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in 2012 with funding from
University of Toronto
http://archive.org/details/collectionintgra50mign
COLLECTION
INTÉGRALE ET UNIVERSELLE
DES
ORATEURS SACRÉS
DU PREMIER ORDRE
SAVOIR : BOURDALOUE, BOSSUE'!'*, FÉNELON *, MASSILI.ON ';
COLLECTION ÉGALEMENT INTÉGRALE ET UNIVERSELLE
DES ORATEURS SACRÉS DU SECOND ORDRE ,
SAVOIR : I)K LINGENDES, LEJEUNE, JOLY, DE LA COLOMBIÈRE, CHEMINAIS, GIROUST , D*ARGENTR6,
D'ORLÉANS, MASCAHON, BOILEAU \ ANSELME ', FLÉCHIER ', RICHARD ( l'aVOCAT ),
LAROCHE, HUBERT, MABOUL, HONORÉ GAILLARD, LES DEUX TERRASSON, DE LA RUE, DE
NESMOND*, MATTH. POUCET DE LA RIVIÈRE, DU JARRV, DE LA BOISSIÈRE, DE LA
PARISIÈRE, J.-B. MOLINIER, SOANEN, BRETONNEAU, PALLU, DUFAY, MONG1N*, BALLET,
SÉGAUD, SURIAN', SENSARIC, CICÉRI*, SÉGUY*, PÉRUSSEAU, TRUBLET*, PERRIN,
DE LA TOUR DU PIN, LAFITA U, D'ALÈGRE, CLÉMENT, CLAUDE DE NEUVILLE, DOM
VINCENT, DE LA BERTHONIE,GRIFFET, COUTURIER, LE CHAPELAIN, POULI.H,
CAMBACÉRÈS, ÉLIZÉE, GÉRY, BEURRIER, DE IIOISMONT*, MAROLLES, MAURY*
ENFIN COLLECTION INTÉGRALE, OU CHOISIE,
de la plupart des orateurs sacrés du troisième ordre,
savoir : camus, coton, caussin, godeau, f.. molinier, castii.lon. de bourzeis*, biroat, texif.r, nicolas de dijon,
senault, françois de toulouse, treuvé, c. de saint-martin, brettevii.i.e , boudry, de f romentières,
dr la chambre*, maimbourg, simon de la vierge, le boux, masson, augustin de narbonne. la pesse,
chauciiemer, de la volpilière , bertal , d\mascène, sêrai'iiin, quiqueran de beaujeu,
de la chétardie, ciiampigny, loriot, jérôme de paris (ge ffrin', renaud, bégault, itolrrée,
iiermant, michel poncet de la riviere, charaud , daniel de paris, ingoui.t, poisson,
pacaud, prévôt, de latour, de tracy, pltadal, du treul, asselin, collet,
jard, cil. de neuville, papillon, girardot, richard (l'abbé), geoffroy, baudrand,
de l'écluse des loges, fossard, talbert, barutel , torné ,
fauchet, piller, roquelaure *, villedieu, asseline,
( LES ORATEURS MARQUÉS D'UNE * ÉTAIENT MEMBnES DE h ACADEMIE, )
ET BEAUCOUP D'AUTRES ORATEURS, TANT ANCIENS QUE CONTEMPORAINS, DU SECOND COMME DU TROISIÈME ORDRE,
DONT LES NOMS NE POURRONT ÊTRE FIXÉS QUE POSTÉRIEUREMENT J
PUBLIÉE SELON L'OR DUE CHRONOLOGIQUE,
AFIN DE PRÉSENTER, COMME SOUS UN COUP D'OEIL, L'HISTOIRE DE LA PRÉDICATION EN FRANCK, PENDANT
TROIS SIÈCLES, AVEC SES COMMENCEMENTS, SES PROGRÈS, SON APOGÉE, SA DÉCADENCE ET SA RENAISSANCE;
PAR M. L'ABBE M IGNE,
ÉDITEUR DE LA BIBLIOTHÈQUE UNIVERSELLE DU CLERGÉ,
OU DES COURS COMPLETS SUR CHAQUE BRANCHE DE LA SCIENCE RELIGIEUSE.
67 TOL. IH-4\ PRIX : 5 FR. LE VOL. POUR LE SOUSCRIPTEUR A LA COLLECTION ENTIERE ;
6 FR. POUR LE SOUSCRIPTEUR A TEL OU TEL ORATEUR EN PARTICULIER.
TOME C1INQUAINTIEME,
CONTENANT LA DEUXIÈME PARTIE DES OEUVRES ORATOIRES CHOISIES DE RALLET
ET LES OEUVRES COMPLÈTES DE SURIAN.
- — rs-O
S'IMPRIME ET SE VEND CHEZ J.-P. MIGNE, EDITEUR,
AUX ATELIERS CATHOLIQUES, RUE D AMBOISE, AU PETIT-MONTROUGE,
BARRIERE d'eNFER DE PARIS.
1855.
\
(Tt
SOMMAIRE
DES MATIÈRES CONTENUES DANS LE CINQUANTIÈME VOLUME.
BALLET.
OEuvres oratoires caoïsiEs. ( u* partie.)
Panégyriques.
Sujets divers.
Instructions sur la pénitence du Carême.
Instructions sur le Jubilé.
SURIAN.
Notice sur le P. Surian.
OEUVRES COMPLÈTES.
Petit Carême.
Carême.
Mystères et fêtes.
Sermon sur le Jugement dernier.
Col. 9
331
&55
537
611
en
G87
1125
1225
1751
Imprimerie M1GJNE, au Petit- Muntrouge.
\/ Kn
ŒUVRES ORATOIRES
CHOISIES
DE FRANÇOIS BALLET.
DEUXIEME PARTIE.
PANÉGYRIQUES.
EXTRAIT DE LA PRÉFACE.
Je prie le Père des lumières de toucher les
cœurs de ceux qui liront ces Panégyriques, et
de leur faire la grâce d'imiter ces héros de
la religion, que j'expose à leur piété et à leur
vénération. Jl ne faut pas séparer ce qu'il y a
de merveilleux dans les saints, les miracles,
les prophéties, les extases et toutes les voies
extraordinaires et mystérieuses, par les-
2uelles il a plu à Dieu de conduire certains
lus.
Il est étonnant que nous espérions la
môme félicité dont jouissent les saints, et que
kous ne soyons que de stériles admirateurs
de leurs vertus, que nous les regardions
comme des hommes extraordinaires , qui
possèdent un royaume qui ne nous est pas
destiné; ou que nous soyons assez insensés
pour espérer l'obtenir, sans marcher dans la
route qu'ils nous ont tracée. L'admiration est
cependant ce à quoi se bornent les chrétiens
de nos jours, lorsqu'ils lisent les actions des
saints dans les annales de l'Eglise, ou qu'ils
entendent leurs éloges dans la chaire de
vérité.
Ce n'est pas là le but que s'est proposé
l'Eglise dans tous les siècles, en rappelant à
ses enfants les vertus des saints.
Quand l'Ecclésiastique loue les héros de la
Synagogue, qu'il relève avec tant de magni-
ficence leurs actions admirables, il les propose
pour modèles.
Saint Paul, dans le onzième chapitre de son
E pitre aux Hébreux, rappelle aussi leur foi,
leur obéissance, leur détachement comme des
exemples qui doivent animer tous les chré-
tiens.
Si, dans les premiers siècles de l'Eglise,
les saints docteurs, ces grands évoques, as-
semblaient les fidèles les jours consacrés à
la mémoire des martyrs; s'ils ne manquaient
jamais, ces jours-là, de faire leurs éloges,
ils avaient soin d'exciter les peuples qui les
écoutaient à marcher sur leurs traces: et
Orateurs sacrés. L.
saint Chrysostome, dans les Panégyriques
qu'il prononçait, allait jusqu'à dire, ou qu'il
ne fallait pas louer les saints, ou qu'il fallait,
les imiter : Aut imitari débet si laudat, aut
laudare non débet si imitari detrectat.
Saint Augustin dit (Lib. Contra Faustum,
cap. 21) qu'on ne célèbre dans l'Eglise la
mémoire des saints avec pompe, qu'on ne
prononce leurs éloges dans ces grandes so-
lennités que pour porter les fidèles à les imi-
ter : Ad excitandam imitationem.
Heureux si les éloges des plus grands hé-
ros de la religion que je présente au public
peuvent porter mes lecteurs à les imiter ; et
si, sans faire attention à l'auteur qui ne
trouve en lui que des sujets de gémir et de
craindre, ils se fixent à ce qu'ont fait ces
amis de Dieu, qui sont arrivés heureuse-
ment au port , et pour lesquels il n'y a plus
de passions à combattre , d'obstacles à sur-
monter, d'écueils à éviter, de chutes à appré-
hender. Ils trouveront dans ces deux volu •
mes de grands exemples de foi, de soumis-
sion, de charité, de détachement, de chasteté,
de pénitence, d'humilité, qu'ils peuvent imi-
ter selon l'état où la divine Providence les a
placés. Et ils se contenteront d'admirer les
merveilles des thaumaturges, les travaux
des hommes apostoliques, les combats deces(
grands évoques dans les règnes de l'hérésie,!
les austérités surprenantes que plusieurs
ont pratiquées. Dieu distribue ses dons;
comme il lui plaît : Dividens singulis prout,
vult. (I Cor., XII.)
Si l'on considère ces héros chrétiens, que
j'ai loués dans l'assemblée des fidèles, on
verra que ces louanges sont fondées ; car ce
sont des saints et des saintes reconnus par
l'Eglise romaine, qui font sa gloire, sa joie et
sa couronne.
Ne louez personne, dit l'Esprit-Saint, avant
sa mort : Ante mortem ne laudes hominetr*
(Eccli., XI.)
1
11
ORATEURS SACRES. BALLET.
12
Je remarque trois choses qui doivent nous
empêcher de louer les vivants.
La première parce que les louanges peu-
vent amollir les plus justes.
C'est à cette occasion que saint Augustin
dit que les louanges des hommes sont de
grandes tentations pour ceux à qui on les
donne. On est exposé à un grand danger,
quand on s'entend louer et applaudir; et je
crois qu'il y en a qui ont assez de religion
pour ne point s'abattre sous le poids des af-
llictions, et qui n'ont peut-être pas la force
de résister aux applaudissements et aux
louanges : Laus hominum periculosissima
tentatio. (S. Aug., libro X.)
La seconde, parce que cette vie étant une
milice continuelle, comme parle l'Ecriture,
l'homme marchant à travers les écueils, étant
toujours exposé aux embûches et aux artifi-
ces de ses ennemis, il faut attendre qu'il
soit sorti du combat, qu'il ait remporté une
victoire complète, et triomphé de ses enne-
mis pour toujours, pour le louer avec sû-
reté : ceux mêmes qui vivent bien ont encore,
dit saint Grégoire (lib. VI Moral.), sujet de
craindre et de s'alarmer : Cum bene vivitur
va'de timendum est.
La troisième , c'est que nous pourrions
quelquefois louer des actions que Dieu
désapprouve; n'est-ce pas ce qui arrive sou-
vent clans les louanges que l'on prodigue
tous les jours aux savants, aux grands, aux
personnes en place? C'est une coutume de
louer les mortels élevés au-dessus des au-
tres, et de leur supposer des talents que
leurs dignités exigent. Mais, dit saint Au-
gustin (lib. III De civ. Deï), qu'on fasse tom-
ber ces voiles séduisants, que la main offi-
cieuse des adulateurs a jetés sur leurs ac-
tions; que l'on fasse disparaître ces ombres
qu'ils ont répandues sur leurs faiblesses ;
qu'on renverse ces trophées de l'adulation et
de la vaine gloire : Fallacia tegmina et vanœ
lundis et (jloriœ auferantur; et on verra paraître
a la place des vertus que les orateurs leur ont
prêtées, les misères des pécheurs cachées
sous les dehors de la grandeur, de la science
et de la valeur : Et apparebunt miseriœ pec-
catorum.
Il n'en est pas de même de ceux qui sont
arrivés au terme, qui ont obtenu la couronne
immortelle. Nous les louons après que Dieu
a manifesté leur sainteté. Nous nous rappe-
lons avec joie leurs vertus, mais nous en
rapportons toute la gloire à la grâce de Jé-
sus-Christ, qui les a sanctifiés, et qui lésa
fait triompher du monde : In laudem (jloriœ
gratiœ. (Ephes., I.)
Pour louer sans craindre, il faut, dit saint
Augustin [in Psalm.), que Dieu soit le prin-
cipe de nos louanges : Securitas laudis in
lande J)ri est. Le panégyriste, l'orateur est
en sûreté quand il loue Dieu dans ses saints,
qu'il ne relève point leurs vertus sans rele-
ver la grâce qui les a fait pratiquer : Lauda-
lor securus est. 11 ne craint point de publier,
dans la chaire de vérité, les vertus les plus
éminentes, les actions les plus héroïques,
les miracles les plus éclatants, les voies les
plus extraordinaires et les plus mystérieuses,
jiarce qu'il montre toujours son héros dans
les mains de Dieu, qui agit en lui et avec lui :
non timet. Il ne rougit pas de rappeler les
faiblesses de celui qu'il loue, quand il en a
eu. C'est pour lui un sujet de faire rendre
hommage à la magnificence de la grâce : nec
de laudato erubescat.
Les orateurs profanes craignent, sont em-
barrassés quand ils ont des discours à pro-
noncer à la louange de ces hommes qui
souillent leur naissance, leurs places, leiirs
talents et toutes les vertus politiques par de
grands vices. Ils sont souvent démentis par
ceux [qui les écoutent, et si l'on admire en
eux la pureté du langage , la fécondité de
l'imagination, les agréments et la majesté do
l'éloquence ; on censure secrètement l'adu-
lation qui règne dons leur pièce et le cou-
pable encens -qu'ils offrent au vice des
grands.
Pour nous, ministres de Jésus-Christ, en
louant les saints dans la chaire de vérité,
nous louons des hommes dont l'Eglise a cons-
taté la gloire et l'héroïeité de leurs vertus.
Ne louez, dit saint Bernard (sermone 5 in
festis sanctorum), que\es vertus de ceux dont
les triomphes sont certains : lllorum lauda
virtutem quorum certa est Victoria.
Or, c'est l'Eglise romaine qui annonce lu
bonheur de ceux dont nous faisons l'éloge.
Elle seule a ce droit; c'est après qu'elle a
parlé, qu'elle a permis leur culte, que nous
nous assemblons chaque année, et que, dans
la pompe des divins offices, et à la face des
saints autels, nous prononçons leurs éloges.
Alors l'orateur parle avec confiance, ce sont
les triomphes de la grâce qu'il raconte en
racontant la victoire certaine qu'ils ont rem-
portée sur le monde : Laudator securus
est.
On voit par tous ces exemples, que la cou-
tume de louer les saints dans l'assemblée
des fidèles; de célébrer avec pompe des
fêtes pour honorer leurs triomphes, est très-
ancienne. Aussi je ne saurais approuver le
sentiment de ceux qui voudraient qu'on ne
fit jamais de panégyriques : qui décrient
l'éloquence avec laquelle on s'efforce de ra-
conter les merveilleuses actions des héros
de notre sainte religion; qui se chargent de
prêcher ces jours de solennité , et qui débi -
tent dus discours où le héros dont on célèbre
la mémoire, n'est pour rien.
J'ai pour moi tous les plus grands doc-
teurs de l'Eglise, qui ne manquaient jamaisde
rendre ce tribut annuel de louanges, les jours
marqués dans l'année pour honorer la mé-
moire des martyrs. 11 n y a qu'à lire les dis-
cours de saint Àmbroise, de saint Augustin,
de saint Jérôme, de saint Chrysostome, de
saint Basile, de saint Grégoire de Nysse, de
saint Grégoire de Nazianze , de saint Gré-
goire pape , de saint Bernard , pour en être
convaincu.
Je ne parle point de saint Grégoire de
Tours, on sait qu'il a consacré sa plume à
écrire les actions des martyrs et des confes-
seurs : qu'il n'a laissé échapper aucune de
\7>
PANEGYRIQUES. — EXTRAIT DE LA PREFACE.
H
leurs vertus , ni aucuns de leurs miracles;
qu'on ferait plusieurs volumes de tout ce
qu'il a dit des merveilles qui s'opéraient à
leurs tombeaux.
N'ai-je pas aussi, pour autoriser mon sen-
timent, la conduite de l'Eglise, toujours sage
et toujours animée de l'esprit de son divin
Époux?
Dans les jours consacrés à la mémoire des
saints, nes'occupe-t-elle pas de leurs vertus?
Ne fait-elle pas lire à ses ministres leurs ac-
tions admirables ? N'a-t-elle pas composé des
offices propres qui les caractérisent autant
'qu'elle peut? Ne fait-elle pas retentir les
saints temples des hymnes qu'elle chante à
leur gloire? Pourquoi les orateurs chrétiens
négligeraient-ils de raconter au peuple,
religieusement assemblé dans ces saintsjours,
les vertus de ces hommes admirables?
11 est vrai que ces discours ne se prêchent
pas aussi souvent que les sermons de mo-
rale; qu'il faut des talents particuliers , beau-
coup plus d'imagination , d'élévation; mais
ceux qui s'en chargent doivent sonder leurs
dispositions. Un grand ordre s'attend à en-
tendre louer son patriarche ; et les fidèles,
que la solennité a rassemblés, sont étonnés,
quand ils n'entendent point parler du saint
qu'ils viennent invoquer.
Que ce soit par un certain sentiment par-
ticulier ; que ce soit pour éviter le travail, il
est certain qu'on a trop négligé les panégyri-
ques.
Plusieurs accusent les panégyristes de
faire valoir des faits dépourvus d'authenticité,
et portent l'audace jusqu'à dire, qu'on ne sau-
rait faire un panégyrique sans souiller la
cliaire de vérité par de pieux mensonges.
Calomnie et satire sacrilège, que je suis
obligé de venger dans cette Préface pour la
gloire de la religion, l'honneur de l'Eglise
(jui nous honore de sa mission, et la sain-
teté du ministère sacré que nous exerçons.
Lorsque j'ai composé tous les panégyri-
ques que je donne au public, j'ai presque
toujours suivi M. Baillet, ce savant critique.
Et pour les faits extraordinaires qu'il lui a
plu de révoquer en doute, ou qu'il raconte
d'une manière vague, en se servant toujours
de cette expression : on dit, je ne les ai fait
valoir, que parce que je les ai trouvés solide-
ment approuvés par l'Eglise romaine; c'est
en conséquence d'une autorité si respecta-
ble, que je lésai annoncés aux fidèles; je les
regarde comme des faits graves qui ne re-
gardent pas la foi, mais qui sont revêtus
d'une autorité légitime et respectable.
Ainsi, dans l'éloge de l'ordre de Notre-
Dame de la Merci, j'admets la révélation
faite à saint Pierre Nolasque, à saint Ray-
mond de Pennafort, à Jacques Ier, roi d'Ara-
gon ; dans celui de Notre-Dame du Mont-
Carmel , la révélation faite à saint Simon
Stoch; dans saint François d'Assise, la révé-
lation faite à ce saint patriarche, et ses glo-
rieux stigmates; dans l'éloge de sainte Claire,
la défaite miraculeuse des Sarrasins.
Voilà des faits dont les critiques veulent
douter, mais je les trouve approuvés par les
souverains pontifes. Je ne vois pas que les
légendaires les plus exa;ts les aient rejetés,
lorsqu'ils ont ôté des légendes beaucoup de
faits qui n'étaient pas assez graves pour no-
tre sainte religion, qui n'étaient pas puisés
dans des sources pures, ou qui sentaient
trop le goût de certains siècles pour les {lieu-
ses Actions.
Or, dès que ces faits sont déclarés authen-
tiques par les souverains pontifes, et admis
dans les actes de la canonisation des saints
dont je fais l'éloge, je suis fondé à les faire
valoir dans les chaires chrétiennes.
Comme dans le panégyrique de saint Fran-
çois d'Assise, au sujet de ses stigmates, je
fais un portrait de Bayle, qui n'a pas épargné
dans ses sacrilèges plaisanteries ce digne
imitateur de la pauvreté de Jésus-Christ , les
lecteurs chrétiens et équitables ne seront pas
surpris, si je. dis ici qu'on ne peut lire et en-
tendre ses blasphèmes sans horreurs, ni
qu'il y a un aveuglement pitoyable dans tous
les discours de ces personnes qui louent son
dictionnaire comme un ouvrage admirable, et
qui le font passer pour le génie le plus juste
et le plus brillant qui ait jamais paru.
Je ne m'arrêterai pas à prouver qu'il est
rempli de contradictions, de faussetés, et
qu'il no faut qu'avoir lu l'histoire des con-
ciles, avoir une teinture des hérésiarques et
des dogmes qu'ils ont débités, pour être per-
suadé qu'il fait briller son esprit aux dépens
de la vérité et de la saine doctrine dont il se
joue, et dont il ignore les principes. Des
personnes sans études et sans piété peuvent
lire son ouvrage avec goût. Des articles
courts, remplis de pointes, de saillies, de
réflexions indécentes, peuvent amuser jus-
qu'au sexe même; mais je serais étonné
qu'un homme qui fait profession d'une vraie
piété, lui prodiguât son encens.
Jamais ceux qui savent l'histoire de l'E-
glise, n'ont manqué de respect pour l'Eglise
romaine, qui est la mère et la maîtresse de
toutes les autres. C'est sur ce principe que
nous regardons comme des faits graves et
dignes d'être proposés à l'admiration et à la
pieté des fidèles, certaines actions extraor-
dinaires des saints qu'elle a canonisés; cer-
taines faveurs singulières qu'ils ontreçues du
ciel. Mais cette Eglise romaine, si chère à
tous les catholiques, comment Bayle en
parle-t-il ? Ce n'est pas un protestant furieux
qui se déchaîne, je n'en serais pas étonné;
c'est un bouffon, qui sacrifie à un bon mot la
décence et ce qu'il y a de plus saint.
Je ne suis pas étonné que les partisans
d'un tel ouvrage tournent en ridicule cer-
tains faits extraordinaires que l'Eglise 10-
maine a constatés.
Nous ne devons pas non plus nous attea-
dre que ceux qui lisent les scandaleux ou-
vrages de cet impie, aient du respect, pour
les saints reconnus par l'Eglise romaine,
dont il parle avec toute l'indécence pos-
sible.
Que ne dit-il pas de saint François d'As-
sise, de saint Bernard, de saint Louis, do
13
ORATEURS SACRES. BALEET.
16
sainte Blanche sa mère, invoquée dans plu-
sieurs Eglises?
Il n'est pas étonnant que ceux qui se dé-
clarent, pour un ouvrage aussi impie etaussi
séduisant, n'ayant point de respect pour ces
saints, se moquent aussi des éloges que nous
leur donnons dans les chaires de vérité ;
mais il est encore plus étonnant, que cet ou-
vrage fasse les délices d'une infinité de chré-
tiens, et qu'ils ne rougissent point de nous
citer avec complaisance les sacrilèges sail-
lies d'un auteur si méprisable.
Je ne crois pas non plus qu'Usaient beau-
coup de respect pour les dévotions que j'ins-
pire aux fidèles pour la mère de Dieu, dans
les discours sur la fête du Mont-Carmel, et
sur celle de la Merci. Bayle n'en parle pas
en protestant, mais en nestorien et en
arien.
On honore cependant cet homme du glo-
rieux titre d'auteur judicieux, impartial, ad-
mirable. Qu'on le lise après cela sans scru-
pule, et qu'on tourne en ridicule nos dévo-
tions en l'honneur de Marie, je ne serai pas
étonné. Ce sont de tels lecteurs qui peuvent
révoquer en doute et traiter de fables les
actions extraordinaires et les faveurs singu-
lières que je raconte dans plusieurs panégy-
riques que je donne aujourd'hui ; et je crois
qu'ils ne méritent pas d'attention
A l'égard du style des panégyriques, je
dirai, quoique je n'aie pas d intérêt à prendre
le parti de l'éloquence, qu'il est nécessaire
de s'élever, autant qu'on en est capable, dans
ces sortes de discours; qu'il faut employer
les beautés de l'art, les ornements de l'élo-
quence, les grâces de la parole, les images
brillantes, les comparaisons ingénieuses,
sans perdre rien du zèle apostolique.
Je dirai qu'il faut y semer des réflexions
pieuses, des traits de morale qui touchent
et instruisent les auditeurs, et que le saint
qu'on loue serve de modèle, sans cesser d'é-
puiser l'admiration.
Je dirai qu'il faut qu'un panégyrique soit
rempli de faits, et de ceux qui sont les plus
intéressants dans la vie de son héros: qu'on
doit tellement le caractériser, qu'on n'en
puisse appliquer aucun lambeau à un autre.
Si on ne trouve point tout cela dans ceux
que je donne au public, qu'on s'en prenne h
mon insuffisance, qui n'a pu mettre en prati-
que les préceptes que je crois nécessaires
pour faire un bon panégyrique. Je serai bien
récompensé, s'ils portent quelques âmes à
imiter les saints dans les vertus communes
du christianisme. C'est à Dieu seul qu'il ap-
partient de bénir nos travaux.
PANÉGYRIQUE I"
NOTRE-DAME DE LA MERCI,
Prononcé le jour de sa fête, dans l'église dos
RR. PP. de l'ordre de la Merci, à Paris,
le 2 août 1738.
Sanclimonia et magniticentia ia sanctificatione ejus.
{Psal. XCV.)
Li sainteté et la magnificence brillent dans son sanc-
tuaire.
L'Esprit-Saint emploie ces expressions
pompeuses et magnifiques, pour célébrer la
grandeur du temple de Jérusalem. Le saint
roi d'Israël, honteux d'habiter une maison
de cèdre, pendant que l'arche du Seigneur,
errante dans les déserts, était placée sous
des tentes, forme le grand projet d'élever
un sanctuaire à l'Eternel. Salomon qui a
étonné l'univers par sa sagesse aussi bien
que par sa chute, eut la gloire d'exécuter les
pieux desseins de son père: alors parut un
temple qui fit l'adnr ration de l'univers, l'hon-
neur du peuple de Dieu, et la consolation
des vrais Israélites.
On j voit briller la sainteté et la magnin-
cence; la majesté qui y résidait, saisissait
de respect le.i Lévites mômes: les nations in-
circoncises, les empires les plus florissants,
les villes les plus opulentes, admiraient ses
beautés et ses richesses : ainsi s'accomplit ce
que David avait prédit dii fameux temple de
Jérusalem: la sainteté et la magnificence le
rendirent fameux chez toutes les nations :
Sanctimonia et magnificenlia in sanctifica-
tione ejus.
Je vous ai déjà, Messieurs, développé mon
dessein : des traits moins pompeux, moins
magnifiques, ne vous auraient pas représenté
dignement l'ordre de Notre-Dame de la Merci,
dont j'entreprends de publier aujourd'hui la
grandeur, et devons raconter les merveilles:
la sainteté et la magnificence présidèrent à
son berceau; la sainteté et la magnificence lui
ont fait faire des progrès rapides, la sainteté
et la magnificence le feront subsister avec éclat
jusque dans les derniers siècles du monde.
Je ne manquerai jamais de respect, mes-
sieurs, pour ces ordres florissants dans l'E-
glise : ce ne sont point leurs domaines que
j'admire, quoiqu'ils égalent presque ceux
de certains souverains, mais ce sont les ver-
tus et les talents, qui les ont toujours rendus
précieux à l'Eglise et à la république des let-
tres. Or, malgré tout l'honneur qui est dû à
ces grands ordres, et que je serais fâché de
leur ravir; il faut avouer que l'ordre de la
Merci a des caractères de grandeur et de ma-
gnificence qui ne conviennent qu'à lui seul;
lui seul mérite ces titres pompeux, dont parle
le prophète; jugez-en, Messieurs: des chré-
tiens dans les fers, sous la domination du
Maure et duSarrazin; Marie, la mère de Dieu,
qui, du haut de sa gloire, jette de tendres re-
gards sur ces captifs abandonnés, et forme
le grand projet de les délivrer;' des hommes
éminents en piété et en science, choisis pour
être les premiers rédempteurs ; des rois qui
offrent leurs palais et leurs trésors pour
élever les -premiers hospices; une noblesse
brave et accoutumée à manier l'épée, qui se
joint aux zélés religieux de l'ordre naissant,
pour livrer les premiers combats et négocier
PANEGYRIQUES. — PANEG. I", NOTRE DAME DE LA MERCI.
17
les premièns rédemptions: des peuples qui
s'épuisent en libéralités.
Telles sont, Messieurs, les merveilles que
je viens publier aujourd'hui; elles vont en-
trer dans le plan de l'éloge que je consacre
à l'ordre de Notre-Dame de la Merci : en voi-
ci le dessein.
Je considère deux choses dans l'ordre de
la Merci, le projet et l'exécution.
La plus haute sainteté a formé le projet,
la charité la plus magnifique l'a exécuté:
la sainteté a présidé à l'établissement de l'or-
dre de la Merci, la charité a soutenu l'ordre
de la Merci : sainteté du côté de ceux qui
l'ont établi, magnificence du côté de ceux
qui l'ont secouru: sanctimoniaet magnificen-
tia in sanctificatione ejus.
Ne soyez pas, Messieurs, de stériles admi-
rateurs de toutes ces merveilles : que ce
quia touché Marie] dans la gloire qui l'envi-
ronne, ne soit pas une peinture indifférente;
nos frères, dans une longue et dure capti-
vité, doivent trouver une place dans vos
cœurs : vous pouvez contribuer à leur liberté,
et avoir la gloire d'être comptés parmi leurs
libérateurs. Heureux si je puis aujourd'hui
vous toucher en leur faveur, et vous portera
coopérer à leur rédemption !
Et vous, Vierge sainte, puissante protec-:
trice des chrétiens qui gémissent sous la
pesanteur de leurs fers dans ces empires
barbares : auxilium christianorum, obtenez-
moi cette onction qui louche et persuade :
c'est l'esprit saint qui la donne: nous la
lui demandons par votre intercession. Ave
Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
Il y a des établissements fameux dans le
monde qui attirent nos regards et méritent
notre admiration; mais la politique y a pré-
sidé. Ce sont des hommes puissants qui en
ont jeté les premiers fondements, qui les
ont dotés : ils avaient en vue la beauté et le
repos de la république. 11 y a des établisse-
ments qui méritent notre vénération ; la pié-
té y a présidé : ce sont des hommes pénitents,
des héros de l'Evangile, qui marchaient sur
les traces de Jésus-Christ, qui se déroba'ent
au monde et se cachaient dans les solitudes
et les saintes horreurs des déserts; ils crai-
gnaient les appas du monde, ils redoutaient
ses combats, et ils formaient des sociétés
d'âmes timides qui conservaient à l'écart
l'innocence qu'elles auraient peut-être per-
due dans le séjour des mondains; les pre-
miers méritent nos éloges et font la gloire
de la monarchie, les seconds méritent notre
vénération et font la consolation de l'Eglise.
Mais sans ravir, Messieurs, la gloire des uns
et des autres, j'ose élever l'ordre de la Merci
au-dessus de tous ces établissements. Je
vois éclater la plus haute sainteté dans son
institution, dans ses premiers fondateurs,
dans ses motifs; je vois des traits singuliers
qui distinguent cet ordre: il ne s'agit que
de les examiner, pour vous prouver sa
grandeur.
Consultons l'histoire fidèle, Messieurs,
18
que d'objets merveilleux n'ofire-t-elle pas à
notre piété 1
C'est la mère de Dieu qui a.formé ce grand
projet de charité : c'est à des hommes émi-
nents en sainteté, qu'elle a confié ce grand
projet de charité : ce sont des membres de
Jésus-Cbrist souffrant, qu'elle a en vue dans
ce grand projet de charité. Ai-je eu tort,
MessieurSj d'avancer que la plus haute sain-
teté avait présidé à l'établissement de l'ordre
de la Merci? Sanciimonia in sanctificatione
ejus.
Oui, Messieurs, le grand projet de la ré-
demption des captifs a été formé dans le
ciel; c'est dans ce séjour de gloire où la
charité va se consommer, où tout est parfait,
qu'il prend son origine. Marie, du sein de
cette gloire ravissante qui l'environne, de
ce trône où elle règne avec tant de puis-
sance, au milieu de cette félicité ineffable,
que l'Eglise nous représente sous des ima-
ges si magnifiques, jette de tendres regards
is qi
;; le
tion du barbare; les maux et les dangers de
leur captivité la touchent; elle médite l'éta-
blissement d'un ordre destiné spécialement
à négocier leur liberté, le plan en est tracé
au pied du trône de son Fils et communiqué
immédiatement à des hommes de miséri-
corde ; c'est dans le ciel qu'il prend nais-
sance, et c'est la plus haute sainteté qui en
jette les premiers fondements : Sanctimonia
in sanctificatione ejus.
Quand je pense à ces ordres florissants
dans l'Eglise, et qui l'embellissent d'une
manière si admirable , je me représente ce
songe mystérieux qu'eut Mardochée, ce juif
fidèle. D'abord il aperçoit une petite source,
pnrvusfons (Esther, X) : image naturelle de
ces grands ordres, qui dans leur naissance
étaient cachés , enveloppés dans un soli-
taire, un homme dérobé au monde; c'est ainsi
que les Benoît, les François d'Assise , les
François de Paul , et tant d'autres ont paru
seuls dans les solitudes. Leur humilité les
dérobait au monde : ces petits grains de sé-
nevé qui devaient produire des arbres si
majestueux, étendre des branches si magni-
fiques ne paraissaient aux yeux des mon-
dains que des objets inutiles à la société :
parvus fons. Mais cette petite source devient
aux yeux de Mardochée un grand fleuve :
crevit in fluvium. (Ibid.) Voilà les progrès
de ces ordres célèbres qui se sont étendus
dans les royaumes et les empires les plus
reculés.
Semblables à ces arbres mystérieux, dont
je viens de parler, ils ont couvert de leur
ombre une grande partie de la terre , ils ont
servi de retraite aux saints, aux savants,
aux grands du monde, aux monarques
même, et .ils ont fait une des plus belles
portions de l'Eglise et de l'Etat.
Enfin ce fleuve est changé aux yeux de
Mardochée en une lumière aussi brillante
que le soleil : Conversus in solem (Ibid. ) :
figure de ces savants , de ces vastes génies
qui ont, brillé dans ces grands ordres, qui
ont été les oracles de leur siècle, qui don-
40
ORATEURS SACRES. BALLET.
ao
liaient des leçons dans les plus célèbres aca-
démies, qui* ont fait honneur à la répu-
blique des lettres, qui ont servi de rempart
à la foi par la solidité de leurs écrits et la
profondeur de leurs raisonnements : voilà la
grandeur des ordres dont je parle et que je
respecte singulièrement. A leur naissance ,
rien de plus simple en apparence, rien de
plus obscur : parvus fons.
Toute leur grandeur future était cachée
dans un seul homme. Un pénitent, un soli-
taire ignoré du monde; c'est dans l'horreur
des déserts, dans l'épaisseurdes forêts, que
ces parfaits disciples du Sauveur traçaient
le plan de ces fameuses sociétés. Dieu" les a
soutenus, multipliés, il n'appartient qu'à
lui d'inspirer ces desseins; l'exécution et
les succès sont son ouvrage ; mais voici les
traits éclatants qui distinguent l'ordre de la
Merci de ceux, que je viens de louer avec
plaisir; il faut se transporter clans le ciel
pour trouver son origine.
Les commencements des autres ordres
sont cachés , obscurs ; ceux de celui de la
Merci sont grands, éclatants; ils reconnais-
sent des hommes de prodiges et de sainteté
pour leurs instituteurs. L'ordre de la Merci
doit son institution à Marie. Je ne man-
querai jamais de respect pour les Benoît, les
Bernard, les Dominique, les François d'As-
sise, les Bruno, ces anges du désert qui ont
retracé aux yeux du monde toutes les mer-
veilles de l'Egypte et de la Thébaïde. Mais
Marie me paraîtra toujours infiniment au-
dessus; je sais qu'elle possède avec pléni-
tude ce qu'ils ne possédaient que par por-
tion, et qu'il ne sera jamais permis de lui
comparer <e; saints fondateurs, puisque
l'Eglise reconnaît qu'elle est placée au-dessus
des anges mômes. Voilà donc, Messieurs, la
prérogative de l'ordre de la Merci, de trou-
ver son origine dans le ciel , d'avoir la mère
de Dieu pour institutrice ; voilà la gloire des
saints religieux qui ont fait la gloire de son
berceau; voilà ce qui anime tant de dignes
enfants à entreprendre les rédemptions les
plus pénibles, et les plus dangereuses. Us
savent qu'ils marchent sous les ordres de la
sainte Vierge , qu'ils exécutent le grand
projet de charité qu'elle a formé dans le ciel
et qu'elle a communiqué à des hommes
éminents en sainteté; leur dévotion pour
Marie et leur zèle pour la rédemption des
captifs, annonceront toujours la grandeur
de cet ordre dans l'Eglise.
Je sais, Messieurs, que quand on parle
d'une révélation immédiate, il faut être dé-
licat et exact, qu'il ne faut pas proposer aux
fidèles, des fables, ni des fictions ; que les
faits qui no sont pas puisés dans des sources
pures, qui ne sont point revêtus de ce ca-
ractère d'authenticité que l'Eglise seule doit
donner , ne doivent pas être annoncés par
des prédicateurs de l'Evangile; mais je sais
aussi que la merveille que je prêche aujour-
d'hui a pour elle des témoignages respec-
tables qui doivent nous soumettre. Je ne m'y
suis pas arrêté en orateur qui saisit des
traits singuliers, pour faire briller son ima-
gination dans des récits merveilleux; ce
n'est point non plus par une dévotion indis-
crète envers la sainte Vierge, que j'insiste
sur ces traits singuliers , je sais qu'elle a
horreur d'un culte superstitieux , que l'er-
reur et le mensonge ne se sont jamais trou-
vés dans ses vrais serviteurs , et que tout co
qui est contraire à la doctrine de son Fils et
de son Eglise ne pourra jamais lui être
agréable; je la prêche, Messieurs, parce
que des histoires fidèles et respectables me
la certifient, parce que des saints éminents
en sainteté, des hommes de miracles l'ont
annoncée; parce que l'Egi se, surtout, l'a au-
torisée, qu'elle se publie sous ses ordres, et
que c'est à elle qu'il appartient de régler le
culte des fidèles. Pourquoi, Messieurs, ces
témoignages ne sont-ils d'aucun poids chez
les hérétiques, chez les prétendus esprits
forts, chez les mondains et les libei tins ?
c'est qu'on n"a jamais vu ceux qui mépri-
sent l'Eglise, honorer sincèrement la mère
de Dieu. Tous les saints ont eu une piété
tendre envers cette reine des anges , et tous
ceux qui ont méprisé les pratiques de la
piété, se sont érigés en censeurs du culte
de Marie.
Jetons un voile, Messieurs, sur les écrits
d'un Luther, d'un Calvin et de tous ceux
qui ont marché sur leurs traces ; épargnons-
nous ces horreurs, fermons les oreilles à
leurs blasphèmes. Nestorius et Julien 1 A-
postat n'en ont pas vomi de plus exécra-
bles ; ne rappelons pas à notre mémoire cette
fureur qu'ils ont fait éclater contre son culte,
les opprobres qu'ils se sont efforcés de ré-
pandre sur sa gloire, le ridicule qu'ils ont
répandu sur ses prérogatives, la satisfac-
tion avec laquelle ils ont supprimé les fêtes
établies en son honneur. Je sais le cas qu'ils
feraient de la merveille que je prêche, ils y
trouveraient un style de roman et de fiction ;
fruits funestes de l'indét endance et de l'a-
postasie ! Mais pourquoi, dans le sein même
de l'Eglise, se trouve-t-il tant de critiques
et de censeurs de la dévotion à Marie ? Pour-
quoi ces beaux esprits qui les citent comme
des oracles pour appuyer leurs sentiments;
qui, dans des combats littéraires, lorsqu'il
s'agit de fixer une époque, de soutenir un
système , citent des auteurs contemporains ,
comme des preuves décisives, parlent-ils
avec tant de mépris de l'Eglise qui déclare
authentiques ccitaincs merveilles, et des
saints et savants personnages qui les ont an-
noncées, et qui en ont été les premiers dépo-
sitaires? C'est que la religion gêne, et on
autorise les maximes du monde, en décriant
los pratiques de piété : voilà le mystère.
Paraissez ici , hommes vénérables qui
avez été- les premiers dépositaires du grand
projet de Marie pour la rédemption des cap-
tifs 1 Ces faveurs singulières de la mère de
Dieu, sont les preuves de votre haute sain-
teté, c'est pour la récompenser qu'elle vous
a choisis pour être ses coopérateurs dans
rétablissement de l'ordre de la Merci.
C'est dans le xir siècle, Messieurs, que
Dieu fit paraître ce prodige de sainteté, qui
21
PANEGYRIQUES. — PANEG. I" , NOTRE-DAME DE LA MERCI.
devait présider après la sainte Vierge à l'é-
tablissement de cet ordre fameux ; ce grand
thaumaturge que Marie a honoré plusieurs
fois de ses visites et auquel elle a confié im-
médiatement le grand projet de la rédemp-
tion des captifs, Pierre Nolasque , dont je
ne saurais m'empêcher, Messieurs, de pu-
blier aujourd'hui la haute sainteté, puis-
qu'elle orna le berceau de l'ordre de la Merci
d'une manière si admirable.
Que de traits singuliers et magnifiques se
présentent ici à mon imagination 1 Qu'ils
sont grands et admirables ces hommes que
Dieu choisit pour l'exécution de ses des-
seins 1 Pierre Nolasque, par son rang, sa
charité, sa foi, son zèle, sa sainteté, ses
miracles, était devenu l'oracle de son siècle ;
on admirait ses vertus, on l'admirait lui-
môme. Homme habile et important, sa piété
ne le rendit pas inutile ; il montra qu'on
pouvait servir Dieu et César; qu'on se sanc-
tifie à la cour, quand le rang y appelle ; qu'on
peut être dans la retraite décemment, quand
la grâce y conduit. Que Dieu appelle quel-
quefois de3 grands à la contemplation , et
qu'il rend souvent ses saints utiles aux
grands, pour le maniement des affaires.
C'est sur ces principes, qu'il fut utile au roi
d'Aragon : ce monarque l'employa dans les
négociations les plus délicates, il s'en ac-
quitta avec succès, il traita avec sagesse les
intérêts des princes , et il montra tout à la
fois l'habileté d'un ministre et la piété d'un
chrétien.
Homme de miséricorde, ses libéralités
étaient magnifiques. Avant même l'appa-
rition delà sainte Vierge, il négociait la déli-
vrance des captifs ; il avait déjà brisé les fers
de plus de trois mille chrétiens ; c'est lui
qui sollicitait les rois à garder les côtes, à
livrer des combats aux Turcs, aux Maures,
et aux Sarrazins ; c'est sur ses pas que marche
une noblesse guerrière, et que veut marcher
aussi le grand saint Louis, cet incomparable
monarque ; c'est pour imiter les Paulin de
Noie, les Traso, les Avite, qu'il s'offre à Va-
lent e pour la rançon de plusieurs captifs,
qu'il se charge des fers dont il délivre ces misé-
rables ; sa captivité est lejnrix de leur liberté.
Homme de l'Eglise, jamais on ne vît un
catholique plus sincère, dans des temps de
schisme. Lorsque des princes puissants fa-
vorisaient l'hérésie, il montra la fermeté des
Ambro-ise, des Athanase, des Chrysostome :
les comtes de Toulouse et de Monfort ne le
virent jamais à leur table, lorsqu'il y avait
des hérétiques ; il respectait leur rang, il dé-
testait leur penchant pour les nouveautés,
et l'hérésie albigeoise trouva en lui un en-
nemi aussi redoutable que le grand saint
Dominique.
Homme de zèle, il fut apôtre comme saint
Paul. Dans les fers, chargé de fers, il prê-
chait les barbares; ils ne le voyaient pas
soupirer après sa liberté, mais ils le voyaient
zélé pour leur salut; sa captivité devint glo-
rieuse par ses conquêtes; les Maures, et les
Sarrazins convertis, des lâches déserteurs de
la foi prosternés à ses pieds, baignés de
2i
pleurs, et honteux de leur apostasie : voilà
les succès de son zèle dans la captivité
même, et les glorieux trophées érigés à son
héroïque captivité.
Homme de miracles, Dieu annonça ce ré-
dempteur des captifs, comme une grande nou-
velle qui intéressait tous ceux qui gémis-
saient sous la puissance des infidèles. Le
berceau du Sauveur de tous les hommes fut
environné d'une lumière céleste. Une mul-
titude d'esprits célestes qui faisaient retentir
les airs de leurs chants mélodieux, annon-
çaient un règne paisible à ceux qui veillaient
dans la Judée; les mêmes merveilles s'opé-
rèrent au berceau de Nolasque, ce sauveur
des chrétiens qui gémissaient dans les fers :
une route éclatante s'ouvre à sa naissance,
il y marcha toute sa vie, Messieurs, les pro-
diges l'accompagnaient, et je les passe sous
silence, pour ne point m'écarter du grand
sujet que je traite.
Tel est, Messieurs, le grand Pierre No-
lasque, tel est celui que la sainte Vierge
choisit pour présider à l'établissement de
l'ordre de la Merci. Un homme orné de tant
de vertus, devait donner du poids à cetle
grande entreprise ; aussi Dieu met-il dans
ceux qu'il choisit pour exécuter ses des-
seins, tous les dons nécessaires pour assurer
les succès.
Il semble, Messieurs, que la sainte Vierge
a't voulu, dans l'établissement de l'ordre de
la Merci, ménager la délicatesse de certains
génies, par le rang, l'habileté, la sagesse et
la sainteté de ceux qui y présidèrent sur la
terre I Que leurs témoignages a de poids ! La
critique la plus hardie et la plus téméraire
doit plier sous une autorité si respectable.
Marie honore de son apparition deux saints
et. un grand roi, afin que ces trois grands
personnages puissent rendre authentique
cette merveille, et que ces témoins véné-
rables, soumis à l'Eglise, la fassent revêtir
de l'autorité nécessaire. Pourrait-on, sans
présomption, supposer de l'ignorance dans
les lumières de l'Eglise? Des mensonges, et
des artifices dans des saints du premier or-
dre; une inclination pour le merveilleux et
les fables, dans un roi qui savait régner
comme Jacques 1", roi d'Aragon ? Non sans
doute, Messieurs; or, ces trois illustres té-
moins ont été choisis par Marie pour publier
et exécuter son grand projet pour la rédemp-
tion des captifs. Ce sont autant d'historiens
fidèles qui racontent avec exactitude les mer-
veilles qu'ils ont vues. Où sont les faits de
l'histoire que nous ne puissions pas rejeter
si nous rejetons ceux-ci?
Jésus-Christ, dit saint Léon (De transfigu-
ratione, cap. 3), conduisit trois de ses dis-
ciples sur le Thabor. Il laissa échapper quel-
ques rayons de sa divinité ; il exposa à leurs
yeux le rapide spectacle d'une gloire ravis-
sante, afin que le témoignage de ces trois
apôtres publiât authentiqueraient sa gran
deur; car s'il leur défendit de raconter ces
merveilles avant sa mort, il leur permit de
l'annoncer après sa résurrection; et comme
le dit Jésus-Christ dans un autre endroit, le lé-
23
ORATEURS SACRES. BALLET.
24
moignage de deux ou trois personnes respec-
tables par leur rang et leurs vertus, doit sou-
mettre des esprits raisonnables : Jn duobus,
vel tribus testibus stat omne verbum. (Matth.,
XVIII.)
La mère de Dieu fait éclater cette sagesse,
Messieurs, dans l'établissement de l'ordre
de 1?. Merci. Dans une même nuit Pierr.e
Nolasque, destiné à jeter les premiers fon-
dements de cet ordre, Raymond de Penna-
fort, ce directeur éclairé, qu'il avait choisi
pour le conduire dans les routes du salut, et
dont il suivait les sages conseils : Jacques I",
roi d'Aragon, dont la protection était néces-
saire dans le cours ordinaire pour l'exécu-
tion du grand projet, sont honorés de l'ap-
parition de la sainte Vierge, entendent les
mêmes choses, et reçoivent les mêmes or-
dres. Voilà des saintsyet des majestés de la
terre, qui attestent la révélation, et qui éta-
blissent, sous l'autorité du souverain pon-
tife, un ordre destiné par état à la rédemption
des captifs.
Je n'ignore pas, Messieurs, l'oracle pro-
noncé dans l'Ecriture. Ne croyez pas à tout
esprit : Omni spirittti nolitecredcre. (I Joan.,
IV.) Je sais que dans la dévotion il s'est glissé
beaucoup d'abus ; que des faits supposés, des
histoires peu décentes, des pratiques con-
traires à la pureté de notre culte, ont souvent
été mêlées par des auteurs crédules et peu
soigneux dans les ouvrages de piété, et dans
les annales de l'Eglise ; que des esprits bi-
zarres, des imaginations creuses, ont voulu
de temps en temps repaître les peuples de
fables et de fictions. Mais je sais aussi jus-
qu'où a été l'attention des évêques, pour ne
présenter aux fidèles que des faits authen-
tiques, des objets édifiants. Tout ce qui ne
porte point le caractère auguste de la vérité,
tout ce qui n'est point puisé dans les sources
pures de l'antiquité, tout ce qui n'est point
reçu par le souverain pontife, est rejeté par
ces premiers pasteurs: les miracles publiés,
les reliques exposées sans leur approbation
et contre leur gré, méritent nos mépris plu-
tôt que notre vénération. Je ne suis pas obligé
de révérer ce que l'Eglise ne veut point re-
connaître; mais quand je vois les merveilles
de l'établissement de l'ordre de la Merci
reçues aans toute l'Eglise, quand je vois les
évoques qui les entendent publier avec plai-
sir par les prédicateurs qu'ils honorent de
leur mission, assister à ces solennités, et y
exercer les fonctions sacrées de leur minis-
tère, quand je vois des saints et des rois at-
tester qu'ils n'établissent cet ordre que pour
obéir à la mère de Dieu, qui leur a intimé
le grand projet qu'elle avait formé dans le
ciel en faveur des chrétiens dans les fers;
quand je vois cet ordre naissant sous la pro-
tection du souverain pontife, j'admire cette
merveille, et je la révère. Messieurs, je
pense tout autrement de la délicatesse de
ces beaux esprits, qui rougiraient de paraître
douter des faits les moins intéressants d'un
royaume, ou d'une république, qui nous op-
posent le sentiment d'un protestant, ou de
quelques profonds méditaleurs, comme un
oracle décisif, et qui, en matière de religion
ou de piété, se font gloire de leurs doutes et
de leurs incertitudes.
On ne dira pas, Messieurs, qu'on se pro-
pose, dans la merveilleuse apparition de
Marie à Pierre Nolasque, d'amuser le peuple,
d'entretenir une crédulité ignorante; ce sont
les membres de Jésus-Christ souffrant qu'on
a en vue : des chrétiens dans les fers chez les
barbares sont les motifs de l'établissement
de cet ordre. Ainsi, tout est saint et digne de
nos respects; il faudrait, Messieurs, la voix
plaintive d'un Jérémie, pour vous peindre
les peines de nos frères, sous la domination
des infidèles. Le malheur de ces infortunés
enlevés à leur patrie, leurs ennuis, leurs
travaux, leurs alarmes, leurs supplices. Pour-
quoi ces peintures ne vous toucheraient-elles
pas? Sont-ils coupables pour avoir couru des
hasards sur ,les mers? Leur commerce ou leur
emploi étaient-ils criminels? Et devez-vous
les oublier parce qu'ils sont malheureux?
Parce que vous vivez sous un règne de clé-
mence, dans une ville tranquille et policée,
et que, paisibles dans le sein de vos familles,
vous goûtez les douceurs d'une vie chré-
tienne,|devez-vous être insensibles aux maux
de ceux qui gémissent dans une longue capti-
vité? Votre charité qui doit s'étendre au-
delà du tombeau, ne doit-elle pas s'étendre
dans ces royaumes barbares? Trois choses
doivent nous toucher, Messieurs, ce qu'ils
sont, ce qu'ils souffrent, et ce qu'ils seront.
Quels motifs plus capables de toucher nos
cœurs, et d'exciter nos libéralités 1 Ils ont
touché la mère de Dieu dans le séjour de la
gloire ; ils l'ont portée à se manifester au de-
hors, à se servir des saints et des rois pour
briser leurs fers; nous ferons-nous gloire de
leur être inutiles? Oubliez ce que vous êtes
ou pensez à ce qu'ils sont.
Je ne vous donne pas, Mecsieurs, tous les
captifs pour des saints. Je ne vous rappelle
que le titre glorieux de chrétiens : je repré-
sente h vs yeux une foule d'hommes de
différents royaumes, de différentes provin-
ces, que l'appât du gain ou le service du
prince a fait voler dans ces climat* éloignés,
braver les périls d'une longue navigation, et
qui n'ont échappé au naufrage que pour
tomber dans les chaînes : je veux même que
quelques-i'ns aient perdu le ciel de vue en
s'éloignant de leur patrie, qu'une vie licen-
cieuse les ait rendus coupables, en sont-ils
moins chrétiens, ces hommes teints du sang
de Jésus-Christ, ses frères, ses cobéritiers?
Mais voici des traits qui doivent encore vous
les rendre respectables; c'est que ces cap-
tifs, dans le centre de l'idolâtrie, ont con-
servé la pureté de la foi : et je puis vous re-
présenter ceux qui ont persévéré dans la
doctrine de l'Eglise, comme des chrétiens
fermes et généreux, qui soutiennent en hé-
ros les ennuis et les peines de la captivité.
Voilà, Messieurs, ce que sont ces captifs
pour lesquels Marie s'intéresse, et pour les-
quels tant de saints et de rois se sont inté-
ressés. Si ces titres ne vous touchent par,
pourrais-je me flatter oue vous serez sensi-
25 PANEGYRIQUES. — PANEG. I
. blés à ce qu'ils souffrent ? Si toutes ces histoi-
res orientales, ces pièces de théâtre que vous
lisez avec tant d'ardeur, n'étaient pas mêlées
d'agréables rêveries, de fictions ingénieuses,
de poésies molles et voluptueuses; ces scè-
nes tragiques qui en font tout le fond et
toute la réalité, vous toucheraient davan-
tage; la férocité d'un roi qui gouverne ses
sujets, et surtout les chrétiens avec un scep-
tre de fer ; ces caprices de cruauté, ces tour-
ments bizarres, ces punitions honteuses qui
font les fêtes et les réjouissances de ces rois
inhumains, vous pénétreraient de douleur,
vous gémiriez en pensant q.ie les chrétiens,
vos frères, sont exposés à tous ces malheurs.
Mais vous lisez pour vous amuser, vous ré-
créer ; les malheurs d'un esclave que le
théâtre a rendu illustre, vous touchent plus
que ceux qu'on vous dépeint dans la chaire
de vérité : vous voulez vous repaître des
aventures feintes de la captivité, et vous ne
voulez pas penser à ses peines ; ces scènes
tragiques qui se sont passées dans l'Orient
il y a plusieurs siècles, vous plaisent sous
les ornements delà poésie; faut-il aujour-
d'hui avoir recours aux mêmes charmes pour
vous occuper quelques moments de ce que
souffrent les chrétiens captifs? Et faut-il que
la manière avec laquelle on vous raconte les
malheurs de vos frères, vous touche plus
que leurs malheurs mêmes?
Quand je me représente les Juifs en cap-
tivité chez les Babyloniens, que je les vois
soupirer sans cesse'après le temple de Jéru-
salem, ne pa.ler que par de profonds sou
pirs et de tristes accents, errer confusément
le long des tleuves de Babylone qu'ils arro-
sent de leurs larmes ; je pense à la captivité
des chrétiens à Tunis, à Alger, à Maroc, et
je trouve leur sort bien plus triste.
A Babylone on consolait les Juifs, on les
dissipait, on les exhortait à se récréer, et à
chanter les cantiques de Sion : Cantate nobis
de canticisSion (Psal. CXXXYI), et dans ces
empires barbares de l'Orient, il faut que les
chrétiens gardent un profond silence sur nos
mystères : personne ne sèche leurs pleurs,
personne ne diminue le poids de leurs chaî-
nes; séparés par les mers, d'une épouse,
d'une famille tendre et chérie, dans quelles
amertumes ne sont-ils pas plongés?
Quand nous voyons dans l'histoire de l'E-
glise des chrétiens condamnés aux mines,
envoyés en exil, jetés dans des cachots obs-
curs, conduits sur des échafauds, et donnés
en spectacle des jours de fêtes à une cour
païenne, nous sommes touchés : croyons-
nous, Messieurs, que ces rois barbares de
l'Orient sont plus humains? désabusons-
nous : si quelquefois, par caprice, ils favori-
sent certains esclaves, souvent aussi, par
caprice, ils les font mettre à la torture, et
augmentent le poids de leurs chaînes. Telle
est, Messieurs, la situation de ces hommes
infortunés, en faveur desquels je m'efforce
de vous toucher aujourd'hui. Elle toucha le
coeur de la mère de Dieu, et elle fut un puis-
sant motif de l'établissement de l'ordre de la
Merci. Mais si nous vous représentons, Mcs-
' , NOTRE DAME DE LA MERCI. 20
sieu"S, l'avenir, n'avons-nous pas sujet d'être
effrayés? S'ils persévèrent dans la foi, mal-
gré les ennuis de la captivité, nous aurons
abandonné des héros de la religion : s'ils
déshonorent leur baptême par de honteuses
apostasies, nous les aurons exposés à ces
extrémités par notre indifférence ; car dans
les dures extrémités où ils se trouvent, ils
peuvent être ébranlés, ils peuvent faire des
chutes, ils peuvent perdre leur couronne,
ils sont sur le bord du précipice; et parce
que le ciel est ouvert à leur constance, et
l'enfer creusé à leur lâcheté, le motif de-
vient plus pressant.
Cette seule réflexion, Messieurs : Peut-
être que ces i hrétiens fatigués de leurs chaî-
nes, ennuyés de leur exil, jaloux de leur
liberté, ébranlés par l'appareil des suppli-
ces, abandonneront la religion de Jésus-
Christ, et tomberont dans l'apostasie, ne
suffit-elle pas, Messieurs, pour nous tou-
cher, et entrer dans les sentiments de Marib
et des saints personnages qui ont présidé h
l'établissement de l'ordre de la Merci. C'é-
tait le salut de ces infortunés qu'elle avait
en vue, lorsqu'elle se montra à ces hommes
éminents en sainteté, qu'elle toucha le cœur
des monarques, et qu'elle les anima 5 former
un corps respectable qui mît sa gloire à bri-
ser les fers des captifs. Vous le .'avez, Mes-
sieurs, la politique, l'intérêt, le plaisir, l'or-
gueil, font toujours chanceler les {.lus fer-
mes, et nous montrent des déseiteurs de la
religion, dans la religion même : nous vi-
vons avec des hommes polis et humains;
ceux qui nous gouvernent emploient la clé-
mence et la douceur pour nous rendre le
joug de la dépendance aimable. Bien loin de
nous cacher pour être vertueux, nous som-
mes obligés de nous cacher si nous sommes
vicieux; et si les sages ordonnances de nos
monarques ont le sort de faire souvent des
hypocrites, elles porteront toujours les sujets
à la sainteté. L'entrée des temples est libre;
et s'il y a dans cette grande ville des amuse-
ments dangereux pour les mondains, il y a
des exercices édifiants pour les serviteurs
de Dieu : si le inonde a ses spectacles, la re-
ligion a les siens. On a le choix : c'est le
penchant qui conduit d'un côté plutôt que
d'un autre ; et si nous voyons des esclaves
du monde, ils le sont volontairement.
Or, Messieurs, voici ma réflexion : Si dans
le sein de vos familles, si dans un royaume
où les sujets goûtent les douceurs de la li-
berté, les circonstances délicates de la pas-
sion font tant de lâches déserteurs de la
piété, que ne devons-nous pas craindre de
la constance de nos frères, quelque fermeté
qu'ils aient montrée jusqu'à présent, eux qui
sont exposés à des épreuves si délicates, qui
souffrent les ennuis d'un dur esclavage, ne
devons-nous pas appréhender que nos len-
teurs ne lassent leur constance, que ne
voyant aucune trace de leur religion dans
leur exil, ils ne l'abandonnent, et qu'ils ne
fassent, pour recouvrer la liberté, ce que
nous faisons pour satisfaire nos,inclinations ?
La pol'tique n'a-t-elle jamais arraché de
27
ORATEURS SACRES. BALLET.
23
coupables sentences de la bouche des juges?
N'ont-ils jamais succombé sous le poids de
la protection des grands; et la crainte de
perdre les bonnes grâces de César, n'a-t-elle
jamais fait préférer le coupable à l'innocent ?
L'intérêt, ce péché dominant dans le cœur
de presque tous les hommes, ne nous rend-
il pas tous les jours méconnaissables à nos
pères ? Ne préside-t-il pas à toutes les affai-
res de la société? Ne foule-t-il pas sans scru-
pule les lois de l'équité et de la justice, si
religieusement observées avant nous? Pour-
quoi l'appât d'un gain rapide, ou le désir
des richesses nous fait-il renoncer aux de-
voirs de la religion et de la probité?
Les plaisirs sont-ils toujours innocents
pour ceux qui les recherchent, et ses trom-
pguses amorces n'ont-elles pas séduit les
plus forts d'Israël? Le péché alarme-t-il
longtemps l'innocence quand elle est expo-
sée, et de grandes chutes ne suivent-elles
pas souvent de longues résistances? L'or-
gueil qui a enfanté toutes les hérésies, selon
saint Augustin, n'arrache-t-il pas à l'Eglise
des hommes qui lui seraient utiles? Dans le
centre même de la religion, n'abandonne-
t-on pas la vérité pour courir après le men-
songe? Et combien de simples fidèles, qui ne
doivent le goût qu'ils ont pour l'indépen-
dance, et leur attachement à la nouveauté,
qu'aux liaisons qu'ils ont eues avec les enne-
mis de l'Fglise?Ne sont-ce pas là, Messieurs,
autant d'apostasies qui déshonorent la reli-
gion et la piété?
Or voici, Messieurs, la conséquence que
je tire de tous ces raisonnements. Si, dans
un royaume où la religion est florissante, où
ses temples sont continuellement ouverts, ses
solennités éclatantes; où les peuples paisi-
bles peuvent tous les jours rendre un culte
public à leur Dieu, on succombe encore si
souvent aux circonstances délicates de la
passion, et aux artifices de quelques hom-
mes cachés et sans crédit, que nous sommes
donc insensibles de ne pas appréhender que
nos frères qui sont sous la domination des
infidèles ne tombent dans l'apostasie, et qu'ils
ne cherchent quelque adoucissement dans
leurs fers par un désaveu de leur religion?
Ce sont ces motifs saints qui ont touche la
Mère de Dieu, qui ont animé tant de zélés
rédempteurs. C'est la plus haute sainteté qui
a présidé à l'établissement de l'ordre de la
Merci : je viens de vous le montrer, Mes-
sieurs : Sanctimonia in sanctificatione ejus.
Dieu a suscité dans le sanctuaire, sur le
trône, et dans tous les états, des hommes zélés
pour le soutenir et perpétuer les rédemp-
tions; vous allez voirla magnificence de ceux
qui l'ont secouru : Magnificentia in sanctifi-
catione cjus. C'est le sujet de la seconde
oartie.
SECONDE PARTIE.
Ce sont des héros de la charité que je vais
louer, Messieurs, dans cette seconde partie.
Quelle multitude l'histoire ne me présente-
t-elle pas darrs l'ordre de la Merci 1 qu'ils
sont respectables, qu'ils sont magnifiques!
Dieu en suscite dans le sanctuaire, sur le
trône, dans les riches et dans les pauvres.
Les religieux qui le composent prodiguent
leur vie; les rois offrent leurs palais et leur
puissance, et les grands s'épuisent en libéra-
lités; les peuples grossissent selon leur pou-
voir les jiieuses collections.
Séchez vos pleurs , captifs désolés, ne
mouillez plus vos fers de vos larmes; on mé-
dite votre délivrance, on va négocier votre
rédemption. Il y a une magnificence de cha-
rité dans l'établissement de l'ordre de la
Merci, qui répond à l'éminence de sainteté :
Magnificentia in sanctificatione ejus.
Louons, Messieurs, avec le Saint-Esprit,
ces hommes de miséricorde, qui se sont ac-
quis tant de gloire dans -Tordre de la Merci.
Ses annales nous les représentent comme
des vainqueurs environnés de leurs conquê-
tes : elle leur a érigé des trophées que la
postérité la plus reculée admirera : Laude-
mus viros gloriosos. (Eccli., XLIV.)
Admirons, quoique rapidement, l'émi-
nence de leur sainteté, l'étendue de leurs lu-
mières, les grandes places dont ils se sont
rendus dignes, leur habileté dans les affai-
res, et surtout leur zèle immense pour la
délivrance des esclaves chrétiens : peuvent-
ils mériter notre admiration sans mériter
nos louanges? Et des hommes qui ont mé-
rité la confiance des princes barbares et des
rois les plus inhumains ne doiven'.-ils pas
être loués dans les assemblées solennelles
des fidèles? Ils sont revenus de ces climats
féroces couverts de lauriers. La gloire de
leurs heureuses négociations les a accompa-
gnés dans la route d'un pénible voyage : l'é-
poux rendu à son épouse, le fils à son père,
le citoyen à sa patrie, ont épuisé les éloges
de toutes les villes et de toutes les provin-
ces. On a rendu des honneurs éclatants à ces
héros de la charité. Ne craignons pas de louer
a la face des saints autels des hommes dont
tous les peuples chrétiens chantent la gloire :
l'esprit de Dieu ne nous défend point de
louer les héros de la religion : Laudemus
viros gloriosos. Hommes de sainteté, allons
à la vraie source, Messieurs; consultons
l'autorité légitime; parcourons les fastes de
l'Eglise, où nous apprendrons leurs actions
héroïques ; jetons les yeux sur le culte pu-
blic que nous leur rendons; la charité de ces
premiers rédempteurs n'a-t-elle pas été cou-
ronnée dans le ciel? L'Eglise, après nous
les avoir proposés comme des héros sur h
terre, ne nous les proposc-t-elle pas aujour-
d'hui comme des saints qui régnent dans
l'éternité? Quelle plus haute sainteté, quelle
charité plus héroïque que celle qui s'expose
à la mort, ou au moins aux ennuis de la cap-
tivité? Telle fut, Messieurs, celle des pre-
miers religieux de la Merci. Passons à d'au-
tres traits de leur gloire.
Hommes de génie et d'érudition, à peine
puis-je compter les savants de cet ordre nais-
sant. Pendant (pie les uns font éclater leur
charité sur différents théâtres de l'Orient,
qu'ils adoucissent par leur seule présence la
férocité des princes les clus cruels, qu'ils
29
PANEGYRIQUES. — PANEG. I" , NOTRE-DAME DE LA MERCI.
7,0
négocient habilement la rançon des captifs,
et qu'ils brisent les fers de plusieurs milliers
d'esclaves, les autres occupent des chaires
dans les plus fameuses universités, et y en-
seignent avec tout l'éclat des grands maîtres;
leurs connaissances, leurs lumières, leurs
talents, leurs ouvrages, ne les ont-ils pas
rendus célèbres dans l'Église et dans la ré-
publique des lettres?
Ce sont ces saints religieux, ces hommes
fameux que l'Eglise a élevés avec plaisir aux
premières dignités. Quels succès n'attendait-
elle [tas du ministère de ces ministres qui
joignaient l'érudition la plus profonde à la
charité la plus généreuse? Appréhendait-elle
qu'ils redoutassent les fatigues de I'apo?to-
lat, eux que les images de la mort toujours
présentes à leurs yeux sur les mers, dans les
trajets les plus fameux par les naufrages, et
chez les peuples barbares qui n'étaient pas
adoucis et policés comme aujourd'hui , n'a-
va:ent pu effrayer? Elle était persuadée que
des hommes qui prodiguaient leur vie pour
briser les fers des chrétiens la prodigueraient
aussi pour le salut des âmes qui leur étaient
confiées; c'est pourquoi, Messieurs, on vit
plusieurs religieux de la Merci monter par
l'ordre de l'Eglise sur le trône épiscopal; on
les vit remplir les premiers sièges de l'O-
rient, et honorer môme la pourpre romaine
par leurs vertus et leurs talents.
Ce ne sont encore là, Messieurs, que de
faibles peintures de la gloire des premiers
religieux de la Merci. Ces héros de la cha-
rité épuiseraient tous nos éloges ; l'imagina-
tion la plus vive succombe sous le poids de
tant de faits et de tant de merveilles : peut-
on représenter tous les prodiges de la cha-
rité? Y a-t-il, selon Jésus-Christ, une charité
plus magnifique que celle qui fait prodiguer
sa vie pour le salut de ses frères? Telle fut
celle, Messieurs, de ces saints religieux qui
honorent l'ordre naissant de Notre-Dame de
la Merci. Aussi il faudrait toute la magnifi-
cence des plus grands maîtres de l'éloquence,
pour vous représenter avec dignité leurs ver-
tus et leurs succès ; je n'ose m'en flatter,
Messieurs.
Comment vous dépeindre l'intelligence et
l'habileté de ces hommes si célèbres par leurs
négociations?
Vous dirai-je que les rois d'Aragon, d'Es-
pagne et de France les ont employés plu-
sieurs fois dans les affaires les plus délica-
tes, qu'ils ont été admis aux plus grands
mystères de l'Etat : ce n'était pas, Messieurs,
l'ambition qui les portait à la cour; ils n'em-
ployaient pas la profondeur de la politique
pour parvenir aux honneurs; une cabale
puissante ne les soutenait pas dans ces places
mobiles et changeantes; l'adulation ne les
avait pas attachés aux grands; ils ignoraient
ces intrigues sourdes, ces basses complai-
sances, ces criminels applaudissements, qui
soutiennent tant de courtisans au défaut du
mérite et de la vertu.
Les honneurs étaient venus les trouver
dans leur solitude, ils les avaient mérités, ils
ne les avaient pas recherchés ; leurs succès
just:fiaient le choix des princes qui les em-
ployaient ; ils étaient dans les cours des rois
par nécessité, ils étaient dans la retraite par
inclination; et ils avaient autant de plaisir
lorsqu'ils quittaient la cour, que les ambi-
tieux en ont lorsqu'ils y sont appelés.
Que dirai-je, Messieurs, de leur zèle pour
la délivrance des captifs? C'était à cet hé-
roïsme de charité qu'ils s'étaient consacrés
par état. N'est-ce pas aussi avec une sainte
prodigalité de leur vie qu'ils en remplissent
les obligations ? Les caractères féroces des
rois de Maroc, de Tunis et d'A'ger, n'avaient-
ils pas dans ce temps-là de quoi effrayer les
plus intrépides? La haine qu'ils portaient
aux chrétiens, les relations qui passaient en
Europe, et qui annonçaient tous les mystères
de cruauté que ces barbares exerçaient dans
ces royaumes sauvages et intraitables, ne
devaient-elles pas les intimider? Oui, Mes-
sieurs, s'ils eussent eu moins de zèle et de
charité pour la délivrance de leurs frères.
Mais ces orages et ces tempêtes, les chaînes,
les supplices, ne peuvent retarder ces héros
de la charité. Déjà je les vois exposés sur la
mer, braver les écueils et les naufrages, im-
patients de joindre leurs frères captifs, d'ar-
roser leurs fers de leurs larmes, de les con-
soler dans leur captivité.
O merveille de la charité de Jésus-Christ 1
j'en vois qui poussent la générosité jusqu'à
souffrir pour ceux qu'ils veulent délivrer.
Je vois des échafauds préparés, des roues
dressées, des hôtes féro->s en liberté, des
feux allumés, des glaives brillants à leurs
yeux et élevés sur leur tête ; et je les vois
proposer hardiment la délivrance des chré-
tiens captifs, offrir des sommes pour leur
rançon, s'offrir eux-mêmes.
Que votre zèle est magnifique, ô premiers
rédempteurs de la Merci 1 Et l'histoire fidèle
ne doit-elle pas vous mettre à côté de ces
héros chrétiens qui bravaient les tyrans jus-
que dans les amphithéâtres, qui suivaient
avec une sainte intrépidité leurs frères au
lieu du supplice, qui les encouragaient à la
mort et les exhortaient à persévérer coura-
geusement dans la foi de Jésus-Christ ?
Non; Tripolis, Maroc, Tunis, Alger, n'a-
vaient pas 'de votre temps des rois plus
doux, plus humains que les empereurs qui
persécutèrent l'Eglise pendant les trois pre-
miers siècles; et, si le berceau de l'Eglise a éîé
arrosé du sang des martyrs, celui de l'ordre
de la Merci a été arrosé du sang des pre-
miers rédempteurs. Ce sont ces héros de
la charité, que l'Eglise offre à notre vé-
nération , qu'elle nous montre dans une
gloire éblouissante. Môles avec ces généreux
athlètes qui ont passé par de grandes tribu-
lations, qui portent de brillantes couronnes
sur leur tête et des palmes dans leurs mains,
après nous avoir parlé de leur zèle héroïque
pour la délivrance des cap-tifs, elle nous dé-
peint leurs triomphes éternels.
Il n'aupartient qu'à la religion chrétienne,
Messieurs, d'inspirer le zèle héroïque:
comme c'est dans eon sein seul que se con-
serve la vraie chant»', elle seule forme ce*
31
ORATEIRS SACRES. RALLET.
32
hommes apostoliques qui méritent notre
admiration et épuisent nos éloges. Peut-on
un apostolat plus doux, plus paisible que
celui des pharisiens? Jésus-Christ nous le
dépeint dans l'Evangile avec des traits vifs
et naturels, pour nous montrer la différence
qu'il y avait entre le sien et celui de ses dis-
ciples, qui doivent être animés de sa charité.
Ecoutons-le, Messieurs.
Une vie douce et commode à l'ombre de
quelques pratiques extérieures de religion.
Beaucoup d'indulgence pour soi, beaucoup
de sévérité pour les autres ; gémir des désor-
dres du prochain, canoniser ses coupables
attaches. Etre jaloux de passer pour des
saints, ne rien faire pour se sanctifier; exiger
la vénération du public, n'avoir que des mé-
pris affectés pour ceux qui ne sont point de
son parti. Opposer la sévérité apparente de
ses mœurs aux faiblesses et aux fragilités de
l'humanité; passer les mers pour faire des
prosélytes , demeurer dans le repos pour
goûter les fruits de son avarice ; faire gémir
longtemps les pécheurs sous de pesants far-
deaux et vivre mollement sous le poids de
ses crimes. Citer avec affectation les ancien-
nes traditions, violer sans scrupule les lois
sacrées de la charité; être l'apôtre d'un riche ,
d'une veuve, d'une famille opulente, le cen-
seur de toute la société : tel est, Messieurs,
l'apostolat des pharisiens ; sous ces traits,
nous pouvons aussi reconnaître celui de ces
hommes d'erreur et de mensonge qui , dès
la naissance de l'Eglise, ont formé des par-
tis et des sectes. Le vrai zèle ne se trouve
(pie dans la religion catholique; elle seule
a donné des apôtres et des martyrs.
Se dérober à sa patrie, renoncer aux dou-
ceurs d'une famille, entreprendre des voya-
ges pénibles; passer les mers, exposer sa
vie sur les côtes des infidèles pour aller bri-
ser les chaînes des chrétiens qui languissent
dans la captivité, c'est un zèle héroïque,
c'est celui, Messieurs, des premiers reli-
gieux de la Merci. Ne pensez pas, Mes-
sieurs, que ce zèle ait disparu avec les
grands hommes dont je viens de vous par-
ler. Nous le retrouvons dans ces hommes de
miséricorde qui vivent sous nos yeux, et
devant lesquels j'ai l'honneur de vous parler
aujourd'hui.
Ils marchent sur les traces de leurs pères
avec la même générosité. Ne les voyons-nous
pas souvent quitter cette sainte rétraite, se
séparer de leurs frères et de leurs amis ; in-
terrompre ce commerce d'étude et de science,
qui les distinguent dans la plus fameuse
école du monde et dans la république des
lettres, pour aller briser les fers des chré-
tiens? Ne les voyons-nous pas arriver avec
joie dans cette capitale de l'univers, suivis
de leurs complètes? Nous admirons
ghificence de leur zèle \uyv soutenir
de la Merci , comme nous admirons
gniûcence des rois qui le protègent.
Oui, Messieurs, Dieu veut (pie les ma-
jestés de la terre servent à l'exécution de ses
desseins , que ces puissances temporelles
la ma-
l'ordre
la ma-
soient utiles aux puissances spirituelles;
c'est pour cela qu'il leur a mis un glaive
dans les mains, qu'il les a revêtues de cette
autorité suprême, qu'elles ne tiennent que
de lui. La force, la valeur, la gloire qui les
rend grands et redoutables à leurs ennemis,
doivent les rendre utiles à la religion. C'est
par moi que les rois régnent, dit le Seigneur ;
c'estàeux à me faire régner, à étendre mon
culte et à protéger mon Eglise.
Dieu ne pouvait-il pas, Messieurs, avec
la puissance qu'il a tiré le monde du néant,
rendre tout à coup la religion chrétienne
libre et florissante, renverser les trônes et
briser les sceptres des empereurs païens qui
s'opposaient à son établissement? Son bras
est-il raccourci? ne pouvait-il pas encore
faire éclater ces prodiges de vengeances
qui ont écrasé tant de monarques impies
dans l'ancienne loi ? Tous les éléments ne
se seraient - ils pas soulevés contre ces
hommes cruels et audacieux? n'auraient-ils
pas été autant d'instruments de sa juste co-
lère.
Ne pouvait-il pas adoucir le caractère fé-
roce de ces princes barbares qui persécu-
taient ses disciples ? Ne pouvait-il pas étouf-
fer les hérésies dès leur naissance, délivrer
promptement l'Eglise de ces hérésiarques
qui l'ont troublée et affligée? Oui, Mes-
sieurs , mais il a voulu opposer des hommes
aux hommes ; et si l'esprit de ténèbres em-
ploie les méchants pour étendre son règne,
il emploie les bons pour étendre le sien. Il op-
pose aux rois cruels et impies des rois clé-
ments et religieux ; aux savants indociles et té-
méraires, des savants soumis et respectueux.
C'est lui qui les soutient dans ces combats et
qui les en fait sortir victorieux ; il leur tient
compte de leur zèle, pourvu qu'ils lui rap-
portent la gloire de leurs succès.
N'est-ce pas sur ce principe, Messieurs,
qu'il a voulu se servir
pour rendre la paix à
épouse désolée avait soutenu trois siècles
de persécutions, sans temples, sans autels;
persécutée et dans l'opprobre , le seul cou-
rage de ses enfants faisait alors sa gloire.
Elle se consolait de ses*pertes , à la vue des
couronnes et des palmes que ses martyrs
moissonnaient ; elle voyait ces zélés chré-
t;ens mourir et naître sur les échafauds, et
elle tirait sa gloire de ce qui devait l'humilier
et l'anéantir. Ce miracle était consolant et la
soutenait dans ses épreuves; mais, quand Dieu
eut suscité le grand et religieux Constantin,
elle goûta les douceurs de la paix; elle vit son
règne s'étendre sur toute la terre, elle eut
des temples et des autels ; elle rendit au
Seigneur un culte public. Ce fut dans ces
jours sereins et tranquilles, sous la protec-
tion de ce prince magnanime, qu'elle sortit
de l'obscurité et qu'elle fut couverte de
gloire.
Dieu, qui est obéi quand il commande aux
vents et aux tempêtes , pouvait faire cesser
les persécutions sans le secours de Constan-
tin ; mais il a voulu apprendre aux-rois qu'ils
se doivent à la religion, et que, connue ils
du grand Constantin
l'Eglise? Déjà cette
33
PANEGYRIQUES. — PANEG. I" , NOTRE-DAME DE LA MERCL
3i
sont les plus grands et les plus puissants, ils
doivent être aussi les premiers à prendre sa
défense contre ses ennemis; il est avec eux
quand ils sont pour lui. C'est lui qui attache
la victoire à leur char, et qui leur fait cueil-
lir des lauriers dans les combats.
N'est-ce pas sur ce principe, Messieurs,
qu'il a opposé aux hérésies naissantes et aux
hérésies accréditées, tous ces hommes célè-
bres par leur science et leurs rares talents.
Séchez vos pleurs, troupeaux désolés 1 Dieu
suscite des pasteurs zélés. Vous allez voù'
briller des lumières qui dissiperont les ténè-
bres, des docteurs de la vérité qui confon-
dront les maîtres du mensonge; la saine doc-
trine triomphera, l'erreur sera forcée de se
cacher. Les forteresses de l'orgueilleuse Jé-
richo tomberont au bruit des trompettes mys-
térieuses. L'enfer a vomi des monstres pour
vous dissiper, Dieu suscite des saints pour
vous conserver; il veut opposer l'homme à
l'homme; l'homme soutenu par sa grâce à
l'homme animé par l'orgueil.
N'est-ce pas sur ce principe, Messieurs,
que Dieu a voulu dans ces derniers temps
que Louis le Grand, cet invincible monarque,
l'homme de l'Eglise par excellence , eut la
gloire d'humilier et d'écraser dans ce royaume
l'hérésie furieuse de Luther et de Calvin,
qui avait causé tant de ravages? N'a-t-il pas
fait la joie de l'Eglise, aussi bien que la ter-
reur de ses ennemis ? Et si ses voisins mêmes
ont érigé des trophées à sa valeur, l'Eglise
n'en a-t-elle pas érigé à son zèle pour la re-
ligion? Dieu a voulu que l'Eglise eût besoin
de ces puissants protecteurs, et il en a sus-
cité dans tous les temps.
C'est enfin, Messieurs, sur ce principe que
Dieu, qui pouvait agrandir et soutenir l'or-
dre de la Merci, sans le secours de ses créa-
tures, a voulu y faire entrer l'autorité et les
libéralités des princes chrétiens : l'autorité,
pour lui ouvrir les passages et lui donner
accès auprès des princes barbares; les libé-
ralités pour négocier avec succès la déli-
vrance des captifs.
Je vais, Messieurs, vous représenter la
piété et la magnificence de plusieurs rois
pour soutenir l'ordre de la Merci. Dieu, qui
dissipe les conseils des princes, fait réussir
les projets qu'il leur inspire. Il suit le cours
ordinaire, en se servant de la force des rois
chrétiens pour réprimer la force des rois in-
humains. Il touche leurs cœurs sur l'état dé-
plorable de ces infortunés qui gémissent dans
les fers, sur l'impossibilité qu'il y a que des
religieux puissent passer par tant de pro-
vinces et de royaumes, traverser les mers,
aborder sur les "côtes des infidèles, proposer
le rachat des chrétiens à des hommes inté-
ressés, sans secours, sans autorité, sans ar-
gent ; alors on vit les rois prêter leurs forces
et donner des sommes immenses; alors on
vit des troupes braves et guerrières accom-
pagner les religieux; la cour, la noblesse,
tout voulut avoir part à la rédemption des
captifs, et on vit s'établir un ordre royal qui
subsiste avec honneur depuis plusieurs siè-
cles,
Que de faits éclatants se présentent ici,
Messieurs, a mon imagination 1 Que la cha-
rité de Jésus-Christ opère de merveilles ! Que
la piété des rois est magnifique 1
Que dirai-je du zèle du roi d'Aragon, le
premier protecteur de l'ordre? Ne prêta-t-il
pas la force de ses armes au courage àes pre-
miers chevaliers? Ne commença-t-il pas à ré-
pandre la terreur chez les Maures et les Sar-
rasins? L'habileté aveelaquelle ces nouveaux
guerriers s'emparent des côtes de la Médi-
terranée, assure le passage aux chrétiens, et
rend inutiles les courses vagabondes des pi-
rates.
Quel secours l'ordre de la Merci n'a-t-il pas
encore reçus du roi catholique? L'Es] agr:e',
plus à poitée que les autres royaumes de ces
peuples barbares, a souvent couvert la mer
de ses Hottes et les a effrayés par le tonnerre
de son canon ; alors les rédempteurs sont par-
venus avec moins de risque jusqu'aux es-
claves chrétiens, et les négociations ont été
plus faciles.
Mais je n'ai encore rien dit, Messieurs;
la protection de Louis le Grand a rendu l'or-
dre de la Merci respectable chez les barbares
mêmes.
Ce monarque, qui étendait ses victoires
au delà des mers, a humilié tous les enne-
mis du nom chrétien; Fez, Maroc, Tripoli,
Alger, Tunis, ont été abaissés et forcés de
plier sous la force de ses armes : elles n'ont
fait que briller aux yeux de ces barbare?, et
ils ont été déconcertés ; à peine ont-ils entendu
le bruit de ses bombes foudroyantes, qu'ils
ont reconnu le maître du monde? Il parlait
par la bouche des consuls, et on brisait les
chaînes des captifs. N'a-t-il pas vu, ce mo-
narque incomparable , les Algériens à ses
pieds? N'ont-ils pas traversé les mers pour
venir implorer sa clémence? Ne l'ont-ils pas
rendu l'arbitre de la rançon des captifs?
Allez avec confiance, zélés religieux de la
Merci, sous la protection du plus magnifique
et du plus invincible des monarques, négo-
cier la délivrance des chrétiens; l'ombre de
son trône vous couvrira et vous servira de
remparts contre les traits des ennemis; les
passages vous seront ouverts, vous ne cour-
rez aucun risque sur les côtes, on vous i espec-
pectera dès qu'on saura que vous êtes Fran-
çais, et ces rois inhumains, dépouillés de la
barbarie et de la férocité de leur nation, vous
recevrontahonorablement, écouteront vos of-
fres et donneront la liberté à vos frères; peu-
vent-ils trop faire pour un roi qui était de-
venu le maître de leur sort et qui les a ga-
gnés par sa clémence, dans le temps même
qu'il pouvait les perdre par sa valeur?
C'est ainsi, Messieurs, que les rois ont
soutenu avec magnificencel'ordre de laMerci;
ils se sont déclarés solennellement ses pro-
tecteurs. Il a vu croître ses lauriers à l'ombre
de leurs trônes, et les fers des captifs brisés
ont été autant de trophées érigés à la puis-
sance de leurs armes et à leur charité héroï-
que. Mais si l'ordre de la Merci avait besoin
de la protection des souverains pour éviter
les dangers des côtes , pénétrer avec sûreté
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ORATEURS SACHES. BALLET.
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dans l'Orient et jusqu'aux trônes des princes
barbares, les forcer à traiter plus humaine-
ment les rédempteurs, il avait aussi besoin des
libéralités royales pour élever des hospices
aux préfets ,' fournir aux dépenses de ces
longs voyages sur mer et sur terre , porter
des sommes assez considérables et des pré-
sents assez magnifiques pour satisfaire la cu-
pidité de ces hommes inhumains et négocier
avec succès la rédemption des captifs, et c'est
ce qu'il trouva dans les princes chrétiens
avec une sorte de magnificence. Vous dirai-
je, Messieurs, que le palais d'un roi devint
le premier hospice de cet ordre naissant; que
le zèle magnifique de Jacques d'Aragon ne
.se borna pas à des aumônes immenses, mais
qu'il s'étendit jusqu'à introduire les religieux
dans son palais.
Que dirai-je des libéralités de l'Espagne
pour la rédemption des captifs; n'ont-elles
pas été proportionnées à la grandeur et à l'o-
pulence du trône? et ses monarques ne se
sont-ils pas acquis la gloire d'avoir contri-
bué aux plus grandes rédemptions? Que les
misérables sont consolés dans un royaume
où Jésus-Christ règne 1
Vous savez, Messieurs, les libéralités de
notre auguste monarque et de sa brillante
cour. Ces aumônes magnifiques distribuées
tous les ans, sa bienveillance accordée aux
rédempteurs des ordres donnés à ses minis-
tres et à ses consuls, les assurent du succès
de leurs négociations et publient sa clémence
et son zèle.
S'il fallait, Messieurs, vous montrer des
trophées érigés au zèle du trône des Français,
pour la rédemption des captifs, vous en voyez
dans ce saint lieu; je parle dans un temple
auguste, élevé par les libéralités d'une grande
reine, dévouée de tout son cœur à l'ordre de
la Merci ; les pierres de cette maison annon-
cent la magnificence de nos rois pour l'agran-
dissement de cet ordre, et tous ces fers des
captifs brisés et suspendus, sont des précieux
monuments de leur zèle et de leur ten-
dresse.
Que serait-ce, Messieurs, si le temps me
permettait de publier ici les libéralités de
ces familles illustres, qui ont signalé leur
piété dans l'établissement de l'ordre de la
Merci, de tous ces chevaliers qui prodi-
guaient leurs biens et leur vie pour son
agrandissement? Ils ont une place honorable
dans ses annales, et leur mémoire sera tou-
jours en bénédiction; ce sont des hommes
de miséricorde qu'on n'oubliera jamais, et
nous admirons encore plus aujourd'hui dans
leurs illustres descendants, leur zèle pour la
rédemption des captifs, que le rang distin-
gué qu'ils tiennent a la cour et les places émi-
nenlcs qu'ils occupent dans l'Eglise et dans
l'Etat.
Ne croyez pas, Messieurs, que les peuples
aient négligé cette œuvre héroïque de cha-
rité. Ils ont grossi, selon leur pouvoir, les
pieuses collections que faisaient les rédemp-
teurs. Quand il s'agit d'exercer la miséri-
corde, tout chrétien doit agir. Les premiers
religieux de l'ordre de la Merci, virent
avec joie les fidèles coopérer h la rédemption
des captifs; ils faisaient d'abondantes col-
lections: on en voyait même qui donnaient
leurs héritages, leurs maisons pour servir
d'hospices aux nouveaux profès ; et, en cela,
ils suivaient les avis de saint Ambroise, de
saint Cyprien, de saint Grégoire, qui recom-
mandent aux chrétiens la délivrance des
captifs comme l'aumône la plus agréable et
un acte héroïque de charité : captives redi-
mere opus prœstantissimum.
Pourquoi, Messieurs, la charité envers les
captifs est-elle si refroidie de nos jours?
Pourquoi apprend-on comme une nouvelle
indifférente, les maux qu'ils souffrent dans
les fers? L'éloignement doit-il les effacer de
votre mémoire? La vaste étendue des mers
qui les séparent de vous n'empêche pas les
rédempteurs de pénétrer jusqu'à eux; vous
n'ignorez pas leur sort dans la captivité),
pouvez-vous y être insensibles sans être
criminels ? Je sais que les aumônes que l'on
fait avec prudence sont de précepte: mais
je sais, avec saint Grégoire, que celles que
•'on fait aux captifs doivent tenir le premier
rang, parce que c'est la plus précieuse de
toutes les aumônes : c'est un acte de cha-
rité au-dessus de tous les autres : darissi-
mum inter omnia.
Je ne viens pas aujourd'hui, vous dérober
à vos paroisses, vous détourner de ces
pieuses assemblées où, de concert avec un
pasteur, on s'applique à soulager les miser
râbles: je sais, avec l'Ecriture, que vous
aurez toujours sous vos yeux des indigents
et qu'il ne manquera jamais d'y avoir des
pauvres dans les lieux que vous habitez:
non derrunt pauperes in terra habitatiunis
tuœ. (Deut.,W.) Bien loin de vous endurcir
sur leurs misères, je vous conjure, avec tout
le zèle dont je suis capable* de tendre une
main charitable à votre fi ère qui est sous vos
yeux et qui e.st dans l'indigence :'Prœcipio
tibi , ut aperias munum tuam fratri tuo egeno
qui tecum versatur. (lbid.) Vous le devez
à la tendresse, à la religion et à l'exemple;
plus vous êtes élevés, plus vous devez édi-
fier; mais ces aumônes empêchent-elles
quelques libéralités annuelles pour la déli-
vrance des ca; t fs?
Les peuples qui ont coopéré aux premiè-
res rédemptions avec tant de générosité,
avaient les mêmes devoirs à remplir, et ils
ava:ent trop de piété pour ne pas s'en ac-
quitter exactement. Marchez donc sur leurs
tiares, confiez quelques aumônes aux zélés
religieux qui vont négocier la liberté de vos
frères ; faites passer une partie de vos cha-
rités dans l'Afrique, oour avoir part à la
première rédemption qui se fera; que les
chrétiens qui sont dans les fers, qui souf-
frent l'ennui de l'exil et souvent les tour-
ments les plus violents; dont la constance
peut être ébranlée, aient aussi quelque part
à vos charités; contribuez, aussi bien que les
fidèles qui virent l'établissement de l'ordre
de la Merci , à une œuvre héroïque; grossis-
sez les trésors que l'on porte à 'l'unis, à
Alger, à tous ces princes de l'Afrique pour
PANEGYRIQUES. — PANEG. I", NOTRE-DAME DE LA MERCI,
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la rançon des chrétiens ; brisez leurs chaînes,
vous obtiendrez des grâces pour briser les
liens de vos péchés.
Quelles paroles, Messieurs, que celles
que je viens de prononcer! y avez-vous fait
attention? Briser les liens de ses péchés,
et on emploie, pour les former, ce qui ser-
virait à briser les fers de plusieurs captifs.
Liens de société 1 On se fait honneur
d'être liés avec des personnes distinguées,
de les recevoir; que de repas, que de fêtes,
que de dépenses ! C'est une gloire d'être pro-
digue et magnifique; on ne parle pas alors
des pauvres de sa paroisse, des Lazares qui
sont sous ses yeux , comment penserait-on
à ces infortunés qui gémissent dans la cap-
tivité? On serait plus charitable si on était
moins mondain : on n'a point de superflu
quand on est magnifique. Si les riches de
cette grande ville s'examinaient, selon les
principes de la religion, que deviendraient
les prétextes qu'ils nous apportent lorsque
nous plaidons dans les chaires de vérité
la cause des misérables ? Nous serait-il dif-
ficile de prouver qu'ils sont vains ces pré-
textes qu'on nous oppose avec tant de com-
plaisance?
On veut paraître charitable, parce qu'on
rougirait de paraître insensible : on a hont'e
de paraître ce que l'on est, on veut paraître
ce que l'on n'est pas. On a toujours des
pauvres qu'on ne connaît pas, et on n'assiste
pas ceux que l'on connaît: on se retranche
sur la misère des temps, lorsqu'un pasteur
parle des besoins des pauvres de sa paroisse;
on se retranche sur les pauvres de sa pa-
roisse, lorsque nous parlons en faveur des
captifs ; on ne fait rien pour ceux qui sont
éloignés, ni pour ceux qui sont près. Nous
vous voyons toujours aussi magnifiques,
aussi somptueux ; on ne s'aperçoit pas de
la misère des temps, lorsqu'il s'agit de la
table, des parures, des ameublements, des
spectacles; on s'en aperçoit quand il s'agit
d'assister et de soulager ses frères ; que vou-
lez-vous que nous pensions de votre religion,
Messieurs? Que les liens du monde vous
ont ravi la liberté que Jésus-Christ vous a
procurée 1 Ah ! brisez-les ces liens, et vous
trouverez de quoi soulager les pauvres qui
sont sous vos yeux, et de quoi grossir les
trésors de ceux qui vont briser les liens des
captifs; la charité a des ressources.
Vous jouissez, Messieurs, de la liberté, et
vous êtes dans l'esclavage. Vous êtes libres
dans ce royaume, mais quel usage faites-
vous de voire liberté ? Vous êtes des escla-
ves du péché, mais que faites-vous pour
briser vos chaînes? Ces hommes souffrants,
dont je viens de vous parler, soupirent après
leur liberté. Ils verraient avec plaisir leur
patrie, ils iraient peut-être avec zèle dans le
saint temple; on les verrait assister aux
saints offices et fréquenter les sacrements;
et vous, parce que vous avez la liberté de
servir Dieu, vous l'oubliez. Un ciel obscurci,
ou le moindre amusement, vous empêche
de vous trouver dans l'assemblée des fidèles.
Rien de plus libre dans ce royaume que
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l'exercice de la religion : rien ufe plus né-
gligé par les fidèles; la facilite qu'on a de
nourrir la piété, l'a, pour ainsi aire, fait dis-
paraître. On n'a jamais vu les chrétiens plus
fervents que dans les persécutions et la
captivité; on ne lésa jamais vus plus lâches
et plus indifférents que dans les provinces
libres et chrétiennes. La férocité et l'aveu-
glement des rois d'Alger et de Tripoli fait
des esclaves de nos frères : pourquoi la clé-
mence et la religion de nos rois ne font-elles
que des déserteurs de la piété? Faut-il qu'il
y ait à craindre pour servir Dieu? et ne
vous souciez-vous pas d'être chrétien, parce
que vous pouvez le paraître? O aveuglement
de l'homme , d'user si mal de la liberté 1 On
ne se croit libre que lorsqu'on peut être
mondain.
Si je considère tous les catholiques cachés
dans ces royaumes voisins qui ont perdu la
foi, je les vois imiter les chrétiens de la
primitive Eglise, se cacher'dans des endroits
obscurs; suivre leurs apôtres [dans les dé-
serts, faire de pénibles voyages pour assister
au redoutable sacrifice de nos autels, écouter
rapidement des instructions simples. Les
temples, les apôtres leur manquent souvent-
ils ne manquent point aux temples ni aux
apôtres. Est-ce le défaut de liberté qui ins-
pire ce zèle? Est-ce parce que Jes temples
sont fermés aux catholiques qu'on soupire
d'y aller? Est-ce parce que les ministres
sont rares qu'on les respecte? Ah 1 s'il faut
vous défendre d'être saint, pour que vous
travailliez à le devenir, vous ne le serez ja-
mais. Vous êtes, Messieurs, si jaloux de
votre liberté, vous la faites tant valoir: n'y
a-t-il qu'en matière de religion qu'elle vous
déplaise? Si vous gémissiez depuis un nom-
bre d'années dans les fers comme les chré-
tiens sous la domination des rois barbares,
vous penseriez mieux de la liberté; mais,
parce que vous êtes libres, vous ne voulez
pas être chrétiens ; car on ne l'est que de
nom quand on n'est pas attaché à Jésus-
Christ.
Que serait-ce, Messieurs, si je vous disais
que votre liberté, j'entends celle que vous
nous vantez, n'est qu'un fantôme, et que
vous êtes véritablement des esclaves, des
esclaves volontaires du péché et du monde'
Combien qui gémissent depuis longtemps
sous le poids de leurs chaînes, que la pas-
sion tyrannise, et qui sont sous l'empire du
démon? Esclavage honteux et effrayant1
Combien qui ont perdu cette liberté qu6
Jésus -Christ nous a procurée par sa mort,
car son sang a été notre rançon : c'est à ce
prix inestimable que nous avons été rache-
tés : empli eslis pretio magno. (I Cor., VI.)
Combien d'esclaves du monde, de ses va-
nités, de ses richesses, de ses maximes, de
ses coutumes et de ses passions mêmes? Où
sont-ils cependant ceux qui font des efforts
pour briser ces chaînes de réprobation, rom-
pre ces liens criminels, secouer ce joug qui
les écrase? Ah ! des hommes dans les fers et
un esclavage passager soupirent après leur
liberté; ils arrosent le lieu de leur captivité
ORATEURS SACRES. BALLET.
de leurs larmes ; ils voient avec des trans-
ports de joie leurs libérateurs, et les chré-
tiens sous la domination du démon sont
tranquilles : semblables aux Hébreux dans
la captivité, qui envoyaient à Jérusalem por-
ter des offrandes pour offrir des sacrifices et
faire des prières, afin, disaient-ils, qu'ils vé-
cussent paisiblement à l'ombre du trône de
Nabuchodonosor et de Balthasar son fils, ils
font des vœux pour vivre tranquillement à
Lombre d'une florissante fortune, couler des
jours heureux dans les plaisirs et les agré-
ments de la vie.
Ah! Messieurs, profitez de votre liberté
pour vous sanctifier et pour sortir du hon-
teux esclavage du péché. Profitez aussi des
biens que la Providence vous a donnés pour
secourir les misérables, et surtout nos frères
qui gémissent dans la captivité; coopérez
pour quelque chose à ce grand projet que la
sainte Vierge a formé dans le ciel, et qu'elle
a confié à des hommes de miséricorde. Joi-
gnez vos aumônes aux libéralités des rois :
marchez sur les traces de ces peuples qui
ont signalé leur zèle dès les commencements.
Que la haute sainteté qui a présidé au pro-
jet touche vos cœurs; que la magnificence
qui l'a exécuté excite vos libéralités; c'est
Jésus-Christ lui-même que vous aurez fait
visiter dans les fers, et c'est lui aussi qui
vous récompensera dans l'éternité. Je vous
la souhaite. Ainsi soit-il.
PANÉGYRIQUE II.
PREMIER
PANEGYRIQUE DE
DE PAUL,
SAINT VINCENT
Prononcé le jour de sa fête, dans V église pa-
roissiale de Notre-Dame . à Versailles , en
1741.
Natus est homo rector fratrum stabilimenlum populi.
(Eccli., XL1X.)
Dieu l'a donné au monde pour être le modèle de ses frè-
res, el la ressource des peuples dans les misères publi-
ques.
C'est avec ces expressions magnifiques que
le Sage fait l'éloge d'un héros qui répandit
dans sa famille l'odeur des plus sublimes
vertus, qui brilla à la cour des rois par la sa-
gesse du gouvernement, et qui conserva
dans des temps de famine la vie d'une mul-
titude de mortels. Modèle de vertu au mi-
lieu de ses frères, sage ministre dans un
royaume florissant, père tendre dans les be-
soins des peuples. Voilà les titres pompeux
qui conviennent au patriarche Joseph, et que
le Saint-Esprit lui donne dans l'éloge qu'il
lui consacre. Sa vertu lui donna du crédit
auprès des monarques, et sa charité lui fit
employer son crédit pour le soulagement
des misérables. Il fut le modèle de ses frè-
res, et la ressource des peuples affligés : Na-
tits est homo rector fratrum, stabiiimentum
populi.
Ces grands traits, Messieurs, ne vous ont-
ils pas déjà donné une juste idée de cet
homme rare et précieux, de Vincent de Paul,
dont j'entreprends aujourd'hui l'éloge? Quel
honneur pour mot de publier les vertus d'un
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saint que la France a possédé après les pre-
miers essais de son zèle, dont le culte s'éta-
blit avec tant de rapidité et de magnificence ;
d'un saint qui a été le père des pauvres,
l'apôtre des campagnes, l'ornement du clergé,
le conseil des rois, l'édification de la cour, le
défenseur de la foi orthodoxe , l'oracle de
son siècle.
Jetez, Messieurs, les yeux sur l'histoire
de nos jours, elle immortalise son héroïque
vertu. Portez vos regards sur tous ces établis-
sements qui vous édifient, ils sont autant de
trophées érigés à sa charité ; suivez dans les
campagnes ces ouvriers évangéliques ; ils
perpétuent son zèle : ces terres sèches et
arides ont louché son cœur, et ces nuées
bienfaisantes qui vont les arroser volent en-
core sous ses ordres clans ces climats loin-
tains et négligés : rappelez-vous ces orages
qui se formaient de son temps, et les pièges
que l'on tendait à sa foi , le théâtre de la cour
et le tumulte de la ville, ce qu'une grande
reine attendait de lui dans la minorité du
plus grand de tous les rois, l'application
que demandait sa congrégation naissante.
Admirez un homme que l'on vit souvent avec
les évoques travailler à l'embellissement et
à la régularité du clergé, et presque toujours
avec les pauvres pour sécher leurs pleurs, et
adoucir leurs misères. Tout n'atteste-t-il pas,
Messieurs, cette haute sainteté que je viens
annoncer, et que l'Eglise romaine vient de
constater? J'aurai lieu de vous la dévelop-
per en suivant le plan de son éloge que
voici.
Vincent de Paul suscité de Dieu pour être,
par sa charité, la ressource des peuples dans
les misères publiques : Natus est homo stabi-
iimentum populi.
Vincent de Paul suscité de Dieu pour être
ie modèle de ses frères dans un ministère
saint et redoutable : Natus est homo rector
fratrum. — Ave, Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
Je vais exposer à vos yeux, Messieurs, des
merveilles de la charité, un homme qui
sans naissance, sans richesses, devient la
ressource des peuples affligés ; ces merveil-
les vous étonneront sans doute.
Des" milliers de pauvres nourris, des pro-
vinces entières soulagées, des édifices éle-
vés dans plusieurs villes du royaume , pour
servir d'asile à toutes les misères publiques,
tout cela vous paraît peut-être une exagéra-
tion, ou un de ces ornements de l'éloquence.
Vous vous rappelez l'obscurité de sa nais-
sance. La charité séparée de l'opulence ne
peut que compatir; il n'appartient qu'aux
grands de faire de grandes libéralités et de
les perpétuer; il n'appartient qu'à un roi
d'être magnifique dans ses aumônes. La cha-
rité du pauvre ne peut que pousser des sou-
pirs et former des désirs; je le sais, mes-
sieurs, et je n'attribuerai rien à mon héros
qui ne lui convienne. Mais quand un pau-
vre, par une sainteté reconnue, éprouvée, a
mérité l'estime des grands et la confiance
a
PANEGYRIQUES. - PANEG.
même du prince, que ne peut point sa cha-
nté!
Le Sage loue dans Joseph une charité
abondante, quoiqu'il ne fût que l'économe des
biens de Pharaon. Sa sagesse prévit les ca-
lamités futures qui*menaçaient l'Egypte ; sa
vertu lui mérita l'estime du prince; il fut le
distributeur de ses libéralités; ses aumônes,
comme un grand fleuve, coulèrent dans les
provinces les plus éloignées; sa charité éclata
avec magnificence; il fut le sauveur de sa
famille, et l'Esprit-Saint nous assure que la
Providence l'avait suscité pour être la res-
source des peuples dans un temps de famine:
ie Seigneur ne le rend point opulent, mais il
le fait aimer du prince.
Sans les libéralités royales, Vincent de
Paul n'aurait jamais pu, je l'avoue, soulager
toutes les misères de son temps; mais aussi
sans Vincent de Paul , toutes les misères des
villes et des campagnes n'auraient peut-être
pas touché le cœurdes grands. Qui jamais leur
en fit des peintures plus viveset plus touchan-
tes? Or c'est dans ce sens, Messieurs, j'ose
le dire, que Vincent de Paul fut la ressource
des peuples affligés dans le dernier siècle.
Après avoir répandu dans le cœur des rois
et des grands quelques étincelles de cette
charité'qui le consumait, il en fit des hom-
mes de miséricorde; il distribua leurs libé-
ralités dans ce royaume, mais avec tant de
tendresse, de prudence et de magnificence,
que sa mémoire sera en vénération à tous les
bons cœurs. Tant qu'on admirera les monu-
ments de la piété de nos rois, on admirera
les fruits de la charité de Vincent. De son
temps, les pauvres ont été consolés avec la
tendresse d'un père; les besoins distingués
avec la prudence d'un politique; les aumônes
distribuées avec la magnificence d'un roi.
N'est-ce pas !à, Messieurs, être l'homme du
peuple, sa ressource, son appui? Natus est
homo slabilimentum populi.
Je vois, Messieurs, les honneurs et les plai-
sirs fondre dans la maison du riche; on le
loue, on l'amuse ; dès qu'il est dans la dou-
leur, toutes les bouches s'ouvrent pour le
plaindre, des mains officieuses vont promp-
tement essuyer ses pleurs ; il pénètre avec
facilité jusqu'au trône des rois; son opu-
lence lève tous les obstacles; heureux quand
elle n'amollit point les arbitres de nosfortunes:
pendant que le pauvre, dans une affreuse
solitude, sous les tristes débrisd'une sombre
retraite, est consumé, desséché par la mi-
sère, sans appui, sans consolation : Dum su-
perbit impius incenditur pauper. (Psal. X.)
Pourquoi, Messieurs, les richesses met-
tent-elles cette différence chezles humains?
Voici le mystère : C'est qu'on n'aime point
la pauvreté, on rougit des livrées de Jésus-
Christ ; c'est que l'homme de miséricorde
est rare; il a paru dans le dernier siècle, et
il a disparu. Il était réservé à Vincent de
Paul de nous apprendre l'art de consoler tous
les misérables , en s'appliquant à découvrir
toutes les misères.
Misères de campagnes qu'on ne rougit
point d'ignorer chez les grands; ils jettent
Orateurs sacrés, L.
II, SAINT VINCENT DE PAUL. il
des yeux indifférents sur des terres cultivées,
arrosées des sueurs d'un peuple laborieux,
avides de recueillir un ample domaine pour
le dissiper dans une molle oisiveté et une
criminelle prodigalité; peu en peine que
leurs habitants soient nourris dans la santé,
ou soignés dans la maladie, ils ne chérissent
de. la campagne que les revenus ou leurs
voluptueuses maisons. Cette misère toucha
le cœur de Vincent de Paul, il parcourut les
bourgs et les villages, il laissa partout des
traces de sa charité ; elles ne s'effaceront point,
vous le savez, Messieurs, tant que sa congré-
gation subsistera.
Misère de ces familles commodes en appa-
rence et dévorées en secret par le chagrin t
sa charité la découvre, il perce à travers ces
débris de grandeur qui les environne, pénètre
tous ces mystères de pauvreté qu'on s'efforce
de dérober aux yeux du monde quand on est
nouvellement déchu; et sans ternir par une
aumône fastueuse l'éclat qui cache encore
ces décadences humiliantes, il fait couler
l'abondance dans les mains de ces riches mal
aisés.
Misère de certaines vierges 'Ses entrailles
sont émues à la vue des dangers qui les en-
vironnent; déjà il n'aperçoit plus qu'une
chasteté mourante, hi pauvreté va être le
tombeau de leur innocence; trop faibles pour
soutenir les peines de l'indigence, elles ont
assez de fermeté pour soutenir la honte d'un
commerce criminel ; l'abîme est creusé, l'en-
nemi l'a couvert de fleurs, elles y courent
aveuglément. Mais Vincent de Paul tend
une main charitable à ces vierges chance-
lantes et leur donne, pou<r persévérer dans
la vertu, ce que des corrupteurs leur offraient
pour les faire tomber dans le crime.
Misère des veuves et des orphelins : en
proie souvent à toute la chicane du barreau,
ils languissent des années entières à la porte
des juges; ils sont pauvres avec de grands
biens, rebutés avec le bon droit, et quelque-
fois réduits à l'indigence de ceux qui se sont
enrichis de leurs dépouilles. Vincent devient
leur protecteur et leur avocat; d'une main il
sèche leurs pleurs , et de l'autre il brise les
liens qui les tiennent dans l'oppression.
Misère des malades : quel nouveau spec-
tacle se présente ici à mes yeux ! La santé est
le trésor du pauvre; il prête ses bras aux
travaux publics; les terres sont cultivées,
les maîtres du monde sont servis, les emplois
les plus bas et les plus humiliants sont rem-
plis ; il mange un pain de sueurs, il coule
ses jours dans l'obscurité. Dieu a mis cette
différence pour l'harmonie du monde; res-
pectons-la, Messieurs ; mais ce pauvre, faible,
infirme, étendu sur un lit de douleur, doit-il
être abandonné? Je le demande aux riches
du siècle, qui appellent souvent les acci-
dents de la mort par des soins excessifs de
leur santé; ou plutôt je le demande à Vin-
cent de Paul, cet homme que la charité anime,
sa conduite nous instruit.
Son cœur est touché, Messieurs , de l'état
déplorable de tant de pauvres répandus dans
les villes et dans les campagnes, qui ne sont
43
ORATEURS SACRES. BALLET.
41
quelquefois ni soignés, ni visité^ dans !a
maladie; les ressources de l'art et des ali-
ments convenables prolongeraient souvent
leurs jours ; ils entreprend de les leur pro-
curer. Déjà comme un autre Paul , il t'ait de
pieuses collections.
Vous le montrerai-je à la tête de ces dames
illustres qui coopéraient à son zèle et dont
la mémoire sera en bénédiction dans la pos-
térité la plus reculée? Dans ces vénérables
assemblées, on y plaide la cause des pauvres
malades, on y trace le plan de celte fameuse
congrégation qui fait la gloire de la religion
la consolation de l'Eglise.
Dans quel royaume, Messieurs, dans quelle
province, dans quelle ville, dans quel bourg,
dans quel village ne voit-on pas paraître des
hospices pour ces chères filles de Vincent
consacrées au service des malades? Quel
soulagement ne procurent-elles pas aux in-
firmes par leurs talents? De quelle utilité ne
sont-elles pas à la jeunesse par leurs instruc-
tions? Quels exemples ne donnent-elles pas
par leurs vertus? Soumises à un pasteur,
elles font sa consolation et participent en
quelque sorte à ses travaux.
Ce serait ici le lieu, mes chères sœurs, de
louer vos charitables occupations et le mé-
rite de votre consécration; mais le Sauveur
lui-môme doit être votre panégyriste. C'est
au dernier jour du monde et à la face de
toutes les nations assemblées, qu'il doit faire
solennellement votre éloge; il vous adres-
sera ces paroles touchantes : J'étais infirme,
et vous m'avez visité : Infirmus eram, et vi-
sitastis me. (Matth., XXV.)
Misère des criminels : la justice humaine,
dépositaire de la vengeance publique, les
charge de fers, les enferme dans des cachots
obscurs, les réserve quelque temps pour
s'assurer de leurs crimes et leur faire ensuite
souffrir un. supplice proportionné. Vincent
de Paul obtient la permission de les faire
visiter par les coopérateurs de sa charité; il
les visite lui-même, il arrose leurs chaînes
de ses larmes, adoucit leur pénitence par
ses aumônes, dissipe leurs ténèbres par de
lumineuses exhortations et en fait des crimi-
nels pénitents qui meurent en embrassant
amoureusement la croix du Sauveur.
Misère enfin des étrangers : il y a des
cœurs tendres, qui sont touchés de tous les
maux qui naissent sous leurs yeux, mais il
était réservé au cœur de Vincent de Paul
d'être touché de toutes les misères, sans en
excepter une seule. Semblable au soleil qui
se lève sur tous les mortels, ou à ces pluies
bienfaisantes qui tombent également sur les
terres du nord comme sur celles du midi;
Vincent étend sa charité dans toutes le villes,
dans toutes les provinces, dans tous les em-
pires. Les maux qui affligent le nouveau
monde, les Turcs et les Barbares, le touchent
comme ceux qu'il voit sous ses yeux. Il en-
yoie des aumônes dans ces climats éloignés
et adoucit les peines de ces étrangers misé-
rables. C'était l'homme de tous les peuples,
et surtout des peuples affligés , un homme
universel en matière de chanté.
Si un juste ancien disait au Seigneur qu'il
était le j ère ûas pauvres : Pater eram paa~
perum (Job, XXIX) , qui jamais a pu tenir
ce langage avec plus de justice que Vincent
de Paul, qui essuya les larmes de tous les
affligés, qui consola tous les misérables avec
la tendresse d'un père, et distingua leurs
besoins avec la prudence a'un politique?
Quand je dis, Messieurs, que Vincent de
Paul s'est appliqué à distinguer les besoins
des pauvres avec la prudence d'un politique,
je parle d'un homme privé, d'un saint que
le nom seul de pauvreté attendrissait. Je dis
qu'il s'est appliqué à distinguer les besoins
des pauvres avec autant de prudence que
les politiques s'appliquent à connaître les
maux d'un état, pour y remédier prompte-
ment. Je parle d'après le Saint-Esprit, qui,
dans ce sens, veut que l'homme de miséri-
corde soit un homme de politique.
Heureux, dit l'Esprit-Saint, non pas pré-
cisément celui qui fait l'aumône, mais celui
qui la fait avec prudence, qui distingue les
besoins du pauvre pour y proportionner ses
charités : Beatus 'qui intelligit super egenum
(Psal. XL) ; or cet homme de miséricorde,
dont la prudence égale la plus fine politiq; e
des maîtres du monde, c'est Vincent ce
Paul ; vous allez en convenir, Messieurs.
Il y a des aumônes inutiles ; ce sont celles
que l'on fait à ces prodigues criminels, à ces
hommes de débauche, qui, après avoir dis-
sipé leur patrimoine , dissiperaient encore
celui des pauvres ;"qui ruineraient les fonds
des charités publiques après avoir ruiné
leur famille, et cpi'on ne cesserait jamais
d'assister, parce qu'ils ne cessent point leur
honteuse dissipation. Vincent de Paul dis-
tingua ces prodigues, ils n'eurent point de
part à ses aumônes, mais ils eurent une
place dans son cœur et à sa table; il les re-
çut, et leur procura les secours les plus pro-
pres à les toucher et à les corriger.
11 y a des aumônes de caprice : on suit
souvent le penchant de l'humeur, et non pas
l'attrait de la misère ; on assiste une per-
sonne qui plaît, qui est recommandée; iî
faut souvent que les manières du pauvre en-
gagent, parce que la pauvreté ne détermine
pas toujours ; on s'attache à un endroit , à
une personne, à une famille, à une commu-
nauté; ce n'est pas la plus grande nécessité
qui décide, c'est souvent le goût, le caprice.
Or on ne vit point dans les aumônes deVin-
cent de Paul de ces caprices, de ces saillies
d'humeur, de ces prédilections qui désho-
norent les charités "publiques. Comme ila
seule misère le déterminait, il ne voulut ja-
mais faire sortir personne de sa médiocrité
aux dépens ôes libéralités des grands; de là
le refus qu'il fit d'assister sa famille, parce
qu'elle avait , disait-il', de quoi fournir au
nécessaire d'une vie champêtre et rustique,
à laquelle elle devait être accoutumée. Et
quelques instances qu'on lui fit à la cour
et à la ville, il ne voulut jamais consentir à
l'élévation de ses parents.
Aumônes onéreuses à la république ; éle-
ver des asiles, des hospices sans ronds suf-
45 PANEGYRIQUES.
fixants et solides, former, comme cet homme
de l'Evangile, de grands projets sans penser
aux dépenses de l'exécution, compter sur ce
que son zèle peut faire, et attendre ïe reste
de la postérité; c'est imprudence, c'est té-
mérité. A moins, Messieurs, que le ciel ne
se déclare hautement, .comme il a fait à la
naissance de ces illustres pauvres qui for-
ment ces ordres si florissants dans l'Eglise ;
la divine Providence a justifié l'entreprise
de leurs saints instituteurs. Pour Vincent
de Paul, quelqu'étendue que fût sa charité,
il lui donna des bornes et des limites : la
prudence la régla. Son cœur généreux for-
ma des entreprises, mais il n'exécuta rien
sans l'agrément du prince. Sa charité parlait
toujours dans le conseil, mais pour expo-
ser ses projets, et solliciter les libéralités de
la cour. Nous sommes redevables à la cha-
rité de Vincent, de plusieurs établissements
que nous voyons dans la capitale du monde
et dans le royaume ; mais nous sommes re-
devables aussi au pieux monarque qui les a
dotés et enrichis; de sorte que ces. asiles sa-
crés, marqués au coin de la charité de Vin-
cent, et des libéralités royales, sont posés
sur des fondements aussi durables que ceux
de cette tlorissante monarchie.
Il y a des aumônes funestes à la vérité :
si la misère fait quelque fois chanceler la
vertu, elle fait aussi souvent chanceler la
foi ; l'éclat de l'or a fait succomber la sagesse
des vierges; les apj âts d'une vie commode
et aisée ont causé de honteuses apostasies.
S'il n'y avait pas de retraites si douces hors
de l'arche, on n'aurait pas vu dans tous les
siècles tant de colombes fugitives.
Que de fameux exemples ne nous fournit
pas l'origénisme, l'arianisme, le luthéranis-
me et le calvinisme? Que de collections se-
crètes ne se faisait-il pas dans ces partis
schismatiques?
L'illustre Mélanie, cette femme recom-
mandable par tant de vertus, à qui saint Au-
gustin a rendu de si grands honneurs quand
elle fut revenue de ses préventions, et dont
la mémoire est en vénération dans l'Eglise,
ne faisait-elle pas, sans le savoir, de ces au-
mônes funestes à la vérité? Ne la vit-on pas
parcourir avec le célèbre Rufin les déserts
de l'Egypte, visiter les monastères et les so-
litaires? elle leur distribuait des aumônes,
et Rufin les engageait dans l'origénisme.
L'arianisme, le luthéranisme, le calvinis-
me, n'ont-ils pas présenté les mêmes appâts
à ceux qu'ils voulaient engager ou retenir
dans leur parti? N'est-ce pas cette charité
artificieuse qu'on a élevée si haut dans les
éloges qu'on leur prodiguait, et qu'on oppo
sait aux catholiques?
Vincent de Paul étendit ses aumônes jus-
que chez les protestants, parce que sa pru-
dence distingua leurs besoins ; ce n'était
point des appâts qu'il leur présentait , mais
des secours réels ; il savait que ces secours
ne devaient pas être le motif de leur retour
à l'Eglise, mais les promesses qui la ren-
dent infaillible. C'est ainsi qu'il se distin-
gua de ces sectes, en ne resserrant point
PANEG. II, SAINT VINCENT DE PAUL.
Itî
sa charité dans le seul parti des catholiques;
l'attrait seul de la misère le déterminait, et
ta prudence lui faisait découvrir celle qui
demandait des secours prompts.
Avec quel zèle ne représenla-t-il point au
conseil royal les besoins des catholiques d'Ir-
lande ?
Ces ministres orthodoxes, si fermes au
milieu des ennemis du Saint-Siège, persé-
cutés par ceux qui avaient autrefois donné
tant d'éloges aux souverains pontifes, se
trouvent dans la nécessité, sans secours; ils
s'adressent à Vincent de Paul : Vincent s'a-
dresse au monarque; et si le monarque, à
cause des pressants besoins de l'Etat, le re-
fusa pour cette fois, il ne put s'empêcher,
aussi bien que son conseil, de louer le zèle
de Vincent de Paul pour la subsistance des
ministres catholiques.
C'est ainsi , Messieurs , que sa prudence
lui fit distinguer les besoins des Erançais et
des étrangers; elle en fit un héros de la cha-
rité, qui se conduisit dans >a république des
pauvres, avec autant de sagesse que les po-
litiques dans le gouvernement des Etats ;
aussi sa charité eut-elle de grands succès,
puisqu'on vit dans ses aumônes toute la ma-
gnificence d'un roi.
Ne croyez pas, Messieurs, que je passe
sous silence les libéralités des rois ,' pour
rehausser la charité de Vincent; que j'attri-
bue à lui seul l'établissement de ces hôpi-
taux qui méritent encore l'admiration et les
applaudissements des étrangers. Ces projets,
tout vastes qu'ils étaient , ne l'étaient pas
trop pour son grand cœur; mais il fallait les
aumônes des rois pour les exécuter.
Les ordres si florissants dans l'Eglise,
dont le domaine égale celui de certains sou-
verains, doivent leur établissement et leur
agrandissement à la piété de leurs pères et
aux libéralités des princes.
Ces'célèbros asiles des pauvres que vous
voyez dans la capitale du monde et dans les
lus grandes villes de ce royaume , doivent
eur naissance à la charité de Vincent de
Paul, et les grands biens qu'ils possèdent,
aux libéralités de nos monarques. Le nom
de Vincent et celui de nos rois seront à ja-
mais gravés dans tous les bons cœurs.
Ces sanctuaires où Jésus-Christ est reçu
tous les fours dans la personne des pauvres,
font briller à nos yeux la charité de Vincent
et la magnificenr.e royale": Sanctimonia et
ïixagnificentia.
Prévenus ainsi, Messieurs, comme il con-
venait, vous ne regarderez point comme une
fiction ou commede simples traits d'éloquence
ce que j'ai encore à vous raconter des charités
de Vincpnt de Paul. Vous ne serez pas éton-
nés, quand je vous dirai qu'on voit en peu
de temps paraître des hôpitaux à Paris et à
Marseille, pour servir d'asiles à ces infor-
tunés que le crime a rendus coupables, et
que la misère rend dignes de compassion.
Vincent les avait vus dans leurs fers, il les
avait arros<és de ses larmes; mais il les avait
vus sans auspices, sans secours dans leurs
maladies, sans instructions ; il n'en fallut
i;
47
ORATEURS SACRES. BALLET.
«
pas davantage pour toucher son cœur, for-
mer des projets de tendresse et solliciter en
leur faveur des adoucissements ; il était ai-
mé et respecté des grands ; bientôt, à sa sol-
licitation, le cardinal de Richelieu procura
un asile aux forçats. Ils auront des épouses
de Jésus-Christ pour les servir dans l'infir-
mité, des missionnaires zélés pour les exhor-
ter à la sainteté ; et Louis le Grand, cet in-
vincible monarque , s'en déclara hautement
le protecteur ; c'est ainsi que la magnifi-
cence royale se joint à la charité de Vincent
de Paul : Sanctimonia et magnifie entia.
Parlerai-je, Messieurs, de ces jours d'amer-
tume pour tous les bons coeurs? Ci n'est
point la voix de Rachel qui se fait entendre
dans toutes les rues de la capitale du monde ;
ce ne sont point des mères désolées qui font
retentir l'air de leurs cris lamentables, qui
pleurent la perte de leurs enfants; ce sont
de tendres enfants, exposés dans les rues, qui
pleurent la perte de 'ours mères, qui deman-
dent par leurs cris innocents le lait qu'elles
leur refusent, et qui semblent parleurs larmes
être les prophètes de leurs malheurs futurs.
La honte, que le démon ravit avant le crime
et qu'il a soin de restituer aussitôt qu'il est
commis; les excès de la misère, souvent sui-
vis du désespoir, multiplient tous les jours
le nombre de ces enfants infortunés. Expo-
sés aux injures du temps, les uns meurent
en commençant de vivre, et les autres ne
semblent échapper à la mort que pour servir
à la cupidité des hommes, quelquefois aux
brutales passions de la volupté.
Ce triste spectacle saisit le cœur de Vin-
cent, il est plongé dans l'amertume; la dou-
leur et le saisissement le suivent partout ;
nul objet ne le peut dissiper, tant qu'il verra
ces enfants exposés aux horreurs de la mort .
Noluit consolari. (Matth., IL)
Déjà il forme le grand projet de les déro-
ber aux malheurs qui les menacent. Les obs-
tacles ne le rebutent point, les dépenses ex-
cessives qu'il faudra faire ne l'effrayent pas.
11 assemble de vertueuses dames, procure
un hospice, et jette les premiers fondements
de ces fameux asiles qui sont aujourd'hui
l'honneur de la religion et la gloire de ce
royaume.
S'il fallait, Messieurs, la charité .de Vin-
cent pour former de si grands projets et en
entreprendre l'exécution, il fallait les libéra-
lités du prince pour les doter, les enrichir,
et perpétuer les dépenses. Les pierres de
ce's édifices annonceront aux races futures la
charité de Vincent et la magnificence royale :
Sanctimonia et magnificentia.
Ne vous lassez point, Messieurs. Charité
magnifique, et qui semble plutôt partir de
la main d'un monarque que de celle d'un
homme privé : telle fut celle de Vincent de
Paul. Pour vous en convaincre, rappelez-
vous les ravages que causèrent les guerres
de son temps dans la Lorraine, la Champagne
et la Picardie. Les horreurs de ce fléau re-
doutable sont-elles des images qu'on puisse
vous représenter sans douleur? Et parce que,
sous un gouvernement doux et paisible, où
préside la sagesse avec la clémence, nos fa-
milles coulent des jours tranquilles , celle
peinture nous serait-elle indifférente?
Les horreurs de la guerre offrent le spec-
tacle le plus touchant : la famine dépeuple
les villes et les campagnes ; les hommes, plus
semblables à des spectres qu'à des vivants,
marchent environnés des ombres de la mort ;
on ne saurait suffire à creuser des tombeaux ;
des mères, comme au siège de Jérusalem,
le dépit dans le cœur, le désespoir dans les
yeux , mangent leurs enfants ; les vierges
sont exposées à la brutalité du soldat; les
religieuses n'ont point d'autre ressource que
de rompre leur clôture et prendre la fuite.
Dans ces tristes circonstances, [on est irré-
solu, on suspend ces excès jusqu'à ce qu'on
ail consulté Vincent de Paul, l'homme de
miséricorde. Il est la ressource, comme vous
le voyez, Messieurs, de plusieurs provinces
affligées : examinez avec quelle magnificence
et quelle promptitude il les secourt.
Il n'a pas plus tôt appris ces misères pu-
bliques, que, semblable à un grand fleuve
qui s'étend partout pour y porter l'abon-
dance, il pénètre dans la Lorraine, la Cham-
pagne et la Picardie. On y porte des pro-
visions et des sommes considérables; ses
commissionnaires font dix-huit voyages en
peu de temps ; ils bravent les ennemis vic-
torieux, ils percent à travers les armées ré-
pandues partout pour porter aux affligés les
aumônes de Vincent. La famine disparait,
les peuples sont soulagés, les vierges sont
en sûreté, la noblesse sort d'une indigence
honteuse. Un roi, Messieurs, secourt-il ses
voisins avec plus de promptitude et de ma-
gnificence? Sanctimonia et magnificentia.
Admirez ici, Messieurs, la sagesse, la puis-
sance de notre Dieu; voyez ceux qu'il choi-
sit pour être la ressource et l'appui des pro-
vinces, des royaumes, des empires. A-t-il
choisi des braves pour délivrer Béthulie des
superbes Assyriens? A-t-il opposé aux mo-
narques impies d'Israël des nommes armés
de foudres ou environnés de la grandeur
du siècle? A-t-il envoyé des hommes savants,
opulents pour détruire le paganisme et con-
fondre l'orgueil des philosophes? A-t-il sus-
cité des grands, des puissants du monde
pour secourir les peuples affligés dans le
dernier siècle, pour préparer nés asiles à
toutes les misères? Non, Messieurs, il a
choisi Vincent de Paul , dont la na ssance
était obscure et la fortune médiocre; il a
allumé dans son cœur le feu de la charité; il
a disposé les monarques, les grands et les
riches à l'écouter ; il a donné de l'onction à
ses paroles. Cet homme de miséricorde a été
aimé, désiré et respecté dans la plus brillante
cour de l'Europe; il a eu du crédit, et il a
emptoyé son crédit pour faire revivre la ten-
dresse et la charité de l'Eglise naissante :
ses aumônes furent magnifiques, parce qu'il
disposa du cœur des grands.: Sanctimonia et
magnificentia.
N'ai-je pas eu raison, Messieurs, de vous
dire que Dieu avait suscité Vincent de Panl
pour être par sa charité la ressource des
PANEGYRIQUES. - PANEG. Il, SAINT VINCENT DE PAUL.
49
j euples dans les misères publiques : Natus,
est homo stabilimentum populi? il l'a suscité
aussi pour être par ses raies vertus le mo-
dèle de ses frères dans un ministère saint et
redoutable : Natus est homo reclor fralrum.
SECONDE PARTIE.
Quelle consolation pour l'Eglise, Messieurs,
quand elle a des ministres qui soutiennent
la dignité du sacerdoce 1 Quelle gloire quand
elle en a d'assez parfaits pour servir de mo-
dèle à ceux qui veulent se sanctifier et lui
être utiles 1
Le sacerdoce a fait trembler les plus grands
saints; les bommes de miracle et de sainteté
l'ont regardé avec frayeur; de brillantes lu-
mières se sont cachées sous le boisseau; les
plus saints sont ceux qui en conçoivent une
plus juste idée. L'innocence des mœiu's ne
les rassure point : plus ils approchent de la
pureté des anges, plus ce fardeau leur pa-
rait redoutable; et s'il se trouve des Ozas
téméraires qui approchent de l'arche sans
un ordre exprès, on trouve encore des Jéré-
mies qui se trouvent indignes d'annoncer les
ordres du Très-Haut. L'Eglise, dans tous les
temps, a blâmé la témérité des uns et donné
des éloges à la timidité des autres.
Quelle sainteté, quelle zèle, quelle foi,
quels talents n'a-t-elle pas exigés et n'exige-
t-elle pas encore de ceux qui se disposent à
recevoir ce caractère sublime ?
Vous le savez, mondains qui m'écoutez,
vous vous faites une loi d'ignorer les de-
voirs d'un chrétien et un plaisir secret de sa-
voir ceux d'un prêtre; vous savez que nous
devons vivre comme, des anges, mais yous ne
savez pas que vous devez vivre comme des
saints; vous nous renvoyez aux obligations
que nous impose notre caractère et vous ne
vous rappelez jamais les obligations de vo-
tre baptême; vous pénétrez avec malignité
dans le sanctuaire pour y découvrir les ta-
ches de ses ministres, vous ne rentrez ja-
mais en vous-mêmes pour y découvrir je
principe de ces habitudes qui vous damnent;
vous vous déclarez les censeurs des prêtres
qui n'ont pas l'esprit de leur état, vous ne
voulez pas être les imitateurs de ceux qui
l'honorent par leurs vertus; vous publiez
aveccomplaisance les égarements de quel-
ques-uns, vous ne parlez jamais des vertus
et des talents de tous les autres.
N'y a-t-il plus de saints prêtres, de savants
ministres, d'hommes apostolique s ? Direz-
vous dans un autre sens que le Prophète,
qu'il n'y a plus de saints dans l'Eglise? Dé-
ficit sanctus (Psal. XI) : direz-vous qu'il n'y
a plus de bon grain parmi l'ivraie, ou bien
appliquerez-vous au corps les défauts d'un
particulier? Le sacerdoce ne mérite-t-il plus
vos respects, parce que quelques-uns le
déshonorent? Un ministre qui s'avilit doit-il
faire tomber l'état ecclésiastique dans l'avi-
lissement? S'il se trouve un ange rebelle
dans le ciel terrestre, un Judas dans cette
foule d'hommes apostoliques , n'êtes-vous
pas coupables de penser de même des au-
tres? Que serajt-ce, censeurs audacieux des
30
oints du Seigneur, si nous portions le mémo
jugement des autres états du monde? Y en
a-t-il un seul où le vice ne se soit introduit?
et si les égarements d'un particulier avaient
pu le déshonorer, seriez-vous vous-mêmes à
couvert des reproches que vous nous faites ? (
Avouez donc, Messieurs, que si la religion'
seule excitait votre zèle, il serait plus doux,
plus respectueux, plus charitable.
Je viens exposer aujourd'hui à vos yeux
un prêtre que Dieu a suscité dans ces der-
niers temps pour servir de modèle aux au-
tres, qui a eu des imitateurs de ses vertus,
des coopérateurs de son zèle, des succes-
seurs de sa charité; c'est Vincent de Paul.
Dieu a fait passer sur nos contrées cette
nuée bienfaisante, pour fertiliser îe champ
du père de famille et répandre dans tous les
cœurs les eaux de la grâce, i! a suscité cet
"nomme admirable pour édifier la cour par
son humilité, consoler l'Eglise par son at-
tachement > étendre ses conquêtes par son
zèle : ce sont ces vertus, Messieurs, que
Vincent de Paul porta jusqu'à l'héroïsme.
Son humilité résista aux plus grands hon-
neurs et aux plus rudes épreuves ; son
attachement inviolable à l'Eglise résista
aux plus dangereux artifices et aux circon-
stances les plus délicates; son zèle pour le
salut du prochain résista aux fonctions
les plus pénibles, et à l'apostolat le plus
difficile.
Heureux les ministres de Jésus-Christ qui
l'ont copié; heureux ceux qui sont aujour-
d'hui ses imitateurs : c'est pour nous servir
de modèle que Dieu l'a suscité : Natus esi
homo rector fralrum.
Je ne vois point de vertu que Jésus-Christ
ait plus souvent et plus fortement recom-
mandée à ses apôtres que l'humilité. 11
leur prédit les plus grands succès, il leur
donne une sagesse à laquelle celle du pa-
ganisme ne saurait résister; une onction,
une éloquence qui touchent tous les cœurs
et attachent les maîtres du monde à leur
char; une puissance qui remplit la terre de
prodiges; un zèle qui soutient le plus péni-
ble apostolat; un courage qui affronte les
plus grand périls; une autorité, un ascen-
dant qui triomphent de tous les préjugés des
empereurs.
Qui croirait, Messieurs, qu'après tant de
vertus, tant de travaux, tant de miracles,
tant de succès, il leur fût défendu de se
regarder comme des hommes utiles? c'est
cependant l'oracle de leur divin maître : le
monde les regarde avec raison comme des
hommes extraordinaires, des hommes di?
vins; on veut même rendre un culte su*
prême à Paul et à Barnabe, mais ils se res-
souviennent de la leçon de Jésus-Christ
et ils disent hautement : nous sommes des
serviteurs inutiles : servi inutiles sumus.
(Luc, XVII.)
O glorieuse humilité! un Dieu seul pou-
vait en faire un précepte et des chrétiens
seuls devaient l'accomplir.
Vincent de Paul savait, Messieurs, qu'un
prêtre doit pratiquer cette vertu plus émi-
51
ORATEURS SACRES. BALLET.
52
nemment que les autres, parce qu'il appro-
che de plus près de Jésus-Christ : aussi la
porta-t-il dans toutes les occasions jusqu'à
l'héroïsme.
Humilité pratiquée dans la plus haute
sainteté. J'ai beau examiner tous les jours
de sa vie, je les trouve purs, innocents,
marqués au coin de la perfection évangé-
lique ; je n'y vois point d'autres nuages
que ceux que la calomnie furieuse y a ré-
pandus.:)
Dieu permet que ses saints soient exposés
aux orages et aux tempêtes, pour les faire
jouir après d'un jour serein et tranquille.
Que de traits odieux répandus sur les ac-
tions des plus grands saints 1 Les annales de
l'Eglise ne nous les montrent-elles pas?
Dieu les montre et il les cache, mais la
gloire est toujours proportionnée à leurs
abaissements.
Paraissez ici, grand Athanase, zélé dé-
fenseur de la consubstahtialité du Verbe :
vos ennemis étaient ceux de l'Eglise ; je
ne suis pas étonné de vous voir persé-
cuté.
Paraissez aussi, Vincent de Paul, l'E-
glise admire et publie vos vertus, c'en est
assez pour que les jaloux de votre gloire
s'efforcent de l'obscurcir; quand elle ces-
sera d'avoir des ennemis, vous n'en aurez
plus.
Ces événements, Messieurs, ne doivent
point nous étonner, ils ont été prédits ; c'est
l'humilité de Vincent que nous devons ad-
mirer.
Tout ce qu'il y avait de grands person-
nages dans l'Eglise et dans l'Etat admiraient
sa sainteté, lui seul l'ignorait : on lui don-
nait le titre de saint prêtre et il se donnait
celui de pécheur.
Sentiments d'humilité qui éclataient dans
ses discours, dans ses lettres, dans ses con-
férences; nous les possédons, Messieurs,
ces monuments précieux de son héroïque
humilité; de nouveaux faits vont vous en
donner de nouvelles preuves.
Sentiments d'humilité avec des talents re-
connus ; en vain ses ennemis, forcés de ren-
dre hommage à ses vertus, entreprennent-ils
de lui ravir la gloire de l'érudition. .On sait
que les rapides progrès qu'il avait faits sous
les maîtres de la théologie, l'avaient mis en
état de l'enseigner et qu'il refusa plusieurs
fois une chaire à laquelle il avait été nommé.
On sait que les plus grands prélats de l'E-
glise gallicane rendaient des hommages à
.son profond savoir, qu'ils l'écoutaient avec
plaisir et qu'ils le consultaient avec con-
fiance, r
Toutes les fois, Messieurs, qu'il parla de-
vant ces maîtres de la foi, n'eut-il pas leur
approbation? Ce n'était point un orateur
brillant, c'était un prêtre zélé. Tout ce que
l'antiquité a de plus vénérable, tout ce que
les saints docteurs ont dit de plus fort sur
la dignité du sacerdoce, tout ce que l'Ecri-
ture a de plus touchant sur ce redoutable
ministère, lui échappait-il dans ses confé-
rences? Ignorait-il l'esprit de l'Eglise et ce
qu elle a prescrit à ses ministres dans ses
conciles, lui qui a relevé la gloire de l'état
ecclésiastique?
C'est d'après f histoire de nos jours, Mes-
sieurs, que je parle : c'est elle qui nous ap-
prend que plusieurs cardinaux et deux
nonces du souverain pontife se faisaient un
honneur de le visiter et d'entretenir avec lui
un commerce utile pour l'embellissement
du clergé. Quel éloge plus précis et plus
magnifique que colui que lui donna l'illustre
Bossuet, cet homme si chéri dans l'Eglise,
si redouté chez les protestants, si estimé
dans la république des lettres, si honoré
dans les plus célèbres académies? En avouant
que Vincent de Paul avait été son maî-
tre, pour ce qui regarde l'esprit du sacer-
doce, n'érigeait-il pas des trophées h ses
lumières, aussi bien qu'à sa sainteté? On
sa't aussi, Messieurs, que le prince de Condé
fit l'épreuve de son érudition dans le conseil
même.
L'homme d'humilité ne révèle ses ta-
lents qu'autant qu'ils peuvent être utiles ;
il ne cherche point à briller dans des com-
bats littéraires, il ne fait point une montre
fastueuse d'une érudition qu'il consacre à
l'utilité de l'Eglise, il n'ambitionne point les
lauriers destinés aux savants: il communique
avec simplicité ses lumières.
Tet était, Messieurs, Vincent de Paul; les
savants de son siècle ne le mirent pas dans
leurs fastes, ils ne connurent point son mé-
rite, parce qu'ils ne l'écoutaient point, et ils
le représentaient comme un homme simple
et borné, parce qu'il était humble et modeste;
mais le prince de Condé, qui avait été témoin
de sa pénétration et de son habileté dans
les matières de controverse, avoua qu'il
joignait à une sainteté éminente une érudi-
tion profonde; c'est ainsi que ce prince,
incapable de prévention et savant en tout
genre, publia a la cour les talents du servi-
teur de Dieu.
- Si je suis étonné, Messieurs, de voir des
savants refuser à Vincent la gloire de l'éru-
dition, parce qu'il ne pensait pas comme
eux, ou qu'il n'avait pas les mêmes dehors,
je suis étonné de l'humilité de Vincent avec
de si grands talents : ils n'éclatent que mal-
gré lui : il voudrait qu'ils fussent utiles et
qu'ils fussent ignoré»; désirs bien rares chez
les savants.
Sentiments d'humilité dans les honneurs
éclatants qu'on lui rend à la cour; les ecclé-
siastiques que l'ambition conduit chez les
grands, y perdent la liberté de leur minis-
tère : lorsque les grands les désirent à cause
de leur sainteté, ils y sont honorés et res-
pectés ; un prêtre peut se conserver à la
cour, quand il y est nécessaire, il peut
même y devenir l'apôtre," le conseil et l'édi-
fication des rois : c'est ce que fut, Messieurs,
Vincent de Paul à la cour de France.
Vous lel représenterai -je, lorsque Louis
XIII, ce monarque juste et victorieux, est
près de descendre dans le tombeau; lors-
qu'il est passé du trône sur le lit de la mort,
et que sa couronne temporelle lui échappe?
53
PANEGYRIQUES. — PANEG. H, SAINT VINCENT DE PAUL.
54
C'est notre saint qui lui annonce les juge-
ments de Dieu, qui détourne ses yeux d'une
cour brillante, pour les tourner vers les pro-
fondeurs de l'éternité ; c'est lui qui le dé-
tache des vains honneurs du siècle, qui
attendrit son cœur, qui fait couler des larmes
de pénitence, et qui excite ses désirs pour
le ci£l ; c'est dans ses bras et en embrassant
amoureusement un crucifix que ce monar-
que' quitte la terre, un trône éclatant, une
famille éplorée, une cour consternée, des
peuples désolés.
Vous le représenterai-je pendant la mino-
rité de Louis le Grand, occupant une place
distinguée dans le conseil, y prononçant des
oratle-3 et y faisant admirer sa sagesse? La
sainteté n'eiapôche point de manier les
affaires habilement, et les peuples' seront
toujours heureux sous un gouvernement où
préside la religion.
Vous dirai-je qu'il fut l'homme de con-
fiance de la reine durant la régence? En vain
des jaloux répandent-ils des soupçons inju-
rieux sur sa conduite. Les traits que la mali-
gnité lance ne diminuent point la vénéra-
tion de la reine : elle n'est pas étonnée que
le zèle du serviteur de Dieu ait le sort tics
apôtres. Son attention à écaiter des dignités
du sanctuaire ceux qui n'étaient pas soumis,
ou qui n'étaient pas édifiants, devait lui adi-
rer ces orages. Cette judicieuse princesse
remarqua d'où les coups partaient, et elle
n'en fut pas surprise.
Ils ne causèrent non plus aucune émotion
dans le cœur de Vincent, il relusa de se jus-
tifier pour marcher sur les traces de Jésus-
Christ et de ses apôtres ; son humilité éclata
autant que son innocence, on lui érigea des
trophées à la cour; le superbe Aman fut
numilié, et l'humble Mardochée fut élevé en
gloire.
Que j'aime à le voir écarter avec habileté
les louanges que le prince de Condé lui
donne dans le conseil môme , par le récit
simple et modeste des occupations rustiques
de sa jeunesse, et de l'obscurité de sa famille.
Qu'une humilité sincère trouve de ressour-
ces. Messieurs! elle évite de paraître et elle
résiste à la gloire quand elle paraît. Un ora-
teur qui louerait un mondain, jetterait un
voile sur un trait qui rend Vincent de Paul
plus conforme à Jésus-Christ, que les plus
grands événements de sa vie: le voici,'
Messieurs.
On répand des soupçons injurieux sur lui :
il a le soit du Sauveur, on le met au rang dos
criminels : cum iniquis repulatus est. (Marc,
XV.) Calomnie que le cardinal de Bérulle
repoussa avec tout le zèle qu'inspire l'in-
nocence. Cet homme fameux par ses vertus,
par son rang, par son érudition, ne fut-il
pas son apologiste et son défenseur? L'auteur
de ce soupçon injurieux ne l'a-t-il pas pleuré
amèrement? N'a-t-il pas offert de rendre
publiquement hommage à son innocence?
Si Vincent de Paul a saisi avec avidité cette
occasion de s'humilier, était-i 1 permis de choi-
sir ce trait avec malignité, pour répandre des
nuages sur l'éclat de sa sainteté? La bonté
d'un Dieu qui manifeste l'innocence de son
serviteur, ne doit-elle pas confondre la sa-
erilége critique des jaloux de sa gloire?
Ignoraient-ils que l'humilité de Vincent
était assez solide pour résister aux plus
éclatants honneurs et aux plus rudes épreu-
ves? Que d'autres apprennent que son atta-
chement à l'Eglise était assez sincère pour
résister aux plus dangereux artifices et aux
circonstances les plus délicates. Et nous,
ministres des saints autels, prenons ce saint
prêtre pour notre modèle : c'est pour cela
que Dieu l'a suscité dans ces derniers temps :
natus est homo rector fratrum.
Oui, Messieurs, depuis la naissance de
l'Eglise, il y a toujours eu certains temps
dangereux pour la foi : temps délicats, cri-
tiques, séduisants, prédits par l'apôtre saint
Paul : tempora periculosa. (II Tim., IV.)
Ce ne sont point les temps où les hérésies
sont accréditées, furieuses, où l'étendard de
la révolte est tout à fait levé, où on ne rou-
git plus d'étaler les dogmes les plus mons-
trueux et le fanatisme le plus grossier; où
enflé de son succès, de son crédit, on insulte
en sûreté, on combat avec audace, on se
venge avec fureur; ces temps ne sont point
si dangereux, la piété les déleste, la raison
les condamne, les puissances les répriment.
Mais les temps qui donnent naissance à ces
hérésies fines, délicates, enveloppées; à ces
hérésies qui paraissent avec timidité, qui so
cachent et se retranchent; à ces hérésies
mêlées adroitement avec les plus grandes
vérités, dont la nouveauté est cachée sous
les voiles de la vénérable antiquité, dont
rien ne choque, rien n'alarme la piété, dont
tout semble porter à la sévérité, à la perfec-
tion : ces temps sont dangereux pour la foi :
tempora periculosa.
Les temps où les Pelage, les Arius, les Nes-
torius, lesNovat, les Photiuô, les Lucifer de
Cagliari, les Luther, les Calvin ont commencé
à paraître , étaient des temps dangereux
pour la foi des fidèles : tempora periculosa.
Alors ils étaient timides, mesurés: ils
étaient encore dans l'Eglise, et ils s'en fai-
sait un honneur, une ressource ; ils parais-
saient ce qu'ils n'étaient pas. Vertueux ,
chastes, zélés, orthodoxes, ils ne faisaient
que hasarder leurs erreurs, iis ne les sou-
tenaient pas ; ils voulaient défendre des
sentiments, des opinions, ils ne voulaient
pas combattre les dogmes; ils voulaient
porter à la perfection et non point au
schisme.
Artifices dangereux qui désolèrent l'Afri-
que dans la suite, qui séduisirent l'Allema-
gne et la Bohême : ces temps étaient délicats
et séduisants. Que de grandes lumières ont
été éclipsées, que de princes engagés dans
le schisme, que de villes, que de provinces
plongées dans l'erreur 1 tempora periculosa.
Si tous ces hérétiques eussent montré ,d'a-
nord le plan de leur doctrine , eussent fait
connaître les grands changements qu'ils vou-
laient faire dans la religion; s'ils eussent
dévoilé tout le mystère de leurs nouveaux
systèmes; s'il» se fussent montrés tels qu'ils
55
ORATEURS SACRES. BALLET.
56
étaient, des hommes d'ambition, d'intérêt,
de plaisirs, de mensonge, de fureur, au-
raient-ils, Messieurs, fait de si grands pro-
grès? auraient-ils passé pour des saints? Si
leurs disciples ont caché leurs défauts, ils en
ont rougi en secret.
Or, Messieurs , les jours de Vincent de
Paul furent aussi des jours dangereux pour
la foi, parce que c'étaient les commencements
d'une hérésie qu'on affectait d'insinuer et
d'établir dans ce royaume; mais son attache-
ment inviolable à l'Eglise le fit résister aux
plus dangereux artifices et aux circonstances
les plus délicates.
Je ne veux que joindre , Messieurs , l'ins-
truction à l'éloge.
Détruisez, si vous pouvez, dit saint Augus-
tin, les erreurs, mais ayez toujours de la cha-
rité pour ceux qui ont eu le malheur de les
enfanter, de les embrasser, ou de les accré-
diter : Interficite errores, diligite homines.
C'est pour me conformer au principe de ce
saint docteur que je passe sous silence tous
tes traits singuliers et ces fameux événe-
ments qui nous montrent des égarements
dans les plus grands hommes.
Une hérésie délicate qui commençait à
alarmer l'Eglise, et qui a mérité depuis ses
foudres et ses anathèmes, faisait, Messieurs,
de funestes progrès en France. On la produit
sous le nom respectable du grand saint Au-
gustin, on la donne pour sa doctrine; quoi
de plus capable de faire illusion et de s'as-
surer des succès?
On ne vit jamais un système plus habile-
ment imaginé, plus artificieusement enve-
loppé, plus magnifiquement annoncé, plus
adroitement insinué. Ses premiers apôtres
étaient de ces hommes profonds et dissimu-
lés, adroits et artificieux, qui savent se re-
plier et s'accommoder au temps : leur doc-
trine était un mystère qu'on ne découvrait
pas aisément, et encore moins publiquement.
Le plan qu'ils avaient tracé pour l'accréditer
renfermait les détours de la politique , les
subtilités de la scolastique, les expressions
de la vérité, les apparences de la piété.
Telle était, Messieurs, cette fameuse hé-
résie qui a troublé la France, qui a excité. le
xèle de tant de souverains pontifes, de tous
les évêques du monde, de nos pieux et ma-
gnanimes monarques.
Mais l'Eglise, toujours attentive à conser-
ver le sacré dépôt de la foi, toujours assistée
de l'Esprit-Saint, toujours infaillible dans
ses décisions, distingua la doctrine de saint
Augustin de celle de son prétendu disciple.
Elle renouvela les éloges qu'elle avait don-
nés au saint docteur de la grâce; mais elle
lança ses, foudres sur la nouvelle doctrine
qu'on voulait lui attribuer.
Heureux, Messieurs, si ces foudres n'eus-
sent pas été méprisées par des esprits in-
quiets; s» on ne se fût pas fait comme un
rempart des termes les plus équivoques, des
distinctions les plus frauduleuses, des pro-
fessions de foi les plus captieuses, des lam-
beaux tronqués de l'Ecriture et des Pères!
Vincent cle Paul, qui aperçut le premier ces
excès, et qui les considéra dans leur source,
en gémit, et s'y opposa.
Vit-on un plus zélé défenseur du siège
apostolique? Les idées qu'on commença t à
en donner diminuèrent-elles son attache-
ment? L'hérésie, quoique cachée et envelop-
pée, échappa-t-eile à ses lumières et à son
indignation?
Donna-t-il dans les pièges que lui tendait
un homme artificieux, qui mettait tout en
usage pour répandre l'erreur? Ne fit-il pas
une rupture éclatante avec cet homme fameux
qui se. flattait d'en faire la conquête, et ne
préserva-t-il pas sa congrégation naissante
des dangers de la nouveauté ?
Cet attachement au Saint-Siège n'est pas
rare, Messieurs ; c'est ce qui fait notre con-
solation : voyez avec quelle magnificence les
Pères nous représentent la multitude des
peuples qui vivent à l'ombre du trône de
Pierre. Si nous louons aujourd'hui l'attache-
ment de Vincent de Paul au Saint-Siège,
c'est parce qu'il a vécu dans des jours dan-
gereux, que les artifices et les appâts en sé-
duisaient plusieurs, et que Dieu semblait
l'avoir suscité dans ces circonstances délica-
tes pour nous servir de modèle.
Copions-le donc, Messieurs, ce saint mi-
nistre : que notre attachement au Saint Siège
résiste aux artifices les plus dangereux, et
aux circonstances les plus délicates ; que
notre zèlerésisteaux fonctions les plus péni-
bles et à l'apostolat le plus difficile, c'est
pour cela que Dieu l'a suscité dans son
Eglise : il est notre modèle dans un minis-
tère saint et redoutable : Natus est homo re-
ctor [raCrum.
Le zèle des apôtres était bien étendu, puis-
qu'il entreprenait la conquête du monde en-
tier : passer les mers, aller dans les royau-
mes les moins policés, tenter tous les jours
de nouvelles découvertes, pénétrer jusqu'au
trône des princes barbares , .entrer dans les
plus célèbres académies, les sénats les plus
fameux, tel fut le zèle des apôtres, et tel fut
aussi dans ces derniers temps celui de Vin-
cent de Paul. Je n'exagère point , Messieurs;
écoutez les caractères de son zèle, et vous
jugerez s'il fut véritablement un apôtre zélé
tel que j'entreprends de vous le dépeindre.
- Zèle dans la captivité : ses fers deviennent
célèbres par une conquête illustre : il atta-
che de nouveau au firmament l'astre qui s'en
était détaché, et rend à la religion celui qui
avait eu la lâcheté d'y renoncer.
Zèle pour le salut des pauvres de la cam-
pagne : que de larmes ne versa-t-il pas sur
ces contrées que les rosées célestes arrosent
si rarement 1 L'éclat , disait-il en lui-même,
qui accompagne le ministère de la parole
dans les villes, y attire les plus grands ou-
vriers. On dirait que les ministres se fassent
une gloire de fixer leur apostolat dans le
centre des sciences. Une grande ville est rem-
plie d'apôtres, on les choisit, on les rebute,
on les entend avec des oreilles sensuelles.
L'éloquence des Ambroise, des Augustin, des
Chrysostome, des Cyprien, des Grégoire de
Nazianze, né dédaignait pas les peuples; leu^
K7
PANEGYRIQUES. — PANEG. II, SAINT VINCENT DE PAUL.
58
zèle s'étendait dans les caui;;agnes, ils cher-
chaient des larmes de pénitence, non pas de
vains applaudissements , et ils savaient s'a-
baisser avec les simples, comme ils savaient
s'élever devant les savants; et les campagnes
n'ont point d'apôtres aujourd'hui.
Ah! tournons nos pas vers ces peuples
abandonnés : fixons-nous au salut de ces vas-
tes campagnes. Parcourons, à l'exemple du
Sauveur, les bourgs et les villages. Descen-
dons dans les vallées les plus profondes ;
montons sur les rochers les plus inaccessi-
bles ; l'instruction des peuples, les larmes
des auditeurs, la conversion des âmes, doi-
vent nous être plus précieuses que ces fades
louanges qu'on nous donne dans une pa-
roisse, et qu'on nous refuse dans une autre;
que cette réputation qui périt avec nous , et
souvent avant nous. Tels furent les projets
3ue Vincent forma et exécuta : il gouverna
eux paroisses, et en fut l'apôtre. Aller prê-
cher où Vincent de Paul travaille , c'est , di-
sait un grand homme, porter la lumière au
soleil.
Zèle pour la conversion des hérétiques :
combien n'en convertit-il pas à Châtillon?
Ceux qu'il n'a pas ramenés dans le sein de
l'Eglise, sont ceux qui se moquent depuis
longtemps de l'Eglise même.
Zèle pour le salut de toutes les provinces :
il va à Marseille, de Marseille à Mâcon , de
Mâcon à Paris. Ses courses, ses voyages, ses
prédications égalent les travaux des hommes
apostoliques. ,
Zèle pour le salut des peuples les plus re-
culés, les plus sauvages : la Lorraine, l'Ita-
lie, la Pologne, la Savoie, Tunis, Alger, Salé
entendent les nouveaux apôtres de l'Eglise
romaine : partout il y a des missions ; les té-
nèbres de l'ignorance, qui enveloppaient tant
de campagnes, disparaissent. L'homme rus-
tique est policé , instruit et touché par ces
zélés missionnaires que Vincent donne à
l'Eglise.
Zèle assez grand pour servir de modèle :
si deux célèbres communautés fournissent
tant d'ouvriers évangéliques , et si précieux
à l'Eglise, qui parcourent tous les royaumes
elles empires, pénètrent jusque dans le Nou-
veau-Monde, leurs premiers supérieurs se
sont fait un honneur d'avoir été les élèves
de Vincent de Paul, d'être sortis de sa
congrégation, et de l'avoir imité dans ses
travaux.
Zèle pour la régularité du clergé et la sû-
reté des vierges : les séminaires, les confé-
rences ecclésiastiques, les retraites doivent
leur établissement au zèle de Vincent de
Paul ; ils paraissent sous l'autorité des évo-
ques qui l'ont consulté. Que d'asiles de vier-
ges s'élèvent par ses soins dans la capitale
du monde ! Je ne suis plus étonné de voir
le cardinal de Richelieu le regarder comme
l'homme de l'Eglise, le consulter, et lui con-
fier les affaires les plus importantes ; Fran-
çois de Sales, cet ornement de l'Eglise galli-
cane, se décharger sur lui dans sa vieillesse
des soins de son ordre naissant. Ces grands
hommes connaissaient Vincent de Paul, et
savaient que rien ne pouvait échapper a l'ar-
deur de son zèle : Nec est qui se abscondat a
calore ejus. [Psal. XVIII.)
Zèle enfin qui ne perd rien de son acti-
vité; sous les glaces mêmes de la vieillesse
et dans les derniers jours d'une vie usée au
service de l'Eglise; à quatre-vingts ans il fa.t
une mission dans un temps de jubilé, et
fournit une carrière qui altère ordinairement
la santé des plus robustes. Ce zèle, Mes-
sieurs, est particulier à l'Eglise catholique.
L'apostolat de nos frères séparés est plus
commode, il ne s'étend pas si loin; la reli-
gion protestante n'a jamais donné des apôtres
zélés comme l'Eglise romaine; il' faut être
attaché à l'Eglise comme Vincent de Paul,
pour lui être utile. C'est ainsi, Messieurs,
que ce saint prêtre termine glorieusement ^
sa course; il peut dire avec son divin maî-
tre, tout est consommé : consummatum est.
{Joun., XIX.)
Il y a dans ce royaume des asiles pour
toutes les misères -/les pauvres sont conso-
lés, les malades visités, les vierges sont en
sûreté; les campagnes ont des apôtres ; les
ecclésiastiques des exercices et des confé-
rences. L'Eglise et l'Etat ont soutenu mon
zèle; tous ces établissements sont appuyés
sur des fondements durables.
Conservez, Père très-saint, pour votre
gloire, pour la consolation de votre Eglise,
poui l'honneur de ce royaume, votre propre
ouvrage, c'est vous qui me l'avez inspiré :
confirma hoc Deus qubd operatus es. (Psal.
LXVII.)
Le zèle des hommes apostoliques, Mes-
sieurs, est inépuisable, il s'étend au delà de
leur mort; celui de Vincent de Paul a passé
dans ses enfants. Modèles de soumission, ils
l'inspirent à ceux qu'ils élèvent pour le sanc-
tuaire; modèles de régularité, il suffit de
passer quelques jours chez eux pour en con-
naître la nécessité; modèles de zèle, {joint
de campagnes qu'ils ne parcourent, point de
frontières où ils ne se transportent, point de
royaumes qu'ils ne pénètrent ; le zèle les
sépare de leur famille et de leur patrie : tels
sont les enfants de Vincent.
Si l'Eglise ne venait point de décerner un
culte public à notre héros; si elle ne venait
point de l'insérer dans ses annales, en pu-
bliant sa sainteté et en constatant des mira-
cles, je vous parlerais des honneurs éclatants
qu'on lui rendit à sa mort; je vous montre-
rais toutes les puissances de l'Eglise et de
l'Etat qui l'accompagnent au tombeau; le
clergé et le peuple préparés à lui rendre les
honneurs que nous lui rendons aujourd'hui ;
je vous rappellerais les éloges qu'on lui
donna dans la chaire de vérité ; on était per-
suadé de sa sainteté, mais l'Eglise n'avait pas
encore parlé.
Les orateurs le louaient comme on a cou-
tume de louer les grands hommes ; des pré-
lats r oommandables par leur piété et leur
érudition écrivaient ses actions héroïques;
aujourd'hui il nous est donné de le louer
comme un saint cher à l'Eglise, précieux à la
France ; nous lui payerons dans la suite un
ORATEURS SACRES. BALLET.
00
tribut annuel de louanges, nous l'invoque-
rons et nous nous efforcerons de l'imiter
pour participer à sa gloire. Je vous la sou-
haite. Ainsi soit-il.
PANÉGYRIQUE III.
SECOND PANÉGYRIQUE DE SAINT "VINCENT
DE PAUL.
Prononcé dans Véglise royale des Invalides
en 1741.
Suscitabo mihi sacerdotem fidclem. (I Reg., II.)
Je me susciterai un prêtre fidèle.
Dieu annonce, Messieurs, un prêtre qui doit
faire la gloire du sanctuaire par l'innocence
de ses mœurs et l'ardeur de son zèle.
* Sadoc paraîtra honoré du sacerdoce, et avec
lui paraîtront toutes les vertus qui soutien-
nent la sainteté des autels. La religion pa-
raîtra avec splendeur, elle s'étendra, elle
fera des conquêtes. Dieu, qui est jaloux d'a-
voir des ministres saints et zélés, s'est choisi
un prêtre fidèle : suscilabo mihi sacerdotem
fidelem.
Telle fut, Messieurs, le saint prêtre que
Dieu suscita dans le dernier siècle, Vincent
de Paul.
Quoique le sanctuaire eût alors ses lumiè-
res, qu'il n<- fût point souillé par les désor-
dres desÔphnis et des Phinées; le feu divin
que le grand Charles Rorromée y avait allu-
mé commençait à s'éteindre. Tout ce qui
peut former le grand et saint ecclésiastique,
les conférences et les séminaires étaient né-
gligés; les pauvres languissaient; il manquait
des asiles aux misères publiques ; les campa-
gnes n'avaient point d'apôtres; une hérésie
fine et délicate voulait s'établir dans ce
royaume.
C'est dans ces circonstances, Messieurs,
que Dieu suscite Vincent de Paul, cet hom-
me que l'Eglise, en lui décernant un culte
public, appelle la gloire du sacerdoce, la
lumière de son siècle, qui fut le père des
pauvres, le conseil des rois, l'édification de
la cour, l'apôtre des campagnes, le défenseur
de la foi orthodoxe, et qui n'eut jamais d'au-
tres ennemis que ceux de la' foi et de la
vertu; voilà ce prêtre fidèle que Dieu nous a
montré dans ces derniers temps : suscilabo
mihi sacerdotem fidelem.
Il a soutenu la dignité du sacerdoce par
l'éclat de sa sainteté. Il a étendu la gloire du
sacerdoce par l'ardeur de son zèle. Deman-
dons, etc. Ave, Maria.
PREMIÈKE PARTIE.
Pour concevoir une juste idée de la gran-
deur du sacerdoce, il faut une foi vive ; pour
répondre à la sainteté du sacerdoce, il faut
des mœurs pures et innocentes; pour retracer
partout l'esprit du sacerdoce , il faut une
sainteté héroïque. Alors on fait briller ces
traits divins qui annoncent le fidèle ministre
de Jésus-Christ. C'est ce que lit, Messieurs,
Vincent de Paul. Le clergé perfectionné par
ses exemples et ses leçons, la cour édifiée
par sa sagesse et sa prudence ; toutes les
misères, soulagées par sa charité et son cré-
dit, vont vous en convaincre. Consultons
l'histoire fidèle.
Vous le savez, Messieurs, les mondains ne
parlent jamais si éloquemment de la religion
que lorsqu'ils opposent sa sainteté à la vie
de quelques-uns de ses ministres; ils pren-
nent pour modèles dans l'importante affaire
du salut, ceux dont ils ne voudraient pas
suivre les conseils dans les moindres affaires
temporelles; ils s'imaginent que les fautes,
qui échappent aux ministres des autels, jus-
tifient leur coupable conduite; ils les exagè-
rent, ils ne veulent point que nous soyons
hommes, et ils ne rougissent pas d'être des
pécheurs scandaleux; ils ferment les yeux
sur les prêtres fidèles, pour ne les ouvrir
que sur les prêtres prévaricateurs, et comme
si Jésus-Christ leur avait dit de ne faire que
ce que nous faisons, ils méprisent nos leçons
et nos instructions:
Est-ce le zèle de la religion, Messieurs, qui
leur fait opposer sans cesse nos défauts à la
sainteté de notre état? Non, Messieurs, c'est
la malignité. Le mépris des prêtres ne m'é-
tonne pas dans un siècle où la licence et
l'incrédulité font tous les jours de funestes
progrès.
Malheur à nous si nous répandons la honte
dans le sanctuaire, et si on aperçoit des vices
dans ceux qui doivent avoir la pureté des
anges; mais malheur à vous, chrétiens, si
vous cessez de respecter la beauté de l'E-
glise, la sainteté des autels, la pureté de la
doctrine, la morale de l'Evangile à cause de
nos défauts et de nos imperfections.
Dieu suscite de temps en temps de sair.ts
ministres, pour perfectionner le clergé, ral-
lumer dans le sanctuaire le feu sacré. Le
dernier siècle en est une preuve, Messieurs.
Vincent de Paul, né dans l'obscurité, em-
ployé dans son enfance à des occupations
champêtres, est ce prêtre fidèle qui doit per-
fectionner le clergé ; les apôtres, oscupés sur
les rivages de la mer, à conduire des barques
rustiques, sont appelés à l'apostolat. Vincent
de Paul est tiré d'une pauvre cabane pour
être placé dans le sanctuaire, et y briller.
Lorsqu'il s'agit, Messieurs, de vous prou-
ver que Vincent de Paul fut le plus saint et
le plus grand ecclésiastique de son temps, les
faits se présentent en foule à mon imagi-
nation.
Les François de Sales, les cardinaux de
Bérulle et de Richelieu, les Bossuct, ces
grands hommes qui savaient si bien distin-
guer les grands hommes; ces lumières de
l'Eglise, (iui connaissaient son esprit, n'onl-
ils pas regardé notre saint prêtre comme leur
maître? En trouvaient-ils un plus rempli de
l'esprit du sacerdoce, et plus en état d'en
remplir les autres?
Ah! quel nouvel éclat va se répandre dans
le sanctuaire ! Je vois s'établir des séminaires,
des retraites, des conférences. Ceux qui se
destinent au service des autels apprendront
à l'écart et dans le calme ce qu'ils doivent
être et ce qu'ils doivent faire. Ces jeunes
Samuels, élevés à l'ombre du sanctuaire,
iront dans la suite comme des astres brillants
61
PANEGYRIQUES. — PANEG. III , SAINT VINCENT DE PAUL.
62
éclairer les campagnes, les villes, le Nouveau-
Monde même.
Que j'aime à me représenter notre saint prê-
tre dans les conférences publiques qu'il fait
aux dispensateurs des saints mystères ! Je
vois un homme qui possède dans un de-
gré éminent l'intelligence des Ecritures, la
science des lois ecclésiastiques, l'art de diri-
ger les âmes, de les conduire à la plus haute
perfection.
Vous dirai-je, Messieurs, qu'il a pour au-
diteurs, non-seulement les jeunes ecclésias-
tiques qu'il faut former, mais les juges de la
foi, des évêques, des cardinaux, des maîtres
en Israël, des savants du premier ordre? Il
est l'oracle de son 'siècle, lorsqu'il s'agit de
} arler de la sainteté et des devoirs des prê-
tres.
Vous dirai-je que le cardinal de Richelieu,
si habile dans l'art d'affermir le trône des
rois, révéré des savants, loué cbez Jes étran-
gers et trop peu connu de ses ennemis, le
visite et le consulte?
Vous dirai-je que le cardinal de Rérullo,
si recommandnble par sa piété, ses ouvrages,
son zèle, se faisait une gloire d'entretenir
avec lui un commerce d'amitié et d'érudition?
Parlez et instruisez-nous, saints person-
nages de son siècle, saint évêque de Genève,
bienheureuse Chantai. Ils parlent, Messieurs,
ils s'expliquent, ils ne trouvent point dans
toute l'Eglise un plus saint prêtre que Vin-
cent. Le choix que le grand évêque de Ge-
nève en fait pour gouverner après lui l'ordre
naissant de la Visitation, ne prouve-t-il pas,
Messieurs, la confiance qu'il avait dans ses
lumières? Les saints ne louent point par
adulation.
Sa haute sainteté le rend en quelque sorte
le maître des maîtres de la piété, de la science
et de la politique.
L'ecclésiastique, Messieurs, avance dans la
perfection, quand il marche sur ses traces ;
il y est arrivé quand il l'imite.
Des vertus si rares le font désirer à la cour,
il y paraît, mais pour l'édifier par sa sagesse
et sa prudence.
Ce n'est pas assez, Messieurs, d'être désiré
a la cour, il faut s'y soutenir. La cabale,
l'intrigue, le manège y font arriver les ambi-
tieux: les tnlents, la faveur, la politique les
y soutiennent quelque temps; mais l'envie,
l'adulation, le caprice changent souvent leur
gloire en opprobre ; on y devient inutile dès
qu'on n'y est plus agréable.
Qui a "obscurci ce mérite éclatant? Qui a
flétri les lauriers de ce grand capitaine? Pour-
quoi cet habile négociateur, ce sage ministre
ne sont-ils plus à la mode? Pourquoi ce cour-
tisan si chéri est-il devenu indifférent au
prince ? Apprenez-le, Messieurs, rien de plus
changeant, de plus mobile que la cour. La
scène y varie tous les jours ; il ne faut pres-
que rien pour renverser ces idoles du monde.
On n'aperçut pas la main qui avait lancé cette
petite pierre qui renversa la superbe statue
dont il est parlé dans Daniel. On ignore tous
les jours à la cour la cause de ces chutes, de
ces disgrâces qui étonnent. Le mérite a de
la peine à y arriver, et encore plus de peine
à s'y soutenir.
Mais s'il est rare, Messieurs, de se soutenir
à la cour, d'y être longtemps agréable, et de
vieillir dans des places si mobiles; c'est un
prodige encore plus grand qu'un prêtre s'y
soutienne, et y soit constamment respecté. 11
ne faut pas une sainteté commune pour y
édifier et y donner de justes idées de la
grandeur du sacerdoce.
Tel est cependant, Messieurs, le prodige
que Vincent de Paul fit paraître dans le der-
nier siècle. Il ne fut point porté à la cour par
la cabale, l'ambition; il ne s'y conserva pas
par l'adulation, la politique : il n'y fut point
soutenu par ces grands qui affectionnent les
hommes de réputation, et qui .ce font une
gloire d'attacher à leur char par des services
importants tout mérite distingué. Ses vertus
seules le firent désirer à la cour; sa haute
sainteté l'y fit respecter. Ses lumières, sa
prudence, sa sagesse, son zèle l'y rendirent
utile, il en fut le conseil et l'apôtre.
Déjà la reine l'honore de sa confiance, elle
le consulte. 11 est le canal des grâces, le dis-
pensateur des biens ecclésiastiques.
Place importante, Messieurs, délicate; mais
dont il ne profilera que pour procurera l'E-
glise des ministres saints et utiles; il n'aura
pour ennemis que ceux que l'insuffisance et
les mœurs rendent indignes des honneurs du
sanctuaire.
Vous le représenterai-je dans le conseil,
où il tient un rang distingué, où il en est
comme l'âme et l'oracle par sa sagesse et sa
prudence? Il y est l'homme de Dieu, l'homme
de l'ïitat, l'homme du peuple. La religion a
en lui un zélé défenseur, l'Etat un sage mi-
nistre, et le peuple un père tendre.
En vain l'envie s'efforce-t-elle d'obscureii
sa gloire, et veut-elle faire naître des soup
çons désavantageux à sa piété, à sa science ;
ces épreuves ne servent qu'à faire briller fa
sainteté et à mettre au jour les rares talents
que sa profonde humilité a soin de dérober à
la connaissance des hommes.
En vain, Messieurs, les ennemis de la foi
et de la piété s'efforcent-ils de répandre des
nuages sur cet astre éclatant de la cour; ils
lui procurent un nouvel éclat; confondus,
humiliés à ses pieds, ils sont comme autant
de glorieux trophées érigés à sa modestie et
à sa sainteté.
Vous dirai-je que son érudition, attaquée
par des hommes intéressés à lui en ravir la
gloire, est admirée dans le conseil même, et
qu'il y moissonnera malgré lui des lauriers
dans l'assemblée du plus sage royaume?
C'est le grand Condé, Messieurs, cet homme
si habile dans la controverse, qui entre en
lice avec lui. C'est ce grand Condé aussi
qui, satisfait de ses réponses, rend hom-
mage à sa science, à ses connaissances, à ses
talents.
Vous dirai-je, Messieurs, qu'il fut l'apôtre
de Louis XIII? A la mort, ce pieux monar-
que, prêt à passer du trône au tribunal de
Jésus-Christ, demande l'hommç, de Dieu.
Vincent parait; qu^l touchant spectacle se
63
ORATEURS SACRES. BALLET.
64
présente à ses yeux! Un roi environné des
ombres de la mort, qui ne regrette point la
couronne qui lui échappe, ni toute la gran-
deur qui fuit devant lui , mais qui craint, en
cessant d'être grand , de n'être pas assez
saint. Une cour consternée, dans le deuil ;
une reine qui arrose son lit de ses pleurs ;
un jeune enfant qui va occuper son trône,
portpr sa couronne, et dont il ignore le long
et glorieux règne, puisqu'il nous était ré-
servé de raconter la gloire et les succès de
Louis XIV.
Un saint occupé du ciel, animé de l'esprit
de Dieu, est, Messieurs, un apôtre bien utile
à la mort. Tel était Vincent de Paul. Il parle
avec ctte onction qui touche, ce feu qui
embrase ; il développe cette immense étendue
de l'éternité qui s'avance ; il présente au
prince expirant l'image de Jésus cruciiié, et
nourrit l'espérance qu'il a de passer d'un
royaume périssable dans un royaume éter-
nel. C'est en l'embrassant avec foi qu'il ex-
pire. L'apôtre qui l'a exhorté, Messieurs,
essuie les larmes de cette cour chrétienne;
il en sort consolateur; il a sa confiance, il
n'en abusera point ; sa charité emploiera son
crédit pour soulager les misérables dont il
est le père.
Voici de nouveaux traits qui se présentent,
Messieurs, à mon imagination; ici des traits
surprenants et divins caractérisent la charité
de Vincent de Paul : les objets qui excitent
sa charité, les entreprises de sa charité, les
succès durables de sa charité; voilà, Mes-
sieurs, des objets qui doivent nous étonner
et nous faire reconnaître la puissance divine
qui agissait en lui.
Dans l'ordre ordinaire, Messieurs, c'est
aux riches à soulager les indigents; le su-
perflu des uns est le nécessaire des autres.
Le cœur tendre et compatissant d'un homme
sans fortune peut gémir sur les misères pu-
bliques, il ne peut pas les soulager; le triste
spectacle des malheureux l'afflige; il partage
leurs peines sans pouvoir les adoucir. Tel
était, Messieurs, Vincent de Paul.
Né sans biens et sans désir d'en amasser,
la miséricorde, qui croissait chez lui avec
l'âge, le rendit sensible à toutes les misères.
Il vit ces pauvres sans retraite et sans res-
source, ces infirmes qui ne peuvent ni adou-
cir ni arrêter les progrès du mal ; ces vieil-
lards abattus sous le poids des années et de
l'indigence, ces vierges que la pauvreté fait
chanceler dans la vertu ; ces forçats sans con-
solation dans leur peine; ces" enfants qui
étaient les tristes victimes de la houle ou de
la pauvreté ; ces provinces désolées par les
horreurs de la guerre, de la peste et de la
famine; et, comme son divin Maître, il est
touché à la vue de cette foule de malheu-
reux : Miser eor super turbam. (Mat th., MIL)
Tous ces tristes objets étaient véritable-
ment capables de toucher un cœur. tendre et
compatissant. Une grande misère est un grand
écueil pour la vertu. Il est à craindre qu'on
no cherche des ressources dans les corrup-
teurs de l'innocence^ quand on n'en trouve
point dans le cœur des riches opulents. Ces
dangers effrayèrent Vincent de Paul: il for-
ma les grands projets de soulager tous ces
malheureux.
Admirez ici, Messieurs, les saints efforts
de la charité, les plus grands obstacles ne
sauraient la rebuter.
Vincent de Paul n'était pas opulent ; ce
n'était pas un Job, distingué chez les Orien-
taux par sa naissance et ses riches posses-
sions; comment pouvait-il être comme lui
le père des pauvres? Ce n'était pas un saint
Paulin, le plus riche de son siècle, dont les
domaines étaient si vastes et si étendus,
qu'on leur donnait le nom de royaumes :
Régna Paulini. Comment pouvait-il com-
mencer môme l'exécution de ses projets ?
Apprenez-le, Messieurs, sa haute sainteté lui
donne un crédit auprès des grands, qui at-
tendrira tous les cœurs et ouvrira les niains
des riches.
Il propose ses projets à la ville et à la
cour; ils étonnent, on les rejette même;
mais le saint plaide la cause des pauvres
avec tant d'onction et de feu, que tous les
cœurs sont touchés ; les aumônes des riches,
les libéralités royales assurent des fonds à
toutes les misères publiques : les larmes des
malheureux sont essuyées. Je vois partout
s'élever des asiles à la pauvreté, à l'inno-
cence, à l'infirmité ; ils subsistent pour l'hon-
neur de la religion et la gloire de la nation,
ces monuments durables de la charité de
Vincent; ce sont de glorieux trophées érigés
à son bon cœur.
Vous dirai-je, Messieurs, que la Cham-
pagne, la Picardie, la Lorraine, ces provinces
que les plus terribles fléaux désolaient, n'é-
chappèrent à la mort qui allait moissonner
leurs habitants, que par les secours que
Vincent leur procura, et qu'un roi n'y aurait
pas fait passer des aumônes plus abondantes
et plus magnifiques?
Si je vois des hôpitaux à Marseille et à
Paris pour donner les secours corporels et
spirituels à ces malheureux qui sont dans les
fers, n'est-ce pas la charité de Vincent qui a
obtenu ces établissements dans le conseil?
Je passe sous silence tous ces pieux asiles
qu'il a procurés à l'innocence pour la con-
server, et aux pécheurs pour pleurer leurs
égarements. Je me hâte, et je passe à deux
traits qui immortaliseront àjamais sa charité
dans tous les bons cœurs.
Le crime et la misère multipliaient tous
les jours le nombre de ces enfants qui sem-
blent ne sortir du sein de leur mère que
pour descendre aussitôt dans la nuit du
tombeau; on trouvait tous les jours ces in-
nocentes victimes exposées dans les rues de
cette capitale. Une mort lente moissonnait
ces jeunes fleurs. Aucune main charitable
n'entreprenait de les cultiver et de les faire
croître dans la piélé. Si quelques-unes plus
brillantes que les autres étaient conservées,
c'était la honteuse volupté qui en faisait les
frais; elles n'échappaient aux coups qui de-
vaient les immoler, que pour couler des an-
nées criminelles sous l'empire du péché. Il
était réservé, Messieurs, à Vincent de Paul,
63
PANEGYRIQUES. — PANEG. III , SAINT VINCENT DE PAUL
m
de leur préparer ces superbes asiles. Voyez,
Messieurs, ces crèches immenses où l'on
porte tous les ans plus de trois mille enfants;
ne sont-ce pas des monuments durables de sa
charité et de son crédit ?
Que dirai -je de l'établissement de ces
pieuses filles destinées au soulagement des
malades et à l'instruction de la jeunesse ?
Quels éloges ne méritent-elles pas? Occu-
pées sans cesse à servir Jésus-Christ dans
ses membres et à le faire connaître, elles
participent au plus pénible apostolat. Dans
quelle bourgade, dans quelle ville, dans
quelle province, dans quel climat n'ont-elles
pas des hospices? Elles volent sur les pas
des hommes apostoliques pour exercer la
charité. Victimes libres et volontaires, les
liens du divin amour, d'un saint zèle, sont les
seuls qui les attachent à ces occupations pé-
nibles et humiliantes.
O bonté inejfable de mon Dieu I c'est vous
qui avez suscité ce saint prêtre pour venger
votre providence outragée par les discours
sacrilèges des impies. 11 a soutenu la dignité
du sacerdoce par l'éclat de sa sainteté; il a
étendu la gloire du sacerdoce par l'ardeur
de son zèle. C'est la seconde partie de son
éloge.
SECONDE PARTIE.
Un prêtre fidèle est bien utile à l'Eglise.
Non-seulement il fait sa gloire, mais encore
il est son soutien, son appui. Tel fut, Mes-
sieurs, Vincent de Paul. Les conquêtes des
apôtres de la France conservées, étendues;
des ouvriers évangéliques formés pour tous
les lieux et tous les temps; la doctrine de
l'Eglise, la sainteté du Siège apostolique dé-
fendue contre les entreprises de l'hérésie :
voilà les travaux de ce prêtre fidèle. Apôtre,
instituteur, défenseur, il travailla pour l'E-
glise et donna des ouvriers à l'Eglise. Il dé-
lendit l'Eglise; Dieu l'a suscité pour la con-
solation de son épouse dans ces derniers
temps : Suscitabo mihi sacerdotem ftdelcm.
Je ne vais, Messieurs, vous donner qu'une
légère idée de l'apostolat de Vincent de Paul.
Qui pourrait le suivre dans ses courses
apostoliques, compter les bourgades qu'il
parcourt, toutes les Ames qu'il arrache au
vice, à l'hérésie, à l'idolâtrie, pour les atta-
cher au char de Jésus-Christ?
Les premiers essais de son zèle sont, Mes-
sieurs, les plus difficiles et les plus glorieuses
conquêtes. Il est apôtre dans les fers; il an-
nonce Jésus-Christ dans la captivité : son
maître devient son disciple. Honteux de son
apostasie, il renonce à la doctrine extrava-
gante de Mahomet; et converti par Vincent
de Paul, il est le premier trophée érigé à la
gloire de son apostolat.
Le ciel nous destinait cet apôtre. La Pro-
vidence, qui veille toujours sur la France, le
conduit dans cette capitale; il y parut comme
une lumière brillante qui éclaira toutes les
contrées voisines ; il y conserve et étend, par
son zèle infatigable, Tes précieuses conquêtes
des Denis de Paris, des Rémi de Reims, des
Martin de Tours, des Germain d'Auxerre,
Ici, Messieurs, vous entendez ses mission*
dans les campagnes.
Pourquoi une moisson si abondante que
celle qui se présente dans les campagnes
trouve-t-elle si peu d'ouvriers? Les âmes y
sont-elles moins précieuses? Les cœurs y
sont-ils plus attachés au monde que dans les
villes? Les esprits y sont-ils moins dociles
aux vérités du christianisme? Faut-il des ta-
lents supérieurs, les richesses de l'éloquence?
Faut-il fatiguer sa mémoire par des discours
pompeux, cadencés, un arrangement harmo-
nieux, des pensées sublimes, des tours dé-
licats, des expressions choisies? Non, Mes-
sieurs. 11 ne faut que du zèle, penser du
salut des âmes comme Jésus-Christ en a
pensé. Il est plus aisé à un prêtre fidèle d'ê-
tre apôtre que d'être orateur. 11 n'en coûte
pas tant pour loucher que pour plaire. Les
conquêtes des âmes sont la récompense de
l'homme apostolique; de vains applaudisse-
ments, celle de l'éloquent orateur.
Vincent de Paul était pénétré, Messieurs,
de ces vérités. C'est pourquoi il fixa son
apostolat dans les campagnes , et les préféra
aux villes où les prédicateurs abondent, où
l'abondance fait naître le dégoût, où les au-
diteurs sont curieux, délicats, critiques,
parce que les orateurs chrétiens font trop
d'efforts pour plaire , et n'en font pas assez
pour toucher.
Réjouissez-vous, peuples rustiques , une
nouvelle lumière va briller sur vous. Vin-
cent de Paul veut être votre apôtre. Vous
l'entendrez dans le saint temple et dans vos
cabanes; il vous annoncera les mystères du
salut;il dissipera les ténèbres de votre igno-
rance par ses solides instructions; il tou-
chera vos cœurs par l'onction de ses paroles;
il vous consolera dans vos peines par les
touchantes peintures qu'il vous fera de votre
haute destinée, et, par les aumônes qu'il ré-
pandra dans vos familles, il apaisera vos
querelles, il unira vos cœurs, et vous mar-
cherez avec joie dans les sentiers de l'inno-
cence et de la vertu.
Oui, Messieurs, Vincent de Paul remplit
toujours cet utile et glorieuse carrière; il
n'abandonna jamais les pénibles travaux de
la chaire et du confessionnal; cette vieillesse
qui languit ordinairement dans les infirmi-
tés, où le repos paraît si nécessaire, n'inter-
rompit jamais ses fonctions. La dernière mis-
sion qu'il fit sanctifia les derniers jours de
sa vie, et il fut enseveli sous les trophées
que les conquêtes de son zèle lui avaient
érigés.
Si les ennemis de sa vertu me demandent
donc où sont les actions éclatantes qu'il a
faites, les prodiges qu'il a opérés, les preuves
de ce zèle héroïque que je loue , je leur ré-
pondrai ce que Jésus-Christ réponait aux
disciples de Jean : Les pauvres sont évangé-
lisés : panpcres evangelizantur.( Luc, VIL)
Il a choisi l'apostolat le plus pénible, le plus
humiliant, le plus rebutant; il a été arroser
les terres les plus incultes; il a été rompre
le pain de l'instruction à ceux qui eu étaient
affamés; ses longs jours ont été consacrés au
67
ORATEURS SACRES. BALLET. CR
salut «les âmes négligées et souvent aban- ^^S££&&^^ * ^^ "*
données : paapercs cvangehzantar... a la rfpubl je des lettres^ ^ ^_
L'obéissance lui a fait accepter successive- ^ dans .Ja cam ne t étabm une Congré-
ment le gouvernement de deux paroisses , ti
Clichy et Châtillon. Son zèle y a réprime B« u
erreurs, et
Les justes
tous ies abus, détruit toutes les
établi un culte pur et religieux
fortifiés dans la piété, les pécheurs convertis,
tous les cœurs unis par les liens de la paix
et de la charité: voilà ses succès à Clichy.
Le calvinisme qui v régnait et insultait à
l'Eglise romaine , aùaqué dans tous ses re-
tranchements, des millions de protestants
touchés, persuadés et rentrés sincèrement
dans le sein de l'Eglise : voilà ses conquêtes
à Châtillon.
N'est-ce pas là, Messieurs, étendre la
gloire du sacerdoce, imiter ces hommes di-
vins qui ont agrandi le champ de l'Eglise,
multiplier le nombre de ses enfants soumis,
et venger les opprobres qu'elle a reçus de ses
ennemis?
Un zèle si ardent ne s'éteindra pas avec la
lumière de ses yeux. L'apôtre est aussi ins-
tituteur : sa congrégation le retracera dans
tous les siècles pour la consolation de l'E-
glise et le salut de ses enfants.
Quelle différence, Messieurs, entre les
projets que Dieu inspire , et les projets que
forme l'ambition ; entre les succès du juste ,
et les succès du mondain! .
La gloire de Dieu, les progrès de la reli-
gion, le salut des âmes, voilà les grands
objets qui occupent les saints; les applau-
dissements des hommes, un nom dans la pos-
térité, des accroissements de fortune , voilà
les objets qui flattent les mondains. Quelle
différence, Messieurs! mais aussi quelle
différence dans les succès! Dieu conserve son
ouvrage, Dieu détruit celui de l'ambition.
Faut-il vous prouver cette vérité? Rappelez-
vous les établissements que les serviteurs de
Dieu ont formés dans le dernier siècle.
Alors parurent trois hommes éminents en
sainteté, célèbres par leurs talents, leurs lu-
mières, précieux à l'Eglise, trois institu-
teurs dont les établissements ont mérité et
méritent encore des éloges. François de
Sales, le cardinal de Bérulle, Vincent de
Paul.
Le grand évêque de Genève a perpétué
son zèle dans ses écrits; et dans un ordre
respectable, il a rassemblé des vierges et des
veuves. A leur tête présidait la bienheureuse
Chantai, cette illustre veuve qui a égalé les
Paule, les Monique, les Clotilde, et qui a la
gloire sur elles d'avoir surmonté de plus
grands obstacles. A l'ombre du sanctuaire ,
elles observent une règle qui renferme la
douceur et [ïa sévérité de l'Evangile; elles
tendent avec amour à ce qu'il y a de plus
parfait.
Le cardinal de Rérulle, marchant sur les
traces du grand Philippe de Néry, a établi
en France une congrégation de prêtres des-
tinés à honorer le divin sacerdoce de Jésus-
Christ et les grandeurs de 'sa sainte Mère.
Qnede grands hommes , que de savants en
de prêtres destinés aux missions ; il
il point qu'ils paraissent sur ces grands
théâtres où l'on moissonne des lauriers, où
l'homme de talents est applaudi , admiré :
c'est aux pauvres, à des peuples grossiers
qu'il les envoie annoncer, expliquer les vé-
rités du salut.
Ici , Messieurs, l'intérêt que l'orateur a
d'élever son héros ne me fera rien avancer
qui puisse ravir la gloire des autres institu-
teurs; les charmes de la vérité sont préféra-
bles aux ressources que-fournit l'éloquence
pour rehausser le mérite ; c'est vous-mêmes
qui déciderez du plan de l'objet, et du suc-
cès de l'établissement de Vincent de Paul.
Quel est , Messieurs, l'apostolat des en-
fants de Vincent de Paul? Vous le savez.
C'est de renoncer aux douceurs de la société,
de quitter leur famille , leur patrie ; de sa-
crifier les talents et le goût des sciences pour
s'accommoder au génie rustique des peu; les
les moins policés, de ces hommes qu'il faut
souvent rendre raisonnables avant que de
les rendre chrétiens ; le zèle les fait voler
dans les campagnes, au delà des mers même?,
pour annoncer l'Evangile dans ces terres mal
cultivées qui font une partie du champ du
Père de famille , pour éclairer des âmes
plongées dans les ténèbres de l'ignorance et
de l'idolâtrie.
Or, Messieurs, pour fournir cette carrière
apostolique , que de sueurs, que de travaux,
que de privations! Y a-t-il quelque chose
pour la délicatesse, l'intérêt? Y a-t-il de
quoi flatter, de quoi animer le savant , l'ora-
teur? Non, Messieurs, le zèle seul du salut
des âmes les fait voler dans les campagnes et
chez les infidèles. Apostolat utile, néces-
saire à l'Eglise pour étendre sa gloire, la
consoler de ses pertes , et multiplier le nom-
bre de ses enfants.
Oui, Messieurs, Vincent de Paul, en
fixant son apostolat et celui de ses succes-
seurs dans les campagnes, est le conserva-
teur et le protecteur des précieuses conquê-
tes de Jésus-Christ : Protector salvalicnum
Christi. (Psal. XXVII.)
L'apostolat dans les villes. est plus flat-
teur, plus commode, et moins rcbutai;t;
aussi les villes ne manquent- elles point
d'apôtres. Les auditeurs y sont plus ins-
truits , plus délicats, plus reconnaissants.
Toint de privations, de courses pénibles ,
de dangers : dans les divisions mêmes, si
les uns sont à Céphas , les autres à Paul , à
Apollon , chaque parti chérit, honore, pro-
duit et élève ses apôtres. Comme on s'y pi-
que d'esprit, de principes, de politesse,
de piété, on y goûte les talents; on les
apprécie , ils sont rarement sans récom-
pense.
Quel attrait, Messieurs, pour les ministres
évangéliques! Les enfants de Vincent de
' Paul y renoncent pour voler sur les pas de
leur saint instituteur , exercer un apostolat
co panégyriques; - panec. m
plus pénible, mais nécessaire pour étendre
ia gloire du sacerdoce; c'est lui qui les a
procurés à l'Eglise qu'il aimait, et dont il a
été le défenseur contre ses ennemis les plus
enveloppés, et par conséquent les plus dan-
gereux.
Saint Jérôme caractérise en deux mots le
catholique et l'hérétique; le fidèle attaché
inviolablement à la véiité que l'Eglise a en-
seignée dans tous les siècles, l'homme qui
la abandonnée pour s'attacher à de profanes
nouveautés et aux erreurs qu'elle a pros-
crites solennellement; l'homme docile, sou-
mis à ceux que Jésus-Christ nous a com-
mandé d'écouter, l'homme superbe qui
leur résiste et corrompt leur doctrine.
L'hérétique, dit ce saint docteur, n'insinue
ses erreurs qu'à la faveur des fausses idées
qu'il donne de l'Eglise : Hœrcticus profert
mendacia; le catholique ne proche que les
vérités établies dans tous les siècles; il ne
s'écarte point de la foi de ses pères : Catho-
licus récit prœdicat.
L'hérétique soutient que l'autorité visible
que Jésus-Christ a établie peut se tromper
en matière de foi, enseigner l'erreur, pros-
crire la vérité : profert mendacia.
Il obscurcit les plus brillantes lumières
des premiers siècles, flétrit les plus grands
hommes, accuse leur zèle, censure leur doc-
trine, méprise leur érudition, leur prôtc
des vues d'intérêt, de passion : profert men-
dacia.
Il prétend trouver dans l'Ecriture, dans
les Pères, et surtout dans saint Augustin, le
plan, les preuves, l'apologie de sa doctrine :
profert mendacia
Il avoue qu'il y a une Eglise, mais il ose
assurer qu'elle n'est plus ce qu'elle a été,
pure et sans tache; il la dépeint enveloppée
des nuages épais de la séduction, abandon-
née de son divin Epoux, cachée dans quel-
ques âmes fidèles; selon lui, ce fleuve ma-
jestueux, dont les eaux étaient si pures, n'est
plus qu'un amas d'eaux sales et bourbeuses :
profert mendacia. -^
Les plus saints conciles qui le condamnent
ne sont plus que des assemblées tumultueu-
ses, dont l'intrigue, la cabale, la politique
font remuer tous les ressorts, et y dictent sa
condamnation : profert mendacia.
11 faudrait ignorer, Messieurs, l'histoire
de ces hérésies fameuses qui ont désolé l'E-
glise, n'avoir jamais lu les ouvrages des
hérésiarques, pour contredire ce portrait que
•e viens de tracer d'après saint Jérôme.
Il a paru dans tous les siècles des héré-
tiques, mais aussi dans tous les siècles Dieu
a suscité de grands hommes pour les con-
fondre et défendre son Eglise.
Les pélagiens, les donatistes ont trouvé
des adversaires redoutables dans les Au-
gustin, les Jérôme, les Prosper ; les ariens ,
dans les Athanase, les Hilâire ; les protes-
tants , dans les plus saints et les plus savants
prélats de. l'Eglise gallicane. Et n'y eût-il
eu, Messieurs, que l'illustre Bossuet, il
suffirait pour confondre leurs plus habiles
ministres.
SAINT VINCENT DE PAUL.
70
Si dans les jours de Vincent de Paul une
hérésie plus fine, plus délicate, plus enve-
loppée, entreprend de se produire, ne crai-
gnez point: ce catholique sincère la décou-
vrira, s'en garantira, et sa congrégation
naissante. 11 lui opposera la doctrine de tous
les siècles, et prêchera hautement la foi de
ses pères, et sa soumission au siège aposto-
lique : Cntholicus recte prœdicat.
Cette hérésie avait été enfantée dans les
Pays-Bas; elle avait tout ce qu'il faut pour
séduire les âmes: la magnificence de la
grâce, le nom du grand Augustin, son dé-
fenseur, beaucoup de ses termes, de ses
expressions ; son venin était caché sous les
voiles d'une piété tendre, douce et gémis-
sante; ses desseins, ses vues dans son sys-
tème, étaient un mystère qu'on n'expliquait
qu'aux amis, aux confidents; elle avait des
apôtres zélés, fins, adroits, qui savaient
tracer différentes routes pour arriver au
même but; ils s'avaient être sévères et doux,
se taire et parler, se montrer et se cacher à
propos.
Ici , Messieurs , vous êtes peut-être alar-
més. Vous savez que Vincent de Paul entre-
tient un commerce d'amitié et d'érudition
avec un de ses apôtres; mais rassurez-vous.
Dès que ce savant, dont il respecte la piété,
la naissance, les lumières, dont il aime la
douceur, la politesse, se sera développé, il
s'en méfiera; dès qu'il lui aura fait part de
ses sentiments sur l'Eglise et sur la grâce,
il rompra pour toujours avec lui; s'il lui
prouve qu'il est encore son ami, c'est en
s'efforçant par sa douceur, ses gémissements
et ses savantes réponses, de le ramener à la
vérité et à la soumission due à l'Eglise:
Calholicus recte prœdicat.
Dès que notre saint désespère de désa-
buser son ami, il se retire, il le fuit : sa
charité l'épargnera, mais son zèle ne se ra-
lentira pas.
Rappelez-vous, Messieurs, tout ce qu'il a
dit, tout ce qu'il a écrit, et vous verrez avec
quel zèle il a écarté de notre France ces nou-
velles erreurs ; il en a garanti sa congréga-
tion naissante; il a éloigné du sanctuaire e»
de ses dignités ceux qui semblaient seule-
ment les goûter, par les grands exemple!
qu'il leur adonnés de sa soumission au Saint-
Siège.
C'est ainsi, Messieurs, que ce prêtre fidèle
a étendu la gloire du sacerdoce par ses pé-
nibles travaux, par les ouvriers évangéliques
qu'il a formés, par son amour pour l'Eglise
et son zèle à la défendre.
Seigneur, qui d'une seule parole avez
apaisé les flots mutinés de la mer, et fait suc-
céder dans un instant le calme à l'orage,
faites naître dans tous les cœurs, par votre
grâce toute -puissante, l'amour de le paix
et de l'union. Quand on ne voudra que
votre gloire, ô mon Dieu, on priera plus
qu'on ne parlera : les puissances spirituelles
et temporelles que vous avez établies, et qui
ne tiennent chacune que de vous leur auto-
rité, ne seront plus méprisées et offensées
par la licence dans les discoups et dans les
71
ORATEURS SACRES. BALLET.
•7*
écrits ; on rendra à César ce qui est dû à
César, et à Dieu ce qui est dû à Dieu. Ras-
semblez-nous donc tous, Seigneur, sous les
ailes de la charité; qu'elle dirige nos pas,
qu'elle dicte nos paroles ; qu'elle règne sur-
tout dans nos cœurs, afin que nous régnions
dans l'éternité bienheureuse. Je vous la sou-
haite.
PANÉGYRIQUE IV.
PREMIER
panegyrique de
d'assise.
SAINT FRANÇOIS
Prononcé le jour de sa fête, dans l'église des
RR. PP. Récollets à Paris, le k octobre 174-2.
Tanquam prodigium factus sum multis. (Psal. LXX.)
J'ai partiaux yeux du monde comme un prodige.
L'homme de sainteté a étonné le monde
dans tous les siècles. La vertu timide n'ose
se montrer; le vice hardi infecte presque
tous les états, et brille presque dans tous
les rangs. 11 faut quelquefois plus d'un siè-
cle pour produire un de ces saints que le
monde, tout corrompu qu'il est, admire et
révère, contredit et applaudit ; un de ces
saints qui ne semble être suscité, aussi bien
que ces fameux solitaires de l'Orient, que
pour confondre la fausse sagesse des mon-
dains; un de ces saints que la grâce place
entre le ciel et la terre, et qu'elle semble
donner pour maître aux maîtres mêmes du
monde : un de ces astres qui diffère des au-
tres astres, selon l'expression de saint Paul:
Stella a Stella differt (I Cor., XV) : je veux dire
un saint distingué, que Dieu conduit dans des
routes mystérieuses ; il étonne les mondains,
il consolé les justes. Si la sévérité de l'Evan-
gile n'était pas si étrangère aux premiers,
François qui a paru pour la justifier, ne les
aurait pas étonnés ; si les seconds n'en
étaient pas persuadés ils ne l'auraient pas
respecté.
11 y a une sorte de sainteté qui ne sur-
prend point les hommes, et il y en a une
qui les jette dans l'étonnement. L'écriture
nous apprend les caractères de cette sain-
teté extraordinaire qui forme l'homme de
prodige.
Je cherche, dit l'Esnrit-Saint, un homme
distingué des autres nommes; un homme
rare dans le monde, capable de fixer les re-
fards de tous les humains, et digne de leurs
loges. Le monde mettra aussitôt sur la scène
ses savants, ses politiques, ses conquérants,
ses législateurs qui semblent régler les des-
tinées des autres hommes. Ce sont là les
héros du monde : mais voici le héros que le
Sage cherchait il y a tant de siècles.
Celui que l'éclat des richesses n'a pas
ébloui, qui a été insensible aux trompeurs ap-
pâts de l'opulence, et qui a détaché son cœur
des fragiles trésors de la terre, quipostaurum
non abiil (Eccli., XXXI) : celui que la pom-
peuse et séduisante décoration du monde n'a
pu toucher ni amollir, qui a détourné ses yeux
des vanités du siècle, et immolé son faste
insensé à la sainteté de la religion : qui non
respexit in vanitates et insanias falsas (Psal.
XXXIX) ; celui qui a pu goûter les douceurs
du péché, et qui a fixé volontairement ses
pas dans les sentiers austères dé là vertu;
qui potuit facere mala, et non fecit (Eccli.,
XXXI) : vo:là le héros que le Sage cherchait
dès que les hommes se furent multipliés ;
voilà l'homme de prodige; sa vie, opposée à
celle des mondains, est une merveille qui
étonne et surprend : fecit mirabilia in vila
sua. (Ibicl.)
Or, Messieurs, selon le Saint-Esprit, deux
choses, comme vous le voyez, forment
l'homme de prodige : le détachement des
richesses et le détachement des plaisirs; la
pauvreté et la pénitence.
Deux grands traits qui caractérisent aussi
l'incomparable François d'Assise, dont j'en-
treprends aujourd'hui l'éloge.
Les grands du siècle, que la pauvreté ré-
volte et que la pénitence effraye, furent les
premiers admirateurs (Je François; pauvre,
en habit de pénitent, le crucifix a la main,
il est reçu en triomphe dans foutes les villes
de l'Italie; le souverain pontife le révère, la
pourpre romaine s'abaisse devant lui , les
rois ont plus de confiance dans ses prières
que dans la valeur de leurs capitaines ; sous
la tente même d'un prince barbare accou-
tumé au meurtre, il trouve des admirateurs
et des couronnes : il est le prodige qui oc-
cupe l'Italie, l'Europe, le florissant empire
de Mahomet, l'univers entier. Que de titres
augustes, Messieurs, rassemblés dans Fran-
çois 1 Instituteur d'un ordre distingué dans
l'Eglise, arbitre de la nature, qui obéit à son
gré, prophète des plus grands événements
de l'Italie, destiné par un martyre miracu-
leux à montrer au monde une fidèle copie
de Jésus crucifié. N'êtes -vous pas éton-
nés de tous les grands traits que l'histoire
fidèle me fournit? J'appréhende, Messieurs,
de ne point répondre à ce que vous attendez
de moi : je vais vous représenter François
d'Assise comme disciple de la crèche, et
comme disciple du Calvaire: les caractères
de sa pauvreté; les caractères de sa péni-
tence. Partout vous verrez l'homme de pro-
dige, parce que partout vous verrez l'homme
de sainteté , tanquam prodigium factus sum
multis. Demandons, etc., Ave, Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
Le treizième siècle vit naître le prodige
de sainteté dont je commence l'éloge ; il vit
cet homme rare et précieux que Dieu sus-
cita parmi son peuple, pour retracer aux
yeux des mortels l'image du Sauveur nais-
sant dans la crèche , et expirant sur le Cal-
vaire.
Un saint si privilégié devait avoir un pro-
phète; des événements singuliers devaient
annoncer François d'Assise, non-seulement
à l'Italie, mais encore à toute l'Eglise ; et
c'est, Messieurs, ce qui arriva. Que de mer-
veilles annoncent sa grandeur future 1 Déjà
paraissent les grands traits qui doivent le
caractériser dans la suite ; je veux dire la
crèche et le Calvaire.
Passez, mère désolée, sous les tristes dé-
bris d'une étable ruinée, si vous voulez met-
PANEGYRIQUES. - PANEG. IV, SAINT FRANÇOIS D'ASSISE
73
tre au mon le le patriarche des pauvres ; et
vous, autre Siméon, ange ou mortel, qui que
vous soyez, saisissez-vous de cet enfant,
gravez sur sa chair innocente la croix, du
Sauveur; mais je parle déjà du disciple du
Calvare, j'oublie que je dois commencer par
le disciple de la crèche et les caractères de
sa pauvreté', les voici : elle fut sainte, opu-
lente, glorieuse.
Voilà ce qui le fit regarder dans le monde
comme un prodige : Tanquam prodigium
factus sum multis. (Psal. LXX. )
Ce n'est point la pauvreté en elle-même
qui fait les saints, comme ce ne sont point
les richesses qui font les réprouvés. Je
trouve dans les derniers rangs du peuple
des hommes orgueilleux et impies, et je
vois avec plaisir, dans les cours les plus
brillantes, des maîtres humbles et chrétiens ;
je vois les vices des grands passer chez les
petits, et les vices des petits passer chez les
grands. La pauvreté n'est pas sainte par
elle-même, c'est l'homme qui, par le se-
cours du ciel, la sanctifie, et saint Grégoire
m'apprend qu'on trouve dans les richesses
de grandes ressources pour le salut, comme
on y trouve de grands obstacles : Sicut sunt
impedimenta, ita et udjumenta.
J'aime à voir les Abraham se sanctifier
dans l'opulence, les David, les Louis dans
l'é. lat du trône, les Josué dans la dissipa-
ton des armes et un enchaînement de vic-
toires, les Esther sous une brillante couronne,
et à la'tête d'un florissant empire. Ce n'est
donc pas simplement à la pauvreté que je
v'ens donner aujourd'hui des éloges et éri-
ger des trophées , mais à la sainteté de la
pauvreté, à celle de François d'Assise, qui
fut volontaire, humble, édifiante, qui en fit
dans la religion un homme de prodige :
Tanquam prodigium factus sum multis.
Pauvreté volontaire; en voici l'époque.
Déjà je le vois aux pieds de l'évêque d'As-
sise; là, en présence d'un père qui l'accuse
de dissipation, dans un cercle de mortels
qui ignorent les mystères de la crèche, à la
face du ciel et de la terre, sous les yeux des
saints anges, il l'ait un vœu solennel de pau-
vreté, renonce à toutes les flatteuses espé-
rances du siècle, signe avec une fermeté
héroïque l'acte authentique qui le dépouille
de tous ses biens, et rend à son père jus-
qu'au seul vêtement qui le couvre, content
d'un manteau qu'il reçoit de la main du
pontife, et sur lequel il trace la croix du
Sauveur ; alors, dit-il avec un saint transport
de joie, j'ai rompu heureusement tous ces
liens flatteurs qui attachent les hommes si
fortement à la terre ; je suis libre, le Sei-
gneur me servira de tout ; j'espère avec d'au-
tant plus de confiance les biens spirituels,
que j'ai renoncé généreusement à tous les
biens terrestres; je n'ai plus de père sur la
terre, mais j'en ai un dans le ciel, je lui sa-
crifie mes espérances, il me prodiguera ses
grâces : Pater, qui es in cœlis. (Matth. , VI.)
Messieurs, le mondain, après les plus
grands succès , soit dans les armes, soit à la
cour, soit dans les arts, soit dans les plai-
OïUTEURS SACHES. L.
71
sirs, n'est pas , vous le savez, si content, si
satisfait que notre vénérable mendiant.
Pauvreté volontaire: Représentez- vous, si
vous le pouvez, cette ;cène édifiante que
François va représenter <:ans le monde ;
l our cela, transportez-vous en esprit dans
le centre des grandeurs aussi bien que de
la religion. On voit arriver à ilome, de tou-
tes parts, des étrangers, on y voit arriver
aussi François d'Assise; ils viennent bri-
guer des dignités ecclésiastiques, des em-
plois importants; il vient briguer Ja ] au-
vreté; ils demandent des grâces pour accu-
muler leurs richesses ou les conserver pai-
siblement ; il demande la permission de ne
rien possé 1er. Messieurs, François, à la cour
de Home, avec le plan qu'il s'est tracé, et lo
choix qu'il fait de la pauvreté, n'est-il pas
véritablement un homme extraordinaire?
Oui, Messieurs, il étonne les mondains, k-s
grands et les petits, les cardinaux, et le sou-
verain pontife même : Tanquam prodigium
factus sum multis.
Pauvreté volontaire : Les fortunes les plus
brillantes lui ont été offertes plusieurs fois,
et plusieurs fois il les a refusées. En Italie,
en France, on l'a sollicité d'accepter des
sommes considérables pour les besoins de
son ordre naissant, et il n'a pas même voulu
en être l'économe. Vantez, tant qu'il vous
plaira, Messieurs, ces fameux contempteurs
des richesses , François d'Assise est plus
grand que ces [.retendus héros.
Chérir la pauvreté dans laquelle on est
né, ne point s'alarmer sur l'avenir, se faire
même un honneur d'être simple et négligé:
vertu de philosophe.
Aller jusqu'à mépriser les richesses, s'en
dépouiller, parce qu'elles embarrassent ou
pour être admiré des hommes, faire le con-
templatif, s'appliquer aux connaissances les
plus curieuses, se distinguer du reste des
mortels ; voilà la prétendue perfection de
certains sages de Ja Grèce.
Prodiguer des éloges à la simplicité, con-
damner les dépenses superflues, et les amas
d'or et d'argent, donner même des lois pour
empêcher les citoyens de thésauriser; voilà
jusqu'où s'étendit la plus fine politique des
Romains; choisir la pauvreté dans un temps
qu'elle est méprisée, tournée même en ridi-
cule, la choisir par vertu, pour imiter Jé-
sus-Christ pauvre, pour être un fidèle dis-
ciple de la crèche; voilà jusqu'où François
d'Assise porta l'héroïsme de la pauvreté. îl
était nécessaire dans son siècle, pour servir
d'exemple aux hommes après Jésus-Christ;
la pauvreté de la crèche n'ava't presque plus
de disciples, c'est pourquoi la pauvreté de
François étonna son siècle; il parut un
homme extraordinaire : Tanquam prodigium
factus sum multis.
Pauvreté humble; en voici deux traits,
Messieurs :
Cet homme de sainteté et de miracles re-
fuse l'honneur du sacerdoce; bien éloigné
de ces téméraires qui s'imaginent que l'ar-
che va tomber s'ils ne la soutiennent, et qui
semblent ne choisir l'état ecclésiastique que
3
75
ORATEURS SACRES. BALLET.
70
pour sortir de l'obscurité et de l'indigence
de leur famille. 11 avait toutes les vertus que
les conciles d'après l'Apôtre demandent, et
qui manquent presque toujours à ceux qui
s'ingèrent sans vocation dans un état si
saint.
Une pureté angélique : l'innocence de son
baptême était ornée des victoires qu'il avait
remportées sur ses sens ; il avait attaché le
démon vaincu à son char, autant de fois
qu'il lui avait livré des combats. De la science:
les plus grands personnages ont aperçu à
travers les voiles de son humilité, ces lu-
mières et ces connaissances qui forment la
science des saints; et le rang qu'il tient
parmi les auteurs ecclésiastiques, suffit seul
pour le venger du mépris affecté de ces sa-
vants orgueilleux qui rougissent, de la sim-
plicité chrétienne. Du zèle : l'Italie n'est
pas un théâtre assez vaste pour ses prédica-
tions, il pénètre jusque dans l'empire de
Mahomet, pour y prêcher Jésus attaché à la
croix. L'approbation des fidèles : l'univers
entier l'admire et lui rend des hommages ;
et si l'estime des hérétiques pouvait flatter
les catholiques, François pouvait se glori-
lier de les avoir pour admirateurs. Cepen-
dant, semblable à ces séraphins qui se cou-
vrent de leurs ailes, et n'osent regarder le
Dieu très-saint, il craint de monter à l'au-
tel, et reste dans le rang inférieur des lé-
vites.
Autre trait d'humilité : des auditeurs dé-
licats, qui se piquent de bel esprit, de beaux
sentiments, s'en scandaliseront peut-être.
François se fait traîner dans les rues d'As-
sise comme un pécheur, il parait la corde au
cou dans le lieu patibulaire , il crie qu'il
mérite les supplices destinés aux criminels.
Ici, Messieurs, François vous paraît un pro-
dige aussi bien qu'à moi ; à vous qui êtes
les sages du monde, il vous paraît un pro-
dige de folie ; et à moi, qui ai appris de
saint Paul à honorer la sainte folie de la
croix, il me paraît un prodige de sagesse.
Je révère ses abaissements; il me paraît sur
ce théâtre de honte pour les autres, comme
sur un théâtre de gloire; ce sont là de ces
routes mystérieuses que la sagesse du monde
ignore.
Loin d'ici ces pauvres orgueilleux que
le Seigneur déteste; pauvres superbes, qui
rougissent de porter les livrées de Jésus-
Christ; qui s'efforcent de relever avec une
main audacieuse la fortune que la main du
Très-Haut a renversée ; pauvres superbes,
qui portent jusque dans les retraites les
plus saintes, la hauteur du siècle; qui dis-
putent dans ces asiles sacrés, du lustre et du
rang de leur famille, et qui sous la hairc et
le ciliée, comme parle saint Jérôme, aiment
à faire sentir ce qu'ils ont été dans le siècle,
et veulent qu'on considère les noms et les
biens auxquels ils ont renoncé solennelle-
ment.
Paraissez ici, humilité de François, pour
confondre cet orgueil. Qu'on s'étonne tant
qu'on voudra de vos abaissements, je vous
ai annoncé au monde comme un prodige :
2'anquam prodif/ium factus sum mullis.
Pauvreté de François, pauvreté édifiante;
il porta toutes les vertus de l'Evangile jus-
qu'à l'héroïsme.
Parfait contemplatif, il s'enfonce dans les
déserts, se cache dans les antres et les grot-
tes sauvages; il paraît clans les. rochers, il
n'y grave point ses ennuis et ses chagrins,
dans ces terres incultes et ces routes écartées ,
comme ces solitaires remplis de l'esprit du
monde. Souvent dans des extases et des ra-
vissements, Dieu seul lui parle; et qui
peut raconter ces communications intimes?
Homme de miséricorde , il va chercher
les membres de Jésus-Christ souffrant dans
les hôpitaux; c'est dans ces retraites des mi-
sères publiques, où l'on voit rassemblées
toutes les douleurs et toutes les plaies dont
Dieu frappe notre chair mortelle, ou languis-
sent des années entières des misérables qui
voient comme Job leur chair tomber par lam-
beaux, avec les vers et la pourriture, où on
ne respire que l'infection, et où on ne voit
de tous côtés que les images effrayantes de
la mort ; c'est là que François se dissipe , se
délasse et goûte des délices.
Catholique soumis, l'obéissance au pape
est un point de sa règle, les ennemis du
saint siège n'osaient paraître devant lui, dit
l'historien de sa vie : Nec audebant hwretici
apparere. Eviter les nouveautés en matière
de religion, se tenir en garde contre les arti-
fices des hérétiques; rejeter toute doctrine
qui n'est pas approuvée par l'Eglise, fût-elle
l'ouvrage des plus grands hommes? eût-elle
des anges pour apôtres et pour défenseurs?
y reconnût-on la science la plus profonde et
les vertus les plus austères? c'est ce qu'il
recommande à ses enfants avant de mourir,
comme saint Augustin l'avait recommandé à
lui-même à tous les fidèles.
Disciple de la perfection de l'Evangile , il
le suit à la lettre, et nous pouvons dire que
c'est à la honte du christianisme qu'on en-
tend de nos jours tant de piquantes raille-
ries et de fades conversations sur la pau-
vreté universelle et l'habit de pénitence de
François. 11 est étonnant que ce qui a fait la
gloire des apôtres et de la religion fasse,
selon de prétendus beaux esprits de nos
jours, le ridicule de ses enfants. Si une cri-
tique accoutumée à censurer témérairement
la religion même, n'était pas aujourd'hui si
llattée et si honorée, on respecterait une pau-
vreté sainte, une pauvreté opulente, et Fran-
çois serait pour notre siècle, aussi bien que
pour le sien, un prodige de sainteté : Tan-
quam prodigium factus sum multis.
Que peut faire, Messieurs, l'homme de ri-
chesse? Le voici. S'il est mondain, son opu-
lence lui servira à nourrir une foule de do-
mestiques pour servir à son faste, et quelque-
fois à ses passions ; à élever de somptueux
édifices ou plutôt des palais à la mollesse ; à
fournir aux dépenses excessives d'une table
exquise, d'un jeu ruineux , d'une magnifi-
cence outrée ; à des ambitieuses alliances,
dont l'homme de naissance se moque, et dont
77
PANEGYRIQUES. — PANEG.
l'homme de richesse est souvent la dupe ; s'il
a de la piété, son opulence lui servira à
nourrir les pauvres, élever des temples au
Seigneur, fonder de pieux établissements.
Or, Messieurs, voici le prodige : ce que
l'homme de richesse, qui a de la religion l'ait
et tout ce qu'il peut faire de plus grand
et de plus immense, François d'Assise, cet
homme de pauvreté, l'entreprend, le fait avec
succès, et surpasse jnême ce que pourrait
faire l'opulence des riches du siècle. 11 n'a
rien et il fait tout: voilà, encore un coup, le
prodige, une pauvreté opulente; voilà la
merveille des hommes apostoliques, comme
parle saint Paul : n'avoir rien et posséder
tout : Nihil habente», et omnia possidentcs.
(II Cor., VI.) Venons à des faits.
Pauvreté opulente, puisque touché de tou-
tes les misères publiques, il trouva le moyen
de les soulager toutes. Au nom de François,
à la recommandation de François les pau-
vres sont secourus; il est leur patriarche et
leur père.
Parlerai-je du temple de saint Damien?
Depuis longtemps François répandait des
larmes amères sur les ruines de la maison
du Seigneur; il ne voyait qu'avec douleur
linsensibililé des riches. « Hélas! disait-il,
avec l'amertume du prophète Jérémie, les
portes du saint temple sont brisées , les
pierres du sanctuaire sont dispersées et tout
le monde est dans le silence. » On va jusqu'à
la prodigalité lorsqu'il s'agit des plaisirs,
des parures , du luxe , et on parle d'économie
lorsqu'il s'agit d'élever un sanctuaire à l'E-
ternel. Encouragé par une voix céleste, son
coeur s'enflamme, son zèle s'anime : déjà je
vois son corps innocent plier sous la pierre
et le bois qu'il porte, les pierres s'arrangent,
l'édifice s'élève : c'est un prodige.
Oui, Messieurs, Dieu qui avait choisi Fran-
çois préférablement aux riches du siècle, qui
lui avait intimé ses ordres pour ce grand ou-
vrage, travaille avec lui. Tous les habitants
d'Assise sont étonnés; voyez, disaient-ils, ce
que le pauvre François a fait, sa pauvreté
obscurcit notre opulence ; ils s'animent, et à
l'exemple du saint, on voit en peu de temps
paraître trois nouvelles églises dans la ville
d'Assise.
Voici, Messieurs, un trait qui ne vous
étonnera pas moins: cet homme de pauvreté
exécute des projets que l'homme de richesse
n'oserait seulement pas former. Quelle dif-
férence entre les sociétés que les hommes
établissent pour servir à leur gloire ou à
leur intérêt, et celles que Dieu suscite pour
l'embellissement de son Eglise!
Quand les hommes entreprennent de gran-
des choses séparément de Dieu, il leur faut
de grands génies, des esprits délicats, pé-
nétrants, des hommes habiles dans le manie-
ment des affaires, de grands politiques, ca-
pables de se replier et de se conformer aux
temps, aux circonstances, et avec cela de
l'autorité et des richesses. Car qui ne sait
que ces différentes sectes et ces différentes
sociétés, qui désolèrent l'Eglise dans l'Orient
et dans l'Occident , l'arianisme , le pélagïa-
IV, SAINT FRANÇOIS D ASSISE. 78
nisme, le luthéranisme, le calvinisme, n'au-
raient pas fait de si grands progrès si leurs
chefs n'avaient [sas eu plus de richesses, d'auto-
rité et de politique que François d'Assise?
Ce sont les beautés séduisantes de leurs
écrits qui ont ébloui les peuples; ce sont les
souterrains de leur politique, qui ont gagné
certaines puissances; ce sont leurs subtiles
interprétations des Ecritures qui ont calmé
les alarmes de certaines personnes, à la vue
d'un schisme près d'éclater. C'est en donnant
de fausses idées de la souveraine autorité de
l'Eglise qu'ils ont grossi leurs troupeaux ;
c'est en distribuant de l'argent ou en prodi-
guant des éloges qu'ils ont retenu tant do
savants dans leur parti.
C'est par ces différents ressorts que se sont
soutenues ces sociétés qui ont troublé tant
d'empires, qui ont agité toute la terre, parce
qu'ils ne pouvaient pas la corrompre; mais ces
sociétés ont reçu des coups mortels : les con-
ciles, ces majestueuses assemblées, les ont
proscrites, le zèle des princes les a dissipées,
et si elles voulaient se reproduire sous une
forme plus flatteuse, elles auraient le même
sort : Jésus-Christ l'a promis. Or, quelle
différence entre l'ordre que saint François
établit, sans tous ces ressorts de [apolitique,
d'une vaine érudition , des richesses, sans
autre trésor que la pauvreté! Avec la sim-
plicité de l'Evangile et la soumission au saint
siège, je vois un ordre qui fleurit et sub-
siste avec honneur depuis plusieurs siècles.
D'abord, je vois François environné d'hom-
mes apostoliques, je vois ces pauvres qui
doivent parcourir l'univers, peupler l'Eu-
rope, l'Asie, l'Afrique, fouler aux pieds l'o-
pulence des riches, terrasser les hérétiques,
consoler l'Eglise et édifier les peuples ; je
vois ces nouveaux disciples de la crèche et
du Calvaire aux pieds du souverain pontife,
d'Innocent III, pour se mettre sous sa protec-
tion et sous son obéissance.
En vain l'enfer gémit à la vue de ces ou-
vriers évangéliques, et s'efl'orce-t-il de retar-
der leur établissement. Us sont honorés
d'une ample mission par le chef de l'Eglise,
comme les Joseph et les Mardoçhée; le pape
voit en songe la grandeur future et toute la
beauté de l'ordre de François; il voit croître
à ses pieds une palme qui devient un grand
arbre; il voit le fameux temple de Latran
penché, prêt à tomber, et retenu seulement
par le pauvre François. Alors il reconnaît les
secours que Dieu prépare à son Eglise, et
confirme une règle dont presque tout le
plan est tracé par Jésus-Christ dans l'Evan-
gile.
Mais voici, Messieurs, la suite des prodi-
ges de celte pauvreté opulente. Ces hommes
apostoliques se multiplient. Avant la mort
de leur patriarche, j'en compte des milliers;
je vois des monastères s'élever dans toutes
les villes, les provinces, les royaumes; chez
l'infidèle commechez le chrétien, sans autre
ressource que la pauvreté. Depuis plus de
cinq cents ans la Providence soutient tous ces
établissements.
Je vois tous les jours des familles opulen-
7!)
ORATEURS SACRES. BALLET.
80
tes tomber dans l'indigence: les fortunes les
plus riantes sont échouées sous nos yeux ; on
a vu de florissants empires affaiblis, des ré-
volutions étonnantes chez nos voisins. Dieu
a renversé les cèdres du Liban, a ébranlé les
plus grands trônes du monde, a tlétri des cou-
ronnes sur la tôte même des souverains, a
dépouillé les riches, afait tomber dans l'igno-
minie et dans la poussière les puissants du
siècle : Deposuit potentes (Luc, II), et il a
soutenu, fait prospérer et élevé en gloire les
enfants de l'humble François : Et exaltavit
humiles. (Ibid.)
Jetez donc, Messieurs, les yeux sur cet or-
dre distingué dans l'Eglise, qui subsiste
avec autant d'honneur que les établissements
les mieux dotés; et voyez le prodige d'une
pauvreté opulente, d'une pauvreté glorieuse :
Tanquamprodigium factus sum multis.
Une pauvreté honorée dans le monde, un
pauvre plus élevé en gloire que les grands
mêmes du siècle, n'est-ce pas là, Messieurs,
un prodige ?
11 y a longtemps que le Saint-Esprit s'est
plaint dans l'Ecriture des rebuts que souf-
frent l'indigent chez les mondains, et des
louanges outrées qu'an donne aux riches.
J'ai vu un pauvre, dit-il, qui parlait avec
sagesse, qui prononçait des oracles; simple,
sage, ami fidèle, zélé citoyen, et personne
ne l'écoutait : on le rebutait chez les grands,
chez ceux mêmes qui rendent la justice ; je
l'ai vu languir à la porte des juges : Locutus
est pauper scnsate, et non est datus ei locus.
(Eccli., XIII.) J'ai vu unriche qui ne parlait
que de ses domaines, de ses nom -, de sa
grandeur, haut, dissimulé, sans talents, sans
connaissances, homme de fastes et de plai-
sirs, et tout le monde l'applaudissait; les
savants mêmes lui prodiguaient des éloges :
Locutus est dives supcrbrt, et extollunt us que
ad cœlum verba ejus. (Ibid.)
Or, Messieurs, comme vous le voyez, se-
lon le Saint-Esprit, la pauvreté est généra-
lement méprisée; c'est donc un prodige de
la voir si éclatante de gloire dans le grand
François d'Assise. Pauvre, illustre dans l'E-
glise par ses miracles, dans le monde par
les- honneurs éclatants que les hommes mêmes
du siècle lui rendent ; dans l'empire de Ma-
homet où il est révéré des ennemis mêmes
du nom chrétien. 11 fuit la gloire et la gloire
.e suit partout. Ici toutes les obscurités de
la pauvreté disparaissent; et je puis opposer
François aux plus opulents du siècle et aux
plus grands empereurs de la terre ; jugez-
en, Messieurs.
Pauvreté glorieuse dans l'Eglise, il a opéré
d'éclatants miracles ; l'histoire fidèle ne nous
assure-t-elle pas qu'il fut un homme de mi-
racles aussi bien qu'un homme de pauvreté?
Après avoir imité le détachement des apô-
tres, il a participé à leur puissance. Il n'a
pas été moins humble, moins pauvre, moins
zélé, moins crucifié; il n'a pas été non plus
moins puissant; comme eux, les prodiges
l'accompagnaient. Il a eu part aux ignomi-
nies et à la gloire du Sauveur. Devenu un
homme apostolique, il a marché sur les pas
des apôtres ; sa route n'a pas été moins écla-
tante. Je trouve .dans l'histoire de l'Eglise
naissante le récit des miracles des apôtres :
je trouve dans les annales de son ordre le
récit de ses miracles. La foi m'oblige de
croire les uns, la raison me fait adopter les
autres. C'est un historien fidèle qui me lo
représente avec tous les trophées qu'on a
érigés à sa puissance sur la mort, sur l'enfer,
sur tous les éléments; qui me le dépeint
aussi puissant dans les déserts et dans les
cours des souverains, que les prophètes et
les apôtres ; qui m'assure que le pain s'est
multiplié dans ses mains, que sa voix a brisé
les liens de la mort, mis en fuite les démons,
apaisé les tempêtes, tiré de l'eau des ro-
chers. Un historien fidèle, catholique, éclairé,
soumet un esprit docile et raisonnable.
Cependant, Messieurs, je ne vous parlerais
pas des miracles de François d'Assise, si
l'Eglise ne les avait pas constatés; malgré
mon estime pour l'histoire qui nous les a
transmis, j'aurais gardé le silence. Mais il
est certain que la pauvreté de François a été
illustrée dans l'Eglise par des miracles
avoués et reconnus. Vous dirai-je aussi qu'il
a été l'oracle et le prophète des plus grands
événements de l'Italie ?
En vain l'empereur Othon, enflé d'une
longue suite de prospérités , coule-t-i) à
l'ombre de ses lauriers des jours délicieux ;
notre saint trouble cette orgueilleuse tran-
quillité, en lui annonçant une défaite hon-
teuse ; prophétie, Messieurs, qui a eu son
accomplissement. Othon, après s être brouillé
avec le saint siège, trouva dans la personne
de Philippe-Auguste un vengeur qui arrêta
le cours de ses victoires, humilia son or-
gueil et vérifia l'oracle du pauvre François.
Que de gloire, Messieurs, pour un pau-
vre ! Quels miracles ! mais aussi quelle sain-
teté 1 Cependant je ne dirai pas, en parlant
de François, quels miracles! Mais je dirai:
où sont les obscurités de la pauvreté, puisque
je la vois si glorieuse dans l'Eglise et dans
le monde ? Par quel prodige un pauvre effa-
ce-t-;] , pour ainsi dire , toute la gloire
éblouissante du monde ?
Et en effet, Messieurs, vous dirai-je que
les empereurs, les monarques, les maîtres
de la terre ne sont pas reçus avec plus de
joie, de magnificence et de respect, lorsqu'ils
entrent dans leurs empires, leurs royaume-:,
leurs états, que François d'Assise lorsqu'il
entre dans les plus grandes villes de l'Italie?
Le clergé, le peuple, rangés par ordre,
sortaient des villes et des bourgades et ve-
naient au-devant du pauvre de Jésus-Christ.
Vous dirai-je que l'hérétique même, si
haut, si fier, qui ne sait ce que c'est que de
céder, qui méprise les plus doctes écrits,
qui tourne en ridicule les plus savants pré-
lats, qui flétrit jusqu'aux ouvrages des plus
grands papes et des Pères de l'Eglise les
plus distingués, était saisi, confondu, ter-
rassé par la seule présence de François?
C'est ce (pie nous apprend l'histoire de son
81
PANEGYRIQUES. — PANEG. iV, SAINT FRANÇOIS D'ASSISE.
ordre : Confundebattir adscmctiviriprcesen-
tiam hwretica pravilas.
\g\is dirai-je que les plus grands person-
nages de l'Italie et de toute l'Europe visi-
tent avec respect, dans le désert, la cabane
que le saint avait hab'tée? On va voir les mo-
narques pour contempler une grandeur à
laquelle on ne peut et on n'ose aspirer ; on
va voir la cabane de François, pour admirer
les traces d'une pauvreté que Dieu a r.endue
illustre et glorieuse.
Dans l'absence des rois on va voir leurs
palais pour en admirer le goût, les beautés,
les richesses, la magnificence. Après la mort
même de François on va visiter les lieux
qu'il a sanctifiés, les cabanes qu'il a habi-
tées, les grottes rustiques, les antres sauva-
ges où il s'est arrêté ; précisément pour avoir
la consolation dédire ce qu'on disait de saint
Hilarion au rapport de saint Jérôme : c'est là
où l'homme de Dieu, le pauvre François se
retirait, où il priait, où il travaillait, où il a
opéré tel miracle : Hic résider e solitus erat.
Complerai-je tous ces grands hommes que
l'ordre de François a élevés? N'entendez-vous
pas avec plaisir ces noms chers à l'Eglise,
aux plus célèbres universités, à la république
des lettres? Combien l'Eglise n'en a-t-elle
pas choisis dans l'ordre de François pour gou-
verner de grands diocèses, les honorer de la
pourpre romaine, les faire même monter sur
le trône de Pierre? Les Bonaventure, les An-
to;nede Padoue, les Pierre d'Alcantara, les
Louisde Sicile, les Sixte V, les Vading, les
Ximénès, les Lvra, les Scott, les Alexandre
de Halés, les Alphonse de Castro ; quels
noms, Messieurs 1 qu'ils sont précieux!
Quelle pauvreté que celle qui donne à l'Eglise
et au monde de si grands hommes!
Pauvreté glorieuse dans l'empire de Maho-
met ; si je ne craignais pas d'entamer un des
traits de ma seconde partie, je vous dirais de
passer en esprit avec lui, de l'Italie dans la
Syrie et dans l'Egypte. Vous le verriez
pénétrer jusque chez le soudan de Baby-
lone; vous le verriez recevoir de ce prince
barbare qui tient dans les fers les héros
chrétiens, et qui est chargé de leurs glo-
rieuses dépouilles, les honneurs les plus
distingués. On sait encore avec quel respect
et quelte estime l'image de François est
conservée chez le grand seigneur. Homme
singulier, privilégié dans sa pauvreté, disci-
ple de la crèche par excellence, il a paru
dans le monde comme un prodige; homme
singulier, privilégié dans sa pénitence, dis-
ciple du Calvaire par excellence, vous ne le
verrez pas avec moins d'étonnement. Je vais
continuer la suite des prodiges et des mer-
veilles. Après vous avoir montré les carac-
tères de sa pauvreté, il me reste à vous mon-
trerjes caractères rie sa pénitence ; différents
faits, mêmes sujets d'admiration pour nous ;
Tanquam prodigium factus sum mullis. C'est
la seconde partie de son éloge.
SECONDE PARTIE.
Après vous avoir montré, Messieurs, un
homme suscité de Dieu pour condamner
par sa pauvreté les criminelles attaches des
mondains, je vais vous montrer ce même
homme suscité de Dieu pour condamner,
par sa pénitence l'a honteuse mollesse du
monde. Le disciple de la crèche est aussi le
disciple du Calvaire; toujours homme de
prodige et privilégié, tous les traits de sa
pénitence sont merveilleux; l'Egypte, la Pa-
lestine, la Thébaïde, les déserts de Sceté,.
ces théâtres fameux de la religion, où brillè-
rent tant de vénérables solitaires, où la
force de Dieu parut si visiblement, ne pré-
sentèrent jamais des actions si singulières,
ni des austérités si privilégiées.
J'admrre les Paul, les Antoine, les Hila-
rion; ces hommes fameux qui ont fait l'ad-
miration des empereurs et de toute l'Eglise,
et je n'y trouve point les caractères de la
pénitence de François. Dans les amphithéâ-
tres et sur les échafauds, où brillèrent les
glaives des tyrans et coula le sang de tant
de martyrs, je n'y vois pas des traits aussi
glorieux que dans les souffrances de notre
saint. Il est le seul qui ait porté l'amour du
Calvaire où il l'a porté ; on ne peut point
parler de la croix qu'on ne parle de Fran-
çois, ni le représenter sans l'image de Jésus
crucifié; jamais homme mortel n'a eu tant
de traits de ressemblance avec le Sauveur.
Pénitent et martyr sans tyrans ni bour-
reaux, un genre de souffrance venu du ciel
le distingue et en fait un homme de pro-
dige, soit dans la pénitence qu'il pratique,
soit dans celle qu'il désire, soit dans celle
que le ciel lui accorde.
Ecoutez, je vous prie, avec un renouvel-
lement d'attention , les caractères de cette
pénitence merveilleuse.
Celle qu'il pratique est continuelle, celle
qu'il désire est héroïque , celle que le ciel
lui accorde est miraculeuse.
Pouvait-on le voir, Messieurs, sans étonne-
ment? Tanquam prodigium factus summultis.
Pourquoi, lorsque je parle de la pénitence
de François, ne puis-je pas faire entendre
ma voix à cette espèce de mortels que Dieu
attend depuis si longtemps; à ces hommes
qui se sont creusé l'enfer par de criminelles
douceurs, et qui ne veulent point le fermer
par de salutaires amertumes? Je parle de-
vant un auditoire chrétien et rempli de la
crainte du Seigneur, et j'ai des choses à ra-
conter capables de toucher les pécheurs les
plus endurcis.
Pénitence de François, pénitence de pré-
caution; les premières années de sa jeu-
nesse s'étaient écoulées dans les soins tu-
multueux du commerce; un monde riant s'é-
tait présenté à lui, l'avait flatté ; une foule
de liassions naissantes lui faisaient regarder
le siècle par ce qu'il a de plus attrayant. Né
avec des grâces, un naturel doux, un esprit
vif, des manières aisées , une humeur en-
jouée, une fortune honnête, il se promettait
beaucoup du monde, et le monde voulait
aussi se l'attacher ; son cœur s'agrandit, il
roule des projets de fortune, le commerce le
dégoûte, la gloire des armes brille à ses
veux, il est sur le point de se déclarer pour
87)
ORATEURS SACRES. BALLET.
Si
elles, lorsque la grâce le touche, et que Jé-
sus attaché à la croix, fait la conquête de son
cœur.
Que de larmes, Messieurs, ne répandit-il
pas sur les prémices de sa jeunesse, quoi-
qu'elle eût été très-pure, qu'il n'eût goûté
que des douceurs permises , qu'il n'eût
cherché que des établissements approuvés,
et qu'on le donnât ordinairement pour
modèle à la jeunesse la plus sage 1 Son in-
nocence, échappée du naufrage au milieu de
tant d'écueils et de précipices , devient le
principe de tous ses soins, de tou-'es ses
frayeurs et de toute son indignation. 11 n'at-
tend point qu'il soit tomhé pour gémir, qu'il
ait péché pour faire pénitence ; à la moin-
dre révolte des sens, dès que Satan veut
l'envelopper de ses nuages impurs, je le
vois se jeter dans un étang de glace dans les
plus grandes rigueurs du froid ; je le vois
se rouler tout nu sur les épines', déchirer
son corps, et détremper la terre de son sang.
N'est-ce pas là, Messieurs, craindre le pé-
ché' n'est-ce pas là se précautionner con-
tre la surprise du démon?
Je ne suis pas étonné de voir l'innocence
si rare dans le monde ; de voir régner la li-
cence dans presque tous les états i on ne se
précautionne pas contre les amorces du plai-
sir. Les spectacles, les cercles, si attrayants
par eux-mêmes sont presque toujours com-
posés d'une jeunesse vive et ardente, qui se
souille à l'envi des étincelles voluptueuses.
Un saint atténué d'austérités, qui déchire
tous les jours sa chair par de rudes disci-
plines, serré par la haire et le cilice, dont les
yeux sont creusés par l'abondance des lar-
mes qu'il répand, le visage défiguré par les
mortifications ; un saint qui passe les nuits
dans les prières, la contemplation , les jours
dans les travaux et des voyages pénibles;
un saint toujours attachée la croix, qui la
porte toujours dans ses bras ; en un mot ,
saint François est obligé de combattre con-
tre les attaques de la volupté : et des hom-
mes oisifs, sensuels, exposés dans le grand
monde, ne veulent point se précautionner
contre les amorces du péché. Ah! ils péri-
ront, puisqu'ils trouvent le danger agréable.
Pénitence de François, pénitence de zèle;
ses mortifications, ses courses apostoliques,
ses ardentes (trières dans la chapelle de la
Portiuncule, ont pour principe et pour ter-
me la conversion des pécheurs.
Déserts de Pérouse, grottes rustiques, an-
tres sauvages, rochers inaccessibles, pre-
miers auspices de ce grand homme; c'est à
vous à nous dire combien il exerçait de
saintes cruautés sur son corps innocent,
pour apaiser la colère du Seigneur irrité
contre les pécheurs. Tout ce que je sais,
c'est que cette pénitence de zèle a passé chez
ses enfants; ou pratique dans ces asiles sa-
crés des austérités pour ces aveugles mon-
dains qui courent à leur perte avec joie.
Vous dirai-je encore (pie le salut de toute
la terre l'occupe? C'est pour cela qu'il de-
mande la permission au souverain pontife ;
elle est sans bornes, parce qu'on est persuadé
que son zèle n'en a point. L'Europe, l'Asie,
l'Afrique , tous les climats deviennent le
théâtre de son zèle; il v envoie ses pre-
miers disciples ; il marche lui-même le cru-
cifix à la main, parcourt les villes et les
bourgades, prêche la pénitence ; il en porta
les livrées, il en pratique toutes les austé-
rités. Quel prédicateur, Messieurs ! Sa voix
frappe , son exemple étonne , terrasse les
plus obstinés. C'est un autre Paul qui ne
sait qu'un Jésus crucifié; mais qu'on puise
de lumières et de connaissances au pied de
la croix,! Avec ces seules paroles, faites péni-
tence, quittez le vice , on se réveille. Qui
prêche ainsi? C'est François d'Assise, cet
nomme d'austérités, cet homme mort au
monde, crucifié; sa pénitence anime, le
luxe diminue, les scandales cessent , les
liens du péché se brisent, la réforme s'insi-
nue dans presque toutes les familles, et il
s'opère des changements qui édifient.
Est-ce, Messieurs, parce qu'on prêche au-
jourd'hui avec plus d'éloquence, d'art, de
politesse? est-ce parce que nous ne parais-
sons pas dans les chaires chrétiennes le
crucifix à la main, et un habit de pénitence
comme François, que vous ne vous conver-
tissez pas? Vous voudriez le faire penser, mais
nous savons à quoi nous en tenir. Vos cœurs
sont trop épris des objets du monde pour
vous convertir. Voici cependant une chose
qui m'effraye, et qui doit certainement vous
faire trembler.
Vous ne vous convertissez pas à la voix
des prédicateurs de l'Evangile, vous ne fai-
tes pas pénitence , le prédicateur ne vous
touche point assez ; il n'est pas assez édi-
fiant, assez pénitent, dites-vous. Eh bien!
Dieu vous prêchera lui-même, mais d'une
manière terrible, dit saint Augustin.
Les hommes au temps du déluge n'ont pas
voulu faire pénitence a la voix de Noé, Pha-
raon à la voix de Moïse , les Juifs à la voix
des prophètes et de Jésus -Christ même;
quelle a été la punition de ces hommes en-
durcis? Ecoutez et tremblez: tout le genre
humain, excepté huit personnes, entraîné
dans un déluge universel; tous les Egyp-
tiens ensevelis dans les abîmes de la mer
Rouge; des guerres sanglantes; de longues
captivités; quatre florissants empires éteints,
des trônes renversés, des pécheurs enlevés
dans l'ardeur de la passion ; voilà la manière
terrible, dit saint Augustin, avec laquelle
Dieu prêche la pénitence quand il est irrité,
et qu'on méprise les apôtres qu'il envoie :
Terribililer pœnitentiam prœdicavit.
Pénitence de François, pénitence d'imita-
tion; vous vous rappelez sans doute , Mes-
sieurs, ce carême entier qu'il passa sans man-
ger, à l'exemple du Sauveur; carême célèbre,
merveille de pénitence qui honore l'histoire
de l'Eglise.
François, brûlé de l'amour divin, forme le
dessein d'imiter le Sauveur; il quitte ses
frères aux approches de la quarantaine , il
s'enfonce dans le désert de Pérouse, pénètre
dans une île écartée ; c'est là qu'il passa le
saint temps de carême dans ces jeûnes divins,
85
PANEGYRIQUES. — PANEG. IV
que la grâce puissante de Jésus-Christ lui
fit remplir, sans autre commerce que celui
qu'il entretenait avec le ciel. Est-ce un mor-
tel , est-ce un ange, Messieurs, qui se pros-
terne plusieurs fois le jour, qui a les bras
en croix, qui est dans la compagnie des
bêtes et que le ciel admire? Je vous l'ai an-
noncé, c'est un saint distingué que Dieu
conduit dans des routes mystérieuses; hom-
me de prodige dans la pénitence qu'il prati-
que , elle est continuelle ; dans celle qu'il
désire, elle est héroïque. Nouveau genre de
pénitence , nouveau sujet d'admiration et
d'élonnement : Tanquam prodigium factus
sum multis.
Cette pénitence dont je viens de vous par-
ler vous effraye, Messieurs, elle ne suffit pas
à François, il craint de ne point gagner le
ciel avec toutes ses austérités : ce genre de
martyre, auxquels les saints docteurs ont
donné de si magnifiques éloges, ne contente
pas ses désirs héroïques. Il voudrait répan-
dre tout d'un coup sur les échafauds, le sang
qu'il répand goutte à goutte dans ses lon-
gues et fréquentes flagellations. C'est pour
cela qu'il désire le martyre, qu'il va le cher-
cher, et qu'il fait tout ce qu'il faut faire pour
l'obtenir.
Représentez-vous ces fameux guerriers,
ces grands capitaines, qui décident souvent
par leur valeur des destinées d'un royaume,
qui vont offrir au prince avec joie leur épéa
et leur fortune, qui se hâtent, pour ainsi dire,
de répandre leur sang pour les intérêts de
leur patrie. Ils ne goûtent qu'avec ennui les
douceurs d'une vie paisible et de la plus ten-
dre union; ils se regardent comme inutiles,
lorsque le prince les oublie dans le temps des
sièges et des batailles, et qu'ils n'ont pas l'oc-
casion de prodiguer leur vie. Or, Messieurs,
ce que ces héros de la guerre font pour les
maîtres du monde, François veut le faire pour
le maître du ciel et de la terre. Ses vertus
sont trop honorées dans toute l'Italie, et sa
pénitence, tout austère qu'elle est, n'est pas
assez héroïque. Ses désirs pour les souf-
frances deviennent impétueux: les images
qu'il se représente avec le plus de plaisir,
sont les cachots, les amphithéâtres, les écha-
fauds, les glaives; les ambitieux ne roulent
pas avec plus de satisfaction les projets de
fortune.
Je me le représente serrant un crucifix en-
tre ses bras, et tenant au Sauveur ce langage
tendre d'un grand cardinal, de saint Bona-
venture, qui lui a presque succédé dans le
généralat : Sauveur de tous les hommes, di-
sait-il, je rougis de ne pas être attaché à la
croix: je ne puis plus vivre sans souffrances
et sans persécutions: non possumvivere sine
vulnere ; je ne saurais voir ce chef adorable
couronné d'épines, ce côté ouvert, ces pieds
et ces mains pertes, ce visage meurtri, ce
corps étendu avec violence, et vivre sans
croix; je veux souffrir, parce que je vous
vois couvert de plaies: quia te video vulnera-
tum; je n« trouve que des admirateurs, et je
cherche des bourreaux!
Peut-être, Messieurs, direz-vous que ce
, SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 86
sont des désirs passagers d'un cœur touché,
attendri ; des projets formés au pied des
autels, dans le feu d'une dévotion extraordi-
naire ; que les directeurs les plus éclairés e<
les [dus habiles sont embarrassés dans 1a
conduite de ces sortes de spirituels?
Non, Messieurs, ce sont des désirs réels,
constants : il désire le martyre et il va le cher
cher. Déjà je le vois sortir de l'Italie, passer
les mers et aller, où, Messieurs? Où il pré-
sume mourir pour la foi, où il saitqu'on per
sécute les chrétiens, où sans miracle il ne
peut éviter des supplices; en un mot, dans
l'empire de Mahomet, sous la tente même de
Mélédin,soudan de Babylone, enflé des vic-
toires qu'il venait de remporter, et du grand
nombre de chétiens qu'il tenait dans ses fers.
Mais peut-être la terreur s'emparera-t-elle
de lui; le verra-t-on mollir en présence du
prince barbare ; user de politique, cacher la
vérité, ménager du moins les ennemis du
nom chrétien. Non, Messieurs. Il a désiré le
martyre, il a été le chercher où il présumait
le trouver, et il fait tout ce qu'il peut pour
en être honoré.
Le crucifix à la main, il prêche le mystère
du Calvaire sous la tente même de Mélédin :
il oppose la gloire de la croix à la fausse
grandeur du croissant. Ce n'est pas assez
pour lui d'insulter à la religion de Maho-
met, il tourne en ridicule sa personne, sa
prétendue sainteté, ses faux miracles et ses
extravagantes prophéties.
« Celui que vous voyez attaché à la croix,
disait- il au Soudan de Babylone, est le vrai
Dieu, le Sauveur de tous les hommes, dont
la haute sainteté, la céleste doctrine, et les
éclatants miracles ont été attestés par les Juifs
mêmes, et Mahomet n'est qu'un séducteur,
un faux prophète, un impie. »
En fallait-il davantage, Messieurs, pour
être honoré du martyre, si Dieu n'en eût pas
destiné un à François d'un genre extraordi-
naire et miraculeux? En effet, la fermeté de
François, sa sainteté, son habit de pénitence,
le mépris qu'il fait des richesses qu'on lui
offre, la mort qu'il brave en héros intrépide,
tout cela jette les barbares dans l'étonnement,
ils admirent un héroïsme qui les surprend ;
ils conçoivent de l'estime pour un homme si
extraordinaire; on lui offre des richesses et
des honneurs: François qui n'était venu que
pour le martyre les refuse, et voyant qu'il ne
trouvait que des admirateurs et des couron-
nes où il croyait trouver des tyrans et des
supplices, il repasse les mers, revient en
Italie pour se dédommager par de longues
austérités des tourments qu'on lui épargne.
Consolez-vous, François, le ciel va vous
accorder ce que les hommes vous refusent.
Un genre de martyre miraculeux va vous
élever au-dessus du celui que vous désirez.
Quelles merveilles, Messieurs! Est-ce d'un
mortel que je vais parler? Est-ce d'un ange?
C'est de François d'Assise, qui va vous éton-
ner plus que jamais par cette pénitence mi-
raculeuse dont le ciel l'honore, qui va de-
venir dans ce moment, pour cet auditoire, uu
t"
ORATEURS SACRES. BALLET.
88
prodige digne de terminer tous les autres:
ianquam prodigium far tus sum muftis.
Je vais vous ra :onter, Messieurs, des mer-
veilles que lesiè.-le de François a vues, que
los plus gran Is personnages de l'Eglise et
ce l'Etat ont attestées; un miracle examiné,
publié par l'autorité des souverains pontifes,
mais que certains critiques ont attaqué et
traité de fi: t;on.
On dirait, à entendre certains esprits bril-
lants vantés par les plus médiocres, que
Dieu ne saurait sortir des routes ordinaires.
Ce qui leur paraît extraordinaire est selon
eux impossible, et les faits les plus authen-
tiques ne sont que de pieuses fictions, quand
ils ne sont pas adoptés au tribunal de leur
raison. C'est ainsi que les glorieux stig-
mates dont Dieu a honoré saint François, ont
été rejetés par cette académie de beaux es-
prits; ils n'ont pas rougi de se parer des
raisonnements indécents du plus libre de
tous les auteurs, quoiqu'il soit le plus à la
mode: ce savant, mort les armes de l'im-
piété à la main, qui défend, dans son ouvrage
énorme de critique, toutes les sectes et que
toutes les sectes désavouent; quia passé des
prolestants chez les catholiques, et des catho-
liques chez les protestants, sans jamais avoir
été sincèrement ni l'un ni l'autre; cet hom-
me de mensonge qui passe pour l'oracle de
la vérité, et qui est rempli de contradictions;
cet homme flétri môme dans les plus fameux
consistoires de la religion protestante, et
auquel les mondains ont érigé tant de tro-
phées; cet homme qui, comme ces impies
dont parle le Prophète, a porté sa bouche jus-
que dans le ciel, et aiguisé sa langue sur la
terre: posuerunt os suum in cœlum, et lingua
eorum transivit in terrain ; qui a osé sonder
les abîmes du Seigneur, percer les ténèbres
sacrées qui l'environnent, pénétrer les mys-
tères et les citer à son tribunal; qui a tenté
de faire tomber les saints dans l'avilisse-
ment, sans épargner la Mère de Dieu mê-
me; qui blâme leurs verlus, qui leur arra-
che leurs couronnes, et les met au rang de
ces héros fabuleux que l'imagination échauf-
fée îles peuples a divinisés : cet homme qui
a déchiré les plus saints conciles, calomnié
les plus saints docteurs, prodigué des élo-
ges aux plus grands hérésiarques, insinué
délicatement le socianisme, le manichéisme
et l'athéisme, et dont le fameux ouvrage se-
rait certainement sans crédit et sans estime,
s'il était sans obscénités et sans impiétés, et
s'il n'y avait point dans notre siècle des
mondains sans religion; voilà le héros dont
on emprunte les traits que l'on lance avee.
satisfaction contre les glorieux stigmates de*
saint François. Mais la sainteté, le rang des
témoins qui les ont vus, l'autorité de l'E-
glise qui les a adoptés, ont toujours dissipé et
dissiperont toujours les coups d'une orgueil-
leuse critique.
Grâce à Dieu, je parle dans un auditoire
ju iicieuxet chrétien, etees seules réflexions
suffisent pour le précautionner contre les
railleries des libertins.
!' a uinez donc, mes frères, cette nouvelle
suite de prodiges qui terminent la vie de
François d'Assise. Déjà j'aperçois ce nou-
veau calvaire où François doit être crucifié ;
un nouveau genre de° martyre attesté 'par
Alexandre IV, saint Bonaventure , sainte
Claire, une foule de saints religieux, par
toute l'Eglise qui en permet l'office et la so-
lennité.
Icitoutle distingue des autres martyrs : ce
qu'il souffre, celui qui le fait souffrir, et les
suites de ses souffrances; il est crucifié par
l'ordre du ciel, c'est un ange qui le crucifie,
et il vit après avoir été crucifié : voilà le pro-
dige, voilà ce qui a paru étonnant à ces
hommes accoutumés à raisonner et à exami-
ner : Tunquam prodigium factus sum mul-
tis.
François, consumé de l'amour divin, dans
un temps où sa vie n'était plus qu'extases,
que ravissements, que communications inti-
mes avec Dieu, monte sur le mont Alverne ;
là le ciel s'ouvre à ses yeux, un séraphin,
portant entre ses ailes l'image de Jésus atta-
ché à la croix, vient fondre sur lui; lui perce
les pieds, les mains et le côté; ces impres-
sions sacrées restent, le sang coule, son hu-
milité ne saurait dérober aux hommes ces
plaies honorables.
Ce n'est pas un mortel qui met les mains
sur son corps innocent, c'est un ange ; il
survit au martyre; il prêche crucifié ; il tient
la croix dans ses bras, et il la porte empreinte
sur son corps.
Ici les expressions me manquent. Un
homme attaché à la croix, cloué sur la croix
par le ministère des anges; quel miracle!
L'amour divin seul peut opérer ces mer-
veilles : quand il est sincère et ardent, dit
saint Grégoire, rien ne lui est impossible :
Àmor si i^erus est, magna operatur.
Ce n'est pas un de ces tyrans que l'his-
toire ecclésiastique nous représente, qui, le
visage allumé du feu de la colère, le dépit
dans le cœur, le trône environné des instru-
ments de supplices, commande à ses minis-
tres de frapper un héros de la foi : c'est Jésus
lui-même qui, touché des plus tendres misé-
ricordes, et pour récompenser l'ardente cha-
rité de François, destine un de ces esprits
célestes qui exécutent les ordres du Très-
Haut; il vient lui percer les pieds et les
mains , lui ouvrir le côté, et en faire une
parfaite copie du mystère du Calvaire.
Dans les autres martyrs, ce sont les hom-
mesqui persécutent, et Dieu qui récompense,
ici tout vient du ciel, le martyre et la cou-
ronne; dans les autres saints, c'est le mar-
tyre qui termine leurs jours, et les enlève à
la terre ; ici l'ange, après avoir attaché Fran-
çois à la croix, s'en retourne avec un vol
rapide dans le séjour de la gloire. François
crucifié reste dans le monde, dans la com-
pagnie des mortels , prêche la croix et la
pénitence. Quel saint respect ne devait pas
inspirer la vue d'un saint si conforme à Jé-
sus-Christ 1
Je ne m'étonne pas de le voir aussi rapide
que les apôtres dans les conquêtes qu'il
procure à la religion; de voir les temples
80 PANEGYRIQUES. — PANEG.
détruits, les autels renversés, les idoles bri-
sés, des milliers de Sarrasins convertis, des
j rinces, des souverains se dérober à l'éclat
du trône jour se cacher sous l'habit de pé-
rdtence de François des personnes jeunes et
délicates quitter les cours les plus brillantes
] our se mettre sous la protection d'une
sainte Claire, le vice abattu n'oser se mon-
tier, et la vertu triomphante paraître avec
honneur ; François .d'Assise, le crucifix à la
main, crucifié lui-même, près d'expirer dans
Jes flammes de l'amour divin, devait opérer
ces houieux changements. Ce sont des pro-
diges, dites-vous; mais François était un
homme de prodiges • c'est sous ces traits
magnifiques que je vous l'ai annoncé en
commençant son éloge : Tanquam prodighim
factus summultis.
11 me' semble, Messieurs, entendre saint
François nous dire aujourd'hui avec un
prophète : Ressou venez-vous de ma pau-
vreté : rccordare paupertatis (Jerem., III) :
je l'ai portée jusqu'aux plus sublimes con-
seils : portez-la du moins jusqu'aux précep-
tes; si vous ne renoncez point à vos riches-
ses, n'y attachez pas votre cœur. Il me sem-
ble l'entenJre dire, avec saint Paul : J'ai atta-
ché le monde à la croix avec toutes ses cu-
pidités, mais après m'y être attaché moi-même
avec amour : Mihi mundus crucifixus est, et
ego mundo.(Galat., VI.) Portez-la, cette croix,
faites pénitence, imitez-moi dans le détache-
ment des richesses et le détachement des
plaisirs, soyez disciples de la crèche et dis-
ciples du Calvaire. Si vous ne me suivez pas
avec le même éclat, suivez-moi aveclamême
sincérité que j'ai suivi Jésus-Christ, et vous
aurez part à la gloire immortelle dont je
jouis présentement dans le ciel, et dont je
jouirai pendant toute l'éternité. Je vous la
souhaite. Ainsi soit-il.
PANEGYRIQUE V.
SECOND PANÉGYKIQUE UE SAINT *RANÇOIS
d'assise.
Prononcé dans Véglise des Ml. PP. Corde-
Mers du grand couvent de Paris, le k octo-
bre 1750.
Vidi angelum habenlcm signum Dei vivi. (Apoc, VU.)
J'ai vu un ange qui portait, gravé sur lui, le siqne du
Dieu vivant. -*
Dans cette foule d'esprits célestes qui en-
vironnent le trône du Très-Haut, ii en est un,
comme vous voyez, Messieurs, qui est dis-
tingué par des traits merveilleux de ressem-
blance avec l'Homme-Dieu. Sa gloire n'obs-
curcit pas celle des autres bienheureux. Ce
signe mystérieux gravé sur lui est un pri-
vilège qui le distingue, le caractérise; c'est
un astre qui diffère des autres astres par un
éclat plus frappant; le disciple bien-aimé
l'aperçoit, il porte le signe de la croix, selon
Jes interprètes, pour l'imprimer sur le front
de tous les élus : Vidi angelum habcntem si-
gnum Dei vivi.
On a vu aussi sur la terre, Messieurs, ce
que saint Jean a vu dans le ciel ; un homme
V, SAINT FRANÇOIS D'ASSISE.
50
mortel a porté gravé sur sa chair innocente
le signe du Sauveur. François d'Assise a re-
tracé les grands mystères de la crèche et du
Calvaire. .
A ce nom vous vous rappelez un des plus
grands héros de la religion ; un saint suscité
de Dieu, animé de sou esprit, rempli de sa
force; un disciple parfait de l'Evangile, qui
a trouvé l'opulence dans la pauvreté, la gloire
dans les abaissements, des consolations dans
les souffrances; un homme de prodiges qui
a effacé par sa sagesse la gloire des philoso-
phes; égalé par son zèle celle des apôtres;
surpassé par ses souffrances miraculeuses
celle des martyrs; étendu par ses exemples
celle de la croix; retracé [ par ses miracles
celle de Jésus-Christ.
J'ouvre les annales de l'Eglise, Messieurs,
je vois des hommes de sainteté, de zèle, de
miracles. Chaque siècle a ses apôtres, ses
thaumaturges, ses docteurs. Je ne viens pas
obscurcir par des ombres répandues avec
art, ces astres brillants; mais parmi tous ces
hommes fameux , François d'Assise est Je
seul qui m'offre des traits miraculeux de
ressemblance avec le Sauveur. C'est un sé-
raphin que je découvre dans cette foule de
bienheureux : Vidi angelum habentem signum
Dei vivi.
Il n'est pas étonnant, Messieurs, que ces
traits *,ous divins, qui caractérisent notre
saint patriarche , révoltent les sages du
monde.
Enseigner la pauvreté et avoir des disci-
ples, voilà ce qui a étonné et ce qui éton-
nera toujours le monde. On admire le mé-
pris des richesses dans les sages du paga-
nisme ; on le tourne en ridicule dans les
disciples de l'Evangile. On loue Zenon ; on
blâme François.
O hommes! trop jaloux de votre raison et
trop éblouis de voire sagesse , pourquoi fer-
mez-vous les yeux sur la honte répandue
dans les écoles" des philosophes païens? Et
pourquoi n'admirez-vous pas les glorieux
succès des disciples formés à l'école de
Jésus-Christ? Ces succès justifient l'Evangde
et condamnent vos coupables censures.
Je viens louer François ou plutôt Jésus-
Christ retracé dans François; je vieni par
conséquent condamner la sagesse et la poli-
tique du siècle. Vous verrez l'ordre de Fran-
çois s'étendre avec rapidité jusqu'aux extré-
mités du monde et subsister avec autant
d'honneur que les ordres les mieux dotés.
Vous verrez son saint fondateur sortir de
l'Italie pour fuir la gloirequi le suit partout,
et la gloire le suivie jusque dans l'empire
de Mahomet. ïl est admiré où les autres sont
persécutés. Vous verrez un homme (pic la
pénitence immole, que les ardeurs de la
charité consument, que le ciel crucifie.
L'établissement de son ordre, l'austérité
de sa vie, deux traits, ou plutôt deux pro-
diges, Messieurs, que je dois exposera votre
admiration. Vous verrez retracés dans l'éta-
blissement de son ordre, les rapides succès
et les glorieuses conquêtes de l'Evangile.
Vous verrez retracées dans sa vie, toutes-
91
ORATEURS SACRES.
les austérités et les saintes rigueurs de l'E-
vangile.
Jésus-Christ retracé dans François d'As-
sise avac toute la sagesse de son Evangile.
Jésus-Christ retracé dans François d'Assise
avec toute la sévérité de son Evangile : vidi
anyclum habentem signant Dei vivi. Deman-
dons, etc. Ave, Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
Pourquoi, Messieurs, l'homme de sainteté
inspiré, enseigné, conduit par la sagesse di-
vine, étonne-t-il tous les mondains? L'Evan-
gile nous l'apprend. La sagesse de Dieu prend
des routes contraires à celles qui font arri-
ver l'homme aux richesses , aux honneurs.
La sagesse a des ressources que les prudents
du sièide ne connaissent pas, qui ne sont pas
même à leur portée.
Les mondains veulent justifier leurs cou-
pables attaches, leurs projets ambitieux, la
profondeur de leur politique. Est-il éton-
nant que l'homme que Dieu fait arriver à la
gloire par l'indigence, les abaissements, les
souffrances, les étonne et les surprenne?
Les Romains regardaient-ils les apôtres
comme des hommes propres à la conquête du
monde? Leur pauvreté, l'obscurité de leur
naissance, leurs occupations rustiques, les
mettaient, à leurs yeux, au-dessous de ces
savants qui brillaient dans les académies;
de ces héros qui attachaient à leur char des
nations vaincues; de ces politiques qui con-
servait, par leur habileté, la république
dans l'opulence et la splendeur.
Il faut aux hommes, pour l'exécution de
leurs projets, des richesses, des forces, de
grands politiques, de grands génies: il ne
faut au Seigneur que sa volonté. La sagesse
prend des routes contraires à nos idées : elle
choisit les faibles pour confondre les forts;
le superbe géant, redouté de tout Israël, est
terrassé dès qu'il a eu dressé lui-même les
doigts du jeune David aux combats.
La chute humiliante du paganisme a suivi
de près les prédications des apôtres; la reli-
gion chrétienne s'est établie rapidement sur
ses débris.
L'ordre de François, Messieurs, nous re-
trace ces merveilleux succès; son établisse-
ment lui a été inspiré par la sagesse divine,
c'est l'Kvangile qui lui en a tracé le plan :
nous allons admirer les mêmes prodiges.
Vous verrez son ordre s'établir solide-
ment sur les fondements de la pauvreté de
Jésus-Christ; s'élever à un haut degré de
gloire par les abaissements de Jésus-Christ ;
triompher de tous les obstacles par la puis-
sance de Jésus-Christ.
N'est-ce pas là, Messieurs, retracer Jésus-
Christ avec toute la sagesse de son Evan-
gile? Vidi angelum habentem siynum Dei
vivi.
Rien ne révolte plus les faux sages et les
politiques du siècle que la pauvreté. Rien
loin de la regarder comme le fondement de
la grandeur de la doctrine de Jésus-Christ,
ils se la représentent sous les images les
plus tristres; la vertu, les talents, la nais-
BALLET. DS
îme, perdent leur éclat sous ses
sance me
livrées.
L'indigence fait mépriser le mérite le
plus brillant. L'opulence t'ait louer les génies
les plus médiocres. De là, Messieurs, ce
flatteur encens qu'on offre à l'homme de ri-
chesses; de là ces savants indigents qu'il
attache à son char; ces grands obérés qui
ne rougissent point de mêler leur sang avec
le sien pour relever les ruines d'une an-
cienne noblesse.
De là le svstème de ces faux sages déta-
chés en apparence des richesses, et tou-
jours inquiets sur un avenir incertain; qui
ne thésaurisent point j ar inclination, disent-
ils, mais par prudence; 'qui redoutent les
fâcheux événements qui les menacent, qui
n'adorent poi-nt la sagesse d'un Dieu qui les
prépare et les fait naître pour sa gloire. De
là les oracles de ces politiques qui veulent
passer pour les colonnes et les soutiens d'un
Etat, qui regardent les ressources de la Pro-
vidence comme des fonds à charge à la ré-
publique, et qui , a.rès avoir censuré l'opu-
lence de ces grands ordres richement dotés,
se soulèvent contre les ordres qui ne possè-
dent rien. Voilà, Messieurs, les ennemis de
la pauvreté de Jésus-Christ. Vous connaissez
trop les mœurs de notre siècle pour ne pas
les reconnaître à ces traits.
J'oppose, Messieurs, à ces ennemis de la
religion de Jésus-Christ les rapides succès
de la relig:on chrétienne et l'ordre de Fran-
çois. La même sagesse qui a tracé aux apô-
tres le plan qu'ils devaient suivre, a inspiré
à François cette pauvreté volontaire qui a
fait l'ornement de son ordre. C'est dans l'E-
vangile qu'il puise ce grand principe de la
perfection.
Jésus-Christ avait dit à ses apôtres : Ne
possédez ni or ni argent. François le dit à ses
enfants, et sur le fondement de cette pau-
vreté volontaire^ son ordre s'établit, s'étend
merveilleusement dans tous les royaumes et
dans tous "les empires-, il imite en quelque
sorte les rapides progrès de la religion chré-
tienne.
On est riche, Messieurs, quand on est pau-
vre avec Jésus-Christ, quand c'est l'Evangile
qui nous dépouille de nos richesses.
Le paganisme a eu de fameux contem-
pteurs des richesses; la philosophie a dé-
daigné, en apparence, l'opulence du siècle.
On a vu le chef des stoïciens enseigner le
mépris des biens de la terre, et avoir beau-
coup de disciples; mais ce détachement fas-
tueux a-t-il eu les mêmes succès que la
pauvreté de François? Ahl François était
inspiré par la sagesse divine, et l'amour de
la gloire faisait agir ces païens tant vantés.
L'ouvrage de l'orgueil s'est détruit, l'œuvre
de Dieu s'est conservée !
Oui, Messieurs, l'établissement de l'ordre
de François est l'ouvrage de Dieu ; de grands
traits l'avaient préparé de loin à cette mer-
veilleuse entreprise; des prophètes mêmes
avaient annoncé à l'Italie ce patriarche des
pauvres; le monde le perd dès qu'il connaît
Jésus-Christ; la jeunesse et l'opulence ne
93
PANEGYRIQUES. — PANEG. V
l'attachent point à son char ; le premier ora-
cle de l'Evangile qu'il entend lui inspire le
plan de vie qu'il se trace; alors les flatteuses
espérances de sa famille sont sacrifiées à la
pauvreté évangélique; un renoncement so-
lennel désarme son père irrité de ses aumô-
nes, édifie l'évoque d'Assise, témoin de son
sacrifice, et en fait un parfait disciple de la
crèche.
Voilà, Messieurs, les premiers trophées
que François érige à la pauvreté. Bientôt il
sera victorieux de tous les obstacles qui s'op-
posent à l'établissement de son ordre. Vous
allez voir de glorieux succès.
Vous dirai-je que fous les efforts de la
sagesse du siècle, de la politique et de l'hé-
résie ne furent tenir contre son zèle aposto-
lique ?
En vain les faux sages désapprouvent-ils
son projet; en vain les politiques annoncent-
ils" partout qu'il sera à charge à la société; en
vain les hérétiques le tournent-ils en ridi-
cule ; tout se soulève contre" François; mais
bientôt tout s'abaisse devant lui : on recon-
naît l'œuvre de Dieu; la perfection de l'Evan-
gile triomphe de- la prudence du siècle. Fai-
tes attention, Messieurs, aux préjugés des
mondains de son temps, les succès de son
établissement vous paraîtront des prodiges.
Le respect humain, ce fantôme de sagesse,
ne faisait que de lâches déserteurs de la
vertu : le goût des plaisirs sensuels avait
effacé dans les esprits jusqu'à l'idée du plan de
l'Evangile. L'hérésie triomphante, à l'ombre
du libertinage, entraînait, par les charmes
de l'indépendance, les fidèles dans l'er-#
reur.
C'est dans ces temps malheureux que pa-
rait François, qu'il lève l'étendard delà pau-
vreté, qu'il a des disciples, qu'il établit
son ordre. Que d'obstacles ne trouve-t-il
pas ? Ne craignez pas, Messieurs : ils cè-
dent tous au zèle de François; rien ne l'ar-
rête.
C'est vous seul, chef respectable de l'E-
glise, que François consulte, qui pouvez
retarder l'exécution de son projet; prosterné
à vos pieds, il attend votre approbation ; ca-
tholique docile, il se soumettra à votre dé-
cision. Les plus grands saints ont toujours
été les plus obéissants à l'Eglise.
François, Messieurs, marchait alors sur
les traces des plus saints. patriarches de l'Oc-
cident. Tous les ordres de l'Eglise ont pris
naissance à l'ombre du Saint-Siège, et mal-
heur aux enfants qui démentent, par leur
résistance aux décisions du souverain pon-
tife, la soumission et le respect de leurs pè-
res.
Vous dirai-je, Messieurs, que le ciel parla
pour dissiper les appréhensions d'Inno-
cent 111; qu'il opéra des prodiges éclatants
pour justifier l'entreprise de François ?
Les services importants qu'il doit rendre
à l'Eglise, la grandeur future de son ordre
sont révélés au souverain pontife : une jeune
jialme qui croît miraculeusement à ses pieds;
le temple de Latran penché, prêt à tomber
en ruine, et relevé par ce pauvre méprisé,
, SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 94
sont les merveilles qui lui annoncent les des-
seins de la Providence sur son Eglise et les
glorieux succès de François.
Alors, Messieurs, tous les obstacles sont
levés ; les appréhensions du vicaire de Jé-
sus-Christ sont dissipées, les réflexions de la
politique, les craintes de la prudence mon-
daine sont confondues; tout cède à la voix
du ciel qui autorise le projet de François ; sa
règle, qui avait effrayé, soulevé un monde de
ti liesses, déplaisirs, qui avait paru au-des-
sus de l'homme au successeur de saint Pierre,
est confirmée dans le concile même de La-
tran.
Que de brillants succès s'offrent ici à mon
imagination ÎSur les fondements de cette pau-
vreté volontaire, je vois l'ordre de François
s'établir, s'étendre avec une rapidité qui tient
du prodige. Ces nouveaux apôtres se multi-
plient ; point de villes, de royaumes, d'empi-
res où ces illustres pauvres n'aient des hos-
pices; avant la mort du saint patriarche, je
vois plus de cinq mille religieux assemblés
dans le chapitre de la Portionculc; voilà, Mes-
sieurs, les merveilles de la pauvreté de Jé-
sus-Christ retracée par François d'Assise.
Que les mondains vantent tant qu'ils vou-
dront, Messieurs, les succès de leur sagesse,
ils ne sont ni aussi merveilleux, ni aussi du-
rables que ceux de François. Je vois des chu-
tes, des décadences humilier les plus riches
familles. Je vois sur la scène du monde des
infortunés qui pleurent la perte de leurs
biens; leurs terres et leurs charges ont passe
dans des maisons étrangères ; l'édifice de
leur fortune a été renversé, je n'en suis pas
étonné : la sagesse mondaine l'avait élevé;
l'ordre de François a des succès plus dura-
bles : c'est la sagesse de l'Evangilequi le fa t
subsister sur les fondements de la pauvreté,
et l'élève a un haut degré de globe par les
abaissements mêmes de Jésus-Christ.
Ici, Messieurs, s'accomplit un des plus
grands oracles de l'Evangile. La gloire suit
de près les abaissements du juste; des traits
éblouissants de grondeur et de puissance
sortent du sein des humiliations les plus pro-
fondes.
Marcion a rougi des abaissements de la
crèche; les mondains méprisent les abaisse-
ments de François, mais Dieu fait briller
dans tous ces abaissements des traits de gran-
deur et de puissance qui effacent la gloire et
la pompe du monde.
Mille traits honteux humilient le mondain
dans l'élévation ; mille traits honorables font
admirer le juste dans l'obscurité. 11 y a un
mélange d'humiliations et de gloire clairs
l'histoire de Jésus-Christ et dans celle de
François. François abaissé et élevé nous re-
trace Jésus-Christ qu'on a vu dans les abais-
sements et dans la gloire.
Vous verrez François se dérober à la gloire,
et la gloire le suivre partout. Les sentiments
de son cœur passent dans son ordre. François
et ses disciples arrivent à la gloire par les
abaissements.
Vous dirai-je, Messieurs, qu'il porta le mé
pris de lui-même jusqu'à se mettre au rang
or,
ORATEURS SACRES. BALLET.
9*
des criminels, et que son humiliation rem-
porta des victoires éclatantes sur le théâtre
même des ignominies publiques ?
Vous dirai-je que son humilité l'arrêta sur
les degrés du sanctuaire, qu'il était digne du
trône épiscopal, et qu'il resta dans le rang
des lévites, que son éminente sainteté rele-
vait jusqu'au ciel, et que sa modestie Tem-
po, ha de monter à l'autel ?
Que pensait-il de lui-même, Messieurs,
dans l'éclat des miracles qu'il opérait? L'his-
toire fidèle nous l'apprend. La puissance di-
,vine qui agissait en lui, lui attirait des hom-
mages et des admirateurs. Son humilité alar-
mée lui faisait imiter Jésus-Christ : il se dé-
robait aux applaudissements, il se cachait.
La gloire de François, Messieurs, est celle
qui est promise dans l'Evangile. 11 y arrive
par les abaissements.
L'humilité du saint patriarche passe dans
tout son ordre, Messieurs, la gloire qui suit
de près les abaissements, y passe aussi ; on
n'y aperçoit point la moindre trace des gran-
deurs, des vanités, des usages mêmes du
siècle, et on le voit, malgré cela, s'élever à
une gloire solide et durable.
Tremblez , mondains, qui gémissez sous
le tyrannique empire d'une fausse gloire;
les humbles enfants de François ne vous
étonneraient pas tant si l'Evangile vous
était plus connu.
Je vois sortir, du sein de ses abaisse-
ments volontaires, des traits d'une gloire
solide; de rapides succès , des hommages
éclatants attestent la sagesse de ces héros de
l'Evangile.
Tous les jours s'accomplit le triste oracle
que le Saint-Esprit a prononcé contre les
riches ambitieux. Je les vois arrêtés tout à
eoup dans la brillante carrière qu'une for-
tune capricieuse leur avait frayée; dans un
instant leurs lauriers sont flétris, les tro-
phées qu'on leur avait érigés, renversés;
leurs trésors enlevés; sans place, sans opu-
lence et par conséquent sans amis , ils trou-
vent l'ignominie dans la route môme de la
gloire : Dives in itineribus suis marcescet.
(Jac. , 1.)
_ 11 n'en est pas de même, Messieurs, de
l'ordre de François; en nous retraçant les
abaissements de "l'Evangile , il nous retrace
aussi la gloire qui les accompagne.
Cette grandeur toute divine de l'ordre de
François est dépeinte sous de magnifiques
images. Le prophète Isaïe Ta tracée en tra-
çant celle de Jésus-Christ; le Seigneur hu-
miliera les orgueilleuses cités des mondains;
des événements humiliants effaceront la
gloire des plus florissants empires ; des ré-
volutions imprévues renverseront les trônes
les plus affermis et briseront les sceptres
dans les mains mêmes des conquérants : ci-
vitatem subliment humiliabit (Isa., XXVI):
des pauvres volontaires détachés des ri-
chesses, insensibles aux honneurs, seront
les seuls qui ne seront point abattus; on les
verra toujours satisfaits et contents, fouler
aux pieds la grandeur, les richesses et la
magnificence du siècle '.conculcabiteampes,
pedes pauperis , gressus egenorum. (Ibid.)
N'est-ce pas ce que nous voyons avec ad-
miration, Messieurs ? Les entants de Fran-
çois parcourent toute la terre, ils ont des
hospices dans tous les royaumes et les em-
pires, mais partout ces héros de l'Evangile
sont au-dessus des domaines et des honneurs
du siècle ; ils y renoncent, leur gloire est de
les mépriser, de les refuser.
Dans quel lieu ces illustres pauvres ne
vont-ils pas pour l'utilité de l'Eglise ? Dans
quel lieu leur voit-on'des biens, des reve-
nus ? Placés dans les villes les plus opu-
lentes, dans le séjour des rois mêmes, ils y
sont aussi pauvres que dans les plus af-
freuses solitudes; leurs yeux admirent la
grandeur du siô.le, leur "cœur la méprise 1
conculcabit eam pes, pedes pauperis, gressus
egenorum. Ne soyons pas étonnes, Messieurs,
de la gloire qui suit cette pauvreté, c'est
celle de l'Evangile.
Disparaissez ici , secte abominable des
vaudois , la honte a suivi de près vos sacri-
lèges abaissements; l'Eglise n'a eu pour
vous que des anathèmes et des foudres.
Quelle différence entre les abaissements de
Tordre de François ! Ils sont relevés par la
gloire même qui a relevé ceux de Jésus-
Christ; l'Eglise les respecte; jamais pauvreté
ne fut plus glorieuse, parce que jamais pau-
vreté ne fut plus conforme à -celle de Jésus-
Christ.
Quelle gloire n'a pas eu encore Tordre de
François au milieu des abaissements de Tlî-
vangile ? Je parle, Messieurs, de tous ces
grands hommes qu'il a donnés à l'Eglise et à
1 Etaf ; le temps ne me permet pas de vous
les nommer.
Que de savants dans les universités et dans
la république des lettres 1 Peut-on refuser la
gloire de l'érudition et de la saine doctrine
à cette portion illustre de son ordre dont
vous voyez ici tous les maîtres en Israël ras-
semblés, associés à la plus savante école du
monde , formant eux-mêmes une école dis-
tinguée? Quand ils n'auraient pas l'avantage
d'avoir donné à l'Eglise des souverains pon-
tifes, et à l'Espagne de grands ministres;
quand les Bonaventure, les Scot, les Xi-
ménès, les Alphonse de Castro, les Wan-
dingue n'auraient pas fait l'admiration de
l'Eglise et de tous les savants, il y a dans
cette école des lumières assez brillantes pour
dissiper les ténèbres de Terreur, des savants
assez zélés pour l'attaquer, des génies assez
vastes et assez profonds p.our la forcer de se
cacher.
D'où sort, Messieurs, cette gloire de Tor-
dre de François ? Du sein des abaissements
de l'Evangile. François pauvre, caché, est
ce petit grain do sénevé, il est devenu un
grand arbre qui couvre presque toute la
terre de ses branches. Les plus grands gé-
nies, les plus opulents, les rois mêmes,
ont tout quitté pour venir couler leurs jours
dans Tordre de François. La puissance môme
de Jésus-Christ agissait en. lui pour sur-
monter tous les obstacles.
Il n'est pus étonnant, Messieurs, que l'en-
07
PANEGYRIQUES. — PANEG. V , SAINT FRANÇOIS D'ASSISE.
93
Ter et la sagesse mondaine se soient sou-
levés contre les divins projets de François :
son ordre devait retracer la perfection de
['Evangile; i*l devait retracer aussi les obs-
tacles que la doctrine de Jésus-Christ trouva
chez les sages du paganisme et les triomphes
qu'elle remporta sur la politique descésars.
La faible raison de l homme s'imaginait
que les abaissements de l'Evangile allaient
succomber sons les coups qui partaient du
trône et de l'Aréopage; les politiques du
siècle s'imaginaient que l'ordre de François
ne subsisterait jamais sur les fondements de
la pauvreté; son établissement était selon
eux un projet insensé, qui ne pouvait avoir
que de honteux succès ; tous ces faux sages
se sont trompés, Messieurs: François devait,
retracer ia puissance de Jésus-Christ aussi
bien que les apôtres; la gloire des miracles
opérés par les apôtres a etfacé celle de Rome
et d'Athènes; la puissance divine qui agis-
sait dans François d'Assise a effacé la gloire
' de son siècle et triomphé de tous les obs-
tacles; les saintes rigueurs île son ordre
sont approuvées par des prodiges; c'est la
sagesse de l'Evangile que Dieu détend et
fait triompher.
J'entre, comme vous voyez, Messieurs,
dans une brillante carrière ; je vais rapporter
des événements éclatants, développer cette
puissance de Jésus -Christ retracée dans
François d'Assise. Ne craignez pas, Mes-
sieurs, que je donne ici dans un faux mer-
veilleux; les histoires les plus fidèles nous
garantissent les miracles que je vais exposer
à vos yeux ; l'Eglise romaine les a adoptés,
l'erreur et l'ignorance ne peuvent point
r"en prévaloir.
Puissance de Jésus-Christ retracée dans
François d'Assise ; je vois une pauvreté opu-
lente qui imite les riches dans ses entre-
prises, qui les surpasse dans ses succès;
un pauvre relève les ruines du temple de
saint Damien avec les tristes restes d'un
ancien édifice, et la puissance divine qui
agissait en lui; on voit paraître en peu de
temps trois nouvelles églises.
Que l'on grave, Messieurs, sur le fron-
tispice de nos temples les noms des riches
<pii les ont élevés, c'est ériger des monu-
ments à leur orgueil en élevant des autels
au Créateur; mais quand l'histoire fidèle
nous transmet le prodige dont 1 Italie a été
le témoin; quand elle nous assure qu'un
pauvre a élevé plusieurs temples au Sei-
gneur, c'est un glorieux trophée qu'elle
érige à la puissance divine qui agissait dans
François d'Assise.
Puissance de Jésus-Christ retracée dans
François d'Assise dans toute son étendue.
Là, il multiplie des pains; ici, il ressuscite
des morts. Là, il éclaire des aveugles; ici,
il guérit des infirmes. Là, il brise les fers
deceux-qui sont dans les prisons; ici, il
apaise les plus violentes tempêtes. Miracles
opérés très-souvent, dit saint Bonaventure ;
miracles attestés par les souverains pontifes
et révérés des plus grands personnages de
l'Eglise et de l'Etat; [miracles qui retracent
la puissance de Dieu par la magnificence,
la promptitude et la perfection qui les carac-
térisent.
Que pensez-vous de ce pauvre mendiant,
sages du monde, fameux politiques, qui ne
comptez que sur les ressources humaines ?
Mérite-t-il ces comparaisons odieuses que
vous osez en faire avec ces philosophes qui
méprisaient le monde par orgueil?
Quels sont, Messieurs , les prodiges que
les ru hes , les grands du siècle offrent à nos
yeux ? Je n'ose les rapporter. Des prodiges
d'incrédulité. Ils bravent tous les anathèmes
et tous les foudres que l'Evangile lan e
contre ceux qui sont attachés aux richesses,
qui les aiment. Prodiges de van té, ils veu-
lent être les idoles du monde, recevoir son
encens et ses hommages. Prodige d'endur-
cissement , leur opulence ne s'étend jamais
sur les membres île Jésus-Christ soutirant,
sur les ruines des églises, sur la pauvreté
des autels. Ils ne sont prodigues et magni-
fiques (pie lorsqu'il s'agit d'élever des palais
à la mollesse, et de se procurer de coupables
plaisirs. Prodiges de vengeance du côté de
Dieuauxquels on nefait pas assez d'attention :
ils sont riches et malheureux, riches et sans
consolation, riches et sans ressources. C'est
dans François d'Assise, Messieurs, qu'on
voit une puissance divine faire disparaître
tous les opprobres de la pauvreté.
Vous diiai-jc que le don de prophétie
éclate en lui aussi bien que celui des mira-
cles? Les années futures se présentent à son
esprit, il développe clairement les plus gran-
des scènes qu'elles doivent donner au monde
étonné.
N'a-t-il pas annoncé au cardinal Ugolin sa
grandeur future dans l'Eglise, et montré de
loin la tiare qu'il devait porter si digne-
ment sous le nom de Grégoire IX? Les trou-
bles que l'empereur Frédéric devait exciter
dans toutes les terres ecclésiastiques, les ra-
vages de l'hérésie, la corru] tion des mœurs,
le déchet de la piété, n'ont-ils pas été an-
noncés parce prophète de l'Italie? N'a-t-il pas
rapproché aussi les temps qui dérobent aux
hommes leurs destinées, pour montrer à
l'empereur Othon, enflé de ses succès, Phi-
lippe-Auguste, le vainqueur qui devait l'hu-
milier et l'attacher honteusement à son char?
Il était le thaumaturge et le prophète de
son siècle. Jésus-Christ était retracé dans ce
saint patriarche des pauvres avec toute la sa-
gesse de son Evangile : ; j-ai ajouté, Mes-
sieurs, que Jésus-Christ était aussi retracé
dans François d'Assise avec toute la sévérité
de son Evangile. C'est le sujet de la seconde
partie de son éloge.
SIX ONDE PARTIE.
L'Evangile a ses rigueurs, Messieurs, il
met la nature à l'étroit, il mortifie les sens,
il crucifie l'homme, il l'immole.
Retracer toute sa sévérité, c'est être un
homme de pénitence, d'austérité, de cruci-
fiement. Tel fut François d'Assise. Il a
même l'avantage sur les autres saints d'avoir
retracé les souffrances de Jésus-Christ sur
90
ORATEURS SACRES. BALLET.
100
son corps, et d'avoir été honoré d'un genre
de martyre tout divin.
Je ne viens pas ici ravir la gloire du grand
Paul, qui ne se glorifiait que dans la croix du
Sauveur, qui était cruciiié au monde, qui
portait sur son corps les glorieuses cicatrices
des plaies qu'il avait reçues pour l'Evangile
de Jésus-Christ; mais je puis mettre à côté
du grand Paul le grand François d'Assise. Il
ne fut pas moins pénitent, moins ardent de
souffrir, moins conforme à Jésus crucifié.
Les souffrances dont le ciel l'a favorisé
le distinguent môme : elles le rendent une
copie plus parfaite du Calvaire. Admirez
donc, Messieurs, des traits singuliers qui ca-
ractérisent notre héros.
Dans tous les lieux qu'il parcourt, il pratique
les austérités que Jésus-Christ a recomman-
dées. Dans le désert, il imite le jeûne que Jé-
sus-Christ a pratiqué; sur le mont Alverne, il
est attaché à la croix comme Jésus-Christ y
fut attaché sur le Calvaire. En vous rappel-
lant, Messieurs, ces austérités continuelles,
ces jeûnes miraculeux, ce nouveau Calvaire,
n'est-ce pas vous montrer Jésus-Christ re-
tracé dans François d'Assise avec toute la sé-
vérité de l'Evangile? Vidi angelum habcntem
signwn Dei vivi.
N'attendez pas, Messieurs, que je vous
donne une idée parfaite de toutes les rigueurs
que François exerça sur son corps innocent,
que je parcoure tous les lieux qu'il a sancti-
fiés par ses jeûnes, ses veilles et ses macéra-
tions, ou que je vous nomme tous les diffé-
rents théâtres de ses austérités. La longueur
de sa pénitence a égalé la longueur de ses
jours. C'est la pénitence qui a usé , détruit
celte grande victime de la sévérité évangé-
lique.
De honteux excès abrègent la vie des mon-
dains; ils descendent dans le tombeau avant
même d'arriver au milieu de leur course.
De saintes rigueurs ont immolé François, et
l'ont enlevé au monde à peine sorti du
printemps de ses jours. Les glaives des bour-
reaux l'auraient dérobé à une longue péni-
tence ; une longue pénitence a suppléé à la
fureur des tyrans. S'il n'a pas été le martyr
de la foi, il a été une victime de la sévérité
de l'Evangile. S'il n'a point la gloire d'un
martyre prompt, il a celle d'une mort lente et
continuelle.
Tous les lieux qu'il parcourt, les villes et
les déserts, tous les moments qu'il a vécu,
les jours et les nuits l'ont toujours vu inno-
cent et pénitent.
L'innocence et la pénitence, quelles mer-
veilles, Messieurs ! Ah 1 le péché sans la pé-
nitence me surprend encore davantage. Vous
êtes étonnés, chrétiens, parce que vous ne
connaissez pas la pénitence de précaution.
Vous négligez, vous êtes môme effrayés des
austérités commandées dans l'Evangile, et
c'est cette pénitence de précaution, ce sont
ces austérités recommandées dans l'Evangile
qui conservent l'innocence des justes. Vous
attendez que vous soyez tombés dans le
précipice pour pleurer, et la vue seule
du précipice effraye François. Vous n'êtes
pas alarmés de la tentation, et il est plus
prompt à se punir que le démon à le tenter.
Voyez-le se plonger dans un étang de glace
pour éteindre une étincelle d'un feu impur
qui allait embraser son âme. Cette sévérité
vous effraye, chrétiens! Ah! apprenez que
les légions formidables de l'enfer ne tom-
bent honteusement qu'aux pieds des hom-
mes de jeûnes et de prières , et qu'ils atta-
chent toujours à leur char ceux qui vivent
dans un lâche repos. L'innocence se con-
serve dans les austérités de l'Evangile, elle se
perd dans les délices et les sensualités. Fran-
çois est dans tous les lieux et tous les jours
un homme d'austérité, parce qu'il veut être
partout et toujours un homme de sainteté.
Il afflige une chair innocente pour ne pas
être obligé de punir une chair coupable.
Mortification continuelle. Son corps inno-
cent et sorti victorieux des plus grands com-
bats, fut toute sa vie immolé aux saintes ri-
gueurs de l'Evangile. Je le vos traverser de
vastes campagnes pieds nus , serré d'un rude
cilice. Je le vois se reposer sur la terre après
ces courses apostoliques. Que l'âme est pure,
qu'elle est libre, Messieurs, dans un corps
ainsi abattu sous le poids des austérités !
Vous dirai-je que des pleurs coulaient sans
cesse de ses yeux, et qu'il aurait voulu pou-
voir expier sur lui-même les crimes de
tous les pécheurs? De là ce zèle pour prê-
cher la pénitence dont il donnait un si grand
exemple. On l'a vu parcourir toutes les vil-
les de l'Italie, le crucifix à la main, annon-
cer le royaume de Dieu, et convertir tous
ceux qui l'écoutaient. On l'a vu dans la cha-
pelle de la Portioncule passer les nuits dans
de ferventes prières, fléchir le ciel irrité
contre les vices de son siècle, et faire couler
sur les pécheurs les grâces les plus précieu-
ses et les plus magnifiques. On l'a vu enfin,
Messieurs, atténué, desséché, consumé d'aus-
térités.
Ils se sont écoulés, Messieurs, ces beaux
jours de l'Eglise où on ne recevait pas la
doctrine de Jésus-Christ sans en pratiquer
les austérités. H suffisait alors d'être disci-
ple du Sauveur pour être un homme de pé-
nitence. La sévérité de l'Evangile avait ses
martyrs aussi bien que la pureté de la foi.
Aujourd'hui la vie des chrétiens retrace plu-
tôt les excès du paganisme que la sévérité de
l'Evangile.
Les disciples d'un Dieu crucifié copient
les maîtres de la volupté. On se glorifie
d'être chrétien, on ne rougit point des mœurs
des païens.
Paraissezici, grand François d'Assise, pour
confondre, par votre pénitence continuelle,
ces personnes qui renvoient dans les soli-
tudes et dans les cloîtres les austérités de
l'Evangile.
Ces personnes qu'une vie molle et sen-
suelle rend si faibles dans les combats, et qui
tombent facilement danslc péché, parce qu'el-
les ne se précautionnent jamais contre
ses amorces; ces personnes qui ne veulent
point punir par de salutaires amertumes, les
coupables douceurs qu'elles goûtent depuis
^"y
\ i
10!
PANEGYRIQUES. — PANEC. V
si longtemps, qui vivent tranquillement dans
le péché, et bravent les châtiments qu'il
mérite ; ces personnes qui se déterminent
enfin à quitter le péché, et qui ne veulent
jamais se déterminer à l'expier; qui ont
attendu les rides de la viellesse pour cesser
de criminelles intrigues, et qui attendent que
le tombeau s'ouvre et les demande pour les
pleurer. Un si bel exemple, Messieurs, ne
fera-t-il aucune impression sur vous? Serez-
vous de stériles admirateurs d'une péni-
tence que vos péchés rendent nécessaire?
La grâce perdue, le ciel fermé, un enfer
creusé et prêt à vous recevoir; tout cela ne
suffit-il pas pour vous porter à embrasser
toutes les saintes rigueurs dont vous êtes
capahles?
Dieu n'exige pas, dit saint Chrysostome,
que vous portiez le ciiice et la haire : non
requirit Deus ciliciorum pondus. 11 n'exige
pas non plus que vous alliez dans les déserts,
et que vous vous cachiez dans les antres de
la terre : ncque in obscuris antris sedere
iubet; mais il exige que vous fassiez une pé-
nitence proportionnée à vos péchés. Celle de
François vous confondra, Messieurs, c'est
celle de Jean-Baptiste. Elle vous annonce que
le ciel souffre violence. Mais voici d'autres
faits que je ne fais qu'exposer à votre admi-
ration, parce que ce sont des prodiges. Fran-
çois nous retrace dans le désert le jeûne mi-
raculeux que Jésus-Christ a pratiqué.
Le désert de Pérouse avait des charmes
pour François, parce qu'il n'offrait à ses
yeux que des rochers escarpés, des monts
solitaires, des terres incultes. Il ne cherchait
que son Dieu; il ne voulait rien emprunter
des créatures; les lieux les plus sombres et
les plus inconnus au monde avaient pour
lui des appâts.
Je ne veux pas vous dépeindre ici, Mes-
sieurs, les charmes de la solitude, mais les
vertus du solitaire. C'est à ceux qui écrivent
(tour plaire et pour amuser, à faire de bril-
lantes peintures de la retraite. Les descrip-
tions du désert n'ont jamais arraché un mon-
dain au tumulte du siècle. Les images flat-
teuses du monde ont quelquefois arraché des
solitaires à la retraite.
Des charmes chimériques qui n'existent
.}jo dans la fable, et qui n'ont jamais été
chantés que par les maîtres de la fiction ne
suffirent pas pour satisfaire des cœurs livrés
au monde.
Je vois dans la retraite des philosophes
dégoûtés du monde sans être occupés du
ciel. J'y vois des hommes d'oisiveté qu'un
lâche repos a rendus inutiles à la société. J'y
vois des courtisans disgraciés que le seul
espoir d'être rappelés à la cour soutient con-
tre les ennuis. Tristes victimes de la for-
tune et du caprice, ils y sont sans consola-
tion, parce qu'ils y sont sans vertus.
Les rosées célestes pénètrent le cœur de
relui que la grâce a conduit dans le désert.
Celui que l'orgueil, l'amour du repos, les
rebuts du monde y ont conduit, est toujours
triste et abattu; l'un y chante les miséricor-
des et les justices du Seigneur; l'autre y ra-
, SAINT FRANÇOIS D'ASSISE. 102
conte ses pertes .et ses disgrâces. L'esprit tde
Dieu a conduit dans la solitude des hommes
opulents, distingués daus le monde. La grâce
a arraché aux honneurs et aux plaisirs, de-s
jeunes personnes qui brillaient dans ces cer-
cles. Des chastes colombos, effrayées de \a
licence et de la corruption des mœurs, se
sont ensevelies dans le désert. Là, ils y goû-
taient de pures délices ; ils y chantaient conti-
nuellement le cantique de leur délivrance,
et se rendaient célèbres par leurs austérités
et leurs victoires jusque dans les cours des
plus grands empereurs. François, Messieurs,
fut aussi conduit dans le désert par l'esprit
de Dieu. 11 a eu même l'avantage sur les
plus célèbres anachorètes, d'y avoir retracé
le jeûne miraculeux de Jésus-Christ.
Ici je n'ose entreprendre de vous parler
des vertus de ce saint solitaire. Comment
raconter des merveilles dont le ciel seul a
été le témoin?
Vousdirai-je que Dieu lui suffisait, et qu'il
n'empruntait rien des créatures; qu'il con-
templait sans cesse le ciel, et qu'il ne regardait
la terre que pour l'arroser de ses pleurs ; que
son abstinence n'étonnait pas moins que ses
miracles, et qu'il paraissait plutôt, un ange
descendu du ciel, qu'un mortel dérobé au
monde ?
Le croirez- vous, Messieurs, et votre déli-
catesse effrayée ne révoquera-t-elle pas en
doute un fait attesté par les plus saints et
les plus savants auteurs? François imite le
jeûne de Jésus-Christ dans le désert. Atta-
ché à son Dieu par les liens sacrés de la
prière; comblé de grâces et de consolations ;
souvent dans des extases et des ravissements;
le saint temps du carême s'est écoulé, et
François, semblable aux anges, n'a point eu
d'autre nourriture que les douceurs céles-
tes et les biens spirituels.
Le jeûne de François dan ' une île écartée
est aussi long et aussi austère que celui de
Jésus-Christ. Dans Jésus-Christ c'était un
effet de sa volonté et de sa puissance; dans
François d'Assise c'était la récompense de
ses austérités, et l'effet d'une grâce privilé-
giée. 11 était destiné pour retracer Jésus-
Christ avec toute la sévérité de son Evangile.
Je sais, Messieurs, que ce trait de la vie
de mon héros n'est pas une de ces vertus
que vous puissiez imiter. Heureux si de
frivoles prétextes ne vous rendaient pas tous
les ans de lâches prévaricateurs d'une péni-
tence qui n'a presque plus rien de la sévérité
des premiers siècles 1
Un goût pour la pénitence, un esprit tou-
jours occupé de la sévérité de l'Evangile, un
cœur pénétré de ce qu' in Dieu a fait pour
l'homme ; des austérités continuelles avaient
comme préparé François à ce jeûne miracu-
leux. Votre délicatesse, Messieurs, vos
frayeurs aux approches de la pénitence so-
lennelle du carême, vous préparent à ces
infractions scandaleuses qui font gémir l'E-
glise.
Quand on vous représente, Messieurs, un
mortel dans un affreux désert, seul avec son
Dieu: placé, pour ainsi dire, entre le ciel
103 ORATEURS SACRES. BALLliT.
et la terre, vous croyez que tout lui man-
que. Vous jugez, par le besoin que vous
104
avez continuellement des créatures, que les
ennuis, les privations lui font couler des
jours tristes et languissants. Ah ! vous igno-
rez que Dieu seul peut remplir la vaste éten-
due des désirs de l'homme. François, dans
le désert, y goûte, par anticipation, les dou-
ceurs du ciel. S'il y retrace la retraite et le
jeûne du Sauveur, il y retrace aussi ses vic-
toires et ses triomphes.
Qu'est-ce qu'un mondain heureux selon
vous? C'est un homme opulent, en place,
qui coule ses jours dans les plaisirs, les
honneurs. Mais quelle félicité que celle qui
dépend des créatures, et qui fait naître tous
les jours de nouveaux désirs? Quelle féli-
cité que celle d'un homme à qui Dieu ne
suffit pas, et qui cherche continuellement
dans les objets impuissants qui l'environ-
nent, de quoi dissiper ses ennuis et ses
chagrins ?
S'il y a un homme heureux dans le monde,
c'est celui à qui Dieu tient lieu de toute
chose. S'il y a un solitaire mécontent, c'est
celui qui porte ses regards vers le monde,
qui croit avoir beaucoup quitté en l'aban-
donnant. Alors il languit dans sa retraite, il
l'arrose de ses pleurs. Ses criminels retours
vers le siècle ont banni Dieu de son cœur.
Les créatures qui pourraient l'amuser lui
manquent. Etat déplorable qui annonce sou-
vent les chutes les plus humiliantes.
On ne tend pas à la perfection, mais on y
est arrivé, Messieurs, quand Dieu seul suf-
fit et qu'on n'emprunte rien des créatures
pour être heureux. Tel fut François d'As-
sise dans le désert, il ne le quitte que pour
monter sur un nouveau Calvaire, et nous re-
tracer Jésus-Christ crucifié, comme il nous
l'a retracé pénitent.
Le Calvaire et le mont Alverne, voilà,
Messieurs, les deux grands objets que j'ex-
pose à votre admiration et à votre piété. Sur
le Calvaire, Jésus-Christ se laisse attacher à
la croix pour y expier le crime de l'homme
coupable, et apaiser la colère du ciel jus-
tement irrité. Sur le mont Alverne, François
y est crucifié par le ministère d'un ange,
pour suppléer au martyre que les barbares
lui ont refusé, et récompenser son héroïque
charité. La criminelle désobéissance de
l'homme fait couler le sang de Jésus-Christ :
la tendre miséricorde d'un Dieu fait couler
celui de François.
Je le répète, Messieurs, c'est à votre piété
(pie j'expose ces merveilles de l'amour d'un
Dieu, ce n'est pas au jugement des mondains
de notre siècle.
Quels coups ne porte-t-on pas aujourd'hui
à la vérité de la religon, à la sainteté de ses
héros, à la dignité de ses ministres? Quels
sont les livres que l'on loue, (pie l'on dévo-
re? Ne sont-ce pas ceux qui enseignent
l'athéisme, le déisme, qui apprennent à
douter de tout, à se permettre tout? A quoi
tendent ces préceptes pour les mœurs que
l'irréligion vienl dedicter, sinon à introduire
dans le christianisme les mœurs mômes des
infidèles?
Rougissons aujourd'hui de copier les plus
hardis protestants, lorsqu il s'agit des faits
que l'Eglise romaine expose à notre piété.
Un malheureux Bayle , armé cie lectures
profanes, de critiques indécentes, de sacri-
lèges saillies, de tous les arguments des hé-
rétiques, ne se reproduit-il pas tous les
jours sur la scène? N'a-t il pas des disciples
qui enseignent dans les cercles ses impiétés ?
Rougit-on de les entendre? Méprise-t-ori
leurs ouvrages? Ont-ils le sort qu'ils de-
vraient avoir dans un royaume catholique ?
Grand Dieu! vous êtes patient, parce que
vous êtes tout-puissant ! Conservez ce
royaume dans la pureté de la foi : détruisez
les impiétés,- convertissez les impies.
Non, Messieurs, ce n'est pas à ces pré-
tendus esprits forts que je raconte la mer-
veille du mont Alverne. Quoique les glo-
rieux st'gmates de François d'Assise soient
respectés dans l'Eglise comme un fait grave,
ils ont l'audace de comparer ses sources
pures à ces ouvrages de l'antiquité fabuleu-
se d'où coulent de brillants mensonges et
d'ingénieuses fictions. C'està vous, chrétiens,
que la piété rassemble dans ces lieux, que
j'expose ce nouveau genre de martyre dont
François fut honoré, et qui retrace les mys-
tère du Calvaire.
Jamais saint, Messieurs, n'eut un dés'r
plus ardent de souffrir que François. 11 dé-
sira le martyr, il le chercha, il fit tout ce qu'il
put pour l'obtenir.
N'est-ce pas cette sainte impatience de
souffrir qui lui fit quitter l'Italie, passer les
mers, pénétrer dans la Syrie, et prêcher le
crucifix à la nain, sous la tente même do
Mélédin, soudan de liahylone ? Ah ! c'est ici,
Messieurs, que je vous" prie d'admirer les
triomphes de la sainteté. François trouve
des admirateurs où il comptait trouver des
bourreaux. Son zèle devait exciter la fureur
du soudan, et il épuise son admiration.
Comme chrétien, il devrait être jeté dans les
fers, et il est caressé. La secte mahométane
traitée d'impie, les rêveries du Koran dé-
voilées, Jésus-Christ avec sa croix prêché
hautement : tout cela demandait une ven-
geance publique, et on lui offre des pré-
sents et une couronne. 11 est libre où les
autres sont dans les fers : elle est donc bien
puissante. Messieurs, la sainteté de Fran-
çois, puisqu'elle change les tyrans en admi-
rateurs.
Sortez donc, François, de ce vaste empire,
qui est devenu pour vous, aussi bien que
1 Italie, un théâtre de gloire; et retournez
dans votre chère solitude, Dieu vous y atta-
chera lui-même à la croix.
11 sort, Messieurs, de l'empire de Maho-
mel, où son nom respecté a toujours été pré-
cieux à «es puissants empereurs. L'Italie
revoit son apôtre, son prophète, son thau-
maturge. La solitude du mont Alverne le
verra bientôt s'entretenir avec son Dieu ; elle
sera le témoin d'un martyre miraculeux.
Ah! quelles merveilles se présentent à
PANEGYRIQUES. — PANEG. VI, SAINTE CLAME.
105
mes yeux! le ciel s'ouvre, un séraphin por-
tant entre ses ailes l'image de Jésus attaché
à la croix, vient fondre sur François, lui
perce les pieds, les mains et le côté. Fran-
çois porte présentement, empreintes sur lui,
les glorieuses cicatrices du Sauveur.
O précieuse victime de la croix I l'amour
d'un Dieu vous a fait ces plaies honorables 1
Quelle faveur, quelle gloire!
Et vous, saints religieux, qui avez été les
premiers confidents de ces merveilles; illus-
tre sainte Claire qui les avez vues avec toutes
vos saintes filles ; chefs .respectables de VM-
{;lise qui les avez attestés et publiés dans
'assemblée des fidèles; grand saint Bona-
venture qui avez employé votre savante
plume pour les défendre contre l'abus de la
critique, vous vous êtes tous écriés dans
les transports d'une sainte allégresse : 11 a
paru dans notre siècle, ce séraphin qui re-
traçait les souffrances de Jésus-Christ. Toute
Tltalie a vu un ange dans un corps mortel.
Jésus-Christ a été retracé dans François d'As-
sise avec toute la sagesse et toute la sévé-
rité de son Evangile : Vidi angelum habentem
signum Dei vivi.
Cette victime de la croix se consume, Mes-
sieurs ; elle se détruit promptemént dans les
pures flammes d'un divin amour. Elle lan-
guit sur la terre, et prête de consommer son
jacrifice, je l'entends prononcer avec con-
fiance ces paroles du prophète :
Tous ceux dont vous avez couronné les
justices, ô mon Dieu! m'attendent pour par-
ticiper à leur récompense. S'il faut porter la
croix pour entrer dans le ciel et suivre votre
divin Fils, sur le Calvaire, je porte sur ma
chair ses glorieuses cicatrices. C'est vous-
même qui y avez imprimé ces signes sacrés
du Calvaire. Je n'ai jamais abandonné, par
votre grâce, la sagesse et la sévérité de l'E-
vangile ; j'attends avec confiance la couronne
de justice, et j'ose dire que vos élus, qui
voient tout en vous, m'attendent aussi pour
posséder la même gloire : Me exspectant
justi donec rétribuas mihi. (Psal. CXLI.)
C'est en prononçant ces paroles, Messieurs,
que ce séraphin quitta la terre et s'envola
dans le ciel. C'est en l'imitant selon la me-
sure de grâce qui vous est donnée, que vous
participerez un jour à la gloire éternelle
dont il jouit. Je vous la souhaite.
PANÉGYRIQUE VI.
SAINTE CLAIRE.
Prononcé dans V église des religieuses de VAve-
Maria, à Paris, le 12 août 1743.
Fortiludo et deeor indumentum ejus. (Prov., XXXI.)
Elle a été revêtue de force et de gloire.
La force et la gloire appartiennent à Dieu;
nous n'en voyons que de faibles écoule-
ments dans ces âmes, dont le monde même
a couronné les éclatantes vertus après avoir
vainement attaqué leur héroïque constance.
Si les livres saints nous montrent un Moïse
qui remplit l'Egypte de prodiges; un Josué
qui défait les Amalécites et réjouit Israël
Orateurs sacrés. L.
tôt
par de rapides conquêtes; une Judith qui
sort de la retraite pour aller moissonner des
lauriers sous la tente d'un superbe Assy-
rien; des Samuel, des Nathan, des Elie, des
Elisée, des Daniel qui pénètrent jusque dans
les palais des rois et reprennent les vices
qui souillent leurs trônes et leurs couronnes,
ils ont soin de nous apprendre que c'est
Dieu qui a changé leur faiblesse en puis-
sance et leur bassesse en grandeur. En effet,
Messieurs, pour désoler Pharaon dans ses
appartements, des insectes lui suffisent.
Pour délivrer Réthulie d'Holopherne, en-
flé de ses victoires, il ne lui faut que le bras
d'une femme; pour terrasser l'orgueilleux
Philistin, il ne choisit que le jeune David;
pour renverser la superbe idole dont il est
parlé dans Daniel, il ne détache de la mon-
tagne qu'une petite pierre; pour faire pâlir
et trembler les monarques sur leur trône,
un homme vêtu grossièrement et tiré des
derniers rangs du peuple lui suffit; pour
changer l'univers, déconcerter l'enfer et ar-
borer la croix méprisée jusque sur le Capi-
tule de Rome et le front des empereurs, sa
sagesse choisit douze hommes pauvres, sans
science, sans crédit; pour confondre la vie
molle. et voluptueuse des humains, il ne leur
oppose souvent qu'un pauvre solitaire ou
une vierge enveloppée dans la retraite.
Pourquoi cela, Messieurs? C'est que la force
et la gloire accompagnent celui que Dieu a
choisi pour confondre le monde incrédule
et délicat : Fortiludo et décor indumentum
ejus. C'est Dieu qui lui donne cette force à
laquelle ses ennemis ne peuvent résister.
C'est Dieu qui lui procure cette gloire que
les hommes rendent à sa mémoire précieuse
dans tous les siècles : Forlitudo et décor in-
dumentum ejus.
En vous traçant ici, Messieurs, le portrait
d'une âme revêtue de force et de gloire que
Dieu s'est choisie pour confondre le monde,
et à laquelle le monde même décerne des
honneurs après lui avoir livré des combats, ne
reconnaissez-vous pas l'illustre sainte Claire
dont nous honorons aujourd'hui la haute
sainteté ; cette épouse du Sauveur qui a mar-
ché avec tant d'ardeur sur les traces du grand
François d'Assise, qui a fait passer dans son
sexe sa pauvreté et sa pénitence, qui a sou-
tenu les mêmes combats et qui a eu les
mêmes succès; cette zélée institutrice qui a
vu passer dans son ordre des vierges desti-
nées dans le monde à porter des couronnes
et à occuper des trônes ; que l'Eglise regarde
comme une portion éclatante de sa gloire,
que les souverains pontifes ont comblée d'é-
loges; révérée des grands et des peuples, re-
doutée des Maures et des Sarrasins, admirée
d'un monde lâche et timide qui honore ses
vertus et qui n'a pas le courage de les imi-
ter. L'objet, Messieurs, de nos éloges, et
peut-être le sujet de notre condamnation;
oui, sainte Claire est une de ces âmes que
Dieu a choisies pour être l'ornement et la con-
solation de son Eglise; qu'il a revêtues de
force et de gloire : de force pour combattre
ses ennemis, de gloire pour les confond» e.
407
ORATEURS SACRES. BALLET.
108
Ses ennemis ne peuvent résister à la force
que Dieu lui communique. Ses ennemis ne
peuvent lui ravir la gloire que Dieu lui pro-
cure. En deux mots : Sainte Claire* revêtue
de force, sainte Claire revêtue de gloire :
Forlitudo et décor indumentum cjus. Deman-
dons, etc. Ave, Maria.
TREMIÈSE PARTIE.
Combattre ses sens et les soumettre à l'es-
prit; rompre les liens les plus chers et les
plus innocents; posséder son âme paisible
et tranquille à la vue des ennemis les plus
redoutables, ce ne sont pas là, Messieurs,
les victoires des héros du monde , ce sont
les succès de la force que Dieu communique
à ses saints : il faut être au-dessus de l'homme
pour remporter ces triomphes.
Disons mieux, il faut être comme sainte
Claire, revêtu de la force de Dieu : fortitudo
indumentum ejus.
La force des héros du monde remporte des
victoires sur les ennemis de la patrie, mais
elle ne les garantit pas de leur propre défaite;
elle les arrache dans le temps des combats à
leur tendre famille et à leurs voluptueuses
maisons ; mais elle les nourrit de la flatteuse
espérance d'y revenir couler des jours tran-
quilles, à l'ombre de leurs lauriers et des
récompenses du prince ; elle les expose avec
intrépidité devant l'ennemi le plus auda-
cieux, mais elle ne rougit pas de la fuite,
lorsque la partie est inégale. Or , la force
des saints étant la force de Dieu même, ils
attaquent un autre genre d'ennemis, et rem-
portent des victoires plus importantes.
Trois traits de la vie de sainte Claire vont
exposer à vos yeux les prodiges de cette
force divine. Vous allez voir une vierge qui
règne paisiblement sur elle-même, qui résiste
généreusement aux flatteuses promesses et
aux reproches menaçants d'une famille ir-
ritée : qui choisit sans pâlir et sans s'abattre
le moyen le plus efficace de triompher de
l'ennemi déjà enflé de ses prospérités. Au-
dessus d'elle-même quand elle règne sur
ses passions. Au-dessus de la nature quand
elle résiste à sa famille. Au-dessus de son
sexe quand elle dompte les Maures et les
Sarrasins, partout elle paraît revêtue de la
force de Dieu, à laquelle rien ne résiste :
fortitudo indumentum ejus.
Régner sur soi-même est le plus beau
triomphe que puisse remporter le chrétien.
« En vain, dit saint Augustin, on règne pai-
siblement sur un grand empire et l'on voit
ses ennemis vaincus, abattus à ses pieds, si
l'on n'a pas la force de régner sur ses sens et
ses passions. » Le démon enchaîne les vain-
queurs du monde, il leur prépare un théâtre
de faiblesse dans leurs palais mêmes, après
les avoir laissés briller sur les théâtres de la
guerre. Un héros flétri par le péché est bien
peu de chose sous la brillante couronne qu'il
porte , et sous les lauriers qu'il a mois-
sonnés : prodiges de valeur quand il s'agit de
«ombattre les ennemis de l'Etat, prodige de
foi blesse quand il s'agit de combattre les en-
nemis du salut; on peut dire d'eux ce que
le Saint-Esprit dit de ce fameux prince de
Syrie :1e péché défigure leur grandeur, après
avoir loué de grands exploits, on est obligé
de déplorer de grandes faiblesses : magnus1
sed leprosus. (IV Reg., V.)
C'est dans les déserts où fleurirent tant de
vénérables solitaires, que l'on vit une force
sans faiblesse, parce que c'était la force de
Dieu. C'est sur ces théâtres de la pénitence
où l'esprit commande à la chair, où la loi
des membres ne livre des combats que pour
procurer des victoires , qu'on trouve des
âmes solidement grandes. Vaincre le démon,
c'est le plus beau triomphe qu'on puisse
remporter; et si, selon l'Ecriture, sa puis-
sance est incompréhensible , quelle idée
dois-je avoir de celui qui l'enchaîne à ses
pieds! Une idée, Messieurs, de courage, de
force, de puissance : fortitudo indumentum
ejus.
Telle est l'idée que je conçois d'abord de
sainte Claire : elle est au-dessus d'elle-même,
pane qu'elle règne sur ses passions : écoutez
et voyez les vertus héroïques qu'opère une
âme revêtue de la force d'en haut.
Dieu la donna dans le douzième siècle. La
ville d'Assise vit alors paraître deux grandes
lumières, saint François et sainte Claire, et
l'on verra bientôt dans le sexe le plus faible
ces grands exemples de pauvreté et de péni-
tence, qui firent regarder François comme
un homme singulier, un homme de prodige.
Claire était née avec ces dons qui plai-
sent et qui gagnent le cœur, une humeur
égale, un esprit solide, un caractère doux,
un cœur droit, des manières aisées, d'heu-
reux penchants. Dès sa plus tendre enfance,
la vérité eut pour elle des attraits, et le men-
songe des horreurs; on la vit soumise aux
impressions de la vertu, et pleine de force
et de courage pour résister aux amorces du
péché.
L'éclat de sa naissance, les charmes du
monde, son corps même, tout fut immolé à
la vertu; ce sont là les trois trophées qu'elle
érige à la sainteté de la religion, et c'est
ainsi que la force, dont Dieu l'avait revêtue,
la fit triompher des plus grands obstacles de
l'innocence, et la plaça en quelque sorte aux
dessus d'elle-même : fortitudo indumentum
ejus.
Issue de ces familles anciennes et illustres
de l'Italie, son sang avait coulé dans les
veines des plus grands héros de la guerre,
et ses parents soutenaient encore, par letir
dignité, les grands noms des Sciphis et des
Fieumis. Mais, de quel œil, Messieurs, pen-
sez-vous qu'une âme qui tire toute sa gloire,
à l'exemple de saint Paul, de la croix du
Sauveur, regarde ces titres pompeux 1 Elle
les respecte, il est vrai, et lorsqu'elle les
voit soutenus par la vertu, elle leur donne
des éloges, parce que le Sage ne nous dé-
fend point de louer ces hommes couverts de
gloire, et qu'il nous ordonne même d'ériger
des trophées à ces héros fameux qui ont
brillé dans le monde, sans être du monde :
laudemus virosgloriosos. (£'cc/t.,XLIV.)Mais
elle les regarde comme des titres infiniment
109
PANEGYRIQUES. — PANEG. VI
SALNTE CLAIRE.
110
au-dessus de celui de chrétien; et bien loin
de se glorifier d'une naissance, à laquelle
die n'a point de part, on la voit oublier ce
qu'elle est dans le monde, pour penser à ce
qu'elle deviendra dans l'éternité : telle fut
l'idée que sainte Claire conçut du rang
qu'elle tenait en Italie; elle s'en humilia
au lieu* de s'en prévaloir; le sort qu'il lui
préparait l'alanna; elle craignit la chute en
regardant l'élévation; et son humilité qui
fuyait les honneurs, lui donna assez de
force pour renoncer à toute cette grandeur
du siècle : fortitudo indumentum ejus.
Paraissez ici, hommes qui cher, ssez la va-
nité et le mensonge, qui diligitis vonitatem
et mendacùun (Psal. IV); qui payez chère-
ment de savants adulateurs pour reculer la
date de votre origine, et vous faire descendre
des héros qui vous méconnaîtraient s'ils
paraissaient encore sur la scène du monde.
La gloire de vos aïeuls peut-elle donc illus-
trer des cœurs lâches ou des hommes de
vice? Mépriser, Messieurs, le haut rang que
donne sa naissance, n'est-ce pas déjà être
au-dessus de soi-même? C'est ce que fit
sainte Claire dès les premiers regards qu'elle
porta sur le monde ; mais voici cfautres faits :
le monde le plus riant, le plus flatteur fut le
second trophée qu'elle érigea à la sainteté de
la religion.
