers, 
vous  ferez  à  Dieu,  une  publique  et  humi- 
liante, réparation  des  scandales  et  des  profa- 
nations que  vous  avez  commis  dans  son 
temple.  Oh!  que  le  Roi-Prophète  avait  des 
sentiments  bien  plus  religieux  quand  il 
il  s'écriait  •  J'entrerai  Seigneur  dans  votre 
temple  pénétré  de  la  bassesse  de  mon  néant 
et  saisi  de  frayeur  à  la  vue  de  vos  redou- 
tables jugements,  et  je  vousy  adorerai  dans 
des  sentiments  de  crainte  et  de  respect  : 
tntroibo  in  domum  tuam,  adorabo  ad  templum 
sanctum  tuam  in  timoré  tao.  [Psal.  V.) 

Mais,  outre  cet  état  d'anéantissement  que 
vous  devez  apporter  à  nos  églises  pour  ado- 
rer la  grandeur  souveraine  du  Dieu  qui  y 
habite,  les  sacrés  cantiques  qu'on  y  récte 
pour  rendre  hommage  à  la  samteté  de  son 
essence,  demandent  que  vous  vous  y  teniez 
dans  le  recueillement  et  un  respectueux  si- 
lence. C'est  cette  deuxième  disposition  qui 
nous  est  marouée,  ce  semble,  dans  la  con- 
struction du  iameux  temple  de  Jérusalem, 
où,  parmi  le  grand  nombre  d'ouvriers  qui  y 
travaillaient,  on  n'entendait  pendant  tout  ce 
temps  là  aucun  bruit  des  cognées  ni  des  ci- 
seaux qui  y  étaient  employés;  le  Seigneur 
voulant  nous  apprendre  par  là,  que  sa  mai- 
son ne  devait  retentir  que  du  chant  de  ses 
louanges  et  de  ses  divins  cantiques,  que  les 
chrétiens  doivent  y  publier,  par  la  sainteté 
dont  ils  s'y  comportent,  que  Dieu  seul  mé- 
rite notre  attention  et  nos  louanges.  C'est  ce 
que  font  les  anges  et  les  bienheureux  dans 
le  eiei;  c'est  ce  que  faisaient  les  lévites  nu 
milieu  de  Babylone  même  ,  où  ils  formaient 
une  assemblée  de  fidèles  qui  chantaient  les 
cantiquos  de  Sion  ;  et  c'est  ce  que  le  Saint- 
Esprit,  par  la  bouche  du  Prophète,  invite 
les  chrétiens  à  faire  dans  nos  temples  :  Ser- 
vez le  Seigneur  dans  la  joie  et  dans  l'allé- 
gresse ;  entrez  dans  la  maison  sainte,  en  di- 
sant hautement  son  nom  et  en  récitant  des 
hymnes  et  des  cantiques  à  sa  gloire  :  In- 
imité portas  ejus  in  confessione,  atria  ejus  in 
kymnis  confiterniniilH.  (Psal.  XCIX.)  C*est-à- 


RE3P2CÎ  DU  AUX   EGLISES. 


e;:o 


dire  que  vous  ne  devez  ouvrir  la  bouche  dans 
nos  églises  que  pour  y  célébrer  les  miséri- 
cordes du  Seigneur,  et  non  pas  pour  vous  y 
entretenir  des  nouveautés  du  siècle  et  des 
révolutions  qui  y  arrivent;  que  pour  vous  y 
recueillir  en  la  présence  de  votre  Dieu,  et 
non  pas  pour  vous  y  répandre  en  d'inutiles 
compliments  de  civilité;  que  pour  y  former 
des  negrets  sensibles  d'avoir  offensé  le  Sei- 
gneur, et  non  pour  vous  entretenir  de  vos 
projets  de  fortune  ou  de  dissipation;  que 
pour  y  faire  de  fortes  résolutions  d'amende- 
ment, et  non  pour  y  ménager  des  entretiens 
funestes  que  la  b:enséance  ne  vous  permet- 
trait pas  même,  d'ailleurs.  C'est-à-dire  que, 
brsque  vous  venez  dans  nos  temples,  vous 
ne  devez  y  apporter  que  le  feu  sacré  de  la 
charité  et  le  glaive  des  mortifications  chré- 
tiennes, et  laisser  aux  pieds  de  la  montagne 
sainte  ce  tas  de  serviteurs  et  de  domestiques, 
qui  font  retentir  ces  lieux  saints  du  bruit  tu- 
multueux de  votre  entrée;  c'est-à-dire  que 
vous  devez  éviter  tout  ce  qui  peut  vous  dis- 
traire, vous  défaire  de  cette  affection  abomi- 
nable qui  vous  fait  chercher  les  églises  les 
plus  fréquentées,  qui  vous  fait  tarder  à  vous 
y  rendre  jusqu'à  ces  heures  de  paresse  où 
les  femmes  mondaines  viennent  donner  en 
spectacle  le  fruit  malheureux  de  plusieurs 
heures  de  parure.  Eh  !  n'avez-vous  pas  des 
Jieux  profanes ,   établis  pour  y    commettre 
tous  ces  scandale;?  des  lieux  de  promenades 
où  vous  puissiez  étaler  votre  luxe  et  y  fairo 
briller  la  pompe  de  votre  train   et  de  vos 
équipages ,  et  y  décider  de  vos  droits  sur  le 
cérémonial,  et  de  vos  privilèges  sur  le  rang 
et  sur  les  préséances  mondaines?  N'y  a-t-ii 
pas  des  lieux  destinés  au  soutien  de  la  vie, 
où  vous  pouvez  exposer  les  besoins  de  votre 
subsistance  et  concerter  ensemble  les  moyens 
d'y  remédier?  Nunquid  domos  non  habetis 
ad  mandacandam  et  bibendum,  aut  ecclesiam 
Bel  conlemnilis?  (I  Cor.,  XI.) 

Pourquoi  venez-vous  donc  dans  nos  églises 
renouveler  vos  scandales?  Quoi!  cet  Être 
suprême,  qui  a  créé  le  monde  entier,  ne 
pourra  avoir  un  lieu  consacré  à  lui  seul? 
Il  ne  s'est  réservé  dans  l'univers  et  dans  les 
plus  superbes  villes  que  quelques  endroits 
particulier,  pendant  qu'il  vous  a  laissé  tout 
le  reste  de  la  terre,  et  vous  y  viendrez  inter- 
rompre ses  augustes  mystères  et  distraire  . 
tous  les  assistants  par  vos  vanités  et  par  votre 
dissipation?  Quoi  !  le  Seigneur  sera  traité 
aussi  indignement  parmi  les  chrétiens  que 
parmi  les  jirfs,  où  il  n'avait  pas,  comme  il 
s'en  plaint  lui-même,  de  quoi  reposer  seule- 
ment sa  tête  ?  Non  habet  ubi  caput  reclinet, 
(Luc,  IX.) 

Je  sais  que  quelquefois  ,  pour  y  écouter 
les  louanges  du  Seigneur,  et  dans  le  récit  de 
ses  divins  cantiques,  vous  y  gardez  un  si- 
lence profond;  mais  avouez  que  c'est  l'har- 
monie et  l'agrément  du  chant  plutôt  que  le 
goût  de  la  prière  et  le  respect  pour  les  divins 
offices  qui  vous  le  font  garder  ;  c'est  princi- 
palement lorsque  l'Eglise,  dans  les  fêtes  so- 
lennelles, reprend  ces  marques  de  joie  r« 
d'aUegresse  qu'elle  avait  suspendues  en  fa- 


ORATEURS  SACHES.  LE  P    SURIAN. 


932 


roui-  e;  mortifications  et  de  la  pénitence, 
que  vous  venez  applaudir  à  la  voix  de  ceux 
qui  chantent  plutôt  qu'à  celui  à  qui  les  can- 
tiques s'adressent  ;  comme  s'il  fallait  user 
de  pieux  artifices  pour  attirer  les  chrétiens 
à  l'église,  comme  s'il  fallait  flatter  leurs 
sens  pour  fixer  leur  esprit  et  gagner  leur 
cœur.  Reproche  terrible  que  le  Seigneur  fai- 
sait autrefois  à  la  maison  d'Israël:  Les  uns 
et  les  autres  s'excitent  à  venir  entendre  chan- 
ter mes  miséricordes,  h  écouter  mes  vérités 
saintes,  mais  ils  n'en  tirent  aucun  fruit;  et 
c'est  en  vain  qu'ils  y  viennent,  parce  qu'ils 
les  changent  en  des  cantiques  lï.éio  lieux 
qui  n.'  partent  que  de  leurs  lèvres,  pendant 
que  leur  cœur  se  livre  aux  mouvements  d'a- 
varice et  de  cupidité  :  In  canticttm  oris  sui 
vertimt  illos  et  avaritiam  sunm  sequilur  cor 
eorum.  (Ezech.,  XXXIII.)  Ainsi,  une  maison 
de  cantiques  et  de  louanges,  devient  par 
notre  faute,  une  maison  de  dissipation  et  de 
distraction.  Sommes-nous  plus  religieux  à 
en  faire  une  maison  d'oraison  et  un  com- 
merce de  salut?  Non;  et  c'est  une  troisième 
source  de  notre  peu  de  respect  pour  les 
églises. 

Attention  favorable  d'un  Dieu  sur  nos  vé- 
ritables besoins,  qui  nous  engage,  mes  frères, 
à  paraître  dans  nos  temples  sans  aucun  retour 
d'intérêt,  mais  dans  un  esprit  de  droiture  et 
de  simplicité,  à  ne  nous  occuper  que  deDieu, 
et  à  faire  dans  sa  maison  sainte  un  heu- 
reux commerce  de  salut  et  non  de  cupidité; 
car  c'est  ici  la  plus  ordinaire  et  une  des  plus 
déplorables  profanations  qu'on  commette 
dans  nos  églises  ;  on  cherche,  par  les  vœux 
publics  qu'on  vient  adresser  au  Seigneur  à 
s'accréditer  dans  l'estime  des  hommes  pour 
obtenir  plus  aisément  un  poste,  un  emploi 
ou  une  dignité  qui  (latte  nos  espérances  et 
qu  on  n'ose  briguer  ouvertement  dans  le 
inonde;  on  vient  élever  ses  mains  vers  le 
ciel  afin  de  les  engraisser  mieux  sur  la  terre  ; 
on  érige  à  la  face  du  sanctuaire  de  Dieu  tant 
de  superbes  tombeaux  où  les  cendres  d'un 
misérable  pécheur  sont  enfermées  dans  des 
urnes  de  porphyre  et  de  bronze,  pendant 
que  le  Dieu  de  l'univers,  tout  grand  et  tout 
saint  qu'il  est,  repose  à  peine  dans  un  taber- 
nacle de  bois  ;  on  vient  arborer  sur  le  portail 
de  nos  temples,  jusque  sur  les  ornements  sa- 
crés des  écussons  fastueux  où  l'on  entrelace 
son  nom  avec  celui  du  Tout-Puissant  pour 
immortaliser  sa  propre  gloire,  dans  un  lieu 
où  l'on  ne  doit  la  faire  paraître  que  pour  la 
sacrilier;  comme  si  le  Seigneur  nous  était 
redevable  de  quelque  chose,  lui  dont  nous 
avons  tout  reçu  et  à  qui  nous  devons  tout. 
Ah  1  il  me  semble  que  du  fond  de  son  sanc- 
tuaire je  l'entends  prononcer  encore  ces  ter- 
ribles paroles,  qu'autrefois  il  adressait  aux 
profanateurs  du  temple  de  Jérusalem  :  Otez 
d'ici  tous  ces  trophées  et  ces  monuments  de 
l'orgueil  ;  ne  faites  point  d'une  maison  de 
prière  une  maison  de  cupidité,  de  l'habitation 
des  anges  une  assemblée  d'hommes  pervers  : 
JEl  nolilc  facere  domum  Patris  mei  domum 
w(/!>lialionis,  speluncam  latronum  (Joan., 
\l]  Quoi!  jusque  dans  Jérusalem  vous  vous 


livrez  au  débordement  de  ves  j  âssions,  vous 
assistez  à  des  spectacles  contagieux  ,  vous 
fréquentez  des  objets  corrupteurs ,  vous  sa- 
crifiez à  des  divinités  mondaines  et  vous  ve- 
nezdans  mon  temple  pour  pallier  vos  abomi- 
nations, comme  si  vous  vouliez  me  rendre  le 
complice  de  vos  dissolutions  et  faire  de  mon 
temple  un  asile  pour  les  rendre  impunis  1 

II  ne  faudrait  pour  arrêter  le  cours  de  ces 
scandales  que  dissiper  les  nuages  qui  aveu- 
glent les  mondains  et  les  faire  penser  à  la 
sainteté  de  nos  églises  :  Montrez  ,  disait  le 
Seigneur  à  un  de  ses  prophètes,  montrez  à 
la  maison  d'Israël  mon  tenaj  le  et  mon  sanc- 
tuaire. Ne  lui  déguisez  aucune  de  ses  ini- 
quités,  aucune  de  ses  entreprises  impies; 
faites-lui  comprendre  quelle  est  la  majesté, 
la  sainteté  de  ce  lieu,  afin  que  mon  peuple 
rougisse  et  soit  couvert  de  confusion  à  la 
vue  de  mon  sanctuaire  :  Ostcnde  domui  Israël 
templum  et  confundantur  a  suis  iniquilatibus, 
et  erubescant  ex  omnibus  qnœ  fecerunt. 
{Ezech.,  XL1IL) 

C'est  ici  que  le  voile  du  sanctuaire  se  lève, 
et  que  dans  cette  vision  mystérieuse  du  pro- 
phète Ezéchicl,  où  il  fut  conduit  dans  la  cité 
sainte  pour  y  voir  les  abominations  qui  s'y 
commettaient,  il  en  fut  frappé  et  saisi  d'ef- 
froi :  là,  que  vit-il,  qu'aperçut-il?  11  vit  des 
hommes  tournés  contre  l'autel,  attentifs  à 
voir  entrer  ou  sortir  ces  fragiles  beautés  qui 
viennent  clans  le  temple  ;  il  vit  des  femmes 
assises  d'une  manière  indécente,  sans  re- 
cueillement, sans  attention,  que  la  perte  de 
leurs  biens  ou  la  décadence  de  leurs  affaires 
rendait  plus  assidues  aux  solennités  de  Sion, 
où  elles  étaient  venues  bien  moins  pour 
y  pleurer  les  offenses  qu'elles  avaient 
commises,  que  celles  que  le  poids  de  l'Age 
ne  leur  permettait  |  lus  ae  commettre  : 
Et  ecce  muliercs  sedebant  plangcnles  Adoni- 
dem.  (Ezech.,  VII!.)  Il  vit  des  hypocrites  qui, 
après  avoir  commis  en  secret  les  plus  grands 
désordres,  se  disaient  à  eux-mêmes  que  tout 
le  mal  qui  se  faisait  sur  la  terre  ne  montait 
pas  jusqu'au  trône  de  Dieu,  et  que  leurs 
abominations  cachées  ne  venaient  pas  à  sa 
connaissance  :  Dicunt  enim:  Nonvidet Domi- 
nais nos,  dereliquit  Dominus  terrain.  (Ibid.) 

Pendant  que  les  chrétiens,  instruits  dès 
l'enfance  de  la  sainteté  du  Dieu  qui  ha- 
bite dans  les  églises,  n'y  entrent  que  pour 
lui  faire  des  outrages  et  y  commettre  des 
profanations,  quelle  honte,  mes  frères,  qu'il 
faille  que  les  souverains  arment,  pour  ainsi 
dire,  et  entrent  de  société  de  zèle  avec  Jésus- 
Christ  pour  vous  porter  vous-même  à  res- 
pecter votre  Dieu  dans  son  temple,  et  que 
vous  fassiez  parla  crainte  des  rois  de  la  terre 
ce  que  la  crainte  de  Dieu  n'est  pas  capable 
de  vous  inspirer:  tirons  donc  cette  triste  con- 
séquence, que  nos  églises  étant  faites  pour 
rendre  à  Dieu  un  culte  public  par  des  hom- 
mages et  un  respect  extérieur,  il  est  donc 
bien  à  craindre  que  vous  n'ayez  point  de  re- 
ligion sincère,  lorsque  vous  n'y  apportez 
pas  de  modestie  et  de  révérence.  Mais  ce 
n'est  pas  là  tout  ce  que  j'ai  avancé  :  les  mys- 
tères sacrés  qu'on  y  renouvelle  tous  les  jours 


CAREME.  —  SERMON  XX  ,  RESPECT  DE  AUX  EGLISES. 


953 

sont  encore  un  puissant  motif  qui  doit  en- 
gager votre  religion  et  votre  piété  à  n'y  ap- 
porter jamais  rien  de  terrestre,  mais  toujours 
des  sentiments  intérieurs  de  respect  et  de 
retenue. 

SECOND    POINT. 

Quelque  auguste  que  fût  ce  temple  cé- 
lèbre que  Salomon  consacra  à  la  gloire  du 
Seigneur,  et  quelque  respect  qu'il  voulût 
qu'on  eût  pour  ce  lieu  sacré,  nos  églises  ont 
encore  deux  privilèges  qui  doivent  nous  les 
rendre  bien  plus  parfaites  et  plus  respecta- 
bles :  le  premier,  c'est  que  Jésus-Christ  y  est 
présent;  le  second,  c'est  que  Jésus-Christ 
y  est.  immolé  :  or,  quelle  doit  être  votre  rete- 
nue et  en  la  présence  d'un  Dieu  et  durant  le 
sacrifice  et  l'immolation  d'un  Dieu. 

Je  dis  en  la  présence  d'un  Dieu,  car,  quoi- 
que la  foi  nous  enseigne  que  le  Seigneur  est 
partout,  et  que  sa  majesté  nous  doive  tenir 
en  tous  lieux  et  toujours  dans  le  respect, 
Jésus-Christ,  cependant,  n'est  réellement 
et  corporellement  que  dans  nos  temples, 
sous  les  voiles  sacrés  de  l'Eucharistie,  mais 
d'une  manière  réelle  et  permanente  qui  fait 
trembler  les  puissances  de  l'enfer,  et  qui  doit 
nous  frapper  d'une  terreur  religieuse,  puis- 
que c'est  pour  nous  seuls  que  ce  Dieu  de 
bonté  veut  bien  habiter  dans  nos  sanctuaires. 

Or,  je  vous  ie  demande,  mes  frères,  de- 
vez-vous concevoir  moins  de  respect  et  de 
vénération  pour  Jésus-Christ,  ce  messie  ado- 
rable, qui,  avant  que  de  naître,  était  déjà 
l'objet  de  tant  de  voeux  et  de  tant  de  respect? 
La  magnificence  des  vases  el  la  pompe  des 
cérémonies,  la  multitude  des  holocaustes 
étaient  autant  de  figures  qui  nous  représen- 
taient de  loin  le  culte  respectueux  qu'on  de- 
vait lui  rendre  dans  nos  sanctuaires  ;  la  con- 
stance de  son  amour  sera-t-elle  donc  un  titre 
pour  autoriser  votre  ingratitude?  J'avoue 
que,  lorsqu'il  est  exposé  publiquement  ou 
qu'on  le  montre  à  la  vénération  des  fidèles, 
un  reste  de  religion  vous  demeure,  vous 
venez  même  en  foule  recevoir  sa  bénédiction 
et  ses  grâces;  mais  en  est-il  moins  présent 
dans  nos  églises  lorsqu'il  est  renfermé  dans 
son  tabernacle?  Votre  foi  ne  peut-elle  percer 
ce  voile  pour  le  reconnaître  et  l'adorer  jusque 
dans  ce  lieu  sacré  où  il  s'est  retiré?  Ah!  si 
vous  étiez  bien  pénétrés  de  cette  pensée  sa- 
lutaire, que  Jésus-Cbrist  est  présent  dans 
son  temple;  si  vous  disiez,  lorsque  vous  en- 
trez dans  nos  églises  :  Jésus-Christ  me  voit, 
il  m'écoute;  mon  Sauveur  et  mon  Rédemp- 
teur est  ici,  il  lit  jusque  dans  le  fond  de  ma 
conscience;  aucune  de  mes  pensées,  aucun  de 
mes  désirs  ne  lui  échappe;  on  courait  è  lui 
dans  toute  la  Judée  comme  au  souverain 
médecin;  il  a  toujours  le  même  pouvoir,  il 
est  le  maître  absolu  de  mon  corps  et  de  mon 
âme,  il  peut,  quand  il  voudra,  me  donner 
une  place  dans  sa  gloire;  je  suis  devant  mon 
Juge,  devant  qui  je  paraîtrai  peut-être  dans 
quelques  jours;  il  dissimule  mes  désordres, 
mais  il  ne  les  oublie  pas;  on  ne  lui  insulte 
point  impunément,  et,  s'il  est  miséricordieux 
pour  pardonner,  il  n'est  pas  moins  terrible 


9S4 

pour  punir  :  si  vous  vous  teniez  à  vous- 
même  ce  langage  dans  nos  temples,  de  quels 
sentiments  de  respect  et  de  retenue  ne  vous 
sentiriez-vous  pas  frappés.  Ahl  ce  serait 
alors  que,  semblables  à  Esther  lorsqu'elle  se 
présenta  devant  Assuérus  pour  fléchir  sa 
colère  dans  son  palais,  la  majesté  de  ce  roi 
puissant,  les  rajons  de  gloire  et  de  magni- 
ficence qui  frappaient  ses  yeux  l'ayant  saisie 
d'une  sainte  frayeur,  elle  se  prosterna  en  sa 
présence,  et,  gémissant  aux  pieds  de  son 
trône,  elle  ne  songea  qu'à  trouver  grâce  de- 
vant lui  et  à  fléchir  sa  colère  en  faveur  des 
Juifs;  ce  serait  alors  qu'on  vous  verrait  te- 
nir dans  nos  temples  par  respect,  comme 
se  tenaient  par  impuissance  les  idoles  des  na- 
tions; vous  auriez  des  yeux  et  ne  verriez 
point,  c'est-à-dire  que  vous  les  détourneriez, 
de  dessus  ces  vanités  brillantes,  ces  objets 
séducteurs,  pour  les  fixer  uniquement  sur 
nos  sanctuaires  :  rien  ne  pourrait  vous  en 
distraire;  et  si  vous  tourniez  encore  la-vue 
sur  vous-même,  ce  ne  serait  encore  que  pour 
détester  vos  péchés  et  pleurer  vos  infidéli- 
tés :  Averte  oçulcsne  videant  vanilatem  (Psal. 
XV1Ï1)  ;  vous  auriez  des  pieds  et  ne  marche- 
riez point,  c'est-à-dire  que  vous  vous  tien- 
driez dans  nos  temples  dans  une  posture  mo- 
deste, sans  changer  de  situation  et  de  place, 
comme  vous  faites  assez  souvent,  sans  de- 
meurer debout,  fléchissant  à  peine  un  genou 
en  présence  de  celui  devant  qui  tout  fléchit 
dans  le  ciel,  sur  la  terre  et  aux  enfers  :  Pedes. 
habent  et  non  ambulabunt  (Psal.  XIII)  ;  vous 
auriez  une  bouche  et  vous  ne  parleriez  point, 
c'est-à-dire  que  vous  ne  formeriez  jamais 
dans  nos  temples  aucun  de  ces  entretiens 
profanes  ;  que  jamais  on  ne  vous  y  verrait 
causer  ni  donner  des  rendez-vous  pour  des 
parties  de  promenades  de  jeu  ou  de  dé- 
bauche ;  vous  n'y  parleriez  qu'à  Dieu  seul 
plutôt  par  les  mouvements  de  votre  cœur  que 
par  celui  des  lèvres  :  Os  habent  et  non  lo- 
qucnlur  (Jbid.)',  vous  vous  écrieriez  avec  le 
patriarche  Jacob  :  Le  Seigneur  est  véritable- 
ment dans  ce  lieu,  il  y  habite  corporellement, 
et  je  ne  le  savais  pas;  ou  bien,  je  n'y  faisais 
pas  assez  d'attention ,  et  n'étais  pas  assez 
pénétré  de  sa  présence  :  Vere  Dominus  in 
loco  isto,  et  ego  nesciebam.  (Gen.,  XXVIII.) 

Mais  ce  qui  doit  encore  augmenter  votre 
piété  et  vos  respects  dans  nos  églises,  c'est 
que,  si  Jésus-Christ  y  est  réellement  pré- 
sent, il  y  est  encore  immolé  et  qu'on  y  re- 
nouvelle tous  les  jours  les  mystères  de  ses 
souffrances  et  de  sa  mort.  Deuxième  ré- 
flexion. 

Considérez  donc  ici  une  bonne  fois,  ce 
que  c'est  que  d'assister  à  la  messe  ;  c'est-à- 
dire  à  l'action  la  plus  auguste,  qui  soit  dans 
tout  le  christianisme;  c'est-à-dire  à  un  sacri- 
fice qui  rend  au  Créateur  un  hommage  infini, 
et  par  lequel  il  est  plus  honoré,  de  sa  créa- 
ture sur  la  terre,  que  par  le  sang  de  tous  les 
martyrs,  que  par  la  vie  précieuse  de  tous  les 
justes ,  et  que  si  le  monde  entier  lui  était 
offert  en  holocauste.  Voyez  quelle  aurait  été 
votre  disposition  si,  du  temps  de  la  passion 
de  votre  Sauveur,  vous  l'eussiez  vu  Iraîn^ 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SUKIAN. 


936 


après  mille  outrages  sanglants,  impitoyable- 
ment sur  le  Calvaire;  si  vous  l'eussiez  vu  y 
donner  par  tendresse  son  sang,  y  mourir  sur 
une  infâme  croix  pour  vous  et  pour  vos  pé- 
chés. Or,  voilà  ce  qui  se  renouvelle  tous 
les  jours  dans  nos  mystères;  c'est  un  Dieu 
qui,  sur  nos  autels,  devient  encore  victime 
pour  nous,  et  par  conséquent  quelle  pureté 
de  cœur  pourrie  point  déshonorer  un  sacrifice 
si  saint  et  si  respectable  !  car  quoique  l'E- 
glise, toujours  compatissante  à  vos  faiblesses, 
ne  vous  demande  pas  qu'en  y  assistant  vous 
soyez  exempt  de  tout  péché  mortel,  cepen- 
dant elle  vous  engage  à  détester  sincère- 
ment vos  crimes,  à  demander  à  Dieu  sa  grâce 
pour  en  sortir,  à  en  gémir  au  pied  des  au- 
tels; c'est  à  quoi  elle  vous  invile  parla  vue 
des  sacrés  tribunaux  de  la  pénitence,  qui 
sont  toujours  ouverts,  et  de  ces  fonts  baptis- 
maux qu'elle  met  à  l'entrée  de  nos  temples, 
pour  vous  porter  à  vous  convertir  et  vous  revê- 
î'r  Jel'hommenouveau,  si  vousavezeulemal- 
heur  de  perdre  votre  innocence  ;  souvenez- 
vous  qu'il  fallait  être  orné  de  la  robe  nup- 
tiale pour  être  assis  à  la  table  de  l'Agneau, 
et  que,  pour  y  être  entré  sans  cette  robe,  le 
servdeur  dont  il  est  parlé  dans  l'Evangile, 
fut  précipité  dans  les  ténèbres  extérieures  : 
Q.iomodo  fine  intrasti  non  habens  vestemnu- 
pnafcm  (Maith.,  XXII)?  parce  que  vous  êtes 
.-;n  quelque  manière  les  ministres  du  sacrifice 
qui  se  célèbre,  et  que  vous  l'offrez  conjointe- 
ment avec  nous  et  avec  Jésus-Christ,  qui  est 
tm  même  temps  le  prêtre  et  la  victime. 

Oui,  mes  frères,  lorsque  nous  offrons  ce 
saint  sacrifice  à  1  autel,  no;;s  ne  sommes  que 
vos  députés;  c'est  en  votre  nom  et  au  nom 
tfe  tous  les  fidèles  que  nous  parlons  ei  que 
aous  offrons  à  Dieu  cette  victime  de  pro- 
pitiation  ;  or,  si  nous  ne  pouvons  être  trop 
saints  en  offrant  ce  sacrifice  auguste,  vous 
scra-t-il  permis  d'y  paraître  avec  un  cœur 
tout  ulcéré  de  plaies  sanglantes,  tout  fumant 
iu  feu  de  la  vengeance,  et  tout  embrasé  des 
îlammes  impure»;  vous  sera  t-il  permis 
d'apporter  à  l'autel  de  l'Agneau  sans  tache 
vos  .parties  criminelles  déjà  projetées  pour 
tjule  la  journée,  vos  résolutions  déjà  for- 
mées d'aller  perdre  la  journée  entière  dans 
un  jeu  intéressant,  et  peut-être  vous  ruiner 
dans  un  cercle  et  une  assemblée  dangereuse, 
et  peut-être  criminelle  ;  et  d'acheter,  par  une 
démarche  superficielle  de  religion,  le  droit 
de  perdre  le  bien  de  votre  famille  et  le  sa- 
lut rlc  votre  âme. 

Ah!  si  vous  n'avez  pas  assez  de  pureté  pour 
venir  dans  nos  temples  adorer  le  Seigneur 
sur  ses  autels  avec  les  ange-;,  et  l'immoler 
avec  les  prêtres,  ne  venez  pas  du  moins  l'y 
insulter,  y  offrir  vos  scandales,  et  pendant 
que  votre  Sauveur  s'y  immole,  porter  à 
la  victime  sainte  des  coups  nouveaux  qui  le 
crucifient  derechef  :  Rursum  cruciftg entes 
s'.bimetipsis  Pilium  Dei  et  ostentui  fiabcntes. 
(flebr.,\'l.)  Car,  ce  Dieu  de  bonté,  qui  s'im- 
mole au  Père  céleste,  le  fait  on  notre  faveur 
pour  nous  réconcilier  avec  lui,  pour  nous 
ii  uliter  les  moyens  de  nous  acquitter  envers 
lui  de  ce  que  nous  de/vons  ,:i  sa  justice,  et 


pour  l'obliger  à  nous  donner  de  nouvelles 
grâces  et  de  nouveaux  bienfaits,  et  c'est  ce 
qui  nous  doit  engager  à  assister  à  cet  au- 
guste et  saint  sacrifice,  avec  une  résolution 
sincère  de  nous  donner  tout  entier  à  un 
Dieu,  qui  se  donne  à  nous  sans  réserve  ;  avec 
une  disposition  véritable  de  participer  au 
mystère  de  son  corps  adorable,  au  moins 
spirituellement  pour  l'y  adorer  par  la  viva- 
cité de  notre  foi. 

Oui,  mou  Dieu,  pendant  que  votre  sang 
coule  sur  nos  autels,  je  ne  veux  plus  me 
regarder  que  comme  une  victime,  qui  vous 
est  toute  dévouée,  et  m'attarher  avec  vous  sur 
la  même  croix, où  je  vous  vois  étendu  dans  ncs 
temples  :  Eàmus et moriamur  curn  ipso. (Jean., 
XI.)  Voilà,  mes  frères,  quels  doivent  être 
vos  sentiments  quand  vous  assistez  à  nos 
redoutables  mystères.  Cependant,  j'ai  honte 
de  le  dire,  le  bruit  est  plus  tumultueux,  la 
dissipation  plus  fréquente  pendant  la  célé- 
bration du  sacrifice,  que  dans  tout  autre 
temps;  on  ne  songe  qu'à  se  livrer  à  de  vo- 
lontaires distractions,  qu'à  former  des  mur- 
mures et  de 'l'impatience  contre  la  pieuse 
lenteur  du  ministre  qui  sacrifie  :  Allez,  dit 
le  Seigneur,  voyez  les  nations  infidèles,  si 
elles  en  usent  de  la  sorte  dans  leurs  tem- 
ples. Et  vous  verrez  les  idolâtres  fléchir  les 
genoux  avec  plus  de  révérence  et  de  respect 
devant  un  marbre  ou  un  métal  insensible, 
que  vous  ne  faites,  vous  qui  êtes  chrét;cns, 
devant  un  Dieu  que  vous  regardez  avec  jus- 
tice, comme  le  seul  véritable;  vous  les  ver- 
rez assister  à  l'immolation  d'un  bouc  ou  d'un 
taureau  avec  plus  rie  retenue  et  de  modes- 
tie, que  vous,  ne  faites  au  sacrifice  auguste 
de  l'Agneau  sans  tache. 

Rentrez  donc  en  vous-mêmes,  mes  frères  ; 
soyez  recueillis  et  devenez  tremblants  en 
la  présence  du  Seigneur,  de  peur  qu'il  ne 
fasse  éclater  sur  vous  les  foudres  et  les  ter- 
ribles vengeances  qu'il  fit  autrefois  éclater 
sur  les  prévaricateurs  de  son  temple,  qu'il 
ne  vous  traite  comme  ces  téméraires  Eelhsa- 
mites,qui  furent  frappés  de  mort,  pour  avoir 
seulement  osé  regarder  l'arche  ;  comme  l'im- 
pie Bal t bazar-,  qui,  pour  avoir  emplojé  les 
vases  sacrés  à  ùes  usages  profanes  dans  le 
feu  de  la  bouche  et  de  la  bonne  chère,  vit  sa 
condamnation  gravée  sur  la  muraille  par 
une  main  invisible;  comme  les  enfants  de 
Lévi,  qu:,  poui  avoir  profané  le  temple  et  le 
tabernacle  par  leurs  exactions,  perdirent  la 
vie;  mais  que  le  respect  pour  la  maison  du 
Seigneur  vous  en  fasse  aimer  la  gloire,  vous 
donne  du  zèle  pour  la  réparation  ou  l'en- 
tretien de  ses  autels;  quelle  honte  pour  des 
hommes,  qui  se  piquent  d'avoir  de  la  reli- 
gion, de  laisser  tomber  en  ruine  des  églises 
sur  les  terres  de  leur  dépendance,  pendant 
qu'on  emploie  tout  pour  la  construction  ou 
1  embellissemer.t  d'une  maison  champêtre, 
dont  on  varie  chaque  jour  la  forme  et  la  cou- 
leur, et  de  ne  donner  à  l'ornement  des  au- 
tels que  ce  qu'on  ne  trouve  plus  d'usage  et 
de  goût  pour  le  monde. 

Non,  chrétiens,  ne  cherchez  point  ailleurs 
la  source  de  tant  de  calamités  et  de  mi.-èros 


957  CAREME.  —  SERMON  XXI,  DU  PETiT  .NOMBRE  DES  ELUS. 

qui  surviennent  chaque  jour  dans  un  siècle 
où  les  irrévérences  et  les  immodesties  sont 
montées  h  leur  comble;  et  mon  souffle,  dit 
le  Seigneur  par  un  de  ses  prophètes,  a  dis- 
sipé vos  projets  ambitieux.  J'ai  défendu  au 
cic!  de  verser  sur  vos  com régnons  ses  rosées 


fécondes,  et  à  la  terre  de  vous  produire  votre 
subsislance.  Et  pourquoi,  Seigneur?  Parce 
que  vous  dites  que  vous  n'avez  i  as  eu  le 
moyen  de  relever  mon  sanctuaire  pendant 
que  vous  en  avez  bien  trouvé  pour  vous  ap- 
proprier des  palais  magnifiques,  des  appar- 
tements superbement  lambrissés;  changez 
donc  de  conduite  et  songez  que ,  pendant 
que  vous  travaillerez  dans  le  temps  pour  la 
gioire  de  mon  temple,  vous  vous  préparerez 
une  place  bienheureuse  dans  les  saints  ta- 
bernacles éternels.  Je  vous  la  souhaite, 
mes  frères,  au  nom  du  Père  et  du  Fils  et  du 
Saint-Esprit.  Amen. 

SERMON  XXI  (9*). 

DU    PETIT    NOMBRE    DES    ÉLVS. 

Nemo  ex  vobis  facit  legcm.  (Joan.,  VII.) 
Personne  de  vous  n'observe  la  loi. 

Faut-il  chercher  ailleurs,  mes  chers  frères, 
que  dans  la  juste  plainte  que  fait  Jé^us- 
Christ  au  peuple  juif  clans  1  Evangile  de  ce 
jour,  la  preuve  et  la  raison  de  net  oracle 
que  le  Seigneur  m'inspire  aujourd'hui  d'an- 
noncer à  son  peuple  :  Beaucoup  d'appelés, 
mais  peu  d'élus:  Multi  vocati,  pauci  vero 
eleeti?  {Matlh. ,  XX,  XXIÎ.) 

A  ces  paroles  foudroyantes,  si  capables 
de  faire  trembler  la  terre  et  de  rem;  lir  tout 
le  monde  d'effroi,  n'êles-vous  pas  conster- 
nés, mes  frères?  Beaucoup  d'appelés:  pa- 
role d'abord  consolante  ,  mais  ensuite  :  peu 
d'élus,  et  par  conséquent  un  nombre  infini 
d'âmes  qui  périssent;  vous  et  moi  peut-être, 
emportés  dans  la  ruine  générale,  presque 
tous  les  hommes  perdus  :  paroles  formida- 
bles et  d'autant  plus  accablantes  que  ce  n'est 
ni  un  homme  ni  un  ange  qui  les  prononce, 
mais  un  Dieu  qui,  d'une  vue  immense  et 
éternelle,  se  représentant  la  destinée  com- 
mune et  particulière  de  tous  les  hommes,  et 
découvrant  les  deux  voies  où  ils  marchent  : 
la  voie  large,  qui  perd  tout,  couverte  d'Ames 
mondaines;  la  voie  étroite,  qui  sauve  tout, 
déserte  et  marquée  par  des  vestiges  bien 
rares,  s'écrie  avec  attention:  Beaucoup 
d'appelés,  mais  peu  d'élus:  Multi  vocali, 
pauci  vero  elecli. 

0  mon  Dieu  !  quand  on  entend  et  qu'on 
médite  cette  terrible  vérité,  peut-on  en  par- 
ler à  votre  peuple?  A  son  idée  seule  je  vois 
toute  la  sainte  antiquité  dans  le  saisisse- 
ment et  l'épouvante  ;  l'un  n'a  plus  de  parole, 
l'autre  pleure  amèrement;  celui-là  ressent 
un  tremblement  dans  tous  .ses  membres; 
dans  celui-ci,  c'est  une  crainte  si  vive  qu'elle 
l'empêche  de  respirer.  Job  si  patient  mau- 
dit le  jour  qui  l'a  fait  naître  ;  David  se  croit 
déjà  dans  le  fond  de  l'abîme  ;  Jérémie  vou- 
drait que  le  sein  de  sa  mère  eût  été  le  creux 


de  son  tombeau.  Cette  idée  si  affreuse  sem- 
ble mettre  à  l'agonie  un  Dieu;  c'est  celle 
qui,  clans  le  jardin  des  Oliviers,  le  jette 
dans  une  consternation  et  une  tristesse  qui 
va  jusqu'à  la  mort  :  et  comment,  après  cela, 
pécheur  misérable,  aurai's-je  la  force  d'ex- 
pliquer à  mes  frères  cette  même  vérité  à  la- 
quelle, comme  à  leur  centre,  se  rapportent 
les  plus  terribles  vérités  de  la  religion  chré- 
tienne, et  qui  seule  peut  leur  donner  toute 
la  terreur  qu'elle  imprime  elle-même?  Car, 
quand  j'envisage  les  surprises  affreuses  de 
la  mort,  les  approches  terribles  du  jugement 
dernier;  lorsqu'on  esj  rit  je  descends  dans 
les  enfers,  ces  spectacles  m'alarment.  Cepen- 
dant, sur  tout  cela  je  me  rassurerais  de  la 
grandeur  du  mal  par  le  ]  etit  nombre  de  mi- 
sérables qu'd  y  aurait;  mais,  quand  je  viens 
à  penser  que  cette  mort  sera  le  commence- 
ment de  l'éternité  malheureuse  de  presque 
tous  ceux  qui  m'écoutent;  cjue  ce  jugement 
dernier  sera  la  condamnation  de  presque 
tous  les  fidèles  qui  m'environnent,  que  cet 
enfer  sera  la  demeure  fixe  de  la  plus  grande 
partie  de  ceux  avec  qui  je  vis  et  à  qui  je  ;  arle; 
quand  je  songe  que  peut-être  c'est  là  mon 
sort  et  mon  partage,  je  l'avoue,  je  ne  suis 
plus  maître  de  mes  soupirs;  tout  me  déplaît 
sur  la  terre,  tout  m'afflige;  et  je  me  trouve 
à  plaindre  d'avoir  à  vous  parler,  mes  frères, 
quand  je  ne  me  sens  disposé  qu'aux  soupirs 
et  aux  larmes. 

Faisons  cependant  un  effort.  Quelque  aé- 
cisive  que  soit  cette  vérité  terrible,  presque 
personne  n'y  pense,  tous  s'endorment  la- 
dessus  dans  une  funeste  sécurité,  et  il  n'est 
rien  plus  digne  d'un  ministre  de  l'Eglise  que 
de  crier  sur  le  fatal  assoupissement  des  hom- 
mes :  Beaucoup  d'appelés,  mais  peu  d'élus  : 
Multi vocati,  pauci  vero  elecli. 

Mais  pourquoi  encore  si  peu  d'élus,  les 
preuves  de  cette  vérité  sont  aussi  terribles 
que  celte  vérité  elle-même.  Il  y  a  peu  d'élus 
parmi  nous,  parce  qu'il  y  en  a  peu  qui  soient 
véritablement  chrétiens,  encore  moins  qui 
soient  sincèrement  convertis,  presque  point 
qui  soient  persévéramment  justes.  Uecon- 
naissez-vous  ici  toute  l'illusion  de  vos  pen- 
sées? Vous  vous  dites  quelquefois  :  Comment 
ces  paroles,  peu  d'élus,  pourraient-elles 
avoir  toute  la  rigueur  qu'on  leur  attribue  ,  i 
y  a  tant  de  fidèles;  ;  remière  erreur,  car  il  c.  t 
peu  de  vrais  chrétiens;  mais,  parmi  ceux  qui 
tombent  et  s'égarent,  il  y  en  a  un  si  grand 
nombre  qui  reviennent  sincèrement  à  Dieu; 
deuxième  erreur,  car  il  en  est  peu  qui  soient 
véritablement  convertis;  mais  comptez  du 
moins,  direz-vous,  sur  ceux  qui  persévè- 
rent dans  la  justice;  troisième  erreur,  car  il 
n'y  en  a  presque  point  qui  soient  persévé- 
ramment justes.  Ainsi,  soit  que. vous  cher- 
chiez les  élus,  ou  dans  la  sainteté  du  chris- 
tianisme, ou  dans  la  vérité  de  la  conversion, 
ou  dans  la  fermeté  de  la  justice,  recourez 
partout,  vous  serez  forcé  de  reconnaître  et 
de  craindre  la  vérité  de  cet  oracle  de  Je- us- 
Christ  :  Multi  vocati,  pauci  vero  e'rcli. 


(9*)  Imprimé  dans  l'édition  de  Liège,  toha  [I,  page  56,  et  a  la  suite  c!c  lViiition  du  Peiït-€arêmc. 


819 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SL'RIAN. 


860 


Vous,  ô  mon  Dieu  !  remplissez-moi  de  vo- 
tre esprit,  et,  pendant  que  je  veux  frapper  les 
oreilles  de  votre  sainte  parole,  portez  dans 
les  cœurs  la  componction  et  la  piété  :  c'est 
la  grâce  que  nous  vous  demandons  par  l'in- 
tercession de  Marie.  Ave,  Maria. 

PREMIER  POINT. 

Peu  d'élus  :  mais  pour  porter  dans  vos  es- 
prits la  conviction  de  cette  effrayante  vérité, 
n'attendez  pas  qu'ici  j'emploie  ces  preuves 
étrangères  qui  tant  de  fuis  vous  ont  alar- 
més; non,  je  ne  veux  la  cherche/  ni  dans  les 
idées  de  Dieu,  ni  dans  ses  décrets,  ni  dans 
ses  jugements  profonds,  abîme  que  je  n'ose 
entreprendre  de  sonder.  Noé  seul,  sauvé  du 
déluge  universel  qui  inonda  toute  la  terre, 
Lot  h,  presque  seul  échappé  des  flammes  qui 
embrasèrent  cinq  villes  criminelles,  et  tout  le 
reste  des  hommes  abandonnés  à  la  juste  co- 
lère de  Dieu,  tristes  figures  et  trop  malheu- 
reuses images  dont  nous  sommes  la  trop 
nouvelle  vérité  :je  vous  rapporterai  encore 
moins  les  autorités  des  saints  Pères,  si  for- 
tes et  si  abondantes  sur  celte  matière,  de  ces 
hommes  si  éloquents  sur  les  mystères  de 
Dieu,  si  zélés  pour  le  salut  des  âmes,  si  in- 
téressés par  conséquent  à  élargir  les  voies 
du  ciel,  et  à  multiplier  le  nombre  des  élus; 
mais  qui  étaient  forcés,  par  une  lumière  in- 
visible, d'enseigner  ce  qu'ils  avaient  appris 
de  l'Esprit  de  Dieu  même,  et  en  qui  la  vérité 
triompha  de  la  malice;  par  toutes  ces  preu- 
ves, je  n'aurais  pas  de  peine  à  vous  con- 
vrainere  qu  il  y  a  peu  d'élus;  mais  mon  des- 
sin, pour  vous  tirer  de  votre  première  er- 
reure,  est  de  chercher  cette  conviction  dans 
votre  propre  cœur;  je  n'en  veux  point  d'au- 
tres témoignages  que  vos  mœurs,  point 
tiVmtre  autorité  que  votre  vie,  preuve  sensi- 
ble, autorité  présente  que  vous  ne  sauriez 
méconnaître,  que  vous  ne  pouvez  désavouer, 
et  qui  va  porter  dans  vos  esprits  la  persua- 
s'on  la  plus  forte  et  la  plus  invincible  ;  et, 
pour  ne  pas  vous  laisser  plus  longtemps  at- 
tendre votre  sort,  je  dis  d'abord  que  dans 
l'Eglise  il  y  a  peu  d'élus,  car  c'est  en  ce  sens 
que  Jésus-Christ  a  prononcé  cet  oracle,  et  il 
faudrait  en  faire  une  violente  explication 
pour  y  faire  entrer  les  hérétiques  et  les  in- 
fi  lèlcs  ;  je  dis  donc  que  dans  l'Eglise  il  y  a 
peu  d'élus,  et  pourquoi?  parce  que,  dans 
l'Eglise,  il  y  en  a  peu  qui  soient  véritable- 
ment chrétiens. 

En  effet,  qu'est-ce  qu'un  chrétien?  Défi- 
nissons-le moins  par  ses  dignités  que  par  ses 
obligations,  moins  par  ce  qu'il  a  de  glorieux 
q.ie  par  ce  qu'il  a  d'indispensable,  et,  puis- 
qu'il tire  de  Jésus-Christ  son  nom,  son  mé- 
rite et  son  lustre,  voyons  ce  qu'a  été  Jésus- 
Christ;  c'est  le  moyen  le  plus  sûr  d'éclair- 
cir  votre  sort  et  de  voir  de  quel  côté  vous 
pouvez  vous  dire  véritablement  chrétiens. 
Selon  saint  Paul,  Jésus-Christ  s'oifre  aux  fi- 
dèles en  trois  états  différents  :  à  l'égard  de 
Dieu,  dans  un  état  d'innocence;  à  l'égard  de 
vous-mô.nc  dans  un  état  de  mortification;  à 
1  égard   du   monde,  dans  un  état  de  haine, 


Voilà  tout  Jésus-Christ;  c'est  par  la  que 
vous  verrez  tous  les  traits  de  ressemblance 
que  vous  avez  avec  lui  ;  c'est  donc,  selon  l'A- 
pôtre, tout  le  chrétien,  tout  le  nouvel  homme: 
Vosmetipsos  tentate  si  cslis  in  fide  (Il  Cor., 
XIII)  ;  voyez  si  Jésus-Christ  est  en  vous,  s'il 
y  vit,  s'il  y  respire  :  Ipsivos  probate.  (Ibid.) 
Eprouvez-vous,  sondez  votre  cœur,  en  quoi 
lui  ressemblez-vous?  qui  n'est  point  son 
image,  ne  peut  être  son  élu  :  An  non  cogno- 
scitis  vosmetipsos  quia  Cliristus  Jésus  in  vo- 
bis  est.  (Ibid.)  Si  vous  ne  l'exprimez  en  vous, 
vous  êtes  vous-mêmes  réprouvés  :  Nisi  forte 
reprobi  estis.  (Ibid.)  A  cette  idée,  quelle 
foule  de  fidèles  disparait  déjà  du  troupeau 
de  Jésus-Christ,  et  si  peu  le  suivent,  com- 
bien peu  le  posséderont.  Je  dis  1°  qu'un 
homme,  pour  être  véritablement  chrétien, 
doit  mener  une  vie  de  sainteté  et  d'inno- 
cence à  l'égard  de  Dieu;  et,  en  effet,  un 
chrétien  n'est  plus  ce  composé  d'esprit  et  de 
chair  que  la  mort  détruit,  ce  citoyen  de  la 
terre  que  le  monde  enchante,  ce  sujet  revêtu 
de  tant  de  dignités,  de  titres,  de  richesses, 
loin  que  ce  soit  là  son  caractère,  c'en  est 
trop  souvent  la  perte  et  la  ruine  :  un  chré- 
tien c'est  pour  ainsi  dire  une  créature  invisi- 
ble, spirituelle,  céleste,  qui,  élevée  au-des- 
sus des  sens,  vit  dans  un  monde  plus  pur,  à 
qui  le  baptême  est  comme  un  tombeau  où  il 
est  mort  au  péché  pour  ne  plus  vivre  qu'à  la 
grâce.  Oui,  chrétiens,  dans  les  eaux  vivi- 
fiantes, vous  avez  pris  une  forme  toute  nou- 
velle, vous  y  avez  été  revêtus  de  Jésus- 
Christ,  vous  y  êtes  devenus  ses  frères,  ses 
membres,  ses  héritiers;  vous  y  avez  reçu  son 
esprit,  et  y  avez  été  faits  participants  de 
Dieu  môme;  mais,  si  vos  privilèges  sont  si 
excellents,  ne  devez-vous  pas  y  répondre  par 
des  mœurs  toutes  pures,  et,  puisque  tous  vos 
titres  sont  si  saints,  ne  périssez-vous  pas  si 
vous  ne  les  sanctifiez  vous-mêmes. 

Or,  sur  cette  règle,  est-il  beaucoup  de  chré- 
tiens véritables?  Quand  du  haut  de  son  trône 
Dieu  daigne  jeter  quelques  regards  sur  la 
terre,  en  découvre-t-il  beaucoup  parmi  les 
hommes  qui  mènent  cette  vie  d'innocence  et 
de  pureté?  Hélas  !  c'est  ici  qu'on  peut  s'é- 
crier avec  le  Prophète  qu'il  n'en  est  presque 
plus  :  Defccit  sanctus.  (Psal.  XI.)  Tout  est 
corrrompu  sur  la  terre:  qu'il  y  a  longtemps 
que  nous  avons  souillé  cette  robe  de  candeur 
que  nous  avions  reçue  au  baptême  ,  que  nous 
avons  effacé  de  notre  âme  cette  beauté  si  lu- 
mineuse, cette  ressemblance  si  auguste  que 
le  baptême  leur  imprima!  Autrefois,  l'inno- 
cence était  un  trésor  si  cher  aux  j  remiers 
fidèles  !  aujourd'hui  elle  semble  peser  à  ceux 
qui  l'ont  reçue  :  notre  raison  s'est  égarée  dès 
que  le  Seigneur  nous  l'a  donnée,  et,  encore 
si  toujours  la  perle  de  cette  précieuse  inno- 
cence se  faisait  sentir;  mais  combien,  hélas! 
prennent  le  crime  pour  elle  !  combien,  qui 
depuis  longtemps  l'ont  perdue  et  croient 
l'avoir  encore  1  combien  appellent  fragilité 
pardonnable  ce  qui  est  un  crime  très-énorme  ! 
combien  se  permettent  le  luxe  et  la  mol- 
lesse comme  l'apanage  et  le  privilège  de 
leur    état!    Je    pourrais  produire  ici    bien 


9(31 


CAREME.  —  SERMON  XXI,  DU  l'ETIÎ  NOMBRE  DES  ELUS.  9:2 

:  mais  dans  la  j  lupnrt 
qui  décide,  ma  s   la 


d'autres  articles  contre  vous,  et,  quoique  je 
parusse  suprenànt,  je  vous  ferais  vo;r  par 
toutes  ces  vérités,  que  chacun  porte  au  fond 
de  son  cœur  un  principe  vicieux  qui  le 
damne,  et  que,  dans  la  plupart  de  ceux  qui 
se  croient  les  plus  justes,  la  grâce  première 
se  retire  imperceptiblement  malgré  la  flat- 
teuse opinion  qu'on  Ta  encore;  mais  quel 
besoin  a  de  tout  cela  mon  sujet?  La  licence 
a  levé  le  masque,  les  sujets  corrompus  et 
aveugles  ont  déclaré  à  Dieu  une  guerre  ou- 
verte; il  me  semble  l'entendre  me  dire, 
comme  autrefois  à  Jérémie  :  Cherchez  dans 
toutes  les  rues,  parcourez  toutes  les  places, 
pour  voir  si,  dans  la  multitude  qui  s'offre  à 
vos  yeux,  vous  trouverez  un  homme  de  mon 
choix,  qui  soit  juste  et  fidèle  :  Circuite  vias 
Jérusalem  an  inveniatis  virum  facientemjudi- 
cium  et  quœrcntem  fidem.  (Jcrem.,  V.) 

Pour  suivre  undéta.l  que  le  doigt  de  Dieu 
n'a  tracé  que  pour  notre  siècle,  j'irai  donc 
avec  le  prophète  chercher  les  élus  de  Dieu 
parmi  les  chrétiens  et  dans  tous  les  états; 
peut-être  les  trouverai-je  parmi  les  pauvres  : 
Forsilan  paupercs  sunt  (Ibid.);  mais  ils  sont 
dans  une  ignorance  absolue   des  choses  les 
plus  nécessaires  au  salut ,   leur  vie    n'est 
qu'un  instinct  de  la  nature,  plutôt  qu'un 
mouvement  de  la  grâce;  ce  n'est  qu'envie, 
que  jalousie,  que  murmures,  que  plaintes,, 
qu'impatiente    parmi    eux  :  plus   vous  les 
frappez,   Seigneur,   et  plus  ils  deviennent 
intraitables;  les  coups  que  vous  leur  portez, 
loin  de   les  ramener,  ne   servent  qu'à  les 
éloigner,  et  ils  sont  tout  à  la  fois  et  [dus  mé- 
chants et  plus  malins  que  les  autres  :  Stulti 
ignorantes   viam   Domini   percussisti  eos  et 
non  doluerunt.  (Ibid.)  J'irai  donc  parmi  les 
riches,  parmi  les  grands  de  la  terre  :  Iboad 
optimales  (Ibid.)  ;   hélas  ,  triste  ressource  ! 
lpsi  enim  cognoverunt  viam  Domini  (Ibid.); 
il  est  vrai  qu'ils  sont  mieux  instruits  que  les 
pauvres  des  voies  du  salut  ;  mais  ils  abusent 
de  leursconnaissancespour  secouer  plus  har- 
diment le  joug  du  Seigneur;  ils  violent  im- 
punément les  lois  de  l'abstinence  et  du  jeûne, 
se  livrent  aux  voluptés  et  à   la  sensualité; 
toute  leur  personne  n'est  qu'un  abus  scan- 
daleux des  bienfaits  du  Seigneur;  ils  font 
de  leur  grandeur,  de  leurs   richesses  une 
idole  à  qui  le  reste   des  hommes   sacrifie, 
et  leur  vie  tout  entière  n'est  qu'une  infrac- 
tion plus  hardie  de  toutes  les  lois  du  chris- 
tianisme  et  une  apostasie  continuelle  des 
vœux   de   leur  baptême  :  Et  ecce  magis  hi 
confregerunt  jugum,  ruperunt vincula.(Ibid.) 
Les  savants  peut-être  se  trouveront  è  l'égard 
de  Dieu  dans  une  disposition  plus  avanta- 
geuse et  plus  chrétienne,  hélas  !  Negaverunt 
Dominum  et  dixerunt  non  est   ipse  !  (Ibid.) 
Ces   hommes  superbes,  pour   avoir  voulu 
trop  curieusement  approfondir  la  religion, 
l'ont    perdue;  l'impiété,    ce    semble,   est 
l'esprit  et  la  science  du  temps,  notre   siècle, 
pour  vouloir  être  trop  philosophe,  a  cessé 
d'être  chrétien,  et  ce  désordre  a  passé  des 
savants  jusqu'au  peuple  :  Nequeveniet  super 
eos  malum  [Ibid.)  Où  irai -je  d-onc    encore  ? 
Aûrai-je  recours  aux  magistrats  et  aux  dé- 


positaires de  la  justice 
ce  n'est  plus  la  vérité 


passion;  on   ne   regarde    plus   aux   régies 
qu'on  doit  suivre,  mais  aux  personnes  qu'on 
veut  ménager  :  le  crédit  et  la  faveur  l'em- 
portent sur  le  droit   et  les  bonnes  raisons, 
les  intérêts  de   la  veuve  et  du  pupille  n'y 
sont  écoutés  que   quand  l'autorité  des  mi- 
nistres et  des  grands  n'y  forme  point  d'obs- 
tacles et  ce  n'est  jamais  par  le  fond  d'une 
incorruptible  équité;  mais  par  le  faible  du 
juge  ou  par  la  qualité  des  parties  que  les 
arrêts  et  les  sentencea  sont  prononcés  :  Cau* 
sain  viduœ  non  judicaverunt,  causant  pupilli 
non  dixerunt.  (Ibid.)  Que  mes  yeux  se  tour- 
nent du  côté  du  sanctuaire  :  Sta  inporlu  de- 
vins Domini  (Ibid.)  ;  mais  hélas  !  que  vois-je? 
la  maison  du  Seigneur  abandonnée  à  l'oisi- 
veté, à  la  mollesse,  l'héritage  de  Jésus-Christ 
prostitué  au  faste  et  à  la  vanité,  le  patri- 
moine des  pauvres  prodigué  au  jeu,  à  l'a- 
varice ou  à  la  sensualité  :  Prophètes  prophe- 
tabant  mendaciam,   et  sacerdotes  upp'.aude- 
bant  manibussuis  (Ibid.)  Que  vois-je  encore  ? 
de  faux  prophètes  qui  débitent  le  mensonge 
pour  de  saintes  vérités,  des  ministres  sacrés 
plus  mondains  que  le  peuple,  et,  pour  quel- 
ques-uns qui   soutiennent  l'honneur  du  ca- 
ractère, combien  le  déshonorent  ?-La  beauté 
du  désert  s'est  flétrie,  la  corruption  a  péné- 
tré   jusqu'aux  parties   les   plus  nobles   du 
corps,  le  sel   même  s'est  lâchement  affadi  ; 
enfin  toute  la  terre  pleure  de  se  voir  souillée  : 
Lugebit  t>rra.   (Jerem.,  IV.)  Elle   n'est  plus 
qu'une  vaste  mer  de  désordres,  qu'un  obs- 
cur nuage  d'iniquités  et  de  crimes  qui  en- 
veloppe tous  les  états,  toutes  les  conuitions, 
tous  les  âges,  tous  les  temps  :  Univtrsi  ccr- 
rupti  sunt  (Jerem. ,  VI),  et  si,  après  cette  re- 
cherche, Dieu  me  ditenore  :  Mor.trez-m'cn 
donc  quelqu'un  sur  qui  je  puisse  faire  tom- 
ber  mes  miséricordes,  car  je   souffre  à  les 
retenir  :  Super  quo  propiiius   esse  potero 
(Jerem.,  V);  ne  suis-je  pas  forcé   de  lui  ré- 
pondre  qu'il   n'y   a  plus   de  foi  parmi  les 
chrétiens,  qu'elle   n'est  plus  ni  dans  leurs 
bouches  ni  dans  leurs  mœurs  :  Periit  fides, 
et  ablala  est  de  ore  eorum.  (Jerem.,  VU.) 

Venez  donc,  mon  Dieu,  au  secours  de  vo- 
tre Eglise;  jamais  cet  édifice  céleste  ne  se 
perpétua  plus  lentement  !  ô  nouvelle  Sion, 
religion  sainte  qui  vous  voyez  ainsi  défigurée, 
épouse  du  Sauveur,  êtes-vous  donc  la  même 
qui  descendîtes  du  ciel  où  vous  fûtes  for- 
mée, portant  dans  votre  sein  un  peuple  d'é- 
lus, et  qui  étiez  si  féconde  en  grands  saints, 
vos  beaux  jours,  hélas,  sont  passés  !  et  c'é- 
tait sur  cette  foule  de  chrétiens  d'aujourd'hui 
qui  vivent  plutôt  en  idolâtres  qu'en  vrais 
fidèles  que  Jésus-Christ  prononça  cet  oraile 
terrible  :  Beaucoup  d'appelés ,  mais  peu 
d'élus  :  Mulli  vocati,  paucivero  eheti. 

Or,  vous  qui  m'écoulez,  mes  frères,  car 
sans  cette  application  particulière  de  chacun 
à  soi-même,  les  ventés  que  nous  vous  an- 
nonçons seraient  entièrement  inutiles,  et  je 
ne  veux  pas  que  cette  multitude,  de  chié- 
tiens  qui,  avec  un  titre  de  réprouvés,  &a 
promettent  le  sort  des  élus,  vous  autorise  à 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SURIAN. 


Sol 


croire  que  vous  êtes  de  ce  malheureux  nom- 
bre, voulez-vous  savoir  quel  sera  votre  sort, 
et  quelle  place  vous  devez  tenir  au  jugement 
de  Dieu,  exammez-vous  vous-même;  de- 
mandez-vous si  vous  avez  ce  cœur  pur,  ces 
mœurs  innocentes  qu'il  faut  avoir  pour  être 
admis  sur  la  montagne  sainte;  en  un  mot 
vo,, ez  si,  dans  votre  état,  vous  menez  cette 
vie  d'innocence  et  de  pureté  qui  constitue  le 
premier  degré  du  chrétien.  Je  vis,  dites- 
vous,  comme  les  autres  ;  mais  tous  les  autres 
se  perdent,  vous  périssez  donc  avec  eux;  à 
quel  titre  pouvez-vous  vous  flatter  d'une  ex- 
ception toute  privilégiée  :  je  vois  partout 
dans  les  livres  saints  que  la  multitude  se 
damne?  En  quel  endroit  lisez-vous  que,  vi- 
vant avec  la  multitude,  l'exception  vous  soit 
accordée?  Mon  Dieu,  plus  on  approfondit 
cette  vérité,  plus  elle  inspire  de  crainte  et 
de  frayeur,  et  à  qui  l'imprime-t-elle?  aux 
justes  et  aux  élus,  tandis  que  les  pécheurs 
et  les  réprouvés  lui  olIVent  un  cœur  intré- 
pide et  tranquille. 

2"  Un  chrétien  véritable  à  l'égard  de  lui- 
même  doit  mener  une  vie  de  pénitence  et  de 
mortification  pour  imprimer  en  lui  Jésus- 
Christ,  car  la  qualité  de  chrétien  et  la  croix 
du  Fils  de  Dieu  sont  absolument  inséparables  : 
on  perd  l'une  dès  qu'on  quitte  l'autre,  et. 
quiconque  refuse  cette  portion  du  calice  que 
"le  Sauveur  destine  à  ses  disciples,  renonce 
en  même  temps  à  cette  portion  de  gloire 
qu'il  leur  prépare  dans  le  ciel  :  ne  savez- 
vous  pas,  dit  l'Apôtre,  que  Jésus-Christ  a 
souffert  pour  entrer  dans  sa  gloire,  et  pour- 
quoi, si  vous  y  prétendez,  refuserez-vous 
de  souffrir  après  lui?  mais  s'il  en  est  ainsi, 
si  la  seule  vie  pénitente  et  mortifiée  ouvre 
le  ciel  à  un  élu,  si  le  chrétien  ne  se  forme 
que  dans  les  souffrances  et  dans  les  morlili- 
catfons,  en  connaissez-vous  beaucoup  qui 
soient  de  vrais  chrétiens,  et  l'êtes-vous  vous^ 
même  ?  pouvez-vous  lever  la  tête  comme  la 
gloire  de  Jésus-Christ  votre  chef,  ou  plutôt 
ne  devez-vous  pas  la  baisser  comme  sa 
honte?  S'il  est  rare  de  trouver  clans  le  siècle 
de  vrais  héros,  parce  qu'il  faut  pour  cela  des 
vertus  sublimes,  vaincre,  triompher,  braver 
les  périls  et  affronter  la  mort  même,  s'il  le 
faut,  les  véritables  chrétiens  ne  sont-ils  pas 
encore  plus  rares,  puisqu'il  faut  de  pénibles 
vertus',  désarmer  les  passions,  captiver  sa 
raison,  réprimer  ses  sens,  dompter  ses  pen- 
chants, se  montrer  supérieur  à  tous  les  évé- 
nements les  plus  tristes  de  la  vie,  et  assujet- 
tir les  plus  redoutables  de  tous  les  ennemis 
qui  sont  notre  corps,  notre  volonté,  tout 
nous-mêmes,  et  de  là  exagère-l-on  beau- 
coup, quand  on  s'écrie  que  le  nombre  des 
chrétiens  ost  bien  rare? 

En  elfet,  le  chrétien  aime  la  peine  et 
vous  aimez  tous  le  plaisir;  un  chrétien  est 
sobre,  tempérant,  et  la  sensualité  est  votre 
partage;  un  chrétien  fait  de  son  corps  sa  vic- 
time, et  vous  vous  faites  tous  comme  une  idole 
du  vôtre;  selon  l'Evangile  le  chrétien  est  un 
homme  qui  se  hait,  et  vous  ne  cherchez  qu'à 
A-ous  satisfaire;  c'est  un  homme  qui  se 
peine,  qui  se  contraint,  qui  se  fait  violence, 


et  vous  suivez  vos  penchants,  vos  commo- 
dités et  vos  aises.  Aces  premiers  traits  vous 
prendra-t-on  pour  un  chrétien?  mais  ce  n'est 
pas  tout  i  le  chrétien  est  un  homme  mort  et 
crucifié  au  monde,  et  vous  donnez  dans  ses 
maximes,  dans  ses  modes,  dans  ses  usages, 
dans  son  commerce,  dans  ses  liaisons;  un 
chrétien  se  plaît  dans  les  larmes,  dans  la  tris- 
tesse, dans  l'amertume  et  dans  les  afflictions, 
et  vous  ne  cherchez  que  la  joie,  que  le  plai- 
sir, que  les  douceurs,  que  les  consolations. 
Ah!  depuis  quand  donc  les  délices  et  les  profa- 
nes joies  du  siècle  sont-elles  montées  surle 
Calvaire?  Ah  !  je  conçois  bien  que  c'est  là  cru- 
cifier Jésus-Christ  ;  mais  est-ce  vous  crucifier 
vous-même?  enfin  le  chrétien  est  un  homme 
mort  enseveli  avec  Jésus-Christ,  c'est-à-dire 
qui  n'a  plus  rien  du  vieil  homme,  qui  ne 
vit  plus  pour  la  terre,  qui  est  une  nouvelle 
créature,  qui  ne  vit,  qui  ne  soupire,  qui 
n'agit  que  pour  le  ciel  ;  mais  trouve-t-on 
en  vous  ces  dispositions  salutaires  ?  Hélas  1 
à  la  vue  du  plaisir  tous  vos  désirs  s'irritent, 
toutes  vos  passions  se  révoltent.  Est-ce  là 
donc  mourir  à  vous-mêmes?  Est-ce  là  être 
un  chrétien,  un  disciple  de  Jésus-Christ? 
un  membre  de  son  Eglise,  une  image  d'un 
Dieu  crucifié,  un  élu,  un  héritier  de  sa  gloire. 

O  vous,  ministre  des  grandes  vengeances 
du  Seigneur,  ange  exterminateur  qui  ne 
devez  épargner  que  ceux  qui  auront  \  orté 
sur  leur  front  l'impression  du  sang  de  l'A- 
gneau et  le  sceau  de  ses  souffrances,  oh!  que 
vous  trouveriez  ici  à  frapper,  à  immoler  et 
à  perdre  !  Quelle  action  n'aurait  pas  sur  mes 
auditeurs  et  sur  moi,  peut-être,  le  premier, 
le  glajve  vengeur  que  la  colère  du  Dieu  vi- 
vant vous  met  en  main  1  que  rie  sang  coule- 
rait ici  de  toute  part!  Quelle  désolation  1 
quel  carnage  !  Combien  se  croient  en  sûre- 
té parmi  nous  qui  seraient  égorgés  !  Et  que 
bien  plus  terriblement  que  moi  vous  annon- 
ceriez cette  effrayante  vérité  :  Beaucoup 
d'appelés,  mais  peu  d'élus  ;  mulli  vocati, 
pauci  vero  electi. 

3"  Un  chrétien,  pour  l'être  véritablement, 
doit  mener,  à  l'égard  du  monde,  une  vie  de 
renoncement  et  de  haine  :  être  du  monde  et 
être  de  Jésus-Christ,  sont  deux  principes 
inalliables  ;  aussi  au  baptême  vous  avez  dé- 
claré que  vous  renonciez  au  monde,  qu'il 
n'aurait  plus  de  pouvoir  sur  vous,  l'espéran- 
ce même  du  royaume  du  ciel  etdesbœns  éter- 
nels ne  vous  y  fut  donnée  qu'à  des  conditions 
égales  et  réciproques,  de  mépriser  tout  ce 
que  vous  verriez  ici  bas,  pour  vous  attacher 
uniquement  aux  biens  spirituels,  et  vous 
jurâtes  solennellement  avec  le  monde  et  ses 
pompes,  un  divorce  éternel  ;  mais,  après  ces 
promesses  solennelles,  qui  de  vou>s  o'sera  se 
regarder  de  près  sans  se  faire  peur  à  lui- 
même?  Votre  vie  est-elle  une  exécuUon  fidè- 
le de  ces  grands  vœux  du  baptême? En  quel 
temps,  en  quelle  occasion  votre  conduite 
est-elle  un  anathème  et  un  divorce  avec  lo 
monde?  Ces  paroles  pleines  d'enflure,  da 
médisance,  de  licence,  de  séduction,  de  flat- 
terie, sont-elles  un  renoncement  aux  arlifi* 
ces,  aux  déguisements,  à  la  dissimulation, 


005 


CAREME.  —  SERMON  XXI,  DU  î'ETiï  NOMBRE  LES  ELUS. 


GC>> 


à  l't3Sprit  et  au  langage  du  mon  Je?  ces  ha- 
bits si  magnifiques,  ces  parures  si  brillantes, 
ce  faste  si  éblouissant,  ces  modes  si  bizarres, 
ces  palais  si  somptueux,  ces  ameublements 
si  riches  sont-ils  un  renoncement  aux  pom- 
pes du  monde?  ces  vives  saillies  qui  vous 
fiortent  vers  les  jeux,  vers  les  plaisirs,  vers 
es  spectacles,  vers  les  compagnies,  vers  la 
bonne  chère,  sont-elles  un  renoncement  aux 
folles  joies  et  aux  usages  du  monde?  Haïs- 
sez-vous le  monde,  quand  vous  nagez  dans 
les  délices,  que  vous  courez  après  ses 
charmes,  que  vous  vous  faites  un  bonheur 
de  lui  plaire,  un  art  de  vous  conformer  à  son 
goût,  que  vous  êtes  inconsolable  de  lui  avoir 
déiilu?  Haïssez-vous  le  monde,  quand  vous 
vous  rendez  les  tristes  esclaves  de  ses  cou- 
tumes et  de  ses  bienséances,  les  malheu- 
reuses victimes  de  son  crédit,  de  sa  fortune, 
de  ses  honneurs  ?  Haïssez-vous  le  monde, 
quand  vous  vous  déclarez  ses  apologistes 
éternels  contre  les  justes  censures  qu'en 
font  les  ministres  sacrés?  Haïssez-vous  le 
monde,  quand  vous  aimez  h  vivre  sous  sa 
dépendance,  quand  vous  ne  voulez  pas  d'au- 
tre maître  que  lui,  et  que  vous  préférez  la 
honte  d"être  son  esclave  à  la  gloire  d'être 
son  vainqueur?  Haïssez-vous  le  monde, 
quand  vous  êtes  charmé  de  l'encens  qu*il 
vous  offre,  que  vous  donnez  dans  tous  les 
pièges  qu'il  vous  tend,  que  vous  vous  lais- 
sez conduire  en  aveugle  dans  tous  les' abî- 
mes qu'il  vous  ouvre  ?  Haïssez-vous  le  mon- 
de, quand  vous  voulez  être  de  toutes  ses 
parties,  que  vous  vous  plaisez  dans  ses  agi- 
tations, dans  son  tumulte,  dans  ses  embar- 
ras, dans  ses  troubles,  dans  ses  cercles,  dans 
ses  assemblées?  Haïssez-vous  le  monde, 
quand  de  toutes  parts  vous  courez  au  théâ- 
tre, qui  est  son  centre,  où  il  étale  tous  ses 
charmes,  où  sa  figure  est  peinte  plus  au  na- 
turel, où  il  se  montre  avec  ses  traits  les  plus 
enflammés,  où  il  débite  par  tous  les  sens 
son  poison  le  plus  funeste,  et  où  il  rassemble 
toutes  ses  pompes,  réunit  toutes  ses  forces 
pour  séduire  l'innocence  et  porter  ses  flam- 
mes meurtrières  jusque  dans  la  substance 
de  l'âme?  Sont-ce  là,  mes  frères,  des  fruits 
bie-u  marqués  de  la  haine  que  vous  avez 
pour  le  monde? 

Je  l'avoue,  en  certains  moments  où  la 
grâce  vous  touche  pour  vous  éclairer  et  vous 
faire  revenir,  vous  vous  plaignez  que  ses 
joies  sont  fades,  ses  plaisirs  insipides,  ses 
honneurs  gênants,  et  qu'il  ne  reste  que  le 
dégoût  et  la  lie  de  s'y  être  enivré.  Si,  dans 
les  chaires  chrétiennes,  les  ministres  de  la 
sainte  parole  vous  disent  que  c'est  un  im- 
posteur qui  n'a  de  grand  que  ses  misères, 
de  vrai  que  ses  pertidies,  de  réel  que  son 
inconstance  et  sa  légèreté,  si  nous  vous  di- 
sons qu'il  n'est  autre  chose  qu'un  amas 
monstrueux  d'idolâtres  qui  n'adorent  que 
leurs  peines,  une  société  d'aveugles  qui 
se  précipitent,  qui  se  heurtent  les  uns  les 
autres,  qu'une  troupe  de  bêtes  féroces  qui 
se  mangent,  qui  se  déchirent  tour  à  tour,  si 
bous  vous  représentons  avec  l'Ecriture  et 
les  Pères  qu'il  est  une  nier  orageuse  où  les 


tempêtes  sont  fréquentes,  les  naufrages  or- 
dinaires et  dont  l'émotion  fait  périr  ceux 
qu'elle  |  orte,  que  c'est  une  terre  maudite 
qui  dévore  ses  habitants,  qui  n'a  de  fond 
que  la  corruption,  qui  n'a  de  fécondité  que 
pour  le  mal  et  qui  est  toujours  ;  térile  {  our 
le  bien  ;  si  nous  vous  faisons  souvenir  que 
ce  monde  est  le  piège  fatal  de  l'innocence, 
l'écueil  de  la  vertu,  la  mort  de  l'âme,  l'em- 
pire du  démon,  l'ennemi  déclaré  dé  Jésus- 
Christ,  que  son  nom  seul  est  un  ar.athèmc 
]  our  le  chrétien,  et  que  non-seulement  il 
est  un  vide  affreux  de  toutes  sortes  de  biens, 
mais  l'assemblage  de  toutes  sortes  de  maux; 
de  tout  cela,  vous  en  convenez  avec  nous, 
vous  «joutez  même  encore  à  ce  tableau  des 
traits  |  lus  vifs  et  plus  horribles  par  la  con- 
naissance que  vous  en  avez  au-dessus  de 
vous,  et  nous  avons  la  consolation  de  voir 
que  vous  nous  surpassez,  au  moins  dans 
l'horreur  des  images  que  vous  en  retracez; 
mais,  dans  la  pratique,  au  milieu  de  toutes 
vOs  connaissances  et  de  toutes  vos  plaintes 
ne  lui  donnez- vous  pas  tout  votre  cœur, 
tout  votre  temps,  toutes  vos  affections,  tous 
vos  soins,  et  ne  peut-on  pas  dire  que  vous 
êtes  désabusé  et  dévoué  tout  ensemble  ?  Vous 
le  connaissez  assez,  dites-vous,  ce  monde 
dont  nous  vous  parlons;  mais  que  vous  sert 
donc  de  le  si  bien  connaître  si  vous  ne  l'en 
aimez  pas  moins,  et  n'est-ce  pas  la  plus 
grande  de  toutes  les  folies  de  vous  dévouer 
à  un  perfide,  à  un  imposteur  reconnu  pour 
tel,  et  de  l'idolâtrer  tout  méprisable  et  tout 
corrompu  qu'il  est  ?  Enfin,  le  chrétien  et  le 
monde  sont  deux  ennemis  qui  se  font  une 
mutuelle  guerre,  dont  les  vues,  les  réflexions, 
les  sentiments,  les  démarches  sont  toutes 
opposées  ;  mais  vous  parlez  comme  le 
monde,  vous  désirez,  vous  estimez,  vous 
craignez  comme  le  monde,  vous  vous  attris- 
tez, vous  vous  réjouissez,  en  un  mot,  vous 
pensez,  vous  vivez  comme  le  monde,  vous 
êtes  donc  du  monde,  vous  êtes  le  monde 
même;  or  le  monde  n'est  point  chrétien, 
donc  vous  ne  l'êtes  point  non  plus.  Si  le 
monde  faisait  des  élus,  peut-être  seriez- 
vous  de  ce  nombre  ;  mais  c'est  Jésus-Christ 
qui  décide  de  votre  sort,  et,  comme  il  ré- 
prouve le  monde  en  mille  endroits  de  son 
Evangile,  donc  comme  lui  vous  êtes  ré- 
prouvé, donc  comme  le  monde  vous  êtes 
exclus  du  ciel  et  des  espérances  éternelles, 
le  grand  nombre  n'étant  aujourd'hui  ni  de 
scélérats,  ni  de  saints  ;  vous  formez  par  vos 
mœurs,  par  vos  airs,  par  vos  manières,  par 
votre  politesse,  par  votre  enjouement,  par 
votre  mollesse,  par  votre  sensualité,  vous 
formez,  dis-je,  cette  multitude  que  Jésus-* 
Christ  réprouve  et  qui,  le  jetant  dans  l'ad- 
miration et  la  douleur  le  fait  écrier  :  Oh  !  que 
la  voie  qui  conduit  à  la  vie  est  étroite, 
qu'elle  est  peu  fréquentée,  et  qu'il  y  en  a 
peu  qui  la  trouvent  !  Quant  arcta  via  est  guet 
ducit  advitam!  paucisunt  qui  inveniunteam. 
(Mat th.,  Vil.)  Car,  si  en  vivant  comme  la 
multitude  on  était  sauvé,  qu'y  aurait-il  de- 
plus  commun  que  le  salut?  mais,  parce  qu'en 
vivant  comme  le  monde,  on  ne  peut  opéier 


SG? 


btuTF.rRs  Nacres,  le  p.  sùrian. 


nos 


cette  grande  affaire  du  salut,  c'est  avec  rai- 
son que  la  seule  pensée  jette  la  douleur 
et  l'admiration  dans  le  cœur  d'un  Dieu  : 
Qiutm  arcta  via  est  quœ  ducit  ad  vilam! 

Mon  Dieu,  que  cette  parole  porte  avec  elle 
des  idées  sombres  et  amères  dans  les  esprits 
dociles,  et  qu'elle  pénètre  bien  avant  dans 
un  cœur  jaloux  de  son  salut?  ce  monde,  tel 
qu'il  est  et  qu'aujourd'hui  vous  aimez,  que 
vous  suivez,  est  un  grand  livre  toujours  ou- 
vert ou  plus  sensiblement  encore  que  dans 
l'Evangile,  vous  lisez  avec  les  yeux"  de  la 
foi  qu'il  y  en  a  beaucoup  d'appelés,  mais 
peu  d'élus  :  Multi  vocati  pauci  vero  electi  ; 
maisà  voulez-vous  sortir  de  l'anathème  gé- 
né-ral  prononcé  contre  ce  monde;  imitez  ces 
enfants  d  Israël  qui  dans  Babylone  même 
refusèrent  d'adorer  des  dieux  étrangers  que 
tout  le  monde  adorait  et  que  Nabuchodono- 
sor  voulait  qu'ils  adorassent  avec  sa  statue  : 
Omnis  homo  prosternât  se  et  adoret  slatuam 
auream,  et  cadentes  omnes  populi  adoraverunt 
statua.naurcam.  (Dan.  III.)  Aux  ordres  de  ce 
roi  impie,  tous  les  peuples  se  prosternent  et 
lui  ren  lent  de  profanes  adorations  ;  mais 
vous  chrétiens,  dites  à  ce  monde  qui  vous 
tyrannise  ce  que  ces  fiJèles  enfants  d'Israël 
ré.îon  iirent  au  roi  de  Babylone  :  Ecce  Deus 
tioster  que  ni  colimus  (Ibid.).  Se  prosterne  qui 
voudra  devant  la  figure  de  ce  monde  et  devant 
ses  idoles;  pour  nous  nous  n'en  ferons  jamais 
rien,  voilà  sur  la  croix,  dans  les  cieux,  sur 
nos  autels  le  Dieu  que  nous  reconnaissons 
pour  être  seul  véritable,  c'est  uniquement  à 
lui  que  nous  voulons  sacrifier  nos  cœurs  et 
toute  notre  vie,  lui  seul  mérite  et  recueillera 
tout  notre  culte,  tous  nos  hommages  -.Ecce 
Deus  noster  quem  colimus ;  mais  pour  toi, 
monde  corrupteur,  pour  tous  tes  biens  et 
tes  richesses  périssables,  pour  tous  tes  hon- 
neurs vains  et  chimériques,  pour  tous  tes 
plaisirs  frivoles  et  dégoûtants,  nous  n'en 
voulons  point  ;  que  les  mondains,  tes  lâches 
partisans,  les  adorent  comme  ses  idoles,  pour 
nous  nous  te  déclarons  que  nous  les  avons 
en  exécration,  nous  ne  te  le  cachons  point  : 
Notnm  tibi  sit  quia  deos  tuos  non  colimus. 
(/iîd)Nousfaisonsgloirede  le  publier  partout 
notre  conduite,  et  au  milieu  de  la  multitude 
effroyable  qui  tombe  tous  les  jours  à  tes 
pieds,  nous  n'aurons  jamais  que  du  mépris 
et  de  l'aversion  pour  tout  l'éclat  et  les  char- 
mes que  tu  étales  à  nos  yeux  :  Statuam  au- 
ream ,  quam  erexisli,  non  adoramus.  (Ibid.) 

Vous  le  sentez  donc,  mes  frères,  combien 
ces  traits  étrangers  mettent  d'opposition  entre 
vous  et  Jésus-Christ  et  que  trouvant  dans  le 
christianisme  même  si  peu  de  vrais  chré- 
tiens, c'est  une  forte  conviction  qu'il  y  a  peu 
d'élus  ;  mais  peut-être  en  trouvera-t-on  le 
nombre  plus  grand,  si  on  le  prend  du  côté 
de  la  conversion  et  de  la  pénitence,  encore 
fausse  ressource?  Peu  d'élus,  parce  qu'il  y  a 
peu  rie  pécheurs  qui  soient  véritablement 
convertis  ;  c'est  le  sujet  de  mon  second 
point. 

SECOND  POINT. 


de  péché,  il  y  en  a  peu  qui  soient  véritable- 
ment convertis,  et  plût  à  Dieu  qu'il  y  en  eût 
d'avantage;  ici  ne  nous  livrons  pas  à  ries 
sentiments  outrés  qui  rebutent  plus  qu'ils 
n'encouragent ,  ne  suivons  pas  cette  élo- 
quence vaine  qui,  pour  faire  des  impres- 
sions plus  vives  sur  l'esprit,  n'en  fait  au- 
cune sur  le  cœur,  et  crainte  de  ne  riea 
conclure  en  exagérant,  donnons  à  la  conver- 
sion les  bornes  les  plus  étendues. 

Qu'est-ce  que  se  convertir?  Se  convertir, 
mes  frères,  c'est  :1°  quitter  le  péché;  2°  l'ex- 
pier, c'est-à-dire  haïr  le  mal  et  aimer  la  jus- 
tice .-voilà  tout  ce  qui  sauve  le  pécheur; 
c'est  le  terme  auquel  la  bienheureuse  élec- 
tion est  attachée;  un  degré  au-dessous,  c'est 
la  damnation  éternelle  ;  mais  qu'il  est  peu  de 
conversions  qui  aillent- jusque-là,  et  qu'un 
élu  peut  bien  s'écrier  avec  le  prophète  :  Je 
suis  devenu  un  prodige  à  l'égard  du  plus 
grand  nombre  :  Tanquam  prodiyium  factus 
sum  multis.  (PsaL,  LXX.) 

Cette  ruine  entière  de  ce  qui  offense  Dieu  est 
dans  la  première  démarche  d'un  cœur  touché, 
qui  aspire  encore  à  labienheureuse  élection;  ;1 
faut  qu'il  commence  par  anéantir  en  lui  le 
péché ,  et  qu'il  dise  :  Mon  Dieu  !  séparez  mou 
cœur  de  cet  objet  criminel  qui  m'éloigne  ce 
vous,  rie  tous  ces  désirs  pervers,  de  toutes 
ces  affections  terrestres  qui  m'empêchent  de 
retourner  sincèrement  à  vous. 

Or,  selon  ce  principe,  mes  frères,  cette 
conversion  est-elle  la  vôtre?  En  quel  endroit 
de  la  terre  découvre-t-on  ce  renoncement 
total  au  péché?  Examinez-vous  vous-mêmes. 
Vous  avez  tous  été  pécheurs;  vous  qui  vous 
dites  convertis,  ne  tenez-vous  point  encore 
par  quelque  côté  à  quelqu'un  de  ces  péchés? 
et  le  Seigneur,  qui  voit  jusqu'au  fond  des 
consciences,  ne  peut-il  point  vous  faire  le 
même  reproche  qu'autrefois  il  faisait  à  la 
maison  d'Israël?  Ah!  ce  n'est  point  de  tout 
votre  cœur  que  vous  êtes  revenu  à  moi  :  Non 
est  reversa  ad  me  in  toto  corde  suo.  (Jerem., 
III.)  Non,  cette  âme  criminelle  n'est  revenue 
qu'à  moitié;  elle  n'a  pas  tout  quitté  ce  qui 
la  rendait  coupable  à  mes  yeux  :  In  omnibus 
suis  non  est  reversa;  son  retour  n'est  qu'un 
fantôme,  et  non  une  véritable  conversion  ; 
et,  en  effet,  ô  homme  pécheur  1  qui  vous  glo- 
rifiez du  nom  de  pénitent,  où  est  donc  le 
changement  total  de  votre  cœur  ?  La  terre,  le 
monde,  les  faux  biens,  les  créatures  n'ont-ils 
plus  le  moindre  désir,  la  moindre  affection 
de  ce  cœur  touché  qui  doit  tout  entier  re- 
tournera son  Dieu?  Où  voit-onde  ces  cœurs 
généreux  dont  toutes  les  forces,  tous  les 
soins  aillent  à  fuir  tout  ce  qu'ils  avaient  re- 
cherché, à  haïr  tout  ce  qu'ils  avaient  aimé,  à 
sacrifier  tout  ce  qu'ils  avaient  le  plus  chéri, 
quand  aujourd'hui,  hélas  1  les  conversions 
sont  lâches,  feintes  et  partagées?  Si  on  sa- 
crifie la  cupidité,  on  conserve  l'orgueil;  si 
on  étouffe  la  vengeance,  on  épargne  la  mol- 
lesse, si  on  renonce  aux  amours  grossiers, 
on  se  réserve  des  tendresses  spirituelles  ;  tou- 
jours l'on  ménage  une  partie  de  la  victime; 
Vous  ne  faites  dans  vos  prétendues  conver- 


Peu  d'élus  ;  parce  qu'après  une  vie  toute      sions  que  changer  d'objets,  que  varier  vos 


%9 


CAREME.  —  SERMON  XXI,  DU  PETIT  NOMBRE  DES  ELtIS. 


!V70 


passions,  qu'en  substituer  de  plus  tranquil- 
les à  celles  qui  faisaient  trop  de  bruit;  vous 
changez  les  péchés  des  sens  pour  ceux  de 
l'esprit,  les  coupables  vanités  qui  scandali- 
saient le  prochain  en  complaisances  secrètes 
qui  flattent  l'amour-propre;  vous  faites  suc- 
céder une  fausse  tranquillité  de  conscience 
aux  remords  cuisants  ;  et,  en  affectant  une 
plus  édifiante  régularité,  vous  vous  ménagez 
davantage  vous-mêmes;  vous  seriez  bien  fâ- 
chés de  donner  dans  ces  crimes  énormes, 
dans  ces  injustices  criantes,  dans  ces  impu- 
retés honteuses;  mais  pour  garder  plus  de 
délicatesse  et  de  règle  dans  vos  péchés,  vous 
n'en  outragez  pas  Jésus-Christ  avec  moins 
de  malice  ;  vous  ne  vous  lassez  plus  à  courir 
après  les  plaisirs ,  mais  la  mollesse  et  l'oisi- 
veté vous  en  fournissent  d'aussi  délicieux  et 
d'aussi  sensibles,  c'est-à-dire  que  le  retour 
de  l'âge,  la  nécessité  des  affaires,  les  bien- 
séances de  l'état,  la  révolution  des  temps, 
les  disgrâces  de  la  fortune  sont  bien  plutôt 
la  cause  de  vos  conversions  que  la  haine  du 
péché,  que  l'horreur  du  mal  et  que  la  sin- 
cérité de  votre  repentir.  Vous  renoncez  au 
grand  monde,  à  ses  bagatelles,  à  ses  usages 
pernicieux,  à  ses  modes  ridicules,  à  ses  agi- 
tations fatigantes;  mais  dans  votre  retraite 
vous  conservez  encore  un  certain  nombre 
d'amis  privilégiés,  certaines  liaisons  tendres, 
des  entretiens  et  des  conversations  dange- 
reuses; et  si  vous  ne  vous  trouvez  plus  dans 
les  cercles  et  dans  les. assemblées  mondai- 
nes, vous  vous  livrez  encore  aux  censu- 
res malignes,  aux  railleries  piquantes,  aux 
médisances  subtiles,  aux  jalousies,  aux  en- 
vies, tous  poisons  qui, pour  être  plus  subtils, 
n'en  sont  pas  moins  funestes,  et  c'est  ainsi 
que  vous  tempérez  le  vice  sans  l'abandon- 
ner ;  vous  réformez  le  dehors  sans  toucher 
au  dedans,  oubliant  que  dans  un  cœur  qui 
veut  se  convertir,  une  seule  passion,  un  seul 
péché  rappelle  tous  les  autres. 

Or,  un  tel  retour  est-il  l'ouvrage  de  la 
grâce  ou  la  punition  du  péché?  De  quel 
nom  peut-on  le  qualifier,  sinon  d'erreur,  de 
feinte  et  de  mensonge?  Inmendacio.  Et  lors- 
que dans  cet  état  vous  vous  familiarisez  avec 
les  sacrements,  que  vous  les  recevez  sans 
crainte ,  ne  vous  incorporez-vous  pas  votre 
propre  jugement,  et  ne  iustifiez-vous  pas 
par  vous-mêmes  cet  oracle  terrible  :  Beau- 
coup d'appelés,  mais  peu  d'élus  :  Multi  vo- 
cati,  pauci  vero  eleeli. 

Mais  enlendra-t-on  toujours  cette  parole 
effrayante  sans  en  tirer  quelque  fruit?  J'au- 
rais dû  l'expliquer  plus  au  long,  je  l'avoue; 
mais  en  l'exposant  seulement,  je  frissonne. 
Voyez-vous  ce  sacré  temple ,  cette  maison  de 
prière  et  de  miséricorde?  Dès  que  vous 
n'êtes  pas  du  petit  nombre  des  élus,  vous 
n'êtes  plus  dignes  d'y  entrer  ,  et  du  centre 
des  grâces,  il  devient  une  source  d'anatbè- 
mes  pour  vous.  Voyez-vous  ce  sang  pré- 
cieux répandu  pour  tous  sur  le  Calvaire  et 
reproduit  sur  nos  autels  pour  effacer  les  pé- 
chés du  monde?  Dès  lors  que  vous  n'êtes 
point  des  élus,  il  ne  coule  plus  pour  vous, 
Cl  VOUS  ne  l'avez  plus,   votre  lâcheté  seule 

OeUTCURS    SUCRÉS.    L. 


vous  en  prive.  Cette  croix,  instrument  ado- 
rable du  salut  de  tous  les  nommes,  dès  lors 
que  vous  n'êtes  point  des  élus,  ne  sert  plus 
qu'à  votre  honte  et  votre  condamnation.  D'un 
côté,  percez  le  voile  céleste,  voyez-vous  Jé- 
sus-Christ au  milieu  des  anges  et  des  saints 
qui  l'adorent,  et  dont  il  fait  tout  le  bonheur 
et  toute  la  félicité?  Dès  lors  que  vous  n'êtes 
point  des  élus,  ce  bonheur  souverain  est 
perdu  pour  vous.  De  l'autre,  baissez  les 
yeux ,  voyez-vous  ces  brasiers  ardents,  ces 
flammes  dévorantes,  ces  démons  furieux,  cet 
amas  de  tous  les  tourments  et  de  toutes  les 
misères?  Si  vous  demeurez  inflexibles,  si 
vous  endurcissez  vos  cœurs  sur  la  vérité 
que  je  vous  annonce  aujourd'hui ,  c'est  .là 
votre  sort,  ce  sera  éternellement  votre  par- 
tage. Oh  1  quel  coup  de  foudre  pour  le  pé- 
cheur, que  cette  parole  :  peu  d'élus  1  Mais, 
pour  la  crainte  que  cette  vérité  imprime, 
qu'elle  est  juste,  qu'elle  est  raisonnable;  elle 
devrait  être  aussi  grande  que  le  ciel  que 
nous  perdons,  que  cet  enfer  que  nous  mé- 
ritons. Qu'on  est  sage  de  s'y  abandonner  1  le 
comble  des  maux  ne  demande-t-il  pas  le 
comble  des  craintes? 

Mais  il  y  a  plus  encore  pour  une  véritable 
conversion  :  l'essentiel  est  de  joindre  à  la 
fuite  de  tout  péché  la  pratique  de  toute  jus- 
lice,  et  d'accompagner  le  renoncement  par- 
fait au  mal  d'une  réparation  juste  et  propor- 
tionnée de  la  pénitence,  félon  ces  paroles 
du  Seigneur  :  Convertissez-vous  à  moi  et 
marchez  selon  ma  iustice;  mes  jugements 
seront  sévères  pour  les  pécheurs,  et  ce  n'est 
que  par  une  rigoureuse  pénitence  qu'on  peut 
en  prévenir  les  rigueurs  :  Convcrtimini  in 
jusiitia  et  injudicio;  et  là-dessus,  mes  frè- 
res, examinez-vous,  et  voyez  si  vous  êtes 
véritablement  convertis  pour  être  du  nom- 
bre des  élus.  Oh!  que  sur  cette  essentielle 
condition  l'enfer  a  élargi  ses  portes,  et  que 
de  pécheurs  on  y  voit  tomber  en  foule  de 
toutes  parts  l  Tous  ont  outragé  Dieu  par  leurs 
crimes,  et  presque  personne  ne  fait  péni- 
tence. En  effet,  qui  peut  se  vanter  que  sa  vie 
est  accompagnée  de  cette  pénitence  propor- 
tionnée, sans  laquelle  on  n'est  digne  que  de 
l'enfer?  Si  pour  faire  pénitence,  il  suffisait 
d'avoir  une  confiance  stérile  et  oisive  en  la 
miséricorde  de  Dieu,  s'il  ne  fallait  que  sentir 
le  besoin  pressant  qu'on  a  de  la  grâce  et  des 
secours  d'en  haut,  si  la  pénitence  véritable 
n'était  qu'une  accusation  froide  et  timide  dd 
ses  péchés  au  prêtre,  si  elle  ne  consistait 
que  dans  quelques  protestations  vaines,  que 
clans  une  douleur  passagère  et  superficielle, 
que  dans  quelques  actes  extérieurs  de  reli- 
gion, ah!  on  en  verrait  beaucoup  qui  feraient 
pénitence,  et  cet  oracle  éternel  :  peu  d'élus, 
serait  un  mensonge;  mais  ce  qui  lui  donne 
tant  de  force  et  de  vérité ,  c'est  que  la  con- 
version pour  être  véritable  doit  des  répara- 
tions proportionnées  aux  offenses  qu'on  a 
commises,  et  que  non-seulement  il  faut 
quitter  le  péché,  mais  le  pleurer.  Ce  qui 
donne  à  cet  arrêt  tant  de  frayeur,  c'est  que 
la  justice  de  Dieu  demande  une  satisfaction 
qui  soit  mesurée  sur  le  crime  ;  c'est  que  J6~ 

31 


571 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SUR1AN. 


07-S 


sus-Christ,  pour  nous  admettre  au  nombre 
dos  é!us,  exige  du  pécheur  une  pénitence 
vive,  prompte,  rigoureuse,  constante,  et  que 
ïa  nôtre  est  lâche,  douce,  tardive,  passagère, 
insuffisante,  et  par  conséquent  nulle  :  Nullus 
est  qui  agat  pcenitentiam.  (Jerem.,  VIII.) 

Et  m  effet,  comment  un  Dieu  qui  porte 
au  péché  une  haine  si  marquée,  pourrait-il 
être  sat  sfait  de  ces  jeûnes  si  adoucis,  de  ces 
prières  d  négligées,  de  ces  confessions  si 
froides,  de  ces  conversions  superficielles, 
de  ces  faib'es  violences  qui  se  jettent  sur  des 
endroits  indifférents,  qu'on  abandonne  sans 
peine?  En  vérité  la  justice  de  ce  Dieu  si  long- 
temps et  si  grièvement  offensé,  se  trouve- 
t-elle  bien  dédommagée,  par  une  telle  péni- 
tence, des  réparations  immenses  que  vous 
devez  à  cet  être  infini?  Je  sais  que  comptant 
sur  la  miséricorde  de  votre  Dieu,  vous  vous 
reposez  sur  la  pénitence  que  vousfaites,mais 
la  justice  perdra-t-elle  ses  droits,  vous  a-t-elle 
assuré  quelque  part  qu'elle  s'en  relâchera  tant 
que  vous  ne  ferez  pas  vos  efforts  pour  la  satis- 
faire. Pensez-vous  que,  parce  que  vous  vous 
endormirez  lâchement  sur  une  imparfaite  pé- 
nitence, le  Seigneur  l'agréera  comme  une 
juste  expiation  de  vos  péchés? Oh  !  que  c'est 
grossièrement  vous  tromper  si  vous  le  croyez 
de  la  sorte,  comme  si  Dieu  et  vous  n'aviez 
pas  deux  tribunaux,  deux  colères,  deux  jus- 
tices différentes.  L'une  peut-elle  être  sub- 
stituée à  l'autre  ,  et  loin  que  l'idée  que  vous 
vous  formez  de  votre  conversion  qui  est  si 
fausse  et  si  trompeuse,  si  vide  de  mortifica- 
tions et  de  bonnes  œuvres,  vous  puisse  ras- 
surer, ne  vous  fait-elle  pas  entrer  en  con- 
viction de  cette  terrible  vérité  :  peu  d'élus? 

Ah  !  si  au  moment  que  je  vous  parle,  lors- 
qu'ici  le  triste  sort  du  réprouvé  semble  vous 
toucher,  un  homme  de  Dieu  venait  vous 
dire  comme  autrefois  Nathan  à  David  :  Tu  es 
Me  vir  (  Il  Iieç/.,  XII  ),  ce  ré(  rouvé  c'est 
vous-même;  si  votre  conduite  ne  change, 
si  vos  mœurs  ne  sont  mieux  réglées,  votre 
vie  plus  sainte,  votre  pénitence  plus' sin- 
cère, votre  conversion  plus  parfaite,  vous 
serez  une  victime  de  l'enfer: un  prompt  tré- 
pas au  sortir  de  ce  temple  va  décider  de  votre 
sort  éternel  :  ah  1  vous  seriez  saisis  de  la  dou- 
leur la  plus  vive;  le  trouble  s'emparerait  de 
vos  sens,  et  tout  en  vous  serait  dans  la 
frayeur  et  dans  la  confusion. 

Mais  quoi  1  ce  sont  vos  mœurs,  votre  vie, 
vos  péchés,  votre  fausse  pénitence  qui  vous 
le  disent,  et  après  vous,  c'est  votre  Dieu, 
votre  Sauveur,  votre  juge  qui  vousen  assure, 
et  vous  demeurez  tranquilles!  et  vous  ne 
frémissez  pas  jusque  dans  la  moelle  des  os  I 
et  vous  ne  formez  pas  dès  ce  moment,  sans 
plus  différer,  des  projets  d'un  changement 
parfait,  des  résolutions  fortes  et  efficaces  de 
faire  le  reste  de  vos  jours  une  pénitence  pro- 
portionnée à  vos  crimes  !  Ciel!  quelle  plus 
monstrueuse  insensibilité  ! 

Reste,  mes  frères,  à  vous  montrer  qu'il 
y  a  peu  d'élus,  parce  qu'il  y  a  peu  de  chré- 
tiens qui  conservent  le  don  de  Dieu  qu'ils 
ont  reçu,  et  qui  persévèrent  dans  la  justice 
recouvrée.  Vous  le  savez,  Dieu  est  toujours 


avec  les  justes  au  milieu  môme  de  nos  dé- 
sertions; il  nous  cherche  et  ne  nous  quitte 
jamais  le  premier,  mais  l'homme  cstl'incons- 
t  nec  même,  à  tous  moments  il  est  prêi  ue 
changer  :  à  peine  a-t-il  passé  dans  un  nou- 
vel état  qu'il  en  voudrait  un  autre,  et  son 
grand  malheur  est  qu'il  donne  à  la  grâce  le 
triste  caractère  de  son  instabilité;  il  se  lasse 
aisément  dans  la  voie  de  la  vertu  :  la  lon- 
gueur du  sacrifice  qu'on  lui  demande  le  dé- 
courage, le  trajet  du  bien  au  mal,  de  la  piété 
au  dérèglement  est  si  rapide,  le  pas  de  l'un 
à  l'autre  est  si  glissant,  qu'il  change  presque 
sans  s'en  apercevoir.  11  ne  se  fortifie  point 
assez  par  la  prière,  par  la  vigilance  contre 
les  traits  séduisants  et  continuels  que  l'enne- 
mi lui  porte,  et  de  là  combien  retombent  de 
la  justice  dans  le  péché  et  deviennent  les  mi- 
sérables victimes  de  l'humaine  fragilité. Com- 
bien,après  s'être  fait  un  plan  de  vie  plus  régu- 
lière et  plus  chrétienne,  démentent  parleur 
légèreté  ce  bienheureux  système!  Combien 
d'âmes  pénitentes,  même  des  plus  ferventes, 
après  avoir  eu  le  courage  d'élever  à  grand 
fruit  le  précieux  édifice  de  la  conversion  et 
du  salut,  le  laissent  honteusement  tomber  en 
ruine,  faute  de  veillera  l'entretenir  et  aie  for- 
tifier? Combien  après  plusieurs  années,  et 
peut-être  toute  une  vie  de  ferveur  et  de  sain- 
teté, se  sont  trouvés  les  mains  vides  à  la  mort, 
par  un  relâchement,  par  un  dégoût,  et  s'arra- 
chent la  couronne  de  justice  par  une  négli- 
gence et  par  une  infidélité  finale  ! 

Mais  enfin  il  faut  'finir,  je  n'ose  arrêter 
plus  longtemps  les  yeux  sur  cet  abîme,  il 
donne  trop  de  frayeur;  je  le  dis  à  la  face  des 
saints  autels,  sous  les  yeux  de  Jésus-Christ, 
avec  Jésus-Christ  même  •  beaucoup  d'appe- 
lés ,  multi  vocati;  mais  si  vos  cœurs  ne 
changent  pas,  si  vos  mœurs  ne  deviennent 
plus  épurées,  votre  vie  plus  conforme  à 
votre  divin  chef,  h  votre  grand  modèle  : 
Peu  d'élus,  peu  d'heureux,  peu  qui  ar- 
rivent au  royaume  de  Dieu  :  pauci  vero 
electi. 

Que  conclure  de  celte  terrible  vérité,  mes 
frères?  Est  ce  de  nous  dire  :  Pourquoi  prê- 
cher aux  fidèles  un  dogme  si  effrayant!  Mais 
accusez-en  donc  les  prophètes,  les  Pères  de 
l'Eglise,  et  Jésus-Christ  lui-même,  dont  les 
lumières  pénétrantes  connaissaient  si  bien 
le  besoin  qu'ont  les  peuples  d'être  souvent 
réveillés  d'un  assoupissement  si  funeste  ? 
Ah!  que  ne  la  fait-on  entendre  aux  riches 
et  aux  grands,  cette  vérité  si  terrible? Que  ne 
fait-on  gronder  sur  les  plus  hautes  têtes  du 
monde,  ce  tonnerre  divin,  et  dans  tous  les 
lieux  où  l'on  sait  bien  qu'on  n'annonce  guère 
cette  épouvantable  vérité  aux  pécheurs,  sans 
qu'elle  les  ramène,  au  moins  pour  quelques 
moments,  à  eux-mêmes  et  à  Dieu. 

La  conséquence  que  vous  devez  tirer  ici , 
mes  frères,  n'est  donc  pas  de  blâmer  le  zèle 
de  ceux  qui  viennent  vous  prêcher  le  petit 
nombre  d'élus,  mais,  c'est  de  vous  séparer 
des  mœurs  corrompues  du  siècle,  c'est  de 
mettre  à  couvert  votre  innocence,  et  de  vous 
faire  un  asile  comme  les  âmes  choisies,  con- 
tre les  attaques  et  la  contagion  de  ce  monde; 


573 


CAREME.  —  SERMON  XXII ,  CONTRE  LES  RECHUTES. 


$7i 


c'est  (-le  chercher  et  de  suivre  les  traces  des 
saints,  dont  vous  avez  entre  les  mains  et 
sous  les  yeux  la  vie  et  les  exemples  ;  c'est 
de  vous  rassurer  par  la  singularité  de  vos 
vertus  et  de  votre  ferveur,  contre  les  mal- 
heurs du  grand  nombre,  en  un  mot,  rangez- 
vous,  dit  un  Père  de  l'Eglise,  avec  le  petit 
nombre  :  Esta  de  numéro  paucorum.  Vous 
juges,  vous  prêtres,  vivez  comme  Aaron  et 
comme  Josias,  car  ces  grands  hommes  étaient 
du  petit  nombre  :  Esto  de  numéro  paucorum. 
Vous,  femmes  et  filles  chrétiennes,  vivez 
comme  les  Judith  et  les  Esther,  car  (es 
femmes  fortes  sont  du  petit  nombre  :  Esto  de 
numéro  paucorum.  Voilà  l'effet  que  doit  pro- 
duire dans  vos  cœurs  cette  vérité  terrible  : 
peu  d'élus.  Quand  vous  nous  demanderez  : 
qui  sera  donc  sauvé?  faites  tous  vos  efforts, 
vous  répondrons-nous  avec  Jésus-Christ, 
pour  être  du  petit  nombre  :  Si  la  porte  du 
ciel  est  étroite,  faites-vous  violence,  s'écric- 
t-il,  pour  y  entrer  .  Ah  !  jusqu'à  quand  donc 
pourriez-vous  demeurer  dans  l'indolence, 
dans  la  mollesse  et  dans  la  voie  large,  lors- 
que le  Seigneur  vous  annonce  par  ma  bou- 
che ces  vérités  terribles?Ne  remportefez-vous 
donc  de  ce  discours  que  votre  arrêt  et  votre 
condamnation?  J'ai  meilleure  confiance  en 
vous,  mes  frères  :  Confido  meliora;  j'espère 
qu'aulieu  de  vousamuserà  raisonnercomme 
on  fait  d'ordinaire,  sur  votre  élection,  dont 
la  justice,  la  miséricorde  et  la  grandeur  de 
Dieu  ont  droit  de  vous  faire  un  mystère, 
vous  travaillerez  par  vos  œuvres  à  vous  l'as- 
surer. C'est  à  vous  à  croire,  à  espérer  et  à 
craindre,  et  non  point  à  Jouter,  à  critiquer  et 
h  murmurer.  Ne  vous  reposez  point  si  indo- 
lemment, par  une  vaine  confiance  de  votre 
bienheureuse  élection;  n'en  désespérez  point 
non  plus  par  pusillanimité,  mais  si  pour 
voire  consolation  vous  rappelant  ce  que  le 
Seigneur  nous  dit  dans  ses  Ecritures,  qu'il 
se  convertira  à  vous,  si  vous  vous  conver- 
tissez à  lui,  vous  en  concluez  que  l'élection 
n'est  pas  vaine,  mais  seulement  qu'elle  est 
rare  :  non  nullus,  sed  rarus  electorum  mime- 
ras. Que  ce  soit  pour  vous  un  motif  de  re- 
doubler votre  travail  et  votre  vigilance,  ai- 
mez à  vous  donner  à  toutes  les  marques  les 
moins  équivoques  de  sainteté,  et  dans  les 
signes  véritables  que  vous  vous  donnerez  de 
conversion,  de  pénitence  et  de  componction, 
joignez-y  tous  les  caractères  essentiels  d'un 
changement  sincère  et  effectif ,  qui  sont  de 
quitter  tout  péché,  de  pratiquer  toute  jus- 
tice, et  de  l'aimer  avec  persévérance;  après 
cela,  déchargez-vous  avec  confiance  dans  le 
sein  de  Dieu;  mettez  votre  sort  entre  ses 
mains  divines. 

Nous  le  faisons  aujourd'hui,  Seigneur,  et 
vous  seul  serez  désormais  notre  asile;  nous 
l'avouons  en  tremblant  devant  vous,  vous 
seul,  comme  maître  de  notre  destinée,  pou- 
vez nous  perdre  ou  nous  sauver,  nous  ren- 
dre malheureux  dans  le  fond  des  enfers  ou 
nous  enivrer  pour  jamais  dans  le  ciel  de  vos 
délices  ineffables,  'il  y  a  tant  d'années  que 
uous  sommes  séparés  de  vous  par  nos  crimes! 
quand  nous  en  rapproeherez-vous  par  vos 


miséricordes?  voussubsisterezéterneilement, 
et  avec  vous  votre  compassion,  votre  ten- 
dresse, vos  mérites.  Ah!  ne  soyez  pas  insen- 
sibles aux  malheurs  qui  nous"  menacent,  et 
ne  permettez  pas  que  les  plus  nobles, quoique 
les  plus  rebelles,  de  vos  ouvrages  périssent 
par  leur  faute,  mais,  comblés  de  vos  grâces 
et  de  vos  faveurs,  faites  que  nous  en  profi- 
tions pour  notre  salut!  Dieu  de  bonté,  nous 
sommes  inconsolables  de  n'avoir  fait  servir 
tant  de  secours  et  de  bienfaits  qu'à  vous  of- 
fenser par  nos  infidélités,  et  nous  n'osons 
plus  vous  en  demander  de  nouveaux;  il  vous 
en  a  tant  coûté  pour  nous  racheter,  quand 
nous  étions  vendus  au  démon ,  pour  nous 
sauver  lorsque  nous  étions  perdus,  pourriez- 
vous  encore  consentir  à  nous  perdre? 

O  bonté  divine,  enlevez-nous,  miséricorde 
ineffable,  regardez-nous,  grâce  puissante, 
cherchez-nous ,  salut  du  monde,  sauvez-nous, 
sagesse  incréée,  dites  à  notre  âme  :  Je  suis 
ton  Dieu,  ta  félicité,  ton  bonheur,  enfin  faites 
de  votre  peuple  vos  héritiers,  afin  qu'après 
avoir  vécu  sur  la  terre  en  parfaits  chrétiens, 
en  véritables  pénitents,  en  justes  persévé- 
rants, notre  sort  soit  de  vous  aimer,  de  vous 
louer  et  de  régner  éternellement  avec  vous 
dans  l'immensité  de  votre  gloire;  c'est,  mes 
frères,  ce  que  je  vous  souhaite.  Amen. 

SERMON  XXII. 

CONTRE  LES  RECHUTES. 

Venit  nox  quando  nemo  potest  operari.  (Joan.,  IX.) 
Vient  une  nuit  où  personne  n'a  pu  travailler. 

Quelle  est  donc  cette  nuit  si  affreuse,  mes 
frères?  C'est,  dit  saint  Chrysostome,  l'état 
d'une  âme  infidèle  qui  retombe  souvent  dans 
le  péché,  qui  vieillit  dans  cette  inconstance 
malheureuse  que  je  reproche  aujourd'hui  au 
peuple  Juif  et  que  je  viens  retracer  ici  à  vos 
yeux. 

Hélas  1  c'est  aujourd'hui  le  grand  désordre 
de  l'Eglise  sur  lequel  ses  ministres  gémis- 
sent sans  pouvoir  se  consoler  :  on  ne  voit 
partout  que  des  âmes  flottantes,  incertaines, 
variables,  inconstantes,  que  tout  agite  et  que 
rien  ne  fixe,  qui,  n'osant  mettre  tout  leur 
bonheur  en  Dieu  et  ne  le  pouvant  trouver 
dans  les  créatures,  passent  tour  à  tour  de 
l'un  à  l'autre  sans  s'y  arrêter;  jamais  d'accord 
avec  elles-mêmes;  trop  lâches  pour  s'arrêter 
dans  le  bien,  trop  inconstantes  pour  demeu- 
rer dans  le  mal;  qu'une  impression  de  piété 
ramène  aujourd'hui  à  Dieu,  qu'un  attrait  de 
justice  reportera  demain  vers  le  monde;  tou- 
jours prêtes  à  retourner  au  gré  de  leurs  pas- 
sions volages,  ébranlées  aux  moindres  me- 
naces du  Seigneur,  gagnées  par  les  premiers 
appâts  du  siècle,  sur  qui  Dieu  ne  peut  comp- 
ter, qui  ne  peuvent  compter  sur  elles-mêmes,  i 
Oui,  examinez  tous  les  âges,  tous  les  états, 
depuis  ceux  qui  occupent  les  premières 
places  jusqu'à  ceux  qui  tiennent  le  dernier 
rang  :  on  ne  trouve  plus  aujourd'hui  de  vertu 
stable,  de  solide  piété,  plus  de  conversion 
véritable;  on  ne  se  contente  pas  d'aller  à 
Dieu  d'un  pas  chancelant  :  à  peine  est-on  ar- 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  St'RIAN. 


976 


rivé  à  lui  qu'on  l'abandonne,  si  on  pleine 
ses  péchés,  un  moment  après  on  revient  à 
une  vie  plus  digne  encore  de  pleurs;  on  se 
relève  et  on  retombe,  on  brise  ses  liens  et 
on  les  renoue.  Si  quelquefois  on  a  honte  de 
son  état,  bientôt  après  on  est  honteux  de  sa 
honte  même:  nous  sommes  dans  le  chemin 
de  l'iniquité,  et  tout  d'un  coup  il  semble 
qu'une  main  secrète  nous  rejette  dans  la 
bonne  voie,  le  bien  et  le  mal  ne  sont  sépa- 
rés en  nous  par  aucun  milieu  sensible;  enfin 
dans  toute  notre  vie  ce  n'est  qu'un  cercle 
monstrueux,  qu'une  succession  déjWorable, 
qu'une  alternative  continuelle  de  désordres 
et  de  pénitence,  de  conversion  éclatante  et  de 
rechutes  arrivés  le  même  jour;  nous  nous 
abattons  sans  cesse  et  nous  nous  relevons  de 
même,  et  nous  sommes  presque  pénitents  et 
pécheurs  à  la  même  heure. 

Hélas  1  qu'un  tel  état  est  triste,  qu'un  tel 
pécheur  est  malheureux,  qu'il  est  peu  j  rôpre 
au  royaume  de  Dieu,  selon  Jésus-Christ 
même!  Chrétiens,  cet  état  est  le  voire  1  vous 
ne  le  sentez  pas,  et  le  Seieneurm'inspire  de 
vous  l'apprendre  aujourd'hui.  Vous  verrez 
(loue  dans  la  première  partie  de  ce  discours 
le  crime  de  vos  rechutes  et  que  rien  n'est 
plus  énorme;  je  vous  en  montrerai  dans  la 
seconde  les  malheurs  et  que  rien  n'est  plus 
déplorable. 

Ah!  si  par  l'horreur  de  ces  images  je  pou- 
vais guérir  un  si  grand  mal,  si  je  pouvais 
donner  à  votre  cœur  inconstant  un  peu  plus 
de  fermeté  dans  la  vertu  et  arrêter  pour  tou- 
jours Jésus- Christ  dans  ces  âmes  dont  il  sort 
avec  tant  de  peine,  quel  avantage  ne  serait- 
ce  pas  pour  vous,  mes  frères,  et  quel  fruit 
plus  doux  et  plus  consolant  pourrais-je  at- 
tendre de  mon  ministère!  .Mais  c'est  là  votre 
ouvrage,  ô  mon  Dieu!  Daignez  nous  regar- 
der en  pitié  1  nous  vous  en  conjurons,  par 
l'intercession  de  votre  sainte  mère  à  qui  nous 
allons  dire.  :  Ave,  Maria. 

PREMIER  POINT. 

L'homme,  dit  saint  Augustin,  a  comme  trois 
dettes  indispensables  qiril  lui  faut  paver  cha- 
que jour  et  dont  il  ne  doit  jamais  manquer 
Oe  s'acquitter:  l'une  l'engage  à  Dieu,  et  il 
lui  doit  la  li  iélité,  l'autre  l'engage  envers 
lui-même  et  il  se  doit  la  sainteté;  la  dernière 
l'engage  envers  le  prochain  et  ce  qu'il  lui 
doit,  c'est  le  bon  exemple. 

Que  votre  rechute  a  donc  d'énormité,  pé- 
cheurs, puisqu'elle  viole,  anéantit  et  rejette 
ces  trois  devoirs  :  à  l'égard  de  Dieu,  c'est 
l'infidélité  la  plus  criante  ;  à  l'égard  de  vous- 
mêmes,  c'est  la  plus  énorme  profanation;  à 
l'égard  du  prochain,  c'est  le  plus  affreux 
scandale.  Qui  ne  frémirait  à  la  vued'un crime 
si  énorme  et  qui  mérite  les  plus  affreux  sup- 
plices? 

^  Et  ne  dites  point  :  Je  suis  léger,  volage , 
c'est  tout  le  mal  de  mon  cœur;  je  suis  plus 
ignorant  que  coupable,  j  lus  faible  que  per- 
fi  le  et  je  suis  plus  à  plaindre  qu'a  condamner. 
Arrêtez  ici  et  ne  vous  faites  pas  à  vous-même 
illusion,  car  de  là  pouvaient  venir  vos  pre- 
rhiers  péchés,  je  1  avoue,  mais  de;  uis  que 


vous  avez  promis  de  n'y  plus  retomber,  que 
vous  en  avez  obtenu  le  pardon,  une  lumière 
céleste  descendant  sur  votre  aveuglement 
vous  a  éclairé  et  vous  avez  découvert  le  vide 
de  ces  richesses,  Je  néant  de  ces  honneurs, 
le  péril  de  ces  as.vemblées  mondaines,  la  faus- 
seté de  ces  plaisirs  que  regoûte  une  âme, 
toute  la  profondeur  de  l'abîme  vous  était 
connu  quand  vous  y  êtes  retombé;  vous  étiez 
un  pécheur  bien  instruit  sur  tout  ce  que  le  Sei- 
gneur a  d'aimable  et  le  siècle  de  méprisable; 
ayant  fait  comparaison  de  ce  qu'a  la  religion 
de  sage  et  le  monde  d'insensé,  vous  aviez  pro- 
mis la  préférence  au  Seigneur  et  vous  la 
donnez  aux  créatures;  vous  aviez  juré  fidé- 
lité au  premier  et  vous  la  donnez  au  dernier, 
enfin  vous  êtes  retumbé  les  yeux  ouverts  et 
votre  rechute  est  moins  ignorance  que  ma- 
lice. 

Mais  si  je  retombe  dans  le  péché,  dites- 
vous,  c'est  que  je  suis  d'un  caractère  chan- 
geant :  ce  que  je  suis  dans  mon  salut  je  le 
suis  dans  tout  le  reste.  Mon  Dieu  qu'un 
pareil  langange  jette  de  l'erreur  dans  mon 
âme  !  Ah  !  ce  n'est  pas  là  ce  qui  parait  dans 
toute  votre  conduite  :  vous  haïssez  infini- 
ment quand  vous  voulez.  Songez-vous  à  par- 
venir, votre  ambition  est  insatiable;  voulez- 
vous  plaire,  vous  tentez  toutes  les  voies.  Ah! 
vous  jurez  d'ètie  content  jusqu'au  tombeau 
quand  vous  aimez  :avez-vous  des  habitudes, 
elles  ne  finissent  point,  vous  avouez  que 
rien  ne  peut  les  rompre;  quand  vous  vous 
plaignez  de  votre  inconstance,  nous  nous 
plaignons  de  votre  fermeté:  vous  avez  la  ré- 
putation d'un  homme  qui  se  montre  infati- 
gable dans  l'exécution  de  ses  projets,  que 
rien  ne  rebute.  Quiconque  vous  connaît  juge 
de  votre  conduite  qu'elle  ne  se  dément  jamais 
et  qu'en  vous  il  ne  faut  point  craindre  lo 
changement. 

Mais  quoi  !  le  péché  aura  toutes  vos  forces, 
toute  votre  fermeté,  toute  votre  constance, 
et  Dieu  seul  et  votre  salut  n'auront  rien  que 
vos  dégoûts,  que  vos  variations,  que  vos 
défaillances!  Ce  partage  est-il  juste,  si  quel- 
que chose  a  droit  de  vous  fixer,  est-ce  au 
vice  à  le  faire,  n'est-ce  point  à  la  vertu? 
Que  faut-il  autre  chose  que  l'immutabilité 
de  notre  Dieu  et  l'attrait  de  ses  biens  si  so- 
lides et  si  nobles  pour  y  fixer  des  chrétiens 
comme  à  leur  centre. 

Ah  !  mon  Dieu,  je  le  reconnais  maintenant, 
par  quelque  endroit  que  j'envisage  mes  fai- 
blesses, elles  sont  très-énormes,  en  vain 
je  voudrais  m'en  excuser,  je  ne  puis  |  lus 
ignorer  que  je  suis  inexcusable;  non,  ni 
le  monde  qui  me  domine  ne  peut  me  servir 
d'excuse  :  combien  de  fois  ai-je  méprisé 
ses  lois  par  vanité  ou  par  caprice;  ni  l'exem- 
ple qui  me  tente  et  me  séduit,  combien  de 
fois  lui  ai-je  résisté  quand  il  s'agissait  de 
mon  plaisir  ou  démon  intérêt;  non,  je  ne 
veux  plus  y  chercher  des  prétextes,  mon 
cœur  tout  seul  est  infidèle,  ah  !  changez-le 
ce  cœur,  ô  mon  Dieu,  David  une  fois  tombé 
dans  le  crime  vous  demande  de  l'attendrir 
à  la  vue  de  ce  scandale,  mais  après  sa  re- 
>  hute  il  vous  prie  de  lui  donner  un  nouveau 


917 


CAREME. 


SERMON  XXII,  CONTRE  LES  RECHUTES. 


578 


cœur  et  d'en  substituer  un  autre  à  la  place 
du  sien  :  Cor  mundum  créa  in  me,  Dcits. 
(Psal.  L.)  Votre  rechute,  mes  frères,  à  l'é- 
gard de  Dieu  est  l'infidélité  la  plus  criante, 
elle  est  encore  à  l'égard  de  votre  miséricorde 
la  plus  énorme  profanation. 

Vous  le  savez,  la  mesure  du  désordre  se 
prend  de  la  mesure  de  sainteté  qu'on  avait, 
et  plus  la  sainteté  de  laquelle  on  déchoit 
était  sublime,  plus  la  profanation  qu'on  en 
fait  a  d'horreur  ;  or,  songez  à  l'état  excellent 
d'où  vous  êtes  tombés  :  Mcmor  eslo  unde 
txcideris  ;  par  votre  réconciliation  vous 
étiez  devenu  le  temj  le  de  Dieu  purifié, 
son  image  réparée ,  son  héritage  recou- 
vré, son  royaume  reconquis,  son  sanc- 
tuaire révélé,  la  pénitence  vous  avait  rendu 
un  homme  ressuscité,  un  enfant  réconcilié, 
un  membre  revivant  dans  l'union  du  corps 
mystique  de  l'Eglise.  Jésus-Christ  avait  fait 
un  heureux  écoulement  sur  vous  de  ses  lu- 
mières, il  s'était  fait  entre  vous  et  lui  une 
communication  toute  divine  de  grâce  et  de 
sainteté,  de  mérite  et  de  gloire,  rempli  de 
son  esprit  :  on  ne  voyait  rien  sur  la  terre  de 
plus  grand,  de  plus  noble  et  de  plus  pré- 
cieux que  vous.  Ah  !  était-ce  assez  d'un 
cœur  pour  tant  de  grâces?  Or  par  notre  re- 
chute nous  opposons  à  cet  état  si  noble  et 
si  saint  le  plus  funeste  de  tous  les  obstacles  : 
par  elle  le  temple  de  Dieu  se  trouve  souillé, 
son  sanctuaire  déshonoré,  son  alliance  rom- 
pue, par  elle  vous  arrachez  de  son  corps 
mystique,  qui  est  l'Eglise,  des  membres  en- 
core tout  sanglants  de  leurs  plaies,  vous 
anéantissez  tout  le  fruit  de  ses  grâces  et  de 
ses  mérites,  vous  profanez  la  sainteté  de 
ses  mystères  et  rejetez  les  profusions  de  ses 
plus  grandes  miséricordes.  Ah!  contre  un 
tel  abus  il  faudrait  des  anathèmes  et  non 
des  instructions,  des  foudres  accablants  plu- 
tôt que'  des  avertissements  charitables. 

Mais  pourquoi  nous  plaindre  de  votre 
conduite,  nous  lâches  ministres  qui  sommes 
cause  de  vos  malheurs  ?  Pourquoi  sommes- 
nous  si  faciles  à  vous  accorder  des  trésors  si 
précieux  sur  quelques  soupirs  échappés, 
sur  quelques  protestations  passagères,? 
Pourquoi  répandre  sitôt  sur  vos  têtes  humi- 
liées les  mérites  du  sang  de  Jésus-Christ 
et  vous  faire  si  légèrement  un  présent  de  son 
corps?  Pourquoi  jeter  le  pain  de  vie  à  celui 
qui  retourne  sitôt  à  son  vomissement?  Un 
délai  salutaire  aurait  affaibli  peu  à  peu  vo-- 
tre  mauvaise  habitude  et  vous  aurait  accou- 
tumé à  la  pratique  de  la  vertu.  Nous  avons 
fait  en  vous  par  notre  facilité  à  vous  accor- 
der l'absolution,  d'un  crime  un  sacrilège,  et 
comme  si  cette  offense  n'était  cas  encore 
assez  horrible  par  un  nouvel  atffntat,  nous 
avons  ajouté  au  sacrilège  un  déicide;  car 
quel  autre  nom  donner  au  péché  de  celui 
qui,  lavé  dans  le  bain  sacré  de  la  pénitence 
et  rassasié  de  la  chair  délicieuse  de  Jésus- 
Christ,  retombe  sitôt  dans  son  crime;  de  ce- 
lui qui  fait  une  alliance  monstrueuse  en 
retombant  de  la  chair  toute  sainte  d'un  Dieu 
avec  la  chair  impure  d'un  pé  heur  qui,  pro- 
fanant tous  les  attributs  différents  de  la  Di- 


vinité, sa  sainteté  qu'elle  souille,  sa  gloire 
qu'elle  ternit,  sa  majesté  qu'elle  avilit,  sa 
miséricorde  qu'elle  blesse,  son  amour  qu'elle 
insulte,  sa   vérité  qu'elle  dément,  elle  cru- 
cilié  Jésus-Christ  derechef  et  le  fait  mourir 
après  sa  mort  même!  Ah!  cœurs  infidèles,  si 
une  seconde  rechute  de  l'arche  sainte  éta't 
autrefois  appréhendée  parmi  les  Juifs  parce 
qu'elle  renfermait  le  propitiatoire,  les  tables 
Je  la  Loi,    la   manne  et  qu'elle  était  plus 
pleine  de  la  majesté  de  Dieu  que  tout  autre 
endroit  de  la  terre,  quels  malheurs  ne  me- 
nacent pas  la  rechute   de  celte  âme  incon- 
stante qui,  après  avoir  servi  d'arche  vivante 
au  Seigneur  la  rejette  et  l'éloigné,  qui  après 
les   lois    divines   qui   l'avaient   éclairée,  la 
propitiation  qui  l'avait  réconciliée,  le  pain 
sacré  qui  l'avait  nourrie,   le  germe   de   la 
grâce  qui  avait  en  elle  ressuscité,  les  dou- 
ceurs de  la  piété  qui  l'avaient  consolée,  en 
fin  toute  la  religion  et  avec  Jésus-Christ  ce 
qu'il  y  avait  de  plus  sacré,  de  plus  auguste, 
de  plus  précieux  dans  le  ciel  et  sur  la  terre 
retombe  encore  dans  son  bourbier,  et  rede- 
vient comme  auparavant  le  temple  du   dé- 
mon et  la  sombre  demeure  de  l'ennemi  de 
son  salut  et  de   son  Dieu.  Mais  comment, 
chrétiens  lâches,  votre   esprit  n'est-il   pas 
devenu  stupide  en    abandonnant  ainsi  les 
maximes  de  la  foi?  Comment  votre  cœur  n'a- 
t-il  pas  séché  quand  de  nouveau  vous  avez 
aimé  le  crime?  Avez-vous  pu  vous  résou- 
dre aisément  à  passer  du  bien  souverain  au 
mal  suprême?  Ah  !  comment  dans  ces  pre- 
miers pas  la  force  ne  vous  a-t-elle  pas  man- 
qué  pour  retourner  au  crime?  Avez-vous 
bien  pu  soutenir  les  gémissements  de  l'Es- 
prit-Saint  qui  vous   faisaient  sentir  si  vi- 
vement votre  inconstance  ?  Avez  vous  bien  pu 
vous  retenir  contre  les  cris  de  ce  sang  profané 
qui  vous  reprochait  votre  infidélité,  contre 
les  tendres  efforts  d'un  Dieu  qui  se  plai- 
gnait de  votre  ingratitude,  et  enfin,  retour- 
nant après  que  vous  l'avez  chassé,  n'a-t-il 
pas  laissé  dans  votre  âme  le  saisissement  ; 
enfin  accoutumé  déjà  au  langage  de  Jésus- 
Christ,  à  son  amour,  à  ses  consolations,  à 
ses  joies  si  pures  et  si  parfaites,  avez-vous 
pu  dans  le  crime  parler,  encore  aimer,  vous 
réjouir,  encore  vivre,  et  après  avoir  goûté 
tant  de  douceurs  avec  un  Dieu  si  aimable, 
comment  tout  le  reste  ne  vous  est-il  pas  un 
tourment  et  la  mort  môme? 
-Mais  ajoutons  que  cette   rechute  déjà  si 
fatale  au  pénitent  ne  l'est  pas  moins  à  l'im- 
pie :  c'est  une  nuit  qui  se  joint  à  une  autre 
nuit.  Il  sert  bien  peu  de  se  relever  puisqu'il 
faut  sitôt  retomber  ;  il  faut  au  contraire  que 
ce  monde  soit  pourtant  bien  aimable  puis- 
qu'on y  retourne  sitôt  comme  au  meilleur 
de. tous  les  maîtres,  et  si  on  voulait  les  dé- 
tromper ils  en  appellent  à  votre  expérience. 
Et  comment  donc  prétendre  les  désabuser 
de  la  fausse  idée  qu'ils  s'en  forment?  Us 
nous  disent  :  Ah!  vous  nous  vantez  tant  les 
!  laisirs  qu'on  trouve  avec  Dieu  et  dans  la 
voie  de  la  vertu.  Ah  !  ceux  qui  en  ont  goûlé  !e 
plus,  qui  nous  y  paraissent  les  plus  attachés 
sont  les  infidèles  et  les  plus  prêts  à  les  quit- 


Ç79 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SURiAN 


9S0 


ter  lEccequiserviant einonstabilessunt.  (J  b, 
IV.)  Comment  la  pénitence  aurait-elle  tant  de 
douceurs  et  de  consolations  qu'on  le  dit,  et 
comment  tous  les  vrais  plaisirs  ne  vien- 
draient-ils que  du  service  de  Dieu?  Vanus 
est  qui  servit  Deo  (Malach.,  III)  ;  si  cela  était, 
ceux  qui  sont  à  son  service  l'abandonneraient- 
ils  si  légèrement  et  l'homme  marquerait-il 
tant  d'inconstance  et  de  variations  dans  la 
pratique  de  ses  commandements?  Ecce  qui 
serviunt  ci  non  sunt  slabiles. 

De  là  cet  aveuglement  déplorable  et  scan- 
daleux où  ils  tombent  :  ils  se  défient  de  no- 
tre religion  sainte,  s'imaginent  que  la  péni- 
tence n'est  qu'une  chimère,  et  soupçonnent 
qu'il  n'y  a  point  de  vraie  conversion  en 
voyant  la  vôtre  si  fausse  et  si  vaine;  ils  se 
disent  que  la  même  légèreté  qui  fait  le  pé- 
cheur fait  aussi  le  pénitent;  qu'au  fond  la 
piété  n'est  qu'un  langage  et  un  jeu,  et  plutôt 
l'effet  d'une  inconstance  naturelle  que  le 
mouvement  et  l'inspiration  de  Dieu.  Que 
sais-je  encore  ce  qu'ils  peuvent  dire?  au- 
tant de  paroles  qu'ils  profèrent  sont  autant 
de  blasphèmes.  Ce  ne  sont  que  de  vaines 
excuses,  je  l'avoue;  mais  ce  sont  vos  rechu- 
tes qui  y  donnent  lieu  et  qui  les  autorisent  ; 
et  plus  leur  erreur  est  monstrueuse,  plus 
vous,  qui  la  causez,  êtes  coupables  :  Re- 
dite, pr<evurîcatures,  ad  cor  (Isa.  XLYI).  Vo- 
tre conversion  est  une  justice  que  vous  de- 
vez à  Dieu,  un  avantage  que  vous  vous  de- 
vez à  vous-même,  un  secours  que  vous  de- 
vez au  prochain  ;  montrez  à  l'impie,  par 
votre  persévérance,  ce  que  vous  sentez  au 
fond  du  cœur,  et  lui  prouvez,  par  votre  at- 
tachement inviolable  qu'on  ne  peut  se  pas- 
ser de  Dieu.  Et  de  quel  œil  ce  Dieu  aimable 
pourrait-il  voir  ces  mains,  qui  l'implorent 
par  la  prière,  levées  contre  lui  par  la  re- 
chute; celte  bouche,  qui  tant  de  fois  a  invo- 
qué son  saint  nom,  s'ouvrir  contre  lui  par 
des  paroles  de  blasphème  ;  ce  cœur  qui 
tant  de  fois  lui  avait  été  promis,  et  sur  le- 
quel il  a  tant  de  droit  de  venir  en  proie  à 
l'ennemi  qui  l'insulte  par  son  triomphe? 
Epargnez-lui  la  honte  et  la  douleur  que  lui 
causent  vos  rechutes.  Peut-être  direz-vous 
que  le  courage  de  revenir  à  Dieu  vous 
manque;  mais  il 'devait  bien  plutôt  vous 
manquer  quand  il  s'agissait  de  le  quitter. 
Que  toutes  vos  forces  se  réunissent  ici  ;  ra- 
massez tout  votre  cœur  pour  revenir  à  lui  : 
Redite,  prœvaricatores  ,  ad  cor  in  toto  corde 
veslro.  (  lbid.  )  Vous  le  voyez,  vous  le  sen- 
tez, tous  les  autres  péchés  sont  renfermés 
dans  le  péché  de  rechute,  mais  après  vous 
avoir  fait  voir  son  énormité,  instruisez-vous 
de  ses  malheurs;  c'est  le  sujet  de  ma  se- 
conde partie. 

SECOND   POINT. 

Soit  que  vous  rappeliez  le  passé  en  vous- 
même,  soit  que  vous  soyez  attentifs  au  pré- 
sent ou  que  vous  portiez  vos  vues  jusque 
dans  l'avenir,  la  rechute  ne  vous  offre  que 
des  images  lamentables  :  elle  rend  votre  péni- 
tence passée  inutile  ou  suspecte;  elle  vous 
remplit  d'inquiétude  pour  le  présent,  et  vo- 


tre situation  présente  ne  vous  offre  rien  que 
de  sinistre  pour  l'avenir;  en  sorte  que  pa-r 
la  rechute,  on  ne  sait  ce  qu'on  a  été  ni  ce 
qu'on  est,  ni  ce  qu'on  deviendra  ;  quel  état  a 
donc  plus  d'horreur  et  renferme  plus  de 
malheurs  ? 

J'ai  dit  :  1°  que  la  rechute  dans  le  péché 
rend  votre  pénitence  passée  bien  suspecte, 
et  qu'elle  donne  lieu  de  présumer  que  votre 
conversion  n'avait  point  été  sincère.  Au 
reste,  ne  croyez  pas  qu'une  exagération  qui 
ne  tend  qu'à  alarmer  vos  consciences  soit 
l'objet  de  tous  mes  vœux  :  j'avoue  qu'être 
inconstant  n'est  pas  être  impeccable;  qu'il  y 
a  des  rechutes  de  faiblesse  qui  succèdent  à 
des  conversions  de  bonne  foi,  et  qu'on  peut 
encore  commettre  un  crime  dont  en  s'est 
déjà  confessé  ;  mais  j'assure  que  la  rechute 
au  péché  a  quelquefois  des  circonstances  si 
peu  favorables,  qu'il  est  bien  à  craindre  que 
ceux  qui  l'ont  commise  ne  la  quittent  ja- 
mais, et  que,  si  elle  n'est  pas  une  preuve  in- 
faillible que  la  conversion  précédente  soit 
fausse,  elle  en  donne  du  moins  d'assez 
grands  soupçons. 

On  vrai  pénitent  doit  avoir  une  crainte 
continuelle  d'offenser  derechef  son  Dieu,  et 
une  haine  parfaite  de  l'avoir  offensé;  toute 
son  âme  se  soulève  contre  le  péché;  elle  se 
trouble  à  la  vue  de  l'objet  pii  peut  la  faire 
retomber  sur  lui  ;  tout  ce  qui  le  captivait 
autrefois  n'a  plus  d'empire  ;  et  comment 
voudriez-vous  lui  en  trouver?  mais  vous 
qui  vous  exposez  à  toutes  les  occasions  et 
qui  succombez  à  la  moindre,  êles-vous  du 
nombre  de  ces  pénitents?  se  redonne-t-on 
si  facilement  à  ce  qu'on  haïssait  d'une  haine 
sans  égale?  y  aurait-il  donc  deux  cœurs  dans 
un  même  cœur,  deux  volontés  dans  la  même 
volonté,  ileux  hommes  dans  le  même  homme  , 
un  homme  converti  et  un  homme  pécheur, 
un  cœur  innocent  et  un  cœur  coupable,  une 
sainte  volonté  et  une  volonté  perverse, 
comme  si  deux  choses  si  inaliablcs  pou- 
vaient se  trouver  ensemble?  haïr  et  aimer, 
craindre  et  rechercher,  prendre  et  détester, 
comme  si  ses  deux  ailes  qui  se  choquent  et 
se  combattent  dans  tout  le  reste  devenaient 
d'accord,  compatissantes  et  de  miséricorde  na- 
turelles par  le  péché.  Or,  après  cela,  direz- 
vous  que  la  rechute  ne  rend  pas  votre  péni- 
tence passée  inutile  ou  bien  suspecte?  Si 
vous  avez  pour  vous  la  possibilité,  j'ai  pour 
moi  la  vraisemblance  ;  si  vous  avez  pour 
vous  l'espérance,  j'ai  pour  moi  la  présomp- 
tion ;  vous  croyez  avoir  droit  de  conclure  de 
votre  conduite  passée  que  votre  pénitence 
est  véritable  et-  qu'elle  vous  sera  avanta- 
geuse; et  moi  je  prétends  être  en  droit  d'en 
conclure  <fue  non,  et  qu'elle  vous  doit  être 
au  moins  bien  suspecte  pour  un  endroit 
qui  vous  rassure  sur  votre  pénitence  passée; 
j'en  ai  mille  qui  me  font  trembler  pour  elle, 
et  qui  doivent  comme  moi  vous  effrayer;  et 
lorsqu'il  vous  semble  que  la  règle  est  favo- 
rable pour  vous,  votre  cœur  prononce-t-il 
contre  vous  ? 

Mais  je  veux  que  votre  pénitence  ait  eu 
son  mérite  et  qu'elle  ait  été  sincère  :  hélas! 


OSI 


CAREME.  —  SERMON  XXII,  CONTRE  LES  RECUITES. 


9S3 


votre  reehife  ne  vous  en  cause  que  plus  de 
malheurs;  dès  que  le  juste  retourne  dans  la 
voie  des  pécheurs,  dit  le  Prophète,  toute  sa 
justice  retourne  dans  l'oubli.  Dans  les  pre- 
miers pas  que  vous  aviez  faits  pour  votre 
conversion,  vous  vous  étiez  fait  tant  de  vio- 
lence, vous  aviez  essayé  de  faire  oublier  à 
Dieu  vos  iniquités  passées;  par  des  prières 
ferventes,  par  des  pleurs  si  amers ,  par  des 
regrets  si  cuisants,  par  des  mortifications  si 
rudes,  vous  aviez  eu  le  courage  et  la  force 
de  rompre  des  cbaînes  qui  vous  étaient  chè- 
res; à  l'endroit  de  cet  objet  fatal  dont  vous 
aviez  tant  de  peine  à  vous  déprendre;  mais 
une  fois  retombé,  que  vous  reste-t-il  de 
toits  ces  efforts  salutaires  et  de  toutes  ces 
démarches  de  pénitence,  sinon  une  lutte 
pénible,  un  coin  Liât  douloureux  qui  se  fait 
dans  votre  âme,  ef  qui  vous  fait  dire,  comme 
autrefois  à  l'infortunée  Rébecca  :  Si  sic  mihi 
futurum  crat,  quid  necesse  fuit  concipere. 
(Gcn.,  XXV.) 

Oh  !  que  ne  partais-je  pour  l'autre  monde, 
après  la  grâce  reçue  dans  ma  conversion  ! 
fallait-il  que  je  vécusse  pour  être  un  lâche? 
que  n'ai-je  été  la  victime  heureuse  de  ma 
pénitence  !  que  n'ai.rjc  eu  le  sort  de  ces 
heureux  pénitents  qui,  pour  prix  de  leur 
victoire  et  de  leur  persévérance,  sont  ornés 
d'une  couronne  immortelle!  et  au  lieu  de 
cette  honte  et  de  cette  douleur  que  me  cau- 
sent mon  inconstance  et  mes  rechutes,  je 
jouirais  de  cette  heureuse  tranquillité  que 
l'on  goûte  avec  le  Seigneur;  et,  au  lieu  que 
je  l'ai  perdu  par  ma  légèreté,  je  le  posséde- 
rais par  la  constance  de  mon  amour,  et  tou- 
tes sortes  de  biens  avec  lui  :  Si  sic  mihi  fu- 
turum erat,  quid  necesse  fuit 'concipere. Quelle 
horreur,  mes  frères  1  et  que  le  regard  du 
passé  rend  la  rechute  formidable  !  Mais  la 
vue  du  présent  la  rend-elle  moins  terrible, 
depuis  que  vous  contemplez  votre  état?  n'a- 
vez-vous  point  perdu  la  tranquillité  de  votre 
âme?  n'est-il  pas  vrai  que  vous  êtes  effraye 
de  vous-même?  que  vous  avez  une  confu- 
sion secrète  de  voir  toujours  en  vous  les 
mêmes  misères?  de  sentir  le  cruel  ascen- 
dant que  le  péché  a  sur  votre  cœur?  que 
vous  tombez  dans  une  perplexité  désolante 
de  voir  toujours,  d'un  côté,  vos  devoirs,  et 
toujours  vos  désordres?  de  l'autre,  de  voir 
que  toutes  vos  démarches  se  démentent  et 
se  détruisent?  que  tout  votre  caractère  e;.t 
l'instabilité?  que  votre  état  chancelant  n'est 
qu'une  interruption  successive  de  vices  et 
de  pénitence,  dont  tous  les  moments  sont  si 
rapides,  qu'il  est  impossible  d'y  compter? 
N'est-il  pas  vrai  qu'en  vous  voyant  dans  les 
mêmes  chaînes,  toutes  vos  douleurs  se  re- 
cueillent? que  vous  vous  devenez  à  vous- 
mêmes  un  spectacle  de  pitié,  et,  que  vous 
gémissez  en  secret  de  voir  votre  âme  si  lé- 
gère, de  penser  que  cet  esclavage  de  péché, 
où  vous  assujettissent  vos  rechutes,  vous 
conduit  insensiblement,  par  degrés,  à  une 
vieillesse  déplorable  et  à  une  tin  très-fu- 
neste? n'est-il  pas  vrai  que,rétléchissant  sur 
votre  situation,  vous  avez  honte  d'avoir  un 
coaur  qui  ne  peut  se  souffrir  dans  un  même 


état,  toujours  déplacé,  à"  charge  à  lui-même? 
qui,  sentant  ces  vides  affreux,  parce  que 
Dieu  ne  le  remplit  pas,  va  chercher,  tantôt 
dans  le  vice,  des  inquiétudes  et  des  trou- 
bles, et  tantôt  vient  se  rassurer  dans  la  pé- 
nitence ;  car  c'est  le  caractère  de  l'incon- 
stant de  ne  pouvoir  jamais  demeurer  ni  dans 
l'un  ni  dans  l'autre;  il  en  est  incapable,  et 
vérifie  ces  paroles  de  l'Evangile  :  que  le  dé- 
mon de  la  rechute  a  beau  chercher  du  repos 
en  vous,  il  n'y  trouve  que  des  supplices. 

Avouez-le,  lâches  déserteurs  de  la  péni- 
tence, que  vous  êtes  malheureux.  Oh  1  s'écrie 
un  prophète,  que  vous  vous  êtes  avilis  depuis 
que  vous  avez  réitéré  dans  les  voies  crimi- 
nelles :  Quam  vilis  facta  es  nimis  iterans  vias 
tuas.  (Jercm.,  111).  Ah  1  ce  qui  s'offre  au  de- 
hors de  vous  depuis  votre  rechute ,  vous 
rend-il  moins  misérables  !  Rélas  I  vous  ne 
voyez  plus  que  d'un  œil  triste  ces  premiers 
compagnons  de  votre  communion,  la  vue 
de  ces  sacrés  autels,  confidents  de  vos  prières 
et  de  votre  pénitence,  l'image  de  ce  Sau- 
veur aimable  qui  vous  consolait  tant  dans 
vos  pleurs  et  vos  gémissements, -et  aux  pieds 
duquel  vous  goûtiez  des  consolations  inef- 
fables: tout  cela  vous  reproche  votre  infidé- 
lité, votre  inconstance;  vous  ne  pouvez 
songer  sans  peine  que  vous  n'êtes  plus  qu'un 
anathème  indigne  d'approcher  des  sacre- 
ments, banni  du  temple  même,  et  à  qui  on 
n'ose  plus  confier  le  corps  et  le  sang  de  Jésus- 
Christ,  et  qui  méritez  d'être  chasses  honteu- 
sement et  justement  de  la  table  sacrée;  enfla 
vous  pouvez  vous  appliquer  ces  paroles,  que 
le  Prophète  met  dans  la  bouche  de  l'impie  : 
Non  movebor  a  generatione  in  generationem 
sine  malo  (Psal.  X).  Non,  je  ne  serai  point 
dans  ce  mouvement  perpétuel  qui  fait  passer 
du  crime  à  la  pénitence  et  de  la  pénitence 
au  crime  sans  souffrir  des  douleurs  cui- 
santes ,  sans  sentir  des  maux  violents  :  je 
n'ai  de  l'un  que  la  peine  de  le  quitter, 
et  de  l'autre  que  celle  de  la  conserver:  je 
n'ai  de  consolation  en  cet  état  ni  de  Dieu  ni 
des  hommes  ;  la  grâce  perdue  m'afflige,  et  le 
péché  repris  ne  me  satisfait  point;  le  crime 
quand  je  veux  le  quitter  me  cause  mille  vio- 
lences ,  mille  regrets,  et  la  vertu  quand  je 
veux  y  retourner  ne  m'offre  que  des  coups 
terribles  ;  quand  je  m'arrête  dans  le  mal  je 
n'ai  que  des  inquiétudes  et  des  remords,  et 
quand  je  reviens  à  la  pénitence  ce  n'est  dans 
mon  âme  que  combats  et  violences;  malheu- 
reux par  la  grâce  perdue ,  malheureux  par 
le  péché  repris,  victime  tout  à  la  fois  de  mes 
passions  et  de  ma  conscience  :  Non  move- 
bor, etc. 

Je  vois  d'une  part  la  couronne  promise  a 
ceux  qui  persécutent,  et  de  l'autre  le  glaivo 
fatal  levé  sur  la  tête  des  âmes  inconstantes 
et  légères.  Je  suis  d'un  côté  alarmé  par  les 
jugements  de  Dieu,  si  funestes  à  ceux  qui 
retombent  ;  je  suis  aussi  ébranlé  par  les  juge- 
ments des  hommes  qui  censurent  avec  rai-, 
son  ma  conduite,  qui  critiquent  ma  légèreté, 
qui  insultent  à  mon  inconstance  et  disent, 
avec  dérision  :  cet  homme  avait  commencé 
à  se  convertir,  il  en  avait  fait  quelques  dé- 


383 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SUR1AN. 


084 


marches ,  et  n'a  pu  l'achever,  il  a  laissé  cet 
ouvrage  imparlait  de  toutes  parts,  combats 
et  déchirements  de  cœur  :  dixit  in  corde  suo  : 
Non  movebor  sine  malo,  non,  je  ne  changerai 
point  de  conduite  sans  de  grandes  douleurs. 

Ah!  cœurs  partagés,  âmes  légères,  que  je 
peux  vous  dire  ici  ce  qu'un  prophète  disait 
au  peuple  d'Israël:  optez  donc  et  faites  un 
choix  fixe;  pourquoi  aller  ainsi  des  deux 
côtés  :  si  c'est  Dieu  que  vous  choisissez,  ser- 
vez-le seul  et  vous  attachez  uniquement  à 
lui;  si  c'est  fiaal,  c'est-à-dire  le  monde, 
soyez-lui  fidèle.  Jusques  à  quand  mulli- 
plierez-vous  vos  malheurs  et  pourquoi  en 
voulant  aller  des  deux  côtés  vous  rendez- 
vous  de  part  et  d'autre  doublement  misé- 
rables :  Usquequo  claudicatis  in  duas partes? 
si  Dominus  est  Deus,  sequimini  eum  ;  siautem 
Bml,  sequimini  illum.    (III  Req.,   XVIII). 

Mais  non-seulement  le  passé  vous  inquiète , 
non-seulement  le  présent  vous  trouble,  l'ave- 
nir vous  livre  encore  à  un  atïreux  désespoir: 
desperantes,  dit  l'Apôtre  (Ephes.,  IV);  déses- 
poir du  côté  de  Dieu  et  ducôté  de  vous-même  : 
du  côté  de  Dieu  qui  peut  vous  abandonner 
à  son  tour  comme  vous  l'avez  abandonné, 
du  côté  d'un  Dieu  lassé  de  souffrir  si  long- 
temps vos  abominations  et  vos  infidélités, 
d'un  Dieu  fatigué  de  vos  inconstances , 
de  vous  voir  sans  cesse  retomber  et  sans 
cesse  relever,  d'un  Dieu  qui  ne  voyant  en 
vous  d'autre  attrait  à  ses  grâces  que  du 
mépris  et  d'éternelles  variations,  ne  vous 
laisse  que  les  plus  communes  et  vous  refu- 
sera les  plus  particulières  ;  car  le  cœur  de 
Dieu  se  regagne-t-il  si  facilement  quand  on 
l'a  perdu  par  sa  faute  ?  Parce  qu'il  est  au- 
dessus  de  nous,  doit-il  s'assujettir  à  nos  dé- 
goûts et  à  nos  caprices?  et  cela  est-il  de  sa 
sagesse,  de  sa  grandeur,  de  sa  miséricorde 
môme  ?  non  sans  doute:  Dieu  méprisé  vous 
méprisera  à  son  tour;  n'est  une  doctrine  très- 
catholique,  autorisée  des  conciles  et  des 
Pères  :  que  cette  pierre  précieuse  si  souvent 
perdue  ne  se  retrouvera  peut-être  plus.  Où 
est  le  malade  que  Jésus-Christ  ait  guéri  deux 
fois?  quel  est  le  mort  qu'il  ait  ressuscité  une 
seconde  fois?  Il  est  bien  à  craindre  pour 
vous  que  vous  ne  portiez  toutes  ces  malé- 
dictions de  l'Ecriture  :  maudit  celui  qui  réta- 
blira les  murs  de  l'infidèle  Jéricho;  malheur 
à  celui  qui  retournera  en  arrière  après  avo"ir 
avancé  dans  le  chemin  du  salut  1  Je  vois 
qu'il  y  aura  une  rechute  d'où  vous  ne  vous 
relèverez  plus:  qu'elle  est  terrible!  et  com- 
ment y  penser  sans  sécher  de  frayeur  !  mais 
quelle  est  donc  cette  rechute  si  fatale  ?  est- 
ce  la  dernière  que  vous  avez  faite,  pécheurs? 
est-ce  la  première  que  vous  allez  faire?  in- 
certitude affreuse,  dans  quel  genre  de  péché 
sera  ce  profond  abîme?  Ce  (pie  je  sais,  c'est 
que  la  damnation  éternelle  s'en  suivra. 

Mais  vous  restera-t-il  quelque  ressource 
du  côté  de  vous-mêmes?  et  une  fois  délais- 
sés de  Dieu,  pourrez  -  vous  encore  avoir 
quelque  espérance  en  vous,  qui  êtes  la  fai- 
blesse même,  en  vous  qui  à  force  de  vous 
courber  vers  le  mal,  ne  pourrez  plus  vous 
eu  retirer?   Curatus    sum    usque    in  pnem 


(Psul.,  XXXVII),  dit  le  prophète;  en  vous 
qui  à  force  de  doubler  le  pas,  ne  sau- 
riez plus  marcher;  en  vous  qui  à  force  de 
doubler  les  liens  qui  vous  enchaînent  , 
ne  sauriez  plus  les  rompre.  Non,  pécheurs 
de  rechute,  votre  mal  se  déclare  incurable, 
et  tant  de  plaies  refusent  de  se  guérir:  casus 
tuus  insanabilis  ad  morlem  (Eccli., XXVIII); 
en  vain,  comme  Samson,  vous  direz  :  je  bri- 
serai mes  fers;  à  la  fin  votre  conscience  se 
taira,  vos  remords  se  calmeront,  vous  retom- 
berez dans  le  fond  de  l'abîme  où  vous  n'au- 
rez plus  de  force  et  vous  subirez  tout,  aux 
termes  de  l'apôtre  ,  contre  les  pécheurs  de 
rechute  :  impossibile  est  cos  qui  semel  sunt 
illuminati ,...  et  prolapsi  sunt,  riirsus  re%o- 
vari  ad  pœnitentiam  (Hebr.  VI)  ;  quand  avec 
des  yeux  éclairés  sur  l'éternité  des  peines, 
sur  l'énormité  du  péché,  sur  l'équité  des 
jugements  de  Dieu,  on  a  goûté  une  seule 
fois  le  don  céleste,  c'est-à-dire  ses  consola- 
tions et  ses  grâces  ;  quand  après  avoir  été 
fait  participants  de  son  esprit,  c'est-à-dire 
de  ses  sacrements ,  du  fruit  de  sa  divine  pa- 
role, de  ses  riches  vertus  toutes  aimables, 
de  ses  belles  promesses,  on  est  retombé  dans 
le  péché,  il  est  presque  impossible  et  très- 
difficile  de  s'en  relever  par  la  pénitence  : 
impossibile  est,  etc. ,  et  lorsque  attendris  sur 
vos  malheurs,  nous  nous  écrierons  :  pauvres 
égarés,  revenez  à  votre  Dieu  que  vous  avez 
quitté:  ad  Dominum  revertimini;  revenez  à 
votre  cœur  dont  vos  prévarications  vous  ont 
éloigné  :  redite,  prœvaricatores,  ad  cor,  vous 
nous  répondrez  avec  ces  impies  de  l'Ecri- 
ture :  Desperavimus  (Jcrem.,  XVIII):  nous 
ne  pouvons  plus'  rien  espérer  du  côté  de 
Dieu  ni  du  côté  de  nous-mêmes,  notre  con- 
version est  désespérée,  nous  avons  épuisé 
sa  compassion  et  nos  forces,  il  est  trop  irrité 
et  nous  sommes  trop  infirmes,  nous  sommes 
trop  éloignés  de  Dieu,  nous  ne  reviendrons 
plus  à  lui  :  non  venimus  ad  eum  ultra  (Jbid.); 
rien  ne  peut  apaiser  maintenant  sa  colère,  et 
nous  avons  été  trop  longtemps  infidèles  pour 
ne  pas  l'être  toujours;  c'en  est  fait,  nous  nous 
livrerons  désormais  à  la  dépravation  de  notre 
cœur,  au  dérèglement  de  notre  esprit  et  au 
torrent  de  nos  passions  insensées  :  post  co- 
gitationcs  noslras  ibimus  et  unusquisque 
pravitatem  cordis  sui  mali  faciemus.  (Ibid.) 
Oh  1  le  partage  affreux  !  l'extravagance  la- 
mentable 1  Vous  le  sentez  trop,  chrétiens, 
qu'en  cet  état  si  triste  votre  conversion  ne 
peut  être  qu'un  miracle,  et  ce  n'est  point  trop 
du  bras  de  Dieu  pour  empêcher  votre  perte 
presque  tout  à  fait  certaine.  Ah  !  s'il  se  peut, 
ne  vous  perdez  point;  servez-vous  des  motifs 
que  je  vous  ai  proposés  contre  la  rechute, 
pour  vous  en  relever.  Ah  1  mes  frères,  pour 
avoir  commencé  à  être  misérables, voudriez- 
vous  l'être  toujours?  Respectez  la  grâce  de 
la  pénitence,  si  elle  est  en  vous,  ou  tâchez 
de  la  recouvrer,  si  vous  l'avez  perdue;  c'est 
le  bien  le  plus  cher  que  vous  puissiez  jamais 
avoir;  employez  tout  pour  la  retenir  ou  pour 
la  retrouver  :  les  soupirs  les  plus  tendres, 
les  larmes  les  plus  amères,  les  regrets  les 
plus  cuisants,  les  prières  les  plus  ferventes» 


985 


CAREME.  —  SERMON  XXIU,  HOMELIE  SLR  L'EVANGILE  DE  LAZARE. 


les  mortifications  les  plus  sensibles;  il  ne 
dépend  peut-être  encore  que  do  vous  que 
votre  conversion  s'opère.  Vous  connaissez 
déjà  les  saintes  onctions  de  la  pénitence,  les 
plaisirs  ineffables  de  la  grâce;  il  ne  tient 
qu'à  vous  d'en  reprendre  le  goût.  Dieu  veut 
bien,  par  un  surcroît  de  compassion,  hasar- 
der encore  la  dernière  offre  de  la  grâce  qu'il 
vous  fait  par  ma  bouche,  et  il  vous  dit  en- 
core par  mon  ministère  ce  qu'il  fit  dire  au- 
trefois à  saint  Pierre  par  un  ange  :  Quelque 
chargé  que  vous  vous  sentiez  du  poids  de 
yos  chaînes  multipliées  :  Vinctus  catcnis 
duabus  (Act.,  Xlï),  levez-vous  sans  délai; 
allez  vous  jeter  aux  pieds  du  prêtre;  revê- 
tez-vous de  la  pénitence  et  dune  vraie  dou- 
leur; que  vos  fers  se  brisent;  sortez  de  vos 
désordres  et  me  suivez  :  Sequere  me.  (lbid.) 

Rendez-vous,  chrétiens,  à  des  invitations 
si  touchantes.  Pour  vous,  âmes  fidèles  que 
j'enfante  à  Jésus-Christ  par.  la  simple  expli- 
cation de  son  Evangile  et  de  ses  vérités 
saintes;  vous  qui  faites  ici  toute  ma  joie  : 
Gaudium  meum  (Philip.,  IV),  et  qui  peut- 
être  un  jour  ferez  ma  couronne  :  Et  corena 
mea  (lbid.),  je  vous  conjure  de  vous  con- 
server avec  le  Seigneur,  de  vous  affermir  dans 
lui,  et  la  prière  que  je  vous  fais  vous  doit 
être  une  rreuvede  mon  zèle  :  Sic  state  in 
Domino,  char issimi.  (lbid.)  Et  où  pourriez- 
vous  mieux  être  qu'avec  lui?  Ah  !  ne  vous 
en  fiez  pas  sur  le  vide  et  la  corruption  du 
monde  ;  quelque  désabusés  que  vous  en 
puissiez  être,  défiez-vous  toujours  de  lui,  si 
vous  ne  voulez  retomber  avec  lui  dans  vos 
désordres;  son  souille  pernicieux  bientôt  re- 
gagnerait votre  faible  cœur.  Oui,  il  est  digne 
de  toute  votre  haine,  le  monde  ingrat  et  per- 
fide, dangereux  et  malin;  si  vous  ne  voulez 
pas  qu'il  vous  séduise,  qu'il  vous  engage 
dans  ses  malheurs,  gardez-vous  bien  de  ses 
trompeuses  apparences,  de  ses  charmes  sé- 
duisants et  de  tous  ses  faux  biens,  qui  ne  sont 
que  de  véritables  fantômes  :  Custodite  vos  a  si- 
mulacris  (Uoan.,  V);  il  en  est  ici  que  ses  vani- 
tés et  sa  propre  corruption  entraînent,  qui,  ne 
portant  plus  sur  cet  ennemi  du  salut  qu'une 
main  lasse  et  tremblante,  sans  force  et  sans 
courage,  sont  près  de  céder  aux  attaques  du 
siècle.  Ah  !  qui   que  vous  soyez,  mes  frères, 

3u'allez-vous  faire?  Rcmemoramini  pristinos 
ies  (Hebr.,  X);  rappelez,  avant  d'aller  plus 
loin,  ces  premiers  jours  si  salutaires  à  votre 
innocence,  où,  éclairés  des  lumières  de  la 
grâce,  vous  soutîntes  un  combat  si  rude  de  la 
part  de  vos  liassions  :  Inquibus  illuminati  ma- 
gnum certamen sustinuistis  passionum  (lbid.), 
et  où  vous  leur  livrâtes  des  assauts  si  géné- 
reux ;  vous  y  donnâtes  un  spectacle  de  gloire 
à  Jésus-Christ,  de  joie  aux  anges,  de  terreur 
aux  démons,  de  confusion  aux  hommes,  sa- 
chant qu'il  y  avait  pour  vous  des  biens  plus 
solides,  plus  dignes  de  votre  attachement  : 
Cognoscentcs  vos  habere  substantiam  melio- 
rcm.  (lbid.)  Ah  [pourquoi  perdez-vous  donc 
une  confiance  si  chère ,  des  espérances  si 
bien  fondées  et  qui  doit  êlre  si  glorieusement 


936 

couronnée  :  Nolite  ilaque  amiltcrc  vestram 
confulenliam.  (lbid.)  En  ce  que  Dieu  ne  vous 
a  manqué  jamais  de  parole,  ces  promesses, 
qui  vous  découvrent  un  plus  grand  bien  que 
celui  de  ce  monde,  ont-elles  moins  d'assu- 
rances pour  vous  qu'elles  n'en  avaient  autre- 
fois? cette  miséricorde  amoureuse  qui  vous 
attendait  alors  n'est-elle  point  encore  au- 
jourd'hui la  même  et  aussi  touchante  qu'elle 
était?  Cette  charité  qui  vous  soutint  n'a-t- 
elle  pas  la  même  force?  Et  si  Dieu  n'est  pas 
moins  véritable,  pourquoi  vous  y  fiez-vous 
moins  que  vous  ne  fîtes  autrefois?  S'il  n'est 
pas  moins  aimable,  pourquoi  l'aimer  moins? 
Et  s'il  ne  s'est  jamais  démenti,  pourquoi 
vous  démentez-vous  vous-mêmes?  Peut-être 
direz-vous  qu'il  est  trop  tard  d'espérer,  et 
que  vos  combats  ne  finiront  point.  Ah  I  chré- 
tiens, dit  l'Apôtre,  un  moment  de  patience, 
Dieu  veut  vous  rendre  heureux  :  Patientia 
enim  necessaria  vobis  est  ut,  etc.  (lbid.)  Le  di- 
vin spectateur  de  vos  combats  va  venir  les 
palmes  à  la  main:  Adhuc  modicum  aliquan- 
tulum,  qui  venturus  est  renie t  et  non  tarda- 
bit  (lbid.)  ;  il  ne  tardera  pas  à  couronner  votre 
confiance,  et  bientôt  vous  trouverez  un  bon- 
heur fixe  en  Dieu  et  jouirez  éternellement  de 
sa  gloire.  Je  vous  la  souhaite.  Amen. 

SERMON  XXIII  (10). 

BOMÉME   SCR    I.'ÉVANGILE    DE    LAZARE. 