Un seul regard, Messieurs, sur le théâtre
du monde vous fera connaître toute la force
de ceux qui lui résistent, quand je le vois
attacher à son char presque tous les humains ;
faire observer en maître absolu ses lois, ses
maximes, ses coutumes; gêner le monarque
ainsi que les courtisans, se faire redouter
dans tous les états, imposer des fardeaux in-
finiment plus pesants que ceux de la reli-
gion, et malgré cela étendre son empire dans
tous les lieux de l'univers, compter presque
autant de conquêtes qu'il livre de combats;
je ne saurais tropadmirer laforce d'une âme
qui le-méprise, lui résiste. Telle fut la force
de sainte Claire; elle ne connut le monde
que pour le combattre, et lui dire un éternel
adieu. Quel beau spectacle se présente ici à
mes yeux ! Je la vois dans la cathédrale
d'Assise avec tous les ornements du siècle ;
onla prendrait pour une conquête du monde,
et c'est une conquête de Jésus qu'elle va
prendre pour son époux : déjà François l'at-
tend avec tous ses religieux; déjà l'autel est
dressé: elle y vole comme une victime qui
soupire après le moment du sacrifice; elle
jette loin d'elle toute cette pompe mondaine,
reçoit l'habit de pénitence, et contracte avec
Jésus-Christ cette alliance dont elle a si
bien soutenu l'éclat par son éminente pu-
reté. C'est dans ce moment, Messieurs, qu'on
vit le monde couvert de confusion, et vaincu
par une jeune vierge, ses plaisirs les plus
doux et même les plus innocents, ses al-
liances les plus flatteuses, ses fortunes les
plus- riantes, tout fut foulé aux pieds; un
vœu solennel de virginité et de pauvreté fut
l'acte authentique qui déclara au monde
étonné le mépris qu elle laisait des choses
de la terre, et le courage avec lequel elle
brisa tous ses liens nous assure qu elle était
revêtue de cette force divine à laquelle rien
ne résiste : fortitudo indumentum ejus.
Vous le savez, Messieurs, la sainteté de
l'état ne l'ail pas toujours des saints ; on ne
laisse pas dans le monde ses passions comme
on y laisse ses fortunes et sa famille : toute
la terre est un lieu de combats, et après avoir
triomphé du monde, il faut encore triompher
de soi-même. Sainte Claire comprit cette im-
portante vérité; c'est pourquoi elle eut re-
cours à tous les genres de pénitence que le
zèle peut inspirer : c'est alors qu'on vit l'in-
nocence timide et alarmée se précautionner
contre les amorces du péché; la seule crainte
de devenir infidèle mouilla souvent son vi-
sage de pleurs : de là ces veilles qu'elle pro-
longeait des nuits entières; de là ces tendres
gémissements et cette voix plaintive qu'elle
adressait à son époux ; de là ces haires et
ces cilices dont elle serrait son corps inno-
cent; de là ces jeûnes continuels, et cette
espèce d'habitude de ne manger que rare-
ment ; de là ces macérations qui lui faisaient
souffrir un martyre lent et continuel; de là
toutes ces austérités qu'elle eut le courage
d'employer pour réduire son corps en servi-
tude, et devenir une hostie vivante et agréa-
ble à son époux : Ilosliam vivent em et pla-
centem Deo (Rem., XII); austérités, Mes-
sieurs, qu'elle poussa si loin, que François,
cet homme de pénitence et crucifié, que l'é-
vêque d'Assise, un des premiers admirateurs
de sa sainteté, furent obligés d'en arrêter les
excès. C'est ainsi qu'elle s'éleva au-dessus
d'elle-même, et qu'elle fit éclater cette forée
divine qui fait mépriser l'éclat de sa nais-
sance, les charmes du monde, et dompter ses
passions : Fortitudo indumentum ejus.
Quelle honte pour nous, Messieurs ! l'E-
glise est occupée à déplorer nos relâche-
ments, au lieu d'être obligée d'arrêter notre
zèle ; et n'y eût-il que les austérités de ces
vierges qui m'écoutent, et qui marchent avec
tant de courage sur les traces de leur sainte
institutrice, n'avons-nous pas de quoi con-
damner cette délicatesse qui nous endort et
nous amollit; je ne suis pas étonné que le
moindre obstacle nous arrête, et que la chair
et le sang fassent souvent échouer les plus
louables projets : quand ou n'a pas la force,
comme sainte Claire, de régner sur ses pas-
sions, on n'a pas la force de résister aux
vues charnelles d'une famille qui ignore les
desseins de Dieu. Sainte Claire fut au-dessus
de la nature en résistant à sa famille, parce
qu'elle était déjà au-dessus d'elle-même par
l'assujettissement de ses passions ; Fortitudo
indumentum ejus.
Quand Dieu appelle à lui une âme, i.l veut
qu'elle brise généreusement les liens les
plus innocents ; il l'élève au-dessus de la
nature : elle aime ses parents, mais elle aime
encore plus son Dieu; elle est soumise à
leur volonté tant qu'elle n'est pas contraire
à celle du Créateur ; elle écoute avec docilité
leurs conseils ; mais la voix de l'E; oux se fait
entendre efficacement : lorsqu'il l'anpefle à la
solitude, c'est un arrêt pour elle, elle y voîej
in
ORATEURS SACRES. BALLET.
112
les caresses et les menaces, les larmes et les
fureurs n'ébranlent point son courage ; elle
aime ses parents, mais elle ne les aime pas
plus que son Dieu; et dans ces combats de
la grâce et de la nature, la victoire est pour
Jésus-Christ ; son épouse échappe aux em-
pressements d'une famille charnelle, et va
couler des jours tranquilles sous les paisi-
bles lois de la retraite; c'est ainsi, Messieurs,
2u'il faut entendre cet oracle du Sauveur :
elui qui aime son père ou sa mère plus que
moi, n'est pas digne de moi : Non est me
dignus. (Matth., X.) Remarquez qu'il ne dé-
fend point les honneurs, l'obéissance, l'ami-
tié, les secours que nos parents ont droit
d'attendre de nous ; mais il veut seulement
leur être préféré : c'est ainsi qu'il n'a pas au-
torisé l'insensibilité ni la dureté, en déta-
chant les apôtres de leur patrie, de leur fa-
mille. Ce centuple de l'Evangile, ces conso-
lations, ces trônes éclatants qu'il promet
dans le ciel à ceux qui quittent tout pour lui,
ne sont pas les récompenses d'un cœur in-
sensible, mais d'un cœur généreux, d'une
âme élevée au-dessus de la nature, telle que
l'illustre sainte Claire, que la grâce mit au-
dessus de la chair et du sang, en la faisant
sortir victorieuse des combats que sa famille
lui livra.: Fortitudo indumentum ejus.
Déjà, Messieurs, la retraite de sainte Claire
fait du bruit dans la ville d'Assise, et partage
les esprits; c'est une scène qui occupe les
mondains, et exerce leur censure : Made-
leine, aux pieds du Sauveur, est condamnée
par le pharisien; Claire, sous l'habit de pé-
nitence, et sous les yeux de son Epoux, est
l'objet des plus malignes conversations. Dans
un cercle, on veut que la légèreté soit la
seule cause de cette action éclatante; dans
un autre, une ferveur indiscrète a précipité
ses pas vers l'autel. Elle est coupable, parce
qu'elle est jeune; elle est imprudente, parce
qu'elle n'a pas consulté le monde; elle est
téméraire, parce qu'elle embrasse un genre
de vie austère. Son Epoux qui l'appelle ,
François qui a examiné sa vocation, sainte
Claire déjà accoutumée à remporter des vic-
toires sur le démon, tout cela ne peut la jus-
tifier aux yeux d'un monde sensuel et déli-
cat que la pénitence effraie et que la croix
révolte. C'est ainsi que s'accomplit cet oracle
de saint Paul : Si vous voulez que les mon-
dains se déclarent contre vous, déclarez-vous
hautement [jour Jésus-Christ, prenez sa croix,
et suivez-le dans la route du Calvaire. Le
monde ne veut pas être condamné ; et si on
ne veut, point ériger des trophées à ses vani-
tés et à ses maximes, il ne tant point en éri-
ger avec trop d'éclat aux abaissements et
aux austérités de l'Evangile : il attacpic la
piété qui le méprise, et tourne en ridicule
ceux qui l'abandonnent : Omnes qui pie vo-
lunt vivere in hoc sœculo persecutionem pa-
tientur. (II Tim., III.)
Mais les oracles de ces politiques du monde
n'ébranlèrent point sainte Claire. Elle les
laissa débiter leur morale insensée, et elle
eut le courage de se mettre au-dessus de leur
fausse sagesse : Fortitudo indumentum ejns.
Les discours de ces hommes accoutumés
à raisonner en politiques , ne furent que
comme ces éclairs qui annoncent les orages
et les tempêtes. Sa famille va lui livrer de
grands combats, lui procurer de plus grandes
victoires; mais sainte Claire, en lui résistant
généreusement, va nous prouver qu'elle est
déjà élevée au-dessus de la nature.
Quand les parents se conduisent par des
vues humaines et charnelles, ils tombent
dans deux excès également contraires aux
desseins de la Providence et au salut de
leurs enfants.
Les tins, effrayés à la vue d'une nombreuse
famille qu'ils ne peuvent soutenir dans le
luxe et dans le faste, destinent les plus jeu-
nes de leurs enfants à l'autel ou au cloître.
Pour procurer aux uns une abondance qui
ne leur est point due, on livre les autres à
une pauvreté qui n'est pas volontaire. Le
soutien de la famille demande ce sacrifice;
la vocation, c'est le système des affaires. En
vain une jeune personne marque de la ré-
pugnance pour la retraite et du goût pour le
monde ; le vaisseau de Jonas est trop chargé,
il faut que quelqu'un soit précipité dans la
mer. Parlons sans figure : la famille est trop
nombreuse, il en faut jeter plusieurs dans
l'Eglise ou dans le cloître. De là ces victimes
de rebut, ces victimes forcées, ces victimes
de la cupidité des parents, et de là tant de
victimes dans la retraite même. Premier ex-
cès, l'avarice des parents.
Les autres , idolâtres de leurs enfants et
aveugles admirateurs des grâces, des talents
qu'ils ont reçus de la nature, les produisent
avec complaisance sur le théâtre au monde,
leur ménagent des alliances; et, comme si
Dieu n'avait pas droit de demander un Isaac
chéri et unique, ils décident de leur sort
selon les maximes du monde, se révoltent
au moindre signe de vocation pour le cloî-
tre, disputent au Seigneur la victime qu'il
s'est choisie, et imitent jusqu'à l'impiété de
Pharaon , qui ne voulut pas permettre aux
enfants d'Israël d'aller sacrifier dans le dé-
sert. Second excès, fausse tendresse des pa-
rents.
C'est ce second excès qui suscita à sainte
Claire tous les combats qu'elle eut à soute-
nir de la part de sa famille, et qui lui pro-
curèrent tant de victoires. Combats dange-
reux , combats formidables : les caresses et
les menaces, la douceur et la violence lui
portèrent successivement leurs coups, mais
plusieurs fois attaquée, et plusieurs fois vic-
torieuse, l'Eglise ne nous rappelle ses com-
bats que pour ériger des trophées à sa géné-
reuse résistance, et nous montrer une jeune
vierge au-dessus de la nature, en nous mon-
trant sainte Claire au-dessus des caresses et
des menaces de ses parents : Fortitudo indu-
mentum ejus.
Je ne prétends pas, Messieurs, en vous
traçant le portrait de sainte Claire, employer
ces traits vifs qui représentent l'irréligion
et la mondanité. Leurs mœurs étaient pures
et honnêtes : sa mère môme s'était distin-
guée par une piété tendre : les grands objets
113
PANEGYRIQUES. — PANEG. VI, SAINTE CLAIRE.
III
de la relig;on avaient excité son zèle : le dé-
sir de visiter les lieux consacrés par les tra-
vaux, les sueurs et le sang de Jésus-Christ ;
de voir les tombeaux de Pierre et de Paul,
ces grands héros de la religion, l'avait fait
voler à Jérusalem et à Rome; mais il leur
manquait ce qui manque aujourd'hui à tant
d'honnêtes mondains, le goût et l'étude des
voies du salut.
Ils étaient habiles dans les routes frayées
du monde; ils ignoraient les routes mysté-
rieuses de la sainteté : ils pensaient à leur
fille qui s'ensevelissait dans la retraite, ils
ne pensaient point à Jésus-Christ qui l'y ap-
pelait. Ce genre de vie qu'elle embrassait
leur paraissait un système arrangé et médité
entre François et la jeune Claire; et ils ne
s'opposaient à l'exécution de ce grand pro-
jet, que parce qu'ils ne le regardaient pas
comme nécessaire au salut de leur fille. C'est
cette ignorance des différentes routes du sa-
lut qui leur fit commettre de si grands excès ;
excès de tendresse et d'amitié.
On parut devant elle les yeux baignés de
pleurs :"on lui rappela tous les droits de la
chair et du sang : on employa cette douceur
qui touche et amollit : on exposa ces titres,
ces rangs, ces alliances qui flattent un jeune
cœur. On eut enfin recours à tous ces strata-
gèmes si efficaces dans le monde pour faire
échouer les plus beaux projets de sainteté.
En fallait-il davantage pour arracher à la
retraite une âme moins élevée que sainte
Claire? Non, Messieurs; mais la grâce avait
élevé sainte Claire au-dessus de la nature;
c'est pourquoi elle résiste à ces premières
attaques. Elle sait ce qu'elle doit à ses
parents qui veulent la retenir, mais elle sait
ce qu'elle doit à Jésus-Christ qui l'appelle ;
et revêtue de cette force divine, elle triom-
phe du monde lorsqu'il la flatte et lorsqu'il
la menace . Fortitudo indumentum ejus ; ex-
cès de fureur et d'emportement.
Le grand François d'Assise, qui attendait
les moments de la Providence pour l'exécu-
tion de ses grands projets, avait déjà placé
la jeune Claire dans le monastère des Béné-
dictines de-Saint-Paul. Paisible dans la com-
pagnie des épouses de Jésus-Christ, elle
commençait à goûter les douceurs de la re-
traite, lorsque la colère de ses parents éclata;
et que les orages et les tempêtes formées
dans le sein de sa famille vinrent fondre sur
cette sainte maison.
Ici, Messieurs, les expressions me man-
quent, cette grande scène fait la honte du
monde, et la gloire de la religion. La dou-
ceur triomphe de la colère. La nature est
obligée de céder à la grâce qui attire et en-
traîne cette innocente victime.
En vain ses parents paraissent-ils dans sa
retraite avec un air menaçant, les yeux étin-
celants, le visage allumé du feu de la colère ;
en vain rompent-ils toutes les barrières,
écarlent-i!s tout ce qui s'oppose à leur pas-
sage; en vain paraissent-ils à l'autel qui sert
d'asile à la jeune Claire, et qu'elle tient avec
fermeté ; en vain, pour se venger de sa résis-
tance, lui font-ils entendre des menaces;
Claire, comme yine victime constante, reste
au pied de l'autel, leur montre par le sacri-
fice extérieur de ses cheveux, l'engagement
qu'elle avait contracté avec Jésus-Christ, et
semble leur dire par sa douceur et sa tran-
quillité : Est-ce donc un crime de se donner
entièrement à son Dieu ? Ne peut-on pas,
sans vous offenser, porter sa croix et le sui-
vre? Ne suis-je plus digne de vos caresses,
parce- qu'il me prodigue les siennes? L'é-
poux que j'ai vous déplait-il, parce que ce
n'est pas vous qui me l'avez donné? Si je
suis votre enfant, je suis sa créature et li
conquête de son sang. Les parents donnent
des biens, Dieu seul donne la vertu. Ne com-
battez point contre la grâce qui m'appelle :
quand Dieu est pour une âme le monde n'y
peut. rien.
N'est-ce pas là, Messieurs, être au-dessus
de la nature ? Et si ces scènes ne sont pas
communes dans notre siècle, la résistance
héroïque de sainte Claire l'est encore moins :
Fortitudo indumentum ejus.
Il n'est pas étonnant, Messieurs, que cette
force divine qui a mis sainte Claire au-des-
sus d'elle-même par l'assujettissement de ses
passions ; au-dessus de la nature, par sa gé-
néreuse résistance aux sollicitations de sa
famille, l'élève encore au-dessus de son sexe,
par les victoires qu'elle remporte sur les
Maures et les Sarrasins.
Frédéric II possédait alors la couronne
impériale. C'était le plus 'grand ennemi du
Saint-Siège, il régnait avec assez de prospé-
rités; et comme ce prince jaloux ne voyait
qu'à regret le domaine des souverains pon-
tifes, il ravagea le pays ecclésiastique. On
le vit ramasser dans les montagnes, les
Maures et les Sarrasins, et former une armée
de brigands. Bientôt le duché de Spolèto
fut exposé au pillage et à la fureur de ces
infidèles. Ces troupes grossières traînaient
après elles les horreurs des guerres les plus
allumées : les prêtres et les vierges étaient
immolés à leur fureur.
La désolation se répandait partout. Déjà
ils avaient investi audacieusement la sainte
maison où Claire jetait les fondements de
son ordre ; déjà ils regardaient avec assu-
rance ce troupeau déjeunes vierges, comme
autant de victimes de leurs cruautés et de
leurs honteuses passions. Lorsque sainte
Claire, par la seule force dont elle était re-
vêtue, mit en fuite ces armées formidables
aux plus grandes villes : Fortitudo indu-
mentum ejus.
Dieu est admirable, Messieurs, ses yeux
sont toujours fixés sur le juste, comme l'ob-
jet de ses plus tendres complaisances : Oculi
Domini super justos. (I Pefr., III.) 11 coule à
J'ombre de ses ailes des jours heureux et
tranquilles. Les adversités l'éprouvent et ne
l'abattent point. Les trônes chancellent, les
puissances frémissent, les héros pâlissent,
les armées sont mises en déroute, les forte-
resses renversées, et le juste est paisible sous
la garde du Seigneur. En vain ses ennemis
l'environnent, et conjurent sa perte, il en
tombe mille à sa gauche, et dix mille à sa
iSÎ
ORATEURS SACRES. BALLET.
i!8
droite, Dieu se rit des vains efforts de l'en-
fer et du monde, et la constance du juste
dans les plus grands orages et les plus vio-
lentes tempêtes, est un trophée érigé à sa
puissance et à sa sagesse : Oculi Domini su-
per JitStOS.
Job sur son fumier, Antoine dans le dé-
sert, triomphent des puissances de l'enfer:
l'un déconcerte le démon, l'autre le met en
fuite. L'innocence, sons les yeux du Sei-
gneur, a trouvé des asiles chez les peuples
les plus sauvages, dans les abîmes de la
mer, dans la compagnie des lions et des
léopards, dans les lieux destinés aux plus
infimes voluptés.
Le juste est au-dessus du monde ; et le
monde fût -il entièrement conjuré contre
lui, on le verra paisible sous la protection
du ciel : In protectione cœli commorabitur.
(Psal. XC.)
Quelle preuve plus éclatante, Messieurs,
de la force du juste que cette admirable
tranquillité de sainte Glaire, à la vue des
Maures et des Sarrasins 1
Les innocentes vierges qui vivent sous sa
conduite, aperçoivent les infidèles qui avan-
cent; elles voient ces bataillons hérissés de
pointes et de piques; leur sainte retraite est
investie, leur perte est conjurée: ce lieu
sanctifié par les prières, les oraisons, les
veilles, les larmes, les pénitences de ces
saintes épouses, va devenir une retraite de
brigands et la proie des ennemis de Dieu.
Déjà leur cœur est plongé dans l'amertume ,
leur innocence est alarmée ; l'héritage du
Seigneur tombé en ruine se présente à leur
imagination ; elles pleurent, à l'exemple du
Sauveur, les malheurs qui menacent la cité
sainte, et timides et tremblantes elles vont
annoncer à sainte Claire l'arrivée des en-
nemis.
C'est ici, Messieurs, que sainte Claire va
vous paraître au-dessus de son sexe par sa
confiance , sa tranquillité et les moyens
qu'elle choisit pour mettre en fuite les
Maures et les Sarrasins : Fortitudo indumen-
tum ejus.
Qu'espérez-vous , chastes épouses de Jé-
sus-Christ, en annonçant à sainte Claire que
les infidèles sont sur les murailles de votre
sainte retraite? Peuvent-elles sortir de sa
cellule, comme du cabinet des princes, ces
ressources que la force et la politique savent
trouver dans l'occasion ? peut-elle soutenir
un combat ou l'éviter? Non; mais vous savez
que déjà placée entre le ciel et la terre, fa-
miliarisée, pour ainsi dire, avec son Dieu
par des communications intimes, elle choi-
sira, sans se déconcerter, les moyens de
vous délivrer de vos ennemis.
En effet, Messieurs, sainte Claire montre,
un courage au-dessus de son sexe; on ne la
voit ni tremblante ni timide : comme elle
n'a point manqué à son Dieu, elle espère
que son Dieu ne lui manquera point. Elle
dit avec le Prophète : Quand les camps des
ennemis seraient mille fois plus formidables,
mon cœur ne sera point troublé ni agité par
la crainte • Si' consistant ad>rrs»w me castra,
non timebit cor menm. (Psal. XXVI.) Dieu
se joue de la multitude des mortels , et ses
anges ont défait souvent de nombreuses ar-
mées. Soutenue par cette confiance, elle
suit les mouvements de sa piété, et, comme
elle avait une dévotion tendre au très-saint
Sacrement de l'autel, elle va se prosterner
devant ce trône de miséricorde ; et, inspirée
du ciel, qui fait quelquefois sortir les saints
des routes ordinaires, et qui récompense
certaines actions que nous devons toujours
admirer, quoique nous ne devions pas tou-
jours les imiter, elle prend avec respect et
avec les précautions nécessaires, à ceux qui
ne sont point honorés du sacerdoce, ce pré-
cieux gage de notre salut et va paraître de-
vant les ennemis. A la vue de ce Dieu ter-
rible pour les pécheurs, on voit les troupes
disparaître comme la fumée. Leurs pieds
chancellent, les armes leur tombent des
mains , la terreur s'empare de leurs esprits ;
épouvantés, saisis, abattus, ils abandon-
nent leur barbare projet et prennent la fuite.
Aussitôt le ciel s'ouvre ; un oracle consolant
se fait entendre à sainte Claire, son divin
époux l'assure qu'il la conservera toujours :
Ego te custodiam.
Et vous, hommes de sang et de carnage,
vous auriez disputé la victoire, si vous n'eus-
siez vu que des glaives briller à vos yeux;,
mais sainte Claire vous opposait les foudres
et les tonnerres. Elle vous disait intérieure-
ment : Voici l'agneau de Dieu, environné
des vierges qui le suivent le jour et la nuit ;
vous n'avez pu résister à un si saint spec-
tacle, une force divine vous a fait dispa-
raître.
En vain vos esprits revenus formeraient-
ils les mêmes projets , le même Dieu pro-
tégera encore sainte Claire et ses saintes
filles ; elle servira même de rempart et de
bouclier à la ville d'Assise : un second ora-
cle se fait entendre, la protection du ciel est
promise : Ego te custodiam.
C'est ainsi, Messieurs, que sainte Claire
parut au-dessus de son sexe aux approches
des Maures et des Sarrasins, et qu'elle choi-
sit les moyens les plus efficaces pour en
triompher. Tel que l'on vit autrefois le fa-
meux duc d'Aquitaine troublé, agité, abattu
aux pieds du grand saint Bernard , tenant
dans ses mains une hostie, tel presque dans
le même temps, on vit une nombreuse ar-
mée céder la victoire à sainte Claire, qui
n'avait aussi point d'autres armes que le
sacrement de nos autels : il fut toute sa
force et sa défense : Fortitudo indumentum
ejus.
Je vous ai montré, Messieurs, sainte
Claire revêtue de cette force divine, qui
l'éleva au-dessus d'elle-même, au-dessus de
la nature , au-dessus de son sexe ; il me
reste présentement à vous la représenter re-
vêtue de gloire : Décor indumentum ejus :
c'est la seconde partie de son éloge.
SECONDE PARTIE.
Les hommes volent à la gloire , et la gloire
du monde, ce fantôme qu'on ne pourr-a
137 PANEGYRIQUES.
jamais réaliser, leur échappe et disparaît.
La politique, te moyen si vanté, si accré-
dilé, si nécessaire pour y parvenir, échoue
tous les jours sur le théâtre du monde ; le
mérite, qui devrait en frayer la route et
qu'elle devrait prévenir, languit souvent dans
1 oscurité et dans l'indigence. La souplesse,
l'adulation, la hassesse, ressources ordi-
naires de l'ambitieux, n'obtiennent rien
d'un prince habile et judicieux ; la hardiesse
à se produire fait des jaloux et irrite le dis-
pensateur des grâces.
On ignore un mérite modeste, on dé-
daigne un mérite qui se produit ; et pour
quelques favoris sur lesquels tombent de
légers rayons de la gloire du monde, quelle
multitude dans l'obscurité et méconnue ! De
la ces ambitieux devenus sages, qui se ca-
chent prudemment après s'être montrés inu-
t lement : gloire du monde , gloire difficile
à obtenir et encore plus difficile à conserver.
L'élévation du mondain et sa chute sont
deux scènes que l'on voit souvent dans
une môme année. Son élévation a étonné,
sa chute ne surprend point; on est accou-
tumé à ces changements de scènes : les
grandes places sont mobiles et changeantes,
et tous les jours on voit se vérifier les pa-
roles du Prophète : Les hommes tombent du
faîte de la grandeur dès qu'ils y sont par-
venus : Mox ut honoripeati fuerint , défi-
cient. (Psal. 36.)
Or, il n'en est pas de même de la gloire
dont Dieu veut bien revêtir ses saints dès
ce monde, elle est plus solide.
C'est un écoulement de la sienne. Voyons-
là dans sainte Claire, cette gloire que Dieu
procure, que l'homme ne saurait ravir :
gloire qui accompagne ses travaux, ce sont
ses sucrés; gloire qui accompagne sa foi,
ce sont ses miracles; gloire qui accompagne
sa sainteté, ce sont les éloges de l'Eglise.
Voilà la gloire dont Dieu a revêtu sainte
Claire dès ce monde même : décor indumen-
tum ejus. J'achève avec ces réflexions.
L'Eglise voyait avec plaisir l'ordre nais-
sant de saint François retracer aux mortels,
plongés alors dans les délices de la vie et
les soins tumultueux du siècle, le détache-
ment et la pureté de ses premières années.
Ces hommes admirables, qui levaient l'é-
tendard de la pauvreté et de la pénitence,
qui venaient apporter la crèche et le cal-
vaire à un monde de richesses et de plai-
sirs, faisaient sa consolation et sa gloire.
C'est alors qu'on vit s'accomplir cette fa-
meuse prophétie d'Isaïe : les trônes et les
couronnes perdront tout leur éclat aux yeux
du juste; les villes les plus opulentes et les
plus florissantes seront méprisées par le
pauvre; il foulera aux pieds ces fragiles tré-
sors des humains : conculcabit pes, pedes
pa <perum, gressus egenorum. (Isa., XXVI.)
Mais, j'ose le dire, la gloire de l'Eglise
n'était pas encore parfaite ; ces grands traits
de la crèche et du calvaire ne se montraient
alors que dans un sexe, et il n'y avait pas
. d'apparence qu'un genre de vie si austère
" passât dans le sexe le plus faible, lorsque
PANEG. VI, SAINTE CLAIRE.
:i8
Dieu suscita sainte Claire pour faire passer
dans le sien la pauvreté et la pénitence de
François d'Assise. Alors parurent ces deux
grandes lumières pour dissiper les ténèbres
qui couvraient une grande partie de la
terre ; alors parurent Debbora et Baruch qui
travaillèrent avec zèle à la sanctification des
deux sexes.
François forme des hommes apostoliques
pour aider et soutenir l'Eglise ; Claire forme
des victimes de la pénitence et de la pau-
vreté. Si le plan de vie que François trace à
ses disciples étonne le monde, effraye les
riches et les grands, suspend même l'appro-
bation des souverains pontifes, celui que
Claire (race à ses filles n'est pas moins aus-
tère et digne d'admiration.
Peut-être, Messieurs, craignez-vous pour
ses succès ! Rassurez-vous : les politiques
raisonneront , le Pape même balancera, mais
Dieu justifiera son entreprise; la gloire ac-
compagnera ses travaux, et ses succès feront
son apologie : décor indumentum ejus; suc-
cès rapides.
Quelques années se sont écoulées, et je
vois ce petit grain de sénevé devenu un
grand arbre, qui couvre de ses branches
presque toute l'Italie; je vois cette petite
source devenue un fleuve majestueux qui.
s'étend partout.
Reconnaissez par ces rapides progrès, ô
vous que la seule politique guide dans vos
entreprises, que Dieu choisit ce qu'il y a de
plus faible pour humilier le monde puissant
et superbe !
La seule grâce que sainte Claire a briguée
en établissant son ordre, c'a été la permis-
sion de ne rien posséder ; le seul titre qu'elle
a demandé pour elle et ses filles a été celui
de pauvre. Ce sont les grands privilèges
qu'elle demande à Innocent III; elle les
obtient, son cœur est satisfait.
En vain Grégoire IX veut-il lui assigner
des revenus. Elle respecte les offres de ce
souverain pontife, mais elle ne veut point
d'autre ressource que la Providence.
Ne dirait-on pas, Messieurs, que l'ordre
de sainte Claire est la religion elle-même,
qui, sans fonds et sans appui humain, fait
de rapides progrès? Succès de sainte Claire,
succès éclatants.
Une célèbre prophétie dans Isaïe annon-
çait les conquêtes éclatantes de la religion
chrétienne en ces termes : O Eglise 1 ô
Eglise pauvre, cachée, persécutée, de quelle
gloire n'allez-vous pas être couronnée ! Tous
les grands de la terre vous protégeront; les
rois et les souverains vous prieront d'éten-
dre votre empire dans leur domaine, et les
hommes les plus importants plieront sous
votre joug, et se feront une gloire de vivre
sous vos douces lois : viri sublimes Irans-
ibunt ad te. (Isa. XLV.)
Messieurs, si les succès éclatants de sainte
Claire avaient été annoncés par un prophète,
auraient-ils pu empêcher des expressions
moins magnifiques. Vous dirai-je que les
princes de l'Italie et de l'Allemagne travail-
lèrent à étendre cet ordre naissant avec au-
na
ORATEURS SACRES. BALLET.
120
tant d'ardeur que s'ils eussent travaillé à
«'•tendre leurs Etats; que l'on vit plusieurs
princesses passer dans son ordre, mépriser
les trônes et les couronnes qui leur étaient
destinées, pour se cacher sous l'habit de pé-
nitence? L'Eglise honore dans ses fastes la
fille d'un roi de Bohême, qui a mérité dans
l'ordre de sainte Claire une couronne im-
mortelle, après avoir méprisé celle de ses
ancêtres : c'est ainsi que sainte Claire a fait
des conquêtes dans les cours les plus bril-
lantes, et qu'elle a arraché au siècle celles
qui en faisaient l'éclat et l'ornement : suc-
cès de sainte Claire, succès consolants.
Elle devient l'apôtre de sa famille; elle
devient la mère de celle qui lui avait donné
le jour. Oui, Messieurs, Hortollane, sa
mère, Agnès et Béatrice ses sœurs, renon-
cent au monde pour embrasser la pauvreté,
et vivre sous l'obéissance de sainte Claire :
c'est elle qui les a touchées, détrompées du
siècle; ses larmes, ses prières ont mérité
ces conquêtes consolantes; et, en donnant
ces sujets à son ordre, elle a donné des sain-
tes à l'Eglise : succès de sainte Claire, suc-
cès immenses.
Cet ordre est devenu si grand, si floris-
sant, que semblable à cette source du para-
dis terrestre qui formait quatre grands fleu-
ves, il s'est divisé en plusieurs branches,
de sorte que l'on compte plus de quatre
mille monastères, qui l'ont partout l'édifica-
tion des peuples.
Heureuses les filles qui possèdent dans
leur enceinte ces innocentes victimes de la
pénitence et de la pauvreté! Si nos vices ir-
ritent le Seigneur, plus heureux qu'Abra-
ham nous avons plus de dix Ames justes à
lui présenter, et le monastère où j'ai l'hon-
neur de prêcher aujourd'hui est seul capable
d'arrêter les foudres prêtes à tomber sur nos
têtes criminelles : succès de sainte Claire,
succès durables.
Dieu est lui-même le soutien de cet ordre
respectable : c'est pourquoi on n'y a point
tu ces vicissitudes, ces décadences, dont
les plus florissantes monarchies ne sont
souvent pas exemptes; il durera pour l'édi-
fication des peuples, pour la consolation de
l'Eglise, pour justifier la Providence et l'E-
vangile, et pour condamner les criminelles
attaches et les coupables plaisirs des mon-
dains.
C'est ainsi que les succès accompagnèrent
les travaux de sainte Claire dans l'établis-
sement, de son ordre, et firent sa gloire aussi
bien que les miracles qui accompagnèrent sa
foi : ttccor indumentum ejus.
Permettez-moi, Messieurs, de mettre à la
tête de tous les miracles que j'ai à vous ra-
conter sainte Claire elle-même, comme le
plus éclatant et le plus surprenant. Un corps
mortel devenu insensible pour tous les ob-
jets de la terre ; aussi pure au milieu des
éeueils et des dangers du monde qu'en sor-
tant des eaux du baptême; qui est attaquée
et qui attaque; qui enlève des conquêtes au
démon, et que le démon tente inutilement.
Un onrp-; purifié dans les austérités et dans
les souffrances; un esprit dégagé de tous les
biens et de tous les soins du siècle ; un cœur
brûlé du divin amour, et qui se consume
peu à peu dans de saintes ardeurs; une âme,
pour ainsi dire, aussi libre que si elle était
dégagée des liens du corps, qui s'élève de
la terre par l'ardeur de la charité, parla feF-
veur de ses prières, par la sublimité de ses
oraisons; une créature que son Dieu tire de
temps en temps comme hors du monde; qui
passe des heures entières dans des extases,
des ravissements qu'elle seule aurait pu ra-
conter, et qui, malgré ces faveurs singu-
lières, ces grâces choisies, ces dons émi-
nents, conserve une humilité profonde et la
crainte même des pécheurs.
N'est-ce pas là un prodige, Messieurs,
parmi les hommes, un miracle éclatant que
la créature opère avec le Créateur, auquel
elle a part, et que Dieu récompense magni-
fiquement, en ajoutant à l'éclat de ses vertus
l'éclat des miracles?
C'est à la foi que Jésus-Christ attache
princi paiement le don des miracles : i\ an-
nonce à tous ceux qu'il guérit que c'est leur
foi qui les a sauvés : fides tua te salvum fecit
(Matth., IX) : Si vous avez de la foi, dit-il
dans un autre endroit, vous transporterez
les montagnes, vous commanderez aux vents
et aux tempêtes. Aussi est-ce une doctrine
très-ancienne et attestée par tous les saints
docteurs de ne point examiner les miracles
de ceux qui ne tiennent point la toi et la
doctrine de l'Eglise. Dieu ne peut point agir
contre lui-même; c'est pourquoi il n'est point
l'auteur des prodiges que les hérétiques op-
posaient aux saints Pères pour justifier leur
division. Mais la foi de sainte Claire était
pure, sa soumission parfaite; le chef de l'E-
glise guidait ses pas, réglait ses discours,
fixait ses sentiments; docile à tous les ora-
cles de T'Evangile, elle croyait sans exami-
ner; l'éclat des miracles fut la récompense
de sa foi : décor indumentum ejus.
Je vois arriver de toutes les parties de l'I-
talie des infirmes au monastère de sainte
Claire, et tous sont favorisés d'une guérison
prompte et parfaite; point de maux incura-
bles qui résistent au signe de notre salut que
sainte Claire emploie, et sur lequel cette
humble servante du Sauveur fait tomber tout
l'éclat des prodiges. Les sourds entendent,
les boiteux marchent, les muets parlent, les
aveugles sont éclairés, les pains se multi-
plient, les bêtes féroces s'apprivoisent, les
démons prennent la fuite; dépositaire de
cette puissance à laquelle rien ne résiste, qur
commande à tous les éléments et change
toutes les lois de la nature, elle guérit toutes
les langueurs et toutes les infirmités, enrans
omnes lanquores et omnem infirmitatem.
(Matth., IX.)
C'est ainsi que Dieu couvre de gloire
une vierge enveloppée dans la retraite, ca-
chée sous un habit de pénitence, décor indu-
mentum ejus.
Sa foi l'avait dérobée au monde; sa foi la
donne en spectacle au monde; Dieu cache
ses saints et il les montre : il les cache lors-
*2I
PANEGYRIQUES. — PANEG. VI, SAINTE CLAIRE.
122
qu'ils sont encore faibles; il les montre lors-
qu'ils sont revêtus de sa puissance; alors ils
ne paraissent que pour condamner le monde,
que pour être utiles au monde, que pour
édifier le monde; les miracles de sainte Claire
condamneront le monde.
Il vit avec étonnement la puissance de celle
qui avait foulé aux pieds son opulence et sa
grandeur; sa gloire effaça à ses yeux celles
ues trônes et des couronnes, et s'il fut trop
lâwhe pour marcher sur ses traces, il fut du
moins forcé de rendre hommage à sa puis-
sance et de roug'r de sa faiblesse; les mira-
cles de sainte Claire furent utiles au monde.
S'il eût trouvé auprès des rois, des souve-
rains et des riches du siècle la guérison de
ses maux comme auprès de sainte Claire, il
aurait pu douter de la grandeur de Dieu et
de la gloire qu'il communique à ses saints;
mais quand il voit les monarques, aussi bien
que les sujets, implorer efficacement le se-
cours d'une pauvre religieuse, n'est-il pas
utilement averti que la sainteté seule mérite
l'estime de l'homme : les miracles de sainte
Claire édifièrent le monde.
Les peuples la virent toujours plus occu-
pée de Dieu que des prodiges qu'elle opé-
rait; elle touchait les cœurs en guérissant
les corps, et les infirmes la quittaient déli-
vrés de leurs maux et détrompés du monde.
Les miracles qui s'opérèrent après sa mort,
ne furent pas, Messieurs, moins édifiants.
C'était une éclatante apologie de la pau-
vreté, de la pénitence, de l'humilité, de la
docilité. L'homme de richesses, l'homme de
plaisirs, l'homme d'orgueil, l'homme de nou-
veauté ne pouvait point les croire sans se
condamner, et toutes les conséquences qu'il
en pouvait tirer renversaient son système. Sa
vie était la condamnation du monde, et ses
miracles l'éloge de sa vie et de sa foi.
L'Eglise, Messieurs, vint aussi rendre ses
hommages à la sainteté decette illustre insti-
tutrice; elle lui prodigua ses éloges et lui
procura une gloire éclatante et durable :
éloges de l'Eglise, récompenses de sa sain-
teté, décor indumentum ejus.
C'est une grande gloire, dit le Sage, de
suivre le Seigneur : Gloria magna est sequi
Dominum (Eccli., XXIII) ; quoique la roule
qu'il trace à ses élus soit humiliante, elle
conduit à des honneurs solides; les pas du
juste le conduisent à la gloire; la pauvreté,
les mépris, les abaissements dérobent un
temps aux. yeux des mondains sa grandeur;
mais ces ombres disparaissent et Dieu, qui est
magnifique dans ses récompenses, le montre
à l'univers étonné tout brillant de cette gloire
qu'aucun événement ne peut obscurcir, glo-
ria magna est sequi Dominum. La gloire du
monde n'est pas si certaine; on a beau mar-
cher sur les traces des héros et, aussi braves
qu'eux, livrer des batailles et remporter des
victoires, on cesse d'être grand si l'on cesse
d'avoir du succès; on juge de la valeur par
les événements, et un moment de malheur
flétrit les lauriers de plusieurs années; on a
beau s'attacher aux maîtres du monde et re-
noncer aux douceurs d'une vie innocente et
paisible pour devenir les tristes esclaves de
leur volonté souveraine et capricieuse, est-
on sûr de parvenir a la gloire, qui flatte si fort
les ambitieux? L'homme le plus à la mode
n'est pas le plus ancien à la cour; il remplace
un court'sau disgracié, et bientôt les politi-
ques travailleront pour changer cette scène
si riante pour lui; on apprendra sa chute et
l'on n'en saura point la cause. L'homme
sensé ne l'ignore point, ce qui dépend de
l'homme est incertain. Il ne faut pas toujours
être criminel pour cesser de plaire; c'est
pourquoi le Prophète dit : Ne mettez point
votre confiance dans les grands de la terre :
Noiite confid'.re inprincipibus. (Psal. CXLV.)
Ces maîtres du monde tiennent longtemps
les grâces en suspens; ils excitent l'ardeur
des concurrents, en nourrissant, avec poli-
tique, l'espérance de plusieurs; ce qu'ils ne
peuvent donner qu'à un seul les amuse un
certain temps, et 1 on en voit dans les appar-
tements des souverains aussi bien qu'au bord
de la piscine, qui languissent depuis plu-
sieurs années, parce qu'ils n'ont pas de pro-
tecteurs assez puissants pour les pousser et
les produire; ce n'est souvent ni la naissance,
ni le mérite, ni les mœurs, ni les talents qui
manquent, mais la protection de celui qui
joue le plus grand rôle : Ilominem non habeo.
Ahl il n'en est pas de même de la gloire que
Dieu procure à ceux qui marchent sur ses
traces. Elle est aussi certaine qu'elle est écla-
tante -.Gloria magna est sequi Dominum. Con-
sidérez encore quelques moments sainte
Claire, qui occupe toute l'Eglise, et vous la
verrez revêtue de gloire et comblée d'éloges :
Décor indumentum ejus.
La sainteté de sainte Claire était comme
un prodige qui occupait toute l'Eglise, et qui
épuisa, si j'ose le dire tous ses éloges. S'il
en fallait des preuves, Messieurs, je n'aurais
qu'à vous rappeler les visites que le cardi-
nal d'Ostie et Innocent IV, souverain pon-
tife, lui rendirent. Si la sagesse de Salomon
avait excité la curiosité d'une reine du midi
et lui avait fait quitter ses Etats pour le visi-
ter; la haute sainteté de sainte Claire excite
la pieuse curiosité des cardinaux et des papes.
Ni l'éclat de leur dignité, ni la magnificence
romaine, ni l'importance de leurs affaires,
rien ne peut les arrêter : ils volent à Assise
pourvoir sainte Claire et s'entretenir avec
elle, ils admirent cette haute perfection à la-
quelle elle était parvenue. Dans les débris
d'une santé usée d'austérités et de langueurs,
ils aperçoivent l'activité et l'ardeur des sé-
raphins; ses discours les étonnent, ses pa-
roles sont autant d'oracles, et ils avouent
qu'il faut être uni à Dieu comme sainte Claire
pour en parler avec autant de sagesse et de
dignité.
Rappelez-vous, Messieurs, les éloges que
Joachim, ce vénérable pontife, donna autre-
fois à l'illustre Judith, après cette éclatante
victoire qu'elle remporta sur les Assyriens :
sainte Claire en reçut d'aussi glorieux de la
bouche des cardinaux et des souverains pon-
tifes : Vous êtes, disait le pontife de l'an-
cienne loi à Judith, la loi de Jérusalem,
123
ORATEURS SACRES. BALLET.
134
la joie d'Israël, et l'honneur des peuples :
tu 'ffloria Jérusalem, tu lœtitia Israël, tu
honorificentia populi 7iostri. (Judith, XV.)
innocent lVr n'en disait-il pas autant, Mes-
sieurs, quand il assurait que sainte Claire
faisait la consolation de l'Eglise, la gloire
de l'Italie, la ressource des peuples, et l'ad-
miration du monde chrétien?
La gloire ne descend pas avec le grand
monde dans le tombeau : non descendet cum
eo gloria ejus : près de fermer les yeux à
la lumière, il le voit qui s'ouvre, qui l'attend :
mais il le voit tel qu'il est, un séjour d'hor-
reur, de ténèbres, d'humilations, une terre
d'oubli où les humains ne porteront point
leurs regards ni leurs pensées : terra obli-
vionis. [Psal. LXXXVII.)
Il n'en est pas de môme de la gloire de
sainte Claire; elle la suit dans les ombres
de la mort; elle ne s'obscurcit point dans le
♦ombeau ; elle brille depuis plusieurs siè-
cle, et brillera dans les siècles futurs, et
dans l'immense étendue de l'éternité : de-
cor indumentum ejus.
Vous dirai-je que sa mort fut annoncée
dans toute l'Italie avec plus d'éclat que celle
des souverains même : que l'Eglise s'a-
perçut que cet astre était éteint, qu'on vit
les habitants d'Assise former comme un corps
d'armée pour garder ce précieux trésor; et
que si la voix du peuple suffisait pour cano-
niser les saints, on lui aurait rendu à son
décès même un culte public? Vous dirai-
je que le souverain pontife honora ses obsè-
ques de sa présence, et qu'il voulut dès-lors
lui faire rendre les honneurs dus aux saints?
Si le cardinal. d'Ostie s'y opposa, Messieurs,
ce n'est pas qu'il ne fût pleinement con-
vaincu des vertus éminentes de sainte Claire:
il fit l'éloge de sa principale vertu en con-
damnant les vanités du monde, et montra
la sagesse de l'Eglise, en ne précipitant
point cette auguste cérémonie. La Provi-
dence, qui le destinait à la suprême dignité
de chef de l'Eglise, lui réservait l'honneur
de constater les vertus héroïques de sainte
Claire, et de lui décerner un culte public,
culte qui s'est étendu rapidement dans les
empires d'orient et de l'occident, et qui
nous atteste la gloire immortelle dont jouit
sainte Claire dans le ciel: décor indumen-
tum ejus.
Vous avez vu, Messieurs, la force de Dieu
lui procurer une gloire solide; elle l'éleva
au-dessus d'elle-même par l'assujettissement
de ses passions; au-dessus de la na„ture, par
sa généreuse résistance aux caresses et aux
menaces de sa famille : au-dessus de son
sexe, par les victoires qu'elle remporta sur
les Maures et les Sarrasins; les succès, les
miracles, les éloges de l'Eglise, ont fait et
seront à jamais sa gloire.
C'est ainsi qu'elle a été revêtue de force
et de gloire : fortitudo et décor indumentum
rj ts. Heureux si nous nous /aissons toucher
par de si beaux traits, et si nous ne sommes
point de stériles admirateurs de ses vertus ;
nous pourrons espérer d'avoir part au bon-
heur dont elle jouit dans le ciel. Je vous le
souhaite. Ainsi soit-il.
PANÉGYRIQUE VIL
SAINT CLAUDE, ARCHEVÊQUE DE BESANÇON,
Prononce' dans l'église des Religieuses de l'Ave-
Maria, à Paris , le 6 juin 1744.
Krit sepulcrum ejus gloriosum. (Isa., XI.)
Son tombeau éera un séjour de gloire.
Les prophètes, qui ont tracé de loin les
abaissements du fils de Dieu, ont annoncé
en même temps tous les traits de gloire qui
devaient les relever. Isaïe nous le montre
soumis à la mort et victorieux de la mort : il
voit par un esprit prophétique la gloire de so»
tombeau ; cette puissance avec laquelle il
brise les liens de la mort, et se joue des pré-
cautions delà Synagogue : on dirait-qu'il est
présent à ses victoires, qu'il le voit sortir
triomphant du sépulcre : la consternation des
soldats, la honte des Juifs, la joie des apôtres,
le témoignage des anges brillants de lumière,
les tremblements de terre, tous les prodiges
qui s'opèrent lorsque l'Homme-Dicu veut
ressusciter, tout est présent à son esprit; et il
érige d'avance des trophées à sa puissance
sur la mort, en disant que son tombeau sera
son séjour de gloire : erit sejyulcrum ejus
gloriosum.
La résurrection de Jésus-Christ assure la
nôtre. Nous ressusciterons tous, dit saint
Paul, mais nous ne serons pas tous changés,'
omnes guidem resurgemus , 'sed non omnes
immutabimur (I Cor., XV) : les bons et les
méchants sortiront du tombeau; chacun re-
prendra son corps, mais tous ne ressuscite-
ront pas pour la gloire, non omnes immuta-
bimur. Les corps des saints sortiront de
l'humiliation du tombeau, avec tous ces pri-
vilèges dont parle saint Paul, pour aller
jouir de l'immortalité glorieuse; et c'est
cette vérité qui autorise le culte que nous
rendons aux restes vénérables des hères dont
l'Eglise a déclaré juridiquement la sainteté :
les corps des réprouvés sortiront de l'humi-
liation du tombeau, avec toute la honte et la
confusion du crime, pour aller souffrir dans
des feux vengeurs et éternels, la peine que
méritent les outrages qu'ils ont faits à la di-
vinité. Les corps des saints, ces victimes de
la pénitence, que l'Evangile attachait à la
croix, que la charité immolait, que la fureur
des tyrans égorgeait, que le monde insultait,
ne sont pas encore récompensés : leurs cen-
dres, paisibles dans les creux des sépulcres,
attendent la résurrection pour se ranimer,
en sortir et aller participer à la félicité de
leurs âmes couronnées depuis longtemps
dans le ciel. Tels sont, Mesdames, les grands
principes de notre foi; mais Dieu, qui est
magnifique dans ses saints, anticipe quelque-
fois ce triomphe des corps : il étonne de
temps en temps les mortels par les honneurs
qu'il leur procure sur la terre, il les fait par-
ticiper à la gloire de son tombeau, il dissipe
les horreurs de la mort, et fait briller la
125
PANEGYRIQUES. PANEG. VI! , SAINT CLAUDE
I2G
lamière dans le sein même des ténèbres.
Cette gloire anticipée des corps des saints
etteste leur haute sainteté et la magnificence
du Dieu que nous servons.
Le grand saint Claude dont j'entreprends
aujourd'hui l'éloge, fut un de ceux dont Dieu
s'est hâté de faire connaître la sainteté, avec
une puissance qui soumet les critiques les
plus délicats et les plus sévères : son tom-
beau est devenu ua séjour de gloire, son
saint corps y repose sans aucun déchet; on
n'y voit rien des suites humiliantes de la
mort, on y ressent les effets d'une bonté
toute-puissante, qui multiplie les prodiges,
peuple les solitudes-, et fait d'un désert pres-
que ignoré, une ville fameuse et diçne d'un
siège épiscopal. 0 mort 1 où est ton aiguillon
Où sont tes trophées, tes victoires? Saint
Claude vit dans le tombeau, règne dans le
tombeau, est puissant dans le tombeau; les
monarques viennent poser à ses pieds leurs
sceptres et leurs couronnes; on t'érige des
trophées sur les tombeaux des autres mor-
tels, et l'on grave sur le marbre ton pouvoir
absolu, en racontant les exploits des héros
que tu as moissonnés dans le sein de la
gloire; mais on voit ta puissance confondue
au tombeau de saint Claude. La sombre nuit
qui règne dans cette terre d'oubli, est chan-
gée en un jour éclatant : ce n'est pas toi qui
y règne, Dieu y fait régner son serviteur
Ubi est mors, stimulus tuus, ubi vietoria tua?
(I Cor. XV.)
Ce privilège de saint Claude, Mesdames,
atteste sa haute sainteté : s'il est environné
de gloire dans le tombeau, c'est qu'il y est
descendu plein de mérites et de vertus.
L'histoire de son siècle vous apprendra qu'il
fut le plus parfait des solitaires, le plus zélé
des évêques, le plus éclairé des docteurs;
solitaire par choix, évêque par obéissance,
savant pour être utile, il se distingua par de
grandes vertus, avant que Dieu le distinguât
par ces grands traits de sa puissance : la
gloire de son tombeau est une gloire antici-
pée que Dieu procure à qui il veut et quand
il lui plaît; sa sainteté était une sainteté
consommée, qui lui faisait attendre avec con-
fiance la couronne du juste Juge.
Ainsi, Mesdames, pour remplir mon mi-
nistère et répondre aux idées que vous donne
l'histoire fidèle, je m'arrête au tombeau de
saint Claude.
C'est le séjour d'une sainteté consommée;
c est le séjour d'une gloire anticipée : sepul-
crum ejus gloriosum. Demandons, etc. Ave,
Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
Nous avançons sans y penser vers le tom-
beau : il s'ouvre, et nous attend. Les mon-
dains, dit le prophète, enivrés des grandeurs
de. la terre, occupés des objets flatteurs du
siècle, livrés à des occupations où le salut
n'entre pour rien, ne portent jamais leurs
regards vers cette demeure de' l'éternité; le
nombre de leurs jours se remplit, le tombeau
s'ouvre, ils y descendent, on les voit dispa-
raître; ils ne sont plus : ils sont daus cette
nuit où on ne peut plus rien faire : aies [■■ r-
mabuntur et nnno ineis. (Psal. CXXXVM.)
On a vu les Abraham, les Joseph, les Job,
ces hommes si grands, si riches, si au-dessus
des peu [îles, par l'importance de leurs em-
plois et le rang distingué qu'ils tenaient, n<î
s'occuper que du tombeau, le méditer, le
préparer, y descendre en esprit plusieurs
fois le jour. On a vu les héros de l'Evangile
marcher sur leurs traces, avec même un plus
grand éclat : c'était en rapprochant le tom-
beau, qu'ils jugeaient sainement du monde,
qu'ils décidaient sûrement les difficultés,
qu'ils estimaient tout ce qui enchante et sé-
duit l'homme; les plaisirs, les richesses, les
honneurs, les trônes mêmes n'étaient qre
des objets dangereux à leurs yeux sur le
bord du tombeau.
Aussi, tous ces hommes fameux y sont-ils
descendus pleins de mérites et de vertus.
Nous laisserons tout en descendant Jans le
tombeau : les vertus ou les vices nous sui-
vent, nous accompagnent. Les mondains vi-
vent dans les délices : ils coulent les jours
qui leur sont accordés pour mériter l'éter-
nité, dans les plaisirs des sens, dans des fê-
tes, des jeux, des amusements qui amolis-
sent et corrompent le cœur : ducunt in bonis
dies suos (Job , XXI), et dans un instant le
tombeau s'ouvre, les demande, ils y descen-
dent, et in puncto ud inferna descendunt
(Ibid. ); mais ils y descendent chargés d'ini-
quités, de crimes, remplis de criminels pro-
jets, et de coupables désirs, opéra illorum
sequuntur illos [Apoc., XIV) : les justes vi-
vent dans la crainte, la vigilance; ils se nour-
rissent de {'leurs, d'austérités; ils s'occupent
à la prière, à la méditation des choses céles-
tes; ils souffrent patiemment les injures, les
mépris, les disgrâces, la pauvreté, plorabitis
et flebitis ( Joan., XVI \ : mais la scène
change, ils sont enfin délivrés de ce corps
de mort, ils descendent dans le tombeau, et
toutes les vertus qu'ils ont pratiquées les
accompagnent; c'est précisément d'eux et
pour leur gloire, qu'il est dit : leurs bonnes
œuvres les suivent dans l'éternité, opéra illo-
rum sequuntur illos.
Voyez le tombeau du pécheur, il renferme
un corps immolé au monde, une chair souil-
lée par de honteux plaisirs, usée de débau-
ches. C'était le temple du Saint-Esprit, niais
un temple profané, dont Dieu s'était retiré,
qu'il n'hfibitait plus; il ressuscitera ce corps
tout criminel, tout souillé et profané qu'il
est, mais pour aller dans un opprobre éter-
nel. Voyez le tombeau du juste, il renferme
un corps immolé à la pénitence, une chair
crucifiée, usée d'austérités, un temple pur
et innocent où le Saint-Esprit habitait avec
complaisance; il ressuscitera, mais environné
de rayons de gloire, et avec ce changement
merveilleux dont parle l'afôtre. Les saints
descendent donc dans le tombeau pleins de
vertus, et leurs corps y attendent en paix
une gloire qui leur est particulière.
C'est, Mesdames, sur ces grands principes
de notre foi et de notre espérance, que j'éta-
blis cette première partie de l'éloge qc saint
127
ORATEL'RS SACRES. BALLET.
L23
Claude. Il est descendu dans ce tombeau,
dont Dieu a fait depuis tant de siècles le
théâtre de sa gloire et de sa puissance, plein
de mérites et de vertus, et c'est ce qui me
le fait regarder d'abord comme le séjour
d'une sainteté consommée des vertus héroï-
ques pratiquées dans le désert; des travaux
apostoliques soutenus dans l'épiscopat; une
science profonde, puisée dans des sources
divines; quand il est descendu dans le tom-
beau, il avait vaincu le monde par sa retraite,
il avait servi l'Eglise par ses travaux, il avait
éclairé les peuples par ses lumières. Or, un
corps qui ava't participé à tant de vertus,
honorait sans doute le tombeau qui le ren-
fermait; il devenait le séjour d'une sainteté
consommée, un lieu saint et sacré, sepul-
crum ejus aloriosum. Suivez-moi, je vous
prie, l'histoire la plus fidèle nous présente
des faits qui méritent notre attention.
11 semble qu%on n'ait rien à dire, quand on
parle d'un solitaire. La vie cachée de ces
nommes célestes, paraît un fond stérile pour
l'éloquen e humaine, parce qu'il ne s'agit pas
de ces scènes singulières, de ces événements
surprenants, parce qu'un héros n'a pas paru
sur un grand théâtre, qu'on n'a pas à racon-
ter des intrigues, des négociations, des con-
quêtes ; parce qu'il n'a pas vécu dans des
temps délicats, orageux, et que les révolu-
tions des provinces, des empires, ne sau-
raient entrer dans son histoire , on s'imagine
qu'il n'y a rien de grand, rien de surpre-
nant ; préjugé très-commun, mais préjugé
injuste. La religion pense autrement; le so-
litaire qui méprise le monde est au-dessus
des vainqueurs même du monde; la plus
éclatante victoire que l'homme puisse rem-
porter, c'est celle-là. Toute la glore des
grands hommes vient d'avoir servi le monde;
toute la gloire des solitaires vient de l'avoir
abandonné; le monde érige des trophées à
ces hommes fameux qui lui ont été utiles ;
la religion seule érige des trophées aux soli-
taires qui ont combattu et vaincu le monde;
le mondain se plaint du monde, et il y est
attaché ; le solitaire ne s'en plaint point, il en
est détaché. Oui, Mesdames, les premières
démarches des solitaires qui quittent le
monde, le méprisent et savent s'en passer,
sont des traits qui doivent épuiser nos éloges;
et sans parler des vertus qu'ils pratiquent
dans le désert, cette première victoire est
au-dessus de celles que remportent les héros
du monde ; j'en atteste tous ceux que le
monde attache à son char, qui gémissent
toute leur vie sous le joug qu'il leur impose
et qui n'ont pas le courage de le secouer et
de s'en délivrer.
Si c'était une chose si facile que de vain-
cre le monde, le Saint-Esprit donnerait- il à
ceux qui le méprisent, qui en triomphent,
les titres glorieux de héros, de braves ; or,
le même Esprit qui déplore la faiblesse des
anciens d'Israël, des monarques sur le trône,
des conquérants victorieux, s'adresse dans
l'Ecriture, à ces jeunes personnes qui se dé-
robent au monde, qui le foulent aux pieds
dès leurs plus tendres années. Cet à vous,
jeunes héros de la religion, que je consacre
ces éloges, dit saint Jean -.Scribo vobiss juve-
nes(Uoan., II) : Vous êtes de vrais braves'aux
yeux de votre Dieu, fortes estis(lbid.); parce
que le monde qui séduit presque tous les
humains, qui fait des conquêtes dans tous
les états, qui corrompt presque tous les cœurs
avec les appâts du vice et les amorces du pé-
ché et qui attache tous les jours la victoire
à ses étendards, n'a pu vous surprendre;
vous avez triomphé de ses artifices et de ses
séductions : Quia vicistis malvjnum (Ibid.) :
Que cet éloge que le Saint-Esprit consacre à
la gloire des jeunes personnes qui renoncent
au monde, est consolant pour elles 1
Il y a trois sortes de personnes qui mé-
prisent le monde : Les uns le méprisent jus-
qu'à le fuir et rompre entièrement avec lui ;
ainsi vit-on autrefois des chrétiens assez gé-
néreux, pour dire un éternel adieu au monde,
s'enfoncer dans les forêts et peupler l'Egypte,
la Palestine, les fameux déserts de Sceté;
c'est porter le mépris du monde jusqu'à
l'héroïsme ; et c'est ce qu'on a vu dans l'occi-
dent, dès que les Basile et les Benoît ont eu
levé l'étendard de la vie monastique; toutes
ces saintes retraites, inaccessibles au monde,
sont peuplées des héros de la religion qui
le méprisent après l'avoir redouté; les autres
méprisent le monde jusqu'à ne demeurer
avec lui que pour le condamner : Tels sont
ceux dont parle Jésus-Christ à son Père avant
son ascension, qui sont dans le monde sans
être du monde : In mundo non sunt suoi
de hoc mundo (Joan., XVII) ; ce sont là des hé-
ros singuliers de la religion qui attaquent le
monde, en triomphent en le fuyant et en >e
combattant ; enfin, il y en a qui méprisent, ie
monde, qui l'abandonnent, se tracent un plan
de vie tranquille, coulent leurs jours en phi-
losophes, mais parce que le monde les mé-
prise lui-môme, qu'il les rebute, qu'ils n'y
trouvent aucun accès, et que toutes les
routes de la fortune et des plaisirs leur sont
fermées ; telles sont ces personnes qui, après
n'avoir écouté ni l'Evangile ni leur âge, qui
leur disait de quitter le monde, écoutent en-
fin ie monde même qui les congédie et les
force, par ses railleries et ses mépris, de
prendre le parti de la retraite.
Saint Claude ne prit pas le parti de la re-
traite, par nécessité ou par politique; il se
retira dans la solitude par inclination, il de-
meura dans le monde par obéissance; et il
fut partout solitaire et contemplatif ; ce goût
de la solitude est admirable dans les grands.
Saint Claude qui sortait d'une des plus belles
et des plus illustres familles de la Bourgogne,
dont le sang avait coulé dans les veines des
palatins et des princes, allié à plusieurs cou-
ronnes de l'Europe, pouvait s'ouvrir une
brillante carrière dans le monde; tout lui
promettait un sort heureux, des jours doux
et tranquilles, des dignités et des honneurs;
des manières aisées, des mœurs douces et
polies ; une fortune brillante pour son siècle,
une humeur aimable, une vaste étendue de
génie, capable des plus belles connaissances ;
il n'y a rien là qui n'attache au monde : on
129
PANEGYRIQUES. — PANEG. VU, SAINT CLAUDE.
T50
l'aime, on y demeure sans de si belles espé-
rances; mais son goût pour la retraite l'em-
porta, il brisa généreusement tous ces liens
flatteurs. Ne pensez pas, cependant, qu'il so
rendit solitaire de crainte d'être trop occupé
et qu'il renonça aux embarras du siècle pour
être oisif dans la solitude. A peine est-il ad-
misdans l'abbaye de Saint-OyandeMont-Joux,
qu'il s'y rendit utile sans être embarrassé;
il vit. avec douleur .les plus beaux droits de
cette fameuse abbaye négligés; tout ce que
la piété et la magnificence des rois de France
et de Bourgogne lui avaient accordé était
usurpé; les voiles obscurs des temps, ser-
vaient de prétexte à la cupidité des uns , et
ne permettaient plus de condamner la négli-
gence des autres. Saint Claude, sans cesser
d'être solitaire, devint utile; il la fit rentrer
dans tousses droits; il avait plusieurs fois re-
fusé la dignité d'abbé par humilité, il l'accepta
par obéissance, il en devint le protecteur
aussi bien que le modèle.
Que dirai-je des vertus qu'il pratiqua
dans cette sainte retraite? C'est un solitaire
que j'ai à vous représenter, par conséquent
c'est un homme de larmes, de jeûnes, de
prières, d'oraisons, d'austérités : c'est un
nomme placé entre le ciel et la terre, qui ne
jette plus aucun regard sur les villes, les
empires, les richesses, les honneurs, les
plaisirs qui y occupent les humains, ou qui
ne les considère, comme le Sauveur, que
pour déplorer leur fragilité, leur chute, leur
néant : c'est un ange dans un corps mortel,
qui règne sur ses passions, qui les enchaîne,
et qui est plus fort que lui-même par les écla-
tantes victoires qu'il remporte sur la volupté;
c'est un Jean-Baptiste, un Paul, un Antoine,
ou pour parler avec l'historien, le plus fidèle
et le plus sévère, c'est le plus parfait de tous
les solitaires et de tous lesmoinesd'Occident:
à ces mots n'êtes-vous pas étonnées, Mesda-
mes, vous vous représentez la sainteté des
religieux de l'Occident dans le m' siècle où
saint ^Claude brilla avec tant d'éclat. Ces
ordres naissants, ces solitudes fameuses où
le détachement était si parfait, la pénitence
si rigoureuse, la vie si pure, la charité si ar-
dente, l'humilité si profonde, les prières si
ferventes : ces hommes divins qui répan-
daient la bonne odeur de Jésus-Christ jus-
que dans les cours lesplus brillantes, que lés
monarques s'empressaient de voir et de
doter ; ces portions vénérables de l'Eglise
qui étaient riches, sans aucun domaine,
comme elles savent être pauvres aujourd'hui,
avec de grandes possessions : et vous êtes
étonnés de voir que saint Claude est dans
cette foule de fervents solitaires, comme un
flambeau lumineux qui éclaire tout l'Occi-
dent : soit que vous vous enfonciez dans les
forêts, pour y contempler ces hommes extra-
ordinaires, qui ont embrassé la vie érémi-
tique, soit que vous entriez dans les monas-
tères, pour y admirer ces hommes religieux,
que la charité unit, vous verrez toujours
saint Claude élevé au-dessus des autres par
réminence de ses vertus. Pourquoi était-il si
parfait dans la solitude? C'est qu'il y avait
été conduit par la grâce, c'est qu'il y était
par choix, par inclination; il l'avait préférée
aux grandeurs de la terre, il la préféra aussi
au trône é^iscopal dès qu'il le put sans man-
quer à l'obéissance due au chef de l'Eglise.
Tant de vertus amassées dans le désert, tant
d'austérités pratiquées sur son corps inno-
cent, tant de victoires remportées surle mon-
de et l'enfer, le préparaient à la gloire anti-
cipée de son tombeau, et lui méritaient la
couronne de l'immortalité: il y descendit
après avoir vaincu le monde avec tous ses
charmes, et son tombeau fut honoré de pos-
séder un corps qui avait participé à une sain-
teté si consommée dans le déserj, à des tra-
vaux si immenses dans l'épiscopat: sepul-
crum ejus gloriosum.
Les saints ont toujours appréhendé la
chute, en regardant l'élévation : l'épiscopat
les effrayait, il ne les éblouissait pas : ils fai-
saient attention au poids des âmes, ils ne
pensaient pas aux revenus ou aux honneurs :
ils rapprochaient le tribunal de Jésus-Christ
du trône épiscopal, et ils étaient moins sen-
sibles à l'éclat de l'autorité qu'au compte qu'il
fallait rendre de l'autorité même : c'était là
le sujet de leurs alarmes. Lorsqu'on leur of-
frait les premières dignités de l'Eglise, ils se
dérobaient, ils fuyaient, ils s'enfonçaient
dans les déserts. L'histoire des premiers
siècles nous représente toutes ces scènes que
l'humilité des saints donnait aux fidèles:
elles étaient aussi fréquentes dans ces beaux
jours, qu'elles ont été rares dans les siècles
suivants, où l'ambition désira et brigua ces
honneurs sacrés.
Jamais vocation ne parut
plus divine que celle des
Augustin, des Martin. Dieu
employa même la voix des prodiges, pour
confirmer les suffrages du neuple, qui avait
alors le droit de se choisir des pasteurs.
Cependant, quels innocents artifices n 'em-
ployèrent-ils pas pour se dérober aux hon-
neurs de l'épiscopat? On les "vit timides et
tremblants lorsqu'on les nommait : on les vit
baignés de pleurs, lorsqu'on leur faisait vio-
lence, et qu'ils étaient obligés de plier sous
ce fardeau redoutable aux anges mêmes :
aussi les sièges de Milan, d'Hippone, de
Tours ne furent-ils jamais occupés par des
hommes plus éminents.
Saint Claude, qui égalait ces grands
hommes par sa foi, sa sainteté, ne redouta pas
moins l'épiscopat : en vain l'église de Besan-
çon, privée de son pasteur, jette-t-elle les
yeux sur lui ; en vain le peuple emplo'e-t-il
les prières et les larmes : en vain toute la
Bourgogne, qui était le théâtre de ses vertus,
le désire-t-elle pour remplir un de ses [lus
fameux sièges; il le refuse, et s'en croit in-
digne. Cons~olez-vous, cher troupeau désolé,
vousaurez saintClaudepour pasteur; l'obéis-
sance est la vertu des saints, aussi bien que
l'humilité. Votre choix n'était pas pour lui
un oracle décisif, mais Itt souverain pon-
tife parle : à la voix' du chef de l'Eglise il
obéit, il se soumet, et il nous apprend que
si les saints se cachent par l'humilité, ils iq
plus certaine,
Ambroise, des
parla alors, il
131
ORATEURS SACRES. BALLET
1:
pecoris tui
le car
montrent par l'obéissance. L'obéissance en a
donc fait un évêque. Des travaux immenses
soutenus dans L'épiscopat en feront un apôtre.
Travaux soutenus dans l'épiscopat, pour
connaître son troupeau ; il avait sans cesse
devant les yeux ce précepte de Salomon : Ap-
pliquez-vous à connaître le troupeau qui
vous est confié : agnotee diligenter vultum
tui. (Prov. XXVII.) Etudiez l'esprit,
iractère, les penchants de ceux que vous
devez conduire à Dieu, 1 homme de vices,
l'homme de vertus; celui qu'une passion
naissante prépare à de grandes chutes; .celui
qu'une longue habitude a rendu esclave du
péché, ceux qu'il faut consoler, ceux qu'il
iaut effrayer, agnosee diligenter. Il savait
encore que cette connaissance dans un pas-
teur doit être si étendue, si parfaite, qu'il
doit connaître toutes ses ouailles, et être en
état de les appeler toutes par leurs noms :
vocat eus nominatim. (Joan. IX.)
De laces visites, ces voyages, ces course*;
il monte sur les plus hautes montagnes, il
descend dans les plus profondes vallées, il
entre dans les cabanes du pauvre: lhomnie
rustique qui habite les lieux écartés est ins-
truit, policé, il voit son évêque, il a la con-
solation de l'entendre et d'en être écouté.
Quand un évêque ne quitte son Eglise que
pour ces fonctions apostoliques, pour le bien
de son peuple, que pour remplir les devoirs
de son ministère auguste, Jésus-Christ l'a-
voue, tes apôtres le reconnaissent ; ce n'est
point un de ces astres errants qui se détachent
pour aller briller sur des terres étrangères.
Travaux de saint Claude soutenus dans l'é-
piscopat pour détruire les vices : Vive le Sei-
gneur, dit-il avec le prophète Michée, quand
il se vit placé sur le siège de Besançon, je
dirai aux pécheurs tout ce que le Seigneur
m'ordonne de leur dire: quodeunque dixerit
rnihi Dominas loquar. L'éclat du diadème, l'or-
gueil des grands, l'insolence des riches, la
fureur des impies, la force de la coutume, le
torrent de la licence, rien ne m'intimidera,
rien ne m'arrêtera; je reprendrai, je menace-
rai, j'ouvrirai les abîmes de l'enfer, pour
montrer aux pécheurs les plus hardis, les
plus puissants, les supplices qu'ils se pré-
parent '.quodeunque dixerit tnihi Dominus lo-
quar. Il ledit, Messieurs, et il l'exécuta; il
eut le zèle des Jean-Baptiste, des Ambroise;
il détruisit le règne du péché dans les grands
îussi bien que dans les petits: il visita les
maîtres du monde, mais sans perdre la liberté
de son ministère.
Travaux soutenus dans l'épiscopat, pour
réprimer les abus. Le démon jaloux des con-
quêtes de la religion chrétienne, s'est ef-
forcé, dès les commencements, d'en corrom-
pre le culte ; et lorsqu'après les victoires du
grand Constantin, il ne pouvait plus régner
dans ses temples, il a entrepris de régner
dans les nôtres. De là ces trophées secrets
(p.i'on lui érige jusque dans nos Eglises,
ces appâts du vice qu'on étale jusqu'au pied
des autels; de laces honneurs qu'il s'est
fait rendre par des peuples crédules et
on leur présentant de faux thau-
maturges, et en accréditant, dans les cam-
pagnes, de pieuses superstitions; de là ces
dissolutions, ces débauches qu'il a introdui-
tes dans les temps les plus saints, dans les fê-
tes les plus solennelles, dans les mystères les
nlus augustes, dans les dévotions les pi us so-
lides et les plus autorisées. Saint Claude s'é-
leva avec le zèle des plus saints héros de la
Synagogue, et des premiers évoques de l'E-
glise naissante: il renversa les autels sacri-
lèges, purifia le culte du Très-Haut, ôta les ap-
prêts des solennités, réprima tous les abus et
fit disparaître les abominations de l'impiété :
Tulit abominalionesjmpielalis. (2scc/ï.,49.)
Travaux de saint Claude dans l'épiscopat ,
pour empêcher le progrès de l'hérésie. Lors-
que les sentinelles d'Israël cessent de veil-
ler, que les hommes destinés à la garde du
dépôt sacré sont ensevelis dans un pro-
fond sommeil; l'ennemi, dit l'Evangile, sè-
me l'ivraie avec le bon grain; l'homme de
nouveauté s'accrédite, l'erreur s'insinue,
mais c'est un mystère que les simples fidèles
ne sauraient dévelopj er : Dum dormirent
homines. [Mat th., 13.) Saint Claude, senti-
nelle vigilante, ne donna jamais le temps aux
doctrines perverses, aux nouveautés dange-
reuses de s'étendre, de s'accréditer; il veilla,
il parla, ileondamna. L'hérésie qui profite de
la lenteur, de la politique, fut sans re source
pendant son épiscopat ; et les Ophnis et les
Phinées ne purent jamais se glisser dans le
sanctuaire.
Travaux de saint Claude, soutenus dans
l'épiscopat pour la beauté et les intérêts'de
l'Eglise. Vous le représenterai-je à la tête de
son clergé pour le former dans la discipline
de l'Eglise, dans les conciles de Lyon , de
Pamiers; c'est dans ces saintes et augustes
assemblées qu'il est l'homme de l'Eglise,
qu'il la sert et prend ses intérêts. Tant de
travaux, Messieurs, soutenus pour la gloire
de Dieu, ne nous donnent-ils pas le droit
de le mettre à côté de ces hommes fameux
qui ont rempli les premiers sièges des Gau-
les, des apôtres mêmes; et s'il fut honoré
du même ministère, n'eut-il pas le môme
zèle?
Si le goût de la solitude, et le désir de
mener une vie cachée le firent descendre du
trône épiscopal, le souverain pontife auto-
risa sa retraite; il brigua cette grâce avec
autant d'ardeur que les ambitieux briguent
les plus grands honneurs ; il ne renonça pas
à l'épiscopat pour vivre paisiblement dans
le monde, se dispenser des fonctions pasto-
rales, et porter dans les compagnies et les
cercles les marques éclatantes d'un caractère
oisif; il descendit dans le tombeau, consu-
mé de fatigues, et son tombeau fut honoré
de posséder un corps qui avait participé à
des travaux si immenses soutenus dans l'é-
piscopat, à une science si profonde, si utile;
toute sa gloire vient de renfermer le plus
parfait des solitaires, le plus zélé des évo-
ques, le plus éclairé des docteurs : Sepul-
crum ejus qloriosum.
Saint Claude était né avec des dispositions
heureuses pour les sciences : il les cultiva ,
PANEGYRIQUES. — PANEG. VII, SAINT CLAUDE.
i"3
et y fit des progrès qui étonnèrent ses maîtres;
Un génie vaste, capable des plus belles con-
naissances; un raisonnement juste qui saisit
les plus grandes difficultés; une imagination
viye et brillante, en état de produire et de
créer; une application sérieuse des plus
beaux monuments de l'antiquité ; une lec-
ture assidue de l'Ecriture sainte, à laquelle
il s'était appliqué, comme Timothée , dès
son enfance; une érudition consommée, qui
le rendait habile en tout genre, qui le fai-
sait regarder, dit l'historien de sa vie , com-
me l'oracle de la Bourgogne, et le plus sa-
vant de son siècle; c'est sous ces traits ma-
gnifiques que l'histoire fidèle nous le repré-
sente. Mais pourrais-je consacrer aujour-
d'hui des éloges à cette science si vaste si
étendue, s'il ne l'avait pas fait servir au sa-
lut des peuples qui lui furent confiés, et aux
intérêts de l'Eglise?
Non, Messieurs, la science sans la charité
élève l'homme, nourrit son orgueil, et l'oc-
cupe inutilement : Scientia inflat. (1 Cor.,
VIII )
On n'a jamais entrepris de ravir la gloire
de l'érudition à ces sages du paganisme, qui
pensaient et écrivaient avec solidité et avec
délicatesse; qui donnaient des leçons publi-
ques dans leurs académies, qui se faisaient
des disciples et des admirateurs dans tous
les empires du monde. Les lambeaux de
leurs ouvrages, qui sont échappés à la fata-
lité des temps, sont estimés dans la républi-
que des lettres; et sans ravir à notre siècle
la glo:re qu'il s'est .acquise, on érige en-
core des trophées à l'érudition des anciens,
mais les vices et les erreurs ont répandu un
opprobre éternel sur leurs ouvrages ; nous
admirons les talents de l'esprit, nous dé-
plorons les vices du cœur; ils possédaient
la science, ils n'avaient pas la charité; l'é-
rudition sans la charité fait des superbes;
l'érudition avec la charité fait des savants uti-
les : Scientia inflat, charitas œdificat. (Ibid.)
Nous savons apprécier les connaissances des
savants qui fourmillent dans notre siècle ,
leurs lumières, leur délicatesse, leurs ri-
chesses, leurs profondes méditations ; mais
lorsqu'en matière de religion ils veulent
tout citer au tribunal de leur raison, nous
déplorons leurs sciences ; leurs doutes, leurs
systèmes nous prouvent les égarements de
l'homme. Nous voyons des savants qui s'é-
garent dans leurs pensées, qui languissent
dans de vaines questions, des hommes de
doute pendant leur vie, des hommes d'in-
certitude à leur mort. Nous ne prétendons
pas disputer aux ennemis de l'Eglise même
l'érudition des héros qui les ont accrédités ;
nous avouons la fécondité de leurs ressour-
ces, la subtilité de leurs arguments; nous
savons que plusieurs ont tenu tête aux plus
habiles catholiques, et ont écrit d'une ma-
nière à satisfaire et à séduire les esprits :
mais nous savons aussi les précipices qu'ils
se sont creusés en abandonnant l'Eglise. Et
l'histoire ecclésiastique ne nous fourni l-
eHe que l'exemple d'un Terlullien, il suffi-
rait seul pour nous prouver, que si les sa-
154
vants s'égarent lorsqu'ils mé; ripent l'autorité
légitime, ils ne se soumettent presque ja-
mais après l'avoir abandonnée. Mais joi-
gnons la charité, la docilité, la soumission à
la science de ces grands hommes dont je
viens de parler, et elle sera agréable à Dieu,
utile au prochain, soumise à l'Eglise ; telle
fut celle de saint Claude.
Science de saint Claude", science puisée
dans les sources divines. Les livres saints,
les ouvrages des premiers Pères de l'Eglise,
l'histoire de la religion naissante, persécu-
tée et victorieuse, furent les sources où il
puisa ce riche amas de connaissances, qui
lui acquirent une si haute réputation. De là
cette piété tendre , cette charité ardente ,
cette onction qui pénètre, ces peinturestou-
chantes du vice et de la vertu; de là cette
douceur, cette humilité parmi les triomphes
de son éloquence, et lors même qu'il esi
couronné par lessavants de son siècle. Qu'un
savant humble est agréable au Seigneur!
On sait éminemment quand on sait bien Jé-
sus-Christ; tel fut saint Claude. Tout ce qui
peut dessécher l'âme, séduire l'esprit, cor-
rompre le cœur, amuser inutilement , ne fut
jamais l'objet de son occupation.
Science de saint Claude, science utile au
prochain. Il employa ses talents à instruire
son peuple ; ses prédications étaient fré-
quentes, persuadé que si la religion s'est
établie par la prédication de l'Evangile, elle
ne se soutient dans son éclat que par le mi-
nistère de la parole, et que ce sont, les évê-
ques que Jésus-Christ a chargés spécialement
de cette auguste fonction: il s'en acquitta
avec zèle et avec succès: docuit populum.
(Eccle., XII.) Il cherchait à toucher les cœurs,
il employait \es termes les plus touchants,
les exemples ies plus frappants: il 5e serva t
de ce style simple mais noble, pour annon-
cer dans les campagnes les vérités du salut :
et il était plus jaloux de la conversion des
âmes, que des vains applaudissements des
auditeurs: quœsivit verba utilia. {Ibid.}
Nous voyons avec douleur qu'on tombe
souvent dans deux excès en annonçant la
divine|parole. Nous en voyons, dans les cam-
pagnes, qui avilissent la chaire per des ex-
pressions basses ; qui la déshonorent par
des reproches indiscrets, des comparaisons
comiques qui désignent trop clairement les
personnes et les abus; qui sont tout de feu
quand ils parlent de leurs intérêts, et qui
sont tout de glare quand ils parlent de Dieu.
De là l'avilissement des pasteurs de la cam-
pagne, et des scènes ridicules que les mon-
dains ont imaginées et sur lesquelles on ne
tarit jamais. Nous en voyons dans les villes,
qui méritent le reproche que le Seigneur
fait par la bouche du prophète Ezé.'hiel ; ils
sont à leurs auditeurs comme un agréable
concert de musique, tu c<> eis carmen musi-
cum. (Ezech., XXXIII.) C'est un choix de
mots harmonieux, tout est recherché, poli é ;
leur mémoire est chargée, fatiguée; et ils
•aiment mieux paraître avec éclat rarement
que de se mettre en état de paraître tous les
jours utilement. Saint Claude évita ces deux
155
OHATEUftS SACHES. DALLET.
156
éoueils, il chercha a être utile, et non pas à
être agréable : quœsivit vcrba utilia. (Eccl.
XII.)
Science de saint Clande, science soumise
à l'autorité de l'Eglise. Consulté souvent
sur le rétablissement de la discipline, rede-
vable à son clergé, qu'il formait et mettait
en état de former les autres, il écrivit, com-
posa, mais des Ouvrages dignes des Am-
broise, des Augustin, des Jérôme; il avait
leur sainteté, il avait leurs lumières. Parle-
t-il sur la morale? on le voit marcher entre
les deux extrémités vicieuses, le relâchement
et la sévérité. Parle-tril des matières pro-
iondes et difficiles? on voit l'humilité qui
doute, la science qui décide, développe avec
netteté et précision. Parle-t-il des dogmes?
on le voit consulter les décisions de l'Eglise,
se servir de ses termes et de ses expres-
sions ; et pour continuer le parallèle du Sage;
tous les discours qu'il composa n'offrent
rien de suspect, l'exactitude et la vérité y
marchent à pas égal : conscripsit sermones
rectissimos ac veritate plenos. (Ibid.) Telle
fut, Mesdames, la science de saint Claude,
elle édifia, elle éclaira les peuples; tout fut
pour la gloire de Dieu; il lui consacra son
cœur, ses biens, sa famille, ses espérances
dans le désert; ses lumières, ses travaux
dans l'épiscopat. Le tombeau s'ouvre pour
les héros de la religion aussi bien que pour
les héros du monde; il y descend, mais
chargé de mérites et de vertus dans une
sainteté consommée.
Ai-je eu tort de dire que son tombeau fut
honoré de posséder un corps si précieux,
qui avait participé aux vertus du plus par-
fait des solitaires, aux travaux du plus
zélé des évoques, aux connaissances du plus
éclairé des docteurs? Mais si j'ai dit que
son tombeau fut le séjour d'une sainteté
consommée, j'ai ajouté qu'il était aussi le
séjour d'une gloire anticipée : sepulcrum
vjus ç/loriosum. C'est la seconde partie de
son éloge.
SECONDE PARTIE.
Les corps des saints participeront un jour
à leur récompense dans le ciel ; les corps
îles réprouvés participeront un jour à leurs
tourments dans les enfers. Servons-nous du
flambeau de la foi ; portons-le dans ce jour
qui terminera tous les siècles, renversera
■tous les trônes, brisera tous les sceptres,
confondra tous les rangs, anéantira toute
f;randeur, consumera tous les royaumes et
es empires, ranimera la cendre des hu-
mains dans les creux des tombeaux et verra
miraculeusement rassembler les hommes
de tous les siècles et de tous les climats,
les païens et les chrétiens, les hérétiques
et les catholiques, les bons et les méchants,
pour n'avoir tous qu'un seul juge, Jésus-
Christ.
Ne portons pas nos regards aujourd'bui
sur la confusion des impies, mais sur la
gloire des saints. Examinons d'après saint
Paul, ces triompbes que Dieu doit procurer
à leurs corps humiliés depuis longtemps
dans les sépulcres ; la sublime doctrine de
ce grand apôtre nous a développé tous les
caractères de cette gloire. Je m'attache à
trois; et ces trois caractères relèvent avec
éclat les trois principaux abaissements de
l'homme dans le tombeau. L'bomme justo
ressuscitera avec un corps incorruptible ,
surget in incorruptiene (I Cor., XV); l'homme
juste ressuscitera environné de gloire, surget
in gloria (Ibid.) ; l'homme juste ressuscitera
revêtu de force et de puissance, surget in
virtute (lbid.); il avait été en proie à la
corruption du tombeau, il avait été oublié
des hommes dans le tombeau, il avait perdu
sa force, son autorité dans le tombeau, l'in-
corruptibilité , les honneurs, la puissance
relèveront ces abaissements au dernier jour
du monde. .
Or, Messieurs, je dis que cette gloire, qui
sera commune à tous les justes à la fin des
siècles, a été accordée à saint Claude par
anticipation aussitôt après sa mort, et que
son corps jouit en quelque sorte dans la
tombeau, des privilèges de la résurrection.
L'histoire la plus fidèle ne nous assure-t-elle
pas que son corps précieux s'est conservé
sans aucun déchet dans le tombeau ; qu'il y
repose comme dans le séjour des vivants et
qu'un air d'immortalité règne sur son vi-
sage? Ne nous atteste-t-elle pas sa puissance,
en nous racontant les prodiges qui s'y opè-
rent ? Ne nous apprend-elle pas les hon-
neurs qu'on lui rend , en nous montrant
l'Eglise qui lui érige des trophées de toutes
parts, qui élève des temples sous son nom
et lui décerne un culte public? Saint Claude
est donc incorruptible dans le tombeau,
puissant dans le tombeau, révéré et honoré
dans le tombeau. La foi ne promet cette
gloire aux corps des justes qu'à la fin des
siècles, et voilà ce qui m'a fa t dire que
le tombeau de saint Claude était le sé-
jour d'une gloire anticipée , sepulcrum
ejus gloriosum; ces merveilles, chrétiens,
demandent de vous un renouvellement d'at-
tention.
C'est dans le tombeau que se consomment
tous les mystères de notre mortalité.
Mystères annoncés à l'homme clairement
par l'Eternel même : Je retirerai, dit-il, le
souffle qui t'anime; un glaive invisible sépa-
rera cette portion de toi-même faite à mon
image ; er. ton corps, semblable à ces arbres
qui tombent sous la cognée, demeurera étendu,
immobile sur la terre.
Mystères qui s'accomplissent tous ies
jours, les tombeaux s'ouvrent pour les mo-
narques comme pour les sujets : la voix du
Tout-Puissant brise les cèdres du Liban, elle
couvre les plus florissants royaumes des om-
bres de la mort, renverse et met en poudre
les têtes les plus augustes : vox Domini con-
fringentis cedros. (Psal. XXVIII.)
Mystères humiliants pour l'homme d'am-
bition et de richesse : ces hommes qui se re-
gardaient, pour ainsi dire, comme des dieux
sur la terre ; ces idoles vivantes, qu'un peu-
ple d'âmes mercenair.es adorait; ces maîtres
du monde que l'opulence rendait indé^en-
137
PANEGYRIQUES. — PANEG. VII , SAINT CLAUDE. 138
dants, que ies honneurs enflaient; séparés
pour toujours de leurs domaines, de leurs
palais, de leurs dignités, ne sont plus qu'un
peu de cendre et de poussière, pulvis et ci-
nis. {Gen., XVIII.)
Mystères d'horreur : c'est aux tombeaux
qu'il faut conduire l'homme de plaisir et de
péché, dit le Saint-Esprit : Ducetur ad se-
pulcra hominum. (Job, XXI.) Qu'y verra-
t-il? Des ossements épars, des crânes dessé-
chés, quelques lambeaux de chair que la
pourriture a séparés de ces illustres morts
et qui sont la proie des vers. Ah ! est-il
possible que l'homme ne s'humilie point à
la vue de tous ces mystères de notre morta-
lité et de ces tristes restes d'un corps nourri
dans les délices, et idolâtré? Mais l'homme
éloigne ces spectacles d'horreur: ses désirs,
ses soins, ses projets sont pour les objets
flatteurs du siècle, les fortunes, les grandes
places ; le tombeau ne l'occupe point ; il
s'ouvre, il le demande; lorsqu il y pense le
moins, il y descend. Ah! dit l'Esprit Saint,
s'il y descendait en esprit pendant sa vie,
il serait impossible qu'à la vue de ces amas
de morts, de ces illustres cadavres, de tous
ces maîtres du monde pulvérisés, il ne se
réveillât pas et ne sortît point de ce redou-
table assoupissement qui le rend insensible
à cette grande scène qu'il doit donner lui-
même aux hommes qui vivront après lui :
In conge'he mortuorum evigilabit. (Ibid.)
Oui, Messieurs, nous devons tous subir le
môme sort dans le tombeeu.
La terre pourrira nos corps et les réduira
en. cendre, les rois y tomberont de leurs
trônes, les pauvres y seront conduits do
leurs cabanes : les uns y sont conduits avec
pompe et à grands frais, les autres y sont
conduits dans le silence et avec une simpli-
cité qui répond à leur vie pauvre et languis-
sante.
La mort des grands fait du bruit dans le
monde ; la renommée annonce leur chute
dans tous les empires : ce sont des astres
éclatants , on s'aperçoit partout qu'ils sont
éteints : la mort des petits n'intéresse
point les étrangers, l'histoire ne dit rien
d'eux ; on ne les connaissait pas, on n'est
pas dans la peine de les oublier : les grands
nourrissent plus lentement, les baumes,
les odeurs suaves les conservent quelque
temps, mais ils ne pourrissent pas moins :
les pauvres pourrissent plus promptement,
on les néglige, on omet ces recherches,
ces précautions de la vanité qui ne changent
point leur sort : mais la vanité cède à la
corruption et ils deviennent égaux.
Brisez, Messieurs, ces marbres sur les-
quels on grave de frivoles éloges; renversez
ces superbes mausolées, que l'orgueil élève
sur les humiliants débris de la nature et qui
sont autant de trophées érigés à la puissance
de la mort; levez ces tombes qui cachent tous
les mystères de notre mortalité ; ouvrez ces
tombeaux qui renferment ces rois arrachés
à leurs trônes ; des couronnes flétries, des
sceptres brisés, y verrez-vous quelque trace
de la grandeur du siècle ? Y trouverez-vous
Orateurs sacrés. L
quelques vestiges de la gloire, de la valeur,
de l'autorité, de la majesté des rois?
Passez des tombeaux des rois aux tom-
beaux des pauvres ; laissez ces dehors frap-
pants qui nourrissent l'orgueil des vivants ;
vous n'y verrez pas de plus grandes hor-
reurs : Je tombeau du grand et le tombeau
du pauvre renferment la même corruption ;
la cendre de l'un n'est pas plus illustre que
la cendre de l'autre; oui, dit saint Ambroise,
la mort met tous les hommes de niveau. Re-
gardez dans les tombeaux si vous voulez voir
une égalité parfaite : respice in scjrulcra ho-
minum. On distingue le monarque sur la terre,
le grand, le conquérant, le savant, le riche ;
chacun a ses noms, ses titres ; il y a des mar-
ques éclatantes que le prince distribue; elles
attirent les regards et les respects des peu-
ples ; mais ces hommes fameux, passés clans
le tombeau, sont au rang des morts. Or,
parmi les morts il n'y a plus de distinction :
nulla dislinctio inter cadavera mortuorum.
Telle est donc, Messieurs, notre destinée,
d'entrer dans la corruption du tombeau,
pour n'en sortir qu'au dernier jour du
monde.
Mais Dieu est le maître d'anticiper, quand
il lui plaît, la gloire qu'il doit procurer aux
justes à la résurrection des corps. Les annales
de l'Eglise nous en montrent plusieurs con-
servés par sa puissance dans le tombeau sans
aucun déchet; et parmi ces justes favorisés,
saint Claude tient un rang éminent. L'histoire
la plus fidèle nous le représente incorruptible
depuis une longuesuite de siècles; voilà le pre-
mier trait de cette gloire anticipée, qui éclate
dans son tombeau, et qui le rend vénérable à
toute l'Eglise : sepulcrum ejus gloriosum.
Une main toute-puissante l'a conservé dans
ce séjour delà mort, en a écarté les ténèbres
et les horreurs; les vers et la pourriture, que
Job appelle la famille des morts, l'ont res-
pecté ; l'Eternel, sans se démentir et sans
changer, n'a pas exécuté à la rigueur la sen
tence qu'il a prononcée contre toute chair :
il avait dit que tout homme mourrait : morte
morieris (Gen., XX) : nul n'a échappé à ce
rigoureux arrêt. Le Fils de Dieu même, revêtu
de notre chair, a expiré sur la croix ; il au-
rait pu en descendre, comme les Juifs le de-
mandaient; mais notre salut dépendait de sa
mort.
Marie était le chef-d'oeuvre des miséricor-
des et de la puissance du Très-Haut ; jamais
créaturen'aétécombléede tantde grâces et de
prérogatives; il faut bien se donner de garde
de la comparer à aucun saint; quand on parle
de ses privilèges, ils lui sont paiticuliers;
cependant elle a été soumise à l'empire de
la mort, comme l'Eglise le reconnaît : mor-
tem subiit temporal em. Lazare était l'ami de
Jésus-Christ, Lazarus amicus noster (Joan.,
XI) ; cependant il meurt, il est enfermé
dans le tombeau, etdéjà en proie à la corrup-
tion, jam fœtet (Ibid.). Dieu a fait des prodi-
ges en faveur de quelques saints, il n'en a
point fait pour les exempter de la mort. La
sentence est prononcée contre tous les nom-
159
ORATEURS SACRES. BALLET.
iiO
m°s : statutum est omnibus homi nibus .{Uebr . ,
IX.)
Elie et Enoch ne sont pas encore sortis de
ce monde terrestre, ils sont conservés dans
un état de suspension. Dieu qui est le maître
de la vie, qui conduit au tombeau et qui en
retire, retarde à son gré l'exécution de cette
sentence irrévocable qu'il a prononcée contre
tous les hommes dès la naissance des siècles ;
mais ils mourront, disent lessaints docteurs,
pour obéir à cette loi qui ne fait point d'ex-
ception.
Saint Claude a fini, comme tous les hommes,
cette vie mortelle; la mort l'a séparé de ce
monde visible; cet astre s'est éteint, l'Eglise
dans le sixième siècle a perdu une de ses
plus éclatantes lumières ; Besançon, son pas-
teur , les pauvres, leur père, les académies,
leur maître , le clergé, son modèle ; il a dis-
paru ; il a passé dans le séjour de la mort ; il
est mort, parce que Dieu avait dit, vous mour-
rez, morte morieris (Gen., XX); mais Dieu a
ajouté, vous retournerez en poussière, vous
en avez été formés; vos corps pourris, con-
sommés dans le tombeau, ne seront plus
qu'un peu de cendre, inpulverem reverteris.
(Gen.ylU.)
C'est, Messieurs, sur cette humiliante partie
de la sentence, que Dieu sans se démentir
et sans changer, a fait grâce à certains saints,
pour faire éclater sa puissance, pour la con-
solation et l'honneur de l'Eglise, pour récom-
penser des vertus singulières, pour retracer
la gloire du tombeau de Jésus-Christ, de ce-
lui de Marie : pour anticiper les triomphes
des corps au dernier jour du monde, faire
briller à nos yeux de légers rayons de la
gloire qui doit environner un jour ces victi-
mes ;de la pénitence et de la vérité ; les anna-
les de l'Eglise et les histoires les plus fidèles
nous montrent plusieurs saints qui ont par-
ticipé à la gloire du tombeaude Jésus-Christ,
après avoir participé à sa passion.
Saint Claude est du nombre de ces hommes
privilégiés ; Dieu a changé pour lui les suites
humiliantes de la mort; six cents ans après
son décès, son corps avait encore toutes les
grâces de la santé, on n'y voyait aucun dé-
chet; des rayons de [l'immortalité en avaient
écarte les images de la mort. Quel fut votre
respect, assemblée auguste, qui nous avez
attesté ce prodige ! Puissances de l'Eglise et
de l'état qui l'avez visité; vos larmes arrosè-
rent sans douto son sacré tombeau ; vos
mains le couvrirent de fleurs, et votre piété
lui érigea des trophées; vous vîtes avec ad-
miration un échantillon de cette gloire pro-
mise au corps de l'homme juste, et qui fait
un article de notre foi ; vous demeurâtes
quelque temps dans un religieux silence ; et
il vous semblait entendre saint Claude vous
dire avec le Prophète : Le Seigneur a fait des
merveilles dans le tombeau; il a anticipé la
gloire de la résurrection : mon corps, préservé
ue la corruption, dira aux siècles futurs : le
Seigneur seul peut opérer des merveilles,
changer la nuit du tombeau en un jour écla-
tant; le séjour des morts en un séjour des
vivants; détruire et conserver • omnia ossa
mpa dicent : Domine, quis similis tibi? (Psal.
XXXIV.)
Mais les prodiges qui s'opérèrent alors ne
vous étonnèrentpas moins, et après avoir ad-
miré un homme incorruptible dans le tom-
beau; vous admirâtes un homme puissant
dans le tombeau, et il devint plus que jamais
un séjour de gloire : sepulcrum ejus glo-
riosum.
Le tombeau est le séjour de la faiblesse ;
on ne va pas implorerle secours de ces illus-
tres morts, qui avaient du crédit, de l'autorité
sur la terre; ces dispensateurs des grâces,
des dignités ; ces hommes fameux par les
places qu'ils occupaient sont devenus inuti-
les aux vivants. Pendant qu'ils brillaient dans
le monde ils recevaient des hommages. Le
courtisan se" pliait sous les yeux du monar-
que; l'homme d'épée, l'homme de robe, l'ec-
clésiastique même, sollicitaient la bienveil-
lance du ministre; le client languissait à la
porte du juge; le pauvre gémissait devant
les palais des grands : mais ces hommes élevés
au-dessus des peuples, une fois passés dans
le tombeau, sont remplacés ; leur autorité
finit avec leur vie, on les oublie ; cela n'est
pas étonnant, ils sont inutiles.
Ainsi deviennent inutiles ces monarques
nui faisaient les délices de leurs peuples,
I admiration de leurs voisins, la terreur do
leurs ennemis; on a pleuré une perte irré-
parable en pleurant leur mort : on allait avec
confiance au pied de leur trône solliciter
des grâces, on n'ira pas à leur tombeau ex-
poser ses misères; on est persuadé qu'après
avoir été grands dans le monde, ils ne sont
plus rien dans le tombeau.
Ainsi deviennent inutiles ces héros de la
guerre qui faisaient la ressource du prince,
qui défendaient ses frontières, étendaient ses
limites; ces hommes habiles dans les campe-
ments et les sièges, braves dans les combats,
chéris des troupes, redoutés des ennemis,
et qui ne cessaient de cueillir des lauriers
que pour procurer les douceurs de la paix :
après avoir attaché à leur char leurs ennemis
vaincus, ils sont descendus dans le tombeau ;
là, la force a été changée en faiblesse, leurs
exploits ont une place honorable dans les
annales du royaume: la reconnaissanee a
érigé des trophées à leur mémoire, on les a
regrettés , et on les désire encore lorsqu'il
s'agit d'aller au-devant des ennemis; mais
ils ne sont plus : ils ont été utiles à la patrie,
la patrie les a perdus. Ainsi deviennent inu-
tiles ces maîtres du monde, ces protecteurs
puissants, ces amis opulents; ils sont im-
puissants dans le tombeau, aussi e 5 1 - i 1 pour
eux une solitude affreuse, une terre d'oubli ;
aucun vivant n'y va dans ses misères, dans
ses disgrâces : le pauvre de bonne volonté
peut être utile à la république, les maîtres
du monde dans le tombeau lui sont inutiles ;
que pourraient-ils, hélas? Devenus cendre
et poussière, leur âme fugitive a passé dans
l'immense étendue de l'éternité, et leurs
corps, après avoir passé par tous ces degrés
humiliants dont parle Job, ©nt entièrement
lisnaru : on les chercherait inutilement, où
141 PANEGYRIQUES. — PANEG. VII
sont-ils? Je vous le demande, dit ce saint
homme : Ubi, quœso? (Job, XIV.) Ils ont été
enlevés de la terre des vivants comme on
enlève la tente d'un berger pour la trans-
porter ailleurs: la mort les a arrachés à leur
grandeur lorsqu'ils étaient les plus utiles;
enfermés dans des sépulcres, la terre les a
consumés, réduits en cendre : où sont-ils,
après cette destruction , ces changements
humiliants? Ubi, quœso? 'j
11 n'appartient qu'à Dieu de faire éclater
sa puissance dans le tombeau, d'y faire ré-
gner ses saints.
Le Piophète demandait au Seigneur s'il ne
ferait point de merveilles en faveur des
morts : Nunquid martuis faciès mirabilia
(Psal. LXXXVII) : l'Eglise nous en présente
SAINT CLAUDE
ua
de ces morts privilégiés, qui opèrent des
merveilles dans Je tombeau: celui de saint
Claude en est une preuve éclatante : il est
puissant et utile, où les autres sont faibles
et inutiles.
Les puissances de l'Eglise et de l'État ont
été persuadées de sa puissance : c'est pour-
quoi on a orné son tombeau de trophées, on
a élevé un temple auguste : là, comme sur un
trône éclatant, il est environné des monar-
ques et des sujets, des riches et des pauvres,
des savants et des simples, qui implorent sa
protection : là, comme auprès de la piscine ,
on y voit une multitude de malades qui de-
mandent leur guérison, et l'obtiennent : erat
ibi multitudo languentium (Joan. , V) ; là ce
mort puissant de la puissance de Dieu
éclaire les aveugles, redresse les boiteux,
l'ait entendre les sourds, parler les muets ,
guérit les lépreux, ressuscite les morts, dé-
concerte l'enfer : c'est de Dieu que l'on at-
tend ces grâces magnifiques, mais c'est saint
Claude qui les sollicite et les obtient. Son
teinbeau est sans cesse environné de sup-
pliants qui implorent son crédit: après avoir
recherché inutilement des secours chez les
humains, ils vont avec confiance se proster-
ner au pied de cet illustre mort : il est utile
dans le tombeau, parce qu'il est l'ami de Dieu
et le dépositaire de sa puissance.
Que de bénédictions! Que de grâces, ce
second Onias n'a-t-il pas attirées sur toute la
Bourgogne ! Depuis près de douze cents ans,
vous l'éprouvez tous les jours, heureuses
contrées. Dans les calamités publiques, dans
les disgrâces particulières, le ciel s'ouvre
ou se ferme , vos récoltes sont abondantes :
le vent brûlant de la contagion ne souflle
point dans vos familles; et dans les maux qui
vous affligent et vous éprouvent, le tombeau
de saint Claude est toujours un gage pré-
cieux de votre félicité.
Admirez donc, Messieurs, avec moi, les
honneurs éclatants que Dieu procure à ses
saints : la mort, qui anéantit les grands, les
élève : c'est elle qui annonce leurs triomphes,
leur grandeur; c est elle qui termine leurs
abaissements, leurs humiliations: c'est elle
qui les montre, qui les donne en spectacle.
Pendant leur vie , l'humilité les dérobait, la
religion les immolait, la corruption du siè-
cle les alarmait, le péché les effrayait, Dieu
les éprouvait : leur mort donne de grands
spectacles à l'univers étonné : montre des
changements et des révolutions qui occupent
toute la terre: elle devient l'époque fameuse
de leur puissance, de leur crédit , de leur
autorité.
Us sont puissants , où les autres sont fai-
bles: ils sont visités, où les autres sont ou-
bliés : et ils sont utiles , où les autres sont
inutiles : les villes, les provinces, les royau-
mes, les empires les choisissent pour leurs
apôtres, leurs patrons, ils leurs servent de
rempart et de forteresse. Telle est la puis-
sance de saint Claude, ce grand protecteur
de la Bourgogne ; son saint corps, séparé de
son âme bienheuseuse, est encore. l'oracle
de cette grande province; son trésor, sou
appui, sa ressource : elle l'oppose aux ri-
gueurs des saisons, aux malignes influences
de l'air, à la fureur des éléments , à la force
des ennemis , aux dangers des maladies , à
la colère du ciel; et sous cette puissante
protection, elle est paisible et tranquille, elle
coule des jours heureux , elle voit ses ri-
chesses augmenter de jour en jour ; elle voit
les peuples venir en foule de toutes les diffé-
rentes .parties du monde, qui lui apportent
la graisse de la terre, en venant chercher la
rosée du ciel : c'est ainsi qu'un désert où on
ne voyait autrefois que quelques solitaires ,
est devenu une ville fameuse , un lieu célè-
bre, un siège épiscopal.
Cherche, peuple fortuné, l'origine de ta
grandeur présente, parcours les histoires
des siècles passés et les annales du royaume :
tu trouveras que c'est la seule puissance de
saint Claude dans le tombeau, qui a attiré
dans ces déserts ces peuples immenses , qui
a fait élever tous ces édifices, qui t'a honoré
de ces titres, que l'Eglise et l'État viennent
de t'accorder, et étendu ta gloire jusques
dans l'Orient et l'Occident : ce n'est pas la
résidence d'un roi qui a peuplé tes campa-
gnes, agrandi ton enceinte, enrichi tes
pères, honoré ta province; c'est celle d'un
mort enfermé dans le tombeau.
Ici, Messieurs, admirons et adorons les
merveilles de Dieu, écrions-nous avec le
Prophète : qu'il est admirable dans ses saints:
mirabilis Deus in sanctis. (Psal. LXVII.)
Il est admirable lorsqu'il les conduit dans
ces routes mystérieuses , inconnues aux
mondains : lorsqu'il les livre aux mépris et
aux insultes des libertins : lorsqu'il les
laisse dans les abattements et les sécheres-
ses : lorsqu'il les afflige sous les yeux des
impies qui sont dans la prospérité et l'abon-
dance : mirabilis Deus in sanctis.
Dieu est admirable dans ses saints, lors-
qu'il s'en sert pour abattre la grandeur du
siècle , pour confondre la fausse sagesse du
monde, réformer les mœurs des plus grands
royaumes, convertir les plus grands empires,
opérer les plus grands miracles : mirabilis
Deus in sanctis. Il a été admirable dans
Moïse , dans David , dans Esther, dans Ju-
dith, dans les apôtres, dans les martyrs,
dans les solitaires : Pharaon enseveli avoç
toute son armée dans la mer Bouge : le su*
U3
ORATEURS SACRES. BALLET.
Ui
pçrbe Philistin renversé : Aman humilié , et
Mardochée élevé en gloire : Holopherne ex-
pirant sous le glaive dans le cours de ses
victoires et le sein des plaisirs : le paganisme
détruit, les temples renversés, les idoles
brisées, les sages confondus, les Césars de-
venus chrétiens, la religion florissante sous
les glaives et sur les éohafauds, les déserts
peuplés et visités par les maîtres du monde,
voilà des merveilles du Dieu de sainteté :
mirabilis Deus in sanetis.
Mais n'est-il pas encore, Messieurs, plus
admirable, lorsqu'il fait éclater sa puissance
dans le tombeau de son serviteur, qu'il s'en
sert pour réveiller la foi des peuples, et
qu'un mort dans son sépulcre opère des
miracles, devient la ressource des malades
et des affligés? tel est sainU Claude dans le
tombeau, il y est dépositaire de la puissance
du Seigneur , il y reçoit des hommages écla-
tants : Dieu lui procure par anticipation cette
gloire promise au corps des saints au dernier
jour du monde ; il est incorruptible, puis-
sant, révéré et honoré dans le tombeau, sepul-
icrum ejus gloriosum.
Ces débris de grandeur et de puissance
qui se sont brisés au tombeau sont d'éter-
nelles leçons d'humilité aux hommes, pour
confondre leur orgueil ; ces pompeux élo-
ges, ces superbes mausolées, ne font qu'an-
noncer l'humiliation des grands; on érige
des trophées à la mort, en s'efforçant de
perpétuer la gloire des grands ; son empire
éclate sur le tombeau des rois ; ces couron-
nes flétries, ces sceptres brisés, annoncent
sa puissance; on a beau étaler avec un style
magnifique ce qu'ils ont été, on est obligé
d'avouer qu'ils ne sont plus; après avoir dit
qu'ils ont fait du bruit sur le trône, on
ajoute qu'ils reposent dans la poussière.
Humiliantes réflexions pour la grandeur du
siècle 1
Remarquez bien cet homme superbe, dit
le prophète Isaïe, dans cette place éclatante,
dans ce haut rang de gloire ; après qu'il aura
brillé quelque temps dans le moude, ébloui
les yeux du peuple, fait plier sous son joug
impérieux ses domestiques, ses vassaux et
tous ceux à qui son autorité était utile; la
mort anéantira tout cet attirail de grandeur,
il sera jeté dans une fosse ; c'est là où se
confondra son orgueil : Delracta est super-
tria ad inferos. ( Isa., XIV.)
Ces puissants monarques qui ont possédé
Jes plus florissants royaumes, qui ont paru
sous les plus brillantes couronnes; ces fa-
meux conquérants qui marchaient toujours
accompagnés de la victoire, qui prenaient
les villes, emportaient les provinces, affai-
blissaient les plus grands empires; ces grands
politiques qui maniaient si bien les affaires,
et qui étaient si habiles dans le gouverne-
ment des Etats; ces savants qui ont brillé
par leur érudition et la beauté de leurs ou-
vrages, qui entretenaient des commerces
littéraires avec les [dus célèbres académies ;
que sont-ils devenus? Us sont descendus
dans le tombeau; l'éclat du trône, les lau-
riers cueillis dans les sièges et les batail-
les, les succès., les événements si glorieux
au ministre, si avantageux à l'Etat, la répu-
tation, l'estime acquise dans la république
des lettres; toute cette gloire est anéantie,
confondue dans le tombeau ; ces hommes
couverts de gloire y sont dans l'obscurité,
l'humiliation : Detracla est superbia ad in-
feros.
Le prophète l'annonce ; il était dans la
grandeur lui-même, et il en a pénétré tout
le néant; le tombeau, dit-il, est le séjour
de l'humiliation, il est inaccessible a la
gloire; toutes les grandeurs humaines vont
auprès, mais elles n'y descendent point; la
pompe des obsèques est le dernier hommage
que l'on rend au grand ; elle est pour la
consolation des vivants; c'est pourquoi elle
se termine avec les cérémonies. Le souverain
entre seul dans le tombeau, sa gloire l'a-
bandonne là, non descendet cum eo yloria
ejus.
C'est donc un prodige quand un homme
entre dans le tombeau, séjour de l'humilia-
tion, comme dans un séjour de gloire ; qu'il
y règne et qu'il y reçoit des hommages 1
Tels sont, Messieurs, les prodiges «pie
saint Claude offre à nos yeux : toute la gloire
des grands finit au tombeau, toute la gloire
de saint Claude commence au tombeau;
c'est après sa mort qu'il reçoit des hon-
neurs éclatants de l'Eglise, des rois et des
peuples. Ce culte public étendu dans l'o-
rient et dans l'occident, ces temples augus-
tes élevés de toutes parts, ces autels dressés
dans presque tous les temples, ces fêtes, ces
solennités ; voilà les honneurs que l'Eglise
rend aux amis de Dieu ; voilà les trophées
qu'elle érige à leur sainteté, à leur puis-
sance ; voilà ce qu'elle a fait pour saint
Claude. N'a-t-on pas vu les rois aller avec
respect au tombeau de saint Claude; là,
dépouillés de la pompe royale, poser à ses
pieds leurs sceptres et leurs couronnes et
se mettre sous sa protection? Ces secondes
majestés, indépendantes de toute puissance
créée, qui savent défendre leurs limites et
leurs couronnes , implorent la protection
d'un mort. Grand Dieu, que vos amis sont
honorés! Vous savez, quand il vous plaît,
leur élever un trône éclatant dans la pous-
sière du tombeau, et ce trône devient plus
glorieux que (elui des rois : Nimis honorati
sunl amici tui, Deus. [Psal. CXXXV1IL)
Vous annoncerez aussi aux siècles futurs
les libéralités royales ; temple auguste, vo-
tre premier et digne pontife (1) voit réunira
la grandeur de. son siège les abondantes
aumônes des rois de France et de Bour-
gogne.
Mêlez, peuples chrétiens, votre voix avec
celle de l'Eglise, pour chanter les triom-
phes et la gloire de saint Claude; elle vous
autorise, marchez sur les traces des rois,
(1) L'abbaye de Saint-Claude est érigée depuis peu en évêcbé , M. de Fargues est le premier
evêque.
MS PANEGYRIQUES. — PANEG. VIII , SAINTE ELISABETH DE THURINGE
«liez à son tombeau admirer les merveilles
du Dieu de sainteté. N'est-elle pas , pour
ainsi dire, née avec les peuples, cette dé-
votion, Messieurs? l'Eglise en a levé la
p-emière l'étendard, comme il convient; il
n'y avait pas alors de forme juridique de
canonisation, mais le culte de l'Eglise pré-
cédait toujours colui du peuple, et c'est
sous son autorité que les peuples rendent
des honneurs si éclatants à saint Claude
dans le tombeau. Or, Messieurs, un homme
qui reçoit des honneurs et des hommages de
l'Eglise, des rois et des peuples, n'est pas
certainement dans l'humiliation; cependant
il est dans le tombeau; et, dans le tombeau,
comme vous le savez, tous les hommes sont
dans l'obscurité, oubliés; c'est, Messieurs,
le prodige; aussi, vous ai-je représenté saint
Claude comme un saint incorruptible dans
le tombeau, puissant dans le tombeau, ré-
véré, honoré dans le tombeau; honneurs,
privilèges qui ne sont promis aux corps des
saints qu'à la résurrection de tous les morts ;
et c'est ce qui m'a fait dire que son tombeau
était le séjour d'une gloire anticipée : Sepul-
crum ejus gloriosum.
Seigneur, que les honneurs que nous ren-
dons aux sacrées dépouilles de votre servi-
teur, ne soient pas pour nous un sujet de con-
damnation ; qu'il soit notre modèle comme
il est notre intercesseur; continuez de pro-
téger cette province, qui le réclame comme
son protecteur, qu'il soit son appui et son
rempart contre tous ses ennemis; qu'une
longue suite de siècles fasse la gloire de ce
siège naissant, et que le premier pontife qui
1 occupe, mérite un jour d'être appelé l'a-
pôtre de ce grand peuple, et d'être le mo-
dèle de ses successeurs. Les travaux du pon-
tife et la docilité des peuples confiés à ses
soins, retraceront la sainteté des premières
Eglises; ils mériteront vos secours sur la
terre et votre gloire dans l'éternité. Je vous
la souhaite. Ainsi soit-il.
146
PANÉGYRIQUE VIII.
SAINTE ELISABETH, DUCHESSE DE THURINGE,
RELIGIEUSE DU TIERS ORDRE DE SAINT-
FRANÇOIS,
Prononcé dans Véqlise du monastère royal
des Religieuses de Sainte-Elisabeth, à Pa-
ris, le 19 novembre ilkk.
Scio Lumi'iari, scioabundare. (Philip., fV )
Je iJs me sanctifier dans les abaissements et dans la
grendeur.
Si c'est un prodige de voir régner les
abaissements de l'Evangile dans les palais
des rois ; c'en est un eussi de voir régner la
grandeur des rois dans les disgrâces et les
adversités. 11 faut une vertu solide pour sou-
tenir un souverain dans les dangers de la
royauté ; il faut un courage héroïque pour
montrer toute la grandeur d'un souverain
sous la puissance de ses ennemis triom-
phants. Conserver son cœur pur à la cour, le
séjour des écueils et des naufrages, le cen-
tre de la mollesse et des nlaisirs, lô théâtre
des amusements et des vanités du siècle,
c'est le privilège de ces âmes choisies qui
font la gloire de ia religion : elles prouvent
la possibilité de se sauver à la cour. Etre
ferme et tranquille dans les plus grands ora-
ges et les plus grandes tempêtes, dans des
jours obscurs et humiliants, lorsque les
grands et les petits forment des ligues puis-
santes, et que, devenu les tristes objets des
mépris et des rebuts de ses sujets mêmes,
on passe dans le monde pour être coupable,
parce qu'on a cessé d'être agréable ; c'est le
privilège de ces âmes héroïques qui justifient
J'Evangile : l'Evangile ne promet que des
ebaïnes et des disgrâces. Etre grand et imi-
ter Jésus-Christ, quel prodige 1 Etre affligé
et être grand, quel courage 1 La religion
seule opère ces merveilles : la religion for-
me des héros humbles dans la grandeur, et
grands dans les abaissements. Qu'il est diffi-
cile de ne point s'élever sous une brillante
couronne ! qu'il est difficile de ne point s'a-
battre sous les coups redoutables de ses en-
nemis ! Et quels éloges ne mérite pas celui
qui peut se glorifier d'avoir fait servir à son
salut et à l'honneur de la religion, les
dangers de la prospérité , et les dangers
de l'adversité ! Scio humiliari , scio abun-
dare. •
La duchesse de ïhuringe , dont j'entre-
prends aujourd'hui l'éloge , va vous mon-
trer ce double prodige. Elle s'est sanctifiée
dans la magnificence du trône ; elle s'est
sanctifiée dans l'obscurité de l'indigence.
Elle a eu assez de vertu pour éviter les
dangers de la cour; elle a eu assez de cou-
rage pour soutenir les épreuves de l'adver-
sité.
Vous vous attendez, Messieurs, à des scè-
nes singulières, à des révolutions étonnantes.
L'histoire fidèle me fournit, des traits sur-
prenants et presque incroyables , si nous
ignorions la puissance du Dieu de sainteté.
J'ai à vous montrer les triomphes de la grâce
dans les deux états les plus dangereux.
Vous verrez une majesté de la terre aimée,
carressée, presqu'adorée : vous verrez une
majesté de la terre méprisée, persécutée,
presque sacrifiée. Vous verrez la duchesse
de Thuringe dans l'éclat et dans l'obscurité,
souveraine et dépendante; élevée dans un
palais immense et retirée sous les tristes dé-
bris d'une étable ruinée ; donnant l'aumône
avec magnificence, et la demandant avec hu-
milité. Oublions , Messieurs , la malice des
hommes qui ont causé ces changements
presqu'incroyables, mais admirons sa vertu,
qui ne changera jamais.
Il faut une vertu solide pour servir Dieu
à la cour, surtout quand on en fait l'orne-
ment, qu'on y préside et qu'on en .reçoit
tous les hommages; il faut une vertu héroï-
que pour servir Dieu dans les adversités,
surtout quand c'est la malice des hommes
qui les suscite, et que c'est une main ac-
coutumée à recevoir nos bienfaits qui nous
frappe.
Elisabeth se servit de sa vertu, qui était
solide et héroïque , pour so sanctifier dsin
m
ORATEURS SACRES. BALLET.
148
ces deux états si dangereux. Si je parlais de-
vant les maîtres du monde, qui ne sont pas
exempts de ces révolutions humiliantes, je
leur proposerais la duchesse de Thuringe
pour modèle; ces deux traits la caractérisent
et vont partager son éloge. Elle est un mo-
dèle de perfection et de sainteté dans les
caresses et les hommages qu'on lui prodi-
gue à la cour : Scio abundare , première
partie. Elle est un modèle de courage et de
patience dans les disgrâces et les adversités
qu'on lui suscite à la cour : Scio humiliari,
seconde partie.
Il est donc, comme vous le voyez, Mes-
sieurs, des âmes innocentes et héroïques,
qui savent faire servir à leur salut les dan-
gers de la grandeur et les coups de l'adver-
sité. La duchesse de Thuringe, tombée de
l'éclat du trône dans l'obscurité de l'indigence,
va retracer à vos yeux la sainteté et le cou-
rage des hommes apostoliques. Un cœur
que les objets les plus flatteurs n'ont pu sé-
duire; un cœur que les scènes les plus
humiliantes n'ont pu abattre , tel fut le cœur
d'Elizabeth. Or, pouvais-je mieux la carac-
tériser dans l'éloge que je lui consacre au-
jourd'hui, qu'en vous disant qu'elle sut,
comme l'apôtue, s'attacher à Jésus-Christ
dams le centre des honneurs et dans le sein
des persécutions ? Scio abundare, scio humi-
liari. Ave, Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
Si les souverains sont élevés au-dessusdes
hommes, ils sont au-dessous de Dieu ; la
grandeur de leur naissance les distingue
dans l'ordre du monde, elle ne les distingue
pas dans l'ordre de la religion.
L'Evangile est la règle de tous les chré-
tiens; celui qui porte le diadème n'est pas
dispensé de porter sa croix : il doit être
humble, sans renoncer aux honneurs qui lui
sont dus, simple et modeste, sans cesser
d'être magnifique; pénitent et crucifié, sans
bannir l'opulence et la splendeur de son pa-
lais ; recueilli et occupé du ciel, sans être
oisif ou indolent; il faut qu'il fasse respecter
son autorité, et encore plus celle de Dieu ;
qu'il se regarde comme une seconde majesté
soumise à la première, et qu'il n'use de sa
souveraine puissance que pour la 'gloire de
Dieu, dont il tient sa couronne, que pour le
saint de son âme, plus exposée que dans les
autres conditions , que pour le bonheur de
ses sujets, dont il doit être le père, aussi
bien que le souverain; voilà ce que doivent
être les rois, ces secondes majestés; mais
voilà ce qui est difficile, sans être impos-
sible.
La magnificence , les délices , la dissipa-
tion qui régnent ordinairement à la cour
éblouissent , corrompent et amusent les
grands. De là la retraite de ces courtisans
sur le retour; ils se dérobent à ce séjour de
la gloire du monde, ils disparaissent. Pour-
quoi cette rupture si prompte, si éclatante ?
C'est qu'il est impossible, disent-ils, de
faire son salut à la cour; et moi ie dis qu'il
est difficile et non pas impossible, surtout
quand la naissance ou le service du prince
y appelle ; car, pour ces hommes d'ambition
qui languissent des années entières dans les
palais des grands, qui cherchent des protec-
teurs pour les pousser et les produire, qui
sont ignorés du prince, et qui lui sont inuti-
les, ils ne feront point leur salut à la cour.
Apprenez donc aujourd'hui que le salut
n'est pas impossible à la cour, qu'on peut
même, quand on est fidèle à la grâce, y de-
venir un prodige de sainteté. La duchessede
Thuringe s'est trouvée, par sa naissance,
obligée d'y vivre et d'y présider; du trône
de Hongrie elle a passé à celui de Thuringe,
mais elle a fait servir à son salut les dangers
de la grandeur. Humble et compatissante
dans l'éclat du trône; pénitente et crucifiée
dans le centre des délices; recueillie et con-
templative dans le séjour de la dissipation ;
elle prouve à ceux que le rang attache aux
majestés de la terre, que le salut n'est pas
impossible à la cour, puisqu'elle sait être
tout à la fois une des plus grandes princes-
ses de l'Europe, et une des plus saintes âmes
de son siècle : Scio abandare.
Il ne faut pas une piété commune pour
réunir les vertus chrétiennes avec les vertus
royales, soutenir l'éclat du trône, et s'occu-.
per de son néant, être magnifique et simple,
ferme et clément, grand et accessible, res-
pecté et aimé, opulent et compatissant ; père
et monarque, c'est là le prodige de la sain-
teté des souverains ; quand ils sont magnifi-
ques, braves, politiques, redoutés, ils savent
régner; quand ils sont humbles, cléments,
accessibles, compatissants, ils savent so
sanctifier. Les vertus royales forment des
héros, les vertus chrétiennes forment des
saints. Un roi n'obtiendra pas la couronne
immortelle après avoir perdu sa couronne
temporelle s'il ne sert pas Dieu en roi et en
chrétien, s'il ne joint pas à la magnificence
de sa cour la sainteté de la religion, et à la
grandeur du trône les abaissements de
l'Evangile : Sanctimonia et magnificentia.
{Psaî. XCV.)
Oui jamais , Messieurs, sut mieux faire
briller les vertus de l'Evangile sous l'éclat
du diadème, que la duchesse de Thuringe ?
Ne la vit-on pas toujours humble et compa-
tissante sous le manteau ducal? Les plus
brillantes couronnes, les plus grands trônes,
les états les plus riches et les plus vastes
étaient comme héréditaires dans son auguste
famille. André et (iertrude régnaient sur
toute la Hongrie; Carloman sur la Galatie et
la Russie, l'époux qu'on lui destine, sur
les quatre plus grandes principautés de l'Al-
lemagne, Thuringe, Saxe, Hesse et le Palati-
nat. Tant de grandeur la rendait une des plus
augustes princesses de l'Europe; mais érige-
rions-nous aujourd'hui des trophées à cette
grandeur, si elle n'eût point possédé dans
un degré éminent les deux plus belîes ver-
tus de l'Evangile*, l'humilité et la charité ?
si l'histoire fidèle ne nous la représentait
pas humiliée au pied de la croix, après avoir
paru sous la pompe royale, environnée des
membres de Jésus-Christ souffrant, aussi
149 PANEGYRIQUES. — PANEG. VIII, SAINTE-ELISABETH DE THURINGE.
bien que de courtisans ambitieux et flat-
teurs ?
J'admire sa grandeur, mais j'admire encore
plus sa sainteté. Sa naissance lui donnait
une couronne temporelle, ses vertus lui ont
mérité une couronne immortelle. Ce n'est
pas la grandeur que je viens louer aujour-
d'hui, mais une princesse qui a sanctifié la
grandeur. L'histoire de l'Allemagne nous ap-
prend qu'elle portait le diadème; l'histo;re
de sa vie nous apprend qu'elle était humble
et compatissante dansce haut rang de gloire :
ce sont ces vertus qu'elle a su réunir avec la
f;randeur, que nous admirons, que nous
ouons, et que nous proposons aux grands
pour modèles: sanctimonia etmagnificentia.
Dieu la fit naître dans le même temps qu'il
toucha le cœur de François d'Assise, afin que
l'Allemagne ne fût point inférieure à l'Italie,
et qu'elle possédât la première fille de ce
saint patriarche, pour retracer aux yeux des
grands les abaissements et les privations de
l'Evangile.
A peine les nuages de l'enfance sont-ils
dissipés, qu'elle fait l'admiration de la cour
de Hongrie, et presque aussitôt l'objet des
désirs de la cour de Tburinge. Le landgrave,
qui demandait au Seigneur une épouse pour
le prince Louis son fils, députe une magni-
fique ambassade pour la demander au prince
André; il l'obtient, et bientôt il a la consola-
tion de la posséder dans son palais.
On fut moins surpris, Messieurs, à la cour
de Thuringe, de sa beauté que de sa vertu;
ou plutôt on admira tout à la fois les dons
du ciel et les dons de la nature: on voyait
avec respect ces grâces, cette décence, ces
traits, cet éclat, cette majesté qui enlèvent
les cœurs sans les corrompre ; mais on ad-
mirait encore plus cette sagesse, cet air de
sainteté, celte modestie, cette candeur, cette
douceur qui annoncent la beauté et l'inno-
cence de l'âme. Elle parut sur ce théâtre des
grandeurs humaines revêtue de la pompe
royale; mais elle y montra aussi les or-
nements de la piété, et l'on discerna dans
la magnificence d'une souveraine, l'humilité
d'une servante du Sauveur : sanctimonia et
magnificcntia.
Peut-être craignez-vous, Messieurs, pour
sa vertu à la cour. Vous savez qu'on y
trouve abondamment les appâts du vice et
les amorces du péché; qu'on y rassure la
timide vertu contre les usages et les maxi-
mes qui y ont force de loi ; qu'on doute du
génie et de l'habileté des princes quand ils
conservent longtempsl'innocence et la sim-
plicité de leurs premières années, comme si
on ne pouvait pas être grand et vertueux.
La duchesse de Thuringe condamna par
sa conduite édifiante ces fausses idées du
monde : elle fut fidèle à la grâce, et la grâce ne
l'abandonna point. La sagesse qui avait pré-
sidé à son berceau l'accompagna à la cour du
landgrave: sa sainteté reçut des accroisse-
ments, elle ne souffrit point de déchet; et
semblable au soleil qui persévère dans sa
brdlanle clarté', la sagesse fit l'ornement de
tons les jours et de tous les moments de sa
150
vie: in tapientia manet sicuC sol. (Eccli.t
XXVII.)
Quellescène plus édifiante, Messieurs, que
celle que j'ai à vous représenter 1 Des abais-
sements à la cour, des pauvres mêlés avec
les courtisans, préférés même aux courti-
sans ; le palais d'une princesse devenu l'a-
sile des misérables; des mains royales em-
ployées à servir les lépreux: il faut donc, ô
mon Dieu, dans la grandeur même, partici-
per à vos abaissements, et dans le seiti de
l'opulence aimer et respecter la pauvreté!
La duchesse de Thuringe était persuadée de
ces grandes vérités, c'est pourquoi elle fut
humble et compatissante dans l'éclat du
trône.
L'épouse du landgrave, la princesse So-
phie savait soutenir avec éclat le rang qu'elle
tenait dans l'Allemagne. Les souverains
n'ignorent pas ce qu'ils sont, mais ils ne
pensent point assez à ce qu'ils deviendront:
elle suivait les préjugés des grands, elle
mettait toute sa gloire à paraître ce qu'elle
était selon le monde: de là cette pompe ma-
gnifique qui la suivait partout: delà cet air
haut et distingué quand elle paraissait en
public: delà ce soin d'éblouir les peuples,
en ne leur donnant que le temps de voir ra-
pidement l'éclatant spectacle de sa magnifi-
cence : de là ce mépris des humiliations et
des anéantissements de l'Evangile: de laces
satires délicates sur la conduite de la jeune
Elisabeth, comme si elle eût été indigne de
porter une couronne, parce qu'elle avait as-
sez de vertu pour la poser aux pieds du Sau-
veur humilié sur nosautels. Mais la duchesse
de Thuringe triomphe de tous ces préjugés
de la cour : elle ne dérobe rien à la grandeur
de son rang, elle ne néglige rien de ce qua
l'Evangile prescrit.
La religion ne condamne pas la grandeur,
elle ne condamne que l'orgueil. L'Esprit-
Saint donne ces éloges à Esther, parce qu'elle
paraissait sous de brillantes parures par
nécessité, et non par vanité: vous savez,
Seigneur, disait celte religieuse princesse,
que je déteste cet attirail de grandeur, que
je gémis sous la couronne que je porte, et
dans la magnificence qui m'environne: mais
vous savez aussi qu'à la tête d'un florissant
empire ces marques éclatantes sont néces-
saires, et qu'à côté d'Assuérus, le plus puis-
sant monarque du monde, il faut qu'Esther
y paraisse comme la plus grande princesse
de la terre : c'est ainsi qu'elle conservait l'hu-
milité dans les jours de sa gloire. Sous 'celte
vertueuse Israélite vous reconnaissez, Mes-
sieurs, laduchesse de Thuringe: elle porta. t
sa couronne quand il le fallait ; elle paraissait
sous le manteau ducal avec les grâces, la ma-
jesté, la magnificence qui convenait à une
princesse souveraine ; mais son cœur gémis-
sait dans le secret de cette nécessité : ses pa-
rures étaient souvent arrosées de ses larmes,
les moments de paraître venaient toujours
trop tôt„ elle aurait toujours souhaité pou-
voir se cacher et se dérober aux honneurs:
c'est ainsi qu'elle fut humble dans l'éclat du
151
ORATEURS SACRES. BALLET.
1^2
trône. Admirez présentement jusqu'à quel
point elle fut compatissante.
La miséricorde était née avec elle, et elle
l'accompagna sur le trône : elle aima les
pauvres lorsqu'elle ne pouvait pas encore les
assister, et l'abondance de ses aumônes égala
toujours la magnificence de son rang.
Charité exercée dans son palais; les pau-
vres y étaient admis, servis, respectés. Ne
l'a-t-on pas vue plusieurs fois aux pieds des
lépreux, bravant les horreurs de cette ma-
ladie, lavant leurs plaies et baisant leurs
pieds?
Charité exercée dans ces moments de loisir
qu'on sait si mal employer à la cour; sem-
blable à la femme forte que le Sage loue si
magnifiquement, ses mains royales maniaient
le fuseau pour faire des vêtements à ceux qui
étaient nus. Charité exercée lors même que
ses fonds étaient épuisés, et dans les circons-
tances les plus délicates et les plus critiques ;
on l'a vue donner son manteau ducal dans le
moment même qu'elle était attendue et obli-
gée de paraître en souveraine dans un cercle
des plus grands seigneurs de l'Allemagne.
Charité exercée envers les morts; comme
Tobie, elle se dérobait aux yeux de la prin-
cesse Sophie et de ses courtisans, pour aller
onsevelir ceux qui venaient d'expirer; elle
portait des suaires à ceux qui n'en avaient
pas, et joignait à ses aumônes ses prières et
ses larmes» pour oblenir promptement la paix
de leurs âmes. Charité exercée dans toute
l'Allemagne; peu satisfaite d'avoir fondé des
hôpitaux auprès de son palais, où elle allait
se délasser à servir les malades, elle en fonde
rncore dans plusieurs villes de l'empire.
Vit-elle, sans être touchée, la famine qui dé-
solait toutes ces riches provinces? Y fut-elle
insensible parce qu'elle en était exempte?
Son cœur tendre et magnifique se contentait-
il de soulager les misérables qui se présen-
taient? ne fut-il pas encore ingénieux à dé-
couvrir les misères cachées? Après avoir
ouvert les greniers publics et épuisé les tré-
sors du prince son époux, ne donna-t-elle
pas les pierres de son diadème, et tout ce
qu'elle avait de plus précieux? Les rigueurs
(le la famine cessèrent, mais les monuments
de sa pieuse munificence dureront jusque
dans les siècles les plus reculés. La duchesse
de Thuringe sut donc être humble et com-
patissante sous une brillante couronne; elle
sut aussi être pénitente et mortifiée dans les
délices de la cour; l'Evangile fut constam-
ment,sa règle dans le centre des honneurs et
dans le sein de l'abondance : scio abundare.
L'Evangile no distingue ni les rois, ni les
grands, ni les riches, lorsqu'il parle des croixet
des mortifications : le Sauveur parlait à tous
lorsqu'il ordonnait de le suivre, (//'cfôaf ad om-
îtes {Luc, IX) : tous ne l'entendaient pas alors,
mais tous l'ont entendu dans la suite par le
ministère des apôtres. S'ils ont parcouru les
villes et les bourgades, ils sont entrés aussi
dans les {dus fameux sénats, les plus célèbres
académies, les cours les plus brillantes. Les
Césars ne sont devenus chrétiens qu'en pliant
Jours épaules royales sous la croix du Sau-
veur ; elle a passé du Calvaire sur le front des
empereurs, et cette croix brillante aux yeux
du grand Constantin est l'époque glorieuse
des triomphes de la religion chrétienne; ca-
chée, persécutée pendant trois cents ans, elle
est devenue libre et florissante sous le règne
de ce prince magnanime; la croix a présidé
à ses conquêtes, a multiplié ses trophées, a
étendu ses limites. Rome n'est devenue pré-
cieuse à nos yeux, et célèbre sur toute la
terre, qu'après avoir arboré la croix sur son
superbe Canitole. La mortification de l'Evan-
gile doit donc régner dans les palais des
princes chrétiens; la croix du Sauveur doit
faire un des principaux ornements de leurs
triomphes , et dans l'affluence des délices
que leur procure leur grandeur, ils doivent
embrasser les rigueurs de l'Evangile, pour
imiter Jésus -Christ qu'ils adorent comme
leur Dieu, pour se précautionner contre les
amorces des plaisirs qui naissent sous leurs
pas, pour expier les péchés qu'ils commettent
plus facilement et plus fréquemment que les
autres hommes. Ce sont ces mystères de mor-
tification, de pénitence, que les apôtres ont
annoncés aux monarques, aux empereurs;
c'est à ces conditions qu'ils ont embrassé le
christianisme.
C'est par la croix, ô grand Constantin 1 que
vous mettrez en fuite les armées les plus
redoutables, que vous remporterez des vic-
toires éclatantes, que vous attacherez à votre
char vos ennemis vaincus et soumis : m hoe
signo vinecs. Mais il ne suffit pas que la croix
brille à la tête de vos armées, il faut qu'elle
règne dans vos palais immenses, que vous
posiez à ses pieds votre sceptre et votre cou-
ronne, et que vous la consultez tous les
jours pour y conformer votre conduite. Jé-
sus-Christ ne la fait briller à vos yeux quo
pour que vous lui fassiez ériger des trophées
dans votre cour et dans tout votre empire ;
vous êtes sa conquête, vous lui appartenez.
L'illustre saint Remy vous l'a dit, grand
Clovis, qu'il fallait vous courber humblement
sous la croix ; qu'après avoir été l'objet de
vos mépris, elle devait être l'objet de vos
respects; qu'il fallait renoncer à tous les
objets flatteurs que le paganisme autorisait
et embrasser les mortifications que l'Evan-
gile ordonnait; qu'un prince idolâtre pouvait
vivre dans la mollesse et les plaisirs, mais
qu'un prince chrétien devait mener une vie
pénitente et crucifiée : incende quod adorasti,
adora quod incendisli.
Malheur donc aux princes chrétiens qui
vérifient ce que le Sauveur disait des rois
qui ne le connaissaient pas, dont les palais
sont des séjours de mollesse et le centre des
délices. Si vous voulez voir des hommes pé-
nitents, austères, des disciples de la croix
et de l'Evangile, allez voir Jean dans le dé-
sert, allez dans les solitudes, entrez dans les
cloîtres. Si vous voulez voir des hommes de
mollesse, de plaisirs, de sensualités, allez
dans les palais des rois, dans les cours des
souverains : ecce qui moilibus vestiuntur in
domibus regum sunt. (Matth., XL)
Pourquoi cette différence? Est-elle néces^
153
PANEGYRIQUES. — PANEG. VIII ,
saire à la grandeur des maîtres du monde?
Consultons l'Evangile, c'est leur règle et la
nôtre sur ce point essentiel.
Gloire immortelle soit rendue à notre Dieu,
qui tient le cœur .des rois dans ses mains; il
a suscité dans tous les siècles des princes et
des princesses, qui ont retracé à la cour les
mortifications des plus grands saints.
Cour de France, la plus brillante de l'Eu-
rope, vous nous fournissez de grands modè-
les : qui ignore que ceux qui en font le plus
Lel ornement sont ceux qui participent le
moins à ses délices, à ses plaisirs?
Toutes ces grandes vérités pénétrèrent le
cœur de la duchesse de Thuringe dès ses
plus tendres années; si elle n'ignorait pas
qu'elle était souveraine, elle n'ignorait pas non
plus qu'elle était disciple de Jésus-Christ, en-
fant du Calvaire et une conquête de son sang;
c'est pourquoi à la cour où elle présidait, et
dans le centre des délices, elle fut toujours
pénitente et crucifiée.
Quelle peinture vais-je vous faire, et à
quoi m'oblige mon ministère? parler des dé-
lices de la cour en vous parlant de la péni-
tence d'Elisabeth, être forcé de vous dire que
dans ce séjour des maîtres du monde, le
grand nombre coule des jours précieux et
destinés au salut dans des amusements, des
plaisirs qui corrompent le cœur, qu'un lâche
repos y succède à un ennuyeux loisir, qu'on
y est fatigué des divertissements sans en être
dégoûté, qu'on s'y sert de la grandeur et de
l'opulence comme d'un puissant rempart con-
tre tout ce. qui peut mortifier les sens, et
qu'on y paraît extraordinaire dès qu'on y
paraît pénitent. C'est vous peindre les dan-
gers de la cour; c'est vous peindre aussi la
haute sainteté de la duchesse de Thuringe,
qui y fut un sujet d'étonnement, parce qu'elle
y fut une victime de la pénitence.
On passe h la cour les moments calmes et
paisibles de la nuit dans de longues séances
de jeu ou de fatigants divertissements; la
duchesse de Thuringe les passe dans la prière
aux pieds de son Sauveur : on y joint la
mollesse à la magnificence; sous ies somp-
tueux vêtements qu'Elisabeth est obligée de
porter, un rude cilice serre toujours sa chair
innocente : on y viole très-souvent, par la
délicatesse et la splendeur de la table, les
lois du jeûne et de l'abstinence; les dames
de la cour sont fortes et robustes pour porter
le fardeau de la vanité, elles sont faibles et
délicates quand il s'agit de participer à la
pénitence de l'Eglise; la duchesse de Thu-
ringe redoublait ses austérités dans le saint
temps du carême, et elle retraçait à la cour,
dans ces jours de jeûne solennel, les sain-
tes rigueurs des premiers siècles.
Cette pénitence d'Elisabeth à la cour est
un prodige, elle y montre cette sagesse qui
ne se trouve point dans ces terres fertiles
et abondantes où l'on goûte paisiblement les
douceurs de la vie, et où l'on jouit délicieu-
sement d'une constante prospérité : Non in-
venilur sapienlia in terra suaviter viventium.
{Job, XXV11I.) Les saints sont à Jésus-Christ
da.ns les étals les plus délicats et les plus
SAINTE ELISABETH DE THURINGE. 154
dangereux, rien ne peut les en séparer; mais
ils sont comme des modèles et des juges :
ils persuadent la possibilité du salut, ils
condamnent ceux qui n'opèrent -point leur
salut. C'est ce que fit la duchesse de Thu-
ringe à la cour ; elle y prouva la possibilité de
s'y sauver ; elle y condamna la vie sensuelle
et voluptueuse qu'on y menait : sa pénitence
y fut sincère, sa pénitence y fut éclatante.
Dans le temps qu'Elisabeth s'unissait de
plus en plus à Dieu par son amour, que sa
pénitence l'immolait comme une victime
précieuse, François d'Assise, cet homme de
miracles et de sainteté, ce parfait disciple de
la crèche et du Calvaire, recevait dans le ciel
la récompense de ses rares vertus. Déjà l'E-
glise l'insérait dans ses fastes, lui décernait
des triomphes et lui rendait les hommages
Qu'elle a coutume de rendre aux serviteurs
e Dieu.
Cette éclatante cérémonie occupait le
monde chrétien : Elisabeth à la cour de Thu-
ringe fut celle qui s'en occupa le plus utile-
ment. Elle vit les honneurs éclatants qu'en
rendait à la pauvreté et à la pénitence, en
canonisant François d'Assise ; son cœur s'en-
flarnma, et elle forma le généreux dessein de
marcher sur les traces de ce grand héros de
l'Evangile : bientôt elle l'exécute solennel-
lement et à la face de toute la terre.
Couronne, sceptre, cour brillante, cares-
ses, hommages, vous ne pourrez rien gagner
sur le cœur de cette princesse. Le jour de la
consécration est marqué; c'est le jour même
de la mort de son Sauveur ; c'est ce jour-là
qu'ello s'attache à sa croix, qu'elle l'em-
brasse, qu'elle lui sacrifie son diadème,
qu'elle se dépouille de la pompe royale, et
se couvre d'un habit de pénitence/ que le
fameux Conrad reçoit ses vœux solennels, et
qu'une fille de roi, une souveraine de qua-
tre principautés, devient une pauvre reli-
gieuse dans l'ordre de François. O monde
enchanteur, séduisant, quelle fut ta confu-
sion ! O Evangile, ô pauvreté, ô croix de
Jésus-Christ, quelle conquête, quelle vic-
toire 1 Une couronne, un trône, une cour bril-
lante, la pompe du monde, voilà les trophées
qu'on vous érige aujourd'hui. En vain, Mes-
sieurs, des savants, des' critiques disputent-
ils à l'ordre de François la duchesse de Thu-
ringe; elle a fait un des phis beaux orne-
ments de cet ordre dans sa naissance; les
histoires les plus fidèles doivent l'emporter
sur les raisonnements qu'ils étalent avec tant
de complaisance; et n'y eût-il que le témoi-
gnage de Grégoire IX, qui la reconnaît reli-
gieuse dans la bulle de sa canonisation, la
critique doit céder et se taire.
En vain voudrait-on ôter au sacrifice d'E-
lisabeth son héroïsme à cause de ses disgrâ-
ces : la duchesse de Thuringe était remon-
tée sur le trône, elle était maîtresse de ses
Etats, toute sa cour lui prodiguait des cares-
ses et des hommages lorsqu'elle se fit reli-
gieuse. C'est dans le rentre des délices
mêmes qu'elle est pénitente et crucifiée ;
c'est dans ce séjour de la dissipation qu'elle
est recueillie et contemplative. Elle avait
135
ORATEURS SACRES. BALLET.
156
appris de l'apôtre et de Jésus-Christ môme à
faire servir à son salut la grandeur et l'opu-
lence de la cour : Scio abundare.
La cour en général est un séjour de dissi-
pation et de tumulte; le mouvement y est
continuel, parce que la scène y varie tous les
l'ours; la disgrâce d'un courtisan agite tous
les autres ; plusieurs espèrent ce qui ne peut
être accordé qu'à un seul ; chacun y joue son
rôle, chacun a ses protecteurs qui se re-
muent, sollicitent ; tant que le prince tient
ses grâces en suspens, on s'agite, on se
flatte; les mouvements cessent quand la
place est accordée. De nouveaux change-
ments causent de nouvelles agitations, et
comme il n'y a rien de plus changeant, de
plus mobile que la cour, il n'y a point non
plus de séjour où l'on soit plus agité, plus
dissipé : de grands projets pour le bien de
l'Etat occupent le prince et ses ministres;
de grandes bagatelles occupent tous les au-
tres; les uns sont occupés sans être empres-
sés, les autres sont empressés sans être oc-
cupés. Qu'il est difficile d'être recueilli dans
ce bruit des passions, dans ces mouvements
de l'ambition, dans ces empressements à
voir et à être vu; lorsqu'on craint de ne pas
obtenir une place honorable, ou qu'on ap-
préhende de la perdre ; lorsqu'on redoute le
mérite de ses concurrents, ou la puissance
de leurs protecteurs; lorsqu'il faut briguer
la bienveillance de celui qu'on espérait pré-
venir dans l'élévation, ou faire agir sourde-
ment ses protections pour le supplanter dès
qu'il chancelle. Dieu l'a dit, il ne se commu-
nique jamais dans ces agitations et ces émo-
tions du cœur de l'homme : Non in commo-
tione Dominus. ( 111 Reg., XIX. ) Veut-il ,
dans l'ordre ordinaire de ses miséricordes,
favoriser une âme? il la sépare des humains,
la conduit à l'écart : Ducam eam in solitudi-
nem [Osée, II); et dans un lieu paisible et
solitaire, il parle à son cœur, lui développe
tous les mystères de son amour, l'embrase,
J'enchante, la ravit: Et loquar ad cor ejus.
{Ibid.)
Mais Dieu change quand il lui plaît cet
ordre ordinaire; comme il est le Dieu des
souverains aussi bien que des sujets, que
sa grandeur n'est pas un obstacle insurmon-
table à la sainteté, il a conduit lui-même des
saints à la cour; il y en a formé, il y a fait
régner en leur faveur le silence et le calme
des solitudes; et si les vices de la cour
ont passé quelquefois dans le cœur des soli-
taires, les vertus des solitaires ont passé
aussi dans le cœur des courtisans : pour
s'entretenir avec eux plus paisiblement dans
ce séjour d'agitations, Dieu a commandé aux
vents et aux tempêtes de se calmer, et aus-
sitôt ils ont joui d'un calme délicieux; on
les a vus paisibles et tranquilles dans le tu-
multe de la cour : Facta est tranquitlitas
magna. (Marc, IV.)
Dieu opéra, Messieurs, ces merveilles en
faveur de la duchesse de Thuringe, elle fut
recueillie et contemplative dans le séjour de
la dissipation et du tumulte. Recueillement
continuel : toute sa perfection, aussi bien
que celle des anciens patriarches , venait de
lai présence de Dieu, qu'elle ne pendit ja-
mais un seul instant ; elle s'acquilta des bien-
séances de son rang, elle parut magnifique
dans les cérémonies éclatantes, elle fit les
honneurs plusieurs fois dans les assemblées
des plus grands princes de l'Allemagne, elle
accompagnait la princesse Sophie dans ses
visites, ses voyages, ses audiences publi-
ques, elle partageait, ses hommages ;'mais sous
l'éclat du diadème, dans les cercles brillants
de l'empire , dans la dissipation de la cour,
on la vit toujours recueillie ; on voyait qu'elle
se prêtait à ses bienséances, mais qu'elle ne
s'en occupait point; l'air de sainteté qui écla-
tait sur son visage, effaçait l'éclatde la pompe
royale; et il suffisait de la voir, pour être
pénétre de Dieu et détrompé du monde.
Recueillement médité : la duchesse de
Thuringe, après s'être prêtée aux bienséan-
ces de son rang, par nécessité, se retirait à
l'écart, par goût, par inclination.
Rappelez-vous, Messieurs, l'éloge pom-
peux et magnifique que l'Esprit-Saint donne
a Judith. Cette sainte veuve qui coulait des
jours purs et innocents, depuis la mort de
Manassés son époux, dont le sang avait coulé
dans les veines des plus grands héros de la
synagogue, qui avait l'honneur de compter
les G-édéon parmi ses ancêtres; et qui sur-
passa par son courage héroïque les plus
braves d'Israël. L'histoire sacrée nous rap-
pelle son recueillement, comme la source de
toutes les grâces et de toutes les faveurs
qu'elle avait reçues de son Dieu. Elle s'était
fait une solitude dans sa maison même, un
lieu caché, inaccessible au tumulte des af-
faires et à la dissipation du monde : Fecit
sibi secretum cubiculum. (Judith, VIII.) Là
elle se retirait avec ses filles, les chères con-
fidentes de son cœur, les témoins de ses
vertus, pour vaquer à l'oraison; s'entretenir
avec leur Dieu, et méditer sa loi sainte : In
quo curn puellis suis clausa morabatur . (Ibid.)
Sous cette vertueuse Israélite, ne reconnais-
sez-vous pas, Messieurs, la duchesse de
Thuringe? Dans son palais même elle s'était
fait une solitude ; sa piété, sa douceur avaient
gagné plusieurs de celles qui la servaient.
C'est dans cet oratoire caché, dérobé à la con-
naissance de la princesse Sophie, que ces
saintes âmes vont avec joie répandre leur
cœur en la présence de leur Dieu; c'est là
qu'elles chantent ses louanges, qu'elles ré-
pandent leurs larmes, qu'elles méditent le
néant des grandeurs du monde, qu'elles déplo-
rent l'aveuglement des pécheurs , qu'elles
s'excitent mutuellement au détachement, à
la pénitence ; c'est là qu'elles puisent des
forces pour soutenir les disgrâces et les croix
qui leur sont préparées, ou pour résister aux
caresses et aux hommages qui pourraient les
séduire : Cum puellis suis clausa morabatur.
C'est ainsi que la duchesse de Thuringe
forme une petite congrégation à la cour, le
séjour de la dissipation, et qu'elle fait passer
le recueillement des cloîtres dans les palais
des souverains.
Après un recueillement si parfat et si rare à
137
PANEGYRIQUES. — PANEG. VIII , SAINTE ELISABETH DE THURINGE.
158
la cour, je ne suis pas étonné que la du-
chesse de Thuringe soit parvenue à un degré
sublime d'oraison. Ses extases , ses ravisse-
ments, ses longueurs sont les preuves de son
union intime avec Dieu. On l'a vue immobile
et comme élevéeentre le ciel et la terre ;onl'a
vue rayonnante de gloire pendant les saints
mystères; elle se sentait attirée par certaines
douceurs, certains charmes dans ses oraisons;
e!le passait des heures entières dans une
sa'nte quiétude , un repos divin ; Dieu la re-
tira t dans certains moments , comme hors du
monde, il tirait en sa faveur les voiles du
temps, son cœur goûtait des délices ineffa-
bles, et ses oreilles entendaient des secrets,
qu'il n'est pas donné à l'homme de raconter ;
c'est ainsi que dans le séjour de la cour elle
fut une parfaite contemplative.
Ne vous représentez pas ici, Messieurs, de
ces faux spirituels qui, sous prétexte de quié-
tude et de repos, négligent la prière essen-
tielle et ordonnée; ces faux mystiques, dont
les spiritualités creuses, les singularités in-
décentes, les recherches orgueilleuses ont
enfanté des erreurs et fourni des prétextes
aux vices les plus honteux. Loin de nous ce
fanatisme grossier. La duchesse de Thuringe
fut toujours soumise à son directeur dans sa
spiritualité, et le ciel lui en avait donné un
capable de la conduire dans ces routes mys-
térieuses.
Paraissez, saint ministre du Seigneur, fa-
meux Conrad, Dieu vous a choisi pour con-
duire Elisabeth dans les routes de la sain-
teté; vous aurez sa confiance et vous admi-
rerez sa soumission.
C'était, Messieurs, un homme éclairé,
habile dans les voies du salut; qui marchait
entre les deux extrémités vicieuses, la sévé-
rité et le relâchement ; qui savait l'art de
sonder les coeurs, qui ignorait celui de les
abattre; qui ne se faisait point un mérite de
diriger une souveraine, mais qui se réjouis-
sait de conduire une sainte ; attentif à ce que
Dieu demandait de sa pénitente, zélé pour
lui faire pratiquer; secret admirateur de sa
haute sainteté, adroit destructeur des plus
fines ressources de la chair et du sang; tou-
jours satisfait de sa soumission , la mettant
cependant quelquefois à de nouvelles épreu-
ves; ennemi déclaré des hérétiques qui dé-
solaient l'Allemagne, victime précieuse de
son attachement à l'Eglise, son zèle en avait
fait un apôtre, sa foi lui a procuré l'honneur
d'être martyrisé.
Tel était, Messieurs, le confesseur delà
duchesse de Thuringe, tel fut celui à qui elle
obéissait, comme tenant auprès d'elle la
place de Dieu; elle approuve ce qu'il ap-
prouve, elle condamne ce qu'il condamne.
Pouvons-nous demander une preuve plus
éclatante de sa docilité, que la soumission
qu'elle fit paraître, lorsque pour l'éprouver,
il lui ota les pieuses filles qui lui étaient
attachées, et qu'il la sépara même de la jeune
Sophie, sa fille; c'est dans cette épreuve sen-
sible qu'elle porta jusqu'à l'héroïsme la sou-
mission et le renoncement. Les lumières du
VQ..fesseur, la soumission de la pénitente,
doivent donc nous faire écarter tout soupçon
d'illusion, d'imagination et de singularité,
lorsque nous parlons de la spiritualité et de
la contemplation d'Elisabeth.
Tout ce qui doit nous étonner, c'est qu'elle
ait su parvenir à un si haut dégre de sain-
teté dans les dangers de la cour, où les ca-
resses et les hommages lui étaient prodi-
gués, mais les saints savent faire servir à
leur salut les dangers mêmes du salut. La
duchesse de Thuringe est un modèle de
sainteté et de perfection dans les caresses et
les hommages qu'on lui prodigue à la cour,
elle sait se sanctifier dans la grandeur et
dans l'opulence : scio abundare; mais ce
qui ne mérite pas moins notre admiration,
c'est qu'elle est aussi un modèle de courage
et de patience dans les disgrâces et les ad-
versités qu'on lui suscite à la cour; elle sait
se sanctifier dans le sein des persécutions ;
scio humiliari.
SECONDE PARTIE.
C'est dans les disgrâces et les adversités
que la vertu des saints brille. 11 ne faut que
la reconnaissance pour s'attacher à un maître
qui hous comble de bienfaits, mais il faut
une vertu héroïque pour adorer la main qui
nous frappe. Les Abraham et les Job qui
goûtaient les douceurs d'une 'grande pros-
périté, qui possédaient de vastes campagnes
et de nombreux troupeaux, et qui trouvaient
dans leurs serviteurs de quoi former des
armées assez considérables pour défaire
quatre rois ligués ensemble, étaient les amis
de Dieu; ils marchaient en sa présence : mais
ce n'était pas assez; il fallait prouver aux
nations qu'ils servaient le Dieu de leur cœur
et non pas le Dieu des consolations ; qu'ils
ne le bénissaient pas à cause de ses bien-
faits, mais à cause de son domaine sur tou-
tes ses créatures; et que pauvres ou riches,
caressés ou affligés, ils se regardaient tou-
jours comme les objets de sa misé'ricorde,
et adoraient la main qui les dépouillait et
les frappait. Ce fut alors qu'il ne fut plus
permis de douter de la vertu des Abraham
et des Job, et que l'enfer même fut obligé de
lui ériger des trophées.
Les orages qui se formèrent à la cour de
Thuringe contre notre pieuse princesse, et
qui éclatèrent avec tant de fureur, ; ces scè-
nes cruelles et indécentes que cette cour
donna à toute l'Europe, servirent aussi à
faire briller sa haute sainteté.
Suivez, Messieurs, la duchesse de Thu-
ringe dans les disgrâces et les adversités
qu'on lui suscite à la cour; la religion la
soutient, la console, la couronne ; sa fermeté
déconcerte ses ennemis furieux et triom-
phants; sa foi adore les jugements d'un Dieu
juste qui l'éprouve; son amour se plaît à
perpétuer ses abaissements.
Pourquoi les adversités sont-elles des
coups de foudre qui écrasent les mondains?
Pourquoi voyons-nous le courtisan disgra-
cié, couler dès jours tristes et languissants,
se retirer par bienséance dans ses terres, et
graver sur les murs ou sur l'écorce des ar-
159
OlUTEl'RS SACRES. BALLET.
IGO
bres, ses ennuis et ses chagrins? c'est qu'il
n'est pas attaché a son Dieu, et son Dieu seul
pourrait le consoler : la laveur le soutenait
a la cour, et non pas la vertu; il s'appliquait
à plaire au prince, il négligeait de plaire à
Dieu; la scène a changé, il est sans conso-
lation, parce qu'il est sans vertu; la vertu
l'aurait soutenu dans la prospérité, la vertu
le consolerait dans sa disgrâce.
Je ne suis pas surpris de voir la duchesse
de Thuringe tranquille et inébranlable dans
les adversités, goûter des délices et des con-
solations dans les adversités, mériter des
palmes et des couronnes dans les adversités.
Elle avait de la vertu; sa vertu avait triom-
phé des caresses de la cour; sa vertu la fait
triompher de ses fureurs. Dieu la soutient,
Dieu la console, Dieu la couronne; elle sait
se sanctifier dans les adversités et les dis-
g Aces : scio humiliari.
Appliquez-vous, Messieurs, et voyez ce
que peut une vertu solide.
Les gran 1s ne sont donc point exempts de
disgrâces : la voix du Très-Haut renverse les
cèdres du Liban, aussi bien que les plus
tendres arbrisseaux; les coups de l'adversité
tombent sur les souverains, aussi bien que
sur les sujets; les ombres de la mort cou-
vrent les palais des rois ; elle exerce son em-
pire sur les têtes les plus chères et les plus
augustes; la fine médisance, la noire calom-
nie, les intrigues sourdes, les complots ini-
ques, les ligues secrètes, les cabales puis-
santes ont souvent ébranlé les plus grands
empires et les plus florissants royaumes,
causé des révolutions étonnantes, et porté le
deuil et la tristesse dans les lieux ou ré-
gnaient les plaisirs et la satisfaction.
Ne croyez pas, Messieurs, que Dieu n'af-
flige que les pécheurs. Ce serait une illusion
de le penser; ce serait une erreur de l'en-
seigner, de le soutenir. Si l'Ecriture me
montre l'Lterne. qui punit sévèrement les
réchés (les souverains criminels et impéni-
tents, des trônes renversés, des sceptres bri-
sés, des couronnes flétries, des rois humi-
liés, chargés de chaînes, errant dans les
solitudes avec les bêtes , expirant sous les
coups d'une main vengeresse, des empires
éteints, des villes immenses réduites en
cendres, des nations entières subjuguées et
attachées honteusement au char des "con-
quérants; elle me montre aussi des justes
éprouvés par les tribulations, leur grandeur
usurpée, leur réputation tlétrie, leur vertu
méprisée : elle nie les montre baignés do
pleurs, affligés, rebutés, persécutés, et sou-
vent, comme dit le prophète : la vertu lan-
guit pendant «pie le vite triomphe ; les bons
manquent de tout et les impies prospèrent;
Dieu afllige les innocents, ils coulent leurs
jours dans le deu'J et dans la tristesse; il
f.iut que la scène change, pour que la joie
succède à la tristesse des justes, et que la
triste- se succède à la joie des pécheurs. Voilà
Messieurs, le plan de l'Evangile. La du-
chesse de Thuringe fut du nombre de ces
âmes innocentes que Dieu afflige, qu'il
éprouve; de ces pierres précieuses, polies
sous les coups de sa main miséricordieuse,
pour servir à l'édifice de la céleste Jérusalem.
Mais si vous êtes étonnés de ses disgrâces et
de ses adversités, vous le serez encore plus
de son héroïque courage.
Déjà le cœur d'Honorius III avait été tou-
ché des malheurs de nos frères chez les in-
fidèles ; déjà il avait publié la croisade, lors-
que la mort l'enleva au Saint-Siège ; l'élec-
tion du cardinal Ugolin, le premier protec-
teur de l'ordre de François, consola l'Eglise
de la perte qu'elle venait de faire; et ce
Pape, qui prit le nom de Grégoire IX, anima
tous les princes chrétiens aux guerres sain-
tes, et exécuta les pieux projets de son pré-
décesseur.
Le jeune prince Louis, Messieurs, fut des
premiers à signaler son zèle et sa piété.
L'état déplorable de nos frères dans la Pa-
lestine le déterminait; la duchesse de Thu-
ringe, qu'il laissait dans une cour dont il
avait sujet de se méfier, le faisait hésiter : la
cause qu'il allait soutenir demandait qu'il
se sacriliât, les dangers auxquels son épouse
allait être exposée demandaient qu'il restât :
le croirait-on, Messieurs? et voici des essais
du courage héroïque de la duchesse de Thu-
ringej elle exhorte le prince son époux, à
voler à la conquête de la terre sainte, elle
l'excite par les peintures les plus touchan-
tes des maux que souffrent les chrétiens;
elle perd, en le quittant, un époux, un dé-
fenseur ; la religion demande ce sacrifice ; elle
le fait. Déjà le pontife met la croix dans les
mains de ce jeune prince, et la grave sur ses
vêtements : déjà, comme le vaillant Machabée,
il s'est attaché une jeunesse brave et guer-
rière, que l'ardeur île son zèle anime aux
combats; déjà il a joint l'empereur Frédé-
ric II, le chef des armées chrétiennes, mais
un prince cruel, vindicatif, adroit, dissimulé,
ennemi du Saint-Siège, excommunié partrois
souverains pontifes; l'honneur du comman-
dement avait plus de part à ses démarches
une la religion.
Mais quelle scène vais-je offrir à vos
yeux! et pourquoi n'ai-je plus que des récits
tristes à vous faire? Seigneur, nous serait-il
permis de vous demander pourquoi vous
frappez ceux qui vous aiment? Pourquoi
vous faites tomber les forts d'Israël, qui dé-
fendent votre cause? Ah! il ne m'est pas per-
mis de pénétrer vos desseins. Il faut adorer
les profondeurs de vos jugements et recourir
à l'évangile qui justifie ces disgrâces.
Le prince Louis, Messieurs, dans une
brillante jeunesse, magnifique, pieux, chaste,
magnanime, attaché au Saint-Siège, est ar-
rêté à Otrentc par l'ordre du ciel ; la maladie
fait des progrès, le tombeau s'ouvre, il y
descend, mais chargé de mérites et de ver-
tus, après avoir fait l'admiration du patriar-
che de Jérusalem, et de tous ceux qui le
virent dans ces derniers moments; après
avoir animé les braves d'Israël à continuer les
guerres saintes : après avoir recommandé
aux seigneurs de sa cour les intérêts de son
épouse, et donné à l'univers des marques
d'une mort sainte et précieuse. Bientôt la
161 PANEGYRIQUES. — PANEG. VIII, SAINTE ELISABETH, DE THURINGE.
nouvelle de sa mort est annoncée dans toutes
les cours : celle de T huringe est troublée,
agitée : on la cache quelque temps par poli-
tique: on l'apprend au peuple par cérémonie
162
on l'annonce à la duchesse de Thuringe avec
satisfaction.
Sous quels traits vous la représentez-
vous, Messieurs, dans ce moment désolant,
accablant: troublée, inconsolable, agitée,
désespérée? Vous vous trompez; aprèà avoir
répandu des larmes par tendresse, elle l'of-
fre à Dieu par religion : elle est inquiète sur
le sort de son âme qui a été jugée ; elle est
tranquille sur celui qu'on lui prépare à la
cour : elle veut se rendre agréable à Dieu
pour être utile à son époux. C'est pour cela
qu'elle adore la main qui la frappe d'une
manière si sensible; n'est-ce pas là soutenir
avec courage les afflictions ! Elle l'avait déjà
signalé, Messieurs, ce courage héroïque que
la re'ligion inspire, lorsqu'elle avait offert à
Dieu la mort de la reine de Hongrie sa mère,
et pardonné si généreusement au malheu-
reux Bonban qui l'avait massacrée.
Vous aimez les croix, les afflictions,
pieuse princesse, réjouissez-vous, Dieu vous
présente le calice : ad te pervertit caiix
(Thren., IV) : vous serez enivrée d'amer-
tumes : les orages se forment à la cour de
Thuringe, ils vont éclater, vous serez rassa-
siée d'opprobres: on vous arrachera votre
couronne, on vous dépouillera de vos biens :
et l'on vous bannira honteusement de votre
palais : inebriaberis atque nudaberis. (Ibid.)
En effet, Messieurs, depuis longtemps
une cabale puissante s'était formée dans la
cour de Thuringe : les mépris et les froi-
deurs de la princesse Sophie, étaient comme
les éclairs qui annonçaient l'orage; les cour-
tisans conspirent, la conspiration éclate : le
prince Henri s'empare de la régence : la
duchesse de Thuringe a perdu son appui
et son défenseur en perdant son époux :
Dieu seul est son protecteur, et Dieu
la veut méprisée, humiliée, persécutée:
la fureur de la cour sert à ses desseins, la
duchesse de Thuringe s'y soumet. Mais si
d'un côté vous voyez ce que l'envie inspire,
voyez de l'autre le courage que donne la re-
ligion : la duchesse de Thuringe sans cou-
ronne , sans domaine, sans asile, suivie
seulement des compagnes de sa piété, et des
confidentes de son cœur, va se consoler au
pied des autels; et au lieu de s'abattre elle
Se réjwuit : elle ne va pas trouver les mi-
nistres du Seigneur pour leur raconter ses
malheurs, mais pour les prier de rendre des
actions solennelles de grâce au Seigneur :
elle ne les touche point par ses pleurs, elle
les étonne par son allégresse : ils ne sont
pas obligés de relever un courage abattu :
ils sont occupés à donner des bornes à son
sacrifice. Il n'appartient qu'à la religion de
former ces grands cœurs ; on n'est guère
attaché au monde, quand on méprise ainsi
ses disgrâces et ses fureurs; Dieu poursuit
cette victime de son amour, il l'éprouve de
plus en plus : aux mépris de la cour succè-
dent les mépris de ses sujets.
Tous les peuples qui lui rendaient des
hommages, et qui paraissaient en suppliants:
qui avaient recours à elle dans l'indigente,
et qu'elle comblait de ses bienfaits : qui pu-
bliaient ses vertus, et qui racontaient ses
libéralités, imitèrent les fureurs de la cour
de Thuringe : ils la méprisèrent, parce qu'ils
la virent humiliée : elle n'était plus digne
de leurs hommages, parce qu'elle était per-
sécutée : elle était coupable à leurs yeux,
parce qu'elle n'était plus souveraine : et ils
refusent de la secourir, parce qu'elle e: t
tombée dans l'indigence : sa disgrâce excite
leur insolence : qui glorificabant eam spre-
verunt illam, quia viderunt ignôminiam ejug.
[Thren.,l.)
Rebutée chez ses sujets mêmes, celle qui
habitait des palais immenses n'a pas où re-
poser sa tête : elle demande avec humil té
un hospice après en avoir accordé si souvent
aux pauvres avec magnificence; mais la
cruauté de la cour a passé dans le cœur des
sujets : la princesse errante avec ses saintes
filles ne trouvent point d'asile : non erat eis
locus.
Consolez-vous, Elisabeth, le Sauveur qui
vous attire à lui veut que vous retraciez la
pauvreté de sa crèche, aussi bien que les
douleurs du Calvaire, et que vous passiez du
palais de Thuringe sous les tristes débris
d'une étable ruinée.
Grand Dieu I j'admire votre sagesse, vous
humiliez et vous élevez ; vous frappez et vous
guérissez; vous préparez une couronne im-
mortelle à la duchesse de Thuringe; mais
avant qu'elle l'obtienne, vous flétrissez sur sa
tête la couronne temporelle qui faisait sa
gloire dans le monde : vous laissez agir la bas> e
jalousie et la noire calomnie ; vous la laissez
tomber du trône dans l'ignominie, de l'abon-
dance dans la misère, du sein des honneurs
dans le sein des humiliations : mais vous lui
inspirez un courage héroïque pour soutenir
ses disgrâces et ses adversités. Votre miséri-
corde la soutient, votre miséricorde la cou-
sole : au milieu de toutes ces scènes qui
étonnent le monde entier, elle est paisible,
tranquille; son cœur goûte des consolations
ineffables, et elle peut dire avec votre Apô-
tre, j'ai évité les dangers de la grandeur,
j'ai évité les dangers de l'adversité; je sais
être contente dans les disgrâces : scio humi-
liari.
Comme la religion seule peut consoler, il
n'est pas élonnant de voir les mondains
tristes et abattus dans les disgiâces; ils les
regardent dans l'ordre du monde, ils ne les
regardent pas dans l'ordre de l'Evangile; ils
font attention à la malice des hommes, ils
n'en font aucune à la miséricorde de Dieu.
Ils voient la croix, dit saint Bernard, ils ne
voient pas l'onction : Crucem videntes, un-
ctioncm non videntes. Ils voient la malice de
l'homme dans ces noires calomnies, dans ces
médisances délicates, dans ces injustices
criantes, dans ces intrigues secrètes, dans
ces cabales puissantes, dans ces complots
mystérieux; ils ne voient pas la miséricorde
de Dieu qui veut se les attacher par ces dis-
163
ORATEURS SACRES. BALLET.
?64
grflces : Crucem videnles , unctionem non vi-
denles. Pourquoi croient-ils avoir tout perdu
quand le prince les a disgraciés, quand un
concurrent les a supplantés, quand la mort
leur a enlevé les objets de leur cœur, quand
un -système d'affaires a dérangé leur fortune,
quand des accidents imprévus ont renversé
leurs édifices, quand une faiblesse a porté
la bonté et le désbonneur dans leur famille ?
C'est qu'ils comptent Dieu pour rien. Ils
ignorent qu'il est le Dieu des consolations :
Crucem videnles , unctionem non videnles.
Vous les voyez, ces mondains abattus, acca-
blés sous le poids des disgrâces et des adver-
sités; ils s'adressent au monde pour être
consolés, ce monde impuissant pour remé-
dier à certaines disgrâces, ce monde injuste
qui veut que l'on soit coupable lorsqu'on
n'est pas heureux ; ce monde dur et cruel qui
regarde de sang-froid les scènes les plus tra-
giques; ce monde curieux et indiscret, qui
apprend avec plaisir la décadence des famil-
les, qui s'en entretient pour se désennuyer;
ce monde dissimulé qui plaint publiquement
les misérables et qui se réjouit en secret de
leurs malheurs; ce monde, prodigue de ses
paroles et avare de ses services, qui fait des
offres obligeantes et qui sait éviter les occa-
sions de les accomplir; ce monde philosophe
qui veut qu'on se console des événements
présents par l'exemple des événements pas-
sés, qui veut persuader qu'on n'est pas mal-
heureux parce qu'on n'est pas le seul. Ahl
tant qu'ils chercheront des consolations dans
le monde , ils seront inconsolables, il n'ap-
partient qu'à notre Dieu de consoler les affli-
gés, de faire des heureux dans le sein des
persécutions, de nous montrer les Tobie, les
Job, les Joseph paisibles et tranquilles dans
les ennuis de la captivité, dans l'obscurité
des cachots, dans la perte des biens et les
ombres de la mort. 11 n'appartient qu'à la
religion de Jésus-Christ de nous montrer des
apôtres qui chantent des cantiques d'allé-
gresse après de cruelles flagellations, qui
montent avec joie sur les échafauds, et plus
contents sous tous les glaives que les tyrans
sous leurs diadèmes. 11 n'appartient qu'à
l'Evangile de justifier les disgrâces et les
adversités qui éprouvent l'homme juste; il y
reconnaît l'accomplissement des oracles du
Sauveur; il espère un changement de scène ;
et l'éternelle félicité qu'il attend, le console
dans les moments de tribulation.
La duchesse de Thuringe était persuadée
"ie ces grandes vérités; c'est pourquoi elle
eut recours à la religion pour se consoler
dans ses disgrâces et ses adversités; elle ne
chercha point de consolateurs dans le monde ;
Dieu la consola et lui ménagea des consola-
tours selon ses desseins.
Dieu la console en lui prodiguant ses ca-
resses. Les mondains les ignorent , ces mys-
tères de douceur, la duchesse de Thuririge
les éprouve. Intimement attachée à son Dieu,
elle le trouve dans l'abandonnement des créa-
tures; il multiplie ses consolations à pro-
portion de ses peines; il fait éclater ses mi-
séricordes dans le temps que ses ennemis
font éclater leur haine; il lui ouvra son cœur
avec amour lorsqu'on lui ferme les portes de
son palais avec cruauté. Donnez-mo> une âme
embrasée de l'amour divin, et elle compren-
dra ces mystères de consolation dont je parle :
I)h amanlem, elsentit quoddico. La duchesse
de Thuringe bannie de son palais, sans
sceptre, sans couronne, dépouillée de ses
biens, calomniée et décriée dans tous ses
états, devenue suspecte et rebutée de tous
ses sujets, goûte des délices ineffables; ab-
sorbée et abîmée dans le cœur de son Dieu,
elle ne sort de ces ravissements que pour
faire éclater une joie toute céleste , chanter
des cantiques d'actions de grâces; insen-
sible à toutes .ses disgrâces, elle n'est péné-
trée que des caresses de son Dieu. Les
mondains ont beau chercher dans tout ce
qui les environne des consolations dans
leurs disgrâces, faibles ressources 1 On est
toujours malheureux quand on veut em-
prunter des créatures de quoi remplir le vide
de son cœur. Dieu suffit à l'âme et l'âme n'a
rien perdu quand elle n'a pas perdu son
Dieu. La duchesse de Thuringe l'a éprouvé
dans ses disgrâres, Dieu la console avec ma-
gnificence.
Je sais, Messieurs, qu'on' doit être très-
délicat et très-exact lorsqu'il s'agit d'appari-
tion': que celles de Jésus-Christ et de la sainte
Vierge, sa mère, sont regardées par les vrais
spirituels et les mystiques catholiques ,
comme des faveurs rares et singulières.
Mais je sais aussi que Dieu, qui est le té-
moin des afflictions du juste, l'a animé quel-
quefois dans ses combats par les spectacles
ravissants de sa gloire ; je sais qu'il accompa-
gna Joseph dans son cachot : Descendit cum
illo in foveam(Sap., X); je sais qu'il promet de
ne point abandonner celui qui est dans la tri-
bulation : Cum ipso sitm in tribulatione (Psal.
XC); je sais qu'il fut spectateur du martyre
de saint Etienne; que ce généreux athlète
vit les cieux ouverts, que ses yeux contem-
plèrent l'Eternel et son divin maître à sa
droite : Video cœlos apertos (Act. ,Yll) ; je sais
enfin que quelques martyrs ont été animés
dans leurs supplices, parce qu'ils voyaient
des couronnes suspendues sur leurs têtes.
La duchesse de Thuringe éprouva ces ma-
gnifiques consolations dans ses disgrâces et
ses adversités; le ciel s'ouvrit à ses yeux;
Jésus-Christ et sa sainte mère parlèrent à
son cœur, le disciple bien-aimé l'anima à
boire le calice et à participer à la mort de
son Sauveur, pour participer à sa gloire; c'est
dans ces moments qu'elle adora la main qui
l'avait frappée, qu'elle se réjouit de ses dis-
grâces et qu'elle méprisa la couronne qu'on
lui avait ôtée et qu'on devait lui rendre.
Si la duchesse de Thuringe eût désiré des
consolations humaines, elle n'en aurait pas
manqué ; le souverain pontife, le prince Louis
son époux, les filles qui lui étaient atlachéos,
les croisés, revenus de la Palestine, furent
autant d'apologistes éloquents qui prirent
sa défense. Les caresses et les honneurs
qu'on lui prodigua à la cour de l'évêque de
Vamberg, son oncle, étaient encore de ces
465
PANEGYRIQUES. — PANEG. IX , N.-D. DE MONT-CARMEL.
\te
consolations humaines qu'on ne laisse guère
échapper. La cour de Thuringe, revenue de
ses préjugés et obligée de lui rendre !a cou-
ronne et les hommages qu'elle lui avait ra-
vis, lui présentait un triomphe bien conso-
lant ; mais Elisabeth a éprouvé que Dieu seul
peut consoler dans les disgrâces, elle ne veut
que lui sur la terre.
La religion seule ne 'la consola-t-elle pas
encore, lorsque les croisés pénétrés de res-
pect pour la mémoire du prince Louis son
époux, apportèrent ses 'précieuses dépouil-
les dans les tombeaux des souverains de
Thuringe? Jamais marche ne fut plus pom-
peuse, plus magnifique : notre sainte prin-
cesse en fut témoin, elle vit ces précieux
restes d'un époux qui la chérissait et l'hono-
rait; elle les baisa, les arrosa de ses larmes,
mais larmes que la religion essuya prompte-
ment. Elle se ressouvint de ses vertus : on
lui raconta les merveilles de sa mort; elle
sentit l'odeur suave qui sortait de son cer-
cueil; elle se réjouit de ne plus posséder
son époux, parce que son époux possédait
son Dieu; elle était satisfaite de ne le plus
voir sur la terre, parce qu'elle avait lieu de
présumer qu'il était dans le ciel. C'est ainsi
que Dieu consola la duchesse de Thuringe
dans ses disgrâces et ses adversités, il les
récompensa et les couronna, parce qu'elle
avait su s'en servir pour son salut : scio hu-
miliari.
Voici, Messieurs, l'accomplissement des
oracles du Sauveur. Ce changement de scè-
nes annoncé dans l'Evangile, si triste pour
les pécheurs, si consolant pour les justes :
écoutez et instruisez-vous; voyez le termo
des plaisirs, voyez le terme des afflictions,
voyez ce que Dieu permet, voyez ce que
Dieu ordonne ; les méchants quelque temps
triomphants, les justes quelque temps hu-
miliés : voilà ce qu'il permettes méchants
arrachés à leur grandeur, tombés dans
l'obscurité et le mépris; les justes déli-
vrés de leurs peines, élevés en gloire,
honorés chez toutes les nations et dans tous
les siècles : voilà ce qu'il ordonne. Serait-il
nécessaire de vous prouver ces grandes véri-
tés, de vous rappeler les décadences humi-
liantes de ces fameux pécheurs qui ont
abusé de la grandeur et de l'opulence, la fin
tragique des Saul, des Holopherne, des Bal-
thazar des Antiochus, des favoris d'Assué-
rus, des Hérode , des mauvais riche? Ne
savez-vous pas qu'après avoir fait gémir les
nations sous le poids de leur tyrannique
puissance, ils ont gémi eux-mêmes sous la
main vengeresse d'un Dieu qu'ils mépri-
saient? Que les tourments ont été propor-
tionnés à leurs plaisirs? Qu'un repentir inu-
tile a succédé à leur orgueilleuse intrépidité,
et un opprobre éternel à leur triomphe passa-
ger? Tel est le changement de scène que
l'Ecriture nous présente lorsqu'elle parle
des mondains; changement bien triste et
bien effrayant. En voici un bien doux et
bien consolant; c'est la gloire que Dieu pro-
cure aux justes après les avoir éprouvés.
La gloire des Joseph, des Mardochée, des
Lazare; la gloire des apôtre?, des martyrs,
et de tous les disciples du Calvaire; la gloire
de la duchesse de Thuringe pour couronner
ses disgrâces et ses adversités.
S'il y a des palmes et des couronnes dans
le ciel, c'est pour ceux qui ont passé par de
grandes tribulations : qui venerunt de magna
tribulalione .
Gloire que Dieu procure à la ducnesse de
Thuringe qui égale presque celle de l'apos-
tolat : ce sont ses succès. Représentez-vous,
Messieurs, une ville immense, attentive à
faire fleurir son commerce, et à ac< roître sa
grandeur; elle renfermait dans l'enceinte
de ses murs un peuple infini, quiava.t perdu
de vue la fin de son pèlerinage, qui négli-
geait d'assister aux saints mystères, et qui
se faisait un système de n'y point participer;
qui voyait croître tranquillement ses enfants
sans leur procurer le baptême, et qui atten-
dait que les malades fussent environnés des
ombres de la mort pour demander les sacre-
ments de l'Eglise. Tels étaient les abus qui
régnaient dans la ville de Masburg; la
duchesse de Thuringe eut la gloire ue les
réprimer. Ses discours, ses prières, ses lar-
mes changèrent ce peuple indévot, et après
avoir été l'apôtre de la cour, elle a eu l'hon-
neur de l'être de toute une ville. N'a-t-elîe
pas arraché à la cour des courtisans dont la
brillante jeunesse, la riante fortune, l'éclat
de la naissance, l'empire des passions au-
raient épuisé le zèle apostolique îsjils n'épui-
sent point le sien : elle en triomphe.
N'a-t-elle pas renversé les édifices de la va-
nité, remporté des victoires sur le démon,
et détaché de son char la jeune Radégonde,
pour l'attacher à relui de Jésus-Christ? Vous
étiez la victime des caresses du monde, pré-
cieuse conquête d'Elisabeth, vous êtes deve-
nue une victime du Sauveur immolé. N'a-
t-elle pas eu encore la gloire d'ouvrir les
portes de l'éternité à Gertrude sa mère? Les
larmes qu'elle répandait , les austérités
qu'elle pratiquait, les aumônes qu'elle fai-
sait pour son âme inquiète ont été efficaces;
elle a fait passer sous le domaine de la misé-
ricorde, celle qui était encore sous le do-
maine de la justice : Gertrude n'élat pas
encore assez pure pourvoir son Dieu; Elisa-
beth était déjà assez sainte pour l'apaiser,
Gloire que Dieu procure à Elisabeth pour
relever ses abaissements, la confusion de
ses ennemis. Ne vit-elle pas à ses pieds la
princesse Sophie et le prince Henri? Ils ren-
dirent de profonds hommages à sa haute
sainteté, et condamnèrent leurs coupables
projets; la même main qui lui avait arraché
sa couronne la posa sur sa tête avec respect;
ils lui décernèrent des triomphes après lui
avoir préparé des disgrâces, et le superbe
Aman fut obligé dans ce jour mémorable de
rendre des honneurs éclatants à l'humble
Mardochée. C'est ainsi que le Seigneur cou-
ronne dès ce monde même les disgrâces et
les adversités des justes. Je sais, Messieurs,
que les croisés, dépositaires des derniers
sentiments du prince Louis, se déclarèrent
les défenseurs de la duchesse de Thuringe,
107
ORATEURS SACRES. RALLET.
168
et que si le prince Henri fut touché de la ma-
gnifique harangue qu'ils prononcèrent en sa
faveur, il fut aussi intimidé parles menaces
qu'ils y avaient semées adroitement. Louer
les rares vertus de la duchesse de Thuringe,
c'était condamner hautement ses procédés
injustes, et ses horribles attentats. D'ailleurs,
il n'ignorait pas le serment solennel que les
croisés avaient fait sur les cendres du duc
de Thuringe, et il aima mieux céder la ré-
gence que de s'exposer à un combat où il
aurait été vaincu et déshonoré. Les grands
s'humilient pour prévenir les humiliations
mais Dieu se sert de tout pour couronner le
jute dans ses disgrâces et ses adversités.
Pour se dissiper dans une légère insomnie,
Assuérus se fait lire les annales de l'empire;
il fallait cet événement pour mettre au jour
le mérite ignoré de l'humble Mardochée, il
fut l'époque de sa gloire. Dieu permet que la
duchesse de Thuringe soit humiliée, mais en
môme temps il lui prépare des zélés défen-
seurs, des braves qui confondent sesenne-
mis, et les conduisent à ses pieds; Dieu l'a
promis, la gloire succédera à l'humiliation
du juste : gtorificabo cum. (Psal. XC.)
Gloire que Dieu procure à la duchesse de
Thuringe pour récompenser sa haute sain-
teté; c'est la gloire des miracles, et les hon-
neurs que l'Eglise lui rend.
Vous dirai-je, Messieurs, que les histoires
les plus fidèles nous la représentent comme
une illustre thaumaturge, et qu'il faudrait
un second discours pour raconter tous ses
miracles? Vous dirai-je que ce prodige, qui
étonna si fort les Juifs, fut opéré aussi par
la pieuse Elisabeth; qu'elle éclaira les aveu-
gles de naissance comme les autres, et que
la puissance de Dieu, qui opérait en elle,
remplit l'Allemagne de ses merveilles? Vous
dirai-je qu'elle annonça aux approches de
la mort, comme Ezéchiel, les événements les
plus reculés; qu'elle prédit l'état déplorable
où l'empire devait être bientôt réduit, et
qu'elle annonça toutes les sanglantes divi-
sions qui devaient l'affaiblir et le défigurer?
Ces oracles de la princesse mourante ont été
vérifiés; la sagesse mondaine ne peut rien
contre le Seigneur : non est sapientia contra
Dominum. (Prov., XXI.)
Hâtez-vous, souverain pontife, de l'in-
sérer dans les fastes de l'Eglise ; que la mort
qui l'enlève à la terre soit l'époque de sa
gloire. Oui, Messieurs, sa canonisation suit
sa mort; déjà Grégoire IX l'invoque et lui
élève un autel ; sa famille a la consolation
de la voir canoniser, d'a-sister h cette écla-
tante cérémonie; déjà elle fait la gloire de
l'Eglise germanique ; je vois toute la magni-
ficence de l'empire abaissée devant elle, et
les plus grands princes qui portent avec res-
pect son saint corps; je vois un temple
somptueux élevé en son honneur dans la
ville de Strigonie par le pieux. Bala, son
frère. Quel admirable changement, Mes-
sieurs! C'est ainsi que Dieu récompense la
duchesse de Thuringe, qui a su faire servir
à son salut les dangers de la grandeur et les
dangers de l'adversité : scio humiliari, scio
abundare.
C'est votre mère, Mesdames, dont je viens
de louer les vertus : elle a marché sur les
traces du grand François d'Assise, et vous
marchez sur les siennes; comme elle vous
avez foulé aux pieds les biens, les honneurs,
les plaisirs; comme elles vous vous êtes dé-
vouées à la pauvreté de la crèche et aux
souil'rances du Calvaire; que le Dieu do
votre cœur vous fasse persévérer avec amour
et avec allégresse dans la sainteté de votre
état, pour mériter d'être heureuses dans
l'éternité. Ainsi soit-il.
PANÉGYRIQUE IX.
POUR LA FÊTE DE NOTRE-DAME DE MO?iT-
CARMEL,
Prononcé dans ï Eglise des RR. PP. Carmes
Rillettes, devant Messieurs les chevaliers de
V Ordre, le 16 juillet 1745.
Invoca Dominum, loqnere régi pro nobis, et libéra nos
de morte. (Esllter, XV.)
Priez le Seigneur, parlez en notre faveur h celui qui est
sur le trône, e' délivrez-nous de la mort.
11 était, Messieurs, une vertueuse Israé-
lite, qui, par les charmes de ses vertus, l'in-
nocence de son cœur et les grâces d'une ra-
vissante beauté, avait eu le bonheur de plaire
à Assuérus, ce grand monarque assis sur le
premier trône du monde, et maître du -plus
florissant empire qui fut jamais : le ciel prit
soin de sa destinée, et il pensait à celle de
son peuple lorsqu'il l'éleva en gloire et la
fit briller sous le diadème.
Vous vous rappelez aussi, Messieurs, cet
homme superbe qui présidait à toutes les
intrigues et à tous les mystères de cette
brillante cour. L'histoire sainte nous le re-
présente comme un courtisan assez inju.'tc
pour donner au prince de mauvais conseils ,
assez artificieux pour ne lui laisser aperce-
voir que le vain prétexte du bonheur de
l'empire, assez cruel pour satisfaire ses
vengeances inhumaines. Le peuple le plus
vertueux, le plus tranquille, le plus soumis
aux puissances delà terre; le peuple de Dieu
est l'objet de ses fureurs ; déjà un édit de
mort est publié dans toutes les places de
l'empire.
Mardochée, Juif fidèle, gémit à la vue des
maux qui sont prêts d'éclater sur sa nation;
il verse des larmes amères; il déchire ses
vêtements; il répand de la cendre sur sa
tête; il indique des jeûnes solennels à tous
les Juifs dispersés, pour détourner ce glaive
meurtrier élevé sur leur tête; et, dans ces
justes alarmes, une ressource se présenta
à son esprit : Esther est toute-puissante au-
près d'Assuérus ; Juive elle-même, élevée
par les tendres soins de Mardochée, appren-
dra-t-elle, sans être touchée , cette scène
sanglante que le superbe Aman prépare aux
Hébreux? Non : il connaît son cœur, son
zèle pour le salut de sa patrie. Il a recours
à elle, et lui adresse ces paroles touchantes :
Parlez, pieuse Israélite, pour votre nation à
PANEGYRÎQl'ES. — PANEG. IX, N.-D. DE MOiNT CARMEL
109
Assuérus; vous approchez de son trône, il
vous chérit ; peut-ôtre que son cœur, qui a
été touché de vos charmes, le sera aussi do
nos malheurs : [nvcca Dominum, hqucre
régi pro nobis, et libéra nos de morte.
je sais, Messieurs, que ces traits, tout
magnifiques qu'ils sont, ne peuvent carac-
tériser dans un vrai sens la dévotion du
mont Carmel, dont j'entreprends de publier
aujourd'hui la grandeur contre ses ennemis
qui semblent se multiplier dans notre siè-
cle; mais je sais aussi que l'Eglise les ap-
plique à Marie, parce qu'elle y trouve, dans
un sens spirituel, une image de sa gloire,
de sa puissance et des secours qu'elle pro-
cure à ses serviteurs aux moments de la
mort, ces moments si décisifs, et par là si
effrayants : or, Messieurs, c'est là tout le
fond de cette dévotion.
D'un côté, Marie toute puissante dans le
ciel, placée aux pieds du trône de l'Agneau
sans tache, d'où elle jette de tendres regards
sur les faibles humains ; de l'autre, des hom-
mes environnés d'ennemis sur le penchant
de l'abîme, tristes objets de la colère d'un
Dieu irrité, qui se couvrent de ses livrées,
et qui s'efforcent, par sa puissante média-
tion, de faire succéder des arrêts de récon-
ciliation à des arrêts de mort. Pourquoi,
Messieurs, cette dévotion a-t-clle tant d'en-
nemis? Elle a pour elle le sacerdoce et l'em-
pire, les souverains pontifes, les évoques,
des saints reconnus par l'Eglise romaine,
des docteurs orthodoxes, des miracles opé-
rés au grand jour, des monarques qui ont
fait redouter aux Maures et aux Sarrasins
le trône des Français. Voici le mystère,
Messieurs : l'autorité que nous- respectons
a toujours chagriné l'hérésie et le liberti-
nage, et si la dévotion du mont Carmel de-
vait son établissement, ses progrès et sa
grandeur, aux charmes de la nouveauté, ses
ennemis deviendraient ses partisans : l'au-
torité légitime qui l'approuve est-elle donc
un titre pour la combattre?
Comme nous connaissons, Messieurs, ses
ennemis, et que nous n'ignorons pas leurs
objections, je vais montrer toute la grandeur
de la dévotion du mont Carmel, en confon-
dant ses ennemis et en détruisant leurs ob-
iect'ions : voici mon dessein. Je confondrai
les ennemis de la dévotion du mont Carmel
par le parallèle que j'en ferai avec ses dé-
fenseurs : première partie; je détruirai les
objections que nous font les ennemis de la
dévotion du mont Carmel, par les règles
mêmes de l'Eglise qu'ils croient violées
ou méprisées: seconde partie.
Employons l'intercession de la Mère de
Dieu, pour obtenir les lumières du Saint-
Esprit. Ave, Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
Oui, Messieurs, cette dévotion qui nous
assemble aujourd'hui dans ce saint temple
a ses ennemis. Nous les connaissons : ce
sont des mondains que la religion gêne. Les
maximes, les usages,, les plaisirs qui la
combattent, sont des armes qu'ils regardent
Orateurs sacrés. L.
i"0
comme victorieuses ; soumis aux moindres
bienséances du monde, on les voit se sou-
lever contre les pratiques de la plus solide
piété ; sous prétexte de défendre un culte
éclairé , ils blâment celui que nous rendons
' à Marie. C'est, disent-ils, pour honorer
Jésus-Christ qu'ils négligent d'honorer sa
Mère ; c'est pour se distinguer du peuple
qu'ils abandonnent ses solennités. Ils n'ont
Jamais approfondi la solidité de notre culte
dans la dévotion du mont Carmel, et ils se
sont toujours appliqués à la censurer; est-ce
par religion qu'ils sont si délicats ? Non ,
Messieurs ; des mondains que la morale de
l'Evangile gêne, et que le monde attache à
son char, ne sont pas d'un grand poids.
" Ce sont de prétendus esprits forts que la
religion révolte. Jaloux de s'élever au-dessus
des autres par leurs doutes et leurs incerti-
tudes, ils refusent aux annales de l'Eglise
le respect qu'ils ont pour les annales des
empires les plus éloignés ; la décision d'ui e
société littéraire est pour eux d'un ; lus
grand poids que celle de l'Eglise, ils érigent
tous les jours des trophées aux découvertes
des savants qui critiquent la piété; ils mépri-
sentles talents des docteursqui lui ont consa-
cré leurs plumes. Ils seraient fâchés de douter
d'un fait rapporté par plusieurs auteurs con-
temporains, ils traitent de fiction une révé-
lation attestée par une nuée vénérable de
témoins. Pourquoi, Messieurs, ces beaux
esprits ne sont-ils pyrrhoniens qu'en matière
de religion ?
Ce sont des hérétiques qui ont secoué le
joug de la dépendance et que l'Eglise pros-
crit. Us disaient qu'ils voulaient tout réfor-
mer, ils ne disaient pas qu'ils voulaient
tout abolir. On rendait des honneurs trop
éclatants à Marie, ils ne lui en rendent plus
aucun. De crainte d'intéresser le culte dû
à l'Etre suprême, ils ont supprimé celui de
la sainte Vierge ; après avoir abattu les au-
tels élevés en son honneur, ils en ont élevé
en l'honneur des héros de leur parti. Pour-
quoi, Messieurs, notre dévotion envers la
Mère de Dieu choquait-elle tant les protes-
tants? Vous le savez, c'est qu'ils avaient
pour principe de contredire l'Eglise romaine.
Or, Messieurs, je vais confondre tous ces
différents ennemis de la dévotion du mont
Carmel et du saint Scapuïaire, par un sim-
ple parallèle avec ses défenseurs.
J'ai des saints à opposer aux mondains,
des savants aux prétendus esprits forts , des
catholiques aux hérétiques. Soutiendraient-
ils sans confusion ce parallèle s'ils m'écou-
taient? diraient-ils encore que c'est la dévo-
tion des peuples? Si l'Eglise, Messieurs,
n'avait pas approuvé les faits que je vais
rapporter, quelque éclatants qu ils soient,
je les passerais sous silence.
Vous les connaissez, Messieurs, ces mon-
dains que je vais-vous tracer, et qui cen-
surent la dévotion du mont Carmel. Ce sont
des hommes de p laisir : ils coulent leurs
jours dans des délices criminelles. Ils pas-
sent les moments piécieux du salut dans
des amusements inutiles; des fêtes toutes
471
ORATEURS SACRES. BALLET
172
profanes font les grands événements de leur
vie. Ils regardent comme un temps triste,
ennuyeux, celui que la religion a consacré
à la retraite; ils saisissent avec avidité les
occasions de se divertir ; ils ne se livrent
qu'avec chagrin aux exercices de piété. Un
cercle , un spectacle les amusent des temps
considérables; un discours chrétien, une
solennité sainte ne peuvent les occuper
quelques moments. Le monde ne peut les
rebuter avec tous ses caprices et ses injus-
tices ; la religion ne saurait leur plaire avec
tous ses charmes et toutes ses vérités. Tout
est grand selon eux dans le monde; tout
est. petit dans la religion. Tout est impor-
tant quand il s'agit des plaisirs, des hon-
neurs, des richesses ; tout est inutile quand
il s'agit du salut et des objets qui y condui-
sent. On est mondain avec ardeur, on
est chrétien avec indill'érence. On est l'a-
pologiste des bagatelles, des caprices , des
excès, des tyrannies du monde: on est le
censeur des dévotions, des solennités, des
grâces, des merveilles de la religion. Le
monde trouve une docilité parfaite dans les
mondains : la religion trouve une opiniâtre
résistance dans les chrétiens. 11 est rare
dans un cercle, dans un repas, d'entendre
blâmer les usages, les maximes et les bien-
séances du monde : il est commun dans
notre siècle d'entendre blâmer les vérités
les plus saintes et les pratiques les plus édi-
fiantes. On l'appelle un siècle de lumière:
n'est-ce pas parce qu'il est un siècle d'indo-
cilité? Qui sont-ils, Messieurs, ces mon-
dains qui raillent la religion et ses salutaires
pratiques ? Examinez leurs occupations, leurs
mœurs, leurs talents, leur foi, les circons-
tances où ils débitent leurs sacrilèges sail-
lies : quelle histoire que celle des mondains,
si on la donnait avec exactitude 1 Ne serait-
ce pas l'histoire des bagatelles, des oisi-
vetés, des rêveries, de l'orgueil et de l'en-
tô'.ement du siècle?
Que d'ambition, que de projets injustes et
criminels dans leurs occupations ! que de
dérèglement, que de licence dans leurs
mœurs ! Que de dangers pour le salut dans
leurs talents! Que de préjugés, cpie d'er-
reurs dans leur foi 1 Quelle témérité, quelle
malignité dans leurs discours sur la re-
ligion !
Qu'ils sont méprisable? ces mondains,
lorsqu'ils parlent de nos solennités et de nos
dévotions! Qu'ils rougissent tant qu'ils vou-
dront des vertus des simples, nous rougi-
rons pour eux de leurs faibles ; qu'ils se
moquent de nos religieuses assemblées,
nous les préférons à leurs fatigants plaisirs.
N'est-ce pas un honneur pour nous de mar-
cher sur les traces des plus grands saints ?
Si des hommes éminents en sainteté blâ-
maient la dévotion au saint Scapulaire, ils
pourraient affaiblir notre dévotion ; mais ce
sont des mondains qui la censurent. Nous
les méprisons, et nous leur opposons pour
défenseurs de cette solennité, des saints
dont l'autorité est infiniment plus respec-
table. Quelle confusion pour eux s'ils écou-
taient ce paiallèle !
Permettez -moi, Messieurs, de iemonter
jusqu'à l'origine de la dévotion du mont
Carmel, de vous montrer dans la plus véné-
rable antiquité le culte de Marie déjà établi
dans les déserts.
on voyait dans les cavernes du mont Car-
mel de véné.ables anachorètes qui mar-
chaient sur les traces d'Elie; ils sanctifiaient
ces lieux écartés, ces monts solitaires par les
vertus admirables qu'ils pratiquaient : dis-
ciples et successeurs d'Elie dans cette sainte
solitude» l'é Jat de leurs vertus se répandit
bientôt chez tous les chrétiens; les honneurs
continuels qu'ils rendaient à la mère de
Dieu les faisaient regarder comme des hom-
mes spécialement dévoués à son culte, et sus-
cités par la Providence pour le perpétuer,
malgré la fureur de l'hérésie et du liber-
tinage,
Louis, que le zèle de la religion fit sortir
de notre France, passer les mers, parcourir
les saints lieux, les vit sur ces saintes mon-
tagnes; il admira des hommes que la fureur
du Musulman et du Sarrasin n'intimidait
point : l'éminence de leur vertu l'édifia; et
s'il pensa à enrichir les temples de son
royaume des instruments de la passion du
Sauveur, il pensa aussi au salut de ses peu-
ples, en exposant à leurs yeux les plus
grands modèles de la charité chrétienne.
Bientôt, Messieurs, ils passèrent en Eu-
rope, plusieurs abordèrent en Angleterre;
c'est là où saint Simon Stock, cet homme de
merveilles, presqu'un autre Elie, du moins
un de ses plus parfaits discq les, les connut
et les admira.
Me voici au moment où la dévotion du
mont Carmel, déjà si ancienne, reçoit un nou-
vel accroissement de gloire : voilà les hon-
neurs que ces saints religieux rendent à la
mère de Dieu, depuis tant de siècles, magni-
gnifiquement récompensés. Cette reine des
anges visite le vénérable anachorète de l'An-
gleterre; elle l'enrichit du saint habit que
nous portons, et elle lui annonce qu'elle est
le canal par lequel Dieu veut bien faire
couler des trésors de grâces dans son Eglise.
11 n'est pas encore temps de m'arrêtera l'au-
thenticité de cette merveille : c'est un saint
qui en est dépositaire; c'est un saint qui la
publie. Quel saint, Messieurs! écoutez ce
que les annales de l'Eglise nous appren-
nent.
C'était un homme qui, dès sa plus tendre
enfance, avait pris la route du désert comme
Jean-Baptiste ; qui, dans le plus épais d'une
forôt, sans autre retraite aue le creux d'un
arbre antique placé entre fe ciel et la terre,
coulait des jours purs et innocents, honoré
d'extases, de ravissements, de communica-
tions intimes avec Dieu et sa sainte mère.
Voilà le personnage qui publie celte révéla-
tion si honorable aux religieux du mont
Carmel, passés nouvellement, dans l'occident,
si consolante pour l'Eglise, et de nos jours si
édifiante pour les chrétiens pieux et dociles.
Or, Messieurs, pour achever cette pre-
PANEGYRIQUES. — PANEG. IX , N.-D. DE MONT CARMEL.
i~3
mière réflexion, confondre les mondains qui
raisonnent, il ne faut que faire le parallèle
des uns et des autres , des ennemis et des
défenseurs du saint Scapulaire : opposons à
ces discoureurs orgueilleux, dont j'ai déjà
tracé le portrait, la sainteté des enfants d'Elic
sur les montagnes du mont Carmel ; la vie
édifiante de ces saints religieux, passés dans
la suite des temps dans l'Europe, et qui y
perpétuent encore sous nos yeux le môme
zèle pour la gloire de Marie. Le vénérable
anachorète de l'Angleterre, que le xme siè-
cle ne vit qu'avec étonnement, dont les vertus
étonnèrent autant que les miracles. Quelle
différence! Mais s'il y a tant de différence
entre les uns et les autres, je me range du
côté des saints, les vertus qu'ils ont pra-
tiquées, les miracles qu'ils ont opérés, les
honneurs que l'Eglise leur rend; tout cela
leur donne un poids, une autorité, qui, en
fait de dévotion, me détermine absolument.
Je méprise les raisonnements, les saillies et
tous les pompeux discours des mondains,
dès que je les compare avec ces hommes
éminents en piété.
Que serait-ce si j'allais encore leur op-
poser les Cyrille, les Albert, les André Cor-
sin, les Thérèse, les Pierre Thomas? Si je
les introduisais dans ces asiles de la plus
haute piété, pour leur montrer ces épouses
de Jésus-Christ, attachées continuellement à
la croix, et que le monde le plus attrayant
n'a pu séduire ?
Si je parcourais rapidement tous les dif-
férents états de ce royaume, où on se pique
tant de goût, de jugement, n'y verrait-on pas
les plus saintes portions, dévouées au culte
de Marie, et particulièrement à la dévotion
du mont Carmel? Mais s'il faut des saints
pour confondre les mondains que la religion
gêne, il faut des savants pour confondre les
prétendus esprits forts que la religion révolte.
J'ai gémi plusieurs fois, Messieurs, en
pensant aux prétendus esprits forts, et bien
loin d'ériger des trophées à leurs doutes et à
leurs incertitudes, j'ai déploré en secret leur
faiblesse et leur aveuglement. Je m'étonne de
la gloire qu'ils s'acquièrent dans le monde;
si notre siècle était plus religieux, ils se-
raient moins accrédités : l'estime qu'on en
fait déshonore également la piété et la rai-
son. Examinons-les, Messieurs, et sans leur
ravir la gloire de l'érudition, faisons sentir
le faible de leurs raisonnements.
Ce sont des hommes élevés dans le chris-
tianisme, instruits des mystères et nourris
des sacrements. Ils étaient dociles dans l'en-
fance, ils ne le sont plus; ils respectaient la
religion, ils la combattent : pourquoi ce
changement? Allons au cœur, Messieurs, il
en est la source : ses penchants sont con-
traires à la piété, on la combat pour les sa-
tisfaire ; on critique le plan de la religion,
pour autoriser ses mœurs licencieuses; on
blâme la dévotion, pour justifier une vie
mondaine; et comme on rougirait d'avouer
qu'on pèche par faiblesse, on veut nous per-
suader qu'on pèche par raison.
Qui sont-ils, ces prétendus esprits forts?
17*
Que disent-ils présentement? Que seront-ils
au moment de la mort? Ils sont chrétiens et
dans l'Eglise; mais pourquoi ne l'aban-
donnent-ils pas puisqu'ils y trouvent tant
d'abus? Est-il glorieux de déchirer la reli-
gion qu'on professe ? Entend-on le maho-
métan critiquer les rêveries de son pro-
phète? Les disciples des hérésiarques ne
sont-ils pas autant de zélés défenseurs de
leurs erreurs? Pourquoi des disciples de la
religion chrétienne et des enfants de l'Eglise
se font-ils une gloire d'être ses ennemis et
de censurer ses pratiques? Ah! la vérité de
la religion est trop sensible pour qu'ils l'a-
bandonnent; mais aussi la religion humilie
trop leur orgueil, et condamne trop solen-
nellement leurs vices, jour qu'ils la res-
pectent; s'ils étaient moins corrompus, ils
seraient plus soumis.
Que disent-ils, Messieurs? Jai honte de
leurs raisonnements. Je vois des hommes
qui rougissent, pour ainsi dire, des moindres
impressions de la religion, qui luttent sans
cesse contre les principes de la raison et de
la conscience, qui s'efforcent inutilement
d'étouffer des remords importuns, et qui,
dans l'impuissance où ils sont de calmer to-
talement leurs alarmes, portent la faiblesse
jusqu'à réclamer contre les préjugés de l'en-
fance et de l'éducation. Quels hommes, Mes-
sieurs! Si tous les savants pensaient comme
eux, la dévotion ne serait que pour les
peuples, comme ils le disent; mais quelle plus
grande faiblesse que de réclamer d'avance
contre les incertitudes effrayantes qui les en-
vironneront au moment de la mort, et dé-
savouer publiquement les sentiments de re-
ligion qu'excitent les approches d'un moment
décisif, et la certitude d'une autre vie ! Tel
est le système insensé de ces hommes sin-
guliers qui se font gloire de penser autre-
ment que les autres; qui affectent de douter
de tout, pour ne se priver de rien. Tels sont,
Messieurs, les prétendus es| ri-ts forts ; ce
sont eux qui censurent la dévotion que je
prêche aujourd'hui. C'est la dévotion du
peuple, disent-ils ; le saint Scapulaire oc-
cupe indécemment sa piété, et le détourne
des grands objets de la religion ; et moi, Mes-
sieurs, je dis que c'est la dévotion des sa-
vants, des monarques, des grands. Voilà les
illustres défenseurs que je leur oppose.
Les savants dont je parle, Messieurs, sont
des savants estimés; les monarques que je
vais louer ont fait la consolation de l'Eglise
par leur piété, et la terreur de leurs ennemis
par leur valeur; la noblesse brave et guer-
rière, qui marche sur leurs traces, mérite
nos respects et nos éloges ; des hommes si
fameux et si respectables donnent-ils aisé-
ment dans des dévotions creuses et des su-
perstitions populaires? Cependant la dévo-
tion du mont Carmel est encore aujourd'hui
leur dévotion; ce n'est donc pas seulement
la dévotion du peuple, comme on ose l'avan-
cer, mais la dévotion des serviteurs de Maiia
et des catholiques sincères.
Ecoutez ces beaux génies, ils ont trop d'é-
rudition, de goût, de délicatesse, pour don-
{7S
OiUTEURS SACRES. BALLET.
176
ner dans des révélations aussi singulières,
et des indulgences aussi étendues que cel-
les dont on repaît les peuples dans les dévo-
tions du saint Scapulaire. Ne dirait-on pas,
Messieurs, que le saiut Scapulaire n'a pas
des défenseurs infiniment au-dessus d'eux
pour l'érudition, la piété et le rang. Parais-
sez, célèbres universités de la France et de
l'Espagne , fameuses écoles de Sorbonne et
de Salamanque, écoles consuliées de tous les
royaumes du inonde ! vous avez approuvé
ces dévotions et ces indulgences. Cessera-
t-on pour cela de respecter vos lumières,
d'à, imirer votre érudition , d'ériger des tro-
phées à vos ouvrages et aux grands hommes
que vous avez formés dans tous les siècles.
Ah! l'hérésie seule condamnée et proscrite
dans vos savantes assemblées, s'efforcera en
vain d'obscurcir l'éclat de votre gloire, et de
flétrir les lauriers que vous avez muissonnés
dans tous les combats que vous avez soute-
nus pour les intérêts de l'Eglise. Nous oppo-
serons toujours avec confiance vos suffrages
aux mépris des ennemis du saint Scapukure.
Paraissez, savante congrégation des rites,
qui avez approuvé la dévotion du mont Car-
mel : et vous, illustre Bellarmin, qui aviez eu
l'honneur d'y présider , j'admire plus vos
talents que votre éminente dignité. L'éclat
de la pourpre romaine n'a pas effacé l'éclat
de vos vertus ; et vos travaux immenses pour
l'Eglise vous ont fait placer à côté de ces
.hommes fameux qui ont combattu pour sa
globe. Je sais, Messieurs, que les protes-
tant», foudroyés par ce savant controversiste
ont manqué de respect pour ses lumières.
Mais quel honneur pour lui de n'avoir point
d'autres ennemis que ceux de l'Eglise ! Je
n'entreprends pas ici, Messieurs, de le défen-
dre contre ces plumes téméraires qui atta-
quent les plus grands hommes. L'horreur
que l'Angleterre a pour ses ouvrages n'est-
elle pas une puissante apologie ? il a approuvé
et soutenu la dévotion que je prêche aujour-
d'hui. C'est un tel défenseur que j'oppose
aux prétendus esprits forts qui la combat-
tent.
Mais quels défenseurs se présentent ici à
mon espr.t! Qu'ils sont respectables , Mcs-
s;curs! Ce sont les majestés de la terre. La
dévotion du mont Carmel est la dévotion de
nos glorieux monarques, ils ne craignent pas
d'obscurcir l'éclat de leur diadème, en por-
tant les livrées de la mère de Dieu; sous le
manteau royal j'aperçois le saint Scapulaire ;
et je puis dire aux plus hardis critiques :
pourquoi appelez-vous la dévotion des sim-
ples, celle des savants et des rois?
Paraissez ici, l'ennemi de tous les vices,
le fléau des hérétiques, la terreur des Maures
et des Sarrasins, grand saint Louis, qui
régnez dans le ciel, après avoir régné dans
le cœur des Français; vous fûtes toujours
occupé de ce moment décisif où les rois
voient leurs trônes, leurs sceptres et leurs
couronnes fuir devant eux, et disparaître.
Vous étiez saint quand vous avez cessé
d'être grand. Des vertus chrétiennes avaient
soutenu les vertus royales j et les religieux
du mont Carmel passés en Europe sous votie
protection et par vos libéralités, sont ce; mo-
numents éclatants de votre dévotion envers
la mère de Dieu.
Grand Henri 1 aussi instruit que les David
dans l'art des combats et des batailles, qui
méritiez une couronne par votre valeur, si
elle n'eût pas été due à votre naissance;
longtemps épris des charmes de l'hérésie,
vous écoutiez les maîtres du mensonge; les
ministres de la réforme vous paissaient d'om-
bres et de figures; alors vous n'aviez que du
mépris pour les saintes pratiques de l'Eglise
romaine. Quelle consolation pour nous de
vous compter dans nos annales parmi les
fils aînés de l'Eglise 1 Je vous oppose aujour-
d'hui à nos ennemis, comme Je catholique le
plus sincère, et un roi dévoué à la gloire du
mont Carmel.
Louis le Juste I qui aimiez la vertu et la
gloire; qui aviez été en personne attaquer
l'hérésie jusque dans ses derniers retranche-
ments; que l'Eglise vit à la Rochelle, armé
du glaive royal, pour punir ceux qui mé, r -
saient le glaive spirituel, vous avez voulu
que votre dévotion envers la mère de Dieu
fût celle de tous vos peuples. La France, en
s'acquittant du vœu solennel que vous avez
fait aux pieds des autels, apprendra à la pos-
térité la plus reculée, que vous aviez plus de
confiance dans ïa protection de la sainte
Vierge que dans la valeur de vos capitaines,
et les forces de vos formidables armées!
Louis le Grand! dont le règne fut un en-
chaînement de victoires et de conquêtes,
n'avez -vous pas surpassé les maîtres du
monde par vos exploits, comme par la lon-
gueur de vos jours; le seul Cyrus a vieilli
comme vous sous le diadème; mais vous seul
avez donné de l'éclat à la pourpre même ; on
vous aurait admiré sans trône et sans cou-
ronne; votre piété savait réparer les fautes
de l'humanité; votre zèle pour la rebgion a
mérité et a reçu les pompeux éloges dont
les souverains pontifes comblèrent autrefois
le grand Constant'n; quelle gloire pour la
dévotion- du mont Carmel de vous compter
au nombre de ses défenseurs; et quelle con-
fusion pour ces hommes téméra:res qui, sans
l'avoir jamais approfondie, la resserrent
dans une assemblée de simples et d'igno-
rants !
Que dirai-je de notre glorieux monarque?
Quelle gloire peut effacer celle qu'il s'ett
acquise dans les combats ! Quelle rapidité
dans ses conquêtes! A peine le tombeau qui
s'était ouvert dans l'ardeur de sa course est-
il fermé qu'on le voit au delà du Rhin. Cinq
villes soumises à son obéissance dans une
année publient sa valeur ; il moissonne des
lauriers dans les sièges et les batailles; son
intrépidité étonne les plus braves; il fait
marcher devant sa face la terreur et la mort;
les Anglais fugitifs s'avouent vaincus.
Vous reconnaissez , Messieurs , la valeur
de Louis le Grand dans son arrière petit-fils.
Ne soyons pas étonnés de la voir briller dans
l'unique héritier de son trône : les délices
d'une cour brillante, les tendres et augustes
PANEGYRIQUES. — PANEG. IX, N.-D. DE MONT CARTEL.
177
nœuds qu'il vient de former n'ont pu retenir
son ardeur guerrière; les ennemis ont vu
toute la gloire et toute l'espérance des Fran-
çais à la tète de nos armées, et si nous avons
rendu au Seigneur des actions immortelles
de grâce, parce qu'il a attaché la victoire à
nos étendards, nous ne devons jamais cesser
de lui en rendre, parce qu'il nous a conservé
un roi bien-aimé , et le successeur de sa
gloire et de sa puissance. Quand je me rap-
pelle, Messieurs, la tendre piété de ces au-
gustes princes envers la mère de Dieu ; quand
je fais attention qu'Us sont dévoués dès leur
enfance à l'ordre du mont Carmel, je rougis
pour ces hommes téméraires qui blâment
notre dévotion. Toutes ces majestés de la
terre qui se sont déclarées solennellement
les serviteurs de Marie ne les confondent-
elles pas?
Parlerai-je encore, Messieurs, et quel ser-
viteur de Marie vais-je opposer à ces préten-
dus esprits forts? lui seul suffit pour les con-
fondre. Parlerai-je du premier prince du
fang royal, que nous voyons présider à l'or-
dre illustre et respectable de Notre-Dame du
mont Carmel. Je n'ai à redouter, en louant
la piété de ce prince, que sa piété même :
des vertus moins solides souffriraient de
plus longs éloges ; il n'est sévère que lors-
qu'on le loue : humble dans la grandeur du
trône dont il approche de si près, pénitent
dans les délices de la cour où son rang l'o-
blige de paraître, contemplatif dans le tu-
multe des affaires du royaume où les pensées
de l'éternité le suivent, partout il s'occupe
delà religion et partout la religion l'occupe.
Quel exemple, Messieurs 1 Cependant je ne
crains point de le dire : un prince moins
parfait aurait plus d'imitateurs.
Que je me plairais encore à leur opposer
ces nobles et vertueux chevaliers qui célè-
brent aujourd'hui avec tant de pompe et de
magnificence une fête qui chagrine et révolte
ses ennemis.
Oui, Messieurs, en leur disant que c'est
votre dévotion, c'est leur prouver que c'est
la dévotion des savants, la dévotion des bra-
vo, la dévotion des esprits solides, la dévo-
tion des grandes âmes, la dévotion des catho-
liques éclairés; car vous réunissez toutes
ces vertus , que dis-je ? vous en êtes les mo-
dèles.
Après tous ces illustres défenseurs de la
dévotion du mont Carmel que j'oppose aux
prétendus esprits forts, diront-ils encore que
c'est la dévotion du peuple, la dévotion des
simples? Ils le diront et le feront accroire à
ceux qui ignorent les faits que je viens de
rapporter, et qui ne sont pas en état de les
confondre par le parallèle que j'achève en
opposant les catholiques aux hérétiques; car
s'il faut des saints aux mondains que la reli-
gion gêne, de grands hommes aux prétendus
esprits forts que la religion révolte; il faut
des catholiques aux hérétiques que la reli-
gion proscrit.
Ouvrons, Messieurs, les annales de l'E-
glise; parcourons ces temps délicats et ora-
geux, où des hommes téméraires Voulurent
{73
altérer la foi, publièrent de nouvelles doc-
trines ei ravagèrent le troupeau de Jé^us-
Christ. Examinons le génie des hérésiarques
qui ont formé tant de sectes différentes;
vous n'en verrez pas un qui n'ait vomi des
blasphèmes contre Marie, qui n'ait attaqué
ouvertement ses prérogatives; les plus mo-
dérés se sont efforcés d'affaiblir son culte ;
ce sont les plaintes qu'ont faites dans tous les
siècles les souverains pontifes, les conciles,
les Pères, les évêques et tous les peuples
catholiques. L'hérétique le plus caché se
montre lorsqu'il s'agit des honneurs qu'on
rend à la mère de Dieu; il se découvre mal-
gré lui.
Combattre le culte que l'on rend h Marie;
mépriser ses solennités; n'oser s'exprimer
sur ses prérogatives; éviter avec affectation
certains termes que l'Eglise a choisis et con-
sacrés ; toujours alarmer les peuples sur la
précision de la théologie, pour intimider la
piété et censurer malignement les ex; res-
sions les plus belles et les plus touchantes;
détourner les fidèles des associations , des
congrégations destinées à l'honorer : voilà,
Messieurs, le génie de l'hérésie.
Ainsi vit-on autrefois les Julien Apostat,
les Neslorius, vomir des injures contre la
mère de Dieu : ja.oux des honneurs publics
que l'Eglise lui rendit dès qu'il lui fut ; er-
mis d'avoir des temples, il n'y a point d'ar-
tifices qu'ils n'aient employés pour lui ravir
ses prérogatives. A ces monstres que l'enfer
avait suscités, et que Marie a terrassés par
sa puissance, en ont succédé d'autres dans
tous les siècles, et surtout dans les derniers.
Luther et Calvin ont paru sur la scène : que
n'ont-ils pas dit sur le culte de la sainte
Vierge? La piété de nos pères en a rougi , et
pourquoi la nôtre n'en rougit-elle pas? Car,
Messieurs, ce mépris des hérétiques pour le
culte de Marie a passé dans bien des ouvra-
ges qu'on lit avec ardeur, sous prétexte ce
délicatesse et d'exactitude; des hommes
vains et rebelles ont parlé aussi indécem-
ment qu'eux. La résistance à l'Eglise en-
traîne le mépris de la mère de Dieu et des
saints. En voici la preuve, Messieurs :
Je ne saurais souffrir, disait Luther, qu'on
appelle Marie dans les offices publics, l'es-
pérance et la vie des chrétiens : Ferre ne-
queo ut Maria dicatur spes etvila; or, si ces
expressions tendres dont l'Eglise se sert dans
une des antiennes qu'elle adresse à Marie,
chagrinaient Luther, n'ont-elles pas aussi
excité l'amertume de certains savants qui se
font honneur d'être dans l'Eglise? Qui de
nous n'a pas entendu les plaintes amères
qu'ils en ont faites? Mais avançons. Si les
protestants se sont si fort déchaînés contre,
les expressions que l'Eglise emploie , ne
croyez pas qu'ils ménagent la dévotion dû
mont Carmel ; c'est pour eux une espèce de
scène qui se joue dans l'Eglise romaine, qui
les occupe ; elle a épuisé toutes leurs re>
flexions comiques ; mais j'oppose à ces hom-
mes rebelles et proscrits l'autorité des ca-
tholiques, avec des traits qui doivent eertai-
179
ORATEURS SACRES. BALLET.
180
nement les confondre. Premier trait contre
l'hérésie.
Montrez-vous, ennemis du saint Scapu-
laire, qui êtes-vous? combien êtes-vous? de
quel poids êtes-vous dans l'Eglise? Vous lan-
cez des traits, et vous vous cachez. N'est-ce
Las vous que la religion proscrit? Etes-vous
un nombre assez grand pour résister à cette
armée rangée en bataille que je vais vous
opposer? Tenez-vous un rang? Avez-vousun
caractère distingué? Nous ne vous connais-
sons pour nos adversaires que depuis votre
séparation. Les anathèmes que l'Eglise lance
contre vous depuis si longtemps vous ren-
dent-ils plus redoutables? Vous avez fait de
beaux ouvrages , mais ils sont condamnés ;
vous êtes de grands hommes, de grands gé-
nies, mais vous êtes des enfants rebelles;
nous ne voulons pas vous ravir la gloire de
l'éruriition, mais nous blâmons votre résis-
tance. Les opprobres que vous vous efforcez
de répandre sur nos solennités, ces mépris
que vous affectez lorsqu'il s'agit de la mère
(Je Dieu et des saints, nous prouvent votre
aveuglement. Moi qui ai approfondi les prin-
cipes de la dévotion du mont Carmel, qui ai
le bonheur de la respecter et d'y être associé,
j'oppose l'autorité qui m'a fixé à la vôtre.
Quelle est respectable cette autorité et quelle
<ioit bien vous confondre 1
Oui, Messieurs, j'oppose ici aux héréti-
ques qui censurent votre dévotion, ce que
l'Eglise catholique a de plus vénérable : Ho-
noré III, Jean XXII, dix-sept papes qui ont
donné des bulles pour autoriser et accrédi-
ter la dévotion du mont Carmel : cette foule
majestueuse de souverains pontifes n'est-elle
d'aucun poids ?
Saint Augustin disait aux manichéens :
Voulez-vous savoir ce qui me retient dans
l'Eglise catholique? C'est la succession des
souverains pontifes à Rome depuis saint
Pierre jusqu'à présent : Tenet me ab ipsasede
Pétri apostoli usque ad prœsentem diem suc-
ccssio sacerdotum.
Quoiqu'il ne soit pas ici question de dogme,
ne pourrais-je pas, Messieurs, d'après ce
saint docteur, me servir des mêmes princi-
pes pour confondre nos adversaires ? Ne pour-
rais-je pas leur dire: malgré la délicatesse,
l'érudition et la beauté de vos raisonne-
ments, je respecte la dévotion du saint Sc-apu-
laire; je me fais gloire d'y être attaché, de
la prêcher, de la défendre, parce que c'est
une dévotion publique et solennelle dans
l'Eglise catholique; je l'approuve, parce que
dix-sept souverains pontifes l'ont approuvée.
De quelque couleur que l'hérésie se serve
pour obscurcir la gloire du saint siège, on
respectera toujours une semblable autorité.
Que serait-ce, Messieurs, si j'opposais en-
core tous les évoques catholiques, tous les
peuples soumis aux décisions de l'Eglise?
car ce sont là les défenseurs du culte de
Marie. Tous les catholiques se sont toujours
distingués par les honneurs éclatants qu'ils
ont rendus à la mère de Dieu, comme les
ennemis de l'Eglise se sont toujours distin-
gués par le mépris qu'ils ont fait de ses pré-
rogatives et de ses solennités, tout les ré-
volte, tout les chagrine dans les usages et
les prat'ques de l'Eglise romaine. Quelle
gloire, Messieurs, pour la dévotion du mont
Carmel, de n'avoir pour ennemis, aussi bien
que le saint siège, que ceux même qu'il con-
damne et proscrit. Second trait contre l'hé-
résie.
La solennité du saint Scapulaire révolte
les protestants; une pareille fête ne devrait
pas, selon eux, se célébrer dans l'Eglise.
Et mai, Messieurs, je leur demande pour-
quoi ils voudraient la supprimer? Est-ce
pour retracer à nos yeux ce qui s'est passé
dans le temps du schisme en Angleterre?
On vit cette nouvelle Eglise si délicate sur le
culte supprimer lés fêtes établies en l'honneur
de Marie, et en fixer une au 7 septembre en
l'honneur de la reine Elisabeth: les temples
ne retentissaient | lus après les offices des an-
tiennes que l'Eglise adresse à la mère de
Dieu; mais ils retentissaient des louanges
qu'ils y donnaient publiquement à cette
princesse. Voyez , Messieurs, quels excès
suivent le schisme : il suffit qu'une dévotion
soit approuvée par l'Eglise pour être mépri-
sée par les hérétiques que je combats. Si je
transférais le culte que je rends à Marie, à
quelque héros de leur parti, ils m'approuve-
raient; si je rejetais le saint Scapulaire pour
me munir de quelques reliques de leur
goût, ils me prodigueraient aussitôt les épi-
thètes les plus riches, je serais un savant
pieux et éclairé.
Non, Messieurs, ce n'est pas par la cra;nte
des abus qu'ils nous censurent; ils connais-
sent la pureté et l'exa: titude de notre culte,
mais par chagrin, par un sentiment de secte.
Je me flatte, Messieurs, de vous avoir dé-
veloppé le caractère des ennemis fie la dé-
votion du mont Carmel, et d'avoir parlé
d'une manière propre à les confondre s'ils
m'écoutaient; mais comme ces ennemis font
des objections, il faut les détruire. J'ai con-
fondu les ennemis de la dévotion du mont
Carmel parle parallèle que j'en ai fait avec
ses illustres défenseurs; je vais détruire
leurs objections par les règles mêmes de
l'Eglise qu'ils croient violées ou méprisées;
c'est le sujet de la seconde partie.
SECOXDE PARTIE.
Les ennemis de la dévotion du montCar-
mel ne veulent point passer pour les enne-
mis du culte de Marie; s'ils n'osent s'expli-
quer sur ce que l'Eglise a décidé, ils se sou-
lèvent avec zèle contre les prétendus abus
qui se sont glissés dans ses dévotions et ses
solennités; ils combattent ouvertement; ils
s'expliquent obscurément. Ecoutez-les, Mes-
sieurs, lorsqu'il s'agit du saint Scapulaire.
Dans cetle dévotion, disent-ils, on attri-
bue trop de puissance à Marie; on flatte trop
les pécheurs; on donne trop aisément dans
les révélations et le merveilleux. Voilà leurs
objections. Ne dirait-on pas, Messieurs, qu'ils
nous tracent ici le portrait de ces dévotions
superstitieuses, qui naissent dans l'erreur,
qui séduisent les peuples, contre lesquelles
«81 PAJSEGYRiQEES.
tous les évêques réclament, et que l'Eglise
'proscrit ? Je ne pourrais pas mieux le carac-
tériser. Mais les trouve-t-oti, ces abus que
Terreur enfante, et que la résistance perpé-
tue dans la dévotion de mont Carmel? Non,
Messieurs, les honneurs qu'elle rend à Marie
sont conformes à la doctrine de l'Eglise ; les
promesses qu'elle fait aux pécheurs ne dé-
truisent point la sévérité de l'Evangile, ni les
règles de la pénitence. Elle ne s'est point
établie, étendue contre l'ordre des pasteurs
légitimes; c'est une dévotion éclairée, utile,
autorisée.
Prouver, Messieurs, ces trois circonstan-
ces, n'est-ce pas détruire les objections des
ennemis du saint Scapulaire par les règles
mêmes de l'Eglise qu'ils croient violées ou
méprisées?
Rien de plus religieusement et de plus
exactement observé, Messieurs, dans notre
culte et dans nos solennités, que la règle de
la foi. Nous avons toujours désavoué les abus
que Je peuple y a introduits. L'Eglise sage
et attentive a toujours réclamé contre : elle
n'a vu qu'avec douleur ses mystères, ses sa-
crements, ses fêtes, ses fonctions déshonorés,
et quelquefois profanés par l'ignorance ou la
cupidité de ses enfants ; elle a vu. les avanta-
ges que ses ennemis en tiraient, elle s'est
expliquée dans les conciles. Elle a distingué
dans ses prières les plus communes le culte
du souverain Etre de celui qu'elle rend aux
justes qu'il a couronnés; elle a toujours re-
f fardé Dieu comme le principe des grâces, et
es saints comme les canaux par où il voulait
bien les faire couler jusqu'à nous; et quand
elîe s'adresse à Marie même, dans les plus
saints transports de sa piété, elle n'emploie
que la voie d'intercession. Telle est son exac-
titude surle culte ; telle est la doctrine qu'elle
enseigne à ses enfants ; mais elle ne pousse
pas sa délicatesse jusqu'à alarmer les fidèles
sur les expressions tendres de la piété, et
c'est, Messieurs, cette tendre piété de l'Eglise
qui soulève les ennemis de notre dévotion
envers la mère de Dieu: écoutez-les, je vous
prie.
Nous sommes coupables dans les louanges
que nous donnons à Marie : coupables dans
les prières que nous récitons, coupables dans
les termes que nous employons; nos louan-
ges sont outrées, nos prières présomptueuses,
lés termes dont notre dévotion tendre se
sert, peu conformes à la précision delà théo-
logie. 11 fallait donc, Messieurs, ces grandes
lumières, pour faire connaître à l'Eglise les
erreurs qu'elle tolère depuis plus de cinq
cents ans dans la dévotion du mont Carmel.
Seraient-ils si délicats, Messieurs, sur les ex-
pressions s'ils honoraient véritablement la
sainte Vierge? Maisquelle gloire pour nous,
et quelle honte pour eux, si je leur montre
que nous marchons sur les traces des plus
zélés défenseurs de la saine doctrine; si je
prouve que l'Evangile justifie les louanges
que nous adressons à Marie; les conciles gé-
néraux et les plus beaux monumentsde l'his-
toire de l'Eglise, les prièresque nous récitons;
saint Augustin, le grand Augustin, les ex-
PANEG. IX , N.-D. DE MONT CARMEL.
182
pressions que notre piété emploie ! Or, Mes-
sieurs, c'est ce qu'une simple exposition va
vous démontrer. Je ne sors point, comme
vous voyez, de la vénérable antiquité, pour
prouver que nous n'attribuons pas trop de
puissance à Marie dans notre culte, et dé-
truire la première objection de nos ennemis.
Oui, Messieurs, l'Evangile, ce livre divin,
justifie les louanges que nous donnons à Ma-
rie ; lui seul la loue avec la magnificence qui
lui convient; il nous fait connaître notre im-
puissance lorsque nous entreprenons de la
louer; il nous force d'avouer avec saint Ber-
nard, que les éloges les plus pompeux sont
au-dessous d'elle; et qu'il n'appartient qu'à
Dieu seul de louer dignement le chef-d'œu-
vre desa puissance.
Je ne parle point du sang illustre qui a
coulé dans ses veines, de ces patriarches, de
ces prophètes, de ces rois d'Israël et de Juda,
de ces pontifes qu'elle compte parmi ses an-
cêtres, de ce trône éclatant qu'Hérode lui
avait usurpé; ce sont là les grandeurs de la
terre auxquelles ou donne souvent des louan-
ges ou#ées; mais je dis aussi avec l'Evangile;
c'est la mère de Jésus : de quu notas est Jé-
sus. [Mat th., I.) Or, Messieurs, peut-on en-
chérir sur ces paroles, et toutes les expres-
sions les plus magnifiques que la piété peut-
avoir épuisées pour louer Marie, ne sont-
elles pas au-dessous de celles de l'Evangile :
Quand on est véritablement persuadé que la
sainte Vierge est absolument mère de Dieu,
craint-on d'être outré dans les louanges qu'on
lui donne?
Quand je parle des saints, de ces fameux
héros de la religion, qui ont paru comme
des astres brillants, de ces élus que Dieu a
conduits d'une manière si admirable et si
mystérieuse ; qu'on a vus comme des pro-
diges sur la terre, et qui ont effacé la gloire
des empires par l'éclat de leurs vertus, et
les effets merveilleux de leur puissance : je
parle simplement d'une certaine portion
de grâces qui les a prévenus, sanctifiés et
élevés en gloire; mais quand je parle de
Marie, je dis qu'elle a reçu toute la pléni-
tude de la grâce, et qu'elle possédait avec
abondance ce qui n'a été donné aux autres
qu'avec réserve : gratia plena (Luc, I.) Les
louanges que je donne à Marie doivent donc
être différentes de celles que je donne aux
saints.
Je pourrais, il est vrai, louer trop les
saints, mais je ne pourrais jamais assez louer
Marie ; et si je reconnais avec le Prophète
que Dieu est admirable clans ses élus, ne
dois-je pas reconnaître qu'il est au-dessus
de nos pensées lorsqu'il s'agit de la sainte
Vierge.
Quand je parle des prérogatives de Marie,
de ses privilèges singuliers, de ces dons
éminents qui la distinguent des hommes et
des anges mêmes; quand j'avance qu'elle est
la gloire de son sexe, et qu'elle a reçu plus
de faveur de son Dieu que toutes les créatu-
res ensemble, je parle encore d'après l'Evan-
gile : benedicta lu inter muliercs. (Ibid.) Oui,
Messieurs, que la piété la plus tendre s'ef-
4S3
ORATEURS SACRES. BALLET.
1S4
force tant qu'elle -voudra, les louanges qu'elle
donnera à Marie seront toujours au-dessous
de celles qui lui conviennent ; pourquoi donc
nos ennemis les appellent-ils des louanges
outrées?
Je passe, Messieurs, au concile d'Ephèse,
ce beau monument de l'histoire de l'Eglise,
pour nous justifier sur les prières que nous
récitons. Je sais, Messieurs, ce que les pro-
testants, et les critiques qui marchent sur
leurs traces, pensent et disent sur ce concile,
et le grand saint Cyrille qui y présida ; et je
n'en suis pas étonné, puisque tous les Pères
qui le composaient étaient autant de zélés
défenseurs des prérogatives de Marie, et
d'ennemis déclarés de l'impie Nestorius. Us
ne respectent l'autorité des conciles que
lorsqu'elle n'existe point ; mais ce n'en est
pas moins le plus beau triomphe que Jésus-
Christ ait procuré à sa mère. C'est dans cette
majastuouse assemblée, Messieurs, que l'E-
glise composa cette excellente prière que l'on
a ajoutée aux paroles de l'ange, qui an-
nonça à Marie l'ineffable mystère de l'incar-
nation ; prière, Messieurs, dans laquelle elle
est déclarée solennellement mère de Dieu,
mater Dei; et dans laquelle, aussi, bien que
dans les promesses faites aux confrères duSca-
pulaire, les Pères du concile implorent sa
puissante protection au moment décisif de la
mort. Or, Messieurs, si toutes les prières
que nous récitons ne sont pas plus fortes
que celle qui a été composée par les Pères
du concile d'Ephèse, pourquoi dire qu'elles
sont présomptueuses?
Que je me plairais à vous représenter ici
la tendre piété du peuple d'Ephèse pour la
sainte Vierge ; cette sainte impatience avec
laquelle il attend aux portes du concile les
décisions de l'Eglise; cette pieuse allégresse
lorsqu'il apprend que Nestorius a été con-
damné, et que les plus belles prérogatives
de Marie ont été reconnues ; ces actions de
grâces, ces acclamations, ces fêtes solennel-
les, ces feux do joie 1 Jamais, Messieurs, les
hérétiques ne gagneront les fidèles en se sou-
levant contre Marie.
Paraissez ici, grand Augustin, pour nous
justifier sur les termes dont notre piété ten-
dre se sert. L'Eglise vous a couronné de sa
l'Eglise
n'est pas sujette à la précision d'une exacte
théologie. Non, Messieurs; mais on ne vent
pas avouer que c'est par goût qu'on combat
la dévotion à la sainte Vierge.
Je ne choisis pas, comme vous voyez,
Messieurs, les Pères de l'Eglise qui ont con-
sacré presque tous leurs ouvrages au culte
de la mère de Dieu, les Ambroise, les An-
selme, les Bernard; nos ennemis pourraient
les appeler des dévots outrés de Marie; mais
celui que les chefs mêmes des protestants
citaient avec tant d'ostentation, et respec-
taient si fort en apparence. Oui, Messieurs,
notre dévotion est une dévotion é .lairée, une
dévotion utile, et je détruis les objections
de nos ennemis par les règles de
même qu'ils croient violées ou méprisées
C'est ici, Messieurs, que les ennemis de
la dévotion du mont Carmel paraissent avec
un air de triomphe : c'est ici qu'ils parais-
sent animés d'un saint zèle pour la sévérité
de la pénitence : les magnifiques promes-
ses faites par la mère de Dieu au vénéra-
ble solitaire de l'Angleterre, l'étendue des
indulgences accordées par les souverains
pontifes les alarment; ils y trouvent un style
de fiction et une fiction si b'en imaginée,
qu'elle séduit non-seulement les peu] les,
mais les princes, les évoques, les papes,
toute l'Eglise; eux seuls se sont garantis
du charme du merveilleux. Ecoutez-les,
Messieurs, ils ne laissent échapper aucun
mot. On fait des promesses magnifiques, di-
sent-ils, aux confrères du Scapulaire, mais
dans ces promesses il n est point parlé d'aus-
térités, de pénitence, de mortification ; on
élargit la voie étroite : on rend la conquête
du ciel douce et facile : cet habit seul, si on
en croit la révélation, est une assurance du
salut, signum salulis .-une marque certaine
delà prédestination éternelle, fœdus pacti
sempiterni : que des hommes de chah" cou-
lent leurs jours dans le crime, et perpétuent
leurs désordres jusqu'au dernier moment do
leur vie, le Scapulaire les préservera, des
feux vengeurs préparés à ceux qui meurent
dans le péché : la mort, quoiqu' accompagnée
du crime, n'effrayera pas les dévots du mont
Carmel : In guo quis moriens œternum non
paiietur incendium ; n'étendent-ils pas, ajou-
propremain; tous les catholiques ont érigé tent-ils, ces indulgences et ces promesses
des trophées à vos ouvrages; et les héréti-
ques mêmes se sont servis de votre nom
comme d'un puissant rempart contre les
coups qui menaçaient ou frappaient leurs
erreurs. Pourquoi dans votre dix-huitième
sermon sur les saints, votre piété emploie-t-
elle des termes peu conformes à la précision
de la foi? Lorsque vous implorez le secours
de la sainte Vierge, ne pouvait-on pas aussi
vous accuser do regarder Mario comme la
source et le principe delà grâce? car ces ex-
pressions dont vous vous servez avec tant
de confiance, juva, succurre, semblent ex-
clure la voie d'intercession ;il n'y en a point
de plus fortes dans toutes les prières ôcs
confrères du Scapulaire : pourquoi donc les
accusert-on de manquer de lumière et d'exac-
titude? On n'ignore pas que la piété tendre
flatteuses jusqu'au oelà du tombeau? ils sa-
vent précisément le jour que Marie doit dé-
rober au domaine de Dieu les âmes qui sont
sorties dece monde redevables à sa justice.
De telles révélations, de telles indulgences
ne flattent-elles pas trop les pécheurs?
Je ne crois pas, Messieurs, qu'un protes-
tant puisse faire une plus forte objection.
Cependant je me flatte de la détruire, et de
vous prouver que dans ces promesses si
magnifiques, que dans ces indulgences si
étendues, il n'y a rien de contraire aux rè-
gles de l'Eglise et à la sévérité de la péni-
tence. Deux principes certains vont le
prouver.
Ces promesses vous étonnent, et moi j' m
trouve de plus étonnantes dans l'Evangile,
Entendez-les dans le même ?ens, et les taf-
185
PANEGYRIQUES. — PANEG. IX, N.-D. DE MOT CARMEL.
lf,G
flcultés disparaîtront; ces indulgences vous
révoltent. Laites attention aux: condit'ons
nécessaires pour en profiter, et vous ne serez
plus effrayés. Si on était sincère, on serait
bientôt soumis.
Ces promesses du salut, ce gage de la
gloire, ces ressources à la mort, toutes ces
grâces promises aux confrères du Scapulaire
supposent, Messieurs, une vie innocente,
une obéissance exacte à la loi de Dieu. C'est
dans ce sens que l'Eglise l'entend; c'est
dans ce sens que nous l'entendons ; c'est
sur ce principe que nous annonçons au peu-
ple ces promesses magnifiques qui alarmei t
si fort nos ennemis. Si nous les faisions à
ces hommes qui coulent leurs jours dans le
crime, qui violent les lois sacrées du Sei-
gneur, nous serions des téméraires et des
séducteurs.
Les saints docteurs, qui ont assuré qu'il
était impossible qu' un vrai serviteur de
Marie pérît éternellement, n'ont pas voulu
renfermer toutes les obligations du chrétien
dans la dévotion à la mère de Dieu.
Ecoutez, Messieurs, le grand Simon Stock,
lorsqu'il annonce à ses frères les promesses
magnifiques que la sainte Vierge lui a faites
immédiatement. Voyez si les saints pren-
nent le change, et si ies plus grandes faveurs
sont capables de ralentir; leur pénitence.
Mes frères, leur dit-il, voilà des promesses
bien consolantes ; mais elles supposent en
nous une saintet'é de vie qui réponde à ces
faveurs singulières; opérez toujours votre
salut avec crainte et tremblement. Le Scapu-
laire ne décharge d'aucun devoir de la reli-
gion ; aucontraire, il en impose un nouveau,
c'est d'être plus parfait que les autres. Vous
voyez ici, Messieurs, le premier esprit des
religieux du mont Carmel ; il ne détruit
point les règles de l'Eglise : ce môme esprit
a toujours arrimé les serviteurs de Marie.
Ces promesses magnifiques supposent les
devoirs essentiels au salut.
Ecoutez, Messieurs, différents oracles de
Jésus-Christ dans l'Evangile : ce sont des
promesses magnifiques qui semblent assurer
le salut, indépendamment des œuvres né-
cessaires, selon les règles de la foi : tantôt
Jésus-Christ nous donne pour des prédes-
tinés eeux qui entendent sa parole : qui ex
Deo est, veroa Dci audit (Juan., VIII) ; tantôt
il semble nous faire entendre qu'il suffit de
croire pour être sauvé : qui crediderit, sa'va-
bitur; tantôt il promet de se réconcilier avec
nous, si nous nous réconcilions avec nos
frères, dimittiléct diirdtteturvobis. (Luc.,\l.)
Or, Messieurs, ces promesses, toutes ma-
gnifiques qu'elles sont et sorties delà bou-
che d'u,n Dieu, ne supposent-elles point
d'autres devoirs? Tirera-t-on ces consé-
quences affreuses qu'il suffit d'entendre un
sermon, de croire toutes les vérités révélées,
de faire l'aumône, de pardonner une injure
pour être sauvé? Cependant je pourrais trer
ces conséquences (ies promesses de l'Evan-
gile; on en aurait ho;rcur : pourquoi les
' faire sonner si haut lorsqu'il s'agit de la dé-
votion ciu mont Carmel?
Qu'on ne dise pas que les peuples sim-
ples et ignorarrts ne raisonnent pas a:nsi :
que ces promesses les flattent et les sédui-
sent, et qu'ils abandonnent l'essentiel de la
religion; les ennemis du Scapulaire } eu-
vent-ils ignorer que ces indulgences si
étendues, et qui les révoltent tant, n'ont ja-
mais été annoncées sans les avis nécessaires
pour en profiter? On a toujours averti les
fidèles qu'elles ne détruisaient point la sé-
vérité de la pénitence. Ecoutez, Messieurs,
les souverains porrtiles.
Nous n'accordons, disent-ils, ces indul-
gences si étendues, nous ne promettons la
protection de la mère de Dieu , qu'à ceux
qui ont une véritable contrition, et qui con-
fessent avec sincérité tous leurs péchés :
vere centrilis et cenfessis : voilà une condi-
tion essentielle ; où sont-elles donc ces pro-
messes flatteuses qui détruisent la sévérité
de la pénitence? Où sont-ils donc, ces ] é-
cheurs que l'on flatte, que l'on dispense des
règles de l'Eglise? Que ceux qui font ces
objections disputent à l'Eglise le pouvoir
d'accorder des indugences, ou qu'ils avouent
qu'ils ignorent ce que c'est qu'une véritable
contrition.
Si l'Eglise a le pouvoir d'imposer des ri-
gueurs, et d'accorder des indulgences com-
me tous les saints docteurs, et les conciles
en conviennent, on ne peut donc s'alarmer
que sur les conditiorrs qu'elle exige. Or, la
plus sainte, la plus conforme à l'esprit de la
primitive Eglise, n'est-ce pas la contrition?
Le souverain pontife en demande une sin-
cère, pour mériter les indulgences accordées
à l'ordre du mont Carmel : il ne délruit donc
point la sévérité de la | énilence. Il y a des
indulgences très-étendrres : mais pour qui?
Pour ceux qui, prosternés aux pieds des mi-
nistres de la réconciliation, détestent leurs
péchés, les pleurent, les confessent et se
soumettent à la pénitence qu'on leur' impose :
vere rontritis et confessis.
J'ai dit, Messieurs, que, dans la dévotion
du mont Carmel, on ne diminuait rien de la
sévérité de la pénitence, en voici une preuve
sans réplique.
Que peuvent désirer les confesseurs les
plua sévères, ceux même qui, pour suivre-
un système particulier, multiplient tant les
degrés de la pénitence? une vraie contrition.
C'est pour s'en assurer qu'on ne précipite
pas la grâce de l'absolution , et qu'on a re-
cours àue salutaires délais : on suitdoneces
maximes sévères de la pénitence, dans les
indulgences qu'on accorde aux fidèles, puis-
qu'on n'en promet les salutaires effets qu'à;
ceux qui sor.t sincèrement contrits, vere-
ccnlritis. Qu'on ne dise donc plus qu'on
flatte trop le pécheur; un homme contre
n'est plus simplement un pécheur, c'est un
pénitent. Mais achevons, Messieurs, détrui-
sons la dernière objection; ne craignons
point l'examen des merveilles que nous
prêchons, elles sont autorisées par l'Eglise :
noub nous conformons à sa doctrine dans les
honneurs que nous rendons à Marie, nous
ne détruisons point sa sainte sévérité, dans
187
ORATEURS SACRES. CALLET.
483
les promesses q :e nous faisons au pécheur :
el c'est sous ses ordres que nous formons
ces pieuses assemblées; notre dévotion est
une dévotion autorisée.
Qu'est-ce qu'une dévotion, Messieurs,
qui n'est pont autorisée? C'est une dévo-
t on du goût du peuple, imaginée par le
peuple, soutenue, accréditée par le peuple :
c'est un certain merveilleux qui n'existe
que dans l'imagination échauffée de certai-
nes personnes sans nom, sans autorité, sans
lumières : c'est un culte proscrit par l'Egli-
se, contre lequel tous les évoques ré binent.
Les annales de l'Eglise nous fournissent
des exemples fameux de ces dévotions du
peuple, elles nous apprennent qu'elles de-
vaient leur naissance quelquefois à l'impos-
ture, quelquefois à l'adresse des hérétiques,
quelquefois au zèle indiscret de certains
dévots ignorants : il n'a pas fallu moins que
le zèle des plus grands évêques, pour dissi-
per ces sacrilèges abus, etôter les opprobres
qu'ils avaient répandus sur la religion.
Qu'est-ce qu'une dévotion autorisée, Mes-
sieurs? C'est une dévotion conforme à la
doctrine de l'Eglise, adoptée par l'Eglise,
soutenue, recommandée par l'Eglise, contre
laquelle aucun évêque catholique ne ré-
clame. Telle est, Messieurs, la dévotion du
mont Carmel que je prêche aujourd'hui.
La voix de l'Eglise a précédé la voix des
miracles : les miracles nous annoncent sa
grandeur : l'Eglise nous annonce son au-
thenticité : la voix de l'Eglise nous garantit
la voix des miracles.
Ecoutons-la donc, Messieurs, cette voix de
l'Eglise qui annonce et publie la dévotion
du mont Carmel : nous admirerons après les
miracles : l'ordre demande que l'Eglise pré-
cède : elle a parlé par la bouche de dix-sept
souverains pontifes.
Elle a parlé parles applaudissements de
tous les évoques catholiques. Depuis plus
de cinq cents ans, cette dévotion règne pai-
siblement à l'ombre du saint siège: elle a
des temples, des autels; ses solennités sont
pompeuses et ses fêtes éclatantes, elle n'est
troublée par aucune autorité légitime: ceux
qui la combattent se tournent du côté des
fables, et les opprobres dont ils ont voulu la
couvrir sont retombés sur eux.
L'Eglise, Messieurs, après nous avoir
avertis solennellement qu'elle adoptait la dé-
votion du mont Carmel, nous a garanti dans
la suite les miracles opérés en faveur des
confrères du Scapulaire.
Vous dirai-je, Messieurs, que la France et
l'Espagne ont été les théâtres de ses mira-
clés, qu'ils ont été opérés sous les veux des
plus grands monarques et des plus grands
prélats? Vous dirai-je qu'une formidable ar-
mée a vu ces prodiges, et qu'on en avait
autant de témoins qu'il y avait de combat-
tants ?
N'attendez pas de moi, Messieurs, un récit
exact de toutes les merveilles que Dieu a
opérées en faveur de ceux qui portent le saint
Scapulaire avec l'innocence de vie qui' lui
convient. Ici, semblable au corps d'Elisée,
il ressuscite les morts par t on seul attouche-
ment; là des embrasements considérables
sont éteints tout à coup, et il seconserve au
milieu des flamme', comme ce buisson
merveilleux que vit Moïse: tantôt on trouve
sous les tristes restes d'un effroyable incen-
die, des personnes que les brasiers avaient
vec pu-
îs plus
violentes tempêtes et les plus effrayants nau-
respectées, parce qu'elles portaient avei
reté ce saint habit : tantôt dans les plu
frages, on a vu les flots respecter les servi-
teurs de Marie.
Sur la mer et sur les rivières, ils étaient
portés avec une sorte de vénération, et pré-
servés d'une mort certaine.
Point d'abîmes si | rofonds , point de pré-
cipices si affreux, où les confrères du mont
Carmel n'aient éprouvé la bonté et la puis-
sance de Marie. On les a vus, lorsqu'ils tom-
baient , suspendus en l'air et retenus j ar
une main invisible.
On sait, Messieurs, qu'au dernier siège
de Montpellier, sous les yeux mômes de
Loui-i XIII, une balle perça les habits d'un
soldat, s'arrêta comme par respect et s'a-
mollit en touchant le saint Scapulaire : on
sait que, quelque subtil que soit le feu du
tonnerre, il a perdu souvent toute son acti-
vité et sa violence sur ceux qui étaient re-
vêtus de ce saint habit. Voilà donc, Mes-
sieurs , la voix des miracles qui suit la voix
de l'Eglise en faveur de la dévotion du
mont Carmel : c'est donc une dévotion au-
torisée.
Persuadés, Messieurs, de la grandeur et
des avantages de la dévotion du mont Carmel ,
ne la rendons pas inutile par une vie cri-
minelle; nous ne plairons jamais à la sainte
Vierge, si nous ne sommes pas agréables à
son fils. Tous ceux qui diront : Seigneur,
Seigneur, n'entreront point dans le ciel :
tous ceux qui invoquent souvent la sainte
Vierge ne seront pas sauvés. Il faut joindre
au caractère de chrétien des vertus chré-
tiennes ; il faut joindre au titre de serviteur
de Marie une vie pure et innocente : cette
dévotion n'élargit point la voie du ciel , elle
nous aide à y marcher. Marchons-y avec
amour, avec courage et avec persévérance,
pour arriver au séjour de l'éternité bien-
heureuse, que je vous souhaite. Ainsi
soit-il.
PANÉGYRIQUE X.
SAINT HILAIRE, ÈVEQUE DE POITIERS ET DOC-
TEUR de l'église,
Prononcé dans l'église paroissiale de son
nom , à Paris, le 13 janvier 1732.-
Slabit et pasrpt in fortiludine... in siibliniit.il», pt ma-
gnifleabitur usque ad termiaos torrae. (Midi., V.)
// demeurera ferme, et il paîtra son troupeau dans la
force du Seigneur avec sublimité, cl il éclatera jusqu'aux
extrémités du inonde.
C'est sous ces termes symboliques et ces
magnifiques expressions que le prophète
annonce à Jérusalem désolée , le Sauveur
des hommes. En lui parlant ligurémenl. de
cette scène qui allait consommer toutes les
autres, c'est-à-dire, de la chute humiliante
489
PANEGYRIQUES. — PANEG. X, SAINT ML. VIRE DE POITIERS.
190
de l'idolâtrie, de ces ennemis j uissants qui
devaient l'assiéger, la piller, désoler ses
habitants et la faire plier honteusement sous
le joug des vainqueurs, il annonce au milieu
de tous ces malheurs Jésus-Christ : il dé-
peint avec magnificence son zèle tout divin,
la sublime doctrine qu'il doit enseigner, et
ses succès miraculeux • Pascct in fortitudine
in sublimitatè, et magnificabitur usque
ad 1er mina s terrœ.
Je dois vous représenter aujourd'hui,
Messieurs, un des plus zélés défenseurs de
la divinité de Jésus-Christ; un homme qui
s'opposa au progrès d'une hérésie furieuse
et accréditée, aux édits injustes des em-
pereurs ariens, aux intrigues et aux ca-
bales de la cour de Constance, aux arti-
fices des hérétiques les plus fins, aux déci-
dions de leurs conciliabules , aux pièges
qu'on tendait aux catholiques ; que les solli-
citations ne purent jamais flatter ni amollir;
que les menaces n'intimidèrent point; qui
professa la loi de Nicée dans l'orient et dans
l'occident , qui la prêcha dans la Phrygie ,
qui la conserva dans les Gaules.
En un mot, je dois vous faire l'éloge du
grand saint Hilaire de Poitiers. Pouvais-je
choisir d'autres traits pour caractériser la
fermeté de son zèle, la sublimité de ses ta-
lents , la gloire de ses succès , que ceux que
le prophète emploie pour dépeindre son
divin maître : Poucet in fortitudine in
sublimitatè, et magnipcabitur usque ad ter-
minos terrœ.
Vous allez donc voir un zèle que la fureur
des hérétiques n'a pu retenir; une supério-
rité de talents, que les hérétiques ont été
forcés de respecter; des succès que les hé-
rétiques n'ont pu empêcher.
Majestés de la terre, empereurs de l'Orient
et de l'Occident, Hilaire n'a pas appréhendé
l'éclat de vos couronnes ni redouté vos in-
justes édits. Vous attaquez Jésus-Christ , il
vous attaque, il ne manque point à ce qu'il
doit à vos i ersonnes sacrées, mais il ne veut
point non plus manquer à ce qu'il doit à la
religion sainte qu'il professe : si son zèle
vous étonne, pensez qu'il est évêque.
Superbes ariens, trop protégés à la cour
des empereurs que vous avez séduits par
vos professions de foi équivoques, pour
opprimer les peuples, apprenez que les ca-
tholiques souffrent les persécutions, mais
qu'ils ne les excitent jamais. En vain mettez-
vous votre confiance dans les maux qui me-
na ent leurs jours, dans vos conciliabules,
dans vos assemblées tumultueuses , dans
des termes obscurs et enveloppés , qui vous
laissent des ressources pour changer sans
honte , lorsque le gouvernement changera ;
les lumières d'Hilaire découvrent le plan
odieux de votre secte obstinée.
Et vous, Eglise de France toujours pure
dans la foi , Eglise gallicane toujours alar-
mée à la moindre nouveauté. C'est le grand
saint Hilaire qui vous a préservée deTaria-
nisme , ce monstre qui étendait ses ravages
dans plusieurs royaumes et dans plusieurs
empires. Ne craignons donc point d'ériger
des trophées à la gloire de ce grand défen-
seur de la consubstantialité du Verbe et de
la foi de Nicée. Son zèle, ses talents, ses
succès nous fournissent un champ vaste
d'événements intéressants d'actions héroï-
ques, de scènes édifiantes; ils formeront
aussi le plan de ce discours. Implorons,
avant que de développer ces trois grands
traits de sa vie, les lumières du Saint-Es-
prit, par l'intercession de Marie. Ave, Maria.
PREMIERE PARTIE.
I! faudrait, .Messieurs, pouvoir vous re-
présenter l'état déplorable de l'Eglise de Jé-
sus-Christ, lorsque Hilaire fut élevé sur le
siège de Poitiers, pour vous donner une juste
idée de son zèle.
Les impiétés d'Arius, soutenues par plu-
sieurs évoques, favorisées 'par les majestés
de la terre, accréditées par des conciliabules
sans nombre, enveloppées sous tant de pro-
fessions équivoques , insinuées dans les
cours des empereurs, par les ressorts de la
plus fine politique, protégées par les impé-
ratrices et les femmes puissantes, toujours
éprises des charmes de la nouveauté; détes-
tées par les catholiques opprimés et gémis-
sants dans les fers et dans les exils ; adoptées
par des hommes ambitieux qui triomphaient
à la vue de leurs succès; les évêques ortho-
doxes bannis de leurs sièges, les ariens en
possession des plus grandes Eglises : voilà,
Messieurs, ce que vit Hilaire dès qu'il fut
placé sur le chandelier de l'Eglise; voilà les
ravages qu'il aperçut dans la famille du Sei-
gneur. Les orages et les tempêtes qui agi-
taient la nacelle de Pierre, les séductions
qui ébranlaient les catholiques, les dangers
qui menaçaient la foi.
A la vue de tant de maux, son zèle s'al-
lume, il parle, il écrit, il exhorte. Les succès
de l'hérésie, la fureur des hérétiques, l'auto-
rité des empereurs qui les protègent, rien
n'arrête son zèle. Vous le verrez s'opposer
avec fermeté aux progrès d.e l'arianisme,
attaquer avec une sainte hardiesse les plus
célèbres ariens, parler avec une liberté épis-
coj aie aux empereurs qu'ils ont séduits.
C'est ainsi, ô mon Dieu ! que vous suscitez
dans votre Eglise des docteurs, pour la dé-
fendre et maintenir la pureté de sa doctrine.
Les plus furieuses hérésies n'ont jamais pu
la rendre méconnaissable; le grand concile
de Nicée a toujours fait et fera toujours la
honte des assemblées ariennes. Le grand
Athanase dans l'Orient, le grand Hilaire dans
les Gaules, sont les défenseurs de sa foi et de
ses décisions.
Quelle foule d'objets intéressants se pré-
sentent à mon imagination 1 pue de scènes
différentes nous fournit l'histoire de l'Eglise I
Quelle hérésie 1 quels hérétiques ! quels
princes vais-je retracer à vos yeuxl De quel
temps vais-je parler 1 de quels malheurs
vais-je vous faire ressouvenir ! S'ils vous
touchent, Messieurs, vous admirerez davan-
tage la sagesse de notre Dieu qui a suscité
Hilaire pour s'opposer, comme un mur d'ai-
rain, à toutes ces entreprises de l'enfer; et
191
ORATEURS SACRES. BALLET.
102
vous verrez avec satisfaction un pasteur qui
nourrit son peuple de la saine doctrine et
qui écarte avec fermeté les hommes de men-
songe et les loups ravissants : Pascet in for-
titudine.
Quelle hérésie, Messieurs, que celle qui
désolait l'Eglise, lorsque saint Hilaire parut
sur le siège de Poitiers 1 Vous le savez, l'hé-
résie arienne, les impiétés d'Arius, cet homme
dont l'orgueil empoisonna les plus belles
qualités et les plus grands talents, qui avait
un génie vaste, une imagination brillante,
beaucoup d'étude et beaucoup de facilité;
qui possédait le fond der;la philosophie pla-
tonicienne et les subtilités de celle d'Aristote,
et qui était en état de remplir les plus grandes
placés, s'il ne les eût pas briguées avec tant
d'indécence; cet homme qui, appuyé des
deux Eusèbe, ces deux héros de l'arianisme,
troubla toutes les Eglises, séduisit une mul-
titude d'évêques, se fit des protecteurs jus-
qu'à la cour même du grand et magnanime
Cunstantin, agita toute la terre, trompa les
empereurs, cacha ou publia ses erreurs, se-
lon les temps ou les circonstances; à qui les
mensonges et les différentes professions de
foi ne coûtaient rien, et que le ciel enfin ir-
rité de tant de forfaits extermina honteuse-
ment de la société dans le moment qu'il
allait, à la faveur de ses parjures, jouir du
plus beau triomphe qui fût jamais.
Les impiétés de ce malheureux avaient
fait de funestes progrès, Messieurs, lorsque
Hilaire entreprit de les confondre. De vastes
empires, de grands royaumes, l'orient et
l'occident, les grands et les peuples en
étaient infectés; plusieurs évoques les dé-
fendaient.
Mais la chute ne fut point générale : le plus
grand nombre des premiers pasteurs fut
fidèle; Jésus-Christ a toujours assisté son
Eglise; elle n'a jamais été méconnaissable.
On pouvait toujours dire : adressez-vous à
l'Eglise : die Ecc'.esiœ. Elle est toujours vi-
sible et toujours dépositaire de la vraie doc-
trine; on voulut faire passer l'univers pour
arien, dit saint Jérôme; mais l'univers en
fut surpris, et il détesta toujours l'aria-
nisme.
Rome, toujours pure dans sa foi, le con-
damna, Hilaire et les évêques des Gaules ne
voulurent jamais communiquer avec Satur-
nin, Ursas et Valens. Et il a vu avec joie dans
son exil plusieurs évêquesde l'orient soumis
à la foi de Nicéc : témoin cette profession de
foi qu'il envoie dans les Gaules au nom des
évêques de toutes les provinces voisines de
la Phrygie. Or, c'est à ces milliers d'évoqués
catholiques, pour me servir des expressions
de saint Augustin, que notre saint docteur
parle. Ce sont eux qu'il anime à combattre
les impiétés d'Arius, et qu'il appelle au se-
cours de l'Eglise. Que tous les évêques
fassent retentir leur voix, dit-il, dans ce
temps de séd uction : Clament pas tores. Vo vez,
Messieurs, son zèle pour la consubstantiàlité
du Verbe.
Vous savez les outrages que cette abomi-
nable hérésie faisait au Fils de Dieu, au Verbe
éternel. Ce divin Sauveur n'était pas, selon
l'impie Arius, égal à Dieu, émané de sa sub-
stance, éternel, tout-puissant, immuable
comme lui. Ces blasphèmes avaient révolté
d'abord; mais ils eurent ensuite un cours
prodigieux dans l'Orient, parce qu'on les
enveloppa sous des expressions équivoques
qui cachaient l'impiété, mais qui n'établis-
saient pas la consubstontialité du Verbe re-
connue dans le concile général de Nicée;
c'est, Messieurs, cette expression sainte qui
distingua toujours les catholiques des ariens,
que saint Hilaire défendit avec zèle. 11 ne
faut que jeter les yeux sur ses ouvrages : on
y découvre des preuves de la divinité du
Verbe qui confondent les ariens.
Saint Hilaire oppose aux ariens trois té-
moignages de l'Evangile, pour prouver la
divinité de Jésus-Christ et repousser leurs
horribles blasphèmes. Le témoignage du
Père éternel, qui déclare que Jésus-Christ
est son fils; le témoignage de Jésus-Christ,
qui déclare que son Père et lui ne font qu'un ;
le témoignage de ses miracles qui attestent
sa divinité.
Voyez, Messieurs, avec quel zèle, avec
quel feu, avec quelle habileté il développe
ces trois fameux oracles qui détruisent la
doctrine des ariens. On ne voit pas, Mes-
sieurs, dans ceux qui défendent la foi ortho-
doxe ces détours, ces artifices, ces distinc-
tions, ces variations, ces expressions enve-
loppées,.cet abus des Ecritures qui fait toute
la ressource des hérétiques. Rien de plus
clair, de plus solide, de plus constant, de
plus universellement reçu, que ce que disent
les catholiques, que ce qu'ils opposent, que
ce qu'ils prouvent. Ecoutez saint Hilaire,
lorsqu'il établit la divinité de Jésus-Christ.
Arius, dit-il, assure dans sa doctrine que
Jésus-Christ n'est pas égal à Dieu et émané de
sa substance, et le Père éternel crie du haut du
ciel que Jésus-Christ est son fils bien-aimé:
Clamât, Hic est filius meus dilectus. (Matth.,
131.) C'est du trône de sa gloire qu'il fait en-
tendre cette voix, qu'il rend ce témoignage
éclatant à son fils ; elamat. Le ciel s'ouvre ,
les vêtements de Jésus-Christ deviennent
plus blancs que la neige, son visage plus
brillant que le soleil; la montagne du Tha-
bor est environnée d'une gloire éblouissante :
Pierre, Jacques et Jean sont témoins de ce
spectacle ravissant; Elie et Moïse attestent
la grandeur de leur maître, et dans ce ma-
jestueux appareil, le Père éternel fait en-
tendre sa voix : il annonce que Jésus-Chrb-t
est son fils bien-aimé; il le donne pour
maître : Clamât, Hic est filius meus dilectus.
Comment l'impie Arius, dit saint Hilaire,
osc-l-il avancer qu'il n'est pas Dieu, égal à
son Père, et émané de sa substance?
Arius assure que le fils de Dieu est infé-
rieur à son père ; qu'il n'est pas fils de Dieu
et Dieu-même, si ce n'est par participation;
et Jésus-Christ assure dans l'Evangile que
lui et son père ne font qu'un : Clamât filius,
]i(/o et pater unum sumus. (Joan , X.)
Ecoutez l'impie Arius, dit saint Hilaire,
écoutez Jésus-Christ, entendez cet oracle, et
PANEGYRIQUES. - PANEG. X, SAINT HILAIftE DE POITIERS.
rougissez de vos blasphèmes; et si vous no
vouiez pas écouter ce divin Sauveur, qui est
la vérité éternelle, croyez du moins aux
œuvres qu'il a opérées, lui-même vous en
conjure dans l'Evangile : Clamât, Operibus
meis crédite. (Joon., X.) lia multiplié les pains
dans le désert, il a guéri les malades, redressé
les boiteux, éclairé les aveugles, fait entendre
les sourds et parler les muets; à sa voix les
paralytiques ont marché, les lépreux ont été
nettoyés, les morts sont sortis des tombeaux,
les démons ont quitté les corps qu'ils possé-
daient, les tempêtes ont été calmées, toute
la nature soumise lui a obéi. C'est par ces
œuvres merveilleuses qu'il vous rappelle
pour vous prouver sa divinité : Clamât, Ope-
ribus meis crédite.
Si les abaissements de son humanité et les
opprobres qu'il a bien voulu souffrir pour
nos péchés vous révoltent, croyez à tous les
traits éclatants qu'il a laissé échapper dans
les plus grandes humiliations. C'est lui-même
qui vous conjure d'y faire attention : Clamai,
Operibus meis crédite.
Voyez ce spectacle de gloire qui relève ses
abaissements aux pieds de Jean-Baptiste sur
les bords du Jourdain, et écoutez la voix du
Père éternel qui atteste sa divinité. Voyez
les anges qui le servent dans le désert, et la
confusion du tentateur qui osa le tenter; ce
sang qu'il répand volontairement dans le
jardin des Oliviers, et l'intérêt que le ciel
prend à son innocence; cet:e puissance avec
laquelle il renverse d'une seule parole la
troupe furieuse qui veut se saisir de lui; ce
silence qui confond ses juges, et en fait des
défenseurs de son innocence ; ces oracles
qu'il prononce sur la croix, ces jugements
de sévérité et de miséricorde qu'il exerce,
ces miracles qui s'opèrent à sa mort, ce bou-
leversement de toute la nature, cette voix
forte qu'il fait entendre avant d'expirer; ces
hommages que plusieurs rendent à sa divi-
nité, cette profession solennelle de la foi du
centurion qui, malgré les opprobres du Cal-
vaire, s'écrie : C'est véritablement le fils de
Dieu : Hic vere filius Dei erat (Matih.,
XX.VII); la gloire de son tombeau et la vé-
rité de sa résurrection, voilà les merveilles
qu'il a opérées, voilà les traits de divinité
qu'il a laissé échapper dans ses abaissements
mêmes. Faites-y attention, impie Arius, et
vous conviendrez qu'il est Dieu : Clamât,
Operibus meis crédite.
C'est ainsi, Messieurs, que le grand Hi-
laire détruit la doctrine des ariens par ces
grands traits, ces preuves solides qui établis-
sent la divinité de Jésus-Christ, et le dogme
de la consubstantialité reconnu dans le fa-
meux concile de Nicée. Les progrès que l'a-
rianisme avait faits n'arrêtent pas son zèle.
Il en fait sentir toutes les impiétés et tous
les blasphèmes; et si cette hérésie, aussi
bien que toutes les autres, a des disciples,
Hdaire les attaque, et aucun n'échappe à
son zèle.
Le connaît-on bien, Messieurs, ce zèle
qu'inspirent l'amour de la vérité et les in-
térêts de i'Fglise?Ne prend-t-on pas souvent
le change? N'irrite-t-on pas ses ennemis au
lieu de les gagner? Lorsqu'il y a plusieurs
moyens pour faire revenir son frère, ne
choisit -on pas celui qui l'aigrit le plus?
Est-ce à lui à qui on en veut, ou à ses éga-
rements? Est-ce l'amour de la vérité qui fait
parler, où le désir de paraître un redoutable
adversaire? Est-on fâché de le voir dans
l'erreur parce qu'il se damne, ou le poursuil-
on parce qu'il nous contredit? La pureté de
la doctrine entre-t-elle seule dans ces dis-
putes publiques? La passion y est-elle pour
rien? Est-ce la gloire seule de l'Eglise qui
nous fait parler, ou la flatteuse espérance do
passer pour un habile défenseur de la foi ?
Si on poursuit l'erreur, aime-t-on encore
ceux qui ont eu le malheur de l'enfanter?
Selon le conseil de saint Augustin, désire-
t-on de voir l'hérésie proscrite et les héré-
tiques convertis?
Ahl si l'on suivait ces principes, que le
zèle serait louable 1 qu'il serait utile ! qu il
serait efficace! On ne languirait pas si long-
temps dans de vaines questions; on ne gé-
mirait pas à la vue de ces schismes éternels,
de ces combats de doctrine que saint Paul
appelle des disputes de mots : Pugnas verbo-
rum. (I Tim., VI.) On ne serait pas inondé
de tant de libelles scandaleux, on ne dévoi-
lerait pas avec tant de témérité les taches du
sanctuaire; on ne jugerait pas de la foi par
les mœurs, mais des mœurs par la foi ; on
ne mettrait point les promesses infaillibles
de Jésus -Christ en parallèle avec les fai-
blesses de l'homme, et on se ressouviendrait
toujours que notre divin Sauveur ne nous a
pas donné ceux qui sont assis sur la chaire
de Moïse comme des modèles que nous de-
vions toujours imiter, mais des maîtres qu'il
faut toujours écouter. Qu'il est rare ce zèle
éclairé! ce zèle ferme, ce zèle charitable!
Qu'il, est rare aussi de gagner ses frères, et
qu'il est commun de les irriter.
Combien de personnes qui, sans étuoe,
sans aucune connaissance des points contes-
tés, qui ne sont obligées ni par leur place ni
par leur caractère de parler, et qui entrent
avec vivacité en lice, blâment ceux qui sont
nu-dessus de leur tête, et déshonorent par
leur ignorance la vérité qu'elles veulent dé-
fendre par un esprit de parti?
Combien qui pourraient rendre service à
l'Eglise, que le caractère oblige d'avoir du
zèle, que les talents pourraient rendre utiles,
et dont l'autorité empêcherait les progrès du
mal, et qui se contentent de gémir comme
le pontife Héli sur les désordres du sanc-
tuaire ; qui se font honneur d'une douceur
toujours avantageuse aux ennemis de la re-
ligion et toujours funeste au règne de la
piété?
Combien qui perdent la charité dans les
divisions de l'Eglise, qui ne ménagent point
la réputation de ceux qui ne pensent pas
comme eux, qui semblent défier la ruine de
ceux dont l'Eglise demande avec larmes le
retour, qui ferment leur cœur à ceux qui ont
eu le malheur de tomber dans l'erreur, pen-
dant que l'Eglise leur ouvre son sein et les
195
ORATELRS SACHES. BALLET.
193
rappelle avec la tendresse d'une mère, et qui
sont insensibles aux pertes dont elle est in-
consolable!
Le zèle du grand saint Hilaire, que je loue
aujourd'hui, ne fut sujet à aucun de ces dé-
fauts; il était évêque, et par conséquent
obligé de parler et île prendre la défense de
la vérité avec zèle. Mais son zèle fut éclairé;
jamais l'Eglise n'eut un défenseur de la con-
substantialfté du Verbe plus habile. L'aria-
nisme, avec tous ses détours, ses distinctions
et ses adoucissements, ne put échapper àses
lumières.
Son zèle fut patient; il nous apprend lui-
même qu'il y a un temps de se taire et un
temps de parler, et qu'il n'attaque les héré-
tiques ouvertement que parce qu'ils se sont
préralus insolemment de son sden.'e.
Son zèle fut charitable ; il s'elforce de dé-
truire l'erreur et de convertir ceux qui l'ont
accréditée; il expose l'impiété de 1 hérésie
arienne, et ménage ceux qui sont assez aveu-
gles pour la soutenir. II développe la doc-
trine de l'Eglise, mais il ne parle point des
dérèglements de ses ennemis. Les calomnies
qu'ils répandent contre lui à la cour des em-
pereurs Constance et Valentinien ne l'indis-
posent point contre eux. S'ils n'attaquaient
que lui, ils seraient ses amis. Jésus-Christ
offensé par leur impiété est le seul objet qui
excite son zèle.
Son zèle fut ferme : le crédit des héréti-
ques de son temps à la cour, les grandes
places qu'ils occupaient, les vengeances qu'ils
avaient déjà fait é dater contre les catholiques,
rien ne put l'arrêter. Saturnin, Ursace, Ya-
lens, Auxence, dans les Gaules, tous les
ariens qu'd trouve dans son exil et à la cour
de Constance succombent sous ses coups ; il
les réduit au silence par la force de ses rai-
sonnements.
Son zèle pouvait-il éclater plus à propos,
Messieurs, que dans cette rupture éclatante
qu'il lit avec Saturnin, Ursace et Valens? Les
maux étaient violents, il fallait des remèdes
proportionnés : il ne voulait point étendre
le schisme en se séparant de communion
avec ces hérétiques dé. larés, mais confondre
l'hérésie, et cette séparation est un glorieux
trophée érigé à la pureté de la doctrine de
l'Eglise de France, puisque tous les évêques
des Gaules imitèrent notre saint docteur dans
cette action mémorable. C'est lui qui nous
apprend cette circonstance consolante, qui
renverse le système de ceux qui prétendent
que l'arianisrhe séduisit toute la terre : Me
cum Gallicanis cpiscopis separavi.
Avec quel zèle demande-t-il une audience
publique à l'empereur Constance et somme-
t-il tous les ariens d'entrer en lice avec lui
devant cette majesté de la terre? Ils crai-
gnaient cet oracle de l'Eglise : ils avaient rai-
son, ils furent confondus. Hilaire remporta
la victoire, et, [tour éloigner ce redoutable
adversaire, la môme cabale qui avait solli-
cité son exil sollicita son retour dans les
Gaules.
Vous le représenterai-je à Milan, où il va,
animé d'un saint zèle, se rendre dénoncia-
teur d'Auxence qui avait trom] é Valenti-
nien, et dévoiler, dans une conférence pu-
blique, ses ruses, ?es artifices, ses fourbe-
ries et ses impiétés? Fallait-il, Messieurs, un
défenseur moins zélé de la foi de Nicée pour
confondre ce prélat qui, par les détours de
sa politique, en imposait au prince et vivait
paisiblement sur un des plus grands sièges
de l'Eglise?
Suivez-le, Messieurs, avec le grand Eusèbe
de Verceil dans l'Italie, où son zèle le conduit
pour rétablir ceux qui s'étaient séparés par
faiblesse, et que les menaces des empereurs
avaient fait chanceler quelque temps dans la
foi. Voyez avec quelle sagesse il ouvre les
yeux à ceux- qui avaient souscrit à Rimini
une formule artificieuse. C'est, Messieurs,
l'homme et l'oracle de l'Eglise; c'est lui qui
expose sa doctrine, qui confirme ses enfants
dans la foi, qui relève ceux qui sont tombés,
qui soutient ceux qui chancellent, qui anime
les évêques h défendre la cause de l'Eglise;
c'est lui qui fait assembler un concile dans
cette capitale, d'où l'on écrit une excellente
lettre synodale aux évêques de l'Orient pour
l'é ïaircissement de la foi; c'est lui enfin qui
a la fermeté d'adresser plusieurs écrits à l'em-
pereur Constance, ce prince capable d'inti-
mider tout autre qu'Hilaire. N'est-ce pas là,
Messieurs, instruire les fidèles et prendre les
intérêts del'Egliseavecunefermeté héroïque:
Pascct in fortitudine.
Quel malheur, Messieurs, quand les pro-
tecteurs de la religion l'abandonnent., quand
l'autorité royale s'élève contre l'autorité de
l'Eglise, et que l'erreur, hardie et furieuse,
règne paisiblement à l'ombre du trône 1 Alors
les hérétiques, enflés de leur crédit, débitent
hautement leurs blasphèmes, étendent leurs
pernicieuses doctrines et sacrifient à leur ja-
louse fureur tous les héros de la foi. Alors
ils ne gardent plus ces ménagements qui les
déguisent; ils n'ont plus recours à ces ex-
pressions équivoques, à ces détours qui les
confondent avec les catholiques, ils r.e sont
plus timides et chancelants; tous les voiles
qui cachaient leurs mystères sont levés; ils
parlent clairement, publiquement: L'hérés e
n'a jamais été timide que lorsqu'elle a man-
qué d'autorité, et elle a toujours levé l'éten-
dard de la révolte lorsqu'elle a été protégée
par des princes puissants.
Ne cherchons point d'autres exemples dans
les annales de l'Eglise que celui que nous
fournit l'ariariisme.
Sous le grand Constantin, ce prince protégé
du ciel, et toujours protecteur de l'Eglise,
qui a joint à la magnificence impériale le zèle
des apôtres, qui a honoré les évêques, et que
les évêques ont comblé de magnifiques élo-
ges; qui leur était soumis comme à ses pères
dans la foi, et auquel ils obéissaient comme
à celui qui représentait Dieu sur la terre;
qui conserva avec fermeté les droits sacrés
de la couronne et respecta avec sincérité l'au-
torité infaillible de l'Eglise, l'hérésie arienne
fut toujours timide, enveloppée; c'était un
mystère. Les deux Eusèbe, ces zélateurs de
l'arianisrae, se ménageaient dans leurs siéses-
197
PANEGYRIQUES. — PANEG. X, SAINT HiLAiRE DE POITIERS.
et à la cour par des professions catholiques
en apparence. Les plus furieux ariens n'o-
saient le paraître, et l'iînpie Arius lui-même
ne parvint-il pas à passer pour catholique
auprès de l'empereur? Ce prince, séduit, n'a-
vait-il pas ordonné qu'on le reçût dans la
communion de l'Eglise? Le jour marqué
pour cette grande cérémonie ne fut-il pas
marqué? Le bras vengeur du Seigneur, qui
connaît le fond des cœurs, changea seul ce
triomphe des ariens en confusion et en deuil,
en frappant ce monstre d'impiété et en l'effa-
çant du nombre des vivants par une mo; t hon-
teuse.
Quand l'hérésie n'est pas accréditée, elle
est mystérieuse et rampante; mais sous le
règne de Constance, ce prince qui hérita du
trône du grand Constantin, sans avoir une
seule de ses vertus; qui suriassait, par sa
férocité, les derniers empereurs païens; qui
mit sa gloire à étendre le règne de l'erreur,
à persécuter les catholiques, et à combler de
grâces et d'honneurs les hérétiques; l'hé-
résie arienne parut telle qu'elle était; les
ariens triomphants professèrent hautement
leurs impiétés.
Alors le concile œcuménique de Nicée fut
absolument proscrit; les défenseurs de la
consubstantialité du Verbe furent bannis de
leurs églises; une cruelle persécution fut
ouverte; les faibles furent ébranlés, ]. lu-
sieurs succombèrent. Temps déplorables et
dangereux, qui faisaient en quelque sorte
regretter à saint Hilaire les jours de Néron
et des Dèce ! Utinam ministerium Neronia-
nis, Decianisque tanporibus cocplesscm!
Voyez, Messieurs, quelle différence entre
le règne de Constantin et celui de Constance.
Sous le premier, l'hérésie timide se cache,
s'enveloppe; la vérité attaque, combat,
triomphe. Sous le second, l'hérésie hardie
se montre; on la prêche publiquement; on
lève tous les voiles qui cachaient ses hor-
reurs. La vérité est persécutée, gémissante
dans les exils, et lâchement abandonnée.
O Eglise de Jésus-Christ, que vous êtes
heureuse quand les souverains de la terre
vous protègent ! L'autorité et l'exemple d'un
prince impie séduisent les chrétiens lâches,
causent des pertes à la religion, et la désho-
norent par de honteuses apostasies.
C'est sous ce règne d'erreur, de perse; u-
tion, d'exils; c'est dans ces triomphes écla-
tants de l'arianisme, dans ces jours de pros-
pérités, de gloire, de succès des hérétiques,
de larmes, de gémissements, d'oppression
pour les catholiques, que parut, Messieurs,
le grand saint Hilaire : il vit avec douleur,
comme un autre Mathathias, l'hérésie puis-
sante dans l'Orient, cachée clans l'Italie, pro-
tégée par quatre ou cinq évêques dans les
Gaules; les églises occupées par des ariens;
plusieurs des catholiques intimidés par les
menaces, séduits parles caresses, tlattés par
les faveurs de la cour, surpris par les arti-
fices des apôtres de l'erreur; les orthodoxes
zélés proscrits et accablés de misères dans
les exils : Vidit et doluit. (1 Mark., IL)
Il ressentit vivement tous ces maux de l'É-
tf>3
glise. Son zèle éclata; et comme Constance
était l'auteur de ces persécutions, qu'il jouait
le plus grand rôle, il lui parle avec liberté
en faveur de l'Eglise affligée et de la vérité
persécutée,
11 n'ignorait pas, Messieurs, ce qu'il de-
vait à cet empereur. L'Evangile nous ap-
prend à respecter les puissances. Les rois
ont beau déshonorer leur règne parles vices
ou l'erreur, ils ne sont pas moins de se-
condes majestés qui nous représentent la
première ; mais il savait ce qu'il devait à l'E-
glise, comme évêque. Les premiers chré-
tiens, qui doivent nous servir de modeler,
n'ont jamais manqué de respect pour les em-
pereurs païens, comme nous l'api rend Ter-
tullien; ils élevaient les mains vers le ciel
pour leur prospérité, pendant qu'ils dic-
taient de cruels édits contre eux ; mais aussi
ces hommes, si soumis aux lois de l'empire,
quand elles n'intéressaient pas la religion,
bravaient la fureur des tyrans, se moquaient
des ordres impies qu'ils leur intimaient, et
professaient la religion de Jésus-Christ sous
les glaives et sur les échafauds. Quand il s'a-
git absolument de Ja religion, il faut plutôt
obéir à Dieu qu'aux hommes.
Hilaire, Messieurs, était trop rempli de ces
grands principes, pour manquer à Dieu ou
au prince; c'est la cause de l'Eglise qu'il
plaide dans ses écrits à la cour cie Constance.
Quel autre qu'un évêque catnolique aura't
pu s'en charger? Ou plutôt, quel aulrequ'Hi-
laire aurait osé, dans des temps si délicats et
si difficiles, se déclarer l'adversaire d'un
prince si puissant?
Un évêque, Messieurs, ne perd jamais la
liberté de son ministère, quand il ne veut
plaire qu'à Jésus-Christ, et qu'il n'est touché
que des intérêts de l'Eglise; que ceux que
1 ambition fait briguer les grandes places,
les dignités, les bonnes grâces de César,
condamnent lâchement la vérité, ou l'aban-
donnent comme Pilate, je n'en suis pas sur-
pris. Hilaire est exposé à tout perdre, à toi.t
souffrir pour la cause de Jésus-Christ.
En voulez-vous des preuves? Entendez-le
lui-même, Messieurs, clans les ouvrages qu'il
adresse à Constance; voyez une liberté vrai-
ment épiscopale. Les saints, comme David,
annoncent aux souverains de la terre les vé-
rités du salut, sans être intimidés. Nos en-
nemis, dit-il, se prévaudraient d'un plis
long silence; ils nous croiraient vaincus si
nous ne faisions pas entendre nos voix. Ce
qui passerait jour modestie dans un autre
temps, passerait pour impuissance dans ce-
lui-ci. Que tous les évêques catholiques
viennent donc au secours de l'Eglise; qu'ils
parlent pour la divinité de Jésus-Christ; qu'ils
prononcent anathème à Arius et à ses er-
reurs : Clament pastores.
Je sais que les temps sont fâcheux, que la
persécution est cruelle, que la plus puis-
sante cour du monde est arienne, que l'em-
pereur, comme un lion furieux, veut faire
des évêques, ou des prévaricateurs, ou des
victimes; mais quelle gloire pour nous 'le
donner notre vie pour l'a divinité de notre
199
ORATEURS SACRES. BALLET.
200
Sauveur 1 Ne redoutons point la perte des
biens et les exils ; tâchons d'obtenir la cou-
ronne du martyre pour -une si belle cause :
Ad mârtyrium per fias voces exeamus.
Et vous, empereur, qui voulez étendre
Parianisme, apprenez c[ue les feux, les glai-
ves, les chevalets, et les plus cruels supj li-
ces, ne me feront jamais renoncer à la foi de
ÏSi.éc, et tolérer seulement vos impiétés.
Messieurs, les plus grands héros du chris-
tianisme ont-ils jamais parlé avec plus de
liberté devant les tyrans? Et n'est-ce pas
avec justice que saint Jérôme a donné à saint
Hilaire le titre illustre de confesseur de la
consubstantialité du Verbe : Hilarius confes-
sor et episcopus.
Mais si saint Hilaire a soutenu les fidèles
dans la doctrine de l'Eglise, par la fermeté
de son zèle, il les a aussi instruits par l'é-
tendue de ses lumières et la supériorité de
ses talents : Pascet in subiimitate.
SECONDE TARTIE.
Je vais louer, Messieurs, la science d'Hi-
laire, et quelle science! une science qui
étonna l'univers ; une éloquence qui a effacé
celle des Grecs et des Romains, selon saint
Jérôme; que les plus grands maîtres ont
admirée sans pouvoir se flatter de l'im ter ;
des lumières qui ont, pour ainsi dire, dis-
sipé toutes les obscurités de nos mystères;
qui ont expliqué l'économie de l'adorable
Trinité, raconté la génération éternelle du
Fils de Dieu ; une érudition profonde, qui a
ramassé tous les témoignages les plus écla-
tants, pour prouver la divinité de Jésus-
Christ contre les ariens ; un génie vaste, qui
ne trouve point de profondeurs, de ténè-
bre?, de difficultés, de questions embarras-
santes qu'il n'approfondisse, ne dissipe, ne
développe et n'explique; qui n'ignorait
rien de tout ce que la vénérable antiquité
avait enfanté de plus intéressant pour la re-
ligion; les plus grands événements, les
moindres traits de l'histoire, les plus fa-
meux hérésiarques, les hérétiques les plus
obscurs, les oracles qu'ils citaient, les ré-
ponses qui les confondaient, les détours de
toutes les sectes', les moyens de les décou-
vrir, rien ne lui échappe; un esprit orné des
richesses de la littérature, et de tout co
qu'un certain paganisme de philosophe,
dans lequel il avait ou le malheur d'être en-
gagé dès son eniance, à ce qu'il y a de plus
élevé, de plus poli, donnait de l'agrément à
son style et à ses écrits.
Voilà, Messieurs, ce qui a fait regarder
Hilaire par tous les saints docteurs de son
temps, par les Grecs et les Romains, par
tous les beaux génies des empires; de 1 O-
rient et de l'Occident, comme le plus savant
de son temps. Mais érigerions-nous aujour-
d'hui des trophées à ses rares talents, s'il
rie les avait pas employés pour la cause de
fEglise?
Qu est-ce que la science, Messieurs, de
fous ces grands hommes qui se sont occupés
à des découvertes curieuses et inutiles, qui
ont fait servir une imagination vive et bril-
lante à des fictions dangereuses, qui repré-
sentent les vices, les passions, les intrigues
des héros fabuleux, ces productions éton-
nantes, qui n'ont rien de réel que les coups
qu'elles portent à l'innocence, et les effroya-
bles incendies qu'elles excitent dans des
cœurs tendres et faciles à séduire ?
Qu'ils sont déplorables les talents de ces
hommes qui s'érigent en maîtres de la vo-
lupté, qui instruisent par des peintures
agréables du vice, par des images séduisan-
tes des passions, des cœurs innocents, mais
toujours prêts à recevoir les plaies nu
I éché !
Qu'ils méritent notre indignation , ces
hommes qui présentent dans leurs ouvra-
ges les. appas du crime et les amorces du
péché, qui dépeignent avec un shle poli et
tendre les roules criminelles des pécheurs,
leurs intrigues, leurs mystères et leurs suc-
cès! Faut-il que les grâces et les ornements
de l'éloquence viennent au secours du vico
1 our séduire un cœur si facile à corrompre !
Qu'ils ont été nuisibles à l'Eglise les ta-
lents de ces hommes rebelles, de ces héré-
siarques qui ont formé des partis si puis-
sants 1 On ne peut pas désavouer que plu-
sieurs n'aient eu une grande facilité de par-
ler, n'aient écrit avec politesse et érudition.
On voit dans les ouvrages de plusieurs une
élévation de génie, une imagination vive et
féconde, des connaissances acquises, une
étude sérieuse de l'histoire sacrée et pro-
fane, une grande facilité dans la dispute.
Mais le plus savant, dit saint Paul, dès qu'il
enseigne une autre doctrine que celle de
Jésus-Christ, qu'il méprise ses oracles, est
un superbe qui ne sait rien, malgré cet
amas de connaissances stériles dont il se
gloriûc : Superbus est nihil sciens (I Tim.,
VI.)
La gloire d Hilaire, Messieurs, est donc
d'avoir fait servir, pour la cause de l'Eglise,
les grands talents qu'il avait reçus du ciel;
la don de la parole, qui fut en lui, accompa-
gné de toutes les grâces qui rendent ce saint
ministère efficace; la connaissance des mys-
tères qu'il développa en homme suscité de
Dieu, et éclairé d'en haut; la matière de l'E-
glise dont il soutint les oracles et les déci-
sions contre les hérét'ques les plus obsti-
nés. C'est avec cette supériorité de talents
qu'il a soutenu et honoré la dignité épisco-
pale : Pascet in sublimitate.
Vous suppléerez, s'il vous plaît, Messieurs,
aux expressions qui me manqueront pouf
vous représenter, comme il conviendrait,
des talents si rares et si sublimes.
Elle règne dans ses ouvrages, cette élo-
quence majestueuse que saint Jérôme a
louée si magnifiquement, et qu'il oppose à
1 éloquence grecque et romaine. On trouve
partout des grâces, des beautés, des riches-
ses qui prouvent qu'il possédait avec dis-
tinction l'art de manier la parole.
Il était ré avec lui, Messieurs, ce talent qui
fait les grands orateurs. Le rang distingué
que tenait sa famille dans l'Aquitaine fit
désirer aux plus habiles maîtres l'honneur
SOI PANEGYRIQUES. — PANEG. X,
de présider à son éducation. L'erreur de ses
parents, qui mettaient toute leur gloire à
vivre dans une religion de philosophes ; les
heureuses dispositions du jeune Hilaire
pour l'étude, tout celaenfiten peu de temps
un prodige de science ; et à peine les nuages
de l'enfance furent-ils dissipés , qu'il lut,
comme le jeune Moïse, instruit de toutes
les sciences humaines : Eruditvs est omni
sapientia. (Act. VII.)
L'éloquence fut le grand don qui char-
mait ceux qui l'écoutaient. Ses discours
étaient ornés de ces grâces qui plaisent, de
cette douceur qui touche. Ses paroles péné-
traient les cœurs, comme ces douces pluies
qui tombent sur de tendres gazons : Quasi
slillœ suprr (jrumina. (Deut., XXXII.)
Quelle éloquence plus douce que la sienne,
lorsqu'il écrit pour la piété ou qu'il prêche
les peuples? Il entraîne les cœurs de ceux
qui l'écoutent ou qui lisent ses ouvrages.
11 y a des charmes innocents qui triomphent
des auditeurs les plus indifférents; ils ré-
gnaient dans les discours d'Hilaire, aussi
touchait-il efficacement.
On se trompe quand on fait consister l'é-
îoquence dans des riens brillants, des ex-
pressions pompeuses, des mots cadencés,
des images magnifiques, des pensées ingé-
nieuses, un arrangement harmonieux ; ces
sortes de discours frappent les oreilles
comme un agréable concert de musique,
D«is ils ne vont jamais au cœur; or, c'est
au cœur que Dieu ordonne à ses ministres de
parler : Loquimini ad cor. (Isa., XL.) C'étaient
les cœurs qu'Hilaire gagnait par la douceur,
les charmes et la majesté de son éloquence.
Quelquefois, Messieurs, un saint zèle l'em-
porta, un feu divin l'embrasa; alors on voit
une éloquence vive; telle est celle qui rè-
gne dans les trois requêtes qu'il adressa à
l'empereur Constance : quels divins empor-
tements 1 quelle peinture des maux de l'E-
glise! quel portrait de l'empereur, des hé-
rétiques, de la cour 1 Sous quelles affreuses
images ne les représente-t-il pas 1 avec quelle
magnificence ne dépeint-il pas les grandeurs
de Jésus-Christ qu'on attaque, l'autorité de
l'Eglise qui a condamné l'arianisme , les
circonstances qui obligent les pasteurs de
parler !
Jamais a-t-on vu des traits plus forts de
l'éloquence chrétienne? jamais a-t-on vu un
orateur plus véhément? Il charme, il sur-
prend, il enlève, il persuade. Son éloquence
chrétienne et apostolique ébranle l'empe-
reur, confond les ariens, agite toute la cour,
anime tous les évêques, relève ceux qui
sont tombés, soutient ceux qui chancelaient,
découvre les périls de la foi, et détermine
les catholiques à mourir avec lui pour la
doctrine catholique. A cette éloquence vic-
torieuse, ajoutez, Messieurs, des lumières
qui percent à travers les saintes obscurités
et les ténèbres sacrées qui enveloppent nos
mystères.
Hilaire, Messieurs, soumis aux ordres des
empereurs, pénétra dans la Phrygie; il ne
murmura point de son exil. Ce n'était point
OnATi-UKS sacrés, L,
SAINT HILAIRE 1>E POIT'LRS.
2C.
pour ses propres intérêts qu'il combattait les
sentiments du prince, mais pour les intérêts
de Jésus-Christ; il se soumit au bannisse-
ment, il résista à l'erreur; il ne se plaignit
point d'être chassé de son siège, mais il gé-
mit des outrages qu'on faisait à la vérité, il
obéit toujours au prince qui le persécutait,
mais il confessa toujours la divinité de Jé-
sus-Christ, que le prince combattait; et le
lieu de son exil fut comme une chaire do
vérité d'où il enseigna tous les fidèles, con-
firma les évêques des Gaules dans la foi de
Nicée, et retendit chez les évêques orien-
taux. Que la conduite des saints est adm,-
rable ! Ils rendent à César ce qui appartient
à César, et à Dieu ce qui appartient à Dieu.
C'est dans son exil, Messieurs, qu'il com-
posa ses douze livres Sur la Trinité, ouvrage
délicat, élevé et profond; ouvrage où il fal-
lait les lumières d'Hilaire pour expliquer
ces grandes vérités, qui sont si supérieures
aux sens et à la raison; sonder avec succès
ces abîmes où se sont perdus des génies
sublimes, des savants du premier ordre,
qui avaient trop de raison et qui n'avaient
pas assez do foi pour entrer dans ces saintes
obscurités, dans ces profondeurs adorables
qui ont causé la ruine des superbes qui por-
tent des regards curieux sur la gloire inac-
cessible de notre Dieu; ouvrage que les
saints docteurs ont loué magnifiquement, et
qui ont fait dire à saint Jérôme qu'il avait
heureusement conservé dans ces matières
sublimes, dans ces questions délicates, dans
ces mystères profonds, toute l'exactitude,
toute la pureté de la doctrine catholique et
toute la précision de la théologie; de sorts
qu'on peut dire de lui, Messieurs, ce qui
est dit du Sage même : Ses écrits sont irré-
préhensibles ; ils ont été composés pour la
vérité; la vérité y règne et y règne seule •
Conscripsit sermones rectissimos ac veritetc
plcnos. (Fccle., XII. )
L'Esprit-Saint, Messieurs, nous fait un
magnifique portrait d'Apollon, ce Juif fa-
meux qui marchait sur les traces de saint
Paul , et qui participait à ses travaux : c'é-
tait un homme d'une éloquence admirable,
qui enlevait ses auditeurs par les grâces de
ses discours , et par la beauté et la solidité
de ses raisonnements : vit eloquens (Act. .
XVIII); il possédait parfaitement la science
des Ecritures : elles n'avaient point pour lui
d'obscurité, de ténèbres; toutes les vérités
qu'elles renferment, tous les oracles qu'elles
prononcent , toutes les leçons qu'elles don-
nent, toutes les actions qu'elles racontent,
rien ne lui échappait; il la citait à propos,
avec zèle , avec succès : potens in Scripturis.
(Ibid.) Mais ce qu'il y a, Messieurs, d'ad-
mirable , c'est que ce savant homme em-
ployait toute sa science et ses rares talents h
faire connaître Jésus-Christ, h étendre son
règne , et à établir sa divinité : docebat di .i-
genter ea quœsunt Jesu. (Ibid.)
Sous ces traits, Messieurs, reconnaissez
saint Hilaire, la profondeur, la beauté de ses
ouvrages, et le grand objet qui le porta à
écrire dans son exil ; lisez-les, et vous serez
7
203
ORATEURS SACRES. BALLET.
20 i
surpris de la majesté , de la politesse et de
l'élévation de son style: vir eloquens; vous
verrez un homme qui emploie l'Ecriture
avec une habileté surprenante, qui en pénè-
tre le sens, qui en développe les vérités; qui
trouve dans les expressions symboliques, les
images brillantes des prophètes, des figures
du grand mystère qu'il explique; qui saisit
tous les oracles, les paroles et les actions
(pii établissent la divinité de Jésus-Christ:
; on dirait qu'il ait dévoré ce livre divin;
comme Kzéchiel, son langage est celui de
l'Ecriture ipotens in Scripturis. Mais ache-
vons le parallèle, Messieurs. Dans cet ou-
vrage immense , où il semble que Dieu ait
levé en sa faveur tous les voiles qui cachent
aux faibles mortels sa gloire ineffable, quel
est son objet principal ? La divinité de Jésus-
Christ niée et combatue par les ariens. C'est
pour prouver qu'il est Fils de Dieu, égal en
substance à son Père, éternel, immense,
tout-puissant comme lui ; c'est pour confon-
dre les ariens, affermir ses frères , rame-
ner ceux qui ont été surpris, qu'il établit,
par des raisonnements solides et des auto-
rités sacrées , la consubstantialité du Verbe :
docebat diliqenter ea quœ sunt Jesu.
C'est en lisant ses ouvrages , que les plus
grands docteurs se sont écriés :Quel homme!
quelles lumières! quelle supériorité de ta-
lents! 11 a parlé de Dieu , et des personnes
adorables de la sainte Trinité, et il ne lui
est pa.î échappé une expression que l'Eglise
n'adopte avec plaisir. C'est Dieu, Messieurs,
qui les suscite, ces grands hommes qui de-
viennent, en quelque sorte, la ressource de
l'Eglise dans ces temps de trouble ; c'est lui-
même qui pose ces lumières sur la montagne,
pour éclairer les peuples dans les plus épais-
ses ténèbres : c'est lui qui donne ce sel de la
terre , pour préserver ses enfants de la cor-
ruption ; c'est lui qui leur met dans la bou-
che ces paroles victorieuses des subtilités
des hérétiques.
C'est , Messieurs , sur les matières délica-
tes, sur les profondeurs adorables de nos
mystères , que tant de grands génies ont fait
naufrage dans la foi : ils avaient des lumiè-
res , mais ils n'avaient pas de soumission ;
ils avaient recours au tribunal de leur raison
en écrivant; ils méprisaient le tribunal de
/Eglise lorsqu'ils avaient écrit. De là les hé-
résies d'un Sabeliius, d'un Arius, d'un Nes-
torius, d'un Pelage, d'un Calvin. C'étaient
des hommes de lumières , de génie ; mais ils
ont écrit sur des matières délicates: ils ont
sondé les mystères de la sainte Trinité, de
la préiesti nation , de la' grâce, prévenus
pour leur faible raison, et indifférents pour
l'autorité infaillible de l'Eglise. Leurs lumiè-
res les ont aveuglés, ilsse sont perdus; l'E-
glise lésa proscrits, et un schisme honteux
a été leur ressource.
Il n'en est pas ainsi, Messieurs, des lu-
mières d'Hilaire : elles ont sondé avec res-
pect les abîmes des divines Ecritures; elles
ont pénétré avec soumission nos adorables
mystères; il les a toujours soumises à l'au-
torité infaillible de l'Eglise, C'étaiçntses dé-
cisions, dans le grand concile deNicéa, qu'il
défendait; aussi s'est-il servi de ses rares
talents, pour prouver son infaillibilité contre
tous les conciliabules des ariens.
Notre saint docteur, Messieurs, se servit
de ses lumières pour prouver l'infaillibilité
de l'Eglise , qui avait condamné Arius et ses
disciples. S'il n'y eut jamais de [dus sérieuse
hérésie que celle de cet impie, il n'y en eut
jamais qui se ménageât plus de ressources.
Les professions cie foi captieuses des chefs
de l'arianisme, la multitude des conciliabu-
les qu'ils tenaient, rassuraient les faibles,
et leur donnaient une espèce d'autorité. 11
fallait un homme habile clans la matière de
l'Eglise, pour faire tomber les voiles impo-
sants qui cachaient l'erreur et accréditaient
ces assemblées tumultueuses. Ce fut Hilaire,
Messieurs.
Il fit triompher la vérité: il mit dans tout
son jour l'autorité infaillible de l'Eglise , et
couvrit de honte l'erreur ei les conciliabu-
les des ariens. Il considéra l'arianisme avant
le concile de Ni. ée , et après les décisions
de cette sainte et majestueuse assemblée, et
prouva que l'Eglise, dispersée et assemblée,
avait eu la même horreur des impiétés u'A-
rius, avait pronom é les mêmes arathèmes
contre celte doctrine de l'enfer.
Que les docteurs catholiques sont admira-
bles ! Ils tiennent tous le même langage, le
langage des apôtres, le langage cîes pre-
miers sièdes ; tout ce qui ne vient pas de
cette source sacrée les alarme ; tout ce qui
date de ces temps précieux et vénéi abl.es,
tout ce qui en vient sans interrupt:on les
attache, et fait la règle de leur foi. C'est
cette majestueuse antiquité, cette tradition
constante, qu'ils opposent aux hérétiques;
c'est par la nouveauté de leurs opinions
qu'ils les condamnent.
Avec quel feu, ave: quelle solidité ne re-
présente-t-il pas les justes alarmes de l'E-
glise, lorsque l'impie Arius ouvrit la bou-
che pour attaquer la pure doctrine du saint
patriarche d'Alexandrie, l'horreur que tous
les auditeurs en conçurent , les anathèmes
dont on frappa les blasphèmes qu'il vomis-
sait contre le Fils de Dieu ! Il fait valoir avec
force les cris de toute l'Eglise, le soulève-
ment de tous les évoques, l'indignation de
tous les fidèles, et prouve que ces sacrilèges
nouveautés ont été condamnées, aussitôt
qu'elles ont été répandues, par cette Eglise
toujours infaillible, toujours assistée de son
Dieu époux , et à laquelle seule il a été dit :
Je serai avec vous tous tes jours jusqu'à la
consommation des siècles. [Mat th. XXVIII.)
Saint Hilaire était persuadé de cette im-
portante vérité, que l'Eglise dispersée était
infaillible, aussi bien que l'Eglise assem-
blée. Il savait, aussi bien que saint Augus-
tin, (pie beaucoup d'hérésies avaient été con-
damnées sans ces augustes assemblées ; que
Jésus-Christ étant tous les jours avec son
Epouse, l'hérétique ne répandrait [tas ses
erreurs impunément à l'ombre d'r.n futur
concile; que le tribunal de l'Eglise était tou-
jours existant, et qu'il se flattait eu vaiu
20:
PANEGYRIQUES. — PANEG. S, SAINT H'LAiïlE DE POITIERS.
20!i
d'une autorité qui n'existait pas. C'est ainsi
qu'il dépeint la honte de l'arianisme. Qu'un
savant soumis et éclairé est utile à l'E-
glise! Que ses talents servent à ses triom-
phes !
Mais me voici, Messieurs, au moment le
plus vénérable de l'histoire. Je vais parler
du concile de Nicée, dont saint Hilairefut
un des plus grands défenseurs; ce concile,
que les détours, les équivoques, la politique
des ariens rendirent en quelque sorte né-
cessaire; que la piété, la foi et la magnifi-
cence du grand Constantin procurèrent avec
une promptitude digne de son zèle; que
trois cent dix-huit évoques composèrent, et
qui trouvèrent tous un asile digne de la
grandeur de l'Eglise, dans le calais de ce
magnau'me empereur.
Tremblez, impie Arius, et vous, lâches
déserteurs de la foi, qui occupez si indigne-
ment les sièges de Césaréc et de Nicomédie ,
redoutables Eusèbes ! Par votre crédit,
vos talents et votre ambition, en vain proté-
gez-vous l'hérésie naissante : l'Eglise assem-
blée va foudroyer l'erreur et faire triompher
la vérité.
Qu'elle est terrible, Messieurs, cette armée
rangée en bataille ! Qu'ils sont magnifiques,
ces pavillons d'Israël! Je suis saisi d'un
saint respect, quand je me représente cette
santé et majestueuse assemblée, quand je
jette les yeux sur les saints evêques qui y
prennent séance : presque tous sont d'illus-
tres confesseurs de Jésus-Christ ; plusieurs
portent sur leur corps des marques de la
cruauté des derniers tyrans ; leurs membres
mutilés, leurs cicatrices glorieuses publient
leur foi et leur constance ; ils viennent dé-
fendre les vérités qu'ils ont confessées dans
les tourments et dans les mines; hommes de
miracles et de prodiges! Je compte parmi
eux l'admirable Jacques de Nisibe, et l'in-
comparable Nicolas de Myre; comme je vois
parmi les ariens des apostats, des lâches, des
ambitieux.
Qu'il est grand, ce concile, par le nombre
et la sainteté des évoques qui le composent !
Qu'il est grand, puisque c'est toute l'Eglise
assemblée! Qu'il est terrible pour les héré-
tiques, puisqu'il va les proscrire et les con-
damner!
Oui, Messieurs, dans ce très-saint concile,
on y condamna l'hérésie arienne, et on ôta
toute ressource à la politique et aux détours
des ariens, en déclarant Jésus-Christ con-
substantiel à son Père. La consubstantialité
du Verbe sera désormais le mot des catholi-
ques; toute autre expression alarmera jus-
tement leur foi, lorsqu'il s'agira du Fils de
Dieu.
Or, Messieurs, ce sont les décisions in-
faillibles de ce saint concile, les expressions
qu'il a consacrées, que le grand saint Hilaire
a défendues toute sa vie, et pour lesquelles
il a employé tous les talents qu'il avait reçus
du ciel.
La foi de Nicée , voilà ce qu'il a proche
dans les Gaules, dans l'Orient, dans l'Italie.
C'est elle qui lui a suscité tant d'ennemis
auprès des empereurs, qui l'a fait bannir
de son siège et condamner à l'exil; c'est
elle qu'il défend dans ses admirables écrits.
L'Église a parlé dans le conc le de Nicée,
dit-il ; elle établit la consubstantialité du
Verbe: il faut se soumettre tous à cette au-
torité infaillible ; il faut que tous les synodes
des ariens so;ent proscrits comme des as-
semblées schismatiques ; il faut que l'idole
de Dagon tombe en la présence ce l'arche;
que h' son de ces divines trompettes i en-
verse les murailles de l'orgueilleuse Jéricho;
que tous les flots se brisent contre ce rocher
inébranlable; que ces violentes tempêtes
respectent cet édifice bâti sur la pierre fer-
me; il faut se taire, quand l'Eglise a parlé.
11 n'est pas étonnant, Messieurs, avec des
talents si rares, que saint Hilaire ait eu de
si grands auccès,nialgréle crédit de l'hérésie
arienne, et qu'il ait reçu des applaudisse-
ments de l'Orient, de l'Occident : Magnifi-
cabitur usque ad (erminos terrœ. ( Ëccti ,
XLIV.)
Ce sont ces succès et ces trophées que jo
vais vous raconter dans la troisième partie
de son éloge. Une matière si belle et ii
étendue exige encore quelques moments
d'attention.
TROISIEME PARTIE.
De glorieux succès ont toujours suiv:,
Messieurs , les travaux de ces hommes fa-
meux que Dieu a suscités dans des temps
difficiles. Ils ont eu, il est vrai, de grands
combats à soutenir: les charmes de la nou-
veauté, la fureur des hérétiques, la puis-
sance des empereurs, le silence de certains
pasteurs; la politique, la timidité, la fai-
blesse d'un grand nombre de catholiques;
mais leur zèle intrépide a surmonté ces
grands obstacles! L'hérésie la plus furieuse,
la plus accréditée, la plus florissante a, pour
ainsi dire, disparu; misérable et couverte do
confusion, elle est caché*- dans un coin d„>
la Transylvanie.
Je parle, Messieurs, de l'hérésie arienne,
puisque je loue ici son [lus grand ennemi
et que je raconte ses succès.
Comparez, Messieurs, la gloire d'Hilaire
avec celle d' Arius, des Eusèbe, des Satur-
nin, des Ursace, des Valons, des Auxence, ces
grands soutiens de l'arianisme, qui ont joué
un si grand rôle dans ces temps de trouble
et de désolation; comparez-la,' si vous vou-
lez, avec celle de l'empereur Constance, qui
a abusé si honteusement de son autorité,
pour persécuter les catholiques, et qui a
combattu avec tant de fureur la foi qu'il avait
reçue du grand Constantin, et voyez quelle
est la plus solide, la plus durable? L'hérésie
arienne a régné plus longtemps que toutes
les autres, il est vrai, mais nVi-t-eile pas eu
sa décadence aussi bien qu'elles ? Pans sa
plus étonnante prospérité, lorsque le grand
Clovis parut, et que tous les rois étaient
ariens, elle a vu en peu de temps tous ses
trophées renversés ; elle est devenue sans
crédit et sans honneur; fugitive et proscrite.
En vain, après avoir été près de neuf cenu
'207
OIUTEHIS SACRES. BALLET.
203
ans dans un honteux oubli, a-t-elle fait des
efforts pour se renouveler sous une autre
forme. En vain le socinianisiEe a-t-il paru
avec toutes les subtilités d'une orgueilleuse
raison. Le bras tout-puissant qui a renversé
l'arianisme après un règne de trois cent qua-
rante ans, a renversé le socinianisme prcs-
qu'aussitôt qu'il s'est montré. Ses défenseurs
ont péri honteusement. Leurs noms odieux
dans l'histoire y rappellent les triomphes de
l'Eglise, en nous faisant souvenir des trou-
bles qu'ils ont excités.
Il n'en est pas de môme de la cause de
l'Eglise et de ses défenseurs. L'Eglise sort
de ces temps de nuages brillante comme le
soleil, qui paraît avec plus d'édat et de ma-
gnificence après un temps obscur, et lorsque
ces nuées épaisses qui le cachaient sont
dissipées. Ses défenseurs moissonnent des
lauriers; l'univers étonné applaudit à leur
zèle et a leurs lumières ; et leurs noms, insé-
rés avec de pompeux éloges dans les fastes
de l'Eglise, publient à jamais les triomj lies
de la vérité sur Teneur. Telle était, Mes-
sieurs, la cause qu'Hila;re défendait, telle
est aussi la gloire qu'il s'est acquise. Sa
gloire a fait et fera dans tous les siècles la
confusion de l'hérésie, la consolation de l'E-
glise, l'objet de la vénération des fidèles;
dans tous les royaumes et les empires on
chante avec magnificence les combats qu'il a
soutenus, les victoires qu'il a remportées,
les lauriers immortels qu'il a mérités, et la
puissance que Dieu lui a communiquée : Ma-
gnificabitur usque ad tfrmiîios ferrœ.
Oui, Messieurs, chez les hérétiques mômes
qui semblent ne pas vouloir reconnaître de
grands hommes hors de leur secte, pendant
qu'ils prodiguent un sacrilège encens aux
plus médiocres génies, et qu'ils font des hé-
ros et des apôtres de leurs disciples les plus
ignorants et les plus obscurs, Liilaire a cueilli
des lauriers, a fait des conquêtes, a décon-
certé les plus lurieuses cabales, a ébranlé
Ses empereurs, a imposé silence aux plus
fameux ariens, et a parlé avec puissance et
avec succès de la divinité et des grandeurs
de Jésus-Christ.
Cette fameuse conférence qu'il eut avec les
plus célèbres hérétiques, en présence de
Constance, n'est-elle pas, Messieurs, un mo-
nument éternel de sa gloire ? Toutes les fois
qu'on en parlera ne sera-t-on pas obligé de
raconter l'embarras, les alarmes, le laible
des ariens ; la facilité, la confiance, la force
d'Hilaire? Ne furent-ils pas terrassés et
vaincus? Toute la cour de l'empereur ne
fut-elle pas satisfaite des preuves de noire
saint docteur?
Si ses ennemis abattus furent encore re-
belles, le triomphe d'Hilaire en est-il moins
éclatant? Et s'ils ont réussi auprès* du prince
h. le faire passer pour un brouillon, ont-ils
pu réussir à le convaincre d'erreur et à effa-
cer sa gloire? L'obstination de l'hérétique
ne diminue point la gloire de celui qui le
combat.
Les succès d'Augustin dans la célèbre
conférence de Carthage ne le touchèrent
point parce qu'ils ne se rendirent point.
Sans vouloir effacer la gloire de ce grand doc-
teur, et les éloges que j'ai donnés moi-même
à cette glorieuse circonstance de ses travaux;
j'ose dire qu'Kilaireaeu plus de succès dans
celle qu'il eut devant l'empereur.
Le silence, la confusion des ariens, la sa-
tisfaction de la cour, furent des trophées éri-
gés à la cause qu'il plaidait; ce triomphe
affermit les catholiques, fit revenir ceux qui
avaient été tromj es, et répandit la terreur
dans toute la sei te. On craignit ses succès
dans l'Orient, et l'esprit de fureur qui aurait
voulu le voir gémir longtemps dans l'exil,
obtint son retour dans les Gaules, pour em-
pôi'her ses progrès. En effet, la lieu de son
exil e;tpourlui un théâtre de gloire; il y
est le père, le conseil , le docteur des évo-
ques et des peuples.
Combien son zèle n'en a-t-il pas ramenés?
Combien ses conseils n'en ont-ils pas re-
tenus dans la foi de Nicée, qui étaient ébran-
lés? Combien ses lumières n'en ont-elles
pas éclairés sur les détours et les artifices des
ariens? Il ne faut que lire ses traités des
synodes, pour savoir les conquêtes qu'il a
proi urées à la foi de Nicée dans l'Orient.
11 n'y traîna pas, comme vous voyez, Mes-
sieurs, une vie oisive et languissante: il
n'imita point ces hommes qui mouillent de
leurs pleurs les terres où ils sont exilés,
qui s'y repaissent inutilement des charmes
de leur patrie, qui sollicitent leur retour,
qui donnent les jouis aux chagrins et aux
murmures, et qui ne donnent pas un seul
instant à la religion.
11 y est tout occu| é de la cause de l'Eglise ;
il s'y regarde comme un apôtre envoyé par
la Providence, pour y détruire l'erreur ; il
le fait et avec tant de succès, qu'il devient
redoutable à ses ennemis.
Le nom d'Hilaire n'a-t-il pas volé dans
toutes les extrémités du monde? n'a-t-il pas
été admiré dans tous les royaumes et les em-
pires? Quelqu'un lui a-t-iî disputé les titres
glorieux, de saint, de savant, d'éloquent,
d'orthodoxe? et n'a-t-il pas fait la confusion
des hérétiques dans l'Occident, aussi bien
que dans l'Orient?
Ah ! qu'ils voient et qu'ils rougissent des
honneurs éclatants que ce grand docteur
reçoit dans les Gaules après son exil. Toute
l'Eglise gallicane érige des trophées à ce
grand défenseur : elle le regarde comme un
vainqueur qui est sorti glorieux des com-
bats ; elle embrasse avec joie, pour me ser-
vir de l'expression de saint Jérôme, ce grand
défenseur de la foi de Nicée; il fait toute sa
consolation.
Jamais, Messieurs, l'Eglise gallicane n'ou-
bliera les importants services qu'il ilaire lui
a rendus. Ses succès font sa gloire ; c'est lui
qui l'a conservée pure dans des temps de
danger; c'est lui qui a prêché et soutenu la
foi de Nicée. Toutes les Gaules préservées,
non-seulement des impiétés d'Arius, mais
même de l'arianisme radouci et de la fraude
de Ri mini, sont des trophées érigés à sa
gloire, et les lauriers immortels qu'il a mois
209 PANEGYRIQUES. -- PANEG. X,
sonnés dans les troubles mêmes de l'Eglise.
O Eglise de France 1 c'est avec raison que
vous lui prodiguez de si magnifiques éloges,
et que vous le regardez comme le plus grand
de vos évoques, le plus éclairé de vos doc-
teurs, le plus tendre de vos pères dans lafoi,
et le {-lus zélé de vos défenseurs.
N'a-t-il pas été dans l'Occident ce qu'Atha-
nase était dans l'Orient? Ne sont-ce pas ces
deux évêques qui veillaient sur ces deux
grands empires? Hilaire sur le siège de Poi-
1 ers ne s'est-il pas opposé aussi fortement à
l'a rianisme qu'A thanase sur le siège d'Alexan-
drie? N'est-ce pas lui qui exhortait tous les
évêques des Gaules à donner leur vie pour
la consubstantialité du Verbe? hcrtabatur
omnes.(Aci.,\l.) Et ceux qui sont demeurés
fermes dans lafoi, n'étaient-ils pas redevables
de leur fermeté au zèle d'Hiîaire?
Seigneur, vous jetiez des regards de ten-
dresse sur l'Eglise gallicane ; vous la pro-
tégiez d'une manière particulière, cette
Eglise si belle, si terrible à l'hérésie et à la
nouveauté; qui devait dans tous les siècles
défendre la foi, par les oiacles de ses au-
gustes assemblées ; cette Eglise qui fait con-
sister toute sa gloire à être inviolablement
attachée au trône de saint Pierre et à res-
pecter ses décisions. Et pour la préserver
d'une hérésie qui désole toute la terre, vous
suscitez saintHilaire: par son zèle et ses lu-
mières, les Gaules sont préservées des im-
piétés et des fraudes de l'arianisme; cette
hérésie puissante et accréditée n'y pénètre
que pour y recevoir des coups mortels et y
périr honteusement.