Et  slutim  prodiit  qui  fuerat  morluus.  (Joan.,  XI.) 
Lazare  qui  était  mort  sortit  aussitôt  de  son  tombeau 
Sous  quelle  image  plus  touchante,  par 
quel  miracle  plus  consolant  la  bonté  infinie 
du  Sauveur  pourrait-elle  ,  Messieurs,  vous 
représenter  et  votre  mort,  vous,  pécheurs 
qui  périssez,  et  votre  résurrection,  vous 
justes  qui  revenez  à  Dieu.  Que  dans  la  mort 
et  dans  la  résurrection  dont  il  est  parlé  dans 
l'évangile  de  ce  jour,  Lazare  que  Jésus- 
Christ  aima,  par  des  progrès  insensibles  de 
faiblesse  et  d'infirmité,  meurt  à  la  nature  et 
descend  jusqu'au  fond  du  sépulcre  \Mortuus. 
Et  vous,  pécheurs,  quelque  vivants  que  vous 
paraissiez,  affaiblis  par  les  progiès  dans  le 
crime  et  dans  le  péché,  vous  êtes  morts  à  la 
grâce  et  descendus  jusqu'au  fond  de  l'abîme  : 
Morluus.  Lazare,  que  Jésus-Christ  pleura, 
ressuscite  par  sa  miséricorde,  paraît  vivant 
hors  du  sépulcre  :  et  statim  prodiit.  Et  vous 
aussi,  quelque  morts  que  vous  soyez,  si 
vous  changez  de  conduite  et  que  vous  ver- 
siez sur  vos  désordres  de  sincères  larmes 
de  pénitence,  vous  sortirez  de  votre  tombeau 
et  reprendrez  par  votre  conversion  une  vie 
toute  nouvelle  :  Et  statim  prodiit. 

Ah  1  que  Lazare  me  paraît  donc  destiné  de 
Dieu  pour  faire  deux  grandes  leçons  aux 
hommes.  Considérez  le  pécheur  pour  y  re- 
connaître le  triste  état  où  vous  réduit  le  pé- 
ché; méditez  le  juste,  pour  y  découvrir  les 
bienheureuses  voies  de  votre  conversion. 
Mon  Dieu!  que  ce  spectacle  est  effrayant, 
que  le  mystère  est  consolant  1  d'une  part, 
mystère  redoutable  puisqu'il  expose  dans  [a. 


(10)  Imprimé  au  tome  IL  page  232.  de  l'édition  de  Lie; 


9S7 


ORATEURS  SACRES.   LE  P.  SL'RIAN. 


9-îS 


corruption  d'un  cadavre;  l'affreuse  image 
do  ce  que  vous  êtes  morts  devant  Dieu  j:ar 
le  péché  :  mortuus;  de  l'autre,  mystère  ai- 
mable, puisqu'il  vous  donne  daws  la  ré  ■  ur- 
rection  d'un  corps  mort  la  consolante  idée  de 
ce  que  vous  pouvez  être  sortis  du  tombeau" 
par  la  conversion  :  Prodiit. 

Ainsi,  dans  l'histoire  de  Lazare,  qui  est  le 
trait  le  plus  effrayant  et  le  pins  consolant 
tout  ensemble ,  venez  voir  et  l'habitude  de 
vos  désordres  et  l'image  de  votre  justifica- 
tion ;  venez  voir  et  les  degrés  funestes  qui 
vous  ont  conduit  au  sépulcre,  et  l'abîme  du 
péché,  et  les  démarches  salutaires  qui  peu- 
vent vous  en  faire  sortir;  venez  voir  et  votre 
éloignement  de  Dieu  et  votre  conversion  à 
Dieu  :  Vsni  et  vide  ;  c'est  là  tout  mon  dessein. 

Grand  Dieu  !  par  mes  péchés,  il  y  a  si  long- 
temps que  je  représente  ce  misérable  Lazare, 
mort  dans  le  sépulcre.  Ah!  quand  achèverez- 
vous  toute  ressemblance,  Seigneur,  en  me 
feisant  revivre  en  vous,  et  quand  serai-je  la 
figure  d'une  résurrection  si  touchante;  lors- 
qu'aujourd'hui  vous  ressuscitez  ce  ta  mi  fidèle, 
vous  nous  dites  que  c'est  pour  donner  aux 
Juifs  une  preuve  éclatante  de  votre  divin  té, 
utcredantquia.tume  misisli  (Joua.,  VI.)  Sei- 
gneur, rendez-moi  la  vie  de  la  grâce;  que  je 
sois  un  sujet  propre  à  (igurer  votre  puissance, 
et  si,  comme  Lazare  mort,  j'ai  le  malheur 
d'être  ici  un  sujet  d'affliction  pour  vous,  que 
bientôt,  comme  Lazare  ressuscité,  je  vous 
devienne  un  sujet  de  gloire  :  nous  vous  le 
demandons  par  l'intercession  de  Marie.  Ave 
Maria. 

PREMIER    POINT. 

Selon  l'ordre  commun  ,  l'homme  ne  passe 
qu'en  tremblant  de  la  pureté  île  l'innocence 
dans  la  corruption  du  péché,  le  vice  a  dans 
le  cœur  ses  accroissements  et  ses  bornes,  les 
pécheurs  les  plus  monstrueux  ont  été  ùcs 
chrétiens  lâches,  et  c'est  ici  l'artifice  le  plus 
dangereux  dont  le  démon  puisse  se  servir 
pour  nous  perdre.  Si  d'abord  il  nous  mon- 
trait le  vice  dans  toute  sa  laideur,  notre  in- 
nocence alarmée  résisterait  plus  longtemps 
et  nous  n'oserions  pas  le  connaître  ,  et  c'est 
pour  cela  qu'il  nous  cache  toute  l'horreur 
du  péché,  et  qu'en  le  revotant  d'apparences 
agréables,  il  fait  si  bien  en  sorte  que  nous 
n'en  avons  plus  de  peur.  Voyez  dans  la 
figure  de  Lazare  par  quels  degrés  le  plus 
juste  arrive  à  la  corruption  et  à  la  mort. 
D'abord  il  jette  l'âme  dans  une  innocente 
langueur,  erat  languens  Lazarus  ;  il  la  mène 
ensuite  par  une  infirmité  dangereuse  à  une 
olfensc  mortelle,  ecce  quem  amas  infirmatùr. 
De  là  cette  pauvre  âme  tombe  dans  la  cor- 
ruption, mortuus  est;  et  enfin  elle  devient 
une  odeur  de  mort  qui  infecte  tous  ceux  qui 
en  approchent  :  Jamfetet;  quatriduanus  est 
enim.  C'est  ainsi  que  Lazare  devient  languis- 
sant d'abord,  qu'ensuite  il  meurt,  qu'après 
sa  mort  il  se  corrompt,  et  qu'enfin  il  exhale 
partout  une  odeur  de  mort.  Appliquez-vous 
cette  image,  chrétiens  qui  m'écoutez,  et  re- 
connaissez-vous tristement  dans  toute  la 
représentation  de  ces  malheurs,  et  attribuez- 


vous  toute  l'horreur  que  ce  spéciale  doit 
produire. 

Lazare,  avant  que  de  tomber  dans  l'infirmité, 
ne  jouissait  pas  d'une  vigueur  parfaite,  il 
était  languissant,  erat  languens  Lazarus:  et 
vous,  avant  que  de  tomber  dans  l'indolence 
et  dans  la  tiédeur,  vous  aviez  toutes  vos 
forces,  vous  étiez  fervent  avant  que  vous 
fussiez  devenu  lâche  ;  que  votre  sort  doit  donc 
vous  paraître  déplorable  de  n'être  malheu- 
reux que  par  votre  seule  faute,  si  nous  re- 
montions jusqu'à  ces  premiers  temps  où 
vous  étiez  fidèle.  Hélas!  vous  ne  pouvez 
seulement  rappeler  un  souvenir  si  doux  sans 
que  votre  âme  s'attendrisse  !  Alors  quel  goût 
n'aviez-vous  pas  pour  la  retraite?  quels  sen- 
timents de  religion  et  de  piété?  quelle  pré- 
caution de  sagesse,  vivacité  de  foi,  ardeur  do 
charité,  fermeté  d'espérance  ?  que  de  ferveur 
dans  la  prière?  que  de  joie  dans  la  pénitence? 
Ah!  sionvous  eût  laissé  suivre  vos  premiers 
transports  ,  vous  auriez  consommé  toute  vo- 
tre vie  dans  les  pieux  exercices  de  la  religion 
et  vous  vous  seriez  consacré  tout  entier  à 
l'amour  et  au  service  de  votre  Dieu.  Temps 
bienheureux!  vous  deviez  bien  durer  davan- 
tage, vous  composiez  de  si  beaux  jours;  mais, 
suivant  le  cours  ordinaire  et  les  penchants 
de  la  nature,  vous  avez  négligé  les  touches 
secrètes  et  les  mouvements  de  la  grâce,  votre 
faible  cœur  s'est  rendu,  et  faute  de  prier  et 
de  veiller  comme  il  faut,  vous  êtes  tombé 
dans  toutes  les  langueurs  ensemble  :  langueur 
dans  votre  esprit,  langueur  dans  votre  cœur, 
langueur  dans  vos  sens. 

Soyez  ici  attentifs,  Messsieurs,  car  voilà 
l'ordre  que  je  dois  garder  dans  tout  ce  dis- 
cours. 

1°  Langueur  dans  votre  esprit  :1a  foi  s'y  est 
affaiblie,  vous  avez  commencé  à  vous  échap- 
per de  la  sage  conduite  de  vos  parents  ou  de 
vos  maîtres,  et  vous  avez  suivi  le  secret 
plaisir  que  l'on  trouve  à  agir  par  soi-même 
et  à  se  régler  sur  ses  propres  conceptions,  et 
le  service  du  Seigneur  vous  a  trouvé  froid  et 
paresseux  ;  ses  mystères  adorables  vous  sont 
devenus  plus  sombres  et  ténébreux;  vous 
croyez  non  de  cœur,  mais  de  bouche,  non 
absolument  et  sans  restriction  ;  mais  avec 
certains  soupçons,  certains  doutes;  et,  comme 
ces  incrédules  de  l'Evangile,  vous  demande- 
riez volontiers  des  signes  et  des  prodiges 
pour  vous  affermir  dans  votre  foi.  11  est  vrai 
que  votre  religion  ne  s'éteint  lias  tout  à  fait, 
mais  elle  est  devenue  incertaine  et  flottante; 
vous  démontrez  une  partie  de  votre  esprit  à 
la  foi,  et  vous  en  conservâtes  une  autre  pour 
le  doute  et  pour  le  raisonnement.  Or,  qu'est- 
ce  que  tout  cela,  sinon  une  tiédeur  dans  la 
foi,  qui  fait  tout  craindre  pour  le  salut:  Erat 
languens  Lazarus. 

2°  Langueur  encore  dans  votre  cœur  :  la 
charité  y  eut  d'abord  moins  de  force,  et 
parce  que  l'idée  de  l'esprit  est  essentiel- 
lement relative  avec  le  sentiment  du  cœur, 
cette  sainte  passion  qui,  quand  elle  est 
fuite  dans  une  âme,  absorbe  et  étouffe  toutes 
les  autres  passions,  n'y  fut  plus  si  vive  et 


089 


CAREME.  —  SERMON'  XXIII,  HOMELIE  SLR  L  EVANGILE  DE  LAZARE, 


90O 


y  devint  languissante ,  et  dès  lors  vos  vertus 
s'affaiblirent,  la  retraite  vous  devint  un  sup- 

fdiee  cruel ,  la  prière  une  pénitence  terrible, 
es  sacrements  une  contrainte  rebutante, 
toute  la  pénitence  un  poids  accablant;  déjà 
résistant  moins  h  vos  plus  doux  penchants, 
vous  prîtes  le  parti  de  justifier  ceux  qui  pa- 
raissaient avoir  le  plus  d'injustice  ,  et  vous 
ne  vous  opposiez  aux  autres  qu'en  mur- 
murant :  déjà  vous  fîtes  voir  votre  fragilité , 
et  commençant  à  vous  en  faire  un  exemple 
vous  n'ôsates  la  co/nbattre  ,  déjà  vous  vous 
sentiez  disposé  à  vous  y  laisser  aller  sans 
aucune  résistance,  et  il  vous  fallut  toutes 
les  terreurs  de  la  mort  et  la  crainte  même 
de  l'enfer  pour  vous  retenir  et  servir  de  bar- 
rière à  vos  transgressions  :  vous  contentant 
de  ne  point  outrager  votre  Dieu  ,  vous  ne 
cherchiez  plus  à  lui  plaire,  votre  religion 
n'était  plus  pour  vous  qu'une  gêne  et  une 
alarme  ,  voi  s'  n'alliez  plus  à  Jésus-Christ, 
vous  vous  y  traîniez,  et  si  vous  n'apportiez 
pas  encore  à  sa  table  sacrée  des  attentats  et 
des  crimes,  vous  nielliez  à  son  service  et 
à  vos  devoirs  les  plus  essentiels  une  lassi- 
tude et  un 
git  plus  que 
tains  ménagem 


témoignages 


Jcgoût  déplorables.  11  ne  sa- 
le garder  la  bienséance  et  cer- 
votre  faible  cœur  ne  sa- 
vait plus  à  quoi  s'en  tenir  ;  votre  raison 
séduite  se  défendait  bien  mal ,  vous  étiez 
prêt  à  céder  à  la  force  de  la  tentation ,  et 
déjà  vous  pleuriez  cette  précieuse  innocence 
que  vous  alliez  perdre,  et  lorsqu'il  eût  fallu 
mettre  du  courage  et  delà  fermeté,  votre 
cœur  s'abandonnait  à  la  faiblesse  et  à  la  lan- 
gueur, erat  languens  taxants.  Et  parce  que 
dans  l'homme  tout  fut  à  la  disposition  de 
son  cœur  ,  langueur  encore  dans  vos  sens  , 
vous  ouvrîtes  vos  yeux  à  mille  objets  dan- 
gereux qui  commencèrent  à  vous  plaire,  et 
qui  bientôt  vous  attachant  uniquement  au 
inonde  vous  détachèrent  de  votre  Dieu  pour 
vous  fortifier  contre  la  sainte  austérité  de 
l'austinence  et  du  jeûne,  vous  accordâtes  à 
votre  goût  un  raffinement  de  mets  plus  ex- 
quis et  mieux  apprêtés;  vous  prêtâtes  l'o- 
reille aux  discours  séduisants  des  mondains 
et  vous  commençâtes  à  les  écouter  favora- 
blement dans  les  entretiens  et  dans  les  cer- 
cles ;  vous  voulûtes  paraître  plus  expert  et 
plus  magnifique  dans  vos  ajustements  et 
dans  vos  habits ,  et  en  donnant  peu  à  peu 
dans  les  usages  et  dans  les  modes,  vous 
tombâtes  dans  le  relâchement  et  dans  la 
vanité.  Votre  langue  se  donna  la  liberté  de 
j  arler  en  toute  occasion ,  et  forçant  peu  à 
peu  cette  garde  de  circonspection  qui  no 
doit  jamais  la  quitter,  la  charité  s'y  trouvait 
offensée  ;  vous  donnâtes  l'essor  à  vos  pieds, 
à  vos  mains,  et  bientôt  ils  vous  laissèrent 
sans  guide  et  sans  défense  ;  votre  âme 
tomba  dans  la  langueur  :  et  erat  languens 
Lazarus;  si  alors  effrayé  de  votre  état  vous 
eussiez  dit  à  Jésus-Christ,  comme  les  sœurs 
du  Lazare,  en  lui  présentant  vos  faiblesses  : 
Domine, ecce  quemamas  infirmatur;  Seigneur 
j«  ne  puis  ignorer  que  vous  m'aimez,  je  I 
vois  en  vous  mille  traits  sensibles  de  vôtre 
amour,   dejà  vous  m'en  avez  donné  mille 


incontestables.  Venez ,  celui 
que  vous  aimez  est  malade  :  ecce  quemamas 
infirmatur;  tout  dépérit  en  moi,  tout  languit 
dans  mon  âme  ,  je  vois  trop  dans  vos  Ecri- 
tures le  malheureux  progrès  de  cet  état  de 
langueur  où  je  me  sens  tomber  :  puissance 
souveraine  ,  soutenez-moi  :  ecce  quem  amas 
infirmatur. 

Ah  1  si  vous  eussiez  tenu  alors  à  votre 
Dieu  ce  langage,  touché  d'une  compassion 
tendre,  il  vous  aurait  dit  comme  il  fit  à 
Marthe  et  à  Marie  :  Rassurez-vous,  cette  in- 
firmité ne  va  point  jusqu'à  la  mort  :  infir- 
mitas  hœc  non  est  admortem,  elle  ne  servira 
qu'à  signaler  ma  gloire  et  à  manifester  m  t 
puissance  :  sedpro  gloria  Deiut  gïorifieetur, 
Filius  Dei  per  eam;  promesse  aimable  que 
Jésus-Christ  vous  fait,  pourriez-vous  donc 
l'ignorer,  ou  si  vous  la  saviez  pourriez-vous 
là  mépriser  ;  cependant  vous  demeurâtes 
dans  la  langueur  sans  avoir  recours  à  celui 
qui  vous  en  aurait  retiré.  Ah  !  peut-on  être 
si  longtemps  sur  le  bord  de  l'abîme  sans 
craindre  d'y  tomber;  il  y  a  dans  l'homme 
deux  poids  qui  le  balancent  et  qui  ont 
deux  mouvements  bien  contraires  ,  la  cupi- 
dité et  la  grâce  :  la  première  croit  à  mesure 
que  la  seconde  diminue;  la  langueur  de 
l'une  est  la  force  de  l'autre  ;  un  degré  ajouté 
à  la  cupidité  est  un  degré  ôté  à  la  charité  : 
presque  toujours  l'homme  devient  plus  cou- 
pable dès.  qu'il  devient  moins  vertueux,  et 
si  la  pénitence  ne  vous  élève  point  à  la  per- 
fection ,  la  tiédeur  vous  porte  au  désordre  ; 
or,  c'est  de  l'affaiblissement  de  la  grâce  et 
du  progrès  de  la  cupidité  que  l'homme 
devient  le  monstre  de  la  religion  et  l'hor- 
reur de  toute  la  nature:  Ainsi  quand  la  grâce 
diminue  dans  David,  la  cupidité  le  rend 
adultère  ;  quand  la  justice  diminue  dans 
Saïil ,  le  désespoir  le  rend  homicide;  quand 
la  sagesse  diminue  dans  Salomon,  sa  vo- 
lupté le  rend  idolâtre;  quand  la  foi  diminue 
dans  Thomas,  l'opiniâtreté  en  fait  un  incré- 
dule; quand  la  fidélité  .diminue  dans  Pierre, 
la  défiance  en  fait  un  parjure;  quand  l'esprit 
de  l'apostolat  diminue  dans  Judas  ,  l'avarice 
en  fait  un  parricide.  Ainsi ,  dès  que  la  grâce 
a  diminué  dans  un  cœur,  la  cupidité  y  pro- 
duit peut-être  tous  les  péchés  ensemble;  et 
comme  Lazare,  il  passe  de  la  langueur  à 
la  mort  :  mvrtuus  est  ;  dans  ce  premier  état , 
quelqu'intiime  que  fût  votre  âme ,  encore 
vivait-elle,  encore  tenait-elle  à  Dieu  par 
quelque  endroit,  encore  la  grâce  l'animait- 
elle,  encore  avait-elle  ses  combats,  ses  ré- 
sistances; il  n'y  avait,  il  est  vrai,  qu'un 
point  entre  la  moit  et  vous  ,  mais  présen- 
tement ce  point  est  rompu,  et  on  peut  dire 
de  vous  comme  du  Lazare  ,  que  vous  êtes 
encore  mort  :  Lazarus  mortuus  est  :  oui,  dans 
l'état  où  vous  êtes,  vous  êtes  mort;  dans 
votre  esprit  vous  acquiescez  aux  pensées 
infidèles,  suivez  vos  idées  pernicieuses 
déférez  aux  funestes  réflexions  :  mort  dans 
votre  cœur;  il  alla  delà  faiblesse  au  crime; 
e  trajet  de  l'un  à  l'autre  est  si  glissant  et 
si  court,  après  tant  d'offenses  légèresl  il  en 
vint   une  qui   ferma   le  ciel  et  qui  ouvrit 


991 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SU  RI  AN. 


m 


l'enfer;  il  a  des  ressorts  secrets  qui  le  font 
aller  sans  presque  qu'il  s'en  aperçoive  ;  vous 
passâtes  d'abord  un  ;  eu  trop  loin  ;  ces  motifs 
de  haine,  de  vengeance,  d'avarice,  d'ambi- 
tion en  vous  ;  la  cupidité  prévalut ,  vous 
fîtes  céder  la  grâce  vivifiante  de  Jésus-Christ 
à  l'attrait  funeste  du  vice,  et  faut-il  s'éton- 
*  ner  si  votre  cœur  étant  séparé  de  Dieu  ,  son 
mouvement  et  sa  vie,  vous  n'étiez  plus 
qu'un  affreux  cadavre  :  Lazarus  mordais 
est,  mort  enfin  dans  tous  vos  sens;  votre 
bouche  fut  muette  pour  la  prière,  vos 
yeux  fermés  à  la  prière  de  l'Evangile , 
vos  oreilles  sourdes  à  la  parole  de  Dieu, 
vos  mains  immobiles  pour  servir  les  au- 
tels et  les  pauvres,  vous  perdîtes  ainsi 
l'usage  de  vos  sens  et  de  vos  membres; 
et  déjà  vivant  pour  le  monde,  et  im- 
mortifié comme  lui,  vous  devîntes  bientôt 
mort  pour  Jésus-Christ  et  ennemi  de  sa 
croix,  car  c'est  une  alternative  comme  né- 
cessaire :  Lazarus  mortuus  est.  Que  cet  état 
est  triste,  mais  qu'il  y  en  a  encore  un  bien 
plus  déplorable!  car,  quoique  vous  soyez 
mort  par  le  péché,  vous  n'en  ôtes  pas 
moins  propre  à  reprendre  la  vie  et  la  résur- 
rection de  la  grâce;  un  certain  goût  de  la 
vérité  qui  n'était  pas  encore  tout  à  fait  perdu , 
certaines  réilexions  que  vous  faisait  encore 
faire  un  fonds  de  piété  chrétienne,  certaines 
traces  de  vertu  qui  ne  sont  pas  encore  tout 
à  fait  effacées,  tout  cela  était  encore  comme 
un  reste  de  la  chaleur  naturelle  qui  sert 
encore  quelque  temps  après  la  mort  et  qui 
donne  encore  quelques  espérances  de  vie. 

Ainsi,  quand  Jésus-Christ  veut  ressusciter 
le  fils  de  la  veuve  de  Naïm,  ou  du  prince  de 
la  Synagogue,  il  n'y  emploie  qu'une  parole, 
et  sa  voix  suffît  tèule  pour  leur  rendre  à 
tous  les  deux  la  vie,  parce  que  la  mort  était 
encore  toute  proche  d'eux.  Mais  quel  est  le 
comble  de  tous  les  maux,  quel  est  cet  état 
si  affreux?  C'est  d'avoir  demeuré  dans  la 
mort,  c'est  d'avoir  croupi  dans  le  péché; 
c'est-à-dire  faire  dire  de  soi  qu'il  y  a  long- 
temps que  l'on  est  esclave  d'une  passion, 
d'une  mauvaise  habitude,  et  qu'à  force  d'être 
enseveli  dans  le  crime,  on  s'y  est  corrompu  : 
quatriduanus  est  enim.  Ici,  âmes  pécheresses, 
serais-je  assez  heureux  pour  vous  faire 
avouer  qu'on  y  reconnaît  sensiblement  la 
colère  redoutable  de  Dieu?  Vous  ne  pré- 
voyiez pas  que  des  péchés  légers,  que  de 
petites  fautes  dussent  produire  la  corruption 
dans  votre  esprit,  dans  votre  cœur,  dans  vos 
sens.  Corruption  dans  votre  esprit,  toutes 
vos  lumières  changées  en  ténèbres;  votre 
foi  en  incrédulité,  votre  piété  en  irréligion, 
vos  vertus  en  désordres;  toutes  les  splen- 
deurs si  vives  qui  vous  venaient  de  la  part 
de  Dieu,  dégénérées  en  séductions  et  en 
blasphèmes;  vous  n'êtes  plus  cette  nation 
sainte,  ce  peuple  choisi,  cette  race  royale 
dont  parle  saint  Paul;  vous  ôtes  devenus 
philosophes,  infidèles,  incrédules  sur  cer- 
tains points  et  irrésolus,  craintifs  et  flot- 
tants sur  tout  le  reste;  ce  qui  vous  manque 
n'étant  pas  seulement  les  (ouvres  et  la 
pîénitude   de  la  foi,   c'est  ja  foi   môme,  sa 


substance  que  vous  attaquez;  vous  êtes 
corrompus  :  quatriduanus  est;  tel  est  l'excès  où 
vous  vous  portez  quand  vous  êtes  accoutu- 
més avec  le  crime;  par  la  soustraction  des 
premières  grâces,  vous  devenez  incapables 
de  profiter  des  secondes,  et  vos  nouveaux 
péchés  vous  menant  d'abîme  en  abîme,  vous 
parvenez  jusqu'à  cet  excès  de  douleur  d'un 
Dieu,  et  de  le  méconnaître,  et  de  là  ne  de- 
venez-vous pas  tout  obscurité,  tout  ténèbres, 
toute  corruption;  et  semblables  à  Lazare, 
ne  peut-on  pas  dire  de  vous  que  vous  êtes 
ensevelis  dans  le  fond  d'un  sépulcre,  et 
qu'une  grosse  pierre  couvre  votre  tombeau: 
Êrat  autem  sepulcrum,  et  lapis  superposilus 
erat  et.  Ah!  ce  malheureux  état  vous  ap- 
proche-t-il  de  la  damnation,  ou  est-il  la  dam- 
nation même? 

Mais  pourquoi  ce  voile  sur  le  visage  du 
Lazare,  qui  était  enveloppé  d'un  suaire  : 
et  faciès  illius  sudario  erat  ligata?  Ce  voile 
no  signifiait-il  point  cet  état  de  corruption 
d'esprit  où  vous  ne  voyiez  plus  ni  vos  be- 
so:ns,  ni  vos  remèdes,  ni  vos  malheurs,  ni 
votre  damnation,  ni  la  laideur  du  vice,  ni  la 
beauté  de  la  vertu ,  ni  la  corruption  du 
monde,  ni  votre  propre  aveuglement  :  faciès 
illius  sudario  erat  ligata?  Ce  voile  n'était-il 
point  mis  sur  le  visage  du  Lazare,  pour  vous 
faire  comprendre  que  quand  vous  vous  étiez 
enfoncé  dans  le  péché,  vous  aviez  perdu  la 
foi  en  aveugle,  que  votre  esprit  s'est  trouvé 
couvert  d'un  bandeau,  ne  voulant  (dus  rien 
voir,  rien  examiner,  rien  éclaircir,  pour  ne 
pas  vous  trouver  obligé  de  quitter  un  déplo- 
rable état  que  vous  aimiez,  faciès  ejus  suda- 
rio. Ce  que  ce  voile  exprimait  le  plus,  c'est 
cette  impossibilité  morale  de  recevoir  la  lu- 
mière la  plus  claire  et  la  plus  pénétrante, 
et  en  effet,  que  la  foi,  comme  un  grand  jour, 
éclaire  de  toutes  parts  le  monde  chrétien, 
que  Dieu  réunisse,  comme  autant  de  traits 
lumineux  de  sa  sainte  religion,  tant  d'ora- 
cles si  évidents  qui  établissent  tant  de  pro- 
diges si  surprenants,  qui  la  confirment,  la 
partie  du  monde  la  plus  saine  et  la  plus 
éclairée  qui  l'embrasse,  l'exemple  de  tant 
d'impies  désabusés  qui  la  redemandent  après 
l'avoir  méprisée,  qui  y  reviennent  à  la  mort 
après  s'en  être  éloignés  pendant  la  vie,  l'u- 
nivers devenu  tout  à  coup  chrétien  par  le 
ministère  de  quelques  hommes,  les  plus  gros- 
siers  et  les  plus  simples,  enfin,  que  la  foi 
se  découvre  à  votre  esprit,  par  autant  de 
voies  qu'elle  a  de  lumières,  à  tant  d'attraits 
si  perçants,  si  sensibles,  qui  réunissent  dans 
la  religion  sacrée  un  corps  parfait  de  charité 
et  de  lumières,  vos  yeux,  hélas!  sont  malheu- 
reusement fermés,  et  votre  raison  invincible- 
ment bouchée;  mais  de  quel  autre  nom  peut- 
on  appeler  cet  état  déplorable,  que  de  celui 
de  corruption  et  d'altération  effroyable?  Qua- 
triduanus est,  corruption  encore  dans  votre 
cœur;  quand  l'esprit  a  une  fois  perdu  sa  lu- 
mière, le  cœur  peut-il  conserver  sa  pureté? 
Toutes  vos  vertus  se  sont  converties  en  au- 
tant de  vices,  toutes  vos  pieuses  pratiques 
ont  dégénéré  en  autant  de  désordres;  non- 
seulement  l'amour  de  Dieu  s'est  évanoui  dt 


003 


CAREME.  -  -  SERMON  XXH1 ,  HOMELIE  SUR  L'EVANGILE  DE  LAZARE. 


004 


votre  cœur,  mais  tous  les  autres  amours 
les  plus  légitimes  du  sang  et  de  la  religion; 
l'amour  d'un  \  ère  et  d'une  mère,  d'unïrère 
et  d'une  sœur,  d'un  époux  et  d'une  épouse, 
de  votre  prochain  et  de  vos  ennemis  ;  vous 
ne  faites  plus  de  cas  de  ces  devoirs  si  essen- 
tiels; tout  est  en  vous  passé  à  cet  amour  pro- 
fane et  insensé,  et  par  sa  corruption  votre 
cœur  en  est  ému  jusqu'à  corrompre  tout  ce 
qu'il  y  a  de  plus  incorruptible;  jusqu'à  la 
loi  de  Dieu,  que  vous  altérez  par  vos  in- 
terprétations, jusqu'aux  sacrements  divins 
que  vous  souillez  par  votre  hypocrisie,  jus- 
qu'aux grâces  de  Jésus-Christ  que  vous 
anéantissez  par  vos  abus;  enfin,  tout  dans 
votre  cœur  se  corrompt  et  se  gâte,  les  meil- 
leures choses  s'y  tournent  à  votre  perle;  et 
ce  n'est  plus  qu'une  corruption  universelle  : 
quatriduanus  est. 

Quelle  ressource,  mes  frères,  ici  se  présen- 
te I  Une  conséquence  qui  est  digne  de  piété, 
c'est  que  la  pierre  qui  couvrait  le  tombeau 
dn  Lazare  nous  signifie  cette  môme  habitude 
qui  enchaîne  votre  cœur  et  semble  lui  ôter 
toute  communication  avec  les  secours  de  la 
grâce  et  de  ta  religion  :  Lapis  supcrpositus 
erat  ei. 

En  effet,  les  obstacles  à  votre  conversion 
multipliés  par  l'habitude, l'appréhension  des 
hommes  qui  vous  rend  plus  lâches, la  crainte 
que  vous  avez  que  l'on  ne  critique,  qu'on 
ne  tourne  en  raillerie  ce  que  vous  allez  fai- 
re pour  Dieu  ;  vos  ténèbres  devenues  épais- 
ses, vos  passions  plus  alarmées,  votre  cons- 
cience qui  est  insatiable  ;  avec  ce  mal,  tout 
cela  a  formé  sur  votre  cœur  une  dureté  si 
imprenable  que  rien  ne  peut  la  briser,  ni  les 
sages  remontrances  de  vos  proches,  ni  les  ré- 
flexions inquiètes  que  fait  naître  l'âge,  ni  les 
effrayantes  approches  de  la  mort,  ni  la  vue 
redoutable  de  la  justice  de  Dieu,  qui  souffre 
quelquefois  un  pécheur  d'habitude  pour  se 
faire  craindre,  ni  le  souvenir  consolant  de 
sa  miséricorde  qui  se  présente  souvent  aux 
hommes  pour  se  faire  aimer;  tout  cela  perd 
sa  force  dans  un  pécheur  d'habitude,  rien 
ne  peut  amollir  son  cœur,  rien  ne  perce  cette 
pierre  épaisse  qui  a  mis  en  lui  une  si  opi- 
niâtre résistance  :  Lapis  superpositus  erat  ei. 
Quand  vous  n'étiez  mort  que  par  un  ou  deux 
péchés,  il  aurait  suffi  que  Dieu  eût  répandu 
sur  votre  âme  quelques  rayons  de  sa  lumière, 
ils  auraient  fait  sur  vous  ieur  effet,  car  alors 
ce  cœur  n'était  enclin  au  mal  que  par  une  incli 
nation  perverse  et  la  funeste  pente  qui  est  com- 
mune à  tous  les  hommes  et  qu'ils  apportent 
tous  en  naissant;  mais  depuis  que  par  la  mau- 
vaise habitude  le  mal  a  pris  dans  vous  ra- 
cine; que,  par  vos  impuretés,  vosrapines,  vos 
vengeances,  vous  avez  croupi  dans  l'iniqui- 
té, et  que  par  ce  long  usage  de  médisance, 
d'orgueil,  d'avarice,  de  blasphème,  vous  avez 
contracté  une  alliance  criminelle  avec  la 
mort,  ah!  dès  lors  votre  cœur,  inaccessible 
aux  mouvements  de  la  grâce,  ne  laisse  plus 
espérer  pour  vous  de  résurrection  et  de  vie  : 
Lapis  superpositus  erat  ei.  L'habitude  forme 
un  obstacle  à  la  grâce  que  le  simple  pécheur 
n'avait  point  quand  il  commença  à  pécher, 


et  elle  seule  vaut  contre  la  conversion  toutes 
les  passions  ensemble:  Jésus-Chiist  et  l'habi- 
tude combattent  l'un  contre  l'autre  dans  un 
cœur  :  si  ce  Dieu  de  miséricorde  presse  le 
pécheur,  l'habitude  le  retarde  ;  s'il  lui  parle, 
elle  le  rend  sourd;  s'il  l'abat,  elle  le  1  élève; 
s'il  l'amollit,  elle  endurcit  et  pétrifie,  pour 
ainsi  dire,  l'âme  de  ce  misérable  pécheur; 
lapis  superpositus  erat  et. Ainsi  à  ce  moment 
même  où  Jésus-Christ  par  ma  bouche  vous 
exprime  vivement  le  triste  état  de  corruption 
où  vous  a  réduit  l'habitude;  tandis  que  des 
âmes  justes  frémissent  sur  vous-même;  vous 
ne  vous  y  reconnaissez  point,  vous  déplorez 
en  général  le  sort  d'un  malheur  que  je  vous 
peins,  sans  appliquer  vos  frayeurs  et  votre 
sensibilité  sur  votre  âme,  qui  est  la  venté 
toute  pure  de  cette  image  que  je  vous  trace; 
vous  êtes  d'autant  plus  incurables  que  vous 
êtes  insensibles,  dit  saint  Bernard, et  depuis 
que  par  l'habitude  la  pierre  a  été  mise  sur 
votre  cœur,  votre  corruption  est  sans  remède» 
Quatriduanus  est,  enim. 

Corruption  encore  dans  vos  sens.  Ici,  mes 
frères,  si  mes  expressions  suivaient  votre 
conduite,  la  sacrée  majesté  de  la  charité  se- 
rait souillée,  mais  je  conserverai  pure  la 
parole  du  Seigneur;  la  corruption  a  donc 
liasse  au  dehors  du  cœur,  sortant  comme  de 
leur  source  les  impuretés,  les  adultères,  les 
fornications,  les  injustices,  les  infamies  et  tou- 
tes les  saletés.  Et  où  vont-elles?  dans  les  sens  : 
dans  les  vôtres,  pécheurs  d'habitude;  non, 
ce  n'est  plus  dans  les  uns  une  parole  trop  libre, 
dans  les  autres  un  regard  trop  curieux,  dans 
celui-ci  un  sentiment  peu  raisonnable,  dans 
celui-là  un  désir  peu  réglé,  c'est,  |  ar  la  dé- 
pravation de  l'habitude,  un  dérèglement  et 
une  corruption  universelle  dans  tous  les 
sens  -.lotus  putrtdo  ;  ce  sont  des  yeux  tout 
d'immodestie,  une  bouche  toute  de  séduc- 
tion, des  mœurs  toutes  de  dissolution,  une 
chair  toute  de  mollesse,  une  vie  toute  de 
crime  ;  vous  n'avez  plus  de  sens  que  pour  les 
profaner  et  les  corrompre.  Cette  chair  si  véné- 
rable et  si  sainte,  depuis  que  Jésus-Christ  a 
bien  voulu  s'en  revêtir,  cet  homme,  etle  mem- 
bre et  l'image  du  Fils  deDieu,  destiné  à  le  glo- 
rifier parla  pureté  et  par  la  pénitence  ;  <  e 
corps  lavé  dans  les  eaux  du  baptême  et  con- 
sacré par  l'incarnation  du  Verbe,  tout  par 
l'habitude  a  été  tellement  altéré  et  corrompu 
en  vous,  que  les  abominations  vous  sont 
devenues  familières;  que  les  excès  les  plus 
monstrueux  ne  vous  font  plus  de  peur,  que 
la  foi  ni  laraison,  la  religion,  l'humanité,  la 
pudeur,  la  nature  même  ne  sont  plus  que 
des  objets  de  haine  et  d'horreur  à  Dieu, 
au  monde  et  à  vous-mêmes,  quatriduanus 
est  enim. 

Est-ce  là  toute  votre  miséricorde,  pécheurs 
d'habitude?  Ecoutez  et  tremblez  :  Lazare 
sort  du  tombeau  les  pieds  et  les  mains  liés, 
li'jatus  pedes  et  manus  institis  ;  et  pourquoi  à 
cette  circonstance  Jésus-Christ  se   trouble- 


t-il  et  fond-il  en  larmes,  si  .ce  n'est  parce  que 

Lazare  nous  figurait, et  que  le  Sauveur  voulait 
montrer  combien  l'habitude  nous  lie  invin- 
ciblement au  mal,  et  qu'à  toute  la  déprava- 


09c 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SlRtAN. 


996 


tion  des  sens  est  ajout 6  leur  esclavage,  ligàtus 
pedes  elmanus;  et  en  effet,  pécheurs  d'habi- 
tude, de  quelle  pitié  n'êtes-vous  pas  dignes, 
lorsque  ces  liens  cpie  vous  aimez  et  que  vous 
idolâtrez,  devenus  comme  indissolubles, 
vous  accablent;  lorsque  cette  habitude  vous 
étant  devenue  comme  nécessaire  et  comme 
une  seconde  nature  ajoutée  à  la  première,  a 
changé  votre  complexion,  votre  tempéra- 
ment. En  crime,  en  péché,  vous  faites  le  mal 
comme  par  force,  sans  goût,  sans  plaisir, 
à  regret,  avec  amertume;  vous  le  faites  pour- 
tant comme  par  un  secret  châtiment  de 
Dieu,  gémissant  de  vos  misères,  voulant,  ce 
semble,  en  sortir  et  ne  pouvant  vous  y  ré- 
soudre ,  semblable  au  grand  Augustin,  qui 
se  plaignait  de  son  sort  :  Je  soupirais,  dit-i1, 
enchaîné  par  ma  propre  volonté  plus  dure 
que  le  fer,  plus  pesante  que  le  plomb.  Ces 
voluptés  qui  m'avaient  paru  si  aimables, 
m'étaient  devenues  des  douleurs  odieuses, 
et  cependant  je  ne  pouvais  m'en  défaire ,  je 
regrettais  ma  chère  liberté  et  je  demeurais 
dans  l'esclavage.  Triste  situation,  état  déplo- 
rable d'une  âme  liée  par  l'habitude  :  Quatri- 
duanus  est  enim. 

Enfin,  Lazare  corrompu  exhale  une  odeur 
de  mort  :  Jam  fetet;  dernière  circonstance 
qui  vous  regarde,  pécheurs  d'habitude,  vous 
qui,  par  vos  scandales,  répandez  la  conta- 
gion et  le  désordre  quelque  temps.  Timi- 
des et  encore  craintifs,  vous  avez  tâché  de 
concilier  votre  dérèglement  avec,  votre  hon- 
neur, de  ménager  votre  salut  avec  vo;  pas- 
sions; mais  vous  n'avez  pas  été  le  maître  de 
dissimuler  longtemps.  Dans  tout  vous-même, 
vous  êtes  devenu  une  odeur  de  mort  à  vos 
frères  :  odeur  funeste  qui  a  bientôt  éclaté 
dans  les  assemblées,  dans  les  compagnies, 
dans  les  cercles  ;  vous  les  avez  communi- 
qués à  qui  les  a  voulu  entendre,  les  senti- 
ments dépravés,  les  discours  séduisants;  et 
on  peut  dire  de  vous,  comme  de  la  prosti- 
tuée de  l' Apocalypse ,  que  sur  votre  front 
et  dans  votre  air  est  écrit  le  mystère  d'ini- 
quité :  In  fronte  ejus  nomen  scriptum  :  Mijste- 
rium.  (Apoc. ,  XVII  )  Vous  êtes  devenu  un 
maître  corrompu,  un  homme  contagieux  qui 
gâte  tout  ce  qu'il  approche,  et  que  la  répu- 
blique devrait  fuir  et  réprimer  comme  une 
peste  dans  son  commerce  et  dans  ses  socié- 
tés ;  vous  ne  regardez  plus  ni  bienséance 
ni  mesures.  11  fallait  que  votre  péché  se  con- 
sommât par  votre  scandale;  vous  avez  cher- 
ché des  amateurs  aveugles  de  vos  désor- 
dres pour  en  faire  de  lâches  compagnons  de 
votre  indigne  conduite,  toujours  comme 
vous  occupés  à  verser  le  venin  mortel  dans 
les  autres  :  Jam  fetet. 

Odeur  de  mort  encore  dans  vos  sens  ;  car 
hélas  1  qu'y  a-t-il  en  vous  qui  ne  soit  scan- 
dale? combien  d'âmes  innocentes  avez-vous 
scandalisées  ou  parla  licence  de  vos  paroles 
ou  par  l'impureté  de  vos  regards,  ou  par 
l'indécence  de  vos  habits  ou  par  l'immo- 
destie de  votre  air,  ou  par  ces  familiarités 
si  libres  ou  par  ces  complaisances  si  lâches  ; 
soit  par  le  charme  ou  l'attrait  que  vous  avez 


pour  le  vice,  soit  par  l'abus  que  vous  faites 
des  biens,  des  grâces,  des  talents,  de  l'esprit, 
de  la  beauté  et  de  tant  de  bonnes  qualités 
que  vous  n'employez  que  pour  corrompre  et 
séduire  l'innocence?  Odeur  de  mort  d'autant 
plus  fétide  que,  vous  êtes  d'un  état,  d'un 
rang,  d'une  condition  plus  relevée,  parce  que 
vous  faites  rejaillir  plus  loin  vos  scandales; 
enfin  toute  votre  vie,  toute  votre  per- 
sonne est  tristement  occupée  à  perdre  et 
a  pervertir.  En  vain  mon  zèle  se  ranime  ; 
je  sens  ici  mes  forces  qui  s'épuisent  sur 
vous,  pécheurs  d'habitude,  sans  pouvoir 
vous  convertir;  la  contagion  se  répand  de 
plus  en  plus,  et  il  semble  que  vous  ne 
soyez  nés  que  pour  le  malheur  de  la  terre, 
que  pour  introduire  dans  le  monde  une 
corruption  générale.  Vous  êtes  la  désolation 
de  la  terre  et  de  l'héritage  duSe:gneur;  vous 
devenez  au  milieu  de  l'Eglise  ce  vase  de 
mort  qui  la  répand  sans  cesse  ;  et  ce  qu'il  y 
a  de  plus  déplorable  encore,  c'est  que  dans 
cet  état  pitoyable,  vous  ne  vous  abhorrez 
pas  vous-mêmes  ,  et  que,  comme  un  cadavre 
infecté,  vous  êtes  tout  à  la  fois  et  corrompus 
cl  insensibles  :  Jam  fetet,  quatriduanus  est 
enim. 

Grand  Dieu  qui  ne  voulez  pas  la  mort  du 
pécheur,  mais  qu'il  se  convertisse  et  qu'il 
vive,  apaisez  ici  votre  juste  colère  et  dé- 
ployez du  haut  du  ciel  la  force  de  votre 
grâce  1  Voici  un  objet  déplorable  qui  le  de- 
mande, l'excès  de  ses  malheurs  implore  votre 
secours;  vous  pouvez,  selon  le  Prophète, 
tirer  la  vie  de  cette  mort,  la  lumière  de  ces 
ténèbres,  la  chasteté  même  de  cette  corrup- 
tion. Dieu  d'amour,  agissez  ici  selon  votre 
puissance  1  est-ce  que  vous  ne  ferez  point 
de  miracle  en  faveur  de  ces  morts  que  La- 
zare nous  figure?  et  n'y  aura-t-il  personne 
ici  qui,  revenu  du  fond  de  son  tombeau,  pu- 
blie vos  miséricordes  ? 

t  Ah!  c'e-t  vous,  mes  frères,  qui  êtes  ce 
mort  infortuné  en  qui  le  grand  miracle  de 
la  résurrection  n'a  point  encore  été  con- 
sommé, demandez-en  au  Seigneur  le  renou- 
vellement; qu'il  se  fasse  sur  votre  âme  un 
changement  qui  ne  s'y  est  point  encore  fait, 
et  que  le  souvenir  de  la  résurrection  du  La- 
zare devienne  une  source  de  vie  nouvelle 
pour  vous.  C'étaient  vos  malheurs  que  Jésus- 
Christ  pleurait,  et  il  me  semble  qu'il  répond 
aux  instances  que  je  lui  fais  ce  qu'il  répon- 
dit à  Marthe  :  Iiesurget  fraler  tuus;  consolez- 
vous,  bientôt  votre  frère  ressuscitera.  Je 
crois  l'entendre,  qui,  triste  et  frappé  de 
l'horrible  état  du  pécheur  d'habitude,  dit: 
Oui,  quelque  mort  et  corrompu  que  puisse 
être  votre  frère,  il  vivra:  Ètiam  mortuia 
fuerit,  vivet.  Promesse  aimable  ;  et  que  suis- 
je  peut-être  à  ce  moment  touché,  ému,  at- 
tendri sur  vous  -mêmes  !  vous  en  sentez  ici  le 
bienheureux  effet.  Suivez  les  tendres  mouve- 
ments de  votre  Dieu  ;  obéissez  à  sa  voix,  ren- 
dez-vous à  sa  grâce  ;  et  si  Lazare  mort  par  le 
péché  vous  a  figurés,  que  Lazare  ressuscité 
par  Jésus-Christ  vous  représente  :  c'e^t  la 
so:onde  partie  de  mon  discours. 


997 


CAREME.  —  SERMON  XX!!F,  HOMELIE  SLR  L'EVANGILE  DE  LAZARE. 


9CS 


SECOND    TOIINT. 

On  ne  vient  à  Dieu,  dit  saint  Augustin, 
que  par  une  voie  contraire  à  celle  qui  le  fait 
perdre;  la  conversion,  pour  être  parfaite, 
doit  avoir  une  opposition  entière  à  l'égare- 
ment, et  à  chaque  degré  de  péché  il  faut  un 
trait  nouveau  de  sainteté  et  de  grâce.  Or, 
sur  ce  principe,  rappelez  le  cours  déplora- 
ble de  vos  malheurs,  vous  y  verrez  les  dé- 
marches salutaires  de  votre  pénitence.  D'a- 
hord,  avant  que  de  tomber,  vous  étiez 
languissant,  et  ce  fut  par  l'indolence  et  la 
lâcheté  que  vous  commençâtes  à  vous  per- 
vertir :  il  faut  donc  que  votre  conversion 
commence  par  le  courage  et  par  l'activité; 
vous  mourûtes  ensuite,  et  par  votre  con- 
version vous  devez  donc  passer  à  la  résur- 
rection et  à  la  vie;  une  fois  mort,  vous 
croupîtes  longtemps  dans  l'iniquité. 

il  faut  donc  dans  votre  pénitence,  vous 
purifier  longtemps  dans  la  justice.  Enfin  cor- 
rompu comme  vous  étiez  vous  fûtes  une 
odeur  de  mort  et  rie  scandale  à  vos  frères;  il 
faut  donc,  dans  votre  conversion,  que  vous 
leur  deveniez  une  odeur  de  vie  et  d'édifica- 
tion. Que  votre  miséricorde  est  grande,  ô 
mon  Dieul  de  nous  retracer,  soit  dans  votre 
conduite  envers  Lazare,  soit  dans  la  sienne 
envers  vous,  tout  le  plan  rie  notre  pénitence 
et  de  notre  conversion  à  la  vue  du  Lazare  • 
mort.  Quelle  action  dans  Jésus-Christ  1  le 
trouble  s'empare  de  son  esprit,  il  frémit  en 
lui-même,  il  verse  des  larmes  :  Intremuit 
spiritu,  turbavit  semetipsum  et  lacrymatas 
est  Jésus.  Voilà  votre  règle,  pécheurs  qui 
voulez  vous  convertir;  vous  devez  faire  pas- 
ser en  vous-mêmes  ces  mouvements  favora- 
bles de  Jésus-Christ  :  intremuit  spiritu.  L'es- 
prit fut  en  vous  le  premier  à  se  rassurer 
dans  le  crime,  il  faut  aussi  qu'il  soit  le  pre- 
mier à  se  troubler  et  à  s'émouvoir;  la  crainte 
dit  Seigneur,  dit  le  Prophète,  est  le  commen- 
cement de  la  sagesse  (Psa!.,  CX),  c'est-à-dire 
que  le  retour  du  pécheur  à  son  Dieu  doit 
jeter  un  trouble  salutaire  dans  son  âme;  il 
rioit  l'ébranler  avec  force,  et  lui  causer  des 
tremblements  et  des  se"Ousses  :  Intremuit 
spiritu.  C'est  la  première  expiation  que  le 
Seigneur  demande  pour  le  crime,  et  la  pre- 
mière preuve  que  Jésus-  Christ  vient  en 
nous.  Croire  et  vouloir  se  convertir  sans  ce 
premier  sentiment,  ce  serait  changer  le  cours 
des  grâces  du  Sauveur  et  demander,  après 
le  désordre,  le  privilège  de  la  fidélité.  Quoi 
donc!  si  l'Eglise,  dans  ce  cénacle,  ne  se  ferme 
qu'au  milieu  des  frayeurs  et  des  alarmes,  si 
la  conversion  des  plus  grands  pécheurs  a  eu 
pour  principe  la  crainte,  selon  ces  paroles 
de  David,  en  revenant  à  votre  Seigneur  : 
J'ai  été  frappé  de  crainte;  si  le  tremblement 
et  la  frayeur  sont  les  premiers  degrés  de  la 
conversion  de  Paul ,  trernens  ac  stupens 
dixit  :  Domine,  ijuid  me  vis  faccre  (Àct.,  IX)  ; 
vous  seul  pourriez-vous  vous  flatter  rie  re- 
venir à  Dieu  avec  un  esprit  tranquille;  ah  ! 
j'augure  mieux  de  votre  pénitence,  et  au 
moment  que  je  parle,  je  crois  être  dans  votre 
cœur  :  dans  votre  âme,  ce  trouble  et  ce  fré- 


missement :  Intremuit  spiritu.  Et  comment 
ne  frémi  riez-vous  pas?  une  lumière  invisi- 
ble vous  découvre  ici  vous-même  à  vous- 
même  ;  le  péché  sorti  de  ce  charme  trompeur 
qui  vous  aveuglait,  se  dévoile  tout  entier  à 
vous:  votre  âme,  qui  se  montre  à  vous  telle 
qu'elle  est,  se  trouve  couverte  d'un  nombre 
infini  de  crimes  énormes  qui  semblent  vous 
citer  au  tribunal  de  Jésus-Christ  votre  juge; 
mille  monstres  hideux  qui,  renfermés  dans 
votre  sein,  y  étaient  comme  endormis,  s'y 
réveillent  à  lalueur  u'un  rayon  de  la  grâce; 
la  redoutable  justice  de  notre  Dieu,  cachée 
dans  les  ténèbres  de  vos  iniquités,  se  mani- 
feste et  vous  fait  sentir  toute  l'horreur  d'une 
vie  toute  de  crime;  dans  vous,  il  n'y  a  rien 
que  des  lumières  qui  vous  rappellent  votre 
péché,  rien  que  des  remords  qui  vous  le  re- 
prochent; au-dessous  de  vous  des  abîmes 
qui  ne  sont  ouverts  que  pour  ceux  qui  vi- 
vent comme  vous;  autour  de  vous,  un  pré- 
sent si  mal  employé  ;  au-dessus  rie  vous  un 
juge  si  pénétrant  et  si  inexorable;  derrière 
vous  un  passé  si  déplorable;  devant  vous 
un  avenir  si  sensible,  si  terrible;  partout 
investi  de  la  colère  de  Dieu  qui  semble  vous 
menacer  et  vous  attendre.  Ahl  si  la  crainte 
doit  être  proportionnée  au  malheur,  qui 
doit  trembler  plus  que  vous;  et  quand  vous 
mourriez  d 'effroi,  vos  frayeurs  ne  seraient 
point  encore  excessives  :  Intremuit  spiritu. 

Mais  qu'opposer  à  celte  indolence  de  cœur 
dans  laquelle  vit  le  pécheur;  le  voici  dans  la 
conduite  de  Jésus-Christ  sur  le  Lazare  :  Tur- 
bavit sr  ipsumî  Après  qu'il  a  frémi  dans  sen 
es;  rit  il  se  trouble  dans  son  cœur;  et  vous 
aussi,  pécheurs,  pour  sortir  de  cette  fausse 
p;aix  du  crime,  vous  devez  passer  au  trouble 
salutaire  de  la  justice;  nul  malade  ne  pour- 
rait être  guéri  dans  la  piscine,  si  l'ange  n'en 
avait  troublé  beau,  et  de  môme  aucun  pé- 
cheur ne  peut  être  converti  si  le  trouble  du 
cœur  ne  commence  sa  pénitence;  comment 
se  fait  ce  trouble  dans  les  commencements 
de  la  conversion  :  d'un  côté  la  justice  ce 
Dieu  vous  abat,  de  l'autre  sa  compassion 
vous  relève;  vous  pensez  à  vos  malheurs  et 
vous  songez  à  sa  miséricorde  ;  ce  n'est  en 
vous  ni  espoir  ni  assurance;  obtiendrai-je 
grâce  ou  ne  l'obt'cndrai-je  pas?  Jésus  Christ 
me  damnera-t-il  par  sa  justice,  me  sauvera- 
t-il  par  sa  miséricorde?  Voilà  ce  que  vous 
ne  savez  pas,  et  en  cette  incertitude  entre 
l'espoir  et  le  désespoir  qui  vous  tourmente: 
Turbavit  se  ipsum.  D'ailleurs  la,  douce  idée 
du  vice  qui  n'a  point  encore  disparu  et  qu'il 
faut  étouffer;  l'austère  idée  de  la  vertu,  qu'il 
faut  adoucir;  le  crime,  qu'il  faut  expier  et 
dont  il  faut  abhorrer  jusqu'au  trouble  ,  vous 
alarme;  la  grâce  combat,  les  passions  résis- 
tent à  Jésus-Christ;  faut-il  s'étonner  si  cette 
multitude  de  sentiments  si  opposés  jettent 
le  trouble  et  la  confusion  dans  votre  âme? 
Turbavit  se  ipsum. 

Que  rlirai-je  de  cette  sainte  activité  si  né- 
cessaire à  la  conversion?  Elle'doit  se  mani- 
fester jusque  dans  vos  sens  mêmes?  Et  n'est- 
ce  pas  pour  vous  l'apprendre  que  le  Sauveur 
pleure  sur  le  tombeau  du  Lazare?  Et  lacry- 


999 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SURIAN 


1000 


matas  est  Jésus;  larmes  vraiment  précieuses 
qui  s'étendent  jusque  sur  vous  et  qui  doi- 
vent exciter  les  vôtres  à  la  vue  de  vos  mal- 
heurs, et  en  effet  quel  état  en  demande  des 
plus  amères  et  des  plus  abondantes  que  le 
vôtre;  depuis  longtemps  en  vous  infortuné 
que  vous  êtes  il  n'y  a  [dus  de  vie,  plus  d'in- 
nocence, plus  de  justice  ;  vous  avez  perdu 
votre  Dieu,  etavec  lui  votre  paix,  votre  repos, 
votre  salut,  votre  joie,  votre  bonheur;  vous 
êtes  morts  dans  tout  vous-mêmes.  Ah!  pou- 
vez-vous  vous  regarder  ici  tel  que  vous  êtes 
sans  qu'il  coule  de  vos  yeux  des  torrents  de 
larmes  :  Lacrymatus  est  Jésus.  Ah  !  triste 
spectacle  de  vos  maux  !  Etes-vous  le  maître 
de  vos  soupirs  et  de  vos  gémissements,  le 
Sauveur  cria  à  haute  voix,  dit  l'Evangile, 
voce  magna  clamavit;  car  voilà  avec  quelle 
action,  avec  quelle  vivacité  de  pénitence, 
Jésus-Christ  veut  que  vous  reveniez  à  lui,  e' 
croire  le  recouvrer  par  l'indolence  après  l'a 
voir  perdu  par  la  langueur  ;  c'est  vous  abuser 
et  consommer  votre  perte,  au  lieu  d'opérer 
votre  salut  :  Intremuit  spiritu,  et  turbavil  se 
lacrymatus  est,  et  clamavit. 

Mais  ce  n'est  pas  tout,  vous  avez  bien 
d'autres  progrès  encore  à  faire  dans  l'ouvrage 
de  votre  conversion.  Après  avoir  opposé  à 
cette  langueur  funeste  une  sainte  activité,  il 
faut  que  vous  opposiez  encore  à  cet  état  de 
mort  un  état  de  résurrection  et  de  vie.  Et 
statimprodiitquieratmortuus.  Mais  comment 
cela?  rne  direz-vous  :  Vous  le  devez  et  vous 
Je  pouvez,  et  c'est  toujours  Jésus-Christ  qui 
va  vous  servir  de  règle  :  Tollite  lapidem, 
dit-il  aux  sœurs  du  Lazare,  ôtez  la  pierre, 
levez  les  obstacles  qui  s'opposent  à  votre 
conversion  sur  les  occasions  qui  peuvent 
vous  entraîner  au  péché;  surmontez  les 
difficultés  qui  se  présentent  dans  la  voie  de 
la  pénitence;  renversez  enfin  tout  ce  qui 
fermn  le  tombeau,  ren  lez-vous  impénétrable 
aux  traits  du  péché,  et  vous  reviendrez  à  la 
vie,  tollite  lapidem,  ôtez  de  votre  esprit  ces 
pensées  trop  curieuses  qui  le  souillent,  ces 
préjugés  qui  l'aveuglent,  ces  doutes  qui  les 
ret  ennent,  ces  sens  propres  qui  l'égarent, 
cette  raison  superbe  qui  l'enfle,  tollite  lapi- 
dent, et  du  sépulcre  de  ses  crimes  où  il  est 
retenu  par  l'habitude,  il  sortira  vivant  par  la 
foi  :  Prodiit  qui  erat  mortuus.  Otez  de  votre 
cœur  cet  amour  déréglé  des  créatures,  ces 
[  assions  insensées  k  ces  objets  séducteurs 
qui,  depuis  longtemps,  l'attachent,  l'endur- 
cissent et  le  lient  au  péché,  tollite  lapidem, 
et  alors  il  sortira  de  son  tombeau  plein  de 
vie  par  la  charité  :  Et  prodiit ,  ôtez  de  votre 
corps  et  de  vos  sens  celte  mollesse  qui  l'a- 
brutit, ce  luxe  qui  le  dégrade,  ces  lectures" 
qui  le  séduisent,  ces  entretiens  qui  l'enchan- 
tent; fuyez  ces  compagnies  qui  le  perdent,  ces 
spectacles  qui  le  souillent;  ôtez  tout  ce  qui 
vous  engage  dans  le  crime  :  Tollite,  et  par  la 
pénitence  vous  sortirez  du  tombeau  de  vos 
péchés  plein  de  vie  nouvelle,  prodiit,  mais 
avant  que  de  la  recouvrer  cette  vie  aimable, 
vous  avez  dû  obéir  à  cette  parole  de  Jésus- 
Christ,  Lazare,  veni foras,  Lazare,  paraissez  au 
dohors,  et  vous  faites  connaître.  Ah  l  jusqu'à 


quand  enveloppé  dans  les  ombres  d'une  cons- 
cience criminelle,  aimant  l'obscurité,  crain- 
drez-vous  de  paraître  au  dehors  et  de  ma- 
nifester par  une  sincère  confession  l'état 
déplorable  de  votre  âme?  jusqu'à  quand 
cacherez-vous  sous  la  pierre  d'une  âme  tout 
endurcie  vos  malheurs  et  vos  désordres-?  O 
vous  qui  faites  gloire  de  vos  égarements,  ne 
voudrez-vous  donc  les  cacher  qu'à  celui  qui 
peut  les  pardonner  et  vous  en  délivrer,  et 
sortir  de  votre  indolence,  de  votre  endurcis- 
sement et  de  vos  désordres,  de  votre  mort  et 
de  votre  perte,  révéler  le  secret  de  votie 
maladie,  déclarer  vos  péchés,  montrer  à  dé- 
couvert toute  votre  âme  :  Lazare,  veni  foras, 
et  à  cet  ordre  du  Sauveur  on  vit  tout  à  coup 
sortir  de  son  tombeau  Lazare  encore  tout  lié 
et  tout  enveloppé  de  son  suaire  :  Statim  pro- 
diit qui  fuerut  mortuus.  Ah!  quel  bonheur 
pour  vous,  pécheur,  si  aujourd'hui  que  le 
Fils  de  Dieu  vous  adresse  cette  même  parole 
par  ma  bouche,  on  vous  voyait  obéissant  à 
sa  voix,  aller  vous  offrir  aux  pieds  du  prêtre 
pour  lui  déclarer  tous  vos  crimes,  lui  exposer 
toutes  vos  chaînes,  lui  découvrir  tous  vos 
commerces,  lui  manifester  tous  les  nœuds  de 
vos  passions,  lui  dévoiler  toute  votre  âme  et 
tout  ce  qui  vous  attache  davantage  dans  le 
péché  :  Statim  prodiit,  qui  fuerut  mortuus. 
Et  n'allez  pas  nous  dire  :  Je  me  convertirai 
►quand  je  serai  plus  libre  et  quand  je  serai 
dégagé  de  mille  affaires  qui  me  lient;  vains 
prétextes  qu'il  ne  faut  point  écouter,  allez-y 
tel  que  vous  êtes,  et  qu'on  puisse  dire  de 
vous  que  vous  vous  êtes  converti  d'abord 
sans  délai,  sans  remise,  qu'au  sortir  de  ce 
temple  après  ce  discours,  vous  êtes  allé  mani- 
fester votre  âme  au  prêtre,  statim  prodiit, 
qu'on  puisse  dire  de  vous,  ce  pécheur  est  res- 
suscité malgré  tous  les  liens  qui  l'environnent, 
il  n'est  plus  lié  par  ses  dé-ordres,  mais  j  ar 
sa  douleur  ;  il  n'est  plus  captivé  par  ses  vices, 
mais  par  ses  regrets  et  par  la  protestation 
sincère  de  se  donner  à  Jésus-Christ  pour  le 
reste  de  sa  vie  :  Prodiit  qui  fuerat  mortuus. 
Ah  1  si  vous  portiez  au  tribunal  ces  disposi- 
tions bienheureuses,  a.ec  quelle  joie  le  Fils 
de  Dieu  dirait-il  à  ses  ministres  comme  il 
dit  à  ses  disciples  et  aux  sœurs  du  Lazare  : 
Solvite  eum,  après  les  épreuves  convenables 
et  nécessaires  en  vertu  de  mon  sang,  en  mou 
nom  et  par  mon  autorité  absolue;  déliez  le 
pécheur,  et  par  la  force  invincible  de  cetle 
absolution  qui  exécute  ce  qu'elle  promet,  qui 
n'est  pas  seulement  un  signe  qui  avertit, 
mais  une  grâce  qui  opère  :  Solvite  eum,  d'objet 
qu'il  élait  de  ma  colère  et  de  ma  justice  ;  faites- 
en  un  sujet  de  ma  clémence  et  de  ma  misère  : 
solvite,  c'était  un  criminel  destiné  au  dériver 
supplice,  à  qui  j'ai  voulu  faJire  grâce  et  qui 
a  obtenu  le  pardon  de  ses  fautes;  renvoyez- 
le  absous,  solvite;  d'ennemi  qu'il  était  de  nia 
sainteté;  rendez-le  héritier  de  mon  royaume, 
solvite  ;  puisqu'il  a  rompu  les  liens  de  ses 
crimes,  brisez  ceux  de  sa  perte.  Ah  l  quelle 
consolation  pour  un  pécheur,  tout  son  cœur 
peut-il  contenir  la  joie  que  tant  dé  bonheur 
et  de  charme  y  font  naître!  quel  plus  grand 
contentement  que  de  voir  alors  avec  la  grâce 


1001 


CAHEME.  —  SERMON  XXIII  ,  HOMELIE  SUR  L'EVANGILE  DE  LAZARE. 


1005 


de  Dieu  revivre  en  vous  votre  justice,  votre 
foi,  votre  charité,  votre  espérance;  car  tout 
cela  ne  respirait  plus  en  vous,  et  tout  cela  y 
reprend  une  vie  nouvelle  par  votre  péni- 
tence :  Prodiit  qui  fuerat  mortuus.  Vous 
sortez  du  sein  de  la  pierre,  comme  le  Lazare 
sort  de  son  tombeau,  avec  un  nouvel  esprit, 
un  nouveau  cœur,  une  âme  nouvelle,  des  )  eux 
nouveaux,  une  langue  nouvelle,  une  nou- 
velle personne  et  un  nouvel  être,  un  homme 
nouveau,  une  source  nouvelle  :  Prodiit  qui 
erat  mortuus.  Ah  !  si  aux  pieds  du  ministre 
vous  éprouviez  une  bonne  fois  ce  bonheur, 
que  vous  béniriez  votre  sort!  Lazare,  revenant 
au  monde  et  à  la  vie,  fut-il  plus  sensible  à  sa 
résurrection  que  vous  le  seriez  à  la  vôtre? 

Mais  ce  n'est  pas  encore  tout  pour  votre 
conversion  :  à  ces  habitudes  criminelles  où 
vous  croupîtes  si  longtemps,  faisant  de  jour 
à  autre  de  nouveaux  progrès  dans  le  vice, 
doivent  répondre  en  vous  des  habitudes 
saintes  de  justice  et  de  pénitence,  qui  vous 
fassent  avancer,  vous  affermissant  heureu- 
sement dans  la  vie  de  la  grâce,  vie  si  noble, 
si  pure,  si  excellente,  si  glorieuse,  comme 
on  le  juge  par  le  témoignage  de  ceux  qui 
l'éprouvent.  Lazare  ressuscité,  acquiert  tous 
les  jours  une  vigueur  nouvelle,  et  vous, 
parce  que  vous  augmentiez  de  plus  en  plus 
vos  désordres  avant  votre  conversion,  il 
faut  qu'après  vous  croissiez  de  jour  en 
jour  ,  en  vertus  ,  que  vous  reveniez  au 
même  degré  de  vertu  où  vous  êtes  monté 
dans  le  péché,  aussi  avide  et  insatiable  de 
pénitence  que  vous  l'étiez  de  plaisir  et  de 
volU|ité;  vous  devez  vous  regarder,  après 
être  converti,  comme  un  enfant  qui  a  beso:n 
de  croître,  comme  un  voyageur  qui  a  besoin 
de  regagner  sa  patrie  ;  au  lieu  de  vous  ar- 
rêter à  un  point  fixe  pendant  que  vous  êtes 
sur  la  terre,  il  faut  toujours  marcher  et 
avancer  dans  la  voie  qui  vous  conduit  au 
ciel  ;  qu'enfin  toute  votre  vie  ne  soit  plus 
qu'un  continuel  essor  vers  la  plus  sublime 
perfection,  et  que  vous  ne  soyez  jamais  con- 
tent de  l'état  présent  de  votre  âme,  espérant 
de  (dus  en  plus  le  faire  devenir  meilleur. 

Enfin,  si  vous  voulez  que  votre  conversion 
soit  véritable,  essayez  de  réparer  votre  cor- 
ruption passée  par  votre  sainteté  présente, 
donnez  à  votre  esprit  une  foi  plus  vive,  à 
votre  cœur  une  chanté  plus  étendue,  à  voire 
corps  une  pureté  plus  circonspecte,  à  vos 
sens  une  retenue  plus  scrupuleuse;  et  faites 
en  sorte  que  vous  puissiez  avec  justice  vous 
rendre  à  Vous-même  le  bienheureux  témoi- 
gnage que  vous  êtes  vivant  en  acquérant 
chaque  jour  une  vie  nouvelle,  une  nouvelle 
vigueur  en  avançant  de  bien  en  bien,  en 
croissant  dans  l'exercice  delà  vertu  :  car,  n'est- 
ce  pas  celte  marque  de  vie  et  de  résurrec- 
tion que  Jésus-Christ  donne  à  Lazare,  après 
avoir  ait  :  Déliez-le,  solvite  eum,  il  ajoute 
aussitôt,  et  sinite  abire,  et  laissez-le  aller  ; 
comme  s'il  eût  voulu  dire  à  ces  incrédules  : 
Le  croirez-vous  ressuscité  quand  vous  le  ver- 
rez en  action,  en  mouvement,  et  se  servant 
de  ses  forces  ;  mais  un  sens  bien  naturel  en- 
core de  ces  paroles  de  Jésus-Christ,  c'est, 

Orateurs  sacrés.  L. 


disent  les  Pères,  qu'il  était  juste  que  Lazare, 
ressuscité  allât  lui-même  publier  partout  la 
gloire  d'un  Dieu  qui  venait  d'opérer  en  sa 
faveur  un  si  grand  miracle.  Voilà  le  dernier 
trait  que  vous  devez  vous  appliquer  à  vous- 
mêmes  :  vous  avez  été  à  vos  frères  une 
odeur  de  mort,  un  sujet  de  scandale,  une 
occasion  de  péché,  un  principe  de  séduction, 
devenez-leur  une  odeur  de  vie  et  un  mo  • 
dèle  de  vertu,  un  sujet  d'édification,  qui  ré- 
pare le  scandale  que  vos  désordres  ont  causé. 
Allez  annoncer  à  vos  frères  les  transports 
heureux  d'un  bienfait  si  précieux,  et  si  doux, 
sinite  abire  ;  faites  qu'ils  en  soient  bien  per- 
suadés par  le  consolant  témoignage  de  votre 
esprit  soumis  et  fidèle,  de  votre  cœur  plein 
d'amour  et  de  zèle,  de  vos  sens  chastes  et 
mortifiés,  sinite  abire;  au  lieu  de  cacher  votre 
conversion  par  une  lâche  et  timide  pusilla- 
nimité, faites-vous  honneur  de  la  montrer  et 
de  la  publier,  et  glorifiez  par  là  le  Seigneur 
qui  vous  l'a  fait  opérer:  ut  glorificetur  t'ilius 
Dei  pereum;  puisque  votre  désordre  fut  pu- 
blic, que  votre  pénitence  soit  éi  latante.  Cor- 
rompus comme  vous  étiez,  quelle  source  d'es- 
pérance pour  ceux  qui  sont  dans  le  désordre! 
et  en  vous  voyant  revenus  à  Dieu  de  bonne 
foi,  qui  désespérera  de  sa  conversion  après 
la  vôtre?  Plusieurs  d'entre  les  Juifs  qui  avaient 
vu  Lazare  ressuscité  ci  urenl  en  Jésus- Christ: 
Multi  ex  Judœis  crediderunt  in  eum;  vous 
n'avez  aussi  qu'à  vous  laisser  voir  conveitis 
sincèrement,  et  par  là  vous  attirerez  plus 
d'âmes  à  Jésus-Christ  que  tous  nos  discours 
ensemble  :  Multi  crediderunt  in  eum. 

Ah!  quelle  manière  aimable  de  réparer  vos 
scandales!  et  que  vous  êtes  heureux,  pé- 
cheurs d'habitude,  de  pouvoir  par  un  moyen 
si  doux  reconnaître  le  grand  bienfait  et  la 
grâce  justifiante  que  votre  Dieu  vient  de  vous 
faire  1  Sinite  abire.  Grand  Dieu,  puisque  la 
conversion  des  pécheurs  a  des  effets  si  saln- 
taires  Jans  le  champ  de  votre  Eglise,  ah! 
que  ne  la  multipliez- veus  davantage  et  que 
n'en  sommes-nous  plus  souvent  les  bienheu- 
reux témoins!  Je  n'ai  pu  parler  à  mes  audi- 
teurs du  bonheur  de  ressusciter  à  la  vie  de 
la  grâce  sans  leur  inspirer  en  même  temps 
le  désir  d'y  partici]  er  |  romptement;  faites- 
leur  sentir  vivement  la  volonté  que  vous  avez 
de  les  sauver,  et,  ouvrant  sur  eux  les  trésors 
de  vos  miséricordes,  ne  permettez  pas  qu'ils 
y  soient  insensibles;  vous,  ô  mon  Dieu,  qui 
vous  appelez  la  résurrection  et  la  vie,  ne 
portez  pas  en  vain  ce  titre  à  leur  égard.  Nous 
sommes  sans  vie,  puisque  nous  l'avons  per- 
due parnos  péchés;  regardez  ces  lieux  saints 
où  nous  sommes  assemblés  comme  ce  champ 
couvert  d'ossements  secs  et  arides  que  votre 
esprit  autrefois  ranima,  et  que  cette  voix  pé- 
nétrante qui  brisa  la  dureté  de  ces  os  brise 
encore  aujourd'hui  la  dureté  de  nos  cœurs  et 
nous  fasse  triompherde  lamort  de  nos  âmes; 
car  peut-être,  hélas!  sommes-nous  tous  ici 
sans  vie  à  vos  yeux  1  Ossaarida,  audite  verbum 
Domini.  (Ezech. ,  XXXYlll.)  O  vous  tons  qui 
êtes  morts  par  le  péché  ,  écoutez  et  obéissez 
à  la  voix  de  votre  Dieu,  qui  vous  ordoi  ne 
de  reprendre  la  vie  !  Ossa  arida,  audite  verlun 

22 


1005 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SURIAN. 


1004 


Domini;  pécheurs  d'habitude,  pécheresses 
d'état  et  de  profession,  ossements  secs  et 
arides,  sortez  du  sein  de  la  mort,  ranimez- 
vous  à  la  voix  puissante  du  sang  d'un  Dieu 
qui  vous  rappelle  au  salut  et  à  la  vie  :  Ossa 
arida,  audite  verbum Domini:  Ossements  secs 
et  arides,  entendez  la  voix  et  la  parole  du 
Seigneur.  Parole  miséricordieuse,  mes  frères, 
qu'il  est  doux  de  lui  céder  1  et  n'est-ce  pas 
sans  doute  pour  nous  prédire  de  loin  qu'elle 
aurait  cet  effet  aimable  que  Jésus-Christ  dans 
son  Evangile  ajoute  :  Non  Lazare  ne  sera 
point  le  seul  sur  qui  je  porterai  ce  miracle  : 
Venit  hora  (Joan.,\)-,  et  même  l'heure  est 
venue;  est-ce  celle-ci,  où  les  morts  entend- 
ront la  voix  du  Fih  de  Dieu  :  Quando  mort  ni 
audientvoeemFilii  Dei(ïbid.)  ;  que  plusieurs, 
morts  par  le  péché  et  ensevelis  dans  le  tom- 
beau de  leur  habitude  mauvaise,  entendront 
la  parole  du  Seigneur  qui  est  la  vie  :  Et  qui 
audlerint  viv  nt  (Ibid.),  et  ceux  qui  auront 
écouté  avec  foi  et  avec  do  il  té,  avec  amour, 
avec  componction,  avec  pénitence  cette  pa- 
roledivine:  Ils  vivront  :  Vivent  in  œternum; 
ils  vivront  éternellement  de  la  vie  de  la  grâce 
en  ce  monde  et  de  celle  de  la  gloire  du  Sei- 
gneur en  l'autre.  C'est  ce  queje  vous  souhaite 
à  tous,  in  nominc  Patris,  etc.  Amen. 

SERMON  XXIV. 

DE     LA     CONFESSION. 

Quis  ex  vobis  arguel  me  de  peccato  ?  (Joun.,  VIII.) 
Qui  d'entre  vous  m'accusera  de  péché 

Heureuse  une  âme  qui,  par  la  confession, 
se  purifiant  de  ses  péchés,  peut  dire  en  ce 
saint  temps  avec  Jésus-Christ  :  Qui  de  vous 
désormais  pourra  me  reprendre  de  péché  : 
Q.iis  ex  vobis  arguet  m,"  de  peccato? 

Mais  qu'est-ce  encore  que  la  confession, 
et  quelle  idée  avez-vous  du  sacrement  de 
pénitence  que  vous  le  considériez,  Messieurs, 
ou  du  côté  du  pécheur,  ou  du  côté  de  Dieu? 
Est-il  rien  de  plus  touchant  et  de  plus  mi- 
séricordieux. D'une  part,  c'est  un  infortuné 
qui  vient  se  déplorer  lui-môme,  et  chercher 
dans  la  compassion  de  Jésus-Christ  une  res- 
source à  ses  peines  ;  c'est  un  captif  qui,  gé- 
missant sous  le  poids  de  ses  chaînes,  cher- 
che à  les  briser,  et  soupire  après  sa  chère 
liberté;  c'est  un  enfant  qui,  désolé  d'avoir 
quitté  le  meilleur  de  tous  les  pères,  vient 
fondre  en  larmes  à  ses  pieds  et  répandre  des 
regrets  amers  dans  son  sein;  c'est  un  cou- 
pable qui  regrette  son  innocence,  qui,  con- 
sterné de  ses  crimes,  les  accuse,  les  répare, 
et  vient  en  chercher  la  rémission  dans  un 
tribunal  de  miséricorde  et  de  grâce.  Enfin, 
c'est  un  aveugle  qui  voit,  un  muet  qui  parle, 
un  sourd  qui  entend,  un  paralytique  qui  est 
guéri,  un  mort  qui  ressuscite,  et  dans  un  pé- 
cheur pénitent,  tous  ces  miracles  ensemble, 
voilà  ce  qu'est  le  sacrement  de  pénitence  dans 
un  pécheur. 

Et  du  côté  de  Dieu  qu'est-ce?  sinon  un 
sacrement  d'amour  et  de  miséricorde.  C'est 
un  Sauveur  qui  ouvre  les  trésors  de  ses  grâ- 
ces au  pécheur,  afin  qu'il  ne  renie  pas  inu- 
tiles les  mérites  du  sang  qu'il  a  donné  pour 


lui  ;  c'est  un  père  tendre  qui,  après  l'égare- 
ment de  son  enfant,  verse  à  la  vue  de  son 
retour  des  larmes  de  joie  et  de  consolation  ; 
c'est  un  pasteur  compatissant  qui  court  après 
la  brebis  égarée,  et  dès  qu'il  la  retrouve,  la 
charge  sur  ses  épaules  pour  la  réunir  au 
sacré  bercail  ;  c'est  un  juge  qui  de  terrible 
devient  miséricordieux  et  prononce  un  ar- 
rêt d'absolution  au  lieu  d'un  arrêt  de  colère  ; 
c'est  un  Dieu  qui  se  montre  toujours  prêt  à 
pardonner,  et  qui  ne  veut  paraître  grand  que 
par  sa  miséricorde. 

Tel  est  le  sacré  ministère  de  la  confession 
et  de  la  piété  auquel  vous  avez  si  souvent 
recours,  et  au  tribunal  duquel  vous  allez 
vous  approcher  en  ce  saint  temps.  Telle  est 
la  sainte  propitiation  que  saint  Paul  nous 
explique  si  bien  quand  il  dit  qu'il  n'est  ni 
loin  de  nous,  ni  au-dessus  de  nous,  ni  tout 
proche  de  nous ,  ni  dans  notre  bouche  et 
dans  notre  cœur  :  Prope  est  in  ore  tuo  et  in 
corde  tuo  (Rom.,  X),  dans  la  bouche  qui  s'ac- 
cuse ,  dans  le  cœur  qui  se  repent,  propitia- 
tion qui  nous  rend  notre  Dieu  que  nous 
avions  perdu,  et  avec  lui  tous  les  biens  en- 
semble. O  mon  aimable  Sauveur,  que 
pourrions-nous  souhaiter  de  plus  avantageux, 
et  que  pourriez-vous  nous  donner  qui  se 
déclarât  davantage  en  faveur  de  votre  grâce  ! 
Cependant,  il  arrive  tous  les  jours  qu'on  Je 
rend  ou  inutile  ou  funeste  ,  et  nous  voyons 
avec  douleur  que  presque  tous  changent  le 
saint  remède  en  poison,  et  la  source  des 
grâces  en  occasion  de  péché.  Comment  cela? 
Le  voici  •  Tout  le  mystère  de  la  confession 
consiste  dans  l'examen  des  péchés  et  dans 
la  douleur  de  les  avoir  commis,  et  c'est  par 
ce  défaut  d'examen  et  de  douleur  que  l'on 
fait  tant  de  confessions  sacrilèges,  où  l'on  ne 
s'examine  pas  assez  sur  ses  péchés,  où  l'on 
ne  les  déteste  point  assez  :  Negue  cognoscunt, 
neque  sentiunt  (Isa.,  XLIV).  Ainsi,  du  dé- 
faut d'examen ,  vient  un  luneste  abus  sur 
l'accusation  des  péchés  :  Ncqtie  cognoscunt  ; 
voilà  mon  premier  point.  Du  défaut  de  dou- 
leur naît  une  flatteuse  confiance  sur  la  re- 
pentance  de  ses  péchés:  Neque  sentiunt; 
voilà  le  second.  C'est-à-dire  qu'aux  pieds 
du  prêtre  où  l'on  vient  chercher  miséricorde, 
on  ne  voit  presque  que  de  faux  justes  faute 
d'examen,  ou  de  faux  pénitents  faute  de 
douleur  :  voilà  tout  mon  dessein.  Seraient- 
ils  venus,  ô  mon  Dieu  !  ces  moments  où  faute 
de  lumière,  où  faute  de  sensibilité  de  notre 
part,  vous  viendriez  vous-même  ou  nous 
éclairer  ou  nous  toucher.  Qu'ils  nous  se- 
raient cher»  et  salutaires  ces  bienheureux 
moments!  Nous  vous  les  demandons  ici  par 
l'intercession  de  Marie.  Ave,  Maria. 

PREMIER    POINT. 

Quelle  est  donc  la  première  erreur  qui 
abuse  tant  de  chrétiens  qui  s'y  reposent  en 
venant  dans  nos  sacrés  tribunaux ,  et  d'où 
vient-elle  ?  de  deux  grands  défauts  :  ou  de  la 
négligence  dans  l'examen,  ou  de  l'illusion 
qu'on  y  apporte,  ou  l'on  ne  s'examine  pas 
assez,  ou  l'on  s'examine  mal,  ou  l'on  négl'ge 
de  s'examiner,  ou  l'on  s'examine  avec  des 


5005 


CAREME.  —  SERMON  XXÏV,  DE  LA  CONFESSION. 


iOOG 


principes  trompeurs;  après  cela  est-il  sur- 
prenant que  de  faux,  justes  on  devienne  de 
véritables  sacrilèges  ? 

Première  cause  :  On  ne  s'examine  point, 
et  je  trouve  trois  grandes  raisons  de  cette 
négligence  :  le  cœur  est  fécond  en  malice  ; 
qu'il  faudrait  de  continuité  et  de  suite  dans 
l'examen!  et  l'on  ne  s'examine  qu'en  passant  ! 
Le  cœur  est  rempli  de  misères  ;  qu'il  faudrait 
de  courage  pour  les  passer  toutes  en  revue 
les  unes  après  les  autres,  et  l'on  ne  peut  en 
supporter  qu'avec  peine  la  recherche!  Le 
cœur  est  profond  ;  qu'il  faudrait  d'attention 
pour  en  pénétrer  tous  les  replis  !  et  c'est  ce 
que  la  légèreté  nous  empêche  de  faire:  voilà 
ce  qui  met  sur  vos  péchés  un  voile  épais 
qui  vous  empêche  de  les  voir,  tels  qu'ils 
sont,  et  tels  que  vous  les  devez  déclarer  au 
prêtre  ,  qui  vous  fait  croire  justes  lorsque 
vous  êtes  les  plus  coupables. 

Faut-il  s'étonner  si,  aux  approches  du  sa- 
crement et  jusque  dans  le  tribunal  sacré, 
vos  regards  se  confondent  sur  la  multiplicité 
des  péchés  que  vous  voulez  déclarer?  Eh! 
comment  retrouver  si  aisément  un  cœur 
qu'on  a  laissé  errersans  l'avoir  jamais  suivi  ? 
Comment  lire  si  aisément  dans  une  con- 
science qu'on  n'a  jamais  étudiée?  Comment, 
en  si  peu  de  temps,  connaître  une  âme  qui 
a  commis  tant  de  pensées  criminelles  qu'elle 
a  presque  aussitôtperdues  de  vue,  tantde  dé- 
sirs profanes  et  impies  qu'elle  a  à  peine  senti 
naître,  et  qui  se  sont  aussitôt  dissipés  ,  tant 
de  passions  naissantes  qui,  n'ayant  souillé 
que  votre  cœur,  sont  effacées  de  votre  mé- 
moire. Une  connaissance  si  parfaite  en  un 
instant  si  court  est  une  chose  impossible, 
c'est  vouloir  pénétrer  d'un  seul  coup  d'œil 
toutes  les  obscurités  ensemble ,  et  rien 
presque  n'est  plus  impénétrable  que  celle 
que  produit  la  négligence,  la  propitiation, 
et  plus  encore  la.  vengeance  du  Seigneur, 
car  toutes  ces  choses  ont  leurs  ténèbres  à 
part.  Quelle  nuée,  grand  Dieu!  cela  fait  trem- 
bler; car  combien  d'aveugles  qui  croyaient 
que  leur  âme  n'était  point  chargée  d'un  seul 
péché,  s'en  sentent  maintenant  tout  couverts 
et  n'en  souffrent  de  la  peine  dans  le  fond 
de  l'abîme  que  pour  avoir  trop  négligé  de 
les  examiner  et  de  les  connaître  pour  cause 
du  défaut  d'examen.  On  ne  s'examine  point 
avec  assez  de  suite  et  de  continuité. 

11  y  en  a  une  seconde  :  c'est  qu'on  ne 
s  examine  point  assez  avec  courage.  Ce  n'est 
pas  toujours  la  paresse  qui  nous  empêche 
de  nous  arrêter  sur  nos  péchés,  c'est  quel- 
quefois la  honte  que  nous  avons  de  les  voir. 
La  corruption  et  le  crime,  est-il  spectacle  plus 
triste  aux  yeux  d'un  pécheur  que  la  honte 
éclaire  ;  quelque  défectueux  que  l'on  soit, 
on  n'aime  point  à  voir  ses  défauts,  surtout 
quand,  dans  une  vie  toute  pleine  de  crimes, 
on  ne  peut  jeter  un  regard  qui  ne  tombe  sur 
une  misère;  qu'il  est  donc  naturel  au  pé- 
cheur de  se  fuir;  que  des  yeux  qui  ne  voient 
que  des  monstres  horribles  se  lassent  aisé- 
ment, et  quand  on  est  si  peu  ce  qu'on  de- 
vrait être,  qu'il  est  triste  de  se  voir  ce  que 
l'on  est,  l'appréhension  de  vous  voir  si  cou- 


pable vous  arrête,  et  connaissant  votre  cœur, 
votre  conscience,  un  abîme  où  vous  ne  sau- 
riez descendre  sans  horreur,  vous  vous  en 
tenez  à  un  examen  confus,  superficiel,  de 
quelques  péchés  en  gros,  sans  en  venir  au 
détail  et  à  la  connaissance  de  vos  plus  grands 
crimes.  Ainsi,  si  vous  vous  examinez  sur  la 
liberté  de  vos  paroles,  sur  la  témérité  de  vos 
jugements,  sur  l'impureté  de  vos  pensées, 
sur  le  dérèglement  de  vos  désirs,  sur  l'in- 
justice de  vos  actions,  sur  la  malignité  de 
vos  médisances  ,  vous  n'allez  jamais  à  la 
source  du  mal,  au  principe  qui  vous  les  a 
fait  commettre  ;  c'est-à-dire  à  l'envie  odieuse, 
à  la  jalousie  basse  dont  le  ridicule  seul  fait 
rougir  ;  et  ce  que  je  dis  d'une  passion,  dites- 
le  de  cent  autres.  Si  la  vue  de  vos  crimes 
vous  effraie,  si  la  pensée  qui  en  est  honteuse 
vient,  s'offrir  à  vous  avec  sa  laideur,  vous  tâ- 
chez de  l'éloigner,  et  vous  cherchez  quelque 
chose  dans  la  vie  qui  vous  en  puisse  distraire, 
vous  reportez  bientôt  votre  vue  sur  ce  que 
le  vice  vous  paraît  avoir  de  plus  doux,  et 
laissez  derrière  vous  vos  péchés  et  trop  af- 
freux avoir  et  trop  honteux  à  dire;  pourquoi 
donc  cette  honte  se  trouve-t-elle  en  vous  au 
temps  de  Pâques?  Ah!  il  en  fallait  avoir 
avant  de  commettre  le  ('rime;  vous  êtes  si 
hardis  pour  le  mal,  ne  seriez-vous  donc  ti- 
mides que  pour  le  bien?  Ici  la  confusion  ne 
doit  servir  qu'à  vous  faire  accuser  mainte- 
nant devant  le  ministre  de  Jésus-Christ,  pour 
ne  pas  avoir  un  jour  celle  d'être  accusé  à  la 
face  de  tout  le  monde  assemblé.  Ah!  que 
vous  seriez  donc  bien  plus  sages  de  faire  de 
votre  confusion  votre  pénitence  ,  que  de  la 
faire  servir  à  aggraver  votre  péché,  deuxième 
cause  de  la  fausse  justification  du  pécheur, 
le  défaut  de  courage  dans  l'examen  de  ses 
péchés. 

Il  en  reste  une  troisième  :  c'est  de  ne  point 
s'examiner  avec  assez  d'attention;  et  certes 
si  nous  devons  nous  juger  nous-mêmes  en 
cette  vie  comme  Dieu  nous  jugera  un  jour 
après  la  mort,  et  si  notre  attention  à  nous 
examiner  à  ce  tribunal  de  la  pénitence  doit 
imiter  celle  que  Jésus -Christ  apportera  à 
nous  examiner  au  tribunal  de  ses  vengeances, 
ne  s'ensuit-il  pas  de  là  que  nous  devons 
donc  avoir  sur  nos  péchés,  avant  la  confes- 
sion, une  vue  forte  et  une  attention  sérieuse 
et  fixe  pour  en  faire  un  examen  rigoureux 
et  sévère.  Rien  n'est  plus  certain  qu'en  ce 
jour  dernier  Jésus-Christ  sondera  nos  cœurs 
et  qu'avec  le  flambeau  de  sa  vérité,  il  en 
éclairera  tous  les  plis  et  replis  ;  vous  devez 
donc  vous-mêmes  sonder  ici  ce  même  cœur, 
en  développer  tous  les  mystères,  en  apro- 
fondir  tous  les  secrets,  tâcher  de  pénétrer 
cet  abîme  impénétrable  où  sont  cachés  des 
crimes  à  l'infini,  où  sont  entassés  monstres 
sur  monstres  ;  il  faut  en  démêler  les  passions 
les  plus  confuses,  les  intrigues  les  plus  en- 
veloppées ;  il  faut  en  connaître  la  disposition, 
les  ressorts,  l'intention  seule,  quelquefois  est 
un  grand  crime.  Pour  en  venir  à  celte  con- 
naissance du  cœur,  quelle  attention  ne  faut- 
il  pas  aux  pécheurs  pénitents  1 

Jésus-Christ  examinera  peu  à  peu  jusqu  à 


£007 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SURIAN. 


1C03 


la  légèreté,  jusqu'au  danger  de  ces  fautes 
vénielles  qui  abattent  votre  âme,  qui  la  font 
tomber  dans  la  tiédeur,  dans  l'indifférence 
pour  le  salut,  qui  vous  jettent  dans  une  lan- 
gueur qui  va  presque  jusqu'à  la  mort,  con- 
testent l'Esprit- Saint  et  empêchent  votre 
Sauveur  de  vivre  et  de  régner  en  vous, 
comme  certains  doutes  sur  la  foi,  réprimés 
avec  négligence,  certaines  affections  de  la 
vertu,  trop  humainement  suivies,  certains 
épanouissements  de  joie,  qui  dissipent  trop 
la  grâce,  certaine  lenteur  à  répondre  aux 
inspirations  saintes  qui  refroidit  trop  l'ima- 
gination, une  certaine  inutilité  de  paroles 
qui  ne  tendent  qu'à  vider  le  cœur,  certaine 
complaisance  pour  des  personnes  de  diffé- 
rent sexe  qui  affaiblit  la  charité  parfaite  que 
nous  devons  à  Dieu,  ceitaine  vivacité  d'hu- 
meur, de  tempérament,  de  caprice,  qui  flatte 
tro|.  l'amour-propre,  certains  péchés  de  sur- 
prise, d'omission,  de  faiblesse,  d'inadver- 
tance, d'inaction  même,  qui  conduisent  in- 
sensiblement à  la  léthargie  et  à  l'assoupis- 
sement spirituel  ;car,  ne  vous  y  trompez  pas, 
Messieurs,  l'âme  se  souille  quand  la  vertu 
cesse  d'agir  en  elle;  si  de-puis  votre  dernière 
confession,  votre  étal  n'est  pas  meilleur,  il 
est  pire;  et  ne  point  avancer  dans  la  piété 
quand  on  l'a  pu,  est  une  offense  qu'il  faut 
dire  et  dont  il  faut  s'accuser. 

En  effet,  vous  nous  demandez  de  vous  in- 
terroger, comme  si  avant  de  venir  à  nous 
vous  disiez  comme  ce  prince  impie  à  Daniel  : 
J'ai  fait  un  songe;  le  souvenir  et  la  pensée 
que  j'en  ai  sont  si  confus,  que  je  ne  sais  ce 
que  j'ai  vu  :  Yidi  somnium  et  mente  conftisus 
vjn'tro  quid  vidrrim.  (Dan.,  IL)  Mon  Père, 
j'ai  rappelé  le  souvenir  de  mes  péchés  passés, 
la  mémoire  m'en  a  paru  si  éloignée,  qu'il  me 
semble  que  c'est  un  rêve;  j'en  ai  ramassé 
quelques  idées;  en  voulant  les  parcourir,  j'y 
ai  trouvé  tant  d'embarras  et  tant  de  confu- 
sion, ils  sont  en  si  grand  nombre  et  ma 
conscience  en  si  mauvais  état,  que  je  n'y 
connais  rien  :  Yidi  somnium  et  mente,  etc.  Si 
vous  ne  me  dites  ce  que  j'ai  fait,  je  n'en  sais 
rien  :  Samnium  iyitur  et  interpretalionem 
ejus  indicatc  mihi.  (Ibid.)  Ah!  c'est  à  vous- 
mêmes  à  me  le  dire.  Nous  répondrons  nous 
avec  le  Prophète  :  C'est  de  vous  que  nous 
devons  savoir  ce  songe;  exposez-nous  ici 
tous  vos  péchés  ;  découvrez-nous  votre  con- 
science •  llex somnium  dicat  servis  suis.  (Ibid.) 
Et  quand  vous  nous  les  aurez  appris,  quand 
nous  les  saurons,  nous  vous  en  expliquerons 
le  vrai  sens,  nous  vous  en  ferons  sentir  tout 
le  vrai  malheur  et  vous  en  donnerons  le  re- 
mède :  Rex  somnium  dicat  et  interpretatio- 
nem illius  indicabimus.  [Ibid.)  Que  nous  vous 
interrogions,  Messieurs  1  Ah  1  déjà  quel  grand 
fonds  de  tristesse  pour  nous  d'être  obligés 
d'employer  à  deviner  vos  péchés  ce  peu  de 
temps,  ces  moments  si  courts  qui  seraient 
bien  mieux  employés  à  exciter  vos  larmes, 
à  nourrir  votre  componction,  à  fortifier  vos 
bonnes  résolutions  et  à  vous  rappeler  de  vos 
égarements.  Mais  enfin,  si  par  surcroît  de 
malheur  nos  interrogations  ne  sont  point 
heureuses,  si  nous  ne  réussissons  pas  à  de- 


viner; à  déterrer,  à  dévoiler  des  péchés  que 
vous  laissez  lâchement  à  notre  examen,  au 
lieu  d'en  faire  la  juste  matière  du  vôtre  ;  si, 
malgré  nos  interrogations,  quelques  offenses 
mortelles  demeurent  encore  cachées  au  fond 
de  votre  conscience,  où  en  êtes-vous?  notre 
malheur  est-il  votre  décharge?  pensez-vous, 
trop  lâches  pénitents.,  que  ces  crimes  vous 
soient  pardonnes  parce  que  vous  avez  né- 
gligé de  les  connaître?  Ces  fautes,  il  est  vrai, 
demeureront  cachées  aux  \  eux  des  hommes  ; 
le  sont-elles  aux  yeux  de  Dieu?  non.  Vous 
devez  vous  attendre  que  <e  juste  juge  les 
compte,  les  met  en  nombre,  les  pèse  et  les 
examine,  pour  vous  les  ex| oser  dans  sa  fu- 
reur au  jour  terrible  de  ses  vengeances  et 
pour  confondre  en  votre  présence  vos  jus- 
tices fausses  et  trompeuses  :  Arijuam  te  et 
slatuam  contra  faciem  tuam.  (Psal.  XL1X.) 

Mais  la  fausse  justice  du  pécheur  qui  se 
confesse  vient  non-seulement  de  te  qu'en  ne 
s'examine  pas,  mais  encore  de  ce  qu'on 
s'examine  mai,  c'est-à-dire  sur  de  faux  prin- 
cipes. L'illusion  est  encore  ici  plus  dange- 
reuse que  le  péché;  car,  quand  c'est  la  négli- 
gence qui  l'a  empêché  de  s'examiner,  il  peut 
s'en  relever  par  plus  de  recherche  et  d'at- 
tention ;  pour  guérir  celte  plaie,  \1.  ne  faut 
qu'y  réfléchir  davantage;  mais  l'erreur  dans 
le  principe  est  presque  irrémédiable  ;  la  plaio 
qui  vient  de  l'opinion  eit  toujours  terrible, 
et  l'on  ne  peut  presque  en  revenir  sans  un 
miracle  de  la  grâce;  erreur  cependant  si 
commune  aujourd'hui  dans  l'examen  des 
péchés,  qu'on  ne  peut  y  penser  sans  verser 
des  larmes  aiuères. 

Quels  sont  les  règles  et  les  principes  qu'on 
doit  suivre  dans  cet  examen?  la  loi  de  Dieu 
et  sa  propre  conscience.  Mais  que  leur  sub- 
stitue-l-on?  Les  maximes  du  monde  et  vos 
propres  passions  :  voilà  d'où  vient  votre 
fausse  justice.  La  loi  de  Dieu  est  donc  la 
première  règle  de  l'examen  des  pécheurs 
avant  la  confession;  règle  uniforme  et  inva- 
riable dont  la  confrontat;on  forme  un  juge- 
ment assuré  et  sur  laquelle  tous  les  pécheurs 
seront  jugés,  selon  que  leurs  œuvres  s'y 
trouveront  plus  ou  moins  conformes  :  Libri 
aperti  sunt  et  alius  liber  apertus  est  qui  est 
vitœ  etjiidicati  sunt  mortui  ex  lus  quœ  scripta 
erant  in  libris  secundum  opéra  ipsorum. 
(Apoc,  XX.)  Or,  ce  qui  fait  que  vous  appor- 
tez tant  d'illusion  à  notre  saint  tribunal  d* 
la  pénitence,  c'est  que  vous  cherchez  vos 
offenses  non  dans  la  loi  de  Dieu  et  dans  les 
maximes  de  Jésus -Christ,  mais  dans  les 
usages  et  les  maximes  du  monde.  Vous  aviez 
d'abord  une  âme  tendre,  instruite,  timide 
et  éclairée,  mais  qui  fut  peut-être  entraînée 
de  bonne  heure  vers  le  mal,  |  arce  qu'on 
vous  permit  trop  tôt  de  communiquer  avec 
le  monde.  Comment  faire  pour  ré.j  ondre 
à  ces  bonnes  dispositions  où  vous  élez  né 
et  aux  bons  principes  dans  lesquels  on  vous 
avait  élevé?  d'aller  vous  porter  au  sa»  ré  t ;  i- 
bunal,  avec  dos  mœurs  sitôt  corrompues, on 
ne  saurait  s'y  résoudre.  Que  fait- on?  On 
prend  avec  les  personnes  que  l'on  fréquente 
et  que  l'on  aime  mille  faux  principes  do 


1009 


CAREME.   -  SERMON  XXIV,  DE  LA  CONFESSION. 

préserver    par 


conduite  que  l'on  embrasse  volontiers,  parce 
qu'elles  flattent  le  penchant  et  le  faible  ; 
leurs  pernicieuses  erreurs  deviennent  vos 
maximes;  vous  les  adoptez,  vous  les  sui- 
vez,  et  quand   la  vie  est    longue,  que  le 
mécompte  e>t  affreux  1  car  c'est  là  ce  qu'on 
apporte   de   tribunal  en  tribunal,  dont  on 
s'accuse  toujours  et  dont  on  ne  se  détrompe 
jamais  ;   et   c'est  ainsi  qu'on    substitue    le 
monde  à  l'Eglise  et  le  siècle  à  la  religion. 
Ainsi,  si  vous  venez  à  considérer  avant  la 
confession  cette  fatale  avidité  que  vous  avez 
pour  les  honneurs,  pour  les  plaisirs,  pour 
les  richesses,  pour  le  faste,  pour  le  luxe  des 
habits,   vous  vous  dites  h  vous-mêmes  que 
c'est  ainsi  qu'il   faut  vivre  dans  le  monde 
quand  on  y  tient  le  rang  que  vous  y  tenez  ; 
que  vous  êtes  dispensés  des  lois  communes 
aux  autres,  parce  que  vous  êtes  d'une  nais- 
sance et  d'une  condition  qui  vous  en  dis- 
tinguent.   C'est   sur   ce   plan   que  vous   ne 
vous  étudiez  qu'à  tout  ce  qui  peut  vous  éle- 
ver, vous  agrandir,  vous  enrichir,   vous  di- 
vertir; que  toute  votre  vie  est  un  composé 
de  paroles  inutiles,  de  désirs  injustes,  d'é- 
talages  pompeux,  de  bienséances  gênantes, 
de  divertissements  profanes,  de  mondanités 
scandaleuses  qui  ne  font  de  toute  votre  car- 
rière qu'un  grand  désordre  et  une  grande 
inutilité.    Si    vous  vous    regardez    comme 
grands,  comme  hommes  du  siècle,  bientôt 
ces  jeux,  ces  amusements,  ces  spectacles,  ces 
assemblées  licencieuses,  tous  ces  usages  que 
le  monde  autorise  vous  paraîtront  sans  doute 
moins   criminels;  mais  si   vous  en  jugiez 
comme  chrétiens,  comme  pénitents,  vous  y 
trouveriez  un  fondsde  corruption  etde  péché 
qui  vous  damne  et  tous  ceux  qui  s'y  aban- 
donnent. Si  au  lieu  d'en  décider  sur  la  loi 
de   Dieu  ou  sur  le  sort  déplorable  de  ce 
monde  pervers  si  expressément  condamné 
et  réprouvé  de  Jésus-Christ,  vous  ne  jugez 
de  toutes  ces  choses  que  sur  le  témoignage 
et  l'approbation  de  ce  monde  poli  et  réglé 
qui  les  loue,  qui  devient  comme  le  garant 
de  ces  illusions,  ah  !  vous  y  demeurez  ;  vous 
les  pratiquez  avec  une  fausse  confiance  que 
rien  n'ébranle;  il  ne  vous  vient  pas  même 
dans  la  pensée  qu'il  y  ait  du  péché,  qu'il 
faille  vous  examiner  et  vous  assurer  là  des- 
sus; vous  ne  reconnaissez  pour  crime  que 
ce  que  le  momie  désavoue,  et  nous  apportant 
dans  le  sacré  tribunal  une  âme  jugée,  con- 
damnée et  justifiée  selon  le  monde;  vous  ne 
remportez  de  nos  pieds  que  ce  qui  appartient 
au  monde,  c'est-à-dire  des  arrêts  de  condam- 
nation, des  anathèmes  redoutables  et  tout  ce 
que  Jésus-Christ  a  lancé  de  foudres  et  de  malé- 
dictions contre  le  monde  :  Vœmundo.  {Mat th., 
XVIII.)  Si  vous  étiez  venus  dans  le  sacré  tri- 
bunal pour  y  consulter,  pour  vous  y  examiner 
avec  nous  sur  la  loi  de  Dieu,  vous  y  auriez 
reconnu  l'erreur  qui  vous  trompe,  l'illusion 
funeste  qui  vous  joue;  mais  parce  que  vous 
n'avez  ;ns.  pour  règle  de  votre  examen  et  de 
vos  décisions  que  le  monde,  ses  pernicieuses 
maximes,  et  votre  aveuglement,  la  confession 
vous  sera  tout  à  fait  inutile;  quel  malheur, 
grand  Dieu!  et  ne  tàrherez-vous  point  de 


vous   en 
chrétien. 
La  conscience 


un 


Î0S0 
examen   plus 


est  une   deuxième  règle 


qu'on  doit  suivre,  c'est  encore  un  guide 
éclairé  qu'il  faut  consulter  ;  et  si  la  loi  de 
Dieu  nous  est  donnée  au  dehors  pour  nous 
connaître  et  nous  conduire,  la  conscience 
nous  est  donnée  au  dedans  pour  nous  ser- 
vir de  frein  et  de  juge  dans  toutes  nos  ac- 
tions; c'est  à  notre  tribunal  aussi  bien  qu'à 
celui  de  la  loi  divine  que  nous  serons  trou- 
vés innocents  ou  coupables;  que  nous  serons 
condamnés  ou  absous,  et  puisqu'il  doit  nous 
juger,  il  faut  donc  bien  qu'il  nous  examine. 
Mais  à  ce  fonds  de  lumière  si  étendue,  à  ce 
flambeau  de  vérité  si  favorable,  que  n'op- 
posez-vous pas?  et  au  lieu  de  vous  exami- 
ner sur  un  principe  si  certain,  ne  lui  pré- 
férez-vous |  as  vos  passions,  qui  bientôt,  par 
leur  séduction  et  par  leur  artifice,  se  mettant 
à  sa  place,  vous  tiennent  lieu  de  guide  et 
vous  deviennent  la  conscience  même. 

Or,  qu'est-ce  qu'une  conscience  si  fort  au 
gré  de  vos  passions,  si  conforme  à  vos  dé- 
sirs, si  favorable  à  vos  désordres,  et,  en 
quelque  sorte  transformée  en  vos  penchants 
et  en  vos  faiblesses?  Quelle  recherche  pou- 
vez-vous  faire  à  la  faveur  d'un  flambeau  si 
ténébreux  et  si  obscur?  Comme  les  iniquités 
s'y  commettent  sans  peine  et  sans  remords, 
ne  les  envisage-t-on  pas  aussi  sans  douleur 
et  sans  honte?  Avec  un  guide  si  aveugle, 
peut-on  manquer  de  s'égarer  etde  périr  avec 
lui  dans  le  principe  d'où  l'on  semble  vouloir 
se  délivrer?  Sur  celte  règle  si  trompeuse  on 
s'examine  sans  fruit,  on  s'accuse  sans  crainte, 
on  ne  rougit  de  rien,  on  se  rassure  sur  tout  ; 
c'est  une  source  intarissable  de  crimes  in- 
connus, sur  lesquels  votre  propre  erreur  et 
le  charme  de  vos  passions  vous  justifient, 
car  il  est  si  naturel  et  si  commun  à  la  passion 
de  se  justifier  1  Quand  on  aime  quelque 
chose,  on  veut  toujours  avoir  raison  de 
l'aimer;  peut-être  résistons-nous  un  mo- 
ment à  ce  malheureux  penchant  que  nos 
passions  reproduisent  en  nous-mêmes,  mais 
notre  amour-propre  réussit  bientôt  à  nous 
persuader  que  ce  jugement  est  raison- 
nable ;  ce  qui  nous  flatte  nous  paraît  juste, 
et  ce  que  nous  voulons  nous  paraît  permis 
et  innocent  :  Quod  volumus  sanctum  est. 

Sur  ce  principe,  Messieurs,  que  dès  que 
vous  êtes  engagés  avec  vos  passions,  que 
vous  vous  êtes  livrés  en  esclaves  à  leur  em- 
pire, elles  sont  devenues  toute  votre  règle, 
toute  votre  conscience,  où  trouveriez-vous 
donc  du  péché  en  examinant  votre  conduite? 
Ah!  quand  avec  une  telle  conscience  vous 
vous  examinez,  les  crimes  les  plus  scanda- 
leux ne  vous  paraissent-ils  pas  permis  parce 
que  vous  les  aimez?  Les  jeux,  les  assemblées 
mondaines,  les  spectacles,  le  luxe  n'ont  rien 
de  coupable  à  vos  yeux  parce  que  vous  les 
aimez  ;  les  usures,  les  concussions,  les  injus- 
tices, les  rapines,  les  vexations,  les  perfi- 
dies, les  trahisons,  les  médisances,  et  mille 
autres  voies  toutes  atroces,  vous  paraissent 
permises  parce  que  vous  les  aimez,  et  tout 
votre  principe  et  toute   votre  autorité  dan* 


fois 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SUR1AN, 


1012 


une  erreur  si  déplorable,  c'est  vos  seules 
passions  :  ce  n'est  que  par  leurs  yeux  que 
vous  voyez,  que  par  leur  penchant  que  vous 
décidez,  et  comme  à  mesure  que  vos  pas- 
sions croissent,  vous  vous  y  laissez  davan- 
tage conduire,  peut-on  concevoir  jusqu'à  quel 
degré  d'aveuglement  et  d'erreur  vous  vous 
trouvez  engagés?  Dès  que  votre  œil,  c'est-à- 
dire  votre  conscience,  est  obscurci,  tout  le 
reste  de  vous-même  est  obscur  et  ténébreux, 
c'est-à-dire  tout  couvert  de  crimes  et  plein 
d'erreur. 

Voilà  donc  les  deux  causes  de  défaut  d'exa- 
men dans  la  confession  :  ou  l'on  ne  s'exa- 
mine point,  ou  l'on  s'examine  mal;  c'est-à- 
dire  des  principes  faux,  et  voilà  ce  qui  pro- 
duit en  vous  cette  foule  de  sacrilèges  dans 
votre  confession;  voilà  ce  qui  fait  de  vous 
cette  nation  maudite  dont  parle  le  Saint-Es- 
prit, qui  se  représente  pure  à  ses  propres 
yeux,  et  qui  cependant  n'est  pas  lavéede  ses 
souillures  et  est  toute  couverte  encore  de  ses 
ordures  :  Gencratio  quœ  sibi  munda  videtur 
et  tamen  non  est  Iota  asordibus  suis.  (Prov., 
XXX.)  Ah  !  Seigneur,  si  mon  Ame  n'est  cou- 
pable que  par  ignorance,  et  que  c'ait  été 
sans  le  savoir  que  je  vous  aie  offensé,  vous 
m'assurez  que  vous  m'accorderez  pardon  : 
Anima  si  p»ccaverit  per  ignorantiam  dimit- 
tetur  ci  quia  per  errorem  deliquit  in  Domi- 
num  (Levit.,  V.)  Si  mon  erreur  et  mon  igno- 
rance peuvent  me  justifier  à  vos  yeux,  et  me 
conserver  innocent,  je  vous  demande  de  les 
avoir  toujours  présentes,  mais  si  elles  ne 
servent  qu'à  me  réprouver  et  à  me  rendre 
plus  coupable,  je  vous  conjure,  ô  mon  Dieu! 
de  les  oublier  :  Ignorantias  meas  non  memi- 
neris.  (Psal.  XXXIV.)  Je  vais  faire  de  mon 
mon  côté  tout  pour  m'éclairer  et  rn'instruire 
de  mes  fautes  ;  en  m'examinant,  je  descen- 
drai jusqu'au  fond  de  ma  conscience,  descen- 
dant, et  là  je  verrai  tout  ce  qui  s'y  est  passé, 
etvidebo;  je  prendrai,  pour  examiner  mes 
péchés,  des  yeux  sévères,  des  yeux  péné- 
trants, des  yeux  évangéliques,  les  yeux  mê- 
mes de  votre  sainte  loi,  et  videbo  :  comme 
Ezéchias,  et  plus  pécheur  encore  que  lui, 
je  rappellerai  tout  le  mal  que  j'ai  fait 
pendant  ma  vie  :  Becogitabo  omnes  annos 
■meos.  (Isa.,  XXXVIII.)  Je  me  les  rappelle- 
rai, ces  années  si  tristes,  si  couvertes  de  cri- 
mes, dont  l'idée  seule  me  fait  frémir,  reco- 
gitabo  ;  ce  ne  sera  point  une  vue  légère  et 
superficielle,  j'y  penserai,  j'y  repenserai 
sans  cesse,  recogitabo  ;  ce  ne  sera  point  seu- 
lement quelque  endroit  de  ma  vie,  j'en  rap- 
pellerai tout  le  cours,  j'en  examinerai  tou- 
tes les  années,  et  je  ferai  en  sorte  qu'il 
ne  m'en  échappe  pas  une  seule  circon- 
stance; je  suivrai  si  bien  toute  l'histoire  de 
mes  crimes  et  de  mes  malheurs,  que  je  n'en 
oublierai  rien,  ce  que  je  pourrai  déclarer  au 
prêtre,  recogitabo;  et  pourrais-je  le  faire 
sans  une  amertume  cruelle,  sans  des  regrets 
cuisants,  sans  une  douleur  vive  :  In  amari- 
tudine  animœmeœ.  (Ibid.)  Mais,  en  parlant  de 
la  douleur,  je  passe  insensiblement  au  se- 
cond point  de  mon  discours,  car  si  le  défaut 
d'examen  fait  au  tribunal  de  la  confession 


de  faux  justes,  le  défaut  de  douleur  ne  fait 
pas  moins  de  faux  pénitents  :  c'est  par  où  je 
vais  finir  en  peu  de  mots. 

SECOND   POINT. 

En  quoi  consiste  la  pénitence  chrétienne? 
Elle  se  réduit  à  la  douleur  d'avoir  offensé 
Dieu;  c'est  la  douleur  qui  doit  commencer 
en  nous  une  vie  nouvelle  et  une  sainte  ré- 
gularité :  l'examen  fait  le  juste,  mais  la  dou- 
leur fait  le  pénitent.  Cependant  toute  humi- 
lité n'a  pas  ce  bienheureux  effet;  il  est  cer- 
tains caractères  qu'elle  doit  avoir,  sans  les- 
quels elle  ne  justifierait  pas  le  pécheur:  le 
premier  c'est  qu'elle  soit  profonde,  c'est-à- 
dire  une  douleur  qui  surpasse  toutes  les 
autres  douleurs  naturelles;  le  second,  c'est 
qu'elle  soit  sincère,  c'est-à-dire  qu'elle 
vienne  du  cœur  et  qu'elle  soit  justifiée  parurt 
ferme  propos;  le  dernier,  enfin,  est  que 
cette  douleur  soit  pratiquée,  c'est-à-dire 
qu'elle  satisfasse  pour  toutes  les  offenses 
qui  ont  été  commises.  Ah!  si  une  telle  douleur 
était  connue  aujourd'hui  dans  le  monde, 
les  chrétiens  qui  approchent  de  nos  sacrés 
tribunaux  se  verraient  préservés  des  ma.  é- 
dictions  prononcées  contre  tant  de  faux  pé- 
nitents; mais,  parce  qu'elle  y  est  bien  rare, 
il  n'y  est  rien  aussi  plus  commun  que  ces 
âmes  sacrilèges  qui  changent  la  sainte  pro- 
pitiation  en  ruine  et  en  anathème,  dit  le  Pro- 
phète, in  ruinam. 

Le  premier  caractère  est  la  douleur  qui 
fait  le  vrai  pénitent,  qu'elle  soit  profonde; 
caractère  si  essentiel  à  la  douleur,  que  l'Ecri- 
ture nous  la  représente  dans  le  cœur  des 
pénitents  comme  un  torrent  de  larmes,  qui 
brise  leur  cœur,  qui  trouble  leur  esprit, 
qui  dessèche  leur  chair,  qui  pénètre  jusque 
dans  la  moelle,  de  leurs  os  et  leurote  presque 
la  vie.  Est-ce  ici,  Messieurs,  un  piège,  une 
pieuse  exagération  de  notre  zèle?  voyez  un 
David,  un  Ezéchias,  un  saint  Pierre,  une  Ma- 
deleine, et  tant  d'autres,  et  de  l'Ancien  Tes- 
tament et  du  Nouveau,  mille  fois  on  vous  a 
proposé  les  exemples,  et  jamais  aucun  ne 
s'est  trouvé,  qui,  eu  égard  au  Dieu  qu'il 
avait  offensé,  ait  cru  que  sa  douleur  pût 
être  excessive,  qu'elle  pût  même  être  ja- 
mais assez  grande.  Ahl  que  nous  serions 
consolés  si  nous  connaissions  que  votre  con- 
fession produisît  une  douleur  semblable; 
cependant  quoi  de  plus  juste,  et  quelles  for- 
tes raisons  n'en  avez-vouspas?  vosmalbeurs, 
pour  être  pleures,  n'ont  besoin  ici  que  d'être 
considérés;  qu'avez-vous  été,  et  quelle  a  été 
voire  vie?  Qui  d'entre  vous  ne  peut  pas  avec 
justice  s'appliquer  ces  paroles  qu'Esdras  met 
dans  la  bouche  du  peuple  méchant  :  Iniqui- 
tates  nostrœ  multiplicatœ  sunt  super  caput 
nostrum  (I  Esdr.,  IX);  mes  péchés,  accumu- 
lés comme  ûqs  montagnes,  et  multipliés  à 
l'infini  sur  ma  tête,  sont  montés  jusqu'au 
ciel  ;  je  suis  un  des  pins  grands  pécheurs  qui 
fut  jamais  ;  quelque  recherche  que  je  fasse 
de  ma  vie,  je  n'y  vois  que  des  prévarications 
et  des  iniquités;  plus  je  m'examine  et  plus 
je  découvre  de  crimes;  quelque  loin  que  je 
retourne,  toute  ma  conduite  n'est  qu'un  éga- 


fOI  3 


CAREME.  —  SERMON  XXIV,  DE  LA  CONFESSION. 


tou 


renient,  tous  mes  jours  qu'un  crime;  quel  mal 

n'ai-je  point  fait?  mes  offenses  se  sont  éle- 
vées jusqu'à  Dieu,  et  sollicitent  depuis  long- 
temps sa  vengeance  :  Et  delicta  noslra  creve- 
runt  usque  ad  cœlum.  (I  Esdr.  X.)  Or,  quoi 
de  plus  propre  à  exciter  en  nous  la  plus  vive 
douleur,  que  cette  triste  vue  de  nos  misères; 
si  elle  n'est  souveraine,  aura-t-elJe  quelque 
proportion  avec  le  plus  grand  de  tous  les 
biens  qu'elle  veut  nous  procurer?  C'estnotre 
réconciliation  avec  Dieu  et  avec  le  plus  grand 
de  tous  nos  maux  qu'elle  veut  nous  ôter  : 
c'est  le  péché  et  la  damnation  éternelle. 

A  cette  double  considération,  est-il  un 
cœur  qui  ne  se  fende  ;  mais  en  est-il  beau- 
coup parmi  cette  foule  de  pécheurs ,  qui 
vont  en  ees  saints  jours  assiéger  nos  sacrés 
tribunaux  ,  qui  y  apportent  une  douleur  sou- 
veraine, en  qui  trouve-t-on  ce  brisement  de 
cœur,  ce  déchirement  d'entrailles,  cette  pro- 
fondeur de  contrition;  que  Dieu  attend  de 
vous  et  que  vos  péchés  vous  demandent. 
Ah!  tous  les  jours  dans  le  monde  :  fortune 
manquée,  réputation  flétrie,  une  mort  chère 
vous  désole,  vous  attriste  et  vous  afflige 
jusqu'au  désespoir,  tous  les  jours  au  théâtre, 
des  fictions,  des  chimères,  des  fables  vous 
attendrissent  et  vous  arrachent  des  pleurs  ; 
Pt  on  peut  dire  que  vous  av^z  toutes  les 
douleurs  profanes  à  Babylone;  il  n'y  a  que 
votre  salut,  qui  ne  vous  attendrit  point,  et 
au  tribunal  de  la  confession,  la  vue  d'un 
Dieu  perdu,  d'un  paradis  manqué,  d'une 
éternité  en  danger  ne  vous  touchent  point; 
l'histoire  tragique  de  vos  péchés ,  de  vos 
malheurs,  vous  laisse  les  yeux  secs  et  le 
cœur  tranquille,  vous  demeurez  intrépides, 
inflexibles  ;  et  semblez  être  très-incapables 
de  toute  douleur,  on  n'en  a  porté  qu'une 
si  faible,  si  légère  dans  un  lieu  où  Jésus- 
Christ  eM  tel  qu'Isaïe  le  dépeint;  c'est-à-dire 
brisé  de  douleur  et  agonisant  de  tristesse  ; 
est-ce  là  donc  la  juste  proportion'  qu'il  doit 
y  avoir  entre  la  perte  et  l'affliction,  et  à  juger 
de  vos  c  infessions,  par  la  disposition  que 
vous  avez,  en  devons-nous  attendre  quel- 
ques fruits.  Quoi!  pécheurs,  vous  qui  venez 
5  nos  pieds  pour  obtenir  le  pardon  de  vos 
péchés,  et  apaiser  la  colère  du  Seigneur  : 
vous  vous  amuserez  à  discourir,  à  raconter 
froidement  vos  désordres,  vous  chercherez 
encore  à  faire  paraître  votre  esprit,  à  briller 
et  à  plaire,  et  après  vous  être  fait  un  jeu  de 
pécher,  vous  vous  en  feriez  encore  un  de  la 
pénitence,  dit  un  Père?  Ah!  une  telle  dou- 
leur de  vos  péchés,  serait  aussi  déplorable 
que  vos  péchés  mêmes,  et  faire  dans  le  lieu 
saint  une  si  fausse  pénitence,  c'est  montrer 
qu'on  veut  être  impénitent. 

Le  deuxième  caractère  de  la  douleur  re- 
quise par  le  sacrement,  c'est  qu'elle  soit  sin- 
cère, il  faut  une  douleur  qui  rappelle  nos 
affections  de  tous  les  objets  où  nous  les 
avions  placées,  qui  nous  fasse  revenir  de 
tous  les  engagements  que  nous  avions  con- 
tractés, qui  renferme  une  volonté  efficace, 
un  propos  sérieux,  une  résolution  ferme, 
non-seulement  de  sortir  du  péché  pour  ne 
plus  y  rentrer,  mais  de  fuir  tout  ce  qui  vous 


y  avait  portés,  attraits,  occasions,  compagnies, 
et  tout  ce  qui  pourrait  vous  y  porter  encore  ; 
car  on  ne  peut  dire  un  éternel  adieu  à  tout 
ce  qu'on  est  près  de  renouer  et  de  repren- 
dre, nous  ne  voyons  pas  que  David,  après  sa 
conversion,  retourne  à  son  adultère  ;  ni  Ma- 
nassès  à  ses  concussions,  ni  Matthieu  à  sa 
banque,  ni  Pierre  à  son  apostasie;  tous  ces 
grands  pécheurs,  si  fameux  dans  les  histoires 
sacrées,  n'ont  obtenu  par  la  pénitence,  le 
pardon  de  leurs  fautes,  que  parce  qu'ils  les 
ont  quittées  et  que  jamais  ils  n'ont  eu  la  vo- 
lonté d'y  retourner. 

Or,  c'est  ici,  disent  les  Pères,  le  naufrage 
caché  sous  l'eau;  c'est-à-dire  sous  les  lar- 
mes de  la  pénitence.  11  y  a  beaucoup  de  pé- 
cheurs, qui  en  se  confessant  se  disent  péni- 
tents qui  en  ont  môme  les  marques  extérieu- 
res ;  mais  il  n'en  est  presque  point  qui  se  con- 
vertissent véritablement,  parce  qu'ils  n'ont 
point  une  douleur  sincère;  et,  en  etï'et,  si  votre 
douleur  était  sincère;  mèneriez-vous  tou- 
jours la  même  vie,  et  pour  toute  pénitence 
de  votre  vie  nouvelle ,  vous  eontenteriez- 
vous  d'apporter  aux  pieds  du  prêtre,  quel- 
ques désirs  informes  ;  quelques  projets  va- 
gues, quelques  résolutions  languissantes  de 
mieux  vivre  à  l'avenir,  sans  que  tout  cela 
parte  du  cœur;  et  qu'au  fond  il  n'y  ait  nulle 
componction,  nulle  ruine,  nul  bouleverse- 
ment du  cœur,  nul  trouble  de  la  conscience, 
nul  amendement  de  vie  pendant  que  vous 
vivez  encore  dans  le  même  désordre;  que 
cette  personne  qui  vous  charmait  n'est  point 
éloignée,  que  ce  commerce  qui  vous  damnait 
n'est  point  rompu,  que  ce  scandale  qui  cho- 
quait le  public  n'est  point  levé,  peut-on  dire 
que  votre  douleursoit  sincère,  tandis  que  le 
péché  règne  encore  en  vous  avec  le  même 
empire,  pendant  que  vos  protestations  et  vos 
regrets,  n'ont  de  réalité  que  dans  l'imagina- 
tion, qui  les  forme  et  qui  les  voit  presque 
aussitôt  évanouir,  comment  voudriez-vous 
que  votre  pénitence  fûtsincère  et  réelle,  vous 
n'y  apportez  que  de  la  duplicité  et  de  la  chi- 
mère ;  vous  avez  encore  au  milieu  de  vous 
les  dieux  étrangers,  disait^  le  prophète,  et 
comment  voudriez-vous  qu'on  vous  crût 
convertis  au  Seigneur;  commencez  par  les  en 
éloigner;  et  alors,  on  jugera  favorablement 
de  votre  conversion; quoi  1  pouvez-vous dire 
du  fond  du  cœur  :  J'ai  péché,  pendant  que 
vous  êtes  près  de  pécher  encore,  non  sans 
doute,  ce  n'est  pas  là  avoir  une  douleur  sin- 
cère. Jugez-en  vous-mêmes  par  la'disposif 
tion  où  vous  vous  trouvez  aux  approches  de 
la  confession.  Si  je  vous  dis  ici,  âmes  pieu- 
ses :  Réjouissez-vous;  déjà  le  saint  ministre  a 
;  a  main  levée  pour  vous  absoudre,  vous  allez 
recevoir  le  pardon  de  vos  fautes;  déjà  plus 
de  théâtres,  plus  de  spectacles,  plus  de  jeux, 
plus  de  plaisirs  profanes,  plus  d'assemblées 
mondaines,  vos  fers  vont  être  rompus  avec 
ces  objets  chéris  que  vous  idolâtrez,  vous 
n'aurez  plus  de  liaisons  avec  ces  créatures 
qui  vous  enchantent;  vous  n'allez  plus  tenir 
qu'à  Dieu  seul,  tout  votre  plaisir  va  se  ter- 
miner à  le  servir  et  à  l'aimer  ;  avouez-le,  pé- 
.cheurs,  ce  langage  ne  vous  attriste-t-il  pas? 


1015 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SURIAN. 


1016 


ne  tombez  vous  pas  aans  la  consternation  et 
dans  la  rêverie?  mais  est-ce  clone  là  avoir 
une  douleur  sincère,  un  véritable  regret  de 
vos  péchés?  Si  vous  formiez  le  plan  d'une 
conversion  sincère,  ne  sentiriez-vous  pas 
u:ie  jo'e  saute,  un  doux  plaisir  de  ce  que 
nous  vous  disons,  et  si  vous  ne  sentez  pas 
en  vous  ces  heureuses  dispositions;  n'est-ce 
pas  que  changer  de  vie  et  de  conduite  ne 
fait  pas  votre  bonheur;  mais  plutôt  votre 
supplice,  le  vrai  sujet  de  vos  désirs;  mais 
l'objet  de  vos  craintes  et  de  vos  alarmes  ; 
n'est-ce  pas  que  vous  voulez  encore  être 
]  én.tents;  etle  vouloir  être,  est-ce  donc  avoir 
dans  le  cœur  une  douleur  sincère;  quand 
vous  nous  dites  que  vous  voulez  quitter 
vos  péchés,  que  vous  renoncerez  à  tout 
ce  qui  pourrait  vous  faire  retomber,  hélas  ! 
votre  cœur  en  secret  ne  désavoue-t  il  pas  ce 
que  votre  bouche  prononce?  Quand  vous 
promettez  de  ne  plus  cher. lier  à  vous  ven- 
ger, d'étouffer  tout  ressentiment  contre  vos 
ennemis,  ne  vous  échappe-t-il  pas  encore, 
comme  malgré  vous,  des  traits,  des  soupirs, 
des  paroles  qui  ressentent  encore  la  haine  et 
la  rancune  ?  Quand  vous  nous  jurez  dans  le 
sacré  tribunal,  de  quitter  cette  passion  do- 
minante, ce  péché  favori  qui  vous  expose  à 
mille  autres  désordres,  ne  songez- vous  point 
à  le  reprendre?  Dès  que  les  fêtes  seront  pas- 
sées, ne  cherchez-vous  point  à  dissimuler,  à 
pallier  ces  offenses  que  vous  aviez  promis 
déjà  de  quitter,  et  le  serment  que  vous  nous 
aviez  fait  a-t-il  toute  sa  force  et  tout  son  effet? 
Il  me  semble  voir  (a  mère  de  Moïse  qui, 
après  avoir  par  crainte  exposé  sur  l'eau  son 
enfant,  cherche  aussitôt  à  l'en  retirer  par 
adresse,  quand  vous  nous  dites  que  vous  ne 
pécherez  plus,  que  vous  détestez  vos  péchés, 
c'est  que  /ous  appréhendez  que  par  la  sévé- 
rité de  notre  ministère,  par  nos  remontran- 
ces et  nos  reproches,  nous  enfoncions  trop 
avant  dans  votre  cœur  le  glaive  amer  de  la 
pénitence,  et  que  vous  voulez  nous  faire 
croire  que  ces  mêmes  péchés  que  votre  lan- 
gue accuse,  votre  cœur  les  déteste,  et  en 
effet,  à  peine  vous  êtes-vous  confessés  ,  que 
vous  vous  replongez  dans  les  mêmes  vices  ; 
à  peine  avez-vous  essuyé  le  naufrage,  que 
vous  vous  exposez  sur  la  même  mer;  toute 
votre  vie  n'est  qu'un  cercle  de  promesses  et 
d'infidélités,  de  confessions  et  de  rechutes, 
et  quelle  marque  plus  certaine  de  la  faus- 
seté et  de  l'inutilité  de  votre  pénitence  que 
de  vous  montrer  toujours  les  mêmes,  que  de 
promettre  et  de  vous  rétracter ,  que  de  jurer 
et  de  violer  vos  serments  ;  vous  en  sentez 
vous-mêmes  tout  l'abus  et  toute  la  profana- 
tion ,  lorsque  vous  prenez  si  lâchement  le 
parti  d'aller  de  confesseur  en  confesseur,  de 
changer  de  directeur  presque  autant  de  fois 
que  vous  allez  à  confesse,  pour  échapper  à  la 
honte  de  dire  toujours  au  même  les  mêmes 
choses,  et  pourquoi  tout  cela,  sinon  parce 
que  votre  douleur  n'est  pas  sincère,  qu'elle 
est  feinte  et  purement  extérieure;  car  si 
vous  retombiez  après  une  vraie  contrition, 
un  véritable  repentir,  vous  ne  Je  feriez  pas 
du  moins  sitôt,   si  hardiment,  si  profondé- 


ment. Quoi  de  plus  concluant  pour  la  faus- 
seté de  votre  pénitence,  quoi  de  plus  capa- 
ble d'affliger  et  d'irriter  sa  colère. 

Je  renferme  ici,  Messieurs,  pour  abréger 
le  dernier  caractère  que  doit  avoir  la  |  éni- 
tence  :  c'est  qu'elle  soit  satisfactoire.  Souffrez 
que  je  vous  le  demande,  pécheurs  pénitents, 
l'avez-vous,  cette  douleur  satisfactoire,  lors- 
qu'après  avoir  reçu  de  la  main  du  prêtre  le 
signe  de  votre  réconciliation,  vous  ne  répa- 
rez rien,  vous  ne  satisfaites  à  rien?  lorsque, 
faute  de  porter  le  fer  et  le  feu  dans  la  plaie 
de  votre  âme,  vous  laissez  tomber  lâchement 
le  glaive  salutaire  qu'on  vous  avait  mis  en 
main  pour  le  détruire?  avez-vous  celte  dou- 
leur satisfactoire  quand  vous  cherchez  des 
adoucissements  aux  peines  trop  légères  qu'on 
vous  a  imposées,  et  que  vous  avez  si  bien 
méritées ,  quand  vous  regardez  les  peines 
douces  comme  un  bonheur  et  une  fortune? 
quand  vous  allez  chercher,  quand  vous  vous 
informez  avec  soin  d'un  de  ces  prophètes  trop 
indulgents  qui  ne  vous  disent  que  choses 
qui  vous  plaisent ,  qui  enferment  le  venin 
clans  la  plaie,  et  qui,  loin  de  vous  imposer 
une  pénitence  qui  satisfasse  à  Dieu,  ne  vous 
satisfait  pas  à  vous-mêmes?  Enfin,  avez-vous 
une  douleur  sincère,  lorsque  tombés  entre 
les  mains  de  ces  ministres  zélés  et  circon- 
spects, qui  aiment  plus  la  guérison  de  votre 
âme  que  la  faveur  et  la  protection  de  votre 
crédit,  vous  refusez  quelques  jours  de  re- 
traite, de  jeûne,  d'abstinence  qu'ils  vous  or- 
donnent? vous  élevant  contre  eux  s'ils  vous 
donnent  une  pénitence  tant  soit  peu  propor- 
tionnée à  vos  crimes,  mais  qui  vous  paraîtrait 
toujours  trop  légère,  comparée  avec  la  sévé- 
rité de  la  discipline  dont  ils  ne  font  que  sui- 
vre les  ordonnances  et  les  lois?  Se  comporter 
de  la  sorte  au  sacré  tribunal,  est-ce  avoir  une 
douleur  sincère  et  véritable  ou  une  douleur 
trompeuse  et  hypocrite?  et  n'avoir  qu'une 
telle  douleur,  est-ce  apaiser  la  colère  de 
Dieu  si  justement  irrité  de  vos  offenses?  n'est- 
ce  pas  plutôt  l'obliger  à  vous  dire  :  Mon  pacte 
avec  vous  est  rompu,  mes  bénédictions  sont 
retirées  de  vous;  je  vous  punirai  parce  que 
vous  ne  vous  êtes  pas  punis  vous-mêmes. 

Quelle  parole,  Messieurs,  un  Dieu  irrité, 
un  Dieu  vengeur,  tout  un  Dieu  qui  tombe 
sur  vousl  n'est-ce  point  ainsi  un  coup  de 
foudre  qui  accable  le  faux  pénitent.  Voilà 
donc  les  grandes  voies  qui  mènent  les  âmes 
dans  l'abîme,  et  c'est  ce  qui  doit  vous  effrayer, 
car  si  vos  confessions  sont  le  seul  bien ,  ,1a 
seule  planche  qui  vous  reste  après  le  nau- 
frage, le  seul  rempart  que  vous  puissiez  op- 
poser à  la  colère  céleste;  si  c'est  toute  votre 
religion,  toute  votre  ressource,  toute  votre 
espérance  dans  l'état  malheureux  où  vous 
êtes,  après  ce  que  vous  venez  d'entendre  où 
en  êtes-vous?  quel  sera  votre  sort,  quel  ap- 
pui, que  de  crimes,  quelle  ressource,  que 
de  sacrilèges,  quelle  confiance ,  que  de  mon- 
strueuses profanations  1  Si  c'est  là  ce  qui  vous 
rassurait,  vous  n'avez  maintenant  qu'à  re- 
doubler vos  craintes  :  vous  n'étiez,  avant 
votre  confession,  que  de  grands  pécheurs, 


CAREME.  —  SERMON  XXV,  DE  LA  VERITE  DE  LA  RELIGION. 


1017 

et  depuis  vous  êtes  devenus  de  grands  par- 
jures, de  grands  sacrilèges. 

Souffrez  qu'en  finissant  je  vous  adresse 
les  mêmes  paroles  que  le  grand  Apôtre  adres- 
sait au  peuple  de  Corinthe  :  Obsrcramus  pro 
Chris  ta  reconciliamini  Dco.  (II  Cor.,  V.)  Eh 
quoi!  Messieurs,  voulez-vous  donc  toujours 
vivre  dans  la  haine  et  sous  la  juste  colère  de 
Dieu?  Comme  ministres  de  Jésus-Christ,  au 
nom  duquel  nous  parlons,  et  qui  vous  parle 
par  notre  bouche,  nous  vous  exhortons  a  re- 
courir à  vos  résolutions  et  à  demander  sa 
•miséricorde;  elle  est  infinie,  et  quelque 
grands  pécheurs  que  vous  soyez,  vous  pou- 
vez en  espérer  tout,  si  vous  y  recourez  comme 
il  faut  :  Pro  Chrisio  ergo  legatione  fungemur 
tanqiiam  Deo  exhortante  perttos.  (Ibid.)  Quoi- 
que votre  paix  et  votre  réconciliation  avec 
Dieu  soit  votre  bonheur  suprême,  nous  vous 
le  demandons  comme  une  grâce, -comme  une 
faveur;  et  au  nom  de  qui  vous  le  deman- 
dons-nous? pro  Chri&to,  au  nom  de  Jésus- 
Christ  votre  Sauveur,  au  nom  de  son  sang, 
de  ses  plaies,  de  sa  croix,  de  ses  mérites. 
Si  nous  connaissions  quelque  chose  de  plus 
éloquent  et  de  plus  tendre,  nous  remploie- 
rions ici  pour  vous  toucher;  nous  vous  en 
prions,  nous  vous  en  conjurons,  faites  du 
moins  pour  lui  ce  que  vous  ne  feriez  pas 
pour  vous-mêmes.  Mars  encore,  que  vous 
demandons-nous?  reconciliamini  Dco,  c'est 
de  vous  réconcilier  avec  votre  Dieu  par  une 
confession  sincère  et  entière,  telle  que  vous 
la  feriez  au  1  t  de  la  mort,  au  pied  de  ce  tri- 
bunal redoutable  des  vengeances  du  Sei- 
gneur, où  b  entôt  vous  paraîtrez,  et  peut- 
être  plutôt  que  vous  n'y  pensez,  pour  y 
rendre  compte  et  vous  y  accuser  aux  yeux 
de  toutes  les  créatures  des  péchés  que  vous 
aurez  commis  et  des  grâces  dont  vous  aurez 
abusé.  En  vous  réconciliant  avec  votre  Dieu, 
vous  vous  réconcilierez  f»vec  vous-mêmes; 
car  depuis  longtemps  votre  cœur  est  agité 
par  le  crime,  le  poids  secret  de  vos  iniquités 
vous  accable,  vous  n'aviez  plus  la  paix  et  la 
tranquillité  dans  votre  conscience.  Ah!  rece- 
vez-la de  la  main  de  Jésus-Christ,  'qui  vous 
la  présente  en  ces  saints  jours  par  la  main 
de  ses  ministres,  reconciliamini  Dco;  cette 
réconciliation,  si  vous  la  faites  avec  les  con- 
ditions que  j'ai  tâché  de  vous  faire  connaître, 
vous  rendra  dignes  de  recevoir  Jésus-Christ 
en  ces  temps  cie  grâce  et  de  salut,  et  de  le 
posséder  un  jour  dans  l'immortalité  de  sa 
gloire.  Je  vous  la  souhaite,  au  nom  du  Père 
et  du  Fils  et  du  Saint-Esprit.  Amen. 

SERMON  XXV. 

DE    LA    VÉRITÉ    DE    LA    RELIGION. 

Si  tu  es  Christus  die  nobis  palam,  respondit  eis  Jésus 
loquor  vobis  et  nun  creditis.   (Joan.,  X.) 

Si  vous  êtes  le  Christ,  dites-le-nous  publiquement.  Ici, 
Jésus  leur  répondit  :  Je  vous  parle  et  vous  ne  me.  crouet 
pus. 

Quand  Jésus-Christ  parlait  autrefois  à  des 
esprits  obstinés  et  à  des  cœurs  indociles,  il 
leur  demandait  pourquoi  ils  ne  croyaient 
pas;  mais  lorsqu'aujourd'hui  dans  1 i'assem- 


4018 

blée  des  chrétiens,  je  parle  de  sa  religion 
sainte,  c'est  pour  vous  apprendre  pourquoi 
vous  croyez  ;  et,  au  lieu  des  justes  reproches 
que  Jésus-Christ  faisait  à  L'incrédulité,  je 
viens  donner  à  v<  tre  foi  un  goût  [lus  con- 
solant, un  attrait  plus  insinuant,  une  expo- 
sition [dus  éclairée  |  our  en  rendre  raison, 
comme  l'Apôtre  l'exige  de  nous,  à  quiconque 
vous  le  demandera.  Enfin,  sans  entreprendre 
de  traiter  à  fond  la  vérité  de  la  religion 
chrétienne,  ce  qui  n'est  nullement  ma  pen- 
sée, je  viens  combattre  les  illusions  de  l'es- 
prit, forcer  le  libertinage  jusque  dans  ses 
retranchements,  confondre  le  dérèglement 
de  l'amour-propre  et  déformer  la  séduction 
de  l'impie,  toujours  prêt  à  nous  ravir  un 
trésor  précieux. 

Essayons  donc,  pour  le  conserver  ou  l'ac- 
croitre  en  vous  ce  dépôt  de  la  loi,  de  vous 
montrer  combien  votre  relig:on  sainte  vous 
est  nécesssaire ,  tout  le  leste  sera  prouvé 
quand  cette  nécessité  vous  sera  devenue 
sensible,  je  n'ai  besoin  pour  cela  que  de  votre 
esprit  et  de  votre  cœur:  de  votre  es|  rit  à 
qui  rien  n'est  plus  essentiel  que  de  connaî- 
tre et  à  qui  toutes  les  lumières  seraient  des 
malheurs  sans  la  religion  de  votre  cœur;  à 
qui  rien  n'est  plus  naturel  que  d'aimer,  et 
dont  toutes  les  affections  seraient  de  vérita- 
bles misères  sans  la  religion  ,  deux  idées 
bien  consolantes  pour  une  âme  fidèle. 

La  religion  chrétienne  nécessaire  à  l'es- 
prit; la  religion  chrétienne  nécessaire  au 
cœur  :  voilà  tout  mon  dessein.  Encore  un 
coup  je  parle  devant  des  fidèles,  mais  si  parmi 
ces  enfants  dociles  et  soumis  il  se  trouvait 
de  ces  âmes  rebelles  et  désobéissantes  qui 
voulussent  pousser  à  bout  la  religion  et  les 
raisons  qu'on  leur  apporte,  s'il  y  avait  de 
ces  hommes  irrésolus  et  flottants.  Eh!  plût  à 
Dieu  qu'il  n'y  en  eût  point  qui  n'étant  rien, 
ni  chrétiens  infidèles,  ni  révoltés,  ni  soumis, 
ni  fidèles,  ni  incrédules,  qui,  situés  dans  un 
milieu  vague  et  indéterminé  entre  le  fidèle 
et  l'incrédule,  se  plaisent  dans  cette  espèce 
d'équilibre,  demeurent  dans  cette  indolence 
de  la  foi  qui  est  la  plaie  la  pi  us' mortel  le  que 
le  péché  ait  pu  faire  à  l'homme  ;  grand  Dieu, 
fixez  dans  le  point  de  votre  vérité,  ces  âmes 
iloltantes  et  incrédules  etsurtout  ne  regardez 
point  à  l'outrage  que  vous  font  ces  impies, 
de  ces  pierres  suscitez  des  enfants  d'Abra- 
ham qui  connaissent  que  leur  vrai  malheur 
estde  n'avoir  point  de  religion;  et  s'il  le 
faut,  pour  leur  persuader  que  la  religion  de 
de  Jésus-Christ  est  la  véritable;  faites-leur 
sentir  qu'elle  leur  est  nécessaire  ,  deman- 
dons pour  cela  les  lumières  qui  nous  sont 
nécessaires  par  l'intercession  de  la  sainte 
Vierge.  Ave,  Maria. 

PREMIER    POINT. 

Les  trois  plaies  funestes,  dont  l'esprit  de 
l'homme  a  besoin  d'être  guéri,  sont:  l'igno- 
rance, l'incertitude,  la  curiosité.  Ou  il  ne 
connaît  rien  dans  le  premier  être  qu'il  faut 
adorer,  ou  il  n'a  que  de  l'incertituue  sur  le 
culte  qu'il  lui  doit,  ou  il  veut  trop  sonder  la 
profondeur  des  mystères  qu'il  lui  propose  de 


1019 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SL'RIAN. 


KUO 


croire,  dont  je  conclus  que  la  religion  est 
nécesaire  puisqu'elle  seule  peut  guérir  tou- 
tes ces  plaies  :  à  l'esprit  ignorant  et  aveu- 
gle ,  elle  seule  donne  l'idée  la  plus  claire  et 
la  plus  distincte  ;  à  l'esprit  flottant  et  irrésolu, 
elle  seule  donne  la  certitude  la  plus  forte  et 
l'impression  la  plus  vive;  a  l'esprit  curieux 
et  superbe,  elle  imprime  sur  les  mystères 
qui  nous  sont  proposés  la  soumission  la 
]  lus  juste;  et  sans  elle  rien  n'éclaire,  ne  fixe, 
ne  soumet  l'esprit  humain,  suivez-moi  dans 
ces  trois  circonstances. 

Et  d'abord,  rappelez  les  faibles  images 
dont  les  aveugles  païens  ont  dégradé  la  di- 
gnité du  premier  être;  c'est  une  science  de 
savoir  nombrer,  dit  saint  Augustin  ;  tous 
ceux  que  les  noires  conjectures  du  paga- 
nisme érigeaient  en  dieux  :  un  ciel  plus 
épuré,  un  soleil  plus  brillant,  des  astres 
plus  lumineux,  voilà  les  dieux  que  quel- 
ques-uns adoraient;  les  autres,  moins  ingé- 
nieux, s'en  taillaient  de  bois,  de  marbre,  de 
métaux  et  de  pierre;  on  a  vu  des  animaux 
adorés  comme  des  dieux  1  et  des  hommes, 
aussi  détestables  que  les  objets  infâmes  de 
leur  culte,  partager  avec  eux  leurs  inclina- 
tions basses  et  rapportées  à  chaque  pays. 
Chaque  nation  avait  les  siens,  chaque  désor- 
dre en, avait  de  consacrés;  les  maîtres  du 
monde  leur  donnaient  leur  figure,  leurs  vices 
et  leurs  passions  ;  ce  n'était  partout  qu'in- 
famie et  horreur,  on  voyait  des  hommes 
vaincus,  captifs,  enchaînés,  recevoir  les 
hommages  des  autres  hommes  et  en  être  re- 
gardés comme  des  divinités. 

Ne  leur  insultons  pas  à  ces  aveugles 
païens;  hélas!  de  quoi  n'est  pas  capable  la 
raison  humaine  entraînée  parun  cœur  souillé 
et  à  quel  excès  ne  se  porterait-elle  pas  ! 
qu'il  est  à  craindre  que  sans  un  frein  salu- 
taiie,  nous  ne  ressemblions  à  ces  impies  qui 
ne  reconnaissent  point  d'autre  divinité 
qu'un  caprice  bizarre,  qu'un  destin  et  une  fa- 
talité qui,  loin  de  pouvoir  être  regardés 
comme  des  dieux,  ne  sont  pas  même  des 
êtres.  Elevez-vous  donc  religion  sainte,  il 
n'appartient  qu'à  vous  d'éclairer  la  raison 
de  l'homme  sur  des  abîmes  si  déplorables  ; 
seule  dépositaire  du  véritable  Dieu,  vous 
nous  le  faites  voir  tel,  c'est-à-dire  juste  par 
essence,  saint  de  sa  nature,  absolu  dans  ses 
volontés,  inpépendant  dans  ses  perfections, 
tout  salut  dans  ses  générations;  gouvernant 
seul  le  monde  entier  par  des  lois  immuables 
avant  une  force  à  qui  rien  ne  résiste,  une 
souveraineté  que  rien  ne  borne,  une  félicité 
que  rien  ne  trouble,  une  pureté  que  rien 
n'altère,  un  repos  que  rien  n'interrompt, 
étant  la  consolation  de  ceux  qui  le  cherchent, 
l'appui  de  ceux  qui  l'implorent,  la  miséri- 
corde de  ceux  qui  le  suivent,  la  récompense 
de  ceux  qui  le  savent,  bon  sans  que  sa 
bonté  diminue  rien  des  droits  de  son  équité, 
juste  sans  que  sa  justice  lui  fasse  rien  per- 
dre de  sa  tendresse,  mal  représenté  par  les 
fantômes  de  l'imagination;  mais  se  faisant 
sentir  au  cœur  par  des  touches  bien  réelles, 
et  qui,  après  nous  avoir  remplis  de  son  abon- 
dance ici  bas  doit  nous  absorber  pour  jamais 


dans  l'immensité  de  sa  gloire;  ah!  qui  ne  s'é- 
crierait avec  ces  peuples  de  l'Ecriture  :  Quel 
Dieu  v  a-t-il  au  monde  comme  le  nôtre?  tous 
les  autres  qu'on  s'est  forgés,  chacun  en  sa  ma- 
nière, ne  sont  que  de  folles  productions  du 
crime  et  du  mensonge,  vous  êtes  seul,  ô 
mon  Dieu,  le  véritable;  heureux  qui  vous 
connaît,  qui  vous  adore  et  qui  vous  aime  1 

Cette  religion,  qui  nous  donne  une  idée  si 
sublime  de  l'objet  de  nos  adorations  ,  est 
donc  nécessaire  à  l'esprit  aveugle,  mais  l'est- 
elle  moins  à  l'esprit  irrésolu,  elle  qui,  par 
l'insolubilité  de  ses  promesses,  fixe  toutes 
nos  agitations. 

Ici,  chrétiens  auditeurs,  représentez-vous 
un  homme  qui,  à  force  de  trop  voir  de 
choses  ne  se  satisfait  d'aucune  ;  sa  raison 
lui  suscite  de  tous,  côtés  des  cloutes  qu'elle 
ne  peut  résoudre;  rien  ne  l'accommode  dans 
l'univers,  il  n'y  voit  partout  que  des  situa- 
tions malheureuses,  il  n'y  aperçoit  que  des 
mystères  de  singularité  où  tout  se  dément, 
où  rien  ne  se  soutient,  incapable  de  montrer 
un  seul  motif  de  crédulité  dans  tout  ce  qu'il 
dé. ouvre,  surtout  ne  pouvant  se  résoudre 
à  céder  à  un  homme  semblable  à  lui,  ni  à 
se  rendre  disciple  ou  vassal  d'un  maître  ou 
d'un  seigneur  que  la  nature  a  fait  son  égal, 
il  veut  que  l'objet  du  culte  et  de  l'adoration 
qu'on  lui  propose,  porte  avec  soi  un  carac- 
tère certain  de  divinité,  et  il  n'en  trouve 
point.  Le  déisme,  l'idolâtrie,  le  paganisme, 
le  niahométismc,  et  tant  d'autres  cultes  et 
religions  lui  paraissent  de  grands  noms 
qui  ne  lui  offrent  rien  que  de  naturel,  rien 
que  de  facile,  rien  que  de  favorable  aux 
passions,  aux  vices,  rien  de  propre  à  entre- 
tenir la  délicatesse  de  la  chair  et  le  liberti- 
nage des  sens,  rien  que  d'humain  et  au-des- 
sous même  de  l'homme.  En  vain  cherche-t-il 
à  se  reposer  dans  l'indifférence  en  demeurant 
neutre  et  en  doutant  de  tout;  il  sent  bien 
que  le  pyrronismë  est  un  vide  qui  ne  con- 
tente pas  la  raison  ;  le  besoin  indispensable 
qu'il  sent  avoir  de  la  vraie  religion  qui  le 
fixe,  le  jette  encore  dans  des  recherches  pé- 
nibles et  embarrassantes,  qui  ne  servent  qu'à 
multiplier  ses  peines  jusqu'à  la  fin  de  ses 
jours  ;  c'est  là  tout  le  fruit  de  ses  réflexions 
et  de  son  inconstance. 

Vous  le  voulez  ainsi,  ô  mon  Dieu,  que 
celui  qui  ne  se  fixe  pas  en  vous  porte 
dès  cette  vie  son  supplice  ;  vous  tenez  exprès 
toutes  les  autres  créances  dans  l'impuis- 
sance de  nous  satisfaire,  afin  de  nous  forcer 
à  venir  à  la  seule  véritable  qui  est  la  vôtre; 
vous  voulez,  par  nos  agitations,  nous  arrêter, 
par  nos  inquiétudes,  nous  calmer,  nous 
rendre  heureux  par  nos  peines,  et  pour  nous 
obliger  à  aimer  votre  religion  sainte  et  à 
l'embrasser,  vous  nous  la  rendez  seule  né- 
cessaire; il  ne  tenait  en  effet  qu'à  Diou  de 
donner  à  des  hommes  mortels  une  religion 
toute  humaine;  mais  elle  n'aurait  pa^  sufii. 

Il  leur  en  fallait  une  si  bien  caractérisée, 
qu'on  y  reconnût  aisément  la  main  d'en  haut, 
et  c'est  notre  religion  seule  qui  peut  nous 
faire  ronnaître-ces  grands  traits  de  la  divi- 
nité cl  qui  seule  la  caractérise,  suit  dans  ce 


10-1 


CAREME.  —  SERMON  XX  Y ,  DE  LA  VERITE  DE  LA  RELIGION. 


1022 


qui  1.1  commence,  soit  dans  ce  qui  l'établit, 
soit  dans  ce  qui  la  perpétue.  Je  dis  que  le 
caractère  de  la  divinité  ne  pourrait  être 
mieux  marqué  que  dans  ce  qui  commence 
la  religion  chrétienne;  que  dès  le  commen- 
cement du  monde  les  soupirs  des  justes,  les 
vœux  des  patriarches ,  les  oracles  des  pro- 
phètes, les  promesses  du  Seigneur,  les  so- 
lennités, les  fêtes,  les  temples,  les  prêtres, 
les  sacrifices,  les  victimes,  les  ombres,  les 
figures,  les  cérémonies,  que  tout  cela,  comme 
un  grand  tableau  exposé  aux  yeux  de  l'uni- 
vers pendant  quatre  milîe  ans,  représentait 
déjà  par  nuan  ce  notre  religion  sainte  et 
nous  offre  encore  maintenant  un  spectacle 
tout  divin. 

Mais,  dans  ce  qui  l'établit,  ce  caractère  de 
divinité  y  est  encore  mieux  marqué.  Envoyé 
du  ciel  en  terre  pour  en  poser  les  fondements, 
un  Homme-Dieu  le  fait  par  de  touchants 
exemples  qu'il  donne,  par  d'excellentes  ver- 
tus qu'il  pratique,  par  le  mépris  général  qu'il 
porte  à  toutes  les  choses  du  siècle,  par 
toutes  les  guérisons  qu'il  opère,  par  tous 
les  secours  qu'il  rend  au  prochain,  par  la 
manière  dont  il  agit  à  l'égard  de  ses  plus 
grands  ennemis,  par  l'indifférence  où  il  est 
au  milieu  des  plus  grands  prodiges  comme 
étant  au-dessus  d'eux,  par  l'établissement 
d'un  royaume  nouveau,  par  l'espérance 
qu'il  donne  d'une  gloire  invisible,  sans 
étonnement  pour  les  plus  surprenantes  ré- 
volutions, sans  admirai  ion  pour  les  événe- 
ments les  plus  merveilleux  comme  étant 
admis  dans  les  plus  grands  secrets  de  Dieu; 
n'ayant,  pour  enseigner  la  plus  sublime  des 
doctrines,  qu'une  simplicité  sainte,  surtout 
lorsque  sur  une  croix,  au  milieu  de  deux 
larrons,  dans  une  paix ,  dans  une  douceur, 
dans  une  patience  qui  n'étaient  point  hu- 
maines ,  a;  rès  avoir  o[  éré  dans  les  humilia- 
tions et  les  opprobres  le  salut  du  monde  ; 
après  avoir  vu  toutes  les  prophéties  accom- 
plies ,  levant  les  yeux  au  ciel  pour  en 
rendre  grâce  à  son  Père,  puis  les  baissant 
vers  la  terre  pour  y  considérer  l'ouvrage  de 
la  rédemption  du  monde,  il  s'écria:  Tout  est 
consommé.  (Joan.,  XIX.)  Et  reprenant  enfin 
cette  gloire  qu'il  avait  quittée  volontaire- 
ment, il  remonte  à  la  droite  de  son  Père  pour 
y  jouir  de  cette  splendeur  qu'il  n'avait 
point  ici-bas.  Quel  ouvrage  sous  le  soleil 
porte  plus  dans  son  établissement  le  carac- 
tère de  la  divinité  que  notre  sainte  religion. 
Mais  son  progrès  et  son  accroissement 
achèvent  de  fixer  l'esprit  flottant  et  incertain. 
A  cette  religion  naissante  s'opposent  comme 
un  mur  d'airain  l'artifice  des  faux  savants,  la 
délicatesse  des  hommes  charnels, l'autorité  des 
puissances  du  siècle,  mille  autres  obstacles 
qui  paraissent  invincibles;  et  douze  pêcheurs 
ignorants,  pauvres,  simples,  grossiers,  fu- 
gitifs, désarmés,  tirés  tout  à  coup  de  leurs 
rustiques  occupations,  épris' d'une  ivresse 
céleste,  entreprenent,  rien  qu'avec  leur  sang, 
de  faire  valoir  et  accréditer  une  religion  de 
mortification,  de  renoncement,  de  pénitence, 
d'anéantissement  et  avec  quelles  suites!  Rien 
de  plus  étonnant,  mes  frères  :  partout  l'Evan- 


gile et  la  grâce  de  Jésus-Christ  triomphent 
du  paganisme  et  de  l'évidence  la  plus  natu- 
relle, partout,  la  patience  et  la  mortification 
combattent  victorieusement  la  volupté  et  la 
mollesse ,  partout  la  droiture  et  la  vérité 
l'emportent  sur  les  préjugés  et  le  mensonge  ; 
tout  change  enfin  de  face  à  leur  aspect,  et 
tout  plie  sous  le  joug  nouveau  qu'ils  veu- 
lent imposer.  Il  se  fait  un  renouvellement 
de  mœurs  et  de  créance  dans  le  monde. 
L'Eglise,  encore  cachée  et  inconnue,  com- 
mence dès  lors  à  se  développer  et  à  s'étendre  : 
élevée  sur  la  parole  de  Dieu ,  annoncée  par 
douze  apôtres,  elle  fait  de  Jérusalem  sa  pre- 
mière conquête  et  de  Rome  son  siège  prin- 
cipal ;  elle  exerce  ses  cérémonies  saintes 
dans  les  lieux  mêmes  où  avaient  été  observées 
les  superstitions  du  paganisme  et  sur  des 
murs  renversés  au  son  de  ses  trompettes 
sacrées  s'élève  cet  édifice  et.ee  temple  saint 
dont  la  sagesse  éternelle  avait  pris  les  di- 
mensions dans  les  quatre  parties  du  monde. 
Mon  Dieu,  selon  les  règles  ordinaires  de  la 
sagesse  humaine  ,  ce  prodige  devait-il  ar- 
river tandis  que  les  hérésies  les  plus  licen- 
cieuses, les  nouveautés  les  plus  commodes, 
les  sectes  les  plus  favorables  à  la  nature  et 
aux  sens  périssent  presque  toutes  à  leur 
source.  On  voit  la  religion  de  Jésus-Christ 
s'accréditer  par  les  disgrâces,  s'enrichir  par 
le  dépouillement,  s'insinuer  par  les  rigueurs, 
se  perpétuer  par  la  persécution,  devenir  fé- 
conde par  le  martyre,  demeurer  toujours 
dans  l'unité  de  son  culte  par  les  contradic- 
tions, s'affermir  par  les  efforts  que  le  monde 
fait  pour  l'abattre  et,  encore  aujourd'hui 
n'ayant  rien  altéré  ni  perdu  de  ce  caractère 
auguste  de  divinité  qui  la  distingue  si  noble- 
ment de  toutes  les  autres.  Toutes  les  idoles 
ont  disparu  devant-elles;  les  Juifs  ne  traînent 
encore  sur  la  terre  des  jours  misérables  que 
pour  rendre  témoignage  à  l'ancienne  tradition 
de  la  nouvelle  loi.  Il  s'est  élevé  des  tempêtes 
contre  le  vaisseau  de  Jésus-Christ,  mais, 
malgré  les  persécutions  et  les  vents  conta- 
g;eux  qui  ont  souillé  jusque  dans  Israël  et 
qui  ont  infecté  des  royaumes  entiers,  hélas  l 
nos  bords  y  touchent  de  si  près  que  nos 
entrailles  ne  peuvent  que  s'émouvoir  au 
souvenir  de  leurs  malheurs.  Nous  respi- 
rons encore  parmi  nous  un  air  pur,  le  port 
précieux  de  la  foi  s'y  conserve  toujours,  la 
religion  nous  y  sert  encore  de  lumière  et  de 
guide  ;  tant  d'hérésies  n'ont  point  été  capa- 
bles de  la  détruire;  cette  arche  toujours 
flotte  en  assurance  au  milieu  de  ce  déluge; 
les  branches  retranchées  de  ce  grand  arbre 
n'ont  servi  qu'à  faire  monter  plus  haut  sa 
tige,  et  si,  depuis  son  établissement  jusqu'à 
nous ,  l'homme  a  toujours  fait  hommage  à 
Jésus-Christ  par  sa  religion  et  par  son  culte, 
Jésus-Christ  lui  a  toujours  été  présent  par 
son  amour  et  par  ses  grâces.  C'est  l'avantage 
singulier  de  notre  religion  sainte,  de  faire 
voir  un  enchaînement  de  créance  sans  inter- 
ruption, une  succession  constante  de  dog- 
mes toujours  purs,  toujours  visibles,  aussi 
immuables  que  le  chef  indépendant  à  qui 
elle  tient,   et   survivant  seule  à  toutes  les 


4023 


ORATEURS  SACRES.   LE  P.  SURiAN. 


ifôl 


autres  religions  ensemble  Hélas  !  qu'elle 
dure  encore  malgré  le  débordement  de  nos 
passions,  n'est-ce  pas  un  miracle  plus  grand 
que  tous  les  autres,  qui  prouve  assez  quelle 
n'a  rien  d  humain,  qu'elle  est  toute  divine, 
et  que  toute  la  nature  ne  peut  rien  pour  la 
renver  er?  Oui,  mon  Dieu,  c'est  votre  ou- 
vrage; tous  vos  traits  y  sont  marqués;  em- 
pêchez-la de  périr  et  donnez-lui  un  nouvel 
accroissement  au  milieu  de  son  cours:  Do- 
mine, opus  tuum  in  medio  annorum  vivifiais 
illud.(llaùac.,  111.) 

L'esprit  humain  étant  si  incertain  et  si  ir- 
résolu, ayant  besoin  de  croire  et  ne  trouvant 
rien  pour  le  déterminera  un  objet  digne  de 
lui,  cette  religion  lui  est   donc  nécessaire 
qui,  par  des  caractères  tout  divins,  est  seule 
capable  de  le  tixer  et  l'homme  serait  inexcu- 
sable maintenant,   si  pour  des  soupçons  et 
des   conjectures   mal  fondés  ,   si  pour  des 
difficultés  et  des  doutes  frivoles,  si  pour  des 
raisonnements  faux  et  captieux   que  forme 
la  philosophie  et   qui  servent  aux  passions 
de  prétextes,  si,  pour  quelques  contradictions 
humaines  qui  n  ont  pas  empêché  la  religion 
(le  Jésus-Christ,  de   s'étendre  dans  toutes 
les  |  arties  de  l'univers  et  qui  feraient  voir 
en  vous  bien  plus  d'obstination  et   d'aveu- 
glement que  de  pénétration  et  de  solidité, 
vous   refusez   encore  de  croire  :  dites  donc 
que  tant  et  de  si  beaux  caractères  de  divinité, 
marqués   visiblement  dans    cette  religion, 
n'y  sont  rassemblés  que  pour  faire  aux  hom- 
mes une  illusion  universelle;   dites  que  ces 
apôtres  ont  répandu  leur  sang  par  pure  com- 
plaisance, pour  soutenir  et  accréditer  l'im- 
posture  et  le  mensonge;  que  pour  rendre 
les  autres  sages  il  leur  importait  beaucoup 
d'être  fourbes;   que   le    dessein    généreux 
qu'ils  avaient  formé  de  tout  sacrifier  et  de 
perure  la  vie  au  milieu  des  tourments  n'é- 
tait qu'un  intérêt  temporel  dans  eux  et  (pie 
la  religion  la  plus  ennemie  de  la  nature  ne 
subsiste  que  par  des  motifs  naturels;  affirmez 
donc  que  ces  pieux  écrivains  sont  des  impo- 
steurs et  des  fourbes,  eux  qui  n'attendaient 
pour  récompense  de  leurs  ouvrages  que  les 
supplices  et  la  mort,  et  même  qui,  quand  ils 
auraient  voulu  nous  tromper,ne  l'auraient  pu, 
puisqu'ils  ne  proposent  que  des  faits  connus 
et  avérés  que  nul  autre  n'aurait  pu  démentir; 
soutencz.donc  que  l'un  et  l'autre  Testament 
sont  tombés  dans  la  [dus  grande  absurdité; 
que  ces  livres  sacrés,  venus  jusqu'à  nous  de 
main  en  main  par  une  longue  et  constan  e 
tradition  d'âge  en  âge  et  dans  lesquels  ce 
qu'il  y  a  de  plus  simple  fait  voir  un   carac- 
tère de  vérité  et  une  antiquité  vénérable,  ne 
renferment  que  des  faits  où  il   n'y  a  nulle 
bonne  foi  et  qui  ne  sont  au  fond  qu'impo- 
sture et  supposition. 

Opposez-vous  aux  plus  grands  génies  de 
tous  les  temps  et  contestez  les  témoignages 
authentiques  et  les  preuves  convaincantes 
que  vous  donnent  ces  hommes  si  saints  et  si 
savants,  que  leur  pénétration  et  leur  sagesse 
ont  immortalisés;  eniin  osez  donc  dire 
qu'une  relig:on  confirmée  par  oies  prodiges 


si  éclatants,  par  des  secours  d'en  haut  qui 
la  soutiennent  par  des  grâces  abondantes 
qui  l'affermissent,  par  la  concorde  des  deux 
Testaments  qui  l'autorisent,  par  des  raisons 
puissantes  qui  la  démontrent,  par  les  témoi- 
gnages d'une  bonne  conscience  qui  l'inspi- 
rent, par  les  sentiments  des  hommes  justes 
qui  la  cherchent,  par  le  trouble  des  pécheurs 
qui  la  réclament,  par  l'aveu  même  des  dé- 
mons tremblants  qui  la  confessent,  qui  la 
louent  :  dites  qu'une  telle  religion  n'est 
qu'une  pieuse  fraude,  qu'une  illusion  arti- 
ficieuse et  une  malice  d'exécration;  dites  en 
un  mol  que  Dieu  et  l'homme,  le  ciel  et  la 
terre,  le  passé  et  le  présent  conspirent  tous 
ensemble  à  vous  abuser;  forcez  tous  les  in- 
stincts naturels,  étouffez  tous  les  remords  de 
votre  conscience,  éteignez  en  vous  les  lu- 
mières naturelles,  et  de  peur  d'être  chrétiens 
renoncez  même  à  être  hommes. 

Ah  !  s'il  est  vrai  que  le  danger  évident  où 
vous  vous  exposez  par  votre  indocilité  et 
votre  révolte,  vous  touche  encore  et  vous  at- 
tendrisse, si  vous   voyez  quelque    honte   à 
préférer  à  ce  grand  jour  qui  écrit  à  vos  yeux 
votre   ignorance   et  vos  ténèbres  ;   si  vous 
vous  sentez  embarrassés  de  voir  tous  les  gens 
de  bien  pensera  autrement  que  vous,    de 
trouver  contre  vous  le  désaveu  de  tant  de 
fameux  incrédules  et  la  créance  per|  étuelle 
de  tous  les  siècles;   si   vous  rougissez  do 
n'opposer  à  tant  de  motifs  puissants  et  une 
autorité  si  bien  fondée  que  les  illusions  et 
les  doutes,  disons  plutôt  les  craintes   et  le 
désespoir  de  quelques  libertins  que  notre 
sainte  religion  ne  trouverait  point  incrédu- 
les si  elle  voulait  les  souffrir  vicieux  ;  de  ces 
hommes  déplorables  dont  la  prétendue  force 
d'esprit  n'est  qu'une  faiblesse  de  raison  qui 
ne  peut  s'élever  au-dessus  des  sens  ;  de  ces 
hommes  sans  foi,  sans  probité,   sans  con- 
science, h  qui  vous  n'osez  confier  vos  biens, 
voire  famille,  vos  intérêts,  vos  affaires  sécu- 
lières, et  à  qui  vous  abandonnez  votre  âme, 
votre  salut,  votre  Dieu  ;  de   ces    lâches   dé- 
serteurs de  la  milice  sainte  qui  à  la  mort, 
comme     plusieurs    auties,     retrancheront 
leurs  conjectures  plutôt  que   leurs  persua- 
sions, et  qui  bien-  que  leur  égarement  doive 
faire  le  scandale  de  notre  religion,  il  doit  en 
être  regardé  comme  l'apologie,  si   vous  ne 
croyez  pas  que  de  pareils  auteurs   puissent 
former  conviction    contre  la   religion  que 
vous   professez,   ah!    demeurez-y  fermes, 
fixez-y  votre   créance,  n'y  soyez   plus  flot- 
tants et  irrésolus,  aidez-la  et  ia  soulagez  en 
croyant  tout  ce  qu'elle  propose.  On  se  lasse 
dès  qu'on  demeure  errant  et  incertain;  tra- 
vaillez à  faire  connaître  que  vous  croyez, 
non  par  des   arguments  et  des  preuves  en- 
tassées  et  multipliées,  mais  par  de  bonnes 
œuvres  et  par  le  retranchement  de  vos  pas- 
sions ;  c'est  la  marque  la  moins  équivoque 
qu'on  comprend  et  que  l'on  croit  ce  que  Dieu 
a  dit,  que  de  faire  et  d'accomplir  fidèlement 
ce  qu'il  ordonne.  La  raison,  purifiée  et  soute- 
nue par  la  bonne  vie,  est  un  témoignage  bien 
avantageux  à   la  foi,   au  lieu  (pie   le   servi- 
teur inutile  est  regardé  comme  Je  serviteur 


1025 


CAREME.  —  SERMON  XXV,  DE  LA  VERITE  DE  LA  RELIGION. 


{023 


infidèle,  et  que  celui  qui  ne  fait  rien  de  bien 
n'est  pas  loin  rie  ne  rien  rroire. 

Mais  si  la  religion  est  nécessaire  à  l'esprit 
incertain  pour  le  fixer,  combien. l'esl-elle 
encore  à  l'esprit  curieux  parla  soumission 
qu'elle  lui  impose  :  troisième  réflexion. 

Oui,  mes  frères,  si  l'esprit  humain  n'était 
qu'ignorant  et  irrésolu,  il  aurait  suffi  rie 
l'instruire  et  rie  le  fixer,  mais  il  est  superbe 
et  curieux  et  c'est  pour  cela  qu'il  avait  be- 
soin d'une  rebgion  qui  d'un  côté  bornât  ses 
vues  par  des  ombres  mystérieuses,  et  de 
l'autre  remplît  sa  curiosité  par  des  lumières 
salutaires,  à  peu  près  comme  dans  la  succes- 
sion rie  la  ruiit  et  du  jour,  afin  que  l'homme, 
trouvant  son  bonheur  dans  ce  mélange  rie 
ténèbres  et  rie  clartés,  se  garantît  de  l'er- 
reur île  ces  philosophes  téméraires  qui,  pour 
voulo  r  trop  creuser  clans  l'abîme  impéné- 
trable ries  mystères  sacrés  que  Dieu  a  scellés 
rie  sa  main,  s'y  sont  précipités  eux-mêmes. 
Ils  ont  demandé  à  l'ouvrier  suprême  raison 
de  son  ouvrage,  mais  à  force  de  trop  suivre 
leur  raison  ils  lont  perdue,  et  sont  arrivés 
par  cette  orgueilleuse  entreprise  jusqu'au 
point  fatal  rie  rejeter  Dieu  pour  vouloir  trop 
le  comprendre.  La  relgion  est  donc  néces- 
saire à  notre  esprit,  parce  qu'elle  nous  im- 
pose, pour  les  mystères  qui  sont  hors  rie 
notre  portée,  une  soumission  juste,  raison- 
nable, et  nous  apprend  qu'il  est  défendu  et 
même  impossible  rie  les  sonder.  Llle  nous 
montre  :  1°  qu'il  nous  est  défendu  en  ce  que 
Dieu  s'en  est  réservé  la  connaissance  et 
nous  a  laissé  en  partage  la  docilité  que  ce 
Maître  souverain  a  droit  d'exiger  de  nous; 
cet  hommage  pour  marquer  l'empire  absolu 
qu'il  a  sur  nous  et  qu'il  est  bien  juste  que 
nous  devenions  soumis  par  la  foi,  après 
avoir  été  aveuglés  par  la  superbe;  2"  elle 
nous  apprend  qu'il  est  impossible  rie  sonder 
les  mystères  de  Dieu  à  cause  de  notre  es- 
prit qui  est  si  borné;  elle  nous  fait  convenir 
que  de  ce  gouffre  de  misères  où  notre 
esprit  est  renfermé  comme  dans  un  étroit 
abîme,  d'où  une  peut  voir  toute  l'immensité 
du  ciel,  nous  ne  pouvons  apercevoir  toute 
la  profondeur  et  l'excellence  des  choses  cé- 
lestes; qu'ainsi  il  est  impossible  de  nous 
former  une  juste  idée  des  mystères  rie  Dieu, 
puisqu'ils  partent  ou  rie  sa  sagesse  qui  nous 
conduit,  ou  de  sa  bonté  qui  nous  aide,  ou 
de  sa  justice  qui  nous  règle;  car  qui  croit 
et  qui  espère,  c'est  qu'il  voit  déjà  ce  qu'il 
lui  suffit  de  voir  rie  sa  grandeur  et  rie  la  ma- 
jesté rie  Dieu,  qui  ne  peut  se  laisser  appro- 
fondir sans  nous  accabler  du- poids  rie  sa 
gloire.  Quelle  religion  donc  nous  est  plus 
nécessaire?  Après  cela  ces  esprits  superbes 
et  curieux  se  plaindront-ils  qu'on  ue  leur 
montre  que  des  voiles  et  que  cette  religion 
n'a  que  des  obscurités. 

Mais,  ignorent-ils  donc  qu'un  Dieu,  mesuré 
et  compris  par  les  hommes,  ne  serait  plus 
Dieu  ;  que  ce  défaut  de  lumières  n'est  qu'un 
t'blouissement  de  ce  divin  soleil  qui  devient 
pour  eux  une  lumière  trop  vive?  ignorent- 
«ls  que  moins  notre  sainte  religion  veut  for- 
cer ces  obstacles  mystérieux,  [dus  elle  est 


vivifiante;  que  si  elle  empêche  l'homme  rie 
vouloir  atteindre,  c'est,  de  peur  que,  comme 
les  animaux  immondes,  il  ne  foule  a.  x 
pieds  des  perles  précieuses,  et  qu'elle  nous 
apprend  que  notre  Dieu  sera  un  lieu  *  aclié, 
et  qu'après  tout  il  ne  doit  j  as  paraître  étrange 
que  Dieu  se  ca;he  à  l'homme  par  sa  majesté, 
quand  l'homme  se  dérobe  à  lui  j  ar  -  es  \Les>? 
Oui!  persuadez-vous  que  n'user  pas  ce 
votre  faible  raison  à  l'égard  des  mystères  est 
l'usage  le  plus  sage  que  vous  en  puissiez 
faire;  que  sans  bornes  heureuses,  celte  rai- 
son est  aveugle,  égarée,  injuste,  téméraire  , 
insupportable  à  elle-même;  que  la  joie  i.e 
vous  est  donnée  que  comme  un  grand  avan- 
tage, pour  vous  épargner  des  discussions 
pénibles  et  interminables,  et  qu'api  es  tout  il 
n'e;  t  point  étonnant  que  si  vous  ne  \0)  ez  pas 
clair  dans  les  choses  mêmes  qui  vous  en- 
vironnent vous  trouviez  des  obscurités  dans 
celles  qui  sont  au-dessus  de  vous  et  que  si  la 
nature  vous  est  elle-même  un  mystère,  la  re- 
ligion le  soit  aussi. 

Mais,  je  croirais,  si  je  voyais,  dites-vous; 
ces  mystères  sont  si  incertains  1  mais  com- 
bien de  choses  croyez-vous  tous  les  jours 
que  vous  ne  voyez  point;  vo^ez-vous  le 
temps  h  venir?  Cependant  vous  croyez  qu'il 
arrivera  pour  vous.  Four  prendre  le  parti  de 
ne  |  oint  croire  la  vérité  des  mystères  sans  y 
voir  clair,  il  faudrait  avoir  des  preuves  et  des 
motifs  contraires  h  ce  que  la  religion  vous 
en  apprend.  Or,  en  avez-vous  un?  Dieu  fait 
homme,  naissant  dans  le  sein  rie  la  misère, 
crucifié*  par  les  passions  des  hommes  ;  q^els 
abîmes  ! 

Mais,  supérieurs  à  la  nature,  à  la  raison, 
ces  mystères  lui  sont-ils  contraires,  au-des- 
sus des  miséricordes  infinies  d'un  Dieu? 
n'est-ce  pas  une  preuve  que  Dieu  seul  est 
incompréhensible  dans  le  bien  qu'il  nous 
fait?  N'est-il  pas  bien  consolant  jour  nous 
qu'il  ne  nous  laisse  [joint  comprendre  ?  Mais, 
faute  de  croire  les  mystères  sacrés,  vous  de- 
venez vous-mêmes  un  mystère  plein  d'hor- 
reur, jusqu'à  ce  que  d'une  main  terrible 
Dieu  vous  ferme  les  yeux  sans  que  vous 
puissiez  plus  les  ouvrir;  il  vous  livre  à  ce 
sens  réprouvé  et  vous  laisse  suspendus  au 
milieu  de  vos  ténèbres,  qui  sera  le  dernier 
comble  de  vos  malheurs  :  Percutiat  te  Domi- 
nus  ameniia  ac  fitrore  mentis  et  palpes  in 
meridie.  (Exod.,  XXY11I.) 

Ah  1  n'allez  donc  plus  rians  les  voies  téné- 
breuses de  la  curiosité  chercher  le  jour  en 
plein  midi  ;  tenez-vous  dans  la  soumission 
et  dans  l'ignorance  si  nécessaires  à  votre  es- 
prit; que  votre  raison  se  contente  u 'adorer 
ce  qui  est  au-dessus  rie  sa  portée;  il  sera 
toujours  si  glorieux  aux  hommes  rie  rroire 
ce  qu'un  Dieuariit;  il  ne  leur  sera  jamais 
honteux  de  ne  point  le  comprendre.  Comme 
ces  anges  éblouis  devant  le]  tabernacle,  pro- 
sternez-vous devant  ce  Dieu  caché,  que  vous 
ne  voyez  que  des  yeux  de  la  foi  ;  ne  portez 
[joint  vos  doutes  et  vos  ténèbres  dans  l'assem- 
blée ries  mondains,  mais  venez  les  déposer 
au  pied  ries  autels  par  un  sacrifice  à  Dieu; 
fuyez  surtout  ces  esprits  gâtés  qui  se  cliver- 


ORATEURS  SACRES.  LE  F.  SURS  AN. 


11)27 

tissent  de  ce  qui  est  au-dessus  d'eux  et  qui 
blasphèment  ce  qu'ils  ignorent;  ne  songez  à 
eux  que  pour  les  plaindre  si  vous  ne  pouvez 
les  convertir,  et  que  pour  tirer  de  la  révolte 
de  leur  esprit  une  preuve  de  religion  qui 
éclaire  et  soumette  le  vôtre;  et  s'ils  insultent 
encore  à  la  simplicité  de  votre  foi,  dites-leur  : 
Oh!  l'heureuse  injure  d'être  raillé  avec 
Jésus  -Christ  :  0  beata  injuria  illudi  cum 
Chisto  ! 

Nous  sommes  simples,  mais  notre  simpli- 
cité nous  fait  honneur;  nous  sommes  aveu- 
gles, mais  notre  aveuglement  est  plus  avan- 
tageux pour  nous  que  la  lumière  ;  nous  nous 
trompons,  dites-vous,  mais  notre  erreur  est 
la  vérité  môme;  jamais  cette  religion  ne  nous 
paraîtra  fausse,  ou  i'1  n'y  en  eut  jamais ,  ou 
s'il  y  en  a  une,  el-le  nous  est  nécessaire. 

La  religion  chrétienne  est  donc  nécessaire 
à  l'esprit  de  l'homme  ;  vous  venez  de  le  voir, 
elle  l'est  encore  à  son  cœur;  c'est  l'autre 
partie  de  ce  discours,  je  n'en  dirai  que  deux 
paroles. 

SECOND   POINT. 

Les  deux  grandes  misères  du  cœur  de 
l'homme  sont,  mes  frères,  le  désordre  et 
l'inquiétude  de  ses  passions,  et  ce  qui  lui 
rend  la  religion  si  nécessaire  est  qu'elle  seule 
peut  le  régler,  qu'elle  seule  peut  le  satisfaire  ; 
en  sorte  que  rien  ne  lui  convient  mieux  que 
le  portrait  que  le  Sage  avait  fait  de  la  loi 
sainte  :  Embrassez-la,  dit-il,  elle  est  au  cœur 
une  règle  qui  seule  peut  le  corriger,  elle 
est  au  cœur  un  bien  qui  peut  seul  tle  con- 
tenter, deux  preuves  simples  qui  sont  prises 
dans  vos  sentiments  mômes ,  vous  les  portez 
au  fond  de  votre  âme,  c'est  à  elles  à  vous 
parler. 

Et  d'abord,  je  dis  que  la  religion  est  au 
cœur  une  règle  qui  seule  est  capable  de  la 
Corriger,  c'était  autrefois  la  morale  des  philo- 
sophes qu'on  prenait  pour  lui  servir  de  règle. 
Or,  cette  morale  de  la  philosophie,  n'était 
que  conception  dans  ses  principes;  les  uns 
ont  fait  leur  bonheur  du  plaisir  des  sens , 
d'autres  ont  inspiré  des  sentiments  avides 
pour  les  richesses  de  la  terre,  presque  tous 
ont  autorisé  l'amour  de  soi-même  et  des  va- 
nités du  monde,  et  tout  cela  par  principes. 
Or,  comment  les  trois-  grandes  passions  qui 
sont  la  source  de  nos  désordres,  pourraient- 
elles  être  la  règle  de  nos  sentiments.  Ainsi, 
voyons  ce  qu'ont  été  et  ce  que  sont  encore 
ces  hommes  qui  se  conduisent  par  ces  règles. 
Saint  Paul  en  fait  une  peinture  bien  natu- 
relle dans  son  épître  aux  Romains:  il  dit 
que  ce  sont  les  ennemis  de  Dieu,  qu'ils  sont 
livrés  à  des  excès  qu'il  est  honteux  d'imiter  et 
qu'il  estdéfendu  de  dire  ;  que  ce  sontdes  gens 
altiers,  séditieux,  médisants, ingrats,  perfides, 
scélérats,  amis  inconstants,  ennemis  impla- 
cables, dignes  d'être  haïs  et  se  haïssant  les 
uns  et  les  autres,  rompant  les  nœuds  sacrés 
de  la  religion,  ceux-mêmes  de  la  nature;  en 
un  mot,  des  monstres,  par  quelque  endroit 
qu'on  les  envisage,  et  déréglés,  non-seule- 
ment par  faiblesse,  par  infirmité,  mais  par 
choix  ,  par  état ,  par  profession  et  pour  ainsi 


1028 


dire  par  principes.  Voilà  ce  que  peut  sur  le 
cœur  humain  la  philosophie  profane  et  ses 
règles  ;  voyons  ce  que  peut  aussi  la  religion 
chrétienne.  Mon  Dieul  qu'elle  y  laisse  de 
traces  de  votre  sagesse  et  de  votre  sainteté 
par  le  doux  écoulement  que  vous  lui  com- 
muniquez, et  qu'il  y  a  de  plaisir  à  considérer 
ce  que  devient  un  homme  dont  votre  religion 
sainte  règle  le  cœur;  c'est  un  homme  à  l'é- 
gard de  Dieu  toujours  dépendant  et  tou- 
jours soumis,  dépendant  de  ses  ordres,  il  les 
adore,  de  sa  sagessse  il  l'imite,  de  sa  justice 
il  la  craint,  de  sa  miséricorde  il  l'implore  par 
un  véritable  culte,  il  rend  à  Dieu  toute  sa  di- 
vinité; les  mouvements  de  son  cœur,  il  donne 
toute  sonambitionà  lui  plaire,  toute  sa  crainte 
à  sa  justice,  tous  ses  regrets  à  son  éloigne- 
ment,  tout  son  amour  à  sa  bonté,  toute  sa 
haine  à  ses  offenses  et  ainsi  de  tout  le  reste , 
attaché  de  telle  sorte  à  son  Dieu,  que  toutes 
les  choses  humaines  se  passent  devant  lui  et 
au-dessous  de  lui  sans  que  jamais  son  cœur 
se  dérègle.  Les  richesses  le  trouvent  modéré, 
les  maux  le  trouvent  patient ,  la  volupté  le 
trouve  insensible,  les  grandeurs  modestes; 
il  résiste  aux  méchants  et  sait  vaincre  les 
tentations  qui  l'attaquent;  jamais  il  n'a  que 
des  vues  droites,  des  mœurs  chastes ,  des  ha- 
bitudes heureuses;  il  est  seul  ici-bas  le  vrai 
sage,  seul  le  vrai  honnête  homme,  puisqu'il 


est  le  seul  qui  ait  le  cœur  réglé,  mais  sur- 
tout à  l'égard  de  ses  frères,  doux,  affable, 
tendre,  compatissant,  libéral,  c'est  pour  lui 
d'avoir  du  bien  et  d'en  faire  la  n.ême  chose  ; 
rien  ne  lui  est  bon  s'il  n'est  utile  à  ses  frères  ; 
leur  joie  le  réjouit,  leur  tristesse  l'abat, 
c'est  parleur  situation  qu'il  les  estime;  heu- 
reux ou  malheureux,  il  est  tout  à  tous;  il 
est  rempli  d'une  charité  qui  n'a  point  de 
bornes,  il  n'est  avec  son  prochain,  qu'un 
môme  esprit,  qu'une  même  âme,  qu'un  même 
cœur;  il  n'a  point  d'ennemis  que  ceux  de 
ses  frères;  il  ose  les  défier  de  s'en  faire  haïr 
par  quelque  traitement  qu'on  lui  fasse.  C'est 
Isaac  dans  l'obéissance  filiale  qu'il  rend  à  ses 
parents ,  un  Job  dans  l'admirable  patience 
qu'il  montre  dans  son  adversité  et  un  Tobie 
dans  la  sainteté  de  ses  maximes  ;  c'est  un 
Joseph  pour  craindre  le  Seigneur  dans  toutes 
ses  démarches;  c'est  un  Jonathas  dans  la 
constance  de  ses  amitiés,  c'est  un  Josias  s'il 
règne,  c'est  un  Moïse  s'il  conduit,  c'est  un 
Salomon  s'il  juge,  c'est  un  Josué  s'il  combat  ; 
à  l'égard  de  tous  il  est  sincère,  charitable, 
officieux,  et  pour  tout  dire,  en  un  mot,  un 
chrétien,  c'est-à-dire  un  cœur  formé  et  réglé 
sur  le  cœur  de  Dieu  même.  Ah  !  Seigneur, 
que  ne  multipliez-vous  de  tels  cœurs!  à  votre 
sainte  Eglise  que  ne  donnez-vous  davantage 
de  tels  enfants!  quel  charme  d'être  uni  à 
une  si  aimable  société,  quelle  plus  douce 
image  de  la  félicité  du  ciel  !  que  notre  exil 
nous  deviendrait  bien  plus  supportable  ! 
Non,  mon  Dieu,  on  n'y  entendrait  point  d'autre 
plainte  que  celle  d'une  âme  séparée  de  vous, 
par  le  péché,  point  d'autre  misère,  d'antres 
plaintes  que  celles  que  produit  votre  éloi- 
gnement  et  la  perte  de  votre  grâce,  et  le 
monde    trouverait   bientôt   dans  la  régula- 


10-29 


CAREME.  —  SERMON  XXV,  DE  LA  VERITE  DE  LA  RELIGION. 


1030 


rite  de  ses  voies  et  de  ses  désirs,  ce  repos 
bienheureux  qu'il  cherche  inutilement  dans 
l'assouvissement  de  ses  passions  et  de  ses 
crimes. 

Mais  si  la  religion  peut  seule  régler  le 
cœur  de  l'homme,  n'est-elle  pas  propre  à  le 
satisfaire  soit  dans  la  prospérité,  soit  dans 
l'affliction,  et  d'abord,  que  peut  faire  sur 
le  cœur  la  prospérité  la  plus  flatteuse  et 
comment  pourrait-elle  le  rendre  content? 
Le  cœur,  inquiet  au  centre  de  la  volupté,  sent 
bien  qu'il  n'est  pas  à  sa  place;  les  hon- 
neurs le  lassent  et  le  fatiguent,  les  richesses 
l'agitent  et  lui  donnent  mille  soins,  ses  dé- 
sirs le  consument,  livré  à  mille  remords  qui 
le  déchirent,  à  mille  passions  qu'il  ne  peut 
accorder,  tant  elles  sont  incompatibles,  qu'il 
ne  peut  vaincre  tant  elles  sont  impérieuses, 
qu'il  ne  peut  satisfaire  tant  elles  sont  insa- 
tiables et  en  lui  une  espèce  d'instinct  et  de 
penchant  dont  rien  ne  peut  remplir  le  vicie 
et  la  violence  ;  à  cette  indigence  naturelle  du 
cœur  la  religion  chrétienne  est  donc  néces- 
saire, non-seulement  parce  qu'elle  modère 
ses  désirs,  car  souvent  aussi  les  passions  sont 
les  sources  de  nos  malheurs;  mais  qu'elle 
l'élève  à  des  objets  pleins  et  rassasiants  qu'il 
ne  saurait  jamais  trouver  sur  la  terre.  Ainsi, 
le  cœur  aime-t-il  la  gloire?  la  religion  lui 
en  promet  une  ineffable  dont  les  charmes 
ne  peuvent  s'exprimer;  aime-t-il  le  plaisir  ? 
elle  lui  en  oll're  d'incompréhensibles;  aime- 
t-il  les  richesses  ?  elle  lui  en  assure  d'incor- 
ruptibles qui  n'ont  point  de  prix  et  qui 
sont  inestimables  à  l'homme  qui  aime  mieux 
vivre  pour  l'avenir  que  pour  le  présent,  elle 
offre  avec  la  résurrection  du  corps  une 
glorieuse  immortalité,  enfin  avec  vous,  ô 
mon  Dieu,  elle  présente  l'éternelle  pléni-  . 
tude  de  biens,  la  possession  infinie  de  tous 
les  biens  ensemble.  Ah!  c'est  ainsi  que  la 
religion  flatte  les  endroits  les  plus  sensibles 
du  cœur  humain,  s'il  y  a  dans  le  monde  un 
homme  qui  soit  content  c'est  son  ouvrage, 
il  ne  peut  l'être  que  par  elle  seule,  ainsi 
est -elle  pour  vous  une  vraie  source  de 
bonheur.  Ah  !  quand  ces  douces  pensées 
vous  occupent,  mes  frères,  voudriez-vous 
n'être  pas  du  nombre  des  fidèles?  N'applau- 
dissez-vous  pas  à  votre  foi?  N'êtes-vous 
point  attendris  sur  le  sort  de  ces  impies 
qui  refusent  des  privilèges  si  aimables  et 
ne  vous  écriez-vous  point:  Ah!  que  bénie 
soit  mille  fois  cette  religion  sainte  qui  nous 
rend  si  heureux,  qui  réjouit  si  fort  notre 
cœur  et  qui  peut  seule  nous  consoler  dans 
nos  maux?  Ici,  répondez-moi  cœurs  terres- 
tres et  mondains,  quelles  ressources  trou- 
vez-vous dans  votre  adversité?  vos  amis 
vous  y  abandonnent,  tout  ce  qui  vous  en- 
vironne contribue  à  augmenter  vos  mal- 
heurs ;  Dieu  même  aigrit  vos  maux  en  pu- 
nition de  votre  révolte.  Ces  principes  philo- 
sophiques, ces  raisonnements  stoïques  sur 
lesquels  vous  comptiez  si  fort  auparavant 
se  démentent  dans  la  disgrâce  et  dans  l'afflic- 
tion; la  raison,  si  ferme  dans  les  malheurs 
d'autrui,  se  laisse  bientôt  abattre  dans  les 
siens   le  cœur  peut  êlre  philosophe  pour  le 


prochain,  mais  il  est  toujours  homme  pour 
soi-même  !  Faute  d'une  meilleure  ressource 
vous  plongerez-vous  dans  l'anéantissement  ? 
Mais  où  avez-vous  pris  un  si  pitoyable  parti? 
Jusqu'ici  nous  n'avons  presque  trouvé  per- 
sonne assez  furieux  et  assez  frénétique  pour 
le  prendre,  et  pour  le  désirer,  ce  n'est  pas 
assez  pour  l'obtenir  ce  monstrueux  parti; 
mais  vous  aurez  recours  au  désespoir  :  c'est 
une  autre  ressource  pour  l'impie,  ce  sort  qui 
serait  terrible  s'il  était  certain,  lorsqu'il 
n'est  pas  douteux  et  hasardé  peut-il  vous 
être  une  ressource  dans  vos  misères?  En 
vérité  est-on  donc  bien  consolé  quand  on 
vient  se  figurer  que  dans  l'éternité  peut-êtie 
on  ne  sera  rien;  mais  l'intime  persuasion 
d'aller  au  delà  du  temps  dans  des  supplices 
éternels  ne  met-il  pas  le  comble  à  vos  mi- 
sères? Au  contraire,  la  religion. ne  vous  offre- 
t-elle  pas  une  ressource  facile  et  avantageuse, 
outre  qu'elle  vous  prétente  des  consola- 
teurs fidèles  et  charitables  qui  '  partagent 
avec  vous  le  poids  de  vos  maux,  outre 
qu'elle  vous  propose  de  ressembler  par  ce 
moyen  à  Jésus-Christ,  votre  chef,  et  de  mê- 
ler vos  larmes  avec  les  sienne.?,  outre  qu'elle 
consacre  et  rend  méritoires  pour  vous  des 
malheurs  devenus  nécessaires  et  intraita- 
bles pour  vous,  outre  qu'elle  verse  sur  vos 
plaies  des  grâces,  une  onction  si  sensibles 
qui  rendent  aimable  l'affliction  et  corrigent 
l'amertume  de  vos  calamités,  ne  vous  donne- 
t-elle  pas  encore  cette  religion  sa;nte,  des 
espérances  solides  que,  quand  tout  vous 
manquerait,  votre  Dieu  ne  vous  manquera 
jamais,  que  vous  ne  perdrez  ici-bas  nulle 
personne  chère,  nul  protecteur  puissant, 
nul  bien  temporel  que  vous  ne  puissiez 
trouver  plus  abondamment  et  ]  lus  heureu- 
sement dans  l'immortalité,  et  qu'à  ce  monde 
importun,  à  ce  monde  passager,  succédera 
un  monde  tout  céleste,  un  royaume  éter- 
nel dont  le  prince  de  ce  monde  ne  mérite 
pas  même  d'être. 

Ah!  quand  la  grâce  baptismale  et  la  reli- 
gion de  Jésus-Christ  ne  vous  auraient  pas  faits 
chrétiens,  la  religion,  l'intérêt,  le  besoin, 
l'amour-propre,  ne  vous  auraient-ils  pas  en- 
gagés à  l'être  ;  et  si  tant  de  motifs  se  joi- 
gnent ensemble  pour  nous  rendre  la  reli- 
gion aussi  aimable  que  nécessaire,  pouvons- 
nous  assez  remercier  Dieu  et  nous  savoir 
gré  à  nous-mêmes  de  nous  être  attachés  et 
soumis  au  culte  le  plus  doux,  le  plus  fa- 
vorable, le  plus  nécessaire  à  notre  esprit 
et  à  notre  cœur,  et  qui  devient  par  là  le  tout 
de  l'homme  :  Hoc  est  enim  omius  homo. 

Ah!  s'il  y  est  ici, grand  Dieu,  quelque  âme 
incrédule,  infidèle,  elle  déplore  elle-même 
de  s'être  privée  si  longtemps  d'un  bien 
dont  elle  ne  sentait  que  trop  la  nécessité  ; 
elle  voudrait  revenir  à  vous,  Seigneur,  par 
l'attrait  de  votre  religion  sainte,  elle  est  con- 
fuse de  n'y  revenir  que  pour  ses  malheurs 
et  ses  troubles;  aussi  n'ose-t-elle  vous  de- 
mander cette  foi  des  justes  qui  est  pleino 
de  douceurs  et  de  consolations  ;  mais  ac- 
cordez-lui du  moins  cette  foi  de  pénitence 
qui  est  triste  tremblante,  épouvantée,  péni- 


1031 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SURIAN. 


103Î 


Me  et  laborieuse  qui  vous  ven^e  de  son  in- 
eiéiulité  par  de  vives  alarmes  et  de 
ciuelles  violences.  Exaucez-la,  Père  de  mi- 
séricorde. Ramenez  cette  pauvre  brebis 
égarée  au  sacré  bercail  et  mettez-la  dans  la 
voie  salutaire,  nous  vous  supplions  tous 
pour  elle,  afin  que  cette  commune  religion 
qui  aiad  ici-bas  notre  salut  soit  aussi  notre 
commune  félicité  dans  le  ciel  :  c'est,  mes 
itères,  ce  que  je  vous  souhaite.  Amen. 

SERMON  XXVI. 

DES  DEVOIRS  PROPRES  A  CHAQUE  ETAT. 

Si  tu  es  Chfistus,  die  uobn  palam.  Respondit  eis  Jésus: 
Loquur  vobis,  el  non  creihtis.  Opéra  qu;e  e-o  l'acio  in  no- 
mine  Palrismei.hœctestimoniumperbibent  de  me.  (Joun., 
X.) 

Si  vous  êtes  h  Christ,  dites-le-nous  publiquement.  Jésus 
leur  répondit:  J'ai  beuuvous  parler,  vous  ne  me  croyezpas. 
Ce  sontle^  œuvres,  que  je  fuis  au  nom  de  mon  Père,  qui  doi- 
vent vous  rendre  le  témoignage  de  moi,  et  vous  apprendre 
qui  je  suis. 

Ces  œuvres  miraculeuses  que  Jésus-Christ 
opérait  tous  les  jours  aux  yeux  de  la  Syna- 
gogue, n'étaient-elles  pas  une  preuve  assez 
forte  pour  autoriser  sa  divine  mission; 
comme  il  savait  que  les  actions  sont  plus 
persuasives  que  les  paroles,  il  s'attache 
moins  à  se  rendre  un  témoignage  que  la 
jalousie  et  la  malignité  des  Juif»  leur  feraient 
regarder  comme  suspect  qu'à  accomplir  les 
devoirs  de  sa  sagesse  :  c'est  ainsi  qu'attentif 
à  remplir  son  ministère  et  sa  mission  dans 
toute  son  étendue,  il  en  fait  son  unique  oc- 
cupation, et  c'est  à  quoi  je  viens  vous  exhor- 
ter à  son  exemple;  c'est -à-dire  à  entrer 
dans  les  engagements  chacun  de  votre  mi- 
nistère, à  vous  acquitter  de  toutes  les  obli- 
gations propres  et  particulières  de  votre 
état  ;  car  outre  les  préceptes  généraux  que 
la  sagesse  divine  a  imposés  à  tous  les  hom- 
mes et  que  tous  sont  obligés  de  garder  sous 
peine  de  damnation  chacun  en  particulier, 
et  encore  par  rapport  aux  lieux  et  au  temps, 
aux  personnes,  aux  talents,  à  la  naissance, 
aux  occupations,  aux  emplois,  aux  charges, 
aux  dignités,  au  degré  de  lumière  et  de 
grâce;  par  rapport  à  la  situation  du  cœur, 
de  l'esprit,  de  la  fortune,  et  surtout  par 
rapport  à  l'état  de  vie;  certains  devoirs 
personnels  et  particuliers  qu'il  n'est  permis 
à  personne,  ni  d'ignorer,  ni  de  négliger. 
L'obligation  des  grands,  des  riches,  est  diffé- 
rente de  celle  des  petits  et  des  pauvres;  la 
conduite  du  ministre  des  autels  doit  être  pins 
épurée  que  celle  de  l'homme  du  siècle;  il 
faut  pour  se  sauver  dans  le  monde  plus  de 
talents,  plus  de  forces  d'esprit  qu'il  n'en  est 
besoin  pour  se  sauver  dans  la  retraite,  de 
sorte  que,  pour  chaque  chrétien  il  faut  un 
christianisme  particulier  ;  ce  qui  est  perfec- 
tion et  ferveur  dans  les  uns,  devient  sou- 
vent tiédeur  et  imperfection  dans  les  autres; 
la  grandeur  de  notre  sainte  religion,  c'est 
d'offrir  à  chacun  des  devoirs  différents  à 
pratiquer.  Que  cette  vérité  salutaire  serve 
donc  à  vous  instruire  et  à  vous  humilier, 
à  vous  instruire  en  vous  apprennant  les  de- 
voirs de  votre  état,  à  vous  humilier  en  vous 


montrant  le  peu  de  fidélité  que  vous  appor- 
tez à  les  remplir,  en  un  mot,  il  n'est  rien 
de  plus  indispensable;  cependant  rien  de 
moins  ordinaire  que  de  s'acquitter  de  ses  de- 
voirs personnels  et  particuliers  :  c'est  ce 
que  vous  allez  voir  dans  les  deux  parties  de 
ce  discours,  après  que  nous  aurons  imploré 
l'assistance  du  Saint-Esprit,  par  l'interces- 
sion de  la  sainte  Vierge.  Ave,  Maria. 

PREMIER    POINT. 

Que  nous  avons  tous,  outre  les  préceptes 
connus  du  christianisme,  des  devoirs  parti" 
liers  à  remplir  dans  la  différente  situât  on  où 
la  Providence  nous  a  mis,  c'est  une  vér.té  trop 
sensible  par  elle-même  et  trop  clairement 
marquée  dans  les  livres  sacrés  pour  en  douter. 
Que  chacun,  dit  saint  Paul,  se  conduise  selon 
les  dons  glorieux  de  Dieu;  que  chacun  marche 
dans  la  voie  propre  de  sa  vocation  :  Cnicuitjue 
sicut  divisit  Dominus  unnmquemque  sicul  vo- 
cavit  Deus  Ha  ambulat.(Rom.,  XII.)  C'est  une 
vérité  néanmoins  à  laquelle  peu  font  une  sé- 
rieuse attention.  Lorsqu'on  veut  se  choisir 
un  état  de  vie,  on  ne  s'informe  que  des  pri- 
vilèges, du  rang,  du  revenu  qui  en  font  la 
douceur;  on  ne  juge  de  sa  vocation  pour  un 
emploi,  pour  une  charge  que  sur  le  bien 
qu'on  a  pour  l'obtenir  et  non  point  sur  les 
talents  nécessaires  pour  en  porter  le  poids 
et  en  acquitter  les  obligations,  ce  qui  fait  que 
dans  la  suite  on  ne  songe  point  aux  fautes 
qu'on  y  peut  commettre,  et  si  on  en  conserve 
le  souvenir,  on  se  llatte  de  les  commettre 
sans  danger  pour  le  salut.  C'est  sur  quoi  je 
veux  vous  détromper  dans  cette  première 
partie  de  mon  discours,  en  vous  faisant  voir 
que  lorsque  vous  manquez  à  vos  devoirs 
particuliers,  1°  vous  troublez  l'ordre  général 
que  la  prudence  a  établi  entre  les  hommes  ; 
2"  vous  vous  opposez  à  l'ordre  personnel 
que  le  Seigneur  a  établi  sur  vous  en  parti- 
culier, deux  réilexions  dignes  de  toute  votre 
attention. 

Vous  le  savez,  Messieurs,  le  divin  Ouvrier, 
Maître  souverain  de  l'univers,  qui  en  créant 
le  monde  a  rais  le  bel  ordre  que  nous  admi- 
rons, a  établi  entre  fous  les  états  qui  le  com- 
posent une  mutuelle  relation  qui  les  fait 
subsister  et  qui,  comme  dans  le  corps  hu- 
main toutes  les  parties  qui  le  composent,  se 
prêtent  un  secours  mutuel  et  l'ont  chacune 
leur  fonction  différente;  de  même,  dit  l'Apô- 
tre, nous  devons- nous  entre-aider  et  nous 
soulager  les  uns  les  autres,  selon  les  dons  et  la 
mesure  différente  des  grâces  qui  nous  ont  été 
données  :  Singuli  autem  altcr alteriusmcmbra. 
Hab entes  autem  donationcs  secundum  gra- 
tiamquœ  data  est  nobis  différentes  (Rom.,  XII)  ; 
c'est  pourquoi,  ajoute  le  grand  Apôtre,  il  a 
confié  aux  uns  le  dépôt  de  sa  justice  et  aux 
autres  le  don  de  sa  miséricorde.  11  a  créé  la 
puissance  pour  favoriser,  soutenir,  protéger 
les  hommes  dans  le  bien  et  pour  arrêter, 
punir  et  mettre  un  frein  dans  ceux  qui  opè- 
rent le  mal;  pour  défendre  les  bons  contre 
les  insultes  des  méchants  et  réprimer,  par  la 
force  du  glaive,  ceux  que  l'autorité  de  l'E- 
glise n'est  pas  capable  de  retenir.  Voilà  l'or- 


1033  CAREME.  —  SERMON  XXVI,  DËV 

dre  que  a  Providence  a  établi.  Or  vous  trou- 
blez cet  ordre  général  lorsque  vous  ne  rendez 
Pas  le  tribut  à  qui  vous  devez  le  tribut,  la 
crainte  à  qui  vous  devez  la  crainte,  le  respect, 
l'amour,  l'obéissance,  la  soumission  à  qui 
vous  la  devez  ;  cet  enfant  dont  vous  négligez 
l'éducation,  pères  et  mères,  voilà  le  tribut  que 
vous  devez  et  que  vous  ne  rendez  point;  ces 
pauvres  que  vous  laissez  sans  assistance, 
voilà,  riches  du  monde,  l'ordre  général  que 
vous  troublez  ;  ce  serviteur  dont  vous  ne  payez 
pas  le  salaire  et  dont  vous  excitez  les  plaintes 
et  les  murmures,  maîtres  et  maîtresses,  voilà 
en  quoi  vous  troublez  l'ordre  de  la  Provi- 
dence qui  s'en  était  reposée  sur  vous  ;  et 
comme  vous  êtes  cause  des  offenses  que  Ces 
malheureux  font,  vous  en  répondrez  devant 
Dieu.  Comme  c'est  vous  qui  par  ce  trouble 
et  ce  renversement  êtes  cause  d'une  infinité 
de  malheurs  qui  arrivent  dans  la  républi- 
que, vous  devez  vous  attendre  à  en  porter 
toute  la  peine.  Héli,  au  lieu  de  jeter  sur  ses 
deux  fils  les  prévarications  d'Israël  dont  ils 
étaient  la  cause ,  oublie  en  leur  faveur  les 
lois  de  la  sévérité  paternelle.  Le  Seigneur  se 
plaint  qu'il  a  plus  d'égard  pour  ses  enfants 
coupables  que  pour  lui,  et  bientôt  il  retire 
ses  faveurs  et  ses  bénédictions  de  la  maison 
de  ce  père  trop  lâche.  Il  prononce  contre 
toute  sa  race  un  arrêt  de  colère  :  le. père  et 
les  enfants  meurent  presque  en  un  même 
jour;  les  Israélites  sont  vaincus,  l'arche  sainte 
est  prise  par  les  Philistins  ,  la  désolation 
est  chez  le  peuple  de  Dieu.  Voilà  tous  les 
malheurs  qu'attira  la  seule  négligence  du 
grand  prêtre  à  corriger  ses  enfants  ,  et  voilà 
pourquoi,  Messieurs,  les  ministres  du  Sei- 
gneur ont  d'autant  plus  de  soin  de  vous 
instruire  sur  vos  obligations  personnelles, 
qu'ils  les  connaissent  mieux  que  vous  ne 
les  connaissez  vous-mêmes.  Non ,  ce  n'est 
donc  plus  ni  ces  éclatantes  dignités,  ni 
ces  richesses  abondantes  que  vous  devez  en- 
visager dans  le  choix  d'un  état,  vous  ne  devez 
plus  regarder  le  ministère  auquel  vous  êtes 
dévoué  comme  un  moyen  d'agrandir  votre 
fortune,  de  remplir  votre  ambition,  de  con- 
tenter votre  cupidité,  mais  comme  un  titre 
de  justice,  pour  rendre  à  votre  prochain  tous 
les  bons  offices  qu'il  peut  exiger  de  vous 
dans  cet  état.  Que  savez-vous,  disait  Mardo- 
chée  à  la  reine  Esther,  lorsque  le  Seigneur 
vous  a  fait  plaire  aux  yeux  d'Assuérus,  si  ce 
n'était  pas  pour  protéger  le  peuple  juif  contre 
la  malignité  de  ceux  qui  s'efforçaient  de  sur- 
prendre sa  religion?  Que  savez-vous  si  ce 
n'est  point  pour  l'honneur  de  l'Eglise,  pour 
l'honneur  de  la  justice,  pour  les  intérêts  du 
sanctuaire  que  le  Seigneur  vous  a  fait  naître, 
avec  les  grâces  ,  avec  les  talents,  avec  cette 
naissance  qui  vous  distinguent  si  fort  dans 
le  monde?  si  ce  n'est  pour  protéger  l'inno- 
cence ,  pour  extirper  les  vices ,  pour  auto- 
riser les  bons  et  réprimer  les  mauvais  exem- 
ples, que  la  Providence  vous  a  faits  grands  ; 
puissants  dans  les  provinces,  dans  les  villes, 
car  que  signifie  ce  langage  si  commun  dans  le 
monde  :  Je  suis  grand,  je  suis  riche,  mon 
rang  répond  à  mes  désirs,  j'ai  do  quoi  me 

Orateurs  sacrés.  L. 


OIRS  PROPRES  A  CHAQUE  ETAT.  ioU 

mettre  au-dessus  de  l'envie,  si  ce  n'est, 
comme  le  représentait  saint  Bernard  au  pape 
Eugène,  que  le  Seigneur  ne  m'a  élevé  sur  la 
tête  des  autres  que  pour  soulager  leurs  be- 
soins, que  pour  soutenir  leurs  intérêts,  que 
pour  les  édifier  par  une  bonne  conduite  ;  il 
y  a  plus,  à  qui  la  moindre  faiblesse  que  je 
ferai  paraître  devant  eux  peut  leur  devenir 
un  sujet  de  scandale ,  et  que  Dieu  même  de- 
mandera plus  de  compte  à  proportion  que 
j'aurai  tenu  un  rang  plus  élevé  dans  le  monde? 
Que  signifie,  je  suis  revêtu  d'une  charge  qui 
me  rend  le  dépositaire  et  l'arbitre  de  la  vie 
et  de  la  mort  des  hommes?  c'est-à-dire  pour 
entretenir  le  bon  ordre,  la  discipline  et  la 
subordination,  pour  arrêter  la  licence  du 
vice,  pouF  dévoiler  les  ruses  et  les  artifices 
du  mensonge  et  protéger  la  veuve  et  l'or- 
phelin contre  les  poursuites  de  l'injustice  et 
de  l'usurpation?  Que  signifie,  j'ai  réussi 
dans  mes  entreprises ,  j'ai  bien  augmenté 
mes  revenus,  je  possède  de  riches  héritages? 
c'est-à-dire,  les  pauvres  attendent  de  moi 
leur  subsistance  et  leur  secours,  je  suis  éta-* 
bli  pour  veiller  à  leur  soulagement,  et  il  ne 
m'est  pas  permis  de  dissiper  dans  le  plaisir, 
dans  le  luxe ,  dans  la  sensualité  et  dans  les 
usages  profanes,  un  argent,  un  bien  qui 
ne  m'est  confié  que  pour  acheter  la  voie  du 
ciel  et  pour  m'aider  à  acquérir  le  bonheur  de 
l'éternité?  Que  signifie,  j'ai  contracté  une 
grande  alliance  par  le  mariage?  c'est-à-dire, 
je  dois  veiller  à  l'éducation  de  mes  enfants, 
au  gouvernement  de  ma  famille,  avoir  de  la 
tendresse  et  de  la  complaisance  pour  celui 
à  qui  le  Seigneur  m'a  uni,  afin  que  l'époux 
infidèle  soit  sanctifié  par  la  femme  fidèle. 

Voilà  donc  les  sentiments  dans  lesquels 
vous  devez  envisager  les  obligations  de  vo- 
tre état,  c'est-à-dire  comme  l'exécution  de 
cet  arrêt  terrible  qui  fut  prononcé  comme 
un  châtiment  du  péché  du  premier  homme, 
que  nous  gagnerons  notre  pain  à  la  sueur 
fie  notre  front;  que,  par  conséquent,  per- 
sonne n'est  exempt  de  travailler  chacun  se- 
lon sa  naissance,  ses  talents,  sa  condition, 
son  âge,  non  pas  par  un  esprit  d'intérêt,  de 
vaine  gloire  ou  de  cupidité,  mais  par  des 
sentiments  de  piété  et  de  religion. 

Quoi  1  pouvez-vous  penser  que  vous  n'a- 
vez été  appelés  au  sacré  ministère  que  pour 
dissiper  le  revenu  du  sanctuaire,  que  pour 
l'employer  à  l'oisiveté  et  à  l'ambition,  et,  à 
l'ombre" de  la  croix,  vous  parer  ou  vous  en- 
richir d'un  bien  qui  ne  vous  a  été  cor.Cé 
que  pour  la  décoration  des  autels  et  la  sub- 
sistance des  pauvres?  Croyez -vous  que  vous 
n'ayez  été  chargés  de  l'administration  des 
biens  de  l'Etat  ou  des  droits  du  prince  que 
pour  donner  à  votre  famille  d'honorables 
établissements?  que  pour  faire  acheter  par 
les  sollicitations  et  par  le  crédit  ce  qui  n'est 
dû  qu'aux  services  et  à  la  vertu?  Pouvez- 
vous  vous  persuader  que  vous  n'ayez  été 
placés  dans  un  séjour  d'où  émanent  les  hon^ 
neurs  et  les  grandes  élévations  de  la  terre, 
que  pour  obscurcir  un  mérite  qui  fait  om-1 
brage  au  vôtre?  que  pour  faire  le  désespoir" 
de  ceux  que  leur  imprudence  eu  le  màlheui" 

33 


i033 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SURIAN. 


a  jetés  dans  la  disgrâce,  et  vous  élever  par 
les  ressorts  de  la  politique  à  des  iniquités  et 
à  des  emplois  qui  ne  sont  dus  qu  au  vrai 
mérite? 

Ah!  pensez  plus  sainement  des  miséri- 
cordes que  Dieu  exerce  envers  les  hommes  ; 
et,  pour  en  vouloir  faire  un  Dieu  magnifique 
et  libéral  à  votre  égard,  n'en  faites  point  à 
l'égard  des  autres  un  Dieu  aveugle  et  in- 
juste; vous  avez  vu  que  vous  ne  sauriez 
manquer  à  remplir  les  devoirs  généraux  de 
votre  état  sans  troubler  l'ordre  général  que 
le  Seigneur  a  établi  pour  l'entretien  de  la  so- 
ciété chrétienne;  vous  ne  le  sauriez  non 
plus  sans  sortir  de  l'ordre  particulier  qui  a 
été  établi  pour  votre  propre  sanctification  : 
seconde  réflexion. 

Ceux  que  Dieu  a  choisis  pour  être  admis 
dans  sa  gloire,  il  les  conduit  chacun  par  des 
voies  différentes,  dit  saint  Paul  :  Quos  prœ- 
destinavit  hos  et  vocavit  et  quos  vocavit  hos  et 
justificavit  (Rom.,  VIII),  et  veut  qu'ils  y 
arrivent  par  les  œuvres  qu'il  leur  a  prescri- 
tes ;  le  Seigneur  nous  a  appelés  à  cet  état  de 
vie  préférablement  à  tout  autre  ;  il  a  donc 
sur  vous  quelques  vues  secrètes  qui  le  font 
agir  de  la  sorte;  et  il  demande  donc  dans  ce 
poste  des  devoirs  particuliers,  des  services 
précis  que  vous  ne  pourriez  lui  rendre  par- 
tout ailleurs.  S'il  conduit  Jean-Baptiste  clans 
le  désert,  c'est  afin  qu'il  lui  prépare  la  voie, 
et  qu'il  aille  sur  les  bords  du  Jourdain  prê- 
cher au  peuple  le  baptême  de  la  pénitence; 
s'il  se  choisit  des  apôtres  et  des  disciples, 
c'est  afin  que,  comme  autant  de  flambeaux 
de  la  foi,  ils  portent  l'instruction  et  la  lu- 
mière dans  toutes  les  provinces  et  par  toutes 
les  contrées  de  l'univers;  qu'ils  annoncent 
aux  peuples  les  miséricordes  de  la  rédemp- 
tion :  Elegi  vos  de  mnndo.  (Joan.,  XV.) 

Voilà,  dit  saint  Augustin,  à  quoi  vous 
êtes  destinés  ;  tout  autre  devoir  que  ceux 
qui  sont  marqués  dans  vos  emplois,  dans 
votre  condition,  serait  en  mauvaise  odeur 
devant  Dieu  ;  tout  autre  sacrifice  que  celui 
qui  est  attaché  à  votre  état  lui  serait  désa- 
gréable, ne  servirait  qu'à  vous  jeter  dans 
1  illusion  et  à  vous  rendre  des  serviteurs 
inutiles  à  ses  yeux;  et  c'est  sur  ce  principe 
que  le  Prophète  a  dit  que  celui-là  seul  mé- 
r.tera  de  monter  sur  la  montagne  du  Sei- 
gneur,qui  n'aura  pas  reçu  son  âme  en  vain, 
c'est-à-dire  qui  sera  entré. dans  les  engage- 
ments de  sa  vocation  :  Qui  non  accepit  in 
vano  animam  suam.  Oui,  la  dévotion  la  plus 
épurée,  le  culte  le  plus  parfait  que  nous 
puissioiis  rendre  au  Seigneur,  c'est  de  nous 
renfermer  dans  les  bornes  de  notre  nais- 
sance et  de  notre  condition,  et  d'en  remplir 
les  obligations.  Vous  n'êtes  pas  toujours 
sûrs  qu'en  multipliant  le  nombre  de  vos 
abstinences  et  de  vos  jeûnes  le  Seigneur 
arrêtera  sur  vous  des  yeux  de  clémence  et 
de  miséricorde,  et  que  vous  attirerez  par  là 
ses  grâces  et  ses  bénédictions;  souvent, 
quelque  saintes  que  soient  en  elles-mêmes 
vos  œuvres  de  surérogation  ,  pour  peu  que 
vous  vous  détourniez  de  vos  devoirs  per- 
sonnels, il  n'y  a  que  de  la  vanité,  qu'un  or- 


gueil secret,  qu'un  vain  désir  de  paraître, 
qu'un  mouvement  de  complaisance  et  de 
respect  humain,  qu'une  envie  de  vous  dis- 
tinguer ;  mais  vous  êtes  assurés  qu'en  vous 
acquittant  des  devoirs  de  votre  état,  de  vo- 
tre ministère,  vous  ne  vous  écartez  point 
de  la  voie  du  salut  qui  vous  a  été  prescrite, 
et  où  vous  avez  été  appelés;  que  par  consé- 
quent vous  y  êtes  toujours  agréables  au 
Seigneur. 

C'est  ainsi  que  Josué  s'est  montré  fidèle  à 
soutenir  avec  intrépidité  les  guerres  du  Sei- 
gneur ;  Caleb,  à  visiter  la  terre  de  Chanaan  ; 
Samuel,  à  veiller  et  à  prier  dans  le  temple; 
la  femme  forte,  par  son  attention  à  mettre 
la  main  au  travail,  et  à  établir,  dans  l'intérieur 
de  sa  maison,  la  discipline  et  la  régularité. 
C'est  ainsi,  ô  mon  Dieu  1  que,  ne  rejetant 
personne  de  votre  maison,  nous  ouvrons 
chacun  un  sentier  qui  peut  nous  conduire 
au  ciel  et  qui  n.ous  rendra  tout  à  fait  inex- 
cusables si  nous  y  entrons  pour  opérer  no- 
tre sanctification. 

Voulez-vous  acquérir  la  vie  éternelle,  de- 
mandait saint  Jean  au  peuple  de  Judée,  ne 
vous  chargez  point  de  toutes  sortes  de 
fruits,  mais  de  bons  qui  soient  propres  et 
particuliers  à  votre  état;  dépouillez-vous, 
disait-il  aux  riches,  de  ces  gros  revenus  et 
des  superbes  vêtements  pour  revêtir  le  pau- 
vre, pour  le  nourrir  ;  et  consacrez  à  son  ser- 
vice, à  sa  subsistance  un  argent  qui  ne  sert 
qu'à  vos  plaisirs,  à  vos  vanités  et  à  votre 
bonne  chère.  N'abusez  point,  disait-il  aux 
grands  et  aux  publicains,  en  faveur  de  vos 
cupidités,  du  pouvoir  que  le  roi  vous  a  con- 
fié ;  et  en  ménageant  ses  intérêts,  oubliez  les 
vôtres  ;  défendez  les  droits  de  la  patrie  par 
la  valeur  de  vos  armes,  mais  conservez  ses 
membres  ;  contentez-vous  du  revenu  et  de 
la  solde  qui  sont  attachés  à  votre  rang,  et 
faites  retomber  sur  les  ennemis  de  l'Etat  la 
terreur  et  l'effroi  qu'entraîne  après  lui  un 
fléau  si  désolant,  disait-il  aux  officiers  de 
guerre  :  Ncminem  concutiatis  neque  caîum- 
niam  faciatis  et  contenti  estote  stipendiis 
veslris.  (  Luc,  III.  ) 

D'ailleurs,  vous  ne  pouvez  omettre  ces 
obligations  dont  chacun  est  chargé  par  son 
état,  que  vous  ne  vous  rendiez  responsables 
d'une  infinité  de  grâces  et  de  miséricordes 
que  le  Seigueur  a  répandues  sur  vous,  et 
qu'il  a  attachées  à  vos  conditions  :  c'est  un 
principe  de  religion  que,  dès  que  le  ciel 
nous  appelle,  à  remplir  quelque  place  im- 
portante, il  nous  donne  en  même  temps  tou- 
tes les  forces,  tous  les  secours,  tous  les  ta- 
lents dont  nous  avons  besoin  pour  en  soute- 
nir le  poids  et  en  remplir  les  obligations; 
vous  méprisez  donc  ses  bienfaits  et  ses  mi- 
séricordes, lorsque  vous  ne  les  remplissez 
pas,  ces  devoirs  ;  or,  on  ne  les  méprise  point 
impunément,  ces  bienfaits  du  Seigneur.  Une 
grâce  perdue  est  toujours  un  crime  punis- 
sable; le  serviteur  lâche  et  paresseux,  qui 
néglige  de  mettre  à  profit  le  talent  qui  lui 
est  confié,  en  sera  dépouillé;  il  sera  préci- 
pité dans  les  ténèbres  extérieures,  dit  l'E- 
vangile, et  sera  puni  anssi  sévèrement  que 


CAREME.  —  SERMON  XXVI  ,  DEVOIRS  PROPRES  A  CHAQUE  ETAT. 


4C37 

le  serviteur  infidèle  qui  aura  dissipé  le  sien. 

J'ajoute  que  celte  négligeante  des  devoirs 
de  sou  état  entraîne  toujours  avec  elle  une 
chaîne  d'égarements  que  la  passion  nous 
suggère  ;  nos  actions  n'étant  plus  réglées  par 
la  sagesse,  nous  ne  suivons  plus  que  l'erreur 
et  le  dérèglement.  L'homme  livré  à  lui-même 
se  livre  aussi  tout  entier  à  ses  désirs  injus- 
tes; faites-y  attention,  mes  frères,  et  vous 
verrez  que  si  cette  mère  de  famille  ne  veille 
point  sur  son  domestique  comme  elle  doit, 
c'est  qu'elle  va  dans  une  maison  étrangère 
se  livrer  à  la  médisance  ou  à  un  jeu  ruineux. 
Si  cette  jeune  personne  donne  dans  tous  les 
pièges  et  néglige  de  conserver  sa  pudeur  et 
sa  précieuse  innocence,  c'est  qu'elle  se  pro- 
duit sans  scrupule  dans  des  compagnies  qui 
dissipent  son  esprit  et  corrompent  son  cœur . 
Ainsi,  dès  que  Samson ,  suscité  d'en  haut 
pour  humilier  et  réduire  les  superhes  Phi- 
listins, cesse  de  les  attaquer,  il  forme  le 
dessein  de  contracter  avec  eux  une  alliance 
honteuse,  sa  force  l'abandonne,  l'esprit  de 
Dieu  se  retire  de  lui,  et  tous  les  pièges  que 
lui  dressait  l'artificieuse  Dalila  sont  autant 
d'écueils  funestes  contre  qui  toute  sa  vertu 
vient  se  briser. 

Loin  donc  de  surprendre  l'estime  et  l'ad- 
miration des  autres,  lorsque  vous  sortez  de 
votre  caractère,  lorsqu'enflé  de  votre  fortune 
encore  récente,  vous  affectez  des  manières 
hautaines,  quand  vous  portez  des  habits  si 
peu  convenables  à  votre  âge  et  à  votre  nais- 
sance, que  vous  étudiez  l'art  de  plaire  et  de 
briller  par  les  vanités  mondaines  ;  c'est  par 
là  au  contraire  que  vous  vous  flétrissez  dans 
l'esprit  du  monde,  et  que  vous  devenez  le  mé- 
pris du  siècle  et  l'objet  éternel  de  sa  dérision 
et  de  ses  censeurs  ;  ces  moments  que  vous 
dérobez  à  vos  obligations  pour  les  donner  à 
vos  plaisirs,  j'ose  le  dire,  ce  sont  des  ronces 
et  des  épines  que  vous  semez  sur  les  voies  ; 
ils  vous  attireront  des  reproches  amers,  ou 
de  la  part  d'un  maître  dont  vous  aurez  abusé 
de  l'autorité,  ou  de  la  part  d'une  famille  dont 
vous  aurez  dissipé  le  bien,  ou  d'un  créancier, 
d'un  domestique  dont  vous  aurez  retenu 
l'argent,  le  salaire,  pour  fournir  à  votre  ma- 
gnificence, à  votre  somptuosité  et  à  tous  vos 
désirs  mondains.  Cependant  dans  quelle 
tranquillité  ne  demeure-t-on  pas  sur  l'omis- 
sion de  ces  devoirs  si  importants!  Les  fait-on 
jamais  entrer  dans  le  détail  de  ses  infidélités? 
les  porte-t-  on  jamais  au  tribunal  de  la  péni- 
tence ?  s'en  alllige-t-on  jamais  ?  On  les  omet 
sans  scrupule,  on  les  transgresse  sans  re- 
mords ;  on  se  flatte  que,  parce  qu'on  était 
libre  de  choisir  un  parti  et  un  état,  on  est 
aussi  libre  d'en  accomplir  les  engagements  ; 
on  s'exempte  comme  Jonas  de  la  mission 
dont  on  est  chargé,  on  fuit  comme  lui  devant 
la  majesté  du  Créateur  et  on  ose  dire  qu'on 
le  craint  et  qu'on  l'adore  :  Dominum  Deum 
cœliego  timeo  ;  on  appréhende,  comme  Pilate, 
par  une  lâche  timidité,  ceux  qui  peuvent 
nous  nuire  auprès  des  puissances  et  nous 
desservir  auprès  du  prince;  on  abandonne, 
par  une  noire  perfidie,  la  cause  du  faible  op- 
primé, et  on  ose  croire  qu'en  se   lavant  les 


1038 


mains  comme  ce  lâche  pontife,  on  est  aussi 
lavé  au  fond  de  la  conscience,  et  qu'on  est 
entièrement  innocent  du  sang  et  de  la  mort 
du  juste;  on  croit  que,  parce  que  dans  sa 
conduite  on  ne  reconnaît  aucune  transgres- 
sion des  préceptes  de  la  loi,  on  est  sur  tout 
le  reste  en  sûreté  de  salut,  et  qu'on  n'a  rien 
à  se  reprocher  devant  Dieu, sans  faire  ré- 
flexion qu'en  particulier  nous  serons  jugés 
sur  la  fidélité  ou  la  négligence  avec  laquelle 
nous  nous  serons  acquittés  de  nos  engage- 
ments personnels  et  que  le  Sauveur  nous 
dira,  comme  au  serviteur  infidèle,  rendez- 
moi  compte  des  revenus,  du  crédit,  des  ta- 
lents, des  lumières, des  emplois, des  charges 
dont  je  vous  ai  donné  l'administration  : 
Iiedde  rationem  viilicationis  tuœ.  (  Luc.  > 
XVI.) 

Heureux  donc,  mes  frères,  le  serviteur  pru- 
dent que  le  père  de  famille  trouvera  fidèle  à 
son  arrivée, parce  qu'il  l'éîablirasurses  autres 
héritages  et  lui  donnera  une  place  distinguée 
dans  son  royaume  ;  et  voilà  pourquoi  saint 
Paul  voulait  que  les  ministres  du  sanctuaire 
s'appliquassent  à  instruire  les  peuples  de 
leurs   obligations    personnelles.   Enseignez 
les  autres,  disait-il  à  Tite,  son  disciple,  mais 
apprenez-leur  surtout  à  s'acquitter  des  en- 
gagements de  leur  état;  enseignez  aux  gens 
du  monde,  aux  vieillards,  à  être  sobres,  pru- 
dents, patients,  intègres  dans  leurs  mœurs 
et  dans  leur  foi,  et  à  ne  point  déshonorer 
leur  vieillesse  par  des  impudicités  scanda- 
leuses :  Senes  ut  sobrij  sint,  pudici,  pruden- 
tes, sani   in  fide,   in  dilectione,  in  palientia 
(Tit.,  Il);  enseignez  aux  femmes  chrétiennes 
à  se  vêtir  modestement,  à  ne  point  affecter 
ces  parures  indécentes  qui  ne  servent  qu'à 
faire  remarquer  davantage  les  disgrâces  de 
la  nature   et  le  nombre  de  leurs  années,  à 
réprimer  les  mouvements  de  leur  colère,  et 
étouffer  jusqu'aux  moindres  saillies  de  res- 
sentiment et  de  haine  :  Similiter  in  habitu 
sancto   non  criminatrices  (IOid.);  enseignez 
aux  femmes  qui  sont  dans  les  liens  sacrés  du 
mariage  à  veiller  au  gouvernement  de  leur  fa- 
mille, à  aimer  leurs  enfants,  à  travailler  sans 
cesseà  leur  éducation,  à  être  soumises  à  leurs 
époux  :  Ut  prudentiam,  doceant  adolescentu- 
ios,utviros  suosament,filios  suos  diligant,  ub- 
ditus  viris  suis  (lbid.)  ;  apprenez  aux  jeunes 
gens  à  être  dociles, chastes, continents,  réglés, 
toujours  prêts  à  recevoir  avec  douceur  les 
bons  avis  qu'on  leur  donne  sur  les  égarements 
de  leur  conduite,  à  profiter  des  lumières  qu'on 
prend  soin  de  leur  communiquer,  à  parler 
avec  respect  et  circonspection  des  mystères 
sacrés,  des  vérités  essentielles  de  notre  reli- 
gion :  Juvenes  similiter  hortare  ut  sobrii  sint 
(lbid.);  enseignez  à  ceux  qui  approchent  delà 
personne  du  prince  et  des  grands  à  leur  obéir 
avec  fidélité,  à  les  servir  avec  amour,  à  ne 
chercher  qm  leur  salut  et  leur  gloire,  et  de 
ne  jamais  sacrifier  la  vérité  aux  dépens  de 
leur  conscience  :  ServGs  dominis  suis  subdi- 
tos   esse   in  omnibus,  placentes,  non  contra- 
dicentes,  non  fraudantes,  sedin  omnibus  fid&m 
bonam  ostenaentes.  [Ibid.) 

Mais  avouons-le ,    cette  obligation   que 


fO 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  Sl'îlIAN, 


1010 


nous  avons  de  remplir  les  devoirs  de  notre 
état,  ne  nous  rend  guère  plus  attentifs,  et  si 
rien  n'est  pour  nous  plus  indispensable  que 
de  nous  acquitter  de  nos  obligations  person- 
nelles, rien  n'est  aussi  plus  rare  que  de 
trouver  des  personnes  qui  le  fassent  dans 
toute  leur  étendue  :  c'est  l'autre  partie  de  ce 
discours. 

SECOND    POINT. 

Je  découvre  trois  sources  de  cette  crimi- 
nelle infidélité,  que  nous  apportons  d'ordi- 
naire à  remplir  nos  devoirs  propres  et  per- 
sonnels :  l'indolence,  l'inconstance  qui  les 
abandonne  comme  ennuyeux,  la  vanité  qui 
les  méprise  comme  obscurs  et  peu  éclatants  ; 
soyez  attentifs,  et  peut-être  vous  r6connaî- 
tr.ez-vous  dans  l'un  de  ces  trois  caractères. 
C'est  le  propre  de  l'indolence  ,  et  la  dis- 
position de  regarder  comme  peu  nécessaire 
tout  ce  qui  lui  paraît  pénible,  de  diminuer 
ses  devoirs  pour  justifier  sa  lâcheté  et  de 
renfermer  dans  l'accomplissement  des  seuls 
préceptes  imposés  à  tous  les  chrétiens, 
toutes  ses  obligations  ;  les  âmes  les  plus  re- 
ligieuses se  contentent  de  ne  point  y  donner 
atteinte  et  se  donnent  dispense  sur  le  reste 
de  leurs  engagements;  elles  croient  être 
quittes  envers  le  Seigneur  et  avoir  accompli 
toute  justice,  quand  à  peine  elles  ont  payé 
la  moindre  partie  de  ce  qu'elles  lui  doi- 
vent. 

Qu'allez-vous  voir  dans  le  désert  ?  deman- 
dait le  Sauveur  au  peuple  juif,  en  parlant  de 
Jean-Baptiste.  Est-ce  un  homme  enfoncé 
dans  la  mollesse,  plongé  dans  le  repos  et 
dans  l'oisiveté  ?  Non,  ajoute  Jésus-Christ  ; 
ces  sortes  de  personnes  se  trouvent  dans 
les  palais  des  grands,  dans  la  maison  des 
riches  ?  Peut-être,  Messieurs,  vous  trouve- 
rez-vous  dans  ces  états  de  grandeur  et  d'o- 
pulence, dont  parle  le  Fils  de  Dieu,  mais  vous 
ne  vous  croyez  pas  pour  cela  sujets  aux  re- 
proches qu'il  leur  fait.  Entrons  un  moment 
dans  le  détail,  et  voyons  si  vous  êtes  en  droit 
de  vous  justifier. 

Vous  assistez  régulièrement  à  la  célébra- 
tion de  la  sainte  messe,  plus  souvent  même 
que  l'Eglise  ne  vous  l'ordonne;  mais  y  por- 
tez-vous cette  modestie  de  corps,  ce  recueil- 
lsment  d'esprit,  cette  effusion  de  cœur,  qui 
en  sont  les  dispositions  essentielles  ?  Vous 
approchez  des  sacrements  plusieurs  fois  dans 
l'année,  et  le  précepte  ne  vous  en  demande 
qu'une  ;  mais  pour  y  participer  dignement, 
y  apportez-vous  une  foi  vive,  une  espérance 
ferme,  une  charité  parfaite  ?  y  joignez-vous 
un  examen  sincère,  une  douleur  sensible, 
une  résolution  constante,  un  changement  de 
mœurs  et  de  conduite  ?  Vous  êtes  fidèles  à 
Dieu,  dites-vous,  mais  êtes-vous  charitables 
au  prochain?  Vous  ne  flétrissez  point  sa  ré- 
putation par  la  médisance  et  parla  calomnie, 
mais  soulagez-vous  sa  misère  par  l'aumône 
et  par  la  compassion?  Vous  ne  vous  emparez 
point  injustement  de  son  bien,  peut-être 
même  lui  faites-vous  part  du  vôtre  ;  mais  ne 
le  scandalisez-vous  point  par  le  dérèglement 
de  vos  mœurs  et  par  l'excès  de  vos  dépen- 


ses? Vous  ne  persécutez  pas  ceux  qui  5 ont 
sous  votre   domination,  sous  vos  lois  ;  mais 
entrez-vous  dans  leurs  peines,  et  les  assis- 
tez-vous de  votre  crédit  et  de    votre  protec- 
tion ?  Vous  ne  vous  emportez  point ,  vous  ne 
maltraitez    point  ceux  qui  vivent,  qui  de- 
meurent avec  vous  ;  mais  avez-vous  assez  de 
douceur,  et  la  patience  ne   vous  échappe- 
t-elle  point  lorsqu'il  faut  souffrir  de  leur  mau- 
vaise humeur  et  qu'il  s'agit  de  supporter 
leurs  défauts?  Epouses  qui  vousdites  fidèles, 
témoignez-vous  à  cet  époux  toute  la  confiance, 
toute  la  tendresse  que  vous  lui  devoz?  cher- 
chez-vous en  tout  à  lui  plaire,  et  ne  négli- 
gez-vous  rien,  quoi  qu'il  puisse  vous  en 
coûter?  Pour  cela  suspendez-vous  votre  jeu? 
rompez-vous  avec  les  compagnies  ?  Renoncea- 
vous  à  tous  les  plaisirs,  ou  pour  lui  en  pro- 
curer,   ou   pour  le  consoler  dans  ses  infir- 
mités et  dans  ses  disgrâces,  ou  pour  le  ré- 
jouir et  pour  le  délasser  après  son  travail  et 
son  épuisement?  Hommes  revêtus  d'emplois 
et  de  charges,  placés  dans  la  banque  ou  dans 
le  commerce,  dans  la  finance  ou  dans  la  ma- 
gistrature, employez-vous   votre    crédit    et 
votre  autorité,  voslumières,  votre  pouvoir,  à 
faire  craindre  les  justices  de.  celui   de  qui 
vous  tenez  la  place  ?  Faites-vous  servir  vos 
revenus,  vos  richesses,  à  faire  aimer  sa  di- 
vine iprovidence?  Avez-vous  assez   d'égard 
pour  votre  prochain,  et  de  soumission  pour 
vos  supérieurs   légitimes?  Avouez-le,  Mes- 
sieurs, et  je  le  dis  avec  confusion,  si  l'on  tire 
le  voile  et  que  l'on  excepte  un  certain  de- 
hors pharisaïque,  certains  devoirs  généraux 
dont  on  s'acquitte  par  bienséance,  par   cou- 
tume, souvent  par  hypocrisie,  hélas  1  quels 
fruits  de  justice,  quelles  œuvres  de  sainteté 
opère-t-on  dans  le  christianisme  ?  A  quoi  fai- 
tes-vous servir  vos  talents  et  vos  conditions? 
Ne  les  consacrez-vous  pas  tout  à  fait  au  ser- 
vice du  monde,  et  quelle  part  y   ont  votre 
Dieu  et  votre  salut?  A  quoi  occupez-vous  vos 
journées,  si  vous  en  ôtez  quelques  moments 
de  prières,  où  la  bouche  a  bien  plus  de  part 
que  le  cœur?  Ne  passez-vous  pas  tout  le  reste 
dans  l'oisiveté,  dans  la  mollesse  et  dans  Fin- 
tempérance  ?  Ne  les  employez-vous  pas  à  pa- 
rer l'idole  du  monde,  ou  à  courir  après  ses 
faux  biens?  à  inventer  de  pernicieux  artifices 
pour  surprendre  l'innocence  des  faibles,  ou 
à  faire  jouer  de  coupables  ressorts  pour  sup- 
planter  vos  concurrents  et   surpasser    vos 
égaux  ?  ou  en  des  spectacles  profanes,  ou  en 
des  lectures  empoisonnées  ?  ou  à    embellir 
des  maisons  champêtres  pour  contenter  vo- 
tre sensualité?  ou  a  former  de  nouvelles  en- 
treprises pour  réussir  dans  vos  projets  am- 
bitieux ?  Quoi  donc  1  aveugles  et  téméraires 
que  vous  êtes,  croyez  vous  que  le  Seigneur, 
qui  vous  demandera  compte  des  paroles  inu- 
tiles et  oiseuses,  ne  vous  le  demandera  pas 
aussi  d'un  temps  et   de  talents  qui  ne  vous 
avaient  été  donnés  que  pour  travailler  à  sa 
gloire  et  à  en  acquérir  l'éternité?  Ah  1  l'on  est 
d'ordinaire  si  jaloux  de  se  faire  rendre  de 
ses  frères  les  devoirs  .qu'ils  nous  doivent, 
l'on  vous  voit  si  exacts  b  soutenir  les  titres 
denoblesse,  vous  prenez  tant  desoindetenir 


1011 


CAREME.  —  SERMON  XXVI  ,  DEVOIRS  PROPRES  A  CHAQUE  ETAT. 


votre  rang  et  votre  préséance  par  la  magni- 
ji  ence  des  habits,  par  le  faste  du  train  et 
des  équipages,  et  n'y  aura-t-il  que  du  sa- 
lut de  votre  âme  dont  vous  ne  prenez  point 
soin,  n'yaura-t-il  que  des  engagements  de 
votre  baptême  auxquels  vous  ne  ferez  point 
d'attention,  n'y  aura-t-il  que  le  précieux  dépôt 
de  la  grâce  qui  vous  a  été  confié,  que  vous 
laisserez  perdre  par  votre  nonchalance  et 
votre  indifférence?  Combien  de  personnes 
qui  jouissent  depuis  longtemps  des  privilè- 
ges attachés  à  des  charges  considérables,  à 
des  dignités  éclatantes,  sans  peut-être  jamais 
en  avoir  exercé  les  fonctions,  et  rempli 
comme  il  faut  les  devoirs  ?  Combien  en 
voit-on  qui  se  contentent  d'en  porter  les 
marques  honorables  et  d'en  recueillir  les 
douceurs,  tandis  qu'ils  se  reposent  sur  d'au- 
tres du  poids  et  des  sollicitudes  qui  en  sont 
inséparables,  et  comment  songeraient-ils  à 
s'acquitter  de  leurs  obligations,  eux  qui 
s'empressent  d'accumuler  emploi  sur  em- 
ploi, charge  sur  charge,  dont  l'unies  appelle 
a  la  province  et  à  la  campagne,  tandis  que 
l'autre  les  retient  à  la  cour  ou  à  la  ville  ?  Est- 
ce  donc  là,  grand  Dieu,  la  fin  pour  laquelle 
vous  avez  élevé  les  uns  sur  la  tête  des  au- 
tres et  mis  tant  de  différence  entre  les  états 
et  les  conditions?  Quel  étrange  renversement 
du  bon  ordre  que  vous  avez  établi  dans  le 
inonde  !  quelle  affreuse  présomption  dans  de 
si  viles  créatures  !  On  veut  se  montrer  capa- 
ble de  tout,  dès  qu'on  espère  du  profit  ou 
de  l'honneur,  et  pour  vouloir  trop  entre- 
prendre, on  se  met  hors  d'état  de  ]  ouvoir 
rien  exécuter;  et  comment  le  pourrait-on? 
on  appréhende  même  d'être  instruit  de  ses 
devoirs,  on  ne  veut  pas  s'en  expliquer  avec 
ceux  qui  pourraient  nous  en  éclaircir,  et  il 
n'est  pas  jusqu'aux  parents  les  plus  proches 
qui,  ne  connaissant  point  assez  jusqu'où  va 
l'obligation  de  la  tendresse  naturelle,  ne 
veulent  pas  s'en  informer,  de  peur  d'être 
obligés  de  partager  leurs  biens  avec  des'  en- 
fants qui  ne  partagent  pas  leurs  coeurs  et  leur 
amitié. 

Mais  à  cette  négligence  criminelle  qui  nous 
fait  oublier  les  devoirs  'de  notre  état  on 
joint  encore  l'inconstance  qui  nous  les  fait 
abandonner;  seconde  source  d'infidélité 
dans  le  chrétien. 

Oui,  Messieurs  ,  l'inconstance  est  le  se- 
cond obstacle  qui  s'opose  à  l'accomplisse- 
ment de  nos  devoirs  ;  nous  nous  occupons 
d'abord  agréablement  et  nous  nous  plaisons 
à  marquer  de  la  ferveur  et  du  zèle  en  en- 
trant dans  un  nouvel  état,  mais  à  force  de 
les  accomplir  ils  nous  deviennent  ennuyeux. 
Telle  est  la  fragilité  de  l'homme ,  on  se  lasse 
d'avoir  toujours  les  mêmes  soins  à  garder, 
les  mêmes-  choses  à  faire  ,  de  ne  finir  une 
action  que  pour  en  commencer  une  sem- 
blable ;  on  se  sent  fatigué  de  n'avoir  devant 
les  yeux  que  des  objets  importuns  qui  de- 
mandent sans  cesse  ou  grâce  ou  justice;  on 
s'ennuie  d'être  continuellement  renfermé 
dans  sa  famille,  toujours  avec  les  mêmes 
personnes ,  d'entendre  toujours  dire  la 
même  chose,  de  faire  toujours  les  mêmes 


1042 

leçons  à  des  domestiques,  à  des  enfants,  à 
un  mari  ;  on  se  rebute  d'avoir  toujours  le 
même  emploi ,  la  même  commission ,  le 
même  poste;  on  aime  le  changement  et  la 
variété ,  notre  esprit  encore  plus  incons- 
tant que  notre  cœur  ne  saurait  si  longtemps 
se  contraindre,,  et  semblables  aux  plus  fai- 
bles roseaux  :  arundinem  vento  agitatam  , 
nous  plions  à  tout  vent,  et  nous  nous  lais- 
sons agiter  par  la  moindre  de  nos  passions;  de 
là  ces  dégoûts  si  fréquents  ,  ces  repentirs  si 
ordinaires,  ces  continuelles  variations  qui 
paraissent  dans  les  modes,  dans  les  liaisons, 
dans  les  amitiés,  dans  le  langage,  dans  les 
écrits ,  et  jusque  dans  le  choix  et  dans  les 
règles  de  la  pénitence  et  de  la  dévotion. 

Quelle  honte  pour  nous ,  ô  mon  Dieu  l 
et  ne  rougirons-nous  jamais  d'une  si  affreuse 
légèreté  ?  Quoi  !  nous  oserons  dire  que  nous 
nous  ennuyons  à  remplir  les  devoirs  d'une 
vie  qui  est  si  courte,  et  nous  tirerons  de 
cet  ennui  un  prétexte  à  notre  infidélité, 
tandis  que  nous  voyons  que  vous  ne  vous 
ennuyez  point  de  faire  lever  tous  les  jours 
votre  soleil  sur  nos  têtes ,  de  répandre  votre 
même  rosée  sur  nos  campagnes,  de. verser 
vos  mêmes  grâces  dans  nos  coeurs?  Ah  !  c'est 
donc  avec  justice  que  vous  vous  plaignez  par 
votre  prophète ,  que  la  plupart  des  hommes 
se  sont  déplacés,  que  presque  tous  se  sont 
rendus  inutiles ,  qu'il  n'y  en  a  que  très-peu 
qui  fassent  le  bien,  et  qu'à  peine  s'en  trouve- 
t-il  un  seul  qui  soit  fidèle  à  ses  obligations  : 
0  ries  declinaverunt  simul  inutiles  facti  sunt 
(  Psal.  X1I1)  ;  non  est  qui  faciat  bonum,  non 
est  usque  ad  unum;  ou  bien  que  s'il  en  est 
encore  quelqu'un  qui  passe  à  la  pratique 
des  bonnes  œuvres  ,  on  ne  passe  du  moins, 
presque  jamais  à  l'accomplissement  de  celles, 
qui  sont  attachées  à  son  état  particulier  et  à 
sa  condition,  on  les  trouve  trop  obscures  et 
trop  basses,  et  on  veut  des  œuvres  qui  fas- 
sent du  bruit  ou  de  l'éclat  ;  troisième  source 
de  l'infidélité  du  chrétien  à  ses  propres  de^ 
voies. 

Telle  est  la  vanité  de  l'homme;  pourvu  que 
l'encens  nous  en  revienne,  on  se  met  peu 
en  penne  que  le  parfum  de  nos  œuvres  s'é- 
lève jusqu'à  Dieu,  et  sur  ce  malheureux 
principe  on  fait  toute  autre  chose  que  ce 
qu'on  devrait  faire  ;  on  est  de  toutes  les  as- 
semblées de  piété  et  on  ne  se  recueille  ja- 
mais en  soi-même  pour  examiner  en  secret 
sa  conscience  ;  on  se  transporte  dans  ces  de- 
meures sombres ,  dans  ces  noires  prisons 
pour  y  .  consoler  les  captifs ,  et  on  laisse 
les  enfants  et  la  maison  en  proie  à  des 
loups  ravissants ,  qui  en  séduisent  l'inno- 
cence. • 

On  se  rend  assidu  à  fréquenter  les  hôpi- 
taux, à  visiter  les  pauvres,  à  servir  les  ma- 
lades, pendant  que  chez  soi'  on  n'en  veut 
souffrir  aucun ,  et  qu'on  envoie  un  proche  , 
un  domestique  ,  finir  misérablement  ses 
jours  avec  les  serviteurs.de  Jésus-Christ, 
dont  quelquefois  le  nombre  est  excessif  :  que 
vous  dirai-je  ?  Messieurs, .on  fait  l'aumône 
et  on  multiplie  ses  exactions  et  ses  ra- 
pines; on  garde  les  conseils  et  on  néglige 


4o;s 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SURIAN. 


ICH 


le?,  préceptes,  on  récite  au  dehors  de  lon- 
gues prières  comme  l'hypocrite  pharisien, 
et  dans  le  cœur  on  n'a  ni  dévotion ,  ni  misé- 
ricorde ,  ni  droiture  ;  on  trouve  aussi  sou- 
vent dans  les  tribunaux  de  la  justice,  lejlévite 
que  le  laïque;  le  magistrat  s'instruit  plus  àes 
maximes  du  siècle  que  de  la  science  des  lois, 
l'homme  public  s'occupe  plus  de  lui-môme 
que  des  autres,  l'homme  privé  se  juge  moins 
sur  ses  propres  défauts  qu'il  ne  condamne 
ceux  des  autres;  cependant, que  l'on  se  môle 
de  critiquer  tous  les  états,  on  se  rend  la  fable 
et  l'opprobre  de  sa  condition.  Le  roi  Ozias 
veut  mettre  la  main  à  l'encensoir  et  usurper 
le  droit  du  sacerdoce,  et  auss:tôt  il  est 
frappé  de  lèpre  et  devient  l'horreur  et  l'igno- 
minie du  peuple  dont  il  avait  fait  la  gloire 
et  le  triomphe  ;  on  veut  bien  s'approprier 
quelques,  fonctions  éclatantes,  pratiquer 
quelques  vertus  qui  font  honneur,  mais  on 
rougirait  de  descendre  dans  un  certain  dé- 
tail des  pratiques  pieuses  qu'on  laisse  aux 
esprits  communs  et  aux  âmes  vulgaires,  et 
c'est  ce  qui  fait  dire  au  Sage  que  dans  le 
monde  on  travaille  beaucoup,  mais  que  tous 
ces  travaux  sont  inutiles  au  salut  de  l'âme, 
que  l'homme  n'en  est  que  plus  malheureux, 
et  que,  comme  il  n'en  n'a  pas  plus  de  mérite, 
il  n'en  n'aura  aucune  récompense  :  Inutiles  et 
animœsuœ labores sine  fruclu  et  inutilia  opéra 
v.orum.  (Sap.,  III.)  Le  comprenez-vous  bien 
maintenant,  Messieurs,  qu'il  est  très-rare 
de  trouver  des  chrétiens  fidèles  qui  s'ac- 
quittent régulièrement  des  obligations  de 
leur  état ,  qui  remplissent  comme  il  faut  les 
devoirs  qui  leur  sont  propres  et  particuliers? 
Cependant,  ô  l'étrange  illusion  !  chacun  as- 
sure qu'il  est  de  ce  nombre  fidèle.  Grâce 
au  Tout-Puissant ,  dit-on  tous  les  jours ,  je 
n'ai  rien  à  me  reprocher  là-dessus  ,  je  fais 
mon  devoir  dans  mon  emploi  ,  dans  ma 
charge,  dans  ma  famille,  dans  monétat  ;  il 
çst  vrai  que  je  ne  fais  pas  de  ces  actiohshéroï- 
ques,  que 'je  ne  donne  pas  dans  ces  vertus 
austères  du  cloître;  mais  aussi  puis-je  me 
vanter  de  remplir  avec  honneur ,  avec  pro- 
bité, ce  que  Dieu  demande  de  moi  dans  ma 
condition  et  dans  mon  état. 

Ainsi  parlait  autrefois  Saùl  en  présence  de 
Samuel .  Béni  soit  le  Seigneur,  s'écriait-il  d'un 
ton  suffisant  et  hardi,  j'ai  accompli  les  ordres 
qu'il  m'avait  donnés,  et  ai  marché  sans  re- 
proche dans  la  voie  où  il  m'avait  appelé  :  Be- 
nedictus  tu,  Domine,  etc.  (I  Reg.,  XV.)  Ah  I  ces- 
sez de  parler  ainsi,  lui  répond  Samuel,  ou  bien 
faites  taire  la  voix  de  ces  troupeaux  qui  frappe 
mes  oreilles  :  Quœ  est  vox  gregum,  etc.  Vous 
avez  obéi,  dites-vous,  à  la  voix  du  Seigneur  ; 
vous  avez  fait  ce  qu»'il  vous  a  commandé,  en 
exterminant  les  Amalécites  depuis  le  premier 
jusqu'au  dernier.  Cependant,  quel  est  ce  bruit 
confus  de  troupeaux  et  de  béliers,  qui  sem- 
ble vous  reprocher  votre  désobéissance  et 
condamner  votre  indigne  réserve?  et  n'est-ce 
pas  la  plus  noire  de  toutes  les  impostures 
d'oser  dire  que  vous  avez  accompli  les  ordres 
du  Seigneur,  pendant  que  vous  avez  lâche- 
ment épargné  le  roi  d'Amalec  et  ce  que  les 
Amalécites  avaient  de  ulus  précieux?  Quœ  est 


vox  gregum  quœ  resonat  in  auribus  meis  ? 
{Ibid'.) 

N'en  puis-je  pas  dire  autant  de  vous, 
Messieurs,  qui  vous  vantez  de  répondre  au 
choix  que  le  Seigneur  a  fait  de  vous  dans  vos 
emplois  et  dans  vos  conditions?  Vous  avez 
rempli  vos  devoirs,  dites-vous,  grands  du 
monde;  mais  quelle  est  donc  cette  voix  de 
tant  de  personnes  dignes  de  foi  qui  disent  par- 
tout, avec  gémissement  et  avec;  larmes,  que 
vous  les  consumez  en  frais,  que  vous  rete- 
nez leur  salaire,  que  vous  vous  parez,  que 
vous  faites  bonne  chère  aux  dépens  de  vos 
créanciers,  que  vous  n'aimez  point  à  payer 
vos  dettes,  que  vous  n'aimez  que  l'éclat  et 
le  faste  ?  Quœ  est  vox,  etc.  Vous  vous  acquit- 
tez, dites-vous,  époux  et  épouses,  pères  et 
mères,  des  devoirs  de  votre  condition;  mais 
quelle  est  donc  celte  voix  d'une  épouse  fidèle 
qui  se  plaint  hautement  que  vous  n'avez 
pour  elle  aucune  complaisance,  que  vous 
portez  ailleurs  votre  honêteté  et  votre  belle 
humeur,  que  vous  êtes  toujours  chagrin  et 
colère?  quelle  est  donc  cette  voix  d'un  époux 
tendre  et  sincère  qui  gémit  en  lui-même  de 
voir  que  sa  femme  dépense  tout  son  bien  en 
amusements  et  en  parures,  qu'elle  ne  trouve 
point  (Je  pire  maison  que  la  sienne,  et  qu'elle 
ne  se  met  en  peine  de  rien,  pourvu  qu'elle 
trouve  ses  commodités  et  ses  aises?  quelle 
est  donc  la  voix  de  ces  enfants  qui  languis- 
sent sous  la  cruelle  dureté  de  leurs  parents, 
qui  se  plaignent  que  ceux  dont  ils  tiennent 
le  jour  leur  refusent  le  nécessaire  à  la'  vie, 
qu'ils  ne  leur  donnent  que  de  mauvais  exem- 
ples,et  que, par  leur  mauvaise  conduite,  ils  les 
laissent  sans  éducation  et  sans  bien  ?  Quœ  est 
vox,  etc.  Vous  n'avez  rien  à  vous  reprocher, 
dites-vous,  gens  d'affaires  et  de  finance,  qui 
avez  en  maniement  et  en  dépôt  les  affaires 
du  public  accablé,  qui  vous  regarde  comme 
des  loups  affamés,  comme  des  sangsues  im- 
pitoyables, qui  se  plaint  de  votre  barbarie 
et  de  vos  malversations,  et  qui  dit  que 
tout  périt,  que  tout  tombe  entre  vos  mains 
ou  par  votre  inhumanité  ou  par  votre  négli- 
gence :  Quœ  est  vox,  etc.  Vous  remplissez 
les  devoirs  de  votre  état,  dites-vous,  juges 
de  la  terre,  officiers  de  justice  ;  mais  quelle 
est  donc  cette  voix  de  l'innocent  opprimé, 
de  la  veuve  abandonnée,  qui  crient  à  nos 
oreilles  que  vous  donnez  tout  à  la  faveur  et 
aux  sollicitations,  que  le  pauvre  et  le  petit 
ont  toujours  le  moins  de  droit  devant  vous, 
et  que  c'est  l'argent,  le  crédit,  la  passion  qui 
donnent  chez  vous  tout  le  poids  à  la  balance? 
quelle  est  donc  la  voix  plaintive  de  ces  clients 
et  de  ces  plaideurs  que  vous  désespérez  par 
vos  détours  et  vos  longueurs,  et  que  vous 
épuisez  par  la  multiplicité  de  vos  procé- 
dures et  par  vos  inutiles  chicanes?  Quœ  est 
vox,  etc. 

Ne  vous  aveuglez  donc  plus  vous-mêmes, 
Messieurs  ;  appliquez-vous  à  connaître  vos 
devoirs  personnels  et  à  les  remplir  avec 
fidélité;  allez  sonder  vos  cœurs  devant  Dieu 
avec  le  flambeau  d'une  foi  vive;  pesez  au 
poids  du  sanctuaire  la  dignité  de  chrétien 
que  vous  portez,  et  vous  instruirez  de  l'é-* 


CAREME.  —  SERMON  XXVI!,  DE  LA  CONVERSION  DU  PECHEUR. 


1045 

tendue  des  obligations  qu'elle  vous  impose  : 
que  vos  emplois  et  vos  charges,  vos  états  et 
vos  conditions  particulières  ne  vous  fassent 
jamais  oublier  que  vous  êtes  chrétiens,  en- 
fants de  Jésus-Christ,  disci]  les  de  l'Evangile; 
trava:llez  à  éloigner  de  vous  tous  les  obsta- 
cles qui  pourraient  s'opposer  à  l'accomplis- 
sement de  vos  obligations;  ne  souffrez  jamais 
que  l'indolence,  que  la  légèreté,  que  la  va- 
nité donnent  la  moindre  atteinte  à  la  vivacité 
et  à  la  constance,  à  la  soumission  que  vous 
devez  à  remplir  vos  engagements.  Dites- 
vous,  si  vous  voulez  :  le  Seigneur  m'a  donné 
des  maîtres,  des  proches,  des  amis,  je  leur 
dois  à  chacun  des  services  différents  :  mon 
domestique  est  bien  réglé,  j'ai  besoin  que 
Dieu  so:t  honoré  dans  les  terres  de  ma  dé- 
pendance ;  en  un  mot,  suis-je  fidèle  à  mes 
devoirs  de  chrétien  et  à  ceux  de  mon  état? 
C'est  là,  Seigneur,  tout  ce  que  je  vous  de- 
mande, puisque  par  là  je  puis  espérer  de  ré- 
gner avec  vous  dans  l'éternité  bienheureuse 
que  je  vous  souhaite,  au  nom  du  Père,  etc 
Amen. 

SERMON  XXVII  (11). 

DE  LA  CONVERSION  DU  PÉCHEUR. 

Homélie  sur  V évangile  de  la  Pécheresse. 

Mulier  quaîcratin  civitate  peccatrix,  etc.  {Luc,  VII.) 
Une  femme  qui  était  comme  dans  la  ville  pour  une  pé- 
cheresse... arrose  de  ses  larmes  les  pieds  du  Sauveur 

Voici,  Messieurs,  un  grand  objet  de  mi- 
séricorde et  un  modèle  touchant  de  conver- 
sion que  Jésus-Christ  offre  à  son  Eglise.  En 
vain ,  pour  nous  consoler  et  nous  rappeler 
de  nos  égarements",  nous  a-t-il  fait  voir  dans 
la  parabole  du  Prodigue,  que,  quelque  loin 
que  se  soit  égaré  le  pécheur,  il  est  encore  à 
lui  et  ne  peut  parvenir  parla  multitude  de  ses 
crimes  à  la  fin  de  ses  miséricordes;  en  vain 
nous  assure-t-il  ailleurs  qu'il  désavoue  une 
conversion  infructueuse,  qu'il  veut  que  les 
volontés  qui  furent  fécondes  par  le  mal  ne 
soient  plus  stériles  pour  le  bien;  qu'à  ses 
yeux  on  n'est  changé  que  par  les  couvres; 
que  séparé  de  lui  par  le  péché  on  ne  peut  y 
venir  que  par  la  prière,  et  qu'on  doit  faire  au- 
tant pour  son  salut  qu'on  a  fait  pour  sa  perte  ; 
malgré  ces  leçons  importantes  il  a  cru  que 
nous  avions  encore  besoin  d'un  grand  exem- 
ple pour  nous  faire  comprendre  que  non- 
seulement  il  nous  offre  des  grâces ,  mais 
qu'il  nous  demande  aussi  des  actions. 

Faut-il  pour  encourager  votre  faiblesse 
lui  proposer  des  penchants  vaincus,  qui 
étaient  presque  invincibles;  des  habitudes 
rompues  qui  paraissaient  insurmontables; 
des  passions  abattues  qui  semblaient  in- 
domptables, et  tout  le  poids  du  crime  qui 
accablait  le  misérable  pécheur  changé  en  ce- 
lui de  la  piété  qui  le  relève  et  le  console; 
faut-iJ,  pour  affermir  votre  conversion,  vous 
faire  voir  dans  l'histoire  de  la  pécheresse  une 
espèce  de  compensation  entre  le  crime  et  la 
pénitence,  la  matière  des  offenses  conver- 


1046 

ties  en  sujets  d'expiations,  ce  qui  avait  été 
prostitué  au  monde  parun  emploi  d'iniquité, 
sacrifié  à  Jésus-Christ  par  une  profusion  de 
pénitence! 

Voilà  ce  qui  vous  est  clairement  proposé 
dans  tout  ce  qui  accompagne  la  conversion 
de  cette  femme;  quelle  défiance  après  cela 
pourrait-il  rester  au  pécheur  qui  veut  se 
convertir?  quelle  lâcheté  ne  céderait  pas  à  un 
motif  si  puissant?  et  voilà  les  deux  plaies 
mortelles  que  Dieu  m'inspire  aujourd'hui  de 
guérir  en  vous.  Est-on  pécheur,  on  se  décou- 
rage et  on  se  rebute  comme  si  on  était  inca- 
pable de  conversion;  est-on  pénitent,  on  se 
flatte  et  on  s'abuse  comme  si  on  avait  tout 
ce  qu'il  faut  pour  être  véritablement  converti. 
Les  uns  trop  timides  désespèrent,  les  autres 
trop  présomptueux  se  séduisent.  Pourôter  de 
votre  âme  ces  deux  maux  si  funestes,  regar- 
dez cette  femme  :  Vides  hanc  muliercm  ;  elle 
apprend  aux  plus  déplorés  pécheurs  de  quoi 
ila  sont  capables  et  aux  plus  grands  pénitents 
de  quoi  ils  manquent.  Jetez  les  yeux  sur  sa 
conversion,  elle  devient  l'attrait  le  plus  en- 
gageant et  la  règle  la  plus  sûre  de  la  vôtre; 
ainsi,  la  rémission  de  ses.offenses  qu'elle  ob- 
tient et  les  œuvres  de  sa  douleur  qu'elle  pro- 
duit, vous  montreront  d'abord  la  possibilité 
de  votre  conversion  contre  tous  les  abus  qui 
s'y  peuvent  glisser  ;  c'est  à  quoi  tout  l'évan- 
gile se  termine. 

Hé  quoi  !  Messieurs,  dans  un  jour  si  pro- 
pre à  vous  toucher  vous  pourriez  demeurer 
insensibles!  Tout  parlerait  en  vain  pour  vo- 
tre conversion  !  Autrefois  le  nom  seul  de  la 
pécheresse, que  vous  m'entendez  ici  pronon- 
cer, disposait  tous  les  coeurs  à  gémir.  Tous 
les  plus  grands  pécheurs  qui  se  reconnais- 
saient dans  ce  tableau  fondaient  en  larmes 
en  entendant  un  pareil  discours.  Est-il  moins 
parlé  dans  celui-ci  de  la  tendre  compassion 
dé  Dieu,  et  y  recornaissez-vûus  moins  le 
malheur  de  l'homme?  Vous  verrions-nous  dé- 
sespérer de  votre  conversion  quand  tout  sem- 
ble vous  en  donner  de  si  douces  espérances  ? 
Ne  le  permettez  pas,  ô  mon  Dieu  !  soyez  en- 
core ,  à  tous  ceux  qui  m'écoutent,  ce  bon 
maître,  ce  père  tendre  que  la  pécheresse 
trouva  en  vous,  et  faites  qu'après  avoir  senti 
par  une  heureuse  expérience  que  la  prière 
est  possible,  ils  apprennent  à  la  rendre  so- 
lide et  véritable  ;  nous  vous  le  demandons 
par  l'intercession  de  Marie.  Ave,  Maria. 

PREMIER    POINT. 

Les  obstacles  les  plus  ordinaires  au  bon- 
heur de  la  conversion  sont  le  sentiment  de 
nos  faiblesses,  la  tyrannie  du  respect  hu« 
main  ,  la  force  de  l'habitude;  or,  dans  les 
trois  premières  paroles  de  l'évangile,  Dieu 
semble  avoir  proposé  la  réponse  la  plus  pré-* 
cise  à  Ja  fausseté  de  ces  raisons,  la  voici  : 
Mulier  in  civitate  peccatrix,  une  femme  con- 
nue dans  la  ville  pour  une  pécheresse.  Sen- 
tez-vous bien  tous  le  poids  de  ces  trois  pa- 
roles? Si  souvent  dans  le  fond  du  cœur  vous 


(11)  Imprimé  au  tome  II,  page  189,  de  l'édition  de  Liège,    avec  de  nombreux  changements,  et  sous  ce 
îrlre  :  De  la  Madeleine. 


1047 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SURIAN, 


10-tS 


vous  êtes  dit  à  vous-même  :  il  faudrait  bien 
revenir  à  mon  Dieu  ;  je  voudrais  me  conver- 
tir, mais  je  suis  si  faible  :  voici  une  femme 
aui,  par  son  caractère  particulier,  était  la 
faiblesse  même,  mulier  ;  quel  motif  d'espé- 
rance pour  vous  !  Mais  quand  j'en  aurais  la 
force,  que  dira  le  monde  de  voir  sitôt  en  moi 
un  si  grand  changement?  La  femme  de  notre 
évangile  était  connue  de  toute  la  ville  et 
le  qu'en  dira-t-on  ne  l'empêcha  pas  de  se 
convertir  :  in  civilate  ;  quelle  raison  pour 
vous  de  tout  oser  pour  votre  conversion  1 
J'ai  d'ailleurs  formé  des  habitudes  qui  m'en- 
chaînent, comment  pouvoir  m'en  défaire? 
Mais  la  femme  de  notre  évangile  était  une 
pécheresse  de  profession,  plus  connue  par 
«es  désordres  que  par  son  nom,  peccatrix. 
La  voilà  cependant  aux  pieds  de  Jésus- 
Christ  ;  et  qui  peut  donc  empêcher  encore 
que  vous  n'y  soyez  aussi,  en  vous  écriant 
avec  son  serviteur  :  Je  suis  couvert  d'ini- 
quité, les  hommes  qui  vous  haïssent  en  par- 
leront; il  me  faudra  faire  de  continuelles 
violences  ,  mais  rien  de  tout  cela  ne  pourra 
m'arrêter;  j'irai  à  vous,  ô  mon  Dieu!  parce 
que  je  sais  que  vous  êtes  doux  et  plein  de 
miséricorde,  patient  et  plus  riche  en  com- 
passion que  je  ne  le  suis  en  malice  :  Scio 
enim  quia  tu  Deus  démens  et  misericors  es, 
paliens  et  multœ  miserationis  et  ignoscens 
super  malitia.  (Jonas,  IV.) 

Premier  obstacle  que  vous  apportez  à  vo- 
tre conversion  :  Je  suis  si  faible.  Ah!  nous 
le  savons  assez,  Messieurs.  Pour  peu  que 
nous  connaissions  le  cours  déplorable  de  vos 
désordres,  que  nous  nous  représentions  tous 
ces  différents  objets  qui  vous  séduisent, 
c'est  à  votre  faiblesse  que  nous  donnons 
toute  notre  compassion  et  dont  nous  faisons 
le  sujet  de  nos  gémissements  et  de  nos 
larmes  ;  mais  fût-elle  plus  grande  encore,  je 
prétends  qu'elle  ne  peut  être  un  obstacle  à 
votre  conversion,  puisque  la  pécheresse  de 
notre  évangile,  plus  faible  que  vous,  s'est 
convertie,  et  que  vous  avez  des  secours  plus 
puissants  qu'elle  n'en  avait  de  son  temps. 
Mulier  :  tout  était  faible  en  elle,  non-seule- 
ment l'âge,  le  penchant,  la  condition,  mais 
même  le  sexe;  c'était  une  femme,  elle  était 
d'un  certain  cœur,  ouvert  à  tout ,  touché  de 
tout,  qui  pouvait  la  faire  désespérer  de  ja- 
mais se  retirer  de  ses  désordres;  Dieu,  ce- 
pendant, permet  qu'elle  se  trouve  une  vi- 
gueur sainte,  un  courage  héroïque  et  qu'elle 
se  sente  plus  forte  pour  son  salut  qu'elle  ne 
l'avait  été  pour  sa  perte. 

Vous  qui  éludez  votre  conversion,  trouvez- 
vous  tous  ces  obstacles  ensemble?  Si  l'âge 
vous  rend  faible,  votre  complexion  ne  l'est 
peut-être  pas,  et  une  heureuse  éducation 
vous  soutient  ;  si  le  cœur  en  vous  se  trouve 
sensible,  il  est  redressé  par  la  raison;  si 
vous  avez  du  penchant  vers  le  mal,  peut-être 
que  du  moins  trop  d  abondance,  trop  d'oc- 
casions, trop  de  prospérités  ne  le  secondent 
pas.  La  pécheresse  était  donc  plus  faible  que 
vous. 

Mais  vous  avez  même  des  secours  plus 
puissants    qu'elle  n'en  avait,  Jésus-Christ 


n'était  pas  encore  mort  pour  le  salut  des 
hommes,  et  les  mérites  de  sa  passion  no 
pouvaient  pas  être  encore  appliqués  au  sa- 
lut de  cette  pécheresse,  au  lieu  que,  dans  la 
loi  de  grâce  où  vous  vivez,  la  croix  du  Sau- 
veur vous  ennoblit,  son  sang  précieux  vous 
lave,  ses  plaies  adorables  vous  guérissent, 
ses  sacrements  vous  sanctifient,  ses  mérites 
vous  aident,  vous  trouvez  une  force  invisi-, 
ble  dans  l'idée  seule  d'un  Dieu  immolé  pour 
vous  ;  ah  !  vous  savez  que  ses  grâces  coulent 
avec  plus  d'abondance  qu'au  temps  de  la  pé- 
cheresse, que  les  trésors  vous  en  sont  tou- 
jours ouverts,  qu'un  seul  rayon  est  capable 
de  vous  arracher  à  tout,  de  vous  détromper 
de  tout,  que  vous  vivez  sous  une  loi,  dans 
une  religion  qui  vous  montre  si  clairement 
l'insuffisance  de  tout  ce  qui  passe,  le  néant 
de  tout  ce  qui  brille  le  plus  dans  le  monde, 
qui  vous  représente  la  vertu  si  douce  et  si 
aimable  où  l'image  d'une  mort  prochaine, 
les  amertumes  des  remords  cuisants ,  les 
frayeurs  vives  sur  le  jugement  dernier  vous 
pressent  tant  de  chercher  aux  pieds  de  Jé- 
sus-Christ un  asile  bien  heureux,  un  refuge 
assuré  et  où  vous  êtes  pour  ainsi  dire  tout  ac- 
cablé de  ses  miséricordes  et  de  ses  grâces;  si 
vous  daignez  y  répondre,  vous  ne  sentirez 
plus  votre  faiblesse,  et  plus  facilement  qu'un 
David  contrit  et  humilié,  qu'un  Pierre  triste 
et  désolé ,  qu'une  pécheresse  fondant  en 
larmes,  vous  vous  trouverez  converti  et  de- 
viendrez, comme  eux,  du  plus  grand  des  pé- 
cheurs, le  plus  grand  des  pénitents. 

Ah!  n'outragez  donc  plus  Jésus-Christ, 
n'insultez  plus  sa  sainte  religion,  en  disant, 
quand  il  s'agit  de  vous  convertir,  je  suis  trop 
faible. Qui  peut  vous  autoriser  à  tenir  ce  lan- 
gage? avez-vous  fa^t  le  moindre  essai  de  vos 
forces?  après  avoir  couru  si  longtemps  dans 
les  voies  d'iniquité,  avez-vous  seulement 
fait  un  pas  dans  les  sentiers  de  la  vertu?  après 
avoir  porté  avec  tant  de  courage  les  dures 
lois  du  monde,  avez-vous  soutenu  quelque 
temps  le  joug  doux  et  léger  du  Seigneur  pour 
savoir  quelles  forces  il  exige  de  vous?  Lors- 
que jamais  vous  ne  vous  êtes  plaint  de  votre 
faiblesse  pour  porter  vos  fers,  avez-vous 
bonne  grâce  de  vous  en  prévaloir  lorsqu'il 
s'agit  de  les  briser?  n'avez-vous  donc  de  force 
que  pour  l'employer  à  votre  perte?  Dire  que 
vous  êtes  faible  pour  rompre  les  liens  qui 
vous  attachent  au  crime,  quand  vous  ne  l'a- 
vez pas  été  pour  les  former,  n'est-ce  pas  dire 
que  vous  ne  voulez  pas  vous  convertir,  que 
vous  ne  pouvez  vous  y  résoudre?  et  ce  que 
vous  couvrez  du  spécieux  prétexte  de  fai- 
blesse, n'est-ce  pas  plutôt  endurcissement 
et  impiété?  Vous  êtes  faible,  mais  où  sont  les 
efforts, les  violences  que  vous  vous  êtes  fails? 
Est-ce  donc  que  Dieu  ne  mérite  rien?  S'il  faut 
servir  une  passion,  vous  n'y  trouvez  aucune 
difficulté  et  vous  êtes  prêt  à  tout  y  em- 
ployer, quand  il  s'agit  d'acquérir  un  peu  de 
bien,  vous  avez  assez  de  force  pour  braver 
les  périls,  et  les  peines  que  vous  y  prenez 
vous  paraissent  toujours  douces;  il  n'y  a 
donc  que  pour  le  salut  que  le  moindre  effort 
vous  décourage,  que  la  moindre  peine  vçys 


iflifl 


CAREME.  —  SERMON  XXVII,  DE  LA  CONVERSION  DU  PECHEUR. 


10o0 


fait  peur,  que  vous  n'osez  rien  tenter,  rien 
entreprendre,  rien  essayer? 

Non,  non,  ne  vous  y  trompez  pas,  vous 
n'alléguez  que  vous  êtes  faibles  que  pour 
nous  taire  connaître  que  vous  êtes  lâches  ; 
vous  voudriez  que  l'ouvrage  de  votre  salut 
fût  tout  d'un  coup  parfait,  qu'il  n'y  eût  qu'à 
le  souhaiter  pour  être  converti,  que  l'homme 
pénitent  sortît  des  mains  de  Dieu  comme 
nomme  innocent ,  sans  qu'il  lui  en  coûtât 
rien,  que  vos  chaînes  se  brisassent  tout  d'un 
coup  comme  celles  de  Pierre, et  qu'une  main 
secrète  vous  fit  passer  sans  aucun  effort  de 
l'esclavage  du  péché  dans  l'heureuse  liberté 
des  enfants  fidèles!  Quels  mécomptes  !  quelle 
illusion!  Vous  êtes  faibles,  mais  comment  a  vez- 
vous  donc  fait  pour  étouffer  tant  de  fois  les  re- 
mords importuns  de  votre  conscience  et  les 
mouvements  salutaires  de  la  grâce  de  Jésus- 
Christ?  Fort  contre  Dieu,  vous  n'êtes  faibles 
que  pour  revenir  à  lui  ;  vous  êtes  faibles, que 
cette  excuse  devrait  vous  donner  de  confu- 
sion! vous  êtes  faibles,  mon  Dieu, quelle  ma- 
nière de  se  plaindre!  se  dire  faible  lorsqu'on 
laisse  épuiser  ses  forces  su  rie  vice,  sur  les  pas- 
sions ;  lorsqu'on  refuse  tout  ce  qui  pouvait 
donner  une  sainte  vigueur,  la  retraite;  la 
prière,  la  pénitence,  la  mortification.  Est-ce 
donc  pour  Dieu  que  vous  alléguez,  lâches  pé- 
cheurs, un  prétexte  si  frivole?  ah!  si  vous  êtes 
faibles  comme  vous  le  dites,  c'est  pour  cela 
même  que  vous  devez  promptement,  sans  re- 
mise, sans  délai,  revenir  dans  la  voie  du  salut; 
si  faibles  comme  vous  êtes,  vous  demeurez 
dans  le  chemin  de  perdition,  quel  progrès  n'y 
ferez  vous  pas?  et  ne  vous  enfoncerez  vous  pas 
de  plus  en  plus  dans  le  précipice?  au  lieu  que, 
si  vous  revenez  à  Jésus-Christ,  si  vous  vous 
attachez  à  lui,  vous  serez  à  couvert  des  chu- 
tes et  du  naufrage  ;  ce  qui  périt  dans  vos 
mains  est  toujours  sauvé  dans  les  siennes  ; 
vous  êtes  faibles  :  aviez-vous  donc  orgueil- 
leusement compté  sur  vous-mêmes?  pensiez- 
vous  être  l'auteur  de  vos  victoires  et  le  maî- 
tre de  vos  combats;  si  cela  est?  c'était -une 
méprise  de  votre  superbe,  mais  la  foi  ne  vous 
découvre-t-elle  pas  un  bras  plus  haut  et  plus 
puissant  que  le  faible  bras  de  chair  qui 
s'arme  pour  votre  défense?  mais  la  grâce  de 
Jésus-Christ,  votre  Sauveur ,  ne  vous  prête- 
t-elle  pas  toute  sa  force  ?  mais  les  plaies  de 
votre  Rédempteur  ne  vous  offrent-elles  pas 
toute  leur  vertu?  Faut-il  vous  défier  d'un 
Dieu  qui  a  plus  de  force  que  vous  n'avez  de 
fragilité?  ne  comptez-vous  point  sur  le  se- 
cours de  ce  Dieu  de  bonté,  qui  a  promis  de 
vous  aider  et  qui  veut  le  salut  de  tous  les 
hommes?  Que  celui  qui  est  infirme  s'écrie  , 
dit  un  prophète,  j'ai  avec  moi  la  puissance 
et  la  force  ;Infirmus  dicat, quia  for  lis  ego  sum 
(Joël,  111);  ne  craignez  rien,  vous  dit  le  Sei- 
gneur :No!ite  timere  (Malth.,\),ne  redoutez 
point  toutes  les  difficultés  et  tous  les  obsta- 
cles qui  se  peuvent  opposer  à  votre  conver- 
sion ,  car  ce  n'est  point  ici  le  combat  de 
l'homme,  c'est  le  combat  de  Dieu  même  : 
Ne  paveaiis  hanc  multitudinem  ,  non  est  enim 
ves.rapugna,  sedDei.(\\  Para!.,  XX  )  Quand 
l'homme  combat  seul,  ce  n'est  qu'amuse- 


ment, sa  force  ploie, et  il  ne  peut  rien  de  lui- 
même;  mais  dès  qu'il  est  avec  son  Dieu,  que 
ne  doit-il  pas  entreprendre?  or  il  est  avec 
nous,  dit  le  Saint-Esprit, il  nous  prête  son  se- 
cours, et  c'est  lui-même  qui  combat  avec  nous 
pour  nous  faire  triompher. Nobiscum  Dominus 
Deus  noster,  qui  auxilialor  noster  est  piujnat- 
que  pro  nobis.  (II  Para!.,  XXXII.) 

En  faut-il  un  exemple  ,  Messieurs?  Yides 
hanc  mulicrem,  jetez  les  yeux  sur  la  femme 
pécheresse  ;  autant  la  rature  était  infirme 
en  elle,  autant  la  grâce  y  était  triomphante; 
depuis  qu'elle  eut  cédé  aux  attraits  de  la 
miséricorde,  tout  le  reste  céda  au  désir  de 
sa  conversion;  soyez  fidèles  à  Dieu  comme 
cette  femme  et  vous  écriez  avec  David  :  0  mon 
salut  et  ma  force,  faites  que,  malgré  toutes 
les  misères  de  l'homme  que  me  causent 
mes  péchés-,  je  prouve  par  ma  prière,  toute 
la  puissance  d'un  Dieu;  Seigneur,  pour 
m'exaucer,  ne  regardez  pas  si  je  le  mérite, 
souvenez- vous  seulement  que  j'en  ai  besoin; 
quel  objet  plus  propre  à  signaler  votre  misé- 
ricorde et  vos  grâces?  Miserere  mei,  Domine, 
quoniam  infirmas  sum.  (Psal.  VI.) 

Mais  un  deuxième  obstacle  s'oppose  à  la 
conversion  des  pécheurs,  la  crainte  du 
monde.  Oui,  Messieurs  :  lui  qui  ouvrait  aux 
pécheurs  toutes  les  voies  de  l'iniquité,  qui 
leur  en  présentait  toujours  de  nouvelles  oc- 
casions, qui  leur  donnait  une  hardiesse  in- 
finie pour  le  crime,  leur  ferme  avec  soin 
toutes  les  avenues  de  la  prière,  les  intimide, 
les  arrête,  les  décourage,  lorsqu'il  s'agit  de 
conversion,  et  si  pour  les-faire  tomber,  il 
les  a  rendus  présomj  tueux,  il  les  rend  lâ- 
ches pour  les  empêcher  de  se  relever. 

La  pécheresse  de  l'Evangile  a  triomphé  de 
ce  vain  fantôme, et  après  cela, Messieurs,  vous 
serait-il  invincible.  Elle  était  connue  dans  là 
ville,  in  civitate,  non  d'un  certain  cercle 
d'amis  où  se  resserrent  d'ordinaire  toutes  vos 
complaisances  et  toutes  vos  frayeurs  ;  mais  de 
■toute  la  ville,  in  civitate;  le  inonde  semblait  lui 
dire  :  qu'allez-vous  faire  ?  pendant  que  vous 
pouvez  encore  être  la  gloire  du  monde  et  en 
faire  les  délices,  pourquoi  voulez-vous  en  de- 
venir la  risée  et  la  fable?  Y  pensez-  vous?  vos 
nouvelles  démarches  vont  donner  un  spec- 
tacle nouveau  sur  qui  l'on  fera  bien  de  dif- 
férentes réflexions,  on  sera  moins  édifié  par 
votre  changement  que  diverti  par  votre  in- 
constance. 

Ah  !  si  elle  avait  écouté  ces  malheureuses 
suggestions  ;  au  lieu  qu'elle  est  écrite  avec 
honneur  dans  le  livre  des  saints  ,  elle  serait 
avec  ignominie  la  proie  des  démons  dans 
l'enfer;  mais  qu'elle  méprise  avec  courage 
les  discours  séduisants  des  mondains  pour 
n'écouter  que  la  voix  de  son  Dieu,  dont  elle 
voulut  suivre  les  saintes  inspirations  ;  la 
grâce  de  Jésus-Christ  se  faisant  sentir  è  son 
cœur,  elle  met  tout  son  bonheur  à  le  cher- 
cher, comme  elle  n'avait  plus  qu'une  haine, 
ses  offenses ,  qu'un  état,  sa  prière  ;  qu'un 
amour,  son  Dieu  ;  qu'une  crainte  de  ne  pou- 
voir le  trouver;  elle  se  dit  à  elle-même  :  oui 
en  quelque  lieu  que  je  ie  rencontre,  partout 
où  je  le  trouverai  j'implorerai  sa  compas»- 


1051 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SURIAN. 


1052 


sion.  ie  saisqueles  complices  de  mes  crimes 
et  les  compagnons  de  mes  plaisirs  insulte- 
ront à  ma  conversion,  mais  je  prierai  pour 
la  leur;  peut-être  que  la  miséricorde  du  Sei- 
gneur les  attendrira  et  qu'ils  seront  aussi 
touchés  de  mes  démarches  que  confus  de 
leur opiniât"eté  dans  le  mal;  mais  dussé-je 
avoir  tous  les  hommes  pour  censeurs,  n'au- 
rai-je  pas  un  Dieu  pour  apologisle?  Ah  !  c'est 
lui  que  j'entends  au  fond  de  mon  cœur,  qui 
me  dit  qu'ayant  sacrifié  mon  repos,  mon 
honneur,  ma  vie  même  pour  le  vice,  je  ne 
dois  pas  le  ménager  pour  la  vertu.  Que  j'au- 
rais bien  fait  pendant  que  je  me  livrais  au 
monde  de  craindre  ses  charmes,  d'appréhen- 
der ses  caresses  ;  mais  que  n'étant  plus  a  lui 
présentement,  je  dois  mépriser  ses  maximes, 
compter  pour  rien  ses  railleries  et  ses  cen- 
sures; qu'ayant  causé  le  scandale'  de  la  ville 
par  mes  peih.es,  je  ne  dois  plus  penser  qu'à 
en  faire  l'édification  par  ma  prière,  que  l'in- 
justice de  la  critique  doit  expier  en  moi  celle 
de  son  approbation,  et  qu'il  me  faut  porter 
dans  ma  conversion  cette  honte  que  j'aurais 
dû  trouver  dans  mes  désordres. 

C'est  cette  sainte  hardiesse,  ce  sont  ces 
généreux  sentiments  de  la  femme  péche- 
resse qui  la  font  trouver  aux  pieds  du  San-' 
veur  avec  une  intrépidité  merveilleuse,  sans 
songer  que  la  maison  où  il  est,  que  les  con- 
jonctures où  il  se  trouve,  vont  l'exposer  à 
toute  la  malignité  des  jugements  téméraires; 
qu'elle  va  chez  un  pharisien,  homme  natu- 
rellement orgueilleux  et  critique  ;  que  c'est 
pendant  un  festin,  temps  peu  propre  pour 
la  prière  et  pour  les  larmes  ;  mais  rien  ne 
la  rebute,  rien  ne  l'intimide  que  la  seule 
vue  de  ses  offenses,  rien  ne  la  fait  rougir 
que  ses  maUieurs  ;  la  grâce  l'emporte  au- 
dessus  de  la  nature  :  elle  paraît  triste,  abat- 
tue, consternée  aux  pieds  de  Jésus-Christ 
devant  toute  l'assemblée,  situation  qui,  étant 
un  signe  de  ses  égarements,  devenait  un 
nouveau  sujet  d'insulte  a  tous  ceux  qui  la 
voyaient,  en  sorte  qu'on  ne  peut  appliquer  à 
personne  mieux  qu'à  elle,  ces  paroles  de 
Job:  qui  est-ce  qui  se  trouve  exposé  comme 
moi  à  la  risée  de  ses  amis  et  du  public? 
Qui  deridetur  ab  amico  suo  sicut  ego.  (Job, 
XII.)  Cependant  je  n'en  rougis  point,  et  loin 
li'en  avoir  de  la  honte,  j'y  mets  toute  ma 
gloire:  Yerumtamen non critbesco .  (Rom.,  II.) 

Mon  Dieu, que  la  grâce  met  dans  un  cœur, 
qu'elle  saisit  de  hardiesse  et  de  courage  I 
Mais  d'où  vient  donc,  Messieurs,  que, malgré 
ces  démarches  généreuses  dont  la  péche- 
resse vous  don::e  un  exemple  si  touchent, 
ce  monstre  de  respect  humain  vous  retient 
encore;  la  crainte  du  monde  et  du  qu'en 
dira-t-on  triomphe  encore  de  vous;  je  sais 
qu'il  vous  vient  de  temps  en  temps  quelque 
en  vie  de  vous  sanctifier,  quelque  attrait  doux 
eisensible  auquel  vous  voudriez  vous  rendre, 
mais  je  n'ignore  pas  aussi,  et  vous  nous 
l'avouez  vous-mêmes,  qu'une  folle  circons- 
pection vous  rend  si  timides  que  vous  n'osez 
franchir  le  pas;  une  fausse  délicatesse  vous 
empêche  de  vous  déclarer  pour  la  vertu  ; 
effrayés  des  jugements  humains,  vous  re- 


doutez ce  spectacle  si  grand  des  pécheurs 
convertissons  craignez  de  frapper  les  yeux 
du  monde  par  un  changement  trop  marqué, 
vous  voulez  vous  conformer  au  temps  et  à  l'u- 
sage, et  de  là  naît  en  vous  une  crainte  sourde, 
une  lâche  timidité  qui  vous  tient  suspendus 
enxre  le  monde  et  Jésus-Christ,  entre  la 
prière  et  le  péché, et  qui  fait  que  vous  n'osez 
ici  vous  déclarer  pour  le  Seigneur. 

Ah  !  jusqu'à  quand,  âmes  lâches,  ferez- 
vous  céder  Dieu  à  l'homme,  et  au  salut  éternel 
la  chimère  la  plus  vaine?  car,  par  quel  en- 
droit que  vous  regardiez  votre  frayeur  elle 
est  toujours  insensée  ,  car  ces  hommes  dont 
vous  apréhendez  si  fort  la  censure,  ou  ce 
sont  les  justes,  tels  qu'étaient  les  apôtres  à 
l'égard  de  la  pécheresse,  ou  les  sages  du 
siècle,  tels  qu'étaient  les  pharisiens  qui  blâ- 
maient sa  conduite  ;  ou  les  libertins  sembla- 
bles à  ces  Juifs,  qui  blasphémaient  contre 
elle;  or  devez-vous  craindre  les  jugements 
d'aucun  de  ces  trois  genres  d'hommes? 
Craindrez-vous  les  justes?  ah  !  votre  conver- 
sion est  l'objet  de  tous  leurs  vœux  et  de 
leurs  plus  ardents  désirs;  il  y  a  si  longtemps 
qu'ils  la  désirent  et  qu'ils  la  demandent  au 
Seigneur;  voulez-vous  combler  leurs  sou- 
haits, revenez  incessamment  à  Dieu,  il  y 
aura  plus  de  joie  parmi  ces  anges  de  la  terre 
sur  votre  conversion  que  sur  celle  de  cent 
autres  moins  pécheurs  que  vous.  Redoutez- 
vous  les  jugements  des  sages  du  siècle? 
mais,  ah!  s'ils  sont  vraiment  sages,  ils 
trouveront  que  vous  l'êtes  aussi,  de  préférer 
votre  salut  à  votre  perte  ;  que  c'est  la  plus 
grande  indignité  de  ne  vouloir  pas  paraître 
ce  qu'on  est  par  sa  profession  et  par  son  bap- 
tême, que  la  seule  vertu  est  digne  d'hon- 
neur et  de  louange;  que,  ce  qui  est  digne  de 
raillerie  et  de  mépris,  c'est  la  variation  et 
l'inconstance  de  tant  d'âmes  flottantes,  qui 
tour  à  tour  sont  au  crime  et  à  la  pénitence; 
que  le  seul  usage  du  monde  nous  apprend 
que  les  plus  grandes  dignités  ne  peuvent 
dans'le  crime  se  rendre  vénérables  pendant 
que  la  vertu  s'attire  l'estime  et  la  vénéra- 
tion du  public;  s'ils  sont  sages,  ils  jugeront 
que  le  parti  delà  piété  est  le  plus  raisonnable, 
et  que  si  la  piété  a  quelque  chose  à  craindre, 
c'est  bien  plus  leur  maligne  censure  que  leur 
flatteuse  approbation  ;  il  n'y  a  donc  plus  que 
les  libertins  dont  vous  puissiez  appréhender 
lacritique,  mais  pensez-vous  à  l'outrage  que 
vous  faites  à  Dieu  dans  un  parallèle  si 
odieux?  Des  hommes  décriés,  en  qui  le  liber- 
tinage à  tout  éclipsé,  foi,  raison,  conscience, 
voilà  ceux  dont  vous  préférez  les  jugements 
insensés  atout  ce  qu'il  y  a  de  plus  grand,  de 
plus  respectable  dans  la  religion  de  Jésus- 
Christ,  à  Jésus-Christ  lui-même.  Mon  Dieu, 
que  cette  conduite  du  lâche  pécheur  laisse 
voir  de  frayeur  et  de  fragilité  1  S'il  vous  faut 
des  objets  qui  vous  fixent  et  qui  vous  déter- 
minent, choisissez-en  de  plus  nobles  et  de 
plus  dignes  devons;  ah!  faites  céder  la 
crainte  des  hommes  à  celle  de  Dieu;  laissez 
la  crainte  au  vice,  c'est  à  lui  de  trembler; 
donnez  de  l'assurance  à  la  vertu,  il  lui  con- 
vient d'êtje  intrépide:  craignez  les  libertins 


(058  CAREME.  —  SERMON  XXVII,  DE 

ils  peuvent  vous  corrompre,  mais  ne  crai- 
gnez point  leur  jugement,  ils  ne  méritent  pas 
votre  attention. 

Mais,  après  tout,  ne  révérez  jamais  des 
suffrages  si  bizarres;  ils  sont  les  censeurs  de 
votre  piété,  ils  le  sont  encore  bien  plus  de 
vos  désordres;  en  craignant  de  leur  déplaire, 
vous  aurez  quelque  chose  qui  fera  votre  gloire 
devant  eux,  mais  vos  dérèglements,  si  vous 
y  persistez,  ne  seront-ils  pas  en  butte  à  leur 
satire,  à  leur  médisance,  à  leur  jalousie,  a 
leur  vengeance,  aux  traits  malins  de  leurs 
passions?  et  ne  vaut-il  pas  mieux  appréhen- 
der les  jugements  des  gens  de  bien  que 
Dieu  honore  et  qu'il  glorifie,  que  de  vous 
rendre  à  la  censure  de  ces  hommes  perdus, 
sans  foi  et  sans  probité,  que  le  monde  mé- 
prise et  que  Dieu  désavoue?  Divin  Sauveur, 
vous  fûtes  sur  le  Calvaire  sacrifié  aux  pas- 
sions humaines,  et,  en  devenant  leur  victime, 
vous  triomphâtes  de  la  fausse  crainte  et  des 
respects  humains;  en  seriez-vous  encore  au- 
jourd'hui la  victime  dans  mon  cœur?  faites 
que  je  les  surmonte,  et  que  jamais  cette  fri- 
vole crainte  ne  soit  un  obstacle  à  ma  conver- 
sion. Et  pourquoi,  misérable  pécheur  que 
je  suis,  aurais-je  peur  des  jugements  des 
hommes,  tandis  que  vous,  qui  êtes  l'inno- 
cence même,  n'avez  ras  redouté  leurs  plus 
malignes  calomnies,  leurs  insultes  les  plus 
outrageantes?  et,  après  tout,  que  diront-ils 
de  ma  conversion,  ces  censeurs  injustes  qui 
doivent  tant  m'alarmer?  que  <Vest  inconstance; 
qu'elle  estsainte,  que  c'est  caprice  ;  qu'elle  est 
heureuse,  que  c'est  dégoût  ;  qu'elle  est  salu- 
taire, que  c'est  intérêt  ;  qu'elle  est  grande,  que 
c'est  folie  ;  qu'elle  est  sage,  que  c'estfaiblesse  ; 
qu'elle  est  divine,  donnez-la-moi,  Seigneur; 
que  c'est  nécessité,  qu'elle  est  glorieuse  ;  que 
c'est  désespoir,  qu'il  est  le  fondement  d'une 
solide  et  d'une  agréable  confiance  xlnlccon- 
fido,  non  erubescam.  (Psal.  XXIV.) 

e  le  vois,  Messieurs,  un  dernier  obstacle 
arrête  votre  conversion  :  le  malheur  de  vos 
habitudes;  mais  l'on  vous  avait  appris  de 
bonne  heure  à  vous  en  garantir  par  les  exem- 
ples funestes  qu'on  vous  avait  mis  devant 
les  .yeux;  vous  savez  tant  combien  serait  fu- 
neste à  votre  cœur  la  mauvaise  habitude, 
pourquoi  donc  vous  rendre  volontairement 
misérables?  les  habitudes  se  ressemblent 
toutes  parles  engagements  qu'elles  forment, 
et  vous  deviez  savoir  que  celle  où  vous  al- 
liez entrer  ne  serait  pas  plus  heureuse  pour 
vous  que  pour  les  autres  ;  mais  quel  mal  [dus 
profond  peut-il  être  en  vous  que  la  péche- 
resse n'ait  vaincu  et  surmonté  en  elle?  Pec- 
catrix.  Je  ne  dois  pas  ici  dissimuler  des  dé- 
sordres que  l'Evangile  nous  expose;  pour- 
quoi dérober  à  la  grâce  son  plus  beau  triom- 
phe? Elle  était  le  scandale  de  toute  la  ville, 
dit  saint  Grégoire,  et  tine  pécheresse  publi- 
que; peut-être  que  d'abord  ce  n'était  qu'un 
effet  tle  l'enjouement  naturel,  d'une  lecture 
trop  agréable,  une  envie  de  plaire,  la  joie 
d'avoir  plu,  que  sais-je?je  crains  tant  de  vous 
alarmer;  ce  n'était  peut-être  qu'un  dégoût  de 
la  prière,  qu'une  indifférence  pour  les  gens 
de  bien.,  une  simple  pesanteur  dans  l'acquit 


LA  CONVERSION  DU  PECHEUR. 


1034 


de  ses  devoirs,  certaine  lassitude  à  faire  du 
bien;  ne  sachant  encore  ce  que  c'était  que 
les  disgrâces,  elle  n'avait  jamais  cru  que  le 
crime  dût  être  l'ouvrage  de  la  mollesse ,  mais 
comme  le  poids  de  son  cœur  l'emportait  sur 
la  faiblesse  de  son  âge  et  de  son  sexe,  elle  ne 
faisait  que  se  laisser  aller,  que  céder  à  son 
penchant,  et  bientôt  elle  se  trouva  dans  le 
fond  de  l'abîme;  dès  lors  ce  ne  fut  plus  que 
licence  dans  ses  paroles,  que  dérèglement 
dans  ses  désirs,  qu'emportement  dans  ses 
passions,  que  profanation  dans  tous  ses  sens  ; 
elle  s'étonne  elle-même  du  chemin  que  son 
cœur  avait  fait  depuis  qu'elle  a  quitté  la  bonne 
voie;  le  plaisir  lui  paraissait  inséparable  de 
la  jeunesse,  et  une  vie  sans  crime  lui  semblait 
un  malheur;  il  lui  fallait  des  désordres  et 
des  péchés  nouveaux;  de  faible  elle  devient 
furieuse,  d'oisive  elle  devient  empressée; 
de  tiède  et  de  lâche  qu'elle  était,  elle  dégé- 
nère en  pécheresse  constante,  qui' fait  sa 
gloire  de  sa  honte  et  sa  joie  de  ses  malheurs. 
Ah  !  Jésus-Christ  et  une  âme  criminelle  peu- 
vent-ils être  plus  séparés  et  par  des  milieux 
plus  immenses? 

Venez  donc  ici,  pécheurs,  et  dans  quelque 
région  éloignée  où  le  péché  vous  ait  portés, 
fussiez-vous  tombés  dans  le  plus  affreux 
précipice,  dans  l'habitude  la  plus  invétérée, 
prêtez  l'oreille  aux  tendres  invitations  qi:e 
le  Seigneur  vous  fait  aujourd'hui  par  ma 
bouche  :  Consolamini,  consolamini,  popule 
meus  (Isa.,  XL);  âme  trop  affligée,  consolez- 
vous,  voici  une  pécheresse  qui  a  mis  le  com- 
ble à  ses  iniquités  :  Compléta  estmalitia  ejus 
(lReg.,W),  et  lorsque  Dieu,  ce  semble,  eût 
dû  l'abandonner,  du  fort  de  sa  colère,  il  jette 
sur  cette  infortunée  un  soupir  favorable,  un 
regard  de  miséricorde,  il  lui  pardonne  ses 
péchés  :  De  cœlo  respexit  (Psal.  LXXIX); 
il  vient  à  elle  avec  ses  grâces  les  plus  triom- 
phantes :  et  descendit  (Psal.  XVII);  il  ne 
s'étonne  point  de  voir  dans  une  âme  infidèle 
tous  les  malheurs  ensemble,  pour  avoir  plus 
lieu  de  s'attendrir  sur  elle  :  et  misertus  est 
ci  (Philipp.,  II);  tout  à  coup  elle  fut  char- 
mée, enlevée,  remuée  par  une  onction  se- 
crète qu'elle  ne  connaissait  pas  même,  qu'elle 
sentait  bien;  la  pécheresse  disparaît  tout  en- 
tière devant  la  pénitente,  et,  en  un  instant, 
aux  pieds  de  Jé^us-Christ,  elle  reçut  le  double 
des  consolations  qu'elle  avait  goûtées  au  plus 
fort  de  ses  plaisirs  dans  le  monde  :  Suscepit 
de. manu  Domini  duplicia  pro  omnibus  pec~ 
catis  suis  (Isa.,  XL);  le  Seigneur  a  fait  écla- 
ter sa  grande  miséricorde  sur  la  pécheresse  : 
Convertimini  itaque,  peccatores,  et  faciteju- 
stitiam  coramDeo,  credentes  quodfacietvobk- 
cum  misericordiam  suam  (Tob.,  XIII);  con- 
vertissez-vous donc  à  ce  touchant  spectacle, 
pécheurs  qui  m'écoutez,  embrassez  dès  à  pré- 
sent la  justice,  et  croyez  que  le  Seigneur  vous 
fera  miséricorde  comme  à  cette  pécheresse. 

Et  en  effet,  Messieurs,  vous  avez  ici  pour 
vous  convertir  un  double  motif  d'espérance  : 
et  du  côté  des  habitudes,  qui  ne  sont  pas  si 
profondes  que  celles  de  notre  pécheresse,  et 
du  côté  des  miséricordes  de  Dieu,  qui  ne  sont 
pas  moins  étendues;  Dieu  voit  mon  cœur: 


1055 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.   SURlAN. 


IIÏS 


je  ne  cherche  point  à  grossir  les  plaies  d'Is- 
raël pour  flatter  les  vôtres  ;  mais  je  puis  dire, 
sans  crainte  de  me  tromper,  que  vous~n'êtes 
point  tombés  aussi  misérablement  que  la  pé- 
cheresse ,  que  vous  n'êtes  point  enfoncés  si 
avant  dans  l'abîme  ;  elle  avait  dissipé  tous  les 
biens  que  la  grâce  avait  mis  en  elle  ;  elle  n'a- 
vait plus  ni  loi  ni  charité,  et  vous  avez  en- 
core la  foi,  et  si  vous  n'avez  plus  l'amour  de 
votre  Dieu,  vous  avez  du  moins  la  crainte  r'e 
sï  justice;  cette  femme  péchait  délerminé- 
me:.t,  par  choix  et  avec  une  hardiesse  que 
rien  ne  pou  va' t  arrêter,  et  vous  sentez  encore 
un  trouble  secret  aux  approches  du  vice;  un 
reste  d'innocence  et  de  pudeur  vous  saisit, 
et  si  différent  encore  contre  les  grands  pé- 
chés, le  moindre  mouvement  vers  Dieu  rom- 
prait les  chaînes  qui  vous  emportent  vers  le 
siècle.  Dans  elle  tout  respirait  le  crime  : 
ses   pensées,  ses  paroles,  ses  désirs,  ses 
actions,  et  le  moins  coupable  de  ses  sen- 
timents était  une  source  de  désordre  ;  mais 
vous,  dont  les  passions  sont  peut-être  déjà 
presque  éteintes  et  les  sentiments  tendres  à 
demi  usés  par  le  nombre  de  vos  années  et 
par  la  multitude  de  vos  crimes,  n'êtes-vous 
pas  non-seulement  rappelés  à  la  vertu  par 
tes  forces  qui  vous  manquent  pour  le  vice, 
mais  même  par  les  remords  qui  vous  pres- 
sent et  qui  vous  importunent?  enfin  la  pé- 
cheresse à  force  de  pécher  en  était  venue  à 
un  tel  point  d'endurcissement  et  de  tranquii- 
-ité,  que  rien  ne  lui  retraçait  l'idée  de  ses 
malheurs;  tout  se  taisait  dans  sa  conscience; 
rien  ne  lui  parlait  de  conversion  et  de  retour; 
mais  la  vôtre  vous  trouble  et  vous  alarme 
encore  quelquefois,  et  en  certaines  occasions 
vous  sentez  quelquefois  tout  votre  mal  ;  un 
reste  de  lumière  vous  découvre  encore  le 
malheur  de  votre  état;  vous  revenez  encore 
quelquefois  à  vous-même  et  vous  vous  re- 
trouvez tristement  alarmé  jusque  dans  vos 
chaînes;  cette  aimable  liberté  que  vous  avez 
perdue  se  fait  quelquefois  regretter,  vous 
avez  encore  un  fonds  de  religion  qui,  de  temps 
en  temps,  vous  reproche  le  peu  que  vous 
faites  pour  Dieu  et  les  peines  infructueuses 
que  vous  prenez  pour  le  monde  ;  en  un  mot, 
vous  n'êtes  point  si  mort  par  vos  mauvaises 
habitudes  que  vous  ne  donniez  encore  quel- 
que léger  signe  de  vie.  Ah!  vous  savez,  si 
vous  voulez  l'avouer,  que  depuis  quelque 
temps  vous  ne  voyez  [dus  le  monde  avec  les 
mômes  yeux  que  vous  le  voyiez  autrefois; 
votre  cœur  inquiet  vous  redemande  Jésus- 
Christ,  pour  lequel  il  était  fait;  il  vous  dit 
par  ses  dégoûts  et  ses  ennuis  qu'il  en  a  be- 
soin, que  cet  objet  divin  lui  manque,  que 
jamais  il  ne  sera  content  sans  lui;  déjà  vous 
commencez  à  vous  plaire  seul  ;  vousvous  plai- 
gnez que  le  vice,  que  les  idées  trop  gênantes 
du  crime  viennent  troubler  vos  réflexions,  que 
les  fers  que  vous  portez  vous  incommodent; 
quand  on  vient  h  vous  offrir  les  mêmes  objets, 
les  mêmes  liaisons,  les  mômes  plaisirs,  je  ne 
sais  comment  ni  pourquoi  vous  ne  les  trouvez 
plus  si  aimables;  le  présent  vous  dégoûte,  le 
passé  vous  îituiste,   l'avenir  vous  alarme; 
pleurant  votre  Dieu  vous  vous  pleurez  vous- 


même.  Ahl  quel  moment  heureux!  encore 
un  effort,  encore  un  soupir,  encore  une 
larme,  et  vous  voilà  pénitent,  vous  voilà  jus- 
tifié. Non,  la  pécheresse  ne  mit  point  un  in- 
tervalle si  long  et  une  distance  si  grande 
entre  le  mouvement  de  la  grâce  et  sa  con- 
version :  d'abord  qu'elle  connut  la  volonté 
de  son  Dieu,  elle  y  répondit.  Faites-en  de 
môme,  Messieurs;  ne  perciez  pas  le  moment 
favorable  de  la  bonne  inspiration,  soyez 
fermes  et  convertissez-vous  :  Confor'.amini 
(Josne,  X)  et  convertemini.  (Act.,  III.) 

Mais  je  veux  que  vous  soyez  brisés  par 
des  chutes  plus  meurtrières  encore  que  celles 
de  la  pécheresse,  que  vous  soyez  plus  en- 
foncés dans  le  plaisir  et  dans  l'habitude  du 
crime  que  les  plus  déplorés  pécheurs  ;  si 
votre  cœur  gémit  de  ses  malheurs,  s'il 
soupire  devant  Dieu,  vous  aurez  tout  lieu 
d'espérer  votre  heureuse  délivrance;  car 
qu'est-ce  que  tout  cela,  sinon  une  matière 
plus  riche  et  plus  propre  à  signaler  la  misé- 
ricorde  du  Seigneur?  Pourquoi  vouloir  pren- 
dre plaisir  à  vous  tromper  à  vos  dépens  et 
à  vous  abuser  à  votre  désavantage?  Le  Pro- 
phète ne  dit-il  pas  que  la  miséricorde  de 
Dieu  doit  briser  ce  que  la  misère  de  l'homme 
avait  le  plus  serré?  est-il  des  chaos  assez 
ténébreux  où  celte  lumière  divine  ne  pé- 
nètre? est-il  de  chaîne  si  pesante  qui  ne  se 
brise  dans  ses  mains  toutes-puissantes; 
Croyez-vous  que  dans  ce  fonds  inépuisable 
d'amour,  où  toute  la  glace  de  la  pécheresse 
vient  de  se  fondre,  il  n'y  ait  plus  de  place 
pour  échauffer  la  vôtre?  Pensez-vous  que  ce 
sang  précieux  qui  lave  toutes  les  taches  des 
plus  grands  pécheurs,  n'ait  pas  la  vertu  de 
purifier  les  vôtres?  Je  sais  que  vous  êtes  dé- 
couragés par  l'habitude  qui  vous  enchaîne; 
mais  celte  voix  toute-puissante,  qui  fit  sortir 
du  tombeau  Lazare  tout  lié  et  tout  enseveli, 
ne  peut-elle  pas  encore  vous  tirer  de  l'abîme 
de  vos  péchés,  lorsque  vous  y  êtes  le  plus 
enfoncés?  Prodiit  qui  crat  mortuus  (Jean., 
XII);  n'est-ce  pas  dans  la  voie  même  du 
crime  que  Dieu  prend  les  plus  grands  ré- 
cheurs  pour  les  attirer  à  lui  ? 

O  vous  qui  attendrîtes  le  cœur  de  David 
dans  le  plus  fort  de  sa  passion,  miséricorde 
éternelle,  changez  le  mien  ;  vous  qui  tirâtes 
Zachée  de  ses  trésors  et  de  sa  banque,  lors- 
qu'il y  mettait  toute  sa  confiance,  charité 
tendre,  attirez-nous  à  vous  ;  vous  qui  conver- 
tîtes la  femme  samaritaine,  dans  le  temps 
même  qu'elle  ne  songeait  qu'à  serrer  da- 
vantage ses  liens  déplorables,  grâce  puis- 
sante, parlez-nous;  vous  qui  fîtes  fondre  en 
larmes  saint  Pierre  dans  le' fort  de  son  éga- 
rement, bonté  divine,  regardez-nous  ;  vous 
qui  renversâtes  Saul  sur  le  chemin  de  Da- 
mas, lorsqu'il  vous  persécutait  avec  plus 
de  fureur ,  lumière  pure,  éclairez,-  nous  ;  vous 
qui  vous  trouvez  si  miséricordieusement 
devant  les  yeux  des  pécheresses  lorsqu'elles 
semblent  Je  plus  s'éloigner  de  vous,  ô 
Pasteur  des  brebis  égarées  1  ô  Père  des  en- 
fants fugitifs!  ou  quittez  des  noms  si  aima- 
bles et  si  doux,  ou  nous  faites  sentir  les 
effets  précieux  de  vos  miséricordes  :  Mirifca 


10o7 


CAREME. 


SERMON  XXVII  ,  DE  LA  CONVERSION  DU  PECHEUR. 


lOSS 


tnisericordias  tuas  qui  salvos  facis  sperantes 
in  te.  (Psal.  XVI.)  Ici  faites  des  efforts  de 
bonté;  donnez  de  l'éclat  à  votre  compassion, 
et  pour  des  désordres  prodigieux,  ayez  une 
miséricorde  toute  de  miracle  :  Mirifica  mise- 
ricordias  tuas,  etc. 

Mais  achevons  :  c'est  peu  de  vous  avoir 
montré  que  la  conversion  est  possible;  pour 
vous  encourager,  il  faut  vous  faire  voir  encore 
qu'elle  doit  être  véritable  pour  vous  régler, 
et  si  la  pécheresse  vous  a  appris  à  surmon- 
ter les  obstacles  cpii  s'y  opposent,  elle  doit 
vous  apprendre  à  en  corriger  les  abus;  et  si 
les  pécheurs  ont  trouvé  dans  la  première 
partie  de  ce  discours  de  quoi  s'encourager 
par  l'exemple  de  la  pécheresse,  les  faux  pé- 
nitents vont  trouver  de  quoi  se  confondre 
dans  l'autre  partie  de  mon  évangile. 

SECOND  POINT. 

La  conversion,  comme  le  péché,  a  sa  certi- 
tude et  son  mensonge  ;  si  souvent  on  s'aveugle 
suri  égarement,  on  s'abuse  aussi  sur  la  piété, 
et  rien  n'e5t  plus  important  que  d'en  décou- 
vrir la  vérité.  Selon  les  Pères,  l'illusion  de 
l'homme  coupable  est  clans  son  attachement 
au  péché,  dans  le  plaisir  qu'il  y  goûte,  et 
dans  l'injure  qu'il  y  fait  à  Dieu,  par  consé- 
quent, la  vérité  du  retour  et  de  la  conver- 
sion consiste  à  quitter  le  péché,  à  le  pleu- 
rer, et  à  y  satisfaire;  et  voilà  ce  qu'en  trois 
paroles  la  pénitence  de  l'Evangile  nous  ap- 
prend aujourd'hui.  Abiit,  flcvit,  tersit.  Elle 
abandonne  le  péché,  abiit;  elle  le  pleure, 
flevit  ;  elle  le  répare,  tersit.  Ah!  quand  sera- 
ce  qu'on  pourra  en  dire  autant  <•  e  vous,  pé- 
cheurs qui  ressemblez  si  fort  à  la  péche- 
resse, et  si  peu  à  la  pénitente  ?  alors  votre 
changement  ne  sera  point  une  illusion  et  un 
fantôme. 

Abiit.  La  pécheresse  s'en  alla.  Oui,  dès 
qu'une  fois  elle  est  touchée  de  Dieu,  tous 
les  moments  qu'elle  passe  loin  de  lui  pèsent  à 
son  âme;  il  n'était  pas  aisé  de  renoncer  tout 
d'un  coup  à  tant  de  plaisirs,  de  résister  à 
tant  d'attraits,  et  sans  doute  que  son  péahé 
était  accompagné  de  tous  ces  charmes  qui 
s'employaient  pour  retenir  Augustin  dans 
le  crime,  et  qui  voulaient  l'empêcher  de  de- 
meurer tidèle  aux  bonnes  résolutions  qu'il 
formait;  mais  que  la  grâce  de  Jésus-Christ 
lui  donne  d'ardeur  et  de  force  contre  des 
obstacles  si  terribles  !  elle  n'hésite  point,  et 
peu  contente  de  sortir  de  l'acte  du  péché, 
crainte  de  dérober  à  Dieu  la  moitié  de  la 
victime,  elle  veut  en  quitter  toutes  les  pro- 
fanes occasions  ;  elle  s'éloigne  de  tous  ces 
objets  malheureux,  parmi  lesquels  elle  sent 
bien  qu'elle  ne  peut  devenir  innocente; 
tout  ce  qu'elle  emporte,  c'est  un  regret  d'a- 
voir pu  si  longtemps  chérir  les  causes  de  sa 
perte  ;  elle  n'y  songe  que  pour  s'en  plain- 
dre, et  pour  conjurer  le  Seigneur  de  les  lui 
faire  à  jamais  oublier.  Que  le  monde,  pour 
la  retenir,  étale  toutes  ses  pompes,  qu'il  dé- 
veloppe tous  ses  charmes;  que  le  fol  amour 
ramasse  ses  plus  doux  attraits,  elle  en  dé- 
tourne la  vue  et  ne  l'écoute  pas.  On  la  voit 
passer  d'un  air  triomphant  à  travers  les  dis- 
ciples obstinés  à  la  repousser;  et  l'âme  dé- 


gagée et  libre,  recourir  à  Jésus-Christ,  vou- 
loir absolument  s'en  approcher,  et  mettre  en 
lui  toute  sa  confiance,  comme  s'il  n'y  avait 
plus  que  lui  seul  au  monde.  i  Enfin,  elle  re- 
vient de  tout  ce  qui  l'avait  le  plus  enchantée, 
se  détache  de  tout  son  luxe,  de  sa  mollesse, 
de  ses  parures,  de  ses  pensées,  de  ses  dé- 
sirs, de  ses  sentiments,  de  son  enjouement, 
de  son  esprit,  de  son  cœur,  comme  la  source 
de  ses  offenses,  de  toute  elle-même;  la  grâce 
seule  lui  suffisant,  la  met  hors  de  tout  le 
reste;  elle  vient  seule  aux  pieds  du  San* 
veur,  elle  y  sacrifie  tout  sans  réserve,  elle 
n'y  apporte  que  ses  regrets  et  sa  douleur,  et 
ne  vivant  presque  plus  à  elle-même,  elle  se 
donne  tout  entière  à  Jésus-Christ  et  à  la 
pénitence  :  abiit. 

Une  telle  conversion  est-elle  la  votre,  Mes- 
sieurs, et  pouvons-nous  compter  que  .votre 
changement  ressemble  à  celui  de  la  péche- 
resse ?  hélas  !  on  voit  (m  vous,  après  cette 
prétendue  conversion,  mêmes  habitudes  qui 
vous  lient,  mêmes  attachements  qui  vous  re- 
tiennent ;  le  monde  vous  plaît  encore  et  vous 
ne  vous  défendez  pas  de  lui  plaire;  la  volupté, 
l'ambition,  l'intérêt  triomphent  encore  de 
votre  cœur,  encore  les  mêmes  passions  sub- 
sistent dans  votre  âme;  on  ne  voit  dans  vous 
ni  hors  de  vous  aucun  changement;  eh!  jer 
vous  demande  ce  que  c'est  donc  que  votre 
retour,  et  comment  vous  voulez  que  je  lo 
distingue  d'un  jeu,  d'un  amusement  et 
d'une  illusion. 

Ceux  qui  n'osent  quitter  tout  à  fait  le  vice, 
ont  recours  à  des  accords  monstrueux,  à  des- 
partages insensés:  Oubliant  qu'on  ne  peut 
servir  deux  maîtres,  que  le  Dieu  qu'ils  ser- 
vent est  un  Dieu  jaloux  qui  demande  tout 
leur  cœur,  ils  se  divisent  entre  l'Evangile  et 
le  monde,  et  se  font  une  piété  maniable,  ca- 
pable de  plusieurs  formes,  qui  s'accommode 
a  leurs  inclinations  ;  qui  sait  allier  ensem- 
ble la  prière  et  la  médisance,  l'aumône  et 
l'injustice,  la  pureté  et  la  galanterie;  ils  se 
forment  dans  leur  conversion  un  certain  plan 
de  vie  qui  accorde  les  soins  du  salut  avec  les 
mouvements  de  la  fortune,  qui  a  ses  moments 
pour  être  chrétien  et  d'autres  pour  être  mon- 
dain, ne  faisant  que  varier  du  crime  à  la 
vertu,  et  de  la  pénitence  au  péché,  substi- 
tuant sans  scrupule  une  passion  plus  tran- 
quille à  la  place  de  celle  qui  faisait  trop  de 
bruit;  vous  ne  vous  dépouillez  point  du  vieil 
homme  en  vous  revêtant  du  nouveau  ;  don- 
nant à  l'amour-propre  ce  que  vous  ôtez  au 
scandale,  vous  renoncez  aux  grands  crimes, 
aux  péchés  d'éclat,  mais  vous  vous  réservez 
pour  des  plaisirs  plus  doux  qui  flattent  votre 
cœur  et  endorment  votre  conscience,  et  qui 
pour  être  plus  délicats  n'en  sont  {pas  moins 
coupables  ;  vous  affrontez  Dieu  avec  plus 
d'art,  mais  vous  ne  l'offensez  pas  avec  moins 
de  malice;  vous  ne  vous  lassez  plus  à  courir 
après  des  divertissements  qui  gênent  et  qui 
fatiguent,  mais  votre  délicatesse  en  fait  naî- 
tre autour  de  vous  qui  sont  aussi  doux  et 
aussi  sensibles;  vous  vous  êtes  retiré  de  ce 
grand  monde,  de  ses  assemblées  tumultueu- 
ses, et  vous  ne  participez  plus  à  ses  folies, 


1039 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  StRIAN. 


lO'JO 


à  ses  scandales,  h  son  luxe  et  à  ses  grands 
désordres,  mais  vous  faites  un  monde  nou- 
veau où  vous  avez  encore  vos  volontés,  vos 
jalousies,  vos  haines,  vos  liaisons,  vos  intri- 
gues, vos  attaches  secrètes,  et  où  tout  le  poi- 
son pour  être  avoué  n'en  est  pas  moins  fu- 
neste; en  un  mot,  si  vous  quittez  le  péché 
en  vous  convertissant,  vous  ne  quittez  jamais 
les  occasions  qui  le  firent  naître,  et  oubliant 
qu'une  seule  passion  fait  revivre  toutes  les 
autses,  vous  en. reprenez  une  à  mesure  que 
vous  en  quittez  une  autre. 

Or,  je  vous  demande,  un  tel  changement 
peut-il  être  honoré  du  sacré  nom  de  conver- 
sion? n'est-ce  pas  cet  abus  qui  exclut  la 
multitude  du  royaume  de  Dieu,  et  qui  laisse 
dans  le  ciel  tant  de  places  vides?  Ah  !  si  vous 
aviez  trouvé  dans  le  péché  ce  que  votre  cœur 
y  cherchait  et  ce  que  vous  vous  y  promet- 
tiez, encore  on  vous  excuserait  de  ne  point 
en  sortir,  mais  puisque  vous  avez  éprouvé 
qu'une  des  conditions  pour  être  heureux 
c'est  de  renoncer  au  crime  et  à  ses  malheu- 
reuses occasions,  puisque  vous  avez  vu  qu'il 
n'entraîne  avec  soi  que  peines  et  que  dou- 
leurs; j'ose  le  dire,  le  plus  sûr  comme  le 
plus  salutaire  serait  de  vous  en  séparer  par 
une  rupture  d'éclat,  de  vous  en  éloigner  par 
un  divorce  généreux,  de  fuir  ses  dangereux 
attraits,  et  de  venir  vous  faire  dans  la  retraite 
un  heureux  séjour  propre  à'vous  consoler  de 
vos  malheurs,  qui  serait  conforme  à  vos  be- 
soins, qui  nourrirait  votre  piété  et  exciterait 
votre  ferveur  aux  pieds  de  Jésus-Christ,  n'y 
portant  que  votre  corps  pour  le  crucifier,  vos 
sens  pour  les  mortifier,  votre  cœur  pour  le 
purifier,  et  c'est  la  première  démarche  que 
la  femme  pénitente  vous  inspire  de  faire  par 
l'exemple  de  la  réputation  et  de  son  éloigne- 
nient  du  péché  :  abiit. 

Mais  l'éloignement  du  péché  ne  suffit  pas 
pour  une  véritable  conversion;  il  peut  venir 
moins  du  déïir  d'être  à  Dieu  que  du  tumulte 
et  de  l'ennui  que  causent  les  passions;  il 
peut-être  en  vous,  Messieurs,  moins  un  mé- 
rite qu'un  dégoût,  qu'une  lassitude;  effet 
trop  naturel  de  l'inconstance  et  de  la  fragi- 
lité de  l'homme,  qui  ne  peut  longtemps  être 
dans  la  même  situation,  et  à  qui,  après  une 
longue  agitation  et  de  grands  mouvements, 
il  faut  du  calme  et  de  la  tranquillité;  mais 
une  marque  moins  équivoquede  conversion, 
c'est  de  pleurer  les  péchés  qu'on  a  quittés,  et 
c'est  ici  un  nouveau  spectacle,  plus  touchant 
em  ore  que  le  premier,  où  la  femme  péni- 
tente vous  invite  par  ses  larmes  :  flevit;  elle 
n'est  pas  plutôt  arrivée  aux  pieds  de  ce  Sau- 
veur aimable,  qu'un  repentir  amer  lui  serre 
le  cœur,  elle  ne  peut  se  rappeler  tous  les  ou- 
trages qu'elle  à  faits  à  Jésus-Christ,  sans 
tomber  dans  une  confusion  et  un  regret  qui 
ne  peut  s'exprimer;  tout  ce  qu'elle  peut  faire 
c'est  de  soupirer  et  de  gémir;  une  seule  fois 
elle  veut  à  son  divin  maître  exprimer  son 
amour,  et  elle  ne  trouve  plus  de  paroles;  dès 
qu'elle  le  regarde  un  torrent  de  larmes  coule 
de  ses  yeux,  c'est  la  seule  voix  qui  lui  reste 
tant  elle  est  saisie  de  douleur.  En  vain  elle  . 
veut  se  retenir,  il  faut  céder  à  sa  tristesse,  et 


ne  peut  s'empêcher  que  tonte  l'assemblée 
ne  s'en  aperçoive;  ses  larmes  viennent  si  abon- 
damment d'elles-mêmes  qu'elle  en  arrose  Igs 
pieds  de  Jésus-Christ.  Que  tous  les  autres 
prennent  part  à  la  joie  du  festin,  pour  elle 
soupirer  est  son  fort,  elle  ne  connaît  plus 
d'autre  plaisir  que  de  soutenir  par  ses  lar- 
mes un  cœur  chargé  du  poids  de  ses  mal- 
heurs ;  elle  s'en  fait  un  nouveau  baptême  où 
elle  lave  toutes  ses  iniquités,  un  nouveau  dé- 
luge où  elle  noie  tous  ses  péchés,  et  l'on 
peut  dire  qu'elle.a  dissipé  ses  crimes  comme 
un  nuage,  et  que  tous  ses  désordres  se  sont 
fondus  comme  une  glace  devant  le  soleil  : 
Dclevi  ut  nubem  iniquitates  meas.  (Isa., 
XLIV.) 

Et  voilà  votre  règle,  pécheurs  qui  m'écou- 
tez,  si  vous  voulez  être  véritablement  con- 
vertis. Vous  ne  serez  [dus  capables  que  d'af- 
flictions et  de  tristesse,  rien  ne  sera  plus  ca- 
pable de  calmer  vos  justes  douleurs,  tout 
vous  paraîtra  étrange  de  face  en  changeant 
de  conduite,  Les  jours  les  plus  sereins  et  les 
plus  beaux  vous  paraîtront  désormais  tristes 
et  accablants  sur  la  terre,  parce  que  vous 
avez  pu  y  perdre  votre  Dieu;  en  quelque 
endroit  que  vous  traîniez,  de  quelques  pen- 
sées que  vous  cherchiez  à  vous  occuper, 
vous  en  reviendrez  toujours  au  malheur  de 
votre  perte;  en  voyant  les  joies  profanes,  les 
liaisons  funestes  qui  amusent  les  mondains, 
vous  ne  pourrez  plus  que  vous  désoler  et 
vous  plaindre  d'y  avoir  trop  pris  de  part  ; 
surtout  quand  vous  viendrez  vous  jeter  aux 
pieds  des  ministres  de  Jésus-Christ,  comme 
la  pécheresse  aux  pieds  de  Jésus-Christ,  pour 
y  déplorer  vos  misères,  ce  sera  alors  que 
tout  contribuera  à  faire  couler  vos  larmes  ; 
une  vie,  hélas  !  dont  tous  les  moments  oit 
été  si  déplorables ,  le  souvenir  de  ces  jours 
heureux  que  vous  passiez  avec  le  Seigneur, 
l'idée  de  ce  Dieu  aimable  que  vous  aviez 
abandonné,  la  honte  de  l'avoir  perdu  et  d'a- 
voir été  si  longtemps  à  répondre  à  sa  voix, 
la  juste  crainte  de  le  perdre  encore,  la  vue 
de  son  amour  pour  vous  qui  le  méritez  si 
peu,  de  sa  tendresse,  de  sa  compassion  pour 
vos  malheurs,  le  pieux  sentiment  de  ses 
bontés,  de  ses  miséricordes  qu'il  daigne  en- 
core vous  offrir  après  tant  de  révoltes  et  d'in- 
fidélités :  ah!  pour  un  cœur  qui  sent  son 
mal,  quel  fonds  de  douleur,  quelle  source 
intarissable  de  regrets  et  de  larmes  1  flevit. 

Mais  si  à  quitter  le  péché  il  y  a  quelque- 
fois plus  d'inconstance  que  de  vertu,  il  y  a 
souvent  à  le  pleurer  moins  de  douleur  que 
de  mollesse.  Qu'on  voit  de  larmes  hypo- 
crites et  trompeuses,  signe  purement  naturel 
qui  vient  plutôt  du  trouble  de  la  conscience 
que  d'un  sentiment,  d'une  sainte  douleur  ! 
Aussi  si  la  pénitente  de  l'Evangile  n'avait  que 
pleuré,  ses  larmes  auraient  fait  paraître  en 
elle  un  naturel  de  tendresse  qui  s'afflige 
aisément;  mais  l'Evangile  ne  l'aurait  pas 
proposée  pour  modèle  à  tous  les  pénitents, 
et  Jésus-Christ,  qui  canonise  aujourd'hui  sa 
piété,  aurait  réprouvé  sa  lâcheté  ;  mais,  à  ses 
[armes  qui  détestent  le  péché,  elle  joint  des 


lOCi  CAREME.  —  SERMON  XXVII  ,  DE 

opérations  saintes  qui  en  effacent  toutes  les 
taches  :  tersit. 