De si glorieux succès, Messieurs, sont
des preuves éclatantes de la bonté de no-
tre Dieu, qui veille continuellement sur
son Eglise, pour empêcher sa ruine et ac-
complir les promesses infaillibles qu'il nous
& faites.
En voyant le crédit des ariens, la rapidité
avec laquelle cette malheureuse secte s'é-
tend, tant de grands sièges remplis par des
hérétiques , l'empereur se déclarer en sa
faveur, Valentinien dans l'Occident, quel-
quefois chancelant et toujours prévenu par
les réponses artificieuses d'Auxence; tant
de synodes succéder au concile de Nicée, et
dans tous la consubstantialité du Verbe ha-
bilement combattue, artificieusement dégui-
sée et quelquefois opiniâtrement rejetéc, les
faibles ne croyaient-ils pas avoir lieu de
craindre pour la. nacelle de Pierre? je veux
dire pour toute l'Eglise. Ne sont-ce pas ces
malheurs que les hérétiques ont exagérés au
reuple pour l'effrayer et le rassurer contre
les anathèmes que l'Eglise prononçait à un
petit nombre de rebelles sans mission, sans
autorité? Tous les hérétiques qui sont venus
de; uis, n'ont-ils pas avancé que l'univers
entier était alors arien et que le grand
Athanase seul, était demeuré ferme dans la
foi ?
Brillants mensonges, séduisantes impos-
tures, histor'ons téméraires, cessez d'atta-
quer .la parole d'un Dieu; de répandre ma-
lignement des nuages épais sur la lumière
SAINT HILAIRE DE POITIRRS.
210
qu'il a posée sur la montagne, pour éclairer
toutes les nations; de faire triompher les
portes de l'enfer de l'Epouse de Jésus-Christ,
et de nous repaître d'un prétendu temps de
chute et d'obscurité, pour autoriser un parti
caché et qui n'avait aucun des signes de la
vraie Eglise.
J'oppose à ces faits hasardés et dont plu-
sieurs de vos ministres ont rougi, les suc-
cès du grand Hilaire dans les Gaules; ces
liens sacrés qui le tenaient attaché à la chaire
de saint Pierre; le plus grand nombre des
évêques unis de communion avec lui; tou-
tes les Gaules soumises. Dans ces vastes
provinces qui composent l'Eglise gallicane,
Hilaire y avait établi la foi de Nicée, on y
croyait la consubstantialité du Verbe. Voilà sa
gloire, ce que l'Eglise a inséré dans sesfastes,
et les glorieux trophées érigés à son zèle.
Si je ne me bornais pas aux succès qu'il
eut dans les Gaules et qu'il fût question
d'une controverse, j'opposerais encore les
conquêtes qu'il a faites dans l'Italie et dans
l'Orient; je le suivrais dans ceslongs et pé-
nibles voyages qu'il a faits pour la cause de
l'Eglise : car il a parcouru presque toute la
terre : permensus orbem pêne terrarum.
Mais les succès seuls d'Hiîaire dans les
Gaules, suffisent pour sa gloire et pour la
confusion de l'hérésie.
J'adore ici, ô mon Dieu 1 les desseins de
votre sagesse, j'examine l'histoire des maux
qu'a soufferts votre Eglise dans tous les siè-
cles. Je vois des orages, des tempêtes qui
s'élèvent et agitent ce vaiseau mystérieux;
mais je le vois toujours triompher, rien n'a
pu le submerger. Dans le règne des plus
furieuses hérésies et des plus grands trou-
bles, votre Eglise a toujours paru éclatante,
terrible, pleine de majesté. Vos premiers
jasteurs, unis à leur chef, ont toujours en-
seigné la vérité et condamné l'erreur.
Ainsi dans les Gaules a-t-on suivi saint Hi-
laire que vous avez suscité; et saint Hilaire
était-il uni de communion avec le souverain
pontife, comme le souverain pontife avait
reçu la consubstantialité déclarée dans le
concile de Nicée où ses légats occupèrent
les premières places.
Ainsi dans l'Orient, plusieurs évêques, les
plus saints, les plus illustres confesseurs dé-
fendirent-ils la foi de Nicée avec le grand
Athanase, toujours chéri, toujours protégé
des souverains pontifes contre la fureur des
ariens.
Grâces vous soient rendues à jamais, ô
mon Dieu, de cette divine et perpétuelle
protection! Mais je m'écarte, Messieurs, et
je n'ai pas achevé de vous peindre la gloire
d'Hiîaire dans les succès qu'il eut dans les
Gaules.
La fraude de Ilimini s'y était glissée;
j'entends, Messieurs, ces expressions cap-
tieuses et enveloppées, auxquelles on eut
recours après que le concile, dans sa li-
berté, eut eu condamné l'arianisme et
reçu la foi de Nicée; ces appâts cachés, que
l'on tendit à des hommes qui coulaient
leurs jours dans les ennuis, la douleur,
211
OIUTLTRS SACRES. BALLET.
2l<
privés des choses nécessaires à la vie, ex-
posés aux menaces de leurs ennemis et à
la violence d'un parti furieux et accrédité;
ces termes équivoques qu'ils crurent pouvoir
adopter sans blesser la foi orthodoxe.
Mais Hilaire la découvrit, celte fraude de
l'hérésie, qui gagnait dans les Gaules et
qui n'alarmait pas. Il s'appliqua à la dévoi-
ler, à en inspirer de l'horreur, et bientôt tous
les évêques l'anjathématisèrent, comme ils
avaient condamné l'impiété arienne. Cet
arianisme radouci et caché fut proscrit, et le
concile de Nicée triompha dans les Gaules,
des trompeuses adresses des ariens décon-
certés.
De si glorieux succès ne méritent-ils pas
des lauriers immortels et des honneurs écla-
tants? Oui, Messieurs ; aussi Dieu lui a-t-il
procuré une gloire qui elï'ace celle des maî-
tres du monde. De l'Orient à l'Occident son
nom est en bénédiction, et sa puissance est
la ressource de tous les fidèles : Magnifœa-
bi'tur usijue ad terminos terrer.
Je vais parler, Messieurs, de la gloire qui
suit les héros de la religion au delà même
du tombeau ; de cette magnificence avec
laquelle Dieu récompense les vertus de ces
hommes fameux, qui ont consacré leurs ta-
lents au salut des peuples et aux intérêts de
son Eglise; de cette puissance qu'il leur
communique et que les fidèles, les grands,
les monarques réclament avec tant de suc-
cès; de ces trophées érigés aux actions mé-
morables de leur vie, dans tous les royau-
mes et les empires, jusque dans ces séjours
d'horreur, où la mort victorieuse des scep-
tres et des couronnes, change en une vile
poussière les rois qu'elle a arrachés à leurs
trônes.
Il n'appartient qu'à notre Dieu de procu-
rer des lauriers immortels pour des vertus
passagères. G'est pour l'éternité qu'on tra-
vaille quand on travaille pour lui. Les hom-
mes, qui ne sont pas maîtres du temps, ne
peuvent pas procurer une gloire durable.
Paraissez ici, grand Hilaire ; vos vertus,
vos ouvrages, vos travaux vous ont immor-
talisé, non pas seulement dans la république
des lettres : c'est la triste récompense de ces
savants qui n'ont travaillé (pie pour la
gloire de ce monde; mais dsns l'Eglise, chez
tous les chrétiens, d'une extrémité du
monde à l'autre, on donne de magnifiques
éloges à vos talents éminents ; on révère vos
vertus héroïques, on implore votre puissante
protection : Magnifkaliitur usque ad terminos
terrœ.
Ici, 'Messieurs, s'accomplit celte* magnifi-
que promesse du Seigneur, faite à ces hom-
mes sublimes qui emploient leurs talents
pour la religion, qui répandent des trésors
de science et d'instruction dans l'Eglise pour
le salut des peuples. Il les fait briller sur la
terre, après avoir couronné leurs vertus,
leurs travaux et leurs talents : Qui docti fue-
rint, fulgebunt. (Dan., Xll.)
Y a-t-il un royaume, un empire où on ne
rende hommage à la sainteté, aux ouvrages
et aux travaux de saint Hilaire? Ces temples
élevés en son honneur, ces fêtes pompeuses
établies pour célébrer sa mémoire, ces
grands diocèses sous sa protection ; ce tribut
annuel de louanges qu'on lui donne dans les
chaires chrétiennes, le culte public que l'E-
glise lui a décerné, le rang éminent qu'il
tient dans ses fastes, la gloire dont Dieu a
récompensé ses travaux ; voilà les triomphes
éclatants qui relèvent les routes humiliantes
par lesquelles Dieu semble conduire ses ser-
viteurs pendant leur vie.
Ses ouvrages ne font-ils pas encore une
portion de sa gloire dans l'Eglise? Il vit
dans ces savants écrits qui font ses délices;
et si je pouvais' ramasser ici tous les éloges
que lui ont donnés les Jérôme, les Augustin,
tous les savants de son siècle, les savants des
derniers siècles, et tous ceux qui aiment
l'éloquence, l'érudition , le sublime et la
doctrine la [dus profonde et la [dus ortho-
doxe ; si je pouvais exprimer ici les senti-
ments de reconnaissance dont toute l'Eglise
gallicane est pénétrée pour les travaux de
cet incomparable docteur, vous seriez ravis
d'étonnement, et vous avoueriez que saint
Hilaire est un des astres les plus brillants
de l'Eglise : Qui docti fuerint, fulgebunt.
Il n'en est pas de même, Messieurs, de ceux
qui ne joignent pas la sainteté à la science.
La science est détruite à la mort de ces sa-
vants : Scicntia deslruitur (I Cor., Xlll) ; et
comme ils n'ont travaillé que pour acquérir
un nom dans la république des lettres, la
république seule des letires perpétue leur
mémoire. Elle juge de l'esprit et non du
neur; elle ne refuse pas le titre de savants
aux plus grands pécheurs quand ils sont ha-
biles. Que d'ouvrages dont elle a couronné
l'érudition, et dont la religion a proscrit la
(ioctrine ou la licence! Que d'hommes qu'elle
a immortalisés dans ses éloges, que l'Eglise
a condamnés, et que Dieu a réprouvés! Les
louanges mêmes d'un nombre de savants,
qui ne décident que de l'érudition et qui
condamnent tous les vices, peuvent-elles les
dédommager de la fierté de leurs âmes? Ah ï
il n'en est pas ainsi de Dieu: il ne récom-
pense que les talents qui ont été sanctifiés
par les vertus chrétiennes, et qui ont été
utiles au salut du prochain, et à l'agran-
dissement de son Eglise : Qui docti fuerint,
fulgebunt.
Saint Hilaire brille jusque dans la nuit du
tombeau, parce que ses vertus et ses talents
ont édifié et défendu l'Eglise; parce qu'il a
enrichi son Ame des vertus chrétiennes, en
môme temps qu'il enrichissait son esprit des
différents genres d'érudition.
Voyez, Messieurs, les tombeaux des grands
et des savants: y trouvez-vous quehpio trace
de la gloire dont ils étaient environnés sur
la terre? Y va-t-on rendre (\os hommages à
ces maîtres du monde, qui avaient une cour
si brillante et qui éblouissaient par la ma-
gnificence de leurs trônes? Y va-t-on consul-
ter ces oracles de leur siècle, qui donnaient
le ton dans toutes les assemblées et dans
toutes les académies? Ah !\lit le Prophète,
cette gloire qui flatte si fort l'homme, est une
PANEGYRIQUES. - PANEG. Kl, SAINT MARTIN.
r,
215
gloire passagère, elle ne descend point avec
ui dans le tombeau : Non descendet cum eo
(jloria ejus. (Psal. XLVIII.)
Mais le tombeau de saint Hilaire est de-
venu un trône de gloire, un séjour de mer-
veilles. Les puissances de l'Eglise et de l'E-
tat y vont rendre leurs bommages; on y voit
sans cesse toute la grandeur du siècle abais-
sée. Les peuples y accourent en foule, et les
tropbées qu'on érige sur ses cendres sacrées
annoncent sa grandeur. Il brille où les au-
tres sont humiliés; il occupe l'univers en-
tier, où les plus grands hommes sont ou-
bliés.
Qu'est devenu Constance, ce fameux em-
pereur, qui faisait trembler les catholiques,
et qui menaçait inutilement notre saint? Où
est son tombeau? Je sais qu'on l'y a conduit
avec pompe, et que, selon la coutume, on
s'est efforcé de perpétuer quelque temps les
honneurs qu'on rend aux majestés de la
terre. Mais cette gloire funèbre a passé ra-
pidement. Son tombeau, détruit dans les ré-
volutions de l'empire de l'Orient, est oublié
et ignoré.
11 n'en est pas de même, ô mon Dieu, de
l'irieomparabledocteurque je viens de louer.
Les miracles opérés à son tombeau ont an-
noncé sa sainteté et sa gloire aux extrémités
de la terre ; partout on sait ces grâces de gué-
rison qui en coulent abondamment. On n'i-
gnore dans aucun lieu ses triomphes sur la
mort même ; et on citait ses merveilles du
temps du grand Clovis, comme une preuve
de la vérité contre l'hérésie arienne, que
tant de princes professaient alors.
Telle est, Messieurs, la gloire d'Hilaire
r-près sa mort^même. Elle s'étend dans toutes
les parties du monde ; partout on la célèbre,
elle participe à la gloire de notre sainte re-
ligion : Magnificabilur usque ad terminos
terrœ.
Heureux, Messieurs, si nous imitons son
zèle, si nous aimons, comme lui, l'Eglise et
la vérité, et si nous joignons aux talents qui
ornent l'esprit, les vertus qui sanctifient
l'âme : notre bonheur sera éternel. Je vous le
souhaite. Ainsi soit-il.
PANEGYRIQUE XL
SA1XT MARTIN.
Prononce le jour de sa fête dans Véglise de
Saint-Martin de Chcvreuse, diocèse de Pa-
ris, en 1744.
In vita sua ferit innnstra, et in morte mirabilia operatus
est. (Eeeli., XF/Vlll.)
Sa vie a été un enchaînement de merveilles, et sa mort a
été accompagnée de prodiges.
Le sage consacré, Messieurs, ce magnifi-
que éloge à la gloire d'un des plus saints
héros de la Synagogue. Il admire l'homme
de sainteté, l'homme de- prodiges; il le suit
dans la route brillante de ses vertus; et dans
ces moments décisifs où les timides mortels
tFemblent si fort sur leurs destinées, il voit
Elisée pénétrer jusqu'au trône des rois, pour
reprendre les vices qui llétrissenl leurs scep-
211
très et leurs couronnes. Il contemple cet
homme de Dieu, que la sainteté élève au-
dessus des maîtres du monde; qui ferme les
bouches les plus éloquentes, qui brille dans
les ombres de la mort, et parle dans le
silence du tombeau; des traits si singu-
liers, si éclatants lui font dire que sa mort
n'a fait que perpétuer les merveilles de sa
vie : In vita sua fecit monstra, et in morte
mirabilia operatus est.
Messieurs, des traits moins éclatants, moins
magnifiques, caractériseraient-ils le grand
saint Martin, dont j'entreprends aujourd'hui
l'éloge? J'ai à vous représenter un homme
qu'on vit tout à la fois contemplatif et guer-
rier ; qui parut dans le monde avec la magni-
ficence des prodiges, et l'héroïsme de la
sainteté.
Un évoque qui donna des leçons aux em-
pereurs, et qui en fut honoré; un apôtre
qui attaqua le paganisme et lui enleva ses
plus belles conquêtes; qui se souleva contre
l'hérésie, et précautionna les peuples contre
ses artifices; qui gémit de tous les abus et
les réprima ; un thaumaturge qui remplit les
Gaules de ses prodiges, et qui retraça sous
les yeux des rois et des empereurs, la puis-
sance des Moïse, des Elie et des apôtres ; un
héros qui expire sur la cendre et qui est
plus grand sur ce lit de pénitence que les
plus grands monarques sous leurs diadèmes;
une lumière qui ne s'éteint pas avec la vie,
et qui va briller jusque dans la nuit du
tombeau ; un corps que les royaumes se
disputent, que les rois vont visiter, qui sanc-
t'tie tout, et communique à tout une vertu
merveilleuse.
Voilà-, Messieurs, une légère idée des mer-
veilles que j'ai à vous raconter, et que les
histoires les plus fidèles nous garantissent.
Ils paraissent donc de temps en temps, ces
hommes de | uissance et de sainteté; Dieu
renouvelle donc, quand il lui [lait, ces an-
tennes merveilles. Il retrace, quand sa sa-
gesse le juge a propos, les œuvres merveil-
leuses des prophètes et des apôtres; il suscits
pour l'exécution de ses desseins adorables,
des Moïse, des Elie, des Jean-Baptiste, des
Paul.
Pour représenter la puissance, la sainteté
de ces hommes fameux, il suscite dans les
Gaules saint Martin. Le siècle qui le vit ne
fut pas moins étonné que celui qui vit ces
grands hommes. Vous allez juger, Messieurs,
si j'attribue à mon héros un merveilleux
qu'il n'ait pas soutenu, et si je pouvais le ca-
ractériser sous des idées moins sublimes.
Saint Martin, homme de prodige pendant sa
vie: in vita sua fecit monstra; saint Martin,
homme de prodige à sa mort : in morte wuYa-
bilia operatus est.
Avant d'entrer dans une route si brillante,
et de développer de si grandes merveilles,
demandons les lumières du Saint-Esprit, par
l'intercession de la Mère de Dieu. Ave,
Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
Je sais, Messieurs, que tous les saints ont
Or.ÀTCLUS SACRES. BALLET.
M5
pratiqué de grandes vertus, que Dieu e^t
admirable dans les héros de la religion,
qu'il les conduit souvent par des routes
mystérieuses , et que les mondains, surpris
de les voir fuir les honneurs, se détacher
des richesses, renoncer aux plaisirs, les re-
gardent comme des hommes extraordinaires,
exempts de tempérament, de passions, de fai-
bles,ou favorisés de certaines grâces choisies,
plus fortes et plus puissantes que celles qu'ils
ont.
Je sais qu'on accuse les orateurs chrétiens
d'exagérer les louanges de ces hommes fa-
meux qu'ils louent dans l'assemblée des
fidèles.
Je sais que le ciel n'a été accordé qu'à de
grandes vertus, et que tous les saints les on*
pratiquées.
Mais je sais aussi, Messieurs, que parmi
tous ces astres il y en a de plus brillants les
uns que les autres ; qu'il n'a pas été donné
à tous de marcher sur les traces des pro-
phètes, des apôtres, des évangélistes, des
docteurs, des thaumaturges ; qu'on peut
être saint sans annoncer les événements des
siècles futurs, sans passer les mers pour con-
vertir les infidèles, sans être choisi de Dieu
pour raconter ses divines actions ; sans ces
connaissances et ces talents qui font les
maîtres de la science; sans étonner le monde
par des miracles.
Dieu les suscite, ces hommes rares, quand
i! lui plaît, pour la gloire de son Eglise et
pourfaire éclater sa puissance. Or, Messieurs,
.saint Martin fut du nombre de ces hommes
extraordinaires, qui étonnent et épuisent
notre admirat;on.
Vous verrez des vertus héroïques, des
travaux apostoliques, des miracles de pre-
mier ordre. Des vertus héroïques dans
I homme privé des travaux apostoliques, dans
l'homme public ; des miracles du premier
ordre dans le thaumaturge. Je ne suivrai
point le nombre des années, je choisirai
dans l'histoire fidèle les faits qui convien-
nent à ces différents états. Heureux si dans
une matière si abondante, si vaste, si brillante
je ne laisse pas échapper les traits qui vous
frapperaient le plus !
Faites-y attention, Messieurs, ce merveil-
leux que vous al mirerez sans doute dans
cet éloge, est le caractère de saint Martin. 11
est répandu dans toute sa vie; raconter ses
actions, c'est raconter des merveilles.
Ce ne sont point les réflexions de l'orateur,
ni les fruits d'une imagination vive, capable
de produire et de créer. Un homme que
l'Eglise appelle depuis tant de siè les un
homme admirable, qui a épuisé les éloges
des plus grands docteurs et des souverains
pontifes, qui a toujours été un des plus beaux
ornements de L'Eglise gallicane, et qui a fixé
pendant longtemps les plus grands événe-
ments de l'empire des Français , est un
homme extraordinaire.
L'histoire est trop féconde à son sujet pour
la suivre exactement; mais les traits que je
choisirai vous prouveront que sa vie a été,
;;u^vi bien que celle du prophète Elisée, un
enchaînement de merveilles : In viîa suafecit
monstra.
Toutes les vertus de sa vie privée sont
autant de victoires qu'il a remportées sur les
ténèbres de sa naissance, sur la licence des
troupes, sur les excès de la jalousie, sur les
prétextes de la cupidité, sur les écueils du
monde. Sa foi, sa valeur, sa charité, sa dou-
ceur, son innocence, sont des vertus qui ont
édifié dans les autres saints, et qui étonnent
dans Martin. Les obstacles rendent les suc-
cès plus glorieux.
Jamais homme ne trouva de plus grands
obstacles à la sainteté que notre héros, et ja-
mais homme ne parvint à une sainteté plus
éminente. II n'appartenait qu'à un Dieu tout-
puissant de changer les ténèbres en une lu-
mière éclatante, et de montrer un héros chré-
tien là où on ne voyait que de lâches ado-
rateurs de La fortune ou des aveugles mortels
dévoués au culte des idoles.
Vous le savez, Mess'eurs, sa famille, livrée
malheureusement ,"u cuite des fausses divini-
tés, méconnaissait le vrai Dieu; aveuglée par
les ténèbres du paganisme, elle se proster-
nait devant les idoles, et faisait fumer son
encens sur les autels élevés en l'honneur des
dieux de la fable.
Quel malheur, Messieurs, de naî'.re et de
se trouver enveloppé dans les superstitions,
de n'avoir pour a, ôtres et pour maîtres que
des parents dévoués par religion aux abomi-
nations de l'idolâtrie 1 Attendez, Messieurs,
et vous verrez les merveilles que Dieu opère.
Rien ne coûte à sa puissance; les obstacles
et les préjugés cèdent à sa volonté suprême.
Martin, semblable à ces belles fleurs qui
croissent dans les épines, s'élève avec le
goût de la religion chrétienne au milieu de
ces hommes charnels. Déjà c'est une lumière
qui brille dans les épaisses ténèbres de l'ido-
lâtrie ; déjà les grandes vérités de la doctrine
du Sauveur se développent à ses yeux ; il en
a lmire la grandeur, la sainteté. Les con-
quêtes que Jésus-Christ a remportées sur la
croix, lui parafaient préférables à toutes
c is victoires si vantées des Romains ; les
glorieux succès des apôtres, les vains com-
plots des tyrans conjurés contre ces hommes
divins; la force invincible des premiers hé-
ros chrétiens, qui bravaient leur jalouse fu-
reur sur les évhafauds et sous les glaives; la
fécondité merveilleuse du sang des martyrs,
qui multipliait les disciples de Jésus-Christ
et en remplissait les empires; la chute hon-
teuse du paganisme dans sa plus grande
puissance, et le triomphe du christianisme
devenu riche par ses propres pertes.
Tous ces grands traits de divinité frappent
Martin. Déjà il répand des larmes sur les
malheurs de ses [ères. Il ne les voit qu'avec
horreur courir aux autels sacrilèges, et
se r»rosterner devant des dieux qui ont sali
l'histoire du détail de leurs honteuses débau-
ches; et soutenu par cette main puissante qui
conduit avec gloire et avec succès ces hom-
mes choisis, il se dérobe à sa famille, et va
seul adorer le Seigneur et se mettre au rang
5M7
PAKEGïllîQLES. ~ PAMiC. XI, SA1ST MARTIN;
2i3
des catéchumènes : Solus pergebai ad lem-
plum Domini. (Tob. 1.)
Echapper ainsi, Messieurs, aux préjugés
de la naissance et de l'éducation ; passer
des ténèbres à la lumière, du culte des idoles
au culte du vrai Dieu, sans apôtre, sans
exemple dans sa famille, c'est là un de ces
tia ts qui annoncent la puissance et les mi-
séricordes de notre Dieu. 11 écarte tous les
obstacles qui s'opposent au salut de ses élus,
et fait servir à leur sanctification les dan-
gers qui devaient en apparence les perdre
pour toujours.
Ses desseins sont adorables dans la route
qu'il a frayée à ces grands hommes qui font
1 honneur de la religion. Sous sa main puis-
sante ils ont évité les plus grands périls, et
l'enfer a suscité en vain contre eux la force
des tyrans et des rois dévoués aux honteuses
superstitions du paganisme.
Cette giâce puissante et choisie, qui va
briller aux yeux de Martin dans le sein
môme des ténèbres; qui J'éclaire le touche,
et F'arra he à sa famille, n'a-t-elle pas, sous
l'image d'une étoile extraordinaire, arraché
des rois à leurs trônes , pour venir adorer le
Sauveur des hommes dans sa sainte enfance ?
N'a-t-elle pas arraché saint Matthieu à ces
emplois où l'on s'engraisse des sueurs du
peuple, où les richesses, que saint Paul ap-
pelle les fdets du diable : laqueum diuboli
(I Ti:n., III), font perdre à celui qui les pos-
sède l'idée de sa haute destinée, et où l'on
devient dur en devenant opulent.
Si l'on est étonné de la rapidité avec la-
quelle ceux qui manient les deniers publics
_ s'élèvent à une brillante fortune, ne lesera-t-
"on pas davantage si on les voyait y renoncer
pour imiter la pauvreté de Jésus-Christ?
C'est cette même grâce qui a brisé le cœur
de Madeleine et renversé pour toujours l'é-
difice de ses vanités et les trophées de ses
séduisants appas. C'est elle enfin qui a arra-
ché aux ténèbres du paganisme, aux charmes
de l'hérésie, aux amorces du plaisir, aux
liaisons les plus criminelle-, aux faveurs des
grands et aux plus brillantes carrières du
n:o:ide, des âmes qui semblaient ne vivre
que pour se perdre. Ne perdons point de vue,
Messieurs, ces grands objets; Dieu ne tire ses
saints des dangers où ils sont, que pour les
conduire à une haute perfection, et il ne les
rend petits aux yeux du monde, que pour les
rendre grands dans la religion. Considérons
le héros que je Joue. Voici de nouveaux
dangers, mais qui lui procureront de nou-
velles victoires.
Les ordres qui obligent de servir dans
l'armée le Constance et de Julien l'Apostat
sont publiés. Notre jeune catéchumène est
enveloppé dans cette nouvelle milice.
L'ordre au prince l'oblige de vivre quel-
que temps dans le bruit des armes .et la
licence des troupes. Mais la main de Dieu le
soutiendra dans cette dangereuse situation,
une main de miséricorde et de puissance; il
y montrera un double prodige, la valeur d'un
Josué et la sainteté d'un Moïse.
Dieu l'appelait à la retraite, son penchant
l'y entraînait; n^ais la religion chrétienne no
fait point de lâches. On peut être chrétien
et brave tout à la fois. Quelle foule de héros
nos annales ne nous fournissent-elles pas,
qui jo:gnaient à l'intrépidité dans les com-
bats, l'innocence et la sainteté d'une vie chré-
tienne ! Je ne parle, Messieurs, que des com-
bats autorisés par la religion et qui se don-
nent sous les étendards du prince; il dit
anathème à ces combats singuliers que l'E-
glise proscrit et que nos rois défendent ; les
braves d'Israël, les vrais chrétiens les ont en
horreur et les évitent avec autant de soin
qu'ils montrent de courage à verser leur
sang pour la patrie.
Ce n'était point pour éviter les périls des
combats que saint Martin soupirait après la
retraite. Le prince, qui ignorait les desseins
de Dieu, le pensa ; Martin, qui ne suivait que
les impressions de la grâce, le désabusa. Ici,
Messieurs, vous vous rappelez ce défi géné-
reux qu'il fit de se \ résenter seul devant le
camp redoutable des ennemis.
Les actions extraordinaires des saints sur-
prennent, parce qu'on regarde l'homme qui
parle et qui agit, et qu'on ne fait pas atten-
tion à Dieu qui parle et qui agit en l'homme.
Ainsi le jeune David, occupé jusqu'alors
à conduire paisiblement ses troupeaux éton-
na-t-il Saùl lorsqu'il se présenta pour com-
battre seul l'orgueilleux Philistin, la terreur
du peuple de Dieu. Mais la défaite de ce su-
perbe géant prouva que le Seigneur n'a [-as
besoin de troupes guerrières pour défaire
de nombreuses armées. Martin seul décon-
certa les ennemis redoutables de l'empereur,
et sa victoire annoncera la volonté de Dieu
sur lui.
En effet, Messieurs, celui qui avait dressé
les doigts du jeune David aux combats et aux
batailles, qui avait appris aux Gédéon à
manier l'épée, inspira au jeune Martin cette
a tion mémorable. Comme c'était le ciel qu'il
cherchait et non le repos, le ciel prit sa dé-
fense, il le revêtit de courage, et lui procura
des succès qui étonnèrent les j lus braves,
et effacèrent les exploits des plus grands ca-
pitaines.
Il paraît devant les barbares, ce héros qui
devait soutenir tant de combats dans l'Eglise,
et ils sont épouvantés. La terreur se répand
dans leur camp; et humiliés de leur défaite-,
ils demandent la paix, et laissent l'empe-
reur maître des conditions. Cette valeur,.
Messieurs, est d'autant plus admirable qu'elle
est miraculeuse. Dieu renouvelle ces an-
ciennes merveilles qu'il opéra sous la sage
Debbora. Le bruit, le feu, l'effroi, tout vient
du ciel qui combat pour la cause de Martin
contre les ennemis de Constance : De cœlo
dimicatum est contra eos. {Judic.,Y.)
C'est par ces prodiges, Messieurs, qu'il
obtient la permission de se retirer, et une
innocence conservée dans la licence des
troupes le suit dans la solitude.
Je suis obligé, Messieurs, de rendre jus-
tice à un grand nombre de militaires, qui
rendent à César se qui appartient à César, et
à Dieu ce qui appartient à Dieu; qui savent
3S0
OIUTKUR.S SACRES. BALLET.
220
combattre et prier, et qui savent allier les
vertus guerrières avec les vertus chrétien-
nes.
J'entends par la licence des troupes, cer-
taine corru, tion qui se glisse malgré le bon
ordre qui y règne et la vigilance de l'officier.
Corruption qui n'est qu'une suite de ce mé-
lange d'hommes de différents climats, de
différents caractères, dont l'éducation n'a
pas toujours été honnête, et qui sont ordi-
nairement plus hardis péJieurs que braves
guerriers. Car des mœurs douces et polies,
des sentiments humbles et religieux, ont
toujours entré dans l'éloge des vrais braves
et des héros chrétiens. Mais ce qui m'étonne,
Messieurs, c'est de voirie jeune Martin con-
serverdansladissipation des armes le recueil-
lement d'un contemplatif, et dans la licence
dés troupes, l'innocence qui fait quelquefois
naufrage dans les asiles les plus sacrés.
Profitez donc de votre liberté, jeune héros,
pour satisfaire vos pieux désirs, et donner à
l'univers étonné des exemples de charité, de
douceur et de pénitence.
Voici, Messieurs, une action qui, pour
avoir été répétée tant de fois dans les ebaires
chrétiennes, n'en est pas moins digne de no-
tre admiration, et ne cessera point d'être
mise au nombre des prodiges.
J'a imire ces pauvres qui arrosent de leurs
larmes le tombeau de la Thaï rite, qui racon-
tent ses vertus à saint Pierre, qui publient
.;es louanges. Je vois avec complaisance ces
veuves désolées qui montrent à cet a; ôlre les
vêtements qu'elle leur donnait, comme de
glorieux trophées érigésàson héroïque cha-
rité. Vidyœ fientes ostendebant tunicas et re-
stée. (Act., IX.)
Mais quelque respectable que soit la voix
de ces pauvres, la charité de Martin est ac-
compagnée de traits plus singuliers et plus
capables de nous étonner. Il a eu un Dieu
même pour panégyriste. Je ne dirai pas,
pour confondre tant de chrétiens insensibles
sur los misères publiques et particulières,
qu'il n'était encore que catéchumène lors-
qu'il se dépouilla de son propre vêtement
pour en couvrir un pauvre aux portes d'A-
miens; mais je dirai que Jésus-Christ est
sorti comme hors de son secret, qu'il s'est
montré revêtu des dépouilles d'un catéchu-
mène ; qu'il a donné lui-même des éloges
magnifiques à la charité de Martin; et que
ce merveilleux qui accompagne ce trait de
sa vie, ne doit pas nous être suspect, si nous
f lisons attention au caractère de prodige qui
lègue dans toutes ses autres actions, et à
l'autorité àos historiens qui nous la rappor-
tent.
Mais le héros de la charité est aussi le
héros de la douceur. Je l'ai dit, Messieurs,
je ne suis point l'ordre des années. Dans
l'homme public il y a des faits qui regardent
l'homme privé.
Rcpré entez-vous des hommes assez auda-
cieux pour répandre leur venin jusque sur
les actions les plus saintes de Martin; des
hommes placés dans le dernier rang des lé-
vite , au' osent censurer la conduite de ce-
lai qui est assis sur le trône de Tours, et
exposé sur le chandelier de l'Eglise.
Dans quel siècle ne trouve-t-on pas des
Marie qui murmurent contre les Moïse; des
Simon qui répandent de mauvais soupçons
sur la conduite du grand prêtre Onias, et
des Sémcï qui font des reproches aux Da-
vid? Le sacerdoce et l'empire ne sont point
ménagés par les ennemis delà religion. L'hé-
résie humiliée s'est toujours fait une loi
d'exagérer les taches du sanctuaire; et les
sièges seraient occupés par des pontifes aussi
saints que Martin, qu'ils trouveraient encore
des auteurs ténébreux pour les faire tomber
clans l'avilissement.
Témoin l'hérésie arienne clans les temps
de sa séduction: quelle fureur n'a-t-elle pas
exercée sur notre héros, sous le règne deVa-
lentinien et de l'impératrice Justine? Les
idées affreuses qu'on en donne à ce prince
trop complaisant pour les ariens, ces flagel-
lations publiques auxquelles on le con-
damne, ces déserts affreux où il est exilé,
en sont des preuves sans réplique.
Mais à cette fureur de ses ennemis Mar-
tin oppose une douceur qui les désarme et
les confond. Au milieu de calomnies infâ-
mes, de ces persécutions injustes, de ces
supplices honteux, il imite Jésus-Christ, iL
garde un profond silence.
Ou;, Messieurs, il était confesseur do Jé-
sus-Ch'ist, martyr de la vérité ; c est pour-
quoi il souffrit avec douceur. On no le vit
point faire sentir à ses inférieurs qui l'avaient
outragé, Je poids de son autorité : i! les ga-
gna par .>a clémence ; et Bricc, que l'Église
honore dans ses fastes, est une conquête de
sa douceur.
Traita-t-il les empereurs de tyrans?. Le
vit-on se répandre en injures? Décria-t-il la
cour de Constance dans des libelles? L'en-
tendit-on se plaindre dans son exil? Ali!
Messieurs, Ja douceur et l'obéissance ont
toujours fait le caractère des catholiques
sincères. Ils ont en horreur les démarches
indécentes et les plaintes scandaleuses de
ceux qui ont secoué le joug de la déj en-
dance. Saint Martin sait souffrir et obéir;
s'il manque de douceur, c'est lorsqu'il s'agit
de pénitence.
Suivez, Messieurs, notre saint à Poitiers
où brille saint Hilaire, cette lumière des
Gaules; de Poitiers à Milan auprès du grand
saint Ambroise; de Milan à Tours. Voyez-
le dans ces monastères qu'il trouve établis, cl
dans ceux qu'il avait fondés. Faites attention
aux austérités qui se pratiquaient dans ces
siècles reculés , dans ces ordres naissants où
l'on s'efforçait d'imiter les admirables soli-
taires de l'Orient. Dans le genre de péni-
tence, ses maîtres deviennent ses disciples,
Le plaisir qu'il trouvait à se mortifier ferait
en quelque sorte dire qu'il ne faisait pas pé-
nitence» ou que les mortifications elles seu-
les faisaient toutes les douceurs de sa vie.
Un homme si admirable, Messieurs, devait
l'Eglise. Dieu
paraître
qui veil
sur le
lait sur
chaude
lcsprog
ier de
res de la religion -«ans
il
PANEGYRIQUES. -- PANEG. XI, SAINT MARI IN.
L-s Gaules, fit monter saint Martin sur le
trône de Tours.
C'est clans cette place éminente que vous
allez voir des travaux immenses pour l'E-
glise, et toujours l'homme de prodige : In
vila sua fecit monstra.
Dieu annonça, Messieurs, au peupie de
Tours, par des prodiges et les plus grands
événements, la vocation de Martin àTépis-
copat. La voix des miracles leur disait : C'est
Inique le Seigneur a choisi pour occuper ce
siège qu'il chérit, pour consoler l'Eglise dé-
solée à la vue des restes du paganisme qui
régnent dans ces contrées malheureuses,
pour humilier i'héré ie arienne, soutenue
par les empereurs et les impératrices, ins-
pirer de l'horreur du schisme des ithaciens,
qui n'est pas assez redouté par ceux qui doi-
vent travailler à l'éteindre, pour briser les
chaînes des pécheurs, et attacher à son char
sa famille désabusée de ses anciennes erreurs,
pour réprimer les abus et rendre à l'Eglise
celte beauté que ses ennemis obscurcissent
i ar un mélange affecté (('erreurs, de supers-
titions et de dévotions suspectes : Videtis
<:ucm elegit Dominas. (I Reg.t X.)
Ne le regardez pas avec les yeux du monde
qui veulent voir des dehors de grandeur, de
magnificence dans ceux qui occupent de
grandes places. Martin, pauvre, négligé, vous
paraîtrait vil et méprisable; il n'a point cet
air imposant, ces manières nobles; il n'est
point accompagné d'un fastueux cortège de
domestiques ; il ne porte point ces vêtements
précieux qui annoncent les puissances du
siècle; mais entendez la voix de Dieu qui
s'explique par des miracles. Il l'a choisi, il
est grand à ses yeux : Videtis quem elegit Do-
minus.
Oui, Messieurs, la vocation de saint Mar-
tin fut divine ; elle porte les caractères de celle
des apôtres, et il tetracera aussi dans les
Gaules les merveilles de ces grandes colon-
nes de l'Eglise.
Ceux qui ne firent pas attention à ces traits
de divinité qui éclatèrent dans sa vocation, mé-
prisèrenteet homme admirable. Mais c'étaient
des mondains qui voulaient trouver dans un
successeur des apôtres les imposants dehors
des grands de la terre : Filii Belial despexe-
runt eum. (Ibid.)
Pourquoi cherche-t-on dans ceux qui doi-
vent représenter Jésus-Christ pauvre, humi-
lié, des apôtres sans nom, sans crédit, tirés
des rivages de la mer où ils étaient occupés
à conduire des barques, la naissance, les
grandes alliances', les services importants
que leurs ancêtres ont rendus à l'Etat? On ne
doit faire principalement attention qu'à la
sainteté, aux talents et aux services qu'ils
pourront rendre à l'Eglise.
Et pourquoi aussi le peuple ccnsure-t-il
dans ses pontifes une certaine décence que
la place qu'ils occupent rend nécessaire? Se-
rait-ce assez aujourd'hui aux yeux du peu-
ple d'être saint, zélé et savant, pour oc-
cuper un grand siège ?
La première chose h laquelle le monde fait
attention à lanomination d'un évoque, n'est-
2-22
ce pas h la naissance? Heureux quand les
vertus et les talents le rendent digne de la
place que son rang lui procure 1
Dieu n'est pas obligé de faire des mrraeles
pour manifester la vocation de ses ministres,
et nous devons lui rendre grâces de ce que la
religion de notre invincible monarque a fait
choix d'un sage et fidèle dispensateur des
places de l'Eglise de Fiance.
Martin répondit, Messieurs, a cette voca-
tion divine et miraculeuse; il fut dans les
mains de Dieu, comme les apôtres, u:-e
source de bénédictions et de victoires pour
l'Eglise. Vous allez voir dans l'évêque de
Tours, le destructeur de i'idolàtrie, le fléau
des hérétiques, l'ennemi du schisme, l'apô-
tre de sa famille, une sentinelle vigilante
dans la maison d'Israël. En suivant, si vous
pouvez, ses rapides conquèles, vous oublie-
rez tous ces t très pour admirer l'homme de
prodige : In vila sua fecit monstra.
Une portion de son diocèse, Messieurs, était
encore enveloppée dans les épaisses ténèbres
du paganisme. Des restes abominables de la
gentilité attiraient les respects de ces peu-
ples grossiers. Les sommets des montagnes,
les routes écartées, les feuillages, les bos-
quets étaient autant d'autels sacrilèges où le
démon recevait les honneurs divins. Il y
avait des arbres antiques qu'ils révéraient.
Là se retraçaient à ses yeux toutes les su-
perstitions Je la gentilité : Ibi erat habitatio
gentium. (I Mach., III.)
Mais ce nouveau Matathias ne voit qu'avec
horreur ce triomphe de l'enfer; il répand des
larmes amères sur l'aveuglement et la perte
de tant d'âmes : Vidit Malalhias et dohiit.
(I Mach., IL)
Ne croyez pas, Messieurs, qu'il se con-
tenta des larmes et des gémis>emenls ; c'est
l'obligation des simples fidèles et do tous
ceux qui n'ont .point d'autorité. Mais Martin,
qui se regarde, comme les a] ôlrcs, envoyé
pour détruire et édifier, arracher et planter,
lie borne pas son zèle à des larmes stériles;
il fait entendre sa voix à ces peuples gros-
siers, leur annonce le vrai Dieu, et de glo-
rieux succès suivent ses prédications.
11 est aussi rapide dans ses conquêtes qus
les apôtres; la même main le soutient dans
ses pénibles travaux. On voit les mêmes
( hangements qu'on vit après les prédications
de Pierre et de Paul : l'idolâtrie est détruite.
Le destructeur de l'idolâtrie est aussi,
Messieurs, le fléau de l'hérésie.
L'arianisme avait fait des progrès de son
temps; celte hérésie qui a soutenu tant de
combats, qui a trouvé des protecteurs sur
presque tous les trônes du monde; si sou-
vent abattue, et si souvent relevée ; qui ne
rougissait ni de ses défaites ni de ses for-
faits ; qui vit, sans se rendre, la protection
(pie Dieu accordait aux Athanase, aux ïlilaire
opprimés, et les terribles châtiment^ qu'il
exerça sur son chef le jour même destiné à
son triomphe.
I.a cour de Valentinieu était infectée de
ces dogmes impies qu'Arius avait débités, et
que ses disciples insinuaient sous différen-
223
ORATEURS SACRES. BALLET.
2f>t
les formes. L'impératrice Justine écoutait les
apôtres de l'erreur; si l'éclat de son trône
accréditait la nouveauté, la nouveauté la ren-
dait vaine et ridicule.
Esprit divin 1 qui nous avez tracé l'éloge
de la femme forte, vous ne parlez point,
dans les louanges que vous lui donnez, de
sièges, de batailles, d'affaires importantes, de
politique, de connaissances, de disputes;
vous ne la faites pas asseoir au milieu des
docteurs pour dogmatiser. Vous nou« la re-
présentez humble, modeste, paisible, éco-
nome, occupée à gouverner sa maison; et
dans les moments de son loisir vous lui met-
tez le fuseau dans les mains, et non le livre
de la loi [tour l'expliquer.
Voilà la femme forte que vous nous repré-
sentez, que vous cherchez et que vous com-
parez a ce qu'il y a de plus précieux.
Ah 1 il était réservé, dit le célèbre Vin-
cent de Lérins, à l'hérésie d'introduire les
femmes dans le sanctuaire de la religion; de
charmer leur oisiveté par des lectures ou
des conversations qu'elles n'entendent pas,
et qui les séduisent ; et de se former un nou-
veau collège d'apôtres inconnu à nos pères
en matière de religion.
Sa:nt Martin éprouva toute la fureur de ce
sexe lorsqu'il est prévenu. Justine lui ferma
toutes les entrées auprès de l'empereur;
elle le rend suspect aussi bien que les catho-
liques; et il fallait son zèle pour braver les
mépris et les persécutions de cette princesse
dévouée à l'arianisme.
Qu'il est grand, Messieurs, ce zèle 1 qu'il
est apostolique 1 Martin perce hardiment
iusque dans l'appartement de l'empereur; il
marche, et les prodiges le suivent pour
attester sa doctrine; il paraît, et l'empereur
est obligé de le prévenir de politesse; il
plaide la cause de l'Eglise, et obtient du
oecours; et s'il ne détruit point l'hérésie
arienne qui devait troubler encore quelque
temps, il n'en a pas moins été le fléau des
hérétiques et l'ennemi du schisme
Oui, Messieurs, il fut l'ennemi du schisme;
et si ce grand évêque prouve à tous ses suc-
cesseurs l'horreur qu'on en doit avoir par
son exemple, il leur prouve en même temps,
par sa propre expérience, combien il est dan-
gereux d'avoir des complaisances pour les
schismatiques.
Il savait, Messieurs, combien ceux qui
rompent l'unité sont désagréables au Sei-
gneur. Ce fut la charité qui le détermina à
se trouver u::e fois dans l'assemblée des
ithaciens. Ce ne fut point pour plaire à l'em-
pereur, mais pour obtenir la grâce de quel-
ques illustres criminels: il ne pouvait l'ob-
tenir qu'à cette condition; il ne signa aucune
formule avec les scMsroatiques ; cependant
de combien de larmes n'a-t-il pas arrosé
celte démarche charitable? Quelle austère
pénitence n'en a-t-il point faite? Avec quelle
délicatesse n'a-t-il pas évité toute sa vie la
fréquentation de ceux qui avaient rompu les
liens de l'unité? Et pour dire quelque chose
de plus, Dieu, du hart du ciel, n'a-t-il pas
t'ait sentir combien il avait en horreur le
schisme, en cessait quelque temps d'opérer
des miracles? Notre grand pontife le com-
prit; il en gémit, et a transmis à la posté-
rité cette circonstance mémorable, pour nous
prouver que Dieu n'opéra jamais de vrais
miracles dans les partis séparés de son
Eglise.
Voyez-le, Messieurs, passer en Hongre
pour y devenir l'apôtre de sa famille. Il bai-
gne de ses pleurs un père qui a blanchi dans
l'idolâtrie, et qui veut y mourir; il attache
au char de la religion sa mère, {lus docile
aux paroles de vie qui coulent de sa bouche,
et enfante à Jésus-Christ celle qui l'avait
enfanté au monde.
Vous le montrerai -je comme un autre
Josias, parcourant la vaste étendue de son
diocèse, réprimant tous les abus, renversant
les trophées que le peuple érigeât à des
hommes méconnus de l'Eglise, et faisant
cesser toutes les abominations d'un culto
aveugle et grossier? tulit abominât iones im-
pietaiis. (Eccli., XLIX.)
Après, Messieurs, des vertus si héroïques,
des travaux si immenses dans l'épiscopat,
les miracles les plus éclatants ne doivent pas
vous étonner; il en opérait tout les jours, et
l'Eglise le regarde comme le thaumaturge des
Gaules : In vita sua fecit monstra.
Saint Martin a toujours été appelé par
excellence le thaumaturge des Gaules. Les
princes barbares, les empereurs ariens ont
admiré ses miracles aussi bien que les mo-
narques catholiques.
Dieu semblait l'opposer à toutes les doc-
trines perverses cpii désolaient alors l'Eglise,
et ne sortir de son secret que pour confon-
dre l'arianisme, l'humilier, lui arracher ses
rois, .'es empereurs. Voilà la fin des miracles
de saint Martin; voilà ce qui nous le rend si
prérieux.
Des miracles qui prouvent la puissance de
Jésus-Christ, la divinité de Jésus-Christ, la
bonté do Jésus-Christ, étaient des miracles
propres à confondre l'arianisme. Tels furent
ceux de notre thaumaturge.
Représentons-nous cette route brillante
dans laquelle il marche, les impressions que
font ses prodiges, et les changements sur-
prenants qu'ils opèrent, et ne nous bornons
pas à une admiration stérile.
Pourquoi, Messieurs, les miracles sont-ils
devenus si rares après l'établissement de la
fei de Jésus-Christ? Pourquoi quelquefois
un siècle entier s'écoule -t-fl sans qu'il pa-
raisse un homme de prodige, un de ces hom-
mes qui étonnent l'univers par la puissance
admirable que Dieu lui communique? Saint
Paul nous l'apprend, Messieurs, les miracles
sont pour les infidèles, et non pour ceux qui
ont reçu le don précieux de la foi : Linguœ in
signum sunt non fidelibus, sed infidelibus. (I
Cor., XIV.)
Dieu sort avec magnificence de son secret,
renverse les lois de la nature, déploie une
puissance qui l'annonce à ces infortunés plon-
gés dans les ténèbres de l'erreur : Linquœ in
signum suni in fidelibus.
C'est ce qui a fait dire à saint Grégoire,
225 PANEGYUlQUES. — PAN
d'après ce grand apôtre, que les miracles
étaient nécessaires dans les premiers siè-
cles de l'Eglise : Fucrunt necessaria in exor-
dio Ecclesiœ.
Nous pouvons -dire aussi qu'ils furent né-
cessaires, selon la sagesse de Dieu, dans le
siècle de Martin, où l'arianisme n'affligeait
pas moins l'Eglise, que l'idolâtrie qui régnait
sous les Diodétien et les autres tyrans des
premiers siècles.
Il se servit de lui : il en fit un thauma-
turge qui prouva parles prodiges qu'il opé-
rait, la divinité de Jésus-Christ.
Que de traits merveilleux s'offrent ici,
Messieurs, à mon imagination 1
Pour peindre des merveilles au-dessus
des pensées de 1 homme, il fauchait des
images brillantes; il faudrait cette éloquence
divine, ces expressions sublimes des Moïse
et des autres écrivains sacrés, lorsqu'ils ra-
content les merveilles du Dieu d'Israël.
Ici, Messieurs, je vois une flamme ven-
geresse qui embrase le siège de l'empereur
Valentinien. Dès que Martin paraît sous ses
veux, ce prince arien est obligé d'implorer
je secours d'un évêque catholique et de ren-
dre hommage à la foi de Nicée. Qu'ils doi-
vent faire impression , ces miracles opérés
dans les palais des rois !
Là je vois des évêques ariens confus sur
le récit, qu'on leur fait des miracles opérés
au tombeau du grand saint Martin; déjà les
empereurs, informés de sa foi, l'opposent à
ees hérétiques. En vain promettent-ils d'en
faire et payent-ils un pauvre pour contre-
faire l'aveugle. Ceux qui enseignent une
fausse doctrine, dit saint Thomas, ne peu-
vent jamais faire aucun miracle qui la con-
firme.
Dieu atteste la divinité de son Fils en dé-
couvrant les sacrilèges complots de ces hé-
rétiques, et en les couvrant de honte dans
le l:eu même où ils espéraient être couverts
de gloire. Dieu, dans ces temps malheureux,
ne communique le don des miracles qu'aux
seuls confesseurs de la foi de Nicée ; et ja-
mais ce don de puissance ne sortira de l'E-
glise catholique.
Vous dirai-je que Théodomir, roi des
Suèves, implore en vain le secours de saint
Martin pour son fils, frappé d'une maladie
incurable: tant qu'il ne promet que de don-
ner à l'Eglise une partie de ses richesses,
le ciel est sourd à ses prières ; et le tom-
beau qui s'ouvrait pour recevoir ce fils chéri,
ne se ferme que lorsqu'il abjure l'arianisme
et confesse la divinité de Jésus-Christ.
Vous dirai-je que le grand saint Nicet de
Trêves exhorte Alboin, roi des Lombards, à
se transporter au tombeau de. saint Martin
pour y voir, dans les miracles continuels
qui s'y opèrent, une preuve incontestable
de la foi catholique et une condamnation so-
lennelle de l'arianisme ? Des miracles, Mes-
sieurs, qui prouvent la divinisé de Jésus-
Christ et confondent les hérétiques, sont
de vrais miracles; tels sont ceux de saint
Martin.
Mais avançons, et vovons dans les autres
EG. X!, SAINT MARTIN.
2iG
merveilles de cet homme incomparable,
des preuves de la puissance de Jésus-Christ.
La puissance des apôtres était celle de Jé-
sus-Christ même, qui agissait en eux; et
tous les prodiges qui accoin, agnèrent leurs
prédications étaient autant de voix éloquen-
tes qui disaient: Jésus de Nazareth, que
nous vous annonçons, est véritablement un
Dieu tout-puissant auquel rien ne résùte.
Aussi, Messieurs, Pierre et Paul et tous
les autres apôtres n'opèrent-ils des miracles
qu'au nom de Jésus-Christ; c'est par ce nom
saint et redoutable qu'ils commandent aux
puissances de l'enfer et à la mort. Cet au
nom de Jésus que les boiteux marchent,
que les aveugles voient, que les sourds en-
tendent, que les muets parlent, que les
moits ressuscitent.
Les apôtres faisaient connaître aux r aïens
et aux Juifs la puissance du crucifié jarles
miracles qu'ils o; éraient. Ce divin Sauveur
n'avait donné à ses disciples ni richesses ni
autorité, ni ces forces qui tiiomj lient des
hommes les [lus rebelles ; mais il leur avait
communiqué le don des mil ailes; et ces mi-
racles, qui annoncent une puissance toute
divine, font plier tous les empires sous
une religion qui met la nature à l'étroit,
qui gêne les passions et qui humilie l'or-
gueil de l'homme.
11 était impossible, sans un grand aveu-
glement, de ne point reconnaître la puis-
sance de Dieu dans les miracles de Jésus-
Christ et des apôtres.
Cette promptitude avec laquelle tout cède
à leur voix; cette soumission de tous les
éléments dès qu'ils parlent ; ces caractères
de grandeur, de magnificence qui éclatent
dans tous les prodiges qu'ils opèrent sous
les yeux des Juifs et des gentils, do'vent
persuader tous ceux qui n avaient pas en-
core consommé le mystère de leur endur-
cissement. Dans toutes ces oeuvres mer-
veilleuses, on ne pouvait r;en attribuer à
l'homme, tout était marqué au coin de la
divinité.
Or, je ne crains pas de le dire, il était
nécessaire de faire briller celte puissance
de Jésus-Christ dans le siècle de Martin, où
les ariens, qui niaient opiniâtrement sa di-
vinité, niaient en même tenq s la puissance
qu'il a comme Dieu. Saint Martin fut choisi
pour la retracer avec magnificem e.
En effet, Messieurs, il parle, ce grand
thaumaturge des Gaules. Ah ! que sa voix
est magnifique! rien ne lui résiste. Tom-
beaux, ouvrez-vous; morts, sortez des en-
trailles de la terre; levez-vous, paralytiques,
et marchez. Sourds, entendez; aveugles,
voyez. Soyez guéri , dit-il h un léj reux aux
portes de Paris. Montagnes, transportez-
vous ; arbres , rochers , masses énormes ,
arrêtez-vous dans votre chute.
Ce ne sont pas là , Messieurs , de brillantes
images, des portraits d'in aginat'on ni des
tours d'éloquence, ce sont des fai-ts attestés
parles plus saints et les j lus graves h'sto
riens ; ce sont des merve lies que l'Eglise a
adoptée? et qu'elle célèbre dans ses offices.
227
ORATEURS SACRES. DAl.LF.T.
22S
A la voix de Martin les morts ressuscitent,
les paralytiques marchent, les lépreux sont
guéris; le feu perd son activité ordinaire,
les rochers ébranlés le respectent en tom-
bant, le poison perd son venin, la main des
sacrilèges qui attentent à sa vie se dessèche.
Les idolâtres, les ariens ont été témoins de
ces miracles ; et les empereurs eux-mêmes,
à la vue de tant de merveilles, demandaient
hautement: Quel est donc ce Martin, qui
est si puissant, qui opère tant de prodiges?
quelle est sa doctrine? Et, quand on leur
répondait qu'il était catholique, qu'il con-
fessait la foi de >ïi,ée, ils étaient ébranlés ; et
souvent cette puissance de Jésus-Christ, qui
agissait dans son serviteur, les déterminait
à renoncer à l'arianisme.
Les miracles de Martin prouvaient la divi-
nité et la puissance de Jésus-Christ.
Vous dirai-je, Messieurs, que ce grand
lhaumaturge représentait aussi la bonté de
Jésus-Christ dans les guérisons suri)! enantes
qu'il opérait; qu'il suffisait aux malades de
lapprocher, de toucher à ses vêtements pour
être soulagés; qu'il porta l'éclat des mira-
cles dans les déserts comme dans les villes,
dans les cabanes des pauvres comme dans
-es palais des empereurs?
Tous ceux dont Dieu s'est servi pour opé-
rer des miracles ont été des hommes d'hu-
milité, de charité, d'obéissance; des hommes
de foi. Des hommes de foi : ah ! Messieurs,
comment des hommes qui partagent la foi,
qui l'altèrent, qui méconnaissent l'Eglise,
pourraient-ils o\ érer des miracles?
Pour faire un homme de prodiges, Jésus-
Christ commence par demander la foi, et
une foi soumise à la doctrine qu'il a ensei-
gnée à ses apôtres et que ses apôtres ont
transmise à leurs succcsscurs-.Signa autan eos
qui crediderint hœc sequcntnr. (Marc. XVI)
La foi de saint Martin confirmait ses mira-
cles, et ses miracles faisaient embrasser sa
foi. C'est pour ces grands objets que Dieu
l'a suscité dans le ive siècle, et qu'il l'a
placé dans les Gaules comme une brillante
lumière qui ne s'est point éteinte avec sa
vie.
Mais après vous avoir fait voir les mira-
cles de sa vie, il me reste à vous montrer les
merveilles de sa mort.
Saint Martin, homme de prodiges pendant
sa vie : In vita suafecit monstra. Saint Mar-
tin, homme de prodiges à sa mort. C'est la
seconde partie de son éloge.
SECONDE PARTIE.
Etre grand à la mort dans l'ordre de la
religion ; être arrivé à cette sainteté con-
sommée qui est exempte de ces frayeurs,
de ces incertitudes, de ces saisissements
que cause la vue du tombeau qui s'ouvre et
nous attend, c'est le privilège des plus
grands héros de la religion dans les ombres
de la mort, dans ces moments décisifs, lors-
que le monde échappe, qu'on en va être ar-
raché pour entrer dans l'immense étendue
de l'éternité. Vous voyez, dit le Saint-Es-
prit, trembler et pâlir l'homme de svstème
et d'incerliude : Tribulabitur ibi fortis.
[Soph., 1.)
A la mort les plus grands héros cessent
pour ainsi dire de l'être. Les approches du
tombeau font oublier aux guerriers les lau-
riers qu'ils ont moissonnés dans les sièges
et les batailles ; aux savants les applaudis-
sements qu'ils ont reçus dans la république
des lettres; aux prétendus esprits forts la
funeste gloire d'avoir eu des disciples de
leur étonnant système; et s'ils s'en occu-
pent, ce n'est que pour déplorer l'estime in-
sensée qu'ils ont fait d'une vaine réputation
qui périt et r:e descend point avec eux dans
le tombeau ; les incertitudes dont ils se fai-
saient gloire pendant leur vie les épouvan-
tent au moment de leur rrort : Tribulabitur
ibi fortis.
A la mort on ne trouve i lus aucune trace
de toute cette gloire que le monde donne à
ses héros. Ces < èdres du Liban sont renver-
sés; ces br. liantes lumières sont éteintes;
ces discourcers orgueilleux gardent un
profond silence; le ht delà mort est | our
eux un théâtre do faiblesse, et quelquefois
déboute : Tribulabitur ibi fortis.
C'est, Messieurs, à un héros tel que saint
Martin qu'il était réservé de remporter des
triomphes dans ces moments redoutables,
de monter sur le lit de la moit comme sur
un théâtre de gloire, de paraître grand où
les monarques mêmes paraissent si petits.
La cendre sur laquelle i! veut expirer de-
vient un trône plus éclatant que celui des
empereurs; les victoires qu'ifremporte sur
le démon effacent celles des plus grands ca-
pitaines; et son tombeau, visité par les rois
aussi bien que par les peuples, offre à nos
yeux un spectacle qui nous force de publier
la grandeur du Dieu de sainteté.
La mort perd pour lui toutes ses amer-
tumes, le démon toute sa force, le tombeau
toutes ses horreurs. Jamais il n'a été si
grand que dans ces moments-, si humiliants
pour les autres.
Voilà, Messieurs, ce que j'appelle les mer-
veilles de sa mort : in morte mirahiiia ope-
ratus est.
Permettez-moi, Messieurs, un parallèle.
Je vais vous représenter au montent de la
mort un des plus fameux héros de la tenc,
et un des plus grands héros de la religion.
Alexandre, qui cesse de régner et de vain-
cre; Martin, qui règne et triomphe. L'un
que les approches de la mort déconcertent;
l'autre que l'éternité console. L'un qui voit
ave : douleur les liens de son corps se bri-
ser; l'autre qui en attend avec joie la disso-
lution.
L'histoire d'Alexandre n'est pas une fic-
tion des païens; ses étonnantes conquêtes
ne sont point des exagérations des orateurs
profanes. Ministre de la parole sainte, je
n'en parle que d'après l'Ecriture.
C'est elle -qui nous apprend que toute la
terre avait été, pour ainsi dire, le théâtre de
la gloire de cet homme tant vanté; qu'il
avait renversé les trônes et brisé les scep-
tre-, de plu leurs souverains; que ceux qui
2-21)
PANEGYRIQUES. — r.YNEG. X!, SAINT MARTIN.
S^O
étaient paisibles sur leur trône devaient
leur tranquillité aux hommages qu'ils lui
rendaient.
C'est elle qui nous assure (jue l'univers
était soumis à ses lois, et que toute la terre
était comme interdite a la vue doses rapides
conquêtes : Silu.it terra in conspeciu ejus.
'1 Mach., I.)
Voilà Alexandre pendant sa vie. Mais les
conquérants tombent comme les autres ; les
■foudres de la guerre descendent dans le
tombeau. La main du Dieu des armées, qui
les a dressés pour les combats et qui s'en
est servi pour humilier et punir des empires
rebelles à ses lois, les frappe, les arrête et
les réduit en poudre.
Ainsi, après avoir vu Alexandre victorieux
pendant sa vie, voyez sa faiblesse et ses
alarmes au moment de sa mort. Quel chan-
gement !
Ce grand capitaine sent tout à coup ses
forces s'affaiblir; son corps chancelle ; il se
met au lit : cecidit in lectum. (Jbid.) Bientôt
il aperçoit la main qui coupe le fil de ses
jours, qui arrête le cours de ses victoires.
Les ombres de la mort l'environnent ; il
aperçoit le tombeau qui s'ouvre, qui le de-
mande, et il comprend l'indispensable né-
cessité d'y descendre : cegnevit quia more-
retur. (Ibid.)
Alors on voit disparaître cet héroïsme,
celte grandeur, ce courage qui étonnaient
l'univers entier. Alexandre rougit, pour
ainsi dire, de ses conquêtes, ou plutôt de
son ambition; il se reproche de ne s'être
pas contenté d'un royaume; il divise entre
plusieurs les empires qu'il possédait seul.
11 apprend par là aux autres à modérer leur
ambition, et il se repent de n'avoir pas mis
des bornes à la sienne. N'est-ce pas là, Mes-
sieurs, condamner ses coupables exploits ?
Quelle différence, Messieurs, entre le
héros que je loue ! Les approches de la mort,
la vue du tombeau ne le déconcertent point.
On ne voit pas en lui ces abattements, ces
frayeurs des autres mourants. Le lit sur le-
quel il veut expirer est pour lui un trône
éclatant, un théâtre de gloire.
Au moment de la mort, Alexandre cesse
d'être brave, intrépide: il est abattu, in-
sensible à la gloire de ses conquêtes.
Au moment de la mort, Martin est encore
un a; ôtre zélé, pénitent austère, pariait con-
templat'f. Voilà ôqs merveilles, Messieurs,
réservéesàsaintMartin, et auxquelles je vous
prie de faire attention.
Si c'est le travail, Messieurs, qui fait l'a-
pôtre, qui le fut jamais à plus juste titre que
saint Martin? Les idolâtres convertis, les
hérétiques humiliés, les abus réprimés, les
campagnes évangélisées,sont des preuves de
son zèle. Je vous l'ai fait voir sous ces ima-
ges, dans la première partie de son éloge.
Mais la merveille que j'expose présente-
ment à vos yeux est plus surprenante, parce
qu'elle est singulière. Il est apôtre dans l'é-
puisement de ses forces, dans les ombres de
la mort, sur le bord du tombeau, lorsque les
autres cessent de l'être,
lia fini glorieusement sa course; il e?t T-
arrivé heureusement au terme; la couronne
de gloire est suspenduesur sa tête; il est sur
le point de l'obtenir; et cependant il est prêt,
pour le salut des âmes, de recommencer uno
nouvelle carrière, rie s'exposer de nouveau
aux écueils et aux dargers de cette vie, de
retarder sa félicité. « Seigneur, dit-il, si je
suis nécessaire à votre peu;. le : Si adhuc po-
pulo tuo sum necessarius, je ne refuse point
les travaux qui sont inséparables de l'àpôs-
tolat : non recuso laborem. Je désire ardem-
ment, mon Dieu, de vous posséder, mais je
désire aussi le salut du peuple que vous m'a-
vez confié. Je suis combattu par ces deux
objets qui se rapportent uniquement à vous:
coactor e duobus. La mort a pour moi des dé-
lices, l'apostolat ne me rebute joint. Si je
suis encore nécessaire, Seigneur, retardez ma
récompense; laissez- moi sur la terre : si
adhuc sum necessarius. »
O'paroles toutes de feu ! O discours di-
gnes d'un homme rempli de l' Esprit-Saint I
O charité immense ! O homme admirable !
digne d'être mis à côté du grand Paul, puis-
qu'il imite cet homme divin. [Philipp., I.)
Je ne refuse point le travail : non recuso
laborem. O paroles apostoliques ! paroles
que tous les ministres des autels devraient
prendre pour leur devise.
On ne verrait pas tant de pauvres délais-
sés; les campagnes auraient des apôtres zé-
lés ; les bénéfi. es à charge d'âmes ne seraient
pas si méprisés et regardés comme la res-
source de ceux qui n'ont ni naissant e, ni ta-
lents, ni protêt t on. On ne s'informerait ; as,
quand on ed nommé à une cure, s'il y a peu
d'habitants , si les revenus sont abondants,
si le séjour est agréable, commode, et s'd y
a de la société pour employer un coupable
loisir.
Les bénéfices simples ne fixeraient pas
seuls les désirs des ecclésiastiques. Je ne re-
fuse point le travail : non recuso laborem.
Ah ! que l'Eglise serait consolée, si elle en-
tendait ses ministres parler ainsi dans les
jours de leur santé ; car il était réservé à
saint Martin d'être apôtre zélé au moment de
la mort.
Ne regardez pas cependant, Messieurs, le
langage de Martin à la mort comme une in-
différence blâmable. C'est le zèle d'un apô-
tre qui connaît le prix des âmes; qui est
aussi occupé de son troupeau que lorsqu'il
a commencé à le gouverner; c'est un Paul,
pour lequel vivre etmourirestla même chose,
pourvu que Dieu soit glorifié.
Pour comprendre encore mieux, Mes-
sieurs, ces grandes merveilles dont saint
Martin nous donne le spectacle à sa mort, re-
présentez-vous un autre mourant approcher
du lit.
Je ne dis pas de ces hommes qui pleurent
des iniquités, des impiétés qu'ils ont com-
mises de sang-froid , qu'on voit tremblants
et épouvantés, et qui rendent à la religion
un hommage public, comme une amende ho-
norable <jui pré; èdc les supplices qui leur
sont destinés,
)i
ORATEURS SACHES. BALLET.
Je ne dis pas de ces mondains qui sont
trop effia_) es des approches de la mort, parce
qu'ils ont été trop attachés à la vie, auxquels
il ne reste que quelques moments pour rom-
pre mille Lens flatteurs, expier de coupables
années, repasser une conduite scandaleuse,
arranger des ail'aires domestiques, examiner
des contrats usuraircs, réparer des injustices,
recevoir les sacrements, mourir et ètrejugés:
leurs frayeurs, leurs saisissements sont bien
fondés.
Mais approchez du lit d'un prêtre mourant,
d'un pasteur, d'un missionnaire. Si la vuedu
tombeau ne l'effraye pas, les jugements de
Dieu l'épouvantent; et souvent, dans ces
moments terribles, les hommes apostoli-
ques ont besoin d'apôtres. C'est une mer-
veille de voir saint Martin apôtre zélé
et pénitent austère dans les ombres de la
mort.
Oui, Messieurs, ses forces diminuent; il
sent qu'il approche du terme, et il contenue
ses austérités. £on corps faible, chancelant,
prêt à descendre dans le tombeau, est serré
par un rude cilice.
Quel édifiant spectacle ne donna-t-il pas à
ceux qui l'environnaient, quand ils le virent
amasser lui-même la cendre sur laquelle il
veut expirer !
O lit précieux ! ô trône de gloire î Que les
héros de la pénitence sont admirables ! Qâme
bienheureuse, qui va quitter une chair immo-
lée pour Jésus-Christ 1 O saintes cruautés qui
détruisent la victime 1
Quelle est donc celte puissance qui soutient
et anime des hommes comme nous dans
un genre de martyre si admirable, dans
des douleurs qui les consument si lente-
ment?
C'est, Messieurs, la puissance de notre
Dieu qui conduit certains élus à ce degré de
perfection, pour récompenser leur amour et
leur obéissance. Quelle confusion pour nous 1
Un saint qui méprise assez la mort pour ajou-
ter aux douleurs de la maladie de nouvelles
austér.tés; et nous, nous écartons jusqu'aux
seules apparences de mortification ; nous ido-
lâtrons nos corps dans la jeunesse; nous les
ménageons dans la vieillesse; nous les plai-
gnons dans la maladie. Nous sommes tou-
jours pécheurs, et jamais pénitents, que fe-
rons-nous au moment delà mort? Ah! il
s'en faudra bien que nous soyons, comme
saint Martin, de parfaits contemplatifs.. La
terre nous occupe présentement; elle nous
occupera jusqu'au tombeau. Celte occupation
fera notre supplice.
C'est sur cet amas de cendre, sur ce lit do
pénitence, que Martin qui a connu la volonté
de Dieu, se dispose à passer dans l'éternité
bienheureuse.
C'est de là qu'il regarde le ciel, qu'il con-
temple la gloire qui lui est destinée. Ses
veux sont fixés vers ces montagnes éternel-
les. On dirait qu'il habite déjà ce céleste
séjour, et qu'il se repose dans le sein de
Dieu.
Ne dites pas, chrétiens, qu'il n'est paséton-
l.s.nl qu'on regarde le ciel au moment de
la mort, qu'on s'en occupe, puisque les ob-
jets sensibles échappent pour toujours, et
qu'il n'y a plus de ressources dans les créa-
tures.
Car je vous répondra1, que si vous n'é-
prenez garde, le ciel seia ce qui vous occu-
pera le moins au moment de la mort. Les
mondains ne jettent-ils pas bans ce moment
des regards sur la terre qu'ils quittent; sur
une famille qui se désole; surdts amis qui
paraissent inconsolables ; sur des intéi êts de
succession, de partage? Et tour tout dire,
combien qui ne pensent au ciel, qui ne por-
tent leurs regards vers cette céleste patrie,
que lorsqu'ils. sont dans les tourments de
l'enfer comme le mauvais riche, et qu'ils
l'ont perdu pour toute l'éternité 1 Elevons
oculos suos cum esset in lormentis. [Luc,
XVI.)
Ne refusons donc point l'admiration que
mérite saint Martin dans ces derniers mo-
ments. Ce contemplatif ne laisse échapper
aucun regard sur la terre, pas même sur ses
tendres enfants. Les yeux fixés vers le ciel,
il contem; le la gloire qui l'attend; il trace,
pour ainsi dire, dans les airs la route par
laquelle son âme bienheureuse doit s'envoler
vers son Dieu. En vain on le sollicite de se
mettre Vlans une posture moins gênante.
Laissez-moi , dit-il , regarder le ciel plutôt
que la terre : Sinite rue cœlum respicere potius
quam terram.
Peut-on, Messieurs, être plus occupé du
ciel, plus paisible, plus content aux appro-
ches de la mort? avait-elle pour lui quelque
amertume? Ce sont là des merveilles qui
rendent celle de notre héros illustre, aussi
bien que ses triomphes sur le démon : in
morte mirabilia opcratus est.
Voici, Messieurs, de nouvelles victoires.
Vous allez voir Martin sur la cendre comme
sur un trône éclatant, qui humilie le prince
des ténèbres, le confond, le terrasse et l'at-
tache à son char. C'est dans ce moment cri-
tique que l'ennemi du salut redouble ses
efforts.
Mais que les vrais disciples de Jésus-Christ
ont de force et de puissance 1 Le démon les
attaque en vain : sa défaite suit de près le»
combats qu'il a l'audace de leur livrer; il ne
gagne rien sur eux, et quelque redoutables
que soient sa malice et ses ruses, fidèles à la
grâce, ils en triomphent.
11 parcourt en conquérant les palais des
grands ; il fail tomber
iquerant le
■ les sases
du siècle, il
séduit les savants, il trompe presque tous les
humains par les amorces et les appas du vice.
Presque tous les hommes aiment son joug
et s'attachent volontairement à son char :
Sedueit universum orhem. (Apoc, XII.)
Mais il tombe honteusement aux pieds
d'Antoine dans le désert; ua solitaire se
moque des stratagèmes de sa malice, et le
force d'avouer sa faiblesse lorsqu'il attaque
les serviteurs de Dieu.
Jamais, Messieurs, le démon ne fut plus
humilié qu'aux pieds de Martin mourant, il
perd devant lui toutes ses forces, comme la
mort avait perdu toutes ses amertumes ; il est
PANEGYRIQUES. — PANEG. XI, SAINT MARTIN.
233
aussi consterné, abattu par les dernières
paroles que Martin prononça, que lorsqu'il
détruisait ses temples, abattait ses autels,
brisait ses idoles, renversait ses trophées et
lui enlevait ses plus belles conquêtes.
Martin lui porte le dernier coup en mou-
rant , et le triomphe qu'il remporte sur lui
est sa dernière victoire.
Ceux qui ont aimé Jésus-Christ pendant
leur vie, qui ont marché sur ses traces, qui
l'ont copié, peuvent tenir son langage avec
confiance.
Le divin Sauveur avait dit : Le prince du
monde ne trouvera rien en moi qui lui appar-
tienne : Princeps mundi hujus in me non habet
quidquam. (Joan., XiV.) Les saints, par sa
grâce puissante et son infinie miséricorde,
qui sont arrivés heureusement au terme com-
blés de vertus et purifiés de leurs fautes dans
son sang adorable, peuvent dire aussi : Le
démon ne trouvera rien en moi qui lui appar-
tienne : In me non habet quidquam.
C'est, Messieurs, sur ces grands principes,
et non sur une confiance présomptueuse que
Martin est appuyé ; il terrasse en mourant îe
démon par ces paroles : Retire-toi, esprit de
ténèbres :\'ade,Satana. Pourquoi environnes-
tu un pénitent couché sur la cendre, un pon-
tife qui a terminé sa course heureusement,
comblé des grâces de son Dieu, et qui attend,
avec confiance, qu'il cousomme ses propres
dons? Tu te plais dans la perte des âmes, et
Jésus-Christ a répandu son sang pour les
racheter : Quidhic aslas, be.stia cruenta? Tu ne
trouveras rien en moi qui t'appartienne, tout
y est l'ouvrage de la grâce; mes vertus, mes
travaux, mes souffrances, mes pénitences,
... mon innocence et les péchés môme que j'ai
évités. Or, la grâce et les œuvres que nous
opérons avec elle appartiennent à Dieu : Nihil
in me funeste reperies.
Alors, Messieurs, on vit toute la puissance
d'un homme consommé dans la sainteté; on
vit le démon qui était sorti tant de fois des
corps qu'il possédait par l'ordre de Martin,
se retirer couvert de confusion, pour faire
place aux esprits célestes.
Ne craignons pas, Messieurs, de rapprocher
ce triomphe de Martin mourant de celui de
Jésus-Christ dans le désert. Vous savez que
ce divin Sauveur ne permit au démon de
l'approcher que peur nous apprendre à le
vaincre, et que les saints font par son secours
ce qu'il lit par sa propre puissance.
On vit dans le désert cet esprit de ténèbres
sortir humilié et confondu des combats qu'il
avait livrés à l'Homme-Dieu; les anges envi-
ronner le vainqueur de l'enfer et chanter ses
yictoires.
On vit ce même esprit de ténèbres terrassé
par les dernières paroles de Martin, dispa-
raître honteusement, et les anges, chantant
les victoires de ce grand pontife, porter son
âme bienheureuse dans le sein d'Abraham.
Que l'homme juste dans les mains de Dieu
est puissant, Messieurs 1
L enfer livre inutilement des combats h
l'incomparable Job sur son fumier; il rem-
porte des victoires sur lui et l'oblige de s'a-
OjTATEURS sacrés. L.
23-4
vouer va,incu. En vain il a déplo.é toute sa
fureur et toute sa puissance dans les déserts ;
un solitaire caché dans les forêts se moquait
de ses attaques.
11 a souillé les plus grands trônes, fait
tomber les forts d'Israël; un juste, pauvre et
pénitent, Ta souvent attaché à son char. Mar-
tin expirant sur la cendre en triomphe, dans
le temps que les empereurs, à la tête de leurs
nombreuses armées, sont ses captifs volon-
taires; le jiéché les rend ses esclaves.
Si saint Martin expirant vous étonne, Mes-
sieurs, parce qu'il dit au démon : Tu ne
trouveras rien en moi qui t'appartiei nr ;
pensez , je vous prie , aux principes de sa
tranquillité. Il avait un cœur pur, une inno-
cence conservée dans tout son éclat. 11 s'éta't
accoutumé dès son enfance à vaincre cet en-
nemi de son salut; il l'avait défait toutes les
fois qu'il l'avait attaqué, et les jours de sa
jeunesse, ces temps orageux et bouillants,
avaient été des jours purs et sereins. 11 n'est
pas étonnant qu'il le méprise et le brave à
la mort.
Il avait une ferme confiance dans les mé-
rites de Jésus-Christ. Que ne peut point
l'homme avec Jésus-Christ, animé de son
esprit, embrasé de son amour, soutenu de sa
grâce, persuadé de l'efficace de son sang! Il
défit avec le grand Apôtre, la faim, le feu, les
glaives, les persécutions et toutes les forces
de l'enfer.
C'est dans ce même sens, Messieurs, que
saint Martin ose défier le démon de recon-
naître en lui quelque chose qui lui appar-
tienne.
Il ne se rappelle pas, pour se tranquilliser,
ses travaux apostoliques, ses courses, ses
voyages, les ennuis de l'exil, les tourments
qu'il a soufferts pour la foi, les conquêtes
qu'il a faites, les miracles qu'il a opérés. Il
sait avec saint Paul qu'on peut prêcher les
peuples, les toucher, les convertir, et se
perdre soi-même : mais le bonheur qu'il a
eu de conserver son cœur pur. Nihil in me
funeste reperies.
Il ne dit pas, remarquez-le, Messieurs,
que le Seigneur ne trouvera rien en lui de
repréhensible. Il sait qu'il trouve des taches
dans les anges mêmes; qu'il juge les justi-
ces, et que la vie la plus sainte a besoin de
ses infinies miséricordes. Mais il parle à
celui qui n'a du pouvoir que sur ceux qui
lui ont livré leur âme en violant la loi du
Très-Haut, et en se souillant volontairement
dans les coupables satisfactions des sens.
Il dit avec saint Paul : Je ne me sens cou-
pable de rien : Nihil conscius sum. (I Cor.,
IV. ) J'attends la couronne que le juste Juge
prépare à ceux qui l'aiment : mais je ne me
justifie pas pour cela moi-même.
Il brave la malice du démon et sa puis-
sance; mais il implore les miséricordes de
son Dieu.
Ah 1 une âme accoutumée à remporter des
victoires sur ses passions, des victoires qui
ont été accompagnées des plus glorieux suc-
cès et des plus éclatants miracles, peut bien
défier l'enfer au moment de la mort, avec le
235
ORATEURS SACRES. BALLET.
256
Prophète, et dire avec confiance : Quand
toutes les puissances de l'enfer s'armeraient'
contre moi, quand elles me livreraient les
plus grands combats, je ne serai pas ébran-
lé : mon cœur ne sera jamais saisi par la
crainte, ni mes sens glacés par l'effroi. J'ai
toujours été à Jésus-Christ, et il ne m'aban-
donnera pas dans le moment destiné à me
récompenser : Si consistant advcrsum me
castra, non timebit cor meum. (PsuLWVl.)
Ce n'était donc point par présomption,
Messieurs, que notre héros bravait le démon
au moment de la mort, mais par une juste
confiance dans les miséricordes du Seigneur.
Comme des années coulées dans le crime
désespèrent le pécheur mourant, des vertus
amassées pendant la vie consolent le juste
à la fin de sa carrière, et il a droit d'espé-
rer un poids immense de gloire pour des
moments de tribulations.
Mais après avoir établi ces grands princi-
pes, ne pourrais-jepas vous dire, Messieurs,
que cette victoire qu'il remporte sur le dé-
mon en expirant, est une puissance que Dieu
lui avait communiquée pendant sa vie, et
qu'il doit perpétuer même dans son tom-
beau. Que c'est un dernier effort de cet es-
prit 'le ténèbres, mais que ce n'est pas la
dernière victoire que Martin remportera sur
lui. Sa voix puissante ne le terrassera pas,
mais ses cendres sacrées lui porteront encore
des coups redoutables.
Pour nous, Messieurs, il n'est pas éton-
nant que nous soyons timides et tremblants
au moment de la mort. Les péchés d'une
jeunesse vive et emportée, des passions flat-
tées, et qui se font, quelquefois sentir jus-
ques sur les glaces de la vieillesse ; un mo-
ment décisif auquel on n'a pas pensé effica-
cement, un Dieu qui connaît les mystères de
notre cœur, un bras vengeur qu'on n'a pas
désarmé, un paradis qu'on n'a point désiré,
une éternité qu'on n'a pas méditée, un enne-
mi à eembattre qui est accoutumé à nous
vaincre; tous ces grands objets nous saisis-
sent avec raison, et nous abattent. Mais un
saint aussi éminent que Martin, il n'est pas
étonnant que le démon perde pour lui toute
saforce, que Dieu môme perpétue ses mer-
veilles, et que le tombeau perde toutes ses
horreurs pour les précieux restes de ce grand
héros de la religion.
Quelles merveilles vais-je vous raconter,
Messieurs! Une mort que le ciel annonce
par des révélations authentiques; un tom-
beau qui fait la gloire des Gaules, qui les
remplit de prodiges; des restes précieux que
les maîtres du monde visitent avec respect,
qui font remporter des victoires, et mettent
en déroute les plus formidables armées.
Où sont donc les horreurs du tombeau
qui attendent tous les mortels? Où sont les
victoires de la mort? Où sont ces ombres et
ces ténèbres qui couvrent et enveloppent
tous les morts, qui nous les cachent et nous
les font oublier? Ahl Messieurs, tous ces
mystères humiliants de notre mortalité ne
sont point pour Martin.
Le tombeau est appelé par le Prophète
une terre d'oubli : terra oblivionis. ( Psal.
LXXXVIL) L'expérien"e vérifie cette vérité
humiliante. Pour nous qui nous flattons de
l'amitié de nos amis, de la tendresse de nos
parents, de l'attachement des créatures, de
la réputation que nous acquièrent nos ta-
lents, nos ouvrages; des empressements avec
lesquels on nous recherche, on nous désire;
des intérêts qu'on prend à notre avancement,
à notre santé ; tant que nous sommes utiles,
nous sommes agréables, tant que nous vivons
on s'occupe de nous ; une fois descendus
dans le tombeau, on nous oublie : c'est beau-
coup-si on l'arrose de quelques larmes.
C'est beaucoup- pour les savants, quand la
république des lettres annonce leur mont et
avoue qu'elle a fait une perte. Beaucoup de
fracas pour la pompe funèbre des riches, des
efforts d'éloquence pour louer les exploits
des guerriers, les actions des maîtres du
monde, et pouraccommoderau christianisme
les vertus politiques et la sagesse du siècle.
C'est avec ce fracas, ce bruit, cette magni-
ficence des obsèques que périt la mémoire
des plus grands hommes. Periit memoria
eorum cum sonitu (Psal., IX.) On n'en par-
lera plus, ils seront oubliés.
N'est-ce pas là, Messieurs, le sort de tous
les hommes, sans excepter les rois eux-mê-
mes ? Ah ! il n'en est pas de même de ceux
qui vivent aux yeux de Dieu, de tes héros
de la religion que l'Eglise honore, que Dieu
a distingués d'une manière si admirable, et
surtout de saint Martin.
Vous dirai-je, Messieurs, que Dieu se bâte
de révéler la mort dé ce grand pontife. Saint
Séverin à Cologne, saint Ambroise à Milan,
l'apprennent par une révélation divine.'*'
Comme c'était l'astre le plus brillant de l'E-
glise,l'orient et l'occident s'aperçurent bien-
tôt qu'il était é.jli,,sé.
Ali! Seigneur, vous l'aviez rendu fameux
sur toute la terre par ses vertus et ses mi-
racles, et vous ne voulez pas que toute la
terre ignore le moment qui nous l'a enlevé
pour le mettre en possession de votre gloire.
Il sera précieux et fameux, ce moment qui
l'a arraché au monde et donné au ciel.
La France n'en perdra pas si tût le souve-
nir, il sera marqué avec respect dans les an-
nales de ce royaume; il sera une brillante
époque pour les Français, et nos rois même
se feront honneur, pendant plusieurs siè-
cles, de dater leurs édits de la mort de saint
Martin.
Vous voyez, Messieurs, que Dieu perpé-
tue sa puissance en faveur de Martin, dans
les suites humiliantes mêmes de la mort.
Ab! je ne suis point surpris de voir des
princes, des évoques, plus de deux mille re-
ligieux, et tous les peuples de différentes
contrées, conduire avec une pompe majes-
tueuse ses sacrées dépouilles dans le tom-
beau. Je ne suis point surpris de voir son
culte s'établir rapidement; le jour destiné à
l'honorer mis au rang des l'êtes les plus
solennelles, et précédé de jeilnes. L'Eglise
grecque et la latine lui rendront les mêmes
honneurs. Des temp es augustes élevés en
237
PANEGYRIQUES. — PANEG. XII, SAINT PATRICE.
2?3
son nom ; à Rome, sur le mont Cassin;en
Angleterre, presqu'aussitôt qu'il fut enlevé
à la terre. Dieu perpétue après sa mort les
mêmes merveilles qu'il avait opérées pen-
dant sa vie.
Vous dirai-je qu'on a vu un prince ras-
sembler ses troupes , marcher avec ordre
pour recouvrer ses sacrées dépouilles, que
la dévotion d'une province avait ravie à l'E-
glise de Tours, que nos monarques, pénétrés
de respect pour ce sacré dépôt, ont voulu pen-
dant longtemps être inhumés dans le lieu où
elles reposent; qu'il est paré de sceptres et
de couronnes, et que c'est là qu'on recevait
les serments les plus solennels.
Vous dirai-je qu'on a défait de nombreu-
ses armées, humilié plusieurs fois nos enne-
mis et remporté d'éclatantes victoires, avec
le seul vêtement de Martin qu'on portait res-
pectueusement à la tête de nos troupes.
En vain dans le vin' siècle, les peuples du
Nord passent-ils dans les Gaules, et assié-
gei'it-ils la ville de Tours! Le seul trésor
(ju'on dérobe à leur fureur, c'est le corps
de Martin.
En vain, les protestants qui avaient formé
le sacrilège projet d'anéantir les restes pré-
cieux des héros de la religion, qui pillaient
les trésors des églises, biûlaient les corps
des saints, s'emparent-ils du corps précieux
de ce grand pontife? La Providence dérobe
à leur sacrilège fureur des portions vénéra-
bles de cet admirable thaumaturge , pour
être l'objet de la vénération de toutes les
nations.
A ces temps d'orage et de tempête ont suc-
cédé des jours sereins, et tel que le soleil qui
sort d'un nuage épais qui l'obscurcissait, le
tombeau de Martin a paru plus que jamais
environné de gloire et de puissance.
ils ont retracé aux yeux des catholiques
ces scènes impies , ces sacrilèges fureurs,
qui faisaient l'objet des gémissements du
Prophète. Ils sont entrés comme des fu-
rieux dans l'héritage au Seigneur. Venerunt
in heereditatem.
Ils ont souillé les églises par leurs brigan-
ils en ont fait des asiles d'impiété,
et souvent la retraite des animaux : Pollue-
runt templum sanctum. (Psal. LXXVIII.)
Us ont traîné ignominieusement les corps
des saints dans les places publiques ; ils ont
porté l'audace jusqu'à dire qu'ils devaient
servir de nourriture aux bêtes féroces, ou de
pâture aux flammes : Posuerunt cames
sanctorum bestiis terrœ. (Ibid.)
Ils ont imité la fureur des tyrans, en ré-
pandant inhumainement le sang des catho-
liques. On l'a vu rouler par torrents dans les
provinces où ils étaient soutenus : E/fude-
runt sanguinem lanquam aquam. (Ibid.)
Mais toutes ces impiétés n'ont pas empê-
ché que le culte de saint Martin ne soit
l'objet de la dévotion de presque tous les
empires du monde. Et n'eût-on que ce seul
prodige à leur opposer, il suffirait pour leur
prouver que Dieu sait faire honorer ses ser-
viteurs , malgré les fureurs de l'enfer, les
dages
complots de l'hérésie, et les progrès du liber-
tinage.
Peut-être, chrétiens, étonnés de cet. en-
chaînement de merveilles que je viens de
vous exposer dans la vie et dans la mort du
grand saint Martin, vous en liendrez-vous à
l'admiration ; détrompez-vous.
Il y a des choses que vous ne pouvez qu'ad-
mirer, dit saint Bernard , mais il y en a que
vous devez et que vous pouvez imiter. Ces
voies extraordinaires par lesquelles Dieu l'a
conduit; cette route éclatante de miracles
dans laquelle il a marché toute sa vie; le
camp des barbares rempli de terreur à sa
seule présence : ces titres glorieux d'apôtre,
de confesseur, de thaumaturge, de prophète
que l'Eglise lui donne, et que Dieu lui a fait
mériter; ces sentiments héroïques à la mort,
ces victoires visibles qu'il remporte sur l'en-
fer, la gloire de son tombeau et le don des
miracles qui s'y est perpétué si longtemps :
voilà ce que vous ne pouvez qu'admirer.
Dieu choisit qui lui plaît pour opérer ces
merveilles. Mais l'homme d'innocence ,
l'homme de miséricorde, l'homme de dou-
ceur, l'homme de foi, l'homme d'obéissance,
l'homme de zèle doit vous servir de modèle;
parce qu'éviter la corruption du siècle, être
compatissant sur les misères du prochain,
pardonner les injures, n'avoir point d'autre
doctrine que celle de l'Eglise , obéir à ceux
qu'elle a établis pour nous conduire, être tou-
ché des maux qui l'affligent, s'alarmer de
ses pertes, se réjouir de ses conquêtes, re-
prendre prudemment son frère lorsqu'il
tombe en notre présence clans quelque faute,
être le pasteur, l'apôtre de sa famille, de ses
domestiques , voilà des obligations indispen-
sables pour tous les chrétiens.
Séparez de saint Martin, votre illustre pa-
tron", ces voies extraordinaires, ces prodiges
qui en ont fait un homme admirable, un
thaumaturge, vous trouverez toutes ces ver-
tus chrétiennes qui en ont fait un saint
C'est dans ce genre de sainteté et non dans
les actions extraordinaires que vous pouvez
l'imiter. Il y a plusieurs demeures dans la
maison du Père céleste; il n'est pas donné à
tous d'y arriver par la route sublime des
mi racles ; mais c'est une nécessité pour tous
de marcher dans la voie étroite de l'Evangile
pouF y régner pendant l'éternité bienheu-
reuse. Ainsi soit-il.
PANEGYRIQUE XII.
SAINT PATRICE, APOTRE DE L'IRLANDE.
Prononcé dans Téglise des BR.PP. R 'collets
de Saint -Germa in en Laye, le jour de sa
fête, que les milords et les seigneurs irlan-
dais et anglais qui demeurent dans le châ-
teau, font célébrer le il mars..
Ego elegi vos ut ealis, et fructum afleratis, et fructus
vesler maneat. (Joan., XV.)
Je vous ai choisis, el je vous ai établis, afin que vous
alliez travailler pour ma gloire, que vous rapportiez du
fruit, el que voire fruit demeure toujours.
Quand on fait attention à la faiblesse des
apôtres , et que l'on considère leurs travaux
239
ORATEURS SACRES. BALLET
é d'avouer que
£40
et leurs succès, on est oblib
l'établissement de la religion chrétienne est
l'ouvrage d'un Dieu. Lui seul peut choisir
ce qu'il y a de plus faible pour confondre
infailliblement ce qu'il y a de plus fort.
Que l'homme est puissant quand c'est
Dieu qui le conduit, l'anime et le soutient !
Dès que l'homme choisi de Dieu, envoyé de-
Dieu, chargé des ordres de Dieu, paraît,
l'erreur frémit, la vérité triomphe, l'enfer
fait de vains efforts : on voit bientôt tomber
dans la honte et l'ignominie le paganisme
avec toute la vanité de ses idoles , les sys-
tèmes des philosophes avec toutes leurs or-
gueilleuses subtilités , l'hérésie avec toutes
ses audacieuses résistances, la nouveauté
avec toutes ses artificieuses ressources.
On peut comparer, Messieurs , l'homme
apostolique, suscité de Dieu, envoyé do
Dieu, à cette petite pierre qui renversa la
y. superbe statue dont il est parlé dans l'Ecri-
ture. Rien ne lui résiste, rien ne l'arrête ,
rien ne l'intimide. Les empereurs et les phi-
losophes paiens, ces idoles vivantes des
premiers siècles, n'ont pu résister à la voix
des apôtres, parce qu'ils étaient envoyés de
Dieu.
Tous ceux, Messieurs, qui n'ont pas reçu
cette mission divine, dont l'Eglise seule
peut honorer ses ministres, ont été des apô-
tres de l'erreur et du mensonge. Comment
peut-on prêcher, dit saint Paul , quand on
n'est pas envoyé ? Ce sont les'justes repro-
ches que l'on faisait à Wiclef , à Luther, à
Calvin, qui n'ont jamais pu prouver leur
mission.
Reproches qu'on ne peut adresser à ceux
qui nous ont annoncé la foi. Ils ont été choi-
sis par Jésus-Christ. L'autorité de leur apos-
tolat, les succès de leur apostolat, la durée de
leur apostolat, tout est renfermé dans ces
admirables paroles qu'il leur adresse : Ego
dcfji vos ut eaiis et fructum ufferatis , et
fructus vester maneat.
L'apôtre des îles Britanniques , l'incom-
parable saint Patrice, dont j'entreprends
aujourd'hui l'éloge , a été aussi honoré,
Messieurs , de cette mission divine. Il a été
envoyé de Dieu pour éclairer ces royaumes
du nord, adoucir les mœurs de ces peuples
féroces, dissiper les épaisses ténèbres qui
les enveloppaient, et faire connaître Jésus-
Christ à des hommes livrés à des supersti-
tions grossières.
Dieu a parlé secrètement à son cœur,
l'Eglise a approuvé son zèle, des miracles
éclatants l'ont accompagné dans ses travaux.
Ces îles infortunées soumises à la foi ont
été ses succès, et les catholiques que les
fâcheux événements des derniers siècle£
n'ont pu ébranler, sont encore des monu-
ments glorieux, de ses conquêtes et des tro-
phées éternels érigés à son zèle.
C'est votre religion et votre fermeté ,
Messieurs (2), qui m'enhardissent aujour-
d'hui à mêler avec les conquêtes de Patrice
les succès passagers des hérétiques; à vous
rappeler ces révolutions étonnantes que les
charmes de l'indépendance ont causé; ces
tristes changements qui ont touché toutes
les cours de l'Europe, et qui ont montré
dans l'Angleterre , autrefois 1 île des saints ,
un théâtre mobile et changeant sur toutes
les matières de la religion.
Je ne perds point de vue, Messieurs, les
paroles de Jésus-Christ. C'est sur cet oracle
que je fonde l'éloge de votre apôtre.
Les motifs les plus touchants et les plus
saints l'ont fait voler vers vos pères qui
étaient plongés dans les ténèbres de l'ido-
lâtrie ; mais ce "ne fut qu'après avoir été ho-
noré de la mission de l'Eglise : c'est elle qui
le députa et l'envoya: Ego elegi vos ut ealis.
Vos pères furent dociles à sa voix et répon-
dirent à la grâce qui les appelait. En peu de
temps Patrice par ses travauy procura une
abondante moisson à la religion chrétienne :
ut fructum ufferatis. Malgré les ravages de
l'hérésie et du schisme, vous êtes catho-
liques sincères et ennemis des \ rofapes
nouveautés. Nous voyons donc encore sous
nos yeux des fruits de ses travaux et
de son zèle : et fructus vester manrat. En
trois mots, Messieurs, et c'est tout le
plan de l'éloge consacré à la gloire de votre
apôtre: l'autorité de son apostolat; les succès
de son apostolat; les restes précieux de son
apostolat. Employons l'intercession de la
Mère de Dieu, pour obtenir les lumières du
Saint-Esorit. Ave, Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
J'admire, Messieurs, la mission des apô-
tres : elle est divine. C'est un Dieu qui les
choisit, qui les envoie, qui les charge de
porter ses ordres jusqu'aux extrémités de
la terre: Ecce ego mitto vos (Joan., V) : un
Dieu descendu du ciel , un Dieu fait homme
pour notre salut, un Dieu envoyé de Dieu
pour relever l'homme enseveli dans les rui-
nes de son ancienne grandeur, l'éclairer,
l'instruire, et établir sur toute la terre une
doctrine céleste , un Evangile de paix et d«5
charité.
La mission des apôtres est la même que
celle de Jésus-Christ. Il les envoie comme
il a été envoyé de son Père , il les charge du
même ministère, de la même autorité; ne
craignons pas de le dire , Messieurs, de la
môme puissance: Sicut misit me Pater et ego
milto vos. ( Ibid.)
Nous ne devons pas être surpris des suc-
cès des apôtres. Le mépris des idoles, la
destruction des temples, la conversion des
plus grands empires , la chute humiliante
du paganisme devaient suivre de près les
prédications des apôtres : des hommes en-
voyés de Dieu, remplis de l'esprit de Dieu,
opèrent. les merveilles qu'il opérerait lui-
même.
Anathème à ces hommes audacieux qui
ont paru, ou qui paraissent encore sans
(2) Los Anglais et les Irlandais catholiques qui sont à Saint-Germain en Laye, sous la protection du roi
de Fiance, l'ont célébrer cette fétc.
PANEGYRIQUES. — PANEG. XII, SAINT PATRICE.
2S1
mission. Tous ceux que Jésus-Christ n'a
pas envoyés sont de faux apôtres, dit saint
Ambroise : c'est leur doctrine qu'ils prê-
chent et non pas celle du Sauveur; c'est
l'enfer qui les suscite et non pas l'Esprit-
Saint. Ils paraissent sans autorité : malheur
à ceux qui les écoutent.
N'est-il pas tombé promptement dans la
honte et l'ignominie, l'apostolat de ces hé-
résiarques qui ont paru sur la scène dans
tous les siècles, et qui se donnaient avec
faste le nom d'apôtre ? On ne faisait que
leur dire avecTertullien : Où avez-vous été
cachés si longtemps ? Ubi tamdiu lalinstis ?
et ils étaient confondus, ils n'enseignaient
pas la doctrine des apôtres; ils n'opéraient
pas de miracles; ils ne pouvaient donc prou-
ver ni une mission ordinaire ni une mission
extraordinaire. D'ailleurs, des mœurs licen-
cieuses , des démarches hardies, des soulè-
vements dans presque toutes les cours des
souverains ne caractérisent pas l'homme
apostolique.
Ah ! comment des royaumes entiers se
sont-ils soumis h des hommes sans mission,
sans autorité? Quelle honte pour des esprits
éclairés î Voici le mystère, Messieurs.
Comme il faut être envoyé de Dieu pour
prêcher notre sainte religion, il faut être
purs et soumis pour la conserver. La corrup-
tion des mœurs a souvent entraîné la cor-
ruption de la foi. Vous n'ignorez pas la
fameuse époque des révolutions arrivées
en Angleterre au sujet de la religion. Si
Henri VIII eût toujours été chaste, il aurait,
toujours été soumis au Saint-Siège : l'erreur
qui s'était glissée avant lui dans les îles
Britanniques fut toujours timide et ram-
pante, tant que son cœur ne fut pas souillé
par des amours illicites. Sa passion seule a
rendu l'hérésie hardie et furieuse. Les succes-
seurs de Wiclef parurent dans l'Angleterre
sans mission, sans miracles; mais ils paru-
rent avec une doctrine qui flattait les pas-
sions des grands la cupidité des riches,
l'orgueil des savants. Ces grands génies,
ces profonds médkateurs qui ont rendu l'a-
cidémie de Londres si célèbre dans la répu-
blique des lettres, n'ont pas été les derniers
à embrasser l'erreur; ils ne firent pas atten-
tion à la honte de l'apostolat de ces hommes
audacieux. Ils se laissèrent flatter par la
voie spacieuse qu'ils ouvraient : les charmes
de l'indépendance triomphèrent des prin-
cipes de la raison.
Alors l'Angleterre devint le théâtre de
toutes les fausses religions : les faux apôtres
y firent de funestes progrès. On vit tomber
en ruine une partie de l'édifice que Patrice
et le moine Augustin avaient élevé par leurs
travaux. L'Angleterre oublia ce qu'elle de-
vait h celui que saint Grégoire le Grand lui
avait député; et l'Irlande, soumise au trône
de l'Angleterre, ne tarda pas à altérer la foi
que saint Patrice lui ava!t annoncée Mais si
les faux apôtres détruisent la religion dans
quelques provinces, les vrais a nôtres en-
voyés de Dieu, remplis de l'esprit de Dieu
n jnorés de la mission du souverain pontife,
l'établissent avec succès dans les empires
qui la méconnaissent.
Je remarque, Messieurs, deux choses dans
ceux qui ont prêché la doctrine de Jésus-
Christ, et qui donnent de l'autorité à leur
apostolat: la mission et les miracles. Les
apôtres ont été envoyés de Dieu; les apôtres
ont été des hommes de prodiges Jésus-
Christ leur a dit : Allez, guérissez les ma-
lades, ressuscitez les morts, changez toutes
les lois de la nature; allez prêcher des mys-
tères d'abaissement, une doctrine qui met la
nature à l'étroit, qui la gêne, qui la crucifie ;
et pour la faire embrasser, malgré la fausse
sagesse du siècle, les révoltes des sens, prou-
vez qu'elle vient de Dieu, par des miracles
éclatants ; en vous députant, je vous commu-
nique ma puissance ; vous serez tout à la
fois des apôtres et des thaumaturges.
Ah 1 qui pourra résister à des hommes en-
voyés de Dieu, revêtus de la puissance de
Dieu? Personne, Messieurs. L'enfer même
fera des efforts inutiles ; Ta mission et les
miracles assurent les succès des apôtre«. Le
sage Gamaliel le pensait ainsi, lorsqu'il as-
surait que rien ne pouvait empêcher les suc-
cès de l'œuvre de Dieu.
L'homme peut faire échouer les desseins
de l'homme, mais la sagesse mondaine ne
peut rien contre les desseins de Dieu.
Ils volent avec confiance, ces hommes
envoyés de Dieu, vers les nations idolâtres.
Ah! que leur route est brillante 1 L'esprit de
Dieu les anime, les soutient et travaille avec
eux. C'est lui qui leur enseigne les vérités
qu'ils annoncent, c'est lui qui parle parleur
bouche, et qui marque presque tous leurs
pas par des prodiges éclatants.
Pour s'assurer, Messieurs, de l'autorité
d'un apostolat, il faut donc faire attention a.
ces deux choses qui manquent dans celui
des hérésiarques, à la mission et aux mira-
cles : les miracles étaient nécessaires aux
apôtres, parce qu'ils annonçaient des vérités
qui n'étaient pas connues; ils ne sont plus
nécessaires aux prédicateurs, parce qu'ils
annoncent des vérités connues de tous les
fidèles; la mission de l'Eglise leur suffit.
Mais il n'en est pas de même de celui qui
n'a pas la mission de l'Eglise, qu'elle désa-
voue, et qui paraît pour la contredire ; il faut
qu'il prouve par des miracles qu'il est ex-
traordinairement suscité de Dieu.
Comme saint Patrice, Messieurs, était sus-
cité de Dieu pour aller prêcher l'Evangile
dans un royaume qui le méconnaissait, son
apostolat fut, aussi bien que celui des apô-
tres, autorisé par une mission légitime et
des miracles éclatants : il fut choisi comme
eux, et revêtu de la même puissance, pour
aller éclairer vos pères qui étaient plongés
dans, les ténèbres de l'idolâtrie : Eiegi vos
ut eatis.
Je ne m'arrête pas, Messieurs, à tous ces
faits éclatants qui distinguent la naissance
et les premières années de Patrice. Quel
vaste champ pour un orateur qui distingue-
rait les vertus du christianisme des fonc-
tions de l'apostolat ! 11 vous montrerait la
2S3
ORATEURS SACRES. BALLET.
241
sainteté et la grandeur héréditaires dans sa
famille, l'opulence et les honneurs du siècle
sanctifiés par les vertus chrétiennes, des pa-
rents aussi pieux que les Totre, et des en-
fants qui soutiennent la sainteté de leurs
pères; Patrice, uni par les liens du sang au
grand saint Martin, cet admirable thauma-
turge, cette brillante lumière de l'Eglise de
France, et Patrice héritier de son zèle et de
sa puissance. Mais les vertus qui font les
grands saints ne font pas toujours des apô-
tres : il faut être choisi et appelé pour prê-
cher l'Evangile; et tous ne reçoivent pas
la grâce de l'apostolat: Nunquid omncs apos-
t'oli? (1 Cor., XII.)
Je ne vous rappelle pas non plus, pour
vous prouver l'autorité de son apostolat, ce
goût de la piété qui était né avec lui ; les
vertus qu'il pratiqua pour conserver son
innocence, et les victoires qu'il remporta
sur ses ennemis ; les attraits qu'eurent pour
lui les fonctions du ministère sacré, et l'ar-
deur avec laquelle il se consacra au service
des autels ; le zèle qu'il eut toute sa vie pour
le salut des âmes, et les larmes qu'il répan-
dait sur ces contrées qui méconnaissaient
le vrai Dieu. S'il avait alors les vertus d'un
apôtre, il n'en avait pas encore l'autorité.
Si la mission de l'Eglise n'était pas abso-
lument nécessaire pour prêcher l'Evangile;
si toutes les voies extraordinaires n'étaient
pas sujettes à l'illusion, et n'avaient pas be-
soin de l'examen et de l'approbationdeî'Eglise
pour être regardées comme sûres et authen-
tiques, je vous dirais que Patrice fut appelé
par ces prodiges pour aller travailler à la con-
version des îles Britanniques.
Des révélations, des inspirations, une voix
secrète, l'entraînaient dans ces contrées ido-
lâtres.
Dieu qui a montré à ses prophètes la
^décadence de quatre grands empires, et le
moment même de leur chute, et à saint
Pierre l'état déplorable de la gentilité, sous
l'emblème d'une multitude d'animaux im-
purs, montre à Patrice tous les pouples d'E-
cosse et d'Irlande ensevelis dans les ombres
de la mort ; des voix plaintives, de tristes
aveux, des soupirs, des larmes, semblent
l'appeler à la conquête de ces infortunés, et
lui dire : Levez-vous, homme de Dieu, venez
nous éclairer, rompre nos chaînes, renverser
les trophées du démon, et en ériger à l'E-
vangile de Jésus-Christ.
L'événement, Messieurs, a justifié la vé-
rité de ces prodiges; mais les saints, sou-
mis à l'Eglise, préfèrent son autorité à l'é-
clat des miracles qu'elle n'a pas encore
constatés.
Cette voix extraordinaire ne suffit pas à
Patrice, il attend qu'il soit choisi et appelé
comme les apôtres, il va dans plusieurs
monastères pour y consulter le Seigneur.
Là, dans une paisible retraite, les prières et
les jeûnes le disposent à l'apostolat. Là, la
voix de l'Eglise lui garantit la voix de's pro-
diges. La voix des prodiges l'avait appelé à
la conversion de vos pères; la voix de l'E-
glise lui dit :AUe/ travailler dans ces royaumes
du Nord à l'établissement de l'Evangile. Pa-
trice, honoré de la mission de l'Eglise, suit
l'ardeur de son zèle, et vole, comme m e
nuée bienfaisante, dans ces climats inconnus
jusqu'alors aux hommes apostoliques; mais
il a voulu joindre avant aux vertus des apô-
tres l'autorité de l'apostolat.
Si des révélations secrètes, des inspirations
extraordinaires suffisaient pour être apôtres, -
où est l'hérétique qui ne pourrait pas prendre
audacieusement ce nom sacré? Où est le nova-
teur qui ne pourrait pas dire : J'ai eu une
révélation, je suis choisi de Dieu pour vous
annoncer telle doctrine? Les hérétiques ont
toujours voulu qu'on les crût sur leur pa-
role ; mais il n'en est pas ainsi, Messieurs.
La sagesse de Dieu a prévu à tout; il a choisi
ses apôtres, il les a envoyés ; les apôtres ont
choisi et envoyé leurs successeurs; et de-
puis que Piere a eu fixé son siège à Rome,
c'est de là que sont partis tous les hommes
apostoliques; c'est sous les ordres du suc-
cesseur de Pierre qu'ont travaillé légitime-
ment tous les ouvriers évangéliques; c'est
de lui aussi que Patrice reçoit sa mission
pour les royaumes d'Ecosse et d'Irlande,
comme le moine Augustin la reçoit du grand
saint Grégoire pour le royaume d'Angle-
terre : ainsi son apostolat est revêtu d'auto-
rité. L'Eglise lui dit solennellement, et au
nom de Jésus-Christ : Je vous ai choisi pour
aller vers ces peuples du nord qui ne con-
naissent pas le vrai Dieu : Elegi vos ut eatis.
Vous ne l'aviez pas, cette mission, faux
apôtres qui avez prêché de nouvelles doc-
trines dans les îles Britanniques : l'Eglise
ne vous avait point députés, il a fallu la quit-
ter pour enseigner vos erreurs. Votre apos-
lat a été accompagné de honte : celui de
Patrice a été accompagné de gloire. Il avait
été suscité pour détruire le règne du dé-
mon, vous avez été suscités pour le rétablir.
Il a élevé dans tous ces royaumes des tro-
phées à la foi des apôtres, vous les avez
renversés pour en ériger audacieusement à
l'erreur. Il a formé un peuple de saints.
Toutes ces contrées converties par ses tra-
vaux ont fait longtemps la joie et la conso-
lation de l'Eglise'; et tous ceux que vous
avez engagés dans l'erreur sont devenus des
hommes de trouble , d'indépendance , de
nouveauté.
Agitée et entraînée par le vent des nou-
velles doctrines, l'Angleterre, aussi bien que
l'ancienne Rome, a adopté toutes leserreurs.
L'île des Saints est devenue l'asile de tous
les hérésiarques et de tous les fanatiques.
Le mépris du trône a suivi de près celui des
autels. Le monarque a mis la main à l'encen-
soir; les peuples ont nus, à leur gré, des
bornes à la puissance royale, et celui qui
s'est déclaré chef de l'Eglise sans caractère,
est devenu, pour ainsi dire, un roi sans au-
torité; le mépris de la première majesté a
fait tomber la seconde dans l'avilissement.
Qu'il est humiliant, Messieurs, ce ressou-
venir, pour tous ceux que l'erreur a séduits
dans tous ces trois royaumes que Patrice et
Augustin avaient convertis! Quelle différence
245 PANEGYRIQUES. — PANEG. XII, SAINT PATRICE 2*5
entre ces deux grandes lumières, ces hommes Les auteurs de ces religions ont consulté
apostoliques envoyés par le successeur de l'homme lorsqu'ils en ont tracé le plan.
Pierre, et un malheureux Wiclef élevé dans Ils ont gagné son cœur en le flattant, Jésus-
le sein de l'Eglise romaine, honoré du sa-
cerdoce, chargé de la conduite des âmes,
que l'ambition rend hardi, que le libertinage
dégoûte des devoirs de prêtre et de pasteur,
que la science enfle , que la dépendance
gêne, qui paraît sans mission, et qui annonce
une nouvelle doctrine !
Ah! Messieurs, un tel a^ôtrê devait-il
donc perdre l'Angleterre , y renverser les
fondements de la foi que Patrice et Augus-
tin y avaient portée, y frayer une route
sûre au luthéranisme, au schisme et à toutes
les profanes nouveautés?
Ah ! si nous n'ignorons pas les coupables
apostasies de l'Angleterre, nous ignorons
les péchés qui ont porté le Seigneur à lui
enlever le don de la foi pour le trans-
porter clans un royaume plus fidèle. Les
ennemis de l'Eglise et des rois catholiques
qu'il a laissé propérer et triompher sont
des mystères de sa justice que nous ne
devons point sonder, mais que nous devons
adorer.
Christ seul pouvait en triompher en l'hu-
miliant.
Si les prédications des apôtres n'eus-
sent pas été accompagnées de ces prodiges
éclatants qui forcent l'homme de recon-
naître le doigt ,de Dieu, la morale sévère
qu'ils annonçaient, les mystères incom-
préhensibles qu'ils prêchaient, les trophées
qu'ils érigeaient aux opprobres du Calvaire,
le mépris qu'ils faisaient des dieux révérés
dans toute la gentilité, n'auraient fait que
révolter les esprits nourris dans la supersti-
tion et l'idolâtrie.
Mais Dieu les avait revêtus de sa puis-
sance et agissait en eux : l'éclat des miracles
faisait ouvrir les yeux aux sages du paga-
nisme et aux maîtres du monde. Des hommes
qui sont obéis dès qu'ils parlent, qui rem-
plissent un empire de prodiges, qui mon-
trent à leurs ennemis étonnés des malades
guéris, des boiteux redressés, des aveugles
éclairés, des morts ressuscites, qui imposent
silence à tous les oracles du démon, et rem-
Non, je n'interrogerai pas témérairement portent des triomphes éclatants sur le monde
le Seigneursurlapertede la religion dans ces
trois royaumes, mais j'interrogerai les An-
glais qui ont adopté l'erreur. Quelque ja-
loux qu'ils soient des prospérités de la
Erance, les Français le sont encore plus
de leur retour à l'Eglise romaine qu'ils ont
abandonnée. Comment' ont-ils pu oublier la
sainteté, la mission et les miracles de leurs
apôtres, et écouter des hommes sans mis-
sion, sans vertus ? Puisqu'ils renonçaient
au sacerdoce dont ils étaient revêtus de-
puis longtemps, et à l'Eglise romaine dans
laquelle ils étaient nés , puisqu'ils prê-
chaient une nouvelle doctrine qui combat-
tait celle de tous les siècles, ils devaient du
moins leur demander des miracles pour prou-
ver une mission extraordinaire, et comme ils
n'en opéraient pas, ils devaient leur dire
anathème.
Patrice , Messieurs , envoyé par l'Eglise
dans ces climats qu'habitaient vos pères,
leur annonça une doctrine qui leur était in-
connue : mais il y porta l'éclat des miracles,
il y parut en apôtre et en thaumaturge ; on
ne pouvait pas douter de l'autorité de son
apostolat.
Oui, Messieurs, les miracles étaient né-
cessaires pour l'établissement de la religion.
Comme un Dieu seul en pouvait former le
projet, un Dieu seul pouvait l'exécuter.
Des royaumes entiers sortis du sein des
ténèbres, des peuples soumis à une religion
qui gêne les passions, qui combat tous les
penchants de la nature, à des mystères qui
révoltent les sens et confondent la raison,
sont des changements et des merveilles du
Très-Haut.
Les progrès des fausses religions qui ré-
gnent dans le monde ne sont pas étonnants:
l'esprit humain avec tous ses raisonne-
ments, le cœur avec tous ses faibles, v
trouvent leur compte.
et l'enfer, forcent les plus opiniâtres à re-
connaître l'œuvre de Dieu.
Or, ces miracles qui accompagnaient les
apôtres partout où ils allaient, avaient été
promis par Jésus-Christ lorsqu'il leur donna
sa mission ; il ne sépara pas pour lors le
titre de thaumaturge de celui d'apôtre ; et
saint Luc nous assure que les prodiges nais-
saient sous les pas de ces hommes envoyés
de Dieu : sequentibus signis.
Mais remarquez, Messieurs, avec saint
Paul, que ces miracles n'ont été opérés que
pour les infidèles, que pour soumettre ces
empires plongés dans les ténèbres de l'ido-
lâtrie à la doctrine de Jésus-Christ, et les
faire plier heureusement sous le joug do
l'Evangile. Les fidèles n'en ont pas besoin,
l'Eglise leur garantit la doctrine qu'ils ont
reçue : Linguœ in signum sunt non fidelibus,
seâ infideiibus. (I Cor., XIV.)
Vous serez donc tout à la fois thaumaturge
et apôtre, incomparable Patrice, parce que
vous êtes envoyé dans des royaumes qui
ignorent le vrai Dieu; la mission que vous
avez reçue de l'Eglise est accompagnée du
don des miracles; votre route sera éclatante
comme celle des apôtres, parce que vos tra-
vaux sont les mêmes ; et la puissance divine,
qui agit en vous, vous soumettra l'enfer
avant même que de vous soumettre les
peuples que vous allez évangéliser.
Qu'ils sont beaux et admirables, Mes-
sieurs, ces triomphes de l'homme de Dieu
sur l'enfer! Que j'aime à me représenter
ces malheureux que Satan a revêtus de sa
sacrilège puissance humiliés aux pieds
de Patrice !
Quand je vois les magiciens de l'Egypte
rendre hommage à l'autorité de Moïse en-
voyé de Dieu, avouer leur faiblesse après
avoir lutté contre sa puissance, oublier les
merveilles passagères de l'enfer pour louer,
Ul
ORATEURS SACRES. BALLET.
US
des merveilles inimitables du Très-Haut, et
détromper le prince qui les estimait pour
faire honorer le serviteur de Dieu qu'il mé-
prisait, je dis : Que l'homme de Dieu est
puissant 1
Quand je vois cet homme sacrilège et au-
dacieux, qui avait rempli toute la Samarie
de ses prestiges, humilié à Rome par l'apôtre
saint Pierre, les applaudissements d'un
f>euple crédule changés en reproches humi-
iants, et le lieu destiné à son triomphe de-
venu le théâtre de sa honte, je dis : Que
l'homme de Dieu est puissant !
L'enfer fait de vains efforts contre lui, ses
plus formidables légions disparaissent en
sa présence; il suscite en vain des hommes
pour travailler à étendre son règne ; ils
tombent aux pieds de l'homme envoyé de
Dieu.
Ici, Messieurs, vous vous rappelez 'les
triomphes de saint Patrice sur ces hommes
que l'enfer vomit de temps en temps pour
commettre ces œuvres de ténèbres, ces ac-
tions mystérieuses, ces faits extraordinaires
qu'un peuple crédule et ignorant ne sait pas
distinguer de la puissance du Très-Haut;
ces hommes dont le nom est si effrayant, la
science si vaine, la puissance si bornée ; ces
hommes qui ont trop de crédit en Egypte, à
Babylone, chez les Chaldéens,pour l'honneur
de ces grands empires, ces hommes que les
monarques, les armées les plus nombreuses
consultaient et respectaient, mais qu'un pro-
phète, un homme de Dieu humiliait et con-
fondait.
Vous savez que la seule présence de Pa-
trice les déconcerta, les humilia, et les pré-
cipita dans les noirs abîmes qui les avaient
suscités.
En vain ont-ils recours à leurs enchante-
ments, et mettent-ils leur confiance dans les
secours qu'ils attendent de l'enfer. Patrice
parle, et l'enfer frémit, les magiciens sont
confondus, les trophées du démon sont ren-
versés, trois expirent aux pieds de notre
apôtre; l'enfer qui les 'avait vomis les reçoit.
Dieu , Messieurs,, pouvait-il honorer les
commencements de son apostolat d'une ma-
nière plus éclatante ?•
Allez, glorieux apôtre, dans les îles Bri-
tanniques, parcourez ces vastes royaumes
du Nord, où l'Eglise vous envoie, les mi-
racles vous accompagneront : vous avez lutté
contre l'enfer, et vous en avez triomphé ; à
des miracles d'un" Dieu vengeur, joignez des
miracles d'un Dieu de miséricorde : portez
partout le don des guérisons, retracez sur
votre route la bonté du Sauveur, guérissez
les âmes et les corps. C'est ce qu'il lit, Mes-
sieurs : il partit en apôtre et en thaumaturge,
ses miracles confirmèrent sa mission à vos
pères, et ils jugèrent qu'il était envoyé de
Dieu, parce qu'il faisait les œuvres do Dieu.
Les faux apôtres n'opèrent pas de mi-
rai les, dit saint Ambroise, ils ne font- rien
qui rende témoignage à leur nouvelle doc-
trine : Nulla his signa virïutUTh, perhibent
testimonium. Où sont-elles, les merveilles
que Wiclef et ses successeurs ont opérées
dans l'Angleterre pour prouver qu'ils étaient
suscités extraordinairement?
11 est vrai qu'on y a vu des merveilles qui
ont étonné toutes les cours de l'Europe ; les
attentats du prince sur l'autel ; les attentais
du peuple sur le trône, la religion réformée
à un tribunal de laïques, les majestés de la
terre jugées et condamnées par une assem-
blée de séditieux ; si ces scènes scandaleuses
font les apôtres et les thaumaturges , on
pourrait encore appeler aujourd'hui l'Angle-
terre l'île des saints.
Les faux apôtres qui ont renversé une
partie de l'édifice que Patrice et Augustin
avaient élevé voudraient-ils encore nous
donner pour des merveilles qui honorent
leur apostolat tout ce qu'on a vu en Angle-
terre après la réforme?
Là, vivaient à l'ombre du trône des vierges
enlevées à leurs monastères, des religieux
dégoûtés de leur état, des prêtres rebelles à
l'Eglise et à leur prince-, là, des ministres
qui avaient célébré les saints mystères plu-
sieurs années, prêché et confessé, vivaient
tranquillement comme des laïques : là, des
personnes consacrées à Dieu par des vœux
monastiques, ou par l'onction sainte du sa-
cerdoce, contractaient publiquement des ma-
riages sacrilèges : là, tous ceux dont les pas-
sions étaient^ trop gênées par les saintes
règles de la 'religion dans ce royaume, y
secouaient librement le joug du célibat. Voilà
les merveilles qui ont suivi l'apostolat de
Wiclef et de ses successeurs.
Ces changements étonnants, ces sacrilèges
attentats, ces honteuses apostasies sont di-
gnes de tels âpÔtres : s'ils appellent cela ré-
primer les abus, que les succès de leur apos-
tolat sont déplorables I Et quelle différence
entre les succès de Patrice 1 Je les examine,
Messieurs, sans intervalle, je ne sépare point
cette seconde partie de !a première, et je
vais vous montrer en peu de mots les succès
de son apostolat assurés par la parole de
Jésus-Christ : Ut fruclum ajj'eralis.
SECONDE PARTIE.
Détruire et établir, c'était, Messieurs,
l'unique objet de la mission des apôtres : dé-
truire le paganisme, établir la religion chré-
tienne. Ils y ont réussi, vous le savez, mal-
gré tous les obstacles : le démon a cessé
d'avoir des temples, l'Eglise de Jésus-Christ
en a eu sur toute la terre: voilà leurs succès,
et les fruits précieux de leurs travaux que le
Sauveur leur demandait : LJtfructum aiïeratis.
Tels furent aussi, Messieurs, les glorieux
succès de saint Patrice votre apôtre ; il a dé-
truit l'idolâtrie dans l'Irlande et dans l'E-
cosse, il y a établi la rel igion chrétienne : suc-
cès sur l'enfer, dont il a affaibli le règne;
succès sur le cœur de l'homme qu'il a gagné
à Dieu ; il a attaché le démon à son char, il
a attaché l'homme au char de Jésus-Christ:
voilà- les succès que Dieu lui a procurés et
les fruits précieux de son apostolat : VI
fructum afferatis.
Quels hommages le démon ne reçoit-il
pas dans ces contrées malheureuses qui ne
219
PANEGYRIQUES.
Dieu? Il y
connaissent pas le vrai
temples, des autels, des sacrifices; c'est lui
qu'on adore, c'est à lui qu'on offre et qu'on
immole des victimes, c'est à lui qu'on adresse
ses vœux et ses hommages; il tient tous ces
aveugles humains sous son odieux einpire,
et reçoit paisiblement les honneurs divins.
Si, non content de régner dans ces pro-
vinces idolâtres, il parcourt l'univers, livre
des combats, emploie les appâts et les amorces
du vice pour faire tomber tous les chrétiens,
souiller tous les cœurs, porter la honte du
crime dans tous les Etats, dans le sanctuaire
et.sur le trône ; nous devons juger de l'em-
pire qu'il exerce dans ces climats qui ne
connaissent pas le vrai Dieu, et rougir des
conquêtes qu'il fait parmi nous qui sommes
son peuple choisi.
Là, les peuples sont à lui par religion ;
ici, nous sommes à lui par le péché. Là,
l'ignorance du vrai Dieu leur fait transporter
le culte suprême à des idoles ; ici, la fougue
des passions flattées nous attache à de cou-
pables objets. Là, il se fait obéir en maître
absolu ; ici, il nous fait désobéir volontaire-
ment à un Dieu suprême. Là le démon règne
dans ses temples; ici, il règne dans les
nôtres. Là, il établit des solennités sacri-
lèges; ici, il souille nos solennités saintes.
Réflexion bien humiliante pour nous,
Messieurs : un seul apôtre a éclairé des
royaumes entiers, humilié l'enfer et abattu
le démon à ses pieds; et des milliers d'a-
pôtres, des prédicateurs répandus chez tous
les peuples chrétiens n'arrachent presque
point d'âmes au démon. Les passions des
hommes sont donc plus difficiles à dompter
que l'infidélité même? Le sacrifice du cœur
coûte donc plus que celui de l'esprit? Nous
en sommes des preuves éclatantes, nous qui
croyons tout ce que la foi nous enseigne, et
ne pratiquons pas tout ce qu'elle commande.
Le malheur des idolâtres est d'offenser un
Dieu qu'ils ne connaissent pas. Le crime du
chrétien est d'offenèer un Dieu qu'il adore.
Quelle différence entre les succès des
hommes envoyés dans les royaumes idolâ-
tres, et les stériles travaux de Veux qui prê-
chent chez les chrétiens ! Rougissons-en ,
Messieurs.
Patrice n'est, pas plus tôt arrivé chez ces
peuples du Nord qui forment aujourd'hui
ces vastes royaumes d'Ecosse et d'Irlande,
ces deux trônes réunis à celui d'Angleterre,
que l'enfer frémit. Le démon qui attaque les
forts d'Israël, les rois même sur le trône, est
attaqué par notre apôtre. Déjà le paganisme
chancelle dans ces régions couvertes des
ombres delà mort; la voix de Patrice, sem-
blable à ces trompettes mystérieuses qui
firent tomber les murs de l'orgueilleuse Jé-
richo, fait fuir toutes les puissances de l'en-
fer, et annonce la chute humiliante de l'ido-
lâtrie.
Rientôt le culte superstitieux tombe dans
l'avilissement. Rientôt on rougit de l'encens
que l'on a offert aux fausses divinités, des
vœux et des prières qu'on leur a adressés, de
la confiance aveugle qu'on a eue dans la
— PANEG. XII, SAINT PATRICE.
a des pierre et le bois. Vos pères
250
avouent qu'ils
ont possédé le mensonge, ils rougissent de
leurs superstitieuses pratiques, et confessent
que le Créateur seul du ciel et de la terre
mérite nos hommages et nos adorations.
Aussitôt les temples sont détruits, les autels
renversés, les idoles brisées, les oracles mé-
prisés, l'enfer confus, la croix du Sauveur
arborée, l'Evangile reçu, Dieu seul adoré, le
démon vaincu.
Voilà, Messieurs, les premiers succès de
notre apôtre : la destruction entière du paga-
nisme, le règne du démon aboli, le théâtre
de sa gloire devenu le théâtre de sa honte;
et celui qui faisait prosterner tant de peuples
à ses pieds abattu aux pieds de Patrice, et
attaché honteusement à son char.
Que les succès de Wiclef et de ses succes-
seurs -dans l'Angleterre sont différents, Mes-
sieurs 1 Si, selon saint Augustin, l'hérésie
fait des plaies plus considérables que celles
de l'idolâtrie, ne peut-on pas appeler leurs
succès passagers les triomphes du démon?
Patrice avait détruit le paganisme pour éta-
blir la religion chrétienne; ils détruisent la
religion chrétienne pour établir l'hérésie.
C'est sur les ruines de l'idolâtrie qu'on
élève des temples au vrai Dieu. C'est sur les
ruines de la religion catholique qu'on élève
des autels à la nouveauté. Les îles Britan-
niques renoncent à la foi qui leur avait été
annoncée par Patrice et Augustin pour em-
brasser les nouveaux dogmes de quelques
fameux apostats.
Ah ! que les succès de l'erreur ne les ras-
surent pas : ils sont bien différents de ceux
de Patrice. Les succès de Patrice sont ra-
pides, ceux des hérésiarques sont lents.
Comme les novateurs n'ont nulle autorite,
il faut qu'ils s'insinuent secrètement, qu'ils
ne se montrent qu'avec précaution , qu'ils
soient timides et rampants, qu'ils envelop-
pent habilement leurs erreurs, et qu'ils sé-
duisent par leurs artifices ceux qu'ils ne
pourraient jamais gagner par le nouveau
plan de leur doctrine.
Les succès de Patrice sont l'ouvrage de
Dieu ; ceux de Wiclef et de ses successeurs
sont l'ouvrage de l'homme ennemi: Inimi-
cus homo fecit. (Matth., XIII.)
Que de mystérieux complots, que de ca-
bales sourdes, que de honteuses variations l
Que d'alarmes dans le prince! Que de politi-
que dans les grands ! Que de lâcheté dans les
évoques! Que de soulèvements indécents
dans le peuple 1 Que de retranchements, que
d'additions lorsqu'on a voulu fixer la nou-
velle croyance des Anglais! Une assemblée
était réformée par une autre. La réforme
plaisait dans certains points, etrévoltaitdans
d'autres. On a vu les faux apôtres sacrifier
quatre articles de leur doctrine, parce qu'ils
déplaisaient à la reine Elisabeth. Voit-on ces
honteux ménagements et ces perpétuelles
variations dans la doctrine des apôtres ? Que
doit-on penser de ces succès?
Les succès de Patrice sont immenses, sont
universels dans les, climats qu'il a évangé-
lisés. L'Irlande et 1 Ecosse ont été changées
251
ORATEURS SACRES. RALLET.
234
par ses prédications, ces grands royaumes
ne reconnaissent point d'autre apôtre que
lui.
et l'habileté de
L'intrigue
us de vingt
faux apôtres n'ont pu détruire la religion ca
tholique dans les îles Britanniques. La reli-
gion du prince même n'est pas la plus éten-
due, et la haine seule de l'Eglise romaine y
fait subsister plus de cinquante religions
absurdes et grossières.
C'est à un apôtre envoyé de Dieu comme
Patrice qu'il est donné, non-seulement de
détruire le paganisme, d'attacher le démon
à son char, mais encore de faire embrasser
les vérités gênantes et humiliantes de l'E-
vangile, et d'attacher l'homme, malgré ses
penchants et ses inclinations, au char de
Jésus-Christ : ce sont là de glorieux succès. .
Où est-elle, la gloire de ces faux apôtres
qui ont perverti des royaumes entiers, sou-
mis plusieurs provinces à leur nouvelle doc-
trine, et dont on vante tant les funestes con-
quêtes et les malheureux succès? Le plan de
leur prétendue réforme ne condamnait pas
les faibles des hommes et ne gênait pas
leurs coupables penchants.
Je ne parle pas ici, Messieurs, des immen-
ses progrès du mahométisme, que des liber-
tins ont l'audace d'opposer aux miraculeux
progrès des apôtres ; il n'est pas étonnant
que la volupté triomphe de l'homme, il est
plus étonnant que l'homme en triomphe. Il
ne faut qu'être homme pour vivre volupteu-
sement. Il faut faire profession de la doctrine
de Jésus-Christ, et être soutenu d'une grâce
puissante pour vivre saintement; il ne faut
que suivre nos malheureux penchants pour
obéir aux apôtres du vice, il faut les dompter
pour obéir aux apôtres de Jésus-Christ.
Mais je parle des apôtres de l'erreur et des
funestes progrès qu'ils ont faits en Angle-
terre, et je dis que leurs succès ne sont ni
aussi étonnants, ni aussi dignes de notre
admiration que ceux de Patrice. En voici
des preuves, Messieurs.
Le prince et les grands étaient Haltes par
la nouvelle doctrine qu'ils prêchaient: la
gloire, l'intérêt, la passion y trouvaient leur
compte, on -réunissait audacieusement le
glaive de Pierre au glaive de Constantin.
On se moquait par principes des bornes sa-
crées qui séparent les deux puissances. On
attachait la suprématie de l'Eglise à l'autorité
royale : cela ne suffisait-il pas pour flatter un
prince qui était devenu l'ennemi du Saint-
Siège, depuis qu'il était devenu l'esclave de
sa passion?
On permettait aux grands, dans cette nou-
velle doctrine, de s'emparer des trésors de
l'Eglise, de dépouiller les ministres de leurs
revenus, et d'agrandir leurs domaines du
patrimoine des pauvres. N'était-ce pas là des
ap.iAts pour la cupidité?
On ouvrait les cloîtres des religieuses ; on
brisait les barrières sacrées qui les séparent
du inonde dangereux; on dispensait les prê-
tres du célibat, les fidèles de l'abstinence,
de la confession et de toutes les pratiques
austères et humiliantes de la religion ro-
maine : est-il étonnant que des hommes qui
ont tant de faibles se soient rangés sous les
étendards de ces apôtres complaisants? La
passion fait tant de prévaricateurs parmi ceux
mêmes qui respectent la religion romaine,
comment ne soumettrait-elle pas aux apôtres
de l'erreur ceux dont le Saint-Siège a con-
damné les scandaleux commerces?
Ah! Messieurs, c'est la passion qui a sus-
cité ces apôtres dans l'Angleterre ; ce sont
les passions des grands qui les ont accré-
dités, et c'est encore la passion qui soutient
le schisme qu'ils ont élevé; mais un apôtre
qui prêche le plan de Jésus-Christ a tracé
lui-même un Evangile qui crucifie la chair,
révolte les sens, humilie l'esprit, met la na-
ture à l'étroit ; et cependant il soumet tous
les peuples. Ce sont là, Messieurs, les suc-
cès des hommes envoyés de Dieu : ce sont
ceux de Patrice envoyé dans l'Ecosse et l'Ir-
lande. Après avoir détruit l'empire du dé-
mon, il détruisit l'empire des passions:
le démon fut attaché à son char, et l'homme
à celui de Jésus-Christ.
On vit ce grand miracle dont parle saint
Augustin, et qu'il met à la tête de tous les
autres : des hommes soumis tout d'un coup
à une religion gênante et humiliante; un
apôtre qui prêche des choses qui paraissent
incroyables, et qui soumet les esprits; qui
annonce des pleurs, des privations, des com-
bats pendant tout le cours de cette vie, et
qui persuade ses auditeurs ; un apôtre qui
prêche un Dieu fait homme'1, pauvre, mé-
prisé, persécuté, attaché à une croix, et qui
multiplie le nombre de ses disciples; un
apôtre qui annonce une voie étroite, le dé-
tachement des richesses, le renoncement aux
plaisirs, le pardon des ennemis, et y fait en-
trer tous les peuples; un apôtre qui prêche
une morale qui n-accorde rien aux penchants
du cœur, qui condamne jusqu'aux pensées
et aux désirs, et qui est écouté. Voilà le mi-
racle , dit saint Augustin : ces succès des
apôtres doivent soumettre un esprit raison-
nable.
Tels furent ceux de Patrice, Messieurs:
il annonça le plan austère de l'Evangile à
vos pères, et ils le reçurent; ses discours
les tirent courber avec docilité sous le joug
de Jésus-Christ, il les persuada et les toucha
efficacement. C'est ce que saint Ambroise ap-
pelle les persuasions des hommes aposto-
liques : suasiunes upostolicœ. Patrice avait
l'autorité dvs apôtres, ce zèle, cette onction,
cette efficace qui touchent les cœurs, les en-
lèvent, et les soumettent aux lois austères et
humiliantes de l'Evangile. C'était un apôtre
de Jésus-Christ : il persuadait: ses paroles
enchaînaient les cœurs; ses prédications,
aussi bien que celle de Pierre et de Paul,
étaient suivies d'éclatantes conversions ; per-
sonne ne résistait aux paroles victorieuses
que Dieu mettait sur ses lèvres : suasiones
apostolicœ.
Ce sont ces conquêtes qu'il présenta à
Jésus-Christ, les succès de son apostolat,
les fruits précieux que l'Eglise attendait de
PANEGYRIQUES. — PANEG. XII, SAINT PATRICE
253
ses travaux lorsqu'elle l'honora de sa mis-
sion : Ut fructum afferatis.
Jetons, Messieurs, un voile sur les com-
plots de l'enfer et sur la passion de ces hom-
mes d'erreur qu'il a suscités pour détruire
une partie de l'édifice que Patrice avait élevé :
des faits plus éclatants et plus consolants se
présentent à mon esprit. Ce sont tous les ca-
tholiques des îles Britanniques qui ont ré-
sisté à la tentation , vous , Messieurs, qui
êtes toujours fidèles à votre Dieu et à la doc-
trine catholique.
Voilà les restes précieux de l'apostolat de
Patrice qui suhsistent pour la gloire de
Dieu, la consolation de l'Eglise et la con-
fusion de l'hérésie : Et fructus vester maneai.
C'est la dernière partie de son éloge.
TROISIÈME PARTIE.
Qu'ils sont admirables et qu'ils méritent
nos respects, ces restes précieux de l'apos-
tolat de saint Patrice! Ce sont, Messieurs,
ôe^ héros de la foi que nous pouvons mettre
à côté de ces hommes fameux qui ont dé-
fendu la religion opprimée sous le règne des
empereurs païens. Puisqu'ils nous retra-
cent les mêmes vertus, ne méritent-ils pas
les mêmes éloges?
L'Eglise nous montre, dans ces grands
combats qu'on livra t au christianisme, des
hommes qui bravaient la mort, montaient
avec joie sur les échafauds et se courbaient
avec docilité sous les glaives des bourreaux;
des colombes timides qui s'envolaient dans
les déserts, pour éviter dans ces paisibles
retraites les assauts qu'on aurait livré à la
pureté de leur foi; des chrétiens zélés qui
allaient hardiment dans les maisons, dans
les mines, dans les cachots, dans les am-
phithéâtres mêmes, exhoi ter leurs frères à
persévérer dans la doctrine des apôtres ; une
multitude de fidèles qui se multipliaient tous
les josrs au milieu des ennemis du nom
chrétien.
Image fidèle, Messieurs, du consolant
spectacle que la grâce toute-puissante de
Jésus-Christ nous a donné dans l'Angleterre,
au milieu de toutes les horreurs du schisme
et de ces grandes révolutions qui ont fait
gémir toutes les cours catholiques.
On a vu des échafauds à Londres teints
du sang des défenseurs de la foi de Patrice.
On a vu des familles illustres, des majestés
même de la terre, errantes et fugitives, pas-
ser les mers pour aller professer, en sûreté,
la religion romaine proscrite dans leur pa-
trie. On voit tous les jours des prêtres et
des évêques zélés parcourir ces vastes royau-
mes pour y exercer leur saint ministère. On
y voit des milliers de catholiques qui ont
plus de ferveur que nous, parce qu'ils ont
moins de liberté.
Voilà, Messieurs, les précieux restes de
l'apostolat de saint Patrice. Voilà ceux qui
ont échappé à la séduction, et qui conservent
la doctrine de leur apôtre : Et fructus vester
inaneat.
Vous ne l'ignorez pas, Messieurs, la source
de toutes ces scènes sanglantes, de tous ces
2o4
changements surprenants qui ont rendu l'An-
gleterre méconnaissable, obscurci l'éclat du
trône en avilissant la majesté des autels.
Quel homme vais-je nommer, Messieurs?
Henri VIII. A ce seul nom, toutes les hor-
reurs de la réforme se présentent à vos es-
prits. 11 était grand avant sa passion, vous
le savez; c'était l'homme de l'Eglise, le pro-
tecteur du Saint-Siège, le fléau des héréti-
ques; mais il est devenu odieux, vous le sa-
vez aussi, sous l'empire de la passion schis-
matique et sacrilège.
Celui qui écrivait contre Luther, lorsque
son cœur ne goûtait que des douceurs légi-
times, se soulève contre l'Eglise et son chef,
lorsqu'il est livré à des amours illicites. Il
persécute l'Eglise, parce qu'elle condamne
son scandaleux divorce. 11 renonce à la reli-
gion de ses pères, parce qu'elle désapprouve
ses coupables attaches. Quel aveuglement
dans un roi, quand il fait régner ses passions
avec lui sur le trône, et qu'il se sert de sa
puissance pour le souiller, au lieu de s'en
servir pour faire régner Dieu et soutenir l'é-
clat de sa couronne! Tel fut cependant, Mes-
sieurs, Henri VIII. L'histoire fidèle ne me
permet pas de vous le représenter sous d'au-
tres traits.
Bientôt l'ambition, la cupidité, la crainte,
firent des lâches déserteurs de la religion
catholique; des évoques, des grands du
royaume se prêtèrent à la passion du prince.
L'épiscopat fut avili et dépouillé de son au-
torité sacrée. Le parlement fut élevé en gloire,
et usurpa l'autorité apostolique. On vit alors
des assemblées tumultueuses de laïques
dresser à leur tribunal des professions de
foi. On vit voler de toute part des édits san-
glants contre les catholiques. On n'épargna
rien pour gagner ou intimider les fidèles
attachés au Saint-Siège ; mais la chute ne fut
pas générale, Dieu suscita des forts en Israël ;
il s'est réservé des milliers de fidèles qui ne
fléchissent point le genou devant l'idole. Si
la persécution fit des lâches, elle fit aussi des
martyrs. L'appareil des supplices n'intimida
point les héros de la foi catholique; et si le
sang qu'on a fait couler n'a pu éteindre le
feu de la division, il a été du moins une pré-
cieuse semence de nouveaux catholiques.
Or, ce sont, Messieurs, ces martyrs, ces
hommes admirables qui ont préféré une mort
glorieuse à une vie honteuse, que j'appelle
les précieux restes de l'apostolat de saint
Patrice.
Le temps ne me permet pas, Messieurs,
de vous représenter ici tous ces lugubres
spectacles que l'Angleterre donna à l'univers
étonné; de vous nommer tous ces héros de
la foi qui ont été immolés dans le funeste
ouvrage de la réforme.
Pendant longtemps on vit des échafauds
dressés, des cercueils préparés, un deuil
presque continuel; les têtes les plus illus-
tres abattues ; le sang des évêques, des prê-
tres et des religieux répandu de tous côtés.
Mais si ces tristes scènes font la honte de
l'Angleterre, elles font la gloire de la reli
gion. C'est la grâce du Sauveur qui a sou-
ORATEURS SACRES. BALLET.
2-:ô
tenu ces généreux athlètes dans ces grands
combats; c'est cette même grâce, Messieurs,
qui doit refermer les plaies que la nature a re-
çues dans le sacrifice de ces grands hommes.
Ils n'ont point arrosé l'échafaud de leurs
pleurs. La gloire dont ils jouissent ne doit-
elle pas arrêter les vôtres? Ils apprirent avec
joie qu'ils mouraient pour la religion catho-
lique; la cause de leur martyre doit vous
assurer de leur couronne; ces illustres vic-
times sont des rentes précieux de l'apostolat
de saint Patrice.
Parlerai-je des deux grands héros de la
réforme, dont les noms sont odieux dans
l'histoire? Je veux dire de Cranmer et de
Thomas Cromwell. Je les laisserais dans l'ou-
bli, si je n'avais pas, Messieurs, deux grandes
victimes à leur opposer, deux hommes qui
avaient la foi et le zèle des apôtres : vous en-
tendez, Messieurs, l'illustre Fisher et le
grand chancelier Morus. Quel contraste dans
ces portrait*, Messieurs 1 J'ai à vous repré-
senter deux hommes qui sont la honte de la
réforme; j'ai à vous représenter deux hom-
mes qui font la gloire de la religion : la honte
de l'Angleterre est d'avoir immolé les plus
saints et les plus grands personnages du
royaume ; la gloire do la religion catholique
est d'avoir eu ces deux grandes victimes pour
défendre sa foi.
Représentez-vous, Messieurs, un homme
corrompu qui emploie le crédit d'Anne de
Boulen pour monter sur le premier siège de
l'Angleterre ; un fourbe qui cache sa religion
au Pape, et lui jure solennellement une
obéissance qu'il désavoue dans le cœur; un
politique qui parle contre le luthéranisme
qu'il professe , et professe la religion du
prince qu il ne croit pas; un cruel qui entre
rî&tis les complots de'moTt, et qui il épargne
pas même celle qui a contribue à son éléva-
tion. Cranmer était tout cela.
Représentez-vous aussi, Messieurs, un
homme qui, par une ambition heureuse, sort
tout à coup de la poussière de la terre; qui
quitte les occupations les plus viles et les
plus basses pour chercher dans les armes
un état au-dessus de sa naissance ; que des
succès passagers ont fait connaître, que ses
souplesses oi.t soutenu auprès des grands;
qui a eu la confiance d'un prince déchaîné
contre l'Eglise, et qui méritait l'indignation
d'un roi sage et équitable ; un laïque qui est
honoré du t'tre de vice-gérant de toute l'E-
glise anglicane, et auquel des évoques et des
prêtres ont la lâcheté d'obéir. Tel était Tho-
mas Cromwell. Voilà, Messieurs, les deux
grands héros de la Réforme.
L'hérésie leur a érigé des trophées, elle a
publié avec ostentation leurs succès, mais
su -ces qui ne sont pas si immenses qu'on
veut le faire croire. La foi de Patrice a eu
île* défenseurs zélés; l'illustre Fisher et le
grand Morus étaient encore des restes pré-
cieux de son apostolat; et je dirais presque
qu'ils étaient eux-mêmes des apôtres, puis-
qu'ils en avaient la foi, le zèle et la fermeté.
Quelle foi n'ont-ils pas montrée lorsqu'elle
éta:t presque éteinte dans toute l'Angleterre?
Avec quel zèle ne se sont-ils pas soulevés
contre les entreprises sacrilèges du prince?
Avec quelle fermeté n'ont-ils pas soutenu
les ennuis de la prison et la perte de leurs
biens? Avec quelle joie ne sont-ils pas mon-
tés sur l'échafaud? Avec quelle docilité ne
se sont-ils pas courbés sous le glaive des
bourreaux ? Ah ! quand je vois ces deux
grandes victimes immolées, je me récrie : La
foi de Patrice règne encore dans l'Angle-
terre ; elle y est persécutée, mais elle y fait
des martyrs. Ce sont des restes précieux de
l'apostolat de saint Patrice.
Oui, Messieurs, partout où la religion ro-
maine sera paisible, elle érigera des tro-
phées à ces hommes magnifiques en foi, à
ces hommes fidèles à leur Dieu et soumis à
l'Eglise dans des temps difficiles et orageux,
Si en Angleterre on leur prononce d'in-
justes sentences, ici nous leur donnons do
magnifiques éloges ; ce royaume aura la
honte d'avoir ensanglanté ses échafauds du
sang de ses rois et de ses braves; le nôtre
aura la gloire de les avoir loués et admirés.
Ce n'est point pour rouvrir des plaies qui
sont encore sensibles, que je vous rappello
ces grandes scènes, Messieurs, mais pour
vous montrer ce que peut la grâce de Jésus-
Christ, pour parler de votre gloire en par-
lant de celle des héros, puisque vous y êtes
intéressés, et que les pertes que vous avez
faites sont des monuments précieux de votre
foi et des titres glorieux pour prétendre à
l'éternelle félicité.
Oui, Messieurs, tous ceux qui dans les
révolutions de l'Angleterre ont quitté leurs
biens pour leur religion sont des restes
précieux de l'apostolat de saint Patrice.
SahU Paul donne de magnifiques éloges à
la foi d'Abraham, parc? qu'il quitta sa patrie
souillée des superstitions du paganisme,
pour aller dans des terres plus pures servir
le Seigneur. Il nous le montre errant et fu-
gitif, s'abandonnant avec confiance aux ten-
dres soins de son Dieu qui guidait ses pas
et le conduisait dans une terre qu'il ne
connaissait pas : Exivit nesciens quo ire t.
(Ilebr., XL)
Les catholiques d'Angleterre ont-ils eu
moins de foi, Messieurs? N'a-t-on pas vu les
majestés de la terre et les glus illustres fa-
milles errantes et fugitives ; un roi abandon-
ner trois couronnes et des sujets fidèles, des
dignités éclatantes et des revenus immenses ?
N'était-ce pas leur foi qui leur faisait mé-
priser ces grandeurs humaines qu'on ne con-
servait ou qu'on n'accordait en Angleterre
qu'à de honteuses apostasies?
Il est vrai qu'on ne peut pas dire de ces
illustres fugitifs ce que saint Paul dit d'A-
braham, qu'ils ne savaient pas où ils allaient :
Nesciens quo iret.
Ils savaient que les rois malheureux, aussi
bien que les souverains pontifes persécu-
tés, avaient toujours trouvé un asile sûr et
commode dans la France , et que l'ombre du
trône des Français les protégerait; ils sa-,
vaient aussi que Louis le Gnnd aimait trop
PANEGYRIQUES. — PANEG. XII, SAINT PATRICE.
S57
la religion pour no pas être le protecteur ce
ceux qui en étaient les victimes.
Ah! Messieurs, quelles expressions ne me
faudrait-il pas pour louer tout à la fois deux
rois dont le sort est si différent? Un roi vic-
torieux, la terreur de ses ennemis, le pacifi-
cateur des nations, et un roi fugitif dont le
trône est renversé, le sceptre brisé, la ma-
jesté proscrite ; un roi paisible sur son trône,
l'ornement d'une cour brillante, les délices
de son peuple, et un roi persécuté, dépouillé
de la pompe royale, accompagné de quelques
sujets fidèles qui partagent ses malheurs ; un
roi qui soutient la religion par sa puissance,
(jui a humilié l'orgueilleuse hérésie, qui l'a
forcée de sortir honteusement de ses États, et
un roi qui n'a point d'autres armes pour la
combattre que la foi ; qui est une victime de
la religion, parce qu'il ne peut pas en être le
protecteur. Ah 1 Messieurs, nous ne saurions
trop les louer tous les deux, l'un pour avoir
été le protecteur de la religion, l'autre pour
en avoir été la victime.
Que de zélés catholiques, Messieurs, ont
marché sur les traces de leur roi et sont
venus sur cette montagne professer, sous la
protection d'un roi très-chrétien, la foi et la
doctrine de Patrice.
Les dignités, les charges, l'opulence, tout
a été foulé aux pieds pour la religion catho-
lique. C'est Dieu, Messieurs , qui vous a
donné cette force que nous admirons. Vous
êtes les restes précieux de l'apostolat de
Patrice.
Craignez Dieu, honorez le roi, dit l'apôtre
saint Pierre (I Petr., II) , deux devoirs indis-
pour ces pour l'homme ; or, Messieurs , c'est
pensables deux grands objets que vous avez
quitté les honneurs et les biens que vous
aviez dans votre patrie; la cause est juste, vos
pe nés auront leur récompense. Pendant que
ce que vous avez de plus cher vit paisible-
ment à l'ombre du Saint-Siège, vous servez
Dieu ici à l'ombre du trône de notre auguste
monarque. Ses ennemis ont toujours éprouvé
sa valeur et sa clémence ; comme catholiques
zélés et braves guerriers1, vous éprouvez sa
générosité et sa magnificence.
Dieu q,:i est le maître des temps, qui trans-
fère les royaumes à son gré, a ses moments
marqués pour récompenser votre foi. Atten-
dez-les avec confiance, et vous ne serez point
confondus.
Vos rois ont eu assez de foi pour sacrifier
leurs couronnes, vous en avez aussi assez
pour sacrifier vos biens et vos dignités. Ré-
jouissez-vous de ces privations ; vous avez
résisté aux charmes de l'erreur, et je vois
dans cet auditoire, avec plaisir, des restes
précieux de l'apostolat de saint Patrice. Ils
sont ici paisibles; considérons-les dans les
îles Britanniques, où ils sont exposés à'.tant
de dangers; et d'abord je les considère dans
ceux qui sont honorés du ministère sacé.
Il subsiste encore, l'apostolat de saint Pa-
trice, dans ces évoques, ces prêtres, ces reli-
gieux que le zèle transporte dans les îles
Britanniques. Les entreprises schismatiqucs
de l'Angleterre n'ont pu éteindre le zèle
K$
apostolique. Il est vrai que l'hé.ésie y n arche
en triomphe, que les sièges, les cures, les
abbayes y sont usurpés par les hérét:ques,
qu'ils vivent commodément à l'ombre d'un
ample revenu et de la protection du prince,
et que, semblables à la colombe qui ne rentra
pas dans l'arche dès qu'elle eut trouvé une
retraite commode, ils seraient fâchés de ren-
trer dans l'Eglise romaine, où l'apostolat est
plus pénible et où les passions sent plus gê-
nées; mais les successeurs des apôtres cher-
chent les âmes et non les biens.
Qui jamais mérita, avec plus de justice,
le glorieux titre d'apôtre que celui qui brave
les hasards, les périls et les naufrages, qui
va comme une brebis docile au milieu des
loups, qui expose sa vie au milieu de ceux
qui l'ont déjà mise à prix, pour affermir ses
fores dans la doctrine de Jésus-Christ, et
arracher à l'hérésie les âmes qu'elle a séduites
par ses charmes et par ses artifices.
Or, tels sont, Messieurs, les évoques, les
prêtres et les religieux qui exercent le saint
ministère dans les îles Britanniques. Ils y
sont avec la mission du souverain pontife,
et je vois dans ces ouvriers évangéliques
des précieux restes de l'apostalat oie saint
Patrice.
Admirez , je vous prie, avec moi, Mes-
sieurs, les merveilles de la Providence qui
veille sur l'Angleterre, malgré son apostasie
et son endurcissement.
Il y a autant d'évêques, de pasteurs catho-
liques dans les îles Britanniques qu'il y en
avait avant le schisme ; il est vrai qu'ils y
sont sans sièges, sans revenus, sans les mar-
ques éclatantes de leur dignité; mais pour y
être cachés, pauvres, obscurs, persécutés, en
sont-ils moins des apôtres? Parce que les
âmes sont le seul but de leur mission, en
est-elle moins sainte, moins digne de nos
respects?
Ah ! quand je vois dans l'Evangile les ca-
ractères de l'homme apostolique, j'admire
les ouvriers évangéliques qui travaillent dans
les îles Britanniques, et je dis qu'ils sont
véritablement des apôtres.
Je ne peux pas leur prêter des vues d'in-
térêt, de commodité dans la direction de
gloire, d'avancement dans leurs prédications,
de politique et de souplesse pour parvenir
auprès des grands, de fatigues passagères et
méditées pour avoir le droit de demander
une place éclatante, et traîner un caractère
oisif dans la dissipation et les compagnies
du siècle. On fait souvent ce reproche aux
apôtres cpii travaillent dans les cours catho-
liques, et on a tort de prêter à tous ces
vues criminelles. Quoi qu'en dise la critique,
le sanctuaire a encore des anges sans tache;
et si le dispensateur des places de l'Eglise
refuse ceux qui l'importunent, il est quel-
quefois refusé par ceux à qui il les offre. Les
honneurs vont trouver le juste, il ne les re-
cherche pas.
Mais pour les ouvriers évangéliques qui
travaillent dans les îles Britanniques, tout
est périls, dangers, privations, persécutions;
ils portent sous un habit emprunté un corao-
S39 ORATEURS SACRES. HALLET.
tère sacré, un zèle immense, le cœur du
grand Paul; ils parcourent de vastes campa-
gnes pour annoncer la parole de Dieu, célé-
brer les saints mystères. Ce qu'ils désirent,
n'est de faire connaître la vérité; ce qu'ils cher-
chent, ce sont les âmes; ce qu'ils trouvent
souvent, c'est la mort.
Ahl que vous méritez de lauriers, saints
ministres des autels; vous êtes les pierres
précieuses qui soutiennent encore 1 édifice
que saint Pierre a élevé, et que le schisme a
renversé, mais vous êtes des pierres disper-
sées : dispcrsisunt lapides (Thren., IV); dis-
persés dans les provinces, les villes, les bour-
gades, les campagnes des îles Britanniques,
pour y soutenir les ruines saintes de l'édi-
fice de Patrice ; dispersés par les ordres du
souverain pontife qui vous assigne une con-
trée, unchamp à cultiver; dispersés par le
malheur des temps et pour le bien de vos;
frères dispersés, et non pas détachés ; car,
qui est-ce qui est plus attaché que vous au
Saint-Siège, au centre de l'unité, à l'édifice
de 3'Eglise catholique?
Que les évoques de l'Eglise anglicane oc-
cupent les sièges, que les ministres usurpent
la qualité de pasteurs, l'Eglise romaine a ses
évoques et ses pasteurs dans les îles Britan-
niques; Dieu n'a pas voulu que ces vastes
royaumes perdent entièrement la foi de Pa-
trice.
Et vous, vaste mer, qui nous séparez de
ces royaumes voisins, calmez vos flots pour
porter avec respect les anges du Seigneur.
Soitqu'ils viennent dans notre capitale pour
y étudier la doctrine de l'Eglise qu'on a cor-
rompue clans les universités de Londres et
de Dublin, et y puiser, dans une sainte re-
traite, l'esprit ecclésiastique, soit qu'ils lias-
sent, par les ordres du souverain pontife,
oans leur patrie, pour y exercer les fonc-
tions de leur saint ministère, ils viennent se
disposer à l'apostolat, ils vont remplir un
pénible et dangereux apostolat. Que leurs
démarches sont brillantes aux yeux de la foi !
Que les pas de ces hommes de paix sont
beaux! Quam speciosi pcdes evangelizantis
pacem! (Iiom., X.)
Or, Messieurs, tant d'ouvriers évangéliques
répandus dans les îles Britanniques, des
évoques, des prêtres qui, excepté les sièges,
les honneurs, les revenus , la tranquillité,
exercent le môme ministère qu'ils exerçaient
avant la réforme, ne sont-ils pas de précieux
restes de l'apostolat de saint Patrice? 11 sub-
siste donc encore aujourd'hui au milieu de
ces ruines; Dieu ne perdra, dans l'Angle-
terre, que (eux qui s'obstinent dans le
schisme. Ces milliers de catholiques qui y
vivent avec ferveur nous assurent que Dieu
n'a pas abandonné tout à fait ces vastes
royaumes ; ils semblent même nous y pro-
mettre le rétablissement entier de la reli-
gion.
Vous le savez, Messieurs, la zizanie que
I homme ennemi a semée dans l'Angleterre,
l'Ecosse et l'Irlande, n'a pas étouffé le bon
grain, il croît au milieu de ces filantes des-
séchées; on y voit encore des branches fé-
200
condes attachées au tronc de l'arbre, qui
portent des fruits précieux, pendant que les
branches qui en sont séparées se dessèchent
et périssent.
On voit, dans toutes ces campagnes déso-
lées par le schisme, des arbres que les plus
violentes tempêtes n'ont pu renverser. Far-
Ions sans figures, Messieurs : on voit dans
ces trois royaumes des milliers de catholi-
ques fermes dans les plus violentes persé-
cutions, et qui attendent avec soumission
que la religion romaine devienne la religion
du prince.
Dieu a ses desseins, Messieurs, dans ces
peuples soumis qu'il soutient au milieu de
tant de dangers ; leur foi gémissante et per-
sécutée deviendra libre et victorieuse , et
l'autorité qui l'opprime aujourd'hui la proté-
gera un jour; il est marqué dans les mystè-
res de sa miséricorde. Dieu, qui veut bien se
servir des princes de la terre pour étendre
sa religion, change leur cœur, ou les fait
descendre du trône quand il lui plaît ; la
scène change quand il le souhaite. N'en
prescrivons pas le moment à sa puissance.
Et vous, catholiques zélés, répandus dans
ces trois royaumes, quels éloges ne méritez-
vous pas? Vous êtes gênés, nous sommes li-
bres, et vous en faites plus dans la captivité
que nous dans la liberté. Ce qui fait l'objet
de vos désirs sera le sujet de notre condam-
nation.
Vous désirez que la religion catholique
soit en liberté, que le prince la protège,
qu'elle fleurisse à l'ombre de son trône, que
vos églises soient ouvertes, que le sacrifice
de la messe soit rétabli partout, que la
croix du Sauveur soit arborée sur les autels
et sur le diadème, que les apôtres de l'Evan-
gile paraissent dans les chaînes, les minis-
tres de la réconciliation dans les tribunaux
sacrés ; et nous, sous le règne d'un monar-
que zélé et victorieux, nous avons tout ce
que vous désirez, nous n'en profitons pas,
nous en abusons.
Ah! quelle différence entre votre ardeur
pour écouter un apôtre qui passe rapidement,
qui parle le langage simple de l'Evangile, et
cet esprit de délicatesse et de critique que
nous portons aux discours des plus célèbres
orateurs chrétiens ; entre ce zèle qui vous
fait soutenir des voyages pénibles pour as-
sister au saint sacrifice de la messe, et ces
ennuis, ces irrévérences lorsque nous y as-
sistons commodément"; entre votre respect
pour les prêtres, et cet avilissement dans le-
quel un nombre de mondains voudrait le
faire tomber.
Eaut-il donc être persécuté pour avoir de
la ferveur? Les victoires et les prospérités
de la religion ne serviront-elles qu'à la faire
négliger et mépriser? Et la puissance reli-
gieuse des rois catholiques ne lui a-t-eUc
élevé des temples magnifiques que pour les
faire profaner? Ah ! Messieurs, que ces restes
précieux de l'apostolat de saint Patrice, si
zélés dans le sein de l'hérésie, nous fassent
rougir de notre indifférence pour la vérité,
2H1 PANEGYRIQUES. — PANEG.
el de notre insensibilité pour le succès de
notre salut.
Et vous, Messieurs, pensez que vos prières
et vos bonnes œuvres ne contribueront pas
peu à augmenter les progrès de la foi que
votre apôtre a établie dans les îles Britanni-
ques. A la pureté de la foi que vous avez
conservée aux dépens de vos biens et de vos
grands emplois, joignez des vertus qui la
fassent respecter de vos ennemis même,
car c'est aux œuvres saintes, aussi bien qu'à
la foi de l'Eglise catholique, qu'est attachée
la récompense éternelle. Je vous la souhaite.
Ainsi soit-il.
PANEGYRIQUE XIII.
saint bonaventure, cardinal, éveqce
d'albano, et docteur de l'église.
Prononcé dans l'église des RR. PP. Cordc-
liers du grand couvent de Paris, le 14
juillet 1752.
Erat lucerna ardens et lucens. (Jouit., V.)
// était une lumière ardente el brillante.
C'est peu, Messieurs, de briller par la
profondeur de l'érudition, l'étendue des
connaissances, la beauté du génie, Je feu
de l'imagination, quand le cœur n'est pas
échauffé, embrasé de cet amour qui sanctifie
les talents, les rond utiles sur la terre, et
les couronne dans le ciel.
La science sans la charité n'a jamais pro-
duit que des savants superbes, des maîtres
de l'erreur et du vice: la charité avec la
science a donné a l'Eglise des savants hum-
bles, des défenseurs de la vérité et de la
vertu.
L'antiquité profane a eu ses lumières, le
paganisme ses sages. Mais ces savants si
vantés n'étaient-ils pas enveloppés d'-épaisses
ténèbres? Ils disaient bien, ils vivaient mal :
on dirait que les belles idées qu'ils donnent
de la Divinité ne sont pas dictées par des
païens. On les admire, on ne déplore leur
aveuglement que dans les coupables leçons
qu'ils donnent à leurs disciples, et les sa-
crilèges hommages qu'ils rendent aux idoles
des césars. Quels hommes, Messieurs, que
ceux qui résistent aux lumières mêmes de
la raison!
Que sont encore ces oracles du monde si
estimés, dont à la honte de notre siècle on
admire les productions, et dont le savoir au-
dacieux ose par des sacrilèges systèmes ré-
former le plan divin de la religion? Vous le
savez, Messieurs, des lumières qui n'éclai-
rent que ceux qui veulent volontairement
marcher dans la route de la perdition, sem-
blables à ces feux légers qui brillent la nuit
sur les bords des précipices, et qui y con-
duisent les téméraires. '
Il n'en est pas de môme des saints doc-
teurs de l'Eglise; le flambeau de la vérité
brûlait leur cœur, en éclairant les fidèles;
ces précieuses lumières brûlaient et éclai-
raient: lumières ardentes par la vivacité de
leur amour, lumières brillantes par l'éclat
de leur doctrine: ardens et lucens.
XIII, SAINT BONAVENTURE 2C2
Le .séraphique docteur que je viens louer
aujourd'hui tient, comme vous le savez, un
rang distingué dans cette foule majestueuse
de savants qui ont brillé dans l'Eglise par
l'éclat de leur sainteté, la profondeur de
leur science, l'étendue de leur zèle. Il a
paru plus tard que les Chrysostome, les Gré^-
goirede Nazianze, les Jérôme, les Ambroise,
les Augustin, les Bernard même, mais il n'a
pas paru avec moins d'éclat. 11 a retracé dans
le sur siècle les vertus et les talents de
ces grands hommes; les lumières qui l'ont
précédé, celles de son siècle si fécond en sa-
vants ne répandent aucun nuage sur sa
sainteté et sa science.
Le gouvernement d'un ordre naissant, les
combats que lui livrent les ennemis de la
pauvreté du Sauveur, les emplois les plus
délicats, les plus éclatantes dignités, les af-
faires de l'Eglise , les plaies d'un grand
schisme, des écrits marqués au coin de la
piété et du savoir, nous prouvent qu'il a été
la lumière de son temps, mais lumière qui
embrasait son cœur en éclairant les autres.
Oui, Messieurs, l'amour divin dans Bona-
venture est un feu sacré qui brûle et éclaire :
ardens et lucens. Il brûle dans son cœur, il
brille dans l'Eglise; il caractérise sa sainteté
et sa science, le saint et le savant.
C'est sous ces deux idées que je vais vous
représenter ce docteur séraphique, l'orne-
ment de l'ordre de François d'Assise, l'oracle
des plus célèbres écoles, le conseil des rois,
la ressource des souverains pontifes, l'ap-
pui de l'Eglise, l'âme des conciles, le fléau
des hérétiques, le destructeur du vice, un
des plus grands maîtres de la vie spirituelle.
Demandons, etc. Ave Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
Le feu céleste qui embrase le cœur de
Bonaventure dès son enfance anime dans la
suite ses paroles, ses actions, ses projets,
ses entreprises, ses écrits; il sanctifie, con-
sacre ses succès, les honneurs qu'on lui dé-
fère , les hommages qu'on lui rend ; son
visage en est comme allumé, ses maîtres
l'admirent et sont saisis d'un saint respect;
son langage a la douceur et l'ardeur de l'a-
mour, il touche et échauffe tous les cœurs;
c'est 'a divine charité qui dirige toutes ses
actions; c'est elle qui marque le temps de la
prière, du silence, du travail; c'est elle qui
le transporte dans tous les lieux où son or-
dre a des hospices, et qui le multiplie pour
ainsi dire; c'est elle qui éclate dans ses
écrits el fait naître de saintes ardeurs en
les lisant.
Si on est étonné, Messieurs, du nombre
de ses voyages, des chapitres qu'il tient, des
ouvrages qu'il compose ; qu'on fasse atten-
tion aux prodiges qu'opère l'amour divin
dans un cœur qui en est embrasé. Le simple
religieux, le général d'un grand ordre, le
cardinal, l'évêque d'Albano fut toujours une
lumière ardente par sa charité : Lucens et
ardens.
C'est en suivant l'histoire la plus fidèle,
Messieurs, que je vais raconter les vertus
2G3
ORATEURS SACRES. RALLET.
2G4
de Bonaventure, ou plutôt les prodiges de
l'amour divin.
Dieu suscite des saints et des savants à
son Eglise qu'il aime toujours et qu'il n'a-
bandonnera jamais. Us se succèdent et pa-
raissent comme des astres qui, quoique dif-
férents en clarté et par des caractères singu-
liers de vertus, de sainteté, la défendent
avec le même zèle contre tous ses ennemis,
sont ses soutiens, ses oracles, sa gloire.
En voulez-vous une preuve , Messieurs?
Rappelez-vous les grands hommes qui paru-
rent presque dans le même temps, François
d'Assise, Bonaventure, Jean Scot.
Ce sont les prières de François d'Assise
qui nous ont conservé le docteur séraphique
que je loue aujourd'hui; il ferme le tombeau
qui s'ouvrait sous ses yeux dès sa tendre
enfance, il essuie les pleurs d'une mère in-
consolable sur la perte d'un fils tendrement
chéri ; les ombres de la mort s'écartent, et
la main qui allait moissonner cette jeune
fleur ne s'étend que pour la soutenir et la
faire croître dans le champ de l'Eglise.
Ici, Messieurs, comme dans toutes les vil-
les d'Italie, François d'Assise paraît en thau-
maturge et en prophète; il arrache à la mort
notre saint, il lui donne un nom qui annonce
à l'Eglise les importants services qu'il lui
rendrait.
O épouse de Jésus-Christ! que la licence
des mœurs et les fureurs de l'hérésie afflige,
consolez-vous : cet enfant sera un de vos
plus grands oracles, une de vos plus bril-
lantes lumières.
Ainsi par là, Messieurs, cinq ans avant la
mort de François d'Assise, Dieu prépaie à
son ordre, pour le remplacer et le retracer,
saint Bonaventure; et lorsque cette lumière
s'éteindra, il en paraîtra une autre, Jean
Seot, ce saint religieux, ce profond théolo-
gien, ce dévot serviteur de Marie, le défen-
seur zélé de ses prérogatives, l'oracle de tou-
tes les écoles catholiques , et le maître
qu'une foule de grands hommes se fait hon-
neur d'écouter.
Si des auteurs orgueilleux, mercenaires,
déistes, cachés, enveloppés, critiques har-
dis ont eu l'audace de vouloir répandre des
ombres sur cet astre des théologiens, une
plume savante, délicate vengera le docteur
incomparable; l'ignorance, la passion seront
dévoilées, et leur gloire sera ensevelie dans
l'ignominie.
Mais revenons, Messieurs, voyons la route
que la Providence, qui fait succéder les
grands hommes dans l'Eglise, trace à Bona-
venture; c'est celle de la plus haute sain-
teté.
Une mère pieuse l'avait voué à l'ordre de
François; l'ordre de François le possédera;
il fera son ornement, sa gloire. Déjà il ap-
Erouve le vœu qui a été fait sans lui ; il se
ate de l'accomplir, et va, comme une vic-
time pure et innocente-, se présentera l'autel.
Je ne m'arrêterai pas 'ici, Messieurs, à
vous dépeindre la ferveur du novice, ces
divines ardeurs qui embrasaient son âme;
ces Irn'ts tout divins qui éclataient sur son
visage. Je ne vous i arlerai pas non plus dos
douceurs qu'il goûta dans son sacrifice; des
vertus qu'il pratiqua après son renonce-
ment solennel au monde ; en vous disant
qu'il fut un parfait religieux, et qu'il pou-
vait servir de modèle aux plus zélés, c'est,
Messieurs, vous en dire autant qu'il en faut
pour vous en donner une juste idée.
m Voulez-vous des prodiges de vertus ? Re-
présentez-vous-le au pied du crucifix où
son cœur, embrasé d'un feu céleste, s'offre
à son Dieu, ressent toutes ses douleurs, et
répand des torrents de larmes à la vue de
ses plaies sacrées; c'est là où il puise ces
sentiments tendres, ces vives lumières, cette
onction sainte qui le caractérisent, lui et ses
ouvrages.
Beprésentez-vous cet esprit céleste qui
prend sur l'autel, pendant les saints mystè-
res, le corps du Sauveur, pour le donnera
Bonaventure; il s'en était éloigné par humi-
lité. Dieu fait des prodiges pour s'appro-
cher de lui.
Ses sentiments de piété dans son élévation
au sacerdoce sont encore des [rodiges. Il
faudrait vous rapj orter la prière qu'il com-
posa alors, et que l'Eglise a adoptée, pour
vous en donner une juste idée; mais je me
hâte de vous le représenter sous les plus
grands maîtres de son siècle, qu'il étonne
par ses rapides progrès et par les charmes
de sa sainteté.
Le célèbre Alexandre de Halès enseignait
alors, et c'était, vous le savez, Messieurs, un
des plus habiles et un des plus profonds
théologiens de son temps, estimé des sa
vants. 11 eut une approbation flatteuse, ho-
norable et consolante pour un auteur catho-
lique, ce fut celle d'Alexandre IV, qui a loué
son érudition et sa doctrine.
C'est sous un si grand maître que Bonaven-
ture étulie, qu'il charme, qu'il étonne,
qu'il emporte tous les suffrages ; son rare
mérite retentit partout; on admire ses bril-
lants talents, on découvre le trésor caché
sous les voiles delà modestie; le saint dans
l'homme de génie et d'érudition.
Ici, Messieurs, se retrace à mes yeux l'é-
difiant spectacle que la célèbre Athènes vit
autrefois dans ses écoles.
Saint Basile et saint Grégoire de Nazianze,
ces hommes qui étaient les plus grands théo-
logiens, les plus grands orateurs, étudièrent
sous les mêmes maîtres et lièrent ensemble
un innocent commerce d'amitié.
Bonaventure et Thomas d'Aquin présen-
tent le même spectacle dans l'université de
Paris; animés du même amour, embrasés du
même zèle, nés tous les deux avec des talents
supérieurs, consacrés tous les deux au service
de l'Eglise, la modestie et l'humilité excitè-
rent seules des combats entre ces deux saints,
tous deux parfaits religieux, tous deux en-
nemis des honneurs. * Bonaventure, qui avait
triomphé de l'humilité de Thomas, est enfin
obligé d'accepter legénéralat.
Jusqu'ici, Messieurs, vous avez vu le saint
religieux occupé à embellir son âme des plus
rares vertus et des plus belles connaissances,
PANEGYRIQUES. — PANEG. XH1, SAINT BONAVEN TERE.
SCS
et vous savez qi;els furent les progrès qu'il
fit dans la sainteté et la science : ils étonnè-
rent son siècle, ils furent admirés dans tous
les royaumes où il y avait de la piété et du
goût.
Le chef de l'Eglise découvrit dans un jeune
religieux ces talents rares et distingués qui
annoncent le saint, l'homme suscité de Dieu;
Bonaventure est son conseil, sa ressource
dans les affaires de l'Eglise, et comme l'ordre
de François en est une des plus belles por-
tions, il est choisi pour le gouverner et suc-
céder à Jean de Parme.
Ne croyez pas, Messieurs, que la jeunesse
de Bonaventure soit un obstacle à ce choix,
quoiqu'il ne fasse, pour ainsi dire, que com-
mencer, il est déjà arrivé à une sublime per-
fection; les années multiplieront ses vertus,
elles ne le corrigeront d'aucun vice : sa sain-
teté a triomphé de la corruption du siècle et
de la dissipation des études, sa sagesse en
fera un supérieur doux et sévère.
On ne verra dans son gouvernement ni
cette rigueur qui abat, ni cette douceur qui
conduit au relâchement; tout ce grand ordre,
un peu agité par les pieux excès de son gé-
néral, va couler des jours paisibles; il est
réservé à Bonaventure d'unir les esprits et les
cœurs, de distribuer ce peuple de saints en
plusieurs tribus, et de le donner en spectacle
au monde chrétien avec tout ce qui peut l'é-
difier et attirer son admiration.
Jean de Parme avait toutes les qualités qui
font Je bon religieux, il n'avait pas celles qui
étaient nécessaires à un supérieur d'un grand
ordre qui s'étendait dans toutes les parties
du monde, et qui, par conséquent, était com-
posé de différents caractères; il était sévère,
et ignorait ces ménagements qui concilient
les esprits, soutiennent les faibles, règlent le
zèle des fervents, ménagements qui ne sont
point opposés à la règle de François et que
les souverains pontifes, instruits de son es-
prit, ont approuvés et autorisés.
Il y a, Messieurs, des excès dans la piété
qui la détruisent au lieu de la soutenir; ce
n'est point le tempérament qui doit la ré-
gler, c'est la loi de Dieu, cette loi d'amour et
de charité.
Or, Messieurs, qui pouvait mieux calmer
les troubles qu'avait excités une sévérité ou-
trée que le saint que je. loue? La douceur et
l'amour le caractérisent.
Vous en étiez persuadés, saints religieux
assemblés par l'ordre et sous les yeux d'A-
lexandre IV. Là, tous vos cœurs désiraient
Bonaventurp, et Jean de Parme, juste appré-
ciateur du mérite et zélé pour la gloire de
son ordre, le demande pour son successeur,
il se démet avec joie de sa dignité, pourvu
que Bonaventure en soit revêtu.
J'aurais ici, Messieurs, des sollicitations
et des résistances à vous dépeindre : un saint
pressé, sollicité d'accepter une place émi-
nente et qui refuse et résiste; un saint qui,
bien loin d'imiter ces ambitieux qui briguent
les honneurs qui les fuient, se trouble et
s'alarme à la vue des honneurs qui viennent
le chercher dans la retraite, qui oppose son
OlUTEUHS SACRÉS. L.
200
indignité à ceux qui sont persuadés de son
mérite, et qui ne plierait jamais sous le far-
deau qu'on lui impose, s'il pouvait le feue
sans désobéir à la voix du vicaire de Jésus-
Christ.
Ah! que de merveilles ne doit-on pas aî-
tendre de celui qui se prêle aux honneurs
et qui ne les recherche pas; qui n'a en vue
que les devoirs que la place impose, et qui
redoute les distinctions et les hommages qui
y sont attachés?
Jugez-en, Messieurs, par le? succès de
Bonaventure dans le gouvernement de son
ordre, ils tiennent du prodige.
Ici se vérifient ces paroles du pape saint
Grégoire : Un cœur embrasé de l'amour di-
vin opère des prodiges : Magna operatur.
En effet, quoi de plus prodigieux que ce
grand nombre de chapitres que Bonaventure
a tenus? il vole de Paris à Narbonne,de Nar-
bonne à Pise, de Pise à Assise; dans ces as-
semblées générales, il y est l'oracle de la
piété, l'interprète de la règle de François, iJ
y retrace son zèle, sa sagesse, sa prudence,
il y est le maître de la vie religieuse.
Tout ce que l'on y décide est marqué au
coin de la sagesse, de la sainteté; savantes
instructions pastorales, nouvelles constitu-
tions, précis admirables de l'esprit du saint
patriarche, distribution de ce grand corps en
différentes provinces, uniformité, décence
dans les habits, le culte de la sainte Vierge
étendu, une dévotion tendre et publique en-
vers cette mère de Dieu mise au rang des
devoirs essentiels de ses enfants, des tro-
phées, des louanges annuelles érigées au
zèle, à la science des Ambroise, des Jérôme,
des Augustin, des Grégoire, des Bernard.
Bien n'échappe à son zèle, à ses lumières,
à sa piété; ce guide envoyé du ciel, comme
le dit Alexandre IV dans l'éloge qu'il lui
adresse, rend son ordre une des plus utiles
et des plus glorieuses portions de l'Eglise;
on admire, on chante partout la beauté de
ces nouveaux camps d'Israël ; ils deviennent
la ressource de la religion : elle y trouve des
apôtres, des saints, des docteurs, des sages
en état de porter la parole aux majestés de
la terre.
Le chef de ce grand ordre, l'âme qui l'a-
nime, le sage qui le gouverne, c'est Bona-
venture. Ne soyons pas étonnés de ces glo-.
rieux succès, l'amour divin opère des mer-
veilles : Magna oprralur.
Qu'ils rougissent, ces sages du monde, ces
politiques du siècle qui osent traiter d'hom-
mes inutiles à la société ceux qui se dévouent
à la retraite et au service des aulels; je ne
veux que leur opposer les services que l'or-
dre de François a rendus à l'Eglise pour les
confondre.
Ces hommes apostoliques que Bonaven-
ture envoie chez les infidèles poury prêcher
l'Evangile et y sceller de leur sang, s'il Je
faut, les vérités de la religion; ces hommes
sages, intelligents que le souverain pontife
choisit pour aller négocier avec les princes
chrétiens les plus importantes affaires de
l'Eglise; ces lumières cachées sous le bois-
267
ORATEURS SACHES. BALLET.
208
seau, et placées ensuite sur la sainte mon-
tagne; ces religieux qui ont brillé sur le
trône épiscopal et sous la pourpre romaine ;
ces savants qui ont étendu le règne de la
piété et détruit celui de l'hérésie; ces saints
qui ont poussé les gémissements de la co-
lombe dans la solitude et désarmé par leurs
prières le Seigneur irrité et prêt à se venger
des coupables excès des pécheurs, sont-ils
des hommes inutiles?
Tels sont cependant, Messieurs, les hom-
mes que l'ordre de François a donnés à l'E-
glise sous le gouvernement de Bonaventure.
Ah! les politiques se déshonorent, quand ils
traitent d'hommes inutiles ces portions vé-
nérables de l'Etat destinées à la prière, au
service des autels, à la prédication de l'E-
vangile, et qu'il leur envient les douceurs
qu'ils goûtent dans la retraite, ou les biens
consacrés à leur subsistance.
L'ordre de François est redevable, Mes-
sieurs, de tous ces accroissements de gloire
à la sagesse, a la prudence, aux lumières de
Bonaventure qui le gouverne, qui y préside,
qui en est l'âme et qui l'occupe jusque dans
les plus éclatantes dignités de l'Eglise.
Les conférences qu'il est obligé d'avoir
avec le Pape à Lyon; les préparatifs d'un
concile général où il doit occuper une plaça
distinguée, ne l'empêchent pas d'assembler
encore tous ses enfants. Le dernier chapitre
qu'il tient précède de peu de jours l'ouver-
ture du concile où cette lumière doit briller
et s'éteindre.
Que la charité est puissante, Messieurs, et
qu'un cœur qui en est embrasé opère de
merveilles! Saint Bonaventure, sous la pour-
pre romaine et sur le trône épiscopal, va con-
tinuer de vous en convaincre.
Qu'ils sont rares, ces hommes qui "redou-
tent les honneurs, qui appréhendent les
chutes en regardant l'élévation, et qui dé-
daignent sincèrement l'opulence et la gloire
attachées aux plus grandes places, quand ils
pensent aux devoirs qu'elles imposent et au
compte rigoureux qu'il faut en rendre !
Hélas! Messieurs, si l'on ne voyait briguer
aujourd'hui que les distinctions et les ri-
chesses du siècle ; si les honneurs sacrés du
sanctuaire et le patrimoine du Sauveur n'ex-
citaient [tas les coupables désirs des ambi-
tieux et l'insatiable cupidité des parents
mondains ; s'ils n'étaient pas accordés à la
naissance sans talents, ou aux talents sans
piété; s'il fallait forcer le mérite de les ac-
cepter, et si l'insuffisance hardie ne trouvait
point des protecteurs puissants pour les ar-
racher, nous pourrions nous consoler; nous
laisserions le monde décorer quelque temps
ses esclaves dans ces places mobiles qui
flattent leur ambition ; mais des hommes
sans piété, sans talents, entrer hardiment
dans le sanctuaire, en briguer les premières
places, c'est ce qui a fait, dans tous les
siècles, et ce qui fera toujours la douleur de
l'Eglise.
Elle a été souvent obligée de forcer les
saints, de leur faire violence pour leur faire
accepter les dignités ecclésiastiques ; il faut
aujourd'hui qu'elle résiste à la protection,
au crédit, pour en éloigner les insuffisants ;
les saints refusaient, s'éloignaient : ceux-ci
demandent, importunent; on voyaitles saints
arroser de leurs pleurs les marques exté-
rieures de leurs dignités : on voit ceux-ci
s'occuper avec joie de la pompe qui doit les
accompagner. Quelle différence! Messieurs,
n'en soyons pas surpris, le gouvernement
des âmes, les obligations du sacerdoce ef-
frayent les uns; les honneurs, les revenus
attachés à ces places sacrées flattent les
autres,
Bonaventure fut, Messieurs, du nombre
de ceux que l'Eglise a choisis et forcés d'ac-
cepter les dignités du sanctuaire. Grégoire X
le regarda comme une pierre précieuse né-
cessaire dans l'édifice qu'il soutenait en
qualité de successeur de saint Pierre. Il
voyait en lui la sainteté, les talents des Am-
broise, des Augustin; il y trouva la même
résistance.
Ses vertus, ses talents l'annonçaient, le
faisaient admirer; partout son humilité le
cachait, le dérobait à ses admirateurs. 11 ne
faut que parler de lui avantageusement à
Rome pour le déterminer à s'éloigner du
souverain pontife; et les honneurs vien-
draient le chercher en vain dans sa retraite,
si un bref du Père des fidèles ne les accom-
pagnait pas; il ne faut pas moins que des
ordres et des menaces du ciel pour le faire
courber sous le fardeau qu'on lui impose.
Faut-il, Messieurs, vous prouver ces faits
qui annoncent son héroïque humilité? Con-
sultons l'histoire fidèle.
Clément IV l'avait nommé à l'archevê hé
d'York; c'était, vous le savez, un des plus
grands sièges des îles Britanniques ; d'amples
revenus, des titres distingués étaient atta-
chés à cette place sacrée.
Que pensa Bonaventure, que répondit-il,
que fit-il lorsqu'on lui annonça cette nomi-
nation qui aurait flatté tant de grands hommes
moins occupés de leur salut que lui? IJ pensa
sincèrement qu'il n'en était pas digne ; il ré-
pondit qu'il ne pouvait pas l'accepter; il de-
meura dans la retraite pour prier, gémir et
puiser, au pied de la croix, ces connaissances,
ces lumières qui le rendaient utile à toute
l'Eglise.
Grégoire X, il est vrai, Messieurs, triom-
pha de son humilité, mais après des refus
sincères, une fuite précipitée; après avoir
employé toute son autorité, et parlé au nom
de Dieu dans un bref tendre, plein d'onction,
qu'il lui avait adressé.
Un homme jaloux de la gloire et de l'opu-
lence est flatté, lorsqu'il sait que le dispen-
sateur des grâces pense à lui; Bonaventure
est effrayé. Le souverain pontife, qui connaît
sa délicatesse, le sonde, lui insinue qu'il
veut le créer cardinal; cela suffit. Notre saint
alarmé quitte la cour de Rome, et vole à Paris
dans sa retraité. N'est-ce pas là, Messieurs,
fuir sincèrement les honneurs?
Forcé enfin de les accepter, de paraître
sous la pourpre romaine, de monter sur lé
trône épiscopal d'Albano, son humilité se
209 PANEGYRIQUES. — PANEG.
conserve clans ces dignités éclatantes; elle y
érige des trophées à la simplicité de l'Evan-
gile et aux humiliants exercices de la vie
religieuse; le couvent de Bois de Mugal en
seia à jamais, Messieurs, un monument mé-
morable.
Les nonces du pape viennent l'y féliciter
sur sa promotion, lui apportent les marques
extérieures de sa dignité, et ils trouvent le
nouveau cardinal occupé aux offices les plus
bas du cloître : ils sont surpris et plus sur-
pris encore de voir qu'il ne les interrompt
pas pour les recevoir; ils admirent cepen-
dant le grand religieux, le saint qui se prête
aux honneurs et que les honneurs n'occupent
point.
H n'appartient qu'aux héros de la religion,
Messieurs, de conserver cette tranquillité,
cet ordre de conduite, cette estime pour
les abaissements de l'Evangile dans les
grands événements; les héros du monde
sont flattés, transportés dans de glorieux
succès ou consternés, abattus dans les mal-
heurs et les disgrâces.
Vous triomphez, chef de l'Eglise, Bona-
venture vous obéit ; je le vois à vos pieds
pour recevoir l'onction sainte : vos mains
vont la répandre sur ce prêtre fidèle ; c'est
vous qui le forcez d'entrer dans l'ordre épis-
copal ; c'est vous qui serez son consécra-
teur; l'amour divin, qui brûle dans son cœur,
va éclairer le monde chrétien ; il a été une
lumière ardente par la vivacité de son
amour : lucerna arclens ; il va être une lu-
mière brillante par l'éclat de sa doctrine et
l'étendue de sa science : lucerna lucens ;
c'est le sujet de la seconde partie de son
éloge.
SECONDE PARTIE.
C'est d'après l'Eglise, Messieurs, que je
place saint Bonaventure avec ces saints doc-
teurs, ces brillantes lumières que Dieu a
suscités dans tous les siècles pour dissiper
les ténèbres de l'erreur, confondre les héré-
tiques, éteindre les schismes, défendre la
vérité altérée, les dogmes combattus, la piété
négligée, ou déshonorée par de coupables
abus et être les remparts, les soutiens de la
religion.
En effet, où cet astre éclatant du xm° siè-
cle n'a-t-il pas brillé? Dans quelles écoles
catholiques, dans quelles académies, sur
quel théâtre des sciences n'a-t-il pas été ad-
miré, applaudi, couronné ? Dans quels lieux
cette lumière n'a-t-elle pas brillé?
Il paraît, dans l'université de Paris, cette
fameuse école, sous les plus grands maîtres
et à côté des plus grands hommes de son
temps; et c'est là que l'on admire la beauté
de son génie, ses rapides progrès, sa vaste
érudition.
11 écrit, et ses ouvrages adoptés par l'E-
glise, font les délices des souverains pon-
tifes et des évêques. Les rois, les grands, les
savants, les simples y trouvent une doctrine
pure, une manne cachée qui nourrit l'âme,
une onction, un feu qui la touchent, l'em-
brasent.
XIII, SAINT BONAVENTURE. 270
Il est choisi avec Thomas d'Aquin po;:r
travailler au grand ouvrage de la réunion
des Grecs; avec quel zèle ne vole-t-il pas à
l'assemblée œcuménique de Lyon? Avec quel
honneur n'y parut-il pas? Quels furent ses
succès? Cette précieuse lumière de l'Eglise
ne cesse d'éclairer.
J'ai donc à vous représenter, Messieurs,
un docteur qui enseigne dans la plus fa-
meuse université du monde; un savant qui
écrit pour la postérité; un Père de l'Eglise
qui est comme l'âme d'un grand concile et
toujours une lumière brillante par l'éclat de
ses talents et la pureté de sa doctrine : lu-
cerna lucens.
Bonaventure est la lumière de son siècle,
lumière pure, précieuse qui brille dans le
cloître, dans l'université de Paris, à la cour,
au milieu des fidèles.
Ses frères le choisissent pour leur doc-
teur; l'université lui accorde la chaire que
les plus grands hommes venaient de rem-
plir; Saint Louis, la princesse Isabelle le
consultent et le prennent pour leur guide
dans les voies du salut : toutes les âmes
pieuses qui veulent marcher sûrement dans
les routes sublimes de la peefection, écou-
tent les leçons de ce grand maître de la
spiritualité; il forme des docteurs et des
saints.
A l'éclat de ce flambeau lumineux, les uns
pénètrent les saintes obscurités de l'Ecri-
ture, sondent, avec respect, les profondeurs
de nos mystères et découvrent tous les arti-
fices des hérétiques; les autres font des pro-
grès dans la piété, tendent à la perfection,
et évitent les écueils et les illusions d'une
fausse spiritualité : on apprend, sous ce
f;rand maître, à connaître et à aimer la re-
igion.
Il est rare, Messieurs, d'avoir un esprit si
orné et un cœur si pur, de posséder, dans
une brillante jeunesse, le trésor de la
science et celui de l'innocence. C'est le
prodige que Bonaventure montra à son siècle
étonné.
D'abord, cette lumière brille au milieu de
ses frères : il est leur maître, leur oracle;
on voit couler de ses lèvres, dépositaires de
la science, ces paroles de leu qui embrasent
les cœurs, ces grâces, cette onction qui les
touchent, ces raisonnements forts, solides,
qui persuadent l'esprit, cette méthode claire,
précise qui met en état de répondre à toutes
les difficultés, et de défendre les dogmes ca-
tholiques contre tous les efforts de l'hérésie
et de l'incrédulité; les progrès des disciples
font la gloire du maître.
Un corps de savants se forment dans cette
célèbre école, la science y devient hérédi-
taire; les grands hommes, les profonds
théologiens, les docteurs célèbres, les dé-
fenseurs zélés de la saine doctrine se suc-
cèdent : ils brillent encore aujourd'hui,
Messieurs, à la tête des études dans la
savante Sorbonne, dans les chaires chré-
tiennes, dans la république des lettres.
Vous dirai-je que l'uni-versité de Paris le
choisit pour succéder à Alexandre Halè? et
271
ORATEURS SACRES. BALLET.
m
à Jean ae La Rochelle? Ces hommes qui
avaient enseigné avec tarit d'éclat ; dans la
foule des savants qui aspiraient à cet hon-
neur, Bonaventure est celui qui enlève tous
les suffrages. H n'a point l'âge prescrit par
les lois de cette mère des sciences, mais il
a des talents supérieurs. On se hâte de pla-
cer cette lumière sur un lieu élevé, elle y
brille et sans effacer la gloire de ses maîtres,
il y moissonne des lauriers; ses disciples
sont ses admirateurs; ils érigent des trophées
à sa profonde érudition et aux charmes vic-
torieux de sa sainteté.
Vous dirai-je, Messieurs, que les vifs
rayons de cette lumière percent jusqu'à la
cour? La cour de saint Louis, ce héros qui
honora le trône par ses vertus et sa valeur;
qui sut comme Constantin, régner et faire
régner Dieu; qui défendit, avec le même
zèle, les intérêts de l'Eglise et ceux de sa
couronne, et qui fut encore plus grand en
domptant ses passions qu'en attachant à son
char ses ennemis humiliés et vaincus.
Le sort d'un pieux monarque, je le sais,
Messieurs, est souvent de faire des hypo-
crites; l'ambitieux sait ramper pour arriver
à la gloire ; l'homme de vices sait s'envelopper
pour plaire au prince vertueux; il paraît
travaillera l'édifice de son salut, pendant qu'il
ne pense qu'à élever celui de sa fortune.
Mais un roi, Messieurs, ne mérite-t-il pas
des éloges, quand il force, par son exemple,
le vice de se cacher, et que la vertu seule
trouve accès auprès de lui; quand ses favo-
ris sont des saints, et que les adulateurs et
les hommes d'iniquité n'approchent pas de
son trône? C'est ce que représentait le saint
roi David avec confiance au Seigneur en par-
lant de ceux qui composaient sa cour; c'est
ce qu'aurait pu dire aussi saint Louis. Pour
le gouvernement de ses Etats, il s'attachait à
avoir auprès de lui des ministres sages, pru-
dents, religieux; pour la religion et son culte,
des docteurs, des saints , des apôtres; les
Bonaventure, les Thomas d'Aquin, les Ger-
son, les Robert Sorbon.
C'est surtout saint Bonaventure qui eut sa
confiance; c'est à lui qu'il s'adresse pour
marcher sûrement dans les routes sublimes
de la spiritualité ; il est son maître et son
doiteur; il compose, pour ce pieux monar-
que, des ouvrages que la science des saints,
l'onction, la charité caractérisent, et où tou-
tes les paroles soni des traits de feu.
N'est-ce pas à lui encore que la princesse
Isabelle s'adressa lorsquelle voulut fonder la
Célèbre abbaye de Longchamp9 11 s'agissait
d'apporter des adoucissements à ia règle pri-
mitive de sainte Claire. Bonaventure , sous
l'autorité du souverain pontife, trace un nou-
veau plan dans lequel, sans altérer l'esprit
de la règle, il ménage la faiblesse humaine :
le Saint-Siège l'approuve, un saint asile s'é-
lève dans la solitude; la pieuse princesse
assemble des vierges, elle les édifie par ses
rares vertus, et y finit ses jours par une mort
précieuse, digne du culte de l'Eglise.
Fallait-il, Messieurs, moins de lumières,
iuoins de sagesse, un saint moins expéri-
menté dans les voies du salut pour mêler
à des rigueurs autorisées , des adoucisse-
ments qui ne causassent aucun déchet à la
solide piété, qui ne ralentissent jania s la
ferveur des vierges consacrées à Jésus-Christ,
et qui ne donnassent aucune prise aux .es-
prits durs et sévères? Non, Messieurs, il
fallait Bonaventure.
11 a conduit des âmes à la plus sublime
perfection , mais il n'a jamais formé de ces
mystiques qui dédaignent les bonnes œu-
vres, et qui, sous prétexte d'un saint repos,
sont indifférents pour les récompense? ou les
peines éternelles; ces routes singulières lui
étaient inconnues, il ne les a jamais ensei-
gnées.
Une imagination creuse des âmes jalouses
d'un sublime singulier, qui veulent toujours
goûter les douceurs du Thabor, ne suivent
point ces divines leçons, puisqu'elle nous
parlent presque toujours de la croix et du
Calvaire; suivons les leçons qu'il adonnées;
faisons nos délices des ouvrages qu'il a com-
posés.
La douceur, la piété , l'amour divin , la
force du raisonnement, la beauté du génie,
la clarté des preuves, les richesses de l'élo-
quence, un choix précieux de tout ce que
les anciens Pères ont dit de plus fort pourfaire
aimer la vertu, combattre le vice, et défendre
les dogmes- de la foi ; un fond surprenant
d'érudition,une doctrine pure, toute céleste;
voilà, Messieurs, des traits qui caractérisent
la science de Bonaventure ; qui ont rendu ses
ouvrages précieux ; lui ont mérité des éloges
de tous les savants ; lui ont acquis tant de
gloire dans l'Eglise ; l'ont placé parmi ses
docteurs
mière du xiii' siècle
C'est donc un savant rare, distingué que je
loue, Messieurs, des ouvrages immenses
marqués au coin du savoir et de la sainteté ;
c'est d'après les souverains pontifes, les plus
célèbres universités, les plus grands hom-
mes que je vous le dépeins comme un trésor
de sagesse, de lumière, où les savants et les
simples puisent tout ce qui <peut satisfaire
l'esprit et nourrir le cœur; il ne faut donc
que vous donner une légère idée des ouvra-
ges de saint Bonaventure pour vous prouver
qu'il fut un savant pieux, un savant utile, un
savant exact dans la doctrine.
Il est rare, Messieurs, de voir une piété ten-
dre avec un génie vaste et sublime; elle sem-
ble être aujourd'hui le partage des simple :
on dirait que le savant n'acquiert des con-
naissances que pour la mépriser; enflé des
talents qui relèvent au-dessus des autres, il
ne rougit pas quelquefois de se mettre au-
dessous par les honteux excès où il se livre ;
content des succès de sa science, il brave les
progrés que la passion fait sur son corur;et,
comme si ce n'était pas assez d'attacher ses
admirateurs à son char par ses séduisants
talents, il les attache encore à celui du dé-
mon par le coupable usage qu'il en fait.
Vous le savez, Messieurs, et vous en gé-
missez : les savants de nos jours alarment
la piété. Quel usa^e font-il des grâces de l'é-
et l'ont fait regarder comme la lu-
273
PANEGYRIQUES. — PANEG. XIII, SAINT BONAVENTURE.
271
îoquence, de la beauté du style, de ces tours
délicats qui leur sont naturels, de cette dou-
ceur insinuante qui gagne le cœur, s'en em-
pare, de cet art de peindre les caractères,
les penchants , les faibles des humains; de
cette profonde érudition qui les met en
état de parler de l'histoire sacrée et pro-
fane, d'en discuter les faits, de faire des
réflexions, de décider? Hélas! nous réprou-
vons dans ces jours malheureux ; tout cela
ne sert qu'à mettre, dans les mains des fidè-
les, des ouvrages qui tournent en ridicule la
piété, allument les passions, condamnent
cette candeur qui faisait autrefois l'orne-
ment de la jeunesse , louent les intrigues
menées avec art, et érigent des trophées aux
aj-ôtres de la volupté, aux héros du vice. Ne
sont-ce pas là, Messieurs, les funestes effets
de ces romans , de ces comédies, de tous ces
ouvrages qui nous innondent aujourd'hui ,
et qui font le goût du siècle? Une preuve
qu'on s'v accoutume, qu'on les adopte, c'est
que les auteurs sont couronnés souvent dans
la république des lettres, admirés, désirés et
regardés comme des oracles chez des hommes
qui se disent encore chrétiens.
L'éloquence de Bonaventure n'avait pas
moins de grâces, de douceur que celle de ces
coupables savants ; mais il la consacra à la
piété.
Lisez, Messieurs, ses opuscules, et surtout
les traités, les offices, les prières qu'il acom-
poséspour honorer les souffrances de l'Hom-
me-Dieu, les prérogatives, les vertus et le
crédit de sa sainte Mère: vous y trouverez
les épanchements d'un cœur embrasé d'un
feu céleste, des sentiments tendres, tous les
caractères de la plus sublime piété.
Un savant pieux est utile, Messieurs, c'est
une lumière qui éclaire, un trésor qui enri-
chit, un fleuve d'où coulent des eaux salu-
taires qui arrosent des terres arides, un dé-
fenseur zélé de la vertu et de la vérité: tel
fut Bonaventure.
Guillaume de Saint-Amouret Girard d'Ab-
beville se déclarèrent les ennemis des dis-
ciples de la crèche: ces docteurs ne rougirent
point de faire paraître des ouvrages remplis
d'odieuses maximes, de principes erronés
contre la pauvreté volontaire; Bonaventure
est chargé d'y répondre, il le fait avec une
précision, une solidité qui confondent ses
adversaires. Son ouvrage de la pauvreté de
Jésus-Christ est admiré du souverain pon-
tife, approuvé, comblé d'éloges : les écrits
des savants superbes sont proscrits, condam-
nés solennellement.
Saint Louis, Messieurs, transmet à la pos-
térité la plus reculée le sort différent de ces
deux ouvrages, il adopte celui de Bonaven-
ture, il en fait ses délices ; il fait brûler pu-
bliquement, dans cette capitale, celui des
ennemis de la pauvreté du Sauveur.
Savant utile, il explique dans ses ouvra-
ges le plan, l'enchaînement des vérités de la
religion, il répond aux plus grandes ques-
tions, il résout les plus grandes difficultés,
il dissipe toutes les ténèbres, abat toutes les
hauteurs de la science humaine : point de
faux système qu'il ne détruise : pointdesub-
tilités dont il ne triomphe : lisez, Messieurs,
son Explication de i ouvrage des six jours,
vous en serez persuadés.
Savant utile aux souverains pontifes, ces
chefs de l'Eglise le consultent, ils se l'atta-
chent peur être plus à portée de profiter do
ses lumières.
Savant utile à tous les siècles, l'Eglise, en-
richie de ses ouvrages, y trouvera toujours
des armes victorieuses contre tous les atten-
tats de l'hérésie et la licence des mœurs.
Si vous me demandez, Messieurs, comment
saint Bonaventure, homme de prière, et
chargé du gouvernement d'un grand ordre,
a pu acquérir tant de connaissances; je vous
répondrai ce qu'il répondit à l'ange de l'éco-
le, saint Thomas d'Aquin, qui lui faisait la
même question. C'est au pied de la croix qu'il
a l'ait ces rapides progrès, c'est Jésus crucifié
qui l'a enseigné. On surpasserait tous les sa-
vants, Messieurs, quand on ne saurait avec
l'apôtre saint Paul que Jésus crucifié: c'est
là que Bonaventure a puisé cette doctrine
pure, orthodoxe, toute céleste, que l'Eglise
a approuvée et comblée d'éloges.
La gloire d'un savant qui écrit, Messieurs,
sur la religion, c'est l'approbation de l'E-
glise. Malheur à ceux qui se font honneur
d'un ouvrage qui combat sa doctrine, et qui
détruisent au lieu d'édifier. Les lauriers que
Luther a moissonnés dans les sociétés litté-
raires et dans l'Allemagne , égalent-ils la
gloire qu'Augustin a eue dans l'Eglise, et les
éloges qu'il a reçus de ses pontifes? La doc-
trine de saint Augustin nous est précieuse,
parce que l'Eglise l'a approuvée, et recom-
mandée. Nous concevons de l'horreur de celle
de Luther, parce qu'elle l'a condamnée et
foudroyée.
Or, Messieurs, je loue aujourd'hui la doc-
trine de Bonaventure, parce qu'elle est aussi
celle de l'Eglise; cette brillante lumière n'a
jamais été obscurcie par le moindre nuage
de l'erreur ou de la nouveauté.
Vous dirai-je que trois papes ont donné
de magnifiques éloges à sa doctrine, et or-
donné qu'elle fût enseignée dans toutes les
écoles de l'ordre , à l'exclusion de toute
autre.
Vous dirai-je qu'un de ces chefs de l'E-
glise, génie vaste, profond, juste apprécia-
teur du beau, du solide, habile dans L'art de
gouverner, mais dont on ne respecte pas as-
sez les grandes qualités, Sixte V, fit connaître
l'estime qu'il faisait de la doctrine de saint
Bonaventure, par la recherche de tous ses
ouvrages, et la magnifique édition qu'il en
fit faire.
Vousdirai-je qu'ils furent proposés comme
les oracles de la foi, et la doctrine de l'Eglise
universelle dans le concile œcuménique de
Florence où les Grecs assistèrent.
Quelle estime n'en ont pas fait les Aato-
nin, les Sixte de Sienne, les Gerson; les
saints, les savants, les critiques même en
faisaient une estime singulière: ils en par-
lent comme d'une lumière qui brilla parmi
les grands hommes de leur siècle, et qui
273
ORATEURS SACRES. BALLLT.
276
brille aussi dans un concile général avant
de s'éteindre et de disparaître.
Bonaventure et Thomas d'Aquin étaient,
Messieurs, les deux astres qui brillaient
dans l'Eglise, lorsqu'elle fut ailligée par le
relâchement de ses enfants, par l'oppression
sous laquelle gémissaient les chrétiens dans
la Palestine, et par le schisme des Grecs.
C'est sur ces deux grands hommes que Gré-
goire X fonde ses espérances. Il connaît leur
zèle, leurs talents. Thomas d'Aquin avait
déjà confondu les erreurs des Grecs schis-
matiques dans un savant traité. Bonavcnture
s'était préparé sur cette importante matière:
ces deux lumières égales en clarté devaient
briller dans le concile général que le souve-
rain pontife avait indiqué à Lyon.
Mais Dieu manifeste ses desseins adora-
bles. Une de ces lumières s'éteint dans la
route, le docteur angelique est enlevé à l'E-
glise, dont il avait fait la gloire et la conso-
lation; aux écoles catholiques, dont il avait
été l'oracle; au monde qu'il avait édifié par
ses vertus. Notre saint cardinal arrivera seul
au concile, il en sera l'oracle, l'âme, ce lieu
mémorable par les éclatants triomphes de
l'Eglise catholique sera son tombeau; les
grecs schismatiques seront éclairés, réunis
avant que ce bel astre soit éteint. C'est sous
les trophées que les Pères du concile, les
princes, les rois, les Grecs réunis érigèrent
a sa douceur, sa sagesse, son éloquence, son
érudition, qu'il sera enseveli.
Ici, Messieurs, j'avoue mon insuffisance,
la grandeur du sujet est un poids qui m'ac-
cable, l'éclat tout divin de cette auguste as-
semblée, les points intéressants de la foi et
de la discipline qu'on y décide, le haut rang
que notre saint cardinal tient, les oracles
qu'il y prononce ; ses glorieux succès, des
chants d'allégresse, et des pleurs, un tombeau
creusé dans l'endroit même où on lui avait
presque dressé un trône; tous ces grands
ohjels demanderaient une plume habile, dé-
licate, cet ait ingénieux qui rend les belles
choses et les fait sentir.
Voulez-vous connaître, Messieurs, l'es-
time que l'on fit de notre saint dans ce con-
cile œcuménique? Représentez-vous-le à la
droite du chef de l'Eglise qui y préside,
après lui il y tient la première place.
Si des panégyristes outrés, et peu exacts
vous le représentent plus élevé, c'est un
zèle pour sa gloire que nous désapprouvons.
La \erité seule peut plaire aux saints.
Voulez-vous savoir, Messieurs, ce qu'il
fut dans ce concile? Représentez-vous tout
a la fois l'orateur, le docteur, le défenseur
de l'unité de l'Eglise. Deux fois il prêcha
dans cette majestueuse assemblée, et deux
fois il la charma, la ravit par la douceur, les
grâces de son éloquence, les belles et tou-
chantes peintures qu'il fit de l'unité de l'E-
glise, et des horreurs du schisme.
Que de sagacité d'esprit, que de lumières,
que de précision, que de solidité dans les
conférences qu'il eut avec les Pères grecs 1
A-t-on jamais étalé, fait sentir avoc plus de
magnificence les promesses que Jésus-Christ
a faites h son épouse? A-t-on jamais eu plus
d'ascendant sur les esprits et sur les cœurs
que lui? Jugez-en, Messieurs, par ses glo-
rieux succès.
Les Grecs réunis s'avouent vaincus, sa
douceur victorieuse les a attachés pour tou-
jours au char de l'Eglise; et, après avoir
chanté les louanges de notre saint cardinal,
ils chantent avec les Pères du concile et les
illustres comtes de Lyon, le symbole de la
foi. Trois fois ils confessent avec eux que le
Saint-Esprit procède du Père et du Fils.
O Eglise, ô épouse de Jésus-Christ, ré-
jouissez-vous, il n'y aura plus qu'un seul
troupeau et un seul pasteur !
Mais, que vois-je, Messieurs ! cette sainte
allégresse est changée tout à coup en un
deuil universel; cette colonne delà religion
est renversée, cette lumière s'éteint dans son
plus grand éclat. Bonaventure passe dans l'im-
mense étendue de l'éternité, accompagné de
ses bonnes œuvres. Grégoire X, arrose son
tombeau de ses pleurs, tous les cœurs sont
serrés par la tristesse; le cardinal d'Oïtie
fait à la lace des saints autels l'éloge de ses
vertus, et toutes les puissances de l'Eglise
et de l'Etat conduisent ses sacrées dépouilles
dans le tombeau.
i Consolez-vous, épouse désolée, cette triste
et lugubre scène changera bientôt. Dieu, qui
est admirable dans ses saints, fera briller sa
puissance dans le séjour même de la mort.
Des prodiges éclatants manifesteront la gloire
de son serviteur.
Lyon, cette illustre et ancienne Eglise
des"Gaules, sans oublier les Potin et les
Irénée, érigera des trophées à la sainteté de
Bonaventure. Elle le mettra à côté de ses
apôtres : chaque année elle célébrera ses
vertus avec une pompe, une magnificence
qui lui sera particulière : la durée de cette
solennité annuelle, le nombre des orateurs
qui le louent annoncent à l'univers la recon-
naissance de ses citoyens.
Heureux, Messieurs, si en exposant au-
jourd'hui à vos yeux cette lumière ardente
et brillante, je puis me flatter que vos cœurs
sont embrasés du divin amour, et vos esprits
éclairés sur les vérités de la religion. Alors
l'innocence de vos mœurs et votre soumis-
sion à l'Eglise, vous rendront agréables au
Seigneur, et vous feront mériter la couronna
qu'il prépare à la foi et aux bonnes œuvres.
Je vous le souhaite.
PANÉGYRIQUE XIV.
SAINT GAETAN, INSTITUTEUR DE LA CONGREGA-
TION DES CLERCS RÉGULIERS,
Prononcé le 7 août 1*753, dans l'église des
RR. PP. Théatins, à Paris.
Vidit et doluit. (I Macli., II.)
Il vil la religion dans l'opprobre et son cœur en fut péné-
tré de douleur.
Il y a, Messieurs, un zèle qui est feu divin,
allumé par l'Esprit de Dieu; ce zèle s'attriste,
gémit, et éclate lorsque la licence des mœurs,
et la fureur de l'hérésie répandent des op-
PANEGYRIQUES. — PANEG. XIV, SAINT GAETAN.
277
probres sur la religion sainte; lorsque les
pécheurs s'enhardissent dans la route du
crime; lorsque la contagion du vice s'insi-
nue dans le sanctuaire, et que les astres, qui
devraient éclairer l'univers, sont eux-mêmes
obscurcis par les nuages du péché.
Ces traits, Messieurs» qui caractérisent le
zèle inspiré de Dieu, le zèle apostolique;
ne vous ont-ils pas déjà donné une juste
idée du héros chrétien, dont j'entreprends
aujourd'hui l'éloge?
Gaétan fut-il moins touché des désordres
et des scandales de son siècle, que Mattha-
tias des profanations de son temps ? N'en-
couragea-t-il pas comme ce héros israélite,
de pieux lévites à se joindre à lui, pour atta-
quer les ennemis de la vertu et de la vérité ?
Et ne vit-on pas par leurs travaux, la licence
cesser, la piété renaître, et le clergé sortir
avec éclat de l'avillissement où il était tombé?
Si je ne Jouais aujourd'hui, Messieurs, que
son héroïque abandonneinent à la Provi-
dence, je ne caractériserais pas l'instituteur,
le restaurateur de la discipline ecclésiasti-
que, l'ouvrier évangélique, l'homme aposto-
lique.
Les succès de son zèle tout divin à Rome,
à Naples, à Venise; ces grands théâtres où
il parut, où il brilla, changea les mœurs,
confondit Terreur, et fit ériger partout des
trophées, à l'innocence, à la foi, à la charité,
doivent nous intéresser, Messieurs, dans un
siècle où le libertinage et l'incrédulité font
de si funestes progrès.
Les successeurs du zèle des Gaétan, des
Charles Borromée, des François de Sales, de
Vincent de Paul, voient avec douleur les op-
probres que l'on répand sur l'épouse du Sau-
veur. La corruption des mœurs est le fruit
de l'indocilité ; on se croit dispensé de faire
le sacrifice de ses passions, quand on est
persuadé qu'on ne doit pas faire celui de sa
raison ; le naufrage de l'innocence suit de
près celui de la foi.
Qu'ils sont consolants pour l'Eglise, les
succès de Gaétan ! Qu'ils sont consolants
pour nous ! Dieu, qui l'a suscité dans le
xve siècle, peut le produire de nos jours;
les besoins sont aussi pressants, sa grâce est
aussi puissante.
Les maux les plus pressants excitèrent son
zèle : les succès les plus glorieux furent la
récompense de son zèle.
Voilà, Messieurs, ce que je dois exposer
à votre admiration, et à votre piété dans cet
éloge : après que nous aurons imploré les
lumières du Saint-Esprit, par l'intercession
de la mère de Dieu. Ave, Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
L'homme de zèle, suscité de Dieu, n'est
excité, que par les motifs les plus purs et
es plus saints. C'est la gloire de Dieu mé-
prisée; le salut des âmes négligé : la vérité
défigurée, qui a allumé le zèle de ces grands
hommes, qui ont réparé les ruines du sanc-
tuaire, rétabli le règne de la piété, et dis-
sipé les nuages que les hérétiques répan-
daient sur la doctrine de l'Eglise.
278
Tels furent aussi, Messieurs, les tristes
objets qui affligèrent Gaétan, et allumèrent
dans son cœur ce zèle divin qui eut dans la
suite de si glorieux succès.
11 vit avec douleur la beauté du sanctuaire
obscurcie : des mœurs licencieuses, une
coupable ambition pour les richesses, les
artificieux détours de l'hérésie déshonoraient
sa sainteté; il gémit et forma le projet de
faire sortir l'état ecclésiastique de l'opproVre
où il était tombé.
Quels furent les moyens qu'il employa,
Messieurs? Les plus sûrs, les plus efficaces :
l'exemple.
Il opposa une régularité scrupuleuse à la
licence des mœurs ; un abandonnement hé-
roïque à la Providence, à l'attache aux ri-
chesses ; une soumission parfaite à la doc-
trine de l'Eglise, aux charmes de la nou-
veauté; les prêtres voyaient dans Gaétan les
vertus qu'ils n'avaient pas et qui leur étaient
nécessaires ; Gaétan gémissait des vices
qu'il voyait dans les prêtres, et qui désho-
noraient la sainteté des autels : quels motifs
plus capables d'exciter le zèle d'un serviteur
de Dieu que ces désordres de son siècle?
Quels moyens plus sûrs pour les corriger
que l'exemple d'une vie qui retrace toute
la sainteté du sacerdoce?
Consultons, Messieurs, l'histoire fidèle :
c'est d'après les faits qu'elle nous fournit
que je viens louer aujourd'hui les motifs
qui excitèrent son zèle et les vertus qu'il
opposa aux vices de son siècle.
Quelle histoire que celle du xvr siècle !
ll'retraçait les désordres de tous les siècles
précédents ;on n'y rougissait plus des mœurs
les plus corrompues; les cœurs s'ouvraient
avec plaisir pour recevoir les plaies humi-
liantes du péché; une vie molle, de coupa-
bles plaisirs, de honteuses passions souil-
laient tous les Etats; on vit le "vice régner
où l'erreur n'avait jamais pu pénétrer; Rome
même, cet asile sûr pour la foi, était deve-
nue un asile dangereux à l'innocence.
Ce relâchement des mœurs pénétra dans
le sanctuaire, Messieurs; sa beauté fut obs-
curcie par les nuages du péché ; le laïque se
rassura dans ses routes criminelles, parce
qu'il y vovait marcher avec lui les ministres,
du Très-Haut.
Les hommes apostoliques, les docteurs
zélés, les directeurs éclairés, les prêtres
édifiants étaient rares : ceux qui rassurent
les mondains par leur conduite étaient com-
muns.
Gaétan parut dans ces jours d'iniquité : il
vit avec douleur la piété comme exilée, les
vérités de la religion ignorées, la science du
salut négligée, les sacrements et les solen-
nités saintes abandonnés, les pierres du
sanctuaire honteusement dispersées ; alors
son cœur fut plongé dans l'amertume : vulit
et doluit.
Louerions-nous aujourd'hui le zèle do
Gaétan s'il eût été insensible à cet obscurcis-
sement du sanctuaire, et à la perle de tant
d'âmes? Non, Messieurs, ce relâchement des
ORATLlttS SACHES. BALLET.
ÎXQ
mœurs'a des suites trop funestes pour qu'un
saint n'en soit pas touché.
Les jours de licence et de désordre ont
toujours paru favorables aux souverains mé-
contents ou ambitieux, et aux hérétiques
cachés et timides, qui savent paraître à pro-
pos ; ils en profitent : les uns pour s'étendre,
les autres pour triompher : voici des faits
qui justifient ce que j'avance.
Quand l'ambition et la politique régnent
seules dans les cœurs vies princes, la modé-
ration chrétienne ne les retient plus : aussi
vit-on Charles-Quint et François 1" se dé-
clarer une guerre sanglante : ces deux puis-
sances jalouses ébranlent toute l'Europe ; dé-
vastes provinces sont pillées et ravagées, et
le sanctuaire môme se ressent des horreurs
de la guerre.
Quand les ecclésiastiques sont plongés
dans la mollesse et l'ignorance, la crainte de
trouver dés adversaires redoutables ne re-
tient plus les hérétiques ; après avoir été ti-
mides et rampants, ils paraissent avec au-
dace et débitent leurs erreurs.
Qui ignore, Messieurs, que les hérétiques
ont toujours profité des troubles et de cer-
tains événements critiques pour se procu-
rer un triomphe qui n'est jamais que pas-
sager?
Gaétan fut touché de ces tristes suites de
la licence des mœurs : son cœur, aussi ar-
dent pour le salut des âmes que celui du
grand Paul, qui, selon l'expression de saint
Chrysostome, était le cœur même de Jésus-
Christ, forma le grand projet de lui opposer
une congrégation de prôtres fidèles.
Ce projet est grand, vaste, il vous étonne,
Messieurs; mais vous n'ignorez pas que la
sainteté a des charmes puissants qui atta-
chent souvent à son char ses plus grands
ennemis. C'est la sainteté de Gaétan qui
l'annonce et en assure le succès.
Il paraît, et avec lui toutes les vertus cjui
soutiennent la grandeur du sacerdoce; les
ecclésiastiques les plus mondains sont for-
cés de respecter le censeur de leur coupa-
ble relâchement.
Sainteté qui orne ses premières années :
les rosées célestes pénètrent son jeune
cœur comme ces douces pluies qui tombent
sur de tendres gazons : quasi stillœ super
gramitta (Dent., XXXII); et si la comtesse
de Thienne, sa mère, le voua à Marie dès
son enfance, on peut dire que Marie n'a ja-
mais euun serviteur plus zélé et plus éclairé.
Sainteté édifiante : quelle modestie 1 quelle
noble simplicité ! quelle douceur ! quelle dé-
( ence dans toutes ses actions ! Tout retraçait
en lui la vertu et annonçait le saint du sanc-
tuaire.
Sainteté austère : ses jeûnes, ses veilles,
ses mortifications étaient une pénitence de
précaution et de zèle ; il craignait de cesser
d'être innocent; il so punissait pour les
coupables.
Sainteté victorieuse des caresses-du monde.
Quel flatteur avenir! quelle brillante car-
rière ne lui offrait pas sa naissance? L'illus-
tre maison de Thienne, dont l'ancienne
grandeur est si connue dans l'histoire, d'où
sont sortis ces habiles négociateurs, ces
héros de la guerre, ces savants revêtus de
la pourpre romaine, qui ont brillé dans l'L>
glise et dans l'Etat, n'était -elle pas un titre
pour attacher au monde le jeune Gaétan?
Oui, Messieurs, mais un cœur que Dieu
seul remplit, dédaigne la grandeur du siè-
cle, et, en se consacrant aux autels, il ap-
prend à tous les ministres de Jésus-Christ
jusqu'où doit aller le détachement d'un prê-
tre fidèle.
Vous dirais-je que la piété, qui l'avait fait
voler à Rome, .s'y soutient dans tout son
éclat : ni la licence des grands, qui n'offraient
que des plaisirs et des fêtes au jeune comte;
ni les caresses de Jules 11, qui voulut se
l'attacher par une dignité honorable, ne pu-
rent faire aucune impression sur son cœur.
L'estime de Jules II faisait, Messieurs, l'é-
loge des rares qualités du jeune Gaétan ;
génie délicat, sublime, il savait apprécier le
mérite; homme fin et profond, il aurait ap-
pris aux princes l'art de régner; et l'on
peut dire qu'il aurait été un plus grand Pon-
tife, s'il n'eût pas été un si grand politique.
Mais il suffit à Gaétan d'apercevoir le (lan-
ger des plaisirs et des honneurs, pour médi-
ter sa retraite. La congrégation de l'Amour-
Divin, composée des Ames échappées à la
corruption du siècle, le retient quelque
temps; les invitations de Léon X, successeur
de Jules II, précipitent sa fuite. Et s'il repa-
raît à Rome dans les commencements de son
apostolat, ce sera pour y faire briller une
sainteté victorieuse des menaces et des sup-
pliées.
Vous le savez, Messieurs, l'ambition, la
politique, les disputes de religion, allumè-
rent alors des guerres sanglantes ; on vit des
ligues se former dans toutes les cours ; k
religion servait de prétexte aux princes mé-
contents ou ambitieux.
Charles de Bourbon, infidèle à son roi, es-t
revêtu dans l'empire des plus éclatantes di-
gnités, et lorsque Rome menacée fut délivrée
du général Fromberg, ce disciple de la doc-
trine et de la fureur de Luther, elle vit mar-
cher contre elle le duc de Bourbon à la tête
des rebelles.
• Ses succès enflent son orgueil, il veut que
ses victoires soient arrosées du sang des catho-
liques. Déjà une licence effrénée, une cruauté
barbare, une fureur sacrilège, n'offrent plus
que les tristes spectacles des Romains immo-
lés sous le glaive, des prêtres massacrés, des
vierges violées, des temples souillés, des
autels renversés, des reliques brûlés, des
richesses du sanctuaire à la discrétion des
hérétiques.
! C'est, Messieurs, dans ce triomphe passa-
ger de l'hérésie, et qui fera à.jamais son op-
probre et sa honte, que Gaétan montra une
sainteté supérieure aux événements les plus
fâcheux, et victorieuse des supplices et des
menaces.
Au-dessus des tourments que l'inhumanité
invente, Gaétan et Carratfa retracent la dou ■
ceur et la joie des apôtres clans les persécu-
281 PANEGYRIQUES. — PANE
lions; ils sont les victimes de la foi et delà
pauvreté; si le martyre ne couronne pas leur
apostolat, il le précède.
Sainteté reconnue universellement; elle
avait comme effacé tous les grands titres de
sa naissance. On ne l'annonçait que sous le
nom de saint. Voyez Messieurs , quel ascen-
dant a une vertu soutenue? Les mondains
mômes canonisent le vertueux comte do
Thienne.
Sainteté enfin proportionnée à la grandeur
du sacerdoce; il l'exprime dans ses mœurs
et dans ses écrits; jamais saint n'en conçut
une plus haute, et par conséquent une plus
juste idée ; jamais écrivain ecclésiastique n'a
dépeint mieux que lui les engagements d'un
faible mortel qui en est revêtu.
Aussi vit-on alors, Messieurs, l'humilité
de ce saint prêtre, relevée par des prodiges
de miséricorde. Celui qui se croit indigne de
monter à l'autel est aussi favorisé que le
saint viellard Siméon (3). Or, Messieurs, une
sainteté aussi éminente que celle dont je
viens de vous tracer le portrait, n'etait-elle
pas une continuelle censure de la licence de
son siècle? Une vertu si soutenue condam-
nait les hommes de vice ; son abandonne-
ment héroïque à la Providence condamnait
les hommes de cupidité.
Désirer, accumuler les richesses, y atta-
cher son cœur, en faire son idole, les regarder
comme des fonds destinés à la mollesse.
Voilà, Messieurs, le désordre qui régnait
lorsque Gaétan leva l'étendard de cette pau-
vreté qui a étonné son siècle.
Pour fournir au luxe, aux plaisirs, aux
fêtes, on désirait des richesses ; toujours
mécontent de sa fortune, on sacrifiait son
devoir, son innocence, sa foi, son âme, pour
augmenter ses revenus et étendre ses do-
maines.
On n'honorait alors que l'opulence ; on ne
redoutait que la pauvreté. Le détachement
des biens périssables de la terre, dont des
sages du paganisme se sont fait gloire, fai-
sait la honte des chrétiens de ce siècle per-
vers. Zenon qui le recommandait avait eu
des disciples. Jésus-Christ qui y a attaché un
centuple de gloire, n'en avait presque plus;
les richesses faisaient respecter le vice ; la
Siauvreté faisait mépriser la vertu. Heureux,
Messieurs, si cette cupidité n'eût pas été si
générale; le détachement de l'Evangile au-
rait été au moins retracé dans ces saints asi-
les, où la piété devait être sans déchet, et où
Vopulence ne devait plus flatter ceux qui ont
pris le Seigneur pour leur héritage !
Mais, chez les pauvres et les riches, chez
les sujets et les souverains, chez les laïques
et les prêtres, régnaient les mêmes vœux et
les mêmes attaches.
Les pauvres méprisés sous les livrées de
Jésus-Christ, ne marchaient qu'en murmu-
rant sur ses traces ; les riches n'avaient jamais
(3) La sainte Vierge lui apparut, et lui présenta
l'enfant Jésus, qu'il eut le bonheur de tenir dans ses
bras. Miracle attesté par les historiens les plus gra-
ves, $t dans le procès de sa canonisation,
(4)' Le P. Thomassin et M. de Valleraont se sont
X. XIV, SAINT GAETAN.
282
de fonds suffisants pour fournir à leur luxe
et à leurs plaisirs; les grands voulaient pa-
raître avec autant d'éclat que leurs souve-
rains; les souverains n'étaient occupés qu'à
agrandir leurs domaines et étendre leurs
limites; la modération ne distinguait point
les prêtres des laïques, ils accumulaient les
bénéfices; le patrimoine des pauvres était
dissipé dans les plaisirs, et ce qui devait ser-
vir à nourrir les membres de Jésus-Cbrist,
servait d'aliment aux passions qui les tyran-
nisaient et dont ils ne rougissaient [dus.
Ce fut, Messieurs, cette coupable dissipa-
tion des revenus ecclésiastique, qui fit encore
tomber le sacerdoce dans ravilissement. Les
hérétiques eurent soin de l'exagérer auprès
des souverains; ils flattèrent leur cupidité,
on décidant qu'ils pouvaient s'emparer des
biens de l'Eglise. Bientôt, pour corriger des
abus, on commit des sacrilèges; la décision
était trop flatteuse pour ne pas s'y soumettre.
Plusieurs princes d'Allemagne adoptèrent la
doctrine de Luther pour faire usage de sa
morale.
Pour corriger de si grands désordres, un
héros de la pauvreté, un modèle parfait du
détachement évangélique était nécessaire.
Dieu le suscite, Messieurs, Gaétan parait :
son abandonnement héroïque à la Prov idence,
confond tous les hommes de cupidité :
quelles impressions ne devait-il pas faire?
11 est prudent, universel, victorieux de
tous les obstacles, soutenu par des prodiges
éclatants : si Gaétan veut tout attendre de
ton Dieu, Dieu se montre partout le Dieu de
Gaétan.
Appellerai-je sages et prudents, ces nom-
mes qui méprisent les fonds de la Providen-
ce, et veulent tout attendre du crédit, de
l'opulence, de l'industrie des faibles mor-
tels ? Non, Messieurs, ce sont des mondains,
des politiques; ils censurent un détache-
ment prudent , aussi bien qu'un détache-
ment héroïque ; ils blâment également et les
ordres qui ne possèdent rien, et les ordres
qui sont dotés : c'est dans les projets que l'es
saints exécutent, qu'éclatent la vraie sagesse
et la vraie prudence.
Gaétan, dans son abandonnement héroïque
à la Providence, ne blâme point les revenus
permis par les vœux et les saints canons :
s'il ne se réserve point la liberté d'exposer
ses besoins, il ne fait point aux autres un
précepte d'une pauvreté toujours muette.
Cet abandonnement héroïque sera volon-
taire, et n'engagera pas même ces en-
fants (4).
Le caractère éclatant qui annonce î hé-
roïsme de la confiance de Gaétan, qui dis-
tingue son institut, est donc, Messieurs, ce
détachement universel qui a eu tant de cen-
seurs avant d'avoir des apologistes et des
disciples. La nécessité la plus pressante
n'ouvre point la bouche de Gaétan pour sol-
troiupés, en disant que les Théalins font un vœu
particulier de n'avoir point de revenus; non-seule-
ment ils ne font pas ce vœu, niais leurs constitutions
déclarent que le concile de Trente leur a permis d'en
avoir.
283
ORATEURS SACRES. BALLET.
23-1
liciter des secours : il ne parle, il ne s'expli-
que que pour refuser ceux qu'on lui offre.
Cet abandonnement universel à la Provi-
dence, et victorieux de tous les obstacles,
n'était-il pas, Messieurs, une puissante
censure de la cupidité de son siècle ? Ils
étonnent le inonde, ces grands hommes que
le Seigneur suscite pour retracer la perfec-
tion évangélique : la sagesse du siècle s'op-
pose à la sagesse des saints; mais les obsta-
cles n'empêchent jamais les succès de l'œu-
vre de Dieu.
En vain, lescardinaux, chargés d'examiner
le projet du nouvel institut, des évoques,
des corps religieux combattent-ils d'abord
la confiance héroïque de Gaétan? Le Dieu en
qui Gaétan espère, lui fait remporter autant
de victoires qu'on lui livre de combats. 11 lui
dicte des réponses qui changent ses cen-
seurs en apologistes et en admirateurs : la
pauvreté, môme universelle, paraît honora-
ble et glorieuse, dès qu'il en dépeint les
avantages.
N'est-ce pas, Messieurs, ce qu'ont éprouvé
le comte de Carraccioli et l'évêque de Vé-
rone. En vain, opposent-ils à notre salut,
qu'il faut distinguer Naples de Venise, qu'il
n'y trouvera pas les mômes secours ? 11 ré-
pond que le Dieu de Venise est aussi le Dieu
de Naples. En vain, à titre de charité, veu-
lent-ils lui assurer des aumônes annuelles,
il répond qu'elles seraient un écueil pour la
pauvreté de sa congrégation naissante : ils
admirent, Messieurs, tout l'héroïsme de ce
détachement : ils le respectent après l'avoir
combattu; le héros de la pauvreté évangéli-
que leur en a donné de justes idées.
Ici, des prodiges éclatants annoncent hau-
tement le mérite de la confiance de Gaétan.
Dieu, qui a déployé tant de fois sa puissan-
ce pour nourrir, protéger et conserver le
juste qui espère en lui, renouvelle ses an-
ciennes merveilles en sa faveur. Il fut nourri
miraculeusement à Naples comme les Paul
et les Antoine dans le désert. A Rome, sur
le Tibre, dans les plus grands dangers, une
puissance divine le conserve, le protège,
Elle apaise les tempêtes les plus violentes,
change en agneaux les hommes les plus fé-
roces et les plus barbares: les déserts les
plus arides deviennent fertiles, la pauvreté
opulente; rien ne manque à Gaétan, parce
(pie Gaétan ne veut que Dieu.
Quel exemple pour son siècle, Messieurs,
et qu'il était puissant pour corriger les dé-
sordres qui le déshonoraient! Mais, si les
hommes de licence, de cupidité excitèrent
son zèle, les hommes de nouveauté ne l'ex-
citèrent pas moins. Sa foi humble et sou-
mise gémit amèrement des progrès de l'hé-
résie.
L'amour de l'Eglise a toujours été la vertu
des saints; ils n'ont vu qu'avec douleur ces
hommes audacieux qui altèrent sa doctrine
cl rompent l'unité.
Ils ne pensaient pas, Messieurs, comme
ces mondains indifférents qui regardent avec
tranquillité la tempête qui agite la nacelle
de Pierre, et qui ne redoutent des orages
qui se forment et qui éclatent, que ce qui
peut nuire à leur repos et à leur fortune.
Le danger de la foi a excité le zèle des
solitaires dans leurs paisibles retraites: ils
ont interrompu leur silence pour défendre
sa pureté, altérée par les profanes nouveautés
des hérésiarques.
Les progrès de l'arianisme à Alexandrie,
arrachent le grand Antoine de son désert.
Celui qui s'entretenait dans le calme avec
son Dieu , entre en lice avec les ennemis de
la vérité : les maux de l'Eglise changent un
contemplatif en un apôtre.
Gaétan, Messieurs', aimait l'Eglise, il ne
travaillait que pour sa gloire : jugez des im-
pressions que firent sur son cœur les rava-
ges de l'hérésie dans toute l'Italie. Il ne faut,
Messieurs, que se rappeler les tristes spec-
tacles qui se présentèrent à ses yeux, pour
se le représenter dans la douleur et dans l'a-
mertume : \idit et dolvit.
Du sein môme de l'Eglise romaine, était
sorti un de ces hommes que la science en-
fle, que la régularité gêne, que l'indépen-
dance porte aux dernières extrémités. Mar-
tin Luther, homme vif, emporté, fougueux ;
qui étudiait la religion pour la combattre,
qui ne prêchait que pour exciter les peuples
à la révolte, et qui sut habilement allumer
partout le flambeau de la discorde, pour
éteindre plus sûrement celui de la foi: une
ferveur passagère en avait fait un religieux:
l'erreur un apostat; l'incontinence, le sacri-
lège époux d'une vierge arrachée du cloître.
Malgré tous ces traits qui devaient répandre
un éternel opprobre sur Luther, il a des dis-
ciples ; ils le blâment secrètement , ils le
louent en public.
Son hérésie furieuse fait des progrès à la
faveur des guerres allumées de tous côtés;
ses triomphes sont ensanglantés. C'est dans
le massacre des hommes, la ruine des mœurs,
la perte des provinces et des Etats, qu'elle
s'étend, qu'elle a des succès, qu'elle fait des
conquêtes, et qu'elle attache les grands et les
petits à son char, séduits par les charmes
de la nouveauté.
■ Ne soyons pas étonnés, Messieurs, de ces
progrès, la nouveauté a toujours eu des
attraits pour les penchants de la nature, pour
les mondains, les mécontents, les ambitieux.
Le siècle de Gaétan goûta les nouvelles
hérésies, parce qu'il était licencieux et cor-
rompu. Quand il aurait encore rougi des
blasphèmes de Luther, il n'aurait point rougi
desamorale. Les libertins et les mondains
n'ont jamais parlé contre les hérétiques; ils
ont toujours parlé contre l'Eglise.
L'hérésie de Luther qui désole l'Italie ne
trouve à Rome, dans le Vatican, que des
foudres et desanathèmes ;mais, dans les cer-
cles des mondains, elle trouve des admira-
teurs et des apologistes. On vit alors les
courtisans s'ériger en juges de la foi, et les
enfants de l'Eglise applaudir h l'opiniâtre ré-
sistance de ses ennemis.
Ce furent aussi, Messieurs, les charmes de
cette hérésie qui tirent passer du sanctuaire
et du cloître tant de prêtres et de religieux
285
PANEGYRIQUES. — PANEG. XIV, SAINT GAETAN,
28G
sous ses étendards. Ennuyés du joug de la
religion, une honteuse apostasie les mettait
au large, dans les frontières qui lui servaient
de rempart ; mais abrégeons un récit qui doit
nous affliger.
Nazies, si pure dans sa foi jusqu'alors, est
sur le point de la perdre; Gaétan s'en aper-
çut, il en gémit. Le connétable de Bourbon
ne vient à son secours, avec ses troupes vic-
torieuses, que pour y introduire l'irréligion
et l'hérésie. Et il faut avouer que les victoires
qu'aurait pu remporter le général de Fran-
çois i" n'étaient pas à redouter, comme les
succès de l'erreur.
Déjà trois disciples secrets de la nouveauté
s'y étaient introduits: enveloppés dans leurs
prédications, libres dans des conférences se-
crètes, séduisants dans les écrits qu'ils ré-
pandent, le venin caché s'insinue, la nou-
veauté est goûtée, la foi des Napolitains
chancelle ; la religion est en danger.
N'est-ce pas avec raison, Messieurs, que
le zèle de Gaétan s'allume, éclate? Pouvait-
il être témoin de tous ces maux , sans
les arroser de ses pleurs, sans former le
projet de consoler l'Eglise, par une con-
grégation de saint prêtres, purs dans la
foi, et toujours inviolablement attachés au
Saint-Siège ? Non, Messieurs , l'horreur de la
nouveauté et la soumission à l'Eglise ont
toujours distingué et distingueront toujours
les héros de la religion que nous honorons,
des liéros de parti que les hérétiques seuls
canonisent.
Ne vous représentez pas, Messieurs, dans
notre saint, une piété tendre, mais sans lu-
mières ; une soumission aveugle, mais sans
principes ; un zèle aident, mais sans dou-
ceurs. Ses lumières lui firent apercevoir le
(langer de la foi. Son amour pour l'Eglise lui
fit former le projet d'en garantir les fidèles;
sa charité lui fit employer les moyens les
plus capables de persuader sans révolter.
Un génie cultivé, orné, qui avait toujours
décelé sa grandeur, sous les voiles de sa mo-
destie, une érudition profonde, une étude
sérieuse des matières ecclésiastiques le met-
taient en état de briller avec les savants, s'il
eût recherché la gloire.
-(•Celui qui avait moissonnédes lauriers clans
la célèbre université de Pavie pouvait espé-
rer des succès dans des conférences réglées.
Oui, Messieurs, mais les saints dédaignent
les victoires que l'on remporte sur les héré-
tique-, quand on ne 1-es convertit pas. Ils
évitent ces combats de paroles qu;, selon
l'Apôtre, perpétuent les disputes, au lieu de
les terminer.
Gaétan n'opposa d'abord à l'hérésie que la
force de l'exemple, la pureté de sa foi, les
charmes de sa douceur et les saints gémisse-
ments de son âme affligée.
Sa foi était celle de l'Eglise romaine; il
en était l'homme, le soutien, la gloire, la
consolation ; le vent des nouvelles doctrines,
qui soufflait alors de toutes parts, le trouva
toujours ferme et inébranlable, et il trans-
mit à tous ses enfants son amour pour l'u-
nité et son respect pour le Saint-Sioge.
Sa douceur, en parlant des ravages de
l'hérésie dans l'Italie, condamnait les em-
portements des hérétiques ; son zèle ne ten-
dait qu'à les toucher, et jamais à les humi-
lier. De là ces larmes amères qu'il répandait
dans le secret ; ces tristes accents qu'il fai-
sait entendre à son Dieu, ces paroles toutes
de feu qu'il lui adressait dans ses prières
pour la paix de l'Eglise et le retour de ses
enfants égarés.
Il ne faut, comme vous voyez, Messieurs,
que se rappeler les désordres du xvie siècle,
pour être persuadé que les motifs les plus
saints et les plus pressants excitèrent le zèle
de Gaétan. J'ai ajouté que les succès les plus
glorieux en ont été la récompense ; c'est le
sujet de la seconde partie de son éloge.
SECONDE PARTIE.
Le zèle que Dieu inspire est admirable,
Messieurs, il suffit pour former les plus
grands projets et les exécuter. Rien ne lui ré-
siste, la prudence humaine et la politique du
siècle , le torrent du vice et l'audace de l'hé-
résie, les efforts d'un monde d'iniquité et
d'erreur, tout cède au zèle apostolique.
La Providence, qui veille sur l'Eglise, qui
veut lui rendre sa première beauté, allume
ce feu divin dans le cœur de Gaétan ; la face
du christianisme se renouvelle.
Les apôtres se multiplient, le vice est atta-
qué efforcé de se cacher; l'hérésie avec tous
ses artifices est dévoilée et confondue ; la
piété renaît, la beauté du sanctuaire sort
brillante des nuages et de l'obscurcissement ;
une émulation de vertu, de pénitence éclate
dans toutes les villes qu'il a évangéiisées,
elle passe des pères aux enfants; ils érigent
des trophées à leur apôtre: succès rapides,
succès éclatants, succès durables. Que Dieu
est admirable dans ses saints! Qu'ils sont
grands, forts, puissants, quand c'est lui qui
les inspire, qui les conduit, qui les sou-
tient !
Jamais, Messieurs, une congrégation d©
prêtres pieux et zélés ne fut plus nécessaire
q.ue dans le seizième siècle; il fallait faire
renaître la piété et détruire l'erreur; Gaétan le
comprit, il en traça le plan.
Malgré tous les obstacles, Fœuvre'deDieu
s'avance, les Clercs réguliers paraissent, et
avec eux toutes les vertus du sacerdoce , et
tout le zèle des hommes apostoliques. Reli-
gieux et apôtres, la sainteté leur fraye la
route des cœurs, leur zèle en triomphe, la
retraite les sanctifie , leurs travaux sancti-
fient les peuples.
L'histoire fidèle nous assure que des pro-
diges éclatants annoncèrent ce corps de saints
ministres, que Dieu suscite à son Eglise, et
qui devait être si redoutable au relâchement
des mœurs et aux projets des hérétiques :
des croix lumineuses tombées du Ciel , tra-
cent le signe du salut sur leurs futures con-
quêtes; et, excepté l'hérésie, toute l'Italie
applaudit au nouvel institut. Vous dirai-je
que cette congrégation, fit trembler Luther
dès son berceau, et qu'il fut comme le pro-
phète de la honte qu'elle devait répandre sur
237 ORATEURS SACRES. BALLET
ése apostolat ? La pureté de sa foi ,
288
son saer
l'ardeur de son zèle, l'innocence de ses
mœurs la lui montrent, comme un cani|)
brillant et terrible aux ennemis de la reli-
gion.
Celui qui ne craint point les foudres du
Vatican, redoute les succès des nouveaux
ouvriers évangéliques : il méprise la bulle
qui le condamne, il est effrayé au seul nom
des adversaires qui doivent l'attaquer.
C'est Luther lui-même, Messieurs, qui a
fait cet aveu : on nous prépare, dit-il, à
Rome une guerre cruelle: le plan d'une nou-
velle congrégation de Clers réguliers est tra-
cé, présenté au souverain pontife, et ap-
prouvé.
Quelle gloire, Messieurs, pour ce nou-
vel institut, d'être annoncé par des mira-
cles, désiré par les fidèles échappés à la cor-
ruption, approuvé par l'Eglise, protégé par
les souverains, et redouté des hérétiques.
Je ne prétends pas, en vous donnant une
faible idée de la gloire qui accompagnent
l'institut de Gaétan dès sa naissance , qui an-
nonce son importante destinée , et qui le
fait briller aussitôt qu'il paraît, faire naître
dans vos esprits des idées injurieuses aux
justes que Dieu s'était réservés dans le sanc-
tuaire et dans Je monde : à Dieu ne plaise,
que j'exagère des maux qui n'étaient que
trop grands 1
Les premiers pasteurs avaient déjà pensé
à la réformation des mœurs : il y avait en-
core dans l'Eglise des ministres" fidèles. La
France, qui avait été menacée d'un schisme
toujours redoutable , ne coulait des jours
paisibles à l'ombre des trônes de Constantin
et de Pierre , que par les sages négociations
des Pères du concile de Latran , ils avaient
réunis habilement les deux glaives; et les
différends entre Jules il et Louis XII furent
appaisés.
Adrien VI et Clément VII avaient formé
des projets de réformation : mais le premier
ne vécut pas assez pour les exécuter; le se-
cond, toujours timide et irrésolu en différa
trop longtemps l'exécution. La congrégation
de l'Amour- Divin à Rome était une arche
précieuse, où de chastes colombes s'étaient
envolées, pour y gémir sur les désordres de
leur siècle. La piété y régnait : mais rien n'y
fixait les sujets; ce n'était qu'une faible
ébauche de la congrégation des Clercs régu-
liers.
Tel était, Messieurs, l'état de l'Eglise,
lorsque Gaétan traça le plan de son institut:
on formait des projets, mais ils n'étaient pas
exécutés : il y avait encore du zèle, mais il
se contentait de gémir; de la piété, mais elle
était cachée, elle no pensait qu'à se se garan-
te de la contagion du mauvais exemple.
C'est à la congrégation des Clercs réguliers,
qu'il était réservé de dissipertous les nuages
('ni obscurcissaient la beauté de l'Eglise : ses
rapides succès nous annoncent l'œuvre de
Dieu.
Ici, Messieurs, vous serez sans doute
étonnés ; pour moi , il me semble raconter
les rapides succès des apôtres, dès qu'ils
paraissent et qu'ils prêchent : un institut, qui
retrace leur travaux, leur pauvreté, leurs
souffrances , est goûté, applaudi , je vois les
plus grands hommes l'embrasser, les souve-
rains le protéger, les villes les plus florissan-
tes lui procurer des hospices.
Cette gloire, qui orne le berceau de l'insti-
tut ; ces rapides succès qui le distinguent de
tous les projets et de toutes les entreprises
des politiques, consolent 'le saint instituteur:
il est suscité pour la gloire de l'Eglise : il
voit s'accomplir la prophétie qui annonçait
les grands hommes qui devaient embrasser
sa doctrine , et se soumettre à ses lois.
Oui , Gaétan 1 Le plan de votre congréga-
tion ne sera pas plutôt tracé, que vous verrez
les plus grands hommes de l'Eglise, et de
l'État, s'unir a vous : Tiri sublimes transibunt
ad te. ( Isa. , XLV.) Les Boniface, les Paul ,
les Carratfa, les Bernardin Scolte : ces hom-
mes si distingués par la grandeur de la nais-
sance, l'éminence de la sainteté , la supério-
rité des talents, l'importance des emploi? ,
l'éclat des dignités, viendront se soumettre
aux saints règlements de votre institut, et
être les coopérateurs de votre zèle: Yiri su-
blimes transibunt ad te.
Ils quitteront les cours les plus brillantes,
renoncerontaux dignités les plus éclatantes,
descendront même du trône épiscopal, pour
se consacrer avec vous aux travaux péni-
bles de l'apostolat : Yiri sublimes transibunt
ad te.
Les grands de Rome, de Venise, de Na-
ples , vous désireront, vous écriront, vous
solliciteront d'aller les évangéliser, les édi-
fier; vous serez obligé de refuser et jamais
de demander : on viendra vous chercher
pour vous introduire dans les asiles et les
Eglises que leur zèle vous a préparés '.Tiri su-
blimes transibunt ad te.
Par tout où on aimera l'Eglise, on adoptera
et on respectera votre institut :et les hom-
mes de naissance, de talents , de sainteté s'y
perpétueront dans tous les âges : Yiri subli-
mes transibunt ad te.
N'eut-il pas aussi, Messieurs, des charmes
pour saint Ignace, et les liens de l'amitié
qui l'attachaient à Gaétan? A Venise, ne lui
avaient-ils pas fait naître le désir de l'embras-
ser? 11 ignorait alors les desseins de Dieu:
celui qui voulait être le disciple de Gaétan ,
devait être le chef d'une société toujours
précieuse à l'Eglise parle zèle apostolique
qui s'y perpétue, la pureté de la foi, l'inno-
cence dès mœurs , l'éclat des talents , et le
caractère môme de ses ennemis. Gaétan, et
Ignace, sont comme deux astres éclatants que
Dieu fait briller dans son Eglise: ces deux
instituteurs lui sont également utiles pour
corriger les mœurs, et détruire l'erreur:
Dieu qui avait inspiré le zèle qui les ani-
mait , le récompense par des succès rapides
et éclatants.
' Qu'ils sont admirables, qu'ils sont conso-
lants , qu'ils sont glorieux ces changements
que lo zèle apostolique opère 1 Ce feu divin
s'allume, il éclate, les moindres étincelles
échauffent les cœurs. Gaétan et les coopéra-
2£9
PANEGYRIQUES. — PANEG. XIV, SAINT GAETAN.
200
teurs de son zèle sont envovés , ils entrent
dans la pénible carrière de l'apostolat : ces
lumières brillent à Rome , à Venise, à Na-
ples ; ces trompettes évangéliques se font
entendre ; ces hommes de pénitence, de pau-
vreté, de foi, de charité, de miracles se mon-
tient; le vice se cache, l'hérésie frémit, la
piété renaît, la foi se réveille, les ténèbres
se dissipent; un nouvel éclat brille dans l'E-
glise, toute la face du christianisme se re-
nouvelle ; tous les pas de ces hommes zélés
sont marqués par de nouvelles conquêtes ;
ils attachent au char de Jésus-Christ ceux
que la licence des mœurs et le goût d?. la
nouveauté avaient attachés au char du dé-
mon.
Je n'exagère pas, Messieurs, les succès de
l'apostolat de Gaétan, je vous les rappelle
moins en orateur qu'en historien ; si les faits
manquaient, l'imagination pourrait briller
dans des portraits étrangers ; l'éloquence sait
embellir les sujets les plus simples et les
moins intéressants'; mais ici l'abondance
seule de la matière rend le choix difficile.
Succès éclatants t lorsqu'ils paraissent dans
les chaires, Dieu donne à leurs discours une
onction toute céleste, qui remue, touche,
entraîne tous les cœurs : ils annoncent les
vérités terribles comme les vérités conso-
lantes ; le juste, le pénitent est animé, con-
solé, parce qu'ils lui ouvrent les portes du
ciel; le pécheur, l'impénitent, est saisi, ef-
frayé, parce qu'ils lui montrent les abîmes
de l'enfer; leurs auditeurs touchés, persua-
dés, répandent des pleurs; bientôt ils ne
sont plus les mêmes : ce sont des pénitents,
des hommes nouveaux. On pourrait, Mes-
sieurs, compter des milliers de conversions
éclatantes après leurs prédications, comme
après celles de saint Pierre; le même esprit
les anime, la même puissance les accom-
pagne.
Succès éclatants de leur charité : elle re-
trace celle du Sauveur, elle sauve les âmes,
elle conserve les corps. Les ombres de la
mort étaient répandues sur Venise , cette
ville superbe et florissante ; la peste et la
famine, ces fléaux redoutables qui succédè-
rent à celui de la guerre, désolaient cette
ancienne république: sa grandeur était plus
propre à hâter sa ruine qu'à l'en délivrer;
elle devenait une affreuse solilude par la
suite de ses habitants effrayés, et les tristes
victimes de la maladie et de la disette n'au-
raient pas été consolées et secourues sans la
charité des cleies réguliers. Les mourants
leur étaient redevables-de leurs saintes dis-
positions: ceux qui survivaient aux malheurs
publics leur étaient redevables de la conser-
vation de leurs jours.
V enise, Messieurs, fut plus d'une fois re-
devable à la charité et aux prières de Gaétan.
Que n'avait-elle pas à craindre des con-
quêtes de Soliman II et des vastes projets
des Allemands et des Français ligués ensem-
ble? Toute l'Italie était ïe théâtre d'une
guerre sanglante : cependant elle fut paisi-
ble; les armées victorieuses semblaient res-
pecter ses remparts. Si la politique attribue
la tranquillité qu'elle goûta a. ors à la sagesse
seule de ses magistrats, Venise elle-même
la dément ; elle avoue qu'elle en est rede-
vable à la pénitence , et aux prières de
Gaétan.
Succès éclatants dans le rétablissement de
la discipline ecclésiastique. Les prêtres em-
brassent une réforme exacte et sévère : bien-
tôt ils forment un corps respectable de saints
ministres qui font honorer le sacerdoce; les
fidèles trouvent des apôtres dans les ecclé-
siastiques, parce que les ecclésiastiques sont
devenus les fi ;èles disciples des arôtres do
Venise et de Naples.
Succès éclatants dans la conduite des âmes-
ils les conduisent à la plus haute perfection :
Laurence, la duchesse de Termoli, marchent
sur les pas des Paule , des Mélanie, des
Claire; elles ne leur sont pas inférieures en
zèle, en piété; Jes monastères qu'elles fon-
dent, les vierges qui se rangent sous leur
conduite, les mettent à côté des saintes insti-
tutrices. Ne soyons pas étonnés, Messieurs,
de ces progrès; Paule et Mélanie avaient
pour guide saint Jérôme; sainte , Claire. , le
grand François d'Assise; Laurence et la du-
chesse de Termoli, Gaétan. On arrive bientôt
à la perfection sous la conduite des saints du
premier ordre.
Succès éclatants sur l'hérésie : c'est le zèle
prudent, éclairé de Gaétan et de Marinon qui
découvrit à Naples la nouvelle doctrine des
trois hérétiques qui s'y étaient introduits ;
leurs détours et leurs artifices furent un fai-
ble rempart contre les lumières et 5a vigi-
lance de nos apôtres; ils furent dévoilés,
leurs pernicieuses erreurs proscrites , les
écrits qu'ils avaient répandus condamnés
aux flammes : une fuite honteuse fut leur
ressource; Naples conserva la foi de ses pè-
res, et plus les Napolitains pensent aux dan-
gers où elle était, p lus ils sentent ce qu'ils
doivent aux saints apôtres qui l'ont con-
servée.
Toute l'Italie a donc été, Messieurs , le
témoin des succès de Gaétan; ils sont écla-
tants, ils sont durables. La postérité du juste
retrace ses vertus et son zèle, la reconnais-
sance des peuples lui érige des trophées qui
en perpétueront le souvenir dans tous les
âges.
Le juste, selon l'oracle du Sage, qui
suit le Seigneur et s'abandonne à sa Provi-
dence, arrive à une gloire solide et durable.
Les succès des pécheurs, des hérétiques,
des ambitieux, laissent des traces qui ne
perpétuent que trop longtemps leurs coupa-
bles exemples; mais quelle différence, Mes-
sieurs, entre les traces durables que laissent
le zèle apostolique, la vertu, la sainteté?
Ici on voit des imitateurs constants des
vires des pécheurs, de la licence des grands,
de la résistance des hérétiques : là, on voit
des fidèles disciples du zèle, des vertus, de
la soumission d'un apôtre zélé, d'un sa.nt
instituteur: les ambitieux font passer à leurs
enfants des honneurs, des titres, des biens,
qui sont souvent le prix de la bassesse, do
L'adulation, de l'injustice, du crime • hs
B\
ORATEURS SACRES. DALLET.
292
conquérants font déplorer souvent leurs suc-
cès, leurs victoires, parce qu'ils n'offrent que
des triomphes ensanglantés, des villes dé-
truites, des campagnes ravagées, et partout
les tristes images de la mort , de la désola-
tion : les hérétiques ne s'étendent que par
le mensonge, les artifices ; leurs disciples ne
leur sont pas plus soumis qu'à l'Eglise, ils
s'en séparent pour avoir la gloire de devenir
chefs de parti , Terreur fait de grands pro-
grès, l'hérétique est toujours dans la honte
et l'ignominie ; plus sa doctrine est connue,
plus il est obligé de se cacher; les succès
des pécheurs et des hérétiques font leur
honte sur la terre et leur supplice dans l'en-
fer ; pendant que leurs disciples, leurs imi-
tateurs les louent où ils ne sont plus, ils
s'avouent coupables, et sont tourmentés où
ils sont.
Je loue aujourd'hui, Messieurs, les succès
durables de saint Gaétan, parce qu'ils sont
précieux, consolants, ils font la gloire de
l'Eglise, l'honneur de la religion, l'édifica-
tion des fidèles; c'est Dieu qui soutient son
ouvrage, qui couronne sou zèle, et qui en
perpétue les succès.
Les troubles de Naples affligent l'âme de
Gaétan, épuisent ses forces, il quitte la terre
pour s'envoler dans le ciel : cette victimo
du zèle apostolique est consumée.
Augustin, Messieurs, écrivait encore pour
la grâce, lorsque les Vandales assiégèrent
Hippone : Gaétan exerçait encore les péni-
bles fonctions de l'apostolat, lorsqu'une
guerre civile menaçait Naples d'une ruine
totale, et l'on dirait qu'il n'a cessé d'être son
apôtre sur la terre durant ces troubles, que
pour aller être son protecteur dans le ciel.
Mais, avant que de vous dépeindre, Mes-
sieurs, les succès durables de la gloire de
Gaétan, il faut vous parler des succès dura-
bles de son zèle.
Que de monuments précieux m'offre ici
toute l'Italie! La
régularité
du clergé, la
charité qui s'exerce dans les hôpitaux, les
secours prompts et suffisants que trouvent
les malaisés et les. pauvres dans cet établis-
sement approuvé par les conciles et les sou-
verains pontifes, la piété qui règne dans les
familles, la fréquentation des sacrements,
l'attachement à la saine doctrine : voilà, Mes-
sieurs', les succès durables du zèle de
Gaétan, les fruits précieux de son apostolat.
Il est vrai qu'ils sont entretenus par le
zèle de ses enfants : son institut répandu
dans toutes les plus grandes villes fournit
des apôtres animés de son esprit, et qui le
retracent
La France, comme vous voyez, en possède
une précieuse portion; la même autorité gou-
verne ces saints prêtres, les mêmes liens les
unissent, le môme zèle les anime; c'est à la
piété de Louis le Grand que nous sommes
redevables de cette portion de l'institut de
Gaétan, c'est lui qui nous a procuré ces
grands modèles de la régularité ecclésiasti-
que : il consacrait, comme vous savez, les
triomphes de la guerre à la gloire des au-
tels : on voit briller ici la sainteté et la science,
les vertus, et les talents.
Dans quel temps avez-vous vu, Messieurs,
ce saint asile dépourvu de profonds théolo-
giens, de directeurs éclairés, de célèbres
orateurs, de ces hommes vertueux prudents,
habiles, et capables d'honorer les plus gran-
des places? La postérité du juste fera tou-
jours la gloire de l'Eglise et la consolation
des fidèles.
Pour vous prouver que sa mémoire est
aussi en bénédiction, il me suffit de vous rap-
peler le zèle des Vénitiens, et des Napoli-
tains pour perpétuer sa gloire; ange tuté-
laire, patron de ces florissants Etats, je vois
partout de glorieux trophées érigés à ce hé-
ros de la religion.
Je le vois représenté à Venise avec tous
les attributs de la sainteté, comme les héros
de la guerre avec tous les attributs de la vic-
toire : ses vertus et ses succès sont gravés
sur le marbre comme dans les cœurs, la
reconnaissance des Vénitiens a ajouté au
culte que l'Eglise lui a décerné, les hon-
neurs décernés aux souverains et aux con-
quérants.
t. Le libérateur de Naples est toujours aussi,
Messieurs, l'objet des vœux des Napolitains;
les grands et les petits volent avec confiance
sous ses étendards; ils renouvellent chaque
année leurs engagements, ils ne les oublient
jamais, et, si l'apôtre a disparu à leurs yeux
pour aller goûter les douceurs d'un repos
éternel, la gloire de son apostolat brille
encore, la piété et la reconnaissance la per-
pétuent.
Heureux, Messieurs, si je vous ai donné
une yasle idée d'un saint qui fut la ressource,
la consolation et la gloire de l'Eglise, mars
plus heureux encore, si l'éloge d'une vie si
édifiante vous a touchés, et si dans un siècle
cù il y a presque les mêmes désordres à évi-
ter et à combattre que dans celui de notre
saint apôtre, vous vous conservez purs dans
la foi, et dans les mœurs, afin de participer
un jour à la gloire dont il jouit dans le ciel.
Je vous la souhaite.
PANÉGYRIQUE XV.
APÔTRE
SAINT REMI, ARCHEVEQUE DE REIMS,
DE LA FRANCE.
Quis potest similiter sic gloriari tibi? Qui sustulisli
mortuum ab inferis : qui ungis reges ad pœnitentiam, et
prophetas lacis sticcessorcs posl te. (Eccli., XLVilI)
Qui petit se glorifier comme vous? Vous avez ressuscité
des morts : ... vous avez sacré les rois que Dieu suscitait
pour punir les primes idolâtres : vous avez (orme des pro-
phètes animés comme vous de l'esprit de Dieu
C'est l'Esprit- Saint, Messieurs, qui em-
ploie ces traits brillants et sublimes, pour
caractériser la sainteté extraordinaire d'un
des plus grands serviteurs de Dieu : l'éloge
qu'il consacre à sa mémoire, est grand, ma-
gnifique et pompeux. En trois mots, il dé-
peint l'homme de miracles, l'apôtre des rois,
le maître et le modèle des prophètes.
Il y a une majestueuse simplicité, et un
sublime ravissant dans l'Ecriture, que les
plus grands orateurs ne sauraient trop ad-
293
PANEGYRIQUES. — PANEG. XV, SAINT REMI.
ÏU
(5) Saint Rémi étendait le culte de la sainte Vier-
ge avec un zèle incroyable. En érigeant Févêchéde
Laon, il voulut que la ealhédrale fût sous la protec-
tion de Marie, comme sa métropole. Ces douze ca-
thédrales qui, pendant plus de douze cents ans com-
mirer;les grâces ae l'éloquence humaine que
nous y ajoutons, sont comme un voile qui
dérobe ces divines beautés.
En effet, Messieurs, tout ce qu'il y a de
grand, d'important, d'admirable, de" divin,
n'est-il pas renfermé sous ces trois traits que
le Saint-Esprit emploie pour louer l'incom-
parable Elie ?
Non seulement il fut prophète, 'mais le
père d'une multitude de prophètes qui habi-
taient les monts solitaires du Carmel; plu-
sieurs retracèrent son zèle; Elisée fut rem-
pli de son esprit, et parut avec éclat dans la
Judée : Prophetas facis successores post te.
ïl répandit l'huile sainte sur la tête des
rois d'Israël, Azaël et Jéhu, ces hommes
choisis de Dieu pour poursuivre les princes
idolâtres, les défaire, et venger le culte du
vrai Dieu qu'ils avaientvoulu abolir : Ungis
reges ad pœnitentiam
Il parut dans l'éclat des prodiges, la puis-
sance divine qui agissait en lui, le montrait
aux monarques comme l'arbitre de la nature;
sa voix, qui était alors celle de Dieu même,
était entendue dans le creux des tombeaux;
elle en appelait les morts, et ils sortaient
pleins de vie : Sustulistî mortuum ab inferis.
Voilà, Messieurs, l'idée précise et magni-
fique que le Saint-Esprit nous donne de la
vie d'Elie dans le pompeux éloge qu'il con-
sacre à sa mémoire.
Vous me prévenez sans doute, Messieurs;
ces traits sublimes caractérisent si parfaite-
ment le grand saint Rémi , l'apôtre de la
France, que vous avez déjà conçu le plan
de l'éloge que j'ai l'honneur de consacrer
aujourd'hui à sa mémoire.
En effet, Messieurs, sans vouloir obscurcir
ici la gloire de tous les grands évêques de
l'Eglise gallicane, ne puis-je pas dire : Qui
peut se glorifier d'avoir retracé depuis lui
les merveilles de son apostolat? Quis potest
similiter sic gloriari?
Non-seulement il fut un grand évoque,
mais il a formé de grands évêques, fondé des
églises, établi des sièges dans tout l'empire
des Français; il a eu des disciples qui ont
retracé ses vertus, son zèle, perpétué ses
travaux : Prophetas facis successores post te.
Quelle gloire ne s'est-iï pas acquise dans
la conversion du grand Clovis, ce prince
belliqueux, ce premier de nos rois chrétiens?
En répandant l'huile céleste sur sa tête, en
lui faisant briser ses vaines idoles, et le sou-
mettant aux abaissements de l'Evangile, n'a-
t-il pas fait monter pour toujours la doctrine
de Jésus-Christ sur le trône des Français?
Ungis reges ad pœnitentiam.
Reims n'a-t-il pas été le théâtre de ses la pi
miracles? N'a-t-il pas été appelé le thauma-
turge de son siècle par les rois chrétiens, et
les princes ariens même, dans les assemblées
du clergé de France, dans les conciles des
Gaules et par les souverains pontifes ? La
résurrection d'un mort n'a-t-elle pas attesté
que la puissance divine agissait en lui ? 5ms-
tulisti mortuum ab inferis.
Aussi, Messieurs, j'ose me flatter cjue je
vous donne une juste idée du saint pontife
dont nous célébrons aujourd'hui la mémoire,
en vous le représentant sous les traits que
je viens de vous développer. Vous verrez, en
suivant l'histoire fidèle : Le modèle des évo-
ques, l'apôtre des rois, le thaumaturge des
Gaules. Voilà le plan d'un éloge que la ten-
dresse pastorale m'a fait entreprendre, et
dont je sens tout le poids. Vierge sainte,
mère de Dieu, que ce grand pontife honora
toute sa vie d'un culte pieux et magnifi-
que (5), obtenez-moi par votre puissante
intercession les lumières du Saint-Esprit ;
écoutez favorablement la prière que nous
vous adressons. Ave, Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
C'est beaucoup, Messieurs, de répondre à
la sainteté du sanctuaire, d'en soutenir avec
dignité les premières places ; tel est le mérite
des grands et des saints évêques. Mais êtro
saint et former des saints, être un grand pon-
tife et former de grands prélats, gouverner
son Eglise et en fonder de nouvelles, devenir
le père, le maître, le modèle des sentinelles
d'Israël ; l'astre qui éclaire les lumières
mêmes posées sur le chandelier de l'Eglise»
cette gloire est particulière au saint que je
loue. Je me représente un Paul qui a des
disciples, qui fonde des églises et leur donne
des pasteurs. L'éclat de sa sainteté, la pureté
de sa doctrine, l'ardeur de son zèle, le firent
regarder comme le prodige de son siècle;
sous sa conduite se formèrent les plus grands
hommes, des saints, des défenseurs de la foi
des apôtres : Facis prophetas successores
post te.
Quelle sainteté, Messieurs, que celle de
Remiî qu'elle est admirable 1 Dieu l'annonce,
la promet; il montre par avance son éclat,
son empire, ses conquêtes; elle doit sancti-
fier une nation barbare et féroce, détruire
l'idolâtrie, confondre l'arianisme, s'attirer le
respect des princes païens et attacher au char
de l'Evangile les peuples attachés au char du
démon.
Il n'est pas nécessaire, Messieurs, de vous
rappeler l'état déplorable où étaient les Gaules
dans le vie siècle ; il me suffit de vous dire
que, dans ces jours malheureux, Dieu se
servit des Français belliqueux pour jeter les
fondements de la monarchie française; cette
monarchie dont les accroissements ont été si
immenses, si brillants, et qui est aujourd'hui
"a plus opulente, la plus puissante, la plus
policée et la plus magnifique de l'Europe,
Reims, cette ville, distinguée que saiit
Jérôme met au rang des plus fortes et des
plus célèbres villes des Gaules (6), scia le
grand théâtre des miséricordes du Seigneur ;
posaient la province de Reims, six portaient lenrni
de la sainte Vierge. (Du Sausset, Glor. sancti liemi-
gii, lil). in.)
(G) Rèmorum nrbs preepotens. (S. IIiercn., Ep. ,rf
Age rue h.)
235 ORATEURS bACRES. BALLET
elle sera le berceau de la monarchie fran
ÎS5
çaisc; Rémi, son pontife, sera l'apôtre du
premier roi chrétien.
Dieu annonce ces merveilles au solitaire
Montan, dans le temps même que les bar-
bares, répandus dans les Gaules belgiques,
assiègent et prennent Reims (7).
Déjà le deuil est universel, on massacre
les chrétiens, le sang coule de toutes parts,
on y compte presque autant de martyrs que
d'habitants. Nicaise les exhorte, les encou-
rage par ses exemples et ses prières; le ciel
écoute les vœux du saint évoque, une puis-
sance divine répand la terreur dans le camp
des ennemis, saisis, épouvantés, ils pren-
nent la fuite,
O ville, ô province chéries du ciel ! Dieu
vous prépare encore de nouvelles grâces,
de nouveaux prodiges de miséricorde; vos
larmes seront à peine essuyées; Baruch1,
successeur de Nicaise, sera eirore occupé
à recueillir avec peine les débris de votre
Eglise désolée que Rémi paraîtra; Dieu le
suscite pour être le libérateur de son peuple,
l'apôtre des Français, changer une nation
féroce et idolâtre en une nation policée et
chrétienne, etfaiie régner pour toujours la
véritable religion sur le trône.
Quel homme, quel pontife destine-t-il
donc au siège de Reims, puisqu'un pro-
phète annonce sa naissance, son apostolat,
ses succès ? Jugeons, Messieurs, de l'éclat
de sa sainteté par les magnifiques préparatifs
qui l'ont annoncée.
Sainteté de Reini qui a brillé en lui dès
l'enfance. Les plus éminentes vertus ont
sanctifié ses plus tendres années; il mon-
tra à sa nation étonnée l'innocence et la péni-
tence d'un Jean-Baptiste.
Ce fut, Messieurs, vous le savez, parce
qu'il égala et surpassa môme les vieillards
de son siècle en gravité, en prudence, en
lumières, en sagesse , qu'on le força à vingt-
deux ans de remplir la chaire pontificale de
Reims. On ne viola point la disposition des
saints canons ; on obéit à la voix du ciel qui
le demandait. Sa vocation fut divine, des
miracles éclatants garantirent le choix de
Dieu.
Ce fut lui-même qui inspira au peuple de
Reims la violence qu'il fit à Rémi pour l'ar-
racher à sa solitude ; c'est par son ordre
qu'on 'tira cette brillante lumière cachée
(7) Montan était un saint, qui vivait clans une soli-
tude auprès de Laon : il était aveugle. Ce fut à lui
que Dieu révéla la naissance de Réuni, et sa liante
destinée. 11 le chargea d'aller trouver Célinie, pour
l'assurer que quoiqu'elle fût dans un âge avance,
elle était destinée pour être la mère de L'apôtre des
Français. Quand Rémi fut né, le saint solitaire
recouvra la vue. (Uincmar, Vie de saint liemi, cap.
n; Flodoars., Hist., lit». II, cap. 11.) .
(8) Célinie mère de saint Reini, Principe et Loup,
ses frères, tous deux évoques de Soissons, sont mis
au rang.dcs saints que l'Eglise honore (l'un culte
public. L'on voit encore des églises qui portent leurs
noms dans les diocèses de Reims, de Laon, et de
Soissons. (Ou Saussay, Marlyrolog. Gallic.) — Sa
nourrice sainte Balsamie, Celsin son fils, frère de
lu l de Rcmi. et ensuite son disciple, sont aussi au
dans la retraite pour la placer sur le chan-
delier de l'Eglise.
Les Ambi'oise, les Chrysostome , les Mar-
tin de Tours, les Grégoire le Grand, ont
été ainsi choisis par la voix du ciel.
Sainteté de Rcmi, qui semble s'être com-
muniquée à toute sa famille.
Famille sainte, précieuse, composée d'é-
lus, de ces chrétiens raies qui méritent la
vénération de la terre, et qui ne la quittent
que pour aller jouir de l'immortalité glo-
rieuse dans le ciel: tels furent, Messieurs,
les parents de Rémi. Ils furent les premiers
admirateurs de la sainteté de Rémi ; ils fu-
rent ses premiers imitateurs. Ils ne furent
point des spectateurs stériles des sublimes
vertus qu'il pratiquait sous leurs yeux : leur
vie les retraçait. Aussi sont-ils honorés dans
les fastes de l'Eglise, leur rend-on un culte
public, et voyons-nous des temples somp-
tueux consacrés à Dieu en leur honneur (8).
Qu'une sainteté si extraordinaire devait faire
de vives impressions sur les cœurs 1 Que ses
charmes étaient puissants pour persuader
la vertu 1 Aussi, Messieurs, non-seulement
il forma le peuple à la piété, mais encore
de grands saints dans l'Eglise, des défen-
seurs de la foi des apôtres.
N'attendez pas, Messieurs, que je vous
nomme ici tous les disciples de Rémi. Quel
prince chrétien, quel évêque, quel soli-
taire, quel saint, qui ne se fit pas gloire de
l'écouter et de l'imiter?
Vous montrerai-je ces ministres des au-
tels arrivés à Reims, du fond des îles Brita-
niques, pour se former sous sa conduite au
saint ministère?
Vous parlerai-je de l'estime que l'illustre
sainte Geneviève en faisait ? des consolations
qu'elle goûta;.t dans ses entretiens tout cé-
lestes ? consolations qui la faisaient voler
trois fois l'année à Reims pour écouter le
saint pont;fe (9).
Est-il nécessaire que je vous nomme ses
principaux disciples? Saint Va;t, saint Mé-
dard, saint Antimond, saint Gennebaud
saint Léonard, saint Thierri ne font-ils
pas encore sa gloire ? N'est-ce pas lui qui
les a formés dans la sainteté et le ministère ?
Ces grands évoques , ces saints solitaires ne
Font-ils pas honoré comme leur père? ne
Font-ils pas copié comme le plus excellent
modèle des vertus chrétiennes et aposto-
nomhre des saints. Il y a à Reims une égMse collé-
giale qui porte son nom. Montan, quia annoncé la
naissance de Reini, est honoré à Laon le 17 mai.
(Marlot., Ilist. Rem., loin. I, lib. I, cap. 33.)
(9) Geneviève, celte fille miraculeuse, après la
mort de saint Germain d'Auxerre qui l'avait consa-
crée à Dieu dès son enfance à Nantarre, fut Inspirée
de Dieu de s'adresser an saint archevêque de Reims.
Clovis frappé de l'éclat des vertus de Geneviève et
de ses "mirai les, n'étant encore que païen, informé
des fréquents voyages qu'elle taisait à Reims pour
consulter le saint pontife, lui donna deux métairies
qui étaient sur le chemin de Paris à Reims, afin
qu'elle put y loger, et s'y nourrir : la sainle les don-
na à saint Rémi ; saint Rémi les donna à son Eglise.
(Testant, sancti ltemigii; Baronics; an. 499.)
!S7
PANEGYRIQUES. — PANEG. XV, SAINT REMI.
licjucs ? Facis prcplutas successorcs post te.
Tous ces grands hommes que Rémi avait
formés , embrassèrent sa doctrine ; doctrine
pure, orthodoxe, qu'il avait reçue de l'Eglise
romaine.
Ici, Messieurs, permettez-moi de déplorer
l'aveuglement de nos frères séparés. Je fais
attention à la doctrine de saint Rémi, à la
foi qu'il annonçait dans son diocèse il y
près de douze cents ans, et je vois qu'il
croyait ce que nous croyons et ce qu'ils
contestent. Quelle honte pour ceux qui se
laissent séduire par les charmes de la nou-
veauté 1 quels reproches ne méritent-ils pas
d'avoir abandonné la doctrine de ce grand
apôtre des Français 1
Quelle était en effet, Messieurs, la doc-
trine de saint Rémi ? Vous le savez : celle
qu'il avait reçue du vicaire de Jésus-Christ,
celle que les premiers hommes apostoli-
ques venus de Rome avait prôchée dans
les Gaules ; celle que saint Nicaise venait
de sceller de son sang, celle que les apôtres
ont prêchée ; celle que les premiers conciles
ont reçue avec joie et avec respect; celle
que l'Eglise romaine, toujours vierge dans
sa foi, a envoyé annoncer dans tous les
royaumes; celle que saint Denis avait fait
embrasser à nos pères plus de trois cents
ans avant la naissance de notre saint pon-
tife.
Voilà la doctrine que saint Rémi professe,
enseigne, et que ses disciples embrassent
avec soumission.
Si vous faites attention, Messieurs, au
temps où saint Rémi vivait, et surtout aux
premières années de son épiscopat, vous
avouerez qu'il était bien glorieux alors de
professer la doctrine de Jésus-Christ et la
loi de l'Eglise romaine.
Les païens méconnaissaient la doctrine
de Jésus-Christ : les ariens la combattaient.
Le paganisme florissant dans toutes ces
vastes provinces avait des temples, des au-
tels, des prêtres ; les peuples et les monar-
ques étaient livrés au culte des idoles, et ne
rougissaient point d'offrir leur encens à de
fausses divinités. L'arianisme dominait, des
E rinces puissants goûtaient cette détestable
érésie ; elle avait des savants, des prêtres,
des évêqucs, des princes illustres qui la
défendaient et l'accréditaient.
C'est dans ces jours de ténèbres et d'er-
reurs que saint Rémi professe et enseigne
la doctrine des apôtres.
Dans tous les conciles qui se tiendront
après lui dans les Gaules, on y louera, on y
approuvera la doctrine de Rémi; il y sera
nommé la gloire et la lumière de l'Eglise
gallicane.
^ Qui n'aurait pas reconnu la doctrine de
l'Eglise dans celle que Rémi annonçait? Il
prêchait ses dogmes, il se servait de ses ex-
pressions : prédicateur zélé de la vérité, il
la taisait connaître et aimer; ennemi déclaré
des nouveautés, il les découvrait, les com-
battait, les réfutait; ses lumières, son zèle,
son érudition, le rendaient, terrible aux hé-
rétiques. Quelle horreur ne conçut-il pas de
Orateurs sacrés. L.
293
ces hommes audacieux, qui franchissent les
bornes sacrées que nos pères dans la foi ont
suivies?
Un pontife dont la doctrine était si pure ne
s'écartait pas, Messieurs, de l'espiit de l'E
glise, lorsqu'il s'agissait de la conduite di.s
âmes; il ne donnait point dans une sévérité
que cette tendre mère a toujours condamnée,
ni dans un relâchement qu'elle a toujours
déploré; il marchait entre les deux extrémi-
tés vicieuses, et exhortait ses disciples à y
marcher et à ne point suivre les mouvements
d'un tempérament trop austère, ou trop in-
dulgent.
Les plus saints pasteurs ont toujours pen-
ché du côté de la clémence ; ils savaient qu'ils
représentaient le Sauveur de tous les hom-
mes, qui suspendit la douceur qu'il faisait
éclater envers les pécheurs pénitents, pour
invectiver contre l'orgueilleuse austérité des
pharisiens, et condamner le système de sé-
vérité dont cette secte se faisait gloire.
. Rémi, Messieurs, fidèle disciple du prince
des pasteurs, penchait aussi du côté de la
clémence. Faut-il vous en donnerune preuve?
Ecoutez ce saint pontife lorsqu'il instruit les
ministres de la réconciliation.
« Mes frères, leur dit-il, appliquez-vous à
gagner les pécheurs et à ne les point rebu-
ter; ressouvenez-vous que Jésus-Christ, no-
tre divin modèle, ne nous a pas établis pour
être les ministres de sa colère, fais les mi-
nistres de sa clémence. »
Elle est venue jusqu'à nous, Messieurs,
celte divine doctrine; les disciples de saint
Rémi l'ont prêchée à nos pères ; les évoques
qu'il a formés l'ont établie dans leurs dio-
cèses : animés de son esprit, de sa foi, ils
ont fait briller la lumière de l'Evangile, dis-
sipé les ténèbres de l'erreur, enseigné la
saine morale; imitateurs de son zèle comme
de son attachement à l'Eglise, ils l'ont per-
pétué par leurs travaux. Rémi est retracé
dans tous ces grands hommes, et l'on peut
dire qu'il vit encure dans le corps respecta-
ble des évoques de l'Eglise gallicane, unis
au Saint-Siège : Facis prophctas successorcs
post te.
Le zèle de Remiétait un zèle apostolique,
immense, divin. Je me représente le zèle du
grand Paul, qui forme des Timothée, des
Tite, des Sylas; qui s'étend dans toutes les
Eglises, dans toutes les provinces; un cœur
vaste, que la divine charité embrase, trans-
porte ; que le salut de sa nation occupe ; j'ose
le dire, Messieurs, le cœur même de Jésus-
Christ qui s'ouvre à tous les mortels ; qui
voudrait qu'aucun ne périsse, mais que tous
viennent à la connaissance de la vérité.
Ne m'accusez pas, Messieurs, d'exagéra-
tion ; ne pensez pas que le désir d'élever
mon héros au-dessus des autres pontifes
m'ait porté à le comparer à l'Apôtre des na-
tions.
Ses travaux, ses succès, l'état déplorable
où était alors cette seconde portion de la
Gaule Belgique, les changements miraculeux
de mœurs, de religion, (pie nos pères ont
vus de son lo-mp?, justifient ce parallèle, tout
10
S99
ORATEURS SACRES. BALLET.
Ï00
glorieux qu'il soit. Rappelons les faits les
plus certains, les plus éclatants.
N'a-t-il pas, comme saint Paul, fondé des
Eglises, établi des sièges, envoyé des évo-
ques, ou plutôt des apôtres animés de son
esprit?
Ile vêtu de l'éminente dignité de légat du
souverain pontife, n'est-ce pas lui qui a érigé
des chaires pontificales à Laon, à Arras, à
Térouane, aujourd'hui Saint -Orner? Les
Vast, les Antimond, les Gennebaud, les pre-
miers évoques, n'ont-ils pas été des apôtres
qui ont prêché la foi, et soumis leurs pro-
vinces au joug de l'Evangile (10)?
Cambrai et Tournay ne lui sont-ils pas
redevables des plus grands et des plus saints
pontifes qui ont gouverné leurs Eglises, lors-
que la lumière de l'Evangile ne faisait en-
core qu'y percer les ténèbres de l'idolâtrie?
N'a-t-il pas fondé des Eglises et envoyé
des pasteurs dans tous les lieux qui étaient
sous, la domination de Clovis? Les peuples
les plus féroces, les plus éloignés, cachés
dans les montagnes, les forêts, ont-ils échappé
aux ardeurs de son zèle?
Or, Messieurs, cette sollicitude, ces tra-
vaux, ces Eglises nouvellement fondées, ces
hommes apostoliques répandus partout, ces
merveilleux agrandissements de l'Eglise de
France, ne caractérisent-ils pas un zèle ins-
piré de Dieu? ne retracent-ils pas celui du
grand Paul?
Que dirai-je de son zèle pour détruire l'a-
rianisme? cette hérésie sacri. ége et mons-
trueuse, fière et rampante, souple et hardie,
qui a duré si longtemps, qui s'est étendue
dans tant de provinces et d'empires, qui a
séduit tant de princes et de savants, et qui,
lorsque Rémi parut, régnait avec l'idolâtrie
dans presque toutes les Gaules. Pouvons-
nous trop admirer son ardeur, son activité,
sa prudence, ses succès? Vit-il sans douleur
la divinité du Verbe éternel combattue, et la
foi de Nicée rejetée? Non, Messieurs, il se
hâte d'arracher cette ivraie, semée adroite-
ment avec le bon grain, et cachée habilement
sous des expressions équivoques. Déjà je
vois les évêques de la Bourgogne assemblés
a Lyon ; je vois des conférences célèbres; on
y lit des lettres de Rémi. A ce nom, le mo-
narque et les prélats sont saisis d'un saint
respect.
« C'est, disent-ils, le saint pontife de
Reims, le destructeur des idoles, celui qui a
donné un Constantin à l'Eglise, qui nous
(10) C'est on qualité de légat du Saint-Siège que
Reini fondait des églises, et érigeait des évéeliés.
Le pape Hormisdas lui donna ses pouvoirs, eonime
nous le voyons dans une belle lettre qu'il écrivit au
saint archevêque. Après avoir répondu à Clovis qui
lui avait écrit et envoyé de rielies présents ; après
avoir loué ses vertus, sa doctrine, son attachement
au Saint-Siège, l'avoir congratulé sur la conversion
de Clovis, il le déclare son vicaire et son légal dans
tous les Etats de ce prince. (Baronius, an. 451.)
(11) Discours d'Etienne, évéque de Lyon, à Con-
Uebaud, roi de Bourgogne. La célèbre conférence
avec les ariens se tint à Lyon le jour de la fêle de
caint Just, au sépulcre ilu même saint. (Tons. IV
Candi., edit. Paris.)
conjure de nous unir à lui pour détruire
l'arianisme : imitons son zèle. » Les vœux
de Rémi sont exaucés : tous confessent la
divinité de Jésus-Christ, reçoivent la foi de
Nicée, frappent d'anathèmes l'arianisme, et
le poursuivent jusque dans ses derniers re-
tranchements (11).
Quel succès n'eut pas encore son zèle dans
le concile qu'il assembla, où il présida, et
dont il fut l'âme, la gloire et l'oracle ? Son
érudition y brilla, mais sans effacer l'éclat
de sa sainteté : si les Pères le regardèrent
comme la lumière des évêques, ils le regar-
dèrent aussi comme l'ange du Seigneur ; ce
sont, Messieurs, leurs expressions (12). Un
seul évêqne arien, nouveau Goliath, venu
armé de tous les arguments de son parti
pour insulter aux camps d'Israël, lui résiste,
lui manque de respect • Dieu le punit, sa
langue devient muette. »
Le seigneur renouvelle ce prodige long-
temps après la mort du saint, pour approu-
ver son zèle. Dans un autre concile, la rré
sence de son saint corps lie la langue d'un
évêque simoniaque. Léon IX, qui était pré-
sent, dit de Rémi ee que les Pères du con-
cile de Chalcédoine disent de Flavien : « Le
saint pontife Rémi vit encore, son zèle
éclate encore contre l'erreur (13).
Se rallentit-il, Messieurs, ce zèle de saint
Rémi? Cessa-t-il de briller, d'éclairer? Et
ne pourrait-on pas dire avec le Saint-Esprit,
qu'il parut comme un feu ardent qui embra-
sait tous les cœurs de ses divines ardeurs?
Surrexit quasi ignis. (Eccli., XLVIIL)Quel
zèle pour annoncer la divine parole! Sa
carrière, qui fut si longue, nous montre-t-elle
des jours vides? Se crut-il dispensé de prê-
cher dans un âge même très-avancé? N'est-
ce pas au contraire dans cette saison de la
vieillesse, destinée ordinairement au repos,
qu'il traverse la Lorraine, pénètre dans les
montagnes des Vosges, alors inaccessibles,
et qui n'offraient partout que des abîmes,
pour y prêcher l'Evangile ? lit n'égala-t-il
pas les apôtres par ses prédications et ses
succès (14.)?
Comment, Messieurs, ses prédications
n'auraient-elles pas été suivies de glorieux
succès? Jamais, au rapport des plus saints
et des plus savants hommes de son tempe,
prédicateur n'eut des talents plus distingues
pour la chaire.
Une éloquence douce, aisée, pieuse, tou-
chante, une onction toute céleste, que Dieu
(12) Sieut angélus suscipitur, dit IliHcmar. Qua:id
il parut dans rassemblée, tous les Pères se lèveront,
et le reçurent comme un an^e. (1?aron., 514.)
(15) Les Pères du concile de Chalcédoine avaient
dil : Ecce verilas , Flavianus pont mortem vivit.
Léon IX, dans le concile de Reims : Adhuc vivit
bealus Remigius. (Action 11 du concile de Chaloé-
doine. — (Bin., tom. V Concil. Mari., cap. 29. —
Baron., 1049.)
(Il) Du Saussay, Glor. S. Remigii, lib. IIL Il y a
plus de huit cents paroisses dédiées à sa ni Ri mi
dans la Lorraine, qui le regarde aussi comme son
apôtre.
sroi
donnait à ses paroles, lui attiraient des au-
diteurs en foule; on venait de différentes
provinces écouter le pontife de Reims ,
comme l'oracle de son siècle.
Quef cœur résistait à l'onction qui accom-
pagnait ses discours? Quel pécheur, disent
ceux qui ont loué ses brillants talents, a pu
résister aux charmes victorieux de sa parole?
Prêcha-t-il une seule fois sans entendre des
soupirs, sans voir couler des pleurs, sans
voir à ses pieds des pénitents sincères, et
sans être consolé par d'éclatantes conver-
sions (15).
Quel plaisir ne trouvait pas Clovis, lors
même qu'il était encore livré à la vanité des
idoles 1 Des charmes innocents ne s'empa-
raient-ils pas de son cœur, lorsqu'il lui
parlait des vérités éternelles ? S'il le regar-
dait comme son père et son prophète avant
son baptême, n'est-ce pas parce que les en-
tretiens du saint pontife le ravissaient et
persuadaient son esprit?
Si sa brillante réputation attira des prin-
ces et des princesses à ses prédications,
n'admirèrent-ils pas des talents plus victo-
rieux du cœur humain, que ceux qu'ils s'é-
taient représentés? Ne devinrent-ils pas tout
à la fois ses auditeurs et ses conquêtes (16)!
Mais non-seulement, Messieurs, notre
saint prélat fut le plus grand prédicateur de
son siècle, il fut encore l'oracle de l'Eglise
par ses lumières et par sa profonde érudi-
tion.
Nous posséderions, Messieurs, tous les ou-
vrages de ce saint pontife, si les injures des
temps ne nous les avaient pas enlevés; mais
les témoignages, les éloges des Sidoine, des
Hincmar, des souverains pontifes, et des
oracles même de la littérature, ne nous per-
mettent pas, de douter des riches productions
de sa science: ee qui nous reste nous fait
regretter ce que nous avons perdu (17).
Ne voit-on pas briller la plus profonde
érudition et la plus haute piété dans ses
Commentaires sur l'Ecriture, et dans ses Let-
tres au grand Clovis?
Parlerai-je de son Testament, où la charité,
la sagesse, la prudence, l'ordre, l'habileté
régnent, et annoncent le saint, le savant ?
Qui ignore que cet ouvrage a toujours été
précieux aux grands hommes, et qu'ils l'ont
vengé de la critique, toujours hardie, et ra-
rement modérée et sans abus en matière de
piété?
Je n'aurais garde, Messieurs d'ajouter à la
gloire de ses rares vertus et de ses éclatants
miracles, celle d'une solide et vaste érudi-
tion, si elle n'était pas attestée par ses con-
temporains, et ceux mêmes qui auraient eu
intérêt de la contester.
(15) Sidoine Apollinaire, évèque illustre, dans une
lettre à Principe, fi ère de saint Rémi, évèque de
Soissons. (Epist. 14, lib. VIII, IIincm., Vit. Remig.,
iO.)
(10) Le seigneur de Rethel et son épouse, après
une prédication du saint, sont si touchés, qu'ils de-
mandent le baptême et renoncent au paganisme.
(Dichesne, Collect. Hist. Franc.;; Lecointe, Ann.
Eceles. Franc., ann. 497.)
PANEGYRIQUES. - PANEG. XV, SAINT REMI.
302
Mais pouvais-je, en vous donnant une idée
de son zèle, passer sous silence des talents
qu'il employa uniquement pour les intérêts
et la gloire de la religion?
N'ai-je pas dit, Messieurs, qu'il fut le mo-
dèle des plus saints et des plus savants pré-
lats? Aurait-il donc été appelé la lumière des
grands hommes même, s'il n'eût pas été un
savant distingué? Ses disciples les plus sé-
lèbres ne firent que«retracer ses vertus, sa
doctrine, son zèle, ses travaux, ses lumières;
il fut leur modèle : Facis prophetas succes-
sores post te. Il fut aussi, Messieurs, l'apô-
tre des rois : Ungis reges ad pœnitentiam.
C'est la seconde partie de son éloge..
SECONDE PARTIE.
La France, sous h; règne de Clovis, était
encore plongée dans les ténèbres de l'idolâ-
trie. Ce prince guerrier et magnanime était
par sa naissance dans Je paganisme, attaché
malheureusement au char du démon.
En possession d'un empire dont il étenda't
tous lesjours les limites par sa valeur et ses
conquêtes, il était assez aveugle pour s'ima-
giner qu'il n'avait à redouter, et à désirer,
que la colère ou la clémence des vaines ido-
les qu'il adorait. Vous vous trompez, vail-
lant monarque, c'est dans le bruit des armes,
la chaleur des combats, les horreurs d'une
bataille sanglante, la défaite clé vos puissan-
tes armées, que vous reconnaîtrez la puis-
sance suprême du vrai Dieu que vous mé-
connaissez, et l'impuissance des dieux que
vous adorez.
En effet, Messieurs, Dieu, qui avait formé
des projets de miséricorde sur la France, les
exécute ; elle devient chrétienne, l'asile des
défenseurs et des protecteurs de la foi ortho-
doxe: Dieu lui donne un nouveau Constan-
tin.
La conversion du grand Clovis sera à ja-
mais la brillante époque de la profession so-
lennelle du christianisme dans ce royaume.
Il suscite Ilemi, le protège l'inspire, pour
opérer ces divins et admirables change-
ments.
Clovis, instruit, touché, éclairé par cet
apôtre, sera un roi pieux, zélé; il unira son
glaive à celui de Pierre pour défendre la
religion contre ses ennemis. Développons,
Messieurs, ces merveilles du glorieux apos-
tolat de saint Rémi : les faits que je vais
rapporter sont, non-seulement célébrés dans
les annales de l'Eglise, mais encore conser-
vés dans les archives de cette florissante
monarchie; rien de p>lus digne de votre at-
tention.
Oui, Messieurs, c'était à Rémi que la di-
vine Providence réservait la conquête du
(17) Sidoine marque à saint Rémi qu'il a lu un
nombre considérable de ses volumes, et en fait
l'éloge. (Epist. 7; lib. IX , Hincmar, Vit. S. Remigii,
10.) Le pape Sylvestre II recommande expressé-
ment de ne donner aucune atteinte au testament de
saint Rémi : Sulvo et inviolabili Testamenlo S. Re-
migii Francorum Apostoli. (Labb., Bibliotheca nova;
tom. VI, ann. 599.)
r»03
ORATEURS SACRES. DALLET.
SOI
grand Clovis au christianisme : cette con-
quête, qui a causé la chute du paganisme
dans les Gaules, fait disparaître Farianisme,
et toutes les erreurs d'une nation féroce et
barbare; qui a donné, dans la personne de
nos rois, des défenseurs de la doctrine catho-
lique, des monarques zélés dans tous les
siècles, qui ont mérité le glorieux titre de
fds aînés de l'Eglise.
Toutes les.fois qu'il a été question des in-
térêts de la religion, Dieu a toujours suscité
des hommes qu'il a remplis de son esprit et
revêtus même de sa puissance: tel fut Rémi,
Messieurs; Dieu l'annonce, le promet : il
paraît.
Dieu avait ses desseins , en préparant
Rémi à Clovis : il préparait un apôtre h
un grand roi et à une vaste province.
S'il se sert des hommes pour le salut de>
nations, c'est après les avoir remplis ds son
esprit, et les avoir en quelque sorte élevés
au-dessus de l'homme parles hautes vertus
qu'il leur fait pratiquer et la puissance di-
vine qu'il leur communique.
Le saint pontife que je loue nous prouve
ces magnifiques préparatifs que Dieu fat
lorsqu'il s'agit de ces grands hommes qu'il
suscite pour le salut d'une nation; un pro-
phète l'a annoncé, une mère stérile l'a conçu,
des miracles éclatants décorèrent son ber-
ceau. Dieu a désigné ses fonctions, ses tra-
vaux, ses succès; les plus hautes vertus et le
don des miracles montèrent avec lui sur le
trône pontifical de Reims.
Ainsi fut recommandable, célèbre, saint,
puissant, celui qui devait attacher le belli-
queux Clovis au char de l'Evangile. Après
la conversion de ce prince livré au culte -des
idoles, on verra la lumière briller après les
ténèbres; des autels, des temples élevés de
tous côtés, des sièges établis dans toutes les
provinces, le culte du vrai Dieu embrassé,
toute la France chrétienne.
On vit autrefois les Moïse, les Elie, les Jé-
rémie, les Isaïe, les Daniel paraître à la cour
des rois, honorés d'une mission divine, y
annoncer les oracles dn Seigneurr et y re-
tracer sa puissance. On vit, dans les premiers
siècles du christianisme, les Ambroise, les
Chrysostomc, les Martin de Tours, les Hi-
laire, paraître à la cour des empereurs en
apôtres, en envoyés de Dieu pour défendre
la doctrine de l'Eglise, et s'y annoncer par
l'éclat dos miracles. ,
On vit, Messieurs, dans le v" siècle paraî-
tre aussi un de ces hommes que Dieu pré-
pare dans sa miséricorde pour le salut de
son peuple, qu'il enrichit de ses dons; il
suscite Rémi pour être l'apôtre du grand
Clovis, et le protège pour réussir dans l'im-
portant projet de sa conversion.
Elle éclate , Messieurs, la protection du
ciel, lorsque Rémi entreprend la conversion
du grand Clovis; les miracles les plus écla-
tants sont multipliés ; tout furce ce monar-
que à reconnaître le Dieu de Rémi et de Clo-
tilde.
Ici, Messieurs, se retracent les prodiges
que le ciel opéra pour donner un Constan-
tin à l'Eglise; la conversion de Clovis suit
de près des succès brillants et inespérés ;
Dieu attache au char de son évangile ces
deux vainqueurs , en abattant miraculeuse-
ment leurs ennemis'à leurs pieds.
La conversion dugrand Constantin su't do
près une victoire éclatante qu'il remporte
sur ses ennemis; la conversion du grand
Clovis suit de près la bataille inespérée qu'il
gagne à Tolbiac.
Le signe de notre salut brille aux yeux de
Constantin sous l'étendard de la croix. Ce
prince devient invincible, la victoire le suit
partout ; ses troupes guerrières, entraînées
par une ardeur toute céleste, enfoncent
les bataillons les plus épais , défont des
armées formidables; la terreur, l'effroi §e
répandent dans les camps des ennemis ; rien
ne résiste à une poignée de soldats protégés
du ciel, armés de la croix, et combattant
sous ses étendards. Le bonheur de Constan-
tin fut d'attribuer au seul Dieu des armées
ce^, glorieux succès, d'embrasser la reli-
g'on chrétienne, dont il est l'auteur, et
d'employer son autorité et son épée même
pour étendre son culte et protéger son Fglhe.
Lorsque le moment de la conversion de
Clovis fut arrivé , Dieu retraça les mêmes
merveilles; Clovis retraça la même sourai.-
sion et le même zèle.
Clovis, ce guerrier intrépide, accoutumé h
vaincre, se vit à Tolbiac sur le point d'être
vaincu ; l'armée des Allemands, supérieure
à la sienne, touchait au moment de la vic-
toire; celle de Clovis, faible et abattue, tou-
chait au moment de sa défaite. Mais le Dieu
que Rémi prêchait, que la pieuse Clotilde in-
voquait, déploya sa puissance; il détacha la
victoire du char des Allemands, pour l'atta-
chera celui de Clovis. Ce prince vainquit, et
le bonheur de ce vainqueur fut d'attribuer
à la seule protection divine ces inespérés
succès.
C'est ainsi, Messieurs, que Rémi fut pro-
du ciel dans la conversion du grand
Clovis. Ce miracle le décida; il se fit gloire
d'être vaincu par la bonté d'un Dieu qui l'a-
vait rendu le vainqueur de ses ennemis.
Ses préjugés sont détruits , ses ténèbres
sont dissipés, et ses doutes sont levés; les
raisons de politique ne l'arrêtent plus. Après
la durée miraculeuse de Tolbiac il s'ouvre à
saint Rémi, il demande le baptême, il exhorte
ses sujets a l'imiter, et il a la consolation de
les voir voler avec ardeur sur ses pas; il les
entend avec joie renoncer aux dieux du pa-
ganisme, et chanter la puissance du Dieu de
Rémi (18.)
Si notre saint pontife fut protégé pav le
tégé
(18) Harangue de Clovis à ses troupes et à ses de bon cœur aux dieux mortels? nous ne connais-
principaux sujets, après la bâta Ile de Tolbiac et sons point d'autre Dieu que celui que le saint évê-
sï-tre ouvert à saint Renii, pour les
l'imiter ; ils répondirent tous : j Nous
engager à que Rémi nous prêche. « (Grec. Tuiion., cap. 3i ;
renonçons Âkuoin, lib. I.cap: 16, De Gest. Franc.)
305
PANEGYRIQUES. — PANEG. XV, SAINT REME
ciel, dans -a conversion de Clovis, il fut
aussi aidé, Messieurs, par les conseils et
les prières des plus saintes âmes de son
siècle.
Peut-on refuser à saint Vast la gloire d'a-
voir eu part à la conversion du grand Clovis?
Ce prince ne fut-il pas le trouver dans sa so-
litude après la journée de Tolbiac? Ne fut-il
pas le premier dépositaire des pensées que
le ciel avait fait naître dans son coeur? et n'ac-
compagna-t-il pas ce nouveau Constantin
jusqu'àReims pour le mettre entre les mains
de son apôtre (19)?
De quel secours ne lui fut pas l'illustre
Geneviève, cette vierge en qui Dieu faisait
éclater toutes les merveilles de sa grâce et de
sa puissance, qui était le prodige de son siè-
cle et qui en faisait l'admiration 1 L'efficace
de ses prières, la sagesse de ses conseils, ai-
daient et consolaient le saint archevêque.
Sainte Clotilde, cette pieuse reine, cette
tendre épouse, qui gémissait depuis si long-
temps sur l'aveuglement de Clovis, qui fai-
sait sans cesse entendre aussi ses gémisse-
ments et ses soupirs; dont les vues étaient
si pures, les prières si ardentes, les bonnes
œuvres si abondantes ; qui connaissait
l'humeur, le caractère du prince, et qui n'i-
gnorait pas non plus la route de son cœur, ne
fut-elle pas une grande ressource à saint
Rémi pour réussir dans la conversion de ce
monarque (20)?
Ah ! que je me plais, Messieurs, à considé-
rer saint Rémi avec ces deux saintes occu-
pées de la conversion de Clovis 1 que cette
assemblée est respectable 1 Dieu est sans
doute au milieu d'eux, comme il l'a promis,
puisqu'ils sont assemblés en son nom et pour
sa gloire.
Que leurs projets sont beaux ! que leurs
entretiens sont utiles! que leur ambition est
chrétienne! L'apôtre écoute les conseils de
Geneviève et de Clotilde ; il applaudit à leurs
vœux, il est aidé de leurs prières, et Dieu
l'inspire pour exhorter et instruire le grand
Clovis, qui attend avec impatience le moment
de sa régénération spirituelle.
Dieu, qui tient le cœur des rois dans ses
mains, a touché, converti le disciple de Rémi;
ce prince est devenu la conquête d'une grâce
puissante et magnifique.
Déjà son cœur yole au saint temple, pour
y être purifié dans le sang de l'Agneau sans
tache. Déjà le jour pour cette sainte et bril-
lante cérémonie est marqué (21). Déjà ce zélé
catéchumène a gagné à Jésus-Christ plus de
(19) Saint Vast était un saint solitaire auprès de
Toul en Loi raine. Clovis fut le trouver après la
victoire qu'il avait remportée à Tolbiac près de Colo-
gne, lui confia ses projets, et le pria de l'accompa-
gner à Reims. (Aixuin, Vita S. Vedasli.)
(20) Sainte Geneviève, sainte Clotilde et saint
Rémi conféraient souvent ensemble pour réussir
dans la conversion de Clovis. (Du Sacssaï, Gloria
h. Remigii, lib. I, cap. 15.)
(21) Quoiqu'il y ait diversité de sentiments sur le
jour el l'église où Clovis fut baptisé, celui qui mar-
que son baptême au jour de Noël et dans la métro-
pole de Reims, est le plus suivi, le plus sûr et le
5(;o
trois mille personnes de sa suite; ii est apôtre
avant même d'être chrétien; déjà le saint
pontife, transporté d'une sainte allégresse,
fait les préparatifs d'une fête solennelle.
La décoration extraordinaire de son église,
la magnificence des ornements, l'art ingé-
nieux des illuminations, la pompe majes-
tueuse étalée sur le passage des catéchu-
mènes, présentent un spectacle brillant et ra-
vissant. On disait hautement : C'est un échan-
tillon de la gloire dont jouissent les bien-
heureux; les cieux se sont ouverts pour lais-
ser échapper ces saintes beautés. Clovis le
pensa, il le demanda, ébloui, saisi d'un si
saint et si magnifique spectacle. Mais le pon-
tife lui répondit, et lui dit: « Prince, ce spec-
tacle qui vous saisit d'admiration n'est qu'une
légère image des honneurs suprêmes que. les
bienbeureux rendent à l'Eternel dans le
ciel ; mais, dans le culte extérieur que nous
lui rendons, il faut avouer publiquement sa
souveraineté par la magnificence des céré-
monies. Le paradis que je vous promets, et
que vous espérez présentement, est la récqjm-
pense du culte intérieur, de l'amour, de l'im-
molation, de l'obéissance à la loi; on y arrive
par la mortification et les croix (22). >»
Ici, Messieurs, se présentent des merveil-
les, que la plus brillante et la plus vive élo-
quence aurait de la peine à vous retracer ;
aussi je ne me flatte pas de vous les rendre
avec ces traits heureux qui leur conservent
tout leur grand et tout leur sublime.
Je ne vous dirai donc pas de fixer vos re-
gards sur cette foule de catéchumènes qui
entrent dans le saint temple avec un air d'al-
légresse, vêtus d'habits blancs; sur le saint
pontife, qui conduit Clovis, son auguste dis-
ciple; sur la pieuse Clotilde, et sur toute la
famille royale. La piété, l'ordre, la décence,
une sainte ardeur d'être à Jésus-Christ, qui
les anime et les fait voler, vous édifieraient,,
vous toucheraient; mais un spectacle encore
plus grand, plus digne de votre admiration,
s'offre à mes yeux lorsqu'il s'agit du bap-
tême de Clovis\
Le ciel s'ouvre, une innocente colombe
apporte au saint pontife une huile céleste
pour sacrer le grand Clovis.
Ce baume sacré, ce précieux présent du
père des miséricordes servira à tous les au-
gustes successeurs de Clovis; l'Eternel mon-
tre par ce prodige la protection qu'il accorde
au trône des Français, en distinguant ainsi
nos monarques.
O jour heureux pour la France l ô époque
seul adopté des savants. Flodoard dit que Louis le
Débonnaire accorda lesmuraillesdela ville pourrebà-
tir la cathédrale, en reconnaissance de ce que Clovis
V avait été baptisé, (llist. Remens., lib. II, cap. 19,
Père Mabillon, premier siècle de Y Histoire de son
ordre.)
(22) Clovis frappé de la magnificence de celte fête,
dit à saint Rémi : « Est-ce là, mon Père, ce paradis
que vous m'avez fait espérer? Non, seigneur, lui
répondit ce saint pontife; ce n'est que le commen-
cement du chemin pour y arriver. » (Hincmae ,
Vie de saint Rémi ; Grégoire de Tours, liv. H, ebap.
5S.)
307
ORATEURS SACRES. BALLET
50»
précieuse de son bonheur 1 La- religion est
montée sur les lis, elle n'en descendra pas;
jamais, jamais le schisme ou l'erreur n'obs-
curcira le trône des successeurs de Clovis;
nos rois seront toujours les protecteurs et les
défenseurs de l'Eglise; à l'ombre de leur foi
toujours pure et de leur autorité respectée,
les souverains pontifes persécutés y ont
trouvé un asile sûr et une puissante protec-
tion.
Je n'ignore pas, Messieurs, les attentats
de la critique, quand il s'agit de cette mer-
veille; mais on doit les mépriser, lorsqu'une
tradition respectable, les témoignages des
grands hommes, des saints mêmes, la véné-
ration des monarques, une raison saine,
éclairée, nous le garantissent (23). Je n'entre
pas ici dans un combat littéraire; je loue un
pontife protégé et inspiré du ciel pour con-
vertir le grand Clovis et l'instruire de ses
devoirs.
Ah I que cet apôtre est grand! qu'il est
puissant dans cette sainte cérémonie ! II mon-
tre alors toute la liberté évangélique; la pré-
sence des majestés de la terre ne l'intimide
pas.* Apôtre suscité, inspiré de Dieu, il an-
nonce les vérités les plus terribles comme
les plus consolantes; une onction toute cé-
leste coule sur ses lèvres, et en peu de mots
il trace au monarque tout le plan de sa pé-
nitence. Humiliez-vous, Sicambre, lui dit-il,
sous la puissante main du Très-Haut : Mitis
depone colla, Sicambcr (24).
Ah! ici, Messieurs, je reconnais l'apôtre,
J/homme inspiré de Dieu, qui parle en son
nom, qui le représente.
On ne voit pas dans l'instruction du saint
pontife ces tours délicats , ménagés, lors-
qu'il s'agit de représenter aux grands leurs
devoirs; ces noms distingués qui flattent
l'orgueil humain; ces louanges fines que
l'on donne à des vertus médiocres; ce lâche
silence que l'on garde sur de grands dé-
fauts ; ces coupables adoucissements, lors-
qu'il sagit de rigueurs évangéliques, de pé-
nitence, de réparation. Jugeons-en, Mes-
sieurs, par le seul abrégé de toute l'instruc-
tion que saint Rémi ht à Clovis en le bap-
tisant; il renferme tous ses devoirs. «Prince,
lui dit-il, brûlez ce que vous avez adoré et
adorez ce que vous avez brûlé : Jncendc
quod adorasti; adora quodincendisti. Prince,
(23) Les critiques, qui combattent l'authenticité
de la sainte Ampoule, s'appuient sur le silence des
auteurs contemporains, de saint Grégoire de Tours,
d'Avitus, évèque de Vienne; mais on n'ignore pas
les dangereuses conséquences de cette objection sur
bien des faits de la religion. Personne ne doute que
saint Rémi n'ait été L'apôtre de Clovis dans sa con-
version ; cependant Fortunat, qui a écrit la Yie du
saint Archevêque, n'en dit pas un mol. Jugeons de
là de l'impression que doit faire l'argument négatif
qu'on tire du silence des auteurs contemporains.
Mais , sans m'étendre davantage , je dis que les té-
moignages des grands hommes, qui ont eu de la vé-
nération pour celte merveille, méritent noire respect,
et doivent nous suffire pour la regarder comme un
fait grave dans l'Eglise, authentique et reconnu. Les
voici : celui d'Hincmar, un prélat illustre, et dont la
science est d'un grand poids. 11 déclara ce miracle
que la foi vous fasse découvrir les titres
saints et glorieux que vous donne votre
baptême ; vous êtes un roi chrétien, un dis-
ciple de l'Evangile, un enfant de l'Eglise, le
frère, la conquête de Jésus-Christ, le cohé-
ritier de sa gloire. Servez-vous de votre
puissance et de votre épée même pour faire
régner dans tous vos Etats le Dieu de misé-
ricorde,, qui vous fait passer des ténèbres à
l'admirable lumière de la foi. Que ce jour,
où vous professez solennellement le chris-
tianisme, soit ïa fameuse époque de la chute
du paganisme dans votre empire. Détruisez
ses temples, renverser ses autels, brisez ses
idoles, abolissez son culte; comme prince
catholique, protégez l'Eglise contre les ariens
et tous les hérétiques qui combattent sa doc-
trine; que votre glaive royal intimide ceux
qui se moquent de ses menaces et bravent
ses foudres. Il faut détester et détruire tou-
tes les idoles de votre cœur : Incende quod
adorasti. Ce n'est pas assez, prince; il faut
aimer, respecter et adorer même ce que vous
avez détesté; renoncez aux délices, aux at-
taches, aux plaisirs que fes païens se per-
mettent; leur morale combat celle de l'E-
vangile. Aujourd'hui vous vous soumettez
aux abaissements et aux rigueurs du chris-
tianisme, vous arborez l'étendard de 1»
croix sur votre trône et votre couronne; il
faut, comme chrétien, suivre Jésus-Christ
dans la route du Calvaire; il faut, comme
celui qui représente la grandeur et la puis-
sance de Dieu, employer votre autorité pour
le faire servir et étendre son culte. Elevez
des temples à sa gloire, décorez ses autels,,
procurez des asiles aux misérables; que les
profondeurs de nos mystères, et les saintes
obscurités de notre foi qui vous révoltaient,
soient les grands objets de votre respect et
de vos adorations : Adora quod incendisti. »
Ainsi parla, Messieurs, saint Rémi à Clo-
vis, dans la cérémonie de son baptême.
N'était-ce pas là lui parler en apôtre, en
homme suscité de Dieu, animé de son es-
prit ?
Vous dirai-je qu'il ne cessa point d'ins-
truire Clovis, et de lui être utile tant qu'il
?
Que ne lui dit-il pas pour lui prouver la
nécessité d'être soumis à l'Eglise romaine,
uni au Saint-Siège, et toujours pénétré d'un
à Charles le Chauve, à Metz, dans l'église de Saint -
Etienne avant de le sacrer, et en présence de toute
sa cour. En parlant de Rémi, qui avait sacré Clovis,
il dit : Cœtilus sumplo chrismate unde adlutc habe-
vius, peruncti et in regem sacrait. (Shimon., lom. III
Qonr.il. Gailiœ, anno 860, Car. Calv. 30, pag. 385).
Celui des souverains pontifes qui l'ont révérée;
Paul IF, Sixte IV, Paul III, de saint Thomas: Exde-
latione olei desuper per cohimbam quo Rex prœfalus
(Clovis) fu.it inunclus, et posleri inunguntur. (De regi-
mine princ, lib. H, cap. 16.) Quand on la porta à
Louis XI au Plessis-lés-Tours, avec quelle vénéra-
tion le parlement de Paris ne la reçul-il pas, quand
l'abbé de saint Rémi , qui la portait, y arriva?
(2-4) Les Sicambres étaient des peuples au delà du
Rhin, compris parmi les Français : il donna ce nom
à Clovis pour marquer l'origine de son empire.
régna
500
PANEGYRIQUES. — PANEG. XV, SAINT REMI.
510
sincère respect pour le vicaire de Jésus-
Christ? Avec quelle autorité ne l'exhorte-t-il
pas à protéger l'Eglise dans ses Etats, à- y
faire observer les saints canons, à assembler
des conciles, à se rendre redoutable aux hé-
rétiques et précieux aux catholiques?
Quelle onction 1 que de puissants motifs
de consolation dans la lettre qu'il lui écrivit
sur la mort de sa sœur Alboflède 1
Que de prudence, que de sagesse dans les
avis qu'il lui donne pour le gouvernement
de son royaume, lorsqu'il eut déclaré une
nouvelle expédition dans l'Aquitaine, et
pour sanctifier la guerre qu'il déclarait au
roi Alaric 1
Clovis eut, Messieurs, tant qu'il vécut,
dans saint Rémi, un apôtre zélé, un père
tendre, un guide éclairé dans les voies du
salut et de la pénitence : Ungis reges ad pœ-
nitentiam.
Mais je me hâte, Messieurs; je m'aperçois
que le plan que je me suis tracé n'est 'pas
encore rempli, puisque je dois, en finissant
cet éloge , vous représenter saint Rémi
comme le thaumaturge des Gaules : Sustu-
Usti mortuum ab inferis. C'est le sujet de la
dernière partie.
TROISIÈME PARTIE.
Dépeindre un thaumaturge, c'est, Mes-
sieurs, dépeindre un de ces hommes rares,
extraordinaires, que Dieu donne en specta-
cle au monde étonné, pour retracer sa bonté,
sa puissance, sa sagesse ; un homme puis-
sant en œuvres, en paroles ; que la gloire des
miracles accompagne partout, et que l'éclat
des prodiges annonce de môme. Ils ont paru
de temps en temps, ces hommes merveil-
leux, en qui la puissance de Dieu agissait
avec magnificence, et dont les miracles mul-
tiples effaçaient la gloire des maîtres du
moule.
Qu'étaient les Moïse, les Elie, les Elisée?
vous le savez ; des dieux en comparaison des
monarques qu'ils reprenaient. Moïse est ap-
pelé dans ï'Ecrituie le dieu de Pharaon.
L'éclat tout divin de leur autorité forçait les
rois d'Israël de conncître le Dieu puissant
des Hébreux, qui rendait de simples mor-
tels les instruments de ses plus redoutables
vengeances ou de ses plus tendres miséri-
cordes.
Jésus-Christ communique sa puissance à
ses apôtres; quels rapides progrès ne fait
pas sa doctrine? Les miracles qu'ils opèrent
sous les yeux des pontifes de la Judée, des
empereurs, des sages de l'orient , ne font-ils
pas chanceler et tomber de suite le paga-
nisme ?
Après avoir attaché au char de l'Evangile
des milliers de Juifs convertis, n'ont-ils pas
fait des conquêtes dans la célèbre académie
d'Athènes, et arboré l'étendard de la croix
sur le superbe Capitole de Rome?
N'est-ce pas l'évidence des miracles qui a
répandu la honte sur le culte des faux dieux ;
qui a fait rougir les hommes qui les avaient
honorés ; qui les a fait renoncer à la vanité
des idoles, et qui les a déterminés à embras-
ser une religion qui humilie la raison et
met la nature à l'étroit? Saint Paul le mar-
que expressément : Confirmata est, conte-
stante Deo signis et portentis. ( Ilcbr. , 11. )
Dieu a suseité de temps en temps, Mes-
sieurs, ces hommes extraordinaires. Saint
Martin de Tours ne parut-il pas au-dessus
de l'homme par ses miracles? Ne semblait-il
pas être l'arbitre de la nature? Et n'a-t-il
pas retracé la puissance de Dieu jusque
dans les palais des empereurs.
Quand l'éternel a voulu rendre la France
chrétienne, n'a-t-il pas suscité un autre
thaumaturge, le grand saint Rémi ?
Ce n'est pas moi, Messieurs, qui lui donne
ce nom, qui distingue l'homme de prodiges
des autres serviteurs de Dieu: c'est ainsi
qu'il a été appelé dans les conciles par les
souverains pontifes, dans les assemblées du
clergé de France, par les monarques, et les
savants respectables.
En effet, Messieurs, si les miracles ont pré-
cédé et accompagné sa naissance, n'ont-ils
pas aussi été multipliés dans tous les événe-
ments de son épiscopat?
La puissance divine n'est-elle pas descen-
due avec lui dans le tombeau? Et ce séjour
de ténèbres, d'humiliation et d'horreur pour
tous les hommes, n'est-il pas devenu un séjour
de gloire, de puissance et de consolation?
Je sais, Messieurs, qu'en fait de miracles
il faut de la circonspection ; comme ils accré-
ditent la doctrine que l'on prêche, les héré-
tiques ont toujours affecté d'en produire :
mais ont-ils soutenu le grand jour? Ont-ils
été adoptés par l'Eglise? Retraçaient-ils la
bonté, la puissance, la sagesse, la sainteté
de Dieu? Non, Messieurs : aussi saint Au-
gustin les rejetait-il comme des prestiges,
et prouvait-il'aux donatistes qu'il ne pouvait
s'en opérer de vrais dans leur parti. 11 n'en est
pas de même, Messieurs, des miracles de saint
Rémi. Sa doctrine, le genre de ses miracles,
l'objet de ses miracles, la perpétuité de ses
miracles: quatre traits qui les rendent pré-
cieux à l'Eglise, et qui nous les garantissent.
L'idolâtrie, l'arianisme régnaient dans cette
partie considérable des Gaules, lorsque saint
Rémi parut. Or, Messieurs, l'idolâtrie et l'a-
rianisme ont-ils jamais eu un plus grand en-
nemi que notre saint pontife?