Oui,  au  dehors  et  au  dedans  tout  est  changé 
en  elle,  et  rien  n'a  servi  en  elle  au  péché 
qu'elle  ne  fasse  servir  à  la  pénitence.  Au  de- 
dans avoir  trop  aimé,  était  tout  son  crime, 
aimer  beaucoup  fait  tout  son  mérite;  ses  joies 
sont  devenues  toutes  divines,  ses  troubles 
tous  salutaires,  ses jalousiestoutes  saintes, ses 
inclinations  toutes  pures,  ses  affections  toutes 
chrétiennes,  ses  espérances  toutes  célestes; 
elle  fait  changer  son  cœur  d'usage  et  de 
forme,  et  donne  à  l'amour  de  Jésus-Christ 
la  place  de  l'amour  du  monde,  la  charité 
divine  succède  à  sa  tendresse  naturelle,  de 
chastes  désirs  étouffent  pour  jamais  ses  affec- 
tions, et  toute  celte  boue,  exposée  à  ce  soleil 
divin,  se  change  en  feu  salutaire  qui  con- 
sume toute  son  âme. 

Et  au  dehors  que  ne  vous  offre  point  encore 
sa  piété?  Elle  avait  été  superbe  et  hère,  et  on 
la  voit  dans  un  état  confus  et  humilié,  presque 
rampante,  pénétrée  de  son  néant  et  de  ses 
misères;  elle  ne  croit  pas  que  ce  soit  à  une 
pécheresse  comme  elle  qu'il  soU  permis  de 
s'approcher  de  son  Dieu,  trop  contente  qu'il 
la  souffre  derrière  lui,  stans  rctro,  et  n'ose 
se  présenter  devant  sa  face,  faciès  ;  ici  tout 
est  devenu  triste  en  elle  :  ses  yeux,  son  vi- 
sage, son  maintien,  sa  posture,  son  geste 
môme,  tout  paraît  plein  de  sa  douleur;  elle 
ne  fait  pas  une  action  qui  n'en  expie  une  autre 
dans  la  carrière  de  sa  pénitence,  il  n'estaucun 
vestige  du  péché  qui  lui  échappe  ;  elle  avait 
aimé  le  luxe  et  maintenant  elle  en  a  horreur, 
elle  convertit  en  culte  saint  tous  les  orne- 
ments profanes  qui  lui  restaient,  comme  s'il 
ne  convenait  plus  à  une  âme  pénitente  que 
des  vêtements  sombres  et  lugubres;  elle 
brise,  pour  ainsi  dire,  devant  l'autel  sacré 
jusqu'à  l'image  même  de  ses  vanités  mon- 
daines, comme  elle  ne  voit  rien  qu'elle  n'ait 
tourné  à  des  usages  de  péché;  tout,  jusqu'à 
ses  cheveux,  devient  les  instruments  de  sa  pé- 
nitence; elle  en  essuie  les  pieds  de  son  divin 
maître,  enfin  elle  fait  une  pénitence  prise  sur 
tout  le  fonds  du  pé^hé  qu'elle  avait  osé  com- 
mettre; tout  ce  qu'elle  fait  est  une  rétractation 
et  un  désaveu  public  de  ce  qu'elle  avait  eu  le 
malheur  de  faire;  elle  relève  l'édifice  de  sa 
conversion  sur  les  débris  de  tous  les  vices,  et 
va  plus  loin,  dit  saint  Ambroise,  dans  sa 
pénitence  qu'elle  n'avait  fait  dans  son  péché. 

Mon  Dieu, que  de  réflexion  demanderait  ici 
sa  conduite.  Sur  ce  modèle,  examinez-vous  1 
pécheurs  qui  vous  croyez  convertis;  hélas  ! 
s'il  faut  que  dans  le  cœur  toutes  les  autres 
amours  soient  dévorées  par  cet  amour  domi- 
mant  et  unique  de  votre  Dieu ,  s'il  faut 
autant  d'expiations  que  de  crimes,  si  l'on  ne 
peut  revenir  à  Dieu  que  par  les  voies  oppo- 
sées à  celles  qui  le  firent  perdre?  que  pen- 
sez-vous être,  un  homme  réparé  ou  un  homme 
abusé,  un  vrai  ou  un  faux  pénitent,  le  péché 
atout  renversé  dans  vous,  la  piété  y  a-t-elle 
tout  redressé;  tout  a  servi  dans  vous  à  l'in- 
justice ;  quel  genre  d'expiations  répond  à  tant 
d'espèces  de  péchés,  à  ces  haines,  à  ces  médi-  .■ , 
sances,  à  ees  vengeances,  à  ces  impuretés; 


LA  CONVERSION  DU  PECHEUR. 


ICCÎ 


tout  se  passe  en  douleurs  stériles,  en  regrets 
superflus  r  à  des  excès  monstrueux  on  expose 
de  légères  violences;  à  des  dissi|  at  ons  pro- 
fanes on  répond  par  une  retraite  commode; 
aux  mondanités  les  plus  scandaleuses  on  se 
contente  d'opposer  un  retranchement  le  |  lus 
simple  du  luxe  et  des  plus  gênantes  van -tés; 
vous  en  demeurez  là,  et,  a,  rès  avo  r  lâ<  hé 
la  bride  à  toutes  vos  passions,  vous  ne  rou- 
gissez point  de  mettre  des  bornes  à  votre  pé- 
nitence; en  vousla.haritégarde  des  mesures 
où  la  cupidité  n'en  garde  point,  et  vous  êtes 
réservé  dans  la  conversion  après  avoir  été 
extrême  dans  le  désordre.  Dieu  !  le  dirai-je? 
en  cet  état,  vous  croyez  être  un  pénitent,  et 
vous  n'êtes  qu'un  hypocrite;  vous  vous  oon- 
nez  pour  un  serviteur  de  Jésus-Christ,  et  vous 
n'êtes  qu'un  esclave  du  vice;  vous  vous  regar- 
dez comme  un  enfant  du  ciel,  et  vous  êtes  une 
victime  de  l'enfer;  vous  vous  croyez  plein  de 
vie,  et  vous  êtes  mort  ;  le  crime  ne  vit  plus  dans 
votre  cœur,  mais  il  vit  dans  le  cœur  de  Dieu 
où  il  sollicite  sa  colère,  et  pour  vous  être  con- 
verti et  impénitent  n'est  qu'unemême  chose. 

Ah!  si  vous  voulez  que  votre  conversion 
soit  véritable,  qu'elle  imite  mieux  celle  (Je 
la  pénitente;  remplissez  mieux  toutes  les 
conditions  qu'elle  vous  a  prescrites,  et  plaise 
à  l'amour  de  votre  Dieu  que  nous  puissions 
lui  dire  de  vous  :  Seigneur,  vous  demandez 
qui  est  celui  qui  remplit  les  règles  ue  sa  con- 
version, et  qui  satisfait  pour  ses  égarements  ; 
le  voici  :  ah]l  c'est  cette  âme  qui ,  nageant 
autrefois  dans  la  joie,  donnant  tête  baissée 
dans  tous  les  divertissements  du  sièJe,  est 
maintenant  attendrie  de  doulecr  de  vous 
avoir  offensé,  et  devient  inconsolable  de  ne 
pouvoir  vous  en  faire  une  assez  digne  satis- 
faction, anima  trisds  (Isai.,  XXIX);  c'est  cette 
âme  qui,  dégoûtée  ue  la  vie,  n'offre  dans  ses 
paroles,  dans  son  maintien,  dans  sa  nourri- 
ture, dans  ses  meubles,  dans  ses  habits,  que 
la  douloureuse  impression  et  les  sombres 
marques  de  sa  piété,  anima  mœrens  (ILicl.); 
c'est  cette  âme  autrefois  si  fière  et  si  superbe, 
maintenant  accablée  sous  le  poids  de  ses  hu- 
miliations et  de  ses  anéantissements  ,  anima 
curva  [Bariich,  JI);  c'est  cette  |  ersoni.e  au- 
trefois si  molle  et  si  sensuelle,  si  délicate  et  si 
voluptueuse,  et  que  ma:ntenant  ses  longues 
mortifications,  ses  jeûnes  austères,  ses  orai- 
sons ferventes,  ses  souffrances  continuelles 
rendent  tout  infirme  et  toute  languissante, 
anima  infirma  (lbid.)  ;  c'est  cette  âme  qui,  au- 
paravant affamée  ue  toutes  les  délices,  de  tous 
les  trésors,  de  tous  les  honneurs  de  la  terre, 
pour  toutes  ressources,  pour  tout  bien,  pour 
toute  consolation,  ne  désire  que  son  Dieu,  ne 
soupire  qu'après  lui,  ne  travaille  que  |  our  lui, 
ne  tend  que  vers  lui,  et  qui,  dans  un  gémis- 
sement parfait,  le  cherche  par  la  douleur  de 
l'avoir  perdu,  anima  esuriens  (lbid.);  c'est 
cette  âme,  ô  mon  Dieu  !  qui  rend  gloire  à  votre 
miséricorde,  et  satisfait  en  même  temps  votro 
justice  :  Bat  tibi  gloriam  et  justitiam  Do- 
mino, [lbid.) 

Heureux  état,  sort  fortuné,  de  pouvoir  se 
dire  :  J'ai  satisfait  mon  Dieu;  j'étais  l'objet 
de  sa  colère,  me  voilà  devenu  l'objet  de  ta 


I0G3 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SLRIAN. 


ICGi 


miséricorde.  Que  ce  penser  est  doux!  qu'un 
tel  pénitent  sera  tranquille  un  jour  aux  pieds 
du  tribunal  de  son  juge  1  Mais,  chrétiens,  si 
vous  ne  lui  ressemblez  point,  que  vous  au- 
rez alors  de  confusion  et  de  reproches  à  sou- 
tenir devant  toutes  les  nations  assemblées! 
Pourquoi  vous  plaindre,  vous  dira  alors  ce 
juste  juge,  du  partage  que  je  vous  fais?  vous 
voudriez,  dira-t-il,  comme  autrefois  Jésus- 
Christ  dit  aux  pharisiens,  vous  voudriez  avoir 
l'heureux  sort  de  cette  pénitente;  mais  com- 
ment pouvez-voUs  prétendre  à  sa  récompense, 
lorsque  vous  n'avez  pas  imitésa fidélité?  Tant 
de  fois  j'ai  voulu]  vous  attendrir  par  mesgrâ- 
ces  et  par  la  voie  de  mes  ministres,  je  n'y  ai  rien 
épargné,  et  je  n'ai  pu!  tirer  de  vous  une  seule 
larme,  un  seul  soupir  :  Aquam  pedibus  mris 
non  dedisti  ;  et  celte  femme  fondant  en  pleurs 
à  mes  pieds  les  a  arrosés  de  ses  larmes  : 
Hœc  autem  lacrymis  rîgavit  pedes  meos.  Si 
souvent  je  vous  ai  fait  sentir  mes  bontés, 
vous  avez  vu  de  si  ptès  mes  perfections  et 
mes  grandeurs,  je  me  suis  rendu  familier 
avec  vous  pour  être  plus  à  votre  portée,  sans 
que  vous  ayez  daigné  vous  approcher  de 
moi ,  me  recevoir;  ou  si  vous  m'avez  donné 
quelquefois  un  baiser,  c'était  comme  le  per- 
fide disciple  pour  me  trahir  et  me  mieux  li- 
vrer entre  les  mains  du  monde,  mon  plus 
cruel  ennemi  :  Osculum  mihi  non  dedisti.  VI 
cette  pénitente,  dès  qu'elle  a  pu  s'approcher 
de  moi,  elle  s'est  jetée  à  mes  pieds  et  les 
baisait  avec  tant  d'amour,  qu'elle  semblait 
ce  vouloir  jamais  les  quitter  .  Hœc  autem  ex 
quo  intravit  non  cessavit  osculari  pedes  meos. 
Je  vous  avais  demandé  pour  mes  membres 
des  œuvres  de  charité,  quelque  aumône  pro- 
portionnée à  vos  biens,  quelque  assistance 
et  quelque  consolation  pour  les  pauvres  ma- 
lades, pour  ces  malheureux  affligés,  et  vous 
me  les  avez  refusés  :  Oleo  caput  meum  non 
unxisti.  Elle  a  tout  sacrifié,  tout  employé, 
tout  prodigué  pour  l'amour  de  moi:  elle  a 
répandu  tout  ce  qui  lui  restait  d'onguents  et 
de  parfums  sur  mes  pieds  :  Hœc  autem  nn- 
ouento  unxit  pedes  meos. 

Je  vous  le  demande,  Messieurs,  qui  aima 
donc  le  plus  d'elle  ou  de  vous?  Quis  ergo 
amat plusdiligit,  et  quelle  marque  nous  en 
donnez-vous  l'une  et  l'autre?  Vous  les  pa- 
roles, et  elle  les  actions;  vous  les  offenses, 
et  elle  les  expiations;  vous  les  apparences, 
des  protestations  et  des  promesses,  et  elle 
la  réalité  des  œuvres  et  de  pratique  C'est 
donc  elle  qui  aie  plus  aimé,  aussi  ses  péchés 
lui  sont  remis  à  cause  de  son  parfait  amour  : 
Quoniam  dilexit  multum-  au  lieu  que  les  vô- 
tres, multipliés  par  votre  fausse  pénitence, 
sont  réservés  pour  des  châtiments  éternels. 

O  sentence  terrible  contre  les  faux  péni- 
tents !  que  faut-il  que  je  fasse  pour  en  éviter 
l'exécution?  Il  faut  que  je  quitte  le  péché, 
que  je  le  pleure,  que  je  le  répare.  Ah  !  mon 
âme,  quittons-le  doue,  pleurons-le  donc, 
réparons-le  ;  laissons-nous  aller  à  cet  at- 
tendrissement qu'a  fait  sur  nous  l'exemple 
si  touchant  de  la  pécheresse  ;  c'est  par  là  que 


nous  pouvons  espérer  d'avoir  un  jour  la 
consolation  d'entendre  ces  paroles  delà  bou- 
che de  Jésus-Christ  même  :  Yadc  in  puce; 
âme  trop  affligée,  allez  en  paix;  la  pénitence 
l'a  commencée  sur  la  terre,  il  est  juste  quo 
la  gloire  la  consomme  dans  le  ciel.  Je  vous 
la  souhaite,  au  nom  du  Père,  etc.  Amen. 

SERMON  XXVIII  (12). 

DE    LA    PASSION   DE   JESUS-  CHBIST. 

Déponentes  omne  pondus,  et  eircumstans  nos  peccatum, 
per  patienliam  curramus  ad  proposkium  nobis  c<  rlamen; 
aspicientes  in  auetorem  fidei  et  consummatorem  Jesum 
qui  sibi  proposilo  i  eaudio  sustinuit  crucem.  (  [leur.  , 
XII.) 

Dégngés  des  liens  du  péché,  courons  au  combat  qui  nous 
est  proposé.  Jetant  les  ijeux  sur  Jésus,  l'auteur  et  le  con- 
sommateur de  notre  foi,  qui,  après  s'être  fuit  une  joie  inté- 
rieure de  souffrir,  a  soutenu  ta  morl  de  lu  croix. 

N'est-ce  pas  avec  raison,  mes  frères,  qu'en 
ce  jour,  le  plus  triste,  le  [dus  lamentable  do 
tous  les  jours,  je  viens  vous  exhortera  tour- 
ner, à  fixer  vos  regards  sur  le  spectacle  lou- 
chant que  Jésus-Christ  offre  au  monde?  Hé- 
las! tout  ce  qui  s'y  passe  vient  de  vous;  ce 
Sauveur  aimable  n'est  immolé  que  par  vos 
mains;  les  soupirs  qu'il  pousse,  la  tristesse 
qu'il  sent,  les  plaintes  qu'il  fait,  les  douleurs 
qu'il  endure,  les  outrages  et  les  coups  qu'il 
reçoit,  toute  cette  grande  victime  est  l'ou- 
vrage de  vos  péchés. 

Oui,  si  les  Juifs  l'outragent,  vos  |  éehés 
animent  leurs  voix;  si  le  pontife  et  les  t  rê- 
tres  le  condamnent,  vos  péchés  aigrissent 
leur  jugement;  si  les  soldats  le  frappent,  si 
les  bourreaux  le  crucifient,  vos  péchés  con- 
duisent leurs  mains;  c'est  votre  orgueil  qui 
l'humilie,  votre  avarice  qui  le  dépouille, 
votre  infidélité  qui  le  trahit,  votre  irréligion 
qui  le  juge,  votre  mollesse  qui  le  fa.t  souf- 
frir, votre  folle  joie  qui  l'attriste;  sa  moit 
enfin,  c'est  votre  vie  criminelle,  c'est  de  vo- 
tre cœur  que  sont  sortis  ces  bourreaux  qui 
exercent  contre  lui  un  ministère  si  barbare, 
et  vous  pourriez  n'être  pas  touchés  de  tous 
les  maux  que  seuls  vous  lui  faites!  Que  vous 
voyez  ce  Dieu  de  miséricorde  qui  souffre 
pour  vous,  massacré  dans  Abel,  exilé  dans 
Moïse,  immolé  dans  Isaac,  vendu  dans  Jo- 
seph, persécuté  dans  David,  affligé  dans  Job, 
lié  en  Jérémic,  peint  dans  les  douleurs  dif- 
férentes de  tous  les  justes,  réunissant  en  sa 
personne  la  vérité  de  tous  les  maux  ensem- 
ble, seuls  vous  demeurez  insensibles  ! 

Non,  mes  frères,  cette  tristesse  universelle 
que  j'aperçois  dans  mon  auditoire,  cette 
attention  plus  grande  qu'à  l'ordinaire,  ce  si- 
lence si  propre  au  temps,  tous  les  visages 
composés  à  l'affliction,  me  disent  trop  que 
l'état  douloureux  de  Jésus-Christ  vous  tou- 
che, et  quelque  couvert  qu'il  soit  de  vos 
iniquités  et  méconnu  de  son  Père ,  ah  ! 
vous  le  reconnaissez  encore,  vous  le  plai- 
gnez, vous  ne  croyez  point  qu'il  puisse 
rien  vous  arriver  de  plus  funeste  que  d'a- 
voir contribué  à  le  faire  mourir,  et  vous 
vous  sentez  déjà  portés  à  entrer  dans  tous 


(12)  Imprimé  dans  l'édition  de  Liège,  tome  H,  page  275- 


10G5 


CAREME.  —  SERMON  XXVIIÎ ,  DE  LA  PASSION  DE  J.-C. 


les   sentiments  de  ce  Sauveur  si  plein  de 
miséricorde  et  de  tendresse. 

Mais  pensez-vous  que,  dans  l'excès  des 
maux  qui  l'accablent,  il  soit  bien  consolé 
par  votre  pitié,  si  elle  est  faible,  stérile  et 
toute  nouvelle ,  et  si  vous  versez  des  larmes 
à  sa  passion  comme  au  récit  d'un  événement 
tragique,  par  pure  sensibilité  et  par  un  vain 
attendrissement  d'une  âme  faible?  Eh  1  que 
sert  à  Jésus-Christ  que  vous  pleuriez  sur  ce 
qu'il  est,  si  en  même  temps  vous  ne  gé- 
missez sur  ce  que  vous  êtes?  Que  lui  sert  que 
votre  compassion  soit  émue ,  si  votre  cœur 
n'est  changé;  que  vous  soyez  tristes,  si  vous 
n'êtes  meilleurs;  que  vous  veniez  compatir  à 
sa  mort,  si  vous  renouvelez  encore  ce  qui  la 
cause  ;  enfin,  si  à  la  vue  de  ce  Dieu  contristé , 
outragé,  crucifié,  vous  ne  gémissez  1°  sur 
cette  paix  profonde  qui  vous  retient  et  que 
vous  conservez  dans  le  péché  ;  2°  sur  cette 
gloire  funeste  que  vous  cherchez  et  que  vous 
vous  figurez  dans  l'iniquité;  3°  sur  ce  plai- 
sir déplorable  que  vous  ne  trouvez  et  ne 
goûtez  presque  que  dans  le  crime?  Car  voilà 
les  trois  grandes  plaies  qui  ont  causé  les 
plus  vives  douleurs  à  Jésus-Christ,  et  aux- 
quelles il  semble  rapporter  toutes  les  raisons 
de  sa  passion.  Vous  demeurez  tranquilles 
dans  l'état  du  péché,  et  c'est  pour  troubler 
cette  fausse  paix,  cette  funeste  tranquil- 
lité, que  Jésus-Christ  s'attriste  lui-môme  :  pre- 
mière réllexion;  vous  vous  glorifiez  dans  votre 
iniquité,  et  c'est  pour  confondre  cette  fausse 
gloire  que  le  Sauveur  se  couvre  de  honte  et' 
qu'il  se  rassasie  d'opprobres  :  deuxième  cir- 
constam  e  ;  vous  ne  prenez  du  plaisir  que 
dans  le  crime,  et  c'est  pour  expier  cette 
fausse  satisfaction  que  le  Fils  de  Dieu  passe 
par  les  douleurs  et  expire  dans  la  peine. 
Ah  !  que  je  peux  donc  bien  m'écrier  ici  : 
1°  Pécheurs  trop  paisibles,  accourez  au  jardin 
des  Oliviers  pour  y  voir  un  Dieu  accablé  de 
tristesse,  qui  lutte  contre  le  péché  et  com- 
bat corrtre  lui-même.  Curramu's  ad  propo- 
sition vobis  ccrtamen,  aspicientes  in  aucto- 
rem  fidci  et  consummatorcm  Jesum  ;  2°  pé- 
cheurs orgueilleux,  accourez  à  Jérusalem, 
et  y  considérez  la  confusion  d'un  Dieu  qui 
prend  sur  lui  toute  la  honte  du  péché  :  Con- 
fusione  contempta;  3°  pécheurs  immortifiés 
et  sensuels,  accourez  sur  le  Calvaire,  et  y 
envisagez  un  Dieu  qui  souffre  les  plus  af- 
freux tourments  et  qui  est  attaché  à  une 
infâme  croix  où  il  expire  pour  vos  péchés  : 
Sustinuit  crucem;  et  pour  jamais  quittez 
et  détestez  ce  monstre  qui  attaque  un  Dieu 
dans  son  repos,  dans  son  honneur,  dans 
sa  vie  même  :  Déponentes  omne  pondus  et 
circumstans  nos  peccatum.  C'est  à  quoi  saint 
Paul  semble  me  déterminer  à  borner  ce 
discours, qui  ne  sera  que  l'histoire  fidèle  de 
la  passion  de  mon  Sauveur,  accompagnée  de 
quelques  réflexions  les  plus  touchantes  et 
les  plus  propres  à  votre  conversion.' 

Croix  adorable!  vous  tenez  aujourd'hui  la 
place  de  Marie,  mère  de  mon  Sauveur!  ô 
vous  que  nous  prenons  pour  notre  unique 
espérance,  pour  notre  ressource  et  pour 
notre  appui  quand  tout  le  reste  nous  man- 

OuATEL'RS  SACRÉS.    L. 


10JS 

que:  n'abandonnez  pas  des  enfants  malheu- 
reux qui  réclament  votre  secours.  O  vous 
qui  êtes  la  terreur  des  démons,  la  joie  des 
anges,  l'asile  des  pécheurs,  la  force  des 
justes;  ô  la  vérité  de  tant  de  figures,  l'autel 
de  tant  de  victimes,  le  dépôt  de  tant  de  grâ- 
ces, la  source  de  tant  de  gloire,  bois  sacré, 
faites-nous  sentir  que  vous  portez  entre  vos 
bras  le  salut  et  la  rédemption  du  monde; 
prouvez  à  nos  cœurs  endurcis  que  vous 
triomphez  de  ce  qu'il  y  a  de  plus  cruel  et  de 
olus  insensible,  et  versez  sur  nous  quelque 
portion  de  ces  divines  grâces  dont  vous 
possédez  l'auteur  et  le  trésor,  nous  vous  le 
demandons,  par  les  paroles  du  cantique  de 
l'Eglise.  —  O  crvx,  ave . 

PREMIER    POINT. 

11  voulait  dans  la  dernière  cène  nous  lais- 
ser un  trésor  inestimable  de  son  amour,  et 
voyant  que  le  moment  était  proche,  il  passe, 
le  torrent  de  Cédron  et  arrive  sur  le  mont  des 
Oliviers,  montagne  sainte,  solitude  sacrée, 
triste  dépositaire  du  secret  des  douleurs  de 
Jésus-Christ ,  de  sa  prière  etj  du  mystère 
auguste  de  sa  passion.  Ah!  mes  frères,  que 
notre  foi  ne  nous  transporte-t-elle  jusque 
sur  cette  montagne,  pour  y  suivre  Jésus 
affligé,  et  pour  y  recueillir  le  fruit  salutaire 
de  ces  langueurs  saintes?  A  peine  y  est-il 
arrivé,  qu'il  se  sent  saisi  de  tristesse;  une 
multitude  d'images  affreuses  semblent  ne 
s'offrir  à  son  divin  esprit  que  pour  l'acca- 
bler de  douleurs.  D'abord,  la  justice  du  Père 
éternel  qui  l'attend  depuis  quatre  mille  ans, 
le  glaive  à  la  main,  pour  lui  faire  expiernos 
crimes,  le  perce  de  douleur,  et  son  saisisse- 
ment est  si  grand  qu'il  ne  rougit  point  de 
faire  connaître  à  ses  disciples  le  triste  état 
où  il  se  trouve  :  Mon  âme  est  triste  jusqu'à 
la  mort  :  Tristis  est  anitr.a  meausqve  admor- 
tem.  (Matth.,  XXVI;  Marc,  XIV.)  La  joie 
que  j'avais  de  mourir  pour  les  hommes  a 
disparu  tout  entière;  c'en  est  fait  de  ma 
vie,  et  mes  déplaisirs  sont  si  profonds,  qu'ils 
suffiraient  pour  me  donner  la  mort,  si  je  ne 
réservais  à  des  tourments  plus  grands  encore 
ce  qui  me  reste  de  vie. 

Entrons  donc,  mes  frères,  dans  cette  tris- 
tesse divine,  et  tâchons  de  voir  ce  qui  cause 
au  Sauveur  des  combats  si  pleins  d'alterca- 
tions et  de  souffrances?  C'est  :  1°  parce  qu'il 
voit  contre  lui  toute  l'énormité  du  péché; 
2°  parce  qu'il  y  découvre  toutes  les  contra- 
dictions du  péché;  3°  parce  qu'il  ]  ressent 
déjà  toutes  les  peines  du  péché  :  Tristis  est 
anima  mea  nsque  ad  mortem.  Faisons  atten- 
tion à  ces  trois  circonstances,  et  nous  ne 
serons  plus  surpris  que  le  Sauveur  soit  saisi 
d'une  douleur  aussi  affreuse  que  la  mort 
même. 

Non,  rien  de  ce  qui  nous  cache  l'énormité 
de  nos  offenses  ne  la  cache  à  Jésus-Christ. 
Ici  la  violence  ou  l'imposture  de  nos  pas- 
sions nous  empêchent  de  bien  voir  toute 
l'horreur  du  crime  que  nous  commettons  ; 
mais  le  Sauveur,  jugeant  du  péché  par  cette 
règle  infaillible  de  la  vérité,  en  découvre 
toute  la  noirceur;  il  le  voit  comme  une  in- 

3fc 


1067 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SUIUAN. 


10'J8 


justice  énorme,  comme  une  infidélité  bar- 
bare, comme  un  indigne  attentat,  comme  une 
ingratitude  monstrueuse;  il  le  regarde  en 
un  mot  comme  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  hor- 
rible, de  plus  cruel  et  de  plus  affreux  pour 
nous.  Si  nous  sommes  peu  touchés,  peu  ef- 
frayés du  vice,  c'est  que  nos  cœurs  s'y  ha- 
bituent, et  que  notre  âme  s'accoulurae  à  le 
voir  et  à  le  commettre  ;  mais  le  Fils  de  Dieu, 
plus  pur  et  plus  pénétrant  qu'aucune  de  ses 
créatures,  voit  dans  le  jardin  des  Oliviers 
avec  des  yeux  de  sainteté  l'horrible  corrup- 
tion du  vice,  et  son  cœur  chaste  est  blessé 
du  moindre  mal;  souverainement  bon,  il  en 
sent  toute  la  malice;  essentiellement  juste, 
il  en  pèse  toute  l'injustice  ;  essentiellement 
pur,  il  en  découvre  toutes  les  taches ,  il  se 
montre  à  lui-même  cette  longue  suite  de 
siècles  coupables,  cette  chaîne  de  dérègle- 
ments et  de  désordres  qui  lient  depuis  le  pre- 
mier jusqu'au  dernier  des  hommes,  et  dont 
il  n'y  a  pas  un  seul  péché  qui  ne  lui  porte 
ses  coups;  tout  ce  grand  liv.e  qui  contient 
les  prévarications  de  la  terre  lui  est  ouvert 
par  son  Père  :  l'humanité  entière  se  pré- 
sente à  lui  sous  l'affreuse  image  du  péché; 
toutes  ces  vues  différentes  l'attendrissent , 
et  comme  Joseph,  il  pleure  sur  chacun  de 
ses  frères  coupables  :  Et  ploravit  super  sin- 
gulos.  (Gen.,  XLV.) 

Ah  1  sans  doute,  il  s'afflige  davantage  sur 
vous,  parce  qu'il  voyait  que  vous  aimait 
d'une  tendresse  p'us  particulière  que  les 
Juif*,  vous  le  feriez  mourir  encore  avec  plus 
de  cruauté,  et  ce  déplorable  état  qui  vous 
fait  quelquefois  pitié  excitait  de  nouveau  ses 
douleurs;  il  voyait  votre  insensibilité  pour 
ses  grâces ,  ces  dégoûts  malheureux  que 
vous  auriez  de  ses  paroles,  de  son  service; 
l'abus  sacrilège  que  vous  feriez  un  jour  de 
ses  mérites  et  de  son  sang,  comme  il  serait 
frustré  sur  vous  de  son  attente  et  de  ses  pei- 
nes ,  comme  vous  compteriez  pour  rien  son 
amour;  toutes  ces  vues  si  accablantes,  dans 
un  cœur  aussi  tendre  que  le  sien,  l'attristent, 
Je  découragent,  l'affligent;  votre  salut  peut- 
être  lui  fait  plus  verser  des  larmes  que  tout 
le  monde  ensemble.  Venez  après  cela  vous 
scandaliser  encore  de  la  passion  de  votre 
Dieu;  la  raison  s'y  perd;  quels  abîmes 
qu'un  Dieu  s'anéantisse  juqu'à  la  mort,  et  à 
la  mort  de  la  croix  1 

Mais  quoi  !  dites-moi,  je  vous  prie,  mes 
frères,  vous-mêmes,  n'êtes-vous  pas  un  pro- 
dige plus  surprenant  encore,  un  mystère 
plus  impénétrable  dans  votre  conduite  et 
dans  vos  jugements?  Cette  affliction  du  Sau- 
veur, toute  grande  qu'elle  est,  doit-elle  vous 
paraître  extrême  I  C  est  vous  qui  la  lui  avez 
causée  par  vos  folles  joies  et  vos  débauches 
excessives.  Une  tristesse  médiocre  convenait- 
elle  à  l'excès  de  vos  égarements?  De  faibles 
remèdes  auraient-ils  suffi  à  la  grandeur  de 
vos  maux?  Ne  fallait-il  pas  réparer  des  excès 
par  les. excès,  des  plaisirs  par  les  douleurs 
excessives  ?  Ah  1  c'en  était  trop,  je  l'avoue, 
pour  apaiser  la  colère  de  son  Père,  trop  pour 
nous  témoigner  son  amour,  trop  pour  attendrir 
les  anges,  qui  pleurent  à  ce  spectacle,  trop 


pour  faire  frémir  les  démons  qui  voudraient 
ne  point  perdre  leur  proie,  trop  pour  con- 
fondre les  pécheurs;  mais  en  est-ce  assez 
pour  vous  convertir,  pour  vous  dégoûter  du 
péché  et  vous  en  inspirer  une  horreur  salu- 
taire. Eh!  ne  vous  plaignez  donc  plus  que 
le  Sauveur  Jésus  est  plongé  dans  un  gouffre 
trop  profond  de  péchés,  et  après  tout,  les 
hommes  peuvent-ils  être  tristes  comme  un 
Dieu?  ]N'est-cc  pas  à  cette  tristesse  que  saint 
Paul  reconnaît  Dieu?  Quel  autre  qu'un  Dieu 
aurait  pu  s'attrister  si  fort  sur  les  crimes  de 
ses  ennemis  et  de  ses  bourreaux  qui  i.'é- 
taient  pas  encore;  et  quoique  tous  les  lâches 
s'affb'gent  trop  aisément,  quel  autre  qu'un 
Dieu  aurait  puquitter  la  tristesse  et  la  repren- 
dre à  son  gré,  exciter  à  sa  volonté  l'orage  et 
le  calmer,  se  faire  souffrir  et  se  consoler  lu:- 
même,  et  au  lieu  de  cette  tristesse  de  néces- 
sité, de  faiblesse,  qui  est  la  nôtre,  ne  mon- 
trer que  cette  tristesse  de  liberté,  de  choix, 
de  volonté,  qui  ne  convient  qu'au  maître  des 
passions?  (juel  autre  qu'un  Dieu  s!est  pu  ré- 
véler deux  mille  ans  d'avance  ces  moments  de 
langueur,  ces  mystères  sacrés  de  son  agonie, 
et,  au  milieu  de  sa  défaillance  et  de  son  abat- 
tement, mettre  dans  son  cœur  tant  de  gran- 
deur? Et  par  quelque  endroit  que  l'on  con- 
sidère sa  tristesse  et  ses  douleurs,  on  n'y 
trouve  rien  qui  ne  soit  au-dessus  de  l'homme. 
Et,  en  effet,  où  paraît-il  plus  Dieu  que  dans 
le  jardin  (des  Olives,  et  tout  ce  qui  vous  y 
scandalise  dans  l'histoire  de  ses  douleurs 
intérieures.,  n'est-ce  pas  l'héroïsme  de  votre 
religion,  la  preuve  la  plus  incontestable  de 
sa  divinité,  la  vertu  de  Dieu,  Dieu  lui  même  ? 
Ah  1  loin  donc  de  vous  ériger  en  censeurs 
téméraires  de  la  profonde  tristesse  de  Jésus- 
Christ,  adorez-la,  imitez-la,  songez  que  ce 
Sauveur  aimable  lient  votre  place  dans  ce 
jardin  d'amertumes,  qu'il  y  est  tout  ce  que 
vous  devez  être  à  la  vue  de  vos  péchés, 
Hélas!  si  vous  regardiez  votre  malheur 
comme  lui,  un  poids  de  tristesse  vous  acca- 
blerait et  vous  ferait  tomber  la  face  contre 
terre  :  Produit  in  faciem  suam.  (  Matth., 
XXVI.)  Comme  lui,  à  ce  spectacle  une 
crainte  mortelle  vous  pénétrerait,  et  vous 
frémiriez  jusque  dans  la  moelle  des  os  : 
Timuit  ralde.  Comme  lui,  une  sueur  glacée 
vous  saisirait  et  ferait  dégoutter  votre  sang 
de  toutes  les  parties  de  votre  corps  :  Et  fac- 
tus  est  sudor  ejus  sicut  guttee  sanguinis  de- 
currentis  in  terram.  {Luc,  XXII).  Affligés 
de  tout  votre  cœur,  vous  seriez  inconsola- 
bles :  Cœpit  conlristari  ctmœstus  esse.  {Matth., 
XXVI.)  Comme  lui,  vous  prieriez  plus  long- 
temps pour  vous  préserver  de  la  mauvaise 
habitude  qui  est  l'agonie  de  votre  âme  :  Et 
factusinagoniaprolixius  orabat  {Luc,  XXII.) 
Comme  lui,  toute  compagnie  mondaine  vous 
deviendrait  insupportable,  et  vous  vous 
retireriez  de  ce  monde  corrupteur  :  Iterum 
abiens.  {Marc,  XIV.)  Comme  lu;,  la  douleur 
vous  séparerait  de  ce  que  vous  avez  de  plus 
cher  pour  aller  pleurer  en  secret  ;  enfin,  vous 
compatiriez  a  ses  peines,  et  lorsque  ce  père 
tendre  cherche  un  oreur  patient  pour  se  re;  o- 
ser,  vous  lui  ouvririez  le  vôtre;  vous  lui 


4C69 


CAREME.  —  SERMON  XAVilî,  DE  LA  PASSION  DE  J.-C. 


seriez  cet  ange  aimable  qui  le  console,  assez 
d'autres  l'affligent,  et  si  la  vue  de  vos  péchés 
le  trouble,  vous  le  rassureriez  par  le  grand 
spectacle  de  votre  pénitence  :  Appariât  Mi 
angélus  confortans  eum.  (  Luc,  XXII.  ) 

Mais,  si  au  jardin  des  Oliviers,  Jésus  Christ 
est  si  fort  combattu  et  attristé  par  l'énormité 
du  péché,  il  ne  l'est  pas  moins  par  ses  con- 
tradictions :  Curramus  ad  propositum  nobis 
certamen,  aspicientes,  etc.  Oui,  en  même 
temps  il  laisse  faire  à  l'ange  le  consolant 
ministère  pour  lequel  il  est  envoyé  par  son 
Père-,  il  permet  que  le  péché  redouble  sur 
lui  sa  violence,  et  daigne  sentir,  parce 
qu'il  est  miséricordieux,  tout  ce  que  nous 
sentons,  parce  que  nous  sommes  miséra- 
bles ;  il  se  soumet  à  toutes  les  contradic- 
tions du  crime  qu'il  veut  expier,  pour  nous 
faire  comprendre  que  le  pécheur,  dont  il 
portait  l'image  et  la  ressemblance,  ne  jouit 
jamais  d'un  repos  et  d'un  plaisir  parfait;  et 
voulant  consoler  les  âmes  justes  dans  les 
combats  et  les  persécutions  qu'elles  ont  à 
soutenir  en  elles-mêmes  contre  le  péché,  il 
leur  faisait  connaître  que  ces  combats  et  ces 
oppositions  ne  sont  point  un  crime,  qu'être 
tenté  n'est  point  être  coupable,  que  tout  le  ma! 
est  de  succomber  aux  tentation?,  puisqu'a- 
lors  on  écarte  la  vigilance  et  la  prière  qui 
sont  les  plus  fortes  armes  du  salut.  Voilà  ce 
que  le  Sauveur  avait  en  vue  dans  le  mys- 
tère de  ses  combats  et  de  ses  peines  spiri- 
tuelles, c'était  d'oiï'rir  aux  âmes  lâches  un 
grand  modèle  de  force  et  de  courage  qu'on 
doit  opposer  au  péché,  et  dans  celte  vue, 
considérez  comme  il  laisse  d'abord  partager 
son  âme  en  deux  sentiments  opposés,  comme 
deux  passions  contraires  ne  le  tourmentent 
point  l'une  après  l'autre,  mais  toutes  deux 
ensemble;  comme  il  est  agité  tout  à  la  fois 
de  crainte  et  d'ennui  :  Cœpit  parère  etlœdere 
(Marc  XIV.)  Il  appréhende  les  souffrances  : 
pavere,  et  il  s'ennuie  de  ce  qu'elles  n'arri- 
vent pas  :  tœdere;  il  a  peur  de  son  supplice  : 
c  spit  pavere;  et  il  sent  de  l'impatience  de 
ne  le  point  endurer  :  cœpit  tœdere  ;  il  trem- 
ble, et  il  soupire  :  il  considère  l'abus  qu'on 
fera  de  sesdouleurs,  et  c'est  ce  qui  lui  donne 
de  la  crainte  :  pavere.  11  en  regarde  le  fruit  dans 
les  justes,  et  c'est  ce  qui  le  fait  languir  de  ne 
point  souffrir  assez  tôt  :  tœdere;  il  envisage  la 
colère  de  Dieu  irrité  contre  les  pécheurs,  et  il 
en  est  saisi  de  frayeur  -.-pavere;  il  aperçoit  la 
rédemption  du  monde,  la  réconciliation  des 
pécheurs,  et  il  lui  tarde  qu'il  l'opère  : 
tœdere;  il  regarde  le  calice  amer  qui,  rempli 
de  toutes  les  iniquités  de  la  terre,  l'effraye  : 
pavere;  et  il  \od  le  torrent  de  gloire  et  de 
volupté  qui  y  est  attaché,  et  il  voudrait  déjà 
l'avoir  bu  :  tœdere.  C'est  par  ces  différents 
objets  que  ses  pensées  se  combattent,  que 
son  cœur  se  partage,  et  que  lui-même  ?e 
divise  en  deux  parties  :  son  âme  divine  et 
humaine,  semblable  à  cette  colonne  des 
Juifs ,  lumineuse  d'un  côté  et  obscure  de 
l'autre,  est  timide  et  interdite  d'une  part,  et 
courageuse  et  entreprenante  de  l'antre;  il 
s'abaisse  et  se  relève,  tantôt  parlant  à  ses 
apôtres,  pour  se  consoler  avec  eux,  et  tantôt 


1070 

voulant  être  seul,  sans  permette  même  que 
l'ange  du  grand  conseil  le  console  et  le  sou- 
lage. Enfin,  cette  guerre  de  son  cœur  est  si 
affreuse,  sa  résistance  si  violente,  que  ses 
membres  sont  comme  expirants,  et  tombent 
dans  une  défaillance  extrême,  et  comme  si  l'a 
tristesse  et  ses  larmes  n'exprimaient  point 
assez  sa  douleur,  une  sueur  miraculeuse 
arrose  toute  la  terre  de  son  sang  qui  dé- 
coule de  toutes  parts. 

Sang  adorable  qui  êtes  impatient  dans  les 
veines  sacrées  qui  vous  renferment,  que  la 
charité  qui  vous  agite  et  qui  vous  presse  est 
immense  !  C'est  trop  peu  d'une  issue,  vous 
vous  efforcez;  de  sortir  par  mille  passages  à 
la  fois,  et  vous  voudriez  être  répandu  jus- 
qu'à la  dernière  goutte.  Ah!  conservez-vous 
davantage,  viendront  assez  tôt  ces  tristes  mo- 
ments où  tout  sera  versé  par.  vos  bourreaux, 
ou  si  vous  aimez  tant  à  vous  répandre,  que 
ce  soit  sur  nous  et  sur  nos  descendants.  Mon 
âme  est  une  terre  aride  et  stérile  en  bonnes 
œuvres,  coulez  sur  elle  pour  l'amollir  et  la 
rendre  féconde  :  Sanguis  ejus  super  nos  et 
super  filios  noslros  .(Malth. ,  XXII.)  Coulez  sur 
les  plaies  de  ce  cœur  endurci  dont  vous  êtes  le 
salut  et  le  remède;  pénétrez-les  de  votre  onc- 
tion divine,  et  me  donnez  comme  à  Jésus- 
Christ  une  source  de  victoires  et  de  mé- 
rites. 

Ah  !  souffrez,  mes  frères,  que,  touché  d'un 
état  si  déplorable  et  si  commun  parmi  vous, 
je  vous  adresse  ces  paroles  qui  suivent  celles 
de  mon  texte  :  Rrcoyitate  enim  eum  qui  talent 
sustinuila  peccatoribus  adversus  semetipsum 
contradictionem  (Hebr.,  XII);  pensez  bien, 
chrétienslâches,  quel|estceluiquîsouffreune 
si  grande  contradiction,  des  douleurs  si  cui- 
santes, des  combats  si  violents,  c'est  Jésus  - 
Christ,  c'est  le  maître  de  la  vie  qui  se  trouvo 
à  l'agonie;  c'est  l'éternelle  paix  qui  se  trou- 
ble elle-même  pour  devenir  l'image  de  vos 
contradictions,  de  vos  efforts  et  de  vos  ré- 
sistances au  péché.  Voulez-vous  vaincre  la 
passion  et  le  crime  ?  pensez  au  Fils  de  Dieu 
dans  le  jardin  des  Oliviers,  recogilate.  Or, 
jusqu'ici  peut-être  vous  avez  sué,  mais  pour 
des  richesses  périssables;  vous  vous  êtes 
affligés  ,  mais  pour  des  honneurs  chiméri- 
ques; vous  vous  êtes  inquiétés,  mais  pour 
des  vaines  satisfactions;  et  dans  votre  vie, 
vous  n'avez  eu  que  de  tristes  et  coupables 
agitations  ;  pensez  à  Jésus-Christ  ;  que  vous 
ne  soyez  troublés  que  de  son  trouble,  affli- 
gés que  de  son  affliction,  agités  que  de  ses 
mouvements  :  que  le  péché  ait  tous  vos 
sentiments,  toute  votre  douleur,  toute  votre 
inquiétude,  toute  votre  tristesse,  tous  vos 
combats,  toute  votre  résistance  :  regardez  le 
péché  des  mêmes  yeux  que  Jésus-Christ, 
combattez-le  avec-  la  même  vivacité,  avec  le 
même  soin,  et  ne  dites  pas  que  dans  la  ten- 
tation vous  avez  résisté  au  mal  de  toutes  vos 
forces.  Non,  répond  l'Apôtre;  en  combattant 
contre  le  péché  vous  avez  résisté  faiblement 
à  ses  attraits  et  à  ses  charmes,  non  jusqu'à  ver- 
ser votre  sang  pour  vous  en  défendre  et  pour 
l'éloigner  de  votre  âme;  et  comment  votre 
résistance  au  péché  vous  aurait-elle  coûté 


4071 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SIRîÀN 


1(T2 


du  sang?  s'écrie  un  Père.  Elle  ne  vous  a  pas 
même  coûté  des  larmes  :  vous  ne  vous  êtes 
fait  ni  efforts  ni  la  moindre  violence  pour 
vous  en  garantir. 

Mais,  après  avoir  éprouvé  toutes  les  con- 
tradictions du  péché,  il  restait  à  Jésus-Christ 
d'en  pressentir  toute  la  peine;  c'est  le  troi- 
sième combat,  où  il  est  livré  dans  le  jardin 
des  Oliviers,  et  le  troisième  sujet  de  sa  tris- 
tesse intérieure. 

David  en  pleurs  disait  après  la  mort  de 
son  fils  Absalon  :  Fils  ingrat,  enfant  rebelle, 
vous  m'avez  oublié.  Et  cependant,  je  vou- 
drais mourir  pour  vous;  que  n'en  puis-je 
trouver  l'occasion  :  Absalon  fili  mi,  quis  mihi 
tribuat  ut  egomoriar  pro  ^e  ? (II  Beg.,  XVIII.) 

Ce  que  Jésus-Christ  disait  à  son  Père , 
mes  frères,  combien  de  fois  vous  l'a-t-il  dit 
à  vous-mêmes!  Vous  souvenez-vous  de  ces 
troubles  secrets,  de  ces  remords  cuisants,  de 
ces  alarmes  violentes  aux  approches  du 
crime  :  c'était  le  Sauveur  qui  le  défendait 
dans  votre  cœur,  qui  aurait  bien  voulu  vivre 
et  demeurer  avec  vous,  et  qui  dans  cette  es- 
pèce d'agonie,  vous  disait  intérieurement  : 
Ah!  s'il  se  peut,  ne  péchez  plus,  que  je  ne 
boive  point  ce  calice  ;  il  est  trop  amer  à  mon 
cœur:  Transeat  a  me  calix  iste.  (Matth., 
XXVI.)  Vous  savez  combien  ces  instantes 
prières  furent  inutiles  à  Jésiis-Chrïst'et com- 
bien elles  le  sont  encore  tous  les  jours,  lors- 
que vous  les  adressez  ;  vous,  mon  Dieu,  qui 
par  la  soumission  d'isaac  l'épargnâtes  à  son 
père ,  consommerez-vous  ce  sacrifice  en  la 
personne  de  votre  fils  par  sa  mort,  et  quand 
ce  fils  aimable  vous  conjure  de  lui  faire  grâce, 
ne  vous  faites-vous  point  violence  de  la  lui 
refuser,  et  d'abandonner  cette  victime  inno- 
cente et  si  chère  à  tant  de  souffrances  et  tant 
de  douleurs?  Ah  I  fussent-elles  encore  plus 
cuisantes,  ces  douleurs,  fût-il  plus  amer  en- 
core, ce  calice,  disons  avec  Jésus-Christ  et  de 
la  bouche  du  cœur,  prononçons  comme  lui 
cette  adorable  parole  :  Que  vôtre  volonté  soit 
laite,  ômon  Dieu,  et  non  pas  la  mienne  :  Ve- 
rumtamen  non  mea  sed  tua  voluntas  fat. 
(Jbid.)  Grand  Dieu!  aux  approches  de  ce 
calice  que  vous  m'offrez,  ma  chair  frémit, 
ma  raison  se  trouble,  mon  cœur  s'alarme, 
mes  sens  se  révoltent;  néanmoins  j'ose  vous 
assurer  que  ce  n'est  point  ma  volonté 
que  je  veux  suivre  :  Scd  tua  voluntas,  non 
mea;  oui,  mon  Dieu,  dussent  mes  sens  ré- 
voltés s'écrier  :  Que  cette  affliction  passe,  que 
ce  coup  de  malheur  s'écarte,  que  ce  calice 
amer  ne  vienne  point  jusqu'à  moi  :  Transeat 
a  me  calix  iste  (Ibid.)  ,  la  voix  de  mon  âme 
vous  dira  sans  cesse  :  Seigneur,  je  le  mérite, 
je  suis  un  misérable  pécheur,  et  en  cette 
qualité,  il  n'est  rien  de  trop  amer  et  de  trop 
dégoûtant  pour  moi.  Faites-le  passer  de  vos 
mains  toutes  pures  dans  les  miennes  toutes 
souillées  :  depuisqu'un  Dieu  a  daigné  y  boire, 
il  nedoitplus  me  sembler  amer;  maisie  fût-il 
encore,  je  n'y  répugne  point,  c'cstvotre  sainte 
volonté,  et  non  pas  la  mienne,  que  je  veux 
suivre  ;  la  vôtre  m'encourage  et  me  fortifie, 
et  c'est  assez  que  quelque  chose  me  vienne 
de  votre  part,  pour  l'embrasser  et  le  souf- 


frir avec  joie  :  N-n  mea  voluntas  sfd  tua  fiât. 
Vous  voyez  donc,  mes  frères,  comme  au 
jardin  des  Oliviers  Jésus-Christ  combatsans 
cesse  contie  \s  péché,  toujours  en  action, 
toujours  "en  alarmes:  mais  quel  est  donc  ce 
monstre  cruel  qui  attaque  un  Dieu  de  toutes  ; 
parts,  qui  soulève  l'âme  la  plus  tranquille  et  : 
la  plus  forte  ;  qui  agite  le  cœur  le  plus  grand 
et  le  plus  maître  de  lui-même?  Et  ce  même 
péché  dont  l'image  seule  alarme  un  Dieu  et 
fait  plier  toute  sa  force,  sera  au  milieu  de 
vous,  au  fond  de  votre  âme ,  sans  y  exciter 
le  moindre  trouble,  la  plus  légère  inquié- 
tude ;'vous  le  regarderez  comme  un  jeu,  et 
vous  vous  endormirez  dans  les  bras  d*un 
ennemi  si  formidable!  Ah!  songez  que  vous 
êtes  au  jardin  des  Oliviers,  et  que  le  Sauveur 
vous  fait  le  même  reproche  ironique  qu'il  y 
faisait  aux  apôtres  endormis,  et  que  son  état 
rendait  si  insensibles  et  si  aveugles  :  Dor- 
mite  jametrequiescite.  (Matth.,  XXVI.)  Dor- 
mez et  reposez,  pour  moi,  il  me  convient 
d'être  agité  et  de  voilier,  laissez-moi  seul 
ressentir  toute  l'horreur  de  vos  crimes;  vous 
dormez  :  dormez  et  soyez  tranquilles.  Fal- 
lait-il veiller  à  l'assouvissement  de  vos  pas- 
sions insensées,  à  la  poursuite  des  biens  du 
siècle  ;  vous  veilliez  alors  et  on  ne  vous  trou- 
vait pas  endormis.  Maintenant,  il  s'agit  du 
salut;  vous  êtes  sans  rien  faire,  ces  soins 
prudents  et  sages  vous  endorment  :  Dormite 
jam  et  requiescite.  Mais  plutôt  levez-vous  et 
venez  avec  moi,  achevons  ensemble  le  grand 
ouvrage  du  salut  du  monde,  et  après  avoir 
combattu  contre  le  péché, souffrons-en  encore 
la  confusion  et  la  honte  :  Confusione  contem- 
pla (Hebr.  XII);  c'est  la  deuxième  partie  de 
ce  discours. 

SECOND   POINT. 

Comme  tout  péché  est  orgueil  dans  son 
principe,  pour  l'expier  d'une  manière  qui  en 
soit  digne,  rien  ne  convient  mieux  que  l'hu- 
miliation; elle  seule  remet  dans  l'ordre  celui 
que  la  superbe  en  avait  ôté,  et  tout  crime 
qui  n'est  point  expié  par  la  douleur  et  la 
peine  qu'il  mérite,  doit  du  moins  être  puni 
par  cette  impression  de  honte  qui  l'accom- 
pagne: aussi  un  homme  pécheur  signifie  la 
môme  chose  qu'un  homme  confus;  celui 
que  nous  avons  offensé  veut  que  par- 
tout cette  plaie  malheureuse  nous  fasse 
rougir,  et  après  avoir  fait  naître  dans  la  con- 
science du  pécheur  les  remords  les  plus 
cuisants,  il  lui  fait  encore  les  reproches  les 
plus  amers  ;or,  dit  saint  Augustin,  c'est  pour 
réparer  l'injure  faite  à  Dieu,  et  guérir  le 
mal  par  son  propre  remède,  que  Jésus- 
Christ  va  se  couvrir  dans  Jérusalem  de 
l'ignominie  de  nos  crimes;  et  parce  que 
nous  avons  fait  au  Seigneur  une  infidélité 
dans  nos  cœurs,  une  injustice  dans  nos  juge- 
ments, une  folie  criminelle  dans  toute  notre 
personne,  afin  qu'il  y  ait  du  rappoit  entre 
l'offense  et  l'expiation  de  l'offense,  le  Sau- 
veur va  être  humilié  :  1°  dans  son  cœur  p;r 
l'infidélité  de  ses  disciples;  2°  dans  son  es- 
prit par  l'injustice  de  ses  juges;  3"  dai  s 
toute  sa  personne  par  l'outrage  et  les  op- 
probres des  soldats  et  des  Juifs.  O  amour  sa- 


1C73 


CAREME.  —  SERMON  XXVIII,  DE  LA  PASSION  DE  J.  C. 


11)74 


cri,  source  féconde  de  ces  humiliations  sa- 
lutaires 1  pourquoi  faut-il  que  vous  soyez  si 
fort,  si  étendu  dans  le  cœur  d'un  Dieu,"  et  si 
faible  et  si  borné  dans  le'  nôtre? 

1°  Jésus-Christ  commence  donc  dans  Jéru-. 
salem  à  éprouver  l'infidélité  de  ses  amis: 
l'un  le  trahit,  l'autre  le  renie;  tous  l'aban- 
donnent. Mon  Dieu  1  quelle  humiliation  plus 
sensible  pour  vous?  Vous  le  savez,  chrétiens 
mes  frères,  la  trahison,  toujours  humiliante, 
lest  bien  plus  encore  quand  c'est  un  ami 
qui  l'a  faite  :  ici  c'est  un  apôtre  qui  trahit  son 
maître  ;  c'est  le  dépositaire  de  ses  secrets, 
l'interprète  de  ses  pensées,  le  témoin  de  ses 
miracles  ,  un  disciple  qui  mille  fois  avait 
reçu  de  ses  faveurs,  avait  goûté  la  douceur 
de  ses  entreliens  et  de  sa  familiarité;  qu'il 
avait  associé  à  ses  travaux  pour  le  rendre 
participant  de  sa  gloire,  qu'il  venait  d'éta- 
blir  par  le  sacerdoce  sur  son  propre  corps, 
bienfaits  et  faveurs  qui  deva'ent  mettre  dans 
le  cœur  de  cet  apôtre  des  sentiments  d'un 
amour  et  d'une  reconnaissance  inviolables, 
mais  qui  n'en  font  qu'un  perfide  et  un  in- 
grat, qui,  par  un  sordide  intérêt,  pour  un 
prix  vil  et  médiocre,  trahit  et  vend  son  di- 
vin maître.  Hélas '.jusqu'où  ne  le  porte  point 
cette  maudite  passion  d'avarice!  pour  trente 
deniers  il  le  livreàses  ennemis:  Consiituerant 
ei  triginta  argenteos.  (Malth.,  XXVI.) 

Nuit  malheureuse,  qui  prêtas  ton  voile  a  un 
si  barbare  attentat,  pourquoi  commençais-tu, 
ou,  pour  nous  le  cacher  a  jamais,  que  ne  deve- 
nais-tu éternelle?  Je  m'aperçois,  mes  frères, 
que  vous  donnez  votre  indignation  à  ce  per- 
fide et  que  vous  voudriez  le  frapperde  mille 
morts.  Judas  cependant  n'était  que  votre 
image;  car  combien  de  fois,  cruels,  l'avez- 
voiïs  vendu  poup  un  pris  plus  uiédiocre  en- 
core que  ce  traître;  combien  dé' fois,  lors- 
qu'il vous  comblait  le  plus  de  ses  faveurs 
et  de  ses  biens,  avez-vous  quitté  le  person- 
nage aimable  de  son  disciple,  de  son  ami, 
pour  prendre  celui  de  son  persécuteur  et  de 
son  ennemi  ;  combien  de  fois,  le  mettant  à 
prix  et  à  la  discrétion  du  monde  et  du  dé- 
mon, avez-vous  dit  comme  Judas  :  Que  me 
donnerez-vous,  que  me  promettez-vous, 
quels  bons  services  me  rendrez-vous  ;  quels 
plaisirs,  quels  honneurs,  quelles  fortunes, 
quelle  dignité,  quel  emploi  me  procurerez- 
vous  ?  Pour  peu  que  vous  me  donniez,  je  suis 
tout  disposé,  tout  prêt  à  le  mettre  en  votre 
possession  :  Quid  mihi  vultisdareet  ego  vobis 
eum  tradam  (Ibid)  ;  combien  de  fois  à  la  tête 
ou  en  la  compagnie  des  impies,  les  avez-vous 
encouragés  par  vos  paroles  ou  par  vos  exem- 
ples, à  lui  faire  outrage  :  Dédit  Mis  signum? 
Combien  de  fois  à  ces  rendez-vous  funestes, 
à  cette  assemblée  mondaine,  à  ce  spectacle 
profane,  lorsqu'il  vous  faisait  .ce  reproche 
si  tendre  :  Amice,  ad  quid  venisti? (Ibid.)  Ah! 
mon  ami,  que  venez- vous  faire  ici?  au  lieu 
de  vous  laisser  toucher  à  cette  parole  de 
grâce,  si  propre  à  fendre  un  cœur,  avez-vous 
continué  à  l'immoler  et  à  le  livrer  entre  les 
mains  des  méchants?  Combien  de  fois  jusqu'à 
la  table  sacrée,  avec  une  âme  de  péché,  lui 
evez-vous  donné  un  baiser  meurtrier?  Enfin 


n'avez-vous  pas  tout  l'esprit  de  Judas  ?  Com- 
parez vos  infidélités  à  la  sienne;  pour  une 
fois  qu'il  a  trahi  Jésus,  ne  le  trahissez-vous 
pas  plus  de  mille;  le  rapport  n'est-il  pas 
juste,  et  lorsque  ce  perfide  vous  est  en  exé- 
cration, n'en  trouvez-vous  pas  en  vous  toute 
la  perfidie  ?  Ah!  ne  craignez  point,  dit  un 
Père,  il  est  encore  une  miséricorde  toute 
prête  à  vous  pardonner  :  Judas  n'osa  l'espé-' 
rer,  et  de  là  son  malheur.  Ne  désespérez 
point  de  la  part  de  votre  Dieu;  mais  soute- 
nez-vous par  la  sincérité  de  votre  pénitence, 
par  la  grandeur  de  vos  regrets,  et  songez, pour 
vous  y  soutenir,  que  le  Seigneur,  que  vous 
avez  tant  outragé,  est  encore  plus  compatis- 
sant que  vous  n'êtes  perfides,  et  que  le  plus 
grand  de  tous  vos  crimes  serait  de  n'en  pas 
espérer  de  pardon  :  Abiens  laqueo  se  suspen- 
dit. (Matth.,  XXVII.) 

Mais  si  Jésus  fut  humilié  par  la  perfidie 
d'un  de  ses  disciples,  il  le  fut  encore  bien 
davantage  par  la  présomption  d'un  autre  de 
ses  disciples.  Ici,  mes  frères,  que  les  colon- 
nes les  plus  fermes  tremblent  comme  les 
plus  faibles  roseaux  ;  cet  apôtre  si  éclairé,  si 
intrépide,  si  zélé,  Pierre,  le  chef  de  l'Egide, 
le  plus  élevé  des  disciples,  ce  fidèle  témoin 
de  la  gloire  du  trésor,  Pierre  tombe  dès  qu'il 
voit  Jésus-Christ  dans  la  souffrance  ;  il  le 
désavoue,  et  ne  le  suit  que  de  loin;  lorsque  son 
propre  cœur  ne  disait  que  trop  que  c'était  son 
Sauveur,  sonDieu,  son  maître,  sa  bouche  infi- 
dèle lui  fait  dire  :  Je  ne  le  connais  pas.  Il  avait 
juré  trois  fois  qu'il  l'aimait  et  ne  le  renoncerait 
jamais,  et  par  trois  fois  il  le  renonce;  il  ajoute 
le  serment  à  l'infidélité,  et  l'imprécation  au 
parjure.  Et  voilà  le  triste  sort  de  ces  résolu- 
tions qu'on  avait  faites  aux  pieds  des  saints 
autels;  voilà  où  aboutissent  ces  protestations 
solennelles  que  vous  fîtes  au  baptême,  et  que 
vous  avez  plusieurs  fois  renouvelées,  dans 
le  tribunal  de  la  pénitence,  de  ne  jamais  vio- 
ler votre  foi,  de  ne  point  démentir  vos  vœux, 
de  demeurer  attachés  à  Jésus-Christ  comme 
à  votre  chef,  et  de  suivre  sa  loi  et  ses  com- 
mandements ,  comme  votre  législateur  et 
comme  votre  Dieu.  Voilà  les  pieux  serments 
dont  nos  autels  furent  témoins  et  que  nous 
eûmes  la  consolation  de  recevoir  de  votre 
propre  bouche  ;  vous  sentiez  une  si  douce 
pente  à  les  suivre,  que  vous  ne  croyiez  ja- 
mais les  oublier;  mais,  hélas!  vous  avez 
peut-être  bien  fait  pis  :  comme  Pierre,  vous 
avez  méconnu  et  renié  votre  Sauveur,  vous 
qui  juriez  tant  de  n'être  qu'à  lui,  de  ne  vivre 
que  sous  sa  religion  et  sa  loi,  d'être  fidèle 
à  ses  volontés,  de  ne  jamais  trahir  ses  inté- 
rêts; à  la  vue  des  moindres  outrages,  des 
tentations  les  plus  faibles,  vous  vous  êtes 
tonus  éloignés  de  lui  de  peur  q-u'onne  croie 
que  vous  êtes  de  sa  compagnie,  qu'on  ne 
vous  associe  à  ses  humiliations;  c'est-à-dire 
que,  comme  ce  lâche  apôtre,  vous  avez 
éprouvé  qu'une  âme  touchée  et  convertie, 
qui  s'est  donnée  à  Dieu,  expose  tout  en  se 
redonnant  un  seul  moment  au  monde,  que 
pour  elle  la  chute  n'est  pas  loin  de  l'occasion, 
que  les  engagements  du  siècle  lui  devien- 
nent bientôt  comme  des  nouveaux  crimes, 


IG75 


ORATEURS  SACRES. 


LE  P.  SURIAN. 


J07G 


que  les  conversations  mondaines  n'ont  rien 
que  de  funestes  pour  Jésus-Christ,  qu'elles  le 
trahissent  bientôt  et  sont  incompatibles  avec 
lui ,  que  s'exposer  témérairement ,  comme 
fait  Pierre,  à  des  voyages,  à  des  compa- 
gnies où  le  devoir  n'appelle  point,  c'est  se 
creuser  des  précipices  où  l'on  n'est  pas  long- 
temps sans  tomber. 

En  effet,  chrétiens,  examinez-vous  là-des- 
sus :  n'est-ce  point  depuis  que  vous  avez 
formé  des  liaisons  avec  le  siècle,  que  vous 
êtes  devenus  lâches  avec  Jésus-Christ  ?  Tous 
les  jours  encore  il  s'offre  à  vous  dans  la 
même  situation  qu'il  s'olfrit  à  Pierre,  et  vous 
dites  comme  lui  que  vous  ne  le  connaissez 
point  :  Non  novi  hominem  (Malth.,  XXVI); 
tous  les  jours,  dans  nos  temples,  il  est  entre 
les  mains  du  prêtre  qui  l'immole,  et,  par 
vos  irrévérences  et  vos  immodesties,  vous 
dites  :  Je  ne  le  connais  point,  non,  je  ne  suis 
point  avec  lui  :  Non  novi  hominem;  tous 
les  jours  encore  il  est  lié,  garotté  dans  les 
prisonniers,  dans  les  malheureux  esclaves, 
et,  par  les  refus  que  vous  faites  de  l'y  visiter, 
vous  dites  :  Non,  je  ne  le  connais  point  :  Non 
novi  hominem  :  tous  les  jours  il  est  défaillant 
dans  les  malades  et  les  infirmes,  et  par  la 
négligence  que  vous  y  apportez  à  l'y  soula- 
ger, par  la  fausse  délicatesse  qui  vous  fait 
fermer  les  yeux  sur  ses  plaies,  par  la  dureté 
qui  vous  rend  insensibles  à  ses  douleurs, 
vous  l'abandonnez  tranquillement,  et  vous 
dites  •  Je  ne  Je  connais  point  :  Non  novi  homi- 
nem; comme  à  Jérusalem  il  est  dépouillé, 
nu  dans  les  pauvres,  et,  affectant  de  ne  pas 
l'y  voir,  crainte  de  l'assister,  de  le  plaindre, 
de  le  revêtir,  vous  dites  :  Non,  je  ne  le  con- 
nais point,  je  ne  suis  point  de  sa  compagnie: 
Non  novi  hominem;  tous  les  jours  encore  il 
est  raillé,  moqué,  insulté,  en  la  compagnie 
des  impies,  des  méchants,  des  libertins,  et 
vous  les  écoutez  tranquillement ,  et,  s'ils 
vous  soupçonnent  de  leur  être  suspects,  s'ils 
vous  reprochent  d'être  de  ses  serviteurs, 
vous  niez  que  vous  soyez  à  lui;  et  pour  peu 
que  l'on  vous  presse,  vous  dites  :  Non,  je  ne 
le  connais  pas  :  Non  novi  hominem.  Partout 
votre  mauvais  cœur  le  désavoue,  et  véritable- 
ment, par  la  longueur  du  chemin  que  vous 
avez  à  faire  avec  le  monde,  son  ennemi,  de- 
puis que  vous  l'avez  quitté,  il  n'est  pas  sur- 
prenant que  vous  ne  puissiez  plus  le  recon- 
naître :  Non  novi  hominem. 

Crand  Dieu  I  n'attendrirez-vous  point  votre 
disciple?  Oui,  vous  le  regardez,  "A  ce  seul 
regard  le  pénètre  de  douleur  et  le  fait  fon- 
dre en  larmes  ;  mais,  hélas  !  je  vous  ai  perdu 
plus  que  lui  !  Sans  un  do  vos  regards  mi- 
séricordieux,  je  ne  me  relèverai  jamais  do- 
tant de  chutes  et  d'infidélités;  daignez,  Sau- 
veur aimable,  le  jeter  sur  moi  comme  vous 
fîtes  sur  saint  Pierre  ;  il  y  a  si  longtemps  que 
votre  visage  est  détourné  de  dessus  moi,  que 
mes  iniquités  m'ont  rendu  désagréable  à  vos 
yeux  :  ah  1  Seigneur,  quand  me  regarderez- 
vous  d'un  œil  favorable? Domine,  quando  re- 
snicies.  (PsdI.  XXXIVr.)  S'il  vous  en  coûte 
si  peu  pour  convertir  une  âme  criminelle, 
que  ne  m'inspirez-vous  de  quitter  ce  inonde 


perfide,  de  fuir  ses  compagnies  dangereuses 
pour  aller  pleurer  amèrement  mes  fautes 
dans  la  retraite  ?  Et  eyressus  foras  flevit 
amare.  (Luc,  XXII.) 

Jésus-Christ  fut  donc  humilié  dans  son 
cœur  par  l'infidélité  de  ses  disciples;  mais  il 
le  fut  bien  davantage  encore  dans  son  hon- 
neur par  l'injustice  de  ses  juges. 

2°  Vous  le  savez,  chrétiens,  le  bien  de 
l'homme  le  plus  précieux  et  le  plus  beau,  est 
une  réputation  saine:  l'homme  sage  est  plus 
sensible  à  la  honte  qu'à  la  douleur,  et,  pour 
conserver  cette  Heur,  il  a  une  délicatesse  si 
grande  qu'il  compte  pour  rien  de  lui  sacri- 
fier même  sa  vie;  mais  s'il  en  est  ainsi,  di- 
vin Jésus  !  splendeur  de  la  gloire  de  Dieu  ! 
que  la  confusion  que  vous  souffrez  ainsi 
vous  doit  être  sensible  1  Deux  tribunaux  dif- 
férents lui  deviennent  deux  sources  de  con- 
fusion et  d'opprobres;  le  premier  est  celui 
du  grand  prêtre  :  là  ce  Maître  de  l'univers,  ce 
Juge  souverain  du  monde,  paraît  debout,  dé- 
couvert, dans  la  posture  de  suppliant;  il  est 
interfogé  comme  un  criminel,  et  cette  doc- 
trine toute  céleste  qui  réunit  tous  les  cœurs 
dans  le  centre  de  la  charité,  qui,  comme  un 
flambeau  lumineux,  porte  la  lumière  et  l'ar- 
deur jusqu'au  fond  de  l'âme,  qui,  comme  un 
glaive  à  deux  tranchants,  écarte  le  mal  et 
aj)proche  de  Dieu;  cette  doctrine  toute  pure 
dans  sa  source,  si  propre  à  laver  les  souillu- 
res, à  guérir  la  corruption,  si  remplie  de  force 
et  de  sagesse,  si  humble  dans  son  principe,, 
si  capable  d'arrêter  le  débordement  des  vi- 
ces et  la  révolte  des  passions  ;  cette  vérité 
toute  divine  qui  rendait  les  maîtres  si  puis- 
sants et  les  sujets  si  soumis,  c'est  elle- 
même  qui  est  accusée  de  séduction,  de  blas- 
phème, d'imposture  et  de  rébellion.  Le  Sau- 
veur souffrit  cette  calomnie  pour  la  con- 
solation de  ses  vrais  serviteurs.  Dans  le  saint 
ministère,  il  voulait  nous  apprendre  que 
lorsque,  semblables  à  l'injuste  Caïphe,  vous 
jugez  en  nous  sa  vérité,  son  Evangile,  sa 
morale,  en  les  condamnant  comme  trop  sé- 
vères, en  les  rejetant  comme  trop  incom- 
modes, en  faisant  céder  la  fermeté  de  sa  doc- 
trine à  la  mollesse  de  vos  mœurs,  nous  de- 
vons nous  contenter  de  gémir  sur  vous,  et 
de  ne  point  nous  en  offenser;  ce  silence, 
non  de  faiblesse,  mais  d'instruction,  que 
gardait  Jésus-Christ  devant  son  juge,  nous 
dit  qu'il  est  bien  plus  avantageux  de  souffrir 
avec  douceur  l'injure  et  la  calomnie,  que  de 
la  repousser  avec  aigreur;  que  l'injustice  est 
bien  plus  confondue  par  la  charité  que  par 
le  ressentiment,  qu'il  est  bien  plus  grand  de 
se  taire  et  de  ne  rien  répondre  à  ceux  qui 
nous  offensent  que  de  récriminer  ou  de  se 
plaindre,  et  que  l'humiliation  bien  confuse 
vaut  bien  pour  nous  la  meilleure  apologie; 
Jésus  ne  disait  mot  :  Jésus  autem  tacebat. 
{Matth.,  XXVI.) 

Venons  à  un  deuxième  tribunal  où  le 
Sauveur  paraît  devant  Pilate  :  quelque  temps 
ce  lâche  juge  balance  entre  la  mort  de  Jésus 
et  l'amitié  de  César;  l'innocence  de  Jésus- 
Christ  l'ébranlé,  mais  la  politique  le  retient  : 
il  n'ose  ni  le  condamner  parce  qu'il  le  trouve 


4077 


CAREME.  —  SERMON  XX  VIII,  DE  LA  PASSION  DE  J.-C. 


1078 


innocent,  ni  l'absoudre  parce  qu'il  craint  de 
déplaire  à  l'empereur,  et,  pour- calmer  sa 
conscience  sans  nuire  à  ses  intérêts  propres, 
il  a  recours  à  des  ménagements  trompeurs, 
à  de  lâches  détours  qui ,  après  tout,  ne  ser- 
virent qu'à  humilier  davantage  Jésus-Christ, 
et  à  lui  devenir  une  source  de  honte. 

Vous  voilà  tout  entiers,  mes  frères  ;  ce  pé- 
ché de  Pilate  est  venu  jusqu'à  notre  siècle; 
voilà  dans  tout  leur  naturel  ces  âmes  lâches 
et  flottantes  qui  veulent  tout  ménager,  tout 
accorder,  qui  ont  deux  maîtres  à  servir,  qui 
voudraient  concilier  ensemble  Dieu  et  le 
monde,  les  intérêts  du  siècle  avec  ceux  du 
salut  ;  qui,  mettant  en  comparaison  le  créateur 
avec  la  créature,  Jésus-Christ  avec  César,  se 
font  à  eux-mêmes  cette  question  odieuse 
que  faisait  Pilate  au  peuple  juif:  Lequel  pré- 
fererai-je  des  deux  :  Quem  vultis  vobis  de 
duobus  dimitti  (Matth.  XXVII)?  qui  par  un 
doute  de  religion  se  demandent  :  Pour  qui 
semi-je  de  Barabbas  ou  de  Jésus,  de  l'inno- 
cence ou  de  la  corruption  ?  attentat  bien 
oulrageant  pour  un  Dieu  1  Mais  hélas  1  vous 
ne  le  dites  pas  longtemps,  âmes  doubles; 
bientôt  vous  préférerez  Barabbas  à  Jésus- 
Christ  ,  et  quand  même  vous  ne  vous  décla- 
reriez pas  sur-le-champ  pour  le  premier,  ne 
devriez-vous  pas  comprendre  que  balancer 
un  seul  moment  sur  les  intérêts  de  votre 
Dieu,  c'e^t  l'abandonner,  c'est  le  juger,  et 

3ue  le  comparer,  c'est  le  perdre?  Et  illi 
ixerunt  : Barabbam  (Ibid.) 
Mon  Dieu!  serais-je  cette  âme  infortunée 
qu'une  lâche  politique  ferait  agir  si  cruelle- 
ment à  votre  égard  ?  Ah  1  que  dès  ce  moment 
Barabbas  meure,  que  le  péché  sorte  de  mon 
cœur,  que  le  monde  y  périsse ,  que  toutes 
ses  pernicieuses  maximes  y  soient  crucifiées  ; 
vous,  ô  mon  Sauveur  aimable,  régnez-y,  et 
que  tout  en  moi  vous  y  adore,  vous  y  aime, 
vous  y  obéisse,  vous  y  serve,  que  rien  au 
mondé  ne  vous  y  soit  préféré. 

Mais  pendant^que  je  marche,  je  vois  Jésus 
qui  avance  dans  ses  humiliations;  il  passe 
pour  un  insensé  dans  la  cour  d'Hérode  :  là, 
cette  sagesse  incarnée  devient,  un  spectacle 
de  dérision  et  un  objet  de  folie,  sans  doute 
pour  accomplir  la  vérité  de  cet  oracle  :  On 
traitera  d'insensé  le  juste.  Ah  !  que  cette  hu- 
miliation est  indigne  de  sa  grandeur,  mais 
qu'elle  est  bien  digne  de  devenir  le  châti- 
ment de  notre  orgueil,  et  qu'il  faut  que  la 
plaie  de  notre  raison  soit  bien  profonde, 
pu  squ'ellé  n'a  pu  être  guérie  que  par  la 
folie  apparente  d'un  Dieu!  Hélas  1  a-t-elle  un 
autre  sort  chez  les  grands  du  monde?  Là, 
Jésus-Christ,  avec  ses  mystères,  sa  grâce, 
sa  croix,  son  évangile,  ses  sacrements,  avec 
toute  sa  religion,  n'est-il  pas  regardé  comme 
une  folie,  et  cette  sagesse  si  adorable,  si 
respectée  des  anges  mêmes,  n'est-elle  pas 
méconnue  et  rejetée  de  presque  tous  les 
grands  delà  terre?  Quam  neino  principum 
hujus sœculicofjnovit.  (1  Cor.,  IL)  Faut-il  s'en 
étonner?  Toujours  agités  des  plus  grandes 
passions,  quel  intérêt  pourraient  avoir  les 
grands  de  reconnaître  et  de  suivre  une  doc- 
trine qui  les  condamne  et  qui  leur  est  par- 


tout si  opposée:  qui  leur  apprend  que  leur 
mollesse  est  incompatible  avec  ses  souf- 
frances, qui  leur  inspire  le  mépris  des  ri- 
chesses dont  ils  sont  si  avides,  qui  s'explique 
si  clairement  sur  le'néant  de  la  gloire  mon- 
daine qui  est  leur  centre,  sur  l'illusion 
des  plaisirs  dont  ils  font  toute  leur  félicité, 
sur  l'obligation  de  porter  sa  croix  qui  est 
pour  eux  un  scandale?  On  ne  doit  pas  être 
surpris  que  toute  sa  doctrine  le  fasse  passer 
dans  leur  esprit  pour  un  insensé  ,  que  toutes 
ses  maximes  y  soient  regardées  comme  des 
illusions  et  des  erreurs;  que  cette  sagesse 
suprême  qui  contredit  des  penchants  que 
l'on  veut  suivre,  qui  étouffe  des  désirs  qui 
flattent,  qui  dissipe  des  douces  ténèbres  que 
l'on  aime,  qui  combat  des  passions  favorites, 
qui  réprouve  des  attachements  agréables; 
non,  mes  frères,  eu  égard  au  dérèglement 
de  leur  cœur,  à  l'aveuglement  de  leur  esprit, 
au  désordre  de  leur  vie,  il  n'est  pas  surpre- 
nant qu'une  religion  toute  de  sainteté ,  toute 
de  pénitence,  toute  de  recueillement,  leur 
paraisse  une  folie;  que  comme  Hérode  ils 
raillent  et  méprisent  celui  qui  en  est  l'au- 
teur :  Sprevit  illum  Ilerodes  (Luc,  XXIII); 
que  pour  le  tourner  en  ridicule  on  lui  mette 
en  main  unroseauaulieude  sceptre,  qu'on  le 
livre  impitoyablement  aux  insultes  d'une  po- 
pulace mutine  qui  veut  le  crucifier  :  Crucifiga- 
tur(Math.X.'Wll);  touteelan'arien  qui  nous 
étonne.  Mais  dites-moi,  je  vous  prie,  qui  est  ici 
le  plus  terrible  ou  des  grands,  des  riches  du 
inonde  qui  se  moquent  de  Jésus-Christ,  ou 
de  Jésus-Christ,  qui' se  joue  lui-même  de  ces 
aveugles  mondains  :  il  se  tait  et  ne  répond 
rien  à  tous  les  outrages  qn'on  lui  fait,  à  toutes 
les  fausses  accusations  qu'on  avance  contre 
lui.  Nihil  respondit  (Ibid.);  c'est  ainsi  que 
le  pauvre  se  tait  quand  le  riche  l'offense  ;  le 
Sauveur  ne  répond  rien  à  ses  juges  iniques, 
il  ne  leur  parle  ni  par  le  secret  de  ses  inspi- 
rations ,  ni  par  la  voix  de  ses  prophètes,  ni 
par  les  remords  de  leur  conscience  ;  tous  les 
oracles  sont  muets  pour  lui,  rien  ne  parle  en 
lui,  ni  sa  miséricorde,  ni  sa  justice.  Ah! 
qu'un  jour  il  leur  parlera  d'une  manière 
terrible,  et  que  ce  silence  prononcera  des 
arrêts  formidables  contre  tant  d'injustices  I 
Nihil  respondit. 

3°  Ce  .n'est  pas  tout  :  comme  le  Sau- 
veur était  tout  amour,  il  fallait  que  toute 
sa  personne  ensemble  fût  abandonnée  à 
l'humiliation.  Ici,  mes  frères,  je  crois 
faire  outrage  à  votre  piété,  la  chose  parle 
d'elle-même,  et  pour  vous  attendrir  sur 
cet  endroit  de  la  passion  de  mon  Sau- 
veur, il  n'a  besoin  que  de  vous  être  exposé 
dans  toute  sa  simplicité.  Faut-il  de  l'art  pour 
exciter  la  douleur  d'un  fils  au  supplice  de 
son  père?  Déjà  je  vois  ces  mains  toutes-puis- 
santes qui  soutiennent  les  colonnes  du  fir 
marnent,  et  qui  d'un  peu  de  boue  ont  forint 
l'univers,  liées,  garottées  ,  et  chargées  do 
chaînes,  sans  cloute  pour  expier  tant  de  cri- 
minelles libertés,  tant  de  rapines  et  de  vols 
dont  chaque  jour  nous  nous  rendons  cou- 
pables ;  déjà ,  sans  permettre  aux  anges 
de  venger  un  si  noir  attentat,  le  Sauveur  a 


1073 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SERiAN. 


1030 


permis  que  celte  face  devant  qui  marchent  la 
vie  et  la  mort  ait  été  llétrie  d'un  soufflet , 
non-seulement  pour  payer  la  peine  des  soins 
criminels  que  vous  prenez  à  tlatter  la  vôtre 
et  à  entretenir  une  vaine  beauté  que  vous 
idolâtrez,  mais  pour  nous  inspirer  cette  pa- 
t'enee  et  cette  fermeté  dans  une  occasion  à 
laquelle  les  plus  grands  cœurs  succombent  ; 
Jésus-Christ  permet  qu'on  le  livre  à  une  hon- 
teuse flagellation,  et  voici  peut-être  de  tous 
les  traits  celui  qui  le  pénètre  davantage. 
Hélas  1  si  votre  cœur  peut  soutenir  ce  spec- 
tacle, suivez-le  jusqu'au  prétoire,  et  là  vous 
verrez  qu'on  le  dépouille,  mais  je  parle  à 
des  âmes  pures  qui  sont  effrayées  de  cette 
barbarie  ;  et  après  l'avoir  attaché  à  un  poteau, 
une  troupe  de  soldats  déchargent  sur  son 
corps  adorable  tout  l'effort  de  leur  inhuma- 
nité; mille  coups  redoublés  font  voler  sa 
chair  par  lambeaux  ,  lui  seul  se  livre  sans 
résistance  au  bras  qui  voudra  le  frapper, 
loin  de  se  plaindre  de  leur  rage  il  se  prèle 
à  leur  impatience,  et  s'il  jette  quelques  re- 
gards sur  ses  bourreaux,  c'est  moins  pour 
amollir  leur  dureté  que  pour  exercer  sa 
miséricorde  :  sans  doute  pour  apprendre  à 
respecter  les  ordres  et  les  dess'eins  de  la 
divine  Providence  jusque  dans  l'injustice, 
et  à  ne  jamais  songer  à  nous  venger  des 
outrages  que  nous  font  les  méchants;  déjà 
ce  n'est  plus  tout  autour  de  lui  qu'.un  amas 
confus  de  chair  et  de  sang,  et  on  voit  tous 
ses  os  si  découverts,  qu'on  les  compte,  et 
en  lui  s'accomplit,  à  la  lettre,  cet  oracle 
d'Isaïe  :  depuis  les  pieds  jusqu'à  la  têtej, 
son  corps  n'est  qu'une  plaie  et  une  meur- 
trissure. 

Je  ne  suis  que  cendre,  ô  mon  Dieul  mais, 
si  j'osais,  je  vous  demanderais  pourquoi  vous 
épargnez  plutôt  ces  barbares  qui  osent  trai- 
ter si  ignominieusement  votre  corps  adora- 
ble, que  vous  ne  fîtes  ce  téméraire  qui  fut 
frappé  de  mort  pour  avoir  osé  seulement 
toucher  l'arche  sainte.  N'y  a-t-il  donc  plus  de 
foudres  dans  le  ciel,  et  le  tonnerre  ne  peut- 
il  rien  entre  vos  mains?  Mais  hélas!  je  suis 
aveugle  ;  je  ne  songe  pas  que  demander  à 
Jésus-Christ  la  perte  de  ceux  qui  le  flagel- 
lent, c'est  demander  notre  commune  perdi- 
tion ;  mais  on  ne  le  défigure  de  Ja  sorte  que 
pour  mieux  insulter  à  cette  royauté  du  Sau- 
veur; il  dit  lui-même  n'être  point  de  ce 
monde.  Les  soldats  lui  enfoncent  dans  la 
tête  une  couronne  d'épines,  le  revêtent  par 
dérision  d'une  robe  blanche,  lui  mettent  à 
la  main  un  roseau  pour  sceptre,  et,  fléchis- 
sant un  genou  en  terre  par  raillerie,  l'ap- 
pellent le  roi  des  Juifs  :  Ave,  rex  Judœorum. 
(Joan.,  XIX.) 

Allez  donc  après  cela,  cœurs  fiers,  orgueil- 
leux ;  plaignez-vous  encore  par  un  tel  exem- 
ple qu'on  ne  vous  rend  pas  les  honneurs  et  la 
déférence  qu'on  doit  à  votre  rang,  à  votre 
naissance,  à  vos  dignités.  Vers  de  terre,  quoi  1 
un  Dieu  souffre  sans  murmurer,  avec  pa- 
tience, la  plus  honteuse  dégradation,  le  trai- 
tement le  plus  cruel,  le  plus  odieux,  et  vous 
pèserez  à  la  rigueur  les  injures,  vous  en 
demanderez  raison  et  tirerez  de  la  moindre 


offense,  de  l'insulte  la  plus  légère,  la  ven- 
geance la  plus  rigoureuse  et  la  [dus  criante  ! 
Y  pensez-vous ,  aveugles  que  vous  êtes? 
songez-vous  que  vous  étiez  ses  bourreaux 
par  vos  crimes,  que  vous  le  couronniez  vous- 
mêmes  d'épines,  que  vous  composiez  cette 
troupe  séditieuse  qui  l'accablait  de  coups, 
que  vous  le  frappez  encore  tous  les  jours 
par  vos  péchés,  et  que,  lorsqu'il  viendra 
juger  l'univers,  au  lieu  de  cet  appareil 
ironique  de  roi,  il  aura  pour  vêtement  la 
foudre,  et  pour  sceptre  une  épée  flamboyante? 
Vous  sentirez  si  son  empire  est  un  jeu,  et  sa 
royauté  une  fable.  Encore  une  fois  y  pensez- 
vous?  Tant  d'humiliations  suffisaient  pour 
notre  salut;  mais  ce  n'était  pas  assez  pour 
sa  tendresse  :  par  un  dernier  effort  de  cruauté, 
ses  juges  inventent  un  dernier  genre  d'op- 
probres, qui  est  de  les  réunir  tous  à  la  fois, 
pour  lui  en  faire  aux  yeux  de  ses  ennemis 
un  nouveau  sujet  de  confusion.  Ainsi  fla- 
gellé, meurtri,  couronné  d'épines,  tout  en- 
sanglanté, tout  tremblant,  tout  défiguré,  pa- 
raissant même  à  Pilate  un  objet  de  pitié; 
croyant  qu'ils  ne  pourraient  le  voir  sans  en 
être  attendris  et  touchés,  il  le  leur  présente 
en  disant  :  Regardez,  voilà  l'homme  :  Ecce 
homo(Joan.,  XIX.);  puisque  mes  raisons  sur 
son  innocence  n'ont  pu  vous  engager  à  l'ab- 
soudre et  à  le  renvoyer,  voyez  du  moins  à 
quel  état  il  est  réduit;  le  reconnaissez--. ous? 
voilà  l'homme:  Ecce  homo.  Ces  paroles  lui 
furent  suggérées  d'en  haut,  et  c'est  moins 
Pilate  que  le  Père  éternel  qui,  nous  donnant 
son  fils  en  spectacle,  nous  dit  à  tous  :  Voilà 
l'homme  qui  depuis  la  création  du  monde  a 
été  attendu  dans  les  patriarches,  prédit  dans 
les  prophètes,  figuré  et  sacrifié  dans  les  vœux 
et  dans  les  soupirs  des  justes  :  Ecce  homo  ; 
égal  h  moi  en  toutes  choses,  il  pouvait  jouir 
dans  le  ciel  d'une  glo;re  immortelle  et  ré- 
gner à  jamais  sur  le  trône  de  ma  splendeur 
et  de  ma  divinité  ;  c'est  pour  vos  péchés  qu'il 
en  est  descendu,  qu'il  s'est'anéanti  ;  voyez 
son  triste  sort  et  où  votre  orgueil  l'a  réduit  : 
voilà  l'homme  :  Ecce  homo.  Quand  je  vous  le 
représenterai  dans  ma  colère,  quelle  excuse 
aurez-vous  à  me  donner?  Direz-vous  que 
vous  n'aviez  point  d'homme  qui  pût  vous 
servir  de  chef  et  de  modèle  ?  le  voilà  :  Ecce 
homo. 

Ah  !  regardez  ce  Dieu  si  défiguré  et  si  pa- 
tient; lui  seul  répond  à  toutes  les  plaintes 
que  vous  pourriez  faire,  à  toutes  les  vaines 
excuses  que  vous  pourriez  apporter  :  Ecce 
homo.  Tous  vos  cœurs  sont  émus,  et  vous 
dites:  La  calomnie  me  déchire,  la  médisance 
me  noircit;  la  persécution  me  presse,  l'im- 
posture me  décrie.  Ah  !  dans  cette  triste  si  - 
tuation  cherchez-vous  de  la  patience,  de  la 
force  et  de  la  consolation?  Jetez  les  yeux 
sur  l'état  déplorable  où  est  réduit  votre 
Sauveur:  Ecce  homo.  Voilà  l'homme  univer- 
sel, dans  qui  sont  renfermés  tous  les  autres  : 
leur  rachat,  leur  grâce,  leur  salut,  leur 
gloire,  tous  les  chrétiens,  tous  les  pécheurs, 
tous  les  pénitents,  tous  les  prédestinés,  tous 
les  justes,  tous  les  hommes  :  le  voilà,  regar- 
dez-le :  Ecce  homo. 


iOSl 


CAREME.  —  SERMON  XXVIII,  DE  LA  PASSION  DE  J.-C. 


1082 


O  pécheur^  !  on  vous  a  parlé  si  souvent  «Je 
ce  père  tén.lre  qui  reçut  avec  joie  ce  fils 
perfide  et  dénaturé,  lorsqu'il  revint  de  son 
égarement  se  jeter  entre  ses  bras  ;  de  ce 
pasteur  charitable  qui  court  après  la  brebis 
égarée,  qu'il  aime,  qu'il  charge  sur  ses 
épaules  pour  la  ramener  au  bercail,  et  qui 
est  tout  prêt  de  donner  sa  vie  pour  elle;  de 
cet  ami  fidèle  qui  compatit  aux  maux  de  son 
ami  et  veut  tout  sacrifier  pour  l'amour  de 
lui  ;  que  sais-je?  Peut-être  en  ce  moment  vous 
sentez-vous  au  fond  du  cœur  frappés  d'un 
attrait  qui  vous  appelle,  qui  vous  touche, 
qui  vous  fait. faire  de  salutaires  réflexions, 
qui  peut-être  vousattendritsur  vous-mêmes? 
Vous  vous  trouvez  émus  ;  vous  ne  savez  d'où 
peuvent  venir  ces  mouvements  favorables 
de  miséricorde  et  de  salut.  Ah!  voulez -vous 
l'apprendre?  En  voilà  la  source  et  le  prin- 
cipe :  Ecce  homo.  Regardez  Jésus,  contem- 
plez-le,  adorez-le;  que  de  choses  tendres 
vous  diront  ses  regards  :  Ecce  homo. 

Mais  quelle  est  donc  la  cause  pour  laquelle 
on  vous  a  mis  en  ce  triste  état,  divin  Jésus  ? 
La  voici.  On  a  pris  l'innocent  pour  le  cou- 
pable; c'est  moi  qui  suis  le  criminel  :  Ecce 
homo;  venez  donc  sur  moi,  confusion  sainte: 
juges  iniques,  condamnez-moi  :  soldats  bar- 
bares, déchargez  sur  moi  cette  rage  et  vos 
coups  :  Ecce  homo;  voilà  mes  mains,  enchaî- 
nez-les  ;  voilà  mes  joues,  frappez-les  ;  voilà 
mon  visage,  couvrez-le  de  plaies  et  de  cra- 
chats ;  voilà  ma  chair,  déchirez-la  ;  voilà  mon 
sang,  versez-le  :  Ecce  homo;  mais  épargnez 
Je  Sauveur  Jésus.  Je  suis  ici  tout  ce  qu'on 
l'accuse  d'être;  il  subit  la  peine  des  séduc- 
teurs :  eh  !  combien  ai-je  séduit  d'âmes  inno- 
centes contre  lui  !  Il  souffre  le  tourment  des 
homicides  :  hélas  !  combien  de  fois  ai-je  fat 
mourir  mon  Dieu  par  mes  crimes  1  II  endure 
le  châtiment  des  blasphémateurs  :  quo  d'im- 
précations et  de  blasphèmes  n'ai-je  pas  com- 
mis ou  fait  commettre  contre  son  nom  !  Ah  ! 
bourreaux  impitoyables  et  cruels,  transpor- 
tez sur  moi  l'excès  des  maux  qui  accablent 
mon  divin  Maître;  vous  trouverez  toujours 
sur  moi  à  exécuter  avec  justice  ce  que  vous 
exécutez  sur  lui  si  injustement;  mais,  outre 
la  honte  dont  il  est  couvert,  il  souffre  encore 
la  croix  :  Sustinuit  crucem;  c'est  le  dernier 
point  de  ce  discours  ,  pour  lequel  j'ai  besoin 
d'un  moment  de  repos. 

TROISIÈME    POINT. 

Ici,  chrétiens,  c'est  un  avantage  pour  moi 
de  m'être  trop  étendu  sur  les  autres  cir- 
constances de  la  passion  de  mon  Sauveur, 
qui  ont  emporté  la  meilleure  partie  de  mon 
temps,  et  d'être  obligé  de  passer  plus  légè- 
rement sur  des  endroits  que  je  n'aurais  pas 
la  force  de  vous  exposer,  ni  vous  peut-être 
celle  de  les  entendre.  Ce  qui  me  reste  de  la 
Passion  me  paraît  un  profond  abîme  dont  le 
seul  aspect  m'interdit,  où  l'on  ne  peut  entrer 
sans  se  perdre  dans  ses  idées,  et  inutilement 
voudrions- nous  l'approfondir!  Parlons-en 
donc  simplement  comme  les  évangélistes  en 
ont  parlé,  et  c'en  est  assez  pour  nous  faire 
fondre  en  larmes. 


Déjà  Pilate  prononce  l'an  êl  de  mort  contre 
Jésus  et  le  livre  entre  les  mains  barbares 
toutes  prêtes  pour  le  supplice  :  c'est  moins  ce 
juge  inique,  pat  Jâcheté,  que  Jésus-Christ, 
par  un  excès  d'amour,  qui  prononce  sa  sen- 
tence; et  ce  qui  n'est  dans  Pilate  qu'un  hor- 
rible attentat,  n'est  en  Jésus  qu'une  charité 
consommée.  Ali  !  pour  vous  suivre,  ô  mon 
Dieu  !  donnez-moi  donc  un  cœur  sensi- 
ble. 

On  épargne  d'ordinaire  aux  criminels  la 
vue  du  supplice  fatal  qui  doit  les  faire  mou- 
rir; mais  à  l'égard  de  Jésus-Christ  on  com- 
mence par  lui  en  faire  porter  le  honteux 
instrument;  voyez-le  comme  s'il  le  recevait 
de  la  main  même  de  Dieu  :  il  prend  sa  croix 
et  avec  elle  tous  vos  péchés,  tous  les  miens, 
tous  les  crimes  ensemble; faut-il  être  surpris 
qu'il  succombe  ?  Ah  1  que  ce  double  fardeau 
était  accaolant  :  après  une  marche  longue  et 
pénible,  épuisé  de  sang  et  de  secours,  enfin 
Jésus  arrive  entre  deux  voleurs  à  ce  Cal- 
vaire si  précieux,  tant  désiré,  dont  il  avait 
si  souvent  parié  aux  hommes  ,  dont  plus 
souvent  encore  il  parlait  à  Dieu,  et  qui  fut 
l'unique  objet  de  ses  pensées  et  de  ses  dé- 
sirs; à  peine  y  est-il  arrivé  qu'on  le  dé- 
pouille, et,  en  arrachant  rudement  sa  robe 
ensanglantée  de  dessus  sa  chair  toute  dé- 
chirée, ou  lui  enlève  de  reste  de  la  peau,  et 
on  ne  fait  qu'une  plaie  de  toutes  ses  plaies 
ensemble:  lui-même  s'étend  sur  la  croix 
comme  une  victime  :  on  l'y  attache.  Hélas! 
il  n'était  pas  nécessaire  :  son  amour  l'y  atta- 
chait assez;  et  lorsqu'on  a  vu  ce  prodige  si 
haut,  si  profond,  si  au-dessus  de  toute  idée, 
de  toute  imagination,  de  tout  sentiment,  de 
tout  prodige,  on  élève  la  croix  avec  un  Dieu 
mourant!  quelle  perte! 

Ah!  jouissez  donc  de  votre  triomphe, 
malheureux  pécheurs  ;  reconnaissez-vous  là 
votre  ouvrage?  Jésus -Christ  soufl're-t-il 
assez?  son  sang  coule-t-il  au  gré  de  vos  dé- 
sirs? sa  mort  est-elle  certaine?  Venez  l'as- 
surer mieux  :  cherchez  des  plaies  nouvelles 
pour  le  faire  souffrir  davantage,  et  achevant 
l'attentat  monstrueux  de  ses  bourreaux , 
consommez  aussi  votre  perte. 

Non,  venez  tous,  justes,  pénitents,  pé- 
cheurs :  Venue,  adoremus  [Psal.  XC1V);  re- 
connaissons sur  la  croix  notre  créateur,  notre 
juge,  notre  père,  notre  sauveur,  notre  Dieu; 
adorons-le  avec  amour;  prosternons-nous  à 
ses  pieds  avec  humilité  et  avec  confiance;  et 
pouvait-il  se  mettre  dans  un  état  plus  digne 
de  nos  hommages?  £7  p'rocidamusanle  Demn. 
(Ibid.)  Accablés  du  poids  de  nos  péchés  et  de 
la  douleur  amère  de  voir  mourir  noire  Dieu, 
humilions-nous'et  nous  anéantissons  en  sa 
présence  :  Plorcmus  (Ibid.)  A  la  vue  de  Jésus 
en  croix  fondons  en  larmes  ;  excitons-nous 
à  pleurer  amèrement;  reprochons-nous  nos 
infidélités  passées,  et  puisque  nos  misères  sont 
communes,  que  nos  larmes  le  soient  aussi: 
Ante  Dominum  (Ibid.);  nous  avons  si  souvent 
pleuré  devant  les  hommes  sur  des  objets  qui 
eu  valaient  si  peu  la  peine:  ah  t  pleurons 
devant  le  Seigneur  !  Y  eut-il  jamais  rien  de 
plus  grande  conséquence  pour  nous?  Q-i 


3085 


ORATLIRS  SACRES.  LE  P.  SURIAN. 


1084 


fccitnos.  [Psaî.  XCIV.)  Ah  1  que  les  pleursqui 
naîtront  de  ce  tendre  objet  couleront  d'une 
source  pure  !  c'est  pour  celui  qui  nousafaits 
ce  que  nous  sommes,  sans  qui  nous  serions 
en.;ore  dans  l'horreur  du  néant  :  Quia  ipse 
Dominas  Deus  nos  ter .  (Ibid.)  Celui  qui  nous 
demande  cette  tristesse  et  ces  pleurs,  c'e:  t 
notre  Seigneur  tout-puissant,  tout  libéral, 
tout  magnifique,  c'est  notre  Dieu,  et  c'est  là 
surtout  où  il  est  un  Dieu  d'amour,  d-e  salut, 
de  miséricorde,  de  consolation  :  Ipse  est  Do- 
minus Deus  noster.  Dans  tout  le  reste  de  sa 
vie,  il  nous  avait  paru  un  Dieu,  étranger  : 
le  Dieu  du  ciel  qu'il  a  créé,  le  Dieu  de  la 
terre  qu'il  éclaire,  le  Dieu  des  autres  hom- 
mes qu'il  anime  ;  mais  ici  sur  cette  croix  il 
paraît  être  notre  Dieu  :  Deus  noster.  Oui, 
votre  Dieu,  âmes  pénitentes,  âmes  iustes  et 
convertis  ;  c'est  aussi  le  nôtre,  pé.  heurs,  et 
tous  ensemble  nous  recueillons  ici  sa  ten- 
dresse, nous  recevons  ses  grâces,  nous  nous 
appliquons  ses  mérites;  ici  il  est  tout  notre 
Dieu  :  Deus  noster.  Ah!  si  du  haut  de  cette 
croix  ce  père  tendre  nous  parle  et  nous  fait 
encore  aujourd'hui  entendre  la  voix  le  son 
amour  et  de  sa  miséricorde,  ne  lui  fermons 
pas  l'oraille  de  nos  cœurs;  laissons-nous-y 
toucher  et  ne  demeurons  pas  endurcis  :  I/o- 
die  si  vocem  ejus  audieritis,  nolite  obdurare 
corda  vestra  (loid.)  ;  mais  que  nous  dit-il,  ce 
père  de  miséricorde?  demande  saint  Augus- 
tin :  Pœnitentiam  clamât  ;  ce  qu'il  nous  en- 
seigne dans  cette  chaire,  ce  qu'il  nous  or- 
donne dans  ce  tribunal,  c'est  la  pénitence 
toute  soûle  ;  il  n'est  là  que  pour  nous  l'inspi- 
rer, que  pour  nous  la  faire  pratiquer.  Devenu 
sur  la  croix  le  martyr  public,  et  Jésus-ChrL-t 
grand  pénitent  de  l'Eglise,  il  a  voulu  nous 
donner  l'exemple,  afin  que  nous  le  suivions  : 
Ad  dandam  pœnitentiam.  (Act.  V.)  Au  jardin 
des  Oliviers,  il  avait  opposé  la  tristesse  à  nos 
folles  joies;  à  Jérusalem,  il  avait  opposé  la 
honte  et  la  confusion  aux  vanités  et  à  l'or- 
gueil :  et  sur  le  Calvaire  il  oppose  à  la  mol- 
lesse et  à  la  sensualité  de  la  chair  les  austé- 
rités et  les  mortifications  d'une  pénitence 
aussi  extrême  qu'elle  est  universelle;  car 
voilà  les  deux  grands  caractères  que  le  Sau- 
ve, ir  souTrant  et  expirant  veut  inspirer  aux 
hommes. 

1°  Une  pénitence  extrême.  Faut-il,  Mes- 
sieurs, pour  rendre  une  douleur  excessive, 
vous  montrer  une  fureur  extrême?  Jetez  les 
yeux  sur  les  barbares  qui  crucifient  Jésus  ; 
quelles  mains  plus  cruelles  et  plus  impi- 
toyables que  celles  de  ces  bourreaux?  Fut- 
il  un  supplice  plus  inouï  et  plus  extraordi- 
naire ?  En  est-il  un  plus  affreux  cl  plus  nou- 
veau que  celui  de  la  croix  où  expire  Jésus- 
Christ?  N'est-il  pas  le  composé  de  tons  les 
autres  tourments  ensemble?  Faut-il  une  cx- 
tivme  patien  e  dans  celui  qui  souffre  ?  Quelle 
complaisan  e  plus  tendre  que  celle  du  Sau- 
veur pour  ses  ennemis  et  ses  juges;  quelle 
douceur  plus  propre  a  faire  voir  et  à  faire 
sentir  aux  pécheurs  Tes  consolations  de  la 
pénitence?  Demande-t-on  une  âme  libre, 
appliquée',  qui  puisse  se  livrer  sans  partage, 
sans  réserve,  sans  délai  à  l'affliction  cl  à  la 


peine?  Telle  est  celle  ae  Jésus-Christ,  qui, 
pouvant  souffrir  autant  qu'il  lui  plaît,  souffre 
cependant  sans  mesure.  Ah  !  peut-on  ne  pas 
dire  excessive  une  douleur  pareille?  Fut-il 
jamais  peine  si  étendue?  Quoi!  un  Dieu  s'a- 
bîme dans  les  souffrances,  et  vous  ne  vou- 
driez pas  faire  sur  votre  chair  la  moindre 
impression  de  pénitence?  Eh!  que  fait  donc 
encore  en  vous  cette  fausse  délicatesse? Est- 
ce  là  vous  rendre  conformes  au  divin  origi- 
nal qui  vous  est  proposé  sur  la  montagne  ? 
Inspicc  et  fac  secunaum  exempta*  qued  in 
monte monstratum  est.  (Exod.,  XXV.JQu'ont 
de  commun  ces  ménagements  lâches  que 
vous  affectez  dans  la  pénitence  avec  ces 
douleurs  aiguës  où  se  livre  avec  joie  votre 
Dieu?  Sensuels  comme  vous  êtes,  de  quel 
front  osez-vous  vous  présenter  avec  tant  de 
mollesse  devant  ce  Jésus  mourant  dont  vous 
vous  dites  membres  et  disciples?  Quand 
tantôt  vous  viendrez  l'adorer,  aurez-vous  la 
force  d'en  approcher?  Vos  genoux  tremblants 
pourront-ils  vous  conduire  jusqu'à  ses  pieds 
ensanglantés,  et  ne  rougirez-vous  point  do 
voir  imprimée  votre  bouche  sur  la  sienne, 
vos  yeux  sur  les  siens,  votre  cœur  sur  son 
cœur?  Quelle  monstrueuse  alliance!  quelle 
énorme  contradiction  est-ce  là  ! 

2'  Pénitence  universelle  en  Jésus-Christ 
sur  la  croix;  car  que  n'y  immole-t-il  jas? 
En  lui  tout  se  change  en  victime;  autre  mar- 
tyre, autre  secret  ue  son  amour.  Là,  pour 
expier  la  licence  de  nos  regards,  ses  yeux 
fondent  en  larmes  et  se  ferment  de  douleur; 
là,  pour  faire  oublier  à  Dieu  les  attraits 
coupables  que  nous  donnons  aux  discours 
licencieux,  ses  oreilles  sont  blessées  des 
outrages  injurieux,  des  blasphèmes  horri- 
bles de  ses  bourreaux  impies,  de  cette  in- 
solente populace;  là,  pour  expier  tant  d'ac- 
tions indécentes,  tant  de  rapines  et  d'injus- 
tices, ses  ma;ns  sont,  percées  impitoyable- 
ment et  attachées  avec  violence;  là,v  pour 
réparer  tant  de  démarches  seandaleusec , 
tant  d'abus  criminels,  ses  pieds,  peut-être 
échappés  à  la  flagellation,  retrouvent  encoie 
leur  part  au  supplice;  là,  pour  expier  la  dé- 
licatesse de  notre  goût,  le  raffinement  de 
notre  sensualité,  sa  bouche  est  abreuvée  de 
fiel  et  de  vinaigre  ;  là,  pour  expier  les  mé- 
nagements que  nous  apportons  à  une  char, 
les  soins  profanes  que  nous  prenons  de  no- 
tre corps,  tout  son  corps  ne  se  soutient  plus 
que  par  les  clous,  et  souffre  par  cette  sus- 
pension (ruelle  un  déboitement  de  tous  ses 
os,  qui  le  disloque  et  qui  lui  cause  une 
douleur  universelle  ;  là  enfin,  le  Sauveur  est 
un  composé  de  toutes  les  peines  et  les  dou- 
leurs ensemble  :  Vir  dolorum.([sa.,  LUI.) 

Lorsque  aujourd'hui ,  dans  cet  adorable 
chef,  chaque  membre  y  trouve  son  supplice 
et  sa  peine,  n'y  aurait-il  que  vous,  mon 
frère,  qui  n'y  prendriez  point  de  part?Est-ce 
donc  qu'il  n'est  pas  votre  chef  et  que  vous 
n'êtes  pas  ses  membres? Par  tant  de  douleurs 
souffertes,  un  Dieu  n'aurait-il  pu  faire  en 
vous  que  des  voluptueux  et  des  sensuels? 
Mais,  tandis  que  je  déplore  voire  mollesse, 
votre  Sauveur  est  sur  le  point  d'expirer;  la 


I0G5 


CAREME.  —  SERMON  XXV 


pâleur  déjà  sur  son  visage ,  il  élève  sa  tête 
mourante  pour  rendre  grâce  à  son  Père  et, 
a,;rès  avoir  considéré  toutes  choses,  il  s'é- 
crie :  Tout  est  consommé  :  Consummatum  est. 
[Joan.,  XIX.)  Dans  cette  grande  parole, qu'il  y 
a  à  adorer  etàcraindre!  Il  voulait  nous  dire 
par  là  :  Les  promesses  sont  accomplies,  les 
oracles  sont  justifiés  ;  pas  un  point  de  la  loi  qui 
ne  soit  ac.  oinpli,  consummatum  est.  Ici  com- 
mencentles  mystères  et  finissent  les  figures  ;  à 
ce  momertles  ombres  sontdissipées, Ta  vérité 
paraît;  il  ne  manque  plus  un  Sauveur  au 
inonde.  Je  n'étais,  pendant  ma  vie,  que  le 
dernier  de  tous;  mais  à  ma  mort  je  deviens 
le  premier.  Sur  ce  bois  sacré  finissent  les 
malheurs  de  la  terre:  du  côté  de  Dieu,  sa 
colère;  du  côté  des  bommes  leurs  sacrilèges. 
Tout  est  à  son  comble,  mon  amour,  mes 
travaux,  ma  mission,  ma  vie,  votre  salut  : 
consummatum  est;  et,  après  ces  grandes  pa- 
roles, il  baisse  la  tête;  ce  pasteur  charitable 
rend  l'esprit,  ce  père  tendre  pousse  le  der- 
nier soupir,  ce  divin  Jésus  expire  :  et  incli- 
nato  capite  tradidit  spiritum.  (Ibid.) 

A  ce  triste  spectacle  le  ciel  s'obscurcit,  la 
terre  tremble,  les  tombeaux  s'ouvrent,  les 
rochers  se  fendent,  le. soleil  s'éclipse,  les 
moindres  prodiges  suivent  le  plus  grand, 
qui  est  la  mort  d'un  Dieu.  Hélas  !  qu'à  la 
vue  de  ces  mystères,  de  ces  tristes  objets,- 
les  soufTrances'vinssent  à  vous  aujourd'hui, 
que  vous  voulussiez  monter  sur  ia  croix 
pour  y  mourir  avec  Jésus-Christ,  ce  serait 
un  miracle  bien  plus  grand  encore;  ne  se 
fera-t-il  jamais?  Du  haut  de  ce  supplice  ce 
Père  tendre  vous  le  demande,  et  vous  dit  du 
fond  du  cœur,  comme  autrefois  à  Moïse: 
Ascende  in montera  etmorerc  (Dent.,  XXXI"), 
Montez  comme  moi  sur  la  montagne  et  y 
mourez. 

O  pécheurs,  voyez  l'état  lamentable  où 
mon  amour  pour  vous  m'a  réduit;  mais, 
toute  triste  que  soit  ma  mort,  elle  me  sera 
chère  si  vous  voulez  mourir  avec  moi.  Eli  ! 
qui  vous  en  empoche  ?  Ascende  et  morere  in 
monte.  Quoi  1  mon  amour  m'attache  pour 
vous  à  ce  supplice,  et  le  vôtre  [:our  moi  ne 
voudra-t  m'en  détacher?  Quoi  !  vos  péchés 
m'ont  fait  monter  sur  le  Calvaire,  et  votre 
pénitence  ne  voudrait  pas  m'en  faire  des- 
cendre !  Quoi,  les  membres  se  sépareront 
impitoyablement  de  leur  chef!  Ahl  ne  me 
faites  pas  cet  outrage,  montez  avec  moi,  em- 
brassez ma  croix,  c'est  tout  ce  que  vous  <Jb- 
mande  mon  sang;  que  mon  supplice  ne  vous 
fasse  pas  d'horreur,  il  a  ses  douceurs  et  ses 
consolations,  et  bientôt  vous  comprendrez 
qu'il  vaut  mieux  mourir  avec  moi  que  de 
vivre  avec  le  monde  :  Ascende  et  morere.  Je 
le  sais,  il  y  a  des  moments  où  vous  vous 
êtes  consacrés  à  la  pénitence  dans  le  dessein 
de  vous  convertir;  mais  je  n'ignore  pas 
aussi  que  ce  n'étaient  que  de  faibles  saillies, 
que  de  vaines  résolutions,  et  que  bientôt  vos 
passions  vous  en  ont  fait  descendre  ;  montez- 
y  pour  toujours  et  vous  approchez  de  ma 
croix  pour  consommer  entre  ses  bras  votre 
conversion  et  votre  sacrifice  •.  Ascende  et  mo- 
rere. 


III,  DE  LA  PASSION  DE  J.-C.  \m 

Rendez-vous,  mon  frère,  à  des  invitations 
si  touchantes  et  si  fortes;  un  Dieu  si  misé- 
ricordieux et  si  tendre  mérite-t-il  qu'on  lui 
résiste.  Qu'attendez-vous  à  vous  convertir? 
Ah  I  le  beau  jour  pour  vous  réconcilier  avec 
lui,  où  il  réconcilie  le  monde  entier  avec 
son  Père  !  Oh  1  le  jour  favorable  pour  lui 
demander  grâce,  où  coule  de  toutes  parts 
une  source  de  miséricordes  par ses  plaies! 
Le  beau  jour  pour  obtenir  le  pardon  de  ses 
fautes,  que  celui  de  la  passion  de  mon  Sau- 
veur, où  Madeleine  verse  un  torrent  de 
larmes,  où  les  soldats  sont  convertis,  où  le 
centenier  frappe  sa  poitrine,  où  le  premier 
coupable  devient  la  première  conquête  do 
Jésus  en  croix,  et  au  nom  de  tous  les  vrais 
pénitents,  prend  possession  du  royaume  de 
Dieu  et  de  sa  grande  miséricorde  1 

Mes  chers  frères,  ce  fond  de  grâce  et  de 
tendresse  n'est  point  encore  épuisé  en  Jésus- 
Christ  ;  ce  qu'il  fit  alors  en  faveur  de  ces 
fameux  coupables,  il  peut  encore  le  faire  en 
votre  faveur.  Avec  ses  yeux  éteints,  ce  visage 
pâle,  ce  corps  sanglant ,  il  peut  encore  triom- 
pher de  la  dureté  de  vos  cœurs;  ahl  il 
triomphe  du  mien.  Sauveur  aimable,  Dieu 
de  miséricorde,  recevez  une  âme  infidèle  qui 
revient  à  vous  dans  toute  la  componction  de 
son  cœur;  depuis  longtemps  j'ai  hésité,  j'ai 
balancé  sur  ma  conversion  ,  et  le  monde 
l'emportait  sur  mes  trop  faibles  projets; 
mais  aujourd'hui  je  cède  enfin  à  tant  d'a- 
mour; non,  je  ne  puis  soutenir  le  poids 
d'une  charité  si  immense:  j'étais  si  endurci 
que  tout  le  reste,  jusqu'ici,  m'avait  parlé 
d'une  voix  trop  faible  ;  mais,  ce  que  rien 
n'a  pu  faire,  la  vue  touchante  d'un  père 
tendre,  d'un  Dieu  mort  pour  moi,  l'a  fait;  et, 
quand  du  haut  de  cette  croix,  je  vous  vois 
pencher  cette  tête  sacrée  { our  me  regarder 
et  m'attirer  à  vous,  quand  vous  ouvrez  ce 
côté  adorable  pour  me  laisser  voir  vos  sen- 
timents les  plus  tendres,  et  me  cacher  dans 
votre  sein,  quand  vous  étendez  ces  bras  pa- 
ternels pour  me  recevoir  en  grâce  et  en 
amitié,  pourrais-je  refuser  de  me  donner  à 
vous  ? 

Oui,  mon  Sauveur,  voici  la  résolution  que 
je  prends  aujourd'hui  au  pied  de  votre 
croix:  je  veux  renoncer  à  toutes  les  vaines 
joies,  à  toutes  les  pompes  et  à  tous  les 
plaisirs;  mes  larmes  et  vos  douleurs,  ma  pé- 
nitence et  votre  croix,  voilà  ce  qui  va  faire 
mon  unique  occupation  durant  le  peu  de 
jours  qui  me  restent.  C'en  est  fait,  je  choisis 
la  pénitence  pour  mon  partage  ,  j'y  veux  vi- 
vre et  mourir;  faible  comme  je  suis,  je  sens 
toute  la  violence  et  les  combats  que  ce  nou- 
veau genre  de  vie  me  livre;  je  sens  ma  chair 
qui  se  révolte  et  la  nature  qui  y  répugne; 
mais  je  ne  les  écoute  pas,  je  prends  votre 
croix,  je  l'épouse.  Eh!  que  ne  dois-je  pas 
attendre  lorsque  je  me  trouve  à  la  source  de 
vos  miséricordes! 

Apposez,  ô  mon  Dieu,  aux  protestations 
sincères  et  solennelles  que  je  fais  en  ce  jour, 
d'être  à  vous  toute  ma  vie,  le  sceau  sacré  de 
votre  grâce  ;sije  ne  regardais  que  moi-même., 
je  n'espérerais  pas  d'être  exaucé;  mais  je 


1087 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SU1UAN. 


1038 


vous  oppose  ici  k  vous-même:  Jésus  mon 
Sauveur  à  Jésus  mon  juge,  Jésus  miséricor- 
dieux à  Jésus  juste,  Jésus  crucifié  à  Jésus 
irrité,  accomplissez  en  moi  cet  oracle  sorti 
de  votre  bouche  :  Ego  si  exaltatus  fuero  a 
terra  omnia  Iraham  ad  me  ipsum  (Jaan.,  XII)  ; 
du  haut  de  votre  croix  attirez  le  ciel  pour 
l'ouvrir,  l'enfer  pour  le  fermer,  le  monde 
entier  pour  le  convertir.  Ah!  après  avoir 
attiré  les  justes,  attirez  les  pécheurs:  omnia 
traham  ad  meipsum  ;  ah  !  que  tout  vous  parle 
ici  pour  moi;  au  nom  de  ces  douleurs  si 
vives,  de  ces  soupirs  si  tendres,  de  ces  san- 
glots si  profonds,  de  ces  larmes  si  amères, 
de  ce  sang  qui,  quoique  versé  par  mes  cri- 
mes, coule  encore  pour  les  laver;  au  nom 
de  ce  cœur  si  libéral  et  si  affligé,  au  nom  de 
ces  plaies  adorables  qui  ont  un  langage  si 
touchant,  au  nom  de  cet  amour  inépuisable 
que  vous  nous  témoignez ,  rendez  ferme  et 
inébranlable  la  pénitence  que  j'embrasse  et 
la  bonne  résolution  que  je  fais  d'être  désor- 
mais a  vous  seul;  vous-même,  sur  votre 
croix,  me  l'avez  inspiré;  consommez  ici 
votre  ouvrage  jusqu'à  ce  que  ce  crucifix,  qui 
aura  fait  mes  délices  pendant  ma  vie,  puisse 
faire  ma  consolation  à  la  mort,  et  me  mettre 
en  possession  de  votre  gloire  dans  le  ciel 
pendant  toute  l'éternité.  Amen. 

SERMON   XXIX. 

DISPOSITIONS  A  LA  COMMUNION. 

L'cce  Rex  tuus  venit  libi.  (Malltt.,  XXI.) 
Voici  voire  Roi  qui  vient  à  vous. 

Que  ces  troupes  fidèles  qui  vont  à  Jéru- 
salem'pour  la  solennité  de  Pâques,  môléos 
avec  les  disciples,  fassent  aujourd'hui  à  Jé- 
sus-Christ une  réception  si  pompeuse,  je 
n'en  suis  point  surpris,  Messieurs;  rappe- 
lant dans  leur  mémoire  les  bienfaits  du  Dieu 
d'Israël,  ils  se  diraient  les  uns  aux  autres, 
en  se  le  montrant  :  C'est  donc  là  ce  Messie,  le 
désiié  des  nations,  que  tant  de  soupirs,  que 
tant  de  larmes  ont  demandé;  nous  le  voyons, 
celui  qui,  dans  le  désert,  nourrit  nos  pères 
de  la  manne,  qui  lit  sortir  de  la  roche  un 
délicieux  breuvage  pour  les  désaltérer,  qui 
les  rendit  victorieux  de  leurs  ennemis  par 
Sa  vertu  de  l'arche  sainte,  qui  vient  nous 
délivrer  de  la  loi  par  le  sacrifice  de  l'agneau  ; 
enfin  le  voilà  celui  qui  est  notre  force,  no- 
tre asile,  notre  Père,  notre  Dieu;  à  lui  seul 
salut  et  gloire  :  Hosanna  (Mo  David.  [Mat  (kl 
XXI.)  Jésus  n'entrait  pourtant  alors  que 
dans  les  mursde  leur  ville,  et  tout  leur  bon- 
heur était  de  le  voir  et  de  le  recevoir  encore 
dans  la  ressemblance  du  péché,  et  revêtu 
de  notre  misérable  nature. 

Et  vous,  Messieurs,  qui,  par  un  privilège 
inestimable,  allez  voir  et  recevoir,  non. en 
ligure,  et  dans  votre  ville,  mais  vous  incor- 
porer réellement  Jésus-Christ  devenu  la  vé- 
rité de  toutes  ses  figures,  et  rentré  dans 
tout  l'éclat  de  son  triomphe  par  son  immor- 
talité; sentez-vous  tout  votre  bonheur,  et 
vous  disposez-vous  à  recevoir  ce  Sauveur 
aimable  avec  une  préparation  qui  vous  rende 


digne  de  l'honneur  qu'il  vous  fait?  Ecce 
Rex  tuus  venit  tibi.  Ecrions-nous  donc  au- 
jourd'hui avec  l'Eglise  :  Ahl  voici  un  Dieu  qui 
vient  intérieurement  renouveler  en  nous, 
par  ses  mystères,  tout  ce  qu'il  fit  de  plus 
merveilleux  pour  les  Israélites.  Voici  cette 
manne  toute  céleste  qui  peut  nous  soutenir 
dans  toutes  les  faiblesses  de  notre  vie;  voici 
ce  breuvage  délicieux  qui  désaltère  l'âme 
juste;  voici  cette  arche  vivante  qui  ren- 
ferme le  Saint  des  saints  ;  et  ce  Dieu  des  ar- 
mées combat  pour  nous  victorieusement,  et 
triomphe  uc  tous  nos  ennemis;  voici  l'a- 
gneau sans  tache  sacrifié  pour  nous  délivrer 
du  plus  malheureux  esclavage  :  Venit  tibi , 
voici  ce  Roi  des  siècles  les  plus  magnifi- 
ques qui  vient  triompher  de  vos  cœurs,  et 
qui  vient  régner  dans  vos  âmes  :  Venit  tibi; 
le  voici  qui,  oubliant  sa  gloire,  comme  s'il 
ne  pouvait  être  heureux  sans  nous,  s'abaisse 
jusqu'à  notre  faiblesse,  et  vient  nous  nour- 
rir sur  la  terre  comme  il  nourrit  les  anges 
dans  le  ciel,  de  lui-même  :  Venit  tibi;  en- 
fin le  voici,  ce  Pasteur  charitable  qui  vient 
à  nous  plus  qu'à  tout  autre,  et  qui ,  voyant 
ses  brebis  les  plus  chères  prêtes  à  périr, 
leur  procure  les  plus  délicieux  pâturages, 
qui  sont  son  corps,  sa  cha:r  et  sa  propre  sub- 
stance :  Ecce  Rex  tuus  venit  tibi. 

Mais  cette  douce  approche  d'un  Dieu 
trouve-t-elle  en  vous  des  dispositions  qui  y 
répondent,  et  comme  les  disciples  fidèles 
qui  vont  à  Jésus-Christ  qui  vient  à  eux 
avec  tant  de  tendresse,  avez-vous  une  foi 
vive  dans  l'esprit,  une  pureté  véritable  dans 
le  cœur?  Car  voilà  les  dispositions  avec  les- 
quelles il  convient  d'approcher  de  la  sainte 
table,  et  d'y  recevoir  dignement  le  Sauveur  : 
Mente  credat,  corde  mundetar  ut  accedere 
dignus  sit. 

Or,  si  je  vous  montre  que  rien  n'est  moins 
commun,  en  approchant  de  la  sainte  table, 
que  cette  disposition  de  foi  vive  dans  l'es- 
prit, de  pureté  véritable  dans  le  cœur;  et 
qu'au  contraire  rien  de  plus  ordinaire  que 
de  porter  à  l'Eucharistie  l'infidélité  de  l'es- 
prit et  la  corruption  du  cœur-,  ne  tremble- 
rez-vous  pas  d'être  forcés  d'avouer  que  jus- 
qu'ici vous  n'avez  peut-être  pas  fait  uno 
seule  bonne  communion;  et  que,  jusqu'au 
pied  des  autels,  vous  n'avez  été  qu'un  sa- 
crilège et  un  profanateur?  C'est  sur  quoi  il 
vous  importe  de  vous  éclaircir;  et  ce  que  je 
tâcherai  de  faire  après  avoir  imploré  l'assis- 
tance du  ciel  par  l'intercession  de  Marie. 
Ave  Maria. 

PREMIER   POINT. 

S'il  est  impossible,  selon  l'Apôtre,  de 
plaire  à  Dieu  sans  la  foi,  comment  pourrait- 
on  le  recevoir  sans  elle?  Celui  qui,  par  l'Eu- 
charistie, veut  s'approcher  de  Dieu,  conti- 
nue saint  Paul,  doit  commencer  par  croire 
qu'il  y  est;  dans  la  suite  on  l'adore,  on 
l'aime,  on  goûte  ses  mystères;  mais  le  pre- 
mier pas  est  de  l'y  croire;  la  foi  est  le  fonde- 
ment sur  lequel  reposent  les  autres  vertus 
dans  le  sacrement  de  l'Eucharistie.  Non, 
n'écoutons  point  ici  ce  (pie  les  sens,  toujours 


1089 


CAREME.  —  SERMON  XXIX,  DISPOSITIONS  A  LA  COMMUNION. 


ICO 


trompeurs,  nous  en  rapportent;  une  règle  plus 
infaillible  doit  préparer  notre  esprit.  Jésus- 
Christ  a  dit  :  Ceci  est  mon  corps  ;  nous  de- 
vons le  croire  ainsi;  iù était  la  force  et  la 
lumière  de  Dieu,  comment  n'aurait-il  pas 
voulu  faire  ce  qu'il  a  pu  et  pu  ce  qu'il  a 
voulu?  N'était-il  pas  en  état  défaire  ce  qu'il 
disait  et  de  dire  ce  qu'il  faisait  ?  Pourquoi 
ne  pas  croire  un  Dieu  sur  ce  mystère,  nous 
qui  le  croyons  si  fort  sur  tous  les  autres;  et 
lorsque  nous  en  avons  les  mêmes  preuves, 
qui  sont  la  toute-puissance  et  la  honte  infi- 
nie? Avec  cela,  tout  ne  devient-il  pas  facile 
à  croire,  quand  nous  croyons  qu'il  a  pu  et 
voulu  mourir  sur  une  infâme  croix  pour 
nous  donner  la  vie?  Quelle  contradiction  y 
a-t-il ,  qu'il  veuille  nous  nourrir  de  son 
corps  et  de  son  sang  dans  le  sacrement  de 
nos  autels?  Rapportons-nous-en  donc  à  sa 
parole  et  à  son  amour;  sM  opère  en  notre 
faveur  le  prodige  le  plus  inouï,  c'est  qu'il 
le  peut  et  qu'il  le  veut;  et  nô  serions-nous 
pas  bien  misérables  de  ne  douter  de  ce  mys- 
tère plutôt  que  des  autres,  que  parce  que 
le  don  qu'il  nous  y  fait  est  [dus  précieux  et 
(pie  notre  faiblesse  y  est  plus  consultée? 

D'abord,  je  l'avoue,  un  chrétien  qui,  en 
allant  communier,  se  demande  :  Ai-je  la  foi? 
se  répond  aussitôt  en  lui-môme  :  Je  crois 
fermement  Jésus-Christ  dans  la  sainte  hos- 
tie; et  si  les  autres  dispositions  me  man- 
quent, j'ai  du  moins  celle-ci,  qui  est  la  foi. 
Vous  avez  la  foi,  Messieurs;  mais  queue 
raisons  me  rendent  suspecte  votre  réponse! 
Quoi  donc  1  si  vous  aviez  la  foi,  faibles  comme 
vous  êtes,  n'auriez-vous  pas  quelques  dé- 
sirs de  recourir  à  celte  force  divine?  Ne  se- 
riez-vous  pas  soigneux  d'ôter  de  votre  âme 
tout  ce  qui  blesse  la  délicatesse  de  ce  Dieu 
saint,  pour  y  substituer  tout  re  qui  |  eut  lui 
plaire  et  l'obliger  à  y  faire  sa  demeure?  Vous 
avez  la  foi  ;  mais  vous  sentez-vous  dans  les 
mêmes  dispositions,  en  approchant  de  la 
sainte  table,  que  si  vous  voyiez  Jésus-Christ 
de  vos  propres  yeux, comme  l'ont  vu  dans  les 
différentes  situations  de  sa  vie  mortelle  tant 
de  bienheureux  fidèles?  Si,  comme  les  pas- 
leurs,  vous  le  voyiez  dans  la  (roche  quand  il 
vii  t  au  monde /quel  respect,  quel  tendre 
empressement  n'auriez-vous  pas  pour  lui? 
Si,  comme  Siméon,  vous  aviez  le  bonheur 
de  le  recevoir  entre  vos  bras,  quel  dégoût 
n'auriez-vous  pas  pour  tout  le  reste!  Si, 
comme  Madeleine,  vous  le  voyiez  à  la  table 
du  pharisien,  quelles  larmes," quelle  peine 
quels  regrets  de^l'avoir  offensé  !  Si,  comme 
le  disciple  bien-aimé,  vous  re[  osiez  sur 
sa  poitrine,  quelle  tendre  charité,  quels 
transports  d'amour  ne  lui  témoigneriez-vous 
pas!  Si,  comme  Marie,  vous  le  contempliez 
sur  sa  croix,  quelle  désolation,  quelle  tris- 
tesse ne  concevriez-vous  pas  à  ce  spectacle  ! 
Si,  comme  à  Moïse  et  à  Elie,  il  vous  apparais- 
sait sur  le  Thabor,  resplendissant  de  gloire  , 
quel  ravissement,  quelle  extase  de  consola- 
tion et  de  joie  ne  feriez-vous  pas  paraître 
aux  pieds  des  autels,  en  approchant  de  la 
table  sacrée  !  Vous  demeurez  froids,  tièdes, 
impénitents,  insensibles;  que  juger  de  cette 


conduite  par  laquelle,  loin  de  foi  mer  votre 
cœur  à  tout  autre  objet  qu'à  ce  Dieu  aima- 
ble qui  vient  à  vous,  vous  l'ouvrez  h  toutes 
ces  sollicitudes  temporelles,  à  tous  les  faux 
charmes  de  ce  monde  profane?  Ou,  comme 
les  Juifs,  après  un  accueil  favorable,  vous  allez 
chercher  à  le  faire  honteusement  mourir  ;  ou 
du  jour  même  de  son  triomphe,  vous  allez 
faireleplandeson  supplice;  ou  du  commence- 
ment de  votre  justification,  vous  allez  faire 
le  terme  de  votre  pénitence  et  de  votre  con- 
version, le  signal  qui  rappelle  tous  vos  dé- 
sordres :  et,  de  toute  cette  conduite,  ne  clois- 
je  pas  conclure  que  vous  n'avez  pas  la  foi 
du  sacrement,  que  voiïs  n'êtes  point  con- 
vaincu du  mystère  de  la  sainte  Eucharistie, 
que  lorsque  votre  bouche  parle  votre  fœnr 
la  dénie,  et  que  pensant  croire,  vous  ne 
croyez  point? 

Vous  avez  la  foi,  mais,  selon  l'Apôtre, 
l'Eucharistie  est  un  jugement,  et  si  vous 
croyez  que  Jésus-Christ  y  est  réellement,  vous 
devez  donc  <roirc  aussi,  en  vous  en  appro- 
chant, que  votre  juge  vient  à  vous  pour  vous 
juger  :  Judiciim  sibimandncât.  (1  Cor.  XE) 
Or,  portez-vous  à  sa  sainte  Table  la  même 
sainteté  que  vous  voudriez  porter  à  son  tri- 
bunal redoutable  si  vous  étiez  près  d'y  paraî- 
tre? Avouezde,  Messieurs,  si  vous  croyiez 
que  Jésus-Christ  fût  descendu  du  ciel  dans 
une  nuée  éclatante,  comme  il  fera  un  jour 
pour  juger  le  monde,  coupable  comme  vous 
êtes,  quel  eirroi  vous  saisirait!  Et  si  quel- 
qu'un vous  annonçait  de  la  part  de  Dieu  que 
ce  dernier  avènement  si  formidable  s'appro- 
che de  vous,  vous  croiriez-vous  en  état  d'y 
paraître  et  de  le  soutenir?  Eh  !  bien,  je  vous 
l'annonce  ce  jugement  terrible,  et  comme 
cet  ange  armé  d'une  trompette,  je  vous  dis  : 
voici  votre  roi,  votre  juge  qui  vient  à  vous: 
Ecce  Rex  puus  venil  titi,  le  voilà  qui  va 
venir.  Ces  grandes  solennités  sont  comme  les 
nues  vénérables  qui  lé, portent.  Sous  les  es- 
pèces sensibles  du  pain  et  du  vin  sont  ca- 
chés des  anathèmes  et  des  foudres  contre 
l'indigne  communia!  t  :  Ecce  Rex  tuus  venit 
tibi;  et  malgré  que  vous  en  ayez,  vous  sen- 
tez "bien  au  dedans  de  vous  qu'il  serait  cruel 
de  paraître  en  l'état  où  vous  êtes  devant  un 
un  juge  si  redoutable.  Cependant  ici  je  ne 
vous  vois  nullement  alarmés  en  approchant 
de  la  sainte  Table  ;  rien  ne  vous  effraye,  vous 
y  paraissez  intrépides  ;  après  cela  vous  nous 
dites  que  vous  avez  la  foi;  si  cela  est,  vous 
êtes  donc  pire  que  les  démons  ?  Ils  croient 
et  tremblent:  Dœmones  credunt  et  contremi- 
scunt  (Jac,  II)  ;  vous  croyez  et  vous  ne 
tremblez  pas! 

Vous  avez  la  foi  ;  mais  pouvez-vous  croire 
sans  -aimer,  et  ici  si  votre  foi  était  sincèie, 
n'enllaniiuerait-ellc  pas  tout  votre  cœur  ? 
Un  chrétien  qui  croit  Jésus-Christ  dans  l'Eu- 
charistie n'est  point  tranquille  qu'il  ne  se 
soit  vu  à  lui  par  la  communion  ;  il  y  court 
comme  un  cerf  altéré  à  une  fontaine  d'eau 
vive.  Lorsqu'au  pied  des  autels  il  se  dit  ten- 
drement à  lui-même  :  Là  est  ce  corps  adora- 
ble qu'un  Dieu  a  daigné  prendre  pour  moi  : 
là  est  cette  chair  sacrée  qui  a  tant  souffert 


«SI 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SUKIAN. 


1092 


pour  mon  salut;  là  est  cette  bouche  toute 
pure  qui  a  tant  proféré  de  paroles  pour  mon 
instruction;  là  ces  yeux  si  chastes  qui  ont 
tant  versé  de  larmes  sur  mes  malheurs;  là 
ces-mains  si  charitables  qui  ont  opéré  tant 
de  miracles,  qui  sont  encore  prêtes  à  gué- 
rir mes  maux  ;  là  ces  [/laies  si  fécondes  d'où 
coulent  tant  de  grâces  pour  ma  conversion 
et  qui  sont  toujours  ouvertes  pour  me  rece- 
voir à  miséricorde;  là  ce  cœur  si  bon,  si  pa- 
tient, plus  grand  que  le  monde,  que  mes  pé- 
chés, il  est  avec  cette  tendresse,  cette  bonté, 
cette  charité,  qui  le  rend  si  sensible,  si  com- 
patissant aux  peines,  au  malheur  des  plus 
grands  pécheurs;  enfin,  sous  cette  hostie  si 
vénérable  est  caché  ce  divin  Sauveur  par  qui 
mes  chaînes  ont  été  brisées,  ma  captivité  ra- 
chetée, ma  réconciliation  ménagée,  mon  im- 
mortalité as;  urée.  Ah  !  quand  ce  pécheur  se 
dit  à  lui-même  tant  de  choses  touchantes  en 
approchant  de  la  sainte  table,  son  cœur  se 
sent  tellement  embrasé  d'amour  et  de  recon- 
naissance que  les  plus  tendres  passions,  que 
les  plus  fortes  impatiences,  que  les  désirs  les 
plus  ardents,  que  les  sentiments  les  plus  vifs 
ne  se  trouvent  point  encore  assez  tendres 
pour  exprimer  les  doux  transports  de  joie 
et  de  consolation  que  son  amour  produit 
dans  son  âme. 

Est-il  donc  croyable  que  vous  l'ayez,  cette 
foi  du  sacrement  de  nos  autels,  lorsque  vous 
n'y  apportez  que  langueur,  que  tristesse  , 
que  dégoût;  que  vous  n'en  approchez  que 
par  bienséance,  que  par  coutume,  que  par 
contrainte,  que  parce  que  l'Eglise  a  joint  au 
commandement  de  communier  au  moins  une 
fois  l'année  des  foudres  et  des  anathèmes? 
Est-ce  là  vous  porter  à  la  communion  par  la 
foi,  est-ce  là  croire  que  vous  allez  recevoir 
Jésus-Christ  votre  Sauveur,  votre  Dieu  et 
votre  tout?  Oui,  je  l'avoue,  Messieurs,  cette 
coniuite  est  un  mystère  aussi  incompréhen- 
sible pour  moi  que  celui  que  nous  traitons, 
et  j'aime  mieux  vous  croire  incrédules  qu'en- 
durcis. 

Vous  avez  la  foi  ;  mais  quand  vous  allez  à 
la  sainte  Table,  ne  vous  reste-t-il  plus  de 
désirs,  de  vide  pour  le  monde;  quand  vous 
avez  communié  vous  sentez-vous  pleins, 
contents,  rassasiés;  n'êtes-vous  plus  affamés 
des  choses  de  la  terre?  Celui-là  ne  désire 
plus  rien,  di-,  saint  Grégoire,  qui  a  reçu  Jé- 
sus-Christ par  l'Euchari'stie,  parce  que  lui 
seul  est  toutes  choses  ensemble.  Si  vous 
croyiez  que  ce  divin  Sauveur  est  dans  le  sa- 
crement, après  avoir  communié  iriez-vous 
le  chercher  dans  l'illusion  des  plaisirs,  dans 
les  vices  du  déshonneur,  dans  le  néant  des 
richesses;  unDieu  ne  vous  suffirait-il  pas? 
Avec  un  trésor  si  immense  et  des  avantages 
si  au-dessus  de  vos  faibless-es  et  de  vos  es- 
pérances, ne  vous  regardez-vous  point  en- 
core comme  pauvres  ,  comme  indigents  ;  et 
quand  vous  dites  après  la  communion  que 
vous  n'êtes  point  heureux,  n'est-ce  pas  que 
vous  n'êtes  point  fidèles  ? 

Enfin  vous  avez  la  foi,  dites-vous;  mais 
que  peut  servir  la  foi  dans  un  cœur,  si  ce 
n'est  à  lui  faire  aimer  les  vertus  chrétien- 


nes, si  ce  n'est  à  le  porter  à  préparer  la  voie 
au  Seigneur  qu'il  veut  recevoir  par  plus 
d'humilité,  par  plus  de  modestie,  par  plus 
de  pénitence,  par  plus  de  retenue,  par  plus 
d'austérités?  La  foi  sert  à  donner  à  cette  Pâque 
toute  divine  une  préparation  toute  sainte  :  à 
vivre  avec  tempérance,  avec  justice,  avec 
piété  dans  l'attente  de  l'arrivée  du  Sau- 
veur Jésus.  Voilà  à  quoi  l'on  reconnaît  la  foi 
clans  un  chrétien  qui  veut  communier.  Mais 
vous,  qui  vous  glorifiez  de  croire  Jésus- 
Christ  présent  dans  la  sainte  Eucharistie, 
quelle  preuve  sensible  avez  vous  donnée  de 
votre  foi  en  approchant  de  la  sainte  table? 
En  avez-vous  été  et  allez-vous  être,  avant 
de  communier,  plus  modestes  dans  vos  ha- 
bits, [dus  vigilants  dans  votre  conduite,  plus 
réglés  dans  vos  mœurs,  plus  modérés  dans 
vos  plaisirs,  plus  actifs  dans  les  œuvres 
chrétennes,  plus  fervents  dans  vos  mortifi- 
cations ?  Prêts  à  recevoir  Jésus-Christ,  je 
vois  dans  vous,  comme  auparavant,  une  lan- 
gueur, une  inaction,  une  froideur,  une  oisi- 
veté, \ine  nonchalance  universelle;  vous 
êtes  comme  cette  idole  qui  était  sans  mains 
devant  l'autel,  vous  n'y  apportez  rien  que 
des  adorations  froides,  des  hommages  vides, 
des  œuvres  de  pénitence  vaines  et  superfi- 
cielles; jamais  vous  ne  portez  à  la  sainte 
table  ces  pratiques  ferventes  de  religion  qui 
sont  l'âme  de  la  foi,  sa  nourriture,  sa  subs- 
tance, sa  vie. 

Or,  je  vous  le  demande,  Messieurs,  qu'est- 
ce  donc  qu'une  foi  que  toute  votre  con- 
duite dément?  Qu'est-ce  qu'une  foi  de 
spéculation  qui  n'est  au  milieu  de  vous 
qu'une  idée,  qu'un  sentiment  qui  demeure 
dans  le  fond  de  votre  âme  sans  en  sortir, 
par  les  œuvres  et  par  la  pratique  ;  et  que 
peut,  pour  vous  disposer,  une  foi  de  ce  ca- 
ractère ?  En  vous  une  telle  créance  de  l'Eu- 
charistie doit- elle  être  honorée  du  sacré 
nom  de  foi  ;  est-elle  un  privilège  qui  vous 
distingue  de  l'infidèle;  ne  vous  confond-elle 
pas  avec  nos  frères  malheureux  qui  rédui- 
sent tout  à  l'apparence  et  à  la  spéculation, 
sans  en  venir  à  la  pratique  et  à  la  réalité?  Et 
si  cet  arbre  maudit,  qui  ne  porte  aucun  fruit, 
cette  foi  de  l'Eucharistie  qui  ne  produit  au- 
cune vertu  dans  votre  âme  quand  Jésus- 
Christ  y  vient,  par  ses  misères  ne  vous  met- 
elle  pas  sous  la  même  malédiction  et  sous  le 
même  anathème?  Après  cela  venez  nous  dire 
encore  :  J'ai  la  foi  du  sacrement;  pour  nous, 
nous  vous  répondrons  toujours  qu'une  telle 
foi  ne  vous  sert  à  rien  pour  la  communion, 
qu'au  contraire  elle  vous  nuit  infiniment; 
qu'avec  cette  foi  morte,  telle  que  vous  l'a- 
vez, vos  malheurs  en  sont  plus  désespérés, 
vos  plaies  plus  incurables;  qu'avec  cette  foi 
vous  serez  jugés  et  condamnés  comme  servi- 
teurs oisifs  et  inutiles,  et  un  préjugé  trop 
certain  que  de  plus  en  plus  vous  vous  pré- 
cipiterez dans  un  abîme  plus  profond.  Ah! 
pour  vous  préserver  ou  vous  relever  d'un 
tel  malheur,  sequere  quod  credis ,  pratiquez 
ce  que  vous  croyez,  agissez  conformément 
à  votre  créance,  et  vous  pourrez  dire  alors 
que  vous  avez   la  foi.  Par  exemple,  veus 


{033 


CAREME.  —  SERMON  XXIX,  DISPOSITIONS  A  LA  COMMUNION. 


1094 


croyez  que  Jésus-Christ,  loin  de  se  venger  de 
ses  ennemis,  les  accable  de  biens  ;  que  loin 
de  s'irriter  de  leurs  outrages  et  de  leurs  in- 
jures, il  les  bénit  et  prie  son  Père  pour  eux  : 
Sèqueve'  quod  credis  :  imitez  ce  que  voué 
croyez  ;  quand  vous  sentirez  en  vous  un  na- 
turel bouillant  et  colère,  sovez  doux  et  mo- 
déré ;  et  loin  de  cette  délicatesse  outrée  qui 
ne  peut  rien  souffrir,  rien  laisser  passer  de 
choquant,  portez  aux  pieds  d^es  autels  un 
nv  racle  de  douceur  et  de  patience,  et  alors 
vous  aurez  la  foi  :  Et  fides  erit.  Vous  croyez 
que  dans  ce  mystère  vous  allez  recevoir  un 
Dieu  pauvre,  dépouillé  de  tout,  réduit  sous 
une  petite  hostie  ;  eh  bien  !  sequere  quod 
credis,  loin  de  vous  consacrer  comme  vous 
faites  à  l'amour  des  biens  et  des  richesses, 
de  vous  livrer  aux  soins  embarrassants  et 
inquiets  de  l'avarice,  détachez-vous  de  tou- 
tes ces  affections  terrestres  à  l'exemple  de 
Jésus-Christ,  et,  au  milieu  de  l'abondance, 
soyez  au  moins  pauvres  de  cœur  en  appro- 
chant de  la  table  sacrée,  et  vous  mettez  au 
nombre  des  pauvres  évangéliques,  et  alors 
vous  aurez  la  foi  :  Et  fides  erit.  Vous  croyez 
que  Jésus-Christ,  voilé  sur  nos  autels,  cache 
ses  grandeurs,  sa  gloire  et  toutes  ses  perfec- 
tions divines,  sequere  quod  credis.  Imitez 
son  exemple,  et  au  lieu  de  ces  sentiments 
d'orgueil  et  de  vanité  qu'il  déteste,  ne  lais- 
sez voir  en  recevant  son  corps  humilié  que 
des  sentiments  d'humilité;  ne  vous  prévalez 
point  de  ce  que  la  misère  ou  la  fortune  ont 
pu  vous  donner  plus  qu'à  d'autres,  et  alors 
vous  aurez  la  foi  :  Et  fides  erit.  Vous  croyez, 
en  vous  approchant  de  ce  sacrement,  rece- 
vor  un  Dieu  de  charité,  un  Dieu  qui  vous 
comble  de  bienfaits,  qui  vous  communique 
tout  ce  qu'il  a  et  tout  ce  qu'il  est,  sequere 
quod  credis.  A  son  exemple,  exercez  la  cha- 
rité envers  vos  frères,  ne  mettez  point  de 
bornes  à  vos  dons,  soulagez  abondamment 
les  pauvres  et  donnez  courageusement  l'au- 
mône à  tous  ceux  qui  sont  dans  le  besoin, 
et  vous  aurez  la  foi  :  Et  fides  erit.  Enfin, 
vous  croyez  que  dans  ce  mystère,  qui  est 
une  représentation  de  ses  souffrances  et  de 
sa  passion,  Jésus-Christ  y  est  sans  nul  usage 
de  sa  force ,  de  sa  puissance,  et  qu'il  est 
comme  mort  et  crucifié,  sequere  quod  credis. 
Eh  bien  1  aux  approches  de  ces  jours  solen- 
nels où  vous  devez  recevoir  le  divin  Sau- 
veur, faites-vous,  à  son  exemple,  aux  appa- 
rences de  mort  et  de  pénitence  :  mourez  au 
monde  par  la  retraite,  au  péché  par  la  péni- 
tence, aux  plaisirs  par  la  douleur,  aux  folles 
joies  du  siècle  par  les  mortifications,  à  vous- 
mêmes  par  un  continuel  martyre ,  qu'on 
puisse  dire  :  Cet  homme  qui  va  recevoir  Jé- 
sus-Christ n'est  qu'une  expression  de  sa 
passion  et  de  sa  mort,  qu'une  représenta- 
tion fidèle  deJésus-Christ  lui-même,  et  alors 
vous  aurez  la  foi,  et  une  foi  sincère,  réelle, 
et  non  point  une  hypocrisie  et  une  impos- 
ture, et  fides  erit. 

C'était  ainsi  que  les  premiers  chrétiens 
effectuaient  leur  foi,  qu'ils  éprouvaient  leur 
créance  ;  loin  d'avoir-une  foi  stérile  et  in- 
fructueuse comme  la    vôtre,  en  approchant 


de  la  sainte  table  ils  iihpTiuia;ent  en  eux- 
mêmes  tout  ce  qu'ils  recevaient,  dit  un  Père 
de  l'Eglise  :  Idpatiebanlur  qticd  recîpiebanl  ; 
ils  s'appliquaient  tout  le  fond  du  mystère 
auquel  ils  participaient,  et,  crainte  de  rece- 
voir dans  un  cœur  immortifié  le  mémorial  de 
l'immolation  du  Calvaire,  ils  gravaient  dans 
leurs  âmes  les  traits  de  la  passion  du  Sau- 
veur, et  ne  recevaient  rien  par  la  commu- 
nion qu'ils  ne  s'imprimassent  par  la  péni- 
tence :  Id  pa'icbantur  quvdrecipiebqnt;  là  ils 
vivaient  de  la  vie  de  Jésus-Christ,  se  forti- 
fiaient de  toutes  ses  vertus  intérieures,  ca- 
chées ;  pauvres,  humbles,  chastes,  anéantis 
comme  lui,  ils  prenaient  ses  afflictions,  ses 
sentiments,  ses  parbles,  ses  pensées,  ses  dé- 
sirs, et  se  conformaient  si  parfaitement  à 
lui,  qu'on  auraitdit  qu'ils  ne  faisaient  qu'un 
même  corps,  qu'une  même  Ame  avec  ce 
divin  Sauveur,  qu'ils  recevaient  dans  la  com- 
munion :  lllos  satiabant  quos  imitabantur ; 
ils  auraient  cru  que  l'Eucharistie  aui  ait  laissé 
la  faim  dans  le  cœur,  si,  avec  le  corps  ado- 
rable de  Jésus-Christ,  ils  n'y  avaient  fait 
passer  une  imitation  sainte  de  toutes  ses 
vertus.  Ah!  ils  sentaient  que  ce  pain  sacré 
les  nourrissait  à  mesure  qu'ils  se  confor- 
maient à  Jésus-Christ  caché  dans  le  saint 
sacrement:  lllos  satiabant  quos  imitabantur  ; 
ils  faisaient  plus  :  dans  ces  assemblées,  dans 
ces  voyages,  dans  ces  entreprises  où  chaque 
fidèle,  prosterné  par  terre  au  pied  des  au- 
tels, jurait  de  se  dévouer  à  l'imitation  des 
vertus  du  Sauveur,  ils  ajoutaient  encore  à 
cela  le  sceau  de  la  communion,  en  sorte 
que  sans  cela  ils  auraient  été  parjures  et  au- 
raient cru  faire  un  sacrilège,  au  lieu  de  re- 
cevoir un  sacrement. 

A  leur  exemple,  Messieurs,  faites-vous 
une  obligation  indispensable  de  joindre  à  vos 
communions  la  pratique  des  vert  us  qui  en  sont 
l'âme;  dites  avec  le  disciple  bien-aimé  :  Ah  1 
jusqu'ici  je  ne  le  connaissais  pas  ;  au  fond  je  ne 
le  croyais  pas  :  Ego  nesciebam  eum  (Joan.,  I)  ; 
mais  aujourd'hui  une  lumière  céleste  et  in- 
visible me  le  découvre;  je  crois  comme  si  je 
le  voyais,  et  ce  n'est  point  d'une  foi  morte  et 
stérile,  mais  d'une  foi  vive  et  féconde,  et  ego 
vidi  (Ibid.)  ;  et  je  vais  rendre  témoignage  par 
ma  pénitence  qu'il  est  là  présentdans  le  sacre- 
ment que  je  vais  recevoir,  teslimonium  perhi- 
buiquia  hic  est  F  Mus  Dei  [Ibid.)  ;  témoignage 
defoi  confirmé  par  le  sœuvres,  par  la  pratique, 
par  l'imitation  et  par  un  amour  aussi  réel 
que  la  préférence  de  mon  Dieu,  quia  hic  est 
Filius  Dei.  Mais  la  pureté  du  cœur  est  une 
grande  disposition,  aussi  essentielle  que  la 
foi  de  l'esprit;  c'est  ce  que  je  dois  vous  mon- 
trer dans  la  seconde  partie  de  ce  discours. 

SECOND    POINT. 

Peut-on  pensera  ce  qu'est  la  communion, 
sans  comprendre  aussitôt  quelle  disposition 
d'innocence  et  de  pureté  elle  demande? 
Mes  frères,  élevez  ici  vos  pensées  ;  des  yeux 
de  la  foi,  î  ercez  le  voile  ;  allez  jusque  dans 
le  sanctuaire  immortel  pour  y  voir,  au  milieu 
des  anges  qui  l'adorent,  Jésus  Christ  brillant 
de  gloire,  qui  fait  la  splendeur  et  les  délices 


i03o 


ORATEURS  SACRES.  EE  P.  SL'RÎAN. 


1S9G 


des  saints.  Eh  bien  !  pé;heurs,  communier, 
c'est  vous  nourrir  d'un  objet  aussi  pur,  c'est 
vous  unir  avec  lui,  c'est  ne  faire  qu'un  môme 
esprit,  qu'un  môme  cœur,  qu'une  même 
chair  avec  lui;  c'est  devenir,  en  quelque 
sorte,  Dieu  môme.  Oh  !  quelle  impression  de 
sainteté  devrait  faire  sur  vous  cette  pensée  ! 
Si  les  anges  se  croient  impurs  à  son  seul 
aspect,  si  Marie,  qui  ne  se  croit  plus  vierge, 
se  trouble  quand  le  messager  céleste  lui  an- 
nonce que  ce  Dieu  vient  en  elle  et  qu'elle  va 
lui  prêter  son  sein,  ne  faudrait-il  pas  qu'une 
âme  qui  va  rerevoir  Jésus-Christ  dans  son 
cœur,  l'incorporer  à  sa  propre  substance, 
surpassât  en  pureté  et  les  anges  et  res  hom- 
mes, qu'elle  fût  aussi  pure,  s'il  se  pouvait, 
q.ue  Dieu'môme?  Oui,  sans  doute  ,  la  dispo- 
sition la  plus  essentielle  pour  approcher  di- 
gnement du  sacrement  de  nos  autels  serait 
d'y.  apporter  l'innocence  du  baptême;  mais, 
ayant  souillé  une  âme  par  le  péché,  que  nous 
reste-t-il,  sinon  de  la  purifier  par  les  eaux 
salutaires  de  la  pénitence?  Les  choses  sain- 
tes ne  sont  que  pour  les  saints,  sancta  san- 
ctis.  O  vous  qui  allez  dans  ces  grandes  so- 
lennités, approchez  du  sacrement  de  nos 
autels,  pr.éparez-vous-y  surtout  par  une  pu- 
reté de  cœur  qui  soit  digne  de  l'action  que 
vous  allez  faire  ;  et  voici  à  quels  traits  vous 
devez  reconnaître  si  vous  l'avez,  cette  pu- 
reté si  nécessaire.  J'en  trouve  trois  princi- 
paux: quitter  le  péché,  combattre  l'habitude, 
expier  les  fautes.  Ne  perdez  rien  de  ceci;  il 
s'agit  de  la  gloire  d'un  Dieu  et  de  votre 
salut. 

Je  dis,  1°  qu'un  cœur  pénitent  qui  veut 
approcher  de  la  table  sacrée,  doit  quitter  ses 
désordres,  et  c'est  le  premier  pas  qui  conduit 
à  la  pureté  du  cœur  si  essentielle  dans  le 
chrétien  qui  communie;  la  manne,  en  effet, 
se  change  en  poison  dans  un  cœur  corrompu. 
Quand  le  prophète  montre  au  peuple  la  loi 
du  Seigneur,  il  leur  dit  de  lever  en  haut  les 
yeux  et  qu'au  bas  est  attachée  la  mort  et  la 
ruine  de  plusieurs,  pour  nous  apprendre 
qu'il  faut  rompre  les  attaches  que  nous  avons 
à  la  terre  et  au  péché,  quand  nous  voulons 
recevoir  notre  Dieu.  Je  sais  qu'il  n'est  pas 
besoin  d'avoir  toute  sa  force  pour  aller  au 
banquet  eucharistique,  mais  il  faut  du  moins 
vivre  et  pouvoir  goûter  ce  que  l'on  mange. 
N'est-ce  pas  ici  la  situation  de  votre  eccur 
dans  la  communion  que  vous  allez  faire,  et 
sur  ce  principe  Jésus-Christ  n'est-il  point 
établi  sur  nos  autels  plutôt  pour  votre  perle 
et  votre  ruine,  que  pour  votre  résurrection  et 
votre  bonheur?  Hélas  !  laissez-vous  derrière 
vous  toute  votre  corruption  et  tous  vos  (lé- 
chés, quand  vous  allez  à  la  table  sacrée?  Si 
au  dehors,  comme  les  Juifs  de  notre  évangile, 
vous  jetez  par  honneur  vos  habits  sur  le 
chemin  où  il  doit  passer,  ne  conservez-vous 
point  au  dedans  le  perfide  dessein  de  le  faire 
mourir,  comme  eux,  dans  peu  de  jours  :  c'c.-t- 
h-  dire  si  la  magnificence  diminue,  si  vous 
laissez,  pour  quelques  jours,  ces  parures 
immodestes,  ce  luxe  scandaleux,  si  les  aca- 
démies publiques  de-libertinage  sont  fermées, 
si  ces  jeux  cessent,  si  les  spectacles  finissent, 


si  les  assemblées  profanes  diminuent,  si  nos 
temples  sont  plus  fréquentés,  si  aux  pieds 
du  prêtre  vos  passions  paraissent  assoupies 
par  la  gravité  d'une  action  qui  demande  tant 
de  sainteté,  et  par  l'absence  des  objets  avec 
qui  vous  avez  fait  trêve  pour  quelques  jours, 
ce  cœur  n'est-il  point  encore  le  même,  ne  con- 
serve-t-il  point  encore  les  mêmes  faiblesses, 
les  mêmes  vices,  les  mêmes  passions  domi- 
nantes, les  mêmes  attaches  criminelles?  Ah! 
la  racine  de  l'arbre  subsiste  encore  quand 
vous  jetez  les  branches  aux  pieds  du  Sau- 
veur: c'est  ici  la  solennité  de  la  fête  et  non 
point  le  changement  du  cœur  qui  vous  con- 
duit à  la  table  sacrée;  en  vous,  peut-être,  le 
dehors  est  changé;  les  paroles,  les  démar- 
ches, l'air,  la  conduite,  tout  cela  paraît  cou- 
vert, mais  le  cœur  demeure  toujours  le  mê- 
me, c'est-à-dire  aussi  mondain,  aussi  |  orté 
au  vice,  et  aussi  inconvertible  qu'il  élaitau- 
paravant;  votre  cœur  pénitent  ressemble  si 
fort  à  votre  cœur  criminel  qu'on  peut  les 
prendre  l'un  pour  l'autre:  encore  comme  au- 
paravant l'avarice  le  ronge,  l'impureté  le 
corrompt,  l'ambition  le  dévore;  vous  ne 
pourrez  apporter  à  la  table  sacrée  ces  mons- 
tres de  péchés  dont  vous  rougissez,  m?;s 
vous  laissez  encore  au  cœur  toute  la  dou- 
ceur de  ses  penchants,  toute  l'injustice  de  ses 
affections:  au  lieu  de  le  changerde  place  et  de 
situation,  il  est  encore  tourné  du  mauvais 
côté.  Et  si  vous  en  doutez,  interrogez-le,  ce 
cœur:  ne  vous  insinue-t-il  pas  en  secret  que 
malgré  les  soins  que  vous  prenez  de  réfor- 
mer vos  mœurs,  que  malgré  ce  bel  extérieur 
que  vous  affectez,  que  malgré  les  violences 
que  vous  semblez  vous  faire  pour  paraître  plus 
réguliers  et  plus  dévots  aux  approches  des 
grandes  fêtes,  ces  contraintes  ne  dureront 
pas  longtemps  ?  Ne  se  promet-il  pas  un  ample 
dédomagement  de  ces  gênes  et  de  ces  courtes 
violences  par  l'essort  qu'il  donnera  bientôt  à 
ses  désirs?  Ne  se  rassure,  ne  se  console-t-il 
pas  de  ces  tristesses,  de  ces  mortifications 
présentes,  par  l'espérance  de  reprendre  dans 
peu  ses  premières  mondanités  et  ses  ancien- 
nes joies?  Ne  vous  dit-il  pas,  pour  vous  ré- 
soudre à  quelques  jours  d'abstinence,  de  re- 
traite et  de  privation,  que  bientôt  recom- 
menceront les  spectacles,  les  plaisirs,  les  as- 
semblées, et  que  vous  retournerez  aux  mêmes 
endroits  où  la  passion  vous  souillera  d'aller? 
Ne  prend-il  pas  soin,  pour  mieux  vous  endor- 
mir, de  vous  représenter  sous  de  belles  cou- 
leurs la  noirceur  du  crime  que  nous  vous  or- 
donnons de  quitter,  de  couvrir  du  beau  nom 
d'amitié  ces  liaisons  funestes  ,  ces  attaches 
criminelles  où  l'on  s'entretient  sans  scru- 
pule des  passions  damhables,  où  l'on  forme 
des  habitudes  monstrueuses,  où  votre  cœur 
se  conserve  toujours  dans  le  désordre,  où 
malgré  ces  beaux  fantômes  et  ces  prétextes 
chimériques,  votre  conscjcnce  est  pleine  de 
remords  et  d'inquiétudes?  c'est  ce  cœur  qui 
vous  empêche  de  sortir  content,  des  pieds  du 
prêtre  qui  vous  enjoint  de  ne  plus  pécher, 
et  qui  fait  que  vous  ne  goûtez  pas  cette  tran- 
quillité, celte  paix  bienheureuse  de  l'âme 
pénitente  qui  a  sincèrement  brisé  ses  chai- 


1097 


CAREME.  —  SERMON  XX  3X,  DISPOSITIONS  A  LA  COMMUNION. 


iosa 


nés, or,  je  vous  le  demande,  est-ce  là  quitter 
le  péché  ou  le  dissimuler,  est-ce  là  renoncer 
au  crime  ou  le  suspendre  ?  appelez-vous 
cela  mener  aux  pieds  de  Jésus-Christ  vos 
passions  captives  et  mourantes  pour  lui  en 
faire  un  parfait  sacrifice  ?  Ah  1  si  les  enfants 
d'Aaron  furent  frappés  de  mort,  pour  avoir 
osé  porter  un  feu  étranger  sur  l'autel ,  à 
quelle  punition  ne  devez-vous  pas  vous  at- 
tendre, vous  qui  osez  vous  nourrirde  la  chair 
d'un  Dieu  et  vous  l'incorporer  avec  un  cœur 
impur  ?  et  voilà  ce  qui  consterne  tous  ceux 
qni  ont  quelque  zèle  pour  la  gloire  de  Jésus- 
Christ  et  pour  votre  salut. 

Non,  Messieurs,  ne  nous  plaignons  plus, 
comme  du  temps  de  Malachie,  que  la  table 
du  Seigneur  soit  abandonnée  :  aujourd'hui 
les  rangs  y  sont  serrés,  la  foule  s'y  fait  re- 
marquer, la  multitude  vous  pousse  et  vous 
accable,  jamais  le  pain  eucharistique  ne  fut 
plus  distribué.  Cela  d'aboi\d  console  la  sainte 
Eglise  et  ses  ministres;  mais  ensuite  quelle 
désolation,  quand  on  vient  à  penser  que 
malgré  ce  grand  nombre  de  communiants 
qui  fréquentent  les  autels,  jamais  le  désor- 
dre ne  fut  plus  grand  ni  la  corruption  plus 
générale.  On  ne  peut  ignorer  ce  qui  se  mon- 
tre de  toutes  parts,  le  vice  inonde  toute  la 
face  de  la  terre.  Jamais  l'on  ne  vit  plus  d'in- 
fidélité dans  les  mariages,  plus  de  division 
dans  les  familles,  plus  de  libertinage  dans 
la  jeunesse,  plus  d'impureté  dans  la  vieil- 
lesse, plus  de  dérèglement  dans  les  hommes, 
Elus  de  licence  dans  les  femmes,  plus  d'a- 
us  dans  .la  justice,  plus\le  fraudes  dans  le 
commerce ,  plus  de  dissimulation  à  la  cour, 
plus  d'illusion  dans  la  pénitence,  plus  de 
fierté  dans  les  riches ,  plus  de  dureté  dans 
les  grands ,  plus  de  mauvaise  foi  parmi  lo 
peuple.  Aujourd'hui  tous  les  états  sont  con- 
fondus par  le  luxe,  toute  chair  a  corrompu 
sa  voie,  tous  les  désirs  sont  déréglés,  les 
pensées  criminelles,  les  cœurs  brûlés  par  le 
feu  des  passions,  les  haines  sont  éternelles, 
les  inimitiés  furieuses,  les  médisances  meur- 
trières, l'orgueil  dominant,  l'avarice  insatia- 
ble ;  tout  le  monde  chrétien,  s'il  mérite  encore 
ce  nom,  n'est  plus  qu'une  assemblée  mons- 
trueuse de  victimes  malheureuses  livrées 
au  monde,  au  démon,  à  leurs  passions,  qui 
se  dévorent  et  se  déchirent  les  unes  les  au- 
tres ;  qui  ne  s'accordent  que  pour  offenser 
Dieu,  que  pour  affaiblir  ses  maximes  et  que 
pour  violer  ses  lois;  que  pour  transgresser 
ses  préceptes,  que  pour  abuser  de  ses  grâ- 
ces. Loin  que  la  corruption  diminue,  le  mal 
empire,  les  mœurs  des  chrétiens  s'affaiblis- 
sent de  jour  en  jour;  on  dirait  qu'ils  veulent 
forcer  le  Seigneur  à  retirer  son  esprit  de  des- 
sus la  terre,  et  il  semble  que  la  pénitence 
ne  fasse  plus  en  eux  qu'une  môme  ruine. 
Enfin,  il  n'y  a  plus  de  foi  véritable ,  plus  de 
charité  sincère,  plus  d'innocence,  plus  de 
bonne  foi,  plus  de  probité,  plus  de  candeur. 
La  seule  chose  qui  reste  dans  les  chrétiens, 
c'est  de  communier  peut-être  une  fois  dans 
l'année,  et  en  approchant  de  la  sainte  table, 
on  apporte  pour  toute  préparation  une  con- 
fession faite  à  la  hâte,  sans  douleur  et  sans 
OaATEuns  sacrés.  L. 


amendement,  quelques  résolutions  qu'on  ne 
tient  pas,  quelques  promesses  frivoles  qu'on 
n'exécute  point,  des  passions  dont  on  s'ac- 
cuse toujours  et  qu'on  ne  quitte  jamais  : 
voilà  ce  qu'on  appelle  aller  faire  son  bon 
jour. 