Celui qui détruisait les temples des faux
dieux, qui renversait leurs autels, brisait
les idoles : celui qui prêchait à Clovis un-
seul Dieu éternel, Créateur du ciel et de la
terre; qui l'obligeait à employer sa puis-
sance pour anéantir dans tous ses Etals le
culte aveugle que l'on y rendait à des hommes
mortels, ne favorisait pas certainement l'ido-
lâtrie. Celui qui était soumis à l'Eglise ro-
maine, dontles souverains pontifes louaient la
foi, le zèle et la sainteté, qu'ils déclaraient
leur légat et revêtaient de leurs pouvoirs,
ne favorisait pas l'arianisme. La foi de saint
Rémi est donc pure, sa doctrine orthodoxe;
ses miracles ne favorisaient donc aucune
secte, aucun parti : Dieu en est l'auteur ; l'E-
glise toujours belle, brillante et infaillible
aux yeux de ceux que les profanes nouveautés
5il
ORATEURS SACRES. BALLET.
3Î2
n'ont pas séduits, les adopte : premier trait
qui nous en garantit la vérité.
Dieu pouvait-il employer une voie plus
forte, plus puissante, plus magnifique pour
toucher les païens et les ariens, que celle des
miracles? pouvait-il mieux prouver la doc-
trine que Rémi prêchait, et l'accréditer,
qu'en le rendant le dépositaire de sa puis-
sance? N'est-ce pas faire ce qu'il avait fait
lorsqu'il avait envoyé ses apôtres prêcher?
Qui pourrait compter tous les miracles
que saint Rémi a opérés pendant sa longue et
brillante carrière?
Avant sa naissance Dieu découvre aux.
yeux des saints la carrière éclatante dans
laquelle il doit le faire entrer: on voit des
prophéties, des révélations, à sa naissance
des guérisons, des prodiges: pendant le
cours de sa vie que de malades guéris ! que
d'aveugles éclairés 1 que de possédés délivrés 1
Sa prière n'a-t-elle pas délivré Reims tout
à coup du fléau redoutable de la peste ?
N'a-t-elle pas éteint les grands incendies qui
la menaçaient d'un embrasement universel?
N'a-t-elle pas mis les plus formidables
armées en déroute?
Je vois la puissance divine qui agit dans
ce grand pontife dès les premiers moments
de sa vie, et aux approches de 5a mort : à sa
naissance il rend la vue au solitaire Montan;
avant sa mort, des yeux fermés à la lumière
depuis quelques années s'ouvrent miracu-
leusement.
C'étaient, Messieurs, ces merveilles mul-
tipliées qui lui faisaient donner le surnom de
thaumaturge.
Si un vrai thaumaturge retrace la bonté, la
sagesse, la sainteté de Dieu dans les miracles
qu'il opère, aussi bien que sa puissance, n'est-
ce pas avec raison qu'on a donné ce glorieux
titre à saint Rémi? Jugeons-en aussi, Mes-
sieurs, parle genre de ses miracles. Voit-on
des imperfections , des lenteurs, des mys-
tères dans les miracles qu'il opérait? Fallait-
il attendre, se cacher pour ressentir les
merveilleux effets de la puissance divine?
Fallait-il être initié dans certaines assem-
blées? La grâce des guérisons ne coulait-elle
que sur certaines personnes qui lui étaient
attachées?
Ah! tous ses miracles étaient une image
de la puissance divine, qui fait éclater la
bonté, la sagesse et la sainteté d'un Dieu
aux yeux des hommes, pour réveiller leur
foi et toucher leur cœur.
Ils portaient tous ces caractères divins qui
annoncent la magnifique et absolue puis-
sance de celui qui a commandé au néant, à
qui rien ne résiste, et dont tous les ou-
(25) Alaric, roi dos Visigoths , avait une grande
vénération pou? saint Rémi, ainsi que tous les princes
ariens. Il envoya à notre apôtre un seigneur de sa
famille affligé depuis longtemps, parce que sa fille
était tourmentée par le démon'. Rémi pria; elle fut
délivrée; mais elle mourut bientôt après: on eut
encore recours au saint ; il pria, la prit par la main
et lui ordonna de se lever, ce qu'elle lit en présence
d'un grand peuple. (Fortunat, Grégoire de Tours,
Uincmar.
vrages sont saints et parfaits . second trait
qui nous garantit les miracles de notre apôtre.
Ses miracles sont prompts. Les lenteurs
dans les guérisons n'annoncent pas suffi-
samment la puissance d'un Dieu qui est obéi
sur-le-champ, quand il commande.
Ses miracles retracent la bonté de Dieu :
ils délivrent les malheureux des maux et
des calamités qui les affligent; ils s'opèrent
sur les païens et sur les ariens.
Ses miracles retracent la sagesse de Dieu :
ils sont multipliés dans un temps où ils
étaient encore nécessaires, selon saint Paul,
dans une province ou la lumière de l'Evan-
gile ne faisait que commencer à briller chez
des peuples qu'il fallait frapper par de grands
spectacles de la puissance de Dieu : Linç/uœ
in signum sunt, non ftdetibus, sed infidelibus.
(1 Cor., XIV.)
Ses miracles retracent les miracles du pre-
mier ordre que l'Homme-Dieu a opérés sur
la terre : il ressuscite les morts sous les
yeux des païens et des ariens (25).
Ah! quel respect pour le Dieu que prêche
Rémi, et les vérités qu'il annonce, quand on
le contemple comme le dépositaire de la
puissance divine ! Quand on lui entend dire
aussi que Dieu ne sort de son secret, ne fait
éclater sa puissance que pour attirer les
hommes à la vraie foi à et la sainteté, que c'est
là l'objet des merveilles dont il est l'instru-
ment ! Ah! Messieurs, voilà encore un trait
qui nous garantit les miracles de notre apôtre.
Je me représente, Messieurs, cet évêque
arien qui était venu dans le concile où Rémi
présidait, qui y avait défendu les blasphèmes
d'Arius ; et dont la langue sacrilège avait été
bée par une vengeance céleste, et réduite au
silence. En vain est-il prosterné, abattu aux
) ueds de notre saint thaumaturge : en vain
gémit-il, et par des signes touchants implore-
t-il son crédit auprès du Seigneur irrité;
Reini ne lui répond que pour lui dire : « Vous
implorez en vain le secours du ciel, et vous
comptez inutilemer.t sur ma protection et la
puissance que Dieu daigne me communi-
quer, si vous êtes toujours arien. Dieu ne
peut passe contredire ; il ne fera pas éclater
sa puissance contre son Eglise qu'il aime,
qu'il protège ; elle sera victorieuse de l'er-
reur jusqu'à la fin des siècles ; l'enfer même
ne fera que de vains etforts pour la détacher
de son époux ; elle lui sera toujours fidèle.
Voulez-vous obtenir le miracle que vous
demandez? Soyez catholique sincère: em-
brassez la doctrine de l'Eglise, soumettez-
vous à ses décisions, condamnez ce qu'elle
a condamné ("26) : c'est dans son sein seul
qu'il s'opère de vrais miracles.
(2G) Cet évêque arien fondait en larmes dans le
concile aux pieds de saint Rémi, qui lui dit ces pa-
roles : « Au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ,
vrai Fils du Dieu vivant, si tu as véritablement les
sentiments qu'on doit avoir de sa' divinité, parle et
confesse hautement la créance de l'Eglise catho-
lique. » A la voix de Rerai le miracle- s'opéra.
(Hincmàr. ) L'évêque parla et fut un catholique sou-
mis.
313 PANEGYRIQUES. — P
N'est-ce pas là, Messieurs, rappeler l'objet
que Jésus-Christ s'était proposé en commu-
niquant sa puissance à ses apôtres? N'était-ce
pas pour rappeler tous les hommes à l'unité
de la foi, ne faire qu'un seul bercail, qu'ils
opéraient tant de prodiges? Ceux qui se
font pour disperser le troupeau, rompre
l'unité, peuvent-ils être regardés comme les
œuvres d'un Dieu dont les promesses sont
infaillibles?
Ici, Messieurs, se présente à mes yeux un
spectacle qui me touche, me saisit : c'est le
tombeau de saint Rémi. Notre saint thauma-
turge y est encore un homme de miracles ;
Dieu y perpétue ses merveilles. Comment
pourrais-je vous exprimer en si peu de temps
les tendres sentiments de mon cœur, la
pompe des différentes translations que l'on a
faites de son saint corps, la vénération des
souverains pontifes, la dévotion des rois, le
zèle des évoques pour l'agrandissement de
son culte, les témoignages des princes ariens,
témoins oculaires de sa puissance et de sa
gloire ?
Ah! je ne puis que vous en donner une
légère idée, et je crains qu'elle ne soit pas
assez précise, assez frappante : vous y sup-
pléerez, Messieurs, par vos réflexions.
Quand jevois le séjour des ténèbres changé
»n un séjour de lumière; une terre d'oubli,
selon l'Ecriture, visitée par les majestés de
la terre; recueil où se brisent toutes les
grandeurs humaines; le centre des humilia-
tions effacer la gloire des palais des mo-
narques : quand je pense que ce lieu d'hor-
reur où les puissants du siècle sont si faibles,
îes riches si pauvres, les grands si humiliés,
est un lieu de puissance, de richesses, de
gloire pour saint Rémi; qu'il y est puissant,
grand, opulent; qu'il y règne comme sur un
trône, qu'il y brille comme sur un théâtre
de gloire; qu'il y fait couler sur les mortels
qui le visitent, des trésors de grâces et de
bénédictions, je m'écrie : Que tDieu est ad-
mirable dans ses saints!
Je ne m'arrête pas, Messieurs, aux somp-
tueux édifices qui le renferment: à l'or, au
marbre précieux qui le décorent : je ne fixe
pas mes regards sur les superbes mausolées
(27) Carloman , frère de Charlemagnc, Louis
d'Outremer ; Lothaire ; Fréderone, femme de Char-
les le Simple ; Gerberge, femme de Louis IV. (Mar-
lot, Tombeau de saint Ilemi, chapitre 9.)
(28) Hincmar trouva le corps de saint Rémi en-
tier, et exhalant une odeur céleste, 500 ans après sa
mort. (Flodoard., Hist. Rem., lib. I, cap. 21.) Il fut
trouvé de même en lG46,en présence des évoques et
des princes, comme il est ceitilié par Mgr Léonard
d Etampes, archevêque de Reims, qui le visita et en
dressa un procès-verbal.
(29) La première, de la chapelle de saint Chris-
tophe dans une église plus grande, à cause du grand
nombre de pèlerins que les miracles y attiraient ;
la seconde, par Hincmar ; la troisième, par les ar-
chevêques Foulques cl Hervée; la quatrième, par
le pape Léon IX ; la cinquième, par le pape Lenon-
court ; la si-xième, par l'archevêque Léonard d'Etam-
pes. On n'en compte que cinq, à cause que la pre-
Eiiére est appelée miraculeuse, et faite sans céré-
monie.
ANEG. XV, SAINT RE.V!.
314
de plusieurs de nos rois, qui ont voulu que
leurs cendres reposassent auprès de ce grand
pontife (27).
Je me représente le saint corps de Rémi
dans le tombeau, et je suis saisi d'un saint
respect en le voyant jouir comme par anti
ci pat ion des glorieux privilèges de l'incor
ruptibilité.
J'admire un monument éclatant de la puis-
sance divine, qui l'a conservé près de douze
cents ans dans une intégrité, une fraîcheur
que la mort détruit et efface si promptement
dans ceux qu'elle conduit au tombeau (28).
Nousdevonsparticij crunjour, Messieurs,
à la gloire du tombeau de Jésus-Christ : nos
corps humiliés, détruits, en sortiront, à la
voix du Tout-Puissant, brillants des clartés
célestes, incorruptibles, immortels. Mais il
n'est pas donné à tous les élus de participer
par anticipation aux triomphes de Jésus-
Christ ressuscité : c'est un privilège que nous
admirons dans saint Rémi, dépositaire de la
puissance divine dans le tombeau même.
Je ne suis pas étonné, Messieurs, qu'on
ait visité souvent ces sacrées dépouilles de
l'apôtre de la France, et que l'on célèbre
dans les annales de l'Eglise cinq pompeuses
translations de ce saint corps (29).
Je ne suis pas surpris que les souverains
pontifes se soient fait une gloire de le porter
sur leurs épaules (30): que les princes ariens
se soient assurés des merveilles qui s'opé-
raient à son tombeau, et aient été forcés de
rendre hommage à la puissance divine qui y
agissait, qui le rendait célèbre et précieux
dans toutes les Gaules (31): qu'un grand évo-
que, distingué par son profond savoir, ail
porté pour étendre son culte, et le rendre
solennel, une célèbre assemblée du clergé
de France, el que tous les prélats de l'Eglise
gallicane aient applaudi à son zèje (32). Le
sacerdoce et l'empire s'accorderont toujours,
lorsqu'il s'agira d'honorer la mémoire du
saint apôtre des Français.
Pour nous, Messieurs, en vain comptons-
nous sur sa protection, si nous sommes de
stériles admirateurs des merveilles de son
apostolat et de sa puissance dans le tombeau.
Il faut l'imiter dans les vertus qu'il a prati -
(30) Léon IX vint à Reims visiter ic tembeau de
saint Rémi ; il fit la dédicace d'une nouvelle église
pour y transférer le corps du saint pontife, et le
porta avec respect sur ses épaules à la procession
solennelle. ( Raromcs, anno 10-i9.)
(51) Alboin, roi des Lombards, envoya des per
sonnes à Reims au tombeau de saint Rend pour
s'assurer des miracles qui s'y opéraient, et dont
Glodosvinde, son épouse, petite-fille du grand Clo-
vis, lui parlait sans cesse pour le retirer du pa li
des ariens; et ces témoins oculaires lui confirmèrei.t
la vérité des miracles qui s'opéraient toujours au
tombeau de notre saint apôtre. ( Kpit. de saint Ni-
cèle, éveque de Trêves, à la reine des Lombards Clo-
dnsrinde , rapportée dans Sirmond., tcm. 1 Conc
Gall.)
(32) Assemblée du clergé de France de 1057.
Mgr l'évèque de Chàions en Champagne y parla
pour étendre le culte de saint Rémi. Ces prélats as-
semblés adressèrent une. lettre à tous les éveques
de France.
515
ORATEURS SACRES. BALLET.
516
quées, puisque la sainteté du cœur est abso-
lument nécessaire pour paiticiper à la gloire
dont il jouit dans le ciel, et que je vous
souhaite.
PANÉGYRIQUE XVI.
SAINT JEAN NÉPOMLCENE, CHANOINE
ET MARTYR.
Prononcé en présence de la reine, le 16 mai
1747, dans l'église des RR. PP. Rt'collets
de Versailles.
Sapientiam et fortitudinem dedisti milii. [Ban., II.)
C'est vous, Seigneur, qui m'avez donné cette sagesse et
cette fermeté qui m'étaient nécessaires à la cour d'un
prince qui voulait me séduire.
Madame,
Ce n'est pas l'éclat de la naissance qui
soutient un prêtre à la cour, c'est l'éclat de
la sainteté: il doit y être l'homme de Dieu
en même temps qu'il s'y montre un fidèle
sujet du prince: les préjugés des grands ne
doivent point lui faire taire les humiliantes
vérités de l'Evangile; les passions d'une se-
conde majesté ne doivent jamais lui faire
manquer à ce qu'il doit à la première.
La sagesse et la fermeté accompagnent
toujours un prêtre que Dieu place lui-même
h la cour. Sa sagesse y condamne les cou-
pables transgressions de la loi qui y sont si
communes; sa fermeté y triomphe des ca-
resses et des menaces qui y font tant de lâ-
ches déserteurs de la morale de l'Evangile;
vertus rares et précieuses, que le Seigneur
accorde à ceux qu'il conduit lui-même sili-
ces grands théâtres de la gloire du monde,
et qu'il refuse à ceux que 1 ambition et l'in-
trigue y font parvenir: Sapicntiam et forti-
tudinem dedisti mihi.
En vous parlant, Messieurs, d'un prêtre
que l'Esprit de Dieu conduisit à la cour, et
que sa main puissante et magnifique y sou-
tint contre tous les efforts de la sagesse
mondaine, vous vous rappelez Jean Népo-
mucène, qui éclaira la Bohême par ses lu-
mières, l'édifia par ses vertus, l'honora par
son martyre, et la console encore aujour-
d'hui par les grâces précieuses qu'il fait
couler sur elle.
Ce nouveau Jean-Raptistc, qui trouva un
nouvel Hérode à la cour de Winceslas, qui
y fut désiré et persécuté; ce dispensateur
fidèle des mystères de Jésus-Christ, qui en
défendit la vérité par ses discours et par
son silence; ce premier martyr du secret de
la confession que Dieu suscita quelque
temps avant la naissance de ces hérésiarques
nui devaient le combattre dans leur nouvelle
doctrine : ce héros de la foi dont le culte
s'est établi dans ce saint Heu par le zèle
d'une grande reine, qui préfère les solenni-
tés saintes aux fêtes profanes du siècle, qui
redoute les louanges qu'elle mérite présen-
tement, et qui n'ambitionnent que celles
que l'Eglise donne à ceux qui sont arrivés
heureusement au moment décisif pour le
salut.
Oui, Messieurs, c'est sous res idées que
je vais vous représenter Jean Népdmùcène ;
la sagesse et la fermeté vont le caractériser
et partager son éloge.
Sa sagesse le fit désirer à la cour. Sa fer-
meté le fit triompher à la cour : Sapientian
et fortitudinem dedisti mihi. Demandons
les lumières du Saint-Esprit par la puis-
sante intercession de la mère de Dieu. Ave,
Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
Madame,
Quelle différence entre la sagesse des
saints et celle des mondains!
Serait-il nécessaire, Messieurs, de vous
peindre celle de ces hommes du siècle dont
on vante tant la politique et la prudence?
Vous la connaissez, vous l'estimez et vous
lui érigez tous les jours des trophées.
Arriver à sa fin par des routes inconnues,
des cabales secrètes, des intrigues ména-
gées; inventer un système, l'arranger, l'.sc-
ci éditer : supporter les lenteurs, supplanter
un concurrent, ménager une personne en
place qui n'a d'aimable quelquefois que le
seul pouvoir d'obliger; voilà la sagesse que
le monde loue, mais celle que Dieu réprouve,
parce qu'il n'en est pas la fin. La sagesse
des saints a des vues bien plus hautes et
bien plus dignes d'une âme créée pour le
ciel ; elle consiste à se ménager, par toutes
les ressources que fournit la religion, des
consolations à la mort et une couronne im-
mortelle au delà du tombeau; naissance, ri-
chesses, talents, grandeurs, trônes, sceptres
même, tout cela perd son éclat et parait
dangereux à celui qui rapproche le mo-
ment de la mort et médite une destinée
éternelle.
Qu'elle est déplorable la sagesse des mon-
dains, puisqu'elle ne saurait les consoler,
lorsqu'ils cessent d'être grands pour deve-
nir cendre et poussière I
Qu'elle est précieuse la sagesse des saints,
puisqu'elle leur procure un bonheur éter-
nel, lorsque tout leur échappe sur la terre
et que le tombeau s'ouvre pour les rece-
voir !
Quelle différence, au moment de la mort,
entre un grand du monde qui a négligé son
salut et un juste pauvre qui y a travaillé
efficacement! L'un dépouillé de toute sa
gloire ne peut plus, avec tous les systèmes
de sa passion, s'imaginer autre chose que le
néant ou l'enfer; l'autre, rappelé d'un exil
où il gémissait comme étranger, voit avec
douceur et avec joie les approches de son
Dieu.
O sagesse que Dieu communique à ses
serviteurs et (pie le monde méprise, que
vous êtes précieuse !
Jean Népomucène la posséda, Messieurs,
cette sagesse qui porte ses vues au delà du
tombeau; elle lui fit découvrir avec frayeur
la sainteté du sacerdoce; elle lui fit remplir
avec éclat les fonctions saintes du sacerdoce;
elle lui fit refuser avec générosité les digni-
tés éclatantes du sacerdoce : on l'admira
dans l'empire, elle perça à la cour de Win-
ceslas.
z\:
PANEGYRIQUES. — PANEG. XVI, SAINT JEAN NEPOMUCENE.
518
Jean Népomucène y fut désiré : les grands
aiment à s'attacher au mérite éclatant qui
se cache; les honneurs vont trouver celui
qui les redoute et ne viennent jamais assez
tôt pour celui qui les brigue. Jean Népomu-
cène, occupé de son salut, ignore les idées
que l'on conçoit de lui : la cour pense à son
élévation, et lui ne pense qu'à ce qu'il faut
faire pour se sanctifier : n'est-ce pas là,
Messieurs, la vraie sagesse ?
La sagesse de Jean Népomucène lui fit dé-
couvrir tout ce qu'il y a de divin, de redou-
table et d'important dans le ministère ec-
clésiastique; il considéra dans un prêtre,
non un caractère oisif qui le distingue du
peuple, qui le dérobe aux embarras du siè-
cle, et lui procure souvent des revenus et
des honneurs, mais ce pouvoir surprenant,
qu'il reçoit avec l'onction sainte, de pro-
duire le corps de Jésus-Christ dans ses
mains, de remettre les péchés, d'être le
dispensateur des grâces et des mystères du
salut.
Il porta ses vues sur le sanctuaire où son
penchant l'entraînait; mais il ne se cacha
rien des vertus qu'il exige de ceux qui s'y
consacrent; il trembla à la vue d'un carac-
tère qui suppose la sainteté et cjui ne la
donne pas; et les grandes idées qu il conçut
du sacerdoce le rendirent en peu de temps
un homme d'une sainteté éminente. Ici,
Messieurs, l'histoire fidèle nous présente
des prodiges et des vertus; j'aperçois des
traits qui annoncent sa grandeur future dans
l'Eglise et les importants services qu'il doit
lui rendre.
Quoque l'hérésie, qui désola l'Allemagne
après la mort de notre saint, ait enseveli
sous les ruines des églises et des monas-
tères ses écrits précieux, ce qui a échappé
à la fureur des hérétiques suffit pour nous
donner une juste idée de ce grand homme.
Vous dirai -je que sa naissance fut écla-
tante, non pas par l'opulence et les titres
pompeux qui président au berceau des
grands, mais par les prodiges dont Dieu
l'honora? 11 fut la récompense des vœux et
des soupirs d'une mère stérile ; il parut sous
les auspices de la mère de Dieu et au milieu
des rayons de gloire qui environnaient son
berceau.
Dieu annonce par ces merveilles le plus
grand homme qu'ait possédé la Bohême; il
fait paraître, dans le xiv* siècle, cet astre
éclatant que les ténèbres de l'erreur devaient
s'efforcer en vain d'obscurcir.
Il y a des saints dont la sagesse semble se
saisir dès l'enfance ; ils n'ont point de pleurs
à répandre sur la dangereuse saison de la
jeunesse; Jean Népomucène fut de ce nom-
bre.
Ce fut la sagesse qui lui fit porter ses pre-
miers regards vers le sanctuaire : ce fut elle
qui lui en découvrit toute la grandeur et toute
la majesté ; ce fut elle aussi qui lui fit sen-
tir qu'il ne fallait pas y porter une sainteté
commune.
Frappé de ces grandes vérités, je le vois
«'enfoncer dans la retraite pour se préparer
à recevoir l'onction sainte du sacerdoce; là,
dans une paisible solitude, il écoute la voix
du Seigneur, qu'on n'entend pas dans le bruit
du monde; ses pensées, ses désirs, ses priè-
res, ses mortifications, l'unissent intime.-
ment à Jésus-Christ, et le préparent à mon-
tera l'autel.
Heureux, si tous les ministres du Sauveur
portaient à l'autel, comme Jean Népomucène,
une innocence sans tache, un cœur embrasé
du divin amour, un zèle ardent pour le salut
du prochain, les talents nécessaires pour
triompher des appas de l'erreur et des res-
sources du libertinage!
On ne verrait pas quelquefois paraître
dans le sanctuaire ceux qui devraient pleu-
rer dans la solitude ; des cœurs tout de glace,
lors même qu'ils récitent des paroles toutes
de ieu; on n'éviterait pas les fatigues de
l'apostolat pour s'occuper des honneurs ou
des domaines qui y sont attachés ; l'homme
ennemi ne profiterait pas des ombres de la
nuit et des ténèbres de l'ignorance pour
semer l'ivraie avec le bon grain, et accréditer
ses dangereux systèmes.
Ce n'est pas, Messieurs, pour autoriser
votre censure que je fais cette -plainte à la
face des saints autels ; elle n'est pas assez ré-
servée.
Quand on respecte la religion, on ménage
ses ministres ; on n'attribue pas au corps les
défauts d'un particulier. Il y a encore des
anges sans tache dans le sanctuaire ; il y a
encore des apôtres, des docteurs ; la sainteté
et la saine doctrine font toujours la beauté
de l'Eglise catholique; la nouveauté fait de
vains efforts pourlatlétrir; l'avilissement dans
lequel on s'efforce de faire tomber le sacer-
doce, est une preuve de l'irréligion qui rè-
gne dans notre siècle.
La sainteté et les talents ont fait 'désirer
Jean Népomucène à la cour; tous les hom-
mes de vertus et de talents sont-ils désirés
aujourd'hui ? Si la naissance n'a pas besoin
de protection, le mérite en a besoin. Plus un
minis-.re des autels est occupé de son minis-
tère, moins on pense à lui. Si Dieu n'avait
pas placé lui-même Jean Népomucène à .a
cour de Winceslas, marchait-il dans la route
qui conduit à la fortune? Hélas ! il savait
qu'il n'était pas à propos qu'un prêtre fût
toujours agréable aux grands ; mais il sa-
vait qu'il était toujours nécessaire qu'il lût
utile à la religion.
Il est vrai que dans une cour chrétienne
une vertu solide y trouve toujours des pro-
tecteurs; il y a des pénitents dans le centre
des délices, des hommes d'humilité dans
l'éclat des grandeurs, des contemplatifs
dans le tumulte des grandes affaires.
Ceux mêmes qui sont le plus livrés au
monde, estiment ceux qui le méprisent; on
se déchaîne contre une piété qui n'est pas
soutenue; on révère la vertu qui se dérobe
aux louanges du public; l'homme de sainteté
a toujours paru un prodige aux yeux des
mondains. Jésus-Christ fut désiré à la cour
d'Hérode, parce qu'il opérait des miracles;
Jean Népomucène fut désiré à la cour de
"13
ORATEURS SACRES. BALLET.
520
Weii.e-.las, parce qu'il pratiquait des vertus
qui tenaient du prodige.
Mais la vertu ne plaît pas toujours aux
grands qui ont des faiblesses, et qui veulent
être flattés; nous verrons la scène changer.
L'empereur désire un apôtre, il l'aura; il en
voudra faire un courtisan lâche et sacrilège,
il ne le pourra jamais.
Heureux, si le vice seul attirait ces disgrâ-
ces qui menacent les courtisans! On ne ver-
rait pas tant de faibles mortels se faire un
devoir de les détourner par de coupables
complaisances.
Jean Népomucène édifiait toute la Bohème
par ses rares vertus; le monde s'en occupait,
lui seul semblait les ignorer; il s'humiliait
quand il comparait sa vie avec lasaintelé du
sacerdoce; l'élévation de son état lui faisait
craindre de ne pas êtreassez parfait ; il savait
que les vertus qui suffisent pour le salut
d'un laïque ne suffisent pas pour celui d'un
prêtre. Cette juste idée qu'il concevait du
sacerdoce en lit un homme de sainteté et un
homme de zèle ; sainteté qui répond à la
grandeur du sacerdoce; zèle qui lui fait
remplir avec éclat les fonctions saintes du
sacerdoce.
Un prêtre sans piété est le scandale de la
religion ; un prêtre sans talents occupe une
place inutile dans la religion. Nous som-
mes chrétiens pour nous ; nous sommes prê-
tres pour les autres; si la sainteté est néces-
saire pour exercer le ministère des autels,
la science est nécessaire pour rendre le mi-
nistère des autels utile. Je tremble pour ce-
lui qui approche du Seigneur sans être saint;
mais je tremble encore plus pour celui qui
se charge de la conduite des âmes sans ex-
périence et sans talents.
Un cœur souillé peut se guérir; un génie
enveloppé ne deviendra jamais juste et pé-
nétrant ; les fautes du cœur peuvent s'ex-
pier ; les fautes que l'ignorance fait commet-
tre dans le ministère sont très-souvent irré-
parables.
Qu'on demeure dans le rang des simples fi-
dèles, si on n'a pas reçu du Seigneur les talents
qui sont nécessaires pour être utile h l'Eglise;
on se sauvera. Qu'on tremble en vivant
même saintement ; si on porte l'ignorance
dans les tribunaux de la pénitence, et dans
le gouvernement des âmes, on s'y damnera.
C'est, Messieurs, l'esprit de l'Eglise que
je développe ici ; ce sont les oracles qu'elle
a prononcés dans les saints conciles; c'est
ainsi qu'ont parlé tous les saints docteurs.
Jean Népomucène était rempli de ces
grandes vérités ; c'est pourquoi il ne porta ses
vues vers le sanctuaire que pour y être utile
à l'Eglise.
La Bohême n'eut jamais un génie plus
vaste, un docteur plus éclairé, un directeur
plus habile dans les voies du [salut, même
les plus difficiles et les plus mystérieuses,
un orateur plus éloquent, un apôtre plus
zélé.
Vous dirai-je qu'il fut l'ornement de l'u-
niversité de Prague, cette fameuse école que
l'empereur Charles IV venait de fonder, ri
qui était compo. ée alors des plus célèbres
maîtres des universités de Paris, de Padoue
et de Boulogne ?
Vous dirai-je que l'on trouvait en lui
tous les talents qui font le grand ecclésias-
tique ?
Talents pour développer les grandes matiè-
res de la religion : il fut un théologien pro-
fond. S'il lui eût été donné de voir les héré-
tiques qui parurent a] rès sa mort, comme
il lui fut donné de prédire les ravages qu'ils
causèrent dans l'Allemagne, ils auraient
trouvé en lui un redoutable adversaire.
Talents de la direction : il avait le don do
développer les consciences, de les tranquil-
liser ou de les remuer salulairement ; il
marchait prudemment entre les deux extré-
mités vicieuses qu'on ne saurait trop éviter,
le relâchement et la, sévérité. Les conscien-
ces délicates, les consciences .timides rîes
consciences chargées d'anciennes iniquités,
les consciences effrayées d'une chute passa-
gère, trouvaient dans Jean Népomucène des
consolations promptes et efficaces : il évitait
le défaut du lévite indifférent, qui ne jette
pas les yeux sur les plaies du malade de Jé-
richo ; il évitait le défaut de l'austère phari-
sien, qui aurait voulu que le Sauveur eût
laissé la fameuse pénitente gémir longtemps
sous le poids du péché. Bientôt la sagesse du
nouveau directeur fait du bruit dans Prague :
elle perce à la cour. Les pauvres, les riches,
les communautés religieuses, l'impératrice
même, veulent se mettre sous sa conduite :
si l'étendue de son zèle n'eût pas répondu à
l'étendue de ses lumières, aurait-il pu sou-
tenir des travaux si immenses ?
Talents pour la chaire : jamais prédicateur
n'en eut de plus décidés, de plus brillants,
de [dus propres au succès et de plus uni-
versellement applaudis.
La force, l'onction, l'éloquence , la majes-
té; des images naturelles des ravages du
péché et des peines éternelles; des charmes
de la vertu et des récompenses qui lui sont
destinées, le firent regarder, avec justice,
pour le plus célèbre orateur de son temps.
Il avait ces grâces, ces manières touchantes
qui vont au cœur: son talent était de les
remuer et de les arracher à leurs coupables
attaches.
Voulez-vous, Messieurs, des preuves de ce
que j'avance? Voici des faits.
Avaient paru avant lui, dans la basilique
de sainte Marie, le fameux Conrard d'Autric
et le célèbre Mélitius, deux prédicateurs qui
avaient enlevé tous les applaudissements de
la ville de Prague, les plus éloquents de
leur siècle, dont le zèle et le feu entraî-
naient tous les cœurs, et qui avaient eu la
consolation de voir ce que saint Chrysostome
désirait de son temps avec tant d'ardeur,
c'est-à-dire, des auditeurs baignés de pleurs,
les mœurs de cette grande ville changées,
le luxe diminué, les débauches cessées, la
vie molle et voluptueuse condamnée, tous
les vices proscrits. C'est après ces deux
giands hommes que Jean Népomucène pa-
raît dans la chaire : c'est à des auditeurs dé-
SM PANEGYRIQUES.
beats, accoutumés au beau et au sublime,
qu'il parle; et ce sont eux aussi qu'il ravit,
qu'il toucbe, qu'il enlève: ils admirent Jean
Néoumocène après avoir admiré Conrartl et
Méfitius; et, sans ravir la gloire de ces grands
hommes, ils avouent que Jean Népomucène
les surpasse ; les conversions éclatantes qui
accompagnaient ses prédications, les succès
immenses le publiaient aussi hautement.
Un homme, qui remplissait les fonctions
du sacerdoce avec tant d'éclat, fut bientôt
connu et désiré à la cour.
On vit autrefois le jeune Agrippa désirer
avec ardeur d'entendre prêcher saint Paul;
on vit alors l'empereur Winceslas demander
avec instance Jean Népomucène pour prêcher
à sa cour.
Notre saint connaissait toute l'importance
de cette mission : il savait que, pour annon-
cer la parole de Dieu aux majestés de la
terre, il faut être rempli de cet esprit de vé-
r lé qui ne cache rien, qui ne redoute rien.
Il refusa cet honneur, qui devrait aller trou-
ver tous les hommes apostoliques, et qu'ils
ne devraient jamais briguer. On ie sollicita,
on le força, et l'obéissance seule le fit paraî-
tre à la cour; mais il y parut comme Jean-
Baptiste, pour y reprendre les vices qui y
régnaient.
Il y montra cette liberté évangélique qui
ouvre les portes du ciel et les abîmes de
l'enfer, pour montrer au monarque, aussi
bien qu'au peuple, le sort destiné à la vertu
et au vice. Il disait, comme la prophète
Michée au juste, que tout allait bien pour
lui; mais il disait aussi au pécheur impéni-
tent qu'il périrait. La grandeur, les richesse.--,
la puissance, l'éclat de la victoire ne l'au-
raient pas empoché de reprendre un Naaman
souillé de la lèpre du péché; il lui aurait
dit: Vous êtes grand, vous brillez même sur
le trône, mais vous êtes un homme de vice:
Magnus es , sed leprosus (IV Rcg.,Y) ; vous
j érirez si vous ne faites pénitence.
Il portait le peuple à respecter le prince ;
mais il forçait le prince à reconnaître un
Dieu, maître absolu de son trône, de sa cou-
ronne et de son sort éternel.
Winceslas l'écoutait attentivement; il n'a-
vait pas encore développé ce caractère féroce
qui devait donner des scènes si tragiques
dans son empire.
Dans ces temps de calme, Jean Népomu-
3ène était l'apôtre de la cour; il y exerçait un
apostolat aussi saint, aussi édifiant, aussi
glorieux que celui des premiers disciples du
«sauveur. 11 y établit le règne d'une solide
piété et y fait ériger de toute part des tro-
phées à l'Evangile; l'empereur seul s'en-
durcit de plus en plus aux grands exemples
de vertu qu'il donne et aux charmes puis-
sants de ses prédications.
C'est donc faute de connaître l'importance
delà mission, qu'on brigue l'honneur de por-
ter la parole de Dieu devant les maîtres de
la terre, qu'on la défigure par une éloquence
toute profane et qu'on s'efforce d'être à leurs
oreilles comme un agréable concert de mu-
sique, selon l'expression d'un Prophète.
PANEG. XVI , SAINT JIIAN NEPOMUCENE.
522
Il n'y a point d'endroit où l'on ait plus
besoin d'apôtres qu'à la cour; on s'y pique
d'esprit, on ne s'y pique pas de religion; on
y connaît les détours de la politique, on n'y
sait rien souvent de l'économie de nos mys-
tères; on trouve des moments pour lire dés
livres composés dans les ténèbres, on-n'en
trouve point pour lire des livres de piété ;
tous les courtisans ont le temps d'être phi-
losophes, très-peu trouvent le temps d'être
chrétiens.
Ah ! qu'on ne se contente pas de désirer
des apôtres à la cour, qu'on les écoute quand
ils y paraissent.
Jean Népomucène fut écouté h la cour de
Winceslas; l'éclat avec lequel il remplissait
les fonctions saintes du sacerdoce le fit re-
garder comme le plus saint et le plus excel-
lent ecclésialique de son temps. On pensa à
son élévation; on lui oiï'rit les dignités les
plus éclatantes et les plus flatteuses , mais il
les refusa généreusement et constamment.
Quand nous louons, Messieurs, la sage se
de ces hommes admirables qui portaient leur
vue au.delà du tombeau, qui craignaient la
chute en regardant l'élévation, et qu'on voyait
baignés de pleurs lorsqu'on leur offrait les
dignités éclatantes de l'Eglise, nous ne pré-
tendons pas tirer des conséquences dange-
reuses pour le salut de ceux que la nais-
sance, la piété et les talents placent sur le
trône épiscopal. L'humilité de ces grands ser-
viteurs de Dieu qui sont restés dans le rang
inférieur des lévites, ne condamne pas la con-
fiance de ceux qui montent à l'autel avec
amour.
Si nous donnons des louanges à ces justes
timides qui ont refusé l'épiscopat, nous en
donnons aussi à ces ministres zélés qui en
ont soutenu la dignité par leurs vertus et par
leurs talents.
Malheur seulement à ceux que l'ambition
et l'intrigue élèvent aux premières places du
sanctuaire; qui sont tlattés par les honneurs
et les revenus, sans être effrayés du compté
qu'ils en doivent rendre; h" ces lumières
qu'on place sur la montagne et qui devien-
nent des astres errants; à ces sentinelles
qu'on pose pour garder la cité sainte et que
l'homme ennemi trouve toujours endormies;
à ce sel de la terre qui s'affadit et qui donne
le temps à la corruption de s'étendre et do
faire de funestes progrès!
' Mais pour ceux qui aiment l'Eglise catho-
liques, qui respectent ses décisions , que les
talents et les vertus rendent recomman-
dables, que les fatigues de l'apostolat n'ef-
frayent pas, qu'ils montent avec, confiance
sur le trône é; iscopal, l'Eglise a besoin de
ces pasteurs ; ils font sa gloire et sa conso-
lation.
Si le refus constant que Jean Népomucène
fit des dignités éclatantes du sacerdoce, mérite
aujourd'hui notreadmiraUon et nos louanges,
c'est qu'il est rare d'avoir une humilité si
parfaite avec des talents si brillants, et de
juger, pendant la vie, des honneurs et de
l'opulence comme on on juge au moment de
la mort; c'est là, Messieurs, la véritable sa-
525
ORATEURS SACRES. BALLET.
S?4
si c'était celle de tous les
gesse : heureux
chrétiens!
11 n'y avait pointue dignités éclatantes dans
l'Eglise auxquelles Jean Népomucène n'eût
pu aspirer; de grands talents soutenus de
grandes vertus, le faisaient regarder comme
le pjus propre à remplir les premières places
du sanctuaire.
Déjà l'archevêque de Prague se l'était at-
taché par un canonicat dans sa métropole;
déjà Winceslas avait jeté les yeux sur lui
pour remplir le siège de Leitomeritz.
Le plus beau et Te plus riche bénéfice du
royaume fut aussi à sa disposition. La pré-
vôté de Wischeradt, à laquelle était attaché
le titre de chancelier héréditaire et des do-
maines immenses, la charge de grand au-
mônier du royaume, venaient chercher Jean
Népomucène, et Jean Népomucène les fuyait.
N'y avait-il pas là, Messieurs, de quoi
flatter un homme qui ne penserait pas à la
mort? Oui, sans doute; mais la sagesse de
Jean Népomucène porte ses vues au delà du
tombeau ; il redoute ces places érninentes
qui attirent tant d'hommages, ces amples re-
venus qui sont le patrimoine des pauvres.
L'évôché de Leitomeritz et la prévôté de Wis-
Gheradt sont les places les plus brillantes et
les plus opulentes, ce sont celles aussi qu'il
refuse constamment.
S'il accepte celle de grand aumônier, c'est
parce qu'il peut y être utile au peuple, y pro-
téger les misérables, et qu'elle n'est pas ac-
compagnée des honneurs de l'épiscopat et
des domaines de l'Eglise.
Ah ! Messieurs, comparons ici la sagesse
de Jean Népomucène avec celle des mon-
dains : Que disent les mondains sur les hon-
neurs et les revenus du sanctuaire? Ce que
disent les insensés des honneurs et des ri-
chesses du siècle, selon le prophète.
Heureux ceux que la protection a fait nom-
mer à ces grands sièges, à ces places bril-
lantes, où l'on possède des domaines pres-
que égaux à ceux de certains souverains!
Heureux ces ecclésiastiques qui vivent
commodément à l'ombre d'un bénéfice opu-
lent, qui ne supportent point le poids du
jour clans la vigne du Seigneur, et qui ne
sont point sujets aux pénibles travaux de la
chaire et du confessional ! Beatum dixerunt
cui hœc sunt. Mais que dit Jean Népomu-
cène, dont la sagesse rapprochait toujours le
moment de la mort? Heureux celui dont les
pénibles travaux n'ont pour principe que le
salut des âmes, qui n'est point exposé aux
dangers de l'élévation et des richesses, à qui
son Dieu suliit et qui ne veut rien autre
chose ! Ben tus cujus Dominus JJeus ejus.
(Psal. CX LUI.)
Elle brille constamment à la cour de Win-
ceslas, cette sagesse de Jean Népomucène :
comme il y avait été désiré, il y fut utile.
Utile aux pauvres, dont il était le père et la
ressource ; utile à ceux que l'intérêt divisait,
ses lumières triomphaient des détours de la
chicane, et sa charité faisait régner la paix
dans les familles troublées parles procès;
utile aux courtisans, qui apprenaient de lui
à respecter le prince sans flatter ses passions,
et à remplir exactement les devoirs de su-
jets et de chrétiens ; utile h l'impératrice,
qui avançait dans la vertu sous sa sage di-
rection, et qui aurait été chérie et respectée
de Winceslas, s'il eût été moins vicieux;
utile à Winceslas lui-même, si son cœur
livré à la volupté ne se fût pas endurci aux
prodiges de sainteté et de sagesse qu'il avait
montrés à la cour.
La passion fait de rapides progrès dans
un prince qui l'écoute et qui la flatte : il
semble qu'on manque à sa grandeur su-
prême, quand on lui résiste. Le défaut d'au-
torité met souvent des bornes aux faiblesses
du particulier; rien ne s'oppose à celle du
monarque. Les lois intimident ceux qui
ne respectent pas l'Evangile : l'Evangile et
les lois n'arrêtent point la passion d'un sou-
verain, David joint à l'opprobre de BetLsabée
le meurtre d'Urie. Winceslas après avoir
souillé sa cour par de honteux excès, veut
encore l'ensanglanter par la mort de Jean
Népomucène; elle a été le théâtre de ses
voluptés, elle sera le théâtre de ses fureurs:
il a voulu un apôtre auprès de lui, il en fera
un martyr; il menace déjà celui qu'il aflatté.
Mais, ne craignez pas, Messieurs, c'est
Dieu lui-même qui a conduit Jean Népomu-
cène à la cour ; sa main puissante et magni-
fique l'y soutiendra contre tous les efforts
de la passion du prince. Sa sagesse l'a fait
désirer à la cour; sa fermeté le fera triom-
pher à la cour : Sapientiam et fortitudinem
dedisti mihi. C'est la seconde partie de son
éloge.
SECONDE PARTIE.
Quel malheur, Messieurs, quand un prince
a perdu de vue la première majesté dont il
tient sa couronne; quand, aveuglé sur les
bornes d'une puissance légitime, il ose en-
treprendre sur les droits inaliénables de
Dieu, et porte le mépris des autels, le plus
ferme appui de son trône, jusqu'à exiger de
ses ministres de secrètes apostasies et de
sacrilèges complaisances 1
Heureux ceux que Dieu a revêtus de force,
en les plaçant à la cour d'un prince impie,
qui ont le courage de défendre la sainteté
des autels, sans manquer à la majesté du
trône: qui n'opposent aux volontés crimi-
nelles du monarque que les ordres suprêmes
de Dieu, et qui ne bravent les menaces de
la seconde majesté, que pour éviter le juste
courroux de la première !
Winceslas jugea, Messieurs, de sa puis-
sance par sa passion : c'est souvent le péché
des grands. 11 voulut l'étendre jusque sur
les autels : il exigea de Jean Népomucène
un aveu de ce qu'if savait comme tenant la
place de Dieu, et de ce qu'il ne savait pas,
. comme homme et sujet de son empire : il
traita le sacrement de pénitente en politi-
que; et il osa espérer d'un dépositaire des
secrets des consciences, les coupables com-
plaisances d'un courtisan lâche et flatteur.
Mais, si l'on vitalorsce que peut un souverain
cruel et passionné, on vit aussi ce que peut
r.25 PANEGYRIQUES. - PANEG. XV
un prêtre fulèle et éclairé. Jean Népomueène
montre à la cour de Winceslas une fermeté
sacerdotale qui le fait parler librement en
faveur du secret de la confession : une fer-
meté chrétienne qui le prépare à tout souffrir
Rour le secret de la confession : une fermeté
éroïque qui lui fait donner sa vie pour le
secret de la confession.
C'est vous, ô mon Dieu, qui avez donné
à ce saint prêtre cette force divine pour la
■consolation des catholiques , la gloire de
votre Eglise, et la confusion des hérétiques
des derniers siècles : Fortitudinem dedisti
mi ht.
Winceslas développe, Messieurs, tous ces
mystères d'iniquité qu'il avait nourris dans
son cœur ; il fait éclater toutes ses honteuses
liassions que la politique avait retenues
quelque temps : il se montre enfin tel qu'il
est, soupçonneux, inhumain, sacrilège.
Héritier du trône de Charles IV, sans
avoir une seule de ses vertus ; époux d'une
princesse sage et vertueuse, sans rendre
justice à son mérite et à sa piété ; possesseur
d'un vaste empire et d'un royaume par sa
naissance ; tyran redoutable par ses cruau-
tés, il retrace dans sa cour les scènes san-
glantes que donnèrent autrefois ces empe-
reurs qui ont fait la honte du nom roman.
Jeanne de Bavière se trouvait unie par les
liens les plus sacrés à ce malheureux prince:
son cœur aimait innocemment celui dont
elle détestait les crimes ; elle voyait tou-
jours un époux dans le persécuteur de la
vertu ; elle gémissait secrètement ue ses dé-
sordres; elle ne se plaignait pas inutilement
de ses scandaleux excès , et elle eut toujours
pour lui cet amour pur et tendre que la re-
ligion commande, sans participer aux pas-
sions qu'elle condamne.
Ne soyons pas étonnés, Messieurs, de la
piété de Jeanne de Bavière, ni des vices de
Winceslas : l'impératrice suit les sages con-
seils de Jean Népomueène, le plus éclairé
de tous les directeurs : l'empereur suit les
coupables conseils des courtisans dévoués à
ses [tassions, et les plus débauchés de sa
cour.
Malheur aux princes qui écoutent ceux
qui leur présentent les amorces et les appas
du vice, qui conservent auprès d'eux les
apôtres de la volupté 1 il n'y a point de sortes
de crimes dont ils ne souillent leurs trônes.
Winceslas, Messieurs, peut instruire, par
son triste sort, tous les princes de la terre.
Je ne vous représente pas ici, Messieurs,
un prince plongé dans la mollesse, qui nour-
rit avec les plus grandes faiblesses les sen-
timents les plus inhumains, qui arrose les
mets de sa table du sang de ceux qui lui
déplaisent, et qui changent souvent, comme
Hérode, la salle d'un festin en une salle de
ileuil.
J'ai à vous représenter ses attentats sacri-
lèges sur le secret de la confession, el les
efforts impuissants qu'il lit pour tirer de la
bouche de Jean Néj.omucène un coupable
aveu des secrets des consciences? Vous ver-
rez l'empereur tra'tcr le sacrement de péni-
I , SAINT JEAN NEFOMCCENE. 535
tence en politique; vous verrez Jean Népo-
mueène le défendre en apôtre.
La sacrilège curiosité du prince est enve-
loppée de frivoles prétextes et de raisons
d'Etat ; la fermeté de Jean Népomueène parle
librement et sans détours.
C'est ici, Messieurs, qu'on découvre une
fermeté vraiment sacerdotale ; les réponses
qu'il fait a l'empereur nous retracent la fer-
meté des prophètes devant les rois impies
d'Israël, des apôtres devant les juges de la
Synagogue, et des premiers martyrs devant
les tyrans.
Réponse digne d'un fulèle sujet : Je res-
pecte, lui dit-il, le diadème que Dieu a pos.é
sur votre tête, mais je respecte aussi le mi-
nistère sacré dont je suis revêtu. Je suis
votre sujet, mais je suis ministre de Jésus-
Christ. Disposez de moi dans l'ordre de la
puissance temporelle, mais n'attentez pas à
la puissance spirituelle. Le secret de la con-
fession n'est pas un secret d'Etat, mais un
secret des consciences, sur lesquelles vous
n'avez aucun droit ; je ne le sais pas comme
homme, mais comme Dieu ; et, si j'ai horreur
de vos sacrilèges sollicitations, ce ne sont
pas les peines que l'Eglise a décernées cen-
tre les ministres indiscrets qui me l'inspi-
rent, mais l'énormité du crime que vous me
proposez.
Réponse digne d'un fidèle dispensateur
des mystères du Sauveur. Vous dites, 6
prince aveuglé par la passion, qu'il est à
propos que les rois et les césars n'ignorent
rien de ce qui se passe dans leurs Etats,
mais l'intérieur de la princesse regarde-t-il
le gouvernement de votre empire? ce qui se
passe dans le cœur de l'homme est du
ressort de Dieu seul. Examinez toutes les lois
des princes de la terre et des plus sages
législateurs; il n'y en a pas une qui défende
les désirs et les pensées; Dieu seul pouvait
dire dans sa loi sainte : Vous n'aurez point
de mauvais désirs, parce que lui seul a droit
sur le cœur de l'homme.
Quand la princesse me confie les secrets
de sa conscience, qu'elle me développe son
intérieur, qu'elle gémit à mes pieds, et
qu'elle arrose de ses pleurs les fautes qui
lui sont échappées, ce n'est pas comme à
votre sujet, mais comme à un prêtre qui re-
présente Dieu même ; c'est un sacrement que
j'administre alors, et non pas une affaire tem-
porelle que je négocie.
Réponse digne d'un des plus illustres con-
fesseurs de la foi. Après vous être efforcé
de m'amollir par les promesses les {il us flat-
teuses, vous vous efforcez de m'intimider
par l'appareil des supplices; mais je ne crains
point vos injustes menaces ; je ne crains que
les justes jugements de Dieu : Minas tuas
non timeo. Vous pouvez agir en tyran, pour
moi, j'agirai en prêtre de Jésus-Chist : Faciès
quod tyrunni., faciam quod episcopi.
Vous me menacez des cachots, des cheva-
lets, de la mort même; vous pouvez imiter
les tyrans : faciès quod tyranni, et moi j'i-
miterai la fermeté du grand Ambroise, qui
s'opposa à l'empereur Valentinien qui vou-
327
ORATEURS SACRES. BALLET.
H
lait mettre les ariens en possession des églises
des catholiques. La réponse du zélé défen-
seur de la foi de Nicée sera toujours celle du
défenseur du secret de la confession ; il fera
des martyrs aussi bien que la coiisubstantia-
litéduVerbe : faciam quod episcopi. N'est-ce
pas là, Messieurs, parler librement en faveur
du secret de la confession?
Si l'empereur offensé inédite des complots
de mort, Jean Népomucène va s'y préparer
avec une fermeté chrétienne.
Jean Népomucène n'aperçoit plus que les
images de la mort dans les reg mis, dans les
manières, dans les discours de Winccslas; il
s'y prépare en lié. os chrétien ; il ne peut l'évi-
ter sans crime, il l'attend sans frayeur: il a'mc
mieux mourir pour le secret de la confes-
sion, que de vivre après l'avoir révélé; un
religieux silence lui procurera la couronne
du'martyre; des paroles indiscrètes en au-
raient fait un lâche apostat.
Elle vient d'en haut , Messieurs , cette
fermeté, elle tient du prodige; dans les ca-
chots, dans les tortures, dans les honneurs,
dans la liberté, Jean Népomucène se prépare
au martyre: cette bouche éloquente, qui
s'est ouverte tant de fois pour annoncer les
vérités du salut, ne s'ouvrira jamais pour
satisfaii e la coupable curiosité de Winccslas.
Il veut intimider Jean Népomucène par l'ap-
pareil des supplices ; Jean Népomucène le
déconcerte par un profond silence. En vain
il le fait jeter dans un cachot obscur, la sa-
gesse y descend avec lui comme avec Joseph;
il le sanctifiera par ses prières, il ne le souil-
lera pas par un sacrilège aveu des seciets
des consciences; en vain il le fait étendre
sur les chevalets, et brûler avec des torches
ardentes ; les saints noms de Jésus et de
Marie sortiront de sa bouche pendant ses
cruels tourments, mais il n'en sortira aucune
parole contre le secret de la confession : on
se lassera de le tourmenter, il ne se lassera
pas de souffrir; il attend avec joie la mort
dont on le menace; et l'empereur attend en
vain qu'il se rende à ses sollicitations.
La scène change, Messieurs; les tyrans
savent que les caresses ne sont [tas moins
redoutables aux héros chrétiens que les tor-
tures ; Winccslas y a recours. Jean Népo-
mucène est remis en liberté, et rappelé
môme à la cour avec honneur; mais il con-
naît le cœur de Winceslas, il se prépare à de
nouveaux combats; l'image de la mort qu'il
doit souffrir le suit partout; il s'en occupe
comme son divin Maître, et elle a pour lui
autant de délices, que le crime qu'on veut lui
faire commettre a d'horreurs.
Oui, Messieurs, Jean Népomucène paraîtra
h la cour avec ses glorieuses cicatrices ; il
acceptera la table du prince, il pénétrera
môme avec lui dans le secret de son palais,
avec cette douceur, ce respect et cette obéis-
sance que les chrétiens ont toujours montrés
pour les secondes majestés, celles môme qui
déshonoraient leurs trônes par les persécu-
tions les plus sanglantes, comme nous l'ap-
prend Tertullien; mais sa langue y sera
toujours muette, lorsqu'on y parlera des se-
crets des consciences; les saints re.iuent ce
qui est dû à César, mais aussi les césars ne
peuvent point les empêcher de rendre à Dieu
ce qui lui est dû.
Vous lui tendez en vain de nouveau piè-
ges, malheureux prince : Jean Népomucène
a déjà souffert sous vos yeux pour le secret
de la confession , et il se prépare à mourir,
plutôt que de satisfaire votre sacrilège curio-
sité.
Nous admirons, Messieurs, la fermeté de
ce saint prêtre, qui attend la mort, qui s'y
prépare; et nous ne rougissons pas ue ces
lâches complaisances qui déshonorent le
christianisme efnous creusent l'enfer.
Le respect humain, les maximes du monde,
les usages de la cour-font tous les jours de
lâches déserteurs de la morale de l'Evangile,
et souvent des prévaricateurs de la loi de
Dieu.
La sanctification des jours spécialement
consacrés au service du Seigneur, les sages
lois de l'abstinence et du jeûne, le saint
temps du carême, une vie pure, innocente,
occupée, sont certainement des obligations
indispensables pour tous les chrétiens; l'E-
glise honore, dans ses fastes, des héros qui
ont souffert la mort, plutôt que de manquer
à ces devoirs importants de là religion. Ce-
pendant que voit-on dans notre siècle? Une
dissipation criminelle, des hommes livrés
sans réserve aux plaisirs, des spectacles , de
longues séances de jeu, des veilles et des
excès, et presque point de pénitence. Per-
mettez-moi, Messieurs, mon ministère et ma
religion m'y obligent, d'appeler cette con-
duite des fidèles de nos jours, une infraction
publique des maximes de l'Evangile.
Ah! si Jean Népomucène n'eût pas craint
plus que vous d'offenser Dieu, de commettre
un crime, il ne se serait pas préparé avec
tant de fermeté à mourir pour le secret de la
confession.
Quel usage fait-il de la liberté que le prince
lui accorde par politique? 11 l'emploie à se
préparer à la mort; persuadé que l'apos-
tolat d'un prêtre ne doit finir qu'avec sa vie,
je le vois reparaître dans les chaires chré-
tiennes : ce corps affaibli par de longs et de
cruels tourments, se livre encore aux péni-
bles travaux du ministère; il ouvre, pour
l'instruction des peuples, une bouche qu'il a
condamnée au silence pour l'honneur de la
religion.
Déjà je l'entends annoncer en prophète du
vrai Dieu les approches de sa mort à ses
auditeurs, j'entends sortir de sa bouche ces
oracles du ï^auveur avant de retourner à son
Père : Encore un peu de temps, et vous ne
me verrez plus. (Joan., Vil.) Le cœur du
prince n'est pas changé, Dieu m'a fait la
grâce de ne point changer non plus ; il m'im-
molera à sa fureur, parce qu'il ne pourra pas
me faire succomber à ses sacrilèges sollici-
tations.
Déjà les hérésiarques, qui devaient trou-
bler l'Allemagne, se présentent à lui; il an-
nonce les funestes succès de l'hérésie dans
ces Etats si florissants, et où la religion ca-
3-2!)
PANEGYRIQUES. — PANEG. XVI , SAINT JEAN NEPOMUCENE.
530
tholiquo ét.'iit si paisible et si étendue.
Déjà je le vois voler à Boleslavie pour se
prosterner au pied d'une image miraculeuse
de la sainte Vierge: c'est là qu'il s'abîme
dans cette dévotion tendre qu'il avait tou-
jours eue pour la Mère de Dieu; c'est là
qu'avec tous les Pères du concile d'Ephèse,
il implore sa puissante protection au moment
de sa mort.
Il approchait, Messieurs; Wenceslas se
préparait à consommer ses mystères de
cruauté ; déjà les ordres étaient donnés : mais
Jean Népomucène s'est préparé à ce grand
sacrifice avec une fermeté chrétienne ; c'est
pourquoi il montrera une fermeté héroïque,
lorsqu'il faudra le consommer pour le secret
de la confession. Ce point important de notre
religion aura des martyrs aussi bien que les
autres; Jean Népomucène sera le premier:
mais si l'enfer suscitait encore des Wences-
las, la grâce de Jésus-Christ est toujours la
même, nous aurions encore des mari vrs du se-
cret de la confession, quoi qu'en dise l'hérésie.
Ce ne sont point les tourments que l'on
soutire, dit saint Augustin, qui font les mar-
tyrs, mais la cause que l'on défend : Non
pœnû., srd causa, facit martyr em.
C'est en vain que l'orgueilleuse hérésie,
I oiirsuivie par les princes catholiques, vante
les supplices auxquels les apôtres de l'erreur
ont été condamnés; les pal mes et les couronnes
ne sont destinées qu'à ceux qui souffrent pour
la vérité : l'Eglise n'honore dans ses fastes
que ceux qui ont donné leur vie pour sceller
les vérités de la religion.
Ces principes posés, Messieurs, Jean Né-
pomucène ne doit-il pas être compté parmi
ces généreux athlètes qui ont soutenu de
grands combats, et qui ne sont arrivés à la
gloire immortelle qu'après avoir passé par de
grandes tribulations?
Le secret de la confession est la cause de
son martyre : c'est pour le garder inviola-
blement qu'il donne sa vie avec une fermeté
héroïque; il meurt pour les saintes lois du
sacrement de pénitence ; la gloire du martyre
lui est duc légitimement : Causa facit mar-
tyrem. Oui, Seigneur, vous soutiendrez par
votre grâce ce grand héros de la foi dans le
dernier combat que le furieux Wenceslas va
lui livrer; vous couronnerez de la gloire du
martyre ce religieux silence qui honore le
sacrement de la réconciliation, qui confond
d'avance les erreurs des sectaires qui doivent
désoler l'Allemagne, et qui console tous
ceux qui font à vos ministres un humble
aveu de leurs fautes les plus secrètes.
Ne craignez pas, Messieurs : cette dernière
scène va mettre Wenceslas au rang des Né-
ron et des Dioclétien , et Jean Népomucène
au rang des martyrs que le ciel a couronnés.
L'empereur paraît, il montre des yeux étin-
celants, un visage allumé du feu de la colère;
il fait entendre une voix menaçante, il est
environné des ministres de sa cruauté ; il n'a
qu'un mot à faire entendre à Jean Népomu-
cène : le détail de la conscience de la prin-
cesse, ou la mort.
Jean Népomucène parait avec cette tran-
OnATEUBS SACRÉS. L.
quillité et cette douceur qui lui étaient na-
turelles; il montre cette fermeté héroïque
que la grâce de Jésus-Christ donne aux con-
fesseurs de la vérité; il ne repond rien ; c'e.ct
le silence qui doit lui procurer une couronne
immortelle, c'est lui qui va lui procurer la
mort : le signal est donné, on l'enlève , on le
précipite dans la Molde.
Ah ! Seigneur, qui êtes admirable dans vos
saints, Jean Népomucène demeurera-t-il en-
seveli dans les abîmes des eaux, pendant nue
l'impie Wenceslas règne sur un trône écla-
tant? Non, Messieurs; une gloire brillante
suit de près la mort du juste, et l'ignominie
est le partage de l'impie. Voici de grandes
scènes, voici les oracles de l'Ecriture accom-
plis ; on se ressouvient du juste pour lui
donner des louanges, et le nom du pé-
cheur devient odieux à la postérité la plus
reculée : Memoria ju'sti cum (ûu'dibus, et no-
men impiorum putrescet. (Prov., X.) Ce bril-
lant spectacle, ces rayons ce gloire qui
avaient environné le berceau de Jean Népo-
mucène, paraissent dans l'endroit où on l'a
précipité; ces phénomènes décèlent ce pré-
cieux dépôt; le clergé et le peuple, qui n'i-
gnoraient pas la cause de son martyre, lui
rendent les honneurs dus à sa sainteté et à
son héroïque fermeté : Memoria jusli cum
la tdibus. Pour l'empereur,troublé, agité dés-
honoré, il n'a plus dans toutes les bouches
que le nom odieux de tyran : Nomen impio-
rum putrescet. En vain les disciples de Jean
IIus et de Jérôme de Prague s'efforcent-ils de
détruire son sacré tombeau; la main puis-
sante du Très-Haut le conserve contre tous
les attentats de ces sacrilèges : il y sera un
monument perpétuel de la gloire que Dieu
procure à ses serviteurs, un glorieux trophée
érigé au silence de Jean Népomucène , et un
sujet de confusion pour tous ceux qui com-
battent la confession auriculaire. La voix des
miracles y a fat et y fera dans tous les siè-
cles l'éloge du silence de ce saint prêtre ; sa
langue conservée incorruptible dans le tom-
be;; ii, y publie hautement la justice de la cause
qu'il a soutenue iMenit riajusticum hindi as ;
et si l'impie Wenceslas occupe une \ lace dans
nos histoires, ce n'est que pour raconter ses
honteux excès et flétrir sa mémoire, comme
il a lui-même avili son trône et flétri sa cou-
ronne : Nomen impiorum putrescet.
On a vu les majestés de la terre proster-
nées au tombeau de Jean Népomucène et
solliciter l'établissement de son culte; on y
a vu les malades guéris, les aveugles éclai-
rés, une puissance invisible punir avec éclat
les mépris et les railleries des protestants et
des libertins : Memoria jusfi cum laudibus;
maison n'a jamais pensé au tombeau de l'im-
pie Wenceslas, on l'a laissé dans un honteux
oubli ; si on le compte parmi ceux qui ont
occupé le trône impérial et celui de Bohême,
on a soin d'avertir la postérité qu'il était in-
digne de régner : Nomen impiorum putrescet.
Y'ous dirai-je (pie jamais culte ne s est établi
si rapidement et si universellement que celui
de saint Jean Népomucène, et que je pour-
rais dire de lui roqueThéodoretdit de cet in-
11
comparable solitaire de l'Orient, du grand
Siraéon St> lite ?
11 nuus assure qu'il n'y avait pas une fa-
mille dans Rome qui n'eût l'image do ce
serviteur de Dieu; que les pauvres et les
riches la portaient avec respect , et qu'elle
était dans tous les oratoires.
N'est-ce pas , Messieurs , la même chose
dans toute la Bohême? L'image de Jean Né-
pomucène n'est-elle pas portée avec vénéra-
tion par les souverains comme par les sujets ?
Cette dévotion n'a-t-elle pas passé dans
la magnifique cour de France? Eclairés sur
le culte des saintes images, on porte sur les
OKATELKS SACRES. BALLET. S32
vêtements les plus précieux celle du grand
défenseur du sacrement de pénitence : on
porte sa vénération à l'objet représenté; on
se met singulièrement sous sa protection, et
on lui rend un tribut annuel de louanges :
Memoria justi cum laudibus.
Puisse, Messieurs, le récit d'une vie si édi-
fiante toucher nos cœurs, les détacher des
objets séduisants du siècle, et nous faire
préférer la mort à la moindre transgression
de la loi de Dieu.
C'est honorer les saints selon l'esprit do
l'Eglise, que de les imiter'; marchez sur
leurs traces, vous parliperez a leur gloire. Je
vous la souhaite. ■
SUJETS DIVERS.
SERMON I".
Sur LE SACRÉ COEUR DE JÉS' s.
Prononce dans l'église des RR. PP. Récolte!*,
à Versailles, le 27 juin 17V5.
Sicut dilexit me Pater, et ego dilexi vos : manete in cli-
leitione mea. {Joitn., XV.)
Comme mon père m'a aimé, je vous ai aimés : demeurez
dans mon amour.
C'est à l'amour divin que je consacre ce
discours : je vais faire l'éloge du sacré cœur
de Jésus; ce sont ses mystères de charité
que je vais m'efforcer de développer. Déjà
vous pensez à mon insuffisance: vous savez
qu'il faudrait un apôtre de la charité, pour
parler dignement de celle du Sauveur; je
n'ai ni ses expressions tendres, ni ses sain-
tes ardeurs, ni ses traits enflammés. Le cœur
«le Paul répondait au cœur de Jésus-Christ :
ses sentiments intérieurs étaient conformes
aux siens, aussi saint Chrysostome n'a-t-il
pas fait dilfioullé de dire que le cœur du
grand Paul éta:t le cœur de Jésus-Christ ?
Cor Pauli, cor ernt Christi.
Oui, Messieurs, je sens mon insuffisance ;
et je sais qu'il faudrait l'amour le plus tendre
pour louer celui de Jésus-Christ. Nous som-
mes plus capables d'adorer ses sentiments
intérieurs, que de les raconter; mais, comme
selon saint Augustin, on n'honore bien Dieu
qu'en l'aimant, je viens seulement vous dire
(pie vous ne pouvez reconnaître l'amour de
Jésus-Christ pour vous, que par votre amour
pour lui: l'homme a une place dans le cœur
de Jésus: il faut que Jésus ait une place
dans le cœur de l'homme : n'est-ce pas ce
qu'il vous dit par ces paroles : Je vous ai aimés,
demeurez dans l'amour : dilexi vos, manete
in dilectione.
La charité se refroidit tous les jours, mais
elle n'est pas éteinte; il y a encore des cœurs
qui en sont embrasés: les rapides progrès
que la dévotion au sacré cœur de Jésus a
laits depuis plusieurs années, consolent l'E-
glise et tous ceux qui lui sont soumis: on
s'affligeait déjà de voir un grand déchet dans
la piété: les productions de l'esprit et du
cœur ne respiraient que l'indépendance et
la passion : une âme pure et innocente a levé
la première l'étendard de cette dévotion ;
bientôt elle s'est étendue avec magnificence
dans toutes les villes: la cour de France,
qui dans tous les temps a opposé à la licence
la plus effrénée la piété la plus tendre, a
voulu contribuer à son agrandissement:
quelle joie pour le souverain pontife, quand
il a vu le zèle d'une grande reine, pour l'é-
tendre jusque dans son palais ! Quel exemple
pour nous, quand nous la voyons présente h
ses solemnités, et se faire un devoir d'ins-
crire son nom dans ses fastes 1
Mais que vous apprend cette dévotion,
chrétiens ? Le voici : Que vous avez une place
dans le cœur de Jésus, et que Jésus veut
avoir une place dans votre cœur.
Jésus-Cbrist a aimé l'homme. Jésus-Christ
'veut être aimé de l'homme : dilexi vos ma-
nde in dilectione. — Ave, Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
Les sentiments intérieurs de Jésus-Christ
exigent nos adorations les plus profondes, et
sont au-dessus des expressions les plus su-
blimes; c'est le privilège des âmes parfaites
et tranquilles, de pénétrer dans le cœur ado-
rable de Jésus: c'est aux Bernard, aux Bo-
naventurc, aux François de Sales, aux Jean
de la Croix, aux Thérèse, ces mystiques ca-
tholiques, qu'il a été donné de parler digne-
ment de ces mystères cachés de l'amour du
Sauveur: je parle devant un auditoire qu'il
faut instruire : et ce sublime sacré ne serait
pas à la portée de tout le monde: les âmes
solidement pieuses sentent ce qu'elles ne
sauraient expliquer: on est plus heureux
quand on sent l'amour divin, que quand on
sait le définir: il est donc important, chré-
tiens, que vous appreniez que l'homme a
une place dans le cœur de Jésus-Christ,
33;
SUJETS DIVERS. - SERM. I" , SACRE COEUR DE JESUS.
354
par ce que JéMis-Chrisia fait pour l'homme
même: or voici ce que la religion vous en-
seigne.
La Judée a -été le théâtre de l'amour de
' Jésus-Christ pour les pécheurs : le Calvaire
a. été le théâtre de l'amour de Jésus-Christ
pour tous les hommes: l'autel est le théâtre
de l'amour de Jésus-Christ pour les enfants
de son Eglise. Cœur tendre de Jésus qui re-
cherche les pécheurs avec bonté; cœur im-
mense de Jésus, qui comprend tous les hom-
mes dans le sacrifice de la croix; cœur cons-
tant de Jésus qui s'immole tous les jours
pour les enfants de son Eglise sur l'autel :
ce sont là, chrétiens, les preuves sensibles
de l'amour de votre Sauveur: voilà ce qu'il
voulait faire pour vous, lorsqu'il disait: Je
vous ai aimés : dilexi vos. J'offre de trop
grands objets à votre piété, pour vous de-
mander votre attention.
Ne sortons point de l'Evangile, chrétiens,
c'est dans cette histoire des actions mémo-
rables du Sauveur, qu'on découvre tous les
sentiments de son cœur pour les pécheurs.
Us font le grand objet de sa mission. Ici il
nous dépeint ses fatigues , pour les aller
trouver dans leurs égarements :là, ses larmes
précieuses sur l'endurcissement des cœurs
obstinés : tantôt il nous représente l'aimable
prodigalité avec laquelle il accorde ses fa-
veurs à ceux qui sont" touchés de leurs cri-
mes: tantôt il nous le montre comme un
zélé défenseur de la sincérité de leur péni-
tence : sous quels innocents emblèmes ne
nous représente-t-il pas sa patience à les at-
tendre, et son allégresse, lorsque, dociles
aux charmes de sa grâce, ils se rangent sous
son empire?
Loin de nous ces pharisiens orgueilleux
et austères, qui abattent le pécheur. Le pé-
cheur a une place dans le cœur de Jésus.
Paraissez, pécheurs et pécheresses, plus
fameux encore par votre pénitence que par
vos crimes. N'est-ce pas sa douceur qui vous
a attirés? N'êtes- vous pas autant de trophées
érigés à sa clémence et à sa miséricorde?
L'enfer a été creusé pour les pécheurs obsti-
nés ; le cœur de Jésus a toujours été ouvert
pour les pécheurs touchés et convertis.
Cœur tendre de Jésus qui s'occupe des pé-
cheurs, dans le sein même de sa gloire. Dans
les grands projets de la miséricorde de notre
Dieu, le pécheur y tenait le premier-rang:
tranquille sur les justes, toute sa sollicitude
se tourne du côté de ceux qui languissent
sous le poids de leurs infirmités : assuré do
ceux qui marchent dans les sentiers de la
justice, il ne parle qu'à ceux qui errent aveu-
glément dans les routes de la perdition; ils
semblent être les uniques objets de sa ten-
dresse. Pourquoi cela, Messieurs? c'est que
votre Dieu ne punit qu'à regret: son cœur
s'ouvre au pécheur qui le suit ; son cœur est
au juste qui le sert. Il semble oublier ceux
qui sont à lui, pour gagner ceux qui s'en
sont éloignés. C'est le vrai sens, Messieurs,
de ces paroles : Je ne suis point venu appe-
ler les justes, mais les pécheurs: Non veni
vocarejustos sed peccatores. (Luc, W
Cœur tendre de Jésus, qui s'expose au\
fatigues d'un long voyage, pour t hercher
une femme plongée dans les ténèbres cie
l'erreur, et souillée par de honteux plaisirs.
Approchez, infortunée Samaritaine, Jésus
vous attend, il s'est lassé et fatigué pour
venir au bord de cette fontaine : Fniùjatus ex
ilinere (Joan., IV) : vous ne le connaissez
pas, et vous avez une place dans son cœur;
vos crimes vous perdraient, il veut vous
sauver; sa bonté ingénieuse vous fait avouer
vos erreurs et vos dérèglements ;et les char-
mes de sa grâce triompheront de tous vos
obstacles; vous serez sa conquête et son apô-
tre même dans Samarie. Quels crimes, Mes-
sieurs, plus capables d'éloigner de Jésus-
Christ que l'erreur et l'adultère? Mais les
plus grands crimes peuvent-ils fermer pour
toujours le cœur de Jésus-Christ; il l'ouvre
5 tous les pécheurs, il ne le ferme qu'aux
endurcis.
^Cœur tendre de Jésus qui pleure la triste
destinée des pécheurs. S'il mouille le tom-
beau de Lazare de ses pleurs, ce n'est pas la
mort de ce disciple chéri qui les fait couler.
Arbitre absolu, il était sûr qu'elle perdrait
son aiguillon et ses trophées, dès qu il ferait
entendre sa voix qui est une voix de magni-
ficence, et que le séjour de la mort devien-
drait le séjour des vivants. Mais c'est que
Lazare, (lisent les saints docteurs, représen-
tait le pécheur d'habitude : c'est la perte de
ces hommes criminels que Jésus -Chri.-t
pleure. Son cœur, qui voudrait qu'aucun ne
périsse, est touché du sort de ceux qui ne
veulent point se sauver. Rappelez-vous en-
core, Messieurs, les larmes que notre Sau-
veur répandit en portant ses regards sur
l'ingrate Jérusalem. Ce peuple obstiné avait
donc encore une place dans son cœur.
Cœur tendre de Jésus, qui prodigue ses
caresses aux pécheurs. N'est-ce pas sous
l'image d'un enfant prodigue, touché de sa
dissipation, qu'il nous peint cette aimable
prodigalité de ses grâces et de ses faveurs?
Cœur tendre de Jésus, qui prend Ja dé-
fense des pécheurs convertis. Que Simon,
cet austère censeur de sa bonté envers Ma-
deleine, murmure et étale sa pieuse criti-
que; que les pharisiens sévères et scrupuleux
le somment de condamner le femme adul-
tère : sa bonté ne confond-elle pas ces faux
zèles? Ne devient-il fias l'apologiste delà
pénitence qu'elles embrassent? N'ont-elles pas
un zélé défenseur contre leurs ennemis?
Leur grande misère trouve une grande mi-
séricorde, dit saint Augustin. Le cœur rie
Jésus s'ouvrait pour elles avant leur conver-
sion; elles en sont en possession après leur
conversion.
Cœur tendre de Jésus, qui attend avec pa-
tience le pécheur. N'est-ce pas la patience de
Jésus-Christ que les prophètes ont dépeinte,
lorsqu'ils ont dit qu'il ne briserait point le
faible roseau; qu'il conserverait précieuse-
ment la moindre étincelle, et lui donnerait
le temps de former un feu éclatant. Que des
hommes animés de faux zèle se préparent k
arracher l'ivraie, ne condamne-t-il pas ceUg
ORATEURS SACRES. BALLET.
Zr>6
précipitation'? N'ordonnc-t-il pas qu'on at-
tende jusqu'à la moisson? Que signifient,
chrétiens, ces miséricordieuses lenteurs de
Jésus-Christ, lorsqu'il s'agit de punir les pé-
cheurs, sinon qu'il punit à regret, et que
l'homme no trouve plus de place dans son
cœur que lorsqu'il est endurci? Ne pensez
pas que la Judée ait été le seul théâtre de
l'amour de Jésus-Christ. Le cœur de Je' us-
Christ est un cœur immense qui comprend
tous les hommes. Le Calvaire est le théâtre
où il a signalé son amour pour tous les hom-
mes, sans en excepter un seul.
Voilà donc, chrétiens, le grand spectacle
que j'odre à vos yeux, pour vous prouver
l'amour immense de votre Dieu: le Calvaire.
Un Dieu qui meurt pour le péché, un Dieu
qui expie le péché, un Dieu qui venge le
péché, un Dieu offensé par le péché. Toute
autre victime aurait été immolée inutile-
ment ; son sang seul pouvait apaiser le Sei-
gneur irrité ; sa mort seule pouvait satisfaire
à la justice divine.
Or, dans ces prodigieux abaissements de
sa passion, dans ces opprobres de la croix,
dans ces excès de ses douleurs qui abattent
son humanité sainte, dans tous ces fameux
oracles qu'il prononce sur le Calvaire; c'est
cette volonté sincère qu'il a de sauver tous
les hommes qui m'étonne le plus.
Quand je pense que ce sang adorable est
d'un prix infini ; quand je pense que tous
les hommes peuvent en profiter, je ne sau-
rais m'empêcher de m'écrier : O cœur im-
mense de Jésus-Christ qui comprend tous
les hommes, les pécheurs et les justes ! C'est
donc en consommant ce grand sacrifice de
notre réconciliation, Messieurs, que Dieu
nous a montré toute l'immensité de son
amour. Le Calvaire est le théâtre de cette
charité universelle qui n'exclut aucun mor-
tel de son cœur : Nolcns aliquos perire. (II
Pétri, 111.)
Le perfide apôtre qui le trahit avait une
place dans son cœur; il méprisa les caresses
d'un Dieu offensé, et il persévéra dans le
crime qu'il avait médité; le désespoir cou
somma sa réprobation ; l'espérance l'aurait
animé à la pénitence. Dieu voulait, dit saint
Chrysostome, sincèrement le sauver, et il
s'est perdu volontairement. Dieu lui ouvrait
son cœur en lui offrant des grâces, et il lui
fermait le sien par le mépris de ses bien-
faits : tout sacrilège qu'il était, Dieu ne vou-
lait point sa perte, mais son salut : Nolens
aliquos perire.
Les Juifs, disent les saints docteurs, ré-
pandaient le sang de Jésus-Christ sur le
Calvaire par une détestable fureur ; Jésus-
Christ offrait son sang à son Père pour leurs
péchés par un amour immense; ils étaient
tous placés dans son cœur dans le temps
même qu'ils crucifiaient son corps; il vou-
lait les sauver, lorsqu'ils s'opiniâtraient à se
perdre. N'est-ce pas sur la croix même qu'il
implore la clémence de son Père en leur fa-
veur; prière indignedecet aimahle Sauveur,
i'il n'eût pas voulu sincèrement leur salut.
Ahl la perte des Juifs vient d'eux-mêmes :
.ils n'ont pas voulu entrer dans le cœur de
Jésus, et ils ont péri contre son gré : Nolens
aliquos perire.
Le criminel qui expire à ses côtés clans
l'impénitence était placé dans son cœur,
comme celui qui a confessé sa Divinité : il
n'était pas exclu des mérites de sa mort et
de son sang; il n'a pas voulu en profiter. La
signification mystique de la gauche et de la
droite n'aura lieu qu'au jour des vengean-
ces, et c'était le jour des miséricordes; il
] érira à côté de Jésus-Christ, parce qu'il a
endurci son cœur, aussi bien que les Juifs,
à l'éclat des miracles qu'il avait opérés dans
la Judée, aux traits" de divinité qui éclataient
sur la croix, et au grand exemple que lui
donnait le compagnon de ses crimes. Le Sau-
veur voulait sauver l'un et l'autre ; son cœur
était ouvert pour tous les deux : il a reçu la
pénitence de l'un, il ne voulait pas l'impé-
nitence de l'autre : Nolens aliquos perire.
Voyez donc quel est le cœur de Jésus-
Christ, Messieurs, qui comprend tous les
hommes, et qui veut les sauver tous 1 Repré-
sentez-vous tous ces peuples immenses qui
devaient se succéder dans tous les siècles,
tous ces hommes plongés dans les ténèbres
de l'idolâtrie , ces villes, ces provinces, ces
empires que l'erreur a séduits, tous ceux
que le monde corrompt, qu'il fait marcher
dans les routes du crime, et qu'il attache à
son char: le cœur de Jésus les comprenait
sur la croix lorsqu'il consomma son sacrifice,,
il voulait sincèrement les sauver tous: il ne
voulait fias la perte d'un seul, dit l'apôtre :
nolrns aliquos perire.
Le démon, dit saint Augustin, louera hau-
tement l'amour immense de Jésus-Christ
pour tous les hommes au jour des vengean-
ces; il confessera publiquement qu'il n'en-
traîne dans les enfers que ceux qui se sont
perdus volontairement: il ne dira pas, dit
ce saint docteur: Livrez-moi, souverain juge,
celui que vous avez rebuté, celui que vous
avez réprouvé, et dont vous n'avez point
voulu; mais celui qui n'a pas voulu répondre
à votre amour, à vos grâces, qui a refusé
opiniâtrement d'entrer dans votre cœur :
Jubé meum esse qui tuus esse noluit.
Personne n'est donc exclu, Messieurs, du
cœur de Jésus, il est assez immense pour
comprendre tous les hommes. En vain l'hé-
résie a-t-elle voulu le rétrécir , ce cœur im-
mense: en vain prétend-elle que Jésus-
Christ n'est mort que [tour les seuls élus, et
exclut-elle du cœur de Jésus sur la croix
tous ceux qui ne profitent pas des mérites
infinis de son sang, et qui se perdent vo-
lontairement; l'Eglise a frappé d'anathème
ces erreurs, et elle proscrit tous ceux qui
les renouvellent comme injurieuses à I a-
mour de Jésus-Christ sur la croix. Pour
nous, Messieurs, qui avons la consolation
d'être les enfants de l'Eglise, entrons dans
le cœur de Jésus; son amour est constant
pour notre salut. Approchons de l'autel, c'é: t
là le théâtre de sa charité pour les enfants
de son Eglise.
Ah! que n'ai-je ici la charité des sera-
537
SUJETS DIVERS. — SERM. I" , SACRE CŒUR DE JESUS.
35S
phins, pour vous raconter les merveilles
dont le cœur adorable de Jésus-Christ fait
un abrégé avant de consommer le sacrifice
de la croix. Il faudrait des traits de feu, et
non pas des paroles pour exprimer ces sen-
timents. Ecoutez, Messieurs, le disciple bien-
aimé, il a reposé sur sa poitrine, les secrets
de son cœur lui ont été révélés : que n'ap-
prend-on pas dans le sein de Jésus? Lui
: eul, en peu de mots, va nous développer la
magnificence et la durée de son amour.
i Jésus, dit-il, voyant que l'heure de con-
sommer son sacrifice sur la croix appro-
chait : scions quia venit hora : comme il
avait aimé les hommes, il voulut leur laisfer
un gage éternel de son amour: cum dilexis-
set suos, in fîncm dilexit eos. (Joun., XIII.)
Et quel est, Messieurs, ce gage perpétuel de
l'amour de notre Dieu, quel est ce monu-
ment authentique de sa charité pour nous?
C'est le sacrifice de nos autels, ce sacrili. e
universel, ce sacrifice qu'on offre dans tous
les lieux du monde, ce sacrifice qu'on offre
tous les jours, et presqu'àtous les instants.
C'est là le gage de l'amour constant de notre
Dieu. Il fallait l'amour d'un Dien pour for-
mer ces projets de tendresse: il fallait la
puissance d'un Dieu pour les exécuter.
Ecoutez, chrétiens, et soyez saisis d'éton-
rement et d'admiration: le sacrifice de la
croix satisfaisait pleinement à la justice di-
vine, mais il ne satisfaisait pas entièrement
le cœur de Jésus-Christ. Il ne pouvait s'im-
moler qu'une fois d'une manière sanglante :
sa charité trouve le secret de s'immoler tous
les jours d'une manière non sanglante. Le
sacrifice du Calvaire une fois consommé
l'homme était réconcilié, mais il ne possé-
dait plus Jésus-Christ: le sacrifice du Cal-
vaire étant perpétué sur nos autels, l'homme
possède tous les jours Jésus-Christ. Un amour
immense avait attaché Jésus-Christ à la croix :
un amour constant le fait demeurer éternel-
lement sur nos autels. O cœur adorable de
mon Sauveur 1 Qui peut exprimer votre
amour pour l'homme? Il est aussi incom-
préhensible que votre présence réelle sur
nos autels, et votre présence dans le séjour
de la gloire. Disons donc, Messieurs, que
Je us-Christ, en instituant le sacrement de
son corps et de son sang, a fait un abrégé de
toutes les merveilles dont toute la puissance
d'un Dieu est capable: Fecit memoriam mi-
raliilium suorum. (Psal. CX.) Un Dieu seul
pouvait perpétuer son amour pour les
hommes d'une manière si tendre et si géné-
reuse.
O amour incompréhensible de Jésus-
Christ, qui fait ses délices de demeurer avec
les hommes 1 des hommes quelquefois épris
des choses de la terre, séduits par les trom-
peurs appâts du plaisir, remplis de projets
ambitieux, ou de coupables pensées.
O amour incompréhensible de Jésus-Christ,
qui obéit à la voix d'un faible mortel, qui se
niultfflie à chaque instant dans les mains
des prêtres qui devraient être saints, et qui
ne le sont pas toujours.
O amour incompréhensible de Jéus-
Christ, que les profanations et les satriléges
ne font point abandonner nos tabernacles ;
qui entre dans les cœurs souillés du péché,
comme dans ceux qui sont purifiés par la
pénitence ; qui se laisse approcher par les
impies et les indifférents !
O amour incompréhensible de Jésus-
Christ, qui attend avec patience les hom-
mages de quelques saintes âmes, et qui
souffre les mépris de toutes les autres; qui
est souvent sans adorateurs, pendant que- les
palais des rois ne sauraient contenir les
courtisans; qui est presque toujours seul
sur le trône de la miséricorde, parce que ce
n'est pas le trône de la fortune l
O amour incompréhensible de Jésus-
Christ, qui veut êtrela nourriture del'homme,
et dont l'homme néglige de se nourrir; qui
ne se rebute point des délais des uns et des
systèmes des autres; qu'on abandonne pour
suivre le torrent de la passion ou les pré-
jugés de l'erreur; qu'on ne désire point
pendant la vie, qu'on demande avec larmes
à la mort 1
O amour incompréhensible de Jésus-
Christ, qui ne se lasse point de l'indifférence
de l'homme, qui l'attend inutilement sur nos
autels, et qui va amoureusement le trouver
lorsque toutes les créatures lui échappent»
et qu'il est prêt de | asser dans l'immense
étendue de l'éternité !
Oui, Messieurs, quand on fait réflexion
sur l'amour constant de Jésus-Christ sur nos
autels, malgré la profanation, les sacrilèges,
les mépris et l'indifférence des hommes,
nous ne pouvons pas nous empêcher de nous
écrier: O cœur adorable de Jésus, vous ai-
mez donc bien l'homme, l'homme tout cri-
minel qu'il est a donc une place dans le
cœur de Jésus ! .
Je sais que l'amour constant de Jésus-
Christ reçoit de profonds hommages de
quelques saintes âmes; que l'on voit des
prêtres, des vierges, des vieillards qui en-
vironnent ce trône terrestre \ que l'on voit
les majestés de la terre prosternées aux
pieds des autels. Je sais les triomphes que
Jésus-Christ a remportés dans l'Eucharistie,
malgré la jalouse fureur de l'hérésie. Je sais
que cette arche sacrée est portée avec ma-
gnificence dans les rues de Sion, et que les
opprobres que l'hérésie a voulu répandre
sur ses solennités, n'ont servi qu'à rendre
ses fêtes plus pompeuses, et ses triomphes
plus éclatants: mais je sais aussi que les
triomphes du dogme de la présence réelle
sur l'hérésie ne serviront pas moins à con-
damner notre indévotion, qu'à attester l'a-
mour constant de Jésus -Christ sur nos au-
tels. Si l'homme a une place dans le cœur
de Jésus, Jésus doit avoir une place dans le
cœur de l'homme. Jésus -Christ a aimé
l'homme, dilecci vos; Jésus-Christ veut êlre
aimé del'homme, martelé in diiectione mea.
C'est le sujet de la seconde partie.
S£CO>DK PARTIE.
Tel est, chrétiens, votre bonheur, d'avoir été
aimés de Jésus-Christ; telle est votre gloire,
de pouvoir aimer Jésus-Christ. J'ose le dire,
5S0
ORATEURS SACRES. BALLET.
SiO
Jésus -Christ n'a pas fait éclater encore toute
sa bonté en nous donnant son cœur, en nous
demandant le nôtre, il l'a fait briller dans
toute sa magnificence. Notre bonheur est d'a-
voir une place dans le cœur de Jésus, notre
gloire est que Jésus désire une place dans
notre cœur. Qu'avez-vous fait, chrétiens, pour
être aimés de Jésus? Qu'êtes- vous, pour
(pie Jésus désire d'être aimé de vous?
Je ne dis pas assez, Messieurs, quand je
dis que Jésus-Christ désire d'être aimé de
vous : il !e veut, il vous en fait un précepte :
Manrte in dilectione mea. 11 connaît votre
cœur; il sait qu'il ne peut être sans amour,
il faut qu'il s'attache aux créatures ou au
Créateur; qu'il vole vers les objets sédui-
sants du siècle ou vers les objets immua-
bles de l'éternité; que les coupables plaisirs
du monde l'enivrent, ou que les douceurs
innocentes du ciel le comblent de consola-
tion. Il est fait pour aimer; Jésus-Christ veut
être aimé, il veut le cœur de l'homme, il veut
tout le cœur do l'homme, il veut toujours
demeurer dans le cœur de l'homme. Ainsi,
Messieurs, pour que le cœur de l'homme ré-
ponde au cœur de Jésus-Christ, il faut qu'il
soit tendre, généreux, constant ; c'est ce qu'il
nous ordonne par ces paroles : Demeurez
dans mon amour : Manete in dilectione mea.
Où sont-ils ces cœurs embrasés de l'amour
de Jésus-Christ; ces cœurs blessés des traits
de la divine charité, ces cœurs que les images
seules des travaux, des souffrances et des
miséricordes du Sauveur attendrissent? Où
brûlc-i-il ce feu sacré que Jésus-Christ est venu
apporter sur la terre? Dans quelques cœurs
purs, innocents, dans ces âmes paisibles et
tranquilles, qui méditent continuellement
les mystères de leur saint, et qui le veulent
sincèrement.
)Je trouve des cœurs tendres, faciles à en-
tamer, des cœurs qui s'attachent aisémenl ;
je vois couler des pleurs, j'entends de tristes
accents; mais ce sont les amorces du plais'r
qui entament ces cœurs tendres, ce sont les
flatteuses espérances du siècle qui les atta-
chent, ce sont des pertes terrestres, des mal-
heurs temporels qui font répandre ces larmes
et pousser ces tristes accents.
Qu'est-ce qu'un coeur tendre dans le monde?
C'est souvent un cœur criminel ; c'est un cœur
qui forme aisément des liaisons et qui les
rompt difficilement, qui reçoit avec plaisir
les plaies du péché, et qui se ferme aux im-
pressions de la vertu, qui gémit de ses enga-
gements et qui n'a pas le courage d'y renon-
cer, que l'image flatteuse du crime a séduit,
et que le crime a enchaîné.
Qu'est-ce qu'un cœur tendre dans le monde?
C'est souvent un cœur tout terrestre ; un cœur
sensible à la décadence ou à la fortune de ses
parents ot de ses amis, insensible aux dan-
gers de leur salut, qui s'afflige de leurs dis-
grâces, qui ne s'afflige point de leurs crimes,
qui pleure avec eux la perte des biens ou des
corps, qui ne pleure jamais la perte de la
grâce et des âmes, qui est touché de com-
passion pour les maux qu'il voit et qui ne
pense point à ceux qu'il ne voit pas.
Qu'est-ce qu'un cœur tendredans le monde?
C'est souvent un cœur tout profane, un cœur
que des malheurs imaginaires attendrissent,
que le récit d'une aventure fabuleuse pénè-
!re, que de brillants mensonges et de feintes
vertus rendent pitoyable, que les disgrâces
d'un héros de théâtre et les charmes sé-
duisants de la scène plongent dans la dou-
leur.
Le jeune Augustin est-il le seul qui ait
répandu des larmes en assistant aux specta-
cles, et ne se glorsiie-t-on pas tous les jours
de n'avo:r pu résister à la fiction ? Tout ce
que saint Chrysostome demandait de ses au-
diteurs, c'étaient des larmes. 11 était réservé
aux chrétiens de nos jours de les porter aux
théâtres.
Qu'est-ce qu'un cœur tendre dans le monde?
C'est souvent un cœur judaïque que les céré-
monies touchent, que la religion ne touche
point; qui est pénétré des représentations, et
qui ne l'est point des objets représentés; qui
pleure les malheurs qui suivent le péché et
qui ne déteste pas le péché qui les attire;
<[ue la manière de débiter certaines vérités
attendrit, et que les vérités n'effraient pas.
Rien de plus tendre que le cœur de l'homme;
les images [le séduisent, les plaisirs l'amol-
lissent, les malheurs l'attristent, les peines
qu'il voit le pénètrent, les maux qui le mena-
cent l'accablent; son cœur ou est toujours
enivré par le plaisir ou percé par la douleur.
Ah ! qu'il donne une place à Jésus dans son
cœur, qu'il aime Jésus avec cette tendresse
dont il est capable, et son cœur sera bientôt
calme et tranquille, Jésus-Christ veut être
aimé.
Un cœur tel que Jésus-Christ le demande,
Messieurs, c'est un cœur chrétien,, un cœur
pénélré de ce qu'il a fait pour l'homme; un
cœur occupé des abaissements de sou incar-
nation, des travaux de sa vie moi telle, des
souffrances de sa mort, des sacrements qu'il.
a institués, des grâces qu'il a prodiguées, de
la gloire qu'il nous a procurée. Un cœur
chrétien, c'est un cœur qui n'aime que. Jésus-
Christ, que Jésus-Christ trouve dégagé de
toute affection terrestre, où il habite avec
complaisance; c'est le cœur de cette sainte
amante de l'Evangile qui arrose ses pieds de
ses larmes, qui le suit sur le Calvaire, qui
recueille ses derniers soupirs et ses derniers
oracles, que le saint amour transporte encore
après sa mort, qui baigne son tombeau de
ses pleurs et qui est inconsolable jusqu'à ce
qu'elle l'ait vu. C'est le cœur de Paul si
enraciné dans la charité de Jésus-Christ qu'il
délie les tribulations, la faim, les chaînes,
les glaives de l'en séparer; qui avait l'avan-
tage de pouvoir dire qu'il ne vivait plus, mais
que c'était Jésus-Christ qui vivait en lui.
C'est le cœur d'une sainte, Thérèse, que le.
feu de l'amour divin consumait, qui aima t
Jésus-Christ dans les plus rudes épreuves,
dont les jours se sont écoulés dans de saintes
ardeurs, et qui est expirée dans les flammes
de la charité.
Un cœur chrétien, Messieurs, ce sera le
vôtre, si vous aimez Jésus-Christ. Ah! ma-
3H
SUJETS DIVERS. — SERM. I", SACRE CŒUR DE JESUS.
5!9
heur, anathème , feux de l'enfer, dit saint
Paul , pour tous ceux qui n'aiment pas le
Seigneur Jésus : Qui non umat Dominum
Jesum analhema sit. [Galal., I.) Malheur à
celui qui ne veut point donner une place à
Jésus dans son cœur, après que Jésus lui a
ouvert le sien; malheur aussi à celui qui
est réservé dans son amour, il veut un cœur
tendre, un cœur généreux.
Voulez-vous savoir, Messieurs, quelles
sont les erreurs et les illusions de l'homme
sur son cœur? C'est de se persuader folle-
ment qu'il peut le partager; c'est de suivre
ce système si solennellement proscrit et con-
damné dans l'Evangile, de vouloir être à
Jésus-Christ et(au monde, de vouloir l'aimer
et aimer d'autres objets que lui, de placer
dans son cœur avec Jésus l'idole de la vanité
et du mensonge, l'idole des plaisirs et des
richesses, l'idole de la grandeur et de la
prospérité, l'idole de son humeur et de ses
caprices. Jésus-Christ veut tout le cœur de
l'homme, parce qu'il lui a donné tout le sien ;
il faut donc que notre cœur immole géné-
reusement tout ce qui n'est pas digne de
Jésus-Christ, tout ce qui déplaît à Jésus-
Christ, tout ce qui ne peut pas demeurer avec
Jésus-Christ.
Votre cœur, chrétiens, est capable de cette
générosité, et ce qu'il fait pour le monde, il
le peut faire pour son Dieu.
Voyez un cœur qui désire la gloire, la
grandeur, les richesses, les plaisirs. Goûte-
f-il les douceurs du repos et les agréments
de la vie? Ne trouve-t-il point d'obstacles
pour parvenir à la gloire? Est-il sûr de la
conserver lorsqu'il l'a obtenue?
Les veilles continuelles, les profondes mé-
ditations, les brillantes productions, ces
ouvrages immenses, ces efforts de l'esprit
humain ont-ils toujours procuré aux savants
là gloire qu'ils espéraient? la ilatteuse espé-
rance de briller dans la république des lettres
leur a fait couler des jours sombres et péni-
bles; voyez ce que l'amour de la gloire fait
entreprendre.
Considérez tout ce qu'il en a coûté à cet
homme qui est parvenu à" une place émi-
nente. Avant d'être superbe, il a été modeste;
avant de commander, il a rampé ; il a fallu
employer la souplesse et l'intrigue, essuyer
les rebuts et souffrir les lenteurs, cacher
ses projets ambitieux , dissimuler son or-
gueil, respecter ses adversaires, flatter ses
ennemis. Ce n'était pas par vertu, c'était par
politique. Voyez les sacrifices que l'homme
fait pour parvenir à la grandeur.
Qu'est-ce qu'un cœur généreux et magni-
fique selon le monde? C'est quelquefois un
faux brave qui expose sa vie dans un com-
bat singulier; les liens les plus tendres, les
lois les plus sévères du prince, les plus sain-
tes maximes de l'Evangile, les peines éter-
nelles, rien ne l'arrête : il vole avec ardeur
répandre son sang ou celui de son ennemi.
Quel sacrifice pour la gloire du monde 1
Qu'est-ce qu'un cœur qui désire des ri-
chesses? Un cœur inquiet et agité, que l'ap-
pât du gain anime, que les pertes déconcer-
tent, que de nouveaux systèmes occupent,,
que de nouvelles acquisitions attachent, quo
la lenteur du commerce attriste, que la dé-
cadence d'un créancier alarme, que les
principes de la conscience gênent , que les
ressources de la cupidité rassurent, et qui
perd son repos présentement, dans l'espé-
rance d'être tranquille un jour à l'ombre de
ses richesses : quel sacrifice pour les biens
du monde 1
Qu'est-ce qu'un cœur livré au plaisir?
C'est un cœur esclave de ses passions . ty-
rannisé par ses passions, qui pèche d'abord
aveemystère, qui pèche ensuite avec éclat;
qui ménageait sa réputation, qui ne la mé-
nage plus; dont les intrigues étaient secrè-
tes, dent le crime est public; qui rompt les
nœuds les plus sacrés, qui forme les liens
les plus criminels, qui se glorifie des oppro-
bres de son péché et qui se moque du scan-
dale que donne son péché. Quel sacrifice pour
satisfaire ses coupables penchants?
Or ces sacrifices que l'homme fait pour
les objets de son cœur, Jésus-Christ les
exige; il veut les mêmes efforts, la même
générosité, la même magnificence. Que Jé-
sus-Christ occupe dans votre cœur la place
que le monde y occupe, et vous n'aurez plus
de réserve pour lui, comme il n'en a pas eu
pour vous. Pourquoi faites-vous plus pour
le monde que pour Jésus-Christ? C'est que
vous êtes plus attachés au monde qu'à Jésus-
Christ. Un cœur partagé n'a jamais été digne
du cœur de Jésus. Celui-là est bien avare,
dit saint Augustin, à qui Dieu ne suffit pas;
et moi j'ajoute que l'homme est bien insensé
de s'imaginer pouvoir partager son cœur.
Quand je vois des martyrs braver les plus
affreux supplices, monter avec intrépidi'é
sur les échafauds, chanter des cantiques
d'allégresse sous les glaives des tyrans, je
dis qu'ils aimaient Jésus-Christ sans réserve.
Quand je pense à ces saintes âmes qui fou-
laient aux pieds la grandeur du siècle, et
renonçaient à ses trompeuses richesses, que
l'Evangile immolait continuellement et quo
le monde tentait inutilement , je dis qu'elles
aimaient Jésus-Christ sans réserve.
Quand je vois à la cour des personnes que
le rang y .appelle et que la religion y occupe,
qui se prêtent à la grandeur et qui ne s'y
attachent point, qui donnent par devoir
quelques moments aux majestés de la terre,
et qui donnent les jours par inclination au
Dieu immortel; qui sont en présence du
prince, sans perdre la présence de Dieu, et
dans le tumulte et les délices de la cour,
sans cesser d'être recueillies et mortifiées ,
je dis qu'elles aiment Jésus-Christ sans ré-
serve : ce sont là les cœurs que Jésus-Christ
désire, des cœurs généreux et constants.
Remarquez, chrétiens, que Jésus-Christ no
dit pas seulement Aimez-moi, mais, Demeu-
rez dans mon amour : Manete in délections
mea. Des ardeurs passagères, un feu qu'on
laisse éteindre, des mouvements de ten-
dresse que les objets du siècle étouffent, des
attaches faibles qui se rompent aisément , un
cœur volage et errant , un cœur changeant et
343
ORATEURS SACRES. RAEEET.
ili
inconstant, un cœur qui s'ouvre et qui se
ferme, un cœur aujourd'hui tout de feu et
demain tout de glace, n'-est pas digne d'ôtre
occupé par Jésus-Christ. Comme il ne se plaît
que dans l'amour, dès que l'amour divin ne
règne plus dans son cœur, Jésus-Christ ne
s'y plaît plus; lui-même a posé ces lois sa-
crées : Demeurez dans mon amour, si vous
voulez que je demeure dans votre cœur :
Mande in delectionc mea.
La couronne immortelle ne sera accordée
qu'à la persévérance ; ces lâches déserteurs
delà foi, qui ont abandonné la doctrine des
apôtres, après l'avoir embrassée, et quelque-
fois soutenue avec éclat, qui avaient dé-
fendu l'Eglise avec zèle, et qui l'ont combat-
tue avec, fureur; qui ont fait sa douleur,
après avoir fait sa gloire, excitent nos re-
grets, après avoir attiré notre admiration.
One les Tertullien et les Origène seraient
grands, s'ils avaient persévéré dans la doc-
trine de l'Eglise! Mais en rompant l'unité, ils
ont perdu la charité; s'ils eussent été plus
constants, ils seraient plus heureux. Ces lâ-
ches déserteurs de la sainteté, ces astres
brillants qui se sont éclipsés, ces infortunés
fameux dans nos annales qui ont mal Bn;,
après avoir bien commencé, ces hommes
qui marchaient dans la roule du ciel, et qui
marchent dans celle de l'enfer; qui étaient
des modèles de vertu, et qui sont des modè-
les de débauche ; qui ne pouvaient compren-
dre à un certain âge comment on pouvait li-
vrer son corps à des voluptés criminelles, et
qui ne peuvent- point se persuader aujour-
d'hui qu'on puisse s'en passer; ils ont rossé
d'aimer Jésus-Christ, en cessant d'être inno-
cents; ils l'ont banni de leur cœur, en y
introduisant l'idole du péché; leurs cœurs
inconstants ont changé d'objets, leur desti-
née est aussi changée. La charité sera cou-"
ronnée dans le ciel. L'amour des créatures
sera puni dan.; les enfers.
Ah ! Messieurs, ce n'est pas pour certains
moments, certains jours, certains temps de
la vie que Jésus-Christ vous demande une
j'Jace, c est pour toujours: Mande in dilec-
tione mea. Si on méprise dans le monde un
cœur inconstant , ne doit-on pas en rougir
dans la religion.
Qu'un cœur change dans le monde, sou-
vent c'est politique ; il y a des amitiés qui
deviennent suspectes à la société; il y a des
hommes hardis et remuants, dont on redoute
les projets et les systèmes , dont on craint
les entreprises et lès conseils; c'est une sa-
gesse de s'en séparer.
Qu'un cœur change dans le monde, sou-
vent c'est prudence; il y a des liaisons qui
déshonorent; le public juge de nous par
ceux que nous fréquentons ; il décide qu'il
y a une conformité do mœurs et de senti-
ments, quand il aperçoit une union étroite
et des assiduités marquées; et quoique sa
malignité aperçoive ce que nous n'apercevons
pas, c'est une prudence de rompre ces liaisons.
Qu'un cœur change dans le monde, sou-
vent c'est la nécessité : les sociétés qu'on a
formées engagent à des dépenses, à une table,
à un jeu, à un luxe au-dessus do sa fortune;
c'est une nécessité de rompre avec ces socié-
tés : on est heureux de prévoir une chute
prochaine et une décadence humiliante.
Qu'un cœur change dans le monde, sou-
vent c'est vertu : il y a des personnes dont
l'amitié est dangereuse, qui inspirent lu
vice en donnant leur confiance ; dont les se-
crets, les confidences sont autant de leçons
du crime; qui n'ouvrent leur cœur avec sin-
cérité, que pour entrer dans celui des autres
avec plus de facilité, et qui se plaisent à par-
ler de leurs faibles, pour découvrir habile-
ment ceux de leurs amis : quand on aime la
vertu, on renonce- à ces amitiés.
Qu'un cœur change dans le monde, sou-
vent c'est perfect:on : il y a des personnes
qui sont heureusement détrompées du
monde ; persuadées du néant des gran-
deurs, des richesses et des plaisirs : après
avoir été édifié de leurs vertus, on ne doit
pas être étonné de leur retraite : c'est ainsi
qu'on voit quelquefois une jeune personne
se dérober à la cour, pour vivre dans le calme
et le silence : c'était un précepte d'y vivre
saintement, c'est une perfection d'y renon-
cer absolument.
Mais qu'un cœur change dans 1 ordre de
la religion; qu'il cesse d'aimer Jésus-Chrit
"pour aimer dos objets terrestres et périssa-
bles, qu'il bannisse Jésus de son cœur pour
y introduire l'idole de la passion, ah 1 c'est
un changement dont l'enfer seul j eut ôire
l'auteur. Qu'on se ) iqiie d'être constant
dans une amitié souvent trop tendre pour
être innocente, et qu'on ne rougisse point
d'être inconstant quand il s'agit d'aimer
Jésus-Christ, quel aveuglement ! Tel est le
nôtre, Messieurs, nous sommes persuadés
que Jésus-Christ nous a donné une place
dans son cœur, et nous lui en refusons une
dans le nôtre.
O cœur sacré de Jésus-Christ, recevez au-
jourd'hui nos adorations, nos prières et nos
sacrifices 1 Nous adorons vos sentiments in-
térieurs, et tout ce qui s'est passé clans ce
sanctuaire du plus pur amour; ces honneurs
infinis que vous rendez à votre père céleste,
ces projets de tendresse et de miséricorde
que vous formiez pour l'homme, et que vo-
tre charité immense a exécutés; nous ado-
rons ce (pie nous ne saurions expliquer :
bannissez de noire cœur tous ces objets ter-
restres et criminels qui le remplissent; qu'il
soit conforme au vôtre autant qu'il est possi-
ble; que la divine charité y règne, l'em-
brase, le consume. Donnez-nous le courage
de vous immoler tous les trophées de notre
orgueil, toutes les idoles de nos péchés, tout
ce qui nous attache, nous séduit, nous en-
chante, tout ce qui nous révolte, nous gône,
nous mortifie. O cœur sacré de Jésus-Christ,
que nos cœurs s'unissent aujourd'hui au vô-
tre 1 que les grandes merveilles que la cha-
rité seule peut opérer s'accomplissent; que
nous ne sortions point de votre cœur, et que
vous ne sortiez point du nôtre ; que vos sou-
haits aient leurs effets ; que nous ne soyons
qu'un avec vous, comme vous n'êtes qu'un
SUJETS DIVERS. — SERM. II , POUR UNE PROFESSION.
345
avec votre père céleste : divine et admirable
union, qui doit faire tout notre bonheur dans
l'éternité. Je vous la souhaite. Ainsi soit-il.
SERMON H.
POUR UNE PROFESSION.
Prononcé dans l'abbaye royale de Jouarrr, lo
ISju'in 1744.
Nolite diligere raundum, neque ca quœ in mundo sunt.
(I Joan., II.)
N'aimez point le monde ni toutes les choses qui sont dam
le monde.
C'est Dieu lui-même qui est l'auteur de
tous ces différents états qui régnent dans
l'univers, et qui en font toute la beauté. 11
est le Dieu du monarque et du sujet, de
l'homme public et de l'homme privé, du ri-
che et du pauvre, de celui qui vit dans le
tumulte, et de celui qui est caché dans la
solitude; des mères de familles, retenues
dans le siècle par un lien indissoluble, des
vierges enfoncées dans un cloître par des
vœux solennels. Tous ces états sont saints,
Dieu les approuve, on peut s'y sauver, ils ne
forment point par eux-mêmes co monde et
tous ces objets qu'il défend d'aimer : Nolite
diligere mundum, neque ea quœ in mundo sunt.
Les cours des rois, ces palais somptueux où
brillent la grandeur et la magnificence; ces
villes florissantes, ces amas d'édifices, co peu-
ple infini qui les habite ; tous ces grands
théâtres des sciences, ces académies célè-
bres, ces écoles fameuses, ces tribunaux
augustes où l'on décide des fortunes et de la
vie même des humains; tout cela, dit saint
Augustin, n'est pas le monde, c'est un arran-
gement de la Providence : et si vous me de-
mandez qu'est-ce que le monde? je vous
répondrai que ce sont ceux qui, par des at-
taches terrestres, des maximes perverses, des
usages profanes, des cupidités criminelles,
des desseins ambitieux, changent l'ordre de
Dieu et attachent leur cœur à toutes ces
choses qui doivent passer; ce ne sont point
ces états qui sont le monde, ce sont souvent
ceux qui les remplissent : Dilectores mundi,
mundus simf ;l'anathème n'est pas prononcé
contre ceux qui sont dans le monde, mais
contre ceux qui sont du monde. L'Eglise a
la consolation d'en voir à la cour et dans les
villes qui ne sont point du monde; elle a
quelquefois la douleur d'en voir dans les so-
litudes et dans les cloîtres qui sont du
monde : c'est à quoi il faut faire attention,
ma chère sœur. Dans ce moment de votre
sacrifice, vous allez faire des promeses so-
lennelles au Seigneur, un glaive spirituel
va vous immoler : vous allez entrer dans ce
tombeau mystérieux qui vous cachera avec
Jésus-Christ ; mais cet acte authentique de
votre immolation est une cérémonie d'un
moment, et le dépouillement du viel hdmme,
l'ouvrage de toute la vie. Ce n'est point le
monde qui damne, ce sont ses- maximes. Ce
n'est point le cloître qui sauve, mais les ver-
tus qu'on y pratique. Je ne vous cacherai
.16
point les obstacles que vous auriez trouvés
dans le monde , ni les avantages que vous
trouverez dans la retraite. La peinture que
je vais faire du monde vous fera sentir la
grâce que Dieu vous faite aujourd'hui; la
peinture que je vous ferai de la retraite vous
fera sentir vos obi 'gâtions jusqu'au tombeau.
Mais pour combattre des préjugés très-com-
muns et injurieux aux élus que Dieu s'est
choisis dans tous les états, posons des prin-
cipes certains. Les voici, retenez-les bien,
ma chère sœur.
Lesobstacles que vous auriez trouvés dans
le monde, ne rendent point le salut absolu-
ment impossible. Les avantages que vous
trouvez dans la retraite n'assurent point
infailliblement le salut. Il faut du courage
dans le monde pour surmonter les obstaejes.
Il faut de la fidélité dans la retraite i our
profiter des avantages. En deux mots , rno
oyez pas étonnée de ce dessein, car c'est
une vérité qu'il vous importe de savoir :
on peut se sauver dans le monde, malgré
tous ses obstacles; on peut se perdre dans
la retraite, malgré tous ses avantages. De-
mandons, etc. Ave, Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
Ouvrons les livres divins, ma chère sœur,
le feu de l'imagination, les grâces de l'élo-
quence n'auront point de part aux portraits
du monde que je vais vous tracer. C'est d'a-
près l'Espril-Faint que je vais vous le mon-
trer rempli d'écueils et de précipices, fécond
en scènes et en événements, redoutable dans
ses caresses, trompeur dans ses promesses,
attrayant quandil se montre, hardi quand il
attaque, fort quand il combat, glorieux quand
il a triomphé ; c'est encore d'après l'Esprit-
Saint que je vais vous le montrer fameux
par les naufrages, riche de nos dépouilles,
réjoui de nos défaites, parcourant tous les
états avec les appâts du vice et les amorces
du péché, se faisant ses adorateurs depuis la
cabane du pauvre jusqu'aux trônes des sou-
verains, et attachant orgueilleusement à son
char le plus grand nombre des humains sé-
duits et trompés. Mais malgré cette peintnro
effrayante du monde auquel vous allez re-
noncer solennellement, il n'est pas impos-
sible de s'y sauver : la main toute-puissante
qui vous dérobe à ces obstacles en soutient
plusieurs au milieu des dangers, les bons
sont mêlés avec les méchants, et tous les
élus ne sont pas dans la retraite.
Comment, cela, ma chère sœur? Le voici :
on te sauve dans le monde, pourvu qu'on
ne soit pas du monde ; voulez-vous des preu-
ves éclatantes de cette vérité? écoutez, jo
vous prie.
Jésus-Christ était dans le monde: In mundo
erat (Joan., I) ; il a parcouru, pendant trois
années, les bourgades et les villes; il a con-
versé avec les juifs, les prêtres, les docteurs,
les samaritains, les capharnaïtes, les phari-
siens, les sadducéens; il s'est trouvé avecles
publicains, les pécheurs, les pécheresses, in
mundo erat ; il était dans le monde, mais il
Ui
ORATEURS SACRES. BALLET.
SIS
n'était pas du monde, c'est lui-même qui fait
cette. distinction : Non sum de hoc mundo
{Joan., VIII) : on peut donc être dans le
monde sans être du monde, et ce n'est qu'à
cette condition que je dis qu'on peut se sau-
ver dans le monde. Venons aux apôtres : ils
étaient dans le monde, c'est le Sauveur lui-
même qui le dit : Inmundo sunt (Joan. XVII);
ils ont parcouru les provinces, les royaumes,
Ijs empires, ils sont entrés dans les sénats
l.'S plus fameux, dans les plus célèbres aca-
démies; ils ont vécu dans les villes les plus
florissantes , les plus voluptueuses, à Co-
rinthe , à Anlioche, à Alexandrie, à Rome;
leur pauvreté les obligeait d'accepter les
hospices qu'on leur offrait, in mundo sunt,;
ils étaient dans le monde, mais ils n'é-
taient pas du monde, non sunt de mundo.
(lbid.) 11 y a donc une grande différence
entre demeurer dans le monde et être du
monde ; c'est souvent une nécessité, une vo-
cation d'être dans le monde : mais c'est tou-
jours un crime d'être du monde. Aussi notre
divin Sauveur demande-t-il à son Père pour
ses disciples, non pas de les dérober au
monde, de les cacher dans la solitude, mais
de lés conserver dans les dangers qui les
environneraient de toutes parts : Non rogo
ut tollus de mundo, sed ut serves eos a malo.
(Ibid.) Pour vous, aujourd'hui, ma chère
sœur, Dieu vous dérobe aux dangers du
monde; c'est sa main qui vous a conduite dans
cette retraite; sa grâce vvous a soutenue dans
votre temps d'épreuve, et vous donne aujour-
d'hui le courage de vous immoler: vous au-
riez pu vous sauver dans le monde malgré
iOus ses obstacles, la religion nous l'apprend;
mais Dieu a eu d'autres vues sur vous.
L'esprit du monde, le langage du monde,
les occupations du monde : trois grands
obstacles au salut. 11 s'en trouve qui ont le
courage de les surmonter, vous y auriez
peut-être succombé avec la multitude : que
cette peinture du monde vous fasse bénir
aujourd'hui la main miséricordieuse qui vous
en a retirée.
L'esprit du monde, ma chère sœur, n'est
pas un esprit soumis et docile; l'orgueil,
(jui, selon saint Augustin, a enfanté toutes
les hérésies et les erreurs, érige un tribunal
chez tous les humains ; tribunal de la raison
humaine, où l'on cite audacieusement toutes
les vérités de la religion : c'est là que l'a-
théisme se fortifie, et que le système insensé
d'un monde formé par le hasard ose étaler
ses rêveries; c'est là que le déisme se fait
gloire de reconnaître un Etre suprême qui
ne s'est point manifesté au-dchors, qui n'a
établi aucune religion, et qui n'exige aucun
culte; divinité oisive et indolente, qui ne
présidé à aucun événement : mystères ado-
rables, religion sainte, accomplissement des
prophéties, certitude des miracles, témoi-
gnages de tous les siècles, vous êtes des
laides au tribunal que les déistes se sont
érigé; c'est à ce tribunal de la raison hu-
maine, que la fougueuse hérésie partage la
foi, adopte ou rejette les dogmes les plus
anciens ; c'est là qu'elle examine les écritu-
res, qu'elle accuse les papes, les conciîos,
les Pères de l'Eglise d'ignorance, d'injustice,
d'idolâtrie, et qu'elle enfante ces erreurs à
l'épreuve des anathèmes et des foudres de
l'Eglise; c'est àce tribunal que le schisme
forme ces coups éclatants, compose de sé-
duisantesapologiespour la révolte, et rassure
habilement ceux qui ont rompu l'unité ; c'est
là que la nouveauté artificieuse tourne en
ridicule la soumission des peuples, les dé-
cisions des souverains pontifes, les ouvrages
des plus grands évêques, le zèle des catho-
liques et toutes les pratiques de piété; c'est
là où elle justifie ses erreurs, ses artifices,
ses calomnies, 'ses révoltes, ses ravages;
c'est là que le fanatisme le plus grossier di-
vinise les scènes les plus indécentes, et qu'il
ose opposer à la beauté des camps d'Israël et
aux applaudissements des prophètes l'igno-
minie d'un peuple crédule et les acclama-
tions des faux docteurs. C'est là enfin que la
science qui enfle enfante tous ces ouvrages
où l'esprit est pour tout, et la religion pour
rien, où la raison, d'accord avec les sens,
forme ces raisonnements éblouissants qui
affaiblissent la foi et justifient le vice. Ces
portraits, ma chère sœur, auraient peut-être
été trop forts pour les siècles passés, ils ne
le sont point assez pour le nôtre ; nos pères
en auraient rougi , aujourd'hui on s'en fait
gloire.
Ceux qui auraient horreur du vice s'ac-
coutument avec la nouveauté; la piété, qui
est en garde contre les amorces du péché, ne
l'est point contre les charmes de l'erreur.
Nous sommes arrivés à ces temps dangereux
pour la foi, dont parle saint Paul, tempora
periculosa. (II Tim., III.) Danger pour la foi :
combien qui cessent d'être dociles à l'auto-
rité infaillible de l'Eglise, par les exemples
qu'ils trouvent dans leurs familles, par les
leçons de leurs maîtres , par les avis de
leurs directeurs, par attache à un apôtre plu-
tôt qu'à un autre, par l'imposante austérité
et la brillante réputation des Rufins et des
Mélanies qui se sont introduits jusque dans
les communautés et les solitudes. Tout est
danger, tout est écueil aujourd'hui, ma chère
sœur, l'esprit d'erreur domine dans le monde.
11 y en a qui triomphent de ses obstacles ;
vous y auriez peut-être succombé ; et la
bonté de Dieu se manifeste avec d'autant
plus d'éclat à votre égard, qu'elle vous a
ménagé une retraite où l'on joint aux exem-
ples d'une piété éminente les exemples
d'une soumission parfaite. Achevons de
peindre l'esprit du monde : esprit d'erreur
dans la morale. Vous dirai-je que les vices
et les excès sont canonisés par le monde ;
qu'il y a un certain système de morale op-
posé à celui de l'Evangile ; un système
adopté, reçu, un système qui a force de loi,
une loi qu'on respecte, qu'on observe scru-
puleusement, et dont la moindre transgres-
sion choque toutes les bienséances du monde
et révolte tous les esprits? Oui, dans la mo-
rale du monde on loue les pécheurs que
l'Evangile réprouve. Laudatur peccutor (Psal.
\) : l'homme de politique-, lorsque, par la
559
SUJETS DIVERS. — SERM. II. POER l\NE PROFESSION.
530
dissimulation et les souterrains, il écarte ses
ennemis, joue ses concurrents, déplace les
favoris, et parvient à représenter un grand
rôle dans un royaume; l'homme de men-
songe, pourvu que les équivoques et la
fraude soutiennent un commerce brillant; il
serait coupable dans la décadence la' plus
innocente, il est estimé dans la fortune la
plus suspecte; l'homme de faste, fût-il défi-
guré comme Naaman par la lèpre du péché,
le luxe qu'il entretient lui ouvre toutes les
portes, lui attire tous les regards; la vanité
n'est pas un crime dans le monde, la sim-
plicité seule y est méprisée.
L'homme de vengeance : il est couronné
oc gloire, dès qu'à l'exemple de ces vils
gladiateuFS, il a égorgé son ennemi ; un com-
bat singulier est un des points le plus im-
portants de la morale du monde; le "meurtre
commis de sang-froid change de nom, et les
trophées que les mondains érigent è ces
faux braves leur fait perdre de vue l'Evan-
gile et l'enfer. L'homme d'intrigues : quand
elles sont menées habilement, et qu'il sait
l'art de perdre la vertu sans en perdre les
apparences. L'homme de richesses : on jette
un voile sur les injustices inséparables d'une
fortune rapide, et fût-il aussi stupide que le
veau d'or, les enfants d'Israël lui formeront
une cour et lui prodigueront des éloges.
L'homme d'ambition :on le suit dans la bril-^
lante carrière qu'il s'ouvre, et s'il arrive à
la place éminente qu'il désirait, on loue des
vertus qu'il n:a jamais eues, on j us t i lie les
ressorts criminels qu'il a fait jouer, on exa-
gère des talents inconnus; après sa mort, on
érige des trophées sur son tombeau ; on
em, loie les grâces de l'éloquence pour re-
lever les plus faibles vertus. On a recours
au silence jour ne pas publier de grands
vices; il est loué sur la terre où il n'est
plus;- il est tourmenté dans les enfers où il
e^t. Laudatur peccator.
Tel est, ma chère sreur, l'esprit du monde
sur la morale ; c'est cet esprit qui anime pres-
que tous les humains, qui les remue,,qui les
pousse, qui les étourdit, les enivre, les as-
soupit au milieu des scandales de la foi et des
mœurs; nous ne l'avons point reçu: Non ac-
cepimus spiritum fin jus mundi (I Cor., XII) :
maison nous l'inspire, on nous le commu-
nique, voilà lf> danger. Otez quelques âmes
justes qui se sauvent dans le monde malgié
ce grand obstacle, tous les mortels pensent,
agissent suivant cet esprit d'erreur. C'est
l"espnt de Dieu, ma chère soeur, qui vous a
conduite dans la retraite, vous avez suivi ses
impressions , vous l'écouterez dans le si-
lence; quelle différence entre le langage
du monue, que l'on é.oute si facilement, et
qui séduit tant d'âmes dans le siècle.
Ceux qui sont les amateurs du monde , et
qui forment le monde môme, comme parle
saint Augustin, dilcclores mundi, parlent
des objets dont leur cœur est épris; les images
flatteuses du siède les suivent et les occu-
pent à la cour et à la ville; les théâtres, les
académies de jeu, les cercles brillants, l'o-
pulence, la gloire, les plaisirs, les commo-
dités, les intérêts particuliers, les distinc-
tions en tout genre sont l'âme des conversa-
tions; sans tous ces objets elles languiraient;
on parle aisément et souvent de ce qu'on
aime ; et il ne faut pas être étonné, dit saint
Jean, si les mondains parlent toujours des
objets flatteurs du siècle, ils sont du monde,
ils le composent : Tpsi de mundo sunt, ideo de
mundo laquuntur. (l-Joan., IV.) Ne dissimu-
lons rien de ce second obstacle que l'âme
chrétienne trouve dans le monde, tous ceux
qui le composent tiennent son langage, lan-
gage terrestre, séduisant, impie, auquel on
s'accoutume, dont on profite, qui forme les
prudents, les politiques, les héros du siècle;
qui n'a jamais formé de saints, qui allume le
feu des liassions, qui étouffe les semences
des vertus, qui excite des disputes dans la re-
ligion, qui ne lui soumet personne. Achevons
ce portrait, et que le Saint-Esprit lui-même
autorise les jugements que nous portons.
Langage du monde, langage terrestre.
Ecoutez celui qui est du monde, dit le Saint-
Esprit, il ne vous parlera que des choses do la
terre : .De terra loquitur. (Jean., III.) Ecornez
cet homme qui possède de grands domaines
dans les campagnes, qui voit avec plaisir des
vassaux et des peuples rustiques qui lui
doivent des hommages que les cœurs lui re-
fusent et, que l'autorité lui fait rendre; il
vous entretiendra de son opulence, de ses
abondantes récoltes, des honneurs qui lui
sont dus, de la vaste étendue et de la beauté
de ses jardins, des embellissements qu'il
veut fa re; le poids des années a beau lui
montrer le tombeau qui l'attend, il plante,
et il espère voir ce que ses enfants ne ver-
ront peut-être pas : de terra loquitur. Ecou-
tez cet homme ébloui de sa magnificence, il
vous parlera de ses palais immenses; se-
cond Ezéchias, il vous montrera avec com-
plaisance ses ameublements précieux, les
choses rares et curieuses qu'il possède;
elles sont communes au delà des mers, mais
ici elles sont inestimables : cet homme, fait
pour l'éternité, n'en parle point ; son cœur
est rempli des objets de la terre; son cœur
parlera de la terre : de terra loquitur. Ecou-
tez l'homme de plaisirs : la table , le jeu, la
volupté, sont presque les seules choses dont
il j arle; il raconte avec art et avec satisfac-
tion l'arrangement et l'abondance d'un re-
pas splendide, les hasards heureux ou mal-
heureux d'une longue séance de jeu, les
mystères et les événements de ses intri-
gues; ces discours coulent de source; il
parle des plaisirs de la terre; c'est un maî-
tre qui plaît, il aura des disciples : de terra
loquitur. Ecoutez le militaire; il vante les
lauriers que ses ancêtres ont moissonnés
dans les sièges et les batailles; cette cou-
ronne corru| tible que les hommes distri-
buent à la valeur fait son entretien et flalto
son espoir : de terra loquitur. Ecoutez le
savant, il parle de ses succès dans les scien-
ces ; les trophées que la postérité érigera à
ses ouvrages le flattent plus que les succès
de son saint; il no désire point que son
nom soit écrit dans le ciel, pourvu qu'il soit
351
ORATEURS SACRES. BALLET.
âS2
célèbre après
après sa mort dans la république
des lettres : de terra loquitur. Ecoutez lo
solitaire mécontent dans la retraite; l'image
flatteuse du monde agite son cœur et excite
ses regrets, il languit dans ces lieux écartés ;
et après avoir parlé de Dieu avec ennui, il
parle avec sali-faction des fortunes et des
honneurs qu'il a laissés dans le siècle : De
terra lo(juitt;r.
Tel est, ma chère sœur, le langage de
tous ceux qui sont du monde, un langage
terrestre; le langage des grands est plus
poli, plus élevé que celui du peuple, il n'e.^t
également à
I as plus
la terre :
ue
de
pas plus chrétien, le ciel n'y a
part, il se borne
terra loquitur.
Langage du monde, langage séduisant. Ne
craignez point, je sais que dans la chaire de
vérité tout doit être pur et innocent ; que les
paroles qui coulent de nos lèvres doivent être
aussi pui es et aussi chastes que celles de
Dieu môme, et que nous devons faire des
portraits du vice pour en inspirer de l'hor-
reur, et non pas pour plaire. Je ne vous par-
lerai point de ces scènes qui font tant de bruit
dans le monde, qui portent la honte et le
deshonneur dans les plus grandes familles;
je ne vous montrerai pas l'innocence tentée,
ébranlée, chancelante, et enfin corrompue
par le langage séduisant du monde.
Il serait dangereux de peindre ces mal-
heurs: contentons-nous de dire avec l'apô-
tre, que les âmes pures et innocentes sont
exposées dans le siècle, et que te langage
du monde séduit presque tous les humains.
Remarquez encore avec cet apôtre, qu'une
viergedans le commerce du monde a de
grands combats à soutenir, et qu'elle doit
craindre la défaite lors môme qu'elle remporte
la victoire. Pourquoi ? C'est que le langage
du monde n'attaque point une innocence
perdue, mais une innocence conservée; il
se pare de la douceur pour gagner un cœur
pur, il emploie la satire pour annoncer les
dérèglements d'un cœur corrompu ? il donne
des louanges délicates à la constance d'une
vierge sage , et il se moque de la légèreté
d'une vierge insensée; il séduit l'innocence
par la douceurdu discours et par les applau-
dissements : Seducunt corda innocentium per
dulces sermones et benedictiones. (Rom. XVI.)
Ici , l'on dit à celle que le zèle des parents
a fait croître dans la piété, qui goûte les
lectures et les sermons, qui redoute les
compagnies et les amusements, qui annonce
par ia candeur de son froni l'innocence de
son cœur: Laissez la dévotion farouche trai-
ter de coupables plaisirs les divertissements
de votre âge, vous êtes propre au monde
et le inonde vous désire : seducunt per dul-
ces sermonrs. Là, quelle peinture ne fait-on
pas des spectacles à une jeune personne qui
paraît dans le monde ? Si elle é oute ces élo-
quents et séduisants apologistes du théâtre,
c'est un amusement innocent, une école ra-
meuse où l'on décrie délicatement les vit es
du siècle, où l'on puise de grands senti-
ments, où la scène épurée l'emporte même
pour la morale sur la chaire chrétienne :
seducunt per dulces sermones : quels arti-
fices n'emploie-t-on pas pour ébranler la foi
d'une personne, dont absolument la piété
est décidée? 11 n'y a plus pour elle de se-
crets dans les livres divins, on l'introduit
dans le sanctuaire de la religion, il lui sera
permis de parler, d'examiner , de mépriser
les premiers pasteurs , son bon sens lui ser-
vira de soumission; si elle doute, si elle
craint, celui qui veut la séduire lui dira
qu'il est prophète : ego sumpropheta (III Rrg.,
XIII), que l'ange du Seigneur lui a parlé,
qu'il lui a annoncé la décadence de l'an-
cienne Eglise, qu'il en faut former une nou-
velle plus fidèle et plus éclairée , angélus lo~
cutus est mifii (lbid.) : c'est ainsi qu'il la sé-
duit et la détache du centre de l'unité, par
ses discours flatteurs : seducunt per dulces
sermones.
Tel est, ma chère sœur, le langage sé-
duisant de ce monde : on l'entend à la cour,
à la ville, à la campagne, dans la retraita
quelquefois, surtout quand il s'agit delà
foi. On l'entend dans un monde ecclésias-
tique, dans un monde de dévots, dans un
monde/le parents. On l'insinue dans Les ou-
vrages d'esprit , les pères le tiennent à leurs
enfants, les amis à leurs amis, les maîtres
à leurs disciples, et comme ce langage plaît,
il séduit l'innocence du cœur et la pureté de
la foi : seducunt per dulces sermones.
Langage du monde, langage impie : c'est
le malheur de notre siècle, de voir l'impiété
écoutée et môme applaudie ; parce qu'elle
ne paraît que sous le beau nom de critique,
on lui prodigue des éloges et on lui érige
des trophées; on parle beaucoup de reli-
ion, mais c'est pour l'outrager, pour vou-
r tout réformer; on défigure tout : l'abus
de la critique en matière de religion est
aujourd'hui universel, il faut demander
grâce aujourd'hui pour les mystères les plus
augustes et pour toute l'antiquité. Avec
quelques lambeaux des ouvrages d'un en-
nemi de l'Eglise on soutient de longues
conversations contre la religion; les termes
les plus hardis , les plus méprisants , les
plus injurieux, passent pour des saillies;
un bon mot sert de réponse aux plus grands
oracles de l'Ecriture : voilà ce qui fait gémir
les ministres zélés; les apôtres de l'impiété
fourmillent dans notre siècle. C'est avoir du
goût (pue de les écouter , c'est être bel esprit
que de les imiter. Que vous êtes heureuse,
ma chère sœur, de ne plus entendre le lan-
gage du monde, d'être dérobée à ce second
obstacle ! Pour quelques âmes choisies, que
le bras tout-puissant du Seigneur soutient
dans ces dangereuses épreuves, et qui prou-
vent qu'on peut se sauver dans le monde
malgré tous ces obstacles , quelle multitude
perdue, réprouvée poursuivre son esprit,
écouter son langage et se livrer à ses occu-
pations ! Je ne parle toujours, ma chère
sœur, que de ceux qui composent le monde
saint Augustin ap-
gi(
foi
par leur attache, et que
pèle les amateurs du siècle : dilectorcs
mundi : ils coulent, comme vous le savez,
des jours précieux dans des amusements
5:,3
SUJETS DIVERS. — SERM. H, POUR UNE PROFESSION.
"'.^
qui n'entrent pour rien dans l'importante
affaire du salut, qui la font môme négliger;
des hommes faits pour l'éternité n'y pensent
point, l'oisiveté endort les uns, les soins de
cotte vie absorbent tout le temps des autres.
Les bienséances captivent ceux-ci, les
plaisirs fatiguent ceux-là, le prince du
monde les tyrannise tous, et semblable à
Pharaon, dit saint Augustin, qui occupait
les Israélites à des ouvrages de paille , il
agite tous les amateurs du siècle pour des
riens aux yeux de la foi : de grandes baga-
telles les occupent sérieusement. Occupa-
lions inutiles, occupations terrestres, oc-
cupations gênantes , occupations crimi-
nelles; dans toutes ces agitations des mon-
dains, vous n'y. voyez rien pour le ciel; et
dans cette multitude de personnes qu'on voit
toujours accablées d'affaires, il n'y en a pas
une qui s'occupe utilement et salutairement :
Non est qui facial bonum, non est usque ad
vnwm. (Rom., JII.) Reprenons.
Occupations du monde, occupations inu-
tiles : ce n'est qu'une contrariété apparente,
quand nous disons que l'occupation des
mondains n'est qu'une importante oisiveté;
l'oisiveté est dans le monde une affaire ; l'art
de passer le temps, sans ennui et sans appli-
cation, est un art estimé; le temps qui est
si court parait long aux personnes désoccu-
pées, elles deviennent fâcheuses pour elles-
mêmes et inutiles pour les autres : inutiles
fucti sunt.ilbid.) Ce sont, ma chère sœur,
les expressions au prophète , en nous tra-
çant les caractères des mondains.
De quelle utilité est pour la république
la vie de cet homme que la mollesse retient
dans un long et doux sommeil , qu'un rien
amuse tout le jour, que l'activité de toute
la nature ne saurait tirer de l'indolence et
q ie le calme de la nuit replonge dans le
repos? Une vie si tranquille fait-elle honneur
à l'huma iiié môme ? Et r.e cesse-t-il pas en
quelaue façon d'être homme, puisqu'il est
volontairement inutile? Inutiles facli sunt.
De quelle utilité est pour la république
l'occupation de ces hommes (pie l'on voit
dans les places publiques, dans les prome-
nades , ou dans ces maisons qui servent de
retraite à l'oisiveté ? Est-il important qu'ils
blAment ou qu'ils approuvent les projets <ies
souverains, qu'ils approfondissentles mys-
tères de l'Etat, qu'ils disent leur sentiment
sur les négociations les plus délicates, qu'ils
préviennent les sièges et les batailles , et
que pour dire quelque chose ils débitent ce
qu'ils ignorent? Telle était l'occupation de
ces prétendus sages d'Athènes , débiter ou
apprendre des nouvelles : dicere mit audire
ahquid novi (Act., XV11I ) : c'était là leur
importante affaire; adniliil aîiud vacabant
( Ibid.) : c'est l'unique affaire d'une infinité
de mondains; ne sont-ce pas là des occupa-
tions inutiles ? Inutiles facli sunt.
De quelle utilité est l'occupai ion de ces
aames, qui n'en auraient aucune si elles
renonçaient à la vanité, qui s'amusent et
amusent les autres d'une foule de baga-
telles, qui parlent de parures, comme on
parlerait des plus importantes négociations,
et auxquelles les jours et les nuits suffisent
à neine pour le sommeil, la toilette, la table
et le jeu ? Est-ce là l'occupation d'une per-
sonne créée pour le ciel? Ces amusements
peuvent-ils entrer dans le plan du salut, et
quand ils ne seraient pas criminels, ce que
je n'examine pas ici , ne sont-ils pas inutiles?
Inutiles facli sunt.
Occupations du monde, ma chère sreur,
occupations terrestres; on travaille dans le
monde, dit saint Paulin, mais pour acquérir
des connaissances et briller par une vaine
érudition, pour être grand sur la terre, opu-
lent, distingué; c'est pour cela qu'on s'agite,
«pion veille, qu'on se dessèche, qu'on se
consume ; on trouve du temps pour cela, on
n'en a pas pour son salut; on a le loisir d'être
philosophe, on n'a pas le temps d'être chré-
tien : Vacat tibi ut philosophus sis, non vacat
ut Chrïstianus sis. Les uns travaillent pour
amasser des biens et laisser à des enfants
une florissante fortune ; parce qu'on est tout
chez les mondains, quand on est riche , on
perd son repos pour le devenir.
Les autres passent leur vie dans la chicane
du barreau; ils se font un état d'une science
qui trouble tous les autres états : supplier*
solliciter, languir à la porte des juges, atta-
quer les vivants, se déchaîner contre les
morts, enlever la vigne de Naboth, contester
un sépulcre à Abraham, emporter par vio-
lence le droit de briller dans le saint tem-
ple et jusqu'au pied des autels.
Voilà les occupations d'une infinité de
mondains : ceux-là renoncent aux douceurs
de la vie, aux liaisons les plus tendres; on les
voit voler sur les frontières pour attaquer
l'ennemi; ceux qui habitaient des palais volup-
tueux sont couchés sous des tentes rusti-
ques : la gloire leur fait mépriser la fatigue
des combats, et tout couverts de poussière,
ils sont rassurés au milieu des horreurs de
Ja mort, par la flatteuse espérance de la vic-
toire, occupations permises et quelquefois
couronnées par le Dieu des armées, mais
occupations païennes quand elles remplis-
sent entièrement le cœur des héros, et c'est
malheureusement ce que l'on voit tous
les jours : on fait tout pour enlever une
place, prendre un château, gagner un peu
de terrain ; on n'entreprend rien pour son
salut. Ceux-ci, placés pat' la Providence dans
une condition médiocre, travaillent toute
leur vie; la culture des terres, les arts, les
travaux publics les occupent. Presque aussi
malheureux que les Hébreux dans l'Egypte,
ils n'ont pas le loisir de se retirer à l'écart
pour sacrifier au Seigneur : on a le temps de
servir les hommes, on n'a pas le temps de1
servir Dieu : Vacat tibi ut philosophus st'v,
non vacat ut Chrïstianus sis.
Occupations du monde, occupations de
bienséances : que de visites, quo d'assem-
blées, que de fêtes, que de spectacles, que
de conversations les bienséances du monde
n'autorisent-elles pas, n'exigent-elles [as
même 1 Et en même temps que d'heures,
que de jours, que d'années perdues! C'oA
3o5
ORATEURS SACRES. BALLET.
556
un usage, dit-on, une loi constanle parmi
ceux qui savent le inonde c'est-à-dire, qui
savent se damner : Nos leyem habemus. [Jôau.,
XIX.) De là ces visites fréquentes qui ab-
sorbent des journées entières, parce qu'avant
de les faire, il faut élever un édifice de la
vanité, qui prend autant de temps que les
vis. tes mêmes : de là ces assemblées oii l'on
sout.ent ces longues séances de jeu, qui de-
viennent une occupation sérieuse, et qu'on
quitte à regret pour les reprendre avec plai-
sir; de là, ces repas qu'on se donne mutuel-
lement, qu'on prolonge avec excès, où l'on
est invité par politique; où l'on va par céré-
monie, dont on se plaint quand ils ont été
grands, et dont on fait l'éloge quand la joie
y a régnés de là, ces spectacles où l'on va,
dit-on, sans inclination et par nécessité, où
une mère conduit sa tille par bienséance, où
la fille suit sa mère par obéissance, où on ne
pourrait [tas aller souvent, où l'on veut aller
une lois;- de là ces conversations qui occu-
pent des cercles un temps considérable, où,
excepté du salut, on parie de tout, où l'on ne
voudrait pas être longtemps, où l'on est tou-
jours trop, d'où l'on sort satisfait d'avoir
paru, parce qu'on ignore qu'on déplaisait.
Voilà des occupations, ma chère sœur, que
les bienséances du monde exigent, il y a
une loi expresse qui y obligé tous les ama-
teurs du siècle : Nos legem habemus.
Occupations du monde, occupations crimi-
nelles : que de beaux esprits qui se dessèchent,
pâlissent sur les livres, se donnent la torture
pou/ enfanter des ouvrages de ténèbres, et
qui perpétueront leur péché jusqu'au dernier
âge du monde ! Combien d'ouvriers qui, plus
criminels que ceux qui fabriquèrent le veau
d'or, épuisent leur industrie pour exposer
aux yeux des enfants d'Israël de séduisan-
tes idoles? Combien dont tout le trafic est
de vendre les amorces dupémé? Telles sont
ma chère sœur, les occupations du monde,
c'est-à-dire des amateurs du siècle -.dilecto-
re» inuridi. Je n'ai point voulu vous dissimu-
ler tous les obstacles qu'une âme chrétienne
trouve dans le monde; et à qui le dévoilera-
t-on avec toutes ses horreurs, si ce n'est à
vous qui allez y renoncer solennellement, à
une Epouse de l'Agneau, qui attend avec im-
patience le moment du sacrifice, qui désire
avec ardeur ces liens éternels, et qui vou-
drait déjà être ensevelie avec Jésus-Christ?
Je rends la justice qui est due à ceux qui vi-
vent dans le monde sans être du monde; le
trône a ses David, la cour ses Estlier, l'armée
ses Josué, le sacerdoce ses Phinées; il y a
de belles fleurs dans le champ de l'Eglise,
quoique l'ennemi veuille l'obscurcir et la
défigurer; on trouve encore des Abraham
dans les riches, des Tobie dans les pauvre-',
des Job dans les affligés; ils nous prouvent
la première vérité que j'ai avancée, qu'on
peut se sauver dans le monde malgré tous
ses obstacles : niais s'il faut du courage dans
le monde, il faut de la fidélité dans la re-
traite, car j'ai ajouté. qu'on peut se perdre
dans la retraite malgré tous ses avantages, il
C'est le sujet de ma seconde partie.
SECONDE PARTIE.
i.a terre que vous allez habiter présente-
ment, disait Moïse aux Israélites, est bien
différente de celle de l'Egypte que vous quit-
tez ; Non est sicut terra JE/jxjpti de qua exi-
slis ( Dcut , XI) ; ce sont des lieux escarj es
et solitaires, des retraites impénétrables au
reste des humains, montuosa est et campe -
stris ( Jbid. ); vous ne pouvez y demeurer
paisiblement '■ sans détacher votre cœur de
tous les objets terrestres; vous faites uno
rupture généreuse et éclatante avec le monde,
vous lui laissez ses biens, ses emplois, ses
honneurs , sos plaisirs : vous ne voulez que
Dieu, il vrussunit,de cœlo exspectans pluvias*
(Ibid.) N'est-ce pas là une peinture naturelle
de la retraite où Dieu conduit certaines âmes
choisies! ces routes écartées et ignorées des
mortels ; cette solitude où on ne voit aucune
trace de la ligure du siècle; ce séjour paisi-
ble où la créature peut mêler sa voix avec
celle du tendre oiseau qui s'élève dans les
airs pour bénir son créateur; ces déseits où
l'âme détrompée du monde goûte d'ineflà-
bles délices, et où elle attend avec confiance
de son Dieu te qu'elle cherchait inutile-
ment dans le monde : de cœlo expectans
pluvias !
Telle est, ma chère sœur, la retraite où la
main miséricordieuse du Seigneur vous a
conduite ; vous en avez fait l'épreuve, vous la
connaissez; les vœux solennels que vous
allez prononcer vont vous en mettre en pos-
session , elle sera à vous, vous serez à elle :
Terra ad guam ingrederis possidendam. (Ibid.)
Mais quelque flatteuse que soit cette pein-
ture, il faut encore delà fidélité pour espérer
sans présomption; les avantages delà retraite
n'assurent point infailliblement le salut; si
on laissait ses penchants dans le monde,
comme on y laisse ses parents et ses biens,
vous auriez raison de ne plus craindre; si Satan
ne parcourait jamais les solitudes, la retraite
serait un lieu de repos : mais c'est dans le
désert que Jésus-Christ a été tenté. Ce divin
Sauveur trois fois attaqué et trois fois victo-
rieux, nous a fait connaître que la solitude
est un lieu do combats ; il faut que l'ennemi
soit vaincu avant que les anges paraissent.
Où jamais vit-on plus de combats et de vic-
toires que dans l'Egypte, la Thébaïde, la
Palestine et les déserts de Scété? Les défai-
tes y furent rares, parce que la vigilance y
était continuelle : mais la chute u'un seul
solitaire ne prouve-t-elle pas le danger de
la retraite, quand on n'est pas fidèle? Le
monde ignorait la route qu'Antoine avait
prise le démon ne l'ignorait pas. Celui qui
perd tant d'âmes dans les villes doit faire
trembler dans la retraite, et c'est avec raisoi,
que j'ai dit qu'on peut se perdre dans ',
retraite malgré tous ses avantages qui soi
grands : les voici. L'esprit de ta religion, 1
langage de la relig:on, les occupations u.
la religion : ils sont, comme vous voyez, ma
chère sœur, opposés aux obstacles du monde,
il ne s'agit que d'v être constamment fi«.;èle
Si vous ne voulez j as être du nombre ue
SUJETS DIVERS. — SERM. 11, POUR UNE PROFESSION.
557
celles qui prouvent qu'on peut se perdre
dans la retraite malgré tous ses avantages,
il vous importe dans ce moment d'écouter
d'aussi grandes vérités.
C'est dans la retraite qu'on voit régner
l'esprit de la religion; voila, ma chère sœur,
le premier avantage; esprit de foi, esprit de
renoncement, esprit d'obéissauce, esprit
d'humilité, toutes ces grandes vertus bril-
leront à vos yeux : mais malgré cela vous
pouvez vous perdre, si vous n'y êtes pas
iidèle ; c'est cette foi qui découvre les biens
éternels qui a peuplé les déserts et les so-
litudes; c'est elle qui a établi les cloîtres,
ces arches précieuses où les âmes craintives
se retirent pour éviter les écueils et les nau-
frages du monde ; c'est cette foi qui vous im-
mole aujourd'hui, qui vous fait sacrifier vos
espérances, votre esprit, votre cœur. La
crainte de périr dans le déluge qui mena-
çait toute la terre, anima Noé à la construc-
tion de l'arche : Metuens aptavit arcam(Hebr.,
Xi), et elle fut un asile assuré pour sa fa-
niiile; un petit nombre y entra, un petit
nombre fut sauvé : in qua pauci suivi facti
sunt. (Ibid.)
Ainsi les cloîtres, ces arches précieuses,
sont-ils remplis d'âmes craintives , que les
dangers du monde ont effrayées, et qui ont
tremblé à la vue de ce massacre d'âmes qui
s'y fait continuellement : Metuens aplatit
arcam. Là cet innocent troupeau, à l'abri des
violences et des fureurs de l'ennemi , coule
des jours sereins et tranquilles; les torrents
des vices inondent le monde, mais sa foi
Télève au-dessus des eaux, les îlots viennent
se briser contre les murs de sa retraite, et le
petit nombre qui entre dans le cloître assure
son salut, à moins que, semblable à la co-
lombe fugitive, il ne porte ses regards ou
ses pas vers le monde criminel : in qua pauci
salvi facti sunt. C'est donc la foi qui a établi
les cloîtres, c'est elle qui vous y a conduite,
c'est elle qui vous y immole aujourd'hui. Or
il subsiste ici, cet esprit de foi, et dans toute
sa pureté, non-seulement la foi qui fait agir,
mais aussi celle qui soumet, qui captive l'en-
tendement : cette foi dont Jésus-Christ a fait
l'éloge, en reprochant l'incrédulité de saint
Thomas; qui adore les mystères, malgré les
saintes obscurités et les ténèbres sacrées
dont ils sont enveloppés : Beati qui credi-
derunt et non vidcrunl (Joan., XX) ; cette foi
qu'Abraham prêcha du haut du ciel au mau-
vais riche dans les enfers, qui préfère la
voix du chef de l'Eglise et des premiers pas-
teurs aux miracles et à la résurrection même
des morts : habent Moysen et prophetas {Luc,
XVI) ; cette foi que Pacien loue si' magnifi-
quement dans les premiers chrétiens qui ne
savaient pas disputer, mais qui savaient se
soumettre et mourir pour les vérités catho-
liques : Nesciebant dispulare, sciebant mori.
Cette foi, que saint Augustin opposait à
l'orgueil de tous les hérétiques, qui se méfie
(33) Madame de Monunorin , aonesse de Jouarre.
(34) J'ai trouvé dans l'histoire de l'ordre de la
Merci, dont j'ai l'ait l'éloge, ce que je dis de la mai-
sou de Saiul-llerem , qui se signala aussi bien que
558
de ses connaissances, de ses lumières, et
qui préfère l'autorité de l'Eglise à tout ce
qu'il y a de merveilleux dans les hommes et
dans les anges mêmes : fidelis sum, credo
quod nescio : vous la verrez briller, cette foi,
dans cette sainte retraite, ma chère sœur,
c'est un avantage particulier aujouid'hui.
Vous le conservez avez zèle, Madame (33),
pour la consolation de l'Eglise dans ce fa-
meux monastère, et votre humilité ne doit
point souffrir ni s alarmer des éloges qu'on
donne à votre foi. Si je publiais ici la gran-
deur de votre naissance, si je montrais, oans
les siècles les plus reculés, la maison de
Saint-Herem (3k), égale aux souverains ; si
je comptais tous ces héros, qui le disputaiei t
par leur vaillance aux héros les plus vantés,
et effaçaient par leurs aumônes les libéra-
lités des rois mêmes; si j'allais fouiller dans
les archives de cet ordre précieux à l'Eglise,
destiné à rompre les fers des captifs, pour
'montrer vos ancêtres aussi magnifiques que
les rois d'Aragon, dans les monuments dé
piété qu'ils élèvent de toutes parts, votre
humilité s'alarmerait et me désapprouverait,
et je serais coupable d'élever des trophées à
la grandeur du siècle, dans un discours des-
tiné à en faire sentir le néant et les dangers.
Mais les solitaires mêmes ont été jaloux
des applaudissements de l'Eglise, la vénéra-
tion des catholiques et la haine des héré-
tiques faisaient toute leur gloire; vous par-
tagez, Madame, avec ce grand prélat (35),
que le sang vous unit si étroitement, < ette
gloire dont les saints sont jaloux, et l'his-
toire de l'Eglise racontera ses vertus et les
vôtres.
Vous la trouverez encore, cette foi , ma
chère sœur, dans ces vierges qui veulent
bien vous associer aujourd'hui avec elles;
un esprit solide et soumis, des connaissances.,
et des lumières puisées dans la lecture et
l'oraison, les ont rendues dignes des secrets
de l'Agneau; et si vous marchez sur leurs
traces, on vous verra animée de cet esprit de
foi qui règne dans la retraite.
Esprit de la religion, esprit de renonce-
ment ; ici vous trouvez ce renoncement qui
fait toute la perfection de l'Kvangilc, qui fai-
sait toute la beauté de l'Eglise naissante, et
que les premiers apologistes de la religion
opposaient aux empereurs païens. Telle est
votre céleste doctrine, ô mon Dieu I et celle
que vous faites goûter à ces âmes privilé-
giées, que vous voulez cacher dans, le secret
de votre face, pendant les jours mauvais : elle
Iftise les liens les plus tendres et les plus
innocents; elle élève au-dessus de la chair
et du sang; elle foule aux pieds les distinc-
tions, le» biens, les alliances; elle fait même
dire un éternel adieu à un père, à une mère,
que vous commandez d'aimer et d'honorer,
à des frères, à des sœurs qu'on aime sin-
cèrement ; elle se rend insensible aux avis,
aux prières, aux larmes : elle va jusqu'à faire
Michel d'Aragon, dans les premières rédemptions
que fil l'ordre de la Merci.
(55) Mgr l'évêque de Langres.
5o9
ORATEURS SACRES. BALLET.
SCO
dire: Je ne vous connais point, ne pensez plus
a moi, Dieu seul ine possédera, et un acte
authentique et solennel apprendra au inonde
3ue je renonce à tout : Doclrina tua, Domine,
ixit patri suo et matri suw : Ncscio vos, et
fratribus suis : Ignoro vos. Vous êtes animée
aujourd'hui, ma chère sœur, de cet esprit de
renoncement, vous allez renoncer à votre
liberté, aux biens du siècle, à vous-même.
Les paroles que vous allez prononcer seront
écrites et dans les annales de cette illustre
maison, et sur les registres publics; mais ce
qui doit vous rendre plus fidèle, c'est que
les promesses que vous faites à votre pro-
fession, dit saint Augustin, seront récitées
et examinées au tribunal de Jésus-Cbrist,
après votre mort : Recitabuntur verba profes-
sionis noslrw. Que l'esprit de renoncement
que vous verrez régner dans la retraite ne
soit pas pour vous un sujet de condamnation.
Esprit de la religion, esprit d'obéissance :
ici 1 esprit de la religion produit les mer-
veilles que l'amour de la gloire produisait
chez les Romains, un gouvernement sage et
pacifique, qui se soutient par l'obéissance :
gouvernement auquel Judas Machabée, ce
vaillant capitaine, donne dans les livres
saints de magnifiques éloges, et qui lui fit
rechercher avec empressement la bienveil-
lance des Romains : On confie à un seul, dit-
il, la magistrature, et. tous obéissent avec do-
cilité à celui qui est revêtu de l'autorité :
Committunt unimajistratum et omnes obediunt
uni. (I Mach., VIII. j L'envie ne chagrine
point les inférieurs : non est invidia inter
eos (Ibid.) ; le désir de parvenir aux honneurs
du gouvernement ne soulève personne :
neque zelus. (Ibid.) N'est-ce pas là, ma chère
sœur, une vive image de ce qui se passe dans
•Jes cloîtres, où une seule commande et toutes
obéissent : omnes obediunt uni, et OÙ l'on
fait, pour assurer son salut, ce que les Ro-
mains faisaient pour assurer le repos de la
république? Vous verrez donc dans ce saint
lieu les victoires que remporte l'obéissance :
le commandement de la supérieure toujours
absolue ; l'obéissance do l'inférieure toujours
prompte et docile; c'est là, dit le Sage, une
vertu, qui annonce la grandeur de l'âme et les
victoires qu'elle remporte sur ^amour-propre.
Esprit de la religon , esprit d'humilité.
Une vie cachée en Jésus-Christ, c'est la
vie du cloître: ici on renonce aux noms
fastueux du siècle pour porter ceux de ces
saints qpi ont marché dans la route du Cal-
vaire; comme la gloire céleste est la seifle
chose (pie l'on ambitionne, on est charmé
d\y parvenir par les opprobres et les abaisse-
ments, on ne f a t sentir à personne ce qu'on
a été dans le monde, mais ce que l'on est
par la religion ; celle qui a le plus de vertu
est la [dus estimée, et non pas celie qui est
la mieux dotée. On s'humilie soi-même, et
l'on n'est point abaissée par les autres;
on emploie ses talents pour l'utilité de ses
sœurs, et on ne s'en sert jamais pour se
faire distinguer; et, soutînt-on seule le camp
des enfants d'Israël, on dit encore avec Gé-
déon, ce grand capitaine : Je suis la plus pe-
tite dans la maison du Seigneur : Ego sum
minimus in domo patris mei. (Judith., VI.)
Telle est, ma chère sœur, le premier avan-
tage de la retraite : l'esprit de la religion.
Mais, malgré ce', avantage, on peut se perdre.
Comment? Faute de fidélité et de vigilance:
un cloître, ce ciel terrestre, est-il toujours
inaccessible aux a;. êtres de l'erreur? Et sous
les beaux noms de charité et de vérité, n'a-
t-on pas inspiré l'indépendance et la révolte
dans les sanctuaires de la pénitence même?
Ils étaient impénétrables aux vices du cœur,
ils ne l'ont pas été à ceux de l'esprit : voilà
contre l'esprit de la foi. N'en voit-on pas dans
les retraites, attachées aux choses qu'elles ne
peuvent point posséder, et toujours charmées
quand on vient leur dire comme au Sau-
veur (Matth., XII) : \otre mère et vos sœurs
sont dehors qui vous demandent? Voilà contre
le renoncement. N'en trouve-t-on pas qui,
comme Jonas, laissent former la tempête,
gronder le tonnerre avant d'obéir, il faut les
menacer pour t:rerde leur bouche ces paroles
du prophète : Faites de moi ce que vous vou-
drez(Jon., I), voilà contre l'obéissance. « On
en voiï, dit saint Jérôme, qui, sous la haiie et
le cilice, conservent l'orgueil du siècle, et
semblent donner des éloges au monde, en
parlant avec complaisance des biens et du
crédit de leurs familles:» voilà contre l'humi-
lité. C'est ansi qu'on se peut perdre, malgré
les avantages de la retraite où régnent l'es-
prit de la religion, le langage de la relig:on.
Langage de la îeligion, langage divin:
c'est Dieu lui-même, ma chère sœur, qui
parle à l'âme dans la retraite, quand c'est
lui-même qui la conduit dans la solitude. Je
la détromperai des objets du monde, dit-il
dans les livres saints : je tirerai en sa fa-
veur tous ces voiles sé.iuisants qui cachent
les abominations du siècle: je la séparerai
d'un monde enchanteur: je la placerai dans
des lieux écartés : Ducam eamin solitudincm
(Osée, 1!); et dans ce séjour de paix cl de
calme, je parlerai à son cœur, je m'entre-
tiendrai avec elle : Loquar ad cor cjus. (It.id ')
Dieu promet donc solennellement dans l'E-
criture de s'entretenir avec l'âme retirée
dans la retraite. 0 quel langage que celui
d'un Dieu ! O heureuse l'âme qui entend
parler Dieu! Quel avantage! On peut le sen-
tir; on ne sauçait le définir. Je ne suis plus
surpris de voir un Moï«€> tout brillant de
lumière, après un court entretien avec le
Seigneur sur la mo .tagne. Je ne suis plus
surpris, grand Antoine, l'ornement du dé-
sert, de vous voir insensible aux hommages
que vous rendaient les plus grands empe-
reurs du monde, et aux lettres qu'ils vous
adressaient dans les solitudes les plus af-
freuses: Dieu vous parlait et vous l'écou-
liez. Je ne suis plus surpris de voir des
saints remplis de grâces, de lumières, de
charité. Quand Dieu s'entretient avec une
mue et qu'elle l'écoute, elle apprend tous
les secrets de sa charité; la charité em-
brase son cœur , le consume : Loquar ad
cor cjus. Langage de l'a religion , lan-
gage tout céleste. Les âmes retirées dans
SUJETS DIVERS. — SERM. Il, POUR UNE PROFESSION.
Soi
la retraite -ont des âmes mortes au monde,
et qui ne vivent que pour Dieu: mortuo pec-
calo, vircntcs Deo. (Rom., VI.) Lavie du cloî-
tre est cette vie nouvelle dont parle saint Paul,
et dont Jésus-Christ nous a donné l'exemple
par sa résurrection. Vous êtes cachée sous
le drap mortuaire le jour de votre consé-
cration ; on vous donne le nom de morts, on
vous sépare du monde comme un mort,
parce que le siècle n'a plus aucun droit sur
vous, comme vous n'avez plus aucun droit
sur lui ; et si vous sortez de ce tombeau mys-
térieux, ce n'est point pour le monde que
vous vivez, mais pour Dieu. Or des âmes
si parfaites tiennent un langage tout céleste -
et sont en état de dire avec saint Paul : No-
tre conversation est dans le ciel : Conversa-
tio nostra in cœlis est. (Philipp., III.) Vous
savez que Jésus-Christ, après sa résurrection,
non-seulement ne se trouva plus dans le
monde, mais même qu'il ne parla plus du
monde : il parut sur les rivages de la mer, il
parut au milieu de quelques disciples choi-
sis, voilà la retraite; mais dans la retraite
de quois'entrelient-il? L'Evangile nous l'ap-
prend: du royaume de Dieu; il ne parle point
d'autres choses jusqu'à son ascension: loquens
de regno Dei. (Act., I.) C'est pour l'obten:r
que vous êtes venue ici, c'est pour le ravir
que vous vous ferez violence : c'est lui que
vous demanderez tous les jours, c'est après
lui que vous soupirerez, c'est ce royaume
céleste que vous espérez à la fin de votre
carrière : il doit donc être la matière de vos
entretiens dans la retraite : loquens de regno
Dei. Vous l'entendrez ici, ma chère sœur, ce
langage céleste , on ne vous parlera pas de
ces empires, de ces royaumes, de ces cours
brillantes, de toutes ces scènes que le monde
représente avec tant de variété; mais on vous
parierades choses dxxcie], loquensderegnoDei.
Langage de la religion, langage charita-
ble : je parle ici de celles qui gouvernent.
Leurs discours, soit qu'elles instruisent, soit
qu'elles consolent, soit qu'elles reprennent,
sont des discours charitables. Ceux qui sont
dans la retraite forment une république où
U faut de l'ordre, de la subordination: de là
ces personnes vénérables qu'on mettait à la
tête des solitaires del'Orient, pour gouverner
ces célèbres monastères; de là ces confé-
rences spirituelles, et dont plusieurs, malgré
la fatalité des temps , sont parvenues jusqu'à
nous; de là ces jours [marqués dans la se-
maine où l'on voyait tous les solitaires pros-
ternés aux pieds des supérieurs pour s'ac-
cuser des plus légères imperfections : pra-
tique salutaire qui a passé dans l'Occident,
et qui s'observe encore dans les cloîtres;
pratique qui donne lieu à la charité des su-
périeurs de s'exercer et d'être utiles, et un
des avantages de la retraite. Les Romains
apprirent que Simon gouvernait le peuple de
Dieu, et ils donnèrent des éloges à son gou-
vernement, aussi bien qu'à celui de ses pré-
décesseurs; or, entre toutes les merveilles
de son règne, celle que j'admire le plus, c'est
la sagesse qu'il faisait paraître dans la con-
duite des différents esprits.
Ohatkurs sacrés: L.
568
L'Ecriture nous apprend qu'il parlait aver?
douceur aux faibles; qu'il soutenait avec
bonté ceux que la timidité ébranlait : Confir-
mavit humiles (I Mach., XIV) ; qu'il avait soin
d'exposer sa loi pour la faire observer : legem
exquisivit (Ibid.); qu'il ne souffrait aucun
vice dans la république : abstulit omne ma-
lum. (Ibid.) Or c'est sur ces principes, ma
chère sœur, que les supérieures parlent dans
la retraite; langage charitable rquand elles
parlent à ces âmes timides et craintives, à
ces consciences délicates, à ces esprits em-
barrassés de doutes et toujours dans les
alarmes, elles les consolent et les rassurent
contre ces vaines frayeurs : confirmavit humi-
les ; langage charitable : quand elles parlent à
ces âmes qui aiment à s'affranchir de cer-
tains devoirs, elles ont recours à In régla
pour condamner ces coupables adoucisse-
ments: legem exquisivit ; langage charitable:
quand elles parlent à ces âmes que l'ange de
ténèbres a séduites, à ces astres qui ont perdu
leur lumière, elles agissent avec sévérité,
avec menace, avec autorité, pour corriger le
vice et empêcher ses funestes progrès : abs-
tulit. omne malum. Or, dans toutes ces circons-
tances, ma chère sœur, qui ne doivent point
vous étonner, vous entendrez toujours le lan-
gage de la charité, qui console, qui reprend,
qui punit.
Langage de la religion , langage pur et
innocent : on ne cesse point de parler de
Dieu dans la retraite. Pour le monde, ses
histoires, ses aventures, ses plaisirs, ses
fêtes n'entrent jamais dans le langage des
épouses de Jésus-Christ; on garde un pro-
fond silence sur ce qu'on a vu dans le siè-
cle avant d'en sortir; on met dans un oubli
éternel les condescendances qu'on a eues
pour les usages du monde, et les impressions
qu'elles ont faites; l'amitié, l'union, l'âge, le
secret ne rendent point plus libres ; on re-
doute le récit des vices autant que les vices
mêmes; on ne veut point s'instruire ni gé-
mir des fautes dont on a horreur, et qu'on ne
veut point commettre ; on craint les images
du péché toujours séduisantes; on rougit ce
cette grande maxime, qu'il faut s'instruire de
tout ; et on ferme les oreilles aux discours
flatteurs du serpent qui veut apprendre le
bien et le mal. Dans les récréations, les mo-
ments destinés à dissiper les esprits, dans
les entretiens particuliers, c'est toujours un
langage pur et innocent, une conversation
chaste, comme le recommande l'apôtre saint
Pierre : castam conversalionem. (I Pet?-., III.)
Tel est, ma chère sœur, le langage delà reli-
gion, opposée celui du monde. Lors qu'Israël
passa dans l'Egypte, l'Ecriture remarque qu'il
entendit un langage qui lui était inconnu :
Cum transiret in JEgxjplum , audivit linguam
quam non noverat. (Deut., XXVIII.) Voilà
ce qui arrive quand on passe du cloître dans
le monde, ou du monde dans le cloître : une
jeune personne, qui a passé les années .de
l'enfance dans ces asiles de la piété, en sort
par l'ordre de ses parents qui la destinent
pour le monde ; et dans le sein de sa famille,
elle entend un langage qui lui est inconnu;
12
5C3
ORATEURS SACRES. BALLET.
364
on lui parle d'alliance, d'établissement, de
plaisirs: audhit linguam quant non noverat.
De même, une personne qui a passé une
partie de sa jeunesse dans le monde, qui a
écouté le langage de ses parents, de ses amis,
langage ter-restre, langage séduisant, crimi-
nel, lorsque, arrachée au monde par une
grâce choisie, elle entre dans le cloître, elle
entend un langage qui lui était presque in-
connu, un langage divin, céleste, charitable,
pur et innocent : audivit linguam quant non
noverat. Tel est, ma chère sœur, le second
avantage de la retraite. Mais je soutiens tou-
jours ce que j'ai avancé ; malgré ces avantages
on peut se perdre, si on n'y est point fidèle.
Dieu parle dans la retraite, mais ce n'est
pas à celles qui sont agitées des affaires du
siècle; que la fortune ou la décadence de
leurs parents trouble et occupe ; qui s'entre-
tiennent avec le monde, malgré ces espaces
immenses qui les en séparent ; qui en ap-
prennent avec plaisir des nouvelles, et qui
passent leur temps à y répondre. Dieu parle
dans la retraite; mais ce n'est pas à celles
qui, ennuyées de leur état, en détournent les
autres; qui, pour se dédommager de leurs
ennuis, apprennent aux mondains qui les
visitent les regrets qu'elles nourrissent, Jet
qui, semblables à ceux dont parle le Prophète,
ne font plus aucun cas de cette terre qu'elles
ont désirée avec tant d'ardeur, et obtenue
avec tant de peine : Pro nihilo habuerunt
terrant desiderabilem. (Psal. CV.)
Dieu parle dans la retraite; mais ce n'est
pas à celles que les plus charitables remon-
trances abattent, qui occupent et rebutent,
elles seules, les directeurs les plus spirituels
et les plus patients; qui ont de la conscience
pour écouter les scrupules , et qui n'en ont
point pour les déposer. Dieu parle dans la
retraite; mais ce n'est pas à celles que l'on
reprend toujours inutilement, qu'on menace,
qu'on punit, sans voir aucun changement ;
qui renvoient à l'ardeur des novices l'exac-
titude de la règle , comme si Dieu en deman-
dait moins à ceux qui finissent, qu'à ceux
qui commencent, et qui opposent leurâge ou
leur talent pour se dispenser de plier sous le
joug qu'on leur impose. Dieu parle dans la
retraite; mais ce n'est pas à celles qui écou-
tent l'ennemi du salut jusque dans le paradis
terrestre, qui lui préparent des victoires par
leur peu de vigilance, et qui goûtent avec
des confidentes éprouvées le plaisir de dire
et d'écouter ce qu'elles devraient taire ou
ignorer. Ne nous Hâtions pas, ma chère sœur;
la main miséricordieuse qui vous a retirée
du siècle ne vous a pas confirmée en grâce.
Après avoir triomphé des Egyptiens et être
entré dans le désert, il reste encore, dit saint
Augustin, des ennemis à vaincre; la grâce est
un trésor [tien précieux, les vases qui la con-
tiennent sont bien fragiles; vous marchez avec
votre perte, selon l'expression du Sage ; Cum
subversions ambulas (Eccli., XI) ; et vous
portez les dangers et les écueils dans le cloî-
tre, parce que vous vous y portez vous-
même; et on peut se perdre si l'on n'est pas
fidèle a l'esprit de
la religion, aux occupations de la religion:
troisième et dernier avantage de la retraite.
Si la retraite procure le repos de l'âme, elle
n'autorise point le repos du corps; et l'oisi-
veté que la religion condamne ne régna
jamais dans les solitaires et les personnes
consacrées au Seigneur. On ne se retire point
à l'écart pour vivre dans un lâche repos et
une molle indolence ; et c'est un -préjugé
très-injuste chez les mondains de traiter ce
pieuse oisiveté la vie de ceux que Dieu ap-
pelle dans la retraite ou dans le sanctuaire.
Mais le principe de ce préjugé, ma chère
sœur, est bien facile à développer: dans le
système du monde, prier, chanter les louan-
ges de l'Eternel, méditer sa loi, pratiquer
des austérités, gouverner, instruire sans es-
pérance de fortune et d'établissement, tout
cela n'est qu'une pieuse oisiveté, une occu-
pation inutile; tel est le préjugé injuste de
ces mondains qui s'occupent inutilement, qui
travaillent sans ordre, qui se remuent, s'agi-
tent, et se remplissent la tête de projets; ils
sont las, fatigués et glorieux des peines qu'i ls
se donnent ; ils tournent en ridicule la tran-
quillité du cloître; et moi je réponds à ces
critiques délicats, et je leur dis : Que la reli-
gion préside à vos occupations, que l'ordre
règne dans vos occupations, que la cupidité
ne multiple point vos occupations, que les
plaisirs ne dérobent rien à vos occupations,
et vous trouverez dans le monde même la
tranquillité de la retraite. Oui, ma chère
sœur, on est tranquille -dans la retraite sans
être oisive; c'est l'ordre qui règne dans les
occupations, qui procure ce repos qu'on vous
envie si fort, et que le monde ne se procure
jamais.
Occupations de la religion , occupations
qui honorent Dieu. Saint Jean nous repré-
sente les hommages que Dieu reçoit sans
cesse dans le ciel d'une manière qui doit
bien vous consoler, ma chère sœur : Lesanges,
dit-il, environnent son trône; vingt-quatre
vieillards posent leurs couronnes aux pieds
de l'Agneau immolé; les séraphins se voi-
lent la face, parce que leurs yeux ne sau-
raient soutenir la vue de la divinité, et toute
cette foule d'esprits bienheureux chante sans
cesse la sainteté et la puissance de celui qui
fait leur bonheur. (Apoc, IV, VU.) N'est-ce
pas là, ma chère sœur, une image naturelle
des occupations naturelles des vierges reti-
rées dans les cloîtres? Ne sera-ce pas aussi la
vôtre? Vous pouvez dire ce que l'ange Raphaël
disait àTobie : Je suis une des vierges qui se
tiennent respectueusement devant le trône de
l'Agneau pour chanter ses louanges; le chœur
est le lieu où elles s'assemblent, nous sommes
debout de vaut l'autel où s'immole notre Epoux
et les voûtes sacrées de ce sanctuaire auguste
retentissent des divins cantiques que nous
chantons le jour et la nuit en l'honneur du
Dieu vivant que nous adorons; nous faisons
sur la terre ce que les anges font dans le ciel :
Ego sum angélus, unus e septem qui astamtis
antr Dominum. (Tob., XII.)
Occupations de la religion, occupations qui
vous élèvent jusqu'à Dieu. Les objets du
565
SUJETS DIVERS. — SERM
monde font pencher la créature vers la terre ;
mais la méditation des choses célestes trans-
porte l'âme jusqu'au ciel, elle entretient dans
l'oraison un commerce avec son Dieu, elle
puise des lumières et goûte des consolations
que l'homme ne saurait raconter; c'est dans
cette divine occu|>ation que les saints ont puisé
cette force merveilleuse quilesfaisaitadmiier
des empereurs et redouter des démons mêmes;
c'est dans cette céleste occupation que le Pro-
phète s'unissait à son Dieu, s'embrasait du feu
sacré de son amour, et éprouvait ces divines
ardeurs qu'il fit éclater si souvent contre les
ennemis de Dieu : In meditaiione mea exar-,
descet ignis. (Psal. XXXVIII.) C'est aussi ,
ma chère sœur, dans la prière et l'oraison,
ces sublimes exercices de la retraite, que vous
vous élèverez jusqu'à Dieu.
Occupations de la religion , occupations
qui expriment la conduite de Dieu. Dieu
n'a pas eu plutôt créé le monde , qu'il y
établit un ordre merveilleux; il a réglé les
temps, les saisons, les années, les jours, les
moments. En se manifestant au dehors, il a
exigé un culte , et dans ce culte il a établi
aussi un ordre pour les fêtes et les cérémo-
nies. Car, quoiqu'il soit le Dieu de tous les
jours , il y a des jours où il veut l'être d'une
manière particulière. L'ordre appartient à la
religion. Un des caractères de l'enfer c'est le
désordre, ia confusion : Ubi nullus ordo.
(Job. X.) Or, dans la retraite, ma chère
sœur, on exprime la conduite de Dieu par
l'ordre qui règne dans les occupations : il y
aies moments pour le repos, les moments
pour le silence, le temps de la prière, le temps
du travail , le temps de la méditation; et ces
temps distingués et marqués par la sagesse,
ne sont jamais confondus. On est toujours
occupé et toujours libre, toujours agis-
sant et toujours tranquille, jamais empres-
sé, jamais surpris ; on agit comme n'ayant
qu'une seule chose à faire , parce que l'on n'y
applique son esprit que lorsqu'il faut la faire.
Cet ordre établi dans tous les monastères,
établis dans les déserts dès que les Paul ,
les Antoine, les Hilarion, les Pacôme levè-
rent l'étendard de la vie solitaire, dès que les
Basile et les Benoît eurent fait passer dans
l'Occident la perfection de la vie monastique,
exprime parfaitement, ma chère sœur, la
conduite de Dieu, conserve l'âme toujours
libre et procure le salut, dit saint Augustin,
Ordo ducit ad vitam.
Occupations de la religion , occupations
agréables à Dieu. Comme vous ne choisissez
pas vous-même vos occupations dans la re-
traite , et que, semblable aux serviteurs du
centenier, vous êtes soumise à une supé-
rieure qui commande différentes choses, oc-
cupe à différents emplois, sans consulter votre,
goût ni votre inclination, cette soumission
plait infiniment au Seigneur, il aime ces âmes
dociles qui ne se choisissent pas elles-mêmes,
qui n'ambitionnent pas un office plutôt qu'un
autre, et qui s'occupent avec mérite, parce
qu'elles obéissent en s'occupant.
Occupations de la religion, occupations qui
vous communiquent la force de Dieu. Le pro-
II, POUR UNE PROFESSION. 3GG
phète Baruch nous apprend que les Hébreux,
pendant leur captivité à Babylone, se retiraient
dans la solitude le longdufleuve, etque là ils
pleuraient, ils jeûnaient et ils priaient en la
présence du Seigneur: Plorabant, jejunabunt
et orabant in conspectu Domini. (Baruch, I.)
Telles ont toujours été, ma chère sœur, les
occupations des personnes retirées dans la
retraite , telles ont été celles surtout de ces
fameux solitaires de l'Orient , qui sont deve-
nus si puissants en œuvres et en paroles;
leurs fautes passées et expiées par plusieurs
années de pénitence , les persécutions que
les empereurs excitaient, les ravages que
l'hérésie faisait dans les plus belles portions
de l'Eglise, les vices du siècle, dont ils ap-
prenaient les funestes progrès, dans leur
solitude même , leur faisaient répandre des
larmes amères, plorabant ; les ennemis in-
visibles qu'ils avaient à combattre , les ten-
tations, les pièges, les appâts du vice que le
séducteur employait pour leur faire perdre
leur couronne , les honteuses révoltes qu'il
excitait au dedans d'eux-mêmes, et qui les
alarmaient encore sous le cilice et la blan-
cheur des cheveux, leur faisaient pratiquer
des austérités qui, malgré le témoignage
des Pères de 1 Eglise , et des empereurs
païens mêmes, passeraient presque aujour-
d'hui pour des exagérations de l'historien,
jejunabavt. La voix de ces hommes divins ne
retentissait-elle pas dans les vallons , sur les
montagnes , dans les antres sauvages et dans
les grottes rustiques? Dans la clarté du jour
et dans le silence de la nuit, Dieu entendait
leur voix plaintive , ils faisaient au ciel cette
violence, qui est si agréable à notre Dieu,
et dont parle Tertullien : orabant. Telles
seront vos occupations dans cette retraite,
ma chère sœur : telles doivent être celles d'une
victime, d'une Epouse de Jésus-Christ; les lar-
mes, les jeûnes, les pénitences, les veilles, ce
que la règle vous prescrit, ce que vous vous
prescrivez à vous-même, ce que la supérieure
vous prescrira, mortifications de préceptes ,
mortifications volontaires, mortifications d'é-
preuves : tout cela entre dans votre sacrifice
et forme cet état d'immolation que vous
choisissez aujourd'hui. Mais tout cela aussi,
en affaiblissant le corps, en captivant l'esprit,
en soumettant la volonté, communique une
force à l'âme , qui lui fait remporter autant
de victoires que l'ennemi lui livre de com-
bats ; une force toute céleste qui ne triomphe
jamais plus sûrement et avec plus d'éclat que
dans la faiblesse , le déchet et la destruction
de l'homme charnel : De cœlo fortitudo. (I
Mach. ,111.) Telles sont, ma chère sœur,
les différentes occupations de la religion
dans la retraite ; mais, malgré tous ces avan-
tages, il y en a qui s'y perdent. Comment
cela? Le voici. Car, il est important que vous
compreniez cette vérité, les occupations de
la retraite sont saintes: mais s'en acquitte-
t-on toujours saintement? voilà l'essentiel.
On peut faire l'œuvre de Dieu et se perdre;
s'immoler, se sacrifier, s'ensevelir avec
Jésus-Christ, comme vous le faites aujour-
d'hui , et perdre la couronne promise qu'on
3C7
ORATEURS SACRES. BALLET.
538
a choisie , pour laquelle on a foulé aux pieds
toutes les couronnes de lleurs que le monde
présentait : il ne faut pour cela que de la né-
gligence, du relâchement, de la tiédeur,
quelques retours vers le monde ; parce
qu'alors on est toujours victime, mais vic-
time languissante, victime triste , affligée,
abattue : victime par état, par engagement,
mais victime sans amour, sans charité, sans
consolation. Or l'Esprit-Saint nous dit par
les prophètes : Malheur à celui qui fait l'œu-
vre du Seigneur avec tié eur, qui s'acquitte
de ses devoirs négligemment; les malédic-
tions tomberont sur sa tête : Maledictus qui
facit opus Dei negligenter. (Jerem., XLV11I.)
Vous voyez ici qu'il ne s'agit point de cer-
taines actions, de péchés d'omission, mais
de l'œuvre de Dieu : opus Dei; qu'il ne s'agit
pas pour se perdre de violer ses vœux, de se
dispenser de ses devoirs : celui que Dieu
maudit dans cet endroit fait avec intégrité
l'œuvre du Seigneur : facit opus Dei; mais il
est négligent, tiède, languissant : voilà son
crime : facit opus Dei nerjlig enter. Or, sur ce
principe, que penser, ma chère sœur, de
celles qui sont occupées des offices du chœur,
sans être occupées de Dieu, et qui ne rem-
portent des divins offices que le seul plaisir
de les voir finir? Que penser de celles que
l'inconstance rend inutiles , que les chan-
gements amusent, qui se plaisent dans les
emplois quelles n'ont pas, et qui s'ennuient
dans ceux qu'on leur confie? Que penser de
celles que l'ordre incommode , qui sont tou-
jours empressées et jamais tranquilles , qui
passent d'un exercice à un autre sans prépa-
ration, et qui n'ont jamais assez de temps ,
parce quelles en perdent trop? Que penser
de celles qui murmurent dans le désert, qui
en veulent au Moïse qui les y a conduites ,
et qui gravent sur les murs et sur les
arbres de la solitude leurs ennuis et leurs
chagrins? Que penser de celles qui des-
cendent de la montagne où elles se sont
entretenues avec Dieu , sans force et sans
ardeur, qui ne peuvent résister au moindre
combat, qui ne se relèvent que pour retom-
ber ; que l'Epoux trouve toujours dans le
sommeil.et dans l'indigence, et qui, quelque-
fois, pour s'épargner une confusion salutaire,
s'enhardissent à garder un silence sacrilège?
Que penser? ma chère sœur: ce (pie j'ai
avancé, qu'on peut se perdre dans la retraite
malgré tous ses avantages, quand on n'y est
pas fidèle? Le démon n'a pas toujours été
défait dans la solitude; il a quelquefois atta-
ché à son char des solitaires qui avaient
blanchi sous la haire et le cilice ; la longueur
de nos combats, c'est la longueur de nos
jouis. Le théâtre où nous combattons, c'est
toute la terre, la sainteté du lieu n'ôle point
à lhomme ce que le baptême lui a laissé :
c'est dans le ciel seul que nous serons cou-
ronnés, parce que c'est là qu'il n'y aura plus
d'ennemis à craindre.
Mais je vous vois impatiente, ma chère
sœur, de consommer votre sacrifice , je ne
veux plus vous retarder; satisfaites votre
amour, prononcez ces paroles qui vous atta-
cheront à Jésus-Christ, sacrifiez votre cœur,
votre volonté et vos espérances; faites dans
le printemps de vos années et par amour ce
que les mondains font lorsque le tombeau
s'ouvre et les attend. Les mondains, au mo-
ment de leur mort, sont des victimesforcées
delà colère céleste ; ils offrent à Dieu une
vie qui finit, une volonté qui n'a plus de
choix, des biens qui leur échappent : quel
sacrifice 1 Cependant il faut le faire pour
vous, (ma chère sœur, victime volontaire,
victime d'amour, victime prompte; Dieu vous
accepte, c'est sa miséricorde qui vous im-
mole : l'autel est préparé, Dieu vous con-
temple , les anges vous admirent, ces dignes
épouses de.Jésus-Christ vous attendent, pour
vous donner le baiser de paix et un gage de
leur constante amitié. Montez à l'autel pour
vous immoler : Ascende et morere (Dcul.
XXXII); mourez au monde et vivez pour Dieu
et avec Dieu pendant l'éternité. Je vous la
souhaite.
SERMON III
ruÈcuÉ a l'odvertdre du jubilé,
Dans l'église paroissiale de Gif, diocèse de
Paris, le 6 juin 174-5.
Ecce nunc tcrnpus acceptabile, ecce nunc dies salutis.
(II Cor., VI.)
Voici un temps favorable, voici des jours de salut.
Ils sont enfin arrivés ces jours de grâce et
de bénédiction, que vous désirez avec tant
d'ardeur. Je vois avec plaisir ce saint temple
rempli de chrétiens attentifs à la lecture de
la bulle du souverain pontife.
Le successeur de Pierre, le vicaire de Jé-
sus-Christ (a qui il a été dit, Tout ce que vous
drliercz sur la terre sera délié dans le ciel
[Matth., XVI,]) vient d'ouvrir les trésors de
l'Eglise en faveur de ses enfants. Ces trésors
sont les mérites infinis de Jésus-Christ, qui
donnent seuls le p.rix à toutes nos actions,
et les vertus abondantes des martyrs et des
saints qui avaient encore puisé leur force
dans celte source féconde ; car vous avez
été rachetés par un prix infini : Empti estis
pretio magno (I Cor., VI); le sang de Jésus-
Christ répandu sur la croix.
Voilà les trésors de l'Eglise, voilà ce qui
a donné du prix et de la valeur à toutes les
actions de ces grandes âmes que nous admi-
rons : voilà ce qui a porté un Dieu irrité à
accepter les larmes, les soupirs, les mortifi-
cations de tant de pénitents.
Ayez donc confiance, pécheurs, dit saint
Chrysostome (homilia 80, ad populum Antia-
chenum), vous ne pouvez pas satisfaire à
Dieu par vous-mêmes : Tu non potes : ma s
votre Sauveur le peut et le veut : taus potest
Dominas,
Quoique tous les temps de la vie soier.t
propres au salut, quand on le veut sincère-
ment, dit saint Léon (serin, k De Quadrage-
sima) : quoique tous les bienfaits soient ré-
pandus sur nous avec une main libérale, et
que tous les moments de notre vie soient
marqués par des traits singuliers de son in-
finie miséricorde ; il est cependant-, chré-
,
339
SUJETS DIVERS. — SERM. III , PRECHE A L'OUVERTURE DU JUBILE.
5_0
tiens, de- jours où il la lait éclater avec plus
de magnificence et qu'on peut appeler avec
plus de confiance, et dans le sens même du
grand Apôtre, des jours de salut : dies salutis.
Quels jours plus favorables, plus précieux
pour le salut, que ceux où le souverain pon-
tife, suivant le pouvoir qu'il a reçu de Jé-
sus-Christ même, ouvre le trésor de" l'Eglise,
et annonce une amnistie générale !
En vain l'hérésie a-t-elle voulu contester
à l'Eglise le droit d'accorder des indulgen-
ces : l'Ecriture et la tradition l'a foudroyée.
On a dans les conciles, et surtout dans
celui de Trente, séparé les abus qui pou-
vaient s y
du dogme absolument
contenu et renfermé dans le pouvoir de lier
et de délier.
L'Eglise a le droit d'imposer de saintes
rigueurs : elle aie droit d'accorder des in-
dulgences. Ses rigueurs sont toujours néces-
saires et ses indulgences toujours salutaires.
Elle est sage quand elle soumet les pécheurs
à des peines temporelles; elle use sagement
de son pouvoir quand elle en remet une
partie, et si elle accorde ces grâces rare-
ment, c'est de crainte d'énerver la sainte sé-
vérité de sa discipline. Telle est la doctrine
de tous les siècles.
Ne changeons pas, Messieurs, ces trésors
de grâces en des trésors de colère. Que ce
bienfait universel que le souverain pontife
accorde ne soit pas inutile pour nous. Tant
de fléaux différents, le feu de la guerre al-
lumé dans toute l'Europe, l'esprit d'irréli-
g'ou, la corruption des mœurs, qui régnent
partout, nous annoncent que Dieu est irrité ;
efforçons-nous de l'apaiser et ne provoquons
pas sa colère dans le temps même de sa mi-
séricorde. Pour profiter du jubilé, entrons
dans l'esprit de l'Eglise; le voici, et en
même temps le plan de ce discours : Les
avantages du jubilé ne détruisent pas la sé-
vérité de la pénitence que méritent nos pé-
chés : première partie ; les avantages du ju-
bilé suppléent à l'imperfection de la péni-
tence qne nous pouvons faire pour expier
nos péchés : seconde partie. Demandons, etc.
Ave, Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
t< La grâce du jubilé est accordée pour aider
l'homme à satisfaire à la justice de Dieu irrité
contre ses crimes , et non pas pour le tran-
quilliser dans ses désordres, entretenir une
confiance présomptueuse , calmer ses justes
alarmes, effacer de son esprit et de son cœur
les utiles images de l'éternité, éner.ver les
saintes rigueurs de la discipline de l'Eglise,
élargir la voie étroite du ciel, dispenser de
cette violence nécessaire pour emporter la
récompense promise, et anéantir tous ces
grands oracles de l'Evangile qui annoncent
une perte inévitable à tous ceux qui ne font
point pénitence.
Posons des principes, chrétiens, ne di-
minuons rien de la grandeur du bienfait
qu'on nous accorde. Mais aussi ne tou-
chons point aux droits inaliénables que
Dieu a sur nous. Que le jubilé fasse naître
parmi nous l'esprit de pénitence et non
point l'esprit de relâchement ; qu'.l nous
fasse espérer le pardon des péchés que nous
pleurons, mais qu'il ne nous tranquillise
point dans les péchés que nous aimons. S'il
supplée à ce que les pénitents sincères ne
peuvent pas , il ne fera que rendre plus cou-
pables ceux qui ne font point d'efforts pour
apaiser le Seigneur. Les avantages du jubilé
ne détruisent point la sévérité de la péni-
tence.
Car, si vous y faites attention, mes frères,
vous verrez que, par un abus déplorable, le
jubilé ne fait souvent que des audacieux,
des ingrats et des lâches. C'est ainsi qu'on
change les plus grands remèdes en poison.
Voulez-vous une preuve de ce que j'a-
vance ? Ecoutez, je vous prie: Voici des
règles saintes, des règles de l'Eglise dans
tous les siècles et qu'on ne saurait violer
dans aucun temps, même dans celui du ju-
bilé. Ne perdez rien de ces réflexions, elles
sont solides ; et si vous les mettez en pra-
tiqué, vous profiterez du jubilé.
Première réflexion. L'Eglise a-t-elle ja-
mais accordé des indulgences à d'autres
qu'à ceux qui ont une sincère douleur de
leurs péchés et qui les avouent aux minis-
tres de la réconciliation? vere contritis et
confessis. Non, sans doute; vous le savez,
c'est là une condition essentielle pour ga-
gner des indulgences. Lisez les bulles des
souverains pontifes ; et c'est là ce que nous
opposons aux hérétiques qui les combattent.
Après avoir prouvé le droit de l'Eglise par
l'Evangile même, nous prouvons qu'elle ne
détruit pas la sévérité de la pénitence j ar
cette condition qu'elle exige.
Seconde réflexion. Pour gagner l'indul-
gence il faut se confesser ; or direz-vous
que l'Eglise vous dispense dans le tribunal
de délester vos péchés, d'aimer Dieu, de
pratiquer des rigueurs, parce que c'est le
temps du jubilé ? Les hérétiques seuls sont
capables de répandre ces calomnies. Ap-
prenez donc aujourd'hui, chrétiens, tout
le contraire de ce que vous avez [eut-être
pensé, faute de principes.
La grâce du jubilé doit nous faire conce-
voir de l'horreur du péché. La grâce du ju-
bilé doit exciter notre amour pour un Dieu
qui nous remet nos péchés. La grâce du ju-
bilé doit nous porter à de saintes rigueurs
contre nous-mêmes , parce que nous avons
péché.
En vous prouvant ces grandes vérités ,.
vous apprendrez que les avantages du jubilé
ne détruisent point la sévérité de la céni-
tence ; suivez-moi attentivement.
Si c'est un crime de perpétuer son péché
parce que Dieu est bon, c'est un système
horrible de ne le point détester parce qu'il
nous le pardonne facilement.
C'est cependant, mes frères, un aveu-
glement presque universel dont les hommes
ne sont point effrayés. Dans ce temps de ju-
bilé, de grâces, dans ces jours d'indulgence,
on pense à la facilité que l'Eglise \ résenta
à ses enfants pour satisfaire à la justice di-
371
ORATEURS SACRES. BALLET.
372
vine, quant aux peines temporelles qu'ils ont
méritées : on ne pense point aux peines
éternelles ni à la grandeur d'un Dieu of-
fensé par le péché. On fait consister toute sa
pénitence dans quelques courtes prières
qu'on récite sans en pénétrer le sens, sans
en sentir l'onction; dans quelques jeûnes
accompagnés de tous les adoucissements
que demande la délicatesse ; dans quel-
ques stations qui ne coûtent rien à la paresse,
parce que l'on choisit son temps pour les
faire ; dans quelques légères aumônes qui ne
seraient pas même suffisantes dans d'autres
temps pour satisfaire au précepte de la cha-
rité chrétienne. On fait ce qui est prescrit
par le souverain pontife pour éviter les
peines dues au péché, on néglige de porter
au tribunal de la pénitence les dispositions
nécessaires pour effacer le péché quant à la
coulpe, c'est-à-dire, pour apaiser un Dieu
offensé par le péché.
Pensez-y sérieusement, chrétiens; il y a
des règles sûres, des lois sacrées dont le
jubilé ne saurait vous dispenser ; et ces lois
regardent le sacrement de la réconciliation.
Le souverain pontife vous en avertit : pour
gagner cette indulgence universelle il faut
avoir une douleur de ses péchés, les détes-
ter, les confesser et s'être mis en état de re-
cevoir le corps de Jésus-Christ : vcre cotitri-
tis et confessis.
Agissez donc suivant ces grands principes
de la discipline de l'Eglise , ne comptez sur
l'indulgence qu'après que vous serez récon-
ciliés avec Dieu dans le sacrement de péni-
tence ; séparez les choses qu'il faut faire
pour rendre votre satisfaction suffisante,
des choses qui vous sont indispensables
pour recevoir l'absolution. Or, comme on
ne la reçoit jamais dignement et utilement
sans détester le péché, concluez avec moi
que les avantages* du jubilé, entendus dans
l'esprit de l'Eglise, ne détruisent pas la sé-
vérité de la pénitence. Je dis plus, chrétiens,
je dis que cette grâce du jubilé doit nous
inspirer encore plus d*horreur du péché; et
en voici la preuve.
Que fait la grâce du jubilé ? Elle nous
aide à satisfaire à la justice divine , quand
nous avons été réconciliés dans le sacré tri-
bunal de la pénitence ; or ces peines qui
restent à souffrir après que le péché a été
effacé quant à l'offense , ne doivent-elles
pas nous en montrer toute la grandeur, et ,
par conséquent, nous en inspirer de l'hor-
reur ?
Il faut être vraiment pénitent pour profiter
de la grâce singulière du jubilé; or, dit
saint Augustin (in psal. XXX, concione
prima), il n'y a point de vraie pénitence,
de pénitence sincère, lorsqu'il n'y a point
de naine du péché. C'est l'horreur qu'on a
du péché qui assure de la sincérité de la
pénitence : Pœnitentiam certain non facit
nisi odium peccuti.
On est disposé à commettre un péché dont
on n'a point d'horreur; on fait bientôt nau-
frage quand on ne redoute point le danger.
L'amour de la réputation fait conserver les
apparences de la vertu ; mais il ne fait pas
conserver la vertu même. On n'est pas long-
temps innocent, quand on ne veut l'être
qu'aux yeux des hommes. Le péché a assez
de difformité par lui-même pour nous dé-
plaire , et nous n'en concevons pas l'idée
que Dieu en conçoit, quand nous ne le regar-
dons pas comme le souverain mal.
Cette juste horreur du péché a armé tous
les vrais pénitents contre eux-mêmes. Ils ne
se rappelaient leurs égarements que pour
les expier par de saintes cruautés. Jugeons
par les sentiments de David, par les larmes
de saint Pierre, par celles de la Madeleine,
l'horreur que les vrais pénitents concevaient
du péché. Us ont toujours pleuré les péchés
qu'ils avaient commis , et ils ne sont jamais
retombés dans les péchés qu'ils pleuraient.
Voilà des preuves d'une sincère pénitence,
dit Origène ( homilia octava in Numéros),
pleurer les fautes passées : lugere prœterita,
et ne point retomber dans les fautes qu'on
a pleurées : cavere futura.
Cependant ces saints pénitents avaient en-
tendu des paroles de miséricorde , le Sei-
gneur leur avait accordé une indulgence
solennelle. On avait dit à David : Votre pé-
ché a été transféré , et la satisfaction que
Dieu exigeait était marquée clairement. On
avait dit à Madeleine : Vos péchés vous sont
remis, allez en paix. Jésus-Christ avait jeté
un regard de miséricorde sur saint Pierre.
Mais les vrais pénitents ne cessent point
de pleurer les péchés mêmes qui leur ont
été remis : lugere prœterita; l'horreur qu'ils
en ont leur fait craindre dene pas les expier
suffisamment. Ils déplorent ces moments
qu'ils ont donnés au crime , qui les ont
souillés et séparés de leur Dieu, et ils se pré-
cautionnent tellement contre les amorces et
les appâts du vice, ils combattent avec tant
de sévérité leurs penchants et leurs inclina-
tions qu'ils ne retombent jamais dans les
péchés qu'ils ne cessent de pleurer : cavere
futura.
Vous espérez, chrétiens, faire votre jubilé,
mériter la grâce que l'Eglise vous offre dans
ce saint temps; mais il faut auparavant être
pénitent. Or, dit saint Ambroise (lib. IX,
epist. 76), il faut qu'un pénitent commence
par condamner les péchés qu'il a eu le mal-
heur de commettre : débet prius damnare
peccalum. L'indulgence dont l'Eglise use à
votre égard ne doit pas vous rendre le pé-
ché moins odieux.
Ouoi! des chrétiens souillés de péchés,
épris des objets du monde, qui n'ont encore
fait aucune rupture, qui ne se sont fait au-
cune violence, attachés aux richesses, peut-
être à des plaisirs honteux, qui mènent une
vie inutile, ou qui ne travaillent que pour
la terre, qui conservent des amitiés dange-
reuses ou des inimitiés éclatantes, qui n'ont
jamais pleuré leurs péchés , qui s'efforcent
de les justifier, qui veulent bien s'en con-
fesser, mais qui ne veulent pas sincèrement
y renoncer, qui en redoutent bien les suites,
mais qui en aiment encore les douceurs,
participeraient à la grâce du jubilé, parce
373
SUJETS DEVERS. — SERMON III , PRECHE A L'OUVERTURE DU JUBILE.
374
qu'ils feraient quelques prières, quelques
jeûnes , quelques aumônes , quelques sta-
tions? Désabusez- vous, mes frères, on ne
peut point gagner d'indulgence qu'on ne
soit avant réconcil é avec Dieu, et on n'est
jamais réconcilié avec Dieu sans la haine du
péché ; c'est pourquoi il faut que la grâce
du jubilé nous inspire de l'horreur du péché,
si nous voulons sincèrement la mériter.
Le Calvaire a été le théâtre de l'amour im-
mense de Jésus-Christ pour tous les hom-
mes, puisque c'est là qu'il répand son sang
pour tous sans exception : cependant cet
amour immense de Jésus-Christ empêche-
t-il qu'il n'y ait un enfer creusé pour le
péché? Si le péché rend les souhaits du Sau-
veur mourant inutiles; si l'attache au péché
rend son sang inutile dans le sacrement de
la réconciliation, comment voulez-vous pro-
fiter de la grâce du jubilé, si vous ne détes-
tez pas le péché, si vous n'en concevez pas
de l'horreur.
David avait une juste horreur du péché. Il
ne se rappellait point ses faiblesses comme
une image flatteuse des douceurs qu'il avait
goûtées, mais comme une image effrayante de
ce qu'il avait fait contre son Dieu, de ces
coupables moments qui l'avaient souillé, et
du détestable abus qu'il avait fait de son au-
torité. C'est pourquoi il disait : Sans cesse,
mon péohé s'élève contre moi: Peccatum
tneum contra me est semper. (Psal. L.) Il le
voyait toujours avec toutes ses horreurs. Il
lui semble voir toujours à ses côtés l'ombre
du fidèle Urie qu'il a fait, périr inhumaine-
ment, et l'opprobre de Bethsabée qu'il a
déshonorée: Peccatum meum contra me est
semper.
La bonté du Seigneur, le pardon qu'il lui
accorde si facilement, la parole de réconci-
liation que lui porte le prophète Nathan,
n'ont point diminué à ses yeux la laideur et
la grandeur du péché. Que vous seriez cou-
pables, chrétiens, si l'indulgence que l'Eglise
vous accorde dans ces jours diminuait à vos
yeux l'offense que le péché fait au Seigneur 1
Si, mettant toute votre confiance dans cette
grâce qui suppose la pénitence et la haine
du péché, vous ne portiez au tribunal de la
Êénitence ni horreur du péché ni amour de
ieu, vous en sortiriez sans être réconciliés,
et par conséquent hors d'état de profiter du
jubilé ! Car les avantages du jubilé no détrui-
sent pointla sévérité delà pénitence, et après
nous avoir inspiré de l'horreur du péché, ils
doivent même nous excitera aimer un Dieu
qui nous remet nos péchés avec tant de
bonté et de magnificence.
Ne sortons point du principe que nous
avons posé, mes frères, souvenons-nous tou-
jours que les avantages du jubilé ne sont
que pour les vrais pénitents, pour ceux qui
ont porté au tribunal les dispositions néces-
saires pour être réconciliés et recevoir di-
gnement l'absolution.
Or, vous le savez, une des conditions es-
sentielles pour être justifié dans le sacrement
de pénitence, c'est de commencer à aimer
Dieu. Telle est la doctrine du saint concile
de Trente. La grâce du jubilé entendue dans
l'esprit de l'Eglise n'y donne aucune atteinte :
au contraire, comme je vais vous le prouver,
elle doit exciter notre amour.
Serait-il juste qu'une grande miséricorde
fermât notre cœur, et de nous croire dispen-
sés d'aimer Dieu, parce qu'il nous comble
de ses bienfaits? A Dieu ne plaise que je
vous représente l'indulgence que l'Eglise
accorde dans ce saint temps comme une dis-
pense des règles de la pénitence. Je vous
abuserais, et j'abuserais de mon ministère.
Cette grâce regarde les peines dues aux pé-
chés qui ont été remis. Elle les abrège, les
commue en de plus légères; mais elle ne
change pas et n'adoucit point les disposi-
tions que l'Eglise a toujou"s exigées pour re-
cevoir l'absolution.
Point de réconciliation avec Dieu, dit le
saint concile de Trente (sess. vi, cap. 6), si
vos cœurs ne se tournent vers lui et ne com-
mencent à l'aimer comme la source de toute
justice.
Fausse pénitence, dit saint Augustin (in
psal. XXX, concione prima), que celle qui
ne renferme point la haine du péché et l'a-
mour de Dieu. Que l'homme n'y compte
point : Pœnitenliam certain non "facit nisi
odium peccati, et amor Dei.
Quoi 1 on aura livré son cœur aux créa-
tures, le monde l'aura possédé tout entier,
l'idole de la passion y aura régné, tous les
objets du monde l'auront occupé, et on le
refusera au Seigneur! On doutera de la né-
cessité de l'aimer! Dans sa conversion, on
fera une question d'un devoir si indispensa-
ble ! Quelle honte pour nous !
Ce n'est point une chose difficile à l'homme
d'aimer, dit saint Jérôme (De cuit. Virg.)i
Amare nihil difficile homini. Au contraire,
il lui est difficile de ne rien aimer. C'est
pourquoi si Dieu n'a pas une place dans son
cœur, c'est que les objets terrestres le rem-
plissent. Ah ! l'Eglise prétendrait-elle ouvrir
ses trésors, accorder les grâces qui lui sont
confiées à des ingrats, à des hommes qui
aiment et qui se font gloire d'aimer les
biens fragiles du monde, et qui n'aiment
point le Créateur du ciel et de la terre?
Ah! ne vous contentez pas de dire (c'est
saint Augustin qui parle [De verbis Apostoli,
serm. 18, cap. 9]) : Je crains les tourments
de l'enfer, je crains de brûler dans les feux
vengeurs, je crains d'être pendant toute une
éternité l'objet de la colère d'un Dieu :
Gehennam timeo : ardere timeo : in œternum
puniri timeo. Cette crainte est bonne pour
vous disposer à la justification; mais elle ne
peut pas vous justifier. Encore n'est-elle sou-
vent en vous qu'une crainte servile, que
votre mauvaise disposition rend criminelle.
Si vous craignez simplement de brûler avec
les démons, continue ce Père (Ibid.) : Yovs
craignez les châtiments, vous ne craiynez
point Dieu : Scrvilis timor est quo times cum
diabolo ardere.
Si vous craignez de déplaire à Dieu, votre
crainte est chaste et très-louable : Timor
caslus est quo times Deo displiccre. Mais iî
375
0I1ATEUB.S SACRES. BALLET.
376
faut que cette crainte salutaire de l'enfer,
recommandée dans l'Ecriture, qui est un don
du Saint-Esprit, et que le saint concile de
Trente a défendue contre les erreurs des
hérétiques des derniers temps, introduise
l'amour, dit saint Augustin : ^ eniat charitas.
Celte crainte salutaire vous retient, vous
onserve dans la piété : Custodiat te timor
iste.
Mais après qu'elle vous a préparés, qu'elle
vous a saintement saisis, et qu'elle vous a
l'ait retourner à votre Dieu, l'amour entre
dans votre cœur et en bannit la crainte : In-
Irat charitas, pellit timorem.
Et s'il reste de la crainte dans les saints,
dans ceux qui sont sincèrement convertis,
c'est cette crainte pure et sainte dont parle
le Prophète, qui demeure toute la vie, parce
que toute la vie on doit craindre de déplaire
à son Dieu : Timor Domini sanctus, permu-
nens in sœculum sœculi. (Psal. XV11I.)
Voilà la doctrine de l'Eglise, chrétiens;
voilà ses règles. Elle distingue sagement ce
qui est utile pour disposer le pécheur à la
justification de ce qui lui est nécessaire pour
être justifié. Or ce qu'il y a de certain, c'est
que Kamour de Dieu, au moins commencé,
est une disposition nécessaire pour être jus-
tifié dans le tribunal de la pénitence. Toute
doctrine contraire est fausse.
Or, parce que nous sommes dans un temps
d'indulgence, s'ensuit-il que nous soyons
dispensés d'aimer Dieu? Ses bienfaits doi-
vent-ils faire des ingrats? Et parce que l'on
nous remet beaucoup, devons-nous moins
aimer? Non, chrétiens ; et c'est pourquoi j'ai
dit que la grâce du jubilé devait exciter notre
amour. Comprenez cette vérité par un simple
raisonnement :
Quelle différence y a-t-il entre cette con-
fession que vous faites pour gagner le ju-
bilé, et les autres que vous faites à certaines
solennités? La voici : Dans celle-ci, Dieu use
d'une plus grande miséricorde ; il vous re-
met les peines éternelles et une partie des
lomporelles : il use d'indulgence. Or cette
miséricordieuse condescendance du Sei-
gneur est-elle un titre pour vous dispenser
de l'aimer? Non sans doute, ces excès de sa
clémence doivent augmenter votre amour.
Qui sont ceux qui sont plus obligés d'ai-
mer? demandait Jésus-Christ à Simon le
pharisien. 11 lui répondit : Celui à qui on a
plus remis : Cui plus donavit. {Luc, VIL )
Or vous êtes ces débiteurs à qui on remet
beaucoup dans ce temps du jubilé. On abrège
votre pénitence, on vous remet une partie
des peines temporelles et les éternelles.
Vous êtes donc plus obligés d'aimer : Cui
plus donavit,
Ah! prenez-y garde, chrétiens, Jésus-Christ
ne remet beaucoup qu'à ceux qui aiment
beaucoup : Remittuntur ci peccata multa, quia
dilexit multum. (Ibid.)
Ne regardez pas le jubilé comme un temps
de relâchement, où les habitudes les plus
longues, les péchés les plus scandaleux sont
effacés sans qu'on éprouve des hommes que
la seule nouvelle d'une indulgence a traînés
au tribunal, qui n'ont ni douleur ni amour
de Dieu; la grâce du jubilé n'est que pour
les pénitents sincères, disposés à pratiquer
toutes les rigueurs dont ils sont capables.
Oui, chrétiens, quelque précieuse que soit
la grâce du jubilé, elle ne vous dispensera
jamais des saintes rigueurs de l'Evangile.
Au contraire, si vous la recevez avec de
saintes dispositions, elle vous soutiendra
dans cette voie étroite, tracée à tous les élus;
elle adoucira ce joug que le Sauveur leur a
imposé. Les vrais chrétiens ne succombent
point sous le fardeau de la croix.
Ce n'est pas concevoir une juste idée du
bienfait de l'Eglise que de le regarder comme
un titre pour marcher dans ces routes spa-
cieuses qui conduisent à la mort, pour vivre
dans un lâche repos et une coupable indo-
lence. Les oracles du Sauveur sont infailli-
bles ; la voie est étroite; le ciel soutire vio-
lence, il faut faire de continuels efforts, por-
ter sa croix et suivre Jésus-Christ. 11 n'a point
donné à son Eglise le pouvoir d'élargir la
route du ciel, de promettre sa conquête au
repos, à la mollesse, de dispenser les hom-
mes de participer à sa passion, et de marcher
dans la route du Calvaire. O divins oracles
sortis de la bouche d'un Dieu! Comment les
hommes osent-ils donc vous oublier, vous
mépriser? Comment ont-ils la témérité de
vous expliquer conformément à leur déli-
catesse, à leurs penchants pour la mollesse,
et à la frayeur qu'ils ont au seul nom de
mortification et de rigueur évangélique?
Ignorent-ils que le ciel et la terre passeront,
mais que votre parole ne passera jamais?
Quelle est donc l'idée de ces pécheurs qui
se disent convertis, qui croient avoir parti-
cipé à la grâce du jubilé, et qui se croient
par là dispensés des saintes rigueurs de
î'Evang:le? S'imaginent-ils que la grâce du
jubilé n'est accordée que pour faire des
lâches, énerver la discipline de l'Eglise,
opposer au crucifiement de J'Evangile la
mollesse du siècle, et ouvrir les portes du
ciel à des pécheurs qui se seront lassés
dans les routes du vice, et qui n'auront pas
Voulu entrer dans les sentiers de la vertu.
Ah ! si l'Eglise, par tendresse, veut suppléer
à ce que vous ne pouvez pas , elle veut avec
son divin Maître que vous fassiez ce que
vous pouvez. Quelques rigueurs que vous
pratiquiez, vous avez encore besoin d'indul-
gence.
Ecoutez le saint concile de Trente, chré-
tiens, voyez ce qu'il pense de ceux qui ont
perdu leur innocence, qui sont tombés
dans le péché, et qui sont déchus de cette
sainteté qu'ils avaient reçue dans le bap-
tême; il ne désespère point le pécheur
par un système de sévérité ; il ne dispute
point à l'Eglise le vrai pouvoir de remettre
les péchés : il ne dit point avec les Monta-
nistes, qu'il y a des péchés irrémissibles,
ou avec les Novatiens, que ceux qui sont
tombés après leur baptême ne doivent pas
être réconciliés.
L'Eglise n'a jamais abattu le pécheur par
une sévérité outrée: elle ne lui a- jamais
377
SUJETS DIVERS.
SERM. IN , PRECHE A L'OUVERTURE DU JUBILE.
378
fermé le cœur de Jésus : mais voyez si elle a
jamais dispensé Je chrétien qui est tombé
des saintes rigueurs de l'Evangile ; et si elle
a jamais enseigné qu'on pouvait retrouver
l'innocence du baptême sans de grands
efforts, sans larmes, sans travaux.
Oui, dit le saint concile de Trente (sess.
xiv, c. 2), on peut, après même avoir com-
mis de grands crimes, rentrer en grâce avec
Dieu, recouvrer la vie nouvelle, et l'intégrité
qu'on a reçue dans le baptême. Ce sont là
les heureux effets du sacrement de péni-
tence : c'est pour cela que Jésus-Christ l'a
institué. Mais ces heureux changements ne
s'opèrent point sans efforts, on ne rentre
j oint dans cet état d'innocence, d'où on
était déchu, sans beaucoup de larmes, sans
de grands travaux : sine magnis fletibus, et
laboribus : après le péché, ia pénitence ou
l'enfer. Or la pénitence dans l'esprit de
l'Eglise est un baptême laborieux : laboriosus
baplismus.
i.ntendez-vous parler l'Eglise, chrétiens,
dans ce très-saint concile, croit-elle avec
vous qu'il soit si facile d'être parfaitement
ré oncilié avec Dieu ? Y a-t-il quelque Ghose
qui autorise ces systèmes de tranquillité,
de sécurité, de mollesse, qui rassurent les
j énitents de nos jours , surtout dans ce
temps de jubilé où l'on se croit dispensé de
la pénitence dont on est capable, parce que
l'Eglise veut bien suppléer aux satisfactions
dont nous sommes incapables?
Ah ! si vous n'êtes pas dans une tristesse
salutaire : si vous ne répandez pas des lar-
mes amères, dit saint Bernard (in capite 3e-
j<tnii, serai. 2), vous ne sentez pas la profon-
deur de vos plaies, vous ignorez la grandeur
de l'offense que le péché a faite. Vous croyez
Être guéris, et vous ne l'êtes pas : Si non p'an-
gis, non sentis animœ vulnera. Voyez tous
les illustres pénitents qui ont mérité de re-
cevoir le pardon de leurs péchés, qui ont
été absous par un Dieu même, se sont-ils
épargnés? Les David, les saint Pierre,
les Magdeleine ont-ils cessé de pleurer et
de gémir? L'Eglise ne nous propose-t-elle
pas les saintes rigueurs qu'ils ont exercées
sur eux, aussi bien que la bonté de leur
Dieu? Si vous admirez la clémence du Sei-
gneur, vous admirerez aussi leur pénitence.
Us se ressouvenaient de leurs égarements,
pour les expier par de salutaires amertumes.
Us ne croyaient pas qu'il leur fût permis de
goûter même des douceurs innocentes après
s'être souillés par de coupables plaisirs. Ah!
vous n'êtes tranquilles, vous ne redoutez
lec saintes rigueurs de la pénitence, que parce
que vous n'êtes pas sincèrement convertis.
La clémence d'un Dieu offensé a toujours
armé les vrais pénitents contre eux-mêmes :
Si non plangiè, non sentis animœ vulnera. '
Parce qu'on ouvre dans ce saint temps les
trésors de la miséricorde divine, qu'on use
d indulgence, que la bonté de Dieu ne se
fait aucune réserve, le péché en est-il moins
grand? Dieu en a-t-il été moins offensé?
Méritc-t-il moins d'être pleuré et expié?
Le Seigneur, dit saint Ambroise (De pœnit.,
lib. II, cap. 6), a commandé à ses prophètes
de pleurer sur les péchés de son peuple.
Jésus-Christ a pleuré sur l'ingrate Jérusa-
lem, parce qu'elle était endurcie, et qu'elle
ne voulait pas pleurer ses coupables égare-
ments^ Quia ipsaflere nolebat.
Ah ! voulez-vous forcer aussi Jésus-Christ
à pleurer votre étonnante tranquillté? Rien
de plus criminel et de plus terrible , dit
saint Bernard (De modo bene vivrndi ad soro-
rem, 27), que de n'être point touché de ses
crimes, que de ne point répandre des larmes
sur ses coupables années. La perte d'un
Dieu ne mérite-t-elle pas d'être pleurée,
aussi bien que la perte d'un objet temporel?
N'est-il pas honteux que vous répandiez si
facilement des larmes pour un monde qui
vous échappera, et que vous n'en répandiez
jamais pour un Dieu que vous avez offensé
et qui vous jugera? Nihil pejus quam cul-
pam cognoscere, nec flere.
On ne vous demande pas, chrétiens, des
austérités singulières. Dieu n'exige pas, dit
saint Chrysostome (De compunctione cordis,
lib. II) , que vous quittiez les ornements
convenables à votre état, pour vous couvrir
d'un sac, et gémir sous un cilice. On ne
vous fait pas une loi de vous enfermer dans
un cloître, ou de quitter vos familles, pour
aller vous cacher dans la solitude : Non rc-
quirit Deus ciliciorum pondus, neque in obs-
cur is untris sedere jubet.
Mais on vous demande un genre de péni-
tence proportionné à vos péchés; un plan de
vie qui expie le passé, et qui vous précau-
tionne contre l'avenir; un ressouvenir amer
de vos iniquités; une sainte défiance d<
vous-même; une fermeté assez généreuse
pour immoler tout ce qui peut vous plaire,
et embrasser tout ce qui peut vous gêner,
pour renoncer aux plaisirs permis, après
vous être livrés aux plaisirs criminels; pour
punir une chair coupable, au lieu d'exciter
ses révoltes pour le repos et les délices ;
pour venger le Seigneur offensé, et ne plus
offenser un Dieu qui vous a pardonné : ces
saintes rigueurs ne sont pas si faciles que
vous le pensez, dit saint Chrysostome (homi-
lia hl in Mallh.) ; Non parvus est hic crucia-
tus animœ.
Mais peut-être me direz-vous, chrétiens :
Où est donc l'avantage du] jubilé, si nous
sommes encore obligés d'expier nos péchés?
Et moi je vous répondrai : Où est donc- la
haine du péché, la douleur du pécheur, l'a-
mour de Dieu, si on oublie sitôt son péché;
si on n'expie pas ses péchés, si on ne se
précautionne contre le péché, si on s'expose
à commettre encore le péché? Le jubilé,
comme je vais bientôt vous le prouver, sup-
plée à notre insuffisance lorsqu'il faut réparer
le péché, mais il ne nous dispense pas deg
rigueurs que nous pouvons pratiquer poui
satisfaire un Dieu offensé par le péché.
Dieu avait oit à David, à la Madeleine, que
leurs péchés étaient remis; jamais indul-
gence ne fut plus solennelle, jamais réconci-
lation ne fut plus certaine: cependant Dieu
a-t-il été obligé de dire à ces pécheurs ré-
370
ORATEURS SACRES. BALLET.
380
conciliés : Faites pénitence, pratiquez de
saintes rigueurs. N'ont-ils pas, jusqu'au tom-
beau, expié dans les larmes, les soupirs, les
jeûnes et les macérations, le fol amour qui
les avait éloignés de leur Dieu? La clémence
du Seigneur les a armés avec une sainte in-
dignation contre eux-mêmes. Pourquoi l'in-
dulgence de ce saint temps ferait-elle des
plus grands pécheurs autant de lâches et de
chrétiens délicats?
Regarderons - nous comme des pénitents
sincèrement convertis après ce temps deju-
b.lé ces hommes, dit saint Ambroise, qui
paraissent avec le même faste, le même or-
gueil, que l'on voit occupés de leurs plaisirs,
au lieu de penser à leurs péchés; qui recher-
chent avec ardeur les divertissements, les
spectacles, au lieu de pleurer et de gémir sur
leurs égarements passés; qui ne se précau-
tionnent point contre les appâts du vice, et
qui redoutent les exercices qui peuvent en-
tretenir la vertu; qui commettent de nou-
veaux péchés, au lieu d'expier les anciens,
et qui persévèrent dans une vie mondaine,
après n'avoir montré qu'une piété passagère?
Ces femmes qui sont si faibles quand il s'a-
git de faire pénitence, et si fortes quand il
faut porter le fardeau de la vanité; qui se
mettent à la torture pour paraître avec grâce,
et qui opposent leur délicatesse quand on
leur parle des mortifications de l'Evangile;
qui résistent a de longues séances de jeu, à
de« plaisirs fatigants, à des veilles conti-
nuelles, et qu'un jeûne ou la longueur d'un
ofïï e incommodent et rebutent; que le plai-
sir seul tire de la mollesse et de, l'oisiveté,
et qui portent dans les assemblées des chré-
tiens les ennuis que les cercles du monde
seuls peuvent charmer?
Ah! dit saint Ambroise {De, pœnit. lib. II,
cap. 9), doit-on voir des pénitents s'efforcer
de plaire au monde, désirer de briller dans
ses assemblées, eux qui doivent le reste de
leurs jours pleurer et gémir : Qaos lugere et
oemere oportebat? Doit-on voir encore avec
les ornements de la vanité, plongées dans la
mollesse ou exposées aux amorces du plai-
sir, des femmes qui ont tant de fautes à ex-
pier, et qui devraient, dans un saint désor-
dre et sous des vêtements simples et mo-
destes, pleurer ces attraits et ces grâces si
funestes à l'innocence ? Quœ se ipsas flcre
debebant.
Ah ! chrétiens , c'est là le déplorable aveu-
glement de nos jours; on croit qu'il est né-
cessaire de gagner l'indulgence du jubilé;
on ne croit pas qu'il soit nécessaire d'être
pénitent: cependant les avantages du jubilé
ne détruisent pas la sévérité de la pénitence,
ils ne font que suppléer à l'imperfection de
notre pénitence; je vais vous le prouver en
peu de mots dans la seconde partie.
SECONDE PAIITIK.
Après vous avoir saintement effrayés,
chrétiens, je veux vous consoler utilement.
J'ai suivi les règles de l'Eglise dans tout ce
que je vous ai dit jusqu'à présent; je ne m'en
écarterai pas non plus dans les motifs de
consolation que je vais vous présenter: mais
vous ne verrez point d'autre fondement de
nos espérances que la pénitence.
Si nous n'avions point d'autre satisfaction
à offrir à Dieu pour nos péchés que la péni-
tence dont nous sommes capables, nous se-
rions toujours malheureux, parce qu'elle
serait toujours insuffisante; mais les mérites
de Jésus-Christ joints à nos efforts rendent
noire pénitence utile et suffisante.
Or comme la grâce du jubilé est une effu-
sion abondante des mérites du Sauveur, voici
ses avantages : La grâce dujubilé doit nous
rassurer sur l'insuffisance de notre péni-
tence, parce qu'e.lle lui donne un prix infini.
La grâce dujubilé doit nous rassurer sur la
sévérité que doit avoir notre pénitence, parce
qu'elle supplée aux rigueurs dont nous som-
mes incapables. La grâce du jubilé doit nous
rassurer sur la longueur de notre pénitence,
parce qu'elle remet une partie des peines
temporelles. Mais pensez toujours que ces
avantages suppléent à ce que nous ne pou-
vons pas, et non pas à ce que nous ne voulons
pas. C'est aux vrais pénitents que je parle :
ces avantages sont pour eux seuls.
Oui, c'est à vous, pénitents sincères, qui,
touchés de vos crimes et effrayés des rigueurs
que Dieu exige d'un cœur coupable, vous
êtes mis en état de profiter de la grâce du
jubilé, que je parle; c'est à ceux qui se sont
représenté avec douleur un Dieu offensé,
qui n'ont vu qu'avec confusion l'opprobre
d'une jeunesse licencieuse, des années écou-
lées dans l'oubli de Dieu, dans des amuse-
ments criminels et des sollicitudes mon-
daines; qui gémissent de leurs coupables
attaches et d'une longue résistance à la grâce,
que je vais faire connaître les avantages du
jubilé.
Pour ces hommes de péchés d'habitude,
livrés au monde, et que le monde occupe
tout entier ; que la nouvelle du jubilé remue
et ne convertit pas; qui pensent à la facilité
d'obtenir le pardon de leurs péchés; qui ne
pensent pas à les détester; qui se flattent des
avantages de l'indulgence, et qui affectent
d'ignorer ce qu'il faut faire pour la mériter;
qui la regardent comme un baptême qui efface
toutes les traces du péché, mais qui ignorent
que c'est un baptême laborieux, un baptême
de rigueurs, une grâce qui supplée à ce qu'ils
ne veulent pas, et dont le sort est de faire
des lâches, des impénitents, des hommes
tranquilles; le jubilé ne fera que les rendre
plus criminels. Ces jours de salut sont pour
eux des jours d'abus, de profanation. Les
cent années que la bonté de Dieu a accordées
aux hommes avant le déluge n'ont fait
qu'augmenter leur désespoir le jour de ses
vengeances. Le seul, Noé, qu'une crainte sa-
lutaire avait animé à la construction de l'ar-
che, échappa avec sa famille à ce châtiment
universel.
Dans plusieurs endroits de l'Ecriture, et
lorsqu'il s'agit des plus fameux pécheurs,
des villes entières, des empires, nous voyons
toujours un temps d'indulgence et un temps
de sévérité; ceux qui ne profitent pas du
381
SUJETS DIVERS. - SERM. IU, PRECHE A L'OUVERTURE DU JURILE.
582
îernps de la miséricorde périssent dans le
temps de la colère; mais jamais on ne pourra
me | roduire un seul exemple d'un pécheur
qui ait obtenu miséricorde sans la haine du
péché, sans amour de Dieu, sans larmes,
sans jeûnes, sans rigueurs. Les larmes, les
regrets, les promesses d'Antiochus n'ob-
tinrent pas miséricorde, parce que le temps
de la miséricorde était passé. Les larmes
et les jeûnes des Ninivites arrêtèrent le
bras du Seigueur irrité, parce qu'ils pro-
fitèrent du peu de temps que sa clémence
leur avait accordé. Que ceux dont le cœur
. n'est point changé, déchiré, contrit, ne comp-
tent point sur la1 grâce du jubilé; ce n'est
pas à eux que je représente ses avantages.
C'est à vous, chrétiens, qui êtes entrés
dans l'esprit de l'Eglise toujours le même,
qui avez embrassé les saintes rigueurs de la
pénitence. Vous tremblez, parce que vous
pensez à l'insuffisance de votre pénitence ;
rassurez-vous, la grâce du jubilé lui donne
un prix infini.
Développons ici, chrétiens, autant qu'il est
en nous et en peu de mots, la céleste doctrine
de l'apôtre saint Paul sur notre insuffisance;
il y a de quoi nous humilier, il y a de quoi
nous consoler.
Ne soyons pas assez orgueilleux et assez
ingrats, dit ce grand apôtre, pour nous croire
capables de faire ou de penser même le bien.
Sans Jésus-Christ et sa gvâce, nous ne pou-
vons rien faire d'agréable à Dieu et de méri-
toire. Toutes les rigueurs dont nous sommes
capables, séparées des mérites du Sauveur,
ne peuvent, point satisfaire la justice divine;
toute notre suffisance vient de lui : Sufficien-
tia nostra ex Deo est. (II Cor., III.)
Si nos larmes, nos soupirs, nos jeûnes, nos
prières, nos aumônes, et toutes les rigueurs
dont nous sommes capables, fléchissent la
colère du Seigneur irrité contre nous, dé-
sarment son bras vengeur, ferment l'enfer
ouvert sous nos pieds, ouvrent le ciel qui
nous était fermé, ce n'est point nous qui leur
donnons ce prix qui les fait accepter; c'est
Jésus-Christ qui leur donne cette suffisance,
qui satisfait la justice divine, qui nous ré-
concilie avec Dieu -.Sufftcientia nostra ex Deo
est. C'est lui qui est notre justice, notre sanc-
tification, notre rédemption : Factus est no-
bis justitia, et sanctificatio, et redemptio. (I
Cor., I.)
Or, selon cette céleste doctrine, chrétiens,
examinons ce qui doit saintement vous ef-
frayer, et ce qui doit absolument vous con-
soler. Vous ne pouvez rien par vous-mêmes
dans l'ordre du salut. Les injustices, les hai-
nes, les vengeances, les colères, les men-
songes, les intempérances, les impuretés,
voilà malheureusement ce que l'homme peut
par lui-même, les excès dans lesquels il
tombe librement. Détester ses crimes, les
quitter, les pleurer, les expier, les effacer,
voilà ce qu'il ne peut par lui-même sans la
grâce, fruit précieux du sang d'un Dieu.
Or voilà ce qui doit saintement vous ef-
fraver. L'homme peut tomber de lui-même,
mais il ne peut se relever par ses propres
forces. Tel est l'ordre de Dieu, afin que
l'homme ne se glorifie pas en lui-môme, et
qu'il n'ait point la témérité de présenter à
Dieu ses bonnes œuvres comme son propre
ouvrage : Ut non glorietur omnis caro incon-
spectu ejus. (I Cor., I.)
Mais voici ce qui doit vous consoler, pé-
nitents sincères : c'est que ce que vous ne
pouvez pas par vous-mêmes, vous le pouvez
avec Jésus-Christ, et vous pouvez dire avec
l'Apôtre : Je puis tout en celui qui me sou-
tient : Omniapossum in eo qui me confortât.
[Philipp., IV.)
Je peux tout avec Jésus-Christ; je peux,
avec Jésus-Christ, rompre les chaînes crimi-
nelles qui m'attachent au char du démon; je
peux sortir de l'abîme du péché, le haïr, le
détester, l'expier, l'effacer : Omnia possum
in eo qui me confortât.
Mes larmes, mes soupirs, mes jeûnes, mes
aumônes, les rigueurs que je pratique, mê-
lées avec le sang de Jésus-Christ, jointes aux
mérites de Jésus-Christ, peuvent sûrement
apaiser le Seigneur irrité contre moi, désar-
mer son bras appesanti sur ma tête crimi-
nelle, arrêter s'es vengeances, me restituer
dans son amitié, et me réconcilier parfaite-
ment avec lui : Omnia possum in eo qui me
confortât.
Les mérites de mon Sauveur donnent une
efficace, un prix infini à ma pénitence. Sans
ces mérites je pleurerais, je gémirais inuti-
lement, je serais toujours coupable aux yeux
de Dieu, il verrait toujours en moi un cri-
minel impuissant pour le satisfaire; avec ces
mérites, mes larmes effacent mes iniquités,
mes soupirs sont écoutés, mes jeûnes salu-
taires, mes aumônes reçues favorablement,
les rigueurs que je pratique ont le mérite
d'un sacrifice, d'une immolation; rien n'est
inutile; tout sert à mon salut : Omnia possum
in eo qui me confortât.
Cette doctrine est consolante, elle humilie
l'orgueil de l'homme; mais elle relève son
courage abattu. Or, chrétiens, c'est de cette
doctrine, que les seuls ingrats peuvent ré-
voquer en doute, que je tire le crémier avan-
tage du jubilé.
Dans tous les temps de l'année, lorsque
vous vous confessez avec de saintes disposi-
tions, ce sont les mérites de Jésus-Chiist qui
vous obtiennent miséricorde. C'est son sang
qu'on vous applique; c'est par sa force et
son efficace que l'on vous remet vos péchés
quant à la coulpe, c'est-à-dire quant à l'of-
fense. Vous sortez absous du tribunal, mais
vous n'en sortez pas quittes envers la justice
divine. Il y a des peines temporelles pour
le péché qui a été remis, des satisfactions à
faire à un Dieu offensé par le péché.
Or voici le premier avantage du jubilé :
ce n'est point autre chose qu'une effusion
abondante et extraordinaire des mérites de
Jésus-Christ, une tendre condescendance
de l'Eglise pour vous décharger d'une par-
tie des rigueurs que vous devez exercer
sur vous-mêmes. La grâce du jubilé donne
un prix infini à votre pénitence, elle reme*
les peines temporelles telles que Dieu a droi'
3S3
ORATEURS SACRES. BALLET.
ZU
de les cx'ger el elle rend suffisantes celles
que vous êtes capables de pratiquer. O pré-
cieux avantage!
Entendez-le dans l'esprit de l'Eglise, et,
pour ne point vous tromper, mes frères,
j ensez que cette grande indulgence remet ce
que l'homme ne peut pas, et non point ce
quM] ne veut ; as; ce que Dieu pourrait exi-
ger dans sa sévérité, et non pas ce qu'il exige
dans sa miséricorde; ce que mérite le péché,
et non pas ce que le pécheur peut faire après
avoir péché.
Elle doit nous rassurer sur la sévérité que
doit avoir notre pénitence, parce qu'elle sup-
plée aux saintes rigueurs dont nous sommes
incapables, et non point pour rassurer dans
les frayeurs que nous avons pour le seul nom
de pénitence.
J'entre, comme vous voyez, dans le se-
cond avantage du jubilé, où il s'agit, en con-
solant les vrais pénitents, de combattre les
erreurs de ceux qui s'imaginent que le ju-
bilé dispense de la pénitence dont on est ca-
pable, parce qu'il remet en partie, c'est-à-dire,
pour ce qui n'est pas possible à notre fai-
blesse, les peines temporelles dues au péché.
Ah! qui me donnera ces traits vifs et en-
flammés des prophètes, pour représenter la
grandeur du péché, et les rigueurs qu'il exige
ue ceux qui en sont souillés.
Car je vois tous les pécheurs frappés d'un
aveuglement d'autant plus déplorable qu'il
est spirituel et qu'il conduit à la perte de
l'âme. En quoi ronsiste-t-il, cet aveuglement?
Saint Cyprien [De lapsis) nous l'apprend : Ce
sont i\es aveugles spirituels, dit-il: Percussi
stnt anirni cœcitale; tellement enveloppés
dans les ténèbres que produit la passion,
qu'ils ne comprennent ni la grandeur du pé-
ché, ni la nécessité de le pleurer amèrement :
Ut nec intelligent delccta nec plangant.
Remarquez ces deux caractères de leur
aveuglera jut : ne point concevoir la grandeur
du péché, et ne point se mettre en peine
d'expier le péché. N'est-ce pas là ce que nous
voyons dans tous ceux qui font consister la
pénitence dans une confession, faite quelque-
fois sans douleur, et qui ne regardent pas
les avantages du jubilé avec l'esprit de l'E-
glise.
Ah! continue saint Cyprien (Ibid.), il faut
que notre pénitence réponde à nos péchés;
il faut que des larmes abondantes et amères,
des jeûnes longs et austères-, des exercices
pénibles et laborieux, la retraiteet le silence,
les veilles et la prière, expient ces joies cri-
minelles, ces sensualités et ces excès; ce lâ-
che repos et cette criminelle oisiveté; cette
continuelle dissipation et ces conversations
licencieuses; ces longues séances de jeu et
ces assemblées profanes. Il faut que l'es ri-
gueurs de la pénitence soient proportionnées
aux criminelles douceurs du péché : Quant
magna deliquimus, tant grandîter defleamus;
que la grandeur de votre; pénitence égale la
grandeur du péché que vous avez commis.
Prenez garde de vous épargner : ce n'est
point faire pénitence, que de ne la point
faire assez rigoureuse ; on ne doit, pas se dé-
rober à ses rigueurs, quand on s'est livré aux
douceurs mortelles du trime : Pœnitentia
crimine minor non sit.
Ce n'est pas concevoir une juste idée des
avantages du jubilé quand on s'imagine qu'il
dispense entièrement des rigueurs dont
nous sommes capables. Consultez tous les
plus illustres pénitents, tous les grands ob-
jets que la foi nous présente; et désabusez-
vous. Sivousne faites point pénitence, trem-
blez, malgré la grâce du jubilé. Si vous pra-
tiquez les rigueurs dont vous êtes capables,
rassurez-vous, la grâce du jubilé supplée à
ce que vous ne pouvez pas, aux rigueurs
dont yous êtes incapables, et qu'un Dieu of-
fensé a cependant droit d'exiger.
Paraissez ici, fameux déserts de la Thé-
baïde, de Scélé et de Nitrie : vous avez été
peuplés d'illustres !pénitents qui conce-
vaient une juste idée de la grandeur du pé-
ché. Après plusieurs années écoulées dans
les larmes, les veilles, les austérités les plus
rigoureuses, ils redoutaient encore les ven-
geances d'un Dieu offensé par le péché.
On a vu le grand Hilarion trembler aux
approches de la mort. Soixante et dix années
passées dans la solitude, et dans les exer-
cices laborieux d'une pénitence qui tenait du
prodige, le rassuraient à peine.
Des hommes, courbés sous la haire et le
cilice, qui dormaient peu, qui ne mangeaient
presque point, qui travaillaient beaucoup,
qui priaient continuellement, appréhen-
daient de ne point expier suffisamment leurs
péchés.
L'histoire de ces hommes merveilleux
nous apprend que plusieurs s'erfermaient
dans des étroites prisons, qu'ils étaient conti-
nuellement baignés de leurs pleurs, qu'ils s'a-
nimaient à desaintes cruautés pour expier les
fautes qu'ds avaient commises dans le monde;
que l'image de ces coupables plaisirs, qu'ils
avaient goûtés en passant, les jettait dans de
saintes frayeurs, et qu'ils ne comptaient sur
les miséricordes du Seigneur qu'autant qu'i.s
persévéraient jusqu'à la mort dans les ri-
gueurs déjà pénitence.
O hommes de pénitence 1 Vous conceviez
une juste idée du péché; vous ne mettiez
point de bornes à la bonté de votre Dieu,
mais aussi vous n'en mettiez point à votre
zèle pour le venger : vous pratiquiez les ri-
gueurs dont vous étiez capables et sa clé-
mence suppléait à celles dont vous étiez
incapables.
Pensez de même, pécheurs d'habitude, pé-
cheurs scandaleux, qui voulez profiter de la
grâce du jubilé, et vous en connaîtrez l'avan-
tage, selon l'esprit de l'Eglise ; vous ferez ce
que vous pourrez pour expier vos coupables
années, et l'indulgence que le souverain pon-
tife accorde suppléera à ce que vous ne
pouvez pas. Penser autrement, c'est vouloir
faire l'Eglise complice d'un relâchement et
d'une morale qu'elle a condamnée dans tous
ses conciles. Le cœur seul du pécheur ira;- é-
nitent est capable de les adopter.
Fameux pécheurs, qui avez péri sous la
main vengeresse d'un Dieuoffensepar vospô-
585
SUJETS DIVERS. — SERM. III, PRECHE A L'OUVERTURE DU JUBILE.
385
chés; inondations générales qui avez ense-'
veli des hommes de péché dans vos abîmes ;
anges du Seigneur, armés de glaives pour
punir des armées souillées du péché ; sainte
montagne du Calvaire, arrosée du sang d'un
Dieu qui expire pour expier le péché; abî-
mes effrayants de l'enfer, creusés pour pu-
nir éternellement le pécheur, vous nous ap-
prenez les rigueurs que méritent nos péchés.
Ahl pourquoi les hommes ne méditent-ils
pas ces grands événements ? Pourquoi ne se
rappellent-ils pas ces tristes scènes? Ils con-
cevraient une juste idée du péché.
Rappellez-vous-lcs, pécheurs, ces grands
monuments de la justice divine dans ce
temps que vous regardez comme une res-
source à tous vos crimes, et vous ne regar-
derez plus l'indulgencf» qu'on vous accorde
comme un titre pour être admis, sans épreu-
ve, à la participation des saints mystères, et
vous dispenser d'expier vos années crimi-
nelles; vous connaîtrez l'avantage du jubilé,
et vous en profiterez, parce que vous direz
avec l'Eglise : Cette grâce supplée à ce que
nous ne pouvons point, et non pas à ce que
nous ne voulons pas : elle aide les pénitents
sincères à satisfaire à la justice divine; elle
n'autorise point les lâches à épargner une
chair criminelle.
Saint Paul a usé d'indulgence envers l'in-
cestueux de Corinthe; mais il avait pleuré,
gémi, édifié par une salutaire pénitence. Le
la santé plutôt que de l'altérer; quelques
pratiques de piété passagère» : ils avaient
une autre idée de la justice divine, et lo
plus grand nombre des années ne leur pa-
raissait pas trop pour expier un j éche qui
méritait l'enfer.
Or, sur ces principes de la conduite des
vrais pénitents, que penser de ces pécheurs
qui ont perpétué leurs pé, hés et qui n'ont
pas encore commencé à faire pénitence; de
ceux qui ont blanchi dans de honteuses ha-
bitudes, et qui ne veulent [joint se mortifier ;
qui veulent toujours goûter les douceurs
qui les ont fait tomber, et qui rejettent les
amertumes qui les préserveraient? Serait-ce
le jubilé qui les réconcilierait avec Dieu
sans pénitence, qui satisferait à la justn e
divine sans rigueurs , qui effacerait les
traces du péché sans larmes, qui rompra. t
leurs chaînes sans efforts, qui changerait
leur cœur malgré eux, qui les conserverait
dans la vertu sans précaution?
Quelle erreur de le penser 1 Quon est
aveugle si l'on croit que c'est là l'avantage de
cette fameuse indulgence qui remue tant
de coeurs endurcis aujourd'hui, qui traîne
tant de pécheurs d'habitude au sacré tribu-
nal ! Que la longueur de votre pénitence
égale la longueur de vos jours, et la
grâce
du jubilé suppléera à son peu c;e durée. De
même que toutes les rigueurs dont vous êtes
capables ne sont pas suffisantes [ our satis-
faire la justice divine, de même, quelque
aussi il ne veut point en faire un lâche. Il a longue que soit votre pénitence, elle sera
toujours trop courte pour effacer jusqu'aux
traces du péché : il faut que Dieu use d'in-
grand apôtre ne veut point l'abattre, mais
été content de son changement, et des ri-
gueurs qu'il avait pratiquées, et il s'est servi
du pouvoir de l'Eglise pour le consoler et
abréger sa pénitence ; et c'est ici un troisiè-
me avantage du jubilé, qui doit nous rassu-
rer sur la longueur de notre pénitence.
Adorons, chrétiens, cette rigueur avec la-
quelle Dieu punit jusqu'aux traces du pé-
ché : cette justice rigoureuse, qui veut voir
une âme entièrement purifiée des souillures
qu'elle a contractées dans le monde, avant de
de la souffrir en sa présence. C'est un Dieu
très-saint que les moindres restes du péché
irritent. Si sa miséricorde prévient les hom-
mes, pour les combler de ses grâces, sa jus-
tice éloigne même les élus, lorsqu'ils ont
encore quelques taches.
De là la sainte indignation des vrais pé-
nitents contre les moindres restes de leurs
péchés; ils ne s'épargnaient pas dans le
temps, pour être épargnés dans l'éternité.
La vie la plus longue ne leur paraissait pas
suffisante pour expier le dérèglement de
quelques années.
Aussi a-t-on vu des pénitents pleurer jus-
qu'au tombeau un péché échappé à l'ardeur
d'une bouillante jeunesse ; à peine la lon-
gueur de leur pénitence les rassurait-elle
contre la sévérité d'un Dieu qui veut être
vengé ou se venger lui-même.
Ces illustres pénitente n'étaient pas tran-
quilles après avoir reçu l'absolution ; ils ne
faisaient pas consister la pénitence dans
quelques courtes prières, quelques légères
aumônes, quelques jeûne?, qui conservent
dulgence à votre égard pour vous acquitter
envers lui.
Le plus grand saint aurait sujet de trem-
bler, dit saint Augustin, si Dieu l'examina. t
sans miséricorde.
Or, ces grands principes posés, voici l'avan-
tage du jubilé : cette indulgence supplée à
la longueur de la pénitence. Soyez sincère-
ment changés, véritablement convertis, vrai-
ment contrits et pénitents, persévérez dans
cet heureux état jusqu'à la mort : s'il plaît nu
Seigneur de vous ôter du monde dans ces
sentiments et ces saintes rigueurs, après
quelques jours même la grâce du jubilé
suppléera à la longueur de votre pénitence.
Voilà ses avantages.
Dieu ne vous demandera pas compte des
jours qu'il ne vous aura pas accordés pour
rolonger votre pénitence, mais des momenls
(pie vous aurez dérobés à la pénitence.
C'est sa miséricorde qui retire l'homme dans
l'exercice de la pénitence; c'est sa colère qui
retire l'homme dans l'habitude du péché.
Quelque peu de temps que vous viviez
après ce jubilé, si vous en avez reçu la grâ e
et si vous pratiquez les rigueurs dont vo s
êtes capables, le ciel vous est ouvert, vous
ne quitterez le monde que pour posséder
Dieu. Voilà les avantages du jubilé : il sup-
plée à la longueur de notre pénitence.
Paraissez ici, criminel pénitent : vous êtes
un trophée érigé à la clémence de Jésus-
Christ attaché à la croix pour vos crimes ;
387
ORATEURS SACRES. BALLET.
383
vous adorez celui qui y a été attaché volon-
tairement pour nos péchés; vous confessez
sa divinité dans les opprobres de sa .mort;
vous vous déclarez son disciple dès que vous
le connaissez; les premières impressions de
sa grâce vous convertissent, et c'est, ce qui
confond ceux qui vous citent pour autoriser
le système des impénitents, de ceux qui at-
tendent à la mort à se convertir.
Votre cœur est déchiré de douleur; vous
détestez vos forfaits; vous bénissez Dieu
dans votre supplice; le sang du Sauveur va
vous être appliqué avec abondance ; cet
Homme-Dieu va vous accorder une indul-
gence qui suppléera à la longueur de la pé-
nitence que vous devriez faire si vos jours
étaient prolongés. Voici une voix de miséri-
corde qui vous fait entendre ces consolantes
paroles : Vous serez avec moi aujourd'hui en
paradis. (Luc, XXIII.)
Or, chrétiens, voilà une image de l'indul-
gence qui nous assemble. Faites tout ce que
vous'pourrez, elle suppléera à ce que vous
ne pouvez pas. Faites pénitence, et elle ren-
dra votre pénitence suffisante et telle qu'elle
doit être pour vous obtenir la félicité éter-
nelle. Je vous la souhaite (36).
SERMON IV
POUR LE JOCR DE
LA NATIVITE
VIERGE,
DE LA SAINTE
Prêché dans ÏE/jUse det RR. PP. Thc'atins,
en 1729.
L'nus introitus est omnibus ad vitam. (Sap., VII.;
Il n'y a pour tous les hommes qu'une manière d'entrer
dans la vie.
Le berceau est pour tous les hommes un
théâtre de faiblesses et d'humiliations : nous
sommes en naissant, par nos pleurs, les pro-
phètes de nos malheurs futurs.
Les destinées des mortels sont différentes,
Messieurs : les uns naissent pour porter une
brillante couronne, couler leurs jours dans
la gloire et l'opulence ; les autres naissent
pour vivre dans la dépendance, couler leurs
jours dans l'obscurité et les larmes. Variété
admirable des conditions, des talents, des
succès, des prospérités pendant la vie de
l'homme, qui publie la sagesse du Très-
Haut! Mais voulez-vous voir, Messieurs, tous
les hommes de niveau, connaître leurs mi-
sères, leurs faiblesses? Représentez-vous
leur berceau. Là, celui 'qui doit commander
est semblable à celui qui doit obéir. L'opu-
lence du siècle vient orner les infirmités des
enfants des grands; elle ne les en exempte
pas : unus introitus est omnibus ad vitam.
Si la naissance de Marie eût été semblable
à la nôtre, Messieurs, l'Eglise répandrait des
larmes sur son berceau, au lieu de lui ériger
des trophées et de célébrer sa gloire.
Ce< a est point une grandeur temporelle
qui l'occupe aujourd'hui ; ces rois, ces pon-
tifes, que Marie comptait parmi ses ancêtres:
(38) Le talent déployé par Ballet dans le sermon
qu'on vient de lire, nous engage à reproduire à la
ce sont les grandes choses que le Tout-Puis-
sant a opérées en elle. L'Eglise admire ce que
la grâce a fait pour élever Marie, et ce que
Marie a fait pour répondre à la grâce. En
deux mots, une naissance distinguée par les
grâces les plus précieuses, une naissance
soutenue par les vertus les plus éminentes;
implorons, etc. Ave, Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
L'Eglise révère, Messieurs, dans la nais-
sance de Marie, une grâce puissante et ma-
gnifique qui avait rendu sa conception pure
et sans tache; d'une grâce singulière et con-
tinuelle qui doit la préserver toute sa vie du
péché; une grâce de choix et de prédilection
qui la destine à l'éminente dignité de Mère
de Dieu.
Que l'opulence, de grands noms, des titres
pompeux, de glorieuses destinées sur la
terre décorent le berceau des grands, ils
n'effaceront point les taches qui les souil-
lent. Le sang de Jésus-Christ seul peut les
purifier. La naissance seule de Marie est
distinguée par des grâces précieuses ; sa
grandeur est dans l'ordre de la religion : on
n'y voit rien de la pompe et de la magnifi-
cence de ses ancêtres : une sainteté anti-
cipée, une sainteté inaltérable, des titres
tous divins : voilà ce que nous allons admi-
rer; suivez-moi, je vous prie.
Un péché ineffable, une grande misère,
voilà, Messieurs, les maux qui précèdent et
qui accompagnent notre naissance, dit saint
Bernard. Péché dans j la conception de
l'homme, misère dans sa naissance. Il est
criminel avant que de naître, il est malheu-
reux en naissant : cujus conceptio culpa,
nasci miseria.
Tous les hommes sont enveloppés dans la
ruine ineffable du premier. Son péché passe
à tous ses descendants. Péché toujours an-
cien et toujours nouveau; péché qui se
communique à tous les mortels, et dont
aucun n'est exempt, dit saint Paul : Omnes
moriuntur in Adam. (I Cor., XV.)
O orgueilleuse raison de l'homme, ne son-
dez pas curieusement les profondeurs de ce
mystère. Cette ineffable communication du
péché originel est décidée par la foi de l'E-
glise. De là ces misères, ces faiblesses, ces
infirmités, ces douleurs, ces larmes qui en-
trent avec vous dans le monde, qui vous
accompagnent, qui vous annoncent.
Quelque flatteuses que soient vos des-
tinées sur la terre par les droits de votre
naissante temporelle, le péché et la misère
\ auront toujours présidé. La sainte Vierge
seule en a été exempte. C'est l'esprit ue
l'Eglise : elle révère une grâce puissante et
magnifique qui opère des prodiges pour la
rendre sainte dès le premier instant de son
être, préparer le grand jour de sa naissance,
et répandre sur son berceau un éclat tout
divin.
■ C'est du soleil que l'aurore emprunte son
suite de ses Œuvrer, oratoires son Instruction i:ir le
jubilé, qu'il a traité d'une manière remarauabîe.
189
SUJETS DIVERS
SERM. IV, NATIVITE DE LA SAINTE VIERGE.
390
éclat et sa beauté : c'est de Jésus-Christ le
Soleil de justice, que la naissance de Marie
tire tout son éclat et son ineffable sainteté.
Avant que d'être son fils, il est son Sau-
veur: il ne la purifie d'aucune tache, mais
il la préserve de toutes celles qui nous souil-
lent et nous corrompent: il ne la tire point
de l'abîme des misères humaines où le pé-
ché nous a précipités, mais il l'empêche d'y
tomber. 11 a effacé les péchés de tous les
mortels par son sang : il en a affranchi Marie
par une grâce puissante et magnifique : il est
pour nous un Sauveur de. rédemption, il a
été pour elle un Sauveur de préservation.
Tel est, chrétiens, l'esprit de l'Eglise sur
ce premier privilège de la naissance de Ma-
rie, sa piété le respecte.
C'est ce privilège que les Pères du concile
de Bâle ont respecté, lorsqu'ils ont dit qu'il
était conforme à l'honneur que nous devons
à la Mère de Dieu et à l'amour de son divin
Fils pour elle : c'est ce privilège que les Pères
du concile cVî Trente ont respecté, lorsqu'ils
ont déclaré qu'ils ne voulaient pas comprendre
l'incomparable Marie dans le décret du péché
originel, et lui ont donné les titres glorieux
de Vierge immaculée et de Mère de Dieu':
c'est ce privilège que les souverains pontifes
ont respecté, lorsqu'ils ont désapprouvé ceux,
qui le combattent, et menacé des censures
ecclésiastiques ceux qui n'observeraient pas
les constitutions qui inspirent ce respect et
ce sentiment.
Vous dirai-je , chrétiens, que ce respect
pour ce privilège de Marie a excité le zèle
des plus grandes Eglises, et des plus grands
empereurs!
On a vu l'Angleterre honorer, dans plu-
sieurs églises des îles Britanniques, cette
prérogative de Marie: on y célébrait dans le
onzième siècle sa Conception immaculée:
on a vu l'Eglise de Lyon, une des plus an-
ciennes des Gaules, prévenir même par son
zèle l'Eglise romaine, pour célébrer cette
fête : 'elle n'est coupable aux yeux de saint
Bernard que parce seul endroit.
On a vu Emmanuel Comnène, ce grand
empereur de Constantinople, solliciter avec
ardeur avant le schisme des Grecs, auprès
d'Alexandre III, la permission d'honorer, par
une fête éclatante et un culte pub'ic, ce pri-
vilège de la sainte Vierge.
Vous voyez l'esprit de l'Eglise, il éclate, il
s'annonce. Elle révère une grâce puissante
et magnifique, qui avait rendu sa Conception
pure et sans tache : une grâce singulière et
continuelle qui la préserve toute sa vie du
péché: grâces précieuses qui distinguent
sa naissance de celle de tous les autres
mortels.
Ecoutez, nations 1 Volez en esprit au ber-
ceau de Marie : contemplez les prodiges du
Seigneur; il a commandé aux vents et aux
tempêtes, cette sainte créature coulera ses
jours dans le calme: les passions, le monde,
l'enfer ne l'agiteront jamais : ils la respecte-
ront. Jamais le moindre souille impur ne
ternira la beauté de son âme : jamais l'image
du vice ne surprendra ses sens, le Seigneur
qui trouve des taches dans ses anges, n'en
trouvera jamais dans Marie.
C'est pour la consolation des catholiques,
et la confusion des hérétiques, que nous
étalons aujourd'hui aux yeux des fidèles,
dit le savant Yves de Chartres, ces grâces
précieuses que Dieu accorde àMarie dès les
premiers moments de sa vie: ces grâces qui
ne l'abandonneront jamais, et qui la ren-
dront toujours inaccessible aux traits de l'en-
nemi du salut: ut lœtctur catholicus, confa-
tetur hœreticus.
Prenez garde, chrétiens, lorsque nous di-
sons que Marie a été toute sa vie préservée
du péché, ce n'est pas une simple opinion,
un pieux sentiment qu'on soit libre d'em-
brasser, ou qu'il suffise de respecter. Les
Pères du sa'nt concile de Trente nous ensei-
gnent que c'est la doctrine de l'Eglise : tenet
Ecclesia. Contester cette prérogative à Ma-
rie, c'est imiter les hérétiques qui n'ont
point rougi des plus horribles blasphèmes.
Saint Augustin reconnaîtaussi ce privilège
avec toute l'Eglise. Il fait le portrait des
penchants et des faibles de l'homme , l'his-
toire de toutes ses misères, et il prononce,
d'après l'apôtre saint Jean, qu'aucun mortel,
quelque juste qu'il soit, n'est exempt de pé-
ché. Les vertus mêmes, dit ce grand docteur,
ne sont pas sans défaut : faibles et fragiles,
nous nous prêtons souvent à l'illusion en
voulant l'éviter. Si nous concevons de l'hor-
reur du vice, nous n'en concevons pas assez
des objets qui y conduisent: si nous évitons
les [léchés qui donnent la mort à l'âme, nous
n'évitons pas ceux qui jettent l'âme dans la
langueur : si on est sans crime, on n'est
pas sans imperfection: voilà le portrait de
tous les hommes.
Ici des pécheurs audacieux, endurcis dans
leurs crimes ; là des pécheurs pénitents, tou-
chés de leur chute : ici des pécheurs qu'ut. e
faiblesse passagère a entraînés dans le préci-
pice; là des pécheurs auxquels il ne manque
qu'une sainte violence pour rompre leurs
chaînes: ici des justes que la vigilance re-
tient sur la pente glissante de 1 abîme; là
des justes qui gémissent des révoltes de leur
chair : icides justes tombés dans la langueur,
et dont la charité est refroidie; là des justes
victorieux des passions qui les tyrannisent.
Voilà, dit saint Augustin, un fidèle tableau
de tous les enfants d'Adam; voilà une his-
toire fidèle de toutes les suites malheureuses
de notre naissance dans le péché. Je n'excepte
que la sainte Vierge: excepta sancta 1 irgine
Maria. Confirmée en grâce, elle est demeu-
rée tranquille parmi les vents, les tempêtes
qui agitent, ébranlent et renversent les fai-
bles humains. Nons manquerions à ce que
nous devons à Jésus-Christ son fils, si nous
la confondions avec ceux qui sont tombés,
ou qui peuvent tomber: excepta sancta Vir-
ginie Maria propter honorem Domini.
Ne soyez donc pas surpris, Messieurs, de
la joie que l'Eglise fait éclater aujourd'hui:
les avantages de la naissance de Marie épui-
sent son admiration : ces transports d'allé-
gresses, ces cantiques de louanges, ces élo-
501
ges pompeux sont des fleurs qu'elle .jette
avec respect sur son berceau, de glorieux
trophées qu'elle érige à sa grandeur future.
Une sainteté anticipée, une sainteté inalté-
rable la préparent aux. titres tous divins dont
elle doit être honorée.
Ceux qui naissent pour posséder de grands
emplois, de grands biens, de grands talents,
ne naissent pas toujours pour être heureux.
La haute destinée des mortels sur la terre
ne les exempte pas des suites humiliantes
du péché: mais, entrer; dans le monde pour
être la mère d'un Dieu qui se fait homme,
c'est naître pour être la plus heureuse de
toutes les créatures. Telle et, Messieurs, la
gloire de Marie, sa glorieuse destinée.
Naître pour posséder des richesses dan-
gereuses au salut et qui deviennent souvent
la source de tous les crimes qui souillent la
vie de l'homme: naître pour [ osséder de
grands titres qui supposent de grands talents
qu'on n'a souvent pas et qui ne servent qu'à
mettre au jour l'insuffisance de celui qui en
est dé. oré : naître avec un génie vaste et
brillant et ne pas être inaccessible aux char
mes rie l'erreur, aux attraits de la flatterie,
aux appâts du vice, quelle félicité! quelle
gran ieur. Messieurs! Y a-t-il là de quoi en-
fler l'homme, de quoi nourrir son orgueil?
Pourquoi les hommes se glorifient-ils d'une
naissant à laquelle ils n'ont point de part,
d'une naissance qui les met de niveau avec
tous les mortels par l'endroit le plus humi-
liant: je veux dire le péché , les misères et
les infirmités?
Je me rappelle ici, Messieurs, la naissance
de deux grands hommes que Dieu destinait
à des emplois importants dès leur berceau:
Moïse et Cj rus.
Je vois des prodiges dans la destinée de
Moïse choisi de Dieu, conservé miraculeu-
sement sur les ondes du Nil, élevé dans une
cour voluptueuse dont il devait reprendre
les vices et punir les impiétés; je vois dans
une seule personne le libérateur des Hé-
breux, le thaumaturge de l'Egypte, le Dieu
même de Pharaon.
Jamais naissance ne fut annoncée avec
plus d'éclat que celle de Cyrus ; plus d'un
siècle avant qu'il fût né, les prophètes la-
va ent dépeint dans leurs oracles et avaient
marqué clairement jusqu'à son nom; il
est suscité pour prendre Babylone, fonder
les florissants empires des Perses et des
Mèdes, et donner des édits pour faire hono-
rer le Dieu de Datrel. Mais ces deux grands
hommes, si différents par leurs vertus et leurs
triomphes : Moïse, toujours attaché au Sei-
gneur, Cyrus quelquefois attaché au culte
dos faux dieux, étaient des instruments dans
les mains du Tout-Puissant, dont il se ser-
vait pour punir un empire souillé de crimes,
protéger un peuple qu'il chérissait et faire
éclater sa puissance chez les ennemis de
son nom.
Ah ! Marie est annoncée par les prophètes
pour des merveilles bien plus consolantes;
elle est dépeinte de loin, sous le nom d'une
vierge de la race de David ; cette vierge con-
ORATEURS SACRES. BALLET. oC2
cevra le Désiré des nations, c'est d'elle que
doit naître, non le libérateur d'un peuple,
d'un empire, le fondateur de plusieurs
royaumes, mais celui qui doit établir le
règne de la grâce et de la charité, sauver
tous les hommes et expier leurs péchés :
Ipse salvum faciet populum suum a peccalis
eorum. (Matth., I.)
Celui qui doit naître de Marie ne délivrera
pas les hommes de .ses ennemis visibles qui
les attaquent et exercent leur valeur. 11 ne
renversera pas les trônes des rois et il ne
détruira pas leur puissance; son royaume
n'est pas de ce monde: mais il les délivres a
des peines que leurs péchés ont méritées; la
naissance de Marie annonce la sienne. C'est
la brillante aurore qui [.recède le soleil qii
doit éclairer tous les hommes. Par lui les té-
nèbres seront dissipées, les portes de l'enfer
brisées, l'Eternel désarmé, le ciel ouvert,
l'homme coupable réconcilié : Salvum faciet
p"pulum suum a peccatis eorum.
Ce sont, Messieurs , toutes ces grandes
vérités qui ont porté l'Eglise à célébrer la
naissance de la sainte Vierge avec tant de
pompe et de solennité. C'e>t l'éclat tout di-
vin de cette naissance qui porta Innocent IV
à donner une octave à cette grande fête et à
accomplir les vœux que les cardinaux en
avaient faits sous Grégoire IX, lorsque diffé-
rentes factions troublaient le Saint-Siège et
qu'ils gémissaient sous les coups que l'em-
pereur Frédéric portait au vicaire de Jésus-
Christ.
Marie, Messieurs, fut fidèle à toutes les
merveilles de son Dieu, et si vous ave/ vu
une naissance distinguée par les grâces les
plus précieuses, vous allez voir une nais-
sance soutenue par les plus éminentes ver-
tus. C'est le sujet de la seconde partie.
SECONDE PARTIE.
C'est dans l'ordre de la religion, Messieurs,
que la naissance de Marie a des privilèges.
Sa grandeur, son éclat ne viennent point des
titres que ses ancêtres possédaient. Hélas!
on sait que Marie est née lorsque la maison
de David était tombée dans la décadence la
plus humiliante, et que le trône de ses pères
était usurpé par Hérode. Toute sa beauté,
toute sa gloire viennent des grâces pré-
cieuses qui ornent son âme : Omnis glorîa
ejus ab intus. (Psal. XL1V.) il ne s'agit donc
point de soutenir l'éclat d'une naissance
temporelle, mais l'éclat d'une naissance toute
divine : or les vertus les plus éminentes
pouvaient seules répondre aux grâces pré-
cieuses qu'elle avait reçues ; c'est pourquoi
elle les pratiqua. Elle se donne à Dieu dès
son enfance par une olfrande solennelle; elle
craint toute sa vie de déplaire à son Dieu
par le péché; elle s'humilie tous les jours de-
vant son Dieu : la pureté, la retraite, l'humi-
lité de Marie, voilà les vertus qui ont ré-
pondu à la grandeur de sa naissance dans
l'ordre delà religion.
La pureté, Messieurs , est de toutes les
vertus celle qui nous approche le plus de
Dieu. En nous élevant au-dessus de l'homme,
593
SUJETS DIVERS. — SERM. IV , NATIVITE DE LA SAINTE VIERGE.
301
elle nous transforme en anges. Nous sommes
sur la terre ce que nous devons être dans
le ciel.
Les anges n'ont point de combats à soute-
nir pour se conserver purs; l'homme a des
ennemis à combattre pour défendre son
cœur. Il est au-dessus de lui-même quand il
est chaste ; il est au-dessous de lhomme
quand il se livre à de coupables plaisirs. Dieu
n'habite point avec celui qui se conduit selon
les mouvements de la cha:r ; Dieu s'approche
de celui qui est pur. La pureté unit l'homme
à Dieu; elle le transforme en quelque sorte
en Dieu : Incorraptio facit esse proocimum
Deo. (Sap., VI.)
De là, chrétiens, deux choses que nous ne
saurions tropadmirer dans Marie: les pro-
diges que Dieu a opérés pour en faire un
sanctuaire digne de la Divinité, les saintes
alarmes de Marie sur tout ce qui pouvait don-
ner atteinte à sa virginité. D'un côté, Dieu
cpn assure pour toujours la pure.ô de son
cœur par une grâce privilégiée; de l'autre,
Marie qui défend son cœur contre tous les
objets qui corrompent les nôtres, comme s'il
eût pu être séduit par les charmes du péché :
du côté de Dieu, des prodiges qui précèdent,
accompagnent, suivent la naissance de Marie,
afin qu'elle soit toujours pure et sans tache :
du côté de Marie, des craintes, des alarmes,
des frayeurs, comme si elle eût pu cesser
d'être vierge, et de plaire à son divin époux.
Les grandes choses que le Tout-Puissant
a opérées en faveur de Marie, sont, Mes-
sieurs, ces grâces magnifiques qui éclatèrent
dans sa conception et dans l'incarnation
du Verbe éternel. Le démon abattu, ter-
rassé , contraint de respecter Marie dans
Tinstant où tous les mortels sont sous son
domaine; sa virginité qui reçoit un éclat
tout divin, une nouvelle gloire en donnant
au monde le Fils éternel de Dieu incarné
dans son sein. Son amour pourla pureté qui
était en elle inaccessible à tous les traits du pé-
ché ; cette crainte qu'elle avait de donner at-
teinte à une virginité qu'elle ne pouvait ja-
mais perdre ;J'offrande qu'elle en lit au Sei-
gneur dès son enfan:e; voilà, Messieurs, les
merveilles que ce mystère nous présente,
les grandes choses que Dieu fait pour Marie
dans sa naissance, les vertus que Marie pra-
tique pour soutenir l'éclat de sa naissance
toute divine.
Soutenez-vous, chrétiens, l'éclat de votre
naissance spirituelle? Evitez-vous, craignez-
vous, ie;Ioutez-vous tout ce qui peut souil-
ler vos corps qui sont devenus par le bap-
tême les temples du Saint-Esprit ? car vous
avez été lavés et purifiés alors, dit saintPaul,
des taches de votre conception et de votre
naissance : Abluti esti?, sanctificati estis. (i
Cor., VI.)
Voyez les grands du monde : comme ils
vantent les avantages d'une naissance digne
de larmes, la noblesse de leur origine, les noms
fastueux de leurs ancêtres, les dignités, les
honneurs qui sont héréditaires dans leur fa-
mille; quelle estime fait-on cependant de ces
l&jhes qui coulent le urs jours dans la mollesse,
Ohatelrs sacués. L,
quoiqu'ils descendent de héros? S'ils n'ea
soutiennent pas la gloire, quoiqu'ils en por-
tent les noms, on les méprise.
Reconnaissez, dit saint Léon, la grandeur
de votre naissance spirituelle : Aynosce, o
chn'stiane, diyn'Uatem tuam. Les cieuxsesont
ouverts, alors la voix de l'Eternel s'est fait
entendre; sa colère a été désarmée, votre
âme sanctifiée, les puissances de l'enfer mises
en fuite, vos fers brisés, votre corps consa-
cré est devenu le temple vivant du Saint-
Esprit; voilà la grandeur de votre naissance
spirituelle. Ah I si de honteux plaisirs, des
intrigues criminelles, de coupables pensées
souillent ce temple du Saint-Esprit, Dieu le
perdra.
Les grands répondent à l'éclat de leur nais-
sance par des exploits, des talents des ma-
nières nobles, généreuses : le chrétien répond
à la sainteté de sa naissance spirituelle par
la pureté de son cœur et la fuite de tout ce
qui peut le porter au péché. Il évite les dan-
gers, il n'expose pas la grâce qu'il t reyttc.
Ici, Messieurs, Marie nous sert encore de
modèle; elle craint de paraître dans le
monde, comme si le monde eût pu quelque
chose sur elle. La retraite laiises délices; que
nous sommes éloignés, Messieurs, d'imiter
Marie, de répondre comme elle aux avanta-
ges de notre naissance, d"en soutenir l'é-
clat ;
Marie confirmée en grâce, exempte de tous
les penchants contraires à la sainteté, qui
n'avait rien à redouter des dangers du monde,
des révoltes des sens, des inclinations du
cœur, se cache, s'enveloppe dans la retraite.
Une sainte crainte lui fait tout redouter.
L'homme toujours sur le penchant de l'a-
bîme, et prêt à c'y précipiter; toujours atta-
qué, et prêt à succomber; toujours entraîné
verslemal qu'il déteste, et toujours détourné
par ses penchants du bien qu'il voudrait pra-
tiquer, se produit au dehors, s'expose aur.
dangers, ne fuit point les occasions; quel
aveuglement l
Marie dont la sainteté ne peut souffrir au-
cun déchet, redoute le monde. On l'a vue au
temple de Jérusalem, aux noces de Cana,
chez sa cousine Elisabeth, sur le calvaire au
pied de la croix ; voilà les seuls endroits où
elle paraît.
* L'homme, dont le cœur est tendre, si facile
à entamer, qui connaît ses faibles , qui a
éprouvé sa faiblesse, qui a fait des chutes,
s'expose dans les cercles, aux spectacles, et
sur tous les théâtres des passions humaines,
et dans tous les lieux fameux par les nau-
frages. Quelle témérité ! Ah? je ne suis pas
étonné de ses chutes ; on sort victorieux des
périls qu'on n'a pas recherchés; on périt dans
ceuxqu'on a aimés. Soyez où Dieu vousveut,
et il vous soutiendra. Je suis étonné de la
chute de Davjd, je suis étonné de la victoire
de Joseph
David, ce monarque vertusux, dont la sa-
gesse avait guidé tous les pas, dont les années
devaient avoir affaibli les passions, est pres-
qu'aussitôt vaincu qu'attaqué. Un regard
porté sur Bethsabée souille son âme, soii
13
trône, et le règne le plus glorieux qui fut ja-
mais.
Joseph nouvellement passé d'une vie cham-
pêtre à la cour d'Egypte,. dans un âge où les
passions sont vives et impétueuses, est atta-
qué et il résiste : il préfère les horreurs d'une
j krison aux faveurs et aux caresses qu'on vou-
lait lui prodiguer.
Ah 1 si je cherche le principe de cette
chute étonnante et de cette éclatante victoire;
si je suis surpris qu'un ancien d'Israël ait été
renversé si honteusement, et qu'un jeune
esclave soit sorti du combat avec tant de
gloire; je n'ai qu'à consulter, Messieurs, l'E-
vangile, le plan qu'un Dieu s'est tracé dans la
distribution de ses grâces, je découvrirai le
principe de la chute de David, et de la vic-
toire de Joseph. David n'était pas où il devait
être; Joseph était où la Providence l'avait
conduit. L'un a cherché le péril, il y est péri;
le péril s'est venu présentera l'autre, il en a
triomphé.
. Redoutez, Messieurs, le monde comme
Marie ; n'y paraissez qu'autant que la né-
cessité du rang, des emplois, du ministère,
vqus y oblige, et vous conserverez la grâce
précieuse de votre naissance spirituelle, et
vous n'abuserez point des grâces que Dieu
vous accorde, et dont vous avez besoin.
Dieu vous offre sa grâce pour vous faire
triompher des penchants qui vous sont res-
tés après votre baptême; mais ce n'est pas
dans ces cercles, ces spectacles que son
Evangile proscrit.
Ce n'est pas à ces personnes qui craignent
de ne point attraper l'art de plaire; qui gé-
missent sous le poids des parures mondai-
nes; qui élèvent avec tant de soin des édi-
fices de vanité pour dérober aux yeux de
leurs frères des défauts réels et n'étaler que
des grâces empruntées. Ce n'est pas à ceux
qui lisent ces ouvrages qui enseignent le
coupable secret de perdre la pudeur et l'art
de former les nœuds d'un criminel engage-
ment; qui louent délicatement les intrigues
menées avec esprit et les honteux succès
des corrupteurs de l'innocence. Ce n'est pas
à ceux qui fournissent à leurs passions les
aliments les plus propres à les enflammer,
que l'oisiveté endort, que la bonne chère
appesantit, que le jeu occupe, (pue la péni-
tence effraye ; oui , Messieurs, apprenez-le
aujourd'hui. Vous ne tirez pas de justes
conséquences de votre faiblesse; elle de-
vrait vous rendre timides, et vous êtes témé-
raires , elle devrait vous faire éviter les dan-
gers, et vous les recherchez ; elle devrait
vous faire craindre, et vous ne redoutez
rien.
S'agit-il de consacrer des titres qu'on a
hérites de ses ancêtres, de rentrer dans des
biens qui appartiennent par droit de nais-
sance, de recueillir les successions de ses
pères? On se remue, on sollicite : le barreau
retentit de ses plaintes; on choisit les plus
grands orateurs pour plaider sa cause.
S'agit-il des grâces précieuses, des avan-
tages de sa naissance spirituelle, on les
expose, on les perd sans regret? On ne fait
ORATEURS SACRES. BALLET.
3SG
rien pour les recouvrer. O hommes ! où est
votre foi? Ah! imitez Marie : elle soutient la
grandeur de sa naissance dans l'ordre de la
religion par des vertus éminentes ; elle aime
la pureté jusqu'à la préférer à la dignité
même de mère de Dieu; elle redoute le
monde jusqu'à se cacher dans la retraite;
elle est humble jusqu'à mépriser la gran-
deur de ses ancêtres et oublier les titres di-
vins dont elle est honorée.
La grandeur que Marie méprise et dédai-
gne, c'est la grandeur du siècle, c'est l'éclat
d'une naissance temporelle. Elle était issue
des rois d'Israël. Elle comptait parmi ses
ancêtres des -pontifes, de grands capitaines,
le sang des plus illustres familles du peu-
ple de Dieu coulait dans ses veines. L'Evan-
gile nous l'apprend, Messieurs, elle était de
la famille et de la race royale de David :
de domo et familia David (Luc, II), mais
grandeur qu'elle méprise, à laquelle elle ne
pense pas.
On ne la voit point gémir de la décadence
de ses pères et se repaître comme bien
d'autres, dans l'indigence et l'obscurité
d'une noblesse qui ne fait que rendre plus
pesant ,et plus humiliant le poids de la mi-
sère.
La grandeur, Messieurs, que Marie res-
pecte, mais qu'elle oublie pour penser à sa
bassesse, c'est l'éclat tout divin de sa nais-
sance dans l'ordre de la religion; ces grâces
singulières et magnifiques qui en firent le
chef-d'oeuvre de là toute-puissance de Dieu ;
ces titres divins de mère de Dieu qui relè-
vent au-dessus de toutes les créatures ; c'est
par une profonde humilité qu'elle soutient
l'éclat de cette grandeur céleste. Jamais créa-
ture ne fut plus élevée, jamais créature ne
fut plus humble. Abîme surprenant, dit
saint Anselme, de grandeur et d'abaisse-
ments : sublimis et humilis.
Une créature élevée à la dignité de mèro
de Dieu ; la mère d'un Dieu qui prend la
qualité de servante; ce que Dieu pense de
Marie, ce que Marie pense d'ô'ie-même,
son élévation, ses abaissements. En deux
mots : elle est la plus grande, »a plus hum-
ble de toutes les créatures : sublimis et hu-
milis.
Tel est, Messieurs, le plan de l'Evangile :
on ne soutient la grandeur de sa naissance
spirituelle que par des abaissements. Dieu
élève celui qui s'abaisse.
C'est la naissance temporelle qui donne le
droit de porter des noms illustres, des ti-
tres pompeux. Un grand nom est un litre
pour arriver aux places les plus brillantes;
ce que l'on donne avec mesure au\ plus
éclatant mérite, est donné avec profusion à
l'homme de condition; la naissance supplée
au mérite. Dès le berceau, les grands sont
destinés aux plus éclatantes dignités : les
honneurs et les biens passent des pères aux
enfants; heureux si leurs vertus y passaient
aussi.
Mais, où est aujourd'hui la simplicité do
nos pères, leur modestie? Enflé d'une
naissance distinguée, on s'imagine ne pou-
597
SUJETS DIVERS. — SERM. V , SUR LA PRESENCE REELLE.
voir en soutenir l'éclat que par un étalage
fastueux de vanité, un orgueil qui dispute
jusqu'aux adorations dues à l'Etre suprême ;
des airs de hauteur qui semblent dédaigner
tous les mortels, dfc perpétuelles infractions
de la loi de Dieu; parce qu'on est grand, on
veut être les idoles du monde, recevoir ses
hommages, son encens; on dirait aujour-
d'hui que ce n'est plus la vertu qui honore
la grandeur et que le vice seul l'annonce,
la soutient.
Ah! chrétiens, oubliez, comme Marie, les
avantages d'une naissance temporelle; pen-
sez que, dans votre naissance spirituelle,
un sang infiniment plus précieux que celui
qui coule dans les veines des plus grands
hommes vous a été appliqué, que le sang de
Jésus-Christ a coulé sur vous,vous a purifiés
et vous a ouvert le ciel.
.Doit-on s'élever d'être ne grand, opu-
lent , puisqu'on est né pécheur et sujet
au péché? C'est de votre naissance spiri-
tuelle que vous devez vous glorifier, parce
que si vous en soutenez la grandeur par les
"Vertus chrétiennes, elle vous mettra en pos-
session de la gloire éternelle après cette vie
mortelle. Je vous la souhaite
SERMON V
SUR LA PRÉSENCE RÉELLE
Prêché dans V église Saint-Nicolas des vnamps ,
àParis, le jour de la fête du Saint-Sacrement,
ï année 1731.
Panis quem ego dabo, caro mea est pro muncli vita.
(Jean., VI.)
Le pain que je donnerai, c'est ma chair que je dois livrer
your la vie du monde.
C'est la vérité éternelle, mes frères, qui
prononce cet oracle avant que de mourir
pour nos péchés; il atteste, comme vous
voyez, la présence réelle de ce divin Sau-
veur dans l'Eucharistie; cet auguste sacre-
ment est véritablement sa chair : Caro mea
est.
Les apôtres, leurs successeurs, les conci-
les, les docteurs de tous les siècles l'ont
entendu dans ce sens.
11 est donc réservé à des hommes hardis,
téméraires, révoltés contre l'Eglise, jaloux
de se former un parti, do passer pour des
réformateurs, de faire violence à ces pa--
roles et à celles de l'institution, pour
substituer des ombres et des figures à la
réalité.
Que l'hérésie est téméraire et audacieuse !
Le triomphe du dogme de la présence réelle
doit à jamais confondre ces hommes super-
bes; ils ont en vain fouillé clans l'antiquité,
flétri les siècles les plus purs, obscurci les
plus brillantes lumières, fait paraître sur la
scène leurs plus habiles ministres; Jésus-
Christ présent dans l'Eucharistie reçoit et
recevra toujours les hommages et les adora-
lions des chrétiens soumis.
Vous en êtes témoins aujourd'hui , mes
398
frères; les majestés de la terre et toutes les
grandeurs du monde s'abaissent devant ce
Dieu caché. On le porto avec pompe dans
les rues de Sion; une foule de lévites en-
vironne l'arche sainte ; partout on lui dresse
des autels richement parés. Son passage est
jonché de fleurs; on voit continuellement
des nuages majestueux formés par l'encens
que lui olfrent les ministres des autels. L'air
retentit des chants d'allégresse et des louan-
ges que l'on donne à l'Agneau immolé et vi-
vant dans tous les siècles.
Ahl que ce divin spectacle est consolant
pour les catholiques, mais qu'il est humi-
liant pour nos frères séparés !
Il me semble, saint prophète, que vous
avez dépeint cet éclatant triomphe dans vos
divins cantiques.
Que le Seigneur sorte de son temple avec
la pompe majestueuse que son Epouse lui a
préparée : Exsurgat Deus (Psal. LXVIL); les
ennemis du culte suprême que nous lui
rendons seront confondus par sa présence :
Dissipentur inimici ejus (lbid.) ils se ca-
cheront dans ce jour solennel de son
triomphe : Fugiant qui oderunt eum a facie
ejus. {lbid.) De saintes délices et de pures
joies ne sont que pour les enfants soumis
de l'Eglise, qui l'adorent dans son sanc-
tuaire et dans le sacrement de son amour :
Justi epulentur et exsxdlent in conspeetu Dei.
[lbid.)
Hélas ! chrétiens, les preuves se présen-
tent en foule pour combattre nos frères sé-
parés, et je ne trouve rien pour justifier la
coupable conduite qui dément votre créance.
Après avoir prouvé qu'ils sont coupables de
nouveauté en combattant la présence réelle,
j'ai à vous prouver que vous l'outragez par
votre irréligion ; je prouverai qu'ils ont re-
noncé à la foi de leurs pères ; je vous prou-
verai que vous renoncez à leur piété ; en
deux mots :
J'établirai la présence réelle de Jésus-
Christ dans l'Eucharistie contre l'erreur de
nos frères séparés. J'opposerai la présence
réelle de Jésus-Christ dans l'Eucharistie à
la conduite des chrétiens indévots. Deman-
dons, etc. Ave, Maria
PREMIÈRE PARTIE.
C'est pour votre consolation, mes frères,
que j'établis aujourd'hui le dogme de la pré-
sence réelle contre les sacrilèges attentats
de nos frères séparés.
D'un côté, vous verrez ce mystère de l'a-
mour d'un Dieu soumettre la raison des fi-
dèles de tous les siècles, de tous les royau-
mes, de tous les lieux où l'Eglise règne et
est écoutée. De l'autre, vous verrez la fou-
gueuse hérésie l'attaquer dans un coin de la
terre; des hommes élevés dans l'Eglise ro-
maine, honorés même du sacerdoce, faire
violence aux paroles efficaces qu'ils avaient
prononcées tant de- fois ; entreprendre au-
dacieusement de renverser les autels, d'abo-
lir les sacrifices et ne rougir d'emprunter
390
ORATEURS SACRES. BALLET.
400
même de l'enfer des arguments contre la
doctrine de l'Eglise catholique (37).
Pour vous instruire en confondant l'héré-
sie, suivons la méthode du célèbre Vincent
de Lérins (prima commonitione) ; ce savant
pose des principes sûrs. Ce qui a fait la foi
de tous les siècles, de tous les lieux, de tous
les fidèles, est une vérité, un dogme, qui
mérite notre soumission : quod semper, fjnod
ubique, quod ab omnibus : or, tel est le dogme
de la présence réelle. Malgré les raisonne-
ments éblouissants et les orgueilleux efforts
des protestants, il a fait la foi des premiers
siècles comme des derniers; la foi de l'O-
rient et de l'Occident ; la foi de tous ceux
qui n'ont pas abandonné l'Eglise.
Consolez-vous, chrétiens, par ce détail,
et gémissez sur l'aveuglement de nos frères
séparés.
Le dogme do la présence réelle n'est pas
d'une nouvelle date, comme il a plu à nos frè-
res séparés de l'avancer dans leurs ouvrages.
C'est, chrétiens, une vérité que nous avons
apprise de la bouche même de notre Sau-
veur, qu'il a enseignée à ses apôtres. Les pre-
miers siècles de l'Eglise, que Calvin avoue
lui-même avoir été si purs, nous l'attestent
par des monuments respectables.
Ici, Messieurs, leurs aveux, leurs que-
relles particulières, leurs variations ne doi-
vent pas moins les couvrir de confusion que
l'éclat des preuves que j'expose à vos yeux
.pour votre consolation.
Jésus-Christ nous fait une promesse : Je
vous donnerai, dit-il, un pain qui est véri-
tablement ma chair : Panis que m ego dabo
caro mea est. (Juan., VI.)
Or, dans quel temps ce divin Sauveur fait-
il cette promesse? Quelques jours avant sa
mort. A qui la fait-il? A ses apôtres, qui de-
vaient instruire et convertir l'univers. Dans
quel sens l'entendent-ils? Comme nous l'en-
tendons aujourd'hui. Quelles sont les paroles
de l'institution? Celles-ci : Ceci est mon
corps: Hoc est corpus tneum; ceci est mon
sang : hic est sanguis meus. (Mal th., XXVI.)
Il ne dit pas : Ceci est la ligure, le signe,
le symbole de mon corps ; quelques-uns des
évangélistes auraient employé ces expres-
sions.
Près de douze siècles se sont écoulés avant
que l'hérésie ait avancé ces erreurs, et je
défie les protestants de prouver que les apô-
tres, leurs successeurs, les Pères des trois
premiers siècles, se soient servis de ces ex-
pressions : les sacramentaires les ont ima-
ginées, créées ; ils sont donc coupables
ce nouveauté (38)?
Ah! mes frères, ces paroles de Jésus-
Christ : Ceci est mon corps, ont toujours cm-
harras.se., confondu nos frères séparés : elles
sont, dit l'un d'entre cu\, des foudres qui
Jes écrasent (39).
(7)7) Conférence que Lulîier eut avec le Diable.
(58) Bérenger , dans le xir siècle, commença à
dogmatiser. Saint Lanfranc, archevêque de Cantor-
béry, le combattit à R:)in". Il dit dans son Ecrit
contre cet hérétique, cap. 17 : Credimus panem con-
verti in eaiu carnem (pue in entre pep&ndit.
De là, Messieurs, ces combats entre les
sacramentaires, ces schismes dans le schismo
même, ces différentes sectes, ces soulève-
ments indécents des disciples contre leurs
maîtres, ces désirs orgueilleux entre Luther
et Calvin, cette opposition éclatante de sen-
timents sur les paroles de l'institution.
Vous permettez, ô mon Dieu 1 ces divisions
entre les ennemis du sacrement de votre
amour, pour nous prouver leur crime; leurs
disputes et leur désunion font l'apologie de
la foi de l'Eglise.
Ah ! Seigneur, avant que de mourir pour
nos péchés, auriez-vous parlé obscurément
' à vos apôtres ? Leur auriez-vous laissé pren-
dre le change sur la manière dont vous êtes
présent dans l'Eucharistie? Et ces hommes
destinés à la conversion du monde entier,
n'auraient- ils détruit l'idolâtrie ancienne,
que pour en établir une nouvelle dans votre
Eglise ?
La fougueuse hérésie peut le penser et le
dire ; mais nous, ô mon divin Sauveur, nous
sommes persuadés que les apôtres, instruits
par votre bouche adorable, nous ont enseigné
la vérité.
C'est d'eux que nous tenons le dogme de
votre présence réelle dans l'Eucharistie; nous
ne pouvons pas être trompés.
Ce dogme n'est pas nouveau, puisque vos
apôtres T'ont prêché, puisque le grand Paul,
instruit par une révélation immédiate, nous
l'enseigne si clairement, puisque les hom-
mes des temps apostoliques, les Pères des
premiers siècles l'établissent si solidement
dans leurs ouvrages.
Ici, Messieurs, se présente une preuve
éclatante contre nos frères séparés, c'est le
témoignage de la plus vénérable antiquité;
ce sont ces siècles que les protestants n'ont
pu s'empêcher de respecter, ces premiers
conciles dont ils ont fait l'éloge.
Or, dans ces temps éloignés qu'ils n'osent
accuser ni de relâchement, ni d'erreurs, où
le trôné de Pierre était arrosé du sang de ses
pontifes, où la religion persécutée s'accrois-
sait sous les glaives et sur les échafauds, où
la gloire de ses enfants n'était pas de savoir
disputer, mais de savoir mourir pour la foi,
on croyait la présence réelle de Jésus-Christ
dans l'Eucharistie; c'était cette nourriture
sacrée qui faisait les délices des chrétiens,
qui les soutenait dans les combats que leur
livrait la fureur des tyrans'; nourris delà
chair de Jésus-Christ, abreuvés de son sang
précieux, ils bravaient l'appareil des plus
longs supplices.
Ce sont, Messieurs, les hommes des temps
apostoliques, les saints docteurs de l'Eglise,
qui nous enseignent ces vérités consolantes.
Les Ignace d'Antioche, les Clément, les Jus-
tin, les Tertullien, les Irénée, les Ambroise,
les Jérôme, les Augustin.
(59) Mélancthon, loin. 1 de la Cène du Seigneur,
pag. 428, dit, en parlant des paroles de l'Institution :
Tune istaverbu : hoc est corpus meum, fulmina erunt.
Il dit qu'il faut n'avoir pas une bonne conscience
pour n'en être pas effrayés.
401
SUJETS DIVERS — SERM. V, SUR LA PRESENCE REELLE.
102
Tous assurent que le sacrement de nos
eutels contient le corps et le sang du Sau-
veur; aucun ne parle de figure, de symbole,
de signe, comme Calvin; aucun ne mêle le
pain avec la chair, comme Luther. Les deux
grands apologistes de notre religion qui en
ont présenté le plan avec simplicicité aux
empereurs, ont parlé comme les autres Pères
de l'Eglise. S'ils ont employé les termes de
pain céleste, de pain sacré, dans leurs écrits,
ils n'en ont pas moins établi le dogme que
je défends aujourd'hui, en disant que nous
mangeons la même chair et buvons le même
sang qui avaient été formés dans le sein de
Marie, et que l'Eucharistie contenait le même
corps qui avait été attaché à la croix pour
nos péchés (kO).
Nos chers frères errants ne trouvent pas,
comme nous, de quoi autoriser leur doc-
trine dans l'antiquité. Avec toutes leurs re-
cherches, ils n'ont produit que quelques an-
ciens hérétiques qui ne croyaient pas ce
mystère de la charité d'un Dieu, et qui aussi
n'échappaient pas au zèle des saints docteurs
de leurs siècles.
La présence réelle a donc déjà un de ces
caractères divins qui établissent les vérités
de la foi, selon le célèbre Vincent de Lérins,
et selon aussi nos adversaires, puisque l'un
de leurs ministres se plaintqu'on ne s'y con-
forme pas assez dans l'examen des dogmes.
La présence réelle a toujours fait la foi de
l'Eglise : semper; disons aussi qu'elle a fait
la foi de tous les lieux : ubique (k\).
Les progrès du dogme de la présence réelle
égalent, Messieurs, ceux de l'Eglise ; comme
cette épouse du Sauveur règne dans tous les
lieux, qu'elle a étendu ses conquêtes de
l'orient à l'oxident, et que, selon la prédic-
tion, les rois, les savants sont venus se re-
poser à l'ombre de cet arbre majestueux qui
couvre de ses branches toute la terre, le
dogme de la présence réelle a soumis, aussi
bien que les autres, tous les esprits; il a été
cru dans tous les lieux où l'Eglise avait des
enfants : ubique.
Avec quelle magnificence, Messieurs, le
prophète Malachie n'annonce-t-il pas le sa-
crifice de la nouvelle loi? Il le fait succéder
aux sacrifices imparfaits de l'ancienne ; il dé-
peint sa sainteté, son excellence, son éten-
due, sa durée : il lui attribue tous les traits
magnifiques qui caractérisent l'Eglise.
Développons, Messieurs, toutes les véri-
tés renfermées dans ce grand oracle avant
que d'opposer à nos frères séparés la tradi-
tion de l'Eglise. J'ose le dire, il n'y a que
l'aveuglement et l'attachement à l'erreur qui
puissent y résister.
(40) Hscrclici ab Eucharistia abstinent , eo quod
non confileantur Eucharistiam carnem esse Salva-
loris nostri Jesu Christi. ( S. Ignatibs , Ep. ad
Smyrneos.) — Incarnati illius Jesu carnem et sangui-
nem esse docti sumus. (Sanctus Justinus, sec.Apo-
logia.) — Eucharistia est corpus et sanguis Christi.
(S. Ireneus, lib. IV, adversus hœreses, cap. 38.) —
Sanctus Clemens, Stromalum lib. I et lib. IV.) —
(Tertulianus, Apologet.) — Panis queni videtis in
llari sanclificatus , per verbuni Dei , corpus est
D'abord, le prophète nous apprend, que
Dieu dédaigne les sacrifices des Juifs, que
ces victimes impuissantes lui déplaisent,
qu'on chargera inutilement les autels de
présents, qu'il ne s'apaisera plus par le sang
des animaux immolés : Munus non suscipiam
de manu vestra. (Malach., I.)
f Ensuite il annonce un sacrifice qui ré-
pondra à la sainteté de Dieu, à sa grandeur,
à son infinie sagesse. Voici la promesse :
Comme je règne partout, dit le Seigneur,
on m'offrira partout une hostie pure et sans
tache : In omni loco sacrificatur et offertur
nomini meo oblatio munda. (Ibid.)
Or, quelle est, Messieurs, cette hostie
pure et sans tache ? Quelque violence que les
hérétiques fassent à ces paroles, c'est le sa-
crifice de nos autels : le sacrifice de la croix
renouvelé tous les jours et dans tous- les
lieux; c'est le corps de Jésus-Christ immolé
sur le Calvaire, et présent sur l'autel par les
paroles efficaces que le prêtre prononce :
c'est cette victime immense, toute-puissante,
infinie, égale à Dieu en sainteté qui l'apaise,
qui le désarme et satisfait avec abondance
à sa justice.
Les sacrifices de l'ancienne loi ne s'of-
fraient qu'à Jérusalem : celui de la nouvelle
s'offre dans tous les lieux du monde : m
omni loco ; cette vérité, Messieurs, a été en-
seignée dans tous les siècles, elle a suivi
les progrès de la foi.
Si les apôtres fondent des Eglises à An-
tioche, à Rome, à Alexandrie ; si l'Orient
devient chrétien et le séjour des plus bril-
lantes lumières de l'Eglise ; si les hommes
apostoliques annoncent la foi dans l'Occi-
dent; si les Pothin, les Irénée établissent
la doctrine de Jésus-Christ à Lyon, les Denis
à Paris, Jes Remy à Reims, les Grégoire dans
les îles Britanniques; je vois aussitôt des
autels élevés dans tous ces lieux, des prê-
tres qui consacrent et offrent l'Agneau sans
tache pour la rémission des péchés : In omni
loco sacripeatur et offertur oblatio munda.
Je consulte la foi de ces nouveaux chré-
tiens, les écrits de leurs apôtres, les litur-
gies, les prières de toutes ces Eglises nais-
santes, et je vois qu'ils confessent tous que
c'est le corps et le sang de Jésus-Christ qu'ils
offrent, qu'ils reçoivent : ils ignorent tous
ces distinctions, ces sens forcés des sacra-
mentaires.
Reconnaissez donc votre erreur, et gémis-
sez, ennemis du sacrement de nos autels,
pasteurs aveugles, qui paissez vos ouailles
d'ombres et de figures.
Vous dites qu'il ne faut se soumettre
qu'aux dogmes qui ont toujours fait la foi de
Christi, ealix" sanguis Christi est. S. Augustinis,
serin. 81 De diversis.) — Corpus Christi est in altari.
(S. Ambrosics, lib. IV De sacrament., cap. 2.)
(il) M. La Roque, ministre, dans son Histoire
ecclésiastique, dit, en parlant de Vincent de Lérins :
« Cet ancien auteur nous a laissé pour maxime , il
y a plus de douze cents ans , qu'il faut soigneuse-
ment garder ce qui a été cru partout , toujours et
par tous, i
403
ORATEURS SACRES. BALLET.
404
l'Eglise
et celle de tous les lieux, et vous
rejetez celui de la présence réelle qui a été
enseigné daus l'Orient et dans l'Occident :
ubiyue.
loi, Messieurs, je suis obligé d'opposer
encore la tradition à nos frères séparés, de
faire briller à leurs yeux ces grandes lumiè-
res de l'Eglise grecque, parce qu'ils osent
assurer que le dogme de la transsubstantia-
tion n'a été reçu que chez les Latins, et qu'il
a toujours été inconnu aux Grecs.
Les Basile, les Grégoire de Nyce, les Gré-
goire de Nazianze,les Cbrysostome, les Atha-
nase, ces grandes lumières qui ont éclairé
l'Orient, ont parlé de la présence réelle de
Jésus-Christ dans l'Eucharistie, comme les
Pères de l'Eglise latine (4-2).
Ils ont tous reconnu que nous étions nour-
ris de la chair et du sang de Jésus-Christ à
la table sacrée, ils ont tous parlé du change-
ment miraculeux du pain en son corps, et
du vin en son sang; aussi, Messieurs, le
terme de transsubstantiation que l'Eglise a
employé dans la suite pour confondre les
subtilités et les différentes erreurs des sa-
cramentaires, n'a jamais été combattu par les
Grecs unis à l'Eglise latine.
Ah 1 que cette union, cet accord de tous
les lieux doit confondre nos frères séparés
sur ce point de notre créance !
Dans l'Orient et dans l'Occident, Jésus-
Christ a des ministres qui l'offrent, des au-
tels où il réside réellement, des enfants qui
l'adorent da-ns son sacrement, des défen-
deurs qui vengent les outrages que lui font
les hérétiques.
Bérenger, ce précurseur des sacramentai-
rcs, trouve à Rome le saint et savant Lan-
franc, cette lumière de l'Angleterre, qui le
confond, le terrasse, le touche et le déter-
mine à jeter ses écrits dans les flammes.
Quels obstacles n'ont pas trouvé Luther
et Calvin dans l'Allemagne, lorsqu'ils ont
attaqué ce mystère de la charité d'un Dieu
Sauveur; divisés entre eux, proscrits, con-
damnés par l'Eglise, errants de ville en ville,
ils ont terminé leur carrière dans le trou-
ble et les disputes.
Les hérétiques ont-ils trouvé plus de li-
berté à prêcher contre la présence réelle en
Angleterre? Non, Messieurs. On sait qu'un
des quatre articles de la reine Elisabeth fut
qu'on ne toucherait pas au dogme de la pré-
sence réelle (k3).
Que l'hérétique parcourre tous les lieux
où l'Eglise est connue, écoutée, il y trou-
vera la même loi sur cette vérité de notre
religion: ubique ; tous les fidèles y sont
soumis : ab omnibus.
Je le sais, Messieurs, et l'Eglise l'a vu
avec douleur, elle en gémit: le nombre des
sacrementaires s'est multiplié: les ennemis
(42) Corpus ojus bominibus sufficil ad cibum ut
universi mundi fieret alimonia. ( S. Atiiana.su;s ,
Tract, in Evang.) — Quid de eo dicenduin est qui
otiose et inuliiiler edere audel corpus, et Libère
sangiiinem Donnai nostriJesu Cliristi. (S. Basiuus
Magnus, lib. I De Baptismo). — In corpus transmu-
tetursicut dielum esta verbo : hoc est corpus menu)
du sacrement* de nos autels ont eu des suc-
cès: l'hérésie a attaché à son char des villes,
des provinces, des royaumes même : les
simples ont été séduits par les charmes de
la nouveauté ; des savants ont été entraînés
par les appâts de l'indépendance ; des prin-
ces ont protégé l'erreur naissante et pros-
crite dès son berceau, pour secouer, par
principe, le joug de la soumission, et éten-
dre leurs domaines en s'emparant des biens
sacrés du sanctuaire.
Mais, malgré ces progrès que nos frères
séparés ont grand soin d'exagérer et de don-
ner comme une preuve de la protection du
ciel sur eux, il n'en est pas moins vrai que
le dogme de la présence réelle était cru par
tous les enfants de l'Eglise, lorsqu'ils ont
paru, et qu'il portait ce caractère éclatant
qui, selon eux, distingue toutes les vérités
de la foi.
En effet, Messieurs, si j'examine la foi de
l'Eglise lorsque Luther et Calvin ont paru;
si je me rappelle ce qu'ils étaient et ce qu'ils
sont devenus, la diversité de leurs senti-
ments, les différentes sectes qu'ils ont for-
mées, les obstacles qu'ils ont eu à surmon-
ter, tout m'annonce la nouveauté de leur
doctrine, tout m'atteste la foi constante et
invar'able de l'Eglise.
Je vois le dogme de la présence réelle
reconnu et défendu par tous les fidèles: ab
omnibus: il trouve des défenseurs dans ses
ennemis même, et l'on peut dire que leurs
disputes, leurs divisions sont des trophées
érigés à la présence de Jésus-Christ dans
l'Eucharistie.
En effet, Messieurs, en vain fouillent-ils
dans l'antiquité, en vain cherchent-ils dans
cette foule de grands hommes qui les ont
précédés, des maîtres dont ils puissent se
dire les disciples, ils n'ont jamais pu pro-
duire que quelques anciens hérétiques,
quelques manichéens cachés pour autoriser
leurs sacrilèges attentats.
Quels hommes, Messieurs, pour les op-
poser à tous les successeurs de Pierre, à
tous les saints docteurs, à tous ces peuples
fidèles qui adorent Jésus-Christ dans l'Eu-
charistie?
Quelle autorité pour l'opposer à cette voix
de toute l'Eglise qui s'élève dès que Béren-
ger ose débiter les erreurs, et qui foudroie
les hérétiques du xvic siècle dès qu'ils en-
trepiennent de les débiter?
Mais avançons : quels sont ces deux apô-
tres qui ont perdu l'Allemagne et une partie
de nos frontières?
Hélas! Messieurs, l'histoire fidèle nous
l'apprend. C'étaient des hommes élevés dans
l'Eglise romaine, l'un honoré du sacerdoce,
religieux, l'autre destiné au service des au-
tels, et déjà pourvu d'un bénéfice : tous les
in illud transelenienlala eorum qua; apparent na-
tura. (S. GniïGoiui's Nyssenus, Oral, ad catechum.,
cap. 57.)
(45) Les quatre articles qui faisaient de la peine \
la reine Elisabeth, étaiei.t les cérémonies, (os ima-
ges la présence réelle, la suprématie royale (Bcrnet,
lib. Ht, pag. 158).
SUJETS DIVERS. — SERM. V, SUR LA PRESENCE REELLE.
405
deux croyaient la présence réelle : l'un
comme prêtre , offrait les saints mystères;
l'autre, comme simple lévite, y participait
Qu'ont donc vu Luther et Calvin? Quelle
voix ont-ils entendue pour attaquer avec tant
de fureur nos sacrements?
Ah! disons-le, Messieurs, en gémissant:
ils ont écouté la voix du père du mensonge ,
la voix des passions, la voix de l'ambition;
ils ont été d'abîme en abîme, ils se sont per-
dus ; ils ont porté une main sacrilège sur la
colonne de la vérité pour la renverser; mais
ils sont péris sous les orgueilleux efforts de
leur haine.
Il est vrai que, semblables à Samson, leur
perte a été suivie de celle des peuples qui
les ont écoutés, admirés; mais le plus grand
nombre est demeuré ferme dans la foi. Bien-
tôt la division manileste l'erreur, la diver-
s'té des sentiments démente la mission ex-
traordinaire dont ils se vantent d'être hono-
rés. Calvin devient le disciple de Luther,
mais bientôt le disciple attaque la doctrine
du maître. Luther soutient que Jésus-Christ
est présent dans l'Eucharistie; Calvin sou-
tient que ce sacrement n'en est que la figure.
Luther, pour combattre l'Eglise romaine,
mêle des erreurs avec le dogme de la pré-
sence réelle ; Calvin le combat sans distinc-
tion. De là ces différentes sectes des sacra-
mentaires qui sont des monuments subsistants
des égarements de l'esprit particulier et d'in-
dépendance.
Il n'en est pas de même, Messieurs, de
l'Eglise: elle tient toujours le même lan-
gage ; tous ses enfants entendent comme
elle ces paroles du Sauveur : Ceci est mon
corps.
Il n'est aucun fidèle, dit saint Epiphane
(in Ancorato , n. 57), qui, appuyé sur la
promesse de Jésus-Christ, ne croie de cœur
et d'esprit la présence réelle de son corps
dans le sacrement de nos autels : Ncque
quisquam est qui ci sermoni (idem non aahi-
heat. C'est la foi des pontifes et des lévites,
des savants et des simples, des rois et des
sujets.
Dans quelques lieux de la terre que vous
vous transportiez , vous y trouverez des au-
tels dressés à Jésus-Christ, notre victime,
des prêtres qui l'immolent, des fidèles qui
l'adorent dans le sacrement de son' amour.
Dans les contrées idolâtres, dans les Etats
mêmes où l'hérésie est triomphante, il y a
des autels, des prêtres, des adorateurs de
Jésus-Christ dans l'Eucharistie. Dès qu'il s'y
trouve des enfants de l'Eglise, il s'y trouve
des défenseurs du dogme de la présence
réelle : Neque quisquam est qui èi sermoni
fidem non adhibeat.
Ah ! c'est ici , Messieurs , que je pourrais
aire aux ennemis de" la présence réelle ce
que le- grand saint Optât de Milève disait
aux donatistes: Vous combattez aujourd'hui
'le dogme aue vous avez cru et soutenu
406
lorsque vous étiez encore avec nous : com-
ment ne rougissez-vous pas de vos attentats,
et pouvez-vous vous familiariser ainsi avec
les sacrilèges? Vous abolissez un sacrifice
que vous avez offert comme nous ; vous mé-
prisez un sacerdoce dont plusieurs de vos
maîtres ont été honorés ; vous renversez des
autels sur lesquels ils ont immolé la vic-
time sainte et porté vos vœux , car vous avez
autrefois cru comme nous la présence réelle ;
vous avez assisté comme nous, et dans le
môme esprit, à la célébration des saints
mystères : Vos aliquando obtulistis (kh). Faut-
il commettre tous ces crimes pour justifier
votre séparation? Ecoutez la voix de votre
conscience et celle de toute l'Eglise, qui
vous les reprochent ; écoutez aussi les gé-
missements de cette tendre mère, qui vous
rappelle au bercail et qui ouvre son. sein
pour vous recevoir.
Le dogme que vous combattez est la foi
de tous les siècles, de tous les lieux et de
tous les enfants de l'Eglise : Credjtum est
semper, ubique, ab omnibus.
f Mais ce n'est pas assez, Messieurs, pour
remplir mon ministère et vous être utile,
d'établir le dogme de la présence réelle con-
tre les erreurs de nos frères séparés , il faut
encore opposer la présence réelle à la con-
duite des chrétiens indévols. C'est le sujet
de la seconde partie.
SECONDE PARTIE.
C'est votre foi, chrétiens, "que j'oppose ici
à votre conduite; cette fo? vive qui vous
montre Jésus-Christ sur l'autel ; cette foi vic-
torieuse des sens qui perce à travers les
nuages humiliants qui cachent le Dieu de
gloire à vos yeux; cette foi sans mélange
d'erreur qui vous fait croire avec l'Eglise le
changement merveilleux de la substance du
pain et du vin au corps et au sang du Sau-
veur; cette foi qui vous assure, contre les
erreurs de Luther, que Jésus-Christ est dans
nos tabernacles, qu'il y mérite et attend nos
adorations ; or, je dis, mes frères, que cette
foi vous oblige à un culte que vous démen-
tez souvent par votre conduite, un culte de
respect, un culte d'adoration, un culte d'im-
molation.
Ainsi, pour vous porter à gémir de votre
conduite, j'oppose le culte de respect que
vous devez à Jésus-Christ présent dans l'Eu-
charistie, à vos irrévérences aux pieds des
autels; le culte d'adoration qui lui est dû
comme Dieu, aux coupables attaches de vo-
tre cœur; le culte d'immolation qu'il exige,
aux sacrifices que vous faites au monde,( *>
que vous lui refusez ; en trois mots, et c'est
là votre crime, chrétiens indévots.
Vous ne respectez pas votre Dieu sur
l'autel; vous n'adorez pas votre Dieu sur
l'autel; vous ne vous immolez pas avec vo-
tre Dieu sur l'autel. Heureux si, en oppo-
(44) Qui enim est tain sacrilegum quam altaria Cliristi portata sunt. (Du schisme des donatistes ,
Dei in quibus et vos aliquando obtulistis, frangère, lib. IL) Saint Optât vivait dans le ive siècle.
raJcrc, icmorcie in quibus vota populi et nicinbia
477
ORATEURS SACRES. BALLET.
408
sant votre conduite à votre foi , je puis vous
toucher salulairement.
L'autel où Dieu est réellement présent ne
devrait être environné que de chrétiens
modestes, recueillis, saisis d'une sainte
crainte, de suppliants pénétrés de leur mi-
sère, de leur néant, de pénitents saintement
ahattus sous le poids de la douleur, et bai-
gnés de leurs pleurs, et nous le voyons tous
les jours environné de chrétiens qui l'insul-
tent, l'outragent; on voit des hommes dissi-
pés qui promènent des yeux égarés et cu-
rieux ; qui ne semblent approcher du sanc-
tuaire que pour braver, par leurs irrévéren-
ces, la majesté qui y réside ; des mondains
qui y étalent la pompe du siècle, qui veu-
lent y être distingués, dont les parures in-
déjchtes, les ennuis, semblent plutôt des
aveux de leur contrainte que des actes de
religion; des pécheurs hardis, tranquilles
dans le crime, qui s'en occupent, qui l'ai-
ment et qui sont à la source des grâces, sans
penser à demander celle de leur conver-
sion.
Or, mes frères, d'où viennent ces désor-
dres, ces scandales, ces sacrilèges? est-ce
que l'on ne croit pas à Ja présence réelle de
Jésus-Christ sur l'autel? est-ce que l'on ne
croit pas que c'est le même que les mages
ont adoré dans l'étable de Bethléem, le même
qui a vu la pécheresse, la Chanéenne, le
centenier humblement prosternés à ses pieds,
le même dont tant de personnes ont publié
hautement la divinité dans les opprobres
môme de sa passion? On le croit, et si vous
me demandez : Pourquoi donc bi peu de res-
pect, de piété et tant d'irrévérences, d'im-
modesties? Je vous répondrai : qu'on ne
rougit point aujourd'hui de démentir sa foi
par ses œuvres. .
Opposition à notre créance digne des gé-
missements de toute l'Eglise. Opposition,
prenez-y bien garde, chrétiens, qui rassure
nos frères séparés dans leurs erreurs dont
ils triomphent et prennent occasion de nous
insulter.
Or, qui peut vous enhardir, chrétiens, qui
croyez la présence de Jésus-Christ sur nos
autels? qui vous rassure? qui vous empê-
che de trembler? qui vous fait braver ces
châtiments redoutables qu'un Dieu irrité des
sacrilèges et des profanations a exercés sur
les Oza, les Héliodore , les Bcthsamiles
moins coupables que vous ?
Sont-ce ces voiles humiliants sous les-
quels votre Dieu se cache et s'enveloppe?
est-ce son silence sur ce trône de miséri-
corde? est-ce parce qu'il ne sort pas du fond
de ces tabernacles une voix menaçante qui
vous reproche vos dissipations, vos immo-
desties? est-ce parce qu'il ne parait pas sur
cet autel comme sur la montagne de Sinaï,
au milieu des feux, des éclairs et des ton-
nerres? Faut-il, pour vous saisir d'un saint
respect, vous humilier, vous abattre à ses
pieds, qu'il paraisse tout brillant de gloire a
vos yeux, et qu'il soit un Dieu terrible,
parce que vous méprisez un Dieu clément?
Laut-il qu'il vousïr.ontre, comme à Thomas,
ses plaies pour vous persuader que votre
Sauveur immolé sur la croix est réellement
présent sur l'autel? Voulez-vou^ vous assu-
rer par l'attouchement le plus immédiat
d'un mystère de foi?
Mais s'il faut tout cela, chrétiens, pour
que vous soyez saisis de respect, proster-
nés, tremblants en la présence de votre
Sauveur, où est votre foi? où est son mé-
rite?
Ces prodiges qui paraissent nécessaires
pour faire cesser vos irrévérences, ouvri-
raient aussi les yeux des hérétiques; ils re-
nonceraient à leurs erreurs, ils adoreraient,
saisis d'un saint respect, Jésus-Christ comme
vous; que dis-je? s'ils le croyaient présent
sur nos autels, comme vous faites profes-
sion de le croire, ils auraient peut-être l'a-
vantage sur vous, de ne point démentir leur
foi par des irrévérences, des postures indé-
centes, des airs profanes.
Heureux, mes frères, si ceux mômes qui
ne regardent ce sacrement que comme des
signes et des symboles, ne pouvaient pas
opposer la modestie avec laquelle ils assis-
tent à leur cène, à l'immodestie d'une foule
de catholiques qui assistent au sacrifice de
l'Agneau sans tache et font gémir les âmes
pieuses 1
Ah ! dit saint Fulgence (Ad beatum Fer-
randum Carthaginensem diaconum ; DeBapt.
JElh. moribundi, cap. 11), soyez tels que ce-
lui que vous voyez sur l'autel : Estole qued
videtis; vous voyez votre Dieu humilié sous
les voiles qui cachent sa grandeur; vous
voyez le miracle continuel que son amour
opère, afin qu'il n'échappe aucun rayon de
sa divinité: son silence dans nos tabernacles :
vous le voyez dans les mains des prêtres,
qui devraient être saints et qui ne le sont pas
toujours. Répondez donc à ces abaissement-;
que son amour lui fait choisir, par votre
respect, votre recueillement, votre modes-
tie : Estote quod videtis.
Environnez l'autel, comme les anges envi-
ronnent le trône de sa gloire ; la foi doit vous
saisir du même respect en sa présence.
Ah! Seigneur, faut-il que vos enfants per-
pétuent les outrages de votre passion, parce
que vous perpétuez les excès de votre amour
pour eux? Faut-il que l'autel nous retrace
le spectacle du Calvaire, et que pour quel-
ques chrétiens dévots qui imitent les sain-
tes femmes, le disciple bien-aimé, le crimi-
nel pénitent, le centurion, qui vous aiment
dans vos abaissements, se prosternent, frap-
pent leur poitrine, répandent des larmes,
confessent hautement votre divinité, une
foule de mondains vous méprise, vous in-
sulte et brave votre puissance, parce que
vous ne faites éclater que votre amour?
Vous ne trouverez donc pas, ô mon Dieu ,
de vrais adorateurs parmi ces hommes au-
dacieux qui bravent la sainteté de voâ autels ;
dès qu'ils ne rougissent point de leurs irré-
vérences, ils ne rougiront point de leurs cou-
pables attaches; s'ils manquent au* culte do
respect, ils manquent aussi au culte d'ado-
ration.
409 SUJETS DIVERS. — SERM. V,
Ici, chrétiens, l'opposition qui éclate entre
votre foi et votre conduite allume mon zèle,,
et je sens qu'il faudrait le feu et l'onction
des prophètes et des apôtres pour vous re-
tracer ces aveux et ces désaveux que vous
faites tout à la fois de la Divin té.
Votre Dieu est sur l'autel, vous le croyez,
et, au lieu de l'adorer, vous affectez de le
méconnaître, vous l'outngez.
Semblables à ceux qui fléchissaient le ge-
nou devant cet Homme-Dieu pendant sa
passion, et qui inclinaient la tête pour le sa-
luer, vous vous contentez d'une rapide gé-
nullexionensa présence, quelques moments
dans une posture gênante vous déconcertent ;
votre cœur attaché aux créatures lui refuse
le culte intérieur; votre corps accoutumé à
la mollesse lui refuse le culte extérieur. Un
Dieu fait ses délices de demeurer avec les
enfants des hommes; les enfants des hommes
ne peuvent demeurer, sans ennui, quelques
moments avec leur Dieu î
Son trône eit presque toujours sans sup-
pliants, sans adorateurs, et les solennités
établies pour honorer ce sacrement de son
amour ne font qu'augmenter souvent le nom-
bre des sacrilèges.
Ecoutez, chrétiens. Jésus-Christ dans l'Eu-
charistie est véritablement Dieu ; donc le
culte suprême lui est dû; donc vous ne de-
vez environner cet autel que pour l'adorer
en esprit et en vérité; donc vous devez être
prosternés, anéantis, abîmés en sa présence;
donc vous devez imiter- le profond respect,
la sainte frayeur de ces esprits bienheureux
qui célèbrent sa grandeur, sa puissance dans
le ciel; car le piètre qui, par les paroles
efficaces qu'il prononce, le fait descendre
sur l'autel , vous avertit que vous allez pos-
séder celui que les anges ne cessent de louer,
et devant lequel toutes les puissances céles-
tes sont saisies d'étonnement.
Or, mes frères, tous ces principes posés,
qui sont incontestables, l'opposition ee vo-
tre conduite à votre foi se manifeste, fait gé-
mir l'Eglise et afflige les justes qui environ-
nent avec amour le sanctuaire.
Dieu est sur l'autel, et on ne l'adore point !
Devant lui tout genou doit fléchir, et toute
langue doit confesser sa puissance; et devant
lui on forme des projets de fortune, on s'en-
fle de ses titres, on étale la pompe du siècle,
on s'applaudit de ses coupables attaches, on
rend à des créatures de sacrilèges homma-
ges, et on se souffle, à l'envi , des étincelles
voluptueuses dans le lieu même où on ne
devrait voir fumer que l'encens dû à la divi-
nité!
Que l'hérétique qui ne reconnaît dans le
sacrement de nos autels' que des ombres et.
des figures, que les apparences d'un pain
ordinaire révoltent, refuse à ce Dieu caché
le culte suprême qui lui est dû, c'est une
suite de ses erreurs.
Mais qu'un chrétien, soumis à la doctrine
catholique sur la présence réelle, refuse à
son Dieu caché sous les voiles que son
amour lui a fait choisir, les adorations qui
lui sont dues, et place dans un cœur qu'il
SUR UA PRESENCE REELLE.
410
demande tout entier les idoles du plaisir et
de la fortune , c'est un crime dont on ne con-
çoit pas assez d'horreur I
Pourquoi, mes frères, la sainte liberté de
mon ministère serait-elle aujourd'hui cap-
tive? Pourquoi ne me serait-il pas permis de
vous couvrir d'une confusion salutaire pour
venger les outrages faits à Jésus-Christ dans
l'Eucharistie?
Ecoutez, je vous prie, le raisonnement de
l'apôtre saint Paul sur l'attentat des Juifs, et
vous serez persuadés que votre foi sur la pré-
sence réelle vous rend plus coupables que
les hérétiques mômes, lorsque vous n'êtes
point des adorateurs sincères de Jésus-Christ
dans le sacrement de son amour.
Ce grand Apôtre dit clairement que les Juifs
n'auraient jamais attaché Jésus- Christ a la
croix, s'ils l'eussent reconnu pour le Roi de
gloire : Si enim cognovissent, nunquam Z>o-
minum crucifixissent. (I Cor., II.) C'est parce
qu'ils ne l'ont regardé que comme un homme
ordinaire qu'ils l'ont accusé, outragé, cru-
cifié.
Il est donc certain, selon saint Paul , que
si les Juifs eussent été persuadés de la di-
vinité de Jésus-Christ, ils n'auraient pas
formé le complot de sa mort; au lieu des in-
sultes, des outrages, des blasphèmes, on au-
rait vu des hommages, des adorations, des
aveux de leur dépendance; ils auraient fait
ce qu'ont fait le criminel pénitent, le centu-
rion et tant d'autres qui ont eu le bonheur
d'être éclairés sur sa divinité dans le cours
de sa passion, et qui disaient dans des sen-
timents de pénitence et d'amour : Il était vé-
ritablementle Fils de Dieu, et Dieului-même,
comme il l'a prêché.
Or, chrétiens, on ne peut pas dire que vous
ne connaissez pas Jésus-Christ pour le Roi de
gloire; quoique caché sous des voiles humi-
liants , votre foi sur la présence réelle est
pure, sans mélange d'erreur; c'est celle de
l'Eglise catholique. Pourquoi donc ne lui
rendez-vous pas le culte supiôme qui lui est
dû dans l'Eucharistie? Pourquoi votre cœur,
d'où doit partir ce culte, est-il livré au monde,
attaché aux créatures, et peut-être occupé de
coupables objets en sa présence?
Ah! les outrages que vous lui faites dans
le sacrement de son amour lui sont plus sen-
sibles que ceux qu'il a reçus .des Juifs; ils
ne le connaissaient pas, vous le connaissez;
ils le regardaient comme ennemi de la nation,
vous le reconnaissez pour le Sauveur du
inonde ; comprenez l'étendue de votre crime.
S'enhardir à la faveur des abaissements
d'un Dieu et des voiles humiliants qui ca-
chent sa grandeur, ne pas redouter sa puis-
sance, parce qu'on n'éprouve que sa clémence
et immoler son cœur au monde, là même où
l'on doit s'immoler avec lui ; quelle mons-
trueuse opposition à votre foi! Tel est votre
crime, chrétiens indévols, jusqu'au pie 1
des autels. Le Calvaire et l'autel, voilà les
deux théâtres de l'amour d'un Dieu. Ici, il
s'immole pour nos péchés comme sur la
croix; sur la croix, c'est un sacrifice san-
glant, on y voit couler le sang de la victime;
III
ORATEURS SACRES. BALLET.
412
sur l'autel, c'est un sacrifice non sanglant,
une vraie immolation sans effusion de sang;
le sacrifice de la croix se perpétue sur fautel :
c est le même Dieu, la môme victime qui
s'offre et s'immole, disent les Pères du saint
concile de Trente (sess. xxn, cap. 11) : cet
agneau, qui ôte les péchés du monde, est tous
les jours, sur l'autel comme sur la croix, la
victime de propitiation : eadem hostia idem
nunc ojferens.
Or, mes frères, cet autel vous représentant
tous les jours un Dieu immolé, vous retraçant
le sacrifice du Calvaire, non comme un simple
signe, une simple mémoire, comme le pré-
tendent nos frères séparés, mais comme une
immolation réelle, votre foi n'exige-t-elle pas
de vous que vous soyez aussi dans un état
d'immolation et de sacrifice?
Ah! si la présence réelle de Jésus-Christ
dans l'Eucharistie faisait dans nos cœurs
l'impression qu'elle devrait faire, nous se-
rions dans les dispositions de saint Thomas
lorsqu'il dit : Suivons notre divin maître, et
mourons avec lui : Eamus et nos etmoriamar
cum illo. (Joan., XI.)
Jésus-Christ immole sur l'autel sa gloire,
sa puissance, sa sainteté, son cœur : immo-
lons-nous donc tout entiers en sa présence;
ce culte d'immolation est une suite nécessaire
de notre foi : Moriamur cum illo. Victimes
pour victimes, immolons dans notre cœur
l'amour des plaisirs, des richesses, de la
gloire; détruisons-y généreusement toutes
les idoles du péché, n'en conservons aucune,
offrons tout notre être ; soyons en sa présence
des victimes dociles, comme il est aux yeux
de son Père une victime soumise à sa rigou-
reuse justice : Moriamur cum illo.
Mais où sont-elles, Messieurs, ces victimes ?
Jésus-Christ fait hien des sacrifices dans l'Eu-
charistie, et les chrétiens indévots ne veulent
être que les victimes du monde, n'offrir leurs
sacrifices qu'au monde; la vue d'un Dieu
immolé ne peut pas les faire renoncer à leurs
inclinations criminelles, rejeter la plus lé-
gère fumée d'encens, pardonner la moindre
offense, sacrifier le plus vil intérêt; on se
prosterne devant cette victime de nos péchés,
et on ne veut rien lui accorder, rien sacrifier.
Quelle opposition à notre créance sur la pré-
sence réelle!
Que de sacrifices Jésus-Christ ne fait-il pas
dans l'Eucharistie pour y être notre victime,
nous appliquer ses mérites infinis, et cacher,
sous de majestueuses obscurités, l'éclat de
son éblouissante majesté dont le poids nous
opprimerait dans cette chair mortelle !
Sacrifice de sa gloire: dès que ce divin Sau-
veur a eu laissé échapper un rayon de sa
divinité sur le Thabor, les apôtres éblouis,
saisis, abattus, sont comme accablés, op-
primés sous ce faible échantillon de la gloire
du Fils unique de Dieu. Dans nos temples,
il sacrifie cette gloire; son amour par un
miracle continuel la dérobe entièrement h
nos yeux; sur l'autel, dans nos tabernacles,
ce ne sont que des voiles, des nuages, des
ténèbres, il ne laisse échapper aucun trait de
sa divinité; tien ne relève ses abaissements
volontaires ; c'est un Dieu caché, les yeux
seuls de la foi l'aperçoivent.
Or, chrétiens, répondez-vous à ce sacrifice
de votre Sauveur dans l'Eucharistie, vous qui
êtes enflés de votre grandeur jusqu'au pied
des autels, qui aimez à être distingués, qui
étalez dans nos temples la pompe des vanités
du siècle, et qui, bien loin de sacrifier une
gloire réelle, vous faites rendre en sa pré-
sence des honneurs qu'on vous dispute sou-
vent, et que vos ambitieuses poursuites vous
ont fait accorder?
Sacrifice de sa puissance, il l'a fait éclater
dans les jours de sa vie mortelle; à sa voix
les morts ressuscitent, les malades sont
guéris, les démons prennent la fuite. 11 l'a
fait éclater dans les abaissements même de
sa passion: après son agonie, dans le jardin
des Oliviers, il renverse et terrasse ses en-
nemis d'une seule parole; sur la croix toute
la nature bouleversée confesse son pouvoir
et sa puissance; sur l'autel, il ne brille aucun
trait de cette puissance absolue, son amour
en suspend tous les divins éclats; les in-
sultes, les mépris, les sacrilèges ne lassent
point sa miséricorde qui arrête continuelle-
ment sa justice; il veut être dans l'Eucha-
ristie, non un Dieu puissant qui venge les
outrages des pécheurs, mais un agneau doux
et patient qui ôte les péchés du monde.
Et vous, mes frères, devant ce Dieu qui
suspend toute sa puissance, vous ne voulez
rien céder, rien accorder; vous menacez,
vous vous faites redouter, le défaut seul
d'autorité arrête votre courroux, et jamais
l'amour et la clémence.
Sacrifice de sa sainteté, à combien de pro-
fanations n'est-elle pas exposée? Toutes les
mains qui l'offrent devraient être pures et
beaucoup ne le sont pas; tous ceux qui le
reçoivent devraient être saints, et les pé-
cheurs le demandent; des cœurs souillés du
péché, encore attachés au péché, lui servent
de sanctuaire.
Sacrifice de sa miséricorde méprisée : il
attend continuellement ceux qui le fuient,
et pour quelques âmes qui Je reçoivent di-
gnement, qui l'adorent et environnent avec
respect le trône de son amour, il souffre les
indignes communions, les sacrilèges, les ir-
révérences, les froideurs d'une foule de chré-
tiens indévots; il attend dans la solitude des
adorateurs; il est des temps considérables
sans suppliants, et il pourrait encore se
plaindre, comme dans le jardin des Oliviers,
que ses disciples ne peuvent veiller et prier
avec lui.
Or, mes frères, vous devez cependant ré-
pondre à tous ces sacrifices de Jésus-Christ
par les sacrifices de vos inclinations, de vos
plaisirs, de votre amour-propre, de vos res-
sentiments, de tout votre cœur; vous devez
être en sa présence dans un état d'immola-
tion, de victime, et vous immoler avec lui.
Gémissez, mes frères, de l'aveuglement de
nos frères séparés, qui combattent le dogme
de la présence réelle, puisque je l'ai établi
solidement contre leurs erreurs par la doc-
trine de tous les temps, de tous les liens et
SUJETS DIVERS. - SERM. VI , SUR LE MYSTERE DE L'INCARNATION.
413
de tous les peuples ; mais gémissez aussi sur
l'opposition qui éclate dans la conduite des
chrétiens indévots, qui croient la présence
réelle, sur ce petit nombre d'âmes pieuses
qui rendent à Jésus-Christ, dans l'Eucharis-
tie, le culte de respect, le culte d'adoration,
le culte d'immolation qu'il exige de nous.
C'est en profitant de la charité d'un Dieu
dans le sacrement de nos autels, que vous
recevrez sur la terre le gage assuré de l'im-
mortalité glorieuse. Je vous la souhaite.
SERMON VI
SUR LE MYSTÈRE DE L INCARNATION ,
Prêché à Paris, dans l'église royale et parois-
siale de Saint-Barthélémy, le jour de Noël,
Vannée 1733.
Verbum caro factum est, et habitavit in nobis. [Joan.
I.)
Le Verbe s'est [ail chair, et il a habité avec nous.
Un Dieu fait homme : voilà, chrétiens, un
mystère qui révolte l'orgueilleuse raison de
l'homme, qui confond la fausse sagesse du
monde, et qui met le sceau à l'effroyable et
volontaire endurcissement des Juifs.
Ne sondons pas les profondeurs adorables
de ce mystère, n'entreprenons pas de déve-
lopper ces prodigieux abaissements du Verbe
éternel, ni d'expliquer les merveilles qu'o-
père son amour pour l'homme.
Quel étonnant spectacle s'offre à mes yeux
aujourd'hui 1 Je suis saisi , confondu ! Je
crois, j'adore, j'admire l'amour et la puis-
sance d'un Dieu dans son Incarnation. Son
amour lui fait choisir ces abaissements qui
m'étonnent; sa puissance qui cache et dé-
robe à nos yeux l'éclat de sa divinité.
Son amour qui le fait descendre jusqu'à
l'homme; sa puissance qui élève l'homme
jusqu'à lui; son amour qui trace, de toute
éternité, le plan dû salut de l'homme dans
le sein de sa gloire ; sa puissance qui lui fait
choisir la chair, les faiblesses, les infirmités
de l'homme pour le guérir et le sanctifier.
Amour et puissance d'un Dieu, je ne sau-
rais trop méditer les merveilles que vous
opérez aujourd'hui. C'est l'amour qui vous
fait entrer avec toutes les splendeurs de la
sainteté dans le sein d'une vierge , pour vous
y revêtir de notre chair; c'est l'amour qui
cache votre grandeur sous les faiblesses, les
pleurs de l'enfance, et dans l'obscurité de la
crèche de Bethléem ; c'est votre puissance
qui rend vos abaissements incompréhen-
sibles.
L'homme peut s'humilier, un Dieu seul
pouvait s'anéantir (4-5). L'homme tombé par
le péché, un Dieu qui veut relever l'homme
après sa chute; la misère de l'homme cou-
pable, la glojre de l'homme réconcilié, voilà,
mes frères, la cause et les avantages de l'In-
carnation du Fils de Dieu. Le Fils de Dieu,
par ses abaissements, descend jusqu'à l'hom-
me; le Fils de Dieu, par ses abaissements,
élève l'homme jusqu'à lui. En deux mots,
votre foi admirera dans ce mystère le pro-
411
dige des abaissements d'un Dieu, le prodige
de l'élévation de l'homme. Demandons, etc.
Ave, Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
Je médite, chrétiens, les abaissements du
Verbe éternel dans son Incarnation selon la
vérité des Ecritures, les oracles des prophè-
tes, les grands événements du peuple juif, et
j'y découvre des prodiges d'amour, des pro-
diges de puissance, des prodiges de sévérité.
Abaissements volontaires que son amour
pour l'homme lui a fait choisir. Abaissements
incompréhensibles à la raison de l'homme,
que son absolue puissance lui a fait exécu-
ter. Abaissements qui révoltent les gentils
et les Juifs, et que sa justice emploie pour
les confondre. Je développe ces trois traits
importants du mystère de ce jour, pour vous
instruire sur le prodige des abaissements
d'un Dieu qui descend jusqu'à l'homme :
suivez-moi, je vous prie.
Oui, chrétiens, le plan oe notre rédemp-
tion a été tracé dans le ciel. C'est l'amour
d'un Dieu qui l'a conçu, arrangé.
Occupé de notre salut, de toute éternité
sa charité lui fait former le projet de des-
cendre du ciel sur la terre, de se faire sem-
blable à l'homme, et de cacher sa gloire sous
les abaissements de son Incarnation : Egres-
sus ejus a diebus œternilatis. (Mich., V.)
Or, remarquez, je vous prie, Messieurs,
les caractères de cet amour du Verbe éter-
nel qui le fait descendre jusqu'à l'homme-
Amour tendre, touché de sa misère; amou:
généreux qui le rend sa victime; amour
constant que les intérêts de sa gloire ne sau-
raient diminuer. O hommes ! reconnaissez
l'amour de votre Dieu pour vous dans les
abaissements de son Incarnation 1
L'homme prévaricateur est devenu après
son péché un abîme de misères..
Les faibles, les penchants, de coupables
désirs, des passions tyranniques, de hon-
teuses révoltes dans les sens, des ténèbres
épaisses dans l'esprit, l'entendement obs-
curci , le cœur corrompu, la chair révoltée,
la libei té blessée, l'image du créateur défi-
gurée, l'indigence, les faiblesses, les be-
soins, les infirmités, la mort, la corrup-
tion, la damnation éternelle ; voilà les maux
qui accablent l'homme après son péché :
ruine ineffable dans laquelle toute sa mal-
heureuse postérité est enveloppée : source
empoisonnée, d'où coulent toutes les misères
qui affligent l'homme.
Avant l'Incarnation de Jésus-Christ, tout
le genre humain, dit saint Augustin (De
verbis Domini inEvang. Joan., sem. G9,eap.
11), était comme un malade mortellement
blessé et dans l'impuissance de se guérir :
Jacet grandis œgrotus. Et le Fils de Dieu
touché de sa misère, de ses plaies mor-
telles, vient comme un médecin tout-puis-
sant pour le guérir : Descendit omnipotens
médiats : il choisit des abaissements qui
cachent sa Divinité , le rendent semblable
(45) Expression de saint Paul : exinanivit. (Pltilipp,, IL) C'est un des grands prodiges de l'Incarnation.
415
ORATEURS SACRES. DALLET
e confondent avec lui : Humi
116
à l'homme, le contondent avec lui
liavit se usque ad mortalem carnem.
O misères de l'homme tombé, qui peut
vous dépeindre? O amour de mon Dieu, qui
vous fait descendre jusqu'à l'homme tombé ,
blessé, enseveli dans sa ruine, impuissant
pour se relever , que vous êtes adorable !
|0 homme tombé du sein de la gloire dans
un abîme de misère ! O image brillante du
Créateur, défigurée et méconnaissable 1 O
néant révolté' contre votre Dieu , banni de
sa présence , errant sur une terre de malé-
diction ! O malheureux objet de la colère et
des vengeances de l'Eternel ! comprenez-
vous l'amour d'un Dieu qui descend jusqu'à
vous, qui prend votre ressemblance pour
être votre victime?
Oui , Messieurs , l'Eternel paraît dans le
temps; le Dieu immortel devient sujet à la
mort; le Dieuimpassible se soumet aux souf-
frances ; le Dieu de gloire se cache sous de
prodigieux abaissements ; le Créateur de
l'homme devient homme lui-même : il paraît
dans son enfance, dans ses faiblesses , ses
infirmités, dans ses douleurs, ses misères.
Otez le péché, il a tout ce qu'a l'homme,
encore en est-il chargé aux yeux de son
Père , et s'est-il rendu volontairement la
victime qui doit l'expier.
Ici , Messieurs, s'offre à mes. yeux ce pro-
dige éclatant qu'opéra le prophète Elisée
(IV Reg., IV) et que tous les saints docteurs
ont toujours regardé comme une image na-
turelle de l'Incarnation de Jésus-Christ, et
des abaissements qu'il a choisis pour des-
cendre jusqu'à l'homme, le guérir, le res-
susciter et le réconcilier.
Ce prophète s'étendit sur le corps du fils
oe la Sunamite pour le ressusciter, il se pro-
portionna en lui en tout; il posa ses yeux
sur les siens , sa bouche sur la sienne , il
prit sa forme, et le ressuscita. Mystérieux
symbole des abaissements du Sauveur dans
.son Incarnation; il descend jusqu'à l'homme;
touché de sa misère , il prend sa forme, ça
ressemblance, sa chair, pour être en état
de souffrir, d'être sa victime , et de se pré-
senter à son Père que toutes les autres vic-
times ne pouvaient apaiser iTunc dixi: Ecce
vrnio. (Psal. XXXIX.)
Voulez-vous encore, chrétiens , connaître
toute l'étendue de l'amour de votre Dieu
dans les abaissements de son Incarnation ?
Eaites attention aux intérêts de sa gloire',
de sa divinité que ces abaissements doivent
faire méconnaître par les Romains , les Juifs,
et tant d'hérésiarques qui l'ont outragé ,
mé onnu.
Les abaissements de la crèche, les abais-
sements de sa vie mortelle, les abaissements
du Calvaire ont révolté la sagesse mondaine.
Insensibles aux traits de divinité qui échap-
paient de temps en temps aux oracles des
prophètes qui les annonçaient, les Romains
n'ont point voulu reconnaître un Dieu pau-
rre, humilié. Les Juifs, malgré ses mira-
cles , ne lui donnaient que la qualité
d'homme : Uic homo multa signa facit.
(Jean., XVI.)
Sa sainte enfance et la pauvreté de son
berceau faisaient rougir Marcion. Les titres
de dépendance, de soumission qu'il prenait
en qualité d'homme , ont enhardi Arius
à prononcer des blasphèmes contre sa di-
vinité.
O amour constant de mon Dieu 1 malgré
tous ces outrages , vous descendez jusqu'à
l'homme pour le sauver, et vous choisissez
volontairement les abaissements qui cachent
et enveloppent votre divinité; j'admire ici
votre absolue puissance qui opère des pro-
diges pour exécuter ce grand projet de votre
charité.
Oui , chrétiens, les abaissements du Verbe
éternel , dans son Incarnation, sont incom-
préhensibles ; aussi sont-ils des preuves de
la puissance absolue d'un Dieu qui peut tout
ce qu'il veut , et qui a, dans les trésors de
sa puissance , le principe efficace de toutes
ces merveilles qui étonnent l'homme et
révoltent le tribunal de son orgueilleuse
raison.
Ecoutez, chrétiens, et appliquez-vous.
Le Verbe éternel s'est fait homme dans le
temps et le moment qu'il a choisi, premier
trait de sa puissance absolue. Le Verbe éter-
nel a été conçu et s'est revêtu de notre chair
dans le sein de Marie, sans donner atteinte
à son inviolable virginité , second trait de sa
puissance absolue. Le Verbe éternel a caché,
suspendu, retenu tout le temps qu'il a voulu
l'éclat de sa divinité, troisième trait de sa
puissance absolue. Voilà dans les abaisse-
ments de son Incarnation des prodiges aux-
quels on ne fait pas assez d'attention.
Pour satisfaire son cœur et descendre jus-
qu'à l'homme , il faut que sa puissance
éclate et qu'il opère des prodiges.
C'est dans les temps marqués, dit l'apôtre
saint Paul, que Dieu a envoyé son Fils uni-
que dans le monde dans le moment choisi ;
après la révolution des siècles qu'il avait dési-
gnés dans ses décrets éternels, lorsque Moïse
et les prophètes l'ont eu annoncé et figuré :
Cum venit phnitudo temporis. (Galat., IV.)
Alors le Verbe éternel s'est incarné dans
le sein de Marie; elle l'a conçu, formé de sa
substance et mis au monde : factura ex
mulirre. (Ibid.)
Alors l'humanité a été unie à la Divinité
sans mélange de la nature divine avec la
nature humaine. Un seul Jésus-Christ, un
seul Sauveur, un Dieu-Homme tout ensem-
ble, quel mystère! quel prodige ! Que votre
amour, ô mon Dieu, est puissant pour exé-
cuter des projets dont la pensée seule con-
fond la raison de l'homme !
Quel espace immense entre l'homme et
son Dieu 1 Dieu, abîme de sainteté, de puis-
sance, de toutes les perfections : l'homme,
abîme de corruption, de faiblesses, de toutes
les misères. Comment ces deux abîmes se
sont-ils réunis? Comment un Dieu a-t-il pu
descendre jusqu'à l'homme, non-seulement
pour l'instruire par ses prophètes, l'éclairer
par ses lumières, le toucher par sa grâce,
l'intimider par ses menaces, l'encourager
par ses récompenses, mais encore jusqu'à
417 SUJETS DIVERS. — SERM. VI , SUR
se faire semblable à lui , se revêtir de sa
chair, se soumettre à ses douleurs, ses infir-
mités, ses faiblesses, se charger de ses ini-
quités, en porter tout le poids, toute la ma-
lédiction, toute la peine? factumex mulicre.
Comment, Messieurs ? parce que rien ne
lui est impossible. Dieu ne s'est fait homme
que parce que sa puissance absolue égale
son amour infini. Son amour l'attire vers
l'homme : sa puissance le rend semblable
àl'homme ; les abaissements cachent le Dieu
puissant ; le Dieu puissant se cache sous les
abaissements dans le sein même de Marie.
Voici, Messieurs, encore un prodige, un
miracle dans les abaissements de son Incar-
nation t Marie est mère et vierge tout à la
fois ; elle a la gloire de la fécondité et de la
virginité; elle est véritablement la mère de
Dieu; elle est véritablement l'épouse de
l'Agneau.
Qu'ils soient à jamais confondus , ces
monstres que l'enfer a vomis, et qui osent
par leurs" blasphèmes combattre la perpé-
tuelle virginité de la Mère de Dieu.
Que les Arius, les Nestorius, les Jul'en
Apostat inspirent par leur fin tragique de
l'horreur à tous les chrétiens ; ces ennemis
de l'Eglise et de la religion porteront éter-
nellement la peine etl'ignominie dues à leurs
sacrilèges attentats.
Pour vous, chrétiens , admirez dans l'In-
carnation du Fils de Dieu une vierge fé-
conde, une mère vierge, une fécondité qui
donne un nouvel éclat à la virginité de Ma-
rie, une fécondité toute divine, dont la vertu
du Très- Haut est le principe, une fécondité
où l'homme n'a point de part, et à laquelle
Marie aurait renoncé, toute glorieuse qu'elle
est, si elle eût répandu sur sa pureté toute
céleste le moindre nuage.
C'est un prodige, un événement inconce-
vable, direz -vous; mais rappelez- vous ,
chrétiens, ce que dit l'Ange à Marie en lui
annonçant ce mystère. Comme vierge, elle
fut effrayée quand il lui dit: Vous conce-
vrez : Turbata est (Luc, 1); elle lui demanda,
non parce qu'elle doutait, mais parce qu'elle
voulait s'instruire, comment s'accomplirait
ce mystère : Quomodo ftet istud? (Ibid.) 11
lui répondit : Ne craignez rien : Ne timeas
(Ibid.) : tous ces grands projets de la miséri-
corde de Dieu s'exécuteront par sa puissance
absolue ; rien ne lui est impossible : Non erit
impossibile apud Deum omne Yerbum. (Ibid.)
Voilà donc l'absolue puissance du Verbe
éternel qui opère des prodiges dans son In-
carnation, pour que Marie possède tout h
la fois les glorieux titres de vierge et de
mère.
Prodige annoncé par les prophètes qui ont
annoncé le Messie. J'exposerai à vos yeux
un prodige éclatant, dit Dieu par Isaie :
Dabit Dominus signwn (Isa., VII) : une Vierge
concevra et enfantera un Fils : Yirgo conci-
piet et pariet filium (Ibid.) ; mais elle conce-
vra et donnera au monde le Fils de Dieu,
Dieu lui-même; il sera caché sous la chair
et les infirmités de l'homme, sa puissance
absolue retiendra l'éclat de sa divinité; s'il
LE MYSTERE DE L'INCARNATION.
418
en échappe quelques traits , c'est lorsque sa
sagesse le jugera à propos. «
Qui, chrétiens, j'admire dans les abaisse-
ments de l'Incarnation ces tiaits de la puis-
sance absolue d'un Dieu qui cache, <|ui en-
veloppe l'éclat de sa grandeur, qui suspend,
retient jusqu'aux moindres rayons de sa di-
vinité : qui, non-seulement s'humilie, mais
même s'anéantit, selon l'Apôtre, qui en
Maître absolu, en Dieu tout-puissant, laisse
échapper, quand il le veut, quelques éclats
de cette gloire éblouissante qui annonce le
Verbe éternel.
Il suspend, jour ainsi dire, un instant,
les abaissements de son Incarnation. Sur lo
Thabor, il laisse échapper quelques rayons
de sa divinité. Quel éblouissant, quel ravis-
sant, quel saisissant spectacle celte rapide
transfiguration n'offre-t-elle pas aux trois
disciples qui en fuient les témoins 1 Ah ! ils*
s'écrient : Nous avons vu la gloire du Verbe
éternel, du Fils unique de Dieu, qui s'est
fait homme, et qui habite parmi nous : Yidi-
mus gloriam ejus. (Joan., I.)
Oui, chrétiens, la majesté, la gloire, toutes
les splendeurs de la sainteté et de la divinité
cachées sous les abaissements de l'Incarna-
tion sont des prodiges qu'on ne médite pas
assez ; rien ne fait plus éclater l'absolue
puissance d'un Dieu qui fait tout ce qu'il
veut. Un Dieu abaissé jusqu'à l'homme est
un mystère que l'on peut appeler le mystère
de son amour et de sa puissance.
Si ces abaissements aveuglent les sages du
siècle, endurcissent les Juifs, sa justice les
emploie pour les punir.
Oui, mes frères, les abaissements de l'In-
carnation, tous les voiles humiliants de l'hu-
manité, la pauvreté de la crèche de Bethléem,
les faiblesses de l'enfance ont révolté les
sages du siècle, consommé l'incréJulité des
Juifs, et Dieu les a choisis pour les confon-
dre et les punir.
Sur quoi fondés, attendaient-ils le Messie
dans l'appareil d'une grandeur et d'une
puissance mondaine ? Pourquoi se le repré-
sentèrent-ils comme un conquérant qui de-
vait venir envahir les royaumes de la terre,
subjuguer les Romains par la force des ar-
mes, et attacher au char de la nation juive
ces redoutables ennemis? Est-ce là l'idée
qu'en donne l'Ecriture? sont-ce là les traits
sous lesquels les prophètes l'ont dépeint?
Ont-ils promis un Cyrus, un Alexandre,
quand ils ont promis le Messie? Pourquoi
les Juifs qui lisent les prophètes, qui ont
annoncé le lieu de sa naissance, le temps
de sa naissance, qui l'appellent le Prîni e de
la paix, qui le montrent pauvre, soufflant,
mourant pourles péchés du peuple, Font-ils
attendu comme un roi puissant, jaloux des
empires de la terre? Pourquoi Hérode craint-
il pour son trône à sa naissance? pourquoi
ces alarmes, ce frémissement des nations ?
Pourquoi le Sauveur dans son berceau fait -il
trembler les césars dans leurs palais? Voici
le mystère, chrétiens. Malgré les abaisse-
ments qui cachent le Messie, les oracles des
prophètes répandent une lumière importune,
419
ORATEURS SACRES. BALLET.
420
ceux, qui ne veulent point 1p reconnaître, les
prêtres et les docteurs les plus éclairés
qu'Hérode consulte, rendent hommage aux
prophéties; ils ne contestent ni le temps, ni
le lieu de sa naissance : cependant le Messie
est au milieu d'eux, et ils ne veulent point
le reconnaître, ses abaissements les révol-
tent. Aussi, chrétiens, le Verbe éternel les
emploie-t-il pour les confondre et les punir.
Aveuglement, endurcissement prédits aussi
bien que les abaissements de l'Incarnation.
Tous les grands mystères de mon amour
pour les hommes seront cachés à cette nation
ingrate et perfide, dit Dieu dans sa colère: je
l'aveuglerai, je l'endurcirai; elle aura mes
oracles dans ses mains, et elle ne les com-
prendra point; je paraîtrai au milieu d'elle,
et elle ne me connaîtra point; je ferai des pro-
diges qu'elle ne pourra contester, et elle niera
toujours ma divinité; tous les abaissements
de mon Incarnation lui cacheront mon éter-
nelle grandeur et mettront le sceau à sa ré-
probation.
En effet, dit saint Fulgence (Wb.l^adTrasi-
mund. regem, cap. 4), les abaissements de
l'Incarnation ont' empêché les Juifs de voir
Jésus-Christ, lors même qu'il était au milieu
d'eux, et de l'écouter lorsqu'ils leur parlait.
Ils sont devenus sourds en écoutant les ora-
cles qu'il prononçait, et sa présence dans la
Judée a augmenté leur aveuglement : Au ■
diens Judœus remansit surdus, et videns magis
factus est cœcus.
Leurs docteurs leur lisent dans les syna-
gogues les divins oracles des Jacob, deslsaïe,
des Aggée, des Daniel; ils les entendent, et
ils ferment les oreilles au sens naturel de ces
magnifiques promesses : Audicns Judœus, re-
mansit surdus.
Les événements ont justifié ces célèbres
prophéties : ils se voient sans autels, sans
roi, sans autorité. Le prodige annoncé a
éclaté : une vierge de la famille de David a
enfanté le Désiré des nations à Bethléem,
selon la pré.'iction. Les majestés de la terre
sont venues l'adorer dans son berceau. L'é-
poque de cette divine naissance est conservée
dans les archives clos Romains. Le second
temple a paru moins beau que le premier,
mais plus précieux par la gloire du Verbe
éternel qui l'a honoré de sa présence. Les
mystérieuses semaines de la prophétie de
Daniel sont écoulées, leurs docteurs le sa-
vent, c'est pourquoi ils menacent d'anathè-
mes ceux qui supputent les temps. Ils voient
tous les oracles accomplis, et ils n'en de-
viennent que plus aveugles, plus endurcis :
Videns, magis factus est cœcus.
Us entendent Jésus-Christ prêcher au mi-
lieu d'eux : il leur annonce qu'il est le Fils
de Dieu, qu'il ne fait qu'un avec lui; qu'il
s'est fait homme pour sauver les hommes;
que c'est lui que les prophètes ont promis, et
<[ue c'est de lui que Moïse, qu'ils révèrent
tant, a parlé dans ses ouvrages et ils ferment
les oreilles à toutes ces vérités : Audicns Ju-
dœus, remansit surdus.
Ils voient sous leurs yeux des preuves
éclatantes de sa divinité, des miracles qu'ils
ne sauraient contester, des miracles opérés
près qu'à chaque instant, des miracles jus-
que dans ses abaissements, jusque sur la
croix où. il expire ; ils l'avouent eux-mêmes :
Hic homo multa signa facil; et toutes ces
preuves de la divinité de Jésus-Christ les
aveuglent encore davantage : Videns, magis
factus est cœcus.
Or, chrétiens, pourquoi les Juifs s'endur-
cissent-ils? Pourquoi ne veulent-ils pas re-
connaître le Messie au milieu d'eux? En
voici la raison : les prodigieux abaissements
de l'Incarnation les révoltent ; voilà pourquoi
ils ne donnent à Jésus-Christ, malgré tous
ses miracles, que la qualité d'homme : Hic
homo multa signa facit.
Aussi ce divin Sauveur a-t-il choisi ces
abaissements pour cacher aux sages du siècle
et aux Juifs infidèles les mystères de son
amour et exercer sur eux un jugement ter-
rible.
Vous avez raison, saint vieillard Siméon,
de dire, en tenant ce divin enfant dans vos
mains, qu'il sera cause de la ruine et du sa-
lut de plusieurs en Israël : Hic positus est in
ruinam et inresurrectienem multorum. (Luc,
IL) Ces abaissements ont consommé la perte
des sages du siècle et des Juifs incrédules.
Ces abaissements ont procuré le salut de tous
ceux qui ont voulu cioire en lui. Il est des-
cendu jusqu'à l'homme, afin d'élever l'homme
jusqu'à lui.
Votre foi, mes frères, vient d'admirer le
le prodige des abaissements d'un Dieu daiiu
le mystère de l'Incarnation; elle va admirer
dans ce même mystère le prodige de l'élé-
vation de l'homme; c'est le sujet de la se-
conde partie.
SECONDE PARTIE.
Le prodige des abaissements d'un Dieu a
opéré, mes frères, le prodige de l'élévation
de l'homme. Il ne serait jamais sorti de l'a-
bîme où il était tombé, dit saint Augustin, si
Dieu n'était venu l'y trouver. Il gémirait
encore dans sa chute sans la main puissante
qui l'a relevé. Sa gloire sort des abaissements
d'un Dieu.
Dieu, en descendant jusqu'à l'homme, a
élevé l'homme jusqu'à Dieu. Il est descendu
sur la terre pour nous conduire en triomphe
avec lui dans le ciel : Descendit ille ut nos
ascenderemus.
L'union de la nature divine avec la nature
humaine nous fait participer à la sainteté de
Jésus-Christ, à la divinité de Jésus-Christ,
aux titres de Jésus-Christ. Voilà, chrétiens,
le prodige de l'élévation de l'homme dans le
mystère de l'Incarnation.
Le mystère de l'Incarnation, ce mystère
de notre salut, est le mystère d'un Dieu fait
homme, d'un Dieu revêtu de notre chair,
d'un Dieu qui unit la nature divine à la na-
ture humaine, qui prend un corps et une
Ame semblables aux nôtres. Voilà pourquoi
le grand Apôtre dit que ce grand mystère a
été manifesté dans la chair : Manifestation
est in carne. (I Tim., III.)
O chair coupable de l'homme ! O nature
homain»; frappée d'anathème! Quelle est
421
SUJETS DIVERS. — SERM. VI, SUR LE MYSTERE DE L'INCARNATION.
422
aujourd'hui voire gloire, voire élévation?
Le Verbe éternel, en vous unissant à sa di-
vinité, relève tous vos abaissements. Sa
sainteté sanctifie vos corps. O hommes ré-
conciliés, vos membres sont les membres
d'un Dieu fait homme 1 Membra sunt Christi!
(I Cor., VI.) Reconnaissez donc ici, chré-
tiens, s'écrie saint Léon (serm. 2 De Naliv.
Dom.), votre dignité, votre élévation, et
prenez garde d'en soutenir la grandeur, la
sainteté : Agnosce, o Chrisliane, dignitatem
tuam!
Quelle sainteté que celle de Jésus-Christ !
Comme Dieu, il en est la source, le principe ,
et la sainteté de ses plus grands serviteurs
ne saurait lui être égalée : Non est sanctus,
ut est Dominus. (I Reg., IL)
Revêtu de notre chair, il la sanctifie, la
consacre et lui communique tout l'éclat de
la divinité. Devenu homme, semblable à
nous, il fait éclater la sainteté dans ses ac-
tions et dans ses discours pour nous servir
de modèle.
jue conclure, chrétiens, de cette grande
vérité? Ce que saint Paul en concluait lors-
qu'il disait aux Corinthiens : Portez et ho-
norez Jé>us-Christ dans vos corps : Glorifi-
eate et portate Deum in corpore vestro.
(ICcr., VI.)
Depuis l'Incarnation du Verbe éternel,
vos corps sont devenus précieux, saints, sa-
crés ; ils sont les membres de Jésus-Christ.
Votre chair ayant eu l'honneur d'être unie à
la divinité, et étant elle-même de Jésus-
Christ, vous devez la respecter, la conserver
pure et sans tache, éviter avec une sainte
frayeur tout ce qui peut la souiller -.Glorifi-
cate et portate Deum in corpore vestro
Avant l'Incarnation, l'homme de volupté
pouvait dire : Je souille mon corps; mais
depuis qu'un Dieu s'est revêtu de notre
chair, il doit dire : Je souille les membres
de Jésus-Christ lorsque je me prostitue à de
coupables plaisirs.
Ce n'est pas moi, chrétiens, qui pose ces
principes et qui tire ces conséquences, c'est
l'apôtre saint Paul.
Pour inspirer une juste horreur des vo-
luptés criminelles aux Corinthiens, il leur
rappelle l'élévation de la nature humaine
dans le mystère de l'Incarnation; il leur
prouve que le Verbe éternel s'étant fait
homme, la chair du chrétien est celle même
de Jésus-Christ, et, tenant le langage d'un
chrétien sollicité, tenté, agité par les hon-
teuses révoltes des sens, il s'écrie : |Ah !
plutôt mourir que de goûter volontairement
ces coupables douceurs qui entament mon
cœur; cette chair que je flatterais, c'est la
chair même de Jésus-Christ, et ce sont les
membres du Sauveur que je prostituerais si
je consentais à ces honteux commerces : Tol-
lens membra Christi faciam membra meretri-
cis. (ICor., VI.) Ah! pour conserver la gloire
que notre chair a reçue dans l'Incarnation,
il faut écarter avec soin jusqu'aux moindres
nuages qui pourraient obscurcir sa sainteté.
Soutenez-vous, mes frères, cette sainteté
que vos corps ont reçue par l'Incarnation de
Jésus-Christ? Les respectez-vous comme
ses membres, et les conservez-vous purs et
sans tache? Le nom même de ce péché, qui
les souille, les déshonore, est-il banni de vos
conversations? Est-il inconnu parmi vous
comme il convient à des chrétiens qui par-
ticipent à la sainteté du Sauveur?
Hélas! ces grandes idées de l'Incarnation,
ces divins caractères, imprimés suf nos
corps depuis qu'un Dieu s'ett fait homme,
semblent être ignorés de presque tous les
chrétiens.
De coupables pensées, de honteux désirs,
des commerces criminels, une liberté indé-
cente dans les parures, les discours, les ac-
tions ne font plus rougir les disciples d'un
Dieu fait homme. Une jeune personne ne
craint plus de salir son imagination par des
lectures obscènes, des représentations pro-
fanes, des entretiens libres. Le démon de la
volupté attache à son char la jeunesse de
nos jours. Il livre des combats aux cœurs les
plus innocents; il souille les états les plus
saints. Le mariage figuré par l'Incarnation cle
Jésus-Christ est déshonoré et couvert d'op-
probre. La passion fait braver la honte ,
le scandale et toutes les suites honteuses
du crime de l'impureté.
O hommes ! reconnaissez voire dignité,
soutenez votre gloire, votre élévation :
Agnosce dignitatem tuam. Vous participez à
la sainteté de Jésus-Christ, parce que vos
corps sont ses membres ; vous participez à sa
divinité, parce qu'il vous a rendus, par son
Incarnation, les enfants de Dieu.
Quels heureux changements pour l'homme
dans* le mystère de l'Incarnation ! Il était
esclave, il devient libre ; il était attaché au
char du démon, et le Verbe éternel incarné
l'attache au sien; il était un enfant de co-
lère, il est devenu enfant de Dieu; dans
l'état d'innocence il avait été créé à l'image
de Dieu, dans la loi de grâce non-seulement
il rentre dans la route du ciel, mais il parti-
cipe à la nature divine : divinœ consortes
naturœ. (II Pctr., I) Après sa chute, quel-
ques légers débris de son ancienne grandeur
lui faisaient sentir tout le poids de ses mal-
heurs; après qu'il a élé racheté, la gloire
perdue s'oiïre à ses jeux, lui est promise,
assurée. Ce n'est plus un sujet révolté, c'est
un enfant chéri; il devient par adoption ce
que Jésus-Christ est par sa nature; car, dit
l'apôtre saint Jean, notre gloire, notre élé-
vation est, non-seulement d'être appelés,
mais d'être en effet les enfants de Dieu : ut
Filii Dei nominemur et simus. (I Joan., III.)
Voilà la gloire, l'élévation, la prérogative
que Dieu accorde aux hommes par l'Incar-
nation de son Fils unique : De dit illis pote-
statem filios Dei fieri. {Joan., I.)
Avant l'Incarnation Dieu ne voyait dans
l'homme que son péché, sa révolte ; après
l'Incarnation il y voit l'amour, les mérites
l'efficace de la grandeur, de la sainteté et du
sang de son FUs unique. Avant l'Incarnation
il voyait l'homme avec tous les traits du
péché, tous les caractères le la désobéis-
sance; après l'Incarnation il le voit avec
4-23
OKATEUKS SACHES. BALLET.
424
tous les traits de la sainteté, tous les carac-
tères du nouvel homme; il contemple
l'homme dans son Fils, parce que son Fils
s'est fait homme, et il dit à l'homme comme
■h son peuple chéri : Depuis que mou Fils
bien-aimé s'est fait semblable à vous, mes
yeux vous contemplent avec plaisir. Vous
êtes des vases d'honneur et revêtus d'une
gloire qui efface toute la honte de votre
chute : Uonorahilis factus es in ocutis )neis et
gloriosus. (Isa., XL1JI.) Je vous ai aimé, je
vous ai racheté : Dilexi, redemi te.
Or, chrétiens, quel est le principe de cette
gloire, de cette élévation qu'on semble igno-
rer dans ce lieu d'exil , qu'on n'estime pas
assez , dont on ne soutient pas l'éclat , et que
l'on semble môme oublier pour voler à la
gloire fugitive du siècle ? C'est le Verbe éter-
nel revêtu de notre chair, ce sont ses. abais-
sements qui font notre élévation, dit saint
Cyprien. lia pris la nature humaine, pour
que nous participions à la nature divine : il
a voulu devenir ce que nous sommes, afin
que nous devinssions ce qu'il est. Ce pro-
digieux abaissement du Verbe éternel dans
son Incarnation opère le prodige de l'éléva-
tion de l'homme tombé : Homo esse Christus
VQÎuit,ut et homo possit esse quod Christus est.
'De idolorum vanitote.)
Ne doutez pas de celte gloire, de cette
élévation, chrétiens; elle est assurée par
l'Incarnation du\rerbe éternel, dit saint Au-
gustin (Epist. ad Honor., I'jO, alias 120,
cap. 3 et k); il s'est fait homme , il a habite
avec nous. Il faut nier ce grand mystère de
notre salut pour douter de notre adoption
divine.
Il ne s'agit, reprend saint Léon (Serin. 2
De jejunio decimi mensis et collée tis, cap. 1),
que de soutenir l'éclat de cette dignité par
votre soumission à la volonté de l'Eternel et
la sainteté de votre vie.
Comment participons-nous, chrétiens, à la
divinité de Jésus-Christ? Par la foi, parla
grâce, par son union avec nous : or, où sont-
ils ces hommes de foi, occupés de cette gloire
du chrétien , de cette ineffable élévation à la
qualité d'enfants de Dieu? Hélas! on l'i-
gnore , ou on n'y pense point , on n'est oc-
cupé, ébloui que de cette gloire passagère
attachée à la naissance , aux talents , aux
richesses : on court , on vole après ce fan-
tôme éblouissant : on est indifférent pour
celle qui nous rapproche de Dieu, nous
élève jusqu'à lui.
Où sont-ils ces hommes qui estiment la
grâce du Rédempteur,, qui seule fait notre
grandeur, notre élévation? Hélas! on ne
craint point de la perdre : le riche met sa
gloire dans ses trésors, le guerrier dans ses
exploits, les grands dans la noblesse de leurs
aïeux : Je savant dans les productions de
son esprit : on n'ambitionne , on ne relève ,
on ne respecte que la gloire périssable du
siècle, que les dehors de l'homme lia beauté,
l'innocence, la gloire de l'âme ornée de la
grâce divine ne touchent point. File serait
souillée des taches les plus honteuses, qu'on
se croirait encore grands ; si on appréhende
des chutes, des perles, ce sont celles qui
humilient notre orgueil, nous abaissent de-
vant les hommes.
Où sont-ils ces hommes qui répondent a
l'union de Jésus-Christ avec le chrétien,
cette union précieuse, divine, qui fait notre
gloire, noire élévation? Ce ne sont pas ceux
qui lui sont opposés, qui combattent ses
maximes, son esprit, son Evangile, qui se
rangent sous les étendards d'un monJe qu'il
a proscrit, jugé, condamné ; qui sont les
apologistes de ses erreurs, de ses maximes,
de ses plaisirs; qui s'attachent volontaire-
ment à son chiir; qui se déclarent ses apôtres,
lorsqu'il s'agit de décréditer les apôtres de
l'Evangile, et 'd'arrêter leurs progrès. Ah!
n'est-ce pas renoncer à cette divine union
dont Jésus-Christ nous a honorés dans son
Incarnation, que de s'unir avec les ennemis
de sa croix, de son Evangile, de sa morale?
Peut-on servir deux maîtres à la fois? Non ,
Messieurs. Cette conduite , non-seulement
nous sépare de Jésus-Christ, mais encore
elle nous fait perdre les titres glorieux qu'il
nous a mérités et procuiés par son incarna-
tion.
Développons , Messieurs , la céleste doc-
trine de l'apôtre saint Paul , et nous décou-
vrirons tout le fond de cette gloire , de celte
élévation de l'homme depuis l'incarnation du
Verbe éternel.
Quand cet Apôtre dit : Dieu nous a ressus-
cites avec son Fils, nous a fait asseoir sur le
trône de sa gloire avec lui, nous regarde
comme les cohéritiers de son royaume : Cum
essemus mortui peccatis... conresuscitavit et
eonsedere freit in cœlestibus in Christo Jesa.
(Ephes., II.), il parle de Jésus-Christ comme
homme, revêtu de noire chair; car, comme
Dieu, il jouit de toute éternité de la gloire
du Père céleste : c'est par lui que toutes
choses ont été faites : c'est comme homme
qu'il est né dans le temps, qu'il est mort,
qu'il est ressuscité, et que 1 humanité unie
à la divinité est placée au-dessus de toutes
les intelligences célestes : or les titres do
ce divin chef sont ceux aussi de tous ses
membres. Nous sommes les cohéritiers do
sa gloire, voilà le droit qu'il nous a a quis
au royaume des cieux : Cohœredes Clirisii
(Roin. , VIII) : Dieu nous fera régner avec
lui dans sa gloire : eonsedere : il ressuscitera
nos corps avec la môme beauté, la môme
clarté qui éclateront dans le corps de Jésus-
Christ ressuscité : Hefurmabil corpus humi-
litalis nostrœ configuration corpori claritaîis
ejus. (Rom., VIII).
Or, l'humanité sainte de Jésus-Christ sor-
tie éblouissante de gloire du tombeau, reçue
par droit de conquête dans le ciel, placée à
la droite de L'Eternel, nous assure des pri-
vilèges de notre résurrection, des droits que
nous avons à la gloire du ciel, et du saint et
ineffable repos que nous y goûterons pendant
toute l'immense éternité.
.0 hommes! ô chrétiens , pensez-vous h
cette élévation , à cette glorieuse destinée?
Ces titres divins vous flatlent-ils? En soute-
nez-vous l'éclat , la grandeur ? Et n'y renoc-
425
SUJETS DIVERS. — SERM. VII, ASSOMPTION
satisfaire vos coupables
426
cez-vous pas pour
penchants?
Hélas! cette grandeur future, cette glo-
rieuse destinée, ces titres si consolants
pour un chrétien occupé des vérités du sa-
lut, sont ignorés ou oubliés par les enfants
des hommes.
On n'aspire pas à être grand dans l'ordre
de la religion, on n'aspire qu'aux grandeurs
de la terre ; on est indifférent pour l'héri-
tage céleste ; on est plein d'ardeur pour ra-
masser les successions de la terre. On ne
parle point des titres divins que Jésus-Christ
nous a procurés, parce qu'ils sont communs
à tous les enfants de Dieu , aux pauvres
comme aux riches ; on étale avec ostenta-
tion les titres de sa naissance temporelle,
les grands noms qu'on s'est acquis par ses
exploits, ses talents, ses succès, parce qu'ils
distinguent, décorent et nous rendent les
idoles du inonde.
On ne se gêne point, on ne surmonte
aucun obstacle pour soutenir ses titres et
la gloire de sa destinée éternelle ; on est
délicat, on se gêne , on brave les dangers ,
on combat son inclination pour soutenir l'é-
clat de son rang, le faire sentir, respecter
même.
Ah! mes frères, si c'est un prodige de
voir l'homme élevé jusqu'à Dieu dans le
mystère de l'incarnation, n'est-ce pas un
prodige de voir l'homme dédaigner cette
élévation, ne point s'en occuper, lui pré-
férer les fragiles grandeurs de la terre, et
ne rien faire pour en soutenir l'éclat et
mériter d'en jouir éternellement? Tel est
cependant l'aveuglement de la plupart des
chrétiens.
' Pour vous, mes frères, que le prodige des
abaissements d'un Dieu qui descend jus-
qu'à vous dans le mystère de l'Incarnation
vous persuade de la grandeur de son amour;
appliquez- vous à reconnaître son immense
charité pour l'homme tombé, plutôt qu'à
examiner curieusement ses abaissements in-
compréhensibles ; que le prodige de l'éléva-
tion de l'homme jusqu'à Dieu vous persuade
de l'obligation où vous êtes d'imiter la sain-
teté de Jésus-Chnst, d'être des hommes tout
célestes et de souffrir avec lui, pour être
glorifiés avec lui dans l'éternité bienheu-
reuse. Je vous la souhaite.
SERMON VII.
sun
L ASSOMPTION DE LA SAINTE VIERGE.
Prêché dans l'église royale et paroissiale de
Saint-Louis, à Versailles, l'année 1750.
Veni, coronaberis. (Cmit., IV.)
Venez recevoir la couronne de gloire qui vous esUvrépa-
rée.
Il est donc arrivé, ce moment qui devait
relever tous les abaissements de Marie ,
couronner ses héroïques vertus et la mettre
en possession d'une gloire préparée à son
éminente dignité de Mère de Dieu.
Ce moment, Messieurs, est celui qui sé-
I*ara son âme de son corps, qui rompit les
Orateurs sacrés. L.
liens qui la retenaient sur la terre, qui
ferma ses yeux à la lumière du monde, qui
lui ouvrit le ciel et la réunit à son divin
Fils.
O mort de Marie ! que vous êtes précieuse !
Vos approches ne lui causent point de
frayeurs ; votre présence, de douleurs ; vos
suites, d'humiliations. Vous essuyez ses
pleurs, vous faites cesser ses gémissements,
vous satisfaites ses désirs, vous lui annon-
cez ses triomphes, vous la faites passer sur
un trône éclatant où elle régnera autant que
Dieu.
Ne jugez donc point, Messieurs, de la
mort de Marie par celle des autres mortels.
Elle est exempte d'amertumes, de douleurs
et de ses suites humiliantes. C'est un doux
sommeil, un saint repos. Ce sont les saintes
ardeurs de la charité qui l'ont consumée;
c'est la voix de son divin Epoux qui l'ap-
pelle pour la couronner : Veni, coronaberis.
La mort de Marie est privilégiée aussi bien
que sa gloire.
Les plus intrépides tremblent au moment
de la mort, dit le Saint-Esprit : Tribulabitur
ibi fortis. (Soph., 1.) Des amertumes dans le
cœur, des déchirements dans la chair; au
dehors des ombres, des ténèbres ; au dedans
une lumière importune, une voix secrète
qui les accuse, un avenir qui les effraye;
la vue d'un tombeau qui s'ouvre et les de-
mande ; l'image de ce séjour de corruption,
de destruction, qui les confond : voilà les
victoires de la mort sur nous ; mais où est
la victoire de la mort sur Marie ? Ubi est Vic-
toria? (I Cor., XV.) Elle goûte des douceurs
ineffables; son saint corps est enlevé du
tombeau sans déchet et porté en triomphe
dans le ciel; c'est là où elle jouit d'une
gloire privilégiée, puisqu'elle est au-dessus
de tout ce qui n'est pas Dieu.
La mort, Messieurs, est l'écueil de toutes
les grandeurs. Le lit de la mort est le théâ-
tre de tous les abaissements et de toutes les
humiliations de l'homme.
En vain est-il né grand ; en vain a-t-il
coulé ses jours dans la gloire, l'opulence et
les plaisirs. Ce moment, qui l'enlève au
monde, l'enlève à tous ses objets enchan-
teurs; la scène brillante du siècle dispa-
raît; une jSrène triste et lugubre com-
mence, et quelle scène, grand Dieu! Les
liens de la mortalité qui se brisent, le
monde qui fuit, le tombeau qui s'ouvre,
l'éternité qui se présente avec sa vaste et in-
compréhensible étendue; un Dieu qui fait
sentir ses approches; la nature qui gémit
de sa destruction ; l'âme qui soupire et s'é-
lance vers l'éternité; une conscience in-
quiète, troublée, agitée. Tel est, Messieurs,
l'état d'une infinité de chrétiens au moment
de la mort; telles sont leurs peines, leurs
alarmes, leurs angoisses. Or, la mort de
Marie est une mort douce, précieuse; une
mort qui lui procure tous les triomphes et
toute la gloire due à son éminente dignité
de Mère de Dieu.
Arrêtons-nous, chrétiens, à ces deux idées,
elles vous instruiront sur le mystère de ce
427
jour : les prérogatives de la mort de Marie ;
les prérogatives de ia gloire de Marie. De-
mandons, etc. Ave Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
Deux triomphes éclatants distinguent la
mort de la sainte Vierge de celle de tous les
autres mortels.
Les approches de la mort, les suites de la
mort; voilà le sujet de nos frayeurs et de
nos humiliations. Or, Marie, par des pré-
rogatives dues à la vivacité de son amour et
à sa dignité de Mère de Dieu, triomphe au-
jourd'hui des approches redoutahles et des
suites humiliantes de la mort.
Son âme goûte par anticipation, au moment
de la mort, les délices du ciel ; son corps
jouit par anticipation, après sa mort, de la
gloire du ciel ; ces victoires sur les amer-
tumes de la mort et sur les horreurs du tom-
beau; voilà, Messieurs, les prérogatives que
l'Eglise veut nous faire révérer, lorsqu'elle
dit que Marie a été exemple de tout ce que
la mort a d'amer et d'humiliant : Nec tamen
mortis nexibus deprimi potuit. (Dans Y Orai-
son du jour.) Suivez-moi, je vous prie.
Ce n'est pas à ceux qui tendent à la per-
fection, mais à ceux qui y sont déjà arrivés,
dit saint Augustin, qu'il est donné de goûter
des douceurs et des délices aux approches
de la mort; celui qui est parfait : qui perfec-
tus est, gémit continuellement dans cette
vallée de larmes; la longueur de son exil
est le sujet de ses douleurs. 11 erre triste-
ment dans ce lieu de pèlerinage, il l'ar-
rose de ses pleurs, il n'arrive pas assez tôt
à son gré dans la céleste patrie ; les délais
affligent son âme , et ce n'est que la sou-
mission à la volonté de son Dieu qui lui fait
supporter patiemment la longueur de ses
jours : patienter viviL Mais aussi pour ce
juste parfait, continue saint Augustin, le
temps de goûter des douceurs et des délices,
c'est le moment de la mort; ses approches
pénètrent son âme d'une sainte joie; il meurt
dans des transport d'allégresse : delectabiliter
moritur.
Tout ce qu'il y a de terrible, d'effrayant
au delà du tombeau, se présente au pécheur
mourant; il meurt dans l'abattement, la
crainte, le saisissement. Tout ce qu'il y a
de ravissant, de consolant dans le ciel se
fait sentir au juste mourant; il meurt avec
une joie, une satisfaction ineffable : delecta-
biliter moritur.
Or, sur ce principe, chrétiens, que de-
vons-nous penser de la mort de Marie? Eut-
elle pour elle des amertumes ? Ses approches
purent-elles l'effrayer, l'abattre? Se présen-
ta-t-elle à elle sous ces images saisissantes
qui font pâlir les mortels attachés à la terre?
Lui montia-t-elle un avenir effrayant? Ah!
Marie, au-dessus des justes les plus parfaits,
meurt dans de saints transports d'amour et
d'allégresse : delectabiliter moritur.
Soumise aux ordres du Très-Haut qui la
laissait sur la terre , elle adorait ces délais
qui affligeaient son âms ; ces saintes lan-
gueurs dans lesquelles elle vivait depuis
ORATEURS SACRES. BALLET.
l'ascension de
428
son divin Fils lui faisaient
pousser vers le ciel de tristes accents. Elle
se plaignait de la longueur de ses jours ;
mais c'était le plus pur amour qui foimait
ses plaintes, qui les animait, dit saint Au-
gustin.
O le plus cher objet de mon cœur ! pour-
quoi ne suis-je pas encore où vous êtes ?
Pourquoi me laissez-vous si longtemps où
vous n'êtes pas ? Quare nondumsum ibi ?
'" Pourquoi mon âme est-elle retenue si
longtemps dans les liens de cette chair mor-
telle ? O Sauveur de tous les hommes ! Vous
êtes mon Dieu et vous êtes mon Fils. Je suis
votre servante et je suis votre mère. Pour-
quoi suis-je séparée si longtemps de vous?
Pourquoi ne suis-je pas encore avec vous ?
Quare nundum sum ibi?
Or,. Messieurs, pour une âme si pure, qui
se consume ainsi dans les saintes ardeurs
de la charité, qui s'élance avec tant de vi-
vacité vers le ciel , les approches de la mort
peuvent-elles avoir quelque chose d'amer ,
d'effrayant? Non, chrétiens; la mort a pour
Marie des douceurs, des délices ; elle meurt
dans une allégresse ineffable : delectabiliter
moritur.
Elle regarde le ciel, elle contemple la
gloire qui lui est destinée; ses yeux sont
fixés vers ces montagnes éternelles , on dirait
qu'elle habite déjà ce céleste séjour, et qu'elle
se repose dans le sein de Dieu : delectabi-
liter moritur.
La voix de son bien-aimé l'appelle pour
la couronner; la violence du divin amour
sépare sa sainte âme; les jours de son exil
sont écoulés; le moment de ses triomphes,
de sa gloire, est arrivé; elle sort du désert
de^ce monde comblée de délices, appuyée
sur son bien-aimé, elle est enlevée par les
anges , et portée sur un trône éclatant de
gloire : delectabiliter moritur.
Ah ! chrétiens, go.ûterez-vous ces dou-
ceurs, ces délices, aux approches de la mort ?
Aurez-vous même la confiance du juste dans
ces moments redoutables ? Hélas ! ce n'est
qu'avec peine que je tire d'un sujet si glo-
rieux à Marie une morale si humiliante
pour vous.
J'approche du lit d'un mourant ; je ne dis
pas de ces hommes qui pleurent des ini-
quités, des impiétés qu'ils ont commises de
sang-froid; il n'est pas étonnant de les voir
tremblants, épouvantés; ils rendent àla re-
ligion un hommage public , comme une
amende honorable qui précède les supplices
qui leur sont destinés.
Je ne dis pas de ces mondains qui sont
trop effrayés des approches de la mort,
pane qu'ils ont trop été attachés à la vie,
auxquels il ne reste que quelques moments
pour rompre mille liens flatteurs , expier de
coupables années, réparer une conduite
scandaleuse, arranger des affaires domes-
tiques, examiner des contrats usuraires,
réparer des injustices, recevoir les sacre-
ments, mourir et être jugés; leurs saisis-
sements sont bien fondés.
Mais j'approche du lit d'un juste mourant,
429
SUJETS DIVERS. - SERM
d'un prêtre , d'iin apôtre ; et je le vois encore
trembler aux approches de la mort; ce n'est
pas la vie qu'il regrette, c'est l'examen de
ses actions qu'.l redoute ; la vue du tombeau
qui s'ouvre ne l'effraye pas, mais les juge-
ments de Dieu qui approchent l'épouvan-
tent. Les Hilarion, les Jérôme désiraient la
mort; les Hilarion, les Jérôme redoutaient
le tribunal du souverain juge. Dans ces mo-
ments terribles les hommes apostoliques ont
besoin d'apôtres.
Ce calme, ce repos, cette confiance, cette
• allégresse de Marie, aux approches de la
mort, devaient, chrétiens, faire nécessai-
rement ses délices. Nous devons regarder
cette ineffable tranquillité de sa sainte âme
comme la récompense de son héroïque dé-
tachement et de son éminente sainteté.
Deux choses effrayent les mondains dans
ce moment décisif, les objets terrestres aux-
quels leur cœur est attaché; les péchés dont
leur cœur est souillé. Ils redoutent une sé-
paration qui les dérobe pour toujours à un
monde visible qu'ils ont criminellement
aimé, et qui les fait [tasser sous le domaine
d'un Dieu qu'ils ont volontairement offensé.
Quelle amertume ! quelles angoisses 1
quelles douleurs 1 quelles craintes quand le
tombeau s'ouvre sous les yeux de ces riches
et qu'ils voient fuir devant eux ces biens, ces
domaines, ces honneurs, toutes ces créatures
qui remplissaient leurs cœurs, quand des
douleurs vives , des déchirements du corps
leur annoncent qu'il faut cesser de vivre sur
la terre! Quand'T'effrayante image de leur des-
truction se présente à leur imagination trou-
blée, égarée; quand l'immense étendue d«
l'éternité, l'appareil d'un jugement rigou-
reux qui doit décider pour toujours de leur
sort , s'offrent à leur foi sortie de son assou-
pissement et qui leur fait sentir clairement
combien il faudrait qu'ils fussent saints
alors , et combien ils sont coupables : qu'ils
devraient être pleins de bonnes œuvres et
qu'ils sont pleins de crimes. Ah 1 il faut aller
auprès de ces mondains expirants pourvoir
toutes les frayeurs que causent les appro-
ches de la mort : c'est d'après ce qu'ils pen-
sent , ce qu'ils disent : c'est d'après leur sou-
pirs, leurs larmes, qu'on en pourrait tracer
un fidèle portrait.
La confiance, dans ce redoutable moment,
est la consolation du juste qui a été détaché
de la terre et qui a amassé des bonnes œu-
vres. La sécurité, l'allégresse, le calme,
furent le privilège de Marie.
Tout ce que le monde a de plus séduisant,
plaisirs , richesses , honneurs , sceptres ,
trônes même n'avaient pu charmer ses en-
nuis dans cette terre d'exil. La plus légère
trace du péché n'avait point souillé sa sainte
âme : son divin époux remplissait seul son
cœur : la mort terminait donc ses larmes, ses
soupirs, et la mettait en possession du sou-
verain bien.
Quels furent ses transports de joie lors-
qu'une douce langueur affaiblit son saint
corps 1 que l'ardeur de la charité lui causa
VII, ASSOMPTION. 430
des défaillances : qu'elle entendit la voix do
son Fils qui l'appelait l Elle seule pourrait
nous raconter toutes les merveilles que Dieu
opéra dans la séparation de son âme d'avec
son corps : il nous suffit de savoir que la
mort de la Mère de Dieu ne fut pour elh
qu'une divine extase, un doux sommeil
Telles sont, chrétiens, les prérogatives de U
mort de Marie , d'avoir été exempte des
frayeurs de la mort et des suites humiliante-
de la mort. Son âme goûte, par anticipation,
au moment de la mort , les délices du ciel ;
son corps jouit, par anticipation, après sa
mort , de la gloire du ciel.
Le prophète demandait au Seigneur s'il
ne ferait pas de merveilles en faveur des
morts ? Nunquid mortuis faciès mirabilia ?
{Psal. LXXXVII.) Le tombeau de Marie ,
Messieurs, est le séjour de ces merveilles,
de ces prodiges dont le prophète veut pailer.
11 n'appartient qu'à Dieu de faire éclater sa
puissance dans le tombeau : lui seul peut
changer ce séjour d'humiliation en un sé-
jour de gloire : il le peut, il l'a fait en fa-
veur de la sainte Vierge, nous le croyons
pieusement avec l'Eglise : son corps jouit,
après sa mort, par anticipation , de la gloire
du ciel.
Ecoutez , critiques téméraires , savants
indociles, livrés à des recherches indis-
crètes, qui languissez dans de vaines ques-
tions et de perpétuelles disputes : ne con-
testez pas à Marie cette prérogative , dit
saint Augustin , à cause qu'elle n'est pas
établie dans l'Ecriture : lorsque l'Ecriture
ne parle pas d'un fait que l'Eglise révère, il
faut qu'une raison saine et dégagée de pré-
vention nous fasse adopter ce qui convient
à la vérité : Divina Scriptura nihil commé-
morât; quœrendum est ratione qaod conveniat
veritati.
Nous ne craignons point de dire que
Marie a été soumise à la mort temporelle :
Jésus-Christ , son Fils , revêtu ae notre
chair, y a été soumis aussi ; mais nous
n'aurons jamais la témérité de dire qu'elle
a été en proie aux horreurs du tombeau , les
suites humiliantes de la mort n'étaient pas
pour elle.
Et si vous me demandez pourquoi , dit
saint Augustin, je soutiens cette prérogative
de Marie : c'est que la chair de Jésus-Christ
est la chair de Marie : Caro Jesu, caro
Mariœ.
Les merveilles que Jésus-Christ a opérées
dans le tombeau, par sa propre puissance,
pour se ressusciter, il les a opérées en fa-
veur de Marie, pour délivrer son saint corps
des suites humiliantes de la mort : la pour-
riture, les vers, cette famille des morts,
comme l'Ecriture les appelle, l'ont respecté ;
il a joui par anticipation des privilèges de la
résurrection des saints.
Que des savants téméraires, que des
critiques hardis décident le contraire, conti-
nue saint Augustin, pour moi, je n'ose avoir
d'autres sentiments : aliter sentir e non au-
deo : et je n'aurai jamais la hardiesse d'en-
seigner une doctrine contraire à la pieuse
431
ORATEURS SACRES. BALLET.
m
créance de l'Eglise: aliter dicere non prœ-
sumo : le ciel était plus digne de posséder
ce sacré dépôt que la terre ; l'incorruptibi-
lité devait suivre une virginité telle que la
sienne, et non pas les suites humiliantes de
la mort.
Pourquoi cherchez-vous dans le sépulcre,
dit saint Jean Damascène, celle qui a été
portée en triomphe dans les tabernacles éter-
nels ? Les anges ont enlevé le saint corps de
Marie, et n'ont laissé daus son tombeau que
les suaires qui sont les ornements des
morts.
Si le tombeau de sainte Marie, dit saint
Bonaventure, devient aujourd'hui un séjour
de gloire; si elle en soit triomphante avant
que son corps ait souffert la moindre altéra-
tion, le moindre déchet, c'est que Marie est
l'arche très-sainte du Dieu vivant : il ne con-
venait pas qu'elle fût sujette aux suites hu-
miliantes de la mort, et qu'elle restât dans
les horreurs du tombeau : une gloire com-
plète par anticipation devait suivre une
mort aussi précieuse que la sienne.
Ce privilège que nous révérons dans Ma-
rie, Messieurs, et qui est un des traits du
mystère de sa mort glorieuse, n'est pas l'o-
{ union de quelques dévots peu éclairés; c'est
a pieuse créance de l'Eglise , le sentiment de
ses plus grands docteurs.
Quelle gloire peuvent donc s'acquérir cer-
tains savants enle lui disputant? Pourquoi, par
de brillants raisonnements, vouloir confon-
dre le saint corps de la Mère de Dieu avec
les tristes dépouilles des mortels? Pourquoi
supposer qu'il a été oublié par un Dieu ad-
mirable dans ses saints, qui a opéré tant de
prodiges pour rendre leurs tombeaux célè-
bres, y faire éclater sa toute-puissance, et
en faire des séjours de gloire et. de mer-
veilles?
Je vois les tombeaux de ses serviteurs de-
venir, selon l'expression de saint Chrysos-
tome, plus brillants que les palais des em--
pereurs ; je vois leurs ossements précieux
retracer, par la vertu du Tout-Puissant, les
guérisons surprenantes que faisaient les apô-
tres ; je les vois ornés de tous les trophées
érigés à la sainteté de ces héros : les maîtres
du monde, dépouillés de la pompe royale,
y paraissent prosternés, et y sollicitent des
grâces.
Toutes ces merveilles opérées dans l'O-
rient et dans l'Occident, rapportées par les
plus grands hommes et les plus saints histo-
riens, n'ont reçu aucune atteinte des plus
subtils raisonnements de la critique, et je
supposerai témérairement que le tombeau
de Marie a été un séjour d'humiliation, que
son saint corps y a été livré à toutes les hor-
reurs do la mort? Ah 1 loin de moi, Mes-
sieurs, une idée si contraire au respect dû à
la Mère de Dieu.
Ma piété me fait croire, avec l'Eglise, que
son corps sacré a été enlevé du tombeau par
les anges sans aucun déchet, et porté en
triomphe dans le ciel.
Ici, Messieurs, l'histoire fidèle nous a
transmis des faits qui nous autorisent à
prêcher ce privilège de la sainte Vierge à
sa mort.
En vain certains critiques, lorsque nous
leur opposons l'oubli humiliant où serait
tombé le tombeau de Marie, la gloire qu'au-
raient au-dessus d'elle les dépouilles mor-
telles des autres saints, si elle n'était pas réu-
nie par anticipation à son corps dans le ciel,
nous répondent-ils qu'il en est de son tombeau
comme de celui de Moïse, ce grand servi-
teur de Dieu, qui est demeuré inconnu
jusqu'à présent, et qui est un mystère pour
tous les mortels; mais où ont-ils vu que lo
tombeau de la sainte Vierge était un lieu
ignoré de tous les fidèles? L'empereur Mar-
cien et Pulchérie ne l'ont-i-ls pas vu et visiié
àGethsemani? Juvénal, évêque de Jérusa-
lem, ne leur a-t-il pas montré ce saint lieu?
Neleura-t-il pas assuré que son saint corps,
y avait été posé, mais que la terre n'étant
pas digne de posséder un si grand trésor,
les anges l'avaient enlevé et porté dans le
ciel? Leur piété n'éleva-t-elle pas un temple
magnifique pour être un glorieux trophée
érigé à la gloire anticipée de son saint corps?
Monument précieux du privilège de Marie à
sa mort, attesté depuis plus de quatorze
cents ans.
Enfin, Messieurs, quand le sentiment aes
savants qui soutiennent que le tombeau de
Marie est à Ephèse, et qui s'appuient sur
une lettre du grand concile qui y fut tenu
contre Nestorius, cet ennemi de sa maternité
divine, serait le plus sûr, l'objection des cri-
tiques tomberait toujours; il ne serait pas
inconnu, ignoré, etun mystère, comme celui
de Moïse.
Or, chrétiens, voici mon raisonnement, et
je vous prie de vous appliquer, afin d'en tirer
avec moi de justes conséquences.
Le tombeau de Marie est connu, il a été
visité par les plus saints et les plus grands
personnages du monde; ils n'y ont point
trouvé son saint corps, ni aucun reste de
ses précieuses dépouilles. S'il n'a pas été
transporté dans le ciel, et réuni par antici-
pation à son âme bienheureuse, Dieu, qui est
admirable dans ses saints, l'a donc oublié?
Les ossements et les cendres de saint
Etienne,, de saint Gervais et desaint Prêtais,
d'un saint Martin de Tours, auront donc eu
des privilèges, des honneurs que les restes
sacrés de la chair de Marie n'ont pas?
O, voilà ce que la piété ne saurait penser,
sans manquer au respect dû à la Mère de
Dieu, voilà ce qui a décidé le grand saint
Augustin à soutenir le privilège de là sainte
Vierge à la mort, que je vous prêche aujour-
d'hui.
La chair de Jésus, dit ce grand docteur,
est la chair de Marie : Caro Jesu, caro Ma-
riœ. C'est dans son sein qu'il a été conçu;
c'est de sa substance qu'il a été formé;
Marie a participé aux abaissements, aux
douleurs, à la mort de son Fils; mais comme
il n'y a point eu de suites humiliantes pour
le corps de Jésus dans le tombeau, il n'y en
a pas eu non plus pour celui de sa sainte
Mère. Comme c'était la même chair, elle a
iZZ
SUJETS DIVERS. — SERM. VII, ASSOMPTION.
i3i
participé à la même gloire, aux mêmes
triomphes : Caro Jcsu, caro Mariœ : c'est
pourquoi, ajoute ce môme Père, quand je
fais réflexion à 'celte dignité de la chair de
Marie, j'ai horreur de penser qu'elle eût été
sujette à toutes les suites humiliantes de la
mort. Je suis persuadé qu'un Dieu admi-
rable dans ses saints l'a été aussi, lorsqu'il a
été question de glorifier sa propre chair dans
celle de Marie.
Je crois que son saint corps jouit par an-
ticipation , dans le ciel, de la gloire préparée
aux élus. Je prêcherai' et je soutiendrai
toujours ce privilège accordé à la Mère de
Dieu.
Pénétré du respect qui lui est dû, et de
toutes les grandes choses que le Tout-Puis-
sant a opérées en sa faveur, je n'ose avoir
d'autres sentiments ; je croirais être coupa-
ble, de penser que son corps eût été sujet à
la déstructiou humiliante qui suit la mort
des moi tels : Aliter sentire non audco. Je me
garderai bien aussi de favoriser dans mes
écrits ou dans mes discours ceux qui con-
testent à la sainte Vierge cette exemption
des suites humiliantes de la mort. Loin de
moi ces attentats que la présomption des sa-
vants leur fait commettre lorsqu'il s'agit de
ses prérogatives : Aliter dicere non prœ-
sumo.
C'est ainsi, mes frères, que saint Augus-
tin raisonne lorsqu'il est question du second
Erivilége de la mort de Marie. Ce grand
omme savait, sans doute, mettre la diffé-
rence qu'il convient entre les faits que
l'Eglise croit pieusement, et 'ceux qu'elle a
décidé être de foi, mais un savant pieux et
docile respecte ce qu'elle respecte, et ne
craint point de s'égarer en imitant sa piété
et son respect pour les prérogatives de la
Mère de Dieu.
Ces prérogatives de Marie à la mort étaient
dues, Messieurs, à son éminente dignité ; il
convenait que cette sainte Mère de Dieu fût
paisible et victorieuse des combats d'une
chair de péché, et des suites humiliantes de
^a destruction. Il était juste que sa mort fût
douce et tranquille, et que son corps, qui
avait servi de sanctuaire à la Divinité, ne
fût pas exposé aux horreurs du tombeau.
Les privilèges de sa mort nous la font regar-
der comme le terme de ses abaissements et
le commencement de sa gloire et de ses
triomphes.
Les tombeaux s'ouvrent, Messieurs, pour
les monarques comme pour les sujets. La
voix du Tout-Puissant brise les cèdres du
Liban ; elle couvre les plus florissants royau-
mes des ombres de la mort, renverse et met
en poudre les têtes les plus augustes. Les
rois tombent de leurs trônes dans le sépul-
cre, les pauvres y sont conduits de leurs
cabanes.
Les grands pourrissent plus lentement;
les baumes, les odeurs suaves les conser-
vent quelque temps, mais ils ne pourrissent
pas moins. Les pauvres pourrissent plus
promptement; on les néglige, on omet ces
recherches, ces précautions de la vanité qui
ne changent point leur sort; mais la vanité
cède à la corruption, ils deviennent égaux.
Le tombeau du grand et le tombeau du
pauvre renferment la même corruption ; la
cendre de l'un n'est pas plus illustre que la
cendre de l'autre. La mort met tous les hom-
mes de niveau, dit saint Ambroise, et si
vous voulez voir une égalité parfaite, re-
gardez dans les tombeaux des morts : Re-
spicc in sepulcra hominum.
A la mort, l'âme fugitive passe dans l'im-
mense étendue de l'éternité. Le corps, après
avoir passé par tous ces degrés humiliants
dont parle Job, disparaît ; on le cherche en
vain, et l'on se demande avec étonnement
où il est: Ubi, quœso.
Réflexions humiliantes pour nous, Mes-
sieurs ; mais après avoir parlé des privilèges
éclatants de la mort de Marie, peut-on pas-
ser sous silence les mystères humiliants de
notre mortalité ? Vous ne pouvez pas les
éviter, mais vous pouvez vous procurer des
consolations pour le dernier jour, et adou-
cir les amertumes des approches de votre
mort. Qu'elle soit séparée du péché, et vous
ne la redouterez pas. La mort délivre le
juste de tous les maux, et le met en posses-
sion de tous les biens. Une mort précieuse
conduit à une gloire durable. Marie passe
de la terre au ciel toujours distinguée par
des privilèges que nous ne pouvons qu'ad-
mirer. Prérogatives singulières sur la terre
à sa mort; prérogatives singulières dans le
ciel où elle règne dans la gloire ; c' st le su-
jet de la seconde partie.
SECONDE PARTIE.
, f Si les oracles d'un Dieu ne nous appre-
naient pas, Messieurs , qu'il y a différents
degrés de gloire dans le ciel, vous seriez
peut-être étonnés de m'enteudre distinguer
Marie de cette foule innombrable de bien-
heureux dont la félicité, selon l'Ecriture, est
pleine et parfaite, et qui sont comme eni-
vrés des torrents des célestes voluptés ;
mais vous savez qu'il y a différentes demeu-
res dans le séjour de l'immortalité glorieuse ;
que les pierres précieuses de l'édifice éter-
nel sont placées chacune dans l'ordre mar-
qué par la suprême sagesse ; que la mesure
des récompenses est proportionnée à l'é-
tendue des mérites; que ceux qui auront
enseigné et pratiqué seront revêtus d'une
clarté plus brillante que les autres, puisque
Jésus-Christ les compare à ces feux étince-
lants qui brillent dans les roseaux; enfin,
vous savez cpie si tous les saints sont re-
gardés par l'apôtre saint Paul comme des as-
tres, il nous avertit qu'ils diffèrent entre
eux en lumière, et qu ils ne répandent pas
tous le même éclat : Stella enim a Stella dif-
fert. (I Cor., XV.)
Or, d'après tous ces oracles, nous cievons
donc croire qu'il y a différents ordres dons
le ciel, différentes hiérarchies; et c'e^t,
Messieurs, sur ce principe que j'établis les
prérogatives de la gloire de Marie, et qu'o-
bligé, dans ce jour de son triomphe, dit
435
ORATEURS SACRES. BALLET.
436
vous en donner une idée ; j'avance deux
propositions. Les voici :
Je dis, premièrement, que Marie est dis-
tinguée dans le ciel par le rang éminent
qu'elle y occupe, première prérogative; elle
n'a que Dieu au-dessus d'elle; elle est au-
dessus de toutes les créatures.
Je dis, secondement, que Marie est dis-
tinguée dans le ciel par l'étendue de son
crédit auprès de Dieu, seconde prérogative ;
son intercession est la plus puissante et la
plus efficace que nous puissions employer;
deux traits, Messieurs, de la gloire de Ma-
rie que je vais développer, et auxquels je
vous prie de faire une sérieuse attention.
Nous croyons, Messieurs, et nous espé-
rons, au delà du tombeau, une félicité éter-
nelle ; mais ce poids immense de gloire qui
doit être la récompense d» quelques mo-
ments de tribulations, selon saint Paul ; ce
spectacle des choses divines qu'il n'est pas
donné à l'homme de raconter sur la terre ;
ces biens ineffables préparés à tous les élus,
que les veux d'un mortel ne sauraient voir,
que ses oreilles ne sauraient entendre, et
que son cœur ne peut comprendre, tout cela
est un mystère pour nous que nous ne de-
vons pas entreprendre d'approfondir.
Or, Messieurs, si nous ne pouvons pas
comprendre ce mystère de gloire préparé
aux serviteurs de Dieu, ne serais-je pas té-
méraire d'oser développer ce fond ineffable
de félicité dont Marie jouit dans le ciel ? Oui,
Messieurs, c'est pourquoi, sans approfondir
ce mystère ineffable des grandeurs de la
sainte Vierge, je me contente de vous dire,
et de vous prouver que sa prérogative, après
le triomphe de son Assomption, est d'être
distinguée, par le rang qu'elle tient dans le
ciel, de tout ce. qui n'est pas Dieu; d'être
élevée au-dessus de toutes les créatures qui
jouissent de l'immortalité glorieuse.
Telle est, Messieurs, l'esprit de l'Eglise, le
sujet de.l'allégresse qu'elle fait éclater aujour-
d'hui, d'ans ses prières, dans ses cantiques.
C'est l'élévation de Marie au-dessus de tout
ce qui n'est pas Dieu. C'est ce que ses plus
grands serviteurs, les Ambroise, les Jérôme,
Tes Augustin, les Bernard, les Anselme, les
Bohâventure admirent et relèvent aujour-
d'hui en parlant de sa triomphante Assomp-
tion.
ïl ne s'agit donc pas , chrétiens, de saisir
vos sens, de flatter vos oreilles i>ar des des-
criptions magnifiques et pompeuses du
triomphe dé Marie, il s'agit seulement de
vous développer le principe de sa première
prérogative dans le ciel : le voici.
Elle a été sur la terre la plus grande, la
plus favorisée, la plus humble de toutes les
créatures ; elle est dans le ciel la pins élevée.
Dieu seul est au-dessus d'elle; elle e^t au-
dessus de tout ce qui n'est pas Dieu. Préro-
gative, par le rang qu'elle tient dans le ciel,
qui répond à son éminente dignité de mère
de Dieu , à la plénitude de grâces qu'elle
seule a reçues, a la profondeur de ses abais-
sements. Ce détail demande, mes frères,
loute votre application.
La maternité divine avec une perpétuelle
virginité : être mère et vierge tout à la fois,
voilà, dit saint Bernard, le privilège singu-
lier, la prérogative de Marie : Mariœ privi-
legium est. Cette prérogative ne sera accor-
dée à aucune créature; aucune n'aura cet
honneur, cette distinction : Non dabitur al-
teri : or, le rang que Marie tient dans le
ciel, la gloire dont elle jouit après son As-
somption, l'éclat de son triomphe perpétuel,
tout cela-répond à cette première distinction
dont elle fut honorée sur .la terre : voilà ce
qui nous fait dire qu'elle forme elle seule
une hiérarchie entre Dieu et les saints, qu'elle
est placée sur un trône aux pieds de son
divin Fils, et que tous ceux qui rendent
continuellement les hommages suprêmes
au Très-Haut, admirent et contemplent
avec respect, dans la mère du Fils uni-
que de Dieu, sa grandeur ineffable: après
Dieu ils ne connaissent qu'elle qui mérite
un culte et des hommages particuliers.
Voilà ce qui autorise l'Eglise, quoi qu'en
disent les protestants, à lui donner le titre
glorieux de Reine du ciel, et à mettre dans
ses prières, au rang de ses serviteurs et de
ses sujets, les patriarches, les prophètes et
tous les plus saints héros de la Synagogue;
les apôtres, ces astres du monde/ces colon-
nes de la religion, les martyrs qui l'ont scellée
de leur sang; les confesseurs qui l'ont pro-
fessée devant ses ennemis ; les pontifes qui
ont étendu son culte, sontenu ses autels, et
travaillé au salut des âmes; ces docteurs qui
ont défendu la pureté de la foi contre les
entreprises de l'hérésie; ces pénitents que
l'Evangile a immolés lentement; ces vierges
qui ont suivi dans l'innocence l'Agneau sans
tache; les anges même, et les plus suhlimes
intelligences ; elle nous représente Marie
dans la gloire sur un trône éclatant, distin-
gué, il est vrai, de celui de son divin Fils,
placé au-dessous, mais distingué aussi de
ces douze trônes suriesquels Jésus-Christ a
placé ses apôtres comme il leur avait promis,
distingué de ces rangs éclatants que forment
tous les esprits célestes.
Voilà enfin ce qui a fait dire à saint An-
selme que la plus sublime créature ne doit
pas être égalée à la sainte Vierge; que la
(lignite de Mère de Dieu, et le rang qu'elle
tient dans le ciel l'élèvent au-dessus de tou-
tes les créatures : Nihil est œquale Mariœ, et
que pour se représenter quelque chose au-
dessus d'elle, il faut se représenter Dieu
seul, le principe de toute sa grandeur et de
toute sa gloire : Nihil nisi Deus majus Ma-
ria.
La plénitude degiâce que Mario a reçue
sur la terre, nous oblige aussi à reconnaître
la plénitude de gloire dont elle jouit dans le
ciel. La grâce a été donnée aux autres créa-
tures par mesure, dit saint Jérôme, Marie
ost la seule qui l'ait reçue sans mesure, et
avec plénitude : Gratia plena. (Luc, l.)
Or, Dieu qui lui a prodigué ces dons céles-
tes pour enrichir son âme eben faire le chef-
d'œuvre de sa toute-puissance, aura-t-il
quelque réserve pour elle dans la gloire?
437
SUJETS DIVERS.
SEUM. VII, ASSOMPTION.
458
Placera t-il sa Mère, que des miracles de la
grâce ont rendue si nure, si sainte et si dis-
tinguée sur la terre, dans un rang inférieur
Ou égal à celui que tiennent les saints qui
lui ont été si inférieurs en grâces et en mé-
rite? Non, Messieurs. Marie tient un rang
distinguédansle ciel: une plénitude de gloire
répond à la plénitude des grâces qu'elle a
reçue sur la terre.
Enfin, Messieurs, je dis que Marie est
distinguée dans le ciel par une plénitude de
gloire qui répond à la profondeur de son hu-
milité, et qui est la récompense de tous ses
abaissements.
Ici , Messieurs , je parle d'après Jésus-
Christ même. C'est l'oracle que ce divin
Sauveur a prononcé dans son Evangile qui
me fait avancer qu'une plénitude de gloire
était due aux abaissements de Marie sur la
terre : l'élévation du juste égalera ses abais-
sements, et le plus grand dans le royaume des
cieux, sera celui qui aura été le plus humble
sur la terre : or, Messieurs, sur ces principes
posés par Dieu même, quelle doit être l'élé-
vation de la sainte Vierge dans le ciel ? Jamais
créature fut-elle plus humble qu'elle? Jamais
Dieu a-t-il fait passer ses élus dans des rou-
tes plus humiliantes que celles qu'il a tra-
cées à Marie sur la terre? Quelqu'un d'entre
eux y a-t-il marché plus fidèlement ? Etquand
nous n'aurions pour monument de son hu-
milité que ce beau cantique qu'elle a chanté
chez sa cousine Elisabeth, où elle se donne
le litre de servante de celui qui l'a choisie
p-our sa Mère, ne pouvons-nous pas dire
qu'elle a été la plus humble de toutes les
créatures, et, par conséquent, que le rang
distingué qu'elle tient dans le ciel, est la ré-
compense de ses profonds abaissements?
Celte gloire ineffable et singulière de Marie
fut montrée, Messieurs, au disciple bien-
aiiné sous des traits symboliques ; et l'Eglise
nous rappelle aujourd'hui ce magnifique
spectacle qui s'offrit à ses yeux,- pour nous
donner une idée de la gloire ineffable et des
triomphes éclatants de la Mère de Dieu; c'est
pourquoi, Messieurs, je n'hè'site pas aussi
de vous la représenter sous ce brillant em-
blème
Le ternpie qu'habite l'Etre suprême s'ou-
vrit tout à coup dans ce séjour de la gloire
céleste; saint Jean aperçut un objet éclatant
et singulier : c'était une femme revêtue du
soleil qui avait la lune sous ses pieds, et une
brillante couronne|sur lajête, composée de
douze étoiles. Sans nous arrêter, Messieurs,
à l'interprétation des savants commentateurs,
ne pouvons-nous pas regarder, avec l'Eglise,
cette pompeuse description comme une image
naturelle de la gloire de Marie dans le ciel,
et du rang distingué et privilégié que son di- pi
vin Fils lui a donné.
Qu'un malheureux Luther profère des
blasphèmes contre la Mère de Dieu; qu'il ait
l'audace dédire dans ses prédications que
nous égalons Marie en sainteté, en mérites,
en prérogatives : Sitmus pares Matri Dei, je
suis surpris que l'Allemagne l'ait [entendu
tranquillement. Je ne suis point sur] ris de
ses blasphèmes, ils sont communs dans la
bouche des hérétiques.
Que l'Angleterre- ait supprimé la solennité
qui nous rassemble aujourd'hui , je n'en
suis pas surpris non plus; il fallait bien,
dans le schisme, se distinguer de l'Eglise
romaine; on ne rougissait pas alors de pros-
crire les plus grandes vérités pour avoir le
plaisir de censurer son culte et de blâmer sa
piété.
Quelle différence, Messieurs, entre l'An-
gleterre et la France; la dévotion à la sainte
Vierge est héréditaire dans nos rois comme
dans leurs sujets; ce royaume catholique est
sous sa protection d'une manière particu-
lière.
Nos monarques ont-ils imploré en vain son
secours? Des batailles désespérées gagnées;
des victoires éclatantes remportées sur nos
ennemis; des armées formidables mises en
déroute; les troupes fugitives et dispersées :
voilà, Messieurs, ce que la France a éprouvé
plusieurs fois; et le vœu de Louis XIII, ce
pieux monarque que Louis le Grand et Louis
le Bien-aimé ont renouvela, et dont ils ont
fait une loi par des édits qui seront à jamais
des monuments précieux de leur confiance
en la Mère de Dieu, n'en est-il pas une
preuve?
Vous allez, Messieurs, le renouveler au-
jourd'hui, ce vœu solennel, avec la solennité
la plus éclatante. Ah! que ce spectacle est
beau ! qu'il est touchant ! qu'il est consolant
pour les catholiques !
Que les ennemis de la gloire et du culte
de Marie soient donc à jamais confondus ;
qu'ils ne disent plus que ses dévots servi-
teurs ne sont que des pauvres, des simples-
et des ignorants ; les rois posent aujourd'hui
leurs sceptres et leurs couronnes aux pieds
de Marie ; les évêques et les prêtres voient à
leur suite tous les grands du royaume et
toutes les cours souveraines; ils volent
avec la même ardeur que le peuple, et avec
une piété plus éclairée, sous les étendards de
Marie.
Oui, Vierge sainte 1 malgré la fureur de
l'hérésie, on posera à vos p.ieds les sceptres
et les couronnes ; toute la grandeur du siècle
s'abaissera aujourd"hui devant vous; le sa-
cerdoce et l'empire s'uniront pour vous louer;
et prosternés devant l'image qui vous repré-
sente, ils vous adresseront leurs vœux et
leurs prières : Vultum tuum deprecabuntur
omnesdivites plebis (Psal. XLIV) ; persuadés
que vous êtes distinguée dans le ciel par
votre pouvoir, aussi bien que par le rang émi-
nent que vous y tenez : seconde prérogative
de la gloire de Marie; l'étendue de son pou-
voir auprès de Dieu; son intercession est la
plus puissante et la plus efficace que' nous
puissions employer.
Le pouvoir de Marie dans le ci'el est une
vérité solidement établie dans tous les siè-
cles. L'Eglise, qui a décidé contre les héré-
tiques que les saints étaient des intercesseui s
puissants qui nous obtenaient des grâces et
des secours dans celte vallée de larmes, a
reconnu dans la sainte Vierge une étendus-.
439
ORATEURS SACRES. RALLET.
HO
de puissance supérieure à celle de lous les
bienheureux:; c'est "ce qui a excité sa con-
fiance, ce qui lui fait implorer son secours
si souvent, et ce qui lui fait rendre un
culte distingué de celui qu'elle rend aux
héros de la religion qui .régnent dans la
gloire.
Prenez garde, chrétiens, qu'en vous déve-
loppant ici la seconde prérogative de Marie
dans la gloire, qui est une étendue de pou-
voir, de crédit, de puissance que les saints
n'ont pas, je ne prétends pas vous la repré-
senter dans le ciel autrement que la foi nous
la représente, et que l'Eglise se la représente
elle-même, c'est-à-dire autrement qu'une
puissante avocate qui sollicite, qui demande
et qui obtient à cause de son éminente di-
gnité de Mère de Dieu. Nous ne disons pas
qu'elle est le principe des grâces, mais nous
disons qu'elle est le canal par où le Seigneur
se plaît à faire couler ses bienfaits sur ses
créatures. Nous établissons l'efficace de son
pouvoir pour demander et obtenir, et non
pas pour exaucer et accorder; et si nous di-
sons qu'elle est toute-puissante dans le ciel,
c'est en qualité de suppliante et de protec-
-trice. Voilà des vérités que vous ne devez
pas ignorer.
Mais ces vérités établies, et dont je serais
fâché de m'écarter en distinguant le crédit
de Mar:e de celui des saints, je soutiens
qu'une des prérogatives de la gloire de la
sainte Vierge dans le ciel est l'étendue de
son pouvoir auprès de Dieu, et je l'établis
avec les saints docteurs sur le choix qu'il a
fait de cette sainte créature pour opérer les
mystères de notre salut, sur son ineffable
dignité de Mère de Dieu, sur tout ce qu'il a
accordé aux prières de ses serviteurs. Appli-
quez-vous, chrétiens; sans rien dire contre
la précision de la foi, vous apprendrez et se-
rez persuadés qu'une des prérogatives de la
gloire de Marie dans le ciel est l'étendue de
son pouvoir.
Quelles sublimes idées de grandeur, de
gloire, do distinction se présentent à mon
esprit, lorsque je fais attention au choix
que Dieu a fait de Marie pour opérer les
mystères de notre salut 1
N'est-ce pas la distinguer de toutes les
autres créatures? N'est-ce pas nous faire
connaître qu'elle a été l'objet de ses com-
plaisances; qu'il l'a rendue, par ses dons
ineffables, digne de lui? C'est sans doute ce
choix de prédilection qui a fait dire à saint
îîcrnard que Jésus-Christ a voulu que Marie
■fût le canal de toutes les grâces et de tous
les bienfaits que sa miséricorde veut faire
couler sur nous : Totum nos habere voluit
per Mariam.
Le corps dont le Verbe éternel s'est re-
vêtu , qui a été attaché à la croix; le sang
qu'il a répandu pour la rémission de nos
péchés; celte grande victime qui a été im-
molée pour apaiser la colère du Père éter-
nel : tout cela doit nous prouver l'amour
immense de notre Dieu, mais nous rappeler
«•"m môme temps que dans le plan qu'il s'était
tracé pour opérer ces grands mystères de sa
charité pour les hommes , il a choisi Marie
pour former ce corps , donner au monde
cette victime et nous procurer, par là toutes
les grâces et les secours nécessaires pour
notre sanctification : Totum nos habere voluit
per Mariam.
Or, si Dieu a voulu que nous ayons
tout dans l'ordre du salut par Marie , il veut
donc qu'on ait recours à elle , qu'on em-
ploie sa protection. Oui, dit saint Bernard,
telle est sa volonté : Sic est vohmtas ejus.
Puis-jc donc, Messieurs, me représenter
la sainte Vierge dans le sein de la gloire cé-
leste, élevée au-dessus de tout ce qui n'est
pas Dieu, placée sur un trône aux pieds de
son Fils, et douter de l'étendue de son crédit?
Puis-je me rappeler le choix que Dieu en a
fait pour coopérer aux grands mystères de
mon salut, sans me la représenter dans son
triomphe éternel , comme une puissante
protectrice qui demande et qui obtient ?
Puis-je penser que Dieu la distingue de la
gloire par le rang éminent qu'il lui a donné,
et qu'il ne la distingue pas lorsqu'elle sol-
licite pour nous des grâces? La eontern-
plerai-je au-dessus de toutes les intelligen-
ces célestes mêmes, sans être persuadé que
son crédit est plus étendu , plus efficace que
celui de ceux qui la révèrent et lui rendent
leurs hommages? Non, Messieurs; je re-
connaîtrai toujours dans Marie un crédit
auprès de Dieu, un pouvoir pour demander
et obtenir, distingués du crédit et du pouvoir
des saints.
Mais avançons , et disons avec saint Au-
gustin que Marie étant la Mère de notre
Sauveur et de notre juge, Mater Redempto-
ris etjudicis, cette éminente dignité rend
son intercession puissante et efficace dans
le ciel.
Marie est la Mère du Sauveur de tous les
hommes : quel titre pour être écoutée et
exaucée 1 Mater Redcmptoris. Quoi ! celle qui
a formé de sa propre substance le corps de
Jésus, ce corps qu'il a offert à son Père en
entrant dans le monde, qui a été immolé
sur la croix; ce corps sorti plein de gloire
et de puissance du tombeau, que les anges
adorent dans le ciel , n'aurait pas un pouvoir
qui répondît à sa dignité et au rang qu'elle
tient dans la gloire? Quoi 1 Jésus, qui lui
, était soumis dans les jours de sa vie mor-
telle, qui l'a recommandée au disciple bien-
aimé sur la croix, ne la distinguerait pas,
lorsqu'il s"agit de faire couler, par son ca-
nal, ses miséricordes et ses grâces sur
nous? Sa Mère suppliante n'aurait pas au-
près de lui un crédit et un pouvoir dis-
tingués? Ah! Messieurs, comptons sur l'effi-
cace de l'intercession de Marie dans le ciel,
lorsqu'il s'agit de notre salut : le pouvoir et
la volonté ne lui manquent point, dit saint
Bernard. Mère d'un Dieu qui a donné sa
vie pour nous ouvrir le ciel, sa charité pour
les hommes répond à celle de son Fils;
Mère d'un Dieu qui l'a platée auprès du
trône de sa gloire, et qui l'a élevée au-des-
sus de tous les bienheureux , son crédit ré-
pond à son éléva'ion.
lil
SUJETS DIVERS.
SERM. VII. ASSOMPTION.
Son heure est venue, Messieurs, ce mo-,
ment dont Jésus-Christ lui parlait lorsqu'elle
le sollicita en faveur des époux de Cana ;
elle est triomphante dans le ciel, le temps
de ses abaissements est passé. La mis-
sion de son Fils est consommée, les jours
de son triomphe sont arrivés ; c'est à pré-
sent qu'elle demande et qu'elle est exaucée.
O Jésus! Fils de Marie, pouvons-nous
douter du crédit de votre sainte Mère sans
vous offenser, et ne devons-nous pas croire
que vous ne refusez rien à celle que vous
avez récompensée si magnifiquement?
Marie est la mère de notre Juge : Mater
Judicis. Quel titre encore pour solliciter et
obtenir; je ne dis pas, Messieurs, pour par-
ler en faveur de ces pécheurs obstinés qui
perpétuent volontairement leurs désordres,
et dont le cœur est souillé de crimes et sans
douleur, sans componction; la Mère d'un
Dieu ne s'intéressera jamais pour les impé-
nitents ; les outrages faits à son Fils seront
punis dans 2'étermté, quand ils n'auront pas
été expiés dans le temps; mais pour obtenir
ces jugements de justice et de miséricorde
qui punissent le vice accrédité par les mé-
chants, et vengent la vérité et la vertu ou-
tragée par les funestes progrès de l'incrédu-
lité et du libertinage.
Marie est puissante dans le ciel, où elle
jouit d'une gloire privilégiée, où elle est
placée entre Jésus-Christ et son Eglise pour
être le canal de ses grâces, de ses faveurs et
de ses prodiges. C'est sous ces traits que
nous devons nous la représenter, dit saint
Bernard, après sa triomphante Assomption :
Potens est inter Christum et Ecclesiam con-
stituta.
Quelle idée aurions-nous de sa gloire, si
nous doutions de son pouvoir auprès de
Dieu, et si, persuadés, comme nous le som-
mes par la foi, que les saints sont des inter-
cesseurs puissants dans le ciel qui nous ob-
tiennent des grâces, et qu'il est utile de les
invoquer, comme l'Eglise l'a décidé dans
ses conciles, nous ne nous la représentions
pas au-dessus de tous ces élus que Dieu
écoute et exauce, si Dieu ne la distinguait
pas dans les grâces qu'il lui accorde comme
dans le triomphe qu'il lui a décerné? Ou il
faut lui disputer ce trône distingué de gloire
qu'elle occupe, ou il faut reconnaître que
son pouvoir auprès de Dieu est aussi dis-
tingué de celui des saints.
Marie est puissante dans le ciel : potens est :
prenez garde, chrétiens, c'est pour solliciter,
supplier, être écoutée, exaucée ; elle est
placée entre son divin Fils et son Eglise, non
pas comme la source et le principe des grâces,
mais comme le canal par lequel Dieu se plait
à les faire couler sur nous : inter Christum
et Ecclesiam constituta.
Elle est puissante pour obtenir ce qu'elle
demande : potens est, et qui pourrait en dou-
ter, sans oublier son élévation dans le ciel, et
les traits singuliers de son éternel triomphe?
Les Moise, les Josué, les Elie ont été puis-
sants sur la terre avant d'être consommas
dans la charité. Moïse sollicite, demande
grâce pour des coupables, et le bras ve*ngeur
du Seigneur est arrêté ; sa foudre près d'écla-
ter sur des têtes criminelles, suspendue.
Josué sollicite, demande, et pour lui donner
le temps de remporter une éclatante vic-
toire, le soleil s'arrête dans sa course. Elie
sollicite, demande, et le ciel s'ouvre ou se
ferme à son gré. Le Saint-Esprit nous assure
que Dieu semble se faire une gloire d'obéir
à la voix du juste qui le sollicite : obediente
Domino voci hominis.
Or, si ces justes ont été si puissants sur la
terre pour obtenir ôes grâces, que devons-
nous penser du pouvoir de Marie dans le
ciel? La Mère de Dieu dans un abîme inef-
fable de gloire, récompensée avec toute la
magnificence d'un Dieu riche en miséri-
corde, sollicitera-t-elle, demandera-t-elle inu-
tilement? Loin de nous, Messieurs, ces idées
injurieuses à la gloire de la sainte Vierge;
elle obtient tout ce qu'elle demande, parce
que ses prières sont toujours agréables à son
Fils. Nous ne pouvons pas employer une
intercession plus puissante et plus efficace :
sa dignité distingue son crédit comme son
rang dans le séjour de l'immortalité.
O épouse de Jésus-Christ ! O Eglise tou-
jours attaquée, combattue par la fougueuse
hérésie, par les apostasies de vos enfants
rebelles, vous êtes dans l'affliction et l'amer-
tume aujourd'hui, en voyant les pièges que
l'on tend à ceux qui vous sont soumis ; la
licence des mœurs, fruit funeste des cou-
pables productions des déistes et des liber-
tins, s'étendre et défigurer la beauté du
christianisme; un esprit d'incrédulité ré-
gner dans tous les Etats ; mais consolez-
vous : Marie, cette puissante avocate, est
placée entre Jésus-Christ et vous : Potens est
inter Christum et Ecclesiam constituta; par
son crédit, vous serez victorieuse de vos en-
nemis, la tempête cessera, les nuages sa
dissiperont, les efforts de l'esprit humain
seront inutiles, le vice honteux se cachera.
L'histoire des premiers siècles de l'Eglise
ne nous fournit-elle pas, Messieurs, des
monuments éclatants de la puissance et du
crédit de Marie? N'a-t-elle pas étouffé toutes
les hérésies, et confondu tous' les héré-
siarques que l'enfer avait vomis ? Que sont
devenus les Arius, les Nestorius, les Julien
Apostat qui lui ravissaient ses prérogatives
par leurs erreurs sur la divinité de' Jésus-
Christ? Leur fin tragique est connue dans
l'histoire , aussi bien que leurs sacrilèges
attentats.
Où jamais, Messieurs, reconnut-on plus
solennellement la gloire et le pouvoir de
Marie que dans le saint et fameux concile
d'Ephèse? Quels glorieux trophées n'a-t-on
pas érigés dans cette sainte assemblée à sa
dignité de Mère de Dieu, à ses triomphes,
a son crédit? Que n'en dit pas le grand saint
Cyrille en prêchant l'ouverture de ce saint
concile dans un temple qui lui était déjà
dédié?
C'est par vous, Vierge sainte, dit ce zélé
>atriarcne, que l'hérésie a été détruite, que
es pécheurs ont embrassé la pénitence, que
443
ORATEURS SACRES. BALLET.
:-:i
toutes les Eglises ont été fondées : tout nous
est venu par vous, parce que c'est par vous
que nous est venu Jésus-Christ, Fauteur et
le consommateur de notre foi. Peut-on re-
connaître, Messieurs, dans la sainte Vierge
une protection plus puissante, un crédit
plus distingué, un pouvoir plus efiicace ?
Potens est inter Chris tum et Ecclesiam con-
slituta.
Or, chrétiens, si vous êtes persuadés avec
l'Eglise de ce pouvoir distingué que la sainte
Vierge a auprès de Dieu, après sa triom-
phante Assomption, recourez donc à elle
avec confiance, dit saint Bernard : AdMariam
recurre, appelez-la à votre secours dans tous
les dangers qui vous environnent : Voca
Mariant.
Hélas 1 qu'ils sont communs aujourd'hui,
les dangers qui vous environnent, qu'ils
sont effrayants 1
Dangers pour la foi : ce brillant flambeau
s'éteint, il ne jette plus que de faibles étein-
ceiles. Le tribunal de la raison est en vogue
plus que jamais; on y cite les plus g.andes
vérités pour les examiner, les rendre dou-
teuses; les plus grands génies sont des hom-
mes de doute et d'incertitude; on a la té-
mérité d'opposer leurs coupables écrits à
l'Evangile, aux écrits des apôtres, aux dé-
cisions de l'Eglise. Ah! si vous voulez con-
server la pureté de !a foi dans ces temps
délicats et dangereux, et ne pas être en-
traînés par les charmes de l'erreur, mettez-
vous sous la protection de Marie, appelez-là
a votre secours : Ad Mariam recurre, voca
Mariai n.
Dangers pour l'innocence : la licence des
mœurs n'effraye plus la jeunesse aujour-
d'hui; les intrigues criminelles, la vio
molle, les conversations libres, les spectacles,
le jeu, sont des désordres accrédités; c'est
être ridicule que de les condamner; on est
méprisé quand on les évite.
Que ne doit pas craindre une jeune per-.
sonne au milieu de tous ces écueils, de tous
ces -précipices", avec ses faiblesses, ses pen-
chants? Conservera-t-ellc le précieux trésor
de la grâce qu'elle porte dans un vase fra-
gile? Son innocence échappera-t-elle au nau-
frage dans ces cercles, ces compagnies, où
on ne respire que le plaisir, où on ne parle
que le langage du monde, où l'on répand
avec art, un certain ridicule sur la vie pieuse
et modeste? Non, sans doute. A moins qu'elle
lie 'es évite, qu'elle ne veille, qu'elle ne
prie', et qu'elle n'implore surtout la puis-
sante protection de la sainte Vierge : Vota
Mariam.
Vierge sainte, daignez jeter des regards
de miséricorde sur ce royaume qui s'est mis
sous votre protection d'une manière par-
ticulière, et qui vous rend aujourd'hui un
culte si éclatant; employez auprès de votre
divin Eils ce crédit dont la France a res-
senti tant de fois l'efficace, pour que la piété,
la foi, l'union le fassent respecter de nos
voisins, comme sa grandeur, sa force, la sa-
gesse de son gouvernement le font redouter
à nos ennemis. Que lui servirait-il de briller
par la magnificence, la valeur, la science, si
le vice, l'incrédulité, le schisme y faisaient
disparaître la sainteté des moeurs et la pureté
de la foi ?
Présentez, Vierge sainte, à Jésus-Christ
les vœux d'un monarque qui aime l'Eglise ;
qu'il vieillisse dans les lis pour notre bon-
heur ; les prières d'une reine dont les vertus
nous retracent les Çlotilde et les Bathiide
sur le trône; d'une famille royale qui ne
nous présente que des spectacles de religion,
d'union et de sagesse. S'ils sont exaucés,
Dieu sera servi, l'Eglise ne sera plus affligée,
l'innocence et la foi sortiront des nuages qui
les obscurcissent, et nous rendront un peu-
ple de saints, dignes de l'éternité bienheu-
reuse. Je vous la souhaite.
SERMON VIII.
pour l'indulgence de la portioncule.
Prêché le jour de la Notre-Dame des Anges,
dans l église des RR. PP. Cordeliers du
grand couvent, à Paris, le 2 août 1752.
Servus meus orabit pro vobis et faciem ejus suscipiam.
{Job., yi.n.)
M en Serviteur priera pour vous, et je le regarderai et
f écouterai favorablement.
Le Saint-Esprit vous dépeint, Messieurs,
la force, la puissance, les succès de la prière
dujust'e. C'est elle qui arrête le bras ven-
geur du Seigneur, qui suspend ses foudres
près d'éclater sur les têtes criminelles : c'est
elle qui procure la victoire aux plus vaillants
capitaines, qui déconcerte leurs ennemis,
et attache la victoire à leurs étendards ; c'est
elle qui arrête le soleil dans sa course, qui
fait descendre le feu du ciel ; elle le ferme,
elle l'ouvre. Dieu semble se faire une gloire
d'obéir à la voix du juste ; il obtient tout:
obediente Domino voci hominis. (Josue, X.)
Un Moïse, un Josué, un Elie ne sont-ils pas,
Messieurs, de ces justes qui obtiennent tout?
Les prodiges les plus éclatants sont accordés
h leurs prières.
La prière de François d'Assise dans la
chapelle de Portioncule n'est pas moins puis-
sante , pas moins efficace , Messieurs ; la
prière de ce pauvre fait un ciel de la terre :
Dieu fait de ce lieu sanctifié depuis long-
temps par la présence, les larmes, les jeûnes,
les prières de François, un trône d'où cou-
lent les grâces les plus précieuses. Cette
paisible retraite devient le séjour de sa
gloire et de ses miséricordes d'une manière
particulière.
Un saint respect saisit le patriarche Jacob,
parce qu'il vit une échelle mystérieuse, et
des anges qui entretenaient un saint com-
merce avec la terre. Ravi en extase, il s'écria
(pie ce lien était terrible. 11 l'appelle la mai-
son du Seigneur, la porte du ciel. Dans la
chapelle de Portioncule, c'est l'Homme-Dieu,
accompagné de sa sainte Mère, environné
d'une foule d'esprits célestes, qui se montre
à François, pour le rendre en quelque sor'.e
le dépositaire de ses faveurs.
Aussi, Messieurs, cette brillante appari-
tion est-elle comme une dédicace solennelle
445 SUJETS DIVERS. — SERM. VIII, POUR L'INDULGENCE DE LA PORTIONCULE. Aid
de toutes les maisons de. l'ordre de François.
Le Seigneur consacre lui-même ce premier
hospice avec un appareil majestueux.
Malgré le goût de notre siècle qui n'ap-
plaudit, Messieurs, qu'aux coupables pro-
ductions des incrédules, j'entreprends la
défense de la fameuse indulgence de la
Portioncule, parce que l'esprit de François
et l'esprit de l'Eglise la justifient : l'esprit de
François qui la demande et qui l'obtient,
l'esprit de l'Eglise qui l'adopte et la publie.
Demandons, etc. Ave Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
Je ne viens pas ici vous raconter, Mes-
sieurs, ces faits merveilleux que l'Eglise
désavoue , qui ne semblent se répandre ,
s'accréditer que pour diminuer la soumission,
affaiblir la foi, combattre la vérité, et auto-
riser l'indépendance et le relâchement. Ces
visions de certaines personnes, dont l'ima-
gination échauffée, la dévotion creuse, la
singularité dans la conduite font tout le
mérite.
Je viens, Messieurs, vous édifier, vous
instruire d'un fait grave , conforme à la
sainteté de la religion, à la charité de Jésus-
Christ, et digne de notre attention et de
notre respect.
L'esprit de François qui demande , et
qui obtient cette fameuse indulgence que
je prêche, la justifie contre les attentat: de
la critique et tous les reproches des ennemis
de l'Eglise.
Esprit de piété dans la chapelle de la Por-
tioncule qui le rend agréable à Jésus-Christ.
Esprit de charité qui le fait penser du salut
ce que Jésus-Christ en a pensé. Esprit de
prière qui obtient de Jésus-Christ les grâces
les plus précieuses : or, un saint de ce carac-
tère ne doit pas nous être suspect, lorsqu'il
nous raconte la merveilleuse apparition, et
la fameuse Indulgence que je prêche.
Serait-il nécessaire de vous prouver que
le juste est agréable au Seigneur, qu'il aies
yeux fixés sur lui, qu'il le protège, qu'il est
toujours paisible et tranqu lie, malgré les
combats que lui livrent les puissances du
monde et de l'enfer. Ouvrez les livres saints,
et voyez si quelque chose manque à sa
gloire.
Tantôt c'est un arbre que le Seigneur a
planté le long des eaux, qui donne des
fruits abondants, qui se conserve sans dé-
chet, et dont toutes les entreprises sont sui-
vies de glorieux succès.
Tantôt c'est l'homme de Dieu sur la terre,
Fobjet de son amour, le canal de ses grâces,
l'interprète de ses volontés, le dépositaire
de sa puissance. Tel est le juste, Messieurs,
selon le Saint-Esprit : tel fut François d'As-
sise, selon l'histoire la plus fidèle/
Un homme suscité de Dieu pour retracer
à un monde de plaisirs et de richesses les
grands mystères de la crèche et du Calvaire,
qui a effacé la gloire des philosophes par sa
sagesse, celle des politiques par l'établisse-
ment de son ordre, celle des empires parles
hpnneurs éclatants qu'on lui a rendus dans
tous les siècles; un homme d'une si grande
sainteté était agréable au Seigneur : un
homme tel que François ne pouvait pas nous
en imposer.
Je respecte le témoignage d'un saint si
grand dans son humilité, si opulent dans sa
pauvreté, si admirable dans sa pénitence :
respecté des rois et des peuples , admiré
des barbares, et couronné jusque dans l'em-
pire de Mahomet même.
Je défère au témoignage d'un saint si
agréable à Jésus-Christ , qui lui est si con-
forme, qui a retracé sur la terre ses vertus,
sa pauvreté, ses souffrances, ses miracles.
Je dirai qu'un homme si pur dans sa foi,
si soumis au Saint-Siège, si redoutable à
l'hérésie, n'était point capable de débiter un
faux merveilleux, pour s'accréditer et se
faire estimer.
Taisez-vous donc, critiques orgueilleux,
savants indociles, qui ne voulez faire aucune
attention à la dignité de François; vous igno-
rez que Dieu est admirable dans ses saints:
c'est aux simples qu'il révèle les mystères de
sa miséricorde : c'est aux humbles qu'il
donne ses grâces les plus précieuses ; la sa-
gesse des mondains ignore les merveilles du
Seigneur.
Cette brillante apparition de Jésus-Christ
dans la chapelle de Portioncule , les ma-
gnifiques promesses qu'il fait à François
vous étonnent, Messieurs; mais faites atten-
tion à la haute sainteté de cet homme admi-
rable.
Le lieu où il prie, l'esprit avec lequel
il prie, les grâces qu'il demande, la pro-
tection qu'il emploie pour obtenir ce qu'il
demande, tout est agréable à Jésus-Christ.
Il se retire à l'écart dans le recueillement,
et c'est dans la solitude que Dieu parle à
l'âme, qu'il l'entretient, et lui développe ses
mystères.
Il arrose le pavé de ses pleurs, il s'humi-
lie, s'anéantit, et Dieu a promis de regarder
favorablement le pauvre humilié qui sent sa
.misère. Il demande des grâces de salut, de
conversion, et Dieu aime les Ames, il ne veut
pas qu'aucune périsse. Il honore Marie, il
réclame son crédit, il met son ordre sous sa
protection.
Reconnaissez-vous là, Messieurs, quel-
qu'un de ces traits qui caractérisent la sin-
gularité , la nouveauté, l'adresse des faux
dévots. Tout n'annonce-t-il pas le saint, le
pénitent? Tout n'est-il pas dans l'ordre de
\ religion? Oui, Messieurs, esprit de piété
jui rend François agréable à Jésus-Christ ;
esprit de charité qui le rend conforme à Jé-
sus-Christ ; or, Messieurs, où règne l'esprit
de Jésus-Christ, là règne la vérité, et non le
mensonge, l'erreur, l'illusion, comme dans
le faux merveilleux.
La charité de François d'Assise n est pas
moins admirable, Messieurs, que' cette bril-
lante apparition de la chapelle de Portion-
cule. Elle a ses prodiges, ses miracles: on
n'y fait pas assez d'attention.
Qu'un Dieu tire les voiles qui cachent et
iil
enveloppent les rayons éblouissants de sa
divinité en faveur d'un juste qui l'aime,
qui est animé de son esprit : je n'ensuis pas
étonné.
Un Moïse, sur la montagne de Sinaï, a mé-
rité de s'entretenir avec mi. Un Jacob, dans
les horreurs d'un désert, a été honoré de ses
laveurs. Pierre, Jacques et Jean ont vu sa
gloire sur le Thabor. Le grand Paul a été
ravi au troisième ciel , a entendu des
choses admirables. C'étaient des hommes,
de faibles mortels encore chargés des dé-
pouilles de la chair, encore obligés de com-
battre. Ils n'étaient pas arrivés au terme :
on ne peut donc pas nier que la terre n'ait
été souvent le théâtre des merveilles du Sei-
gneur !
Je sais, Messieurs, qu'il ne faut pas croire
à tout esprit. Je connais la prudence de l'E-
glise, les règles, qu'elle nous donne pour
nous faire discerner ce qui vient de Dieu ou
de l'homme, les faveurs que son amour ac-
corde au juste, des fausses histoires que
l'erreur ou l'ignorance débite.
Or, ces principes posés, je dis que l'esprit
de charité qui anime François doit nous faire
respecter la merveille que je prêche comme
et très-
illusion et
un fait grave, digne de
la religioi
propre à condamner l'erreur
l'aveuglement des mondains.
Il pense du salut comme Jésus-Christ en a
pensé ; il s'en occupe comme Jésus-Christ
s'en occupait. S'il passe des temps considé-
rables dans la chapelle de Portioncule ; s'il
arrose le pavé de ses pleurs; s'il fait enten-
dre une voix plaintive et de tristes accents,
c'est pour obtenir du ciel ces grâces magni-
fiques et puissantes qui touchent le pécheur,
le remuent et le convertissent.
Dans tout ce spectacle ravissant qu'il aper-
çoit , ces consolations ineffables dont il
abonde , à la vue du Sauveur, de sa sainte
Mère et d'une multitude d'esprits célestes,
son cœur est toujours touché de la perte des
âmes. 11 s'oublie lui-même, et oublie les
besoins de son ordre naissant, et ne demande
que la conversion de ceux qui se perdent;
quelle charité! Que ces motifs sont purs,
sublimes 1 Ils sont conformes aux souhaits
de Jésus-Christ, qui veut sauver tous les
hommes, et qui est mort pour tous ; aux dé-
sirs de sa sainte Mère, qui est le refuge des
pénitents : à ceux des saints anges qui se ré-
jouissent dans le ciel de la conversion d'un
seul pécheur.
Ah! ce spectacle éblouissant que la criti-
que combat, que les mondains tournent en
ridicule, est conforme à la charité de Fran-
çois. Elle le méritait autant que la créa-
ture en est capable. L'esprit d'erreur, de
nouveauté n'a point d'intérêt à l'adopter, aie
défendre.
Des hommes qui ferment le cœur de Jé-
sus sur la croix h tant de peuples qu'ila créés;
des hommes qui parlent de Marie, sa sainte
Mère, avec autant d'indécence que les pro-
testants ; des hommes qui sont jaloux de la
clémence de Jésus-Christ pour les pécheurs,
et qui les laissent gémir tant d'années sous
ORATEURS SACRES. BALLET. ,48
le poids de leurs péchés, n'ont pas t esprit de
François. 11 n'est pas étonnant que le fait
merveilleux qu'il raconte lesrévolte, et qu'ils
le combattent.
Que sont-ils, ces prétendus sages, ces
hommes si délicats qui appréhendent de
donner dans le merveilleux? Hélas I je rou-
gis de le dire, ce sont des hommes assez
hardis pour accréditer les systèmes les
plus extravagants, justifier la licence des au-
teurs les plus téméraires, et vanter les pro-
grès des religions les plus absurdes et les
plus grossières.
Quelle différence, Messieurs, entre le té-
moignage de François et celui des mondains ;
entre l'esprit qui anime ce saint pénitent et
celui qui anime ces hommes d'indépen-
dance ; les vues de l'homme de Dieu et les
vues des ennemis de la vertu ?
Ah ! François, uniquement occupé du salut
de ses frères, mérite mon admiration, ma
confiance. Je médite les grâces qu'il de-
mande, et je ne suis point surpris qu'il soit
exaucé. 11 prie dans l'ordre du salut. Il a
reçu d'en haut l'esprit de prière.
Non, Messieurs, je ne suis po'nt étonné
que François ait été exaucé. Ce qu'il demande
est conforme à l'amour de Jésus-Christ. Ja-
mais prière ne fut plus pure, plus désinté-
ressée, plus héroïque. Il ne demande pas
les richesses de la terre, il les méprise, il
les redoute; il ne demande pas même cette
médiocre fortune que le Sage loue, et qu'il
regarde comme un rempart nécessaire con-
tre les dangers de l'indigence.
Il ne demande pas les succès et la gloiro
dans ses entreprises, toutes saintes qu'elles
soient; les besoins de son orgueil n'occupent
point son cœur.
Embrasé d'un feu tout céleste, tout divin,
animé d'une charité héroïque, il s'oublie,
il oublie les avantages de son ordre; le salut
des âmes, la conversion des pécheurs, sont
les seuls objets de ses larmes, de ses sou-
pirs, de ses prières dans ce saint lieu, et
dans cette brillante apparition.
Ah 1 comment Jésus-Christ n'aurait-il pas
accordé à François ce qu'il demandait?
François demandait des grâces que Jésus-
Christ nous otfre, que son amour ne refuse
à personne, que sa mort a méritées pour tous
les hommes. Jésus-Christ connaissait le cœur
de François, François savait que tous les
hommes avaient une place dans le cœur de
Jésus.
Pierre a vu srn divin Maître dans une
gloire éblouissante sur le Thabor. Enlevé,
ravi, à la vue d'un spectacle si brillant, cette
faveur passagère l'attache; il prie, il forme
des vœux, mais pour demeurer toujours
dans ce séjour de paix; prière que Dieu
n'exauce point, vœux indiscrets, contraires au
plan que Jésus-Christ s'est tracé. François
est plus élevé, plus conforme aux desseins
de la Providence, aux désirs de Jésus-Christ.
La brillante apparition dont il est honoré
dans la chapelle de Portioncule ne l'attacho
point h ce saint lieu. Il prie, non pas pour y
fixer sa demeure, pour y goûter toujours ces
U9 SUJETS DIVERS. - SERM. VIII, POUR L'INDULGENCE DE LA PORTIONCULE.
450
célestes douceurs. Son zèle, son amour, lui
représentent cette jfoule de pécheurs qui
s'égarent, qui se damnent. Il prie pour leur
conversion; la seule grâce qu'il demande
dans cette faveur singulière, c'est leur salut.
Il n'est pas dans ce moment inférieur aux
Moïse, aux Paul, qui souhaitent d'être ana-
thèmes pour leurs frères. Aussi François
demande, et il obtient.
La prière de Salomon fut agréable au Sei-
gneur, parce qu'il lui demandait la sagesse.
La prière de François fut agréable à Jésus-
Christ, parce qu'il lui demanda des grâces de
conversion et de salut. Un Dieu qui veut
sauver tous les hommes pouvait-il résister
à une prière si pure, si désintéressée , si
conformeà son amour. C'estaussi, Messieurs,
l'esprit de François qui a fait respecter aux
plus grands saints, et aux plus savants ce
fait mémorable, dont je vous entretiens au-
jourd'hui.
Vous dirai-je que les Bernardin de
Sienne, les Antonin, les Brigitte, ces
grandes âmes qui ont fait la gloire de leur
siècle, et la consolation de l'Eglise par leur
haute sainteté, leur zèle, les merveilles de
leur vie, ont respecté et admiré cette grâce
singulière accordée à François?
Vous dirai-jd que les plus célèbres uni-
versités de l'Italie, de la France et de l'Es-
pagne l'ont adoptée comme un fait grave, di-
gne de la sainteté de notre religion, et con-
forme à la doctrine de l'Eglise ?
Vous dirai-je que le cardinal Bellarmin,
ce célèbre controversiste, si honoré parmi
les savants, si redoutable à l'hérésie, l'a dé-
fendue, soutenue contre les attentats de la
critique et les efforts des libertins?
En vain nous opposerions ici la censure
de quelques prélats. S'ils condamnent la
témérité de quelques prédicateurs peu exacts
dans la foi, ils ont soin de manquer leur res-
pect pour la faveur accordée à François :
ils révèrent son témoignage, son autorité.
En vain nous jppose-t-on le silence de
saint Bonaventure. Le silence de ce grand
cardinal ne d'jnne aucune atteinte à la mer-
veille que je prêche. On sait ce que les sa-
vants pensent d'un argument négatif. Un
chrétien soumis à la tradition n'en ignore
pas les dangers. Le silence des évangélistes
et des saints docteurs sur des faits que nous
croyons, et que nous sommes obligés de
croire, n'a jamais été que robje<t;on des
hérétiques.
Mais je dis plus, Messieurs, quand saint
Bonaventure aurait attesté, défendu, l'indul-
gence de la Portioncule, ceux qui nous oppo-
sent son silence auraient méprisé alors son
autorité.
Eii voulez-vous la preuve, Messieurs, rap-
pelez-vous le prodige du mont Alverne, les
stigmates miraculeux dont François fut ho-
noré. Saint Bonaventure raconte ce fait mer-
veilleux; il l'atteste. Son zèle en a fait un
historien fidèle. Quel cas ces critiques font-
ils de son autorité? Parlent-ils plus respec-
tueusement des stigmates de saint François,
que de l'apparition dont il fut honoré dans
la chapelle de Portioncule? Non, Messieurs,
ce n'est donc que pour en imposer qu'ils op-
posent le silence de saint Bonaventure. Ne
nous arrêtons donc pas, Messieurs, à l'esprit
de critique et d'incertitude, attachons-nous
àj'espritde la religion, à l'esprit de l'Eglise.
L'esprit de religion, nous le reconnaissons
dans François d'Assise, qui demande et ob-
tient l'indulgence de Portioncule. L'esprit de
l'Eglise, nous le reconnaissons, lorsqu'elle
adopte et publie l'indulgence de Portioncule.
C'est le sujet de la seconde partie de ce dis-
cours.
SECONDE PARTIE.
L'Eglise, toujours assistée de son divin
Epoux, n'agit que conformément à son es-
prit. On le reconnaît toujours dans sa con-
duite.
Esprit de sagesse et de lumière qui lui
fait adopter les merveilles que François lui
annonce.
Esprit de douceur et de clémence, qui lui
fait étendre sur tous les fidèles les giâces
que François a obtenues.
Esprit de vérité et de sainteté qui instruit
les fidèles pour mériter les grâces que Jésus-
Christ a accordées à François. Suivez-moi,
Messieurs, ce détail est très-important pour
votre instruction.
C'est à l'Eglise, Messieurs, a constater la
sainteté, les miracles, et toutes les merveil-
les des serviteurs de Dieu. Lorsqu'elle a
parlé, nous rendons un culte éclatant aux
héros de la religion, nous publions leurs
vertus et leurs miracles ; les œuvres de
l'homme, et les œuvres de Dieu ; ce qu'ils
ont fait pour se sanctifier, ce que Dieu a
fait pour les faire honorer. Nous louons leurs
vertus; nous louons la grâce qui les a fait
pratiquer.
Tout ce qui n'est pas en état de souffrir
l'examen de l'Eglise, d'être exposé au grand
jour; tout ce qui est publié par une autre
autorité que la sienne, nous est suspect.
Sainteté extraordinaire, prodiges, guéri-
sons, prophéties, révélations, vous êtes sus-
pects aux catholiques soumis quand l'Eglise
ne vous a pas adoptés, quand cet esprit de
sagesse et de lumière dont elle est animée
ne vous a pas approuvés. Je ne veux ni vous
admirer, ni vous respecter. Alors je crains
l'illusion, les pièges , les adresses de l'or-
gueil, de l'hérésie : avec l'autorité de l'Eglise
je suis tranquille, je ne saurais m'égarer.
Telle fut, Messieurs, la conduite de Fran-
çois : catholique sincère, soumis à |l'Eglise,
il va lui confier les faveurs qu'il a reçues du
ciel. Il soumet à l'examen et au jugement
d'Honoré III, souverain pontife, tout ce qu'il
a vu, tout ce qu'il a entendu, tout ce que
Dieu lui- a promis dans la chapelle de Por-
tioncule. C'est par sa voix que les fidèles ap-
prendront ce fait merveilleux ; c'est par son
autorité qu'il sera exposé à la vénérat'on et
à la piété des peuples. Tout est dans l'ordre
établi par Jésus-Christ.
L'Eglise le fait paraître dans tous les siècle^.
Messieurs, cet esprit de sagesse et de lumière
451
ORATEURS SACRES. BALLET.
rsz
qui discerne les œuvres de Dieu des œuvres
de l'homme ; les voies extraordinaires par
lesquelles il conduit certaines âmes, des rou-
tes cachées où l'ennemi veut les faire en-
tier ; les inspirations du Saint-Esprit, des
adresses de Satan ; la vérité du mensonge.
J'ouvre son histoire, Messieurs, et je vois
dans tous les siècles cet esprit de sagesse et
de lumière discerner ee qui venait de la
grâce de ce qui n'était que l'ouvrage de
l'homme. Je vois les imposteurs confondus,
leur sainteté prétendue méprisée, leur dan-
gereuse doctrine proscrite, leurs faux mi-
racles décriés, les trophées que la crédulité
des peuples leur avait érigés, renversés ;
mais comme la sagesse de l'Eglise lui fait
discerner la vérité du mensonge, je vois des
serviteurs de Dieu, des thaumaturges, des
prophètes, des miracles, des révélations, ho-
norés dans ses fastes, exposés à notre piété.
Elle a reconnu l'ouvrage de Dieu, elle les
a adoptés.
Or, Messieurs, voilà ce qui doit nous ren-
dre respectable la solennité de ce jour. L'E-
glise, toujours sage et éclairée, a adopté les
faits merveilleux que nous prêchons. C'est
d'après elle que nous vous les racontons ;
c'est en suivant son esprit que nous les res-
pectons et que nous les défendons contre les
attentats de la critique [et les discours des
savants indociles.
Il faut faire attention à trois choses, Mes-
sieurs, dans les faits merveilleux que l'on
débite au peuple : à la doctrine de celui qui
les raconte, au sentiment qu'il veut défendre
et établir, aux idées qu'il veut donner de lui-
même. Si celui qui me raconte des merveilles
n'est pas soumis à l'Eglise, je ne veux seu-
lement pas les examiner; si les sentiments
qu'il veut autoriser par ces merveilles sont
condamnés par l'Eglise, je décide que Dieu
n'en est pas l'auteur ; s'il veut se faire hon-
neur de ces merveilles, je reconnais l'illu-
sion, l'amour-propre.
C'est l'Eglise, Messieurs, qui me donne
ces règles ; c'est son esprit que je suis, esprit
Ue sagesse et de lumière qui lui fait adopter
ou rejeter les merveilles que l'on publie.
Sur ces principes, je ne suis pas étonné
qu'elle ait adopté les faits merveilleux de
l'indulgence de Portioncule. François d'As-
sise était un catholique sincère, soumis au
Saint-Siège, le fléau des hérétiques de son
temps. Les merveilles qu'il raconte n'auto-
risent aucune nouveauté; elles annoncent
la clémence de Dieu pour les pécheurs pé-
nitents : il ne les raconte pas pour donner
des idées avantageuses de lui, mais pour les
revêtir de l'autorité légitime. Ah ! je recon-
nais l'esprit de l'Eglise dans sa conduite :
esprit de sagesse et de lumière qui lui fait
adopter les merveilles que François, lui an-
nonce ; esprit de douceur et de clémence qui
lui fait étendre sur tous les fidèles les grâces
que François a obtenues.
Oui, Messieurs, c'est la tendresse de l'E-
glise qui lui a fait étendre sur tous ses cil-
lants la fameuse indulgence de Portioncule.
D'*bord elle n'était accordée que pour ceux
qui visitaient ce lieu sanctifié par les prières,
les larmes de François. Ces grâces singu-
lières ne devaient être reçues que dans ce
célèbre oratoire où Jésus-Christ s'était mon-
tré à son serviteur. Telles sont les promesses
du Sauveur à cette magnifique dédicace de
l'ordre de François.
Elles me rappellent, Messieurs, celles qu'il
fit à Salomon après qu'il eut élevé ce fameux
temple qui fit l'admiration de l'univers, et
qu'il en eut célébré la dédicace avec une
pompe, une magnificence qui saisissaient le
peuple d'un saint respect.
Le Seigneur lui apparut dans ce saint lieu,
il le remplit de- sa gloire et de sa majesté, il
fit entendre sa voix à Salomon dans ce sai-
sissant spectacle. J'ai exaucé votre prière,
lui dit-il : Audivi orationem tuam (111 Reg.,
IX); mon peuple éprouvera dans ce saint
lieu ma clémence et mes plus tendres misé-
ricordes dès que je le verrai touché de ses
crimes. Je lui prodiguerai mes faveurs, j'es-
suierai ses pleurs; je ferai cesser tous les
fléaux qui l'affligent ; j'oublierai ses ingrati-
tudes, je le comblerai de mes grâces les plus
précieuses ; je serai ici un Dieu de clémence
et non un Dieu vengeur : c'est dans c*> lieu
que j'userai d'indulgence, et que je serai
propice aux pécheurs pénitents : In loco ir.to.
Voilà, Messieurs, une peinture naturelle
du spectacle tout divin que vit François
dans la chapelle de Portioncule. J'y trouve
les mêmes traits, les mêmes promesses, les
mêmes conditions. La dédicace du premier
oratoire de l'ordre de François n'est ] as
moins brillante, moins pompeuse que celle
d u temple de Salomon. François y prie comme
ce prince pacifique; Dieu exauce sa prière
et lui fait des promesses magnifiques en fa-
veur des pécheurs pénitents. Mais remar-
quez que cette indulgence ne sera d'abord
accordée qu'à ceux qui prieront dans ce saint
lieu : In loco isto. C'était dans ce seul temple
qu'on pouvait la gagner; c'est là que se ren-
daient des peuplés infinis ; c'est là que l'on a
vu les [dus grands personnages de l'Eglise
et de l'Etat .s'empresser de mériter ces fa-
veurs singulières.
Si cette indulgence s'est étendue dans
toutes les maisons ,de l'ordre de Fançois, et
par conséquent dans toutes les villes, les
provinces, les empires, c'est la clémence de
l'Eglise qui- a étendu ce bienfait à tous ses
enfants. Animée de cet esprit de douceur et
de clémence que son divin Epoux a toujours
fait éclater envers les pécheurs pénitents,
elle a voulu que tous ses enfants pussent
profiter de cette grâce singulière dans tous
les lieux où son autorité est reconnue : de
là ces bulles d'extension que les souverains
pontifes ont données, où ils déclarent que
toutes les maisons de l'ordre de François
auront le môme privilège que la chapelle de
Portioncule. La même autorité qui a adopté
l'indulgence que je prêche l'étend dans tous
les lieux du inonde. L'Eglise ouvre avec sa-
gesse ci avec bonté les trésors des grâces
dont Dieu l'a rendue dépositaire. Elle gémit
comme une chaste colombe après le retour
453 SUJETS DIVERS. — SERM. VIII , POUR L'INDULGENCE DE LA PORTIONCULE.
de ses enfants égarés ; elle ne les rebute
J!U
point par une sévérité outrée, elle condamne
ces austères pharisiens qui multiplient à leur
gré les degrés delà pénitence: elle ne veut
point les laisser gémir trop longtemps dans
leurs péchés, sous prétexte de leur en faire
sentir le poids ; mais comme elle est aussi
animée de l'esprit de vérité et de sainteté,
elle les instruit afin qu'ils n'abusent point du
temps de la miséricorde.
En vain, Messieurs, reconnaissons-nous
que l'Eglise a le pouvoir d'accorder des in-
dulgences, si nous ne suivons point l'esprit
de vérité et de sainteté dont elle est animée.
L'indulgence que je prêche remet toutes les
rigueurs dont vous n'êtes pas capables; mais
elle ne diminue rien de la sévérité de la pé*
nitence que Jésus-Christ a prêchée. Elle sup-
plée à l'imperfection de la satisfaction que
vous devez à la justice divine; elle n'au-
torise point cette coupable condescendance
que vous avez pour une chair criminelle.
Si des catholiques ignorants s'imaginent
qu'il suffit de visiter une église certains
jours, certaines heures , de réciter certaines
prières, de se confesser sans douleur, de
communier sans amour pour être déchargés
de toutes les peines dues à leurs péchés,
nous désavouons leur conduite, nous la con-
damnons , parce que l'indulgence ne nous
dispense que des saintes rigueurs dont nous
ne sommes point capables ; elle supplée à
l'imperfection de notre pénitence, elle n'au-
torise point notre délicatesse.
Qu'ils écoutent l'Eglise, elle les instruit
dans les mêmes bulles qui leur accordent
les indulgences, et je ne veux que ce seul
trait pour confondre les hérétiques et tous
ceux qui osent l'accuser de relâchement.
,; L'Eglise promet une indulgence, une grâce
singulière qui suppléent à la sévérité de la
pénitence dont nous sommes incapables ;
mais à qui? Ecoutez, chrétiens lâches, in-
dulgents lorsqu'il s'agit de vous gêner. Aux
vrais pénitents, à ceux qui ont le cœur dé-
chiré de -douleur, qui pleurent, qui gémis-
sent et qui confessent avec humilité leurs
fautes , leurs crimes : Vere contritis et con-
fessis. Suivez cette instruction, et vous ne
ne violerez pas les saintes règles de la péni-
tence. L'indulgence sera un supplément à ce
que vous ne pouvez pas, et non point un
titre pour vous dispenser de ce que vous
pouvez.
L'indulgence dont Dieu a usé envers un
David , une Madeleine, a-t-elle empêché ces
saints pénitents de pleurer leurs péchés et
de les expier par toutes les saintes rigueurs
dont ils étaient capables.
L'indulgence que Dieu a accordée à Fran-
çois dans la chapelle de Portioncule l'a-t-elle
rendu moins vigilant, moins mortifié? A-t-ii
cessé ses austérités, et la longueur de sa
pénitence n'a-t-elle pas égalé la longueur de
ses jours? Tous ses fi ères auxquels il fit part
de cette grâce singulière, ont-ils moins édifié
l'Eglise par leur pénitence? Et son ordre en-
tier, cet ordre devenu si florissant, aban-
donne-t-il les saintes rigueurs de l'Evangile?
Se repose-t-il sur cette indulgence? Ah! ils
savent que les grâces que l'on promet aux
pécheurs supposent toujours la pénitence
et toutes les rigueurs dont nous sommes ca-
pables.
Quelle pénitence que celle où on ne trouve
ni haine du péché, ni amour de Dieu; quo
celle qui ne répond point à l'étendue et h
l'énormité du péché, que celle où on ne voit
ni pleurs ni efforts, ni travaux ! Elle est fausse,
selon saint Augustin, saint Cyprien et le saint
concile de Trente. Pourquoi, chrétiens? Le
voici. C'est que l'homme ne fait pas ce qu'il
peut, et la clémence d'un Dieu ne peut que
suppléer à ce que nous ne pouvons pas.
Je vois Jésus-Christ qui cherche les pé-
cheurs, qui les caresse lorsqu'il les trouve ;
il est le défenseur de la femme adultère, de la
Madeleine, de l'enfant prodigue; voilà des
preuves de sa bonté. Je l'entends qui dit : Si
vous ne faites pénitence, vous périrez tous;
voilà des preuves de la sévérité de sa justice.
S'il n'usait pas d'indulgence, je ne pourrais
satisfaire sa justice offensée ; toutes les ri-
gueurs dont je suis capable seraient insuffi-
santes ; mais avec l'indulgence d'un Dieu qui
connaît ma faiblesse, la pénitence dont je
suis capable devient suffisante. L'application
des mérites de Jésus-Christ et des saints
donne un prix à ma pénitence et la rend
agréable au Seigneur que j'ai offensé. Telle
est, Messieurs, la doctrine de l'Eglise; elle»
l'enseigne à ses enfants, afin qu'ils puissent
profiter des indulgences qu'elle accorde, et
que leur satisfaction, jointe à celle de Jésus-
Christ, qui est d'un prix infini, leur obtienne
la rémission des peines dues à leurs péchés,
et la gloire éternelle après cette vie mortelle,
Ainsi soit-il.
iS*
ORATEURS SACRES. BALLET.
45$
INSTRUCTIONS
SUR LÀ PÉNITENCE DU CARÊME,
TIRÉES DE L'ÉCRITURE, DES CONCILES ET DES PÈRES.
PREFACE.
Le zèle pour l'observance d'une loi aussi
sainte et aussi respectable que celle de l'E-
glise m'a fait entreprendre cet ouvrage que
je donne au public.
Il y a longtemps que je gémis de voir les
jeûnes et l'abstinence du carême violés d'an-
née en année avec des accroissements de
mépris et de scandale. La conduite et les
discours d'un grand nombre de chrétiens,
dans le saint temps de carême, annoncent
des hommes qui ne font aucun cas du pré-
cepte de l'Eglise. On n'avait autrefois que
les hérétiques à combattre ; aujourd'hui il
faut combattre la licence des catholiques.
Un grand nombre, sans infirmité réelle,
se dispense de la pénitence annoncée par
l'Eglise : l'infraction du jeûne et de l'absti-
nence est publique, on ne la regarde pas
comme un crime; et pour se justifier, on
ne rougit pas, ou de faire valoir les objec-
tions des protestants, ou de tourner en ridi-
cule la pieuse docilité de ceux qui prati-
quent exactement les jeûnes et l'abstinence.
Quoique je ne sois pas encore arrivé à la
vieillesse, j'ai vécu assez pour voir, avec
douleur, l'esprit de mortification et d'obéis-
sance presque éteint.
J'ai vu dans ma jeunesse la pénitence du
carême observée, et plus généralement et
plus religieusement; il fallait une incommo-
dité réelle pour manger des œufs, il fallait
être malade pour se mettre au gras: on ne
se dispensait du jeûne ou de l'abstinence
qu'à regret, et avec la permission des supé-
rieurs ecclésiastiques. Il y avait des infrac-
teurs, mais eu petit nombre, ils se cachaient;
ils étaient méprisés, au lieu d'être applaudis
et imités.
Aujourd'hui le mépris de la loi de l'Eglise
a lait un tel progrès, que l'infraction du
jeûne et de l'abstinence n'étonne plus, ne ré-
volte plus; on dirait que cette loi, n'oblige
plus comme autrefois, ou que ceux qui l'ob-
servent encore font une œuvre de subroga-
tion : on met les jeûnes et les abstinences de
la quarantaine au rang des mortifications
du cloître, ou des pénitences que les chré-
tiens fervents s'imposent volontairement.
Or, d'où est venu ce relâchement général?
De l'irréligion de notre siècle. Qui l'a accré-
dité ? L'esprit d'indépendance. Qui lui a ôté
la honte dont il devrait être toujours couvert?
La délicatesse, la sensualité des mondains:
le vice prend des accroissements dans les af-
faiblissements de la foi.
Jamais on n'a tant parlé de religion qu'à
présent, jamais on n'en a eu si peu ; jamais
on n'a tant raisonné, jamais on n'a plus douté.
Noire siècle est un siècle de génie, d'érudi-
tion, de lumières, et jamais siècle ne fut
moins docile aux vérités de la foi et aux pré-
ceptes de l'Eglise. On dirait que les savants
de nos jours sont chargés d'examiner le plan
de la religion chrétienne et l'économie de
nos mystères, de réformer les lois et les dé-
cisions de l'Eglise.
Les libertins et les inciédules ont répandu
tant de doutes et d'incertitudes dans leurs
ouvrages, qu'on aurait besoin aujourd'hui
de prouver dans les chaires chrétiennes la
divinité de Jésus-Christ et l'immortalité de
nos âmes.
Est-il étonnant que dans cet affaiblisse-
ment de la foi l'autorité de l'Eglise soit
méprisée, et que ses préceptes soient violés
publiquement?
Les mépris et les révoltes qui l'affligent
aujourd'hui sont une suite des coups que
l'incrédulité porte depuis longtemps à la re-
ligion que son divin Epoux a établie. Ce
sont les ennemis de l'Evangile qui accrédi-
tent la licence des mœurs : on devient aisé-
ment des hommes de vice, quand on est de-
venu des hommes de doute, et l'on brave
tout quand on ne croit plus rien.
Mon zèle m'a donc fait examiner et la
cause et les progrès du relâchement qui
m'afflige, et j'ai pensé que des instructions
sur la pénitence du carême pourraient être
utiles à plusieurs de mes frères, que le tor-
rent de l'exemple entraîne, et que la délica-
tesse, plutôt que l'irréligion, met au rang
des infracteurs.
Je divise en trois classes les chrétiens ca-
tholiques, par rapporta la pénitence solen-
nelle du carême.
La première est composée des enfants
soumis à la loi de l'Eglise, des chrétiens
437
INSTRUCTION SUR LA PENITENCE DU CAREME. — PREFACE.
458
qui observent les jeûnes et les abstinences
de la sainte quarantaine ; caria désobéissance
n'est pas générale. Sans les cloîtres et les
communautés, il y a des familles chrétiennes
qui se soumettent avec zèle et avec ferveur
à la pénitence du carême. Tous les états de
la société nous offrc.it des modèles d'obéis-
sance au précepte de l'Eglise.
La seconde est composée de ces chrétiens
délicats, flottants, qui n'ont pas assez de
courage pour'entrcr seulement dans cette
carrière de pénitence, et qui n'ont pas non
plus assez de force pour résister au torrent
de l'exemple; qui n'étudient pas assez l'é-
tendue du précepte, et qui écoutent trop leur
délicatesse ; qui se rassurent sur de vains
prétestes, parce qu'ils ne pourraient pas
braver le crime d'une infraction décidée.
La troisième, est composée de ces hommes
que l'incrédulité et le libertinage soulèvent
audacieusement contre la religion et ses
plus saintes pratiques , qui opposent les
hauteurs de la science et du génie aux ma-
jestueuses ténèbres de la foi, et les systèmes
qui flattent le plus la nature corrompue, aux
saintes maximes de l'Evangile.
Hommes, dit l'Apôtre, qui se donnent pour
des sages, mais dont l'orgueil a fait des in-
sensés dignes de nos gémissements. Heu-
reux encore, si aujourd'hui cette classe n'é-
tait composée que de quelques savants su-
perbes ; mais par leurs coupables produc-
tions, ils ont attaché à leur char des chré-
tiens sans érudition, sans connaissance ; dans
tous les états ils ont des disciples: une sail-
lie, une difficulté spécieuse leur suffisent
pour briller dans un cercle; avec un bon
mot d'un savant impie, ils s'imaginent avoir
renversé les solides fondements du christia-
nisme ; et parce qu'ils se font gloire de douter
de tout, ils se flattent de prouver qu'il n'y a
rien de vrai.
Aveugles mondains, apologistes insensés
delà nature, approbateurs perpétuels de ses
plus honteuses faiblesses, ils ne nous lais-
sent pas lieu de douter que leur cœur a été
corrompu avant leur esprit, qu'ils seraient
plus soumis aux vérités de la foi, s'ils n'é-
ta:ent pas si soumis à de criminelles volup-
tés, et qu'ils n'auraient point de peine h faire
le sacrifice de leur raison, s'ils avaient la
force de faire celui de leurs passions.
Or, les Instructions que je donne aujour-
d hui sont, selon moi, utiles et nécessaires :
pourquoi ? Parce qu'elles consoleront les
premiers chrétiens, elles détromperont les
seconds, et elles couvriront les troisièmes de
confusion.
Les enfants de l'Eglise, pieux et soumis,
verront tous ces grands modèles de pénitence
qui les ont précédés, leur zèle h fournir cette
sainte carrière de mortifications; ils verront
que les solitaires ajoutaient h leurs austéri-
tés ordinaires de nouvelles rigueurs dans le
carême, que les monarques étaient pénitents
aussi bien que les sujets, et qu'ils n'imitent
aujourd'hui qu'imparfaitement les jeûnes et
les privations des chrétiens qui ont vécu jus-
qu'au xii' siècle.
ClUTEURS saches. L
Cependant, cette différence, cet affaiblisse-
ment des grands jeûnes r.e les jettera pas
dans l'abattement, parce que je leur apprends
qu'ils sont en sûreté de conscience, en pra-
tiquant les jeûnes comme on le fait aujour-
d'hui, puisque l'Eglise, notre mère, ne ré-
clame point contre ces adoucissements ,
qu'elle les tolère, et qu'elle s'y prête même
par condescendance jour ses enfants, en
avançant l'office de vêpres, afin qu'ils puir-
sent mangera midi. Qu'il est consolant d'o-
béir à une mère si tendre et si compatis-
sante !
Les chrétiens
par le torrent de
le crime de leur
délicats, séduits, entraînes
l'exemple, connaîtront tout
infraction, en voyant l'au-
torité, l'antiquité et toute la force de la loi
que l'Eglise leur impose dans le carême.
' Soit qu'ils écoutent trop leur santé, soit
qu'ils se rassurent sur le grand nombre des
i a frac leur s , soit qu'ils suivent, contre les
alarmes de leur conscience, les avis des pa-
rents, des amis et des médecins; soit enfin
qu'ils se laissent séJ-uire par les discour;
des libertins et des incrédules, qui criti-
quent et raillent la pénitente du carême. Ln
lisant attentivement cet ouvrage, ils verront
que l'abstinence, le jeûne et les morlifi a-
tions de ce saint temps ont été pratiqués
dans tous les siècles depuis la naissance de
l'Eglise ; que ce n'est pas une loi d'une nou-
velle date, et que l'Eglise ne l'a pas imposée
à ses enfants, dans les derniers siècles, far
politique, ou ] ar un esprit de domination,
comme les protestants et, d'après eux, les li-
bertins osent l'avancer.
' Ils apprendront des saints docteurs des
premiers siècles, et des saints conciles, que
l'infraction de cette loi est un péché mortel,
et qu'il ne faut que manquer un seul jeûne
ou une 'abstinence de précepte pour êhe
damné, lorsqu'on n'en est pas dispensé pair
une infirmité réelle. Or, des chrétiens qui
ont encore de la foi rentreront en eux-mê-
mes, en voyant cette foule de preuves qui
établissent la pénitence du carême.
Pour les incrédules et les libertins, qui
forment la troisième classe, il est à présu-
mer qu'ils ne liront pas cet ouvrage : tout ce
epui est marqué au coin de la piété, de la sou-
mission; tout ce qui paraît avec l'approbation
de l'Eglise et l'autorité du prince, ne pique
pont leur curiosité; ils le dédaignent, pane
qu'ils sont persuadés que tout y est conforme
à la doctrine qu'ils combattent, et à la pureté
des mœurs qu'ils corrompent; ils ne sont
avides que des productions de la Hollande
et de l'Angleterre, et de tous ces prétendus
esprits forts, qui se mettent a la torture pour
ôter à notre samle religion les divins carac-
tères qui la distinguent de toutes les autres,
et établir le pyrrhonisme, quelque honteux
qu'il soit à la raison saine et dégagée des
passions.
Mais quoiqu'ils ne lisent pas cet ouvrage,
il suffit qu'il les développe, qu'il découvre
le faible de leur raisonnement, la honte de
leurs systèmes, l'indécence de leurs rej ro-
ches, la corruption de leurs mœurs, j oui
459
ORATEURS SACRES. BALLET.
460
être utile. Le chrétien, en apprenant à les
connaître, apprendra à les mépriser; il dis-
tinguera les apôtresjfe la mollesse des apô-
tres de la pénitence,' et l'autorité qui établit
3a pénitence du carême lui paraîtra aisément
préférable à celle qui s'efforce de l'anéantir.
Cet ouvrage est divisé en quarante-six
chapitres; et je me halte d'avoir renfermé
tout ce qui était nécessaire pour prouver
l'antiquité et la force de la loi de l'Eglise,
réfuter les objections des protestants et des
incrédules, confondre les raisonnements in-
décents des libertins, condamner la délica-
tesse des mondains, la lâcheté des chrétiens
infracteurs, animer et consoler les enfants
de l'Eglise fervents et soumis.
Je n'avance rien, dans tout cet ouvrage,
que d'après l'Ecriture, les conciles et Tes
Pères.
On voit le jeûne, en général, prescrit, loué
et récompensé dans l'Ecriture; et cela suffit
pour condamner ceux qui le désapprouvent.
Les apôtres, à qui Jésus-Christ avait donné
l'exemple d'un jeûne de quarante jours, ne
montrent-ils pas qu'ils étaient animés de son
Esprit, lorsqu'ils ont institué la sainte qua-
rantaine, qui précède la fête de Pâques?
Les conciles et tous les Pères qui ont re-
connu cette institution apostolique, ne for-
ment-ils pas une tradition respectable à tout
eutre qu'à ceux qui la rejettent pour détruire
les vérités anciennes, et établir leurs nou-
veautés profanes?
Comme il s'agit de prouver, d'instruire,
je n'ai négligé ni les autorités ni les exhor-
tations; ainsi l'on trouvera des preuves so-
lides de la doctrine de l'Eglise, débarrassés
des expressions et des sécheresses de la sco-
lastique et de la controverse; l'esprit de l'E-
glise, des conciles et des Pères y est exposé
d'une manière claire et instructive. On y
trouvera aussi des portraits de tous les éga"-
rements des mondains, de la délicatesse, des
excès, des repas, des excuses, des prétextes
qu'ils opposent; des avis touchants pour
pratiquer toutes les vertus qui doivent ac-
compagner le jeûne et l'abstinence, et rendre
utile et salutaire la pénitence du carême.
J'ai marché entre les deux extrémités vi-
cieuses. On ne trouvera ni cette sévérité ou-
trée qui abat, ni ce relâchement qui séduit.
J'apprends à respecter et à profiter de la ten-
dresse de l'Eglise, qui a toléré les adoucis-
sements des grands jeûnes, et à déplorer et
éviter la délicatesse et la sensualité qui
rompent l'intégrité du jeûne et énervent la
sainte pénitence du carême.
Mais en vain travaillons-nous à la sancti-
fication de nos frères, si le Seigneur ne tra-
vaille pas avec nous. Je le prie donc, de tout
mon cœur, de répandre sa bénédiction sur
cet ouvrage, afin que ceux qui le liront en
retirent le fruit que je me propose.
CHAPITRE PREMIER.
Gémissements d'une âme fidèle à la vue des
infractions publiques de la sainte pénitence
du carême.
Versez, mes yeux, des torrents de larmes
à la vue du relâchement des chrétiens sur la
pénitence du carême. La sainte loi du jeûne
et de l'abstinence est méprisée par un grand
nombre de catholiques. On devient de plus
en plus indocile à la voix de l'Eglise, qui
annonce ces jours déjeunes solennels. Mal-
gré les adoucissements que cette tendre mère
a eu la condescendance de permettre, on est
saisi d'une coupable frayeur aux approches
vie la sainte quarantaine.
On voit dans ce saint temps de pénitence
la même dissipation, les mêmes jeux, les mê-
mes plaisirs, la même délicatesse, la même
sensualité, les mêmes excès, les mêmes
vices.
Ah l où porterai-je mes regards pour con-
soler mon âme affligée et plongée dans l'a-
mertume, à la vue de cette foule d'infrac-
teurs scandaleux, d'enfants rebelles, d'escla-
ves attachés honteusement au char du plaisir
et de la sensualité ?
Je les porterai, ô mon Dieu, sur ce petit
nombre de fidèles qui vous aiment, et qui
vous craignent, qui se courbent avecdocilité
.-.ous la croix de votre divin Fils notre Sau-
veur, qui participent au calice de sa mort,
pour participera la gloire de sa résurrection,
«t qui embrassent avec joie la sainte péni-
tence du carême; car il y a encore, grâces
vous en soient rendues, ô mon Ditu, des chré-
tiens fervents qui portent sur leurs corps la
mortification de Jésus-Christ.
Je les porterai dans ces saintes retraites,
dans ces cloîtres où l'on ajoute de saintes ri-
gueurs à la pénitence qu'impose une règle
dure et austère, et où le sexe le plus délicat
se nourrit déjeunes, de prières, de veilles et
de larmes.
Je les porterai, ô mon Dieu, sur le tou-
chant spectacle que l'Eglise, votre épouse fi-
dèle, présente à mes yeux dans ce saint temps :
il me touche, il m'anime, il me console ; cette
tendre épouse fait entendre partout la trom-
pette évangélique, pour annoncer ce jeûne
solennel ; elle se couvre de ses vêtements de
deuil, elle supprime ses cantiques de joie
et d'allégresse ; ses ministres prient et gémis-
sent prosternés entre le vestibule et l'autel :
ses temples sont dépouillés de leurs orne-
ments de fête ; ses héros sont cachés sous des
voiles obscurs, ainsi que les trophées érigés
à leur sainteté ; tout a un air triste et lugu-
bre, et annonce' qu'il faut fléchir votre co-
lère, ô mon Dieu, par une sincère péni-
tence.
Ah 1 j'entrerai dans l'esprit de votre Eglise,
ô mon Dieu, je commencerai avec elle cette
pénitence solennelle ; ses prières et celles
de tant de justes saintement affligés me sou-
tiendront dans cette sainte carrière qui ré-
volte les sensuels et les délicats.
Je veux participer à la résurrection démon
VA
INSTRUCTION SUR LA PENITENCE DU CAREME. — CFIAP. III.
462
Sauveur, il faut que je participe à ses souf-
frances ; les saintes joies pascales ne sont
que pour ceux qu'une tristesse salutaire a
fait gémir tout le saint temps du carême.
Pour vous, infracteurs de cette loi sacrée,
riches sensuels, dont les tables sont couver-
tes des viandes défendues; libertins qui vous
faites une gloire de votre désobéissance, et
qui, armés des ridicules arguments des héré-
tiques, osez blâmer la loi de l'Eglise; vous,
chrétiens, qui, entraînés par le torrent de
l'exemple, rompez sans scrupule le jeûne et
l'abstinence, vous m'épouvantez, vous ne me
séduisez pas. Je gémis de vos prévarications,
et je pleure sur votre sort, parce que vous ne
pleurez pas vous-mêmes.
CHAPITRE II.
De V antiquité et de V autorité du précepte
de la sainte pénitence du carême.
Pour trouver l'origine, la naissance de ce
jeûne solennel, de cette pénitence publique
des disciples de Jésus-Christ, il faut remon-
ter jusqu'au temps des apôtres. Le jeûne du
carême n'est pas d'une date moins ancienne;
ce n'est pas une nouveauté, un établissement
auquel la piété d'un nombre de chrétiens fer-
vents ait donné naissance.
Ecoutons saint Augustin: Dès que je lis
l'Evangile et les Epîtres des apôtres, dit-il,
je vois partout le jeûne de précepte ; il est
vrai, continue ce saint docteur, que les jours
que l'on doit jeûner n'y sont pas décidés,
et c'est ce qui me fait dire que le jeûne so-
lennel du carême, que je voispartoutétabli,a
été annoncé parles apôtres, etestd'une tradi-
tion très-ancienne (46).
Saint Jérôme et presque tous les Pères ont
assuré aussi que la sainte quarantaine que
nous passons dans les jeûnes et la péni-
tence, pour nous disposer à célébrer la fête
de Pâques, est de tradition apostolique (kl).
Pourquoi Luther et Calvin, qui ont respecté
eux-mêmes les trois premiers siècles de l'E-
glise, ne respectent-ils pas la pénitence so-
lennelle du carême, puisqu'elle s'y trouve
établie et observée avec tant de rigueur et
de sévérité?
Je vois les chrétiens de l'Eglise naissante
passer les quarante jours qui précèdent la
solennité pascale, dans les jeûnes, les veilles,
les larmes, les prières et les gémissements.
Je vois les solitaires de l'Orient, ces anges
de la terre, se séparer, s'enfoncer dans les so-
litudes au commencement du carême, pour
y retracer la pénitence du Sauveur. Je vois
tous les chrétiens, jusqu'au siècle de saint
Bernard, ne manger qu'au soir dans ce saint
temps; se contenter d'un repas simple et
frugal. Que dois-je penser de la pénitence du
carême ?
Après ces autorités, ces exemples, on doit
sentir toute la faiblesse des objections des
(46) Video praceptum esse jejunium quibus au-
tem diebus non oporteat jejunare et quibus oporteat
prœcept» Domini, vel apostolorum jejunio non defi-
nitum. (Epist. 46 ad Casulanum).
protestants sur la loi du carême et des faux
raisonnements desindévots de nos jours, qui
ne rougissent point de copier les hérétiques,
de parler d'après eux contre les lois de l'Egli-
se, et même avec encore moins de décence.
On sait les efforts inutiles qu'ont faits les
plus habiles ministres de la réforme, pour
ôter à la pénitence du carême ce caractère
d'ancienneté qui la rend vénérable aux ca-
tholiques: on n'ignore pas les ruses et les
chicanes de l'hérésie, pour affaiblir les preu-
ves les plus fortes et les plus décisives.
Malgré cela, quelle a été leur ressource,
lorsqu'on leur a montré cette pénitence éta-
blie dès les premiers siècles ? De se préva-
loir des usages et des coutumes qui distin-
guaient les Grecs et les Latins pourle temps,
ou la longueur du jeûne du carême ; de sai-
sir avec joie les adoucissements que l'E-
glise n'a point ordonnés, mais tolérés dans
les grands jeûnes depuis le xn' sièrle.
Mais ces différents usages, ces adoucisse-
ments prouvent-ils que la pénitence du ca-
rême est d'une nouvelle date? Non, je sou-
tiens qu'ils prouvent le contraire.
C'est à vous que je parle présentement,
chrétiens catholiques, enfants de l'Eglise,
frères de ces premiers fidèles si fervents;
c'est à vous que je rappelle l'autorité et
l'ancienneté de la pénitence solennelle du
carême; c'est à vos yeux que j'expose tous
ces chrétiens qui ont observé avec une sainte
rigueur les grands jeûnes jusqu'au xn*
siècle.
Comment osez-vous mépriser une autorité
si respectable, violer des lois si sacrées,
blâmer le zèle des ministres qui vous re-
prennent, vous rendre si dissemblables h
vos frères fidèles à la loi? Je suis surpris de
vos infractions scandaleuses dans ce saint
temps, et vous devez craindre d'en être
punis sévèrement.
Qui a donc pu autoriser les chrétiens d !
nos jours à violer la sainte loi du jeûne e
de l'abstinence? Le plus grand nombre s'en
dispense. On ne voit plus que de légères
traces de la pénitence des chrétiens fervents :
les tables sont servies à l'ordinaire et cou-
vertes des viandes défendues: ce n'est point
une infirmité réelle qui force ces chrétiens
lâches à se dispenser du jeûne et de l'absti-
nence; c'est la délicatesse, c'est une fausse
idée qu'on a de la loi. On s'enhardit les
uns et les autres; dans tous les rangs, dans
tous les états on voit régner les mêmes in-
fractions. Ah! disons que le déchet déplo-
rable et scandaleux de la pénitence du ca-
rême est une suite de l'irréligion de nctre
siècle.
CHAPITRE III.
Tous les fidèles doivent participer à la péni-
tence du carême.
Je sais qu'il y a des infirmités réelles qui
(47) Unam quadragesimam secundum Iraditionena
apostolnrum teinpoie nobis congruo jejunamus
(S. Hieron. Epist. ad Murcellam adversus errores
Hontani.)
IG3
ORATEURS SACRES. BALLET.
434
g
dispensent de la loi du jeûne ou de l'absti-
nence ordonnée dans le saint temps du ca-
rême, sous peine de péché mortel, à tous
ceux qui peuvent, sans un danger évident
de leur santé, l'observer ; mais cea infirmités,
ces obstacles à l'observance de la loi du
jeûne et de l'abstinence, que j'examinerai
dans la suite, n'empêchent pas les disciples
de Jésus-Christ et les enfants de l'Eglise de
participer à la pénitence du carême par d'au-
tres retranchements, d'autres privations,
des exercices, des bonnes œuvres qui font
l'esprit de cette pénitence publique, selon
les livres saints, les conciles et les Pères.
Saint Bernard (serin. 3 De Quadrag.) disait
à ses religieux aux approches de la sainte
quarantaine : Jusqu'à présent, mes frères,
nous avons jeûné seuls, nous nous sommes
engagés à des pénitences, à des austérités
qui n'obligent que nous : Hactenus jejuna-
vimus soli. Mais voici le saint temps du ca-
lêine. Une pénitence publique est annoncée
dans tous les Etats catholiques. Tous les
enfants de l'Eglise vont se mortifier et faire
pénitence avec nous. Les rois, les princes,
clergé, le peuple, les riches, les pauvres,
les justes, les pécheurs, les cours des mo-
narques, les palais des grands, les maisons
des riches, les cabanes des pauvres renfer-
meront, aussi bien que les cloîtres, des
hommes déjeune, de larmes, de retraite, de
mortification. Dans les autres temps de l'an-
née, nous sommes distingués des fiJôles qui
vivent dans le monde par des austérités
particulières. Présentement, ils vont être
confondus avec nous par une pénitence so-
lennelle, publique, universelle : Nunc jeju-
nabunt nobiscum.
Or, il est aisé de conclure, de ces paroles
de saint Bernard à ses religieux, que la pé-
nitence du carême était universellement
observée de son temps. On n'y voyait pas
cette foule d'infracteurs qui nous font gémir
aujourd'hui; presque .toutes les familles
chrétiennes donner hardiment à leurs en-
fants et à leurs domestiques le coupable
exemple de la transgression de la loi. On
ne débitait pas des railleries, des histoires
badines sur la vénérable institution de cette
pénitence.
On ignorait alors ces privilèges, ces pré-
textes, ces prétendues nécessités qui rassu-
rent aujourd'hui tant de lâches chrétiens ;
on ne voyait pas les enfants de l'Eglise, dans
le saint temps du carême, courir aux spec-
tacles, se livrer aux plaisirs, au jeu, aux
amusements du monde, se donner des repas
et se moquer, pour ainsi dire, du deuil, des
larmes, des prières de l'Eglise et du lou-
chant spectacle de pénitence qu'elle offre à
leurs yeux par une vie sensuelle, dissipée
et mondaine.
Il y avait, sans doute, des chrétiens infir-
mes, malades, hors d'état de soutenir les ri-
gueurs des grands jeûnes et de l'abstinence,
et qui en étaient légitimement dispensés;
niais ils n'en participaient pas moins à la
pénitence solennelle du carême. La retraite,
la prière,, l'aumône, la componction du
cœur, la patience dans leurs doulehrs, la
privation de tout ce qui n'était pas absolu-
ment nécessaire au rétablissement de leur
santé, suppléaient au jeûne et à l'abstinence.
Or, c'est ainsi que tous les chrétiens doi-
vent et peuvent participer à la pénitence du
carême : les personnes robustes et celles qui
sont faibles; les malades et celles qui sont
en santé. 11 y a différents genres de péni-
tence.
On a donc aujourd'hui une fausse idée de
la pénitence du carême : on n'est pas per-
suadé qu'elle oblige tous les fidèles, et voici
l'erreur commune sur cette sainte loi de
l'Eglise.
On commence par ne la faire consister quo
dans le jeûne et l'abstinence; ensuite on se
persuade que le prétexte le plus frivole, la
plus légère incommodité, la nécessité de se
conserver pour sa famille, ou le bien public,
la modicité de ses revenus, la cherté des
mets permis dans ce saint temps dispensent
de la loi ; de là le grand nombre d'infracteurs,
de chrétiens lâches qui renvoient la péni-
tence du carême dans les cloîtres, qui se
contentent de l'admirer dans quelques per-
sonnes pieuses, et qui vivent aussi délicate-
ment, aussi mollement dans ces saints jours
que clans les autres temps de l'année , comme
si ce'.te pénitence n'était que pour un petit
nombre d'âmes qui ont moins de fautes à
expier qu'eux ; comme si elle ne devait plus
subsister que dans le deuil, les prières, les
gémissements de l'Eglise et les fatigues des
hommes apostoliques qui paraissent tous
les jours dans les chaires.
Or, pour détruire cette erreur, je dis
qu'outre le précepte du jeûne et de l'absti-
nence, la pénitence du carême renferme
encore, selon l'esprit de l'Eglise, une obli-
gation indispensable de se priver des plai-
sirs , des amusements même permis dans les
autres temps; de prier, de gémir, de pleu-
rer ses péchés, de faire l'aumône; d'assistet
aux instructions, d'observer la retraite, (k
se priver de ce qui peut flatter le goûJ ; en
un mot, de se mortifier par quelques er
droits ; et c'est dans ce sens que je diî q.uo
ceux mômes qui sont légitimement dispensés
du jeûne ou de l'abstinence, doivent et peu-
vent participer à la pénitence universelle du
carême. Malheur à ceux qui n'y prennent
aucune part 1
CHAPITRE IV.
L'esprit de l'Eglise dans les adoueissements
de la sainte pénitence du carême.
J'ai présentement deux sortes de person-
nes à combattre pour venger l'Eglise contre
les calomnies de ses ennemis et le relâche-
ment de ses enfants. Les hérétiques et les
chrétiens lâches; les hérétiques qui accusent
sa condescendance de prévarication ; les
chrétiens lâches qui violent le précepte du
jeûne et de l'abstinence, malgré les adoucis-
sements qu'elle tolère.
Je vais réfuter les calomnies des premiers,
en prouvant que l'esprit de l'Eglise est tou-
105
INSTRUCTION SUR LA PENITENCE DU CAREME. — CHAP. Y.
m
jours le môme sur la pénitence solennelle du
carême ; je vais confondre la lâcheté des se-
conds qui violent une loi dont les rigueurs
et les austérités sont adoucies par la ten-
dresse compatissante de l'Eglise.
Les hérétiques terrassés par cette foule
d'autorités qui prouvent que la pénitence du
carême est d'institution apostolique, ne pou-
vant nous faire que des objections vaines et
artificieuses contre la pratique constante de
tous les siècles, ont saisi avec joie et une es-
pèce de triomphe les adoucissements que
l'Eglise a tolérés depuis le xh* siècle. Ils l'ont
accusée de relâchement, et l'ont blâmée d'a-
voir avancé l'heure du repas.
Or je vais prouver que l'esprit de l'Eglise
sur la pénitence du carême est toujours le
même ; et par conséquent qu'ils ont tort de
blâmer l'indulgence qu'elle a pour ses en-
fants.
Qui peut mieux nous prouver l'esprit de
l'Eglise sur la pénitence du carême, que ce
qu'elle en a dit dans-ses conciles, sans excep-
ter celui de Trente, le dernier œcuménique ;
par la bouche des saints Pères dans tous les
siècles; par celle de tous les évêques dans
leurs instructions pastorales, par celle des
prédicateurs qui instruisent les fidèles ; enfin,
par les annonces publiques que l'on fait aux
peuples catholiques de cette pénitence solen-
nelle?
Or je défie les protestants de nous citer un
seul concile, un seul Père, un seul évêque,
un seul prédicateur qui ait annoncé comme
un nouveau précepte, une nouvelle loi , les
adoucissements tolérés depuis le xu" siècle.
Tous su contraire représentent aux fidèles la
sainte sévérité de la pénitence du carême,
les larmes, les abstinences, les longs jeûnes
des chrétiens pendant douze cents ans; ils
s'efforcent de soutenir la ferveur des uns et
de confondre la lâcheté des autres par ces
peintures touchantes de la rigoureuse péni-
tence de nos premiers frères. Les prières
que l'Eglise récite le premier jour de la qua-
rantaine, le tombeau qu'elle ouvre sous les
yeuT de ses enfants, la cendre qu'elle répand
sur leur tête, tout leur annonce que ce saint
temps est un temps de pleurs, déjeunes et
de saintes rigueurs.-
Si l'Eglise eût, je ne dis pas retranché les
jeûnes et les abstinences comme Luther et
Calvin, mais fait une loi générale de l'indul-
gence dont elle use envers ses enfants, nos
frères séparés seraient un peu mieux fondés
à l'accuser de relâchement; encore iraient-
ils contre le droit qu'elle a et le pouvoir
qu'elle a reçu de Jésus-Christ d'user d'indul-
gence envers ses enfants, selon les temps et
les besoins.
Blâmeront-ils la dispense que l'Eglise ac-
corde à ceux qui' n'ont pas vingt et un ans,
aux vieillards faibles et languissants, aux
femmes enceintes, à celles qui nourrissent
lorsqu'il s'agit de jeûne; aux infirme*, aux
malades lorsqu'il s'agit de l'abstinence? Mais
cette condescendance est digne de sa ten-
dresse; elle a hérité de cette charité compa-
tissantd de Jésus-Christ, son divin Epoux.
Il ne s'agit donc que de l'usage qui s'est
introduit d'avancer le repas ; car elle ensei-
gne toujours que le jeûne consiste dans l'u-
nité de repas, et que ce que l'on prend le
soir, ne doit être qu'un léger rafraîchisse-
ment. Or cet usage s'est introduit parles be-
soins de certains chrétiens que les grands
jeûnes incommodaient. On a avancé l'heure
du repas qui n'était qu'au soleil couché ;
insensiblement on l'a fixé à midi ; on a
avancé aussi les vêpres, pour apprendre aux
chrétiens que c'était par indulgence qu'on
n'attendait pas au soir. L'Eglise a toléré cet
usage par condescendance pour la faiblesse
de ses enfants. Est-ce là toucher au précepte
du jeûne ? Et les protestants qui ont secoué
publiquement et sans honte le joug de tou-
tes les mortifications chrétiennes, ont-ils
bonne grâce d'oser accuser l'Eglise de relâ-
chement?
Mais vous, chrétiens catholiques, qui par
délicatesse, sensualité, violez la sainte loi du
jeûne et de l'abstinence, annoncée solen-
nellement aux approches de la quarantaine,
que penser de vous ? Que vous êtes des lâ-
ches, de coupables infracteurs que rien ne
I eut excuser; que vous ne respectez point
ce qu'il va de plus saint et de plus sacré dans
les pratiques de l'Eglise.
Bien loin de gémir avec cette tendre Epouse
de la différence qu'il |y a entre notre péni-
tence et celle de nos premiers frères, d'avoir
recours à des adoucissements , lorsque nos
péchés exigent une réparation plus sévère,
vous transgressez sans scrupule toute la loi
du jeûne et de l'abstinence ; vous êtes dans
le saint temps de carême, comme dans le
reste de l'année, des hommes de bonne chère,
de jeu, de plaisir; malgré les adoucissenîents
tolérés, la pénitence du carême vous inspire
une coupable frayeur. Vous vous proposez
audacieusement de ne pas essayer seulement
vos forces; vous donnez vos ordres pour
avoir une nourriture succulente ; vos repas
seront aussi longs et aussi multipliés que
dans les autres jours. La sensualité seule et
le désir de varier les mets, feront paraître le
maigre sur vos tables. Ah 1 le péché mortel
ne vous effraye donc pas ? Ce temps de salut
sera donc, pour vous un temps de damna-
tion? Jésus-Christ versera donc inutilement
son sang pour vous, puisque vous ne voulez
pas vous mortifier avec ses disciples? Et les
adoucissements que l'Eglise tolère dans la
pénitence du carême, prouvent donc que
vous êtes des chrétiens lâches, puisqu'elle
vous effraye encore?
CHAPITRE V.
De la préparation à la sainte pe'nitencz âù
carême.
Quelle différence, ô mon Dieul entre la
conduite des justes et celle des mondains
aux approches de la sainte quarantaine ; en-ire
l'esprit de foi, de piété, de componction qui
anime les uns, et l'esprit d'irréligion, de
licence, d'impénitence qui fait agir les au-
tresl
167
ORATEURS SACRES. BALLET.
403
Je vois dans votre Eglise, parmi vos enfants,
des chrétiens touchés de vos miséricordes,
séparés du monde de cœur et d'esprit; je les
vois consoler votre Epouse désolée par leur
tendre piété, environner ses autels, proster- .
nés, abîmés devant l'Agneau immolé pour
nos péchés, laver leur faute dans son sang
adorable, pousser de tristes accents, faire
entendre les gémissements de la colombe, et
vous conjurer dans l'amertume de leur cœur
de toucher ces aveugles qui se livrent avec
fureur et sans retenue à de coupables plai-
sirs et à de honteux excès dans les jours qui
précèdent la sainte pénitence du carême.
Je vois d'un autre côté, ô mon Dieul et
mon cœur en est plongé dans l'amertume,
des enfants de votre Eglise, nés dans son
sein, nourris de ses sacrements, mépriser
ses touchants avis-, ses douces invitations;
l'abandonner clans son deuil, ses gémisse-
ments; mépriser ses solennités, s'opposer à
son esprit, élever autel contre autel, prendre le
parti dudémon.remplirles spectacles, célébrer
ses fêtes, se livrer aux excès du plaisir, de la
licence, de l'intempérance; couvrir d'igno-
minie l'image du Créateur, et cacher le chré-
tien sous des vêtements ridicules, indécents,
et quelquefois sous la forme des animaux.
O Epouse de Jésus- Christ 1 vous avez
frappé de vos anathèmes ces honteuses apos-
tasies de la piété, dans ces jours qui précè-
dent la quarantaine 1 Vous vous etforcez de
ramener vos enfants égarés par le spectacle
de votre deuil, par vos gémissements, par
des solennités touchantes; vous exposez
Jésus-Christ à leurs jeux sur l'autel ; vous
demandez pour eux miséricorde, le don de
la pénitence, de la componction, des larmes.
Heureux si je puis, tout indigne que j'en
suis, contribuer à leur retour, et les porter à
suivre votre esprit 1
Et vous, chrétiens, qui lisez cet ouvrage,
de quel côté vous rangez-vous dans ces jours
qui précèdent le carême?
Voilà deux partis: celui de la piété, celui
du plaisir; celui de Jésus-Christ, celui du
démon; de ceux qui se préparent à la péni-
tence, de ceux qui la redoutent et ne veu-
lent point s'y soumettre. Si vous voulez
vous y préparer avec fruit, écoutez.
Le grand pape saint Léon, pour porteries
fidèles à se préparer aveefruit à la pénitence
solennelle du carême, se sert de ces parole»
de ,1'apôlre saint Paul : Nous vous exhor-
tons, mes frères, de ne pas recevoir en vain
la grâce que le Dieu des miséricordes vous
offre. Voici un temps favorable pour rentrer
en grâce avec lui; voici des jours de salut:
Adjuvantes exhortamur ne in vacuum gra-
liam Dei recipiaiis: ecce nunc lempus accep-
tabile ; ecce nunc aies salutis. (II Cor., VI.)
Voici une pénitence propre à nous purifier
des taches qui ont souillé noire âme dans
les autres temps de l'année (i8).
Mais comment faut-il s'y préparer? Ecou-
(18) Neoesse est mundano de pulvere etiam reli-
giosa eorda sordescere : ut ad reparandam mentium
tez, voici l'esprit de l'Eglise : par la retraite,
la prière et une confession sincère et dou-
loureuse de tous ses péchés.
Pendant que les mondains se dissipent,
s'amusent, se livrent au jeu, aux repas, aux
plaisirs, gardez la retraite, 'méditez dans le
silence les grands mystères qui occupent l'E-
glise, et les puissants motifs qui vous doivent
porter à la pénitence.
L'Eglise, depuis la SeptuagesrsTne, nous
fait lire l'histoire de la chute du premier
homme qui nous a rendus tous coupables,
pour nous porter à la pénitence , et exciter
en nous des sentiments de componction.
Ce n'est pas dans le tumulte des compagnies,
des festins, des danses, que ces grands ob-
jets feront de saintes impressions sur nous:
c'est dans le silence et la retraite.
Pour éviter les dangers de ce temps ae
scandale et de séduction, pour obtenir la
grâce de soutenir avec ferveur et avec fruit
cette carrière de la pénitence, il faut prier,
il faut aller dans le saint temple avec les
âmes fidèles adorer Jésus-Christ dans le
sacrement de son amour, et lui dire, avec
cet aveugle, dont l'Eglise nous expose la
guérisonje dimanche de laQuinquagésin.e,
ainsi que la Passion du Sauveur : Seigneur,
ouvrez mes yeux, les yeux de la foi, afin
que je puisse voir : Domine, ut videam [Luc,
XVIII) ; que je connaisse les avantages de
la pénitence que l'Eglise m'impose, les
grâces précieuses que votre mort et votre
résurection me procureront: Domine, ut vi-
deam; que je sente tout le malheur et l'aveu-
glement de mes frères qui s'égarent et courent
comme des insensés attachés au char du dé-
mon, aux folles joies du siècle : Domine, ut
videam; que je sonde les abîmes de ma cons-
cience; que j'y découvre la multitude et
l'énormité de mes péchés pour les pleurer, les
confesser à vos ministres et en obtenir la
rémission, afin de commencer avec une cons-
cience pure la sainte pénitence du carême..
Tel est l'esprit de l'Eglise; c'est pourquoi
elle ordonne aux curés d'avertir leurs pa-
roissiens qu'ils se préparent à la pénitence
du carême par une sincère confession de
leurs péchés.
Les jeûnes, les abstinences peuvent-ils
être agréables au Seigneur quand onl est
souillé du péché mortel, et que l'on com-
mence la sainte quarantaine, ou qu'on la
passe même chargé d'iniquités et des cou-
pables dissolutions accréditées dans les jours
qui l'ont précédée ?
CHAPITRE VI.
Du jeûne comme précepte.
Rien de plus souvent annoncé dans l'E-
criture ; rien de plus religieusement ob-
servé; rien de plus propre à apaiser la co-
lère du Seigneur, h nous faire triompher de
nos passions, à terrasser le démon, et à l'at-
tachera notre char, que le jeûne.
puritatem quadraginta no-bis dierum exercitafo me-
derctur. (S. Léo serni. i De Quc.drogesima.)
4H9
INSTRUCTION SUR LA PENITENCE DU CAREME. — ClIAP. VII.
470
J'ouvre les livres saints, et je vois des
jeûnes solennels et particuliers pratiqués et
mériter les grâces les plus précieuses.
Le jeûne solennel des Ninivites change
l'arrêt de mort prononcé par l'Eternel en
un arrêt de miséricorde et de clémence.
Le jeûne donne un nouvel éclat à la vertu
et à la beauté des Judith et des Esther ;
elles deviennent les libératrices de leur
nation ; elles en sont la joie, l'honneur et la
gloire.
Que dirai-je de Jésus -Christ notre Sau-
veur, notre modèle? N'a-t-il pas jeûné?
N'a-t-il pas recommandé le jeûne? Il a jeûné
quarante jours dans le désert ; et c'est pour
1 imiter, disent les saints docteurs, que les
apôtres ont établi le jeûne du carême.
Les apôtres, instruits par leur divin Maî-
tre, n'ont-ils pas ordonné, pratiqué des
jeûnes? Lorsqu'il s'agit de l'élection et
d'imposer les mains, nous vovons dans les
Actes (XVII, XIV, XXVII), qui est l'his-
toire de l'Eglise naissante, qu'ils jeûnaient
et priaient.
Comment Luther et Calvin osent-ils donc
blâmer l'Eglise d'ordonner des jeûnes à ses
enfants? Comment osent-ils, dans leurs ou-
vrages, débiter les impiétés que je ne rap-
porte pas ici, pour ne pas affliger les lecteurs
pieux (49) ?
En vain nous opposent-ils les reproches
que Dieu faisait aux juifs, qui souillaient
leurs jeûnes par des injustices ; les repro-
ches que Jésus-Christ fait aux pharisiens
qui jeûnaient par ostentation, et qui faisaient
connaître leurs jeûnes par la tristesse de
leurs visages et l'abattement affecté de leurs
corps: en vain nous opposent-ils la réponse
qu'il fit, lorsqu'on lui demanda pourquoi
ses disciples ne jeûnaient point. Il ne faut
qu'un peu de bon sens pour comprendre la
faiblesse de toutes ces objections.
Nous dirons bien avec eux que le jeûneavec
les injustices, que le jeûne pratiqué par hy-
pocrisie, pour s'attirer l'estime des hommes,
n-'est d'aucun mérite : et voilà les défauts des
jeûnes des Juifs et des pharisiens.
Nous avouons que Jésus-Christ a dit que
ses apôtres ne jeûneraient pas tant qu'il se-
rait avec eux; mais nous dirons qu'il a an-
noncé qu'ils jeûneraient quand il leur serait
enlevé: Tune jrjunabunt. (Matth.,l\.) Et
c'est ce qu'ils ont fait comme il paraît dans
les Actes, et par le jeûne de quarante jours
qu'ils ont institué, selon tous les saints doc-
teurs, comme je l'ai dit, en prouvant l'an-
cienneté et l'autorité de la pénitence du
carême.
Reconnaissez, chrétiens, l'aveuglement de
nos frères séparés sur le jeûne; mais vous
qui êtes soumis à l'Eglise , reconnaissez
qu'elle a le pouvoir de faire des préceptes, et
que celui du jeûne vous oblige sous peine
de péché mortel, lorsque vous n'êtes pas dans
le cas d'une dispense légitime.
Ecoutez, chrétiens, dit saint Ambroise
(serm. 1 inpsal. CXVIII) :1e jeûne solennel
du carême vous a été annoncé : fndictum
est jejuniam. Pensez que vous êtes obligésde
l'observer; n'en violez pas un seul : Cave ne
negligas. Il vous a été annoncé publique-
ment. C'est l'Eglise votre mère qui a reçu
de Jésus-Christ l'autorité pour faire des com-
mandements et des préceptes: indictum est.
Si vous manquez à un seul des jeûnes de
la quarantaine, sans en être dispensés légi-
timement, vous donnerez la mort à votre
âme : Cave ne negligas.
On peut s'imposer des jeûnes dans les
autres temps de l'année, dit saint Augustin
(serm. 62 De temp.), alors on est libre : c'est
une pénitence qui n'est point de précepte ;
mais, manquer un jeûne dans le carême ,
c'est un péché, et un péché mortel : In Qua-
dragesima non jejunare peccatum est.
Prenez bien garde, dit saint Léon (serm.
1, Dejejunio septimi mensis), que c'est par
l'autorité de l'Eglise que nous vous annon-
çons le jeûne comme un précepte qui oblige
souspeinede péché: Exauctoritateindicimus.
C'est par charité que nous vous persuadons
de vous y soumettre pour sauver vos âmes :
Ex charitate suademus.
Ah 1 que je suis pénétré de douleur, lors-
que je considère aujourd'hui cette foule de
transgresseurs de la loi du jeûne; lorsque
je vois des hommes robustes remplir les ca-
barets, et ne point discontinuer leur intem-
pérance dans ce saint temps; des riches faire
deux repas longs, succulents et délicats:
d'autres prendre des rafraîchissements, man-
ger plusieursfois le jour, céder h l'occasion,
à l'invitation, ou s'exciter, sous les plus lé-
gers prétextes, à violer la loi du jeûne, et à
donner la mort à leurs âmes 1 Les chrétiens
catholiques doivent-ils penser ainsi d'un
précepte de l'Eglise?
CHAPITRE VII.
Des vertus qui doivent accompagner le jeûne
pour le rendre utile et méritoire.
Lorsqu'il s'agit d'un jeûne solennel, Dieu
dit à ses ministres: Sanctifiez vos jeûnes pu-
blics parles vertus qui peuvent rendre agréa-
ble à mes yeux cette pénitence universelle :
Sanclificatejejunium. (Joël, I.)
Or l'Evangile, les conciles, tous les Pères
de l'Eglise, disent la même chose aux chré-
tiens catholiques qui se soumettent au jeûne
solennel du carême : Sanctifiez votre jeûne
parla douleur de vos péchés, par la cessation
du péché, par la privation des plaisirs même
permis dans les autres temps ; par la prière,
l'aumône, et les œuvres de justice et de mi-
séricorde : Sunctificate jrjunium.
Toute la perfection de notre jeûne, dit
saint Léon (serm. h De Quadragcsima), no
consiste pas a se retrancher quelques repas,
à se priver des choses qui peuvent fortifier
la chair et la rendre impérieuse; mais en-
core à se priver de tout- ce qui peut corrom-
pre l'esprit et le cœur.
Ne serait-ce pas un aveuglement déplora -
(49) Luther, Respomione ad Ambrpsium Catkarinam; C\lvin, lib. IV Institut, cap. 12, sect. 19
*7!
ORATEURS SACRES. BALLET.
472
Lie, que des chrétiens fissent fond sur le
mérite d'un jeûne souillé du péché, pratiqué
dans l'habitude d'un péché chéri, qu'on ne
déteste pas; coupables d'injustices qu'on ne
veut pas réparer; livrés aux plaisirs enchan-
teurs du siècle, et insensibles à toutes les
misères du pauvre. Ah! tels étaient les jeû-
nes des juifs et des pharisiens, que Dieu
rejetait et détestait', et qui lui firent pronon-
cer cet oracle qui doit confondre les protes-
tants qui nous reprochent d'établir un jeûne
que le Seigneur réprouve.
Le voici cet oracle, il est clair. Dieu ne
défend pas le jeûne fait dans un esprit de
pénitence, dans l'innoccnre du cœur, avec
des aiains pures. Ne jeûnez point comme
vous avez jeûné jusqu'à présent, dit Dieu
aux juifs : Nolite jejunare sicut usque adhanc
diem. (Isa. LVIIl'.) Il ne défend pas le jeûne ;
mais il veut leur prouver que la vertu, l'in-
nocence, la justice, doivent l'accompagner;
et tout cela manquait aux jeûnes que Dieu
reprend. Il s'explique: Vos jeûnes me dé-
plairont tant que le cris de vos péchés, de
vos injustices, montera jusqu'au trône de ma
gloire: ut audiatur in excelso c'amor vester.
(Ibid.)
Ainsi, dans l'Ancien et dans le Nouveau
Testament, lorsqu'il est parlé du jeûne, il
est toujours pailé des vertus qui doivent
l'accompagner pour qu'il soit agréable au
Seigneur.
SI y a deux choses à considérer dans le
jeûne, dit saint Augustin (serm. 207 inQua-
dro.'j.) ; les retranchements de la nourriture,
qui font son intégrité; la pratique des vertus,
qui nous le rendent utile et agréable à Dieu.
Quant à la première, ce saint docteur dit
que l'intégrité du jeûne du carême consiste
à se priver du repas que l'on fait à midi dans
les autres temps: Per hos autem dies etiam
foncessa prandia removenda. Comme l'inté-
grité du jeûne consiste dans l'unité de re-
pas, et que du temps de saint Augustin on ne
mangeait que le soir, cette sévérité ne doit
pas nous étonner ; elle n'a été adoucie, com-
me je l'ai déjà dit, que depuis le xn* siècle.
Quant à la seconde , ce saint docteur dit
(tract. 17 inJoan., n. k) que ce qui rend
notre jeûne grand, parfait et méritoire au tri-
bunal de notre Dieu, c'est d'éviter et de con-
cevoir une juste horreur du vice et de tous
les plaisirs qui peuvent souiller notre cœur:
Est abstinere ab iniquitatibus et illicitis vo-
luplatibus sœculi. Voilà, dit-il , le grand jeû-
ne, le jeûne solennel, le jeûne parfait des
Chrétiens, des disciples de Jésus-Christ :
jejunium magnum et générale, perfectum
jejunium.
C'est d'après l'Ecriture que les saints doc-
teurs montrent la nécessité d'accompagner
nos jeûnes des vertus chrétiennes.
Tantôt il est dit que la prière et l'aumône
rendent notre jeûne précieux aux yeux du
Seigneur : Bonu est oratio cum jejunio et
cleemosyna. (Tob., XIL)
Qu'est-ce qu'un chrétien qui ne prie point?
C'est un orgueilleux qui ne sent point sa mi-
S'ire, sa dépendance, le besoin qu'il a do lu
grâce pour se convertir, persévérer dans la
pénitence ; ce n'est donc pas un vrai péni-
tent; il jeûne donc sans fruit, sans mérite.
Qu'est-ce qu'un chrétien dur et insensible
envers les membres de Jésus- Christ souf-
frant? C'est un homme sans charité, sans ten-
dresse , sans humanité, qui ne veut point
racheter ses péchés par l'aumône, et qui re-
fuse aux pauvres ce qu'il retranche de sa
table et de ses délices : ce n'est donc pas un
vrai pénitent; il jeûne donc sans fruit, sans
mérite.
Tantôt il est dit que la vraie pénitence
consiste dans le jeûne, dans les pleurs et
dans la douleur du cœur : In jejunio, in
plane tu, scindite eorda vestra. (Joël, IL)
Ces chrétiens volages, dissipés, livrés à la
joie , aux plaisirs dans Je carême comme
dans les autres temps de l'année : ces chré-
tiens ennemis de la retraite, du silence, des
méditations sérieuses , qui n'abandonnent
point les cercles, les jeux, les spectacles
même ; ces chrétiens que l'histoire de leucs
péchés n'effraye point, n'alarme pas; qui se
promettent dé la réciter à Pâques au confes-
seur le plus commode, le plus indulgent
qu'ils pourront trouver, et dont toute la dou-
leur consistera dans une formule de paroles
auxquelles le cœur n'aura point de part, ne
sont donc point de vrais pénitents. Ils jeû-
nent donc sans fruit, sans mérite. Rendez
votre jeûne utile et méritoire par la pureté
de votre cœur et la pratique des bonnes
œuvres.
CHAPITRE VIII.
. De l'abstinence comme précepte.
L'Eglise, toujours assistée du Saint-Esprit,
a fait à ses enfants un précepte de l'absti-
nence du gras certains jours de l'année, et
dans tout le saint temps du carême, pour
des raisons de mortification et de péni-
tence.
Cette pratique est autorisée par la plus
vénérable antiquité. Les chrétiens de l'Eglise
naissante, les plus grands docteurs des pre-
miers siècles en ont parlé avec éloge; ils
l'ont observée religieusement, et ces derniers
ont combattu dans leurs ouvrages les héré-
tiques qui blâmaient ce genre de pénitence
et de mortification.
Saint Jérôme (lib. II adversus Jovinia-
num) et saint Augustin (Lib. de hœres., cap.
82) ont confondu Jovinien, qui soutenait
que l'abstinence n'était d'aucun mérite aux
yeux de Dieu.
^Commc les hérétiques se copient, il n'est
pas étonnant que les protestants aient mar-
ché sur les traces de cet ancien hérésiarque,
et qu'ils aient fouillé dans l'antiquité pour
nous opposer des faits qu'il est facile de dé-
truire.
Les hérétiques des derniers siècles nous
font quatre objections sur l'abstinence de
certaines viandes les jours consacrés à la pé-
nitence.
1° C'est, disent ils, imiter les juifs et
déshonorer la liberté évangélique; 2" c'est
imiter les priscillianistes et les manichéen?,
4"3 INSTRUCTION SUR LÀ PENITENCE DU CAREME. — CIIAP. IX
s'abstenaient de certaines choses , et
474
qui s aostenaieni ue certaines cnube;., ci
s'en privaient avec horreur; 3° c'est exposer
les fidèles à commettre des péchés mortels,
que de leur faire un précepte de l'absti-
nence; k° c'est aller contre la leçon de Jésus-
Christ, qui nous assure que ce qui entre
dans le corps ne souille point l'âme.
Les protestants sont d'autant plus coupa-
bles de nous faire ces objections, qu'ils en
sentent tout le faux, et connaissent l'esprit
de l'Eglise qui justifie sa conduite et le pré-
cepte qu'elle fait à ses enfants de l'absti-
nence.
Quelle différence, en effet, entre nous et
les juifs! Croyons-nous que les viandes dont
nous nous abstenons par un esprit de péni-
tence, soient impures et souilleraient nos
âmes? Si nous pensions ainsi, nous imite-
rions alors, non-seulement les juifs, mais
encore les priscillianistes et les manichéens ;
mais, comme eux, nous nous en priverions
toute l'année, nous en aurions horreur.
Nous ne croyons donc pas que le gras soit
mauvais en lui-même, impur, puisque nous
en usons toute l'année, et que nous ne nous
en privons que dans les jours consacrés à la
pénitence.
De même, nous disons avec Jésus-Christ,
que ce qui entr e dans le corps ne souille
point l'âme (Matlh., XV); mais nous disons
que la désobéissance à l'Eglise la souille.
Si c'est exposer les fidèles que de leur faire
un précepte de l'abstinence les jours de pé-
nitence, il faut ôter tous les préceptes de
l'Eglise , et les ministres de la réforme doi-
vent eux-mêmes effacer ceux qu'ils font à
leurs disciples; car je puis assurer qu'un de
leurs plus grands maîtres nous justifie sur
l'abstinence ainsi que sur d'autres articles.
C'est suivant notre esprit, et non par une
police temporelle, qu'on a retenu l'absti-
nence et des jeûnes en Angleterre ; car, dit
ce fameux docteur de la réforme (50), l'absti-
nence accompagnée de la dévotion et de la
prière, est un moyen très-efficace pour avan-
cer notre salut et nous rendre agréables à
Dieu; nous ne pensons pas autrement. Pour-
quoi méprise-t-il donc le précepte de l'E-
glise, et veut-il recevoir cette loi de morti-
fication du roi et du parlement? C'est le
même esprit qui ordonne l'abstinence dans
ce royaume schismatique ; ce n'est pas la
même autorité.
Heureux si les libertins et les indévôts de
notre siècle, qui ignorent ces aveux, n'imi-
taient pas les mépris qu'ils font de la loi de
l'Eglise 1 Mais hélas! aujourd'hui on viole
sans scrupule la loi de l'abstinence ; on com-
met de sang-froid ce péché qui donne la mort
à l'âme. La transgression est publique, scan-
daleuse, presque universelle. Le maigre et
le gras est servi presque sur toutes les ta-
bles; on tend des pièges à la conscience des
faibles; on badine l'exactitude des enfants
soumis ; on n'a aucune des incommodités qui
dispensent légitimement du maigre ; des
soins excessifs de sa santé, la crainte de l'al-
térer, la délicatesse, la sensualité, l'esprit da
désobéissance : voilà la cause de ces infrac-
tions scandaleuses dans le saint temps de
carême.
Quelle différence entre la conduite de ces
chrétiens et celle des enfants soumis qui
craignent le Seigneur!
Un petit nombre, comme Daniel , pleure ,
jeûne, se prive des mets délicats et succu-
lents, et le grand nombre brave la loi de
l'Église et vit dans de coupables délices.
Des hommes sages, éclairés dans l'Église,
à la cour, dans les rangs les plus distingués,
disent avec saint Augustin (lib. X Confess.,
cap. 31) : Nous obéissons à la loi de l'Eglise,
nous nous abstenons par mortification d'une
nourriture forte, d'un gras nourrissant, non
pas que nous croyons ces viandes impures
dans ce saint temps, mais pour mortifier nos
sens, éviter les dangers d'une chair nourrie
délicatement et; obéir surtout à l'Eglise qui
nous fait une loi de cette pénitence.
Telle fut la disposition du peuple de Cons-
tantinople, lorsque l'empereur Justinien,
alarmé d'une grande disette qui privait cette
ville impériale des aliments nécessaires pour
le carême, permit de vendre publiquement
les viandes défendues par la loi de l'Eglise.
Ce peuple chrétien et soumis, dit Nicé-
phore (Uist., lib. XVII, c. 32), ne voulut
point user de cette liberté. On vit partout le
respect pour la loi de l'Eglise. Les grands et
les petits, les riches et les pauvres craigni-
rent d'offenser Dieu et de souiller leurs
âmes par la désobéissance, parce qu'ils sa-
vaient, dit saint Chrysostome (hom. 2 in
Gènes.), en confirmant ce fait de l'histoire,
que les rois et les sujets sont soumis à la pé-
nitence du carême. I
Aujourd'hui on craint si peu d'offenser
Dieu mortellement, que les remontrances
charitables des pasteurs et des prédicateurs
ne suffisent pas : il faut toute la diligence
des magistrats pour empocher les infrac-
tions publiques.
CHAPITRE IX.
Il faut éviter la délicatesse dans ht pénitence
du carême.
Quelle idée l'Ecriture nous donne-t-ello
de la pénitence? quelle idée les saints en
concevaient-ils? quel fut et quel est encore
l'esprit de l'Eglise sur la pénitence du ca-
rême ? voilà ce que ne consultent point les
riches du siècle, qui même observent l'abs-
tinence dans ce saint temps. Ce n'est pour
eux qu'un changement de délices, une va-
riété qui satisfait le goût, ce n'est point une
mortification.
Si l'on pouvait être de vrais pénitents
avec une table splendidement servie, en re-
cherchant tous les raffinements de la délica-
tesse et de la sensualité, avec l'usage du
maigre, nous en pourrions compter encore
beaucoup : on sait que les mets en ce genro
(50) M. Bi'RjiET, Histoire d'Angleterre, page 545.
ORATEURS SACRES. BALLET
plus délicats
475
sont plus exquis, plus varie)
aussi ne sont-ils pas oubliés dans les festins,
dans les repas et sur les tables des grands :
ils sont mêlés avec art "avec le gras succu-
lent, et sont plus recherchés par les délicats
et les sensuels que les autres.
Mais il faudrait ignorer l'esprit du chris-
tianisme et toutes les privations qui forment
It vraie pénitence, pour ne pas être persuadé
que celte abondance de mets délicats est
contraire à la pénitence imposée à tous les
chrétiens dans le saint temps du carême.
Quand l'Ecriture nous parle des péniten-
ces publiques qui ont apaisé le ciel irrité,
et arrêté le bras vengeur du Tout-Puissant
prêt à s'appesantir et à frapper les têtes cri-
minelles, elle nous montre des hommes de
pleurs, de gémissements, courbés sous la
cendre et le cilice, et ne mangeant qu'un
pain de douleur détrempé de leurs larmes :
tel est le portrait qu'elle nous trace de la
ifénitence des Ninivites et du saint roi
)avid.
L'Evangile ne nous parle pas d'un pénitent,
mais d'un réprouvé, lorsqu'il nous parle
d'un riche qni se nourrit délicatement, et
dont la table est tous les jours couverte des
mets les plus exquis : Epulabatur quotidie
splendide. (Luc, XVI.)
Or, d'après l'Evangile, peut-on dire qu'un
riche qui, à la faveur de son opulence, fait
tous les jours des repas longs et splendides
en maigre, invite ses amis et leur offre une
table abondamment couverte, tout ce qui
peut plaire aux yeux et flatter le goût, est
un vrai pénitent, qu'il se mortifie, et qu'il
se conduit selon l'esprit de l'Eglise dans la
pénitence?
Prononçons d'après l'Evangile; La conti-
nuelle délicatesse du riche dont il annonce
le malheureux sort, le fit descendre dans les
feux éternels après sa mort. Que devons-
nous penserdes chrétiens délicats, sensuels,
et dont les délices de la table ne sont que
variés et jamais retranchés dans le saint
temps de carême ? Je tremble sur leur sort.
Quelle est l'idée que les premiers chré-
tiens et tous les saints ont conçue de la pé-
nitence solennelle du carême? Jugeons-en
par les saintes rigueurs qu'ils pratiquaient
pendant toute la quarantaine.
Non-seulement tous les chrétiens, dans
ces grands jeûnes, ne mangeaient qu'au soir,
se privaient du beurre et du laitage, mais
encore plusieurs pratiquaient la xérophasie;
c'est-à-dire ne mangeaient que des fruits
secs, et quelques-uns même se condamnaient
au pain et à l'eau. C'est Tertullien qui nous
apprend ces excès de pénitence des premiers
chrétiens dans le carême; et il ne doit pas
nous être suspect, puisque c'est dans un
traité qu'il a composé en faveur des monta-
nistes qu'il en parle.
Les solitaires, ces hommes d'austérités,
dont les jeûnes, les mortifications étaient
476
nouvelles
continuels, inventaient encore do
rigueurs dans ce saint temps.
On sait la merveilleuse abstinence que
tous les saints ont pratiquée dans le carême :
celle de saint Louis est connue dans l'his-
toire, quoiqu'il vécût dans la décadence des.
grands jeûnes.
Enfin, l'esprit de l'Eglise, dans la péni-
tence du carême est, par le jeûne et l'absti-
nence, de réprimer les violentes saillies de
la chair, d'élever l'esprit au-dessus des sens,
de mettre le chrétien en état de pratiquer
la vertu et d'en obtenir la récompense (51) ;
c'est encore pour le disposer à célébrer avec
fruit le mystère des souffrances de l'Homme -
Dieu et à participer à la gloire de sa résur-
rection, retracer, copier ce saint pénitent
dans le désert. Or, la délicatesse n'est-elle
pas opposée à cet esprit de l'Eglise, sur la
pénitence du carême ?
Prenez donc bien garde, chrétiens, dit saint
Augustin (serm. 207), de ne faire que chan-
ger de délices au lieu de les retrancher •
Cavendum est ne mutes non minuas voluptates
Joignez à vos jeûnes, dans ce saint temp
de pénitence, une table simple, frugale; re
tranchez tous ces mets rares, délicats, ces
liqueurs, ces vins exquis : Parcimonia jeju-
7iiis conjungatur; et donnez aux pauvres ces
superflus que vous retranchez et que votre
rang semble autoriser dans les autres temps.
Alors vous pourrez dire que vous participez
à la sainte et solennelle pénitence du carême.
CHAPITRE X.
Il faut se priver des plaisirs, même permis,
dans la sainte pénitence du carême.
Comme une douleur intérieure est de l'es-
sence de la pénitence, que c'est elle qui en
est l'âme, qui la rend agréable à Dieu, le
désarme, nous rapproche de lui et nous pro-
cure ses grâces et ses caresses ; peut-on dire
qu'un homme livré aux plaisirs même les
plus innocents en apparence, qui soutient
tous les jours de longues séances de jeu ; qui
se trouve dans les cercles où l'on ne compte
pour rien la perte du temps; qui est dissipé,
volage, enjoué, qui ne se refuse rien de toutes
les douceurs et de toutes les satisfactions du
monde, sous prétexte qu'elles sont chez les
grands des choses permises, et que les hon-
nêtes gens n'y attachent aucune idée du
crime, est un vrai pénitent? Ah 1 qu'il faudrait
peu connaître en quoi consiste la vraie péni-
tence 1 Comme il n'y a point de vraie péni-
tence sans douleur, il n'y a point de vrais
pénitents parmi ceux qui se livrent aux plai-
sirs, t
Le retranchement des plaisirs les plus in-
nocents, de l'allégresse la [il us sainte et la
plus pure, a toujours été regardé comme né-
cessaire à la pénitence publique.
La douleur des Ninivites était cachée sous
le sac et la cendre. Un deuil universel l'an-
(51) Qui corporali jejunio vida comprimais
Ltctes. in niissa de Qucdragesima.)
menteni élevas, virtutem largiris cl premia. (Pra'fatio
177
INSTRUCTION SUR LÀ PENITENCE DU CAREME. — CI1AP. XI.
478
nonçait aux étrangers et dans le palais du
prince ainsi que dans la cabane du pauvre;
on n'y voyait couler que des pleurs; on n'y
voyait aucun signe de joie; tout ce grand
peuple était tristement occupé de ses péchés
et appliqué à les réparer.
Dans les grands jeûnes des juifs, tous les
divertissements, les joies publiques, les amu-
sements ordinaires étaient interdits; et cette
pénitence publique s'étendait jusqu'à dé-
fendre l'usage du lit nuptial. Privations de
douceurs permises, que les chrétiens des
premiers siècles regardaient comme néces-
saires dans la pénitence solennelle du ca-
rême, qui a honoré les jeûnes et la péni-
tence des saints et des chrétiens qui, dans
tous les siècles, avaient une juste idée des
grands jeûnes du carême.
Rien de plus pur que l'allégresse de l'E-
glise, que ses chants de joie; cependant elle
les supprime dans le carême et dans les jours
déjeunes, pour s'abandonnera la douleur
et toucher son divin époux par ses tristes
accents et ses chants lugubres.
Que sert-il de s'abstenir de certains repas,
de certains mets, si l'on ne se prive pas des
plaisirs qui flattent le coeur et des amuse-
ments qui nous dérobent aux exercices de la
piété? Un vrai pénitent doit-il moins morti-
fier son cœur, son esprit que son corps?
Mettrai-je au rang des pénitents, dans ce
saint temps de carême, ces personnes qui ne
retranchent rien de tout ce qui les flatte? Un
riche duvet, un long sommeil, des visites,
des assemblées, des jeux, des spectacles, tout
cela a-t-il jamais entré dans le plan de la pé-
nitence du carême ? Et quand on aurait jeûné
et pratiqué l'abstinence, pourrait-on, à la
solennité pascale, se flatter d'avoir été de
vrais pénitents?
Ecoutons saint Chrysostome, cet éloquent
docteur de l'Eglise grecque ; il va désabuser
ces chrétiens dissipés, volages, ardents pour
les plaisirs dans le temps du carême comme
dans les autres temps de l'année ;/il va leur
prouver qu'ils auront de quoi rougir après la
quarantaine, s'ils n'ont que des jeûnes, des
abstinences pratiquées dans la dissipation,
le plaisir et le jeu à montrer au Seigneur.
De quelle utilité est votre jeûne, dit ce
Père (nom. 6 et hom. 16), si toute votre pé-
nitence consiste à vous priver de quelques
repas, et si votre vie est aussi dissipée, aussi
mondaine dans le carême que dans les autres
iours1! Quœutilitas jejanii? Remarquez, chré-
tiens, que saint Chrysostome parlait alors à
des personnes qui observaient les grands
jeûnes du carême, qui ne mangeaient que le
soir, et cependant il les assure que ces grands
jeûnes leur seront inutiles à Pâques, parce
qu'ils sont trop dissipés et livrés au plaisir.
Ecoulez ce qu'il dit : Vous pratiquez de longs
jeûnes, vous attendez que le soleil soit cou-
ché pour manger dans ces saints jours : Tota
die nihil comedis; mais vous ne vous privez
point du jeu; vous faites vos parties à l'ordi-
naire avec la même ardeur, le même goût;
vous y risquez les mêmes sommes : tuais.
Vous ne vous {rivez pas des promenades,
des visites, des conversations, des concerts
et de tous ces amusements frivoles qui an-
noncent la légèreté, la dissipation, la joie
mondaine : Nuguris. Mais vous perdez des
jours entiers dans une molle oisiveté; votre
indifférence pour les exercices de la religion,
la prière, la lecture, les offices divins, la
visite des pauvres, vous donne un coupable
loisir qui vous embarrasse vous-mêmes tout
le jour: Totum perdis diem. Ah! que vous
servira-t-il de dire dans la solennité pascale :
J'ai jeûné tout le carême : Totam jejunavi
quadragesimam, si vous ne vous êtes point
privés de tout ce qui pouvait rendre votre
jeûne désagréable au Seigneur? Quœ utilitas
jejunii? Peut-on mieux prouver la nécessité
de se priver des plaisirs même permis dans
le saint temps du carême?
CHAPITRE XI.
Les riches doivent faire plus d'aumône dans
le carême que dans les autres temps.
Les chrétiens doivent être persuadés que
l'aumône est un précepte indispensable. Je
ne m'arrête pas ici à le prouver, ni à faiie
des peintures touchantes des malheureux
pour exciter leur compassion; c'est la ma-
tière d'un discours particulier qui ne regarde
pas le sujet que je traite.
Il s'agit ici de leur montrer comment 1 au-
mône est nécessaire à la pénitence solennelle
du carême, et en est, selon l'esprit de l'E-
vangile, inséparable.
Je remarque deux choses dans la pénitence
solennelle du carême, quand elle est prati-
quée selon l'esprit de l'Evangile : les retran-
chements qu'elle exige; les grâces qu'elle
procure.
r Les riches pénitents ne doivent point faire
les mêmes dépenses dans ces jours de pri-
vation; par conséquent ils doivent faire des
aumônes plus abondantes. Les riches péni-
tents espèrent la rémission de leurs péchés ;
par conséquent ils doivent faire l'aumône,
puisque c'est, selon le Saint-Esprit, le moyen
le plus efficace pour éteindre le feu vengeur
qu'ils ont mérité.
C'est donc aux personnes aisées qui jouis-
sent d'une certaine fortune, et qui dans leur
opulence veulent participer à la pénitence
du carême, à saisir ce point important de
morale.
Si elles observent la sainte pénitence du
carême, je ne dis pas comme autrefois, mais
même selon l'indulgence que l'Eglise notre
tendre mère accorde depuis les adoucisse-
ments qu'elle a tolérés; que de privations!
que de dépenses retranchées; et par consé-
quent quel fonds pour les pauvres!
Comme je suppose ces riches touchés et
pénitents dans la sainte quarantaine, je ne me
représente plus chez eux qu'un seul repas,
une table simple, frugale, dont les mets dé-
licats et précieux sont bannis. Je ne la vois
plus environnée de ces personnes enjouées
qui veulent être bien traitées, qui prolongent
la longueur du repas et en occasionnent sou»
vent des excès.
4"9
ORATEURS SACRES. BALLET.
4S0
Je ne vois plus de jeux, de concerts, de
bals, de spectacles; ie ne vois plus toutes
ces brillantes bagatelles, ces artifices de la
vanité que la cupidité des ouvriers invente,
et que l'amour-propre paye si cher. Or, tous
ces retranchements laissent aux riches péni-
tents des fonds pour assister les malheureux,
si leur pénitence est sincère.
Quelle pénitence serait donc celle des
riches dans le saint temps du carême, siceux
qui n'ont ni pain, ni vêtement, niasile^ n'a-
vaient rien sur les fonds que la pénitence
leur fait augmenter? "Quelle espèce de péni-
tents dans le christianisme, que des chré-
tiens durs et insensibles sur les misères du
prochain 1
Quoi 1 les jeûnes, les abstinenc.es, les pri-
vations ne serviraient qu'à grossir leurs tré-
sors 1 Ils verraient avec joie les fruits de
leurs mortifications dans leurs coffres, et
leurs frères gémir et languir sous le poids
de l'indigence 1 Ah! leur pénitence serait
rejelée du Seigneur. Quand on retranche ses
dépenses par esprit de mortification et non
point par nécessité, ces retranchements doi-
vent être le fonds des pauvres. Aussi tous les
saints docteurs, à l'occasion de la pénitence
du carême, exoitaient-ils les riches à. des au-
mônes plus abondantes.
Je dis que le désir que les riches pénitents
ont d'obten'r la rémission de leurs péchés,
doit encore les porter à d'aïondantes aumônes
dans le saint temps do carême, parce que
c'est un moyen très-efficace pour fléchir le
Seigneur et obtenir miséricorde.
Trois effets merveilleux de l'aumône, selon
le Saint-Esprit, doivent prouver aux riches
qui veulent se sauver, combien elle est né-
cessaire dans la pénitence qu'ils pratiquent
avec tous les enfants soumis de l'Eglise.
Elle délivre de la mort éternelle : A morte
libérât (Tob., XiS) ; elle expie les péchés :
Purgat pcccata (Ibid.); elle ouvre le sein
de la miséricorde et nous mérite le ciel :
Facil inrcnire misericordiam et vitam œtcr-
nân. (Ibid.)
Or, riches, personnes aisées qui vous sou-
mettez à la pénitence solennelle du carême,
ne sont-ce pas là les grâces précieuses que
vous sollicitez, que vous espérez par vos
jeûnes et vos privations? Que l'aumône fasse
donc une partie de votre pénitence; que Jé-
sus-Christ voie ses membres nourris et cou-
verts des retranchements que vous faites sur
la table, le jeu, les plaisirs, le luxe.
Vous faites pénitence pour ne point brûler
éternellement : faites l'aumône, c'est une eau
salutaire qui éteindra, ainsi que vos larmes,
les feux éternels que vos péchés ont allumés ;
vous voulez expier vos péchés par des jeûnes
et des abstinences, joignez à ces mortifications
d'abondantes aumônes ; elles les rachèteront.
Vous priez le Seigneur d'user de clémence
envers vous, d'épargner des coupables con-
trits et humiliés. Achetez par vos aumônes
la voix du pauvre; elle touche le cœur de
Jésus, elle ouvre le sein de sa miséricorde
a* elle introduit les hommes de miséricorde
dans les tabernacles delà gloire éternelle.
Ne soyez pas dans le saint temps du ca-
rême, des hommes de jeûne, de mortifica-
tion, de contrition, sans être des hommes de
charité.
CHAPITRE XII.
Les chrétiens, dans le carême, doivent accom-
pagner leur pénitence de prières et de gé-
missements.
L'Eglise multiplie ses prières et ses gé-
missements tous les jours de la sainte qua-
rantaine; ses ministres prosternés ajoutent
aux offices ordinaires des prières touchantes ;
ils emploient les paroles des plus grands
pénitents dont l'Ecriture nous rapporte les
cris, les pleurs et les gémissements; ces priè-
res, faites presqu'à toutes les heures du jour,
font une sainte violence au ciel irrité de nos
péchés, parce qu'elles sont des aveux solen-
nels de nos prévarications, de notre misère,
do notre néant, de l'état déplorable où le
péché nous a réduits, parce qu'elles expri-
ment nos regrets, les déchirements de notre
cœur et le besoin qne nous avons d'une
grande miséricorde pour ne pas tomber sous
le domaine d'une rigoureuse justice.
Pendant tout ce saint temps, l'Eglise gé-
mit comme la colombe. Serait-il convenable
que des chrétiens qui se disent pénitents ne
mêlassent point leur voix à la sienne? Où
est le vrai pénitent qui ne demande pas
grâce et n'avoue point qu'il est coupable?
C'est donc un exercice nécessaire dans la pé-
nitence du carême que de demander souvent
grâce, d'exposer souvent sa misère, et do
demander souvent avec un cœur contrit la
rémission de ses péchés qu'on n'expie qu'im-
parfaitement par ses propres forces, ses jeû-
nes et ses abstinences.
Mais quelles sont les prières que nous ae-
vons ajouter dans ce saint temps à celles que
nous faisons le matin et le soir dans tout le
cours de l'année; les voici: selon l'esprit de
l'Eglise, elles sont tirées des offices qu'elle
récite et des demandes qu'elle fait à Dieu
pour ses enfants tous les jours de la qua-
rantaine.
1" Nous devons demander à Dieu le aon
d'une sincère pénitence. C'est lui qui touche
le cœur, le change, le convertit ; nous n'al-
lons à lui qu'après qu'il est venu à nous.
Pourquoi tant de faux pénitents? C'est qu'il
yen a beaucoup qui comptent sur leurs pro-
pres forces , qui prennent l'apparence, les
dehors de la pénitence pour la pénitence
même; or, Dieu dédaigne la cendre et le ci lice,
les jeûnes et les abstinences du chrétien dont
le cœur n'est pas déchiré, brisé de douleur.
Demandons-lui donc le temps et la grâce de
pratiquer une pénitence .salutaire; ne point
demander tous les jours ce don précieux:
c'est le crime du pécheur tombé, qui s'ima-
gine pouvoir par ses propres forces sortir de
l'abîme sans la main toute-puissante du
Dieu des miséricordes; c'est ne point sentir
sa misère, sa faiblesse; c'est dédaigner les
secours du ciel qui ne sont accordés qu'à la
prière, et à la prière persévérante.
u2° Nous devons demander tous les jours à
Dieu la grâce de remplir celle sainte carrière
4SI
INSTRUCTION SUR LA PENITENCE DU CAREME. — CHAP. XII!.
483
avec ferveur, avec piété et dans l'innocence
du cœur.
En vain affligeons-nous nos corps par les
ieûnes et les abstinences, si nous n'humi-
lions pas nos esprits, et ne fermons pas nos
cœurs aux attraits séduisants du péché? Que
nous serviront nos jeûnes corporels, si nous
n'avons pas retenu nos penchants, réprimé
nos passions et dérobé à nos cœurs tous les
aliments du vice? Que nous servira-t-il d'a-
voir jeûné quarante jours et observé les abs-
tinences, si ces mortifications sont souillées
par le péché? Quel sera le fruit de notre pé-
nitence à la fin du carême, si nous ne pou-
vons pas dire : j'ai pardonné à mes ennemis,
j'ai restitué ce que j'avais au prochain, j'ai
dompté telle passion, quitté telle habitude;
j'ai acquis du goût pour la piété; ma cons-
cience pure me fait goûter des douceurs que
je n'avais jamais éprouvées ? Une fausse tran-
quillité, une fausse paix, dit saint Chrysos-
tome : Quid lucrum si recte factis carentes ;
jejunium transegerimus ? Sialius dicat totam
jejunavi quadragesimam : tu die : initnicum ha-
bebam, et conciliatus sum : habebam detra-
hendi consuetudinem et destiti : juranditene-
bar usu et mos iinprobus mihi correctus est.
(Hom. 16 ad populum Antiochenum.)
Ce n'est donc pas assez d'entrer, de four-
nir même la sainte carrière de îa pénitence
du carême; il faut, à l'exemple de l'Eglise,
demander tous les jours h Dieu qu'il sancti-
fie nos jeûnes corporels par sa grâce et les
dons de sa miséricorde.
3° Nous devons demander tous les jours à
Dieu la grâce de participer aux mérites de la
passion du Sauveur et aux saintes joies de
sa résurrection.
C'est pournous préparer àcélébrerces deux
grands mystères de notre salut que les apôtres
ont institué la sainte pénitence du carême:
aussi l'Eglise dans presque toutes ses prières
demande-t-elle à Dieu que ses enfants se pu-
rifient par les jeûnes et les mortifications,
afin qu'ils arrivent avec un cœur innocent à
la solennité pascale.
On ne peut point, ô mon Dieu , participer
à la gloire de votre résurrection sans parti-
ciper aux douleurs de votre mort. Votre
grand Apôtre m'apprend, ô mon adorable
Sauveur, qu'il faut souffrir avec vous pour
être glorifié avec vous : Si compaiimur, ut et
glorifkemur. [Rom., VIII.) Nous n'aurons au-
cune part au triomphe de votre tombeau, si
nous ne prenons point de part aux oppro-
bres du Calvaire. Cet oracle m'effraye, ômon
divin Rédempteur 1 je crains que les jeûnes
et les abstinences que je pratique dans ce
saint temps ne soient pas suffisants pour des
chrétiens qui doivent vous copier et vous
retracer; faites donc, ô mon Dieu 1 que j'a-
joute à ces jeûnes corporels la mortification
de l'esprit et du cœur; que je sois doux,
humble, patient dans les contradictions, les
peines, les douleurs qu'il vous plaira m'en-
yoyer, afin qu'ayant porté ma croix (tous les
jours avec vous et vous avoir suivi constam-
ment sur le Cavaire, m'y être immolé avec
vous, je ressuscite aussi avec vous.
Quelle idée avons-nous de la mort et de la
résurrection de Jésus-Christ dans les jeûnei
établis pour nous préparer à célébrer ces
grands mystères, si nous négligeons cette
prière ?
CHAPITRE XIII.
Les chrétiens pénitents dans le carême doi-
vent se faire un devoir d'assister tous les
jours à la messe et aux instructions.
Quoi de plus capable d'exciter l'ardeur, la
confiance, l'amour des chrétiens pénitents
dans ce saint temps, que le sacrifice de nos
autels; c'est là où ils trouvent une victime
qui a tout ce qu'il faut pour apaiser le Dieu
qu'ils ont offensé; c'est là où coule un sang
précieux, efficace, dans lequel ils peuvent
laver et purifier leurs âmes; c'est là un trône
de clémence et de miséricorde, dont ils peu-
vent approcher avec confiance.
Là Jésus-Christ s'immole pour eux, s'of-
fre pour eux, prie pour eux. Ah 1 ne serait-
ce pas vouloir se priver des grâces les plus
précieuses, des secours les plus efficaces, du
plus grand de tous les biens, que de négli-
ger d assisterions les jours de la quarantaine
à ce sacrifice de propitiation?
Si vous commencez, pénitents du carême,
à aimer Dieu comme source de toute justice,
votre cœur ne vous fera-t-il pas voler à ce
nouveau Calvaire où se renouvelle tous Icj
jours le sacrifice de la croix? N'y frapj erez-
vous pas votre poitrine avec douleur, comme
ces hommes touchés des prodiges qui s'opé-
rèrent à la mort rie l'IIomme-Dieu? N'y pa-
raîtrez-vous pas baignés de vos pleurs comme
les saintes femmes qui se tenaient au pied de
la croix? N'y implorerez-vous pas la miséri-
corde de votre Dieu avec le criminel péni-
tent ?
Que vous vous privez de grâces, de secours
en vous privant d'assister à la messe I Que
voulez-vous que je pense de vos jeûnes-, de
vos abstinences, en voyant votre indifférence
pour le sacrifice de nos autels?
Est-il possible que vous ne puissiez pas
vous dérober quelques moments pour courir
à la source des grâces ? Est-il | ossible qu'une
action si sainte, qu'un spectacle si touchant
pour la piété, ne fassent aucune impression
sur un cœur pénitent?
Ah I retranchez de votre sommeil, retran-
chez vos amusements, vos récréations or-
dinaires, manquez plutôt à ces visites de
cérémonie, ne donnez pas tant de temps à ces
conversations au moins inutiles, supprimez
ces lectures qui ne font que vous amuser,
faites-vous un plan dans ce saint temps de
pénitence, qu'il n'y ait aucun moment pour
le plaisir, le jeu, le monde dans fordre lu
jour, et les moments qu'il vous faut pour
assister au saint sacrifice de la messe tien-
dront le premier rang dans la distribution de
votre temps.
Comme il n'y a point d'endroit, de moment
où le pécheur contrit, touché de fes péchés,
puisse plus sûrement et plus efficacement
demander et obtenir miséricorde qu'au pied
de l'autel, et dans le temps que Jésus-Christ
433
ORATEURS SACRES. BALLET.
484
s'offre à son Père pour être notre victime;
on peut dire que les chrétiens, qui négligent
pendant la pénitence solennelle du carême
d'assister à la messe, ne sont point de sin-
cères pénitents, puisqu'ils sont indifférents
pour un Dieu qui s'immole et prie pour eux.
Je ne suis pas étonné que des chrétiens
indifférents pour le sacrifice de nos autels,
le soient aussi pour la parole de Dieu qui
s'annonce tous les jours dans le saint temps
du carême, ou qu'ils ne l'entendent que par
curiosité et sans en tirer aucun fruit.
L'Eglise multiplie les instructions dans le
saint temps du carême ; les hommes aposto-
liques se répandent dans tous les lieux; les
trompettes évangéliques se font entendre
tous les jours; les chaires chrétiennes sont
remplies; le zèle des pasteurs s'accommode
aux heures et aux lumières de leurs ouailles ;
il y a des instructions pour les ouvriers et
les pauvres, il y en a pour les grands et les
riches. L'Evangile est annoncé sans art et
avec simplicité aux premiers, il est annoncé
avec tous les charmes de l'éloquence et de
l'érudition aux seconds. Il y a des orateurs,
il y a des apôtres ; on a égard à la délicatesse
du. savant, on descend jusqu'à la simplicité
avec les ignorants; peut-on une plus grande
condescendance?
Ah ! chrétiens, répondez donc dans ce saint
temps au zèle de l'Eglise votre mère, allez
avec docilité dans le saint temple écouter les
apôtres que la Providence vous envoie ; suivez
pendant la sainte quarantaine ce cours d'ins-
tructions précieuses; choisissez l'heure com-
mode à votre état, à vos obligations; atta-
chez-vous au prédicateur qui vous touche le
plus, et non pas à celui qui vous flatte davan-
tage; faites un amas précieux de toutes les
vérités que vous entendrez; conservez-les
dans votre cœur et mettez-les en pratique,
car le bonheur d'un chrétien ne consiste pas,
dit Jésus-Christ, à entendre la parole de Dieu,
mais à la pratiquer : Beati qui audiuni et
custodiunt verbum Dei. (Luc, XL)
Ah! quel sujet n'avons-nous pas de gémir
sur le coupable abus qu'on fait aujourd'hui
de la sainte parole pendant la sainte qua-
rantaine; on voit des schismes, des divi-
sions à l'occasion des prédicateurs ; on les
cite au tribunal de la délicatesse de l'esprit
du siècle, de la plus sévère critique : les
uns se déclarent pour Paul , les autres
pour Apollon, ceux-ci pour Céphas; il
se forme des cabales pour annoncer, accré-
diter, porter certains apôtres; il s'en forme
pour obscurcir les talents , empêcher les
succès des autres; on ne s'attache qu'aux
grâces ou aux défauts de l'orateur chrétien,
on ne retient que les portraits qui retracent
les défauts des autres, on ne retient rien
pour soi. Aussi la précieuse semence tornbe-
t-elle pendant la sainte quarantaine presque
toujours dans les pierres, dans les épines et
sur des grands chemins ; c'est-à-dire dans
des cœurs durs, attachés aux richesses, dis-
sipés; il n'y a qu'un petit nombre de chré-
tiens pénkents qui en profite dans ce saint
teta-.'j de carême, et qui console l'Eglise par
leur assiduité au saint sacrifice et à la pré-
dication.
CHAPITRE XIV.
Les chrétiens, qui veulent tirer du fruit de la
pénitence du carême , doivent commencer
par se réconcilier avec leurs ennends.
Qu'est-ce qu'un chrétien pénitent? C'est
un homme qui sent tout le poids de son
péché, qui en connaît toute l'énormité, qui
en gémit, le déteste, veut l'expier par ses
pleurs, sa douleur, ses jeûnes, ses mortifica-
tions, ses prières; c'est un homme qui se pré-
sente devant l'Etre suprême qu'il a offensé,
outragé par ses infractions, ses révoltes, qui,
le cœur contrit, humilié, déchiré de douleur,
implore sa clémence, sa miséricorde ; le con-
jure de ne point entrer en jugement avec
lui, de suspendre sa foudre, de lui pardon-
ner, d'accepter son repentir et les faibles
satisfactions d'une créature qui a offensé soa
Créateur.
Qu'est-ce qu'un chrétien qui entre dans ift
carrière de la pénitence quadragésimale?
C'est un homme qui veut par ses mortifi-
cations unies à la pénitence des justes, aux
prières de toute l'Eglise gémissante et dans
le deuil, se préparer à célébrer avec fruit les
grands mystères de la mort et de la résurrec-
tion de Jésus-Christ. Or, que penser de la
pénitence d'un chrétien qui, dans le saint
temps du carême, refuse de se réconcilier
avec ses ennemis, ne veut point pardonner,
ferme son cœur à son frère, et qui, bien loin
de faire les avances commandées par Jésus-
Christ, se refuse obstinément à toutes les
voies de réconciliations que lui fraye le zèle
de ses amis. Ah ! je dirai que sa pénitence
est fausse, inutile; que ses jeûnes, ses morti-
fications, ses prières, ses aumônes, ses lar-
mes, ne suppléeront jamais à la charité qui
lui manque, et que Dieu ne lui ouvrira jamais
son cœur tant qu'il fermera le sien à son
frère.
Quatre choses doivent confondre les chré-
tiens qui comptent sur leurs jeûnes, leurs
mortifications , leurs bonnes œuvres dans la
sainte quarantaine, malgré leur haine, ou au
moins leur froide indifférence pour ceux qui
les ont offensés : 1° leurs péchés; 2° les peines
que méritent leurs péchés ; 3" la miséricorde
qu'ils implorent; h" les mérites de Jésus-
Christ sur lesquels seuls ils doivent mettre
leur confiance.
Le chrétien jeûne, se mortifie pour expier
ses péchés; mais quels sont ces péchés? Dos
infractions de la Loi d'un Dieu qui com-
mande et qui veut être obéi. Péchés de com-
mission, péchés d'omission. 'Vous avez fait
ce qu'il vous a défendu ; vous n'avez pas fait
ce qu'il vous a commandé. Cet être infini a
été outragé par vos actions criminelles et
par vos coupables négligences; il ne voit en
vous que les vices qui irritent son courroux ;
il n'y voit point les vertus qui méritent sa
clémence. Que deviendriez-vous donc, s'il
vous fermait son cœur, comme vous fermez
le vôtre à votre frère , s'il n'accordait pas le
pardon à votre repeiitir, à vos pleurs, à vos
185
INSTRUCTION SUR LA PENITENCE DU CAREME. — CHAP. XV.
CHAPITRE XV.
4SG
prières dans ce saint temps, parce que vous
ne voulez pas l'accorder aux sollicitations,
aux avances de ceux qui vous ont offensé?
Êtes-vous, néant révolté, cendre et poussière,
à l'égard de votre frère, ce que Dieu est au
vôtre? Sa faute égalet-elle l'énormité et la
multitude de vos crimes ? Et un seul attentat
contre la majesté divine, ne devrait-il pas
vous faire oublier les plus sanglants ou-
trages?
Pouvez-vous penser aux peines que mérite
un seul de vos péchés sans frémir? 11 mé-
rite l'enfer, un feu vengeur éternel. Dieu
punit en Dieu; vous ne pouvez vous venger
qu'en homme faible , impuissant, injuste, à
qui l'autorité manque, et qui n'a souvent que
la volonté de nuire, d'humilier, de perdre
un ennemi. Ah 1 comment un coupable qui
mérite des supplices éternels, peut-il re-
noncer à la clémence, quand il s'agit de par-
donner des fautes que l'intention peut jus-
tifier, ou du moins que la seule sensibilité
trouve inexcusable? Vous implorez la misé-
ricorde du Seigneur tous les jours dans ce
temps de carême.
Seigneur, dites-vous avec l'Eglise, usez
de clémence envers des coupables proster-
nés à vos pieds dans la douleur et le repen-
tir; oubliez ces crimes et ces iniquités dont
nos âmes sont souillées ; arrêtez le bras ven-
geur de votre justice prêt à nous punir; ne
laites éclater sur nous que les effets de votre
bonté paternelle; faites briller '.ù gloire de
votre nom par des excès de clémence ; ne
faites point briller votre justice par des excès
de sévérité.
Or, quelle monstrueuse contradiction!
Demander miséricorde et ne point vouloir
en user envers les autres; demander qu'on
vous remette beaucoup et ne point vouloir
remettre peu; prétendre toucher le cœur de
Dieu, pendant qu'on ne peut pas toucher le
nôtre; espérer qu'il oubliera des crimes
énormes, lorsque nous ne voulons pas ou-
blier des fautes légères! Concevez, s'il se
peut, faux pénitents du carême, votre aveu-
glement.
En vain mettez-vous votre confiance sur
les mérites infinis et efficaces du Sauveur im-
molé pour nous sur la croix. Son sang a été
répandu pour ses bourreaux comme pour
les autres ; il est répandu pour celui que vous
haïssez comme pour vous. Jésus lui offre
une place dans son cœur comme à vous, et
son sang n'effacera pas vos péchés, si la cha-
rité n'efface pas dans votre cœur jusqu'aux
traces du ressentiment. Remettez, on vous
remettra.
Ne comptons pas sur nos jeûnes, nos abs-
tinences et tout l'appareil de pénitence , si
en commençant la sainte quarantaine nous
ne sommes pas réconciliés avec nos enne-
mis. C'est pour nous y engager que l'Eglise
nous fait lire le troisième jour l'Evangile où
ce précepte est solennellement intimé.
Les motifs qui doivent porter les chrétiens à
pratiquer avec zèle la sainte pénitence du
carême.
La loi expresse de l'Eglise nous oblige au
jeûne et à l'abstinence, à moins que des in-
lirmités réelles ne vous en dispensent. Nous
devons obéira l'Eglise.
Toutes les plaies que nous avons faites à
notre âme dans le cours de l'année , toutes les
taches dont, elle est souillée exigent néces-
sairement que nous prenions un temps pour
la purifier de toutes ses souillures. Malheur
à celui qui, par délicatesse pour son corps,
laisse son âme dans la mort du péché et tou-
jours souillée des traces du péché!
L'exemple de toute l'Eglise, des justes, des
chrétiens pénitents dans la sainte quaran-
taine, doit nous animer à la pénitence pu-
blique. Malheur à celui qui refuse de s'affli-
ger avec les justes et qui se range du côté
des pécheurs délicats et infracteurs !
La loi qui nous est imposée, les péchés
que nous avons à expier, les modèles que ce
saint temps nous présente : voilà les motifs
qui doivent nous faire embrasser avec zèle la
sainte pénitence du carême : tout doit con-
fondre , faire rougir les chrétiens qui s'en
dispensent.
La loi de l'Eglise, sur la pénitence du ca-
rême, est une loi solennellement annoncée,
et toujours en vigueur: elle a été vengée
dans tous les temps, par les conciles, les
saints docteurs, les édits des princes catho-
liques, des atteintes que l'hérésie licencieuse
a voulu lui donner. C'est une loi dont l'in-
fraction est suivie de la mort de l'âme : c'est
une loi qui annonce tout à la fois l'autorité ,
la charité et la tendresse de l'Eglise ; son
autorité qu'elle tient de Jésus-Christ son
Epoux; sa charité qui s'occupe toujours de
notre salut, sa tendresse qui dispense des
rigueurs de cette pénitence les infirmes qui
ne peuvent point absolument les prati-
quer.
Or, toutes ces vérités une fois bien com-
prises , comment excuser les infracteurs de
la sainte pénitence du carême? Excusera-t-on
des hommes rebelles qui méprisent une au-
torité divine? car, selon l'Evangile, c'est
mépriser Jésus-Christ que de mépriser son
Eglise ; c'est refuser de l'écouter , quand on
ne l'écoute point (Luc, X) ; et l'on doit,
selon lui, mettre au nombre des publuams
et des païens ces contempteurs de ses lois,
au lieu de les compter parmi ses enfants.
{Math., XVIII.) .
Excusera-t-on des cœurs impénitents, des
pécheurs qui ne veulent point guérir; qui
refusent les remèdes les plus salutaires et
les plus efficaces, et qui ne veulent, ni se
relever de leurs chutes, ni se précautionner
contre celles dont ils sont menacés , qui se
plaisent sous l'empire du démon , et qui ne
pensent pointa se réconcilier avec leur Dieu
irrité de leurs iniquités multipliées ?
Excusera-t-on des délicats, qui, n'ayant
w
ORATEURS SACRES. BALLET.
438
point les infirmités réelles, pour lesquelles
l'Eglise a tant d'indulgence , ont recours à
des prétextes frivoles, pour violer tranquil-
lement sa sainte loi?
Ah! à Dieu ne plaise qu'on justifie ces
coupables infracteurs. Ils sont dans un état
de mort, parce que la désobéissance à la loi
de l'Eglise a souillé leurs âmes.
O mon divin Sauveur 1 votre Epouse parle,
commande : j'obéirai, je me rangerai avec
ses enfants soumis dans ce saint temps, pour
pratiquer toutes les mortifications dont je
suis capable. La loi de votre Eglise, mes
fléchés sont de puissants motifs pour me
faire embrasser cette pénitence publique.
Que de fautes ne commettons-nous pas dans
le .-ours de l'année? Que de plaies faites à
notre âme dans le commerce du monde? Que
d'indulgences pour une chair de péché? Que
rie taches dans un cœur qui doit être à Dieu?
Or, dit saint Léon (serin. 4 De Qundraq.) , si
nous ne sommes point capables de cette aus-
;érité continuelle de certains justes, embras-
sons du moins avec ferveur la sainte péni-
tence du carême pour nous purifier de nos
péchés ; et quand nos âmes ne seraient pas
blessées mortellement, pensons qu'il est né-
cessaire d'effacer par des jeûnes, des prières
et des larmes, les taches qui souillent les
:œurs des justes, les traces que le péché y
laisse , et tout ce que le commerce , les solli-
citudes, les images du monde y ont intro-
duit d'impur cl de criminel.
Oui, mon Dieu, le besoin que j'ai de pu-
rifier mon cœur, d'expier une multitude de
fautes commises dans le cours de l'année ,
me fait embrasser avec joie et avec ferveur
la sainte pénitence de l'Eglise. Je vais m'ef-
forcer d'imiter tous les modèles de pénitence
que j'ai sous mes yeux, malgré la corruption
de notre siècle.
David , lorsqu'il était un modèle de la fai-
blesse humaine, comme il a été un modèle
de la pius sincère pénitence , exhortait le
fidèle Urie revenu du combat, à aller goûter
avec son épouse les douceurs du repos et de
la société; mais ce brave soldat lui répondit:
à Dieu ne plaise, prince, que je vive ainsi
délicatement. Joab, mon général, habite
sous une tente rustique: toute l'armée d'Is-
raël est dans la campagne exposée à toutes
les rigueurs de la faim, de la soif et de la
mort : Nonfaciem rem liane, (il Req., XI.)
Ah 1 voilà ce que devrait se dire un chré-
tien, dans la sainte quarantaine, pour s'en-
courager à la pénitence uJesus-Christ , mon
divin chef, prend la route du Calvaire pour
s'immoler : toute l'Eglise est en deuil: tant
de religieux et de religieuses augmentent
leurs austérités : tant de grands, de riches ,
de savants, de chrétiens de tous les états,
ieûnent, se mort fient; et moi je n'aurai pas
le courage do les imiter? Chrétien comme
eux , je les regarderai combattre du sein de
la mollesse? Ils seront pénitents, et je serai
délicat? Ah 1 il n'en sera pasainsi; je ne ferai
pointée que la délicatesse demande :jY<m
fticuiv rem hanc.
Voilà les motifs qui doivent animer les
chrétiens h la pén'lence au carême, oî
confondre les infracteurs de la loi de l'E-
glise.
CHAPITRE XVI.
La cérémonie des cendres doit exciter les
chrétiens à la pénitence du carême.
Quel spectacle plus touchant que celui que
tous les catholiques donnent au monde le
premier jour de là quarantaine ! On les voit
tous prosternés, prier, gémir, pleurer avec
l'Eglise, courber leur tête sous la cendre, et
entendre avec docilité prononcer leur arrêt
de mort, et avec toutes les suites humiliantes
de leur mortalité.
Là, le ministre, la cendre dans les mains,
prêt à la répandre sur le peuple fidèle ,' dit à
tous ces mortels, sans distinction : N'oubliez
pas que vous n'êtes qu'un vil amas de pous-
sière, et que bientôt vous retournerez en
poussière : Mémento, homo , quia pultis es .
et in pulverem revrrteris. (Gcn. , III.)
Il le dit à la brillante jeunesse ainsi qu'à
la languissante vieillesse , aux riches comme
aux pauvres, aux savants comme aux igno-
rants, aux monarques comme aux sujets. Le
tombeau s'ouvre pour tous également; nous
y descendons, nous y pourrissons, et nous
y sommes enfin réduits en un petit amas do
poussière: Mémento, homo, quia pulvis es,
et in pulverem reverlcris.
Mais si tous les catholiques se soumettent
à cette humiliante cérémonie, tous ne sai-
sissent point l'esprit de l'Eglise qui l'a insti-
tuée.
On se prosterne sans recueillement ; on
récite les psaumes les plus touchants sans
componction; on implore la miséricorde de
Dieu, sans se mettre en peine de l'obtenir;
on le conjure d'avoir égard aux larmes, aux
jeûnes, aux mortifications qui vont former
ta pénitence du carême ; et le grand nombre
n'aura ni larmes sincères, ni jeûnes intè-
gres, ni privations volontaires à offrir à Pâ-
ques. On veut bien entendre prononcer l'ar-
rêt de sa mort; mais, comme le moment de
l'exécution est inconnu, on se le représente
comme dans un lointain : il ne fait aucune
impression. On veut bien se laisser répan-
dre un peu de cendre sur la tête ; niais ce
symbole de notre misère, de notre néant,
n'humilie pas les beautés fières, les riches
orgueilleux, les savants entêtés, les grands
enflés de leurs titres, les pécheurs audacieux
dafis le crime : il ne détache point le cœur
des vanités, des richesses, des louanges, de
l'élévation, des plaisirs; c'est une cérémonie
stérile pour la plupart des chrétiens.
Plusieurs y viennent en sortant du sein
des divertissements, fatigués des excès du
plaisir, abattus et comme tristes de voiries
jours de dissolution écoulés.
Grand Dieu! quelle préparation à la péni-
tence! quelle différence entre l'esprit de
1 Eglise et l'esprit des enfants du siècle 1
L'tëglise, dans ce jour, rappelle à ses en-
fants l'appareil lugubre des pénitences pu-
bliques du peuple de Dieu, les saintes ri-
gueurs qu'elle exerçait sur les pécheurs qui
IS9
INSTRUCTION SUR LA PENITENCE DU CAREME. — CIIAP. XVII.
490
se soumettaient à la pénitence publique; les
images de la mort, la clémence du Seigneur,
les souffrances de Jésus-Christ. La solennité
pascale peut-elle leur offrir de plus grands
objets, pour les porter à la pénitence du ca-
rême?
Quel fut l'appareil extérieur des péni-
tences publiques dans l'Ancien Testament?
Le sac, la cendre, le ciliée. Soit que nous
nous rappellions la pénitence de toute une
ville, soit que nous ne nous arrêtions qu'à
celle d'un seul pécheur, nous voyons ces
dehors lugubres et humiliants présider à la
pénitence. Le sac, la cendre, le cilice, de-
viennent les ornements des Ninivites, et font
la pompe de David : quand la justice de Dieu
voyait le cœur humilié et contrit, elle s'apai-
sait, et faisait place à sa clémence.
Autrefois l'Eglise mettait les pécheurs
solennellement en pénitence le premier jour
de la quarantaine; mais comment parais-
saient-ils devant l'évèque qui faisait celte
cérémonie? revêtus de cilices, couverts de
sacs et de cendres, baignés de leurs pleurs,
et disposés à satisfaire selon leurs forces à
la justice divine; alors ils étaient condamnés
aux jeûnes, aux humiliations, aux gémisse-
ments, et différés jusqu'au jeudi saint pour
leur réconciliation.
C'est pour retracer à ses enfants cette an-
cienne pénitence, que l'Eglise fait dans ce
jour la cérémonie dos cendres, et que
ses ministres prient entre le vestibule et
l'autel pour le retour des pécheurs à Dieu.
En leur montrant les restes humiliants de
ce corps qu'on délicate, qu'on souille, et
que l'on fait servir au crime; en leur mon-
trant Jésus-Christ dans la route du Calvaire,
et leur l'appelant sa mort douloureuse sur
la croix; en leur annonçant les saintes so-
lennités pascales, auxquelles nous né pou-
vons participer sans avoir avant participé
aux souffrances du Sauveur, n'est-ce pas
leur dire que le temps du carême doit être
pour eux un temps de deuil, de larmes, de
jeûnes, de privation et d'une amère péni-
tence.
Or, l'Eglise rappelle à ses enfants tous ces
grands Objets le premier jour de la quaran-
taine. C'est donc faute d'entrer dans son es-
prit que l'on se forme une fausse idée de la
pénitence du carême, qu'on ne la fait con-
sister que dans quelque privation qui ne
mortifie ni le corps, ni le cœur, ni l'esprit;
qu'on se dispense même, sans infirmités
réelles, du jeûne et de l'abstinence, et qu'on
est dans ce saint temps comme dans les au-
tres, sensuels, délicats, dissipés, licencieux,
livrés au monde, à ses plaisirs, et l'esclave
de ses tyranniques usages.
Pénétrez donc l'esprit de l'Eglise dans la
cérémonie des cendres. Regardez avec les
yeux de la foi les autels dépouillés de leurs
ornements, les ministres et le peuple pros-
ternés. Méditez ces prières que l'on récite,
les grâces que l'on demande, les promesses
que l'on fait; et, si vous ne vous soumettez
pas avec zèle à la pénitence du carême, vous
Oratecks sacrés. L.
n avez
bler.
qu'une foi morte, vous devez trem-
CHAPITRE XV li
L'exemple de Jésus-Christ, pénitent dans le
désert, doit animer les chrétiens ù la sainte
pénitence du carême-.
Nous devons faire attention à quatre cho-
ses qui éclatent dans la pénitence de notre
divin Sauveur; le lieu qu'il choisit pour
pratiquer le jeûne; la longueur de son
jeûne ; les artifices que le démon emploie
pour le tenter; les armes dont il se sert pour
le terrasser et en triompher.
C'est dans le désert que ce chef de tous les
pénitents se retire pour ce grand jeûne qui
nous est marqué dans l'Evangile; le Saint-
Esprit qui procède de lui comme de son
Père, l'y conduit : là, dans les horreurs de la
solitude, éloigné de la vue des mortels et du
tumulte du siècle, dans la compagnie des
bêtes sauvages, ce Dieu éternel,
saut, revêtu de notre chair
chargé
tout-puis-
de nos
iniquités, s'offre à son Père comme un péni-
tent qui doit apaiser sa colère, qui a des
fautes à expier, des dangers à éviter, des
précautions à prendre.
O mon divin Sauveur 1 pourquoi fuyez-
vous le monde? Vous êtes venu pour le
sanctifier; vous convertissez les pécheurs ;
vous mettez en fuite les démons; vous dé-
veloppez les consc iences ; vous manifestez
tous les mystères d'iniquités cachés dans les
cœurs des pharisiens ; vous communiquez
la grâce, la sainteté à tout, et rien, dans le
monde le plus corrompu, le plus séduisant,
ne peut obscurcir la beauté toute divine uo
voire âme.
O sagesse éternelle ! avez-vous besoin,
comme nous, de recueillement, de retraite,
de calme pour vous tracer un nouveau plan
de vie, prendre de nouvelles résolutions,
ranimer la ferveur, sonder les plaies du
péché? Et c'est vous, ô divin Jésus! qui
avez les clefs de la vie et de la mort, c'e. t
vous qui ôtez les péchés, c'est vous qui ve-
nez en détruire l'empire.
C'est donc pour nous servir de modèle,
que vous joignez la retraite au jeûne? Les
actions que vous pratiquez comme homme,
sont des leçons que vous nous donnez ; vos
serviteurs îidèles, ô divin chef des péni-
tents ! ont marché sur vos traces : les Paul,
les Antoine, les Pacôme, les Hilarion et
cette foule innombrable d'anachorètes qui
ont peuplé l'Orient et rendu célèbres ses
déserts les plus affreux, se sont dérobés au
monde et ensevelis dans l'épaisseur des fo-
rêts, pour ne vaquer qu'à la contemplation
des choses divines.
Malgré la corruption de notre siècle, que
d'âmes fidèles et craintives se dérobent au
commerce le plus innocent des créatures
pendant cette sainte quarantaine! Quel -re-
cueillement dans les cloîtres! Quel calme
dans les familles chrétiennes ! Les visites,
les assemblées, le jeu, sont supprimés.
En vain compte-t-on sur le jeûne que l'on
pratique dans ce saint temps, si on est dis-
16
*<îi
ORATLLT.S SACRES. BALLET.
iH
sipé, agité, répandu dans lo monde comme
à l'ordinaire. La pins solide piété souffre
toujours un grand déchet dans le commerce
des créatures ; l'innocence y fait toujours
quelque perte ; la charité s'y refroidit ; le
cœur y reçoit quelques coupables impres-
sions ; l'âme y devient au moins languis-
sante. 11 faut donc, pour remédier à ce dé-
chet de la vertu, réparer ces pertes spiri-
tuelles, rallumer ce feu sacré qui s'éteint,
préserver son cœur des engagements qui le
flattent, guérir la langueur de son âme, se
retirer à l'écart, se faire une solitude dans
le monde même, y écouter lEsprit de Dieu
qui y conduit les âmes fidèles et y parle à
Jtiurs cœurs; et sur ces divins oracles médi-
tés dans l'Evangile, réformer le plan de sa
vie, s'en -tracer même un nouveau s'il est
nécessaire et y faire entrer, surtout, tout ce
qui forme soit une- pénitence d'expiation,
soit une pénitence de précaution.
Voilà, chrétiens, qui voulez participer à
la pénitence solennelle du carême, la pre-
mière leçon que "Jésus-Christ vous donna
comme modèle des pénitents; une sépara-
tion du monde, au moins de cœur et d'esprit,
dons ce saint temps.
Le jeûne de Jésus-Christ dans le désert
fut long et rigoureux; il passa quarante
jours et quarante nuits sans boire ni man-
der. Ce divin Sauveur suspendit durant ce
temps sa toute-puissance, pour se livrer aux
besoins de lïiumanité, éprouver les ri-
gueurs de la faim comme homme, se mor-
tifier et se présenter à son Père en qualité
de pénitent.
Moïse et Elie avaient jeûné le même
nombre de jours dans l'ancienne loi ; sur
quoi il est bon de savoir :
1° Que Jésus-Christ souffrit plus dans son
long jeûne, que ces deux héros de la loi et
des prophètes, parce qu'ils étaient soutenus
par une puissance divine qui suspendait les
nécessités du corps. L'homme, sans ce se-
cours divin, ne pouvant pas être si long-
temps sans manger, c'est par un pareil
prodige que certains saints dont Thistoire
ecclésiastique nous atteste un jeûne aussi
surprenant, passaient le saint temps du ca-
rême sans boire ni manger; mais Jésus-
Clirist se livrait aux rigueurs de la faim vo-
lontairement, et suspendait pour cela toute
la puissance qu'il avait comme Dieu.
2° Que Jésus-Christ ne jeûna que le nom-
bre de quarante jours, comme Moïse et Elie,
p^ur cacher sa divinité, ne point paraître
au-dessus d'eux : car il aurait pu jeûner
plus longtemps et d'une manière plus sin-
gulière; mais il agit comme homme alors,
et comme notre modèle. C'est pour imiter,
autant qu'il est possible à la faiblesse hu-
maine, ce jeûne du Sauveur, marcher sur
les traces de ce divin pénitent, que l'Eglise
naissante instruite parles apôtres, observait
ce nombre de jeûnes, disent les saints doc-
teurs.
O divin chef des pénitents ! c'est donc sur
VOS traces que je marche quand j'entre dans
la carrière de la pénitence du carême, que
je jeûne, que je me mortifie: soutenez ma
faiblesse, agréez mes faibles efforts, sancti-
fiez mes jeûnes en purifiant mon cœur des
taches que le péché y a laissées. Quoi de plus
capable d'animer les chrétiens à la péni-
tence que celle d'un Dieu fait homme !
Mais le monde nous tente dans le saint
temps du carême : le démon a ses suppôts
qui s'approchent de nous après quelques
jours de jeûnes, d'abstinences, et qui nous
disent: pourquoi altérer votre santé, vous
exposer à des infirmités? Le Seigneur ne
demande point ces austérités ; cette pratique
est bonne pour les cloîtres: elle n'est point
d'institution divine; il faut laisser cette pé-
nitence à ceux qui ne sont point utiles et
nécessaires comme vous à une famille, à la
société: rompez sans scrupule ces jeûnes,
ces abstinences cpii vous échauffent et pré-
judicient à votre santé. Ainsi parlent les
mondains, ils tiennent le langage du démon
qui s'approcha du Sauveur dès qu'il eut
faim, et le sollicita défaire un miracle pour
changer les pierres du désert en pain • Die
ut lapides isti panes fiant. (Matlh., IV.) Mais
l'Homtne-Dieu, qui n'a voulu être tenté au
dehors, dit saint Augustin (in psal. XC),
que pour nous fournir des armes victorieuses
contre le tentateur, nous fournit la réponse
que nous devons faire à ceux qui veulent
nous porter à l'infraction de la loi zScrîptum
est, il est écrit, vous obéirez à l'Eglise, vous
observerez ce qu'elle vous ordonnera; c'est
désobéir à Dieu que de lui désobéir; c'est
donner la mort à son âme que de violer ses
préceptes : Scriptum est. Le jeûne du carême
est un précepte solennellement intimé à tous
les fidèles catholiques : la loi de l'abstinence
est publiée; tous les justes s'y soumettent.
Ah ! à Dieu ne plaise que je m'en dispense
sans une infirmité réelle : la morale des
mondains sur la pénitence du carême mo
fait sécher de douleur; elle ne me séduit
point; l'exemple de mon Sauveur m'anime;
sa grâce mesoutiendra; sa bonté suppléera a
l'imperfection de ma pénitence.
CHAPITRE XVIII.
L'exemple (le Jésus -Christ souffrant doit
animer les chrétiens à la péniknee du
carême.
Tous les excès de douleur auxquels
l'Hommc-Dieu a été livré dans sa passion,
est le grand objet qui occupe l'Eglise dans
toute la sainte quarantaine : elle quitte ra-
rement son deuil pendant tout le temps qui
précède la mort de son divin Epoux , il faut
une grande solennité; elle remet à célébrer
avec joie les jours consacrés h la mémoire
de ses héros après la solennité pascale. Tou-
jours triste, dans la douleur, pénétrée de ce
que l'amour immense d'un Dieu lui a fait
souffrir pour l'homme, elle ne cesse de re-
présenter à ses enfants le grand spectacle
du Sauveur expirant sur la croix pour nos
péchés.
C'est pour cela que, dès le vie siècle, il ù\i
ordonné qu'on ne célébrerait pas dans le ta-
tas
INSTRUCTION SUR LA PENITENCE DU CAREME. — CHAP. XIX.
«4
sème les fêtes des martyrs, qu'elles seraient
remises; que le sacrement de mariage, éta-
bli pour sanctifier une union innocente et
légitime, ne serait pas non plus administré
dans ces jours de pénitence, afin que les
fidèles ne soient occupés que du touchant
spectacle du Calvaire (52).
C'est pour cela que dans le onzième sy-
node de Milan, on ordonne de célébrer, sur-
tout les vendredis de carême, des offices qui
retracent aux fidèles les excessives douleurs
que Jésus-Christ a souffertes pour nous dans
sa passion, afin de toucher leur cœur, de les
porter à la componction, et à répandre des
larmes d'une salutaire pénitence (53).
C'est pour suivre cet esprit que l'Eglise a
fait connaître dans tous les siècles, que celle
de Paris a institué une fête pour honorer les
cinq plaies du Sauveur le premier vendredi
de la quarantaine, et composé un office très-
touchant et très-consolant pour les pécheurs
pénitents, qui trouvent dans ces plaies ado-
rables un asile et des secours efficaces pour
obtenir la grâce de leur réconciliation.
Or, il ne suffit pas que les chrétiens con-
naissent i'espriï de l'Eglise sur la pénitence,
il faut qu'ils le suivent et en tirent le fruit
que cette tendre mère se propose. Us paraî-
traient aussi en vain touchés, attendris de
l'appareil triste et lugubre qu'elle expose à
leurs yeux dans ce saint temps, du récit
qu'elle leur fait des douleurs du Calvaire. Ils
répandraient aussi inutilement des larmes,
lorsqu'on expose à leurs yeux Jésus attaché
à la croix, ou qu'un prédicateur zélé, éloquent
leur retrace tout ce qui s'est passé dans le
jardin des Oliviers, dans les tribunaux de la
Synagogue, et sur le Calvaire. Si leur cœur
n'est pas touché, pénitent, ce divin Jésus
agonisant ce divin Jésus outragé, ce divin
Jésus expirant sur la croix, leur dit encore
comme aux femmes de Jérusalem, Ne pleu-
rez point sur moi, mais sur tous [Luc. XXIH).
C'est le péché que je me suis chargé d'expier
qui me fait boire jusqu'à la lie le calice d'a-
mertume que mon Père irrité contre la race
coupable, me présente.
Si jesuis abattu dans lejarclin des Oliviers,
si une tristesse mortelle saisit mon âme, si
une sueur de sang couvre mon corps, si j'en-
tre en agonie, c'est que je commence ma pas-
sion par la pénitence du cœur, je me pré-
sente à mon Père comme un pénitent public.
L'horreur du péché, la douleur du péché, la
satisfaction rigoureuse qu'exige le péché;
voilà ce qui me réduit à cette agonie qui
vous touche et vous attendrit. Que me ser-
vent les larmes que vous répandez, si le pé-
ché ne fait pas les mêmes impressions sur
vous ; si vous êtes sans cette douleur, cette
contrition, ce déchirement, cette tristesse
salutaire que doit causer le péché?
La justice divine n'est apaisée, le Père
céleste, offensé par le péché, n'est entière-
ment satisfait que lorsque j'ai expiré sur la
croix et répandu tout mon sang.
C2> Ex Capitulis sancti Martini Bracarénsis epi-
scopi ante aniium 580, cap. 48.
Or, concevez-vous une juste idée du pé~
ché, de l'outrage qu'il fait à la divinité, âô
la réparation qu'il exige lorsque vous vous
attendrissez sur mes souffrances sans détes-
ter, sans pleurer, sans expier vos péchés; en
me voyant sur la croix expirant pour votre
réconciliation, entrez-vous dans des senti-
ments de pénitence et de componction,
comme ceux qui descendirent du Calvaire,
le cœur brisé de douleur, et en frappant ru-
dement leur poitrine? Si vous vous couron-
nez de Heurs sous un chef [courouné d'épi-
nes; si vous êtes un membre délicat sous un
chef crucifié; si vous prétendez me suivre
dans le triomphe de ma résurrection en m'a-
bandonnant dans la route des souffrances;
si vous espérez arriver au ciel par cette route
commode, aisée, qui ne gêne point la nature,
ne la met point h l'étroit, vous êtes dans
l'erreur et l'aveuglement.
Rien de plus efficace pour nous porter
dans ce saint temps de carême à toute la sé-
vérité dont nous sommes capables, pour nous
faire renoncer à celte délicatesse qui fournit
tant de fausses excuses, tant de prétextes fri-
voles pour se dispenser de la pénitence du
carême, que la méditation des mystères du
Calvaire : au pied de la croix, on rougit non-
seuleraent des infractions volontaires, mais
des adoucissements les [dus légers.
CHAPITRE XÏX.
Les chrétiens doivent moins redouter les ri-
gueurs de la pénitence du carême que les
révoltes d'une chair bien nourrie et délica-
tée.
Si l'on avait une foi vive; si l'on pensait
du salut comme on doit en penser; si l'on
redoutait la perte des biens éternels ; si l'on
faisait attention à ses faibles, à ses penchants,
aux combats que le corps livre sans cesse à
l'esprit, une pénitence aussi adoucie qu'est
présentement celle du carême n'aurait rien
de rigoureux et d'effrayant aux yeux des chré-
tiens raisonnables.
D'où viennent donc ces alarmes aux appro-
ches de la quarantaine ? Ces soins excessifs
de sa santé, ces craintes pour tout ce qu'on
s'imagine l'altérer? D'où vient, dans ce saint
temps, que l'on trouve dans son tempérament
tant de faiblesse après avoir été assez robus-
te pour soutenir de longs repas, de longues
séances de jeu, le tumulte des assemblées
nocturnes, des bals, des spectacles et de
tous les plus indiscrets et les plus fatigants
plaisirs.
Ahl c'est qu'on ne considère dans la péni-
tence que ce qu'elle a de mortifiant pour la
nature corrompue : on ferme les yeux aux
douceurs qu'elle répand dans l'âme ; on voit
la croix, dit saint Bernard (serm. 2 De dedi-
calione), on en est effrayé, on ne fait point
attention à l'onction qui la fait porter avec
allégresse : Crucem videntes , sed non un*
ctionem.
(ï>3) Ex synodo dicecesana Mediolaner.si unc'cci
amto 15S4.
m:
ORATEURS SACRES. BALLET.
C'est donc faute de foi, de réflexion, que
tant de mondains sont effrayés de la péni-
tence du carême ; s'en dispensent sans scru-
pule, sans remords : Hinc mulil abominantur
et fagiunt pœnitcntiam.
Pour vous, mes frères, continue saint Ber-
nard,'courbés avec allégresse sous le fardeau
de la' croix, vous sentez l'onction qui l'ac-
compagne, vous éprouvez les dou eurs qui
consolent l'âme, pendant que les mortifica-
tions abattent le corps, et vous avouez que
nos jeûnes, nos veilles, nos. larmes, nos pri-
vations sont accompagnés de douceur, de
suavités, de consolations qui rendent notre
pénitence délicieuse : Eocperti estis et scitis
quia suavis et delcctabilis est pw.nitenlia
nostra.
Certainement, une pénitence qui abat no-
tre ennemi le [.lus redoutable, qui nous fait
régner sur tous nos sens, qui calme les [las-
sions, a.iaise les révoltes de la chair, lui
dérobe tous les aliments du vice ; une pé-
nitence qui est un glaive victorieux pour
défendre notre innocence, l'entrée de noire
cœur, le trésor de la grâce que nous portons
dans des vases fragiles; une pénitence qui
nous met en état de prier, de méditer, de
mériter des grâces et de travailler efficace-
ment à notre salut, est une pénitence douce
pour des chrétiens qui ont de la foi. Or, tel
est l'avantage de celle que nous pratiquons
dans le saint temps du carême, elle nous
sépare d'un monde profane, elle afflige nos
corps souillés du péché, elle purifie nos
âmes; elle nous dispose à célébrer avec fruit
les grands mystères de notre salut : Suavis
est pœnitentia nostra.
J'entends le grand Apôtre qui dit : je châ-
tie mon corps, je le réduis en servitude (I Cor.
IX), c'est-à-dire, comme il l'explique dans un
autre endroit : Je me livre aux rigueurs de la
pénitence, aux jeûnes, aux veilles, aux lar-
mes, aux privations. Pourquoi ces austérités ?
Il nous l'apprend.
Il craint d'être réprouvé en prêchant les
autres ; il redoute les combats que la chair
lui livre; il ne pense point à conserver un
corps qu'il regarde comme son ennemi ; il
ne s'occupe au'à préserver son âme des coups
mortels qu'iî peut lui porter.
Il n'est point question, pour des chrétiens,
dans ce saint temps, de ces rigueurs exces-
sives de pénitence qui ont immolé tant de
saints; celle du carême adoucie, accompa-
gnée d'indulgence de la part de l'Eglise, n'a
rien d'effrayant ; pourquoi donc alarme-t-
elle dans ses approches presque tous les
chrétiens de nos jours? Voici le mystère :
c'est qu'on n'a presque plus de foi; c'est
que l'incrédulité a fait de funestes progrès;
c'est que l'affaire du salut est regardée
comme la moins importante.
On craint d'altérer sa santé par des jeûnes
faciles à pratiquer, des abstinences passa-
gères, que tant de religieux et de religieuses
soutiennent toute leur vie : et on ne craint
point de l'altérer par une vie de plaisir,
d'excès. Ah I si un esprit d'irréligion ne sug-
gérait pa3 ces prétextes de la santé , on crain-
95
de la bonne
drait plus les suites funestes
chère, des liqueurs, des plaisirs, des veilles,
que la faiblesse prétendue dans laquelle
peut faire tomber la pénitence du carême.
Que devons-nous penser de ces femmes
qui exposent au commencement du caiême
la délicatesse de leur tempérament, qui
semblent à peine pouvoir se soutenir, et
qu'on a vu dans les jours de dissolution, qui
précèdent la sainte quarantaine, voler de re-
pas en repas, de cercle en cercle, de bal
en bal : passer les nuits entières dans le
bruit, le tumulte et sous l'attirail gênant et
incommode des vanités mondaines. Crai-
gnaient-elles alors d'altérer leur santé?
Opposaient-ell-es aux invitations d'un monde
réprouvé, la délicatesse de leur tempéra-
ment ?
Que devons-nous penser de ces personnes
qui ne peuvent point seulement essayer de
la pénitence du carême, parce qu'elles se
sont trop tassées dans les routes de l'ini-
quité; que les excès du plaisir ont étendues
sur un lit de douleurs; qu'une coupable fu-
reur, pour les divertissements, a rendues in-
firmes, et qu'un cœur, toujours attaché au
crime, rend impénitents? Qu'elles sont les
victimes du plaisir et les objets de la colère
de Dieu.
La pénitence du carême n'a pas ces suites
funestes; et c'est à tort que l'on s'effraye de ses
rigueurs apparentes. Son objet n'est pas de
détruire la santé, mais de mortifier un corps
qui se soulève contre l'esprit. On en a plus
vu blanchir dans les jeûnes et à une table
frugale, que dans des longs repas et les dé-
lices recherchées.
Mais faut-il donc ménager la santé, quand il
s'agit d'observer le précepte de l'Eglise, pen-
dant qu'on la prodigue pour suivre les cou-
pables usages du monde? Ne devons-nous
pas plus redouter les révoltes d'une chair
délicatée, que les légères austérités qui la
domptent; le déchet de la vertu, que celui
de la santé ; la perte des forces de l'âme, que
celle des forces du corps?
La beauté, les forces, la vertu des Judith
et des Esther prennent de merveilleux ac-
croissements dans les jeûnes. La valeur, ta
raison, la vie des Balthazar, des Holopherne
disparaissent dans les excès de la table. Une
vie sensuelle est le tombeau de l'inuocence:
une vie pénitente, mortifiée en est la gar-
dienne.
Ne redoutons donc pas les rigueurs de la
pénitence du carême, puis qu'elles sont né-
cessaires, pour triompher des révoltes de
nos sens, et qu'elles sont moins contraires
h la santé que les plaisirs fatigants du
monde.
CHAPITRE XX.
Les chrétiens doivent, en considérant leurs
péchés, embrasser avec ferveur la pénitence
du carême.
Ce sont malheureusement ceux qui ont le
plus de péchés à expier, qui redoutent la
pénitence du carême : ce sont des hommes
sensuels, délicats, accoutumés à satisfaire
197
INSTRUCTION Si'R LA PENITENCE DU CAREME. — CIIÀP. XX.
4? 1
jeurs sens ; qui mettent leurgloire h engrais-
ser un corps de péché; des ennemis de la
croix du Sauveur, cjui se font un Dieu de
leur ventre, comme parle l'apôtre saint Paul ;
des intempérants que de coupables excès
dans le boire et le manger ont souvent ense-
velis dans l'ivresse et fait languir dans la
maladie et les douleurs.
Ce sont des hommes de volupté, coupables
des commerces les plus honteux, dont la
passion a porté 'la honte et le déshonneur
dans les.familles, séduit l'innocence et scan-
dalisé le public; qui ont par conséquent des
}>enchants violents à réprimer, des flammes
impures à éteindre, une chaîne de réproba-
tion à briser, des scandales à réparer, un
cœur à purifier, des sens à calmer, des cri-
mes à pleurer et à expier.
Ce sont des hommes qui se piquent d'es-
prit, qui ont ad.opté l'irréligion et l'incré-
dulité de notre siècle, qui vont de cercle
on cercle débiter avec complaisance leurs
sacrilèges satires sur les dogmes, la morale
et le plan du christianisme; qui s'y distin-
guent par leurs doutes et leurs incertitudes
sur les mystères , leurs plaisanteries sur la
dévotion qui ébranlent les simples, et ont
peut-être éteint dans plusieurs le flambeau
de la foi.
Ce sont des riches pour lesquels l'opu-
lence a été une source de crimes ; qu'elle a
rendus sensuels, vains, durs, attachés à la
terre, aux aises et aux commodités de la
vie; qui ont été prodigues pour la table, le
jeu, le luxe, les plaisirs ; économes, avares
môme lorsqu'il a été question d'assister les
pauvres, ou de quelques bonnes œuvres pu-
bliques.
Ce sont des femmes toujours plongées
dans le sein de la mollesse, qui n'ont jamais
essa, é leurs forces que pour porter le far-
deau des parures mondaines,, et jamais pour
porter le joug de l'Evangile ; qui se gênent
continuellement pour remplir les devoirs
du monde, et jamais pour satisfaire aux de-
voirs de la religion ; des femmes que l'oisi-
veté, la mollesse, les artifices de la vanité,
la licence des conversations, la fureur du
plaisir, le désir de plaire, l'amour de soi-
même, l'art funeste de rehausser, d'embel-
lir des grâces qui ne sont pas assez éclatan-
tes, de toucher, d'attacher à leur char une
foule d'adorateurs, ont rendues coupables
d'une multitude de crimes.
Enfin, ce sont des personnes qui ont be-
soin d'une austère pénitence pour expier de
coupables années ; ce sont tous ceux dont
la vie est la plus licencieuse, la moins édi-
fiante, qui refusent de se soumettre à la pé-
nitence du carême; ce sont ceux-là qu'elle,
alarme, qu'elle effraye, qu'elle révolte. Les
chrétiens fervents, pieux, pénétrés des vé-
rités de l'Evangile, la trouvent douce, facile,
et l'on en voit plusieurs enchérir sur les
mortifications de précepte dans ce saint
temps.
Ce sont donc les pécheurs qui ont besoin
d'une rigoureuse pénitence que j'exhorte
dans ce chapitre à saisir au moins la péni-
tence du carême , pour se rapprocher do
Dieu, et obtenir la grâce de leur conversion ;
et, comme ils forment malheureusement le
plus grand nombre, la pénitence du* carême
reprendrait, pour ainsi dire, son premier
éclat si je les touchais.
Pensez donc, pécheurs qui êtes les pre-
miers à vous dispenser de la pénitence du
carême , au malheureux état dans lequel
vous demeurez volontairement. Outre la dé-
sobéissance dont vous vous rendez coupa-
bles- envers l'Eglise par cette scandaleuse
infraction, vous montrez un cœur impéni-
tent qui lassera la clémence de Dieu, et vous
amassera un trésor de colère pour le jour
des vengeances célestes.
Dès que vous êtes coupables d'un seul
péché mortel, il faut que vous vous punis-
siez vous-mêmes, ou que Dieu vous punisse
dans sa colère; que vous satisfassiez à sa
justice offensée par vos péchés, ou qu'il la
venge lui-même de vos coupables attentats ;
il;faut que vous arrêtiez sa foudre suspendue
sur vos tôtes criminelles, ou que vous vous
attendiez à en être écrasés; il faut recouvrer
votre innocence par des pleurs, des jeûnes,
des mortifications, des prières, ou vous dé-
terminer à descendre dans le tombeau , et h
paraître au tribunal de Dieu sans la robe
nuptiale, pour vous y voir condamner aux
supplices éternels. Si vous vous épargnez,
Dieu ne vous épargnera pas; si vous ne fai-
tes pas pénitence efficacement dans le temps;
vouslafcrez inutilement dans l'éternité.
Qu'est-ce qu'un chrétien qui a commis
un péché mortel après son baptême? C'est
un infortuné qui a fait un triste naufrage,
dans lequel il a perdu ce qu'il'avait de plus
précieux : son innocence. Or, disent les
saints conciles et tous les Pères de l'Eglise,
la pénitence est la seule planche qui reste h
cet infortuné, pour arriver au port après ce
triste naufrage. Ne vouloir point s'en servir,
c'est vouloir périr sans ressource. Appli-
quons présentement ces grandes vérités.
Une pénitence solennelle est annoncée
dans tous les Etals catholiques; elle est de
précepte pour tous les enfants de l'Eglise;
elle n'a aucune de ces rigueurs qui détrui-
sent la santé. Les malades, les infirmes peu-
vent et doivent y participer en suppléant aux
jeûnes et aux abstinences par d'autres bon-
nes œuvres. Tous les justes s'y soumettent.
Est-il donc raisonnable que des mondains,
qui ont tant de crimes à expier, s'en dispen-
sent, et y renoncent avec scandale?
Ah ! coupables infracteurs de la loi de l'E-
glise, si vous pensiez à vos péchés, si vous
en conceviez une juste idée, bien loin de
vous séparer des justes pénitents, on vous
verrait avec édification ajouter des rigueurs
au précepte de votre Mère.
On vous verrait retracer la pénitence des
premiers siècles. Vous regarderiez ce saint
temps où les justes se mortifient, jeûnent,
prient, pleurent, comme des jours favorables
jtour aimer votre pénitence, la rendre agréa-
ble à Dieu. Vous le prieriez, comme faisaient
4ÎI9
ORATEURS SACRES. DALLET.
500
.es pénitents publics, d'implorer pour vous la
miséricorde divine.
Humiliés, déclarés de douleur, on serait
obligé même d'arrêter votre zèle; mais vous
ne pensez pas à vos péchés, aux châtiments
qu'ils ont mérités : voilà pourquoi nous vous
voyons séparés de vos frères, insensibles
aux exemples qu'ils vous donnent, conti-
nuer dans ce saint temps le plan de vie ai-
sée, commode, dissipée, que vous vous êtes
tracé.
La même table, les mêmes plaisirs , le
même jeu, la même indifférence pour les of-
fices divins, les exercices de piété, le même
esprit d'irréligion régnent chez vous; vous
voulez mourir impénitents, c'est-à-dire ré-
prouvés.
CHAPITRE XXI.
Les menaces que Dieu fait aux impénitents
doivent faire trembler les chrétiens qui se
dispensent de la pénitence du carême.
Le Seigneur fait entendre une voix mena-
çante dans tous les livres saints, lorsqu'il
parle aux mortels souillés du péché. Sa bonté
les a^appelle , mais sa justice éclate sur eux
d'une manière terrible lorsqu'ils refusent de
se rendre à ses caresses.
Or, je distingue trois sortes de pénitences
également nécessaires aux chrétiens pour
être sauvés, puisqu'elles sont accompagnées
des plus redoutables menaces. Une pénitence
d'expiation, une pénitence de précaution,
une pénitence d'imitation. Ainsi, la pénitence
est nécessaire aux pécheurs pour expier leurs
crimes, aux justes pour conserver leur in-
nocence, à tous les disciples de Jésus-Christ
pour le suivre et l'imiter. En prouvant que
Dieu fait les plus terribles menaces à tous
ceux qui se dispensent de cette pénitence,
cpie devons-nous penser du sort des infrac-
teurs de la pénitence solennelle du carême'?
Or, il ne faut qu'ouvrir l'Evangile, pour
être convaincu que des feux vengeurs sont
préparés aux pécheurs impénitents, que des
chutes honteuses suivent de près la vie tiède
et immortifiée des justes ; que le ciel sera
fermé à tous les disciples du Sauveur qui
ne l'auront pas copié dans ses souffrances.
Ali 1 comment peut-on s'effrayer de la péni- |
tence du carême, quand on croit ces vérités?
Ecoutez, pécheurs délicats et sensuels, qui
ne voulez pas vous soumettre à la pénitence
publique de l'Eglise, qui la laissez pratiquer
aux justes; écoutez l'oracle que Jésus-
Christ prononce dans son Evangile, et trem-
blez si vous n'êtes pais endurcis entièrement,
il y a de quoi remuer et troubler salutaire-
mènt votre cœur tout souillé du péché qu'il
soit.
Si vous ne faites pénitence, dit ce divin
Sauveur, vous périrez tous. Après votre
péché, il n'y a que celte seule ressource
pour vous dérobera mes rigoureuses ven-
geâmes : Nui pœnitentiam egeritis, omnes
siiniliter peribiiis. [Luc, XIII.)
Pesons toutes ces paroles; iî n'y en a pas
une qui ne renferme une vérité importante.
Si vous ne faites pénitence; nisi, voilà le
précepte, la nécessité ; pœnitentiam, voilà
les regrets, les douleurs, les larmes, les
jeûnes, les mortifications; vous périrez : pe-
ribiiis. Périr selon le monde, c'est ne pas
réussir dans ses entreprises, c'est perdre son
bien, sa réputation, la vie présente. Périr
selon Dieu, c'est être damné, condamné
aux feux éternels; c'est être dans toute l'é-
tendue de l'immense éternité dans les tour-
ments, l'objet delà colère et des vengeances
d'un Dieu tout-puissant, ùmnes similiter,
vous périrez tous également, grands, riches,
savants : les titres pompeux du siècle, les
avantages de l'opulence, les talents brillants,
ne sauveront jamais les pécheurs impéni-
tents.
Ecoutez donc cette menace de voire Dieu,
infracteurs de la loi de l'Eglise; méditez-en
les terribles suites. Vous êtes souillés d'une
multitude de péché. Pour- éviter de périr
éternellement, vous avez besoin d'expier vos
crimes par une rigoureuse pénitence ; et les
jeûnes, les abstinences, imposés dans le ca-
rême, vous révoltent parce que vous êtes
grands, riches, savants. Vous ne voulez pas
être pénitents ; vous ajoutez à vos crimes
multipliés celui d'une désobéissance scan-
daleuse; vous épargnez une chair crimi-
âme périra
Dieu seront
nelle. Ah! votre malheureuse
éternellement ; les menaces de
exécutées sur vous.
11 y a aussi une pénitence de précaution
nécessaire aux justes, pour persévérer dans
l'innocence, et c'est ce qui doit les engager à
pratiquer avec ferveur les saintes mortifica-
tions qui nous sont imposées dans le carême
C'était à ses disciples appesantis par le
sommeil, que Jésus-Christ disait : Veillez et
priez, si vous voulez triompher de la tenta-
tion : Mfjilatc et orate ne intretis in tentatio-
nem.(Marc, XIV.)
On ne se perfectionne dans la foi , on ne
fait des progrès dans la vertu, on neterrass-e
l'ennemi de son salut que par la prière et le
jeûne, dit-il encore à ses apôtres : Nisi in
oratione etjejunio. (Matth., IX.)
Or, de ces oracles du Fils de Dieu, quelle
conséquence en tirer pour ces justes qui ne
veillent point , ne prient point, ne jeûnent
oint; et qui, satisfaits de leur innocence
présente, n'ont pas recours aux mortifica-
pour la conserver pure et
es révoltes des sens, les
la chair, le feu des pas-
les dangers qui les environ-
nent, les combats que leur livrent leurs pen-
chants, le monde et ledémon? La conséquence
que nous devons en tirer, c'est que suivant
les menaces du Fils de Dieu, ils ne persévé-
reront pas longtemps dans la vertu. Ils se-
ront sans force pour résister à la tentation ;
leur innocence fera un triste naufrage , et k>
démon les attachera aisément à son char.
Puisque vous êtes obligés, chrétiens, de
mortifier votre corps pour persévérer daiïo
l'innocence, livrez-vous donc avec joie aux
saintes mortifications de la pénitence du ca-
rême ; ne vous dispensez d'aucune, si votre
santé vous le permet, et suppléez à celU
t.ons chrétiennes
sans tache dans
soulèvements de
sioiis, les écueils,
roi
INSTRUCTION SU i LA PENITENCE DU CAREME.
C1IAP. XXII.
SC2
que vous ne pouvez pas absolument prati-
quer, par la vigilance, la prière et quelques
t/ieux exercices qui mettent toujoxirs la na-
ture à l'étroit.
Enfin il y a une pénitence d'imitation né-
cessaire à tous les disciples (Je Jésus-Christ,
parce qu'ils sont obligés de le copier.
Que l'oracle que ce divin Sauveur a pro-
noncé sur la nécessité de l'imiter, doit faire
trembler et confondre les infiacteurs de la
pénitence du carême !
Si quelqu'un, dit cet aimable Sauveur,
veut être mon disciple, adopter ma doc-
trine et participer à ma gloire, il faut qu'il
se' renonce lui-même, qu'il porte tous les
jours sa croix et qu'il me suive dans la
route des abaissements et des souffrances :
Si quis vult post me venire , abneget semet-
ipsum, et tollat crucem suamquotidic et sequa-
tur me. (Luc. IX.)
Remarquez avec saint Luc que ce n'est
pas à ses seuls apôtres qu'il annonce cette vie
pénitente et crucifiée, mais à tous ceux qui
l'environnaient, qui l'écoutaient et qui em-
brasseraient sa doctrine : Dicebat ad omnes.
(Jbid.) Or il faut donc, pour être disciples de
Jésus-Christ, porter sa croix tous les jours,
quotidie ; il ne laisse aux enfants de l'Evangile
aucun temps pour les plaisir-s, les joies du
siècle. Tous les jours doivent être pour eux
des jours de pénitence et de mortification :
Quotidie.
D'après cette grande vérité, que penser
des chrétiens qui, bien loin de porter leur
croix tous les jours, ne veulent seulement
pas essayer des jeûnes , des abstinences et
des mortifications imposées par l'Eglise dans
le carême? qui ne veulent, dans ce saint
temps, se priver d'aucun plaisir, d'aucune
satisfaction? Ahl nous pouvons dire qu'ils
ne sont point disciples de Jésus-Christ, qu'ils
n'entreront point dans son royaume, puis-
qu'ils ne marchent point dansla seule route
qui y conduit. C'est sur eux que s'exécu-
teront toutes les menaces faites dans les
livres saints contre les impénitents et les
immortifiés, puisqu'ils ne veulent point les
éviter par la pratique des mortifications
chrétiennes.
CHAPITRE XXII.
Les chrétiens qui méditent les rigueurs de la
justice de Dieu ne sont point alarmés de la
pénitence du carême.
Les motifs qui doivent effrayer et consoler
les pécheurs sont également vrais et tirés
des perfections de Dieu; sa justice est ri-
goureuse, sa miséricorde n'a point de bor-
nes; sa justice punit sévèrement le péché,
sa miséricorde le pardonne; sa justice pour-
suit jusqu'aux traces du péché, sa miséri-
corde en efface jusqu'aux moindres souil-
lures ; on doit redouter de l'offenser par le
péché ; on doit espérer de l'apaiser par la
pénitence. Malheur au pécheur qui en se re-
présentant un Dieu bon, se représente un
Dieu insensible aux outrages du péché , et
à la persévérance dans le péché. Malheur à
celui qui en se représentant un Dieu juste,
se représente un Dieu implacable et insen-
sible aux larmes et au repentir des cou-
pables. La présomption fait des impénitents,
le désespoir fait des réprouvés : sa justico
est rigoureuse , mais on peut l'apaiser par
une sincère pénitence ; sa miséricorde est
infinie, mais on peut la lasser par une opi-
niâtre persévérance dans le péché.
Les pécheurs ne peuvent donc apaiser un
Dieu offensé, quCen se mettant eux-mêmes
à sa place pour punir le péché et venger sa
grandeur offensée : or, en nous mettant à la
place de Dieu pour punir nous-mêmes
les péchés que nous avons commis , il faut
nous représenter alors, non pour nous dé-
courager, mais pour nous animer à la pé-
nitence, toutes les rigueurs de sa justice.
Quand Dieu punit lui-même le péché, rien
de plus terrible que la vengeance qu'il en
tire. Punitions temporelles : tantôt il inonde
l'univers par un déluge universel; tantôt il
fait descendre le feu du ciel pour réduire
en cendre des villes voluptueuses; tantôt
il ouvre la terre pour engloutir des rebelles;
il commande à la mer d'ensevelir dans ses
abîmes les ennemis de son peuple; il envoie
des anges exterminateurs qui , le glaive à la
main , immolent à sa fureur les impies et les
sacrilèges.
Je vois des monarques tombés de leurs
trônes dans les chaînes, des empires éteints,
de longues captivités, des pécheurs arrêtés
dans leur course criminelle , et écrasés sous
la foudre de la main vengeresse qui les pour-
suit.
Punitions éternelles : un enfer creusé,
des feux vengeurs allumés , entretenus par
le souffle de la colère du Tout-Puissant, l'as-
semblage de tous les maux, la privation de
tous les biens; un lieu où l'on pleure, l'on
se désespère; un lieu où le péché est puni
sans pouvoir être expié, et où la longueur
delà pénitence ne diminuera jamais la gran-
deur de l'offense.
Enfin, si je me représente le grand spec-
tacle du Calvaire , c'est là où je vois éclater
toutes les rigueurs de la justice divine.
Cette rigoureuse justice n'est pas apaisée
par les abaissements du Verbe éternel dans
son incarnation , par les travaux de sa vie
mortelle , par le sang qu'il répand sous le
couteau de la circoncision, dans son agonie
au jardin des Oliviers, dans une cruelle fla-
gellation. La justice divine poursuit cet in-
nocent chargé d'expier nos péchés, avec une
rigoureuse sévérité : il faut qu'il accepte le
calice de douleurs, qu'il le boive jusqu'à la
lie , qu'il monte sur le Calvaire chargé dosa
croix, qu'il y soit attaché, qu'il y répande
jusqu'à la dernière goutte de son sang, qu'il
y expire : la rigoureuse justice d'un Dieu
offensé par le péché, n'est satisfaite que
lorsque la victime est détruite.
Nous voyons par l'Ecriture et l'histoire de
l'Eglise, que tous les saints pénitents se re-
présentaient ces rigueurs de la justice di-
vine , non comme je "ai déjà dit , pour se
décourager, mais pour s'animer à la péni-
:05
ORATEURS SACRES. RALLET.
504
tence et ne point ménager un corps souillé
du péché.
Quoique David eût à offrir à Dieu une
longue et sévère pénitence, des jeûnes,
des veilles , des prières, des macérations,
des larmes et surtout les continuels déchi-
rements d'un cœur humilié et hrisé de dou-
leur , il le conjurait de ne point entrer en
jugement avec son serviteur : Ne intres in
judicium cumservo tuo. ( Psal. CXL1I.)
Quoique les solitaires de l'Egypte et de la
Thébaïde eussent vieilli sous la haire et le
cilice, ils craignaient encore que la longueur
et la sévérité de leur pénitence ne répondît
point à la grandeur des fautes qui leur étaient
échappées. Le grand Hilarion, après avoir
servi Dieu soixante-dix ans dans le désert,
est encore effrayé à la mort de la rigoureuse
justice du Seigneur.
C'est en considérant cette rigueur de la
justice divine, que l'Eglise imposait des pé-
nitences si sévères dans les premiers siècles
aux pécheurs.
Or, si les chrétiens de nos jours médi-
taient sérieusement ces rigueurs de la jus-
tice divine; s'ils étaient persuadés qu'ils ne
peuvent échappera ses redoutables vengean-
ces après le péché, qu'en se mettant à la
place de Dieu pour se punir eux-mêmes;
qu'en s'armant de son indignation et de sa
colère, pour exercer sur eux toutes les ri-
gueurs dont ils sont capables; seraient-ils
alarmés de la pénitence du carême? Les ef-
fraierait-elle? S'en dispenseraient-ils comme
ils font? La feraient-ils avec ces ménage-
ments, ces adoucissements qui font manquer
a l'intégrité du jeûne, et à l'esprit de morti-
fication qui doit animer cette pénitence?
Quoi 1 des pécheurs obligés indispensable-
noent de se punir eux-mêmes, s'ils ne veu-
lent pas être punis par un Dieu dont la jus-
tice est rigoureuse, ne veulent point se sou-
mettre à une pénitence aisée, et dont la seule
délicatesse peut être effrayée? Ils verront
les justes prier, jeûner, se mortifier, et ils
vivront dans la dissipation, la bonne chère,
les plaisirs ? Ah ! ils éprouveront le sort ter-
rible de ces hommes charnels qui buvaient,
mangeaient, se réjouissaient, pendant que le
juste Noé travaillait à échapper aux ven-
geances divines ; la mort les surprendra, Je
tombeau s'ouvrira, ils y descendront; et, sous
le domaine de la rigoureuse justice d'un Dieu
offensé et irrité, ils seront punis éternelle-
ment, puisqu'ils ne veulent pas se punir eux-
mêmes dans le temps
Seigneur, en méditant les rigueurs de vo-
tie justice, j'admire aussi l'étendue de vos
miséricordes. Quelle justice I qu'elle est re-
doutable I .Mais aussi quelle clémence! qu'elle
est consolante ! Le pécheur mérite d'être
puni, mais vous voulez bien qu'il se punisse
lui-même; vous mettez les droits de votre
justice entre ses mains ; et pourvu qu'il fasse
les efforts dont il est capable, vous êtes sa-
tisfait. Ah ! mon Dieu, je' profiterai de cette
clémence ; je vous vengerai, autant qu'il sera
en moi, par ma pénitence; je vais surtout
pratiquer avec zèle celle de l'Eglise, pour
obéir à son précepte, pour être aidé par les
prières et les mortifications des justes, et
pour m'accoutumer à punir toute ma vie les
1 échés que j'ai commis.
CHAPITRE XXIII.
La pensée de la mort doit porter les chrétiens
à la pénitence du carême
"Les soins excessifs des chrétiens pour leur
santé; cette frayeur pour tout ce qui peut
affaiblir ou mortifier le corps; ces coupables
résolutions qu'ils prennent, avant même la
quarantaine, de ne pas essayer du jeûne ou
de l'abstinence ;" tout cela peut-il les garantir
de la mort qui les menace, dont ils ignorent
le moment, et qui surprend tous les jours
ceux qui, pleins de santé, comptent le plus
sur la vie?
Nous ignorons tous l'heure, le genre et le
lieu de notre mort; nous devons ctonc, dans
la santé, nous y préparer comme dans la ma-
ladie. Jésus-Christ ne dit pas dans l'Evan-
gile : Préparez-vous à la mort ; ce serait sup-
poser que nous avons quelques moments
dont nous pouvons disposera Mais il dit :
Soyez prêts : Estote parati. (Matth., XXIV.)
Soyez prêts à paraître devant le tribunal de
Dieu, dans la jeunesse comme dans la vieil-
lesse, dans la santé comme dans la maladie;
avec ce tempérament robuste qui vous flatte,
comme dans cette langueur qui vous attriste;
le matin, à midi, le soir. Rapprochez le mo-
ment de la mort, au lieu de le regarder
comme dans un lointain; si elle est à la porte
des vieillards, elle dresse des embûches aux
jeunes gens; il n'est plus temps de se pié-
parer quand elle arrive. Soyez toujours
] rets : Estote parati.
Hélas! Seigneur, disait le saint roi Ezé-
chias: du matin au soir vous décidez du sort
des mortels; je me suis levé aujourd'hui
plein de santé, et avant la fin du jour vous
me faites descendre dans la nuit du tom-
beau : De mane usque ad vesperam finies me.
(Isa., XXXVIII.) Vous m'enlevez à la terre
comme la tente d'un berger qu'on change
de place dans un instant. C'en est fait, je ne
verrai plus aucun mortel, et aucun mortel
ne me verra plus : Non aspiciam hominem
ultra, (lbid.) Ah ! Qu'est-ce que la santé?
Qu'est-ce que le tempérament le plus ro-
buste? Qu'est-ce que toute la vie de l'homme?
Une vapeur qu'un souille léger dissipe ;
Yapor ad modicum parens. (Jac, IV.)
• Les infracteurs de la pénitence du carême
ne peuvent pas douter de ces effrayantes
vérités; l'expérience nous en assure tous les
jours; les impies, les incrédules ne les com-
ballent pas non plus; leur aveuglement est
d'en tirer, comme les insensés dont parle l'E-
criture, de fausses conséquences, de regarder
le tombeau comme le terme de toutes cho-
ses, et s'imaginer follement un anéantisse-
ment de l'âme et du corps à la mort. Système
imaginé par le libertinage, et qui n'aurait
point de partisans dans notre siècle si notre
siècle n'était pas si corrompu
INSTRUCTION SUR LA PENITENCE DU CAREME.
CIIAP. XXIV.
506
Or, comme tous les infracteurs du carême
ne sont point des incrédules, je leur de-
mande comment ils peuvent, étant persua-
dés de la brièveté de la vie, de l'incertitude
du moment de la mort, du peu de fonds
qu'on doit faire sur le tempérament le ilus
robuste, ils osent, pour ménager un corps
qui peut être détruit dans un instant, violer
volontairement les lois de l'Eglise, et s'ex-
poser à paraître devant Dieu, coupables
d'une infraction qui donne la mort à leurs
âmes.
Vous voulez conserver votre santé, pro-
longer vos jours, il n'est tel que de vivre,
dites-vous. Mais la pénitence du carême,
telle qu'on la pratique aujourd'hui, est-elle
capable d'altérer la santé, de détruire le
tempérament, do jeter dans la langueur,
d'abréger vos jours? Mais des jeûnes si
adoucis peuvent- ils vous incommoder à
l'excès?
Sonl-cc les jeûnes, les mortifications du
carême, qui font languir dans les infirmités
ces hommes de bonne chère et île plaisir,
et auxquels les médecins conseillent un
genre do vie encore plus simple et plus gê-
nant que celui des pénitents du earéuic, pour
rétablir leur santé?
Sout-ce les jeûnes, les mortifications du
carême, qui ont altéré, usé le tempérament
de ces jeunes gens, que tout l'art des mé-
decins ne peut conserver a leurs familles,
et qui descendent dans le tombeau dus le
printemps de leurs jours?
Sunl-ce leî jeûnes et les mortifications du
caerme, qui ont incommodé ces femmes
abattues, faibles, languissantes, dès les pre-
miers jours de la quarantaine, parce qu'ou-
bliant dans les jours de dissolution qui la
précèdent, leur dé icatessc naturelle, elles
ont ligure avec les mondains les plus forts
et les plus robustes dans les jeux, les plai-
sirs, les assemblées nocturnes, les liais;
parce qu'elles ont oublié a lors qu'elles avaient
besoin d'un long sommeil, d'un genre de vie
douce, tranquille, do manger plusieurs fois,
et de s'en tenir à un gras succulent?
Enfin, sont-ce les jeûnes et les mortifica-
tions du carôme qui font descendre tous les
jours dans le tombeau ces personnes qui
jouissaient d'une, parfaite santé, et dont la
jeunesse brillante, l'embonpoint, la vigueur
du tempérament, semblaient promettre une
longue carrière? Ahl la vie simple et fru-
gale, une nourriture légère conservent les
jours de l'homme; la bonne chère, les plai-
sirs les abrègent. De grandes austérités n'ont
pas empêché les Pauls, les Antoines de vivre
plus d'uivsiècle: comment la pénitence du
carême, qui n'a aucune de ces rigueurs,
pourrait-elle abréger la vie des chrétiens de
nos jours?
Si les chrétiens concevaient donc une
juste idée de la mort, s'ils pensaient sérieu-
sement aux accidents qui menacent leurs
jours, ils ne renonceraient pas à la péni-
tence du carême, mais aux plaisirs, à la
bonne chère : l'incertitude du moment de la
mort, ses suites effrayantes et humiliantes
les porteraient à embrasser avec joie la douce
et sainte pénitence du carême?
Je n'ai point d'infirmité réelle qui me dis-
pense légitimement du jeûne et de l'absti-
nence ; ce n'est que la crainte de m'incom-
moder, d'altérer ma santé qui me fait violer
la loi de l'Eglise ; mais si la mort, dont le
jour m'est caché afin que je m'y prépare
tous les jours, me surprend; ces ménage-
ment me seront inutiles, j'aurais commii
un péché mortel sans prolonger mes jours ;
un jugement rigoureux suit la mort : Post
hoc autem judicium. (Hebr., IX.) J'y porte-
rai donc une infraction volontaire d'une loi
qui oblige, sous peine de damnation: mon
corps pourrira dans le tombeau ; les soins
excessifs que j'ai de sa conservation aux dé-
pens du salut de mon Ame, sont, donc bien
criminels?
Je n'appréhende point d'abréger mes jours,
d'avancer le moment de ma mort, quand il
s'agit des plaisirs; je suis donc bien coupa-
ble de la redouter lorsqu'il s'agit de la péni-
tence du carême; voilà les conséquences
que les chrétiens raisonnables devraient ti-
rer de la nécessité et de l'incertitude de la
mort.
C'est en pensant sérieusement à ce mo-
ment de la mort, ce moment décisif pour
l'éternité, que les saints se sont livrés aux
rigueurs de la pénitence. Périsse ce miséra-
ble corps de péché, disaient-ils, pourvu que
l'âme trouve grâce devant Dieu lorsqu'elle
en sera séparée; et les infracteurs de la pé-
nitence du carême semblent dire hautement
par leur |conduite; périsse plutôt l'âme que
le corps, si notre désobéissance à l'Eglise
souille notre ûme, comme on le dit, elle en-
tretiendra l'embonpoint de notre corps.
Peut-on, sans un effroyable aveuglement,
penser ainsi ? Si la bouche des chrétiens que
je combats ne le dit pas, leur conduite le
fait entendre.
CHAPITRE XXIV.
Le jugement que Dieu fera à notre mort de
toutes nos actions, doit porter les chré-
tiens à faire la pénitence dont ils sont ca-
pables.
Il y a des chrétiens qui se croient légiti-
mement dispensés de la pénitence du carê-
me, parce qu'ils ont examiné leurs forces au
tribunal de la chair, qu'ils ont écouté et
suivi ses plaintes, ses alarmes et sa délica-
tesse. On se persuade qu'il faut un tempé-
rament extrêmement robuste pour soutenir
les jeûnes et l'abstinence de la sainte qua-
rantaine; et parce qu'on n'a pas cette vigou-
reuse santé à l'épreuve même des excès, on
se met au rang des infirmes, on se détermine
à ne pas obéir à la loi de l'Eglise; on se
rend aux sollicitations des parents, des
amis: on les prend pour les juges de sa
conscience, qui réclame secrètement contre
la prévarication. Ces juges complaisants
prononcent qu'il faut conserver sa santé,
qu'on se doit à sa famille, au public: ils
débitent avec gravité une morale toute hu-
K07
ORATEURS SACRES. BALLET.
508
manc. Ils étalent la bonté de Dieu qui ne
veut point que nous nous détruisions; et
opposant, pour ainsi dire, le Seigneur a la
loi solennelle de l'Eglise, ils la condamnent
comme trop sévère : ils méprisent son autorité
et lui désobéissent par principes.
Voilà le premier tribunal que les infrac-
teurs du carême consultent, le tribunal de la
chair et du sang; ils suivent ses décisions;
ils se trouvent bien jugés; ils ne sentiront
ni troubles , ni remords pendant la qua-
rantaine.
Le second tribunal où ils citent leur déli-
catesse alarmée, c'est celui des médecins. Je
sais que c'est à eux à prononcer sur l'état de
la santé d'une personne qui les consulte, à
juger par l'exposé qu'on leur fait de ses in-
firmités, si les jeûnes et les abstinences sont
absolument contraires. Je suis persuadé
même de leur religion et de leur respect
pour la loi de l'Eglise ; mais ces infracteurs
de la pénitence du carême, dont je parle, et
qui consultent les médecins, sont-ils réelle-
ment infirmes, les ont-ils consultés pour se
livrer aux plaisirs? Leur ont-ils demandé
un régime pour conserver leur santé dans
les jours de divertissements et aux tables
splendides; leur avouent-ils que très-sou-
Aent dans le cours de l'année, ils sont plus
longtemps à jeun que l'usage ne l'exige dans
le carême ; qu'ils font très-souvent de grands
repas en maigre sans en être incommodés,
qu'ils le mêleront même avec le gras dans
la quarantaine? Non, on expose des insom-
nies, un sang échauffé, une santé délicate ,
des occupations gênantes, des craintes, des
alarmes : un médecin conseille le gras, on
est tranquille, ses oracles rassurent, le ju-
gement est porté, on l'exécutera.
Le troisième tribunal que les infracteurs
de la loi du carême consultent, et dont ils
suivent les décisions, c'est celui du monde.
Le monde s'est fait une loi de mépriser
celle de l'Eglise sur la pénitence du ca-
rême : il a accrédité et justifié les infractions
publiques du jeûne et de l'abstinence. Le gras
est servi partout, et si l'on y mêle le maigre,
c'est plus pour faire briller sa délicatesse
et sa profusion, que pour satisfaire la piété
de quelques obserrateurs Je la loi. Or ce
coupable exemple que donne la multitude,
semble autoriser les chrétiens de nos jours,
ils se laissent entraîner par le torrent, et le
jugement que le monde porte de la loi du
carême, est pour eux une décision qui l'em-
porte sur celle de l'Eglise.
Enfin des chrétiens plus soumis, qui veu-
lent rompre la pénitence du carême sans
ïemords, consultent leurs confesseurs, leurs
pasteurs; se soumettent à l'Eglise, et de-
mandent une dispense; mais ces juges pieux,
éclairés que l'on consulte, ne peuvent juger
que selon l'exposé. qu'on leur fait; la per-
mission qu'ils accordent, suppose une in-
firmité réelle, un besoin pressant ; un ob-
stacle invincible au jeûne et à l'abstinence,
n'éclate pas toujours au dehors; sans la mai-
greur du corps, la pâleur du visage, la fai-
Blosse extérieure, on peut avoir des infir-
mités très-réelles; il faut donc que ces juges
s'en rapportent à l'exposé qu'on leur fait.
S'il est sincère, la dispense est légitime; si
la délicatesse l'a dicté, si la seule crainte de
s'incommoder le fait valoir; si des raisons
humaines d'économie y entrent autant que
les soins excessifs de là santé, la dispense
est nulle, et ces chrétiens ont tort d'être
tranquilles, parce qu'ils ont obtenu une per-
mission d'un pasteur, qui a toujours soin ea
la donnant, d'en charger la conscience de
ceux qui la demandent.
Or si tous ces chrétieus se représentaient
le tribunal de Dieu où ils paraîtront aussitôt
après leur mort, s'ils s'examinaient comme
ils seront examinés alors, ils penseraient
autrement; les prétextes qu'ils apportent
pour se dispenser de la pénitence du ca-
rême, ne leur paraîtraient plus que de cou-
pables artifices que la délicatesse emploie
pour se soustraire aux mortifications. Un
juge à qui rien n'est caché, qui voit dans
notre cœur, qui sait ce que nous pouvons ei
ce que nous ne pouvons pas, porte un autre
jugement que les hommes qui ne peuvent
voir que le dehors.
C'est donc ce moment terrible où nous
tomberons entre les mains d'un Dieu vivant
qu'il faut rapprocher, pour décider sûrement
si nous sommes dispensés de la pénitence
du carême.
Toutes nos actions seront examinées alors
par un Dieu infiniment bon; par conséquent
il n'exigera rien au-dessus de nos forces.
Rassurez-vous, malades, infirmes qui n'a-
vez pas pu jeûner, ni observer l'abstinence ,
Dieu se contente de votre bonne volonté; il
a vu vos gémissements, il a entendu vos
prières, il est témoin de toutes ces bonnes
œuvres que vous avez faites pour suppléer à
la pénitence ordinaire du carême : votre
douleur, vos privations volontaires, votre
patience dans vos maux, ne vous ont i as
moins rendus précieux à ses tveux, que ceux
qui jeûnaient et observaient l'abstinence.
Mais, pour vous qui avez transgressé la
pénitence du carême sur les décisions de la
chair et du sang, d'un monde corrompu et
prévaricateur, qui avez consulté des juges
complaisants, relâchés dans la morale; qui
avez exagéré à l'Eglise vos. infirmités» corpo-
relles, et caché l'iniquité de votre cœur,
tremblez; Dieu à qui les soins excessifs do
votre corps n'étaient point cachés, punira
avec sévérité vos coupables infractions. Ces
jeûnes, ces abstinences dont vous vous dis-
pensez si aisément, seront mis, par ce juge
redoutable au rang des crimes (pie vous avez
commis. Il en jugera bien autrement que
tous les juges que vous consultez sur la
terre : le relâchement, la complaisance, l'i-
gnorance de votre situation, la bonne foi,
la surprise peuvent leur faire porter des ju-
gements faux. Rien ne peut en imposer à
celui qui sonde les abîmes du cœur humain.
Ah 1 Seigneur, puisqu'il s'agit d'une loi
solennelle de l'Eglise, à laquelle vous me
commandez d'être soumis, et dont vous vou-
lez que j'écoute les oracles, sous peine d'être
5C9
INSTRUCTION SLR LA PENITENCE DU CAREME. — CHAP. XXV
ilO
n.iis au rang des païens et des publicaîns.
C'est devant vous, ô mon Dieu, que j'exa-
minerai mes infirmités pour décider si elles
sont suffisantes pour me dispenser de -la pé-
nitence ducarême. Je préviendrai votre juge-
ment, je me jugerai moi-même avec la sainte
rigueur du christianisme, afin de ne pas être
confondu et condamné à votre tribunal après
ma mort.
CHAPITRE XXV.
La méditation des peines de l'enfer, doit
porter (es chrétiens à embrasser avec ioie
la sainte pénitence du carême.
Les incrédules et les libertins ont beau
traiter de fable l'existence d'un lieu de sup-
plices éternels au delà du tombeau, où les
coupables morts dans l'impénitence seront
brûlés, sans être détruits, dans les feux ven-
geurs que la puissance divine a allumés et
préparés dès la naissance du monde. La vé-
rité de l'enfer n'en sera pas moins incontes-
table : elle fait un dogme de notre foi, qui a
été établi avec la religion, embrassé par tous
les savants qui se sont soumis à l'Evangile.
11 faut fermer les yeux à l'idée que nous pré-
sente l'existence d'un être suprême, infi-
niment juste, pour ne pas admettre des
récompenses et des punitions dans la vie
future.
Tant de pécheurs dont les crimes sont im-
punis dans cette vie; tant de justes affligés
et persécutés nous prouvent cette séparation
marquée dans l'Evangile, de la paille et du
froment, des méchants et des bons, des élus
et des réprouvés. Ils ne seront séparés que
pour aller en différents lieux : les bons dans
le ciel, pour y régner éternellement avec
Dieu; les méchants dans l'enfer, pour y souf-
frir des supplices éternels : Ibunt là in sup-
plicium œternum, justi autem in vildm œter-
nam. {Matth., XXV.) Jésus-Christ établit la
vérité de l'enfer dans son Evangile; Jésus-
Christ nous apprend à redouter l'enfer.
Que ce qui est dit du mauvais riche soit
une histoire, ou une simple parabole ; ce
divin Sauveur a toujours voulu nous ins-
truire. Or, il nous représente ce malheureux
après sa mort, tourmenté et souffrant dans
des flammes ardentes. ( Luc, XVI. ) Le genre
de son supplice, la durée de son supplice,
l'inutilité de ses regrets et de ses désirs, tout
est clairement marqué.
Quand ce divin Sauveur annonce toutes
les circonstances de son dernier supplice,
qu'il parle de cette scène saisissante qui
doit terminer celle du monde, de la sentence
décisive qu'il prononcera contre les pécheurs,
et où par conséquent il n'est pas question
de parabole, de figure, il assure qu'il en-
verra les méchants brûler dans un feu éter-
nel. {Matth., XXV.)
Quand il nous dit : Ne vous laissez pas
intimider par les menaces ni amollir par les
caresses du monde ; ne redoutez pas ceux
qui n'ont du pouvoir que sur le corps, et
qui peuvent le détruire par des supplices
passagers; mais redoutez un Dieu outragé
par le péché, et. qui peut tout à la fois pré-
cipiter l'âme et le corps dans des supplices
éternels. {Matth. ,X.) N'est-ce pas en établis-
sant la vérité d'un enfer, nous apprendre à
le craindre?
Ah 1 chrétiens, si ces paroles : Faites pé-
nitence {Matth., IV) , vous révoltent; pour-
quoi celles-ci : Allez , maudits, aux feux
éternels (Matth., XXV), ne vous font-elles
pas trembler ?
11 y a des feux vengeurs allumés, un enfer
creusé pour punir pendant l'immense éten-
due de l'éternité ceux qui ne font point pé-
nitence après le péché.
Etes-vous sans péché? n'avez-vous pas d'i-
niquités à expier ? pourquoi donc ne voulez-
vous pas entendre parler de pénitence? pour-
quoi celle que l'Eglise vous impose dans la
sainte quarantaine, vous effraye-t-elle?
Ah ! c'est à vous que je parle, chrétiens
délicats, infracteurs. Les jeûnes, les absti-
nences, les privations de ce saint temps vous
gênent trop, mortifient trop votre sensualité:
mais comment ferez-vous donc, lorsque vous
serez plongé dans ces feux vengeurs, et que
votre habitation sera dans des ardeurs éter-
nelles? Quis poterit habitare de vobis, cum
iijne dévorante,... cum ardoribus sempiter-
nis? {Isa., XXXHI). L'infraction volontaire de
la pénitence du carême souille votre âme,
lui donne la mort, et par conséquent métito
cet enfer si certain et si redoutable.
Ah! si vous méditiez les peines de l'enfer
avec un esprit de foi, dit saint Augustin
(in Epist. Joan., tract, 3, n. 12), vous n'ap-
préhenderiez plus les peines de cette vie.
Tout ce qui mortifie la chair et l'esprit ne
vous révolterait plus ; les menaces du Tout-
Puissant, les châtiments qui suivent l'infrac-
tion de ces saintes lois, feraient disparaître
toutes ces frayeurs et ces alarmes pour tes
mortifications! Aimez les récompenses que
le Tout-Puissant vous promet, redoutez les
menaces qu'il fait; et rien ne vous paraîtra
plus amer, ni difficile.
Faut-il, direz-vous, par la seule crainte
d'altérer une santé, de causer quelque dé-
chet à l'embonpoint d'un corps de péché,
violer une loi solennellement intimée?
Sont-ce les infirmités qui pourront surve-
nir, ou celles que j'ai déjà, qui me dispen-
sent de la pénitence du carême? Et si je puis
l'observer, ne dois-je pas craindre les sup-
plices de l'autre vie, pour ne pas avoir pra-
tiqué quelques mortifications passagères ?
Que tous les chrétiens qui ne sont pas
soumis aux maux de cette vie, qui vou-
draient des jours heureux, tranquilles* et
que rien ne troublât leurs plaisirs, ne gênât
leurs inclinations et ne mortifiât leur déli-
catesse, méditent les peines éternelles de
l'enfer, dit saint Augustin {De Urbis exord.,
cap. k, n. h) : Unusquisque Chris tianus ge-
hennas coçjitet ; et alors ils trouveront la
pénitence que Dieu leur impose bien légère.
* Que ces chrétiens délicats, audacieux qui
se proposent avant même la quarantaine, de
n'observer ni les jeûnes ni les abstinences ;
qui se tracent pour tout ce temps-là un plan
de vie contraire à celui que l'Eglise qoiis
511
ORATEURS SACRES. BALLET.
;ii
trace dans sa loi ; qui méprisent son pré-
cepte ; que ceux qui sans raison légitime et
de leur propre autorité, n'observent que
certains jours qu'il leur plaît d'assigner, re-
tranchent par l'ordre qu'ils donnent dans
leur famille, la moitié de la pénitence du
carême ; comme si le respect qu'ils montrent
en apparence pour certains jours, empêchait
qu'ils ne fussent coupables de toute la trans-
gression de la loi. Que tous ces chrétiens
infracteurs méditent les peines de l'enfer :
Unusquisque Christianus gehennas cogitet ;
et ils verront s'ils ont raison de négliger de
faire pénitence dans ces jours de salut, de
s'alarmer, de s'effrayer des jeûnes et des
abstinences ordonnés par l'Eglise.
Ah ! mon Dieu ! l'enfer que vous avez
creusé dans votrecolère pour punir le péché,
me d.t de faire une rigoureuse pénitence |de
mes fautes avant ma mort, si je veux évi-
ter d'y faire pénitence inutilement pendant
toute l'éternité. Comment pourrais-je donc
refuser de me soumettre à celle que l'Eglise
m'impose, et ajouter une coupable préva-
rication a tant de péchés qui ont mérité l'en-
fer? Non, mon Dieu, je la pratiquerai cette
pénitence, afin qu'elle m'obtienne la grâce
de ma conversion et la rémission de mes
\ échés.
CHAPITRE XXVI.
La méditation des peines du purgatoire doit
porter les chrétiens àpratiquer avec ferveur
(a pénitence du carême.
Le purgatoire est un lieu où les âmes des
justes sorties de cette vie achèvent de se
purifier, et expient par des souffrances tem-
porelles, les fautes légères dont elles étaient
coupables lorsqu'elles wnt été séparées de
leurs corps.
Avant de faire les réflexions que je me
propose sur les rigueurs que la justice di-
vine exerce sur ces justes, encore souillés
de quelque tache pour porter les chrétiens
à ne point s'épargner, lorsqu'il s'agit de la
pénitence ; j'examine d'une manière abrégée,
1° La vérité du purgatoire; 2° qui sont ceux
qmysont condamnes après leur mort; 3° les
peines qu'ils y souffrent; car il y a un lieu
de pénitence salutaire au delà du tombeau;
il y a des saints qui font encore pénitence
au delà du tombeau; on ne redoute pas as-
sez la pénitence que la justice divine impose
au delà du tombeau. Or, je soutiens que
toutes ces vérités- approfondies, méditées,
nous animeraient à nous punir nous-mêmes,
sous le règne de la miséricorde et nous feraient
trouver des douceurs dans la pénitence la
plus austère.
1" Il y a un lieu de pénitence au delà du
tombeau ; en vain l'hérétique et l'incrédule
contestent-ils ce dogme de notre foi, l'Eglise
l'a décidé dans tous les siècles; ils ont contre
eux, sur cette erreur aussi bien que sur les
autres, la créance de la plus vénérable anti-
quité, tous les conciles, tous les saints Pères,
la pratique de tous les temps.
Les livres de l'Ancien Testament, où la
prière et les sacrifices pour les morts sont
recommandés , sont déclarés canoniques
par l'Eglise; et ils ne perdent rien de leur
autorité, pour être rejetés par Calvin. La
vie, la doctrine, les variations de cet héré-
siarque prouvent bien qu'il n'était ni suscité
de Dieu, ni assisté de I Esprit-Saint.
Dans les plus anciennes liturgies, on y
trouve des prières pour les morts. On voit
dans tout l'Orient les solitaires chanter des
psaumes, faire des prières, offrir des sacri-
lices pour les âmes des compagnons de leur
pénitence. On voit dans les écrits des saints
docteurs, et surtout dans saint Cyprien,
qu'excepté les enfants morts aussitôt après
le baptême, et les martyrs qui avaient répand u
leur sang pour la doctrine de Jésus-Christ,
l'Eglise était persuadée que tous les justes
pouvaient encore avoir quelques fautes
a expier après leur mort; ce qui "ne se
peut pas dans l'enfer, où il n'y a aucun mé-
rite dans les souffrances ; ni dans le paradis,
où rien d'impur ne peut entrer.
Saint Augustin est aussi décisif sur ce
point de notre créance ; il l'établit solidement
dans un ouvrage où il enseigne la manière
d'être utile à nos frères défunts, etl'effL-aeité
des suffrages de l'Eglise.
Sa mère, sainte Monique, cette veuve qui
avait coulé ses jours dans la pénitence, doi.t
les prières et les larmes ont donné à l'Église
un de ses pi us grands docteurs qui sur la lin
de sa vie était comme consumée dans les
flammes de l'amour divin, et avait des avant-
goûts ineffables de la félicité éternelle, ne se
regardait pas encore comme assez pure pour
jouir (ie Dieu aussitôt après sa mort ; elle
s'attendait à aller se purifier dans le purga-
toire ; c'est pourquoi elle prie son fils et tous
les prêtres, de se ressouvenir d'elle à l'autel
lorsqu'ils offriront la victime sainte.
Mais, sans toutes ces preuves, et sans avoir
recours àiune controverse inutile dans cet
ouvrage de piété, il suffit aux catholiques que
l'Eglise ait décidé et donné à ses enfants,
comme un dogme dans ses conciles, l'exis-
tence d'un purgatoire : or, c'est ce qu'elle a
fait.
C'est donc à vous, chrétiens, de tirer une
conséquence de cette vérité : il y a un lieu
où, pour des fautes légères, de simples traces
du péché, un ménagement dans la pénitence
qu'on fait sur la terre, des justes souffrent
longtemps sous le domaine de la justice di-
vine. Que devons-nous penser des chrétiens
qui craignent de se trop mortifier en prati-
quant la pénitence du carême?
2° Qui sont ceux qui souffrent dans le pur-
gatoire? Ce sont des justes, des saints, des
élus, des amis de Dieu dont le sort bienheu-
reux n'est tpie différé, qui sont certains d'ob-
tenir la couronne immortelle qu'ils voient
suspendue sur leur tête ; des pierres pré-
cieuses, choisies et destinées pour entrer
dans la céleste Jérusalem; des vainqueurs
de la chair, du monde et du démon; des per-
sonnes dont l'innocence des mœurs ou l'aus-
térité de la pénitence ont mérité l'admiration
et les éloges de tous ceux qui les ont vus.
Quoique l'Eglise prie jour tous cen q'.ti
513
INSTRUCTION SUR LA PENITENCE DU CAREME. — CHAP. XXVII.
Eli
sont morts dans son sein, il ne faut pas croire
pour cela que le nombre de ceux-qui vont
dans le purgatoire excède celui qui marche
dans la voie étroite qui conduit au ciel, et
dont le Sauveur a dit avec une espèce d'ex-
clamation : Que le nombre est petit! Quam
pauci ! (Matth., VII.) Comme les peines du
purgatoire sont temporelles; que ce lieu de
pénitence au delà du tombeau ne subsistera
plus après la destruction de ce monde visi-
ble, et qu'il n'y aura plus que les deux éter-
nités, le paradis et l'enfer, les âmes qui au-
ront achevé de se purifier dans le purgatoire
entreront dans le ciel, et formeront ce petit
troupeau d'élus dont Jésus-Christ parle sou-
vent et clairement dans son Evangile.
Ainsi, soit en parlant du ciel, soit en par-
lant du purgatoire, nous pouvons dire et
parler exacte'ment : Seigneur, qu'il y en a
peu qui marchent avec persévérance et avec
succès dans la route qui conduit au bonheur
éternel, soit aussitôt après la mort, soit après
les peines que l'on souffre dans le lieu de
pénitence que votre justice a établi au delà
du tombeau ! Quam pauci!
Ainsi, chrétiens, pour vous animer à la
pénitence, considérez deux sortes de per-
sonnes dans le purgatoire : des justes et des
[ écheurs pénitents, des justes qui expient
des fautes légères échappées à la fragilité
humaine, des pécheurs qui ont prié, pleuré,
jeûné, mortifié leur chair : les premiers souf-
frent pour purifier leurs âmes des taches
qu'elles ont contractées dans le commerce
Ou monde; les seconds souffrent pour n'a-
voir pas fait entrer dans leur pénitence tou-
tes les rigueurs dont ils étaient capables.
Or, ces vérités établies, et dont vous ne
devez point douter si vous croyez ce que
croit l'Eglise, quel est votre aveuglement,
chrétiens délicats, qui vous dispensez si aisé-
ment de la pénitence du carême ?#
Vous croyez un lieu de pénitence établi
au delà du tombeau pour expier les fautes
les plus légères; et vous, coupables de tant
de péchés mortels, souillés par tant d'ini-
quités, vous ne voulez pas vous soumettre
à une pénitence douce, aisée, à des mortifi-
cations où n n'entre aucune rigueur!
Vous croyez que la pénitence des pécheurs
convertis qui n'aura pas été assez rigou-
reuse pour satisfaire à la justice divine, où
il sera entré quelque ménagement ou qui
n'aura pas été assez longue, sera perfection-
née au delà du tombeau sous le domaine de
la justice de Dceu, et vous êtes effrayés des
jeûnes et des abstinences que l'Eglise vous
impose !
Ah ! à quelles rigueurs ne vous exposez-
vous pas après votre mort! Est-il donc plus
aisé d'expier ses péchés sous le règne d'une
rigoureuse justice que sous le règne d'une
tendre miséricorde? Ce que soutirent ces
âmes qui achèvent de se purifier après être
sorties de cette vie est incompréhensible.
11 y a une grande différence entre se punir
soi-même ou être puni par un Dieu tout-
puissant.
S'il effraye l'univers, quand il fait éclater
sa colère sur des coupables mortels, dans le
temps même de sa miséricorde, combien est-
il terrible quand il punit, lorsque sa justice
seule agit et se venge?
La charité et l'espérance soumettent les
pénitents du purgatoire aux souffrances qui
les purifient, et voilà ce qui distingue ces
justes des réprouvés; mais leur pénitence
n'en est pas moins rigoureuse; leur amour
et leur espoir augmentent leurs supplices;
l'amour est un poids qui les entraîne vers le
Dieu qu'elles aiment, et qui les repousse;
un bonheur différé afflige des âmes qui
doivent l'obtenir , et qui en connaissent ie
prix.
Si l'on méditait sérieusement ces vérités
de la foi, au lieu de violer la sainte pénitence
du carême, on se mettrait à la place de Dieu,
puisque sa bonté le veut bien, on pleurerait,
on jeûnerait; on s'exciterait à la douleur la
plus vive, la plus étendue; on expierait sur
la chair criminelle ses péchés, et ferait en-
trer dans sa pénitence toutes les rigueurs
dont on est capable; persuadé qu'il est plus
doux de foire pénitence pendant cette vie
que dans l'autre
CHAPITRE XXVII.
La méditation du paradis doit porter les
chrétiens à ne point se dispenser de la pé-
nitence du carême.
Qu'est-ce que le paradis? Ne nous arrêtons
pas à toutes les peintures magnifiques et ra-
vissantes que l'Ecriture nous fait de la gloire
éternelle préparée aux élus; elles sont à la
portée de l'esprit humain; elles nous repré-
sentent des objets que nous pouvons saisir,
qui nous ravissent et nous (Sonnent une lé-
gère idée du souverain bonheur que nous
espérons, et qui est préparé à notre fidélité;
mais tous ces différents emblèmes qui nous
représentent le paradis comme un royaume,
une couronne, une pierre précieuse, ïin lieu
de délices, un séjour de repos, de lunvère,
de gloire, ne nous définissent pas encore io
paradis tel que la foi doit le concevoir, et
tel que Dieu l'a défini lui-même en peu de
mots à son serviteur Abraham, lorsqu'il lui
dit : Je serai moi-même la récompense
ineffable de votre foi, de votre détachement,
de votre obéissance : Ego merees tua magna
nimis. (Gènes., XV.)