Ah!  jour  funeste,  jour  lamentable,  digne 
d'être  mis  au  nombre  des  plus  sinistres,  jouf 
plein  de  terreur  qui  va  peut-être  commen- 
cer voire  éternité  malheureuse,  et  qui  peut- 
être  sera  le  dernier  jour  de  miséricorde  et  de 
grâce  pour  vous  ;  voilà  ce  qu'on  ose  appeler 
faire  ses  dévotions.  Ajoutez  donc,  misérables 
pécheurs,  que  ces  dévotions  sont  tout  le  fruit 
d'une  détestable  hypocrisie  digne  des  fou- 
dres du  ciel  et  des  supplices  de  l'enfer;  car  en 
cet  état  du  péché  que  vous  ne  quittez  point, 
et  qui  est  si  opposé  à  la  pureté  du  sacrement, 
n'appréhcnderez-vous  point  que  plus  vous 
vous  approcherez  de  Jésus-Christ,  plus  il  ne 
s'éloigne  de  vous,  plus  vous  vous  présen- 
terez à  sa  table  sacrée,  plus  il  ne  refuse  d'en- 
trer dans  un  cœur  si  peu  préparé.  Hélas  I 
vous  y  entrez,  divin  Sauveur,  mais  les  lar- 
mes aux  yeux,  les  sanglots  dans  la  bouche, 
comme  aujourd'hui  dans  la  perfide,  dans  l'in? 
fidèle,  dans  l'ingrate  Jérusalem,  et  il  est  en~ 
core  à  craindre,  pour  tant  de  faux  pénitents, 
que  votre  corps  et  votre  sang  ne  soient,  comme 
pour  les  Juifs  ,  la  mort  des  malheureux  qui 
le  mangent  et  qui  le  boivent  avec  un  cœur 
si  impur. 

2°  Pour  avoir  cette  pureté  de  cœur  que, 
demande  la  sainte  communion,  il  ne  faut  pasi 
se  contenter  de  quitter  le  péché,  il  faut  com-l 
battre  les  mauvaises  habitudes  du  vice;  lors-' 
qu'on  a  été  pécheur  par  faiblesse,  il  faut! 
prompteraent  courir  au  pain  des  forts,  et  c'estj 
dans  la  communion  qu'on  trouve  cette  force. I 
Mais  si  les  habitudes  des  passions  ont  été 
vives,  invétérées;  si  de  longs  égarements 
ont  laissé  dans  le  cœur  une  corruption  qu'if 
aime  et  qu'il  chérit  encore;  si  le  pé'  heur! 
trouve  encore  agréables  ses  chaînes,  qu'il  ne 
consente  qu'avec  répugnance  à  les  rompre 
et  a  s'en  détacher,  ah!  loin  de  précipiter  sa 
communion,  un  pécheur  doit  quelque  temps 
s'éprouver;  et,  s'il  sent  que  quelque  habitude 
soit  encore  dans  sa  force,  qu'il  s'éloigne  jour 
quelque  temps  du  corps  adorable  de  Jésus-  - 
Christ  par  des  sentiments  de  res[  e<  l,  lui  qui 
a  tout  mérité  d'en  être  séparé  éternellement 
par  un  sentiment  de  justice;  qu'il  donne 
quelque  temps  d'épreuve  pour  laisser  vider 
son  imagination  encore  toute  remplie  des 
idées  du  crime,  pour  purifier  son  esprit  en- 
core tout  souillé  des  images  honteuses  de  la 
passion,  pour  mortifier  son  corps  tout  amolli 
par  la  sensualité,  pour  essayer  de  laver  son 
cœur,  de  l'éprouver,  de  fortifier  ses  bonnes 
résolutions,  et,  en  recevant  le  Saint  des  saint?, 
pouvoir  se  rendre  ce  bienheureux  témoi- 
gnage qu'il  n'est  plus  esclave  du  péché  et 
que  ses'maux  se  guérissent  ;  qu'il  ne  lui  faut 
plus  que  de  la  force,  et  que  cette  force  il  va 
la  trouver  dans  la  sainte  Eucharistie.  Ainsi 
l'hémorrhoïsse  de  l'Evangile,  n'osant  toucher 
la  chair  sacrée  de  Jésus-Christ,  se  contente  de 
toucher  les  bords  de  son  vêtement,  pour  ap- 

35 


vm 


ORATEURS  SACRES.   LE  F.  SUR1AN. 


MO'» 


prendre  au  pécheur  qu  n  ne  doit  pas  aspirer 
tout  d'un  jouj)  à  toucher,  à  recevoir  le  corps 
du  Fils  de  Dieu,  mai^  ses  vêtements  et  sa 
robe,  c'est-à-dire  lire  les  livres  saints,  mé- 
diter ces  sacrés  mystères,  jeter  les  yeux  sur 
les  exemples,  et  se  contenter  quelque  temps 
ries  miettes  au  lieu  de  se  présenter  tout  d'un 
coup  à  sa  talde. 

Ici,  que  vois-je  encore,  et  quel  nouvel 
abus  du  pécheur  se  présente  à  mon  zèle  : 
aires  une  vie  toute  déplorable,  il  est  une 
infinité  de  péi'hours  qui,  sans  autre  prépara- 
tion qu'une  déclaration  froide  et  précipitée 
des  désordres  les  plus  énormes  et  les  plus 
invétérés,  courent  aussitôt  du  tribunal  sacré 
à  la  table  sainte,  ne  laissent  aucun  intervalle 
entre  la  pénitence  et  la  communion;  lors- 
qu'ils ne  devraient  pas  seulement  avoir  la 
hardiesse  de  regarder  nos  mystères,  vien- 
nent les  recevoir;  ne  prennent,  pour  rece- 
voir Jésus-Christ,  que  le  moment  auquel  ils 
le  reçoivent;  cherchent  misérablement  dans 
l'Eucharistie  ries  grâces  qu'ils  ne  trouveront 
qu'après  la  véritable  conversion;  et  iinpa- 
t  ents  rie  manger  indignement  ce  qui  doit 
faire  leur  condamnation,  la  reçoivent  et  pé- 
rissent. 

Oui,  profanateurs  impies  du  plus  saint  rie 
nos  mystères,  en  vain  il  semble  vous  dire, 
comme  autrefois  le  Seigneur  à  son  peuple 
avant  de  manger  l'Hostie  sainte,  purifiez 
votre  cœur,  lavez-le  de  toute  ordure,  purifi- 
cate  corda  ;  purgez  votre  conscience,  nettoyez- 
la  de  toutes  les  taches  qui  la  souillent,  mun- 
damini;  rompez  les  attaches  maudites  qui 
vous  lient  avec  le  monde,  avec  le  péché; 
brisez  les  chaînes  fatales  qui  forment  votre 
habitude  et  vous  retiennent  dans  le  crime, 
solve  vincula;  toutes  ces  voix,  quelque  pé- 
nétrantes qu'elles  soient,  ne  peuvent  se  faire 
entendre.  Avec  un  cœur  encore  tout  fumant 
du  feu  de  vos  passions,  avec  un  esprit  encore 
tout  sali  des  images  du  péché,  vous  venez 
faire  violence  au  corps  adorable' du  Sauveur 
et  usurper,  par  une  communion  sacrilège,  ces 
bienheureux  avantages  des  âmes  bien  pré- 
parées. Quoique  l'Eglise  vous  avertisse  que 
le  changement  de  vie  est  une  disposition 
nécessaire  pour  approcher  dignement  de  Ja 
sainte  table;  quoiqu'elle  vous  dise  qu'il  faut 
laire  du  jour  île  votre  conversion  votre  bon 
jour,  et  du  jour  que  vous  changez  de  mœurs 
le  jour  rie  vos  pâques,  toujours  impatients 
et  inquiets  rie  donner  à  Jésus-Christ  la  mort 
dans  vos  âmes,  vous  nous  répondez  comme 
ces  Juifs'séditieux  et  perfides  :  Nos  legem  ha- 
Oemus  et  secundum  legem  débet  mori  (Joan., 
XIX,  7);  c'est  la  pratique  ancienne,  il  y  va 
rie  notre  bien-séance  rie  communier  comme 
los  autres;  on  nous  a  toujours  dit  qu'il  faut 
communieraux  grandesjfètes,nous  avonscou- 
tume  de  le  faire  :  Nos  legem  habemus.  J'avoue 
avec  vous,  Messieurs,  que  rien  n'est  plus 
louable  que  cette  sainte  pratique,  et  il  serait 
àsouha  ter  que  vous  fussiez  en  état  de  com- 
munier tous  les  jours.  Quel  bonheur,  grand 
Dieul  pour  la  religion  et  pour  les  chrétiens! 
mais,  quand  l'Eglise  nous  invite  à  la  table 
sacrée  de  son  Epoux,  ne  suppose-t-elle  pas, 


ne  vous  ordonne-t-eile  pas  même  à'y  appor- 
ter les  dispositions  requises  dont  la  pureté 
du  cœur,  dont  la  séparation  de  vos  crimi- 
nelles habitudes  est  la  première  et  la  plus 
nécessaire?  veut-elle  dire  par  là  que  vous 
mêliez  le  sacrilège  avec  le  sacrement?  L'in- 
tention rie  cette  mère  tendre,  en  vous  faisant 
ries  lois  rie  communieraux  grandes  fêtes, est- 
elle  que  vous  le  fassiez  de  quelque  manière 
que  ce  soit,  et  que  votre  indignité  ne  vous 
en  éloigne  pas  jusqu'à  ce  que  vous  y  soyez 
mieux  préparés?  veut-elle  vous  dire  par  là 
que  vous  crucifiiez  Jésus-Christ  derechef? 
que  vous  renouveliez  dans  votre  âme  toutes 
ses  plaies?  que  vous  répandiez  de  nouveau 
son  sang,  et  que  vous  ne  fassiez  plus  qu'un 
attentat  monstrueux  d'un  sacrement  de  grâce 
et  de  miséricorde?  Veulent-elles  donc,  ces 
lois  et  ces  invitations  salutaires  de  l'Eglise, 
que,  plus  infidèle  que  Judas,  vous  le  trahis- 
siez par  un  baiser  perfide  pour  contenter 
votre  avarice?  que,  plus  lâche  quePilate, 
vous  le  sacrifiiez  à  votre  politique?  que  plus 
sacrilèges  que  les  Juifs,  vous  le  fassiez  mou- 
rir, parce  que  c'est  la  fête?  Veulent-elles 
donc,  ces  bienséances,  ces  pratiques  saintes, 
que,  plutôt  que  rie  manquera  communieraux 
grandes  fêtes,  vous  vous  présentiez  à  l'au- 
guste sacrement  de  nos  autels,  mais  froide- 
ment, sans  goût,  sans  plaisir,  sans  attraits, 
et  que,  délibérant,  vous  formiez  le  dessein 
barbare  de  faire  mourir  votre  Dieu  par  une 
communion  indigne  :  Et  secundum  legem 
débet  mori. 

Ah  1  il  mourra  donc  dans  votre  cœur  indi- 
gne et  impur  cet  aimable  Sauveur,  mais  avec 
lui  mourra  sa  miséricorde  pour  vous.  Comme 
le  téméraire  Oza,  vous  mourrez  aux  pieds 
rie  l'arche  sainte;  comme  Judas,  le  démon 
s'emparera  rie  votre  corps,  après  que  vous 
aurez  mangé  la  sainte  hostie  ;  le  pain  sacré, 
pour  vous  être  trop  hâté  rie  le  manger,  se 
changera  en  aspic  pour  vous  ;  si,  communiant 
en  cet  état  sans  épreuves  dans  l'habitude  du 
péché,  si,  dis -je,  Jésus-Christ  ne  sort  pes 
comme  d'une  fournaise  ardente  pour  vous 
dévorer,  si  sa  mort  n'est  pas  accompagnée 
de  mille  signes,  comme  autrefois  à  la  croix; 
si  vous  ne  voyez  point  autour  de  vous  le 
soleil  s'éclipser,  la  terre  trembler,  les  tom- 
beaux s'ouvrir,  les  éléments  se  confondre, 
toute  la  nature  se  remplir  de  prodiges  ;  ahl 
mille  autres  prodiges  plus  terribles  encore 
se  passent  dans  votre  cœur,  lorsque,  par  une 
communion  sacrilège  vous  donnez  la  mort 
au  rédempteur;  les  lumières  de  Dieu  s'y 
éclipsent,  la  foi  s'y  éteint,  la  conscience  s'y 
obscurcit,  un  nuage  épais  vient  s'y  répan- 
dre ;  tout  se  confond  dans  une  âme  qui  de- 
vient sacrilège,  tout  y  marque  l'abandon  du 
Seigneur  :  aveuglement,  impiété,  endurcis- 
sement, gouffre  affreux,  profonds  abîmes 
où  tout  se  perd  ;  je  pourrais  ramasser  tous 
ces  malheurs  dans  une  seule  parole  de  l'A- 
pôtre, quand  il  dit  que  celui  qui  communie 
indignement  mange  sa  propre  condamna- 
tion :  Judicium  sibi  manducat  et  Ibibit. 
(I  Cor.,  XL)  C'est-à-tlire  que,  comme  le  pain 
que  vous  mangez  se  change  en  une  subs- 


«  101 


CAREME.  —  SERMON  XXIX,  DISPOSITIONS  A  LA  COMMUNION. 


IÎ02 


tance,  si  vous  mangez  le  corps  de  Jésus- 
Christ  sans  préparation,  si  vous  le  recevez 
indignement,  votre  jugement  que  vous  man- 
gerez avec  lui  pénétrera  toutes  les  facultés 
de  votre  âme  ;  la  mort  que  vous  donnerez  au 
sauveur  deviendra  la  vôtre,  vous  serez  vous- 
mêmes  la  mort  éternelle,  vous  ne  serez  plus 
qu'une  môme  chair  avec  votre  condamna- 
tion; vous  serez  nourris,  abreuvés,  rassa- 
siés de  la  colère  du  Seigneur,  vous  ne  serez 
qu'un  corps  avec  elle  :  Judicium  sibi  man- 
ducat.  Quel  arrêt,  grand  Dieu,  et  qui,  sans 
sécher  de  frayeur,  peut  encore  en  soutenir 
l'affreuse  idée,  si  ce  n'est  l'âme  malheureuse 
sur  qui  il  est  déjà  tombé  en  communiant  in- 
dignement :  Judicium  sibi  manducat  etbibit. 

3°  Enfin,  pour  avoir  cette  pureté  de  cœur 
que  demande  la  sainte  Eucharistie,  un  chré- 
tien ne  doit  point  se  borner  à  combattre 
l'habitude  du  vice,  il  doit  commencer  à 
l'expier. 

Lorsqu'au  temps  des  Machabées  on  déli- 
béra sur  ce  qu'il  fallait  faire  pour  réparer 
dignement  les  profanations  qui  avaient  été 
commises  dans  le  temple  du  Seigneur,  on 
trouva  plus  salutaire  le  conseil  qui  voulait 
qu'on  ne  se  contentât  pas  de  laver  l'autel  pro- 
fané, mais  qu'il  fût  entièrement  détruit  et 
qu'on  en  mît  à  sa  place  un  autre  tout  nouveau. 

Votre  cœur,  Messieurs,  est  cet  autel  que 
mille  crimes  ont  souillé,  que  déjà  peut-être 
mille  profanations  ont  déshonoré;  c'est  trop 
peu  d  en  laver  les  souillures,  d'en  ôter  les 
péchés,  il  faut  en  mettre  un  autre  à  sa  place 
et  en  bâtir  un  tout  nouveau  qui  soit  plus 
pur,  sur  les  ruines  de  l'ancien  qui  était 
corrompu  :  Mdificavevunt  altare  novum.  La 
sainteté  que  demande  le  sacrement  renferme 
une  nouveauté  de  vie,  une  nouveauté  de 
mœurs, une  nouveauté  de  cœur;  ce  n'est  point 
assez  que  votre  cœur  soit  libre  et  dégagé  de 
1  habitude,  il  faut  qu'il  soit  pénitent  et  engagé 
dans  la  vertu;  c'est. là  un  devoir  essentiel, et 
la  religion  n'en  connaît  point  de  plus  indis- 
pensable. 

O  vous,  qui  allez  vous  présenter  àla  sainte 
table,  renfermez-vous  dans  votre  cœur  une 
heureuse  preuve  de  pénitence?  sentez-vous 
que  les  désirs  célestes  aient  pris  la  place 
des  affections  terrestres?  avez-vous  un  cœur 
nouveau?  Avouez-le,  hélas!  si  votre  cœur 
s'est  rendu  plus  libre,  il  n'en  est  pas  devenu 
plus  chrétien;  s'il  est  revenu  du  vice,  il  n'en 
a  pas  plus  de  penchant  pour  la  vertu  ;  s'il 
abandonne  ses  désordres,  il  no  produit  point 
de  bonnes  œuvres  ;  s'il  est  dégoûté  du  crime, 
il  n'embrasse  point  la  pénitence;  vos  passions 
aux  approches  de  l'Eucharistie  ne  vont  ni  à 
Dieu  ni  au  monde  ;  dans  ce  temps  de  solen- 
nités votre  cœur  devient  peut-être  plus  tran- 
quille, mais  il  n'en  devient  pas  plus  fidèle  ; 
ces  routes  de  la  pénitence  où  il  faut  entrer 
vous  intimident  et  ne  vous  convertissent 
point  ;  vous  vous  calmezpeut-être  davantage, 
mais  vous  ne  vous  sanctifiez  point;  peut-être 
devenez-vous  plus  sages,  mais  sans  devenir 
plus  fervents  ;  voilà  Dourtant  en  quoi  consiste 
la  pureté  requise,  «et  un  cœur  moins  pur  est 
indigne  de  manger  la  chair  de  l'Agneau  sans 


tache  ;  il  faut  qu'en  vous  le  péché  cesse, 
qu'il  meurt,  ^ue  ses  affections  soient  étein- 
tes, et  qu'en  sa  place  la  charité,  la  pénitence, 
naissent  en  vous. 

Or,  il  faut,  pour  communier  dignement 
toutes  ces  dispositions  ;•  jugez-vous  vous- 
mêmes;  ceci  vous  regarde   tous,   gens   du 
monde:  qu'êtes-vous  devant  Dieu,  et  qu'il  y 
a  ici  de  profanateurs,   d'indignes  commu- 
nions; que  de  coupables  du  corps  et  du  seng 
du  Seigneur,  sous  la  ligure,  sous  le  nom  de 
chrétiens;  que  de  meurtriers  de  Jésus-Christ, 
qui  pendant   la  grande  fête  pensent  à  lui 
donner  le  coup  de  la  mort  en  le  recevant  in- 
dignement! Dieu  de  miséricorde, rendez  mes 
craintes  vaines  ;  mais,  sur  ces  principes,  qui 
sont  ceux  qui  reçoivent   Jésus-Christ  d'une 
manière  digne  de°  lui  ?  qu'il  est   à  craindre 
que  ce  grand  auditoire  ne  soit  qu'une  assem- 
blée de  déicides,  qui   feraient  horreur,  s'ils 
se  faisaient  voir  tels  qu'ils  sont  au  fond  du 
cœur!  Qu'il  est.  à  craindre  que  Jésus-Christ 
dans  ce  temple  ne  soit  encore  sur  le  Calvaire 
au  milieu  de  ses  bourreaux  !  Sur  ces  princi- 
pes, que  je  tremble  que  toute   votre  vie  ne 
soit  une  suite  de  noirs  attentats  contre  le 
corps  adorable  de  mon  Sauveur  ;  que  toute 
votre  religion  n'ait  été  de  le  faire  mourir  au 
moins  une  fois  l'an  !  Je  frissonne  quand  j'y 
pense  et  ne  saurais  en  parler  sans  trouble  et 
sans  confusion.   Qui  sait  d'où  viennent  les 
malheurs  qui  depuis  tant  d'années  désolent 
notre  France?  Dieu  parait  irrité  contre  son 
peuple  par  tous  les  fléaux  dont  il  le  frappe, 
et  ce  que  je  ne  puis  ici  vous  découvrir,  mes 
frères,  Dieu  le  connaît  et  l'exécute.  Peut-être 
parmi  tant  d'âmes  chrétiennes  qui   m'écou- 
tent,  s'en  trouve-t-il  une  plus  perfide  que 
les  autres,  qui   seule,  par  ses  abominations 
et  par  ses   communions  indignes   souvent 
réitérées,  attire  comme  Achab  la  malédiction 
sur  nous,  la  désolation  sur  sa  famille  et  sur 
tout  le  royaume  ;   elle  ne  le  sait  peut-être 
pas  ;  mais  qu'il  esta  craindre  que  de  cette  table 
sacrée  ne  se  soit  élevé  l'orage  qui  ravage  la 
terre  et  qui  vous  fait  gémir  sous   le  poids 
de  vos  misères.  Ce  pain  descendu  du  ciel, 
disait c'est  l'épée  foudroyante  qui  ren- 
verse toutes  choses  :  Panis  iste  gladius  est 
omnia  subvertêns  ;  ne   puis-je  pas  dire  de 
même  que  cette  communion  du  pécheur  im- 
pur s'est  convertie  en  toutes  les  calamités 
et  en  tous  les  fléaux  qui  affligent  les  hom- 
mes :  Panis  iste  gladius  est  omnia  subvertêns. 
Ah  !  que  chacun  se  dise  donc  ici  :  n'est-ce 
point  moi  qui  suis  ce  profanateur  indigne  : 
Nunquid  ego  sum,  Domine  ?  (Matth.,  XXVI.) 
Trop  de  raisons,  hélas!  me  le  font  craindre, 
et  je  ne  suis  plus  maître   de  mes  frayeurs 
quand  je  pense  au  peu  de  pureté  que  j'ap- 
porte à  la  table  sacrée  de  Jésus-Christ,  à  la 
sainteté  du  sacrement  de  nos  autels  et  au 
peu  de  préparation  que  j'y  apporte.  Ah! 
grand  Dieu,  si  mon  cœur  ne  se  brise,  s'il  ne 
se  purifie  par  une  vie  plus   sainte,   si  je  ne 
me  rends  plus  digne  de  vous  recevoir,  non- 
seulement  en  désertant  le  vice,  mais  en  pra- 
tiquant la   vertu,  arrachez-moi  du  nombre 
des  vivants  et  en  m'enlevant  à  la  terre  dont 


nos 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SURIAN. 


1I0< 


môme  je  ne  suis  pas  digne,  faites  cesser  ces 
malheurs  avec  ces  abominations,  ces  misè- 
res avec  ces  iniquités  ;  ôtez  à  votre  peuple 
sa  malédiction  et  sa  ruine  :  Toile  ruinam. 

Mais  je  ne  dois  pas  finir  ce  discours  sans 
prévenir  une  erreur  qui  jette  les  chrétiens 
dans  un  autre  abîme  non  moins  déplorable 
que  celui-ci  :  il  faut ,  dit-on,  de  si  grandes 
dispositions  pour  bien  communier  ;  le  plus 
suret  le  meilleur  est  donc  de  ne  point  com- 
munier. 

Vaine  ressource,  raisonnement  insensé  : 
il  faut  communier,  Messieurs;  cette  obliga- 
tion est  aussi  indispensable ,  aussi  essen- 
tielle, aussi  étroite  que  celle  de  bien  com- 
munier. Jésus-Christ  a  dit  :  Communiez  et 
communiez  utilement;  ne  point  communier, 
ce  n'est  point  cesser  de  devenir  coupable  du 
corps  de  Jésus-Christ ,  c'est  se  rendre  digne 
de  ses  châtiments  et  des  foudres  de  l'Eglise; 
et  si,  faute  de  s'approcher  dignement  de  la 
table  sacrée,  c'est  changer  le  remède  en  poi- 
son, quand  aussi  on  ne  s'en  approche  point 
du  tout,  on  tombe  dans  l'anathème  et  dans 
l'abomination,  et  si  l'un  meurt  en  sacrilège, 
l'autre  meurt  en  réprouvé. 

Ici,  Messieurs,  je  m'aperçois  que  l'alter- 
native vous  alarme,  et  que  vous  paraissez 
consternés;  le  précepte  d'un  côté,  votre  indi- 
gnité de  l'autre,  vous  jettent  dans  un  trou- 
ble si  violent,  que  malgré  vous  il  devient 
sensible  et  paraît  au  dehors.  Ah!  calmez- 
vous  :  en  vous  convertissant,  c'est  le  seul 
parti  que  vous  ayez  à  prendre,  et  aujour- 
d'hui, que  vous  êtes  forcés  de  communier, 
que  le  commandement  presse,  mettez-vous 
en  état  de  le  bien  faire;  disposez-vous,  par 
une  foi  vive  et  une  pureté  chrétienne,  à  re- 
cevoir un  Dieu  qui  vient  à  vous  ;  rapprochez 
vos  mœurs  de  la  sainteté  de  votre  baptême, 
réformez  votre  conduite  sur  la  règle  de  l'E- 
glise, consacrez-vous  tout  entier  à  Jésus- 
Christ  comme  il  se  donne  entièrement  à 
vous;  soumettez  votre  esprit  et  purifiez  votre 
coeur  ;  en  un  mot,  redevenez  chrétiens,  et 
alors  présentez-vous  à  la  table  sacrée.  Qui 
vous  arrête  encore  :  prenez  et  mangez,  et  celte 
même  Eucharistie ,  qui  aura  été  reçue  avec 
les  dispositions  nécessaires,  sera  dans  votre 
Ame  un  germe  de  salut  et  de  grâce  sur  la 
terre  et  une  semence  de  gloire  et  d'immor- 
talité dans  le  ciel  :  Germen  gratiœ,  semen  glo- 
riœ.  Je  vous  le  souhaite  de  tout  mon  cœur, 
au  nom  du  Père,  etc.  Amen. 

SERMON  XXX. 

Pour  l'absoute  de  Pâques. 

SUll  LA  RÉCONCILIATION  DU  PÉCHEUR  AVEC  DIEU. 

Obsecramus  pro  Chrtsto  reconciliamini  Deo.  fil  Cor. 
V.) 

Nous  vous  en  conjurons  au  nom  ae  [Jésus- Christ,  récon- 
ciliez-vous avec  votre  Dieu. 

Ainsi  parlaient  les  apôtres  à  leurs  disci- 
ples, pour  les  obliger  à  recevoir  dans  sa  plé- 
nitude la  grâce  de  la  réconciliation  avec  Dieu. 
Ainsi  viens-je  vous  conjurer  de  tout  mon 
cœur  et  de  toutes  mes  forces  à  vous  mettre 
en  état,  mes  chers  frères,  d'obtenir  la  rémis- 


sion de  vos  péchés  dont  l'absolution  solen- 
nelle qui  suivra  ce  discours,  n'est  qu'une 
image  et  une  préparation,  obsecramus  pro 
Christo,  etc.;  eh  1  que  de  motifs  pressants  sol- 
licitent,dans  les  pécheurs, une  sincère  péni- 
tence. La  sainteté  de  Dieu,  sa  justice,  met- 
tons-y sa  miséricorde  qui  semble  surtout 
vous  y  appeler  d'une  voix  plus  forte  que 
toutes  les  autres  perfections;  Dieu,  parce 
qu'il  est  saint,  pur,  séparé  de  toute  malice  et 
de  toute  imperfection,  demande  des  cœurs 
purs  et  innocents;  et  comment  une  âme 
souillée  peut-elle  s'approcher  de  lui,  si  des 
regrets  amers  ne  la  purifient;  Dieu,  parce 
qu'il  est  juste,  ne  peut  laisser  le  crime  im- 
puni, il  faut  en  porter  la  peine  en  ce  monde 
ou  en  l'autre  ;  eh  1  comment  donc  espérer 
d'en  obtenir  le  pardon,  si  on  ne  l'efface  au- 
paravant par  sa  douleur  et  par  ses  larmes. 
Dieu,  parce  qu'il  est  miséricordieux,  doit 
remettre  aux  pécheurs  leurs  offenses  ;  mais 
quelle  grâce  en  espérer  si  un  vif  repentir  ne 
l'implore,  et  voilà  la  raison  qui  faisait  gémir 
sans  cesse  le  roi  pénitent:  J'ai  offensé,  se  di- 
sait-il à  lui-même,  un  Dieu  admirable  dans  sa 
sainteté,  un  Dieu  terrible  dans  sa  justice,  un 
Dieu  infini  dans  ses  miséricordes. 

Vous  donc,  pécheurs,  qu'une  mauvaise  vie 
rend,  comme  David,  si  opposés  à  la  sainteté 
de  Dieu,  si  redevables  à  sajustice,  si  indignes 
de  sa  bonté,  et  que  peut-il  vous  adresser  au- 
jourd'hui de  plus  favorable  que  ces  paroles 
qu'il  vous  fait  entendre  par  notre  bouche  fai- 
tes pénitence,  par  elle  vous  vous  rendrez 
conformes  à  ma  sainteté;  par  elle,  vous  dé- 
sarmerez ma  justice;  par  elle,  vous  pourrez 
attirer  sur  vous  ma  miséricorde? 

Entrons,  Messieurs,  dans  ces  trois  grands 
motifs  que  l'Eglise  nous  propose  pour  obte- 
nir la  rémission  de  nos  péchés  et  pour  ren- 
dre notre  pénitence  parfaite.  '  1°  Devant  ce 
Dieu  saint,  faisons  cesser  nos  péchés.  2°  De- 
vant ce  Dieu  juste,  expions  nos  péchés. 
3*  Devant  ce  Dieu  miséricordieux,  ne  repre- 
nons plus  nos  péchés.  Suivons  ces  trois 
considérations  si  conformes  aux  intentions 
de  l'Eglise,  si  propres  au  saint  temps  où 
nous  sommes  et  si  convenables  à  la  pieuse 
cérémonie  qui  nous  assemble. 

PREMIÈRE    PARTIE 

Oui,  Messieurs,  notre  âme,  quelque  im- 
pure qu'elle  soit ,  est  toujours  l'objet  de  la 
miséricorde  de  notre  Dieu;  or,  si  ce  Dieu 
est  saint  et  la  sainteté  même,  notre  âme, 
pour  s'approcher  de  lui,  doit  être  sainte 
comme  lui:  donc  vous  devez  faire  pénitence 
et  témoigner  vos  regrets  d'avoir  osé  offen- 
ser cette  infinie  sainteté  devant  qui  la  moin- 
dre tache  est  une  affreuse  laideur.  Aussi 
fut-ce  ce  motif  que  Dieu  employa  autre- 
fois pour  porter  à  la  pénitence  les  enfants 
d'Israël;  ou  lavez-vous  de  vos  in:cpiités  et 
purifiez  vos  âmes  qui  sont  souillées,  ou 
n'approchez  point  de  moi,  parce  que  je  suis 
un  Dieu  saint  et  qu'il  faut  être  saint  comme 
moi  :  Sancti  estote,  quia  ego  sanctus  sum. 
(  Levit.,  XIX.)  N'est-ce  pas  comme  s'il  nous 
disait?  Non,  tant  qu'une  abstinence  exacte 


CAREME.  —  SERMON  XXX,  RECONCILIATION  DU  PECHEUR  AVEC  D!EU. 


1106 


qu'un  jeûne  austère  et  des 
mortifications  sensibles  ne  répareront  point 
la  sensualité,  la  mollesse  de  votre  vie,  la 
délicatesse  de  votre  table  ,  l'immortification 
de  votre  chair  et  de  vos  sens,  tant  qu'une 
aumône  abondante,  une  restitution  entière, 
un  désaveu  public  n'effaceront  point  en  vous 
cette  insatiable  cupidité,  ces  cruelles  injus- 
tices, ces  noires  médisances;  non,  tant  que 
des  prières  ferventes,  des  lectures  salu- 
taires, désoeuvrés  de  piété,  ne  rempliront 
point  ces  journées  toutes  entières  que  vous 
avez  données  à  la  dissipation  du  siècle,  aux 
assemblées  profanes,  à  la  paresse  et  à  l'oisi- 
veté; non  tant  que  de  sérieux  retours  sur 
vous-mêmes,  des  actes  réitérés  de  foi ,  d'es- 
pérance et  d'amour  ne  répareront  point  tant 
de  temps  passé  dans  l'oubli  de  mes  grâces, 
dans  l'indifférence  à  mes  commandements, 
et  dans  la  négligence  de  mon  culte  ;  tant  que 
l'amour  saint  n'effacera  point  de  votre  cœur 
l'amour  profane  ,  tant  qu'une  vie  crucifiée 
et  anéantie  n'ôtera  point  de  votre  âme 
l'impression  funeste  qu'y  ont  faite  l'ambition 
et  la  volupté;  tant  que  vous  ne  tiendrez 
point  une  conduite  toute  contraire  à  celle 
qui  dégradait  en  vous  mon  image  et  qui 
scandalisait  votre  prochain ,  mon  œil  ne  se 
tournera  point  vers  vous,  nia  pureté  ne  peut 
souffrir  vos  souillures,  vous  êtes  un  pé- 
cheur obstiné,  et  moi  je  suis  la  sainteté 
même;  commencez  par  vous  purifier  et  vous 
sanctifier  avant  de  vous,  présenter  devant 
moi,  parce  que  je  suis  saint  :  Sancti  estote, 
quia  ego  sanctus  sum. 

Faites-vous,  Messieurs,  de  cet  ordre  de 
salut  l'ordre  de  votre  conduite?  peut-on 
dire  que,  par  le  respect  que  vous  avez  pour 
la  sainteté  de  Dieu,  elle  vous  fasse  entiè- 
rement quitter  le  péché,  qu'elle  en  arrête 
le  cours  pour  toujours,  qu  elle  change  votre 
cœur,  qu'elle  vous  change  tout  vous-mêmes 
et  que  vous  soyez  tout  autres  dans  votre  vie 
et  dans  vos  mœurs?  Hélas  1  que  faites-vous 
qui  ne  vous  rende  plus  coupables  à  ses 
yeux  et  qui  ne  tende  à  le  déshonorer  da- 
vantage? mais  au  moins,  si  vous  avez  tant 
fait  que  de  cesser  d'offenser  un  Dieu  si 
saint,  sachez  ici  que  vous  n'avez  plus  be- 
soin que  de  douleur  et  de  regrets,  et  que 
ce  n'est  pas  assez  d'avoir  quitté  le  péché 
pour  lui  plaire,  il  faut  le  détester  par  un  vif 
repentir  .  Nous  ne  sommes  plus  à  nous  , 
nous  appartenons  à  la  pénitence. 

Hé! où  est  celui  d'entre  vous,  Messieurs, 
qui  s'y  livre  à  ces  regrets  et  à  cette 
douleur?  Demandez-vous  icià  vous-mêmes 
quels  plaisirs,  quelles  habitudes,  quelles 
liaisons,  quels  jeux,  quelles  pompes  vous 
avez  sacrifiés  au  violement  éternel  de 
cette  sainteté  toute  divine?  Elle  veut  que  le 
péché  vous  ayant  tout  corrompus ,  la  péni- 
tence vous  purifie  entièrement  ;  et  où  paraît- 
il  en  vous  qu'elle  vous  ait  purifiés?  Dans 
votre  esprit  il  est  encore  aussi  superbe, 
aussi  curieux,  aussi  dissipé,  aussi  indo- 
cile, aussi  infidèle  qu'il  était.  Est-ce  dans 
votre  cœur  ?  Ah  1  il  est  aussi  corrompu  , 
aussi  terrestre    aussi  mondain  ,  aussi  vo- 


luptueux, aussi  intéressé,  aussi  impudique, 
aussi  passionné  qu'il  était.  Où  paraît-il  dans 
votre  corps?  Ah  !  il  est  encore  aussi  délicat, 
aussi  immortifié,  aussi  sensuel,  aussi  infâme, 
aussi  idolâtre  qu'il  était  ;  elle  exigerait,  cette 
sainteté  de  Dieu,  que  ce  corps  misérable, 
dont  le  démon  prend  la  défense,  lui  devînt 
une  hostie  universelle  ;  mais  est-ce  donc 
une  hostie  digne  de  Dieu,  que  ce  corps  si 
ménagé,  si  flatté,  si  idolâtré,  pour  lequel 
vous  avez  un  amour  si  lâche,  de  qui  vous 
prenez  un  soin  si  extrême  ,  dont  vous  éloi- 
gnez les  plus  légères  peines,  les  moindres 
mortifications;  et  où  sont  donc  les  coups 
que  vous  lui  portez  pour  l'immoler  au  Dieu 
saint?  où  sont  les  violences  que  vous  lui  fai- 
tes, les  douceurs  que  lui  refusez  ?  la  péni- 
tence'y  fait-elle  quelque  plaie, quelque  impres- 
sion, et  n'est-il  pas  plutôt  votre  idole  qu'on 
adore,  qu'une  victime  qu'on  fait  mourir  ? 

Ah  I  puis-je  donc  m'écrier  avec  le  pro- 
phète Jérémie,  invitant  les  cieuxà  m'écou- 
ter,  et  les  anges  à  devenir  inconsolables: 
partout  on  a  violé  la  sainteté  de  Dieu ,  tous 
ont  prophané  son  saint  nom,  souillé  sa  pu- 
reté ,  et  on  n'en  voit  pas  un  seul  qui  fasse 
pénitence  de  ses  crimes  :  Nullus  est  qui 
agut  poenilenliam  super  peccato  suo.  (Jerem., 
VIII.)  Ah  1  faites-la  donc  cette  pénitence, 
mes  frères,  et  que  nul  ne  s'en  exempte,  puis- 
qu'on ne  cesse  d'être  pécheur;  embrassez- 
la  sans  délai  et  sans  aucune  réserve;  ne 
vous  contentez  pas  du  dedans  ,  quoique  ce 
soit  l'essentiel;  comprenez-y  aussi  votre 
chair  coupable  ,  faites-lui  entendre  qu'un 
Dieu  si  saint  ne  peut  souffrir  en  vous  les 
moindres  taches  ;  qu'il  faut  donc  que  la  péni- 
tence purifie  les  regards  de  cet  œil  qui  doit 
le  voir  un  jour,  les  paroles  de  cette  bouche 
qui  doit  chanter  avec  les  anges  ses  cantiques, 
les  pensées  de  cet  esprit  qui  doit  le  contem- 
pler, les  désirs  de  ce  cœur  qui  doit  l'aimer, 
en  un  mot  tout  vous-mêmes. 

Les  enfants  de  Juda,  pour  réparer  la  sain- 
teté du  temple  de  Dieu  qu'ils  avaient  souillé, 
pleurèrent  prosternés  la  face  contre  terre, 
jusqu'à  ce  que  le  temple  fût  renouvelé  et  les 
autels  purifiés  :  Planxerunt  planclu  magno  et 

imposuerunt   cincrem  super  cetput  suum 

donec  emundarent  sancla.  (II  Meich. ,  IV.) 

Et  vous ,  pécheurs,  pour  rendre  à  votre 
cœur,  ce  sanctuaire  souillé,  la  sainteté  qu'il 
a  perdue,  abandonnez-vous  à  la  tristesse  et 
aux  gémissements,  d'avoir  osé  le  profaner 
dans  le  temps  que  la  sainteté  de  votre  Dieu 
y  avait  gravé  son  image  ;  brisez  vos  cœurs 
par  la  douleur,  affligez  vos  âmes  par  les  re- 
grets et  le  repentir  :  quel  sujet  plus  propre 
à  vous  humilier  que  la  pensée  de  vos  crimes  l 
Autrefois  que  votre  vie  innocente  n'offrait 
rien  de  contraire  à  la  loi  de  Dieu  et  à  sa  sain- 
teté, vous  vous  excusiez  sur  votre  régula- 
rité; pour  vous  dispenser  de  pénitence, 
vous  attendiez  une  vie  plus  perdue,  plus 
débordée.  Là  voilà  trop  tôt  venue ,  cette  vie 
déplorable  ;  vous  êtes  tout  corrompus,  et,  si 
vous  ne  vous  lavez  dans  les  larmes  de  la 
pénitence,  vous  ne  serez  jamais  bien  reçu* 
de  la  sainteté  de  Dieu.  Ah  !  que  ne  la  faites- 


î!07 


ORATEURS  SACRES.   LE  P.   SU  MAX. 


ItOS 


vous  donc,  cette  pénitence,  puisque  vous 
avez  fait  le  mal  ?  que  ne  prenez-vous  au  plus 
vite  le  remède?  Ecriez-vous  avec  le  prophète 
ïsaïe  :  Puisque  nous  avons  offensé  le  Dieu 
saint  et  que  nous  n'avons  pas  voulu  nous  puri- 
fier pour  paraître  devant  lui ,  ah  l  il  s'en  ven- 
gera ;  et  pour  avoir  refusé  rie  le  satisfaire 
uans  sa  sainteté,  nous  le  sanctifierons  dans 
sa  justice  :  Deus  sanctus  sanctificabitur  in  ju- 
stifia; et  voici  un  second  motif  de  faire  pé- 
nitence'': La  justice  de  Dieu  qui  ne  souffre 
point  de  fautes  impunies. 

SECOND   POINT. 

Et  certes,  pour  nous  mieux  convaincre  de 
quel  secours  nous  doit  être,  pour  embrasser 
la  pénitence,  la  vue  seule  de  la  justice  de 
Dieu,  voyons-la  dans  ses  droits.  Ils  deman- 
dent, ces  droits,  que  l'iniquité  soit  malheu- 
reuse et  punie,  ou  dans  ce  monde,  ou  dans 
l'autre;  ils  veulent,  ces  droits,  que ,  si  le 
pécheur  ne  fait  point  pénitence  sur  la  terre, 
il  la  fasse  dans  1  enfer,  et  exigent  de  lui  une 
alternative  ou  de  souffrir  des  peines  et  des  ri- 
gueurs pendant  cette  courte  vie,  ou  d'en  endu- 
rer d'éternelles  après  la  mort.  Ils  doivent  le 
porter  à  dire  à  Dieu  comme  David  :  Détour- 
nez, Seigneur,  votre  justice  de  dessus  moi  : 
Âvrrle  iram  tuam  a  me.  Qu'elle  change  de 
place  ;  qu'au  lieu  de  me  punir  dans  l'enfer 
après  ma  mort ,  elle  me  punisse  dans  le 
monde  pendant  ma  vie;  qu'elle  tombe  ici 
sur  ma  chair  criminelle ,  qu'elle  la  frappe, 
qu'elle  la  mortifie,  mais  éloignez-la  de  mon 
âme.:  Averte  iram  tuam  â  me  (Psal.  LXXXIV)  ; 
faites  passer  la  pénitence  que  je  mérite  de 
l'enfer,  où  elle  ne  me  sera  plus  méritoire, 
dans  mon  cœur,  où  elle  me  sera  salutaire  : 
Averte  iram  tuam  a  me. 

Or  ce  principe  supposé,  quelle  doit  donc 
être  votre  conduite?  S'il  est  indubitable  que 
la  justice  fera  en  l'autre  vie  ce  que  la  péni- 
tence n'aura  pas  fait  en  celle-ci,  n'est-il  pas  de 
votre  intérêt  de  l'embrasser  sans  délai,  cette 
pénitence,  de  vous  y  condamner  pendant 
tout  le  reste  de  vos  jours,  et  y  aurait-il  de 
la  prudence  et  de  la  raison  à  vous  de  vous 
reposer  sur  le  bras  de  la  divine  justice,  du 
soin  de  vous  punir,  lorsqu'elle  se  repose 
elle-même  sur  votre  pénitence  du  soin  de 
vous  punir  par  les  vôtres  ?  Est-ce  du  bon  sens 
et  de  l'avantage  du  pécheur  de  vouloir  atten- 
dre à  faire  une  cruelle  pénitence,  quand  elle 
sera  vaine  et  affreuse,  et  de  refuser  de  l'em- 
brasser quand  elle  est  encore  possible  et 
salutaire,  et  ne  pouvant  ôter  à  Dieu  les 
droits  de  sa  justice ,  qui  seront  exécutés  à 
la  rigueur,  n'est-ce  pas  être  insensé  de  ne 
pas  vouloir  travailler  à  la  satisfaire  pendant 
qu'on  en  a  le  pouvoir  et  le  temps  ? 

Cependant,  qui  est-ce  qui  travaille  à  cette 
satisfaction  salutaire  ?  parait-il  rien  dans  tout 
'  ce  que  nous  vous  voyons  de  pécheurs  qui 
nous  marque  l'expiation  de  leurs  péchés? 
Hélas  !  au  lieu  de  travailler  à  expier  ses 
crimes  pour  satisfaire  à  la  justice  de  Dieu, 
ne  travaille-t-on  pas  au  contraire  à  l'insul- 
ter, à  accumuler  ses  dettes  par  des  offenses 
nouvelles,  par  des  outrages  plus  grands?  ou 


bien  si  l'on  fait  quelques  satisfactions,  elles 
sont  si  inutiles,  si  disproportionnées,  si  lé- 
gères, qu'elles  n'ôtent  rien  au  démon  de  ses 
droits,  et  qu'après  vous  être  perdus  par  vos 
péchés,  vous  vous  damnez  encore  par  votre 
pénitence;  car  qu'est-ce  que  la  pénitence? 
C'est  le  supplément  des  châtiments  .de  l'é- 
ternité ;  c'est  le  tableau  des  peines  de  l'en- 
fer, c'est  l'assemblage  de  toutes  les  morti- 
fications que  vous- pouvez  vous  représenter 
en  cette  vie  :  tout  cela  ressemble-t-il  dans 
celle  que  vous  faites?  Pensez-vous  que,  si 
Dieu  se  vengeait  de  vos  offenses,  il  ne  vous 
punirait  que  comme  vous  vous  punissez  ? 
croyez-vous  même  qu'il  ne  vous  demandât, 
pour  tant  de  crimes  commis,  qu'autant  de  ces 
légères  pénitences  que  le  prêtre  vous  im- 
pose, et  qui  souvent  vous  soulèvent  si  fort 
contre  lui  ?  Se  contenterait-il  de  ce  qui  com- 
pose ici -bas  vos  satisfactions  ordinaires 
que  vous  n'observez  qu'en  murmurant , 
et  sur  lesquelles  vous  posez  tout  l'édifice 
de  votre  justification?  Si  c'était  sa  justice 
qui  prît  soin  de  vous  châtier,  pensez-vous 
qu'il  se  contentât  de  ces  jeûnes  si  adoucis, 
de  ces  prières  si  précipitées,  de  ces  aumô- 
nes si  modiques,  de  ces  afflictions  si  mal 
reçues,  de  ces  tribulations  si  mal  souffertes, 
de  ces  confessions  si  froides  et.  si  resserrées, 
qui  ne  sont  que  des  copies  et  des  ressem- 
blances les  unes'  des  autres  ;  de  cette  dou- 
leur apparente,  de  ces  regrets  et  de  ces 
repentirs  qui  sortent  de  la  bouche  et  qui  ne 
vont  jamais  jusqu'au  coeur,  qui  est  leur  vé- 
ritable demeure;  et  en  vérité  la  justice  do 
Dieu  est-elle  bien  dédommagée  par  des  pé- 
nitences de  cette  nature?  est-ce  assez  la 
payer  pour  des  satisfactions  immenses  que 
vous  lui  devez  ?  Est  là  se  conformer  à  son 
poids  ,  et  mettez-vous  dans  sa  balance  si 
peu  de  satisfactions  avec  tant  de  péchés?  Ar- 
bitres qu'il  vous  fait  de  sa  cause  ,  lui  rendez- 
vous  toute  la  justice  que  vous  lui  devez? 
Agréerait-il  vos;  expiations  comme  venant 
de  sa  part  ?  On  vous  le  dit  et  on  le  répète 
encore:  vos  expiations  doivent  être  unies 
avec  celles  de  Jésus-Christ;  elles  doivent 
se  conformer  aux  siennes.  Or,  pensez-vous 
qu'elles  puissent  entrer  en  comparaison 
avec  celles  d'un  Dieu  qui  va  mourir  pour 
vous  dans  un  abîme  de  souffrances,  de  dou- 
leurs et  d'humiliations  ?  Montrez-nous  donc 
la  conformité  qui  s'y  trouve.  Ecce  homo  ;  le 
voilà  présent ,  celui  qui  a  tant  souffert  pour 
vos  péchés  ;  considérez-le  :  par  où  lui  ressem- 
blez-vous? Ahl  je  ne  suis  point  étonné  do 
voir  là-dessus  votre  tristesse  et  votre  abat- 
tement; car,  si,  vous  punissant  si  mal,  vous 
forcez  Dieu  à  reprendre  ses  droits  et  à  vous 
punir  lui-même  :  ah  !  où  en  ôtes-vous  ?  je  ne 
puis  y  songer  sans  frémir  jusqu'au  fond  de 
l'âme. 

Mais  je  vois  ce  que  se  disent  vos  cœurs  im- 
pénitents :  Pourquoi  nous  tant  parler  que 
Dieu  est  juste,  n'est-il  pas  aussi  miséricor- 
dieux? J'en  conviens;  mais,  avant  de  vous 
former  un  vain  asile  contre  la  pénitence  dans 
la  miséricorde  de  Dieu,  vous  verrez,  si  la 
temps  me  le  permet,  qu'elle  est  un  troisième. 


1IC9 


ME.  —  SERMON  XXX,  RECONCILIATIOxN  DU  PECHEUR  AVEC  DIEU. 


à  l'embrasser. 


motif  qui  doit  vous   porter 

TROISIÈME    POINT. 

Et  en  effet,  c'est  un  Dieu  si  riche  en  misé- 
ricorde, que  rien  ne  peut  y  mettre  de  bor- 
nes; il  ne  nous  parle  presque  point  qu'il  ne 
nous  propose  des  grâces  ;  il  ne  nous  voit 
jamais  dans  la  peine  qu'il  ne  se  fasse  un 
plaisir  de  nous  en  délivrer;  il  ne  nous  me- 
nace point  qu'il  ne  se  fasse  .vin  engagement 
de  nous  pardonner  si  nous  revenons  à  lui 
dans  toute  la  sincérité  de  notre  cœur;  il  nous 
assure  même  par  son  prophète,  qu'il  n'y  a 
point  d'abîme  assez  profond  où  il  ne  porte 
son  bras  miséricordieux  pour  nous  en  retirer, 
si  nous  faisons  nos  efforts  pour  en  sortir; 
il  ajoute  môme  le  serment  que  c'est  à  ce  mo- 
ment qu'il  emploie  ses  grâces  les  plus  sensi- 
bles pour  nous  chercher,  pour  nous  rappeler 
à  lui,  pour  nous  convertir;  peut-être  qu'il 
regarde  favorablement  les  tendres  agitations 
de  vos  cœurs  qui  commencent  à  souffrir  de 
n'être  point  à  lui  et  d'en  être  si  éloignés  ; 
peut-être  que  déjà  il  assemble  ses  anges,  et 
qu'au  premier  signal  de  votre  pénitence,  il 
veut  se  donner  la  consolation  de  tout  oublier 
et  de  ne  vous  plus  imputer  aucune  de  vos 
infidélités  passées. 

A  ces  traits  d'une  miséricorde  si  touchante 
votre  cœur  peut-il  résister?  tiendrez- vous 
contre  tant  d'impatience,  contre  tant  de  mar- 
ques d'amour,  et  ne  vous  sentirez-vous  point 
pressés  de  prendre  la  qualité  déjuges  con- 
tre vous-mêmes,  et  de  dire  :  Mon  Dieu, 
puisque  vous  êtes  si  miséricordieux,  je  veux 
être  sévère  et  rigoureux,  je  me  sens  animé  à 
punir  un  coupable  qui  a  su  offenser  un  Dieu 
si  saint,  si  juste,  si  bon,  et  ce  cœur,  qui  n'a 
pu  se  rendre  aux  frayeurs  de  votre  justice, 
cède  enfin  aux  tendres  sentiments  de  votre 
bonté  :  Conrertimini  ad  Dominum  Deutn  ves- 
trum,  quia  benignus  et  miscricours  est.  (Joël, 
II.) 

Ah  !  écriez-vou£  donc  avec  amour  à  la  vue 
de  ce  Dieu  de  miséricorde  :  Oui,  Seigneur, 
je  veux  tout  de  bon  me  rendre  à  vos  empres- 
sements, je  suis  honteux  d'avoir  si  longtemps 
lassé  votre  patience,  je  ne  veux  obtenir  le 
pardon  de  mes  fautes  que  par  mes  gémisse- 
ments et  mes  larmes,  je  vais  me  mettre  au 
nombre  des  pénitents,  puisque  je  l'ai  été  si 
longtemps  de  celui  des  pécheurs;  et  puisque 
vous  voulez  bien  me  faire  grâce,  que  vous 
accordez  la  rémission  à  mes  péchés,  je  veux 
vous  offrir  aussi  un  cœur  contrit  et  humilié, 
un  esprit  abattu  et  soumis,  une  chair  réduite 
et  mortifiée. 

Voilà,  mes  frères,  ce  que  vous  devez  faire 
en  ces  saints  jours,  et  ne  venez  pas  ici  pour 
vous  faire  spectacle  de  celte  pieuse  exhorta- 
tion, mais  convertissez- vous  à  Dieu  dans  l'a- 
mertume de  votre  cœur  et  lui  demandez  avec 
larmes  la  rémission  de  vos  péchés. 

Vous  le  savez  que  ce  sont  ici  les  précieux 
restes  de  la  discipline  des  premiers  temps: 
hélas  1  siècles  d'or,qu'êtes-vous  devenus  !Au 
commencement  du  carême  les  pénitents  pu- 
blics se  présentaient  à  la  porte  de  l'Eglise  les 
pieds  nus,  couverts  de  sacs  et  do  cendres, 


il  lit 

le  visage  tourné  vers  la  terre  ;là,  prosternés 
et  abattus,  ils  recevaient  du  pénitencier  la 
peine  proportionnée  à  leurs  crimes,  l'évêque 
lui-même  à  la  tête  de  son  clergé;  ils  chan- 
taient les  psaumes  de  la  pénitence  pour  im- 
plorer la  miséricorde  du  Seigneur,  ils  se 
relevaient  pour  qu'on  leur  jetât  de  la  cendre 
sur  la  tête,  qu'on  les  couvrît  d'un  rude  cilice, 
et  poussant,  de  profonds  soupirs,  de  cui- 
sants regrets,  ils  se  disaient  que,comme  Adam 
ayant  été  chassé,  du  paradis  terrestre  par 
leurs  fpéchés,  ils  ne  pouvaient  espérer  d'y 
rentrer  que  par  la  pénitence.  Souvenez-vous, 
leur  disait-on,  que  vous  n'êtes  que  cendre, 
et  que  vous  retournerez  en  cendre  ;  tout  le 
peuple  assistait  à  cette  cérémonie,  et  ce  n'é- 
tait qu'après  s'être  présentés  aux  portes  de 
l'Eglise  qu'ils  entraient  pour  y  recevoir  de 
la  main  de  leur  pasteur  la  rémission  de  leurs 
péchés,  et  ensuite  être  admis,  s'ils  le  méri- 
taient, dans  l'assemblée  des  fidèles. 

Vous  avez  pris  leurs  places,  mes  frères  ; 
vous  êtes  ici  ce  qu'étaient  ces  fameux  péni- 
tents, et  peut-être  que,  dans  ce  grand  audi- 
toire, il  y  a  plusieurs  de  ces  pécheurs  décla- 
rés scandaleux  qui  étaient  autrefois  sujets' à 
la  pénitence  publique,  et  que,  si  vous  eus- 
siez été  dans  ces  premiers  temps,  on  vous 
aurait  vus  former  avec  eux  ce  triste  specta- 
cle; entrez  donc  dans  les  mêmes  sentiments 
de  pénitence  où  étaient  ces  infortunés  pé- 
cheurs que  vous  auriez  dû,  si  l'Eglise  ne 
vous  avait  fait  grâce,  représenter  vous-mêmes 
encore  aujourd'hui;  suppléez  par  votre  com- 
ponction et  vos  larmes,  par  quelque  légère 
mortification,  à  cette  pénitence  si  rigoureuse 
e',  si  humiliante  qu'ils  étaient  obligés  de 
soutenir  pendant  tout  le  carême,  et  à  cette 
cérémonie  de  l'Eglise  primitive,  apportez 
une  douleur  des  plus  sincères. 

Tous  ensemble  prosternés  devant  Jésus- 
Christ,  écrions-nous  :  O  Dieu  saint,  créateur 
et  sauveur  du  monde,  qui  adoucissez  les 
lois  de  votre  justice  par  l'abondance  de  vo- 
tre amour,  et  qui  ne  voulez  pas  que  les  pé^ 
cheurs  meurent,  mais  qu'ils  se  convertis- 
sent et  qu'ils  vivent  par  la  pénitence,  nous 
crions  aujourd'hui  vers  vous  ;  que  les  lar- 
mes do  nos  cœurs  affligés  vous  touchent  et 
vous  désarment!  Tendez  une  main  secourable 
à  des  malheureux  qui  sont  tombés  par  leur 
faute;  que  les  démons  ne  se  réjouissent 
plus  de  notre  perle ,  qu'ils  ne  triomphent 
plus  de  nos  malheurs.  Tous  ici  nous  nous 
humilions  en  votre  présence,  tous  ici  nous 
vous  offrons  nos  prières  et  nos  larmes,  la 
douleur  et  la  componction  de  nos  cœurs; 
pardonnez-nous  nos  offenses,  guérissez  nos 
plaiits,  prenez  pitié  de  nos  misères;  nous 
t  rembl  ions  (et  ce  n'était  pas  sans  sujet)  à  la  vue 
de  notre  Juge.  Eh!  que  nous  ayons  la  joie, 
Père  tendre,  de  nous  vuir  réunis  au  nombre 
de  vos  enfants  ;  que  nous  ayons  la  conso- 
lation, o  pasteur  charitable,  de  nous  voir 
réunis  au  nombre  de  vos  brebis  fidèles;  re- 
connaissez en  nous  votre  ouvrage,  rendez- 
lui  les  traits  qu'il  défigurait,  et  que,  par 
le  secours  de  votre  grâce,  nous  rentrions 
dans  les  premiers  droits  de  notre  adoption. 


itil 


OKATELHS  SACHES.  LE  P.  SIR! AN. 


111-2 


Vous  ayez  dit  qce  vous  auriez  les  yeux  sur 
ceux  qui  élèveraient  vers  vous  leurs  cœurs, 
et  vous  nous  avez  promis  que  si  deux  ou 
trois,  assemblés  en  votre  nom,  vous  deman- 
daient quelque  grâce,  vousjie  la  leur  refu- 
seriez pas;  tous  ici  assemblés  avec  ce 
grand  coupable,  nous  vous  demandons  en 
votre  nom  la  rémission  de  nos  péchés  ; 
pourriez-vous  ne  pas  nous  l'accorder,  si  vous 
pardonnâtes  au  bon  larron  qui  fut  touché 
de  repentir,  à  la  pécheresse  qui  confessa 
ses  péchés,  au  publieain  qui  vous  accusa 
ses  injustices,  à  Pierre  qui  pleura  son  infi- 
délité? et  quand  nous  délaissons  nos  pé- 
chés, que  nous  les  confessons,  que  nous 
nous  en  accusons,  que  nous  les  pleurons 
ici,  vous  ne  nous  les  pardonneriez  pas? 
Ah  !  nous  espérons  mieux  de  vos  miséri- 
cordes ;  ayez  pitié  de  notre  douleur,  écou- 
tez nos  gémissements  ;  que  la  confiance  que 
nous  avons  en  vous  seul  ne  soit  point 
trompée,  que  cette  absolution  que  le  saint 
ministre  va  nous  donner,  nous  dispose  à 
recevoir  avec  fruit  l'absolution  sacramen- 
telle que  nous  irons  chercher  au  tribunal 
de  la  pénitence,  afin  que  par  là  nous  mé- 
ritions d'être  admis  à  la  fête  de  votre  corps 
et  de  posséder  un  jour  avec  vous  vo- 
tre royaume  dans  l'éternité  bienheureuse. 
Amen  '(13). 

SERMON  XXXÏ. 

DES   AFFLICTIONS    CHRÉTIENNES. 

Nonne  oportuitpatiChristum  etitainlrare  in  gloriam 
suam   (Luc,  XXIV.) 

N'a-t-il  pus  futlu  que  Jésus-Christ  ait  souffert  pour  entrer 
par  celle  voie  d:.ns  su  gloire  ? 

Quel  langage ,  Messieurs ,  et  pouvez- 
vous  l'entendre  sans  sentir  soulever  la  na- 
ture et  frémir  l'amour-propre;  c'est  cepen- 
dant votre  Dic-u  lui-même  qui  vous  l'adresse 
aujourd'hui  par  mabouebe.  Oh  !  que  je  m'es- 
timerais heureux  si,  pendant  que  je  vous 
parle  de  la  nécessité  des  souffrances  chré- 
tiennes, vous  sentiez  en  vous-mêmes,  comice 
les  pèlerins  d'Emmaùs,  ces  divines  flam- 
mes dont  ils  se  disaient  les  uns  aux  autres 
que  leur  cœur  était  embrasé  !  Je  n'ose  me 
promettre  un  succès  qui  ne  provient  que 
de  l'esprit  de  Dieu  ;  mais  je  peux  au  moins 
espérer  qu'en  ces  jours  solennels  où  vous 
recevrez  le  grain  de  vie,  vous  ne  vous  ré- 
volterez pas  contre  moi  si  je  vous  annonce 
la  nécessité  où  vous  êtes  tous  de  souifrir  et 
les  grands  avantages  qui  sont  attachés  à 
1  affliction  qui  ne  vous  manque  presque  ja- 
mais. 

Je  dis  qui  ne  vous  manque  presque  ja- 
mais; car,  sans  avoir  égard  à  ces  fléaux 
éclatants  et  terribles  dont  il  plaît  au  Sei- 
gneur de  frapper  des  royaumes  entiers  dans 
certains  temps  ,  il  est  d'ailleurs  peu  de  con- 
mtions  dans  le  monde  où  sa  main  ne  verse 
une  portion  de  ce  calice  amer  qu'il  a  bu  le 
premier.  Les  Saras  dans  le  nœud  du  mariage 

(13)  Ici  venait,  dans  le  manuscrit,  le  Sermon  pour 
le  jour  de  Pâques,  sur  ttiilésurrection;  nous  l'avons 
donné  au  Petit  Carême.  11  élaii  imprimé  au  volume 


ont  souvent  des  Agars  qui  les  importunent; 
les  Josephs  parmi  les  frères  trouvent  sou- 
ventdes  ennemis  qui  les  trahissent;  les  Jobs 
dans  le  sein  de  la  plus  riante  fortune  de- 
viennent quelquefois  le  jouet  des  plus  étran- 
ges événements;  souvent,  au  milieu  des  œu- 
vres les  plus  saintes,  on  est  éprouvé  par  les 
plus  rudes  tribulations;  enfin  il  n'est  rien  de 
plus  commun  que  d'entendre  dire  :  chacun 
a  sa  croix  dans  la  vie;  cependant,  rien  n'est 
en  même  temps  plus  rare  que  de  voir  des 
gens  qui  en  fassent  un  bon  usage.  On  se 
roidit  sans  cesse  contre  le  bras  qui  veut 
nous  faire  plier,  on  craint  les  coups  de  cette 
main  divine,  et  loin,  de  les  recevoir  comme 
des  faveurs,  on  les  regarde  comme  des  mal- 
heurs :  deux  grands  désordres  qu'il  faut 
arrêter  dans  deux  sortes  de  personnes  :  l'im- 
patience dans  les  uns,  la  tristesse  dans  les 
autres.  Vous  tous  qui  gémissez  dans  le  feu 
de  la  tribulation,  et  vous  qui  peut-être  êtes 
à  la  veille  d'en  sentir  les  coups,  apprenez 
ici  l'usage  qu'il  en  faut  faire  ;  apprenez  à 
devenir  humbles  et  contents  quand  Dieu 
vous  afflige.  Motifs  de  patience  et  de  joie 
dans  l'affliction,  c'est  ce  qui  doit  faire  tout 
le  partage  de  ce  ♦«iscours  où  vous  allez 
trouver,  sinon  la  guérison  de  vos  maux,  du 
moins  la  consolation  de  vous  le  rendre  sa- 
lutaire. Jamais  conjoncture  ne  parut  plus 
pressante  pour  traiter  celte  grande  matière; 
vous  vous  y  êtes  sans  doute  attendus  aux 
approches  des  grandes  fêtes  que  l'Eglise 
vous  annonce,  et  les  ministres  ne  doivent 
pas  vous  refuser  cette  consolation  ;  dispo- 
sez-vous donc  à  la  recevoir  de  ma  bouche, 
après  que  nous  aurons  imploré  Je  secours 
du  cielj  Dar  l'entremise  de  Marie.  Ave, 
Maria. 

PSESIIEa    POINT. 

Lorsqu'on  entreprend  de  vous  proposer 
certaines  règles  de  mœurs  dans  l'usage  de 
l'affliction,  il  ne  faut  pas  croire  qu'on  veuille 
exiger  de  vous  rien  qui  soit  au-dessus  des 
forces  humaines,  ni  vous  inspirer  mal  à  propos 
une  fausse  générosité,  ou  une  indifférence 
stoïque,  ou  une  brutale  stupidité  qui  nous  rend 
comme  morts  à  toutes  les  douleurs  ;  on  ne 
veut  point  que  nous  soyons  insensibles 
quand  il  nous  frappe;  il  se  plaint  même  dans 
ses  écritures  de  l'insensibilité  des  cœurs  en- 
durcis qui  ne  s'ébranlent  de  rien,  et,  comme 
il  n'est  point  de  vertu  solide  dans  l'homme, 
si  elle  n'est  éprouvée  par  l'adversité,  il  n'est 
point  aussi  de  mérite  dans  l'adversité,  si 
l'homme  ne  ressent  la  peine;  or,  c'est  dans 
cette  peine  qu'on  demande  le  sacrifice  d'une 
patience  chrétienne;  pourquoi?  parce  qu'elle 
est  nécessaire,  parce  qu'elle  est  juste,  parce 
qu'elle  est  avantageuse  ;  trois  motifs  de  pa- 
tience dans  l'affliction  qui  sont  bien  capa- 
bles de  vous  y  consoler.  Le  premier  motif 
qui  doit  vous  porter  h  la  patience,  c'est  que 
les  tribulations  diverses  qui  partagent  nos 

du  Petit  Carême,  et  au  tome  II,  page  338,  de  l'cdiiiou 
de  Liège. 


.113 


CAREME.  ~  SERMON  XXXI,  AFFLICTIONS  CHRETIENNES. 


nu 


jours  ne  sont  que  des  suites  nécessaires  de 
notre  origine  ;  c'est  qu'une  loi  naturelle  nous 
y  assujettit  malgré  nous;  si  l'homme  eût  été 
•fidèle  à  son  premier  devoir,  rien  n'aurait 
manqué  à  son  bonheur,  et  tout  aurait  con- 
tribué à  le  rendre  content  de  son  sort  :  il 
serait  monté  à  la  gloire  du  ciel,  dit  saint 
Augustin,  par  les  délices  môme  de  la  terre, 
et  les  prémices  qu'il  aurait  goûtées  dans  ce 
premier  paradis  auraient  été  les  premières 
dispositions  par  où  il  se  serait  préparé  à 
goûter  celles  du  second. 

Tel  était  le  privilège  inestimable  d'une 
innocence  conservée,  dont  le  premier  homme 
avait  commencé  à  goûter  le  bonheur;  mais 
dura-t-il  longtemps,  ce  bienheureux  privi- 
lège? Hélas  I  ne  rappelons  pas  le  triste  sou- 
venir d'un  mal  qui  nous  coûte  si  cher  et  qui 
en  attire  tant  d'autres  dans  le  monde.  Oui, 
l'homme  perdit  par  son  péché  la  grâce  ;  et 
avec  elle  tous  les  biens  ensemble  ;  dès  lors 
il  devint  l'ennemi  de  son  Dieu,  et  s'attira  en 
même  temps  pour  ennemis  tout  l'univers; 
enfin  il  pécha,  et  sa  chute  ayant  entraîné  la 
nôtre,  toute  sa  race  fut  maudite,  de  sorte 
qu'après  lui  il  n'y  eut  plus  sur  la  terre  que 
des  malheureux  et  des  coupables,  et  qu'une 
foule  de  maux  inondèrent  l'univers. 

Voilà  notre  état  ;  nous  avons  reçu,  vous  et 
moi,  une  même  origine,  la  faute  de  notre 
premier  Père  nous  est  à  tous  commune,  et 
quoiqu'il  en  ait  reçu  le  châtiment  après  l'a- 
voir commise,  elle  ne  laisse  pas  de  nous 
assujettir  aux  peines  auxquelles  il  fut  con- 
damné dès  le  commencement;  c'est  le  juste, 
mais  trop  fatal  arrêt  qui  fut  prononcé  contre 
tous  les  enfants  d'Adam,  et  il  n'y  a  personne, 
si  vous  en  exceptez  la  glorieuse  mère  de 
Jésus-Christ,  qui  puisse  en  être  exempt; 
c'est  une  peine  portée  contre  le  roi  qui 
brille  sur  son  trône,  aussi  bien  que  contre  le 
sujet  caché  dans  sa  cabane  ;  c  est  une  loi 
commune  aux  grands  et  aux  petits,  aux  ri- 
ches comme  aux  pauvres. 

Or,  quelle  conséquence  tirerai-je  de  là, 
demandez-vous  ?  La  voici  ;  elle  me  paraît  toute 
naturelle  :  c'est  que,  si  vos  tribulations  et 
vos  souffrances  sont  des  peines  qui  vous 
sont  imposées  pour  la  punition  de  votre  or- 
gueil, vous  devez  donc  vous  faire  une  pa- 
tience de  cette  malheureuse  nécessité  ;  c'est 
que  vous  devez  adorer  les  décrets  de  la  divine 
Providence,  au  lieu  de  fatiguer  le  ciel  par 
vos  murmures  et  vos  plaintes  ;  c'est  que  vous 
ne  gagnerez  rion  par  vos  inquiétudes,  et  que 
la  situation  d'un  homme  impatient  et  rebelle 
est  plus  cruelle  et  plus  triste  que  celle  où  le 
réduit  le  mal  qu'il  endure;  c'est  que  ceux 
qui  se  livrent  à  leurs  passions  révoltées,  de- 
viennent eux-mêmes  leurs  propres  bour- 
reaux. Ainsi  vous  me  direz  que  votre 
condition  est  pénible,  que  vous  êtes  mal- 
heureux de  souffrir  sans  vous  plaindre  ;  j'en 
conviens;  mais  vous  n'avez  pas  mérité  un 
meilleur  sort  que  les  autres,  mais  c'est  une 
loi  prononcée  contre  vous  comme  contre  tous 
les  hommes;  vous  ne  sauriez  la  changer,quel- 
que  chose  que  vous  fassiez;  elle  est  irrévo- 
cable. Ah!  humiliez-vous  donc  sous  la  toute- 


puissante  main  de  «Dieu  qui  vous  frappe  »' 
adorez-la  dans  un  profond  silence,  et  baissez 
la  tête  sous  les  coups  qu'elle  vous  porte . 
Ainsi,direz-vous,la  misère  vous  suit  partout, 
vous  ne  trouvez  en  tout  lieu  que  croix  et 
que  peines;  je  le  veux;  mais  ce  n'est  point 
à  vous  à  prétendre  les  adoucir,  et  vous  devez 
attendre  là-dessus  les  ordres  du  ciel,  et  ne 
pas  vouloir  inutilement  vous  y  opposer;  car, 
remarquez  que  si  c'est  pour  vous  un  motif 
de  nécessité  de  souffrir  en  cette  vie,  fondé 
sur  la  condition  de  votre  nature,  ce  n'en  est 
pas  moins  un  fondé  sur  l'état  de  votre  voca- 
tion à  la  foi,  et  que,  si  les  tribulations  et  les 
peines  sont  le  partage  des  hommes,  elles  sont 
encore  le  partage  des  chrétiens,  vérité  capitale 
qui  renferme  les  principaux  devoirs  du  chris- 
tianisme, et  qui  n'est  guère  bien  entendue 
dans  la  religion.  C'est  quelque  chose  d'être 
chrétien,  et  rien  n'est  plus  grand,  plus  noble, 
du  côté  du  ciel  ;  mais  jamais  il  n'y  eut  rien  de 
plus  rabaissé  sur  la  terre  :  ainsi/disait  autre- 
fois saint  Cyprien,  ne  prétendez  pas  être  plus 
heureux  dans  le  monde  quand  vous  devenez 
enfants  de  l'Eglise,  et  si  préférablement  *à 
tant  d'autres,  vous  avez  le  bonheur  d'appar- 
tenir à  Jésus-Christ,  vous  devenez  aussi  par 
là  plus  obligés  à  souffrir  que  le  reste  des 
hommes  :  ainsi,  disait  saint  Paul  aux  Thessa- 
loniciens,fdonnez-vous  bien  de  garde  de  vous 
plaindre  ou  de  vous  laisser  ébranler  par  les 
tribulations  ;  il  faut  que  chacun  s'v  trouve 
préparé  sur  la  terre  en  embrassant  la  foi  de 
Jésus-Christ;  sachez  que  telle  est  la  destinée 
d'un  chrétien,  et  que  nous  ne  vivons  dans  le 
christianisme  que  pour  souffrir  :  Nemo  mo- 
veatur  in  tribulationibus  istis,  ipsi  enim  sci- 
tis  quod  in  hoc  positi  smnus  ;  comment  donc 
voudriez-vous  vous  plaindre  d'une  peine 
qui  est  nécessairement  attachée  à  votre  état? 
Prétendez-vous  que  Dieu  changera  la  loi  qu'il 
a  établie  et  l'économie  de  votre  vocation?  pour- 
rez-vous  vous  flatter  que  vous  serez  exempts 
de  rien  souffrir  pendant  que  vous  professez 
une  religion  qui  vous  appelle,  qui  vous  con- 
sacre aux  souffrances? que  vous  vivrez  tran- 
quilles et  contents,  tandis  que  vos  frères 
sont  éprouvés  parle  feu  de  la  tribulation? 
pensée  extravagante  qui  déshonore  Dieu  et 
qui  insulte  à  sa  justice.  Ah  1  observez  la  loi 
qu'il  vous  impose,  puisque  vous  voulez  être 
ses  disciples  ;  rendez-vous  conformes  à  son 
Fils,  si  vous  voulez  être  ses  membres  et  ses 
cohéritiers;  souffrez  avec  lui,  sans  cela  vous 
n'appartiendrez  point  à  ce  Dieu  crucifié, 
Voilà  les  conditions  ée  l'alliance  que  vous 
avez  faite  avec  lui  dans  le  baptême  ;  ce  n'est 
plus  le  temps  de  vous  plaindre  des  tribula- 
ttons,  puisque  vous  avez  promis  de  les  en- 
durer et  que  vous  les  avez  pour  ainsi  dire 
épousées,  vous  ne  pouvez  plus  vous  y  sous-? 
traire,  si  vous  ne  voulez  devenir  des  apostats; 
c'est  à  vous,  pour  étouffer  tout  murmure, 
toute  plainte  que  la  nature  voudrait  faire,  de 
vous  rappeler  et  de  vous  redire  souvent  que 
vous  l'avez  promis  solennellement  par  ces 
vœux  sacrés. où  vous  jurâtes  à  Dieu  que  vous 
seriez  fidèle  à  voU*e  vojc?tion. 
Mais,  sans  regaruer  plus  longtemps  la  né- 


HÎ5 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SURIAN. 


<M« 


cessité  des  souffrances  par  tous  les  différents 
rapports,  passons  à  un  motif  plus  pressant 
encore.  Je  veux  que  Dieu  voulût  vous  dis- 
penser, en  qualité  d'hommes,  en  qualité  de 
chrétiens,  et  que  vous  ayez  quelque  raison 
de  porter  vos  plaintes  vers  le  ciel,  ce  qui 
est  un  blasphème,  et  qu'on  ne  saurait  penser 
sans  faire  tomber  dans  la  contradiction  la 
sagesse  éternelle,  devriez-vous  vous  en  dis- 
penser pour  cela?  Ne  devriez-vous  pas  vous 
dire  à  vous-mêmes  ce  que  les  frères  de  Jo- 
seph se  disaient  les  uns  aux  autres  :  Ah  1 
c'est  nous  qui  par  notre  faute  nous  sommes 
attiré  ces  tribulations;  ne  cherchons  point 
ailleurs  que  dans  nous-mêmes  la  cause  de 
nos  souffrances  ;  nous  méritons  tous  les 
maux  qui  nous  accablent,  et  quand  ce  ne 
serait  pas  pour  nous  une  nécessité  indispen- 
sable de  souffrir,  c'est  une  étroite  justice  : 
Merito  hœc  patimur,  quia  peccavimus ;  idcirco 
veniet  super  nos  ista  tribulatio  (Gen. ,  XLII, 
21);  second  motif  de  patience  dans  nos 
peines. 

Non,  chrétiens,  ne  prétendez  pas  que  je 
veuille  insulter  ici  à  vos  misères,  mais  ne 
croyez  pas  aussi  que  j'y  vienne  vous  y  flat- 
ter; n'attendez  pas  que  je  cherche  des  tours 
ingénieux  pour  justifier  la  divine  Providence 
des  peines  qu'elle  vous  envoie.  De  quels 
ménagements  Dieu  a-t-il  besoin  dans  lajus- 
tice  qu'il  rend  aux  hommes?  et,  loin  de  pa- 
raître injuste  dans  les  croix  diverses  qu'il 
nous  envoie,  n'est-ce  pas  au  contraire  parce 
qu'il  est  juste  qu'il  nous  fait  souffrir?  Peut- 
il  avoir  quelque  chose  à  se  reprocher  en  nous 
punissant  dès  qu'il  lui  plaît?  Nous  l'avons 
offensé,  c'est  notre  Dieu,  c'est  notre  maître  ; 
il  nous  châtie  :  tout  cela  est  dans  l'ordre  ; 
car,  sans  parler  ici  de  tant  de  gens  qui  se 
rendent  eux-mêmes  la  cause  de  ce  qu'ils 
souffrent,  sans  compter  ici  tous  ceux  dont 
les  infirmités  et  les  souffrances  ne  sont  que 
les  malheureux  fruits  de^  passions  brutales 
où  ils  se  sont  j  longés,  toutes  ces  sortes  de 
gens  ne  méritent  pas  d'entrer  dans  un  dis- 
cours chrétien,  mais  je  parle  à  tous  les  au- 
tres qui  sont  dans  la  peine  et  dans  l'affliction, 
et  je  vous  demande  à  tous,  qui  vous  a  attiré 
celles  que  vous  souffrez?  N'avez-vous  rien  à 
vous  reprocher  devant  Dieu  pour  le  passé? 
Ne  fa  tes-vous  rien  encore  tous  les  jours  qui 
vous  puisse  attireroe  châtiment?  Portez-vous 
encore  celte  précieuse  innocence  que  vous 
avez  reçue  dans  le  baptême?  De  quoi  vous 
plaignez-vous?  qu'est-ce  qui  vous  révolte  ? 
La  mort  vient  de  vous  enlever  cet  enfant 
chéri  sur  qui  vous  comptiez  tant  et  qui  vous 
donnait  de  si  belles  esj  érances  ;  mais  ne  se- 
rait-ce point  que  vous  lui  donniez  une  pré- 
férence injuste  qui  faisait  le  désespoir  de 
vos  autres^  enfants,  que  vous  aviez  plus  de 
soin  de  l'élever  pour  le  monde  que  pour 
Dieu,  et  que  vous  en  faisiez  votre  idole? 
une  maladie  longue  et  violente  vous  fait 
exhaler  de  toutes  parts  une  odeur  de  mort, 
et  ne  vous  laisse  presque  'plus  d'espérance 
de  vie  ;  mais  ne  vous  souvenez-vous  plus  de 
l'indigne  abus  que  vous  avez  fait  de  votre 
santé  pendant  que  vous  l'aviez,  et  dé  tous  les 


vains  plaisirs  que  vous  aviez  résolu  d'accom- 
plir auxdépens  de  votre  salut,  si  le  Seigneur 
vous  l'avait  conservée  plus  longtemps?  Un 
procès  injuste  a  dévoré  la  plus  pure  portion 
de  votre  substance;  mais  n'y  avez-vous  point 
donné  lieu  par  votre  fierté,  vos  hauteurs  , 
et,  au  lieu  de  chercher  à  l'étouffer  dans  le 
sein  de  la  charité  dès  son  origine,  n'avez- 
vous  pas  soufflé  de  plus  en  plus  le  feu  de 
la  discorde?  Une  saison  cruelle,  une  taxe 
subite,  une  révolution  imprévue  vous  a 
enlevé  la  moitié  de  vos  biens,  et  vous  ne 
croyez  pas  pouvoir  jamais  vous  relever 
d'une  chute  qui  vous  désole,  vous  et  votre 
famille  ;  mais  avez-vous  oublié  que  peut- 
être  ces  biens,  que  vous  venez  de  perdre, 
ou  [n'étaient  pas  acquis  avec  beaucoup  de 
justice,  ou  que  votre  cœur  y  faisait  paraître 
trop  d'attachement  ;  votre  situation  et  votre 
état,  où  vous  vous  promettiez  tant  de  con- 
solation et  de  douceur,  ne  vous  offre  plus  que 
de  l'ennui,  de  la  tristesse,  du  dégoût;  toute 
votre  vie  n'est  plus  qu'une  continuelle  lan- 
gueur, et  vous  reprocheriez  volontiers  à 
Dieu  qu'il  vous  est  devenu  trop  cruel  :  Mu- 
tatus  es  mihi  in  crudelem.  (Job,  XXX.)  Mais 
aviez-vous  eu  soin  de  vous  entretenir  tou- 
jours bien  avec  lui  ?  Ne  l'avez-vous  point 
contristé  lui-même  par  quelque  injuste  pré- 
férence, par  vos  froideurs  et  votre  indiffé- 
rence à  son  service,  et  peut-être  ne  vous  y 
êles-vous  point  engagés  de  vous-même  sans 
le  consulter?  De  quoi  vous  plaignez-vous 
encore?  Vous  vous  épuisez  en  regrets,  en 
plaintes  sur  la  perte  d'un  ami,  d'un  parent, 
d'un  patron;  mais  votre  amitié  était -elle 
pure,  innocente,  et  vos  liaisons  n'étaient- 
elles  point  trop  charnelles  ,  trop  intéressées 
et  trop  nuisibles  aux  devoirs  de  votre  reli- 
gion? Un  ennemi  cruel,  un  envieux,  un 
rival,  un  jaloux  porte  des  coups  mortels  à 
votre  honneur,  à  votre  réputation,  à  votre 
esprit,  à  vos  talents,  à  votre  vie  même;  mais 
n'en  avez-vous  jamais  porté  à  votre  prochain 
par  vos  médisances,  par  vos  railleries,  par 
vos  censures,  par  vos  calomnies,  par  vos 
emportements,  par  vos  haines,  par  vos  ven- 
geances ou  par  vos  injustices,  et  votre  or- 
gueil ne  vous  a-t-il  point  porté  avons  élever 
contre  Dieu  même  ?  Le  monde  ne  vous  aime 
plus;  vous  êtes  le  mépris  et  le  rebut  des 
autres  ;  mais  ne  l'avez-vous  point  vous-même 
trop  aimé?  nel'aimez-vous  point  trop  encore, 
et  ne  donnez-vous  point  vos  soins  et  votre 
estime  à  ses  faux  biens?  En  un  mot,  si  vous 
souffrez,  c'est  que  vous  méritez  de  souffrir, 
et  vous  devez  dire  :  Merito  hœc  patimur; 
pourquoi  donc  vous  plaindre  et  ajouter  à 
vos  maux  de  nouvelles  causes  de  peines? 
N'est-ce  pas  assez  d'avoir  attiré  sur  vous  les 
tribulations  qui  vous  affligent,  sans  mettre 
encore  dans  les  mains  de  Dieu,  par  vos  in- 
justes plaintes,  de  quoi  redoubler  vos  châti- 
ments et  vos  peines  ?  Nous  avons  péché,  chré- 
tiens; ah  !  humilions-nous  donc  sous  la  main 
favorable  du  Seigneur,  qui  ne  nous  afflige  que 
parce  qu'il  nous  aime,  et,  loin  de  nous  plain- 
dre, reconnaissons  que  c'est  une  justice  que 
ce  Père  tendre  nous  châtie,  puisque  nous 


1117  CAREME.  —  SERMON  XXXI, 

ayons  péché  :  Merito  hœc  patimur,  quia  pec- 
cavimus. 

A  ces  fortes  raisons  de  justice  et  de  néces- 
sité, j'apporte  un  troisième  motif  :  c'est  celui 
de  votre  intérêt  propre.  Sur  quoi,  pour  finir 
cette  première  partie  de  mon  discours,  j'ai 
fait  deux  réflexions  :  La  première ,  c'est 
qu'en  refusant  de  nous  soumettre  aux  souf- 
frances, nous  souffrons  inutilement,  puisque 
l'intention  de  Dieu,  en  nous  envoyant  des 
peines  et  des  tribulations,  c'est  d'en  faire  un 
châtiment  et  un  remède  pour  notre  salut  ; 
ressource  consolante  dans  un  esprit  guidé 
par  la  foi,  et  la  seule  raison  devrait  vous 
porter  à  souffrir  patiemment  des  maux  légers 
et  courts, qui  peuvent  vous  être  d'un  si  grand 
avantage,  et  vous  épargner  tant  de  tourments 
et  de  malheurs  dansl'éternité.  Et  ne  nous  dites 
pas  que  c'est  vous  traiter  bien  cruellement, 
de  vouloir  empêcher  que  vous  ne  vous  plai- 
gniez de  vos  misères.  Non,  on  ne  veut  point 
vous  ôter  la  liberté  de  vous  plaindre,  vous 
pouvez  en  gémir,  et  ces  gémissements  et 
eos  plaintes  peuvent  servir  à  vous  faire  son- 
ger à  vos  plus  solides  intérêts.  Mais  êtes- 
vous  sages  de  vous  plaindre  de  ce  qu'on 
vous  veut  trop  de  bien ,  et  que  faites-vous 
donc  par  vos  murmures  ,  sinon  d'accroître 
vos  maux,  et  d'éloigner  de  vous  les  faveurs 
qu'on  vous  offre? Hélas  !  vous  consentez,  par 
vos  plaintes  volontaires,  à  être  punis  sans  en 
devenir  plus  riches  ;  vous  consentez  à  être 
dans  vos  souffrances  les  tristes  victimes  du 
démon,  plutôt  que  d'être  les  heureuses  vic- 
times de  la  justice  de  votre  Dieu,  et  en  mon- 
trât de  l'impatience  dans  nos  tribulations, 
nous  aimons  mieux  faire  au  premier  un  sa- 
crifice rigoureux  que  nous  ne  lui  devons  pas, 
que  de  payer  au  second  une  dette  qui  nous 
acquitterait  tout  à  fait  envers  lui  ;  c'est-à-dire 
qu'en  murmurant  dans  nos  peines,  nous  en 
devenons  plus  misérables,  sans  en  devenir 
moins  méchants  ;  en  ne  payant  pas  de  bon 
cœur  nos  dettes,  nous  en  contractons  de 
plus  grandes;  c'est-à-dire  que  vous  vous 
privez  du  fruit  de  vos  douleurs  en  poussant 
d'injustes  plaintes,  et  qu'après  les  avoir  ren- 
dues sans  consolation,  vous  les  rendez  en- 
core sans  mérite. 

Je  vous  laisse  à  conclure  avec  saint  Au- 
gustin du  malheur  de  votre  situation,  qui 
ne  vient  que  de  vous. 

La  deuxième  réflexion  que  je  fais,  c'est 
que  vos  plaintes  et  vos  impatiences  sont  une 
espèce  de  rébellion  que  vous  formez  contre 
celui  qui  vous  offre  un  remède  capable  de 
guérir  votre  âme.  Ecoutez  ceci,  vous  qui 
vous  soulevez  contre  lamainqui  vous  frappe  : 
Oui,  les  afflictions  qui  vous  révoltent  sont 
les  voies  admirables  et  peut-être  les  seules 
que  Dieu  veut  employer  pour  vous  sauver; 
vous  mettez  un  nouvel  obstacle  à  sa  grâce, 
et  vous  ajoutez  une  nouvelle  impossibilité  à 
la  difficulté  déjà  trop  grande  de  vous  sauver, 
et  vous  déclarez  ouvertement  contre  les  in- 
tentions de  la  sage  providence  de  votre  Dieu. 
Allez,  après  cela,  cœurs  lâches  et  infidèles 
et  n'espérez  plus  rien  qui  soit  capable  de 
vqus  ramener  au  Seigneur  1  si  vous  négligez 


AFFLICTIONS  CHRETIENNES. 


1113 


un  remède  si  souverain ,  et  qui  est  la  der- 
nière ressource  que  le  Seigneur  employait 
pour  vous  convertir;  qu'attendez-vous  après 
cela  de  sa  bonté?  S'il  vous  donne  des  biens, 
vous  en  abusez  et  ne  les  faites  servir  qu'à 
l'offenser  par  l'assouvissement  de  vos  pas- 
sions, et  à  vous  plonger  dans  des  torrents 
d'une  profane  volupté.  S'il  vous  envoie  des 
tribulations  et  des  maux,  vous  les  faites  ser- 
vir au  murmure  et  à  la  rébellion;  que  pré- 
tendez-vous donc  qu'il  fasse?  La  prospérité 
vous  damne,  l'adversité  ne  peut  vous  sauver, 
ah!  forcerez-vous  donc  sa  grâce  à  changer 
de  conduite  1  Et  qui  êtes-vous,  misérable 
ver  de  terre,  pour  vouloir  donner  la  loi  à 
votre  Dieu,  à  votre  souverain?  Non,  dès  que 
vous  rejetez  ce  dernier  remède ,  je  ne  vois 
plus  de  ressource  pour  vous,  et  vous  perdez 
jusqu'à  l'espérance  de  salut. 

Mais,  dis-je,  pourquoi ,  maison  d'Israël, 
voudriez-vous  périr,  dit  le  Seigneur?  Ren- 
trez plutôt  en  vous-mêmes,  et  vous  armez 
d'une  patience  chrétienne  sous  le  joug  misé- 
ricordieux que  le  Seigneur  vous  impose; 
vous  y  êtes  obligés  par  tous  les  motifs  que 
je  vous  viens  de  proposer.  Je  les  répète, 
afin  qu'ils  fassent  plus  d'impression  sur 
vous  :  Souffrez,  vous  êtes  hommes,  et  votre 
condition  naturelle  vous  engage  à  souffrir; 
souffrez,  vous  êtes  chrétiens,  et  votre  reli- 
gion vous  oblige  de  souffrir.  Enfin,  vous 
avez  tous  été  condamnés  à  souffrir,  c'est 
une  loi  commune  du  Créateur  ;  vous  avez 
tous  promis  de  souffrir,  c'est  un  engagement 
indispensable  des  vœux  de  votre  baptême  ; 
il  y  va  de  votre  intérêt  de  souffrir,  vous  y 
trouverez  le  plus  grand  de  tous  les  avanta- 
ges, c'est  le  moyen  le  plus  efficace  du  salut  ; 
voilà  des  motifs  assez  pressants  pour  vous 
porter  à  la  patience  chrétienne.  Il  me  reste 
à  vous  montrer  que  vous  devez  souffrir  avec 
joie  :  c'est  la  deuxième  partie  de  ce  discours. 

SECOND  POINT. 

Les  raisons  de  patience  et  de  soumission 
que  je  viens  de  proposer ,  toutes  solide* 
qu'elles  sont  dans  leur  principe  et  justes 
dans  leurs  conséquences,  vous  paraîtront 
des  remèdes  bien  amers  à  la  nature  et  des 
soulagements  bien  légers  pour  les  maux  que 
vous  souffrez.  N'y  a-t-il  donc  rien  de  plus 
consolant  pour  un  chrétien?  Ne  serai-je 
monté  dans  cette  chaire  que  pour  y  débiter, 
devant  des  personnes  affligées,  de  si  dures  vé- 
rités, et  après  tant  de  motifs  ne  faudrait-il 
regarder  l'homme  que  comme  une  victime 
immolée  au  triste  sort  de  sa  condition 
ou  livré  à  la  sévère  justice  de  son  Dieu. 
Nous  naissons  tous  dans  la  peine,  nous  vi- 
vons dans  les  tribulations,  nous  mourons 
dans  les  douleurs  et  dans  les  maladies,  et  on 
ne  nous  parle  que  de  la  nécessité  de  souffrir. 
Tristes  et  vains  consolateurs,  répondez-vous 
peut-être  ici  comme  autrefois  le  fameux 
patriarche  à  ses  amis  qui  lui  tenaient  un  lan- 
gage pareil,  et  j'avoue,  chrétiens,  que  si  je 
n'avais  rien  autre  chose  à  vous  dire,  vous 
pourriez  peut-être  me  faire  le  même  repro- 
che :  Consolatorcs  oncrosl  omnes  vos  estis. 
(Job,  XVI)  ;  mais  attendez  un  moment,  vous 


tii9 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SUIMAN. 


1M0 


allez  voir  des  consolations  plus  essen- 
tielles ;  laissons  aux  païens  l'affreuse  néces- 
sité de  souffrir  sans  espérance,  et  aux  philo- 
sophes, ces  prétendus  esprits  forts,  la  gloire 
de  montrer  une  patience  forcée  dans  les 
souffrances  ;  qu'ils  appellent  des  hommes  fai- 
bles et  impuissants  comme  eux  à  leurs  se- 
cours; qu'ils  cherchent  de  vaines  consolations 
dans  les  créatures,  parce  qu'ils  n'en  connais- 
sent point  d'autres;  pour  nous,  qui  avons  le 
bonheur  d'être  éclairés  des  lumières  de  la 
foi  et  qui  sommes  les  héritiers  de  ses  pro- 
messes, élevons  nos  esprits  et  nos  cœurs,  car 
l'évangile  a  trouvé  le  secret  de  nous  faire 
trouver  des  ressources  dans  ce  qui  paraît  le 
plus  dur  h  la  nature,  et  depuis  que  le  Sauveur 
a  consacré  les  souffrances  en  les  embrassant 
le  premier,  on  peut  dire  que  les  croix  diffé- 
rentes de  la  vie  sont  devenues  des  grâces 
pour  les  enfants  de  Dieu,  soit  qu'on  les  con- 
sidère en  Jésus-Christ,  à  qui  elles  nous  as- 
socient, soit  qu'on  les  regarde  par  rapport 
au  salut  dont  elles  fortifient  1  espérance , 
soit  enfin  qu'on  les  envisage  par  rapport  à 
l'autre  vie  qui  les  rend  désirables:  trois  cir- 
constances qui  doivent  vous  apprendre  à 
souffrir  avec  joie. 

Je  dis,  1"  par  rapport  à  Jésus-Christ,  et 
que*  n'ai -je  ici  tout  le  zèle  et  l'onction  néces- 
saires pour  pénétrervos  cœurs  de  celte  grande 
vérité  !  Oui,  chrétiens, le  Sauveur  n'a  pas  seu- 
lement consacré  l'affliction  par  son  exemple 
et  par  ses  paroles,  il  lui  a  laissé  par  les  siennes 
un  mérite  et  une  gloire  qui  doivent  nous  la 
rendre  digne  d'amour  et  de  respect;  et  depuis 
qu'il  a  bien  voulu  nous  enfanter  par  la  croix, 
elle  n'est  pas  tant  le  prix  de  la  rédemption  du 
pécheur  et  un  triomphe  sur  le  péché,  qu'un 
titre  d'alliance  et  le  sceau  de  notre  unité  avec 
lui,  dit  saint  Augustin;  et  delà  quel  fonds 
inépuisable  de  consolation  pour  une  âme  qui 
se  voit  marquée  de  ce  sceau  respectable  et 
qui  peut  attirer  sur  elle,  par  le  secours  et  par 
l'émulation  de  ce  divin  modèle,  toutes  les 
ressources  et  toutes  les  consolations  de  son 
Dieu;  quelle  joie  pour  un  chrétien  qui  sait 
tout  ce  qu'il  est  à  Jésus-Christ  et  tout  ce  que 
Jésus-Christ  lui  est  par  les  souffrances,  et 
qu'il  n'a  qu'à  souffrir  pour  entrer  en  so- 
ciété avec  lui!  qu'il  est  consolant,  pour  un 
chrétien,  de  pouvoir  partager  avec  son  Sau- 
veur l'amertume  de  son  calice,  de  lui  rendre 
peine  pour  peine,  douleur  pour  douleur,  de 
s'aller  décharger  à  ses  pieds  du  fardeau  de  ses 
tribulations,  de  verser  des  larmes  en  sa  pré- 
sence et  de  venir  déposer  son  affliction  entre 
ses  mains!  Ah!  qu'il  est  doux, qu'il  est  conso- 
lant de  pouvoir  mourir  par  reconnaissance 
sur  le  sein  d'un  Dieu  qui  est  mort  par  amour 
pour  nous  ! 

Voilà  les  grands  motifs  de  consolation  que 
vous  aurez  dans  vos  peines,  si  la  foi  vous 
ûflime.  C'est  par  ce  motif  si  touchant  que  les 
frpôtres,  sortant  des  synagogues  et  des  diffé- 
rents tribunaux  où  ils  avaient  été  condamnés, 
nwatraicnt  tant  de  joie  d'avoir  été  trouvés 
«Signes  de  mêler  leur  sang  avec  celui  de  leur 
«fi  vin  Maître;  c'est  par  ce  motif  qu'André,  le 
gcb.-éreux   André,  désire  la  mort  avec  tant 


d'empressement,  et  fait  de  la  croix  où  il  est 
attaché  ses  plus  chères  délices;  c'est  par  ce 
motif  que  Paul  embrasse  si  amoureusement 
ses  chaînes;  qu'il  préfère  les  persécutions 
aux  honneurs  de  la  terre  et  regarde  la  mort 
comme  un  gain  :  Mihi  pivere  Christus  est 
et  mori  lucrum.  (Philip.,  I.) 

Mystère  nouveau  caché  à  toute  la  sagesse 
du  siècle,  qui  tant  de  fois  a  fait  la  gloire  du 
christianisme  et  qui  a  forcé  les  idolâtres 
mêmes  d'avouer  qu'il  n'appartient  qu'à  la 
religion  de  Jésus-Christ  de  trouver  des  plai- 
sirs dans  les  peines  et  des  honneurs  incom- 
parables dans  la  bassesse  et  l'ignominie  de 
la  croix.  Depuis  qu'un  Dieu  a  bien  voulu 
passer  par  les  souffrances,  elles  ont  été  con- 
sacrées en  sa  personne;  ce  que  la  nature  re- 
doute comme  un  mal  devient,  par  la  grâce 
de  Jésus-Christ,  une  ressource  sensible,  et 
ces  mêmes  tribulations  qui  accablent  de  tris- 
tesse une  âme  terrestre  et  mondaine,  rem- 
plissent de  joie  un,  véritable  chrétien  :  Super- 
abundo  gaudio  in  omni  tribulatione  nostra. 
(II  Cor.,  VII.) 

2°Acepremiermotifjoignons-en  un  second: 
c'est  l'assurance  qu'a  l'homme  évangélique 
dans  les  tribulations,  que  son  espérance  ne 
sera  point  confondue  à  l'égard  du  salut;  car 
nous  sommes  sûrs,  dit  saint  Paul,  que  si 
nous  souffrons  avec  Jésus-Christ  nous  serons 
gloritiés  avec  lui,  et  que  s'il  est  allé  à  son  Père 
par  sa  croix,  nous  devons  espérer  d'y  aller  par 
les  nôtres. 

Or  c'est  ici  que  j'appelle  certaines  âmes 
dont  la  foi  trop  faible  semble,  au  milieu  de 
leurs  peines  temporelles,  se  troubler  et  s'in- 
quiéter sur  l'éternité  de  leur  sort;  qui  sait, 
disent-elles,  quel  sera  le  succès  de  notre  pa- 
tience? on  n'a  rien  d'assuré  là-dessus;  on  est 
dans  des  perplexités  cruelles,  et  on  ne  sait 
à  quoi  s'en  tenir.  Je  sais,  mes  frères,  je  sais 
que  vous  voudriez  le  savoir;  j'avoue  qu'il 
n'y  a  que  Dieu  seul  qui  s'en  soit  réservé  le 
mystère;  ni  vous  ni  moi  ne  saurions  pénétrer 
ce  secret,  ma  condition  sur  cela  est  comme 
la  vôtre  et  me  laisse  dans  l'incertitude  de  ma 
destinée;  cependant  lemêmeDieuquiavoulu 
nous  retenir  dans  le  devoir  par  une  juste 
crainte,  nous  veut  bien  rassurer  par  une  juste 
confiance,  et  quelque  sujet  que  nous  ayons  de 
redouter  sa  justice,  il  nous  donne  de*grands 
préjugés  en  faveur  de  sa  miséricorde. 

Je  les  cherche,  depuis  longtemps,  ces  favo- 
rables préjugés,  dit  raint  Jérôme,  et  je  n'en 
trouve  point  de  plus  marqués  et  qui  nattent 
davantage  l'espérance  du  salut  que  ceux  que 
nous  trouvons  dans  les  peines  et  dans  l'ad- 
versité. Ouvrez  l'Evangile  et  les  livres  sacrés, 
vos  yeux  n'y  peuvent  rien  découvrir  qui  ne 
fonde  sur  les  souffrances  une  heureuse  espé- 
rance pour  l'avenir;  le  grand  apôtre  s'en  ex- 
plique clairement  en  mille  endroits  diffé- 
rents, et  il  n'ya  point  d'oracle  qui  ne  s'accorde 
avec  celui-ci  :  Si  cowpatimur  ut  et  conglorica- 
mur  (Rom.,  VIII,  17)  ;  en  voulez-vous  une 
preuve?  rovenons  sur  l'endroit  de  saint  Au- 
gustin, que  je  n'ai  encore  expliqué  qu'en  pas- 
sant, et  entrons  dans  le  secret  de  Dieu  autant 
qu'il  nous  en  fournit  les  moyens  :  quand  il 


112! 


CAREME.  —  SERMON  XXX!,  AFFLICTIONS  CHRETIENNES. 


nous  afflige,  cesx,  dit  ce  Père,  afin  de  nous 
mettre  dans  l'heureuse  nécessité  de  nous  sau- 
ver; c'est  qu'il  veut  parlànous  donnerl'occa- 
sion  d'expier  nos  péchés  et  nous  ôter  ceîleîd'y 
retomber;  par  là  il  reçoit  nos  plaies  et  nos 
douleurs  pour  une  satisfaction  à  nos  offenses 
passés;  par  là  il  prévient  nos  rechutes  et  ré- 
prime nos  faiblesses  pour  l'avenir;  par  là  il 
fournit  au  pécheur  un  supplément  de  sa  pé- 
nitence et  lui  arrache  lés  larmes  qui  sont 
propres  à  laver  ses  péchés. 

Conduite  sage  autant  que  miséricordieuso 
dans  notre  Dieu,  car,  vous  savez,  mes  frères, 
tel  est  l'aveuglement  de  l'homme,  telle  est  sa 
corruption,  obligé  de  tourner  ses  yeux  vers 
la  céleste  gloire,  il  les  arrête  toujours  sur  la 
figure  du  monde  qui  passe ,  et,  s'il  y  trouve 
quelque  légère  satisfaction,  en  voilà  assez 
pour  lui  faire  oublier  tout  le  reste  ;  la  science 
enfle,  les  richesses  flattent,  les  plaisirs  sé- 
duisent, les  honneurs  aveuglent,  le  monde 
enlève  tous  ses  soins  et  toute  son  attention, 
et  Dieu  n'y  a  plus  de  part  et  se  voit  abandonné 
et  tout  à  lait  oublié;  alors  ses  vices  régnent 
et  la  vertu  se  retire  ;  alors  le  cœur  se  dérègle, 
Ja  charité  se  refroidit,  le  zèle  se  ralentit,  la 
modestie  passe  les  bornes,  la  tempérance 
s'évanouit,  l'esprit  de  religion  se  peru  insen- 
siblement et  ne  laisse  dans  les  chrétiens  que 
l'homme  animal  et  terrestre;  alors  les  pas- 
sions se  révoltent,  et,  ne  trouvant  plus  rien 
dans  l'âme  de  cet  heureux  du  siècle  qui  leur 
résiste  pour  pécher,  il  n'a  pas  besoin  d'être 
tenté,  il  va  même  au-devant  des  tentations; 
l'ennemi  du  salut  possède  en  paix  sa  demeure 
dans  son  âme  ;  tout  le  porte  à  la  vie  sensuelle, 
tout  contribue  a  lui  faire  oublier  qu'il  est 
chrétien;  il  ne  voit  plus  un  seul  objet  qui  ne 
séduise,  la  vertu  lui  paraît  affreuse  et  rebu- 
tante, le  monde  se  montre  à  lui  comme  un 
maître  aimable  qu'il  est  doux  et  avantageux 
de  servir,  on  est  sans  cesse  hors  de  soi-même, 
et  dans  cet  état  de  prospérité,  on  ne  trouve 
plus  rien  qui  ait  rapport  au  salut  ni  qui  y 
rappelle  la  fidélité  qu'on  doit  à  Dieu;  alors 
on  ne  fait  plus  de  réflexions  ni  à  ce  qu'on 
doit  être  ni  à  ce  qu'on  deviendra  ;  on  ne  songe 
qu'à  jouir  tranquillement  des  biens  présents, 
sans  songer  qu'on  est  né  pour  les  biens  à 
yenir. 

Voilà,  Messieurs,  la  situation  où  la  pros- 
périté réduit  le  chrétien,  et  je  ne  crois  pas 
trop  avancer  quand  je  dis  avec  •  un  Père, 
qu'il  faut  un  plus  grand  miracle  pour  soute- 
nir l'homme  dans  la  justice  parmi  tant  de 
périls,  que  pour  lui  donner  la  force  de  souf- 
frir le  [;lus  rude  martyre.  J'en  atteste  vos. 
consciences,  vous  tous  qui  êtes  dans  la  pros- 
périté ;  qu'y  trouvez-vous  qui  vous  porte  au 
salut?  Peut-être  que,  contents  de  votre  sort, 
il  vous  arrivera  de  dire  :  Dieu  soit  loué, 
nous  avons  des  grâces  à  lui  rendre  de  ce  que 
tout  nous  profite.  Oh  !  que  Dieu  vous  a  de 
d'obligation  1  vous  en  coûte-t-il  de  grands 
efforts,  pour  un  tel  langage  ?  mais  vos  senti- 
ments s'accordent-ils  avec  vos  paroles? tout 
ee  que  vous  faites  contribue-t-il  à  le  louer 
et  à  le  glorifier?  n'est-il  pas  vrai  dédire,  au 
contraire,  que  vous  le  méprisez,  que  vous 


le  déshonorez,  en  préférant  lés  créatures  au 
Créateur,  et  peut-on  dire  de  vous  que  vous 
ne  partagez  point  ce  cœur  qui  lui  est  dû 
tout  entier  ;  qu'au  milieu  de  ces  fausses 
douceurs  où  vous  vous  applaudissez,  vous 
vous  regardez  comme  un  voyageur,  comme 
un  exilé  qui  soupire  sans  cesse  après  sa 
véritable  patrie,  et  tandis  que  le  monde  vous 
offrait  ses  exemples  et  ses  faveurs,  avez- 
vous  fait  un  grand  cas  de  ceux  de  Dieu? 
Oh!  que  le  salut  est  difficile  en  cet  état  de, 
prospérité,  si  les  disgrâces  et  les  tribulations 
ne  viennent  au  secours  de  celui  qui  la  goûte, 
si  elles  ne  le  détachent  de  cet  objet  qui  l'oc- 
cupe, et  rompent  les  liens  funestes  qui  l'y 
enchaînent  1 

Faible  créature,  hélas  !  faut-il  donc  que 
tu  ne  te  plaises  qu'à  tout  ce  qui  cause  ta 
perte,  que  tu  ne  cherches  que  les  causes  de 
ton  malheur?  Et  vous,  mon  Dieul  que  vous 
ménagiez  tant  de  moyens,  la  sauvant  malgré 
elle?  Oui,  mes  frères,  la  miséricorde  du 
Seigneur  va  jusque-là,  et,  pour  faire  reve- 
nir à  lui  le  chrétien,  il  ne  trouve  point  de 
secret  plus  souverain,  que  de  lui  préparer 
des  peines  et  des  tribulations;  il  lui  ote  sa 
santé,  ses  biens,  ses  amis,  lui  attire  des  per- 
sécutions; il  trouble  la  fausse  paix  de  sa 
conscience,  il  déconcerte  ses  projets  ambi- 
tieux, rompt  ses  mesures  téméraires,  fa.t 
échouer  ses  entreprises  insensées.  En  un 
mot,  pour  empêcher  de  périr  cette  rebelle 
et  ingrate  créature,  il  la  plante  sur  le  Cal- 
vaire et  l'attache  à  la  croix,  où  l'ennemi  de 
son  salut  n'a  pointée  pouvoir,  et  où  il  ne 
peut  porter  ses  traits  ennemis.  Voilà  ce  que 
j'appelle  en  Dieu  un  dessein  et  une  conduite 
dignes  de  toutes  ses  miséricordes,  et  voilà 
ee  qui  doit  faire  embrasser  avec  tant  de  joie, 
à  un  chrétien,  des  souffrances  qui  le  con- 
duisent si  sûrement  au  port  du  salut,  en  le 
faisant  revenir  à  son  Dieu. 

3°  Ajoutons  encore  une  troisième  réflexion, 
qui  est  la  fin  de  toutes  les  autres,  et  que  saint 
Chrysostome  ne  pouvait  s'empêcher  de  pro- 
poser aux  fidèles  de  son  temps,  pour  vous 
faire  aimer  les  souffrances:  Je  ne  vous  ren- 
voie,disait  il,  qu'à  la  considération  d'un  Dieu 
vengeur  dans  l'enfer,  et  rénumérateur  dans 
la  gloire;  si  vous  m'opposez  la  grandeur  de 
vos  maux,  je  ne  vous  dirai  autre  chose, 
sinon  que  vous  descendiez  un  moment  en 
esprit  dans  les  affreux  abîmes  où  se  fait  sea- 
tir  aux  réprouvés  la  colère  de  Dieu  dans 
toute  sa  rigueur.  Qu'est-ce  que  vos  peines, 
en  comparaison  de  celles  qu'elles  vous 
épargneront  si  vous  les  souffrez  avec  joie? 
Remontez  ensuite  dans  le  séjour  heureux  où 
ce  Dieu  magnifique  fait  couler  un  torrent  de- 
délices  dans  le  cœur  de  ses  élus. 

Ah  1  si  ces  vérités  ne  sont  capables  de  nous; 
faire  souffrir  ici-bas  avec  joie,  c'est  que  notre 
foi  a  perdu  toute  sa  force,  et  nous  ne  de- 
vons plus  rien  espérer'qui  puisse  nous  tou- 
cher et  nous  attendrir;  car,  à  la  vue  de  ces 
grands  objets,  je  dis  :  qu'il  n'est  point  de  pert& 
de  biens,  de  mort  de  proches  et  de  tribu- 
lations dans  la  vie,  qui  ne  doivent  nous  pa- 


ii23 


ORATEURS  SACRES.  LE  P    SUR1AN. 


4l2i 


rattre  désirables  et  oignes  de  tout  l'einpres- 
re: lient  du  cœur  de  l'homme. 

Les  premiers  chrétiens,  dont  le  monde 
n'était  pas  cligne,  couraient  par  ces  seules 
réflexions  au  martyre,  comme  ils  auraient 
fait  à  la  victoire-;  les  vierges,  si  délicates, 
livraient  avec  plaisir  leurs  corps  aux  tour- 
monts  les  plus  rudes;  les  vieillards,  comme 
les  jeunes  gens,  souhaitaient  de  voir  prolon- 
ger  leurs  jours,  pour  avoir  la  consolation  de 
}  rolonger  leurs  souffrances.  Le  saint  homme 
,  ont  le  nom  vaut  un  éloge,  et  dont  l'his- 
toire fait  honneur  aux.  afflictions,  ressent 
toute  la  pesanteur  du  bras  de  son  Dieu. 
Chaque  jour  de  sa  vie  est  presque  marqué 
par  quelque  nouvelle  disgrâce,  et  les  plaies 
douloureuses  qui  lui  ôtcnt  toute  figure  hu- 
maine, fout  frémir  d'horreur  les  anus  qui  le 
voient;  tous  tremblent  pour  lui,  et  s'offrent 
à  lui  donner  quelque  consolation;  mais, 
hélas  1  quelle  faible  ressource  dans  un  état 
si  pitoyable?  Si  vous  eussiez  été  à  la  place 
de  ce  prince  infortuné,  couché  sur  son  fu- 
mier, comme  le  dernier  des  hommes;  que 
dis-je,  si  vous  eussiez  seulement  souffert 
la  centième  partie  des  maux  qui  l'accablaient, 
vous  auriez  mis  tout  en  usage  pour  vous 
en  délivrer;  deux  mille  mains  auraient  été 
levées  au  ciel  pour  votre  guérison,  et  les 
ministres  des  autels  auraient  à  peine  suffi 
pour  offrir  des  sacrifices  et  faire  des  vœux 
pour  mettre  fin  à  vos  peines  ;  toute  la  mai- 
son, tout  le  voisinage,  tout  l'air,  auraient 
retenti  de  vos  clameurs  et  de  vos  plaintes. 
Cependant  Job  prie  pour  prolonger  ses  pei- 
nes, et  s'il  ouvre  encore  une  bouche  mou- 
rante, c'est  pour  demander  à  Dieu,  comme 
une  grâce  et  comme  un  sujet  de  compassion, 
qu'il  veuille  appesantir  davantage  son  bras 
sur  lui,  et  ne  point  l'épargner  :  Et  hoc  mihi 
sit  consolatio  ut  affligciis  me  dotore  non  par- 
cat.  (Job.  VI.) 

Je  n'ose  exiger  de  vous,  Messieurs,  des 
sentiments  si  généreux  et  si  chrétiens; 
veuille  le  Seigneur  vous  les  inspirer  par  sa 
grâce!  Non,  je  ne  viens  point  ici  interrompre 
vos  clameurs ,  suspendre  le  cours  de  vos 
irièresetde  vos  sacrifices,  ni  m'opposer  aux 
vœux  que  vous  faites  pour  votre  délivrance 
et  votre  soulagement.  Ah!  que  ne  pouvez- 
vous  sentir  tous  vos  besoins  véritables,  afin 
de  recourir  à  Dieu  aussi  vivement  pour  vos 
maux  spirituels  que  pour  les  temporels.  Ve- 
nez donc,  dans  son  saint  temple,  répandre 
vos  cœurs  affligés  devant  le  Seigneur  et  lui 
demander,  avec  une  foi  vive,  du  secours  et 
de  l'adoucissement;  on  le  permet,  on  le  veut, 
on  vous  l'ordonne,  Mais  venez  y  étouffer  vos 
plaintes  et  vos  murmures,  ou,  si  vous  avez  à 
répandre  des  larmes,  que  ce  soit  sous  les 
yeux  du  Père  céleste  et  avec  une  tendre  con- 
fiance, comme  un  enfant  ingrat  et  rebelle  qui 
pleure  bien  moins  des  peines  qu'on  lui  fait 
souffrir,  que  des  maux  qu'il  a  faits.  Si  vous 
avez  à  vous  plaindre^plaignez-  vous  avec  une 


résignation  parfaite  et  une  confiance  amou- 
reuse, comme  Jésus-Christ  se  plaignait  sur 
sa  croix  pour  attirer  la  miséricorde  du  ciel 
sur  les  pécheurs  de  la  terre.  La  religion  vous 
réduit  là. 

Mais  pennant,  ô  mon  Dieu!  que  je  porte 
les  fidèles  à  vous  adresser  leurs  vœux,  dois- 
je  moi-même  faire  pour  eux,  après  leur  avoir 
prêché  la  soumission  et  l'acquiescement  vo- 
lontaire aux  fléaux  qui  les  désolent,  aux 
tribulations  et  aux  misères  qui  les  accablent, 
viens-je  leur  prêter  ma  main  pour  leur  ai- 
der à  détourner  votre  colère,  et  dois-je  éle- 
ver ma  voix  pour  vous  prier  d'éloigner  d'eux 
les  coups  salutaires  de  votre  miséricorde? 
Ah  1  il  est  vrai  que  dans  le  temps  d'affliction 
et  de  misères  où  il  vous  plaît  d'affliger  vo- 
tre peuple,  nous  devrions  encore,  comme 
autrefois  vos  prophètes  à  l'égard  de  l'infor- 
tunée Jérusalem,  tourner  vers  vous  nos  vœux 
pour  en  attirer  quelques  regards  de  compas- 
sion et  de  bonté  ;  mais  je  l'ai  dit,  et  c'est  au 
nom  de  toute  cette  assemblée,  Seigneur,  si 
les  maux  que  nous  souffrons  en  cette  vie 
doivent  nous  tenir  lieu  de  pénitence  et  nous 
garantir  des  supplices  de  l'autre;  si  ce  n'est 
que  dans  cet  état  pénible  et  humiliant  que 
nous  pouvons  faire  notre  salut,  ah!  ne  nous 
en  délivrez  point;  nous  ne  vous  demandons 
point  que  vous  fassiez  cesser  nos  tribulations 
et  nos  misères  ;  si  vous  trouvez  que  la  prosj  >é- 
rité  soitune  tentation  au-dessus  de  nos  forces, 
ne  nous  la  donnez  jamais,  et  nous  vous  ren- 
drons grâces  de  l'avoir  éloignée  de  nous  ;  s'il 
n'y  a  que  les  croix  et  les  adversités  qui  nous 
rendent  dignes  de  vous  et  conformes  à  votre 
image,  ah  !  humiliez-nous  donc,  ô  mon  Dieu  1 
coupez,  brûlez,  frappez  et  ne  ménagez  notre 
faiblesse  que  quand  il  s'agit  de  vous  offenser 
et  que  nous  nous  opposons  à  vos  saintes  vo- 
lontés. Oui,  nous  nous  y  soumettons,  et,  s'il 
le  faut,  perdez-nous  dans  le  temps,  pourvu 
que  vous  nous  pardonniez  dans  l'éternité  : 
aut  ure  aut  seca,  modo  in  œlernum  parcas,  et 
que  les  maux  que  nous  souffrons  nous  tien- 
nent lieu  d'expiation  pour  nos  péchés.  C'est 
à  vous,  chrétiens,  à  ratifier  mes  paroles; 
c'est  de  vous  que  dépend  le  fruit  de  ce  dis- 
cours. Faites  donc  voir  votre  résignation 
parfaite  à  tout  ce  qu'il  plaira  à  Dieu  de  vous 
envoyer  de  plus  mortifiant  et  de  plus  rude  , 
et  si  le  Seigneur  ne  m'a  pas  donné  le  pou- 
voir de  guérir  vos  maux  et  de  soulager  vos 
misères,  que  je  puisse  dire  au  moins  qu'il 
m'a  donné  assez  ue  zèle  pour  vous  faire  com- 
prendre la  nécessité  où  vous  êtes  de  souffrir  ; 
assez  de  forces  pour  vous  empêcher  de  vous 
laisser  abattre  par  la  violence  de  vos  maux  ; 
assez  de  talent  pour  vous  convaincre  qu'un 
état  d'humiliation,  de  disgrâce,  d'affliction, 
de  pauvreté ,  est  préférable  à  toutes  les  gran- 
deurs, à  toutes  les  joies  ;  assez  de  richesses 
de  la  terre  ,  puisque  c'est  la  voie  la  plus 
sûre  qui  vous  conduise  au  salut  et  au  ciel. 
Je  vous  le  souhaite,  etc.  Ame 


M25 


MYSTÈRES  ET  FfcTES.  —  SERMON  I,  SUR  LA  SAINTETE. 


H2G 


MYSTERES   ET   FÊTES. 


SERMON  I". 

Pour  ït  jour  de  la  Circoncision. 

SUR    LA   SAINTETÉ. 

Vocatum  est  nomen  ejus  Jésus, quod  vocalnm  estab  an- 
ge!o  priiis  ,uam  in  utero  conciperetur.  (Luc,  II). 

Il  fui  nommé  Jésus  qui  était  le  nom  que  l'ange  avait 
annoncé  avant  qu'il  jùl  conçu  dans  te  sein  de  sa  mère. 

Tout  est  grand,  tout  est  mystérieux  dans 
Jésus-Christ,  mes  frères,  jusqu'au  nom  môme 
qu'il  reçoit  au  jour  de  sa  circoncision  ;  ce  nom 
lui  vient  d'en  haut:  un  ange  l'annonce  avant 
qu'il  soit  conçu,  et  Joseph  agit  par  le  mouve- 
ment del'Esprit-Saint,  et  nefait  qu'exécuter  la 
volonléde  Dieu,  lorsqu'il  donne  à  cet  Homme- 
Dieu  le  nom  de  Jésus,  c'est-à-dire  de  Sauveur  ; 
\ocatum  est  nomen  ejus  Jésus;  nom  auguste, 
nom  vénérable  qui  doit  faire  la  joie  des  an- 
ges, la  consolation  des  hommes ,  la  terreur 
des  démons,  devant  lequel  tout  genou  doit 
fléchir  dans  le  ciel ,  sur  la  terre  et  dans  les 
enfers;  nom  bien  propre  à  marquer  l'emploi 
et  le  ministère  de  Jésus-Christ,  ses  travaux, 
ses  vertus,  ses  bienfaits,  cette  victoire  écla- 
tante qu'il  doit  remporter  sur  l'ennemi  et 
par  laquelle  il  doit  briser  nos  fers,  dissiper 
nos  ténèbres,  guérir  nos  maladies  et  nous 
délivrer  pour  toujours  de  la  servitude  du 
péché  :  Ipse  enimsalvum  faciet populam  suum 
a  peccatiseorum. 

Disci|  les  de  Jésus-Christ,  dépositaires 
de  sa  loi  sainte,  destinés  à  participer  un  jour 
à  sa  gloire,  pouvons-nous  penser  au  nom 
qu'il  a  reçu  au  jour  de  sa  circoncision,  sans 
penser  en  même  temps  au  nom  de  chrétien 
que  nous  avons  reçu  au  jour  de  notre  bap- 
tême, dont  l'ancienne  circoncision  n'était  que 
la  figure?  nom  respectable  qui  nous  donne 
de  si  glorieux  titres,  mais  qui  nous  im- 
pose en  même  temps  de  si  grands  devoirs  et 
de  si  importantes  obligations.  En  elfet,  être 
chrétiens,  c'est  suivre  Jésus- Christ ,  c'est 
imiter  ses  vertus,  c'est  accomplir  ses  volon- 
tés saintes,  c'est  marcher  dans  la  voie  dans 
laquelle  il  a  marché;  en  un  mot,  être  chré- 
tien, c'est  être  saint;  ces  deux  noms  ont 
une  liaison  nécessaire;  on  les  confondait 
mê  ne  dans  les  premiers  siècles  de  l'Eglise  ; 
et  lorsque  saint  Paul  écrit  aux  fidèles  de  son 
temps,  il  ne  leur  a  donné  d'autre  titre  que 
«  elui  de  saints  :  Vocatis  sanctis.  (I  Cor.,  I.) 
C'est  donc  de  la  sainteté  que  j'ai  dessein  de 
vous  entretenir  aujourd'hui;  et  comme  je 
r  miarque  que  nos  principales  erreurs  sur  ce 
sujet  viennent  de  ce  que  nous  ignorons  les 
voies  qui  y  conduisent,  et  les  bénédictions 
attachées  à  cet  état,  je  vais  tâcher  de  vous 
apprendre  ce  qu'il  faut  faire  pour  être  saint, 
ce  que  c'est  que  d'être  saint.  En  un  mot,  les 
moyens  nécessaires  pour  arriver  à  la  sain- 
teté, les  avantages  de  la  sainteté.  Implorons 


le  secours  du  ciel  par  l'entremise  de  Marie. 
Ave,  Maria 

PREMIER    POINT. 

Que  faut-il  faire  pour  être  saint,  pour  arri- 
ver à  la  vie  éternelle  :  Quidfaciens  vilain  œter- 
narn  pnssidebo  (Mat th.,  XXIX,  21)  ;  telle  est 
la  demande  qu'un  jeune  homme,  dontil  est 
parlé  dans  l'Evangile,  tit  autrefois  à  Jésus- 
Christ,  et  que  toutchrétien,  qui  n'est  pas  en- 
tièrement insensible  à  son  salut,  doit  faire  en- 
core de  nos  jours.  Or,  mes  frèies,  pouvons- 
nous  répondre  autre  chose  que  ce  que  Jésus- 
Christ  répondit  à  ce  jeune  homme  :  Allez, 
vendez  tout  ce  que  vous  avez, et  le  donnez  aux 
pauvres,  puis  venez  et  me  suivez:  Yade , 
vende  quœ  habes,  pauperihus  da,  et  veni  et 
sequere  me  (lhid.)  ;  il  est  vrai  qne  ce  comman- 
dement de  quitter  tout,  de  renoncer  extérieu- 
rement à  tout,  était  particulier  à  ce  jeune 
homme,  et  que  Jésus-Christ  ne  lui  ordonne  de 
vendre  ses  biens  que  parce  qu'il  découvrait 
dans  son  cœur  un  attachement  excessif  aux 
richesses,  qui  en  rend  la  possession  incompa- 
tible avec  le  salut; mais  nous  pouvons  tirer 
de  là  cette  règle  générale, que,  pour  être  sain*,, 
pour  arriver  àla  vie  éternelle,  il  faut  se  sépa- 
rer de  tout  ce  qui  met  un  obstacle  invincible 
au  salut  et  à  la  suite  de  Jésus-Christ,  marcher 
dans  une  route  directement  opposée  à  celle 
qu'on  suivait  auparavant.  Se,  aration  du 
monde,  telle  que  je  vais  l'expliquer  dans  la 
suite;  renouvellement  des  mœurs,  deux 
moyens  nécessaires  pour  larvenir  à  la  sain- 
teté. 

En  premier  lieu,  séparation  du  monde.  En 
effet,  qu'est-ce  que  travailler  à  devenir  saint? 
c'est  s'occuper  séiieusemenTdes  maximes  de 
l'Evangile,  c'est  faiire  des  réflexions  sérieu- 
ses sur  soi-même,  c'est  s'occuper  du  néant 
du  monde  et  des  biens  éternels;  c'est  tra- 
vailler à  détromper  son  esprit  des  préjugés 
du  siècle,  à  guérir  son  cœur  des  passions 
qui  le  dominent,  à  purifier  son  imagination 
des  fantômes  qui  la  corrompent ,  à  préserver 
sa  langue  des  mauvais  discours,  ses  yeux  des 
regards  défendus,  ses  mains  de  la  Violence 
et  de  l'injustice;  c'est  contredire  perpétuel- 
lement le  monde  dans  ses  usages  et  dans  ses 
maximes  ;  c'est  mépriser  tout  ce  qu'il  estime, 
et  estimer  tout  ce  qu'il  méprise;  c'est  pleurer 
le  passé,  c'est  user  avec  modération  du  pré- 
sent, c'est  tendre  incessamment  vers  l'avenir. 

La  mortification  est  un  ouvrage  important 
et  difficile,  qui  demande  toute  l'application 
de  l'esprit,  toute  la  ferveur  de  la  prière,  touta 
l'étendue  du  cœur,  toute  les  larmes  de  la 
pénitence.  Il  n'y  fsut  pas  seulement  du  son 
et  de  la  vigilance,  dit  l'apôtre  saint  Paul  (il 
Cor.,  VU),  il  y  faut  encore  de  l'indignation 
contre  soi-même  et  contre  les  péché?,  sed 
indignationem;    de    la   crainte   de  la  colère 


ii27 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SUR1AN. 


1123 


do  Dieu,  sed  timorem;  du  désir  de  le  pos- 
séder, sed  desiderium;  du  zèle  pour  avancer 
dans  la  voie  du  salut,  sed  œmulationcm;  de 
l'ardeur  à  venger  sur  soi-même  ses  propres 
iniquités  :  sed  vindictam. 

Or,  je  vous  le  demande,  mes  frères,  est-il 
possible  de  travailler  sérieusement  à  celte 
importante  affaire,  d'acquérir  de  si  saintes  et 
si  héroïques  dispositions  au  milieu  d'un 
monde  tumultueux, où  les  occupations  dissi- 
pent, le  faste  éblouit,  les  plaisirs  empoison- 
nent, les  maximes  séduisent,  les  exemples 
corrompent,  la  coutume  entraîne  même  les 
plus  sages;  où  la  vérité  n'ose  se  faire  enten- 
dre, où  l'on  n'écoute  que  las  passions,  où 
tout  porte  au  luxe,  à  l'orgueil,  à  la  délica- 
tesse et  à  la  sensualité?  Quoi  doncl  s'occu- 
per uniquement  de  Dieu,  lorsqu'on  n'entend 
jamais  parler  de  lui  ?  Se  détromper  des  pré- 
jugés du  siècle,  lorsqu'on  entend  retentirde 
tous  côtés  ses  fausses  maximes  ;  se  convain- 
cre de  la  vanité  du  monde  au  milieu  de  tous 
ses  charmes  et  de  ses  attraits  ;  soupirer  sans 
cesse  vers  le  ciel,  lorsque  tout  nous  inspire 
l'amour  des  biens  sensibles,  se  former  à 
l'humilité,  à  la  patience,  à  la  chasteté,  à  toit- 
tés  les  vertus  chrétiennes,  dans  le  centre  de 
la  volupté,  de  l'impénitence  1  Est-ce  donc  là 
une  entreprise  d'un  homme  sage?  N'est-ce 
pas  plutôt  une  étrange  folie  et  une  évidente 
contradiction? 

Et  n'allez  pas  regarder,  mes  frères,  cette 
morale  comme  une  morale  outrée  et  impra- 
ticable ,  qui  va  jusqu'à  renverser  les  lois 
de  la  société,  à  dépeupler  les  villes,  à  faire 
rentrer  les  hommes  dans  leur  ancienne  ,<o- 
litude.  Je  n'ai  garde  d'exagérer  dans  une 
matière  assez  forte,  assez  terrible  par  elle- 
même.  Prenez  bien  ma  pensée  :  En  premier 
lieu,  qua  si  le  monde  est  un  obstacle  invin- 
cible à  votre  salut;  si  vous  êtes  convaincus 
que  vous  ne  pouvez  être  saints  sans  renon- 
cer à  la  société,  vous  êtes  obligés  de  vous  en 
séparer,  quoi  qu.'il  puisse  vous  en  coûter, 
parce  que  votre  véritable,  votre  principale, 
ou  plutôt  votre  unique  occupation  est  d'être 
saints,  et  que  rien  ne  peut  entrer  en  com- 
paraison avec  votre  âme  et  avec  une  éter- 
nité; en  deuxième  lieu,  que  si  vous  êtes 
appelés  aux  devoirs  de  la  vie  civile,  si  vous 
vous  sentez  assez  de  courage  pour  faire  vo- 
tre salut  dans  le  monde,  vous  ne  devez  avoir 
de  commerce  avec  lui  qu'autant  que  la  cha- 
rité et  la  bienséance  le  demandent,  et  sur- 
tout vous  séparer  de  ses  fausses  joies,  de 
ses  divertissements  profanes,  de  ses  usages 
pernicieux,  de  son  esprit,  de  ses  maximes, 
de  tout  ce  qui  en  rend  le  séjour  si  contagieux 
à  la  vertu. 

Voilà  donc  la  première  disposition  essen- 
tielle à  la  sainteté  :  la  séparation  du  monde; 
mais  il  faut  ajouter  le  renouvellement  des 
mœurs,  un  changement  entier  qui  rende  le 
chrétien  méconnaissable  à  soi-même  et  à 
tous  ceux  qui  l'environnent. 

Changement  dans  les  actions,  et  c'est  la 
première  règle  que  l'apôtre  saint  Paul  pres- 
crit aux  Epliésiens  :  que  celui  qui  dérobait 
ne  dérobî  plus,  lsur  -ait-il,  mais  qu'il  s'oc- 


cupe de  ses  mains  en  travaillant  à  quelque 
ouvrage  bon  et  utile  pour  avoir  de  quoi  don- 
ner à  ceux  qui  sont  dans  l'indigence.  Que 
toute  aigreur,  tout  emportement,  tonte  colère, 
enfin  toute  malice  soit  bannie  d'entre  vous; 
que  les  mains,  toujours  bien  fermées  aux 
nécessités  des  pauvres,  toujours  ouvertes  à 
la  violence  et  à  l'injustice,  ne  s'ouvrent  plus 
que  pour  les  œuvres  saintes,  que  pour  sou- 
lager les  misérables;  que  ces  yeux,  si  sou- 
vent souillés  par  des  regards  défendus,  se 
purifient  par  les  larmes  de  la  pénitence  ;  qu'à 
ces  commerces  frauduleux,  ces  injustices 
criantes,  ces  sensualités  criminelles,  à  ces 
emportements  de  haine  et  de  vengeance  suc- 
cèdent des  prières  ferventes,  des  austérités 
saintes,  des  aumônes  abondantes,  des  œu- 
vres de  pénitence  ,  de  charité  ,  de  justice 
et  de  miséricorde;  en  un  mot, vous  tous  qui 
voulez  être  saints,  ne  vivez  plus  comme  les 
autres  qui  suivent  dans  leur  conduite  la 
vanité  de  leurs  péchés;  mais  commencez  par 
dépouiller  le  vieil  homme  selon  lequel  vous 
avez  %vécu,  pour  vous  revêtir  de  l'homme 
nouveau  qui  a  été  créé  selon  Dieu,  dans  une 
sainteté  véritable. 

Changement  dans  les  maximes;  car,  mes 
frères,  il  y  a  une  si  grande  liaison  entre  le 
cœur  et  l'esprit,  que  les  mouvements  déré- 
glés supposent  ordinairement  les  faux  juge- 
ments de  l'autre,  et  que  la  volonté  n'est  pres- 
que jamais  corrompue  que  l'entendement  ne 
soit  en  même  temps  aveugle.  11  est  quelques 
pécheurs,  je  l'avoue,  qui  agissent  par  pure 
impétuosité,  sans  réflexions,  sans  principes, 
sans  se  rendre  raison  à  eux-mêmes  de  leur 
conduite  ;  mais,  généralemept  parlant,  on  se 
fait  des  règles,  des  principes  qui  détermi- 
nent dans  les  occasions  et  qui  sont  comme 
la  source  de  toutes  nos  démarches;  on  cher- 
che à  s'autoriser  soi-même,  à  se  procurer 
une  fausse  sécurité  à  la  faveur  de  certaines 
maximes  commodes  et  reçues  dans  le  monde, 
qui  flattent  toutes  les  passions,  qui  justifient 
tous  les  vices,  qui  n'ont  rien  d'odieux  et  de 
rebutant;  qui,  se  contentant  de  respecter  les 
vertus  morales,  détruisent  et  anéantissent 
toutes  les  vertus  chrétiennes. 

Or,  voilà  à  quoi  il  faut  renoncer  aussitôt 
qu'on  veut  être  saint  ;  dès  lors  il  n'est  plus 
permis  de  penser  comme  on  pensait  aupara- 
vant à  ces  maximes  commodes  et  charnelles 
puisées  dans  les  usages  du  monde  et  dans 
la  corruption  du  cœur  ;  il  faut  substituer  des 
maximes  tirées  de  l'Évangile  et  de  la  con- 
duite des  saintes  maximes,  usages  qui  sont 
fondés  sur  l'autorité  de  Dieu  même,  maxi- 
mes saintes  qui  font  tendre  sans  cesse  à  la 
perfection,  maximes  qui  laissent  à  la  loi 
toute  sa  sévérité  et  toute  son  étendue,  qui 
arrachent  à  la  cupidité  tous  ses  vains  pré- 
textes et  toutes  ses  ressources  profanes;  en 
un  mot,  dès  qu'on  veut  être  saint,  le  monde 
et  ses  maximes  doivent  être  comptés  pour 
rien;  il  n'est  plus  permis  d'avoir  d'autre 
maître  que  Jésus-Christ,  d'autre  règle  que 
l'Evangile. 

Changement  môme  clans  l'extérieur.  E» 
effet,  quoique  la  sainteté  consiste  principa* 


H  29 


1  YSTERES  ET  FETES.  —  SERMON  I",  SLR  LA  SAINTETE. 


4130 


lemcnl  dans  les  dispositions  du  cœur,  il  est 
certain  néanmoins  que  les  sentiments  qu'elle 
produit  dans  l'âme  doivent  rejaillir  jusque 
sur  l'extérieur  ;  que  l'Evangile  réforme 
le  dehors  aussi  bien  que  le  dedans,  que  tout 
dans  un  chrétien  doit  répandre  la  bonne 
odeur  de  Jésus-Christ;  ainsi,  si  vous  voulez 
arriver  à  la  sainteté,  il  faut  commencer  par 
retrancher  ces  parures  indécentes,  ces  airs 
mondains  et  dissipés,  ces  superfluités  dans 
vos  tables,  dans  vos  meubles,  dans  vos  équi- 
pages, tout  cet  attirail  de  luxe  et  de  sensua- 
lité. Quel  monstrueux  assemblage  qu'un 
cœur  chrétien  sous  un  extérieur  tout  païen! 
et  comment  peut-on  reconnaître  un  disciple 
de  Jésus-Christ  aux  funestes  marques  que  le 
démon  imprime  sur  le  front  de  ses  partisans? 
Que  la  gravité,  la  modestie,  la  retenue  pa- 
raissent donc  dans  toutes  vos  démarches; 
que  votre  table,  vos  meubles,  vos  équipages, 
jusqu'à  vos  regards,  tout  soit  réglé  par  la 
loi  ;  en  un  mot,  que  tout  porte  en  vous  le 
caractère  d'un  chrétien  et  les  impressions  de 
l'Evangile. 

Enfin,  la  sainteté  demande  de  vous  un  chan- 
gemynt  si  entier,  si  universel  qu'il  faut  que 
vous  deveniez  un  homme  tout  nouveau,  tout 
différent  de  ce  que  vous  étiez  autrefois;  qu'on 
puisse  dire  de  vous,  en  vous  comparant  avec 
les  mondains,  avec  les  hommes  sensuels,  in- 
justes, médisants,  ravisseurs  du  bien  d'au- 
trui,  ce  que  saint  Paul  disait  autrefois  des 
Corinthiens  en  les  comparant  avec  cette  mul- 
titude d'hommes  idolâtres  et  corrompus  dont 
ils  étaient  environnés, fyoilà  ce  que  vuos  étiez 
autrefois  :  Et  hœc  quidem  fuistis  (I  Cor.,  VI), 
mais  vous  avez  été  lavés,  mais  vous  avez  été 
sanctifiés,  mais  vous  avez  été  justifiés  au  nom 
de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  et  par  l'esprit 
de  notre  Dieu,  et  si  l'on  se  souvient  encore 
de  vos  anciens  désordres ,  ce  n'est  que  pour 
rendre  de  continuelles  actions  de  grâces  à  la 
miséricorde  de  Dieu,  qui  vous  a  tirés  de  la 
puissance  des  ténèbres  pour  vous  faire  pas- 
ser dans  la  lumière  de  Dieu  et  dans  le  par- 
tage des  saints. 

Voilà  donc  les  deux  dispositions  essen- 
tielles à  la  sainteté,  la  séparation  du  monde 
et  le  renouvellement  des  mœurs;  dispositions 
qui,  comme  vous  le  voyez ,  ne  sont  pas  arbi- 
traires ,  mais  contenues  expressément  dans 
l'Ecriture  sainte  ou  qui  en  sont  tirées  par  des 
conséquences  nécessaires.  Ces  dispositions 
sont  pénibles,  je  l'avoue,  il  en  coûte  pour 
les  acquérir,  mais  jetez  les  veux  sur  l'état 
glorieux  et  tranquille  auquel  l'âme  sainte 
est  élevée  dès  cette  vie  ;  en  un  mot,  après 
avoir  appris  les  moyens  qui  conduisent  à  la 
sainteté,  remarquez-en  les  avantages;  c'est 
le  sujet  de  mon  second  point. 

SECOND   POINT. 

Si  la  sainteté  ne  nous  présentait  sur  la 
terre  que  des  croix,  des  afflictions,  des  com- 
bats sans  douceur  et  sans  consolation ,  les 
impies  insulteraient  à  la  condition  des  saints 
et, à  la  foi  du  juste;  et  la  foi  du  juste  desti- 
tué de  tout  secours  et  de  tout  appui,  se  re- 
buterait tôt  ou  lard  dans  une  voie  si  rude  et 
Orateurs  sacués,  L. 


si  pénible;  il  a  donc  été  de  la  sagesse  de 
Dieu  de  mêlerdes  consolations  aux  rigueur.» 
de  la  piété,  et  après  nous  avoir  instruits  de? 
devoirs  difficiles  que  la  vertu  nous  impose, 
d'animer  notre  courage  par  la  vue  des  chastes 
délices  et  des  douceurs  ineffables  qui  sont , 
dès  ici  bas,  la  récompense  de  la  sainteté. 
Or  c'est  ce  que  Jésus-Christ  a  fait  admira- 
blement dans  l'Evangile:  si  d'un  côté  il  nous 
avertit  que  le  royaume  des  cieux  souffre  vio- 
lence, et  ne  s'emporte  que  par  des  efforts 
non  interrompus,  que  la  tristesse  et  les  lar- 
mes sont  le  partage  de  ses  serviteurs,  qu'un 
chrétien  doit  renoncer  à  soi-même  et  porter 
sa  croix  tous  les  jours  de  sa  vie;  de  l'autre, 
il  nous  apprend  que  son  joug  est  agréable 
et  son  fardeau  léger,  que  nous  y  trouvons  le 
repos  de  nos  âmes  et  que  l'observation  de 
ses  commandements  est  la  source  du  vérita- 
ble bonheur.  En  un  mot,  s'il  ne  nous  dissi- 
mule pas  les  peines  et  les  amertumes  de  la 
sainteté,  il  a  soin  de  nous  découvrir  les  dé- 
lices et  les  avantages  qui  sont  attachés  à  la 
pratique  de  la  vertu;  or,  parmi  ces  avanta- 
ges, j'en  découvre  trois  principaux,  et  qui 
me  paraissent  bien  propres  à  vous  faire  con- 
cevoir tout  le  bonheur  de  cette  vie. 

Le  premier  avantage  est  tiré  de  la  pureté  et 
de  l'éclat  que  la  sainteté  communique  à  l'âme, 
cette  joie  tranquille  et  ineffable  que  produit 
la  paix  d'une  bonne  conscience  et  le  témoi- 
gnage qu'on  se  rend  à  soi-même  de  sa  pro- 
pre vertu.  C'est  le  défaut  de  cette  joie  inté- 
rieure, de  celte  paix  de  la  conscience  qui 
fait  le  supplice  ou  plutôt  le  désespoir  des 
méchants,  qui  empoisonne  tous  leurs  plai- 
sirs et  qui  les  rend  malheureux  au  milieu 
de  leurs  délices  et  de  leurabondance. Formés 
à  l'image  de  Dieu,  destinés  à  le  posséder 
éternellement,  il  est  en  nous  une  impres- 
sion de  la  main  du  Créateur,  un  sentiment 
de  notre  propre  excellence ,  un  amour  de 
l'ordre,  un  goût  de  la  vertu  que  le  péché  ne 
peut  jamais  entièrement  effacer;  semblables 
à  ces  édifices  ruinés,  qui  dans  les  masures 
renversées,  conservent  encore  quelque  chose 
de  la  beauté  et  de  la  grandeur  de  leur  première 
forme  :  tout  y  paraît  dans  le  désordre  et  dans 
la  confusion  ;  mais  qu'on  remue  ces  ruines,  ©n 
trouvera  dans  les  restes  de  ce  bâtiment  renver- 
sé, et  les  traces  de  ses  fondements,  et  l'idée, 
le  premier  dessein  et  la  marquede  l'architecte. 

Quel  est  donc  le  supplice  ou  plutôt  le  dé- 
sespoir d'une  âme,  lorsqu'à  la  faveur  de 
cette  lumière  intérieure,  qui  n'est  autre 
chose  que  la  marque,  l'impression  de  Dieu, 
elle  se  considère  elle-même,  et  qu'elle  se 
voit  souillée,  dégradée ,  défigurée  par  le  pé- 
ché ,  séparée  de  Dieu,  objet  malheureux  de 
sa  colère,  et  de  ses  vengeances  éternelles? 
C'est  en  vain  qu'elle  tâche  de  s'éviter  soi- 
même  ;  c'est  en  vain  qu'elle  tâche  de  s'étourdir 
par  l'amour  des  biens  sensibles;  c'est  en 
vain  qu'elle  s'imagine  de  trouver  son  repos 
et  sa  consolation  dans  la  multiplicité  des 
créatures:  tous  ces  remèdes  frivoles  sont  au 
dehors,  et  le  mal  est  au  dedans.  Où  en  est- 
on  réduit,  lorsqu'on  est  obligé  de  s'éviter 
pour  être  heureux?  Quelle  espèce  de  néces- 

36 


ii3i 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SIRIAN 


iisi 


6ité  qui  laisse  nu  cœur  tout  son  trouble 
et  son  amertume?  et  quel  repos  peut-on 
avoir  lorsqu'on  est  mal  avec  soi-même? 
Cette  âme  infortunée,  qui  porte  partout  le 
trait  mortel  qui  la  blesse  et  qui  la  déchire, 
partout  elle  entend  une  voix  secrète  qui  lui 
reproche  ses  crimes ,  partout  elle  voit  l'image 
du  bonheur  qui  lui  était  destiné,  et  le  sup- 
plice affreux  qui  l'attend  ;  au  milieu  de  tou- 
tes ces  agitations ,  peut-elle  goûter  quelques 
plaisirs,  et  les  criminels  amusements  par 
lesquels  elle  tâche  d'enchanter  sa  douleur, 
ne  se  changent-ils  point  pour  elle  en  poison 
mortel,  et  par  le  vide  qu'ils  renferment,  et 
parle  repentir  qu'ils  lui  laissent?  Mon  Dieu  ! 
que  cette  situation  est  cruelle  1  Faut-il  au- 
tre chose  que  le  vice  même  pour  punir 
l'homme  corrompu? 

L'état  de  l'âme  sainte  est  bien  plus  doux 
et  plus  heureux.  Convaincus  que  notre  fé- 
licité est  entre  nos  mains,  qu'il  ne  faut  ni 
traverser  les  mers,  ni  faire  de  grandes  for- 
tunes, ni  briller  dans  des  places  éclatantes 
pour  être  heureux  ,  mais  que  nous  avons  au 
dedans  de  nous-mêmes  tout  ce  qu'il  faut  pour 
le  devenir;  le  chrétien  trouve  dans  son  propre 
cœur  et  clans  le  témoignage  de  sa  conscience 
la  source  d'une  joie  sainte  et  d'une  paix 
inaltérable,  joie  si  juste,  si  raisonnable,  que 
les  païens  mêmes  Vont  regardée  comme  la 
plus  précieuse  récompense  de  la  vertu;  joie 
tranquille  qui  n'est  altérée  ni  par  les  inquié- 
tudes, ni  par  les  remords;  joie  durable,  parce 
qu'elle  est  fondée  sur  les  dipositions  dp 
l'âme,  et  indépendante  des  caprices  de  la 
fortune;  joie  qui  s'augmente  tous  les  jours 
a  mesure  que  le  cœur  se  purifie  et  que  l'é- 
ternité approche. 

Si  qucdque  chose  est  capable  de  troubler 
une  âme  dans  cet  état  heureux  et  tranquille, 
c'e>t  la  vue  de  ses  iniquités;  elle  ne  peut 
penser  sans  gémir  à  ces  jours  d'égarements 
et  d'ignorance,  qu'elle  a  passés  loin  de  son 
Dieu,  dans  le  tumulte  et  dans  la  licence  des 
passions;  mais  dans  ses  gémissements  mê- 
mes et  dans  ses  larmes,  elle  trouve  des  su- 
jets de  consolation.  Quelle  joie  pour  un  pé- 
cheur converti  et  réconcilié  avec  Dieu,  lors- 
qu'il compare  son  état  présent  avec  celui  du 
passé,  lorsqu'il  voit  ses  péchés  noyés  dans 
le  sang  de  l'Agneau,  et  lavés  dans  les  eaux 
salutaires  de  la  pénitence;  son  cœur,  qui 
était  autrefois  le  séjour  de  l'esprit  impur, 
devenu  le  sanctuaire  de  la  justice  et  le  tem- 
ple de  Dieu  même;  lorsqu'il  se  voit  rétabli 
dans  ses  premiers  droits,  honoré  de  la  qua- 
lité d'enfant  de  Dieu  qu'il  avait  perdue  par 
le  péché ,  et  en  droit  de  prétendre  à  l'héritage 
éternel  1  et  de  quelque  côté  qu'il  se  tourne, 
il  ne  trouve  que  des  sujets  de  s'applaudir 
soi-même  de  son  changement,  que  des  mo- 
tifs de  zèle  et  de  reconnaissance.  L'histoire 
de  ses  égarements  passés  est  l'histoire  des 
miséricordes  de  Dieu  sur  lui;  partout  il  dé- 
couvre une  providence  attentive  à  le  secou- 
rir; partout  il  reconnaît  les  soins  empressés 
d'un  Père  tendre  et  miséricordieux: dans  ses 
afflictions,  dans  ses  disgrâces  imprévues, 
dans  ses  dégoûts  du  monde;  au  milieu  du 


monde  même,  aans  les  remords  salutaires 
qui  empoisonnent  ses  plaisirs,  dans  les  invi- 
tations secrètes  qui  le  rappelaient  à  la  vertu 
au  milieu  des  plus  doux  charmes  du  vice, 
dans  les  différents  moyens  de  salut  que  Dieu 
lui  ménageait  depuis  lontemps;  et  tout  trans- 
porté de  reconnaissance  à  la  vue  des  bien- 
faits excessifs  de  Dieu,  il  s'écrie  avec  ce 
saint  roi  qui,  près  de  descendre  dans  le  tom- 
beau, d'où  il  fut  retiré  par  sa  main  toute-puis- 
sante :  je  me  croyais,  ô  mon  Dieul  sépart 
pour  toujours  de  vous  par  mon  péché  ;  j'avai. 
dit  en  moi-même  :  Je  ne  verrai  plus  le  Sei- 
gneur, mon  Dieu, dans  cette  vie;  mais  vous, 
Seigneur,,  vous  avez  eu  pitié  de  moi  lors- 
que j'étais  le  plus  indigne  de  vos  miséricor- 
des ;  vous  avez  délivré  mon  âme,  vous  avez 
empêché  qu'elle  ne  pérît,  vous  avez  jeté 
derrière  vous  tous  mes  péchés  :  Eruisli 
animan  meam  ut  nonperiret,  projecisti  post 
terqum  tuum  omnia  peccatu  mca.  (Psal. 
LXXXV.)  Ah!  mes  frères,  concevez  tout  le 
bonheur  d'une  âme  unie  étroitement  à  Dieu, 
uniquement  occupée  du  soin  de  reconnaî- 
tre ses  bienfaits,  rassurée  contre  les  alar- 
mes par  le  témoignage  de  sa  conscience.  Eh  I 
ne  prendra-il  jamais  envie  aux  mondains 
d'éprouver  toutes  les  douceurs  et  toutes  lès 
consolations  de  la  vertu  ? 

Le  second  avantage  de  l'âme  sainte  con- 
siste dans  l'intelligence  et  le  goût  des  sain- 
tes Ecritures,  qui  font  toute  sa  force  et  toute 
sa  consolation.  Ces  chastes  délices  ne  sont 
>as  pour  les  méchants,  et  cette  nourriture 
égère  est  trop  délicate  pour  des  cœurs  li- 
vrés à  l'amour  des  biens  grossiers  et  sensi- 
bles; leurs  passions  répandent  sur  leur  es- 
prit un  voile  épais  qui  les  empêche  d'enten- 
dre les  Livres  saints, d'en  découvrir  le  sens, 
d'en  pénétrer  la  profondeur,  d'en  sentir 
toute  la  beauté  ;  ils  n'y  trouvent  rien  que 
d'austère  et  que  de  rebutant,  des  maximes 
exactes  et  sévères  qui  s'opposent  à  tous  leurs 
penchants,  qui  condamnent  tous  leurs  dé- 
sordres ;  des  menaces,  des  foudres,  des  ana- 
thèmes  prononcés  contre  leurs  crimes;  bien 
loin  donc  de  quitter  ces  livres  divins,  si  la 
curiosité  les  engage  à  les  ouvrir  quelquefois, 
ils  ne  les  lisent  qu'avec  aversion  et  qu'avec 
une  secrète  horreur  ;  ils  seraient  tentés  d'imi- 
ter la  conduite  de  ce  roi  impie  d'Israël  qui 
osa  porter  ses  mains  profanes  et  sacrilèges 
sur  le  livre  de  la  loi  pour  le  déchirer,  et  ils 
voudraient, s'il  leur  était  possible,  anéantir 
pour  toujours  ces  monuments  sacrés,  sur 
lesquels  ils  doivent  être  jugés  et  condamnés 
au  dernier  jour. 

Il  n'en  est  pas  ainsi  de  l'âme  sainte,  déta- 
chée de  toutes  les  choses  de  la  terre,  et  ha- 
bitant déjà  par  sa  foi  dans  le  ciel ,  elle  fait  sa 
plus  douce  consolation  delà  lecture  des  Li- 
vres saints,  parce  qu'elle  n'y  trouve  rien  qui 
ne  fortifie  en  elle  ses  bons  sentiments,  qui  ne 
lui  inspire,  la  haine  du  vice  et  l'amour  de  la 
vertu;  ici  elle  remarque  avec  admiration  la 
providence  de  Dieu  sur  son  peuple  choisi, 
les  grâces  dont  il  l'a  comblé,  les  miracles 
qu'il  a  opérés  en  sa  faveur,  les  moyens  donl 
il  s'est  servi  pour  le  préparer  au  grand  ou- 


ms 


l  YSTERES  Et  FETES.  —  SERMON  1",  SUR  LA  SAINTETE. 


1134 


le  soin  qu'il  n 
oi  ancienne  des 


vrage  de  l'incarnation ,  et 
eu  de  laisser  dans  toute  la 
traces  et  des  figures  de  Jésus-Christ.  Là  elle 
recueille  avec  une  sainte  avidité  ces  maxi- 
mes courtes,  mais  si  belles,  si  instructives 
que  le  plus  sage  des  hommes  nous  a  laissées 
pour  régler  notre  conduit^.  Tantôt  elle  va 
chercher  dans  les  prophètes  ces  descrip- 
tions pompeuses  de  la  vanité,  ces  images 
nobles  et  brillantes  sous  lesquelles  nous 
sont  représentées  les  récompenses  des  justes 
et  les  supplices  des  méchants;  tantôt  elle  puise 
dans  les  psaumes  ces  mouvements  d'une 
piété  tendre  et  d'un  cœur  touché,  ces  traits 
vifs  et  animés  par  lesquels  une  âme  s'élance 
vers  Dieu;  tantôt  elle  étudie  dans  les  évan- 
giles le  sens  caché  des  paraboles,  les  vérités 
les  plus  importantes  renfermées  sous  les 
images  les  plus  naïves,  ces  instructions  si 
simples  en  apparence,  mais  si  majestueuses 
dans  leur  simplicité,  et  si  fécondes  que  nous 
y  trouvons  la  guérison  de  tous  nos  vices  et 
la  règle  de  toutes  nos  vertus.  De  là,  passant  à 
ces  lettres  admirables  que  les  apôtres  écri- 
vaient aux  fidèles  de  leur  temps,  elle  y  re- 
marque avec  étonneinent  cette  profondeur 
de  doctrine,  cette  sublimité  de  pensées, 
cette  force  d'expressions ,  cette  éloquence 
mâle  et  persuasive  que  tout  l'art  des  hom- 
mes ne  pourra  jamais  égaler,  cet  esprit  de 
force,  de  prudence,  de  zèle,  de  charité  qui  y 
est  répandu  de  tous  côtés,  qui  se  fait  sentir 
aux  personnes  mêmes  médiocrement  atten- 
tives; partout  elle  trouve  de  quoi  nourrir 
sa  foi,  de  quoi  animer  son  espérance,  et  de 
quoi  la  consoler  dans  son  exil. 

Ici  je  vous  prends  à  témoins,  vous  qui  fai- 
tes de  la  lecture  des  Livres  saints  vos  plus 
chères  délices  et  votre  plus  consolante  oc- 
cupation, en  ai-je  trop  dit  pour  exprimer  ce 
que  vous  pensez  ?  Est-il  rien  qui  approche 
de  la  beauté  de  ces  livres  divins,  du  plaisir 
que  vous  goûtez  à  les  méditer  tous  les  jours? 
Quelle  force  !  quelle  noblesse  !  quelle  éléva- 
tion !  quels  traits  !  quelles  images!  quelles 
idées  de  la  grandeur  de  Dieu  et  de  la  bas- 
sesse de  l'homme!  quelle  n~eii:ture  de  la  fé- 
licité future  et  de  l'état  malheureux  des  mon- 
dains! Que  de  sages  précautions  contre  le 
vice  !  que  d'attraits  puissants  pour  la  vertu  1 
Je  ne  m'étonne  plus  de  ce  que  les  Juifs, 
échappés  à  la  fureur  de  leurs  ennemis  chas- 
sés de  Jérusalem,  privés  de  leurs  biens,  de 
leurs  femmes,  de  leurs  enfants  qu'on  égor- 
geait cruellement  à  leurs  yeux,  se  conso- 
laient au  milieu  de  tous  ces  maux,  par  la 
conservation  des  Livres  saints  qui  leur  étaient 
restés.  Je  ne  m'étonne  plus  de  ce  que  les 
premiers  fidèles  les  avaient  en  grande  vé- 
nération, les  lisaient  avec  tant  d'assiduité, 
y  puisaient  assez  de  force  et  de  courage 
pour  braver  les  plus  rudes  tourments  ;  je  ne 
m'étonne  plus  de  ce  qu'ils  regardaient  avec 
tant  d'horreur,  de  ce  qu'ils  séparaient  même 
de  leur  communion  ceux  qui  avaient  été  as- 
sez lâches  pour  les  livrer  aux  infidèles,  de 
ce  qu'ils  portaient  même  quelquefois  leur 
zèle  jusqu'à  vouloir  que  ces  monuments  sa- 
crés fussent  renfermés  dans  leur  tombeau  et 


mêlés,  pour  ainsi  dire,  avec  leurs  cendres 
pour  servir  de  gage  et  de  témoignage  de  leur 
fidélité  au  jour  de  .la  révélation.  Puisse  ce 
premier  esprit  se  ranimer  encore  de  nos 
jours  1  puisse  cet  amour  des  divines  Ecritu- 
res se  ranimer  dans  un  siècle  comme  le  nô- 
tre, où  l'on  se  pique  de  goût  et  de  discerne- 
ment pour  la  vérité. 

Le  troisième  avantage  de  l'âme  sainte  est 
fondé  sur  la  confiance  qu'elle  a  d'appartenir 
à  Dieu,  sur  l'espérance  inébranlable  de  le 
posséder  un  jour  ;  en  effet,  quoique  personne 
ne  puisse  savoir  certainement  s'il  est  digne 
d'amour  ou  de  haine ,  quoique  le  témoi- 
gnage d'une. conscience  qui  ne  vous  repro- 
che rien  ne  suffise  pas  pour  nous  justifier 
auprès  de  Dieu,  et  que  le  plus  juste  doive 
toujours  opérer  son  salut  avec  crainte  et 
tremblement,  il  est  néanmoins  certaines  mar- 
ques qui  nous  peuvent  donner  une  con- 
fiance juste  et  raisonnable  que  nous  appar- 
tenons à  Jésus-Christ,  et  par  lesquelles  l"Es- 
prit-Saint  rend  témoignage  à  notre  esprit 
que  nous  sommes  enfants  de  Dieu.  Or,  tou- 
tes ces  marques  précieuses,  tous  ces  carac- 
tères de  prédestination  se  trouvent  réunies 
dans  l'âme  sainte  ;  cette  conformité  avec  Jé- 
sus-Christ d'actions,  de  sentiments  et  de 
désirs,  cette  sainte  impatience  d'arriver  à  la 
perfection,  cette  haine  du  péché,  ce  goût  de 
la  vertu,  ces  lumières  qui  éclairent  son  es- 
prit, ces  consolations  que  la  grâce  répand 
dans  son  cœur,  ne  sont-ce  pas  là  comme  au- 
tant de  voies  éloquentes  par  lesquelles  Dieu 
dit  à  l'homme  juste  qu'il  est  son  fils  bien- 
aimé,  l'objet  de  toute  son  affection  et  de 
toute  sa  tendresse  :  Hic  est  Filins  meus  dilec- 
tus  inquomihibene  comptant i .(Mat th. ,  XVII.) 
De  là  cette  espèce  d'insensibilité  pour 
toutes  les  choses  de  la  terre,  ce  détachement 
universel  d'une  âme  à  qui  Dieu  suffit  :  de  là 
cette  sainte  sécurité  qui  n'exclut  pas  la  vi- 
gilance et  le  travail,  mais  qui  bannit  seule- 
ment les  alarmes  et  les  inquiétudes  excès 
sives  ;  de  là  cette  confiance  dans  les  pro- 
messes de  Dieu  et  dans  ses  miséricordes, 
cette  espérance  ferme  de  le  posséder  un 
jour,  d'entrer  dans  les  tabernacles  éternels, 
de  ne  faire  qu'un  corps  avec  les  élus  de 
Jésus-Christ,  dont  il  sera  le  chef  pendant 
toute  l'éternité,  espérance  qui  ne  confond 
pas,  parce  qu'elle  est  fondée  sur  la  promesse 
d'un  Dieu,  affermie  par  son  sang,  entretenue 
par  les  douceurs  ineffables  de  la  charité,  que 
le  Saint-Esprit  répand  dans  nos  cœurs. 

Ici,  hommes  aveugles  dominés  par  l'a- 
mour du  siècle,  comparez,  si  vous  l'osez,  vos 
voies  inquiètes,  vos  plaisirs  profanes,  tou- 
jours mêlés  de  chagrins  et  de  remords,  avec 
les  plaisirs  purs  et  les  ineffables  consolations 
du  juste;  rougissez  devoir  qu'il  vous  en 
coûte  plus  pour  vous  perdre  qu'il  n'en  coûte 
aux  saints  pour  se  sauver,  et  qu'obligés  de 
leur  céder  le  bonheur  de  l'autre  vie,  vous 
ne  pouvez  pas  même  leur  disputer  celui  de 
la  vie  pénitente.  Ne  puis-je  donc  pas  vous 
adresser  ici  ces  belles  paroles  du  Roi-Pro- 
phète :  Enfants  des  hommes  ,  jusqu'à 
quand  aurez-vous  le  cœur  appesanti?  jus- 


ii33 


OHATr.URS  SACRES.  LE  P.  SÏJHIAN. 


U3(i 


qu'à  quand  preniirez-vous,  pour  arriver  au 
bonheur,  une  route  qui  vous  en  éloigne? 
Filii  hominum,  usquequo gravi  corde? tut  quid 
dilifjitis  vanitatem  et  quœritis  mendacium? 
(Puai.  IV.)  Sachez  que  le  Seigneur  a  rempli 
son  saint  d'une  gloire  admirable,  qu'il  se 
plaît  à  l'élever,  à  le  récompenser  dès  cette 
vie  par  les  caractères  de  prédestination  qu'il 
imprime  sur  lui,  par  la  joie  qu'il  répand  dans 
son  cœur;  sachez,  en  un  mot,  qu'il  n'y  a  que 
trouble  et  affliction  pour  les  méchants,  et 
que  le  véritable  bonheur  est  inséparable  de 
la  sainteté  :  Et  scitote  quoniam  mirifieavit 
Dominus  sanctum  suum.  (Ibid.) 

Mais  peut-être  regardez-vous  les  portraits 
que  nous  vous  faisons  du  bonheur  du  juste 
comme  des  portraits  flattés,  comme  ùes  sail- 
lies d'une  imagination  échauffée  plutôt  que 
comme  de  fidèles  expressions  de  la  vérité  ? 
Eh  bienl  ne  nous  croyez  pas,  mes  frères, 
quoi  qu'en  vérité  quel  intérêt  aurions-nous  à 
vous  tromper?  mais  croyez-en  du  moins 
tant  d'âmes  fidèles  qui  servent  le  Sei- 
gneur dès  leurs  plus  tendres  années,  qui  pu- 
blient hautement  qu'elles  n'ont  trouvé  que 
paix  et  que  consolation  à  son  service  ;  croyez- 
en  les  mondains  eux-mêmes,  qui  avouent 
tous  les  jours  en  gémis;  ant  que  la  voie  du 
juste  est  la  plus  courte  et  la  plus  sûre  pour 
arriver  h  la  félicité  ;  croyez-en  votre  propre 
expérience;  éprouvez  par  vous-mêmes  si  ce 
que  je  vous  dis  est  vrai.  Donnez-vous  à 
Dieu,  mais  sincèrement  et  de  bonne  foi  ;  tâ- 
chez de  devenr  saints,  votre  état  et  le  nom 
de  chrétien  vous  y  engagent;  bientôt  vous 
reconnaîtrez  que  nos  portraits,  bien  loin 
d'être  flattés,  n'expriment  qu'une  partie  de 
la  vérité;  que  les  consolations  du  juste  sont 
au-dessus  de  toutes  nos  expressions  et  de 
toutes  nos  pensées  ;  en  un  mot,  que  la  sain- 
teté est  une  félicité  commencée  dès  cette  vie, 
qui  doit  durer  et  se  perfectionner  dans  l'é- 
ternité, que  je  vous  souhaite  au  nom  du 
Père,  etc.  Amen. 