Le paradis , c'est Dieu ; la félicité des
saints, c'est la possession de Dieu; ils jouis-
sent de tous les biens réels , parce qu'ils
jouissent de Dieu, ils n'ont plus rien à dési-
rer, parce qu'ils possèdent Dieu ; rien ne
peut ni partager, ni altérer leur bonheur,
parce que rien ne peut les séparer (ie Dieu ;
leur félicité est réelle, parfaite, éternelle,
parce que Dieu en est le seul principe. Sans
concevoir donc aucune enceinte, aucun es-
pace terrestre, ni rien des délices, des ri-
chesses, des beautés de ce bas monde, je dis
que là où Dieu se fait voir tel qu'il est à ses
élus, là est le paradis, parce qu'alors les élus
le voient sans énigmes, sans nuages ; parce
que tous les voiles qui le cachent aux mer-
si:
ORATEURS SACRES. BALLET.
810
tels sont levés, toutes les saintes obscurités
qui l'enveloppent sont dissipées; ils sont in-
vestis des clartés divines, embrasés d'un feu
divin-, perpétuellement ravis par le specta-
cle des perfections de l'Etre suprême.
Mais cette félicité ineffable que nous espé-
rons et qui est promise solennellement aux
cbréticns fidèles, à quelles conditions nous
est-elle promise? Lisez l'Evangile : àcondi-
ditiou que nous serons sur la terre des hom-
mes de larmes, de gémissements, de soupirs,
de prières, de mortifications, d'abnégation,
de crucifiement, c'est-à-dire des hommes de
pénitence.
Oui, le ciel nous prêche la pénitence, il
faut une pénitence de précaution pour ne le
point perdre: il faut une pénitence d'expia-
tion pour nous l'ouvrir après que nos péchés
nous l'ont fermé; ceux qui y sont entrés avec
leur innocence ne l'ont conservé dans les
dangers du monde que par la retraite, la
prière, la vigilance, la mortification et les
saintes rigueurs qu'ils exerçaient sur leur
chair, dès qu'elle voulait se soulever. Ils dé-
robaient à leur corps tout ce qui pouvait ser-
vir d'aliment à ses penchants déréglés, afin
de conserver leur âme pure et sans tache.
Ceux qui y sont entrés après le péché, n'y
60nl parvenus que par les pleurs, la douleur,
le déchirement du cœur, les jeûnes, les veil-
les, les macérations, qu'après avoir fait ser-
vira la justice tout ce qui avait servi à l'ini-
quité, et s'être armés contre eux-mêmes,
pour désarmer le bras vengeur qui les pour-
suivait.
Méditez ces vérités, chrétiens délicats, ido-
lâtres de votre santé, indulgents pour un cerps
de pécbé; il faut pour entrer dans le ciel, y
porter une innocence conservée ou recou-
vrée. On la perd dès qu'on ne réduit pas son
corps en servitude. On ne la recouvre pas
après l'avoir perdue, sans beaucoup de pleurs
et de mortifications.
Jésus-Christ dit : Faites des efforts pour
entrer dans le ciel, et vous ne voulez pas
vous gêner, veus mortifier; la pénitence du
carême vous révolte. 11 dit que le royaume
de Dieu soulfre violence, qu'il faut se la faire
continuellement pour en faire la conquête,
et vous êtes des lâches qui ne voulez pas
seulement essayer des jeûnes et des absti-
nences ordonnées par l'iïglise. 11 dit que
l'âme est plus que le corps, et vous négligez
et laissez périr ce qui est immortel pour
délicater et conserver ce qui périt. Saint Paul
traitait rudement sa chair de crainte d'être
réprouvé, et vous vous la délicatez aux dé-
pens du salut de votre âme ; nous devons gé-
mir comme des étrangers sur la terre, si nous
voulons nous réjouir cninmo citoyens dans
le ciel: nos pleurs ne doivent être essuyées
qu'en sortant de notre exil, et vous voulez
vous réjouir avec le monde. Peu en peine de
ce changement de scène qui se fait à la mort,
où la joie est changée en tristesse et la tris-
tesse en joie, selon l'Evangile; quel est votre
aveuglement!
Jésus-Christ, notre chef, nous propose
t/ois choses, dit saint Bernard (De divers!*,
scrm.68), pour entier avec lui dans la gloire:
Tria proposuil Cliristus. En vain nous liât-
tous-nous d'obtenir le ciel, d'être heureux
au delà du tombeau si nous ne les pratiquons
pas; l'abnégation de nous-mêmes, l'humilité
et la pénitence : Servilutem, vilitalem, aspe-
ritatem.
Ces trois traits qui doivent caractériser la
vie des disciples du Sauveur, sont claire-
ment marqués dans cet oracle de l'Homme-
Dieu : Si quelqu'un veut régner avec moi dans
mon royaume, qu'il renonce à lui-même, qu'il
porte sa croix et qu'il me suive. (Luc, IX.)
Renoncer à soi-même pour s'attacher à
Dieu; renoncer à la sagesse orgueilleuse du
monde pour se-soumettre à la sainte folie de
la croix; mener une vie pénitente et cruci-
fiée pour imiter Jésus-Christ clans ses souf-
frances, trois obligations indispensables pour
nrôriter d'entrer dans le paradis après sa mort.
Or les infraetcurs de la loi de l'Eglise les
remplissent-ils ces obligations indispensa-
bles du chrétien? Ces hommes idolâtres de
leur corps, qui en craignent la moindre alté-
ration, le moindre déchet lorsqu'il s'agit de
pénitence, qui écoutent ses désirs, sa déli-
catesse, et qui se font un devoir, non-seule-
ment de le nourrir, mais de l'engraisser. Ces
hommes que la croix effraye, et qui se conten-
tent de fléchir le genoux devant elle à la fin
du carême, comme si c'était participer aut
souffrances de Jésus-Christ, que d'imiter ses
ennemis qui le saluaient. Ces hommes dont
la vie est molle, sensuelle, plus occupés à se
procurer de nouveaux plaisirs qu'à punir
ceux qui souillent leur âme depuis si long-
temps.
Ah I en vain croit-on un paradis : en vain
l'espère-t-on, si l'on ne marche pas dans la
roule pénible qui y conduit. Le ciel prêôhe
la pénitence, et Jésus-Christ ne l'a pas an-
noncée, sans annoncer en même temps la
nécessite» de la pénitence : Pœnitentiam
agite quia apprepinquavit regnum ccelorum.
(Mallh., IV.)
CHAPITRE XXVIII.
Les sentiments des Pères assembles dans les
. conciles, sur la pénitence du carême.
L'Eglise dispersée ou assemblée est tou-
jours l'Epouse fidèle de Jésus-Christ, qu'il
a revêtu de sa divine autorité pour enseigner
les fidèles : il ne l'a pas rendue infaillible
pour un temps seulement, puisqu'il a dit
qu'il serait avec elle jusqu'à la consommation
des siècles : il ne l'a pas resserrée dans un
coin du monde, puisqu'il lui a dit d'instruire
et de baptiser toutes les nations : il ne lui a
pas dit qu'il fallait absolument qu'elle fût
assemblée pour défendre la vérité ou pros-
crire l'erreur, puisqu'il dis; erse les apôtres,
et les envoie dans les différents royaumes,
sans cesser d'être avec eux. 11 n'a pas dit
qu'elle souffrirait des obscurcissements qui
la feraient méconnaître, puisqu'il la repré-
sente comme une brillante lumière placée
sur une haute montagne qui éclairerait tous
les peuples : il n'a pas dit qu'elle languirait
sr
INSTRUCTION SLR LA TEMTENCE DL CAREME. — CIÎAP. XXIX.
518
dans une veillasse méprisable qui lui ferait
adopter des nouveautés profanes, et aban-
donner la foi que son divin Epoux lui a con-
fiée, puisque jusqu'à la consommation des
siècles sans excepter un seul jour, il a pro-
mis d'être avec elle, et de se plaire avec
elle.
Enfin, il n'a pas prétendu excuser ceux
qui fermeraient les yeux à l'éclat de cette
lumière, qui résisteraient aux décisions de
ce tribunal toujours subsistant, qui viole-
raient ses lois, puisqu'il met au nombre des
publicains et des païens ceux qui n'écoutent
pas l'Eglise, et qu'il proteste que mépriser
cette autorité infaillible qu'il a établie pour
nous conduire, c'est le mépriser lui-même,
et le Père céleste qui l'a envoyé.
Or, toutes ces vérités de foi établies dans
l'Evangile condamnent nos frères séparés
qui font finir la fidélité et la beauté de l'E-
glise avec le troisième siècle ; qui lui attri-
buent un déchet dans la pureté de la doctrine
et de la morale, qui la séparent de son Epoux,
qui entreprennent audacieusement d'élever
une nouvelle Eglise sur l'édifice inébranla-
ble que Jésus-Christ a posé lui-même, et de
renverser la colonne de la vérité avec les
armes du mensonge.
Au reste, tous les hérétiques n'ont pas plus
respecté l'Église assemblée que l'Eglise dis-
persée ; ce sont les catholiques soumis qui
la respectent, soit qu'elle décide sans con-
cile, soit qu'elle décide dans un concile.
Or, c'est aux infracteurs de la pénitence
du carême que j'oppose les oracles, les
exhortations et les menaces que cette Epouse
du Sauveur a prononcés dans les saintes
assemblées que la nécessité, la protection
des souverains, les circonstances des temps
lui ont fait convoquer. i
Ecoutez, chrétiens délicats, ce que les Pères
assemblés dans les conciles ont dit de la
pénitence du carême, ce qu'ils ont pensé
des infractions que vous ne voulez pas
mettre au rang des péchés qui donnent la
mort à votre âme.
Tantôt ils décident que ceux qui rompent
le jeûne ou l'abstinence du carême sans une
extrême nécessité, sans un danger évident
de la santé, ne peuvent point participer aux
grâces de la mort et de la résurrection de
Jésus-Christ, et ne doivent pas être admis
à la communion dans le temps pascal (54-).
Tantôt ils prononcent que dans ce temps
de jeûne et d'abstinence, les chrétiens doi-
vent pratiquer une pénitence qui s'étende sur
tout ce qui peut mortifier l'esprit, le cœur et
les sens. Que la prière, la yjsite des pau-
vres, l'assiduité aux offices divins, doivent
remplir les moments que l'on donne au jeu,
aux compagnies et aux plaisirs permis dans
les autres temps (55).
Tantôt ils approuvent le choix des mets
que l'Eglise ordonne pour mortifier la chair
dans ce temps de pénitence, la privation de
ceux qui sont succulents, et regardent comme
(5-4) Concil. Tolotan., octav., anno C>17> , oan. fl.
(55) Concil. Metliolan. quinium sub. S. Caiolo,
des infracteurs que Dieti punira dans ses
vengeances, ceux qui violent celte sainte loi
de la mortification chrétienne (56).
Or ces oracles suffisent pour condamner
la délicatesse, les prétextes et tous les rai-
sonnements des chrétiens qui rompent le
jeûne ou l'abstinence du carême, et qui se
livrent aux plaisirs dans ce saint temps.
Dès qu'il n'y a pas une infirmité réelle,
c'est un péché mortel que de manquer un
seul jour au jeûne ou à l'abstinence. Péché
qui fait perdre à ces infracteurs les fruits
précieux de la mort et de la résurrection de
Jésus-Christ; péché pour lequel ils doivent
être jugés indignes d'être admis à la commu-
nion pascale; péché qui renferme une déso-
béissance au précepte de l'Eglise, qui chan-
gera à leur égard un Dieu clément en un
Dieu vengeur. Voilà l'esprit des conciles.
Quoique l'on aperçoive à la sainte table
dans la solennité pascale, une foule de ces
infracteurs audacieux; quoique Dieu ne fasse
pas éclater sur eux encore sa justice irritée,
ces vérités n'en sont pas moins constantes.
CHAPITRE XXIX.
Témoignage de Tertullîen sur la pénitence du
carême.
Tertullien est célèbre dans l'Eglise par la
vaste étendue de son érudition, la beauté de
son génie, l'ardeur de son zèle, la fameuse
apologie qu'il a faite des chrétiens, qui est
un morceau admirable, la pureté de ses
mœurs.
Jamais homme ne fut plus digne d'admi-
ration. 11 a été une brillante lumière, un doc-
teur sublime, un défenseur ardent de la doc-
trine de Jésus-Christ, le tléau des Romains
idolâtres. Jamais personne n'a humilié le pa-
ganisme comme lui, ni si bien développé
l'extravagance du culte qu'on renda.t aux
fausses divinités.
Mais hélas! ce grand homme est encore
devenu plus fameux par sa chute que par
ses rares talents. Ce bel astre s'est éclipsé,
ce défenseur de l'Eglise est devenu son per-
sécuteur, et il est l'objet de ses gémisse-
ments après avoir été l'objet de ses éloges.
11 est puni éternellement avec ses enfants
rebelles après avoir été le guide de ses en-
fants soumis.
Tremblez, savants présomptueux, votre
profond savoir sera recueil de votre foi si
vous manquez de docilité et de soumission;
si vous ne soumettez pas vos lumières aux
saintes obscurités de la foi , si vous n'écou-
tez pas l'Eglise, et ne préférez pas ses déci-
sions aux vôtres.
Tertullien suivit l'impétuosité de son zèle,
son penchant pour une extrême sévérité. Il
commença | ar blâmer l'Eglise de sa dé-
mence envers les pécheurs pénitents, il l'ac-
cusa de rclâihement et rompit le lien sacré
de l'unité; alors on vit cet homme tout bril-
lant de lumière, tomber dans un abîme de
amio 1570, parlitit. 3.
(oC;\ Concil. Trident, sess. xxv, cap. 21.
519
ORATEURS SACRES. BALLET.
?a&
ténèbres. Point d'égarements, d'excès, d'ex-
travagances même où il ne donne aveuglé-
ment. *
Celte [ilume savante, qui avait combattu
avec tant de succès les niarcionites, les va-
Jentiniens, attaqua l'Eglise du Sauveur.
Celui} qui avait reproché aux hérétiques la
trace de leur nouveauté, se laissa séduire
par le faux merveilleux que débitait un mi-
sérable Montai); celui qui avait représenté
aux empereurs la sagesse, la décence et la
pureté (lu culte des chrétiens, adopte les rê-
veries d'une troupe d'imposteurs et de fem-
mes séduites.
Grand Dieul qu'est-ce l'homme? Quel
fond devons-nous faire sur nos lumières,
nos talents? Heureux les savants soumise
l'Eglise !
Comme Tertullien a beaucoup écrit pour
l'Eglise avant de Ja quitter, ses ouvrages
sont conservés et estimés. On cite son auto-
rité parce qu'elle est d'un grand poids; tout
ce qu'il a écrit étant catholique est mar-
qué au coin de l'érudition, de la vérité et de
la sincérité ; c'est pourquoi je vais rapporter
ce qu'il a dit de la pénitence des chrétiens
et des jeûnes du carême.
Dans un ouvrage môme contre les catho-
liques où il ne veut pas que l'on innove,
il dit (Libro contra Psych., id est calholicos
scripto, capite 13) qu'il faut observer les
jeûnes et la pénitence indiqués avant la fête
de Pâques : Propler Pascha jejunantes. Il
exhorte même ceux qui le pourront a pous-
ser l'austérité jusqu'à se contenter de pain
et d'eau à leurs repas. Et, en répondant à
ceux qui disaient que les jeûnes n'étaient
l'as de précepte, il dit que les évoques an-
nonçant et obligeant tous les fidèles à ces
mortifications, il ne leur est pas libre de s'en
dispenser.
ÏViais c'est surtout dans son Apologie qu'il
faut l'entendre parler de la pénitence des
premiers chrétiens; car c'est dans cet ou-
vrage qu'il expose aux empereurs tout ce
qui se pratiquait parmi eux : c'était un récit
sincère qu'il faisait de la vie des disciples de
Jésus de Nazareth, que les païens accusaient
de commettre des crimes dans leurs assem-
blées et dans leurs mystères.
Il était très-aisé d'avoir la preuve de ce
qu'il avançait dans la défense qu'il présen-
tait aux puissances.
« Si vous vouliez savoir quelle est notre pé-
nitence, ô empereur, il faudrait non-seule-
ment lire le récit que je vous en fais, mais
encore nous voir. Vous verriez des hommes
desséchés par de .longs jeûnes, une chair
domptée par les rigueurs que nous exerçons
sur elle, des hommes qui se privent de tou-
tes les douceurs que la terre donne, cou-
verts de sacs et de cendres, qui font une
sainte violence au ciel | ar leurs gémisse-
ments continuels, et qui touchent Dieu par
la douleur et l'amertume dont leur cœur est
rempli. Ainsi, pendant qu'un Jupiter inces-
tueux est honoré par le sacrilège encens que
vous lui offrez, nous forçons la justice di-
vine à faire- place à la miséricorde par les ri-
gueurs de notre pénitence : Cum mhencor-
aîam extorserimus, Jupiter honoralur. » (In
Apologelico adversus gentiles, cap. kO.)
Ah! dans ce saint temps du carême ne
pourrions-nous pas tenir le même langage?
Pendant que les chrétiens pénitents apaisent
la colère du Seigneur irrité, les chrétiens
délicats sacrifient leurs âmes à la mollesse,
à la sensualité, au plaisir.
CHAPITRE XXX.
Témoignage de saint Cyprien sur la pénitence
et le jeûne du carême.
Saint Cyprien fut un des plus beaux gé-
nies de son temps et un docteur d'une pro-
fonde et sublime doctrine. 11 a passé des té-
nèbres du paganisme à la lumière de l'Evan-
gile par le zèle et les leçons du prêtre Cé,i-
lius. Aussi l'honera-t-il toute sa vie comme
son père dans Ja foi , et se fit une gloire
d'ajouter son nom au sien.
Ce savant homme n'embrassa pas le chris-
tianisme sans avoir mûrement délibéré; il
ne préféra l'école de Jésus-Christ aux aca-
démies de la Grèce qu'après avoir été per-
suadé de la divinité de Jésus de Nazareth et
de la vanité des idoles.
On | eut donc le mettre au rang de ces gé-
nies élevés et sublimes, figurés par ces oi-
seaux dont parle l'Evangile, qui sont venus
se reposer à l'ombre de cet arbre majestueux
qui couvre de ses branches florissantes toute
la terre, c'e-t-à-dire qui sont entrés dans
l'Eglise du Sauveur, qui en ont l'ait la gloire
et la consolation.
Quelle confusion pour ces prétendus es-
prits forts qui osent débiter que le christia-
nisme n'a été embrassé que par des simples
et des ignorants, quand on leur oppose tou-
tes ces brillantes lumières sorties du sein
même des ténèbres du paganisme?
Le saint docteur dont j'emprunte l'auto-
rité, pour prouver aux chrétiens lâches la
nécessité de la pénitence et l'utilité du
jeûne, a fait la gloire de l'Eglise par ses
travaux, ses éi rils et son martyre. Ses tra-
vaux dans des temps dilliciles, sont marqués
au roin du zùle apostolique; on voit flans
ses écrits une érudition, une éloquence, nés
grâces, une onction, une piété qui annon-
cent le saint et le savant. On voit dans les
actes de son martvro, tout l'héroïsme que
peut inspirer la divine charité et la foi la
plus vive.
Si, autorisé par la coutume que les évo-
ques d'Asie avaient introduite, de rebapti-
ser les hérétiques qui rentraient dans le
sein de l'Eglise, il a résisté longtemps aux
sentiments du pape saint Etienne qui déci-
dait le contraire, il faut taire attention à
trois choses dans cette fameuse dispute,
pour ne pas tomber dans l'aveuglement de
ceux quren tirent une conséquence fausse,
pour justifier ceux qui refusent de se sou-
mettre aux décisions du Saint-Siège, reçues
par le corps des premiers pasteurs. 1" Le
fonds de celte dispute était un point de dis-
cipline et ne regardait point la foi. 2" Saint
521
INSTRUCTION SUR LA PENITENCE DU CAREME.
CIIAP. XXXI.
524
Cyprien ne cessa jamais de reconnaître
l'autorité du vicaire de Jésus-Christ, et fut
toujours attaché inviolablement à la chaire
de saint Pierre. 3° Il a lavé dans son sang
'e scandale qu'il avait pu donner par sa sé-
vérité. Saint Augustin dit que sa résistance
fut une tache uans un cœur très-pur : ma-
cula in torde purissimo. Or, d'après le por-
trait que je viens de tracer, on reconnaîtra
aisément que l'autorité de ce Père de l'E-
glise doit être d'un grand poids.
Si je parlais seulement de la pénitence
que tout chrétien, qui a eu le malheur de
souiller son âme par un péché mortel, est
obligé de faire sous peine de damnation,
quel vaste champ ne m'offrirait pas son
traité de ceux qui sont tombés 1 II n'ouvre
les cieux aux pécheurs après leur chute, il
ne les flatte de l'espoir du pardon, qu'après
beaucoup de pleurs, de gémissements, de
saintes rigueurs exercées sur leur chair cri-
minelle; il veut que l'on pleure les péchés
qu'on a commis et qu'on ne commette plus
les péchés que l'on pleure; il ne veut point
qu'il entre dans la pénitence d'adoucisse-
ments, de ménagements; il soutient qu'il
faut que la pénitence réponde à tous égards
au nombre, à l'énormité de nos fautes : Pœ-
nitentia crimine minor non sit. (De lapsis.)
Mais je ne rapporte ici que ce qu'il a dit
sur le jeûne, pour toucher ou confondre
ceux qui méprisent et violent la loi de l'E-
glise sur la pénitence du carême.
Il commence par louer le jeûne de Moïse.
Le saint législateur, dit-il, mérita par un
jeûne de quarante jours d'être avec Dieu
sur la montagne de Sinaï, de le voir autant
qu'il est permis à un mortel encore étranger
sur la terre, et retenu dans les liens d'une
ehair périssable; c'est dans cette longue abs-
tinence qu'il goûta les douceurs ineffables
des divins entretiens dont le Seigneur vou-
lut bien l'honorer.
Ensuite il parle du jeûne d'Elie, qui fut
aussi long; jeûne, dit-il, auquel ce saint
prophète joignit une parfaite retraite; occupé
dans une profonde solitude des choses cé-
lestes, il était comme hors de ce monde ter-
restre.
Il faut remarquer ici que presque tous les
saints Pères n'ont point parlé du jeûne que
Jésus-Christ a pratiqué pendant quarante
jours dans le désert, sans parler de celui de
Moïse et d'Elie, qui jeûnèrent le même
nombre de jours, et qu'ils en ont conclu
tous que la loi, les prophètes et l'Evangile
autorisaient l'établissement du carême des
chrétiens.
Enfin saint Cyprien parle du jeûne des
chrétiens : C'est dans le christianisme, dit-il
(Serm. de jrjun. et tentât.. Christi), qu'on a
reconnu l'utilité des jeûnes; c'est parmi les
disciples de Jésus-Christ qu'éclate la péni-
tence que Moïse, Elie et Jésus-Christ ont
pratiquée dans le désert : Utilitas jejuniorum
temporihus Christianis clarius patuit.
Nous ne voyons point, dit-il, de chrétiens
arriver à une solide piété, et persévérer dans
la vertu , quand ils ne sont point des hom-
CaATELKS SACRÉS. L.
mes de jeûne et d'abstinence. Dès que le:
chrétiens entreprennent quelque chose d'im
portant, ils jeûnent pour attirer les béné-
dictionscélestes sur Jpurs entreprises; quant
ils veulent fléchir efficacement la colère di
Seigneur irrité, ou obtenir de sa bonté quel
que gâce, ils se présentent à lui mouillés do
leurs pleurs, couverts de cendres, revêtus de
cilices, affaiblis par de longs jeûnes ; c'est
dans cet état qu'ils lui offrent un cœur dé-
chiré, contrit, humilié, leurs gémissements,
leurs prières.
Saint Cyprien a souffert le martyre au mi-
lieu du ine siècle; ainsi voilà un monument
de l'antiquité qui atteste les jeûnes et la
pénitence des chrétiens, et condamne ceux
qui censurent et violent la loi de l'Eglise
sur la pénitence du carême.
CHAPITRE XXXI.
Témoignage de saint Ambroise sur le jeûne et
la pénitence du carême.
On n'ignore pas le rang distingué que
saint Ambroise tient parmi les docteurs "de
l'Eglise latine : une foule de merveilles se
présentent à l'esprit dès que l'on veut don-
ner seulement une légère idée de ce grand
homme.
Quelle sagesse 1 quei esprit! quelle pru-
dence dans le maniement des affaires 1 Mi-
lan'et toute la province dont il fut longtemps
gouverneur, ne se contentèrent pas d'admi-
rer dans ce grand homme l'intégrité et la
probité qui font la gloire du magistrat; ils y
découvrirent encore les vertus qui font le
saint évêque et l'apôtre zélé.
Aussi, dès que saint Ambroise se fut rendu
à l'Eglise pour apaiser les troubles qui s'é-
taient élevés entre les ariens et les catholi-
ques assemblés pour donner un successeur
à Auxence, fameux arien , évêque de Milan,
et mort attaché opiniâtrement à cette furieuse
hérésie, sa présence dissipa la sédition,
calma les esprits agités, et tous, saisis d'un
saint respect et inspirés sans doute par le
ciel, relevèrent malgré lui sur le trône épis-
copal.
On dit que Dieu, qui inspire qui il lui
plaît, se servit d'un enfant pour annoncer au
peuple assemblé qu'Ambroise était choisi
par le ciel pour remplir le siège de Milan.,
La résistance que fit notre saint, et qu'if
poussa si loin, qu'on fut obligé de lui donner
des gardes, prouve combien il était effrayé
du fardeau qu'on voulait lui imposer.
Les premières dignités de l'Eglise ont
toujours fait trembler les saints; elles ne
flattent que ceux qui n'en connaissent pas
les obligations indispensables.
Ambroise, après son baptême et sa conver-
sion, fit voir tout ce que peut un pasteur
suscité de Dieu, choisi de Dieu et appelé de
Dieu au gouvernement des âmes.
11 fit couler dans tout son diocèse des tor-
rents d'une céleste doctrine; il attaqua les
hérétiques et les terrassa; il combattit le
vice et le força de se cacher. Il parut à la
cour des empereurs avec le zèle et la sain-
i7
523 ORATEURS SACRES
teté de Jean-Baptiste ; il représenta au grand
Théo-dose son péché, et Théodose le pleura
et en fit pénitence. Les charmes de son élo-
quence entraînaient les cœurs cjuand il prê-
chait; les plus grands pécheurs ne pouvaient
résister à l'onction que Dieu avait mise sur
ses lèvres.
Le jeune Augustin est curieux de l'en-
tendre,, le jeune Augustin sera sa conquête.
L'Eglise, enrichie des écrits de notre saint,
y trouve tous ces traits qui annoncent le
saint, le savant évoque, et une des plus
brillantes lumières du ive siècle.
Or, c'est le témoignage d'un si grand
homme que j'oppose aux infracteurs de la
sainte pénitence du carôme; à ces libertins,
à ces prétendus beaux génies qui représen-
tent l'inutilité des jeûnes avec tous les tours
de l'éloquence mondaine et les saillies d'une
imagination libertine.
Ce saint docteur nous rapporte la coupa-
ble doctrine de certains savants infectés îles
erreurs de Jovinien.
J'entends, dit-il, parler des personnes
contre les saintes pratiques de l'Eglise : se-
lon ce qu'elles débitent, le jeûne, lasobriété
ne sont d'aucun mérite ; elles traitent d'in-
sensés ceux qui domptent la chair par le
jeûne, et qui la soumettent à l'esprit par les
saintes rigueurs qu'ils exercent sur elle. No
dirait-on pas, ajoute ce saint docteur, que
saint Paul, ce vase d'élection, était aussi
dans le délire lorsqu'il châtiait sa chair et
réduisait son corps en servitude , de crainte
d'être réprouvé après avoir prêché les
autres?
Ah! quelle est la nouvelle école, la nou-
velle académie qui a instruit ces épicuriens?
Quœ istos epicureos nova schola misit?
De quelle autorité sont donc ces nouveaux
maîtres qui rejettent le mérite du jeûne?
Qui sunt ergo hi prœceptores novi qui meri-
tum excludant jejunii? lisse donnent pour
des sages, des philosophes, mais ce sont des
ignorants, des apôtres de la volupté, des dé-
lices, des ennemis de la vérité.
Or ne pourrais-je pas tenir aujourd'hui
le même langage aux prétendus esprits forts,
aux libertins qui censurent , méprisent la
sainte pénitence du carême ?
Dans quelle école ont-ils appris à com-
battre la sainte pratique du jeûne? Sont-ce
les maîtres qui leur ont donné les premiers
BALLET.
52-1
principes de la religion et des sciences? Non
certainement. A quelle école ont-ils donc
appris à être sensuels, délicats, ennemis
des mortifications? Qui leur a donné ces le-
çons de mollesse? Qui leur a dit que le jeûne
et l'abstinence n'étaient d'aucune utilité, et
qu'on pouvait sans danger et sans crime,
violer la loi qui défend tout ce qui peut sou-
lever et révolter un corps de péché? Quœ
istos epicureos nova schola misit?
Notre saint docteur est encore précis sur
le jeûne de la quarantaine ; le jeûne solennel
du carême vous a été annoncé, mes frères :
Jndiclum est jejunium ; pensez que vous
êtes obligés de J'observer sous peine de pé-
dié : Cave ne ncfjlvjas (serm. 1 in psal. ,
CXVI11); prenez garde de vous en oispenser
un seul jour sans une infirmité réelle. Résis-
tez à la délicatesse, aux prétextes, aux
exemples, à la coutume, aux objections des
mondains, des libertins, des hérétiques, des
impies : Cave ne negligas.
Que ce témoignage du iv* siècle doit
nous rendre la pénitence du carême pré-
cieuse, et nous affermir dans la pratique
du jeûne 1
CHAPITRE XXXII.
Témoignage de saint Jérôme sur le jeûne et
la pénitence du carême.
L'Eglise remercie le Seigneur dans ses
prières, d"avoir suscité cet incomparable
docteur pour traduire et expliquer les divi-
nes Ecritures. La version que cette Epousedu
Sauveur, seule dépositaire du vrai sens des
Ecritures, a consacrée sous le nom de
Yulgaie , est presque toute de ce savant
homme.
La sainteté, la pénitence, les travaux, l'é-
rudition, les lumières de cet illustre Père de
l'Eglise latine, ont de quoi épuiser notre ad-
miration. Quel héroïsme dans ses vertus 1
Quelles rigueurs dans sa pénitence 1 Quelles
fatigues dans ses voyages ! Quels succès dans
les combats qu'il soutint contre les héréti-
ques! Quelle beauté, quelle éloquence, quel
feu dans ses écrits !
11 fut un spectacle d'admiration pour les
anges dans la grotte de Bethléem. Sa chère
solitude, ce saint berceau du Sauveur nais-
sant, eut toujours pour lui des délices. 11 en
fut absent quelquefois pour les intérêts de
l'Eglise, son cœur y était toujours d'affec-
tion. Il édifia la cour de Rome, lorsque les
souverains pontifes, informés de ses bril-
lants talents et de ses rares vertus, se l'atta-
chèrent. De quelle utilité ne fut-il pas au
pape saint Damase, sous lequel il écrivit tant
d'épîlres, et toutes les réponses aux consul-
tations synodales de l'Orient et de l'Occident?
Les manuscrits les plus rares et les plus
précieux excitent sa sainte ardeur de savoir;
il visite tous les lieux de la Palestine; il
fait de savantes observations sur tous les
endroits que le Sauveur a honorés de sa pré-
sence; il s'attache les plus savants des Juifs;
il se remplit de tous les tours de la langue
hébraïque; il se transporte à Alexandrie
pour consulter Didyme sur les endroits les
plus diilieiles de l'Ecriture.
Etude pénible, que le zèlo de la religion
lui fait entreprendre pour être utile à l'E-
glise ; étude que la vaste étendue de son gé-
nie lui rend cependant facile; étude qui a
procuré à l'Eglise le plus riche et le plus
beau monument d'une sainte érudition. Etude
que notre saint regardaitencore comme un re-
mède contre les révoltes des sens, et contre
les images importunes de la volupté qui vou-
laient salir son imagination, et soulever sa
chair serrée d'un rude ciliée, et desséchée
d'austértiés.
"Saint Grégoire de Nazianze se fait gloire
de l'avoir pour auditeur à Constantinopie;
5<25
INSTRUCTION SLR LA PENITENCE DL CAREME.
CHAP. XXXIU.
saint Augustiale regarde comme son 'père
et le consulte; il garde la douceur et la sou-
mission d'un enfant, lors môme que saint
Jérôme , dont le caractère sévère, éclatait
aussi bien dans ses écrits et dans les dispu-
tes que dans sa pénitence, parlait en maître.
Si l'on veut connaître la pureté de sa doc-
trine et sa soumission au Saint-Siège, il n'y
a qu'à se rappeler qu'il méconnut l'autorité
de Paulin et île Mélèce, lorsqu'il fut ques-
tion de prononcer sur les trois hvpostases,
qu'il consulta le souverain pontife pour fixer
sa foi.
Enfin, si l'on veut connaître la charité de
te grand homme, il n'y a qu'à se représenter
les secours qu'il donna dans sa grotte de
Bethléem à cette foule de Romains du pre-
mier rang, qui, après la prise de Rome par
les Goths, trouvèrent dans ses libéralités une
ressource pour subsister. Cette noblesse dé-
pouillée de ses biens, dans l'indigence, sub-
sista par les bienfaits d'un solitaire.
Ce grand docteur éclaira la fin du iv"
et le commencement du vc siècle. Ainsi,
son autorité sur le jeûne et la pénitence
du carême est encore un monument de la
vénérable antiquité; écoutons-le parler sur
celte sainte pratique des chrétiens.
Ce saint docteur définit le jeûne : Ce n'est
point, dit-il, une vertu absolument : Jeju-
nium non pcrfecta virtus , mais c'est le fon-
dement , l'appui de toutes les vertus : Scd
tirtutum fundamentum. C'est pourquoi nous
ne vous ordonnons pas des jeûnes excessifs,
meurtriers : Immodernta jejunia; une absti-
nence rigoureuse et continuelle : Enormem
ciborum abstincntiam. L'Eglise ne veut point
vous imposer des austérités qui détruisent
vos corps : Quibus corporadelieata franyun-
tur ; mais des jeûnes, des mortifications qui
domptent les coupables penchants de la
chair et triomphent de ses continuelles ré-
voltes, afin que vous ne deveniez pas faibles,
languissants, prévaricateurs môme dans vos
devoirs de piété : Sedut fracto corporis ap-
petitu,nec in lectione, nec in psalmis, nec in
vigiliis solito quid minus facias. (Epist. 8 ad
Demetriadem, cap. 6.)
Et dans un autre endroit il dit : Il n'y a
point d'autres ressources pour les pécheurs
que de prendre les armes de la pénitence ;
et ces armes sont le jeûne, les pleurs, le sac
et la cendre. [In cap. III Jonœ.)
Ces seules paroles de saint Jérôme suffi-
sent pour prouver que ce grand docteur con-
naissait et le prix et la nécessité du jeûne,
puisqu'il le recommande et l'observe, et
qu'il justifie l'Eglise, qui en fait un précepte
dans certains temps de l'année, des repro-
ches que les hérétiques lui font d'exposer par
ses rigueurs la santé délicate de ses enfants.
Si les chrétiens de nos jours ne préféraient
pas leurs corps à leurs âmes ; s'ils ne bra-
vaient pas les révoltes des sens; >'ils ne se
familiarisaient pas avtfc tous les désirs, les
pensées qui souillent l'âme, ils ne crain-
draient pas tant d'affaiblir un corps que tous
les saints ont regardé comme leur plus grand
ennemi.
Enfin, saint Jérôme va parler expressément
du jeûne du carême, de la sainte quaran-
taine qui précède la fête de Pâques, et que
les chrétiens passent dans la pénitence : en-
tendons-le parler.
Il ne dit pas que c'est une pratique nou-
vellement introduite dans l'Eglise, qui doive
son établissement à quelque pénitent zélé;
une pratique embrassée par un évêque ou
quelque monastère; une pratique qui ne fait
pas une loi; il dit clairement que le carême
est établi par les apôtres. Nous observons,
dit-il, religieusement tous les ans les jeû-
nes et l'abstinence, les quarante jours qui
précèdent la fêle de Pâques , parce que c'est
une pratique établie par les apôtres, et que
nous tenons d'eux par tradition : Unam qua-
dracjesimam secunditm traditioncm apostolo-
rum lemporenobis congruojejunamus. (Epist.
ad Marcellam adversus errores Montant.)
Je suis surpris, après ces témoignages de
l'antiquité, que les protestants aient traité
d'invention humai-ne la sainte pénitence du
carême; et je suis encore plus surpris que
des chrétiens catholiques la violent avec
scandale et en parlent avec moins de ména-
gement encore que les hérétiques.
CHAPITRE XXXIIL
Témoignage de saint Augustin sur le jeûne et
la pénitence du carême.
Voici une autorité qui seule serait suffi-
sante pour confondre les protestants qui con-
testent l'institution apostolique du carême,
si nous pensions comme eux; mais quelque
élevé que soit saint Augustin au-dessus des
autres docteurs, il n'est grand dans l'Eglise
que parce qu'il lui a été soumis; nous ne
professons sa doctrine que parce que l'Eglise
l'a adoptée, et s'est servie de ses expressions
dans plusieurs décisions solennelles de ses
conciles.
Nous le louons comme l'oracle de l'Eglise,
parce qu'il a toujours défendu sa foi, son
unité, son autorité, sa visibilité, son univer-
salité et son infaillibilité.
Nous regardons ses ouvrages comme un
trésor précieux d'où coulent une doctrine
pure et céleste, des règles sûres de morale,
parce que l'Eglise les a approuvés avec de
magnifiques éloges : car quelque profonds
que soient ses écrits, ils ne seraient d'aucune
autorité en matière de foi, s'ils n'étaient pas
revêtus de celle de l'Eglise.
En effet, si ce grand docteur a dit qu'il ne
croirait pas à l'Evangile même si l'Eglise ne
l'avait pas reçu, et ne le lui présentait pas
comme la parole de vie sortie de la bouche
du Verbe incarné , ne serions-nous pas bien
fondés à dire aussi que nous ne suivrions
pas les sentiments et la doctrine de saint
Augustin, si l'Eglise ne nous assurait pas
que c'est sa doctrine qu'il a enseignée et que
ses sentiments sont les siens?
Que servait donc à Luther et à Calvin de
faire sonner si haut leur attachement au*
ouvrages de saint Augustin, de dire sans
i>27
ORATEURS SACRES. DALLET.
5-28
« esse: Augustin est pour nous, dès qu'ils se
séparaient de l'Eglise, et que TEglise était
contre eux? Peut-on penser raisonnablement
que leur doctrine est pure, quoique donnée
sous le nom de celle d'Augustin, pendant
que l'Eglise la condamne? Elle comble d'é-
loges celle de l'évêqued'Hippone, elle frappe
d'anatlièmes celle des protestants, comment
osent-ils se dire ses disciples? S'il est leur
maître, qu'ils l'écoutent donc; c'est un maître
qui mérite l'attention de toute la terre; il a
paru comme un prodige dans l'Eglise.
Prodige de faiblesse et d'égarements dont
une grâce victorieuse l'a affranchi : prodige
de science qui le rendit l'oracle de son siè-
cle : prodige de zèle qui lui fit attacher toutes
l'es hérésies, et laisser des armes victorieuses
contre tous les hérétiques: prodige de sou-
mission qui lui fit respecter toutes les sain-
tes décisions de l'Eglise, et toutes les salu-
taires pratiques qu'elle avait établies de son
temps : prodige de pénitence qui l'immola
tous les jours aux larmes, aux jeûnes, aux
veilles et aux plus grandes austérités : pro-
dige de charité qui embrasa son cœur des
flammes de l'amour divin, et le fit soupirer
sans«cesse après son Dieu, celte beauté tou-
jours ancienne et toujours nouvelle.
Or, de l'aveu même des protestants, l'au-
torité de saint Augustin est d'un grand
poids ; son témoignage sur le jeûne et la
pénitence du carême devrait donc faire im-
pression sur eux.
11 est vrai que les hérétiques varient,
qu'ils se démentent ; leurs disciples n'y pren-
nent pas assez garde. On a vu les prolestants,
après avoir donné saint Augustin pour un
docteur infaillible, qu'il était plus sûr de
suivre que l'Eglise même, décrier son érudi-
tion, rendre suspecte sa sincérité, et l'accu-
ser d'avoir pris le change en matière même
de doctrine. Ils prennent dans ses ouvrages,
comme dans l'Ecriture, les textes qui leur
paraissent les plus propres à favoriser et à
appuyer leurs nouveautés; mais sur le jeûne
et la pénitence du carême , ce saint docteur
est clair, précis; comment donc mépriser son
témoignage? Premièrement, ce saint docteur
établit l'utilité du jeûne. Vous ne manquerez
pas, dit-il, de trouver dans le monde des
personnes qui blâmeront les rigueurs que
vous exercez sur votre chair. Pourquoi jeû-
nez-vous? diront-elles , Quid facis, quiaje-
junas? Votre vie doit vous être précieuse,
et vous l'abrégez par ces privations de nour-
riture; vous ne satisfaites pas ses besoins;
n'avez-vous pas assez de mortifications sans
vous en imposer de nouvelles? Vous êtes les
destructeurs de votre santé; vous êtes homi-
cides de vous-mêmes : luus ipse tortor et cru-
ciator. Etcs-vous assez simples pour vous
imaginer plaire à Dieu par ces pénitences
et ces rigueurs? Ergo Deo placet quia te cru-
cias ? Ah 1 Dieu est bon, et il serait cruel s'il
se plaisait à vous voir détruire votre corps
par (ie longs jeûnes, s'il prenait plaisir à vous
voir abattus et dans la défaillance : Ergo cru-
dciis est qui delectatur pœnis tuis.
Voilà, continue saint Augustin, ies dis-
cours que vous tiendront les hérétiques, les
libertins, les mondains, lorsque vous vous
soumettrez aux jeûnes ordonnés par l'E-
glise.
Ne dirait-on pas que ce saint docteur tra-
çait le portrait des mondains de nos jours,
de ces chrétiens complaisants, flatteurs , en-
nemis de la pénitence?
Tous les jours avec ces trompeuses paro-
les : // faut se conserver ; Dieu ne veut point
quon détruise sa santé', on s'enhardit à violer
la sainte loi du jeûne et de l'abstinence ;
mais apprenez, chrétiens soumis à l'Eglise,
de saint Augustin la réponse que vous devez
faire à ces apôtres délicats et complaisants:
Dites à ces tentateurs artificieux: Itespcnde
hujusmodi tentatori (Tractatu de uiilitate
jejunii, cap. 3): Je me punis moi-même, afin
que Dieu m'épargne; je pratique lesjrigueurs
dont je suis capable, afin que sa miséricorde
supplée à ce que je ne puis pas ; j'expie mes
péchés autant qu'il est en moi, pour être
agréable à ses yeux, pour goûter les saintes
suavités qu'il répand dans les cœurs contrits
et humiliés. Peut-on établir plus clairement
l'utilité du jeûne?
Dans un autre endroit (serm. 62 De tempore),
saint Augustin décide formellement qu'on
commet un péché quand on viole les jeûnes or-
donnés par l'Eglise pendant le saint temps de
carême : In Quadragesima nonjejunare pecca-
tumrst. Remarquez ces mots dans le carême,
In Quadragesima. Saint Augustin, outre les
jeûnes ordonnés dans les différents temps de
l'année, reconnaît donc les quarante jours
de jeûne qui précèdent la fêle de Pâques.
Voilà le nombre fixé; il reconnaît aussi que
cette sainte quarantaine est d'institultoo
apostolique, 'comme je l'ai prouvé dans le
chapitre qui traite de l'antiquité du jeûne.
Je me persuade que si les mondains de
nos jours, qui se piquent tant d'esprit, n'é-
taient pas si ignorants sur* cette matière, ils
respecteraient plus la loi de l'Eglise sur 1q
jeûne et l'abstinence, qu'ils ne font.
CHAPITRE XXXIV.
Témoignage de saint Jean Chrysoslome sur h
jeûne et la pénitence du carême.
Saint Chrysostome est un des plus émi-
nents docteurs de l'Eglise grecque; il fil
briller les grâces ravissantes de son élo-
quence, d'abord dans le barreau, ensuite
dans les chaires chrétiennes. Jamais orateur
ne posséda mieux que lui ce style noble,
élevé, brillant, ingénieux, véhément, qui
plaît, ravit, touche, entraîne les auditeurs.
On voit dans ses écrits des tours d'élo-
quence qui surprennent; des portraits du
cœur humain qui le représentent avec tous
ses faibles, ses inclinations, ses mystères;
des peintures du vice, des mœurs, des scan-
dales de son temps, qui en retracent toute la
licence et la corruption ; des invectives contre
les désordres accrédités, qui montrent tout
le feu et le zèle apostolique.
Ce fleuve d'éloquence se répand tantôt
avec douceur, tantôt avec irn étuosité ; il
m
INSTRUCTION SUR LA PENITENCE DU CAREME.— CIIAP. XXXV.
850
touche le peuple, il enchante la cour, il ter- vous disposez à pratiquer la sainte pénitence
rasse l'hérésie, il humilie le vice et mérite par
les grâces extraordinaires de son éloquence
le surnom de Bouche d'Gr.
Deux des plus savants et des plus pieux
ministres de Jésus-Christ furent ses pères et
ses maîtres : saint Mélèce et saint Flavien.
Saint Mélèce, patriarche d'Antioche, le bap-
tisa et le fit lecteur de son Eglise. Saint Fla-
vien l'ordonna prêtre et le chargea du mi-
nistère de la parole. Ses rapides et prodigieux
succès dans la prédication lui attirèrent l'es-
time et l'admiration de l'empereur Arcadius;
il l'éleva^sur le trône patriarcal de Constan-
tinople; et l'innocence, la sainteté, les ta-
lents, le zèle y montèrent avec lui.
Quoique sa santé fût usée par les austéri-
tés qu'il avait pratiquées après son baptême
dans une affreuse solitude, il soutint coura-
geusement les fatigues de l'épiscopat, les
persécutions que lui suscitèrent les ariens,
la fureur de l'impératrice Eudoxie, à qui le
zèle de notre saint déplaisait ; les ennuis, l'es
peines de l'exil, et même l'indignation de
deux grands saints qui avaient été surpris
par la calomnie, de saint Epiphane et de saint
Cyrille d'Alexandrie.
Dieu se déclara pour son serviteur ; il em-
loya la voie des miracles pour annoncer sa
aihteté et la pureté de sa foi. Un horrible
remblement de terre pensa renverser Cons-
iantinople, dès que l'impératrice l'eut envoyé
en exil. Elle le rappela aussitôt pour apaiser
la colère du Seigneur irrité des outrages
qu'on lui faisait; mais sa fermeté à reprendre
le vice et l'erreur protégés à la cour, le fit
exiler une seconde fois. C'est en allant dans
son exil qu'il mourut plein de vertus, après
avoir souffert et combattu généreusement
pour les intérêts de l'Eglise et la gloire de
Dieu.
Ecoutons donc avec attention ce savant et
éloquent Père de l'Eglise grecque sur le
jeûne et la pénitence, et faisons de sérieuses
réflexions sur les oracles qu'il prononce.
Ceux qui regardent le jeûne comme une
privation inutile, comme un joug qu'on im-
pose mal à propos aux chrétiens, et dont il
est prudent de se dispenser, auront de quoi
rougir.
Voici, dit-il, un temps de miséricorde qui
approche ; un temps favorahle pour nous
purifier de nos péchés : Propitialionis tem-
pus adest. 11 parle des jours de jeûne or-
donnés par l'Eglise. Ne passons donc pas ce
temps sans fruit; ne méprisons donc pas ces
grâces précieuses qui nous sont offertes : Ne
contemnamus .
Pratiquons les jeûnes ordonnés par l'E-
glise; privons-nous de ces repas, de ces mets
qu'elle nous interdit : Jejunemus a cibis.
Mais commençons par détester nos péchés,
cesser de les commettre : Sed primumapec-
catis.
Ceux qui ont le bonheur de connaître .es
avantages du jeûne et qui savent se sevrer
des délices du siècle, goûtent des douceurs
ineffables dans leur pénitence.
O vous, chrétiens, ajoute ce Père, qui
que l'Eglise vous impose, cessez d'être ef-
frayés des rigueurs qu'elle renferme; no
vous arrêtez pas à considérer simplement
ces privations qui affligent votre chair déli-
cate , mais faites attention aux fruits quo
votre âme immortelle en tirera : Ne allendas
ad laboretn, sed etiam ad fructum.
Les passions domptées, la chair humiliée,
tout ce corps de péché abattu, laissent jouir
votre âme d'un innocent repos: vous semez
dans les larmes pour recueillir dans la joie.
La faiblesse de votre corps fait toute la force
de votre âme : elle n'est victorieuse que
lorsqu'il est réduit en servitude.
Que la couronne préparée à ceux qui n'é-
pargnent point leurs corps pour sauver leurs
âmes, vous anime à la pénitence. C'est l'es-
pérance de recueillir une abondante récolte
qui anime le laboureur au travail, et quidiH
fait jeter dans la terre le grain qui doit
profiter et se multiplier; c'est l'espérance
d'obtenir le ciel par nos jeûnes, nos pleurs
et nos mortifications, qui doit nous soutenir
dans la pénitence.
La chair se plaint dans la pénitence, elle
s'afflige dans les jeûnes et les privations :
Dolet in jrjuniis caro. La délicatesse mur-
mure; de là les frayeurs de tant de lâches
chrétiens, lorsque la pénitence du carême
approche; mais l'âme goûte alors de saintes
douceurs; libre dans un corps qui n'est plus
appesanti par les excès du boire et du man-
ger, dans une chair qui n'est plus en-
graissée par des mets succulents : elle se
nourrit, dans le calme des passions, des
chastes délices des amis de Dieu; elle est
plus élevée, plus ardente dans la prière, dans
la méditation et dans tous les exercices de
la piété. Les douceurs célestes la remplis-
sent, lorsqu'on refuse au corps les aliments
de ses passions : Epulatur anima. (Serm. 1
De jejunip.)
On trouve donc, dans ce seul morceau de
saint Chrysostome sur le jeûne, des preuves
de sa nécessité et de ses avantages.
CHAPITRE XXXV.
Témoif/nage de 'saint Léon, pape et docteur
de VEglife, sur le jeûne et la pénitence du
carême.
Saint Léon a mérité le surnom de Grand
par ses éminentes vertus, par ses rares ta-
lents et ses travaux pour l'Eglise.
Comment pourrais-je donner une juste
idée de ce grand homme, ou en ébaucher
même le portrait dans le peu que le plan de
mon ouvrage me permet d'en dire? L'his-
toire de son pontificat forme elle seule un
ouvrage considérable : jamais on n'a vu tant
d'actions éclatantes , tant de combats livrés
aux hérétiques, tant d'écrits lumineux et
apostoliques pour venger la vérité défi-
gurée, combattue; pour maintenir la disci-
pline de l'Eglise, et lui conserver sa beauté
et son autorité.
Grand par sa naissance, puisqu'il sortait
d'une illustre maison de Toscane, il fut
531
ORATEURS SACRES. BALLET.
53i
plus grand encore par les rares qualités de
son esprit et de son cœur ; grand dans son
amitié, il s'attacha à Sixte III, qui l'avait
ordonné diacre ; il fut jusqu'à la mort son
ami fidèle et son défenseur dans les persé-
cutions qu'on lui suscita : grand par sa sa-
gesse, sa prudence et sa fermeté, il fut choisi
pour négocier la réconciliation d'Arcius et
d'Albin, gouverneurs des armées romaines;
il fut trouvé digne de monter sur la chaire
de saint Pierre, et il en fut l'ornement et la
gloire par sa sainteté et sa science. Grand
dans sa foi, il défendit avec zèle et avec
succès la doctrine de l'Eglise attaquée par
les manichéens, les pélagiens, les eutychiens,
les nestoriens ; grand dans le plus célèbre
de tous les conciles œcuméniques, je veux
dire dans celui de Chalcédoine, composé
de plus de six cents évoques : les Pères de
cette sainte assemblée louent hautement la
pureté de sa foi, et s'écrient tous que Pierre
à parlé par la bouche de Léon : Petrus locu-
tus est per Leonem; grand dans son atta-
chement à ses ouailles, et sa tendresse pour
les secourir, il sort de Rome , il va au-de-
vant d'Attila, ce prince barbare qui s'était
fait appeler le fléau de Dieu et la terreur de
l'univers, qui avançait avec ses armées for-
midables vers la capitale du monde chré-
tien, et qui se promettait, comme un autre
Antiochus, de la piller, de la réduire en
cendres, et d'attacher honteusement à son
char ses habitants vaincus. Il paraît devant
ce foudre de la guerre, ce destructeur des
villes et des provinces: il lui parle avec cet
air, ce ton que donne la sainteté, et que
Dieu rend [terrible à ses ennemis quand il
lui plaît; et la force diyinedeson éloquence
terrasse celui qui bravait le fer et le feu.
Attila prend la fuite; Rome est délivrée.
Je ne dis rien du style de ce saint docteur :
on sait qu'il est élevé, pur; on sait aussi
qu'il est de tous les Pères de l'Eglise celui
qui a traité avec le plus de profondeur les
mystères de notre salut.
Par tout ce que je viens de dire, on com-
prend aisément que l'autorité de ce grand
pane doit être d'un grand poids lorsqu'il dé-
cide ou rapporte la pratique de l'Eglise. Or
aucun des saints docteurs n'a parlé plus clai-
rement et plus souvent que lui des jeûnes
ordonnés par l'Eglise et de la pénitence du
carême.
Premièrement, comme je l'ai dit dans un
autre endroit, ce Père dit (serm. 1 De jeju-
nio seplimi mensis) que c'est par l'autorité
de l'Eglise qu'il annonce aux: fidèles ces jours
de jeûne et d'abstinence : Ex auctoritate in-
dicimus.
Or quelle est cette autorité que ce grand
pape annonce à son peuple, si ce n'est celle
que ses prédécesseurs ont reconnue lorsqu'il
a été question d'obliger les chrétiens à ces
mortifications; celle que les Tertullien, les
Cyprien, les Jérôme, les Ambroise, les Au-
gustin, les Chrysostomc, ont fait valoir lors-
qu'ils ont traité cette matière; celle d'une
tradition constante, vénérable, et qui remon-
tait jusqu'au temps des apôtres, que tous ont
regardés comme
ceux qui avaient établi le
carême?
Voilà l'autorité que ce grand pape oppose
à ceux qui auraient été capables de désap-
prouver les jeûnes et la pénitence du ca-
rême : une tradition apostolique.
Ce saint docteur disait donc à son peuple,
dans le v* siècle : Ce n'est point une nou-
veauté, ce n'est point un nouveau joug que
nous vous imposons, quand nous vous indi-
quons des jeûnes d'obligation, des abstinen-
ces, des mortifications ; c'est une loi dans
l'Eglise de Jésus-Christ, depuis son établis-
sement; une loi établie parles apôtres, puis-
que nous la voyons observée religieusement
par ceux qui leur ont succédé : Ex auctori-
tate indicimus.
Si nous employons des exhortations vives
et pressantes, si nous nous arrêtons à com-
battre votre délicatesse, à réfuter vos pré-
textes ; si nous vous faisons des menaces, si
nous punissons vos coupables infractions par
des délais qui vous privent de la communion
pascale, c'est la charité de Jésus-Christ qui
nous presse ; ce sont les entrailles d'un Père
tendre qui sont émues à la vue des châti-
ments que vous vous préparez. Nous sommes
persuadés qu'un seul jour déjeune ou d'abs-
tinence, violé par délicatesse et sans une
extrême nécessité, donne la mort à votre
âme, et c'est la charité chrétienne, le zèle
de votre salut, qui nous portent à vous
exhorter d'observer religieusement ces jeû-
nes et ces mortifications ordonnés par l'E-
glise : Ex charitate suademus.
Or cette autorité que saint Léon opposait
dans le v? siècle, nous l'opposons aujour-
d'hui aux protestants, qui nous accusent
d'avoir innové dans l'Eglise sur la pénitence
du carême; nous l'opposons aux libertins de
nos jours, aux chrétiens délicats, et à tous
ceux que l'irréligion de notre siècle a per-
vertis, et qui ont levé l'étendard de l'indé-
votion et de la désobéissance à l'Eglise.
Saint Léon parle expressément de la péni-
tence du carême; il l'appelle (serm. k De
Quadragesima) un jeûne très-saint et très-
solennel : Sacra! issimum maximumque jrju-
nium. 11 marque le temps qu'il doit être ob-
servé : c'est dans les jours qui nous prépa-
rent à célébrer les mystères de la mort et de
la résurrection de Jésus-Christ.
CHAPITRE XXXVI.
Témoignage de saint Bernard sur le jeûne et
la pénitence du carême.
Quoique saint Rernard soit nommé le der-
nier des Pères de l'Eglise latine, eu égard
au temps où il a vécu, on peut dire qu'il n'est
pas inférieur aux plus célèbres en sainteté,
en zèle, en science, en lumières.
11 a été l'ange du désert, l'apôtre des rois,
le conseil des souverains pontifes, l'appui de
l'Eglise, le lléau des hérétiques.
Le goût qu'il avait pour la retraite et la
pénitence le fit entrer dans l'ordre de Cîteaux
à l'âge de vingt-deux ans; les progrès rapides
qu'il y fit dans la vie religieuse le firent choi-
T33
INSTRUCTION SUR LA PENITENCE DU CAREME.
CHAP. XXXV11.
534
sir cinq ans après pour ôtre le premier abbé
de Clairvaux.
C'est dans cette profonde solitude que l'on
vit saint Bernard, à la tête de ses frères, re-
tracer toute la perfection des solitaires de
l'Orient : les cellules, les veilles, les jeûnes,
les prières, le travail, la nourriture, tout re-
traçait la vie céleste, pénitente, pauvre et
crucifiée de ces Pères du désert.
Ce qui est le plus admirable, c'est que
l'espiit de retraite et de pénitence le suivit
partout; il parut à la cour des rois, dans le
JuinuUe du monde, dans les conciles, devant
ies hérétiques; partout le saint seul parut,
et jamais l'homme.
Son cœur était dans la solitude, pendant
que son corps en était absent; il en sortait
par zèle, il y était toujours d'affection; et
quoiqu'il se regardât lui-même avec étonne-
ment comme la chimère du monde, et qu'il
gémît des voyages fréquents que les besoins
de l'Eglise, les ordres des souverains pon-
tifes et des princes chrétiens le forçaient de
faire, il est très-sûr qu'il a toujours été soli-
taire et pénitent; les ennemis mêmes de l'E-
glise ont respecté ses vertus, ses miracles,
ses lumières, ses succès, ses écrits.
Quelle sainteté, en effet, que celle qui se
soutient sur les plus grands théâtres du
monde, comme dans la plus profonde soli-
tude ! Quels miracles plus authentiques que
ceux que Dieu opère pour la condamnation
du vice et de l'erreur! Quelles lumières que
celles qui éclairent les âmes dans les voies
sublimes de la spiritualité, qui découvrent
les erreurs mêlées avec les subtilités de la
plus fine dialectique ! Quels succès quand
on terrasse et convainc un philosophe tel
qu'Abailard, un théologien tel que Gilbert
de la Porée, un hypocrite aussi enveloppé
qu'Arnaud de Bresce ; quand on est l'âme
des conciles, et qu'on y est appelé pour en
être l'oracle ! Quels écrits que ceux qui mé-
ritent les éloges de l'Eglise, dont elle fait
ses délices, et qu'elle met au rang de ceux
des plus grands docteurs! Car, quoique saint
Bernard dise que les arbres de sa solitude
avaient été ses maîtres, on trouve dans ses
écrits une piété éclairée, une onction, un
feu, une éloquence, des tours ingénieux,
des réflexions solides, une force de raison-
nement, qui ne se ressentent nullement des
bois et des forêts qu'il habitait.
Tel fut ce grand homme, cette brillante
lumière qui s'éteignit dans le xii' siècle, ce
Père d'une multitude de saints religieux,
qui mourut entre les bras de ses enfants,
âgé de soixante-trois ans, consumé par les
flammes du divin amour aussi bien que par
ses pénibles travaux et ses excessives aus-
térités.
Or, ce saint docteur a parlé dans ses ou-
vrages du jeûne et de la pénitence du carême.
Il n'y avai t encore aucun déchet de son temps ;
les grands jeûnes étaient encore observés
avec exactitude. Ecoutons ce qu'il dit, c'est
le premier jour même de la quarantaine qu'il
parle.
Aujourd'hui, mes frères, dit-il, commence
le saint temps du carême; ce temps de pé-
nitence dans tout le christianisme, ne nous
regarde pas seuls, mais tous les catholiques :
Hœc observatio una omnium est.
Tous ceux qui veulent conserver l'unité
de la foi "s'y soumettent : Quicunque jidei
conreniunt unitatem.
C'est donc, selon saint Bernard , faire une
sorte de schisme, désapprouver l'Église à la-
quelle on doit se conformer et obéir, que de
se dispenser de la pénitence du carême ,
parce que le jeûne et l'abstinence de ce saint
temps est de précepte pour tous les chrétiens
catholiques; c'est une pénitence commune à
tous : Commune je junium omnibus Christianis.
Ce saint dit encore des choses merveil-
leuses de la pénitence du carême dans un
autre discours.
Mes frères, dit-il (il parle à ses religieux),
entrez avec toute la dévotion dont vous êtes
capables dans cette sainte carrière de jeûnes
et de mortifications que l'Eglise impose à
ses enfants les quarante jours qui précè-
dent la fête de Pâques : Rogo vos, tota devo-
tione suscipite quadragesimale jejunium.
Si nous avons jeûné jusqu'à présent pour
observer la règle que nous avons embrassée,
nous devons jeûner dans ce saint temps de ca-
rême avec une nouvelle ferveur et une nou-
velle rigueur : Sancto hoc tempore j cj unandum
nobis est multo dcvotius. Voilà donc saint
Bernard qui distingue les grands jeûnes des
chrétiens, qui obligent tous ceux qui sont
soumis à l'Eglise, des jeûnes que prescrit la
règle des religieux. Ce qu'il dit après con-
firme cette vérité.
Si nous ajoutons, dit-il, à nos austérités
ordinaires, dans ce saint temps, de nouvelles
rigueurs, cela ne doit pas nous paraître ef-
frayant ; il est convenable même d'augmenter
notre pénitence; quelque pesant que soit le
fardeau que nous nous imposons, nous ne
succomberons pas, puisque toute l'Eglise le
porte avec nous , et que tous les chrétiens
catholiques jeûnent et se mortifient : Nobis
onerosum non sit qnod Ecclesia portât uni-
versel nobiscum. (Serm. 3 De Quadragesima.)
Peut-on marquer plus clairement la péni-
tence du carême et la soumission des chré-
tiens de son temps à l'observer 1
Qu'il est triste de voir aujourd'hui cette
pénitence abandonnée, méprisée par les en-
fants de l'Eglise, d'entendre des chrétiens
débiter des doutes sur son autorité ?
CHAPITRE XXXVII.
Témoignage de Théodulphe, évéque d'Orléans,
sur le jeûne et la pénitence du carême.
Nous avons plusieurs ouvrages de ce grand
évêque dans la Bibliothèque des Pères, très-es-
timés. Son Ca/nVu/ueVe surtout est rempli d'ins-
tructions chrétiennes sur plusieurs points
de la morale, de la discipline et des prati-
ques de l'Eglise. 11 y-a huit chapitres qui
traitent des jeûnes et des abstinences du ca
renie, dans lesquels il prouve aux chrétiens
la nécessité de se soumettre à cette pénitence
535
orateurs sacres, ballet.
SS3
universelle de l'Eglise et fa:t connaître tout
le crime de ceux qui s'en dispensent.
Le respect que l'on a pour l'autorité de ce
savant et pieux auteur a fait former plu-
sieurs canons des décisions qu'il donne sur
la pénitence du carême. On les. a insérés
dans le nouveau Bréviaire de Paris, et nous
les lisons les premiers jours de la quaran-
taine, à primes. Ils tiennent un rang parmi
ceux des conciles tenus sous saint Charles
Dorroméeet desautres assemblées de l'Eglise.
Cet auteur fut célèbre par sa doctrine et
sa piété. Ses lumières répandirent un grand
éclat dans l'Eglise, et ses vertus sanctifièrent
sa science. On voit dans ses ouvrages un
homme qui s'est rempli de tout ce que l'E-
criture, les conciles, les Pères disent de plus
fort pour établir les vérités de la religion ou
pour les défendre contre ceux qui osent les
attaquer. On voit un homme versé dans la
science du salut, profond dans la doctrine,
pur dans la morale, éclairé sur la discipline
de l'Eglise, ferme et zélé lorsqu'il est ques-
t'on de son devoir, et toujours le chrétien
humble, pieux et soumis.
L'empereur Charlemagne et Louis le Pieux
firent un grand cas de ce savant de leur
siècle; ils respectèrent ses vertus et ses ta-
lents, il fut leur oracle et leur conseil.
C'est ce même Théodulphe qui fut envoyé
en exil à Alger; on ne sait pas par quel en-
droit il déplut. On peut être malheureux
sans être coupable ; les fautes no sont pas
toujours punies et la vertu n'est pas tou-
jours récompensée sur la terre. Les justes
profitent des disgrâces pour se détacher du
monde et s'attacher au Seigneur; c'est ce que
notre pieux auteur fit dans son exil; il s'y
occupa à méditer les vérités éternelles et
a composer des prières touchantes et pleines
du feu do la charité. Entre autres il composa
ces vers que nous chantons le jour des Ra-
meaux au retour de la procession : Gloria
laus, etc., et il les chanta lui-même dans celto
cérémonie avec tant de piété, de recueille-
ment et d'un" ton si doux et si tendre, qu'il
toucha tous les cœurs. On fut édifié de sa
foi et de sa piété; il devint cher après avoir
été désagréable, on le rappela de son exil.
Or ce sont les canons que l'Eglise a formés
des ouvrages de ce grand homme, que je
vais opposer aux mépris que font les mon-
dains de nos jours de la sainte pénitence
du carême; on doit sentir par tout ce que
je viens de dire, que son autorité est res-
pectable.
Qu'on n'ait pas la témérité, dit-il, de se
dispenser un seul jour du carême du jeûne
ordonné par l'Eglise ; ce jeûne que Jésus-
Christ a consacré dans le désert par sa pé-
nitence, on en est dispensé les seuls jours
de dimanches. Tous les chrétiens doivent
passer ce saint temps du carême dans la
sainteté et la pratique des vertus chrétiennes
avec une nouvelle ferveur ; manquer un
seul jour à jeûner dans le carême, c'est vio-
ler le précepte du Seigneur, puisque les
malades et les enfants seuls en sont dispen-
sés. L'infracteur de cette sainte loi du jeûne
se prépare des châtiments redoutables.
Or je remarque trois choses dans ce ca-
non : 1° Le jeûne est d'obligation pour tous
les chrétiens catholiques, sans distinction
du rang; la loi n'en dispense que les infirmes
et les enfants, c'est-à-dire ceux qui n'ont
pas encore vingt et un ans, comme l'a décidé
l'Eglise par rapport au jeûne, et non par
rapport à l'abstinence : prœter infirmos ac
parvulos. 2° Violer un jeûne, c'est transgres-
ser le précepte du Seigneur : Hoc tempore
non jejunare prœceptum Dei transcendere
est. Non pas que le précepte du jeûne soit
un des préceptes du Décalogue, mais parce
que c'est désobéir à Dieu môme que de
désobéir à son Eglise, qui a reçu de lui le
pouvoir de faire des lois, et qu'il nous a
ordonné de nous y soumettre. 3° Celui qui
rompt un jeûne sans une infirmité réelle,
expose son âme aux châtiments préparés
dans l'autre vie aux infracteurs de la loi:
cette transgression est un péché mortel qui
fait perdre la grâce sanctifiante, et mérite
l'enfer: Quisquis non jejunaverit pœnaui sili
acr/uirit.
Or les mondains de nos jours conçoivent-
ils cette idée du jeûne ordonné dans le ca-
rême? Ces riches délicats, ces ouvriers in-
tempérants, ces personnes qu'un étourdis-
sement passager, une légère faiblesse d'es-
tomac, un voyage, peut-être une compagnie,
déterminent a rompre le jeûne? Sont-ils en
sûreté, en se mettant au rang des malades
et des enfants, ceux qui tiennent table dans
le carême, des deux ou trois heures de suite ;
ceux dont les collations sont des repas que
les pauvres regarderaient comme des fes-
tins, soit par la qualité des mets, soit par la
quantité? Pensent-ils qu'ils violent un pré-
cepte du Seigneur, et pèchent mortellement?
Enfin, tous les infracteurs de la loi du ca-
rême pensent-ils aux châtiments redoutables
que mérite leur coupable désobéissance?
Ah ! ou c'est aveuglement, ou c'est irréli-
gion : qu'ils sont dignes de larmes 1
CHAPITRE XXXVIII.
La pénitence du carême est une préparation
à la solennité pascale.'
Est-ce connaître l'esprit du christianisme
que de se dispenser des mortifications qui
en sont inséparables? Quel est le plan que
Jésus-Christ en a tracé lui-même? Qu'or-
donne-t-il? Que promet-il à ses disciples
dans l'Evangile? 11 ordonne de le suivre en
portant sa croix; il ne promet que des pri-
vations, des pleurs. Il faut mourir avec lui,
être enseveli avec lui, pour ressusciter
avec lui.
Les chrétiens délicats, sensuels; les mon-
dains qui oui leurs consolations sur la terre,
qui vivent dans la joie, les aises, les com-
modités, ne participeront point aux fruits
de sa mort et de sa résurrection, quoiqu'il
soit mort pour eux comme pour les autres,
Cette scène de félicité temporelle changera
INSTRUCTION SUR LA PENITENCE DU CAREME. — CIIAP. XXXVIII.
i;
5Ï7
eu puis tar;l à leur mort, et la tristesse suc-
cédera à la joie.
Au contraire, pendant que le monde ré-
prouvé est dans la joie, qu'il se couronne
de fleurs, qu'il écarte tout ce qui gêne la na-
ture, la mortifie, la met à l'étroit, et se fait
une loi de mépriser celle de la pénitence
chrétienne, les justes portent leur croix,
jeûnent, se mortifient, pleurent et gémis-
sent. Mais cette scène se change pour leur
consolation; la joie succède à la tristesse.
Toutes ces vérités sont renfermées dans cet
oracle du Sauveur : Le monde se réjouira
et vous pleurerez : Mundus gaudebit, vos au-
tem plorabitis. (Joan., XVI.) Mais votre tris-
tesse, vos souffrances, vos privations, vos
jeûnes, vos larmes, vous prépareront à une
félicité éternelle, à un repos ineffable, à uno
joie pure et inaltérable : Sed tristitia vestra
vcrtetur in gaudium. (Ibid.)
En vain les infracteurs de la pénitence du
carême se flattent-ils de participer aux
grands mystères de la mort et de la résur-
rection de Jésus-Christ ; en vain voient-ils
avec joie les jours de la pénitence écoulés;
en vain donnent-ils quelques moments à la
iété dans ces jours qui terminent le carême ,
les voit-on assidus aux saintes et touchantes
cérémonies de l'église; en vain fléchissent-
ils le genou devant l'étendard de notre sa-
lut, et paraissent-ils avec les adorateurs de
la croix ; en vain assiégent-ils dans ce saint
temps le confessionnal d'un lévite commode,
qui à peine jette les yeux sur les plaies du
malade de Jéricho, et vont-ils avec une abso-
lution précipitée, reçue sans douleur, dans
Tattache et l'habitude du péché, manger
l'Agneau pascal. L'infraction volontaire,
continuelle et scandaleuse de la pénitence
du carême, ne les a pas préparés à la Pâque ;
elle les en a rendus indignes.
Ecoutez Jésus-Christ : C'est avec mes dis-
ciples que je veux faire la pâque : Pascha
cum discipulis meis. (Luc, XXII.)
Or des impénitents, des rebelles à l'Eglise,
qui violent publiquement ses lois ; des hom-
mes qui se réjouissent, se nourrissent déli-
catement, s'engraissent pendant qu'elle est
dans le deuil, les larmes, les jeûnes, ne sont
point ses disciples, par conséquent ils ne
participent point avec fruit à la solennité
pascale.
Or, d'après ces principes, je dis que le ca-
rême étant établi pour nous purifier par la
pénitence de toutes les taches et de toutes
les souillures que nous avons contractées
dans les autres temps de l'année, et nous
faire mériter, comme le demande l'Eglise,
de participer aux fruits précieux de la mort
et de la résurrection du Sauveur, il s'ensuit
que les chrétiens qui ne participent point à
la pénitence du carême , qui , dans ces
jours de jeûne, d'abstinence, de deuil,
vivent avec la même délicatesse, la même
sensualité, la même ardeur pour le plaisir,
sont indignes, aux yeux de Dieu et de l'E-
glise, de participer* aux grâces que Jésus-
Christ nous a méritées par sa mort et sa ré-
surrection.
538
Est-ce se préparer à la fête de Pâques que
d'arriver à ce saint jour coupable de Ta trans-
gression d'une loi solennelle de l'Eglise ?
Peut-on raisonnablement se flatter que les
l'en itents et les impénitents seront également
traités?
Qui ne reconnaît, dit saint Augustin
(epist. 113, cap. 15), la sagesse de l'Eglise,
toujours conduite par le Saint-Esprit dans
l'établissement du carême? Pouvait -elle
mieux fixer ce temps de pénitence que dans
les jours qui précèdent la solennité de Pâ-
ques? Quoi de plus propre à préparer ses
enfants à célébrer ces grands mystères, que
ces jours de deuil, de prièrest de gémisse-
ments continuels? Quoi de plus capable de
les purifier que les jeûnes, les abstinences
et les mortifications qu'elle ordonne? Ah I
il convenait que "les jours qui précèdent
la célébration des mystères de l'amour du
divin Sauveur fussent consacrés à la péni-
tence.
Ce saint docteur , dans un autre endroit
(tract. 17 in Joan.), distingue encore, selon
l'esprit? de l'Eglise, deux temps différents:
le temps qui précède la tête de Pâques, et
celui qui la suit : Duo tempora ante Pascha,
etpost Pascha.
Celui qui précède la fête de Pâques, dit-il,
est un temps de pénitence, de pleurs, de gé-
missements ; l'autre est un temps d'un saint
repos, de joie, d'allégresse; l'un est l'image
de la vie présente, qui est une vie de dou-
leurs, de peines ; l'autre est une image de
la vie future, qui est une félicité de pures
délices : or quelle est l'idée de ce saint doc-
teur, en parlant ainsi à ses auditeurs? La
voici : C'est de leur prouver que la vie des
chrétiens qui espèrent une vie future, un
repos éternel, une vie nouvelle avec Dieu,
doit être une vie de combats, de pénitence,
de pleurs, de gémissements, de saints dé-
sirs. Et, pour rendre son raisonnement plus
sensible, il leur rapporte ce qui se passe
dans l'Eglise tous les ans, la pénitence du
carême et les saintes joies pascales. Avant
Pâques, dit-il, on jeûne, on se mortifie, on
pleure, toute l'Eglise est en deuil; après
Pâques, une sainte allégresse succède à
la douleur, des chants de joie à de tou-
chantes lamentations. L'Eglise prend ses
ornements de fêle , et elle permet à ses
enfants l'usage des choses qu'elle leur avait
interdites par un esprit de mortification.
Or il est donc évident que les chrétiens
du temps de saint Augustin se préparaient
à la fête de Pâques par une pénitence de
quarante jours, puisqu'il se sert de cetle
pratique pour prouver les combats de la vie
présente et le repos de la vie future, qu'il
désigne l'une par la pénitence du carême,
et l'autre par la sainte allégresse du temps
pascal.
Par conséquent, les chrétiens qui pas-
sent le saint temps du carême dans la dissi-
pation, le plaisir; qui n'observent ni les
jeûnes ni les abstinences, ne participeront
point aux saintes joies pascales, parce qu'ils
n'y seront pas préparés par la pénitence.
539
ORATEURS SACRES. BALLET.
540
CHAPITRE XXXIX.
Ce que doivent faire les chrétiens qui ne peu-
vent point jeûner dans le saint temps de
carême.
Il est certain qu'il y a des personnes que
le jeûne incommoderait considérablement.
L'Eglise, cette tendre mère, qui n'a point
fait une loi du jeûne pour détruire la santé,
mais pour affaiblir Ja concupiscence qui
nous porte violemment au mal ; apaiser les
révoltes d'une chair qui veut assujettir l'es-
prit à ses coupables penchants, les en dis-
pense, persuadée qu'ils y suppléeront par
un autre genre de mortilication.
Nous ne comprenons donc pas ici dans la
classe de ceux qui sont dispensés légitime-
ment du jeûne, ceux qjui le redoutent par
délicatesse et par un soin excessif de leur
santé; ceux qui ne jeûnent point, parce qu'ils
ont été malades l'année précédente, ou parce
qu'ils craignent que le jeûne les incom-
mode; ceux qui le quittent après quelques
jours , parce qu'ils se sentent un peu affai-
blis, un peu échauffés, ou que la faim les
presse; ceux qui prétendent que des voyages,
<les .affaires de commerce, l'occasion d'un
ami, d'un parent, les excusent de l'infrac-
tion du jeûne. Tout doit céder à la loi de
l'Eglise.
C'est comme homme que Jésus-Cbrist a
jeûné, c'est pour nous servir de modèle ; or
il a soufTert la faim : Esuriit. (Matth., IV.)
Le démon l'a sollicité inutilement de chan-
ger les pierres en pain. Malgré l'appétit et
la faim, malgré les raisons d'intérêt, ce que
peuvent nous dire des parents, des amis,
nous devons donc accomplir la loi du jeûne.
Ces principes posés, venons à ceux que l'E-
glise dispense du jeûne; mais ne nous éloi-
gnons pas de son esprit.
Les infirmes, les vieillards, les femmes
enceintes, ceux qui sont appliqués à des tra-
vaux rudes et pénibles ; voilà ceux qu'elle
dispense de la loi du jeûne; il ne s'agit que
de ne point prendre le change, et de ne
point faire consister toute la pénitence du
carême dans le jeûne.
1° Les infirmes sont dispensés du jeûne.
Nous entendons ici par infirmes non-seu-
lement ceux que la fièvre ou d'autres maux
violents étendent sur un lit de douleur,
mais encore ceux qu'une extrême délica-
tesse, des douleurs d'estomac ou de poi-
trine, de pressants besoins jettent dans la
langueur, la défaillance, lorsqu'ils sont long-
temps sans rien prendre ; voilà un obstacle
au jeûne ; mais ce n'est pas toujours un obs-
tacle à l'abstinence; c'en est encore moins
un à la prière, à la retraite, à l'aumône, à la
douleur du cœur, à la patience, à la charité.
Ces personnes infirmes doivent suppléer au
jeûne, en se privant dans le saint temps de
carême des plaisirs les plus innocents, en
donnant à la prière, au recueillement les mo-
ments qu'elles donnent aux visites, aux ré-
créations, au jeûne; en faisant jeûner leurs
yeux, leur langue, et surtout leur cœur. La
chanté doit prendre des accroissements dans
la faiblesse du corps; et le cœur peut être
pénitent, quand la sanlé ne permet pas de
pratiquer d'austérités.
2U 11 y a des vieillards dispensés du jeûne;
mais ce sont ceux que le poids des années a
affaiblis et rendus débiles, selon les termes de
l'Eglise ; car il y a des personnes âgées dont
la force et la vigueur peuvent soutenir de
longs jeûnes : on en voit que rien n'incom-
mode; on en voit qui perpétuent même les
excès de la table jusquau tombeau. Une
nourriture légère prolonge les jours des
vieillards, la moindre intempérance les
abrège. IL n'y a donc point d'âge fixé lors-
qu'il s'agit d'être dispensé du jeûne.
Mais quels doivent être lessentiments des
vieillards que la débilité empêche de jeûner
dans le saint temps de carême? Des senti-
ments de douleur, de componction. Hélas 1
doivent-ils dire en eux-mêmes, plus j'ai be-
soin de faire pénitence, moins je suis en
état de la pratiquer. Le tombeau s'ouvre sous
mes yeux, je vais y descendre ; Dieu m'a
accordé bien des années sur la terre, et elles
n'ont servi qu'à multiplier mes iniquités.
Mon corps abattu, mes membres languis-
sants ne peuvent point supporter d'austéri-
tés, mais mes yeux peuvent répandre des
larmes, mon cœur peut être pénitent et dé-
chiré par la douleur : voilà ma ressource,
j'en profiterai.
3° Que les jeunes gens apprennent que
s'ils sont dispensés du jeûne jusqu'à vingt
et un ans, ils ne sont pas dispensés de la pé-
nitence ; que le feu d'un tempérament qui
n'est pas encore formé les expose tous les
jours au feu de la vengeance céleste, et que
ce n'est que par la sobriété, la vigilance, la
prière et la mortification chrétienne, que
leur innocence échappera au naufrage qui
les menace.
4-° Les nourrices et les femmes enceintes
sont dispensées du jeûne, mais elles ne sont
pas dispensées de se mortifier : elles ne peu-
vent pas être longtemps sans manger, mais
elles peuvent se priver de bien des choses
qui mortifient sans préjudiciel" à la sanlé.
L'Eglise appréhende que le jeûne ne nuise
au fruit qu'elles portent, et elles ne crai-
gnent pas souvent de lui nuire par des excès
dans le boire et le manger, par des liqueurs,
des veilles, une fureur pour le plaisir. Si
elles suivaient l'esprit de l'Eglise en profi-
tant de son indulgence, elles seraient plus
prudentes et plus mortifiées; elles pratique-
raient un genre de pénitence dans le carême
plu* propre à les conserver qu'à les détruire.
Enfin, les ouvriers dont les travaux sont
continuels, rudes et pénibles, sont dispen-
sés du jeûne ; mais cette indulgence de l'E-
glise n'excuse pas tous les péchés que com-
mettent ces gens grossiers, qui ne mettent
aucune différence entre les saints jours du
carême et les autres temps de l'année; qui
fréquentent les cabarets dans ce temps de
pénitence, qui y soutiennent de longues
séances et ajoutent aux excès du vin des
discours obscènes et des chants dissolus.
Des chrétiens qui sont obligés de manger
&M
INSTRUCTION SUR LA PENITENCE DU CAREME. — ÇBAP. XL.
552
souvent pour résister au travail , doivent au
moins s'interdire le cabaret dans le carême.
11 est scandaleux de voir ces lieux remplis
dans un temps de pénitence universelle ; et
les confesseurs ne sauraient être trop fermes
envers ceux qui y vont et ceux qui les reçoi-
vent. Quand on ne peut point jeûner, on
doit suppléer au jeûne par d'autres mortifi-
cations. On est toujours coupable quand on
n'est pas pénitent dans le carême.
CHAPITRE XL.
Ce que doivent faire les chrétiens qui ne
peuvent point observer /' 'abstinence.
Le gras n'est pas absolument aussi néces-
saire à la santé que les mondains délicats
se l'imaginent. S'ils respectaient la loi de
l'Eglise, tous les obstacles qu'ils trouvent
lorsqu'il s'agit de pratiquer l'abstinence,
s'évanouiraient ; mais ils ne sont alarmés
sur leur santé, et ils ne craignent de l'al-
térer que lorsqu'il s'agit de se mortifier et de
satisfaire aux devoirs du christianisme.
Cette santé qui leur est si précieuse,
qu'ils craignent tant d'affaiblir par l'absti-
nence, combien n'est-elle pas prodiguée
lorsqu'il s'agit de l'intérêt , du plaisir et de
satisfaire ses inclinations?
Ménage-t-on sa santé à ces longs repas
où l'on mange avec excès, où l'on boit de
même, où l'on échauffe son sang par les ra-
goûts piquants et les liqueurs violentes qui
en font l'àme et l'ornement? 11 faut avoir
recours à la diète, aux rafraîchissements, et
quelquefois à des remèdes plus prompts et
plus violents pour réparer le déchet que la
bonne chère a fait à la santé. On ne voit pas
les chrétiens mortifiés ni ceux qui obser-
vent l'abstinence ordonnée par l'Eglise, ex-
posés à ces révolutions.
Les veilles, les parties de plaisir, une vie
de mouvement , d'agitation ; un dérange-
ment continuel pour les heures du sommeil,
des repas, tantôt un loisir qui ennuie, tantôt
une occupation qui fatigue; tout cela altère
la santé, qui demande un régime, un ordre
dans le plan de notre vie. Cependant les
mondains ne s'en plaignent point. Ils aiment
les plaisirs, ils les goûtent aux dépens de
leur santé ; ils n'opposent leur délicatesse
que lorsqu'il s'agit de l'abstinence ordonnée
par l'Eglise. Ah ! si l'on avait plus de piété,
on n'aurait plus d'obstacle à opposer à la
loi.
Je pourrais dire ici que l'abstinence n'in-
commode certaines personnes que parce
qu'elles ne se contentent pas d'un mets
simple, doux et léger. L'art avec lequel on
prépare les aliments de carême, tout ce
qu'on y mêle pour piquer le goût , satisfaire
la sensualité ; voilà ce qui nuit à la santé , et
non pas l'abstinence du gras.
Combien de personnes qui pratiquent
l'abstinence toute l'année dans ces différents
ordres de l'Eglise 1 Ne voit-on pas dans leurs
retraites plus de vieillards que dans les
cours des grands ? Quelle santé plus robuste
que celle des pauvres des campagnes, dont
la vie est si frugale, et qui, bien loin d'a-
voir un gras succulent, n'ont pas même
souvent des légumes ?
Oui, cette foule de chrétiens qui se dispen-
sent aujourd'hui de l'abstinence, n'auraient
pas une seule excuse si l'irréligion ne pré-
sidait pas à l'examen de leur santé.
A mesure que la piété s'est affaiblie, le
nombre des infracteurs a augmenté; at,
comme l'on semble avoir aujourd'hui se-
coué le joug de la foi , il ne faut pas s'éton-
ner de ce grand déchet que nous voyons
dans la pénitence du carême.
Cependant à Dieu ne plaise que je prête
à tous ceux qui font gras dans le carême les
mêmes vues d'indépendance et d'irréligion !
11 y a des infirmes et des personnes qui
même, sans être malades, ont dans leur
tempérament un obstacle invincible au mai-
gre, et qui par conséquent, sont légitime-
ment dispensés de l'abstinence. 11 ne s'agit
que de faire observer à ces chrétiens com-
ment ils doivent user de l'indulgence de
l'Eglise.
Or je ne saurais leur rien dire de plus
sûr et de plus touchant que ce que saint
Charles Borromée dit dans un des conciles
qu'il a tenus pendant qu'il occupait le siège
de Milan. Ses paroles sont celles mêmes do
saint Augustin, qu'il rapporte.
Que les infirmes, dit-il, qui, par l'extrême
faiblesse de leur santé, ne peuvent point
pratiquer l'abstinence, gémissent et s'exci-
tent à la douleur en prenant leur repas ;
qu'ils s'affligent intérieurement d'être sépa-
rés des fidèles qui jeûnent et sont dans la
pénitence; qu'ils mangent en secret autant
qu'ils pourront; qu'ils évitent de s'associer
avec ceux qui font maigre, et qu'ils prennent
garde de les exciter par leur exemple à vio-
ler la sainte loi qui oblige tous les chrétiens
dans ces saints jours à la pénitence (57).
Or ceux qui sont dispensés de l'absti-
nence dans le carême doivent faire attention
à trois choses, rapportées dans ce canon du
cinquième concile de Milan : 1° C'est comme
malades, infirmes, qu'ils sont dispensés lé-
gitimement de l'abstinence : œyroti; par con -
séquent il faut une infirmité réelle, un obs
tacle invincible au maigre, ou un danger
évident pour être dispensé de l'abstinence
dans le carême. 2° Ils doivent suppléer à
cette pénitence corporelle par une pénitence
intérieure : ils doivent gémir et être contrits
de leur faiblesse et d'avoir besoin d'une si
grande indulgence, pendant que leurs pé-
chés exigent une pénitence rigoureuse :
Animi dolore gemituque cibum captant; par
conséquent ceux qui, sous prétexte que le
gras leur est accordé par l'Eglise, ont une
table servie avec abondance et délicatesse ,
y paraissent avec joie et assaisonnent leurs
repas comme à l'ordinaire des conversa-
tions libres et enjouées, pèchent contre la
loi de la pénitence du carême. 3° Ils doivent
(57) ExConcilio Mediolanensi quinlo sub S. Carolo, aimo 1579, p.l, lit. 3.
si;
ORATEURS SACRES. BALLET.
&M
prendre garde d'exciter les autres à la trans-
gression de la loi par leur exemple, c'est-à-
dire, ou par les discours qu'ils tiennent, ou
par la délicatesse recherchée des mets qu'on
leur sert, ou par les avis qu'ils donnent :
Ne alios suo exetnplo ad violandum provo-
cent ; par conséquent ceux qui invitent leurs
amis, qui leur donnent le choix du gras ou
du maigre, qui se contentent des prétextes
qu'ils apportent, ou de la permission qu'ils
ont de leur médecin, pèchent contre la loi*
qui n'accorde qu'un gras nécessaire à la
santé, et lorsqu'il y a une infirmité réelle.
Quols malades que ceux qui s'invitent, se
traitent dans le carême 1 Quels pénitents que
ceux qui recherchent la compagnie, la bonne
chère I Quand je vois ces prétendus infirmes
assister à de longs et splendklcs repas dans
le carême , je dis qu'il n'y a ni infirmité
réelle, ni respect pour la loi de l'Eglise.
CHAPITRE XLI.
Dieu soutient ceux qui, par respect pour la
loi de l'Eglise, s'efforcent de pratiquer le
jeûne et l'abstinence dans le saint temps de
carême. j
Dieu soutient ceux qui se mortifient, s'af-
fligent, pleurent pour expier leurs péchés
et venger sa justice offensée ; il répand des
douceurs et des suavités dans la pénitence
la plus amère. Les jeûnes, les ahstinences,
les veilles, les larmes ont toujours fait la
joie des pénitents sincères; ils ne les ont
pas détruits.
Je ne parle pas ici des miracles que Dieu
a opérés pour nourrir dans le 'désert les Paule,
les Antoine, les Marie Egyptienne et tant
d'autres pénitents. La longueur de leurs
jours et les rigueurs de leur pénitence sont
des prodiges qui prouvent sa puissance et
confondent certains sages de la Grèce qui
portaient par orgueil la sévérité et la so-
briété à un excès qui séduisait les peuples.
Je parle ici des chrétiens fidèles aux ri-
gueurs de leur règle, ou à la pénitence que
l'Eglise impose à ses enfants : rigueurs et
pénitence qui n'ont rien d'extraordinaire,
qui affligent la chair sans la détruire, qui ré-
priment les jiassions du corps et conservent
la beauté de l'âme.
Or j'avance deux choses qui sont incon-
testables, et que l'expérience nous prouve.
La première, que la pénitence du carême,
pratiquée même dans toute son étendue, se-
lon l'esprit de l'Eglise, avec les adoucisse-
ments qu'elle a tolérés, n'a rien de contraire
à la santé. La seconde, que Dieu, qui récom-
pense les moindres efforts de ses enfants
soumis, soutient ceux qui, n'écoutant point
leur faiblesse , entrent avec zèle dans la
sainte ('arrière de la pénitence du carême.
Pour prouver ma première proposition, je
dois vous faire observer que, malgré l'irré-
ligion de notre siècle, il y a encore beau-
coup d'âmes fidèles et soumises à l'Eglise.
Dans tous les cloîtres, toutes les commu-
nautés religieuses, les congrégations, les
séminaires, les sociétés religieuses, on ob-
serve le carême, on prat'que exactement lo
jeûne et l'abstinence, malgré les longs offi-
ces, les veilles de la nuit, les exercices péni-
bles du chant de l'Eglise.
Dans le monde même , tout corrompu
qu'il est, nous ne pouvons pas dire avec le
Prophète qu'il n'y a plus d'âmes fidèles :
Déficit sanctus (Psal. XI) ; qu'il n'y a pas
v.n seul chrétien vertueux et j énitent :
Non estusque ad unitrn. [Psal. LU.)
Que de familles édifiantes 1 Que de laïques
exacts observateurs de la loi 1 A la cour, à la
ville, dans les grands et les petits, les riches
et les pauvres, les savants et les simples, il
y a de religieux observateurs de la pénitence
du carême. Or voyez -vous tous ces péni-
tents sincères chargés d'infirmités après le
carême? les jeûnes et l'abstinence ont-ils
détruit leur santé? en voyez-vous beaucoup
après la quarantaine dans l'épuisement, la
défaillance?
Ah 1 c'est après les plaisirs, les longs re-
pas, que l'on voit les mondains épuisés,
languissants, chargés d'infirmités. La bonne
chère en a [lus fait descendre dans le tom-
beau que la pénitence. Combien de jeunes
gens nés avec un tempérament sain, robuste,
dont la santé usée ne se soutient plus que
par les artifices de l'art 1 Est-ce la pénitence
du carême qui a détruit ces colosses? Non.
Demandez-le aux mondains, ils vous en di-
ront la cause en deux mots : ïl a vécu, c'est-
à-dire, s'il avait été plus tempérant, plus
sobre; s'il eût mené une vie plus frugale,
sa carrière serait plus longue et moins dou-
loureuse.
Que les médecins vous avouent ce qu'ils
éprouvent tous les ans, ils vous diront qu'ils
visitent un nombre de personnes, dans le
commencement de la quarantaine , dont la
maladie est une suite des plaisirs, des
excès, des dissolutions du carnaval; mais ils
ne vous diront pas qu'ils visitent après
Pâques des personnes dont la maladie est
causée par les jeûnes et l'abstinence que
l'on pratique aujourd'hui.
Cessez donc, chrétiens lâches et délicats,
d'être alarmés de la pénitence du carême, à
laquelle l'Eglise vous oblige avec les adou-
cissements qu'elle a tolérés, puisqu'elle n'a
rien qui détruise la santé, et qu'elle vous
expose à moins d'infirmités que les plaisirs
et la bonne chère dont vous avez tant de
peine à vous priver.
Vous hésitez à pratiquer la pénitence du
carême : les jeûnes, l'abstinence vous ef-
frayent ; vous n'avez point d'infirmités
réelles, mais vous avez une santé faible et
délicate; vous craignez de l'altérer; vous
appréhendez une faiblesse, un épuisement;
vous respectez la loi de l'Eglise, vous vou-
driez l'observer, mais vous vous méfiez de
votre tempérament, de vos forces. Ah! puis-
que vous n'avez pas au commencement de
la quarantaine d'infirmités réelles, essayez,
entrez dans cette sainte carrière de la pé-
nitence; commencez, et Dieu vous fiou-
tiendra; il récompensera vos faibles efforts,
INSTRUCTION SUR LA PENITENCE DU CAREME. — CHAP. XLH.
54G
et vous serez peut-être étonnés de votre
i,anté après la solennité pascale.
Daniel, avec d'autres jeunes Hébreux, a la
cour de Nabuchodonosor à Babylone, ayant
appris que ce monarque avait ordonné qu'ils
fussent nourris délicatement, et qu'on leur
.servît les mômes viandes et le même vin
qu'on servait sur sa table, forma la résolu-
tion de plutôt mourir que de manger ce qui
lui était interdit par sa loi : Proposait in
corde suo , ne pollueretur de mensa régis.
(Dan., I.) Celui qui était chargé des ordres
du prince lui dit qu'il voulait bien l'obliger,
mais qu'il craignait que sa santé n'en fût
altérée, et que s'il n'était point dans l'em-
bonpoint et une brillante santé lorsqu'il fau-
drait paraître devant le roi, il le ferait périr
sous le glaive. Daniel lui dit-: Le Dieu que
nous servons nous soutiendra; ne craignez
point, éprouvez-nous seulement dix jours,
ne nous servez que des légumes et de beau :
Tenta nos, obseero , deeem diebus. (Ibid.)
Après ce temps de pénitence vous ferez un
parallèle de notre santé avec celle de ceux
qui mangent à la table du roi : Contemplare
vultus noslros, et vultus puercrum qui ve-
teuntur cibo regio.(Jbid.)S\ vous nous trou-
vez dépéris, languissants, vous nous défen-
drez cette abstinence : Sicut videris faciès.
(Jbid.) Ce seigneur, qui aimait Daniel, lui
accorda cette épreuve; et, après ce temps, il
vit avec admiration que Dieu soutient ses
serviteurs fidèles dans la pénitence. Ces
trois jeunes Hébreux étaient plus forts, et
avaient une santé plus brillante que tous
ceux qui avaient été nourris délicatement :
Apparucrunt vultus eorum meliores et cor-
pulentiores prœ omnibus paeris qui vesceban-
tur cibo regio. (Ibid.)
Or, chrétiens, qui , hésitez d'embrasser la
pénitence du carême à cause de votre santé,
essayez du moins quelques jours : Tenta,
obseero, \dccem diebus (Ibid.); Dieu vous sou-
tiendra, il récompensera votre respect pour
la loi; il soutient les vrais pénitents. Si
après cette épreuve votre santé s'altère,
s'affaiblit, vous n'aurez rien à vous repro-
cher; vous pourrez alors avoir recours à
l'indulgence de l'Eglise : Sicut videris fa-
ciès. (Ibid.)
CHAPITRE XLII.
Le crime des chre'ticns qui violent la sainte
pénitence du carême avec scandale.
Quelle espèce d'ennemis que l'Eglise ren-
ferme encore dans son sein, que ces hommes
qui méprisent son autorité, violent ses lois
les plus sacrées, et élèvent autel contre au-
tel ! Tels sont ces mondains qui se font une
gloire dans le carême de violer le jeûne et
l'abstinence, et qui opposent à la pénitence
publique de l'Eglise une vie de plaisirs et
de bonne chère.
Sous quels traits doit-on représenter ces
pécheurs scandaleux, ces infracteurs or-
gueilleux, ces apôtres de la licence, ces cen-
seurs audacieux des pratiques de l'Eglise?
S'ils rompaient le jeûne etj'abstinence en
secret, s'ils prétextaient quelques infirmités,
s'ils approuvaient ceux qui obéissent à la
loi de l'Eglise, et paraissaient mortifiés de
ne pas être pénitents, l'infraction de la pé-
nitence du carême ne nuirait qu'à eux seuls;
mais leur conduite, leurs discours, leurs
railleries, leurs objections, annoncent des
hommes qui ont levé l'étendard de l'irréli-
gion. Comment donc les dépeindre? Ah I
disons que ce sont des aveugles qui ont re-
cours aux ressources que leur fournit un
génie brillant, mais faux, pour justifier la
corruption de leurs cœurs.
Il n'y a point de religion dans le monde
qui n'ait ses pratiques de piété, ses jours de
pénitence. Le mahométisme , le luthéra-
nisme, le calvinisme, ont des pratiques du
pieté, des jeûnes. Entend-on un mahométan,
un luthérien, un calviniste parler contre ces
pratiques de piété, ces jeûnes? Se fait-il une
gloire de les violer? Raille- t-il ceux qui s'y
soumettent? Ose-t-il dire que c'est l'esprit de
domination, l'intérêt, la politique, qui ont
présidé à l'établissement de ces pénitences?
C'est ce que l'on n'a jamais entendu. 11 était
donc réservé à des hommes qui se disent
encore chrétiens catholiques, de railler la
religion qu'ils professent, de censurer ses
lois, de les violer publiquement, et de se
faire honneur de leur coupable révolte?
Or comment n'aperçoit-on pas tout le
crime de ces pécheurs scandaleux , tout le
faux de leurs raisonnements? Pourquoi ne
les humiJie-t-on pas? Pourquoi ne les a-t-on
pas en horreur? Un homme qui blâme, cen-
sure la religion qu'il professe, n'est plus un
homme d'esprit, c'est un impie qui se joue
de ce qu'il y a de plus saint r on doit le fuir.
Que les hommes n'ont-ils pas à redouter de
lui, s'il manque à Dieul Les progrès que
l'incrédulité a faits dans notre siècle, les ef-
forts de l'esprit humain empêchent qu'on en
conçoive une juste idée.
Mais examinons [dus en détail le crime de
ceux qui violent la sainte ] énitence du ca-
rême avec scandale, on en apercevra toute
l'énormité et toutes les suites malheureuses.
1° J'appelle infracteurs scandaleux de la
sainte pénitence du carême ceux qui, publi-
quement et sans aucune infirmité, rom-
pent les jeûnes et l'abstinence ordonnes
dans ce saint temps, et je dis qu'ils commet-
tent un crime qui combat ouvertement l'au-
torité de l'Eglise.
11 est certain que l'Eglise a reçu de Dieu
toute autorité sur la terre pour le gouverne-
ment des âmes, la conservation de la foi, la
même que Jésus-Christ avait et qu'il avait
reçue de son Père: or cette vérité posée, n'est-
ce pas combattre l'autorité de l'Eglise que
de violer ses lois solennellement intimées
et annoncées? N'est-ce pas dire qu'on ne la
reconnaît pas, qu'on la méprise, que de se
livrer à la bonne chère, que de manger gras
publiquement dans le carême, sans apporter
d'autre cause de son infraction que sa vo-
lonté. Tel est le premier caractère de ces pé-
cheurs scandaleux.
2° Les discours indécents de ces infrac-
5-i7
ORATEURS SACRES. BALLET.
548
tours scandaleux approuvent et accréditent
les arguments des hérétiques contre la pé-
nitence du carême, et les surpassent môme
en matièro de critique et de censure : aussi
le nom de chrétiens catholiques qui leur
reste procure-t-il de funestes progrès à leur
pernicieuse morale.
Les plus hahiles ministres protestants, qui
ont écrit contre la pénitence du carême, ont
trouvé dans l'Eglise romaine des adversaires
redoutables. Ils n'ont pu résister quelque
ternes qu'en chicanant sur le nombre des
jours du carême ; et nous ne voyons pas que
leurs écrits aient causé à cette sainte péni-
tence le déchet que causent depuis une cin-
quantaine d'années les discours licencieux
nés catholiques corrompus dans les mœurs.
Qui pourrait entendre, sans être pénétré
de douleur, ces mondains délicats et incré-
dules, débiter avec orgueil les réflexions cri-
tiques de quelques savants impies sur l'éta-
blissement de la pénitence du carême ; l'at-
tribuer à la politique, à l'intérêt; enchérir
sur les objections des hérétiques par de
fades plaisanteries? Comment des chrétiens,
qui ont encore de la foi, peuvent-ils les en-
tendre? Comment osent-ils s'asseoir avec
eux à une table couverte de mets défendus
par la loi? Second caractère du crime des
infracteurs scandaleux de la pénitence du
carême. Leurs discours causent plus de mal
que tous les écrits des hérétiques.
3° Crime dont le coupable exemple en-
traîne dans la désobéissance un grand nom-
bre de chrétiens peu affermis dans la foi, et
qui fait triompher les protestants.
La déférence que l'on a pour les lumières,
le rang, les accueils de ces mondains infrac-
teurs, font qu'on les écoute; ensuite on ap-
fdaudit, enlin on les imite. Les prédicateurs
es plus zélés, les apôtres mêmes en chaire, ne
font pas les conquêtes que font ces hommes
d'incrédulité: les protestants triomphent de
ces infractions publiques et sans nombre
de la pénitence du carême des chrétiens; l'E-
glise et toutes les âmes fidèles en gémissent;
mais que ces succès des infracteurs scanda-
leux sont déplorables 1 qu'ils leur causeront
de regrets et de larmes I
Malheur à celui qui désobéit à l'Eglise;
malheur à celui par qui vient le scandale ;
malheur à celui qui sert d'instrument au dé-
mon pour perdre son frère. Les infracteurs
scandaleux de la pénitence du carême font
tout cela, ils encourent donc tous ces ana-
thèmes.
Vous commencez, ô Epouse de Jésus-
Christ, à leur faire sentir l'énormité de leur
crime, en ordonnant dans vos saintes assem-
blées aux confesseurs, de les priver de la
grâce de l'absolution e-t de la communion
pascale.
CHAPITRE XL1II.
Le crime des chrétiens qui se servent de leur
autorité ou de l'ascendant quils ont sur
leurs enfants , leurs domestiques , leurs
amis, pour leur faire violer la sainte péni-
tence au carême.
Quel temps 1 quelle foil quelles mœurs!
Jamais siècle ne fut plus irréligieux que le
nôtre ; jamais la foi n'a été plus rare ; jamais
les mœurs n'ont été plus licencieuses. Notre
siècle est éclairé, fécond en beaux génies;
la foi est la matière de toutes les conversa-
tions : on ne cesse d'écrire, de disputer sur
les objets qu'elle nous propose. Les mœurs
louées, accréditées, combattent la morale,
les maximes de l'Evangile ; les pères et les
maîtres, les amis sont autant d'apôtres qui
enseignent le mépris de la loi, qui promet-
tent une fausse paix, qui égarent ceux qu'ils
conduisent, et qui les enhardissent au crime,
à l'impiété.
Qui croirait que dans la maison d'un chré-
tien catholique il y eût du danger pour le
salut? qu'on y fût perpétuellement tenté de
désobéir à l'Eglise et même forcé de violer
ses lois les plus sacrées ? C'est cependant ce
que nous voyons tous les ans avec douleur.
Des parents irréligieux ne se contentent
pas de rompre l'abstinence, ils la font rompre
a leurs enfants: en vain la délicatesse de
leur conscience réclame -t- elle contre des
ordres que le mépris de la loi seule a dictés ; en
vain opposent-ils leur santé, leur tempéra-
ment; en vain leur piété gémit-elle : les ordres
sont donnés, il faut obéir à ces parents infrac-
teurs, et désobéir à l'Eglise. Un prétexte fri-
vole les a déterminés à faire gras, un système
d'économie les détermine à s'associer leurs
enfants pour violer la sainte pénitence du
carême. On ne servira point d'autres mets
dans tout ce saint temps que ceux qui sont
défendus par l'Eglise.
Sentez-vous, parents irréligieux, toute l'é-
normité de votre crime? vous ôtez à vos en-
fants un? vie mille fois plus précieuse que
celle que vous leur avez donnée, la vie de
l'âme; vous étouffez dans leurs tendres cœurs
les sentiments de piété que la grâce y a fait
naître; vous voulez qu'ils vous obéissent, et
vous les forcez à désobéir au Seigneur en
les forçant de désobéira son Eglise. Vous
êtes le pasteur de votre famille, l'évêque,
l'apôtre, et vous leur prêchez une morale
qui combat celle de l'Evangile. Vous les con-
duisez dans les routes de la perdition; vous
leur apprenez à mépriser les ordres et les
menaces de l'Eglise, les avis d'un confesseur
éclairé, prudent, ferme; il faut qu'ils le
quittent poursuivre le plan de vie criminelle
que vous leur tracez , et qu'ils s'adressent
comme vous à des guides commodes, indiffé-
rents sur la perte des âmes qu'ils conduisent.
Ahl la perte de ces enfants que l'Eglise a re-
çus dans son sein et régénérés dans les eaux
sacrées du baptême, que des ministres zélés
ont instruits et formés à la piété, vous sera
imputée ; elle fera une partie de votre far-
deau au tribunal de Jésus-Christ et de voire
so
INSTRUCTION SUR LA PENITENCE DU CAREME. — C1I.VP. XL1V.
550
supplice dans les enfers. S'ils sont aussi
mondains, aussi irréligieux, aussi impéni-
tents que vous dans la suite, vous aurez été
leurs maîtres : leur malheur sera de vous
avoir imités. C'est vous qui les aurez attachés
au char du démon. Vous ahusez de votre
autorité' pour éteindre la piété dans leurs
cœurs, et les rendre complices de vos infrac-
lions scandaleuses ; ils la délesteront, ils la
maudiront dans l'enfer, s'ils ont le malheur
d'y être ensevelis avec vous.
Que dirai-je de ces maîtres qui forcent
leurs domestiques à violer la sainte péni-
tence du carême? Le nombre, hélas! en est
grand dans notre siècle. L'irréligion qui ne
régnait autrefois que dans les grands sans
piété ou chez le peuple ignorant et grossier,
s'estintroduitede nos jours dans le tiers état :
des bourgois notables, par la seule raison
d'économie, violent l'abstinence du carême,
et la font violer à leurs domestiques ; il en
coûterait trop pour préparer différents mets.
Cela suffît: ceux qui sont défendus par l'E-
glise seront les seuls que l'on servira.
Quel piège tendu à la piété d'un domes-
tique 1 S'il craint le Seigneur, s'il ne veut
point souiller son âme par une désobéissance
formelle à la loi de l'Eglise, il faut qu'il perde
sa condition, qu'il quitte des maîtres catho-
liques, parce que sa conscience y est plus
gênée que chez un protestant.
Un luthérien, un calviniste serait mésé-
difié de voir un catholique faire gras dans le
carême ; et un maître, qui professera religion
romaine, menace un domestique qui refuse
d'imiter sa coupable audace à violer la loi de
l'Eglise.
Avec quel art des amis sans religion n'en-
hardissent-ils pas leurs amis à l'infraction de
la sainte pénitence du carême ! Us les alar-
ment sur leur santé, ils leur rappellent des
infirmités passées; leurs enfants, leurs em-
plois, leurs talents , tout, selon eux, les au-
torise à rompre le jeûne et l'abstinence pour
conserver des jours précieux à une famille,
à la société.
Fait-on connaître de la délicatesse, des re-
mords, ces séducteurs s'accommodent à la
piété; ils parlent de Dieu : Dieu n'exige pas,
disent-ils, ces austérités; votre pénitence dé-
placée lui déplairait; le cœur est tout ce qu'il
demande ; les jeûnes et l'abstinence peuvent
être pratiqués par des solitaires morts au
monde, par des religieux ou des religieuses
dans la retraite et dégagés des embarras du
siècle; par des personnes dévouées à la piété,
et qui n'ont pas autre chose à faire; mais
vous, que des occupations perpétuelles agi-
tent, que les sollicitudes d'un commerce,
d'une fortune commencée, que l'établisse-
ment d'une famille inquiètent, que des ta-
lents utiles rendent nécessaires, il faut vous
conserver et vous dispenser de la pénitence
ordonnée par l'Eglise.
C'est ainsi que ces infracteurs, en étalant
la bonté de Dieu, inspirent du mépris pour
l'autorité de l'Eglise, s'efforcent d'augmen-
ter le nombre des désobéissants.
Ah! quel apostolat cpie celui qui s'exerce
pour détruire et faire mépriser tout ce qui a
été enseigné et établi par les apôtres de la
doctrine de Jésus-Christ! Quel est le crime
de ces séducteurs! Us sont plus à redouter
que les hérétiques mêmes.
CHAPITRE XLIV.
Le déchet de la sainte pénitence du carême
qui nous afflige aujourd'hui, est une suite
du déchet de la foi.
Pour peu qu'on réfléchisse sur l'antiquité
delà pénitence du carême, qu'on fasse attent
tion à l'autorité de ceux qui l'ont établ-e, aux
témoignages de ceux qui en ont parlé, à la
ferveur des chrétiens qui l'ont observée si re-
ligieusement pendant une longue suite de
siècles, à l'esprit de l'Eglise qui n'a jamais
varié sur l'essence de cette sainte pratique,
et à la solennité avec laquelle elle annonce
encore aujourd'hui ces jours de jeûne et
d'abstinence; on aperçoit un déchet déplo-
rable de la foi : on ne trouve plus aucune
conformité avec celle de nos pères.
La plus vénérable antiquité, les traditions
apostoliques, les lois de l'Eglise, la soumis-
sion de ses enfants, tout est critiqué, cen-
suré, blâmé aujourd'hui.
Or d'où vient ce mépris? Quelle est Ja
source de cette révolte, de ces désobéissan-
ces, de ces trangressions publiques? L'irré-
ligion de notre siècle, les funestes progrès
de l'incrédulité, les coupables productions
de certains savants superbes, sans religion.
L'esprit a voulu régner, briller; ses sacri-
lèges efforts ont séduit, on les a admirés; la
simplicité de la foi a déplu, parce qu'elle
humilie l'orgueilleuse raison de l'homme.
On n'a pas redouté les écrits des savants in-
crédules, on les a lus, ils se sont déb tés,
ils ont même reçu des applaud ssen ents.
De là des doutes sur les plus grandes véri-
tés, ensuite des désaveux solennels des faits
les plus graves, les mieux attestés ; enfin,
les progrès du déisme, du matérialisme, et
de tous les systèmes qui s'accommodent aux
penchants, aux passions du cœur huma.n.
On gémit aujourd'hui de ces funestes pro-
grès, on aperçoit le danger pour la foi dans
ce royaume : ce ne sont pas seulement cer-
tains savants, certains mondains distingués,
mais ce sont des chrétiens de tous les états
qui ont été séduits, qui méprisent la simpli-
cité de la foi, que ses saintes obscurités ré-
voltent, qui critiquent et raillent les lois,
les pratiques de l'Eglise les plus sacrées.
Dcslibelles impies passés de main en main
h la faveur des ténèbres ont corrompu tous
les cœurs et séduit tous les esprits.
Le chrétien fidèle redoute la compagnie
des autres chrétiens, parce qu'armés des
anecdotes scandaleuses, des réflexions liber-
tines, des décisions téméraires d'un savant
accrédité, on raille, on combat, on nie même
les dogmes de la religion dans un cercle, à
une table; toutes les vérivés de la foi sem-
blent n'être plus aujourd'hui que des pro-
blèmes dans la bouche des enfants du siè-
551
ORATEURS SACRES. BALLET.
ftSi
cle : Diminuâtes sunt veritates a filiis homi-
nu:n: (Psal. XL)
Or il n'est pas douteux que cet esprit
d'irréligion si accrédité, est aujourd'hui la
cause de ce déchet déplorable de la péni-
tence du carême, qui nous afflige : qu'on y
fasse attention, il a augmenté à mesure aue
l'incrédulité a fait des progrès.
Remontons aux premiers siècles de l'E-
glise, ces temps où la foi était si vive, si sou-
mise. Nous y verrons la pénitence du carême
(pratiquée avec une rigueur qui nous étonne,
et dont nous nous croyons incapables.
Les jeûnes et les abstinences de la quaran-
taine étaient regardés comme des préceptes
dont on ne pouvait pas se dispenser sans
s'exposer à la damnation, sans manquer au
respect dû à une institution apostolique, à
une loi sacrée de l'Eglise, parce que les fidè-
les étaient animés de cette foi qui ne sait pas
disputer, mais se soumettre et mourir même
pour la doctrine du Sauveur. Ils étaient tous
dans ce saint temps, sans distinction, des
pénitents sincères.
Pendant douze cents ans, la pénitence du
carême a été observée avec cette sévérité que
nous nous contentons d'admirer. Pourquoi?
Parce que la foi était plus vive, plus soumise;
parce qu'on ne s'érigeait pasaudacieusement
en censeurs des lois de l'Eglise, qu'on ne lui
disputait pas son autorité.
Ensuite se sont introduits les adoucisse-
ments dans les grands jeûnes, que la ten-
dresse de l'Eglise a tolérés; mais les chrétiens,
en profitant de ces adoucissements, prati-
quaient avec respect le jeûne et l'abstinence,
il fallait encore une infirmité réelle pour se
dispenser du jeûne ou de l'abstinence, et
l'on peut dire que ce mépris scandaleux de
la pénitence du carême n'a fait ces progrès
étonnants qui nous aftligent, que dans notre
siècle où l'on se pique tant d'esprit et de lu-
mières.
11 n'y a pas longtemps que les infracleurs
de la loi du carême ne se cachent plus, qu'ils
s'applaudissent hautement, et tournent en
ridicule ceux qui ne les imitent pas. D'année
en année, le'nombre des pénitents diminue :
le carême n'est presque plus rien aujour-
d'hui: je n'en suis pas étonné, ce déchet de
la pénitence est une suite du déchet de la foi.
Comment respectcra-t-onla loi de l'Eglise?
on a répandu sur ses conciles, sur ses déci-
sions les plus solennelles, sur les écrits de
ses saints docteurs, des nuages, des obscuri-
tés. L'incrédule audacieux défigure, llétril
ses plus beaux siècles par ses sacrilèges sub-
limités et ses spécieuses objections. Il est
écouté, applaudi ; on respecte ses décou-
vertes, sus lumières; on lui sait gré de faire
tomber le bandeau importun de Ta foi, et de
faire triompher la raison qui était obligée de
se taire.
Ah ! il n'est pas étonnant que des hommes
de doutes, d'incertitudes, méprisent l'autorité
de l'Eglise, lui prêtent des vues de politique,
cfêintérêt, et se lassent une gloire de leur dé-
sobéissance. Ses ennemis ne seront jamais
ù-cs hommes de foi et de piété.
Nous voyons donc avec douleur, ô mon
Dieu! dans ces jours, l'irréligion et la licence
des mœurs triompher. L'une est une suite
de l'autre : ce déchet de la piété et de la sou-
mission est le fruit de l'erreur accréditée.
Rendez , ô mon Dieu ! la paix à votre Eglise.'
Quand elle n'aura plus d'enfants rebelles ,
elle n'aura plus dans son sein d'infracteurs
audacieux de ses préceptes. La pénitence
solennelle du carême sera observée comme
dans les siècles précédents, où l'on disputait
moins, mais où l'on vivait mieux.
CHAPITRE XLV.
Les motifs gui doivent consoler les chrétiens
affligés du déchet de la tainte pénitence du
carême.
Je le sais , ô chrétiens fidèles et soumis à
la sainte pénitence du carême! une douleur
amère afflige votre cœur dans ce saint temps.
Cette foule d'enfants rebelles qui désobéis-
sent à l'Eglise, qui insultent à son deuil,
vous attriste : vous êtes dans la désolation
en voyant ce contraste qui étonne nos enne-
mis. Dans le sein même de l'Eglise, un
spectacle de piété, de larmes , de pénitences;
un spectacle de plaisirs, de délices, de li-
cences. Notre zèle s'excite, s'alarme comme
celui des Moïse, des Phinées, des Matathias,
à la vue de ces-infracteurs de la loi : votre
zèle est louable; mais contentez-vous de
prier, de gémir dans la retraite, ou au pied
des saints autels : fuyez le commerce de ces
chrétiens désobéissants.
C'est dans le saint temps de carême, que
l'âme fidèle pourrait dire avec le saint roi
d'Israël: Je m'éloigne du monde pendant la
sainte quarantaine , je me retire à l'écart ; je
me ferai une solitude dans ma maison , je
n'en sortirai que pour aller prier et gémir
dans le saint temple, et répandre mon âme
affligée devant le Dieu des consolations :
Elongavi fugiens , et munsi in solitudine.
(Psal. LIV.) Pourquoi? Parce que je vois ré-
gner partout, dans ce saint temps, l'iniquité
et la contradiction : Quoniam vidi iniquita-
tem et contradictionemincivitate. (Ibid.)
Je vois dans une ville chrétienne des hom-
mes qui se font gloire des péchés qu'ils
commettent; qui accréditent par leurs exem-
ples la désobéissance aux plus saintes lois;
je vois une contradiction dans ceux qui
professent la même foi , qui m'ébranlerait si
l'Evangile ne m'apprenait pas que le nombre
des élus est petit.
Des chrétiens fidèles jeûnent, se mortifiont;
les offices sont plus longs, les exhortations
plus fréquentes : on s'efforce de toucher le
Seigneur par sa douleur et ses gémisse-
ments, et tous les autres chrétiens se déli-
catent, s'engraissent , se livrent aux [ lai-
sirs, vont aux spectacles, et désavouent pu-
bliquement la nécessité de cette pénitence:
) tôt iniquitatem et contradictionem incivitute.
Ah! je ne porterai pas mes yeux sur ce
monde d'infracteurs; je le fuirai pour nie
consoler avec le troupeau fiuèle qui obéit à
l'Eglise.
S53
INSTRUCTION SUR LA PENITENCE DU CAREME. - CHAP. XLYI.
>H
La première réflexion qui doit vous ras-
surer et vous consoler, âmes fidèles, dans
ce déchet déplorable de la sainte pénitence
du carême, c'est l'esprit de l'Eglise qui est
toujours le môme. Elle a combattu dans
tous les siècles et la doctrine des hérétiques
et le relâchement de ses entants sur la péni-
tence du carême. Les décisions de ses der-
niers conciles , comme celles des premiers ;
les mandements des évoques d'aujourd'hui,
comme ceux des premiers siècles; les exhor-
tations des pasteurs, les discours des pré-
dicateurs, vous annoncent la pénitence du
carême, comme on l'annonçait autrefois. Si
la misère , la rigueur des saisons , la re-
présentation des magistrats l'a déterminée à
user d'indulgence, ce n'est qu'en gémissant,
et en vous rappelant l'ancienne sévérité du
carême de nos premiers frères, qu'elle vous
l'accorde.
Ce déchet de la pénitence du carême qui
vous afflige est donc non-seulement désa-
voué, mais encore condamné par l'Eglise.
Quelle consolation pour vous, âmes fidèles,
d'entrer, autant que vous en êtes capables,
dans l'esprit de l'Eglise!
Quoique vous ne pratiquiez point les ri-
gueurs des premiers chrétiens , vous avez
toujours la consolation d'imiter leur respect
pour la loi de l'Eglise. Vos jeûnes ne sont
pas aussi longs, vos repas aussi frugals,
vos privations aussi parfaites : mais, en obser-
vant la sainte pénitence du carême, avec les
seuls adoucissements que l'Eglise permet;
en ajoutant le jeûne spirituel au jeûne cor-
porel ; en priant, en gémissant avec l'Eglise
pendant la sainte quarantaine, vous entrez
dans son esprit, vous ne vous séparez pas
des saints pénitents, comme les mondains
qui violent toute la pénitence du carême.
Oui, mon Dieu, ce qui me console dans
l'amertume de mon cœur, c'est que cette
pénitence du carême , combattue par les
hérétiques, mépvisée et abandonnée par les
mondains, a été pratiquée par des enfants de
l'Eglise, fervents et soumis dans tous les
siècles; c'est qu'elle a toujours été annoncée
solennellement dans le même temps; c'est
que les plus grands Saints, ceux que vous
avez distinguas par le don des miracles et
de prophétie, les plus illustres docteurs, les
empereurs et les puissants du siècle, ont eu
une profonde vénération pour la loi de votre
Epouse; aucun ne croyait, s'en dispenser:
vous vous réservez, Seigneur, dans tous les
états, des âmes fidèles que le monde ne sé-
duit pas, et qui condamnent par leur obéis-
sance la coupable révolte des mondains.
Dans ce siècle même, tout corrompu qu'il
est, dans ces jours de révolte et d'incrédu-
lité, je vois, ô mon Dieu! par votre miséri-
corde, de saints pénitents ; j'en vois dans
tous les états et dans toutes les conditions :
je vois ceux qui vous sont fidèles faire des
efforts pour pratiquer les jeûnes et les abs-
tinences selon l'esprit de votre Eglise : il y en
a même plusieurs qui pratiquent les grands
jeûnes, et dont on est obligé de modérer les
rigueurs qu'ils voudraient s'imposer dans ce
OlUTEUKS SACHES. L,
saint temps. Je vois aussi avec j la's'r, 6
mon Dieu I la pénitence du carême respectée
et observée h la cour. Les ennemis du jeûne
et de l'abstinence sont obligés d'y tenir un
autre langage que celui qu'ils" tiennent
dans le cercle des libertins et des incrédules.
L'exemple d'un grand roi et d'une grande
reine les confond. Us y sont témoins d'une
soumission parfaite à la loi du jeûne et de
l'abstinence, et jamais d'aucune transgres-
sion.
C'est cette fidélité de ceux qui vous crai-
gnent, qui me console, Seigneur, dans le
déchet étonnant de la pénitence du carême.
Après avoir médité ces motifs de consola-
tion, il faut implore;- le secours du ciel pour
ne pas être ébranlé ou séduit par les coupa-
bles exemples que donnent les ennemis de
la pénitence du carême. Il faut imiter la foi
et la fidélité de Noé, ce fidèle serviteur de
Dieu.
Pendant que des hommes corrompus so
livraient aux plaisirs des sens, qu'ils buvaient
et mangeaient, peu en peine de fléchir le
Seigneur irrité de leurs crimes, par une sin-
cère pénitence, le juste Noé s'appliquait à
mériter grâce devant Dieu par sa foi, son
obéissance-et son travail. Pendant ce déluge
d'iniquités dont notre siècle ne rougit point ;
pendant que les mondains se livrent aux
plaisirs, et se moquent de ceux qui jeûnent
et se mortifient, respectez la loi de l'Eglise,
cette arche précieuse; pratiquez la pénitence
qu'elle vous impose, et vous vous sauverez.
CHAPITRE XLYI.
Ce que doivent faire les chrétiens fidèles
après avoir pratiqué la sainte pénitence du
carême.
Ce serait un grand aveuglement que de
confondre les saintes joies pascales avec les
joies profanes du siècle, et de n'avoir ter-
miné une carrière de pénitence, que pour
entrer dans une carrière de plaisirs.
L'Eglise, il est vrai , est dans l'allégresse
après la sainte quarantaine. Les victoires de
son divin Epoux sur la mort, la gloire de
son tombeau, l'accomplissement de tous les
divins oracles sortis de sa bouche, qni j rouve
sa divinité, ce peuple d'esclaves, attaché au
char du démon, délivré, notre résurrection
assurée par la sienne ; tout cela essuie les
pleurs qu'elle a versés en célébrant les mys-
tères douloureux du Calvaire ; change ses
ornements de deuil en ornements de fêtes,
ses chants tristes et lugubres en chants d'al-
légresse et de joie.
Mais cette joie est pure, céleste; c'est la
foi et la reconnaissance qui excitent ces
saints transports ; elle ne détourne j as les
yeux de dessus la croix pendant tout le
temps pascal ; dans tous ses offices, elle lui
rend les hommages qui lui sont dus. C'est
donc méconnaître son esprit que de renon-
cera la mortification après le carême.
L'Eglise vous dispense du jeûne et de 1 ab-
stinence ordonnés dans la quarantaine, mas
elle ne ceut pas vous dispenser de la vie
13
ORATEIRS SACRES. BALLET.
556
inorlifiëe et pénitente dont l'Evangile fait
un précepte à tous les disciples du Sau-
veur.
Quoique le temps du carême soit écoulé,
il faut toujours marcher dans la voie étroite,
puisque c'est la seule qui conduise au ciel ;
il faut toujours porter sa croix, puisque sans
cela on n'est pas disciple de Jésus-Christ;
il faut toujours se mortifier, se gêner, com-
battre ses passions, veiller, prier, se pré-
cautionner, puisque nous avons toujours les
mêmes penchants, puisque notre chair nous
livre les mêmes combats, et que nous trou-
vons dans le monde les mêmes pièges, les
mômes écueils, les mêmes dangers. Toute
la vie de l'homme peut ne pas être un temps
de jeûne et d'abstinence, mais toute la vie
d'un chrétien doit être une milice conti-
nuelle, dit le Saint-Esprit.
Or, ces principes posés, on sent aisément
que ceux qui ne sortent de la carrière de la
pénitence, à Pâques, que pour rentrer dans
la route aisée, commode où marchent les
mondains, sont dans l'erreur et l'illusion.
C'est cependant ce que font les pénitents
qui comptent les jours , et dont la tristesse
diminue à mesure que le temps pascal ap-
proche.
On médite clans sa pénitence même des
dédommagements; on se trace un plan de
vie aisée; on forme des parties de plaisir
pour les exécuter après la quinzaine ; et
plusieurs renoncent, non-seulement à la pé-
nitence, mais encore à la dévotion quand le
carême est fini, et qu'ils ont satisfait au de-
voir pascal.
A voir la conduite d'une foule de chré-
tiens peu instruits, on dirait que la piété
n'est nécessa;re que dans le carême. C'est,
excepté quelques grandes solennités, le
seul temps où les temples sont fréquentés,
les hommes apostoliques écouté-:, et où le
monde, les spéciales, les plaisirs sont un
peu abandonnés. La communion, qui doit
donner une nouvelle ferveur, semble être
Je terme de la dévotion de ces chrétiens.
])ès qu'ils ont rempli leurdevoir pascal, ils se
regardent comme déchargés de toutes les
obligations du christianisme. Aussi, après
la quinzaine, les églises sont-elles désertes,
les solennités abandonnées, les instructions
négligées; les cercles, les spectacles, les
promenades peuvent à peine contenir la
foule des chrétiens qui n'ont eu qu'une
piété passagère.
Hélas 1 que sert-il d'avoir fait quelques ef-
forts pendant le carême, si le monde triom-
phe si aisément de nous? que nous servira-
t-il même dvêlre sortis du tombeau avec Jé-
sus-Christ, si nous y rentrons aussitôt ? No-
tre conversion n'aura été qu'un fantôme de
résurrection, si elle n'est pas persévérante.
Suffit-il de se séparer des mondains pendant
quarante jours et de les imiter le reste de
l'année? N'est-ce pas s'exposer à avoir un
sort encore plus terrible qu'eux?
Ecoutez, chrétiens, qui avez passé le saint
temps du carême dans la pénitence telon
l'esprit de l'Eglise.
Le temps pascal est un temps où vous devez
paraître plus fervents, plus détachés de la
terre que jamais; vous devez être des hom-
mes tout célestes, dépouillés de tout ce qui
appartient à l'ancien, et ne retracer que lo
nouvel Adam; c'est-à-dire Jésus-Christ. En
deux mots vous devez retracer toute volro
vie et dans toutes vos actions, la mort et la
résurrection de ce divin Sauveur.
Pourquoi Jésus-Christ, après sa résurrec-
tion, a-t-il conservé sur sa chair sacrée les
impressions de ses plaies , la place des clous
qui avaient percé ses pieds et ses mains, et
de la lance qui avait ouvert son côté? C'est,
disent les saints docteurs, pour les opposer
e\ aux incrédules, qui ne voudraient pas
croire sa résurrection, et aux chrétiens lâches
qui mèneraient une vie molle. Vous devez
donc, même après le saint temps du carême,
ne point perdre de vue les mystères du Cal-
vaire, à l'exemple de l'Eglise, et montrer par
votre conduite que vous êtes un disciple de
la croix.
Si vous êtes ressuscites avec Jésus-Christ,
vous devez mener une vie nouvelle ; ne goû-
ter que les choses célestes; être sortis pour
toujours du tombeau de vos péchés, et no
plus vous trouver avec ces pécheurs, ces
hommes morts à la grâce.
Jésus-Christ ne parut plus, après sa résur-
rection, avec les juifs, les pharisiens et les
pécheurs: il ne se montra qu'à ses disciples
sur le rivage de la mér, et dans des endroits
écartés. Vous devez donc aussi ne fré-
quenter, ne vous lier après votre résurrec-
tion spirituelle, qu'avec les vrais disciples
du Sauveur, les hommes de foi et de piété.
Celte conduite vous rendra, âmes fidèles , la
pénitence du carême salutaire.
5S7
INSTRUCTIONS SUR LE JUBILE. — PARTIE I, CIÎAP. I.
558
INSTRUCTIONS
SUR LE JUBILÉ,
DIVISEES EN TROIS PARTIES
$UI CONTIENNENT LESPRIT ET LA DOCTRINE DE L'ÉGLISE, SUB t'iïïDULGENCE QU'ELLE ACCORDF
A SES ENFANTS ; DES RÉFLEXIONS SUR LES EFFETS DE LA MISÉRICORDE ET DE LA JUSTICE
DU SEIGNEUR ; DES SENTIMENTS DE PÉNITENCE , ET LES DISPOSITIONS NÉCESSAIRES ^OVK
PROFITER DE LA GRACE DU JUBILÉ.
AVERTISSEMENT DE L'AUTEUR.
Ce petit ouvrage, qui paraît aujourd'hui,
était composé il y a déjà du temps ; mais, mes
infirmités m'ayaht empêché d'y mettre la der-
nière main avant l'ouverture du jubilé, je
ne comptais plus le donner au public dans ce
saint temps.
Ce sont les conseils de quelques person-
nes pieuses et éclairées qui m'ont déterminé.
Dès qu'elles ont vu ma santé un peu plus
forte, elles m'ont fait entendre qu'on aurait
encore le temps de profiter des instructions
qu'il renferme; d'ailleurs, qu'il serait utile
dans tous les temps aux personnes de piété,
puisque le but que je me suis proposé dans
cet ouvrage est de prouver que le temps de
la sévérité suit de près celui de la miséri-
corde, et que l'on devient les victimes de la
vengeance du Seigneur, quand on ne veut
pas être les conquêtes de sa clémence. J'ai
divisé cet ouvrage en trois parties : dans* la
première, j'explique l'esprit et la doctrine
de l'Eglise sur l'indulgence qu'elle accorde
à ses enfants ; dans la seconde, je fais des
réflexions sur plusieurs traits de l'Ecriture
sainte, qui nous donnent une juste idée de
la miséricorde et de la justice du Seigneur;
clans la troisième, je m'efforce d'inspirer des
sentiments de .pénitence, et de montrer le?
dispositions nécessaires pour profiter de la
grâce du Jubilé.
Je prie le Seigneur de répandre ses béné-
dictions sur ce petit ouvrage, pour le salu'
de ceux epri le liront, et la gloire de son
saint nom.
PREMIERE PARTIE.
CHAPITRE PREMIER.
On exhorte tous 1rs fidèles â profiter de la yrâce
du Jubilé.
Faites attention, chrétiens, à ces paroles
de saint Paul : Voici un temps favorable, voici
des jours de salut (I( Cor., VÏ); l'Eglise vous
les a annoncés avec une grande solennité;
elle a ouvert tous les trésors des mérites et
des grâces de Jésus-Christ dont elle est dé-
positaire; le souverain pontife étend dans
tous les Etats catholiques la grâce précieuse
que tant de fidèles ont reçue dans la capitale
du monde chrétien, l'année dernière.
Les ministres de l'Evangile vous répètent
partout ces paroles du grand apôtre : Nous
vous exhortons comme les coopérateurs de Dieu
dans l'importante affaire de votre salut, de ne
point recevoir en vain la yrâce qui vous est
accordée, car Dieu a dit à son peuple :Jc vous
ai exaucé dans un temps favorable, et je vous
ai secouru dans un jour de salut; or ces jours-
ci sont des jours de salut ; ce temps où je vous
parle, est un temps favorable pour obtenir le
pardon de vos péchés . (I I Cor., V I ; Isa., X UX , )
Saint Paul cite dans cet endroit un passage
tiré du quarante-neuvième chapitre d'Isaïe,
où Dieu dit à son peuple, qu'il y a un temps
où sa miséricorde se plaît à éclater singuliè-
rement. Pour ce temps favorable dont par.le
saint Paul, c'est, selon les interprètes, ou le
temps de cette vie, comparé avec le moment
de la mort ; ou le temps de la prédication de
l'Evangile, comparé avec celui du paganisme;
ou le temps de la nouvelle loi, comparé à
celui de l'ancienne.
Mais il est certain que ces paroles doivent
être adressées aux fidèles, particulièrement
dans le temps dujubilé.
L'Eglise s'en sert pour exhorter ses enfants,
au commencement du carême, à la pénitence
et aux bonnes œuvres.
*>M
ORATEURS SACRES. BALLET.
560
Quoique tous les jours de la vie, dit saint
Léon (sermone IV De quadragesima), soient
des jours de saint, et qu'il n'y en ait aucun
qui ne soit marqué parles bienfaits de notre
Dieu, il est cependant vrai, continue ce saint
docteur, qu'il y a des jours et un temps
plus favorables pour Héchir le Seigneur,
apaiser sa colère, et changer des arrêts de
mort en des arrêts de vie. Ce grand pape
parle aussitôt des saints jours de carême, où
toute l'Eglise en pénitence, en deuil, en
pleurs, fait, par ses gémissements, ses priè-
res, ses jeûnes, une sainte violence au ciel.
Il appelle ces jours, des jours de salut : Vies
salutis.
Or, ces jours du jubilé peuvent, avec au-
tant de raison, être appelés des jours de sa-
lut. L'Eglise ouvre tous les trésors de grâce
dont elle est dépositaire, les mérites infinis
de Jésus-Christ, ceux de la sainte Vierge,
sa mère, ceux des martyrs et de tous les
saints, auxquels le sang de ce divin Sauveur
donne seul du prix et de la valeur.
Voilà le trésor précieux où vous pouvez
puiser, dans ces jours, les grâces les plus
étendues. Or, l'indulgence dont l'Eglise use
dans ce saint temps pour vous remettre les
peines dues à vos péchés, ne doit-elle pas
vous faire regarder ces jours comme des
jours favorables au salut ?
Oui, ces jours malheureux où nous vi-
vons, ces jours de corruption et de licence,
ces jours de libertinage et de scandale, ces
jours d'incrédulité et d'irréligion, ces jours
dangereux à l'innocence, à la piété, à la
foi, seront pour vous des jours de salut;
si vous le voulez, des jours de grâce, de
miséricorde, des jours qui. vous acquitte-
ront entièrement envers Dieu, qui le satis-
feront, parce qu'il verra, avec tous les efforts
dont vous êtes capables, le sang de son Fils,
ce sang d'un prix infini, et dont une seule
goutte était suffisante pour sauver dix mille
mondes.
Ne laissez donc pas échapper ces jours de
salut, ce temps favorable pour votre conver-
sion. Que l'indulgence de l'Eglise vous fasse
embrasser au plus tôt toutes les saintes ri-
gueurs dont vous êtes capables ; c'est peut-
être la dernière indulgence dont vous pour-
rez profiter.
CHAPITRE II.
Idée d a jubilé.
On entend par jubilé une inau.gence plé-
n'ère accordée par le souverain pontife au
nom de toute l'Eglise, dont il est le chef vi-
sible sar la terre.
Cette indulgence plénière , telle que celle
qu'on vient de publier dans tous les Etats
catholiques, n'est établie qu'en 1300 par le
pape Boniface VIII. Sixte IV, dans sa bulle
(ie 1473, est le premier qui ait donné le nom
de jubilé à cette fameuse indulgence : alors
ces jubilés ne s'accordaient que de cent ans
en cent ans. Le pape Clément VI, en 1542,
les ré luisit à cinquante ans ; Grégoire XI, à
faisant atlen-
hoinmes, ar-
trente-trois ans; mais Paul II,
tiun à la brièveté de la vie des
rêtr. qu'on accorderait dorénavant cette in-
dulgence plénière, appelée jubilé, tous les
vingt-cinq ans; et c'est ce qui s'eat toujours
observé depuis.
:* Ainsi, dans la nouvelle loi, il y a un ju-
bilé aussi bien que dans l'ancienne, bien
différent cependant : le nôtre nous accorde
des grâces précieuses ; celui des juifs ne
leur accordait que des biens temporels.
On voit dans le XXV chapitre du Lévitique,
quelle était l'année du jubilé des juifs, et eii
quoi il consistait.
Il était annoncé avec pompe et une cérémo-
nie éclatante, auson des trompettes; c'était la
cinquantième année. Ceux quiavaient vendu
leurs biens ou leur liberté recouvraient
l'un et l'autre dans le temps du jubilé. Alors
c'étaient des fêtes et des réjouissances publi-
ques : on voyait des esclaves couronnés dans
la maison de leurs maîtres ; mais que re-
couvraient-ils? une liberté, des biens tem-
porels.
Le jubilé des chrétiens est bien plus pré-
cieux, il remet non des dettes contractées
avec des hommes comme nous, mais ce q\:e
nous redevons à la justice d'un Dieu offensé,
après cependant avoir fait tous nos efforts
pour nous acquitter avec lui; il nous fait
rentrer, non dans des biens périssables, et
qu'on peut encore nous enlever ; mais il remet
les peines dues au péché, qui retardent encore
notre entrée dans l'héritage des biens éter-
nels.
L'absolution nous a rendu la liberté que
nous avions perdue par le péché. Le jubilé
nous procure la grâce de satisfaire entière-
ment à un Dieu que nous avions offensé.
Toutes les peines temporelles dues à nos
péchés, pour satisfaire à la justice divine,
sont remises par celte indulgence plénière
accordée aux fidèles; toutes les rigueurs de
votre pénitence seraient insuffisantes sans
cette indulgence; avec elle les rigueurs dont
vous êtes capables sont suffisantes
CHAPITRE III.
Avantages du jubilé.
t*our connaître les avantages du jubilé, il
faut faire attention à deux choses, aux peines
dues au péché, après même qu'il a été remis
dans le tribunal de la pénitence, et à la ri-
gueur que l'Eglise a toujours exercée envers
les pén.tents, pour leur faire expier leurs
péchés.
1° Il est certain que, par le pouvoir des
clefs, le pécheur qui confesse ses péchés avec
sincérité, avec une vive douleur, avec une
ferme résolution de ne les plus commettre,
en reçoit l'absolution; mais le péché alors
n'est remis que quant à la coulpe, c'est-à-dire,
quant à l'offense. 11 faut ensuite que le pé-
cheur satisfasse ou dans ce inonde, ou dans
l'autre; c'est ce que l'on appelle la satisfac-
tion, qui est une des parties du sacrement
de pénitence.
De là l'obligation d'expier nos fautes, re-
mises dans le sacrement de pénitence, par
des rigueurs proportionnées à l'énormité de
5'JI
INSTRUCTIONS SIU LE JUL»LE. — PARTIE I, CHAP. V.
5G2
l'offense; de là, tant de justes morts da.ns la
grave et la charité, qui ont encore des restes
a expier dans le purgatoire. Excepté les mar-
tyrs qui ont répandu leur sang pour Jésus-
Christ, ceux encore qui meurent immédiate-
ment après leur baptême, qui peut assurer
que les autres justes n'aient eu aucune tache
à expier?
Or, la grâce du jubilé, reçue dans de saintes
dispositions, remet toutes'les peines tempo-
relles dues au péché, pourvu que le pécheur
joigne à cette grâce précieuse toutes les ri-
gueurs et les satisfactions dont il est capable;
alors sa pénitence expie tous les restes de
ses péchés.
2° L'Eglise a toujours usé d'une sainte
ligueur envers ceux qui avaient perdu la
grâce de leur baptême. Cette sainte épouse
du Sauveur voyait dans les pécheurs, avec
saint Paul, des hommes qui avaient crucifié
de nouveau son divin Epoux, perdu sa grâce,
p.rofané son sang; alors elle leur faisait en-
tendre que la pénitence qu'ils demandaient
doit être un baptême laborieux, un baptême
de feu, par la vivacité de leur amour, un
baptême de sang, par les saintes rigueurs
qu'il fallait exercer sur leur chair criminelle,
et elle leur dit encore dans son dernier con-
cile œcuménique qu'on ne peut rentrer dans
sa première intégrité sans de grands gémis-
sements, de grands travaux, suie magnis no-
stris fletibus et laboribus, parce que la justice
d'un Dieu offensé l'exige ainsi, divina id
exigente justitia. (Ex Concilia Tridentino,
sessione xiv, cap. 2.) Or, l'avantage du ju-
bilé est que l'Eglise se relâche de cette
sévérité sainte; elle use d'indulgence en re-
mettant toutes les peines dues aux péchés.
Détestez vos péchés , pleurez vos péchés ,
confessez vos péchés, punissez-vous avec
une sainte rigueur de vos péchés, ils vous
seront remis, quant à la coulpe et quant à la
peine, parla grâce du jubilé.
CHAPITRE IV.
L'Eglise a le pouvoir d'accorder des indul-
gences.
Jésus-Christ a dit à ses apôtres -.Tous les pe'ch 's
que vous remettrez seront remis, et tous ceux
que vous reticndrezserontre tenus :(/oan.,XX);
voilà le pouvoir que Jésus-Christ a donné à
son Eglise, sur quoi il est aisé de répondre
aux protestants qui lui contestent ce pouvoir.
Jésus-Christ aurait donné à ses apôtres, et
à leurs successeurs, le pouvoir de remettre
et de retenir les péchés; il les aurait établis
les juges pour prononcer une sentence d'ab-
solution aussitôt que l'on s'accuse de ses
péchés, ou pour la différer, et ils n'auraient
pas le pouvoir de remettre une partie de ces
peines qui sont dues au péché, après même
qu'il a été remis. Quelle erreur d'admettre
l'un sans l'autre 1
Si les protestants nient la nécessité des
œuvres satisfactoires, après même que les
péchés ont été remis par l'absolution sacra-
(58) Ce fait est rapporté par saint Clément d'A-
lexandrie et par Eusèùe.
menlelle, qu'ils effacent donc de l'Ecriture
les endroits qui l'approuvent. Les Israélites
qui avaient murmuré contre Moïse et Aaron
obtinrent par leur prière le pardon de leurs
péchés; cependant presque tous furent pu-
nis de mort, et n'entrèrent point dans la
terre promise. (Num., IV.)
Le prophète Nathan assure David que
Dieu lui a pardonné son adultère; mais il
ajoute que le fils qui est né de ce crime
mourra. (II Reg., XXII.)
Ce même prince avait obtenu le pardon
de la faute qu'il avait commise en faisant
faire le dénombrement de ses troupes. Ce-
pendant, Dieu l'oblige de choisir un de ces
trois fléaux : la famine, la guerre, la peste.
(lbid., XXIV.)
Dieu, en remettant le péché, quant à la
coulpe, se réserve donc la peine qui lui est
due. Or c'est une partie de ces peines dues
au péché après qu'il a été remis, dont l'E-
glise dispense ses enfants, lorsqu'elle juge à
propos d user d'indulgence.
11 n'y a point de siècles de l'Eglise, point
de conciles qui ne nous fournissent des
preuves des indulgences accordées aux pé-
cheurs pénitents.
Si j'écrivais un traité de controverse, je
les rapporterais toutes ; mais il me suffit de
dire que saint Paul était persuadé qu'il avait
ce pouvoir que les hérétiques des derniers
siècles contestent à l'Eglise, quand il abré-
gea la pénitence de l'incestueux de Corinthe
(II Cor., Il) ; et saint Jean l'Evangéliste en
était persuadé aussi, lorsqu'il rétablit dans
la communion de l'Eglise ce chef de voleurs
qu'il avait converti (58). Le saint concile
de Trente (sessione xxy, Décret, de indul-
gent.) décide aussi que l'Eglise a ce pouvoir
contre les erreurs de Luther.
On sait que cet hérésiarque ignorait ce
qu'étaient les indulgences, lorsqu'il les com-
battit. L'envie qu'il portait à Jean Tecel, do-
minicain, fut le motif qui le fit déclamer
avec tant de fureur contre les indulgences.
C'est un de ses disciples qui nous apprend
cette circonstance (59).
CHAPITRE V.
Quel est le trésor de grâces que l'Eglise ouvre
à ses enfants.
Ce trésor précieux, infini, et qui ne peut
jamais tarir; ce trésor confié à l'Eglise, avec
lequel elle a été fondée ; ce trésor qui a été
notre rançon, qui nous a rachetés, c'est le sang
adorable de Jésus-Christ répandu sur la
croix : ce sont les mérites infinis de cette
victime offerte pour nos péchés.
Or, comme c'est ce sang précieux qui a
effacé l'arrêt de mort, prononcé contre nous,
qui a pacifié tout dans le ciel et sur la terre,
qui nous est appliqué dans les sacrements,
l'Eglise trouve dans ce sang d'un Dieu des
mérites abondants, infinis ; elle puise dans
cette source sacrée et intarissable les grâces
qu'elle accorde à ses enfants; les principes
<5f) Sllidam. Itht., lib. xm.
5o3
ORATEURS SACRES. BALLET.
504
de cette indulgence dont elle use envers eux
dans certains temps; la grandeur de la sa-
tisfaction de Jésus-Christ est ineffable; elle
répond à la grandeur d'un Dieu offensé, elle
nous assure d'une surabondance de mérites
au-dessus de toutes les offenses.
Jésus-Christ, dit l'apôtre saint Jean, est la
victime de propitiation qui a été offerte pour
nos péchés. Que dis-je? non-seulement pour
nos péchés, mais même pour ceux de tout
le monde : lpse propiliatio pro peccatis
nostris, non pro nostris autem tantum, sed
ctiampro totius mundi. (II Jean., II.) Aucun
mortel n'est exclu de son cœur. Et quand il
y aurait dix mille mondes, les mérites infinis
de son sang répandu les rachèteraient, sans
que le trésor de ses grâces diminuât.
' Voilà la source où l'Eglise puise avec con-
fiance cette rémission d'une partie des peines
temporelles qu'elle accorde h ses enfants dans
le jubilé.
Le mérite de la sainte Vierge, mère de
Dieu, des martyrs et des saints, entre aussi
dans ce trésor de grâces dont l'Eglise est dé-
positaire; non pas que ces mérites aient un
prix, une yaleur, une surabondance par eux-
mêmes, puisque c'est le sang seul de Jésus-
Christ qui les a formés et rendu dignes d'être
couronnés, mais parce que Dieu veut bien
nous appliquer les mérites de sa sainte Mère
conçue sans péché, et cependant toujours
éprouvée par les afflictions ; et les mérites des
martyrs, qu'une charité héroïque a fait mou-
rir pour l'Evangile dans les plus cruels sup-
plices; ce qui faisait dire à saint Cyprien (lib.
IV, epist. 2), que les martyrs passaient sans
aucun délai de la terre au ciel, et à saint Au-
gustin (sermone il De verbis Apostoli), qu 'on
l'ait injure à un martyr quand on prie pour
lui : Injuriam facit martyri qui orat pro mar-
tyre.
CHAPITRE VI.
Jésus-Christ a satisfait avec une surabondance
de mérites qui forme dans l'Eglise un trésor
inépuisable de grâces.
Jésus-Christ est notre victime, Jésus-Christ
est Dieu. Quel prix ne doivent pas avoir eu
ses souffrances 1
Je me rappelle le grand spectacle du Cal-
vaire; je regarde avec un saint respect cette
victime attachée à la croix ; j'écoute les ora-
cles qu'elle prononce avant de consommer
son sacrifice; je vois des prodiges qui attes-
tent la divinité de celui qui meurt pour mes
péchés.
Des prodiges d'amour : ses ennemis, ceux
qui le crucifient ont encore une place clans
son cœur; des prodiges de miséricorde : un
criminel se convertit, plusieurs sont touchés
et frappent leur poitrine; des prodiges de
sévérité : les juifs s'endurcissent, le mystère
de leur réprobation est consommé, ils le prou-
vent en disant eux-mêmes : Que son sang
retombe sur nous et sur nos enfants : Sati-
ns cjus super nos et super filios nostros.
''itth., XXVII.) Imprécation terrible qui
"on effet sous Titus et Vespasien. La
ruine de Jérusalem a été le commencement
de leurs malheurs.
Prodiges de puissance 1 Le voile du temple
s'est déchiré, les pierres se sont fendues, le
soleil s'est éclipsé, les tombeaux se sont
ouverts, les morts sont ressuscites, et plu-
sieurs ont crié hautement que c'était un Dieu
qui mourait sur la croix : 1ère hic homo Fi-
lins Dei erat. (Marc, XV.)
Or, Jésus-Christ étant Dieu, le prix de ses
souffrances est d'un mérite infini; c'est un
Dieu qui apaise un Dieu offensé. Ses prières,
ses jeûnes, ses abaissements, ses douleurs,
son sang, sa mort font une satisfaction non-
seulement pleine, entière pour le péché, mais
même surabondante; il reste toujours un
trésor de mérites infinis après la rédemption
du genre humain.
Aussi saint Paul ne dit pas que la grâce
que Jésus-Christ nous a donnée a égalé le
péché pour lequel il est venu au monde;
mais il dit qu'elle a été surabondante : ibi
abundavit delictum superabundavit gratia.
(Rom., Y.)
Ainsi, en faisant attention à la dignité de
la victime qui a été immolée pour nous, à la
divinité de notre Rédempteur, nous recon-
naissons qu'il a satisfait, non-seulement par
des mérites suffisants, mais encore par des
mérites surabondants, infinis, et auxquels
l'Eglise a toujours recours, comme à un tré-
sor précieux et intarissable, pour y puiser
les secours, les grâces qu'elle fait couler sur
ses enfants, les principes de miséricorde, de
condescendance, d'indulgence dont elle use
dans certains temps.
CHAPITRE VIL
Dans quel sens les mérites de la sainte Vierge
et des saints font partie de ce trésor que
l'Eglise ouvre à ses enfants.
Ce trésor, comme nous l'avons dit, n'est
autre chose que la satisfaction infinie et sur-
abondante de Jésus-Christ; trésor intaris-
sable, toujours suffisant, et qui ne peut être
augmenté par les mérites de la sainte Vierge
et des saints, puisque leurs mérites ne tirent
leur valeur et leur prix que de ce trésor de
grâces.
Quand nous disons que les mérites de la
sainte Vierge et des saints font une partie de
ce trésor que l'Eglise ouvre à ses enfants,
nous entendons que la satisfaction de Jésus-
Christ a tant de force, qu'elle a rendu les
mérites des saints dignes d'être offerts à Dieu
pour nos péchés avec ceux de Jésus-Christ.
La passion du Sauveur, dit saint Ambroise
(De instit. viry., cap. VII, n. k&), n'a pas be-
soin des secours des saints pour être efficace
et satisfaire abondamment pour nous : Cttristi
passio adjutorio non eguit.
Tout ce qu'on admire de grand, de divin
dans ces héros de la religion, a pour principes
la sainteté et la grâce de Jésus-Christ. C'est
de cette source sacrée que coulent toutes les
vertus et tous les mérites qu'il couronne dans
le ciel.
Or, ces principes posés, il est facile de ré-
505
INSTRUCTIONS SUR LE JUBILE. — PARTIL 1, CliAP. IX.
M
pondre aux objections de Calvin et de con-
fondre cet hérésiarque qui fait toujours des
re; roches à l'Eglise.
1° 11 dit que la sainte Vierge et les martyrs
même n'ont pas satisfait plus qu'il ne fallait
par leurs vertus et leur souffrances.
A cela nous répondons que si on considère
ce qu'un Dieu infini mérite, ils n'ont rien
fait qu'ils ne dussent faire. Mais que, si l'on
considère la satisfaction que demandaient
leurs péchés, ils ont plus fait qu'il n'en fal-
lait pour les expier.
C'est dans ce sens que l'Eglise, faisant at-
tention à la vie pure et sans tache de la sainte
Vierge, regarde ses souffrances, ses abais-
sements, ses vertus comme des mérites di-
gnes d'être offerts pour nos péchés avec ceux
de Jésus-Christ, dont ils tirent leur prix.
Il en est de même de la pénitence de Jean-
Baptiste qui fut sanctifié dès le sein de sa
mère ; des tourments des martyrs qui sont
morts pour la foi.
L'histoire de la plus vénérable antiquité
avec saint Cyprien nous assure que les mar-
tyrs accordaient des indulgences aux péni-
tents. Dans le m° siècle, les martyrs de Lyon
en accordaient à ceux qui avaient renoncé
à la foi dans la persécution.
2° Calvin se plaint qu'on confond les méri-
tes des saints avec ceux de Jésus-Christ dans
le trésor de l'Eglise.
Eausse accusation. On ne les met avec Jé-
sus-Christ, que pour lui en rendre l'hom-
mage qui lui est dû, comme étant ses propres
dons et pour louer la magnificence de sa
%rkce'.Inlaudemgloriœgratiœsuœ.(Ephes.,l.)
Quand saint Paul dit que les apôtres et les
ministres de l'Evangile sont lescoopérateurs
de Dieu, Deienim sumus adjutores (Ibid.), il
ne veut point dire que Dieu a besoin d'être
aidé de l'homme, lorsqu'il veut faire quel-
que chose ; mais Dieu veut bien s'en servir,
les soutenir par sa grâce, et récompenser
même leurs mérites. C'est dans ce sens que
les mérites des saints sont une partie du tré-
sor de l'Eglise.
CHAPITRE VIII.
L'application des mérites de la sainte Mergect
des saints ne font point injure aux mérites
de Jésus-Christ.
Nous n'avons qu'un seul rédempteur qui
est Jésus-Christ. Lui seul a satisfait pleine-
ment pour nos péchés, et nous a réconciliés
avec son Père.
ésus-Christ, dit saint Paul, s'est fait no-
tre justice et notre rédemption. Factus est
nobis justitiu etredemptio. (I Cor., I.)
Me'ttre sa confiance dans d'autres mérites
que les siens ; croiro que les mérites de la
ainte Vierge et ceux des saints sont suffi-
sants pour nous remettre les peines dues à
nos péchés, indépendamment de ceux de Jé-
sus-Christ ;dire qu'ils sont joints à ceux de
ce divin Sauveur, parce qu'ils ne sont pas
suffisants par eux-mêmes, et qu'il a besoin
d'être aidé par ses serviteurs qui n'ont pu
rien sans lui,, et qui ne sont saints que par
lui; ce serait avancer des erreurs, et alors
les protestants auraient raison de nous fairo
les reproches qu'ils nous font.
Mais ce n'est pas là l'esprit de l'Eglise.
Elle ne reconnaît qu'un Rédempteur qui est
Jésus-Christ, et qui pouvait seul satisfaire
pour nos péchés. Si des auteurs catholiques
ont appelé les saints nos rédempteurs, nos
libérateurs, c'est dans un sens étendu, comme
lorsqu'on lit dans l'Evangile : J'ai dit : Vous
êtes des dieux (Psal. LXXXI.) : car c'est ainsi
que le Saint-Esprit appelle les magistrats et
les juges dans le sens que saint Paul l'en-
tendait, lorsqu'il disait : Je me suis fait tout
à tous pour les sauver tous : OmnVJus omnia
factus sum, ut omnes facerem salvos. (I Cor.
IX.) Il ne prétendait pas par là dire qu'ilde-
venait leur sauveur, leur rédempteur. Lui,
qui disait si hautement aux mêmes Corin-
tlrens, est-ce qu'Apollon, est-ce queCéphas,
est-ce que Paul ont été crucuiés pour vous ?
Nunquid Paulus crucifixus est pro vobis ?
(I Cor., I.)
Les mérites de la sainte Vierge et des
saints, que l'Eglise reconnaît faire une par-
tie du trésor qu'elle ouvre à ses enfants, ne
font donc point injure à la satisfaction de
Jésus-Christ. Au contraire, ils rendent un
hommage éclatantà ses mérites infinis, sur-
abondants, puisqu'eux seuls les ont rendus
dignes d'être offerts à Dieu,
D'ailleurs, il faut considérer deux choses
dans ce qu'ont fait les saints. Le mérite et la
satisfaction.
Ils n'ont jamais pu trop mériter; mais plu-
sieurs ont fait beaucoup plus qu'il n'en fal-
lait pour expier leurs péchés. Ainsi, quant à
la satisfaction, ils ont des mérites abondants
que l'Eglise nous applique dans le jubilé;
et celte application des mérites des saints,
ne fait point injure à la satisfaction de Jé-
sus-Christ, puisque nous reconnaissons
qu'elle en est le principe; qu'on lui rap-
porte tout ce que ces saints ont de grand et
d'héroïque ; que ce sont ses propres dons quo
Dieu veut bien agréer, récompenser et nous
appliquer.
CHAPITRE IX.
La satisfaction que l'Eglise exige des pdèics
ne fait point injure aux mérites de Jésur-
) Christ.
La satisfaction a toujours fait dans l'Eglise
une partie du sacrement de la réconciliation.
Ce n'est pas un sentiment particulier, une
opinion d'école; c'est une vérité émanée de
Jésus-Christ même, prêchée par les apôtres,
et leurs successeurs, reconnue dans les uius
grands et les plus saints conciles.
Calvin, sous prétexte de rendre hommage
aux mérites infinis de Jésus-Christ, a voulu
ôter les œuvres satisfactoires; il les a com-
battues. Mais l'Eglise l'a foudroyé , comme
renversant les fondements que ce divin- Sau-
veur a lui-même posés.
En effet, si l'Eglise regardait les saintes
rigueurs qu'elle exige des pécheurs conver-
tis, .comme nécessaires pour rendre les mé-
rites de Jésus-Christ suffisants, pour obtenir
Ï67
ORATEURS SACRES. BALLET.
jC*
la grâce de la réconciliation, Calvin aurait
raison, parce que, ses mérites étant infinis,
ils n'ont besoin d'aurun secours pour être
efficaces. Mais elle exige du pécheur ces
saintes rigueurs, pour répondre aux dos-
seins et à la volonté de Dieu dans le plan
même de notro réconciliation.
Or, quels' sont les desseins de ce divin
Sauveur en mourant môme pour nos péchés ?
L'Evangile nous l'apprend; c'est d'avoir des
disciples de sa croix, des hommes de larmes,
d'austérités; des hommes qui vengent, au-
tant qu'il est en eux, le péché, et qui l'ex-
p'ent par une rigoureuse pénitence.
Jésus-Christ ignorait-il que ses mérites
étaient infinis, ou voulait-il qu'on y fit in-
jure par les œuvres satisfactoires qu'il recom-
mandait?
Pourquoi nous a-t-il fait un précepte de
porter sa croix et de souffrir? Est-ce que ses
souffrances n'étaient pas suffisantes pour
nous sauver?
Pourquoi saint Paul dit-il qu'il accomplit
dans sa chair ce qui manque à la passion de
Jésus-Christ? Son sacrifice était-il imparfait
et insuffisant par lui-môme pour notre salut?
Loin de nous ces blasphèmes. Mais c'est que
Jésus-Christ en soulfrant pour nous n'a pas
voulu nous dispenser de souffrir ; il a voulu,
nu contraire, que ses disciples le suivissent
sur le Calvaire; les mérites de ses souffrances
ne sont appliqués qu'à ce prix.
Pourquoi les apôtres, après la mort du
Sauveur, prêchent-ils la pénitence? Exigent-
ils des larmes, des prières, des aumônes, des
jeûnes? Ignoraient-ils que les mérites de
Jésus-Christ étaient infinis? Non. Mais ils
avaient appris de leur divin Maître qu'il fal-
lait que le péché fût expié dans ce monde ou
dans l'autre; que les œuvres satisfactoires
que le pécheur pénitent pratique et que l'E-
glise exige de lui, ne font point injure aux
mérites infinis de Jésus-Christ, non plus que
les larmes de la pécheresse, de saint Pierre,
les macérations de saint Paul et do tant d'au-
tres pénitents qui avaient reçu l'absolution
de leurs péchés.
CHAPITRE X.
La sainte sévérité de l'Eglise justifiée par la
doctrine du saint concile de Trente.
La sévérité de l'Eglise n'est point une sé-
vérité d'humeur, d'ostentation ; elle est bien
éloignée d'imiter la sévérité apparente des
pharisiens qui imposa'ont des fardeaux
qu'ils n'auraient pas voulu porter eux -
mômes.
On sait comme dans tous les siècles elle
s'est soulevée contre certains novateurs qui
fermaient le ciel aux pécheurs touchés, en
lui refusant le pouvoir de les absoudre de
certains péchés. Malgré les services, les ta-
lents, le zèle, la sainteté de Tertullien, clic
a condamné sa sévérité outrée.
On sait ce qu'elle pense aussi de ceux qui
1 lissent gémir les pénitents des années en-
tières sous le poids de leurs péchés avant de
les absoudre, sous prétexte de leur en faire
sentir tout le poids.
Epouse toujours fidèle do Jésus-Christ,
qui recherchait les pécheurs, qui les rece-
vait avec joie et leur prodiguait ses caresses,
elle ne les rebuta jamais par une sévérité
outrée, ni par des délais affectés. Mais elle
sait aussi que le pécheur, quoique absous de
son péché quant à la coulpe, c'est-à-dire quant
à l'offense, est encore redevable à la justice
divine, quant à la peine que mérite son pé-
ché, soit dans ce monde, soit date l'autre.
C'est pourquoi elle l'exhorte à pratiquer
toutes les rigueurs dont il est capable, po. r
venger le Seigneur offensé.
C'est la doctrine du saint concile de Trente,
sur laquelle nous allons faire quelques ré-
flexions.
1" Ce saint concile dit (sess. XIV, c. 2) que
les effets du sacrement de pénitence sont dif-
férents de ceux du baptême : Alius baptismi,
alias pœnitentiœ fructus. Par le baptême,
nous sommes revêtus de Jésus-Christ, nous
devenons une nouvelle créature, nous rece-
vons une rémission totale de nos péchés.
Mais par le sacrement de pénitence, nous
ne saurions parvenir à ce renouvellement
total et entier, sans beaucoup de gémisse-
ments et de grands travaux : Sine magnis
fletibus et laboribus , parce que la justice
divine exige, continue ce saint concile, que
nous vengions sur nous les péchés que nous
avons commis depuis notre baptême : Divina
id exigente justilia.
Quand l'Eglise exige de nous, après nos
péchés, des œuvres satisfactoires, des lar-
mes, des gémissements, des jeûnes, des
mortifications, des aumônes, et toutes les ri-
gueurs dont nous sommes capables, elle
n'exige donc de nous que ce que la justice
divine exige elle-même des pécheurs qu
veulent rentrer en grâce : Divina id exigente
justifia.
2° Ce saint concile appelle la pénitence un
baptême laborieux ; Pccnitentia taboriosus
baptismus. Il approuve et loue tous les saints
docteurs qui l'ont appelée ainsi.
Or, ôtez les œuvres satisfactoires, les
saintes rigueurs que l'Eglise impose à ses en-
fants qui veulent satisfaire à la justice di-
vine dans ce monde, il n'y aurait plus de
différence entre le baptême et la pénitence.
Mais ce n'est point la foi de l'Eglise, c'est
un baptême laborieux. On ne rentre dans
l'intégrité première que partie grands gémis-
sements et de grands travaux.
CHAPITRE XL
Le jubilé ne dispense que des rigueur* dont
nous ne sommes pas ((niables.
Il est aisé de comprendre quelles sont les
rigueurs dont nous ne sommes pas capables
par nous-mêmes; ce sont celles qui apaise-
raient par elles-mêmes un Dieu offensé par
le péché.
Or, quelques rigueurs que nous exercions
sur nous pour expier nos péchés, elles ne
pourront jamais satisfaire pleinement la jus-
SfiO
; INSTRUCTIONS SUR LE JCBILÈ. — PARTIE I, CIÏAP. XII.
570
tice uivino, sans être mêlées avec les mé-
rites de Jésus-Christ.
Toute la suffisance, la force, l'efficace de
notre pénitence vient d'un Dieu Sauveur :
c'est de son sang qu'elle tire son prix, sa
valeur, qu'elle porte ces traits divins qui
touchent un Dieu offensé, l'apaisent, le dé-
sarment et le satisfont -.Sufficienlia nostra ex
Deo est. (II Cor., III.)
Si nous considérons notre propre fond, dit
le saint concile de Trente (sessione XIV,
cap. 8), nous ne pouvons rien de nous-mêmes ;
mais si nous faisons attention aux secours
puissants d'un Dieu Sauveur qui nous aide,
nous fortifie, nous pouvons tout : Ex nobis
tanquain ex nobis nihil possumus , eo coopé-
rante qui nos confortât, omnia possumus.
Or, ces principes posés, je dis que nous
sommes incapables par neus-mêmes de cette
satisfaction rigoureuse que Dieu exige après
le péché; que, sans l'application des mérites
de Jésus-ChrUt, nos larmes, nos jeûnes, nos
prières, nos mortifications, nos aumônes et
toutes les œuvres dont nous sommes capa-
bles, seraient insuffisantes.
Qui sait si Dieu, infiniment offensé par le
péché, est entièrement satisfait h la mort d'un
pénitent, quoiqu'il ait passé plusieurs an-
nées dans les exercices d'une rigoureuse pé-
nitence, et s'il ne lui reste pas encore des
traces du péché, des souillures à expier
dans le purgatoire?
Or, l'avantage du jubilé est de remettre
toutes ces peines temporelles dues à nos
péchés; d'appliquer les mérites de Jésus-
Christ, et ceux des saints, dans le sens que
nous l'avons dit aux exercices de pénitence
dont nous sommes capables.
Mais l'avantage du jubilé ne consiste pas
à nous dispenser des rigueurs dont nous
sommes capables ; il ne nous exempte pas
de pleurer nos péchés, de les détester, de
les expier autant que notre faiblesse le
permet.
On fait attention aux conditions extraor-
dinaires que le souverain pontife exige
pour gagner le jubilé, aux stations , aux
prières; on ne fait point attention à la plus
essentielle sans laquelle on ne peut point
le gagner, qui est la douleur de ses péchés;
car ce n'est qu'aux cœurs contrits qu'il pro-
met cette indulgence précieuse dans sa bulle :
vere conlritis.
Or des pécheurs contrits pleurent, gé-
missent, s'affligent, pratiquent, de saintes ri-
gueurs comme David, saint Pierre, Made-
leine et tant d'autres pénitents. Cette seule
condition, exprimée dans la bulle de notre
saint-père le pape, | rouve donc que le ju-
bilé ne nous dis] ense point de la pénitence
dont nous ioiinv.es capables.
CHAPITRE XII.
Le jubilé supplée à l'imperfection de ta pé-
nitence que nous pouvons faire.
Notre pénitence, quelque amère qu'elle
puisse être, quelque longue, quelque rigou-
reuse que nous la supposions, a toujours be-
soin de la clémence et de la misérico"de de
Dieu.
Malheur à la vie même la plus sainte et h
plus digne de louange, Seigneur, s'écr'e
saint Augustin (Ccnfcssionvm, libr. IX, cap.
13), si vous ne l'examinez point dans votre
miséricorde. Les justes avec leurs combats,
leurs bonnes œuvres, les pécheurs pénitents
avec leurs larmes, leurs austérités, auront
encore sujet de craindre et de trembler, rœ
etiam laudabili vilœ si remola misericorclia
discutias eam.
Il faut donc que la miséricorde de Dieu
apaise la sévérité de sa justice, pour que
nous puissions espérer que Dieu sera sa-
tisfait de notre pénitence : s'il entrait en ju-
gement avec nous, qui pourrait être justifié?
C'est en parlant de sa mère, sainte Monique,
que saint Augustin prononce , avec une
sainte frayeur, les paroles que je viens de
rapporter, en louant ses vertus,, ses larmes,
en rapportant même les avants-goûts qu'elle
eut de la félicité éternelle aux approches de
la mort. 11 craint encore : qu'elle n'ait eu
quelques fautes à expier dans le purgatoire,
que ce qui pouvait lui être échapi é n'eût
pas été assez sévèrement expié dans ce
monde.
Cette sainte veuve le craignait aussi,
parce qu'elle faisait attention qu'un Dieu
infini, offensé par sa créature, demandait
une pénitence sévère et rigoureuse , c'est
pourquoi elle conjure tous les prêtres de se
ressouvenir d'elle à l'autel : tout cela doit nous
efl'raver et nous faire connaître tout l'avan-
tage du jubilé, puisqu'il supplée à l'imper-
fection de notre pénitence.
Vous êtes irrité, Seigneur, contre nos pé-
chés, la corruption des mœurs, le libertinage,
l'incrédulité font tous les jours de funestes
progrès; la religion est l'objet des railleries
des impies; votre Eglise est insultée par
nombre de vos enfants ; vos ministres sort
méprisés, vos temples profanés, vos sacre-
ments négligés, vos solennités abandonnées;
les justes gémissent, l'innocence alarmée est
obligée de se cacher, le crime se montre, ,ie
produit et provoque votre colère.
Mais, malgré cela, l'oracle du prophète
s'accomplit dans ces jours, lorsque vous
avez le plus sujet d'être irrité contre nous
et que vous l'êtes en effet; vous suspende?,
votre colère pour nous faire sentir les heu-
reux effets de votre miséricorde : Cum ir-a-
tus fueris, misericordiœ reevrdaberis. (//a-
bacuc, III.)
Le chef de l'Eglise ouvre le trésor de
grâces qui lui est confié, il joint à l'insuffi-
sance de notre pénitence les mérites infinis
de votre Fils unique, notre Sauveur. Alors
notre pénitence, les efforts dont nous som-
mes capables, nos larmes, nos gémissements,
nos prières, nos aumônes, nos jeûnes vous
seront agréables et satisferont votre justice ;
cette indulgence, que l'Eglise nous accorde,
supplée à 1 imperfection de nuire pénitence
B7i
ORATEURS SACRES. BALLET.
572
CHAPITRE XIII.
Sentiments des justes aux approches du
jubilé.
Le jubilé augmente la vigilance, la dou-
leur, l'amour, le zèle et la reconnaissance
des justes. Ils ne le regardent pas comme
une grâce qui ne demande pas une grande
préparation.
Ils apprennent avec joie la nouvelle de ce
temps d'indulgence, ils s'y préparent par la
prière, la méditation des vérités du salut,
l'examen de la conscience , la séparation des
créatures, autant que leur état le permet.
La vue des fautes qui leur sont échappées
excite en eux une douleur vive, sincère,
brise leur cœur et fait couler des larmes de
leurs yeux; l'indulgence qu'on va leur ac-
corder ne diminue point à leurs yeux l'é-
nprmité du péché , elle les pénètre même
davantage de la bonté infinie d'un Dieu qui
aime à pardonner.
Plus il leur remet, plus ils l'aiment; le
zèle qu'ils ont pour le salut de leurs frères,
la gloire de Dieu, la paix de l'Eglise, la pros-
pecté- du royaume les fait prier avec ardeur
dans ces saints jours pour la conversion des
pécheurs, la destruction du vice et de l'er-
reur; ils remercient le Seigneur de la grâce
précieuse qu'il accorde à son peuple, quoi-
qu'il s'en soit rendu indigne par ses prévari-
cations.
Sentiments des justes sur le péché; lagrâi e
du jubilé ne les empoche point de le regar-
der comme le souverain mal , un attentat
énorme contre la Divinité que la créature
doit punir avec toute la sévérité dont elle est
capable.
Sentiments des justes sur la pénitence;
la grâce du jubilé ne les dispense pas de
l'embrasser et de le faire dans l'amertume
de leur cœur, ils pleurent, ils jeûnent, ils
prient, ils se mortifient, ils assistent les pau-
vres, ils sont dans le recueillement et espè-
rent tout de l'indulgence qu'on leur accorde,
quand ils ont fait tout ce qui était en leur
1 ouvoir pour venger le Seigneur.
Sentiments des justes sur les conditions
que le souverain pontife met dans la bulle
pour gagner le jubilé; ils admirent la con-
descendance et la bonté de l'Eglise qui a
égard à la faiblesse de ses enfants, qui exige
si peu pour une grâce si précieuse; ils ren-
trent dans leur cœur pour y trouver par leur
amour, leurs regrets, leurs gémissements, la
matière d'une pénitence intérieure, d'une
immolation agréable au Seigneur.
Sentiments des justes sur les peines qui
leur sont remises dans le jubilé; cette grâce
sert et à leur donner de l'horreur du péché,
et à les précautionner contre le péché. Le
péché fait perdre l'amitié de Dieu, nous fer-
me le ciel, nous ouvre l'enfer; le péché qui
est remis dans le tribunal de la pénitence
parle sang de Jésus-Christ, mérite encore
des peines temporelles. Ahl je le craindrai,
J3 l'éviterai , et, s'il m'en échappe quelques-
uns, je les pleurerai toute ma vie, je les
expierai dans ce monce par une austère pé>-
nitence.
CHAPITRE XIV.
Sentiments des pécheurs touchés aux appro-
ches du jubilé.
Les pécheurs qui sont touchés de l'état du
péché, état déplorable dont ils connaissent
toutes les malheureuses circonstances, sai-
sissent avec empressement ce temps de ju-
bilé et d'indulgence pour rentrer en grâce
avec leur Dieu, et briser tous les liens du
péché.
Mais cette indulgence de l'Eglise ne leur
fait point perdre de vue les plaies qu'ils ont
faites à leur âme, la justice de Dieu qu'ils ont
irritée, l'enfer qu'ils ont mérité, la pénitence
qu'ils doivent embrasser, les scandales et les
injustices qu'il faut réparer, les obstacles
qu'il faut surmonter, en un mot le grand
ouvrage de la conversion, qui est le fruit de
la grâce et de la fidélité du pécheur à y ré-
pondre.
C'est pourquoi ils se retirent à l'écart, ils
gémissent , ils prient, ils s'humilient, ils
sondent avec exactitude les abîmes de leur
conscience, ils n'en voient qu'avec confusion
toutes les horreurs, ils les détestent, ils s'en
accusent, ils commencent à les expier et ils
espèrent de la miséricorde de Dieu tout ce
qu'ils ne peuvent point par eux-mêmes.
Seigneur, dit un pécheur touché aux ap-
proches du jubilé, l'Eglise ouvre le trésor
précieux des mérites infinis de Jésus-Chrisc,
elle les applique à tous ses enfants pour ai-
der leur failtlesse et suppléer à la satisfaction
dont ils sont capables. Faites éclater dans ce
temps d'indulgence vos miséricordes sur
moi : Mirifica misericordias tuas . (Psal. XVI.)
11 s'agit, ô mon Dieu! d'un prodige de
conversion, d'une guérison miraculeuse;
j'ai besoin de vos miséricordes les plus écla-
tantes : Mirifica misericordias tuas.
J'ai croupi si longtemps sous de honteux
désordres, j'y suis retenu par des liens si
forts , si flatteurs ; je suis devenu tellement
l'esclave de mes coupables habitudes; je me
suis malheureusement si fort accoutumé à
vivre sous l'empire du démon, qu'il faut, ô
mon Dieu ! des prodiges de votre miséricorde
pour changer mon cœur, rompre mes fers,
et passer du vice à la vertu : Mirifica miseri-
cordias tuas.
Pour profiter de la grâce du jubilé, il faut
que je sois réconcilié avec vous et ressuscité
à la grâce. Parlez à mon cœur, ô mon Dieul
dans votre miséricorde; parlez -lui avec
force, dites à cet aveugle : Regardes les biens
que tu as perdus; à ce lépreux : Sois guéri;
à ce mort depuis si longtemps dans la cor-
ruption : Sors de ton tombeau. Parlez avec
force, avec puissance, ô mon Dieu! dans ce
temps de miséricorde : Mirifica misericordias
tuas.
On peut se flatter de sentir les effets d'une
grande miséricorde, dit saint Grégoire (hu-
milia 18 in Ezechictem, libro 11), quand une
grâce intérieure nous fait jeter les yeux sur
notre misère pour en gémir et implorer le
573
INSTRUCTIONS SUR LE JUBILE — PARTIE I, CHAP. XVI.
,~i
secours du Tout-Puissant : Tune 7iobis misr-
ricordiœ Domini mirœ fiant cum nobis ad
memoriam miseriœ nostrœ revocanttir.
Tels sont les sentiments îles pécheurs tou-
chés aux approches du jubilé, ils ne le re-
gardent pas comme un temps favorable pour
se décharger du fardeau de leurs crimes plus
aisément, parce que les confesseurs sont plus
indulgents. Ils ne se promettent pas une paix
solide à la faveur d'une confession faite sans
douleur, et de stations que l'on fait le plus
commodément que l'on peut. C'est la sincé-
rité de leur conversion qui les fait compter
sur la grâce du jubilé.
CHAPITRE XV.
Sentiments des mondains aux approches du
jubile'.
Il faudrait une source abondante de lar-
mes pour pleurer les égarements des mon-
da ns en matière de salut dans ce temps
même de miséricorde et de grâce.
11 ne faut que les entendre parler, exami-
ner le plan qu'ils se tracent pour faire le ju-
b lé, leur conduite, leur confiance, leur pré-
cipitation, leurs alarmes, leur j énitence
pour décider qu'ils ne regardent pas cette
grâce avec les yeux de la foi, qu'ils ne veu-
lent que suivre la foule pour ne pas se dis-
tinguer, s'en acquitter comme ils s'acquit-
tent du devo;r pascal pour conserver des
dehors de relig;on ; qu'ils se mettent peu eu
peine de s'instruire des sentiments de péni-
tence que le jubilé exige, des effets qu'il
produit pour ne s'attacher qu'à la rémission
îles peines dues à leurs péchés offerte à des
conditions très-aisées, et qu'ils ne veulent
être pénitents qu'en apparence et en pas-
sant.
Voilà comme pensent un grand nombre de
mondains que les approches du jubilé re-
muent, déterminent à se présenter au tribu-
nal de la pénitence; et à se mêler avec les
justes et les pécheurs touchés; chrétiens de
solennité, mondains d'inclination; pénitents
pendant quelques jours, pécheurs toute leur
vie ; arrachés quelques moments à leurs
plaisirs, dissipés quelques jours des objets
qui occupent leur cœur, mais sans regret,
sans douleur de leurs péchés , dissipati nec
cvmpuncti. (Psal., XXXIV.)
Ils s'informent des avantages du jubilé,
des conditions que le souverain pontife
exige pour le gagner, du nombre des sta-
tions ; on se promet de choisir des lieux les
plus près, les plus commodes, de les faire à
son aise; on est charmé de ne point voir de
jeûnes d'obligation imposés dans la bulle,
d'y voir les confesseurs revêtus de tous les
pouvoirs pour absoudre des cas réservés ;
on compte plus sur leur facilité à admettre à
la participation des sacrements dans ce
saint temps que dans les autres temps de
la vie.
Tout cela réveille pour quelque temps les
mondains de leur assoupissement, les solli-
cite, détermine ceux uiêrnes qui manquent
au devoir pascal ; ils vont assiéger les con-
fessionnaux pour se tranquilliser par un
récit historique de leurs désordres ; ils visi-
tent les églises désignées, ils se hâtent, ils
comptent les jours, et voient avec plaisir la
fin de ces exercices importants.
Enfin, ils ont fait leur jubilé sans douleur,
sans gémissements, sans avoir réformé le
plan de leur vie, sans mortification, presque
sans aumônes, sans haine du péché, du
monde, de ses maximes, et peut-être sans
s'être réconciliés avec leurs ennemis, et sans
avoir réparé les injustices faites au prochain
dans ses biens ou dans son honneur : quel
aveuglement 1 quelle fausse sécurité 1
Ah ! dit saint Grégoire (homilia 18 in Eze-
ehielem, libro II), quand nous aimons le
monde, que nous sommes encore attachés à
ses biens, à ses plaisirs, à ses honneurs, nous
n'aimons pas les dons célestes, nous n'aimons
que les plaies que notre âme reçoit par le
péché, non gaudia sèdvuînera amamus.
Les mondains dont je viens de parler ne
veulent point non plus guérir; ils préfèrent
les objets séduisants qui les blessent à la
grâce du jubilé qui les soutiendrait dans la
su'te. Ils ne veulent point goûter les dou-
ceurs de l'innocence; ils veulent conserver
les plaies dont leur âme est couverte, parce
qu'ils ne veulent point employer les remèdes
amers qui les guériraient.
CHAPITRE XVI.
Sentiments des pécheurs d'habitude aux ap-
proches du jubile'.
A Dieu ne plaise que je désespère ici les
pécheurs d'habitude en leur fermant le ciel,
en leur disant qu'il n'y a plus pour eux de
ressource dans les trésors de la miséricorde
du Seigneur, que la grâce du jubilé n'est
point pour eux.
J'avancerais une erreur; l'Eglise me con-
damnerait avec justice; Jésus-Christ qui ou-
vre son cœur aux plus grands pécheurs, dans
lequel le perfide Judas avait encore une place
s'il eût voulu en profiter, dont il n'a | as
exclu même sur la croix les juifs qui répan-
dirent son sang, deviendrait mon juge, et
me condamnerait par les fréquents exemples
de clémence qu'il a donnés sur la terre.
Non, pécheurs, la multitude de vos péchés
n'égale pas encore la grandeur des miséri-
cordes de votre Dieu ; quelques foi tes et an-
ciennes que soient vos habitudes, nous di-
rons qu'il est difficile de les rompre, nous
ne dirons pas qu'il est impossible; Dieu est
plus puissant pour vous sauver, que vous
ne l'avez été pour l'offenser.
Rentrez dans votre cœur, brisez-le de dou-
leur, pleurez, gémissez, demandez avec hu-
milité le secours du ciel; rompez vos lien?,
séparez-vous des objets qui vous séduisent,
faites-vous une violence continuelle pour
éteindre ce feu des passions qui vous dévore,
pour résister à ces tentations qui vous atta-
quent; et quand vous vous serez éprouvés,
corrigés, profitez avec confiance de la grâce
du jubilé. Le trésor de l'Eglise est ouvert à
tous ceux qui sont touchés de leurs péchés,
qui les détestent, vere contrids.
K7L*
ORATEURS SACRES. BALLET.
&"6
Mais, ce ne sont pas là malheureusement
les sentiments des pécheurs d'habitude aux
approches du jubilé; il ne faut que faire
attention à l'idée qu'ils en conçoivent, au
peu de temps qu'ils emploient pour s'y pré-
parer, et aux fiuits qu'ils en retirent pour
appréhender que leur conversion prétendue
ne soit qu'une fausse pénitence.
Que pensent-ils dujubilé, et de leurs ha-
bitudes criminelles? Ils pensent que le jubilé
autorise les confesseurs à être indulgents
aux dépens des règles que nous prescrivent
les saintes lois de la pénitence, comme si la
grâce qui nous est offerte pour la rémission
de ; pe nés temporelles dues à nos péchés,
regardait les dispositions indispensables
pour recevoir l'absolution de ses péchés,
quant à la coulpe, qui sont la douleur, la dé-
testat'on du péché, le ferme propos de n'y
jamais retomber.
Ils pensent qu'iP est très-facile de rompre
leurs mauvaises habitudes, qu'ils le feront
quand ils voudront, et ils le veulent pour
faire leur jubilé, ils le promettent.
Mais combien ont-ils employé de temps
pour ce grand ouvrage, peut-être pas un seul
jour sincèrement; on a entendu parler du
jubilé depuis longtemps, de grandes solen-
nités, les jours pascals se sont écoulés, on
n'a fait aucun effort pour briser ses liens.
Les jours du jubilé sont venus, on s'est
déterminé, on a cherché un confesseur : on
a fait des promesses, on a été admis, on se
congratule, on a fait son jubilé, on n'a plus
rien à faire de pénible pour son salut, on
va vivre comme auparavant; nous verrons
régner les mêmes vices, les mêmes passions,
le même scandale, le même dégoût de la
piété, et des choses saintes. Fruits funestes
des fausses idées que les pécheurs d'habi-
tude se sont formées de la grâce du jubilé.
CHAPITRE XVII.
Sentiments des libertins et des incrédules aux
approches dujubilé.
Hélas 1 combien qui méprisent ce trésor
de grâces que l'Eglise ouvre dans ces saints
jours.
L'esprit d'irréligion, si fort accrédité dans
notre siècle, fait regarder aux libertins, et
aux prétendus esprits forts, les indulgences
que l'Eglise accorde comme de flatteuses
i tc messes qui entretiennent la piété du peu-
ple, la réveillent, et lui font respecter un
pouvoir qu'elle n'a pas.
Esprits superbes! cœurs corrompus 1 qui
ne rougissent pas de copier le langage hardi
et licencieux d'un Luther, qui ignorent la
doctrine des indulgences comme cet héré-
siarque l'ignorait, lorsqu'il commença à la
combattre; les uns veulent justifier leur li-
bertinage, les autres veulent se faire globe
de leur système.
De là, le peu de cas qu'ils font de ces jours
de grâce, les subtilités qu'ils emploient pour
en combattre les avantages, le mépris qu'ils
font des instructions, des prières, des sta-
tions, et de tous les exercices de piété qui
forment un spectacle édifiant.
Ils ne méritent pas qu'on les réfute, ce ne
sont point des raisonnements qu'il faut, ma!s
des larmes, comme Jésus-Christ en répandit
sur les juifs endurcis, qui ne profitèrent
point du temps de sa visite et de sa miséri-
corde.
Ah ! hommes de vices qui vous êtes fami-
liarisés avec vos cou; ables habitudes, pour-
quoi renoncez-vous à la grâce qui vous est
offerte aujourd'hui ?
Vous dites que vous n'avez pas de con-
fiance dans ces indulgences. Ah! dites plu-
tôt que vous ne voulez pas faire d'effoits
pour rompre des liens honteux qui vous re-
tiennent, qu'une passion criminelle vous
tyrannise, que vous êtes livrés à une idole
qui occupe votr« cœur, et que vous aimez
mieux laisser échapper une grâce précieuse
que l'Eglise n'accorde que quatre fois dans
un siècle, que de renoncer aux attraits d'une
vie voluptueuse.
Et vous, hommes d'incrédulité, prétendus
esprits foi ts, qui vous a dit que l'Eglise
n'avait pas le pouvoir d'accorder des indul-
gences? qui vous a dit que la grâce du ju-
bilé ne consistait pas dans la rémission d'une
partie des peines temporelles dues au péché,
Dans quelle source avez-vous puisé cette
doctrine? Dans les ouvrages des protestants,
d'un Baylc, de vos maîtres dans l'incrédulité I
Et moi, depuis le siècle de la publication
de l'Evangile jusqu'au nôtre, je vous mon-
trerai le dogme des indulgences reconnu,
point de conciles, point de souverains pon-
tifes, point de saints docteurs, point d'évè-
ques qui aient parlé comme vous.
Jugez du cas que je fais de votre doctrine
par le poids de votre autorité ; malgré vous,
tous les fidèles les plus illustres, les plus
précieuses portions de l'Eglise iront puiser,
dans le trésor qui leur est ouvert, des grâces
de salut.
SECONDE PARTIE.
CHAPITRE PREMIER.
Des motifs qui doivent nous porter à profiter
de la gréée du jubilé.
Il ne faut que méditer les oracles de l'E-
criture, faire attention aux grands événe-
ments marqués dans l'Histoire sainte.
Ces punitions terribles, ces longues cap-
tivités, ces chutes étonnantes des plus grands
empires, et enfui la réprobation du peu; le
juif, pour êlre persuadé que, s'il y a un temps
de miséricorde, il y a un temps de sévérité,
et que Dieu fait éclater sa justice sur les
pécheurs obstinés, lorsqu'ils ont volontai-
rement lassé sa clémence.
Partout nous voyons un temps d'indul-
577
INSTRUCTIONS SLR LE JUBILE. — PARTIE IL CHAP. IL
878
genre et un temps do rigueur ; la clémence
précède toujours la sévérité, et les hommes
impénitents et endurcis ne s'amassent des
trésors de colère pour le jour des vengean-
ces, dit saint Paul [Rom., II), que parce
qu'ils ont lassé la longue patience de Dieu,
et méprisé les jours de sa miséricorde.
Ces adorables lenteurs, lorsqu'il s'agit de
punir le pécheur, cette voix. tendre qui l'ap-
pelle, ces bras étendus si longtemps pour le
recevoir, ces courses, ces fatigues pour le
chercher dans ses égarements , ces invita-
tions, ces promesses, voilà le temps de la
miséricorde; ce temps où Dieu se moque du
pécheur qui l'invoque, s'éloigne de lui, l'a-
bandonne à lui-même, à ses remords, à ses
frayeurs, à son désespoir, voilà celui de la
sévérité.
Or, de toutes ces vérités clairement expli-
quées dans l'Ecriture, et souvent annoncées
par notre divin Sauveur, nous devons tirer
oeux conséquences ; lune qui prouve la
démence de notre Dieu qui veut nous sau-
ver, l'autre qui condamne le pécheur qui
périt, parce qu'il ne veut point profiter de
fa clémence ; le temps de la miséricorde pré-
cède celui de la sévérité; profitez du pre-
mier, vous éviterez le second.
Ces jours où vous vivez sont des jours de
grâces , d'indulgence. Toutes les richesses
de la bonté, de la patience du cœur tendre
d'un Dieu qui ne punit qu'à regret, vous
sont préparées , les mépriserez-vous ? lais-
serez-vous fermer ce trésor sans y avoir
puisé les grâces du salut dont vous avez be-
soin 1 An divitias bonitatis ejus contemnis?
(Rom. II.)
Vos péchés demandent une si grande mi-
séricorde, il y a si longtemps que la grâce
vous appelle, vous avez tant formé de pro-
jets de conversion, vos années s'accumu-
lent, vous avancez vers le tombeau, vous y
descendrez peut-être dans peu de temps; le
trésor de ces grâces singulières que l'Eglise
vous offre aujourd'hui va être fermé pour
vingt-cinq ans; serez-vous encore sur la
terre dans ce temps-là? êtes-vous sûrs de
ne pas être passés sous le lègne de la jus-
tice divine? Aujourd'hui on vous dit: voici
un temps d'indulgence; au moment de la
mort une voix secrète vous dira non-seule-
ment, il n'y a plus pour vous de temps d'in-
dulgence, mais il n'y a plus de temps du
tout : Non'erit tempus amplius. (Apoc, X.)
Il faut entrer dans l'éternité. Ah 1 méprisez-
vous les richesses de la bonté d'un Dieu qui
vous appelle, qui vous attend et qui vous
I romet d'user d'indulgence? An divitias bo-
niialis ejus contemnis?
CHAPITRE II.
Réflexions sur l'histoire du déluge.
Le grand événement du déluge universel
nous fournit des traits éclatants de la misé-
ricorde et de la sévérité du Seigneur; le
temps quia précédé cette inondation géné-
rale a été un temps d'indulgence; le temps
où toate chair a été ensevelie dans- les abî-
mes des eaux a été un temps de rigueur et
de vengeance.
Eaisons des réflexions sur toutes les cir-
constances de cette fameuse histoire du pre-
mier âge du monde, et appliquons-les au
temps où nous vivons.
Les hommes étaient devenus charnels, et,
pour contenter leurs honteuses passion?,
ils faisaient des alliances avec les ennemis
de Dieu (Gènes., VI), la corruption de'leurs
cœurs faisait tous les jours de nouveaux
progrès (Ibid.), ils buvaient et mangeaient,
et ne pensaient qu'à satisfaire leurs coupa-
bles désirs; criminels excès qu'ils conti-
nuèrent jusqu'au moment où Noé entra
dans l'arche : Usque ad eum diem quo intra-
vit JSoe in arcam. ( Matth., XXIV. )
Ils ne profitèrent pas du temps de la mi-
séricorde ; ils n'ouvrirent les yeux que lors-
que le moment des vengeances du Seigneur
fut arrivé : Non cognoverunt donec venit di-
luvium et tulit omnes. (Ibid.)
Ah ! si nous avons imité ces malheureux
dans leurs péchés, ne les imitons pas dans
leur impénitence, profitons de ce temps de
miséricorde et d'indulgence, n'attendons pas
qu'il soit écoulé; le trésor de la clémence
divine se fermera, celui de la colère et des
vengeances s'ouvrira, et nous périrons sous
les coups d'un Dieu irrité et méprisé.
Il y a eu un temps d'indulgence, de misé-
ricorde pour les hommes avant le déluge.
Noé a employé cent ans à bâtir l'arche; tout
ce temps était un temps de clémence, de
patience, de grâce; ils étaient avertis par la
patience, la soumission de Noé qui construi-
sait l'arche; c'était un juste parfait dont la
vie innocente condamnait leurs coupables
excès : Perfectus et jus tus. (Eccli., XLIV.)
L'arche qu il bâtissait, selon les ordres du
Seigneur, leur apprenait qu'il n'y avait point
d'asile sûr pour la vertu dans le monde, elle
le réprouvait : Per quam damnavil mundum.
(Ilebr., XI.) Enfin c'était un apôtre, un
prédicateur zélé de la justice et de la sain-
teté, car Dieu, dans sa miséricorde, donne
tous les secours nécessaires aux pécheurs
pour les toucher et les convertir : Justitiœ
prœconem. (II Petr., IL)
Cependant ces malheureux abusent de
tous ces secours, de tous ces exemples, le
temps de la miséricorde s'écoule, les mena-
ces de Dieu s'accomplissent, le moment des
vengeances arrive, les cieux irrités s'ouvrent
et versent des torrents d'eau sur la terre, ils
périssent tous : Venit diluviitm et tulit omnes .
(Matth., XXIV.)
Jésus-Christ compare la mort au déluge,
le temps qui a précédé le déluge, celui qui
précède notre mort sont des temps de clé-
mence et de miséricorde, le déluge ei la mort
sont pour les pécheurs impénitents, le temps
des vengeances célestes :Sicut venit diluvium
et tulit omnes, ita erit et adventus filii homi-
nis. (Ibid.)
i Saint Pierre nous trace encore un portrait
très-sensible des hommes avant le déluge;
ils étaient témoins de la patience du Sei-
gneur : Spectabant Dei patientiam, mais ils
579
étaient incrédules, increduli. (I Petr., 111,20.)
Le ciel s'obscurcit, ils ne changent point;
des torrents d'eau inondent la terre , ils
montent sur la cime des montagnes ; image
naturelle des hommes qui ne profitent pas
de la grâce du jubilé : on les prêche, ils se
moquent; on ouvre les trésors de l'Eglise,
ils les méprisent; ils sont menacés d'éprou-
ver des fléaux, des calamités, ils sont tran-
quilles; le tombeau s'ouvrira, ils s'efforce-
ront encore de braver la mort, çt ils seront
les victimes de la colère du Seigneur, parce
qu'ils n'auront pas voulu être les conquêtes
ce sa miséricorde.
CHAPITRE III.
Réflexions sur l'endurcissement de Pharaon.
On est effrayé , quand on entend Dieu
di.-e, j'endurcirai le cœur de Pharaon : Indu-
rabo cor ejus (Exod. , Vil) , et que l'on en
voit après le funeste accomplissement : In-
duration est cor Pharaonis. (Ibid.)
Mais faisons réflexion à ce qui a donné lieu
à cet endurcissement, et nous serons per-
suadés que c'est le cœur de ce malheureux
prince qui a été insensible à tous les traits
de la clémence et de la puissance du Sei-
gneur, et qu'il n'a été abandonné de Dieu
qu'après l'avoir abandonné le premier.
Il y a eu pour lui, comme pour tous les
autres pécheurs, un temps de miséricorde,
et c'est pour en avoir abusé qu'il a été puni
dans celui de la sévérité; que son exemple
nous instruise, craignons d'abuser de ces
jours de grâces et d'indulgences, qui seront
suivis des jours de la sévérité et de la ven-
geance.
Voici les péchés qui le conduisirent à l'en-
durcissement. 1° L'ingratitude : L'Ecriture
dit, il parut un nouveau roi dans l'Egypte qui
n'avait pas connu Joseph : Surrexit rex no-
vus qui ignorabut Joseph. (Exod., I.) Il ne
connaissait pas Joseph, mais il était informé
de sa sagesse, de sa prudence, ces terres
cultivées, tous ces biens qu'il avait répan-
dus dans l'Egypte devaient lui faire respec-
ter les enfants d'Israël comme un peuple
protégé de Dieu, et il fut insensible à tout
cela.
Craignons d'être coupables du même pé-
ché. L'Eglise enfantée sur la croix, ce champ
précieux cultivé et arrosé par les sueurs des
apôtres, le sang des martyrs, les pleurs des
nénitents, ce trésor de grâces ouvert à tous
les fidèles ; tout cela peut-il être indifférent
à des chrétiens, et peuvent-ils mépriser tous
ces bienfaits sans être coupables aux yeux
de Dieu d'une monstrueuse ingratitude.
2" Le mépris qu'il fit des prédicateurs que
Dieu lui envoya. Dieu lui envoya Moïse et
Aaron, et ils lui dirent, voici ce que dit le
Seigneur : Hœc dicit Dominus (I Exod., V), et
ce prince impie a l'audace de dire, que) est
celui au nom duquel vous me parlez? quis
Dominus ? (ibid.) Je ne connais point le
Seigneur: Nescio Dominum. (Ibid.)
Dans ce saint temps tous les hommes apos-
toliques, honorés de la mission de l'Eglise
OÏUTEUKS SACHES. BALLET. 530
vous parlent de la part du Seigneur; ils vous
annoncent, non ses vengeances, mais ses
miséricordes, ils ne vous parlent que d'in-
dulgence, négligerez-vous de les entendre?
mépriserez-vous leurs invitations? renonce-
rez'-vous aux grâces qu'ils vous offrent? Ah 1
si cela était, craignez l'endurcissement, ce
temps de miséricorde s'écoulera, et vous le
regretterez inutilement. 3° La rechute dans
son péché d'obstination.
Dieu fait éclater sa puissance , il couvre
l'Egypte de plaies, dans l'affliction ce prince
a recours aux prières de Moïse, priez pour
moi le Seigneur, dit-il : Orale Dominum.
(A\rod., VIII.) II. fait des promesses ; mais,
dès que Dieu a retiré son bras vengeur, qu'il
laisse régner sa clémence, son cœur s'endur-
cit : Yidens quoddala essetrequies, ingravavit
cor suum. (Ibid.)
On vous a vus dans l'affliction , dans des
calamités publiques recourir au Seigneur,
implorer sa clémence, et le conjurer de re-
tirer le glaive vengeur suspendu sur vos
têtes; serait-ce donc parce que la clémence
seule du Seigneur règne clans ces jours,
qu'on ne vous [tarie que de rémission, que
d'indulgence, que les trésors delà vengeante
céleste semblent être fermés, pour ne lais-
ser couler sur vous que les richesses de la
patience et de la bonté de Dieu, vous se-
riez indifférents et tranquilles dans vos
désordres? Mais vous imiteriez alors Pha-
raon.
Quand Dieu lui envoie Moïse et Aaron,
quand il fait des miracles sous ses yeux,
quand il fait cesser les plaies qui le désolent
à la prière de Moïse, c'est là le temps de la
miséricorde; quand il l'abandonne, l'endur-
cit, l'ensevelit sous les flots de la mer Rouge,
c'est là le temps de la sévérité. Méditez bien
ces deux temps.
Ces jours de jubilé où Dieu vous offre sa
grâce, où il vous invite; voilà pour vous
un temps de miséricorde , mais il s'écou-
lera ; et, si vous en abusez, le temps de
la sévérité vous surprendra dans votre pé-
ché.
CHAPITRE IV.
Réflexions sur la pénitence des Ninivites.
On peut dire dans un sens que la prédic-
tion du prophète Jor.as aux Ninivites a été
accomplie, dit saint Augustin. (De civitale,
Dei, Mb. XXI, cap. 14.) Ce prophète disait que
Ninive serait détruite dans quarante jours,
et cela est arrivé dans un sens moral :
Factum est ergo quod prœdixit.
Cette ville criminelle a été changée totale-
ment, et est devenue une ville pénitente.
Toutes les maximes qui étaient les coupables
fondements de ses crimes ont été renversées;
et toutes les vertus qui font les pécheurs
pénitents ont été établies. Eversa est Ninivc
quœ mala erat, et bona wdi/icata est quœ non
crut.
Ainsi cette ville célèbre a été détruite, con-
tinue saint Augustin, non dans ses murailles,
ses édifices, ses forteresses, et la mort de ses
habitants : stantibus mœnibus atque domilms;
881
INSTRUCTIONS SUR I E JUCHE - PARTIE II CHAP. V.
581
mais dans ses mœurs corrompues, ses excès,
ses désordres. Eversaest inperditis moribus.
Ces grands pécheurs ont profité du temps
de la miséricorde, de la clémence du Sei-
gneur : ils ont fait pénitence, ils ont changé
leur conduite. Dieu a changé les arrêts de
mort qui supposent l'impénitence et l'obsti-
nation dans le crime.
Que la pénitence des plus grands pécheurs
est efficace, lorsqu'ils profitent de la clé-
mence du Seigneur, et qu'avant les moments
destinés à les punir, ils entreprennent avec
courage de venger sa justice offensée !
Le Seigneur dit à Jonas : Allez à Ninive,
cette ville immense est plongée dans des dé-
sordres qui ont irrité ma colère; prêchez ce
peuple voluptueux. Yude in Ninive n et prœ-
dica in ea. (Jonas, III.)
O clémence de mon Dieu, que vous êtes
adorable ! Ce peuple a provoqué votre colère ;
les excès de son crime sont parvenus jus-
qu'à vous, et il a encore une place dans votre
cœur. Vous lui envoyez un prophète, un
apôtre pour le prêcher." Sommes-nous, hélas !
plus justes que les Ninivites?Ne devons-
nous pas craindre même qu'ils s'élèvent
contre nous au jour des vengeances, si nous
n'écoutons pas les apôtres que Dieu nous
envoie dans ce saint temps, et la voix tendre
de l'Eglise qui nous appelle à la pénitence?
Encore quarante jours, et Ninive sera dé-
truite. Ad hue quadraginta dies, et subvertc-
tur. (lbid.) Voilà un délai que la miséricorde
de Dieu donne à de grands pécheurs : profi-
tons de ce temps pour faire pénitence, ren-
versons l'édifice de nos crimes, détruisons
nos péchés, afin que Dieu ne nous détruise
point dans sa colère. Encore quelques jours,
encore quelques mois, ce temps de clémence
sera passé, le jubilé sera fini, et ce cœur
endurci, ce pécheur obstiné sera renversé,
précipité dans le tombeau ; Dieu le détruira
dans sa colère, parce qu'il n'aura pas voulu
détrui'e son péché dans le temps de la misé-
ricorde. Adhuc quadraginta dies , et subver-
tetur.
Jonas se plaint au Seigneur de ce que sa
prédiction n'a pas été accomplie; mais Dieu
lui dit, vous êtes touché de la perte d'un
lierre dont l'ombrage vous garantissait des
ardeurs du soleil; vous le regrettez. Ah!
pourquoi ne pardonnerai-je pas à plus de
cent vingt mille pécheurs touchés et péni-
tents? Vous connaissez peu, prophète, mon
cœur. Vous ignorez que je me plais à par-
donner, que je ne punis qu'à regret, t'et que
ceux-là seuls éprouvent ma sévérité qui abu-
sent de ma clémence.
CHAPITRE V.
Réflexions sur la pénitence de David.
David peut être regardé comme un modèle
parfait des pénitents. 11 s'est peint lui-même
dans les sacrés cantiques qu'il a composés : il
y publie les miséricordes du Seigneur: il
invite tous les pécheurs à recourir à sa clé-
mence, à profiter de ses grâces; mais il ne
leur dorme pas de fausses idées de la bonté
de ce pe.e tendre. Ses larmes, ses soupirs,
ses gémissements, ses jeûnes, ses veilles, ses
mortifications, la douleur et le déchirement
de son cœur, le ressouvenir amer de son pé-
ché , leur prouvent qu'il n'a mérité d'échap-
peraux vengeances d'un Dieuirrité, que parce
qu'il a profité du temps de la miséricorde
pour expier son péché.
Une ingénieuse parabole du prophète Na-
than touche le cœur de ce prince enseveli
dans le sommeil de la mort. Tranquille sur
son trône, qu'il avait souillé par un adultère
et un homicide, il reconnaît la grandeur de
sa chute, il en conçoit de l'horreur, il la dé-
teste, et son cœur contrit et humilié prononce
cet aveu plutôt que ses lèvres : J'ai péché : Pec-
ravi. (II Reg., XII.) N'est-ce pas là profiter de
la grâce qui le touche, de la clémence du Sei-
gneur qui le cherche, de l'instruction d'un
prophète qui lui parle librement, et lui dit :
Prince, c'est vous qui avez commis ces cri-
mes que vous détestez dans les autres. Tu is
ille vir. (lbid.)
La miséricorde de Dieu a son temps : mal -
heur à ceux qui n'en profitent pas. Man-
quons-nous de Nathans qui nous reprochent
nos égarements? La trompette évangélique
ne retentit-elle pas dans toutes les chaires,
dans tous les lieux du monde dans ce temps
du jubilé? Une main sévère nous repousse-t-
elle, lorsque nous nous présentons? L'Eglise
exige-t-elle de nous ce qu'elle exigeait dans
les premiers siècles? Son dessein est-il de
nous rebuter par de longs délais, de nous
priver longtemps du pain de vie, de nous
fermer le trésor des mérites de Jésus-Christ?
Hélas! cette tendre mère use d'indulgence.
Soyez touchés, contrits, pénitents; elle vous
remet une partie des peines temporelles
dues à vos péchés.
Nathan dit à David : Le Seigneur vous a
pardonné vos crimes. Dominus transtulit pec-
catum tuum. (lbid.) Mais il ne lui dit pas : 11
vous remet les peines satisfactoires qu'il
exige : au contraire, son péché remis, il lui
annonce un châtiment temporel. Le fils qui
est né de votre adultère, lui dit-il, vous sera
enlevé par une mort précipitée : Verumta-
tem Mius qui natus est tibi morte morietur.
(lbid.)
L'Eglise ne nous fait-elle pas entendre au-
jourd'hui des paroles plus consolantes? Non-
seulement ses ministres nous disent dans les
tribunaux de la pénitence, lorsque nous
sommes touchés et contrits : Vos péchés vous
sont remis : Dominus transtulit peccatum
tuum ; mais ils nous disent dans ce temps do
jubilé : Les peines temporelles dues à vos
péchés vous sont remises aussi. Faites ce
que vous pouvez, les mérites de Jésus-Christ
vous sont appliqués pour suppléer à ce que
vous ne pouvez pas.
Jamais pénitent n'a chanté avec plus d'al-
légresse, ni exalté avec plus de magnificence
les miséricordes du Seigneur, que David ;
et cependant jamais pécheur n'a été plus sin-
cèrement et plus constamment pénitent que
lui : quand il dépeint un cœur contrit, humi-
lié, agréable au Seigneur c'est le sien. C'est
583
un malheur d'abuser de la miséricorde de
Dieu; il est patient» parce qu'il est tout-puis-
sant; il se vengera, si nous ne le vengeons
pas nous-mêmes : sa clémence doit nous
attirera lui, et non pas nous en éloigner.
CHAPITRE VI.
il/flexions sur Vimpénitencc cVAntiochus.
Ah! que la mort de ce malheureux prince
est terrible ! qu'elle est déplorable , ef-
frayante ! Ce n'est pas la mort d'un homme
enlevé au printemps de ses jours, que le
Saint-Esprit nous dépeint, d'un homme
dont un accident imprévu a abrégé le nom-
bre des années ; d'un homme consumé dans
un incendie , englouti dans les eaux, écrasé
sous les ruines d'un édifice, péri sous le
glaive d'un ennemi : ces différents genres de
mort ne rendent point celle des justes moins
précieuse aux yeux de Dieu et des hommes.
La mort séparée du péché n'est pas un mal-
heur, elle délivre de tous les maux et met
en possession de tous les biens.
Mais la mort d'Antiochus est terrible,
redoutable : et pourquoi ? parce qu'elle a
été accompagnée du péché; parce qu'à ce
moment redoutable son cœur était encore atta-
ché au péché; parce que sa volonté n'était pas
changée ; et , pour tout dire , parce qu'il
avait laissé écouler le temps de la miséri-
corde sans se convertir; et parce qu'il n'exa-
mine, ne déteste ses péchés, ne les pleure
que lorsqu'il est arrivé au temps de la sé-
vérité et des vengeances du Seigneur.
Que ne doivent point craindre ces hommes
de péché, qui remettent depuis si longtemps
le grand ouvrage de leur conversion ; qui
n'ont pas profité de tant de solennités saintes,
de tant de grâces précieuses, de tant d'exem-
ples de la sévérité de Dieu; qui laissent en-
core écouler ces jours de jubilé et d'indul-
gence sans se confesser, sans quitter le.
péché et l'expier ? Ah 1 ils doivent appré-
hender qu'il n'y ait plus pour eux de temps
de miséricorde après celui-ci ; ils doivent
craindre que leurs regrets, leurs larmes,
leurs promesses ne soient rejelées au mo-
ment de leur mort, et que tout ce qu'ils
feront alors ne leur soit d'aucun mérite.
Qu'on ne se rassure point en disant que
les crimes d'Antiochus étaient trop grands
pour qu'il pût en obtenir le pardon : qu on ne
nous oppose point les excès de son orgueil ,
lorsqu'il se vantait de se rendre à Jérusalem,
et de ne faire qu'un monceau de morts de tous
les juifs : ses profanations, lorsqu'il souilla
le suint temple de ses honteuses débauches,
y plaça la statue de Jupiter et ôla les fêtes
et les solennités : ses cruautés, lorsqu'il
lit massacrer les juifs et périr sous le glaive
des millions d'hommes, de femmes et d'en-
fants : son idolâtrie, lorsqu'il força les juifs
à sacrifier aux idoles; car je dirai que ces
crimes, quelque énormes qu'ils fussent,
n'étaient pas irrémissibles.
Si l'Eglise reconnaît que Judas et les juifs
pouvaient par la péniten c obtenir le pardon
de leur attentat, Antiochus le pouvait aussi ;
il n'a éprouvé les rigueurs d'un Dieu irrité
ORATEURS SACRES. DAELET. 584
que parce qu'il n'avait pas proGlé de la clé-
mence d'un Dieu patient; il a pleuré inuti-
lement, parce qu'il a pleuré trop tard; il a
promis de réparer ses crimes lorsqu'il ne le
pouvait plus, et il n'a point voulu les expier
lorsqu'il le pouvait : il y a eu pour lui, comme
pour tous les hommes, deux temps; un
temps de miséricorde et un temps de sévérité.
La justice de Dieu venge sa miséricorde,
lorsqu'elle est méprisée et qu'elle ne fait
que des impénitents, elle frappe le pécheur
obstiné , d'une plaie mortelle ; une maladie
dangereuse se déclare : Percussit euminsa-
nabili et invisibiliplaga. (Il Machab. IX.) Les
forces diminuent , on sent les approches de
la mort, le tombeau s'ouvre, l'éternité se
présente , les jugements de Dieu se font re-
douter; alors on pleure, on gémit, on de-
mande miséricorde ; on promet , comme
Antiochus, d'orner les temples du Seigneur
qu'on a profanés , d'honorer et pratiquer les
exercices de la religion qu'on a méprisés;
de faire des voyages, de visiter les saints
lieux , d'être l'apôtre de la clémence et de la
puissance de Dieu : en un mot, on donne un
spectacle qui édifie les assistants , les touche
et les rend les panégyristes d'un réprouvé.
Mais, fausse pénitence ; la volonté n'est pas
changée ; hommage forcé rendu à la bonté de
Dieu, mais trop tard , le temps de la miséri-
corde ]est passé : et pourquoi ? C'est qu'un
juste jugement de Dieu est exercé sur cet
impénitent qui a laissé échapper les jours
de la clémence : Supcrvenerat enim in eutn
justum Dei judicium. ( Jbid.)
Pourquoi ceux qui ne profitent pas de ce
temps du jubilé, qui diffèrent leur conversion,
ne craignent-ils pas un sort si redoutable
CHAPITRE VII.
Réflexions sur la pénitence de la Madeleine.
Voici celte femme pécheresse prosternée
aux pieds du Sauveur, dans la maison du
pharisien; n'y trouve-t-elle pas un favorable
accès ?Implore-t-elle en vain sa miséricorde?
Méprise-t-il son humiliation, ses larmes,
son amour, son silence même? Lui fenne-
t-il son cœur à cause qu'elle avait livré lo
sien à de coupables attaches ? Lui reproche-
t-il ses égarements passés? Non , elle trouve
une place dans le cœur de Jésus, dès qu'elle
revient à lui sincèrement
Allons dès aujourd'hui nous prosterner
aux pieds de Jésus, arrosons-les de nos
pleurs; donnons aux pauvres toutes les su-
perlluités de la vanité mondaine : bannissons
de notre cœur les criminels objets qui l'at-
tachent : donnons-le tout entier à Jésus, il
l'acceptera, il ne le méprisera pas, quoiqu'il
ail été souillé par lo péché : nous sommes
assurés de sa bonté et de son penchant à
pardonner.
Un cœur brisé par une douleur vive et
intérieure, uncœur purifié par le feu céleste
du divin amour , n'est plus un cœur cri-
minel, c'est un cœur pénitent où Jésus
entre et demeure avec complaisance.
L'orgueilleux pharisien croit toujours
celte femme grande pécheresse,; parce qu'il
sss
INSTRUCTIONS SUR LE JUBILE. — PARTIE IL CI1ÀP. VIÎI.
580
ignore les neureux changements de son
cœur, les saintes nouveautés que la grâce y
a opérées; mais Jésus les connaît : ce cœur
changé, sanctifié, purifié par l'amour divin,
lui est connu; c'est pourquoi il devient son
défenseur, son panégyriste, son libérateur.
Ecoutez, ô sainte pénitente! les arrêts de
grâce, d'absolution, dlindulgence, que le
Sauveur va prononcer en votre faveur, dans
cette fameuse assemblée qui censure votre
démarche, et la sainte hardiesse qui vous a
fait approcher de Jésus : I os péchés vous
sont remis, allez en paix. (Luc, VIII.)
O consolantes paroles! Celui qui sonde le
cœur, qui juge de son repentir, de sa dou-
leur, de son amour, est content des dispo-
sitions du vôtre : ce cœur changé va être
rempli de sa grâce, animé de son esprit ; il va
goûter les douceurs ineffables d'une paix
toute céleste. O sainte pénitente ! vos péchés
sont effacés, vos liens brisés; vous êtes à
Jésus, et Jésus est à vous ; Allez en paix.
Vous aviez beaucoup commis de péchés,
mais vous avez beaucoup aimé : l'amour a
effacé la multitude de vos iniquités; vous
vous êtes aimée jusqu'au mépris de Dieu,
veus aimez Dieu à présent jusqu'au mépris
de vous-même; l'amour divin opère des pro-
diges, des miracles; votre conversion écla-
tante est une merveille qu'on racontera dans
tous les siècles et dans tous les lieux où
l'Evangile sera prêché : Allez en paix.
Nous les entendons, ces paroles conso-
lantes dans le tribunal de la pénitence ; le
prêtre qui nous absout, nous dit : Vos pèches
sont remis, allez en paix. Mais ce ministre de
Jésus-Christ ne connaît pas les dispositions
de notre cœur; il le présume changé, con-
trit, parce que nous le lui disons. Ah ! s'il est
toujours le même, Dieu nous condamne
pendant que son ministre nous absout.
Ce sacrifice généreux que la Madeleine
fait de tous les objets du péché, aux pieds
(le Jésus, nous avertit que nous ne devons
pas compter sur la clémence de notre Dieu,
même dans ce temps d'indulgence, si nous
ne lui immolons pas tous les objets de notre
péché, et ne faisons point servir à la justice
tout ce qui a servi à l'iniquité.
CHAPITRE VIII.
Reflexions sur le pardon accordé à ta femme
adultère
Les pharisiens conduisirent aux pieds de
Jésus-Christ une femme qui avait été sur-
prise dans l'adultère : ce n'était point pour
la délivrer du supplice qu'elle méritait, se-
lon la loi, mais pour surprendre le Sauveur,
dit saint Augustin.
Ils voulaient avoir lieu de l'accuser, ou de
mépriser la loi de Moïse, ou de manquer de
douceur en livrant à la mort cette misérable
pécheresse; mais ils furent confus et obligés
de se retirer, quand ils virent que la misé-
ricorde s'accordait avec la justice ; ils ap-
prirent que les transgresseurs mêmes de la
loi devaient avoir de l'indulgence pour ceux
oui étaient tombés par faiblesse, et qu'il était
OllATKURS saches L,
honteux qu'un coupable fût puni par d'autres
coupables.
N'attendons pas de grâce ni de compassion
des hommes; ils sont des juges sévères et
inexorables de nos actions, ils se pardonnent
tout, et ne pardonnent rien aux autres, et
si nous ne succombons pas sous leurs
coups, c'est l'autorité qui leur manque et
non la volonté?
Combien de pharisiens flans le monde, qui
sont étonnés que Dieu n'écrase point sous
son tonnerre les pécheurs qui leur dé-
plaisent, et qui ne sont pas étonnés de sa
longue patience à supporter leur zèle amer
et leur orgueilleuse sévérité.
C'est à vos pietls seuls, ô mon divin Sau-
veur ! que les pécheurs touchés trouvent
une grande miséricorde; vous usez d'indul-
gence envers ceux qui s'avouent coupables,
et il suffit de détester son crime Dour en ob-
tenir le pardon.
Les pharisiens s'étant retirés les uns après
les autres, cette pécheresse confuse et tou-
chée se trouva seule avec le Sauveur, une
femme coupable d'un crime honteux avec
l'auteur de toute sainteté! Remansit adultéra
et Dominus. Un cœur souillé et couvert des
plaies du péché avec le souverain médecin
des âmes I Remansit vulnerata et medicus.
Une grande misère et une grande miséri-
corde ! Remansit magna miser ta et magna mi-
sericordia. (S. Aug., Enarr. inpsal. L.)
O femme, que vous êtes heureuse! Vous
voilà seule aux pieds de Jésus, de cet homme.
Dieu qui est venu chercher les pécheurs,
qui les reçoit avec bonté, qui leur ouvre son
cœur ; vous êtes aux pieds du trône de la
clémence, de la miséricorde, vous recevrez
une prompte absolution de votre péché.
Ecoutez les paroles du Sauveur : Personne
ne vous a condamné, je ne vous condamnerai
pas non plus ; je ne suis pas venu dans le
monde pour exercer des jugements de ri-
gueur, mais de miséricorde. Ne péchez plus :
Vade et jam amplius noli peccare. (Joan.,
VIII.) Telle est la bonté de notre Dieu, sa
promptitude à pardonner, l'indulgence dont
il use envers les pécheurs.
Que cette indulgence excite votre amour,
qu'elle vous fasse pleurer vos péchés passé-.
et qu'elle vous dispose h plutôt mourir que
de retomber dans les péchés que vous pleu-
rez aujourd'hui. Allez, ne péchez plus: Yad;i
et jam amplius noli peccare.
Que nous serions coupables , si la clé-
mence de notre Dieu nous enhardissait h
pécher, et si nous ne demandions l'absolu-
tion de nos fautes que pour en commettre
de nouvelles !
Dieu hait souverainement le péché; et
dans le même temps qu'il nous dit : Je vous
remets votre péché; il nous dit : Ne péchez
plus ; après avoir fait régner ma miséricorde,
je ferai régner ma justice ; vous êtes jus-
tifiés, craignez de devenir coupables; vous
sortez de mon tribunal absous. Allez, ne pé-
chez plus : Vade et jam amplius noli peccare.
19
E37
ORATEURS SACRES. BALLET.
^83
CHAPITRE IX.
Réflexions sur la parabole de l'enfant pro-
digue.
Jésus-Christ notre divin maître a voulu
nous montrer, sous cette parabole, l'état
affreux du pécheur dans l'éloignement île
son Dieu; la confiance que doit avoir le pé-
cheur, lorsqu'il retourne sincèrement à son
Dieu; les saintes caresses que Dieu pro-
digue au pécheur touché sincèrement de
ses péchés.
Vous'avez dépeint, ô mon Sauveur! votre
clémence et votre miséricorde dans cette pa-
rabole. Ahl vous excitez ma confiance, vous
dissipez mes frayeurs, vous m'encouragez.
Après la plus affreuse dissipation de vos
dons, je puis encore espérer l'adorable pro-
digalité de vos caresses; mon cœur ne sera
pas plutôt touché que le vôtre me sera ou-
vert; j'irai à vous, vous viendrez au-devant
de moi; j'avouerai mon péché, vous me le
pardonnerez ; je vous demanderai d'être au
nombre de vos serviteurs , vous me mettrez
au nombre de vos enfants. Ah! que je pro-
fite de cette indulgence dont vous avez usé
envers dos coupables qui ont mérité votre
colère.
Ce jeune homme, qui nous figure le pé-
cheur éloigné de vous, s'éloigne d'un père
tendre qui le chérit; il s'en va dans des ter-
res étrangères, ot là, emporté par la fougue
de ses [lassions, il se livre à de honteux
excès, et dissipe tout son bien par de coupa-
bles prodigalités; il passe du sein des plai-
sirs criminels dans le sein de la plus affreuse
misère : Cœpit egerc (Lue., XV), d'un état
honnête et distingué aux occupations les plus
viles, et de la compagnie d'un père tendre
dans celle des animaux les plus immondes:
Misit illum in villam suam ut pasccrctporcos.
(S. Aug., Confessa lib VI, cap. 16.)
Malheur à 1 âme audacieuse, dit saint Au-
gustin, qui espère trouver du repos et de vé-
ritables satisfactions en s" éloignant de vous,
ô mon Dieu! Le cœur de l'homme sera tou-
jours inquiet, troublé, agité, tant qu'il ne
sera pas a vous; on ne vous a pas plutôt
abandonné , qu'on tombe dans un abîme
affreux de misère, d'afflictions; une nudité
affreuse, une famine redoutable, la honte, le
inépris accablent le pécheur qui a dissipé
vos grâces.
Qu'il est encore heureux ce pécheur, quand
il rentre en lui-même, qu'il est confus et
troublé de sa misère , qu'il désire le sort des
justes, et qu'aidé par votre grâce il forme
Je projet de retourner à vous plein de con-
fiance, assuré de votre miséricorde: Surgam
et ibo ad palrern. (Luc, XV.)
Oui, mon Dieu! c'est votre bonté, l'indul-
gence dont vous usez envers les pécheurs
touchés et pénitents, qui excite ma confiance,
malgré cette affreuse dissipation de vos dons,
malgré les honteux excès dans lesquels je
me suis plongé; quoiqu'il y ait longtemps
que je sois séparé de vous, 'j'espère encore
dans vos miséricordes; j'irai me prosterner
à vos pieds, je les arroserai de mes pleurs,
je confesserai mes péchés , j'avouerai mon in-
dignité, et j'éprouverai votre clémence, quoi-
que j'aie mérité toute votre indigation : Sur*
gain et ibo ad patrem.
Ecoutez, pécheurs touchés et pénétrés de
votre misère, les oracles de la miséricorde;
le Sauveur les prononce dans cette parabole;
il vous dépeint l'admirable prodigalité de ses
caresses, dès que le pécheur pleure l'af-
freuse prodigalité de ses bienfaits; il est touché
de vos premières démarches ; il vient au-de-
vant vous, il vous ouvre son cœur, il vous
embrasse, il oublie vos égarements, il fait
éclater sa joie, vous êtes réconciliés; vous
avez droit de vous asseoir à la table du fes-
tin dès que vous êtes revêtus des vêtements
de l'innocence; si quelques justes murmu-
rent de ses caresses, de cette prompte récon-
ciliation, on leur dira que vous étiez perdus,
et que vous êtes retrouvés; que vous étiez
nions, et que vous êtes ressuscites.
La clémence de notre Dieu n'attend que
notre retour, notre repentir, la confession de
nos péchés, notre douleur, nos larmes, les
sentiments de notre misère, pour nous j roui-
guer les mêmes caresses.
CHAPITRE X.
Réflexions sur la guérison du paralytique.
Saint Matthieu nous dit que des hommes,
attirés par les miracles du Sauveur, lui offri-
rent un paralytique couché dans son lit, et
que non-seulement Jésus-Christ le guérit de
son infirmité corporelle, mais inémequM lui
remit tous ses péchés.
Saint Marc (XI) et saint Luc (V) nous ap-
prennent une autre circonstance que saint
Matthieu omet; ils disent que Jésus-Christ
prêchait dans une maison, et que la foule du
peuple qui l'environnait était si grande, que
ceux qui portaient le paralytique découvri-
rent le toit de la maison, et le descendirent
dans l'endroit où était Jé-^us.
Faisons de sérieuses réflexions sur les cir-
constances de ce miracle; tout nous y an-
nonce la bonté et la miséricorde de* Dieu
pour les misérables qui'ont recours à lui.
Jésus-Christ admire la foi de ceux qui por-
taient le paralytique, et qui s'empressaient
d'obtenir sa guérison; il semble que ce soit
en considération de cette foi et de ce zèle
qu'il dit au paralytique : Ayez confiance,
mon fils, vos péchés vous sont remis : Yidens
fidem illorum, dixil puralytico, confuie, fi'i,
libiremittuntur peccata tua. (Mut th., IX.) Ce
qui fait dire à saint Ambroise (lib. V in Lu-
cam) que le Seigneur est grand en miséri-
corde, qu'il accorde aux uns le pardon de
leurs péchés, parles mérites et les prières
des autres : Magnus Dominus qui aliorum
merito ignoscit aliis.
Tous les saints prient dans ce temps favo-
rable pour nous; profitons des prières, des
gémissements, des bonnes œuvres des jus-
tes pour obtenir la rémission de nos péchés ;
ces saintes Ames nous olî'rent à Jésus-Christ
pour obtenir notre guérison.
Ce paralytique était couché dans son lit :
Jacentem in lecto. (Matth., IX.) Ah! Sei-
5S9
INSTRUCTIONS SUR LE JUMLE.
gncur ! il y a longtemps que je suis infirme ;
il y a longtemps que mon âme a reçu des
l^aies mortelles; il y a longtemps qu'elle
est ensevelie dans le sommeil de la mort ;
qui la guérira, qui la ranimera, qui lui ren-
dra ses forces? Vous seul, ô mon Dieu ! Par-
lez-lui dans votre miséricorde; dites-lui,
comme au paralytique, de se lever et de mar-
cher.
Me voilà à vos pieds, ô mon divin Sauveur 1
c'est l'Eglise votre épouse qui me présente
à vous ; ce sont les vertus , les prières, les
désirs des saintes âmes qui vous demandent
ma guérison, le salut de mon âme , qui est
dans un assoupissement mortel : regardez
leur foi, exaucez-les.
J'emploie, Seigneur, l'intercession des
justes, parce que je ne suis pas digne de
vous demander une grâce si précieuse; je
sens mon indignité, je reconnais mes fautes,
je veux les pleurer, les expier en joignant
ma pénitence à celle des justes, j'ai con-
fiante d'en obtenir le pardon.
Les saints vous prieront, Seigneur, dans
ce temps favorable, dans ce temps d'indul-
gence , de miséricorde : Orabit ad te 07nnis
sanctus in tempore opportuno. (Puai. XXXI.)
Et c'est dans ce temps que j'entendrai aussi
ces paroles consolantes : Mon fils, ayez con-
fiance, vos péchés vous sont remis : Confide,
fili, remittuntur (i!;i peccatatua. (Mailh., IX.)
Prononcez-les, Seigneur, ces paroles con-
solantes pour mon âme, quand votre mi-
nistre les prononcera sur moi , que je mérite
par mes saintes dispositions d'ôtre absous
de vous qui connaissez les secrets de mon
cœur ; l'absolution que me donnera celui
qui a le pouvoir de remettre les péchés ,
supposera les dispositions nécessaires pour
la recevoir. Donnez-les-moi, Seigneur, ces
dispositions que vous exigez du pécheur,
afoi que ces paroles que j'entendrai sur la
terre : Vos péchés vous sont remis, dimittun-
tur tibi peccata tua, soient ratifiées dans le
ciel. O pénitents touchés , contrits , vous de-
vez avoir cette confiance !
CHAPITRE XL
R/flexions sur la pénitence au bon larron
et l'indulacncc qui lui fut accordée sur la
croix.
Ce criminel pénitent est devenu dans un
moment un confesseur de la divinité de Jé-
sus-Christ, un martyr, un grand saint que
l'Eglise honore dans ses fastes, le premier ,
selon presque tous les saints docteurs, qui
entra dans le ciel.
O précieuse conquête du sang d'un Dieu
sur le Calvaire ! (pic votre douleur, que vos
larmes , que votre foi , que votre amour fu-
rent promptement et magnifiquement récom-
pensés ! quel excès de clémence suit de près,
l'excès de votre repentir !
Ecoutez cette voix de miséricorde ; Jésus
vous parle sur la croix, les pieds et les
mains percés, baignés dans son sang; dans
les opprobres du Calvaire qui vont être re-
levés par des miracles éclatants , il vous dit :
PARTIE II, CIIAP. XI. 5S0
Aujourd'hui vous serez avec moi dans 1q
paradis : Hodie mecum cris in paradisc.
(Luc, XXIII.)
Que dites-vous ? ô mon divin Sauveur !
vous êtes attaché à la croix, vous allez ex-
pirer dans les tourments destinés aux. cri-
minels ; on vous insulte, on vous blasphème,
et vous promettez le paradis à un des com-
pagnons de votre supplice : Crocifixus es et
clavis affixus, et paradisum polliceris ! Oui ,
je le promets ; et c'est pour faire éclater ma
puissance sur la croix même : Ut in cruce
virtutem meam ediscas. (S. Cuysost., De cruce
et latrone homilia.)
Mon amour pour tous les hommes m'a fait
monter sur le Calvaire ; ma puissance le ren-
dra un théâtre de merveilles, toute la na-
ture y reconnaîtra ma divinité. Le soleil
cachera sa lumière, le voile du temple sr»
déchirera; les tombeaux s'ouvriront, les
morts ressusciteront, les pieires se fen-
dront; mais, parmi toutes ces merveilles, la
conversion des pécheurs y tiendra le pre-
mier rang. Le cœur d'un criminel à mes
côtés touché d'un amer rc^eî.tir, embrasé
du zèle de ma gloire, éclairé tout à coup
des lumières de la foi, purifié par son
amour et son sang de tous ses crimes , admis
au moment de sa mort dans le ciel ; voilà un
prodige qui doit vous prouver ma divinité,
ma puissance sur la croix même. Je suis
juge et Sauveur sur cet autel où je suis im-
molé , j'y récompense la pénitence et y
punis l'impénitence : Ut in cruce virttilem
mcam ediscas.
Que je m'attache, ô mon Dieul à votre
croix, ou plutôt attachez-y-moi vous-même
par les afflictions, les peites de bien, les
injures, les railleries des mondains; je
suis votre disciple : comment pourrai -je
vous ressembler dans les souffrances ? Je
suis pécheur : comment pourrai-je expier
mes crimes sans répandre des larmes, pra-
tiquer des mortifications, punir mon corps,
affliger mon esprit, briser mon cœur? J'es-
père participer à votre gloire, entrer dans
votre royaume : comment le pourrai-je sans
participer à votre calice?
Ah ! Seigneur, que je déteste mes crimes,
que je les efface par mes larmes ; que je pu-
blie votre innocence, votre amour, votre
puissance aux ennemis de votre croix, à
ceux qui se scandalisent de votre mort, afin de
recevoir comme le larron pénitent, l'abso-
lution et la rémission de mes péchés.
Quelle différence entre le pénitent et l'im-
pénitent au moment de la mort 1 Celui qui
a exposé ses crimes , vengé le Seigneur of-
fensé , entend ces paroles consolantes : Vos
tourments vont finir, la mort va vous en-
lever à la terre et vous introduire dans le
ciel: Hodie mecum eris in paradiso ; celui
qui a toujours conservé la volonté de pé-
cher, qui n'a point fait pénitence, entend
cet oracle effrayant: Tu vas expirer coupa-
ble aux yeux du Seigneur et être précipité
dans les feux vengeurs. Ah! Seigneur, que
je mérite au moment de la mort cette indul-
gence que vous avez accordée au bon Iar-
soi
ORATEURS SACRES. BALLET.
5»9
ron ; que je l'imite dans sa pénitence, dans
son repentir.
Mais qu'a donc fait, dites -vous, cet
homme chargé de crimes, pour mériter d'en-
trer dans le paradis? Quidfecit latro, ut post
crueem paradisum sil adcplus ? Ce qu'il a
fait? reprend saint Chrysostome. Tout ce
qu'il y a de plus grand, de plus généreux,
de plus héroïque. Saint Pierre nie Jésus-
Christ, les autres apôtres l'abandonnent. Les
Juifs furieux le couvrent d'opprobres; le
voleur impénitent blasphème, et lui souffre
avec amour le supplice que méritaient ses
crimes. Il reconnaît la divinité de Jésus-
Christ; il la défend contre ses ennemis, il
implore sa miséricorde. 11 le reconnaît pour
le maître du ciel et de la terre, dans les
opprobres mêmes de sa passion ; il s'ap-
plique son sang adorable et répond avec
fidélité à la grâce qui l'a touché : Agnovit
cœlorum Dominant. (S. Chrvsost., loco supra
citato.) Ah! une telle pénitence, sous les
yeux d'un Dieu mourant pour tous les
hommes sur le Calvaire, pouvait-elle ne pas
être suivie d'une indulgence prompte et
plénière? Les plaies du Sauveur n'étaient
ouvertes que pour y recevoir les pécheurs
louches et pénitents*
CHAPITRE XII.
Réflexions sur l'indulgence accordée à l'inces-
tueux de Corinthe par l'apôtre saint Paul.
Ce pécheur scandaleux entretenait un
commerce honteux avec la femme de son
père. Ce crime était public, et les Corin-
thiens le toléraient et ne le dénonçaient
point aux magistrats, qui l'auraient fait
punir comme les lois grecques et romaines
l'ordonnaient.
Plusieurs interprètes croient que les Co-
rinthiens ménagaient cet incestueux à cause
de son éloquence et de ses talents; voilà
pourquoi saint Paul les reprend avec tant de
zèle et les humilie si fort. Il y a, dit-il, un
incestueux au milieu de vous que vous
souffrez, que vous ne reprenez seulement
]>as. Et après cela , vous êtes enflés d'orgueil,
au lieu de verser des pleurs et de retrancher
du milieu de vous celui qui a commis ce crime.
(I Cor., V.)
Une vaine philosophie, des sciences pro-
fanes vous font tolérer un crime "dont les
païens rougiraient. Pour moi, j'en porte un
autre jugement, quoique absent de corps, mais
présent en esprit : je m'unis à votre Eglise ; et
au nom de Jésus-Christ, dont je suis 1 apôtre,
je déclare que celui qui a commis ce crime doit
être par la puissance de Jésus-Christ livré à
Satan, afin que son âme soit sauvée. (ItriJ.)
Les paroles de ce grand apôtre nous don-
nent lieu de remarquer trois choses : 1°
l'horreur que l'on avait du crime ; 2" com-
bien les chrétiens devaient en être touchés ;
3° les saintes rigueurs qu'on imposait à ceux
qui l'avaient commis.
(30) Cette histoire est tirée des Œuvres de saint
Clément d'Alexandrie, dans le traité: Quel est le
Ce Corinthien incestueux est regardé par
saint Paul comme l'objet de l'horreur du
ciel et de la terre, comme un membre | ourri
capable de causer une corruption générale.
On ne saurait concevoir trop d'horreur du
péché, et surtout d'un péché public. A com-
bien de personnes ne pourra't-on pas faire
le reproche que saint Paul faisait aux Corin-
thiens? Vous êtes enflés d'orgueil , au lieu de
répandre des larmes. Non-seulement vous to-
lérez , mais vous briguez la bienveillance, la
société, la protection des plus grands pé-
cheurs; des hommes de vices, quand ils ont
des talents , des richesses ou du crédit ; des
âmes qui périssent sous vos yeux. Votre
Dieu offensé ne vous touche point. Ah !
entrez dans l'esprit de l'Eglise, pleurez,
gémissez pour le salut de leurs âmes, de-
mandez à Dieu qu'il leur fasse la grâce de
souffrir dans un esprit de pénitence les sain-
tes rigueurs et les peines que méritent leurs
[léchés.
Ce n'est qu'après que l'incestueux de Co-
rinthe a eu supporté avec une tristesse salu-
taire, des -larmes et des gémissements, la
peine de l'excommunication, et toutes les
rigueurs d'une sainte pénitence; que lors-
qu'il est contrit , abattu , que saint Paul use
d'indulgence, abrège sa pénitence, et s'unit
aux fidèles de Corinthe, pour le rend: e à
l'Eglise.
C'est assez , dit-il, que le coupable ait subi
la correction qui lui a été imposée. Usez d'in-
dulgence à présent ; consolez-le, de crainte
qu'il ne soit accablé par un excès de tristesse.
(II Cor., II)
Voilà une indulgence accordée solennel-
lement, une pénitence abrégée, des peines
temporelles remises; mais après que le pé-
cheur a pratiqué toutes les rigueurs dont il
était capable.
En vain comptons-nous sur l'indulgence
de l'Eglise , si un sincère repentir, des lar-
mes amères, une tristesse salutaire ne prou-
vent pas notre changement. A quoi nous ser-
virait l'indulgence de l'Eglise, si nous étions
toujours attachés au péché? S'agit-il de re-
mettre les peines dues au péché , quand le
péché n'est pas remis? Et le péché est-il re-
mis sans douleur, sans repentir, sans amour?
Ahl l'Eglise, en accordant une indulgence
plénière, veut aider et consoler les pénitents;
elle ne veut point flatter et autoriser les
impénitents.
CHAPITRE X11I.
Réflexions sur l'indulgence accordée par
saint Jean l'Lvangélisle à un fameux vo-
leur (GO).
Qui jamais a mieux connu le cœur de Jé-
sus-Christ que saint Jean l'Evangéliste, ce
disciple bien-aimé qui a reposé sur son sein
pendant la cène, qui est demeuré constam-
ment au pied de la croix , sur laquelle il est
expiré? Non , jamais homme mortel n'est
riche qui sera sauvé ? et rapporté par Eusèbe , dans
son Histoire ecclésiastique, livre lîl, chapitre 7.
593
INSTRUCTIONS SUR LE JUBILE. — PARTIE III, CHAP. P
K94
entré plus avant dans ce cœur adorable. 11 a
été d'une manière singulière le confident
des mystères de son amour pour les hom-
mes. Aussi pensait-il comme ce divin Sau-
veur du salut des âmes : il en connaissait le
prix; il pleurait leur perte, et regardait la
conversion d'un péjheur comme le plus
beau trophée qu'il pût ériger à l'amour et à
la charité de son divin maître
L'histoire que nous allons rapporter vous
fera connaître son zèle pour le salut d'une
seule âme, la pénitence qu'il fait avec le pé-
cheur qu'il a converti , et l'indulgence dont
il use , quand il a pleuré son péché.
Cet apôtre de la charité, en revenant de
l'île de Pathmos où il avait été exilé, con-
vertit un jeune homme dans sa roule: il le
confia à un saint évoque qui lui donna le
baptême et la confirmation ; mais, hélas ! le
démon ne tarda pas à l'arracher à la vertu
pour l'attacher à son char. 11 révolta ses sens,
lui présenta les séduisantes images du plai-
s r, et se servit des libci tins qui étaient au-
tour de lui pour le corrompre. Bientôt il se
livra à tous les désordres d'une vie volup-
tueuse, et parcourut sans remords tous les
sentiers du crime. Et celui qui n'avait pas
craint de souiller son. corps par de honteuses
débauches, ne craignit pas non plus de
tremper ses mains dans le sang de ses frères:
elles ne servaient plus qu'aux meurtres et
aux injustices. Un jeune néophite devint
tout à coup le chef d'une troupe de bri-
gands.
O saint apôtre! la conquête de vos larmes,
de vos divines instructions, de votre ardente
charité, est devenue la conquête du démon.
Cette brebis a méprisé les leçons du pasteurs
qui la conduisait; elle a écouté la voix du
père du mensonge, elle est égarée: cette
brebis, qui paraissait si docile, est devenue
un lion furieux qui vit de carnage et de
sang.
A peine saint Jean a-t-il appris du saint
évoque cette chute étonnante , que son zèle
le transporte : il oublie qu'il a cent ans, que
la faiblesse fait chanceler ses pieds ; ii se fat
mettre sur un cheval ; il vole au-devant des
voleurs répandus dans ces cantons : ils atta-
quent le saint apôtre, le conduisent à leur
chef qui le reconnaît, veut lui échapper;
mais ses soupirs, ses larmes , la douceur,
l'onction do ses paroles, la grâce de Jésus-
Christ, l'abattent à ses pieds; il se rend , il
répand dos torrents de larmes. Saint Jean le
ramène à l'Eglise : là il pleure, il jeûne avec
lui. Ce fameux pécheur fait de sa pénitence
un second baptême laborieux. L'apôtre le
quitte; mais après l'avoir réconcilié, con-
solé et abrégé les rigueurs que méritaient ses
crimes par l'indulgence qu'il lui accorda.
Nous ne devons pas être étonnés que saint
Jean ait usé si promptement d'indulgence
envers ce fameux pécheur. Il était touché,
contrit, pénitent : il avait pleuré, jeûné et
pratiqué toutes les rigueurs dont il était ca-
pable. Saint Jean avait mêlé ses larmes , ses
mortifications, ses prières avec les siennes.
Cette pénitence, quoique courte, fut sans
doute très-agréable au Seigneur.
L'Eglise invite les pécheurs égarés dans
ce saint temps par ses larmes, par ses prières,
ses gémissements : elle leur dit , comme
saint Jean à ce fameux voleur : Ne craignez
pas, mes enfants ; revenez avec confiance, je
vous assure du pardon de vos péchés, si
vous les détestez et les pleurez. Réconciliez-
vous avec votre Dieu que vous avez offensé ;
j'userai d'indulgence , je vous remettrai , au
nom de Jésus-Christ, les peines temporelles
dues à vos péchés. Les justes pleureront,
jeûneront, prieront avec vous. Cette péni-
tence des saints, unie à celle des pécheurs
convertis, la rend efficace pour satisfaire à
la justice divine
TROISIEME PARTIE.
CHAPITRE PREMIER.
Il faut nous animer à la pénitence à la vue
de la bonté d'un Dieu qui nous recherche et
nous invite.
La miséricorde de Dieu, si nous avions la
foi, devrait nous déterminer à punir nos pé-
chés avec une sainte rigueur , au lieu de
nous contenter de les confesser.
Persuadés que notre pénitence désarme
son bras vengeur, satisfait sa justice offen-
sée, expie nos péchés, pourquoi tardons-
nous à l'embrasser? Qui vous a enseigné,
qui vous a flatté que vous pourriez échapper
aux châtiments redoutables réservés à l'im-
pénitence? dit saint Jean : Quis ostendit
vobis fiujere aventura irai {Luc, 111.)
Serait-ce la miséricorde? Mais si la misé-
ricorde précède la justice, la justice ne suit-
elle pas la miséricorde?
il est marqué dans l'Ecriture : Ne dites
pas la miséricorde de Dieu est grande, pour
vous rassurer dans votre péché et autoriser
votre impénitence ; car vous serez surpris
tout à coup par la colère de Dieu. La cognée
n'est-elle pas déjà posée à la racine de l'ar-
bre, dit saint Jean? Jésus-Christ n'a-t-il pas
dit : Si vous ne faites pénitence, vous péri-
rez tous ?
Mais en quoi, direz-vous, consiste donc la
miséricorde de Dieu? Samt Paul vous l'ap-
prend: à vous attendre avec une longue pa-
tience ; à vous rechercher lorsque vous le
fuyez; à vous appeler, à vous inviter par sa
grâce.
Elle vous accorde du temps pour vous
convertir; elle arrête le bras delà justice,
élevé pour vous punir quand vous commet-
tez un crime.
Sa miséricorde est grande, si vous consi-
dérez qu'elle vous cède le droit de vous pu-
595
OHATEl'ttS SACHES. BALLET.
5&5
nir vous-mêmes, et que vous pouvez, parles
peines temporelles que vous vous imposez,
éviter les peines éternelles que vous avez
méritées.
Qui vous a donc enseigné que vous pou-
viez, sans faire pénitence, échapper aux re-
doutables vengeances du Seigneur? Quis
ostendit vobis fugere a ventura ira? Ce n'est
pas l'idée que Dieu vous donne de sa misé-
ricorde, puisqu'il nous assure qu'une jus-
tice rigoureuse la doit suivre de près.
Serait-ce l'indulgence que l'Eglise vous
promet dans ce temps de jubilé? Mais
la promet-elle aux impénitents? La pro-
met-elle à ceux qui se seront confessés
sans douleur , sans repentir, sans haine du
péché ? Et peut-on être contrit, se repentir,
haïr le péché comme il doit être haï, sans
pratiquer une pénitence d'expiation et de
précaution?
Ah! c'est parce que Dieu me donne, dans
ce saint temps, des preuves de sa bonté et
de sa miséricorde, que je punirai avec plus
de rigueur cecorps de péché. Plus il me re-
met, moins je m'épargnerai : l'étendue de
ma pénitence sera proportionnée, autant que
j'en suis capable, à l'étendue de ses miséri-
cordes
Comment n'aurais-je pas, ô x?.on Dieu I
des sentiments sincères de pénitence? Com-
ment veudrais-je éviter d'expier sur ma
chair criminelle tant de coupables prévari-
cations de votre sainte loi? puisque mon
péché s'élève toujours contre moi : Pecca-
tum meum contra me est semper. (Psal. L.)
Ces années écoulées dans l'oisiveté; cet
abus que j'ai fait de vos grâces ; ces habitu-
des criminelles que j'ai laissé fortifier; ces
scandales que j'ai donnés ; ces injustices
que j'ai commises; ce dégoût des choses
saintes que j'ai toujours eu ; tant de honteu-
ses passions que j'ai flattées, satisfaites,
s'élèvent aujourd'hui contre moi : Peccatum
meum contra me est semper. Je n'aurais pas
le temps d'en faire pénitence, si vous exer-
ciez votre justice; mais votre tondre misé-
ricorde me donne le temps de punir un cou-
pable que vous voulez sauver : je le punirai
donc ^j'entreprendrai avec confiance de sa-
tisfaire h votre justice dans ce temps d'indul-
gence; les mérites de Jésus-Christ votre Fils
suppléeront aux rigueurs dont je suis inca-
pable.
Profitez, pécheurs, de ce temps favorable
pour la pénitence : c'est dans ces jours où
nos efforts seront efficaces : c'est dans ces
jours où nos regrets, nos jeûnes, nos larmes,
nos mortifications, nos prières, nos aumô-
nes auront du prix et de la valeur : les mé-
rites de Jésus-Christ, de sa mère, des mar-
tyrs, des saints, nous seront appliqués.
Ne nous dispensons point de faire péni-
tence dans un temps où l'on nous offre tout
ce qui peut la rendre suffisante, cilicace et
agréable à Dieu.
CHAPITRE II.
Il faut travailler à détruire les habitudes du
pèche', pour profiter de la grâce du jubilé.
On ne saurait assez déplorer l'aveugle-
ment de certains pécheurs et de certains
mondains dans ce saint temps : on dirait, à
les entendre, que la grâce dujubilé dispense
des saintes règles de la pénitence.
Frappés de l'indulgence plénière que l'E-
glise accorde à ses enfants, peu touchés de
l'outrage que le péché fait a Dieu , tranquil-
les lorsqu'ils l'ont irrité, rassurés sur une
absolution reçue à la hâte et sans douleur,
uniquement occupés des peines temporelles
qu'on remet, sans attention pour les disposi-
tions qu'on exige, remplis de fausses idées
sur la condescendance des confesseurs, re-
mués, troublés dans leurs désordres, à la
voix des pasteurs qui publient l'indulgence ,
excités parleurs invitations, entraînés par
l'exemple édifiant d'un grand nombre de fidè-
les, ils sedisposent à faire leur jubilé; mais
ils ne se disposent pas à se réconcilier avec
Dieu : c'est une quinzaine de jours qu'ils
dérobent à leurs plaisirs , à leurs satisfac-
tions ; c'est une cérémonie dont ils s'acquit-
teront; c'est peut-être, hélas 1 un sacrilège
qu'ils ajouteront au trésor de leurs iniquités.
Quelle ignorance des règles et de l'esprit
de l'Eglise! Quel aveuglement! Ahl'ne
comptez pas sur la grâce du jubilé, pécheurs
qui ne faites point d'efforts pour rompre vos
criminelles habitudes, dont le cœur est en-
core attaché au péché : l'Eglise, qui vous
annonce cette grande indulgence, vous en
avertit.
A qui la promet-elle? A ceux qui ont une
douleur sincère de leurs péchés, qui les
confessent avec humilité, et qui reçoivent
dignement le corps de Jésus-Christ :Vest à
ces conditions, surtout énoncées dans la
bulle, qu'il faut s'attacher, et c'est ce que
vous ne faites pas ; vous ne faites attention
qu'aux conditions qu'elle exige lorsque vous
êtes réconciliés avec votre Dieu, aux stations,
aux prières courtes et aisées, à de légères
aumônes ; mais prenez garde que l'Eglise ne
vous remet une partie des peines temporelles
dues à vos péchés, que lorsqu'elle vous sup-
pose réconciliés avec Dieu, que vos \ échés
sont remis quant h l'offense.
Or, vous ne pouvez être réconciliés avec
Dieu que lorsque vous ne serez plus dans
l'habitude du péché, que vous l'aurez quille:
un confesseur ne peut et ne doit j as vous
absoudre sans ceia, dans le temps môme du
jubilé; ou vous l'avez trompé, ou il vous a
séduits, s'il vous a admis à la participation
des saints mystères, dans l'habitude du pé-
ché, dans l'occasion prochaine du péché,
dans l'attache au péché. Vous n'êtes pas ré-
conciliés avec Dieu ; vos péchés ne sont pas
remis quant à l'offense; vous méritez les
peines éternelles, et l'Eglise ne remet dans
le jubilé, (pue les peines temporelles dues
aux péchés qui ont été remis : vous ne profi-
tez donc pas de la grâce du jubilé.
Ah! Seigneur, je connais mon aveugle-
£37
INSTRUCTIONS SIR LE JIITLE. - PARTIE I!!, CIÎAP. III.
£93
ment ; je penserai autrement de mon péché
et des liens qui m'y retiennent : Cogitabo
pro peccato mco. (Psak XXXV1Î.) J'exami-
nerai ces acquisitions que j'ai laites dans
des temps de misère, ces héritages qui ont
agrandi mon domaine et que je n'ai point
achetés leur valeur; je restituerai les fruits
injustes que j'en ai tirés; je déchirerai ces
contrats usuraires et je remettrai à mes dé-
biteurs les intérêts que j'ai injustement exi-
gés ; je combattrai mes habitudes crimi-
nelles; j'examinerai si c'est l'intempérance
ou l'avarice, le mensonge ou la médisance,
l'ambition ou l'oisiveté, la volupté ou le jeu
qui forment mon habitude; je la combattrai
et m'efforcerai de Ja détruire avant de me
présenter au tribunal de la pénitence; je
prendrai toutes les mesures, je pratiquerai
Joutes les vertus; je ferai tous les etforts
dont je suis capable, pour triompher des
objets qui me séduisent, rompre les liens
'pii me retiennent dans le péché : CoyiUibo
pro peccato meo.
CHAPITRE 111.
// faut examiner sa conscirnee dans V amer-
tume de son cœur, pour profiter de (a grâce
du jubilé.
Vn défaut dans lequel tombent tous les
pécheurs, qu'une solennité, une cérémonie,
le temps pascal ou le jubilé, conduit au con-
fessionnal, c'est le défaut d'examen.
Ils s'examinent quelques moments avant
de se confesser; ils se représentent certains
péchés qui ne peuvent échapper à leur mé-
moire, qui les troublent et forment un far-
deau qui fait gémir leur conscience; ils s'en
accusent et s'imaginent que toutes les fautes
qu'ils ont oubliées par leur peu d'attention,
leur indifférence, les fausses idées qu'ils con-
çoivent de la bonté d'un Dieu offensé, ne
subsistent plus, sont effacées: défaut qui
rend une confession nulle.
Car, quelle apparence que des péchés que
l'on ne veut point connaître, qu'on se met
peu en peine de découvrir, soient remis
dans le tribunal? Quelle apparence qu'on
n'ait rien à se reprocher, lorsqu'on a donné
moins de temps, moins d'attention pour se
réconcilier avec Dieu, qu'on en donne pour
éviter de se tromper dans les affaires tempo-
relles?
Si Dieu a compassion de notre faiblesse
lorsque nous péchons, nous parJonucra-t-il
notre coupable indifférence, lorsqu'il s'agit
de confesser nos péchés ?
Ah ! si vous voulez profiter de la grâce du
jubilé, commencez donc par vous réconci-
her avec votre Dieu; sondez les abîmes de
votre conscience; fouillez dans les replis les
plus cachés de votre cœur; prenez dans vos
mains la loi du Se.'gneur, ce flambeau écla-
tant, cette lumière "sûre, qui éclairait David
dans tous les sentiers de sa vie (Psa!.
CX VIII) ; repassez, à l'exemple d'Ezéchias,
toutes vos années dans l'amertaïuC de votre
cœur, (/sa., XXXVIII.)
Rappelez-vous le temps de la jeunesse.
que vous avez peut-être passé dans la dis-
sipation, le jeu, les plaisirs et les habitudes
criminelles; vos penchants, vos liaisons, les
mauvais exemples que vous avez donnés ou
ceux que vous avez suivis.
Repassez le temps d'un âge plus avancé,
ce temps où l'on pense à s'établir, à embras-
ser un état : en avez-vous rempli les de-
voirs ? Avez-vous les talents, les veitus
qu'il demande? Avez-vous toujours été des
pères et des mères chrétiens, des enfants
soumis, des maîtres doux, des serviteurs
fidèles? Vos mains ne sont-elles pas souil-
lées par l'injustice, votre langue par la mé-
disance, votre cœur par de mauvais désirs,
votre corps par quelques actions crimi-
nelles.
Repassez tout ce qui s'est dit dans ce*
conversations, dans ces visites; tout ce qui
s'est passé dans ces spectacles, dans ces as-
semblées, dans ces repas, dans ces longues
séances de jeu, dons ces démarches que
vous avez faites pour obtenir un emploi, un
bénéfice, pour supplanter un concurrent, dé-
placer un voisin, un confrère.
Examinez ce que vous avez acheté et ce
que vous avez vendu ; les clauses de ce con-
trat, de ce marché, de cette acquisition dont
vous êtes si content.
Examinez-vous sur les devoirs de la reli-
gion. L'avez-vous respectée? Ne l'avez-vous
point déshonorée par votre indévotion, mé-
prisée par vos railleries, outragée par vos.
doutes, vos résistances, fait gémir par vos
insultes, vos impiétés? N'avez-vous pas
loué ses ennemis, fait l'éloge de leurs ou -
vrages, applaudi à leur critique?
Le pauvre ne se plaint-il pas de votre du-
reté? La veuve et l'orphelin ne gémissent-ils
pas sous le poids de vos vexations? L'ou-
vrier if attend-il pas après son salaire; vos
domestiques après leurs gages? N'êtes-vous
pas un sujet de scandale pour vos enfants,
vos voisins? Etes-vous des époux fidèles,
des vierges sages?
Ah! peut -on dans quelques moment*
compter, peser, séparer toutes les fautes qui
sont échappées pendant une année entière
et peut-être plus?
Tant de devoirs, tant d'obligations, tant
de faiblesses, de penchants, doivent nous
faire craindre bien des chutes, des infrac-
tions, et nous ne prendrons pas un temps
suffisant pour nous examiner! Quelle né-
gligence ! Quelle témérité!
Si vous voulez vous réconcilier avec Dieu,
profiter do la grâce du jubilé, prenez un
temps suffisant pour examiner dans l'amer-
tume de votre cœur toutes vos actions, vos
paroles, vos désirs, vos pensées; mettez-
vous en état de déclarer à votre confesseur
le nombre, l'énormilé, les circonstances,
l'espèce de vos péchés.
Dites avec l'aveugle de l'Evangile : Sei-
gneur, faites-moi la grâce de voir toute l'é-
tendue, toute l'énoruiité, toutes les suites
de mon infirmité : Domine, utvideam(Marc,
X); que je connaisse bien tous mes péchés,
jpour les pleurer tous, les c&kîiesscr et Isa
589
ORATEURS SACRES. BALLET.
CCO
expier; éclairez mes ténèbres, illumina tene-
bras mcas ; levez le voile qui me cache moi-
même à moi-même; qu'il n'y ait point dans
mon cœur de profondeurs, de replis, de se-
crets que je ne pénètre; point d'idoles que
je n'immole; point de faiblesses, d'inclina-
tions, d'attaches, de désirs, de plaies que je
n'avoue, que je n'expose aux ministres ue
la réconciliation.
Suivez ce plan abrégé, prenez le temps
suffisant pour le réduire en pratiquent vous
vous mettrez en état de faire une bonne con-
fession, d'être réconciliés avec Dieu et de
profiter de la grâce du jubilé.
CHAPITRE IV.
// faut haïr et détester souv(rainement le pè-
che', pour être réconcilié avec Dieu et pro-
fiter delà (jràce du jubilé.
Le péché est le souverain mal. Dieu Ieha;t
souverainement. Avec quelle sévérité ne
l'a-l-il l'as punidanstous les temps?
Le crime, les complices du crime, tout ce
qui avait servi au crime, les traces mêmes
du crime ont éprouvé les rigoureuses ven-
geances que Dieu exerce contre le péché.
Avec quelle sévérité n'a-t-il pas traité son
propre fils, parce qu'il s'était chargé de nos
iniquités? Le spectacle seul du Calvaire doit
nous convaincre de la haine que Dieu porte
au péché.
Considérons aussi tous ces élus, ces justes
morts dans la grâce et la charité, et qui ce-
pendant sont encore éloignés de sa face ado-
rable, repoussés par le bras de sa justice,
lorsqu'ils s'élancent vers lui, et souffrent
quelquefois des temps considérables dans le
purgatoire. N'est-ce pas parce que Dieu \ unit
jusqu aux traces du péché, les restes du péché
remis par rabsolutiou sacramentelle, le dé-
faut môme de sévérité dans la pénitence
qu'on a exercée? Jugeons de là de la haine
que Dieu a du péché.
Or, peut-on être réconcilié avec Dieu, si
on ne hait i as le péché comme lui, si on ne
le hait pas souverainement, si on ne le hait
pas toujours dans toutes les circonstances,
si on ne hait pas les péchés qui paraissent
les plus légers, les plus pardonnables à la
jeunesse, à la faiblesse humaine, aux hom-
mes environnés d'écueils et dans des posi-
tions délicates?
Quoi! vous irez vous présenter au tribunal
delà pénitence, confesser vos péchés , en
demander l'absolution, et vous les aimerez
encore ; vousy serez encore attachés ! Fausse
pénitence. Vous ne serez point réconciliés:
il uy a que \l> haine que vous concevez de
vos péchés, dit saint Augustin (inpsal. XXX,
eonc. 1), qui puisse vous assurer do la sin-
cérité (le votre pénitence: Pœnitcnliam cer-
tain non facit, nisi odium peccati.
Savez-vous la première chose que le pé-
nitent doit faire, dit 'saint Ambroise, lors-
qu'il veut se réconcilier avec son Dieu? C'est
de condamner son péché, de le haïr souve-
rainement, d'être saisi d'horreur de l'outrage
qu'il a t'ait à Dieu, des biens précieux qu'il
lui a enlevés, des plaies qu'il a faites à son âme,
ties taches honteuses dont il l'a souillée,
des châtiments redoutables qu'il lui a méri-
tés. Pœnitens débet prias damnare precatum.
Or, lorsque vous excusez votre péché, que
vous le regardez comme une suite néces-
saire de votre faiblesse, de votre tempéra-
ment, des tentations qui vous attaquent, des
dangers qui vous environnent, comme une
suite nécessaire de votre état, de votre rang,
des circonstances embarrassantes, délicates
où vous vous trouvez souvent; lorsque vous
le comparez avecd'autres plus énormes pour
le rendre moins odieux, vous le pardonner
plus aisément, et le commettre avec moins
de remords, haïssez-vous votre péché, le
détestez-vous comme Dieu l'exige? Et, par
une conséquence juste, pouvez- vous vous
ilatter d'être réconciliés dans le tribunal de
la pénitence?
Ah! Seigneur , je gémis sous le poids de
mes péchés; c'est un fardeau pesant qui
m'accable : omis grave (Psal. XXXVII); c'est
le démon qui me l'a imposé, c'est ma volonté
qui l'a accepté, c'est la corruption de mon
cœur qui me le fait porter si longtemps, c'est
l'aveuglement de mon esprit qui me le fait
paraître si doux, si léger. Présentement
j'en ai horreur, je le déteste, je veux m'en
décharger, ô mon Dieu! recouvrer ma liber-
té; délivrez-m'en par votre miséricorde,
Seigneur; je promets de préférer la mort aux
moindres infractions de votre sainte loi.
O péché 1 ô attentat énorme contre Dieu 1
ô néant révolté contre la divinité ! Je vous
éviterai. Vos images les plus séduisantes me
causeront autant de frayeur que la vue du
serpent. [Eccli., XXI.)' Mon cœur ne s'ou-
vrira plus pour recevoir vos plaies moitel-
les.. Je ne craindrai que vous, je ne haïrai
que vous.
Les plaisirs, les richesses, les honneurs,
les succès avec le péché le plus léger même,
n'auront aucun attrait pour moi.
Je ne balancerai pas à les sacrifier poujr
éviter le péché. Les privations, les infirmi-
tés, les menaces, les tourments, la mort
même, n'auront rien d'effrayant pour moi,
lorsqu'il faudra vous offenser, pour les évi-
ter. Partout où je verrai le péché, je n'y trou-
verai «pie l'objet de ma haine et de mon in-
dignation.
Un pénitent dans ces sentiments
compter sur le pardon de ses péchés
grâce du jubilé.
CHAPITRE Y.
Très-peu de personnes conçoivent de la dou-
leur de leurs péchés, et les pleurent comme
de vrais pénitents.
L'on dit ordinairement que l'on n'est pas le
maître de ses pleurs; que l'on' petit être tou-
ché d'un vrai repentir sans répandre des' lar-
mes. Je sais qu'il y a des. cœurs plus tendres
les uns que les autres; je sais qu'il y a des
personnes qui se trouvent saisies et serrées
par la douleur sans pouvoir pleurer ; mais
je sais aussi que les larmes annoncent ordi-
doit
et la
COI
INSTRUCTIONS SUR LE JUBILE.
PARTIE III, CIIAP. VI.
602
na' rcment la douleur du cœur, et que les
plus célèbres pénitents n'ont cessé de pleu-
rer leurs péchés, même après qu'ils leur
avaient été remis.
David arrosait le pavé de ses larmes ; il en
répandait aussi abondamment pendant la
nuit. Saint Pierre pleura amèrement son pé-
ché toute sa vie. La femme péjheresse bai-
gna les pieds du Sauveur dans la salle du
pharisien. Les larmes ont toujours annoncé
la douleur des vrais pénitents. Si vous no
pleurez pas après avoir péché, dit saint Ber-
nard (in caprte Jcjnnii, serin. 2), vous n'en
concevez pas une juste idée; vous ne sentez
pas les plaies mortelles que le péché a causées
a votre âme. Si non plangis, non sentis ani-
mœ vulnera.
Pourquoi ces personnes, dont le cœur est
si tendre, qu'un récit louchant, la représen-
tation d'une pièce de théâtre, les malheurs
d'un héros fabuleux remuent et font pleurer,
ne pleurent-elles pas leurs péchés et les plaies
de leur âme?
Pourquoi ces mêmes personnes qui sont
inconsolables à la mort d'un parent, d'un
ami, qu'une disgrâce, une peste, une trahi-
son, une infidélité, font fondre en larmes,
ont-elles des yeux si secs, sont-elles si in-
différentes, lorsqu'il s'agit du péché qui a
souillé leur âme et provoqué la colère du
Seigneur?
Pourquoi voyons-nous des femmes répan-
dre des larmes abondamment sur la perte
d'un objet criminel, sur les événements les
plus imposteurs, au lieu de pleurer sur les
plaies de leur âme; des hommes touchés,
inconsolables d'un accident, d'un malheur
qu'ils ne pouvaient éviter, et tranquilles et
satisfaits après les plus grands désordres et
exposés à un malheur éternel ?
Tout cela ne prouve-t-il pas que l'on ne
sent pas les plaies de son âme, l'outrage que
le péché fait à Dieu? On a des larmes à ré-
pandre, mais on les réserve pour les repré-
sentations, les pertes des objets, les événe-
mentsdu monde ; on en a point pour pleurer
la perte de la giâ e et celle de son âme , les
outrages faits à un Dieu bon et patient.
Ah! pénitents de cérémonie, vous ne sen-
tez pas le malheureux état de votre âme,
puisque vous ne pleurez pas. Si non plangis,
non sentis animœ vulnera.
Savez-vous, dit saint Bernard {De modo
bene vivendi ad sororem, 27), dans un autre
endroit, qu'il n'y a rien de plus honteux, de
plus criminel et de moins pardonnable aux
yeux de Dieu, que de connaître ses crimes,
les confesser, et ne les point pleurer : Nihil
pjuSj quam culpam cognoscere, et non flcre.
Cjuoi ! vous avez offensé un Dieu qui vous
a comblés de ses grâces et de ses bienfaits;
un Dieu qui a dissimulé vos mépris et vos
attentats, un Dieu qui pouvait vous écraser
de la foudre dès votre première révolte, et
vous précipiter dans des feux éternels; un
Dieu qui vous a attendus avec patience, qui
vous reçoit avec bonté, et vous ouvre son
cœur tout indigne que vous soyez d'y entrer,
et votre cœur ne sera point brisé de dou-
leur; vous n'exprimerez pas vos regrets
par des larmes de componction?
Quoi ! vous rappellerez à votre mémoire
la multitude de vos iniquités, vous en expli-
querez aux prêtres le nombre, les circons-
tances, la malice, les suites funestes; votre
foi vous fera apercevoir un cœur corrompu,
une chair souillée, une âme couverte de
plaies mortelles, un enfer creusé sous vos
pieds, un Dieu irrité qui attend encore votre
repentir, vos larmes, et vous ne serez pas
pénétrés de la plus vive douleur? vous ne
pleurerez pas ! vous ne sentez donc pas en-
core le malheureux état de votre âme? Si
non plangis, non sentis animœ vulnera.
Ah! que le nombre despécheurs est grand !
que le nombre des vrais pénitents est petit !
Beaucoup qui environnent, qui assiègent
les confessionnaux dans ce saint temps avec
l'histoire de leurs péchés dans la mémoire,
mais sans douleur, sans com| onction, sans
larmes, par conséquent très-peu qui sont
véritablement réconciliés avec Dieu, et pro-
fitent de la grâce du jubilé.
Divin Jésus, accordez-moi le don des
grâces pour pleurer mes péchés; mais de
ces larmes amères, précieuses à vos yeux,
de ces larmes qui vous touchent et lavent
les péchés.
J'ai fait une perte, ô mon Dieu! qui ne
peut être réparée que par votre sang ado-
rable, l'étendue de vos [dus grandes misé-
ricordes, la perte de mon âme que vous
avez rachetée, de mon Dieu que j'ai outragé,
du ciel dont je me suis rendu indigne, des
grâces dont j'ai abusé, d'un temps de clé-
mence que j'ai laissé écouler sans en pro-
fiter.
Ah! mes yeux, fondez en larmes, arrosez
le pain que je mange, le lit sur lequel je
repose, purifiez cette chair coupable , le-
temps de la clémence n'est pas encore écoulé,
j'espère encore dans les îuiséricordes de
mon Dieu.
CHAPITRE VI.
Où on continue de prouver quil faut pleurer
ses pèches, et qu'il y en a très-peu qui don-
nent des preuves d'un sincère repentir.
Saint Cyprien ne fait point difficulté do
dire, que'ccux qui ne conçoivent pas une
juste idée de l'énormité et de la grandeur du
péché, qui ne le pleurent point, sont frappés
d'un aveuglement spirituel qui est le plus
redoutable châtiment pour un chrétien qui a
encore de la foi : Percussi sunt animi cœ-
cilate.
C'est cet aveuglement, continue ce saint
docteur, qui rend les pécheurs sensibles à
l'outrage que le péché fait à Dieu, aux feux
éternels qu'il allume; c'est lui qui les rend
tranquilles et satisfaits, lorsqu'ils devraient
gémir et pleurer; c'est lui qui leur cache
tellement la laideur du péché, ses suites
funestes , qu'ils ne la regardent pas com-
me le souverain mal, un attentat rju'ils de-
vraient pleurer toute lenr vie h 1 exemple
des saints pénitents: Ut net intelligantdelicta,
necplangant.
•*■
603
ORATEURS SACRES. BALLET.
OOi
Un seul péché moi-tel suffirait pour des
pleurs éternels. Qu'ai-je fait, quand j'ai pé-
ché? Je me suis révolté contre mon Dieu,
j'ai méprisé sa loi , j'ai outragé sa sainteté,
j'ai souillé mon âme, rendu inutiles le sang
et les mérites de Jésus-Christ, je me suis
rendu digne de l'enfer ; la différence qu'il y
a entre moi et un réprouvé, c'est qu'il est ar-
rivé au terme, et que je suis encore dans la
voie ; c'est qu'il ne peut plus faire une péni-
tence méritoire , et que je peux expier mes
péchés; c'e.^t que ses- regrets sont inutiles,
et moi je peux toucher mon Dieu par mes
pleurs et mes gémissements; c'est qu'il
est passé sous le règne d'une justice rigou-
reuse et inexorable, et que je suis encore
sous un règne de miséricorde et de grâce ;
mais que la mort me surprenne aujourd'hui,
que Dieu irrité de mes péchés me cite pré-
sentement à son tribunal; n'ai-je pas lieu de
craindre le sort de réprouvé? Faut-il être
plus coupable que je le suis pour mériter
l'indignation éternelle de Dieu?
Ah! peut on faire de ces réflexions sans être
saisi d'une crainte salutaire, sans être touché
de la bonté d'un Dieu qui nous attend, sans
être effrayé des maux dont nous sommes
menacés, sans répandre des torrents de
larmes ?
Jésus-Christ a pleuré sur l'ingrate Jérusa-
lem, dit saint Ambroise (De pœnitenlia, lib. II,
cap. 3J, parce qu'elle ne voulait pas pleurer
ses crimes, son aveuglement et sa ruine pro-
chaine,7«<a ipsa flcre nolebat.
Ah ! voufez-vous forcer Jésus-Christ à ré-
pandre des larmes sur votre âme, parce que
vous ne voulez pas pleurer vos égarements
passés, profiter des visites de la grâce, du
temps d'indulgence, et que vous attendez le
pardon des péchés que vous ne détestez point
et ne pleurez pas.
Dieu fait reprocher à son peuple ses pé-
chés, ses prévarications; on lui rappelle l'his-
toire de sa désobéissance, et ce peuple, au
récit de ses iniquités, est touché, attendri;
il rougit de ses coupables excès, et d'avoir
abandonné un Dieu si bon, qui le recherche
jusque dans ses égarements, lui offre le par-
don de ses crimes, lors môme qu'il ne pense
pas à retourner à lui parla pénitence; une
douleur vive et sincère pénètre son cœur; il
verse des torrents de larmes : Cum loquere-
tur angélus Dominiad filios Israël, fleverunt.
(Judic., IL) Larmes abondantes, amères, cé-
lèbres dans l'Ecriture, et qui ont fail appeler
le lieu où il les répandit, le lieu des pleurs :
Yocatum est nomen loci illius, locus flentiam,
sive lacrymarum. (lbid.)
Ah ! pécheurs qui vous disposez à vous
réconcilier avec Dieu, s'il y a un lieu qui
doive être arrosé de vos larmes, c'est sans
doute le saint temple, le tribunal de la péni-
tence, où vous allez raconter ^histoire hu-
miliante de vos désordres; c'est là que la
vue d'un Dieu qui vous offre le pardon de
vos crimes doit toucher votre cœur, exciter
en vous une salutaire componction, et faire
couler des larmes de ves yeux; mais hélas!
vous n'avez pas souvent cette consolation,
ministres de la réconciliation; les confes-
sionnaux sont environnés dansce sainttem js,
comme la piscine probatique, d'une foule de
malades, mais de malades qui ne veulent pas
guérir, qui ne sentent point la grandeur de
leur mal ; on s'accuse des plus grands crimes
sans douleur, sans componction.
Vous voyez des hommes attachés au char
du démon depuis plusieurs années, qui ne
sont point touchés de leur esclavage; ils
vous découvrent des plaies invétérées qui
vous effrayent, et ils n'en connaissent pas le
danger; ils vous annoncent les malheurs de
leurs âmes sans répandre de larmes; vous
tremblez pour eux à la vue des saintes règles
de la pénitence qui vous obligent de vous
assurer de la contrition des pécheurs avant
de les réconcilier, parce qu'ils n'en donnent
aucun signe extérieur. An! qui ne tremble-
rait pas pour des pécheurs qui ne sont ni
touchés ni contrits!
CHAPITRE VII.
La bonté d'un Dieu qui use d'indulgence di-
vers nous, et nous remet beaucoup dans i e
saint temps, doit exciter noire amour.
L'on est obligé de s'exciter à l'amour de
Dieu, lorsqu'on se présente au tribunal de
la pénitence.
Le saint concile de Trente (sess. vi,can. G)
déclare que Dieu ne se réconcilie qu'avec
les pécheurs sincèrement touchés, véritable-
ment contrits, et qui commencent à l'aime*
comme source de toute justice : Tanjuam
omnis justitiœ fontem.
Il y a une crainte salutaire qui trouble le
pécheur salutairemcnt, qui répand une sainte
frayeur des jugements de Dieu dans son
âme, l'excite, le remue; cette crainte ne-
rend pas plus hypocrite, comme le veulent-
les hérétiques; elle est un don du Saint-Es-
prit. Cependant, ajoute le saint concile de
Trente, elle ne fait que disposer à la récon-
ciliation; elle n'obtient pas la rémission des
péchés; il faut une douleur intérieure, un
vrai repentir, un sincère propos de changer,
une haine souveraine du | éché, un cœur
tourné du côté de Dieu, qui soupire après
lui, le désice, et commence à l'aimer comme
la source de toute justice : Tanquam omnis
justitiœ fontem.
Or, ce n'est pas seulement un Dieu, le
principe de toute justice, de toute sainteté,
de toute-puissance, qui demande votre cœur
aujourd'hui; c'est un Dieu de miséricorde,
de patience, de clémence; un Dieu qui vous
appelle avec tendresse, qui vous offre le
pardon de toutes vos fautes, qui suspend ses
rigueurs pour vous accorder des indulgen-
ces, qui vous remet beaucoup.
Ah ! notre cœur est encore bien attaché ai
monde, aux créatures, aux objets de notre
péché, si nous ne le donnons pas à notre
Dieu dans le temps qu'il nous accorde kvs
grâces les plus précieuses!
Quels sont les pécheurs sur lesquels Dieu
fait le plus éclater son amour dans ce saint
temps? Quiscrgo eumghis diHgit?(Liic,, NIL)
C05
NSTRUCTIONS SLR LE JL'CÎLE,
Ce sont sans doule ceux à qui il remet plus
de péchés, is cui plus donavit. (L«c.,-VII.)
Ime Madeleine, un Saul, un Augustin, une
Marie Egyptienne, voilà des conquêtes pré-
cieuses de sa grâce et de son amour.
Dans ce saint temps, des pécheurs de plu-
sieurs années, courbés sous le fardeau de
leurs iniquités, iniquités de toutes les es-
pèces; des mondains dont la vie n'a été qu'un
désaveu continuel de l'Evangile et de ses
plus saintes maximes; des hommes d'im-
piété, dont les coupables exemples ont fait
gémir l'innocence et la foi des vrais fidèles,
que Dieu cependant touche par sa grâce, que
sa clémence reçoit, auxquels il pardonne, et
remet tous les péchés et les peines qu'ils
méritent; voilà ceux à qui Dieu remet le
plus : Js cui plus donavit.
Or, si ces grands pécheurs éprouvent dans
le temps du jubilé, aussi bien que les plus
célèbres pénitents, une miséricorde plus
étendue, une plus grande clémence, une
grâce plus puissante, une charité plus im-
mense que ceux qui n'avaient pas contracté
des dettes aussi considérables qu'eux, ne
sont-ils pas obligés à une reconnaissance
plus vivo, à un amour plus ardent? Ferme-
ront-ils leur cœur à un Dieu qui leur ouvre
le sien avec tant de bonté?
Ah! pécheurs, vous voulez rentrer en
grâce avec votre Dieu. Vous le pouvez, il
vous appelle, il vous attend, il vous recevra
avec tendresse : soyez sûrs de son cœur, mais
faites aussi attention qu'il veut le vôtre;
vous avez beaucoup péché, aimez beaucoup,
l'amour obtient tout ; tous les désordres dont
Madeleine était coupable lui ont été remis,
parce qu'elle a beaucoup aimé : Remittuntur
ei peccafa multa quia dilexit multum. (Ibid.)
Ah! Seigneur, je vous aimerai, diligam le,
Domine; mon cœur n'est devenu coupable
que pour avoir aimé le monde, ses vanités,
ses plaisirs, ses biens, ses honneurs, et toutes
les idoles de chair qui m'ont souillé et rendu
criminel à vos yeux; dans ma conversion, je
vous le rends, ce cœur que votre grâce a
purifié, et dans lequel vous voulez bien ré-
gner; il n'aimera que vous, parce que vous
seul, Seigneur, méritez d'être aimé : Diligam
te. Domine. [Psal. XVII.)
Je vous aimerai, Seigneur, parce que vous
êtes ma force : Diligam te, fortitudo mca.
(Ibid.) Hélas ! je n'étais fort que pour le mal !
Dès que je voulais secouer le joug du dé-
mon, je sentais ma faiblesse, mon impuis-
sance ; c'est vous qui avez brisé mes liens,
guéri mes plaies , changé mon cœur, com-
mandé aux tempêtes qui s'élevaient dans
mon âme de se calmer, et abattu mes enne-
mis à mes pieds.
Je vous aimerai, Seigneur, parce que vous
êtes mon libérateur, liberator meus. (Pi-al.
LIX.) De quel honteux esclavage ne m'avez-
vous pas délivré, ô mon Dieu! Le démon
me tenait attaché à son char, le monde exer-
çait sur moi un empire absolu, ses lois, ses
maximes, ses usages, ses caprices faisaient
la règle de ma vie criminelle ; mes fiassions
me tyrannisaient en souveraines, j'en étais
PARTIE III, CHAP. VIII. COtf
le jouet, l'esclave; j'en aurais été un jour la
triste victime, si vous n'étiez pas venu à mon
secours.
Je vous aimerai, Seigneur, parce que vous
me recevez aussi avec bonté : susceptor
meus. (Psal. XVII.) Vous ne rejetez pas un
malheureux qui vous a oublié, outragé si
longtemps; il trouve encore votre cœur ou-
vert pour le recevoir, vos bras étendus pour
l'embrasser; il éprouve toute l'étendue de
votre clémence, vous lui pardonnez ses pé-
chés, et toutes les peines qu'ils méritent.
Ah! mon cœur, ne soyez tendre, ne soyez
ardent que pour aimer votre Dieu; que lui
seul y règne, l'occupe; que tous les objets
qui l'ont occupé ou partagé, en soient ban-
nis oour toujours.
CHAPITRE VIII.
Dans quels sentiments on doit prier dans ce
temps de jubilé.
Jésus-Christ a dit : Demandez, et vous re-
cevrez : Petite et accipietis. (Joan., XVI.)
Admirons la bonté d'un Dieu qui attache àia
prière d'une créature les grâces dont elle
a besoin pour vivre sur la terre, et y mériter
à la fin de son pèlerinage un bonheur éternel.
Quel est le monarque, quel est le puissant
du siècle, quel est le riche qui vous dise,
demandez et vous obtiendrez sûrement? Ah 1
il n'y a qu'un Dieu qui puisse accorder des
grâces à tous ceux qui lui exposent leurs
besoins ; la source de ses dons ne diminue
jamais.
Recourez donc tous à votre Dieu dans ce
saint temps; environnez le trône de ses mi-
séricordes, il est près de vous : Invocate
Dominum dum prope est. (Isa., LV.)
Priez, pécheurs, pour obtenir la grâce de
votre conversion, la componction, Je don
des larmes, le temps et le courage d'expier
vos péchés par de saintes rigueurs; Dieu
exauce les pécheurs touchés, pénétrés de
leur misère ; la grâce de la prière ne leur
manque jamais; plus l'abîme où vous êtes
tombés est profond, plus vous devez crier
vers le Seigneur qui seul peut vous en re-
tirer.
Priez, justes, pour persévérer dans la jus-
tice et vous sanctifier de plus en plus; poussez
les gémissements de la colombe; les écueils,
les dangers, les maximes du monde deman-
dent des intercesseurs zélés.
Mais priez tous dans des sentiments d'hu-
milité, de paix et de charité.
Sentez votre misère, pensez que vous
êtes des pauvres qui frappez à la porte du
ciel pour en obtenir des grâces -précieuses,
et que l'orgueil, le faste, l'amour-propre ne
conviennent pas à un pécheur qui veut ob-
tenir miséricorde.
Aimez la paix et l'union, pensez qujl
faut remettre à votre frère les outrages qu'il
vous a faits, avant que Dieu vous remette les
péchés qui l'ont offensé? Quel crime ! si vos
ennemis ne trouvaient point une place dans
votre cœur, dans le temps même que Diea
vous en offre une dans le sien, et si vous
f>07
ORATEURS SACRES. BALLET.
C08
r.e vouliez pas prier pour ceux que Dieu a
appelés comme vous, et veut combler des
mêmes grâces.
Priez pour l'Eglise affligée de l'incrédulité,
de la résistance , et de l'indévotion d'un
grand nombre de ses enfants; si vous l'ai-
mez, si vous lui êtes soumis, vous devez
partager sa douleur, et pleurer avec elle la
perte de tant d'âmes.
Adressez aussi vos vœux au Seigneur
pour la prospérité et la tranquillité de ce
royaume, la conservation et le salut d'un
monarque cher à son peuple, d'une reine
qui donne des exemples de la plus haute
sainteté à la cour de France, de Monsieur le
dauphin et Madame ladauphineque les liens
précieux de la vertu et de l'amitié unissent
si parfaitement, et qui ne demandent au ciel
un prnee que pour assurer notre bonheur.
Se;gneur, qui ouvrez les trésors de vos
grâces dans ce saint temps, qu'elles coulent
sur toutes les nations, sur toutes vos créa-
tures; que les idolâtres brisent leurs vaines
idoles, que les hérétiques reconnaissent leurs
erreurs, que les schismatiques rentrent dans
ie sein de l'Eglise, que le règne de l'incrédu-
lité, de l'irréligion et du vice soit détruit,
alin que votre saint nom soit sanctifié , béni
et adoré sur toute la terre comme il l'est
dans le ciel. Ainsi soit-il.
CHAPITRE IX.
Dans quel esprit on doit faire les stations or-
données par le souverain pontife.
Malheur à ceux qui n'évitent pas les abus
que le monde mêle ordinairement dans les
choses les plus saintes.
C'est une ruse du démon défaire perdre
aux fidèles le fruit des plus grandes solenni-
tés par les péchés, les irrévérences qu'il leur
fait commettre dans ces jours de miséricorde
et de salut.
Faites exactement le nombre des stations
marquées dans la bulle de Sa Sainteté, et
dans l'ordre qui vous est prescrit par votre
évoque, n'en omettez aucune, à moins que
vous n'en soyez dispensés légitimement.
C'est une condition essentielle.
L'Eglise, qui vous remet les peines tempo-
relles dues à vos péchés, a droit de vous im-
poser des œuvres pénibles, et de vous en
fixer le nombre.
Elisée envoya Naaman se laver sept fois
dans l'eau du Jourdain pour obtenir la gué-
rison de sa lèpre (IV Rer/., V), que Dieu
pouvait sans doute guérir sans <*ela.
Pensez que ces courses, ces visites, quel-
que pénibles qu'elles vous paraissent, n'ap-
prochent pas de la pénitence et des rigueurs
que.méritent vos péchés; peuvent-elles être
mises en parallèle avec ces longs et dange-
reux pèlerinages auxquels on obligeait au-
trefois certains pécheurs qui n'étaient pas
peut-être plus coupables que vous?
Si vous assistez aux processions générales,
que le recueillement, la modestie, la com-
ponction vous accompagnent; l'cspritdeDieu
iw retrouve point dans le trouble, l'ag'la-
tion : ce sont les cris et les gémissements du
cœur qui l'attirent, c'est la voix de la charité,
de la douleur, des gémissements, qui fait au
ciel une sainte violence.
Si vous faites vos stations en particulier,
évitez la dissipation ; ne vous associez pas
avec ceux qui pourraient diminuer votre
piété, et par des entretiens inutiles ou peut-
être peu charitables, vous faire perdre le
fruit de votre pénitence.
Lorsque vous êtes entrés dans le saint
temple, commencez par y adorer Dieu qui
repose dans son sanctuaire; donnez l'exem-
ple à ceux qui vous accompagnent en leur
disant avec David : Tenez, adorons Dieu,
prosternons -nous au pied du trône de sa
clémence, arrosons-le de nos pleurs. (Psal.
XCIV.)
Invoquez ensuite les saints sous l'invoca-
tion desquels ces temples sont consacrés à
Dieu, et ceux dont vous révérez les pré-
cieuses dépouilles qui y reposent.
Proposez-vous de les imiter; les uns ont
été les martyrs de la foi, les autres ont été
les martyrs de la sévérité de l'Evangile:
Malheur à celui qui fait V œuvre, de Dieu né-
gligemment.(Jerem.,\LYUl.] Evitez par votre
piété et votre ferveur cette terrible malédic-
tion.
CHAPITRE X.
Les sentiments que Von doit exciter dans son
cœur avant d'aller se confesser pour le
jubilé.
Je suppose une personne qui veut sincè-
rement rentrer en grâce avec Dieu et profi-
ler ensuite de la grâce du jubilé; qui n'a pas
choisi parmi les ministres de la réconcilia-
tion celui qui se distingue des autres par una
sévérité outrée ou par un pernicieux relâ-
chement, l'Eglise condamne ces deux extré-
mités vicieuses, mais un ministre éclairé,
prudent, pieux, habile dans l'art de conduiie
les âmes.
Voici les sentiments qu'elle doit exciter
dans son cœur :
1° Des sentiments d'indignation contre
elle-même. Lorsque David fut sincèrement
touché de son péché, il dit : J'avouerai l'ini-
quité dont je suis coupable, ô mon Dieu ! Je
ne m'excuserai point, et vous m'en accorde-
rez la rémission : Confitcbor adversum vie
iniquitatem meam. (Psal. XXXI.)
Oui, Seigneur, je suis coupable; je pou-
vais éviter ce péché qui a souillé mon âme,
cette injustice qui a souillé mes mains, celte
colère, cette médisance , ce mensonge, cette
intempérance, toutes ces fautes qui ont scan-
dalisé mes frères ; je ne m'excuserai pas sur
ma faiblesse, sur les tentations, les dangers,
les 'peines, les affaires, les caractères des
personnes avec lesquelles j ai vécu; je suis
coupable, je me suis abandonné librement:
toute l'indignation que mérite le péché doit
retomber sur moi seul : Confitcbor adversum
me.
2° Des sentiments de componction. Le pé-
cheur aux pieds d'un prêtre a-t cet enfant
€09
INSTRUCTIONS SIR LE JIJRILE. — PARTIE III, CIIAP. XII.
CIO
prodigue qui a dissipé ses biens dans de
honteux plaisirs.
Oui, mon Dieu, j'ai péché contre le ciel
et contre vous, je ne suis pas digne que vous
nie mettiez au nombre des justes qui sont
demeurés fidèles; je reconnais mon indignité,
et la clémence dont vous usez envers moi
aujourd'hui me fera pleurer sans cesse mas
égarements passés.
3° Des sentiments de confiance. Je serais
absolument abattu et sans espérance, ô mon
Dieu 1 si je ne faisais attention qu'à la mul-
titude de mes iniquités; mais, pour m'en-
courager à la pénitence, j'implore toute l'é-
tendue de vos miséricordes ; je suis sûr que
vous ne rejetterez pas les gémissements, les
regrets, les larmes d'un pécheur qui retourne
sincèrement à vous.
Ahl ceux-là ne connaissent point votre
cœur ni votre penchant à pardonner, qui
disent comme Cain, mon péché est trop grand
pour que je puisse en espérer le pardon. (G en.,
IV.) Le nombre de mes péchés est infini, ô
mon Dieu! mes plaies sont profondes, mes
habitudes sont invétérées ; mais votre misé-
ricorde est infinie, votre grâce toute-puis-
sante! Si je crains tout de moi-môme, j'es-
père tout de votre bonté.
k° Des sentiments d'obéissance et de sou-
mission. Seigneur! ce sont des hommes que
vous avez revêtus de votre puissance pour
m 'absoudre de mes péchés ouïes retenir;
c'est vous que j'écouterai en les écoutant.
Ah ! j'entendrai avec une salutaire confusion
les reproches qu'ils me feront de votre part;
j'accepterai les saintes rigueurs qu'ils m'im-
poseront, je suivrai les avis salutaires qu'ils
me donneront; aumônes, jeûnes, privations,
ruptures, sacrifices, tout cela sera accepté et
exécuté s'ils l'exigent, et j'adorerai encore
votre miséricorde qui se contente d'une pé-
nitence si courte et si facile.
CHAPITRE XI.
Les sentiments que l'on doit exciter dans son
cœur avant de communier pour gagner le
jubilé.
C'est dans le sacrement de nos autels que
vous donnez, ô mon divin Jésus ! des preuves
d'un amour tendre, ardent, magnifique ; j'a-
dore les prodiges de votre excessive charité
pour les hommes !
Ce miracle continuel de votre amour ingé-
nieux, qui vous reproduit tous les jours et à
tous les instants dans les mains des prêtres
pour être ma nourriture, qui cache votre
éblouissante majesté et l'éclat de votre gloire
sous ses sombres voiles, pénètre mon cœur,
et vc us l'ouvre aujourd'hui pour toujours.
Vous avez dit dans vos Ecritures que vous
faisiez vos délices d'être avec les entants des
hommes. (Prov., VIII.)
O divin Jésus! vous faites vos délices
d'être avec les enfants des hommes; et pour
satisfaire votre inclination miséricordieuse,
vous vous cachez dans le fond u'un taber-
nacle, vous habitez un sanctuaire qui est
souvent profané par des irrévérences, pour
vousentreteniravecquelquesjustes qui vous
visitent dans cette solitude sa<rée; voussup.
portez les mépris, les froideurs, les outrages
d'une infinité de pécheurs. Quel excès de
clémence !
Ah! mon Dieu, que je fasse dorénavant
mes délices d'être avec vous; que je vous
prépare une demeure pure et sainte, et que
je pleure les coupables douceurs qui m'ont
privé si longtemps de votre chair adorable.
Seigneur, ne pourrais-je pas vous dire
avec saint Pierre de vous éloigner de moi,
parce que je suis un pécheur. (Luc, V.)
Hélas ! si je fais attention à l'abîme de
votre très-sainte majesté et à l'abîme de ma
misère, je n'oserai jamais vous recevoir ; je
craindrai de ne pas être assez purifié; j'ap-
préhenderai que vos ministres n'aient usé
d'une trop grande indulgence envers moi.
Préparez vous-même mon cœur par votre
grâce; purifiez-le par le feu de votre divin
amour, afin qu'il soit digne de vous.
O mon divin Sauveur ! quand vous demeu-
rerez en moi, et que je demeurerai en vous ;
quelle joie ! quelles délices I quelles conso-
lations mon âme ne goûtera-t-elle pas! O
malheureuses habitudes! ô honteuses pas-
sions! O trompeuses douceurs du monde!
Pourquoi vous ai-je préférées aux célestes
délices dont mon âme est saintement enivrée
dans la communion? Sans vos charmes sé-
duisants et les plaies que vous faisiez à mon
cœur, j'aurais~pu environner souvent la table
sacrée, et me nourrir du pain des anges;
mon âme n'aurait pas été privée si longtemps
de son Dieu.
Ah! Seigneur, mon unique douleur dans
la suite sera d'être privé de la communion,
de n'être pas assez pur, assez saint pour vous
recevoir; je me précautionnerai contre le
péché ; je confesserai avec douleur les fautes
qui me seront échappées; cène sera point
la solennité pascale, le jubilé ou les appro-
ches de la mort qui me feront communier,
mais la foi, l'amour, un désir ardent de m'u-
nira vous et de vous posséder; confirmez, ô
mon Dieu! ces projets de mon cœur.
CHAPITRE XII.
Il faut conserver précieusement les grâces
qu'on a reçues dans le temps du jubilé.
Jésus-Christ trouva dans le temple le pa-
rai} tique qu'il avait guéri le jour du sabbat,
et dont la guérison avait soulevé tous les
pharisiens, et il lui dit : Vous voilà guéri ;
ne péchez point davantage, de crainte que
vous ne tombiez dans un état plus funeste
et [dus malheureux que le premier: Ecce
sanus factus cs,jam noli peccare, ne deterius
libi aliquid contingat. (Joan., V.)
Je sais malheureusement qu'on ne peut
pas dire de tous ceux qui ont approché des
sacrements, fait des stations, et ce qu'ils ap-
pellent le jubilé, qu'ils sont guéris. Combien
qui ne l'ont fait que comme une cérémonie
extérieure, sans componction, sans amour,
sans aucun changement dans le cœur et dans
C1T
ORATEURS SACRES. LE P. SURIAN
613
la conduite, et par conséquent qui n'ont
point profité de cette grâce précieuse 1
Je parle à un chrétien qui a apporté les
dispositions nécessaires pour être réconcilié,
et je lui dis : Vous voilà guéri : Ecce sanus
fucttts es; vos liens so:;t brisés, vos péchés
remis, votre cœur est purifié, votre âme a
recouvré sa beauté, son innocence; vous
êtes établi dans la paix et l'amitié du Sei-
gneur : Ecce sanus faclus es.
Mais prenez bien garde aux rechutes; crai-
gnez de nouvelles plaies; n'abusez pas de
votre liberté et de la clémence du Seigneur
pour contracter de nouvelles dettes, faire à
votre âme de nouvelles blessures : Jam noli
peccare.
'Sous êtes sorti du tribunal de la pénitence
absous, mais vous n'en êtes pas sorti con-
firmé en grâce; vous portez dans des vases
fragiles les dons précieux que vous avez re-
çus; méfiez-vous de vous-même; fuyez,
priez, veillez, la chair est fragile, l'esprit
est prompt; si l'ennemi vous enlève le tré-
sor que vous possédez présentement , s'il
vous attache de nouveau à son char , si votre
âme reçoit de nouvelles plaies, ce dernier
état sera pire que le premier
Un seul péché mortel vous aura fait perdre
la grâce sanctifiante, le fruit de vos dévotions
passagères, les avantages d'un jubilé que
vous ne reverrez peut-être jamais; vos ha-
bitudes se fortifieront, votre conversion de-
viendra très -difficile; craignez enfin une
rechute; elle vous conduria peut-être à la
réprobation : Jam noli peccare, ne detcrius
tibi uliquid continuât.
Seigneur, aidez-moi, secourez-moi; sans
votre grâce je ne suis que faiblesse; je n'ai
de force que pour m'égarer: assurez-vous
de moi, afin que je ne vous échappe point ;
ie nie propose de conserver les grâces pré-
cieuses dont vous m'avez comblé dans ce
saint temps; mais sans vous, les plaisirs du
monde me séduiront, ses honneurs m'ébloui-
ront, ses biens m'attacheront, mon cœur se
laissera entamer, mes passions se ranime-
ront. Conservez - moi , Seigneur, dans les
saints propos que vous m'avez inspirés; ne
laissez point échapper cette conquête de
votre sang orécieux. Ainsi soit-il.
*EUy.fei4^T;,T-TiigpiMC&ai
NOTICE SUR LE P. SUIUAN.
Jean-Baptiste Surian, de l'Oratoire, évo-
que de Yencc,et prédicateur célèbre, naquit
à Saint-Chamans, en Provence, le 20 septem-
bre 1670 (en 1668, suivant les Mémoires pour
servir à /' Histoire ecclésiastique du xvm' siè-
cle ). 11 entra dans la congrégation de l'Ora-
toire, et se livra h la prédication avec le plus
grand succès. Deux avents et. deux carêmes
qu'il prêcha à la cour, consolidèrent sa répu-
tation et lui valurent, en 1728, l'évêché de
Vence, su tira gant d'Embrun. A la mort de M.
de Coislin, évoque de Metz, il fut nommé mem-
bre de l'Académie française. Son Petit carê-
me, prêché en 1719 pendant la minorité de
Louis XV, a été imprimé en 1768 (Paris,
Nyon, 1 vol. in-12). Ses autres sermons, re-
vus et publiés par l'abbé de La Chambre
( Liège, Broncart, ou Paris, Guérin; 2 vol.
in-12), sont accompagnés d'autres sermons
qui ne sont pas évidemment de la même
plume. Aussi une nouvelle édition de ses
œuvres nous eût présenté d'insurmontables
difficultés, si nous n'avions pas eu l'insigne
bonheur de trouver, à la vente des livres de
Monseigneur Guillon, évoque de Maroc, deux
volumes manuscrits des Sermons de Surian,
suriesquels nous avons confronté l'édition
de Liège. Quelques aimées avant sa mort on
lui avait proposé de les faire imprimer, mais
il répondit que, par inadvertance, le feù avait
pris h ses cahiers et qu'ils avaient été brûlés
on grande partie.' Le soin avec lequel sont
écrits les deux volumes manuscrits dont
nous venons de parler, les nombreuses abré-
viations qui les émaillent, le luxe de la re-
liure, tout fait présumer l'authenticité des
sermons qu'ils renferment, en permettant de
croire qu'ils ont appartenu à l'auteur ou à
sa famille. — Le Sermon sur le petit nombre
des élus passe avec raison pour le chef-
d'œuvre de l'auteur; il est rempli de traits
d'éloquence, et de raisonnements, solides,
qui convainquent l'esprit et touchent le
cœur. Nous regrettons de ne pouvoir donner
son Oraison funèbre de Victor-Amédée III,
roi de Sardaigne, qu'il avait prononcée en
1733; mais nos recherches n'ont pu nous la
faire trouver.
Malgré la distance qui existe entre Massil-
lon et Surian; on lit encore avec intérêt et
plaisir son Petit carême, ne fut-ce qu'à titre de
rapprochement curieux. Ce qu'on peut dire
de Surian, c'est que la parole sacrée n'a pas
périclité en passant par sa bouche, et qu'il
peut tenir une place honorable après nos
plus illustres prédicateurs. 11 mourut le 3
août 175V, et fut remplacé à l'Académie
française par le fameux d'Alembcrt. Nos lec-
teurs liront certainement avec plaisir l'extrait
du discours prononcé par ce philosophe le
19 décembre 1754, et la réponse de Gresset
à ce discours.
EXTRAIT DU DISCOURS DE d'aLEMBERT.
Messieurs,
Monsieur l'évoque de Vence ne fut rede-
vable qu'à lui-même de la réputation et des
honneurs dont il a joui ; il ignora la sou-
plesse du manège, la bassesse de l'intrigue,
et ces antres moyens vils qui mènent aux
dignilés par le mépris : il fut éloquent et ver-
tueux, et mérita par ces deux qualités l'épis-
cojat et vos suffrages. Permettez-moi. Mes-
M3
NOTICE.
PU
sieurs, do commencer l'hommage que je
dois à sa mémoire par quelques réflexions
sur le genre dans lequel il s'est distingué :
j'ai puisé ces réflexions dans vos ouvrages,
et je les soumets à vos lumières.
L'éloquence est le talent de faire passer
rapidement et d'imprimer avec force dans
i"âinc des autres le sentiment profond dont
on est pénétré: ce talent précieux a son ger-
me dans une sensibilité rare pour le grand,
l'honnête et le vrai ; la même agitation de
l'âme, capable d'exciter en nous une émotion
vive, suffit pour en faire sortir l'image au
dehors; il n'y a donc point d'art pour l'élo-
quence, puisqu'il n'y en a point pour sentir.
Ce n'est point à produire des beautés, c'est
à faire éviter les fautes que les grands maî-
tres ont destiné les règles. La nature forme
les hommes de génie, comme elle forme au
sein de la terre les métaux précieux, brutes,
informes, pleins d'alliage et de matières
étrangères. L'art ne fait pour le génie que ce
qu'il fait pour ces métaux , il n'ajoute rien à
leur substance, il les dégage de ce qu'ils ont
d'étranger, et découvre l'ouvrage de la
nature.
Suivant ces principes, qui sont les vôtres,
Messieurs, il n'y a de vraiment éloquent
que ce qui conserve ce caractère en passant
d'une langue dans une autre ; le sublime se
traduit toujours, presque jamais le style.
Pourquoi les Cicéron et les Démosthène
intéressent-ils celui même qui les lit dans
une autre langue que la leur, quoique trop
souvent dénaturés et travestis? Le génie de
ces grands hommes y respire encore, et, si
■on peut parler ainsi, l'empreinte de leur âme
y reste attachée.
Pour être éloquent, môme sans aspirer à
celte gloire, il ne faut à un génie élevé que
de grands objets. Descartes et Newton (par-
donnez, Messieurs, cet exemple à un géo-
mètre qui ose parler de l'éloquence devant
vous) Descartes et Newton, ces deux légis-
lateurs dans l'art de penser que je ne pré-
tends pas mettre au rang des orateurs, sont
éloquents lorsqu'ils parlent de Dieu, du
temps et de l'espace. En effet, ce qui nous
élève l'esprit ou l'âme est la matière propre
de l'éloquence, par le plaisir que nous res-
sentons à nous voir grands ; ce qui nous
anéantit à nos yeux n'y est pas moins propre,
en ce qui semble aussi nous élever, par le
contraste entre le peu d'espace que nous oc-
cupons dans l'univers, et l'étendue immense
que nos réflexions osent parcourir, en s'é-
lançant, pour ainsi dire, du centre étroit où
nous sommes placés.
Rien n'est donc, Messieurs, plus favora-
ble à l'éloquence que les vérités de la reli-
gion; elles nous offrent le néant et la di-
gnité de l'homme. Mais plus un sujet est
grand, plus on exige de ceux qui le traitent
et les lois de l'éloquence de la chaire com-
pensent par leur rigueur les avantages de
l'objet. Presque tout est écueil en ce genre;
la difficulté d'annoncer d'une manière frap-
pante et cependant naturelle des vérités
que leur importance a rendues communes ;
la forme sèche et didactique, si ennemie des
grands mouvements et ues grandes idées;
l'air de prétention et d'apprêt qui décèle un
orateur plus occupé de lui-même que du
Dieu qu'il représente; enfin le goût des or-
nements frivoles qui outragent la ms;esté du
sujet. Des différents styles qu'admet /'élo-
quence profane, il n'y à proprement que le
style simple qui convienne à celle delà chaire;
le sublime doit toujours être dans le senti-
ment ou dans la pensée, et la sinq licite dans
l'expression.
Telle fut, Messieurs, .l'éloquence de l'o-
rateur qui est aujourd'hui l'objet de vos re-
grets ; elle fut touchante et sans art, comme
la religion et la vérité; il semblait l'avoir
formée sur le modèle de ces discours nobles
et simples, par lesquels un de vos plus illus-
tres confrères inspirait au cœur tendre et
sensible de notre monarque encore enfant,
les vertus dont nous goûtons aujourd'hui
les fruits.
Qu'il serait à souhaiter que l'Eglise et ia
nation, après avoir joui si longtemps de l'é-
loquence de mon prédécesseur, pussent en
recueillir les restes après sa mort 1 La lec-
ture de ses ouvrages en eût sans doute jus-
tifié le succès. Mais M. l'évêque de Vence,
par un sentiment que nous oserions blâmer
si nous n'en respections le principe, se dé-
fia, comme il le disait de lui-même, de sa
jeunesse et de ses partisans; il fut trop
éclairé rour n'être pas modeste; son âme
ressemblait à son éloquence, elle était sim-
ple et élevée. La simplicité est la suite or-
dinaire de l'élévation des sentiments, parce
que la simplicité consiste à se montrer tel
que l'on est, et que les âmes nobles gagnent
toujours à être connues.
Enfin, ce qui honore le plus, Messieurs,
la mémoire de M. l'évêque de Vence, c'est
son attachement éclairé ] our la religion. Il
la respectait assez pour vouloir la faire ai-
mer aux autres; il savait que les opinions
des hommes leur sont du moins aussi chères
que leurs passions, mais sont encore moins
durables quand on les abandonne à elles-
mêmes; que l'erreur ne résiste que trop à
l'épreuve des remèdes violents; que la mo-
dération, la douceur et le temps détruisent
tout, excepté la vérité. 11 fut surtout bien
éloigné de ce zèle
aveugle et barbare, qui
cherche l'impiété où elle n'est pas , et qu
moins ami de la religion qu'ennemi des
sciences et des lettres, outrage et noircit des
hommes irréprochables dans leur conduite
et dans leurs écrits. Où pourrais-je, Mes-
sieurs, réclamer avec plus de force et de
succès contre cette injustice cruelle, qu'au
milieu d'une compagnie qui renferme ce
que la religion a de plus respectable, l'Etat de
plus grand, les lettres de plus célèbre ? La re-
ligion doit aux lettres et à la philosophie l'af-
fermissement de ses principes; les souverains,
l'affermissement de leurs droits, combattus et
violés dans des siècles d'ignorance; les peu-
ples, cette lumière générale, qui rend l'auto-
rité plus douce et l'obéissance ulus fidèle.
615
ORATEURS SACRES. LE P. SURIAN.
CiG
péponse de grssset au discours de
d'alembert.
Monsieur,
Dans un jour consacré à la gloire des ta-
lents et des succès, pourquoi faut-il mêler
la voix de la douleur au langage des applau-
dissements? Vous avez tracé, Monsieur, avec
autant de vérité que d'énergie, l'image de
l'illustre prélat que l'Académie française
vient de perdre ; mais nos regrets sont trop
étendus, trop sensibles et trop légitimes
pour ne point arrêter encore un moment
nos regards sur son tombeau. Quelle perte
l'éloquence vient de faire 1 Et quel génie
lumineux viendra dissiper les profondes té-
nèbres qui la couvrent!
Notre siècle n'a que trop de ces esprits
médiocres, de ses talents subalternes qui,
se croyant sublimes, ne peuvent manquer
de se trouver éloquents, et d'être pris pour
tels par le vulgaire de tous les rangs. Dans
toutes les tribunes, ainsi que dans la plu-
part des sociétés , on n'a que trop à essuyer
ou de cette froide éloquence prétendue, qui
n'est qu'une stérile abondance de mots, un
vain étalage de raisonnements sans prin-
cipes et sans objet, un chaos d'idées et de
sentiments sans force et sans chaleur; ou
de cette éloquence ridicule qui n'est que
le langage faible du bel esprit, le jargon
fastidieux de l'antithèse, et la manie puérile
de mettre tout en épigrammes. Pour assurer
à notre siècle une suite nombreuse de pa-
reils déclamateurs, il ne faut que deux qua-
lités qui, malheureusement, ne sont pas
prêtes à manquer: la merveilleuse facilité
de parler longtemps sans avoir rien à dire,
et la confiance intrépide qui accompagne
toujours les talents médiocres et les beaux
esprits sans génie.
Mais qui nous rendra le vrai talent de
parler avec raison, avec force, avec utilité,
ce génie mâle et majestueux, sensible et pé-
nétrant, simple et sublime, dont Athènes et
Rome ont laissé dos monuments que le der-
nier siècle a peut-être surpassés parmi nous,
et que le nôtre n'atteint plus? Qui nous
rendra surtout l'éloquence de la chaire, ce
talent si rare, si difficile et si souvent usur-
pé, ce talent, le premier de tous par la né-
cessité, la grandeur et la supériorité de son
objet? Qui nous rappellera ces orateurs
puissants, ces modérateurs de l'esprit hu-
main, ces maîtres des passions elles-mêmes,
ces ministres vraiment dignes d'annoncer
aux hommes la vérité éternelle, l'unique
vérité devant qui la terre doit rester en si-
lence avec ses maîtres et ses sages? Enfin,
qui ranimera les cendres de l'orateur illus-
tre que nous regrettons aujourd'hui, lo
dernier qui nous restait du siècle de l'élo-
quence véritable, et dont les talents avaient
balancé quelquefois les succès de Massillon?
Il avait comme lui recueilli, dans cette com-
pagnie, l'héritage et la place de Rossuet et
de Fléchier. Nous voyons nos pertes, nous
les pleurons, et nos larmes sont d'autant
plus justes que les dédommagements sont
devenus plus rares, et que l'éloquence sacrée
attend encore ici un restaurateur.
Malgré le faux axiome respecté dans les
écoles, et proscrit par le goût , vous avez
eu raison de dire, Monsieur, qu'on ne doit
la grande éloquence qu'aux dons lumineux,
à l'impulsion rapide de la nature, et non
au pesant secours des règles, ni au pedan-
tisme des préceptes ; le génie ne s'apprend -
ni ne se copie; mais à cette vérité j'en dois
ajouter une plus essentielle encore, et que
la mémoire de M. l'évêque de Vence rap-
pelle naturellement pour sa gloire et pour
l'instruction de ses imitateurs : les dons de
la nature, à quelque degré de perfection
qu'on les suppose, ne sont pas suffisants; le
génie lui-même n'est point encore assez
pour un ministre de la parole sainte, il n'a
rien, il n'arrive à rien s'il ne joint aux ta-
lents et au génie l'autorité de l'exemple et
l'éloquence des mœurs; on n'inspire point
ce qu'on ne sent pas vivement, il faut être
convaincu pour convaincre, et agir pour
persuader; avec toute l'élévation des idées,
foutes les grâces de l'expression et toute la
force du sentiment, on est bien faible contre
les passions d'autrui , quand on est soup-
çonné de les partager, quand on n'est an-
noncé que par la vanité, le désir de plaire et
la profane ambition.
Ce ne fut point sous de pareils auspices
que M. l'évêque de Vence entra dans la car-
rière; rempli des grandes vérités du chris-
tianisme, nourri de l'étude des livres saints,
il n'eut de guide que la religion elle-même;
ses talents pour la chaire furent bientôt pro-
clamés par la voix publique, et ses succès
décidés; il n'était point de ces prédicateurs
frivoles et méprisables, qui à la face des au-
tels mêmes, cherchant moins les palmes du
sanctuaire que les lauriers des spectacles,
viennent montrer qu'ils ne savent que le
langage du monde, ne veulent que lui plaire,
et n'emportent de nos temples, aux yeux du
christianisme et de la raison, qu'une gloire
sacrilège et des succès ridicules. Ses dis-
cours énergiques et 'sensibles, embellis par
toutes les grâces extérieures du talent, rece-
vaient un nouveau poids, une autorité nou-
velle, de la réputation de sa vertu. Solitaire
paisible, philosophe chrétien, sans cabale,
sans protecteur, attendu par un peuple nom-
breux, et sans avoir mendié d'auditeurs, du
fond de sa retraite, il venait apporter la lu-
mière, dévoiler les chimères du monde, les
illusions de l'amour-propre, les petitesses de
la grandeur, la faiblesse des esprits forts, le
néant de la sagesse humaine: il venait con-
soler l'infortune; attendrir la prospérité, ap-
prendre aux impies à trembler, aux incré-
dules à adorer, aux grands à mourir, aux
hommes à s'aimer; il était pénétré, il tou-
chait. 11 n'appartient qu'à la vertu réelle que
donne et consacre la religion , d'élever cette
voix impérieuse qui soumet la raison, qui
fait taire l'esprit, qui parle au cœur et com-
mande le devoir.
La glo>rc qu'il ne cherchait pas, vint le
617
PETIT CAREME. - SERMON I", POUR LA PURIFICATION.
CI3
trouver dans sa solitude, et l'illustrer sans
changer ses mœurs. Arrivé à l'épiscopat sans
brigues, sans bassesses et sans hypocrisie, il
y vécut sans faste, sans hauteur et sans né-
gligence. Ce ne fut point de ces talents qui
se taisent dès qu'ils sont récompensés, de
ces bouches que la fortune rend muettes, et
qui, se fermant dès que le rang est obtenu,
prouvent trop qu'on ne prêche pas toujours
pour des conversions. Dévoué tout entier à
l'instruction des peuples confiés à son zèle,
il leur consacra tous ses -talents, tous ses
soins, tous ses jours, pasteur d'autant plus
cher à son troupeau, que ne le quittant jamais,
il en était plus connu. Louange rarement
donnée et bien digne d'être remarquée : dans
le cours de plus (Je vingt années d épiscopat,
M. l'évêque (Je Venre ne sortit jamais de son
diocèse, que quand il fut appelé par son de-
voir à l'assemblée du clergé; bien différent
de ces pontifes agréables et profanes, crayon-
nés autrefois par Despréaux, et qui regar-
dant leur devoir comme un ennui, l'oisiveté
comme un droit, leur résidence naturelle
comme un exil, venaient promener leur inu-
tilité parmi les écueils, le luxe et la mol-
lesse de la capitale, ou venaient ramper à la
cour, et y traîner de l'ambition sans talents,
de l'intrigue s«ns affaires, et de l'importance
sans crédit. Enfin, plein d'années, de ver-
tus et de gloire, il est mort pleuré des siens,
comme un père tendre, honoré et chéri, ex-
pire au milieu des gémissements d'une
famille éplorée, dont il emporte l'estime, la
reconnaissance et les regrets.
L'éloge des morts ne serait pas plus utile
que la critique des vivants, s'il n'était une
leçon pour ceux qui restent. Souvenons-nous
donc, en regardant ce tombeau, que les let-
tres et les talents n'ont de réelle et durable
gloire que quand la raison et la religion y
sont unies. A la voix de ces cendres encore
éloquentes, que la noble émulation s'en-
flamme dans tous ceux qui osent se destiner
à l'éloquence, en quelque genre que ce soit,
On se plaint qu'elle dégénère; mais que la
nature seule soit consultée et suivie, que le
goût de l'étude renaisse, que le cœur ins-
pire, que la raison parle , alors l'éloquence
véritable se relèvera dans toutes les tribu-
nes. Laisserions-nous enlever cette palme
du génie à la splendeur d'un empire, qui,
sous les lois heureuses du plus grand des
monarques, réunit tous les lauriers des ta-
lents et des arts, et tous les titres immortels
qui consacrent la gloire du maître et le bon-
heur des sujets?
SERMONS
DU P. SURIAN
DE L'ORATOIRE,
EYEQUE DE VENCE.
PETIT CARÊME.
SERMON r\
POUR LA PURIFICATION DE LA SAINTE VIERGE.
Tulerunt Jesum in Jérusalem ut darent hostiam. (Luc,
II.)
jjt portèrent Jésus à Jérusalem afin d'offrir une hostie.
Sire,
Deux grands objets, et dignes surtout
de l'attention de Votre Majesté, nous sont
offerts aujourd'hui dans le saint temple:
Jésus qui se soumet à la loi malgré sa jeu-
nesse la plus tendre; Marie qui se soumet à
la loi, malgré sa dignité la plus sublime, et
qui l'un et l'autre ne croiraient pas pouvoir
Orateurs sacrÉ9. L,
avec bienséance paraître devant le Seigneur,
s'ils n'y venaient par leur oblation accomplir
toute justice.
Quelle leçon pour nous, prince auguste 1
Ce Roi des rois, à qui seul il appartient d'in-
struire les souverains, et qui depuis votre
naissance vous a parlé par tant de voix, vient
vous dire aujourd'hui par ces deux hosties
si grandes, que ni l'âge si tendre où vous
êtes, ni la place si haute que vous tenez, ne
peuvent vous dispenser de vous soumettre
à la loi de Dieu; et que, loin de vous faire
de la jeunesse ou de la grandeur un prétexte
de dispense, votre jeunesse même et votre
grandeur vous doivent èlre de puissants
motifs d'embrasser sans délai et sans bornes
20
619
ORATEURS SACRES. LE P. SURIAN,
C20
cette aimable loi qui fait seule la gloire des
souverains et la félicité des empires.
Vous, ô mon Dieu! éternel protecteur de
ce royaume, aidez-moi à graver profondé-
ment l'amour de votre sainte loi dans le
coeur de celui que vous nous avez donné
pour maître. Autrefois vous ordonnâtes à un
de vos ministres de porter cette loi à la cour
de Josias, et ce prince, si jeune encore, vint
l'écouter au pied du saint autel, et, au mi-
lieu de son peuple, s'obligea par un serment
solennel à l'observer toute sa vie : Fœdus
percussU ut custodiret. (IV Rcg., XXIII.) Re-
nouvelez ici, Seigneur, un spectacle si tou-
chant. Que le prince devant qui je parle,
plein d'amour pour la sainte loi que je viens
lui offrir aujourd'hui de votre part, se sente
pressé à ce moment de se dévouer pour ja-
mais à elle. Que ces autels, que co temple
soient témoins de son engagement sacré.
Eh ! quel bonheur pour lui ! quelle joie pour
nous, si l'on pouvait dire encore : Nul roi
jusqu'à ce jeune prince ne fut plus chéri du
ciel, parce qu'il fut fidèle à Dieu et qu'il ac-
complit toute sa loi sainte : Juxta omnem
legem. {lbid.) Demandons pour lui cette
grâc,e à Dieu, et les lumières de son esprit,
par l'entremise de Marie : Ave Maria.
PREMIER POIIST.
Sire,
Dieu l'avait dit par Isaïe : O rois, et vous,
puissants du siècle, soumettez-vous dès votre
enfance à la sainte loi, et donnez au Seigneur
les prémices de votre vie. Mais ce qu'il avait
dit par son prophète lui paraît si nécessaire
aux grands, qu'il vient lui-même, Maître
divin, le leur dire pas son exemple; et en
effet, dans l'obéissance que Jésus rend au-
jourd'hui à la loi, tout est digne de notre
amour; mais ce qui me touche le plus, c'est,
la tendresse de son âge. Quarante jours
après sa naissance, hostie seule digne de
Dieu, il veut être porté au Temple, et là,
impatient d'obéir, à quelle loi ne se soumet-
il pas? à la loi du sacrifice, il s'immole
comme premier-né; à la loi de l'humilité,
en lui un Dieu même, sous la forme de
pécheur, devient hostie ; à la loi de la cha-
rité , il commence dès ce jour le grand ou-
vrage du salut du monde; à la loi de la pé-
nitence, son état ici n'est qu'une mortifica-
tion, et lorsque sa bouche est encore dans
le silence, son cœur, déjà pénitent, s'écrie à
Dieu : Mon Père, vous n'avez pas voulu pour
vous apaiser des hosties étrangères, mais
vous m'avez formé un corps, laissez-le croî-
tre, avec lui croîtront mes douleurs; hélas!
vous n'aurez pas longtemps à attendre;
bientôt ces membres trop faibles se fortifie-
ront pour les grands tourments; ces pieds
s'étendront pour la croix, ces mains s'élar-
giront pour les giandes plaies, ce sang à
peine formé pourra un jour consacrer le
monde. Je ne fais que de naître, et me voici
prêt à mourir : Ecce venio. Mais souvenez-
vous qu'il est écrit de moi : il s'offrira dès
sa naissance, et pour le consoler, je lui
donnerai plusieurs disciples: Idcodispcrtiam
ilti plufimos. (Jsa., Lill.)