SERMON  II. 
Pour  le  jour  de  la  Purification. 

DE    L'OBSERVANCE    DE    LA    LOI. 

Vostqnam  impleti  sunt  dies  purgationis  ejns  sec  ndum 
.egem  Moysis,  tulerunt  illum  in  Jérusalem  ut,  sisterent 
eum  Domino  sicut  srriptum  est  in  le;;e  Domini  [Luc,  II.) 

Les  jours  de  la  purification  marques  p:ir  la  loi  -de  Moïse 
étant  accomplis,  ils  portèrent  Jésus  à  Jérusalem  pour  le 
présenter  au  Stiyneur  comme  la  loi  l'ordonne. 

Qu'il  est  saint,  qu'il  est  auguste  ce  saeri- 
fie  du  ciel,  que  le  disciple  hien-aimé  nous 
décrit  dans  son  Apocalypse!  11  voyait  comme 
il  le  rapporte,  venir  à  cette  oblation  un 
Agneau  pur,  une  vierge  sans  tache,  de  saints 
vieillards  ;  on  y  chantait  dans  une  paix  pro- 
fonde des  cantiques  d'actions  de  grâces,  et 
au  pied  de  l'autel  sacré  il  n'y  avait  rien  qui 
ne  devînt  une  hostie. 

Mais  qu'y  voyait-il,  ce  saint  apôtre,  dans  le 
temple  delà  gloire  de  Dieu,  que  celui  de 
Jérusalem  aujourd'hui  ne  nous  expose?  Jé- 
sus-Christ offert  est  cet  Agneau  pur,  Marie 
est  cette  vierge  sans  tache,  et  Siméon  priant 
représente   ces  bienheureux  vieillards  qui 


environnaient  le  trône  de  l'Agneau  immolé; 
le  cantique  qu'on  y  prononce  n'est  qu'une 
expression  de  celui  du  ciel;  enfin,  de  tous 
ceux  qui  se  trouvent  dans  le  temple,  chacun 
vient  offrir  une  victime  à  son  Dieu:Joseph 
ses  pleurs,  Marie  son  fils,  Siméon  sa  vie,  Jé- 
sus son  cœur  et  tout  avec  lui. 

Oh  !  par  combien  d'hosties  saintes,  le  tem- 
ple du  Seigneur  est-il  consacré!  Et  nous  aussi 
mes  frères,  allons  y  sacrifier  :  trop  de  victi- 
mes qui  nous  précèdent  nous  y  appellent; 
immolons-nous.  C'est  tout  le  désir  et  la  plus 
douce  consolation  du  Père  des  miséricordes, 
qui  dans  celte  auguste  solennité,  ne  semble 
nous  offrir  plus  particulièrement  l'exemple 
de  Marie,  que  pour  nous  .donner  l'idée  la 
plus  parfaite  du  sacrifice  qu'il  attend  des 
chrétiens.  Car  quels  sont  les  vrais  caractè- 
res, dit  saint  Augustin,  du  grand  sacrifice 
que  nous  devons  à  Dieu?  offrez-lui  vos  es- 
prits par  une  soumission  aveugle,  donnez- 
lui  vos  cœurs  par  une  obéissance  entière. 
Voilà  l'holocauste  qu'exige  de  vous  le  Sei- 
gneur. 

Or,  sur  ce  principe,  que  manquait-il  au 
sacrifice  de  Marie?  Qu'elle  est.  éloignée  de 
vouloir  y  dérober  quelque  chose  d'elle- 
même!  Elle  vient  s'immoler  tout  entière  au 
pied  de  l'autel  sacré  :  son  esprit  y  est  immolé 
par  la  soumission  aveugle  à  une.  loi  qui  la 
mettait  dans  un  état  de  dégradation  et  de 
honte,  son  cœur  y  est  sacrifié  tout  entier  par 
l'immolation  qu'elle  fait  à  Dieu  de  ce  qu'elle 
a  de  plus  cher  au  monde;  et  voilà  ce  que 
nous  ferions  si  nous  étions  bons  chrétiens 
et  si  l'esprit  qui  nous  anime  était  un  esprit 
d'hostie  mous  mettrions  sur  l'autel,  à  l'exem- 
ple de  Marie,  et  notre  esprit,  par  une  obéis- 
sance aveugle  à  la  moindre  des  lois  du  Sei- 
gneur :  Secundum  hgcmMoysi,  et  notre  cœur, 
par  une  oblation  généreuse  de  tout  ce  que 
nous  avons  de  plus  cher  :  Tulerunt  illum  ut 
sisterent  Domino.  Car  voilà  les  deux  grands 
caractères  du  sacrifice  de  Marie,  et  les  condi- 
tions essentielles  que  doit  avoir  le  nôtre  pour 
plaire  à  Dieu  et  attirer  sa  miséricorde  sur 
nous.  Soumission  aveugle  aux  lois  du  Sei- 
gneur, contre  les  vains  prétextes  qu'on  ap- 
porte pour  s'en  dispenser,  oblation  entière 
contre  les  réserves.  Voilà  mon  dessein;  heu- 
reux si  nous  pouvions  direaujourd'hui  avec 
vérité  à  la  vue  des  hosties  saintes  que  le 
mystère  nous  représente  :  Je  me  suis  senti 
touché  et  j'ai  fermement  résolu  de  sanctifier 
celte  hostie  de  moi-même,  que  Dieu  veut  et 
que  depuis  si  longtemps  j'aurais  dû  lui  con- 
sacrer. Demandons  au  Saint-Esprit  les  se- 
cours qui  nous  sont  nécessaires,  par  l'inter- 
cession do  Marie.  Ave,  Maria. 

PREMIER    POINT. 

Et  d'abord,  que  de  raisons  dispensent  Ma- 
r  c  de  la  loi  qu'elle  veut  subir  et  semblent 
décider  pour  elle  et  l'en  excepter!  Quelle  est 
cette  loi  et  que  porte-t-elle?  C'est  la  loi  de  la 
purification,  qui  n'est  faite  que  pour  les  fem- 
mes souillées  après  l'enfantement;  mais  dans 
Jésus  que  de  sainteté  !  dans  Marie  que  d'in- 
nocence! Ce  fils  qu'elle  avait  mis  au  monde, 


1137 


MYSTEBES  ET  FETES.  —  SERMON  H,  OBSERVANCE  DE  LA  LOI. 


1138 


n'était  que  le  gage  précieux  de  sa  pureté,  il 
ne  pouvait  que  la  conserver  et  l'accroître. 
Ce  divin  soleil  qui  la  pénètre  l' éclairait 
si  parfaitement  qu'il  ne  laissait  pas  la  moindre 
ombre  en  elle,  et  sa  virginité,  qui  aupara- 
vant n'était  qu'an.e  simple  vertu,  devient 
après  un  grand  mystère. 

Oh!  que  cette  loi  si  humiliante  pour  la 
Mère  d'un  Dieu,  pouvait  bien  lui  paraître 
étrangère  où  lui  devenir  indifférente!  mais 
que  des  principes  plus  nobles  la  conduisent! 
Destinée  à  réparer  par  l'obéissance  ce  qu'a- 
vait perdu  l'homme  par  l'infraction,  elle 
n'appréhende  rien  de  ce  que  craignait  tant 
la  mère  du  Sage  :  Erimus  ego  et  filins  meus 
peccatores.  (lll-Reg.,  I.)  Aux  dépens  de  toute 
sa  gloire  elle  vient  se  purifier,  et  lorsque 
rien  ne  l'obligeait  à  se  purifier,  son  amour  et 
son  humilité  l'y  engagent. 

Oh  !  qu'une  telle  hostie  nous  conduise, 
mes  frères,  nous  qui  nous  faisons  une  sou- 
mission arbitraire  de  l'obligation  essentielle 
de  la  loi  du  Seigneur,  qui  loin  d'en  embras- 
ser sans  distinction  tous  les  articles  ,  nous 
choisissons  ceux  qui  nous  accommodent  le 
mieux,  ou  qui  nous  incommodent  le  moins, 
comme  si  toutes  ces  lois  et  tous  les  points 
qu'elles  renferment  ne  partaient  pas  toutes 
ou  même  auteur,  comme  si  elles  ne  promet- 
taient pas  toutes  la  même  récompense.  Lâ- 
ches que  nous  sommes,  nous  rejetons  ces 
lois  pures,  parce  qu'elles  ne  sont  pas  de  no- 
tre goût;  et  comme  notre  amour-propre  les 
étend  ou  les  rétrécit  à  son  gré,  il  nous  les 
fait  quelquefois  rejeter  sur  de  vains  pré- 
textes d'exemptions  ,  sur  nos  dignités  et 
notre  rang,  sur  le  soin  de  notre  réputation, 
sur  l'amour  de  notre  liberté,  sur  les  obscu- 
rités et  les  ambiguités  de  la  loi,  sur  sa  sévé- 
rité, sur  son  incompatibilité  avec  certaines 
situations  de  la  vie,  enfin,  sur  la  légèreté  de 
la  loi.  Voilà  les  prétextes  de  dispenses  qui 
mettent  obstacles  à  notre  sacrifice,  et  qui 
nous  empêchent!  ô  mon  Dieu,  d'obéir  avec 
humilité  à  votre  loi  sainte.  Reprenons,  et 
plaise  au  Seigneur  que  nous  puissions  ici 
confondre  l'illusion  et  la  témérité  de  ces  faux 
prétextes! 

Premier  prétexto  .l'illusion  :  sur  la  nature 
des  dignités  et  de  votre  rang.  Marie  loin  de 
chercher,  pour  se  soustraire  à  la  loi  de  puri- 
fication ,  une  dispense  et  un  privilège 
d'exemption  dans  son  rang  et  dans  sa  di- 
gnité glorieuse  de  mère  d'un  Dieu,  cette 
raison  qui  paraît  si  forte  ne  l'empêche  point 
cependant  de  remplir  les  devoirs  humiliants 
de  sa  servante,  et  plus  elle  a  de  dignité  et 
de  grandeur,  plus  elle  veut  avoir  de  sou- 
mission et  d'obéissance. 

Vous  chrétiens,  au  contraire,  quand  vous 
êtes  dans  un  état  relevé,  vous  vous  croyez 
au-dessus  des  lois;  vous  n'êtes  riches  ou 
nobles  que  pour  renoncer  à  cette  religion 
sainte  qui  vous  ordonne  le  détachement  et 
l'humilité;  être  mortifié  dans  ses  sens,  libé- 
ral envers  son  prochain  ,  réglé  dans  sa  dé- 
pense, ennemi  des  maximes  du  monde, 
fidèle  au  jeûne  et  à  l'abstinence,  tout  cela  est 
regardé  chez  vous,  grands  do  la  terre,  comme 


incompatible  avec  la  noblesse  du  sang  et 
avec  les  apanages  du  rang  et  de  la  condition  ; 
vous  vous  permettez  sans  scrupule  la  fierté, 
les  hauteurs ,  la  mollesse,  le  faste,  les  plai- 
sirs, la  bonne  chère,  comme  les  privilèges 
de  votre  état  ;  il  semble  qu'il  y  ait  un  autre 
Evangile,  une  autre  vt)ie  de  salut  pour  vous 
que  pour  le  reste  des  hommes.  Il  y  en  a  un 
autre  en  effet,  mais  c'est  que  comme  vous 
êtes  plus  exposés  aux  occasions  du  péché 
vous  devez-être  aussi  plus  pénitents,  [dus 
vigilants  et  plus  cirronspects. 

O  riches  du  siècle ,  dites-nous  donc  qui 
vous  a  dispensés  et  donné  le  droit  de  secouer 
ainsi  le  sacré  joug  des  lois  les  plus  respec- 
tables du  Seigneur?  et  Dieu  juste  ne  vous 
a-t-il  donc  comblés  de  plus  de  biens  et  de  fa- 
veurs que  les  autres,  que  pour  vous  en 
rendre  plus  infractàires ?  Ah  !  écoutez-le  ,  il 
vous  dit  lui-même  que  vous  n'êtes  grands 
riches,  placés  sur  la  tête  des  autres,  distin- 
gués dans  1»  monde,  que  pour  devenir  les 
modèles  d'obéissance  et  de  fidélité;  c'est  là 
votre  distinction,  vos  titres,  votre  grandeur, 
et  c'est  là  le  grand  dessein  que  Dieu  a  eu  en 
vous  élevant  au-dessus  de  vos  frères.  Dès 
là  que  vous  n'obéissez  point  à  ses  lois 
fidèlement,  vous  n'avez  plus  de  rang  dans 
le  monde,  vous  n'y  occupez  plus  de  place, 
parce  que  vous  ne  répondez  plus  aux  usages 
saints  que  Dieu  voulait  que  vous  fissiez  do 
votre  grandeur,  de  votre  autorité;  parce  que 
vous  rendez  vaines  les  fins  admirâmes  qu'il 
s'était  proposées  en  vous  élevant,  et  que  loin 
d'être  aux  autres  des  modèles  d'édification, 
vous  leur  devenez  un  sujet  de  scandale  et 
de  ruine  :  Erit  in  ruinant  hàbitanlibus  Jéru- 
salem. (Isa.,  VIII.) 

Second  prétexte  d'exemption  :  sur  le  soin 
de  sa  réputation.  Que  celle  de  Marie  sem- 
blait souffrir  dans  l'observance  légale  de  sa 
purification  !  Elle  était  vierge  et  sans  passions 
même;  cependant,  plutôt  que  de  ne  pas 
obéir  à  la  loi,  elle  s'expose  à  donner  des 
soupçons  sur  sa  virginité  et  à  faire  croire 
qu'elle  est  souillée  comme  les  autres  femmes, 
et  ne  connaît  point  d'autre  gloire  que  celle 
d'être  soumise  à  son  Dieu. 

En  cela  qu'elle  vous  confond,  lâches  chré- 
tiens, qui  regardez  le  soin  de  votre  honneur 
comme  un  titre  qui  vous  dispense  le  l'ob- 
servance de  la  loi ,  dès  qu'elle  vous  paraît 
humiliante  !  Si  nous  voulons  par  la  péni- 
tence renouveler  en  vous  la  loi  de  la  purin- 
cation  qui  n'est  plus,  si  nous  exigeons  a;  rès 
une  vie  toute  de  désordres  que  vous  don- 
niez quelques  marques  de  douleur  et  de 
la  sincérité  de  votre  repentir,  si  nous  vou- 
lons vous  tenir  quelque  temps  séparés  de 
la  sainte  participation  de  nos  mystères,  cette 
loi  vous  paraît  trop  humiliante  ;  votre  fausse 
délicatesse  nous  oppose  mille  raisons  de 
bienséance  pour  vous  en  dispenser,  et  , 
comme  Saùl ,  vous  voulez  bien  secrètement 
avouer  que  vous  êtes  pécheurs,  mais  comme 
lui,  vous  demandez  qu'au  moins  l'on  vous 
honore  devant  le  peuple  :  Sed  nunc  hotte  ra 
me  coram  senioribus popuii  met,  (l  Reg.A  XV.) 


4139 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SURIAN. 


1 140 


Mais  je  vous  demande  :  quel  droit  donc 
avez-vous  à  cette  réputation  dont  vous  êtes 
si  jaloux,  depuis  que  vous  l'avez  si  hon- 
teusement prostituée  au  crime?  Que  méri- 
tez-vous, que  confusion,  que  honte?  et  ne 
seriez-vous  point  trop  heureux  de  pouvoir 
vous  réconcilier  avec  un  Dieu  si  justement 
irrité  contre  vous,  fût-ce  mê  ne  au  prix  de 
toute  votre  gloire?  Ah  1  la  véritable  grandeur 
de  l'homme  est  d'obéir  à  la  loi  de  son  Dieu  ; 
dans  le  désordre ,  dans  l'infraction  de  cette 
divine  loi  tout  est  vil ,  tout  est  méprisable , 
tout  y  est  plein  d'humiliation  et  de  bassesse  ; 
dans*  l'obéissance  de  cette  loi  tout  est 
grand  ,  respectable  ;  tout  y  est  plein  de  no- 
blesse, tout  y  respire  cette  véritable  force 
qui  rend  l'homme  supérieur  à  toutes  choses 
et  à  lui-môme.  Observez-la,  disait  autrefois 
la  sainte  mère  des  Machabées  à  ses  enfants, 
observez-la  cette  loi  divine  ,  et  par  cette 
observance  vous  serez  couverts  de  gloire  : 
Quia  in  ipsa  gloriosi  eritis.  (I  Macli.,  II.) 
Alors  c'était  la  soumission  à  la  loi  du  Sei- 
gneur qui  faisait  les  héros;  quand  on  en 
observait  fidèlement  les  articles,  on  était 
plus  estimé  et  [dus  honoré  que  les  plus 
grands  conquérants,  et  si  en  ces  temps  for- 
tunés où  tous  les  cœurs  soumis  à  la  loi 
étaient  si  respectables,  que  sera-ce  en  ces 
malheureux  jours  où.  tout  le  monde  est 
rebelle,  où  un  homme  fidèle  aux  lois  du 
Seigneur  est  un  spectacle  si  rare?  Que  de 
gloire  n'acquerrera-t-on  point  par  son  obser- 
vance ?  7m  ipsa  yloviosi  eritis. 

Troisième  prétexte':  sur  l'amour  de  notre 
liberté.  Marie  n'était  point  forcée  d'obéir  à  la 
cérémonie  légale  de  la  purification  ;  elle  n'a- 
vait donc  qu'à  user  de  son  droit  et  s'en  dis- 
penser, puisqu'elle  était  distinguée  de  toutes 
les  autres  femmes;  mais  elle  aime  mieux  dé- 
pendre de  Dieu  que  d'elle-même,  et  regardo 
pomme  Le  meilleur  usage  qu'elle  puisse  faire 
de  sa  liberté,  que  de  s'engager  au  Seigneur 
par  un  éternel  sacrifice 

Nous,  trop  jaloux  de  notre  liberté,  nous  ne 
voulons  dépendre  que  de  nous-mêmes;  si  on 
nous  propose  des  lois  de  tempérance,  de  mo- 
destie, déjeune,  d'éloignement  du  monde,, 
de  ses  compagnies  dangereuses,  de  ses  spec- 
tacles pernicieux,  de  ses  créatures  perver- 
ses, de  la  fuite  des  occasions,  des  vanités  et  des 
plaisirs  des  sens,  nous  nous  plaignons  qu'on 
veut  trop  nous  contraindre,  qu'on  nous  en- 
gage dans  des  entreprises  injustes,  qu'il 
vaudrait  autant  mourir  que  de  vivre  dans 
une  situation  si  gênante.  Dans  ces  importan- 
tes occasions  où  il  s'agit  du  choix  d'un  état, 
de  prendre  une  profession,  de  monter  à  un 
poste,  d'occuper  une  place,,  ah  1  la  volonté 
de  Dieu  n'y  est  comptée  pour  rien;  nous  ou- 
blions que  nous  avons  plus  haut  un  maître 
absolu,  un  supérieur  éclairé  qu'il  faudrait 
mettre  à  la  tête  de  tous  nos  conseils,  Jet  dont 
la  volonté  doit  régler  nos  projets,  et  d'où 
dépend  notre  salut  et  notre  destinée;  et  au 
lieu  de  cela,  nous  y  substituons  nos  faibles 
vues,  nos  intérêts,  nos  goûts,  nos  penchants, 
les  règles  de  la  politique  humaine,  nos  pas- 
BHIQS  et  nos  caprices.   Nous  voudrions  s'il 


était  possible,  ôter  à  ce  Dieu  1  empire  de  co 
monde,  quoique  nous  sachions  bien  que  rien 
sans  lui  ne  subsistera  un  instant. 

Prétexte  d'exemption  sur  la  sévérité  de  la 
loi.  Que  celle  de  ce  jour  avait  de  sévérité  pour 
Marie  1  Siniéon  lui  montre  de  loin  ce  glaive 
de  douleur  qui  devait  [bientôt  percer  son 
cœur;  ce  temple  où  elle- va  présenter  son 
Fils,  lui  devient  comme  un  Calvaire,  et  l'au- 
tel sacré  où  elle  met  son  offrande,  lui  repré- 
sente par  avance  la  croix,  les  souffrances,  la 
passion,  la  mort,  et  enfin  le  sacrifice  de  son 
Fils,  et  c'est  à  cela  qu'elle  se  soumet,  ne  vou- 
lant faire  qu'un  seul  et  même  sacrifice. 

Nous,  dans  le  sacrifice  que  nous  faisons 
de  notre  esprit  à  la  loi  du  Seigneur,  nous  ne 
voulons  que  des  choses  douces,  faciles  et 
commodes,  quelques  prières  froides, 'quel- 
ques aumônes  légères,  quelques  jeûnes  adou- 
cis, quelques  œuvres  éclatantes.  11  est  vrai 
que  nous  n'osons  pas  ouvertement  renoncer 
au  salut,  mais  nous  le  faisons  dépendre  do 
certains  devoirs  commodes  de  certaines  ver- 
tus en  recommandation  chez  les  honnêtes 
gens,  et  que  le  monde  lui-même  nous  pres- 
crirait quand  l'Evangile  ne  les  ordonnerait 
point,  comme  lajusiice,  la  probité,  la  bonne 
foi,  la  droiture;  mais  pour  les  lois  pénibles 
et  les  vertus  austères  qui  pourraient  coûter 
quelque  violence,  telles  que  sont  la  haine 
de  soi-même,  la  fuite  du  monde,  l'éioigne- 
ment  des  objets  dangereux,  des  compagnies 
mondaines,  des  plaisirs,  des  spectacles,  le 
crucifiement  de  la  chair,  une  vie  sainte  de 
pénitence,  de  renoncement,  de  souffrances; 
toutes  ces  lois,  quoique  saintes,  toutes  in- 
dispensables qu'elles  soient  à  un  chrétien 
qui  veut  opérer  son  salut,  et  surtout  à  des 
pécheurs  si  redevables  envers  la  justice 
divine,  nous  trouvent  révoltés  et  indociles. 
Nous  nous  faisons  là-dessus  des  consciences 
larges  qui  nous  rassurent.  Tout  devoir 
qui  est  onéreux  nous  paraît  injuste,  tout 
commandement  s'il  nous  incommode  nous 
devient  une  excuse  ;  comme  si  les  lois 
de  Dieu  étaient  nos  lois,  et  qu'elles  dé- 
pendissent de  nous,  nous  les  adoucissons  et. 
interprétons,  nous  les  fléchissons  au  gré  de 
nos  désirs;  nous  n'y  apportons  qu'une  obéis- 
sance de  goût,  d'honneur,  de  caprice.  De 
tempérament  incapables  de  soutenir  la  moin- 
dre épreuve  et  les  plus  [légers  combats, 
comme  l'épouse  des  cantiques,  nous  écou- 
tons la  voix  de  notre  bien-aimé,  quand  il  veut 
nous  faire  aller  par  des  chemins  battus,  par 
des  voies  larges  et  commodes,  mais  nous 
l'abandonnons  dès  qu'il  faut  ,1e  suivre  dans 
des  sentiers  étroits  et  tout  couverts  de  pei- 
nes. Enfin,  quand  on  embrasse  sans  hésiter 
une  loi  qui  va  remplir  toute  sa  vie  d'afflic- 
tions, d'amertumes,  d'alarmes,  nous  regar- 
dons avec  indifférence  toutes  les  lois  du  Sei- 
gneur qui  n'entrent  point  dans  le  plan  de 
notre  mollesse.  Mon  Dieu,  quand  on  aime 
on  est  si  courageux;  rien  ne  paraît  difficile 
quand  on  est  bien  animé  par  le  désir  de 
plaire  1  Que  nous  avons  donc  peu  d'amour 
pour  vous,  quand  pour  vous  obéir  et  obser- 
ver vos  saintes  lois,  tout  nous  paraît  difficile! 


4141 


MYSTERES  ET  FETES.  —  SERMON  H,  OBSERVANCE  DE  LA  LOI. 


O  pécheurs  misérables,  pouvons-nous  souf- 
frir dans  notre  cœur  de  si  fortes  passions,  de 
si  grands  crimes,  et  nous  plaindre  que  la 
loi  qui  les  punit  est  trop  rigoureuse?  Non 
depuis  que  par  le  péché  nous  sommes  deve- 
nus rebelles  à  notre  Dieu,  nous  avons  besoin 
des  lois  les  plus  sévères  pour  nous  retenir, 
et  nous  ramener  à  son  domaine. 

Prétexte  d'exemption  sur  l'incompatibilité 
de  la  loi  avec  des  conjonctures  des  situa- 
tions de  la  vie.  Ne  consultez  que  la  raison  : 
Marie  ne  pouvait-elle  pas  dans  son  état  se 
dispenser  de  subir  une  loi  qui  supposait  une 
souillure  qu'elle  n'avait  pas?  la  singularité  de 
son  enfantement,  l'indigence  même  qui  ne 
l'oblgoait  qu'à  une  offrande  si  modique? 
Mais  elle  ne  fait  point  d'attention  à  toutes  ces 
conjonctures,  et,  de  toutes  les  lois  que  le 
Seigneur  a  faites,  elle  croit  qu'il  n'en  est 
aucune  par  qui  l'homme  ne  doive  rendre 
hommage  à  son  Dieu  en  tout  temps  et  en 
toutes  occasions. 

Et  nous,  de  toutes  ces  mêmes  lois,  en  est- 
il  une  seule  qui  ne  nous  .paraisse  incompa- 
tible avec  noire  état  ?Et  en  certaines  conjonc- 
tures, faut-il  jeûner?  on  est  faible  ;  faut-il 
donner  l'aumône?  on  est  pauvre;  se  mortifier? 
on  est  jeune  ;  se  recueillir?  on  se  doit  au 
monde.  Faut-il  pardonner?  il  y  a  de  la  bas- 
sesse; faut-il  s'éloigner  des  compagnies?  la 
bienséance  ne  le  permet  pas;  faut-il  être 
plus  modeste  dans  ses  parures?  la  coutume 
le  défend;  faut-il  enfin  se  convertir?  il  n'est 

f>as  temps  encore.  Ainsi  faisons-nous  aller 
es  lois  du  Seigneur  au  gré  de  notre  incon- 
tinence; ainsi  regardons-nous  les  préceptes 
de  notre  sainte  religion  comme  inalliables 
avec  ce  cercle  d'amusements  et  d'aifaires 
temporelles  qui  composent  toute  notre  vie. 
Il  semble  que  nous  les  observerions  si  nous 
étions  dans  un  autre  état  et  dans  d'autres 
conjonctures  que  dans  celles  où  la  main  de 
Dieu  nous  a  placés ,  mais  dans  celles  où  nous 
nous  trouvons,  ces  divines  lois  nous  parais- 
sent impraticables.  Nous  nous  figurons  que 
dans  un  état  de  maladie,  nous  sommes 
exempts  de  toutes  les  lois  et  de  tous  les 
devoirs  du  christianisme  ,  parce  que  nous 
nous  trouvons  inhabiles  à  la  prière  et  aux 
lectures  pieuses,  au  jeûne,  à  l'abstinence; 
mais  nous  ne  pensons  pas  que  la  patience 
soit  alors  pour  nous  toute  la  loi,  que  souf- 
frir avec  résignation,  c'est  prier,  méditer, 
jeûner,  faire  pénitence;  c'est  véritablement 
accomplir  tous  les  points  de  la  loi,  puisque 
c'est  faire  tout  ce  que  Dieu  veut  que  nous 
fassions  en  cet  état,  et  que  c'est  remplir  tous 
les  devoirs  possibles  et  essentiels  des  con- 
jonctures et  de  la  situation  particulière  où  il 
nous  a  lui-même  placés.  O  vous,  qui  nous 
alléguez  pour  dispense  légitime  de  la  loi  du 
Seigneur,  la  situation  et  les  conjonctures  où 
vous  vous  trouvez  dans  votre  état,  dites-nous 
hommes  aveugles,  est-il  donc  une  seule 
situation  dans  la  vie,  une  seule  conjoncture, 
un  seul  état,  où  nous  ne  soyons  à  Dieu,  sous 
l'empire  de  Dieu,  dépendants  de  son  do- 
maine; et  si  dans  toutes  les  situations  où 
tous  pouvez  être,  vous  lui  appartenez,  et  si 


I1i2 

partout  et  en  tout  temps  vous  dépendez  de 
lui,  pourquoi  ne  pas  lui  obéir  et  observer 
ses  lois? 

Enfin,  prétexte  d'exemption  sur  la  légè- 
reté de  la  loi.  Marie,  malgré  ses  privilèges, 
ne  demande  pas  à  s'en  exempter;  ne  vou- 
lant pas  que  la  religion  commence  en  elle 
par  une  dispense,  et  jugeant  que,  dans  ce 
qui  regarde  Dieu,  tout  est  grand  ,  tout  est 
respectable,  elle  remplit  tout,  elle  observe 
tout  dans  la  loi ,  jusqu'aux  cérémonies  les 
plus  légères. 

Ici,  quel  sujet  de  confusion  pqoir  vousl  Dans 
l'observance  des  lois  du  Seigneur,  vous  ne 
voulez  jamais  accomplir  que  le  plus  néces- 
saire et  le  plus  essentiel.  Tel  qui  se  croit 
réglé  et  irréprochable  dans  la  colère,  dans 
l'ambition,  dans  l'impureté,  dans  la  ven- 
geance, dans  l'amour  du  monde,  ayant  voulu 
se  faire  des  limites  suf  les  préceptes  qui  dé- 
fendent tous  ces  crimes,  se  trouvera  emporté 
si  loin  au  delà  de  toutes  les  bornes,  sans 
même  qu'il  s'en  soit  aperçu,  qu'il  n'y  aura 
plus  de  loi  pour  lui,  et  que,  pour  ne  vouloir 
que  les  lois  communes,  il  n'en  gardera  pas 
une  seule  en  particulier.  Toujours  la  ba- 
lance à  la  main,  il  veut  étendre  la  loi  plus 
loin  qu'elle  ne  va  et  mesurer  ses  préceptes 
sur  ses  penchants,  se  demandant  sans  cesse, 
est-ce  un  commandement  ou  n'est-ce  qu'un 
conseil?  est-ce  un  péché  mortel  ou  n'est-il 
que  véniel? C'est  ainsi  qu'on  se  fait  mainte- 
nant sur  les  plus-  saintes  lois  une  mesure 
d'obéissance  à  son  gré;  craignant  d'être 
trop  exact  envers  Dieu,  on  ne  lui  donne 
tout  au  plus  que  le  nécessaire:  on  se  con- 
tente de  lui  obéir  à  la  lettre  sans  chercher 
à  lui  plaire.  N'ayant  qu'une  religion  timide  et 
imparfaite,  il  se  trouvera,  à  le  bien  prendre, 
qu'on  n'en  a  point  du  tout. 

O  malheur  de  tous  le  plus  effroyable,  mais 
qui  ne  regarde  pas  Marie,  que  sa  fidélité 
aux  moindres  lois  élève  à  la  perfection  la 
plus  sublime!  demandez-vous  qui  limite 
cette  fidélité  de  Marie?  C'est  vous-mêmes, 
âmes  injustes  et  timorées  qui,  croyant  de- 
voir donner  autant  et  plus  à  l'observance  de 
la  loi  du  Seigneur  que  vous  avez  donné 
à  la  pratique  du  vice  et  au  dérèglement 
des  passions,  vous  écriez  avec  le  Prophète- 
Roi  :  mon  Dieu,  je  m'assujettis  sans  réserve  à 
vos  divines  lois:  Ad  omnia  mandata  tua  dirige- 
bar.  (Psa/.CXVIII.)  Avant  mes  prévarications, 
je  pouvais  être  moins  fidèle  et  vous  exigiez 
peut-être  moins  de  moi;  mais,  depuis  mes 
malheurs,  il  ne  doit  plus  y  avoir  de  distinc- 
tion pour  moi  entre  vos  commandements; 
tout  dans  eux  me  devient  sacré.  11  ne  peut 
plus  y  avoir  aucune  de  vos  lois  qui  soit 
étrangère  à  mon  état  ni  indifférente  à  ma 
misère.  Peut-être  que  celle  que  j'oublierais 
de  pratiquer  est  celle  où  vous  avez  plus  par- 
ticulièrement attaché  mon  salut  et  vos  misé- 
ricordes; crainte  de  la  manquer,  je  veux 
n'en  omettre  aucune  :  ad  omnia,  et,  tout 
dévoué  à  votre  service  et  à  ma  religion,  je 
vais  me  donner  tout  entier  à  vos  divins  com- 
mandements. Mon  péché  a  violé  toute  votre 
loi  sainte,  ma  pénitence  va  l'embrasser  tout 


«  153 


ORATEURS  SACRES.  I.K  P.  SURIAN 


1144 


entière  ;  trop  de  lâcheté  m'a  rendu  rebelle 
à  vos  aimables  préceptes,  un  saint  excès  de 
soumission  en  va  réparer  l'infraction  et, 
même  de  cette  obéissance  pleine  et  entière, 
non-seulement  je  (vais  me  faire  un  devoir, 
une  obligation,  une  dette,  mais  un  plaisir, 
un  bonheur,  un  fond  de  paix  et  de  confiance; 
et  si  une  seule  de  vos  lois,  quand  je  l'ai 
observée  fidèlement,  m'a  donné  tant  de  joie, 
que  sera-ce  quand  je  les  aurai  toutes  ac- 
complies? ad  omnia  mandata  tua,  etc.  Mais 
ce  serait  peu  de  soumettre  notre  esprit  à  la 
loi,  contre  les  prétextes  qu'on  apporte  pour 
s'en  dispenser,  il  faut  encore  y  donner  tout 
votre  cœur  contre  les  indignes  recrues  qu'on 
y  fait;  et  à  la  soumission  parfaite  il  faui  join- 
dre à  l'exemple  de  Marie,  une  obligation  en- 
tière. C'est  le  sujet  de  mon  second  point. 

SECOND    POINT. 

Que  Dieu  est  grand  sur  nous,  Messieurs  ! 
que  l'empire  qu'il  a  sur  les  hommes  est  uni- 
versel 1  que  son  domaine  est  absolu  sur 
toutes  ses  créatures  !  Je  suis,  dit-il  lui-même, 
dans  ses  Ecritures,  le  Seigneur  par  excel- 
lence ,  le  suprême  dominateur  sur  toutes 
choses;  tout  vient  de  moi  ;  tout  est  à  moi, 
tout  dépend  de  moi,  et  toi,  ô  homme,  tu 
m'appartiens  encore  par  des  droits  et  des 
titres  plus  sacrés  et  plus  particuliers  que 
tout  le  reste.  C'est  moi  qui  t'ai  créé,  qui  t'ai 
racheté,  qui  t'ai  conservé;  sans  moi  tu  serais 
encore  dans  le  néant  et  dans  la  perdition  ;  tu 
n'es  que  l'ouvrage  de  mes  mains  et  de  ma 
grâce;  si  je  t'abandonnais  un  seul  moment, 
tu  retomberais  dans  la  poussière  et  dans  la 
misère  d'où  je  t'ai  tiré  :  Mcatunt  omnia. 

Or  comment,  Messieurs ,  reconnaîtrons- 
nous  ce  domaine  si  grand  que  Dieu  a  sur 
nous,  si  nous  ne  lui  offrons  le  sacrifice  tout 
entier  de  tout  l'attachement  de  notre  cœur  à 
ses  saintes  volontés?  et  puisque  son  domaine 
suprême  s'étend  sur  tout  ce  que  nous  som- 
mes et  sur  tout  ce  que  nous  avons,  donnons 
lui  notre  cœur  tout  entier  et  avec  lui  tout 
nous-mêmes  :  Mea  sunt  omnia.  Mais  quels 
sont  donc  tous  les  caractères  de  l'intégrité 
de  notre  cœur  et  comment  le  pouvons- 
nous  donner  à  Dieu  tout  entier  ?  C  est  de  lui 
offrir  ce  que  nous  aimons  le  plus  et  ce  que 
nous  avons  de  plus  cher  ;  et  non-seulement 
de  le  lui  offrir  sans  ménagement,  mais  sans 
retour. 

Et  voilà  ce  qui  rend  l'obéissance  de  Marie 
à  la  loi  de  la  purification  si  pleine  et  si  en- 
tière :  c'est  qu'elle  y  sacrifie  à  Dieu  ce  qu'elle 
a  de  plus  cher  dans  son  cœur,  sans  restric- 
tion et  sans  dédommagement  et  par  là  con- 
damne deux  grands  abus  :  c'est  que,  ou  ne 
sacrifiant  jamais  qu'une  partie  de  nous- 
mêmes,  nous  nous  réservons  ce  qu'il  y  a  de 
Îdus  cher  dans  notre  cœur,  ou  si  nous  sacri- 
ions  tout  notre  cœur,  nous  nous  ménageons 
des  consolations  et  des  adoucissements  qui 
affaiblissent  notre  sacrifice.  Car  qui  de  nous, 
si  nous  cherchons  de  bonne  foi,  ne  trouvera 
pas  dans  sa  conscience  ces  malheureuses  dis- 
positions? et  peut-ony  penser  sans  gémir  et 
pleurer,  et  sans  s'écrier  avec  celui  dont  il  est 


parlé  dans  les  Proverbes  ;  Ah  !  que  jusqu'ici 
j'ai  donc  mal  sacrifié  mon  cœur  à  Dieu  et 
que  mon  holocauste  doit  lui  être  abomina- 
ble? Hostiœ  impiorum  abominabiles ,  quia  offe- 
-runtur  ex  scelere.  (Prov.,  XXI.) 

1°  Le  sacrifice  que  vous  devez  faire  à  Dieu 
ne.se  fait  point  de  victimes  étrangères,  mais  de 
tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  vivant  dans  le  cœur  et 
ducœui  lui-même;  voyez  si  vous  offrez  à  Dieu 
ce  que  vous  aimez  davantage  et  réglez  votre 
sacrifice  sur  celui  de  Marie.  Jugez  s'il  ne  lui 
en  coûte  rien  de  faire  le  sacrifice  d'un  Dieu 
à  un  Dieu.  Hélas  1  elle  prend  pour  victime 
un  fils  si  aimable  ;  comme  Dieu,  il  attirait 
tous  ses  hommages  ;  comme  homme,  il  ga- 
gnait toute  sa  tendresse.  Ce  que  nous  regar- 
dons comme  une  faiblesse  naturelle  dans 
les  autres  mères,  était  une  grâce  et  une  per- 
fection dans  cette  chaste  vierge.  O  mon  Dieu, 
quelle  hostie,  et  qu'elle  était  sainte  1 

Comprenez  toute  la  grandeur  de  ce  sacri- 
fice, parents  lâchesqui  m'écoutez;  si  la  grâce 
de  Jésus-Christ  porte  un  coup  bienheureux 
dans  le  cœur  d'un  enfant  que  vous  aimez, 
pour  le  mettre  à  couvert  des  dangers  du 
monde  dans  la  religion  et  dans  la  solitude, 
quelle  peine  n'avez-vous  pas  à  lui  abandon- 
ner la  victime  que  vous  voulez  réserver 
pour  le  monde,  imitant  en  cela  ces  parents 
barbares  qui,  par  un  culte  détestable,  immo- 
laient leurs  enfants  à  Moloc,  et  les  faisaient 
mourir  dans  leur  sacrifice  impie,  de  peur  de 
les  consacrer  au  Seigneur  qui  les  leur  de- 
mandait? 

Vous  qui,  par  une  préférence  bizarre,  con- 
sacrez à  l'Eglise  ce  que  vous  avez  de  plus 
imparfait  et  de  plus  défectueux,  de  plus  cor- 
rompu, de  moins  éclairé  dans  vos  familles 
et  de  moins  propre  à  tout  ce  que  vous  voulez 
que  nous  soyons  dans  notre  état,  vous  ne 
lui  offrez  que  des  hosties  forcées  qu'il  re- 
jette ,  et  pendant  que  votre  lâche  cœur  lui 
refuse,  lui  conteste  celles  qu'il  veut  avoir, 
vous  vous  faites  d'un  autre  enfant  chéri,-  à 
qui  yous  immolez  tous  les  autres ,  une  idole 
que  vous  adorez  ;  au  lieu  de  venir  déposer  à 
ses  pieds  l'autorité  qu'il  vous  a  donnée  sur 
vos  enfants,  vous  remployez  tout  entière 
à  les  lui  refuser.  Quand  même  ils  obéi- 
raient à  la  grâce  qui  les  sollicite,  qui  les 
presse  ,  vous  venez  disputer  avec  eux;  vous 
dites  que  vous  ne  résistez  à  leurs  pieux 
desseins  que  pour  les  éprouver,  que  pour 
les  faire  attendre,  et  sous  prétexte  de  mieux 
assurer  leur  vocation  vous  les  arrachez  à  la 
grâce  et  la  leur  faites  perdre.  Ne  dirait-on 
nas  que  vous  êtes  comme  l'ange  qui  retint 
la  main  d'Abraham. 

Quelquefois  même  vous  leur  insinuez  ce 
qui  peut  contribuer  à  les  retenir  avec  vous, 
et,  leur  débitant  une  morale  au  gié  de  vos 
penchants,  vous  leur  faites  entendre  qu'on 
peut  se  sauver  dans  le  monde  comme  dans 
le  cloître,  dans  le  siècle  aussi  aisément  que 
dans  l'Eglise;  vous  leur  dites  comme  Pha- 
raon à  Moïse  :  Sanctificate  Deo  vestro  in 
terra hac  (Exod.,  VIII),  faites  votre  sacrifice 
ici,  puisque  vous  y  êtes;  pourquoi  vouloir 
aller  dans  une  terre  étrangère?  Demeurez. 


im 


MYSTERES  ET  FETES.  —  SERMON  i!,  OBSERVANCE  DE  LA  LOI 


lUft 


avec  nous  et  n'allez  pas  plus  loin  :  Lùngius 
ne'abeatis.  (Ibid.) 

Voilà  ce  que  vous  faites  pour  empêcher 
le  sacrifice  d'un  enfant  chéri  que  vous  aimez; 
mais  savez-vous  bien  ce  qui  en  arrive?  Ah  1 
vous  la  réduisez,  cette  âme  infortunée,  à 
vous  désavouer  devant  Dieu,  et  à  lui  deman- 
der secrètement  du  secours  contre  vous- 
mêmes.  Ne  sachant  quel  parti  prendre  entre 
le  ciel  qui  l'appelle  et  vous  qui  la  retenez, 
dans  la  nécessité  fatale  où  vous  la  mettez 
d'être  infidèle  à  Jésus-Christ  ou  de  vous 
devenir  désagréable,  disposée  à  suivre  son 
Sauveur,  mais  embarrassée  de  vous  quitter; 
trop  divisée  par  les  mouvements  divers  qui 
se  combattent  dans  son  âme,  c'est-à-dire  les 
sentiments  de  la  nature  et  ceux  de  la  reli- 
gion, que  voulez-vous  qu'elle  devienne? 
Ah!  pour  son  malheur  et  le  vôtre,  elle  pé- 
rira par  votre  tendresse,  vous  périrez  par  sa 
lâcheté,  et  faute  d'avoir  surmonté  par  une 
sainte  violence  ce  qu'il  y  avait  en  vous  de 
trop  fort  dans  les  sentiments  naturels,  votre 
perte  sera  commune. 

Rien  de  pareil  n'affaiblit  le  mérite  du  sa- 
crifice de  Marie  ;  supérieure  à  elle-même, 
elle  n'écoute  point  la  voix  de  la  nature  ; 
pleinement  attentive  à  l'action  sainte  qu'elle 
va  faire,  tout  occupée  des  grandes  miséri- 
cordes que  la  toute-rmissante  de  son  Dieu  a 
répandues  sur  elle,  sans  s'émouvoir,  sans 
s'attendrir,  elle  fait  la  grande  oblation  à  son 
Fils,  au  Seigneur.  Toute  la  force  de  son  âme 
demeure  entière  pour  Jésus-Christ,  et  en 
offrant  ce  divin  objet  elle  offre  tout,  et  toutes 
ses  autres  oblations  se  réunissent  dans  cette 
hostie  qu'elle  immole.  Ah!  qui  pourrait 
concevoir  toute  la  grandeur  de  cesacriuYe? 

Or,  entrerons-nous  après  cela, chrétiens  lâ- 
ches,dans  une  juste  confusion  sur  les  parta- 
ges indignes  qui  affaiblissent  si  fort  le  mé- 
rite de  nos  sacrifices.  Hélas!  ne  sacrifiant 
jamais  notre  cœur  tout  entier,  nous  ne  nous 
offrons  que  par  la  moindre  partie  de  nous- 
mêmes;  n'abandonnant  à  Dieu  que  ce  qui 
nous  est  le  moins  sensible,  la  passion  favo- 
rite est  toujours  celle  que  nous  épargnons. 
Vous  qui  vous  piquez  d'être  si  fidèles,  Dieu 
voudrait  que  vous  commenciez  par  lui  sa- 
crifier cet  attachement  démesuré  que  vous 
avez  aux  biens  de  la  terre,  cette  avarice  sor- 
dide qui  vous  ronge  sans  cesse  ;  mais  c'est 
la  passion  chérie  que  vous  mettez  à  part, 
c'est  ce  cher  Isaac  auquel  vous  n'osez  tou- 
cher, et,  comme  les  Israélites  aveugles, vous 
adorez  des  dieux  d'argent  et  des  idoles  de  ri- 
chesses: Abjicietvir  idoki  argenti  sui.  (Isa., 
XXXI.)  Vous  qui  croyez  avoir  tout  sacrifié  vo- 
tre cœur  à  Dieu,  il  voudrait  encore  que  vous 
lui  sacrifiiez  ces  mouvements  inquiets,  ces 
projets  orgueilleux,  qui  depuis  tant  de  temps 
ne  conduisent  qu'à  votre  gloire  et  à  votre 
élévation;  mais  c'est  là  l'endroit  qui  flatte  le 
plus,  et  comme  ce  prince  dont  il  est  parlé 
dans  l'Ecriture  ;  vous  n'osez  détruire  les  hauts 
lieux  que  le  Seigneur  veut  qu'on  abatte  :  Ex- 
celsaautemnonabstulit.  (IV  Rcg.,  XV.)  Vous 
qui  n'êtes  ni  ambitieux,  ni  avares ,  vous 
croyez  avoir  tout  sacrifié^ou.Seigneurj  mais 


il  veut  que  vous  lui  fassiez  un  sacrifice  de 
ces  liaisons  si  fatales  à  votre  innocence,  de 
ces  attachements  trop  tendres  d'où  naissent 
tous  vos  malheurs,  de  cet  objet  criminel 
qui  vous  empêche  d'être  à  Dieu  avec  la  pu- 
reté, et  l'intégrité  qu'il  demande  de  vous; 
mais  c'est  à  quoi  vous  ne  sauriez  vous  ré- 
soudre. Vous  prierez,  vous  méditerez,  vous 
jeûnerez,  vous  ferez  l'aumône  tant  qu'on 
voudra;  mais  pour  ce  malheureux  engage- 
ment, vous  l'avez  mis  en  réserve,  vous  le 
cachez  au  monde,  à  Dieu,  à  vous-même,  et 
votre  cœur  révolté  se  récrie  secrètement 
contre  ce  qu'on  lui  demande.  Comme  Rachel, 
vous  voudriez  emporter  jusque  dans  la  terre 
du  Seigneur  cette  idole  chérie  que  votre 
cœur  s'est  faite;  si  quelquefois,  aux  pieds 
d'un  confesseur,  vous  exposez  ce  péché  mi- 
gnon, cet  enfant  chéri,  sur  les  eaux  de  la  pé- 
nitence, vous  cherchez  à  le  reprendre  dès 
que  le  moment  en  est  passé. 

Je  crois  voir  la  mère  de  Moïse  qui  expose 
son  enfant  sur  les  eaux,  mais  qui  tâche  de 
le  retirer  par  adresse;  toujours  l'on  se  con- 
serve par  quelque  endroit  sensible;  en  un 
mot  l'amour  sacré,  si  digne  de  remplir  tout 
un  cœur,  laisse  toujours  quelque  partage  dans 
le  nôtre,  et  nul  de  nous  ne  fait  un  sacrifice 
à  Dieu  dans  cette  totalité  qui  en  feieit 
tout  le  mérite  et  qui  relève  tant  celui  de 
Marie. 

Mais  quoi  !  ignorons-nous  la  sainte  jalou- 
sie de  Dieu  sur  notre  cœur?  Doit-il  se  con- 
tenter d'une  partie  de  nous-mêmes,  lui  qui 
a  tout  donné  et  qui  s'est  donné  lui-même 
tout  entier  pour  nous?  Est-ce  Dieu  qui  est 
trop  borné  pour  mériter  le  cœur  de  l'homme 
tout  entier?  est-ce  l'homme  qui  est  trop 
grand  pour  se  donner  avec  partage  à  Dieu? 
Eh  quoi  !  dit  le  prophète,  à  peine  était-il 
propre  à  l'ouvrage  dès  le  commencement 
qu'il  était  tout  entier,  et  depuis  que  le  feu 
en  a  consumé  une  partie,  à  quoi  sera-t-il 
donc  propre?  Eliam  cumesset  integrum  non 
erat  aptum  ad  opus,  quanta  magis  rum  ilhid 
ignis  devoraverit  nihil  ex  co  pet  opus. 
(Ezcch.,XV.\  Comme  ministre  du  Seigneur, 
je  viens  vous  dire  la  même  chose  du  sacri- 
fice que  vous  faites  à  Dieu  de  la  moitié  de 
votre  cœur  :  ah  !  quand  il  était  tout  entier, 
il  était  à  peine  digne  de  lui,  que  voulez- 
vous  qu'il  fasse  d'une  partie?  et  comment 
osez-vous  bien  lui  offrir  un  cœur  dont  le 
feu  de  la  passion  a  consumé  une  ,partie  ?; 
etiam  cum  esset  integrum,  etc.  Ah  !  pensons-» 
nous  bien  à  ces  dangers,  et  connaissons- 
nous  bien  notre  faiblesse,  quand  nous  don- 
nons à  Dieu  notre  cœur  avec  des  ménage-^ 
ments  et  des  réserves. 

Mon  Dieu,  que  ce  partage  injurieux  af- 
flige Jésus-Christ!  qu'il  nous  annonce  de- 
misères!  Car  enfin,  ce  cœur  maintenant 
partagé  entre  le  vice  et  la  vertu,  entre  le 
monde  et  la  religion,  entre  le  plaisir  et  les 
exercices  de  piété,  prétendez-vous  que  vous 
pourrez  le  tenir  longtemps  fixe  dans  celte 
inquiétude  ?  l'homme  peut-il  demeurer  long- 
temps dans  une  même  situation  sans  pen- 
cher plus  d'un  côté  que  de  l'autre  ?  et  s'il 


il 


m 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SliRÎAN. 


1113 


n'approche  tic  plus  en  plus  du  bien  et  de  la 
vertu,  ne  tombe  t-il  pas  dans  le  mal  et  dans 
le  désordre?  Pensez-vous  que  dans  cet  in- 
juste partage  du  cœur,  vous  pourrez  le  re- 
tenir encore  contre  la  violence  de  ses  pen- 
chants ?  Le  cœur  est-il  donc  si  docile , 
qu'on  puisse  l'arrêter  à  son  gré,  quand  les 
saillies  de  la  passion  l'emportent?  est-il  si 
souple  qu'on  puisse  le  rendre  indifférent 
pour  le  péché  quand  la  passion  le  transporte? 
est-il  donc  si  capable  de  juger  dans  la  cha- 
leur de  la  passion  du  terme  imperceptible 
3ui  sépare  le  juste  du  pécheur,  et  au  delà 
uquel  vient  le  crime?  Trouve-t-il  aisément 
ces  bornes  de  sagesse  que  la  religion  lui  pres- 
crit, et  s'il  les  trouve,  sait-il  les  respecter 
et  les  craindre  ?  Est-il  libre  de  les  partager 
également  entre  ses  penchants  et  ses  de- 
voirs, et  de  se  donner  à  Dieu  et  au 
monde  par  portions  égales  ?  Quand  môme 
vous  diriez  à  vos  passions  d'un  ton  impé- 
rieux :  vous  ne  viendrez  que  jusque-là  sans 
passer  outre,  croyez-vous  que  ces  tlots  ac- 
coutumés à  se  répandre  avec  violence,  obéi- 
ront à  vos  ordres,  qu'ils  respecteront  vo- 
tre parole?  et  n'y  a-t-il  pas  plutôt  sujet  de 
croire  que  Dieu  négligeant  de  vous  donner 
une  de  ces  grâces  fortes  que  depuis  si  long- 
temps vous  méprisez,  cette  partie  de  votre 
cœur  qui  est  au  monde  rapellera  celle  qui 
est  au  Seigneur,  pour  n'en  faire  qu'une  seule 
et  même  victime? 

Oh  !  je  prévois  encore  des  malheurs  plus 
grands  qui  suivront  infailliblement  votre 
indigne  partage.  Bientôt,  par  des  progrès 
imperceptibles,  votre  lâche  cœur  va  se  li- 
vrer à  des  excès  que  je  ne  puis  exprimer; 
il  ne  connaît  qu'un  maître  et  n'en  peut  ser- 
vir deux,  il  ne  peut  avoir  qu'un  seul  sou- 
verain. Dès  qu'il  ne  se  donne  pas  tout  entier 
à  la  vertu,  il  faut  qu'il  se  dévoue  au  vice,  et 
puisqu'il  ne  veut  pas  être  la  victime  de  l'a- 
mour de  Dieu,  il  deviendra  celle  de  sa  jus- 
tice. Ecriez-vous  avec  le  saint  roi  David  :  Do- 
mine Deus  meus,  scio  quod  probesçorda  ctsim- 
plicitutem  diliç/as ,  unde  et  er/o  in  simplicitate 
rordis  mei  fœtus  obtuii  universa  heee ,  etc. 
(IParal.,  XXIX.)  Ah  !  mon  Seigneur  et  mon 
Dieu,  je  sais  que  vous  sondez  jusqu'aux 
plus  profonds  replis  des  cœurs  ,  je  viens  à 
vous  avec  un  cœur  qui  n'est  plus  partagé: 
je  vous  l'offre  tout  entier;  je  rougis  de  vous 
avoir  fait  si  longtemps  attendre  ce  qui  est  si 
peu  de  chose  pour  vous.  Je  ne  puis  pas 
comprendre  comment  j'ai  osé  me  porter  à 
cet  excès  d'injustice,  moi  qui  vous  le  devais 
tout  entier.  Quelle  confusion  pour  moi  de 
ne  vous  l'avoir  donné  jusqu'ici  qu'à  demi , 
moi  qui  suis  jaloux  au  moindre  partage  do 
ce  que  j'aime!  Mais  c'en  est  fait,  vous  êtes 
mon  Dieu  et  je  vous  aimerai  de  tout  mon 
cœur  jusqu'au  dernier  instant  de  ma  vie  : 
Domine,  Deus  meus  ,  scio,  etc. 

Mais  le  sacrifice  que  doit  à  Dieu  une  âme 
convertie  ne  doit  pas  seulement  être  de  tout 
le  cœur,  sans  partage  ni  réserve  ,  il  faut 
qu'il  n'y  ait  ni  adoucissement  ni  restriction, 
rt  voilà  la  disposition  qui  domine  le  plus 
flans   l'oblation    héroïque    de    Marie  ;   car 


quelle  restriction  et  quel  ménagement  y 
ferait-elle?  Il  n'y  a  ni  retour  sur  elle-même, 
ni  sentiment  flatteur  sur  la  gloire  de  son 
sacrifice,  ni  complaisance  dans  le  mérite 
de  sa  soumission  ;  tout  y  est  pour  Dieu , 
rien  pour  elle-même. 

Nous  ,  si  convertis  enfin,  nous  avons  fait 
un  sacrifice  de  ce  que  nous  avions  de  plus 
cher,  nous  cherchons  des  dédommagements 
et  des  restrictions  qui  nous  soutiennent. Res- 
triction de  l'amour-prop»'e  :  nous  nous  re- 
posons sur  notre  vertu ,  nous  nous  applau- 
dissons d'avoir  fait  ce  que  tant  d'autres  n'ont 
pas  eu  le  courage  de  faire;  nous  croyons 
mériter  les  louanges  des  hommes,  de  nous 
être  acquittés  de  notre  principal  devoir 
envers  Dieu  ;  au  lieu  de  l'ignorer  et  d'y 
fermer  les  yeux ,  nous  en  cherchons  l'es- 
time et  l'applaudissement.  Restriction  de 
repos  qui  nous  en  fait  perdre  tout  le  mérite  : 
car  ce  n'est  point  à  Dieu  que  nous  offrons 
ce  sacrifice,  c'est  à  notre  repos  et  à  notre 
propre  satisfaction,  c'est  à  la  paix  de  notre 
conscience  et  à  la  tranquillité  de  notre 
cœur;  c'est  qu'il  nous  troublait,  qu'il 
nous  inquiétait ,  qu'il  nous  déshonorait , 
ou  plutôt  qu'il  nous  dégoûtait ,  qu'il  nous 
lassait ,  et  quand  nous  croyons  le  sacri- 
fier à  Dieu,  ce  coupable  cœur,  nous  ne 
le  sacrifions  qu'à  nous-mêmes.  Restriction 
du  monde  :  en  se  donnant  à  Dieu  on  ne  bannit 
pas  tout  à  fait  de  son  cœur  l'amour  du  monde 
de  ses  joies ,  de  ses  usages ,  de  ses  plaisirs , 
de  ses  espérances;  on  ne  touche  point  à 
l'attachement  que  l'on  avait  à  ses  modes  ,  à 
son  luxe,  à  ses  pompes,  à  ses  spectacles  ; 
on  se  fait  un  ample  dédommagement  du  sa- 
crifice que  l'on  a  fait  de  soi-même  au  Sei- 
gneur, on  passe  d'un  objet  à  un  autre;  on 
se  sent  peut-être  dans  des  dispositions  dif- 
férentes ,  mais  c'est  toujours  le  même  cœur, 
c'est-à-dire  toujours  mondain  ,  toujours  sen- 
suel, toujours  tendre,  toujours  idolâtre;  un 
cœur  enfin  qui  est  toujours  plein  d'une  pas- 
sion universelle,  qui  s'attache  à  tout  ce  qui 
ne  fait  que  se  partager  entre  le  monde  et  les 
soins  de  son  salut,  qui  étend  sur  plusieurs 
objets  les  affections  et  les  désirs  qu'aupa- 
ravant il  réunissait  dans  un  seul  et  qui  est 
aussi  méchant,  aussi  passionné  dans  la  voie 
nouvelle  qu'il  a  prise  pour  se  réconcilier 
avec  Dieu  qu'il  le  serait  s'il  était  demeuré 
dans  la  voie  de  l'iniquité;  et  c'est  ainsi,  pour 
le  dire  en  un  mot  que  lorsque  Dieu  se  donne 
à  nous  avec  tant  de  totalité,  nous  ne  nous 
donnons  à  lui  qu'avec  restriction  et  réserve. 

Ah  1  rougissons,  Messieurs,  d'une  dis- 
position si  injuste  et  si  contraire  à  notre 
bonheur,  animons-nous  par  l'exemple  de 
Marie  à  un  sacrifice  entier,  et  pour  nous 
soutenir  parles  plus  douces  consolations, 
disons-nous  :  si  je  suis  à  Dieu  tout  entier, 
que  peut-il  me' manquer?  si  la  piété  m'y 
consacre,  que  perdrai-je  dans  mon  sacri- 
fice que  je  ne  trouve  dans  le  divin  objet 
auquel  je  m'unis  ?  Je  perds  quelques  trésors 
périssables  du  monde,  mais  je  les  retrouve 
au  centuple  dans  les  trésors  de  Dieu  qui 
sont  inépuisables  et  éternels;  je  ferme  les 


1149 


MYSTERES  ET  FETES.  —  SERMON  111,   SUR  L'HUMILITE. 


veux  à  toutes  les  vanités  du  siècle  ,  mais  je 
les  ouvrirai  un  jour  à  toutes  les  splendeurs 
du  ciel  ;  je  ne  goûte  plus  les  plaisirs  pro- 
fanes, mais  encore  quelques  moments, 
et  le  Dieu  do  toute  consolation  m'inon- 
dera de  ses  délices  ineffables;  je  souffre 
ici-bas  quelque  cbose  pour  l'amour  de  mon 
Dieu,  mais  ces  maux  ont  leurs  bornes,  et 
les  biens  que  j'attends  dureront  éternelle- 
ment. Je  vais  me  livrer  ici  quelques  com- 
bats,  me  faire  quelques  violences,  mais 
j'espère  que  plus  baut  je  recevrai  des  cou- 
ronnes immortelles;  je  vais  perdre  mon 
cœur,  mais  je  le  retrouverai  dans  le  Sei- 
gneur ;  je  meurs  dans  mes  sens  ,  mais  je  re- 
vivrai dans  l'esprit ,  et  mon  cœur  se  payera 
bien  de  la  courte  violence  qu'il  se  sera  faite 
dans  la  vie. 

Mon  Dieu,  par  ces  réflexions  heureuses, 
ne  méritez- vous  pas  bien  qu'on  se  donne  à 
yous,  et  qu'on  s'y  donne  sans  réserve?  Ames 
fidèle,  je  n'ai  plus  qu'une  parole  à  vous 
dire:  vous  connaissez  toutes  les  perfections 
du  sacrifice  que  Dieu  vous  demande,  vous 
en  voyez  tous  les  avantages,,  et  tout  répan- 
dus que  vous  êtes  dans  le  monde  par  les  en- 
gagements de  votre  état,  voulez-vous  de- 
venir ses  victimes  malheureuses?  Je  bénis 
le  Seigneur  des  dispositions  qu'il  me  sem- 
ble qu'il  vous  inspire;  immolez-vous'sans 
réserve  à  Dieu  par  la  pat'ence  dans  vos"  pei- 
nes, par  la  mortification,  par  la  retraite,  par 
l'aumône,  par  la  pénitence;  humiliez-vous 
sous  sa  puissante  et  miséricordieuse  main, 
par  toutes  les  vertus  chrétiennes,  surtout 
par  la  soumission  la  plus  aveugle  de  votre 
esprit  à  toutes  ses  saintes  lois,  par  l'obliga- 
tion tout  entière  de  votre  -cœur  à  son 
amour;  mettez-vous  sans  cesse  en  état  de 
bien  commencer  votre  sacrifice,  soit  par  l'hu- 
miliation, soit  par  les  disgrâces,  soit  par  la 
mortification  et  la  pénitence,  jusqu'à  ce 
qu'enfin,  par  un  dernier  coup,  qui  est  une 
sainte  mort,  il  plaise  à  Dieu  de  consommer 
le  sacrifice  de  votre  vie.  Et  quelle  peine  trou- 
veriez-vous  d'être  à  Dieu,  que  celle  d'avoir 
trop  différé  d'être  à  lui,  qui  était  tout  le  bon- 
heur de  votre  vie?  Et  vous,  anges  du  Sei- 
gneur, qui  assistâtes  à  la  plus  grande  céré- 
monie qui  fut  jamais,  et  qui,  dans  la  plus 
grande  oblation  qui  eût  jamais  été  faite  sur 
la  terre,  portâtes  au  ciel  le  sacrifice  de  Jésus, 
de  Marie  et  de  Siméon,  descendez  encore  du 
ciel  en  terre,  et  présentez  au  Seigneur,  de- 
vant le  trône  de  sa  grandeur,  les  victimes 
qu'il  s'est  choisies  parmi  vous,  afin  qu'il  les 
voie,  qu'il  les  agrée,  qu'il  les  aime,  qu'il  les 
lave  dans  son  sang,  et  qu'il  les  comble  à  ja- 
mais de  ses  bénédictions  immortelles.  Je 
vous  le  souhaite  au  nom  du  Père,  et  du  fils, 
et  du  Saint-Esprit.  Amen. 

SERMON  III. 
sur  l'humiutk. 

Pour  le  jour  de  V Annonciation. 

O'iod  nascelur  ex  te  sanctum  voçabitur  Filius  Dei. 
Dixit  autem  Maria  :  Ecce  ancilla  Domini.   (Luc.,\.) 

Le  fruit  saint  que  vous  devez  mettre  au  monde  sera  ap- 


1150 

pelé  te  Fils  de  Dieu.  Marie  lui  répondit  :  Voici  ta  servante 
du  Seigneur. 

Le  voilà  arrivé,  au  milieu  des  temps  et  des 
vœux  du  monde,  ce  moment  de  miséricorde 
et  de  bénédiction,  digne  d'être  adoré  au  ciel 
et  sur  la  terre  dans  un  silence  respectueux, 
et  dans  la  vénération  la  plus  profonde;  mo- 
ment que  toutes  les  figures,  les  voiles  et  les 
obscurités  de  la  loi  ancienne  promettaient  et 
que  toute  la  vérité,  la  grâce  et  la  lumière  de 
la  loi  nouvelle  nous  font  aujourd'hui  recon- 
naître,qui,  chassant  toutes  les  images,!établit 
laYéalité;  moment  qui  voit  révéler  le  grand  se- 
cret de  Dieu,  le  grand  mystère  du  salut  de 
l'homme,  le  grand  sacrement  de  la  piété  et 
de  la  religion  des  chrétiens;  moment  qui 
manifeste  à  la  terre  ce  grand  dessein  de  la 
miséricorde  suspendu  depuis  tant  de  siè- 
cles et'  retenu  dans  les  desseins  de  Dieu 
par  la  malice  des  hommes;  moment  qui 
satisfait  en  vous,  ô  mon  Dieu  !  la  sainte  im- 
patience que  vous  avez  d'avoir  pitié  de  nous, 
et  qui  laisse  à  ces  objets  déplorables  de 
votre  justice  irritée,  la  consolation  de  se  dire 
vos  frères,  votre  sang,  vos  membres,  vos 
héritiers,  vous-même;  moment  où  s'acrom- 
plit  l'effet  de  ses  promesses,  l'âme  de  ses 
mystères ,  l'exécution  de  son  dessein,  le 
centre  de  la  religion,  l'excès  de  ses  grâces, 
l'objet  de  ses  désirs,  l'effort  de  son  amour, 
le  gage  de  sa  gloire,  la  plénitude  de  sa  di- 
vinité, comme  parle  l'Apôtre  ;  et  si  nous  re- 
gardons ici  Marie ,  moment  qui  fait  voir  ici 
en  elle  l'exercice  de  toute  la  piété  chrétienne, 
une  humilité  infinie  qui  fuit  tout,  un  désor- 
dre sacré  qui  a  peur  de  tout,  ensuite  une 
foi  vive  qui  croit  tout,  un  amour  tendre  qui 
souffre  tout,  une  piété  héroïque  qui  devient 
capable  de  tout;  moment  enfin  qui  dans  ce 
mystère  d'un  Dieu  fait  homme,  et  d'une 
créature  devenue  la  mère  d'un  Dieu,  doit 
former  l'assemblage  précieux  de  toutes  les 
perfections  qu'on  adore  dans  un  Dieu,  et  de 
toutes  les  vertus  qu'on  peut  révérer  dans 
une  créature.  Je  laisse  à  d'autres  à  vous 
faire  des  leçons  sublimes  sur  ce  mystère; 
pour  moi,  je  ne  veux  vous  annoncer  que  des 
vérités  que  je  puisse  vous  expliquer,  et  que 
vous  puissiez  comprendre  ;  je  ne  veux  vous 
prêcher  aujourd'hui  que  l'humilité,  puisque 
c'est  sur  le  fond  de  cette  vertu  que  le  mys-. 
tère  de  l'incarnation  s'opère  :  tout  y  est 
plein  de  ces  voies  salutaires  qu'il  nous  trace. 
Apprenez  donc  aujourd'hui,  orgueilleux 
mortels,  à  connaître  le  modèle  de  l'humilité 
dans  un  Dieu  qui  se  fait  homme  :  Quod  «a- 
scetur  ex  te  ipsum  voçabitur  Filius  Dei.  Voici 
ensuite  le  mérite  de  l'humilité  dans  une 
vierge  qu'elle  rend  mère  de  Dieu  :  Ecce  an- 
cilla Domini.  Ainsi,  le  modèle  de  l'humilité 
en  Jésus-Christ  fait  homme,  le  mérite  de 
l'humilité  en  Marie  devenue  mère  de  Dieu: 
voilà  tout  mon  dessein.  Que  nous  serions 
coupables,  si  nous  refusions  de  nous  occu- 
per une  fois  l'année  d'un  mystère  qui  ne  de- 
vrait jamais  sortir  de  nos  esprits  et  de  nos 
cœurs  1  Prions  celui  qui  en  est  le  divin  ou- 
vrier d'en  exprimer  en  nous  la  ressemblance» 
et,  pour  cela,  employons  le  crédit  de  Marie* 


1151  ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SURIAN 

Marie  en  lui  disant  avec  l'ange  :  Avr,  Maria 


H.' 2 


PREMIER  POINT. 

Si;  aans  le  sentiment  des'saints,  l'humilité 
pour  être  parfaite  doit  avoir  deux  caractères 
essentiels  ,  l'un  qui  nous  fasse  éviter  la 
gloire,  l'autre  qui  nous  fasse  aimer  les 
abaissements,  qui  peut  mesurer  ce  haut 
point  d'élévation  de  laquelle  un  Dieu  des- 
cend aujourd'hui?  qui  peut  sonder  ces  hu- 
miliations profondes  qu'il  embrasse?  et  par 
conséquent  qui  peut  comprendre  son  humi- 
lité? Un  saint  Père,  mesurant  ce  mystère  de 
bassesse  et  de  grandeur,  l'appelle  une  hu- 
milité toute  de  prodige;  et  Dieu  lui-même 
ne  lui  donne-t-il  pas  ce  nom  lorsque  répon- 
dant à  un  prince  qui  lui  demandait  un  pro- 
dige du  plus  haut  des  cieux  et  du  plus  pro- 
fond de  la  terre,  il  lui  déclare  que  c'est  un 
Dieu  qui  se  fait  homme?  Et  certes,  n'est-ce 
pas  un  prodige  d'humilité  tiré  du  lieu  le 
plus  élevé  du  ciel,  puisqu'un  Dieu  y  descend 
de  la  gloire  la  plus  sublime?  n'est-ce  pas  un 
prodige  tiré  du  lieu  le  plus  profond  de  la 
terre, puisqu'un  Dieu  y  est  réduit  dans  la  plus 
grande  de  toutes  les  humiliations?  Et  dans 
ces  deux  circonstances,  si  Jésus-Christ  s'y 
offre  à  son  Père  en  victime  d'expiation  pour 
notre  orgueil,  n'y  devient-il  pas  le  modèle 
de  l'humilité  la  plus  parfaite? 

I"  Quel  est,  en  effet,  ce  haut  point  de  gloire 
d'où  descend  le  Fils  de  Dieu  dans  son  incar- 
nation? Dieu,  par  son  origine,  sanctuaire 
éternel  où  habite  corporellement  la  pléni- 
tude de  la  divinité  ;  splendeur  éternelle,  il  a 
son  trône  au  milieu  des  saints.  Lumière  in- 
visible, il  voit  tout;  inrompréhensibilité,  il 
comprend  tout;  infini,  il  agit  partout;  inva- 
riable, il  règle  tout;  immense,  il  renferme 
tout;  inépuisable,  il  fournit  à  tout;  content 
de  sa  nature,  la  source  de  toute  grandeur, 
il  presse  par  son  amour  qui  ne  peut  plus  se 
contraindre;  il  descend  d'une  gloire  parfaite, 
solide,  véritable,  qui  lui  est  essentielle.  Ah! 
quelle  honte  pour  les  âmes  superbes  1  s'écrie 
saint  Augustin,  et  pour  nous  quelle  confu- 
sion, de  courir  après  une  gloire  vaine,  fausse, 
empruntée,  pernicieuse;  vaine,  parce  que, 
après  avoir  excité  nos  plus  ardents  désirs, 
elle  s'évanouit  ;  fausse,  parce  que,  loin  de 
remplir  les  vides  de  notre  cœur,  elle  ne  fait 
que  les  éteindre.  Gloire  empruntée,  puis- 
qu'elle n'a  de  fond  que  dans  l'opinion  des 
hommes  et  qu'elle  tombe  avec  l'imagination 
dont  elle  dépend;  gloire  pernicieuse,  puis- 
que non-seulement  elle  se  perd  elle-même, 
mais  qu'elle  nous  fait  perdre,  qu'elle  rem- 
plit tout  le  cours  de  notre  vie  de  mouve- 
ments et  d'agitations,  que  sans  avancer  notre 
fortune ,  elle  engage  notre  conscience  et 
nous  prépare  mille  tristes  regrets  à  l'heure 
de  la  mort.  Ah  I  Dieu  veuille  préserver  nos 
cœurs  d'une  passion  si  funeste  1  Et  après 
tout,  dit  saint  Augustin,  votre  orgueil  pour- 
rait-il tenir  encore  contre  des  motifs  si  pres- 
sants d'humilité?  Quoi  1  un  Dieu  se  dépouil- 
lerait de  sa  majesté,  et  un  misérable  ver 
aimerait  l'éclat  et  la  superbe?  Un  Dieu,  dit 
saint  Grégoire,  descendant  du  ciel,  mettrait  sa 


divinité  sous  les  voilesd'une  chair  mortelle, 
et  un  ver  de  terre  se  remplirait  de  présomp- 
tion ?  Un  Dieu  se  jette  dans  l'abîme  jour  en 
retirer  l'homme,  et  cet  ingrat,  loin  de  s'a- 
néantir et  de  se  confondre,  voudrait  s'élever 
au  faîte  des  grandeurs?  Eh  1  puissiez-fous 
avoir  un  cœur  comme  le  cœur  de  ce  Dieu, 
qui  prend  aujourd'hui  votre  nature  et  qui 
s'unit  à  vos  misères!  Tout  occupés  de  celte 
idée  si  noble  que  son  union  doit  vous  inspi- 
rer de  vous-mêmes,  vous  n'aspireriez  qu'au 
bonheur  de  cet  état  où  vous  êtes  destinés; 
vous  n'abaisseriez  pas  vos  désirs  à  une  gloire 
passagère  que  Jésus-Christ  méprise,  que 
l'Evangile  réprouve;  vous  vous  élèveriez 
par  les  transports  d'une  sainte  ambition  au 
nonheur  incomparable  de  ressembler  à  un 
Dieu  qui,  en  prenant  votre  nature,  l'a  ren- 
due si  respectable  ;  et,  réduisant  là  tous  yos 
désirs,  non -seulement  vous  renonceriez 
comme  lui  à  là  grandeur,  mais  vous  embras- 
seriez avec  lui  tous  les  abaissements  et  les 
humiliations  :  second  degré  de  l'humilité  du 
Sauveur  qui,  pour  nous  élever,  descend  au- 
jourd'hui ducomblede  sagloiredans  le  centre 
de  sa  bassesse  :  A  summo  descendit  adultima. 

2°  Remarquez  ici  le  sage  tempérament 
qu'il  a  plu  au  Sauveur  d'employer  à  l'égard 
de  l'homme  pour  le  ramener  à  l'humilité 
chrétienne.  11  fallait,  dit  saint  Augustin, 
donnera  l'homme  un  modèle  d'humilité  qu'il 
suivît  sans  peine.  Or,  d'une  part  il  était  trop 
superbe  pour  vouloir  prendre  un  homme 
semblable  à  lui  pour  modèle,  et  de  l'autre  il 
était  trop  grossier  et  trop  faible  pour  choisir 
pour  modèle  un  Dieu  si  fort  au-dessus  de 
lui,  qu'il  ne  pouvait  voir  que  par  les  yeux 
spirituels  de  la  foi;  il  n'avait  plus  que  les 
yeux  du  corps  depuis  qu'en  rerdant  la  grâce, 
il  avait  perdu  les  yeux  de  l'âme.  Mais  l'œil 
charnel  peut-il  s'élever  à  un  objet  infiniment 
au-dessus  de  ses  sens  ?  Dieu  donc,  qui  con- 
naît la  route  de  nos  âmes  et  de  nos  cœurs, 
corrigeant  tout  l'éclat  de  ses  lumières,  vou- 
lant s'accommoder  à  nos  besoins,  a  voulu, 
pour  nous  rendre  l'humilité  palpable,  l'in- 
carner en  son  Fils  par  celte  union  toute  mi- 
séricordieuse d'un  Dieu  avec  notre  ebair. 
L'homme  a  trouvé  en  Jésus-Christ  une  mo- 
rale qu'il  a  pu  faire  voir  et  que  nous  ne  pou- 
vons plus  dédaigner  d'imiter;  il  a  un  modèle 
d'humilité  qui  est  proportionné  à  sa  faiblesse, 
et  que  par  conséquent  nul  prétexte  ne  peut 
plus  le  dispenser  de  suivre.  L'homme  pou- 
vait bien  être  sage  en  retraçant  l'image  de 
l'éternelle  sagesse  de  son  Dieu;  saint,  en  se 
conformant  aux  traits  de  son  incomparable 
sainteté;  bon,  par  ressemblance  à  son  infinie 
bonté;  juste,  en  se  conformant  aux  règles 
inviolables  de  sa  justice;  mais  celui  qui  ne 
pouvait  être  que  superbe  en  voulant  se  con- 
former à  la  grandeur  et  à  la  gloire  d'un  Dieu 
magnifique  et  glorieux,  peut  encore  être 
humble  en  imitant  l'humilité  d'un  Dieu  de- 
venu petit  et  humble  comme  lui. 

Et  certes,  s'il  est  de  la  perfection  d'un  mo- 
dèle d'exprimer  parfaitement  tous  les  traits 
qu'on  doit  \  considérer, où  l'humilitépouvait- 
elle  être  mieux  marquée  que  dans  l'incar* 


H  53 


MYSTEUES  ET  TETES.  —  SERMON  III  ,  SL'lv  LUflMILlTE 


nation  du  Verbe  fait  chair?  En  effet,  si  vous 
faites  attention  à  ce  qui  la  précède,  à  ce  qui 
l'accompagne,  à  ce  qui  la  suit,  vous  y  verrez 
un  Dieu  dans  tous  ces  degrés  et  dans  le  cen- 
tre môme  de  la  bassesse  et  de  l'humiliation. 
Et  d'abord,  pourquoi  ces  promesses  si  ma- 
gnifiques, ces  figures  si  augustes,  ces  at- 
tentes si  longues,  ces  préparatifs  si  pompeux, 
ces  idées  si  éclatantes  données  de  si  loin, 
d'un  Messie  plein- de  gloire  et  de  majesté, 
sinon  pour  augmenter  Ta  surprise  à  la  sim- 
plicité de  sa  venue?  Pourquoi  un  ange,  seul 
dépositaire  de  ses  secrets, e.-4-il  envoyé,  non 
à  des  grands  de  la  Judée,  mais  à  une  fdle 
inconnue  et  méprisée  par  les  Juifs,  sinon 
pour  témoigner  son  mépris  pour  les  gran- 
deurs et  son  amour  pour  la  bassesse?  Pour- 
quoi fait-il  cesser  les  voies  ordinaires  de  ses 
prophètes  et  de  ses  oracles,  sinon  afin  que, 
venant  dans  le  silence  de  1  univers,  on  lui 
rendît  d'autant  moins  d'honneur  qu'on  s'at- 
tendait moins  à  son  avènement  clans  le  monde? 
Pourquoi  choisit-il  pour  sa  naissance  un 
temps  où  les  vices  étaient  débordés  par  toi:te 
la  terre,  un  lieu  où  les  peuples  étaient  les 
plus  superstitieux,  sinon  pour  se  faire  de  ce 
monde  souillé  et  impur  un  séjour  plus  bas, 
plus  humiliant  et  plus  contrariant?  Pourquoi 
encore  prend-il  pour  sa  mère  une  vierge, 
noble  à  la  vérité,  mais  dont  la  famille  était 
tombée  comme  par  degrés  ;  une  vierge  pleine 
de  grâces,  mais  vide  de  tout  le  reste,  sinon 
pour  se  préparer  en  elle  une  condition  basse 
et  obscure,  et  apprendre  au  monde  qu'il 
n'estime  de  grandeur  que  celle  qui  vient  du 
Saint-Esprit?  Enfin,  ne  prend-il  pas  pour 
son  père  un  simple  artisan  qui  n'avait  que 
beaucoup  d'innocence  et  beaucoup  de  pau- 
vreté? Voyez  encore  comme  il  en  use  dans 
le  choix  des  moyens  qu'il  emploie  pour  l'ac- 
complissement de  ce  mystère:  au  lieu  de 
prendre  un  corps  glorieux  et  immortel,  ne 
fait-il  pas  un  miracle  pour  changer  sa  sagesse 
en  enfance,  sa  liberté  en  servitude,  sa  gloire 
en  humiliation,  sa  joie  en  tristesse,  son  bon- 
heur en  misères,  son  éternité  en  passage,  sa 
vie  sainte  en  une  mort  honteuse  ? 

Ah  !  un  Dieu  descend  à  des  humiliations, 
trop  profondes,  à  des  anéantissements,  pour 
n'avoir  pas  voulu  tâcher  de  nous  porter  à 
nous  humilier  et  à  nous  anéantir  comme 
lui.  11  regarda  la  juste  colère  de  son  Père 
offensé  qu'il  fallait  apaiser;  il  envisagea  la 
confusion  de  votre  orgueil,  cœurs  superbes, 
qu'il  fallait  guérir  et  abaisser,  et  c'est  pour 
cela  qu'il  prend  le  tempérament  d'une  nais- 
sance pleine  d'humiliation,  d'une  vie  toute 
d'opprobres  et  d'une  mort  remplie  d'igno- 
minie et  de  douleurs. 

Que  tout  ceci,  Messieurs,  est  digne  de  l'a- 
mour de  Jésus  et  de  nos  réflexions  !  Voilà  un 
Dieu  qui  est  plus  grand  que  toutes  les  créa- 
tures ensemble,  et  cependant  le  plus  humilié. 
Pourrez-vous  nier  que  l'humilité  soit  le  ca- 
ractère le  plus  essentiel  à  la  religion,  puis- 
qu'au  premier  moment  qu'il  paraît  dans  le 
monde  il  s'humilie  ;  que  c'est  sur  elle  qu'il 
l'onde  ses  plus  rares  vertus,  et  qu'il  la  met 
encore  dans  tout  ce  qui  accompagne  et  dans 


tout  ce  qui  suit  son  bienheureux  avènement  ? 
Or  un  Dieu  se  serait-il  réduit  dans  un  état 
si  bas  et  si  humiliant  s'il  ne  voulait  nous 
servir  de  modèle  et  nous  faire  dire  de  lui- 
môme  ce  qu'il  disait  autrefois  à  ses  disciples  : 
Si  vous  ne  devenez  semblables  à  de  petits 
enfants,  vous  n'entrerez  pas  dans  ma  gloire.4 
Or  que  personne  ne  se  flatte  ici  à  sa  propre 
ruine;  c'est  un  principe  incontestable  que 
jamais  nul  n'aura  de  part  à  l'incarnation  de 
Jésus-Christ  qu'il  ne  participe  à  ses  abaisse 
ments;  qu'il  n'en  recevra  aucun  des  fruits, 
s'il  ne  l'imite  dans  ses  humiliations. 

L'imitons-nous,  Messieurs,  ce  Dieu  d'hu- 
milité? Entrons-nous  dans  ce  cœur  enflé  et 
ambitieux  pour  y  porter  la  bassesse  et  l'a- 
néantissement? et  si  nous  descendons  au 
fond  de  notre  âme  par  quelques  salutaires 
réflexions,  est-ce  pour  y  porter  un  seul  sen- 
timent durable  d'abaissement  et  d'humilité? 
N'y  oppose-t-on  pas,  au  contraire,  des  pré- 
cautions inquiètes  contre  le  moindre  mépris 
que  nous  prenons  pour  une  injure  ;  des 
frayeurs  mortelles  sur  la  pauvreté,  qui  nous 
paraît  une  dégradation  honteuse;  une  avidité 
de  louanges  et  d'honneurs,  d'autant  plus 
criminelle  que  nous  faisions  semblant  de 
les  fuir,  et  qui  nous  laisse  une  humilité  plus 
orgueilleuse  que  l'orgueil  môme.  Ah?  dans 
les  personnes  les  plus  réglées,  les  plus  justes, 
l'orgueil  ne  prend-il  pas  des  faces  infinies, 
dans  les  actions,  dans  les  paroles,  dans  les 
pensées,  dans  le  maintien,  dans  les  habits, 
dans  les  parures,  dans  Jes  ameublements, 
dans  toutes  ses  manières,  dans  sa  propre 
personne?  On  veut  toujours  paraître  dans  le 
bien  qu'on  fait  ;  jusque  dans  l'œuvre  de  Dieu 
on  cherche  la  gloire  des  hommes.  On  tient 
suspecte  la  vertu  que  pratiquent  les  autres  ; 
on  la  regarde  avec  complaisance  dans  soi- 
même.  On  aime  mieux  anéantir  devant  Dieu 
le  bien  qu'on  fait  que  de  le  diminuer  un  peu 
devant  les  hommes,  et  on  ne  s'attache  à  être 
plus  homme  de  bien  que  les  autres  que  pour 
le  paraître  davantage. 

Mon  Dieu!  faut-il  que  depuis  près  de 
deux  mille  ans  que  vous  avez  pris  naissance, 
le  scandale  de  votre  bassesse  ne  soit  pas 
encore  levé,  qu'on  ait  aujourd'hui  autant 
d'horreur  de  vos  humiliations  qu'on  en  avait 
autrefois  chez  les  Juifs  de  votre  mission  ; 
qu'on  se  permette  aussi  tranquillement  la 
vanité,  l'ambition,  la  fierté,  la  mollesse  chez 
les  chrétiens,  tous  membres  et  tous  adorateurs 
d'un  Dieu  humilié,  que  si  on  adorait  un  Dieu 
superbe  tel  que  les  Juifs  aveugles  qui  n'a- 
vaient pour  eux  que  les  ombres  et  les  fi- 
gures ;  qu'un  Dieu,  dépouillé  de  tout  son 
éclat,  de  toute  sa  majesté ,  n'ait  pu  bannir 
l'orgueil  et  l'amour  de  la  gloire  parmi  des 
hommes  qu'il  adopte  pour  ses  enfants  et  pour 
ses  frères  ;  qu'un  Dieu  revêtu  de  toutes  nos 
infirmités  et  nos  misères,  n'ait  pu  introduire 
parmi  nous  l'amour  des  souffrances  et  des, 
humiliations! 

Oui,  Messieurs,  parcourezîes  Livres  saints 
et  vous  verrez  quels  étaient  les  sentiments 
des  plus  grands  hommes  à  la  vue  du  Sei- 
gneur devant  qui  ils  s'humiliaient.  Moïse  se 


H35 


confond  et  se  prosterne  dès  qu'il  le  voit. 
Isaïe  s'écrie  dans  un  profond  abaissement  : 
Ah  !  je  suis  un  homme  si  souillé.  Lorsqu'il 
parut  à  Abraham  sous  une  figure  humaine  , 
ne  vit-on  pas  tout  le  corps,  l'esprit  et  le 
Sœur  de  ce  patriarche  s'humilier  devant  le 
Seigneur?  Et  vous,  têtes  orgueilleuses, devant 
qui  il  se  fait  voir,  non  plus  en  figure  mais 
en  vérité,  non  en  homme  pariait  et  formé 
mais  en  enfant  revêtu  de  faiblesse  et  d'infir- 
mité; vous  lui  résisteriez,  vous  refuse- 
riez de  l'imiter,  lorsqu'en  cet  état  plus  pro- 
che du  nôtre,  il  est  en  droit  d'exiger  de  nous 
une  humilité  si  profonde!  Ah!  qui  pourrait 
donc  encore  vous  autoriser  dans  ce  senti- 
ment d'orgueil,  dans  cet  amour  de  la  gloire? 
Aveugles  mortels?  doutez-vous  que  l'humi- 
liation ne  soit  salutaire,  que  la  granileur  ne 
vous  soit  fatale!  Résistez-donc  à  toute  la 
force  de  ce  raisonnement.  L'idée  que  vous 
donne  lsaïe  de  cet  enfant  qui  s'incarne  au- 
jourd'hui dans  le  sein  de  Marie,  c'est  qu'il 
vient  réprouv.er  le  mal  et  choisir  le  bien  : 
Ct  sciât  reprobare  ma'.um  et  eligrre  bonum. 
(Isa.,  VII.)  Or,  je  vous  le  demande,  Mes- 
sieurs, que  réprouve-t-il  dans  ce  mystère? 
n'est-ce  pas  les  honneurs?  Donc  les  hon- 
neurs sont  un  grand  mal  et,  par  conséquent, 
il  faut  les  fuir  ct  les  condamner.  Que  choi- 
sit-il? n'est-ce  pas  les  humiliations?  Donc  les 
humiliations  sont  un  grand  bien,  et  par  con- 
séquent, il  faut  les  suivre  et  les  aimer.  Croyez- 
donc  Jésus-Christ  et  l'imitez  ;  et,  en  effet, 
que  croiriez-vous  autre  chose  que  ce  qu'il 
vous  apprend  aujourd'hui?  Serait-ce  ce 
qu'inspire  le  monde?  il  est  dans  l'erreur; 
ce  que  vous  dit  la  raison?  elle  est  aveugle  ; 
ce  que  vous  conseillent  vos  sens?  ils  sont 
trompeurs;  ce  que  vous  souillent  vos  pas- 
sions? elles  sont  corrompues;  ce  que  de- 
mande l'amour-propre?  mais  n'est-il  pas  vo- 
tre plus  cruel  ennemi?  ce  que  désire  votre 
corps?  mais  il  est  toujours  en  guerre  contre 
votre  esprit.  Depuis  qu'un  Dieu  ,  par  son 
choix,  a  consacré  l'humilité,  tout  est  décidé  ; 
c'est  lui  que  vous  devez  suivre;  il  faut  que 
vous  participiez  à  ses  humiliations.  Depuis 
qu'il  s'est  rendu  un  modèle  sensible,  il  faut 
s'y  rendre  ;  rendez-vous-y  donc  par  ces  pre- 
miers abaissements  de  ce  Dieu  enfant  qui 
vous  le  demande  de  sa  bouche,  du  sein  de 
Marie.  Allons  à  lui  par  les  humiliations,  afin 
qu'il  se  décharge  en  nous  de  l'abondance  des 
grâces  qu'il  vient  communiquer  aux  hommes 
et,  de  la  bouche  de  notre  cœur,  adressons- 
lui  ces  paroles,  à  ce  Dieu  d'Israël  et  le  Christ 
attendu  des  nat'ons  :  Vous  voilà  donc  sem- 
blable à  nous.  Nos  péchés  et  votre  amour  de 
notre  salut  vous  ont  rendu  comme  le  souille 
de  notre  bouche;  nous  adorons  vos  divins 
abaissements  ;  ils  ont  pour  nous  un  attrait 
de  grâces  qui  nous  charme  ;  nous  voulons 
nous  cacher  dans  votre  bienheureuse  obscu- 
rité :  In  umbra  tua  vivemus.  (Tkren.,  IV.) 
Mais  après  avoir  vu  ce  modèle  d'humilité 
dans  Jésus-Christ  fait  homme,  voyons  en- 
core dans  Marie,  Mère  de  Dieu,  ce  mérite 
d'humilité.  C'est  la  deuxième  partie  de  ce 
discours. 


OIUTKURS  SACRES.  LE  P.  SURIAN. 

SECOND    POINT. 


H56 


Tout  le  bien  que  Dieu  fait  aux  hommes 
part  du  fond  libre  de  sa  bonté,  dans  l'ordre 
de  sa  grâce  comme  dans  celui  de  la  nature. 
11  n'élève  rien  que  sur  le  néant,  et  nos  plus 
grands  mérites  ne  sont  jamais  que  ses  plus 
grands  dons. 

Marie  en  fait  un  aveu  public  à  l'univers. 
Si  les  nations  m'appellent  grande,  ce  n'est 
point  moi  qui  suis  le  principe  de  ma  gran- 
deur, c'est  au  Seigneur  que  je  la  dois;  il  a 
vu  en  moi  tout  le  néant  nécessaire  pour  faire 
éclater  sa  toute-puissance,  et  il  a  plu  à  sa 
miséricordieuse  compassion  de  signaler  son 
bras  sur  mon  extrême  pauvreté  :  Respexit 
humilitatem  ancillœ  suœ. 

Mais  si  Marie  ne  méritait  rien  de  ce  mé- 
rite qu'on  appelle  en  théologie  un  mérite  de 
rigueur,  elle  méritait  du  moins  de  ce  mérite 
qu'on  appelle  de  bienséance,  et  les  saints 
docteurs  prétendent  que  ce  fut  par  son  hu- 
milité qu'elle  mérita  d'être  choisie  pour  la 
mère  de  Dieu. 

O  vous  !  ennemis  implacables  de  cette  belle 
vertu,  qui  ne  vous  paraît  qu'une  dégradation 
et  un  avilissement  honteux,  comparez  ici  la 
grandeur  qu'elle  procure  à  Marie  avec  ce  faux 
honneur  que  le  inonde  vous  donne,  et  si  vous 
n'avez  pu  vous  laisser  gagner  par  l'attrait 
des  abaissements  profonds  dont  vous  venez 
de  voir  un  modèle  si  parfait  dans  Jésus- 
Christ,  rendez-vous  du  moins  aux  grands 
avantages  qui  doivent  vous  revenir  de  cette 
humilité  dont  vous  allez  voir  tout  le  mérite 
dans  la  sainte  Vierge.  Sans  m'arrêter  à  tous 
les  endroits  de  l'évangile  de  ce  jour,  j'en 
prends  trois  principales  circonstances  qui 
serviront  de  preuves  à  ma  proposition,  et  qui 
vous  feront  connaître  trois  grands  avantages 
dans  l'humilité  de  Marie  :  1°  elle  lui  fait  ren- 
dre de  grands  honneurs  par  un  esprit  cé- 
leste ;  2°  elle  lui  attire  la  plénitude  des 
grâces  dont  le  Seigneur  la  comble;  3*  elle 
lui  fait  concevoir  un  Dieu  dans  son  sein. 
Quel  mérite  pouvait  lui  attirer  une  plus 
grande  récompense  ? 

1°  Non,  ce  n'était  point  devant  la  mère 
d'un  Dieu,  puisqu'elle  ne  l'était  pas  encore, 
mais  devant  une  vierge  humide  que  l'ange 
s'abaissa;  premier  mérite  de  l'humilité  ne 
Marie,  tandis  que  l'homme  orgueilleux  dé- 
ment, par  son  enflure,  l'horreur  et  la  déri- 
sion du  monde;  tandis  que,  par  des  désirs 
insatiables  de  tout  surpasser,  de  tout  éclip- 
ser, de  tout  précéder,  il  s'attire  le  mépris 
universel  de  tous  les  autres;  que  plus  il 
veut  s'étendre  dans  la  vaine  opinion  des 
hommes,  plus  il  se  retréi  it  et  perd  de  leur 
estime,  et  que  les  mêmes  ressorts  qu'il  em- 
ploie pour  s'élever  ne  servent  qu'à  l'abais- 
ser davantage;  l'humble  créature  est  hono- 
rée et  respectée, par  ce'qu'il  y  a  de  plus  grand 
sur  la  terre,  soit  que  Dieu  y  attache  de  la 
grandeur  pour  accréditer  une  vertu  qui  est 
l'abrégé  et  presque  tout  le  fondement  de  ses 
mystères,  soit  qu'il  veuille  confondre  ce 
monstre  d'orgueil  qui  cherche  à  usurper 
une  gloire  qui  lui  appartient  tout  entière, 


Î457 


MYSTERES  ET  FETES.  —  SERMON  III,  SUR  L'HUMILITE. 


1153 


soit  qu'il  prétende  déférera  ce  monde,  à  ces 
Ames  humbles  une  partie  de  cette  vénéra- 
tion qui  lui  est  due,  et  que,  pour  les  con- 
soler dans  la  pratique  de  cette  divine  vertu, 
il  veuille  laisser  par  avance  échapper  sur  elle 
quelque  rayon  de  cette  gloire  dont  !a  plé- 
nitude les  attend;  soit  enfin  qu'il  veuille 
déjà  commencer  à  humilier  l'homme  su- 
perbe ,  et  à  lui  apprendre  que  loin  qu'il 
doive  entrer  en  partage  de  l'honneur  de  ce 
monde,  son  partage,  au  contraire,  est  de  le 
fuir  et  de  le  craindre;  soit  que  cela  vienne 
de  la  sagesse  de  Dieu  ou  de  la  corruption 
de  l'homme;  il  prétend  le  convaincre,  ce 
ver  misérable  qui  n'est  point  humilié  en  ce 
monde.  L'exaltation  devant  le  monde  est  le 
partage  de  l'humble  de  cœur,  et  cette  vertu 
a  tant  de  crédit  et  d'autorité  que  l'orgueil 
même  s'en  pare;  que  s'il  ose  se  montrer,  il 
cherche  à  se  cacher  sous  les  dehors  de  .'hu- 
milité; et  tout  ce  qui  fait  la  grande  peine 
des  âmes  humbles,  c'est  l'honneur  trop  im- 
portun qui  les  suit  partout,  ce  qui  leur  est 
une  tentation  continuelle.  L'humilité  trem- 
blante et  alarmée  ne  sait  où  se  placer  pour 
être  à  l'abri  des  honneurs;  elle  a  beau  vou- 
loir attendre  Jésus-Christ,  et  avec  lui  une 
iilace  dans  sa  gloire,  son  propre  éclat  lui  est 
l  charge;  en  vain  ces  âmes  humbles  rougis- 
sent et  se  troublent,  comme  Marie,  à  la  vue 
des  honneurs  que  lui  fait  l'ange  :  Turbata  est; 
en  vain  on  leur  fait  des  éloges,  onleur  donne 
des  louanges;  comme  Marie  elles  se  recon- 
naissent trop  méprisables  pour  être  louées; 
elles  cherchent  à  qui  ces  honneurs  peuvent 
convenir  :  Cogitabat  qualis  esset  ista  saluta- 
tio.  En  vain  leur  annonce-t-on  ces  grands 
desseins  qu'on  a  formés  sur  elles  ,  les  grands 
emplois  auxquels  on  les  destine;  comme 
Marie,  elles  n'y  trouvent  aucune  ressem- 
blance, et  s'écrient  avec  elle  :  Eh  1  comment 
cela  se  pourra-t-il  faire?  je  n'ai  rien  en  moi 
qui  puisse  me  le  faire  croire  :  Quomodo  fiet 
istud,  quoniam  virum  non  cognosco?~Ei  si  on 
veut  faire  violence  à  leur  humilité,  elles  se 
trouvent  forcées  de  s'écrier  :  Défendez,  ô 
mon  Dieu,  une  vertu  que  vous  avez  tant 
aimée  et  que  vous  êtes  venu  consacrer  par 
votre  incarnation;  ne  permettez  pas  que  je 
succombe  à  la  tentation  délicate  de  ces  louan- 
ges sur  qui  ce  cœur  humain  est  si  faible; 
laissez-moi  être  ce  que  je  suis;  et  si  la  vue 
de  mon  humilité  a  mérité  quelques  regards 
favorables  de  votre  miséricorde,  ce  n'est 
lias  l'etfet  de  mon  mérite,  mais  votre  seule 
grâce,  ô  mon  Dieu!  Et  voilà,  Messieurs,  le  se- 
cond fruit  que  Marie  tire  de  son  humilité. 
2"  Après  que  l'ange  fut  entré  chez  Marie, 
il  l'appelle  pleine  de  grâce  :  Ave ,  gratia 
plena,  comme  si  l'ange  lui  eût  dit  :  Plus 
vous  êtes  vide  de  grandeurs  et  de  biens  par 
votre  abaissement,  plus  le  Seigneur  prend 
plaisir  à  vous  remplir  de  ses  grâces  ;  cet 
abîme  qu'a  fait  en  vous  l'humilité,  n'a  fait 
qu'attirer  en  vous  la  source  de  ses  miséri- 
cordes avec  plus  d'abondance ,  et  toute 
anéantie  par  le  moyen  de  cette  vertu,  vous 
êtes,  par  son  moyen,  toute  changée  en  la 
grâce.  Ce  don  céleste  remplit   toute  YOtre 


âme,  tout  votre  cœur,  tout  votre  esprit,  tous 
vos  sentiments,  tous  vos  désirs,  toutes  vos 
pensées,  toutes  vos  paroles,  toute  votre  per- 
sonne, toute  vous-même  :  Gratia  plena, L'hu 
milité  vous  donne  la  grâce  de  lafoi,  qui  n'est 
qu'une  raison  soumise;  la  grâce  de  la  mor- 
tification, qui  n'est  qu'une  chair  domptée; 
la  grâce  de  la  charité,  qui  n'est  qu'un  cœur 
abattu;  la  grâce  de  l'obéissance,  qui  n'est 
qu'une  volonté  souple  ;  la  grâce  de  la  pa- 
tience, qui  n'est  qu'une  âme  résignée  ;  en- 
fin, réunissant  toutes  les  grâces  particuliè- 
res, tous  ces  dons  de  Dieu,  ils  se  trouvent 
renfermés  dans  votre  anéantissement. 

Ah  !  de  même,  lorsqu'un  chrétien,  comme 
Marie,  touché  de  son  néant,  s'abaisse  aux 
pieds  de  Jésus-Christ  crucifié,  repasse  ses- 
péchés,  confesse  son  indignité,  reconnaît 
ses  misères  ;  lorsque,  humilié  à  la  vue  de 
ses  iniquités,  il  ne  désire  d'autre  grandeur 
que  celle  d'être  agréable  à  son  Dieu,  etd'autre 
honneur  que  d'être  le  dernier  parmi  les  hom- 
mes ;  lorsque,  concevant  une  sainte  hor- 
reur de  lui-même,  il  abaisse  sa  tête  coupa- 
ble sous  la  justice  de  son  Dieu  ;  lorsque,  se 
regardant  comme  dégradé  et  avili  par  ses 
crimes,  il  oublie  ce  qu'il  est  devant  les 
hommes  pour  ne  se  ressouvenir  que  de  ce 
qu'il  est  devant  Dieu,  ah!  sur  lui  coulent 
des  torrents  de  giâces  et  de  miséricordes; 
et  s'il  demande,  comme  Marie,  quelle  est  la 
source  de  tant  de  grâces  ;  il  apprendra  que 
c'est  son  humilié  qui  lui  en  attire  la  pléni- 
tude :  Gratia  plena. 

Comment  pourriez-vous  la  recevoir,  cette 
plénitude  de  grâces,  vous  à  qui  l'humilité 
paraît  si  odieuse  et  si  insupportable  ?  Non, 
pas  une  goutte  de  cette  eau  céleste  n'arrê- 
tera sur  les  hauteurs.  Dieu,  qui  résiste  aux 
superbes,  vous  refuse  la  grâce,  et  n'a-t-il 
pas  raison  ?  vous  dédaignez  la  pratique  de 
ses  abaissements  ,  vous  vous  déclarez  en 
cela  ses  ennemis  et  comme  sa  partie,  et 
n'est-il  pas  bien  juste  qu'un  Dieu  ainsi  mé- 
prisé et  insulté  se  venge?  Oui,  montrez- 
vous  vous-mêmes  à  vous-mêmes  ,  et  vous 
trouverez  que  si  l'humilité  forme  dans  Ma- 
rie tout  le  principe  des  grâces  qu'elle  a  re- 
çues, c'est  l'orgueil  qui  attire  sur  vous  toute 
la  plénitude  des  vices;  l'orgueil  qui,  vous 
faisant  secouer  le  joug  de  la  foi  qui  vous 
captive,  et  qui,  vous  rendant  curieux  sur  les 
secrets  les  plus  mystérieux,  vous  a  rempli 
de  vaines  présomptions  de  confiance  témé- 
raire qui ,  jetant  un  voile  sur  vos  défauts, 
vous  attache  injustement  à  vous-mêmes,  et 
vous  fait  oublier  le  salut;  que  c'est  l'orgueil 
qui  occupe  votre  esprit,  qui  égare  votre  ima- 
gination ,  qui  captive  votre  volonté ,  qui 
souille  vos  désirs,  qui  enfle  votre  cœur,  qui 
profane  vos  actions,  qui  fait  qu'entre  vos 
mains  le  don  de  Dieu  devient  sans  force  et 
sans  effet,  qui  vous  rend  durs,  cruels,  ava- 
res, emportés,  injustes,  sans  probité,  sans 
droiture,  sans  compassion,  sans  équité;  il 
est  en  vous  îe  mal  universel  et  l'iniquité  tout 
entière.  Enfin  l'humilité  procure  à  Marie  la 
plénitude  de  toutes  les  grâces;  l'orgueil 
donneà  l'homme  laplémtude  de  tousles  vices, 


US1) 


ORATEURS  SACHES    LE  P.  SllUAN. 


lico 


O  vous,  la  plus  sainte  des  Vierges,  faites 
qu'il  coule  dans  nos  cœurs  quelque  port;on 
de  ces  grâces  que  vous  recevez  aujourd'hui 
avec  tant  d'abondance  ;  que  le  Seigneur  nous 
donne  avec  poids  et  mesure  quelque  part  de 
ces  faveurs  qui  sont  sans  nombre,  dont  il 
vous  a  comblée,  et  si  tout  le  reste  nous  a 
trouvés  insensibles,  que  nous  ne  le  soyons 
point  du  moins  sur  une  vertu  qui,  après 
avoir  attiré  sur  vous  la  plénitude  des  grâces, 
vous  fait  encore  concevoir  l'auteur  môme  de 
toutes  les  grâces  :Ecce  concipics  in  utero  et 
paries  filium  ;  et  voici  le  dernier  mérite  par 
où  l'humilité  se  relève  dans  Marie. 

Après  que  l'ange  lui  eut  annoncé  qu'elle 
serait  mère  d'un  Dieu,  son  humilité  la  sur- 
prend et  la  fait  rougir  d'une  dignité  si  im- 
mense de  se  voir  choisie  pour  un  mystère  si 
glorieux.  Comparant  sa  misère  avec  sa  haute 
distinction,  elle  a  honte  d'elle-même;  elle 
demeure  quelques  temps  dans  le  silence, 
et  ce  n'est  que  son  humble  obéissance  qui 
lui  fait  prononcer  en  tremblant  ces  paroles  : 
Voici  la  servante  du  Seigneur  :  Ecce  uncilla 
Domini  ;  parole  toute-puissante  auprès  de 
Dieu,  qui  a  la  force  de  le  faire  descendre 
aussitôt  en  elle;  parole  qui  monte  jusqu'au 
ciel,  et  met  Marie  au  nombre  des  prodiges,  en 
alliant  en  elle  des  choses  incompréhensi- 
bles ;  parole  qui  élève  une  pure  créature  à  la 
qualité  de  mère  du  Très-Haut;  parole  qui, 
ouvrant  seule  le  sein  de  Marie  au  Verbe, 
donne  une  mère  dans  le  temps  à  celui  qui 
est  engendré  sans  mère  dans  l'éternité;  pa- 
role qui  fait  que  cette  Vierge  sainte  donne  à 
son  Dieu  un  corps  de  son  sang,  qui,  la  pla- 
çant entre  le  ciel  et  la  terre,  lui  donne  un 
rang  inférieur  à  Dieu  seul  et  supérieur  à 
tout  le  reste  ;  parole  enfin  qui  met  le  comble 
à  sa  gloire,  en  paraissant  l'anéantir,  et  qui, 
en  se  confessant  la  servante  du  Seigneur,  la 
fait  devenir  sa  mère  :  Ecce  ancilla  Domini. 
C'est  comme  si  elle  disait  :  Le  Seigneur 
m'élèvera  tant  qu'il  lui  plaira;  il  est  le  maître 
absolu  de  ses  créatures  etde  toutes  les  gran- 
deurs; il  ine  fera  monter  au  plus  haut  degré  de 
la  gloire;  je  ne  serai  cependantjamaisquela 
plus  humble  de  ses  servantes,  que  la  plus 
indigne  deses  créatures:  Ecce  ancilla  Domini. 

8°  Mais  quelle  instruction  veut  nous  don- 
ner le  Saint-Ksprit  par  celte  dernière  cir- 
constance? Lorsqu'il  attache  tout  le  bonheur 
de  posséder  un  Dieu  à  l'humilité  d'une 
Vierge,  lorsqu'il  n'accorde  le  plaisir  d'en- 
fanter le  Messie  qu'à  une  créature  qui  con- 
temple sa  bassesse,  lorsqu'il  ne  vient  con- 
fier un  Dieu  d'amour  qu  à  une  mère  hum- 
ble; que  veut-il  nous  dire,  sinon  que  c'est 
un  engagement  indispensable  à  tout  chrétien 
d'aimer  Jésus-Christ,  de  le  former  dans  son 
cœur  et  d'étendre  en  lui  l'image  de  son  in- 
carnation ?  C'est  l'agneau  de  ce  saint  jour  et 
tout  le  huit  de  ce  mystère.  Voici  la  grande 
leçon  qui  est  donnée  aujourd'hui  au  monde  : 
c'est  que  Jésus-Christ  ne  se  plaît  qu'avec 
les  humbles,  que  celui  en  qui  il  ne  se  sera  pas 
formé  par  l'humilité  sur  la  terre,  ne  se  for- 
mera pas  en  Jésus-Christ  par  la  gloire  dans 
le  ciel  ;   c'o;;t  que  le   Dieu-homme  ne  con- 


sommera pas  en  nous  par  des  mouvements 
intérieurs  notre  conversion  et  notre  salut 
qui  sont  le  grand  fruit  de  sa  venue,  qu'au- 
tant qu'il  nous  trouvera  comme  Marie,  pé- 
nétrés do  notre  néant  et  de  notre  bassesse; 
c'est  que  personne  ne  sera  associé  à  ses  mé- 
rites s'il  ne  fait  la  volonté  de  son  Père  : 
In  humiiitate  animi  nestri  pariet  salutem. 
La  conséquence  que  nous  devons  tirer  des 
abaissements  de  Jésus  et  de  Marie,  c'est 
que  jamais  nous  ne  concevrons  en  nous  ce 
Dieu  ae  salut  que  dans  l'humilité  de  notre  âme. 

Ahl  nous. ne  le  comprenons  que  trop  jus- 
qu'ici, qu'au  lieu  de  concevoir  ce  bienheu- 
reux salut  nous  n'avons  conçu  que  le  souille 
de  la  vaine  gloire  et  de  l'orgueil;  nous  en 
sommes  trop  convaincus  que  jusqu'ici  nos 
âmes  vaines  ont  été  les  meurtrières  de 
celui  dont  elles  devaient  être  les  mères  ; 
nous  avons  mieux  aimé  nous  remplir  de 
vent  et  de  fumée  que  de  la  piété  et  du  sa- 
lut :  Concepimus  spiritum  et  non  salutem. 
Ainsi,  tandis  que  ces  âmes  humbles  auront 
part  à  la  gloire  du  ciel,  il  ne  nous  restera 
que  la  honte  d'avoir  aimé  celle  de  la  terre 
et  nous  serons  obligés  d'avouer  que  nous 
n'avons  embrassé  qu'un  souffle  passager, 
et  enfanté  que  la  vapeur  toute  seule  :  Conce- 
pimus spiritum  et  non  salutem. 

Mon  Dieu,  que  ce  partage  a  de  désesvoir  ! 
et  nous  pourrions  encore  le  choisir  ?  Que 
chacun  puisse  dire  donc:  puisque  l'orgueil 
ne  produit  que  de  grands  maux  et  l'humi- 
lité que  de  grands  avantages,  ah!  mon  âme 
ne  s'abaisscra-t-elle  pas  devant  son  Dieu? 
Nonne  Deo  subjecta  erit  anima  mea?  (Psal. 
LXL)  Devenue  rebelle  et  inflexible  par  sa 
vanité,  refusera-t-elle  de  s'humilier  et  de 
se  confondre  devant  son  Sauveur  anéanti? 
au  lieu  d'attirer  Dieu  en  elle  par  son  hu- 
milité, le  forcera-t-elle  de  la  fuir  et  de  l'a- 
bandonner par  sa  superbe  ? 

Non,  Seigneur,  ne  vous  éloignez  pas  de 
moi,  me  voici  la  plus  soumise  de  vos  créa- 
tures :  Ecce  ancilla  Domini.  Mon  âme  est 
devant  vous  comme  une  humble  servante  ;  à 
la  vue  de  ses  misères,  elle  ne  comprend 
pas  comment  elle  a  pu  être  vaine;  la  voici, 
détrompée  :  ce  n'est  plus  cette  âme  superbe 
qui  ne  cherchait  qu'à  usurper  celte  gloire 
qui  n'appartient  qu'à  vous,  qui  ne  s'étudiait 
qu'à  s'élever  et  à  se  faire  honorer  dans  le 
siècle  ;  revenue  de  son  erreur,  elle  n'a  plus 
de  fidélité  et  d'empressement  que  pour  votre 
service,  elle  ne  songe  qu'à  étendre  votre 
empire,  qu'à  augmenter  votre  gloire.  La 
voici,  cette  âme  soumise,  à  qui  la  qualité 
d'esclave  et  do  servante  de  son  Dieu  paraît 
mille  fois  au-dessus  de  celle  des  princes  et 
des  maîtres  de  la  terre  :  Ecce  ancilla  Domini. 
Vous  nous  l'avez  promis,  que  vous  habite- 
riez avec  les  humbles;  si  vous  vous  abais- 
sez, nous avez-vous  dit,  vous  serez  élevés; 
si  vous  vous  humiliez  vous  concevrez  un 
Dieu.  La  voilà,  cette  âme  humiliée:  je  vous 
la  présente,  c'est  la  mienne  :  Ecce  concipies 
in  utero  et  paries  filium;  qu'il  me  soit  clone 
fait  selon  votre  parole,  donnez-moi  cette 
joie  in^llable  de  vous  voir  et  de  vous  por- 


t  -  ni 


MYSTERES  ET  FETES.   —  SERMON  IV,  ASCENSION  DE  J.-C 
cœur  :  Fiat  mihi  secundum 


H62 


ter  dans  mon 
verbum  tuum  ;  que  me  sert  que  vous  soyez 
incarné  dans  le  sein  de  Marie  si  vous  ne 
vous  incarnez  pas  en  moi  en  particulier? 
Hâtez-vous  de  venir  en  mon  âme,  Dieu  de 
bonté,  et  y  demeurez  jusqu'à  ce  qu'elle 
puisse  s'incarner  éternellement  en  vous 
dans  l'immortalité  de  votre  gloire.  C'est 
ce  que  je  vous  souhaite,  au  nom  du  Père, 
et  du  Fils  et  du  Saint-Esprit.  Amen. 

SERMON  IV. 

POUR  LE  JOUR  DE  LASCENSION  DE  JÉSUS-CHRIST. 

Et  Dominus  quidem  Jésus  postquam  locutus  est  fis  as- 
sumptusestin  cœlura  et  sedit  a  dextris  Dei.  .(Marc, 
XVI.) 

Le  Seigneur,  après  avoir  parlé  à  ses  disciples,  monta  au 
ciel  oit  il  est  assis  à  la  droite  de  Dieu. 

Fut-il  jamais,  Messieurs,  spectacle  plus 
pompeux  que  celui  qui  se  passe  aux  yeux 
des  disciples  assemblés?  Quelle  surprise 
pour  eux  de  voir  tout  à  coup  s'élever  jus- 
qu'au ciel  celui  qui  faisait  toute  leur  con- 
solation sur  la  terre!  Il  le  leur  avait  bien 
prédit,  qu'après  avoir  consommé  le  grand 
ouvrage  qu'il  était  venu  opérer  dans  le 
monde ,  il  s'en  retournerait  à  la  droite  de 
son  Père,  qu'il  avait  quitté  pour  un  temps; 
qu'après  avoir  tiré  le  genre  humain  de  l'es- 
clavage honteux  du  démon,  où  il  gémissait 
depuis  le  péché  d'Adam,  il  emmènerait  avec 
lui  la  captivité  captive;  qu'après  avoir  fondé 
et  cimenté  son  Eglise  aux  dépens  de  ses  tra- 
vaux et  de  son  sang,  pour  servir  de  mère  à 
tous  les  chrétiens,  il  irait  leur  préparer  à 
tous  une  place  à  côté  de  lui  dans  le  royaume 
de  son  Père,  et  qu'enfin  viendrait  un  jour 
où  il  rentrerait  en  possession  de  sa  gloire, 
après  en  avoir  assuré  le  droit  à  tous  ses  en- 
fants. 

Le  voici  donc  arrivé  ce  jour  bienheureux, 
jour  de  triomphe  pour  Jésus-Christ  et  d'es- 
pérance pour  tous  les  chrétiens ,  jour  tout 
glorieux  pour  le  Sauveur  et  vraiment  salu- 
taire pour  l'homme,  jour  enfin  qui  met  la 
consommation  à  tous  les  mystères  de  la  vie 
du  Fils  de  Dieu,  et  qui  met  le  comble  et  le 
dernier  sceau  à  la  joie  de  l'Eglise. 

Que  ne  puis-je,  Messieurs,  vous  faire  per- 
cer cette  nuée  lumineuse  qui ,  en  éblouis- 
sant les  yeux  des  apôtres,  leur  fit  perdre  de 
vue  leur  divin  Maître,  et  au  lieu  de  vous 
demander,  avec  ces  deux  anges  qui  so  pré- 
sentèrent à  eux,  pendant  qu'ils  regardaient 
en  haut  :  Hommes  de  Galilée,  pourquoi  vous 
arrêter  si  longtemps  à  regarder  le  ciel  ?  ne  sa- 
vez-vous  pas  que  celui  qui  vient  d'y  mon- 
ter, est  ce  Jésus  que  vous  avez  vu,  et  que 
vous  verrez  encore  ?  Tïn"  GaHlœi  quid  slatis 
aspicientes  in  cœlum.  Que  ne  puis-je  au  con- 
traire vous  faire  ce  trop  juste  reproche,  hom- 
mes de  peu  de  foi,  lâches  et  insensibles 
chrétiens,  disciples  terrestres  et  charnels, 
enfants  dénaturés  et  ingrats?  Pourquoi  fixer, 
comme  vous  faites,  toute  votre  attention,  tous 
vos  soins,  tous  vos  désirs  sur  ce  bas  monde  et 
sur  des  choses  de  la  terre?  Que  ne  vous  éle- 
vez-vous sans  cesse  vers  le  ciel  1  Et  depuis 

Orateurs  s»ckés.  L. 


que  vous  savez  que  votre  modèle  et  votre 
chef  y  est  rentré  dans  sa  gloire  pour  vous 
en  assurer  le  bienheureux  héritage,  que  n'y 
portez-vous  tous  vos  regards,  toute  votre 
application,  toute  votre  espérance?  Que  no 
faites-vous  de  la  triomphante  ascension  do 
Jésus-Christ  le  sujet  le  plus  ordinaire  do 
vos  études  et  de  vos  méditations?  Vous  ver- 
riez, dans  cette  plénitude  de  gloire  qu'il  y 
reprend,  un  motif  puissant  des  désirs  et  de 
l'empressement  qui  doivent  vous  faire  aspirer 
à  la  félicité,  comme  à  votre  centre;  vous  dé- 
couvririez dans  les  voies  bienheureuses  qui 
vous  y  sont  tracées  les  moyens  salutaires 
que  la  miséricorde  vous  offre  pour  vous  éle- 
ver jusqu-'au. ciel;  car  voilà,  Messieurs,  tout 
le  fruit  que  vous  devez  tirer  du  mystère 
de  ce  jour,  et  ce  sera  aussi  tout  le  sujet  de 
ce  discours.  Il  faut  vous  remplir  de  ces  pen- 
sées consolantes,  que  Jésus-Christ,  qui  monte 
aujourd'hui  au  ciel,  n'y  monte  point  tant 
pour  lui-même  que  pour  vous,  et  que  loin 
d'y  réserver  pour  lui  seul  toute  la  gloire 
dont  il  prend  possession,  son  désir  le  plus 
pressant  est  qu'elle  se  répande  et  qu'elle  se 
communique  à  tous  les  siens;  vous  devez 
vous  y  dire  à  vous-mêmes,  que  ce  Dieu, 
montant  au  ciel  en  présence  de  ses  disciples, 
n'est  point  représenté  chaque  année  aux  fi- 
dèles pour  donner  un  vain  spectacle  à  leur 
curiosité;  mais  afin  qu'ils  en  tirent  pour 
leur  fidélité  toute  l'instruction  et  tout  le  se- 
cours qui  y  est  attaché  :  1Q  Jésus-Christ  nous 
y  montre  sa  gloire  à  découvert,  afin  de  nous 
la  faire  désirer;  2°  il  nous  y  trace  les  voies 
bienheureuses  qui  y  mènent,  afin  de  nous 
y  faire  entrer.  Expliquons  donc  aujourd'hui 
ce  grand  mystère  sans  sortir  des  circonstan- 
ces que  l'Eglise  nous  apprend  :  1°  Nous  y 
verrons  d'abord  les  biens  que  nous  devons 
désirer;  2°  et  ensuite  les  vertus  qui  peuvent 
nous  y  conduire ,  ou,  si  vous  voulez  en  deux 
mots,  la  nature  de  la  félicité  dans  le  ciel  qui 
nous  est  aujourd'hui  proposée  dans  l'ascen- 
sion de  Jésus-Christ  et  le  chemin  qui  nous  y 
mène  :  voilà  tout  mon  dessein. 

Vous,  ô  mon  Dieu,  donnez-nous  ce  que 
demandait  autrefois  un  prophète,  de  voir 
votre  lumière  par  votre  lumière  même,  c'est- 
à-dire  de  voir  votre  gloire  par  votrs  grâce  ; 
nous  vous  en  prions  par  1  intercession  de 
Marie.  —  Ave,  Maria. 

PREMIER    POINT. 

L'homme  en  naissant  ne  peut-être  heureux, 
Messieurs.  Sorti  par  la  création  du  sein 
même  de  la  félicité  etde  lagloire,son  plus  na- 
turel penchant,  le  plus  fort  est  d'y  retourner. 
Cette  vérité  n'a  pas  besoin  de  preuve  étran- 
gère; il  ne  faut  que  nous  consulter  nous- 
mêmes,  nous  trouverons  que  ce  désir  nous 
suit  partout,  que  c'est  lui  qui  anime  nos 
pensées,  qu'il  conduit  nos  projets,  nos  dé: 
marches ,  et  qu'enfin  nous  ne  sentons  rien 
plus  au  fond  de  notre  être  etde  notre  subs- 
tance, que  cette  inclination  et  ce  désir;  si 
donc  nous  ne  nous  rendons  pas  toujours  heu- 
reux, c'est  que  notre  aveuglement  et  peut- 
être  nos  défiances  nous  emoèchent  de  con- 

37 


M  03 


ORATEURS  SACHES.  LE  P.  SURIAN. 


4!6J 


naître  et  d'aspirer  au  seul  objet  de  notre 
véritable  bonheur;  nous  nous  arrêtons  à  ce 
qui  est  de  plus  sensible  et  à  ce  qui  nous 
rend  misérables  ici-bas. 

Or  voilà  le  furieux  obstacle  que  le  Sauveur 
par  son  ascension  vient  de  lever  aujourd'hui 
en  se  montrant  aux  yeux  de  notre  foi,  comme 
autrefois  il  se  montra  aux  yeux  de  ses  apô- 
tres avec  tout  l'appareil  de  sa  gloire.  Il  pré- 
tend faire  naître  et  ranimer  en  nous  ce  désir 
presque  éteint  du  véritable  bonheur ,  et 
parce  que  notre  infirmité  veut  des  objets 
qui  tombent  sous  les  sens,  ce  Dieu  de  bonté 
veut  bien  monter  au  ciel  d'une  manière  sen- 
sible, qui,  frappant  les  yeux  des  apôtres, 
produise  en  eux  deux  effets  merveilleux  : 
le  premier  est  de  le  leur  faire  connaître,  et 
le  deuxième  de  les  faire  espérer  en  lui  :  11- 
lis  videntibus  elevatus  est.  Appliquons-nous 
à  ces  deux  idées,  et  croyons  entendre  de  la 
bouche  de  Jésus-Christ  montant  au  ciel,  ces 
paroles  qu'il  a  révélées  à  son  apôtre  :  Con- 
naissez quelles  sont  les  richesses  de  la  gloire 
de  votre  héritage  et  de  l'espérance  bienheu- 
reuse de  votre  vocation. 

Vous  le  savez,  Messieurs,  que  dès  qu'il 
s'agit  des  choses  qui  sont  surnaturelles, 
l'homme  ne  peut  rien  de  lui-môme;  dès  qu'il 
faut  s'élever  au-dessus  des  sens  par  les 
voies  adorables  du  sanctuaire,  aller  prendre 
l'idée  de  l'éternelle  félicité  jusque  dans  le 
sein  de  celui  qui  en  est  le  principe,  hélas  1 
sa  faiblesse  ne  peut  le  porter  jusque-là. 
Cendre  et  poussière  que  nous  sommes,  com- 
ment nous  pouvoir  élever  jusqu'à  la  divinité 
suprême  qui  fait  toute  l'essence  de  notre 
béatitude  1  mais  celui  qui  nous  prépare  des 
biens  tant  au-dessus  de  nous,  veut  pourtant 
bien  nous  les  faire  connaître  ;  et  se  pourrait- 
il  donc  après  cela  que  notre  cœur  ne  les  dé- 
sirât pas  !  Hâtez-vous  donc,  hommes  terres- 
tres et  charnels,  s'écrie  le  Prophète,  de  mon- 
ter sur  un  lieu  chéri  :  Sta  in  excelso.  (Baruch, 
V.)  Appesantis  par  le  poids  fatal  de  votre  con- 
cupiscence ,  vous  n'avez  jusqu'ici  cherché 
votre  bonheur  que  dans  ce  bas  monde,  dans 
la  possession  frivole  de  quelques  créatu- 
res; il  n'y  est  pas  monté  plus  haut  :  Sta  in 
excelso.  Transportez-vous  en  esprit  sur  la 
montagne  de  Sion,  où  s'élève  votre  divin 
Rédempteur,  contemplez-y  les  merveilles 
qu'elle  renferme,  et  y  reconnaissez  les  dou- 
ceurs ineffables  que  Jésus-Christ  va  vous  y 
préparer  par  sa  glorieuse  ascension  :  Et  vide 
jucunditatem  a  Deo  tibi  venientem  (Baruch, 
l'V)  ;  du  haut  de  cette  montagne  céleste,  re- 
gardez en  bas,  descendez  de  ce  point  su- 
l'iime,  jugez  de  la  bassesse  de  l'univers,  de 
ce  séjour  fixe  et  permanent,  même  le  temps 
qui  s'écoule  sans  cesse  en  tout  ce  qu'il  ren- 
ferme d'inconstance  et  de  fragilité  «l'un  lieu 
ri  éminent;  voyez  de  toutes  parts  les  hon- 
«>3urs  s'évanouir,  les  plaisirs  s'y  enfuir,  les 
fortunes  fondre  et  s'anéantir  sous  vos  yeux, 
les  grandeurs  de  la  terre  s'écouler  et  périr, 
tesannées  et  les  siècles  se  passer  rapidement 
sans  que  rien  soit  capable  d'en  arrêter  le 
cours;  toutes  ces  choses  humaines  se  ré- 
Iréeir,  décroître  et  périr  :  Sta  in  excelso. 


Suivez  d'esprit  et  de  réflexion  le  Fils  de  Dieu 
montant  au  ciel,  et  en  lui  contemplez  un 
objet  plus  grand,  plus  riche,  plus  pariait, 
jtius  puissant  que  tout  le  monde  ensemble; 
voyez  peinte  dans  ce  chef  glorieux  l'image 
de  toutes  les  délices  qui  vous  attendent  dans 
le  bienheureux  héritage  que  son  ascension 
vous  assure  :  Et  vide  jucunditatem  a  Deo 
tibi  venientem.  Comprenez  dans  le  mystère 
de  ce  jour  le  changement  merveilleux  qui  se 
fait  de  la  terre  au  ciel,  et  dans  la  personne  de 
Jésus-Christ  rentrant  en  possession  de  sa 
gloire;  reconnaissez-y  tous  les  traits  diffé- 
rents de  la  béatitude  céleste  :J57  vide  jucun- 
ditatem, etc.  Et,  pour  mieux  entrer  dans  la 
nature  de  celte  félicité  et  vous  en  faire  mieux 
distinguer  le  véritable  caractère,  attachons- 
nous  aux  paroles  de  l'Evangile  :  Et  Dominus 
quidem  Jésus,  postquam  locutus  est,  eis  as- 
sumptus  est  in  cœiam;  après  que  le  Seigneur 
Jésus  eut  entretenu  ses  disciples  de  ce  qu'ils 
avaient  à  faire  et  de  ce  qui  devait  arriver,  il 
s'éleva  jusqu'au  ciel,  où  il  est  assis  à  la 
droite  de  Dieu;  c'est-à-dire,  Messieurs,  que 
cet  aimable  Sauveur  quitte  la  terre  où  il  avait 
tant  souffert  pour  retourner  au  ciel,  où  sa 
gloire  l'attendait:  c'est-à-dire  qu'il  passa 
d'une  disposition  de  peines  et  d'obscurité  à 
un  état  de  repos  et  de  lumière,  et  en  cela 
vous  avez  une  image  naturelle  du  change- 
ment qui  doit  se  faire  du  chrétien  dans  le 
ciel. 

Oui,  Messieurs,  toutes  ces  misères  qui 
naissent  ici-bas  du  fond  de  notre  mortalité, 
et  qui  nous  font  gémir  si  fort  sous  le  joug 
accablant  du  vieil  homme,  Jésus-Christ 
nous  apprend,  par  son  ascension  glorieuse, 
qu'elles  se  trouvèrent  absorbées  par  les  qua- 
lités excellentes  de  l'homme  glorieux  :  nous 
ne  sentirons  plus  dans  notre  corps  ces  com- 
bats qui  l'affaiblissent,  ces  saillies  impé- 
tueuses qui  le  transportent;  notre  chaire 
toute  tranquille  n'éprouvera  plus  des  révol- 
tes :  les  plaisirs  seront  purs,  les  douceurs 
inaltérables,  nos  pensées  consolantes  et  nos 
désirs  rassasiés  ;  indépendants  alors  de  tou- 
tes les  créatures,  nous  nous  renfermerons  en 
Dieu  seul  ;  nous  n'aurons  plus  besoin  de 
personne  pour  nous  aider  à  posséder  les 
biens  qu'il  nous  prépare  ;  infinis,  nous  n'en 
craiidrons  point  la  fierté  et  rien  n'y  pourra 
mettre  des  bornes;  éternels,  nous  n'en  ver- 
rons jamais  la  fin  ;  invariables,  ils  ne  seront 
point  sujets  aux  temps  ni  aux  revers;  pleins, 
ils  ne  laisseront  point  de  vide  en  nous,  ils 
nous  rempliront  tout  à  fait  :  toute  notre  ca- 
pacité sera  épuisée  par  leur  abondance  et 
par  leur  valeur,  en  sorte  qu'aussi  remplis 
que  charmés,  il  ne  nous  restera  rien  à  dési- 
rer. 

Que  vous  dirai-je  encore,  Messieurs,  pour 
mieux  vous  faire  connaître  le  prix  de  la 
gloire  que  Jésus-Christ  vous  prépare  par  son 
ascension;  ce  bonheur  ne  serait  pas  parfait, 
s'il  pouvait  être  interrompu,  et  l'on  en  goû- 
terait trop  imparfaitement  les  douceurs,  si 
l'on  pouvait  avoir  quelque  crainte  de  les 
perdre  ;  ici  tout  ce  que  les  heureux  du  siècle 
peuvent  espérer  de  plus   doux,  c'est  que 


ii55 


MYSTERES  ET  FETES.  —  SERMON  IV,  ASCENSION  DE  J.-C. 


115(5 


la  peine  et  le  plaisir  se  succèdent  mutuelle- 
ment :  les  transports  de  la  plus  grande  joie 
y  sont  bientôt  suivis  de  regrets  et  de  tris- 
tesse, et  c'est  presque  assez  de  se  voir  au- 
jourd'hui content,  pour  être  certain  que  de- 
main il  vous  arrivera  quelque  chose  de  fâ- 
chaux  :  mais  il  n'en  est  pas  de  môme  du 
bonheur  du  ciel ,  il  n'y  a  ni  alternative  ni 
mélange,  c'est  le  comble  des  divines  volup- 
tés et  le  bienheureux  torrent  en  est  inépui- 
sable, leur  état  en  est  permanent  et  la  joie 
ne  s'y  altère  jamais.  Après  des  millions  de 
siècles  les  bienheureux  y  goûteront  une  fé- 
licité aussi  ravissante  etaussi  nouvelle  que 
s'ils  venaient  d'y  entrer;  là  ils  ne  trouveront 
qu'un  même  jour  pur  et  serein  auquel  nulle 
nuit  ne  succédera  jamais  ;  ils  n'emprunte- 
ront point  de  lumières  étrangères,  parce  que 
Dieu,  ce  divin  soleil  de  justice,  les  éclairera 
lui-môme. 

Par  tous  ces  divers  caractères,  ne  vous  re- 
présentez-vous pas,  Messieurs,  cette  monta- 
gne lumineuse  dont  parle  saint  Jean  dans 
son  Apocalypse  ;  la  sainte  Jérusalem  ,  que 
voyait  cet  apôtre?  N'est-ce  pas  le  Seigneur 
du  ciel,  l'Agneau  qui  préside?  n'est-ce  pas 
Jésus-Christ  tout  brillant  de  gloire?  ces 
millions  d'hommes  sur  le  front  desquels 
était  gravé  le  nom  du  Père,  éternel?  n'est-ce 
pas  cette  multitude  incomparable  d'élus  qui, 
autour  du  trône  de  l'Agneau  ,  s'estiment 
heureux  du  seul  plaisir  de  le  posséder, 
chantant  sans  cesse  dans  sa  présence  des 
cantiques  de  joie  et  d'allégresse,  et  qui  plus 
ils  s'enivrent  dans  cette  souive  intarissable  de 
délices,  plus  ils  veulent  en  goûter.  O  mon- 
tagne éternelle!  ravissante  Sion!  quand  se- 
rez-vous  notre  demeure  ?  gloire  du  ciel  ! 
cfuand  vous  posséderons-nous  ?  et  quand , 
transportés  en  nous-mêmes  jusque  dans  ce 
séjour  délicieux,  en  ferons-nous  notre  uni- 
que soin,  notre  seule  ojeupation  et  le  seul 
objet  de  nos  désirs. 

Mais  si  vous  n'êtes  pas  enlevés  par  les  ra- 
vissantes idées  de  la  gloire  du  ciel,  soyez  du 
moins  intimidés  parles  tristes  conséquences 
qui  doivent  suivre  votre  insensibilité  ;  cette 
insensibilité  où  vous  vivez  à  l'égard  de  cette 
gloire  qui  vous  est  proposée,  est  un  étal  qui 
vous  assure  les  supplices  affreux  de  l'enfer  ; 
ne  point  penser,  ne  point  s'occuper  de  la 
seule  chose  qui  est  ici-bas  si  nécessaire,  c'est 
une  disposition  déplorable  qui,  par  elle- 
même,  réprouve;  ne  point  tendre  à  l'éter- 
nelle vie,  c'est  tendre  à  l'éternelle  mort  ;  ja- 
mais vos  noms  ne  seront  écrits  dans  ce  beau 
livre  des  élus,  si  vos  pensées  n'en  sont  elles- 
mêmes  la  plume  et  le  burin;  jamais  vous 
n'arriverez  à  votre  véritable  patrie,  tandis 
que  vous  vous  arrêterez  dans  votre  exil; 
la  manne  délicieuse  n'est  point  pour  ceux 
qui  prennent  goût  aux  sacrés  oignons 
de  l'Egypte,  et  quiconque  ne  se  sert  point 
des  lumières  de  la  foi  pour  s'élever  à  l'esti- 
me et  à  la  connaissance  de  la  vraie  béatitude 
ne  peut  ressentir  ici-bas  qu'un  dégoût  et  un 
vide  général,  et  après  la  mort  qu'un  abandon 
funeste  et  un  arrêt  redoutable  de  la  bouche 
de  son  juge. 


Sur  ce  principe ,  ô  mon  Sauveur,  que  vous 
en  rejetterez,  que  vous  en  abandonnerez, 
que  vous  en  perdrez  au  jour  de  vos  ven- 
geances ;  épée  du  Seigneur,  que  vous  immo- 
lerez de  victimes  terrestres  et  charnelles  1 

Mais  pour  achever  d'amollir,  s'il  est  possi- 
ble, votre  insensibilité, gensdu  monde, n'ou- 
blions pas  que  Jésus-Christ  monte  en  ce  jour 
au  ciel  aux  yeux  de  ses  disciples  et  en  leur 
personne  aux  yeux  de  tous  les  chrétiens, 
non-seulement  pour  nous  faire  connaître  sa 
gloire  dont  il  prend  possession,  mais  pour 
nous  y  faire  prétendre,  c'est-à-dire,  qu'après 
avoir  formé  notre  estime,  il  a  voulu  nourrir 
notre  espérance,  second  avantage  de  l'ascen- 
sion du  Sauveur.  Et,  en  effet,  dit  un  Père,  at- 
tendre un  Dieu  dont  on  n'a  pas  même  idée, 
c'est  une  illusion;  et  il  n'est  pas  possible  d'at- 
tacher son  cœur  à  une  chose  que  l'esprit  ne 
connaît  pas  ;  mais  le  connaître  aussi  parfait 
qu'on  nous  l'a  dépeint,  voilà  ce  qui  fait  naî- 
tre le  désir  et  qui  anime  l'espérance  de  ceux 
qui  veulent  se  rendre  heureux  par  cette  pos- 
session. 

Or,  c'est  là  le  fruit  que  Jésus-Christ  veut 
que  nous  tirions  de  sa  gloire  qu'il  nous  mon- 
tre au  jour  de  son  ascension  ;  il  ne  s'élève  de 
la  terre  au  ciel  en  présence  de  ses  apôtres 
assemblés  que  pour  leur  apprendre  qu'ils  y 
monteront  après  lui  ;  il  ne  les  rend  témoins 
et  spectateurs  de  sa  gloire  que  pour  faire 
naître  dans  leurs  cœurs  le  désir  d'y  partici- 
per ;  que  le  sort  des  disciples  qui  auront  été 
fidèles  sera  semblable  à  celui  de  leur  maître  ; 
que  le  premier-né  d'entre  plusieurs  frères  ne 
vase  placer  auprès  du  Père  céleste,  quepour 
attirer  ses  frères  après  lui  ;  que  si  nous  lui 
ressemblons,  l'héritage  qu'il  va  nous  prépa- 
rer passera  jusqu'à  nous  ;  que  nous  devons 
attendre  notre  immortalité  bienheureuse 
comme  le  gage  précieux  de  son  amour  comme 
l«s  derniertrait  et  l'effet  le  plus  sensible  de 
notre  adoption  toute  divine. 

O  héritiers  du  ciel ,  ô  membres  de  Jésus- 
Christ  glorieux,  à  quoi  sommes  nous  appe- 
lés et  à  quoi  nous  arrêtons  nous  ?  Comment 
accorder  des  espérances  si  hautes  avec  des 
sentiments  si  bas  ;  un  héritage  si  précieux 
qui  nous  attend,  avec  des  désirs  si  faibles 
qui  nous  retiennent.  Oublions-nous  la  quaT 
lilé  sublime  et  les  biens  infinis  que  notre  foi 
nous  procure  et  auxquels  elle  nous  élève  ;  ne 
nous  convaincrons-nous  point  une  bonne  fois 
pour  toutes  que  tout  sous  le  soleil  n'est  que 
vanité  et  affliction,  que  tout  n'est  ici-bas  que 
corruption  et  misère  ;  qu'il  n'est  personne 
qui  ne  doive  soupirer  et  gémir  clans  cette 
terre  d'exil.  O  vous  qui  avez  le  bonheur  d'ê- 
tre chrétien  ,  placez  donc  mieux  désormais 
vos  désirs  et  vos  espérances;  dites  à  ce  monde 
et  à  tout  ce  qui  l'environne  qu'il  ne  vouse^t 
point  propre,  qu'il  est  indigne  de  vous  atta- 
cher un  seul  moment;  que  si  vous  y  pensez, 
que  si  vous  y  vivez,  ce  n'est  que 'pour  le 
mépriser  ;  que  vous  y  renoncez,  et  qu'appelés 
par  Jésus-Christ  montan  tau  ciel  à  une  félicité 
si  précieuse  et  si  relevée,  des  cheses  si  pe- 
tites et  si  basses  ne  sauraient  vous  occuper. 
Et  en  effet,  pourriez-vous  vous  contenter  de 


Î167 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SURIAN. 


fi  88 


quelques  douceurs  frivoles  et  passagères, 
pendant  que  votre  Dieu  vous  promet  une 
éternité  de  délices  et  de  gloire;  et  quan  1  le 
ciel  peut  seul  vous  remplir,  y  aurait-il  donc 
encore  dans  votre  cœur  des  places  vides?  Ah! 
iixez  tous  vos  désirs  à  la  possession  de  Jésus- 
Christ-,  et  laissez-vous  aller  où  vous  appelle 
sa  gloire  ;  soyez  dans  l'Egide  comme  cette 
colonne  quo  saint  Jean  vit  dans  le  temple, 
qui  portait  sans  cesse  l'image  duciel  ;  et  lors- 
que comme  Jérémie  vous  sentirez  affaiblir  et 
tomber  votre  espérance,  dites  au  Seigneur  : 
Souvenez-vous  de  mes  transgressions  et  de 
mes  malheurs,  de  la  faiblesse  et  de  l'indi- 
gence où  je  suis  :  Recordare  meœpaupertatis. 
(Thren.,  III.)  Et  que  ce  souvenir  me  fasse  le- 
ver les  yeux  au  ciel  pour  y  voir  tous  les  biens 
que  vous  m'y  préparez.  Et  si  pour  vous  con- 
soler et  vous  fortifier  Jésus-Christ  vous  offre 
et  vous  promet  sa  gloire,  répondez-lui  comme 
le  prophète  :  Oui,  mon  Sauveur,  j'y  consens, 
et  cette  impression  de  bonheur  que  vous  vou- 
lez faire  sur  moi,  c'estlà  où  je  veux  rappor- 
ter toutes  mes  pensées,  donner  toute  mon 
attention  et  tous  mes  soins  :  Mcmoria  mentor 
cro.  (lbid.)  J'y  porterai  tous  mes  désirs  et  les 
plus  doux  mouvements  de  mon  cœur  :  hœc 
recolcns  in  cordemeo.(Jbid.)  L'idée  que  vous 
m'en  donnez  aujourd'hui  m'élèvcra  à  l'espé- 
rance la  plus  forte:  Ideo sperabo  ( lbid.);  la  con- 
naissance et  le  désir  que  j'aurai  me  le  feront 
méditer,  mon  âme  en  sera  toute  reiaplie  :  ta- 
bescet  in  me  anima  mea.  (lbid.)  Vous  serez,  ô 
mon  Dieu,  tout  mon  partage  ;je  ne  vivrai  plus 
que  dans  l'attente  de  votre  bienheureusepos- 
session  :  Pars  mea  Dominus  proptersa  eum  ex- 
spectabo  (lbid.);  et  tout  charmé  de  l'idée,  et 
rempli  du  désir  de  la  gloire  que  vous  me 
montrez,  je  ne  chercherai  plus  que  les  voies 
qui  peuvent  m'y  conduire.  Les  voici  ces 
voies  bienheureuses,  et  c'est  Jésus-Christ  lui- 
même  qui  vous  les  a  tracées  avant  de  monter 
eu  ciel  ;  vous  allez  les  voir  dans  l'autre  par- 
tie de  ce  discours,  que  j'abrégerai  pour  ne 
pas  abuser  de  votre  patience  ;  j'espère  que 
vous  ne  vous  lasserez  pas  de  m'entendre 
dans  un  sujet  qui  doit  avoir  tant  de  charmas 
pour  vous. 

SECOND    TOINT. 

Il  n'y  a  que  notre  misère,  si  nous  savons 
l'étudier,  qui  nous  doive  paraître  déplora- 
ble; si  elle  va  jusqu'à  nous  aveugler  dans 
l'idée  que  nous  avons  de  la  vraie  félicité, 
elle  ne  nous  aveugle  pas  moins  encore  dans 
le  choix  des  voies  qu'il  faut  prendre  pour  y 
atteindre  :  nous  voulons  y  aller  par  l'indis- 
crète curiosité  des  yeux,  par  les  faux  plaisirs 
de  la  vie,  parla  vanité  des  grandeurs  du  siè- 
cle; mais  lâches  que  nous  sommes!  pour- 
quoi ne  pas  nous  souvenir  de  ce  que  l'Esprit- 
Saint  nous  apprend,  que  depuis  que  le  pé- 
ché à  mis  entre  le  ciel  et  la  terre  un  chaos 
immense,  les  voies  de  l'un  à  l'autre  sont  de- 
venues très-difficiles?  Ah  Scelles  que  l'on  fait 
d'ordinaire  sont-elles  difficiles,  tout  se  con- 
duit dans  le  monde  par  la  folle  concupis- 
cence desyeux,  par  la  grossière  convoitise 
de  I.-i  chair,  par  l'amour  affreux  des  honneurs  ; 


voies  déplorables  desquelles  on  peut  bien 
dire  que  tout  ce  qui  passe  par  elles  arrive  et 
se  termine  à  la  mort. 

Mais  qui  doit  le  plus  nous  attendrir  ou  de 
l'aveuglement  de  l'homme  qui  s'égare  ou  de 
l'amour  de  Jésus-Christ  qui  prend  soin  de 
nous  redresser  ;  car,  on  peut  dire  que  le  Sau- 
veur montant  au  ciel  fait  plus  que  cet  ange 
céleste  qui  brille  à  la  porte  du  paradis,  puis- 
qu'il y  répand  sa  gloire,  non  pour  en  empê- 
cher l'entrée,  mais  pour  nous  y  introduire 
lui-même,  et  que,  pour  me  servir  de  l'expres- 
sion de  l'Apôtre,  Jésus-Christ  monte  aujour- 
d'hui dans  le  ciel  aux  yeux  de  ses  disciples 
assemblés  pour  leur  tracer,  et  à  nous  comme 
à  eux,  une  voie  nouvelle  et  vivante  au  tra- 
vers des  voiles  de  sa  chair  et  de  son  huma- 
nité glorieuse  :  quam  iniliavit  viam  nuvam  et 
viventem  per  velamen  id  est  carnem  suam 
(Ucbr.,  X),  voie  de  retraite  opposée  à  l'amour 
des  faux  plaisirs  de  la  chair,  voie  d'humilité 
qui  attaque  l'orgueil  de  la  vie  :  iniliavit  no- 
bis  viam  suam. 

O  vous  qui  faites  ici-bas  tout  votre  bon- 
heur de  votre  attente,  et  qui  mettez  votre 
plus  douce  espérance  a  suivre  les  traces  de 
Jésus-Christ,  songez  que  les  lumières  de  sa 
gloire  qui  sont  inaccessibles  aux  folles  maxi- 
mes du  sièjle,  ne  le  sont  pas  à  ces  trois 
belles  vertus,  quand  il  nous  dit  :  faites  selon 
le  modèle  que  je  vous  ai  tracé  ;  c'est  lui- 
même  qui  se  donne  à  vous  pour  modèle  et 
si  vous  le  suivez ,  vous  pouvez  espérer  do 
vivre  un  jour  avec  lui  de  la  vie  de  la  gloire  : 
Hoc  fac,  et  vives  (Luc,  X.) 

J'ai  dit  d'abord  la  retraite,  et  c'est  le  parti 
que  prirent  les  apôtres,  après  avoir  vu  de 
leurs  propres  yeux  leur  divin  maître  s'éle- 
ver au  ciel  ;  ils  se  retirèrent  près  d'une 
montagne  et  s'enfermèrent  dans  le  cénacle  : 
cumin  cœnaculum  introissent;  première  voie 
pour  se  préparer  à  la  voie  de  la  gloire,  le 
recueillement  et  la  retraite.  En  etï'et,  si  le 
chrétien  est  un  rayon  de  ce  soleil  de  justice, 
qui  s'envole  aujourd'hui  dans  la  nuée;  s'il 
est  un  écoulement  de  ce  Verbe  divin,  caché 
dans  le  sein  du  Père  éternel,  l'image  d'un 
Dieu  voilé  dans  ses  sacrements,  rassuré  dans 
ses  mystères;  s'il  est  enfant  d'une  Eglise 
sainte,  appelée  la  fille  du  Désert;  s'il  a  ab- 
juré le  monde,  et  promis  par  les  vœux  de 
son  baptême  qu'il  serait  à  Dieu  seul  ;  s'il  est 
enfanté  et  élevé  à  l'ombre  de  la  croix,  et 
dans  le  secret  des  plaiss  de  Jésus-Christ, 
n'est-il  pas  tout  voué  à  la  retraite,  au  re- 
cueillement, et  à  la  voie  par  laquelle  un 
Dieu  a  voulu  venir  et  vivre  parmi  nous  ; 
n'est-elle  pas  aussi  celle  que  nous  devons 
suivre  pour  mériter  de  participer  à  sa  gloire  ? 
Non,  Messieurs,  rien  n'est  plus  nécessaire  à 
un  chrétien  qui  veut  gagner  le  ciel  quo 
la  retraite;  c'est  là  qu'une  âme  regarde  au- 
tant Dieu  seul  au-dessus  d'elle,  pour  le 
servir,  et  le  monde  au-dessous  pour  le 
mépriser;  s'élève  à  la  hauteur  de  ses  pen- 
sées, à  la  sublimité  de  ses  espérances,  et 
s'occupe  sans  dissipation,  du  doux  exer- 
cice des  vertus.  C'est  là  que  par  de  salu- 
taires retours  sur  elle-même,  elle  découvre 


1189 


MYSTERES  ET  FETES.  —  SERMON  IV,  ASCENSION  DE  J.-C. 


1PO 


à  loisir  le  fond  de  ses  misères,  et  cherche  à 
se  fortifier  avec  Dieu  par  la  ferveur  de  ses 
prières.  C'est  là  qu'elle  n'épargne  rien , 
qu'elle  ne  s'épargne  pas  elle-même,  pour 
rentrer  en  grâce  avec  son  Dieu,  si  elle  avait 
eu  le  malheur  de  s'en  écarter  par  le  péché, 
et  qu'arrachée  à  tout  autre  objet,  elle  de- 
meure attachée  à  Jésus-Christ  par  de  pieuses 
oraisons.  C'est  là  que,  dépouillant  son  cœur 
de  tout  ce  qu'il  avait  de  terrestre  et  de  gros- 
sier, elle  se  revêt  de  tout  ce  qu'il  y  a  de 
spirituel  et  de  céleste,  et  que  tout  enfin  se 
purifie  en  elle.  C'est  là  que  le  chrétien,  loin 
des  souillures  et  de  la  contagion  du  monde, 
conserve  ou  reprend  celte  robe  toute  blanche 
de  l'innocence  et  de  la  justice,  que  le  siècle 
et  ses  dangereux  attraits  ne  peuvent  que 
salir.  C'est  là  que  toutes  les  vertus  qui  y 
sont  renfermées,  comme  dans  leur  asile, 
forment  comme"!  une  nuée  lumineuse  qui  la 
mettent  à  couvert  des  ténèbres  de  ses  pro- 
pres passions  :  Nubes  suscepit  eum  ab  oculis 
eorum.  Là  tout  favorise  ses  pieux  desseins, 
et  rien  d'étranger  ne  s'y  présente  pour  en 
traverser  l'exécution;  là,  ce  Dieu  de  pureté, 
qui  déteste  la  dissipation  et  les  usages  per- 
nicieux du  monde,  instruit  et  soutient  le 
chrétien;  retiré  de  cet  ennemi  déclaré  des 
compagnies  mondaines,  il  en  fait  son  ami 
paritculier,  et  un  de  ses  élus;  c'est  là  où 
Dieu  nous  parle  cœur  à  cœur,  et  où  l'on  ap- 
prend à  le  connaître  et  à  l'aimer;  on  ne  s'y 
entretient  que  de  l'affaire  du  salut,  et  on  n'y 
forme  que  des  désirs  légitimes.  C'est  dans  la 
retraite  que  l'âme,  pour  aini  dire  séparée 
de  son  corps,  ne  pense,  ne  parle,  ne  s'oc- 
cupe que  de  Jésus-Christ  et  de  la  gloire  qu'il 
lui  a  préparée;  qu'elle  s'attache  si  fortement 
à  lui,  que  rien  u'est  capable  de  l'en  séparer; 
c'est  là  qu'elle  étudie  avec  amour,  qu'elle 
comprend  avec  facilité,  qu'elle  pratique  avec 
ioie  la  loi  et  les  prophètes  ;  et  s'il  arrive  que 
la  grâce,  faisant  sur  cette  âme  de  fortes  im- 
pressions, lui  retrace  ses  égarements  passés, 
l'énormité  de  ses  offenses  et  les  supplices 
qu'elle  a  mérités.  Kh  !  c'est  là  [.lus  qu'en  tout 
autre  lieu,  où  tremblante  et  désespérée,  elle 
s'afflige  et  s'humilie  en  présence  de  son 
juge;  mais  c'est  là  aussi  que  Dieu  d'appro- 
chant d'elle,  que  se  faisant  sentir  à  elle  de 
plus  près,  que  redoublant  ses  faveurs  et  ses 
tendresses,  il  dissipe  toute  ses  frayeurs, 
qu'il  lève  ses  scrupules,  qu'il  arrête  ses  dé- 
fiances, qu'il  éclaircit  ses  doutes,  qu'il  relève 
son  courage  abattu;  c'est  là,  enfin,  qu'une 
âme  entièrement  morte  au  monde,  détrom- 
pée de  ses  erreurs,  sourde  à  ses  pernicieuses 
leçons,  ne  voit  que  Jésus-Christ,  son  Sau- 
veur, et  vit  comme  s'il  n'y  avait  que  Dieu 
et  elle  dans  le  monde.  Oh  1  quel  présent  plus 
digne  d'un  Dieu,  qu'une  âme  ainsi  préparée 
par  la  retraite;  qui,  en  s'éluignant  des  occa- 
sions dangereuses,  se  précautionne  contre 
le  péché;  qui,  en  pratiquant  de  secrètes 
vertus,  triomphe  de"  l'insolence  du  vice,  et 
qui,  surmontant  autant  d'ennemis  qu'elle  en 
sait  éviter,  peut  se  vanter  qu'elle  est  dans 
ce  sentier  étroit  qui  mène  sûrement  à 
la  vie. 


Mais  si  la  retraite  conduit  si  infaillible- 
ment à  la  gloire,  d'où  vient  donc  que  vous 
ne  l'embrassez  point,  gens  du  monde?  Si  elle 
est  si  avantageuse  au  salut,  pourquoi,  au  lieu 
do  vous  y  condamner  au  moins  de  temps  en 
temps,  en  avez- vous  de  l'horreur  et  vous 
moquez-vous  même  de  ceux  qui  s'y  as- 
sujettissent? Pourquoi  tenir,  comme' vous 
faites,  toutes  les  portes  de  vos  âmes,  qui 
sont  vos  sens,  ouvertes  à  toutes  les  fiassions 
qui  veulent  y  entrer?  à  faire  de  vos  yeux 
autant  de  glaives  meurtriers  qu'ils  lancent 
de  regards  ?  Si  la  retraite  et  le  recueillemei.t 
sont  si  nécessaires  au  chrétien,  pourquoi  ne 
chercher  que  l'embarras,  les  compagnies  et 
le  tumulte  du  siècle?  Pourquoi  promener 
vos  yeux  sur  tous  les  objets  qui  s'y  présen- 
tent? Pourquoi  demeurer  errants  et  dissipés 
dans  ce  monde  qui  vous  éloigne  si  fort  de 
votre  Dieu?  Pourquoi  ne  pas  détourner  vos 
regards  do  dessus  ces  créatures  qui  vous 
séduisent?  occuper  votre  esprit  de  ces  mo- 
des, de  ces  coutumes,  de  ces  usages,  qui 
vous  corrompent  et  qui  vous  perdent?  Et  ne 
dites  point,  comme  ;on  [fait  tous  les  jours, 
que  votre  état  est  incompatible  avec  la  re- 
traite, que  vos  affaires  et  vos  engagements 
ne  vous  le  permettent  point;  ignorez-vous 
donc  qu'il  no  faut  pas  être  hors  du  monde 
pour  se  recueillir  en  soi-même?  qu'il  y  a 
une  retraite  morale,  nécessaire  et  facile  à 
tout  chrétien;  une  retraite  spirituelle,  selon 
saint  Paul,  par  laquelle  on  s'éloigne  du  crimo 
sans  s'éloigner  du  siècle;  où  l'on  vit  avec  le 
monde  sans  l'aimer;  où  l'on  use  de  ses  biens 
comme  si  on  n'en  usait  point:  où  l'on  de- 
meure parmi  les  créatures  sans  s'y  attacher; 
où  l'on  converse  avec  les  autres  hommes, 
non  |  our  se  pervertir  avec  eux,  mais  pour 
les  justifier;  qu'il  y  a  une  espèce  de  re- 
traite par  laquelle  le  chrétien  qui,  par  état, 
ne  peut  sortir  du  siècle,  fait  sortir  le  siè.lo 
de  lui-même;  où  une  âme,  dégagée  des 
sens,  demeure  attachée  à  son  Dieu  comme 
à  l'unique  objet  du  monde;  où,  tenant  à  bi 
terre  par  les  liens  du  corps,  l'on  est  tout  à 
Jésus-Christ  par  les  pensées  de  l'esprit;  et 
où,  imitant  ce  divin  chef  et  ce  parfait  mo- 
dèle, on  paraît  entrer  dans  tous  les  soins  do 
ce  bas  monde,  sans  avoir  aucune  part  à  ses 
plaisirs  volages  et  à  ses  corrup fions. 

Ah  !  Messieurs,  aimez  donc  cette  vertu 
qui  vous  est  présentée  comme  la  première 
et  la  plus  sûre  voie  do  la  félicité  ;  et  puis- 
que vos  états  et  vos  engagements  vous  obli- 
gent de  demeurer  dans  le  monde,  rompez 
du  moins  tout  commerce,  toute  liaison  avec 
les  méchants  dont  la  contagion  ne  manque- 
rait pas  de  vous  infecter,  et  que  Jésus-Christ 
réprouve  en  mille  endroits  de  ses  saintes 
Ecritures.  Si  vous  voulez  de  l'union  et  de  la 
société,  que  ce  soit  avec  ce  petit  nombre  de 
bonnes  âmes  qui  se  regardent  comme  étran- 
gères ici-bas,  qui  n'ont  rien  tant  à  charge 
que  cette  misérable  vie  qui  retarde  leur  bon- 
heur; qui,  peu  contentes  de  faire  et  de  crain- 
dre le  monde,  le  méprisent  et  le  haïssent; 
aimez  la  retraite,  dans  la  même  'disposition 
des  Israélites  captifs  sur  les  fleuves  de  Ba- 


HT! 


ORATEUR*  SACRES.  LE  P.  SCRIAN. 


1172 


bylone,  et  dites  comme  eux  pendant  votre 
exil  :  Hélas  I  forcés  comme  nous  sommes 
d'habiter  ce  monde,  où  des  liens  indisso- 
lubles nous  retiennent  malgré  nous,  nous 
n'y  ferons  aucun  monument;  et  loin  de  nous 
tourmenter,  comme  tant  d'autres,  nous  de- 
meurerons toujours  assis  au  bord  de  ce  ileuve 
de  Babylone  :  Super  /lamina  Babylonis  illic 
sedimus.  (Psal.  CXXXVI.)  Nous  craignons 
trop  que  les  eaux  corrompues  et  amères  ne 
nous  gagnent  si  nous  y  avancions  ;  nous 
nous  tiendrons  loin  de  ses  agitations,  de  sa 
corruption  et  du  gouffre  de  ses  iniquités  : 
illic  sedimus.  Hélas  !  que  deviennent  tous 
ceux  que  leur  aveuglement  et  leur  témérité 
y  précipite  de  bonne  heure,  que  leur  impru- 
dence y.  conduit,  que  leur  brutalité  y  dé- 
grade ;  n'en  voyons-nous  pas  trop  périr  tous 
les  jours  sous  nos  yeux  et  faire  un  funeste 
naufrage  à  leur  salut  et  à  leur  foi;  pour 
nous,  qui  craignons  ces  écueils  et  qui  pro- 
fitons de  ces  funestes  exemples,  nous  vou- 
lons mener  une  vie  plus  tranquille,  et  si 
nous  avons  de  l'ennui  et  des  inquiétudes, 
si  nous  y  versons  des  pleurs  et  poussons  des 
gémissements  continuels,  ce  n'est  que  sur 
la  malheureuse  nécessité  où  nous  sommes 
de  vivre  dans  cet  exil,  et  par  la  bienheu- 
reuse espérance  de  revoir  bientôt  la  sainte 
Sion  ,  notre  chère  patrie  :  Illic  sedimus  et 
flevimus  cum  reçorderamur  Sion.  (Ibid.) 

Mais  remarquez,  Messieurs,  que  si  ces  vé- 
ritables chrétiens  versent  ainsi  des  larmes 
dans  le  monde,  que  s'ils  se  désolent  et  s'at- 
tristent, c'est  encore  pour  nous  apprendre 
que  l'affliction  et  la  peine  sont  une  deuxième 
voie  aussi  essentielle  pour  arriver  à  l'éter- 
nelle félicité,  q  ie  le  recueillement  et  la  re- 
traite; et  n'est-ce  pas  ce  que  Jésus-Christ 
disait  à  ses  apôtres  avant  de  monter  au  ciel  : 
Ne  fallait-il  pas,  disait-il,  que  Jésus-Christ 
souffrît  la  mort  et  la  passion  avant  d'entrer 
dans  sa  gloire  :  Nonne  oportuit  hœc  Chri- 
stum  patit  et  ita  intrare  in  gloriam  suam. 
(Act.,  XVII.)  Kl  n'est-ce  pas  encore  ce  qu'il 
veut  leur  faire  entendre,  lorsque  dans  l'é- 
pître  de  ce  jour  nous  lisons  qu'avant  de 
quitter  ses  disciples  le  Fils  de  Dieu  leur  dit 
qu'ils  rendraient  témoignage  de  sa  personne, 
c'est-à-dire  qu'en  publiant  son  Evangile  ils 
auraient  à  souffrir  non-seulement  dans  la 
ville  de  Jérusalem,  mais  dans  toute  la  Ju- 
dée, dans  la  Samarie  et  jusqu'aux  extrémi- 
tés de  la  terre,  où  ils  rencontreraient  la  per- 
sécution et  le  martyre  :  Eritis  mihi  testes 
Jérusalem  et  in  omni  Judœa  et  Samaria  et 
■usque  ad  ultimum  terras.  (Act.,  I.)  N'est-ce 
pas  enfin  ce  qu'il  nous  insinue  dans  tout  son 
testament ,  lorsque  ,  non  content  de  nous 
avertir  qu'il  n'y  aura  d'heureux  dans  le  ciel 
que  ceux  qui  auront  passé  sur  la  terre  par 
la  tristesse  et  par  les  pleurs,  par  l'humilia- 
tion et  par  la  pauvreté,  par  la  persécution 
et  par  les  contradictions  :  Jieati  qui  luqent, 
bcati  pauperes ,  beali  qui  persecutionem 
patiuntur  (Matth.,  V),  et  qu'il  n'y  a  de  ré- 
compense à  espérer  que  pour  ceux  qui  au- 
ront passé  par  les  travaux  de  cette  vie;  que 
le  ciel  est  une  conquête  qui  ne  peut  s'em- 


porter sans  de  rudes  combats,  sans  de  con- 
tinuelles violences,  sans  des  efforts  bien  pé- 
nibles :  Iteynum  cœlorumvim  palitur  et  vio- 
lenti  rapiunt  illud  (Matth.,  XI);  lorsqu'il 
nous  dit,  par  son  Apôtre,  qu'il  n'y  aura  dans 
son  royaume  que  ceux  qui  auront  souffert 
comme  lui  sur  la  terre  :  Si  tamen  compatimur 
et  conglorificamur.  (Rom.,-  VIII.) 

Mais  que  sera-ce  si  aux  leçons  pressantes 
qu'il  nous  fait  de  souffrir,  je  joins  encore 
l'exemple  touchant  qu'il  nous  en  a  donné? 
Quel  motif  plus  puissant  que  la  vue  de  ce 
divin  modèle  qui,  depuis  le  premier  mo- 
ment qu'il  entra  dans  le  monde  jusqu'au 
dernier  moment  de  sa  vie,  ne  cessa  jamais 
de  souffrir  et  de  se  mortifier  ;  sur  quoi  je 
voudrais  vous  porter  ici  quelques  réflexions 
naturelles.  Si  un  Dieu  qui,  avec  son  infinie 
;>ainteté,  pouvait  passer  des  joies  de  la  terre 
aux  délices  du  ciel,  rejette  cependant  cette 
voie  et  ne  veut  arriver  aux  consolations 
éternelles  que  par  la  privation  des  passagè- 
res, quelle  rigueur  pour  lui-même  de  vou- 
loir ne  rentrer  en  possession  de  la  gloire 
qu'après  s'être  chargé  de  toutes  nos  misères, 
qu'après  s'être  assujetti  à  toutes  les  igno- 
minies et  à  toutes  les  souffrances,  quoiqu'il 
fût  le  maître  de  choisir  la  voie  des  plaisirs 
de  ce  monde  !  et  nous,  pécheurs  misérables, 
chargés  d'iniquités  et  de  dettes,  quelle  lâ- 
cheté de  vouloir  réserver  pour  nous  ce  que 
le  Sauveur,  tout  saint  qu'il  était,  n'a  pas 
voulu  prendre  pour  lui-même  1  Quoi  de  plus 
monstrueux  que  de  vouloir  paraître  sous  un 
chef  couronné  d'épines,  des  membres  cou- 
ronnés de  roses!  Si  nous  ne  sommes  point 
conformes  à  l'homme  de  douleur  ,  pouvons- 
nous  présumer  de  l'être  à  l'homme  de  gloire? 
quelle  injustice  I  un  Dieu  qui  -est  le  maître 
du  ciel,  ne  veut  y  remonter  qu'après  s'être 
réduit  à  la  mort  honteuse  de  la  croix  ;  et 
nous,  loin  de  sortir  un  seul  instant  de  la 
joie  et  du  plaisir,  de  retrancher  un  seul  mo- 
ment de  notre  mollesse  et  de  notre  sensua- 
lité, de  rien  rabattre  de  nos  commodités  et 
de  nos  aises,  nous  étudions  l'art  et  le  secret 
de  les  perpétuer  et  de  les  étendre,  et  vou- 
drions aller  toujours  au  même  terme  que 
Jésus-Christ  nous  montre,  sans  passer  par 
les  mêmes  voies  que  son  exemple  nous  a 
tracées?  Quel  aveuglement  !  quelle  corrup- 
tion !  quel  mécompte  !  et  l'esprit  d'un  chré- 
tien peut-il  se  soutenir  dans  des  prétentions 
si  déraisonnables! 

Mais,  achevez,  ô  mon  Sauveur,  de  re- 
dresser nos  voies,  et  comme  après  avoir  ins- 
piré à  vos  disciples  de  rentrer  dans  le  cé- 
nacle, après  les  avoir  disposés  à  tout  souffrir 
pour  rendre  témoignage  de  votre  divinité, 
après  votre  ascension  glorieuse,  vous  vous 
cachâtes  sous  une  nuée  qui  vous  déroba  à 
leurs  yeux,  et  nubes  suscepit  eum  ab  ocu- 
lis  eorum,  vous  voulez  noas  apprendre  qu'a- 
près nous  être  garantis  du  monde  par  les 
refraites,  après  nous  être  affligés  et  soumis 
à  toutes  les  peines  de  la  vie,  nous  devons 
encore,  par  humilité,  dérober  aux  yeux  des 
hommes  jusqu'à  nos  vertus  et  nos  bonnes  ac- 
tions, de  peur  que  ce  qui  pourrait  y  entrer 


1173 


MYSTERES  ET  FETES.  —  SERMON  V,  VOEUX  DU  BAPTEME. 


1174 


d'humain  et  de  fastueux  n'en  corrompît  tout 
le  mérite. 

En  effet,  Messieurs,  Jésus-Christ  nous  l'a- 
vait dit,  qu'il  n'y  aurait  d'exalté  que  celui 
oui  se  sera  abaissé;  et  il  savait  trop  bien  que 
1  humilité  est  le  partage  des  élus  et  la  vertu 
la  plus  essentielle  à  l'homme  qui  veut  ar- 
river à  la  gloire  ;  que  l'orgueil  l'ayant  chassé 
du  paradis  terrestre  il  ne  peut  plus  rentrer 
dans  le  bonheur  céleste  que  par  l'humilité; 
que,  selon  l'Ecriture,  les  places  des  anges 
superbes  dans  le  ciel  ne  peuvent  être  rein- 
plies  que  par  des  hommes  humbles;  que 
moins  on  cherche  de  gloire  sur  la  terre,  plus 
on  s'en  accumule  dans  le  ciel;  qu'il  n'y  a 
que  ceux  qui  sont  petits  dans  le  ciel  qui 
puissent  attirer  les  yeux  favorables  d'un  Dieu 
magnifique  et  glorieux. 

Chrétiens  !  qui  aspirez  tous  à  la  môme  gloire 
que  Jésus-Christ  vous  montre  en  ce  jour,  y 
allez-vous  par  cette  même  route  qu'il  vous  a 
tracée  :  le  faste,  l'ambition  ,  l'orgueil ,  la  va- 
lidé sont-ils  le  chemin  qu'il  a  pris  et  que 
vous  devez  prendre  vous-mêmes.  En  vérité, 
un  Dieu  si  humble  la  donnera-t-il ,  cette 
gloire  inestimable,  à  tous  ces  vains  transports 
de  superbe  qui  vous  tiennent  comme  char- 
més de  vous-mêmes,  qui  font  que  vous  vous 
applaudissez  d'une  naissance  qui  vous  con- 
fondra à  la  mort  avec  le  plus  petit  et  le  pauvre  ; 
que  vous  vous  enilez  d'un  titre  de  noblesse 
que  tous  les  jours  on  dégrade  par  les  incli- 
nations les  plus  basses;  que  vous  vous  pré- 
valez fièrement  de  quelques  talents  et  quali- 
tés naturels,  qui  ne  viennent  pas  de  vous ,  et 
dont  peut-être  vous  faites  un  si  déplorable 
usage?  La  donnera-t-il  à  ces  airs  fiers  et  hau- 
tains, à  ces  vains  efforts  de  tout  surpasser, 
de  tout  éclipser,  de  tout  éblouir  par  l'auto- 
rité, parle  luxe,  par  les  folles  dépenses,  ce 
qui  vous  environne  et  ce  qui  vous  fait  om- 
brage? Non,  Messieurs,  les  voies  que  Jésus- 
Christ  nous  montre  dans  son  ascension  sont 
les  seules  par  où  vous  pourrez  atteindre  à 
la  possession  de  la  gloire  dont  il  va  reprendre 
possession;  dès  qu'on  les  quitte  on. périt,  et 
si  vous  ne  pratiquez  les  vertus  dont  il  vous 
donne  l'exemple,  vous  demeurerez  à  jamais 
privés  de  la  félicité  qui  en  est  la  récompense 
et  le  terme. 

Privés  de  sa  gloire,  ah!  Messieurs,  vous 
ne  frémissez  pas  à  ces  paroles,  votre  cœur  ne 
se  trouble  point!  pouvez-vous  les  écouter 
sans  alarmes?  O  sommeil  funeste,  déplora- 
ble! insensibilité  des  chrétiens!  de  nos  jours 
si  indifférents  pour  le  ciel.  Touchez-les,  di- 
vin Sauveur,  et  les  ranimez  par  votre  ascen- 
sion glorieuse;  inspirez-leur  l'amour  et  le 
désir  de  votre  félicité,  et  ne  permettez  pas 
qu'ils  prennent  d'autres  voies  pour  y  arriver 
que  celles  que  vous  venez  de  leur  montrer. 

Vous  êtes  appelé  le  Seigneur  des  vertus  en 
même  temps  que  vous  êtes  reconnu  roi  de 
gloire  :  Dominus  virtutum  ipse  est  rex  aloriœ 
(Psal.  XXIII.)  Vous  êtes  le  roi  de  gloire, 
puisque  cette  gloire  vient  de  vous,  qu'elle 
n'appartient  qu'à  vous,  que  c'est  une  grâce  que 
vous  faites  aux  hommes  de  les  y  associer;  que 
c'est  à  yous  seul  à  la  donner,  qu'elle  vous  a 


coûté  la  vie,  que  vous  l'avez  acquise  au  prix 
de  votre  sang;  le  Seigneur  des  vertus,  non- 
seulement  des  armées  célestes,  mais  de  lare- 
traite,  de  la  pénitence,  de  l'humilité,  qui  sont 
les  vôtres,  parce  que  vous  les  avez  pratiquées, 
consacrées  par  vos  exemples  et  scellées  du 
sceau  sacré  de  votre  passion  et  de  votre 
mort.  O  souverain  Roi  de  gloire,  ô  Seigneur 
aimable  des  vertus,  accordez-nous  aujour- 
d'hui la  faveur  de  votre  triomphante  résur- 
rection, la  force  de  mépriser  ce  bas  monde, 
la  victoire  absolue  sur  nos  passions  ;  ne  per- 
mettez pas  que  nous  périssions  par  notre 
faute  pendant  que  vous  prenez  tant  de  soin 
de  nous  sauver;  faites-nous  connaître  aujour- 
d'hui tout  le  prix  de  cette  gloire  dont  vous 
ne  retournez  prendre  possession  que  pour 
nous  y  attirer  après  vous;  faites-nous  em- 
brasser el  aimer  les  salutaires  voies  qui  y 
conduisent  et  hors  lesquelles  il  n'y  a  point 
de  salut  à  espérer  pour  nous;  en  un  mot, 
ô  mon  Dieu,  dessillez  nos  esprits  aveugles, 
détachez  nos  cœurs  enchantés  des  faux 
biens  de  la  terre,  afin  que,  convaincus  et  char- 
més, pleins  d'une  foi  vive  et  soutenus  d'une 
espérance  ferme,  nous  puissions  tout  entre- 
prendre et  tout  souffrir,  tout  mépriser  et 
tout  sacrifier  sur  la  terre,  pour  ne  prétendre 
et  ne  désirer,  pour  ne  tendre  et  n'aspirer 
que  vers  les  biens  du  ciel,  qui  seuls  peuvent 
nous  enrichir  dans  le  temps  et  nous  rendra 
heureux  dans  l'Eternité.  C'est  ce  que  je  vous 
souhaite ,  au  nom  du  Père,  et  du  Fils,  et  du 
Saint-Es"prit.  Amen, 

SERMON  V. 

Pour  le  jour  de  la  Sainte-Trinité. 

SDR    LES    VOEUX   DU    BAPTEME. 

EuntPs  ergo  docele  omiies  génies  ,  baplizantes  eos 
in  nominfi  Palris,  et  Filii,  et  Spiritus  sancli.  (Malllt., 
XXV 111.) 

Allez  et  instruisez  toutes  les  nations,  en  les  baptisant  au 
nom  du  Père,  et  du  Fils,  et  du  Saint-Esprit. 

Le  Père,  le  Fils  et  le  Saint-Esprit  sont, 
Messieurs,  les  trois  personnes  qui  compo- 
sent le  mystère  auguste  dont  l'Eglise  fait  au- 
jourd'hui la  solennité,  et  les  prédicateurs,  in- 
terprètes des  intentions  de  cette  bonne  mère, 
devraient,  ce  semble,  tâcher  d'en  dévelop- 
per les  secrets  aux  fidèles.  Mais  hélas!  que  fe- 
rions-nous avec  tous  nos  elforts?  est-il  aucun 
mortel  sur  la  terre  capable  de  fixer  ses  regards 
sur  un  objet  aussi  éblouissant  qu'est  celui  de 
l'adorable  Trinité  des  personnes?  Qui  pour- 
rait jamais  comprendre  un  père  qui  n'a  ni 
commencement  ni  fin,  un  fils  qui  est  aussi  âgé 
que  son  père,  et  qui  est  égale  en  toutes  choses 
à  lui  ;  un  Saint-Esprit  qui  procède  de  l'un 
et  de  l'autre,  et  qui  n'est  ni  l'un  ni  l'autre.  O 
profondeur  impénétrable  des  trésors  de 
la  sagesse  et  de  la  science  de  Dieu,  que  vos 
voies  sont  incompréhensibles  !  s'écrie  le 
grand  Apôtre.  O  impuissance  trop  bornée  do 
ténèbres  et  de  la  faiblesse  de  l'homme,  je  ne 
puis  parler,je  ne  fais  que  bégayer  !  s'écriait 
Jérémie.  O  témérité  de  l'esprit  humain  de 
vouloir  entrer  dans  l'explication  d'un  mys- 
tère ineffable!  disait  autrefois  saint  Hilaire 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SURIAN. 


il  76 


Savante,  ici  confondez-vous,  et  n'entrepre- 
nez point  de  pénétrer  dans  des  chefs- 
d'œuvra  de  la  majesté  divine  dont  la 
glcire  vous  accablerait.  Humilions-nous 
donc,  mes  frères,  et  nous  en  tenant  à  la  sim- 
ple créance  du  mystère,  contentons-nous  de 
profiter  des  grâces  que  les  trois  personnes 
divines  nous  offrent  ;  c'est  à  leur  nom  que 
nous  sommes  baptisés  et  toute  notre  dignité 
consiste  dans  la  qualité  de  chrétien  que  nous 
recevons  sur  les  fonts  du  baptême  au  nom 
du  Père,  et  du  Fils,  et  du  Saint-Esprit  :  Eunte$ 
ergo  etc.  Mais  à  quoi  nous  servira  d'être 
l'ouvrage  de  l'adorable  Trinité,  si  nous  n'y  ré- 
pondons par  notre  sainteté?  car  si  rien  n'est 
aujourd'hui  plus  commun  dans  le  monde 
que  le  nom  de  chrétien,  rien  anssi  n'y  est 
plus  rare  que  de  l'être  et  de  remplir  di- 
gnement les  devoirs  essentiels  d'une  voca- 
t  on  si  sainte  :  c'est  ce  qui  nous  accable  d'af- 
fliction, et  qui  nous  est  un  nouveau  sujet  de 
larmes  ;  car  s'il  ne  s'agissait  que  de  former 
entre  nous  une  société  humaine,  si  nous 
n'étions  appelés  qu'à  être  sages,  réglés,  offi- 
cieux, complaisants,  équitables,  quelque 
corruption  qui  règne  dans  le  monde,  on  trou- 
verait encore  des  hommes  de  ce  caractère  ; 
et  parmi  vous,  comme  parmi  les  Juifs,  on 
verrait  encore  beaucoup  d'honnêtes  gens  se- 
lon le  monde;  mais  depuis  notre  baptême  ce 
n'est  point  assez  pour  nous  d'être  sages, il  nous 
faut  être  chrétiens;  nous  composons  un  corps 
de  fidèles,  quia  reçu  des  lois  pures  et  céles- 
tes :  notre  vocation  est  d'être  chrétien  ,  c'est 
à-dire  un  autre  Jésus-Christ  :  Christianus 
alter  Christus  ;  voilà  ce  qu'il  faut  être,  et  ne 
le  pas  être,  c'est  la  damnation  éternelle,  etc. 
(  Le  reste  se  trouve  jusqu'à  la  fin  dans  le 
Sermon  sur  les  obligations  du  Chrétien  Ger- 
mon II  du  Carême,  col.  707]  ) 

SERMON   VI. 

POUR    LA   FÊTE    DU    SAINT    SACREMENT. 

A.feraïaus  ad  nos  i~cam  Domini  et  veniat  in  médium 
nostri,  ut  salvet  nos  de  manu  inimiccruro.  (I  Reg.,  IV.) 

Apportons  ici  l'arche  d'alliance  du  Seigneur  el  qu'elle 
vienne  au  milieu  de  nous,  afin  qu'elle  nous  sauve  de  la  main 
de  nos  ennemis. 

Ce  n'était  pas  sans  raison,  mes  frères,  que 
les  Israélites  mettaient  leur  confiance  en 
l'arche  d'alliance;  mille  fois  ils  avaient  res- 
senti les  effets  de  sa  puissante  protection,  et 
la  regardant  comme  un  gage  certain  de  la 
présence  de  Dieu  parmi  eux,  rappelant  tant 
de  batailles  gagnées,  tant  de  conquêtesfaites, 
tant  de  victoires  remportées,  les  murs  de 
Jéricho  tombés  en  présence  de  l'arche,  ils 
se  croyaient  invincibles  avec  cette  marque 
de  secours  du  Seigneur  :  Afferamus  ad  nos 
arcam,  etc. 

Tant  qu'ils  furent  fidèles,  leur  espérance 
ne  fut  pas  confondue  ;  mais  ils  éprouvèrent 
bientôt  pour  leur  malheur,  qu'ils  se  flattaient 
mal  à  propos  d'un  secours  dont  ils  s'étaient 
rendus  indignes,  que  leur  défaite  précédente 
n'était  qu'une  suite  de  la  peine  due  à  leur 
infidélité;  que  tandis  que  cette  mauvaise 
cause  subsisterait,  ils  ne  devaient  uoint  at- 


tendre de  meilleur  succès  ;  que  le  même 
Dieu  qui  leur  avait  promis  sa  protection  et 
la  gloire  de  la  victoire  pendant  qu'ils  lui  de- 
meureraient attachés,  les  avait  aussi  mena- 
cés des  plus  sensibles  disgrâces,  lorsqu'ils 
tomberaient  dans  l'ingratitude;  et.  en  effet,  la 
ruine  entière  de  leur  armée,  la  désolation 
de  tout  le  peuple,  la  prise  de  l'arche  sainte, 
la  mort  du  grand,  prêtre  et  de  ses  deux  fils, 
ne  fut  que  la  juste  punition  de  leurs  crimes  : 
Raina  magna  facta  est  in  populo,  insuper  et 
duo  filii  tui  mortui  sunt  et  arca  Deicapta  est. 
Ici,  chrétiens  ne  tremblez-vous  pas,  et  si, 
comme  le  peuple  d'Israël,  vous  marquez  en 
ce  jour  de  triomphe  tant  d'empressement  et 
de  zèle  pour  l'arche  de  la  nouvelle  alliance, 
dont  l'ancienne  n'était  que  la  figure,  et  que 
l'Eglise  fait  porter  au  milieu  de  nous  avec 
tant  de  pompe  et  de  solennité,  ne  devez-vous 
pas  craindre  que  vos  crimes  et  vos  ini- 
quités ne  vous  rendent  indignes  de  tous  les 
secours  et  de  toutes  les  grâces  qui  y  sont  at- 
tachés; je  sais  que  par  un  privilège  vous  avez 
le  bonheur  de  posséder  parmi  vous  ce  Dieu 
fort  et  puissant,  capable  de  vous  délivrer  de 
tous  vos  ennemis  ;  il  va  pendant  huit  jours  se 
montrer  de  plus  près  et  plus  sensiblement 
que  pendant  tout  le  reste  de  l'année,  aux 
yeux  de  notre  foi,  et  vous  pouvez  le  recevoir 
non  en  figure  et  dans  vos  maisons,  mais  vous 
nourrir  de  sa  chair  adorable,  et  vous  incor- 
porer réellement  celui  qui  est  la  vérité  de 
toutes  les  figures. 

Mais  l'auguste  cérémonie  qui  nous  appro- 
che si  près  de  notre  Dieu,  trouve-t-elle  en 
nous  des  dispositions  qui  répondent  à  la  so- 
lennité de  l'Eglise,  et,  en  voyant  le  sacré 
corps  de  Jésus-Christ  qui  se  mêle  parmi  nous 
avec  tant  detendresse  et  tantde  familiarité, lui 
préparez-vous  une  place  et  dans  votre  esprit 
et  dans  votre  cœur,  car  c'est  là  bien  [dus  que 
sur  un  autel  qu'il  veut  habiter;  vous  sentez- 
vous  animés  d'une  foi  vive  pour  croire  ce 
mystère  ,  vous  trouvez-vous  remplis  d'une 
pureté  parfaite  pour  recevoir  le  sacrement; 
c'est  là  ce  que  nous  allons  examiner  dans  les 
deux  partis  de  ce  discours,  etc. 

(Le  surplus  se  trouve  tout  entier  dans  le 
Sermon  sur  les  dispositions  à  la  communion 
[sermon  XXIX  du  Carême,  col.  1087],  jus- 
qu'à la  péroraison. 

PÉRORAISON. 

Ici,  Messieurs,  je  m'aperçois  que  l'alterna- 
tive vous  alarme  et  que  vous  paraissez  cons- 
ternés; le  précepte  d'uncôlé,  votre  indignité 
de  l'autre  vous  jettent  dans  un  trouble  si 
violent,  que,  malgré  vous,  il  devient  sensible 
et  paraît  au  dehors.  Ah!  calmez -vous  en 
vous  convertissant,  c'est  le  seul  parti  que 
vous  avez  à  prendre  ;  et  aujourd'hui  que  vous 
êtes  forcés  de  communier,  que  le  comman- 
dement presse  ,  mettez-vous  en  état  de  le 
bien  faire;  disposez-vous  par  une  foi  vive  et 
une  pureté  chrétienne  à  recevoir  un  Dieu 
qui  vient  à  vous;  rapprochez  vos  mœurs  de 
la  sainteté  de  votre  baptême,  reformez  votre 
conduite  sur  la  règle  de  1'Kvangile  ,  et  con- 
sacrez-YOUs  tout  entier  à  Jésus-Christ  comme 


4177 


MYSTERES  ET  FETES.  —  SERMON   VI  ,  POUR  LA  TOUSSAINT. 


U78 


il  se  donne  entièrement  à  vous;  soumettez 
votre  esprit  et  purifiez  votre  cœur,  répondez 
comme  il  faut  à  tant  d'amour,  et  vous  dispo- 
sez à  recevoir  ce  Sauveur  aimable  avec  une 
entière  préparation  |  qui  vous  rende  dignes 
de  l'honneur  qu'il  vous  fait,  des  biens  qu'il 
vous  offre,  et,  pleins  de  reconnaissance  et  de 
tendresse ,  dites-vous  à  vous-mêmes  :  ah  ! 
voici  un  Dieu  qui  vient  intérieurement  re- 
nouveler en  moi,  par  ses  mystères,  tout  ce 
qu'il  ût  de  plus  merveilleux  pour  les  Israé- 
lites ;  voici  cette  manne   toute  céleste  qui 
peut  nous  soutenir  dans  toutes  les  faiblesses 
de  cette  vie  passagère;  voici  ce  breuvage  dé- 
licieux  qui  désaltère  l'âme  juste;  la  voilà 
cette  arche  vivante,  qui,  renfermant  le  Saint 
des  saints  et   le  Dieu  des  armées,  combat 
pour   nous    victorieusement ,  et  nous  fait 
triompher  de  tous  nos  ennemis  ;  le  voici  sur 
nos  autels,  cet  Agneau  sans  tache,  sacrifié 
pour  nous  délivrer  du  plus  malheureux  es- 
clavage ;  approchons-en  ,  et  nous  en  appro- 
chons dignement ,  et  nous  prosternons   en 
sa  présence,  afin  de  voir  finir  tous  nos  mal- 
heurs :  Afferamus  ad  nos  arcam,  etc.  Le  voici 
ce  roi   des  siècles  le  plus  magnifique,  qui 
vient  triompher  de  nos  cœurs  rebelles,  qui 
veut  faire  sa  demeure  dans  nos  âmes,  et  qui 
n'a  institué   le  sacrement  auguste   de  son 
corps,  que  pour  nous  rendre  participants  de 
sa  substance  et  de  sa  divinité;  le  voici,  ce 
Dieu  de  bonté,  qui,  oubliant  sa  gloire,  comme 
s'il  ne  pouvait  être  heureux  sans  nous,  s'en- 
veloppa sous  de  viles  espèces,  se  cache  sous 
les  apparences  du  pain  pour  nous  servir  de 
nourriture  sur  la  terre,  comme  il  en  sert  aux 
anges  dans  le  ciel  ;  le  voici  enfin ,  ce  Pasteur 
charitable  qui  vient  à  nous  préférablement 
à  tant  d'autres  qui  croupissent  dans  l'erreur 
et  dans  l'idolâtrie,  et  qui ,  crainte  que  ses 
brebis  ne  périssent,  leur  procure  les  plus  dé- 
licieux pâturages,  qui  est  sa  chair,  et  sa  pro- 
pre substance  :  Afferamus  ad  nos  arcam  fœde- 
ris.  En  un  mot,  redevenez  chrétiens,  et  alors 
présentez-vous  à  la  table  sacrée  :  qui  vous 
arrête  encore?  Prenez  et  mangez,  et  cette 
même  Eucharistie,  qui  aura  été  reçue  avec 
lès  mêmes   dispositions   nécessaires,   sera 
dans  votre  âme  un  germe  de  salut  et  de  grâce 
sur  la  terre,  et  ane  semence  de  gloire  et  d'im- 
mortalité dans  J  î  ciel  :  germai  gratiœ,  semen 
gloriœ.  Je  vous  le  souhaite  au  nom  du  Père, 
et  du  Fils,  et  du  Saint-Esprit.  Amen. 

SERMON  VIL 


POUR    LE    JOUR    DE    LA    TOUSSAINT. 

Ideoque  et  nos  tantam  habentesimpnsitam  nubpm  tPS- 
tium  per  patienliam  eurramus  ad  propositum  nobis  cer- 
tamen.  (Hebr.,  XII.) 

Puisque  nous  sommes  environnés  d'une  si  grande  nuée  de 
témoins,  mettant  tout  le  reste  à  l'écart,  courons  avec  persé- 
vérance vers  le  combat  qui  nous  est  proposé. 

Lorsque  je  considère  la  loi  de  Jésus-Christ 
méditée  avant  tout  le  temps  dans  le  conseil 
d'en  haut,  prédite  dans  l'ancienne  loi  par 
une  longue  suite  de  prophètes,  figurée  par 


tant  de  sacrements  divers,  ébauchée  dans  la 
personne  de  tant  de  patriarches  illustres,  par 
une  multiplicité  de  signes  surprenants,  re- 
nouvelée, perfectionnée  ou  plutôt  consom- 
mée parla  naissance  et  par  la  mort  d'un  Dieu, 
sanctifiée  par  le  sang  d'une  foule  de  martyrs, 
croissant  et  se  fortifiant  dans  la  suite  par  les 
persécutions  et  les  opprobres;  s'assujettissant 
les  trônes  et  les  empires  par  la  force  de  ses 
lois,  combattant  sans  cesse  les  maximes  du 
siècle  et  les  erreurs  par  l'autorité  de  sa  doc- 
trine, et  remportant  toujours  de  nouvelles 
victoires  sur  les  puissances  de  l'enfer,  cou- 
ronnée enfin  après  ces  combats,  et  triom- 
phante au  ciel  par  cette  troupe  innombrable 
de  saints  dont  nous  honorons  aujourd'hui  la 
mémoire,  je  confesse  hautement  que   c'est 
ici  le  doigt  de  Dieu,  l'effet  de  sa  puissance, 
le   chef-d'œuvre  de  sa  sagesse  ,  et  je  suis 
forcé  de  m'écrier  avec  un  prophète  :0  Israël  1 
que  la  maison  du  Seigneur  est  grande,  qu'elle 
est  pleine  de  beauté,  qu'heureux  ceux  qui 
lui  appartiennent  !  quelle  est  la  nation  qui 
peut  se  vanter  d'avoir  un  Dieu  comme  le 
nôtre,  mais  quelle  autre  religion  peut  aussi 
se  glorifier  d'avoir  des  disciples  comme  les 
chrétiens  ?  Laus  ejus  in  Ecclcsia  sanctorum 
lœtetnr  Israël  in    eo  qui  fecit  eum.    (Psal. 
CXL1X.)  Mais  l'Eglise  ne  borne  point  là  toute 
son  attention  ;  plus  occupée  du  salut  de  ses 
enfants  que  de  sa  propre  gloire,  le  motif  de 
ses  plus  grandes  solennités  se  réduit  à  l'ins- 
truction de  leurs  plus  importants  devoirs,  et 
si  elle  ouvre  en  ce  jour  les  portes  de  la  cé- 
leste Jérusalem,  c'est  bien  plutôt  pour  nous 
y  laisser  voir  une  foule  de  témoins  qui  dé- 
posent contre  nous    par  l'exemple  édifiant 
de  leur  vie,  qu'une  troupe  de  bienheureux 
qui  nous  amuse  par  le  pompeux  spectacle  de 
leur  félicilé  ;  et  c'est  dans  cet  esprit  que  saint 
Paul  produisait  cette    foule  de  justes  aux 
yeux  des  Hébreux,  non  pas  comme  une  suite 
d'ancêtres   illustres  dont  ils  se  glorifiaient 
d'être  les  enfants,  mais  comme  une  nuée  de 
témoins  irréprochables  qui  se  faisaient  en- 
tendre à  eux,  soit  pour  condamner  la  fausse 
idée  qu'ils  avaient  de  la  perfection  évangéli- 
que,  soit  pour  confondre  la  vanité  des  pré- 
textes qu'ils  cherchaient,  pour  autoriser  la 
lâcheté  de  leur  conduite  :  Ideoque  et  nos  tan- 
tam habentes ,  etc. 

C'est  dans  le  même  esprit  que  l'Eglise  au- 
jourd'hui nous  propose  cette  grande  multi- 
tude de  saints  qui  habitent  la  célci-te  patrie, 
et  qu'elle  les  produit  à  vos  yeux  comme  au- 
tant de  témoins  qui  condamnent  vos  fausses 
vertus  et  confondent  vos  frivoles  excuses. 
En  condamnant  nos  fausses  vertus,  ils  nous 
apprennent  que  nous  devons  être  saints 
comme  eux;  en  confondant  nos  vaines  excu- 
ses, ils  nous  apprennent  que  nous  pouvons 
être  saints  aussi  bien  qu'eux;  et  voilà  les 
deux  conséquences  dont  je  compose  ce  dis- 
cours, parce  qu'elles  doivent  être  le  fruit 
solide  de  la  solennité  de  ce  grand  jour.  Fasse 
le  ciel  que  ma  voix  puisse  le  produire  en 
vous,  avec  la  grâce  de  celui  qui  fait  les 
saints  et  dont  nous  allons  implorer  le  se- 
cours par  l'entremise  de  Marie.  Ave,  Maria. 


1173 


PREMIER    POINT. 

Si  les  règles  du  salut  étaient  purement 
arbitraires  comme  celles  de  la  sagesse  du 
siècle,  et  si  on  pouvait  parvenir  à  se  sauver 
dans  le  monde  aux  conditions  que  la  plu- 
part veulent  y  établir,  l'exemple  des  saints 
ne  servirait  point  de  témoignages  contre 
nous  ;  les  justes  morts  pourraient  paraî- 
tre à  nos  yeux  sans  condamner  les  pécheurs 
vivants,  et  il  nous  serait  permis  d'en  faire 
l'éloge,  sans  craindre  le  honteux  reproche 
de  ne  point  être  ce  qu'ils  ont  été;  mais  s'il 
est  vrai  que  leur  conduite  doive  servir  de 
règle  à  la  nôtre,  il  faut  convenir  qu'ils  dépo- 
seront contre  la  plupart  de  nous ,  soit  qu'on 
envisage  l'ordre  et  la  régularité  des  vertus 
qu'ils  ont  pratiquées,  soit  qu'on  en  considère 
le  caractère  et  le  fond.  Par  l'un  ils  paraissent 
comme  des  hommes  appliqués  h  se  sancti- 
fier dans  la  place  que  Dieu  leur  avait  mar- 
quée, par  l'autre  ils  paraissent  comme  des 
hommes  devenus  saints,  en  donnant  à  Dieu 
la  place  qui  lui  convient;  et  ces  deux  cir- 
constances qui  ne  sont  que  l'abrégé  de  l'his- 
toire de  la  vie  des  saints,  sont  un  juste  sujet 
de  condamnation  de  la  nôtre.  Appliquons- 
nous-y,  et  en  reconnaissant  ici  l'injustice  de 
nos  erreurs,  apprenons  l'étendue  de  nos  de- 
voirs. Je  parle  d'abord  d'un  ordre  et  d'une 
régularité  de  conduite  qui  fixe  les  saints 
dans  les  places  que  Dieu  leur  avait  marquées, 
et  qu'il  ne  leur  permet  pas  d'en  chercher  ail- 
leurs d'autresque  celles-là.  Ce  n'est  pas  queles 
conditions  et  les  places  différentes  des  leurs, 
n'aient  jparu  à  leurs  yeux  aussi  légitimes 
parmi  eux,  qu'elles  le  paraissent  parmi  nous; 
la  maisonsainte  est  corn  posée  de  toute  sorte 
de  peuple,  de  toute  tribu,  de  toute  nation  , 
dit  saint  Jean,  et  il  nous  y  fait  remarquer  des 
conditions  et  des  places  de  toutes  les  sortes  ; 
mais  à  travers  de  cette  diversité  de  partie 
qui  forma  le  corps  de  Jésus-Christ,  n'atten- 
dait pas  d'y  trouver  des  membres  déplacés 
qui  défigurent  ce  corps  régulier;  n'attendait 
pas  d'y  trouver  des  vertus  apparentes  de 
choix,  de  caprices,  d'humeurs,  qui  ne  sont 
rien  moins  que  le  fruit  de  la  vérité  et  de  la 
grâce,  et  qui  sous  prétexte  de  sanctifier  toutes 
les  conditions,  ne  sont  qu'un  monstre  de  re- 
ligion qui  les  dérange  toutes  et  n'en  sanc- 
tifie aucune.  Telles  sont  les  vertus  qu'on  se 
propose  tous  les  jours  dans  le  monde  et  qui 
donne  le  change  a  tant  d'âmes  abusées;  delà 
ces  sentiments  et  ces  plaintes  injustes  qu'on 
forme  si  souvent  sur  son  état,  et  ces  repro- 
ches qu'on  semble  faire  à  la  Providence  qui 
nous  y  a  placés,  comme  si  c'était  à  elle  et  non 
point  à  la  coupable  négligence  des  hommes 
qu'on  dût  attribuer  sa  propre  porte.  De  là 
ces  vicissitudes,  ces  dégoûts  dont  on  se  fait 
une  fausse  idée,  et  sur  lesquels  on  bâtit  un 
faux  système  de  piété  chimérique  qui  ne 
peut  se  soutenir;  de  là  cette  scrupuleuse 
confiance  dans  certains  devoirs  journaliers, 
sur  lesquels  on  se  repose  entièrement,  tan- 
dis qu'on  néglige  l'essentiel,  qu'on  ne  compte 
pour  rien;  enfin,  une  infinité  de  désordres 
ti  d'égaremcnls  que  les  grands  maîtres  de  la 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SURIAN.  1180 

morale  ont  regardés  comme  des  oostacles  à 
la  sainteté,  parce  qu'ils  en  ruinent  le  prin- 
cipe et  renversent  l'ordre  de  la  divine  pré- 
destination :  d'où  vient  tout  cela?  C'est  qu'on 
ne  veut  pas  comprendre  cette  parole  de  l'a- 
pôtre que  Jésus-Christ ,  dans  la  plénitude 
des  temps  donne  à  chaque  condition  cer- 
taines mesures  de  grâces  qui  doivent  déci- 
der de  sa  destinée  pour  l'éternité;  c'est  qu'on 
ne  veut  pas  des  devoirs  de  cet  état  et  de 
cette  condition,  faire  le  principal  objet  de 
son  attention  et  la  matière  ordinaire  de  ses 
travaux;  on  se  sent  plein  de  zèle  pour  autre 
chose  et  on  ne  s'en  sent  aucun  pour  celle-ci. 
Cette  régularité  de  domestique  ne  nous  plaît 
point,  cette  uniformité  de  conduite  n'est 
point  de  notre  goût;  on  ne  saurait,  s'assujet- 
tir à  faire  l'œuvre  de  Dieu  dans  la  condition 
où  l'on  se  trouve  :  on  soupire,  on  court  après 
une  situation  qui  nous  convienne  plus;  au 
lieu  de  celles  qui  nous  sont  marquées,  nous 
en  voulons  d'autres;  et  par  l'inutile  désir  de 
faire  ce  qu'on  ne  doit  pas,  on  croitse  dispen- 
ser de  faire  ce  qu'on  doit  pour  se  sauver. 

Or,  je  vous  le  demande,  si  les  saints  que  l'E- 
glise nous  propose  pour  exemple  en  avaient 
usé  de  même  ,  mériteraient-ils  nos  éloges? 
qu'en  penseriez-vous,  et  qu'en  penserait 
l'homme,  tout  corrompu  qu'il  est?  Non,  non  l 
rendons  plus  de  justice  à  la  sagesse  des  rè- 
gles de  notre  sainte  religion,  et  ne  cher- 
chons parmi  tant  d'hommes  justes  aucune 
de  ces  vertus  étrangères  qui  en  troublent 
l'ordre  et  la  sainte  harmonie.  Tout  prêche 
ici  les  desseins  adorables  que  le  Sauveur  a 
formés  sur  ses  élus;  tout  paraît  à  sa  place, 
et  soumis , à  ses  justes  vues;  dans  les  saints 
engagements  du  mariage ,  comme  dans  les 
vœux  du  célibat;  au  milieu  du  siècle,  comme 
au  fond  du  cloître  ;  et  parmi  les  embarras  du 
monde,  comme  dans  la  tranquillité  des  dé- 
serts: rois,  sujets,  princes,  roturiers,  guer- 
riers ,  philosophes  ,  magistrats ,  pères  de  fa- 
mille, enfants,  maîtres,  serviteurs,  nous 
les  voyons  tous  parvenir  aux  mêmes  termes; 
il  n'y  en  a  pas  un  seul  qui  n'y  soit  arrivé 
par  les  routes  particulières  que  Dieu  lui  a 
marquées  :  quelle  fut  aussi  leur  application 
à  discerner  ces  mêmes  routes  et  à  les  étudier; 
quelle  scrupuleuse  attention  ,  pour  ne  pas 
s'y  méprendre  ;  quelle  délicatesse  de  cons- 
cience à  rechercher  s'ils  étaient  où  Dieu  vou- 
lait qu'ils  fussent;  quelle  sollicitude  pour  se 
redresser  et  réparer  les  défauts  de  leur  vo- 
cation, s'ils  avaient  le  malheur  de  s'y  trom- 
per; quelle  résignation  et  quel  soin  pour  se 
faire  de  la  place  où  ils  étaient  des  occasions 
journalières  de  mérites.  Ah!  c'est  qu'ils 
étaient  vivement  pénétrés  que  le  salut  de 
l'homme  est  un  ouvrage  d'ordre  et  de  sa- 
gesse, qui  ne  se  mesure  point  sur  les  capri- 
ces et  la  vicissitude  de  l'esprit  humain;  que 
cette  grâce  d'élection,  d'où  dépend  notre  des- 
tinée, n'est  pour  nous  qu'un  assemblage  de 
divers  moyens,  qui  nous  sont  marqués  de  la 
main  du  Tout-Puissant,  mais  qu'on  ne  trouve 
qu'en  marchant  dans  sa  vocation  :  ut  dùjne 
ambuletis  vocatioyn  qua-vocati  estis.  (Ephes., 
IV.)  On  se   trompe  donc,  si  on  les  cherche 


USi 


MYSTERES  ET  FETES.  —  SERMON  VL3,  POUR  LA  TOUSSAINT. 


1182 


ailleurs,  et  c'est  donc  injustement  qu'on  se 
plaint  de  ne  pouvoir  les  y  trouver;  c'est  inu- 
tilement, dit  saint  Jérôme,  qu'on  cherebe  à 
faire  des  œuvres  éclatantes,  si  l'on  n'est  cer- 
tain qu'elles  sont  de  son  état,  et  en  vain  se 
fatigue-t-on  à  faire  de  grands  pas  et  de  péni- 
bles courses  pour  arriver  au  terme,  si  on 
est  bors  le  chemin  et  la  voie  qui  y  conduit  : 
inagni passas,  sed  extra  viam. 

Cependant,  cet  ordre,  cette  régularité  de 
conduite  qui  nous  fixe  dans  l'état  où  la  Pro- 
vidence nous  a  placés,  ne  suffit  |  as  pour  le 
salut ,  ce  n'est  encore  que  le  plan  et  la  voie 
de  la  fidélité  chrétienne  :  il  s'agit,  en  second 
lieu,  d'y  marcher,  et  ce  n'est  que  l'accomplis- 
sement des  devoirs  qui  en  décide  ;  or  com- 
ment les  saints  y  ont-ils  marebés  si  fidèle- 
ment, et  où  sont  ils  arrivés  à  ce  degré  de 
perfection,  qui  les  élève  à  un  si  haut  degré 
de  gloire  dans  le  ciel? 

Ici,  Messieurs,  vous  n'attendez  pas  que  je 
vienne  vous  faire  une  histoire  suivie  de 
cette  multitude  innombrable  de  justes  qui 
ont  fourni,  de  siècle  en  siècle,  la  matière  de 
tant  de  pieux  volumes;  c'est  à  vousà  parcou- 
rir ces  livres  sacrés ,  qu'une  longue  et  fidèle 
tradition  doit  vous  rendre  respectable ,  et 
dont  l'Eglise  vous  offre  la  lecture.  Mais  sans 
entreprendre  un  détail  au  delà  de  mes  for- 
ces et  du  temps  qui  m'est  prescrit,  il  suffit  de 
vous  dire  que,  si  les  saints  ont  tous  cherché 
leur  sanctiûeatioû  dans  les  places  où  Deu 
les  avait  mis  ,  ils  ne  sont  devenus  saints, 
qu'en  donnant  à  Dieu  dans  leur  cœur  la  place 
qui  lui  convient  ;  ils  pouvaient  le  devenir 
sans  ce  zèle  immense,  sans  ces  travaux  infa- 
tigables ,  sans  ces  mortifications  excessives  , 
sans  ces  succès  glorieux,  dont  ils  furent  les 
prodigieux  instruments;  ils  pouvaient  le  de- 
venir sans  le  secours  et  réglât  de  certaines 
actions  héroïques  que  la  grâce  leur  ins- 
pire; mais  pas  un  seul  ne  pouvait  l'être  sans 
cet  amour  de  préférence ,  qu'ils  eurent  tous 
pour  Dieu  pendant  toute  leur  vie:  voilà  le 
sens  et  le  fond  de  leur  sainteté  ,  et  voilà  la 
règle  que  la  relig'onnous  prescrit  peur  être 
saint  comme  eux,  mettre  Dieu  au-dessus  de 
tout,  etc.;  nous-mêmes  au-dessous  de  Dieu, 
règle  courte  et  qui  renferme  en  deux  mots 
tous  les  devoirs  (Je  1  homme  chrétien,  règle 
sûre  et  infaillible,  qui  conduit  droit  à  la  per- 
fection; règle  commune  et  générale  qu;,  sans 
excepter  un  seul  état,  ni  en  prescrire  aucun 
en  particulier,  les  assujettit  tous  à  la  même 
loi,  mais  dont  le  Yiolement  fait  tout  le  dé- 
sordre de  l'homme  dans  la  religion.  Car,  que 
chacun  entre  dans  l'examen  de  sa  conduite, 
et  qu'il  juge  de  la  fidélité  qu'il  apporte  aux 
devoirs  de  son  état  :  où  trouve-t-on  cet 
amour  de  préférence  ,  qui  donne  à  Dieu  la 
première  place  dans  notre  âme,  et  qui  en 
fasse  l'objet  dominant  notre  cœur?  Hélas  1 
on  la  trouve  quelquefois  peut-être  dans  les 
saillies  d'une  imagination  échauffée,  dans  la 
pointe  de  l'esprit  qui  conçoit  une  idée  con- 
fuse et  vague  de  ce  qu'on  doit  à  Dieu  ,  mais 
qui  ne  donne  rien  moins  que  dans  la  prati- 
que constante  d'une  parfaits  et  sincère  cha- 
rité. Où  la  trouve-t  on  ?  peut-être  dans  cer- 


taines âmes  où  la  force  d'une  habitude  con- 
traire ne  dispute  point  à  Dieu  l'empire 
qu'il  doit  avoir  sur  nous.  Mais  s'agit -il  ici 
de  sacrifier  quelque  chose  à  la  pénitence  et 
à  la  piété?  ah  1  c'est  alors  qu'on  met  tou- 
jours le  salut  à  l'écart,  et  qu'on  peut  dire 
avec  Salvien  :  que  Dieu  seul,  en  concurrence 
avec  tout  le  reste,  a  toujours  le  dessous  dans 
le  cœur  de  l'homme  ;  c'est  alors  que  la  ba- 
lance des  hommes  devient  injuste  ,  que  le 
moindre  intérêt,  dit  ce  Père,  le  moindre  plai- 
sir, le  moindre  honneur,  l'emporte  sur  l'a- 
mour du  Créateur,  sur  la  gloire  et  l'avan- 
tage de  le  servir ,  et  qu'une  pièce  de  mon- 
naie devient  souvent  d'un  plus  grand  poids 
dans  le  cœur  d'un  chrétien,  que  toute  la  ma- 
jesté et  les  bienfaits  infinis  de  son  Dieu. 

Mais  il  faut  du  courage,  dira-t-on  peut- 
être  ;  cet  amour  de  préférence  est  difficile 
et  coûterait  trop  à  pratiquer  dans  les  occa- 
sions ;  j'en  conviens,  et  c'est  une  vérité 
constante  qu'on  ne  doit  point  mettre  en 
question.  Aussi  les  sa:nts  ne  manqueront 
point  d'en  faire  tout  le  plan  de  leur  con- 
duite, bien  convaincus  que  la  voie  étroite 
est  celle  des  élus,  et  que,  depuis  les  jours 
de  Jean-Baptiste,  le  royaume  des  cieux  souf- 
fre violence;  or,  voilà  ce  qui  fait  qu'on  se 
trompe,  et  ce  qui  met  en  évidence  la  faus- 
seté des  vertus  qu'on  se  choisit  soi-même. 
On  convient  qu'il  faut  se  sauver,  on  le  veut 
même,  dit-on,  mais ,  si  on  ne  pèche  pas 
dans  le  principe,  on  pèche  dans  les  consé- 
quences ;  on  ne  suppose  pas  que  le  salut  soit 
un  ouvrage  qui  n'est  le  fruit  que  d'un  tra- 
vail pénible  et  assidu,  ou  ne  se  persuade  pas 
fortement  qu'il  faille  porter  sa  croix,  et  ex- 
primer en  soi  certains  traits  de  ressemblance 
et  de  conformité  avec  Jésus-Christ.  On  se  dit 
que  Dieu,  bon  comme  il  est,  n'en  n'exige 
pas  tant  de  l'homme;  que  ce  langage,  qu'on 
tient  de  Jésus-Christ,  est  un  langage  nou- 
veau qui  scandalise  et  révolte  les  esprits; 
enfin,  on  veut  être  saint,  mais  sans  violence, 
sans  combats,  sans  qu'il  en  coûte  rien  à  la 
délicatesse  et  à  la  sensualité-,  et  sans  rien 
sacrifier  de  ce  qui  fiatte  l'amour-piopre  et 
qui  tient  le  plus  au  cœur.  Ahl  fausses  ver- 
tus, vains  fantômes  de  piété  et  de  religion; 
le  monde  ne  vous  recevrait  pas  et  on  vou- 
drait que  Dieu  s'en  contentât;  le  monde  les 
refuserait  de  ses  partisans,  et  on  croira  que 
Dieu  veuille  les  agréer  de  ?es  enfants  !  On 
donne  au  monde  tous  ses  soins  quand  il 
s'agit  d'une  affaire'lemporclle,  et  on  aura  le 
front  d'en  disputer  à  Dieu  la  meilleure  j  ar- 
tic,  dès  qu'il  s'agit  d'une  affaire  éternelle, 
et  on  ne  rougira  pas  de  mettre  son  salut  à 
plus  lias  prix  qu'une  fortune  de  quelques 
années!  Ah  !  ces  sentiments  s'accordeiU-ils 
bien  avec  les  règles  de  votre  religion  1  Cette 
préférence  est  difficile,  dites-vous ,  et  il  en 
coûterait  pour  en  supporter  la  pratique  :  en 
doutez-vous  donc,  et  n'en  coûla-t-il  rien  aux 
saints  lorsqu'il  s'agit  de  renoncer  comme 
ils  firent  à  tout  ce  qui  les  flattait  le  plus  dans 
le  monde  et  do  sacrifier  tout  ce  qu'ils  avaient 
déplus  cher?  Ils  ne  croyaient  pas  qu'en 
donnant  au  Seigneur  la  place  qui  lui  con- 


1185 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SURIAN. 


I!84 


venait  dans  leur  cœur,  ils  en  dussent  faire 
trop  pour  lui,  et  ne  pensaient  qu'à  garder 
l'ordre  de  la  justice.  Jetons  les  yeux  sur 
ces  grands  modèles  qu'on  nous  propose  au- 
jourd'hui, et  confrontons  ce  que  nous  faisons 
pour  notre  salut  avec  ce  qu'ils  ont  fait  pour 
le  leur,  et  la  douceur  de  votre  situation  avec 
les  épreuves  de  celles  où  ils  se  trouvèrent 
sur  la  terre.  On  ne  vous  en  demande  pas  tant 
qu'à  ces  illustres  martyrs,  et  vous  n'avez 
pas  encore  résisté  jusqu'à  l'effusion  de  votre 
sang,  dit  sant  Paul;  mais,  dût-il  vous  en 
coûter  autant  qu'à  eux,  si  l'occasion  s'en 
présentait,  il  faut  que  nous  donnions  à  Dieu 
cette  préférence  sur  toutes  choses,  ou  nous 
ne  serions  chrétiens  que  de  nom  et  fidèles 
qu'à  moitié;  elle  sera  difficile,  cette  préfé- 
rence; oui,  sans  doute,  et  plus  encore  que 
vous  ne  pensez  peut-être;  mais  pour  qui? 
pour  ceux  qui  vivent  sans  prières,  sans  vi- 
gilance, sans  recueillement,  sans  attention 
à  la  grandeur  de  leurs  obligations;  mais  les 
saints,  plus  réguliers  et  plus  justes  que  les 
mondains,  ne  se  faisaient  pas  un  jeu  et  un 
amusement  frivole  de  l'affaire  du  salut.  Elle 
est  difficile?  cette  préférence;  ah  1  dites 
plutôt  qu'elle  a  des  consolations  ineffables,  et 
les  saints  vous  rendent  témoignage  des 
avantages  qu'elle  procure;  elle  est  difficile? 
ah!  dites  plutôt  qu'elle  est  abosiument  in- 
dispensable ;  et  moi  je  dirai  que  c'est  le  plus 
bas  degré  où  la  religion  puisse  mettre  le 
salut,  et  qu'elle  ne  peut  pas  en  exiger  moins 
de  ses  enfants.  Et  voici  un  principe  le  plus 
constant  et  la  règle  la  plus  sûre  que  renferma 
en  abrégé  toute  la  loi. 

On  s'alarme  quelquefois  de  certaines  vertus 
que  les  saints  ont  pratiquées,  et  qui,  en  cer- 
taines occasions  de  leur  courage,  ont  étonné 
notre  faiblesse.  Le  moyen  de  se  sauver!  et  qui 
pourra  l'être  ,  a-t-on  dit,  si  on  ne  se  sauve  qu'à 
de  telles  conditions?  Faibles  mortels,  on  veut 
bien  tolérer  vos  plaintes  ;  non,  la  religion  ne 
vous  fait  point  un  précepte  de  tous  les  conseils 
dont  les  saints  se  sont  fait  un  devo;r,  mais 
elle  veut  que  vous  vous  sauviez  par  l'ac- 
complissementdes  grands  préceptesde  la  loi  : 
elle  ne  vous  demande  pas  davantage;  elle 
ne  vous  ordonne  pas  de  tout  quitter  ce  qua 
vous  possédez,  mais  de  mettre  votre  Bltu. 
au-dessus  de  toutes  choses  sans  réserve  ;  elle 
ne  nous  commande  pas  de  tout  abandonner, 
de  tout  sacrifier,  mais  de  le  préférer  à  tout, 
et  de  ne  rien  mettre  dans  votre  cœur  en 
comparaison  avec  lui;  elle  n'exige  pas  de 
vous  ces  renoncements  réels  et  absolus  dont 
tant  de  fois  vous  avez  entendu  canoniser  le 
sacrifice  dans  les  saints  :  mais  elle  vous 
crie  que  celui  qui  aime  ses  proches,  son 
bien,  son  honneur,  son  plaisir  et  ses  com- 
modités plus  que  Dieu,  n'est  pas  digne  de 
lui  :  Qui  amat patrem,  etc.,  plus  quamme  non 
est  me  dignus,  (Mat th.,  XXXVII.) 

Laissez  donc  là  ce  que  les  saints  ont  pra- 
tiqué de  plus  parfait  et  de  plus  héroïque  ;  on 
n'en  attend  pas  tant  de  vous  pour  opérer 
votre  salut,  mais  il  s'agit  de  remettre  tout 
dans  l'ordre  que  la  Providence  a  établi  pour 
le  ïalut  de  ses  élus.  Il  s'agit  de  mettre  Dieu 


à  la  première  place,  de  toujours  le  regarder 
comme  l'objet  dominant  de  vos  actions, 
comme  la  fin  de  vos  pensées,  comme  le  terme 
de  vos  désirs;  il  s'agit  de  soutenir  et  de 
montrer  cette  préférence  entière  dans  les 
occasions  où  il  s'agira  de  concurrence  avec 
les  créatures,  et  de  pouvoir  vous  rendre  un 
sincère  témoignage,  non  par  la  quantité  des 
œuvres, non  par  l'abandon  total  de  vos  biens, 
mais  par  un  attachement  supérieur  à  tout. 
Voilà  es  qui  fait  le  fond  de  la  justice  chré- 
tienne et  l'essence  de  la  vraie  piété;  on  n'en 
demande  pas  davantage,  mais  il  n'en  faut 
pas  moins.  Voilà  les  sentiments  salutaires  que 
l'Eglise  nous  veut  inspirer  par  l'exemple  de 
ceux  qui  ont  pratiqué  la  sainteté  à  un  si  haut 
point  :  Sancti  estote,  quia  ego  sanctus  sutn. 
(Levit.,  XI)  Cet  exemple  des  saints  condamne 
donc  aujourd'hui  uos  fausses  vertus,  en  nous 
montrant  que  nous  devons  être  saints  comme 
eux;  mais  ils  confondent  encore  nos  fausses 
excuses,  en  nous  faisant  voir  que  nous  pou- 
vons être  saints  aussi  bien  qu'eux.  C'est  le 
sujet  du  second  point  de  ce  discours. 

SEC.O>'D    PQIN'T. 

Jamais  l'esprit  humain  ne  parait  plus  fé- 
cond en  erreurs  et  en  faux  prétextes  que 
lorsqu'on  lui  propose  l'affaire  du  salut,  et 
rour  s'en  convaincre  on  n'a  qu'à  examiner 
les  différentes  manières  dont  on  en  juge  dans 
le  monde  :  les  uns,  peu  instruits,  l'envisa- 
gent comme  un  ouvrage  ordinaire  et  commun 
qui  ne  demande  qu'une  partie  de  l'homme 
et  de  ses  soins;  les  autres  le  regardent,  au 
contraire,  comme  une  entreprise  trop  diffi- 
cile, à  l'exécution  de  laquelle  toutes  les  force:*, 
de  l'homme  ne  peuvent  suffire;  ceux-là  font 
consister  le  salut  dans  les  bornes  seules  d'une 
probité  qui  n'a  rien  de  solide,  et,  toujours 
contents  d'eux-mêmes,  se  persuadent  faus- 
sement qu'ils  en  font  assez  pour  être  sauvés, 
tandis  (pie  ceux-ci,  /imaginant  qu'ils  n'en 
peuvent  jamais  faire  assez,  se  découragent  à 
la  moindre  difficulté  et  ne  font  rien  pour  y 
atteindre.  Nous  avons  condamné  l'erreur  des 
premiers  ennemis  de  leur  salut,  il  importe 
maintenant  de  découvrir  l'erreur  des  der- 
niers pour  confondre  la  vanité  de  leurs  pré- 
textes; erreurs  et  prétextes,  hélas!  d'autant 
plus  déplorables  qu'ils  sont  devenus  plus 
communs  de  nos  jours  ;  car  nous  ne  sommes 
plus  dans  ces  heureux  temps  où  l'on  trouvait 
des  douceurs  jusque  dans  les  rigueurs  du 
martyre;  aujourd'hui  on  trouve  des  amer- 
tumes et  du  dégoût  jusque  dans  les  douceurs 
de  la  vertu,  et  en  matière  de  salut  on  se  fait 
peine  de  tout,  on  ne  craint  point  de  s'en 
prendre  à  la  sévérité  des  lois  du  législateur 
souverain,  comme  si  les  préceptes  ne  por- 
taient pas  avec  eux  leur  propre  justificat  on; 
mais  ce  ne  sont  là  que  des  raisons,  et  il 
faut  des  exemples  qui  soient  £  cet  esprit 
rebelle  une  conviction  sans  réplique;  et  c'est 
en  vain  qu'on  lui  propose  les  règles  les  plus 
certaines  delà  sagesse,  si  on  ne  lui  prqpcwe 
en  môme  temps  des  sages  qui  la  pratiquent. 
En  voici  donc  une  nuée  de  ces  témoins  fi- 
dèles, de  ces  grands  modèles,  qui  déposent 


1185 


MYSTERES  ET  FETES.  —  SERMON  VII,  POUR  LA  TOUSSAINT. 


i!S€ 


la  vérité  contre  eux,  qui  doutent  que  la  sain- 
teté soit  possible,  et  qui,  soit  par  leur  grand 
nombre,  soit  par  la  conformité  de  nature 
qu'ils  ont  avec  nous,  soit  par  l'attrait  de  gloire 
dont  ils  jouissent,  nous  rendent  inexcusa- 
bles si  nous  ne  les  imitons  :  trois  considéra- 
tions du  moins  aussi  importantes  que  les 
premières. 

1°  Il  est  difficile  de  courir  tout  seul  dans 
un  chemin  abandonné  où  l'on  ne  découvre 
aucun  vestige  que  d'autres  y  aient  passé.  Le 
zèle  mollit,  les  forces  manquent,  le  courage 
s'abat,  et  il  faut  une  ardeur  qui  tienne  <Tu 
téméraire  pour  se  frayer  une  route  soi-même 
que  personne  ne  connaît;  mais  il  est  bien 
plus  aisé  de  marcher  dans  une  voie  battue, 
et  quand  il  ne  s'agit  que  de  suivre  des  traces 
toutes  formées;  la  faiblesse  se  sent  fortifiée, 
la  timidité  se  dissipe,  et,  dès  qu'on  en  voit 
d'autres  marcher  devant  soi,  on  sent  relever 
son  courage,  et,  soit  par  le  désir  sincère  de 
les  imiter  par  émulation,  soit  par  la  honte  et 
les  reproches  de  ne  les  avoir  point  suivis  dans 
le  chemin  qu'ils  ont  tracé  les  premiers,  il  est 
certain  que  le  pouvoir  de  l'exemple  produit 
des  effets  merveilleux  et  qu'il  a  plus  de  force 
sur  l'esprit  que  tout  le  reste. 

Or  voilà  le  secours  puissant  que  l'Egïi.ce 
nous  propose  aujourd'hui  :  dans  ce  grand 
nombre  de  saints  dont  la  solennité  nous 
assemble,  s'il  n'y  en  avait  que  peu  qui  se 
fussent  sanctifiés  avant  nous,  notre  prétendue 
faiblesse  trouverait  peut-être  quelque  t;tre 
apparent  d'excuse  et  de  dispense;  s'il  n'y  en 
avait  que  peu,  il  nous  serait  pardonnable  de 
croire  que  Dieu,  par  son  Evangile,  ne  nous 
demande  pas  que  nous  entrions  dans  une 
voie  si  rude,  ou  que  la  sainteté  serait  au-des- 
sus de  nos  forces;  etjces  vertus  uniques  dans 
leur  espèce,  qui  convenaient  à  quelques-uns 
des  saints,  mais  qui  pourraient  ne  pas  nous 
convenir  à  nous-mêmes ,  pourraient  nous 
servir  de  quelque  prétexte  apparent:  mais 
aujourd'hui  que  nous  sommes  accablés  d'una 
si  grande  nuée  de  témoins  de  toute  nation, 
de  tout  sexe,  de  tout  pays,  de  tout  âge,  ao 
toutes  conditions,  de  quelle  excuse,  même 
apparente,  l'indolence  des  hommes  peut-elle 
se  voiler?  vous  demandez  s'il  est  possible 
de  devenir  juste  par  les  conditions  qu'on 
veut  vous  prescrire;  et  moi  je  vous  demande 
s'il  est  possible  de  ne  pas  le  devenir  après 
tant  d'exemples  qui  vous  sont  mis  devantlws 
yeux  :  le  soldat  destiné  à  soutenir  et  défen- 
dre sa  patrie,  serait-il  bien  reçu  à  la  déser- 
tion et  à  la  fuite,  tandis  qu'il  verrait  tous  ses 
concitoyens  s'exposer  au  combat  et  ne  s'épar- 
gner en  rien  pour  repousser  les  ennemis? 
lui  pardonnerait-on  sa  lâcheté  dans  une  oc- 
casion où  il  devait  le  plus  signaler  son  cou- 
rage ?  Quoi  I  la  religion  excuserait  donc  ce 
que  le  siècle  condamne? 

Grand  Dieu!  que  n'ai-je  ici  tout  le  zèle  de 
vos  prophètes  pour  confondre  tant  de  lâches 
chrétiens!  ou  plutôt  que  ne  suscitez-vous  de 
nouveaux  prophètes  aujourd'hui  pour  con- 
fondre ici  ma  lâcheté  à  moi-même  et  celle  de 
tant  d'autres?  Permettez,  Messieurs,  ce  té- 
moignage que  je  dois  à  la  vérité  et  qui  n'est 


point  le  fruit  d'une  déclaration  vaine.  Quoi  1 
sera-t-il  dit  que  la  nature  l'emporte  sur  la 
religion,  et  le  monde,  tout  injuste  qu'il  est, 
sur  Jésus-Christ  qui  est  l'équité  même  1  On 
se  laissera  entraîner  par  la  foule  et  par  le  tor- 
rent de  la  coutume,  car  quel  empire  n'aura- 
t-elle  pas  tous  les  jours  sur  nous,  et  on  ne 
se  laissera  point  gagner  par  l'exemple  d'une 
multitude  innombrable  de  saints  dont  l'éclat 
et  les  vertus  brillent  encore  à  nos  yeux.  Quoi! 
les  superbes  leçons  de  quelques  philosophes 
profanes  auront  des  charmes  et  du  pouvoir 
sur  les  gens  du  siècle,  et  les  lumières  et 
les  exemples  de  tant  d'illustres  héros  du 
christianisme  n'auront  ni  force  ni  attraits 
pour  les  chrétiens  qui  sont  enfants  de  lu- 
mière! on  ne  ménagera  ni  santé,  ni  sa  vie,  ni 
repos,  ni  fortune,  quand  il  s'agit  du  service 
du  prince;  on  verra  des  légions  intrépides 
dans  le  danger  suivre  l'exemple  du  héros  qui 
est  à  leur  tête,  courir  a  la  mort  comme  au 
triomphe,  braver  le  fer  et  le  feu  de  l'ennemi, 
et  l'exemple  de  tant  d'athlètes  généreux  ne 
sera  point  capable  de  nous  faire  faire  un  pas 
pour  le  Dieu  du  salut,  et  tout  nous  paraîtra 
insurmontable  quand  il  s'agira  de  servir  le 
maître  de  l'univers,  le  roi  des  rois!  Quelle 
est  cette  prétendue  noblesse  dont  on  se  pique 
si  fort  dans  le  monde?  ou  plutôt  qn'est  de- 
venue la  foi  de  nos  pères,  que  nous  avons 
reçue  dans  le  baptême,  et  quel  usage  en  fai- 
sons-nous? Remontez  jusqu'aux  premiers  siè- 
cles, dit  saint  Chrysostome,  vous  y  en  trou- 
verez qui,  avant  même  d'avo;r  l'Evangile  que 
vous  avez,  sans  avoir  les  mêmes  leçons  que 
vous  avez,  se  sont  sanctifiés  en  marchant  les 
premiers  dans  les  voies  du  salut;  et  pourquoi 
n'y  marchez-vous  pas  après  eux?  ceux-là,  ne 
trouvant  personne  à  imiter,  se  rendirent  les 
premiers  imitateurs  d'un  Dieu  !  Et  pourquoi 
donc  n'imiteriez-vous  pas  ces  grands  mo- 
dèles, puisqu'ils  vous  y  invitent,  non-seu- 
lement par  leur  grand  nombre,  mais  encore 
par  la  conformité  d?  leur  nature  et  de  leur 
condition?  seconde  circonstance. 

2°  En  effet,  que  pense-t-on  aujourdhui  des 
saints  que  l'Eglise  propose  à  notre  vénéra- 
tion, et  quelle  idée  s'en  forme-t-on  dans  le 
monde  quand  nous  voulons  les  citer  pour 
modèles?  On  se  figure  des  hommes  privilé- 
giés par  leur  naissance,  élevés  au-dessus 
des  infirmités  de  la  nature  et  de  la  chair,  in- 
capables de  faire  le  mal  et  de  le  connaître; 
des  hommes  humbles,  chastes,  patients,  cha- 
ritables, modérés  par  tempérament,  insensi- 
bles ch  la  misère,  aux  afflictions  et  aux  pei- 
nes de  la  vie;  on  veut  que  toutes  les  ver.us 
soient  nées  avec  eux,  et  que  semblables  aux 
anges  qui  habitent  le  ciel,  ils  n'aient  point 
eu  de  corps  mortels  et  fragiles  comme  nous 
sur  la  terre  ;  peu  s'en  faut  qu'on  n'en  fasse 
des  dieux  pour  avoir  occasion  et  prétexte  de 
ne  point  les  imiter  ;  ou  bien,  si  on  leur  donne 
des  passions  h  étouffer,  des  penchants  à  ré- 
primer, on  s'imagine  qu'ils  ont  trouvé  tout 
fait  et  tout  aplani  dans  le  siècle;  ainsi,  par 
une  espèce  de  malignité,  forcés  de  recon- 
naître la  vérité  de  leurs  vertus,  nous  osons 
les  attribuer  à  des  causes  qui  leur  sont  pro- 


liai 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SURIA^. 


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près,  pour  nous  empfcrhar  da  nous  y  con- 
former. 

O  enfants  des  hommes,  serez-vous  tou- 
jours  ingénieux  à   vous  séduire,   et,  pour 
vous  affermir  dans  votre  erreur,  opposerez- 
vous  sans  cesse  des  mensonges  étudiés  à  la 
lumière  qui  vous  éblouit.  Ah!  chrétiens,  si 
nous  refusons  d'imiter  les  saints,  soyons  du 
moins   plus   équitables  à  leur  égard,  et  si 
nous  ne  voulons  ni   combattre,  ni  vaincra 
comme  eux,  n'allons  pas  du  moins  leur  ôtcr 
la  gloire  des  combats  et  de  leur  victoire;  ils 
n'étaent  pas  plus  que  nous,  ni  d'une  nature 
plus  excellente  que  la  nôtre;  ils  étaient  de 
môme  eomplexion,  de  même  tempérament, 
de  même  faiblesse.  Il  n'^  avait  point,  aussi 
bien  que  nous,  de  ôhuts  dont  ils  ne  fussent 
capables;  et  en  vain  voudrions-nous  nous 
retrancher  dans  des  privilèges  de  pure  fan- 
taisie, puisque,  sortis  de  la  même  source  em- 
poisonnée, ils  avaient  tous  le  même  fond  de 
cupidité,  et  la  religion,  qui  nous  expose  au- 
jourd'hui leurs  vertus,  ne  nous  dissimule 
jamais  leurs  défauts  et  les  malheurs  de  leurs 
conditions  :  nonnatura  prœstantiores.  Saint 
Augustin,  se  faisant  à  lui-même  certaines 
questions  devenues  trop  célèbres  pour  vous 
être  inconnues,  plus  équitable  et  plus  sin- 
cère que  vous,  reconnaissait,  au  milieu  de 
ses  égarements  dont  il  faisait  la  confession, 
qu'il  pouvait  faire  ce  que  tant  d'autres  avaient 
fait  avant  lui,  et,  au  lieu  de  chercher  à  se 
justifier  et  à  s'excuser  comme  vous  sur  l'im- 
possibilité de  se  sanctifier  comme  les  saints, 
il  trouvait  la  matière  de  sa  confession  dans 
,a  nature  de  leurs  exemples  :  Nunquid  po- 
tero  quod  isti  et  istœ;  c'est  pour  cela  que  les 
saints  nous  sont  proposés  par  l'Eglise  comme 
autant  de  témoins  et  de  modèles  fidèles; 
nous  les  rejetons  sur  des  vaines  idées  et 
sur  des  prétextes  insensés  qui  ne  sont  faits 
que  pour  nous  ;  mais  ils  seront  confrontés 
devant  vous  au  dernier  jour,  et  co  Dieu  juste 
vous  dira  en  leur  présence  :  »  oilà  ce  que 
ces  hommes  généreux  ont  fait  tandis  qu'ils 
vivaient  sur  la  terre,  et  vous  avez  prétendu 
que  vous  ne  pouviez  pas  le  faire  aussi  bien 
qu'eux  :  Nunquid  potero  quod  isti  et  ist&  po- 
tuerunt.  Quelle  était  votre  erreur!  Oui,  ces 
hommes  faibles,   fragiles,  tentés,   pauvres, 
trahis  et  persécutés  comme  vous,  et  peut- 
être  même  plus  que  vous;  oui,  ces  hommes 
engagés  dans  le  monde,  nés  dans  l'opulence 
et  dans  la  grandeur,  chargés  du  gouverne- 
ment des  peuples,  de  la  direction  des  âmes 
comme  vous  ;  ces  personnes  jeunes,  tendres, 
délicates,  ornées  des  mêmes  qualités  et  sus- 
ceptibles  des   mêmes    passions   que   vous, 
tous  ces  justes  ont  pu  remplir  avec  fidélité 
leur  carrière  :  Nunquid  poter'is  quod  ilii,  etc  ; 
et  vous,  hommes  du  monde,  femmes  et  filles 
du  siècle,  nourris  à  la  même  table,  élevés 
dans  la  même  religion,  instruits  à  la  même 
éccle,  conduits  par  les  mêmes  vérités,  cour- 
ris  des  mêmes  secours,  eh!  vous  n'avez  pu, 
disiez-vous,  les  imiter  et  portei-  le  mémo 
joug,  et  tu  non  potuisli.  Ah!  paroles  terri- 
bles à  notre  lâcheté,  et  qui  justifieront  Dieu 
dans  ses  lois  et  s*s  préceptes;  paroles  sans 


répliques  qui  nous  confondent  dès  aujour- 
d'hui par  1  exemple  des  saints,  puisqu'ils 
étaient  sur  la  terre  des  hommes  semblables 
à  cous. 

3"  Ajoutons  à  cette  conformité  de  nature 
qu'ils  ont  avec  nous  l'attrait  des  récompenses 
dont  ils  jouissent  et  que  nous  pouvons  par- 
tager avec  eux.  C'est  par  là  qu'ils  s'animent 
dans  les  plus  rigoureuses  peines;  les  plus 
grandes  tribulations  de  cette  vie  ne  nous  pa- 
raissent que  comme  un  moment  rapide  d'une 
légère  épreuve,  si  nous  las  regardons  en 
comparaison  de  ce  poids  immense  de  gloire 
qui  nous  attend,  id  enim  quod  in  prœsenti  est 
momentané nm  et  levé  tribulutionis  nostrœ 
supra  modum  in  sub limitât e  œternum  gloriœ 
pondus  operatur  in  nobis.  (II  Cor.,  IV.) 

C'est   ainsi,  dit  saint  Chrysostome,  que, 
pour  animer  les  athlètes  dans  les  jeux  olym- 
piques, on  avait  soin  de  placer  le  prix  dans 
un  lieu  éminent,  et  qu'on  leur  criait  :  sursum 
oculos,  levez  en  haut  les  veux.  Et  voilà,  dit 
ce  Père,  ce  que  fait  l'Eglise  à  l'égard  des 
chrétiens,  en  nous  montrant  cette  troupe  de 
saints.  Elle  ouvre  les  portes  de  la  céleste  Jé- 
rusalem et  nous  dit  :  sursum  cculos  ;  elle 
nous  exhorte  d'y  considérer  le  bonheur  que 
possèdent  les  justes  :  O  vous,  nous  dit-elle, 
tristes  voyageurs  qui  vous  plaignez  de  l'â- 
preté  et  de  la  longueur  du  chemin,  tournez 
vos  yeux   vers  la  sainte  montagne  où  est 
votre  patrie,  et  voyez  dans  l'enceinte  de  ses 
murs  vos  frères  qui  vous  y  attendent  ;  vous 
qui  trouvez  tant  de  difficultés  dans  les  plus 
justes  devoirs,  ouvrez  les  yeux,  et  regardez 
vers  ce  jour  heureux  où  règne  le  Dieu  de 
vérité  et  de  gloire  avec  ses  élus  ;  c'est  là  que 
finissent  pour  toujours  les  souffiances  et  les 
travaux  de  cette  vie  passagère  ;  là  se  recueil- 
lent les  prélieux  fruits  de  justice  qu'on  a 
semés  ici-bas  dans  les   larmes  de  la  péni- 
tence; là  se  distribuent,  dans  la  tranquillité 
d'un  repos  inaltérable,  les  couronnes  immor- 
telles, les  palmes  glorieuses  qu'on  a  méritées 
en  combattant  contre  le  monde  pour  le  Dieu 
du  ciel;  là  sont  récompensés  avec  usure  les 
enfants    chéris,   ces  ouvriers   célèbres    qui 
étaient  si  fidèles  au  Père  de  famille,  et  qui 
ont  porté  le  poids  du  jour  et  de  la  chaleur 
en  travaillant  pour  la  gloire  de  son  nom;  là 
se  fait  sentir  le  comble  d'un  bonheur  qui 
est  sans  mesure  à  la  poïuession  d'un  bien 
que  rien  ne  peut  plus  altérer  ni  ravir. 

Faiblesse  humaine,  en  faut-il  hélas!  da- 
vantage pour  relever  ton  courage  et  réveil- 
ler toute  l'ardeur  de  ton  zèle  ?  11  n'en  fallait 
pas  davantage  aux  andens  athlètes:  la  seule 
espérance  d'une  couronne  corruptible  les 
animait ,  dit  saint  Paul  ;  et  on  les  voyait  bra- 
ver la  mort  et  se  présenter  avec  joie,  avec 
intrépidité  au  plus  opiniâtre  et  plus  rude 
combat ,  pour  servir  de  spectacle  à  des  hom- 
mes mortels.  Cependant,  tant  d'exemples  in- 
finiment plus  intéressants  et  un  spectacle 
mille  fois  plus  charmant  ne  touchent  guère 
las  gens  du  monde;  ces  biens  inestimables, 
qui  ont  allumé  les  désirs  et  l'ardeur  de  tant 
de  justes,  demeurent  sans  attrait  pour  nous; 
et  on  y  demeure  insensible,  comme  si  c'é- 


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MYSTERES  ET  FETES.   -    SERMON  VIII,  POUR  LE  JOUR  DES  MORTS 


HOO 


laient  de  vaines  et  chimériques  idées  qui 
n'eussent  rien  de  réel.  Est-ce  impiété?  est-ce 
engourdissement?  est-ce  infidélité?  C'est  sou- 
vent tout  cela  ensemble;   et  voilà  ce  que 
j'appelle  la  honte  de  la  religion  et  de  l'Eglise. 
Grands  saints  qui  faites  la  joie  du  ciel  1 
vous  voyez  ce  désordre  sur  la  terre ,  et  le 
même  Dieu  qui  vous  fait  connaître  la  con- 
version  des    pécheurs  ne    vous  laisse  pas 
ignorer  leurs  besoins  pour  vous  y  rendre 
sensibles.   Nous   ne  jugeons  pas   de   votre 
éloignement  par  des  espaces  mesurées  :  nous 
savons  que,   quoique  séparés  de  nous  par 
la  distance    du  corps,   qui   s'éloigne  à    la 
mort,  vous  tenez  toujours  à  nous  par  des 
liens  de  charité  qui  ne  se  corrompront  ja- 
mais. Vous  êtes  cette  troupe  chérie,  celte 
portion  choisie  d'Israël  à  qui  l'héritage  a  été 
donné;  ces  économes  fidèles,  ces  âmes  pri- 
vilégiées que  le  père  de  famille  a  établies 
sur  sa  maison  ;  vous  êtes  les  fruits  précieux 
de  son  esprit,  les  apôtres  zélés  de  son  Evan- 
gile ,  les  martyrs  glorieux  de  sa  loi ,  les  con- 
fesseurs généreux  de  son  nom,  les  confidents 
secrets  de  son  cœur;  et,  comme  tels,  nous 
croyons  que  le  Père  céleste  vous  exaucera  tou- 
jours. Mille  bouches  ouvertes,  mille  mains  le- 
vées pour  vous  prier  et  mille  grâces  descen- 
dues du  ciel  par  votre  crédit,  seront  des  monu- 
ments éternels  de  la  force  et  du  pouvoir  de 
vos  intercessions.  Renouvelez-les,   grands 
saints;  multipliez-les  donc  aujourd'hui  que 
nous  en  avons  plus  besoin  que  jamais;  por- 
tez nos  vœux  aux  pieds  de  l'Agneau  ,  et  qu'il 
paraisse  que  nous  avons  encore  des  amis 
dans  les  tabernacles  éternels.  Et  nous ,  Mes- 
sieurs,   animés  par  leurs  exemples,    sou- 
tenus de  leur  protection:  marchons  fit! élé- 
ment sur  leurs  traces;  convaincus  qu'il  est 
inutile  de  prier,  d'invoquer,  d'iionorer  les 
saints  à  quiconque  ne  veut  pas  les  imiter; 
ne  soyons  point  les  admirateurs  stériles  et 
oisifs  de  tant  de  vertus  rappelées  à  nos  yeux  ; 
et  pour  finir  ce  discours  par  ces  mêmes  pa- 
roles de  saint  Paul,  qui   l'ont  commencé  : 
Jdeoque   et  nos    tantam  habentes  impositam 
nubem  testium;  ayant  sur  nos  têtes  une  si 
grande  nuée  de  témoins,  précédés  de  tant 
d'âmes  justes  qui-  vivaient  avant   nous  et 
nous  ont  montré  le  chemin  de  la  sainteté  : 
Curramus   ad   propositum  nobis  ccrlamtn; 
courrons  dans  la  carrière  qui  nous  est  ou- 
verte. Et  fasse  le  ciel  que  nous  achevions 
heureusement  notre  course  1  fasse  le  Dieu 
de  nos  pères  que  le  triomphe  de  l'Eglise 
s'accroisse   de  jour  en  jour  sur  la  terre , 
pour  faire  la  consommation  de  ses  enfants 
dans  la  gloire  éternelle.  Je  vous  la  souhaite 
au  nom  du  Père,  et  du  Fils,  et  du  Saint- 
Esprit.  Amen. 

SERMON  VIII. 

POUR   LE   JOUR    DES    MORTS. 

Nolumus   vos    ignorare   fratres   de    dormientibus.   (  I 
Thess.,  IV.) 

Nous  ne  voulons  pas  que  vous  ignoriez  l'état  de  vos  frères 
défunts. 

Si  l'ignorance  des  vérités  de  la  religion 


fut  toujours  blâmable  dans  un  chrétien,  on 
peut  dire  qu'elle  ne  fut  jamais  plus  dange- 
reuse et  plus  criminelle  que  lorsqu'elle 
tombe  sur  ces  points  importants  qui  nous 
intéressent  avec  nos  frères,  et  où  cependant 
nous  oublions  et  leurs  intérêts  et  les  nôtres 
propres. 

Telle  est  la  disposition  où  l'on  se  trouve 
d'ordinaire  à  l'égard  de  ceux  qui  sont  en- 
dormis dans  l'ombre  de  la  mort  ;  toujours 
imprudents,  déréglés  dans  les  larmes  que 
nous  semblons  répandre  sur  leurs  cercueils, 
nous  ne  pensons  ni  à  leurs  besoins  les  plus 
1  ressants,  ni  à  nos  devoirs  les  plus  essen- 
tiels. 

C'est  ce  qui  engage  l'Eglise  à  mettre  au- 
jourd'hui dans  la  bouche  de  ses  ministres, 
les  paroles  de  saint  Paul,  qu'elle  fait  répéter 
depuis  tant  de  siècles,  et  qu'une  double  cha- 
rité lui  fait  consacrer  chaque  année  à  la  ma- 
nière des  défunts  :  Nolumus,  etc.  Son  chant 
lugubre,  se's  autels  parés  de  noir,  ses  flam- 
beaux allumés  et  les  voix  plaintives  de  ses 
ministres  dont  le  sanctuaire  retentit  de  tou- 
tes parts,  vous  ont  déjà  dit,  quelles  sont  ses 
dispositions  envers  ceux  de  vos  frères  que 
la  mort  a  enlevés  de  ce  monde  ;  elle  vous  de- 
mande des  soins,  des  larmes,  des  gémisse- 
ments pour  eux,  mais  elle  veut  des  soins 
efficaces,  ùcs  larmes  éclairées,  des  soupirs 
chrétiens,  et  c'est  pour  les  arracher  de  vos 
cœurs  qu'elle  m'ordonne  de  vous  répéter 
avec  l'Apôtre  qui  ne  veut  pas  que  vous  igno- 
riez l'état  où  sont  vos  frères  endormis  du 
sommeil  de  la  mort-:  Nolumus  vos  ignorare, 
etc.;  car  il  vous  importe  également  de  con- 
naître le  supplice  qu'ils  souffrent  et  la  déli- 
vrance que  vous  pouvez  leur  procurer;  la 
connaissance  de  leurs  peines  vous  fera  tirer 
de  justes  conséquences  pour  vous,  celle  de 
leur  délivrance  vous  portera  à  travailler  pour 
eux;  ils  souffrent  de  grands  tourments,  de- 
venez donc  plus  sages  à  leurs  dépens'. 

Vous  pouvez  les  affranchir  de  ces  grandes 
souffrances,  devenez  donc  [dus  charitables  à 
leur  égard. 

Voilà  les  deux  points  pour  lesquels  je 
viens  servir  d'interprète  à  l'Apôtre  et  à  l'E- 
glise, après  que  nous  aurons  demandé  les 
lumières  de  l'Esprit-Saint  par  l'entremise  de 
Marie.  Ave,  Maria. 

PREMIER    POINT. 

Quand  je  parle  d'un  état  de  souffrance  et 
d'expiation  où  se  trouvent  les  âmes  de  cer- 
ta;ns  justes  qui  par  la  mort  se  sont  endormis 
dans  le  Seigneur,  votre  piété  n'attend  pas 
ici  de  se  convaincre  de  la  réalité  de  cet  état, 
et  votrp  foi  n'a  pas  besoin  de  s'éclaircir  sur 
une  vérité  qn'elle  a  reçue  comme  un  point 
capital  de  la  religion  de  ses. pères  :  périsse 
l'erreur  grossière  et  opiniâtre  de  ces  hom- 
mes aveugles  qui,  après  tant  de  combats,  de 
conviction,  d'évidence,  refusent  de  se  ren- 
dre; de  ces  hommes  indociles  qui  ne  veu- 
lent déférer  ni  à  la  religion  dans  la  force  de 
ses  principes,  ni  à  l'Eglise  dans  la  certitude 
de  ses  dogmes,  ni  à  Dieu  dans  l'infaillibilité 
de  ses  oracles;  a^sez  et  trop  longtemps  on  a 


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ORATEURS  SACRES.  LE  P.  Sl'RlAN. 


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employé  des  discours  entiers  pour  les  con- 
vaincre d'une  vérité  qu'une  tradition  cons- 
tante et  ancienne  aurait  établie,  et  que  le 
paganisme  même  semblait  ne  pas  rejeter  ; 
grâce  au  ciel  l'Eglise  et  la  foi  des  fidèles, 
plus  éclairée  et  (dus  soumise,  n'eut  jamais 
besoin  de  ces  sortes  de  controverses,  et  si 
elle  trouve  encore  des  ennemis  à  combat- 
tre, elle  n'a  plus  de  doutes  à  vaincre  sur  ce 
point. 

Mais  pourquoi  ce  jugement  de  condamna- 
tion, et  à  quoi  ce  purgatoire  est-il  destiné? 
Voilà  sur  quoi  l'Eglise  demande  de  sérieu- 
ses réflexions  qui  servent  à  nous  conduire 
nous-mêmes  ;  elle  nous  montre  des  âmes 
souffrantes  livrées  à  toute  la  rigueur  de  la 
justice  divine;  ce  n'est  point  sans  doute  pour 
des  fautes  mortelles,  l'enfer  en  ce  cas  serait 
leur  partage,  mais  pour  des  fautes  d'une  au- 
tre espère,  pour  des  fautes  légères  un  peu 
trop  négligées  de  leur  part;  instruisez-vous 
donc,  vous  cpii  croyez  ces  fautes  si  légères 
qu'elles  ne  méritent  aucune  attention,  et  qui 
n'en  redoutez  ni  la  nature  ni  les  suites;  ce 
n'est  point  non  plus  pour  avoir  négligé  de 
réparer  des  fautes  autrefois  commises,  leur 
damnation  serait  certaine  ;  mais  pour  avoir 
couru  trop  négligemment  dans  la  carrière  do 
la  pénitence  qu'elles  avaient  embrassée  ; 
instruisez-vous  donc  ici,  vous  qui  [tour  des 
fautes  passées  vous  dites  trop  faibles  pour  en 
faire  à  Dieu  une  pénitence  proportionnée,  et 
qui  en  violez  les  règles  ou  en  négligez  la 
pratique;  ce  n'est  point  enfin  pour  avoir  été 
rejetées  de  Dieu:  Ah!  leur  malheur  serait  irré- 
parable 1  il  les  aime  encore  comme  père, 
quoiqu'il  les  frappe  comme  juge.  Ah  1  ins- 
tiuisez-vous  donc  encore  ici,  vous  qui  n'a- 
vez que  défausses  idées  de  la  justice  divine, 
et  qui  ne  voulez  pas  comprendre  combien  lo 
Seigneur  est  terrible  dans  ses  vengeances. 
Trois  grandes  leçons  que  les  morts  vous 
font  par  ma  bouche  et  qu'il  vous  importo 
beaucoup  de  ne  point  ignorer  :  Nolumus  vos 
ignorare  fratres  de  dormientibus .  (Rom.,  II.) 
Je  reviens  donc,  et  j'entre  dans  la  pre- 
mière réflexion  de  ces  âmes  qui  souffrent 
après  la  mort  des  supplices  rigoureux,  Pt  je 
dis  que  leurs  fautes  ne  sont  point  des  offen- 
ses mortelles,  ni  des  péchés  dont  on  multi- 
plie le  nombre  jusqu'à  l'excès,  et  dont  las 
peines  de  l'enfer  seraient  à  jamais  lo  justs 
salaire;  non,  les  fidèles  dont  nous  parlons  na 
furent  point  trouvés  souillés  à  la  mort  de 
ces  fautes  mortelles,  et  cq  n'est  point  pour 
cela  qu'elles  souffrent,  mais  pour  d'autres 
œuvres  dont  la  charité  n'était  pas  bien  épu- 
rée, pour  certains  petits  péchés  dont  on  n'a- 
vait point  fait  l'examen  dans  son  propre 
cœur;  oui  ,  pour  une  infinité  de  faux  pas 
dans  la  piété,  de  méprises  dans  l'affaire  du 
saluf  qui  se  rencontrent  presque  toujours 
dans  la  vie  de  l'homme,  et  qui  sont  bien 
moins  les  effets  d'une  matière  volontaire 
que  de  la  faiblesse  naturelle;  pour  mille  pen- 
sées volages  qui  n'ont  point  été  repoussées 
ivec  assez  de  fidélité;  pour  mille  paroles  in- 
discrètes que  la  prudence  ne  retenait  point 
tissez,  ou  que  la  charité  ne  pouvait  souffrir; 


pour  mille  mouvements  de  différentes  pas- 
sions que  la  foi  peu  attentive  ne  reprimait 
point  assez  tôt,  pour  mille  retours  d'amour- 
propre  qu'on  se  permettait  avec  trop  peu  de 
circonspection;  que  sais-je?  négligence,  lâ- 
cheté, omission  dans  certains  devoirs,  vains 
complaisance  dans  la  pratique  du  bien,  cer- 
tains défauts  dans  la  prière  ou  dans  la  péni- 
tence, mensonges,  divertissements,  trop  de 
liberté  dans  les  sens,  manière  peu  édifiante 
d'un  certain  genre,  trop  de  chaleur  et  d'atta- 
chement à  soutenir  ses  propres  intérêts  ;  que 
dirai-je  encore?  ces  matières  sont  trop  déli- 
cates, ne  les  poussons  pas  plus  loin  pour  ne 
point  prendre  le  change,  car  la  balance  des 
nommes  est  si  injuste,  et  combien  des  plus 
honnêtes  gens  s'y  trompent,  parce  qu'Us 
veulent  bien  s'y  tromper!  combien  qui,  dis- 
putant entra  lé  mortel  et  le  véniel,  du  pré- 
cepte et  du  conseil,  confondent  l'un  avec  l'au- 
tre, et  portent  un  fond  de  réprobation  sous 
un  fond'de  probité;  il  ne  faudrait  que  percer 
le  mur  et  entrer  dans  le  sanctuaire  du  cœur 
pour  s'en  éclaircir,  mais  on  craint  d'y  entrer 
troj-  avant;  quoi  qu'il  en  soit,  voilà  une  infi- 
nité de  fautes  estimées  légères,  soumises 
pourtant  à  des  supplices  inexprimables  et 
auxquels  il  ne  manque  que  de  ne  point  en 
sortir  pour  ressembler  aux  peines  de  l'en- 
fer; voilà,  dit  un  ancien  Père,  ce  qui  fournit 
la  matière  à  ces  peines  purgatives. 

Grand  Dieu,  scrutateur  sévère  du  cœur 
de  l'homme ,  vous  qui  sondez  les  reins  et 
qui  savez  peser  dans  une  juste  balance  nos 
vices  comme  nos  vertus,  que  nous  sommes 
donc  aveugles  pour  la  plupart,  et  que  nos 
jugements  sont  différents  des  vôtres!  Oui 
Messieurs,  on  se  fait  en  ce  monde  une  fausse 
idée  du  péché,  qui  en  cache  toute  l'énormité  ; 
on  n'en  veut  comprendre  ni  la  nature,  ni 
les  conséquences;  on  est  presque  scanda- 
lisé d'une  âme  alarmée  sur  le  danger  de  son 
état,  on  se  joue  tous  les  jours  de  ce  qui  fait 
pleurer  les  anges  de  paix,  et  tandis  que  les 
yeux  purs  de  la  vérité  le  regardent  avec 
horreur,  on  le  taxe  de  faiblesse  et  d'indiffé- 
rence :  de  là  cette  familiarité  funeste  qu'on 
contracte  avec  le  vice;  de  là,  cet  étrange  li- 
bertinage de  conscience  qui  aveugle  l'inno- 
cent comme  le  coupable;  de  là  ces  manque- 
ments et  les  infirmités  journalières  qui  bles- 
sent les  yeux  d'un  Dieu  jaloux  de  tout  le 
cœur,  et  qui  arrêtent  le  cours  de  ses  grâces; 
de  là  ces  criminelles  négligences  qui  pré- 
parent aux  plus  grandes  chutes ,  et  ses 
semences  de  cupidité  entretenues  qui  en- 
fantent des  monstres  tôt  ou  tard  ;  on  compte 
pour  rien  un  violement  de  la  loi,  parce  qu'il 
ne  paraît  que  véniel.  Faut-il  donc  faire  des 
fautes  si  énormes  dans  la  cour  des  rois  pour 
encourir  leurs  disgrâces?  Hélas!  il  ne  faut 
qu'une  seule  négligence ,  qu'un  peu  de 
froideur  et  de  nonchalance  au  service  du 
prince;  une  .bagatelle,  un  rien,  ah  1  tout  y 
paraît  à  ses  yeux  digne  de  sa  juste  colère. 
Enfants  des  hommes,  jusqu'à  quand  redui- 
rez-vous  le  sort  du  Dieu  du  ciel  au-dessous 
du  sort  de  ceux  qui  gouvernent  la  terre? 


f  19" 


MYSTERES  ET  FETES.  —  SERMON  VIII,  POUR  LE  JOUR  DES  MORTS. 


1194 


Qu'avaient  donc  fait  ces  hommes  célèbres 
dont  l'Ecriture  nous  rapporte  la  juste  puni- 
tion? Moïse  frappe  trois  fois  le  rocher  de 
sa  baguette,  arec,  un  peu  trop  d'indiscré- 
tion; la  femme  de  Loth  ne  fait  que  regarder 
derrière  elle  au  sortir  de  Sodome  ;  Jonathas , 
sans  savoir  le  serment  du  roi  son  père,  ne 
fait  que  goûter  un  peu  de  miel  en  passant; 
David  ne  se  donne  que  le  plaisir  de  faire  le 
dénombrement  de  son  peuple;  Osa  ne% fait 
que  porter  sa  main  sur  l'arche  pour  la  re- 
dresser; des  milliers  de  Bethsamites  ne 
font  que  la  regarder  de  loin  avec  trop  de 
curiosité;  un  prophète  devient  trop  crédule 
2'emlant  qu'il  porte  l'ordre  à  Jéroboam.  Que 
pensez-vous  de  tout  cela  ?  Ah!  ces  fautes  qui 
nous  paraissent  si  légères  ne  le  seraient  pas 
à  nos  yeux,  s'il  devait  nous  en  coûter  la  vie 
pour  les  expier,  et  tout  y  serait  terrible  et 
important  :  allez  donc  voir  dans  les  Livres 
saints  de  quelle  manière  ont  été  punies  les 
personnes  dont  nous  venons  de  parler,  ou 
celles  dont  nous  faisons  ici  la  peinture  ?  Leurs 
fautes  sont  plus  légères  que  celles  d'entre 
nous,  et  cependant  n'en  eussent -elles 
qu'une  seule  à  la  mort,  il  faut  qu'elles  brû- 
lent pendant  peut-être  plusieurs  milliers 
de  siècles,  non-seulement  pour  en  expier 
les  taches,  mais  pour  les  expier  par  une 
pénitence  et  une  satisfaction  proportionnée: 
Nolumus,  etc.  Seconde  circonstance. 

11  faut  périr  ou  taire  pénitence,  c'est  de 
quoi  l'on  convient  après  les  oracles  si  for- 
mels de  l'Evangile  ;  mais,  ce  dont  la  plupart 
ne  veulent  point  convenir,  c'est  que  pour 
que  la  pénitence  porte  de  dignes  fruits,  elle 
doit  mettre  une  juste  proportion  entre  le 
crime  qu'elle  expie  et  la  réparation  qu'elle 
en  fait,  deux  vérités  aussi  constantes  l'une 
que  l'autre,  et  qui  marchent  d'un  pas  égal  dans 
le  système  de  la  religion.  C'est  une  obligation 
pour  tous  de  faire  pénitence  ,  parce  qu'il 
est  juste  de  punir  le  péché  qu'on  a  com- 
mis sur  sa  propre  personne  ;  j'avoue  cepen- 
dant ,  grâces  immortelles  en  soient  rendues 
au  sang  de  Jésus-Christ  qui  nous  a  délivrés 
de  la  mort  éternelle,  qu'en  nous  pardonnant 
nos  crimes,  il  s'est  relâché  sur  la  punition 
que  nous  en  méritions  dans  l'éternité;  mais 
ne  nous  imaginons  pas  qu'il  se  relâche  dans 
les  peines  qui  leur  sont  dues  dans  le  temps, 
et  si  c'est  effort  de  la  bonté  infinie  du  Sau- 
veur qui  nous  applique  ses  mérites,  de  nous 
remettre  la  coulpe,  c'est  un  droit  de  sa 
justice  immuable  de  ne  point  nous  les 
remettre  que  nous  n'en  ayons  payé  la  peine, 
et  tandis  que  la  justice  abandonne  presque 
tout  à  la  miséricorde,  c'est  pour  nous  une 
obligation  indispensable  d'y  satisfaire  et  d'en 
remplir  toute  l'étendue. 

Sur  ce  principe  incontestable  qui  devra:t 
avuir  confondu  l'erreur  du  dernier  siè.le 
dont  nous  pleurons  encore  les  tristes  restes 
dans  nos  frères  errants,  sur  cet  ordre  établi 
par  les  lois  immuables  de  la  vérité  dans  le 
dernier  concile  dont  l'Eglise  reçut  avec  tant 
d'éloge  les  canons,  et  les  règles  saintes  descen- 
dues du  ciel  et  dignes  de  celui  qui  les  avait 
inspirées;  outre  cette  distribution  de  peines 

Orateurs  sacrés.  L. 


que  l'Eglise  laisse  au  choix  de  ses  ministres» 
elle  avertit  sans  cesse  ses  enfants  de  garder 
cette  juste  proportion  entre  la  pénitence  et 
le  péché;  elle  l'exige  dans  l'indulgence 
même  qu'elle  leur  accorde  et  rejette  la  part 
qu'ils  voudraient  prendre  au  pardon  qui 
leur  est  accordé,  si  en  même  temps  ils  ne 
participent  au  calice  qui  leur  est  préparé. 

Or,  c'est  pour  n'avoir  pointconnu  toutes  ces 
vérités  ou  les  avoir  négligées,  que  les  âmes 
de  vos  frères  souffrent  dans  Je  purgatoire; 
c'est  pour  avoir  secoué  une  partie  du  joug 
qui  leur  était  imposé  pendant  la  vie,  qu'elles 
se  voient  cruellement  tourmentées  après  la 
la  mort.  Ont-elles  gagné  au  change  qu'elles 
ont  fait,  et  y  gagnerons-nous  nous-mêmes, 
si  nous  négligeons  comme  elles  une  satis- 
faction si  proportionnée?  O  vous  qui  nous 
demandez  si  souvent  si  la  pénitence  est  né- 
cessaire et  qui  comptez  si  fort  sur  la  grâce 
du  pardon  .'ans  penser  aux  conditions  aux- 
quelles il  vous  est  accordé,  vous  à  qui  on 
ne  peut  venir  à  bout  de  persuader  ces  justes 
conditions  et  à  qui  les  saintes  règles  de 
l'Evangile  paraissent  une  sévérité  outrée  : 
\ade  ad  domum  luctus,  puis-je  vous  dire 
avec  le  i^'age  (Eecle.,  VII.)  :  trausportez-vous 
dans  cette  région  affreuse,  entrez  dans  le  sein 
de  cette  terre  d'oubli  dont  la  religion  vous 
rappelle  aujourd'hui  le  souvenir;  vousyve,- 
rez  des  âmes  qui  avaient  commencé  leur  pé- 
nitence, qui  l'avaient  continuée  de  bonne  foi, 
mais  qui,  pour  n'avoir  point  couru  dans  cette 
carrière  avec  toute  la  vigueur  que  leurs  fautes 
méritaient ,  et  pour  n'avoir  pu  la  finir  tout 
entière,  trouvent  dans  ces  flammes  purifian- 
tes le  plus  terrible  de  tous  les  suppléments  : 
Yade  ad  domum  luctus.  Ah  1  c'est  que  Dieu 
ne  remet  à  personne  la  peine  du  péché,  dit 
saint  Augustin,  qu'il  ne  la  remet  pas  même 
à  son  propre  Fils,  et  que,  s'il  pardonne  au 
pécheur,  c'est  quand  il  n'épargne  rien  pour 
mesurer  sa  satisfaction  à  son  crime.  Vous  y 
verrez,  des  chrétiens  dont  la  vie  fut  sur  tout 
édifiante  pendant  qu'ils  vivaient  parmi  nous, 
des  justes  qui  sont  morts  chargés  de  mérites, 
de  leurs  vertus,  mais  qui,  pour  payer  la  peine 
dont  ils  sont  encore  redevables  à  la  divine 
justice,  ont  été  précipités  dans  cette  obscure 
prison,  dont  ils  ne  sortiront  point  qu'ils 
n'aient  payé  jusqu'à  la  dernière  obole.  Ah! 
c'est  que  Dieu  ne  saurait  se  relâcher  à  l'é- 
gard d'aucun  pécheur  sur  la  peine  qui  lui 
est  due,  sans  manquer  à  ce  qu'il  se  doit  h 
lui-même,  comme  juste  juge  ;  troisième  ré- 
flexion qui  n'est  qu'une  suite  des  deux  au- 
tres et  qui  va  les  mettre  dans  tout  leur  jour 
en  corrigeant  les  fausses  idées  que  nous  nous 
formons  de  la  divinité;  car,  c'est  pour  avoir 
eu  d'un  Dieu  terrible  de  vaines  et  fausses 
idées,  que  ces  pauvres  âmes  sont  tourmen- 
tées dans  le  purgatoire;  n'ignorez  donc  rien 
de  ce  qui  regarde  vos  frères  qui  sont  morts  : 
Nolumus  vos,  etc. 

Vous  le  savez  que,  parmi  les  grandeurs 
adorables  de  Dieu  dont  chaque  créature  ne 
saurait  assez  le  remercier,  la  justice  et  la 
miséricorde  furent  toujours  les  principaux 
objets  que  la  redigion  nous  proposa;  c'est 

38 


nos 


ORATLURS  SACKKS.  LE  P.  SURIAN. 


lî-tf 


aussi  par  les  effusions  et  les  effets  de  ces 
deux  puissances  souveraines  que  Dieu  a 
voulu  nous  conduire.  De  tout  temps,  il  a 
voulu  employer  l'une  pour  nous  gagner  par 
le  charme  de  sa  douceur,  et  l'autre  pour 
nous  retenir  par  la  crainte  de  ses  châtiments; 
et  il  paraît  bien  que  Dieu  ne  pouvait  faire 
agir  des  ressorts  plus  puissants  pour  remuer 
notre  cœur,  que  jamais  sa  sagesse  ne  pou- 
vait mieux  ménager  ses  intérêts  et  les  nô- 
tres ;  il  paraît  bien  cependant  que  ses  me- 
sures deviennent  inutiles  par  l'abus  que 
nous  en  faisons,  et  que  ces  moyens  favora- 
bles, qu'il  emploie  pour  notre  salut,  devien- 
nent entre  nos  mains  des  pièges  et  des 
écueils  pour  notre  perte.  Car  si  la  voix  de  sa 
miséricorde  n'est  point  assez  puissante  pour 
nous  attirer,  du  moins  la  vue  de  ses  ven- 
geances devrait  être  assez  terrible  pour 
nous  retenir,  et  si  l'une  n'est  point  capable 
(ie  nous  rendre  plus  fidèles,  l'autre  devrait 
au  moins  nous  rendre  plus  attentifs.  D'où 
vient  donc  qu'on  donne  tout  à  la  première 
et  presque  rien  à  la  seconde?  Ah  !  c'est  que 
la  miséricorde  qui  ne  propose  que  des  récom- 
penses, s'accorde  bien  mieux  avec  l'amour- 
propre  que  la  justice,  qui  n'a  que  des 
châtiments  à  nous  montrer.  On  affecte  d'en 
éloigner  le  triste  souvenir  :  Loquatur  nobis 
Moyses  (Exod.,XX.),  disait  le  peuple  hébreu, 
que  Moïse  nous  parle  toujours  avec  sa  dou- 
ceur ordinaire,  et  non  pas -le  Seigneur  qui 
ne  se  fait  entendre  que  par  son  tonnerre  et 
ses  éclairs.  Ainsi  l'attention  que  nous  don- 
nons à  la  miséricorde  rétrécit  tellement 
celle  que  nous  devons  à  la  justice,  qu'elle 
ne  laisse  presque  plus  en  nous  d'impression 
de  celle-ci.  C'est  ici  une  de  ces  diminutions 
de  la  vérité  qui  faisait  autrefois  l'affliction 
du  Prophète  :  Diminutœ  sunt  veritutes  a 
filiis  hominum  (Psal.  XI),  et  c'est  ce  qui  est 
la  cause  la  plus  ordinaire,  non-seulement  du 
dérèglement  de  tous  les  pécheurs,  mais  du 
relâchement  même  des  justes  dans  la  voie 
du  salut. 

Or,  pour  y  apporter  queique  remède  et 
avoir  de  ce  Dieu  juste  toute  l'idée  que  nous 
devons  en  avoir,  nous  n'avons  qu'à  percer 
jusque  dans  le  sein  de  cette  obscure  prison 
où  sont  retenues  les  âmes  de  nos  frères. 
Oui  verrons-nous,  dans  ces  lieux  d'horreur 
et  de  tourments?  Des  âmes  justes,  hélas! 
des  âmes  saintes  que  Dieu  regarde  avec  com- 
plaisance, des  âmes  qui  sont  marquées  du 
sceau  de  l'adoption  divine,  des  âmes  justes 
destinées  à  devenir  un  jour  les  pierres  vi- 
vantes du  temple  qu'il  habile  et  à  faire 
l'ornement  de  la  Jérusalem  céleste;  nous  les 
verrons  cependant  condamnées  à  brûler  dans 
ces  flammes  allumées  parle  même  Dieu  qui 
les  aime  avec  tendresse.  Ace  spectacle,  quel 
sujet  n'aurons-nous  pas  de  nous  écrier  avec 
saint  Augustin  :  où  est  donc  cette  miséricorde 
qui  nourrit  tant  de  présomption  dans  nos 
cœurs?  Dites-nous,  âmes  justes,  quel  est  ce 
paradoxe?  comment  vous  aime-t-on,  si  on 
vous  fait  souffrir,  et  pourquoi  souffrez-vous, 
si  l'on  vous  aime  encore?  et  qui  est-ce  qui 
vous  traite  si  cruellement  dans  ces  lieux? 


11  n'est  pas  difficile  de  les  entendre,  Mes- 
sieurs; leur  voix  semble  sortir  du  fond  du 
purgatoire  pour  nous  crier  :  c'est  l'équité 
souveraine  de  notre  Dieu,  -dont  nous  n'a- 
vons jamais  bien  compris  l'étendue  et  le 
poids  pendant  la  vie.  C'est  un  Dieu  juste  qui 
ne  peut  se  dispenser  de  purifier  par  le  sup- 
plice du  feu,  et  que  nous  n'avions  point  assez 
lavé  par  l'effusion  de  nos  larmes,  c'est  un 
Dieu  saint  qui  a  trouvé  des  taches  jusque 
dans  ses  anges,  et  qui,  après  avoir  marqué 
sur  son  propre  Fils  jusqu'où  va  sa  haine 
pour  les  apparences  même  du  péché,  le 
montre  encore  aujourd'hui  sur  nous  d'une 
manière  la  plus  équitable,  mais  la  plus  ter- 
rible; c'est  un  Dieu  qui,  sans  oublier  qu'il 
est  bon,  nous  fait  sentir  qu'il  est  juste. 

Nous  l'éprouverons  nous-mêmes  comme 
elles  après  la  mort,  et  nous  le  sentirons,  ce 
poids  accablant  dont  la  charge  nous  fait  peur 
pendant  la  vie.  Eh!  que  dis-je?  pécheurs 
comme  nous  sommes,  nous  convient-il  de 
nous  mesurer  avec  les  âmes  justes?  pouvons- 
nous  attendre  la  même  destinée  ,  nous,  dont 
toute  la  ressource  peut-être  est  de  savoir 
qu'il  y  a  un  purgatoire,  et  dont  la  destinée 
la  plus  souhaitable  pour  nous,  toute  terrible 
qu'elle  est,  serait  d'y  tomber?  Hélas!  on  est 
presque  réduit  à  fermer  les  yeux  sur  la  des- 
tinée de  ces  âmes  souffrantes  pour  ne  les 
ouvrir  que  sur  celle  des  réprouvés,  et  il 
serait  ce  semble  plus  à  propos  de  nous  faire 
oublier  les  peines  du  purgatoire,  pour  no 
nous  faire  souvenir  que  de  celles  de  l'enfer. 
Car,  si  c'est  ainsi  que  le  bois  vert  est  traité, 
que  fera-t-on  du  bois  sec?  In  arido  quidfiei? 
{Luc,  XXIK).  Si  les  justes  sont'jugés  avec 
tant  de  rigueur,  que  doivent  attendre  les  im- 
pies et  les  hommes  déréglés?  C'est  ce  qui  se 
manifeste  par  avance  sur  la  terre,  dit  saint 
Paul,  et  qui  est  une  marque  sensible  des 
justes  jugements  de  Dieu  :  In  exemplumjusli 
judiciiDei.  (II  Thess.,  I.)Ce  Dieu  terrible,  plus 
redoutable  par  sa  justice  que  par  tout  autre 
endroit,  retient  dans  les  fers  des  âmes  justes 
pour  les  fautes  les  plus  légères  ;  ah  !  un  tel 
exemple  ne  fait-il  pas  entendre  aux  pécheurs 
ce  qu'ils  doivent  un  jour  attendre  de  leurs 
crimes  :  In  exemplumjusti  judicii  Dei  ?  Appre- 
nons donc  de  la  bouche  de  nos  frères  morts 
les  conséquences  que  nous  devons  tirer  de 
leurs  peines,  et  écoutons  ce  que  nous  di- 
sent leurs  souffrances  pour  nos  propres  inté- 
rêts; mais  en  devenant  plus  sages  à  leurs 
dépens,  devenons  plus  charitables  h  leur 
égard,  c'est  à  quoi  je  vais  vous  exhorter  dans 
le  second  point  de  ce  discours,  où,  après 
avoir  vu  ce  que  nous  devons  faire  pour  nous 
a  la  vue  de  leurs  supplices,  nous  allons  voir 
ce  que  nous  devons  faire  pour  eux  à  la  vue 
de  leurs  besoins. 

SECOND    POINT. 

La  même  foi  qui  nous  enseigne  qu'il  y  a 
trois  lieux  différents  destinés  aux  hommes 
après  la  mort,  selon  la  différence  de  leurs 
mérites,  nous  apprend  qu'il  y  a  deux 
sortes  de  personnes,  dont  le  sort  est  irré.- 


{197 


MYSTERES  ET  FETES.   -   SERMON  V11I,  POUR   LE  JOLR  DES  MORTS. 


nos 


vocable  après  la  mort,  et  que,  comme  on  ne 
peut  racheter  les  réprouvés  dans  l'enfer,  les 
élus  n"ont  point  beso'n  de  rédemption;  il  n'y 
a  donc  que  les  âmes  du  purgatoire  qui  atten- 
dent de  nous  leur  soulageaient  et  leur  déli- 
vrance, et  qui  doivent  rievenir  plus  particu- 
lièrement les  tristes  objets  de  notre  attention. 
Regrettons  leur  perte,  plaignons-nous  de  leur 
absence,  rendons  à  leur  mémoire  des  devoirs 
de  bienséance  et  d'amitié,  rien  ne  paraît  plus 
juste,  puisque  les  devoirs  de  la  vie  civile  ne 
permettent  pas  d'y  manquer;  mais  rendons- 
leur  des  devoirs  plus  efficaces  et  plus  réels, 
voilà  sur  quoi  l'Eglise  veut  que  les  chrétiens 
soient  instruits,  pour  ne  point  ressembler  aux 
infidèles  qui  ne  croient  point  la  vie  future, 
et  dont  toute  l'espérance  se  termine  à  la  mort  : 
Ut  non  contristemini  sicut  et  cœteri  qui  spem 
non  habent.  (IThess.,  IV.)  Comme  si  elle  di- 
sait, ajoute  saint  Chrysostoine,  vous  avez 
assez  pleuré  les  morts;  regretter  leur  perte, 
leur  dresser  des  tombeaux,  leur  faire  de 
magnifiques  pompes  funèbres,  et  rendre  à 
leur  mémoire  des  devoirs  apparents  et  lugu- 
bres, rien  ne  nous  paraît  ]  lus  triste  que  vos 
dehors  ;  mais  souvent  et  trop  souvent  vous 
ne  savez  pas  les  secourir  et  leur  procurer 
un  soulagement  efficace.  Au  lieu  donc  de 
chercher  pour  vous-même  tant  de  sujets  con- 
solants, songez  à  leur  donner  des  secours 
qui  soient  utiles  pour  eux,  et  à  la  place  de 
ces  larmes  stériles,  de  ce  deuil  infructueux, 
de  cette  tristesse  apparente,  donnez  à  vos 
frères  morts  des  prières,  des  aumônes,  des 
sacrifices  :  Pro  lacrymis,  pro  luctu,pro  tris- 
titia  preces  eleemosynas,  oblationes  exquira- 
?nus  :  ce  sont  les  trois  grands  devoirs  qu'ils 
attendent  de  nous.  La  prière  est  toujours 
nécessaire  et  utile  en  toutes  choses;  c'est  la 
clef  précieuse  des  célestes  trésors  et  l'instru- 
ment avec  lequel  on  puise  infailliblement  les 
richesses  de  la  grâce.  Elle  part  du  cœur  du 
juste,  et  monte  jusqu'au  cœur  de  Dieu;  elle 
a  le  pouvoir  de  s'élever  jusqu'au  plus  haut 
des  cieux  et  de  faire  descendre  la  miséri- 
corde sur  la  terre  :  Ascendit  ôratio  et  descen- 
dit miseratio;  mais  on  peut  dire  que  jamais 
elle  ne  fut  [dus  efficace  que  lorsque,  soutenue 
par  la  force  des  liens  et  de  cette  communion 
qui  nous  unit  tous  au  même  chef,  et  dans  le 
sein  de  la  même  Eglise,  elle  attire  sur  les 
âmes  du  purgatoire  les  salutaires  rafraîchis- 
sements que  nous  demandons  pour  elles. 
Aussi  a-t-on  regardé  de  tout  temps  ce  genre 
de  prière  dans  l'Eglise  comme  un  des  devoirs 
les  plus  propres  et  les  plus  essentiels  de  la 
piété  chrétienne.  Saint  Ephrem  veut  qu'on 
prie  pour  lui  pendant  sa  vie,  dans  la  crainte 
qu'on  ne  néglige  de  le  faire  après  sa  mort  ; 
le  jeune  Théodose  fait  prier  sur  le  tom- 
beau de  saint  Chrysostome  pour  ses  propres 
parents;  la  mère  d'Augustin  fait  prier  pour 
son  époux,  et  personne  ne  doute  de  l'avan- 
tage et  de  la  nécessité  d'un  devoir  dont 
saint  Augustin  approuve  et  autorise  la  pra- 
t:que.  Une  tradition  constante  et  bien  reçue 
aurait  pu  mieux  instruire  nos  frères  errants 
sur  ce  point  dont  l'Eglise  judaïque  même 
pourrait  les  convaincre,  s'ils  voulaient  agir 


de  bonne  foi  et  en  être  convaincus.  C'est 
donc,  conclut  le  Saint-Esprit,  une  sainte  et 
salutaire  pensée  de  prier  pour  les  morts, 
afin  qu'étant  purgés  de  leurs  péchés,  ils 
soient  délivrés  des  flammes  qui  les  brûlent  : 
Sancta  ergo  et  salubris  est  cogitatio  pro  de- 
functis  exorare  ut  a  peccatis  solvantur.  (U 
Mach.y  XII.) 

Mais,  c'est  donc  aussi  une  conduite  bien 
étrange  et  une  insensibilité  bien  cruelle  de 
leur  refuser  ces  pieux  offices,  malgré  la  force 
des  puissants  motifs  qui  nous  y  engagent  : 
motifs  de  compassion,  car  ce  ne  sont  point 
ici  de  ces  coupables  insignes  pour  les- 
quels Dieu  défend  à  Aaron  d'offrir  des  sa- 
crifices et  des  vœux.  Ce  sont  d'illustres  in- 
fortunés qui  gémissent  sous  la  pesanteur 
de  leurs  cruelles  chaînes,  sans  pouvoir  les 
rompre;  ce  sont  des  enfants  malheureux 
que  le  Tout-Puissant  frappe  comme  leur 
juge,  mais  qu'il  aime  pourtant  comme  leur 
père,  et  dont  il  semble  se  plaindre  que  per- 
sonne ne  veut  arrêter  son  bras  ;  ce  sont  des 
âmes  qui  souffrent  de  terribles  peines,  mais 
qui  sont  dans  l'impuissance  de  se  soulager 
elles-mêmes,  pouvant  bien,  par  leurs  souf- 
frances, rendre  à  la  justice  divine  ce  qui  lui 
est  dû,  mais  ne  pouvant  rien  faire  ni  souf- 
frir qui  soit  d'aucun  mérite  pour  elles 
ni  pour  les  autres.  Le  jour  de  la  grâce  est 
passé  et  ne  luit  [Jus  pour  elles,  et  cette 
nuit  fatale  est  déjà  venue  où  il  ne  leur  est 
plus  permis  de  travailler  à  leur  salut  et  à 
leur  délivrance.  Est-il  juste  d'oublier  en 
cet  état  de  misère  si  digne  de  pitié,  et 
pourrait-on  pardonner  à  des  hommes  de  ne 
point  en  être  touchés?  Motif  de  charité  :  ce 
ne  sont  point  ici  des  étrangers  et  des  Sa- 
maritains exclus  de  l'héritage,  qui  n'aient 
point  voulu  vivre  dans  la  maison  du  même 
père  de  famille  :  Ce  sont  des  frères,  des  en- 
fants, des  portions  vivantes  et  précieuses 
du  même  corps,  qui  appartiennent  au  même 
chef.  La  mort  a  rompu  les  liens  qui  nous 
unissaient  corporellement  avec  eux,  mais 
elle  n'a  pu  rompre  les  liens  de  la  même  foi 
qui  nous  unissent  les  uns  avec  les  autres  ; 
l'intervalle  qui  est  entre  eux  et  nous  n'est 
que  par  rapport  au  corps,  mais  la  religion 
qui  les  rapproche  de  nous  et  qui  ne  sépare 
point  nos  intérêts  des  leurs,  forme  en  Jésus- 
Christ  dans  nos  âmes  une  union  plus  im- 
mortelle que  l'âme  même.  Jamais  raison 
fut-elle  plus  pressante  pour  un  chrétien  à 
l'égard  du  prochain,  et  c'est  ce  que  saint 
Paul  inculquait  aux  fidèles  de  Corinthe, 
lorsqu'il  leur  disait  :  S'il  y  a  un  membre  du 
corps  qui  soutire,  tous  les  autres  membres 
du  corps  doivent  souffrir  et  compatir  à  sa 
peine:  Si  quid  patitur  unum  membrum,  corn- 
patiuntur  omnia membra.  (I  Cor.,  XII.)  D'où 
je  conclus  qu'un  membre  paraît  mort  et 
engourdi  qui  se  montre  insensible  aux  souf- 
frances des  autres  membres  du  même  corps, 
et  je  ne  sais  sur  ce  principe  quel  titre  on 
peut  donner  à  la  piété  de  ceux  qui  refusent 
de  prier  pour  les  morts?  Motif  d'équité  pt 
de  justice  :  peut-être  sommes-nous  deve- 
nus la  cause  de  leurs  offenses  et  par  con- 


4109 

séquent  celle  de  leur  châtiment.  N'est-ce 
point  par  le  commerce,  par  les  liaisons 
qu'ils  avaient  avec  nous  que  nous  les  avons 
exposés  à  déplaire  au  Seigneur?  et  par  com- 
bien d'endroits  les  fautes  de  nos  frères 
morts  ne  sont-elles  point  sur  notre  compte? 
Je  laisse  ici  ce  détail  à  faire  à  un  père,  à  un 
enfant,  à  un  époux,  à  une  épouse,  à  un 
frère,  à  une  sœur,  à  un  magistrat,  à  un 
homme  d'épée,  à  un  homme  public,  à  un 
homme  privé.  Ces  pauvres  âmes  sont  donc 
tourmentées  à  votre  occasion  et  vous  néglige- 
riez de  les  soulager?  Elles  vous  font  enten- 
dre leurs  justes  plaintes  et  vous  y  seriez 
sourds  et  insensibles?  Vous  êtes  les  auteurs 
du  mal  et  vous  ne  voudriez  pas  contribuer  à 
la  réparation?  De  quel  œil,  Seigneur,  regar- 
dez-vous ces  injustices  criantes  que  les  lois 
humaines  mêmes  ne  pardonneraient  pas?  Mo- 
tif d'intérêt  :  nous  serons  mesurés  à  la  même 
mesure  que  nous  aurons  mesuré  les  autres, 
et  Dieu  nous  y  mesure  déjà;  sa  miséricorde 
s'étend  sur  nous  dès  cette  vie,  et,  s'il  permet 
que  nous  soyons  privés  du  fruit  précieux 
des  prières  qu'on  fait  pour  nous,  c'est  que 
nous  négligeons  de  prier  pour  les  autres. 
Priez  donc,  Messieurs,  jeûnez  quelquefois 
pour  rendre  vos  prières  plus  efficaces,  à 
l'exemple  de  Jonathas  et  de  David;  mais 
que  les  pauvres  trouvent,  dans  votre  retran- 
chement, une  ressource  à  leurs  besoins  et 
que  vos  aumônesdeviennent  leur  nourriture: 
car  c'est  principalement  l'aumône  qui  sou- 
tient la  prière  et  c'est  le  second  moyen  que 
l'Eglise  vous  propose  pour  le  soulagement 
des  âmes  du  purgatoire. 

Mettez  votre  pain  et  votre  vin  sur  le  tom- 
beau du  juste,  disait  Tobie  :  Panem  iuum  et 
vinum  tuum  super  sepulturam  justi  constitue. 
(Tob.,  IV.)  C'est-à-dire,  dit  saint  Paulin, 
répandez  largement  vos  aumônes  et  appelez 
les  prêtres  et  les  indigents  au  secours  des 
âmes  souffrantes  de  vos  frères,  car  ce  sont 
les  vrais  adorateurs  du  Dieu  vivant,  et  les 
défenseurs  des  justes  qu'il  châtie  ;  de  là 
vient  cette  pieuse  coutume  d'apporter  les 
offrandes  entre  les  mains  des  ministres;  de 
là  tout  cet  argent  et  tous  ces  vêtements 
qu'on  portait  autrefois  sur  le  tombeau  des 
morts.  Qu'il  faisait  beau,  dit  saint  Jérôme, 
voir  cette  cour  des  élus,  celte  troupe  de 
saints  et  d'indigents  que  vous  avez  eu  le 
soin  d'appeler  aux  obsèques  de  votre  épouse  l 
Que  ce  spectacle  était  agréable  aux  yeux  de 
Dieu!  voir  l'Eglise  en  prières,  pendant  qu'on 
distribuait  du  pain  et  des  habits  pour  sou- 
lager et  vêtir  tant  de  misérables  nus  et 
affamés.  C'est  ainsi,  Anate,  n'en  doutez  plus, 
que  vous  avez  soulugé  tout  à  la  fois  les 
vivants  et  les  morts,  puisqu'en  même  temps 
que  les  pauvres  recevaient  vos  largesses 
{lieuses,  les  anges  les  portaient  au  ciel  pour 
en  faire  descendre  du  secours.  Votre  épouse 
est  présentement  revêtue  de  lumière  et  de 
gloire,  elle  n'a  plus  besoin  du  secours  des 
autres  créatures,  puisque  votre  main  chari- 
table l'est  venue  retirer  de  sa  captivité; 
vous  l'aviez  dotée  par  son  mariage,  et  vous 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SURIAN.  MCO 

l'enrichissez  plus  encore  après  sa  mort.  Les 
autres  maris  n'ont  jeté,  dirait  encore  sain» 
Jérôme,  des  lis,  des  roses  et  des  fleurs  sur 
les  tombeaux  de  leurs  femmes  que  pour  mar- 
quer par  là  leur  souvenir  ;  mais,  comme 
Anate  était  plus  soigneux  de  l'âme  de  la 
sienne  que  de  son  corps,  il  vient  lui  rendre 
pour  onguents  précieux  ses  aumônes,  se 
souvenant  que,  comme  l'eau  éteint  le  feu, 
l'aumône  effare  le  péché  :  Sicutaqua  exstin- 
yuit  ignem  ,  et  eiecmosyna  exslinyuil  pecca- 
tum.  (Eceh.,  III.)  Loin  d'ici  ces  bouches  té- 
méraires, ces  blasphèmes  des  hérétiques 
qui  ne  craignent  pas  d'appeler  impiété  ces 
pompes  funèbres  avec  lesquelles  on  enterre 
les  fidèles  morts,  et  qui  osent  appeler  nos 
chants,  nos  convois  lugubres,  des  restes 
du  paganisme;  qu'ils  remontent  jusqu'au 
berceau  de  l'Eglise  et  ils  verront  les  saints 
qui,  par  leurs  exemples  mêmes,  ont  au- 
torisé ces  usages  pieux,  ces  cérémonies  sa- 
lutaires. 

Mais  loin  d'ici  ces  pompes  purement  mon- 
daines dont  on  voudrait  relever  la  misère 
d'un  mort  aux  dépens  des  vivants,  et  aug- 
menter le  nombre  de  ses  dettes  par  un  luxe 
éclatant  qu'on  lui  pré;  are.  Est-ce  donc  par 
une  pompe  profane  que  vous  ferez  oublier  à 
Dieu  les  offenses  que  votre  parent  défunt  a 
commises  contre  lui  pendant  sa  vie,  et  pensez- 
vous  pouvoir  réparer  son  orgueil  par  votre 
vanité?  Ah  !  s'il  est  vrai  que  vos  frères  morts 
aient  commencé  l'expiât. on  rie  leurs  fautes 
avant  la  mort,  et  qu'il  ne  leur  faille  plus 
qu'un  reste  de  satisfaction,  est-ce  par  de 
nouveaux  péchés  que  vous  voulez  l'achever? 
Rendez  leur,  comme  je  vous  ai  déjà  dit,  ces 
devoirs  de  bienséance  que  la  religion  per- 
met, mais  retranchez  tout  ce  que  la  vanité 
vous  inspiré,  pour  le  distribuer  aux  indi- 
gents, et  que  la  charité  soit  l'âme  et  la  règle 
des  devoirs  que  vous  voulez  leur  rendre,  tt 
que  les  morts  se  trouvent  soulagés  par  les 
secours  que  vous  donnerez  aux  vivants.  L'au- 
mône est  un  sacrifice  d'expiation  qui  apaise 
la  colère  du  Seigneur,  mais  qu'il  soit  accom- 
pagné de  celui  qu'on  offre  sur  nos  aulels. 
Troisième  et  dernière  réflexion. 

Ce  n'est  pas  en  vain,  dit  saint  Chryso<> 
torne,  que,  dans  la  célébration  des  saints 
mystères,  nous  rappelons  la  mémoire  de 
ceux  qui  nous  ont  précédés  dans  l'autre  vie,  et 
que  le  diacre  nous  crie  à  haute  voix  de  prier 
pour  ceux  qui  se  sont  endormis  dans  la  paix 
du  Seigneur;  c'est  une  pieuse  hostie  qui  ré- 
pand encore  ses  mérites  sur  ceux  dont  en 
lui  expose  les  besoins.  Il  est  vrai  qu'on  y 
fait  aussi  mémoire  des  martyrs,  mais  no 
faut  pas  croire  qu'on  y  prie  et  qu'on  offre  lo 
sacrifie  pour  eux;  non,  sans  doute,  il  y  a 
bien  de  la  différence  entre  les  uns  et  les  au- 
tres :  l'Eglise  prie  pour  les  morts  et  fait  mé- 
moire des  martyrs,  elle  regarde  ceux-ci 
comme  participants  du  triomphe  du  Sauveur, 
et  les  autres,  comme  des  captifs  qu'il  tient  en- 
chaînés. Dans  les  premiers,  elle  admire  les 
couronnes  qu'ils  ont  mises  aux  pieds  de  l'A- 
gneau ,  et  dans  les  seconds,  elle  voit  a*e«; 
compassion  des  chaînes  horribles,  et  elle  le 


{201 


MYSTERES  ET  FETES.  —  SERMON  IX,  POUR  LA  CONCEPTION. 


prie  de  les  briser.  Tels  sont  les  desseins  de 
l'Eglise  clans  le  saint  sacrifice  :  elle  y  rap- 
pelle et  les  Vaincus  C-t  les  vainqueurs,  les  uns 
pour  participer  aux  honneurs  du  triomphe 
delà  victime,  et  les  autres  pour  avoir  part  à 
ses  largesses  ;  ainsi,  ces  martyrs  y  sont  ho- 
norés comme  étant  en  possession  de  la  gloire 
de  Jésus-Christ,  et  les  morts  comme  étant  les 
objets  des  mérites  de  son  sang.  C'est  donc  à 
ce  sang  qu'il  faut  avoir    recours;  c'est  là 
l'huile  prérieuse  qu'il    faut  demander,   ce 
baume  salutaire   qui  peut  guérir  les  plaies 
de   ces  pauvres  âmes  souffrantes;  c'est  le 
fleuve  mystérieux  dont  parle  un  prophète  et 
dont  les  eaux  vont  arroser  cette  terre  aride 
pour  en  arracher  les  épines  du  péché.  Avec 
quelle  joie  ces  justes  morts  en  ressentent- 
ils  les  douces  effusions  et  avec  quels  trans- 
ports sentent-ils  tomber  leurs  chaînes  et  finir 
ou  abréger  leur  exil!  N'en  doutons  point, 
puisque  nos  pères  n'en  ont  jamais  douté  et 
que  1  Eglise  nous  a  transmis  sa  doctrine  sur 
ce  point  dans  son  dernier  concile;  mais,  si 
nous  le  croyons,  d'où  vient  notre  froideur 
envers  ces  âmes  souffrantes?  d'où  vient  ces 
délais  injurieux,  cet  oubli  volontaire,  ce  mé- 
pris souvent  qu'on  fait  des  dernières  volon- 
tés des  mourants,  ou  du  moins  la  manière 
froide  et  toute  indifférente  avec  laquelle  on 
l'exécute. 

Vous  qui  savez  maintenant  les  peines  que 
les  justes  morts  souffrent  dans  le  purgatoire, 
ne  différez  donc  pas  un  moment  à  leur  pro- 
curer les  secours  qu'ils  attendent  de  vous; 
rendez-leur,  sans  tarder  davantage,  ce  pieux 
et  important  office;  vous  voyez  les  moyens 
qu'il  faut  prendre  pour  les  soulager,  nous 
vous  l'avons  appris  :  Nolumus  vos  ignorare, 
etc.  Mais  que  la  compassion  que  vous  avez 
pour  eux  ne  vous  fasse  pas  oublier  vos  pé- 
rils: en  vain  seriez-vous  instruits  de  leurs 
malheurs,  si  .vous  n'en  sentiez  encore  de 
plus  grands  dont  vous  êtes  menacés,  et  c'est 
alors  qu'elles  vous  diraient  avec  juste  rai- 
son :ne  pleurez  pas  sur  nous,  mais  gémissez 
sur  l'état  où  vous  êtes  vous-mêmes  :  Nolite 
fere  super  me  ,  sed  super  vesmetipsos  tlete. 
(Luc,  XX1I1.) 

Nos  vœux,  nos  larmes  et  nos  soins  ne  se- 
ront vraiment  utiles  aux  âmes  souffrantes 
qu'à  mesure  que  nous  pleurerons  sur  nous- 
mêmes  ,  et  nous  ne  leur  ouvrirons  la 
porte  de  la  gloire  qu'à  mesure  que  nous  mé- 
riterons nous-mêmes  d'y  rentrer.  Je  vous  le 
souhaite,  au  nom  du  Père  et  du  Fils  et  du 
Saint-Esprit.  Amen. 

SERMON  IX. 

POUR    LA     FETE    DE    LA   CONCEPTION. 

Cum  essem  magis  bonus,  veni  ad    corpus  incoinquina- 
tum.  {Sap.,  VIII.) 

Et  devenant  bon  de  plus  en  plus,  je  suis  venu  dans  un 
corps  qui  n'était  point  souillé. 

Lorsque  Dieu,  dans  les  livres  saints,  après 
nvoir  relevé  le  mérite  de  l'innocence,  inter- 
roge tous  les  êtres  qu'il  a  créés  et  leur  de- 
mande s'ils  la  possèdent ,  l'abîme,  c'esl-à 
dire   l'enfer   ou  sont  précipités  les    anges 


1202 

rebelles,  a  répondu  qu'elle  ne  se  trouve  point 
dans  ses  horreurs  :  Abyssus  dicit  :ncn  est  in 
me.  (Job,  XXVIII.)  La  mer,  c'est-à-dire,  ce 
monde  vil  et  misérable,  avoue  à  son  tour 
qu'on  ne  la  trouve  point  au  milieu  de  ses 
tempêtes  :  Mare  loquitur  :  non  est    mecum. 
(Ibid.)  L'homme  qui  s'est  perdu  dans  ses 
voies  criminelles,  reconnaît  encore  aujour- 
d'hui que  depuis  le  péché  du  premier  père» 
on  n'a  plus  vu   l'innocence  sur  la  terre  : 
Abscondita  est  ab  ocuiis  omnium  vivenlium  ; 
perditio  et  mvrs  dixirunt  auribus  nostris  : 
audivimus  famam  ejus  (Ibid.);  mais,  lorsque 
dans  ce  bas  monde  l'homme  n'en  voyait  plus 
aucune  trace,  Dieu  du  haut  des  cieux  voyait 
une  route   nouvelle   de  cette  innocence  si 
rare  ;  il  regardait  avec  complaisance  et  mar- 
quait avec  bonté  un  lieu  éminent  et  privilé- 
gié où  elle  devait  s'arrêter  :  Deus  intelligit 
viam  ejus  et  ipse  novit  locum  illius.  (Ibid.)  Et 
cet  endroit  choisi,  privilégié,  vous  le  voyez 
tous,  Messieurs,  c'est  le  corps  sacré  de  Marie, 
à  qui  s'appliquent  littéralement  les  paroles  de 
mon  texte,  puisque  c'est  de  lui  qu'on  peut 
dire  que   Dieu  est   venu  animer  un  corps 
sans  âme   et  sans  péché  :  Cnm  essem  magis 
bonus  veni  ad  corpus  incoinquinatum. 

O  mon  Dieu  !  quand  on  vous  aime,  que  ce 
privilège  parait  doux  !   Ne  présenter  à  vos 
yeux  qu'une  sainteté  toujours  pure,  être  si 
occupé  de  votre  grâce  qu'on  ne  la  perde  ja- 
mais par  aucune  offense,  n'ajouter  rien  aux 
faiblesses  de   notre    misérable    nature  qui 
puisse   éloigner  les   regards   favorables  de 
votre  miséricorde;  pouvoir  se  rendre  à  soi- 
même  ce  bienheureux  témoignage,  qu'on  ne 
vous  a  jamais    déplu;  délivrer    la    nature 
humaine  de  ce  reproche  honteux,  et  n'avoir 
jamais  produit  rien  que  de  pur;  être  aussi 
pur  sur  la  terre  que  les  anges  le  sont  dans  le 
ciel,  que  ce  bonheur  est  sublime,  que  ces 
avantages  sont  grands  1  Celui-là  seul  peut  les 
comprendre,  qui  a  pu  les  y  apporter  :  aussi 
mon  dessein  n'est-il  pas    d'approfondir  ce 
mystère,  qui   est  plutôt  un  miracle   qu'un 
exemple.  Je  veux  tirer,  à  l'occasion  de  l'élé- 
vation de  Marie  et  de  de  la    correspondance 
fidèle  que  Marie  apporte  aux  grâces  de  sa 
conception,   les  tristes  raisons  de  la  rareté 
de  la  nôtre,  et  notre  peu  de  fidélité  aux  grâ- 
ces de  notre  baptême.  Première  raison  de  la 
correspondance    de   Marie   à  son  élection, 
c'est  une  vie  toute  sainte  et  toute  chrétienne 
et  ce  qui  fait  la  rareté  de  la  nôtre,  c'est  qu'il 
y  a  peu  de  chrétiens  qui  vivent  chrétienne- 
ment ;  seconde  raison  :  Marie  a  répondu  à 
son   élection  par  une  vie  toute  pénitente, 
malgré  l'innocence  de  ses  mœurs;  et,  ce  qui 
fait  la  rareté  de  la  nôtre,  c'est  que  parmi  nous, 
malgré  notre  corruption,  il  n'y  a  que  très-peu 
de  pénitents.  Deux  vérités  importantes  qui 
feront  les  cieux  points  de  ce  discours,  et  que 
je  terminerai,  si  le  temps  me  le  permet,  par 
une  dernière  proposition,  qui  est  que  Mario 
a  correspondu  à  la  grâce  de  son  élection,  par 
une  persévérance  constante  dans  l'état  de  la 
justice  où  elle  est  conçue,  et  que  ce  qui  fait 
la  rareté  de  la  nôtre,  c'est  qu'il  en  est  très- 
peu  parmi  nous  qui  soient  peisévéraumieut 


1203 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SURIAN. 


MO* 


justes.  Voilà  le  mystère  de  l'élection  de 
Marie  et  la  source  de  la  rareté  de  la  nôtre. 
Vous,  mon  Dieu,  accompagnez  ma  voix  de 
la  force  et  de  l'onction  de  votre  esprit,  et  en 
même  temps  que  je  vais  parler,  portez  la 
componction  et  la  pénitence  dans  les  cœurs 
de  mes  auditeurs,  nous  vous  le  demandons 
par  l'intercession  de  la  sainte  Vierge,  en  lui 
disant  :  Ave,  Mciria. 

PREMIER     POINT. 

Première  correspondance  de  Marie  à  îa 
grâce  de  son  élection  :  une  vie  toute  chré- 
tienne, et  ce  qui  rend  la  nôtre  si  rare,  c'est 
qu'il  y  en  a  peu  parmi  nous  qui  vivent  en 
véritables  chrétiens.  Qu'est-ce  qu'un  chré- 
t;en?  définissons-le,  moins  parce  qu'il  a  de 
glorieux  que  par  ce  qu'il  a  d'indispensable, 
et  puisque  Marie  est  ici  notre  régie,  voyons 
ce  qu'elle  a  été  elle-même,  et  de  quel  côté 
nous  lui  ressemblons.  Marie  s'offre  aux  fi- 
dèles dans  trois  états  différents  :  1°  A  l'é- 
gard de  Dieu,  dans  un  état  d'innocence; 
2"  à  l'égard  d'elle  même  dans  un  état  de  mor- 
tification; 3°  à  l'égard  du  monde  dans  un 
état  de  haine.  Voilà  la  disposition  de  Marie, 
et  les  traits  de  ressemblance  que  nous  devons 
avoir  avec  elle.  Etudiez  sur  cela  votre  élec- 
tion. 

Voyez  si  Jésus-Christ  est  en  vous,  s'il  y 
vit,  s'il  y  respire,  si  vous  êtes  un  autre  lui- 
même;  qui  n'est  pas  son  image  n'est  pas  son 
enfant,  et  qui  n'est  pas  son  émule  ne  mérite 
pas  de  porter  son  nom  :  Annon  cognoscitis 
rosmetipsi,  quia  Christus  Jésus,  invobis  est, 
nisi  forte  reprobi  estis.  (II  Cor.,  XIII.)  Sur 
cette  idée,  jugez  si  la  multitude  des  fidèles 
est  grande,  et  ne  dirait-on  pas  que  Jésus- 
Christ  a  établi  sa  religion  pour  la  ruine  de 
plusieurs?  Quelle  foule  de  coupables,  et  du 
côté  de  Dieu,  et  du  côté  d'eux-mêmes,  et  du 
côté  du  monde! 

1°  Je  dis  qu'un  chrétien,  s'il  soutient  le 
nom  qu'il  porte,  doit  vivre  à  l'égard  de  Dieu, 
comme  Marie,  d'une  vie  innocente.  En  effet, 
cet  habitant  du  monde,  ce  citoyen  de  la 
terre,  est  composé  de  chair  et  d'esprit  dont 
les  parties  se  combattent.  Cette  portion  de 
la  nature  humaine  que  la  mort  détruit,  en  est 
souvent  l'ennemi  et  la  perte  ;  un  chrétien 
c'est  un  homme  caché  qui,  loin  de  ce  monde 
corrompu,  vit  dans  un  monde  plus  pur,  plus 
sag3,  plus  éclairé,  plus  sincère.  C'est  un 
homme  céleste,  détaché  des  sens  et  de  la 
chair,  à  qui  le  baptême  est  un  tombeau  où  il 
meurt  au  péché  pour  ne  plus  vivre  qu'à  la 
grâce.  Oui,  chrétiens,  dans  ces  eaux  salutai- 
res, vous  avez  pris  comme  Marie  dans  sa 
conception,  une  forme  toute  nouvelle  ;  vous 
vous  y  êtes  dépouillés  du  vieil  homme  et  de 
toutes  ses  affections,  vous  \  êtes  devenus  une 
portion  de  Dieu  même;  mais,  si  votre  vie  ne 
répond  pas  à  vos  engagements,  si,  comme 
Marie,  vous  ne  répondez  pas  par  une  vie 
sainte  à  la  grâce  de  votre  vocation  au  chris- 
tianisme, vous  êtes  un  parjure,  un  ingrat,  un 
infidèle.  Puisque  tous  vos  titres  sont  saints, 
ne  périssez-vous  pas,  si  vous  n'êtes  saints 
vous-mêmes?  et  si  votre  vie  n'est  pas  inno- 


cente, avec  une  vocation  si  sainte,  if  est- 
elle  pas  monstrueuse?  Or,  .sur  ce  principe, 
les  vrais  chrétiens  forment-ils  le  plus  grand 
nombre?  en  trouve-t-on  beaucoup  qui,  mar- 
chant sur  les  traces  de  Marie,  répondent  à 
ces  grâces  et  à  ces  premiers  bienfaits  de 
Dieu,  par  une  vie  d'innocence  et  de  sain- 
teté? Hélas  !  dit  le  prophète,  il  n'est  plus  do 
saints  :  dcfecit  sanctus  (Psnl.  X  );  tout  est 
corrompu,  et  l'homme  s'est  bientôt  dégradé 
sur  la  terre.  Il  y  a  longtemps  que  nous  avons 
souillé  cette  robe  de  candeur  que  nous 
avions  reçue  au  baptême;  il  y  a  longtemps 
que  nous  avons  effacé  de  notre  âme  le  carac- 
tère d'innocence  et  de  sainteté  que  la  grâce 
de  notre  régénération  y  avait  imprimé. 

Autrefois  l'innocence  était  un  trésor  si 
cher  aux  fidèles,  qu'ils  sacrifiaient  tout  pour 
la  conserver,  mais  aujourd'hui  en  fait-on  le 
moindre  cas?  et,  loin  de  veiller  pour  ne  pas 
la  perdre,  ne  s'expose-t-on  pas  à  tout  ce  qui 
peut  la  corrompre?  Il  semble  qu'elle  peso 
aux  chrétiens  de  nos  jours,  et  que  notre  rai- 
son, semblable  à  ces  lueurs  nocturnes,  ne  se 
développe  et  ne  brille  de  plus  en  plus  à  nos 
veux  que  pour  nous  séduire,  nous  égarer  et 
nous  conduire  au  précipice.  Encore  si  la  perte 
de  notre  innocence  se  faisait  sentir,  mais 
combien  la  croient  où  elle  n'est  pas  ?  com- 
bien s'imaginent  que  les  moyens  dont  ils  so 
serventsont  justes  etlégitimes,lorsqu'ilssont 
injustes  et  criminels  ?  Combien  qui  regar- 
dent comme  une  fragilité  pardonnable  co 
qui  est  un  péché  digne  de  châtiment?  com- 
bien se  permettent  la  mollesse,  le  luxe, 
comme  l'apanage  de  leur  état?  Je  pourrais, 
parcourant  ici  toutes  les  conditions ,  vous 
montrer  que  chacun  a,  dans  son  cœur,  une 
illusion  qui  le  séduit,  une  corruption  dé- 
guisée qui  le  réprouve,  et  que  dans  la  plu- 
part, cette  grâce  première  que  Marie  con- 
serve si  visiblement,  se  perd  insensiblement 
pendant  qu'on  croit  l'avoir  encore. 

Mais  quelle  preuve  ne  vous  donnerais-je 
pas  de  cette  vérité,  si  je  vous  faisais  souve- 
nir de  la  licence  du  siècle  d'aujourd'hui  ?  A 
ce  moment,  je  m'imagine  entendre  le  Sei- 
gneur qui  me  dit  dans  une  douleur  vive, 
comme  autrefois  au  prophète  Jérémie  :  Ah! 
dans  ce  lieu  saint,  où  la  fille  de  Sion  offre 
à  votre  dévotion  un  objet  de  sainteté  et  d'in- 
nocence, parcourez  et  considérez  avec  atten- 
tion si,  dans  la  multitude  des  chrétiens  as- 
semblés sous  vos  yeux,  vous  trouverez  un 
homme  de  mon  choix,  qui  soit  juste  et  fidèle  : 
Circuite  vias  Jérusalem  un  invenialis  virum 
facientem  judicium  et  quœrcntem  fidem.  (Je- 
rcm.,  V.)  Dans  un  esprit  de  soumission  aux 
ordres  de  mon  Dieu,  je  vais  donc,  avec,  ce 
prophète,  chercher  cet  nomme  de  Dieu,  cet 
homme  juste  parmi  les  chrétiens.  J'irai  parmi 
les  pauvres:  Forsitan pauperes  sunt  et  slulli 
ignorantes  viam  Domini.  Leur  esprit  est  plein 
de  jalousie,  d'envie,  de  rébellion,  de  mur- 
mures; leur  cœur  ne  forme  que  des  désirs 
contraires  à  l'état  ou  les  a  mis  la  divine  Pro- 
vidence; leur  vie  est  sans  connaissance,  sans 
réllexion,  et  un  simple  mouvement  du  pen- 
chant de  la  nature;  ils  sont  d'autant  plus 


1205 


MYSTERES  E'ï  FETES.  ~  SERMON  IX  ,  POUR  LA  CONCEPTION. 


120S 


malheureux  qu'ils  ne  savent  pas  profiler  de 
leur  misère.  Plus  vous  les  frappez  Seigneur 
et  plus  ils  deviennent  intraitables;  les  coups 
favorables  que  vous  leur  portez  pour  les  ra- 
mener à  vous  ne  servent  qu'à  les  éloigner  : 
Perctissisti  eos  et  non  doluerunt.  (Jerem.,  V.) 
J'irai  parmi  les  riches,  parmi  les  grands  de  la 
terre.  Ah  1  plus  ils  ont  de  lumières  et  de  con- 
naissances, plus  ils  s'en  servent  pour  secouer 
le  joug  du  Seigneur;  ils  mettent  leurs  res- 
sources dans  leurs  richesses,  leur  attache- 
ment aux  choses  de  la  terre;  plus  on  prend 
soin  de  leur  représenter  les  voies,  et  les 
justes  jugements  de  Dieu,  plus  ils  négligent 
les  devoirs  de  la  piété,  de  la  pureté  et  de  l'o- 
béissance. Ils  font  de  leur  grandeur,  de  leurs 
richesses,  une  idole,  et  1  ur  vie  n'est  qu'une 
infraction  continuelle  (\a>  lois  du  Seigneur 
et  des  vœux  de  leur  baptême  :  Ibo  ad  opti- 
males et  lonuar  eis  :  ipsi  enim  cognoverunt 
viam  Domini,  et  ccce  magis  hi  simul  confre- 
gerunt  jugum,  ruperunt  vincu'a.  (Ibid.)  Les 
savants  sont  peut-être  dans  une  situation 
plus  avantageuse.  Hélas!  [dus  ils  ont  de  pé- 
nétration et  moins  ils  songent  à  la  science 
du  salut;  les  plus  grands  esprits  sont  sou- 
vent les  moins  religieux,  ils  se  perdent  pour 
vouloir  trop  approfondir  les  vérités  divines  : 
ils  nient  tout  ce  qu'ils  ne  peuvent  compren- 
dre. Les  grands  raisonnements  sont  les 
écueils  ordinaires  de  la  foi,  et  pour  vouloir 
être  trop  philosophe,  on  cesse  d'être  chré- 
tien :  Negaverunt  Dominum  et  dixerunt  :  non 
estipse,  nequevcniet  super  nos  malum.  (Ibid.) 
Inutilement  irais -je  chercher  l'innocence 
dans  la  justice  :  ce  n'est  plus  la  vérité  qui  juge, 
c'est  la  passion;  on  n'y  défend  plus  la  cause  de 
la  veuve,  les  intérêts  du  pupille,  le  droit  des 
misérables  :  la  faveur  l'emporte  sur  les  bon- 
nes raisons,  le  crédit  et  l'autorité  sur  le  bon 
droit  et  sur  la  vérité  :  Causamvidaœ  nonjudi- 
caverunt,  causant  pupilli  non  direxerunt. 
(Ibid.)  etc.  Si  je  porte  mes  yeux  jusque  dans 
le  sanctuaire,  qu'y  vois-je?  de  faux  prophètes 
qui  débitent  le  mensonge  pour  de  saintes 
vérités,  des  ministres  lâches  ou  intéressés, 
qui,  plus  complaisants  pour  le  monde  que 
pour  Dieu,  mettent  des  coussins  sous  les 
coudes  du  pécheur,  ou  qui  des  revenus  de 
l'Eglise,  font  le  patrimoine  de  leurs  héri- 
tiers; des  oints  du  Seigneur  plus  mondains 
que  le  peuple,  qui,  par  une  vie  déréglée,  dés- 
honorent le  caractère  auguste  qu'ils  por- 
tent, profanent  les  saints  mystères  qu'ils 
opèrent,  et  prostituent  la  divine  majesté  du 
Maître  qu'ils  servent.  Car,  pour  quelques- 
uns,  qui  sont  de  bons  prêtres  et  répondent 
fidèlement  aux  devoirs  et  à  la  dignité  de  leur 
vocation ,  combien  y  en  a-t-il  qui  s'en  ren- 
dent indignes?  Prophètes  prophetabant  men- 
dacium  et  sacerdotes  apptaudebant  manibus 
suis.  (Ibid.)  Enfin,  toute  chair  a  corrompu  sa 
voie  sur  la  terre,  un  même  nuage  enveloppe 
tous  les  états;  et  si  Dieu  me  dit,  comme 
à  Jérémie  :  montrez-moi  quelqu'un  qui  mène 
une  vie  innocente,  hélas  1  ne  suis-je  pas  forcé 
de  lui  répondre  encore  une  fois,  avec  David: 
il  n'est  plus  de  saint  dans  le  monde.  Venez 
donc  Seigneur,  au  secours  de  votre  Eglise; 


jamais  édifice  ne  s'éleva  plus  vile  et  ne  se 
soutint  plus  mollement.  Religion  sainte  de 
mon  Dieu,  êtes-vous  donc  la  même,  qui  por- 
tiez autrefois  dans  votre  sein  un  peuple 
d'élus,  et  qui  pouviez  presque  compter  le 
nombre  des  saints  par  le  nombre  de  vos  en- 
fants? Vos  beaux  jours  sont  passés,  et  ce 
n'est  que  contre  les  chrétiens  d'aujourd'hui, 
qui  vivent  plutôt  en  enfants  du  siècle  qu'en 
enfants  de  l'Eglise,  que  Jésus-Christ  pro- 
nonce cet  anathème  terrible  :  beaucoup  d'ap- 
pelés et  peu  d'élus. 

O  vous  qui  m'écoutez,  pouvez-vous  tirer 
une  conséquence  favorable  de  cetie  effrayante 
vérité?  Examinez-vous  vous-mêmes  ;  car,  je 
ne  veux  pas  qu'avec  une  vie  réprouvée  on 
se  promette  le  sort  des  élus;  pouvez-vous 
vous  ranger  avec  ce  petit  nombre?  voulez- 
vous  savoir  si  vous  êtes  séparés  de  la  mul- 
titude' Demandez-vous  si,  comme  Marie, 
vous  avez  les  mœurs  innocentes,  le  cœur 
pur,  des  désirs  bien  réglés  ;  voyez,  chacun 
dans  votre  état,  si  vous  menez  cette  vie  de 
justice  et  de  piété  que  menait  Marie.  Je  vis, 
dites-vous,  comme  tous  les  autres.  Mais,  si 
tous  les  autres  périssent  à  vos  yeux,  vous 
voulez  donc  périr  avec  eux?  car,  enfin,  en 
quel  endroit  de  l'Ecriture  trouvez-vous  que 
la  multitude  se  sauve,  où  lisez-vous  que  la 
béatitude  est  promise  au  grand  nombre  et 
qu'elle  vous  est  réservée,  tandis  que  vous 
vivrez  comme  les  autres?  Mon  Dieu,  plus 
on  approfondit  cette  vérité,  plus  on  est  saisi 
de  frayeur,  et  les  plus  justes  tremblent,  tan- 
dis que  les  réprouvés  lui  offrent  un  cœur 
intrépide  et  dur  comme  la  piene. 

2°  Un  chrétien  à  l'égard  de  soi-même,  doit 
mener  une  vie  de  mortification  comme  Ma- 
rie. La  croix  de  Jésus-Christ  et  la  qualité  de 
chrétien  sont  inséparables;  on  perd  l'une  dès 
qu'on  néglige  l'autre,  et  quiconque  refuse 
cette  portion  de  peines,  que  le  Sauveur  im- 
pose à  ses  enfants  sur  la  terre,  renonce  h 
cette  portion  de  gloire,  qu'il  leur  prépare 
dans  le  ciel.  Ne  savez-vous  pas,  dit  l'Apôtre, 
qu'il  a  fallu  que  Jésus-Christ  ait  souffert  pour 
entrer  dans  la  gloire,  et  pourquoi  donc,  vous 
qui  prétendez  à  une  couronne  éternelle,  re- 
fusez-vous de  souffrir  et  de  vous  mortifier? 

Mais  sur  cette  règle,  si  les  élus  ne  se  for- 
ment, comme  Marie,  que  dans  les  souffrances 
et  les  mortifications,  en  voyez-vous  beaucoup 
ici  qui  puissent  se  dire  dû  nombre  des  'élus, 
ou,  si  vous  n'en  voyez  peut-être  point,  ne 
devez-vous  pas  vous  confondre  vous-même? 
Pourrez-vous  lever  ici  la  lête,  et  vous  parer 
du  nom  de  chrétien?  On  l'entend  partout  ce 
glorieux  nom  de  chrétien,  mais  combien  en 
remplissent  les  véritables  obligations?  s'il 
est  rare  de  trouver  dans  le  siècle  de  vrais 
héros,  parce  que  pour  cela  il  faut  vaincre, 
combattre,  triompher,  se  mettre  au-dessus 
des  événements  les  plus  fâcheux  de  la  vie, 
braver  tous  les  danger  et  courir  même  an- 
devant  de  la  mort,  les  héros  ne  sont-ils  pas 
encore  plus  rares  dans  le  christianisme, 
puisqu'il  faut  combattre  sa  propre  chair,  dés- 
armer ses  passions,  mortifierses  sens,  triom- 
pher de  son  penchant  et  de  sa  volonté,  sa 


noi 


ORATEl'RS  SACRES.  LE  P.  SUR1AN. 


1203 


vaincre  soi-même  et  traiter  en  esclave  notre 
cœur,  notre  esprit  et  notre  corps,  qui  sont 
nos  plus  cruels  ennemis'  Ai-je  doncexagéré 
quand  j'ai  dit  que  le  nombre  des  élus  est 
bien  rare? 

En  effet,  un  chrétien  doit  être  dans  la  tris- 
tesse et  dans  l'abattement,  et  tous  sont  ar- 
dents pour  le  plaisir,  tous  respirent  la  mol- 
lesse. Un  chrétien  doit  aimer  la  mortifica- 
tion comme  un  remède ,  et  tous  donnent  dans 
la  sensualité  et  dans  la  délicatesse,  comme 
un  agréable  poison  ;  un  chrétien  doit  faire 
une  victime  de  son  corps,  et  vous  faites  tous 
une  idole  du  vôtre  ;  un  chrétien  est  un  homme 
selon  l'Evangile  qui  se  hait,  et  vous  donnez 
tout  à  vos  affections,  à  vos  appétits,  à  vos 
sens  ;  un  chrétien  est  un  homme  qui  se 
peine,  qui  se  fait  violence ,  et  vous  êtes  at- 
tachés à  vos  aises,  à  vos  commodités  ;  un 
chrétien  est  un  homme  mort  au  monde,  sé- 
paré du  siècle,  crucifié  à  lui-même,  et  vous 
donnez  dans  les  modes,  dans  les  usages, 
dans  les  coutumes,  dans  les  maximes  des 
mondains,  et  ne  cherchez  qu'à  vous  satis- 
faire. Ah!  depuis  quand  la  joie  et  les  déli- 
ces du  monde  sont-elles  donc  montées  sur  la 
croix  de  Jésus-Christ?  Un  fonds  d'amour-pro- 
pre, de  mollesse  règne  dans  toutes  vos  ac- 
tions; ali!  c'est  là  crucifier  Jésus-Christ? 
mais  est-ce  vous  crucifier  vous-mêmes  avec 
ïui?  Un  chrétien  est  un  nouvel  homme,  c'est- 
à-dire  qu'il  n'a  rien  du  v;eil  Adam,  rien  de 
terrestre,  rien  de  charnel,  rien  que  de  spiri- 
tuel; et  cependant,  à  la  vue  seule  du  plaisir 
et  des  divertissements,  toutes  vos  passions 
s'émeuvent,  tous  vos  désirs  s'irritent;  est-ce 
Jà  mourir  au  monde  et  à  ses  convoitises? 
est-ce  être  chrétien?  est-ce  être  imitateur 
Je  Marie?  est-ce  être  disciple  de  la  croix 
de  Jésus -Christ,  et  par  conséquent  est- 
ce  là  vouloir  prétendre  à  l'héritage  de  sa 
gloire? 

O  vous,  ministre  des  grandes  vengeances 
du  Seigneur,  ange  exterminateur, qui  ne  de- 
vez épargner  que  ceux  qui  auront  porté  sur 
leur  front  l'impression  du  sang  de  l'Agneau, 
ahl  si  vous  commenciez  dès  à  présent  le 
ministère  de  votre  fureur,  que  vous  trouve- 
riez à  frapper  !  Qui  de  nous  ne  devrait  crain- 
dre de  tomber  sous  vos  coups?  quelle  action 
n'aurait  pas  sur  mes  auditeurs  le  glaive  im- 
pitoyable que  la  colère  du  Seigneur  vous 
met  -en  main  !  que  de  sang  l'on  verrait  ici 
couler  de  toutes  parts  !  quelle  désolation  ! 
quel  carnage!  Combien  serions-nous  éloi- 
gnés de  cette  erreur  grossière,  qui,  au  mi- 
Leu  même  de  la  corruption  ,  nous  fait  croire 
en  sûreté  de  salut!  et  que  bien  plus  ter- 
riblement que  moi  vous  annonceriez  cette 
effrayante  vérité  :  neu d'imitateurs  de  Marie, 
pau  de  vrais  chrétiens,  et  par  conséquent 
peu  d'élus  ! 

3°  Un  chrétien,  à  l' exemple  de  Marie,  doit 
mener  une  vie  de  haine  et  de  renoncement 
à  l'égard  du  monde  ;  être  chrétien  et  être  du 
monde  sont  deux  choses  inalliables.  Aussi 
au  baptême  vous  avez  retiré  votre  nom  de 
cette  milice  profane,  pour  vous  enrôler  sous 
le  iaint  étendard  de  Jésus-Christ.  Dieu  ne  vous 


promit  son  royaume,  et  ne  vous  donna  l'espé- 
rance aux  biens  éternels,  qu'à  condition  que 
vous  renonceriez  aux  biens  temporels;  et 
vous  jurâtes  avec  le  monde  et  ses  pompes 
un  divorce  éternel.  Si  dès  lors  vous  l'aviez 
connu,  ce  monde,  quelle  force,  quelle  éner- 
gie auraient  eue  vos  serments;  mais  à  pré- 
sent que  vous  le  connaissez,  qui  de  vous 
peut  se  souvenir  de  ces  vœux  sans  se  faire 
peur  à  soi-même? 

O  vous  qui  m'écoutez,  examinez  un  peu 
votre  conduite  ;  sur  quel  point,  en  quelle 
occasion  tenez-vous  la  promesse  que  vous 
avez  faite  au  baptême?  Ces  habits  si  somp- 
tueux, ce  luxe,  ce  faste  sont-ils  un  renon- 
cement aux  modes  du  inonde  ?  Ces  jeux 
ruineux,  ces  superfluités  scandaleuses,  ces 
spectacles  profanes,  qui  partagent  votre 
temps,  sont-ils  un  renoncement  aux  pompes 
du  monde?  Ces  endures  d'esprit,  ces  projets 
ambitieux,  cette  avidité  pour  les  honneurs, 
pour  les  charges,  pour  les  dignités,  sont-ils 
un  renoncement  aux  van  tés  du  monde?  Ces 
discours  séduisants,  ces  entretiens  flatteurs, 
ces  artifices,  ces  dissimulations ,  ces  paroles 
équivoques,  ces  airs  passionnés  dont  vous 
faites  votre  principale  étude,  sont-ils  un  re- 
noncement au  langage  du  monde?  Cet  em- 
pressement pour  \u&  plaisirs,  pour  les  diver- 
tissements, pour  les  festins,  pour  la  bonne 
chère,  est-ce  un  renoncement  aux  joies  du 
monde?  Haïssez- vous  le  monde  ,  tandis  que 
vous  ne  songez  qu'à  nager  dans  ces  désor- 
dres? Haïssez-vous  le  monde,  quand  vous 
vous  faites  une  étude  de  lui  plaire,  un  art  de 
vous  mettre  selon  son  goût,  et  que  vous  ap- 
pelez un  malheur  de  ne  lui  être  pas  agréa- 
ble? Haïssez-vous  le  monde,  quand  vous  ne 
servez  point  d'autre  maître  que  lui,  et  que 
vous  préférez  la  honte  d'être  son  esclave  et 
sa  victime  à  l'a  gloire  d'être  son  vainqueur? 
Haïssez-vous  le  monde,  quand  vous  vousdé- 
clarczson  apologiste  contre  la  censure  qu'en 
font  les  ministres  du  Seigneur,  et  que  vous 
faites  plutôt  sa  volonté  que  celle  de  votre 
Dieu?  Haïssez-vous  le  monde,  quand  vous 
allez  en  aveugle  à  tous  les  écueils  qu'il  vous 
offre,  à  tous  les  pièges  qu'il  vous  tend,  à 
tous  les  abîmes  qu'il  vous  ouvre;  quand 
vous  ne  vous  plaisez  que  dans  ses  mouve- 
ments, que  dans  ses  agitations,  que  dans  ses 
troubles,  que- dans  ses  compagnies,  que 
dans  ses  assemblées  ?  Haïssez-vous  le  monde, 
quand  vous  courez  au  théâtre  où  il  règne , 
où  toutes  ses  pompes  triomphent ,  où  il  joiut 
tous  ses  charmes  et  sa  force  contre  l'inno- 
cence et  la  vertu ,  où  il  se  fait  sentir  tout  en- 
tier avec  ses  traits  les  plus  enflammés  et  les 
plus  puissants,  où  son  esprit  se  communi- 
que comme  une  contagion  mortelle; où,  avec 
son  poison  le  plus  subtil,  il  rassemble  ses 
dangers  et  sa  corruption  répandus  dans  ses 
autres  assemblées,  et  les  fait  entrer  jusques 
dans  la  substance  de  l'âme?  Sont-ce  là  des 
traits  bien  marqués  de  votre  haine  pour  le 
monde,  et  ressemblez-vous  en  cela  à  Marie? 

Àh  !  je  l'avoue ,  quelquefois  vous  vous 
plaignez  que  ses  plaisirs  sont  insipides ,  ses 
honneurs  trop  gênants,  ses  richesses  périssa- 


1209 


MYSTERES  ET  FETES.  —  SER 


blés.  Si,  dans  les  chaires  chrétiennes,  les  mi- 
nistres de  la  sainte  parole,  j  our  vous  rendre 
ce  monde  plus  odieux,  vous  disent  que  c'est 
un  imposteur  qui  vous  tromre,  qui  n'a  rien 
de  réel  que  sa  fausseté,  rien  de  grand  que 
ses  peines  et  ses  chagrins,  rien  de  certain 
que  son  inconstance  et  sa  légèreté;  si  nous 
vous  disons  que  ce  monde  n'est  qu'un  as- 
semblage de  victimes  malheureuses  qui 
s'immolent  tour  h  tour,  qu'une  société  d'a- 
veugles qui  se  précipitent,  qui  se  portent 
envie,  qui  se  plaident  les  uns  les  autres;  si 
nous  vous  apprenons  que  ce  monde  est  une 
mer  orageuse  où  les  tempêtes  sont  fré- 
quentes et  ies  naufrages  presque  inévitables; 
que  c'est  une  terre  maudite  dont  le  fonds 
est  la  corruption,  qui  n'a  de  fécondité  que 
pour  le  mal,  dont  le  nom  seul  est  un  ana- 
thème,  un  séjour  empesté  où  l'on  ne  respire 
qu'un  air  de  malice,  où  l'on  ne  trouve  que 
de  fausses  lumières,  où  le  vice  triomphe,  où 
la  vertu  dépérit,  où  l'innocence  n'ose  pa- 
raître; si  nous  vous  disons  que  ce  monde 
est  l'objet  de  la  haine  do  Dieu,  le  règne  du 
démon,  vous  en  convenez  avec  nous.  Vous 
ajoutez  même  encore  à  ce  tableau  des  traits 
plus  vifs  et  plus  sensibles  par  la  connaissance 
que  vous  en  avez  plus  que  nous,  et  nous 
avons  aujourd'hui  la  consolation  de  voir  que 
vous  nous  surpassez  dans  la  peinture  af- 
freuse que  vous  faites  du  monde  et  de  ses 
peines;  mais,  dans  la  pratique,  ne  le  suivez- 
vous  pas?  Malgré  toutes  les  plaintes  que  vous 
en  faites,  ne  lui  donnez-vous  pas  tout  votre 
amour  cl  votre  affection?  Ne  lui  sacrifiez- 
vous  pas  votre  repos,  votre  santé,  vos  plus 
belles  années,  vos  pensées  et  vosréllexions? 
et,  par  une  triste  expérience,  ne  montrez- 
vous  pas  entre  la  bouche  et  le  cœur  des 
contradictions  honteuses?  Vous  connaissez 
parfaitement  b  monde,  dites-vous;  mais  à 
quoi  servent  là-dessus  vos  lumières,  sinon  à 
nous  faire  connaître  davantage  que  c'est, 
votre  aveugle  nient  d'avoir  encore  un  vio- 
lent amour  pour  ce  monde  que  vous  avouez 
être  si  haïssable,  et  de  l'idolâtrer  encore, 
tout  méprisable  qu'il  vous  parait?  Enfin, 
vous  et  ce  monde  êtes-vous  deux  ennemis 
déclarés?  11  est  peut-être  le  vôtre,  mais  êtes- 
vous  le  sien?  Malgré  ce  que  vous  en  savez, 
vous  parlez,  vous  agissez,  vous  pensez,  vous 
jugez,  vous  louez,  vous  blâmez  comme  le 
monde;  vous  estimez,  vous  décidez,  vous 
désirez,  vous  espérez,  vous  craignez  comme 
le  monde;  vous  aimez,  vous  allligez,  vous 
haïssez,  vous  consolez,  vous  vivez  comme 
Je  monde;  vous  êtes  donc  le  monde  même? 
Or,  le  monde  n'est  point  chrétien,  donc  vous 
ne  l'êtes  point  non  plus;  comme  le  monde 
vous  n'êtes  point  chrétien,  donc  vous  n'êtes 
point  du  petit  nombre  des  élus;  avec  le 
monde  vous  êtes  du  grand  nombre,  donc 
vous  êtes  exclus  de  l'héritage  du  ciel  et  des 
récompenses  éternelles  réservées  aux  élus; 
donc  vous  êtes  cette  multitude  perverse  que 
Jésus-Christ  foudroie  dans  les  Livres  sacrés. 
Si  vous  étiez  sauvés  avec  des  mœurs  et  une 
vie  si  commune,  qu'y  aurait-il  de  plus  com- 
mun que  le  salut? 