Mes frères, où aperçoit-on la vérité de ces
promesses? On ne voit dans les grands du
monde, dès leurs premiers ans, qu'infraction
à la loi sainte; que leur inspire-t-on? l'or-
gueil, la mollesse, la volupté, l'amour du
inonde; il faudrait bien penser plutôt à leur
inspirer la vertu. A quoi s'occupent-ils?
Plût à Dieu que ce fût à former leurs mœurs
à la piété et à la sagesse! Plût à Dieu que
ce fût à être humbles, dociles, patients, mor-
tifiés, charitables ! De quoi se remplissent-
ils? Que Jésus-Christ voudrait qu'on pût
dire : de son esprit, de ses exemples, de son
amour, de sa pénitence? 11 n'a pas cette con-
solation; leurs cœurs, révoltés contre les
moindres devoirs,, ne sont ouverts qu'aux
joies et aux dissipations mondaines; ils ne
commencent à connaître Dieu que pour com-
mencer à le combattre. Ils n'ont point d'autre
objet que le plaisir; ce temps, le plus pré-
cieux de la vie, qu'un Dieu même consacre
ici à l'observance de la loi, on le croit un
titre suffisant pour les violer toutes; on s'en
fait une excuse contre les devoirs les plus
saints. Il semble que la piété n'est pas de
cet âge, qu'elle ne s'y accorde pas, que la
bienséance même la lui défend, et qu'en un
mot il suffit d'être jeune pour être dispensé
d'être chrétien.
O illusion ! que de princes, que de grands
vous avez perdus, et que vous en perdiez
encore 1
Hélas! mes frères, mille raisons au con-
traire devraient donner en vous cet âge à
Jésus-Christ; et celui-là est lien aveugle,
qui ne voit et plus de justice et plus de né-
cessité, et plus de mérite, et plus de facilité
à se sacrifier- jeune au Seigneur, qu'aux au-
tres temps de fa vie.
Plus de justice; et n'est-il pas juste, en
effet, que nos premiers mouvements aillent
ici à ce premier principe de notre être? N'est-
il pas juste que dès que notre langue se dé-
noue, nous bénissions Dieu ; qu à mesure
(pie nos yeux s'ouvrent, ils se tournent vers
leur Créateur; qu'à l'instant que notre cœur
aime, il aime son Dieu; qu'au moment que
nous pouvons marcher, nous entrions dans
ses voies divines ; qu'au premier pas, pour
ainsi dire, que nous faisons par le baptême
dans le royaume de Jésus-Christ, nous ob-
servions lès lois chrétiennes? Et si ces mo-
tifs de se donner sans remise à Dieu sont si
justes dans tous les hommes, que sera-ce
des grands qui ont plus reçu de lui? Que
serait-ce d'un prince que Dieu aurait pré-
venu dès son enfance de ses plus saintes bé-
nédictions, d'un prince au-devant de qui
Dieu, ce semble, aurait couru d'abord avec
ses grâces les plus précieuses; d'un prince
dont la vie entière n'aurait été que l'ouvrage
de ses compassions? Ah! pourrait-il sans
ingratitude être lent à se donner à lui, et ce
roi si chéri de vous ne doil-il pas être à vous
aussitôt qu'il est à lui-même?
Secondement. 11 y a plus de nécessité dans
le premier âire à se mettre sous le joug heu-
C2I
FETIT CAREME. — SERMON I". POUR LA PURIFICATION.
Cil
reux de la loi. E.ht sans -elle où irait donc un
jeune cœur tout plein encore de passions si
vivantes alors et si fougueuses? Je crois voir
un vaisseau sans gouvernail et sans pilote,
qui, dans une nuit profonde, agité des vents
furieux, donne tantôt sur un écueil, tantôt
sur un autre , et après avoir été le jouet
malheureux des flots, fait bientôt un triste
naufrage.
O jeunesse ! s'écrie saint Augustin , on
vous appelle la Heur de la vie, mais vous
êtes le péril du coeur, et si Ton ne vous
retient par les liens sacrés de la loi, vous
nous devenez dans tous les temps une source
amère de larmes. Une jeunesse sage fait une
vieillesse heureuse; mais des plaisirs du
premier âge naissent les pleurs des derniers
ans. Dans l'enfance en effet la raison est
obscure et enveloppée, les passions violentes
et impétueuses, les réflexions faibles et rares,
l'attrait au vice fort et touchant, les petites
au mal plus rapides, le charme plus puissant,
la témérité plus extrême avec tous les maux
plus proches, tous les remèdes plus éloignés.
Ah! n'est-il donc pas nécessaire que là soient
la prière, la docilité, les lectures saintes, la
pénitence, la mortification, où sont les fai-
blesses? ne faut-il pas que le temps des
périls soit celui de la vigilance, que l'âge le
plus fatal à la piété soit défendu par l'exercice
de la piété même? Ne pouvant trouver alors
qu'aux pieds de Jésus-Christ un asile h votre
innocence, ne devez-vous pas l'y chercher en
vous déposant sans délai dans ses mains
divines? Et puisque, selon le Sage, plus le
danger est grand, plus la loi nous est néces-
saire, un jeune roi, dont la situation réunit
pour le salut tous les périls ensemble, peut-il
assez tôt l'embrasser? Sans cette digue salu-
taire, Ciel ! quel affreux torrent de péchés
va se déborder sur lui 1 Quel déluge d'ini-
quités va inonder toute sa vie? Par quelle
voie, dit le Prophète, un prince dans son
premier âge peut-il prévenir l'égarement?
Et il se répond à lui-même : Seigneur, je
n'en vois point d'autre que l'observance de
votre sainte loi.
J'ai ajouté qu'à être de bonne heure à Dieu
par l'obéissance à sa loi, il y a plus de mérite
encore; c'est l'âge qui nous est le plus cher,
qui coûte le plus à offrir, qui fait durer plus
longtemps le sacrifice, où le cœur, cette
grande victime de la nouvelle loi, qui ren-
ferme essentiellement toutes les autres vic-
times ensemble, est le plus plein de désir,
d'amour, de sentment, de passions, de vie,
et dont par conséquent ce premier de tous
les êtres semble surtout être jaloux; oui,
lui qui toujours eut à dégoût ces victimes de
rebut qui donnèrent au monde les prémices
de leur amour; lui qui reje te avec horreur
ces hosties lentes, tardives, languissantes,
dont son ennemi ne veut plus, et que l'infir-
mité souvent et la disgrâce lui amènent plutôt
que la charité. Ah! si une victime jeune en-
core et toute vivante vient s'offrir à lui; si
un roi dans l'âge le plus tendre avec cette
candeur et cette beauté de l'innocente pre-
mière, vient se jeter entre ses bras, lui j ré-
sente un cœur tout fidèle encore, qui n'est
jamais sorti de ses mains, où son image n'est
point obscurcie, dont les affections coulent
toutes pures dans son sein, où il voit encore
avec joie l'impression de sa grâce et les traits
si aimables de sa charité; si un prince, dans
cette saison la plus belle de sa vie, vient lui
protester ici, versant devant lui des larmes
de joie et de tendresse, qu'il veut l'aimer
toujours comme un enfant aime son père,
qu'il ne veut vivre, qu'il ne veut régner que
pour lui, qu'il met avec joie à ses | ieds et
sa grandeur, et son scejtre et sa couronne,
honteux de n'avoir pas à lui offrir davan-
tage ; ah ! quel charme pour le cœur de Dieu,
et pour ce prince heureux quel fonds de
mérite !
Enfin on trouve dans ses premiers ans
plus de facilité à s'offrir à Dieu et à se sou-
mettre à sa loi sainte. Un arbre encore tendre
se plie et se redresse avec facilité; un prince
encore jeune se tourne sans peine à la vertu,
au lieu que celui qui n'est pas chrétien de
bonne heure, ne l'est plus que difficilement.
Un tigre, un lion, un monstre qui, dès sa
naissance, eût pu être étouffé sans peine, si
on le laisse croître, dévore celui qui l'a
nourri. Ainsi un vice, qui d'abord n'aurait
presque rien coûté à vaincre, fortifié par le
temps, devient indomptable, et vous donne
enfin le coup de la mort.
Effrayé d'un malheur si grand, hâtez-vous,
Sire, je vous en conjure par les entrailles de
Jésus-Christ, hâtez-vous de vous donner ni
à Dieu et à sa loi sainte ; si votre innocence
vous est chère, si votre grâce vous est pré-
cieuse , mettez-vous sans cesse sous un
joug si nécessaire et si doux. Et! pour-
quoi tarderiez-vous ? Dieu a-t-il tardé à
vous aimer? a-t-il diffé.é pour vous ses
compassions et ses grâces? pourquoi dif-
férer pour lui votre amour? Hélas! en vous
que de motifs, que de raisons de vous écrier
avec le Roi-Prophète : Domine, memor fui
ab initio operum tuorum, et dixi : Nunc cœpi.
(Psal. LXXVI.) Seigneur, je me suis souvenu
de ce que vous avez fait pour moi dès mon en-
fance, ab inilio. Comme d'abord vous m'avez
conservé la vie, comme d'abord vous m'avez
élevé au trône, comme vous m'avez donné
une éducation aussi belle que ma naissance,
comme vous avez mis dans mon âme des in-
clinations si heureuses pour la vei tu ; comme
enfin mes premiers moments ont été vos plus
grandes grâces, et dixi, et j'ai dit, touché
d'une bonté si prévenante , si paternelle :
Nunc cœpi; fih ! puisqu'un Dieu a été sitôt à
moi, pourrais-je différer ici d'être à lui: je
veux imiter, par ma fidélité, sa miséricorde ;
je veux lui rendre empressement pour empres-
sement. Quand je pourrais, dans un âge si fai-
ble, dans une place si dangereuse, n'être pas
à lui par besoin, je voudrais y être par re-
connaissance. Non, mon Dieu, je n'aurai pas
la honte de me faire désirer ni attendre; dès
ce moment je me donne à vous, je m'y con-
sacre : Ecce nunc cœpi. Et que sais-je ? peut-
être cette jeunesse si tendre qui s'immole ici
à vous, vous touchera: peut-être cedon que je
vous faps ici des prémices de ma vie vous at-
tendrira ; peut-être que la vue d'un roi orphe-
lin, qui vous choisit aujourd'hui pour son
père, vous intéressera à ses périls ; peut-être
que ces premières années que j'ai résolu de
passer dans la piété et dans l'innocence attire-
ront sur le reste de mes jours vos bénédictions
et vos grâces ; peut-être qu'elles vous engage-
ront à prendre soin de mon salut, à m'aimer,
à me secourir, à me sauver des pièges sans
nombre qui m'environnent. Ah! trop de rai-
sons ici m'en pressent ; à l'exemple de Jésus-
Christ votre fils j'ai commencé à m'olïrir à
vous dès ma jeunesse la plus tendre : Ecce
nunc cœpi ; et une preuve que mon sacrifice
est sérieux, que ma résolution est sincère,
c'est que je vais sans cesse avec lui observer
vos commandements et pratiquer votre loi
sainte : Et custodivi legem tuam. (PsaL,
CXVIII.)
La jeunesse, loin d'être une dispense, est
donc un motif de vous sacrifier ici à Dieu, et
Jésus vous l'a fait voir dans cette solennité si
grande.
SECOND POINT.
JVIais quelle leçon vous'v vient faire Marie,
dont la dignité ne voit que Dieu au-dessus
d'elle? Elle vous apprend, dans le saint tem-
ple où elle vient se purifier, que l'éminence
du rang, quelque haute qu'elle puisse être,
n'exempte jamais de la loi de Dieu. Loin de
chercher, pour se soustraire, des prétextes
dans sa dignité, elle regarde sa dignité comme
une raison de se soumettre; les prérogatives
de mère de Dieu ne l'empêchent pas de rem-
plir les devoirs de sa servante ; elle se fait
de son élévation même un motif de fidélité,
et plus elle a de grandeur, plus elle veut avoir
d'obéissance.
Vous au contraire, quand vous êtes d'une,
certaine élévation, vous vous regardez comme
au-dessus des lois que vous renvoyez aux
âmes vulgaires; être humble, modeste, pé-
nitent, mortifié, recueilli, ennemi du monde,
réglé dans sa dépense, fidèle à l'abstinence
et au jeûne; tout cela, selon vous, est im-
compatible avec la noblesse du sang et les
grandes places ; vous vous permettez la hau-
teur, l'inutilité, la mollesse, le faste, comme
un privilège de votre état ; il semble qu'il y
ait un autre évangile, une autre voie de sa-
lut pour vous. Il yen a une autre en effet,
mais c'est qu'étant plus exposés et plus
pécheurs, vous devez être plus pénitents et
plus fidèles.
Et pour confondre cette vaine erreur qui
croit que les souverains et les princes sont
moins obligés à l'observance de la loi, quel
spectacle auguste et plein d'une salutaire
instruction nous est offert dans l'écriture?
A ce jour solennel où le grand-prêtre Joiada
dans le saint temple, au milieu des vœux et
des acclamations du peuple, éleva sur le
trône le jeune Joas, reste précieux de la mai-
son de David; en même temps qu'il lui mit le
diadème sur la tête, il lui mit aussi dans la
main la loi de Dieu: Imposuerunt diadema ?t
ORATEURS SACRES. LE P. SLRIAN.
024
dederunt in manu ejus tenendam legem. (U
Parai., XXXIII.)
Mon Dieu, que cette circonstance est belle!
que cette attitude est sainte I qu'un roi
est grand dans cet appareil mystérieux 1
qu'il est un objet digne des regards de
l'univers ' que je voudrais le donner ici
en spectacle à tous les souverains et à tous
les rois de la terre ! Le saint Pontife, à la vue
des périls affreux où la royauté va exposer
ce jeune prince, est saisi d'effroi ;ses entrail-
les s'émeuvent, son cœur s'attendrit, et crai-
gnant que ce roi si cher qu'il avait élevé et
qu'il aimait comme son enfant , n'abusât
bientôt de sa dignité nouvelle, il se hâte, après
lui avoir donné le diadème, de lui donner
aussi la loi ; il ne veut pas qu'il soit sur le
trône un moment sans elle. Il n'ose le laisser
seul avec la souveraine puissance, seul avec
la royauté; il le met sous la garde de la loi ;
il le confie à elle pour le soutenir, pour le
préserver, pour empêcher qu'il ne s'égare,
qu'il ne tombe, pour le suspendre sur tant
d'abîmes que la grandeur suprême ouvre
sous ses pieds: sans cette règle sainte, rien
ne lui répond plus de sa vertu, de sa piété,
de son innocence : Dederunt in manu ejuste-
nendam legem. 11 essaie de corriger en lui lo
danger de la puissance royale par la sain-
teté de la loi divine. Il veut lui insinuer
qu'en même temps qu'un souverain gou-
verne ses peuples, il doit se laisser lui-même
gouverner par Dieu, dont il n'est que le pre-
mier sujet; que son autorité n'est pas la
sienne, mais celle de la sainte loi : qu'il n'est
roi que pour l'observer et pour la faire obser-
ver aux autres; que sa domination, quoique
absolue, n'est pas arbitraire, mais soumise et
subordonnée à l'équité des saintes lois;
qu'autant le prince est au-dessus de nous,
autant Dieu est au-dessus du prince ; que le
premier des empires est celui qu'il prend
sur ses passions, et que si le diadème le
rend roi de ses sujets, la loi de Dieu doit le
rendre roi de lui-même : Jmposuerunl dia-
dema et dederunt in manu ejus tenendam le-
gem.
Comme s'il lui eût dit: Prince, notre joie,
notre unique espérance, non, ce n'est point
ici pour nous un spectacle vain, ni une
pure cérémonie; un grand sens est renfermé
dans cet appareil auguste où vous êtes. Si
nous vous donnons aujourd'hui la loi en
vous donnant le diadème, c'est pour vous
apprendre qu'en vous ces deux choses insé-
parables doivent toujours aller ensemble : la
loi sans l'autorité ne serait que faiblesse;
l'autorité sans la loi ne serait que tyrannie :
de leur union se forme un règne sage et
heureux. La loi vous est offerte ici avec vo-
tre puissance pour la tempérer, pour l'adou-
cir, pour la sanctifier, pourlarendre aimable
à vos peuples ; parce diadème vousêtcsleur .
roi, et par cette loi vous êtes leur père. Si la
couronne dont je couvre ici votre front est
la marque de votre pouvoir, il faut que cette
loi que je vous mets entre les mains en soit
la règle. Quand vous régnerez sur votre peu-
ple, qu'elle règne sur votre cœur, qu'elle
G25
Ï'ETIT CAREME. - SERMON I'. TENTATIONS DES ROIS.
626
parle, qu'elle agisse, qu'elle ordonne, qu'elle
récompense, qu'elle puniss« en votre per-
sonne; qu'elle soit, pour ainsi dire, votre
premier ministre ou plutôt l'unique souve-
rain de votre Etat, l'âme et l'esprit de votre
empire. On vous la met ici dans la main afin
que vous la pratiquiez, que vous ne la per-
diez jamais de vue, que vous la confrontiez
sans cesse avec vos moindres actions ; que
chaque jour vous les fassiez repasser toutes
devant elle. Si vous abusez de votre au-
torité, cette loi inflexible est auprès de
vous pour vous condamner, pour vous con-
fondre: vous avez en elle un juge plus grand,
plus fort, plus redoutable que vous. Les
princes meurent, mais la ^oi de Dieu est im-
mortelle, et elle sera pour les rois, au delà
des temps, s'ils l'ont méprisée, leur supplice
éternel; ou leur éternel bonheur, s'ils l'ont
suivie. Jmposucrunt diadema et dederunt in
manu ejus tenendam legem.
Sire, à ces deux traits si vénérables et si
saints, qui peut ne pas vousreconnaitre? Ehl
dans quel prince jamais, dès l'âge le plus
tendre et le diadème et la loi parurent-ils
plus réunis? A quel prince jamais furent-ils
plus propres? Ah î quand votre bisaïeul, mou-
rant au milieu de nos sanglots et de nos lar-
mes, vous disait : Mon fds, vous allez régner
après moi, observez la loi de Dieu; alors,
sans doute, alors, du haut du ciel, un père
plus tendre encore et un roi plus grand vous
parla; sans doute une puissance plus souve-
raine et plus haute transmit alors dans votre
âme son double esprit de royauté et de règle ;
sans doute une main invisible, plus immor-
telle que la sienne, vous mit avec lui le dia-
dème sur la tête, et dans la main la sainte
loi; cardes ce jour éternellement mémorable,
avec quel éclat avons-nous vu briller dans
Votre Majesté cet accord si beau, mais si
rare, du diadème et de la loi 1
D'une part, quel prince élevé, ce semble,
au-dessus de l'enfance, a paru plutôt être
roi, penser en roi, parler en roi, agir en roi,
représenter en roi ; qui eut plus de la royauté
l'air, le maintien, le sérieux, la majesté, les
grâces? tout en vous découvre le souverain,
tout annonce le diadème : Imposuerunt dia-
dema, et avec la royauté la loi de Dieu
alors vous fut donnée. En effet, quel roi si
jeune encore fut plus docile à la loi, plus ami
de l'ordre, plus zélé pour la règle, plus atta-
ché au devoir, plus fidèle à Dieu et à lui-
même et eut plus la loi dans sa main, pour
l'observera chaque instant et pour la suivre?
Et dederunt in manu ejus tenendam legem
C'était donc vous, prince auguste, c'était
vous que l'Esprit-Saint voyait en éloigne-
ment quand il disait : Un germe précieux
vous restera, il sera fidèle à la sainte loi,
aussi ses peuples l'aimeront.
Que nous vérifions ici à l'envi une pro-
messe si touchante! Oui, mon Dieu, ce roi
qui vous est cher, nous est cher aussi à nous-
mêmes, et qui pourrait ne pas aimer en lui
tant de piété, tant d'innocence? comment re-
voir dans cette image fidèle des princes que
nous avons perdus, ces mêmes traits, ces
mêmes vertus qui nous les rendaient si ai-
mables, sans s'attendrir, sans pleurer de joie,
sans se sentir pressé de vous crier avec le
Prophète : O vous qui donnez le salut aux
rois, conservez-nous chèrement le nôtre ; qu'il
vive, qu'il croisse sous la tendresse de vos
regards; orphelin sur la terre, qu'il ait en
vous dans le ciel un père tendre qui l'aime.
(PsaL, X.) Versez sot cet objet de notre
amour vos bénédictions les plus saintes; lais-
sez-lui remplir pour le bonheur de Tunivers
ses hautes destinées. Qu'elles commencent
glorieusement! Pour les rendre chaque jour
plus belles, conservez-lui le régent auguste,
dépositaire de son autorité, qui s'acquiert
dans une minorité la gloire des plus beaux
règnes. Conservez-lui ce grand prince, vrai
sang des héros, qui, ayant reçu les plus hau-
tes vertus comme par héritage, va les trans-
mettre ici par l'éducation. Conservez-lui, si
vous l'aimez, cet homme sage, si capable,
si digne de nous former un grand roi, puis-
que le grand roi se forme sur le grand homme.
Conservez-lui ce pontife si éclairé, si pieux,
dont les progrès du prince font si bien l'é-
loge. Conservez-lui surtout, ô mon Dieul
lui-même en pleurs vous le demande, con-
servez-lui un bien plus cher et plus précieux
que sa couronne et sa vie, votre grâce, votre
esprit, votre crainte, votre amour, sa religion,
son innocence. Non, que jamais ce cœur qui
vous aime si tendrement ne se corrompe;
non, que jamais un prince qui vous doit tant,
ne vous oublie ; que toujours il aime en vous
son bienfaiteur et son père; que toujours il
serve en vous son souverain et son maître;
que toujours il craigne en vous son juge et
son Dieu, afin qu'un jour il possède en vous
son vrai bonheur dans l'immortalité de votro
gloire.
SERMON II.
Pour le premier dimanche de Carême.
SUR LES TENTATIONS DES ROIS.
Non in solo pane vivit homo, sed in omni verbo quod
procedit de ore Dei. (Mallh., IV.)
L'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute
parole qui sort de la bouche de Dieu.
Sire,
Cette parole divine qui sanctifie l'univers,
et qui seule a fait les bons rois, vient encore
aujourd'hui vous instruire par ma bouche.
Ecoutez-la, prince :de quel respect est digne
un Dieu qui vous fait entendre sa voix, qui
daigne vous servir de maître et qui, après
vous avoir donné son image, veut encore
vous donner ici ses leçons? Car Dieu tout
seul vous parlera durant le cours de cette
carrière sainte; ce ne sera point ma parole,
mais la sienne qui vous instruira; c'est son
Evangile que je me propose de vous expli-
quer. Quel dessein plus beau, plus grand,
plus digne d'un roi chrétien pouvais-je for-
mer? Ce que l'instruction humaine a si bien
commencé, un Dieu lui-même vient l'ache-
ver par l'efficacité de sa parole. Cette parole
seule a une force et une autorité à qui nulle
autorité sousle soleil ne peut être comparée}
É27
ORATEURS SACRES, LE P. Sl'RIAN.
0-23
tout entière elle va se tourner en instruc-
tion pour vous, et en vous offrant sans cesse
Jésus-Christ comme la règle de vos mœurs,
elle vous apprendra et tout ce qui peut vous
faire régner saintement sur la terre, et tout
ce qui peut vous faire régner éternellement
dans le Ciel; car Jésus-Christ, qui est venu
réformer le monde et sanctifier tous les états,
n'a voulu naître du sang royal que pour ser-
vir aux rois de modèle et pour se proposer
à eux comme la règle souveraine qu'ils doi-
vent suivre, et parce que les plus grands
malheurs des rois viennent des tentations
qui les environnent, c'est contre elles que
] Esprit-Saint se hâte d'abord de vous forti-
fier, en vous offrant les remèdes qui en pré-
servent. On le sait, la royauté est pour les
souverains une tentation universelle; mais
trois grandes tentations surtout font le dan-
ger de leur vie: le plaisir, la flatterie, l'or-
gueil. Aussi est-ce par là que le démon atta-
que Jésus-Christ dans le désert, et les armes
dont il se sert contre ces tentations sont celles
qu'il vous met en main pour les combattre
vous-même ; la suite de notre Evangile vous
en instruira. Vous, ô mon Dieu! bénissez
mes efforts; faites descendre du plus haut
des cieux celte lumière sainte qui instruit
les rois;, mettez dans ma bouche les vérités
propres à celui qui m'écoute; que mes pa-
roles, comme des traits de feu, pénètrent
cette âme royale, et que je contribue, selon
ma vocation, à former dans le bien le prince
le plus cher à ses sujets cl le plus précieux
au monde. Demandons les lumières du Saint-
Esprit, par, etc.
FUEMIER POINT.
Sire,
Première tentation de Jésus-Christ, le
plaisir : le démon le voyant après son jeûne
pressé de la faim, et voulant profiter d'une
circonstance si favorable pour le tirer de
l'ordre de Dieu, lui dit : Souffrirez-vous long-
temps un état si triste? commandez à ces
pierres de se changer en pain, c'est-à-dire
passez d'un état de peine et de souffrance à
un état de soulagement et de plaisir, et ne
vous refusez pas au moins une satisfaction
si naturelle.
Et voilà le premier endroit par où le
démon vous attaque : le trône et la grandeur
sont comme environnés de plaisirs. Tout ce
que les objets ont de charmes, tout ce que le
monde a de délices semble se réunir à votre
cœur comme à son centre, et conspirer à
vous amollir; et comment sauver son âme
d'un poison si dangereux et si aimable?
Comment, dans l'âge le plus tendre où les
passions sont si vives, résister aux doux at-
traits de la volupté, et tenir son cœur comme
en suspens au milieu de tant d'objets qui
cherchent à le surprendre? Comment ne
suivre que son devoir quand on est maître
de ne suivre que ses désirs ? Comment enfin
conserver son innocence dans ces places
éminentes où l'on peut tout ce qu'on veut, et
oA, par le malheur inséparable de l'huma-
nité, on veut d'ordinaire ce qui corromot et
ce qui dérègle?
Triste condition des grands 1 le monde
envie leur sort; aux yeux de la foi, qu'ils
sont à plaindre I qu'on se sent pressé, quand
on les aime, de pleurer sur eux comme Sa-
muel pleurait sur Saùl. Hélas I vous portez
votre trésor, qui est la grâce, dans un vase
d'argile, qui, tout riche, tout précieux qu'il
est par ses ornements, est toujours bien fra-
gile par sa matière, et dans un danger con-
t'nucl d'être brisé. L'innocence dans les par-
ticuliers est un mérite , mais dans les rois
elle est un miracle.
Et Dieu lui-môme trouve le péril si grand
qu'à l'égard des princes qu'il aime, il se
hâte, dit l'Ecriture, de les tirer du monde.
Hélas, Sire, dans votre auguste sang quel
exemple! 11 se hâta de peur que le poison
de la volupté ne surprît leur âme. 11 surprit
bien le cœur du plus sage et du plus éclairé
des rois. Avant que le goût des vains plai-
sirs entraînât ce prince, quelle pureté de
vie, quelle innocence de mœurs! 11 était
l'ouvrage du Très-Haut le plus saint, et où
sa main semblait être le plus empreinte; il
avait la raison de Dieu pour guide, son es-
prit pour maître, sa sagesse pour règle, sa
volonté pour loi, son image pour ornement,
sa religion pour apanage, l'impression de
son sceau divin pour caractère et pour mar-
que. Rien n'était plus grand, plus respec-
table dans l'univers. Mais à peine a-t-il cédé
aux profanes voluptés, que toutes ses vertus
lui échappent. Le voilà dégradé de sa pre-
mière grandeur; il ne se reconnaît pas lui-
même; tout ce qu'il avait d'innocence et de
piété ne lui paraît plus qu'un songe; il est
même étonné du chemin que son cœur a fait
depuis qu'il a quitté les voies de Dieu. Les
sages dépositaires de son enfance et de son
éducation le regardaient tristement et pleu-
raient de douleur de voir leurs peines et
leurs espérances perdues; mais il ne son-
geait qu'à les éloigner de sa présence ; leur
vue, autrefois si aimable, était pour lui une
contrainte et un reproche. Enfin l'amour des
plaisirs et de la volupté le jette d'abîme en
abîme, et par elle le plus sage des rois de-
vient le plus insensé des hommes !
Mais qu'opposer, me direz-vous, à un en-
nemi si redoutable? Les mêmes forces que
Jésus-Christ daigne lui opposer lui-même,
la parole de Dieu. Celte parole qui imposo
la pénitence aux rois comme aux peuples;
cette parole qui veut que tout chrétien porte
sa croix, mortifie ses sens, immole sa chair ;
cette parole qui, dans tous les états, maudit
les joies profanes, dit anathème au plaisir,
et même dans les palais des rois foudroie
la voluptéet la mollesse. Voilà quelles armes
un prince, s'il veut être fidèle à Dieu, doit
employer contre l'attrait des vains plaisirs.
Voilà de quel pain il doit se nourrir pour
se fortifier contre les attaques de la volupté,
et pour apprendre à la vaincre. L'homme ne
rit pas seulement de pain, mais de toute pa-
role qui sort de (abouche de Dieu.
Ah! Siro, n'oubliez jamais que c'est l'a-
G29
PETIT CAREME.- SERMOxN 11, TENTATIONS DES ROIS.
650
mour des plaisirs qui a fait presque tous les
mauvais princes. Regardez la volupté comme
la plus grande ennemie des rois, et comme
l'écueil le plus fatal à leur salut et à leur
'gloire. Qui ne sait pas maîtriser son cœur
gouverne mal ses peuples, et le premier de
tous les empires. est celui qu'on a sur ses
dési-s. Au jour de votre baptême, à la face
du ciel et de la terre, vous avez renoncé à
tout plaisir criminel; ce fut, entrant dans
l'Eglise, votre serment le plus solennel. Or,
un roi à qui il importe tant qu'il n'y ait
point de parjure, voudrait-il l'être lui-même
envers son Dieu? voudrait-il donner au
monde l'exemple d'un serment violé, et ne
serait-il pas honteux pour vous de n'aimer
pas à être fidèle à Dieu, quand nous aimons
tant à vous être fidèles à vous-même.
Première tentation vaincue, le plaisir. Se-
conde tentation, la flatterie. ,
SECOND POINT.
Le démon transporte Jésus-Christ dans la
ville sainte, et, le mettant sur le haut du
temple, il lui dit : Jetez-vous en bas, car il est
écrit : Les anges vous soutiendront,. (Matth.,
IV.) Voilà, dans ce père de mensonge, les di-
vers caractères de la flatterie : il cache le péril,
il déguise la vérité, il inspire une fausse con-
fiance, il donne une vaine présomption, et
c'est le poison que les rois ont le plus à
craindre, et qui corrompt davantage leur
vertu; partout où il y a de la grandeur, il y a
de la flatterie; auprès des rois un grand in-
térêt l'anime, aussi y fait-elle de plus grands
efforts.
Aujourd'hui, Sire, vous êtes en sûreté
entre les mains des sages; mais quand les
années vous auront rendu maître de vous,
et que Dieu aura remis en vos seules mains
"la souveraine puissance, ciel ! quelle foule
de flatteurs vous assiégeront ; vous les ver-
rez, ces hommes pliants et souples, étudier
vos faibles, s'accommoder à vos penchants,
prendre le caractère le plus conforme à vos
inclinations, entrer dans vos joies et dans
vos peines, vous ménager, selon vos goûts,
des plaisirs et des réjouissances; ce ne sera
autour de vous qu'empressement, qu'admi-
rât on, que complaisance; toujours prêts
à vous applaudir, attentifs à ne jamais vous
contredire, vous irez et ils iront, vous blâ-
merez et ils blâmeront, vous louerez et ils
loueront, n'ayant, ce semble, de volonté ni
de raison que la vôtre; paraissant, non ce
qu'ils sont, mais ce que vous les voudrez
être; prenant autant de formes que vous
aurez de désirs. Avec eux vous n'aurez ja-
mais tort; toutes vos actions seront justes;
ils donneront à vos défauts, si vous en avez,
des noms d'honneur et de gloire. Si un roi
fait .des cruautés, ils disent qu'il fait de
grands exemples; s'il opprime ses peuples,
ils disent qu'il les tient dans le devoir; si
vous êtes vindicatif, ils diront que vous êtes
juste; si vous avez l'âme ambitieuse, ils di-
ront que vous l'avez grande ; si vous êtes
indolent, ils vous appelleront pacifique; dé-
tournant le nom des choses de leur propre
signification, ils font aux rois des vertus de
tous leurs vices. Que sais-je? s'il le faut,
fourbes et hypocrites, ils abuseront, pour
vous surprendre, de la vertu même. Ils fein-
dront de la piété, si c'est par la piété qu'on
peut vous prendre, et, pour se mieux jouer
de vous, ils se joueront de Dieu même.
Voilà les vrais caractères des flatteurs. La
cour des rois abonde en ce genre de mons-
tres : c'est là leur séjour; c'est là leur cen-
tre. Aussi lorsque Dieu irrité contre le roi
Josaphat appelle pour le punir un esprit
d'adulation et de mensonge, il s'en offre une
multitude énorme pour y aller, tant leur
penchant les y porte, et à l'envi ils s'écrient :
Ero spiritus mendax et prœvalebo. (III Reg.,
XXII; II Parai., XVIII.) C'est moi qui irai
à ce roi misérable; je serai contre lui un
esprit de flatterie, et bientôt je prévaudrai :
El prœvalebo.
Et en effet, à l'égard d'un roi qui lui donne
entrée, sur quoi le démon de la flatterie ne
prévaut-il pas? Il prévaut sur son innocence,
sur sa raison, sur sa piété, sur ses lumières,
sur sa religion, sur ses intentions les plus
droites, sur son naturel le plus heureux, sur
les conseils des sages qui seuls le chéris-
sent véritablement, sur l'amour de ses peu-
ples, sur la félicité de ses sujets, sur son
esprit, sur son cœur, sur toute sa personne,
sur tout lui-même ; il éteint tout, il corrompt
tout, il anéantit tout. Quand un roi prête l'o-
reille à la flatterie, la vérité tremblante s'é-
loigne elle-même de son palais; personne
n'ose la lui dire, la terre entière garde le
silence devant lui; tout dans son royaume
conspire à le tromper; toutes les langues ne
se délient que pour le séduire : Spiritus
mendax in ore omnium. Et chacun dit pour
parvenir et pour arriver au titre si impor-
tant de favori, je l'emporterai sur tous mes
concurrents, et je prévaudrai par mes adu-
lations sur tous les autres flatteurs ensem-
ble : Ero spiritus mendax et prœvalebo. Mon
Dieu! qu'un jeune roi ainsi livré aux flat-
teurs fait pitié à ceux qui l'aiment l Non,
les tigres, les lions, les bêtes les plus féro-
ces, sont moins à craindre pour lui, et le
dévoreraient avec moins de rage. De tous les
fléaux dont Dieu punit Roboam, le plus ter-
rible sans doute fut de le livrer, au commen-
cement de son règne, à ces jeunes flatteurs
qui l'endormirent dans ses vices, et qui, maî-
tres de son cœur, y entretinrent la hauteur,
la dureté et l'injustice. Lorsque les anciens,
par tendresse pour lui, par reconnaissance
pour son père qui les avait comblés de bien-
faits, lui donnaient des conseils si propres
à le faire aimer, les autres le portèrent au
contraire à ne dire au peuple que des paro-
les d'affliction , et fir.ent, comme il arrive,
d'un roi flatté, un roi cruel, un roi malheu-
reux, un roi odieux, haï de Dieu et des hom-
mes.
Mais quelles armes employer contre ces
ennemis en cela plus redoutables qu'ils nous
plaisent. Jésus-Chrjst daigne vous l'appren-
dre. Il les faut fuir, il les faut éloigner, il
les faut proscrire. Quand l'esprit d'adulation
631
ORATEURS SACRES. LE P. SIR1A.N.
032
le tente, il s'écrie : Retire-toi, Satan. Ainsi
devez-vous dire, regardant le llatteur selon
l'idée qu'en donne le Sage, tantôt comme un
poison subtil qui, entrant de lui-même, sai-
sit le cœur et tue l'âme ; tantôt comme un
serpent qui, caché sous des fleurs, fait mou-
rir par ses piqûres le malheureux qui s'en-
dort auprès de lui ; tantôt comme ces mons-
tres cruels, qui, par la douceur de leur voix,
ôtent la vie à ceux qui les écoutent. Vous,
craignez-les, évitez-les, détestez-les; si vo-
tre innocence vous est chère, si votre gloire
même vous est précieuse, exterminez de vo-
tre cour les flatteurs, comme vous feriez les
traîtres, et croyant voir en leur personne le
démon lui-même, écriez-vous à leur appro-
che comme Jésus-Christ : \ade rétro, Satan a,
retire-toi, Satan. Les flatteurs seuls font les
tyrans ; ils sont plus funestes à un roi que
tous ses autres ennemis ensemble. Contre
ce genre d'hommes si méprisables et si bas,
n'emplovez même que la grandeur et la no-
blesse de votre âme ; il y a autant de lâ-
cheté de cœur dans celui qui se laisse flat-
ter, qu'il y en a dans celui qui flatte. Pour
vous mieux défendre des flatteurs, commen-
cez par ne pas vous flatter vous-même. Car,
mes frères, notre cœur d'ordinaire nous aide
à nous abuser; le plus dangereux de nos
séducteurs, c'est notre amour-propre; on ne
nous trompe jamais qu'en second ; l'adula-
tion même tire toute sa force de notre fai-
blesse et de notre crédulité, et en vain les
autres voudraient nous flatter, si nous ne
nous flattions nous-mêmes. Vous, prince au-
guste, à la place de la flatterie, appelez au-
près de vous la vérité, la sainte et céleste
vérité, vous écriant avec le roi Ezéchias :
Domine, sit vrritas in diebus meis. (IV Req.,
Seigneur, si vous m aimez, si vous avez
quelque pitié d'un roi si jeune qui vous im-
Tilore : ahl mettez dans ma vie ta vérité au
lieu de la flatterie. Je pourrais vous deman-
der de remplir mes jours de prospérités, de
victoires, je ne vous demande que la vérité:
hélas! si elle méfait triompher des flatteurs,
ce sera pour moi une assez belle victoire : Sit
veritas in diebus meis. Eh ! que de princes dif-
fèrent rie la voir cette vérité, au lit de la mort,
au pied de votre tribunal terrible; mais qu'a-
lors elle est affreuse pour eux ; cette opposi-
tion des fausses louanges qu'on leur a don-
nées, avecles vicestrop réels que votrejustice
leur montre, fait leur plus cruel tourment.
Moi je vous la demande pour ma jeunesse,
pour mes plus beaux jours, pour tout le
cours de ma vie '.Sit veritas in diebus meis.
Que loin de la fuir j'aille moi-même au-de-
vant de cette lumière sainte; que toujours
auprès de mon trône elle m'éclaire, elle me
guide; qu'elle règne avec moi, et par moi,
et sur moi ; que j aime ces hommes sages
qui me la disent, et que j'abhorre ces âmes
lâches qui me la cacheront. Je sais qu'en
apparence elle est austère, mais que de biens
no procure-t-clle pas! Fortifiez, mon Dieu,
ce goût naturel que vous m'avez donné pour
elle, et que toute ma vie j'aie le courage de
l'écouter et la force de la suivre : Domine,
sit veritas in diebus meis.
TROISIÈME rOIXT.
Enfin, dernière tentation, celle de l'or-
gueil. Le démon, confus de n'avoir pu vain-
cre'Jésus-Christ, essaie une attaque nouvelle,
qu'il croit la plus forte. 11 transporte le Sau-
veur sur une montagne fort haute, et lui
montrant tous les royaumes du monde avec
la gloire qui les accompagne, il lui dit : Je
vous donnerai toutes ces choses si, en vous
prosternant, vous m'adorez. Cette situation
de Jésus-Christ, qui n'était pour lui qu'une
fiction, une espèce de charme et de prestige,
est dans les rois une réalité. Ils se trouvent
placés sur le trône comme dans un lieu émi-
nent d'où ils voient à leurs pieds le reste du
monde. Les royaumes delà terre, avec. toute
leur pompe, non-seulement leur sont mon-
trés, mais leur sont donnés. Ce n'est pas ici
un spectacle, c'est une possession, et leur
vie est un état tout de splendeur et tout de
gloire.
Que cette tentation pour eux est délicate 1
Qu'il est difficile de se défendre de cette
ivresse de cœur que la royauté donne ! Que
par elle la faiblesse humaine est attaquée
fortement! Dans quel danger elle met l'hu-
milité chrétienne! Plus votre condition est
élevée, s'écrie saint Augustin, et plus elle
est périlleuse, quanta aitior, tanto periculo-
sior. La souveraine puissance laisse dans
l'âme je ne sais quel charme qui la rem-
plit et l'occupe tout entière; on s'attribue
une supériorité de mérite quand on a une
supériorité de grandeur; on tegarde l'ambi-
tion comme Je sentiment et presque la vertu
des grandes âmes.
Oh ! qu'il est à craindre que ceux à qui le
monde accorde tout, ne se refusent rien à
eux-mêmes ! et qu'enchantés des hommages
que les peuples vous rendent, vous n'oubliiez
ceux que vous devez à Dieu!
Aussi c'est sur le trône que Balthasar croit
être un Dieu. C est sur le trône qu'Antio-
chus s'adore lui-même. C'est sur le trône
que Pharaon, enflé de sa puissance, s'écrie
orgueilleusement : c'est moi qui me suis
fait. C'est sur le trône que Nabuchodonosor,
séduit par sa propre grandeur, fait proster-
ner les peuples devant son idole. C'est sur
le trône qu'on voit dans l'Ecriture un jeune
prince, avide de gloire, tenter l'empire de
l'univers; concevoir le projet superbe de
soumettre à ses lois toutes les nations ,
comme si elles n'étaient qu'un seul homme;
vouloir mettre dans sa chaîne le genre hu-
main; saisir, pour ainsi dire, par ses désirs,
le globe du monde; écouter enfin le démon,
quand il lui dit, en lui montrant en esprit
tous les royaumes de la terre : Si vous m'a-
dorez, si vous voulez obéir à mes lois, sui-
vre mes maximes, être ambitieux sans bor-
nes et sans règle, sacrifier à la gloire de vo-
tre nom le repos et le bonheur de vos peu-
ples; enfin, sous le titre de héros être un
tyran, et le fléau de la terre, je vous donne-
rai toutes ces choses : Jlac omnia tibi ûufco.
633
PETIT CAREME.
SERMON îl TENTATIONS DES ROIS.
6ôi
(Matth., IV.) Mais comment le Sauveur re-
pousse-t-il cet esprit d'orgueil et de super-
be? lotis adorerez, dit-il, le Seigneur voire
Dieu, (lbid.)
Et voilà ce qu'après lui je dis encore ici
au\ grands du inonde, pour les défendre de
la vanité que la grandeur leur inspire : Vous
adorerez le Seigneur votre Dieu; c'est-à-
dire, puisque vous avez besoin de plus
grandes grâces pour combattre l'impression
des grands objets qui frappent sans cesse
votre Ame, pour vaincre l'éclat trompeur des
vanités et des pompes du monde; puisque
cette élévation où vous êtes vous expose à
de plus grands périls, forme, pour ainsi
d.re, sous vos pieds de plus grands abîmes,
vous prépare , au jugement de Dieu , un
compte plus terrible et des supplices plus
rigoureux, qu'elle vous porte davantage à
recourir à lui, à le prier, à le conjurer d'a-
voir pitié de votre état, et à l'adorer par un
culte plus fervent, plus religieux, plus
fidèle : Dominum Deum tuum adorabis.
C'est-à-dire, le dessein du démon, en vous
offrant les -royaumes du monde, est de vous
remplir d'orgueil ; au contraire, que cette
vue vcus humilie, vous épouvante par le
nombre infini de vos dangers et de vos de-
voirs; que ce spectacle de tant de peuples
qui vous sont soumis et à qui vous devez
l'exemple, vous inspire un désir ardent de
les édifier, de les sanctifier, et de les porter
à adorer Dieu, en l'adorant vous-même :
Dominum Deum tuum adorabis.
C'est-à-dire, au lieu de vous livrer au désir
insensé d'acquérir de nouveaux royaumes,
(ie venez vous-même le royaume de Dieu en
le faisant régner souverainement dans votre
âme. Les plus belles conquêtes d'un roi
chrétien sont la vertu, la piété, l'amour des
peuplés, la soumission aux lois, la douceur,
la bonté, la justice. Voilà l'empire qu'il doit
conquérir; voilà le royaume auquel il doit
prétendre. S'il aime tant la guerre, qu'il la
fasse donc aux plus grands ennemis des rois,
au faste, à l'orgueil, à la vanité, à cette am-
bition inquiète et insatiable qui veut tout
avoir, et toujours croître. La plus noble va-
leur est celle qui combat les vices ; et celui
qui dompte son cœur, dit le Sage, vaut mieux,
est plus hérosque celui qui prend des villes.
La véritable gloire d'un roi est d'être roi de
lui-même; de ranger ses vices au nombre de
ses sujetSj et qu'il n'y ait rien dans son
cœur dont il ne soit le maître. Sans doute
de toutes les guerres que font les souverains,
la plus nécessaire pour eux et la plus glo-
rieuse est celle qu'ils font à leurs passions.
Vous, Sire, avant que les vôtres croissent,
combattez-les, surmontez-les; rapportez à
Dieu seul toute votre ambition, toute votre
grandeur, toute votre puissance, et que tout
vous-même soit pour lui un hommage uni-
versel, une seule adoration et un grand sa-
crifice : Dominum Deum tuum adorabis.
Enfin, si la gloire du trône vous tente,
loin d'en regarder l'éclat et la pompe, con-
sidérez-en la fragilité. Vovez comme sou'- la
suprême majesté de Dieu les sceptres et les
couronnes s'évanouissent ; voyez à ses pieds
fondre et s'anéantir toutes le» grandeurs de
la terre; voyez dans ce torrent des siècles,
qui, se poussant les uns les autres, s'écou-
lent si rapidement, tant de rois , tant de
princes disparaître. Hélas! sire, et à qui sur
ce point la providence rigoureuse du Sei-
gneur a-t-elle jamais fait coup sur coup des
leçons plus. Listes! I! ne se peut qu'à ce
moment nos entrailles ne s'émeuvent. Voyez
enfin comme sous le soleil rien n'est durable;
et au milieu du dépérissement général de
toutes choses, adorez Dieu, seul grand, seul
vrai, seul roi, seul toujours lui-même, seul
immuable et immortel au milieu de la dé-
cadence de tout le reste. Seul digne d'être
adoré, vous devez le craindre, l'aimer, le
servir uniquement, puisqu'il est votre seul
maître : Dominum Deum tuum adorabis, et
iili soli servies. (Matth., IV.)
A ces paroles, le démon vaincu laissa le
Sauveur, dit l'Evangile, et les anges de
Dieu s'approchèrent de lui et le servirent :
Acccsserunt angeti et minislrabart- 'et. (lbid.)
Puissiez-vous ainsi l'éprouver, prince au-
guste ; laissez-le, esprit mauvais; éloignez-
vous à jamais d'une âme si pute; et vous,
approchez de lui, esprits célestes ; anges
saints, veillez sur lui ; faites la garde autour
de son cœur; empêchez que son innocence
ne lui échappe, et qu'on ne lui ci. lève son
trésor; nous confions en vos mains fidèles
un dépôt si cher.
Et vous, mon Dieu, du haut du ciel, écou-
tez la prière que vous fait ici , avec David,
ce prince votre enfant, l'objet de vos misé-
ricordes : Deus fortis meus (II llcg., XX11),
ô mon Dieu ! o ma force : Elevator meus
(lbid.), vous qui m'avez, contre toute ap-
parence, élevé sur le trône, et qui pouvez
seul m'y servir d'asile contre ses dangers,
et refugiummeum (lbid.) Ah! da'gnez jeter
sur moi un regard, il n'en faudra pas davan-
tage pour vous toucher de compassion ; re-
spicein me et miserere (Psal. XXIV), ayez
pitié de ma jeunesse , ayez pitié de mon
état. Que je suis à plaindre! Torrcntet cir-
cumdedcrunt me, sur le trône, ce n'est pas
une tentation seule qui m'attaque, c'est un
torrent de vices et de péchés qui, élevé sur
moi, semble vouloir engloutir mon âme.
Funcs inferni invenerunt me (II lîeg., XXII),
l'orgue 1, la volupté, la flatterie, toutes les
passions, comme des liens d'enfer, s'avan-
cent vers moi pour m'enchaîner et me ren-
dre \cuv osd<\vu. Ad te cou f agi. (Psal. CX.LIL)
Alarmé sur moi-môme, j'ai retours à vous;
je me jette entre vos bras; m'abandonne-
riez-vous, père- tendre? eh! que devien-
drai-je, sans vous ; hâtez-vous de me secou-
rir; attendrissez-vous sur un prince qui, au
comble même de la grandeur humaine, se
trouve malheureux par le danger seul où il
est de vous perdre : Tu aulem adjura me.
(Psal. CVIII. ) Dieu terrible et miséricor-
dieux , hélas! dans les premiers jours de ma
vie, par quelles disgrâces m'avez-vous af-
fligé? Quanta» ostcnaisli inihi Iribulationesl
ORATEURS SACRES. LE P. Sl'RlÀN.
635
( Psal. LXX. ) Elles ont été infinies dans leur
nombre et extrêmes dans leur grandeur :
Multas et magnas. De abyssis terra rcduxisti
me ( Ibid. ) , ' vous m'avez retiré moi-même
de l'abîme de la mort où j'étais près de tom-
ber ; ô Dieu ! ô mon Dieu ! pour mon salut
j'ai de pins grands périls à craindre! Cus-
lodi itinocentinm (Psal. XXXVI), si je vous
suis encore cher, si vous avez quelque égard
à la piété de mes pères, aux prières si ten-
dres, si redoublées que vous font ici pour
moi ceux à qui mon éducation est confiée ;
conservez-moi l'innocence, cette innocence
dans un jeune roi si exposée, si combattue ;
après tant de pertes, que du moins je ne
fasse pas celle de mon Dieu; ce serait la
plus lamentable : Custodi innocentiam. Non,
que jamais ce cœur qui vous aime si tendre-
ment ne vous offense; non, que jamais vo-
tre image en moi ne se flétrisse. Si je con-
naissais un bien plus précieux, je vous le
demanderais ; je vous demande la grâce de
ne jamais vous offenser, de perdre plutôt ma
couronne et ma vie que de commettre un
seul péché : Custodi innocentiam. Si cette
grA ce ne s'accorde qu'à nos larmes, les mien-
nes coulent ici pour l'implorer. Soyez-en
touvhé, Seigneur, songez qu'elles vous de-
mandent pour moi de vous aimer toujours,
de ne jamais vous perdre, d'être sans cesse
auprès de vous, comme un enfant auprès de
son père. Bmedicam tibi, si j'obtiens un
bien si cher, je vous en bénirai et et sur la
terre et dans le ciel durant toute l'éternité
bienheureuse. Je vous la souhaite.
SERMON III.
Pour le second dimanche de carême.
SUR LES CARACTÈRES DE LA GRANDEUR CHRÉ-
TIENNE.
Hic est Filins meus dilectas, ipsum audile. (Mattli.,
XVII.)
C'est ici mon Fils bien-aimé, écoutez-le.
Sire,
C'est aux grands' et aux rois surtout que
Jésus-Christ, en ce saint jour, daigne se
donner en spectacle. C'est à eux que du haut
du ciel le Père ordonne de l'entendre. Quel
maure plus grand, plus saint, plus digne
d'eux; et que, dans les circonstances de ce
mystère glorieux, il leur fait des leçons pro-
pres et touchantes!
Non, pour vous, puissants du siècle, rien
n'est vide, rien n'est stérile sur le Thabor;
chaque parole due le Sauveur y dit est une
vérité qu'il y enseigne; chaque démarche
qu'il y fait contient un devoir qu'il y im-
pose. 11 veut que s'il y est l'image visible de
votre gloire, vous y deveniez les imitateurs
fidèles ide sa sainteté. 11 s'y tourne tout en-
tier en instruction pour vous ; que les grands,
que les princes, que les rois, que le monde
entier, prosterné devant lui, l'éroutent ; c'est
le maître de l'univers : Ipsum audite. Et
dans l'explication et l'homélie de notre évan-
gile, vous allez voir l'un après l'autre les
caractères de la grandeur chrétienne tracés
636
en la personne même d'un Dieu, et mis dans
un jour si beau, qu'il vous serait égale-
ment, et impossible de ne les pas voir, et
honteux de ne les pas suivre. Ne perdez
rien, Sire, d'un spectacle si grand, et dans
lequel, comme en abrégé, se trouvent re-
cueillis et tout le bonheur et toute la reli-
gion d'un prince. Demandons les lumiè-
res, etc.
Sire ,
Jésus ayant pris avec lui Pierre, Jacques
et Jean son frère, les fit aller sur une mon-
tagne éloignée. C'est ici un des principaux
devoirs de la grandeur chrétienne. Ce Roi
des rois et ce modèle des princes, Jésus-
Christ, ne veut pas seulement vous faire con-
naître, par le choix qu'il fait de ces trois
apôtres pour avoir part à sa confiance, qu'un
roi (chose rare) doit avoir des amis, et qu'il
doit les prendre d'ord-inaire dans son pro-
pre sang; car Jésus-Christ préfère ici son
frère; mais qu'à l'exemple du Sauveur qui
choisit Pierre, distingué par sa foi si iné-
branlable, Jacques si plein de zèle pour la
vérité, Jean si recommandable par l'inno-
cence de ses mœurs; un prince, destiné à
gouverner les peuples, ne doit prendre de
liaisons étroites qu'avec des hommes sages
et vertueux, car les liaisons qu'il prend dé-
cident presque toujours de ses mœurs et de
sa gloire. On nous croit tels que ceux que
nous aimons; nous devenons même ce que
nous chérissons, et rien n'est plus propre à
nous rendre vertueux que d'aimer la vertu
même.
Mais une instruction plus nécessaire en-
core vous est ici donnée, par le soin qu'a
Jésus-Christ de se dérober au monde pour
aller dans un lieu solitaire et retiré, in mon-
tem seorsum. Et. que vcut-il apprendre par
là aux grands du siècle, à ces hommes tou-
jours dissipés et absents d'eux-mêmes, tou-
jours attirés et répandus au dehors, toujours
dans l'agitation et le tumulte du monde, tou-
jours étrangers à leur propre cœur, et qui
n'ont rien de plus éloigné d'eux qu'eux-
mêmes? Il leur apprend que plus leur état
les dissipe, plus ils doivent s'efforcer de se
recueillir, et se ménager au moins des mo-
ments heureux où ils puissent, sous l'œil de
Dieu, retrouver quelquefois leur Ame, et se
mettre dans cette situation si désirable où
furent les apôtres sur le Thabor, lorsque,
rendus invisibles à tout le reste, ils ne vi-
rent plus (pie Jésus seul : Nihil viderunt.
nisi solum Jcsum.
Et n'allez pas dire, prince auguste, que
c'est le malheur de votre condition d'être
incompatible avec la retraite. Ehl quoi, igno-
rez-vous que c'est être hors du inonde que
de ne pas l'aimer; (pie Dieu, qui est esprit,
demande de vous une solitude d'esprit; que
c'est le cœur qui fait notre dissipation ou
notre retraite, et qu'au milieu de la cour
môme nous sommes solitaires, s'il esta Dieu,
et dissipés dans le désert, s'il est au monde?
Ignorez-vous qu'il y a, selon saint Paul; une,
retraite morale intérieure et nécessaire où
6Ô7
PETIT CAREME. — SERMON III, GRANDEUR CHRETIENNE.
c:.o
l'éloignemcnt du cœur supplée à la distance
des lieux , et où le chrétien , fût-il prince,
fût-il roi, ne pouvant sortir du monde, fait
sortir le monde de lui-même, y demeure par
ce qui y engage, et -en est dehors par ce qui
y corrompt? Semblable à ces anges qui, par
le corps, au milieu des peuples exerçaient
sur la terre des ministères de salut, par l'es-
prit un prince demeure toujours uni à Dieu,
et imite en quelque sorte cet Etre suprême
qui, mêlé ici et répandu en toutes choses,
n'a point de part à leur corruption.
David, au milieu des soins de son royau-
me, au milieu même de l'éclat de ses victoi-
res, crie à Dieu : Seigneur, j'ai retrouvé mon
cœurfugitiflorsqualescharmesde la royauté,
lorsque la gloire de mes triomphes, lorsque
les occupations inséparables de l'empire
étaient près de me l'enlever; je l'ai repris
avec force, je l'ai ramené à vous, et l'ai tout
recueilli en votre présence, Domine, inverti
cor. Et s'il sut alors recueillir son cœur, est-
il une situation où nous ne puissions re-
trouver le nôtre? Duxit cos in montent seor-
sum ; il les mena sur une montagne éloignée,
et là il fut transfiguré devant eux : Et transfi-
gurât us est.
Qu'il fut beau de voir Jésus-Christ au mi-
lie i de ses apôtres passer tout en gloire,
prendre une forme nouvelle et céleste, lais-
ser, ce me semble, tout ce qu'il avait de
l'homme pour ne paraître que Dieu. J'ose
le dire, tel doit être un roi destiné à servir
de spectacle au monde. Au milieu de ses
peuples, il doit, apparaître comme transfi-
guré en quelque chose de sacré et de divin,
selon l'expression de Dieu même. O rois I
vous êtes des dieux: DU cslis. (Psal. LXXXI.)
Un prince élevé sur le trône doit se regarder
comme un homme qui représente Dieu, qui
tient la place de Dieu, dont les prensées, les
désirs, les sentiments, les vues doivent avoir
quelque chose de noble, d'élevé, qui exprime
Dieu et qui soit digne de Dieu; à l'image de
la grandeur de Dieu conviennent les choses
grandes , et à l'image de se. sainteté, les cho-
ses saintes. En lui, quand il gouverne ses
peuples , l'homme, s'il se peut dire, doit
disparaître avec ses faiblesses, avec ses pas-
sions, avec ses vices, pour ne laisser voir
que la sainteté de Dieu dont il est l'image :
'J'rans/îguratus est.
Il faut que celte ressemblance avec Dieu
lui change le cœur, lui élève l'cime, le rende
une autre personne et un homme nouveau :
Transfiguratus est- La royauté, comme étant
un rayon et un écoulement de la majesté di-
vine, doit l'élever au-dessus des sentiments
de la haine, de l'intérêt, de la vengeance, le
porter à pardonner, à compatir, à soulager
comme Dieu ; à conduire comme lui les hom-
mes à la vertu par des bienfaits et des grâ-
ces ; il faut que dans un roi tout exprime
Dieu, tout se ressente de Dieu , que toutes
ses actions respirent je ne sais quoi de grand,
de saint, de céleste, à quoi on reconnaisse
l'homme de Dieu sur les peuples. 11 faut
«f'ï'un prince que Dieu a transformé en l'i-
mage Je sa grandeur, de son autorité, de sa
puissance, se transforme lui-même en l'i-
mage de sa justice, de sa bonté, de sa misé-
ricorde , et que cette ressemblance auguste,
qui commence en vous par l'éminence de
votre rang, s'y achève par la sainteté de votre
vie : Transfiguratus est.
11 faut qu'on puisse dire, ce roi que vous
voyez sur le trône semble régner, mais c'est
Dieu qui par lui règne ; il a, ce semble,
pris sa place; sa royauté n'est qu'une portion
de la royauté divine; en sa personne Dieu
juge, Dieu parle, Dieu punit, Dieu récom-
pense, Dieu fait la paix, Dieu fait la guerre ;
son règne est l'empire de Dieu, sa puissance
est sa puissance; il n'agit que par son es-
prit; il n'est pas roi pour lui-même, mais
pour Dieu; et imitant comme il le peut sur
le trône Jésus-Christ sur le Thabor, il paraît
comme caché, comme perdu, comme absorbé
dans la sa:nteté de Dieu, et en lui on ne voit
presque plus rien de l'homme : Transfigu-
ratus est.
>- O roisl s'écrie à ce sujet saint Grégoire,
vous qui êtes revêtus de l'image et de la
puissance de Dieu, révérez cette autorité qui
n'est f as la vôtre, mais la sienne : vivez sain-
tement, puisque vous êtes comme transfor-
més en un Dieu saint. Eu égard au caractère
de la divinité que vous portez, respectez-
vous vous-mêmes; ayez pour vos personnes
sacrées une espèce de religion qui vous em-
pêche de vous déshonorer par aucun désor-
dre. Vos moindres péchés ne sont-ils pas en
vous des profanations et des irrévérences
énormes? Et quelle audace monstrueuse
serait-ce à un roi d'user de la puissance d'un
Dieu miséricordieux pour faire des actions
cruelles? De livrer en vous l'image de Dieu
au péché et à l'infamie; d'être assis sur le
trône de Dieu et de violer toutes les lois di-
vines? Dieu se représente-t-il par l'injustice
et le crime? Reconnaissez mieux le grand
mystère de Dieu en vous ; il gouverne le
ciel par lui-même et il partage avec vous
l'empire de la terre. Soyez donc des dieux
pour vos sujets; c'est-à-dire, gouvernez-les
comme Dieu gouverne le monde, avec sa-
gesse, avec bonté, avec clémence, d'une ma-
nière noble, juste, bienfaisante, en un mot
divine; sans cela votre jugement sera plus
rigoureux, et si vous n'êtes ici de grands
exemples de la sainteté de Dieu, vous serez
un jour de grands exemples de sa justice :
Tra n sjig u rat us est.
Mais voyons dans les circonstances de la
transfiguration sainte de Jésus-Christ les le-
çons (ju'il daigne vous faire encore. 11 pa-
rut, dit l'Evangile, brillant de lumière, et
ses vêtements étaient blancs comme la neige.
U exprimait par là, dit saint Chrysostome,
deux devoirs essentiels à tout chrétien : l'un,
qu'il doit s'instruire lui-même et se rem-
plir, pour ainsi dire, de lumière; l'autre,
qu'il doit édifier les peuples et leur offrir
des mœurs pures et réglées. Mais si ces
devoirs sont imposés à tous les chrétiens,
qu'ils le sont davantage à un roi, et à un roi
dans un Age tendre I II se doit à lui-même
l'instruction, et à ses sujets l'exemple. 11
639
ORATEURS SACRES. LE P. SURlAN.
G40
faut qu'on puisse dire de lui : il parut au
milieu d'eux tout brillant de lumière.
D'ordinaire la jeunesse des rois paraît la
partie o'e leur vie la plus indifférente et la
plus vide. Elle est en eux comme une sus-
pension générale de toutes les actions écla-
tantes qui font la gloire des souverains; c'est
néanmoins !a plus importante, la plus pré-
cieuse, d'où dépendent les autres âges : la
jeunesse seule est le temps d'apprendre.
Celui qui apporte au gouvernement l'igno-
rance, est assuré de la conserver toujours; il
n'apprendra plus que par l'expérience, qui
est le plus mauvais des maîtres ; il vaut
mieux devoir sa sagesse à l'instruction.
Et de quoi un roi doit-il s'instruire? Loin
d'imiter ces grands du monde, qui, croyant
que leur seule naissance leur suffît et leur
tient lieu de mérite, s'endorment dans la
mollesse et l'oisiveté, font gloire même de
leurs ténèbres, n'ont d'autre science que les
plaisirs, savent tout ce qu'ils devraient igno-
rer, ignorent tout ce qu'ils devraient savoir,
et marchant ainsi dans une nuit profonde,
font autant de chutes qu'ils font de pas. Un
jeune prince doit s'instruire de tout ce qui
peut le rendre sage et ses peuples heureux ;
il doit apprendre, et avec soin, l'histoire du
monde, l'histoire de son état, et surtout
l'histoire sainte, ce livre où est peinte avec
tant de force la grandeur de Dieu, qui en est
.'âme et comme le seul héros; il y tire et
du bien et du mal qu'on y a fait, des secours
puissants pour sa conduite. Là, mieux que
nous, Saùl réprouvé pour sa désobéissance
lui apprend à se soumettre à Dieu; là Salo-
mon, de voluptueux devenu idolâtre, lui
inspire une horreur sainte pour les profanes
plaisirs; là, les grâces dont Dieu comble Jo-
saphat, ce prince si religieux, l'animent for-
tement à la piété; là, Josias béni de Dieu
pour avoir écouté sa loi et rétabli son culte,
le remplit de respect et de zèle pour la pa-
role sainte et pour la religion; là, quand il
voit Néhémias devenir le plus cher objet des
miséricordes du Seigneur pour avoir sou-
lagé son peuple, il sent naître dans son cœur
un amour tendre pour ses sujets. L'histoire
sacrée est comme un grand livre toujours
ouvert devant ses yeux pour y voir Dieu, et
pour le suivre; il y étudie ses voies, il y
adore ses ordres; chaque événement y est
une leçon pour lui, pour lui chaque roi y de-
vient un maître qui lui apprend, ou la pa-
tience au milieu des plus grands malheurs,
ou l'humilité au comble de la gloire et dans
te torrent des prospérités. Sans cesse il y
prend des exemples de ce qu'il y voit de
grand et de saint, il y forme ses mœurs sur
la sagesse de tous les siècles; il semble que
toute l'antiquité sainte n'a agi que pour lui;
il semble qu'elle lui ait prépaie de loin des
sentiments sages et religieux pour toutes les
situations , pour toutes les épreuves dans
•esquelles ,ici-bas un prince peut être ; il
rapporte à son instruction tout ce (pie Dieu
y a dit, tout ce que Dieu y a fait. Ce qu'il y
noit de bon séparément dans (harpie roi. il
,ls.saie de le recueillir, de le rassemble- en lui
seul; il met dans son empire comme en abré-
gé la félicité de tous les temps; il s'enrichit
des vertus et de la piété de tous. les règnes.
Ah! lisez, sire, et relisez l'histoire du Sei-
gneur, quel trésor préoieux pour vous 1 et
pour nous quelle espérance, quelle joie, de
pouvoir retrouver par là dans notre seul roi
tous les bons rois ensemble î
Et que devez-vous apprendre encore ? l'art
de régner et de conduire sagement vos peu-
ples. Car ce n'est pas assez pour un roi d'a-
voir au dehors de la valeur et du courage, il
faut qu'il a;t aa dedans de la prudence et de
la capacité. David n'était pas seulement vic-
torieux à la tète de ses armées, mais à Jéru-
salem nul avant lui ne fut si habile dans la
science de régner; ce même roi était dans la
guerre un héros, et dans la paix un grand
homme.
Mais si un souverain doit savoir la loi des
peuples qu'il gouverne, il doit bien plus
encore s'instruire de la loi de Dieu; cette loi
qui le jugera; cette loi qui peut seule le san-
ctifier, cette loi que Moïse voulait que les rois
lussent sans cesse, qu'ils la portassent avec
eux pour en faire leur étude et leur règle; il
doit, comme (ht l'Apôtre, se remplir de la
science suréminente de Jésus-Christ, de son
esprit, de son Evangile, de ses vertus, de
ses préceptes, de ses jugements, et se les
imprimer au plus profond de son âme. Enfin,
comme il est dit du jeune Salomon, un roi
doit être au milieu de son Etat ce que le so-
leil est au milieu du monde, une lumière
vive et féconde qui anime tout, qui éclaire
tout; il doit être l'âme et l'intelligence dé son
empire, et il faut qu'on puisse dire de lui,
comme aujourd'hui de Jésus-Christ : il pa-
rut au milieu d'eux tout brillant de lumière,
resplcnduil sicut sol.
Et pourquoi l'Evangile a-t-il ajouté que
ses habits parurent blancs comme la neige?
C'est pour vous apprendre, prince auguste,
qu'à la lumière de l'instruction vous devez
ajouter celle de l'exemple. Car un roi, si de-
vant Dieu il veut trouver grâce, doit rapporter
toutesa vie au seul point de l'édification; il ne
saurait ni se perdre, ni se sauver seul. Je
l'avoue, il peut charger ses ministres de la
police extérieure de son Etat; il peut se repo-
ser sur eux des fonctions de la justice, de la
culture des arts, de l'ordre de ses finances,
du commandement de ses armées, mais il ne
peut se reposer que sur lui-môme du bon
exemple; il est chargé de ce précieux dépôt;
c'est son devoir le plus propre. Dans la
sphère sublime où Dieu l'a attaché, il doit
mouvoir comme lui tous les cœurs à la vertu.
Et quel emploi fut plus beau ! quelle desti-
née fut plus noble 1 L'empire semble com-
posé comme un grand tableau où chaque
personnage selon son état doit avoir sa perfec-
tion propre, mais où il faut que la princi-
pale figure, qui est le roi, soit plus achevée
et plus finie; en lui la primauté du rang de-
mande la primauté de la vertu. Nous som-
mes faits de ti-le sorte, que l'exemple des
grands nous plie et nous tourne de quel côté
il veut; on vl par rapport à ce qu'on aime,
Cil
PETIT CAREME. — SERMON III, GRANDEUR CHRETIENNE.
612
et comme on aime la grandeur, on vit comme
la grandeur même. Quand Hérode méprise
.Jésus-Christ, tout son peuple, tousses sol-
dats imitent ce mépris impie : Sprcvit eum
lïerodes cum omni exercitu suo. ( Luc. ,
XXIII.) Le caractère du prince forme les
mœurs de l'Etat; sa passion favorite devient
d'ordinaire le vice dominant de ses sujets;
des biens infinis et inestimables accompa-
gnent ses vertus; mais s'il est par ses désor-
dres un roi scandaleux, quelle plaie ne
deviei:t-il pas dans un royaume ï de com-
bien d'âmes n'est-il [tas le meurtrier? de
combien de crimes se trouvera-t-il chargé
au tribunal de Dieu? N'est-il [as cet homme
de péché qui, la couronne sur la tête, préci-
pite en foule dans l'enfer les âmes rachetées
du sang divin de l'Agneau, et y tombe après
plus profondément lui-même. Seigneur, s'é-
criait un roi effrayé, ah I faites-moi grâce sur
les péchés étrangers que mes sujets ont faits
sir mon exemple.
Au contraire, que les princes pieux rece-
vront aux pieds de Jésus-Christ de bénédic-
tions et de grâces ! Leur bon exemple aura
produit dans tous les cœurs une émulation
sainte de piété: ils auront été pour leurs
peuples une source féconde de sanctification ;
en eux de grands exemples auront fait naî-
tre de grandes vertus. Oh ! qu'ils seront alors
un objet agréable à Dieu 1 qu'ils sont mainte-
nant un don aimable de sa main, et un présent
bien cher de sa miséricorde !
Aussi lorsque Dieu, attendri sur Israël, veut
lui donner une marque éclatante de son
amour, il lui dit: Je vous donnerai le roi
Asa, qui sera sur vous par ses vertus comme
une lumière brillante. Sa piété, regardée et
comme en spectacle, animera tous les cœurs
au bien: Dabo Asa quasi lucernam in Israël
(III Reg., XI); et il ajoute que dans le pré-
sent qu'il leur fait de ce prince édifiant, il a
égard h la piété de David dont il venait d'oc-
cuper le trône : Propter David. (Ibid.) Ainsi
Dieu veut que ce jeune roi édifie son peuple,
parce que le père de ses pères avait été un
roi religieux; et si Dieu, dans sa miséricor-
de, observe ici la même loi, si encore au-
jourd'hui l'arrière- petit-fils est édifiant à
proportion de ce que le bisaïeul fut pieux,
sire, que nous devons attendre de vous de
grands exemples 1
Et en quoi donc, me direz-vous, consiste
cet exemple que les rois doivent à leurs su-
jets? Jésus-Christ sur le Thabor va vous l'ap-
prendre, continuant à vous y offrir les vrais
caractères de la grandeur chrétienne. Il ap-
pelle auprès de lui Moïse et Elie ; Moïse qui
était le législateur des Juifs, Elie qui était
leur plus grand prophète; sans doute pour
vous apprendre, ô rois! à qui dans ce mys-
tère de gloire il daigne sans cesse parler,
que vous n'édifierez vos peuples qu'autant
que vous observerez la loi, c'est-à-dire, que
vous serez justes, bons, modérés, patients,
fidèles aux préceptes du Seigneur et des lois
saintes de son Eglise ; qu'autant que vous
respecterez les prophètes, c'est-à-dire, ceux
qui vous sont envoyés de la part de Dieu
pour vous instruire et pour vous annoncer
la vérité. Car voilà uniquement à quoi vous
êtes appelés; voilà les grandes vues de
Dieu en vous élevant au plus haut degré des
choses humaines, c'est pour montrer en vous
de plus loin et dans un [tins grand jour toute
l'observance de la loi et la pratique des
vertus chrétiennes : Apparuerunt Moyses et
Elias.
Oui , Sire, quand Jésus-Christ, ici votre
modèle, à peine élevé dans la majesté de sa
gloire, rassemble autour de lui l'Ancien
Testament et le Nouveau, la Synagogue et
l'Eglise» la Loi et l'Evangile, les prophètes
et les apôtres, Moïse et Elie, c'est-à-dire,
toute la piélé de l'univers, toute la relig;on
recueillie en lui comme en son centre, il
veut vous apprendre que dès qu'un prince,
par la royauté, se voit élevé au faîte de Ja
gloire, il doit se fortifier centre elle par la
religion; qu'il en doit recueillir en lui les
traits les plus sacrés et les caractères les
plus augustes ; qu'il doit se mettre sans cesse
sous la garde de la piélé, l'appeler à son se-
cours pour sanctifier sa grandeur, pour en
faire un contre-poids à son autorité, un rem-
part contre sa puissance, un frein sacré à ses
passions, d'autant plus dangereuses dans les
rois, qu'elles sont plus libres.
Quand Jésus-Christ sur le Thaborfait en-
trer, ce semble, la religion elle-même en
partage de sa félicité; quand il compose ici
son bonheur de ce qu'il y a de plus saint au
monde, il veut lui insinuer que le vrai bon-
heur d un roi n'est pas dans sa gloire, mais
dans sa piété; qu'il n'est heureux qu'autant
qu'il est saint ; qu'il doit, comme aujourd'hui
Jésus-Christ, répandre son bonheur sur tous
ceux qui l'environnent, et rendre heureuse
l'Eglise de Dieu ; que non-seulement la reli-
gion sainte est pour un roi la force et la féli-
cité de son empire, mais encore celle de son
cœur ; que sans elle un prince, bientôt vaincu
par ses vices, est esclave quoique roi, faible
quoique puissant, sans gloire quoiqu'élevé
au comble de la grandeur, et nullement sou-
verain puisqu'il ne l'est pas de lui-môme.
Quand Jésus-Christ veut aujourd'hui que
le pjlusbel éclat de sa gloire vienne, ce sem-
ble, des objetsde la piété, il veut vous dire
que loin de rougir comme font les grands du
monde des pratiques saintes de la foi, vous
en devez tirer toute votre gloire ; que vous
devez vous honorer vous-même des exerci-
ces de la piété, la glorifier en vous, et la
rendre par là plus respectable aux peuples;
il veut vous dire que le plus grand spectacle
qu'un souverain puisse offrir à l'univers, à
ses sujets, est celui d'une vie sainte; que
vous n'êtes roi que pour donnera la religion
plus d'éclat, plus de magnificence, plus de
pompe, pour faire rejaillir sur elle les plus
beaux rayons de votre majesté, pour offrir
sans cesse au mond;> cette alliance si vénéra-
ble delà royauté et de la religion, d'où naît
la splendeur des Etats et la prospérité des
empires; qu'enfin pour exprimer ici le Sau-
veur, il faut qu'un roi chrétien recueille en
lui toute la religion, qu'il en rassemble danJ
613
ORATEURS SACRES. LE P. SU RI AN.
Cil
ses mœurs les traits les plus saints, les ca-
ractères les plus augustes ; il faut qu'il se
place, ce semble, entre Moïse et Elie, c'est-
à-dire, entre la douceur et le zèle; qu'il
soit gardé, comme dit le Sage, d'un côté parla
loi. ue l'autre |;ar la vérité (mon Dieu, que
c'est là une belle garde pour un roi, et qu'elle
est sûre!), il faut, en un mot, qu'on puisse
dire de vous comme aujourd'hui de Jésus-
Christ : dès qu'il fut élevé sur le trône de sa
gloire, on vit paraître avec lui Moïse et Elie,
c'est-à-dire, tout ce que la loi-a ordonné de
juste, tout ce que les prophètes ont prédit de
saint, et par là toute la piété, toute la vertu,
toute la sainteté, la religion tout entière:
Apparuerunt cum eo Moyscs et Elias.
Sur un roi si chrétien comme ici sur Jésus-
Christ, non-seulement du haut du ciel les
grâces divines se répandent, mais ici-bas en-
core son peuple content et heureux le bé-
nit; sous son règne aimable chacun s'écrie-
transporté de joie et hors de lui-même,
comme Pierre sur la montagne : Bonuin est
nos hic esse. Oh ! que notre sort est doux
ici 1 que nos destinées y sont belles! Pour-
rions-nous quitter un si bon maître? Fixons
auprès de lui notre demeure, et dans la fidé-
lité que nous aurons pour ce roi si cher, sui-
vons également et notre devoir, et notre
religion, et notre tendresse: Faciamus hic
tria tabernacula.
Mais que les rois achèvent d'apprendre du
Sauveur transfiguré les vertus par lesquelles
ils peuvent régner saintement. Déjà, pour
leur apprendre à être bons, doux, attables à
leurs peuples, et à chercher moins à s'en
faire craindre qu'à s'en faire aimer, voyez
avec quelle tendresse Jésus-Christ s'appro-
che de ses disciples que l'éclat de sa gloire
avait ébo'uis : Accessit; voyez comme il re-
lève leur courage : Dicens : Surçjite, comme il
dissipe leur frayeur : Nolitc timere. 11 parait
leur maître par sa grandeur, et par sa bonté
leur père. Déjà, pour leur apprendre à se for-
tifier par la pénitence contre ce fond de mol-
lesse attaché, ce semble , à leur condition,
voyez comme il rappelle au milieu mémo de
sa gloire l'image même de ses douleurs, et
cet excès de souffrances qu'il devait accom-
plir à Jérusalem : De excessù quem complé-
tants rrat in Jérusalem. Mais, parce qu'eu
égard à la hauteur de leur état, il regarde
l'humilité comme la vertu la plus nécessaire
aux rois et la plus difficile, admirez comme
il l'a répand ici sur tous les endroits do son
mystère. Peu de témoins appelés, parmi les
apôtres celui-là choisi qui- devait le renon-
cer; toute cette gloire bornée à la seule mon-
tagne; une nuée môme qui, pour tempérer
l'éclat de sa chair, l'enveloppe et dérobe au
moins parla une partie du spectacle; ce
spectacle seulement offert pour augmenter
par son opposition l'ignominie de ses souf-
frances. Encore si cette gloire était d'une
longue durée; mais à peine la charité l'a
montrée, que l'humilité jette son voile pour
la cacher; et celui qui, plutôt qu'on ignorât
les humiliations de sa naissance et de sa
niori, fait descendre des anges, fait éclipser
des astres pour l'annoncer, s'il laisse échap-
per un faible rayon de gloire, des prières,
des instances, des ordres réitérés de n'en
point parler : ISemini dixeritis et prœccpit
eis.
Grands du monde, vous aspirez à la même
gloire; mais, après cela, la vanité y mène-
t-elle ? mais l'orgueil et la superbe y condui-
sent-ils? Non, les voies que Jésus-Christ
vous offre sur le Thabor sont les seules; on
périt dès qu'on les quitte, et si vous n'y en-
trez dès à présent, il faut vous résoudre à
être pour jamais privés de sa gloire.
Soyez etîayé, Sire, d'un malheur si grand;
pour l'éviter, donnez à votre grandeur au-
tant que le permet la faiblesse humaine, les
sacrés caractères que Jésus-Christ donne
aujourd'hui à la sienne ; offrez sur le trône
les mêmes vertus qu'il offre sur le Thabor.
Si, comme lui, dans l'éclat même qui vous
environne, vous êtes humble, bon, mortifié,
pénitent, ennemi du monde , sur vous comme
aujourd'hui sur lui le ciel s'ouvrira, l'esprit
de Dieu descendra, la grâce sainte vous rem-
plira, et du sein de sa gloire Jésus-Christ
lui-môme prononcera sur vous ces paroles
si consolantes, que lui fait entendre avec
tant d'amour le Père céleste : Hic est Filius
meus dilectus. C'est ici mon fils bien-aimé;
son père et sa mère l'ont abandonné, j'en
fais mon enfant; je lui 'suppléerai ce qu'il
avait de plus cher. Non, il n'est pi us orphe-
lin, car je l'adopte, et que bienheureux l'en-
fant qui a Dieu pour père! Hic est filius meus
dilectus. Sans cesse je lui donnerai des
marques de mon amour; sans cesse il sera
sous la tendresse de mes regards; son état
me touche, sa jeunesse me ià.t pitié Réveil-
lerai-sur son cœur, je lui conserverai son
innocence si précieuse; j'éloignerai de son
âme le moindre mal; les autres rois sont mes
ministres, sont mes images ; celui-ci sera
mon enfant; je me sens pour lui un cœur et
des entrailles de père : Hic est filius mens di-
lectus; c'est mon enfant chéri , mon fils bien-
aimé : Filius 7neus dilectus, in quo mihi bene
complacui ; je me complairai en lui comme
en mon ouvrage; je mettrai mon plaisir à
l'enrichir de mes grâces, à verser dans son
âme toutes les vertus, à le combler de mes
miséricordes, à le faire croître en piété à me-
sure qu il croit en âge ; enfin, je ferai ma
joie de sa sanctification jusqu'à ce qu'enfin
réuni à moi dans, le ciel, il jouisse éternelle-
ment de ma gloire. Je vous la souhaite.
SERMON IV
Pour l'annonciation de la Vierge.
SUR L'HUMILITÉ.
(,)iio<l nascetur px te sanclum vocabnur, Filius Dej...
Di\iL ci Maria : Ecce ancilla Domini. (Luc, I.)
Le fruit saint qui naîtra de vous sera appelé le Fiis de
Dieu... Marie lui répondit : V oki tu servante du Sei-
gneur.
Sire ,
De toutes les vertus la plus nécessaire aux
rois et la plus rare est sans doute l'humilité;
PETIT CAREME. — SERMON IV, SUR L'HUMILITE.
645
et ce qui leur rend cette vertu si difficile,
c'est que dans ce haut degré d'élévation où
]a Providence les a fait naître , ils ne connais-
sent ni le modèle ni le mérite de l'humilité.
Or, le mystère de ce jour va leur otl'rir l'un
et l'autre, et dans les objets les plus grands,
les plus saints, les plus dignes d'eux, puis-
que, dans les circonstances de notre évangile,
Dieu aime, ce semble, à vous exposer d'abord
le modèle le plus parlait de l'humilité dans
un Dieu qu'elle fait homme : Quod nàscttur
ex te. sanctum vocabitur Filius Dei. Ensuite le
mérite le plus sublime de l'humilité dans une
Vierge qu'elle rend mère de Dieu : Ecce
ancilla Domini. Ainsi le modèle de l'humilité
en Jésus-Christ, le mérite de l'humilité en
Marie, voilà tout mon dessein.
Mon Dieu ! que cette vertu placée dans un
jour si beau paraît aimable ! qu'elle a pour
un cœur de puissants attraits ! Ouvrez-lui le
vôtre, prince auguste; peut-être dans ce
point suprême de grandeur, où il n'y a rien
(jui vous égale, dédaigneriez-vous d'appren-
dre l'humilité d'un homme; mais comment
rcfuseriez-vous de l'apprendre aujourd'hui
d'un Dieu? D'un Dieu, tout grand que vous
êtes, votre souverain, [votre seigneur, votre
maître. D'un Dieu qui, en prenant l'humilité
sur lui, l'a rendue si respectable, en a fait
comme roi et comme Dieu une vertu royale
et divine. Non, depuis qu'un roi s'est rendu
humble , c'est par l'orgueil qu'un roi se dé-
grade; il s'élève, il s'ennoblit par l'humilité;
par elle il devient grand, puisque par elle il
devient, saint. Ahl donnez-vous, Sire, don-
nez-vous encore cette sorte de grandeur; et
déjà l'image de Dieu par votre puissance,
aimez à l'être aussi par votre humilité. Nous
vous demandons pour lui cette grâce, ô mon
Dieu! et les lumières de votre esprit, par
l'intercession de Marie, etc.
PREMIER POINT.
Sire,
S'il est de ,a perfection d'un modèle d'ex-
primer vivement tout ce qu'il offre à imiter,
grands du siècle, où l'humilité pour vous
pouvait-elle être mieux marquée que dans le
mystère du Verbe fait chair? Examinez, dit
un Père, ce qui le précède, ce qui l'accom-
pagne, ce qui le suit, vous y verrez "partout
cet Homme-Dieu entre les bras de l'humilia-
tion et dans tous les degrés de la bassesse.
Et d'abord, pourquoi ces figures si augus
tes, ces promesse si magnifiques, ces signes
si éclatants, ces attentes si longues, ces pré-
paratifs si pompeux, cette idée donnée de si
loin au monde d'un Messie tout brillant de
gloire et de majesté, si ce n'est pour augmen-
ter par cette opposition lasimplicitéde sa ve-
nue? Pourquoi un ange, de sa nature invisible,
seul dépositaire de ce secret, va-t-il l'an-
noncer, non au palais des grands du monde,
mais à un bourg méprisé des Juifs, sinon pour
diminuer su moins parla l'éclat de ce grand
prodige? pourquoi quelque temps aupara-
vant fait-il taire les prophètes et les oracles?
fait-il cesser les prodiges et toutes les voies
extraordinaires, sinon pour arriver, s'il se
C4«
peut dire, dans le silence de l'univers, et
pour venir quand rien n'avertissait de sa
venue? Pourquoi choisir un temps où le
crime plus débordé inondait toute la face de
la terre, où les gentils étaient plus idolâtres
et les Juifs plus superstitieux, si ce n'est
pour se faire de ce monde impur et souillé
un séjour plus humiliant et plus contraire?
Et encore ne choisit-il pas pour sa mère une
vierge d'une noblesse reconnue, mais dont
la famille depuis David était tombée peu h
peu, et comme par degrés, afin de se prépa-
rer une naissance basse et obscure; une
vierge à la vérité pleine de grâce, mais vide
de tout le reste, et dont l'unique bien, les
seules richesses étaient ce que les grands
du monde n'estiment guère, l'onction divine
du £aint-Esprit; enfin ne veut-il pas avoir
pour père un simple artisan, qui n'avait
pour partage que beaucoup d'innocence et
beaucoup de pauvreté?
Mais, dans l'exécution mêmede ce mystère,
voyez comme il épuise sa puissance dans la
recherche des moyens par lesquels il pouvait
s'abaisser; loinde prendre un corps glorieux,
immortel, impassible, ne fait-il pas un miracle
pour changer sa force en faiblesse*, sa gran-
deur en infirmité, sa sagesse en enfance, son
bonheur et son éternité dans un état de
peine et de mort?
Ah! puissants du siècle, un Dieu sent,
comme il le doit, des humiliations si pro-
fondes, son âme est trop grande pour n'être
pas touchée d'un abaissement si prodigieux,
mais il regarde le cœur de son Père qu'il
fallait calmer, il considère vos cœurs super-
bes qu'il fallait guérir, et il adoucit par cette
vue la honte d'un état si vil, au point de
l'aimer, de s'y plaire, et de s'y animer, en
supportant les abaissements d'une naissance
pleine de misères, d'une yio toute d'abjec-
tions, et d'une mort qui sera pour lui
le comble des humiliations et des oppro-
bres. Que tout ceci, mes frères, mérite de
réflexions ! Voilà un Dieu, dit saint Ba>ilo
qui, le plus grand de tous, est humilié plus
que tous; mais se réduirait-il à un état si
abject, s'il ne voulait nous y servir de mo-
dèle, et nous dire de lui-même ce qu'il a dit
depuis d'un autre? Si vous ne devenez par
l'humilité aussi petits que cet enfaut, vous
n'entrerez jamais dans ma gloire; non, grands
du monde, que personne ici ne se flatte à sa
propre ruine, c'est un principe inébranlable
de la religion, que nul n'aura de part à l'in-
carnation sainte de Jésus-Christ, et par con-
séquent les grâces des mystères se tenant
l'une avec l'autre, il ne recueillera aucun
des fruits qu'il vient répandre sur la terre,
s'il ne l'imite en ses abaissements.
L'imitons-nous, mes chers frères t Descen-
dons une fois en nous-mêmes, et voyons-
nous dans ce cœur où nous n'entrons jamais,
et où nous sommes véritablement; y portons-
nous un seul trait des humiliations de ce
Dieu enfant? et quelque humides que nous
nous croyions, pouvons-nous sans confusion,
comparer ici les princiuaux caractères de
CA7
ORATEURS SACRES. LE P. SIKIAS.
GIS
l'humilité de Jésus-Christ ave- les caractères
de la nôtre?
1° En Jésus-Christ incarné humilité pro-
fonde; connaît-t Ile des ménagements, et en
prenant aujourd'hui la forme de pécheur,
ne va-t-il pas jusqu'au-dessous du néant
même ?
En nous l'humilité craint toujours de trop
descendre; nous appréhendons de nous dé-
grader, de prendre trop sur notre rang, sur nos
dignités, sur les bienséances de notre condi-
tion, de notre naissance ; nous assignons
selon nos caprices à cette vertu ses temps
marqué; et ses lieux propres, et lorsqu'un
Dieu embrasse aujourd'hui celte vertu sans
restriction, nous, vils pécheurs, nous lui
donnons en nous des bornes et des règles.
2° En Jésus incarné humilité sincère : si en
lui dans ce mystère tous les dehors sont
simples et abjects, le fond de son cœur l'est
I lus encore.
En nous au contraire humilité fausse ,
trompeuse, hypocrite. Quand les dehors ré-
formés semble offrir la modestie, le cœur
qui les dément, demeure vain et superbe;
nous conservons au fond de l'âme un désir
secret de tout ce qui peut nous donner de la
distinction, et un amour des louanges qui
dégénère en faiblesse ; lors môme que
nous n'avons dans la bouche que des paroles
d'abjection et de bassesse, ce ne sont en se-
cret que mouvements inquiets qui tendent en
nous à la gloire des dignités, du crédit, de
la réputation, de l'estime ; c'est une imposture
éternelle de vanité, qui ne s'humilie qu'afin
qu'on l'élève, qui ne fuit qu'afin qu'on la
cherche. Tandis que ceux qui ont moins
d'éducation et moins d'usage du monde,
rendent les é;anchements de leur orgueil
plus naturels et plus sensibles, se louant fa-
dement eux-mêmes; nous, plus adroits, allons
à la gloire par des voies plus détournées,
mais plus sÀres ; nous sommes vains avec
plus d'artifice, plus de subtilté, plus de mé-
thode; nous essayons de nous parer à la fois,
et de notre grandeur et de notre modestie:
nous faisons de cette modestie à notre mérite
et à nos talents ce que l'art fait des ombres
aux figures d'un tableau, un secours qui en
relève l'éclat et les fait paraître davantage ;
nous nous ménageons toutes les douceurs de
l'orgueil sans en prendre ledécri et la honte;
nous cachons une recherche avide de la
gloire en faisant semblant de la mépriser. et,
en cela, disent les Saints, nous avons une
humilité plus orgueilleuse que l'orgueil
même.
3° En Jésus incarné humilité constante,
soutenue; le mystère de ce jour ne va ètro
pour lui qu'une longue suite d'humiliations
toujours nouvelles.
Pour nous, nous n'avons qu'une humilité
passagère et démentie à la moindre épreuve.
Je l'avoue, dans la ferveur de la prière , nous
conviendrons humblement de nos misères ,
nous sentirons la profondeur de nos maux;
mais il est étrange combien hors de là le moin-
dre mépris nous trouve vifs, la moindre injure,
sensibles, le moindre honneur, emnressés, la
moindre louange, crédules. Que l'on con-
vienne avec nous des défauts mêmes que nous
déplorions, tout l'homme en nous se révolte;
nous nous sentonsà lafoiset intiniment misé-
rables et infini ment orgueilleux par un prodige
qu'on ne peut comprendre, et nous sommes
forcés d'ajouter à tant de misères qui nous
humiliaient, celle de nous y surprendre su-
perbes.
4° En Jésus incarné humilité libre, volon-
taire, choisie. Et quel autre poids que ce-
lui de son amour le fait descendre aujour-
d'hui à tant de bassesse ! Il s'est humilié lui-
même, dit l'Apôtre (Philip. , II), et il a aimé
d'être abject.
L'humiliation en nous est toute forcée ; ce
n'est pas nous qui nous humilions, c'est
Dieu, ce sont les hommes, ce sont les événe-
ments et les conjonctures qui nous humilient.
Nulle abjection de notre choix, de notre goût
et de notre ordre ; si nous nous tenons dans
la bassesse, c'est que la faveur se refuse,
c'est que les biens manquent, c'est que les
appuis et les ressorts qui élèvent les antres
hommes nous sont ôtés ; nous n'avons qu'une
humilité, pour ainsi parler, humaine et na-
turelle, qui n'est qu'une impuissance démon-
ter plus haut, une nécessité de nous tenir à
notre place; nous ne sommes pas humbles
par religion, mais ; av raison, et quand nous
paraissons dans l'abaissement, c'est plus
notre état qui est abject que ce n'est notre
co'ur qui est hum Ne.
5" EnJésusincarné humilité propre, singu-
lière, personnelle ; on n'avait pas vu encore
ce genre d'humiliation : un Dieu enfant, un
Dieu anéanti, et plus cet abaissement est
pour lui propre et personnel, plus il l'aime.
Nous (car je veux suivre l'homme jusque
dans les replis les plus secrets de son cœur et
confondre ici toute sa superbe) , nous n'ei
mons que les humiliations vagues et com-
munes; qu'il s'agisse du genre humain en
général, nous en dirons sans peine tout !e
mal possible; la corruption de notre nature,
les ténèbres de notre esprit, la faihlessede
nos penchants; tous ces motifs d'humiliation
si communs avec le reste des hommes, nous
trouvent éloquents ; nous descendrons aussi
bas qu'en voudra, pourvu que ce soit avec
tout le monde ; mais sur ce que nous avons
de personnel et de propre, nous sommes dé-
licats; un défaut qui n'est que le nôtre, s'il
nous est reproché, nous trouve vifs et sen-
sibles; qu'on nous rappelle le faible de notre
envie, l'indignité de nos attaches, la bizar-
rerie de notre humeur, certain vice qui nous
caractérise, certaine passion qui nous dis-
tingue, nous nous élevons avec chaleur, et
toute humiliation qui nous est propre nous
est insupportable.
Que dirai-je encore? En Jésus incarné,
humilité pleine, entière, sans dédommage-
ment au dehors et sans ressource. Nous, si
devant Dieu nous nous humilions, nous te-
nons, pour ainsi dire, à nos abaissements
mille compensations toujours prêtes; nous
voulons encore briller par cet éclat étranger
et emprunté qui nous environne. Trop nu-
6i9 PETIT CAREME. — SERMON IV, Si'R L HUMILITE.
miliés par le sentiment de nos misères se-
650
crêtes, nous sortons hors de nous et essayons
d'adoucir la triste conviction de nos maux en
nous regardant dans nos biens, dans nos di-
gnités, dans nos emplois, dans nos titres;
vous, rois-, dans vos sujets, dans votre souve-
raineté, dans votre empire , dans tout ce qui
est hors de vous et qui n'est pas vous-mêmes ;
toute bizarre que nous paraisse la vaine opi-
nion des hommes, nous ne pouvons souffrir
d'en être effacés , et nous allons jusqu'à être
touchés des louanges que notre cœur, mieux,
instruit, méconnaît au fond et désavoue.
L'erreur même, qui nous croit ce que nous ne
sommes pas, ilatte notre orgueil; nous nous
élevons de la méprise publique , charmés
qu'on se trompe en notre faveur, et consolés,
dit saint Augustin, d'être vicieux là où nous
sommes , pourvu que nous soyons vertueux
là où nous ne sommes pas, ce qui est un
aveuglement digne de larmes.
Enfin, en Jésus incarné humilité produite
dans ses vertus mêmes. En effet, dans ce
grand mystère, ne dérobe-t-il pas au monde
entier le prodige de sa charité et le bien ines-
timable qu'il vient faire aux hommes?
Qu'en cela nous l'imitons peu, mes chers
frères ! Le souffle de l'orgueil entle en nous
jusqu'à-la piété même. On veut paraître dans
le bien qu'on fait; dans l'œuvre de Dieu on
cherche la gloire du monde ; les édifices
môme que les grands élèvent à la religion ou
à la charité, portent l'empreinte de leur or-
gueil et les marques de leur superbe. Les
vertus obscures délaissées, celles où nous
sommes seuls notre propre spectateur , la
simplicité, la modestie, la retraite, sans
attraits pour nous et sans charmes, sont plus
pénibles à pratiquer. Nous avons de la peine
à consentir de n'être chrétiens qu'à nos pro-
pres yeux dans les Sacrifices que nous faisons
à Dieu, comme si ses regards divins ne suffi-
saient pas, et qu'auprès de ce témoin et
de ce Juge immortel, on dût compter les
hommes pour quelque chose. Nous les appe-
lons, pour ainsi dire, à notre secours ; il faut
que la réputation et l'éclat viennent soutenir
notre faiblesse ; il faut que notre âme se re-
pose sur le bien qu'on dira de nous; cette
approbation et cette estime publique, qui ne
devraient être au plus que la récompense de
notre piété, en sont seules ie motif et la source.
Quoiqu'en nous le bien dépérisse dès qu'il y
est vu et qu'on ne puisse guère le reconnaître
en soi sans le perdre, nous le regardons en nous
avec complaisance, nous le montrons aux au-
tres avec joie, nous aimons mieux l'anéantir
devant Dieu" que de le diminuer devant les
hommes ; peu attentifs à ce que nous sommes,
beaucoup à ce qu'on nous croit, et consentant
à être moins hommes de bien pour le paraître
davantage. En un mot, et au dedans et au de-
hors nous ne sommes que superbe, et si
l'humilité se manifeste en Jésus-Christ par
tous les endroits, l'orgueil prend chaque
jour en nous des faces presque infinies.
Mais, répondez-moi, puissants du siècle,
qui- peut encore vous autoriser dans cet
amour aveugle do la' gloire? doutez-vous
OaiTiaus sackés. L.
qu'il no soit mauvais, niez-vous que l'humi-
lité ne soit salutaire? Résistez donc, si vous
le pouvez, à toute la force de ce raison-
nement.
L'idée principale qu'Isaïe , parlant à un
roi de la tei re, lui donne du Verbe fait chair,
est celle d'un Dieu qui, en prenant notre
nature, réprouve le mal et choisit le bien.
(Et plût à Dieu qu'on pût le dire aussi de
vous, prince auguste, cet enfant chéri du
ciel au milieu de son peuple saura réprouver
le mal et choisir le bien : Puer iste sciet re-
probare malum et eligere bonuml (Isa., VII.)
Or, je vous le demande, que réprouve-t-il
dans ce mystère? N'est-ce pas les honneurs,
puisqu'il n'en peut souffrir sur lui la moindre
trace? Donc ils sont un mal et un grand mal,
il les faut éviter, il les faut craindre. Que
choisit-il? N'est-ce pas l'humilité? puisqu'il
la prend toute sur lui ; donc elle est un bien
et un grand bien : il la faut aimer, il y faut
vivre. Qu'opposer à l'autorité d'un * Dieu
contre vous, à son jugement, à son exemple?
Ce qu'estime le monde? il est dans l'erreur;
ce que demandent les sens? ils sont déré-
glés; ce que vous inspirent les flatteurs? ils
sont suspects; ce que voudrait l'amour-
propre? mais l'amour-propre n'est-il pas le
plus mortel ennemi des grands? Non, que
tout désolé il demande grâce; depuis qu'un
Dieu s'est rendu visible, tout est décidé par
son choix; il s'y faut plier , il s'y faut rendre.
Rendez-vous-y, Sire, je vous en conjure
par les abaissements sacrés de Jésus-Christ,
qui lui-même, comme il le peut, vous le
demande du sein de Marie ;'il ne reste à un
roi chrétien qu'un seul moyen de s'élever,
c'est de savoir descendre du comble de la
grandeur et de devenir humble. Et après
tout dans les rois seuls, ce semble, l'humi-
lité honore Dieu, parce qu'en eux seuls elle
lui offre de grands hommages ; elle lui sou-
met de grands orateurs, elle lui fait de grands
sacrifices. L'humilité dans les petits est plu-
tôt une bienséance qu'une vertu: en eux le
néant de la misère appelle celui des sen-
timents ; quand rien ne nous élève, il en
coûte peu d'être abject, et l'humilité com-
mencée, pour ainsi dire, par la nature,
est aisément continuée par la religion ; mais
être humble au plus haut degré des choses
humaines, être humble sur le trône, c'est
l'être avec plus de mérite et plus de valeur,
c'est l'être d'une humilité d'autant plus
agréable à Dieu, qu'on imite alors Jésus-
Christ son Fils, qui allie aujourd'hui la plus
sublime grandeur avec l'humilité la plus
profonde. Laissez-vous gagner, Sire, par une
ressemblance si belle et si chère. Abaissez
sans cesse votre majesté royale sous l'humi-
lité chrétienne, et de la bouche de votre
cœur écriez-vous, comme cette âme si élevée
et si grande : ô le Dieu d'Israël et le Christ
que Sion désire, vous voilà donc semblable
à nous, nos péchés vous ont rendu comme
le souffle de notre bouche : Spiritus oris
nostri Christus Dominus, in umbra tua vi-
vemus. (Thren., IV.) Nous adorons-vos saints
abaissements, ils ont jour nous une onction
£1
er.i
ORATEURS SACRES. LE P. SLRIAN.
C"->.
de grâce qui gagne nos cœurs; souffrez,
Seigneur, que tout souverain que je suis, je
nie joigne ici à vous; devant un Dieu créa-
teur, un roi n'est qu'un homme ; devant un
Dieu rédempteur, un roi n'est qu'un es-
clave; devant un Dieu juge, un roi n'est
qu'un criminel; devant un Dieu enfant, un
roi ne doit être qu'abjection et que bassesse.
O divin enfant, que vous êtes aujourd'hui
'jn remède heureux à l'orgueil des roisl
Oue vous nous attirez puissamment par des
humiliations si extrêmes ! Je veux vivre à
votre ombre ; je veux entrer dans votre néant ;
je veux me cacher dans vos bienheureuses
obscurités; je veux partager toutes vos bas-
sesses saintes : //; umbra tua vivemus.
Vous avez vu le modèle de l'humilité en
Jésus-Christ, voyons-en le mérite en Marie.
SECOND POINT.
Et certes, sans m'arrêterici à tous les en-
droits de notre évangile par où se relève en
Marie le mérite de l'humilité, vous-même
avez pu y remarquer ces deux sublimes
avantages : premièrement elle attire dans
son cœur la plénitude de la grâce; en second
lieu elle lui fait concevoir un Dieu. Quelle
veftu offre ici-bas un mérite plus éclatant et
de plus douces récompenses ?
Oui, après que l'ange l'a saluée et qu'il l'a
trouvée pleine d'humilité, il l'appelle pleine
de grâce, ç/ratia plena; comme s'il lui eût
dit : plus vous êtes vide de vous-même et
plus la grâce vous remplit. Ces abîmes heu-
reux qu'elle a faits en vous, ne servent qu'à
vous la faire recevoir avec plus de surabon-
dance ; anéantie par son onction, vous êtes
toute changée en elle; tout en vous est
grâce. Ce don céleste occupe toutes vos puis-
sances, toutes vos pensées, tous vos désirs,
tous vos sentiments, toutes vos paroles,
toutes vos actions, tout votre esprit, tout votre
cœur, toute votre personne, tout vous-même,
gratta plena. L'humilité vous donne toutes
Tes grâces; la grâce de la foi, qui n'est
qu'une raison soumise ; la grâce de la mor-
tification, qui n'est qu'une chair assujettie ;
la grâce de l'obéissance, qui n'est qu'une
volonté souple; la grâce de la charité, qui
n'est qu'un cœur abaissé et dépris de lui-
même pour s'unir à Dieu; la grâce de la
patience, qui n'est qu'une âme résignée et
docile; enfin, la plénitude de l'humilité vous
donne celle de la grâce, et vous réunissez
tous les dons de Dieu dans lo centre de
votre bassesse : Gratta plena.
Eh! comment le seriez-vous pleins de
grâ^e, vous, grands du monde, à qui celte
vertu, seule capable de la donner, est si
odieuse et si insupportable! Hélas! montrez-
vous ici vous-mêmes à vous-mêmes, vous
trouverez au contraire que si l'humilité fait
en Marie toutes les impressions du bien,
l'orgueil renferme en vous tous les principes
du désordre.
C'est l'orgueil qui vous fait secouer le
joug bienheureux de la foi ,et qui, vous ren-
dant curieux , vous rend incrédules , et par
là il devient en vous il religion: c'est l'or-
gueil qui , vous cachant vos désordres , vca.>
fait croire que vous ne méritez pas les afflic-
tions si justes que Dieu vous envoie, vous
révolte chaque jour contre sa main venge-
resse , et par là il devient en vous mur-
mure, impatience, impiété, blasphème. C'est
l'orgueil qui vous éloigne tant des yeux de
Dieu, qui vous inspire tant d'aversion pour
la retraite où on le goût<% soit à cause que
dans la retraite l'orgueil des grands ne sau-
rait trouver la nourriture qu'il demande, hon-
neurs, respects, hommages; soit parce que la
solitude vous met dans la nécessité de vous
voir et devons humilier parle spectacle tro,>
présent de vos misères, et parla il devient e.i
vous oubli de-Dieu, dissipation, amour du
monde. C'est l'orgueil qui peut-être, pour
vous avancer dans les dignités de l'Fglise,
emploie la brigue, la faveur, les sollicitations,
l'intrigue; vous fait acheter le sanctuaire de
Dieu comme un héritage profane, et par là
il devient en vous simonie, profanation, sa-
crilège. C'est l'orgueil qui vous remplit d'une
fausse idée de vous-mêmes, ef, dès que les
autres n'entrent pas dans votre erreur , ne
parlent pas, n'agissent pas conformément à
l'opinion outrée que vous avez de votre mé-
rite, vous élève contre eux et vous trans-
porte, vous rend insupportable le moindre
affront, et par là il devient en vous- haine,
colère, vengeance. C'est l'orgueil qui, en
vous insatiable de gloire, est affligé de celle
de vos frères , regarde ce qu'on leur donne
de louanges comme s'il vous était ôlé, et
fait de leur bonheur votre supplice, et par
là il devient en vous envie, jalousie. C'est
l'orgueil qui, par mille artifices coupables,
s'efforce de relever en vous une vaine beauté ,
et parla il devient en vous immodeslie,
mondanité, scandale. C'est l'orgueil qui,
pour détromper le monde en notre faveur de
l'idée avantageuse qu'on à des autres et pour
supplanter vos concurrents , vous fait répan-
dre des bruits qui les noircissent , qui les
déchirent, et par là il devient en vous médi-
sance, détraction, calomnie. C'est l'orgue 1
qui vous fait condamner vos frères avec pré-
cipitation, sans fondement, sans preuve,
sans raison, sans vraisemblance, et par là
il devient en vous jugement faux et témé-
raire. C'est l'orgueil (car il est surprenant en
combien de péchés ce péché seul se diversi-
lie, et plaise à Dieu, prince auguste , plaise
à Dieu d'éloigner de vous un vice si fécond,
un monstre si funeste aux rois et à leurs
peuples I), c'est l'orgueil, mes frères, qui.
avec les grands, vousfait pour leur complaira
déguiser la vérité, avilir votre caractère;
vous rend ministres de leurs voluptés, com-
plu es de leurs désordres; vous fait épouser
leurs passions, et plutôtquc de manquer d'ap-
pui, vous prostitue à leurs crimes, et par là ii
devient en vous bassesse, lâcheté, adula-
tion, flatterie. C'est l'orgueil qui d'une autre
part, ne pouvant s'accommoder de la dépen-
dance, vous donne ces répugnances si invin-
cibles pour obéir à vos maîtres, vous fait
censurer leurs ordres, condamner leurs
choix, et par là il devient en vous indocilité,
Ç53
PETiT CAREME. — SEKMON IV, SLR L'HUMILITE.
63 i
désobéissance, révolte. C'est l'orgueil encore
qui vous déplace , vous élève à des postes
disproportionnés à votre capacité , au-dessus
de vos talents et de vos lumières , et par-là
il devienten vous présomption et nécessaire-
ment injustice. C'est l'orgueil qui, pour
fournir à vos ambitieux projets et à vos dé-
penses énormes, vous recueille tout en vous
sans être secourables aux pauvres, vous fait
regarder comme légitimes toutes les voies de
vous enrichir, et par là il devient en vous
usurpation, inhumanité, rapine. C'est l'or-
gueil , rois de la terre , qui vous rend am-
bitieux sans borne et sans règle , vous fait
allumer partout des guerres sanglantes, et,
pour remplir l'univers de vos noms , rem-
plit vos états de misère, et par là il devient
en vous cruauté, oppression, tyrannie. C'est
l'orgueil, grands du monde, qui vous pla-
çant, ce semble, dans une région supérieure,
vous fait regarder au-dessous le reste des
hommes comme des victimes malheureuses
qui ne sont nées que pour être immolées à
vos passions, et fait qu'iei-bas vous ne voyez,
vous n'aimez, vous n'adorez que vous-mêmes,
et par là il devient en vous fierté, hauteur,
dureté, idolâtrie. Que dirai-je, mes frères?
C'est l'orgueil aussi qui, pour surprendre la
vaine estime des hommes contrefait en vous
l'homme de bien, emprunte les apparences
de la vertu quand votre cœur est plein de
vices, et par là il devient en vous dissimu-
lation , hypocrisie , imposture. C'est l'or-
gueil qui, par les plus monstrueuses absur-
dités, justifie à vos yeux les plus grands
ce unes, ne vous laisse jamais croire que vous
soyez mal, vous empêche de confesser au
saint ministre vos maux secrets et d'implo-
rer humblement sur vous la miséricorde
divine , et par là il devient en vous aveugle-
ment, insensibilité, endurcissement, impé-
nitence. Enfin, tous vos crimes ne sont que
les divers degrés de l'orgueil élevés les uns
sur les autres; il vous rend faux, durs, cruels,
inhumains, barbares, sans moeurs, sans foi,
sans probité, sans religion, sans Dieu, sans
conscience; il est, dit le Sage , le mal uni-
versel, l'iniquité tout entière; et en un
mot, si l'humilité donne à Marie la pléni-
tude de la grâce, l'orgueil donne à notre
âme la plénitude du péché : Omne peccatum
aupcrbia. (Eccli. , X.)
Mais voici où le mérite cie l'humilité se
relève le plus en Marie : Ecce concipies.
Après que l'ange lui a prédit qu'elle sera la
mère d'un Dieu, elle s'abaisse sous le poids
d'une dignité si immense; son humilité lui
dérobant toute sa grandeur, toute sa vertu,
la fait rougir d'un si sublime ministère ; elle
compare le profond abîme de sa misère avec
l'abîme de la grandeur de Dieu, et elle se
confond; elle a honte de se voir dans un
rang si proche de lui : quelque temps elle de-
meure en silence , et ce n'est enfin que son
humble obéissance qui presse son consente-
ment, et lui fait prononcer en tremblant cette
parole d'abjection et de bassesse : ecce ancilla
Domini, voici donc la servante du Seigneur.
Parole pleine de Dieu, et qui a la force de
le faire descendre en elle; parole d'où sort
une dignité qui élève Marie à l'alliance inef-
fable avec Dieu, et la confessant l'humble
servante du Seigneur, lui fait mériter d'être
sa mère : Ecce ancilla Domini. Et quelle ins-
truction veut nous donner l'Esprit-Saint par
ces dernières circonstances? C'e^t, mes frè-
res, que nous ne concentrons ce Dieu de
salut au fond de notre cœur que dans l'a-
baissement et la profonde humiliation d^
notre âme : In humilitate animœ vestrce pa-
rietis saiutem. Ah! vous l'éprouvez trop,
grands du monde, que jusqu'ici, loin de con-
cevoir ce Dieu de salut, vous n'avez conçu,
comme ajoute haie, que le souille de l'or-
gueil et le vent de la gloire humaine : Concc-
pimus spiritum et non saiutem. [Isa., XXVI.)
Vous avez mieux aimé que l'esprit superbe,
que le démon de l'ambition et de la vanité
.se produisît en vous, que ce Dieu de salut
et de miséricorde ; aussi, tandis que les âmes
humbles, pour n'avoir pris aucune paît à la
gloire du monde, en auront une si grande
à celle du ciel, il ne vous restera pour l'autre
vie que la honte de votre présomption, et
vous aurez à vous reprocher éternellement
que vous n'aurez embrassé qu'un souffle
vain et des honneurs qui ne sont qu'une va-
peur et une ombre : Concepimus spiritum et
non saiutem.
Mon Dieu ! que ce partage a de malheurs I
Pourrions-nous encore le prendre? Ahl qua
jamais ce. ne soit le vôtre, Sire; mais, à
l'exemple de David, humilié ici devant Dieu,
pour l'inviter à descendre en vous et à venir
dans votre âme, écriez-vous : Ante Dominum
qui elegit me, vilior fiam et cro humilis. (II
Reg., VI.) Malgré l'éclat de ma grandeur et
de la majesté royale, je m'abaisserai profon-
dément et je serai humble devant le Seigneur
qui m'a choisi dès l'âge le plus tendre, et m'a
fait roi par préférence même à ce que j'avais
de plus cher : Ante Dominum qui eleqit me,
vilior fiam; plus que nul autre l'enfant de sa
grâce, l'ouvrage de son amour, l'objet de sa
miséricorde, je serai plus que nul autre le
disciple de son humilité; plus je lui dois,
plus je m'abaisserai; pourrais-je jamais assez
descendre? Vilior fiam. Oui, devant ce Dieu
de gloire, devant ce suprême dominateur de
l'univers, aux yeux de qui tous les rois en-
semble ne sont qu'un atome , je m'humilie-
rai, je m'anéantirai ; hélas! aujourd'hui pour
moi il s'est bien humilié, il s'est bien anéanti
lui-même; j'essayerai de le consoler de ses
abaissements par les miens; les hommages
que mes peuples me rendent, je viendrai les
lui rendre ici; après avoir paru sur le trône
en souverain, je paraîtrai à ses pieds en sup-
pliant. Que n'ai-je à lui sacrifier plus do
gloire encore? Vilior fiam. Devant lui j'ou-
blierai que je suis rôi, pour penser seule-
ment que je suis homme, que je suis faible,
que je suis mortel, que je suis pécheur, que
je suis chrétien, que je suis un orphelin dont
il veut bien être le père ; je me ferai de tout
cela comme autant de degrés pour m'abaisser
et pour descendre : Et ero humilis, etgloric-
sior apparebo [Ibid.) ; et par là T.êmc, que de
'63
ORATEURS SACRES. LE P. SIRIAN.
655
sortes de gloire je m'attirerai 1 La gloire de
rendre à mon Dieu ce qui lui est dû ; la gloire
de savoir déjà me mettre à ma place ; la gloire
de sentir devant lui toute ma misère ; la
gloire d'offrir à mon peuple, dès ma jeunesse,
l'exemple de la plus difficile des vertus ; la
gloire de faire aujourd'hui ce que fait un
Dieu; la gloire de me mettre par l'humilité
au-dessus de la gloire même : Ero humilis
et qloriosior apparebo. Si j'ose me glorifier de
quelque chose, c'est que j'ai, comme roi,
plus de gloire, plus d'honneur, plus de faste
à mépriser; c'est qu'étant plus élevé, je puis
m'abaisser davantage; c'est qu'étant ici le
plus grand, je puis y être le plus humble :
Gloriosior apparebo ; c'est qu'enfin si, selon
votre parole, ô mon Dieu! celui qui se sera
le plus abaissé sera le plus exalté, m'étant
plus humilié sur la terre, je serai plus glo-
rifié dans le ciel : Gloriosior apparebo. C'est
la grâce que je vous souhaite.
SERMON V.
Pour le quatrième dimanche de Carême.
SLR LA BONTÉ DUS ROIS.
4'crepit Jésus panes et 'distribuit discumbentibus.
(Joui., VI.)
ISsus prit les pains et les distribua à ceux qui étaient
assis
Sire,
C'est ici la fonction dans laquelle j'aime
davantage à vous offrir Jésus-Christ lorsqu'il
fait du bien aux hommes. C'est ici la vertu
dont lui-même se plaît le plus à vous mon-
trer l'exemple, la bonté. Que cette vertu a
de grandeur dans les rois ! qu'elle y a de
charmes ! C'est par elle qu'ils portent plus
sensiblement l'image de Dieu, qu'ils appro-
chent le plus près de lui, qu'ils font, sur la
terre, à l'égard des hommes, sa plus noble
fonction, et elle leur donne, avec ce Père
commun, le plus beau trait de ressemblance.
C'est par elle que les rois régnent véritable-
ment, puisqu'elle leur donne l'empire des
cœurs, le plus beau, le plus doux et le plus
sûr des empires. De toutes les vertus, la
bonté sans doute est celle dont les souverains
tirent de plus grands avantages; elle donne
à leur couronne son plus bel éclat, et elle
fait le plus ferme appui de leur trône; elle
sanctifie leur grandeur, elle assure leur puis-
sance, elle forme ces nœuds si chers et si
aimables qui lient les peuples aux rois et les
rois aux peuples; par elle ils sont aimés dans
la paix, ils sont redoutés même dans la
guerre, puisqu'elle leur acquiert l'amour des
peuples, qui est la plus grande force d'un
Ktat, et qu'un roi aimé est un roi invincible.
Enfin, la bonté seule l'ait d'un prince un hé-
ros, un chrétien, un enfant de Dieu, un dis-
ciple de Jésus-Christ, et elle le rend au mi-
lieu de ses sujets tel que le Sauveur est
aujourd'hui au milieu de cette multitude,
leur ressource, leur salut, leur consolateur,
leur père.
Consacrons donc ce discours à une vertu
«1 glorieuse aux rois, si nécessaire aux peu-
ples, et, suivant l'une après l'autre les cir-
constances de notre évangile, montrons, et
dans le plus saint et le plus sublime des mo-
dèles, d'abord quels doivent être les carac-
tères de la bonté des rois, ensuite quels en
sont les avantages.
Je l'avoue, je n'ouvris jamais la bouche
avec un désir plus ardent de persuader. Que
Dieu, qui est charité, anime chaque parole de
ce discours 1 Qu'elles se gravent profondé-
ment dans l'âme du prince qui m'écoute 1 et
qu'un roi, pour qui Dieu a été si bon, ap-
prenne de lui à être bon à ses peuples 1 De-
mandons les lumières du Saint-Esprit, etc.
PREMIER POINT.
Sire,
Nul de nous ne vit pour soi-même, dit saint
Paul (Rom., XIV), mais pour les autres ; que
cet oracle convient aux rois 1 Car un roi,
dans les desseins de Dieu, n'est pas à lui,
mais aux peuples à qui Dieu l'a donné; c'est
un personnage public né pour le bien de ses
sujets; il se doit tout entier à eux, et son
temps, et ses soins, et sa vie même. La
royauté est dans ses mains un dépôt sacré
dont il leur est comptable. Oui, qui dit roi,
dit plus qu'on ne pense; c'est une vaste ex-
pression qui renferme des sens et des devoirs
immenses ; car être roi n'est pas seulement
porter la couronne, avoir des sujets, vivre
dans la pompe et le faste, prévaloir par son
autorité sur une multitude d'hommes ; c'est
les défendre, c'est les secourir, c'est les ai-
mer, c'est les rendre bons et heureux. Voilà
les vues de Dieu en vous élevant sur nos
têtes. De là il résulte que la bonté est la plus
grande vertu des rois, et qu'en les disant les
) ères du peuple, c'est moins leur donner
une louange, que leur marquer leur devoir.
Il y a, Sire, entre vous et vos sujets des en-
gagements mutuels et des obligations réci-
proques. Nous vous devons nos respects,
notre fidélité, même notre vie;voiis nous
devez la bonté. Malheur à nous si nous
manquons à nos engagements, vous auriez
droit de nous punir; mais si vous manquez
aux vôtres, une majesté plus haute, plus re-
doutable que la vôtre, vous jugera, et contre
ses jugements la puissance des plus grands
rois est la faiblesse même.
Mais quels caractères surtout doit avoir
la bonté des rois? L'Esprit-Saint, par la
bouche môme d'un roi, daigne vous l'ap-
prendre. Il faut qu'elle soit une bonté affa-
ble, une bonté compatissante, une bonté
secourable; affable dans les manières, com-
patissante dans les sentiments, secourable
dans les actions. Ehl que dans le miracle
que Jésus-Christ fait aujourd'hui en faveur
de ces peuples malheureux, ces trois carac-
tères de la bonté sont sensibles! Avec quelle
affabilité il s'approche d'eux! Avec quelle
sensibilité il voit leur misère! Avec quelle
libéralité il les nourrit et les soulage! Mon
Dieu! que la bonté des rois, si elle avait ces
traits aimables, leur gagnerait de cœurs?
Car à quoi, grands du monde, devez-vous
aspirer davantage qu'à vous gagner les
657
PEUT CA11EME. — SERMON V, SUR LA BONTÉ DES ROIS.
C5S
coeurs? Dans cette abondance infinie de tou-
tes choses où vous met la grandeur, c'est
l'unique bien qui vous manque.
Bonté affable : Jésus-Christ venait de rem-
plir la Judée du bruit de ses miracles, et
tout grand, tout Dieu qu'il est, il s'abaisse
jusqu'à ce vil peuple ; il les écoule, il leur
parle, il les fait asseoir; il cache le miracle
pour ne laisser voir que le bienfait, et il les
oblige autant par la manière de leur donner,
que par le don lui-même.
Et voilà, puissants du siècle, ce que vous
devez être à l'égard de vos peuples : Affabi-
lem te facito {Eccli., IV), vous crie le Sage.
Au lieu de ressembler à ces princes fiers et
farouches qui, renfermés dans leur gran-
deur comme dans un fort inaccessible, n'en
sortent jamais, mettent entre eux et leurs
peuples de cruelles séparations, ne nous
offrent qu'une grandeur toujours menaçante,
toujours armée, ne paraissent, ce semble,
que pour jeter dans les esprits l'épouvante
et le trouble , et en un mot ne sont rois que
par la crainte, sans jamais l'être par l'amour ,
vous, à l'exemple de Jésus-Christ, rendez-
vous affable, doux, d'un accès libre et facile :
Affabilem te facito. N'oubliez jamais que
vous êtes homme et que vous régnez sur
des hommes. Par l'affabilité, vertu si rare
dans les princes, élevez-nous jusqu'à vous,
abaissez-vous jusqu'à nous. Ne sortez ja-
mais de la bienséance, mais sortez quelque-
fois de la grandeur, vous dépouillant du
spectacle trop éblouissant de la royauté et
de l'autorité suprême. Quittez le théâtre et
le personnage, pour vous montrer humain
et populaire.
Ces hommes sages, à qui Salomon avait
confié l'éducation de Roboam son fils , ne
cessaient de lui donner cet avis si salutaire ,
die verba lenia (III Reg., Xll), parlez avec
douceur à ce peuple qui vous aime; il ne
le fit pas, il mérita par sa dureté d'être ap-
pelé la folie de sa nation et la honte de son
siècle. Vous, loin d'imiter un si triste exem-
ple, montrez-vous accessible, prévenant, affa-
ble; une parole douce, dit le Sage, vaut
mieux qu'un présent, et des refus mêmes
souvent elle fait des grâces. Dédaignant la
fierté qui n'ajoute rien à la grandeur et qui
ôte beaucoup aux grands, mettez à sa place
la douceur, l'humanité, la politesse. Portez
vos soins à plaire, comme il convient dans
l'éminence de votre rang et à la dignité de-
votre place, et n'allez pas dire : je crains de
me commettre par ma bonté. Non, Sire, avec
un peuple comme le vôtre, vovis ne perdrez
rien à être bon ; il y a dans le cœur des Fran-
çais un assez grand fonds de vénération pour
leur maître,, pour subsister au milieu des
marques les plus sensibles do vos bontés.
Soyez affable, votre peuple ne vous en res-
pectera pas moins et vous y gagnerez, s'il
se pouvait, d'en être aimé davantage.
Mais dès que la bonté est affable et qu'elle
daigne voir la misère extrême des peuples,
i est bien naturel qu'elle devienne compa-
tissante. Aussi à peine dans notre évangile,
Jésus-Christ s'approchant de cette multi-
tude, a vu l'excès de ses besoins, qu'il sent
son cœur s'attendrir, et il s'écrie : Ah! j'ai
compassion de tout ce peuple l Misereor su-
per turbnm !
Et voilà ce que doit être un grand à l'é-
gard de ses vassaux, un roi envers son peu-
ple. 11 faut que ces sentiments tendres de
Jésus-Christ passent dans son cœur, s'im-
priment profondément dans son âme. Re-
présentez-vous un bon père au milieu de sa
famille ; il n'est occupé que des besoins de
ses enfants ; il les porte tous dans son cœur :
il vit moins pour lui que pour eux. A leur
vue quand ils souffrent, ses entrailles s'é-
meuvent ; il s'attendrit sur l'un, il s'affiigo
sur l'autre, il est père pour tous; il ne sau-
rait avoir de joie qu'il n'ait vu finir leur mi-
sère, et le moment où il espère de les ren-
dre heureux, sera le plus doux moment de
sa vie.
C'est l'image naïve de ce qu'un roi doit
être au milieu de ses sujets. Les 7'ois sont faits
sur le modèle des pères. 11 doit s'attendrir sur
eux, compatir à leurs maux , ressentir vive-
ment leurs peines; il doit se rendre triste et
malheureux en leur personne, et s'écrier
avec Jésus-Christ dans les sentiments de la
charité la plus tendre : misereor super tur-
bam ! Ah ! ce peuple que j'aime comme un
bon père aime ses enfants, devient à mes
yeux un spectacle de pitié, un objet de dou-
leur et de larmes! misereor s:ipcr turbam!
11 doit plus faire : Jésus-Christ, attendri
sur ces peuples, choisit pour les secourir les
apôtres les plus compatissants, André et Phi-
lippe, qui lui exposent avec amour les be-
soins de cette multitude, et l'aident dans la
manière de la soulager; et voilà ce qu'un roi
doit faire, s'il est sensible aux maux de ses
sujets; il doit choisir pour ministres des
hommes doux, compatissants, charitables,
qui aient au moins des principes d'huma-
nité et de justice; qui, touchés des misères
des peuples, les leur mettent sous les yeux ;
des hommes qui se servent de l'accès que
leur bonté leur donne pour leur présenter
les vœux des pauvres et les prières des mal-
heureux, comme font dans l'Ecriture ces
anges de paix, qui portent au trône de Dieu
les larmes et les supplications des miséra-
bles, et en rapportent de douces bénédictions
et une abondance de grâces; des hommes
enfin qui osent vous dire, comme aujour-
d'hui Philippe, si jamais il venait (ce que
Dieu éloigne) des temps de calamité et de
disette : Maître, les pauvres en grand nom-
bre n'ont pas de pain : Non habent quidman-
ducent. S'ils ne sont soulagés, ils périront de
misère : déficient.
Car, est-ce assez que la bonté des rois soit
compatissante? On voit assez dans le monde
de ces cœurs tendres que la misère des pau-
vres touche; mais leur compassion fausse et
stérile ne les soulage point. Les grands, pour
la plupart, sont sur nos têtes comme ces
nuées plus hautes et plus brillantes, mais
qu'une pluie salutaire ne suit jamais, et qui,
belles seulement pour le spectacle, ne font à
la terre aucun bien : Nubcs sine aqxta. (Jud.%
«59
ORATKURS SACRES. LE P. SIRIAN.
CG3
12.) La bonté, pora plaire à Die:-, dot être se-
eotirable et se produire par des eifets. Si vous
êtes notre pasteur, disaient à leur nouveau
roi les Israélites, paissez votre troupeau :
Pasce popuhim tuum. (Mich., VII.)
Et voici l'endroit de notre évangile où
Jésus-Christ offre au monde le spectacle le
plis touchant. Levant les ijeux au ciely car la
bonté des rois doit être une vertu non hu-
maine, non politique, mais chrétienne, mais
divine, et qui ait son principe dans le ciel; et
ayant rendu grâce, car les rois doivent recon-
naître que tout le bien qu'ils ont, et tout le
bien qu'ds font vient de Dieu; il distribua à
ceux gui étaient assis les pains multipliés mi-
raculeusement dans sa main divine. Mon
Dieu! que c'est là une bonté féconde et agis-
sante ! et que doit faire un roi pour huiler
cette charité si aimable? Il doit faire à ses
sujets tout le b;en dont il est capable. Car si
le souverain bonheur est de pouvoir faire
tout le bien qu'on veut, la vertu suprême est
de vouloir faire tout le bien qu'on peut. II
doit, regardant la royauté dans les intentions
de Dieu même, soulager ses sujets, adoucir
leurs peines, et songer moins à conquérir de
nouveaux peuples, qu'à rendre heureux ce-
lui qu'il a; il doit, comme il le promet à son
sacre par un serment solennel, n'employer
sa puissance et sa vie qu'au bonheur de son
Etat, et si nous vous y jurons fidélité, vous
nous y jurez miséricorde.
Et voilà uniquement, grands du monde,
par où vous devez souffrir patiemment, et
aimer même votre état que d'ailleurs vous
ne sauriez trop craindre, par l'occasion si
favorable qu'il vous offre de faire du bien.
Voilà par où votre condition doit vous deve-
nir précieuse et respectable, par l'usage de
la bonté. Non, si vous avez au-dessus de nous
un privilège qu'on puisse envier, une dis-
tinction qui flatte, ce n'est pas d'être éievé au
faîte de la grandeur et de la gloire, c'est
d'être en état de faire des heureux, d'essuyer
des larmes, de remettre la joie et le calme
en des cœurs affligés; c'est de devenir, après
Jésus-Christ, comme les seconds rédemp-
teurs de l'homme, le rachetant de la misère,
comme il l'a racheté du péché; c'est de pou-
voir vous livrer à votre gré à ce doux pen-
chant, à ce charme secret d'un cœur né bien-
faisant et charitable; c'est de vous voir envi-
ronnés d'une foule de malheureux qui à
l'envi vous bénissent, vous reconnaissent
pour leur sauveur, pour leur libérateur, pour
leur père. C'est plus encore, de pouvoir atti-
rer sur vous la compassion de Dieu par celle
que vous aurez pour vos peuples. Car l'Es-
piit-Saint l'assure; Dieu qui aime les hom-
mes qu'ils a faits, par un retour de sa misé-
ricorde rend aux rois les biens qu'ils font à
leurs sujets; plus le prince nous comble de
biens , et plus Dieu le comble de grâces. La
mesure de votre amour pour nous est celle
de ses miséricordes; c'est un accord ainsi
fait. Ht Néhémias le savait bien, lorsque après
avoir exposé le bien qu'il a fait au peuple,
comme s'il l'avait mis en dépôt dans le sein
de Dieu, il s'écrie par un transport subit :
Rendez-ie moi, Seigneur, et faites à voire
serviteur ce que j'ai fait à ce peuple : Sicut
feci ;_populo huic. (Il Esdr., V.)
Or dès que les grands du monde se pénè-
trent d'un principe si beau, si consolant, si
favorable, et qu'ils se disent à eux-mêmes :
que Dieu a donc mis ses grâces à ce prix
qu'ils aimeront leurs peuples; peuvent-ils
assez les aimer, assez les soulager, assez les
défendre? S'ils sont touchés des intérêts de
leur salut, peuvent-ils ne pas saisir aveejoie
ce moyen si aimable d'attirer sur eux les se-
cours du ciel, si nécessaires dans les périls
de leur état? Peuvent-ils se voir, | aria bonté,
arbitres de tous les dons de Dieu, sans en
avoir une infinie pour leur peuple? Attirés
par un commerce si doux, peuvent-ils assez
y mettre? Ne doivent-ils pas rapporter à la
seule bonté toute leur grandeur, toute leur
puissance, puisqu'à la bonté seule semble
être attachée leur sanctification? Et qui veut
devenir un roi très-chrétien, ne doit-il pas se
rendre un très-bon prince ?
Ah! Sire, Dieu met-il donc ses grâces à un
prix qui doive tant vous coûter? 11 les atta-
che à votre amour pour nous , et vous n'a-
vez, pour vous rendre éternellement heu-
reux, qu'à nous rendre heureux nous-mê-
mes.
SECOND POINT.
Vous avez vu les caractères de la bonté
des rois; voyons-en les avantages. Je sais
qu'un bon cœur est déjà assez payé du bien
q • 'il fait par leplaisir qu'il trouve à le faire,
et plus encore par les récompenses immor-
telles que lui prépare le ciel. Mais ce Dieu
de toute bonté, et qui aime cette vertu, a
voulu pour la rendre plus chère aux rois, y
ajouter môme ici-bas d'autres avantages; et
quels sont-ils ces avantages? Saint Ambroise
nous les a marqués; rien, dit ce Père, n'est
si utile aux princes que la bonté. Elle vous
fait respecter, elle vous fait aimer : Hono-
rarifacit et diligi. Deux idées bien chères à
notre cœur, mais nécessaires aux rois dans
l'émincnce de leur place. Et n'est-ce pas ce
double avantage que, pour vous servir d'at-
trait, Jésus-Christ même en ce jour fait voir
en lui après son miracle? Ces peuples, dit
l'Evangile, touchés d'une bonté si tendre, si
paternelle, qui avec cinq pains avait rassasié
cinq mille hommes, tantôt frappés d'admira-
tion, l'honorent du nom de prophète : Hic
est vrre propheta (Joun., VI); tantôt épris
d'amour pour lui , veulent l'enlever pour le
faire roi : Ut facerent regem. (lbid.) Mon
Lieu, que la bonté a donc de force dans les
cœurs ! qu'elle y a de charmes !
Oui, la royauté déjà si vénérable par elle-
même, l'est bien davantage quand elle a pour
campagne la bonté. C'est la bonté seule qui
fait la véritable gloire des rois, qui immorta-
lise leur nom, et les rend respectables au
monde ; parce que la bonté seule assure leur
vertu, et empêche qu'elle ne dégénère. Ht
en effet, si la . bonté n'en réglait l'usage,
leur vaillance ne serait qu'une fureur, leur
justice qu'une cruauté, leur puissance qu'une
661
PETIT CAREME. — SERMON V, SLR LA BONTt DES ROIS.
CC2
oppression, leur courage qu'un emporte-
ment, toute leur grandeur qu'une tyrannie.
Sans la bonté, tout en eux tournerait à leur
désavantage; loin d'être, comme ils le doi-
- vent, le bonheur du monde, ils en seraient
!a plaie ; ils ne seraient plus grands que pour
faire déplus grands maux, et pour s'attirer
une plus grande honte. Il ne resterait d'eux-
mêmes que leur décri.
Non, mes frères, Dieu dans le ciel , et
les hommes dans leurs histoire-. , ne comp-
tent aux maîtres du monde que les jours
marqués par quelques bienfaits ; ils ne trans-
mettent à la postérité que les actions de clé-
mence. Ces rois qui n'ont voulu que se faire
craindre meurent tout entiers, et leur gloire
s'évanouit comme un songe. Ils ressem-
blent au tonnerre qui, sur la tète des hom-
mes, donne quelque effroi, mais dans un
instant se dissipe, et ne laisse après lui que.
l'infection. Mais la mémoire des rois misé-
ricordieux triomphe des temps et des siè-
cles ; nous louons encore la clémence de
David, la bonté de Josias ; nous pensons
sur eux comme pensaient les Israélites, et
leur nom,, transmis à nous par leur bonté,
durera autant que le monde. Qui ne se rap-
pelle ici avec joie l'idée même de cet empe-
reur païen qui, lorsqu'il faisait du bien à ses
sujets, goûtait le plaisir des plus glorieuses
victoires, et à qui l'univers entier, devenu
heureux sous son règne, déféra le titre si dou <c
de Très-bon? On aurait voulu, par respect
pour sa clémence, tirer Trajan de l'enfer;
des Pères mêmes de l'Eglise le revendiquent
en faveur de sa bonté. On n'a rien oublié
pour l'enlever au paganisme, pour en faire
honneur à la religion, pour en décorer la
foi chrétienne; tant la bonté est la véritable
gloire des rois, tant elle doit leur être chère.
Et qu'on ne dise pas, après tout, cette
vertu toujours paisible ne fait voir dans les
souverains ni victoires, ni triomphes. Eh
quoi! n'est ce donc pas uneassez belle victoire
que celle qui vous gagne tous les cœurs ? Eh
quoi 1 n'est-ce pas pour un bon roi le jour
d'un beau triomphe que celui où il soulage
son peuple, où il rend heureux ses sujets ?
Ace triomphe, je l'avoue, on ne voit ni
villes saccagées, ni remparts renversés, ni
provinces désolées, ni ennemis enchaînés;
mais on y voit un plus doux spectacle ; la
pauvreté surmontée, l'indigence vaincue, la
misère captive, ennemis seuls redoutables à
un bon roi, et dont la défaite pour lui est
la plus belle. On y voit avec lui marcher en
triomphe la piété, la modération, la justice;
on y voit l'abondance, la joie , le repos et la
félicité publique. 11 est vrai, à ce triomphe
nouveau, on n'entend point le bruit des
instruments, ni les cris des misérables;
mais quelque chose de plus touchant, les
vœux et les acclamations d'un peuple con-
tent et heureux, un concert secret de tous
les cœurs qui,' à l'envi, vous applaudissent,
et comblent de bénédictions celui qui leur
a fait une destinée si douce. Mon Dieu! que
ces victoires sont aimables ! que ces triom-
phes sont beaux ! qu'un prince est grand à
mes yeux, qu'il est héros au milieu de la
félicité publique! Si les rois sont hommes,
cette gloire pour eux n'est-elle pas plus
flatteuse que celle de ravager la terre, de
faire couler des larmes , de verser le sang
humain? S'ils entendaient leur véritable
gloire, ne la trouveraient-ils pas plutôt à
être le bonheur du monde, à représenter
Dieu sur la terre, faisant la félicité des hu-
mains, et à être son image par leur bonté,
comme ils le sont par leur puissance?
Orois ! n'oubliez jamais cette maxime: c'est
être grand que d'être bon ; vos bienfaits seuls
feront votre véritable gloire ; la plus belle cou-
ronne des princes est celle qui est tissuepar
l'affection des peuples, et le plus ferme appui
de leur trône est l'amour de leurs sujets. Les
hommages qu'on rend à la grandeur sont peu
sincères et peu durables ; ceux que l'on rend
à la bonté naissent du cœur, et un roi qui
est grand dans les cœurs de ses sujets, l'est
bientôt dans l'idée de tout l'univers, et le sera
dans l'opinion de tous les siècles.
Car, second avantage de la bonté d'un
roi, elle fait qu'on l'aime. Oui, l'amour est
le tribut légitime que les cœurs payent à la
bonté; aussi, quand Jésus-Christ a soulagé
la faim de ces peuples misérables, touchés
d'une bonté si tendre, ils veulent le faire
leur roi : Ut facerentregem. Celte vertu seule,
saisissant leur cœur, leur paraît digne du
trône et de l'empire. Et, sans doute, si les
peuples se choisissaient des rois, ils ne
prendraient pas les plus vaillants, les plus
fastueux, les plus magnifiques, mais les
plus doux, les plus humains, les plus com-
patissants pour eux et les plus tendres.
Nous aimons des maîtres qui nous aiment.
Les princes qui ont régné sans bonté, ont
.été l'exécration du montre. On les regarda
comme comme des monstres que Dieu, ir-
rité contre le genre humain, envoya pour
punir les crimes des peuples. Leur nom tout
seul est un outrage: un Achab, un Néron,
un Hérode nous font encore horreur; nous
les haïssons même dans les histoires qui
nous en parlent ; leur disgrâce nous réjouit ,
leur prospérité nous afflige ; nous déplorons
les peuples assez malheureux pour avoir
vécu sous leur empire. Ils ont contre eux
le passé, le présent, l'avenir même. Odieux
à toutes les générations des hommes, ils ne
léguaient que sur des esclaves, il ne vi-
vaient qu'avec des ennemis ; les maux qu'ils
faisaient à leurs peuples appartenaient, ce
semble, à toute l'humanité ; ils excitent en-
core des ressentiments universels, et ces
tyrans de quelques jours sont l'horreur de
tous les siècles-
Mais pour un bon roi, ah ! il est l'amour
et les délices de ses peuples. On l'aime
comme un bien public. A son idée seule
tous les cœurs touchés s'attendrissent ; on
se félicite de l'avoir pour roi. Son règne
n'est qu'une longue fête ; son mal le plus
léger devient dans un Etat une calamité
publique ; sans cesse on fait des vœux au
( iel pour la conservation de ses jours si
chers, si précieux, qui coulent pour le bon--
663
ORATEURS SACRES. LE I' SIRIAX.
C64
heur des nôtres; tous s'empressent de le
voir, et chacun, en le voyant, croit voir un
ami, un bienfaiteur, un père; qu'a-t-il be-
soin qu'autour de lui on veille? un bon roi
a toujours avec lui sa plus sûre garde, l'a-
mour'des peuples et les cœurs de ses sujets.
Toutes les nations se l'envient. Israël et
Juda disputent entre eux d'amour et de zèle
en faveur de David. Après une action de
clémence qu'il vient de faire, chacun veut
avoir un si bon roi, et l'un dit à l'autre :
Magis ad me perlinet r/uam ad te (II Reg.,
XIX) ; il est à moi plutôt qu'à vous. C'est la
bonté seule qui produit un combat si doux.
Pour éviter une guerre sanglante, il faut
qu'entre eux également, ce prince si cher se
partage. Un bon roi est un trésor public que
tous les cœurs se disputent ; que ne peut-
il se multiplier ! Si ses voisins jaloux vou-
lent le combattre, ils le trouvent aimé, c'est-
à-dire, armé de toutes les forces de l'Etat.
Car un peuple qui aime son roi, ne sépare
plus ses intérêts du sien. Pour le secourir,
tout coule de source; rien ne lui coûte, ni
ses biens, ni son sang, ni sa vie même. Peut-
il assez payer son bonheur et la félicité
commune? Au moment qu'il est attaqué, sa
bonté semble, du haut de son trône, apjieler
tous ses peuples à son secours ; chacun veut
combattre avec lui; avec lui chacun croit
vaincre; en un mot, cette bonté qui paraît
une vertu si douce, est pourtant plus forte
que les armées les plus formidables ; elle
est le rempart le plus invincible d'un Etat.
et un roi qui par elle s'est rendu maître
des cœurs, peut se rendre maître du monde.
Aimez, Sire, aimez une vertu qui a de si
grands avantages; goûtez le plaisir de faire
<iu bien, il est le plus doux ; formez dès à
présent pour nous le plan d'un empire heu-
reux, et tracez sur ce plan tous les projets de
votre fvie. Au moindre trait de bonté qui
vous échappe, nos cœurs sont transportés de
joie; nous nous le redisons, nous nous en
félicitons, nous en tirons pour l'avenir de
douces espérances.
Puisse en vous ce fonds de bonté chaque
jour croître ! Puissiez-vous faire de la misé-
ricorde et de la charité votre caractère pro-
pre I Puisse ce titre de bon, qui renferme
tous les autres, vous être un jour déféré par
l'univers 1 Puissiez-vous, surtout par la bonté
que vous aurez pour votre peuple, recon-
naître celle que Dieu a eue' pour vous, lui
niant avac David : Domine, bonitatem fccisti
cum servo tuo. (Psal. CXV1II.) O Dieu ! cen-
tro de toute compassion et de toute miséri-
corde, depuis ma naissance il n'y a eu sorte
de b'jrté que vous n'ayez eue pour votre ser-
viteur- , pj mon Ame à ce moment en est ici
tout attendrie. De quels périls, grand Dieu!
ni'avez-vous tiré! 0uel'° grâce encore vous
nie faites! Quel* se ours vous avez mis au-
près de moi 1 Toute ma vie n'est que l'ou-
vrage de vos compassions ! et plus je me re-
garde, plus je me sens pressé de vous dire :
Jionitatem fecisti cum servo tuo, Domine ; Sei-
gneur, dans mes malheurs extrêmes vous
m'avez donné des marques d'une bonté qui
n'a point de bornes : Inbonitate tua doce me
(Ibid.); que votre bonté soit donc la règle de
la mienne; qu'elle m'attendrisse, et me
rende sensible aux misères de mes sujets, et
aux besoins des pauvres; comme les pau-
vres je suis votre enfant, comme les pauvres
je suis orphelin, n'ayant que vous pour père.
Que cette ressemblance avec eux me porte à
soulager leurs peines; que j'apprenne de
votre compassion pour moi , celle que je dois
avoir pour mon royaume. Vous êtes mon père,
que je sois le père de mon peupla, le meil-
leur des peuples, à qui je suis si cher, et qui
par son amour pour moi mérite tant ma ten-
dresse : In bonitate tua doce me.
Si vous entrez, Sire, dans ces dispositions
si chrétiennes, vous éprouverez en ce monde
cette parole : heureux ceux qui sont doux ,
parce qu'ils posséderont la terre; et dans
î'autie celle-ci plus consolante encore; heu-
reux ceux qui sont miséricordieux, parce
qu'ils obtiendront dans le ciel une éternelle
miséricorde. Je vous la souhaite.
SERMON VI.
Pour le dimanche de la Passion.
SLR LA PIÉTÉ DES ROIS.
Ego nonorifico Palrrm. (Joan , VI.)
Je [ah honorer mou Pure.
Sire,
Voilà ce qu'avec Jésus-Christ, le roi des
rois et le modèle des souverains , un prince
chrétien chaque jour doit dire; tout son règne,
toute sa vie ne doivent être employés qu'à
honorer Dieu et à le rendre respectable aux
peuples. Il n'est prince, il n'est roi que pour
offrir au pied des autels, un hommage plus
solennel à celui de qui tout empire relève ; la
mesure de sa grandeur doit être celle de son
culte, et eu égard aux grâces qu'il a reçues de
Dieu, se regardant plus que le commun des
hommes, comme son enfant, il doit pouvoir
di re : que les autres l'aiment, qu'ils l'honorent;
moi, par ma religion et par ma piété, je veux
encore faire aimer, je veux faire honorer
mon père : Ego honorifico Patrem.
Consacrons donc ce discours à marquer les
traits augustes et vénérables de la religion
des rois , et montrons quelle forme doit
prendre en eux, pour plaire à Dieu, la piété
chrétienne; cette piété, le plus riche apanage
des souverains et' l'ornement le plus pré-
cieux de leur couronne; cette piété, la
source de leur gloire, l'appui de leur trône,
le gage de leur bonheur, la sûreté de leur
empire, leur Véritable prospérité, et d'où
naissent pour eux les plus beaux triomphes;
cette piété, qui loin d'être contraire à la
royauté, donne seule aux rois cette grandeur
d'âme, cette noblesse de sentiment, cette
élévation de cœur, ce vrai héroïsme qui les
rend capables des plus grandes choses, et
leur devient à des périls sans fins une res-
source sans borne; cette piété enfin, qui met
sur eux le sceau de Dieu, et qui, les faisant
régner sagement durant la brièveté de cette
misérable vie, leur assure dans le ciel un
C(ii
PETIT CAREME. — SERMON VI, SUR LA PIÉÏÉ DES ROIS.
c::o
roj aume éternel dont l'empire de l'univers
ne mérite pas d'être l'ombre.
Kt puisque dans notre Evangile où Jésus-
Christ offre en lui-même aux grands du
monde les sacrés caractères la piété, il dit
d'abord aux Juifs qui refusaient de le suivre :
quelle est la loi que j'ai violée? et qui de
vous peut me reprendre de péché? Puis-
qu'ensuite, peu content de n'être pas au peu-
ple un sujet de scandale, il croit devoir ho-
norer Dieu par les œuvres les plus éclatantes,
ego honorifico Patrem, moi je gloritie mon
père; puisqu'enfin , humble dans ses mira-
cles même, il en rapporte toute la gloire à
Dieu, non quœro gloriam meam, je ne cher-
che point ma propre gloire ; montrons sur ce
plan sacré que nous trace ici un Dieu même,
comment la vraie piété des grands doit être :
1° une piété sensible et exemplaire; 2° une
piété généreuse et magnifique; 3" enfin une
piété humble et soumise.
Encore qu'on puisse envisager la piété
sous une infinité de formes différentes, parce
qu'elle tient de son objet qui n'a point de
bornes, renfermons-nous dans ces trois idées,
comme plus convenables à ce lieu sacré et
aux circonstances de notre évangile.
Vous, ô mon Dieu 1 plus que jamais donnez
bénédiction à votre parole, qu'en apprenant
à cet auguste prince ce qu'un roi chrétien
doit être, j'annonce par avance ce qu'il sera,
ci que ce soit moins ici pour lui une simple
instruction qu'un heureux présage. Nous
vous le demandons, et les lumières de votre
Esprit, etc.
PREMIER POIXT.
Sire,
Premier caractère de la piété des grands,
une piété exemplaire et sensible. L'illusion
la plus commune où ils sont presque tous à
l'égard de la piété est de croire qu'il suffit
pour eux qu'elle soit au fond de leur âme;
que certains dehors de la dévotion convien-
nent davantage au peuple, et que, dans la
nécessité où sont les grands du monde de
remplir les bienséances de leur état, l'essen-
tiel de leur religion est dans le cœur; mais
outre que je pourrais vous répondre, puis-
sants du siècle, que lorsque le cœur est chré-
tien, on ne s'avise guère de disputer à Dieu
les œuvres chrétiennes, ne devez-vous pas
encore plus que nul autre en rempljr toute
votre vie, par l'obligation si indispensable
où vous êtes d'édifier, de devenir au milieu
de vos peuples un grand spectacle de piété,
et les imitateurs fidèles de Jésus-Christ, lors-
qu'il dit : Quelle est la loi que j'ai violée, et
oui de vous peut me reprendre de péché?
Oui, mes frères, les âmes communes et
vulgaires, bornées, ce semble, à elles-mêmes,
peuvent se sanctifier sans offrir au dehors des
œuvres de piété si sensibles; leur foi est ce
ti-ésor caché dans le champ du Père céleste;
elles peuvent lui rendre des hommages sans
être obligées de lui en attirer; Dieu leur
suffit, et contentes de l'avoir pour témoin
secret de leur vertu , elles en sont moins
responsables aux hommes. II n'en est pas
ainsi de vous, rois de la terre ; redevables au
peuple de votre piété, il faut la rendre exem-
plaire et sensible ; vous ne devez pas être
pieux ni en religieux, ni en solitaire, mais
en roi. La vertu d'un personnage public doit
être publique, il faut qu'en vous toutes vos
actions parlent ; étant sur la terre le grand
objet des regards des hommes, vous en devez
révérer l'attention, vous en devez respecter
les jugements, vous en devez animer la piété,
en ne leur offrant que des exemples de reli-
gion et de justice; il faut qu'avec Josias,
dans le saint temple, vous écoutiez avec
l'attention la plus respectueuse la parole du
Seigneur ; il faut qu'avec David , à la vue
de votre peuple, vous approchiez de l'arche
sainte avec la plus profonde adoration; il
faut qu'à l'exemple de Néhémias vous édifiiez
l'Eglise sainte par l'exercice public de la
charité; il faut qu'avec Samuel, par l'assis-
tance la plus pieuse au sacrifice de l'agneau,
vous le rendiez, s'il se peut, plus vénérable,
au peuple ; il faut enfin, que donné ici en
spectacle à vos inférieurs, vous leur offriez
avec éclat et avec force l'exemple continuel
de toutes les vertus.
Et pourquoi dans un souverain une piété
si exposée et si publique? C'est, répond
l'Apôtre, que vous êtes le ministre de Dieu
sur la terre, pour établir le bien et pour le
répandre : Ministcr Dei in bonum. (Rom.,
XIII.) C'est que Dieu ne vous a pas fait roi
précisément pour avoir plus de grandeur et
jJus de magnificence que les autres, mais
pour avoir plus de religion, pour être élevé
au milieu de votre empire comme un spec-
tacle de piété autour duquel les peuples se
rangent ; c'est qu'enfin la vertu ne passe guère
dans les peuples que par les grands, et que
de leur piété ou de leur impiété dépendent
leurs mœurs publiques. Eh ! qui peut dire en
effet, grands du monde, qui peut dire les
maux que produit dans un Etat le scandale
de votre vie ! C'était à vous à former les
peuples au bien, et c'est vous qui leur deve-
nez, par la licence de vos mœurs, une source
de désordres. Depuis que vous avez levé, ce
semble, l'étendard du péché tous, àl'envi s'y
abandonnent. Cette corruption si générale,
si excessive, dont on se plaint, est peut-être
votre ouvrage; les peuples, imitateurs éter-
nels des grands, trouvent une sorte de vanité
à faire le mal, depuis que par là ils vous
ressemblent ; vous avez donné à la licence un
air de noblesse et de grandeur que chacun
affecte de prendre. On fait gloire de suivre
ceux que la gloire suit partout. C'est dans
un royaume pour fournir aux plaisirs des
grands, une conspiration universelle de pé-
chés, et parce que vos cœurs sont pervertis,
il faut que tous les cœurs d'un Etat se per-
vertissent.
Mon Dieu ! quel fléau est donc pour un
empire un roi qui ne vous sert j as ! Quel
effroi pour lui, quand, paraissant un jour
auprès de votre tribunal terrible, il se verra
chargé des crimes de tous ses sujets, et que
vous pourrez dire de lui comme de cette
idole de scandale : Parce qu'elle a fait pécher
CC7
ORATEURS SACRES. LE P. SERIAN
QCS
mon peu[)le, qu'elle soit dévorée par le feu :
Igné succendatur. (Jerem., XXI.)
Au contraire, quel présent Dieu fait à un
empire quand il lui donne un roi édifiant;
îous son règne aimable les plaisirs publics
languissent, l'impiété tombe dans le décri,
le libertinage odieux se cache; non-seule-
ment vous ôtez au crime son crédit, mais
vous rendez à la vertu son lustre. La piété,
honorée et florissante dans votre personne,
se fait aimer de tous vos sujets, vos mœurs
pour nous deviennent les lois, chacun s'em-
presse de les suivre; les vertus du prince
sont bientôt les vertus de tout l'Etat, les
moindres pratiques même de la religion de-
viennent grandes quand on en voit l'exemple
dans son souverain; tout s'élève, tout s'em-
bellit en des mains si nobles. Ce n'est pas
une honte, c'est une gloire d'être chrétien,
dès que par là on vous ressemble. Une infi-
nité d'âmes qui n'osaient être pieuses, régu-
lières, pénitentes, aiment à l'être quand vous
le devenez. Quel courage vous jetez dans les
cœurs! quelle sainte émulation vous faites
naître dans les âmes ! Vous avancez plus le
royaume de Jésus-Christ par le spectacle de
vos mœurs, que nous ne l'avançons par les
efforts de notre zèle ; votre vie est pour les
peuples une exhortation à la piété plus per-
suasive que tous nos discours ; et, en un
mot tout se sanctifie dans l'univers, quand
vous vous y sanctifiez vous-mêmes.
* O que par là les destinées d'un roi sont
belles ! qu'un prince es,t grand quand il est à
Jésus-Christ! Mon Dieu ! que l'empire que sa
piété lui donne sur les cœurs est au-dessus
de celui qu'il tient de sa puissance ! Quand
l'intérêt seul de son salut ne lui suffirait
pas pour lui faire aimer la vertu, l'intérêt
de tant d'àmes qu'il sauve en les édifiant,
ne devrait-il pas le toucher? Est-il un plai-
sir plus doux pour un bon cœur que celui
d'être une source de salut et de félicité pour
ses frères ?
Vous, Sire, animé par un motif si beau,
ne vous sentez-vous pas ici un désir ardent
de vous sanctifier pour sanctifier ensuite
tout votre peuple? La vertu, déjà si aimable
par elle-même, prendra pour nous de nou-
veaux charmes ; lorsque par là nous vous
imiterons , votre exemple nous la rendra
plus chère et plus dou:e en votre personne
auguste; il lui sera plus facile de se gagner
nos cœurs, et de l'amour que nous avons
pour vous nous passerons aisément à avoir
de l'amour pour elle. Premier caractère de
la piété des grands, une piété exemplaire
et sensible.
SECOND POINT.
Second caractère : une piété généreuse et
magnifique qui melte un roi chrétien dans
cette disposition si haute et si grande de
pouvoir dire avec Jésus-Christ : Moi je glo-
rifie mon Père : Ego honorifico Patrem. Et
en quoi doit paraître dans les grands cette
élévation sainte de la piété ?
1° A surmonter les jugements et les contra-
dictions des esprits faibles. Quand Jésus-
Christ veut aujourd'hui rendre à son Père le
culte qui lui est dû, les uns l'appellent Sa-
maritain, d'autres lui disent qu'il est pos-
sédé du démon ; tous essayent de l'arrêter par
des respects humains et des vues politiques.
Mais sa religion ferme et courageuse en
prend, ce semble, de nouvelles forces, et
plus on attaque sa piété, plus elle triomphe.
On voit tous les jours des grands du
monde qui auraient du goût pour la piété et
quelque tendresse même de conscience,
mais une mauvaise honte les arrête. Us sont
effrayés du spectacle des jugements hu-
mains ; ils craignent de frapper les yeux du
monde par un changement trop marqué. Ce
personnage si aimable d'homme de bien leur
fait peur: ils ont delà valeur dans les combats,
ils n'en ont pas dans la vertu; et ces héros
dans la guerre sont des lâches dans la reli-
gion. Que Jésus-Christ peut bien leur dire
ce qu'il dit aujourd'hui aux princes de la
Synagogue : Ames faibles , autant j'honore
mon Père par l'élévation et la noblesse de
ma piété: Ego honorifico Patrem, autant
vous me déshonorez par la lâcheté et la bas-
sesse de la vôtre : Et vos inhonorasiis nie.
Ah! que les grands du monde craignent
Dieu, cette crainte en eux, loin d'être une
faiblesse, est la véritable valeur; par elle
un cœur est plus grand et une âme plus
élevée : Gloria magna est timenti Deum.
(Eceli., XXXI11.) Vous, pourquoi vous
déshonorer vous-mêmes ? pourquoi désho-
norer la vertu par la crainte lâche des
hommes , de ces hommes que d'ailleurs
vous mé; risez tant; de ces hommes que,
hors de là, vous rougiriez de craindre ? Lais-
sez la crainte au vice : c'est à lui de trem-
bler ; donnez de l'assurance à la vertu , il
lai convient d'être intrépide. Dans un prince,
le plus beau des triomphes est de surmonter
le respect humain. Un roi qui dompte ce
monstre mérite seul le nom de héros; et pour
lui, dit le Sage, oser pratiquer la vertu est
plus glorieux que de remporter des victoi-
res : Magis quam expagnare urbes. (Ibid.)
2° La piété dans les grands doit être gé-
néreuse et, s'il se peut dire, héroïque pour
vaincre les obstacles si infinis que leur état
oppose à la sanctification. Et en effet, quelle
force de courage ne faut-il pas dans ces âmes
royales pour être, sur le trône, pénitentes
au milieu de tout ce qui peut réjouir les
sens, pures parmi tous les objets les plus
capables de corrompre; libres avec tout ce
qui peut captiver un cœur et le surprendre;
vivantes dans un séjour où le cœur, pour
ainsi dire, ne saurait sortir hors de soi sans
rencontrer un ennemi qui le cherche pour
lui donner le coup de la mort; vigilantes au
milieu de mille" dissipations inévitables et
nécessaires, chrétiennes enfin, où l'on ne
peut l'être qu'avec effort et par miracle.
Ceux que Dieu a laissés dans l'obscurité
n'ont que des épreuves légères, et une
force commune leur suffit; mais en vous,
do grands, périls demandent un grand cou-
rage. Il faut que vous vous éleviez sans
cesie au-dessus de vos propres liassions ei
GO
PETIT CAREME. —SERMON VI SUR LA PIETE DES ROIS.
CTO
des passions mêmes de ceux qui vous envi-
ronnent ; il faut que vous soyez en état de
surmonter la nature à chaque instant, et
dans les choses les plus difficiles et les plus
douloureuses ; il faut que vous soyez prêts
à obéir à la loi de Dieu au préjudice d'un
grand intéiêt, ayant sans cesse dans vos
mains et votre grandeur et votre vie même,
s'il vous la demandait pour sa gloire ou pour
votre salut; et qu'en un mot, plus vous êtes
grands, plus vous combattiez de grandes
passions , plus vous ayez de grandes vertus,
plus vous fassiez de grands sacrifices.
Or, pour tout cela, que vous avez besoin
d'une grande piété, d'une piété ferme, cou-
rageuse, héroïque; d'une piété qui vous
rende contre le péché une colonne de fer,
un mur d'airain, une place défendue de
tous côtés et que rien ne force ! Hélas ! et
c'est parce que la piété est si contraire aux
passions des grands que presque tous ils la
rejettent et l'éloignent d'eux comme* leur
ennemie ; je crois voir ces princes des Philis-
tins qui, embarrassés de l'arche sainte, s'é-
crient en la renvoyant : Elle nous attire des
guerres trop cruelles, elle nous fait des
plaies trop sanglantes , elle ne nous apporte
que des maux ; qu'elle s'éloigne de nous :
Jieccdat a nobis. (I Rcg.,V.)
Insensés 1 nous ne pensons pas qu'en éloi-
gnant la piété de notre cœur, nous lui ôtons
toute sa paix, tout son bonheur, et que les
maux apparents qu'elle nous fait seraient
pour nous le plus grand des biens et la féli-
cité véritable.
Enfin, cette élévation ei cette magnificence
qui conviennent à la piété des grands, doivent
se produire dans les œuvres même de la reli-
gion, et dans leur zèle pour le divin culte.
Je'sais que la vraie beauté d'une âme chré-
tienne est au dedansd'elle, et dans l'assembla-
ge précieux de toutes les vertus. Je sais qu'en
nous Dieu est plus touché de l'innocence de
la vie que de la magnificence des dons, et
que celui qui porte dans son temple une
conscience pure, lui plaît davantage que ce-
lui qui lui élève des autels; mais la vocation
des rois est d'allier l'un et l'autre. Les peu-
ples, pour qui Dieu n'a lait que des choses
communes et ordinaires, peuvent ne lui ren-
dre qu'un culte ordinaire et commun; leur
zèle, destitué de tout secours, se borne à
prier, à gémir, à aimer, à offrir à Dieu de
bons désirs et de saintes pensées. Ce n'est
pas assez pour un souverain: la piété d'un
roi doit être royale ; il ne peut concevoir
pour la religion d'assez grands desseins, ni
des projets assez nobles. 11 faut que sa piété,
portant les caractères de sa grandeur, l'élève
aux œuvres les plus magnifiques. Eh quoi!
tout dans les princes es-t si somptueux et si
splendide ; n'y aurait-il que la piété qui ne
le fût pas? Une magnificence même exces-
sive éclate dans leurs palais, et l'on n'en ver-
rait pas le moindre trait dans nos saints
temples? Et grands rien que pour eux-mê-
mes, ils ne le seraient jamais pour Dieu?
Non. dit saint, Augustin, la religion chré-
tienne puise dans une meilleure source les
principes qui doivent la régler. Dieu à l'égard
des rois a été magnifique dans ses dons, ils
doivent être majestueux dans leurs homma-
ges; c'est de Dieu que l'Esprit-Sai nt a dit : qu'il
est magnifique dans sa sainteté; et c'est
d'un roi, sa vive image, qu'il a ajouté : une
grande magnificence a paru dans sa sanctifi-
cation. Les rois, en effet, ne peuvent se sanc-
tifier qu'en imitantdans leurculte cette ma-
gnificence de Dieu, et qu'en se portant pour
la religion aux choses grandes et signalées.
On en voit qui, bornés aune piété fausse,
étrangère, mal entendue, établie où elle
n'est pas, n'ont que la dévotion du peuple,
sans avoir la dévotion du roi. Leur religion,
dit saint Paul ( 1 Cor., XV ), est défectueuse ;
il faut que dans le ciel tous les astres brillent;
mais autre est l'éclat d'une étoile, autre l'éclat
du soleil ; il y a une dévotion des princes
différente de celle des particuliers, par la-
quelle ils font des actions de piété qu'il n'y
a que les rois qui puissent faire.
C'est à eux à élever des temples au vrai
Dieu, à lui dresser des autels, h décorer son
sanctuaire, à rendre l'appareil de son sacri-
fice plus respectable et plus pompeux, à
remplir de splendeur et de majesté la célé-
bration du sacré culte. C'est à eux à fonder
des asiles à l'innocence, des secours à la ver-
tu, des ressources publiques à , l'infirmité et
à l'indigence. C'est à eux à extirper les vices,
à dissiper les scandales, à s'opposer au tor-
rent de l'impiété et de la licence. C'est à eux
à étouffer les sectes profanes, à proscrire
l'erreur, a foudroyer les hérésies. C'est à
eux à protéger l'Eglise, à redonner h cette
épouse de Jésus Christ toute sa beauté,
toutes ses grâces; à maintenir ses lois, à
faire observer ses règles, à conserver sa doc-
trine pure, ses mœurs chastes, ses droits in-
violables, à lui donner de dignes pasteurs.
et à ne confier qu'à des saints les choses
saintes. C'e^t à eux à entretenir en elle
la sainte subordination, cette alliance si
vénérable, cette harmonie si nécessaire du
sacerdoce et de l'empire qui fait sa force
et sa beauté, à consoler ses peines, à calmer
ses troubles, et a la faire jouir d'une douce
tranquillité à l'abri de leur autorité saciée.
Enfin, leur règne ne doit être que le règne
de Jésus-Christ, et le plus noble usage qu'ils
peuvent faire de leur grandeur, est de l'em-
ployer à la grandeur de Dieu même : Ego
honorifîco Patrem.
Car voilà quelle a été dans tous les temps
la dévotion des rois, et la vraie piété des
princes. Ainsi David en grand triomphe fait,
transporter l'arche du Seigneur, et enrichit
des dépouilles des rois subjugués le divin
sanctuaire; ainsi Salomon épuisa, pour bâtir
le temple saint, toute la magificence humaine,
et voulut que la maison du Dieu de l'univers
fût la plus belle du monde; ainsi Ezéchias fit
célébrer la pâque avec la plus pompeuse so-
lennité, et conserva dans le cœur des peu-
ples le sentiment du vrai Dieu par le culte
le plus majestueux et le plus splendide;
ainsi J« -aphat honora de sa protection lès
67i
ORATLURS SACRES. LE P. SUR1AN.
672
saints lévites, cxterm'nales bois sacrilèges,
ôta l'opprobre d'Israël, et, selon l'expression
de l'Ecriture, dissipa tous les crimes d'un de
ses regards : Dissipavit omne malum intuitu
suo. ( Prov., XX.)
Et pour vous offrir, Sire, des exemples
moins éloignés, et pris de votre trône et de
votre sang même: ainsi Charlemagne donna
dans ce royaume au culte divin cette splen-
deur et cet éclat qui nous le rendent si véné-
rable; ainsi saint Louis enrichit nos églises
des tré«ors précieux de la foi et de l'appareil
&acré de notre rédemption sainte, éleva des
retraites aux veuves, aux orphelins, aux aveu-
gles, et sa charité magnifique et royale soulage
encore toutes les misères de nos jours ; ainsi
votre bisaïeul Louis XIV, grand contre tout,
contre ses ennemis, contre l'hérésie, contre
le duel, contre le blasphème, contre l'im-
piété, contre la licence, grand contre la mort
môme, le fut encore dans les œuvres de sa
piété; après avoir vaincu en David, il bâtit
un temple en Salomon,'et ce qui avait échap-
pé à la charité si étendue de saint Louis,
consacra à la jeune noblesse et à la valeur
malheureuse des édifices pompeux qui se-
ront des monuments éternels et de sa reli-
gion'et de sa gloire.
TROISIÈME POINT.
Mais achevons : dernier caractère de la
piété des rois, une piété humble et soumise;
après que Jésus-Christ a dit aux Juifs qu'il
glorifie son Père par les œuvres de sa piété,
il ajoute qu'en les faisant il ne cherche pas
sa propre gloire, et que sa gloire n'est rien:
Gloria mea nihil est.
Et voilà dans quelle disposition un roi
chrétien doit être; dans ce qu'il fait de plus
grand pour la religion il doit s'anéantir et se
confondre, s'éciiant avec ce roi d'Israël après
les oblations les plus magnifiques, je suis
un pauvre et un indigent. (I Reg.,\\\l\.)
D'ordinaire nous nous complaisons dans le
bien que nous faisons, nous ramenons tout
à nous-mêmes comme si nous étions notre
Dieu et la source de nos bonnes œuvres.
Souvent, dit un Père, les grandes actions
font naître dans l'âme un grand orgueil ;
notre amour-propre est en nous ce monstre
(lui se nuurrissait des victimes les plus belles;
il s'entretient de nos plus saintes vertus,
et, en faisant semblant de chercher la gloire
do Dieu, nous cherchons notre gloire propre.
Un roi pieux doit abaisser sans cesse sa ma-
jesté royale sous l'humilité chrétienne. Il
doit se regarder sur le trône et dans ce qu'il
fait de plus grand pour la religion, comme
un serviteur qui a soin de la gloire de son
maître, qui se trouve trop heureux qu'il
da;gne agréer son faible ministère pour
l'exaltation de son nom, et dont la gloire sé-
parée de celle de Dieu n'est rien, et loin d'a-
voir de la valeur, n'est qu'une usurpation et
un crime : Gloria mea nihil est.
Vous avez donc vu, Sire, les sacrés carac-
tères de la piété des rois; eh 1 qui empêche
■que dès ce moment vous ne vous consacriez
à elle? Sans la piété vous seriez comme un
enfant qui, s'éloignant de sa mère, tombe par
sa faiblesse naturelle dès le premier pas;
ôtez aux rois la piété, vous leur ôtez leur
gloire, leur bonheur; ils ne sont plus que le
vil jouet des passions, et même, au comble
de la grandeur, les plus misérables des hom-
mes. Evitez, Sire, un si triste sort ; que vos
mœurs s'accordent avec le nom de très-chré-
tien que vous portez. Frémissezà cette idée,
un roi sans piété. Ecoutez une voix intérieure
et secrète qui , au fond du cœur, vous dit sans
cesse que vous êtes le fils d'un saint: Filii
sanctorum sumus. (Tob. ,111.) Pour ne pas
dégénérer d'une naissance si belle, à l'exem-
ple de David, élevé à ce moment au-dessus
de vous-même, réunissant pour cette grande
action toutes les forces de votre âme, appe-
lant pour spectateurs et pour témoins d'un
si noble effort Dieu et les anges, avec une
ferme confiance dans le secours d'en-haut,
faites ici h Dieu, dans son saint temple, en
présence de votre peuple, à la face de ces
autels, un serinent solennel, un vœu irrévo-
cable de vous sacrifier tout entier à lui et
de vous dévouer pour jamais à la piété chré-
tienne.
Avec quelle joie lesanges saints vont por-
ter au trône de Dieu une hostie si grande et
si chère ! Recevez-la, Dieu de miséricorde,
tous ensemble nous vous la présentons; dans
cette innocence si pure, qu'elle est agréable
à vos yeux ! Comblez-la de vos bénédictions
les plus saintes; qu'elle vive, qu'elle croisse
sous la tendresse de vos regards. Mettez sur
ce prince auguste votre sceau divin : c'est
votre ouvrage, c'est votre enfant; recevez-le,
conservez-le, chérissez-le, sanctifiez-le, afin
qu'un jour réuni à vous il puisse vous pos-
séder dans l'immortalité de votre gloire. Je
vous la souhaite.
SERMON VIL
Pour le dimanehe des Rameaux.
SUR I.E MÉPRIS DÈS GRANDEURS HUMAINES.
Clamabant dicenles : husanua fiiio David. (Marc, XI.)
Ils s'écriaient en disant : Salut et gloire au (ils de
Dzvid.
Sire,
La grande leçon que Jésus-Christ daigne
aujourd'hui vous faire est un mépris gé-
néral du monde, de ses joies, de ses gran-
deurs, de ses prospérités, de sa gloire. En
effet, c'est pour en détromper votre âme qu'il
vous les fait voir difficiles dans leur re-
cherche, incapables de contenter ceux qui
les possèdent, si fragiles, si passagères, qu'on
en éprouve aussitôt la privation que la jouis-
sance. Depuis sa venue sur la terre, il n'a
cherché qu'à établir dans la Judée son em-
pire divin, et ce n'est que dans les derniers
jours de sa vie qu'il y est reconnu pour roi ;
au milieu même de son triomphe et des cris
do joie qui accompagnent son entrée, il pa-
raît triste et affligé. Enfin cette réception si
ponricusc, qui ne dure qu'un moment, se
change bientôt pour lui en l'appareil de sa
passion et de sa mort douloureuse. Que les
673
PETIT CAREME. — SERMON VII, SUR LE MÉPRIS DES GRANDEURS.
C"4
grands du siècle sont à plaindre, si, dans ces
trois circonstances du triomphe de Jésus-
Chri.st, si tardif, si insuffisant, si rapide, ils
ne découvrent trois puissants motifs de mé-
priser comme lui les joies et les grandeurs
du monde! Ehl quel fonds faire sur elles?
premièrement, leur recherche nous trompe ;
secondement, leur possession ne nous satis-
fa t pas; troisièmement, leur instabilité nous
aiflige. De leur nature elles sont fugitives,
elles sont vides, elles sont périssables; com-
ment peut-on les aimer; comment peut-on,
si l'on est sage, ne pas leur préférer Dieu et
les biens du salut, qui, toujours offerts et
présents à notre cœur, le préviennent; qui,
toujours pleins et rassasiants, le remplis-
sent ;.qui, toujours durables et constants, l'ar-
rêtent et le fixent. Développons ces trois
idées, et plaise à Dieu qu'imprimant aujour-
d'hui profondément dans l'âme du prince au-
guste qui m'écoute, le mépris des joies et
des grandeurs du monde, je puisse l'appli-
quer avec force au soin de son salut, ici-bas
l'unique bien, et pour les rois comme pour
le moindre de ses sujets la seule chose né-
cessaire. Demandons les lumières, etc
PREMIER POINT.
Siro,
Le grand objet au Très-Haut et le mystère
profond do sa souveraine sagesse, en nous
envoyant son Fils, était, selon l'Apôtre, d'éta-
blir sur les enfants des hommes sa divine
royauté. C'est à quoi tout semblait tendre
en lui dès sa naissance bienheureuse; tant de
travaux, tant d'instructions, tant de vertus,
tant de prodiges; tout en un mot se rappor-
tait à cette promesse adorable : les nations
de la terre le reconnaîtront pour roi, et dans
un triomphe pompeux on verra courir au-
devant de lui les peuples du monde. Cepen-
dant ju?qu'à ce jour nulle trace en lui de
cette royauté sainte et au lieu des hommages
qu'il méritait, il ne reçoit que des outrages.
Et par-là que veut-il offrir aux grands du
siècle qu'il instruisait? Le premier motif
qui doit leur faire mépriser les joies et les
grandeurs du monde, je veux dire le mé-
compte et l'inutilité de leur recherche et de
leur attente; car, avouez-le, puissants du
siècle, vous avez tous le même désir, qui est
de vous rendre heureux, et tous le même
sort, qui est de ne pouvoir l'être. Ah! qu'il y
a longtemps qu'en secret vous en gémissez,
et que votre cœur, laissé seul avec ses désirs,
vous devient un cruel supplice; vos pen-
chants, par exemple, vous entraînent vers
les plaisirs, mais ils se dérobent à vos pour-
suites ; vous épuisez vos soins sur les hon-
neurs, mais rien n'est plus stérile pour vous
que leur recherche; vous n'aspirez qu'aux
cîouceurs et aux délices de la vie, mais elles
semblent fuir devant vous. Selon l'expres-
sion du Sage, tous vos projets sont trompeurs,
toutes vos prévoyances incertaines Le che-
min que vous croyez sûr pour avancer, pres-
que toujours vous recule; vous trouvez un
piège où vous attendiez un appui; vous êtes
tomme un homme qui a fait naufrage sur le
vaisseau qu'il croyait devoir l'enrichir; sou-
vent même vos desseins les mieux concertés
échouent par les précautions que vous aviez
prises pour le succès; vos mouvements in-
quiets, vos entreprises pénibles ressemblent
au songe de celui qui s'agite durant le som-
meil, et à qui il ne reste d'une grantie agi-
tation qu'une grande inquiétude. Que sais-
je, grands du monde ; il y a même dans votre
vie des endroits tristes, où toutes vos pas-
sions à la fois, pour vous rendre plus mal-
heureux, sans pouvoir s'accorder semblent
vouloir se satisfaire; ce que la volupté sou-
haite, est combattu par la vanité ; ce que l'or-
gueil demande, la mollesse ne le veut pas;
l'avarice est un obstacle à l'ambition, et à
l'amour du repos celui de la gloire; peur
rendre heureuse une de ses passions, il faut,
pour ainsi parler, mettre les autres en escla-
vage; toutes insatiables, elles. deviennent
incompatibles; votre cœur misérable, mal
d'accord avec lui-même, ne sait alors qu'aban-
donner, ni que choisir; assez faible pour
s'ouvrira toutes les passions, il n'est j as as-
sez fort pour servir les désirs d'aucune; il
s'agite, il se consume dans l'inutilité de .--es
transports; ainsi la vie entière se passe à dé-
sirer et à souffrir; elle n'est qu'une longue
privation, un vain elfort, une misère conti-
nuelle, et vous en verrez arriver la fin, sans
jamais avoir joui ni de Dieu, ni du monde,
ni de vous-mêmes.
Oh! que plus sage est celui qui ne veut
que Dieu! Dieu n'est-il pas, à i'âme qui le
cherche, un bien toujours offert, touj urs
présent? Loin de fuir devant nous, ne nous
prévient-il pas par sa tendresse infinie? ne
nous recherche-t-il pas lui-même comme s'il
devait se rendre heureux par notre amour?
et l'âme fidèle qui le sert, ne trouve-t-elle
pas en lui ce repos et ce bonheur que lui
refusait le monde?
Ah ! que je sois enfin, ô mon Dieu ! cette
âme bienheureuse; il y a si longtemps que
vous m'en pressez. Hélas! par mes mal-
heurs, je me suis devenu à moi-même un
spectacle de pitié; j'ai vieilli dans les rebuts
de la cour et de la fortune ; et où est donc
ce bonheur que depuis si longtemps j'y
cherche? Tous les objets de mes passions
me fuient; quand je suis prêt d'y atteindre,
je sens une main invisible qui me repousse
et les éloigne de mon cœur ; c'est votre
main, ô mon Dieu ! je la reconnais cette main
aimable et paternelle, qui, par une violence
miséricordieuse , voudrait me ramener à
vous; eh bien encore éloignez tout, encore
refusez tout, mais donnez-vous vous-même,
Seigneur, j'aurai tout en vous possédant , et
je trouverai dansvotie amour un bonheur
que même les heureux du siècle ne goûtent
pas au comble de l'élévation et au iaîte djB
la gloire humaine.
Et voici, grands du monde, le second mo-
tif qui doit vous portera les mépriser, le
vide de leur possession et de leur usage.
SECOND POINT.
Jésus-Christ entre aujourd'hui dans Je-
C75
ORATEURS SACRES. LE P. SURIAN.
C73
rusalem comme un roi victorieux dans sa
ville capitale; tout se ressent, dans cette
auguste solennité, de l'appareil d'un triom-
phe ; une multitude empressée accourt à lui
de toutes parts; ce ne sont, autour du Sau-
veur, que cris de joie et qu'acclamations 'pu-
bliques; les uns jettent leurs vêtements sur
le chemin où il passe, d'autres arrachent des
branches d'arbres pour ajouter à son entrée
un éclat nouveau; ce n'est partout que
pompe et que magnificence, et au milieu de
tant de gloire, il demeure triste et affligé;
il sent le vide et la fausseté de toute la féli-
cité humaine; son cœur n'y peut trouver de
repos, et peu satisfait des joies et des gran-
deurs du monde, il n'est occupé que de
Dieu, l'unique objet de ses désirs et de ses
pensées.
Et que voulait-il, par ces dispositions, vous
apprendre alors, grands du siècle? que ja-
mais vous ne serez heureux par tout, ce que
le monde pourra vous offrir de plus flatteur
et de plus aimable. Oui, quand je vous ac-
corderais ces objets qui se refusent si sou-
vent à vos recherches, vous n'auriez rien
gagné pour votre bonheur; pourquoi? parce
qu'en désirant encore, vous êtes toujours
malheureux, et qu'aux termes d'isaïe, nour-
ris comme dans un songe , vous n'êtes ja-
mais rassasiés : Comcdct et non saturabitur.
(Isa., IX. ) Et en effet, je vous le demande,
dans vos places les plus éminentes, par où
vous trouvez-vous heureux ? est-ce par ces
richesses immenses que vous avez acquises?
mais vous êtes forcés de nous répondre
qu'elles ne vous ont pas donné la félicité,
parce qu'elles ne vous ont pas ôté la cupi-
dité ; que ce bien est au dehors de vous, et
tout détaché de votre âme; mais que le de-
dans, c'est-à-dire vous-mêmes, est encore
pauvre et indigent; que les besoins de votre
cœur excèdent votre abondance; qu'il y a,
ce semble, un malheur inséparable des ri-
chesses, qui fait qu'elles étendent le vide
qu'elles promettent de remplir; qu'elles
multiplient le crime, sans assouvir la pas-
sion, et qu'au lieu de nourrir le cœur, elles
l'affament davantage : Comcdct et non satu-
rabitur. Est-ce par les honneurs et par la
gloire? mais, avouez-le. votre cœur est moins
satisfait de l'honneur qu'il reçoit, qu'inquiet
pour celui qu'il désire encore; ce qui lui
parut d'abord le comble de l'élévation ne
lui semble plus, quand il y est, qu'un état
commun et médiocre; si, au-dessus de .'es
attentes, il est au-dessous de ses désirs, il
éprouve trop ce /pie dit le Sage, que l'hon-
neur est un pain de mensonge qui ne donne
jamais à l'âme le rassasiement qu'il pro-
met : Comcdct et non saturabitur.
Est-ce par les voluptés et les délices de
la vie? Mais combien de fois avons-nous
arraché de votre bouche cet aveu sincère,
que le remèie des plaisirs, ce sont les plai-
sirs mêmes; que leur usage en inspire le
dégoût; qu'ils laissent dans l'âme un poids
d'amertume qui l'accable; qu'on n'en goûte
guère que l'espérance; mais que dans la
possession on cherche ce bien qu'ils ont
tant promis; que si l'on ôte de la paîsion
les inquiétudes qui la précèdent et les re-
mords qui la suivent, ce milieu qui reste
est un point bien léger, un intervalle bien
court, s'il n'a lui-même déjà son poids et
son trouble; qu'enfin les plaisirs ne peu-
vent contribuer à nous rendre heureux, car
s'ils sont médiocres vous ne les sentez pas,
et s'ils sont outrés ils vous deviennent insi-
pides : Comcdct et non saturabitur.
Est-ce enfin par la facilité où votre con-
dition semble vous mettre de satisfaire à
votre gré tous vos penchants? Mais, votre
âme en est-elle au fond plus heureuse? Je
le veux, dans l'élévation où Dieu vous a fait
naître, vous trouvez la pompe de la gran-
deur, la magnificence des palais, la somp-
tuosité des habits, la délicatesse des repas,
le charme des spectacles, et par-dessus cela
des chagrins, des inquiétudes, des remords,
un vide immense qui vous dévore ; lorsque
le monde vous croit heureux, vous n'êtes
pas même tranquilles; votre bonheur n'est
que dans la surface; vous cachez, sous un
faux dehors de félicité, une âme au fond plus
misérable; vous êtes comme cet arbre de
l'Ecriture qu'un feuillage encore frais cou-
vrait au dehors , mais doid un ver secret
rongeait le cœur et dévorait toute la sub-
stance; vous avez beau vous donner des di-
vertissements et des réjouissances, vous
n'en avez jamais que de trompeuses; vous
vous dégoûtez de vos passions par vos pas-
sions elles-mêmes; plus votre condition
vous offre de bonne heure l'usage des plai-
sirs, et plus tôt vous en avez la satiété et la
lassitude; heureux plutôt que nous, vous
cessez plus tôt de l'être. Vos plaisirs une
fois épuisés, vous êtes livrés à l'ennui, la
grande plaie des grands, et néanmoins la
destinée la plus douce qu'ils puissent at-
tendre ; votre propre félicité vous est à
charge ; tout ce qui a pour vous un carac-
tère de nouveauté peut vous plaire quelque
temps, à peu près comme le changement de
situation plaît à un malade; il se trouve
mieux parce qu'il n'est plus comme il était;
mais cette consolation n'est pas longue, et
la douleur la suit de près ; dès que votre in-
quiétude a essayé de toutes les places,
qu'elle a usé toutes ses ressources, il ne
vous reste plus rien pour être heureux;
dans cet état même de dégoût, vous qui êtes
si difficiles à réjouir, vous qui ne sentez
plus aucun plaisir, vous êtes plus sensibles
à la peine; la moindre contrainte vous ac-
cable, le moindre plaisir dérangé vous dé-
sespère; vous vous faites des chagrins de
ce qui serait des moments de félicité pour
le peuple. Alors le crime même en vous ap-
portant de la honte, ne vous cause plus aucune
joie, et en un mot, tous les objets ensemble,
loin de donner à votre cœur le rassasiement,
rendent sa faim [dus cruelle : Comedet et
non saturabitur.
Tous, enfin, mes frères, tous ici sous l'œil
de Dieu, interrogeons-nous : depuis que nous
avons abandonné misérablement ce père ai-
mable, sommes-nous contents, avons-nous
G77
PETIT CAREME. — SERMON Vil SUIl LE MEPRIS DES GRANDEURS.
«78
trouvé le bonheur dans ces choses où notre
imagination nous l'a fait attendre? Us sont
venus quelquefois ces moments heureux qui
bornaient tous les désirs de notre âme, cer-
tains jours privilégiés, bien rares dans la
vie, où tout semblait autour de nous conspi-
rer à nous rendre heureux. Avouons -le,
nous y croyions déposer notre cœur comme
dans son repos et dans son centre, nous nous
proposions à cette fois d'être heureux sans
Jésus-Christ. Hélas 1 y avons-nous réussi?
nos passions étaient satisfaites, nous-mêmes
l'étions-nous? Nos sens étaient flattés, ma s
notre cœur était -il content? "Le sentions-
nous plein et tranquille? Ah! il soupirait
encore, il se plaignait' à nous, il se trou-
vai malheureux et déplacé; secrètement il
accusait le monde et toutes ses joies d'im-
posture et de vide; il nous disait par ses
ennuis, par ses dégoûts, par ses alarmes, par
son trouble, par l'effort qu"il faisait d'aller
plus avant, que quelque chose lui manquait :
c'était Dieu, et tout avec lui.
Vous le voulez ainsi, Seigneur (dites-le
avec moi, prince auguste, ce sont les senti-
ments d'un roi chrétien que j'exprime), vous
le voulez ainsi, Seigneur, par une disposi-
tion de miséricorde, que celui qui n'a be-
soin sur la terre que de vous, ne trouve rien
ailleurs qui le contente; vous l'ordonnez, et
il est juste que tout désir soit un fardeau à
celui qui ne vous aime pas, beauté éternelle;
que tout bien appauvrisse celui qui ne vous
veut pas, trésor immense ; que tout honneur
dégrade celui qui ne vous cherche pas, gloire
immortelle, que tout plaisir tourmente celui
qui ne vous goûte pas, félicité sainte; pour
me forcer à ne désirer que vous, vous vou-
lez (pie rien ne vous supplée, vous me deve-
nez seul nécessaire afin de m'être unique-
ment cher. Seigneur, ahl plus que jamais
sur le trône môme entretenez, étendez en
moi ce vide immense qui vous réclame ,
creusez en mon cœur de nouveaux abîmes
qui me forcent à vous redemander ; ôtez sans
cesse aux créatures le pouvoir de me rendre
heureux; qu'elles fondent encore, qu'elles
se perdent dans l'immensité de mes désirs;
tenez toujours devant moi ma couronne,
mon empire, ma royauté, l'univers entier
dans l'impuissance de me satisfaire. En sa
place, venez en mon âme, vous, ô mon Dieu !
source intarissable de délices ; vous, ici-bas
même le véritable, l'unique bonheur des rois,
seul plus grand que mon âme, seul plus im-
mense que mon cœur; animez-moi, possé-
dez-moi, remplissez-moi; non, on n'est bien
qu'avec vous; là est la misère où vous n'êtes
pas; notre repos c'est notre Dieu, et un roi
qui vous porte dans son cœur est assuré d'y
avoir tous les biens ensemble.
TROISIÈME POINT.
S'il est nécessaire qu'il soit à Dieu, le cœur
des grands, déjà si malheureux, parce que
les objets qu'ils aiment sont insuffisants, il
t ne l'est pas moins parce que ces objets sont
'fragiles. J'ai tout éprouvé, disait le Sage,
assis lui-même sur le trône. Et quelle force a
ici cet aveu fait par un roi à un autre roi, ; ar
le plus sage des rois au pi us chéri des roi s? J'ai
tout éprouvé, et partout j'ai trouvé d'abord le
vide, ensuite l'allliction ; le vide dans l'usage,
vanitate'm (Eccli., II), et un moment aj î es
l'affliction dans la perte, et afflirtionem (ibid.),
et n'est-ce pas ce dernier motif de mépriser
les joies et les grandeurs du monde, que Jé-
sus-Christ, dans notre Evangile daigne, au-
jourd'hui nous offrir? Que sa gloire est peu
durable ! tout change autour de lui ; ces
mêmes bouches qui le comblaient de béné-
dictions et avec des transports de joie s'é-
criaient : Salut et gloire au fils de David, un
moment après demandent qu'il meure , et
son triomphe si solennel se tourne subite-
ment en un cruel sacrifice.
Image naturel de la fausseté de la gran-
deur et de la gloire du monde ; elle se dissipe
comme une vapeur à mesure qu'elle s'élève.
Non, rien n'a de durée sur la terre: tout s'y
dément et tombe comme de lui-même par
ce caractère d'instabibilité que Dieu lui im-
prime ; les sceptres eux-mêmes et les cou-
ronnes entrent dans celte vanité qui domii e
ici-bas toutes les choses humaines. Non-seu-
lement les hommages qu'on rend aux grands,
mais les grands eux-mêmes disparaissent, et
par je ne sais quelle fatalité, plus tôt , (e
semble, que les autres hommes. On dirait
que cet arbitre souverain de la destinée des
princes, qui se joue là-haut de leurs projets,
se plaît à montrer, surtout en eux, combien
vaine est la figure du monde, combien fragile
et empruntée est leur grandeur, et ils ne
sont plus élevés que pour montrer de plus loin
à l'homme son néant et toute la vanité de sa
gloire.
Et quelles leçons, Sire , quelles terribles
leçons vous a faites sur ce point presque en
naissant la divine Providence! Qu'avons-
nous vu? O ciel! quels événements! quels
spectacles! Et que pour vous instruire il en a
coûté à l'univers ! La France voyait avec joie
au milieu d'une cour floiissante, autour de
son auguste maître, tant d'héritiers prochains
de sa couronne, de tous les âges, de tous les
caractères, de toutes les vertus; elle voyait
dans votre aïeul si respectable ses délices les
plus chères; elle voyait dans votre père si
pieux ses espérances les plus douces, et dans
un clin-d'œil tout a disparu comme un songe;
ni la piété, ni l'innocence n'ont pu retarder
là-haut des malheurs si grands. Pour rendre
l'instruction plus forte, avec son auguste
mère, un tendre orphelin vient s'y joindre:
une même pompe funèbre, pourquoi nos yeux
ont-ils vu un objet si triste? une même pomi e
funèbre, aumiiieu de nos sanglots et de nos
larmes, les a tous conduits au tombeau, et la
France, dans un seul jour, n'a fait qu'un
même deuil de ce qui devait faire son bon-
heur pour tant d'années.
Eh! pourquoi Dieu s'est-il hâté de mettre
ainsi sous vos yeux, comme en abrégé, des
le commencement de votre vie, toute la fra-
gilité de la gloire humaine, et jusqu'où peiii
aller son néant? Pourquoi a-t-il frappé dès
vos premiers jours, et dans ce que vous aviez
679
OÎUTFARS SACHES. LE P. SURIAN.
CSO
de plus cher, des coups qu'il ne frappe or-
dinairement que dans la succession de plu-
sieurs siècles, et ne vous a-t-il élevé au
comble de la grandeur que par l'exemple le
plus inoui et le plus lamentable de sa vanité,
sinon pour vous apprendre, ô précieux reste
de tant de rois, qu'il n'y a de grand, de vrai,
d'immuable et d'éternel que Dieu, sinon
pour imprimer plus profondément dans votre
âme le mépris du monde et tout son néant;
sinon pour armer d'avance votre coeur contre
le charme de la grandeur et pour vous dé-
fendre de ses dangers par l'image la plus
vive de son inconstance; pour vous dire en-
lin qu'il n'y a dans les grands que la piété
qui soit durable, qui ne soit pas sous l'em-
pire du temps, qui échappe à ce torrent im-
pétueux qui emporte ici-bas avec une rapi-
dité si extrême, et les peuples et les rois, et
les empires et le monde lui-même; qu'il faut
placer vos désirs plus haut, dans un asile
plus inaccessible, et qu'enfin, puisque sous
la main suprême de Dieu tout s'écroule, tout
fond, tout disparaît, tout s'évanouit, tout est
ruineux, tout est périssable, vous devez donc
vous attacher uniquement à ce Maître aima-
ble, seul digne de votre cœur, seul capable
de vous fixer, seul immuable et immortel au
milieu de la décadence de tout le reste, et
qui seul étant quelque chose, mérite seul
d'être aimé?
Profitez, Sire, d'une leçon si grande; plus
Dieu as'acrifié pour vous la donner, plus vous
devez en faire usage pour le salut. Quelque
long, quelque glorieux que soit votre règne,
et s'il est réglé sur nos vœux, il sera le plus
long et le plus glorieux des règnes, occupez-
vous sans cesse de l'idée de sa vanité. Uni à
Dieu, fixé à Dieu, sous sa main et dans son
ordre , considéré dans la sphère sublime où
sa providence vous a placé pourêtre ici-bas le
coopéraleur de ses grâces, l'exécuteur de ses
desseins sur les entants des hommes, sancti-
fiant votre âme et les peuples qu'il vous a
confiés; dans ce point de vue, que vous êtes
grandi Mais séparé de Dieu et regardé uni-
quement dans la gloire humaine qui vous
environne, quel est votre partage? la vanité
et le néant. Ah! pour donner à votre grandeur
de la réalité et de la durée, rapportez-la donc
tout entière à Dieu; vivez pour Dieu, régnez
pour lui, faites-le vivre et régner dans votre
âme, et de la bouche de votre cœur, écriez-
vous avec ce roi de l'Ecriture que Dieu, le
préférant à tant d'autres, avait pris aussi,
comme par la main pour l'élever sur le trône.
O mon Dieu ! pourrais-je me laisser éblouir
à cet é;lat trompeur de ma couronne : Tua
est (jloria (I Par., XXIX) ; toute la gloire
est à vous; c'est votre bien; vous l'ôtez
et vous la donnez à qui il vous plaît; j'en
suis une preuve si touchante: Ta soins Rex
[Esiher, XIV) ; au milieu de nos empires,
il n'y a que vous de roi; nous ne som-
mes nous - mêmes que vos sujets et vos
esclaves; seul du haut du ciel vous atrissez
sur les Etats et sur les rois d'une manière
souveraine et dominante : Quis ego sum? Au-
près d'une majesté si adorable, si immortelle,
que suis-je donc? Peregrinus et advenu sicut
ornnes patres mei [Psal. XXXVIII) ;*je suis
sur lé trône, ainsi que tous les rois mes pè-
res, un étranger qui passe , un voyageur qui
ne doit point aimer un lieu où personne n'est
fixé : Et dixi, serviam tibi, dans cette con-
viction profonde de la vanité de tout et de
ma grandeur même, j'ai formé dans mon
cœur une résolution sincère de vous servir,
de vous craindre, de vous aimer. O grandeur
immuable et éternelle : Custodi hanc volun-
tatem meam, je sens combien dans une jeu-
nesse extrême il est difficile à un roi d'être
fidèle à cette résolution; ah! conservez-la
moi, Seigneur! par votre grâce; affermissez-
moi dans le projet que je fais ici , à la face
de ces autels, d'être à vous jusqu'au dernier
moment de ma vie. D'autres rois vous de-
manderont des succès, des prospérités, des
victoires, je vous demande ma sanctifica-
tion; à la place des triomphes, donnez-moi
des grâces; aimez-moi moins pour ma gloire
que pour mon salut. Je serai un roi pieux;
j'aurai assez de prospérités, si j'observe vos
divins préceptes; la gloire du trône, déjà si
passagère , n'est souvent pour les princes
qu'un piège et une tentation; que par le mé-
pris que j'en aurai, que par le saint usage
que j'en ferai, elle devienne pour moi un
moyen de salut et une voie pour arriver à la
gloire éternelle.
SERMON VIII.
DE LA RÉSURRECTION DE JESUS-CHRIST (1).
Dixit illis : Nolile expavescere, Jesum quseritis Nazare-
nuni erueifixum : snrrexit, non est hic. (XVI.)
l'ange leur dit: N'ayez point de peur; vous chercliez Jé-
sus de Nazareth qui a été crucifié, il est ressuscité et n'est
plus ici.
Que ces paroles sont consolantes pour
une âme qui vit de la foi, et qu'il lui est
doux, après s'être tant affligée sur la mort du
Sauveur, de pouvoir avec confiance s'aban-
donner à la joie sainte de sa glorieuse ré-
surrection!
Et certes, dans ce premier jour du momie
nouveau qu'éclaire une lumière invisible et
éternelle, le plus saint de tous lcsjours dans
cette auguste solennité qui consacre toutes
les autres; dans ce mystère universel qui
comprend la vérité, la foi, la grâce, le Saint-
Esprit de tous les autres mystères, soit
qu'une âme fidèle jette les veux sur Jésus-
Christ, soit qu'elle se regarde elle-même,
que de mouvements de consolation et de joie !
celui (jui s'immola 1 a i-raême pour nos péchés
sort triomphant de la mort et du tombeau,
il se rend à lui-même une vie qu'il avait
quittée volontairement ; le spectacle affreux
de sa croix se change en spectacle merveil-
leux de son triomphe, il se soustrait à l'em-
pire du péché pour rentrer dans la majesté
de son Père, son corps sort victorieux du
(i) Ce sermon est imprimé dans le volume (iu ments, que nous avons préféré nous en tenir au
Petit Carime , mais avec de si nombreux change- manuscrit.
est
PETIT CAREME. — SERMON YM , DE LA RESURRECTION DE J.-C
est
sépulcre, et il en efface pour jamais cette
image de mort imprimée sur sa chair pas-
sible; tout ce qu'en naissant il avait apporté
des infirmités et des misères du vieil homme
s'absorbe et s'anéantit par la puissance, la
force et lés riches qualités du nouveau; il
désarme l'enfer, il terrasse la mort, il défait
le pé^hé; il met la vérité de sa religion hors
d'attointe à l'imposture, son sacrifice est con-
sommé, sa divinité reconnue. Un seul trait
de sa résurrection répare en lui l'ignominie
de toutes ses souffrances, et le met au com-
ble de la félicité et de gloire: Sarrexit, non
est hic.
Ah ! quand il ne lui reviendrait aucun
avantage en voyant ainsi ressusciter son
,Dieu, l'âme fidèle ne devrait-elle pas sentir
une joie parfaite, et si ce mystère est tout
pour elle, s'il rassure sa foi, s'il dissipe ses
doutes, s'il étouffe sa crainte, s'il élève ses
sentiments, s'il embrasse ses désirs, s'il
é;mre ses pensées, s'il couronne sa patience,
s'il console ses misères, s'il est toute sa
force, toute sa justification, tout son appui,
tout son salut, toute son espérance, et le
germe bienheureux de son immortalité, ah!
pourrait-elle jamais se lasser de l'entendre
cette parole de bénédiction : Surrexit; et
que Jésus-Christ lui répète cet oracle sacré
avec les consolations tendres dont il l'ac-
compagne : Ego dixi : DU eslis et filii Excelsi
omnes (Psal. LXXXI) ; peut-elle se suffire à
elle-même, se trouve-t-elle assez de courage
pour sentir ce qu'il lui dit, et ne s'écrie-t-eile
pas avec le prophète : Mon Dieu, selon la
multitude de mes chagrins et de mes peines,
vos consolations m'ont inondé le cœur, et en
me réveillant par la tribulation, vous m avez
comblé de joie. {Psal. L.)
Pour nous, chrétiens mes frères, notre
disposition n'est pas la môme. Par un ef-
fet tout contraire, nous réduisons tout le
fruit de la résurrection du Sauveur à une
joie extérieure et sensible, et la fête véné-
rable de Pâques nous est, comme aux Juifs,
une cérémonie sans fruit et une solennité
sans suite. D'où vient donc qu'au lieu de
recueillir ici cet esprit de conversion, ce souf-
fle de vie nouvelle, cette source de résur-
rection et de grâces qui sortent de l'âme et
du corps de Jésus-Christ, nous ne voulons,
comme les soldats et les gardes, d'autre part
à son triomphe que l'épouvante et l'effroi,
et aimons mieux demeurer dans le tombeau
et la corruption de nos désordres, que d'en
sortir par un changement salutaire. Ce mal-
heur vient de ce que nous n'avons jamais
bien connu ni les voies, ni les avantages de
cette vie nouvelle, que le Sauveur vient
nous offrir : sentons-les donc en ce jour, et
pour vous exposer en forme d'homélie l'E-
vangile d'aujourd'hui, découvrons- tout le
mystère de votre conversion d'abord dans
les démarches, ensuite dans le succès de ces
femmes pieuses qui cherchent le Seigneur à
son tombeau. Par leurs démarches vous
connaîtrez, 1° par quelles voies vous pouvez
aller à la vie nouvelle de Jésus-Christ; 2° par
leur succès vous apprendrez quels avantages
OnATEU'HS sacrés. L.
en reviennent à ceux qui ont le bonheur d'y
aller. Demandons les lumières qui nous sont
nécessaires par l'intercession de Marie.
Àve, Maria.
PREMIER POINT.
Les voies les plus saintes, les plus propres
pour arriver à cette nouveauté de vie, qui
fait la vraie conversion, sont un vif empres-
sement de retrouver ce Dieu aimable qu'on
a perdu, c'est le choix d'un guide fidèle qui
nous y conduise sûrement ; c'est, enfin, une
douleur amère de nous être séparés de lui.
Or, ces voies nous sont toutes tracées dans
les démarches de ces femmes pieuses qui
cherchent Jésus-Christ : d'abord elles pa-
raissent transportées dans l'empressement
qu'elles ont de recevoir leur Sauveur, ensuite
elles s'adressent à un ange pour s'instruire
du moyen de le retrouver ; elles ne cessent
enfin de verser des pleurs dans cette recher-
che si sainte. Que vos miséricordes sont
grandes, ô mon Dieu, d'avoir ainsi pourvu à
nos malheurs, et nous avoir ménagé un che-
min si facile et si sûr pour notre conversion.
1° D'abord, avant le jour, elles courent
au tombeau de Jésus-Christ, inquiètes et
embarrassées sans lui ; elles sentent bien
qu'elles ne peuvent s'en passer, tant qu'elles
auront à vivre sur la terre ; elles voudraient
le posséder, elles préparent des parfums, dis-
posent des onctions de plusieurs sortes; leur
ardent amour ne sait comment se satisfaire :
leur empressement est si grand, leurs désirs
si violents, qu'elles ne songent qu'à le trou-
ver, qu'elles ont un oubli formé de leurs
faiblesses, de leur santé, de leurs biens, de
leur repos, de leur vie même. Tout leur est
indifférent, hors Jésus-Christ; elles sentent
bien que si elles le trouvent, elles seront
plus fortes, plus riches, plus heureuses que
par la conquête de tout un monde entier ;
Et valde mane una sabbatorum veniunt
ad monumentum. (Marc, XVI. )
Ah ! quand on désire sincèrement de se
convertir à Jésus-Christ, on sent au fond du
cœur une forte impression , on a une inquié-
tude salutaire d'en être privé, une désolation
sainte de l'avoir perdu; le désir qu'on a de le
retrouver l'emporte si fortement sur l'âme
chrétienne, qu'elle s'oublie elle-mêmt: pour
se recueillir en lui seul. Il n'y a plus de monde;
pour elle, uniquement occupée de Jésus-
Christ, elle ne peut être arrêtée ni par l'a-
mour séduisant des faux biens du siècle, ni
par l'attrait du repos et des douceurs de la
vie, ni par le fantôme du respect humain, ni
par ces frivoles raisons de bienséance et de
timidité victorieuses des plus grands obsta-
cles; sa ferveur dévore tout, elle se souvier.t
que trop longtemps et avec trop de sensibi-
lité elle s'est livrée au monde, et toute hon-
teuse, hélas! elle voudrait sentir pour lo
Sauveur ce qu'elle sentait pour de vaines
créatures. Avec une disposition si heureuse,
elle ne s'occupe plus que de son Dieu, ell«
ne soupire plus qu'après son royaume, ellî
ne se plaît plus que dans ses chastes entre-
tiens; elle ne parle que de ses perfections,
23
683
ORATEURS SACRES. LE P. Sl'RlAN.
GS4
elle ne se nourrit que de son amour. Dieu
est le tout à une âme qui est touchée et qui
veut effectivement se convertir à lui comme
les saintes femmes de notre évangile. Elle se
joint aux âmes pieuses pour s'entr'aider à le
chercher dès le matin, vatde diluculo ; elle le
cherche par la prière à toutes les heures du
jour et de la nuit. Je n'attendais pas que l'au-
rore m'éveillât, je la réveillais moi-même,
dit-elle. Ni ces ténèbres profondes qui cou-
vrent la face de la terre : Cum adhuc teneur œ
essent ad monumentum venit, ni l'appréhen-
sion de Madeleine qui , après avoir donné
la mort a Jésus-Christ par ses péchés, trem-
ble de paraître devant lu: après sa résurrec-
tion, ni les censures et les railleries des pé-
cheurs qui voudraient l'empêcher de ressus-
citer : et qui e.nim erant custodientes Jesum,
timuerant valde : rien de tout cela ne peut
ralentir son zèle; elle a pour trouver son
Dieu cet empressement et cette plénitude
de désirs qu'elle avait eus pour le perdre:
exierunt cito.
Ces jours saints, mes frères, ont-ils vu en
vous cette activité salutaire, cet empresse-
ment sacré pour Jésus-Christ? Hélas 1 tout
vous intimide, tout vous arrête dans votre
conversion , et si vous venez chercher le
Sauveur ressuscité , vous n'y apportez
qu'un cœur pesant, qu'une âme dégoûtée.
11 aura couru après vous, il vous aura appelé,
sollicité par la voix de ses ministres, par la
pompe de ses solennités, etvous n'avez pour
lui qu'une molle pesanteur; vous cher-
chez Dieu comme on le pt-rd. par l'in-
dolence et la paresse. 11 est vrai que dans ces
grandes fêtes où les plus morts semblent
uonner quelque signe de vie, vous laissez
voir quelque signe de conversion. Votre
conscience timide vous a fait peut-être rou-
gir de votre état; vous auriez été confus de
demeurer dans l'inaction, lorsque autour de
vous tout se remue; vous auriez eu honte de
demeurer insensibles dans la corruption de
vos voies, pendant que tout gémit de vous
y voir, et que tant d'autres à vos yeux
s'empressent de sanctifier les leurs ; mais
avez-vous eu cette activité des saintes fem-
mes? où sont les vrais efforts que vous avez
faits ? Qu'avez-vous sacrifié pour votre con-
version? Quelle preuve peut vous donner
votre cœur interrogé? Où sont ces dégoûts
du monde, de ses faux biens, de ses vains
plaisirs et de tout ce qui vous a fait perdre
Jésus-Christ, et avec lui votre innocence et
tout votre bonheur? Où est cet amour géné-
reux et empressé qui seul peut vous le faire
retrouver; il connaît, lui qui pénètre le se-
cret et pèse le fond des cœurs, que toute
ardeur, que toute étincelle de ce feu divin
est éteinte dans votre âme, qu'il n'est rien
en vous que peut-être un air hypocrite qui
sente lia vie nouvelle de votre conversion,
que le peu de mouvement que vous vous
donnez pour le retrouver fait bien voir que
vous vous consolez aisément de sa perte,
que ce qui vous amène dans ce temple , ce
qui vous fait approcher de sa table sacrée,
c'est bien plus parce que vous craignez les
hommes, que parce que vous aimez Jésus-
Christ; c'est bien plutôt parce cpie vous êtes
hypocrites, que parce que vous êtes péni-
tents; c'est que semblables à ce roi irnpie vous
venez à* la fête de Pâques, plutôt pour ne
point être l'abomination d'Israël, que pour
y participer et vous y renouveler dans la
réconciliation divine. Il voit que vous n'avez
ni sollicitude, ni zèle; cependant que per-
sonne ne se ilatte, ce n'est qu'à l'activité
sainte qu'on peut reconnaître la véritable
conversion : tout ce qu'il y a eu de pénitents
dans l'Eglise, ont été fervents et empressés :
Pœnitentes ferventiores innocentibus , dit
saint Grégoire ; l'âme innnocente, qui a con-
servé sa pureté, est plus tranquille dans la
main de Dieu qui la soutient. Elle contem-
ple, elle jouit, toutes ses fonctions sont pai-
sibles; elle n'a ni longueur de chemin, ni
effort de faire rechercher pour regagner et se
rapprocher de celui qui, en cette vie comme
en l'autre, fait son repos et sa félicité; comme
elle n'a jamais quitté Dieu, il ne lui faut
que la persévérance pour le conserver, elle
jouit sans violence du fruit de sa fidélité.
Mais il n'en est pas de même de l'âme péni-
tente : el'e revient à Dieu de si loin, sans
effort elle ne le peut atteindre, l'expérience
nous le fait sentir; elle revient tout affa-
mée, tout altérée de cet objet aimable dans
un cœur que tout le reste a si mal rempli.
II y a dans l'âme pénitente je ne sais quoi de
plus tendre qui la pousse, qui l'excite, qui
l'enlève, et lui fait regagner par la rapidité
de sa course, ce que lui avait fait perdre l'é-
garement de sa vie. Ainsi, David pécheur,
dès qu'il est touché, il devient converti; ainsi
Saùl, dès qu'un trait céleste a blessé son
âme, il se fait une violence sainte qui le
presse de recourir à son Dieu; ainsi la Sama-
ritaine passe tout d'un coup de la servitude
du vice à l'heureuse liberté de la charité.
Il en est comme de ces pauvres captifs qui se
trouvent dégagés des fers qui les enchaî-
naient : plus leur esclavage renfermait de
tristesse et de peine, plus leur délivrance a
pour eux de joie et de plaisir. Tel a été le
caractère du retour des pécheurs vers Dieu,
telle la promptitude de cette conversion
fameuse de saint Pierre qui console plus
l'Eglise par sa pénitence, qu'il ne l'aurait
aflligée par son infidélité. Imitez-les, ces
grands modèles, vous pourriez revenir avec
moins d'empressement et de sollicitude, si
votre égarement était moins profond ; mais
peut-être êtes-vous des plus égarés et des
plus perdus dans vos désordres, soyez donc
des plus animés et des plus perdus dans
votre conversion, et comme les saintes fem-
mes que l'évangile vous propose pour exem-
ple, cherchez Jésus-Christ avec cet esprit de
ferveur et de zèle dont est digne un objet si
grand et si aimable : Et valde marie renient
ad monumentum.
2° Mais à quoi servirait cette première dis-
position, si, en recherchant Jésus-Christ avec
empressement, vous ne vous adressez à
un guide fidèle qui vous y conduise, car
voilà la démarche de ces femmes pieuses de
6S5
PETIT CAREME. - SERMON VIII , DE LA RESURRECTION DE J.-C.
CÎ6
l'évangile et le deuxième pas que vous avez
à faire dans votre conversion. Après avoir
tant hâté leurs pas, ces pieuses femmes
arrivèrent au tombeau de Jésus-Christ; elles
y descendent et n'y trouvent plus leur Dieu.
Toutes désolées, tout en pleurs, elles vont
à Tango qu'elles aperçoivent, et le conjurent
de leur dire où il est et de les y conduire :
Dicite mihi ubi.posuistis eum.
Et voilà, mes frères, ce que vous avez à
faire pour votre conversion ; ne vous con-
tentez pas de porter un coup d'œil timide
et passager dans votre conduite criminelle;
développez-la tout entière, et descendez
dans le fond du sépulcre ; entrez-y et regar-
dez de près : introeuntes in monumetitum, vous
y parcourrez toute votre vie passée , tout
votre intérieur, vos vertus môme, et en tout
cet abiuie n'y trouvant point Jésus-Christ :
et non invenerunt corpus Jcsu, ne trouvant
plus môme la place bienheureuse où il avait
été mis -dans votre âme par le baptême :
nescio ubi posuerunt eum ; vous irez, après
cet examen et celte recherche, aux ministres
de la pénitence, et les conjurant de vous
rendre votre Dieu, vous leur demanderez
ce qu'ils en ont fait, où ils l'ont mis, où
vous pourrez le trouver : Dicite mihi ubi po-
suisiis eum; vous imiterez ces saintes femmes
jusque dans le choix que vous avez à' faire
d'un bon guide, et loin de prendre, comme
on fait toujours, le moins réglé et le moins
habile, vous en choisirez un dont la pureté
de ses mœurs ressemble à la blancheur de
la neige: vestimentum ejus sicut niœ; vous
prendrez un homme dont les lumières et la
capacité imitent le brillant et la beauté qui
étaient sur le visage de cet ange : aspectus
ejus sicut fulgur; un homme qui ait de la
science pour vous instruire, de l'onction
pour vous toucher, de la vertu pour vous
édifier,, de la charité pour vous aider; un
homme qui, par de saintes frayeurs sur la
misère de votre état, sache ébranler votre
cœur endurci, l'attendrir et l'émouvoir, en
faisant, comme l'ange, trembler la terre :
Ecce terrœmotus factus est magnus ; un
homme intrépide et désintéressé, qui vous
fasse connaître tout le péril de votre état, et
le malheur infaillible où vous vous exposez,
si vous ne changez de vie ; un homme qui
vous fasse baisser les yeux par respect,
comme l'ange fit aux saintes femmes, mais
qui bientôt, adhérant à vos faiblesses, oublie
qu'il est jeune, pour se souvenir qu'il est
père; qui vous fasse sentir qu'autant vos
péchés doivent vous donner d'effroi, autant
la bonté de votre Dieu doit vous inspirer de
la confiance en sa miséricorde, et qui, comme
l'ange, vous dise : Rassurez-vous, ne crai-
gnez rien : Notite expavescere ; un homme
qui, sachant sa religion et où habite son
Dieu, puisse vous dire : Ah 1 je sais qu'en
ces saints jours vous venez chercher Jésus-
Christ, et si vous y apportez un cœur droit
et sincère, vous le trouverez, nous vous le
montrerons : Jesum quœritur Nazarenum;
mais hélas ! que jusqu'ici vous l'avez mal
cherché; vous avez cru le trouver dans les
soins et les embarras du siècle, dans l'illu"
sion des vanités, dans le néant des richesses
dans le vide des plaisirs, dans les fades
consolations de la terre, dans l'oisiveté d'une
vie molle et mondaine. Ah ! ce n'est pas l'i
qu'on le trouve, non est hic; vous allez le
chercher dans la tiédeur, dans cette noncha-
lance mortelle où votre cœur ne se déclare
ni pour le bien ni pour le mal, dans cette
vaine disposition flottante qui vous porte
tantôt d'un côté, tantôt de l'autre; chrétien
aux grandes fêtes, vous êtes païen le reste
de l'année ; aujourd'hui dévot et mondain,
dans tous les autres jours soigneux de votre
salut en de certaines occasions, et le hasar-
dant témérairement dans mille autres. Ahl
ce n'est point là qu'il est : non est hic ; vous
avec cru le trouver dans les assemblées des
mondains, dans leurs jeux, dans leurs spec-
tacles, dans la compagnie de ces personnes
suspectes et dangereuses; eh ! où allez-vous
chercher la vie, même parmi les morts ; vous
voulez le trouver, cherchez-le dans la prière,
dans la retraite, dans la mortification, dans
la piété, dans . la charité, dans toutes les
voies où il a passé, et bientôt il vous accor-
dera l'honneur de sa [ résence, et votre âme
jouira bientôt d'un repos bienheureux: et
invenietis requiem animabus vestris {Matlh.-,
XI). Mon Dieu, qu'heureuse est une âme à
qui vous donnez un confesseur d'un tel ca-
ractère ; elle peut bien dire qu'en lui elle a
trouvé son salut et sa vie.
Ma'is quelle leçon vient nous donner en-
core Jésus-Christ, lorsqu'il fait couler des
larmes si abondantes et si amères, des yeux
des femmes pieuses de notre évangile : lu-
gentîbus et flentibus ; c'est pour nous appren-
dre que pour être véritablement converti, il
ne suffit pas de verser quelques larmes pas-
sagères sur ce tombeau , c'est-à-dire sur ce
cœur ou Jésus-Christ a été si longtemps
mort par le péché; mais qu'il faut les éten-
dre sur toute notre vie : lugentibus et flen-
tibus, et c'est ainsi, chrétiens, où j'ai à me
plaindre de l'indigne abus que vous faites
de nos plus grandes solennités; vous y re-
gardez comme passé le temps«de la péni-
tence que vous auriez à faire ; mais quelle
idée avez-vous donc de nos augustes mys-
tères, nos fêtes saintes sont-elles donc éta-
blies pour flatter votre délicatesse; l'Eglise
pure et sans tache, sortie avec son époux de
la poussière du tombeau, donne aujourd'hui
des marques d'une joie santé. 11 est vrai, un
petit nombre de chrétiens, vraiment ressus-
cites, peuvent donner quelques marques
d'allégresse, et faire éclater leur joie en ce
saint temps, je l'avoue; mais vous, ou qui
êtes encore dans les liens de la mort, ou qui
du moins encore vous en portez l'image, peut-
être en qui Jésus-Christ n'est point encore
ressuscité, la joie doit-elle être votre par-
tage? est-ce là ce que votre devoir vous de-
mande, êtes-vous un pécheur à donner in-
tervalle à vos gémissements; vos péchés
sont-ils assez pleures, ne vous demandent-
ils pas quelques nouvelles larmes; est-ce
trop d'une pénitence de toute sa vie pour
687
ORATEURS SACRES. LE P. SLRIAN.
6«S
réparer des égarements qui n'ont point eu
de bornes; peut-on les oublier en si peu de
temps, et tant qu'on s'en souvient, peut-on
ne pas s'en affliger pour obliger le Seigneur
à vous les pardonner; est-ce trop que d'a-
bandonner à leur expiation ce reste malheu-
reux de jours qu'il vous laisse pour cela ;
votre tristesse se doit-elle laisser interrom-
pre sitôt : vous voulez qu'à la fin de la sainte
quarantaine, tout exercice pénible et affli-
geant cesse en vous ; mais tout péché y aura-
t-il aussi sa fin, comme si la passion du
Sauveur n'allait pas bientôt recommencer
dans votre âme, par la rechute du péché,
comme si l'appareil de toutes ses souffran-
ces n'était pas encore entier dans nos cœurs,
comme si le temps même où nous allons en-
trer n'offrait pas l'occasion de commettre de
plus grands désordres, comme si les com-
pagnies et les assemblées plus fréquentes
n'étaient pas la triste résurrection du péché,
et la source fatale de la corruption du cœur :
lugentibus et flentibus. Ah ! qu'une âme
vraiment convertie prend des résolutions
bien plus salutaires : la perte de son Dieu
l'avait rendue inconsolable, et quand elle le
retrouve elle en devient plus tranquille ; mais
cette tranquillité n'exige point que ces dou-
leurs cessent, elle n'ose ôterl'appareil quand
à peine ces plaies sont fermées, elle sait
bien que plus la privation de Jésus-Christ
lui a été amère, plus elle doit embrasser et
aimer ce qui lui conserve sa bienheureuse
possession. Que de faible pénitent, il peut
devenir un pécheur outré sorti du tombeau
de ses iniquités, il peut aisément y redes-
cendre, si une pénitence continuelle ne le
préserve du vice : lugentibus et flentibus ; il
trouve dans les plaies de Jésus-Christ un at-
traitetdes motifs bien touchants, pour ne plus
essayer du monde et des folles joies après sa
résurrection, et il s'écrie avec l'âme fidèle :
Seigneur , en quelque état que je me
trouve au milieu môme de ces joies inté-
rieures qu'on ne peut se refuser, je n'ou-
blierai point vos i laies adorables, je me dirai
sans cesse £ moi-môme, que vous ne les
laissiez toujours ouvertes que pour m'inviter
à tout moment à y entrer. Ah! je veux
que dans mon cœur, comme dans le vôtre
elles soient pour moi-môme une source de
grâces, les précieux gages de mon salut et
le sceau sacré de ma prédestination éter-
nelle. Êntfez, chrétiens, dans ces dispositions
saintes, elles achèveront votre conversion;
mais après en avoir vu les voies dans les
démarebcs de pieuses femmes de notre
évangile, sentez encore les avantages par
le succès bienheureux, qui suive leur em-
pressement. Je n'en dirai que deux paroles
pour laisser tout le temps aux solennités de
l'Eglise.
SECOND POINT.
Les plus doux avantages que trouve dans
sa conversion une âme véritablement renou-
velée, c'est de ne rencontrer que d'heureu-
ses facilités dans tout ce qui lui avait paru
d'invincibles obstacles, c'est de trouver tout ce
qu'elle avait souffert dans la recherche em-
pressée de son Dieu, abondamment récom-
pensée par sa résurrection en elle. C'est de
reconnaître des gages assurés, de le contem-
pler un jour dans Je royaume de sa gloire;
or, ces trois avantages pourraient-ils mieux
nous être exprimés que dans ce qui se passe
dans les saintes femmes de l'évangile de ce
jour : d'abord cette pierre si pesante, qui
ferme le tombeau de Jésus-Christ, leur pa-
raît un obstacle insurmontable ; cependant
dès qu'elles arrivent la pierre se trouve levée
sans qu'elles aient fait le moindre effort pour
cela : Invenernnt revolutum lapident a monu-
mento. Ensuite elles se fussent trouvées heu-
reuses de pouvoir embaumer le corps de
Jésus-Christ, et un ange se présente à elles
qui leur dit qu'il est ressuscité :Dixit mulie-
ribus : Surrexit. Enfin, comme cette douleur
où elles étaient d'avoir perdu le Sauveur,
ne pouvait être bien consolée que par lui-
même, on les assure que bientôt elles le
rencontreront par l'éclat de sa gloire qui leur
frappera les yeux : etibi eum videbitis.
Ali ! que peut goûter de plus doux une
âme qui retourne sincèrement à vous , ô mon
Dieu! Ces avantages sont si aimables, ce-
pendant, lâches pécheurs, ils ne peuvent
toucher votre insensibilité.
1° D'abord, je le sais, en ces saints jours,
où tout est impression de grâces, vous vous
êtes dit à vous-même : Je voudrais bien re-
venir à mon Dieu; il y a si longtemps que
je suis dans sa haine; mais quelle appa-
rence y a-t-il que je puisse quitter cette
vieille habitude, me défaire de ce genre de vie
qui s'est changé chez moi en une deuxième
nature, et qui ayant endurci mon cœur dans
le néclié, en a fait une pierre si pesante et
si lourde : Quis revolvetnobis lapident ab ostio
monumenti?
Ah! pourquoi vous intimider ainsi vous-
mêmes? Ces frayeurs ne viennent point de
Dieu, mais de sa miséricorde; qu'il tremble
lui-même, cet ennemi, qu'il frémisse, qu'il
s'alarme, à la vue d'une pénitence qui ne doit
être funeste que pour lui , qui lui enlève ses
conquôtes; mais vous, pourquoi vous effrayer
du plus grand bonheur de votre âme J la
piété a des rigueurs, je l'avoue; et puisque
Jésus-Christ le dit lui-même, je n'ai garde, en
changeant ainsi le langage de l'esprit de
Dieu, de vouloir ôteràcette précieuse vertu
le caractère d'expiation du péché, si conso-
lant pour l'âme juste ; mais je puis vous as-
surer que quelque grandes que vous parais-
sent ces difficultés, elles seront bientôt
aplanies, quand vous l'aurez embrassé et que
vous y marcherez avec courage : les saintes
femmes trouvèrent la pierre levée, quelque
grosse qu'elle fût : et respicientes viderunt
revolutum lapident ; erat quippe magnus valde.
Ces obstacles vous paraîtront légers, ces
dégoûts passeront, ces horreurs s'adouci-
ront, lorsque vous prendrez la voie du salut,
tpie vous ne la quitterez point par incons-
tance et par lâcheté , que vous ferez marcher
devant la pénitence une foi vive, une espérance
ferme, une volonté sincère; vous verrez
PETIT CAREME. — SERMON VIII , RE LA RESURRECTION DE J.C.
690
bientôt ces difficultés s'évanouir et disparaî-
tre à vos yeux, comme un fantôme : et respi-
cientes viderunt revolutum lapidem; là-des-
sus, si vous aviez quelque doute, malgré
l'assurance que je vous en donne, interrogez
une de ces âmes pieuses qui, ayant trouvé
pour leur conversion les mômes difficultés
que vous, ont eu la consolation de les voir
levées et de trouver une heureuse facilité
dans les voies de la justice : Interroga pa-
trem tuum et annuntiabit tibi, tuis majores, et
dicenttibi. (Deut., XXXII.) Ah! elle vous dira
qu'elle a bien éprouvé que le propre de la
grâce de Jésus-Christ est de changer en une
bien plus heureuse facilité tous les obstacles
qui semblaient les plus insurmontables, de
vaincre l'habitude et d'aplanir les plus
grandes difficultés; elle vous dira que. pres-
que dès le premier pas, elle a senti ses alarmes
se tourner en douces espérances, ses peines
en douces consolations ; qu'avant de se mettre
dans la voie, elles avaient, comme vous, un
poids d'autant plus difficile à surmonter,
qu'il lui plaisait même en l'accablant, qu'elle
avait de l'attachement comme vous à un ob-
jet malheureux qu'elle désespérait de vain-
cre, et dont elle croyait ne pouvoir jamais se
passer; que cependant, par la force invisible
de la grâce de son Dieu , cet objet si cher est
tout d'un coup sorti de son cœur, qu'elle a
de la peine à se reconnaître elle-même, tant
elle est changée , qu'elle se resserre, et ne se
trouve plus, que cette pierre qui l'effrayait
si fort n'a pu cependant être sitôt levée que
par un secours d'en haut; mais que la grâce
détache sans peine ; qu'elle a une suavité qui
rend la pénitence plus aimable que les vo-
luptés les plus sensibles, et qui fait qu'une
âme attendrie aime mieux ses douleurs et
ses larmes que tous les plaisirs et les vaines
joies de la terre : viderunt revolutum lapi-
dem.
Ahl si vous pouviez l'entendre, cette âme
touchée et désabusée , qu'elle vous rendrait
jalouse de son sort, qu'elle vous mettrait au
point d'envier sa destinée 1 elle vous ferait
connaître que ce qui causait autrefois sa
frayeur fait maintenant toute sa joie; que la
journée de sa vie où elle a goûté le plus sen-
sible bonheur a été celle de sa conversion ;
que si la vie nouvelle a des amertumes et
des aigreurs, la charité les corrige et les con-
vertit en douceurs ; que l'on est bien coupa-
bles de n'oser entrer dans cette terre si déli-
cieuse, où coulent le miel et le lait, et où au
lieu de monstres qu'on se figure, on ne trouve
que des anges de paix et des sujets de con-
solation. Enfin, au lieu de vous effrayer par
ces austérités si rudes en apparence , par ces
rigueurs qui vous révoltent si fort, interro-
gez les vrais serviteurs de Dieu, ces vérita-
bles convertis : Jnterroga majores luos et di-
centtibi; ils vous diront comme Esdras dit
au peuple qui s'affligeait sur l'explication de
la loi : Nolite contristari gaudium, enim Do-
mini est foriitudo nostra (II Esdr., VIII), ne
nous plaignez pas dans notre pénitence. Nous
sommes les heureux de cette vie, et vous les
misérables; la joie de Dieu fait tonte notre
force ; nous sentons un si grand plaisir à sa-
tisfaire pour nos péchés la justice du Sei-
gneur, que la pénitence la plus rigoureuse
ne paraît rien à notre zèle : gaudium Do-
mini est fortitudo nostra; il donne un si doux
charme à nos douleurs, que nous ne les sen-
tons point; il verse sur nos travaux et sur
les plus pénibles exercices de la piété, des
consolations si aimables, qu'ils deviennent
pour nous des joies ineffables : gaudium
Domini, etc. ; d'ailleurs les délices toutes cé-
lestes qu'il nous prépare après nos mortifica-
tions et nos austérités, nous encouragent cf
nous fortifient à les souffrir : gaudium Do-
mini, etc. ; le plaisir même qu'une expia-
tion lui- cause nous anime et nous soutient:
gaudium Domini, etc.
Ah 1 plût à Dieu que vous voulussiez en
faire l'expérience ! Que bientôt vous chan-
geriez de sentiment, dclangage ! Oui, comme
vous le dites, la pénitence de loin paraît
triste, inquiète, accablante; mais essayez-
en ; c'est un poids que rien ne peut soulager,
et c'est l'ennemi mortel de la nature ; mais
essayez-en ; on n'y trouve ni délices, ni
plaisirs, ni contentements; elle n'offre qu'a-
mertumes, que dégoûts ; mais essayez-en.
Ah ! que si une fois vous en aviez goûté, que
bientôt, gagnés par ses charmes, vous senti-
riez que le fardeau de Jésus-Christ rend con-
tents ceux qui le portent, et que si la con-
version a quelques peines, elle sont bien
payées par celui qui, en les agréant, a porté
plus de bonheur que toutes ces peines ne
sont grandes, et qui donne cette joie et cette
consolation de pouvoir dire : Jésus-Christ
est ressuscité en moi et moi en lui : Dixit
mulicribus : Surrexit. Car voilà le second
avantage de la conversion : c'est qu'on sent
bien que ce Dieu aimable, qu'on avait fait
mourir dans son âme par le péché, y est re-
devenu vivant par la pénitence ; que ce germe
divin que nous avions étouffé influe dans
nous la résurrection et la vie, et que l'homme
nouveau me renouvelle tout entier. Ah ! dans
moi nouveau projets, nouvelles intentions,
nouvelles maximes ou nouvelles pensées,
nouveaux jugements : voilà pour l'esprit;
en moi nouvelle joie, nouvelle tristesse,
nouveau goût, nouvelle crainte, nouvel in-
térêt, nouvelle espérance, nouvel amour,
nouvelle aversion, nouveaux désirs, nou-
veaux plaisirs, nouvelles passions : voilà
pour le cœur; en moi nouvelles forces, nou-
velles affaires, nouveaux soins, nouvelles
occupations, nouveauxcommerces, nouveaux
usages, nouveaux yeux, nouvelle langue,
nouveaux discours, nouvelles actions, vie
nouvelle : voilà pour le corps : Novus homo
rénovât omnia. Tout se renouvelle en celui
qui est converti; on se sent une âme nou-
velle; on est créé une seconde fois; ce n'est
plus nous qui vivons, c'est lui qui vit en
nous; c'est l'homme nouveau, mais plus
saint, plus grand, plus noble que nous, qui
a pris notre place; il aime, il agit, il parle, il
voit, il pense en nous et ne se manifeste plus
que par l'image de son renouvellement :
Novus homo rénovai omnia.
691
ORATEURS SACRES. LE P. St'RlAN.
C92
3° Cet avantage est sans cloute bien grand,
mes frères ; mais qu'a-t-il de comparable à
celui de voir bientôt, face à face Jésus-Christ
ressuscité. Celui des pieuses femmes de
notre évangile fut à son comble, lorsque
l'ange leur apprit que Jésus se trouverait
avant elles en Galilée, qu'elles l'y verraient
bientôt : Prœcedet vos in Gaiilœam; ibi eum
videbitis.
Mon Dieu, que res dernières paroîes ren-
ferment de consolations pour ceux qui sont
vraiment ressuscites ; oui, nous le verrons un
jour dans le ciel : ibi eum videbitis. Tandis
que le monde ne prépare aux pécheurs qu'un
avenir plein de misères, qu'il ne leur offre
que des inquiétudes et des alarmes, la con-
version nous donne une espérance solide, et
fait renaître en nous cette douce assurance
de posséder un jour Jésus-Christ. Maintenant
que nous habitons encore une terre : dixit;
que nous ne sommes qu'en passant dans ce
monde, nous ne le voyons qu'en énigmes et
en figures; il se dérobe à nous-mêmes et
à notre vue pour exercer notre foi et éprou-
ver notre fidélité; mais alors, citoyens de la
Jérusalem céleste, nous le contemplerons
face à face : ibi eum videbitis.
Ame fidèle , qui ne pouvez ici que le dé-
sirer, qui ne faites que le goûter, que l'at-
tendre, ah ! vous le verrez bientôt ce Dieu si
doux, cet objet si aimable, qui, absent, fait
toute votre attente, tout votre attachement ;
qui, présent, fera tout votre bonheur, toute
votre félicité ; et ce bonheur vous est d'au-
tant plus assuré, qu'il l'a promis lui-même,
qu'il est appuyé sur le témoignage infaillible
de sa divine "parole, et qu'il l'a prédit lui -
même de loin comme on fait des grandes
choses : sicut ego pradixi vobis.
Mon Dieu, qu'on se saura bon gré de
s'être laissé gagner aux mouvements tendres
de votre grâce, qu'on s'applaudira d'être en-
tré dans les voies de pénitence qui sont les
seules capables de conduire les pécheurs au
salut, que l'on se réjouira du dessein qu'on
a pris de se consacrer entièrement à Jésus-
Christ, qu'on appellera le jour heureux de sa
vie celui de sa conversion, qu'on se souvien-
dra du peu de comparaison qu'il y a à' faire
entre les rigueurs d'une pénitence passagère
et les biens immenses qui en doivent reve-
nir, que cette vue portera de joie dans vos
cœurs, qu'elle mettra de lumières dans vos
esprits, que vous serez bien consolés, heu-
reux pénitents, de ces larmes et de cette
tristesse apparente que vous offre la conver-
sion, puisqu'elles, vous feront trouver votre
Sauveur, et avec lui l'immortalité bienheu-
reuse dont sa résurrection est le gage pré-
cieux : ibi eum videbitis sicut ego prœdixi
vobis. C'est ce que je vous souhaite au nom du
Père et du Fils et du Saint-Esprit. Amen.
SERMONS POUR LE CARÊME
(2)
SERMON I" (3).
DU JEUNE.
Sanctificate jejunium. (Joël-, II.)
Sanctifiez votre jeûne.
C'était sans doute, Messieurs, un specta-
cle bien touchant, lorsqu'après le désordre
du peuple, on voyait sortir du sanctuaire le
pontife du Seigneur, qui, saisi d'une tris-
tesse profonde, sous le sac et dans la cendre,
annonçait d'une voix lugubre le lemps mar-
qué de l'expiation des péchés, et c'est dans
une disposition toute pareille, qu'après ces
jours déplorables, qui ont été comme une
apostasie publique de la piété, et un renon-
cement déclaré au christianisme, je parais
dans ce saint lieu la tristesse dans le cœur,
la cendre sur la tête, pour offrir à mes audi-
teurs une carrière do douleur, et que je
viens vous adresser à tous cette grande pa-
role, qui est comme l'indication générale du
jeûne, et comme le signal de la pénitence
connue de tous les chrétiens. Sanctificate
jejunium.
Qu'ici finissent les offenses : c'est trop
(2) Nous indiquerons par des notes les sermons
imprimés dans l'édition de Liège; tous les autres le
sont pour la première fois. Nous avons préféré sui-
vre le manuscrit pour ceux déjà imprimés, dan»
avoir irrité Dieu par nos crimes; il est temps
enfin de l'apaiser par notre pénitence. Ah 1
lorsqu'aujourd'hui, entre le vestibule et l'au-
tel, les ministres du Seigneur fondent en
larmes, que tout conspire à vous rendre fa-
vorable la miséricorde du Seigneur , que
l'Eglise, toute gémissante, prend des orne-
ments de tristesse, supprime ses cantiques
d'allégresse et de joie, et fait monter jus-
qu'au ciel, dans un appareil lugubre, cette
prière touchante. O Dieu! daignez regarder
d'un œil de compassion ces misérables pé-
cheurs, pardonnez-leur charitablement leurs
offenses, prenez pitié de leur état déplora-
ble; vous, Messieurs, qui êtes les tristes ob-
jets des larmes et des soupirs de cette mère
tendre pour seconder ses intentions et rom-
pre le mur de séparation qui est entre Dieu
et vous, sanctifiez donc votre jeûne, qui est
la plus favorable, et peut-être l'unique res-
source que la miséricorde vous offre : San-
ctificate, etc.
Non, Messieurs, ne vous contentez pas
d'un jeûne qui ne soit qu'un simple retran-
chement de la nourriture ordinaire, et, si
l'intérêt de l'unité de la présente reproduction.
(3) Imprimé dans l'édition de Liège , tome 1",
page 1.
695
CAR2ME. - SERMON I", DU JEUNE.
C04
jusqu'ici vous avez cru que c'en était assez,
comprenez aujourd'hui qu'un tel jeûne, qui
n'est point consacré par la pratique des ver-
tus et par les œuvres de la religion, loin
d'être pour vous un mérite et un appui au-
près de Dieu, n'est qu'un amusement et une
illusion; mais si vous voulez qu'il vous
sanctifie comme il sanctifia les Israélites,
qu'il vous instruise de la loi de Dieu comme
Moïse ; qu'il vous préserve de la persécution
comme David, qu'il vous procure une force
plus commune, comme à Samson, qu'il vous
mette en main les clefs du ciel, comme à
Elie, qu'il vous soit un germe d'innocence,
comme à Samuel, qu'il vous affermisse dans
la vertu, comme Daniel, qu'il suspende dans
la main de Dieu la foudre toute prête à par-
tir, comme il fit à Ninive, qu'il vous arme
de zèle et de courage, comme Judith , qu'il
vous couronne, comme Esther, qu'il vous
fasse prendre pour un ange, pour un Dieu,
comme Jean-Baptiste, qu'il vous rende vic-
torieux de toutes les tentations, comme Jé-
sus dans le désert, qu'il soit enfin pour vous
une pénitence salutaire et un préservatif ex-
cellent, le trésor de toutes les vertus, et l'ex-
piation de tous les vices, sanctifiez-le : San-
ctificate jejunium.
Mais en quoi consiste-t-elle, cette sancti-
fication ? Je la réduis à deux choses : 1° à
joindre au jeûne ordinaire le jeûne des sens,
c'est-à-dire leur mortification; 2° à toujours
accompagner le jeûne ordinaire du jeûne
du cœur, c'est-à-dire sa réforme; voilà ce
que les saints ont appelé sanctifier le jeûne,
et parce que l'on ne se met point en peine
dans le monde de ce jeûne des sens et du
cœur, j'avance, en conséquence de ce prin-
cipe, une proposition qui doit faire trembler
tou's ceux qui m'écoutent, c'est que parmi
la multitude^ des fidèles qui depuis long-
temps observent le carême, nul n'a peut-
être jeûné selon l'esprit de la loi, c'est que
peut-être tous leurs jeûnes sont infructueux,
et pourquoi, encore une fois?
1° C'est que nul ne joint au jeûne ordi-
naire le jeûne des sens. Première raison.
2° C'est que personne n'accompagne le
jeûne ordinaire du jeûne de cœur. C'est la
seconde, et tout mon dessein.
Plus ces vérités sont terribles, plus elles
demandent d'attention, et plus j'ai besoin
de lumières pour vous les éclaircir. Dieu
puissant, qui daignez les mettre dans la
bouche du plus faible ministre, pour les
annoncer à votre peuple , ne me refusez pas
les secours qui me sont nécessaires, signa-
lez dès l'entrée de ma carrière les premiers
coups de votre grâce. Je vais parler aux
oreilles de mes auditeurs, portez jusqu'au
fond de leurs cœurs le glaive de la pénitence,
c'est ce que nous vous demandons par l'en-
tremise de Marie. Ave, Maria,
PREMIER POINT.
Quand je dis que dans le monde personne
ne jeûne selon le véritable esprit, je n'atta-
que pas les sensuels et les impies qui n'ont
point d'autres lois que leurs passions, je
n'en veux point non plus à ceux qui, alar-
més au- premier coup d'une pénitence passa-
gère, pour ménager une santé chancelante,
allèguent des prétextes spécieux, qui n'ont
rien de véritable, secouent le joug du jeûne
solennel établi par l'Eglise, et affaiblissent
par leur mauvais exemple la force du pré-
cepte; je ne parle pas de ces chrétiens lâches
et délicats qui, par des adoucissements et
des raffinements inconnus à nos pères, dé-
shonorent la sainte abstinence du carême, ou
qui, dans leurs repas, passent les bornes
prescrites, et, loin de garder le jeûne, n'ob-
servent pas même la sobriété. Je laisse en-
core à part tant de personnes abusées qui,
sous prétexte de l'âge, du sexe, de la nais-
sance, du rang, de la complexion, des em-
plois , se dispensent de celle obligation
commune, et qui, infirmant par mollesse les
sacrés commandements, par mollesse aussi
demeurent impénitents; je ne m'élève point
enfin contre ces hypocrites qui se font une
religion de demander à l'Eglise le droit de
la tromper, qui font servir leur dispense à
leur sensualité, dispense que leur propre
conscience leur refuse, et qui, obtenue con-
tre l'intention de l'Eglise, devient un viole-
ment nouveau. Eh! comment toutes ces sor-
tes de gens suivraient-ils l'esprit du jeûne,
ils n'en observent pas même le corporel, et
par où seraient-ils pénitents? ils ne sont pas
même fidèles ! Non, Messieurs, malgré cetle
multitude si énorme, mon discours ne tombe
point, c'est vous qui vous croyez plus fidèles
à la sainte loi du carême, et j'ose dire qu'il
en est encore peu parmi vous qui remplis-
sent la vérité de cet oracle, qui est un pré-
cepte sans lequel on se damne, sanctifiez
votre jeûne : Sanctificate jejunium.
Pour vous convaincre de cette obligation
et du malheur de ceux qui la violent, re-
montons au principe du précepte et à la fin
de son institution. Que s'est proposé Jésus-
Christ dans l'établissement du jeûne? N'est-
ce pas la mortification des sens? donc pour
entrer dans son esprit il faut joindre au jeûne
ordinaire le jeûne des sens, et la raison en
est évidente : avant que le péché les eût
souillés, le péché leur était naturel, mais
depuis leur péché, presque tous leurs usages
étant devenus criminels, rien n'est plus juste
que de les faire servir au jeûne et à la péni-
tence, 1" en les séparant de ce qui les flatte,
2° en les appliquant à ce qui les sanctifie.
Aussi pour établir ce premier jeûne des
sens, qui est une séparation entière de ce qui ■
les flatte, l'Eglise nous adresse ces paroles
si saintes : Parlons moins, veillons davantage,
retranchons de nos plaisirs, de nos commo-
dités, de nos aises pendant ce saint teams de
pénitence.
Ah! que l'explication que nous en donne
saint Bernard est pleine de grâce et d'onc-
tion! Qu'en ce saint temps, dit-il, tous vos
sens jeûnent. Il ne dit pas qu'ils ne doivent
jeûner que le carême, tous nos jours sont à
Dieu, et comme il n'en est pas où il ne soit
offensé, il n'en est point aussi où l'on ne doive
faire pénitence; mais ce Père dit en ce saint
693
ORATEURS SACRES. LE P. Sl'RIAN.
69£
temps, Jésus-Christ l'a consacré, la pénitence
le sanctifia, l'Eglise l'a déterminé, des grâces
plus abondantes y découlent; il est établi
pour découvrir nos plaies et lâcher de les
guérir par des remèdes propres, le carême
e t comme la dîme des termes et de la péni-
tence que nos sens doivent à Dieu; et, dans
un temps consacré à la pénitence, refuser de
lui payer cette dette, ce serait un crime des
plus énormes. Que l'oreille jeûne donc, con-
clut ce dévot Père, que l'œil jeûne, que le
corps jeûne, et puisque tout l'homme a péché
en vous, tout ce que vous ne sacrifiez point
au jeûne devient sacrilège à l'égard de Dieu :
Jejunet auris, jrjunet ocutus et totum corpus
unumjejunium.
Or, sur ce principe, je vous le demande,
Messieurs, le jeûne chrétien est-il bien com-
mun clans le monde, et qui de vous l'observe?
En ce sens, un chrétien qui sanctifie son
jeûne, qui en garde l'esprit, qui en espère
le mérite, et qui veut l'accomplir d'une ma-
nière capable d'apaiser le Seigneur qu'il a
offensé, c'est un homme qui se dit à lui-même
qu'il doit expier ses péchés, ce qui ne peut
se faire qu'en captivant ses sens, qu'en les
détournant des objets qui ont pu et qui pour-
raient encore le corrompre : Jejunet totus
homo. Unchrét;en qui jeûne, c'est un homme
qui, ayant l'idée qu'il doit avoir de la sain-
teté du carême, pour punir la trop grande
liberté de ses yeux, ne les ouvre que sur les
misères do son âme; qui, pour les punir de
quelques regards criminels, leur interdit
même les regards curieux, et oppose sans
cesse la modestie à ce qui pourrait les égarer :
jejunet oculus; un chrétien qui jeûne est un
homme qui, frappé des saintes terreurs des
jugements de son Dieu, n'a presque plus de
parole, et regarde le langage des mondains
comme des amusements frivoles, comme des
paroles séduisantes, comme un tissu de mé-
disances et de mensonges, et qui, pour s'in-
terdire tous ces entretiens enjoués, évite
même les discours les plus sérieux : jejunet
lingua; un chrétien qui jeûne, c'est un homme
qui, sourd aux mondanités et à la licence, ne
veut plus rien entendre de flatteur et de sédui-
sant, ets'eslime commeun mort, qui n'anisen-
t i ment, ni organes, ni attention, ni curiosité :
jejunet auris ; un chrétien qui jeûne, c'est un
homme qui ne se borne point au simple re-
tranchement des viandes qui sont défendues,
mortifie encore son goût jusque dans l'absti-
nence, par la privation volontaire des mets
trop délicats, et se laisse encore la faim et la
soif, que Jésus-Christ nous fait assez voir
être de l'essence du jeûne -.jejunet gustus;
un chrétien qui jeûne, c'est un homme qui
fait entrer la mortification jusque dans la
simplicité de ses habits, dans la modestie de
ses démarches et de son air, qui, entrant
dans l'esprit de l'évangile, se dit à lui-même
que tout ce qui éclate n'appartient point à un
affligé, que (es parures et les riches étoffes
ne conviennent pointa un pénitent, que la
robo la plus sombre ne l'est point encore
assez pour un infortuné qui a su perdre son
innocence; que David, qu'Ezéchias, qu'Es-
ther, que Ninive étaient dans la cendre, dans
les pleurs, dans les habits de deuil, dans
le sac et dans la bure pendant le temps de
leur pénitence et de leur jeûne, et que
si tant de pécheurs ne paraissaient autre-
fois que sous la rigueur des haires et dans
l'âpreté du cilicc , il doit bien prendre des
vêtements plus simples que le reste des
hommes, pour porter à la face de tous ceux
qu'il avait scandalisés par son luxe et sa
magnificence, les tristes marques de sa dou-
leur et de sa pénitence : jejunet vestis; enfin
le chrétien qui jeûne, est un homme qui ré-
pand surtout lui-même une douleur univer-
selle, qui, par une retraite profonde, s'arra-
che par un seul coup de tout le monde en-
tier, qui se rend l'objet de toutes les mortifi-
cations, fût-il plus propre que tout le monde,
il y renonce et vient aujourd'hui dans le tem-
ple pour mourir aux plaisirs et à toutes les
choses profanes, et, comme ces hommes de
l'Ecriture s'imaginant toujours voir venir la
mort, il croit qu'avec la cendre mystérieuse
qu'il a reçue ce matin , il a reçu en mémo
temps l'impression de la mort, et se regarde
comme une victime sur qui, chaque jour de
sa carrière, il doit frapper un coup, jusqu'à
ce que sur la croix il puisse, comme son di-
vin Maître, consommer son bienheureux sa-
crifice.
Mon Dieu, qu'une telle hostie vous serait
agréable! qu'une telle victime vous réjoui-
rait! et que de bénédictions et. de grâces des-
cendraient sur elle 1
Voilà pourtant jusqu'à quels degrés doit
aller la sanctification de notre jeûne ; ce ne
sont point des règles hasardées ou arbitraires,
c'est un précepte dont on ne peut se dispen-
ser sans crime; quiconque connaît le véri-
table esprit de l'Eglise, ne peut nous repro-
cher de pousser les choses à l'excès, car en-
fin, malgré les murmures et les révoltes de
la chair, on ne peut point disconvenir que la
loi du jeûne ne soit une loi sainte qu'il ne
faut pas profaner ; or les plaisirs mondains
ne sont-ils pas aussi profanes que les ali-
ments défendus, et si on se fait scrupule
d'user de ceux-ci pendant le jeûne, pourquoi
ne regardera-t-on pas comme juste la défense
de ceux-là, et pourquoi celui qui use des
mets interdits par l'Eglise sera-t-il plus scan-
daleux que celui qui prodigue ses sens con-
tre l'esprit et l'intention de Jésus-Christ.
Mais s'il en est ainsi, comme on ne peut
en douter, depuis que vous jeûnez, avez-
vous observé un seul carême comme il faut?
On sait bien que vous vous plaignez de sa
sévérité et de sa longueur, mais avez-vous
songé à le sanctifier. Aussi esclave de vos
sens qu'auparavant, vous 8vez souhaité de
voir bientôt la fin de la sainte quarantaine
pour goûter avec de nouveaux charmes les
fausses délices du monde, mais pensez-vous
à faire jeûner chacun de vosjsens en par-
ticulier? Vos regards ne sont-ils pas aussi
dissolus, vos paroles aussi licencieuses, vos
assemblées aussi profanes, vos visites aussi
mondaines, vos habits aussi immodestes,
\otre luxe aussi scandaleux? Vous portez
607
CAREME. - SERMON I". DU JEUNE.
608
nicorcune langue médisante dans les cercles
< tdan; les entretiens, sur les défauts de votre
I rochain. Vous prêtez encore l'oreille à tout
ce qui peut remuer et allumer vos passions;
encore vos yeux tombent et s'arrêtent sur
tous les objets aimables qui veulent les
frapper, encore vous cherchez à flatter votre
délicatesse dans les repas; vous fréquentez
encore les spectacles , les concerts , les
théâtres, la bonne chère, les académies de
jeu et de divertissement comme auparavant,
encore l'on voit en vous, mômes liaisons,
mêmes habitudes de mollesse, mêmes raf-
finements de sensualité. On ne discerne pas
même de ces jours déplorables qui ont pré-
cédé, ces jours de bénédiction qui exigent
des chrétiens une religion plus pure, et une
vie plus mortifiée, et si \e carnaval a eu ses
extravagances et ses désordres particuliers,
le carême a ses plaisirs à part, des amuse-
ments et des joies qui lui sont propres. On
dirait que la religion ne prescrit le carême
que comme une règle de bienséance et de
police, propre à entretenir la société civile;
vous y êtes contents de vous-mêmes, si vous
y avez évité les excès, comme s'il vous était
"permis d'être voluptueux et mondains, parce
que vous êtes sobres et tempérés, comme
si vous observiez toutes les espèces de
jeûnes commandés, parce qu'il y en a un
que vous ne violez pas, car si vous mortifiez
tous vos sens, parce qu'il y en a un seul qui
se mortifie, et encore comment se mortihe-
t-il? tous les autres sont ennemis de la
croix de Jésus-Christ et de ses souffrances,
pardonnez-moi ce détail, Messieurs, il faut
le dire. Eh pourquoi seriez-vous plus hardis
à pécher que moi à vous répondre : dans la
privation des viandes défendues, votre mol-
lesse trouve encore le moyen de ne rien
perdre. On cherche à se faire du plaisir jus-
que dans le sein même de la pénitence : pour
quelques-uns. et Dieu veuille qu'il n'y en ait
aucun dans mon auditoire, pour quelques-
uns, le carême est un temps plus agréable et
plu? délicat que les autres saisons de l'an-
née; la nourriture qu'on y prend étant mieux
assaisonnée que les autres viandes d'ordi-
naire, devient une nouvelle source de sen-
sualité, l'amour-propre qui se sent alarmé,
invente mille manières d'adoucir ce qu'il y
a de gênant et d'incommode dans le jeûne.
On redonne à la délicatesse ce que l'on ôte
au rassasiement, oubliant que c'est en ôter
tout le mérite que d'en ôter toute la dif-
ficulté, on anéantit presque toute la rigueur
du jeûne par les adoucissements qu'on y
apporte. On fait si bien son compte que de
sommeil dédommage de la privation des
aliments, et pour mieux attendre la délica-
tesse de la table, on se tranquillise dans la
mollesse du lit.
Dieu terrible, jusqu'à quand les hommes
se joueront-ils donc de vos lois et de vos
instructions? Croiront -ils donc mortifier
leur goût lorsqu'ils ne cherchent qu'à le
flatter? est-ce donc là une pénitence capable
d'apaiser votre colère, et de suppléer aux
justes châtiments que vous préparez à leurs
péchés? est-ce là crucifier sa chair, mourir à
soi-même comme vous l'ordonnez, et vous,
chrétiens, que prétendez-vous donc par une
conduite si déplorable que ce précepte n'est
point fait pour vous et qu'il vous soit permis
d'être impénitents et immortifiés dans un
temps destiné aux mortifications et à la péni-
tence. Ah! était-ce là les prémices saintes do
notre foi, l'usage de ces premiers temps que
les apôtres consacraient au jeûne et à l'absti-
nence? Hélas, vivaient-ils? mouraient-ils?
Un repas unique qu'ils ne prenaient qu'après
le soleil couché, où ils ne mangeaient simple-
ment que ce qui leur était absolument néces-
sa;re pour soutenir une vie innocente, le pa«n
et l'eau en composaient toute l'économie, les
sanglots et les larmes en étaient tout l'assai-
sonnement. Enfin, tout ce qui pouvait les
aflliger, les mortifier, était la matière de leur
jeûne: ne donnant presque rien à la nature, ils
donnaient à leur sanctification, ils n'avaient
point d'autre objets que le ciel, d'autre com-
merce qu'avec Dieu , d'autre plaisir que
l'aimer et le servir, d'autre guide que la foi,
d'autre espérance qu'en ses promesses, d'au-
tre crainte que celle de ses jugements, d'au-
tre lecture que son Evangile, d'autre spec-
tacle que ses autels; entre eux ils ne s'oc-
cupaient que de la prière, n'avaient d'autre
pensée, que l'éternité, d'autre désir que le
paradis, d'autres parures qu'un cilice, d'au-
tres demeures qu'un tombeau, et des déserts
ou ils s'ensevel issaient tout vivants, et où ils
finissaient leurs jours, lorsqu'ils ne trou-
vaient point la mort sur les échafauds et dans
les fers. Un chrétien qui aurait dit : Je veux
jeûner, mais je ne saurais user des aliments
communs et grossiers, aurait été renvoyé
parmi les pécheurs et rave du nombre des
pénitents. Enfin la pénitence de ces pre-
miers temps était si cruelle, qu'on aurait
regardé le martyre comme un tempérament,
comme une faveur, comme une grâce à ceux
qui ne pouvaient supporter la rigueur de
leur jeûne.
Cependant n'outrons rien, Messieurs, dans
une matière déjà si rebutante d'elle-même.
L'Eglise, comme une bonne mère, craignant
que ses enfants ne fussent dans la condam-
nation de ceux qui n'observent point le
jeûne, a changé d'ordre et de conduite. Il est
vrai que depuis qu'elle a modéré quelque
chose de sa discipline, les mœurs des chré-
Uens sont devenus méconnaissables, tant
1 homme a besoin de ce frein pour se sou-
tenir. Cependant il faut l'avouer, son in-
dulgence est sage, elle est respectable, et
les anciennes sévérités de la primitive Eglise
seraient aujourd'hui imprudentes et indis-
crètes; mais ne vous y trompez pas, Mes-
sieurs, en adoucissant les grandes austé-
rités du carême, elle n'a rien retranché de
l'abstinence des sens ; non, elle ne dit plus :
Mêlez la (tendre avec votre pain, mais, que
vos tables soient plus frugales ; elle ne dit
plus : Ilevêtez-vous du sac et du cilice, mais ,
que vos vêtements soient plus modestes,
elle ne dit plus: Enfoncez-vous dans les som-
bres déserts , mais évitez les assemblées
6!)9
ORATEURS SACRES. LE P. SUR1AN.
700
mondaines, renfermez-vous dans un domes-
tique réglé : elle ne dit plus : Allez au mar-
tyre, mais souffrez avec patience les maux
qui vous arrivent. Or, ces lois immuables
subsisteront éternellement. Ce genre de
jeûne ne change jamais, le carême de vos
jours est le même que du temps de la pri-
mitive Eglise; plus cette sage nièce adoucit
le jeûne ordinaire, et plus elle nous de-
mande de sévérité pour le jeûne des sens,
et veut que ce qui manque de sévérité entre
notre jeûne et celui de nos pères se retrace
dans nous par les autres mortifications.
Mais, après ce que vous venez d'entendre
de la pénitence des premiers fidèles, quel
vide à remplir ! quelle compensation à faire !
qu'elle se fait peu en jeûnant comme vous
faites, en cherchant dans une folle joie, dans
des amusements criminels à vous dédomma-
ger, en donnant dans tout ce qui peut vous
faire tuer le temps! Vous oubliez vous-mêmes
et la sainte abstinence en vous jouant, comme
vous faites, des préceptes que Jésus-Christ
vous fait de vous mortifier et de jeûner :
quam maie compensas.
Allez à la. maison des pieux réchabites,
disait autrefois le Seigneur au prophète Jé-
rémié; offrez-leur le vin et ce qui llatte le
plus les sens, ils vous diront : Notre Père
nous le* a défendus; nous n'y toucherons
point, nous obéirons à son commandement :
Pater noster prœcrpitnobis. (Jercm., XXXV.)
Et vous, mon peuple, ajoute le Seigneur,
vous ne m'avez pas obéi à moi qui suis votre
Père, votre Créateur, votre souverain et votre
Dieu; vous n'avez pas tenu compte de ma loi,
c'est pour cela que j'ai béni les fidèles ré-
chabltes, et que je répandrai sur vous, au
contraire, l'affliction universelle : Ecce ego
adducam super Juda universam af/lictioncm.
(Ibid.)
Craignez que le Sauveur ne vous réponde
la même chose, chrétiens lâches, qui violez
ou altérez le précepte du jeûne. 11 vous dit
par ma bouche : Portez vos pas dans ces asiles
sacrés, dans ces maisons régulières et fidèles,
où vous trouverez des hommes et des femmes
religieuses; pressez-les d'user de ces mêmes
raffinements de délicatesse, de prendre part
à ces plaisirs et à ces joies insensées des
mondains, ils vous répondront : Notre Père
nous les a interdites : Non bibemus vinum,
Pater noster prœcepit nobis (Ibid.); notre
Seigneur et notre Dieu nous les a défendues,
nous lui obéirons : obediemus. Je dis plus,
ajoute le Seigneur: Allez à ces enfants du
siècle qu'une aveugle fureur entraine vers
l'objet de leurs passions; offrez-leur les dou-
ceurs, les plaisirs opposés à leurs fins per-
nicieuses, ils vous diront : Le monde, qui
est notre père, nous a défendu de prendre ce
chemin; il nous dit : Prenez de la peine si
vous voulez goûter mieux le plaisir; ôtcz-
vous le sommeil, la joie, la santé, le repos
quand il s'agira de gagner de l'argent, d'ac-
quérir des honneurs, de faire une conquête;
et nous voulons suivre tout ce qu'il nous
suggère et tout ce qu'il nous dit : ôbedientes
fuimus juxta omnia <juœ prox pit nobis Jo-
nadab Pater noster. {Ibid.) Mais quoi 1 ré-
plique le Seigneur, les saints et les profanes,
tous se mortifient, parce que leur père leur
commande : Obedivrunt prœcepto patris sui.
(Ibid.) Et moi qui suis votre Dieu, le meil-
leur de tous les pères, le plus absolu de tous
les maîtres, si je vous demande de mortifier
vos sens, déjeuner mieux que vous ne faites,
vous ne m'obéissez pas : Ego autem locutus
sum ad vos, et non obedistis rnihi. (Ibid.) Ah 1
tous mes fléaux vont tomber sur vous ; je
répandrai sur tous vos plaisirs, sur tous vos
amusements frivoles, sur toutes les fausses
douceurs que vous cherchez , l'amertume
et l'ennui, la tristesse et l'affliction : Ecce ego
adducam super omnes habitatores Jérusalem
universam afflictionem. (Ibid.) Hélas ! qu'il
est à craindre qu'aujourd'hui la menace ne
se vérifie à l'égard de tant de chrétiens re-
belles et immortifiés ! Jug«z si du haut du
ciel il n'a pas bien raison de vous dire par la
bouche de ses prédicateurs : Sanctifiez votre
jeûne.
Mais le jeûne des sens ne se borne pas à
la simple séparation de ce qui les tlatte, il
va encore les appliquer à ce qui les sancti-
fie; le carême est celte règle qui sert à deux
usages : l'un pour faire mourir, l'autre pour
faire vivre : unum ad occidendum, alterum ad
rivificandum. L'abstinence, pour être par-
faite, doit être une mort qui arrache nos sens
au démon, et une vie qui les porte vers Dieu.
Une mort qui les dérobe au monde, et une
vie qui les cache en Jésus-Christ.
Aussi c'était ce qu'un grand pape prêchait
à son peuple pour le porter à observer di-
gnement le carôma. Soyez à Dieu de tous les
mêmes sens que vous avez été au monde et
à Satan; faites à Jésus-Christ, dit saint Paul,
des sacrifices d'expiation ce qui fut la matière
de vos offenses; et comme vous aviez fait
servir vos membres au péché pour votre
perte, faites-les servir à la justice pour votre
sanctification : Sicuc exhibuistis membra vc-
stra servire immunditiœ et iniquitati ad ini-
(juitatetn, ita nunc exhibete membra vestra
servire.justitiœ in sanctifica.'ionem (Rom., VI);
sans cela vous ne recueillerez de l'abstinence
du carême que le triste souvenir d'avoir
privé vos sens de ce qui les flattait davantage,
et votre jeûne sera un abattement et non une
pénitence.
Mais sur ce principe chrétien, en est-il
dans le monde qui jeûnent comme il faut?
Hélas! presque personne, j'en conviens; ou
s'il en est encore quelques-uns, c'est cet
homme fidèle, cette femme pieuse qui, reve-
nue d'une vie trop déplorable, et fàclfée d'a-
voir offensé son Dieu, s'écrie : Seigneur, je
le reconnais, mes sens sont en moi un don
de votre bonté; au lieu de vous les consacrer,
de vous les attacher, je les ai profanés ; il est
temps que je vous les renne, hélas! J'appli-
querai ces yeux h la lecture des solides
vérités de vos Ecritures et de votre loi; sans
cesse je les lèverai au ciel et ne regarderai
rpie vous, ô Dieu d'amour! cette bouche ne
s'ouvrira désormais que pour vous bénir,
vous louer, que pour vous exposer mes
701
CAREME — SERMON I", DU JEUNE.
702
besoins, mes misères, que pour vous confes-
ser mes offenses, que pour vous prier et
vous demander, non le bonheur temporel de
ma vie, mais la conversion spirituelle de mon
cœur, et que pour vous dire en tremblant :
Seigneur, ayez pitié de moi, malgré le nom-
bre et l'énormité de mes péchés ; Dieu de
miséricorde, ces oreilles ne seront attentives
qu'aux chants de votre Eglise, qu'aux hymnes
et aux cantiques de vos ministres; je n'é-
couterai que vous et votre sainte parole.
Dieu de force et de lumière; j'appliquerai
ces mains à un saint usage, à des œuvres
pieuses ; je ne les ferai servir qu'à secourir
les pauvres, qu'à soulager les infirmités, qu'à
faire l'aumône, compagne inséparable du
jeûne, et n'auront de mouvement et d'action
que pour vous, ô Dieu de cbarité ! sur la
ruine de mes sens immortifiés, terrestres,
impurs etrebelles, j'en élèverai de nouveaux
qui seront plus purs, plus spirituels, plus
célestes, plus soumis, et le monde ne leur
étant plus rien, vous leur serez toutes choses :
Deus meus et omnia.
Demandez après cela, Messieurs, qui pour-
rait jeûner dans le inonde Vous-mêmes, si
vous avez ces heureuses dispositions (mais,
hélas! que vous en êtes éloignés!); si, con-
tents de vous retrancher des désordres, vous
ne pratiquez pas plus de vertus: si, en vous
retirant du péché, vous ne pratiquez pas la
pénitence ; si vous vous contentez de vous
retirer du théâtre sans être davantage dans
le temple; vous vous retirez peut-être des
assemblées tumultueuses en ce saint temps,
mais sans vous consacrer à une retraite et à
une solitude salutaires; vous rendez peut-
être votre table plus frugale, mais vous ré-
servez en sordides épargnes ce que vous
devez à l'aumône ; vous laissez peut-être là
ces parties d'éclat, ces compagnies dange-
reuses , mais sans vous jeter dans les saintes
horreurs de la mortification; votre vie est
un repos et non une pénitence ; votre con-
duite est peut-être devenue plus sage, mais
sans devenir plus chrétienne, c'est-à-di;e
que peut-être vous gardez une espèce de
jeûne, mais vous ne le sanctifiez point, et en
mourant au plaisir vous ne vivez point pour
la pénitence.
Ai-je donc eu raison de dire que le jeûne
est bien rare parmi les chrétiens ? Eh ! selon
ces grands principes y a-t-il eu dans toute
votre vie un jeûne, une abstinence, un ca-
rême sur lequel vous puissiez compter?
et si vous dites comme ces infortunés de
l'Ecriture qui avaient jeûné soixante-dix
ans sans quitter leurs désordres; faut-il
donc que nous passions le carême dans la
pénitence et dans le jeûne, que nous tra-
vaillions pendant le reste de notre vie à nous
sanctifier comme nous avons déjà fait pen-
dant plusieurs autres carêmes : Nunquid
flendum est mihi in quinto mense, vel sancti-
/icare me débet sicut feci multis nnnis?
(Zach., Vil.) Ah! ce Dieu terrible ne vous
répond-il pas comme il fit à ce peuple : En-
fants de mort , quand vous avez jeûné,
était-ce donc mon jeûne? était-ce pour moi
que vous jeûniez? Nunquid jejunium jeju-
nastis mihi? C'était le jeûne du monde, du
temps, de la coutume, de la bienséance, de
l'hypocrisie; n'était-ce pas un jeûne à votre
gré, de votre goût, du choix de votre mol-
lesse, de votre délicatesse ; n'y apprêtiez-
vous pas vos raffinements? Mais était-ce
mon jeûne? celui que je vous ai fait expli-
quer par mes prophètes, celui qu'ont ob-
servé tous mes saints, celui que mon Eglise
vous a recommandé : Nunquid jejunium je-
junastis mihi (Ibid.) ; avait-il les conditions
de celui qui vous en a donné l'exemple le
premier? Est-ce celui qui attira dans le cé-
nacle l'Esprit divin sur mes apôtres? Est-ce
celui que moi-même dans le désert j'ai
voulu accompagner de prière, de vigilance,
de patience, d'humilité, de douceur, de ré-
sistance aux tentations, de combats, de vic-
toires, de toutes les vertus chrétiennes, de
la mortification de mes sens, de la sépara-
tion entière du monde, de la privation de
tout ce qui peut les flatter et d'une consécra-
tion tout aux fonctions de la pénitence ;
car voilà mon jeûne : Nunquid jejunium je-
junaslis mihi; est-ce là celui que vous avez
pratiqué? dès que le vôtre n'est pas comme
le mien, il est un jeûne de mort; quelle mi-
sère, quelle affliction ! mais peut-être que
le jeûne du cœur est plus commun que celui
des sens, et qu'on répond par là à l'esprit
de ce commandement : Sanctifiez votre jeûne,
sanclificute jejunium ; examinons-le dans
l'autre partie de ce discours.
SECOND POINT.
Personne presque ne jeûne chrétienne-
ment dans le monde, parce que nul ne joint
au jeûne ordinaire celui du cœur. Pour mieux
sentir le malheur d'une infraction si com-
mune, établissons d'abord la nécessité de ce
jeûne : le cœur est la partie la plus inté-
rieure et la plus vivante de nous-mêmes par
laquelle nous sommes et hors laquelle nous
n'avons plus d'être ni de vie, tant que dure
cette première innocence qui nous fut don-
née, le cœur en a été rempli, consacré et
sanctifié par son onction, il ne respirait que
la vertu ; mais depuis que le manquement
de soumission aux ordres de notre Dieu
nous a rendus infidèles, ce même cœur est
devenu la source intarissable de nos mal-
heurs, le théâtre du libertinage et de l'im-
piété, la boutique où se forgent toutes nos-
îniquités, le centre de nos passions, et est
enfin devenu le premier coupable. C'est là
que le péché est souffert, aimé et chéri;
c'est là qu'il prend naissance; c'est là qu'il
se consomme, qu'il se distingue des sens,
qu'il met en mouvement toutes les passions
différentes de la vie. Nos désirs criminels ne
sont que les diverses affections de notre
cœur; c'est la pendule ou la montre où sont
tous les ressorts qui mettent en train la
machine ; c'est de cette fournaise d'où sor-
tent ces noires vapeurs qui gâtent nos idées,
qui qualifient nos actions, qui ternissent
nos vertus ; c'est là que réside la cause de
tous nos penchants, de toutes nos erreursj
703
ORATEURS SACRES. LE P. SLRIAN.
704
de toutes nos maladies, de toutes nos ténè-
bres ; dans ce cœur enfin se forme un poids
qui nous entraîne où il lui plaît, et qui e^t
la racine de nos révoltes et de nos prévari-
cations, n'en est-ce pas assez dire; ceux qui
se glorifient de l'avoir plus plein de senti-
ments, éprouvent infailliblement qu'il est
plus plein de désordres, et que si autrefois
il était plus attaché à la vertu, il est devenu
plus esclave du vice.
Or, si c'csfle cœur qui pèche, ne faut-il
pas aussi qu'il jeûne, et puisqu'il a été de
tout ce qni a déréglé l'homme de ses repas,
de ses plaisirs, de son élévation, de sa for-
tune, de ses abus, de ses crimes, ne doit-il
pas être aussi de ce qui le convertit, de sa
tristesse, de sa douleur, de sa componction,
de son jeûne et de sa pénitence. Si son cœur
a pris part à tout ce qui le réjouissait dans
son péché, son jeûne ne doit-il pas être de
s'affliger et de s'abstenir dans sa pénitence
de tout ce qui pourrait lui plaire davantage?
Aussi quand le Seigneur avertit son peuple
déjeuner, il ne sépare jamais la pureté et
la mortification du cœur de leur jeûne : Pu-
rificate corda vestra (Jac, IV), dit-il, par
un de ses apôtres, purifiez vos cœurs : Sein-
dite corda vestra {Joël., Il), dit-il encore par
un de ses prophètes. Ainsi qu'est-ce donc
qu'un cœur qui jeûne? C'est un cœur déta-
ché, c'est un cœur affligé; l'explication de
ces vérités serviront de preuve du petit
nombre de chrétiens qui jeûnent, et qui
vous montreront la nécessité de suivre ces
paroles si admirable : Sanctificate jejunium.
1° Non, sans cette réforme de cœur, tout
le reste que vous faites pour le carême n'est
rien: mortifier ses sens est une cérémonie
très-utile, mais cela ne suffit pas ; c'est dans
le cœur que le jeûne doit véritablement
se trouver; comme c'est en lui que repose
le germe du péché, il est juste de le purifier
devant.
Je ne puis m'em pêcher de vous rapporter
la-dessus, ce qui est écrit chez le prophète
Daniel : Un arbre prodigieux paraît s'élever
jusqu'aux nuées et couvrir toute la terre :
ecce arbor in medio terrœ et altitudo ejus
nimia. Et comme si Dieu se trouvait offensé
de la prodigieuse grandeur de cet arbre, il
descend du ciel, sanctus de cœlo descendit,
et ordonne qu'on le dépouille de ses bran-
ches, que l'on remue son tronc, qu'on
abatte ses feuilles, qu'on disperse tous ses
fruits, mais que l'on conserve la racine sur
la terre, qu'on ne touche au germe, verum-
tamen germen radicum ejus in terra sinite
(Dan., IV), qu'on l'attache avec des liens de
fer, avec une chaîne d'airain : alligetur vin-
culo ferreo. (Ibid.) Image bien naturelle de
la loi du jeûne du carême. Oui, je viens
vous dire comme le prophète à Nabuchodo-
nosor : C'est vous qui êtes cet arbre, tu es
arbor; c'est vous-mêmes qui, passant de pé-
ché en péché, vous vous êtes rendus mons-
trueux dans vos actions qui en sont comme
les fruits dans tout ce corps de péché, qui
en est comme le tronc. Le Dieu saint des-
cend du nie! à l'entrée du jeûne du carême :
sanctus de cœlo descendit; et déjà vous a
fait dire plusieurs fois : ébranlez ce colossa
d'iniquité, succidile arborem (Dan., IV);
dissipez ces pensées terrestres et charnelles,
renoncez à ces paroles trop libres, à ces
discours empoisonnés, à ces mots équivo-
ques, à ces chansons dissolues : excutite
folia (Ibid.); détestez ces actions criminelles,
réformez cette conduite scandaleuse, rompez
les liaisons funestes, fuyez ces occasions
dangereuses : dispergite fructus ejus (Ibid.');
mortifiez ces sens, réprimez les saillies im-
pétueuses de votre chair ; mais ce n'est point
encore assez, avec tous cela il reste au de-
dans de vous une racine de péché toujours
renaissante, détruisez ce germe malheureux
qui produit sans cesse l'iniquité, enchaînez
vos passions, réprimez vos penchants, taris-
sez cette source, et détachez ce cœur de telle
manière qu'il ne se porte plus vers la terre :
Germen radicum ejus in terra sinite et alli-
getur vinculo ferreo.
Je ne regarde point votre jeûne, dit le
Seigneur à Israël, parce qu'il vient d'un
cœur corrompu. En vain vous couvrez-vous
du sac et de la cendre, si vous persistez dans
vos iniquités: le jeûne que je vous de-
mande, c'est que vous rompiez les miséra-
bles chaînes qui vous retiennent dans le
péché : Nonne hoc est magis jejunium quod
elegi? dissolve colligationes impictatis. (Isa.,
LVIII.)
Mais, s'il en est ainsi, Dieu redoutable, s'il
est vrai ce que vos Ecritures nous appren-
nent qu'aujour solennel de l'expiation vous
n'êtes miséricordieux qu'autant que vous
voyez le cœur converti , en est-il beaucoup
ici qui ne soient l'anathème du jeûne et de
la pénitence. Hélas ! votre cœur répond ici
pour vous, Messieurs; toutes les cupidités
vous empêchent encore d'être meilleurs ;
encore, pendant le carême, la volupté, la
colère, l'orgueil, l'avarice, la vengeance, la
jalousie, la haine l'emportent sur la péni-
tence, sur la douceur, sur l'humilité, sur la
patience, sur le désintéressement, sur l'a-
mour et la pratique de la vertu; encore au-
jourd'hui, chaque passion vous quitte, et
vous reprend ; vous êtes encore le triste
jouet des funestes passions qui tour à tour
tyrannisent votre cœur; encore aujourd'hui
vous êtes avides du fatal poison que le
monde vous présente, vous êtes encore af-
famés des faux biens qu'il vous promet,
quoique l'Eglise vous rappelle sans cesse
dans ses prière-, dans ses cantiques, l'obli-
gation où vous êtes de renoncera vos péchés;
quoique la religion n'ait aujourd'hui qu'une
seule voix, qu'un même langage pour vous
dire: Abstenez-vous du vice, vous ne vous
en abstenez point, malgré toutes les lumières,
malgré toutes les menaces, malgré tous les
avertissements que la sainte quarantai ne vous
adresse, vous êtes encore au vice et le péché
est encore vivant et aussi maître de votre
cœur qu'il L'était auparavant. Achab, frappé
îles reproches d'un prophète, couvert d'un sac,
enseveli dans la cendre, prosterné contre
terré", s'abîme dans la pénjtence, et votre jeûna
7P5
CAREME. - SERMON I", DU JEUNE.
706
n'est -qu'une ombre du sien. Cependant,
Dieu le réprouve, parce qu'il aimait le vice,
et que le péché régnait encore dans son
cœur; avec ces jeûnes, vous serez donc une
victime infortunée de l'enfer si vous n'y
joignez celui du cœur, et si, avec vos absti-
nences et vos mortifications sensibles, vous
entretenez encore vos passions et vos habi-
tudes ; mais ce n'est point encore assez que
le cœur se détache, il faut qu'il s'afflige.
Dernière condition.
2° En etret, quel mérite doit-on attendre
d'un détachement qui ne vient qu'après
s'être donné tout entier et trop longtemps
au monde et au péché? En est-il pas plus
longtemps l'ouvrage que de la grâce ? 11 est
un pur dégoût que l'on ressent, un délasse- .
ment qu'on se promet après les grands plai-
sirs; il est retenu vers la vertu dont les
charmes se montrent par avance, et se font
sentir après le désordre ; mais en est-il de
même d'un vrai pénitent qui ajoute l'afflic-
tion à son détachement. Il est triste dans le
cœur, inconsolable au fond de l'âme, après
tous ses péchés ; et c'est cette tristesse, celte
affliction intérieure que le Seigneur deman-
dait aux Juifs dans l'expiation solennelle des
péchés. Vous affligerez vos cœurs, vous
vous abstiendrez de tout travail profane,
vous ne ferez aucune œuvre servile ni ter-
restre, ni encore moins aucune "œuvre de
péché; le vide que vous aurez dans le cœur
sera rempli de sanglots et de larmes, de
douleur et de compassion. Votre unique oc-
cupation sera d'affliger vos âmes, et tout
Touvrage que vous avez à faire est de tenir
vos cœurs dans l'abattement et dans la tris-
tesse : Affligetis animas restras, nullumque
opus facietis in hue die; expiatio erit vestri
atquc mundatio ab omnibus peccatis vestris.
(Levit.y XVI.)
Ah! l'avez-vous donc, Messieurs! cette
tristesse chrétienne , et si Dieu ajoutait ici
ce qu'il a dit dans le Lévilique, que ceux-là
périssent dans un moment qui n'auront point
affligé leur cœur ; que quiconque aura donné
ses désirs et ses œuvres vers autre chose
que vers lui, soit biffé du livre de vie et
rayé du nombre de son peuple : Omnis ani-
ma quœ afflicta non fuerit die hac peribit et
quœ operis quippiam feccrit delebo eam de
populo. [Lcrit., XXIII.) Y aurait-il ici une
assemblée, un peuple ? Hélas! loin d'avoir
dans le carême ce cœur pénitent que l'Eglise
demande à Dieu avec larmes, dans ces jours
que vous regardez comme sombres et mal-
heureux; vous laissez régner dans votre
Ame une joie aussi mondaine, aussi profane
que si vous étiez exempts de tout péché; au
lieu de cette componction tendre et sincère
que le Seigneur exige de vous, vous n'avez
qu'une douleur pharisaïque que le Seigneur
défend, qu'un abattement de dégoût et de
mollesse ; loin que la pénitence occupe vo-
tre esprit, elle ne touche au plus que votre
corps, sans faire la moindre impression, le
moindre changement dans votre cœur, et
faut-il s'étonner qu'elle se trouve toujours
en vous sans force, sans vigueur et sans
effet.
Ici, Messieurs, faisons une courte réfle-
xion qui renferme tout le fruit de ce dis-
cours. Dans le cours de l'année nous nous
rendons coupables de mille crimes, nous ne
faisons proprement de pénitence que ce jeûne
de quelques jours bien courts. Hélas! pour
expier tant d'ofl'enses et tant de péchés : c'est
là cependant ce que l'Eglise nous prescrit
contre la colère de Dieu, pour attirer sur
nous sa miséricorde et soutenir notre con-
fiance en sa bonté ; mais, pour nous rassurer
avec quelque fondement, cette mère tendro
veut (pie nous accompagnions le jeûne ordi-
naire du jeûne des sens et de celui du
cœur. Vous l'avez vu, qu'il n'y a que par
ce double jeûne où vous puissiez espérer
votre salut. Je vous le demande, Messieurs,
frappé de terreur pour moi-même ; dans les
autres temps de l'année, nous irriterions
Dieu, et dans celui-ci nous ne l'apaiserions
pas? Quelle e.'t donc notre folie, dans quel
danger sommes-nous? qui nous autorise à
être si rassurés? Ne nous y trompons pas,
si nous ne changeons, notre partage, c'est
l'enter, et notre damnation est certaine.
Ah 1 sortez donc de la malédiction et de
l'anathème, mes très-chers frères; je vous
en conjure par ces paroles toutes saintes et
par le jeûne même dont Jésus-Christ vous
donne un si touchant exemple? Je le ferais
par quelque chose de plus tendre, s'il était
possible. Ne jeûnez plus ce carême comme
vous avez jeûné les autres années, revenez
de vos erreurs et de vos égarements; if est
encore temps de vous jeter entre les bras
de la miséricorde : encore quarante jours
pour le jeûne et pour la pénitence, et si,
après cela, Ninive ne se convertit pas, celle
ville criminelle sera détruite : peut-être,
après ce temps, périrez-vous tous par votre
obstination et votre impénitence. Ah! com-
mencez donc à jeûner comme il faut, à vous
mortifier dès l'entrée de la sainte quaran-
taine. Voici des jours de miséricorde et de
salut que l'Eglise vous présente : ecce dies
salutis. Voici un temps favorable où tout est
une impression de bonté et de fruits pré-
cieux de rédemption : ecce nune tempus ac-
ceptabile. (11 Cor., VI.) Jamais temps ne fut
plus propre à vous réconcilier avec ce Dieu
que vous avez tant offensé; mais, loin d'en
abuser, montrez-y plus que dans tout autre
temps, une patience plus invincible dans les
injures, dans les persécutions, dans les mé-
pris : in midta patientia. (Rom., IX.) Souf-
frez-y les afflictions, les calamilés, les misè-
res, les perles, les maladies, les disgrâces,
les revers comme des grâces que le Seigneur
vous fait en vous les envoyant; in tribula-
iionibus, in anqustiis (II Cor.. VI); prenez-y
une vie [dus éloignée des sens, plus opposée
à votre mollesse, et que les plaies que vous
ferez sur votre corps par les macérations
expient celles que vos sensualités ont faites
dans votre âme : in plagis. (Jbid.) Ah 1 si vous
n'êtes pas dignes n'être les heureux captifs
et les martyrs généreux de la religion que
ORATEURS SACRES. LE P. SERiAN.
707
vous professez, signalez-vous du moins par
le soulagement des prisonniers, par les liens
aimables de la charité envers les pauvres et
les nécessiteux ; n'y épargnez point cette
chair coupable que vous avez appesantie par
l'assoupissement des choses de la terre;
veillez , crainte que l'ennemi de votre salut
ne vous surprenne ; travaillez à la seule
chose qui vous est nécessaire pour réparer
tout ce temps si lâchement perdu dans la
mollesse et dans l'oisiveté: in laboribus , in
vigiliis (Il Cor., VI). Appliquez-vous-y à de
saintes lectures, à des oraisons ferventes, et
vous y instruisez de Jésus-Christ et de ses
santés volontés, in scient ia [Ibid.); écoulez-y
avec attention, avec docilité, les paroles de
vérité qui vous y sont annoncées pour les
mettre en pratique : m verbo veritalis (Ibid.) ;
efforcez-vous d'être plus véritables, c'est-à-
dire plus sincères, plus chastes, plus doux,
plus charitables : in castitate, in suavitate, in
charitate non ficla. (Ibid.) Que les anges du
ciel, qui se réjouiront de votre conversion,
voient en vous , dans ce saint temps, plus de
c'rcônspection, plus de modestie, plus de
simplicité, plus d'union avec vos ennemis,
avec votre famille, avec votre prochain: per
i jnobilitalem et bonam famam. (Ibid.) Exer-
cez-y avec amour, avec joie, avec courage les
œuvres les plus ] énibles qui vous sont com-
mandées en ce saint temps de pénitence : in
îejuniis, surtout sanctifiez-y le jeûne com-
mun par celui des sens et du cœur, et vous
serez assez pénitents et assez purs pour mé-
riter une couronne de gloire dans l'éternité
bienheureuse que je vous souhaite. Amen.
SERMON II (k).
DES OBLIGATIONS DU CHRÉTIEN ET DE SES
ENGAGEMENTS.
Nonne et ethnici hoc faciunl? (Mattli., V.)
Les païens ne [ont-ils pas la même chose que vous ?
Quelle est, dit saint Chrysostome, cette
perfection que demande l'évangile, et qui
nous distingue tous des païens et des idolâ-
tres, sinon l'état bienheureux du christia-
nisme? Mais hélas! si rien n'est aujourd'hui
plus commun dans le monde que le nom de
chrétien, rien n'y est aussi plus rare que de
l'être et de remplir dignement les devoirs
essentiels d'une vocation si sainte : c'est ce
qui nous accable d'affliction, et qui nous est
un nouveau sujet de larmes ; car s'il ne s'a-
gissait que de former entre nous une société
humaine, si nous n'étions appelés qu'à être
sages, officieux, réglés, équitables, quelque
corruption qui règne dans le monde, on trou-
verait encore des hommes de ce caractère,
et parmi vous et parmi les Juifs, on verrait
encore beaucoup d'honnêtes gens selon le
monde; mais depuis notre baptême, ce n'est
point assez pour nous d'être des sages, il
faut être des chrétiens; nous composons un
corps de fidèles qui a reçu des lois pures et
célestes; notre vocation est d'être chrétiens,
c'est-à-dire un autre Jésus-Christ : chrislia-
î(!8
nu* aller Christus. Voilà ce qu'il faut être;
et ne le pas être, c'est la damnation éternelle.
Or, ce qui me pénètre de douleur, c'est que,
dans un siècle où l'on se glorifie d'être chré-
tien, et où tout retentit d'une profession si
sainte, il n'y ait jamais au moins de vrais
fidèles; à peine en trouve-t-on un seul qui
soutienne, par la pureté de ses mœurs, la
sainteté du nom qu'il porte; de ce grand feu
que Jésus-Christ est venu apporter sur la
terre, il n'en reste plus qu'une étincelle mou-
rante, et on dirait qu'il n'y a plus de chré-
tiens dans le christianisme môme.
Est-ce ici une exagération? Plût à Dieu î
Mais c'est une vérité si sensible et si palpa-
ble, qu'il est impossible de ne point la voir;
car, je vous le demande à vous-même, qui
vous récriez contre une proposition si ef-
frayante, êtes-vous un chrétien, et, vivant
comme vous vivez, pouvez-vous vous glori-
fier de l'être? Pour en juger, définissons le
chrétien, car cet auguste nom est une énigme
cachée qu'il faut ici vous découvrir; et puis-
que le chrétien tire son nom, son modèle et
sa règle de Jésus-Christ, voyons dont; ce qu'a
été Jésus-Christ lui-même.
Trois grands traits le caractérisent et nors
le font connaître : à l'égard de Dieu, un es-
prit de relig'on; à l'égard ûes hommes, un
esprit de charité; à l'égard de lui-même, un
esprit de mortification. Voyons là tout Jésus-
Christ, ses principaux caractères, non imagi-
nés, mais tracés dans l'évangile parle doigt
de Dieu, et avec les rayons d'une lumière
toute divine. C'est donc là aussi tout le chré-
tien; ce sont là ses vér'tablcs caractères :
nous ne le sommes qu'autant que nous [sor-
tons sur nous ces impressions du Sauveur,
et que nous vivons dans un esprit de reli-
gion à l'égard de Dieu, dans un esprit de
charité à l'égard du prochain, et dans un es-
prit de mortification à l'égard de nous-mê-
mes. Voyons là de quoi nous dépendons, ce
qui nous constitue chrétiens, et. voyons là
d'où naît la triste conviction que vous n'êtes
point chrétiens, parce que vous n'avez pas à
l'égard de Dieu cet esprit de religion si lé-
gitime : première raison; parce que vous
n'avez point à l'égard du prochain cet esprit
de charité si essentiel : seconde raison; parce
qu'à l'égard de vous-mêmes, vous n'avez
{joint cet esprit de mortification si néces-
saire : troisième raison. Que ces vérités sont
grandes! Non, tout ce que vous avez d'at-
tention n'est point capable de les compren-
dre sans le secours du ciel ; et vous, ô mon
Dieu! en leur aidant à devenir chrétiens,
faites-leur sentir combien il est important
de l'être; nous vous le demandons par l'in-
tercession de Marie. Ave, Muria.
PREMIER POINT.
Nul peut-être parmi vous, mes frères, n'est
véritablement chrétien, parce que nul ne vit
dans un esprit de religion et de sacrifice en-
vers Dieu ; car, en quoi consiste cette reli-
gion? à vous rapporterdout à lui, à vous se-
(4) Imprimé dans l'édit;on de Liège, tom. I", page IL
700
CAREME. — SERMON II. OBLIGATIONS ET ENGAGEMENTS DU CHRETIEN.
crifier tout pour lui : c'est là tout le fonde-
ment de la morale chrétienne; et il le faut
bien, puisque Jésus-Christ en a fait toute
notre règle, occupé de ce qui regardait son
Père, et tout recueilli en lui. Or, si nous ne
sommes chrétiens que parce que nous res-
semhlons à Jésus-Christ, qui de nous peut
se flatter de l'être? Où aperçoit-on en vous
ce rapport de vos actions et de vos moeurs?
O Dieu, entrons en discussion avec vous;
faisons l'examen de votre vie, et puisque
tout l'homme se réduit à ce qu'il fait et à ce
qu'il sent : agit et sentit. Sur ces deux grands
rapports, jugeons si vous êtes chrétiens.
1" Agissez-vous par Dieu? Je ne vous de-
mande pas si vous priez, si vous respirez, si
vous vivez par lui : on peut avec tout cela
n'être que l'ombre d'un fiièle; mais agissez-
vous par lui? Occupe-t-il tout votre temps?
Remplit-il toutes les journées, toutes les
heures, tous les moments de votre vie? Soit
que nous vivions ou que nous mourions, soit
que nous veillions ou que nous dormions,
soit que nous travaillions, soit que nous
nous reposions, dit l'Apôtre, nous sommes
toujours au Seigneur : Sire vivimus, sive mo-
rimur Domini sumus. (Rom., XIV.) Or, pa-
raît-il que vous soyez à lui, mes frères, par
quelqu'une de ces choses? par l'usage que
vous faites de votre temps, de vos biens, de
vos talents, de tout vous-mêmes, p^iaît-il
que vous soyez à Dieu? Tout cela est-il pour
lui? Toutes ces choses ont-elles quelque
connexion avec lui? Les lui rappelez-vous
entièrement? Osez-vous dire que vous rap-
portez à Dieu ces veilles si prolongées par
l'excès de plaisirs défendus? ces festins où
l'intempérance et la sensualité trouvent si
bien leur compte? ce soin si outré de vous
parer et de plaire, qui absorbe la meilleure
partie d'un temps destiné à remplir les de-
voirs de votre état et de votre salut? Série z-
vous assez impies pour nous dire que c'est
pour Dieu que vous allez à ces théâtres qu'il
défend, à ces spectacles dont il a horreur,
aux joies de ce monde qu'il réprouve, à ces
écoles du siècle qu'il déteste? Or, rappelez
toutes ces différentes situations où vous vous
trouvez tous les jours dans le monde ; en
est il une où, loin d'être à Dieu, vous ne
soyez pas contre lui?
Peut-être direz-vous que cela seul ne
compose point votre vie, et que vous rem-
plissez tous les devoirs de votre religion;
mais en est-il une de ces œuvres par qui
Dieu soit glorifié; quoi ! ces prières si froides ;
quoi ces jeûnes si affaiblis où la délicatesse
est si bien ménagée; quoi ces aumônes si
légères où il entre plus d'orgueil que de
charité; quoi 1 ces confessions si sèches, si
abrégées, si contraintes, où jamais le cœur
ne déteste ce que la bouche déclare, tout
cela peut-il être offert à Dieu; en est-il glo-
rifié ou insulté, réjoui ou affligé jusqu'au
fond de l'âme; pouvez-vous lui rapporter tout
ce que vous êtes, combien d'exercices et
d'oeuvres de religion faites par habitude, par
bienséance , par respect humain, par hypo-
crisie, et qui loin de se rapportera la gloire
710
de Dieu, ne se rapportent qu'à vous-mêmes ;
si vous rapportiez au Seigneur ces prières
faites dans le temple, ces jeûnes faits à la
maison, ces aumônes faites dans les paroisses
ou dans les hôpitaux, et qui vous dit repre-
nez-y ce qui est à vous, ne faudrait-il pas
tout y reprendre, tout n'y est-il pas pour
vous et pour le monde.
Et après cela définissez-vous, qu'êtes-vous ?
Si le nom de chrétien était un nom vide, qui
n'eût rien de réel, sans nulle action de pé-
nitence et de sacrifice qui y fût attaché; si
c'était assez que le seul baptême, sans en
a"complir les promesses, sans en contracter
les obligations , vous seriez un chrétien ,
mais parce que ce nom est plein et suppose
de grands devoirs que vous négligez, de
grands engagements dont vous vous jouez,
mais parce que vous n'avez droit de le por-
ter qu'autant que vous l'accompagnerez
d'actions saintes, de vertus héroïques, et
comme il ne s'en trouve nulle en vous, vous
paraissez un chrétien ; ah dehors et au fond
vous ne l'êtes pas : un chrétien vit chrétien-
nement. On vous le dit tous les jours, vous
vous le dites j, eut-être vous-même. Puis
donc que vous ne menez pas cette vie chré-
tienne, vous n"êtes donc pas chrétien , vous
êles tout hors une chose, dit saint Paulin :
Christianus non es, c'est que vous n'êtes [ as
un chrétien.
A cette parole vous ne frémissez pas, vo-
tre cœur ne se trouble pas; ce titre le plus
noble , le plus grand, le plus précieux ce
tous est le seul que vous perdez sans peine,
sans scrupule, et à peine y pensez-vous
ap-rès tant de grâces reçues dans le baptême,
après tant de promesses renouvelées aux
pieds du confesseur. Dès que vous n'êtes
point un chrétien, eh qu'êtes-vous donc 1 je
vais vous l'apprendre : vous êtes un ingrat,
un perfide, un apostat, un sacrilège, un pro-
fanateur, un malheureux, un monstre , une
victime de l'enfer, réunissant en vous tous
les trimes, et malheureusement, ah! que
vous êtes endormi : vous êtes mort si vous
ne vous réveillez, si vous ne vous effrayez
pas au bruit de tant de foudres.
Encore si vous étiez chrétien dans les
sentiments , l'essentiel est d'être chrétien
dans le cœur, 2e réflexion, les œuvres exté-
rieures ne sont que les feuilles de l'arbre,
ou c'est le cœur qui en est la racine ; mais
pour être chrétien dans le cœur, il faudrait
rapporter à Dieu toutes les passions de l'âme,
n'aimer, ne haïr, ne se réjouir, ne s'affliger
que pour Die-u sur le modèle de Jésus-Christ,
car vous voyez comme il dévoue , comme il
dirige à son père tous les mouvements de
son cœur ; s'il désire, c'est l'accroissement
de sa gloire et de son règne ; s'il craint,
c'est qu'on ne l'offense ; s'il entre en colère,
c'est contre les profanateurs de son temple;
s'il s'afflige, c'est sur la ville infortunée qui
abandonne son culte; s'il a de la haine, c'est
pour le monde qui lui est opposé; s'il a de
l'amour, ce n'est que pour ceux qui font sa
volonté; enfin, tout le cœur de Jésus-Christ
est pour Dieu, et il n'a de sentiments quo
:n
ORATEURS SACHES. LE P. SUR1AN.
Ht
pour son Pèie; or, pour être chrétien, il faut
imiter cette disposition si juste, c'est pour
leur fournir, dit-il, un modèle de justice et
de sanctification, que je me sanctifie moi-
môme : Pro eis sanclijico meipsum ut sint
etipsi sanctificati [Joan., XVII); après cela
est-il bien difficile de juger, mes frères, si
vous êtes des chrétiens; rapprochons tous ces
traits, puisque de cette ressemblance dépend
votre état de chrétien, et que ne point rappor-
ter à Dieu tous vos sentiments et les mouve-
ments de votre âme, n'est point être chrétien.
Examinons vos désirs : pouvez-vous ren-
dre ce bienheureux témoignage qu'ils sont
tous pour le Seigneur? Hélas 1 une foule de
plaisirs terrestres remplit toutos les puissan-
ces de votre âme, quelque soin que Ton
prenne de vous en relever, le poids de vo-
tre cœur vous y entraine et vous ramène à
ces principes, à ces maximes, à ces orages
du siècle, à cet esprit du monde si contraire
à celui de votre religion ; une fois chrétien,
vous devriez comme un aigle vous élever
au-dessus des nues, et rampant comme un
serpent contre la terre, vous y attachez tou-
tes vos pensées, toutes vos affections.
Examinons vos espérances. Espérez-vous
en chrétien ? vos plus douces attentes sont-
elles dans les richesses de la grâce et de la
miséricorde de votre Dieu, ne les placez-
vous point ailleurs, si vous êtes de bonne
foi, vous conviendrez que vous n'attendez
rien de Dieu, mais tout du inonde, de ses
fortunes, de ses promesses, dont vous de-
vriez, par tant d'endroits sensibles, être
désabusés ; les faux biens de la terre renfer-
ment toutes vosespérances, et les vrais biens
du ciel sont à votre égard comme un spec-
tacle étranger, qui ne vous regarde point,
ou comme un de ces trésors publics qu'on
étale aux veux du peuple, mais où il est dé-
fendu d'y toucher et d'y prétendre.
Examinons vos joies. Dieu fait-il toutes
vos délices, les connaissez-vous même ces
joies délicieuses que l'on trouve dans le
Seigneur. Ahl vous avez bien d'autres prin-
cipes de plaisir dans le monde ; car quelles
sont les choses qui vous y réjouissent : un
gain inespéré, une protection nouvelle, la
facilité d'être de tous les plaisirs , l'assou-
vissement d'une passion violente , le péché,
le crime, le désordre; avez-vous une seule
joie que l'Evangile ne condamne et qu'il ne
i'allût pleurer avec des larmes de sang ?
Examinons ici vos tristesses, et ne croyez
pas que je veuille m'en dispenser, tout le
premier je l'ai fait sur moi, et si je vous fais
trembler, ce n'est qu'après avoir tremblé
moi-même, car vous connaissez, 6 mon Dieu,
ïa grandeur de nos devoirs et la faiblesse de
nos penchants : il faut tant pour être chré-
tien et si peu pour ne point l'être. Pesons
vos afflictions. Vos larmes coulent-elles pour
vos péchés qui vous en demandent tous les
iurs de si ainôres ? Vous trouvez-vous dans
infortune comme dans la prospérité? Met-
tez-vous tous vos chagrins à ne pouvoir
vaincre vos passions, à être obligé de vivre
comme les mondains? Non, vos tristesses
i
comme vos joies, tout vient d'un principe
purement humain, tout en vous est profane,
un projet échoué , une fortune contraire,
une grandeur méprisée, un honneur atta-
qué, un jeu qui n'est pour vous qu'un mal-
heur, une passion qui ne produit que de
l'inquiétude, une générosité qui ne fait que
des ingrats, que sais-je, peut-être l'impossi-
bilité d'être d'un certain monde et de cer-
tains plaisirs, c'est-à-dire l'impuissance de
faire à Dieu des plaies plus sanglantes : voila
vos tristesses, et s'en trouve- t-il quelqu'un
dans le monde qui en ait d'autres ?
Examinons encore ici votre amour, et que
votre cœur nous réponde : respondeat cor
vestrum : n'aimez-vous rien dans le monde
ou plus que Dieu ou contre Dieu? Quand on
aime bien un objet, ah! toujours quelque
tra't échappe qui le fait connaître, mais vous
à quoi paraît-il que vous aimiez Dieu? Vous
lui dites dans vos prières que vous l'aimez,
rien de plus facile à dire, mais au fond de
l'âme, quelle prière monstrueuse , car pour
être sincère, il faudrait dire : Je vous aime,
Seigneur, mais je fais mon supplice de vous
servir, et le temps que je passe avec vous
m'accable de dégoût et d'ennui ; je vous
aime, mais à condition que je ne prendrai
rien sur ma mollesse, sur mes plaisirs, sur
mes passions ; je vous aime, mais j'aime
avec vous plusieurs autres choses, et vous
êtes l'objet que je suis toujours le plus dé-
terminé à prendre; je vous aime , mais par
des liaisons étroites que je conserve avec le
monde votre ennemi, je suis prêt à tout faire,
dès qu'il le veut, les plus sanglants outrages,
c'est-à-dire je vous aime et je vous hais tout
à la fois : car si ce n'est point là le langage
de votre bouche, c'est la disposition de vo-
tre cœur, car voilà ce que disent vos senti-
ments et ce que vos mœurs expriment ; en
vain vous récriez-vous contre ces blasphè-
mes , vous avez raison, ils font horreur,
mais si votre cœur pouvait se faire entendre,
voilà ce qu'il dirait : Dieu l'entend, et c'est
ce qui enflamme toute sa colère. Or, recueil-
lons ce que nous venons de dire : vous ne
rapportez donc à Dieu ni vos actions , ni
vos sentiments, c'est vous-mêmes, c'est le
monde qui est le centre et la fin de tout ce
que vous faites, je vous en ai donné une
preuve convaincante et démonstrative par le
détail de vos mœurs; tirez maintenant cette
conséquence si nous ne sommes chrétiens
que par ces deux rapports d'actions et de
sentiments avec Jésus-Christ, êtes-vous des
chrétiens , et si vous ne l'êtes pas, devriez-
vous être si tranquilles , si quelqu'un vous
disait : Renoncez au baptême, à la foi , à la
religion, cette proposition impie vous révol-
terait. Cependant, qu'est-ce toute votre vie,
qu'une abjuration de vos vœux, qu'un re-
noncement de Jésus-Christ , qu'une infrac-
tion ouverte de sa loi et de son Eglise : vous
avez horreur de cette exécration dans les
autres, et dans vous elle ne fait aucune im-
pression. La peinture qu'on vous en fait
vous épouvante, et sa réalité vous plaît;
vous frémissez quand on vous dit de renon*
CAREME. - SERMON II, OBLIGATIONS ET ENGAGEMENTS DIÎ CHRETlE?
7Î3
eer à votre foi, et vous n'avez point de honte
qu'on vous démontre que vous y avez re-
noncé. En effet, d'où vient donc cette af-
freuse sévérité, n'est-ce pas qu'on ne doit
point non plus compter sur vous que sur un
païen, que sur un idolâtre ? Grand D:eu ! de
quel œil voyez-vous du haut du ciel des
abîmes si affreux et si détestables ? Est-ce
donc là, Dieu infini de patience et de mi-
séricorde, ce que vous voulûtes faire de
nous en nous couvrant de votre sang au
baptême ; nous courons empressés et misé-
rables après une vaine imago de grandeur
qui n'est qu'illusion , et nous dédaignons
d'être des chrétiens, c'est-à-dire d'être vos
enfants, vos élus, vos héritiers, une portion
de vous-même. Ah ! combien dans l'enfer de
sages infidèles nous envient la grâce du
christianisme, nous disent qu'ils en auraient
bien mieux usé ; et nous, ingrats , qui con-
naissons un bien si cher, nous n'y pensons
pas, nous le profanons dans tous les moments
de notre vie, par toutes nos actions, par tous
nos sentiments. Quel spectacle ! peut-on y
songer sans fondre en larmes ?
Venez donc, après cela, vous applaudir d'a-
voir été préférés à tant d'idolâtres, c'est le
comble de vos malheurs; on demandera plus
à qui aura plus reçu, c'est la honte du chré-
tien ; ce titre si glorieux, mais si cruellement
méprisé, ajoutera encore à vos autres péchés
un trait d'ingratitude noire, de lâche per-
fidie, de damnation qui épouvante. Mauvais
chrétien , oui , ce nom seul fera ton arrêt,
de Jésus-Christ, ton plus cruel ennemh, ta
désolation, ton enfer : Ubi est ergo gloria tua?
{Rom., III.) Quel sujet avez-vous donc de
vous glorifier? Ahi plût à Dieu avoir été
dans le monde, un idolâtre, disons mieux, y
avoir été chrétien, y avoir vécu en chrétien,
avoir répondu à ce que Jésus-Christ, votre
modèle et votre chef, voulait faire de vous,
c'est-à-dire, un saint élu, un fidèle, un com-
pagnon de ses travaux et de sa gloire ! Plût
à Dieu que vous vous fussiez rapporté tout
entier à lui, c'est-à-dire toutes vos actions,
tous vos sentiments par un esprit de reli-
gion : vous ne l'avez pas fait, d'où il faut
conclure que vous n'êtes point un chrétien
à l'égard de Dieu; l'êtes-vous davantage à
l'égard de vos frères, c'est ce que nous allons
examiner après avoir respiré un moment.
SECOND POINT.
Nul peut-être parmi vous n'est chrétien,
parce qu'à l'égard du prochain nul de vous
n'a cet esprit de charité que le christianisme
demande; car, selon l'Apôtre, la charité est
la vie de l'homme nouveau, et la vertu propre
du fidèle : Aimez-vous les uns les autres, disait
Jésus-Christ à ses disciples au dernier mo-
ment de sa vie, et son exemple le disait
encore mieux que ses paroles, puisqu'il allait
mourir pour nous, et qu'avant même de
rendre le dernier soupir, il priait pour ses
bourreaux ; c'est à ce caractère qu'il veut que
l'on reconnaisse ses enfants, et il ne fait du
chrétien et de la charité qu'une même chose;
or, sur-ce principe, où sont les vrais chré-
OftiTEURS sacrés. L.
"Ii
tiens, et en voit-on encore aujourd'hui quel-
que trait. Le nom de charité, je l'avoue, paraît
doux ; il plaît au cœur quand on le prononce :
comment n'aimer pas une vertu qui peut
être à nos maux une ressource si utile ; mais,
dès qu'il faut la pratiquer, elle ne nous pa-
rait plus si aimable et si chère; et, en effet,
qui de nous peut ici prétendre d'être chré-
tien par titre d'une telle chose ; sondons-nous,
et puisque -, dans la première Epître aux
Corinthiens, nous trouvons le portrait de h
charité fait de la main de Dieu même, voyons
si nous nous y reconnaissons; hélas 1* que
cette courte confrontation va nous convaincre
que nous ne sommes pas charitables, et par
conséquent point chrétiens.
La charité, qui fait le chrétien, est patiente
envers nos ennemis jusqu'à n'avoir que des
sentiments de paix et de douceur parmi les
plus sanglants outrages : Charitas patiens est
(I Cor., XIII); mais où trouve-l-on de ces
cœurs patients? Pardonner, selon le monde,
c'est bassesse, c'est Lâcheté.; il faut tirer de
cet affront, de cette injure la plus cruelle
vengeance, et rendre, je ne dis pas, le double
du moindre mal, mais le centuple ; et pourvu
qu'on se venge dans les règles que prescrit
le monde, on croit se venger innocemment,
et vous seriez chrétien avec cela, auelle chi-
mère 1
La charité est douce, benigna est (Ibi.d) : en
quel endroit de la terre la trouve-t-on, cette
douceur aimable? A chacun de vous sa langue
un feu, qui dévore, une flèche cruelle dont
les traits donnent la mort; vos assemblées ne
sont que censures publiques, que satires
sanglantes, que critiques impitoyables! vous
n'y épargnez ni le sacré, ni le | rofane; vos
entretiens languissent dès que la médisance
ne les assaisonne pas ; et vous direz, après
cela, que vous êtes des chrétiens; hélas 1 à
peine êtes-vous des hommes.
La charité est bienfaisante, et où le paraît-
elle en vous? Qui de vous donne selon ses
moyens, je ne dis pas son nécessaire, mais
seulement le superflu de ses biens, selon les
misères présentes, au soulagement de ses
frères? On ne voit que des cœurs serrés et
impitoyables, qui ne sauraient se dessaisir de
ce qu'ils ont dans leurs coffres et entre leurs
mains : l'orgueil, l'avarice, la volupté, le jeu,
le luxe, l'intempérance, tous ces monstres
cruels ont une voix plus forte sur votre cœur
que la faim, la soif, la mendicité de vos frères
misérables; vous donnez dans le faste; que fe-
riez-vous donc de plus si vous étiez les disci-
ples et les membres d'uruchef et d'un maître
plongé dans les délices? comment donc en agi-
riez-vous autrement si vous étiez de cette secte
malheureuse qui ne reconnaît point d'autre
divinité qu'unJDieu voluptueux? Que si vous
aviez juré dans le baptême d'être sensuel,
charnel, mondain, vous auriez raison de
mener cette vie de sensualité; mais parce
que vous y avez promis d'adorer un Dieu
mort, c'est-à-dire d'être chrétien, il faut
donc sans peine et sans délai la changer
tout entière, et en mener une plus morti-
fiée. Ahl Seigneur, si un prophète pleurait
.23
7!3
ORATEURS SACRES. LE 1». SLRIAN.
m
amèrement auïrefois de voir l'idole de la
volupté placée dans le lieu saint, devons-
nous être moins inconsolables de voir tout
un christianisme, tout votre peuple plongé
dans les plus honteux désordres. O mon
Dieul prenez pitié de votre Eglise; le mal
est aujourd'hui à son comble, les siècles
précédents n'ont point vu ce que voit le
nôtre, et on peut dire que le monde aurait
besoin d'un nouveau déluge pour le purifier,
et qu'encore une seconde fois il aurait be-
soin que vous vinssiez le laver par votre
sang, tant la corruption est extrême.
Mais ce n'est point assez de s'abstenir du
plaisir, un chrétien doit encore embrasser
la peine, et c'est ce que Tertullien appelle le
poids du baptême, pondus baptismi; c'est-
à-dire qu'un chrétien est obligé de vivre dans
la douleur, dans les combats, dans la vio-
lence : car voilà à quel titre vous êtes chré-
tien, et sans quoi en vain prétendriez-vous
l'être. Or, en quoi voit-on en vous que vous le
soyez? en quoi paraît-il que vous allligiez
votre chair, que vous combattiez vos passions?
Je vous montrerais aisément dans toute votre
vie mille traits de mollesse, montrez-m'en
un seul de mortification; cette croix pré-
cieuse de Jésus-Christ, si vous la portiez,
adoucirait toutes les autres, et c'est la seule
que vous ne portez point; car en quoi com-
battez vous vos appétits, en quoi vous faites-
vous de grandes violences. En vérité, paraît-
il sur vous un fardeau bien accablant, hélas!
non, vous ne portez point en vous le poids
du baptême. Pondus baptismi, et par consé-
quent vous n'êtes point des chrétiens.
Encore s'il arrivait, comme à ces Ames
saintes, que ce fussent les douceurs de la
grâce qui vous rendissent le joug de Jésus-
Christ léger, j'en serais consolé, et j'envie-
rais votre sort; mais si vous ne le sentez
pas, c'est que vous ne le touchez pas, c'est
que vous l'adoucissez par vos artifices de
délicatesse, c'est que vous l'affaiblissez et
que vous le réduisez à la simple pratique de
quelques œuvres superficielles, à quelques
aumônes, à quelques prières, à quelques
confessions, sans jamais mortifier votre es-
prit,votre cœur, votre corps parune pénitence
proportionnée; car voilà la religion, et tout
ce qui ne va point jusque-là n'est qu'un fan-
tôme et une ombre de religion et de christia-
nisme.
Or, où sont donc les chrétiens sur ce pied?
en reste-t-il beaucoup ici, et vous-même sur
quel fondement ;pensez- vous l'être? et si
tous ne l'êtes pas , qu'ôtes-vous donc ? Hélas !
si vous ne changez, vous êtes un réprouvé,
un arbre infructueux destiné aux llammes
éternelles.
Voilà donc la triste conclusion de ce dis-
cours et des vérités affligeantes que vous me
forcez de recueillir: peut-être, hélas! la perte
de tous ceux qui m'écoutent; vous aviez
bien plus de consolations, premiers ministres
de l'Eglise naissante, quand vous annonciez
les vérités de la foi : je viens en ministre
affligé pleurer dans la chaire chrétienne sur
le peu de chrétiens que je trouve, et vous n'y
paraissiez qu'avec la douce conso.ation d'en
voir de plus en plus multiplier le nombre ; je
viens m'attrister sur les infidélités d'un peu-
ple qui prend injustement le nom de fidèle I
Heureux temps, siècles fortunés, quand re-
viendrez-vous. Mes chers frères, que sommes-
nous en comparaison de ces premiers fidèles?
dussiez-vous en rougir, je vais vous les
représenter ici.
Ces habitants de la terre, avec un même
corps et les mêmes faiblesses que nous ,
menaient une vie toute céleste; en tous temps,
en tous lieux , ils levaient leurs mains au
ciel; la prière commençait leur ouvrage, et l'ac-
tion de grâce le finissait; pour se préparera
la fraction du pain, ils s'examinaient, ils se
recueillaient en eux-mêmes; quelle joie
pour eux de recevoir Jésus-Christ, ce divin
objet de leur amour! chaque maison était un
temple, chaque famille une église; ils appor-
taient à l'explication de la sainte parole un
respect et une attention que rien n'était ca-
pable de troubler : c'était un pain dont ils se
nourrissaient tous les jours, c'était une digue
qu'ils opposaient au torrent du siècle; on les
enterrait même avec l'Evangile sur le cœur,
pour que ce qui avait fait leur consolation
pendant la vie fût encore leur espérance
après la mort; ils avaient à tous leurs devoirs
un attachement et une fidélité respectables à
tous les idolâtres mêmes; et de l'aveu même
des païens, les princes n'avaient point de
sujets plus soumis, les villes de citoyens
plus zélés, les femmes d'époux plus fidèles,
et ils n'étaient meilleurs que les autres qu'à
cause qu'ils étaient chrétiens: car ce n'était
point seulement dans l'usage et dans les
exercices de la religion ; tout était chrétien
dans les premiers chrétiens : chrétiens dans
leur travail, dans leur commerce, dans leurs
voyages, dans leurs maisons, dans leurs dis-
cours, dans leurs lectures, dansleurs sociétés,
dans leurs visites, partout ils étaient chré-
tiens, partout leur foi les animait, et le chris-
tianisme se répandait sur toute leur personne.
Leurs habits étaient simples, leurs repas so-
bres, leurs logements modestes ; le mariage
n'était chez eux qu'une commune sanctifica-
tion de deux personnes qui se sont chères; ils
vivaient dans le monde mais éloignés de ses
honneurs, de ses fortunes, de ses plaisirs; ils
y tenaient le moins de place qu'ils pouvaient,
ils ne se glorifiaient que d'être chrétiens.
Quand le juge les interrogeait, leur demandait
leur nom, leur pays, leur famille, ils
répondaient: Je suis chrétien, et par là ils
croyaient tout dire; rien n'égalait la pureté de
"eur vie, et c'était la plus belle apo.ogie de
leur religion; quand on leur reprochait leur
crime, ils répondaient qu'être chrétien et
criminel sont deux choses incompatibles.
Mais quelle était, mon Dieu, leur charité?
on reconnaissait les chrétiens en ce qu'ils
s'étudiaient à faire du bien à tout le monde;
doux, affables, généreux, simples, mais de
cette noble simplicité qui distingue le chré-
tien, ils étaient tous parent», mais par une
affinité toute divine et plus noble mille fois
que celle du sang et dos alliances; ils e\er-
TI7 PETIT CAREME. — SERMON H, OBLIGATIONS ET ENGAGEMENTS DE CHRETIEN.
ÎH
paient entre eux une hospitalité si exacte
qu'en quelque endroit qu'ils se trouvassent
ils n'y étaient jamais comme étrangers; ils s'y
regardaient comme frères, et c'était assez
d'avoir reçu leur foi pour être regardés
comme membres de la même famille dont ils
ne faisaient tous qu'un cœur et qu'une âme.
Les femmes comme les hommes retranchaient
les superfiuités, et, à la place de ces orne-
ments étrangers, ils y mettaient la candeur,
la pudeur, la retraite", la simplicité, le soin,
chacun de leur famille; et ce que l'Eglise
ôtait à la cupidité, après le nécessaire, ils le
Eortaient aux pieds des apôtres pour les
esoins de leurs frères. Ils vivaient dans
la peine et dans la souffrance : toujours atta-
chés à la croix de Jésus-Christ comme à
l'instrument de leur salut et à la source de
leur bonheur, leur plus grand désir était le
martyre, et, quand ils ne pouvaient l'obtenir, à
la mort, ils s'en faisaient un de la crainledu sort
qui leur étaitpréparé, dès le commencement du
monde. Vous que rien n'alarme, pensez-vous
que ce jour ternblearrive?qu'allez-vous deve-
nir? vous y touchez peut-être, vous y êtes,
vous sentez-vous assez charitables pour y être
trouvés chrétiens? ceci est bien décisif pour
vous. Quelle sera votre destinée, il faut vous
l'apprendre, le ciel est pour le chrétien cha-
ritable, l'enfer pour ceux qui ne le sont point.
Vous vous connaissez, vous prenez votre
place, mais si vous n'êtes donc chrétiens ni
a l'égard de Dieu ni à l'égard du prochain,
voyons si vous Fêtes du moins à l'égard de
vous-mêmes.
TnOISIKME POINT.
Nul peut-être parmi nous n'est véritable-
ment chrétien, parce qu'à l'égard de soi-
même nul n'a cet esprit de mortification si né-
cessaire; car les deux autres dispositions
commencent pour ainsi dire le chrétien, la
mortification le finit et l'achève ; elle lui
donne le premier trait de ressemblance avec
Jésus-Christ, cet homme de douleur dont
toute lavie n'a été qu'une continuelle et longue
peine : il a commencé par une crèche et a fini
par une croix. Or, si nul ne peut être chrétien
sans cet esprit de mortification, l'êtes-vous?
et sur quel fondement pouvez-vous croire
l'être? où paraît cette mortification dans votre
vie? A la réserve d'un petit nombre de vrais
pénitents, à qui la religion doit ce glorieux
titre qu'ils ont mérité par le sacrifice qu'ils
ont fait à Dieu de tout ce qu'ils sont, quel
autre peut-il s'en glorifier: plus j'en cher-
che et moins j'en trouve, et, à mesure
que je définis ce qu'il faut pour l'être, je dé-
couvre qu'il y en a bien peu; car où sont
ceux qui crucifient leur chair, qui mortifient
leurs sens et qui laissent dans leur corps
ce glaive qu'ils ont reçu dans leur baptême?
Nous devrions imiter ce libérateur d'Israël
qui laissa dans le corps du roi des Moabites
l'épéedont il l'avait frappé h mort: Nec edu-
xit gladium,sedita ut percusscrat reliquit in
corpore (Judic, III); ainsi nous-mêmes ayant
juré de renoncer à notre chair, d'en réprimer
les saillies impétueuses, dejiercer nos corps
du glaive de la pénitence, nous devrions l'y
laisser toujours sans jamais le retirer; mais
bêlas! avec quelle promptitude le retirons-
nous, avec quelle lâcheté nous sommes-nous
d'abord offerts à réparer la plaie que nos
voeux et nos plaies avaient faite à notre chair;
combien flattent lâchement par le plaisir et
par la mollesse ce corps qu'ils avaient pro-
mis de frapper par la pénitence et par la
mortification; et puisque la mortification
consiste en deux choses, à s'abstenir du
plaisir et à embrasser la pénitence, voyons
s'il en est beaucoup parmi nous qui se mor-
tifient véritablement, et si, par* conséquent,
il y en a beaucoup de vrais chrétiens.