MO.N  IX,  FOLK  LA  COXCEPTION.  ri  10 

Mon  Dieu,  que  celte  vérité  porte  dans  l'es 
prit  des  idées  sombres  et  amères  I  Quand 
elles  pénètrent  jusque  dans  le  cœur,  qu'on 
trouve  inestimable  l'élection  de  Marie!  Ahl 
voulez-vous  donc  sortir  de  l'accablement  que 
produisent  ces  réflexions?  imitez  Marie  dans 
la  séparation  et  la  haine  qu'elle  eut  pour  le 
monde;  imitez  ces  enfants  d'Israël  qui,  dans 
le  milieu  de  Babylone,  refusent  d'adorer  l'i- 
dole devant  qui  tout  le  peuple  s'est  pros- 
terné; et  lorsque  le  mon!e,  qui  est  le  Dieu 
d'aujourd'hui,  fait  tomber  tout  l'univers  à 
ses  pieds  :  Cadentes  cmnes  populi  adorave- 
runt  statuam  auream  (Dan.,  111),  dites-lui 
comme  ces  âmes  choisies  :  Ecce  Deus  nosur 
quem  colimus;  voilà  sur  lacroiï,  sur  l'autel, 
le  Dieu  unique  que  nous  adorons  dans  le 
fond  de  nos  âmes;  lui  seul  est  le  bien  su- 
prême à  qui  nous  rendons  nos  hommages  : 
Ecce  Deusnoster  quem  colimus,  (Ibid.)  Mais, 
pour  vos  faux  dieux,  pour  vos  biens  péris- 
sables, pour  vos  frivoles  plaisirs,  pour  vos 
chimériques  honneurs,  nous  les  avons  en 
exé<  rat;on  :  Notum  sit  tibi,  quia  deos  tuos 
non  colimus.  [Ibid.)  Et  sache,  ô  monde  trom- 
peur, que  nous  n'aurons  point  pour  toi  ni 
tes  idoles  une  lâche  circonspection;  nous 
faisons  gloire  de  le  dire  publiquement,  nous 
n'adorerons  jamais  la  statue  que  tu  as  élevée: 
Statuant  atiream  quarn  erexistis  non  adora- 
mus.  (Ibid.) 

Vous  le  sentez  donc,  Messieurs,  dans  ce 
tableau  du  inonde  chrétien,  combien  l'inno- 
cence est  rare  sur  la  terre,  et  ces  traits, 
quoique  étrangers,  ont  une  opposition  sen- 
sible avec  la  vie  pure  et  innocente  dont  se 
forme  contre  nous  la  conviction  du  petit 
nombre.  Mais,  s'il  en'est  peu  d'élus,  parce 
que  peu  mènent  comme  Marie  une  vie  d'in- 
nocence, il  en  est  peut-être  beaucoup  qui 
embrassent  comme  elle  une  vie  pénitente. 
Vaine  ressource,  puisqu'il  en  est  peu  qui, 
après  une  vie  toute  de  péché,  soient  sincère- 
ment pénitents  et  véritablement  convertis  : 
scionde  cause  de  la  rareté  des  é!us,  et  la  se- 
conde partie  de  mon  discours,  que  j'achève 
en  peu  de  mots. 

SECOND   POINT. 

La  seconde  correspondance  de  Marie  à  la 
grâce  de  son  élection,  c'est  une  consécration 
totale  à  la  pénitence,  malgré  l'innocence  de 
ses  mœurs,  et  ce  qui  rend  la  nôtre  si  rare, 
c'est  que,  malgré  la  corruption  générale  de 
notre  vie,  il  en  est  p«u  qui  soient  sincère- 
ment pénitents;  et  plût  à  Dieu  que  cette  vé- 
rité fût  plus  difficile  à  prouver  que  la  pre- 
mière! Ici  ne  livrons  point  nos  esprits  à  ces» 
satires  outrées,  ne  suivons  point  cette  élo- 
quence qui  grossit  les  objets,  et,  afin  qu'il 
ne  nous  arrive  point  de  rien  exagérer,  don- 
nons à  la  conversion  et  à  la  pénitence  l'idée 
la  plus  simple  et  la  plus  nécessaire. 

Qu'est-ce  que  se  convertir?  Se  convertir  à 
•Dieu,  c'est  d'abord  quitter  le  péché,  haïr  le 
crime  en  le  fuyant  et  en  l'éloignant  de  i-a 
conduite,  aimer  la  justice  en  s'y  soumettant; 
voilà  par  où  l'on  peut  s'y  réconcilier  avec 
Dieu  et  entier  dans  l'ordre  de  son  éltclioii 


1 2  H 

éternelle.  Mais  qu*il  en  est  peu  qui  suivent 
cette  voie,  et  qu'un  élu  peut  bien  s'écrier 
comme  Marie  :  Je  suis  comme  un  prodige  à 
Tégard  de  plusieurs  :  Tanquam  prodiginm 
Cactus  s  um  mullis.  [Psal.  LXX.) 

La  ruine  entière  de  tout  péché  est  donc  la 
première  démarche  que  doit  faire  un  pécheur 
touché  ;  il  faut  qu'il  commence  par  renoncer, 
par  anéantir  en  lui  le  péché;  il  faut  qu'il 
dise  :  Dieu  de  mon  cœur,  séparez-le  de  tous 
ses  désirs  criminels,  de  toutes  ses  affections, 
de  toutes  ses  œuvres  d'iniquité,  puisque  ce 
n'est  que  par  là  qu'il  peut  être  digne  de  vous. 
Or,  cette  conversion  est-elle  la  vôtre,  Mes- 
sieurs? est-elle  celle  de  la  multitude?  en 
quel  endroit  découvre-t-on  ce  renoncement 
total  au  péché?  Etudiez-vous  vous-mêmes;  ne 
tenez-vous  point  encore  de  quelque  côté  à  ces 
crimes  dont  vous  vous  dites  convertis.  Con- 
sidérez tout  ce  qui  vous  environne,  ne  peut- 
on  point  faire  de  vous  les  plaintes  amères 
que  le  Seigneur  faisait  de  cette  pénitente 
trompeuse  d'Israël?  Cette  rebelle  pécheresse, 
dit-il,  n'est  convertie  qu'en  apparence  ;  sa 
conversion  n'est  qu'un  fantôme  de  pénitence, 
parce  qu'elle  n'est  point  revenue  à  moi  de 
tout  son  cœur;  ce  n'est  qu'une  feinte  et  un 
mensonge  :  non  est  reversa  ad  me  in  loto  corde. 


suo,  sed  in  mcndacio.  (Jrrem.,  lil.)  En  effet, 
vous  qui  vous  glorifiez  du  nom  de  pénitent,  où 
est  cette  conversion  sincère?  où  est  donc  ce 
coour  qui  est  la  première  victime  que  Dieu 
demande  de  vous,  parce  qu'il  a  été  le  pre- 
mier coupable  envers  lui?  Où  est  le  sacrifii  e 
de  ce  cœur  qui  seul  peut  plaire  à  Dieu,  qu'on 
doit  d'abord  lui  rapporter?  Où  voit-on  de  ces 
cœurs  dont  tous  les  efforts  aillent  à  aimer  ce 
qu'ils  ontle  pi  us  haï»et  à  réparer  le  tort  qu'ils 
ont  fait  à  Dieu,  et  qui,  par  une  heureuse  mé- 
tamorphose, soient  aussi  pénitents  aujour- 
d'hui qu'ils  furent  pécheurs  autrefois?  On  ne 
voit  de  nos  jours  que  de  ces  conversions  lâ- 
ches et  imparfaites  où  l'on  ne  quitte  le  péché 
qu'à  moitié.  Si  on  sacrifie  l'insatiable  cupi- 
dité des  richesses,  on  se  réserve  l'orgueil 
délicat  de  l'esprit;  si  on  se  défait  de  l'envie, 
on  se  réserve  la  vengeance:  toujours  quel- 
que objet  étranger  dérobe  à  Dieu  une  partie 
de  ce  cœur  que  nous  lui  devons  tout  entier; 
toujours  quelque  péché  secret  se  cache  dans 
les  repl.'s  du  cœur;  chacun  conserve  dans  son 
âme  un  vice  qui  lui  est  propre,  une  passion 
favorite.  Examinez-vous  vous-mêmes  :  vous 
i;e  faites,  en  renonçant  au  péché  dans  votre 
conversion,  qu'en  substituer  un  à  la  place  de 
l'autre;  vous  accordez  toujours  quelque 
chose  à  l'âge,  aux  conjonctures,  à  l'intérêt, 
aux  occasions,  aux  circonstances.  Vous  n'êtes 
pénitents  que  dans  la  surface:  vous  ne  quit- 
tez point  le  vieil  homme  pour  vous  revêtir 
du  nouveau;  vous  vous  dépouillez  de  la  gros- 
sièreté du  mal,  mais  vous  vous  en  conser- 
vez la  délicatesse  ;  vous  changez  la  coupable 
volupté  en  attachement  délicat  par  vaine 
gloire;  vous  offensez  Dieu  plus  subtilement, 
avec  plus  d'artifice  et  de  règle,  mais  non 
point  avec  moins  de  malice;  vous  ne  vous 
lassez  plus  à  courir  avec  tant  d'avidité  après 
les  plaisirs  tumultueux  du  siècle,  mais  dans 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SERIAIS.  121-2 

une  retraite,  qui  est  plutôt  une  bienséance 
de  l'usage,  ou  une  suite  de  votre  infortune, 
qu'un  retour  sincère  de  conversion,  vous 
vous  faites  encore  un  monde  nouveau  où 
vous  avez  encore  des  liaisons,  des  plaisirs, 
des  charmes,  des  vengeances,  des  médi- 
sances, des  calomnies;  où  vous  ramassez 
tous  les  poisons  qui,  pour  être  plus  subtili- 
sés, ne  sont  devenus  que  plus  funestes  en 
eux-mêmes.  C'est-à-dire  que  vous  tromperez 
le  vice  sans  l'abandonner,  si  vous  fuyez  les 
occasions  du  dehors  sans  toucher  à  cette 
passion  du  dedans  qui  fait  revivre  toutes  les 
autres.  Or,  je  vous  le  demande,  un  tel  chan- 
gement peut-il  être  honoré  du  nom  d'ouvrage 
ce  la  grâce  ou  de  l'expiation  du  péché?  De 
quoi  peut-on  le  qualifier,  sinon  de  mensonge, 
de  feinte,  de  fausse  conversion  ?  sed  in  men- 
dacio.  Et  lorsqu'on  cet  état,  vous  familiarisant 
avec  les  sacrements,  vous  les  recevez  sans 
crainte,  ne  mangez-vous  pas  votre  propre 
jugement,  et  ne  justifiez-vous  pas  par  vous- 
même  cet  oracle  terrible  :  Il  y  a  peu  d'élus? 
Il  en  est  peu  qui  ,  comme  Marie  ,  assurent 
leur  élection  par  une  vie  vraiment  pénitente. 
Mon  Dieu  !  que  ces  paroles  ont  un  sens  for- 
midable; je  frisonne  moi-même  en  vous  les 
exposant;  refuser  de  se  convertir,  c'est  mé- 
priser, rejeter  tous  les  avantages  réservés 
aux  élus. 


Voyez-voussur  ces  sacrés  autels  ce  sang  pré- 
cieux de  Jésus-Christ  qui  coule  pour  tous  les 
autres?dès  lors  que  vous  n'êtes  point  des  élus, 
il  ne  coule  plus  pour  vous.  Voyez-vous  cette 
croix,  signe  commun  de  grâce  et  de  miséri- 
corde?dès  lors  que  vous  n'êtes  point  véritable- 
ment convertis ,  elle  n'est  plus  pour  vous  un 
arbre  de  salut.  Fidèlesà  votre|vocation,si  vous 
vouliez  revenir  à  Dieu  par  une  conversion  sin- 
cère, ces  signes  vous  appartiendraient  comme 
aux  autres.  Percez  le  voile  céleste;  voyez- 
vous  dans  la  lumière  de  gloire  Jésus-Christ 
qui  fait  le  bonheur  des  saints?  dès  lors  ce 
bonheur  est  pour  vous,  si  vous  êtes  justifiés. 
Mais,  d'un  autre  côté,  pénétrez  jusque  dans 
ces  noirs  abîmes  ;  voyez  ces  démons  enrages 
les  uns  contre  les  autres,  ces  brasiers  allu- 
més, ces  flammes  dévorantes,  cette  réunion 
de  toutes  les  misères  ensemble  ;  si  vous  ne 
devenez  justes,  c'est  là  le  sort  qui  vous  at- 
tend, c'est  votre  partage,  votre  destinée. 

Peut-être  vous  plaindrez-vous  que  je  vous 
épouvante,  Messieurs.  Je  sais  qu'il  est  dans 
le  monde  mille  craintes  vaines  et  chiméri- 
ques qu'il  est  sage  de  surmonter;  mais  pour 
la  terreur  que  je  vous  inspire  aujourd'hui, 
qu'elle  est  juste!  qu'elle  est  raisonnable! 
qu'elle  est  chrétienne!  Puisqu'elle  devrait 
être  aussi  grande  que  ce  ciel  que  nous  per- 
dons, qne  cet  enfer  que  nous  méritons, 
qu'importe  qu'elle  vous  trouble,  qu'elle  vous 
saisisse,  pourvu  qu'elle  exécute  en  vous  des 
sentiments,  des  désirs  et  des  œuvres  de  sa- 
lut? Le  comble  des  maux  ne  demande-t-il  pas 
le  comble  des  craintes?  mais  achevons.  11  y 
aune  troisième  correspondance  de  Marie  à 
la  grâce  de  son  élection  :  c'est  une  persévé- 
rance constante  dons  un  état  de  justice  où 


iai; 


MYSTERES  ET  FETES.  —  SERMON  X,  DE  LA  NATIVITE  DE  J.-C. 


MU 


elle  est  connue  aujourd'hui  ;  et,  ce  qui  rend 
la  nôtre  si  rare  parmi  nous,  c'est  qu'il  en  est 
très  peu  qui  soient  présentement  justes,  et 
de  là  une  troisième  vérité  que  le  peu  de 
temps  qui  me  reste  ne  me  permet  pas  d'ex- 
pliquer dans  toute  son  étendue. 

Tous  les  trésors,  tous  les  mystères  de  la  grâ- 
ce ne  sont  ,'ias  renfermés  dans  le  sein  de  Dieu,  il 
en  est  de  cachés  et  d'impénétrable  dans  le  cœur 
^ie  l'homme,  il  en  est  peu  qui;;ersévèrentdans 
lo  bien  et  qui  conservent  longtemps  la  grâce 
qu'ils  ont  reçue.  Le  cœur  de  l'homme,  natu- 
rellement changeant,  prend  plaisir  a  passer 
d'un  état  dans  un  autre,  et,  ce  qui  est  digne 
de  remarque  ,  c'est  qu'au  milieu  de  nos  dé- 
sertions, c'est  toujours  nous  qui  commen- 
çons par  abandonner  Dieu,  ce  n'est  jamais 
lui  qui  nous  quitte  le  premier.  Nous  cher- 
chons une  infidélité  qui  nous  délasse  des  ri- 
gueurs de  la  vertu;  nous  donnons,  ce  sem- 
ble, à  la  grâce  ce  caractère  d'instabilité  et 
de  légèreté  que  nous  avons  de  notre  fonds  ; 
nous  nous  lassons  aisément  dans  les  voies 
étroites  et  pénibles,  nous  nous  dégoûtons 
de  tout  :  la  longueur  de  notre  sacrifice  nous 
décourage.  En  cherchant  à  nous  dédomma- 
ger de  la  difficulté  de  la  première  ferveur, 
nous  tombons  dans  la  tiédeur,  et  de  la  tié- 
deur nous  retournons  bientôt  aux  douceurs 
apparentes  du  vice.  Le  passage  de  l'un  à 
l'autre  nous  flatte  et  nous  endort;  nous  ne 
nous  fortifions  point  assez  par  la  prière  et 
par  la  vigilance,  et,  peu  à  peu,  nous  sentons 
languir  en  nous  la  force  des  promesses.  Et 
de  là  combien,  se  relâchant  de  leur  devoir, 
ont  senti  les  tristes  preuves  de  la  fragilité 
humaine  !  combien  qui,  livrés  à  leurs  pro- 
pres faiblesses,  ont  laissé  perdre  en  un  mo- 
ment le  fruit  de  plusieurs  années  de  ferveur! 
qui ,  par  un  peu  de  nonchalance,  de  négli- 
gence, de  découragement,  ont  laissé  tomber 
3  édifice  de  leur  salut.  Combien  qui  étaient 
la  gloire  d'Israël  en  sont  devenus  la  honte; 
combien  par  leur  relâchement,  s'arrachent 
la  couronne  qu'ils  avaient  déjà  sur  le  front. 
Je  n'ose  jdus  longtemps  arrêter  les  yeux  sur 
cet  abîme  desjugementsdeDieu  :  ils  donnent 
trop  de  frayeur.  Je  le  dis  à  la  face  des  saints 
autels,  dans  la  chaire  de  vérité,  en  présence 
(ie  Jésus-Christ  :  il  y  en  a  beaucoup  d'appe- 
lés, mais  très-peu  comme  Marie  travaillent 
à  assurer  leur  élection;  presque  tous  péris- 
sent et  consomment  leur  ré. irobation  éter- 
nelle. Ah!  tâchez  donc  de  vous  l'assurer  ici, 
cette  élection  commencée  par  vous,  donnez  ici 
à  vous-mêmes  toutes  les  marques  les  moins 
équivoques  de  l'innocence,  tous  les  signes 
les  plus  favorables  de  salut,  de  pénitence  et 
de  mortification,  tous  les  gages  les  plus  pré- 
cieux et  les  plus  sors  de  prédestination, 
qui  sont  d'aimer  Jésus-Christ  avec  fidélité  et 
de  le  servir  avec  persévérance;  après  cela, 
déchargez-vous  dans  le  sein  de  Dieu  et  vous 
confiez  à  ses  ministres. 

Nous  le  confessons  aujourd'hui,  ù  mon 
Dieu!  vous  êtes  seul  notre  asile;  vous  êtes 
le  maître  de  nolre'sort,  vous  pouvez  nous  per- 
dre ounous  sauver.  En  quelque  endroit  que 
nous  soyons,   nous  sommes  sujets  à  votre 


justice;  en  toute  occasion,  il  faut  combattre 
contre  le  péché,  contre  le  monde,  contre  le  dé- 
mon. Faite-mous  sentir  les  plus  vives  flammes 
de  votre  amour,  donnez-nous  une  portionde 
ces  grâces  dont  Marie  reçoit  aujourd'hui  la 
plénitude  ;  vous  qui  subsistez  éternellement, 
fixez  nos  inconstances  et  nos  variations.  Votre 
sang,  vos  mérites  vos  plaies  nous  ont  ouvert  la 
voie  de  rédemption,  ne  souffrez  pas  que 
nous  nous  la  rendions  inutile.  Convertis  par 
votre  sang,  comblés  de  vos  grâces,  inconsola- 
bles de  vous  avoir  offensé,  nous  voulons  nous 
attacher  éternellement  à  vous.  Il  vous  en  a 
tant  coûté  pour  nous  sauver!  toutes  vos  souf- 
frances nous  seraient- elle*  inutiles,  nous 
perdriez-vous  après  nous  avoir  si  chèrement 
rachetés?  Séparez-nous  de  cette  masse  cor- 
rompue, de  cette  multitude  réprouvée; 
écoutez  nos  vœux  et  nos  prières  et  nous 
exaucez  ;  Fils  adorable  d'une  mère  conçue 
sans  péché,  purifiez-nous  I 

Et  vous,  vierge  sainte,  qui  triomphez  au- 
jourd'hui du  premier  de  tous  les  péchés,  aidez- 
nous-à  surmonter  tous  les  autres  péchés  qui 
nous  séduisent,  qui  nouscharmentetnous  en- 
traînent dans  l'abîme.  Judith,  pour  rassurer 
le  peuple  juif  et  l'encourager  au  combat,  lui 
montre  la  tête  du  tyran  qui  l'avait  tant  de 
fois  épouvanté  et  vaincu,  et  cette  vue  l'a- 
nime, lui  fait  prendre  les  armes  plus  vail- 
lamment que  jamais,  et  lui  fait  vaincre  à 
son  tou»  les  Assyriens.  Soyez-nous  au- 
jourd'hui favorable",  divine  Marie,  faites-nous 
vaincre  tous  les  ennemis  de  notre  salut  ;  en 
nous  montrant  la  tète  de  ce  monstre  moral, 
vous  nous  animerez  à  combattre  et  à  vaincre 
généreusement  tous  les  autres  péchés,  nos 
plus  redoutables  ennemis-  Faites  que  si  nous 
n'avons  pas  comme  vous  la  grâce  d'une  con- 
ception pure  et  sainte,  nous  ayons  du  moins 
colle  d'une  vie  innocente,  afin  qu'avec  vous, 
victorieux,  nous  méritions  d'entrer  dans  le 
sanctuaire  de  Dieu,  qui  est  la  gloire  éternelle 
que  je  vous  souhaite,  au  nom  du  Père,  du 
Fils  et  du  Saint-Esprit.  Amen. 

SERMON   X. 

DE   LA    NATIVITÉ    DE    JÉSCS-CIIIUST. 

Invenietis  infantem  pannis  involutiini  el  positum  in 
prœsepio.  (Luc.,  II.) 

Vous  trouverez  un  enfant  enveloppé  de  langes  et  couché 
dans  nue  oèckc. 

Le  voilà  donc  arrivé  au  milieu  des  temps 
et  des  vœux  du  monde,  ce  moment  de  misé- 
ricorde et  de  bénédiction,  digne  d'être  adoré 
sur  la  terre  et  au  ciel ,  dans  un  silence  res- 
pectueux et  avec  la  vénération  la  plus  pro- 
fonde: moment  que  toutes  les  figures,  tous 
les  voi.es  et  les  obscurités  do  la  loi  ancienne 
promettaient  et  que  toute  la  vérité,  la  lu- 
mière et  la  grâce  de  la  loi  nouvelle  ne  se 
contente  pas  de  regarder,  mais  qu'elle  veut 
adorer;  moment  qui ,  en  chassant  toutes  les 
ombres  et  les  images,  expose  la  chose  même 
et  établit  la  réalité;  moment  qui  doit  mani- 
fester à  la  terre  le  grand  secret  de  Dieu,  lo 
grand  mystère  du  salut  clc  l'homme,  l«  grand 


1115 


sacrement  de  la  piété  et  de  la  religion  chré- 
tienne dont  il  est  le  dénomment,  et  qui  fait 
le  plus  grand  désespoir  du  démon  ;  moment 
qui  communique  au  monde  ce  grand  dessein 
de  la  miséricorde  suspendu  depuis  tant  de 
siècles,  et  tenu  caché  dans  le  sein  de  la 
divinité  par  la  malice  des  hommes;  moment 
qui  satisfait  en  vous,  ô  mon  Dieu!  la  sainte 
impatience  de  prendre  pitié  de  vos  créatures, 
de  les  faire  sortir  de  leurs  misères,  et  qui 
vous  pressait  de  laissera  ces  ohjets  déplora- 
bles de  votre  justice  la  douce  consolation 
d'être  vos  frères,  vos  membres,  vos  héritiers, 
vous-même  ;  moment  où  s'accomplit  toute  la 
parole  de  Dieu,  l'effet  de  ses  promesses, 
l'Ame  de  ses  mystères,  l'excès  de  ses  grâces, 
l'objet  île  ses  désirs ,  l'effort  de  son  amour, 
le  chef-d'œuvre  de  sa  sagesse,  le  centre  de 
sa  religion,  le  gage  de  sa  gloire  ;  en  un  mot, 
toute  la  plénitude  de  sa  divinité,  comme 
parle  l'Apôtre  ;  moment,  enfin,  où  la  vie  éter- 
nelle, le  Fils  unique  de  Dieu,  au  milieu 
de  la  plénitude  des  temps,  descend  du  ciel, 
se  fait  homme,  et,  par  un  prodige  au-dessus 
de  la  faible  portée  de  nos  esprits  et  de  toute 
imagination  humaine,  devient  la  réalité  de 
ces  paroles  :  Jnvenietis  infanfem,  etc.,  vous 
trouvei  ez  un  Dieu  qui  est  caché  sous  la  forme 
«l'un  enfant,  le  Roi  du  ciel,  enveloppé  de 
langes,  et  le  maître  du  monde,  couché  dans 
une  pauvre  étable. 

Voilà,  chrétiens,  tout  le  mystère  de  ce 
jour.  Je  laisse  à  d'autresà  vous  retracer  jus- 
qu'aux moindres  circonstances  du  berceau 
de  ce  divin  enfant;  et  déjà  mille  voix  vous 
en  ont  fait  avant  moi  des  leçons  sublimes. 
Pour  moi  je  m'arrête  à  celles  où  son  amour 
éclata  davantage;  et,  voulant  m'en  tenir  a 
quelque  chose  que  je  puisse  exprimer  et  que 
vous  puissiez  comprendre,  je  me  contenterai 
de  vous  montrer  d'une  part  l'humilité  de 
Jésus  naissant,  et  ses  moititications  de  l'au- 
tre; c'est  sur  le  fond  de  ces  deux  excellentes 
vertus  que  la  naissance  de  Jésus-Christ  s'o- 
père ;  tout  y  est  plein  de  ces  anéantissements 
que  la  religion  nous  ordonne,  de  ces  peines 
qu'elle  exige  de  nous,  de  toutes  les  humilia- 
tions qui  la  caractérisent,  de  ces  douleurs 
dont  elle  se  nourrit,  de  ces  exemples  qu'elle 
propose,  de  ces  victimes  qu'elle  offre. 

Apprenez  donc  ici,  ô  mortels!  votre  reli- 
gion tout  entière  ;  voyez  dans  un  Dieu  qui 
se  fait  enfant,  le  modèle  le  plus  parfait  de 
l'humilité  chrétienne,  invenielis  infantem; 
dans  ce  Dieu  enfant,  exposé  à  toutes  les  dou- 
leurs et  les  misères  de  cette  vie,  contemplez- 
y  le  modèle  le  plus  achevé  des  mortifications 
évangéliques ,  pannis  involutum  ei  posiium 
in  preesepio;  ces  deux  parties  renferment 
tout  le  fruit  que  nous  devons  tirer  de  ce 
mystère,  et  vont  faire  tout  le  partage  de  ce 
discours.  Que  nous  serions  coupables,  Sei- 
gneur, si  nous  refusions  de  nous  occuper  au 
moins  une  fuis  l'année  d'un  mystère  tout 
d'amour,  qui  ne  devrait  jamais  sortir  de 
nos  esprit  et  de  nos  cœurs;  demandons  à 
celui  qui  en  est  le  divin  auteur  les  moyens 
de  le  faire  avec  fruit,  et,  pour  obtenir  cette 
grâce  de  lui,  commençons  par  saluer  la  sainte 


ORATEURS  S\CRES.  Mi  P.  SLMAN.  lsl6 

mère   et  l'enfant  nouveau-né.   Ave  Marie. 

FIIEMIKR    POINT. 

Si,  dans  le  sentiment  des  saints  Pères,  l'hu- 
milité, pour  ôtre  parfaite,  doit  avoir  deux 
caractères  essentiels  :  l'un  qui  nous  fasse 


éviter  la  gloire,  l'autre  qui  nous  fasse  aimer 
les  abaissements,  qui  peut  mesurer  ce  haut 
point  d'élévation  d'où  daigne  aujourd'hui 
descendre  un  Dieu?  qui  peut  sonder  toute  la 
profondeur  îles  humiliations  où  il  s'assu- 
jettit, et  par  conséquent  qui  peut  comprendre 
tout  le  fonds  de  son  humilité? 

Un  saint  Père,  mesurant  le  centre  ue  nas- 
sesse  où  la  gloire  de  Jésus-Christ  descend  , 
et  le  comble  de  grandeur  où  ses  abaisse- 
ments I'élèvent,  appelle  son  humilité  une 
humilité  toute  de  prodige.  Mais,  lui-môme, 
ne  lui  donne-t-il  pas  ce  nom,  lorsque,  répon- 
dant à  un  prince  qui  lui  demande  un  grand 
prodige  au  plus  haut  du  ciel  jusqu'au  plus 
profond  de  la  terre,  il  lui  déclare  que  ce 
prodige  c'est  un  Dieu  qui  se  fait  enfant.  Et 
certes,  n'est-ce  pas  un  grand  prodige  d'hu- 
milité qui  règne  dans  le  plus  haut  descieux , 
puisqu  un  Dieu  y  descend  de  sa  gloire? 
N'est-ce  pas  un  grand  prodige  d'humilité  jus- 
qu'au plus  profond  de  la  terre,  puisqu'un 
Dieu  y  tombe  dans  les  abaissements  les  plus 
humiliants  ?  Humiliûns  ab  imo  udsupremum; 
et  dans  ces  deux  circonstances  si  bien  mar- 
quées, Jésus-Christ  n'y  devient-il  pas  pour 
nous  le  modèle  le  plus  parfait  de  l'humilité 
chrétienne? 

Et  en  effet,  quel  est  ce  haut  point  de 
gloire  d'où  descend  le  nouveau-né?  Il  est 
Dieu  pa?  son  essence  principe;  de  Dieu  par 
sa  fécondité.  Sanctuaire  éternel  tic  la  divi- 
nité, ayant  son  trône  au  milieu  de  la  splen- 
deur des  saints,  il  se  communique  à  tous; 
lumière  universelle,  il  éclaire  tout;  invi- 
sible, il  voit  tout;  incompréhensible,  il  con- 
naît tout;  invariable,  il  renouvelle  tout;  im- 
mense, il  agit  partout;  infini,  il  répond  à 
tout;  inépuisable,  il  fournit  à  tout,  ren- 
fermant la  source  môme  de  toutes  les 
grandeurs  dans  l'essence  de  sa  nature;  et, 
pressé  par  son  amour  qui,  ne  pouvant  s« 
contraindre,  opère  ce  grand  mystère,  il  des- 
cend d'une  gloire  parfaite,  soiide,  véritable 
qui  lui  est  essentielle. 

Oh  1  quelle  honte  à  l'ange  superbe  !  s'écrie 
saint  Augustin,  et  pour  nous  quelle  confu- 
sion de  courir  avec  tant  de  chaleur  après 
une  gloire  vaine,  fausse,  empruntée,  perni- 
cieuse. Naine,  parce  qu'après  avoir  excité 
nos  plus  ardents  désirs,  elle  s'évanouit  en  un 
moment;  gloire  fausse,  parce  que,  loin  de 
remplir  les  vides  de  notre  cœur,  elle  ne  fait 
que  les  étendre;  gloire  empruntée,  puis- 
qu'elle n'a  de  fond  (pie  dans  l'opinion  des 
hommes,  et  qu'elle  tombe  avec  leuis  imagi- 
nations dont  elle  dépend;  gloire  pernicieuse, 
puisque  non-seulement  elle  se  perd,  mais 
qu'elle  nous  fait  perdre  nous-mêmes,  qu'elle 
remplit  toute  notre  vie  de  mouvements  et 
d'agitations,  qui,  sans  avancer  notre  fortune, 
engagent  notre  conscience  et  nous  préparent 
mille  remords  cuisants  au  u  ornent  redouta- 
ble de  notre  mort. 


1217 


MYSTERES  ET  FETES.  —  SERMON  X  .  DE  LA  NATIVITE  DE  J.-C. 


Iïi8 


Ah!  Dieu  veuille,  par  la  grâce  de  son  avè- 
nement, préserver  nos  cœurs  d'une  passion 
si  funeste.  Et,  après  tout,  dit  saint  Augustin, 
nos  cœurs  pourraient-ils  tenir  encore  contre 
un  exemple  si  touchant  et  une  autorité  si 
puissante?  Quoi!  un  Dieu  plus  grand  que  le 
ciel  et  la  terre,  se  dépouillerait  des  titres  de 
sa  grandeur,  de  l'éclat  de  sa  majesté,  et  un 
ver  misérable  aimerait  l'élévation  de  la  su- 
perbe 1  Un  Dieu,  dit  saint  Grégoire,  vien- 
drait cacher  toute  la  splendeur  de  sa  divi- 
nité sous  les  sombres  voiles  d'une  chair 
mortelle,  et  une  chétive  créature  se  rempli- 
rait de  présomption  et  d'orgueil  en  s'attri- 
buant  des  perfections  qu'elle  n'aura  jamais? 
Un  Dieu,  enfin,  voyant  l'homme  tombé  dans 
un  abîme  d'humiliation,  s'y  jettera  lui-même 
pour  l'en  retirer,  et  ce  ver  de  terre,  loin  de 
s'anéantir  et  de  se  confondre,  se  piquera  d'a- 
voir un  cœur  grand,  un  esprit  toujours 
tourné  du  côté  de  la  gloire  et  de  l'élévation? 
Ah  1  plût  à  Dieu  que  vous  eussiez  un  cœur 
comme  ce  divin  enfant  qui  vient  de  naître! 
quel  mépris  ne  feriez-vouspas  de  ces  vaines 
grandeurs!  Tout  occupés  de  cette  idée  si 
noble  que  l'union  de  sa  nature  avec  la  vertu 
doit  vous  inspirer,  vous  n'auriez  garde  d'as- 
pirer à  ces  honneurs  chimériques  qu'il  dé- 
teste, vous  n'abaisseriez  pas  yos  désirs  à  une 
gloire  passagère  qu'il  vient,  condamner  par 
Fe  mépris  qu'il  en  fait  et  réprouve  comme 
indigne  de  vos  souhaits.  Si  vous  aviez  le 
cœur  de  ce  Dieu  naissant,  vous  vous  élève- 
riez par  les  transports  d'une  sainte  ambition 
au  bonheur  incomparable  de  ressembler  à 
un  Dieu,  qui,  en  prenant  pour  lui  votre  na- 
ture et  lui  donnant  ses  traits  divins,  l'a  rendue 
si  respectable,  et  réduisant  là  tous  vos  désirs, 
non-seulement  vous  renonceriez  aux  avan- 
tages temporels ,  mais  vous  embrasseriez 
avec  lui  les  humiliations  ;  car  voilà,  disent  les 
Pères,  le  second  degré  de  l'humilité  chré- 
tienne dans  un  Dieu  qui  descend  du  comble 
de  la  grandeur  au  centre  de  la  bassesse  : 
Ab  imo  ad  snprtmum. 

Remarquez  ici  le  sage  tempérament  qu'il 
a  plu  au  Sauveur  de  ménager  à  l'égard  de 
l'homme  pour  le  ramener  à  la  chrétienne  hu- 
milité, et  l'obliger  à  se  regarder  avec  com- 
passion. Il  fallait,  dit  saint  Augustin,  don- 
ner à  l'homme,  égaré  par  orgueil,  un  mo- 
dèle d'humilité  qu'il  suivît  sans  peine;  ou, 
d'une  part,  il  était  trop  superbe  pour  vou- 
loir choisir  un  homme  semblable  à  lui  pour 
son  modèle,  et  de  l'autre,  il  était  trop  faible 
et  trop  grossier  pour  prendre  un  Dieu  si 
fort  au-dessus  de  lui ,  et  qu'il  ne  pouvait 
connaître  que  par  les  yeux  spirituels  d'une 
foi  surnaturelle.  Il  n'avait  plus  que  les  yeux 
du  corps,  depuis  qu'en  perdant  la  grâce,  il 
avait  perdu  les  yeux  de  l'âme  ;  mais  l'œil 
charnel  pouvait- il  s'élever  à  un  objet  infini- 
ment au-dessus  de  ses  sens?  Dieu  donc, 
connaissant  la  route  de  nos  cœurs,  et  voulant 
s'accommoder  à  notre  faible  portée,  sa  misé- 
ricorde corrigeant  tout  l'éclat  de  sa  majesté, 
a  voulu,  pour  nous  rendre  l'humilité  palpa- 
ble, s'incarner  dans  son  Fils,  et  par  cette 
union  d'un  Dieu  avec  notre  chair,  l'homme 


a  trouvé  en  Jésus  Christ  naissant  un  modèle 
d'humilité  qu'il  a  pu  voir  et  qu'il  n'a  pu  dé- 
daigner de  suivre  et  d'imiter.  Avant  cetts 
union  divine,  l'homme  pouvait  bien  être 
sage,  en  recueillant  en  lui  quelques  rayons 
de  la  divine  sagesse;  saint,  en  retraçait 
en  lui  quelques  traits  de  la  sainteté  par  es- 
sence; bon,  par  ressemblance  à  quelque  ef- 
fusion de  la  bonté  infinie  de  son  Dieu  ;  juste, 
en  se  conformant  aux  règles  de  la  sagesse; 
mais,  parce  qu'il  ne  pouvait  qu'être  superbe 
et  orgueilleux  en  voulant  imiter  la  grandeur 
suprême,  il  a  fallu  que  ce  Dieu  se  fil 
homme,  comme  nous  faible ,  infirme,  afin 
que ,  pouvant  l'imiter  en  tout  le  reste, 
nous  puissions  encore  être  humbles  de  l'hu- 
nailité  d'un  Dieu. 

Et  certes,  s'il  est  de  la  perfection  d'un 
modèle  d'exprimer  véritablement  en  lui  tout 
ce  qu'il  offre  à  imiter,  où  l'humilité  d'un  Dieu 
pourait-elle  être  mieux  marquée  que  dans  la 
naissance  pauvre  et  méprisable  dont  nous 
honorons  aujourd'hui  le  grand  mystère.  Dans 
ce  qui  la  précède,  dans  ce  qui  l'accompagne, 
dans  ce  qui  la  suit,  partout,  nous  y  voyons 
Jésus-Christ  entre  les  bras  de  l'humilité,  dans 
le  centre  des  humiliations  et  passant  par  tous 
les  degrés  de  la  bassesse. 

Que  tout  ceci ,  chrétiens,  mérite  de  ré- 
flexions! Voilà  un  Dieu,  qui,  du  plus  haut  du 
ciel,  qui,  du  plus  profond  de  la  terre,  s'e.«t 
humilié;  un  Dieu,  qui,  plus  puissant  que  tout 
le  monde  ensemble,  qui,  plus  grand  que  tous 
les  princes  et  les  rois  de  la  terre,  a  voulu 
s'abaisser.  Pourriez-vous  douter  encore  que 
l'humilité  est  le  plus  essentiel  de  sa  divine 
religion  ,  puisqu'au  premier  moment  qu'il 
paraît  dans  le  monde,  il  s'humilie  et  nous 
la  montre  par  tous  ses  anéantissements,  soit 
dans  ce  qui  précède  sa  naissance,  soit  en- 
core dans  ce  qui  la  suit.  Or,  un  Dieu  si 
grand  serait-il  réduit  à  un  état  si  abject  si  mé- 
prisable et  si  humiliant,  s'il  n'eût  voulu  nous 
servir  de  modèle,  et  nous  faire  dire  de  lui- 
même  ce  qu'il  disait  autrefois  à  ses  disci- 
ples des  autres  enfants  en  général  :  Si  vous 
ne  devenez  semblables  à  ces  petits  enfants, 
vous  n'entrerez  jamais  dans  ma  gloire.  Non, 
que  personne  ne  se  flatte  ici  à  sa  propre 
ruine,  c'est  un  principe  incontestable  que 
nu!  n'aura  jamais  de  part  à  la  naissance  de 
Jésus-Christ,  ni  à  ses  grâces,  qu'il  ne  parti- 
cipe à  ses  abaissements,  et,  par  conséquent, 
que  nul  ne  recueillera  aucun  des  fruits  qui 
y  sont  attachés,  s'il  ne  l'imite  dans  ses  hu- 
miliations. 

L'imitons-nous  donc,  mes  frères?  entrons-' 
nous  dans  ce  cœur  si  orgueilleux,  où  peut- 
êtrenousne  sommes  jamais  entrés?  y  portons- 
nous  un  seul  trait  des  humiliations  de  ce 
Dieu  enfant?  pouvons-nous  confronter  les 
caractères  de  l'humilité  de  Jésus-Christ, 
avec  ceux  de  la  nôtre? 

l'Humiliation  profonde  dans  Jésus-Christ. 
En  prenant  la  forme  d'esclave  et  l'apparence 
de  pécheur,  ne  descend-il  pas  au-dessous 
du  néant  même?  Dans  notre  humiliation 
superficielle  et  imaginaire  nous  craignons 
toujours  de  nous  dégrader,  de  descendre 


1219 


ORATEURS  SACHES.  LE  P.  SURIAN. 


1220 


trop  bas,  d'avilir  notre  rang  et  notre  dignité 
en  pratiquant  certains  devoirs  généraux  et 
communs  que  la  loi  du  Seigneur  nous  im- 
pose; nous  lui  abandonnons  peut-être  quel- 
ques endroits  de  notre  cœur,  dont  nous  ne 
pouvons  nous  défendre.  On  se  résout  à  souf- 
frir une  injure  quand  on  ne  peut  s'en  ven- 
ger; une  raillerie,  quand  on  ne  peut  la  re- 
pousser; mais  jamais  nous  n'osons  étendro 
nos  humiliations  jusqu'au  point  que  notre 
cœur  s'en  ressente,  et  bien  loin  de  vouloir 
passer  pour  de  vils  pécheurs  quand  nous 
sommes  justes,  ah  1  ne  nous  efforçons-nous 
pas  de  passer  pour  justes  quand  nous 
sommes  pécheurs  ? 

2°  Dans  Jésus-Christ,  humiliation  sincère. 
Si  tous  les  dehors  en  lui  sont  abaissés,  le 
fond  de  son  cœur  l'est  encore  plus;  dans 
nos  humiliations  trompeuses,  hypocrites, 
pendant  qu'à  l'extérieur  nous  affectons  un 
air  modeste  et  anéanti,  notre  cœur  qui  le 
devrait  être  encore  plus,  demeure  vain  et 
superbe.  Nous  conservons  au  fond  de  l'âme 
une  avidité  prodigieuse  des  applaudisse- 
ments et  des  louanges  qui  dégénère  en  fai- 
blesse, lors  même  que  nous  n'avons  dans 
la  bouche  que  des  paroles  d'humiliation  et 
de  mépris.  Combien  affectent  de  dire  qu'ils 
n'ont  aucun  mérite ,  afin  qu'on  relève  le 
leur  ;  s'efforcent  de  répéter  qu'ils  ne  sont 
rien  que  misère,  pour  qu'on  leur  attribue 
des  qualités  que  souvent  ils  n'ont  pas,  et 
combien  font  sonner  hautement  le  dégoût 
et  l'indifférence  qu'ils  ont  pour  les  hon- 
neurs,  les  dignités,  les  postes  et  l'estime 
des  hommes,  tandis  que  sous  main  ils  font 
agir  mille  secrets  ressorts,  cherchant  mille 
chemins  détournés  pour  y  arriver  et  se  dis- 
tinguer des  autres  dans  le  monde.  C'est-à- 
dire ,  mon  cher  auditeur,  cpie  vous  êtes 
vain  et  superbe  avec  plus  d'art,  de  subtilité 
et  de  méthode  que  les  autres;  que  vous  mé- 
nagez tout  le  poison  de  l'orgueil  sans  en 
avoir  le  décri ,  que  vous  voulez  contenter 
votre  ambition  en  faisant  semblant  de  la 
mépriser,  et  que  votre  prétendue  humilia- 
lion  est  plus  criminelle  que  l'orgueil  même. 

3°  En  Jésus-Christ,  humiliation  constante, 
soutenue  et  toujours  la  même,  depuis  le  pre- 
mier instant  de  sa  vie  jusqu'au  moment  de  sa 
mort  ;  et  dans  vous,  il  n'y  en  a  qu'une  tout  à 
fait  passagère  de  quelques  jours  dans  velléité 
la  ferveur  de  la  prière,  de  quelque  retour 
salutaire  sur  nous-mêmes.  Nous  convenons 
de  nos  misères ,  nous  sentons  peut-être  la 
profondeur  de  nos  maux,  et  à  cette  vue  si 
humiliante,  nous  concevons  peut-être  quel- 

3ues  sentiments  d'humiliation  ;  mais  hors 
e  là  nous  savons  bien  en  dédommager  notre 
orgueil.  Il  est  étrange  de  voir  combien  les 
moindres  louanges,  la  plus  légère  adula- 
tion nous  trouvent  crédules;  nous  retrouvons 
à  la  première  occasion  cette  estime  secrète 
de  nous-mêmes,  qui  n'avait  disparu  quel- 
ques moments  à  nos  yeux,  que  pour  se 
fortifier  d'avantage  dans  une  âme;  nous 
éprouvons  toujours  trop,  à  notre  malheur, 
que  quelque  convaincus  que  nous  soyons 
que  nous  ne  sommes   rien  ,   nous  voulons 


pourtant  être  comptés  pour  quelque  chose; 
nous  reconnaissons  que  nous  sommes  tout 
ensemble  et  infiniment  misérables  et  infini- 
ment orgueilleux,  et  nous  sentons  au  fond 
de  notre  cœur  que  la  plus  grande  de  toutes 
nos  misères  est  celle  de  nous  y  surprendre 
superbes. 

k°  En  Jésus-Christ,  humiliation  volon- 
taire. Ah  1  quel  autre  poids  que  celui  de 
son  amour  aurait  pu  l'y  porter!  et,  dans  nos 
humiliations  forcées,  ce  sont  les  hommes  , 
les  conjonctures,  les  temps,  les  révolutions 
qui  nous  humilient;  nulle  objection  sincère 
de  notre  fonds.  Si  nous  nous  tenons  dans 
l'obscurité,  dans  la  bassesse,  c'est  que  nous 
ne  saurions  nous  relever,  c'est  que  les  biens 
nous  manquent,  c'est  que  la  fortune  nous 
est  contraire  et  que  les  autres  moyens  de. 
paraître  et  de  nous  distinguer  nous  sont 
ôtés  ;  nous  n'avons  qu'une  humiliation  na- 
turellement contrainte,  prise  dans  notre 
impuissance,  c'est-à-dire  que  nous  ne  som- 
mes point  humbles  par  religion,  mais  par 
raison  ;  notre  cœur  n'est  point  abîmé  à  la 
vue  de  son  néant,  mais  il  est  humilié  de 
ne  pouvoir  être  superbe. 

5°  Dans  Jésus-Christ,  humiliation  person- 
nelle. Elle  lui  était  propre  et  ne  convenait 
qu'à  lui  ;  on  n'avait  point  encore  vu  un  Dieu 
dans  une  crèche,  le  Fils  de  l'Eternel,  de- 
venu enfant ,  et  revêtu  de  la  nature  hu- 
maine; et  nous,  nous  n'avons  qu'une  humi- 
liation vague  et  commune,  qui  ne  nous  fait 
envisager  de  défauts  en  nous  que  ceux  qui 
nous  sont  communs  avec  tout  le  genre  hu- 
main. La  vue  de  notre  faible,  la  rapidité  de 
nos  penchants,  le  feu  de  nos  passions, 
tout  cela,  s'il  nous  est  relatif  et  commun 
avec  nos  frères,  nous  trouve  éloquents; 
nous  paraîtrons  en  gémir  et  nous  en  plain- 
dre. Nous  ne  craindrons  point  de  nous  les 
attribuer ,  et  nous  descendrons  si  bas 
que  l'on  voudra,  pourvu  que  ce  soit  avec 
tout  le  monde.  Mais  un  défaut  propre  et 
personnel,  s'il  nous  est  reproché,  nous 
trouve  hauts  et  sensibles  ;  qu'on  veuille 
toucher  à  certains  vices  qui  nous  caracté- 
risent, à  certaines  passions  qui  portent  avec 
elles  un  caractère  de  honte  et  d'humilia- 
tion, ah  1  on  nous  trouve  bientôt  rebelles 
et  contrariants ,  et  l'humiliation  qui  nous 
trouve  doux  et  dociles,  quand  elle  regarde 
les  autres  hommes,  nous  est  odieuse  lors- 
qu'elle ne  convient  qu'à  nous  seuls. 

6"  Enfin,  dans  Jésus-Christ ,  humiliation 
simple.  Il  ne  s'humilie  que  pour  nous  sau- 
ver, et  nous  ne  nous  humilierions  peut-être 
jamais,  si  nous  n'espérions  tirer  de  la  gloire 
de^notre  abaissement.  Toujours  prêts  à  nous 
faire  justice  si  on  nous  condamne,  lorsqu'on 
veut  décrier  nos  fautes ,  nous  les  couvrons 
d'un  voile  spécieux.  La  piété  même,  quand 
nous  y  avons  recours ,  ne  détruit  point  notre 
orgueil  et  ne  fait  que  l'appuyer,  et  quand 
aux  pieds  des  autels  nous  avons  déploré  nos 
misères  et  reconnu  devant  Dieu  que  nous 
ne  sommes  que  de  malheureux  criminels, 
dignes  des  plus  grands  châtiments;  que  nous 
ne  sommes  rien  que  corruption  et  que  péché, 


12M 


MYSTERES  ET  FETES.  —  SERMON  X  ,  DE  LA  NATIVITE  DE  J.-C. 


32  a 


cet  anéantissement  que  nous  avons  de 
nous-mêmes  ,  nous  parait  si  à  propos  et 
si  juste  ,  qu  il  nous  justifie  même  dans 
la  conduite  que  nous  en  tirons,  et  de  là 
nous  ne  craignons  point  de  conclure  que 
nous  sommes  donc  bien  équitables  de  for- 
mer un  tel  jugement  contre  nous-mêmes. 
Ainsi ,  l'orgueil  renaît  en  nous  de  la  vertu 
même  qui  voulait  le  détruire ,  et  quand 
nous  avons  tant  fait  que  de  nous  humilier, 
il  nous  reste  encore  à  craindre  de  nous  en- 
orgueillir de  notre   humiliation  même. 

Rendez-vous-y  donc,  je  vous  en  conjure 
per  les  abaissements  de  ce  divin  enfant  hu- 
milié, qui  le  demande  de  sa  crèche;  confor- 
mons-nous à  ce  divin  modèle,  afin  qu'il  se  dé- 
charge plus  abondamment  sur  nous  de  la  plé- 
nitude de  grâces  qu'il  vient  de  puiser  dans  le 
sein  de  son  Père,  et,  de  la  bouche  du  cœur, 
prononçons  ces  paroles  si  tendres  :  Spiritus 
oris  noslri  Christus  Dominus.  (Thren.,  IV.) 

0  le  Dieu  d'Israël,  la  charité  tant  désirée  des 
nations,  vous  voilà  donc  semblable  à  nous, 
nos  péchés  et  votre  amour  vous  ont  rendu 
comme  un  de  nous  :  Christus  Dominus  ca- 
ptus  est  in  peccalis  vestris  (ibid.)  ;  comme 
la  source  de  notre  salut,  nous  adorons  vos 

1  rofonds  abaissements ,  ils  ont  pour  nous 
une  ombre  de  grâce  qui  nous  charme ,  et 
nous  voulons  nous  cacher  dans  votre  bien- 
heureuse obscurité  :  In  timbra  tua  vivemus. 
Nous  n'aurions  jamais,  sans  votre  exemple, 
goûté  l'humilité  :  elle  a  trop  d'opposition 
avec  l'orgueil  dont  nous  avons  hérité  de 
notre  premier  père;  mais  maintenant  tout  en 
vous  nous  le  demande  et  tout  nous  y  encou- 
rage. Non,  mon  Sauveur,  nous  n'allons  plus 
chercher  ni  dans  nos  faiblesses,  ni  dans  nos 
infirmités,  ni  dans  nos  misères,  des  motifs 
humiliants  pour  nous  confondre.  Hélas  1  il 
s'en  présente  mille  sans  sortir  de  chez  nous  , 
et  quel  autre  parti  pourrait  donc  con- 
venir mieux  que  celui  des  humiliations  à 
des  pécheurs  misérables  qui  par  tant  de 
titres  méritent  l'enfer?  Mais  l'exemple  de 
vos  humilations  est  le  seul  motif  qui  nous 
entraîne,  et,  pouvant  être  touchés  par  la 
honte  dont  nous  avons  en  nous  des  sources 
trop  fécondes,  y  aurait-il  de  la  bassesse, 
mon  Dieu,  à  être  comme  vous?  et  n'est-ce 
pas  la  suprême  grandeur  du  chrétien,  puis- 
qu'être  anéanti  c'est  être  ce  qu'est  le  Roi 
des  rois  :  Spiritus  cris  nostri  Christus  cui 
diximus  :  in  umbra  tua  vivemus  ?  [Ibid.)  Mais, 
après  avoir  vu  le  modèle  le  plus  parfait  de 
l'humilité  chrétienne  dans  le  Fils  de  Dieu 
naissant:  Invsnictis  infantem,  voyons  en- 
core le  modèle  le  plus  achevé  de  la  mortifi- 
cation évangélique  dans  les  circonstances  de 
sa  crèche  :  Pannis  involutum  et  positum  in 
prœsepio  ;  c'est  la  seconde  partie  de  ce  dis- 
cours, que  j'abrégerai  pour  ne  pas  abuser 
de  vos  at'entions. 

SECOND    POINT. 

S'il  était  de  l'obligation  de  l'Homme-D'eu 
de  s'humilier  dans  ses  pensées  pour  guérir 
notre  orgueil,  il  n'était  pas- pour  lui  d'un 
moindre  engagement  de  se  mortifier  dans 


ses  moindres  actions,  pour  confondre  notre 
fausse  délicalesse  ;  et  lorsque  d'une  part,  il 
offrit  à  Dieu,  son  Père,  le  tribu!  d'une  hu- 
milité parfaite  pour  la  rébellion  de  notre 
esprit,  il  lui  devait  faire  hommage  d'une 
mortification  rigoureuse  pour  les  révoltes 
de  notre  chair.  En  effet,  la  mortification  est 
au  corps  ce  que  l'humilité  est  à  l'esprit; 
autant  celle-ci  est  nécessaire  à  l'homme  su- 
perbe, autant  celle-là  est  indispensable  au 
corps  délicat  et  sensuel;  et,  si  par  l'une 
vous  rentrez  en  possession  de  ce  beau  droit 
que  l'homme  avait  reçu  sur  ses  pensées, 
par  l'autre  vous  réprimez  l'empire  que  vous 
aviez  sur  vos  sens  ;  de  sorte  que ,  comme 
par  le  péché  le  désordre  s'était  emparé  de 
toutes  les  parties  de  l'homme,  et  que  la 
partie  inférieure  est  devenue  maîtresse  de 
la  supérieure,  il  fallait  le  remettre  dans  l'or- 
dre. C'est  pour  cela  que  Jésus  naissant  a 
voulu ,  par  le  concours  de  ces  deux  essen- 
tielles vertus,  rétablir  l'union  parfaite  en- 
tre le  corps  et  l'âme ,  qui  avait  été  rompue 
par  la  désobéissance  du  premier  homme 
coupable.  Et,  comme  rien  n'était  plus  à 
craindre  pour  l'homme  que  de  donner  son 
cœur  à  la  vanité  quand  il  aurait  donné  ses 
sens  à  la  mollesse,  et  de  cesser  d'être  humble 
dès  qu'il  ne  serait  point  mortifié,  en  consé- 
quence de  cela,  ce  Dieu  de  bonté,  qui  vou- 
lait réparer  les  désordres  de  la  nature  hu- 
maine et  nous  devenir  un  modèle  universel 
de  sainteté,  a  voulu  naître  dans  l'abaisse- 
ment pour  le  réformer  dans  son  esprit  et 
dans  la  misère.  Ecoutez-le  donc,  ce  divin 
enfant  qui  vous  crie  de  sa  crèche  :  Assem- 
blez-vous autour  de  moi  qui  suis  une  vic- 
time; approchez-vous,  et  sur  ce  modèle  et 
en  ma  présence,  oifrez  aussi  les  vôtres  :  Acce- 
dite,  offerte  victimas  vestras.  (II  Parai.  , 
XXIX.)  Or  cette  hostie  que  Jésus-Christ 
offrait  à  son  Père  avait  deux  principaux 
caractères  :  elle  était  jeune,  rien  n'y  était 
épargné  ;  et  voilà  ce  qu'il  vous  retrace  au- 
jourd'hui dans  son  berceau.  Il  s'y  mortifie 
sans  délai  dès  qu'il  entre  dans  le  monde;  il 
s'y  mortifie  sans  réserve  et  dans  toutes  ses 
parties  :  voilà  notre  modèle,  et  sur  son 
exemple  corrigeons  les  défauts  de  nos  mor- 
tifications. Il  faut  que,  comme  les  siennes, 
elles  soient  promptes,  il  faut  qu'elles  soient 
entières;  examinons  par  ces  deux  traits  si 
nous  ressemblons  à  un  si  parfait  modèle. 

Je  dis  1°  mortification  prompte  :  et  ja- 
mais aucune  pouvait-elle  l'être  davantage 
que  celle  de  Jésus-Christ  naissant?  Mon 
Père  ,  dit-il ,  je  ne  fais  que  d'entrer  dans  le 
monde,  et  dès  le  premier  instant  je  prends 
la  place  seul  de  toutes  les  autres  victimes; 
victimes  qui,  n'étant  pas  dignes  d'apaiser 
votre  colère,  ne  pouvaient  satisfaire  pour 
les  péchés  du  genre  huu:ain  ;  c'est  pour  cela 
que  je  viens  dans  le  monde  :  Ecce  venio. 
(Ilebr.,  X.)  Ici  je  vous  consacre  les  prémices 
de  mon  cœur,  les  pensées  de  mon  esprit  et  les 
souffrances  de  mon  corps  ;  laissez-le  croître, 
vous  n'aurez  pas  longtemps  5  attendre;  bien- 
tôt ces  membres  si  faibles  s'affermiront  pour 
mieux  résister  aux  outrages  et  aux  coups; 


122! 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SURIAN. 


1-224 


ces  mains  et  ces  pieds  so  fortifieront  pour 
mieux  soutenir  la  piqûre  des  clous;  ce  sang, 
si  minime  encore  se  multipliera  dans  mes 
veines  pour  laver  les  crimes  de  tout  le  genre 
humain  ;  cette  chair  si  délicate  s'endurcira 
pour  résister  aux  plaies  meurtrières  dont  on 
l'accablera,  et  je  serai  plus  propre  à  servir 
de  victime  à  votre  juste  colère.  Mais  sou- 
venez-vous que,  dès  maintenant,  je  \ous 
fais  un  sacrifice  de  tout  moi-môme,  et,  en  at- 
tendant ma  mort,  je  commence  à  souffrir 
dès  le  moment  de  ma  naissance  :  Corpus 
autan  aplasli  mihi  ;  tune  dixi  :  Ecce  venio. 
(Hcbr.,  X.) 

Pour  connaître  la  vérité  de  ces  promesses, 
tous  n'avez  qu'à  porter  les  yeux  sur  le  ber- 
ceau de  Jésus-Christ,  pour  y  voir  le  com- 
mencement de  ses  mortifications  et  de  ses 
souffrances.  Mais  aperçoit-on  dans  les  chré- 
tiens d'aujourd'hui  quelques  traces  de  ce 
divin  modèle?  voit-on  quelques  disciples 
de  cet  adorable  maître  ?  Où  est  le  fidèle  qui, 
_dès  les  premières  années  de  sa  vie,  com- 
mence à  se  donner  à  Dieu  et  sanctifier  son 
corps  par  les  mortifications  et  ia  pénitence? 
Hélas  1  on  ne  voit  dans  les  jeunes  gens  de  nos 
jours  que  mollesse  et  sensualité.  A  quoi 
s'occupent-ils?  de  quoi  se  remplissent-ils? 
eh!  plut  à  Dieu  que  ce  fût  des  peines  et  des 
premières  souffrances  de  Jésus  naissant  ; 
nous  voudrions,  de  tout  notre  cœur,  que  ce 
fût  de  ses  exemples  et  de  ses  mortifications. 
Mais  il  n'a  pas  cette  consolation  :  ils  n'ont 
point  d'autre  objet  que  le  plaisir,  ils  ne  mè- 
nent qu'une  vie  toute  charnelle  où  les  pas- 
sions trouvent  tout  ce  quelles  demandent. 
Cet  état,  véritablement  consacré  par  les  gé- 
missements et  les  douleurs  d'un  Dieu,  on 
le  regarde  comme  le  temps  le  plus  propre 
aux  plaisirs  et  aux  divertissements;  on  se  fait 
un  jeu  du  devoir  le  plus  saint,  on  se  fait  une 
licence  de  l'obligation  la  plus  étroite.  11  sem- 
ble que  la  pénitence  et  la  mortification  ne 
conviennent  point  à  cet  âge,  et  qu'il  suf- 
fit d'être  jeune  pour  se  dispenser  d'être 
chrétien.  O  funeste  illusion  !  que  vous  en 
avez  perdu  et  que  vous  en  perdez  encore 
tous  les  jours  1 11  faut  donc  que  nos  mortifi- 
cations soient  promptes  et  semblables  à  cel- 
les de  Jésus-Christ. 

Mais  ajoutons  qu'il  faut  qu'elles  soient  en- 
tière. Ce  divin  enfant  n'est  venu  dans  le 
monde  avec  une  ardeur  extrême,  que  pour 
s'y  sacrifier  entièrement  et  y  changer  en 
des  peines  et  en  des  mortifications  conti- 
nuelles, une  félicité  constante  qu'il  avait 
dans  le  sein  de  son  Père,  et  tout  cela, 
pour  ne  jamais  s'en  départir.  Et  quelle  res- 
triction aurait-il  pu  faire  dans  celte  crèche, 
où,  pour  toute  compagnie  il  n'avait  que 
deux  vils  animaux,  et  pour  tout  secours  que 
la  compassion  impuissante  de  sa  mère?  Hé- 
las 1  tout  en  lui  est  sacrifié,  et  aucun  de  ses 
sens  ni  des  parties  de  son  corps  n'y  est  épar- 
gné; ses  yeux  y  sont  baignés  de  larmes,  sa 
bouche  ne  s'exprime  que  par  des  soupirs, 
ses  narines  n'y  respirent  que  l'infection 
d'une  étable,  ses  oreilles  n'y  sont  frappées 
bu;.1  des  mugissements  et  des  cris,  son  corps 


tremblant  de  froid  n'y  repose  que  sur  un 
peu  de  paille,  et,  ce  qui  m'étonne  davantage, 
c'est  que  ce  divin  enfant,  l'innocence  mène 
et  la  sainteté  par  essence,  embrasse  dès  les 
premiers  moments  de  sa  vie  des  mortifica- 
tions si  entières,  et  si  constantes,  et  que 
nous,  qui  ne  sommes  que  corruption  et  que 
]  é  hé,  ne  recherchions,  après  un  tel  exem- 
ple, que  les  plaisirs  de  cette  vie;  que  nous 
ne  nous  étudiions  qu'à  flatter  nos  sens,  et 
que  nous  croyions  qu'il  nous  soit  permis  de 
nous  accorder  les  plus  grandes  satisfactions. 
Ei)  !  que  faites- vous  donc?  y  pensez-vous, 
lâches   chrétiens?   Quoi!   un  Dieu  qui   ne 
vient  au  monde  que   pour  vous  servir  de 
ir.o.lèle,   cominence  par  mortifier   sa  chair 
délicate,  et  vous  cherchez  encore  tout  ce  qui 
flatte?  Que  serait-ce  donc  s'il  fût  né  dans  les 
délices  et  au  milieu  de  la  sensualité?  qu'y 
a-t-il  donc  de  ressemblant  entre  Jésus-Christ 
et  vous,  entre  la  vie  de  ce  divin  enfant  et 
la   vôtre?  Tout  en   Jésus-Christ  ressent  la 
mortification  et  la  pénitence,  et  en  vous  tout 
respire  le  plaisir  et  la  sensualité;  là  règne 
une  mortification  entière  de  tous  les  sens, 
et  ici  règne  une  mollesse  universelle   dans 
toutes  les  parties  de  votre  corps.  Car,  dites- 
moi,  je  vous  prie,  gens  du  monde,  qu'e.  t 
votre  vie?  Examinez  un  peu  le  fond  de  votre 
état  ;  qu'est-elle  votre  vie,  qu'un  usage  con- 
tinuel de  vos  sens?  D'une  part,  la  mollesse 
s'introduit  chez  vous,  de  l'autre  l'amour  des 
biens  sensibles;  ici  vous  n'êtes  occupés  qu'à 
cultiver  ou  réparer  une  beauté  fragile;  là, 
vous  ne  vous  appliquez  qu'à  ménager  une 
santé  délicate.  Vous   ne  donnez  tous   vos 
soins  qu'à  conserver,  qu'à  flatter  votre  per- 
sonne ;   vous  ne  consacrez  tous  vos  désirs, 
tous    vos   talents,    tout   vous-même,  qu'à 
trouver  ce   raffinement  de  délicatesse   qui 
contente   vos    sens   et   vous    voudriez,   s'il 
était  en  votie  pouvoir,  ne  jamais  rien  refu- 
ser à  ce  corps  que  vous  idolâtrez  ;  vous  fai- 
tes tous   vos  eil'orts  pour  le  mettre  à  cou- 
vert du  côté  de  la  pénitence,  dont  vous  lui 
épargnez  les  rigueurs,  et  du  côté  de  la  vo- 
lupté, dont  vous  lui  épargnez  les  remords. 
Et  cette  mollesse  enfin,  qui  vous  occupe, 
cherche   à    vous  partager   entre   une   trop 
grande  agitation  qui  vous  fatiguerait,  et  une 
trop  grande  oisiveté  qui  vous   ennuierait. 
Elle  ne  vous  dit  pas  de  courir  après  tous  les 
plaisirs,  mais  elle  en  veut  quelqu'un  qu'elle 
puisse  tranquillement  goûter;  elle  ne  veut 
ni  passions  violentes  ni  douceurs  insipides, 
mais   elle  s'accommode   de  quelques  vices 
délicats,  d'un  repos  agréable;  elfe  fuit  les 
excès  et  l'inaction  qui  épuisent  ou  qui  affa- 
dissent le  corps,  mais  elle  veut  se  tenir  dans 
une  égale  situation  qui  laisse  goûter  à  l'hom- 
me charnel  ce  qu'il  y  a  de  doux  et  de  flat- 
teur sans  l'exposer  à  ce  qu'il  y  a  de  dégoû- 
tant et  d'ennuyeux.  Car,  voilà  ce  qui  s'ap- 
pelle la  mollesse  de  notre  siècle,  inconnue 
peut-être  aux  âmes  vulgaires  et  au  commun 
des  chrétiens,  mais  hélas  !  trop  connue  aux 
riches,  aux  grands  et  aux  sages  du  monde. 
D'une  autre  part,  que  demandent  vos  sens, 
que  respirent-ils  autre  chose  que  la  jouis- 


1225 


SERMON  SUR  LE  JUGEMENT  DERNIER. 


sauce  d'une  vie  heureuse;  le  nécessaire  ne 
vous  suffit  pas,  il  vous  faut  le  commode  ;  le 
revenu  des  peuples  et  du  rovaume  suffirait 
à  peine  pour  vous  donner  vos  aises  et  four- 
nir à  vos  vaines  superfluités  ;  vous  portez 
vos  yeux  auxspectacles  les  plus  réjouissants, 
aux  représentations   les   plus  agréables,  à 
tous  les  objets  les  plus  divertissants.  Las  des 
assemblées  tumultueuses,  vous  vous  resser- 
rez dans  les  cercles  les  plus  délicats,  vous 
ne  vous  délassez  d'un  plaisir  que  par  un 
autre  ;  tout  ce  qui  ressent  la  joie  a  des  attraits 
pour  vous,  et  vous  ne  voulez  rien  qui  vous 
contraigne  et  qui  vous  mortifie;  tout  ce  qui 
est  sérieux  vous  paraît  triste,  tout  ce  qui  est 
de  devoir  vous  accable;  si  vous  travaillez, 
ce  n'est  que  la  contenance  seule  qui  vous 
amuse  ;  si  vous  lisez,    votre  lecture  n'est 
qu'un    amusement  ;  si   vous    priez ,    votre 
prière  n'est  qu'une  habitude;si  vous  fréquen- 
tez les  sacrements,  votre  piété  superficielle 
n'est  qu'une  pure  bienséance  pour  tranquil- 
liser votre  conscience;  si  vous  méditez,  ce 
n'est   que  sur  la  manière  de  vous  rendre 
heureux;  vous  passez  du  sommeil  au  repas, 
aux  promenades,  des  promenades  au  jeu, 
des  plaisirs  du  jour  à  ceux  de  la  nuit,  et  on 
peut  dire  que  toute  votre  vie  n'est  qu'une 
mollesse  continuelle;  vous  en  faites  l'apa- 
nage de  votre  condition,   le   privilège  de 
votre   état   et    de  votre    rang.   Mais    com- 
ment   l'entendez-vous,   chrétiens   sensuels 
et  immortifiés?  une  telle  disposition  est-elle 
digne  de  ce  Dieu?  Enfant  couché  dans  une 
crèche,  lui  ne  paraît  que  dans  une  disposi- 
tion de  souffrances,  do  pleurs,  de  mortifica- 
tions; et  vous,  dans  une  disposition  de  plai- 
sirs, de  joie,  de  consolations  :  où  est  donc 
la  préparation  que  vous  avez  avec  lui  par 
cette  vie  molle,  sensuelle,  toute  naturelle 
que  vous  menez  dans  le  monde?  Montrez- 
nous  la  conformité  qui  se  trouve  entre  le 
membre  et  le  chef;  est-ce  donc  répondre  à 
cet  état  de  souffrances  et  de  mortifications 
auquel,   par  votre  vocation,  vous  avez  été 
destinés?  In  hoc  vocati  estis.  (IPetr.,   II) 
Est-ce  là  suivre  Jésus-Christ  dans  les  traces 
de  son  sang  et  de  ses  souffrances?  Par  vos 
mœurs  sensuelles  ne  rendez-vous  pas  vos 
rapports  faux,  et  tous  les  caractères  d'un  en- 
fant de  Dieu  ne   sont-ils  pas  anéantis  en 
vous  ! 

Vous  pensez  peut-être,  malgré  votre  mol- 
lesse, conserver  encore  quelques  traits  de 
ressemblance  avec  ce  divin  original  ;  mais 
comparons  encore  une  fois  l'état  d'un  homme 
licencieux  avec  celui  de  cette  sainteté  morti- 
fiée. Votre  vie  qu'est-elle  autre  chose  qu'une 
monstrueuse  différence  avec  celle  de  Jésus- 
Christ,  et  un  excès  abominable  de  difformités 
et  de  contraditions  avec  son  Eglise  et  avec  sa 
naissance?  Quoi  1  votre  vie,  tout  opposée 
qu'elle  est  à  celle  de  ce  divin  enfant,  vous 


i; 


12'25 

araîtrait  encore  innocente?  et  où  est  donc 
e  crime,  si  votre  mollesse  ne  l'est  pas,  et 
qui  voulez-vous  qui  vous  damne  si  votre 
sensualité  ne  vous  damne  pasl 

Ah  !  où  en  êtes-vous  donc,  gens  du  monde, 
lâches  chrétiens?  Rendez-vous  donc  à  une 
invitation  si  pressante  pour  vous  laisser  tou- 
cher, il  ne  faut  qu'ouvrir  vos  cœurs  à  ce  qui 
se  passe  dans  la  crèche  de  ce  berceau.  Quoi  1 
tant  de  démarches  qu'il  fait  pour  vous  atti- 
rer, tant  de  misères,  tant  de  soupirs,  tant  de 
larmes,  ne  pourront-ils  donc  ici  triompher  de 
la  dureté  de  vos  cœurs  charnels  ?  Ah  !  ils  en 
triomphent,  Sauveuraimable,  et  je  me  rends 
aujourd'hui  ;  recevez,  Dieu  de  miséricorde, 
une  âme  infidèle  qui  revient  à  vous  dans  la 
sincérité  de  son  cœur;  depuis  trop  long- 
temps vous  m'appelez  et  jusqu'ici  j'ai  tou- 
jours résisté,  mais  je  cède  enfin  à  la  vue  des 
mortifications  de  votre  crèche.  Je  ne  puis 
plus  soutenir  le  poids  d'une  charité  si  abon- 
dante et  si  tendre;  j'étais  si  endurci  que 
rien  n'avait  pu  me  détacher  de  mes  sens,  et 
tous  vos  autres  mystères  m'avaient  parlé 
d'une  voix  aussi  tendre  que  faible  ;  mais  je 
ne  puis  plus  tenir  contre  la  voix  si  touchante 
d'un  Dieu  enfant  né  1  Voici  donc  qu'aux  pieds 
de  votre  crèche,  ô  mon  Dieu,  où  je  viens 
prendre  la  résolution  ferme  de  vous  imiter 
et  de  me  rendre  conforme  à  vos  divins 
exemples  ;  voici  que,  sincèrement  converti  à 
vous,  je  renonce  a  tous  les  plaisirs,  à  toutes 
les  joies,  à  toute  la  mollesse,  que  jusqu'ici 
j'avais  tant  recherchés,  et  à  la  place,  je  prends 
les  mortifications  et  les  souffrances ,  et  ia 
pénitence  en  partage  :  je  veux  y  vivre  et  y 
mourir  et  ne  veux  point  d'autre  état  que 
celui  où  je  vous  vois  dans  la  crèche  ;  mais, 
faible  comme  je  suis,  que  ne  dois-je  pas 
craindre  de  mes  résolutions?  Soutenez-les,  6 
mon  Dieu,  et  que  ne  dois-je  pas  attendre  de 
vos  miséricordes,  à  la  vue  des  humiliations 
de  votre  naissance,  à  la  vue  des  mortifica- 
tions de  votre  crèche?  Je  vous  en  conjure, 
mon  aimable  Sauveur,  au  nom  de  ces  san- 
glots si  profonds,  de  ces  soupirs  si  tendres, 
de  ces  larmes  si  amères,  de  ce  cœur  si  bon  ; 
au  nom  de  ce  berceau  où  j'étais  venu  vous 
adorer,  de  cette  enfance  douloureuse  où  se 
consume  votre  amour;  au  nom  de  votre 
amour  lui-même,  qui  n'a  en  vue  que  moir 
salut,  rendez  fermes  et  inébranlables  les 
projets  que  je  fais  aujourd'hui  pour  l'humi- 
lité et  pour  les  mortifications,  pendant  tout 
le  reste  de  ma  vie  ;  vous  me  l'avez  inspiré 
par  les  anéantissements  et  les  souffrances  de 
votre  naissance,  consommez,  grand  Dieu, 
votre  ouvrage,  jusqu'à  ce  que  ce  Dieu  anéanti 
et  mortifié  qui  se  propose  à  moi,  en  ce  jour, 
pour  exemple  sur  la  terre,  fasse  un  jour  dam, 
le  ciel  ma  joie,  ma  gloire  et  ma  félicité 
éternelle.  Je  vous  la  souhaite,!  au  nom  du 
Père,  et  du  Fils,  et  du  Saint-Esprit.  Amen. 


SERMON  SUR  LE  JUGEMENT  DERNIER. 


Cum  venerit  Filius  hominis  in  rrujestate  sua  el  omnes 
angeli  cum  eo,  tune  sedebil  super  sedem  majestalis  sus, 
etc.  (Matin.,  XXV.) 

lorsque  le  Fils  de  l'homme  viendra  dans  tout  l'éclat  de 

Orateurs  sacrés.  L. 


sa  majesté  et  accompagné  de  ses-  anges,  alors  il  s'assiéra 
sur  son  trône,  et  toutes  les  nations  assemblées  paraîtront 
devant  lui. 

Malheur  à  nous,  mes  frères,  si,  pour  nous 

39 


1227  ORATEURS  SACRES 

épargner  des  alarmes  salutaires,  nous  éloi- 
gnons de  notre  esprit  les  terribles  circons- 
tances de  l'avènement  du  Fils  de  l'homme  ; 
mais,  malheur  plus  grand  encore,  si,  n'y 
arrêtant  que  nos  pensées,  nous  n'y  allons  au- 
devant  d'un  objet  plus  digne  de  notre  conster- 
nation nous-mêmes  au  tribunal  de  Jésus- 
Christ. 

Ohl  quelle  foule  de  réflexions  accablantes! 
quel  état  plus  capable  de  nous  faire  appré- 
hender le  jugement  de  Dieu?  Eh!  qu'im- 
porte à  un  chrétien  que  le  monde  périsse 
ou  qu'il  demeure;  que  les  astres  brillent  ou 
qu'ils  s'éteignent;  que  la  terre  s'ébranle  ou 
qu'elle  soit  fixe,  lorsque  l'idée  de  ce  que 
nous  serons  tombés  sous  la  puissante  main 
de  Dieu  se  présente  aux  yeux  de  notre  foi? 
Ce  tableau  si  animé  que  nous  trace  le  doigt 
de  la  vérité  même,  du  monde  emporté  dans 
une  ruine  générale,  doit  vous  toucher  assez 
faiblement.  Ce  monde  est  assez  corrompu, 
perfide  et  infidèle  pour  ne  pas  mériter  nos 
regrets,  eu  égard  à  ses  misères  et  à  son  néant  ; 
nous  pouvons  tranquillement  attendre  sa  dé- 
cadence et  son  bouleversement;  mais  nous- 
mêmes,  aux  pieds  de  Jésus-Christ,  recueillons 
avec  bien  plus  d'effroi  tous  ces  prodiges  en- 
semble :  notre  raison  éclipsée  et  éteinte, 
notre  esprit  dans  une  confusion  et  dans  un 
désordre  inconcevable,  des  remords  violents 
qui  déchireront  notre  âme,  des  taches  qui 
paraissent  dans  nos  vertus  les  plus  pures,  le 
sépulcre  infecté  de  notre  conscience  ouvert, 
un  cœur  qui  se  défend  et  se  brise,  et  par- 
dessus tout  cela  l'œil  de  Dieu  qui  nous  exa- 
mine, le  bras  de  Dieu  qui  tonne  sur  nous, 
voilà  par  quel  endroit  le  jugement  dernier 
doit  nous  paraître  terrible,  et  par  où,  l'envi- 
sageant en  nous-mêmes,  j'ai  résolu  de  vous 
l'exposer  aujourd'hui. 

Suspendez  donc  vos  cupidités,  rappelez-en 
toute  votre  attention  pour  ne  la  donner  qu'à 
ce  seul  spectacle,  à  vous-mêmes  jugés  par 
Jésus-Christ.  Votre  crime  est  ici  de  n'être 
à  Dieu  ni  dans  la  vérité  ni  dans  la  justice; 
mais  alors  votre  malheur  sera  de  lui  être 
assujettis  dans  toutes  deux  :  Judicabit  orbem 
terrœ  in  veritate  etjustitia.  (Psal.  IX.)  Sen- 
tez-vous tout  le  poids  de  ces  deux  paroles: 
il  jugera  le  monde  dans  la  vérité  et  dans  la 
justice?  Jugé  dans  la  vérité,  que  l'examen  en 
sera  donc  sévère  !  in  veritate  ;  premier  point. 
Jugé  dans  la  justice ,  in  justifia  ;  que  la  con- 
damnation en  sera  donc  rigoureuse  !  vous  la 
verrez  dans  le  deuxième. 

Vous,  ô  mon  Dieu  !  alors  juge  implacable, 
juste  vengeur,  ici  encore  pasteur  compatis- 
sant, père  tendre,  Sauveur  miséricordieux, 
si  vous  nous  aimez  encore,  ah!  ébranlez- 
nous  par  vos  terreurs  salutaires,  troublez 
ce  repos  funestequi  se  terminerait  au  dé- 
sespoir: qu'à  l'idée  de  vos  justices  nos  cœurs 
sentent  tout  à  la  fois  ces  impressions  éton- 
nantes, s'ils  ne  sont  pas  plus  endurcis  que 
les  rochers  qui  se  brisent ,  plus  pesants 
que  la  terre  qui  tremble  devant  vous,  plus 
morts,  hélas  !  que  les  morts  mômes  qui  re- 
vivent en  vos  yeux;  que  tout  en  nous  se  re- 
nouvelle par  la  pensée  d'un  avènement  qui 


.  LE  P.  SURIAN.  ^23 

doit  tout  renouveler;  et,  afin  que  le  juge- 
ment dernier  ne  nous  soit  point  funeste, 
alors  qu'il  soit  ici  formidable  pour  nous.  De- 
mandons, mes  frères,  l'assistance  dont  nous 
avons  besoin  par  l'intercession  de  Marie.  Ave, 
Maria. 

PREMIER     POINT. 

Dans  la  vision  qu'eut  Daniel  du  jour  au- 
quel le  Seigneur  jugera  la  terre,  ce  qui  l'ef- 
fraya davantage,  c'est  qu'il  lui  parut  que  la 
vérité  serait  humiliée  sur  la  terre,  qu'elle 
reprendrait  le  dessus  et  paraîtrait  triom- 
phante :  Prosternetur  veritasin  terra,  pros- 
perabitur.  Maintenant,  dans  la  bouche  du 
pécheur,  où  prévaut  le  mensonge,  elle  est 
captive,  et  dans  ses  jugements  il  ne  l'appelle 
ni  pour  régler  ses  sentiments,  ni  pour  me- 
surer dans  son  âme  la  profondeur  de  ses 
iniquités,  ni  pour  peser  les  vertus  mêmes; 
mais  la  vérité,  qui  ne  peut  ici  se  plaindre 
de  l'injuste  procédé  que  tient  le  pécheur  et 
du  mépris  qu'il  fait  d'elle,  avec  quelle  sévé- 
rité le  jugera-t-elle  au  tribunal  de  Jésus- 
Christ  1  Comme  dans  l'Ecriture  il  est  dit 
qu'afin  qu'un  jugement  ne  soit  pas  inique, 
il  faut  y  apporter  la  règle,  la  mesure  et  les 
poids,  aussi  la  vérité,  reprenant  ces  trois 
caractères,  formera  contre  le  pécheur  la  dis- 
cussion la  plus  affreuse.  Et  comment  ce  pé- 
cheur, qui  aura  suivi  ici  les  maximes  les  plus 
fausses,  pourra-t-il  se  soutenir  quand  son 
juge  terrible  l'examinera  sur  la  règle  de  la 
vérité?  Judicabit  in  régula  (Levit.f\lX);  com- 
ment ce  coupable,  qui  s'aveugle  ici  par  le  nom- 
bre et  l'énormilé  de  ses  crimes,  pourra-t-il  se 
souffrir  quand  Jésus-Christ  lui  en  découvrira 
la  mesure?  Judicabit  in  mensura  (Ibid.); 
comment,  enfin,  le  pécheur,  qui  se  rassure 
ici  par  la  vue  de  quelques  bonnes  œuvres , 
ne  succombera-t-il  pas  quand  Jésus-Christ, 
les  mettant  dans  la  balance  de  la  vérité,  lui 
en  fera  sentir  le  vide  et  le  défaut  ?  Judicabit 
in  pondère  (Ibid.).  Ah  1  que  ces  trois  discus- 
sions sont  désolantes!  heureux  qui  les  fait 
aujourd'hui  sur  lui-même  pendant  qu'elles 
peuvent  lui  être  encore  salutaires;  il  ôte  par 
ce  moyen  au  jugement  toutes  ses  terreurs. 

Première  discussion.  Jésus-Christ  appli- 
quera la  règle  de  la  vérité.  Ne  croyez  point 
que  cesoitmoi  qui  vous  accuseauprèsde  mon 
Père,  dira-t-il;  alors  d'autres  vous  accuse- 
ront avant  moi.  Moïse,  c'est-à-dire  la  Loi,  est 
pour  les  Juifs,  et  l'Evangile  pour  les  chré- 
tiens ,  et  là-dessus  saint  Augustin  nous 
donne  ce  grand  principe  :  que  Dieu^ne  vou- 
lait point  laisser  l'homme  sans  règle;  après 
nous  l'avoir  offerte  dans  ses  paroles  et  dans 
ses  actions,  il  nous  l'a  donnée  dans  son 
Evangile  ;  c'est  dans  ce  supplément  de  ses 
œuvres  que  la  vérité  est  sans  cesse  exposée 
au  chrétien  comme  la  règle  invariable  de  sa 
perfection  :  celui  qui  s'y  conforme  [tendant 
sa  vie  n'a  que  paix  et  bénédiction  à  attendre 
au  dernier  jour  :  Pax  super  illos.  (Galat.;V\.) 
Mais  pour  vous,  qui  lui  préférez  les  erreurs  du 
inonde,  les  illusions  de  vos  coutumes,  l'éga- 
rement de  vos  passions,  7es  maximes  du  siè- 
cle, ah!  quel  sera  votre  malheur!  Comme 
autrefois  la  Loi  fut  miseà  côté  de  l'arche  sainte 


1Î&9 


SERMON  SUR  LE  JUGEMENT  DERNIER. 


12:0 


ooury  servir  un  jour  de  témoignage  contre 
les  enfants  d'Israël,  de  même  aussi  l'Evangile 
sera  mis  entre  les  mains  de  notre  juge  pour 
y  servir  d'accusateur  aux  mauvais  chrétiens: 
Ponite  librum  illum  ut  sit  ibi  contra  te  tes- 
limonhvn.  (Deut.,  XXXI.) 

Et  en  effet,  ayez  le  courage  une  seule  fois 
de  vous  voir  et  de  vous  juger  sur  cette  règle 
sainte  formée  sur  la  vie  de  Jésus-Christ. 
Cette  règle  ne  parle  que  du  mépris  des  faux 
biens  de  la  terre,  et  vous  ne  témoignez  d'ar- 
deur que  pour  les  posséder;  cette  règle  dé- 
teste les  folles  vanités  et  la  fausse  gloire  du 
siècle,  et  tout  respire  en  vous  ses  honneurs 
et  ses  distinctions;  cette  règle  ne  cesse  de 
frapper  d'anathème  le  monde,  et  vous  avez 
toujours  été  enivrés  de  ses  divertissements 
et  de  ses  j  ompes;  cette  règle  ne  proche  que 
mortification,  que  voie  étroite,  que  péni- 
tence, et  toute  votre  vie  n'est  qu'un  cercle 
continuel,  de  plaisirs,  de  mollesse,  de  sen- 
sualité de  raffinements  et  de  délicatesse; 
cette  règle  ne  parle  que  de  dépouillement  et 
d'abnégation,  et  vous  faites  votre  dieu  de 
vos  richesses,  et  de  votre  corps  votre  idole  ; 
cette  règle,  toute  de  charité,  ne  connaît  de 
grandeur  que  dans  le  pardon  des  injures,  et 
vous  ne  méditez  que  des  pensées  de  haine, 
d'animosité,  de  vengeance  ;  cette  règle  ca- 
nonise les  souffrances,  les  maladies,  les  tri- 
bulations, les  croix  de  cette  vie,  et  vous  met- 
tez tous  vos  soins  aies  fuir,  à  les  écarter, 
jusqu'à  murmurer  môme  contre  la  provi- 
dence miséricordieuse  qui  vous  les  distribue; 
celte  règle  vous  dit  de  n'envisager  les  biens 
de  ce  monde  que  comme  des  regards  heu- 
reux d'une  providence  plus  favorable,  et 
vous  ne  les  regardez  que  comme  des  ins- 
truments de  luxe  ,  de  débauche  et  de  li- 
bertinage ;  enfin,  tout  considéré  en  vous, 
cette  règle  de  vérité  mise  auprès  de  vos 
maximes  et  de  votre  conduite,  n'y  trouvera 
qu'un  effroyable  amas  de  contradictions;  là 
où  il  faudrait  une  parfaite  conformité,  elle 
n'y  trouvera  rien  que  de  dissemblable  et 
un  conflit  perpétuel  de  pensées  monstrueu- 
ses. 

Ah  I  pour  lors,  que  se  formera-t-il  dans 
votre  Ame  ?  que  de  vérités  s'y  démentiront  ! 
quel  changement!  quelle  surprise!  quels 
rayons  y  seront  évanouis!  Les  rangs,  les 
étals,  les  grandeurs,  les  richesses,  aujour- 
d'hui dans  un  si  grand  jour,  disparaîtront, 
et  on  n'en  reconnaîtra  pas  même  les  traces. 
Que  deviendra  la  figure  de  ce  monde  qui 
nous  trompe?  le  brillant  de  ses  honneurs 
qui  nous  éblouit?  Que  deviendra  ce  fantôme, 
cette  fiction  du  siècle  qui  nous  joue?  Mon 
Dieu,  quelles  ombres  tirera  alors  la  vérité 
victorieuse  de  dessus  nos  yeux  ?Que  le  bril- 
lant des  richesses  y  paraîtra  sombre  1  que 
l'éclat  des  honneurs  y  paraîtra  faible!  que 
les  maximes  des  sages  du  siècle  y  seront 
confondues!  qu'on  y  fera  peu  de  cas  de  ces 
distinctions  et  de  ces  prééminences  dont  la 
vanité  fait  des  images  si  imposantes  !  Le  char- 
me venant  une  fois  à  se  rompre  et  le  système 
à  se  démentir,  que  vous  aurez  de  honte  de 
vous  voir  détrompés!  Qu'on  sentira  se  ras- 


surer les  choses  humaines  que  maintenant 
nous  regardons  comme  trop  grandes;  qu'a- 
lors la  fausse  félicité  du  siècle  se  soutiendra 
peu  !  Enfin ,  quand  le  voile  sera  levé  et  que 
tout  sera  rapproché  de  la  règle  de  la  vérité 
lumineuse,  que  là  ce  qui  nous  éblouit,  ici 
ne  nous  servira  qu'à  nous  éclairer  sur  le 
vide  et  le  néant  du  monde;  qu'on  se  plain- 
dra !  qu'on  voudra  de  mal  à  ce  faible  cœur 
qui  s'y  e.vt  laissé  prendre  et  qui  n'a  pas  eu 
la  force  de  résister  à  ces  enchantements! 
Plaintes  inutiles,  réflexions  vaines  !  Alors, 
étonnés  de  votre  aveuglement,  vous  aurez 
beau  vous  écrieravec  le  Prophète  :  Seigneur, 
ayez  pitié  de  mon  âme  (IV  Reg.,  I),  elle  n'était 
pleine  que  de  vents  et  d'illusions;  il  ne  sera 
plus  temps;  il  faudrait  dès  à  présent  vous  dé- 
faire de  ces  faux  jugements  que  vous  portez 
des  choses  de  la  terre,  de  cet  art  malheureux 
d'accommoder  l'Evangile  avec  le  siècle  et  le 
salut  avec  les  passions;  de  cette  licence  fu- 
neste de  s'accorder  tout  ce  qui  plaît,  tout  ce 
qui  flatte, il  faudrait  réformer  tout  qui, ce  jus- 
qu'ici, vous  a  servi  de  règle  dans  voire  aveu- 
glement; il  faillirait  juger  présentement  de 
toutes  choses,  non  sur  les  opinions  des  mon- 
dains, qui  sont  des  erreurs,  non  sur  leurs 
exemples,  qui  sont  des  pièges ,  non  sur 
leurs  coutumes,  qui  sont  des  précipices  , 
mais  sur  la  règle  immuable  que  Jé^us-Christ 
vous  a  laissée  dans  la  vérité  de  son  Evan- 
gile; ^ar  cette  règle  subsistant  seule  dans 
votre  âme  sur  les  débris  du  monde,  elle  y 
brisera  tout  ce  qui  ne  lui  est  point  conforme; 
vous  sentirez  en  vous  que  nulle  flatterie, 
nulle  interprétation,  nul  adoucissement  d'a- 
mour-propre et  de  mollesse  n'aurait  rien 
pu  contre  l'Evangile;  que  si  tout  ce  que 
vous  aurez  fait  a  pu  combattre  cette  divine 
règle,  jamais  vous  n'aurez  pu  l'affaiblir  ni  la 
changer,  et  qu'il  en  sortira  un  trait  de  lu- 
mière qui  portera  la  frayeur  jusquedans  le 
fond  de  vos  cœurs,  et  qui  la  vengera  de  l'é- 
ternelle contradiction  que  vous  yavez  appor- 
tée :  Eril  in  te  vindicuns.  Oh!  le  comprenez- 
vous  bien  ce  pitoyable  état  où  vous  serez 
réduits  au  jugement  qui  se  fera  de  vous  par 
l'Evangile  ? 

Mais  ainsi,  jugés  dans  vos  pensées  par 
l'infaillible  règle  de  la  vérité,  peut-être  vou- 
drez-vous  vous  retrancher  sur  des  pratiques 
plus  chrétiennes  :  faible  ressource.  Mous 
croyons  être  parfaits  lorsque  nous  agissons, 
et  Jésus-Christ  jugera  nos  œuvres  et  le  nom- 
bre de  nos  offenses  sur  la  mesure  de  la  vé- 
rité, et  de  là  cette  multitude  affreuse  de  pé- 
chés qui  va  vous  effrayer  :  Judicabit  in  men- 
sur  a. 

On  est  surpris  de  voir  David,  cet  homme 
fidèle,  qui  mettait  toute  sa  force  et  sa  con- 
fiance en  Dieu,  s'écrier  :  Ah  !  Seigneur,  qui 
est  l'homme  qui  puisse  connaître  toutes  les 
offenses  qu'il  commet  contre  vous?De  grâco 
ne  m'imputez  point  celles  qui  me  sont  ca- 
chées, et  me  pardonnez  les  péchés  dont  jo 
puis  avoir  été  la  cause  :  Delicta  quis  intelii- 
(jit  ?  ab  occultis  meis  manda  me.  et  <ib  alienia 
parce  serro  tuo.  (Psal.  XVIII.)  Quelle  vue  a 
donc  mis   en  lui  ce  transport  ?  C'est,  mes 


12*1 


ORATEURS  SACHES.  LE  P.  SURIAN. 


1W2 


frères,  qu'il  venait  de  chercher  ses  fautes 
dans  lui-même  et  dans  les  autres;  pour  lui 
il  craint  son  coeur  qui  demande  une  fidélité 
et  une  vig  lance  continuelles,  et  pour  les 
autres  il  craint  les  dignités  qui  obligent  à 
des  exemples  édifiants  et  à  une  circonspec- 
tion scrupuleuse  ;  et  voilà  ce  qui  l'effraye  et 
ce  qui  lui  fait  dire  :  Seigneur  1  si  vous  vou- 
lez que  je  me  rassure,  effacez  en  moi  les 
iniquités  que  je  ne  connais  pas,  et  ne  comptez 
point  celles  que  les  autres  ont  commises  par 
ma  faute  :  Delicta,  etc. 

C'était  un  roi  pénitent,  qui,  entrant  en 
jugement  avec  lui-même,  ne  pouvait  se 
souffrir.  Et  comment  donc,  pécheurs  misé- 
rables, pourrez-vous  soutenir  votre  propre 
vie  au  jugement  de  Dieu?  Ici  votre  âme, 
toujours  répandue  au  dehors,  peut-elle  s'a- 
percevoir de  ce  qui  se  passe  au  fond  de  sa 
conscience?  Mais  alors,  tout  fondant  sous 
elle  et  Dieu  lui  enlevant  tous  les  objets  qui 
l'amusaient,  celle  âme  malheureuse  sera  for- 
cée de  se  voira  découvert,  et  l'impie,  aux 
termes  de  l'Ecriture,  se  trouvant  produit  lui- 
même  à  lui-même,  tous  ses  crimes  lui  seront 
révélés:  Tune  revelabiiur impius ; 'ici  le  péché 
nous  aveuglant  et  nous  blessant,  il  est  tout 
à  la  fois  le  glaive  qui  fait  la  plaie  et  le  ban- 
deau qui  la  couvre,  et  comme  cet  ange  de 
Laodicée  ,  nous  sommes  des  aveugles  et  des 
misérables  dans  le  temps  même  que  nous 
nous  croyons  riches  et  clairvoyants  :  Nescis 
quia  tu  es  miser  et  cœcus  et  nudas.(Apoc,  M.) 
Quand  maintenant  on  se  donne  en  spectacle  à 
tout  le  monde  par  ses  égarements,  on  ne 
se  voit  pas  soi-même  ;  tous  les  yeux  sont 
ouverts  sur  nos  défauts,  il  n'y  a  que  nous 
qui  ne  les  connaissons  pas,  et  l'amour-propre 
répand  sur  toutes  nos  actions  des  triages  si 
épais  que  nous  ne  saurions  en  apen  evoir  la 
difformité;  mais  alors  vous  découvrirez  mille 
monstres  hideux  que  vous  renfermiez  dans 
votre  sein,  vous  trouverez  toute  l'irrégula- 
rité de  votre  conduite,  et  cette  énigme  qui 
enveloppe  tant  de  maux  sera  clairement 
expliquée:  Tune  reveîabitur  impius;  ici  le 
démon,  profitant  de  vos  cupidités  échauffées, 
vous  aveugle  sur  une  longue  suite  de  pé- 
chés qu'elles  entraînent  après  elles;  si  vous 
êtes  ambitieux,  il  vous  laissera  voir  que 
c'est  le  vice  des  grandes  âmes;  il  jette  un 
voile  sur  les  injustices,  sur  les  faux  rapports, 
sur  les  folles  dépenses  que  vous  faites;  mais 
alors  Dieu  vous  révélera  .tous  les  crimes 
cachés,  tous  les  pas,  tous  les  mouvements, 
toutes  les  suites,  toute  la  marche  de  vos 
liassions,  et  que  ce  spectacle  d'iniquité  vous 
a  passé  comme  une  deuxième  nature  :  Tune 
reveîabitur  impius  ;  maintenant  qu'osant 
vous  examiner,  vous  ne  comptez  point  les 
transgressions  légères;  vos  chutes  ne  vous 
eil'rayent  point  si  elles  ne  sont  mortelles;  il 
faut  pour  vous  alarmer  des  abîmes  d'iniqui- 
tés; ici,  toujours  la  mesure  à  la  main,  vous 
étudiez  avec  soin  jusqu'où  l'on  peut  aller 
sans  offenser  Dieu  mortellement;  mais  alors 
qu'un  regard,  je  ne  dis  pas  de  ceux  qui  don- 
nent la  mort  à  votre  innocence,  mais  un 
regard  trop  libre  et  trop  vif;    que  tous  ces 


mensonges,  non  pas  de  ceux  qui  attaquent 
la  charité,  mais  ces  mensonges  officieux  qui 
la  refroidissent  ;  que  toutes  ces  paroles,  je 
ne  dis  pas  celles  qui  blessent  la  pudeur, 
niais  inutiles  ou  peu  chrétiennes;  que  ce  jeu, 
je  ne  dis  pas  cette  passion  qui  transporte,  ni 
ce  hasard  monstrueux  qui  fait  ]  âlir  jus- 
qu'aux spectateurs  indifférents,  mais  de  ce- 
lui dont  on  fait  un  amusement  et  dont  la 
moindre  perte  est  toujours  celle  du  temps; 
que  cette  vanité,  je  ne  dis  pas  cellr  qui  vous 
emporte  aux  plus  ambitieux  projets  et  au 
luxe  le  plus  immodéré,  mais  celle  qui  peut 
naître  en  vous  d'une  pratique  de  vertu;  en 
un  mot  l'omission  du  bien  comme  la  pra- 
tique du  mal,  votre  négligence  à  l'égard  des 
grâces  de  Dieu  comme  l'abus  que  vous  en 
avez  fait;  le  superflu  que  vous  ne  donnez 
pas  comme  celui  qu'on  vous  arrache,  et 
mille  autres  transgressions  légères  que  vous 
accumulez  sans  crainte  dans  votre  âme  et 
qui  ne  sont  point  assez  sensibles  dans  le 
détail ,  tout  cela  aura  enrichi  les  trésors  de 
la  colère  de  Dieu  et  allumé  sur  vous  le  feu 
de  sa  vengeance  :  Tune  reveîabitur  iniquus. 
(II  Thess.,  H.)  Enfin,  je  sais  que  les  égards 
vous  sont  dus,  grands  du  monde,  riches  de 
la  terre  :  mets  délicats,  liqueurs  précieuses, 
vêtements  superbes,  tra;ns  magnifiques, 
équipages  pompeux,  meubles  brillants,  com- 
merce réjouissant,  lectures  agréables,  sou- 
vent de  grands  plaisirs,  rien  ne  vous  manque; 
nulles  mortifications,  nulles  violences,  nulles 
incommodités;  vous  souffrez  cela  sans 
alarmes;  encore  quelques  moments  et,  aux 
pieds  de  Jésus-Christ,  votre  juge,  vous  ap- 
prendrez que  c'en  est  assez  pour  être  damné, 
que  rien  plus  n'a  réprouvé  le  mauvais  riche, 
que  sa  vie  n'était  qu'heureuse  ,  que  cepen- 
dant elle  a  été  trouvée  digne  de  l'enfer; 
qu'une  conduite  vide  de  bonnes  œuvres 
comme  remplie  de  crimes  entre  dans  le  ju- 
gement de  Dieu  ,  et  que  le  serviteur  inutile 
est  jeté  au  feu  comme  le  serviteur  infidèle. 

Sur  ce  principe,  que  deviendra  tout  ce  qui 
forme  aujourd'hui  le  monde?  où  ira  ce 
nombre  infini  d'âmes  mondaines,  qui  vivent 
peut-être  sans  connaître,  sans  croire,  sans 
pratiquer  ces  importantes  vérités  ?  quelle 
place  occuperont  tant  de  chrétiens  oui  ne 
s'examinent  presque  jamais  et  qui  ne  le  font 
que  superficiellement,  à  la  hâte?  où  en 
serez-vous,  vous-mêmes,  chrétiens  qui  m'é- 
coutez  ?  je  vous  le  demande.  O  tribunal 
terrible  du  Dieu  vivant,  quelle  foule  de  cou- 
pables victimes  gémiront  autour  de  vous! 
anges,  ministres  sévères  des  dures  ven- 
geances du  Seigneur,  que  vous  ferez  cou- 
ler de  sangl  que  vous  immolerez  de  vic- 
times ! 

Mais  la  mesure  de  la  vérité  n'a  passé  en- 
core que  sur  vos  péchés  personnels  ;  outre 
ceux  que  vous  aurez  commis  en  votre  propre 
et  priv?  nom  par  les  mouvements  déréglés 
de  voire  concupiscence,  Jésus-Christ  vous 
demandera  compte  des  péchés  qui  ont  ré- 
veillé celle  d'autrui  ;  il  vous  rappellera  tant 
d'âmes  innocentes  dont  le  salut  lui  était 
cher  et  que  vous  avez  séduites,  que  vous 


*2" 


SERMON  SIR  LE  JUGEMENT  DERNIER. 


1234 


avez  perdues  par  vos  scandales ,  par  vos  mé- 
disances envenimées/par  vos  discours  licen- 
cieux, dans  le  cœur  de  qui  vous  avez  intro- 
duit vos  mêmes  passions,  à  qui  vos  dérè- 
glements ont  ravi  peut-être  avec  leur  inno- 
cence le  prix  du  sang  du  Rédempteur  ;  enfin 
vous  répondrez  de  tous  les  maux  que  vous 
avez  laits  et  que  vous  avez  fait  faire  ou  laissé 
faire.  Dites-nous  :  David  n'avait-ii  pas  rai- 
son de  s'écrier  :  juge  terrible,  l'Ame  la  plus 
P'ure  si  vous  la  traitez  à  la  rigueur,  elle  est 
perdue!  Qui  pourra  donc  se  soutenir  devant 
vous,  quand  vous  examinerez  dans  la  mesure 
de  votre  vérité  nos  olfenses  ?  Mais  vous, 
chrétiens,  avez-vous  raison,  convaincus  de 
ces  terribles  vérités,  de  ne  travailler  pen- 
dant cette  vie  qu'à  mettre  sous  l'œil  de 
Dieu  offenses  sur  olfenses?  avez-vous  raison 
de  ne  faire  par  toutes  vos  pensées,  par  toutes 
vos  actions  ,  que  vous  accabler,  que  vous 
nuire,  que  chercher  votre  perte,  que  dicter 
pour  ainsi  dire  vous-mêmes  votre  sentence? 
Etes -vous  sages  de  courir  de  toutes  vos 
forces  au  malheur  que  vous  déflorez,  et  de 
ne  faire  autre  chose  que  de  vous  avancer 
ces  grandes  menaces  par  toute  votre  con- 
duite, de  ne  faire  en  un  mot  de  toute  votre 
vie  qu'un  grand  péché  et  une  iniquité  uni- 
verselle? Vous  ne  le  sentez  pas,  mais  com- 
bien sont  déjà  jugés  qui  ne  le  sentaient  pas 
plus  que  vous:  Erat  involutus  liber  (Ezech., 
II);  comme  vous,  pendant  la  vie  ils  se  conten- 
taient de  porter  ce  livre  mystérieux  sans 
jamais  l'ouvrir  et  y  regarder;  mais  quand  à 
la  mort,  la  main  de  Jésus-Christ  développera 
ce  livre  fatal  :  Expandit  illum  coram  me  qui 
crat  scriptus  intus  el  foris  (Ibid.),  vous  trou- 
verez qu'au  dedans  et  au  dehors,  par  rapport 
à  vous-mêmes  comme  à  l'égard  du  prochain, 
tout  n'y  parle  que  de  vos  crimes,  et  que 
cette  manifestation  sera  suivie  des  plus 
horribles  malédictions,  que  de  votre  ruine 
et  de  votre  perte  :  et  scripta  erant  in  eo  la- 
mentaliones  et  carmen  et  vas  et  perdilio  et 
mors.  (Ibid.) 

Mon  Dieu!  ces  paroles,  comme  un  effroya- 
ble tonnerre,  ne  devraient-elles  point  tirer  le 
monde  de  sa  léthargie,  réveiller  les  hommes 
de  ce  mortel  assoupissement  qui  les  tient 
dans  le  crime?  S'il  y  a  quelque  chose  de 
plus  terrible  encore,"  n'est-ce  pas  de  voir 
combien  peu  d'impression  elles  font  sur  vos 
cœurs?  N'est-ce  pas  de  voir  que,  ou  vous  ne 
les  croyez  pas,  ou  qu'en  les  croyant  vous 
vous  en  jouez;  laquelle  de  ces  extrémités 
vous  paraît  la  moins  affreuse? 

Mais,  pour  couvrir  la  multitude  de  vos  ini- 
quités, je  sais  quel  rayon  d'espérance  vous 
donnent  vos  bonnes  œuvres;  examinons-les 
donc,  ces  œuvres;  mais  laissons  faire  à  Jé- 
sus-Christ cet  examen,  et  que  sa  vérité  qui 
a  mesuré  vos  péchés  pèse  encore  vos  mé- 
rites :  Judicabit  in  pondère  ;  c'est  la  troisième 
discussion. 

Oui,  le  seul  à  qui  il  appartient  de  juger 
des  offenses  et  de  la  réparation  qu'on  en  a 
faite,  prendra  le  poids  et  la  balance,  et  ce 
poids  est  celui  de  la  vérité;  et  alors,  élevé 
sur  son  redoutable  tribunal,  il  pèsera  vos 


crimes  et  tout  ce  que  vous  avez  fait  pour  les 
expier  ;  et  si  autrefois  rien  n'était  plus  ri- 
goureux que  le  poids  du  sanctuaire  tempo- 
rel, que  plus  terrible  encore  sera  le  poids 
du  sanctuaire  éternel  1  Ici  le  monde  et  les 
hommes  sont  faux  dans  leur  balance  ;  mais  un 
Dieu  lui-même  pèsera  toutes  choses  au  poids 
de  son  immuable  vérité  :  Assumet  slateram  et 
pondus.  (Ezech.  ,V.)  A  ce  poids,  votre  pénitence 
sera  légère,  vous  l'avez  faite  sans  larmes, 
sans  regrets,  sans  componction,  et  c'était 
moins  une  expiation  qu'un  amusement;  à  ce 
poids,  vos  aumônes  sont  vides;  elles  ne 
viennent  que  de  l'orgueil  et  de  la  vanité;  à 
ce  poids  vos  prières  seront  trouvées  vaines, 
c'est  l'ostentation  qui  les  produit  ;  il  n'yava.t 
nul  sentiment  du  cœur,  nul  amour  de  Dieu, 
nulle  onction  ,  et  dans  la  main  de  Dieu  il  n'y 
aura  que  les  crimes  qui  seront  pesés,  et  les 
vôtres  y  seront  marqués;  à  ce  poids  seront 
rejetées  toutes  vos  componctions;  la  négli- 
gence et  la  tiédeur  vous  y  font  marquer 
votre  jugement  avant  même  qu'il  s'exécute  ; 
à  ce  poids,  toutes  ces  vertus  uont  vous  vous 
prévalez  et  sur  qui  vous  fondez  toutes  vos 
espérances,  demeureront  sans  valeur  et  j  a- 
raftront  détestables  aux  yeux  de  Dieu  ;  peut- 
être  que  votre  piété  n'y  paraîtra  qu'un  amour 
naturel  de  l'ordre,  votre  sagesse,  que  l'effort 
d'un  heureux  tempérament;  votre  modéra- 
tion, qu'une  probité  mondaine;  votre  vertu, 
que  l'effet  d'une  humeur  sauvage;  votre  zèle, 
que  la  production  d'un  esprit  inquiet  et  en- 
tre; renant;  votre  charité,  qu'un  trafic;  l'or- 
gueil qui  préfère  le  plaisir  de  donner  ;  ici 
encore  votre  Juge  descendra  avec  son  poids 
jusqu'au  fond  du  cœur  pour  le  just.fier, 
s'il  est  possible,  et  ce  cœur  pesé  fera  con- 
naître que  les  principes  qui  l'ont  fait  agir 
sont  faux.  Vous  reconnaîtrez  que  tout  le 
cercle  de  ces  pratiques  extérieures,  dont  l'a- 
mour-propre  amusait  votre  pénitence  et 
qu'elle  vous  faisait  paraître  grandes,  n'était 
qu'un  spectacle  vide  et  stérile  d'oeuvres 
saintes ,  en  api  arence  ,  mais  corrompues 
dans  leurs  motifs,  où  Jésus-Christ  n'entrait 
pour  rien,  et  que  là  où  vous  croyiez  ferveur 
et  charité,  il  n'y  avait  rien  que  des  vues 
basses  et  terrestres. 

Ainsi,  quand  JNabuchodonosor  forge  sa 
stalue,  il  se  la  représente  toute  d'or;  mais 
quand  Dieu  la  lui  fait  voir  en  songe,  elle  lui 
parait  toute  de  boue.  Enfin,  cœurs  hypo- 
crites, quand  vos  vertus  seront  mises  clans 
cette  balance,  vous  verrez  que  tout  est  faux 
en  vous,  que  vous  ne  faisiez  qu'appeler  votre 
conscience  à  vos  (  assions,  accommoder  votre 
religion  à  vos  intérêts;  que  toujours  cachée  h 
vous-mêmes  et  aux  autres,  toute  votre  vie 
n'était  qu'un  pieux  artifice,  qu'une  imposture 
universelle,  et  que  vous  trompant  à  votre 
balance,  vous  n'avez  pu  rien  changer  au  poids 
de  Dieu,  et  que  vous  ne  pèserez  point  assez 
juste  dans  sa  balance  ,  où  tout  sera  pesé ,  et 
vous  ne  trouverez  rien  moins  en  vos  préten- 
dues bonnes  œuvres  que  ce  que  vous  en  es- 
périez :  Appensus  es  in  statera  et  invuntus 
es  minus  habens.  (Dan.,  V.) 

Ah!  plût  à  Dieu  que  nous  fussions  caj>a- 


i?,7>l 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SLRIAN. 


1250 


blés  de  sentir  des  extrémités  si  affreuses ,  et 
que  le  pécheur,  tout  effrayé  de  tant  de  re- 
lierions épouvantables,  peut  se  dire  en  lui- 
même  :  Hélas  1  que  deviendrai-je  alors?  Dans 
tout  ce  qui  s'offre  en  moi  de  meilleur,  il  n'y 
aura  rien  qui  puisse  rassurer  mon  âme  juste- 
ment effrayée,  rien  qui  soit  capable  après  tant 
de  péchés  d'apaiser  mon  Juge  ;  ces  œuvres  qui 
me  paraissaient  bonnes  et  que  je  destinais  à 
réparer  mes  désordres,  seront  elles-mêmes 
des  offenses;  je  verrai  dans  le  trésor  des  ini- 
quités ce  que  je  croyais  au  nombre  des  jus- 
tices; j'apercevrai  dans  les  mains  , de  Dieu 
toutes  mes  vertus  fondre,  s'anéantir;  je  verrai 
peut-être  mes  confessions  ,  mes  commu- 
nions toujours  fausses,  toujours  vaines;  tou- 
jours pécheur,  toujours  le  même,  toujours 
de  nouveaux  abus  de  la  grâce ,  toujours  de 
nouvelles  profanations  desdivins  sacrements, 
toujours  des  sacrilèges  que  j'entasse  et  que 
je  joins  à  ce  qu'il  y  a  de  plus  énorme  dans 
ma  vie.  Ah!  je  ne  vais  donc  exposer  aux 
pieds  de  mon  Juge  qu'une  âme  toute  vide  de 
pénitence  et  pleine  de  passions. 

Ah!  si  toutes  les  pensées  de  votre  esprit 
et  les  mouvements  de  vos  cœurs  devenus 
sensibles  pouvaient  se  faire  entendre ,  j'en- 
tendrais de  toutes  parts  sortir  de  votre  bouche 
ces  paroles  de  Job  :  Pondus  ejus  ferre  non 
potui  (Job ,  XXXI)  ;  je  sens  bien  que  je  ne 
pourrai  soutenir  le  poids  de  sa  justice;  mais 
je  sais  ce  que  je  ferai  :  sed  judicem  meiun  de- 
precabor  (Job,  IX)  ;  je  ne  lui  répliquerai  rien, 
mais  je  le  prierai,  j  implorerai  ses  miséricor- 
des. De  même  n'en  attendez  plus  alors,  pé- 
cheurs ;  la  justice  qui  n'a  point  de  bornes  en 
recevra  de  vos  péchés;  et  Jésus-Christ  qui 
vous  a  examinés  selon  sa  vérité,  vous  con- 
damnera selon  sa  justice  :  in  justilia.  C'est 
l'autre  partie  de  ce  discours. 

SECOND    POINT 

Le  comble  des  misères  du  pécheur,  au 
jour  des  vengeances  du  Seigneur,  sera  l'ap- 
plication de  ces  deux  justices  que  l'Ecriture 
distingue  en  Dieu  :  une  justice  d'équité  et 
une  justice  de  peine  ;  l'une  qui  le  justitie  des 
maux  qu'il  est  forcé  de  faire  ,  l'autre  qui  le 
venge  des  maux  qu'on  lui  a  voulu  fa:re  ; 
car,  1°  Dieu  vous  convaincra  que  vous  êtes 
seul  cause  de  votre  perte,  et  que  nul  des 
prétextes  que  vous  pourrez  alors  alléguer, 
ne  sera  reçu,  et  de  là  cette  justice  d'équité 
qui  vous  confondra;  2°  parce  que  vos  crimes 
sont  d'une  malice  infinie;  Dieu  alors  vous 
punira  dans  toute  la  rigueur  de  ses  ven- 
geances, et  de  là  cette  justice  de  peine  qui 
vous  accablera.  Ainsi  pécheurs,  vous  présen- 
tant sous  la  robe  de  pureté ,  devant  votre 
Juge,  vous  y  serez  d'abord  confondus,  puis 
accablés  par  la  justice  de  Jésus-Christ.  Don- 
nons à  ces  deux  considérations  toute  l'éten- 
due qu'elles  demandent. 

Et  d'abord,  quoi  de  plus  capable  décharger 
de  confusion  les  pécheurs  que  ce  qu'il  leur 
adresse  par  son  Prophète?  Vous  voilà  devant 
moi,  entions  en  jugement  l'un  avec  l'autre  : 
Rcduc  me  in  memoriam  et  judicemur  simul. 
(Isai.,  XLI1I.)  Voyons  si  vous  avez  quelques 
excuses  àua'apporteretsi  elles  sont  valables  : 


Narra  si  quid  habes  ut  justificeris  (Ihid.)  ;  et 
moi,  sans  vous  appeler  à  mes  conseils,  j'entre- 
rai en  jugement  avec  vous,  et  quand  il  n'y  au- 
rait que  parce  que  vous  vous  croyez  sans  péché 
et  que  vous  vous  dites  innocents,  c'en  serait 
assez  pour  vous  rendre  coupables  a  mes 
yeux  :  Ecce  ego  judicio  contendum  tecum  eo 
(juod  dixeris  non  peccavi.  Jerem.,  II.)  C'est 
pour  nous-mêmes,  chrétiens,  que  Dieu  veut 
bien  s'abaisser  à  nous  demander  nos  excuses. 
Hélas  !  qu'en  a-l-il  besoin  ;  il  voit  tout  à  dé- 
couvert ;  ce  n'est  point  pour  s'instruire,  il  veut 
entendre  nos  raisons;  c'est  qu'il  voudrait 
nous  corriger.  Suivons-le  donc  jusque  dans 
son  tribunal,  et  croyons  que  s'il  vous  y  con- 
damne, c'est  que  nous  l'y  avons  forcé." 

Première  excuse.  Mon  Dieu!  dit-on,  si 
j'étais  bien  sûr  de  ce  jugement.  Et  que 
pourrais-je  donc  faire  pour  vous  en  mieux 
convaincre,  répliquera  votre  juge  ;  ma  vie 
tout  entière  devait  vous  en  instruire;  je 
vous  l'ai  annoncé  et  fait  annoncer  dans  tous 
les  temps  par  les  oracles  de  mes  prophètes, 
dans  ma  mission  sur  la  terre,  dans  ma  doc- 
trine, dans  mon  Evangile  :  Nunc  annunliat  ho- 
minibus  ;  je  vous  l'ai  annoncé  dans  la  répro- 
bation des  Juifs,  dans  la  vocation  des  gen- 
tils, dans  l'aveuglement  de  tant  de  peuples 
barbares,  dans  la  foi  de  tant  de  chrétiens, 
dans  la  prospérité  des  impies,  dans  la  dis- 
grâce des  gens  de  bien,  dans  la  confusion 
où  je  laissais  ici  les  bons  et  les  méchants, 
dans  ces  vices  triomphants  qui  demandaient 
une  peine  proportionnée,  dans  ces  vertus 
humiliées  qui  méritaient  une  abondante 
récompense  ;  par  tout  cela  ma  vie  et  ma 
justice  vous  annonçaient  de  concert  qu'il  y 
aurait  un  jugement  :  Nunc  annunliat  homini- 
bus.  (Act.,  XVII.)  Je  vous  l'ai  annoncé 
dans  l'infallibilité  de  mes  autres  prédic- 
tions dont  l'effet  est  arrivé.  Jérusalem  rui- 
née de  fond  en  comble,  le  temple  détruit  et 
les  Juifs  dispersés  :  car,  pourquoi  la  prédic- 
tion du  jugement  dernier  serait-elle  moins 
infaillible  que  toutes  ses  précédentes;  mais 
je  vous  l'ai  annoncé  plus  encore  dans  le 
fond  de  vos  cœurs  qu'il  remplissait  si 
souvent  d'images  effrayantes.  Lorsque,  prêt 
de  commettre  quelques  péchés  ou  sur  le  point 
d'accorder  à  vos  passions  fougueuses  ce 
qu'elles  demandaient,  laissant  agir  votre  rai- 
son, il  s'élevait  en  vous  un  murmure  secret 
qui  déposait  contre  vous,  laissant  parler 
votre  conscience  vous  y  sentiez  une 'certaine 
répugnance,  un  ver  qui,  comme  un  serpent 
cruel,  allait  vous  piquerjusque  dans  l'abîme 
de  votre  iniquité ,  et  qui  répandait  jusque 
dans  vos  plus  grands  plaisirs  des  remords 
amers  qui  ne  pouvaient  être  la  voix  du  dé- 
mon ni  de  vous-mêmes,  mais  la  mienne  qui 
vous  annonçait  la  vérité  de  mes  jugements  : 
Jpse  Deus  annuntiat  hominibus. 

Le  pécheur,  de  ce  côté-là,  sera  donc  in- 
excusable, et  alors  il  reconnaîtra  que  toute 
la  peine  qu'il  avait  à  admettre  le  jugement 
n'est  autre  que  la  nécessité  où  il  avait  été 
en  le  croyant,  de  changer  de  vie  et  de  con- 
duite ;  c'est  qu'il  aimait  mieux  donner  at- 
teinte à  la  parole  de  Jétus-Christ  que  d'ar- 


!*57 


SERMON  SUR  LE  JUGEMENT  DERNIER. 


4238 


rêter  le  cours  de  ses  crimes.  Oui,  pécheurs, 
vous  serez  alors  obligés  de  reconnaître  que 
le  jugement  de  Dieu  ne  vous  était  devenu 
suspect  que  parce  qu'il  vous  aurait  été  in- 
commode; vous  serez  alors  persuadés  que 
vous  n'aviez  douté  de  la  vérité  de  ce  dernier 
avènement  que  parce  qu'il  aurait  mis  un 
frein  à  vos  [tassions  et  un  obstacle  à  vos 
malheureuses  convoitises.;  vous  verrez  alors 
que  ce  doute  et  le  refus  de  croire  au  juge- 
ment étaient  bien  moins  une  persécution  de 
votre  esprit  qu'une  révolte  de  votre  cœur 
porté  en  tout  à  nier  ce  qui  lui  paraît  con- 
traire à  ses  desseins,  et  à  suivre  ce  qui  les 
favorise;  que  vous  n'auriez  aucun  soupçon 
à  ce  sujet  si  vous  ne  l'eussiez  trouvé  pour 
vous  d'aucune  conséquence;  vous  recon- 
naîtriez alors  que,  quand  vous  affectiez  tant 
de  ne  pas  croire  au  jugement,  c'était  plus 
par  politique  que  par  certitude,  plus  par 
libertinage  de  vie  que  par  témoignage  de 
cœur,  et  que  vos  passions,  trop  contraires  à 
ce  redoutable  jugement,  vous  faisaient  plus 
sentir  qu'il  était  faux  qu'elles  ne  vous  fai- 
saient croire  qu'il  n'avait  rien  de  véritable. 

Mais  voici  une  seconde  excuse.  Ce  n'est 
pas,  disent  les  pécheurs,  que  je  manque  de 
raison  pour  croire  |le  jugement  dernier; 
ce  qui  m'embarrasse  et  ce  qui  m'arrête,  c'est 
que  je  vois  ici  tout  le  monde  se  rassurer  et 
n'en  vivre  pas  moins  au  gré  de  ses  désirs. 

Ah  1  c'est  pour  cela,  répliquera  Jésus- 
Christ,  que  vous  deviez  trembler  :  je  vous 
avais  dit  que  mon  royaume  demandait  vio- 
lence, il  fallait  donc  le  croire  et,  au  lieu  de 
préférer  l'exemple  et  les  usages  du  monde 
à  mes  maximes  et  à  mon  Evangile,  au  lieu 
de  vous  former  une  idée  d'un  Dieu  si  mons- 
trueux, il  fallait  vous  dire  à  vous-même: 
je  sais  que  la  voie  large  n'est  pas  celle  du 
ciel,  que  le  paradis  n'est  pas  pour  la  multi- 
tude, et  c'est  pour  cela  que,  plus  je  verrai 
de  mollesse  et  de  lâcheté  dans  les  autres, 
plus  je  montrerai  de  courage  et  de  force  pour 
arriver  par  la  voie  étroite,  parla  pénitence 
et  par  la  pratique  des  vertus  à  la  bienheu- 
reuse patrie  où  je  suis  destiné,  et  d'ailleurs, 
chrétiens,  l'exemple  des  autres  vous  auto- 
rise-t-il,  le  plus  grand  nombre  n'est-il  pas 
réprouvé,  et  devez-vous  le  suivre,  quand  il 
vous  conduit  au  malheur  éternel. 

Enfin,  troisième  excuse.  On  se  tourne  sans 
cesse  du  côté  de  la  miséricorde  de  Jésus- 
Christ,  notre  juge;  il  est  bon,  clément,  mi- 
séricordieux, dit-on;  il  ne  nous  a  pas  fait 
"pour  nous  perdre.  Oh!  oui  sans  doute,  il 
faut  bien  qu'il  l'ait  été,  pécheurs,  pour  vous 
souffrir  si  longtemps;  il  ne  faut  que  jeter  les 
yeux  sur  tout  ce  qu'il  a  fait  pour  vous,  mal- 
gré votre  ingratitude  et  vos  désordres,  pour 
convenir  de  sa  clémence  et  de  sa  miséri- 
corde. Ohl  chrétiens,  j'aime  bien  que  vous 
disiez  que  votre  juge  est  miséricordieux; 
mais  dites  donc  en  même  temps  aussi  qu'il 
est  juste  ;  prenez  garde  de  ne  pas  séparer 
l'un  de  l'autre  ,  ne  vous  arrêtez  pas  toujours 
à  dire  que  la  bonté  et  la  compassion  de 
votre  Dieu  pour  le  pécheur  sont  infinies,  je  le 
sais;  mais  ce  langage  peut  devenir  un  écueil 


pour  vous;  dites  plutôt  que  ses  vengeances 
sont  infiniment  terribles  ;  pourquoi  ?  c'est 
que  vous  avez  plus  besoin  d'être  retenus 
par  la  crainte  que  flattés  par  l'espéiance, 
c'est  que  la  frayeur  vous  est  plus  nécessaire 
pour  tenir  en  bride  vos  fougueuses  passions 
que  la  confiance  pour  rassurer  vos  vertus. 
Dieu  est  miséricordieux,  mais  quand  il  ré- 
prouva Gain,  Esaii,  Antiochus,  Judas  et  tant 
d'autres,  était-il  un  Dieu  cruel,  n'était-il 
pas  toujours  miséricordieux  ;  comment  donc, 
en  voyant  qu'il  en  laisse  périr  tant  d'autres, 
malgré  son  infinie  miséricorde,  osez-vous 
appuyer  votre  confiance  au  jugement  der- 
nier sur  une  telle  parole  :  j'ose  le  dire,  mes 
frères,  eu  égard  à  vos  excès,  à  vos  désor- 
dres, à  votre  endurcissement,  le  Seigneur 
peut  vous  perdre  et  il  ne  cessera  pas  d'être 
miséricordieux;  pourquoi  donc  vous  en 
prévaloir?  il  faudrait  que  l'idée  de  ces 
grandes  miséricordes,  loin  de  vous  rassurer, 
vous  fit  trembler  en  disant  en  vous-mêmes  : 
quoi  1  parce  que  je  sais  que  mon  juge  est 
infiniment  patient,  il  n'est  nul  de  ses  dons 
que  je  ne  profane;  il  faudrait  donc  l'aimer  et 
le  craindre  ;  mais,  au  contraire,  on  tourna 
tout  à  son  avantage ,  et ,  parce  qu'il  ne  met 
point  de  bornes  à  sa  compassion,  on  ose  in- 
sulter à  sa  justice. 

Quelle  excuse  cette  haute  idée  de  la  misé- 
ricorde pourra-t-elle  donc  ajouter  à  celles 
que  nous  venons  de  rejeter  comme  vaines 
et  injurieuses  à  Jésus-Christ.  Ah!  que  vous 
pleurerez,  que  vous  gémirez,  et  qu'un  grand 
prophète  a  bien  prédit  votre  triste  état,  quand 
il  a  dit  que  quiconque  se  ressouviendra  de 
ce  que  le  Seigneur  a  fait  pour  lui  séchera 
de  frayeur  :  Pavebit  a  facie  consilii  Domini. 
(Isa.,  XIX.) 

Mais  il  y  a  plus  encore  :  ce  veu  de  la  mi- 
séricorde de  Jé.sus-Christ,  les  grâces  commu- 
nes et  particulières,  ces  amas  de  bienfaits, 
de  patience  et  de  bonté,  ne  serviront  qu'à 
jeter  L'ingrat  pécheur  dans  l'épouvante.  Ah! 
quelle  désolation  dans  votre  cœur,  quand 
-  vous  entendrez  ce  Dieu  bon,  mais  irrité,  qui 
vous  dira  d'un  ton  sévère  :  Puisque  j'étais 
si  miséricordieux,  que  ne  faisiez-vous  donc 
usage  de  mes  miséricordes?  si  j'étais  si  bon 
à  votre  égard,  n'êtes-vous  donc  pas  inexcu- 
sables de  ne  l'avoir  point  été  envers  moi?  si 
je  ne  vous  ai  pas  fait  pour  vous  perdre,  pour- 
quoi vous  perdiez-vous  donc  vous-même? 
Parce  que  j'étais  infiniment  secourable,  fal- 
lait-il vous  jeter,  de  propos  délibéré,  contre 
mes  ordres,  contre  mon  intention ,  dans  le 
fond  de  l'abîme,  et  ma  miséricorde  poussée 
à  bout;  ne  :  devient -elle  pas  votre  déses- 
poir? et  frémissez  donc  ici  vous  tous  qui 
vous  êtes  ôté  le  secours  de  ma  miséricorde 
par  votre  lâche  présomption;  je  veux  que  de 
son  sein  sortent  des  reproches  qui  vous 
écrasent  :  Ex  ore  tuo  tejudico.(Matth.,  XVIII.) 

Eh  bien  1  pécheur,  quelle  ressource  vous 
restera-t-il  au  pied  de  ce  terrible  tribunal? 
Nulle  nécessité  de  vivre  dans  le  désordre. 
Jésus-Christ  vous  avait  donné  tant  de  grâces 
avec  lesquelles  vous  pouviez  vous  en  pré- 
server  ou  en  soi  tir;  nulle  surprise  ;  vous 


123") 


ORATEURS  SACRES.  LE  P.  SUR1AN. 


1210 


aviez  été  averti  dès  le  berceau  ;  nulle  affaire; 
ahl  quelle  autre  affaire  eût  été  préférable  à 
celle  de  votre  salut?  Nulle  indifférence  de 
ma  part;  mon  amour  pour  vous  était  ex- 
trême ;  je  vous  avais  donné  un  cœur  si  porté 
au  bien,  un  naturel  si  heureux,  des  pen- 
chants si  doux  ,  tant  de  goût  pour  la  péni- 
tence ,  une  pudeur  d'innocence  que  tout 
alarmait,  des  désirs  de  mieux  vivre,  qui  au 
moins  de  temps  en  temps  naissaient  dans  vo- 
tre âme;  tous  ces  préjugés  de  salut  ne  suffi- 
saient-ils pas?  qu'en  avez-vous  fait?  répon- 
dez-moi, si  vous  le  pouvez  :  Responde  mihi 
si  potes.  (Mich  ,VI.)  Que  pourrez-vous  répon- 
dre alors,  âme  infidèle,  et  quelle  affreuse  con- 
fusion sera  la  vôtre  en  ce  grand  jour?  Ahl 
mon  Dieu!  quand  vous  me  jugez,  la  justice 
est  toute  de  votre  côté,  et  la  honte  toute  pour 
moi  seul  :  Confusio  facici  meœ  coopérait  me. 
(  Psal.  XL1II.  )  Tout  ici  vous  justifie ,  et  je 
ne  peux  lever  les  yeux  vers  vous  sans  rou- 
gir et  sans  me  confondre  au  souvenir  de  mes 
iniquités  et  de  vos  grâces  :  Deus  meus,  con- 
fundor  et  erubesco  levure  fuciem  meum  ad  te. 
(I  Esdr.,  IX.)  Confus  d'avoir  forcé  un  père  si 
tendre  à  ne  plus  m'aimer ,  un  Dieu  si  bon,  à 
qui  mes  péchés  ont  tant  coûté,  plus  confus  de 
me  voir  périr  au  pied  de  votre  croix,  source 
de  salut  et  de  gloire  pour  tant  d'autres,  et  de 
voir  sortir  de  vos  plaies  adorables  non  un 
trésor  inépuisable  de  grâce  et  de  mérite,  mais 
de  ma  réprobation  et  de  ma  perte. 

Nous  voici  donc  arrivés,  mes  frères,  au 
plus  tragique  emploi  de  la  justice;  c'est  à 
cette  justice  de  peine  qui  accable  le  pécheur  : 
deuxième  et  dernière  réflexion. 

Saul,  pressé  du  remords  des  maux  qu'il 
avait  faits,  s'écrie  :  Ah!  que  deviendrai -je 
dans  ce  cruel  état  où  je  me  trouve?  Au  de- 
hors tout  me  combat ,  au  dedans  je  trouve 
sans  cesse  mon  crime  :  telle  sera  la  triste  si- 
tuation où  vous  vous  sentirez  en  présence 
de  votre  juge;  au  fond  de  votre  cœur  millo 
abominations  qui  s'offriront  à  vous,  vous 
déchireront  de  remords;  quelle  sera  votre 
componction  I  Mais  au  dehors  ces  créatures 
que  maintenant  vous  faites  gémir  sous  votre 
obéissance  et  que  vous  faites  servir  à  vos 
dérèglements,  alors  vous  accableront  de  tout 
leur  poids.  Voudrez- vous  retomber  sur 
vous-même?  Des  remords  dévorants,  d'af- 
freuses inquiétudes,  des  troubles  désespé- 
rants vous  accableront  encore  plus.  Encore 
si  les  justes  pouvaient  s'attendrir  sur  vos 
malheurs,  et  si  les  entrailles  de  la  miséri- 
corde pouvaient  s'ouvrir  en  votre  faveur; 
mais  tout  cela  ne  se  peut,  et,  accablé  par 
votre  cœur,  par  toutes  les  créatures,  vous  le 
serez  encore  plus  par  le  Sauveur  lui-môme. 
Maintenant  encore  vous  trouvez  dans  le 
cœu,r  du  Père  ses  miséricordes,  dans  le  comr 
du  Fils  ses  mérites,  dans  le  cœur  du  Saint- 
Esprit  ses  gémissements;  mais  alors  tout 
changera  pour  vous  :  vous  trouverez  dans  le 
Père  ses  miséricordes  épuisées,  dans  le  Fils 
ses  mérites  inutiles  et  vains,  dans  le  Saint- 
Esprit  ses  gémissements  convertis  en  re- 
proches affreux.  Oui,  le  Seigneur,  pour  se 
venger  de  l'injure  que  vous  lui  aurez  faite, 


s'appliquera  tout  entier  à  vous  punir  de  vos 
offenses,  n'ayant  rien  fait  pour  vous  de  mé- 
diocre ni  en  vous  rachetant,  ce  fut  au  prix 
de  tout  son  sang,  ni  en  vous  destinant  des 
récompenses,  il  vous  avait  promis  son 
royaume  et  lui-même  pour  votre  bonheur 
éternel;  encore  en  vous  jugeant,  vous  le 
verrez  infini;  il  vous  jugera  dans  sa  colère 
et  dans  toute  sa  fureur,  et  ce  Sauveur  ado- 
rable qui  vous  aura  cherché  i  endant  peut- 
être  si  longtemps  avec  tout  l'empressement 
et  la  bonté  d'un  pasteur  compatissant  et 
charitable;  alors,  vengeur  implacable,  il  ne 
se  montrera  à  vous  que  les  foudres  en  mains 
et  les  yeux  étincelants  de  colère,  et  vos  maux 
seront  si  pleins,  qu'il  trouvera  dans  sa  ven- 
geance cette  consolation  qu'il  se  promettait 
et  que  vous  avez  ôtée  à  sa  miséricorde. 

O  pécheurs,  demandez-vous  ici  quelle  ré- 
sistance vous  pouvez  faire  devant  ce  jure 
assis  sur  son  redoutable  tribunal?  Quelle 
voix  plus  forte  que  celle  de  vos  péchés  par- 
lera pour  votre  défense?  quelle  main  plus 
puissante  que  celle  d'un  Dieu  vous  arrachera 
à  sa  vengeance?  Qui  pourra  donc  alors  vous 
consoler  dans  vos  malheurs,  quand,  n'ayant 
plus  rien  pour  vous,  ni  Dieu,  ni  les  créa- 
tures, ni  vous-mêmes,  il  ne  vous  restera  que 
des  gémissements  et  des  larmes  !  L'affreux 
partage  !  Qu'un  vain  désir  vous  coûtera  cher  1 
Quelle  misère  épouvantable!  Et  enfin  arrive 
Je  moment  où  ce  Dieu  vengeur,  ne  vous  re- 
gardant plus  que  comme  son  ennemi,  et  ap- 
pliquant sur  vous  toute  la  forre  de  son  bras, 
vous  arrachera  de  son  cœur,  vous  séparera 
comme  un  bouc  d'avec  ses  brebis,  et  vous 
dira  d'un  ton  décisif:  Allez,  maudits,  reti- 
rez-vous de  moi  :  Disceditc.  (Mat th.,  XXV.) 
Ah  !  tandis  que  mes  élus,  qui  ont  été  long- 
temps ou  inconnus  ou  méprisés  sur  la  terre, 
vont  se  rassasier  délicieusement  dans  mon 
sein,  vous,  sortez  pour  jamais  hors  de  ma 
présence,  hors  de  mes  grâces,  hors  de  ma 
miséricorde,  hors  de  ma  félicité,  hors  de  mon 
cœur,  hors  de  ma  gloire  :  Ite,  discedite,  male- 
dicti  (Ibid.)  ;  allez  dans  ma  haine,  dans  ma 
vengeance,  dans  ma  colère,  dans  ma  fureur, 
où  ma  justice  vous  attend  :  Ite,  discedite,  ma- 
ledicti  (lbid.)  ;  allez  avec  mes  malédictions 
au  feu  dévorant,  aux  flammes  éternelles,  aux 
tourments  de  l'enfer  où  ma  justice  vous 
abandonne  :  In ignem œternum.  (Ibid.) 

Voilà  donc  le  terme  redoutable  où  abou- 
tira tout  ce  que  font  ici-bas,  tout  ce  que 
pensent,  tout  ce  qui  irrite  si  fort  l'appétit  et 
le  désir  des  coupables  enfants  des  hommes! 
Voilà  donc  la  fin  déplorable  qui  terminera 
leur  sort  ;  jugeons  après  cela,  s'il  nous  est 
permis  d'être  ce  que  nous  sommes  et  de  faire 
ce  que  nous  faisons;  décidons  si  nous  de- 
vons donner  à  offenser  notre  Dieu  une  vie 
qui  n'est  destinée  que  pour  l'apaiser;  exa- 
minons la  destinée  du  ju>te  et  du  pécheur, 
le  bonheur  de  l'un  et  le  malheur  de  l'autre, 
l'héritier  du  royaume  éternel  de  Jésus-Christ 
ou  l'objet  éternel  de  ses  vengeances,  et  dé- 
cidons lequel  nous  voulons  être.  Le  Sauveur 
du  monde  sera-t-il  au  jugement  notre  perte 
ou  notre  salut?  Serons-nous  éternellement 


12S1 


TABLE  DES  MATIERES. 


*2i2 


sous  ses  pieds  comme  ses  esclaves  rebelles 
accablés  par  sa  justice,  ou  dans  son  cœur, 
comme  ses  membres  fidèles  sanctifiés  par 
sa  miséricorde  ?  Il  nous  laisse  quelques 
moments  peut-être,  si  longs  encore  et  tou- 
jours si  précieux,  pour  délibérer  sur  le 
parti  que  nous  aurons  à  prendre,  et  pour 
nous  rendre  l'éternité  ou  bienheureuse  par 
son  amour,  ou  malheureuse  par  sa  haine. 
Ah!  loin  de  bien  les  employer,  ces  moments 
si  grands  et  si  précieux,  pour  nous  rendre 
le  jugement  de  Jésus-Christ  favorable, 
pourrions-nous,  misérables  pécheurs,  les 
prodiguer  encore  comme  nous  avons  fait 
des  précédents  pour  le  monde  et  pour  nos 
passions;  et  regarderions-nous  la  pensée  et 
Je  souvenir  du  jugement,  nomme  un  poids 
importun  et  accablant  qui  nous  esta  charge. 
Mon  Dieu  !  si  nous  pouvions  avoir  les 
sentiments  que  nous  aurons  alors,  et  que 
nous  voudrions  avoir  eus,  que  nous  nous 
reprocherions  à  nous-mêmes  notre  aveugle- 
ment et  notre  lâcheté,  de  faire  si  peu  et 
d'avoir  tant  à  faire  pour  prévenir  les  ven- 
geancesdu  Seigneur  1  que  nous  pleurerions 
amèrement  ie  temps  que  nous  avons  perdu 
par  nos  dérèglements,  et  que  nous  songe- 
rions bien  eificacement  à  le  réparer  par 
notre  pénitence!  Ah!  prévenons  donc  clans 
le  temps  les  justices  du  Seigneur,  pour  trou- 
ver après  la  mort ,  ses  miséricordes  dans 
l'éternité.  Craignez,  dès  maintenant,  ce  jour 
terrible  comme  si  déjà  vous  y  étiez;  qu'il 
n'y  ait  en  yous  ni  force  d'esprit,  ni  raison, 
ni  excuse,  ni  prétexte,  qui  tienne  contre 
les  frayeurs  que  la  religion  vous  en  donne. 
Tel  qui  n'aurait  point  assez  de  perfection 
et  de  vertu  pour  s'assurer  des  bontés  de  son 
Juge  par  son  amour,  pourrait  espérer  de  se 
garantir  de  ses  vengeances  par  sa  crainte; 
mais  ne  vous  contentez  pas  de  trembler; 
agissez,  que  votre  trouble  soit  efficace.  La 
crainte  qui  opère  la  pénitence,  doit  être 
jointe  à  celle  qui  alarme  les  passions.  Crai- 


gnez ce  jugement,  mais  commencez,  dès  à 
présent,  une  vie  qui  vous  éloigne  de  tout 
péché;  tremblez,  mais  travaillez  à  purifier 
le  fond  de  cette  conscience  criminelle,  où 
l'oeil  de  Dieu  découvrirait  alors  des  iniqui- 
tés cachées  et  capables  d'attirer  sur  vous  tous 
les  traits  de  sa  fureur. Que  vos  craintes  vous 
portent  à  vous  ménager  l'amitié  de  votre 
Juge  au  jour  de  ses  justices;  imitez  ces  cou- 
pables Israélites  dont  parle  l'Ecriture,  qui, 
les  larmes  aux  yeux,  vont  au  devant  de  la 
colère  de  leur  Juge  :  Nuntiatum  est  nobis 
servis  tais  quod  promisisset  Dominas  ut  dis- 
perderet  terram  et  cunctos  habitatores  ejus 
(Jos.,  IX,  24)  :  «  Seigneur,  on  vient  de  nous 
annoncer  que  vous  avez  résolu  de  punir  la 
terre  et  tous  ses  habitants,  que  votre  colère 
est  près  d'éclater  contre  nous  :  »  Timuimus 
igitur  valde  (Ibid.);  «  la  frayeur  nous  a  tous 
saisis  »  à  cette  terrible  nouvelle;  mais  nous 
avons  plus  fait  :  Providimus  animabus  no- 
stris,  veslro terrore  compulsi (Ibid.);  «  frappés 
decette  crainte,  nous  avons  mis  ordre  à  notre 
conscience.»  Nous  allons,  par  un  renouvelle- 
ment de  fidélité,  pourvoir  au  salut  de  nos 
âmes,  et  dès  maintenant,  nous  nous  jetons 
entre  les  bras  de  votre  miséricorde  par  notre 
pénitence,  pour  ne  pas  tomber  un  jour  60us 
le  poids  terrible  de  votre  justice,  par  la  con- 
tinuation de  nos  désordres.  C'en  est  fait, 
nous  en  avons  pris  une  résolution  ferme, 
honteux  d'être  devenus  vos  ennemis,  «  nous 
voulons  être  désormais  vos  plus  fidèles  ser- 
viteurs :  »  Servi  tui  sumas.  (Ibid.)  Si  vous  en- 
trez dans  ces  heureuses  dispositions,  vous 
pouvez  espérer  que  Dieu  touché  de  vos  re- 
grets et  de  vos  larmes  fera  la  paix  avec  vous, 
dès  cette  vie,  fecit  cutn  eis  pacem  (Ibid.),  et 
vous  entendrez  rie  lui  ces  paroles  conso- 
lantes pour  vous  :  Que  tout  le  reste  périsse 
impitoyablement;  mais  pour  ceux-ci,  je  leur 
réserve  la  vie  éternelle; je  vous  la  souhaite, 
mes  frères,  au  nom  du  Père,  et  du  Fils  et  du 
Saint-Esprit.  Amen. 


TABLE    DES    MATIÈRES 


CONTENUES  DANS  CE  VOLUME 


OEUVRES  ORATOIRES  CHOISIES  DE 
FRANÇOIS  BALLET.— DEUXIEME  PAR- 
TIE. 

PANEGYRIQUES.  9 

Extrait  de  la  préface.  9 

Panégyrique  I".  —  Notre-D;s:ae  de  la  Merci.  13 

Panégyrique  II.  —  Premier  panégyrique  de  saint  Vin- 
cent, de  Paul.  .  39 
Panégyrique  111.  —  Second  panégyrique  de  saint  Vin- 
cent lie  i'aul.                                                                   59 


Panégyrique   IV.  —  Premier    panégyrique  de   saint 
François  d'Assise.  71 

Panégyrique  V.  —  Second  panégyrique  de  saint  Fran- 
çois d'Assise.  89 

Panégyrique  VI.  —  Panégyrique  de  sainte  Claire.   105 
Panégyrique  VII.  —  Panégyrique  de  saint  Claude,  ar- 
chevêque de  Besançon.  124 
Panégyrique  VIII.  —  Panégyrique  de  sainte  Elisabeth, 
duchesse  de  Thuringe,  religieuse  du  tiers-ordre  de  saint 
François.                                                                           1  iS 

Panégyrique  IX.  —  Pour  la  fêle  de  Notre  Daine  de 


1G8 

Panégyrique  de  saint  Hilaire,  évê- 

188 


1243 

Mont-Carmel. 

Panégyrique  X. 
que  de  Poitiers. 

Panégyrique  XI.  —  Panégyrique  de  saint  Martin.     213 

Panégyrique XII. —Panégyrique  de  saint  Patrice,  apôlre 
de  l'Irlande.  238 

Panégyrique  XIII. — Panégyrique  de  saint  Tontven- 
ture,  cardinal,  évêque  d'A.bano   et  docteur  de  l'Eglise. 

261 

Panégyrique  XIV.  —  Panégyrique  de  saint  Gaétan,  in- 
stituteur de  la  congrégation  des  clercs  réguliers  276 

Panégyrique  XV.  —  Panégyrique  de  saint  Rémi,  ar- 
chevêque de  Reims,  apôtre  de  la  France.  292 

Panégyrique  XVI.  —  Panégyrique  de  saint  Jean  Népo- 
mucène,  chanoine  et  martyr.  315 

SUJETS  DIVERS.  331 

Sermon  I".  —  Sur  le  sacré  cœur  de  Jésus.  331 

Sermon  II.  —  Pour  une  profession  religieuse.  343 

Sermon  III. — Pour  l'ouverture  du  Jubilé  (6  juin  1745). 

568 

Sermon  IV.  —  Pour  le  jour  de  la  Nativité  de  la  sainte 
Vierge.  387 

Sermon  V.  —  Sur  la  présence  réelle.  397 

Sermon  VI.  —  Sur  le  mystère  de  l'Incarnation.       413 

Sermon  VII.  —  Sur  l'Assomption  de  la  sainte  Vierge. 

425 

Sermon  VIII.  —  Pour  l'indulgence  delà  Porlioncule. 

444 

INSTRUCTIONS  SUR  EA  PENITENCE  DU  CAR  RM  F, 
tirées  de  l'Ecriture  sainte ,  des  conciles  et  des  Pères. 

453 

Préface.  455 

Chapitre  I".  —  Gémissements  d'une  âme  fidèle  h  la 
vue  des  infractions  publiques  de  la  sainte  pénitence  du 
carême.  459 

Chap.  II.  —  De  l'antiquité  et  de  l'autorité  du  précepte 
de  la  sainte  pénitence  du  carême.  461 

Chap.  III.  —  Tous  les  fidèles  doivent  participer  à  la  pé- 
nitence du  carême.  462 

Chap.  IV.  —  E'esprit  de  l'Eglise  dans  l'adoucissement 
de  la  sainte  pénitence  du  carême.  464 

Chap.  V.  —  De  la  préparation  à  la  sainte  pénitence  du 
carême.  466 

468 


TABLE  DES  MATiERES. 


12  Ï4 


Chap  VI.  —  Du  jeûne  comme  précepte. 

Chap.  VII.  —  Des  vertus  qui  doivent  accompagner  le 
jeûne  pour  le  rendre  utile  et  méritoire.  470 

Chap.  VIII.  — De  l'abstinence  comme  précepte.       472 

Chap.  IX.  —  Il  faut  éviter  la  délicat' sse  dans  la  péni- 
tence du  carême.  474 

Chap.  X.  —  Il  faut  se  priver  des  plaisirs,  même  permis, 
dans  la  sainte  pénilence  du  carême.  476 

Chap.  XI.  —  Les  riches  doivent  faire  pins  d'aumônes 
dans  le  carême  que  dans  les  autres  temps.  478 

Chap.  XII.  —  Les  chrétiens,  dans  le  carême,  doivent 
accompagner  leur  pénitence  de  prières  et  de  gémisse- 
ments. 480 

Chap.  XIII.  —  Les  chrétiens  pénitents  dans  le  carême 
doivent  se  faire  un  devoir  d'assister  tous  les  jours  à  la 
messe  et  aux  instructions.  482 

Chap.  XIV.  —  Les  chrétiens  qui  veulent  tirer  du  fruit 
de  la  pénilence  du  carême  doivent  commencer  par  se  ré- 
concilier avec  leurs  ennemis  484 

Chap.  XV.  —  Les  motifs  qui  doivent  porter  les  chré- 
tiens à  pratiquer^aveczèle  la  sainte  pénitence  du  carême. 

486 

Chap.  XVI.  —  La  cérémonie  des'  cendres  doit  exciter 
les  ehrétiens  à  la  pénilence  du  carême.  488 

Chap.  XVII.  —  L'exemple  de  Jésus  Christ,  pénitent 
dans  le  désert,  doit  animer  les  chrétiens  a  la  sainte  péni- 
tence du  carême.  490 

Chap.  XVIII.  —  L'exemple  de  Jésus-Christ  souffrant 
doit  animer  les  chrétiens  à  la  pénitence  du  carême.    492 

Chap.  XIX  — Les  chrétiens  doivent  moins  redouter  les 
rigueurs  de  la  pénitence  du  carême  que  les  révoltes  d'une 
chair  bien  nourrie  et  délicate.  491 


Chap.  XX.  —  Les  chrétiens  doivent,  en  considérant 
leurs  péchés,  embrasser  avec  ferveur  la  pénitence  du  ca- 
rême. 496 

Chap.  XXI.  —  Les  menaces  que  Dieu  fait  aux  impéni- 
tpnls  doivent  faire  trembler  les  chrétiens  qui  se  dispen- 
sent de  la  pénitence  du  carême.  499 

Chap.  XXII  —  Les  chrétiens  qui  méditent  les  rigueurs 
de  la  justice  de  Dieu  ne  sont  point  alarmés  de  la  péni- 
tence du  carême.  501 

Chap.  XXIII.  —  La  pensée  de  la  mort  doit  porter  les 
chrétiens  à  la  pénitence  du  carême.  501 

Chap.  XXIV.  —  Le  jugement  que  Dieu  fera  à  notre 
mort,  de  toutes  nos  actions,  doit  porter  les  chrétiens  à 
faire  la  pénitence  dont  ils  sont  capables.  506 

Chap.  XXV.  —  La  méditation  des  peines  de  l'enfer 
doit  perler  les  chrétiens  à  embrasser  avec  joie  la  sainte 
pénitence  du  carême.  509 

Chap.  XXVI.  — 1  a  méditation  des  peines  du  purgatoire 
doit  porter  les  chrétiens  à  pratiquer  avec  ferveur  la  pé- 
nitence du  carême.  511 

Chap.  XXVII.  —  La  méditation  du  paradis  doit  porter 
les  chrétiens  à  ne  point  se  dispenser  de  la  pénitente  du 
carême.  514 

Chap.  XXVIII.  —  Sentiments  des  Pères  assemblés  dans 
les  conciles  sur  la  pénilence  du  carême.  516 

Chap.  XXIX.  — Témoignage  de  Tertullien  sur  la  péni- 
tence du  carême.  518 

Chap.  XXX.  —  Témoignage  de  saint  Cyprien  sur  la  pé- 
nitence et  le  jeûne  du  carême.  520 

Chap.  XXXI.  —Témoignage  de  saint  Ambroise  sur  le 
jeûne  et  la  pénitence  du  carême.  522 

Chap.  XXXII.  —  Témoignage  de  saint  Jérôme  sur  le 
jeûne  et  la  pénitence  du  carême.  524 

Chap.  XXXIII.  —  Témoignage  de  saint  Augustin  sur  le 
jeûne  et  la  pénitence  du  carême.  526 

Chap.  XXXIV.—  Témoignage  de  saint  Jean  Chrysoslome 
sur  le  jeûne  el  la  pénitence  du  carême.  5-8 

Chap.  XXXV.  —  Témoignage  de  saint  Léon,  pape  et 
docteur  de  l'Eglise,  sur  le  jeûne  et  la  pénitence  du  ca- 
rême. 530 

Chap  XXXVI.  —  Témoignage  de  saint  Rernard  sur  la 
pénilence  el  le  jeûne  du  carême.  552 

Chap.  XXXVII.  —  Témoignage  de  Théodulphe,  évêque. 
d'Orléans,  sur  le  jeûne  et  la  pénitence  du  carême.       534 

Chap.  XXXVFIf.  —  La  pénilence  du  carême  estime  pré" 
paration  à  la  solennité  pascale.  536 

Chap.  XXXIX.  —  Ce  que  doivent  faire  les  chrétiens  qui 
ne  peuvent  point  jeûner  dans  le  saint  temps  de  carême. 

539 

Chap.  XL.  —  Ce  que  doivent  faire  les  chrétiens  qui  ne 
peuvent  point  observer  l'abstinence.  541 

Chap.  XI.I.  —  Dieu  soutient  ceux  qui,  par  respect  pour 
la  loi  de  l'Eglise,  s'efforcent  de  pratiquer  le  jeûne  et  l'ab- 
stinence dans  le  saint  temps  de  carême.  543 

Chap.  XLII.  —Crime  des  chrétiens  qui  violent  la  sainte 
pénilence  du  carême  avec  scandale.  545 

Chap.  XLIII.  —  Crime  des  chrétiens  qui  se  servent  de 
leur  autorité  ou  de  l'ascendant  qu'ils  ont  sur  leurs  en- 
fants, leurs  domestiques,  leurs  amis,  pour  leur  faire  violer 
la  sainte  pénilence  du  carême.  518 

Chap.  XL1V.  —  Le  déchet  de  la  sainte  pénitence  du 
carême  qui  nous  afflige  aujourd'hui  est  une  suite  du  dé- 
chet de  la  foi.  550 

Chap.  XLV.  —  Motifs  qui  doivent  ronsoier  les  chré- 
tiens affligés  du  déchet  de  la  sainte  pénitence  du  ca- 
rême. 552 

,  Chap.  XLVL  —  Ce  que  doivent  faire  les  chrétiens  Hdè- 
lès  après  avoir  pratiqué  la  sainte  pénitence  du  carême. 

554 

INSTRUCTIONS  SUR  LE  JURILE.  537 

Avertissement  de  l'auteur.  557 

Première  partie. 

Chapitre  I".  —  On  exhorte  tous  les  fidèles  a  profiler 
de  la  grâce  du  jubilé.  557 

Chap.  IL  —  Idée  du  jubilé.  559 

Chap.  111.  —  Avantages  du  jubilé.  560 

Chap.  IV.  —  L'Eglise  a  le   pouvoir  d'accorder  des  in- 


1245 

diligences.  561 

Chap.  V.  —  Quel  est  le  trésor  de  grâces  que  l'Eglise 
ouvre  à  ses  enfants.  562 

Chap.  VI.  —  Jésus  Christ  a  satisfait  avec  une  surabon- 
dance de  mérites  qui  forme  dans  l'Eglise  un  trésor  iné- 
puisable de  grâces.  565 

Chap.  VII.  —  Dans  quel  sens  les  mérites  de  la  sainte 
Vierge  et  des  saints  font  partie  de  ce  trésor  que  l'Eglise 
ouvre  à  ses  enfants.  564 

Chap.  VIII.  —  L'application  des  mérites  de  la  sainte 
Vierge  et  des  saints  ne  fait  puint  injure  aux  mérites 
de  Jesus-Christ.  563 

Chap.  IX.  —  La  satisfaction  que  l'Eglise  exige,  des  fi- 
dèles ne  fait  point  injure  aux  mérites  de  Jésus-Christ. 

566 

Chap.  X.  —  La  sainte  sévérité  de  l'Eglise  justifiée  par 
la  doctrine  du  saint  concile  de  Trente.  S67 

Chap.  XL  —  Le  jubilé  ne  dispense  que  des  rigueurs 
dont  nous  ne  sommes  pas  capables.  368 

Chap.  XII.  —  Le  jubilé  supplée  à  l'imperfection  de  la 
pénitence  que  nous  pouvons  faire.  569 

Chap.  XIII.  —  Sentiments  des  justes  aux  approches  du 
jubilé.    .  571 

Chap.  XIV.  —  Sentiments  des  pécheurs  touchés  aux 
approches  du  jubilé.  572 

Chap.  XV  —  Sentiments  des  mondains  aux  approches 
du  jubilé.  573 

Chap.  XVI.  —  Sentiments  des  pécheurs  d'habitude  aux 
approches  du  jubilé.  574 

Chap.  XVII.— Sentiments  des  libertins  et  des  incrédules 
aux  approches  du  jubilé.  575 

Seconde  partie. 

Chapitre  1"  —  Des  motifs  qui  doivent  nous  porter  à 

profiler  de  la  grâce  du  jubilé.  575 

Chap.  IL  -*-  Réflexions  sur  l'histoire  du  déluge.        577 

Chap.  III.  —  Réflexions  sur  l'endurcissement  de  Pha- 
raon. 579 

Chap.  IV.  —  Réflexions  sur  la  pénitence  des  Ninivites. 

580 

Cnap.  V.   —  Réflexions  sur  la  pénitence   de   David. 

581 

Chap.  VI.  —  Réflexions  sur  l'impénitence  d'Antiochus. 

583 


TABLE  DES  MATIERES. 


1246 


Chap.  VIL 
lei  e. 


■  Réflexions  sur  la  pénitence  de  la  Made- 

581 


Chap.  VIII.  —  Réflexions  sur  le  pardon  accordé  à  la 
femme  adultère.  585 

Chap.  IX.  —  Réflexions  sur  la  parabole  de  l'enfant  pro- 
digue 587 
Chap.  X.  —  Réflexions  sur  la  guérison  du  paralytique. 

588 

Chap.  XL  —  Réflexions  sur  la  pénitence  du  bon  larron 
et  l'indulgence  q'ui  lui  fut  accordée  sur  la  croix.         589 

Chap.  XII.  —  Réflexions  sur  l'indulgence  accordée  à 
l'incestueux  de  Corinthe  par  l'apôtre  saint  Paul.  591 

Chap.  X1IL  —  Réflexions  sur  l'indulgence  accordée  par 
saint  Jean  l'évangéliste  à  un  fameux  voleur.  592 

Troisième  partie. 

Chapitre  I".  —  Il  faut  nous  animer  à  la  pénitence  h  la 
vue  de  la  bonté  d'un  Dieu  qui  nous  recherche  et  nous  in- 
vite. 593 

Chap  II.  —  Il  faut  travaillera  détruire  les  habitudes 
du  p  iché  pour  profiter  de  la  grâce  du  jubilé.  596 

Chap.  HI.  —  Il  faut  examiner  sa  conscience  dans  l'amer- 
tume de  son  cœur,  pour  profiler  de  la  grâce  du  jubié. 

597 

Chap.  IV.  —  Il  faut  hair  et  détester  souverainement  le 
péché  pour  être  réconcilié  avec  Dieu  et  profiter  de  la 
grâce  du  jubilé.  599 

Chap.  V.  —  Très-peu  de  personnes  conçoivent  de  la 
douleur  de  leurs  péchés  et  les  pleurent  cumme  de  vrais 
pénitents.  600 

Chap.  VI.  —  Où  on  continue  de  prouver  qu'il  faut 
pleurer  ses  péchés,  et  qu'il  y  en  a  très-peu  qui  donnent 
des  preuves  d'un  sincère  repentir.  602 

Chap.  Vil.  —  La  bonté  d'un  Dieu  qui  use  d'indulgence 


envers  nous,  et  nous  remet  beaucoup  dans  ce  saint  tenins 
doit  exciter  notre  amour.  604 

Chap.  VIII.  —  Dans  quels  sentiments  on  doit  prier  dans 
ce  temps  de  jubilé.  606' 

Chap.  IX.  —  Dans  quel  esprit  on  doit  faire  les  stations 
ordonnées  par  le  souverain  pontife.  607 

Chap.  X.  —  Les  sentiments  que  l'on  doit  exciter  d;ms 
son   cœur  avant    d'aller  se    confesser   pour  le  jubilé 

608 

Chap.  XL  —  Les  sentiments  que  l'on  doit  exciter  dans 
son  cœur  avant  de   communier  pour  gagner  le  jubilé. 

609 

Cnap.  XII.  —  Il  faut  conserver  précieusement  les  grâ- 
ces qu'on  a  reçues  dans  le  temps  du  jubilé.  610 

Notice  sur  le  P.  Surian.  611 

SERMONS  DU  P.  SURIAN  DE  L'ORATOIRE, 
ÉVÉQUE  DE  VENCE. 

PETIT  CAREME.  617 

Sermon  I".  —  Pour  la  Purification  de  la  sainte  Vierge. 

617 

Sermon  IL  —  Pour  le  premier  dimanche  de  carême. — 

Sur  les  tentations  des  rois.  026 

Sermon  III.  —  Pour  le  second  dimanche  de  carême.  — 
Sur  les  caractères  de  la  grandeur  chrétienne.  635 

Sermon  IV.  —  Pour  l'Annonciation  de  la  Vierge.  — Sur 
l'humilité.  644 

Sermon  V.  —  Pour  le  quatrième  dimanche  de  carême. 
—  Sur  la  bonté  des  rois.  èoo 

Sermon  VI.  —  Pour  le  dimanche  de  la  Passion.  —  Sur 
la  piété  des  rois.  664 

Sermon  VII.  — Pour  le  dimanche  des  Rameaux.  —  Sur 
le  mépris  des  grandeurs  humaines.  672 

Sermon  VIII.  —  De  la  résurrection  de  Jésus-Christ. 

680 
SERMONS  POUR  LE  CAREME 
Sermon  1".  — Du  jeûne  691 

Sermon  II  —  Des  obligations  du  chrétien  et  de  ses 
engagements.  707 

Sermon  III.  —  Amour  de  Dieu.  720 

Sermon  IV. —  Nécessité  de  la  pénitence;  faux  prétextes 
de  s'en  dispenser.  731 

Sermon  V.  —  Fuite  des  occasions  du  péché,  ou  sur  les 

tentations.  741 

Sermon  VI.  —  De  la  prière.  754 

Sermon  VIL  —  De  l'importance  du  salut.  763 

Sermon  VIII.  —  De  l'enfant  prodigue.  776 

Sermon  IX.  —  De  l'aumône.  790 

Sermon  X.  —  Contre  les  obstacles  qu'on  oppose  à  sa 

conversion.  807 

Sermon  XL  —  Contre  l'impureté.  821 

Sermon  XII.  —  Des  peines  de  l'enfer.  810 

Sermon  XIII.  —  De  la  gloire  du  ciel.  854 

Sermon  XIV.  —  De  la  pénitence  différée  à  la  mort. 

861 

Sermon  XV.  — De  la  correction  fraternelle.  882 

Sermon  XVI.  —  Du  scandale.  893 

Sermon  XVII.  —  De  la  fausse  dévotion.  905 

Sermon  XVIIL  —  De  la  conscience  contre  les  scrupu- 
les, yis 

Sermon  XIX.  —  De  la  providence  divine.  930 

Sermon  XX.  —  Du  respect  dû  aux  églises.  913 

Sermon  XXL  —  Du  petit  nombre  des  élus.  957 

Sermon  XXII.  —  Contre  les  rechutes.  97  4 

Sermon  XX11L  —  Homélie  sur  l'évangile  de  Lazare. 

986 

Sermon  XXIV.  —  De  la  confession.  1003 

Sermon  XXV.  —  De  la  vérité  de  la  religion.   '       1017 

Sermon  XXVI.  — Des  devoirs  propres  à  chaque  état. 

1031 

Sermon  XXVII-  —  De  la  conversion  du  pécheur.    1045 


4217 


TABLE  DES  MATIERES. 


Sermon  XXVIII.  —  De  la  passion  de  Jésus-Christ. 

1061 
1087 

Sur  la 
1103 

1111 


Sermon  XXIX.  — Dispositions  à  la  communion. 
Sermon  XXX.  —  Pour  l'absoute  de  Pâques.  —  I 


réconciliation  du  pécheur  avec  Dieu. 

Sermon  XXXI.  —  Des  afflictions  chrétiennes. 

MYSTERES  ET  FETES. 

Sermon  I".  —  Pour  le  jour  de  la  Circoncision.  —  Sur 
la  sainteté.  1125 

Sermon  II.  —  Pour  le  jour  de  la  Purification.  — De 
l'observance  de  la  loi.  1133 

Sermon  III.  —  Pour  le  jour  de  l'Annonciation.  —  Sur 


4243 

l'humilité.  1143 

Sermon  IV.  —  Pour  le  jour  de  l'Ascension  de  Jésus- 
Christ.  11  Cl 

Sermon  V.  —  Pour  le  jour  de  la  Sainte-Trinité.  —  Sur 
les  vœux  du  baptême.  1174 

Sermon  VI.  —  Pour  la  fête  du  saint  Sacrement.  1175 

Sermon  VII.  — Tour  le  jour  de  la  Toussaint.  1177 

Sermon  VIII.  —  Pour  le  jour  des  Morts.  1189 

Sermon  IX.  —  Pour  la  fête  de  la  Conception.  1201 

Sermon  X.  —  De  la  nativité  de  Jésus-Christ.  1214 

SERMON  SUR  LE  JUGEMENT  DERNIER.  1223 


FIN. 


Imprimerie  de  L.M1GNE,  au  l'etil-Montrouge. 


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La  Bibliothèque 
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