Premièrement, un chrétien, s'il est digne
du nom qu'il porte, doit éviter avec soin tout
plaisir profane : et vous n'êtes occupés
dans le monde quà flatter vos sens et à ren-
dre votre vie une longue suite de plaisirs;
Temps sacré, temps profane, vous y faites tout
servir, et vous comptez pour un temps perdu
celui que vous ne donnez point à quelque
beauté nouvelle ; vous prenez même le plai-
sir pour le plaisir : car si vous cherchiez
quelque délassement après un travail salu-
taire et utile, mais de quel travail vous re-
posez-vous ? toute votre occupation est de
courir du lit à la table, de la table aux pa-
rures, des parures au jeu, -du jeu à la pro-
menade; vous cherchez à vous délasser d'un
plaisir à un autre, et ne faites que changer de
volupté; la seule joie que vous ne connais-
sez pas, c'est celle de la grâce. Encore s'il n'y
avait que peu de personnes, mais les mœurs
sont toutes corrompues; que l'Eglise et la foi
nous condamnent, n'importe, la voix de la
volupté est la plus forte, la jeunesse croit
être toute faite et consacrée pour le plaisir,
l'âge le plus avancé n'ose y renoncer, la
vieillesse et des personnes mêmes à qui la
bienséance ne permet plus d'y courir avec
tant de fureur, ne pieuvent s'en détacher; et
de tous les sacrifices celui qu'on fait le der-
nier, c'est toujours celui du plaisir. Après cela
vous êtes un chrétien qui adore un Dieu cru-
cifié! Aveugles, que feriez-vous? tels furent les
grands modèles dès le commencement de son
Eglise que Dieu voulut donner aux hommes;
mais par où leur ressemblons-nous? Le nom
de chrétien, il est vrai, nous est resté, mais
paraît-il en nous les moindres vestiges de
leur fidélité; on dirait que ce sont là pour
nous des hommes fabuleux; car, que n'oppo-
sons-nous pas à ces grands exemples qui
nous sont proposés? Si on nous presse de les
imiter, nous nous écrions aussitôt, c'étaient
là les premiers chrétiens, et nous ne sommes
plus de ce temps-là ; mais c'est pour cela,
vous dirai-je, qu'il faut les suivre, eux qui
reçurent les prémices de la foi , et îe«
premières semences du christianisme ;
c'étaient les premiers chrétiens, je l'avoue,"
mais vous qu'êtes- vous donc? des païens et
des idolâtres? Si tous se rendirent si saints,
si vertueux, si parfaits, ayant comme eux la
même grâce, le même Evangile, le même
baptême, pourquoi n'êtes-vous pas ce Qu'ils
étaient ?
719
ORATEURS SACRES. LE P. SURIAN.
7*0
C'étaient la les premiers chrétiens, oui,
mais s'ils n'ont fait que ce que Jésus-Christ
avait fait lui-môme le premier, pourquoi
vous en dispenseriez- vous plutôt qu'eux ;
mais s'ils pouvaient se sauver par des
moyens si relâchés, par une vie si douce,
ils étaient donc bien malheureux et vous
bien heureux? Peut-on le penser sans impiété
et le dire sans blasphème; c'étaient les pre-
miers chrétiens, pourquoi vous croiriez-vous
exempts d'en faire autant : ah 1 puisque les
mœurs des premiers chrétiens vous parais-
sent si belles, que ne les rappelez-vous donc
par votre imitation ! Au siècle où vous vivez,
si quelqu'un d'entre eux reparaissait parmi
nous, y reconnaîtrait-il la première Eglise.
Reportez-vous aux premiers jours de votre
renaissance; c'était-là ce qui les affermissait
dans la ferveur, et chaque année ils rappe-
laient le jour de leur baptême qui les fit
chrétiens, jour plus beau pour eux que celui
du triomphe des plus grands conquérants.
Ils y reprenaient leurs habits baptismaux, et
sanctifiaient cet heureux jour par plus de
piété et par le renouvellement de leurs pro-
messes et de leurs vœux qu'ils scellaient de
leurs gémissements et de leurs larmes.
Imitons en eux une pratique si louable:
tous, prosternés aux pieds du Seigneur, ren-
gageons-nous à lui par de nouveaux vœux
et de nouvelles promesses, et nous écrions :
O Dieu saint, l'auteur de toute grâce, voici
des infidèles qui, les larmes aux yeux, se
présentent aujourd'hui à vous pour repren-
dre la qualité de chrétiens qu'ils ont perdue
] ar leur faute; au lieu de retrouver en nous
cette onction, cette grâce du baptême, nous
n'y trouvons, hélas 1 que des crimes, que des
profanations dont le nombre et la grandeur
nous épouvante; nous avons dans notre mi-
sère une consolation, c'est que nous la sen-
tons profondément et que nous voulons en
sortir. En rappelant ainsi nos premiers vœux,
rappelez-nous en votre première grâce;
qu'en avons-nous fait, grand Dieu 1 vous le
voyez, tout est violé, tout est profané, et
nos promesses solennelles sont comme si
nous n'en avions jamais fait. Oui, mon Sau-
veur, nous les renouvelons en votre pré-
sence, à- là face du ciel et de la terre ces
premiers vœux; comme le premier jour de
notre baptême, nous renonçons pour jamais
à Satan et h ses œuvres, au monde et à ses
pompes, à la chair et à ses désirs, au péché
et à nous-mêmes; du haut du ciel, bénissez,
grand Dieu, ces promesses si solennelles, et
nous aidez à les remplir; faites descendre
sur nous votre esprit, comme au jour dejjno-
tre baptême, et commandez au démon de
sortir de nos âmes; allumez en nous les lu-
mières saintes de votre charité, plongez-nous
dans le bain salutaire de la pénitence et des
mortifications; en un mot, donnez-nous cet
esprit de religion en vous, qui nous fasse
vous rapporter toutes nos actions et tous nos
sentiments, cet esprit de charité envers le
prochain, qui nous en fasse remplir tous les
caractères, cet esprit de mortification envers
nous, qui nous rende des victimes agréables
à vos yeux, et pendant que nous renouve-
lons ici nos vœux, renouvelez en mémo
temps vos grâces sur nous, afin que nous
puissions espérer de jouir de votre gloire
dans l'éternité bienheureuse, que je vous
souhaite au nom du Père et du Fils et du
Saint-Esprit. Amen.
SERMON III.
AMOUR DE DIEU.
Eslote ergo vos pprfecli sicut et Pater ves'.er cœlestis
perfeclus esr. (Matth., Y.)
Soyez doue parfaits comme voire Père céleste est par-
fait.
Quelle est donc cette perfection que Jésus-
Clirist demande à tousles fidèles? C'est, dit
l'Apôtre, la divine charité, le sacrifice de son
propre cœur : sans le cœur, en effet, l'homme
n'est plus rien, sa piété n'est qu'erreur, sa
foi qu'illusion, son culte qu'hypocrisie, et
toutes ses vertus sont réprouvées de Dieu et
inutiles pour lui-même; parle cœur il est
chrétien comme il est homme, il vit à Dieu
comme il vit à lui-même ; c'est par le cœur
qu'il plaît, qu'il mérite, qu'il adore, et, du
seul fonds de sa charité, coulent de source
toutes les vertus qu'il pratique et tout le
bien qu'il fait.
O heureuse habitude de l'amour divin 1
il est toute la piété de l'homme, le fond
de la liberté chrétienne, l'asile de la re-
ligion, le centre mystérieux où se réunissent
l'expérience du pécheur et le salut du juste
tout ensemble. Tout enfin est mort en moi sous
la charité, dit saint Chrysostome; elle seule me
donne l'être, à l'égarcf de Dieu, par la recon-
naissance qu'elle m'inspire; elle seule me
fait vivre à moi-même par le bonheur dont
elle me remplit : sans elle, j'avoue ou que
je ne suis rien, nihil sum, ou que si je suis
quelque chose, je ne suis qu'un ingrat ,
qu'un misérable, ingratus sum et miser.
Sur ces deux paroles simples, j'établis
deux grands motii's de l'amour de Dieu.
Nous devons l'aimer, dit saint Bernard, et
pour lui et pour nous, et propter ipsum cl
propter nos : pour lui, à cause des biens qu'il
nous l'ait ; pour nous, afin de nous faire
du bien à nous-mêmes ; par conséquent, sans
la charité, nous sommes ingrats et malheu-
reux, ingratus et miser; ingrats d'intérêts
qui seuls doivent vous porter à aimer le
Seigneur comme vous le devez. C'est à vous,
Saint-Esprit, à donner à mes paroles toute
l'onction que demande la matière que je
traite; ouvrez ma bouche pour parler, et le
cœur de mes auditeurs pour aimer : nous
vous en conjurons par l'intercession de Ma-
rie. Ave, Maria.
PREMIER POINT.
Nous n'avons qu'à ouvrir les yeux sur ce
que nous sommes, pour nous convaincre in-
vinciblement de l'obligation d'aimer Dieu
sons peine de la plus noire ingratitude. En
effet, dans la loi de grâce comme dans la loi
de nature, que s'otfre-t-il à nos yeux de
nous-mêmes qui neporteune impression des
CAREME. — SERMON III, AMOUR DE D1EC
72-i
bienfaits de Dieu, et qui, par conséquent, ne
doive nous porter à reconnaître sérieuse-
ment le tribut qu'il en exige. Si j'étais, di-
sait un Père, l'ouvrage de mes propres
mains, et que je me fusse sauvé de moi-
même, je devrais mettre en lui mon amour
et ma confiance, comme en l'Etre suprême;
et pourquoi, n'étant rien qui ne soit ou un
Irait de sa main, ou le prix de ses souffran-
ces, ne m'écrierais-je pas: Vous, Seigneur,
qui m'avez créé, vous qui m'avez racheté,
tout ce que je trouve en moi me dit, que,
comme hommme et comme chrétien, je vous
dois aimer uniquement d'un amour le plus
tendre.
Et d'abord, si nous pouvions un peu ré-
fléchir à ce que Dieu a fait pour l'homme, où
trouverions-nous assez d'âme et de cœur en
nous pour l'aimer; si nous pouvions penser
une bonne fois que c'est lui qui nous a fait
passer du néant stérile à l'honneur de lui
ressembler ; que c'est lui qui, ayant formé
la lumière dès le commencement du monde
pour nous éclairer, en rassemble les ravons
pour nous échauffer; qui fournit les élé-
ments dont nous sommes composés, qui a
mis au-dessus de nous les cieux pour nous
couvrir, au-dessous la terre pour nous por-
ter, au dedans la substance qui nous forme,
au dehors les vêtements qui nous servent,
«T.Uour de nous ces variétés qui nous charment,
que c'est lui qui pénètre l'homme et qui l'in-
vestit de ses dons. Ah! Seigneur, qui les
connaît tous ces dons admirables, si ce n'est
celui qui a su les répandre; et qui peut les
surpasser si ce n'est l'amour infini par lequel
vous y avez mis le comble.
O mon Dieu! quelle serait l'âme assez in-
sensible pour n'être pas touchée, pour
n'être pas ébranlée par une ingratitude sj
noire et si universelle, ingrat us. Tout est
plein de ces âmes abusées, et parmi ceux
même cpii se croient les plus fidèles, n'en
est-il pas une infinité qui, sans rien fairo
pour Dieu, vous disent qu'ils l'aiment, parce
qu'ils viennent avec indolence et tiédeur
renouveler aux pieds des autels quelques
actes languissants d'une piété infirme.
Quand vous nous dites que vous aimez Dieu
en .agissant de la sorte, de quel front pou-
vez-vous le soutenir, lorsqu'en vous on ne
voit nul zèle pour ses intérêts, nul soin de
lui plaire, nul empressement de vous unir
à lui? i^a charité est-elle donc où elle n'agit
pos , où elle ne fait pas même de grandes
choses? n'y aurait-il donc que celui qui est
saint et charitable qui fût oisif et inutile;
mais quand vous aimez les créatures, vous
êtes si fort dans le mouvement et dans l'ac-
tion ! La source peut-elle être vive sans
faire couler des ruisseaux? la divine charité
peut-elle être agissante sans produire des ver-
tus? Eh! où sont donc les fruits sacrés de cet
amour en vous? par où respire-t-il et où se
montre-t-il? Vous suffit-il de vouloir Dieu?
\ ous l'aimez, dites -vous, mais pour cela
prenez -vous sur vos penchants, sur votre
mollesse, sur vos plaisirs, sur votre repos,
sur votre personne, sur tout vous-même?
72?
Hélas! il semble que la divine charité soit
en vous une possession froide qui demeure
dans votre esprit, comme ferait une pure
idée, sans passer jusque dans votre cœur,
comme un véritable sentiment. Vous aimez
Dieu : mais s'il était à la liberté de votre
choix de devenir heureux par l'amour de
ses créatures ou par le sien, lequel préfére-
riez-vous? Si votre amour devait vous coû-
ter un poste avantageux , un emploi consi-
dérable, renonceriez-vous volontiers à ceux-
ci pour vous attacher à celui-là, s'il sa
présentait une de ses conjonctures où ii
s'agit de plaire au monde ou à Dieu, d'obéir
au Seigneur ou à votre passion.
Selon le portrait que le Sage nous fait du
divin amour, trouvons-nous dans le vôtre
un seul de ses traits : il est fort, et vous
cédez aux premières attaques. Les plus
légères tentations vous ébranlent ; il est
courageux , et le moindre combat vous
rebute, la moindre peine vous fait peur,
et pendant que vous paraissez infatigable:;
pour le monde, tout vous paraît pénible et
affreux pour votre Dieu. 11 est constant, et
le moindre- objet vous emporte : vous tour-
nez à tous vents, vous voudriez changer à
tout moment de situation , et votre âme
flottante passe mille fois de l'amour à l'in-
différence., de la justice au péché et du crime
à la pénitence ; il est pur, il est unique , et
cette grande passion absorbe toutes les
autres, et l'on ne voit en vous que d'in-
dignes partages , que de malheureuses
attaches avec le monde qui est son ennemi ;
et vous disposez en faveur du premier ob-
jet qui vous plaît, vous disposez de ce cœur
toujours trop étroit pour aimer et contenir
un objet si aimable et si grand 1
Vous aimez Dieu: mais quand on l'aime
comme il faut , il sort de ce cœur enflammé
des sentiments tendres , des nrières fer-
ventes, des aspirations vives, des onctions
saintes, et vous, quoique excités par xo*
misères, avertis par vos besoins, vous le
servez si lâchement! vous le priez si froide-
ment! vous le désirez si faiblement! vous
le cherchez si lentement ! vous l'honorez
par des œuvres si tièdesl Est-ce donc ainsi
qu'il vous a aimés? La charité qu'il a eue
pour vous, ressemble-t-elle à la vôtre? et le
môme amour était-il si vif, si immense, si
généreux dans le Créateur; si faible et si
borné dans la créature ? Ah 1 il faut donc
avouer que c'est une illusion d'appeler,
amour de Dieu ce qui n'est qu'un lâche-
amour de vous-mêmes. La charité stérile
ne vaut guère mieux que l'ingratitude, et
avec un tel amour, vous demeurez aussi
méconnaissant envers Dieu que si vous lui
portiez une haine marquée.
Vous le savez, Messieurs, Dieu a envoyé
son Fils unique sur la terre pour nous déli-
vrer du péché et pour nous combler de
grâces; pour nous rendre ses enfants malgré
notre esclavage, et nous faire des saints
malgré nos prévarications. N'est-ce pas là
mettre le comble à ses bienfaits , et ne se-
rait-ce pas, pour un chrétien quin estchrô-
723
ORATEURS SACRES. LE P. SIRIAN.
734
tien que par le Fils de Dieu , l'ingratitude la
plus énorme , de ne pas en avoir la plus
tendre reconnaissance? Sentons-la donc, s'il
se peut, cette noire ingratitude, et si nous
sommes dans la haine ou dans l'indifférence,
hâtons -nous d'en sortir, et demandons à
Jésus-Christ un cœur pour l'aimer; car ne
!e point aimer, c'est ne point avoir de cœur:
et certes peut-on imaginer quelle est l'in-
sensibilité d'un chrétien qui ne serait point
pénétré d'amour pour ce Dieu, qui, du sein
de ses grandeurs, a voulu se mettre au
nombre des petits pour nous glorifier, qui
s'est sacrifiépoursauverle chrétien de la mort
de l'enfer; qui s'est pour ainsi dire anéanti
pour s'accommoder à sa faiblesse et se don-
ner tout entier à lui, quoique, dit saint Ber-
nard, le poids de son amour n'eût point
encore abaissé Dieu jusqu'à l'homme, déjà
il était aimé ; "et il était dit : Malheur à l'in-
grat qui n'aime point celui qui l'a créé. Qui
aurait donc pu introduire parmi nous, et
dans notre sainte religion cette affreuse
tache d'ingratitude, si odieuse à nos pères
et si fort condamnée dans une loi moins
fiarfaite? Qu'aura-t-il paru dans le nouveau
égislateur, qui eût pu nous faire déchoir
dans un devoir si juste? seraient-ce les humi-
liations, les opprobres, les souffrances, et
les ignominies où vous avez voulu passer,
ô mon Sauveur, pour nous mériter une
parfaite réconciliation et apaiser la colère
de votre Père? Seraient-ce les soins, les tra-
vaux et les peines d'une vie aussi triste ,
aussi pénitente que celle que vous aviez
menée sur la terre? seraient-ce ces plaies
adorables causées par nos offenses, et tou-
jours ouvertes pour nous, recevoir avec
amour; serait-ce enfin le choix que vous
avez fait d'une rédemption si douloureuse,
vous qui, ayant pu nous racheter d'une
seule parole , l'avez fait aux dépens de
votre vie et de tout votre sang.
Triste mais trop naturelle image de nos
cœurs qui sont comme une glace d'hiver sur
qui tombe une pluie de feu et de feu le
plus ardent, sans que rien soit capable de
les échauffer et de les fondre : Ingrati spes
lanquamglacies hibernalis (Sap., XVI.) Et en
effet, que de son esprit saint, que de ses ins-
pirations divines, que de ses mouvements
intérieurs, que de ses exemples touchants,
que de ses afflictions salutaires, que de sa
longue patience, que de toutes ses flammes si
divines, si puissantes, l'amour de Jésus-Christ
forme une pluie de feu qui tombe sur nos
cœurs pour en amortir la dureté et en fon-
dre la glace ; hélas! quel fruit en tiron.;
nous? cet esprit saint, nous le consistons;
ces inspirations, nous les étouffons; les mou-
vements, nous les arrêtons; les exemples,
nous les méprisons ; ces afflictions, nous en
murmurons; sa patience, nous en abusons;
sa parole, nous la rejetons ; ses sacrements,
nous les profanons; enfin, tout perd sa force
sur nos cœurs endurcis, toutes les flammes
d'un divin amour qui tombent sur nos âmes
ne sont point capables d'en attendrir l'in-
sensibilité, et ce cœur demeure tout de glace
au milieu des feux qui l'environnent,
O ciel! je frémis sur une ingratitude si
monstrueuse. Vous l'aviez bien prévu, grand
Dieu! et comment ne nous a-t-il pas empêché
d'abuser de tant de grâces et de tant de bien-
faits; mourrons-nous donc, Messieurs,, sans
l'avoir jamais aimé, ce Sauveur sï aimable!
Ahl que saint Paul sentait bien mieux
que nous ce qu'il devait à Dieu, lui qui, à
la vue des grâces et de la rédemption que
nous devons à Jésus -Christ , se sentant
pressé par les transports les plus violents
du divin amour, défiant le ciel et fa terre
de jamais pouvoir l'en séparer, s'écrie,
par un trait de l'éloquence la plus vive :
Quis ergo nos separabit a charitate Christi
( Rom., VIII ) ; qui donc nous séparera de Ta
charité que nous devons à Jésus-Christ?
Seront-ce les plus rudes tribulations, seront-
celes fers, les prisons, an anguslia? (Ibid.)
mais quand j'aurai avec moi le Tout-Puis-
sant, je n'aurai pas de peine à rompre les
liens et les chaînes du monde qui ne pèsent
guère à quiconque aime son Dieu; sera-ce
la faim, an fumes? (Ibid. ) mais dois-je la
craindre, quand j'ai dans moi le pain des-
cendu du ciel pour me nourrir? seront-ce les
périls; an periculum? mais Dieu étant le
protecteur de mes jours, que dois-je craindre?
sera-ce la persécution et le glaive : An per-
secutio au gladius? (Ibid.) mais celui que
j'aime étant le Dieu terrible, le Dieu fortr
ne me défendra-t-il pas contre mes ennemis ;
et s'il est" appelé le Dieu de toute consola-
tion, n'est-ce pas pour en inonder ceux qui
l'aiment? la mort même serait un gain pour
moi; et les plus grandes persécutions qui
puissent m'arriver du côté des hommes ne
me paraissent rien en comparaison des ré-
compenses que j'attends de mon Dieu;
non, ni la mort ni la vie : Neque mors neque
vita ( Ibid. ), ni les anges, ni les principau-
tés : Neque angeli, neque principatus (Ibid.)y
ni l'excès des peines présentes, ni la crainte
des maux à venir, ni la hauteur des digni-
tés du siècle, ni les profondeurs de ses hu-
miliations : Neque altitudincs neque pro-
fundum. ( Ibid.) Qu'on m'élève jusqu'aux
nues, qu'on me précipite de la plus haute
tour, jamais aucune créature, jamais rien
ne pourra me détacher de l'amour de Jésus-
Christ : Neque creatura alia poterit nos
separare a charitate quœ est in Deo. (Ibid.)
Et vous, chrétiens, rien, au contraire, ne
peut vous en rapprocher de ce Sauveur ai-
mable : ni les afflictions amères qu'il vous
envoie, ni les disgrâces imprévues qui vous
arrivent, ni les accidents fâcheux qui vous
surviennent, ni les chagrins qui troublent
votre esprit, ni la faim que souffre une âme
qu'il ne nourrit pas, ni la honteuse nudité
de bonnes œuvres qui vous exclut du festin
de l'Epoux, ni le glaive vengeur qui ver-
sera un jour le sang des cœurs ingrats et in-
sensibles, ni les périls auxquels le combat
cruel de vos passions vous expose ; non, ni
la crainte d'une mort toujours prochaine, ni
les dégoûts d'une vie toujours traversée et
pleine de chagrins, ni l'espérance d'une fé-
723
CAREME. — SERMON III, AMOUR DE DIEU.
72$
licite éternelle qui est offerte à ceux qui
aiment Dieu, ni ce gouffre de maux qui vous
menacent; si vous ne l'aimez pas, rien n3
peut vous ramener à la charité de Jésus-
Christ. Quelle honte pour vous ; rien ne
peut en séparer le grand Apôtre, et rien ne
peut vous y attacher, rien ne peut vous sé-
parer d'une beauté passagère ou d'un hon-
neur chimérique, d'une fortune inconstante,
au lieu qu'un rien vous ôte votre Dieu, un
rien vous le fait quitter; et, quand vous
avez tant fait que de le perdre, rien ne peut
vous y ramener.
Ohl dites donc, cœurs ingrats et insensi-
bles, ce qu'il faut qu'un Dieu fasse pour se
faire aimer de vous; faut-il plus faire? il le
fera encore; mais souvenez-vous du souf-
fle qui vous a formés ; ne perdez pas de vue
ce sang précieux qui vous a rachetés ; il vous
a donné tout ce que vous êtes et tout ce que
vous avez; il s'est fait tout ce que vous êtes,
pour vous faire tout ce qu'il était. Ah ! s'il
y a quelque tendresse dans nos cœurs, à
qui do t-elle aller plutôt et plus justement
qu'à vous? n'est-ce pas vous qui nous don-
nez tant de biens, plus qu'à une créature
qui ne vous cause que des malheurs? vous
êtes notre Seigneur et notre Rédempteur;
votre charité sera notre unique et plus
chère passion, et l'exercice le plus doux de
notre vie ; puisqu'il faut un amour à notre
cœur, nous voulons lui donner le plus par-
fait pour qu'il soit digne de lui, et par là,
Messieurs, vous vous aimerez vous-mêmes;
car si le défaut de la charité vous rend in-
grats, il vous rend aussi méprisables; c'est
l'autre partie de ce discours.
SECOND POINT.
Ce qu'il y a, dit un saint docteur, de plus
essentiel à l'homme, et ce qui fait sur la
terre tout le sujet de son bonheur ou de son
malheur, c'est qu'il désire , qu'il agisse,
qu'il espère. S'il désire ce qu'il peut possé-
der, mais d'une possession durable; s'il
agit pour une tin qu'il peut obtenir avec
assurance; s'il espère une chose qui lui
convienne et qui ne soit point au-dessus de
son mérite et de sa portée, il peut dire qu'il
est heureux; il ne l'est pas, au contraire, si
ses désirs sont sans effet, ses actions sans
fruit et son attente sans fondement ; et voilà
l'idée qu'avait David d'un homme véritable-
ment heureux, lorsqu'il a dit : Ils sont ras-
sasiés dans les désirs de leur cœur; les œu-
vres de leurs mains ne les ont point corrom-
pus ; ils ne seront plus confondus dans leurs
espérances.
Et d'abord, que l'homme soit malheureux
dans ses désirs, c'est ce dont l'Ecriture nous
donne une preuve assez forte, lorsque Dieu
le menace de le livrer à ses désirs comme à
un malheur infini ; mais saint Augustin nous
donne une raison bien naturelle de ce mal-
heur. L'homme, dit ce Père, ne peut être sans
désir, parce qu'il ne peut vivre sans amour;
mais s'il ne rassemble tous ses désirs en
Dieu, qui seul peut être son bien souverain,
il se répandra sur la variété des créatures,
et de là son véritable malheur, et pourquoi ?
parce que, ou il ne les obtiendra pas, elles
sont fugitives et fragiles, et alors quelle agi-
tation, quelle inquiétude 1 ou s'il y arrive,
s'il parvient à les obtenir, elles ne le rem-
pliront pas, elles sont trop défectueuses et
trop vides, et alors quelle faim, quelle in-
digence ! voilà quel est votre sort sur ht
terre: Tous vos désirs tendent à vous ren-
dre heureux avec les créatures, et tous vos
chagrins sont de ne pouvoir jamais l'être;
le seul désir d'un objet est souvent un ob-
stacle pour y arriver; votre penchant vous
entraîne vers le plaisir, mais il semble vous
fuir et se dérober à vos plus vives recher-
ches ; toute votre attention est pour les hon-
neurs, pour les dignités et les emplois, mais-
tout semble contribuer à vous les rendre
impossibles ; tout les éloigne de vous : des-
patrons qui vous manquent, des amis qui
vous insultent, des commerçants qui vous
supplantent ; il y a dans les vices certaine
incompatibilité qui semble ne servir qu'à
tourmenter davantage ceux qui veulent les.
allier ensemble; les passions qui se com-
battent et qui sont jalouses l'une de l'autre,
font toujours que l'on n'en contente au-
cune; ce que l'orgueil demande, la mollesse
ne le veut pas; l'avarice combat ce que la
volupté souhaite; pour rendre heureuse une
de ces passions, il faut nécessairement met-
tre les autres en esclavage ; tout insatia-
bles qu'elles sont, elles deviennent toutes
incompatibles; votre cœur misérable ne sait
quoi abandonner ou quoi choisir; assez
vaste pour souhailer toute1, les passions en-
semble, il n'est point assez fort pour con-
tenter les désirs d'aucune; toute sa force se
consume en des transports, en des idées, en
des souhaits qui ne s'accomplissent jamais;
et c'est ainsi que la vie se passe à désirer et
à souffrir ; on y éprouve une misère conti-
nuelle ; on n'y fait que de vains efforts, et
on la voit finir sans jamais avoir pu jouir
de Dieu, ni du monde, ni de soi-même.
Non, Messieurs, avouons-le, nous ne don-
nons pas à ce malheur qui nous regarde
toute la compassion dont il est digne ;ô vous
qui êtes assez ennemis de vous-mêmes pour
livrer votre âme à des désirs qui la rendent
malheureuse, soyez troublés de son trouble
et de ses agitations; prenez pitié de ses éga-
rements et la faites revenir à son Dieu par
le soin que vous prendrez de lui plaire ; réu-
nissez en lui seul tous vos mouvements et
tous vos désirs; renfermez-vous dans son
saint amour, puisqu'il n'y a que lui qui soit
capable de vous fixer : Miserere animée tuœ
placens Deo, et contine [Eccli., XXX); faites-
en l'unique objet de vos empressements, et
fixez votre cœur dans les voies de la tran-
quillité sainte : Conyrega cor tuum in s an-
ctitate ejus. (Ibid.) Par là vous vous délivrerez
des maux qui vous accablent. Ne cherchez et
ne désirez que Dieu, et vous serez heureux.
Vous le serez sans doute, parée que c'est un
bien toujours présent, toujours offert, et
plus encore parce qu'étant la plénitude de
votre titre, et de tous les biens ensemble» il
m
ORATEURS SACRES. LE P. SIJRIAN.
738
est seul capable de remplir la plénitude de
vos désirs. Oui, quand une fois il est dans
un cœur , qu'il y règne, les remords s'apai-
sent, les inquiétudes finissent, les troubles
cessent, les désirs sont remplis; tout y est
dans la joie, dans le calme, dans le conten-
tement. Hélas I il n'en est pas de même du
vôtre, parce que votre Dieu n'y règne pas ,
et quand je vous accorderais que vous pos-
sédez tous ces autres objets que vous cher-
chiez, vous n'auriez encore rien gagné,
parce que, dans leur jouissance même, vous
seriez encore malheureux , et qu'aux termes
d'Isaïe, votre âme nourrie de toutes les cho-
ses de la terre , comme dans un songe ,
se trouve toujours vide à son révoil, et n'en
est jamais rassasiée : Sicut somniat esterions
et comedit, cum autem fuerit expergefactus,
unira est anima ejus. (Isa,, XXIX.)
Et en effet, riches du monde, quand vous
avez obtenu ces richesses tant désirées, tant
recherchées, êtes-vous heureux parleur pos-
session ? Forcés de nous répondre , ne vous
dites-vous pas qu?elles ne vous ont point
donné la félicité que vous y espériez, parce
qu'elles n'ont point Ôté de votre cœur la cu-
pidité qui y régnait ; que plus vous avez,
plus vous voudriez avoir; que vous êtes ri-
ches en dehors, mais que le dedans est encore
pauvre; que les apparences sont belles, mais
qu'elles cachent des inquiétudes bien réel-
les; qu'il y a un malheur inséparable des ri-
chesses, qui fait qu'elles multiplient les pei-
nes sans assouvir les fiassions, et que le
cœur n'en est jamais rassasié : Comedent et
von saturabuntur. (Ose., IV.)
Et vous, philosophes, prétendus sages du
siècle , qui voulez séparer des plaisirs ce
qu'ils ont d'amer, d'incommode et d'insensé,
pour n'en prendre que ce qu'ils ont de plus
doux et de plus sage; qui travaillez à re-
cueillir toute la fleur du plaisir, sans en
avoir les épines, outre que votre cupidité
n'est pas assez docile, que votre raison, que
votre esprit étant contents , votre tempéra-
ment ne le sera peut-être pas, que vous ne
pouvez assurer que vous ne passerez pas les
bornes, et que c'est mal connaître votre pas-
sion, que de croire lui donner des limites.
Je veux cependant vous assurer que, quoi-
que vous soyez assez maîtres de vous-mêmes
pour n'en prendre que ce vous voulez bien ,
malgré toutes vos précautions, j'en atteste
votre propre conscience, êtes-vous heureux
dans vos plaisirs? Ah! si vous nous parlez
de bonne foi , ne nous avouerez-vous pas que
vous souffrez encore plus à modérer vos pas-
sions* que vous ne feriez à les suivre, que plus
vous vous servez de vos réilexions, plus elles
servent a vous tourmenter; que votre sévé-
rité même vous est à charge, que votre tran-
quillité vous inquiète, que vous sentez bien
qu'il n'y a que l'amour de Dieu qui mette
votre cœur à sa place , et qu'il ne s'agit pas
de donner des bornes à ses passions, mais
de les lier sans bornes à l'objet immense
qui n'en a pas : Comedent et non saturabuntur.
Vous le voulez ainsi, Seigneur, par une
disposition de votre miséricorde, que celui
qui n'a besoin que de vous ne trouve rien
ailleurs qui le contente, vous le voulez, et al
est juste que les plus parfaites de vos créa-
tures dégoûtent celui qui ne vous aime pas ,
ô beauté éternelle; que tous les biens de la
terre appauvrissent celui qui ne vous pos-
sède pas, trésor immense ; que tout dégrade
celui qui ne vous goûte pas, félicité inalté-
rable ; que tout séduise, que tout trompe
celui qui ne se règle pas sur vous , vérité
adorable ; vous semez partout des peines et
des chagrins , ô mon Dieu ! afin de nous for-
cer à ne rien aimer que vous, et vous nous
devenez seul nécessaire, afin de nous être
seul aimable.
Seigneur, étendez en nous ce vide im-
mense qui nous force à vous redemander,
après vous avoir éloigné de nous par le pé-
ché; creusez encore en nous de nouveaux
abîmes qui nous fassent recourir à vous, ré-
pandez sur tous les objets, qui peuvent nous
charmer, de nouveaux dégoûts, ôtez-leur le
pouvoir de nous rendre heureux, qu'ils se
perdent dans l'immensité de nos désirs et
nous faites sans cesse souvenir qu'ils sont
dans l'impuissance absolue de nous jamais
satisfaire: heureuse impuissance qui nous
rend à un Diela qui seul peut suffire à nous
rendre heureux, non-seulement dans nos
désirs, mais même dans nos actions.
Oui , Messieurs, et nulle action n'a démé-
rite qu'autant qu'elle est élevée à Dieu rar
Jésus-Christ. 11 est le seul pontife qui ofie
et la seule victime qu'on puisse lui otfrir, et,
par conséquent, Jésus-Christ doit entrer dans
toutes nos actions que nous offrons err sa-
crifice à son Père, et ne faire qu'une seule et
mêrne action avec lui ; or, c'est la charité
qui forme cette union bienheureuse-, c'est
cette excellente vertu qui élève nos œuvres
à un ordre surnaturel, qui ne fait de nos
sacrifices qu'une même victime avec le Sau-
veur, qui sanctifie toutes vos actions et leur
donne le poùis et le mérite qu'elles doivent
avoir. Sans la charité, nous sentons trop
bien que nos actions, je ne dis pas les plus
terrestres elles plus charnelles, mais les
plus chrétiennes, sont séparées de Jésus-
Christ, et par conséquent nous rendent mi-
sérables.
Mais ce malheur se fera mieux sentir par
le détail des maux où nous sommes réduits
sans la charité, soit dans les vertus que nous
pratiquons, soit dans les sacrements que
nous recevons, puisque l'un et l'autre, selon
le grand Apôtre, ne sont rien en nous sans la
charité, qui en est l'âme; et en effet, qui ne
dira pas après saint Paul : En vain in'aban-
donnerais-je à l'état le plus vil, en vain me
ferais-je petit comme un enfant, et le servi-
teur de tous les autres, en vain serais-je l'op-
probre et la risée du public, serais-je en
butte aux railleries des mondains, si je n'ai
la charité avec cela, je ne suis rien, et mon
humilité n'est qu'une honte et une infamie
pour moi : Nihil sum. (Il Cor., XÎI.) t
Je donnerais tout mon bien aux pauvres,
je me dépouillerais de tout pour revêtir les
nus, si je ne donne mon cœur à Dieu, mon
7-20
CAREME. — SERMON III, AMOUR DE DIEU.
~0
aumône n'est qu'une pratique humaine, qui
ne mérite rien devant le Seigneur : Nihil
sum.
Je pardonnerais à mes ennemis les plus
grandes offenses, je remettrais à mes débi-
teurs tout ce qu'ils me doivent, et oublie-
rais pour jamais le tort que les méchants
m'ont fait, si je n'ai, mon Dieu, la charité
pour le prochain, tout cela n'est que faiblesse
et que lâcheté : Nihil sum.
Je prierais sans cesse, je réciterais les
psaumes et tous les cantiques les plus tou-
chants, si je n'ai la charité dans l'âme , mes
prières seront vaines et mes -oraisons me
resteront tout entières : Nihil sum.
Enfin, tout ce que nous faisons sans l'a-
mour du Seigneur, n'est qu'un édifice bâti
sur du sable : tout le mérite de nos vertus et
de nos œuvres est dans le sentiment du
cœur; lui seul les forme, les élève, les pré-
l are, leur donne cette couleur de grâce, qui
les rend agréables à Dieu, et sans la charité,
ni l'homme, ni le chrétien ne sont rien : Ni-
hil sum.
Ne pas aimer Dieu, c'est donc être bien
misérable, car toutes ces actions qui nous
coûtent beaucoup ne nous servent à rien,
vous portez sans fruit le joug de la grâce,
tout est stérile dans vôtre cœur. Vous re-
cueillez des épines dans un champ que l'onc-
tion sainte n'arrose pas, et faute de livrer
votre âme aux: douceurs du saint amour,
vous perdez tout le fruit de votre sainte re-
ligion, et vous en devenez la victime sans
en mériter les récompenses.
Mais les sacrements sans la charité, vous
seraient-ils plus utiles que les vertus, quel
fruit retireriez-vous de vos communions;
hélas, elles vous seraient un principe de
langueur et d'infirmité, au lieu de les soute-
nir et de vous fortifier. Qu'espérer de la cha-
rité, si elle n'est accompagnée de la péni-
tence ; vous gémirez comme des coupables,
mais vous ne mériterez pas comme des
saints.
Ce n'est pas, Messieurs, que je rejette la
crainte, je sais que c'est le commencement de
la sagesse (Psal. CX), et eu égard à nos éga-
rements, elle est assez notre partage. A Dieu
ne plaise que nous pensions à ôter aux chré-
tiens le frein de leurs passions 1 craignez
Dieu et observez ses divins commande-
ments , mais à cette crainte salutaire, joi-
gnez le saint amour ; la charité sans la crainte
est le partage du ciel, lacrainte sans l'amour
est celui de l'enfer ; mais la crainte et l'a-
mour sont le partage de ce bas monde. Si la
charité est essentielle aux chrétiens pour
mériter dans les moindres actions, le serait-
elle moins dans les plus nobles et dans les
plus parfaites» puisque c'est le violement du
premier précepte, qui a rendu le chrétien
malheureux. N'est-ce pas par la pratique de
ce commandement qu'il faut qu'il répare sa
faute : cet enfant dont il est parlé dans l'E-
criture, n'eût jamais été ressuscité par la
main du serviteur, s'il n'eût ressenti la cha-
leur du maître qui s'étendit sur tout le corps
de l'enfant mort; ainsi ministres du Sei-
gneur, en vain comme Giézi, étendrez-vous
le bâton, c'est-à-dire l'autorité que vous avez
sur les pécheurs que vous voulez ressusci-
ter, si Jésus-Christ par sa charité ne s'étend
lui-même sur le mort.
O divine charité, que vous êtes puissante,
céleste ardeur, venez à mon secours ; venez
pénétrer de vos flammes mon âme; avec vous,
j'aurai la vie, sans vous tout est mort en moi.
L'on est heureux quand on vous possède, et
tout est misérable là où vous n'êtes point.
Faites cette réflexion salutaire, Messieurs,
sur le divin amour; pensez qu'il faut que
Dieu soit bien bon, bien miséricordieux de
choisir nos penchants pour en faire le fond
de nos mérites, de prendre notre cœur par
l'amour qui lui est si naturel et hors lequel
nous nous rendons malheureux, non-seule-
ment dans nos désirs et nos actions , mais /
encore dans nos espérances.
Quoi ! vous n'avez jamais aimé Dieu sur la
terre, et vous croyez en aller jouir dans le
ciel ! sentez bien toute l'illusion de cette es-
pérance, c'est Dieu lui-même qui parle : la
terre a été d'airain pour moi, le ciel sera de
bronze pour elle; l'homme n'a joint eu d'a-
mour pour moi, il s'est endurci contre tous
mes attraits et mes grâces; l'ingrat n'a eu que
de l'insensibilité pour mes bienfaits, il a
épuisé par sa dureté tout ce que j'avais do
plus tendre pour lui dans le cœur; mais qu'il
sache qu'autant il m'a oublié, je l'oublierai
lui-même. Hélas, Messieurs, si Dieu nous ou-
blie, que deviendrons-nous, et fussions-nous
dans la situation la plus heureuse et la plus
riante, cette seule pensée que Dieu nous ou-
bliera si nous l'oublions, ne change-t-elle
pas tout ce que nous pourrons goûter de
joie et de tranquillité en des impressions
amèies et désespérantes. Ah ! il est encore
temps de bannir de nos cœurs ce défaut d'a-
mour; ne souffrons jamais qu'il y entre, ou
s'il y est entré, détestons-le , puisqu'il nous
est si funeste et qu'il nous rend si ingrats et
si misérables : Ingratus et miser; songeons à
ranimer cette flamme sainte qui nous serait
une source de'consolation si touchante.
Vous vous souvenez de ce qui est rapporté
dans le second livre des Machabccs (c. I) : par
un prodige très-surprenant, le feu sacré se
trouva changé en une eau bourbeuse : Non
invenerunt igncm,sed aquam crassam; tout le
peuple en fut effrayé, on ne pouvait plus
faire des sacrifices, ni présenter des victimes
au Seigneur dans tout Israël, parce qu'on
avait besoin de cette flamme pour les dévo-
rer; Néhémias enfin, inspiré de Dieu, ayant
présenté cette eau bourbeuse aux rayons du
soleil, elle redevint une flamme sainte qui
ranima la confiance du peuple, ce qui finit
les malheurs d'Israël.
Vous me prévenez, sans doute, Messieurs,
et vous ne demandez point sur qui tombe
l'application de celte figure sacrée; vous
vous dites que c'est en vous, que c'est en
votre âme que la grâce .du baptême, cette
ardeur divine, s'est changée en corruption
et en péché; que de bonnes inclinations,
que des affectons salutaires se trouvent par
73!
ORATEURS SACRES. LE P. SURIAN.
73-2
voire faute converties en désirs charnels, en
froideur et en indifférence criminelle : In
ïtquam crassam, et que par là comme Israël,
vous êtes devenus ingrats et misérables;
niais comment réparer un si funeste change-
ment? Ah 1 il faut comme Néhémias, dans la
componction du cœur, présenter au Seigneur
toute cette corruption de votre âme, toutes
ces attaches terrestres et mondaines; expo-
ser cette eau bourbeuse à Jésus-Christ, vrai
soleil, le prier, le conjurer, le solliciter de
faire en vous un salutaire changement, de
rallumer par les rayons de la divine grâce
son amour qui est presque éteint en vous,
et qui, n'y paraissant plus au dehors, n'y rè-
gne plus au dedans, et bientôt il séchera cet
eau bourbeuse de votre cœur, il en consu-
mera tout ce qui le corrompait : Accensus
estiijnis magnus... vorabit vos. (II Much., I.)
Alors vous ne serez plus ingrats, vous ne
serez plus misérables, et vous vous sentirez
enflammés de son divin amour, et par là
vous arriverez à ce bonheur que la foi mon-
tre, que l'espérance attend, mais que la seule
charité donne. C'est ce que je vous souhaite
au nom du Père. Amen.
SERMON IV
DE LA NECESSITE DE LA PÉNITENCE CONTRE LES
FAUX PRÉTEXTES DE S*EN DISPENSER.
Cum jejunasset quadraginla diebus et quadraginla no-
clibus poslea esuriit. (Mutlli., IV.)
Jésus-Christ an vil jeûné quarante jours et quarante
nuits, eut faim ensuite.
Que de raisons dispensaient Jésus de la
loi du jeûne et de la pénitence 1 Une vie tou-
jours pure et une charité toujours soumise,
il n'avait nul mal à expier, nulle trahison à
craindre; mais lui, dit saint Crégoire, qui
songeait à nous guérir, voulait par l'attrait
d'une haute vertu nous ôter tout prétexte de
demeurer dans l'abîme du péché; lorsque les
lois de sa justice et de sa sainteté rélevaient
au-dessus de toute mortification et de toute
pénitence, celles de son amour et de sa misé-
ricorde l'y assujettissaient. Et en faisait-il
trop? jugez-en, Messieurs. Sa pénitence,
toute surabondante qu'elle est, a-t-elle pu
vaincre notre moliesse. Et que feriez-vous
sans un Dieu , sans mortification et sans
plaies, vous qui fuyez avec tant de soin la
pénitence?
Je viens donc vous l'annoncer ici cette
pénitence, dont le Sauveur' vous a donné de
si touchants exemples. Je vous apportai déjà
mercredi les motifs qui doivent vous porter
à la faire; je veux aujourd'hui combattre les
excuses que vous apportez pour vous en dis-
penser ; qu'elles sont injustes ces excuses,
vous les prenez toutes du même fonds de cor-
ruption, d'où naissent vos iniquités ; vous
péchez toujours, et par conséquent vous êtes
dans la nécessité indispensable de la faire
toujours : vous , en ce que vous croyez vos
fautes légères, et de là vous vous croyez en
droit de vivre dans l'impénitcnce : vous,
parce uue !e monde séduit votre cœur par ses
charmes, et sur cela vous établissez l'exemp-
tion de faire pénitence : vous, parce que vous
êtes d'un certain rang, d'une certaine qua-
lité où l'on pèche plus facilement qu'en tout
autre, et c'est ce rang, cette qualité qui vous
donnent le privilège de vous dispenser de
faire pénitence: vous, enfin, parce que vous
êtes infirmes et malades, et comme vos péchés
viennent toujours de ces maladies et de ces
infirmités, ce sont aussi ces maladies et ces
infirmités qui conspirent le plus à vous
exempter de pénitence. Ainsi quand, touchés
de vos malheurs, nous venons vous conjurer
de ne pas laisser couler votre vie sans faire
pénitence, vous nous répondez :
Pourquoi faire pénitence, je ne suis pas un
si grand pécheur : premier prétexte. Com-
ment la faire, je me trouve engagé dans le
monde : second prétexte. Quand on est d'un
certain état, d'une certaine condition, la péni-
tence ne convient pas : troisième prétexte.
Je suis si faible, si infirme que je ne puis la
faire : quatrième prétexte.
Renversons-les l'un après l'autre, sans in
terrompre ce discours. Mais que dis-je, les
renverser, comment le faire sans vous, Sei-
gneur? le démon, le monde, les passions,
l'amour-propre, toutes les voix s'élèvent
contre la pénitence. Parlez-y à votre tour, mais
d'une voix plus touchante et plus forte, qui
pénètre et brise les cœurs et fasse compren-
dre à tous ces pécheurs la fausseté de leurs
excuses et la nécessité qu'il y a d'embrasser
la pénitence. C'est la grâce que nous vous
demandons pour l'intercession de Marie.
Ave, Maria.
PREMIER POINT.
Premier prétexte de négliger la pénitence.
Vous ne vous croyez point assez pécheurs, et
vous nous dites, quand nous vous parlons de
pénitence : Retirez-vous, je suis assez pur.
Quoi ! de grands saints qui n'ont jamais con-
tristé Dieu, en qui se trouve encore le mé-
rite de l'innocence et de la pureté qu'ils ont
reçue au baptême, qui, comme Job, sont
demeurés inébranlables jusque sur le fumier,
te sont méfiés de leurs meilleures actions,
et y trouvaient de quoi pleurer et leur faire
appréhender la mort, et des pécheurs asser-
vis au péché, accoutumés à boire l'iniquité
sans la connaître, marchent avec assurance
dans le dérèglement de leurs voies, et s'ac-
cordent le droit de ne point faire pénitence l
Quel funeste etfet d'un aveuglement encore
plus déplorable 1
Mais vous qui parlez ainsi, avez-vous bien
pesé toutes ces actions que vous croyez in-
nocentes aux pieds de Jésus-Christ et à la
balance de son Evangile? Que faut-il pour
vous rendre un grand pécheur devant Dieu?
Croyez-vous qu'il faille pour cela remplir
le cours de votre vie d'actions énormes et
criantes devant les hommes; mais Jésus-
Christ, et tous les Pères après lui, nous di-
sent qu'aimer le monde* ses plaisirs* ses
honneurs; suivre ses maximes, ses coutu-
mes comme vous les aimez, vous y faire un
fonds de mollesse et d'oisiveté qui dure au-
tant que votre vie; y vivre, comme vous y
735
CAUEME. — SERMON IV , NECESSITE DE LA PENITENCE.
loi
vivez, dans cet amour de vous-mêmes, dans
cette indolence, dans cette froideur d'un
cœur qui n'est pas à Dieu, c'est porter le ca-
ractère de criminel, et, par conséquent, être
sujet aux plus sévères lois de la pénitence.
Ignorez-vous qu'un homme inutile est la
même chose qu'un homme pécheur, que ne
point amasser des trésors de mérite, c'e-t
perdre ceux qu'on avait; que ne point faire
du hien c'est faire du mal , et que, par l'ex-
cellence de sa vocation, celui-là est un grand
pécheur qui, obligé de mener une vie par-
faite, n'en mène qu'une commune. Vous
n'êtes, dites-vous, ni avare, ni violent, ni
scandaleux, ni débauché, ni injuste : je le
veux; mais êtes-vous chrétien? Vous le pa-
raissez peut-être aux yeux des hommes;
mais l'êtes-vous devant Dieu? Vous avez peu
de vices; mais avez-vous assez de vertus?
Si vos actions sont" bonnes, vos intentions
sont-elles droites? Ne tenez-vous point ici-
bas par quelques liens de cupidité? S'il n'y
a point de gros crimes dans votre vie, n'y
en a-t-il point au moins de fragilité? Or,
ces fautes, quoique légères, ne sont-elles
pas punissables au jugement de Dieu, et,
puisqu'elles sont continuelles, n'obligent-
elles pas à de continuelles satisfactions?
N'y avait-il pas dans l'ancienne loi des vic-
times de différents prix, et celui qui destine
des récompenses au peu de vertus qu'on
pratique, n'imposera-t-il point des peines
aux moindres vices? Ah! justice divine, je
sais que de tous les saints l'Eglise n'en recon-
naît qu'un ou deux qui aient été de grands
pécheurs, et une infinité qui se sont donnés
à la pénitence. Je suis dans le monde, je ne
puis faire pénitence. Ah! que ne suiviez-
vous la grâce de Jésus-Christ, quand, dès vos
premières années, elle vous inspirait le des-
sein d'une retraite salutaire; pourquoi y
y résistiez-vous ? Vous n'auriez pas à vous
reprocher des jours si déplorables; vous au-
riez souventgoûté aux pieds de Jésus-Christ
la consolât ion qu'il va de lui être consacré tout
entier. Mais enfin vous y êtes dans ce monde
dont vous avez aimé le séjour, et il s'agitde re-
cevoir. Si c'est pour vous une excuse légitime
d'impénitence, je prétends que rien n'est [dus
frivole que cette excuse prétendue ; car où
le péché est plus grand et plus ordinaire,
c'est là où l'on a plus de besoin de l'expier par
la pénitence. Or, en quel endroit le péché
a-t-il plus d'empire et trouve-t-il plus d'oc-
casions de régner que dans le monde ? Ah !
plût à Dieu qu'il fût nécessaire de vous le
prouver! Qui de vous ne peut pas s'appliquer
en gémissant ces paroles de l'Ecriture : j'y ai
vu toutes les iniquités passées en revue? En
effet, en combien de manières n'y ofTense-
t-on pas le Seigneur : tantôt dans l'abus de
ses grâces , tantôt dans la profanation de ses
mystères; ici dans le mépris de ses lois, là
dans le renoncement de son culte? On n'y
conserve qu'une surface de religion ; oh
n'y a nul goût pour sa parole, nulle craints
de ses jugements, nulle reconnaissance de
ses boutés, nul désir de sa possession,
nulle douleur de sa perte. Avou°z-le, Mes-
sieurs, votre âme est dans le monde cor-
rompu, dans cette terre d'oubli dont parle lo
Prophète. Son salut est la chose où vous
pensez le moins ; vous la sacrifiez sans res-
source, vous l'abandonnez sans réserve.
Vous ne travaillez dans le monde que pour
satisfaire vos cupidités ; le sang qui coule
dans vos veines ne s'épuise, ne s'altère que
pour contenter vos criminels désirs, et une
malice nouvelle y succède toujours à une
autre malice; soit envie jour les riches,
soit haine pour les malheureux; soit idolâ-
trie pour les uns, soit haine pour les autres,
vous y trouvez autant de passions que vous y
rencontrez de personnes ; occupant tous vos
sens de ce qui vous plaît davantage, vous
ne laissez qu'ennui dans votre esprit, que
dérèglement dans votre volonté. Presque ja-
mais vos yeux ne sont modestes, votre langue
réglée , votre bouche discrète, vos oreilles
chastes, vos mains innocentes, rien ne
passe dans votre cœur qui soit pur, rien ne
va jusqu'à votre âme qui ne fasse quelque
blessure mortelle ou dangereuse. Les crimes
s'y transportent de tout l'homme, et cette pa-
role du Sage ne se vérifie que trop en vous :
Pêne fui in omni malo. (Prov.,V.) J'y ai reçu
toutes les iniquités, et ce monde m'a été
presque un péché universel. Or, vouloir que
dans ce monde, où toutes les occupations
tendent à offenser le Seigneur, ce soit pour
vous un titre de ne point satisfaire à ces of-
fenses, de persuader qu'on est exempt do
satisfactions dans l'endroit où l'on est le
plus coupable ; de croire que dans ce monde
vous aurez pu donner l'essor à la plus vaste
ambition , à la plus cruelle avarice , à la plus
impétueuse volupté, sans y être obligés de
livrer votre esprit à l'humiliation, votre
cœur à la charité, vos sens à la mortification ;
de penser que vous avez pu y vivre dans la
bonne chère, dans les excès, sans jamais
vous y livrer à l'abstinence et à la modéra-
tion ; quel prétexte est-ce donc là : je suis
dans le monde? et de quel fondement peut-
il servir à votre croyance, surtout n'en
ayant point d'autre garant que le monde
maudit lui-même, déclaré son ennemi, re-
connu trompeur et toujours appliqué à
vous séduire? Que ce monde réprouvé, dont
vous avez promis de détester toutes les pom-
pes et promesses , auquel vous avez juré de
renoncer et de ne jamais écouter les dis-
penses ni les maximes ; monde imposteur,
que tu mérites bien l'anathème que le Sau-
veur a prononcé contre toi ! Quelle marque
plus visible de ta réprobation, quel plus
terrible arrêt pourrais-tu rendre contre toi-
même qu'en déclarant que la pénitence ne
te convient pas, c'est-à-dire que ces res-
sources de salut et ces voies salutaires de
l'éternité bienheureuse ne sont pas pour
toi ? Eh ! que peut-il donc te rester que des
iniquités cl des malédictions ?
Ne vous abusez donc plus , Messieurs , par
un prétexte si frivole et si peu raisonnable;
être chrétien et être pénitent est une même
chose. Jésus-Christ, le chef commun de tous
les hommes, leur a laissé à tous sa croix eu
orateurs SACRES. LE p. slrsan.
736
partage ; l'Eglise n'est qu'une nation d'hom-
mes gémissants qui l'embrassent; cette su-
périorité de vertu T qui distingue les reli-
gieux des gens du monde, ne regarde que
quelques pratiques plus sublimes et plus
parfaites que celles qui n'ont pas la force
d'aller jusqu'au conseil. Cette pénitence
n'est point une profession libre que Dieu
nous propose ; c'est un commandement ab-
solu qu'il nous fait, dont nous avons plus
de besoin que ces solitaires qui ont pour se
soutenir des lectures plus saintes, des orai-
sons plus ferventes et plus longues, une vie
plus dégagée de soin; hélas 1 ils ne sau-
raient périr à moins qu'ils ne se précipitent
eux-mêmes. La pauvreté, la chasteté, l'o-
béissance , sont de fortes barrières qui les
gardent, et ils n'ont point d'autres tenta-
tions qu'eux-mêmes. C'est toujours beau-
coup, je l'avoue; mais c'est encore bien peu
par rapport à vous qui, outre le danger
mortel des honneurs, des richesses, des
plaisirs , avez à combattre des passions plus
crdentes et plus irritées. Eh ! qu'allez-vous
donc devenir si vous vous ôtez ces remèdes ,
ce frein de la pénitence que Dieu ne vous
laissait que pour préserver vos dangers et
vous servir à vous relever, lorsque vous
seriez tombés.
Le troisième prétexte prend sa source
dans le privilège de sa condition. C'est lui
qui élude témérairement les plus saintes
lois de l'Eglise ; c'est lui qui vous accorde
d'indignes adoucissements contre le jeûne et
la pénitence. Mais à ce prétexte j'oppose
deux grandes vérités : la première, que ces
personnes de qualité comme les autres sont
obligées à la pénitence; la deuxième, qu'elles
y sont plus obligées que les autres, et sur cela
je pose ce principe avec saint Paul, c'est que
quelque élevés que nous soyons au-dessus
des autres devant les hommes, nous avons
une qualité commune en qualité de chrétiens,
qui nous abaisse devant Dieu. Elle nous raj>-
proche, elle nous confond, elle s'occupe à
nous réunir, et à rassembler les membres
du corps mystique de Jésus-Christ. Elle
n'a nul égard à la diversité des états, et à la
disposition des conditions; toute pierre,
pourvu qu'elle soit vivante, lui sert à la con-
struction du temple saint. Dès que nous deve-
nons fidèles par le baptême, nous devenons
tous égaux ; elle veut que si nos fortunes et
nos rangs sont dissemblables, nos obliga-
tions et nos devoirs soient les mêmes. Or,
cette règle de morale ne doit-elle se démen-
tir qu'à l'égard de la pénitence? Qui vous
dispense, grands de la terre, de cette vio-
lence à laquelle le royaume des cieux est
attaché? Quel nouvel apôtre vous a dé-
claré que vous pouvez être les membres
d'un Dieu crucifié sans vous mortifier en
rien, et que vous êtes semblables h un Dieu
souffrant, sans rien souffrir; s'il est mort
pour tous, les élus ne doivent-ils pas parti-
ciper, sinon à sa mort, du moins à sa péni-
tence. Nous voyons assez que les mêmes
autres qui l'ont prôchée dans les déserts,'
cette pénitence, l'ont prediéc dans les villes;
qu'ils n'en ont excepté ni rang, ni cOBlir
tion, qu'ils l'ont même imposée plus parti-
culièrement aux riches avec qui nous som-
mes égaux en tout le reste. Quoi donc! pour
être d'une autre qualité que les pauvres ,
avez-vous un autre Dieu, un autre Evangile?
et n'est-il pas juste que ceux qu'un même
baptême regénère, qu'une même onction
consacre, qu'une même grâce forme, qu'une
môme foi soutient, qu'une même espérance
anime, qu'un même sacrement justifie, qu'un
même pain nourrit, qu'un même exil assem-
ble, qu'une même patrie attend, que les mê-
mes misères humilient, que les mêmes ob-
jets regardent, que les mêmes péchés rendent
coupables devant Dieu, essaient de s'apaiser
par la même satisfaction et par la même péni-
tence;,voudriez-vous que les pauvres, déjà si
maltraités du côté de la fortune, le fussent
encore ducôté de la religion? Non, mon Dieu,
vous ne l'avez pas prétendu ainsi, le précepte
que vous avez fait de la pénitence est iuq osé
à tous, et personne n'en est exempt.
Pour trouver grâce devant le Seigneur, dit
saint Ambroise, on n'a pas besoin d'être
riche, mais on ne peut se passer d'être péni-
tent, et s'il y avait plusieurs portes au tem-
ple matériel de Jérusalem par rapport aux
justes et aux matériels qui en avaient l'en-
trée, pour vous, céleste Jérusalem, vous n'of-
frîtes qu'une seule porte pour tous les chré-
tiens : pourle juge et pour le client, pour le
•rince et pour le sujet, pour le prêtre et pour
o peuple, pour le pauvre et pour le riche,
pour le grand et pour le petit, pour le sa-
vant et pour l'ignorant, et c'est la pénitence.
J'avoue qu'à regarder les personnes de qua-
lité du côté le plus riant, on les croirait
moins obligées à la pénitence que les pau-
vres, parce qu'elles paraissent devoir moins
pécher: la nécessité, l'obscurité, l'esclavage
dans lequel on les réduit, le mépris qu'on
en fait, la dureté avec laquelle on les traite,
tout donne aux pauvres de mauvais conseils,
tout les porte à l'impatience et au murmure.
Mais pour vous, riches et grands du siècle,
qui voyez tous vos désirs remplis , qui pou-
vez vivre tranquilles et contents, à qui tout
ri, et à qui rien ne manque, vous, que tout
porte à servir, à aimer, et à rendre grâce au.
Seigneur, sans qu'aucune inquiétude vous
en empêche, par où donc avez-vous besoin
d'une pénitence plus rude que les pauvres?
Vous étiez si réglés lorsque vous n'aviez
qu'une fortune médiocre : depuis que vous
êtes devenus plus opulents, quel torrent
d'iniquités ! Richesses sur richesses ont été
péchés sur péchés;. honneurs sur honne.urs
ont été crimes sur crimes, et tandis que les
pauvres ne se tirent de la règle que peu à
peu, et comme malgré eux,
grands
secouent le joug en un instant. Ils brisent du
premier coup les liens heureux qui les atta-
chaient à Dieu : Hi s'unul confrrgerunl ju-
yum, ruperunt vincula. (Jercm., V.)
Voyez David, que de grandeur dans sa
vie, mais que de pénitence! Il est roi d'un
vaste empire; mais il en témoigne sa douleur
par ses cris lamentables. 11 est puissant e*;
737
CAREME. -
terrible à ses ennemis, mais sa force et sa
valeur l'abandonnent dès qu'il se regarde
l'ennemi de son Dieu; tout lui rit, tout lui
prospère, mais il ne peut avoir de joie et de
contentement qu'il ne' soit réconcilié avec
cet objet aimable qu'il a offensé; il se mon-
tre à ses peuples, non pas avec ces marques
•de triomphe et de gloire, mais tout confus
et tout humilié; devenu un objet de pitié par
l'excès de sa tristesse; pleurant son Dieu, se
pleurant lui-même, croyant que son péché
l'a tellement dégradé qu'il ne lui est plus
permis de jouir d'aucun des charmes de la
royauté; que toutes les pompes et les attraits
de sa grandeur lui sont devenus illégitimes
et défendus. Ainsi quel honneur, et quelle
humiliation 1 quelle grandeur et quelle péni-
tence ! en un mot quel homme et quel homme,
comme roi il était vêtu de pourpre, et comme
un pécheur un cilice est son vêtement! 11
était couché sur des lits superbes, et main-
tenant il ne couche que sur la cendre; sa voix
faisait trembler tout Israël, et son palais ne
retentit plus que de ses soupirs et de ses
sanglots; enfin David est tout sanctifié : il
attache à sa grandeur de grandes mortifi a-
tions, et plus il est un grand prince, plus il
croit devoir être un grand pénitent.
Laissez-vous gagner, Messieurs, à l'attrait
d'un si touchant exemple; songez que, dès
que vous avez eu le malheur de déplaire h
Dieu, votre condition c'est la pénitence. Ne
regardez point ni à votre rang, ni à vos
biens, ni à vos emplois, ni à votre naissance;
ne voyez en vous qu'un infortuné et un mi-
sérable, qui a besoin de tristesse et de gé-
missements. Il vous suffirait d'être riches
pour croire que Dieu était en colère contre
vous, et que par conséquent vous lui deviez
de grandes expiations pour apaiser une
grande indignation : T'a? vobis divitibus.
(Luc, VI.) Sont-ce vos désordres qui l'ont
apaisé, et sont-ce les crimes que vous avez
commis en cet état de prospérité qui ont
mis la paix entre vous et votre Dieu? Ah!
que saint Jacques connaissait bien tout le
malheur de votre état, quand il s'est écrié :
Entrez dans le trouble et dans l'agitation,
riches de la terre, pleurez et vous affligez sur
les misères qui vous menacent, vous vous
amassez dans vos richesses un trésor de
colère pour le jugement des vengeances :
Agite nunc, divilcs, plorate, ululate. (Jcrc, V.)
C'est assez aux pauvres de vivre avec pa-
tience dans leur état, et leur misère naturelle
fait partie de leur pénitence ; mais vous qui,
outre la malédiction de votre état, commet-
tez encore des crimes énormes, fondez en
larmes et en gémissements. De grands
maux veulent de grandes pénitences : vous
vous damnez dans le grand monde, si Dieu
ne vous fournit pas ce moyen -de vous sau-
ver, et puisque Dieu, auteur de votre rang
et de votre condition, a voulu vous distin-
guer en vous les donnant préférablement à
tant d'autres qui peut-être les méritent mieux
que vous, répondezàses intentions, redonnez
de l'éclat à votre qualité, par votre pénitence:
Plorate ululantes in miseriis vestris. ( Ibid. }
SE11MON IV , NECESSITE DE LA PENITENCE. 7:R
Mais achevons : au défaut de cette ex-
cuse, on en ajoute une quatrième dont
tout le monde se prévaut. Je ne puis faire
de pénitence, dit-on, je suis si faible.
A cela je n'ai rien à répondre, votre propre
cœur vous répond que vous n'êtes que des
lâches, quand vous vous croyez infirmes; que
ce que vous appelez faiblesse, n'est que dé-
licatesse et sensualité; que tant qu'il s'agit
de travailler et de se faire violence pour le
monde , vous paraissez infatigables; qu'il n'y
a que pour la pénitence que vous ne l'êtes
point; que rien ne vous coûte poux un hon-
neur chimérique ou un fade plaisir, et que
tout vous rebute pour le salut et pour l'ex-
piation de vos péchés; que ces forces, qui
vous quittent pour servir le Seigneur et apai-
ser sa justice redoutable, se tiouvent tou-
jours pour l'offenser par les excès les plus
fatigants, parles veilles les plus longues :
-en cela semblables au corbeau de l'arche qui
fut assez fort pour aller chercher des cada-
vres infects jusque dans les contrées infec-
tées, et trop faible, pour revenir comme la
colombe avec un rameau d'obvier, qui de-
mandait bien moins de force, il vous faut
sortir de l'état du péché où vous croupissez
depuis longtemps. Ce n'est point faute de
force que vous y demeurez, c'est faute de
courage; ce n'est pas la faiblesse naturelle,
c'est le dégoût de la ] énitence qui vous y
retient; il vous en coûte bien plus de peine
et de contrainte pour servir le monde que
pour servir Jésus-Christ ; mais ce qui vous
empêche de quitter l'un pour rej rendre l'au-
tre, c'est que le monde vous plaît, que vous
l'aimez, et que votre moindre peine est d'a-
voir perdu et d'être éloignés de Jésus-Christ.
Voilà ce que vous entendriez de votre cœur,
si vous le consultiez de bonne foi, et si le
tumulte de vos passions pouvait vous per-
mettre de l'entendre, et ce que tant de bon-
nes âmes véritablement converties pourraient
vous dire. Quand la grâce était hors de chez
elles, elles se disaient faibles comme vous,
le cœur les trompait aussi là-dessus, et tan-
dis que comme vous elles n'écoutaient que
la délicatesse, elles faisaient tout pour offen-
ser Dieu et ne pouvaient rien pouf le satis-
faire; maintenant qu'elles sont converties,
elles sentent au fond de leur cœur une vi-
gueur et une for e secrète qui ne les rebutent
de rien; la grâce leur découvre ce fond de
mollesse et de lâcheté qui les arrêtait dans
les ténèbres du péché; elles éprouvent heu-
reusement ce qu'a dit saint Augustin, que si
la charité n'appauvrit personne de ceux qui
la font, la pénitence n'affaiblit point les jus-
tes qui la pratiquent comme ceux dont il
est parlé dans l'Ecriture: la mortification les
nourrit, le jeûne les fortifie ; est-ce donc leur
complexion qui est changée? non, c'est leur
sentiment ; est-ce qu'elles ont un autre tem-
pérament ? non , c'est le cœur qui a d'autres
dispositions, toute leur force est dans l'ob-
jet qu'elles aiment; elles aiment la pénitence
et tout leur y paraît praticable et facile.
Mon Dieu, que ne sommes-nous dans les dis-
positions de ces âmes justes, et nous aurions
759
ORATEURS SACRES. LE P. SURIAN.
740
la consolation déprouver comme elles ces
heureuses facilités de la pénitence.
Mais, quand vous ne pourriez pas vous
mortifier selon le corps, ne le pouvez-vous
pas selon l'esprit? si la pénitence ne peut
être qu'un deuxième baptême qui vous lave
au dehors, ne doit-elle pas être un breuvage
qui vous lave au dedans ; et lorsqu'aucune
partie de votre corps ne peut souffrir le tran-
chant des mortifications chrétiennes, n'y a-
t-il pas des larmes amères, une douleur sin-
cère, des violences secrètes, qui portent le
coup à votre volonté et qui affligent votre
esprit. Votre complexion ne vous permet pas
de refuser à votre corps tous les besoins, eh
bien 1 faites donc cette pénitence de l'esprit
qui consiste à rabaisser cette fierté si insup-
portable, à réprimer cet orgueil si dominant,
à soumettre cet empire si absolu; faites la
pénitence de pensée, qui consiste à la réduire
toute à l'image la plus sainte, à l'objet le
plus mortifiant, en un mot à l'appliquer sans
cesse sur vos désordres, et sur les châti-
ments qui vous attendent; faites la péni-
tence du cœur qui consiste à dompter vos
passions les plus dominantes, à retenir vos
penchants déréglés, à souffrir avec amour,
avec joie, avec reconnaissante, les mauvais
traitements qu'on vous fait, les injures qu'on
vous dit, les inégalités de l'humeur de ceux
avec qui vous avez à vivre, les dégoûts que
vous trouvez à la compagnie des gens de
bien; à supporter les contradictions d'un
mari, d'une femme, les emportements d'un
père, les bizarres contraintes d'une mère,
les assiduités et les soins gênants d'une
charge que vous avez à remplir avec exacti-
tude; car ce n'est pas là une pénitence lé-
gère, qui se réduit à prendre en paix et avec
soumission la révolution de la fortune, le
changement des temps , des saisons, le dé-
rangement de vos affaires; à vous souffrir
vous-mêmes, et surtout dans ces antipathies
naturelles , qui, pour être involontaires, de-
viennent une pénitence d'autant plus méri-
toire qu'elle est de votre 'choix; faites une
pénitence de sentiment qui consiste à rendre
muettes toutes vos actions et toutes vos afflic-
tions, en vous plaignant plus à Dieu de vos
péchés, qu'aux hommes de vos misères.
Enfin, si vous ne pouvez embrasser les pei-
nes, au moins abstenez-vous des plaisirs;
suppléez par la retraite, par la prière, par
L'aumône, aux mortifications extérieures; si
vous ne pouvez pas vous soutenir sans vos
repas ordinaires, poussez du moins avant de
manger, en mangeant, des soupirs secrets, et
vous plaignez au fond de l'Ame d'une néces-
sité que vos péchés vous ont attirée en rui-
nant votre santé : Antequam comedam su-
spiro. (Job, III.) Faites, par les désirs réels
d une volonté soumise, ce que vous ne pou-
vez exécuter sur une chair coupable; et ex-
primant en vous toutes les paroles du Roi-
Prophète, dites avec lui : Seigneur, si vous
voulez ce corps, déjà frappé de maladie
et de faiblesse, et qui par ses révoltes est
déjà tout exténué: Si voluissrs,drdissem uli-
que (Psal. L); mais vous n'aimez point les
holocaustes, les victimes charnelles ne vous
plaisent plus : Holocaustis non delectaberis.
(Ibid.)Cest un esprit confus et troublé, c'est
ce cœur contrit et humilié par les sentiments
les plus vifs de la pénitence que je vous
offre : Sacrificium Deo spiritus contribulalus;
cor contrition et humiliatum. (Ibid.) Ah! mon
Dieu, je me flatte que vous ne le dédaigne-
rez pas : Deus, nondespicics. (Ibid.)
SECOND POINT.
La faiblesse et l'infirmité ne deviennent
donc pas une dispense de la pénitence? elles en
sont, au contraire, un motif bien puissant;
elles vous disent : Le temps de la vie est bien
court, l'heure de ma mort s'approche, je dois
me préparer à partir, il faut me disposer à pa-
raître devant mon juge? Car, quand est-ce
qu'on doit nettoyer sa maison, sinon quand
on doit recevoir la visite de son Seigneur;
quand est-ce qu'une main prudente doit frap-
per les premiers coups, si ce n'est quand le
maître est à la porte; quand serait-il temps
d'expier vos crimes, si ce n'est lorsque votre
juge va paraître, et vous redemander votre
âme: tout la menace, cette âme revêtue d'un
corps faible, de la chasser de cette maison
de boue qui s'écroule de toutes parts, et si
vous ne lui préparez par la pénitence une
demeure éternelle, que va-t-elle devenir?
Quoi ! pécheur, la cognée est déjà à la racine
de l'arbre, elle l'ébranlé, il va tomber, peut-
être n'a-t-il point encore porté un seul fruit
de pénitence, et s'il tombe sans en avoir
porté, qui pourra le sauver du feu ?
Qu'on ne dise donc plus que la pénitence
n'est que pour ceux qui ont une santé ro-
buste, un corps plein de vigueur et de force;
quel bonheur de pouvoir lui offrir le tribut
de l'expiation , quand on est si près de lui
payer celui de la viel Quelle consolation
pour les personnes infirmes qui ont perdu
leur âme, de pouvoir la racheter par le peu
qui leur en reste pour faire pénitence; et
quand elles ont eu le malheur de refuser à
la pénitence leurs plus beaux jours, qu'elles
sont heureuses de pouvoirles renfermer dans
le sein de Dieu, avec ces derniers moments
qu'ils ont à vivre dans les larmes.
Voyez-vous donc, pécheurs, la multitude
de tous vos prétextes confondue ; et quelle
autre excuse pourrait encore vous séduire?
l'espérance d'avoir toujours le temps de faire
pénitence? mais le danger qu'il y a d'être sur-
pris, et l'importance de ce devoir méritent-
ils que vous les différiez davantage ; la crainte
et le respect des hommes? mais qu'importe
que les hommes murmurent, pourvu que
le Seigneur soit content; les horreurs que
cette pénitence présente? mais avec la grâce
tout ne paraît-il pas aisé? la miséricorde de
Dieu? mais ce Dieu de bonté, n 'est-il pas le
principe et la fin de la pénitence?
Ah 1 ne vous otez donc pas cet unique re-
mède, cette seule et salutaire ressource do
salut. Hélas! depuis longtemps vous sentez
que vous avez besoin de soupirs et de lar-
mes pour apaiser votre juge, et loin de vous
y être condamnés, vous en avez éludé toute
CAREME. - SERMON V, SUITE DES OCCASIONS DU PÉCHÉ.
7H
la force, vous en avez rejeté la pratique. Ahl
tant de péchés que vous avez commis n 'out-
ils donc pu encore tirer de votre esprit
iiveuglé et de votre cœur endurci un seul
moment de pénitence ; voici un temps favo-
rable, voici des jours de salut :Eccc nunc
tempus acceptabile, dies satutis. (II Cor., VI.)
•Brisez vos cœurs, affligez vos esprits, aban-
donnez-vous aux douleurs et au deuil que
l'Eglise commence; tristes et confus d'avoir
offensé Dieu, ne vous épargnez en rien pour
l'a aiser.
Mais en vain faisons-nous tous nos efforts ;
sans votre secours, ô mon Sauveur, nos mi-
sères vous sont toutes présentes, c'est à vous
-a nous les faire expier; vous voilà dans le
désert pour vous donner en spectacle de pé-
ri, tence aux pécheurs durant cette sainte
quarantaine. Charité divine, touchez-nous;
grâce ineffable, animez-nous; sainteté aima-
ble, purifiez-nous; lumière pure, éclairez-
nous; patience adorable, attendez-nous; vé-
rité éternelle, conduisez-nous. S'il vous faut
des ténèbres qui soient profondes, des éga-
7-22
vaincre, daigne nous servir de règle dans
les diverses occasions où nous sommes ex-
posés ; et comment? Le voici.
1° A peine est-il baptisé qu'il évite tous
les objets profanes du siècle, et le même
Esprit qui le remplit le mène dans le déseit,
sans doute, pour nous apprendre que nous
ne pouvons nous empêcher d'éviter les oc-
casions prochaines du vice; car, si un Dieu,
qui est la sainteté par essence et la toute-
puissance même, prend la précaution de
s'éloigner des occasions, comment nous,
qui sommes si corrompus et si faibles,
nous exposerions-nous témérairement à ces
mômes occasions..
2° Si Jésus-Christ est tenté dans sa retraite,
et si le même esprit qui permet qu'il soit
tenté par le démon lui donne des armes
pour résister et pour vaincre, c'est, sans
doute, pour nous faire comprendre que si,
dans l'état et la condition où la Providence
nous a placés, nous sommes exposés à des
occasions involontaires du péché, nous y
trouverons des secours suffisants pour eh
re.ments qui soient déplorables, puissance sortir victorieux et triomphants parle moven
invincible, agissez sur nous; miséricorde de nos résistances et de nos combats; "car
infinie, agissez sur nous; bonté adorable,
prenez pitié de nous, transmettez dans nos
cœurs les soupirs enflammés, les larmes
amères, les cris douloureux, l'amour du
jeûne, de la retraite, de la mortification, en
un mot tout cet homme de pénitence, afin
qu'étant ici-bas les compagnons de vos dou-
leurs, nous puissions un jour devenir dans
le ciel les héritiers de votre gloire. Je vous
la souhaite, Messieurs, au nom du Père, du
Fils et du Saint-Esprit. Amen.
SERMON V (5).
DE LA SUITE DES OCCASIONS DU PÉCHÉ, OU SUR
LES TENTATIONS.
Jésus ductus est in deserlum a Spiritu ut tentareJor a
diabolo.' (Mattlt., IV.)
Jésus fut conduit dans le désert par le Saint-Esprit, pour
y être tenté du démon.
■Qua veut nous apprendre le Sauveur par
ces dispositions si différentes, Messieurs?
Ainsi livré tour à tour à ces deux esprits si
contraires : au Saint-Esprit qui l'éloigné du
monde, ductus est a Spiritu; à l'esprit malin
qui le tente dans sa retraite, ut tentaretur a
diabolo ; voici les deux grandes leçons qu'il
daigne nous faire aujourd'hui : il y a deux
sortes d'occasions auxquelles le chrétien est
exposé sur la terre, les unes délibérées, les
autres involontaires. Les premières sont
celles où nous nous exposons par notre té-
mérité et notre imprudence; les secondes
sont celles où nous exposent malgré nous
notre condition et notre faiblesse : voilà le
principe de tous nos malheurs, et qui de-
vrait bien tirer de nos yeux une source in-
tarissable de larmes.
Or, Jésus-Christ, qui a bien voulu être
tante par tous les endroits pour nous ap-
prendre le grand art de combattre et de
si un Dieu, qui est la force même, veut
bien combattre dans le désert, comment
nous, qui ne sommes que faiblesse, ne com-
battrions-nous pas dans les occasions né-
cessaires, et dès qu'il promet de r.ous aider
à combattre, quel succès ne devons-nous
pas espérer; en un mot, dans les occasions
où Dieu ne vous appelle pas, fuyez ; la fuite
seule vous préservera du péril : voilà mon
premier point. Dans les occasions où la
Providence vous expose par votre état et
votre condition, combattez, la seule résis-
tance vous assurera la victoire : ce sera le
second, et, soit dans la fuite et dans le com-
bat, quelle gloire pour vous d'avoir un
Dieu pour guide et pour appui; car voilà
les deux grandes difficultés et les grandes
vues qui tentent aujourd'hui Jésus-Christ
dans le désert, pour vous apprendre à fuir
l'occasion du péché et à le combattre. Que
le même espritqui mène le Sauveur m'anime
aussi moi-même dans ce discours si difficile,
et peut-être le plus important que j'aie en-
core prêché dans les chaires chrétiennes;
demandons-lui cette grâce par l'intercession
de Marie. Ave, Maria.
PREMIER POINT.
Sur quoi comptez-vous donc, âmes im-
prudentes, lorsque vous vous exposez à
l'occasion du péché, et sur qui prenez-vous
les prétextes qui vous rassurent ; est-ce sur
Dieu, est-ce sur vous-mêmes ? Du côté de
Dieu, vous" vous dites : Il n'est point de
tentation que je ne puisse vaincre avec la
grâce ; du côté de vous-mêmes, exagérant
et votre force et votre faiblesse, vous vous
dites tantôt : Il m'est impossible de résis-
ter, et tantôt : Rien ne m'est plus facile que
de résister. Or, Jésus-Christ, en fuyant dans
(5) Imprimé au tome Ier, page 06 de l'édition de Liège, sous le titre de : ionviie sur les tentations.
7i:
ORATEURS SACRES. LE P. SU RI AN.
7ii
le désert, confond vos deux téméraires pré-
textes. Quel aut-e que lui pouvait plus
compter sur la grâce, puisqu'il en est l'au-
teur, et qu'il est la grâce même? Cependant
il se défie de lui-même, et fuit l'occasion,
sans doute pour nous apprendre qu'en nous
exposant volontairement dans l'occasion du
péché, nous ne devons compterni sur la grâce,
ni sur nous, et que, par conséquent, c'est
en nous une grande imprudence et une
coupable témérilé de nous y exposer.
Premier prétexte : point d'occasion dont
je ne sorte victorieux avec la grâce, et n'est-
ce pas pour me soutenir contre la tentation
que la grâce de Dieu m'est donnée? C'était
par ce premier prétexte que le démon, vou-
lant faire illusion au Sauveur, lui dit : Si
vous êtes Fils de Dieu, jetez-vous du haut
en bas du temple; que risquez-vous? Il est
écrit que lesanges viendrontà votre secours,
et qu'ils vous recevront entre leurs bras
sans qu'il vous en arrive aucun mal : mitte
te chorsum. (Ma'Jh., IV.)
Je l'avoue, mes frères, elle soutient, celte
grâcs du Seigneur, une âme qui demeure
dans la voie que la Providence lui a marquée,
encore même y est-elle toute tremblante,
tout alarmée; cependant il est delà fidélité
que le Seigneur doit à ses promesses de ne
point permettre que cette âme succombe
dans le danger où elle ne s'est point expo-
sée d'elle-même : ainsi soutint-il Abraham
dans l'Egypte, Lot dans Sodome , Daniel
dans la fosse aux lions, Esther dans la cour
d'Assuérus, les enfants hébreux dans la
fournaise; pourquoi? C'est que c'était par
son ordre que la tentation les avait éprouvés,
et qu'il manquerait à lui-même s'il manquait
de soutenir ceux qui se tiennent fidèlement
dans la voie de sa divine providence; mais il
n'en est pas de même de ceux qui s'exposent
d'eux-mêmes. Voyez saint Pierre, quand il
s'expose de lui-même : il tremble et tombe
dans l'infidélité à la seule parole d'une ser-
vante ; mais voyez-le ensuite devant les ty-
rans où Dieu l'appelle : il y est intrépide,
et brave en héros chrétien toute leur bar-
barie.
Voilà donc les seuls qui peuvent compter
sur la grâce : ce sont ceux qui se trouvent
exposés à la tentation par l'ordre de Dieu,
et qui ne sortent point des voies de sa pro-
vidence; mais ce principe ne vous confond-il
point, ô vous qui comptez si fort sur la
grâce, en vous exposant témérairement à
l'occasion du péché? Est-ce par l'inspiration
dG Dieu et dans l'ordre de sa providence,
que vous donnez dans toutes ces mondani-
tés, si opposées à la simplicité et à la modes-
tie chrétiennes; que vous cherchez ces com-
pagnies si dangereuses qui ne soufflent que
l'esprit du monde et ses folles vanités; que
vous vous engagez dans ces parties de plai-
sirs, dans ces sociétés contagieuses si capa-
bles de vous séduire et de corrompre voire
pureté môme? Est-ce la volonté de Dieu que
vous vous opposiez à ces lectures profanes,
qui laissent après elles de si mauvaises im-
pressions, et où sans le sentir on devient
sitôt infidèle? Est-ce de l'ordre de Dieu que
vous vous exposez à ces débauches scanda-
leuses, à ces festins délicieux si propres
à vous engraisser d'iniquités, et à nourrir
l'intempérance et la sensualité? Est-ce la
volonté de Dieu que vous donniez aux agi-
tations, aux brigues, aux inquiétudes de la
fortune, un temps et une attention qui ne
vous sont donnés que pour travailler à l'im-
portant ouvrage de votre salut? Est-ce par
l'esprit de Dieu que vous sollicitez, que vous
recherchez avec tant d'empressement et d'a-
vidité ces postes si dangereux pour le salut,
si délicats pour la conscience, et où, selon
l'Apôtre, vous trouvez à chaque pas un piège
de corruption et de mort? Est-ce la volonté
de Dieu que vousliiezces commerces secrets,
que vous voyiez ces personnes suspectes,
que vous entreteniez ces liaisons funestes,
que vous formiez ces intrigues criminelles
d'où vous ne sortez jamais comme vous y
êtes entrés, et où la grâce de Jésus-Christ
fait un si triste naufrage ? En vérité, est-ce
pour remplir ces saints engagements que vous
courez aux théâtres, course contre laquelle
depuis si longtemps toute la piété se récrie;
qui ne sont qu'une abjuration détestable de
vos premiers voeux, et un renoncement for-
mel à toutes les promesses que vous avez fai-
tes dans le baptême? A ces théâtres où presque
tous ceux qui en approchent reçoivent la
première plaie et la conservent jusqu'au der-
nier instant de leur vie; à ces théâtres qui
sont le poison de l'esprit, l'égarement de l'i-
magination, l'enchantement des sens, la ruine
des vertus chrétiennes; d'où coule comme
une source empoisonnée cette dissolution
signalée dans le monde et qui semble augmen-
ter à mesure qu'ils se multiplient à ces
théâtres où l'on^étudie si bien le penchant
de l'homme pour le séduire, et où ce que
l'on appelle intéresser le spectateur, c'eft le
corrompre; à ces théâtres où tout devient nn
piège si dangereux à la faiblesse humaine,
et où, comme si les scandales de nos jours
ne suffisaient pas, on fait revivre les anciens
crimes, l'on en feint de fabuleux pour en
inspirer de véritables, et où l'on s'efforce
d'apprivoiser notre âge avec des monstres
que l'on n'y connaît pas; à ces théâtres où
l'on est obligé pour vous faire penser aux
membres de Jésus-Christ, de vous ordonner
d'en confier le dépôt aux suppôts de Satan;
à ces théâtres où l'on s'instruit bien plus du
mal que du bien; où la prétendue réforme
est d'en préparer plus subtilement le poi-
son, et où la morale des passions est d'au-
tant plus dangereuse qu'elle est plus délica-
tement insinuée ; à ces théâtres où le
péché, qui ne frappe qu'une partie de l'homme
dans les autres occasions le frappe tout entier;
sesyeux par l'enchantement du spectacle qu'on
y voit; ses oreilles, par l'harmonieuse lubri-
cité qu'on y entend; ses sens, par l'indécence
(\os objets qui s'y présentent; son cœur, par
les attraits des plaisirs qu'on y sent : tout
l'homme enfin s'y trouve investi du péché.
Qu'appcllera-t-on occasion prochaine, si le
théâtre n'en est une véritable, et quelle sera
143
CAÎ\EME. — SERMON V, FUITE DES OCCASIONS DU PECHE.
7>6
la matière du péché, si ce n'est tous les pé-
chés ensemble? Or, revenons aux secours
que vous osez attendre de Dieu dans de
pareilles occasions. En vous quel prodige de
présomption d'y attendre sa grâce sainte !
doit-elle donc s'y rendre complice de vos
iniquités ! Quoi ! celte grâce que les Hilarion,
les Paul, n'étaient pas sûrs de .trouver dans
les creux des rochers et dans toutes les aus-
térités du désert, s'offrirait donc à vous dans
le centre des mondanités, de la mollesse, et
des divertissements du siècle 1 Eh! ne doit-
elle pas encore moins s'oll'rir à vous qu'à un
autre? Car enfin que ceux à qui, Dieu a mon-
tré moins d'amour le quittent à la moindre
occasion, l'offense paraît en quelqua ma-
nière plus pardonnable; mais que vous qu'il
a fait naître dans le sein de sa religion, qu'il
y comble de son amour et de ses miséricor-
des, le quittiez pour un rien, pour une baga-
telle, pour un vil intérêt, pour un plaisir
passager ; que vous ne le supportiez qu'avec
peine, vous ne lui oiïïiez qu'un cœur dont
toutes les inclinations, les soins, sont de le
quitter et de le perdre, ah 1 c'est pour lui un
souvenir tropdoulnureux. Une âmesi ingrate
n'est pas digne de sa protection, et quand il
vous voit si peu attentifs à le retenir avec
vous et si opiniâtres à lui refuser votre
amour, il est bien juste qu'il vous quitte à
son tour, et qu'il vous refuse ses grâces. Il
est donc vrai que lorsque vous vous exposez
de vous-mêmes h l'occasion du \ éché, vous ne
pouvez compter sur le secours et sur la grâce
de votre Dieu. Or, en cette situation, quel est
donc votre extrême malheur, et de là, n'êtes
vous pas réduits à la dernière des misères,
sans appui, sans protection, sans secours, sans
grâce, sans Dieu? Ah I peut-on y penser sans
frémir jusque dans la moelle des os, et peut-
on se promettre de ne pas tomber en cet état?
O mon Dieu! que j'ai pitié d'un si aveu-
gle chrétien! et la grande raison pour laquelle
je crains tout pour lui, c'est parce qu'il ne
se craint pas lui-même. Vous prenez des
précautions, dit saint Ambroise contre les
révolutions de la fortune. Ah! qu'il vaudrait
bien mieux que vous en prissiez contre les
occasions du péché ! Il est bien plus avanta-
geux pour vous de les éviter, et bien plus à
craindre de vous y engager. Vous voulez
encore éprouver vos forces, mais vos pre-
mières tentatives ont été si malheureuses; le
passé vous annonce trop clairement l'avenir
et pour en faire un nouvel essai, vous devez
vous attendre qu'il ivous en coûtera une
nouvelle chute. Ah! si vous voulez faire
quelque nouvel essai de vos forces, que ne
le faites vous sur la vertu? que ne pre-
nez vous les mates qui y mènent ?. Il n'y
a qu'une seule digue contre le débordement
du crime : c'est de ne jamais le commettre,
et je ne vois point d'occasion plus prochaine
du péché, que le péché lui-même.
Mais je veux que vous soyez tranquilles;
comme vous dites que la grâce de Dieu et
sa miséricorde se trouvent plus abondantes
en vous que les attaques du monde et les
tentations du démon, est-ce une raison de le
OaATEUBS SACRÉS. L,
quitter,et de l'abandonner, ce Dieu de bonté,
et de vous livrer de propos délibéré aux
ennemis de votre salut, parce que lui-
même vous a voulu jusqu'ici tenir entre ses
bras et couvrir du bouclier de sa puissante
protection?
Enfin, dernier prétexte si commun par-
mi les chrétiens; ce n'est plus présomption,
c'est pusillanimité : vous alléguez votre fai-
blesse. Je ne puis me dérober à l'occasion,
je ne me sens point assez de force pour fuir
et résister, dites-vous; et moi je disque vous
mentez au Saint-Esprit, que ce n'est pas la
force qui vous manque, mais le courage et
la volonté, et voici comment : combien ici
qui, dans un gouvernement nouveau, aspi-
rent à de nouvelles fortunes, cherchent à en-
trer dans l'administration des affaires, solli-
citent un poste, un emploi ? Si Ton vous ac-
corde la grâce, et, selon vous, la justice que
vous demandez, direz-vous : Je suis faible
pour résister aux veilles et aux grandes
applications que cet emploi, que cette charge,
que ce poste demande? Direz-vous que vous
ne vous sentez pas assez fort, pour ne pas
vous y laisser corrompre et séduire? Ah ! il
n'est rien qui balance vos forces; nej-vous
faites-vous pas un front jd'airain contre
toutes les plaintes et les gémissements du
public?
C'est ainsi que vous êtes tout prêts pour
la fortune, et rien pour le salut; vous pou-
vez tout quand le monde commande, et vous
ne pouvez rien quand c'est Dieu qui or-
donne; peut-être me direz-vous que c'est la
gloire ou l'intérêt qui l'emporte sur l'amour;
mais qu'importe qui vous rende forts peur
le siècle, si vous ne l'ôtps pas pour le ciel?
N'ert-i] pas bien honteux que dans un cœur
la passion fasse ce que ne peut y faire la re-
ligion; que l'espérance d'un établissemest
temporel fasse rompre à un chrétien des
biens que la vue de l'éternité ne saurait lui
faire briser? Il est bien honteux que vous
vous rendiez le maître de tout, que vous
surmontiez tout, quand il s'agit d'un vil in-
térêt, d'un frivole point d'honneur, et que le
péché seul vous paraisse un objet si doux et
si aimable pour ne point le quitter ; que pour
y demeurer vous nous alléguiez des pré-
textes que vous jugeriez vains et frivoles en
toute autre occasion.
Ah! condamnez-les donc, ces frivoles pré-
textes, qui ne sont que trop injustes : Exitc
de medio eorum et separamini (II Cor., VI) ;
sortez du milieu de ces occasions si funestes
à votre innocence, et quand vous les aurez
quittées ne les reprenez plus; séparez-vous
pour jamais de ces objets très-contagieux, et
quand vous aurez rompu vos liens, fuyez les
occasions d'en contracter de nouveaux : Se-
paramini. Vous avez formé de si grands en-
gagements dans le baptême, pourquoi vous
exposer à les démentir par de nouvelles chaî-
nes dans le cœui? Les occasions font autant
d'infidèles que de présomptueux, et n'allez
pas dire qu'il faudrait donc être sans cesse on
garde contre soi-même. Quelle folie de voua
endormir quand vous savez que l'ennemi e:t i
24
747 ORATEURS SACRES. LE P
votre porte , qui ne cherche qu'à vous sur-
prendre ! Eloignez cet objet qui est la source
de tant d'offenses, qui vous fait si fort ou-
blier votre salut; dites-lui comme ce père
infortuné à la vue de ce qu'il avait de plus
précieux et de plus cher : Heu me! dcc(pisli
me; occasions trop aimées, vous m'avez
trompé; je ne m'attendais pas à votre surprise
et à vos séductions, mais quoi qu'il en soit,
quelque chères que vous me soyez, je vais
vous immoler aux soins de monsalut : Im-
molabo te. C'en est fait, je vais m'éloigner
pour jamais des attraits séduisants du péché,
je vais rompre tous ces liens profanes qui
m'attachaient au monde trompeur et à ses
vaines créatures; plût à Dieu l'avoir plus
tôt fait. Il va m'en coûter quelque violence,
je m'y attends bien, mais dès qu'on veut se
sauver il faut en prendre le chemin, et ja-
mais je ne pourrai faire autrement mon salut :
Àliud farere non potero .Toni ici me demande
ce sacrifiée: le repos que je cherche, l'inquié-
tude que je soulfre, mes dégoûts, mes re-
mords, mes alarmes dans les occasions du
péché; vous-même, ô mon Dieu, que je sens
à regret que j'ai quitté; tout m'oblige à fuir,
h m'éloigner des occasions mauvaises : ma
conscience, mon baptême, ma religion, tout
m'engage à cette fuite, à cet éloignement sa-
lutaire : Aliud fucere non potero. Mais ce
n'est pas tout, vous venez de voir que dans
les occasions du péché il faut fuir, voyons
encore comme dans celles où il nous engage
il faut vaincre: c'est la deuxième partie de
ce discours.
SURIAN.
748
SECOND POINT.
Quelles sont, Messieurs, ces occasions in-
volontaires et inévitables qui s'opposent à
votre salut, et auxquelles Dieu semble nous
engager? Si nous faisons réflexion sur nous-
mêmes, nous trouverons qu'elles se rédui-
sent ou aux nécessités et aux peines de la
vie, ou aux illusions et aux vaines promes-
ses du monde, ou aux dégoûts et aux. séche-
resses de la piété même; car le Sauveur, qui
sait que la tentation nous est nécessaire,
nous laisse exposés à ces trois sortes d'é-
preuves; mais ce qui doit en même temps
nous consoler c'est qu'en nous mettant devant
les yeux, dans l'évangile de ce jour, l'image
de ses combats, il nous met en même temps
des armes en main pour combattre et vaincre
comme lui. 1" Si nous sommes tentés et ex-
posés à l'occasion pressante des nécessités et
des peines de la vie, Jésus-Christ, tenté de
changer les pierres en pain, nous apprend
qu'avec la parole de Dieu nous sortirons vic-
torieux de cette occasion : Non in solo pane
vivit homo sed in omni verbo quod procedit
de ore Dei; 2° si nous sommes tentés d'ou-
blier Dieu à la vue du monde et de ses faux
charmes, Jésus-Christ, tenté par le pom-
peux étalage de tous les royaumes delà terre,
nous apprend qu'en adorant et en servant
Dieu comme nous le devons, nous triomphe-
rons de cette deuxième attaque : Dominum
J)cum tuum adorabis et illi soli servies; 3° en-
fin si nous sommes tentés jusque dans la
piété par le dégoût que le séducteur peut
nous en inspirer, Jésus-Christ nous apprend,
par le commandement qu'il fait à Satan de se
retirer, que c'est par une crainte véritable
d'abandonner Dieu et de perdre sa grâce que
nous surmonterons ce troisième danger '.Non
tentabis Dominum Dcum tuum. Vous me di-
rez sans doute qu'être toujours tenté est un
sort bien triste; je l'avoue, Messieurs; mais
qu'il est en même temps consolant d'avoir
Jésus-Christ pour chef et pour modèle ! S'il
est dit dans l'Écriture que pour avoir lafore-e
de combattre et de vaincre, c'est assez d'avoit»
un Dieu pour témoin de ses combats : Oeuli
Domini prœbent fortitudinem his qui corde
perfecto credunt ineum (II Parai., XVI); com-
ment ne serions-nous pas encouragés quand
nous venons à penser que Jésus-Christ com-
bat avec nous et pour nous?
Première occasion de péché: ce sont les né-
cessités et les peines de la vie; tout nous
manque disons-nous, tout nous méprise, tout
nous abandonne, dans notre extrême misère
nous ne savons à qui avoir recours; nous
nous trouvons sans appui, sans ressource,
et c'est alors que l'ennemi du salut, qui ne
fait qu'épier les occasions, se présente à
nous pour nous révolter contre la Providence,
qu'il nous porte aux murmures et aux plain-
tes, et nous fait chercher toutes sortes de
moyens justes ou injustes de changer cet
état si dur en un autre plus doux.
Ainsi tenta-t-il Jésus-Christ quand, pressé
par la faim après dix jours d'un jeûne ri-
goureux, il lui dit : Soulfrirez-vous encoro
longtemps un état si triste et si mortifiant?
Si vous êtes le Fils de Dieu, que ne dites-
vous que ces pierres se changent en pain?
Si Filius Dei es, die ut lapides isli panes fiant.
Mais de quelles armes le Sauveur se sert-
il pour repousser le tentateur dans une oc-
casion si pressante? De la parole de Dieu;
c'est tout ce qu'il oppose h l'attrait de la né-
cessité de la vie. L'homme ne vit pas seu-
lement de pain, mais de toute parole qui
sort de la bouche de Dieu : Non in solo pane
vivit homo, sedin omni verbo, etc.
Et voilà, Messieurs, comme vous êtes
obligés de combattre contre les misères et
les nécessités de la vie : il faut y opposer la
parole de Dieu. En effet, parcourez les saintes
Ecritures, méditez-les; quelle source de con-
solation ne trouverez- vous pas contre votre
indigence? quel adoucissement à vos peines?
Là vous entendrez votre Dieu qui vous dit
que c'est pour votre .bien qu'il vous afflige,
que c'est pour vos péchés qu'il vous châtie;
que vous auriez fait un trop mauvais usage
des richesses de la terre, s'il vous en eût
rendus les dépositaires, que ceux qui les pos-
sèdent sont bien en plus grand danger de se
perdre que vous; là vous verrez que le Sei-
gneur ne vous laisse dans une si grande mi-
sère que pour .exercer plus abondamment
sur vous ses grandes miséricordes, et quet
s'il semble vous abandonner par des épreuves
si sensibles, c'est pour vous rendre plus con-
formes à son image et vous façonner mieux
selon son cœur.
749
CAREME. — SERMON V, FUITE DES OCCASIONS DU PECHE.
7:;o
Or pouvons-nous voir tant de leçons et
d'exemples de patience sans en recevoir
quelque soulagement dans nos besoins? Une
âme chrétienne qui se remplit avec foi de
ces vérités infaillibles, qui les lit avec goût
et sentiment, qui les écoute avec docilité
et attention, qui les entend dans nos
saints temples, où surtout elles ont plus
d'onction et de force, n'y sent -elle pas une
consolation secrète, un saint plaisir qui Ja
pénètre, qui la soutient, qui la nourrit,
comme si Dieu lui parlait lui-même? N'en
sort-elle pas, comme les disciples d'Eramaûs,
plus enflammée d'amour, plus rassurée dans
ses alarmes, plus soulagée dans ses peines,
lorsqu'elle voit Dieu par les yeux de sa foi,
qu'elle le possède déjà par les ardeurs de sa
charité, qu'elle s'occupe des biens à venir
par la fermeté de son espérance; lorsqu'elle
voit dans les Livres saints son Dieu qui se
feit chair pour lui servir de nourriture, qui
se cache dans les pauvres comme dans ses
membres et ses favoris; lorsqu'elle y décou-
vre la toute-puissance du Seigneur, marquée
d'une manière si sensible dans la création
et l'harmonie de ce grand univers, qu'elle
y reconnaît que toutes les révolutions et les
accidents qui arrivent sur ce grand théâtre
du monde, où se jouent tant de tragédies
différentes, ne tournent qu'à la gloire du
héros qui sait les faire entrer dans l'écono-
mie.des grâces du Seigneur et les rapporter
su salut de son âme; lorsqu'elle voit dans
les saintes Ecritures que Dieu est un Père
tendre, qui ne châtie ses enfants que parce
qu'il les aime, peut-elle ne pas recevoir avec
douceur et résignation toutes les peines qui
lui viennent, toutes les nécessités où elle
se trouve, toutes les misères qui lui arri-
vent? Et quand elle envisage toutes ces
éj reuves de la vie dans l'ordre de la Provi-
dence de son Dieu et dans l'économie de
son salut, ne juge-t-elle pas qu'il est bien
plus avantageux pour elle de s'en remettre
à la sagesse et à l'amour de cette providence
paternelle, que de s'en chagriner et de s'en
inquiéter? Enfin, si elle se sent tentée parle
démon, ébranlée par les occasions du péché
qui se présentent à elles pour arrêter son
impatience, ne s'écrie-t-elle pas avec Jésus-
Christ : Scriptum est ? Je me trouve dans un
état digne de compassion; ceux qui de-
vraient me soulager, me persécutent, et je
souffre tout à la fois toutes les incommodi-
tés de la vie. Mais pourquoi nie laisser abat-
tre et me décourager, n'est-il pas écrit, que
bienheureux sont les pauvres, que les béné-
dictions du ciel sont jour ceux qui auront
été persécutés sur la terre : Scriptum est; et
n'en est-ce ] ;z pour- me soutenir dans
mes peines, contre les murmures et les im-
patiences?Je m'attendais sur ma famille que
je vois si pauvre et si nombreuse, et c'est
ce qui me donne du chagrin; mais pourquoi
m'en inquiéter? Je vois écrit qu'il est une
Providence qui donne l'accroissement aux
lis des campagnes et l'aliment nécessaire
aux oiseaux du ciel. Ne dois-je pas croire
qu'elle me donnera la subsistance nécessaire?
Scriptum est. Je me vois à deux doigts de
ma ruine, et sur le point de n'avoir pas peut-
être du pain ; mais n'est-il pas écrit que
l'homme ne vit pas tant du pain qu'il mange
que de cette divine parole où il n'y a pas une
maxime, pas un mot qui ne serve de motif
à notre confiance et de consolation à nos
peines ? Scriptum est enim :Non in solo pane
vivit homo, sed in omni verbo quod procedii
de ore Dei.
Le démon, honteux et confus de n'avoir
pu tenté le Sauveur en voulant le faire pas-
ser d'un état de peines et de nécessités à un
état de délassement et de repos, lui présente
une autre occasion pour le faire tomber; il
veut lui faire oublier Dieu à la vue des
pompes et des richesses de la terre, et l'en-
levant jusqu'au sommet d'une haute mon-
tagne, il lui montre tous les royaumes et
les grandeurs du monde, et lui promet de
lui donner tout cela, s'il veut quitter le Sei-
gneur pour s'attacher à lui :Hœc omnia libi
dabo, si cadens adoraveris me.
Ainsi le démon vous tente-t-il encore
tous les jours, et c'est en cette occasion si
délicate qu'il ne réussit que trop à vous
faire oublier le Seigneur. Chaque jour en-
core, il étale à vos yeux les séduisants spec-
tacles des biens et des grandeurs mondaines,
pour surprendre votie estime; le monde,
pour mieux vous enchanter, grossit les at-
traits de ses faux biens, il emprunte jus-
qu'aux illusions pour éblouir votre esprit,
il emploie les charmes les plus puissants
pour gagner votre cœur, il fascine vos sens
j ar son éclat et sa figure trompeuse; il fait
plus, il accommode les objets qui vous plai-
sent à vos penchants, à vos faiblesses; il
vous promet même de vous les donner,
quoiqu'il n'en soit pas le maître etqu'H vous
les vernie bien cher: Hac omnia tibi dabo, si
cadens adoraveris me. Ainsi, vous qui avez
du penchant à l'avarice, je contenterai vo-
tre passidn si vous m'adorez; c'est-à-
dire, si vous voulez être dur, cruel, in-
juste, impitoyable, sans compassion pour
les pauvres, sans conscience, sans honneur,
n'ayant point d'autre Dieu que vos richesses,
d'autre soin que d'accumuler biens sur
biens; à ce prix je vous les donnerai : Tibi
dabo. Sait-il que vous avez du penchant à
la volupté, au plaisir? il vous en représente
tous les charmes et vous dit : Si vous voulez
m'adorer je vous les procurerai , si cadens
adoraveris me; c'est-à-dire, si vous voulez
être lâche, sensuel; si, par une apostasie
honteuse, vous voulez renoncer à Jésus-
Christ, à vos vœux, à votre baptême, pour
vous livrer à la créature, aux jeux, aux di-
vertissements, aux cpectacles; si vous vou-
lez vous rendre le jouet, l'esclave, la vic-
time, l'idolâtre d'une beauté mortelle, d'un
objet enchanteur; si vous voulez être sans
pudeur, sans parole, immolant à quelques
plaisirs passagers, à quelque légère satis-
faction votre âme, votre salut, votre éter-
nité ; à ce prix je vous les ferai tous goûter:
Uœc omnia tibi dabo, si cadens cdorarerU
me.
;i
ORATEURS SACRES. LE ?. SURIAK.
7K2
Mais, répliquez- vous, comment adorer
Dieu dans le monde? c'est une chose im-
possible. Et moi je dis que c'est dans le
monde môme, où dès que vous y êtes pla-
cés de la main du Seigneur, vous pouvez
mieux servir votre Dieu, et l'adorer, parce
que c'est dans le monde où vous pouvez
pratiquer plus de vertus et des plus subli-
mes. Eh! quelles vertus plus grandes puis-jo
y pratiquer îQuelles vertus, Messieurs"? La pé-
nitence, la mortification chrétienne. Vous y
avez tant de chagrins et de sujets de tristest e :
ce que vous espériez qui ferait votre bon-
heur y fait votre peine, enfin votre enfer ;
n'est-ce pas là de quoi offrir à votre Dieu,
n'est-ce pas pour lui une vraie adoration?
Quelles vertus ? La douceur, la patience,
l'humilité; n'y êtes-vous pas à tous moments
exposés au caprice, à la bizarrerie, h la mau-
vaise humeur, au mépris, à l'injustice, aux
railleries, aux censures, aux médisances,
aux calomnies, aux persécutions des autres.
Quelles vertus 1 La vigilance, la prière; car,
qui doit plus se tenir sur ses gardes que ce-
lui qui est entouré de précipices et d'enne-
mis? où doit-on plus demander à Dieu do
secours que lorsqu'on est au milieu de tant
de besoins réels et sensibles, et peut-on
s'endormir dans l'ardeur du péril? Quelles
vertus? La piété, la dévotion, et par là vous
édifierez votre prochain et serez 'plus nHlcs
à l'Eglise que le solitaire par ses austérités
et ses larmes. Quelles vertus encore? La ré-
gularité, la modestie, la charité : car le
monde, tout corrompu qu'il est, ne laisse
pas de se récrier et de condamner vos com-
merces scandaleux, vos dérèglements in-
sensés, vos débauches honteuses, vos perfi-
dies criantes, votre insensibilité cruelle; il
veut que vous soyez sages et prudents, alfa-
blés, reconnaissants, secourables; et sur
tous ces points Dieu et le monde s'accor-
dent. Quelles vertus enfin? Le zèle et la fer-
veur pour Dieu ; car le monde est pour vous
un grand maître, si vous savez en profiter,
et la manière dont il veut que ses partisans
ie servent, vous peut bien apprendre celle
dont il faut que vous serviez le Seigneur.
Vous y apprendrez, de ce qu'on y fait pour
la fortune, ce qu'il faut y faire pour le salut ;
par la déférence qu'on y a pour les usages
profanes du siècle, la docile obéissance
qu'on doit aux saintes lois de l'Eglise ; de
l'attention et du respect qu'on y a pour les
ordres des grands combien on doit écouter
et se soumettre quand un Dieu a parlé ; si
vous veniez à comparer tout ce que vous fai-
tes pour l'un avec le peu que vous faites pour
l'autre, vous en rougiriez, vous en gémiriez;
car voilà ce que le monde vous peut ensei-
gner, et vous trouveriez un puissant motif
dans l'école môme du monde, pour vous dé-
tacher de ce monde si corrompu, si infi lôle,
si perfide, où le bonheur n'est qu'une agréa-
Lie chimère, et le chagrin et la peine qu'une
triste réalité; car son inconstance, son infi-
délité, son impuissance ne vous refroidi-
raient-elles pas assez sur ses espérances
frivoles, sur ses promesses vaines? ses dé-
goûts, ses tristesses, ses amertumes' ne vous
détacheraient-elles pas de ses folles joies,
de ses festins, de ses attachements, de ses
fêtes? Si le monde a un côté dangereux qui
séduit et qui tente, n'en a-t-il pas un autre sa-
lutaire qui guérit et qui corrige? et les mô-
mes objets qui sont la plaie de l'Ame, n'en
portent-ils pas avec eux le remède? Ah! re-
connaissez donc ici la nécessité où vous
ôtes d'adorer le Seigneur au milieu même
du monde, la facilité même que vous y av?z
de résister et de vaincre l'attrait de ses faux
biens, en demeurant attaché au service de
Dieu, et en implorant avec confiance le se-
cours de sa grâce. Ne puis-je pas vous dire
ici ce qu'un prophète disait autrefois aux
Juifs : Ne croyez pas que les idoles d'Egypte,
que tous les mondains adorent à vos yeux,
puissent vous empocher d'adorer le Sei-
gneur : donnez-vous bien de garde de leur
ressembler, et pour résister au torrent de
Babylone, dites sans cesse au fond de vos
cœurs : ïl faut, ô mon Dieu, que nous vous
adorions seul et sur toute autre chose : Dicite
in cordibus vestris : Te opcrSzt adorari. Do-
mine. (Baruch., VI.)
Il est vrai que le salut de ces âmes fer-
ventes qui s? sont retirées dans la solitude,
comme dans un port contre tant de nau-
frages, est le plus sûr, et que souvent je l'ai
envié, moi qu'une Providence plus rigou-
reuse a laissé dans le siècle, mais il ne
renferme pas moins de difficultés; et, pour
nous fortifier et nous encourager, nous
n'avons qu'à nous dire sans cesse au in il' eu
de nos plus grands dangers : Dicite in cordibus
vestris : Te oporlet adorari, Domine.
Enfin, dernière tentation: le dégoût de la
piété même. Le démon transporte le Sauveur
sur le pinacle du temple, et lui dit : Si vous
êtes Fils de Dieu jetez-vous du haut en bas ;
que craignez-vous? les anges ne viendront-
ils pas à votre secours? Milte te deersum. Et
voilà comme il parle encore aux âmes les
plus avancées dans la voie de la perfection;
il leur dit : Descendez de cet état si su-
blime, si gênant, si austère à un état plus à
votre portée, plus conforme à la délicatesse
de votre tempérament et à la faiblesse de
votre santé : Milte te deorsum.
Riais que répond Jésus-Christ? Vous ne
tenterez point le Seigneur. Pourquoi voulez-
vous attendre des miracles sans nécessité?
qu'est-il besoin de mettre ici à l'épreuve la
puissance de Dieu? Non tentabis Dominum
Deum tuum. Car voilà l'écueil où tombe si
souvent la fidélité de ces âmes vertueuses
qui comptent trop sur leur justice, et qui,
pour trop se prévaloir du secours de la grâce,
s'exposent aux plus dangereuses occasions,
et par un peu trop de présomption, éloignent
Dieu, qui ne veut point qu'on le tente, et
tombent sans s'en apercevoir dans le relâ-
chement : Non tentabis Dominum Dcxim tuum.
Quelle misère pour ceux que cette occa-
sion fait succomber 1 Plus on tombe de haut,
et plus on se brise. Ah! que l'idée seule d'un
tel malheur vous saisisse d'une crainte sa-
lutaire, et si vous ne voulez pas que le dé-
?53
CAREME. — SERMON VI, DE LA TRIERE.
mon vous abatte, répon icz-lui : Non lentabis
Dominum Deum litum, et à ces paroles le dé-
mon laissa le Sauveur, et aussitôt les anges
s'approchèrent de lui pour lui offrir leurs
services : Tune reliquat eum diabolus, cece
angeli accesserunl et ci minisirabant.
Bienheureux état! Messieurs; quand sera-
ce te mien, ô mon Dieu? De tous côtés le
démon m'attaque, et il m'environne tout en-
tier de ses pièges. Je lui échappe par un
endroit, il me tente par un autre; il se joue
de ma fragilité, et ce qu'il y a de plus triste
pour moi, c'est qu'instruit comme je suis de
sa malice, je vais même au-devant de lui. Je
me livre témérairement à ces funestes oc-
casions; je ferme les yeux à ses malheureux
pièges, et m'aveugle moi-même, jusqu'à
l'aire ma joie de ma perte. Ah! Seigneur!
quand jetterez-vous sur moi un regard pro-
pice : Domine,- quando respicies ? { Psal.
XXXIV.) Ne permettez pas que je m'égare
plus longtemps, que ce soit ici le moment
de votre miséricorde sur moi, levez-vous et
venez à mon secours Œxsurge in adjutorium
mihi. (Ibid.) Dos qu'un pécheur est si déplo-
rable, n'est-il pas un objet bien digne de
votre pitié ? Appréhende arma et sciilum
(Ibid.) : prenez en main les armes et le bou-
clier, et les faites passer dans les miennes,
c'est-à-dire le jeûne, la retraite, la parole de
Dieu, la crainte, la ferveur, afin de combat-
tre et de vaincre en toute occasion l'ennemi
de mon salut : Appréhende arma et scutum;
dites à mon âme que vous êtes sa force, sa
défense, son appui, son salut : Die animœ
meœ : Salus tua ego sum. (Ibid.)
Je l'avoue avec larmes, mon Dieu, que je
n'ai jamais eu tant de besoin de cette parole
dernière de miséricorde et de consolation.
Vous le savez : depuis longtemps je me sens
combattu, et à la veille de succomber, mes
périls redoublent, les occasions du péché se
multiplient, ma faiblesse recule, les forces
me manquent. Je suis au bord du précipice,
le moindre souffle de mon ennemi peut m'y
faire tomber, jamais peut-être je n'ai été plus
près de périr ; dites à mon âme que vous êtes
sa ressource, sa couronne, sa vie : Die animœ
meœ : Salus tua ego sum; que j'entende sortir
de votre bouche ces paroles si tendres : Non,
je ne souffrirai pas que ce misérable pécheur
périsse, j'en ferai un entant de ma grâce. Je
le protégerai contre les efforts de ses en-
nemis, et le secourerai dans toutes les oc-
casions les plus dangereuses, pourvu qu'il
s'applique à les fuir et à les combattre, car
l'excès de ses malheurs me touche. Dieu
d'amour, si j'éprouve un sort si doux et si
heureux, mon âme se réjouira dans le Sei-
gneur : Anima mea exsultabit in Domino
(Ibid.), toute ma vie se passera à vous louer,
et à méditer vos justices et vos miséricordes,
et lingua mea meditabitur justitiam tuum,
tola die laudem tuam. (Ibid.) Je bénirai sans
cesse sur la terre votre saint nom, jusqu'à
ce que je puisse vous glorifier dans le ciel :
c'est, Messieurs, ce que je vous souhaite, au
non> du Père, etc. Amen.
SERMON VI
DE LA PRIÈRE.
Et ecre millier Chananœa a finibus illls rçressa clamn-
vit dicens ei : Miserere mei, Domine, flii David .'{MatUt.,
XV.)
Une femme cliananéenne qui était sortie de son pays, s e-
crta : Seigneur, (ils de David, ayez pitié de moi.
C'était peu à Jésus-Christ de nous avoir
fait un précepte, c'était peu à son amour
d'avoir consacré un exercice déjà si saint
par sa bouche, par ses yeux par ses sou-
pirs, par ses larmes, par" l'élévation de ses
mains, par les mouvements de son cœur,
enfin par toute sa personne adorable ; sa
compasion , en nous proposant l'exemple
d'une mère affligée qui prie et qui obtient
l'objet bienheureux de sa prière, veut ache-
ver de nous en inspirer l'amour.
Mais qui doit plus nous surprendre, de la
miséricorde d'un Dieu qui veut qu'on le
prie , ou de l'obstination de l'homme qui re-
fuse de l'invoquer? L'un, quel besoin a-t-il
qu'on l'invoque? L'autre , s'il n'ouvre la bou-
che et n'élève les mains au ciel, dans quel
gouffre de maux nes'abîme-t-il pas? Ce sont
ces malheurs qui font dire à Jésus-Christ :
priez, vos besoins sont extrêmes; demandez,
vous ne trouverez nul secours en vous-
mêmes; cherchez et vous trouverez, être
craignez point que la porte soit fermée, frap-
pez, on vous ouvrira.
Mais aussi sachez que la plus grande mi-
sère est de ne point prier; c est dans l'esprit
un assoupissement funeste; c'est dans lo
cœur une froideur mortelle, et dans tout
l'homme une insensibilité déplorable, et pour
réduire tous ces malheurs à leur véritable
source, je dis avec saint Augustin : c'est de
l'empêcher de prier, ou de ne lui faire pous-
ser que des prières impuissantes.
Je m'élève aujourd'hui contre ces désor-
dres qui méritent véritablement toute notre
compassion : ou nous ne prions point ou nous
prions mal. Je veux vous faire sentir tout le
mal que vous faites, et pour le chasser de
notre cœur, vous avez besoin de la prière :
voilà mon premier point; et vous apprendre
les conditions nécessaires pour bien prier :
ce sera le deuxième. A vous seul, ô mon
Dieu! est borné le secret de nous en ins-
truire et de nous faire entendre à vous. Hé-
las ! depuis si longtemps nous sentons que
nous avons besoin d» soupirs et de larmes ,
et toujours notre dureté et notre mauvais
cœur nous les refusent. Jusqu'ici, vous n'a-
vez pu tirer de nous une prière digne de
vous! Ah! bonté divine ! ajoutez à la grâce
qui nous fera sentir nos maux celle qui nous
en fasse implorer le remède : c'est ce que
nous vous demandons par l'intercession de
Marie. Ave, Maria.
PREMIER POINT.
Que nous gémissions sous le poids de l'ini-
quité, ou que nous goûtions la douce liberté
des enfants fidèles, il faut prier, dit l'Apôtre,
et les justes comme les pécheurs ont besoin
de prières Ah ! que David le sentit bien, ce
735
ORATFXT.S SACHES. LE P. SURIAS.
->-,(,
double besoin de la prière, lui qui avait
éprouvé les deux états de juste et de pécheur.
Vous le représenterai-je tantôt, du fond de
l'abîme ou ses faiblesses l'avaient plongé?
C'est maintenant que toutes les faiblesses de
mon cœur implorent, ù mon Dieu! le secours
de votre main toute-puissante. Soyez h ja-
mais béni de n'avoir point retiré de moi ma
prière, et avec elle votre miséricorde! Tantôt,
marchant avec confiance dans les voies de la
miséricorde, il ne craint point d'en faire ta-
rir la source, et s'écrie : Que le bras qui me
frappe me soutienne, que la main qui m'abat
me relève.
Arrêtons-nous, mes frères, à ces deux
idées, et soit que nous soyons pécheurs, soit
que nous soyons justes, reconnaissons le be-
soin que nous avons de la prière.
Et d'abord, voyons le besoin qu'en ont les
pécheurs. Depuis que nous avons tant fait
que de déplaire à Ditu par le péché, dit
saint Basile, comme toutes les créatures ne
sont pas capables de payer ce tribut de gloire
que chaque créature lui doit, comme tous
les hommes ensemble ne peuvent suppléer
à vos infirmités, ni vous rendre la justice
après l'avoir perdue, que vous rcste-t-il à
faire, sinon de demander au Tout-Puissant
Jes choses qui vous manquent, sinon de
chercher auprès de lui et dans lui ce que
vous ne sauriez trouver dans votre fonds pro-
pre , ni pour exciter votre foi, ni pour mettre
en mouvement les pensées saintes, qui demeu-
reraient stériles sans la prière, ni pour im-
primer dans votre âme les grandes idées du
jugement et de l'éternité, que le monde dis-
sipe, ni pour imiter et obéir Jé>us-Christ, qui a
prié et qui veut qu'on prie? Non, vos besoins
les plus pressants sont : 1° celui d'une grâce
qui vous guérisse des plaies honteuses du
péché; 2° celui d'une miséricorde qui vous le
pardonne; car ces grâces et ces miséricor-
des ne s'accordent pas sans demander. Dieu,
qui est le maître de ces dons , qui les atta-
che h telles conditions qu'il lui plaît, a voulu
qu'elles fussent le fruit de la prière. Oh ',
si l'Esprit-Saint voulait nous servir de guide
et de lumière pour nous découvrira nos pro-
pres yeux tels que nous sommes au dedans,
que la vue de notre misère et de notre im-
puissance, bien mieux que tous les livres et
les sermons, nous diraient les besoins pres-
sants que nous avons de vous prier et de
vous invoquer, ô mon Dieu! Hélas! il n'y a
aucune partie dans nous qui n'implore votre
secours. Erreur dans l'esprit, corruption
dans la volonté, dérèglement dans le cœur.
Une âme captive qui toute seule ne peut ja-
mais rompre les liens qui l'attachent à la
terre ; nulles vertus, des vices sans nombre :
que de diverses infirmités nous accablent,
et que nous sommes à plaindre ! Nous nous
trouvons tout à la fois aveugles, sourds,
muets, paralytiques, et ne pouvant ni guérir,
ni voir, ni être, ni respirer que par la grâce
du libérateur, quel besoin avons-nous donc,
de l'implorer, celle grâce, seul remèdeà'.ant
de maux qui ne peuvent être ni cachés à ses
lumières, ni indifférents à sa tendresse! Ah!
combien ces sentiments, pleins tout h la fois
de confiance et de larmes, ne doivent-ils pas
nous exciter à prier, et à pousser nos gémis-
sements et nos cris vers cet aimable Sau-
veur, pour le forcer à venir en nous avec:
une vertu toute-puissante, à qui rien ne'ré-
sistel Car enfin, à qui avoir recours parmi
tant de misères ? Compterions-nous sur nous-
mêmes , sur cette raison obscure, faible,
reste des débris du naufrage d'Adam? Hélas !
notre nature sait faire des infirmes, mais
faire un homme sain n'est pas son ouvrage;
elle ne sait faire que des blessés, et ne sau-
rait en guérir aucun. Ah ! si la prière est
non-seulement un moyen efficace, mais le
seul moyen pour obtenir la délivrance de
nos maux, quelle nécessité donc d'y avoir
recours et de nous en servir, surtout quand
nous sommes toujours près du péril? Nous
voyons dans l'évangile de ce jour que Jésus-
Christ ne guérit la fille de la Cbananéenne
que parce qu'elle le prie, et qu'elle im-
plore ardemment son secours; et un Père nous
assure que les guérisons miraculeuses ne
descendent point du ciel, qu'auparavant les
vœux et les soupirs n'v soient montés pour
les demander : Ascendant vota, desreiuhtnt
miracula. O prière sainte, que vous êtes
puissante! quels prodiges de grâces n'atti-
rez-vous pas surles hommes ! Autrefois, dans
la Judée, vous triomphâtes des lions barba-
res en Daniel, des ténèbres épaisses dans
Tobic , des fers et de la prison en saint
Pierre, de la mort même en La/are. Ces pro-
diges furent grands sans doute; mais au-
jourd'hui, changer mon cœur déréglé, arrê-
ter le cours de mes désordres, rompre tous
mes malheureux attachements, abaisser mon
orgueil , dompter mes passions, vivifier mon
âme, seraient des prodiges plus grands en-
core que ceux que vous opérâtes autrefois.
Ah! ne se feront-ils donc jamais en moi, ces
bienheureux miracles? O vertu divine! ve-
nez au secours de ma faiblesse, descendez
en moi pour opérer ces prodiges; sans vous
le péché ne trouve aucun remède sur la terre,
ni clans le ciel aucun pardon.
Sentez, pécheurs, le besoin que vous avez
de la prière; si la vôtre est vive, elle perce
les nues ; elle ne se repose point qu'elle n'ait
trouvé Dieu ; et voyez comme elle l'attire, et
comme elle le force avec violence de venir
secourir un pauvre cœur qui le recherche;
considérez comme elle touche sa clémence,
comme elle émeut ses entrailles, comme
elle désarme son bras, comme elle fait de
Jésus-Christ tout ce qu'elle veut, comme
elle le gagne et le force à regarder en pitié
vos misères, et à vous obtenir un pardon que
tout le reste semblait vous rendre impossi-
ble. Ah ! que de compassion dans le Sauveur !
mais «pie de force dans la prière du fidèle!
Après cela, que je vous plains, ô vous qui
alliez des crimes infinis avec un silence fu-
neste, et qui ne faites retentir partout que la
voix tumultueuse de vos crimes, et jamais
celle de la prière , comme si les miséricor-
des ur Dieu pouvaient vous être indifférentes !
Oue vous m'alarmez, vous, gens dû monde,
7S7
CAREME. — SERMON V), DE LA PRIERE.
758
qui, donnant tout à ce commerce usuraire,
d'e nos jours si commun, à ces plaisirs frivo-
les dont on se fait de misérables nécessités,
à ce gouffre de jeux, où se perdent vos biens,
votre santé, votre repos, votre probité, votre
conscience, n'avez plus le loisir de prier,
qui n'en trouvez pas même assez pour vos
crimes ! Vous avez donc quelque chose de
plus pressant que votre salut? vous avez
donc d'autres intérêts plus grands que ceux
de sauver une âme? Eh! faudrait -il vous le
dire? était-il besoin d'un ordre exprès de ,lé-
sus-Christ pour vous obliger de vous aller
jeter aux pieds de ses autels? Quoi de
plus facile pour vous que de lui ouvrir un
cœur, que de lui faire voir une conscience
qui voudrait se changer, et qui ne le peut
sans son secours, que de lui exposer vos mi-
sères, en les laissant parler elles-mêmes?
Pouvez-vous croire que la prière ait la vertu
d'attirer la miséricorde du Seigneur sur vous,
et en négliger l'exercice? Hélas! si Dieu,
pour le pardon de vos fautes, exigeait de
vous de grandes aumônes, vous pourriez
lui répondre : je ne le peux ; mais il ne vous
demande qu'une prière fervente , qu'un cri,
qu'un gémissement, qu'un soupir, qu'une
larme. 11 n'attend point, ici de vous tout ce
qu'il y a de cruel, d'austère, de mortifiant;
il est près de se livrer à vous sur la simple
exposition de vos faiblesses, à l'humble im-
ploration de ses miséricordes, et quand il
voudrait les faire couler sur vous, ces misé-
ricordes, ah! ne les feriez-vous pas rentrer
dans son sein par une cruelle indifférence?
Oui, s'il plaisait àJésus-Christ de vousfaire
voir l'état déplorable où une âme est plon-
gée, ce grand fonds de dettes -qu'elle con-
tracte envers lui de jour en jour, et avec
tout cela le refus qu'elle fait d'implorer son
secours, pourriez-vous assez déplorer un
infortuné qui veut se perdre, qui craint de
sentir les miséricordes de Dieu , qui se re-
tranche de la société des élus, où l'on n'est
admis que par la prière, qui, sortant même
du sein de l'Eglise, où l'on ne demeure que
par l'oraison, se juge, se réprouve lui-
même faute de prier, et descend de té-
nèbres en ténèbres, d'offenses en offenses,
jusqu'à ce qu'il se trouve au fond de l'a-
bîme, où la voix de la miséricorde n'entre
jamais, d'où nul pécheur ne peut se faire
entendre au Dieu de toute compassion, et
où livré à la seule justice et frappé de son
malheur, il va porter jusque dans l'éternité
la juste peine de son silence.
Non, direz-vous en vous-même, je ne
serai point celte âme infortunée , je me vois
séparé de vous, ô mon Dieu, par le nom-
bre et l'énormité de mes péchés, qui sont
immenses, mais j'espère que vous m'enten-
drez lorsque j'aurai recours à vous. Sei-
gneur, moi qui, par votre grâce, me vis
autrefois dans un état si haut et si sublime,
aujourd'hui , du fond de mes iniquités , de
mes tristes misères , de mes besoins ex-
trêmes: du fond de mon aveuglement dé-
plorable,du plus profond de tous les abîmes,
chargé de fers, couvert de chaînes; je trouve
encore une ressource aans la force de. mes
cris, dans la vertu de ma prière, et dans
l'excès de votre tendresse : De profundis
clamavi ad te, Domine. (Psal. CXXIX.) Au
défaut de mes paroles , Seigneur , écoutez
la voix de mes larmes, elles partent d'un
cœur si sincère et viennent d'un si grand
fonds de malheurs qu'elles méritent bien
que, par votre pitié, vous les exauciez :
Domine, exaudi vocem meam. (Ibid.) Soyez
attentif à mes vœux , rendez-vous-y pro-
pice; je suis si éloigné de vous par mes
péchés qu'il faut vous faire effort pour m'en-
tendre : Fiant aures tuœ intendentes. (Ibid.)
Autant mes crimes vous parlent haut, autant
ma prière se redouble : ainsi n'écoutez point
la voix de mes désordres, ils vous deman-
daient ma perte, mais écoutez la voix de
ma prière, elle vous demande mon salut :
In vocem deprecationis mcœ. (Ibid.) Si mes
iniquités s'élevaient à vous sans mes gémis-
sements et mes larmes, ah I quel poids
aurajs-je à soutenir et n'en serais-je pas
accablé? Si iniquitates observaveris , Domine,
Domine,quis sustinebit? (Ibid.) Mais dès qu'un
pénitent demande grâce à vos pieds vous ne
regardez plus ses offenses, vous ne voyez que
ses malheurs , parce qu'il y a en vous un
fonds inépuisable de miséricorde et de bonté :
quia apud te propitiatio est (Ibid.); dans vos
écrits vous vous êtes fait une loi d'avoir pitié
du misérable pécheur, dès qu'il vous recher-
che de bonne foi : loi aimable, loi consolante,,
qui semble être faite pour moi, pour me
rassurer dans mes justes frayeurs et m'aider
à soutenir votre présence , ô mon Dieu ! et
propter legem tuam sustinui te , Domine.
(Ibid.) Si je n'envisageais que mes fai-
blesses , hélas ! que pourrais-je espérer de
moi-même? et quelle raison, au contraire ,
n'aurais-je pas dans mes offenses de déses-
pérer ? Il a promis à ma prière de lui être fa-
vorable , de l'écouter : ah 1 toute mon âme
s'y abandonne : Sustinuit anima mea in verbo
ejus (Ibid.); et parce que sa parole est in-
faillible, que ses promesses sont irrévo-
cables , mon espérance est aussi ferme et
inébranlable : Speravit anima mea in Do-
mino. Serais-je le seul? espérez aussi, Israël,
et puisqu'il fait encore jour et que viendra
une nuit où il ne sera plus temps de prier
le Seigneur, espérons, et que tous les peu-
ples implorent à mon exemple la délivrance
de leurs maux : A custodia matutina tisque
ad noctem speret Israël in Domino. (Ibid.)
Il est vrai que si j'avais offensé un homme
comme j'ai offensé mon Dieu, je devrais ne
pas comptter sur ma prière, il faudrait y re-
noncer et désespérer du pardon de mes
offenses; mais il n'en est pas de même delà
prière que nous faisons à Dieu, comme de
celles que nous faisons aux hommes : c'est
assez d'avoir recours en lui et d'y croire
fermement pour en espérer tout secours :-.
Quia apud Dominum misericordia. ( Ibid.)
Il y a toujours en Dieu plus de miséricorde
que de malice dans l'homme , plus de ré-
demption dans le Seigneur que de captivité
dans le pécheur : Et copiosa apud eum re-
ORATEURS SACRES. LE P. SliRIAN.
demptio (Psaï. CXXIX.); il n'est point d'es-
clavage si honteux dont le Tout-Puissant
ne soit prêt à racheter Israël, et jamais le
crime ne nous fera de chaînes si pesantes
que sa compassion ne puisse briser : Et ipse
redimet Israël ex omnibus iniquitatibus cjus.
(Ibid.)
Vous le voyez , mes frères, le pécheur a
donc besoin de la prière ; mais ne croyez-
vous pas que les âmes pures n'aient pas
grande raison quand elles prient ? et quel-
que justes que vous puissiez être , n'avez-
vous pas un pressant besoin de prier?C'estee-
que Daviil avait hien compris, lorsque rap-
pelant l'état dépiorahle d'où le Seigneur
l'avait tiré, il s'écrie dans des transports de
reconnaissance et de joie : Hélas! que j'étais
à plaindre sans votre secours , ô mon Dieu !
au dehors tous mes ennemis, au dedans
tous mes combats me faisaient sentir le be-
soin pressant que j'avais de la prière, et
c'est pour cela que je me suis dit à moi-
même, dans mes peines j'invoquerai le
Seigneur, et il écoutera mes vœux et mes
prières : In tribulatione mea invocabo I)o-
minum , et ad Deum meum clamabo [Psal.
CXVII);;et qu'elle ressource en effet pour
l'âme juste quand elle pense que tout l'at-
taque au dedans et au dehors, quand elle
fait réflexion sur ce nombre infini de ten-
tations qui la pressent, sur les misères qui
l'accablent, sur les dangers fréquents où
elle est exposée, au milieu d'un monde
tout mauvais qui, pour séduire la plus solide
vertu, lui présente des rivages qui enchan-
tent, des honneurs qui flattent, des exemples
qui entraînent, des biens qui attachent
mais qui trompent, des plaisirs qui, trop
souvent par le penchant qu'on y a, emportent
avec violence? Ahl cette âme juste* peut-
elle se voir entourée de tant de pièges sans
prier Dieu qu'il veuille bien la fortifier
et la rassurer sur ce qui fait le plus juste
sujet de ses frayeurs, sans se mettre entre
ses mains, où elle sera bien mieux que
•lans les siennes propres, sans recourir au
divin spectateur de ses violences et de ses
efforts , qui nous assure lui-même que
si nous implorons son secours et qu'il se
déclare pour nous, nos combats se tour-
neront en victoires?
Et en effet, fussiez-vous des saints, quoi
de plus ordinaire en vous que ces combats
avec vous-mêmes, que ces contraintes que
nous sentons entre la chair et l'esprit ,
entre la passion et la religion? Quoi de plus
commun et de plus dangereux que ces op-
positions de nous-mêmes à nous-mêmes,
que ces guerres intestines où tout l'homme
s'oppose et résiste à tout l'homme chrétien;
où un même cœur se prête et se résiste, s'at-
taque et se défend; où, s'il veut aller à Dieu,
son propre poids le fait retomber vers le
monde, et où, s'il veut se donner au monde,
un remords de conscience le fait retourner
vers le ciel ; où tout ce qui flatte ses pen-
chants expose son innocence, où tout ce
qui lui est cher lui est funeste; où, partagé
misérablement entre son plaisir et son de-
750
voir, entre l'attrait du bien et celui du mal,
entre la volonté humaine et la soumission
chrétienne, qui se choquent continuel-
lement et se contredisent; où enfin Jésus-
Christ et le démon qui luttent dans son âme
comme les deux enfants de llebecca se com-
battaient dans son sein, nous tiennent dans
un danger continuel de notre perte, dans une
grande incertitude de notre salut, et nous
montrent trop clairement que notre sort est
déplorable? Si nous y pensions, combien ces
misères et ces périls feraient-ils sortir de
prières de notre bouche! car ce n'est qu'après
la prière qu'il nous accorde des forces, qu'il
nous aide, qu'il nous tient sur notre pente
malheureuse pour le crime dans une heu-
reuse disposition de sainteté, et il termine à
notre avantage les combats de notre vie; et,
quand nous ne le prions point, est-il étrange
que le poids de la concupiscence prenne 1&
dessus, que la charité y descende, et que
Jésus-Christ diminue en nous, qu'il y cède
sa place à son ennemi ? Et de la ces déi'ail-
lements dans la piété, ces dévotions lan-
guissantes et froides, ces privilèges odieux
qu'on s'accorde , ces relâchements prodi-
gieux qui étonnent, ces monstrueux adou-
cissements qui font le scandale de la reli-
gion et la honte du christianisme. Ainsi cet
apôtre si fidèle qui, pendant que Jésus-Christ
prie, s'endort, est bientôt puni de sa né-
gligence, il passe de l'assoupissement à
l'apostasie et de l'oubli de la prière au re-
noncement de son Dieu.
Ahl prions donc, mes frères; nous avons
sur nos lèvres l'arbitre des dons de Dieu et
le dépositaire de ses miséricordes; em-
ployons-la donc pour les obtenir; que jamais
le jour ne s'ouvre et ne se ferme, que nous
n'ouvrions notre cœur au Seigneur par l'o-
raison; regardons comme trop téméraire et
trop hasardé un jour passé sans la prière;
croyons un vice mal attaqué, une venu mal
défendue, s'ils ne le sont pas par la prière.
Dans un lieu d'exil nous sommes bien diffé-
rents de ceux qui sont dans la véritable pa-
trie ; laies justes ne prient plus: ils n'ont
plus de combats et de guerres à soutenir;
ils jouissent, et nous attendons; ils se re-
posent à l'ombre de leur gloire, et nous com-
battons pour l'acquérir; ils bénissent, et
nous gémissons; ils sont dans le port à cou-
vert de toute tempête, et nous au milieu
d'une pleine nier d'écueils et d'orages. Nous
devons crier sans cesse : Seigneur! sauvez-
nous; nous allons périr, si vous ne venez à
notre secours. Voilà, mes frères, ce que vous
devez dire, justes ou pécheurs, et plût à Dieu
que vous le disiez avec les dispositions d'une
prière sainte! Je vais vous les marquer on
peu de mots dans l'autre partie de ce dis-
cours,
SECOND POINT.
Peut-on penser h ce qu'est Dieu, sans com-
prendre ce que doit être la prière? îl est
grand, dit le Prophète : il faut donc qu'elle
soit humble ; il est saint : il faut donc qu'elle
soit recueillie; il est véritable : il faut donc
qu'elle soit sincère. Comme une mère aime
son enfant, ajoute le Prophète, le Seigneur
aime ceux qui le prient; il est bon envers
ceux qui l'invoquent, c'est-à-dire, que l'hu-
milité, la sincérité, le recueillement, l'amour
sont comme les ailes qu'emprunte la priés e
pour s'élever jusqu'au ciel. Ainsi David,
frappé de la grandeur de Dieu dans sa prière,
ne trouve rien qui lui convienne mieux que
de se présenter devant lui comme un men-
diant et un pauvre : E'jo mendicus sum et
pauper (Psal. XXXIX), puis il s'écrie : Sei-
gneur, j'ai retrouvé mon cœur fugitif tout
recueilli pour vous prier : Inveni cor ut
crem te. Ensuite il l'assure que c'a été du
fond du coeur, et non avec des lèvres trom-
peuses, qu'il lui a adressé ;ves vœux et ses
prières : Non in labiis doldsis. (Psal. XVI.)
Enfin il dit que dans sa méditation il trouve
une chaleur sainte qui le consume : In medita-
tione mea exardescet iynis. (Psal. XXXVIII.)
Oh ! qu'heureux est un chrétien dont la
prière est humble, recueillie, sincère, fer-
vente et que l'humilité produit, que le re-
cueillement accompagne, que la sincérité
soutient, que la charité couronne!
Mais l'humilité est encore la fin principale
de la prière; car Jésus-Christ en nous recom-
mandant de prier veut par là nous humilier;
c'est son premier objet; car, quand il veut
être prié, ne vous imaginez pas que ce soit
qu'il nous oublie; c'est que nous pourrions
nous oublier nous-mêmes. Ce n'est point
pour nous exaller, c'est pour humilier notre
orgueil; c'est que la vue de notre état de
mendicité et de misère est seul capable d'é-
touffer et d'anéantir en nous toute enflure :
voilà la fin de la prière.
Donc toute prière qui n'est point humble,
comme celle qui se fait dans le lieu sainj
avec un amour de distinction, y paraissant
avec faste, y traînant tout ce que le luxe et
les pompes mondaines ont d'éclat, vous dé-
robant toute l'énormité de vos péchés, vous
laissant toutes les folles préventions sur le
rang et sur votre condition, abusant de votre
naissance et de votre qualité pour soutenir
votre vanité, portant un esprit présomptueux,
un cœur enflé de vos œuvres, de vos justices,
et vous y tenant dans un état qui n'a rien
de suppliant; toutes ces sortes de prières
sont défectueuses dans leur principe et sans
nul effet pour ceux qui les font; la. majesté
de Dieu ne les reçoit point; il n'agrée jamais
l'encens qui lui vient des hauts lieux, c'est-
à-dire de la superbe; mais il aime à remplir
de ses dons une âme véritablement humble;
et plus il voit de vide en elle, plus il prend
plaisir à y mettre l'abondance. Voyez la
femme chananéenne: elle ne demande que les
miettes qui sont le partage des chiens, et le
Sauveur lui accorde le pain des enfants et la
guérison de sa fille; et voilà aussi ce qui
donna tant de force au publicain par sa
prière : c'est qu'elle partait d'un cœur humi-
lié et vraiment louché de ses misères, tandis
que le pharisien révèle ses vertus, qu'il les
exalte. Voyez comme le publicain raconte
toutes ses faiblesses; comme saisi de fraveur
CAREME. - SERMON VI, DE LA TRIERE.
K-2
et Je crainte, il voudrait disparaître tout en-
tier, comvr.e prosterné la face contre terre, il
s'écrie : Seigneur, avez pitié de moi, qui suis
un malheureux pécheur. Quel sens renfer-
ment ces paroles? Il n'ose dire, comme Da-
vid : O mon Dieu ! ô mon Père i noms qui
renferment beaucoup de présomption dans
celui qui s'en sert; mais, Seigneur"! Domine!
Il ne demande point, comme Job, qu'on lui
fasse miséricorde : Propitivs esto [Psal.
LXXVIII); il laisse à ceux qui le méritent
la consolation de se dire les serviteurs de
Dieu ; pour lui il se regarde comme n'ayant
aucun titre d'approcher et de demander. à
Dieu : Mihi; et s'il prend quelque qualité,
ce n'est' que celle du pécheur : Peccatori.
Ah! chrétiens, si vous priiez de la sorte,
votre prière arrêterait le cours de vos
désordres et vous en obtiendrait le pardon.
Vous, unies égarées et errantes, qui ne
portez ici qu'une foule d'images mondaines,
venez-vous pour "nsultcr Jésus-Christ au mi-
lieu même de son temple? Ah! devant un Dieu
réduit pour l'amour de vous en un si pet-t
espace, où va votre esprit agité? que devien-
nent vos péchés dans l'essortde vos passions?
Il n'est ni à Dieu ni à vous-mêmes. Il oublie
tout à la fois et ce qu'il demande et celui
qu'il vier.t invoquer; et tandis que Jésus-
Christ n'a que l'illusion de vos paroles, le
monde, son ennemi, a toute la réalité de vos
intentions.
Et ne dites pas que vous êtes naturelle-
ment volages ; laissez aux âmes justes qui
gémissent en secret de celte maladie natu-
relle de l'homme qui ne leur permet pas
d'arrêter toutes leurs pensées et de les fixer
vers l'objet aimable où elles voudraient toutes
aller. Ah! laissez-leur le triste plaisir de
gémir de leur dissipation involontaire, de
leur inattention et de l'impuissance de leurs
désirs tout célestes. Mais vous, votre inap-
plication est-elle excusable? N'est-ce pas le
peu de respect que vous avez pour la pré-
sence de Dieu, le peu de conviction de la
grandeur et du nombre de vos maux, le peu
de foi que vous avez à ses promesses, le peu
de crainte que vous avez de ses menaces,
votre peu de goût pour les choses du salut,
votre indifférence pour les biens éternels,
une indolence funeste pour tout ce qui re-
garde le ciel, vous qui montrez tant de con-
fiance et de fermeté, de recueillement et
d'attention pour tout ce qui s'appelle fortune,
gloire, plaisirs; qui, consacrés à l'amour de
ces faux biens, y pensez sans cesse et vous
faites même une habitude d'y penser, qui
les aimez avec fureur, sans que rien puisse
vous en détourner? Ah! lorsque vous venez
nous dire que vous n'avez pas la force d'ar-
rêter ici un moment vos pensées, n'est-ce
pas que l'affaire du ciel vous touche et vous
intéresse bien moins que celles du siècle?
Ce chaos épais qui est entre Dieu et vous,
n'estrce pas l'ouvrage de vos lectures pro-
fanes, de vos discours séculiers, de vos de-
sordres et du débordement de vos passions?
Et quand vous venez ici demander à Dieu la
rémission de vos péchés, ne l'évitez- veus
"03
ORATEURS SACRES. LE P. SURIAN.
704
pa* en fuyant tout ce qui aurait j>u vous
"attirer, et par conséquent vos prières dis-
traites ne sont-elles pas volontaires, délibé-
rées, sujettes à ia colère du Seigneur? O
mon Dieul comment l'exauceriez-vous? Une
vie, hélas 1 dont tous les moments ont été si
déplorables, des maux qui étaient si réels,
des supplices éternels dont on était menacé,
tout cela méritait bien dans la prière un es-
prit attentif, un cœur recueilli, une âme
tout appliquée? Avec tant de misères, vous
vous feriez un scrupule, mes frères, de ne
jamais prier, et vous auriez raison; mais
l'obligation de penser à Dieu quand vous lui
parlez est-elle moins indispensable pour
vous que de le prier quand vous avez besoin
de lui? Ah 1 voulez-vous que vos prières
soient écoutées et fléchissent la divine jus-
tice sur toutes vos offenses, comme Jésus-
Christ allez le prier; retirez-vous à l'écart
pour parler à votre Dieu : Ascendit solus
orare. (Matth., XIV.)
Laissez-là le monde, il est trop profane
pour être de cette affaire sérieuse, il est trop
corrompu pour être de ce commerce sacré ;
laissez à part tout ce qui lui appartient, et à
l'abri du tabernacle saint, faites-vous un
doux asile où seul avec Dieu et avec vous-
mêmes , vous recueilliez toute la force de
votre âme, où vous ne portiez rien qui puisse
vous ôter Jésus-Christ de la pensée et du
cœur, où pour invoquer un Dieu caché,
vous vous cachiez au monde pour ne vous
produire qu'à vous-mêmes et à votre Dieu,
à peu près comme les anges qui, devant le
sanctuaire, voilaient leur visage, couvraient
même leurs pieds, afin qu'étant absorbés par
Dieu, il ne parût rien d'eux. Mais ce n'est pas
seulement en esprit, c'est encore en vérité
que Jésus-Christ veut qu'on le prie. Ici, mes
frères, je ne puis vous dissimuler une
chose qui vous sera sans doute amère, c'est
(pie toutes vos prières sont presque en exé-
cration devant Dieu ; pourquoi? Parce quelles
ne sont point sincères, condition qui paraî-
trait bien essentielle, si on songeait qu'on
j aile de l'affaire capitale de la vie, à un Dieu
qui déteste et maudit toute prière trompeuse
et fausse. Sur ce principe, mon Dieu, que les
nôtres le sont! et pour nie borner à celle qui
est toute la religion du chrétien, montrons
qu'elle se dément si fort qu'on ne peut y
compter.
Ah! où en serons-nous, mes frères, si le
cœur de Jésus-Christ sur la croix eût démenti
la prière que sa bouche faisait pour nous et
qui fut scellée et appuyée de tout son sang?
It lorsqu'un Dieu se présente à nous avec
un désir sincère de nous soulager, quand
nous l'en prions de bon cœur, nous vou-
erons le tromper, lui qui voit tout, qui con-
naît tout, et lorsque rien n'est plus réel que
nos maux, nous voudrions que rien ne fut
plus feint et nions sincère que nos priè:es!
Ali! craignez que vos prières trompeuses,
< hangées en pé liés, ne retournent dans votre
sein pleines de la colère éternelle. Ah! (pie
plus sincère et par conséquent plus heureuse
était la prière de lanière de Samuel. Darceaue
tout était d'accord en elle, et qu'elle priait de
tout son cœur! Loquebatur in corde suo. (I
Reg., l.)Sa prière trouva grâce auprès de Dieu
parce quelle était pénétrée de ce qu'elle de-
mandait, et qu'elle priait du fond du cœur,
sans même faire entendre sa voix, et vox pe-
nitus nonaudiebatur. (Jbid.) Elle prie avec des
empressements et des transports si violents,
qu'on aurait dit qu'elle était tombée dans l'al-
légresse : Usqucquo ebriaeris? (Ibid.)Ce n'est
donc point dans un tas de paroles récitées du
bout des lèvres, mais gravées dans le cœur,
écrites au fond de l'âme, et animées d'un
saint amour, que la prière consiste.
En effet ne convient-il pas que l'amour
fasse des demandes que le seul amour peut
accorder? Dieu qui est tout amour peut-il se
gagner que par la charité? La prière, qui est
la plus noble fonction de l'homme, ne doit-
elle pas sortir de la plus noble de ses parties
qui est son cœur, et puisque c'est par le
cœur que Dieu nous punit, ou nous cou-
ronne, n'est-ce pas aussi par le cœur qu'il
veut être prié et adoré? Et comme notre fai-
blesse est notre plus pressant besoin, n'est-
il pas juste que nous employions tout ce (pie
nous avons de plus précieux pour en obtenir
du soulagement? Et en effet l'oraison qu'est-
elle autre chose que l'expression et le mou-
vement, le désir du cœur? Vous priez, quoi-
que vous soyez dans le silence, si votre cœur
se fait entendre : c'est la véritable prière à
laquelle Dieu ne peut rien refuser.
Moïse muet, consterné, après le crime d'Is-
raël, s'interdit et s'afflige, et Dieu lui dit:
Pourquoi criez-vous si fort vers moi? Quid
clamas ad me ? (Exod. XIV.) Que veut donc-
dire le Seigneur? Tout se tait devant sa co-
lère, son serviteur le commande à tout le
peuple; il demeure lui-même dans un silence
profond, il n'ose même se tourner vers lui,
et il se plaint que sa prière est trop vive,
quid clamas admet Ah! c'est, disent les
Pères, cpie Moïse sentait alors un frémisse-
ment ducœur, un mouvement extraordinaire
du saint amour et delà divine charité qui
touchait Dieu et qui le pressait vivement, et
par là il nous apprend que si notre bouche
parle à l'oreille de l'homme parla voix, no-
tre cœur parle à l'oreille de Dieu par la cha-
rité. 11 y a dans le fond de l'âme un langage
caché qui dit bien [dus que le son de la voix
qui articule.
Nous ne l'avons pas, cette langue de l'amour
saint (pii parle à l'oreille de Dieu, et de là
tant de lâcheté et de corruption, soit dans nos
prières, soit dans la transgression qui les
suit, et que partout elles portent le triste ca-
ractère de notre froideur et de notre indiffé-
rence. Nous lisons dans les livres de piété
les oraisons les plus enflammées, mais sans
le moindre amour et la moindre charité, nos
prières ne sont guèreque de simples pensées,
dans lesquelles il n'entre presque jamais de
sentiments. Auprès des hommes, nous y mê-
lons tant de feu et de vivacité, qu'on ne peut
refuser de s'y rendre, et auprès de Dieu nos
prières sont tonte de glace. Quelquefois nous
nous jetons aux pieds de Jésus-Christ avec
7C5
CAREME. — SEltMON VII, DE L'IMPORTANCE DU SALUT.
706
des soupirs et des larmes, mais ce ne sont
que des tristes marques, que des effusions
sensibles d'une nature qui souffre, et non
pas de purs sentiments des saintes affections
de la charité qui parlé à Dieu.
Et comment l'aurions-nous, la charité,
dans le cœur, lorsque nous prions? La charité
s'ennuie-t-elle de s'entretenir avec son bien
aimé? se dégoûte-t-elle d'assister à ses au-
gustes mystères? compte-t-elle les moments
qu'elle passe avec lui? se montre-t-elle im-
patiente de sortir de son temple? regarde-t-
elle comme -un temps perdu celui qu'elle em-
ploie à le prier? Vous éprouvez toutes ces
misères, donc vous ne priez pas du cœur,
donc vous êtes pires que les païens et les in-
fidèles. Ah! si la charité pouvait entrer dans
vos prières, comme autant d'étincelles en
sortiraient toutes les vertus, et la charité
leur donnerait tous ses bienheureux carac-
tères. Elle est patiente, nos prières le seraient
aussi; la charité est aitive, donc vos prières
ne seraient plus une pieuse oisiveté, mais un
exercice continuel de toutes les vertus. La
charité ne se lasse point, vous prierez avec
persévérance, sans jamais vous rebuter, vous
décourager, vous plaindre, persuadés qu'on
doit bien attendre quelque temps ce qu'on
doit posséder pour toujours et sans bornes.
La charité espère tout, donc la prière devrait
vous faire tout espérer, vous disant à vous-
mêmes que celui qui se donne déjà lui-
même en cette vie ne peut rien vous refuser
pour l'autre. La charité croit tout, donc la
prière doit vous faire éloigner toute incerti-
tude, tout doute sur la foi; la charité ne fi-
nit point, ainsi la prière doit se changer en
actions de grâces et en éternelles bénédic-
tions.
_ Divin Sauveur, vos derniers mystères vont
s'accomplir bientôt et en nous voyant atten-
dris, vous semblez nous dire avant de nous
quiter, ce qu'Elîe disait à Elisée : Bientôt je
serai enlevé dans le ciel sur un tourbillon
de feu, hâtez-vous de me demander ce que
vous voulez que je vous laisse avant de vous
quitter. Ah! Seigneur, vous avez dans votre
sein un double esprit : Obsccro ut fiât in me
duplex spiritus tuus (IV lie;/., 11); donnez-
nous maintenant ce double esprit qui fait la
bonne prière, jusqu'à ce que réunis en vous,
nous puissions vous louer et vous bénir
éternellement dans le ciel; c'est, mes frères,
ce que je vous souhaite au nom du Père, etc.
Amen.
SERMON
DE L'IMPORTANCE
DU SALUT.
IYrvenit in vos regnum Dei. (Luc, II.)
Le royaume de Dieu est parvenu jusqu'à vous.
Que ce royaume devrait vous être cher, mes
frères, puisqu'il a tant coûté à un Dieu, et
que pour vous l'obtenir, il a donné môme sa
vie! Mais hélas! quand Jésus-Chrislfait tant
pour nous sauver, ne voulons-nous travailler
que | our nous perdre? ?Cotre âme ne nous
est rien, nous en faisons froidement le sa-
crifice volontaire, et ce soin du bonheur, qui
devrait être le premier de tous, ne vient pas
même après les autres. Oui, chrétiens, en
vain mille voix plus fortes que la mienne
vous ont représenté les attraits des miséri-
cordes et la terreur des jugements de Dieu;
la douce paix de ceux qui se sauvent et l'in-
quiétude de ceux qui se la;ssent périr, la
fragilité des choses présentes et l'excellence
des biens avenir; en vain toutes les créatures
au dehors, et toutes les grâces au dedans,
sont autant de bouches qui vous invitent à
tendre vers le ciel; en vain il a plu à Jésus-
Christ se servir de tout ce qui tombe sous
les sens pour en tracer des images sensibles
qui soient plus à notre portée, en l'appelant
tantôt un trésor, pour réveiller notre amour;
tantôt une couronne, pour piquer notre am-
bition ; tantôt un doux repos, pour flatter no-
tre mollesse; quelquefois une conquête glo-
rieuse, un royaume éternel, pour satisfaire
les grands cœurs, les âmes nobles; en vain
encore ici il vous conjure, par les entrailles
de sa miséricorde de ne pas vous laisser
périr, de regarder l'abîme avant que de vous
y plonger: rien de tout cela ne peut vous dé-
terminer à prendre pitié de votre âme, rien
n'est capable de faire impression sur votre
dureté; le charme des sens nous possède.
Couverts dans une erreur trop commune,
nous préférons le temps qui } asse à une
éternité qui ne finit point, nous n'aimons
que l'orage et la tempête sans nous souvenir
d'aller au port; la vie tumultueuse du siècle
nous parait plus tranquille que des soins
si heureux, dit saint Chrysostome. Le Sau-
veur qui se jouait de toutes les affaires du
monde s'épuisa pour l'affaire du salut; nous
au contraire nous nous amusons et consu-
mons follement dans les soins du siècle, et
nous faisons un jeu de l'affaire du salut et
l'objet de nos occupations les moins sérieuses.
Mon Dieu, est-ce la raison qui est séduite,
ou la foi qui ne vit plus en nous? faut-il nous
plaindre comme chrétiens, ou nous réprou-
ver comme infidèles? Ce désordre me tou-
che jusqu'au fond de l'àme, et pour y remé-
dier, s'il est possible, mon dessein est de
vous rappeler au soin de votre salut, et pour
cela je ne veux que deux propositions connues
et familières: le salut est notre grande affaire,
voilà la première ; le salut est notre unique
affaire, c'est la seconde.
1° Le salut est notre grande affaire, elle
doit donc avoir nos plus grands soins.
2° Le salut est notre unique affaire, elle
doit donc faire notre unique soin.
Ici, peut-être, vous vous faites un secret
reproche de la triste nécessité où vous nous
réduisez de venir vous prêcher de ne point
vous perdre; mais hélas! telle est votre mi-
sère,et je désespère même de pouvoir tirer
quelque fruit de ce discours, si celui qui
seul peut le faire ne me prête son assistance,
et si en même temps que je parle à l'oreille
de mes auditeurs il ne parle à leur cœur par
ea grâce, et ne vous dit secrètement à tons:
Miserere animœ tuœ (iïccli., XXX), prenez
pitiéde vplreâme. Demandons lui cette grâce
par l'intercession de Marie. Aie Maria.
757
PREiSIEH POINT.
Cette aveugle indifférence ou ce mépris
insensé où vous vivez dans le monde sur
j'affaire du salut vientsans doute du peu d'at-
tention que vous avez à tout ce qui peut
vous en donner une haute idée, et vous por-
ter à croire que c'est pour vous une grande
affaire.
En effet, si Dieu se faisait sentir à vous,
qu'il lui plût de rompre le charme qui vous
fascine les jeux et que vos passions vous
permissent de faire quelques réflexions sé-
rieuses sur l'importance de votre salut,
ali! que ce soin prendrait bientôt la plaie
des autres soins, puisqu'il n'est aucune af-
faire qui soit si grande dans ses moyens et
dans sa fin, aucune si grande dans les moyens
ORATEURS SACRES. LE P. SUIUAN. 7G3
rapides, qu'une attention si interrompue ?
est-ce le vouloir que de/ tout donner vo-
tre temps à vos emplois, à vos affaires, a
vos plaisirs, à votre foi tune, à vos projets,
sans que le salut y entre pour rien? est-ce
le vouloir que de ne rien rabattre de -vos dé-
penses, de votre luxe , de votre ambition de
vos cupidités, vérifiant trop en vous ces pa-
roles du prophète : Le salut a passé en un mo-
ment ? Quoi 1 croirai-je que vous voudrez
votre salut, tant que je ne verrai en vous
que des pensées vaines et stériles do l'éter-
nité, que certains mouvements d'une piété
ingénieuse, qui donne à la conscience un
repos trompeur, et qui ne change rien en
votre conluite toute profane? quand je vous
verrai, à l'égard de votre salut, dans ce som-
meil d'inaction et de paresse , dans cette l'é-
qui l'avancent, nulle si grande dans la lin qui thargie de cœur, dans cette épouvantable in-
la termine. Arrêtons-nous à ces deux circons-
tances qui vous donneront une idée sublime
de l'affaire du salut.
Et d'abord songez atout ce que Dieu a fait
pour saliver votre Ame, comme il ajeté sur
elle un regard, de miséricorde, appelant
votre salut son ouvrage chéri, opus meum;
comme ces accidents et ces révolutions di-
verses arrivent sous des coups favorables
pour la faire revenir à son devoir ; voyez
comme se sont opérés en sa faveur tant de
miracles auxquels on ne se montre insensi-
ble que parce qu'ils sont en trop grand nom-
bre, etqiulsse passent trop près de nous;
mais qui n'eu sortent pas moins des trésors
de la toute-puissance divine; considérez
cette main paternelle, qui est sans cesse ap-
pliquée h régler le cours des moindres événe-
ments de la vie, elle sait tout rectifier, jus-
qu'à vos propres cupidités. Remarquez
comme Dieu tourne sur vous les vues de sa
providence et fait agir toutes les mesures de
sa sagesse : elle éclaire vos pas et vous conduit
à vos fins. Considérez tous les égards de sa
miséricorde, elle souffre vos offenses et les
pardonne; toutes les lenteurs de sa patience,
elle vous attend ; mais surtout estimez-vous
et pesez bien-ce que vous valez par tout ce que
voire Dieu a fait pour vous : il a sacrifié son
propre Fils, et a mieux aimé rendre Jésus-
Christ la victime de votre salut que de con-
sentir à votre perte. O combien est donc
grande la dignité de votre âme, et que
l'amour d'un Dieu épuisé sur vous, doit bien
vous faire connaître le soin que vous devez
à votre salut!
^ Mais pour bien comprendre la grandeur de
l'affaire du salut, il faudrait pouvoir com-
prendre ce que Dieu est lui-même; que si
elle est si importante au jugement de Dieu,
pourquoi en faites-vous donc si peu de cas?
D'où vient qji'un ouvrage qu'un Dieua payé
de tout son sang, que son Esprit-Saint a scellé
du sceau de sa vérité, ne vous paraît pas di-
gne (ie vos réflexions, de vos pensées et de
vos soins ? D'où vient que lorsque tout cons-
pire à vous faire désirer voire salut, vous
^onl ne le voulez pas ? car est-ce ic vouloir
que de no lui donner que des moments si
sensibilité aux attraits de la grâce, dans un
amour aveugle pour votre propre personne,
ou pour les autres créatures; vous bornant à
l'écorce et à la superficie de la loi, à quelque
retours lâches et sans fruits; livrés à l'esj rit
de mollesse et de lâcheté, qui fait couler le
vice jusque dans vos reins ; uniquement
occupés de ce qui flatte vos passions et vos
penchants, aimant mieux être embarrassés des
plaisirs, des misères, des amusements de la
vie présente, que de penser au salut, comme
s'il ne devait avoir aucune part dans tous
vos soins et dans toutes vos démarches, et
que votre objet principal fût la crainte de
vous sauver? En effet, si vous ne l'aviez pas
cette crainte insensée, ah! vous verrait-on
tourner h votre perte ce qui ne vous a été
donné que pour vous sauver? vous enfler
par les bienfaits de la nature ou de la for-
tune, et vous abattre par les afflictions et
les adversités ? tout altérer, tout corrompre ,
ce qu'il y a de plus rationnel et de plus pau-
dans la religion? ne faire aucun usage des
moyens de salut que Jésus-Christ vous of-
fre, les tourner môme contre vous par l'a-
bus que vous faites chaque jour des mystères
et des sacrements qu'il a institués, et em-
barrassés de lui, comme ce malheureux juge,
vous écrier : Quid faciam de Jcsu (Matth.,
XXV11)? que voulez-vous que je fasse de Jé-
sus-Christ? Mes frères, ce que vous en ferez?
ah ! faites-en dans vos dangers un asile, dans
vos combats un bouclier, dans vos craintes
un soutien, dans vos maux une ressource,
et dans ces affreux moments de la mort votre
salut et votre grâce.
Eh ! quoi donc, mes frères, le salut ne se-
rait-il donc ici que l'ouvrage de Jésus-Christ
et non le vôtre? ce Dieu de bonté ne vous au-
rait laissé que la liberté de yous perdre, sans
vous accorder celle de vous sauvor?il est
toujours prêt à concourir avec vous, con-
courez aussi avec lui et travaillez à votre
salut, comme à un ouvrage qui est propre-
ment le vôtre : El opus me um cum Deo mco.
iîélas ! je l'avoue, je me sens trop faible: l'af-
faire de mon salut, difficile comme elle est, a
besoin de grands efforts; mais je veux y tra-
vailler avec celui qui est la force même et il
ne me sera pas reproché une i'v laisserai
.7C9
CAREME. — SERMON VII, DE L'IMPORTANCE DU SALUT.
travailler Jésus-Christ seul. J'entrerai en
communication de travaux avec lui , je join-
drai mes gémissements et mes prières aux
siennes; toutes mes actions, mes peines,
mes soins ne seront plus qu'une môme chose
avec les siennes : Opus meum cum Deo meo.
Je me joindrai à lui de cœur, de sentiments,
dépensées; je prendrai ses mêmes maximes,
ses mêmes voies, son même esprit pour
opérer mon salut. J'y travaillerai comme lui
aux dépens de mon honneur, de mes plaisirs,
de mon repos, de mes biens, de ma santé ,
de ma vie même. J'avancerai cet ouvrage
par le crucifiement de mes passions, par
toutes les violences sur mes appétits, sur
mes penchants, sur mes volontés, et par
un sacrifice universel , qui réponde à ce-
lui de mon Sauveur : Opus meum cum Deo
meo.
Et ce qui me soutiendra dans mes travaux
et dans mes peines , c'est cette fin dernière ,
ces jours éternels, celte grande image d'un
redoutable avenir; terme fatal qui plus que
les moyens rend encore l'affaire du salut une
grande et importante affaire. Seconde cir-
constance.
Et certes, que penserez-vous quand vos
âmes seront prêtes d'être rappelées d'ici bas?
Perdre un Dieu par sa faute, ne le pouvoir
plus recouvrer si on l'a perdu, ne plus ja-
mais le perdre si on le possède, trouver tout
avec lui, ou ne trouver rien sans lui; entrer
pour jamais avec des larmes amères dans un
gouffre de misères et de tourments crueis,
ou s'élancer par des transports de joie dans
un séjour de délices et d'éternelles volup-
tés, se voir près d'être accablé de maux où
comblé de biens, destiné à un souverain
bonheur ou à un malheur inconcevable :
quelle alternative! Que ces deux faces de
1 éternité, ou avec toute sa gloire , ou avec
toutes ses horreurs, ont de force sur un es-
prit capable de réflexion, sur un cœur capa-
ble de sensibilité! et, quelle peut êt;e l'im-
pression du salut dont les conséquences
sont si décisives, et si terribles. Ah! mes
frères , tout ceci demande bien plus de sen-
timents que de réflexions, et de religion que
de paroles; parlons-nous à nous-mêmes et di-
sons-nous : De quoi s'agit-i! ici? Il est donc vrai
que je doive bientôt paraître devant le tri-
bunal de Jésus-Christ, pour mon bonheur, ou
mon malheur éternel! Si cela est ainsi, àquoi
ai-je donc pensé jusqu'ici ? que dois-je
faire maintenant, ou quefais-je? il y va do
tout pour moi, et puisque cette affaire ne
souffre point de partage, mais qu'elle dé-
cide de tout, qu'elle renferme tout ce qui
est en moi et tout ce que je dois devenir, il
faut aussi que je m'en occupe tout entier,
que mon âme, mon corps, mon cœur, mon
esprit, que tout agisse en moi de concert
et sans partage à cette grande affaire; cjue je
remplisse tout le reste de ma vie des vertus
les plus saintes, que j'amasse un trésor de
lonnes œuvres dans le temps, afin quelles
arlent pour moi devant mon Juge, quand
toutsera contre moi. Ce que vous devez faire,
770
fruits de justice; si vous êtes pécheurs, c est
de porter de dignes fruits de pénitence; c'est
d'observer dans la fortune , l'humilité ; dans
l'adversité, la patience ; c'est de faire un fonds
de mérites et vous attirer un trésor de grâces;
Afin que cette grande affaire se termine un
jour à votre avantage, mettez à profit tout ce
que vous avez et ce qui vous est offert;
puisque cette vie n'est faite que pour l'autre
et que ce tetnps misérable ne vous est donné
que pour vous assurer une éternité qui ne
le soit pas," et à laquelle vous rapportiez tou-
tes choses, ce que vous devez faire le voici :
disposez de vos craintes, de vos espérances,
de vos .talents, de vos biens , de votre répu-
tation, de vos forces, de tout vous-même.
Pour votre salut, dites-vous sans cesse, qu'un
travail faible , quelques soins pasagers, une
pénitence douce, une contrainte légère ne
suffisent pas pour réussir dans une si impor-
tante affaire, que les voies les plus sévères
ne sont point encore trop, et que pour ga-
gner un bien si parfait, ou éviter un mal si
extrême, on ne doit rien ménager et qu'on
ne peut jamais assez faire.
Mais que faites-vous cependant, chrétiens
pour vous sauver, en comparaison de ce que
vous faites tous les jours pour vous perdre?
Si j'examine vos sentiments , votre conduite,
je ne trouve partout en vous qu'une inaction,
une indifférence, une lâcheté, une noncha-
lance déplorable à l'égard du salut. Les uns
se chargent de tant d'affaires temporelles,
ils s'accablent de tant 'd'embarras, ils s'im-
posent tant de bienséances affectées, tant de
devoirs prétendus et d'usages du siècle; les
soins se multiplient tellement à mesure
qu'ils avancent en âge , en crédit, en hon-
neurs, en fortune, que parmi ce chaos d'oc-
cupations profanes , ils ne trouvent plus le
loisir de se sauver, et qu'après avoir long-
temps vécu pour les autres, ils voient à la
mort qu'ils auraient besoin de vivre encore
pour eux , ci qu'ayant tout fait pour la répu-
blique, ils n'ont rien fait pour leur salut. Les
autres, vivant sans occupations, sans affaires,
sans embarras , sans emplois , jettent fort pi-
toyablement un regard sur l'aveuglement
presque général de tant de gens si empres-
sés, si inquiets et si cruellement occupés;
et sans considérer que tous leurs jours vi-
des etstériles sont perdus, ils demeurenttran-
qui lies et semble nt a voir fa' t le sacr fice affreux
de leur éternité, et du salut de leurs âmes.
Quelle étrange nié. rise! presque tous perdez
de vue la fin qui doit vous occuper; tout
en vous se réduit à louer ceux qui travail-
lent efficacement à se sauver. Vous plaindrez
volontiers ceux qui ont le' malheur de périr
par leur faute, mais pour vous , vous bornez
tout à quelques discours vagues, à quelques
dehors su; erficiels; vous vous arrêtez à l'il-
lusion du goût et des paroles, sais jamais
en venir à la réalité des désirs et dos œuvres;
vous méditez peut-être quelque bon dessein
d'y travailler un jour véritablement et vous
vous dites à vous-mêmes que vous n'atten-
dez que l'heureux inornent, pour vous rendra
ah! si vous êtes fidèles, c'eit déporter des sensibles à cette grande affaire. Mais vous re-
771
ORATEURS SACRES. LE P. SURIAN.
772
tardez toujours, et vos sentiments pieux s'é-
vanouissent avec vos meilleures résolutions.
Si enfin votre cœur touché se met en état de
les exécuter, ah ! le moindre obstacle vous
arrête : vous ne voulez qu'il vous en coûte
ni violence, ni gène, ni privations; è cela
près vous seriez tout disposés à recevoirjl'hé-
ritage que Dieu a promis et le bonheur du
ciel.
Ah! vous donc, chrétiens, qui vous croyez
plus sages, salva aniiiiam tuam (Gen., XIX),
sauvez votre âme. Pourquoi périrait-elle? elle
n'est pas faite pour périr; formée des mains
de Jésus-Christ, teinte de son sang, rachetée
par sa mort, qu'elle est précieuse, qu'elle
conséquent vous devez y donner tous vos
soins et votre unique application; c'esl la
deuxième partie de ce discours.
SECOND POINT.
Dieu qui en lui-même a plusieurs opéra-
tions, dit saint Augustin, n'a pourtant qu'une
seule chose à faire, c'est de se contempler ;
il se porte au dehors à des œuvres diffé-
rentes, néanmoins une seule l'applique,
c'est la conduite de l'univers. H a beaucoup
agi et souffert sur la terre. Cependant il n'y
avait qu'une seule chose à faire-, c'était
notre salut. Comment donc accorder cette
unité d'affaires avec cette multiplicité de
est chère! Appelée à son héritage, destinée travaux et de mouvements? C'est, répond
à sa gloire, qu'elle peut être heureuse ! Ah! ce Père, que l'œuvre qui l'occupe est si
importante, que toutes les autres sont comp-
as v,, quellep
si vous ne travaillez point à la sauver pour
l'amour d'un Dieu immolé pour elle, faites
du moins quelque chose par intérêt et
compassion pour vous, salva animam tuam.
Eh quoi! auriez-vous plutôt soin de flatter
vos penchants pendant quelques jours, quel-
ques mois, quelques années, que de les
empêcher d'être contraints, d'être cruelle-
ment enchaînés durant tous les siècles des
siècles. Dans la comparaison de deux biens,
vous pourriez balancer, mais dans l'alter-
native d'un bonheur ou d'un malheur éter-
nel, y a-t-il le moindre sujet d'hésiter? Un
court et frivole plaisir n'est -il pas trop
acheté d'une éternité de supplices? salva
animam tuam. Non, dans ces grands coups
de malheur, vous n'é/argnez rien pour sau-
ver vos biens, vos charges, votre réputation;
mais dans la vie, est-il quelque chose qui
vous soit plus précieux, que votre Ame, et
tées pour rien, et qu'étant toutes rapportées
à celle-là, elle n'ont qu'une seule affaire
avec elle, et voilà dans quel sens votre salut
est une affaire unique : c'est que toutes vos
autres affaires ne sont rien devant elle ,
parce que son importance les absorbe, pre-
mière réflexion , ou que sa fin les confond ,
deuxième réflexion; ne perdez rien de ceci.
Oui, à la vue du salut, toutes les autres
affaires perdent le nom d'affaires, car le plus
sage de tous les hommes, guidé parl'Esprit-
Saint , nomme vanité les moyens et la fin , et
tout ce que l'homme se prépare sur la terre :
vanitas vanitatum et omniavanitas ; vanité de
péché, de néant , de songe ; et ecce universa
vanitas. (Eccli., I.) 11 est partout vanité :dans
son esprit il n'est qu'affliction, dans son cœur
que misère, dans ses désirs qu'inquiétude,
dans sa volonté qu'inconstance, dans ses sens
qui vous soit plus propre que vous-même? qu'illusion et dans sa vie qu'une ombre fugi
salva animam tuam. Non je ne viens point tive. Oui, cet homme en quitout est si grand,
ici vous solliciter en faveur de ce corps mor- si réel, si précieux, lorsqu'il aspire au ciel et
tel qui vous coûte tant de peines et qui fait qu'il porte ses vues dans le sein de Dieu,
à Jésus-Christ tant d'outrages : il a trop vos n'est plus rien dès qu'il s'occupe des choses
soins et votre attachement. Je parle pour périssables, et qu'il s'applique à des objets
cette âme immortelle qui, dans vos yeux, est terrestres, parce qu'il échappe bientôt à tous
impure, dans vos mains est avare, sur votre ces objets, que ce fond de mortalité semble
langue est cruelle, qui dans votre cœur est à tout moment l'en arracher, et que, quand
corrompue et qui dans tous vos sens est rien ne vous manquerait en cette vie, vous
l'iniquité tout entière; ah! je la vois sur
le bord de l'abîme, hâtez-vous de la retirer :
Salva animam tuam.
Mes frères , vous voyez bien que la vie
que vous menez ne vous conduira pas au
salut, tous les jours nous vous en avertis-
sons, Jésus-Christ vous l'a dit, peut être que
vous touchez à ce dernier moment où tout
l'homme en vous sera sans action, sans
mouvement, sans vie. Eh quoi! voudriez-
kous donc que votre âme y fût encore sans
grâce, sans salut et sans «miséricorde?
Ah! sauvez-la du moins, sauvez-la de la
colère, de la justice de votre Dieu ; sauvez-la
des supplices de l'enfer, de la rage des dé-
mons ; Prenez pitié de vous-mêmes et de
votre propre fin : Salvâ animam tuam; si
vous gagnez votre âme , que pouvez-vous
avoir perdu? et si vous la perdez que pou-
vez-vous gagner? carie salut n'est [tas seule-
ment pour vous une grande et importante
affaire, il est votre unique affaire, et_q;ar
manqueriez bientôt à toutes choses.
Mais si 1' homme qui. agit pour la terre
n'est rien , les moyens qu'il prend sont en-
core moins ; soit qu'une passion en traverse
une autre ou que Dieu se joue de vos pen-
sées téméraires et de vos projets frivoles,
vous ne l'éprouvez que trop tous les jours,
que les moyens que vous prenez sont ou
incertains ou inutiles, que les voies que
vous suivez sont trompeuses; vos déplaisirs
sont causés par les soins excessifs que vous
prenez de plaire ; vous trouvez un piège où
vous attendiez un appui, vos projets échouent
par les précautions mêmes que vous aviez
prises pour en assurer le succès. Vos entre-
prises les plus pénibles et les plus vastes
ressemblent aux rêveries d'un homme qui
s'agite, se tourmente, s'inquiète, ou qui
pendant le sommeil se croit riche, heureux,
en possession d'un royaume florissant, et à
qui, api es le sommeil, il ne rote rien qu'une
grande lassitude et un bonheur chimériaué
773
CAREME. — SERMON Vil, DE L'IMPORTANCE DU SALUT.
774
Mais je vous accorde que vous réussissiez
dans vos projets , que vous veniez à bout Je
vos grandes entreprises , que vos travaux
soient récompensés; avec tout cela que ga-
gnez-vous à servir le inonde? Je sais que
vous en faites grand cas, et qu'à des yeux
charnels la figure paraît belle ; mais si des
yeux de la foi vous en faisiez l'examen ,
bientôt vous seriez détrompés. Que ce
monde qui vous enchante se soutient mal!
ses plaisirs, qu'ils coûtent cher! sa gloire,
qu'elle est vaine ! l'estime des hommes, qu'il
y a de mécomptes ! l'amitié des grands n'est
que politesse stérile, qui ne produit rien.
Quoi donc encore? sont-ce les honneurs?
l'apparence en est brillante, mais au fond
qu'il y a peu de solide 1 Seraient-ce les ri-
chesses? eh! qu'ont-elhes de plus réel que
la peine de les acquérir, que la crainte de
les perdre, que le regret de les quitter. Et
quand ce seraient même des trônes et une
couronne, ils entrent, hélas 1 comme tout le
reste, dans ce qui compose la figure du
monde : tout cela n'est qu'un vain fantôme
et un pompeux néant. J'ai cherché, dit le
Sage, dans tous les états de la vie, parmi
tous les talents et les privilèges de la nature,
et j'ai reconnu que tout n'était qu'erreur et
affliction d'esprit, illusion et vanité: Et
agnovi quod in liis quoque essct labor et
afflictio spiritus, eo quod in multa sapientia
multa sit indignatio, et qui addit scientiam
addit et laborcm. (Eccle., 1.)
Ce que l'homme appelle affaire sérieuse
dans le monde ne l'est donc pas. Cen'est
donc qu'une misère réelle et une vérita-
ble affliction d'esprit; et, par cette raison
visible , il doit avouer que sur la terre il n'y
a qu'une seule et unique affaire ; c'est celle
de son salut, c'est un bonheur céleste inva-
riable ; et dans les moyens qu'il emploie, ce
sont des grâces surnaturelles qui lui sont
toujours présentes, et dans la fin qu'il se
propose, c'est la possession éternelle d'un
Dieu. Ah! le salut est donc l'unique affaire
que la foi et la raison reconnaissent dans
l'homme pour être véritable, et la seule qui
mérite ses soins. Oui, quand tout retom-
bera dans l'abîme dont il a été tiré, les pas-
sions et leurs objets, le monde et ses faux
biens, cet ouvrage subsistera toujours et
survivra seul à la chute entière de l'uni-
vers
Mais, si le salut est notre unique affaire,
d'où vient donc qu'elle est la seule que
nous ne faisons pas ? Avouons-le : sans cesse,
répandus au dehors, nous ne rentrons pres-
que jamais au dedans de nous-mêmes pour
y' traiter de cette unique affaire. 11 suffit
qu'un objet paraisse à nos yeux pour en-
lever toute notre attention ; nous nous y
appliquons par des passions fortes; toute
la vie n'est pour nous qu'un cercle d'amuse-
ments frivoles, qu'une succession de crain-
tes, d'inquiétudes, d'entreprises, d'alarmes,
de peines et de plaisirs. Ce n'est jamais
assez de charges, d'emplois, de biens: il
faut encore ajouter un nouveau titre , une '
nouvelle dignité à ceux qu'on avait déjà; il
faut encore tenter ce projet, entrer dans ce
négoce, faire cette acquisition. Occupés de
toute autre chose, nous ne pensons jamais
à nous-mêmes; et, pendant qu'on roule,
qu'on travaille, qu'on poursuit mille af-
faires vaines et frivoles, l'uni [ue néces-
saire ne se fait point, elle tombe en ruine*
Mon Dieu ! pouvons-nous y penser sans fré-
mir? Mais, quand un jour on verra que le
salut est ainsi négligé, et qu'après avoir
fait tout le reste, on n'aura rien fait : quels
remords affreux, quel cruel désespoir !
Oh ! combien dilfère le bienheureux état
d'une âme qui fait sa principale et son uni-
que affaire de son salut ! Tout dans le monde
ne lui parait plus qu'un vide affreux , qu'un
misérable passage, qu'un triste exil où il ne
faut point se fixer. Toujours attentive aux
délices de sa patrie, elle ne pense qu'au
ciel ; elle brise cette chaîne infinie d'occu-
pations terrestres qui accablent ceux qui la
portent. Souvent, en son particulier ou au
fond d'un oratoire, elle se rappelle ces pa-
roles, qu'on n'a qu'une âme, et par consé-
quent qu'une atlâire; qu'il sert bien peu
d'acquérir de la gloire devant les hommes,
si devant Jésus-Christ on n'a que de la con-
fusion ; qu'il sert peu à l'homme d'amasser
de grands biens , si l'on vient à se perdre
soi-même ; que tout le profit qu'on fait parmi
les créatures , est un désavantage pour le
salut; qu'on ne saurait accorder aucun
succès spirituel avec les fruits du péché, et
que notre éternité doit donc être notre
unique affaire et, \ ar conséquent, emporter
tous nos soins.
Mais ne me trompé-je pas? L'homme, étant
appliqué à tant de choses différentes, à tant
d'emplois et charges qui redoublent ses af-
faires, n'en aurait-il qu'une seuie? Non,
parce que toutes les autres se doivent rap-
porter à celle-là; non, disait un grand saint,
la religion et la vie civile ne sont point in-
compatibles. Les devoirs de celle-ci , si on y
est placé de la main de Dieu , servent à
remplir ceux de l'autre, en sorte que, loin
que les soins du chrétien et de l'honnête
homme soient inaliénables, ils coucourent
ensemble pour l'avancement du salut : Non
multa, sed unum.
Après cela , quel prétexte pourrait passer
et vous dispenser d'y travailler? Vous excu-
serez-vous sur la fonction de voire emploi,
de votre charge? Mais les remplir avec jus-
tice, avec fidélité, c'est opérer votre salut.
Apporterez-vous pour excuse les soins et les
embarras de votre famille? Mais c'est taire
votre salut que d'y entretenir le bon ordre,
et (l'y donner des leçons et des exemples
de piété et de ferveur. Prendriez-vous pour
piétexte le métier de la guerre ? Mais y ser-
vir Dieu, c'est le moyen d'y servir mieux
le prince; et si vous sanctifiez la guerre, la
guerre vous sanctifiera. Piétexteiez-vous
l'étude que vous avez à faire ? Mais la vraie
science, c'est celle du salut, et vous saurez
tout quand vous aurez appris le secret de
vous sauver. Vous excuserez-vous sur des
procès qui durent depuis longtemps et vous
775 ORATEURS SACRES
mettent hors la voie du salut? Mais eu
gardant la charité, la modération, la bonne
ioi, la droiture, la justice, la religion, ces
moyens d'offense que vous faites valoir,
vous deviendront des moyens de salut, et
vous sauverez votre ennemi, en prenant le
chemin de vous sauver vous-même. Ainsi il
n'est pas un seul état, une seule profession
qui ne soit, si on le veut, une voie de sa-
lut. Il est, le salut, dans la robe et dans l'é-
pée , dans la magistrature comme dans la
finance , dans le commerce comme dans la
mécanique, dans le mariage comme dans le
célibat, dans le prince comme dans le peu-
ple, dans le serviteur comme dans le maître.
En vain voudriez-vous élever une barrière
impénétrable entre vous et le salut, entre
LE P. SUR1AN.
776
vos affaires et votre religion ; il n"est rien
de plus facile que de les accorder ensem-
ble. Appliquez-vous aux devoirs temporels
sans vous y attacher; vos occupations légi-
times, quelque grandes qu'elles soient, ne
sont point incompatibles avec le soin de
votre salut. Pourvu que les affaires du siècle
vous occupent sans vous arrêter, elles ne
vous damneront point : comme elles sont
dans Tordre de la divine Providence, elles
peuvent servir de voies et vous conduire à
sa possession. Ajoutez-y une droite et sainte
intention de ne rien faire que ce que Dieu
e\ige de vous , et alors vous en ferez le
salut même. On ne demande pas que vous
soriiez du monde pour faire votre salut :
non; ne renoncez pas h cette charge, mais
à vos injustices ; ne renoncez point à vos em-
plois, mais à vos passions. Tout ce que
vous faites, faites-le par rapport au salut;
tout ce que vous ferez pour lui vous sera
compté pour l'éternité. Oui, le soin que
vous prendrez de votre salut attirera sur
vous de nouvelles forces et de nouvelles
grâces pour l'opérer; et avec cela, vous
remplirez tous vos autres devoirs de chré-
tien.
Ah 1 ne le refusez donc point, ce soin du
galut, faites-en votre importante et unique
affaire, hélas! jusqu'ici vous avez fait les af-
faires de tout le monde, et vous n'avez point
fait la vôtre : Rogamus vos, [ralrcs, utabunde-
fis ma ,gis, ut vestrumnegotiumagatis.il Tkess.,
IV.) Nous vous conjurons, mes frères, de
travailler maintenant pour vous et pourvotre
âme, et n'allez pas nous dire, que c'est perdre
votre fortune que dclravailler à votre «alut.
Eh*!quoi donc? posséder Jésus-Christ et avec
lui tous les biens ensemble, appelez-vous
cela perdre votrei fortune? quoi donc? éviter
des maux éternels, et vous assurer une éter-
nité de bonheur, est-ce là ce que vous nom-
mez une infortune? Ah 1 que sont donc les
plus riantes fortunes auprès des trésors du
ciel ? l'un est la souveraine misère et l'autre
le souverain bonheur. Ah '.que rien donc dé-
sormais ne vous arrête, préférez votre salut h
toute autre chose, puisque toutes choses ne
sont rien sans celle-là : Porro unuvfest ne~
eessarium. (Luc, X.) Faites donc delà meil-
leure, de la | lus utile de toutes les affaires
votre seule et unique affaire ; promettez ici
à Jésus-Christ que vous y travaillerez sans
cesse et sans relâche ; et pourquoi ne le faites
vous pas tout à l'heure?
Grand Dieul prêtez moi votre voix, elle
seule peut réveiller tant de lâches chrétiens
de l'assoupissement mortel où ils sont au
sujet de leur salut. Ah ! voudriez-vous;anéan-
tir toutes vos miséricordes, laisser inutiles
tous lesméritesde votre mort? Eh I que vous
servirait ce titre si aimable de Sauveur, si
vous ne preniez pi tié des âmes qui se perdent?
Remplissez ce nom de salut et de grâce,
en sauvant ceux qui implorent votre secours :
Domine, Deus salutis mcœ(Psal. XXXVII), ô
le maître et le Di«u de mon salut, je vous le
coniie tout entier ; ne l'abandonnez ni à la
malice de mes ennemis, ni au débordement
de mes passions, ni à la corruption de mon
cœur, ni à' la rapidité de mes penchants. J'ai
déjà tant éprouvé dans mes faiblesses un
Dieu de force, dans mes malheurs un Dieu
de consolation, dans mes iniquités un Dieu
de miséricorde ! Ah ! aujourd nui queje suis
prêta succomber encore, soyez-moi un Dieu
de salut : Domine, Deus salutis meœ ; ah 1 ne
soyez pas sourd a mes vœux, daignez exau-
cer ma prière. Eh 1 quoi m'abandonneriez
vous, Père si tendre? je vous ai tant coûté,
n'ayez aucun égard à mon indignité ; je sais
que je ne mente rien, mais regardez vos
plaies, écoutez la voix de votre sang, qui
vous parle en ma faveur, et justifie en moi
ces paroles : Opus consummavi. J'avais com-
mencé cet ouvrage de salut de l'homme en
les rachetant de mon sang ; je l'avais conti-
nué en le purifiant par mes grâces, je l'a-
chève enfin maintenant en le comblant dès
cette vie de mes miséricordes pour le cou-
ronner en l'autre de ma gloire éternelle.
C'est, mes frères, ce queje vous souhaite au
nom du Père et du Fils et du Saint-Es. rit.
Amen.
SERMON Vlli (h).
DE L'ENFANT PF.ODÏGCE
In se au!om reversas dixit : Surgam el ibo ad palrem
meiim. (Luc, XV.)
L'enfant prodiijue étant revenu à soi, dit : Je nie lèverai
ei j'irai trouver mon père.
Jusques à quand, mes frères, résisterez
vous à la miséricorde de Dieu et vous refu-
serez-vous à sa tendresse? Pour vous attirer
à lui, quelles voies ne vous offre-t-il pas
dans son Evangile ? par quel moyen ne clier-
che-t-il pas à vous rappeler à vous-mêmes*?
Mais de tous les traits de son amour voici
sans doute le plus touchant; par les entrailles
de sa compassion, ne le rendez point inutile.
Voici à quelle occasion Jésus-Christ propose
aux Juifs et en même temps à tous les chré-
tiens la parabole du prodigue.
(6) Imprimé avec Je nombreux changements <lans l'égarement au pécheur; combien les prétexte
l'édition de Liège, tome 1er, page 261 , avec ce ti- l'empêchent de revenir à Dieu sont mal fondés,
lrf> • P^r/inhr.ita mr Vfinùml nrirlii/iutt ' imflCie dû
Ire : Paraphrase sur l'enfant pndique ; i/nage de
777
CAREME. - SERMON Vllï , DE L'ENFANT PRODIGUE.
PREMIER I'OI.NT
773
Les pécheurs et les publicains touchés
de la bonté que Jésus-Christ avait pour eux
s'approchent de lui, l'invitent avec empres-
sement démanger avec eux, et cherchent par
ce moyen à soulager leurs maux dans cette
source de grâces et de sainteté; mai s les scribes
et les pharisiens, qui voulaient paraître par
des soins affectés, s'offensent de la bonté avec
laquelle Jésus-Christ reçoit ces publicains et
ces pécheurs,
Or, pour confondre leur faux zèle, leur
hypocrite délicatesse, le Sauveur leur pro-
pose cette parabole de l'enfant prodigue :
parabole si touchante pour une âme éloignée
de son Dieu, si favorable au malheureux pé-
cheur, si intéressanteetsipropreàcaptivervo-
t re attention; parabole toute prise dans le cœur
de Dieu et dans les sentiments de l'homme, et
parla si capable de faire sur vous des impres-
sions de salut et de pénitence; parabole en-
fin que le pécheur n'a qu'à faire pour con-
naître les excès de sa misère, les motifs de
son retour, et les consolations de pénitence,
car voilà les trois grands obstacles qui s'op-
posent à la conversion des pécheurs, que
Jésus-Christ vient lever dans la parabole de
ce jour.
Premier obstacle. Vous ne connaissez point
assez vos malheurs, et dans ceux du prodi-
gue Dieu *e plaît à vous offrir l'image des
vôtres. Second obstacle. Eclairés peut-être
sur vos égarements vous vous abusez
sur la nature des regrets, et dans ceux du
prodigue, Jéjus-Christ s'applique à vous
montrer quels doivent être les vôtres. Troi-
sième obstacle. Effrayés des violences que
demande votre cœur vous n'y envisagez que
tristesse et que peine, et dans la joie que
goûte le prodigue à son retour, le Sauveur
veut vous faire sentir quelles seront les con-
solations et les avantages du vôtre.
Ainsi, dans les malheurs, dans les regrets,
dans la joie de l'enfant prodigue vous allez
voir l'image de vos misères, le caractère de
vos regrets et les consolations de votre pé-
nitence; voilà comme dans l'évangile de ce
jour, le Fils de Dieu, toujours plein de bonté
envers le pécheur, lui offre tous les moyens
de lever les obstacles qui l'arrêtent dans sa
conversion ; voilà les importantes instruc-
tions qu'il daigne attacher à ce discours, si
elles ne vous convertissent point, je crains
bien qu'elles ne vous endurcissent. Ne le
permettez pas, ô mon Dieu. Cet évangile au-
trefois, quand on l'annonçait à votre peuple,
faisait fondre la glace des pécheurs les plus
endurcis, et tous fondaient en larmes au ré-
cit d'une parabole si touchante; rendez, Sei-
gneur, à mes paroles toute la force et l'onc-
tion nécessaires, pour en tirer le fruit que
nous devons en attendre, opposez à mes cri-
mes vos infinies miséricordes, et par le plus
indigne de vos enfants rendez tous mes au-
diteurs sensibles aux bontés du plus tendre
Père. C'est la grâce que nous vous deman-
dons par l'intercession de votre sainte Mère.
Ave Maria.
Orateurs sacrés. L.
Quels sont les différents degrés du pécheur ?
Les voici, tels que saint Augustin les a tra-
cés lui-même : D'abord, dit-il, le pécheur veut
jouir de soi-même et de la vie dans l'indé-
pendance ; ensuite il s'éloigne de Dieu, puis
abuse de ses dons et corrompt toutes ses grâ-
ces; d'abord vide des biens spirituels, il ne
sent en lui que faim. et misère , après il se
rend esclave , infidèle , vicieux , enfin il s'ac-
coutume avec ses malheurs , il les aime et
fait sa joie de ses crimes .
Or, voilà les degrés par lesquels l'Evangile
nous apprend que l'enfant prodigue est tom-
bé dans la misère ; ne sont-'ce pas aussi ceux
par où vous vous êtes plongés dans l'abîme?
Mon Dieu, que tout y est ressemblant : on
dirait que Jésus-Christ a parlé dans sa para-
bole , et je vois en vous tous le prodigue :
Homo quidam habuit duos filios et dixit ado-
lezcentior ex Mis pulri. Un homme avait
deux enfants dont le plus jeune lui parla en ces
termes. Tous les hommes sont les enfants de
Dieu, mais dans cette famille immense il ya
des enfants sages figurés par l'aîné des deux
fils , il y en a d'autres, libertins et rebelles,
qui nous sont représentés par le plus jeune,
et si vous me demandez pourquoi Jésus-
Christ choisit le plus jeune pour être le su-
jet de sa parabole, c'est que, pour quitter un
Dieu si bon, si libéral et si tendre, il faut
être frivole , léger, inconsidéré comme le
sont d'ordinaire les jeunes gens: adolescen-
tior ex Mis dixit palri .
D'ailleurs vous savez qu'il n'est que trop
ordinaire à la jeunesse d'abandonner Dieu;
cet âge qui est la fleur de la vie en est aussi
la plaie et la honte. Une expérience trop fu-
neste nous apprend que c'est en cette belle
saison où l'on est plus rebelle , où l'on sup-
porte avec plus de peine les sages leçons
d'un fière tendre, que plus il veut. nous" te-
nir attachés auprès de lui, plus nous vou-
lons prendre l'essor vers les autres créatu-
res; que nous nous faisons un joug insup-
portable de son obéissance ; que plus il s'ef-
force de nous serrer entre ses bras, plus
nous sommes las de sa présence#et de ses
caresses.
Eh! n'était-ce pas là votre conduite à l'é-
gard de Dieu, au printemps de votre âge?
Souvenez-vous-en, mes frères , vous faisant
alors un mérite , un air d'abandonner le Sei-
gneur, de chercher à vous introduire dans le
monde, ne lui avez-vous pas dit comme l'en-
fant prodigue : Da mihi portionem substantiel
quœ me confinait, Donnez-moi la part du bien
qui m'appartient Hélas! ce partage que vous
demandiez de si bon cœur sans le savoir,
c'est le péché : voilà ce qui revient à l'homme
qui quitte son Dieu. 11 est vrai que, dans cette
indigne révolte, ce père tendre lui laisse en-
core la liberté pour ressource, car voilà le seul
bien qui vous reste dans le naufrage de votre
première innocence ;maisdepuis qu'emportés
par l'amour de l'indépendance , vous avez
dit orgueilleusement à votre Dieu, Donnez^
moi ma uortion, vous lui ayez demandé
25
779
ORATEURS SACRES. LE P. StRIAiN.
780
l'affliction et la misère ; il pourrait vous la
refuser, ce père tendre , ce soleil de justice ,
qui perce jusque dans l'avenir le plus recu-
lé, il est touché jusque dans le fond de vo-
tre éloignement; il voudrait vous avoir au-
près de lui , il prévoit le mauvais usage que
vous ferez de votre liberté qu'il vous laisse,
mais il la respecte trop pour la contraindre .
Quelle congélation pour lui et quelle gloire
pour vous, si vous lui faites un sacrifice de
cette précieuse liberté ; il vous en dédom-
magerait au centuple, si vous la lui consa-
criez de bonne heure; mais il ne veut em-
ployer pour cela ni force, ni contrainte ; c'est
un présent qu'il -vous a fait dont vous serez
toujours le maître; et, quoique à regret, il
vous donne ce qui vous appartient : et divi-
sit Mis substantiam. Aveugles, où êtes-vous,
où allez-vous avec ce partage? Presque aus-
sitôt il se saisit de tout ce que son père ve-
nait de lui accorder et s'en alla voyager dans
des pays étrangers. lien coûta peut-être
quelques regrets à ce prodigue , un reste de
tendresse naturelle se renouvelle dans son
cœur, et peut-être que, sur le point de se sé-
parer de ses parents, il sentit en lui-même
quelque émotion; on ne porte pas tout d'un
coup une grande jeunesse à de grands ex-
cès, et les premiers plaisirs que l'on dérobe
coûtent quelque trouble et quelque alarme :
le prodigue se sent ému et attendri, mais il
ne laisse pas de partir , il pleure et s'éloi-
gne.
Tout pécheur s'élo:gne de Dieu, il est vrai ,
mais les uns s'en éloignent plus que les au-
tres ; c'est l'énormité du péché qui règle l'é-
loignement du pécheur, car Dieu et le péché
sont deux extrémités contraires , et c'est as-
sez d'être à l'un pour être éloigné de l'autre.
Sur ce principe ne puis-je pas dire que vous
êtes loin de Dieu, pécheurs qui peut-être
depuis tant d'années avez perdu votre inno-
cence, et ne vous rappelez-vous pas par
quels pas redoublés vous vous éloignâtes de
ce père tendre? Une fois sortis de son sein
parle péché, vous fîtes quelques pas en
tremblant, vous goûtiez assez de douceurs
dans la justice pour appréhender de trouver
de l'amertume dans le vice ; il se présenta
des honneurs, une fortune, une place dis-
tinguée, un établissement avantageux qui
vous firent faire encore une démarche ; des
occasions favorables de joie et de divertis-
sement, les spectacles, le jeu, les assem-
blées mondaines vous engagèrent encore
plus loin ; enfin vous prîtes goût aux choses
de ce monde, et l'amour du plaisir, de la
bonne chère, du luxe, de la mollesse, vous
ont enfin enfoncés dans le vice : ainsi, comme
vous marchez toujours dans le précipice , et
qu'en marchant vous vous égarez, que vos
passions, qui s'aigrissent à mesure que vous
les contentez, vous éloignent de plus en
plus de Jésus-Christ, ah! faut-il s'étonner
si vous êtes allés si loin , dans une ré-
gion si éloignée, qu'enfin vous vous êtes
perdus et si l'égarement du prodigue vous
étonne, étonnez-vous vous-mêmes sur le vô-
tre , et .songeant qu'il y a entre ce père ten-
dre et vous un chaos immense qui fait que
vous n'en approchez plus que par les regards
et les pensées , avouez que rien ne vous
convient mieux que le sens de ces paroles :
profectus est in rcgionem Icnginquam . Le
prodigue s'en est allé dans un pays lointain.
Ah ! Seigneur, qui me laissezaller si loin, que
vous êtes terrible ! mais aussi que vous êtes
miséricordieux 1 peut-être qu'un égarement
extrême m'aurait laissé moins sensible au
retour de votre grâce ; je me trouve attendri
sur l'excès de mes malheurs, et déjà je sens
que j'aurais été pécheur plus obstiné si
j'eusse été pécheur moins énorme ; profec-
tus est in regionem longinquam .
Mais comment conserver les grâces et les
précieux dons de Dieu, après que l'on s'en est
si fort éloigné par la révolte et par le crime.
Le prodigue dissipa son bien follement dans
ces régions perdues : et ibi dissipavit sub-
stantiam.
Mes frères , je ne vous l'annonce qu'avec
douleur, et vous ne vous en souvenez peut-
être point peut-être assez vous-mêmes:
votre éloignement de Dieu a été en vous
une dissipation des biens de la nature et de
ia grâce en vous; le partage de l'homme, c'est
la raison que Dieu avait attachée à notre na-
ture, mais cette raison, le vice l'a éteinte;
cette sainte éducation , mais le viee l'a dis-
sipée; la santé, le vice l'a ruinée ; les ri-
chesses , le vice les a prodiguées ; la réputa-
tion, le vice l'a flétrie; l'esprit, le vice l'a
aveuglé ; la volonté, le vice l'a enchaînée ; la
conscience, le vice l'a noircie; le partage
d'un chrétien c'est la foi, le vice l'a étouffée;
la sainteté, le vice l'a profanée; la charité, le
vice l'a refroidie ; l'espérance , le vice l'a af-
faiblie ; la justice, le vice l'a anéantie; la
force, Je vice l'a vaincue; la prudence, le
vice l'a déréglée; ce n'est plus en vous que
caprice et dérangement . C'était votre cœur
qui était votre bien le plus précieux , la
source de tous vos biens, et le péché l'a cor-
rompue ; les bons désirs, la constance, l'a-
mour, la fidélité, le péché a détruit tout ce-
la: vous avez dissipé tous ces biens depuis
que vous avez laissé demeurer le vice dans
votre âme. Que vous dirai-je encore? ce
fonds heureux, ces inclinations toutes chré-
tiennes, ce noble penchant pour la vertu et
pour le bien du ciel , vos passions en ont
lait une dissipation la plus triste ; peu h
peu elles ont effacé toutes les impressions
saintes que Dieu avait mises en vous ; fait
perdre de vue ses promesses, oublier ses
bienfaits , mépr ser ses menaces, violer ses
préceptes, transgresser ses lois, contraindre
ses maximes, contrister son saint esprit;
anéantir ses joies, ses consolations, ses mé-
rites, les vertus mêmes que vous | ratiquiez
pendant votre innocence, le jeûne, l'aumô-
ne, la prière, les lectures pieuses, la mo-
destie, l'humanité , le droit bienheureux à la
céleste patrie, car tout cela était votre bien
et vous l'avez perdu dans le temps même
que vous étiez plus près d'en recueillir les
fruits salutaires: dissipavit substantiam suam
vivendo luxuriose.
781
CAREME. — SERMON VIII, DE L'EfSfANT PRODIGUE.
Depuis que vous êtes livrés à tous les
désirs impurs, que vous avez souillé votre
âme par les sales passions, il ne vous reste
plus un seul don de Dieu; l'abus et la perle
de ses grâces sont les plus punissables de
vos pécbés, vous avez dissipé tout ce qui
vous rendait aimables aux yeux de Dieu et des
hommes, vous vous êtes dégradés de la noble
dignité de chrétien. Il ne vous reste plus
rien de cet heureux partage que le meilleur
de tous les pères vous avait donné, et dans
vos égarements vous êtes à charge à vous-
mêmes: dissipavit substantiam suam vivendo
luxuri ose. Dans cette triste situation, que pou-
vez-vousyespérer? Apprenez-le de l'exemple
du prodigue. Et postquam umnia consum-
tnasset, facta est famés valida inregione Ma;
après qu'il eût consommé tout ce qu'il avait
reçu, survint une grande famine dans le pays
où il était. Loin de son père, ce fils dénaturé
n'attendait que de la joie et du plaisir, et il
ne trouve que désolation et que misère ; c'est
l.à votre sort, pécheur misérable : où vous
vous promettiez l'abondance et une félicité
parfaite, vous n'y avez éprouvé que la faim
et le vide, famés valida. Les apparences du
péché vous Uattaient agréablement, un cœur
encore jeune, sans expérience, et qui n'avait
point encore fait l'essai des plaisirs, vous
vous y êtes enfin livré et vous y avez pris
goût; mais bientôt vous avez reconnu qu'ils
ne sont pas ce qu'ils vous paraissaient, que
bien loin de vous mettre en repos, ils ne
causent en vous que trouble et qu'agitation,
et que ce que vous regardiez comme un
rassasiement et un bonheur n'est au fond
que famine et misère : facta est famés in
regione Ma.
En effet, dans quelque région que le cœur
égaré se porte, dans quelques passions qu'il
s'engage, il peut dire avec vérité cpie tout
amour profane, que tout bien temporel est
pour lui un pays étranger où il éprouve la
faim et l'indigence; vous avez cherché dans
la jeunesse à nourrir votre cœur de l'amour-
propre et de l'attachement au p.aisir, et loin
de se contenter dans cette situation, il vous
est devenu à charge ; vous y avez trouvé
mille amertumes secrètes, et en croyant vous
y rassasier, vous êtes tombé dans une faim
plus dévorante et plus cruelle ; dans un âge
plus avancé, le brillant des honneurs vous
éblouissait : vous avez cru devenir plus heu-
reux en devenant plus élevé, vous avez
donné dans l'ambition et dans la vaine gloire,
dans l'amour des distinctions, et vous avez
reconnu que ce n'est pas là la vraie félicité,
que loin d'en être plus tranquille, vous en êtes
plus esclave, et qu'au lieu de la satisfaction
que vous y espériez, vous n'y avez éprouvé
que l'inanition et le vide : facta est famés
valida; dans la vieillesse vous avez cru trou-
ver votre bonheur dans l'amour des biens
et des richesses de la terre, vous avez tout
usé, tout consommé pour en amasser, et la
seule fortune est devenue votre idole; mais
vous avez senti des peines trop réelles sous
cette apparente félicité, vous avez éprouvé
que plus l'on a plus on veut avoir, que loin
782
de rassasier votre cœur la fortune n'a servi
qu'à l'affamer davantage : facta est famés va-
lida in regione Ma.
Vous lavez dit, ô mon Dieu! et il est
vrai que vous êtes seul la vraie félicité de
l'homme, qu'il n'y a que vous capable de le
rendre heureux. Quel malheur à celui qui se
retire de vous, et dont la témérité va jusqu'à
croire qu'il sera heureux sans vousl Jusques
à quand nous reposerons - nous sur une
vaine confiance en ce monde qui n'a point
encore fait d'heureux, et qui n'en peut jamais
faire ; changeons de place, essayons de tous
ses faux biens, laissons ces plaisirs, rendons-
les plus grossiers, partout nous ne trouverons
que des peines et des chagrins, et nous serons
toujours forcés d'avouer que quiconque s'é-
loigne de Dieu et ne l'a pas avec soi est
misérable.
A ce malheur,quelle ressource? Il s'en alla,
dit l'Evangile, il quitta ce pays désolé pour
en aller chercher un meilleur, et abiit,
c'est-à-dire qu'il passe d'un malheur à un
autre; car voilà le sort trop ordinaire au
pécheur, il change non d'état, mais d'inquié-
tude, non de cœur, mais d'objet et de pas-
sion : et adhœsit uni civium regionis Mius.
Le prodigue s'en va dans un autre pays où
il ne trouvait pas moins de misère que dans
celui d'où il sortait. Il se mit au service d'un
maître dans ce pays-là. C'est toujours la
figure, et vous êtes toujours Fa vérité : vous
qui vous piquez de tant de liberté , voilà
l'usage que vous en faites en avançant dans
les voies du péché, vous devenez esclaves
d'autant de maîtres que vous changez d'ob-
jets, d'autant de tyrans que vous feues de
passions; et maîtres absolus de votre cœur,
ils semblent tous vous dire ce qu'une armée
entière disait à Samson:Nous sommes venus
pour vous lier et pour vous enchaîner : Li-
garefinquiunt, te venimus; car, si vous n'étiez
point esclaves, de quel air viendriez-vous tous
les jours nous dire que vous ne sauriez sortir
de l'état du péché, qu'il vous est impossible;
que pour revenir de votre passion, il faut une
grâce toute-puissante qui vous en arrache,
et ne dites vous point encore : J'aime ma
captivité ! pourquoi donc tant de fois en se-
cret détestez-vous le malheureux moment
où vous vous êtes engagés ; pourquoi si
souvent gémissez-vous sur le poids de vos
chaînes et regrettez-vous les plus beaux
jours de votre vie où vous n'avez rien fait
de ce que vous auriez voulu faire, et qui,
selon votre propre aveu, se sont passés dans
la langueur et dans un triste enchaînement
dépassions? Non-seulement le prodigue passe
de l'indigence extrême au plus grand escla-
vage; mais il ajoute l'ignominie et la honte
à cette nouvelle misère. Son maître l'envoya
d'abord à une de ses terres de campagne pour
y garder les pourceaux.
Tel est encore le progrès de vos mal-
heurs, mes frères. En quittant le Père cé-
leste, vous avez voulu être heureux, et vous
êtes devenus misérables ; vous avez voulu
devenir libres, et vous êtes devenus cap-
tifs ; vous aviez présumé d'être grands, et
ÏS5
ORATEURS SACRES. LE P. SURIAN.
784
vous êtes tombés, loin de. lui, dans la der-
nière bassesse. Oui, vous qui trouviez trop
pesants et trop rudes le joug et les lois d'un
Dieu doux et miséricordieux; vous qui ne
vouliez pas servir un maître le plus puis-
sant et le plus riche de tous les maîtres ; un
souverain qui fait les royaumes et les sou-
verainetés et dont le service est plus glo-
rieux mille fois que l'empire même du
monde; vous, dont la destinée faisait envie
aux anges mêmes ; dont le culte et la fidé-
lité devaient être récompensés d'une cou-
ronne immortelle, d'un torrent de délices;
vous, en faveur de qui avaient été faites tant
de si avantageuses promesses, vous qui étiez
appelé à vous nourrir de la propre chair
d'un Dieu, à manger à sa table sacrée, et à
vous rendre participant de sa divine nature;
pour avoir voulu vous éloigner de lui, le
quitter et servir un autre maître, vous voilà
dégradé de tous ses glorieux privilèges,
frustré de toutes ses abondantes récompen-
ses ; vous voilà misérablement réduit à la
honteuse condition des animaux les plus
immondes; vous voilà confondu avec eux,
prive des aliments les plus nécessaires qui
ae sont pas refusés aux plus misérables des
hommes; obligé de souhaiter pour toute
nourriture les glands qu'ils ramassent dans
la fange, vous voilà devenu le plus infâme
de tous les pécheurs, le plus vil, le plus
haïssable des 'mortels, devenu à Dieu, au
monde, à vous-même le vilain objet de mé-
pris et de dégoût, et un spectacle d'horreur
et d'ignominie; il y a plus encore, dans cette
triste situation, vous souhaiteriez, et vos
souhaits ne seront point remplis; Dieu per-
met que vous désiriez encore, et que tout
manque à vos désirs comme à ceux du pro-
digue qui souhaitait, pour étourdir sa faim,
remplir son ventre du gland que les pour-
ceaux mangeaient, et personne ne lui en
donnait; c'est la triste situation du pécheur,
depuis qu'il sert un autre maître que son
Dieu; il désire toujours et n'a jamais ce
qu'il désire ; tous les objets remuent ses
passions, et aucun ne contente ses désirs;
il semble que deux choses opposées sont
d'accord pour le tourmenter; l'essor qu'il
donne à ses désirs et le mécompte qu'il
trouve dans les objets où il aspire, tout l'in-
quiète, tout le trouble, tant est vaste le fond
cîe ses souhaits; il songe qu'un sort plus
digne l'attend et le redemande ; qu'un parti
plus glorieux lui était proposé, et il ne sent
rien au dedans de lui, il ne trouve rien au
dehors de lui qui puisse le lui procurer et
le conduire; le prodigue souhaitait se nour-
rir des écorces que les pourceaux man-
geaient, et personne ne lui en donnait : et
nemo illi dabat.
Quelle image, Messieurs, et qu'elle est
propre à peindre votre étatl Vous en souve-
nez-vous ? Peu touchés des plaisirs purs et
honnêtes, vous êtes allés jusqu'à souhaiter
des vices horribles, des passions honteuses;
excellant, pour ainsi dire, le sort des bêtes,
vous auriez voulu avoir la liberté de vous
livrer à de brutales voluptés, à de sales dé-
bauches; vous étiez prêts de connaître les
plus grands désordres sans vue de Dieu,
sans crainte de lui déplaire, sans frayeur de
ses redoutables jugements et d'une suite
éternelle de peines; toujours courbés et
rampant contre terre, vous formiez de pro-
fanes désirs, mais tout se soulevait contre
vous, votre conscience, votre pudeur, votre
salut, votre Dieu, tout combattait, tout ab-
horrait ses désirs insensés, et rien ne vous
en favorisait l'accomplissement funeste :
Cupiebat implere rentrent smim de siliquis
quos porci manducabant, et nemo illi dabat.
Voilà pourtant où. pas à pas, vous a con-
duits cet éloignement de Dieu; ce premier
désordre en a attiré bien d'autres en vous, et
vous voilà au comble de vos malheurs ; par
quelque endroit que vous regardiez la pein-
ture de vos égarements, vous vous y trou-
vez toujours tristement représentés ; encore,
si, alarmés de vos misères, yous en gémissiez;
encore, si vous sentiez cette miséricorde in-
finie qui vous cherche jusque dans vos plus
atfreux égarements ; encore, si vous pouviez
vous déterminer à revenir promptement à
Dieu par la peine qu'il y a de ne point y
être, je serais consolé ; mais c'est là votre
ouvrage, ô mon Dieu! frap) ez-les ces pé-
cheurs, humiliez-les, effrayez-les, morti-
fiez-les, qu'importe, pourvu que vous les
retiriez de l'abîme où ils se sont plongés;
ah! quand sera-ce que, dégoûtés du vice,
ils désireront au moins la pénitence? quand
sera-ce que, par une heureuse récipis-
cence, ils voudront revenir à vous, et qu'a-
près avoir déploré les malheurs de leurs
égarements, nous aurons à bénir les regrets
de leur pénitence. C'est un second trait du
tableau du prodigue, et la seconde situation
où se trouve le pécheur qui lui ressemble.
C'est ce que vous allez voir.
SECOND POINT.
On ne peut revenir à Dieu, dit saint Au-
gustin, que par des voies contraires à celles
qui en sont éloignées; sur ce principe, mes
frères, rappelez les circonstances de vos éga-
rements, vous y allez voir successivement
les devoirs de votre pénitence. La dissipa-
tion vous éloigna de Dieu; le premier pas
que vous avez à faire pouf y revenir, c'est
de rentrer en vous-même; ensuite, le goût
des choses du siècle vous fit abandonner le
Seigneur; le premier pas que vous avez à
faire est d'en concevoir du dégoût pour
vous attacher à la piété et aux exercices
saints. Enfin un attachement au péché vous
fit oublier le plus tendre des pères ; le pre-
mier pas que vous avez à faire dans la péni-
tence, c'est de vous en retirer et de retour-
ner à votre Père. Eclairez-moi, Seigneur,
par vos miséricordes , afin que j'expose uti-
lement aux pécheurs qui m'écoutent les
voies que vous leur avez tracées dans l'é-
vangile de ce jour, pour retourner à vous.
Vous voyez dans mon cœur, exaucez-y le
désir que j'ai qu'ils reviennent comme le
prodigue, au meilleur et au plus aimable do
rss
CAREME. — SERMON VIII, DE L'ENFANT PRODIGUE.
786.
tous les pères, in se autem reversas. Le voilà
donc- enfin reconnu ce goutïre de misères;
il n'aurait fallu que le voir pour concevoir
toute l'horreur que cause une si triste vue.
Pécheurs, commencez donc à revenir à vous-
mêmes. Comme votre crime est venu d'être
sorti de vous-mêmes, il faut que votre péni-
tence soit d'y rentrer : Redite, prœvaricatores,
ad cor (Isa., XLVI). Quelquefois un pécheur
passera toute sa vie sans se voir, sans se sui-
vre; mais quand en cet état d'absence Dieu
commencée porter sa lumière dans un cœur,
dès lors les offenses se multiplient, les cri-
mes se grossissent, le pécheur a horreur de
lui-même, quand il daigne se montrer à ses
yeux, quand des réflexions salutaires le rap-
pellent à Dieu, car c'est en nous-mêmes et
non dans le tumulte du monde, qu'il se
veut faire entendre ; il est en nous pour
que nous le voyions; il nous y parle secrè-
tement par ses inspirations et ses grâces,
afin que nous l'y écoutions. Quand donc il
plaît au Seigneur de faire sentir au pécheur,
dans la solitude intérieure, le triste état de
son âme , quel reproche ne se fait-il pas à
lui-même; quand une fois il aperçoit les dé-
sordres, peut-il encore les aimer? Ahl il
tombe dans un dégoût de lui-même, et a
peine à se supporter : in se autem reversus
dixit. Misérable que je suis/ se disait le pro-
digue à lui-même ; et vous le pouvez dire
après lui, pécheurs qui lui ressemblez si
fort; puis-je me voir sans frémir, depuis
que j'ai quitté la voie du salut, en quittant
mon Dieu. Quel enchaînement de désordres,
ma vie en a été toute remplie, toutes mes
paroles ont été autant d'infidélités, mes pen-
sées autant d'adultères, de fornications; tou-
tes mes actions ont. été des crimes; encore
si dans tous ces vices mon cœur s'était trouvé
heureuxl Mais quand je viens à me considé-
rer de près, que trouverai-je en moi , qu'un
infortuné coupable que tout alarmait, que
tout inquiétait; mes passions me sont plus
contraires que favorables; je traîne une mi-
sérable vie qui m'est à charge à moi-même,
et qui peut-être l'est encore à bien d'autres.
Je ne sens dans moi qu'une âme très-em-
barrassée , qu'un cœur serré, qu'une con-
science troublée. Sont-ce donc là les plai-
sirs que je me promettais, loin de la maison
de mon père? est-ce là ce qui convenait à
mon cœur? ne eomprendrai-jc donc jamais
toute l'extravagance de ma conduite? son-
geai-je, en quittant mon Sauveur, qu'il y a
un enfer, un jugement, une mort, une éter-
nité, un Dieu vengeur du crime et de l'ini-
quité? pensai-je qu'il y a aussi un ciel, une
miséricorde, une vie éternelle, une patrie,
une maison paternelle où j'étais appelé, et
où vivent tant de serviteurs de mon père,
dans une abondance délicieuse, tandis que
je meurs de faim et de misère : Quanti mer-
cenarii in domo patris mei abundant pani-
bus, ego autem hic faine pereo; car voilà le
sentiment naturel que produit dans le pro-
digue son retour sur lui-même.
Mais de cette parole d'affliction et de mi-
sère : Je meurs de faim : famé pereo, naissent
ces autres paroles de pénitence et de con-
version : surgam et iho ad palrem meum. Je
me lèverai et j'irai trouver mon père. Ahl
comme le prodigue, dites donc: Mes égare-
ments, mes crimes, m'ont affaibli ; mais je
ferai un effort, et quelle raison pourrait me
retenir dan» l'état où je suis, mais Dieu est
ma force, et si j'ai été si fort pour le crime,
ne serai-je donc faible que pour la vertu. Ah 1
si je pense encore à tous ces détestables en-
gagements, ce n'est que pour demander à
mon Dieu la force pour les combattre. Quoi,
encore la vue de mes péchés qui sont en si
grand nombre ; mais la vue de vos miséri-
cordes plus grandes encore que mes crimes,
ne m'encourage-t-elle pas assez à retourner
à vous? Grand Dieu 1 jusqu'ici j'ai perdu tout
mon bien , mon héritage, mon rang, ma li-
berté ; j'ai souffert la faim, la pauvreté, l'es-
clavage, la honte ; mais tout cela me touche
peu ; ce qui m'afflige, c'est d'avoir pu offen-
ser un si bon Père -.peccavi. Mon père, j'ai
péché ; que deviendrais-je si je confessais
mes péchés sans trouver en, même temps un
père tendre qui me les pardonne. Ah ! si tout
égaré, tout rebelle que j'étais, vous n'avez
point cessé d'être mon Père, ne puis-je pas
espérer, qu'étant tout en pleurs, j'implorerai
votre miséricorde, et vous me pardonnerez,
mon Dieu. Vous avez à signaler vos grâces;
voici comment j'ai péché contre le ciel par
mon impiété, par mes murmures; j'ai péché
contre le ciel dont j'ai violé les lois, profané
les dons, méprisé les couronnes; contre le
ciel que j'ai rendu le triste témoin de tant
d'horreurs et de tant de scandales; mais, si
le repentir, si la douleur sincère tiennent
lieu d'innocence, et s'il est un grand moyen
pour en obtenir le pardon, je me justifierai
par ces paroles: Pater, peccavi coram te.
Voilà dans ces courtes paroles tous les ca-
ractères d'une pénitence vraie : accusation,
douleur, expiation; je ne suis plus digne
que vous me regardiez comme un de vos
enfants , mais souffrez-moi du moins comme
un de ces serviteurs qui sont à vos gages :
Jam non sum dignus vocari filius tuus, fac
me sicut unum de mercenariis tuis. Au re»tc,
tous ces sentiments de retour que vous
venez de voir dans le prodigue, ne sont que
dans son cœur comme le fruit dans son
germe; jusqu'ici en .ui ce ne sont que des
résolutions, que des projets ; mais qu'ajoute
l'évangile? et surgens venit ad patrem suum;
il se relève enfin, il part et vient trouver son
père.
Mes frères, que cet exemple vous con-
damne ! Combien d'entre vous, aux appro-
ches des saints jours où la conscience se ré^
veille après un de nos discours, se disent
à eux-mêmes : Je me lèverai, j'irai, je me
convertirai, et cependant ne se lèvent point,
ne viennent point et ne se convertissent
point, ou, s'ils font quelques pas vers la
vertu, laissent toujours par quelque en-
droit leur cœur attaché au mal, ce qui
fait que le désir du salut n'avance point ;
qu'à quelques conditions, à quelques pa-
roles près, tout le reste de vous-mêmes de-
787
ORATEURS SACRES. LE P. Sl'RlAN.
?83
meure dans le crime; et qu'au fond vous ne
voulez po.nt votre conversion.
Funeste état, vous n'avez point été celui
du prodigue; ce qu'il a résolu dans son
cœur, il l'exécute dans ses œuvres, il se hâte
de retourner à son père, il en approche en-
fin et, dès que ce père tendre l'aperçoit de
loin, il s'attendrit sur lui, ses entrailles s'é-
meuvent de pitié, il éclate en pleurs, et cet
enfant, indigne qu'il est, reçoit autant de
consolation dans son retour qu'il avait
éprouvé de honte dans son égarement. Vous
venez de voir ses regrets, qu'il vous sou-
vienne que je vous ai promis les consola-
tions de pénitence.
Cum autem adhuc longe esset, vidit illum
pater ipsius et misericordia motus est. Voici
enfin le plus bel endroit de la parabole et
que j'aime le plus à vous expliquer. Tout va
prendre une face nouvelle; mon sujet de-
vient tout consolant; infortuné pécheur ,ayez
courage; vous allez voir jusqu'où va la mi-
séricorde divine: d'abord elle prévient
l'homme coupable, comme le père tendre
prévient son fils dès qu'il veut revenir à
lui; il court au-devant de lui, ensuite il lui
en fait sentir une joie si douce; il se jette à
son cou : exeidit super collum ejus. 11 l'ad-
met à sa table, le rétablit dans tous ses
droits, et le fait participant de ses mystères,
de ses grâces.
Mes frères, suivons ces circonstances, fi-
nissons notre évangile et achevons l'œuvre de
Dieu. En finissant ce discours, son père le
vit de loin. Que les yeux d'un père qui a
perdu son fils sont perçants ; sentant à son
aspect se réveiller toute sa tendresse, il court
vers lui et fait les premières démarches.
Peut-être un autre père aurait attendu le
prodigue et, feignant son amour, aurait peut-
être fait des reproches à ce fils dénaturé;
mais parce que ce père signifiait Dieu, il
fallait qu'il se laissât aller au désir empressé
de se réconcilier avec son enfant : occurrens,
et voilà la première consolation de Dieu.
Le pécheur à son retour: non-seulement ce
père tendre le voit de loin; ce regard que vit
saint Pierre et qui le convertit, et que David
demandait avec tant d'ardeur ; mais, quand ce
moment prédestiné dans ses décrets est
enfin arrivé, il va au-devant du pécheur et
lui facilite les moyens de revenir contre
tous les obstacles qui pourraient le retenir;
car, hélas, que faudrait-il pourarrêter en che-
min un pécheur encore faible qui, du milieu
de ses égarements, forme le désir de reve-
nir à la pénitence ; tout le retient, tout l'em-
pêche d'avancer; les objets trop chéris qui
se présentent à son souvenir; qui, pour
l'arrêter au passage, lui retracent tous leurs
charmes et se peignent plus aimables que ja-
mais dans son imagination encore toute trou-
blée, armée de ce qu'il a de plus terrible et de
plus doux; de ses censures, de ses railleries,
de ses menaces pour épouvanter le pécheur,
oe ses joies, de ses plaisirs, de ses hon-
neurs, de ses richesses, de ses fêtes, de ses
images toujours plus belles que lui et plus
dangereuses encore; car, on peut se laisser
prendre par ces paroles qui ne sont en lui
qu'illusion, au lieu que la vérilé de ses
chagrins , la réalité de ses peines, n'est-ce
pas là de quoi arrêter en chemin le malheu-
reux penchant du pécheur.
Aussi saint Jean, dans son Apocalypse,
dit que les habitants de la terre ont été sé-
duit, non-seulement en ce qu'ils ont adoré
la bête, mais même son image : et seduxit
habitantes in terra dicens ut faciant imagi-
nent bestiœ. (Apoc, XIII.) Par comhien
d'obstacles ce pécheur n'est-il pas encore
arrêté: le respect humain, la fausse honte,
l'embarras des affaires, les austérités de la
vertu, le sentier étroit du salut, tout étonne
sa pénitence, tout alarme sa délicatesse ; mais
que fait ce père tendre à qui il veut retour-
ner, il le prévient, il court au-devant de
lui, il lui offre du secours et lui facilite toutes
les voies qui ramènent à lui. Dieu fait, à
l'égard du pécheur, ce que lui demandait le
Prophète. Je me suis égaré comme une bre-
bis qui se perd, Seigneur, cherchez votre
serviteur: Erravi sicut ovis quœ periit;
quœre servum tuum.(Psal., CXVIII.) Avouez-
le, Messieurs, Dieu vous cherche partout,
et dès que vous voulez revenir à lui, il va
au-devant de vous. Etes-vous dans son
temple, c'est par des inspirations plus pres-
santes, par des instructions plus touchantes
qu'il va au-devant de vous; êtes-vous dans
la solitude, c'est par des réflexions plus pro-
fondes et des méditations plus sublimes;
venez-vous dans nos sacrés tribunaux, c'est
par une accusation bien plus circonstanciée,
par un propos plus ferme, par des regrets
plus sensibles ; êtes-vous dans les engage-
ments du monde, c'est par un détachement
universel, et en vous faisant choisir unobjet
qui soit plus digne de vous. Enfin, tout vous
porte dans la voie de Dieu quand vous vou-
lez sincèrement marcher partout. Je crois
voir ce père miséricordieux qui, avec toute
sa tendresse, court après son fils égaré,
craignant, ce semble, qu'un objet si cher ne
lui échappe.
Plût à Dieu, pécheurs, que vous puissiez
éprouver, et que tous ceux qui forment quel-
que dessein de conversion, vissent dans le
cœur de Jésus-Christ toute la tendresse qu'il
a pour eux, qu'ils connussent dans ce père
tendre tout ce qu'il est prêt de faire et tout
ce qu'il fait pour un pécheur qui revient à
lui; qu'ils envisageassent ce fonds de joie qui,
non-seulement les encourage dans leur sa-
lutaire dessein, mais les aide et les soulage,
et leur fait oublier qu'ils sont coupables
pour se souvenir uniquement qu'ils lui sont
chers. Oui, mon Dieu, accompagné d'une
impression plus vive, les premiers efforts
d'un pécheur qui veut rentrer dans ses
voies, il lui fait sentir ce goût des choses
spirituelles que l'homme grossier et charnel
ne goûte point; il lui fait trouver agréable
jusqu'à ses peines, et des charmes à fondre
en pleurs à ses pieds; il lui fait enfin com-
prendre par lui-même, combien il est doux
d'être uni à son Dieu, malgré toutes les
épreuves capables de s'en séparer, combien
789
CAREME. — SERMON IX , DE L'AUMONE.
780
il est délicieux do l'avoir pour père , pour
ami, pour maître; d'être entre ses bras, de
recevoir ses chastes embrassements : Ceci-
dit super collum ejus et osculatus est eum.
Enfin, la dernière consolation que le père
de famille donne à son fils retrouvé, nous
est marquée par l'empressement qu'il a de le
voir rétabli dans tous ses droits; et dans les
marques singulières d'honneur qu'il lui fait
rendre. 11 dit à ses serviteurs, allez vite cher-
cher sa première robe et l'en revêtez, mettez-
lui un anneau au doigt, une chaussure neuve
aux pieds, et apportez le veau gras pour
manger et nous réjouir avec lui : Cito pro-
ferte stolam primam et induite illum. Mes-
sieurs, dans ce père attendri que de traits
d'amour! Il ne sait que faire à ce fds re-
trouvé, biens, honneurs, festins, distinc-
tions, il ne sait que lui offrir.
Ainsi parle Jésus-Christ aux pécheurs pé-
nitents : cito proferle stolam primam. C'est-
à-dire qu'on lui rende, dit-il à ses minis-
tres, par l'absolution son innocence pre-
mière, cette robe pure sans laquelle il ne
peut être reconnu pour mon enfant, qu'on la
revête de mon esprit, de mes grâces, de mes
mérites, de mes vertus; car, selon l'Apôtre
saint Paul, Jésus-Christ doit être notre vête-
ment, et nous devons nous en revêtir : et
induite illum ; date annulum in manum ejus ;
qu'on lui donne un anneau au doigt; c'est-
à-dire qu'après avoir porté si longtemps le
caractère de pécheur, on voie briller en lui
les traits de l'homme juste; qu'après avoir
vécu en dégradé, on lui rende les premiers
titres de noblesse, et que, s'étant rendu digne
de l'enfer; on le rétablisse dans le droit qu'il
avait à la patrie sainte : et ealceamenta in
pedes ejus; qu'on lui mette des souliers aux
pieds; c'est-à-dire qu'on lui fournisse des
puissants secours , des moyens faciles et
ofïicaces pour marcher d'un pas ferme dans
les pures voies du- ciel, sans toucher aux
sales voluptés de la terre : et adducite vitu-
lumsaginatum. Amenez le veau gras, qu'on le
tue, et que nous le mangions ensemble;
c'est-à-dire qu'on le réconcilie, qu'on l'ad-
mette à la table sacrée de Jésus-Christ, qu'on
le nourrisse de sa chair adorable : sympho-
niam et chorum; qu'il soit reçu à l'harmo-
nie sacrée de l'Eglise, qu'il chante un can-
tique d'actions de grâces et qu'il participé
au doux concert des anges et des saints.
Ainsi, toute la maison du Seigneur est
faite pour le retour du pécheur. C'est à cette
occasion et dans ce temple, où il me semble
entendre la joie des esprits célestes sur la
conversion du pécheur, sur la brebis égarée
ramenée au bercail : mais Dieu ne doit-il
pas avoir ici une joie d'autant plus grande
que son espérance était plus éloignée, la
joie de recouvrer un bien perdu est plus
grande que de l'avoir toujours possédée, un
plaisir est plus sensible après la privation
qu'avant la possession. Et c'est ce qui fait
dire à Jésus-Christ, comme au père du pro-
digue sur les plaintes de son aîné: Faux jus-
tes, vous murmurez de la compassion et des
larmes que je verse sur le retour de ce pé-
cheur pénitent, et commeit ne m'attendri-
rais-je pas en cette occasion? Je cro, ais mon
enfant mort et il est ressuscité ; je le croyais
perdu et je le retrouve; je ne m'attendais
plus à le revoir et je le retiens entre mes
bras; je le pleurais contre toute espérance,
le voici revenu dans mon sein ; je voulais en
faire un élu, et le voici soumis à mes vo-
lontés; qu'il soit à jamais dans le ciel com-
blé de mes délices, qu'on excite par toute
sorte d'endroits ma joie et ma consolation, et
comment voudriez-vous que j'en usasse au-
trement : epulari autem et gaudere oportcbat
quia frater tuus hic. mortuus erat et revixit,
pericrat et inventusest. Sort fortuné, partage
aimable! Que tardez-vous, âmes pécheresses,
à devenir de bienheureux objets de la joie
de votre Dieu? Il y a si longtemps qu'il vous
pleure, qu'il vous cherche, ne vous possé-
dera-t-il jamais, ne devinerez -vous point
toute la parabole de cette vérité? Vous avez
été si longtemps l'enfant prodigue: quand
serez-vous l'enfant réconcilié, où sont vos
excuses pour ne point revenir à Jésus-Christ?
N'avez-vous pas au contraire mille raisons
d'y revenir, les mystères qui approchent, les
grandes solennités qu'on vous annonce,
toute l'Eglise en prières, la voix de ses mi-
nistres, qui vous annonce cette parabole
toute faite pour vous, vos années qui s'é-
coulent, l'éternité qui avance, votre vie toute
déplorable sans votre Dieu ; ce Dieu lui-
même, qui vous ouvre ses trésors et son
sein, qui vous tend ses bras, qui fait parler
ici sa passion, ses plaies, sa miséricorde, sa
patience, son cœur, son amour, tout lui-
même, et vous tiendrez contre tant de voix
si touchantes et si fortes?
Non, mon Dieu 1 Je n'en ai pas la force,
recevez-moi, bonlé suprême, lorsque je re-
viens à vous, convaincu que loin de vous
l'on est perdu ; je viens me jeter entre les
bras de votre miséricorde : c'en est fait, ici
commence mon bonheur, ici finit ma misère ;
déjà je sens un bienheureux repos en vous,
et avec vous, lorsque je me dis à moi-même:
Non, l'objet de tant de tendresse ne périra
point, me voilà pénitent dans votre maison
sainte; j'irai vivre auprès de vous comme
un enfant soumis et fidèle, bien résolu de
ne voir, de n'aimer que mon père ; jusqu'à
ce que ce même père, qui me reçoit aujour-
d'hui si misérieordieusement, m'unisse h
lui dans le centre de sa gloire pour en jouir
éternellement. C'est ce que je vous souhaite
au nom du Père et du Fils et du Saint-
Esprit. Amen.
SERMON IX.
ne l'au m.o n b.
Accepit Jésus panes et cum gratias egisset distribuit
discumbentibus.siniiliter et ex piscibus -quantum volebant.
(Joan.. VI.)
Jésus prit des pains, et après avoir rendu grâces à son
Père, il les distribua à ceux qui étaient présents, il en fit
de même des poissons et ils en eurent autant qu'ils en vou-
laient.
Ce qu'il y a de plus consolant, mes frères,
dans la morale de Jésus-Christ, c'est que les
m
ORATEURS SACHES. LE P. SU RI AN.
exemples y vont toujours à côté des précep-
tes. Non content de nous avoir fait en mille
endroits de l'Evangile un commandement
do l'aumône , ce Sauveur aimable veut
encore aujourd'hui sur la montagne la
pratiquer lui-même, pour nous encourager
a la faire. Déjà, qu'y avait-il dans le monde
qui ne nous en fit une leçon? toutes les cho-
ses de l'univers, qui fournissent aux be-
soins de l'homme ; cette entière destina-
tion des créatures à le conserver, l'idée seule
d'une providence qui dans le partage iné-
gal qu'elle a fait des biens serait cruelle et in-
juste, si elle ne nous supposait généreux, su-
jets aux mêmes faiblesses qu'eux, aux mêmes
révolutions, aux mômes misères, et par
conséquent intéressés aux mêmes secours,
à la môme pitié, à la même assistance ; ce
germe d'amour mutuel que Dieu a mis au
fond de nos âmes; cet attendrissement de
nos cœurs, qui nous porte à plaindre ou à
soulager tout ce qui est malheureux;cesliens
de la société, qui doivent tous nous unir
comme sujets du même souverain, comme
serviteurs du môme maître, comme mem-
bres du môme chef, et qui de tous les hom-
mes ne doit faire qu'un seul homme; le res-
pect môme que nous devons aux pauvres,
qui sont l'image d,'un Dieu, ses amis, ses
favoris; l'intention expresse de l'auteur de
nos biens, qui les destine à l'usage de cha-
cun en particulier; enfin, les promesses in-
faillibles faites à l'homme compatissant, les
menaces terribles réitérées dans les deux
Testaments contre les cœurs impitoyables,
l'avantage que nous avons de faire tous en-
semble un même corps de religion, dont
Jésus-Christ est le chef, et dont chacun de
nous est une portion : que dirai-je encore,
la conversion des mœurs, la mort de la cupi-
dité, la persévérance dans la vertu, la paix,
le salut, la gloire, le ciel donné aux mérites
de l'aumône, seule dépositaire des miséri-
cordes de Dieu, et moins une grâce particu-
lière que toutes les grâces ensemble, il n'y
avait rien qui n'eût déjà établi la loi divine
de l'aumône. Mais qu'aujourd'hui l'exemple
du Sauveur,qui, pouvant par d'autres moyens
rassasier ces troupes nombreuses qui le sui-
vent dans le désert, veut cependant le faire
de ses propres mains, ajoute un nouveau
trait à ce précepte. Aussi je ne viens pas
vous le prouver : cet exemple de Jésus-
Christ est une preuve si sublime et si forte,
qu'elle défend de douter; mais je viens, ri-
ches du siècle, ôter à votre dureté toute ap-
parence d'excuse, et vous montrer que ce
précepte vous regarde personnellement,
.l'ose défendre ici la cause des pauvres et
des petits contre l'insensibilité des grands
ot des opulents de la terre; je viens, sans
partager autrement ce discours, vous mon-
trer que tous les prétextes dont vous vous
servez pour vous dispenser de faire l'au-
mône, en sont des motifs plus pressants et
plus naturels. Je les réduis tous à deux sor-
tes : les uns sont généraux, tirés de la na-
-urc mémo des biens et du précepte; les
Vitres sont particulier, lires de l'état el île
la condition. Les premiers sont injustes, les
deuxièmes téméraires, voilà tout mon des-
sein. Ah ! que ce point est décisif pour vous,
riches du monde, c'est maintenant que nous
allons voir si vous appartenez à la miséri-
corde du Seig-neur ou à sa colère, si vous
portez en vous le sceau de prédestiné, ou le
caractère affreux de réprouvé; nous allons
voir, en un mot, si vous êtes charitables, et
juger par conséquent si vous êtes chrétiens.
Examinons-les après avoir salué Marie. Ave,
Maria.
PREMIER POINT.
Trois prétextes semblent d'abord dispen-
ser les riches du précepte de l'aumône; mes
biens sont à moi, je les possède par des voies
légitimes, voilà le premier; l'aumôhe n'ett
qu'une œuvre de surérogation, dont on peut
se dispenser sans péché mortel, deuxième
prétexte; les temps sont trop mauvais, il faut
songer à soi-même et se précautionner, c'est
le troisième. Renversons ces. injustes pré-
textes, et montrons aux riches l'injustice.
J'attaque ces hommes aveugles et abusés
qui se reposent sur l'équité de leurs ri-
chesses, qui croient que la juste possession
de leurs biens est un titre suffisant pour
s'en retenir tout l'usage, qui, s'estimant lé-
gitimement riches, s'applaudissent de l'être,
et qui, parce qu'ils ne sont ni les tyrans, ni
les oppresseurs de leurs frères, se retran-
chent dans une propriété opiniâtre dont on
ne peut rien arracher, opinion fausse et
ridicule ; car, dites-moi , ô vous qui vous
abusez de la sorte! l'aumône est -elle li-
bre et arbitraire, ou absolue et néces-
saire? Pensez-vous qu'un père si tendre ne
laisse dans l'indigence tant de ses enfants,
que pour vous enrichir à leur préjudice? Ce
bien, qui vous paraît si légitimement possédé,
et vous appartenir avec tant de justice,
n 'appartient-il pas aussi à l'indigent? n'êtes-
vous pas faits l'un pour l'autre? pouvez-vous
usurper les largesses du Seigneur? quel-
que pures que soient vos acquisitions , vous
exceptent-elles de la règle générale, qui met
tout le mérite du riche dans la charité,
comme elle met tout le salut du pauvre
dans la patience? Quelque légitimes que vous
paraissent vos richesses, sont-elles moins
une grâce du Seigneur? êtes-vous dispensés
d'en faire part à vos frères? et si vous les
retenez contre l'ordre de Dieu, fixé au seul
plaisir d'en jouir, ne deviennent-elles pas
injustes el criminelles? Eh quoi! le privilège
de votre intégrité et de votre justice seront
donc de regorger de biens, tandis que tant
de misérables manquent du nécessaire ,
comme si ces biens, pour être bien acquis,
étaient moins écoulés de cette source pri-
mitive et féconde. Ah I s'ils sont le fruil de
vos travaux, n'est-ce pas Dieu qui vous
donne la force de les soutenir et qui les ar-
rose de ses bénédictions? Si vous leS devez
à vos talents, à votre esprit et à votre mérite,
n'est-ce pas le Seigneur" qui en est l'unique
auteur et la première cause? S'ils sont à
vous par succession et par droit de nais
CAltEME. - SERMON IX, DE L'AUMONE.
794
sance, n'esc-cp pas Dieu qui transmet aux
enfants l'héritage de leurs pères? Vos ri-
chesses, quelque légitimes qu'elles soient,
ne sont-elles donc pas toujours au Seigneur,
et par conséquent aux pauvres, qui, dans
leur pauvreté, sont établis sur la terre
comme ses ministres, pour recevoir ce tri-
but dont tous vos biens sont chargés?
Je dis plus, Messieurs, c'est à vous préci-
sément que s'adresse ce précepte, c'est vous
surtout qu'il regarde, riches du siècle. Non,
ce n'est ni l'usurier, ni le concussionnaire,
ni l'usurpateur audacieux, ni le pécheur in-
juste que ce précepte regarde , puisque
Jésus-Christ a fait pour eux une loi de la res-
titution ; c'est encore moins pour le pauvre,
puisqu'il n'a rien à donner; il est donc tout
entier pour vous qui êtes riches, et qui l'êtes
légitimement. Ah! si le riche de l'Evangile
fut précipité dans l'abîme pour s'être trop
confié en la jouissance paisible de ses riches-
ses, pour en avoir gardé tout l'usage pour
lui seul, combien de riches ici m'écoutcnt
qui tombent sous ce même arrêt aussi effroya-
ble qu'infaillible : Sic est qui sibi thesmiri-
zat et non est in Deum dives (Luc, XII.) Tel
sera le malheureux sort de tous ceux qui ne
thésaurisent que pour eux, et qui ne font
point servir leurs richesses selon l'intention
de la divine providence. Jésus-Christ, Mes-
sieurs, pouvait-il opposer au prétexte de la
juste possession, une réponse plus précise
et plus claire?
Autre prétexte, la subrogation de l'au-
mône, on la regarde comme une action
fcbre, comme une œuvre de conseil, et non
pas comme un commandement : peu l'allè-
guent ce prétexte, je l'avoue, car douter de
sa nécessité, c'est douter s'il y a un Dieu, et
qu'il soit le père commun des hommes ; mais
s'il yen avait de ces faux riches, je leur de-
manderais si ce qui est enjoint sous peine
de l'enfer, n'est pas d'obligation et de pré-
cepte pour les confondre ; ne me suffirait-il
pas de rapporter l'histoire du riche réprouvé
[»our n'avoir pas assisté le pauvre Lazare,
(lui ne luj demandait que les miettes de sa
fable; d'où vient que Jésus-Christ ferait un
premier chef de condamnation aux riches,
de ne l'avoir point assisté dans la personne
de ses membres? J'ai eu faim, leur dira-t-il
au jugement dernier, et vous ne m'avez pas
donné à manger, j'ai eu soif, et vous ne m'a-
vez pas présenté à boire, j'ai été nu, et vous
ne m'avez pas recouvert ; allez, maudits, au
feu éternel qui vous est préparé. Dieu dam-
ne-t-il donc pour l'omission d'une œuvre
de subrogation, et pour transgression d'un
simple conseil, étant déjà abandonnée quoi-
quelle soit un précepte.
Mais voici, riches du monde, où votre du-
reté se retranche? Ce n'est, dites-vous, que
dans les besoins extrêmes que l'aumône est
d'obligation? décision déplorable, étrange
aveuglement! car quoi qu'aujourd'hui il ne
soit que trop vrai (pie les besoins extrêmes
sont les besoins communs, et quoique les
misères du temps soient toutes presque ex-
cessives, d'où vient que vous ce leur devriez
du secours que quand ils ne sont plus en
état d'en profiter; et pourquoi vouloir atten-
dre à leur conserver de misérables jours
qu'une faim longue et cruelle les ait rendus
presque agonisants et demi-morts; n'est-ce
pas les faire mourir que de ne les pas sou-
lager dès que vous connaissez leurs besoins;
ne deviennent-ils donc vos frères et les mem-
bres de Jésus-Christ, que lorsque leurs be-
soins sont devenus extrêmes et sans res-
source? Et en effet , vous ne soulagez point
ce pauvre malade dans le commencement de
sa maladie, un épuisement va le réduire tout
d'un coup au tombeau; vous n'avancez rien
à ce débiteur que l'on prend, et bientôt dans
une affreuse prison, il périra faute d'avoir
été soulagé : après cela, entrailles cruelles,
cœur inhumain, direz-vous qu'il faut atten •
dre que leurs besoins soient pressants pour
les soulager! Il n'y a donc pas assez de mal-
heurs dans vos frères pour vous toucher, ils
souffrent donc trop peu pour vous attendrir,
leurs pleurs ne coulent pas avec assez d'a-
bondance, il vous faudrait l'épuisement de
leurs forces et le triste spectacle de leur
mort. Quel tigre, quel monstre, êtes-vous ! et
qu'est-ce que l'on peut juger de ce riche qui
ne veut soulager les pauvres que dans leurs
besoins extrêmes, sinon une insensibilité
extrême?
Mais, direz-vous encore, les temps sont
trop mauvais, il faut d'abord songer à soi, la
précaution n'est point défendue. Troisième
prétexte, à entendre parler ainsi le riche, ne
dirait-on pas qu'il a quelque raison; mais
écoutons ce que le Sage nous en dit lui-
même : le malheur des temps, dit-il, est l'ex-
cuse que vous alléguez toujours avec tant
d'injustice, auquel vous ne sauriez penser
sans murmurer et vous plaindre : Tempus
causabitur [Eceli:, XXIX); mais avant de ré-
pondre, je vous demande si ce malheur des
temps que vous nous rapportez pour excuse
n'est point vofre ouvrage, si ce n'est poii.t
vos courussions, vos usures, vos vexations*
vos violences, votre insatiable cupidité qui
les ont rendus tels; si vous n'êtes point de
ces hommes que l'Ecriture appelle les sang-
sues de tout le peuple; si vous n'êtes point
de ces loups ravissants qui ne se nourrissent
que de pillage, et qui ne laissent après eux
que désolation et carnage; si vous n'êtes
point de ces hommes affamés, qui sans foi,
sans probité, sans conscience, sans pitié,
sans humanité, dévorant le peuple, dit le
Seigneur, comme un morceau de pain : gu§
detiorant plebem meam sicut escam panis.
(PsaL, LU); car si vous étiez un homme de
ce caractère, ce ne serait pas trop de tout
votre bien pour les grands malheurs que
vous auriez causés, et ce qui dans les autres
est aumône, ne serait en vous que restitu-
tion: mais pour vous qui n'avez que ce ce-»
proche à vous faire, de causer le malheur
des temps, ne vous en servez pas non plus
de prétexte, et pensez que c'est plutôt pour
vous un motif et une raison de faire l'aumô-
ne, qu'une excuse et une dispense qui vous
empêche de la faire. Eh! pourquoi donc les
793
OKATEIKS SACHES. LE P. St'MAN.
795
temps sont-ils mauvais? Est-ce que Dieu au-
rait oublié le monde, ou qu'il serait trop fai-
llie pour le secourir, n'est-ce donc pas lui-
môme qui permet ce malheur des temps pour
donner aux riches occasion de s'en faire un
bonheur, et, en effet, quand les calamités
n'entrent que par la pensée et par l'oreille
des riches, leur cœur n'en est point ému, il
faut qu'elles se montrent à leurs yeux; et c'est
pour cela, riches du monde, que la miséri-
corde de Dieu qui veut votre salut, approche
de vous la misère et l'affliction, afin que la
présence des misères communes et excessi-
ves vous rende plus secourables dans ce
grand fonds d'insensibilité où vous vivez :
le Seigneur veut que le spectacle de tant de
maux amollisse un peu votre âme, etque.se-
i hant ce que c'est qu'être malheureux, vous
deveniez charitables; cette calamité publique
n'est donc qu'une voix favorable'dc la bonté
de Dieu, qui vous d>t : Soyez sensibles en
sentant approcher la misère, je ne tous suis
rigoureux, qu'afin que vous soyez libéraux;
puisque le temps e.t mauvais, rachetez-le
par l'aumône; à quoi sert pour vous que les
besoins soient grands, si je ne vous trouve
jamais secourables; et c'est le ra sonnernent
qui doit vous engager à la charité plus qu'en
un autre temps, car si les temps étaient
meilleurs, les pauvres n'auraient jkis tant be-
soin de vos secours, plus les besoins sont
excessifs et plus votre obligation de donner
redouble; l'abîme des misères n'appelle-t-il
pas l'abîme des miséricordes; n'est-ce pas
quand la sécheresse tarit les fontaines com-
munes, que l'eau de la charité doit couler et
se répandre? Ah! si vous souffrez, riches, il
faut donc que les pauvres dépérissent; si
vous commencez à trembler pour vous qui
avez tout le bien, votie inquiétude n'annon-
ce-t-elle pas leur désespoir; si le feu de la
calamité prend au bois vert, avec combien
plus de vivacité n'embrasera-t-il pas le bois
sec. (Luc, XXIII.)
Vous croyez répondre à tout quand vous
dites, les temps sont mauvais; croyez-vous
donc faire illusion à Dieu comme aux hom-
mes, et n'appréhenuez-vous point que sa jus-
tice ne vous punisse? Oui, les temps sont
mauvais, et pour qui, pour ce marchand
ruiné qu'on ne paye point, pour ce domes-
tique épuisé que l'on renvoie sans salaires,
pour ce pauvre qui manque de tout et à qui
personne ne donne rien; mais ces temps si
tristes pour Jésus-Christ et pour ses mem-
bres, le sont-ils pour vous? toujours mômes
babils, môme train, même fureur pour le jeu,
môme assiduité pour les théâtres; toujours
môme dépense, un luxe qui se répand en
mille superfluités, un argent qui ne coûte
rien pour satisfaire ses désirs; vous rougi-
riez môme que l'on vous crût pauvres :
oélasl nos jours ont-ils vu plus grand mal-
heur que celui qui vient de vos désordres;
tandis que les pauvres épuisés ne trouvent
plus aucune ressource, n'avons-nous pas la
douleur de voir que vous ne refusez rien à
vos cupidités, et s'il arrive a votre coeur de
se faire quelque idole, ne trouvez-vous pas
de quoi lui faire un sacrifice, et semblablesà
cette femme qui apfès avoir dit, je ne le puis,
mes récolles sont trop mauvaises, trouva ce-
pendant de quoi immoler aux idoles étran-
gères; lorsque vous vous plaignez le plus de
la misère des temps, n'êtes-vous j as pleins de
ressources pour fournir à vos passions, et
vous entend-on dire en celte occas;on que
les temps sont mauvais. Quoi donc! vous
croiriez perdre vos biens si vous les met-
tiez entre les mains de Jésus-Christ? Croyez-
vous que vos passions soient un fonds plus
assuré, et qu'elles vous rapportent davantage
pour le crime que pour la vertu? Que faut-il
donc pour vous faire revenir à Jésus-Christ,
et que feriez-vons, heureux, si vous lui re-
fusez du secours tout misérables que vous
êtes.
Ah! que sont devenus ces temps heureux
où il fallait mettre des bornes à la charité
des ti lôles toujours tremblants el alarmés de
ne point donner assez pour le soulagement
de leurs frères; où la charité surabondante
trouvait des fonds inépuisables pour surve-
nir à toutes sortes de besoins. Qui nous le«
ramènera ces beaux jours où l'on n'avaii à
se défendre que du péché, où l'on ne con-
naissait de richesses que celles de la vertu
et de la perfection; où l'on n'avait d'autre
soin dans ces temps de calamité et de misè-
res, qu'à se montrer meilleurs que les temps,
qu'à triompher de la stérilité des saisons,
par le redoublement des bonnes œuvres, et
à suppléer aux malheurs suscités de la divine
providence, par l'amour des charités et l'a
bondance des aumônes des fidèles. Ne les
reverrons-nous jamais, ces premiers siècles,
où il ne s'agissait que de modérer une trop
grande ferveur, qu'à essuyer des larmes,
qu'à remettre le calme dans des consciences
pieusement alarmées, qu'à rendre la vie du
moins supportable à une foule de malheu-
reux qui vous eussent reconnu pour leur
libérateur et pour leur père.
Ah! que les temps sont changés : non, ce
goût aimable de la charité mutuelle, de la
piété divine, n'est plus de notre siècle, la
terre n'est plus digne de ces sentiments cé-
lestes : l'orgueil, la mollesse, la volupté ont
tout endurci; ces monstres cruels ont une
voix plus forte que la nudité, que la faim,
que la soif et la misère, que le désespoir de
nos frères. Nous ne pouvons rien obtenir de
vous, riches du monde, cependant que vous
demandons-nous à présent? que vous soyez
anathèmes pour vos frères? que vous don-
niez votre sang, votre vie peur eux? Non,
nous ne vous demandons qu'une faible au-
mône, et vous la refusez ; nous vous sup-
plions, el vous ne nous répondez pas ; nous
ne cessons de vous prier pour les pauvres,
et nous ne fûmes jamais moins exaucés. Ah!
sont-ils ici les domestiques de la foi, ou les
partisans de l'erreur? Prêchons-nous à des
hommes, ou à des rochers? à des chrétiens,
ou à des infidèles? à des enfants de l'Eglise,
où à des disciples de Satan? Mes frères, que
tout ceci se ressent bien de cette triste
vérité, malheur à vous riches (Luc, VI),
797
CAREME. - SERMON IX , DE L'AUMONE,
703
de Ja terre, qu'il est difficile qu'un riche soit
sauvé. Je l'ai pensé mille fois avec douleur,
si notre sainte religion l'emporte si fort sur
toutes les autres, et par la force et l'évidence
de ses principes, et par la sainteté de sa mo-
rale, et par la divinité de son auteur, et par
la pureté de ses maximes; hélas 1 elle ne
l'emporte plus par notre manière de vivre,
par l'intégrité de nos mœurs, par la mollesse
de nos sentiments. Les Juils donnent encore
la dîme de leurs biens ; les infidèles ne souf-
frent point parmi eux de misérables; les hé-
rétiques qui se flattent de rapprocher les an-
ciens temps se prêtent tous mutuellement du
secours et affectent d'être tous unisentr'eux,
et nous le peuple choisi, la nation sainte,
les enfants de la vraie Eglise, les disciples
de Jésus-Christ, nous abandonnons ses mem-
bres, nous sommes insensibles aux besoins
de nos frères, et, à la honte du nom chrétien,
une partie se plonge dans l'abondance et
dans les profusions, pendant que tout le
reste demeure sans assistance etsans secours!
On appréhende, dit-on, de s'appauvrir lors-
qu'on fait l'aumône; c'est-à-dire donc que
vous craignez de vous mettre dans un degré
trop proche de ressemblance avec Jésus-
Christ votre chef et votre modèle, lui qui
n'est venu s'appauvrir que pour vous enri-
chir par son indigence.
Justice de mon Dieu, qu'un jour vous dis-
siperez cette funeste illusion, quelle force
aura alors la plainte que fera l'indigent contre
le riche, si Jésus-Christ est dans tous les
pauvres pour demander, tous les pauvres
seront au iugement dernier dans Jésus-
Christ pour nous juger; que ce jugement sera
rigoureux et plein de terribles reproches.
Si celui-là est digne de mort qui refuse la
charité à Jésus-Christ, quel sujet de fraveur,
quel supplice assez cruel pour vous qui. la
refusez tous les jours à ses membres et à
vos semblables.
Mais passons à des prétextes qui parais-
sent plus spécieux encore; ce sont ceux
qu'on tire de l'état et delà condition, et
après avoir montré l'injustice des premiers,
faisons voir encore la témérité des seconds.
C'est le sujet de mon second point
SECOND POINT.
Trois prétextes servent encore à autoriser
la dureté des riches envers les pauvres : Je
tiens un rang dans le monde, et il faut que
je dépense à proportion de ma condition;
première excuse. J'ai grosse famille et la
chanté m'oblige à préférer mes enfants aux
étrangers; seconde excuse. Les pauvres sont
en trop grand nombre : mes moyens ne sont
pas assez farts pour les soulager tous; troi-
sième excuse. Achevons de les combattre et
de les anéantir, ces téméraires prétextes.
Le premier est le prétexte du rang : on
croit tfue tout est permis, que l'on est dis-
pensé de tout quand on est d'un état, d'une
condition relevée : ah ! plût à Dieu que cela
fût ainsi. Vous seriez bien moins à plaindre,
grands et riches de la terre, mais il en est
bien autrement, et c'est pour vous un grand
malheur de n'être pas nés pauvres. Ne le
comprendrez-vous jamais? vous êtes trop à
plaindre de vivre dans un état et dans une
condition dont l'oisiveté, la mollesse, la sen-
sualité, le luxe, la vanité sont presque insé-
parables. C'est donctroppeu pour vous d'être
dans un état où vous vous dispensez du tra-
vail, des veilles, des fatigues, des peines,
des mortifications, des souffrances, des mi-
sères de Ja vie; il faut que vous vous dis-
pensiez encore des lois les plus essentielles
du christianisme. Ah ! si vous aviez le moin-
dreesprit,vousqui vous flattez tantd'en avoir,
vous croiriez-vous dispensés d'être charita-
bles, parce que vous êtes grands, et vous
croiriez-vous exempts de faire l'aumône ,
parce que vous y êtes plus obligés que tout
autre, mais voyons si votre excuse est légi-
time. Je dis qu'il n'est rien plus faux que
votre état et votre rang vous dispensent de
l'aumône, et cela pour deux raisons incon-
testables : la première parce que votre état
ne vous dispense pas d'être chrétiens, et la
seconde que pour êtes chrétien dans votre
rang, vous avez besoin de plus grandes grâ-
ces que les autres.
Non , grands du monde, vous ne cessez
point d'être chrétiens; c'est toujours entre
vos distinctions et vos dignités, votre titre
primitif, et vous n'oseriez dire de votre con-
dition qu'elle renonce à l'Evangile , mais, si
vous reconnaissiez cette vérité, mon Dieu,
que vos pauvres seraient consolés! Dès lors,
malgré tousles usages profanes du siècle, vos
tables deviendraient frugales, vos habits mo-
destes, vos meubles simples, vos logements
moins vastes et moins somptueux; on ne
verrait nulle portion de vos biens assignée
au luxe, à l'intempérance, aux vanités, à la
sensualité. Vous réduisant à une médiocrité
chrétienne, toute votre vie serait pauvre,
solitaire, mo tiliée ; l'aumône sainte levée
sur vos cupidités serait féconde et abon-
dante de ce que l'Evangile ôte à l'indécence
de vos parures, à l'entretien de vos passions,
à la délicatesse de votre goût, à l'excès de
votre jeu, dont les moindres pertes suffi-
raient à la subsistance des familles entières.
Vous trouveriez de quoi fournir abondam-
ment aux besoins de vos frères, vous ne trou-
veriez plus que de l'inutile et du superflu,
là ou vous vous persuadez faussement qu'il
n'y a que du nécessaire, et ne regardant plus
votre qualité et vos conditions que comme
un ministère et une dispensation de misé-
ricorde et de charité, vous emploieriez ces
biens à préserver le jus**?, à conserver J in-
nocent, et à soutenir ".'affligé ; enfin, vous
deviendriez dans toute une ville, dans toute
une province, comme le trésor public et
comme une ressource très- favorable à tous
les gens de malheur, car voilà ce que c'est
d'être un riche chrétien. Peut-on l'être, en
réservant tous ces biens par un amour aveu-
gle de sa propre personne, de ses commodi-
tés et de ses aises? peut-on l'être et toujours
craindre de n'en avoir jamais assez pour
fournir à son salut et à sa délicatesse, parce
que vous êtes devenus ambitieux. Vous
799
seriez en droit d'abandonner les membres
de notre commun chef à la honte et à l'igno-
nrnie, parce que vous avez enchéri sur la
médiocrité de vos ancêtres, vous vous
croyez autorisés de marcher sur la tête des
autres, quoique n'ayant point de condition
ni de fortune réglée vous assureriez que tout
vous est nécessaire dans votre état.
Mais un chrétien peut-il penser que Jésus-
Christ lui demandant un jour compte de tout
ce qu'il a fait et de tout ce qu'il a reçu, il
pourra lui représenter comme nécessaires à
son état le luxe, la mollesse, la bonne chère,
le faste et tout ce qu'il foudroie , tout ce
qu'il frappe d'anathème dans ses livres sa-
crés , et tout ce qu'il réprouve comme la
ruine de son salut; un chrétien au lieu de
s'affliger, de s'humilier des dangers où sa
prospérité et sa grandeur l'exposent , des
maux trop véritables qui le menacent, des
besoins déjà trop réels qui l'accablent, doit-
il se faire de chimériques idées de son état,
pour ôter aux pauvres la seule ressource qui
leur reste par l'aumône; encore un coup,
un chrétien dont les grands besoins sont les
gémissements et les larmes, qui ne doit se
croire grand que par l'anéantissement, heu-
reux que par les souffrances, glorieux que
par sa conformité parfaite avec Jésus-Christ
soutirant, peut-il penser que le nécessaire
de son état soit une gloire démesurée, que
le privilège de sa naissance soit la mollesse
et l'intempérance, que le titre de son nom et
de sa qualité soit d'affliger Jésus-Christ, et
de laissée périr ses membres; peut-il s'ima-
giner qu'au milieu de son Eglise ce Dieu
sage ait établi, par ses largesses et ses pro-
fusions sur les riches, une condition de
sensualité et un genre d'hommes qu'il n'au-
rait comblés de ses biens que pour affamer
les autres par leurs excès et pour donner le
triste spectacle des richesses et de la gran-
deur qui ne servent qu'à faire murmurer le
pauvre, qu'à faire oublier le Seigneur, et à
devenir un vain objet de magnificence et
aux yeux du public? Ah! riches du siècle,
instruisez-vous ici de vos devoirs, rien de
plus grand, de plus sublime que le nom de
chrétien; mais aussi, rien de plus terrible,
de plus funeste, que de'le porter inutile-
ment et mal à propos, et de vouloir l'associer
à ce fantôme de condition qui vous abuse et
qui vous trompe; après cela venez nous
dire : Dans mon état tout m'est nécessaire, et
je ne vois rien de superflu; pesons au poids
du sanctuaire ces paroles d'illusion.
1° .Mais, qu'appelez-vous donc votre étal?
est-ce un état de chrétien ou d'idolâtre? est-
ce un état réel ou imaginaire? est-ce un état
de scandale ou de sanctification? est-ce un état
borné ou un abîme immense, ce que vous
appelez votre état? n'est-ce point ce que
vous affectez d'être, ou ce que vous voulez
être, quand vous prenez un essor trop
haut, et que vous donnez carrière à votre
luxe et à votre vanité ; le public lui-même
se plaint que ce n'est point là votre état, que
vous vous oubliez, que vous sortez de votre
place, et dans quel endroit de l'Evangile,
ORATEURS SACRES. LE P. SERIAN. 800
dans quelle page des saintes Ecritures trou-
vez-vous un état qui autorise le jeu, les
compagnies, les spectacles, les divertisse-
ments, la volupté; un état qui flatte la mol-
lesse, l'ambition, la cupidité, est-ce là un
état chrétien? est-ce là l'état d'un disciple,
d'un enfant, d'un membre, d'une image d'un
Dieu pauvre et crucifié? est-ce là une con-
dition, où il faille étendre le nécessaire sur
toutes vos passions, aux dépens des pau-
vres et de Jésus-Christ? est-ce là un état
assez important à l'Etat, assez utile à la re-
ligion pour y sacrifier toutes les ressources
des malheureux; vous ne pouvez faire l'au-
mône à cause du nécessaire à votre état. Jl
faut que vous fassiez figure, que vous vous
souteniez dans le monde, mais le savez-vous,
Messieurs, il y a un monde réprouvé de
Jésus-Christ et chargé de tous ses anathèmes,
c'est donc dans celui-là que vous devez fi-
gurer, car l'autre est un monde de simplicité,
de modestie, d'humilité, qui abhorre les
grandeurs et l'éclat : donc, dire je ne puis
faire l'aumône à cause de mon état, c'est-à-
dire je ne puis faire l'aumône parce que je
veux vivre dans ce monde réprouvé, c'est-à-
dire je veux être tout ce que sont les réprou-
vés ; quelle horreur, grand Dieu ! quel blas-
phème, mais avançons 1
Dans mon état tout m'est nécessaire : dé-
cider jusqu'où va ce nécessaire, ce n'est
pas une chose facile, c'est le point le plus
éùneux de la morale, chacun l'élend et
l'expose à son avantage ; rien de plus im-
portant, mais rien aussi de plus difficile que
de discerner au juste le superflu du néces-
saire: cependant, mes frères, appliquez-vous,
le voici selon la raison saine.
Le nécessaire est tout ce qui se prend pour
la substance frugale de votre personne pour
la conservation essentielle d.e votre santé, de
votre vie, pour l'entretien honnête de votre
famille, pour la bienséance modeste de votre
rang, pour le maintien raisonnable de vos
charges, pour l'établissement proportionné
de vos enfants, et même pour le délassement
réglé que la nature demande ; vous plain-
drez-vous après cela que nous resserrons
trop le nécessaire : le voilà tel que hors des
passions les pauvres le demandent, et si les
riches s'en tenaient là, les aumônes seraient
bien abondantes; mais ferez-vous entrer
dans votre nécessaire un jeu ruineux dont
vous vous faites un métier, et qui loin de
vous délasser vous fatigue, un luxe des pa-
rures, des habits somptueux qui, loin de vous
renfermer dans les bornes de la bienséance,
vous rendent les malheureux objets de l'im-
modestie et de la volupté, des festins, et une
bonne chère continuelle, qui, loin de con-
server votre santé, la ruinent et vous usent
le corps, des divertissements et des fêtes
mondaines qui, loin de vous réjouir, vous
épuisent; appellerez-vous votre nécessaire
ce qui est contraire à votre repos, à votre
salut et à votre éta ? J'avoue que, si c'est là
ce qu'on doit appeler le nécessaire, vous
n'avez rien de trop, et les plus grands re-
venus ne seront pas suffisants, mais avouez
801
CAREME. SERMON IX, DE L'AUMONE.
80-2
que si tout cela est de votre nécessaire, c'est
être un païen, un dénaturé, un monstre ;
c'est forcer Dieu ou à laisser mourir de faim
ses créatures, ou à les nourrir par miracle.
Ah 1 pour donner à votre nécessaire les jus-
tes bornes que je viens de vous prescrire,
ne vous suffit-il pas de vous souvenir que
vous êtes chrétiens? N'est-ce pas assez de
penser que vous êtes hommes, loin que ce
luxe énorme, cette orgueilleuse affectation
de pompes et de parures, de cette mon-
danité scandaleuse, soient de votre néces-
saire? peuvent-ils même entrer dans la con-
duite d'un chrétien qui a renoncé à toutes
ces choses par son baptême, et qui doit en
être séparé par sa qualité de inombre d'un
Dieu pauvre et dépouillé de tout, tout cela
peut-il donc entrer dans cette portion de
vous-même, qu'il a racheté de son sang et
tout ce qui ri y entre pas peut-il être de votre
nécessaire, tout ne vous invite-t-il pas à par-
tager votre bien avec le pauvre? c'est comme
vous l'enfant de Dieu c'est ^otre frère, c'est un
autre vous-même; vous êtes avec lui un même
esprit, un même homme; pourriez- vous
penser à tout cela et lui refuser l'aumône?
Enfin, dites-vous, je ne vois rien en mon
état de superflu ; mais avec quels yeux le re-
gardez-vous, cet état, et les biens que vous
y possédez ; avec les yeux de la mollesse,
de la passion, de la mondanité, auxquels
rien ne peut suffire. Mais, un moment, regar-
dez-vous avec des yeux de chrétien, de dis-
ciple de Jésus- Christ, votre Juge et votre
Maître, et ce superflu vous deviendra inutile.
Ah! ce superflu que vous n'y voyez pas,
bien d'autres le voient pour vous. Fiez-vous-
en au jugement du pauvre : lui qui n'a pas
un morceau de pain, voit bien le superflu de
vos tables et de votre bonne 'chère; lui qui
n'a pas de quoi couvrir sa nudité, voit bien
le superflu de vos vêtements superbes ; lui
qui n'a pas où reposer sa tête , voit bien le
superflu de vos maisons et de vos ameuble-
ments; lui qui languit dans une indigène
affreuse de toutes choses, voit bien le su
perflu de cette abondance et de ces profusions
clans lesquelles vous vivez : il le voit dans
vos dépenses, dans vos équipages, dans vos
trains superbes, dans ce cortège de domesti-
ques qui mangent leur portion, etleurs gémis-
sements et leurs larmes s'en expliquent assez.
Car enfin, que peut-il penser en voyant que
vous , qui êtes chrétiens comme lui , et qui
par conséquent avez renoncé aussi bien que
Ini au monde et à ses pompes, à la chair et à
ses convoitises, passez cependant votre vie
dans un continuel excès, dans une abondance
de toutes choses, pendant qu'il manque du
nécessaire à la vie et qu'il fait horreur par
l'extrémité de sa misère ; il ne vous reproche
point ce qui sert à vos habits, il ne vous en-
vie point le nécessaire, il vous passe même
sans peine ce qui vous est nécessaire pour
l'honnête et le commode; mais il ne peut
voir sans douleur, sans impatience ce que
vous donnez au crime et au contentement de
vos passions. Il vous demande ce superflu
c/.ui lui a, partient et que vous retenez contre
l'ordre de Dieu, qui vous porte à pécher, qui
devient le péché même; il vous le demande
comme un bien que Dieu lui a destiné; et,
s'il n'y a point de fonds pour l'aumône parmi
tant de richesses, le commandement en est!-
donc inutile; ce devoir si juste et si légi-l
time n'est donc plus qu'une chimère, et il ne
faut que devenir ambitieux et dissolu pour
en être dispensé. La conséquence est ab-
surde, la vôtre l'est donc aussi. Ah 1 voulez-
vous nous donner et à vous aussi quelque
espérance de salut dans l'état où vous êtes,
laites passer le superflu de votre abondance
jusque dans le sein du pauvre; tant que
vous le retiendrez, il sera pour vous un fonds
de corruption et de péché. La manne, quand
on en retenait au delà du nécessaire, se tour-
nait en poison, il en sera de même de vos
richesses tant que vous en réserverez plus
que vos besoins ne le demandent : elles se
tourneront en une corruption mortelle. Puis-
que le Seigneur vous a donné des biens en
abondance, aimez à les répandre, et ne dites
point que c'est à nous , qui ne connaissons
point le monde, à régler votre nécessaire et
à juger de vos dépenses; je pourrais vous ré-
pondre que nous connaissons l'Evangile, et
c'est assez; mais non, nous vous attendons
à ce moment où , frappés de l'impression de
la mort qui approche, à ces dernières extré-
mités où les plus pures lumières de la raison
et de la religion luiront à vos yeux. C'est là,
que bien différents de vous-mêmes, vous dé-
ciderez, vous penserez, vous jugerez bien au-
trement que vous n'avez lait auparavant ; c'est
là que, bien plus sévères que nous sur l'exé-
cution de l'aumône et sur l'usage des biens,
vous réduirez à peu le nécessaire d'un mal-
heureux pécheur qui n'aura fait qu'offenser,
qu'oublier son Dieu. Et c'est là, enfin, que
vous reconnaîtrez que, s'il n'y a point de su-
perflu, ce n'est que pour un juste qui n'aura
eu que les larmes en partage et une charité
tendre pour ses frères.
Mais, si ce prétexte de l'état tombe, parce
3ue votre condition ne vous dispense pas
'être chrétien, il tombe bien davantage en-
core, parce que dans votre état vous avez
besoin de plus grandes grâces. En effet , le
pauvre, plus docile au bien et à l'instruction,
est défendu contre le vice par le privilège
même de son état ; une grâce commune le
soutient dans la justice; il est chrétien.
Naturellement il ne voit rien qui ne
le détache de la vie, qui ne lui donne du
mépris de ce monde parce qu'il n'en goûte pas
les |douceurs : mais que des périls attaquent
l'innocence d'un riche et d'un grand de la
terre , l'abondance qui amollit, les honneurs
qui flattent, los plaisirs qui enchantent, l'oi-
siveté qui corrompt, tout vous est en cet
é.at une tentation, un piège, un écueil ; avec
li s richesses, le démon vous offre l'image de
tout le mal, de toute l'injustice, de toute la
mollesse; vous avez donc besoin de plus
grands secours pour vous soutenir dans cet
état, et pour tous les périls, vous n'avez point
trop de toutes les grâces. Or le Saint-Esprit
l'a dit, toutes les grâces sont renfermées dans
803
ORATEURS SACRES. LE P. SUR!AN.
804
l'aumône; elle a sa force qui résiste, son
onction qui détache, sa douceur qui attire.
Faites l'aumône, disait un père tendre à son
enfant, regardez d'un œil compatissant tous
les pauvres qui se présenteront à vos yeux,
et sans y penser vous vous attirerez les re-
gards favorables et miséricordieux de votre
Dieu. En vous donnant des richesses, je vous
ai suscité un redoutable ennemi ; mais vous
trouverez pour le combattre et le vaincre de
puissantes armes dans l'aumône. Je vous ai
préparé un grand sujet d'illusion et de vanité
dans l'abondance que je vous laisse; mais
l'aumône ne permettra pas que vous tombiez
dans le péché et que vous en soyez aveuglé :
Eleemosynu ab omni pcccato et a morte li-
bérât, et mn patictur animam ire in tenebras.
(Tob., IV.) Je vous ai fait un penchant bien ra-
pide au cime, mais l'aumône soutiendra votre
cœur, et vous ne tomberez point; elle seule
vous mettra en sûreté au milieu de vos périls
et de vos tentations ; elle ôtera aux richesses
cette fatale propriété de pervertir et de cor-
rompre et saura vous procurer ces grâces de
résistance et de force, et erit fortitudo tua ;
il est donc évident que l'aumône vous est
plus nécessaire dans votre état, riches du
monde, non-seulement parce que vous y
avez besoin de plus grandes grâces et que
l'aumône seule en est la dépositaire.
Sur es principe, si tous les riches injustes,
corrompus , sensuels , impies, laissant aller
leurs passions sans frein, sans crainte ni
respect pour les lois et les commandements
du Seigneur, vivent dans un libertinage af-
freux de mœurs et de conduite, se rendent
les malheureux esclaves de l'argent, de la
vanité du monde, des plaisirs et d'eux-
mêmes; s'abandonnant aux excès les plus
honteux, rampant contre terre comme les
animaux immondes, sans jamais lever les
yeux vers le ciel, dont ils tiennent tout, et
qui, dans toutes leurs pensées et leurs dé-
sirs, leurs actions, donnent toutes les preuves
les moins équivoques de leur réprobation.
A quoi pouvons-nous attribuer le malheur
d'une si aveugle destinée, sinon à cette du-
reté qui sèche la source des grâces, sinon à
cette insensibilité qui fait qu'ils n'osent voir
les pauvres crainte d'en être touchés, sinon
à cette vanité aveugle qui, les plaçant dans
une région supérieure, leur fait regarder les
misérables, ou comme des créatures d'une
espèce différente d'eux, ou comme des vic-
times infortunées qui ne sont nées que pour
servir à leurs penchants et à leurs passions ,
sinon à cet amour-propre qui leur l'ait sacri-
fier à leur seule personne tout le reste des
hommes, sinon à cette extinction de ce beau
feu de la charité qui est éteint en eux et
dans lequel consistent le salut et la grâce du
chrétien.
Eh quoi doncl riches du monde, votre con-
dition ne s'étend-elle que pour nuire et ja-
mais pour soulager. Imitez votre Dieu, rien
ne le rend plus grand (pie le concours de sa
bonté et de sa puissance. Seigneur, s'écrie
le Sage, vous avez pour tous une charité sans
bornes, parce que vous pouvez tout : Mise-
reris omnium quia omnia potes. (Sop., XI.)
Faites de votre pouvoir, riches du monde,
la règle de vos charités. Faites l'aumône par-
ce que vous êtes opulents; soyez charitables
parce que vous possédez de grands biens ;
participez à la miséricorde de Dieu, vous
qui participez à sa grâce ; ôtez à vos richesses
par l'aumône ce caractère de malédiction
que Jésus-Christ y a attaché ; elles sont comme
un fleuve rapide qui emporte tout en coulant.
Depuis quand pensez-vous qu'il faille moins
accorder au Sauveur, à votre cupidité et à
vos passions , qui vous ôtent si souvent , je
ne dis pas seulement le superflu de vos biens,
mais même le nécessaire? Jésus-Christ ne vous
demande pour ses membres que ce que vous
prodiguez pour vos passions, pour vos crimes,
pour vos misères, peut-être hélas! pour votre
damnation. Est-ce trop vous en demander,
et pouvez-vous vous en plaindre? Ah ! si nous
avions un peu de foi, croirions-nous en faire
trop de nourrir de notre superflu un Dieu
qui nous nourrit de sa propre chair et qui
voudrait un jour nous rassasier de sa gloire?
Mon Dieu, que ce refus, que cette résistance
laisseraient voir de dureté dans les riches,
qu'elles montreraient d'ingratitude et d'in-
sensibilité.
2° Mais voyons à quel prétexte cède cette
parole, faites l'aumône. J'ai des enfants, il
faut songer à les établir; ma famille est
grande, il faut y pourvoir. Quoi 1 dit saint
Basile, quand, dans vos prières, vous deman-
diez à Dieu des enfants, lui avez-vous dit :
Seigneur, accordez-moi des héritiers, des
successeurs qui ôtent le pain que je vous
donne ? Vous avez des enfants, c'est donc a
l'aumône à reconnaître ce bienfait de Dieu,
qui vous les a donnés; c'est donc par l'au-
mône que vous devenez comme Job. Dans
cette persuasion certaine , multipliez vos
offrandes. Avec vos enfants se multiplient
vos offenses, vos omissions, vos scandales;
vous appréhendez qu'ils ne soient point
assez riches en ce monde. Et d'où vient que
vous ne craignez pas d'être vous-mêmes trop
malheureux dans l'autre? votre âme ne veut-
elle pas une charge, un établissement? Vous
voulez leur laisser du bien par l'amour que
vous leur portez ; mais n'y a-t-il pas un autre
amour,parlequel vous devez vousaimer vous-
mêmes : votre salut, votre Dieu? Et la preuve
de cet amour, c'est l'aumône. Quoi 1 pensez-
vous donc que, tandis que vous serez les tris-
tes victimes du bien que vous aurez voulu faire
à vos enfants aux dépens des pauvres et de vos
sueurs, ingrats et dénaturés, ils s'en diverti-
ront pendant que vous brûlerez dans l'enfer 1
Non, il n'est nul prétexte plus faux que celui
d'amasser de grandsbiensà vosenfants.Ouils
serontvertueux,etalors ilsenauront toujours
assez; ou ils seront vicieux, et alors ils en au-
ront toujours trop; rien ne leur manquera s'ils
sont pieux; s'ils sont dissipés, vous ouvrez
un gouffre à toutes sortes de vices ; s'ils sont
sages, en leur laissant trop de biens, vous
exposez leur innocence et tendez un piège à
leur vertu; s'ils sont méchants, vous jetez la
mort dans leur sein; vous leur facilitez l'as-
80*
CAREME. — SERMON
souvissement de toutes leurs passions, et il
vaudrait mieux que vous fussiez leur bour-
reau que leur j ère.
3° Mais à ces deux prétextes on en ajoute
un dernier : le grand nombre de pauvres; la
face de la terre en est, dit-on, toute couverte ;
comment secourir tout cela? qui pourrait
survenir à tant d<^ différentes misères, outre
celles que renferment les asiles publics, qui
ne sont déjà que trop surchargés? Combien
de pauvres honteux, que d'indigents autre-
fois riches n'osent découvrir leurs misères,
aiment mieux demeurer cachés au comble de
leur pauvreté, que de la laisser trop voir, et
qui ne pouvant vivre, faute du nécessaire,
meurent continuellement et traînent un reste
de vie plus languissant et [dus à charge que
la mort même.
Oui, je l'avoue. Messieurs, qui sait péné-
trer le mystère do ia pauvreté, le trouve plus
immense qu'on ne peut l'exprimer, et que
jamais le nombre des pauvres ne fut si grand.
Mais devrait-on se faire d'un si grand spec-
tacle de compassion un rempart impénétrable
contre la charité ? de si grands objets de pitié
devraient-ils vous rendre plus impitoyables?
ne sont-ils pas assez à plaindre par cette
même circonstance qu'ils sont en plus grand
nombre? Si vous ne les assistez, que voulez-
vous donc qu'ils fassent? Et parce qu'ils ne
peuvent s'entr'aider, voulez-vous qu'ils s'en-
tredévorent? Ah! quand toute la terre im-
plore votre secours, est-ce pour vous une
raison de n'être point secourables? Quand
tous vos sens se trouvent frappés et émus,
et qu'ils ne peuvent s'empêcher de tomber
sur quelque objet misérable, faut-il que vos
veux se ferment, que vos oreilles soient
bouchées, que vos mains se rétrécissent,
que vos entrailles s'endurcissent et que vous
refusiez la charité, parce qu'elle est d'un
plus grand usage ? Si toutes les puissances du
monde n'ont pu ébranler la foi de Jésus-Christ,
il faut que toutes les misères de la terre ne
puissent épuiser la charité et appliquer la
portion de miséricorde à la portion des mi-
sères qu'on y voit; et après tout refuser de
secourir les pauvres parce qu'ils sont en
grand nombre, est-ce aimer Jésus-Christ ?
Vous le savez, mes frères, quand on aime
quelqu'un, tout ce qui lui appartient nous
intéresse; ses images nous sont chères; on
essaye, par ses portraits, à se consoler de son
absence. Ah ! la foi nous l'apprend, rien ne
lui ressemble mieux que le malheureux et
le pauvre; vous l'aimez donc bien peu, si
vous vous plaignez qu'il se trouve partout,
si ses figures et ses ressemblances vous dé-
plaisent, si vous vous en trouvez si fort im-
portunés, et si vous ne lui devenez durs et
cruels, que parce qu'il se montre à vous par
trop de représentations et d'images.
Hélas 1 cet aimable Sauveur se fait tant de
violence de laisser souffrir ses créatures, ses
membres et ses enfants, et cependant il la
sacrifie, cette violence, au mérite qu'il veut
que vous tiriez d'une occasion si favorable;
il consent à s'attrister, pourvu qu'il vous at-
tendrisse, cl rendant inutiles tous les soins
IX, DE L'AUMONE. jr0fl
que vous lui laissez, cette double peine de
voir les uns malheureux et les autres impi-
toyables. Non, mon Dieu, je n'en aurai pas
la force; je sens mes entrailles s'émouvoir
sur cette multitude de pauvres, et, si vous
me le permettez, j'oserai m'écrier avec vous:
Misereor super turbam. (Marc, VIII.) Ah 1 ce
grand nombre de malheureux m'amollit le
cœur; ils sont trop pour me laisser sans pitié;
s'ils étaient moins, je pourrais espérer qu'ils
se passeraient de mes aumônes : misereor
super turbam. Je sais qu'il y a quelques res-
sources publiques; mais qu'est-ce que cela
pour tant de monde : quid hœc sunt inler
tantos? (Ibid.) 11 y en a encore un grand nom-
bre qui n'ont point le nécessaire à la vie, qui,
dans le chemin qu'ils ont fait, se sont épui-
sés; qui se sont tourmenté, fatigué, usé le
corps et la santé, pour trouver dans le besoin
pressant un morceau de pain qu'ils n'ont pu
s'assurer : nechabent quod manducent. (Ibid.)
Si je ne me hâte de les secourir, si je les
laisse plus longtemps dans la misère, ils
mourront en chemin : si dimisero eos jejunos
in domum suam déficient in via. (Ibid.) Il me
semble entendre la voix des pasteurs qui
s'écrient : Où pourrons-nous prendre assez
de pain pour nourrir tout ce [ euple affamé :
undc ememus panes ut manducent hi? (Ibid.)
Et, à la vue de tant de pauvres, je croyais
me trouver riche. Ce titre d'opulent qui me
sépare de mes frères me fait peur, et au mi-
lieu de tant de misérables, je ne veux plus
être qu'un homme affligé, qu'un chrétien,
qu'un membre de Jésus-Christ. Ah 1 si sou-
vent ce Dieu de miséricorde se trouve pi-
toyable, se laisse fléchir à mes prières et à
mes larmes, lui refuserai- je ce qu'il me
demande avec tant de tendresse et tant d'em-
pressement pour mes frères ; et après l'avoir
fait mourir sur la croix par mes péchés, je
pourrais encore le laisser périr de faim dans
ses membres? Non, tant de dureté m'épou-
vante : misereor super turbam.
Allez donc, mes frères, au sortir de ce
temple, exercer envers les pauvres un si
glorieux ministère; que votre emploi est
honorable 1 Dieu se charge de nourrir les
oiseaux du ciel et de vêtir les lis des champs ;
mais il vous laisse l'honneur de nourrir et
de vêtir ses membres; que ce sort est aima-
ble ! Ah ! puisque en ce moment vous n'avez
plus aucun prétexte qui vous dispense de
faire l'aumône, que votre cœur est attendri,
que Jésus-Christ attend de vous cette misé-
ricorde, le plus beau trait de ressemblance
avec lui, ne lui donnez pas une fausse joie;
tenez-lui ce que vous venez de lui promettre
par ma bouche; répandez avec amour, avec
humilité, avec abondance, les biens qu'il lui
a plu de vous donner; car j'ose présumer
de votre charité qu'il ne s'agit plus que de
la manière de la faire, et que, comme les
pains du sanctuaire étaient couronnés de
deux couronnes : coronis duabus, de même
aussi le pain de vos aumônes vous procurera
une double couronne de grâce en cette vie
et de gloire dans l'autre. C'est ce que je vous
souhaite, etc. Amen.
807
CONTRE LES
ORATEURS SACHES. LE P. SURÎAN.
808
SERMON X.
OBSTACLES QU'ON
CONVERSION.
OPPOSE A SA
Vis sanus ficri? (Joan.,\.)
Voulez-vous être guéri'!
Ainsi vous parle Jésus-Christ depuis long-
temps au fond de vos cœurs, attendri devons
voir, comme ce paralytique, vieillir dans
votre maladie, presque accablés sous le poids
de vos habitudes criminelles ; n'est-il pas
temps enfin de sortir de ce malheureux état
où vous réduisent vos désordres, de faire
cette grande démarche de conversion? et
mènerez-vous jusqu'à la fin une vie toute
misérable, abandonnés aux remords de votre
conscience, et dans un trouble continuel de
vos pensées etde vos désirs? Voulez-vous être
guéris: Vis sanus /?erii* Est-ce que le parti delà
vertu et de la pénitence ne serait point meil-
leur pour vous? Et aujourd'hui que la piscine
salutaire vous est ouverte et qu'on vous an-
nonce un Evangile, où semble être attachée
la grâce, de votre guérison, ne voulez-vous
point être guéris vous-mêmes? Vis sanus
fieri ?
A cette voix miséricordieuse qui s'élève
depuis longtemps du fond de votre âme, vous
opposez m die obstacles frivoles et vains
pour n'y point répondre'; or, tout l'évangile
de ce jour est destiné de Dieu à les com-
battre et h les dissiper ces vains obstacles;
et Jésus-Christ vient vous offrir dans tous
ceux qui sont guéris dans la piscine proba-
tique, de quoi les confondre, ces frivoles
prétextes; et, en effet, quelles sont ici les
infirmités qui servent d'obstacles à votre
conversion et qui /vous font désespérer de
votre pénitence? Les voici figurés bien na-
turellement dans les divers malades de l'é-
vangile de ce jour : 11 y avait sur les bords
de la piscine un grand nombre d'infirmes,
les uns n'étaient que languissants, d'autres
qui étaient aveugles, d'autres boiteux, d'au-
tres qui avaient les membres desséchés;
tous attendaient le mouvement de l'eau, et il
y avait aussi un paralytique depuis trente-
huit années. Quelles images 1 et que tous ces
malades ensemble représentent bien votre
état, pécheurs, et les divers obstacles que
vous opposez à votre conversion.
Si nous vous proposons avec instance de
revenir de vos égarements et de vous plon-
ger dans la bain sacré de la pénitence, vous
nous répondrez que vous êtes faibles, lan-
guissants : languentium; mais, parmi ces ma-
lades guéris, il y en avait d'aussi faibles que
vous. Encore, dites-vous, si je voyais clair
dans ces vérités de la foi ; mais je n'y vois
rien : tout y est obscur et en énigmes : cœco-
rum; mais n'y avait-il pas des aveugles au
bord de la piscine? Vous vous plaignez que
vous êtes nés d'un caractère inconstant, que
vous ne sauriez vous fixer et marcher d'un
pas ferme : claudorum; mais parmi ces in-
firmes guéris, il y avaient des boiteux qui
chancelaient et ne pouvaient se soutenir;
niais, ajoutez-vous, je ne sens nul goût pour
la piété; je ne sens (pie des sécheresses et
de l'ennui pour la pénitence : aridorum ; n'y
avait-il pas des hommes dont les membres
étaient secs et arides, qui ne se sentaient
pas ? D'ailleurs, dites-vous, j'attends la grâce,
qu'il vienne un moment qui me touche :
Expectantium aquœ mplum ; tous attendaient
le mouvement de l'eau au bord de la piscine;
enfin, mon habitude est trop longue, mes
maux trop invétérés : erat autem homo ibi tri-
ginta et octo art/nos habens in infirmitate sua ;
niais du nombre de ces infirmes était encore
un homme paralytique depuis trente -huit
ans.
Or, corn;. ter que comme tous ces malades
étaient guéris tour à tour, pourvu que l'ange
y descendit pour en troubler l'eau, et qu'ils
voulussent effectivement leur guérison, et
vous aussi qui réunissez peut-être toutes
ces infirmités ensemble, vous serez guéris
comme eux; c'est Dieu qui vous en assure
par ma bouche ; pourvu que vous vous met-
tiez en état de pénitence, vous vous conver-
tirez; je ne vois point en vous de maladie,
si grande qu'elle puisse être, qui vous en
puisse empêcher, et tous ces mêmes obsta-
cles que vous nous alléguez vous en devien-
nent les raisons les plus fortes.
Combattons-les les uns après les autres,
ces obstacles, et pour donner quelqu'ordrea
ce discours, commençons par ceux que vous
tirez de votre propre fonds, et ensuite nous
détruirons ceux qui vous viennent du de-
hors; obstacles dans vous-mêmes, voilà mon
premier point; obstacles hors de vous-mê-
mes, ce sera le second. Faudrait-il, ômon
Dieu, que vous demandassiez au malheureux
pécheur s'il veut être guéri; n'est-ce pas à
lui à vous demander avec larmes sa guéri-
son ! implorons les secours dont nous avons
besoin pour une matière si importante, et
pour l'obtenir adressons-nous à Marie. Ave.
Maria.
PREMIER POINT.
Faut-il que l'homme soit si ennemi de
lui-même, qu'il cherche dans son propre
fonds ce qui peut servir à fomenter sa perte ,
et entretenir son malheur 1 C'est, Messieurs,
cependant ce qui arrive parmi presque tous
les chrétiens , qui au lieu de tirer de leurs
infirmités des motifs de vigilance et defec»
veur, en prennent des prétextes de chute et
d'endurcissement; je nie sens dans un étst
de langueur qui m'abat, dans une incons-
tance qui m'empêche de marcher d'un pas
ferme, je ne sens aucun goût pour la piété.
Trois obstacles que l'on trouve en soi pour
ne point travailler h sa conversion.
Premier obstacle a voire conversion, votre
faiblesse qui vous rend languissants, languen-
tiam; il y avait au fond de la piscine des
hommes languissants; mais encore qui est-ce
ici qui nous allègue toute sa faiblesse? Est-
ce un homme humble, timide, qui se défie
de son propre cœur, qui fait de sa faiblesse
un motif de sa vigilance, le sujet de sa crain-
te, et une raison d'élever sans cesse les yeux
au ciel, d'où seul il lui peut venir du secours
809
CAREME. — SERMON X, OBSTACLES A LA CONVERSION.
MO
pour sa guérison, et qui dise comme David :
Seigneur, je voudrais aller vers vous, mais je
me sens faible ; aidez-moi à faire cette heu-
reuse démarche, *prenez pitié de moi: Mise-
rere mci, Domine, quoniam infirmus sum.
(Psal. VI.) A une âme faible qui parlerait
ainsi, je dirais, c'est un grani préjugé pour
votre guérison de ce que vous sentez votre
mal, et que vous demandez au Tout-Puissant
.du secours ; c'est une grande préparation
pour obtenir une grande grâce ; les plus
grands pénitents ont été faibles aussi bien
que vous, et Dieu lesachoisisau nombre de
ses élus pour confondre ceux qui étaient
forts; espérez en lui et comprenez que si
vous êtes faibles, eu égard à vous-mêmes,
vous êtes pleins de force par la grâce et par
la miséricorde de Dieu: Robusiisumus. Voilà
ce que je dirais à une âme qui craindrait sa
faiblesse ; mais vous pour qui ce prétexte n'a
rien de sérieux, pour qui il n'est autre phose
qu'un artifice de l'amour-propre pour co-
lorer votre paresse , votre mollesse et votre
indolence; vous qui ne nous alléguez que
vous êtes faibles que parce que vous êtes lâ-
ches, qui en parlez non en gémissant et avec
compassion, mais avec complaisance et avec
joie, et qui, après vous être dit à Vous-mê-
mes, si j'avais des forces, il faudrait les em-
ployer contre mes penchants, en concluez
aussitôt: Je suis donc faible. Il n'y a que la
crainte qui naîtrait des violences qu'il fau-
drait vous faire, si vous vous disiez forts,
qui vous fait parler ainsi : vous appréhendez
d'être obligés d'enlrer dans un chaos d'af-
faires qu'il faudrait é:laircir, dans les replis
d'une conscience qu'il faudrait développer,
dans le détail de mille choses chères qu'il
faudrait sacrifier; ce n'est que dans l'idée
iausse que vous êtes encore trop jeunes pour
vous donnera Dieu, que vos passions sont
encore trop nouvelles pour vous en défaire
et y résister; vous qui dites que vous êtes si
faillies pour revenir à Dieu, ah! vous êtes si
forts pour l'irriter et pour nourrir toutes vos
passions, l'avarice, l'ambition, l'impureté,
les vengeances ; car pour tout cela quelles
preuves me donnerez-vousde votre faiblesse?
que ne surmontez-vous pas? que ne dévorez-
vous jias? Peines, contraintes, esclavage,
chagrins, que n'essuyez-vous pas pour con-
tenter uue folle passion? On fait, ce semble,
l'impossible, et la moindre partie des efforts
qu'on donne à la cupidité suffirait pour une
conversion sainte.
Vous donc qui vous dites si faibles pour
revenir a Dieu etqui vous montrez si forts
pour l'offenser sans cesse, que puis-je vous
dire ici, sinon que votre disposition est af-
freuse , que votre langage, votre conduite
me paraissent une contradiction manifeste;
sinon que cette faiblesse affectée est un
grand préjugé pour vous et la marque la plus
certaine de votre damnation, et que dire, je
suis faible quand il faut se convertir, c'est
dire, je suis réprouvé.
Grand Dieu 1 jusqu'à quelle extrémité
portons-nous l'injure que nous vousfaisonsl
Est-ce donc un si grand mal de vous aimer,
Orateurs sacrés. L.
qu'il faille plutôt tomber dans l'extravagance
et la folie que de revenir à vous de bonne
foi : premier obstacle renversé, votre faible.
Deuxième obstacle, votre inconstance et
votre | eu de fermeté, claudorum: il y avait
au bord de la piscine des boiteux qui ne
pouvaient se soutenir; voici une image bien
naturelle du prétexte que vous apportez à
votre conversion: Je voudrais bien me don-
ner à Dieu, entrer dans la voie de la piété,
mais je crains de ne pouvoir m'y soutenir,
et d'y être ce que je suis dans tout le reste,
inégal et inconstant. Il n'en est pas ainsi
dans vos entreprises temporelles; ces ter-
reurs paniques ne vous arrêtent pas ainsi
dans les voies profanes du siècle. Avares,
ambitieux, songez-vous à parvenir au som-
met de la fortune, au comble des honneurs ?
ah! vous paraissez infatigables, intrépides,
et votre cœur ne se rebute de nen ; haïssez-
vous? votre haine est inflexible, et vous la
portez jusque dans le tombeau; voulez-vous
plaire? vous le voulez aussi constamment que
si vous vouliez être éternels, et autant vous
vous plaignez de votre inconstance, autant
nous plaignons-nous de votre fermeté.
Mais quand il vous en coûterait quelque
peine pour vous fixer dans la vertu et qu'il
faudrait vous faire autant d'efforts pour elle
que vous en faites pour le monde, le mérile-
t-elle moins que lui, vaut-elle moins? le
joug si aimable et si doux de Jésus-Christ,
pour ceux qui le portent de lion gré, n'est-iJ
pas plus propre à fixer votre cœur incons-
tant, que le joug cruel du péché qui accable,
qui brise ceux qui en sont chargés; et quand
on vous voit demeurer si fermes, et si opi-
niâtrement attachés dans les voies de l'ini-
quité, ne peut-on pas espérer que vous seriez
fermes aussi dans les voies du salut, si vous
aviez le courage d'y entrer.
D'ailleurs, vous qui craignez si fort votre
inconstance et votre légèreté, je vous le de-
mande, la conversion est-elle donc pour
vous un de ces partis indifférents où il soit
permis de délibérer, sur lequel on puisse
opter, choisir, que l'on puisse prendre ou
laisser à son gré? Non sans doute, Mes-
sieurs, et cependant vous demandez: pour-
rais-je m'y soutenir? Cela serait bon, s'il en
était comme de ces préférences volontaires
qu'on donne au cloître, et la religion, s'il
en était de votre conversion comme de ces
engagements libres, vous feriez bien d'y son-
ger, et les inconvénients de la précipitation
dans votre choix pour un genre de vie. Mais
faire pénitence, se convertir, ce n'est pas un
engagement arbitraire et libre, mais essen-
tiel et nécessaire : fût-il plus difficile en-
core, dût-on s'y soutenir ou non, il faut y
entrer, il faut absolument l' embrasser sous
peine de damnation éternelle. Il n'y a point
ici à s'essayer, à mesurer ses forces, à déli-
bérer, on ne délibère point sur une néces-
sité souveraine; il n'y a plus d'autres voies
de salut pour v»ous, pécheurs, que celle de
la pénitence, et, quelque condition qu'elle
vous impose, c'est sur cette condition que
vous devez la prendre.
26
811
OSÎATEURS SACRES. LE P. SUR1AN.
812
Venez donc nous dire que vous vous con-
vertirez, si vous ne craignez votre incons-
tance et votre peu de fermeté; ah I c'était on
quittant le Seigneur, en vous engageant dans
le crime qu'il aurait fallu dire que vous êtes
un inconstant, et, tout tremblant, vous te-
nir à vous-même ce langage : Infortuné que
je suis, je vais abandonner le meilleur des
pères en m'engageant dans le crime, mais
pourrai-je bien m'y soutenir? mais mon
cœur inquiet ne va-t-il pas aussitôt me re-
demander mon Sauveur et mon Dieu? Tout
me fera sentir mon trouble, tout me viendra
reprocher mon inconstance criminelle; mes
remords, mes ennuis, ma honte, ma dou-
leur; le besoin où je me trouverai d'un Dieu
sans lequel je ne puis rien, duquel je tiens
tout ; la nécessité où je me trouverai aux
grandes solennités, d'approcher des saints
mystères et des sacrements de l'Eglise ; la
mort qui peut me surprendre, le jugement
qui1 je ne saurais éviter, l'éternité qui s'a-
vance, tout cela m'obligera bien de quitter
un parti si insoutenable; et quelle folie de
croire pouvoir se soutenir et se fixer dans
un état de vie si malheureux, où l'on ne vou-
drait pas mourir 1
Voilà ce que vous devriez vous dire, et
toute la crainte que vous devriez avoir;
c'est en quittant le Seigneur que vous devez
vous alarmer, mais votre cœur n'est jamais
inconstant quand il revient à Dieu; il revient
à sa place, dès qu'il revient à son devoir :
le centre du chrétien c'est Dieu. Tant que
vous pécherez, vous êtes un inconstant qui
n'êtes pas où vous devriez être ; il n'y a que
la pénitence qui puisse vous remettre à vo-
tre place, et, après tout, une fois converti,
dussiez-vous retomber dans le désordre, ce
serait du moins autant de temps passé sans
olfenser Dieu, et quelques jours chrétien-
nement écoulés d'une vie si déplorable;
mais il y a plus : quand vous le quittâtes, ce
père tendre, ah! vous ne connaissiez pas
encore ce qu'il en coûte pour s'éloigner de
lui ; mais aujourd'hui que vous éprouvez
tous les maux que le péché fait à votre âme,
tous les malheurs qu'il vous attire, et tout
ce qu'il en coûte d'être loin de son Dieu, ah!
l'expérience vous est un sûr garant de la
fidélité que vous observeriez dansle service,
si vous y entriez par la pénitence. Charmés
des saintes voluptés que vous goûteriez avec
votre Dieu, vous ne voudriez plus les quit-
ter, et au lieu de songer à vous en éloi-
gner, vous ne concevriez pas qu'il soit pos-
sible de ne pas demeurer avec lui; et,
après les amertumes et les troubles du pé-
«îié, vous goûteriez combien il est dilficile
de quitter la bonne voie pour reprendre la
mauvaise. Oui, mon Dieul à quiconque vous
a bien goûté, votre loi est un poids aimable
qui le fixe; le monde, avec toutes ses joies
et ses fortunes, ne saurait fixer un cœur,
parce qu'il ne peut ni le remplir, ni le sa-
tisfaire par ses biens périssables et frivoles;
vous seul, qui ne changez point, pouvez
empêcher l'homme de changer, vous sevl
pouvez faire des constants, parce que vous
pouvez seul faire des heureux: qu'il n'y a
que ceux qui se convertissent à vous qui
puissent goûter cette paix solide et ce re-
pos durable que le monde ne peut don-
ner, et qu'en vain l'on veut chercher dans
le crime, où il n'y a que trouble et agitation.
lrrcquietum cormeum, disait le prophète, do-
nec requiescal in te: je ne puis me soutenir
dans la vertu.
Troisième obstacle : en moi, dites-vous, nul
goût pour la pénitence ; c'est pour elle
dans mon cœur une aversion insurmontable,
et voilà par où sont bien exprimés ces ma-
lades qui avaient les membres desséchés et
arides au bord de la piscine : Aridorum.
Mais sans m'arrêter longtemps à combattre
ce vain obstacle, il est aisé de comprendre
que, pour revenir à Dieu par la conversion,
ces attraits délicieux ne sont point néces-
saires; que c'est non le goût, mais la péni-
tence que le Seigneur vous demande, et que
vous êtes après tout des cœurs bien dérai-
sonnables de lui demander des consolations
et des douceurs que des âmes innocentes
n'ont jamais goûtées, et qu'il a même quel-
quefois refusées à ses épouses les plus chè-
res; je pourrais même vous dire que si Dieu
versait en l'état où vous êtes les onctions de
la pénitence sur vous, vous ne les goûteriez
pas, vous ne les sentiriez pas, vous ne les
voudriez pas recevoir; que souvent il les a
offertes à votre cœur, que les délices du
monde et celles de Dieu sont incomparables;
que tant que votre cœur se nourrira des faus-
ses joies du péché, il n'est pas surprenant
qu'il trouve insipides les consolations de la
pénitence; enfin, je pourrais vous dire qu'il
n'y a qu'à commencer pour y trouver du
goût, que ce n'est que dans l'exercice que
vous y trouverez des douceurs ; que le cœur
de David se dilate à mesure qu'il avance
dans la voie des commandements de son
Dieu ; qu'il y a mille choses dans le monde
pour qui vous aviez d'abord du dégoût, et
que vous avez enfin aimées; qu'ainsi vous vé-
rifierez en vous ces paroles.du prophète : 11 est
sorti de l'eau de la pierre aride, et celui qui se
trouvait sans goût s'est trouvé inondé d'une
onction toute divine; troisième obstacle, vo-
tre peu de goût et votre sécheresse pour la
pénitence : Aridorum.
Voilà, Messieurs, en peu de mots, les
principaux obstacles que vous trouvez dans
votre propre fond pour opposer à votre con-
version; voyons ceux que vous tirez du de-
hors, qui ne contribuent pas moins à vous
empêcher de faire pénitence : c'est ce que
nous allons exposer dans la deuxième partie
de ce discours, après avoir respiré un mo-
ment.
SECOND POINT.
Si le pécheur ne trouvait que dans lui-
même de difficultés à sa conversion, je n'en
serais pas si surpris: hélas! que sommes-
nous? misérables vers de terre; de quoi
sommes-nous capables? mais il en cherche
jusque hors de lui-même; et-qu'avec le se-
cours qu'il trouve dans sa religion et dans la
815
CAREME. — SERMON X, OBSTACLES A LA CONVERSION. 8U
de sûr dans ma religion ? Cœcorum. Ce n'est
donc point la faute de la religion, si vous ne
croyez rien ; c'est la vôtre ; c'est celle de vos
passions. La foi ne vous est devenue sus-
pecte que quand elle vous est devenue re-
doutable. Vous êtes donc corrompus, mais
vous n'êtes point incrédules. Il ne vous est
venu contre votre religion nulle preuve nou-
velle. Vous vous êtes trouvés intéressés à
nier votre foi, et vous l'avez niée; ce n'a
point été par un effort de déraisonnement.
Vous vous êtes donné le change à vous-
mêmes sur cela ; et ce n'est point l'incrédulité
qui vous a fait pécher, mais le péché qui a
voulu vous rendre incrédules; et la preuve
que c'est un faux personnage que vous jouez,
c'est qu'au moindre événement qui vous
frappe, vous faites des réflexions tristes sur
l'état malheureux du pécheur : vous voudriez
mener une vie plus chrétienne. Or, si votre
incrédulité était plus sincère, plus réelle,
elle serait toujours la même; et dès qu'elle
varie, elle vient de votre cupidité et de vos
passions, variables de leur nature. Et il est,
si vrai que votre incrédulité et vos passions
ne sont qu'une même chose, que la mort
va vous arracher ce que vous aviez le
plus tendrement aimé. Votre incrédulité
n'est plus la même que dans les autres |é-
cheurs. Il est si vrai que votre incrédulité
est une chimère, que dans certains mo-
ments de retour vers Dieu,^ce ne sont point
vos doutes sur la foi qui vous arrêtent,
mais le seul poids de votre cupidité et de
vos .passions qui vous retient. Votre rai-
son est rendue; mais votre cœur se rend dif-
ficilement, et votre peine n'est point de com-
mencer à croire , mais de cesser de vivre
mal. Ce qu'il y a de plus incompréhensible
dans la foi, comme sont les mystères, vous
trouve dociles; les seuls dogmes vous révol-
tent, parce qu'ils répriment vos penchants
déplorables et qu'ils condamnent votre vie
criminelle, c'est-à-dire que vous êtes un lâche
qui craint des supplices et qui n'ose voir;
un paresseux qui appréhende la violence
qu'il faut se faire, les mouvements qu'il faut
se donner quand on croit, et qui, à cause dé-
cela, essaye de ne rien croire; un indolent
qui refuse de croire, parce qu'il faut de l'ac-
tion , et que le seul parti d'un homme qui
croit est la pénitence : c'est-à-dire qu'au lieu
d'être recueilli et sur vos gardes, vous êtes
un e?prit dissipé à qui par hasard il est venu
des doutes sur la foi , qui les a reçus, et qui
ne fait rien pour les vaincre; peut-être êtes-
vous un ignorant qui blasphème ce qu'il ne
connaît pas, qui s'enfonce dans des doutes
mal fondés, sans science, sans réflexion, sans
système, qui récite ce qu'il a ouï, et qui ne
sait pas douter lui-même; peut-être êtes-
vous un de ces prétendus esprits forts de
nos jours si communs dans le siècle, qui veu-
lentse singulariser; un de ces esprits orgueil-
leux qui, n'étant rien d'ailleurs par lui-même,
veut par l'incrédulité devenir quelque chose ;
un de ces prétendus beaux esprits qui ,
croyant effectivement dans le cœur ce qu'il
contredit au dehors, se dément rar;s cessa
miséricorde de son Dieu, il ose se rebuter, et
renoncer à l'ouvrage de sa pénitence, c'est
ce qui -le rend inexcusable et ce que je ne
saurais bien comprendre.
Entrons donc en discussion avec ce lâche
pécheur, et voyons quels obstacles il oppose
à sa conversion : le premier est du côté de
la foi, le second du côté de la grâce, le troi-
sième du côté de l'habitude. Je n'y vois pas
clair dans les vérités de la foi, j'attends le
moment favorable de la grâce , mon habi-
tude est trop invétérée. Achevons de confon-
dre ou de détromper ce malheureux pécheur
par les autres malades de notre Evangile.
Premier obstacle. — Encore si je voyais
clair dans les choses de la foi; mais je n'y
vois rien : Cœcorum. Il y avait des aveugles
près de la piscine : si vous parliez de bonne
foi, je vous dirais que vous êtes donc bien
aveugles de ne point voir clair dans notre
sainte religion. Rome et Athènes, la synago-
gue et le paganisme, la philosophie et les
passions lui ont rendu un témoignage plus
favorable , et le monde, devenu fidèle par
elle, est ce qui forme la plus grande autorité
que nous puissions avoir sur la terre. Qu'il
vous sied mal de vous inscrire en faux con-
tre une foi signée pour ainsi dire de la main
de l'univers, et posée au pied de la croix
comme la pierre fondamentale de votre sa-
lut; c'est bien à vous à vouloir la rejeter avec
des armes faibles et usées par ceux mêmes
qui savaient mieux les manier que vous, et
qui n'ont rien négligé pour en venir à bout,
sans y avoir jamais pu réussir. Je vous dirais,
si vous étiez de bonne foi, que ce serait à
Dieu et non à vous de se plaindre que vous
l'avez perdue, cette foi; car, depuis que
ce don précieux vous a été confié, qu'en
avez-vous fait? Vos passions vous l'ont ravie,
non sans résistance ; car au commencement
vous sentiez quelque peine à vous révolter
contre les vérités saintes. Quoil par vos dé-
sordres vous vous arrachez les yeux, et vous
vous plaignez après cela de ne rien voir!
voilà, si vous étiezdesaveuglesdebonnefoi,
ce que je vous dirais et ce qui serait contre
vous sans réplique; mais vjous qui dites que
vous vous, convertiriez à Dieu, si vous
croyiez, vous vous donnez pour incrédu-
les, et au fond vous ne l'êtes pas. Il n'est pas
besoin d'employer les grandes et fortes preu-
ves de notre sainte religion; non, il ne
faut que vous opposer vous-mêmes à vous-
mêmes, qu'à vous démasquer, et voira quoi
doit se rapporter votre prétendue incrédulité ;
car vous ne commencez pas par douter de la
foi, et vous livrer ensuite à vos passions :
s'il en était ainsi, nous pourrions croire que
votre peu de foi serait un obstacle à votre
conversion; mais n'est-il pas vrai que vous
avez commencé par vos passions, puis que
vous avez ensuite perdu la foi qui vous avait
été donnée? qu'une fois pécheurs, pour vous
rassurer contre les remords importuns de
votre conscience et contre les frayeurs d'un
enfer dont les vérités de la foi menacent vos
crimes, vous êtes devenus aveugles, et vous
\ous6lcs dit à vous-mêmes: je ne vois pi us rien
8ii
ORATEURS SACRES. LE P. SURIAN.
81G
lui-même, et vent, pour se donnerun relief
dans les compagnies et dans les cercles, af-
fecter de passer pour ce qu'il n'est pas.
En vérité, pécheurs, est-ce là un obstacle
capable de vous empêcher de vous conver-
tir? Celte fausse tranquillité sur laquelle
vous vous retranchez est-elle une raison suf-
fisante pour vous faire dire que vous n'avez
point assez de foi? Ce faux semblant vous
met -il h couvert d'une éternité qui vous
menace, et n'êtes-vous pas insensés de vous
refuser à Dieu, qui vous appelle en mille
manières différentes, pour vous rendre à un
si frivole prétexte? O homme faux et trom-
peur, s'écrie un. Père de l'Eglise, est-ce
donc ici un jeu et vous moquez-vous donc
ainsi de votre foi? Homo fallax omnino
jocaris. Veus voulez le nier, et elle vous
pique : Negas et mordet ; vous dites qu'elle
est un songe, et au fond de l'âme elle vous
presse : Negas et urget ; vous la traitez de
fable, et vous la sentez vivement dans votre
cœur par les remords qu'elle y cause : Ne-
gas et sentis ; vous la demandez, comme si
elle était absente, et elle est présente dans
vous, où elle vous juge et vous condamne :
Te prœsens judicat. Quelle est votre erreur!
vous dites que vous voudriez bien avoir la
foi, et qu'heureux sont ceux qui l'ont ; mas
vous la désirez donc, vous l'enviez donc,
cette foi, vous la regardez donc comme un
grand bien ? Eh ! dès là je vous soutiens
que vous l'avez : Habes quod amas. A ces
traits, je reconnais la foi; les plus plus grands
pécheurs qui reviennent à Dieu n'en ont.pas
davantage ; vous la demandez, et je vous dé-
clare qu'elle est au milieu de vous : In te est.
Oh ! il est donc vrai que c'est un vain obstacle
que vous apportez à votre conversion, quand
vous dites que vous n'avez point de foi ;
cessez donc de vous tromper davantage ; non,
ce n'est point la foi , c'est la volonté qui vous
manque; et puisque maintenant je vous ai
fait voir que vous l'avez, convertissez-vous
donc sans cesse, écoutez ce que Jésus-Christ
vous dit dans saint Jean; non, ne vous abu-
sez pas, un reste de lumière est encore en
vous : Adhuc modicum lumen in vobis est.
(Joan., XII.) Pendant que vous avez encore
ce ravon lumineux, profitez-en, et sortez de
vos égarements : Ambulate dum hicemhabctis
(Ibid.), de peur que les ténèbres d'une vérita-
ble incrédulité ne vous offusquent tellement
que vous ne puissiez plus vous reconnaître :
Ût non vos tenebrœ comprehendant (Ibid.) ; car
celui qui marche dans les ténèbres ne sait où
il va : Qui ambulat in tenebris nescit quo vadit.
(Ibid.) Il court d'abîme en abîme, jusqu'à ce
Qu'il trouve l'enfer ouvert sous ses pieds ;
funeste état! situation lamentable , préser-
vez-nous-en, ô mon Dieu! Premier obstacle
(pie le pécheur trouve hors de lui pour ne
point se convertir, ou défaut de foi: Cœco-
Mais en voici un second sur lequel votre
lâcheté se retranche : J'attends , dites-vous ,
un bon moment, le momenlfavorable de la
grâce , pour me convertir, e.rspcrlantium
ayuœ motum; tous ces malades qui étaient
au bord de la piscine attendaient que l'ange
eût troublé l'eau. Jusqu'ici , pécheurs, vos
prétextes ont été bien injustes ; mais en
voici l'horreur, le comble, le prodige, le
monstre, la contradiction; vous en allez
convenir vous-mêmes.
L'excès de votre injustice est de vous
plaindre que Dieu ne vous donne plus sa
grâce , lorsque vous en avez au delà du né-
cessaire pour vous convertir; c'est de vous
en prendre au Seigneur plutôt qu'à vous-
mêmes, parce qu'il est plus court pour vors
de dire : je n'ai point la grâce , j'attends son
moment, que de dire: je n'ai pas le courage
d'embrasser un nouveau genre de vie, je ne
saurais me résoudre à quitter les attache-
chements et les liaisons que j'ai' avec ie
monde pour me donner entièrement à Dieu.
Mais quelle extravagance de vouloir attendre
une grâce du premier ordre qui vous arrache
tout d'un coup à vos désordres, sans au
moins vous y préparer par la prière, par la
retraite, parla fréquentation des sacrements 1
Le comble de votre injustice : c'est de de-
mander que Dieu vous donne une grâce ,
dont la privation est le plus grand de tous
les maux, sans penser seulement à ce que
vous demandez, en ne le demandant que
froidement du bout des lèvres ; craignant
même de l'obtenir sitôt, pour être autorisés
à croupir dans le crime; l'excès de votre
injustice, c'est d'attendre cette grâce en
outrageant toujours Te Dieu qui la donne ;
en laisant mille efforts impies contre elle ,
en fuyant tous les lieux sacrés où elle se
distribue; en lui offrant dans votre âme un
abîme de corruption capable de l'éteindre.
Voyez où les malades de l'Evangile atten-
daient leur guérison: ce n'était point au
milieu des joies mondaines et du tumulte de
Jérusalem, mais au bord de la piscine, au-
près du saint remède qui pouvait les guérir.
Mais vous , où l'attendez-vous, cette grâce ?
dans le plaisir, au milieu des joies profanes,
dans la mollesse et la vanité, dans le jeu et
les spectacles ; vous l'attendez comme on
attend un ennemi, en vous fortifiant contre
ses approches , contre ses touches secrètes ;
vous dites que vous l'attendez et vous J'éloi-
gnez , vous la détestez, vous l'abhorrez.
O homme ! qui vous piquez de tant de rai-
son sur tout le reste, comment, dans l'affa re
de votre salut, tenez -vous un procédé si
déraisonnable et si injuste! Le prodige de
votre injustice, c'est d'attendre une grâce
qui change votre cœur en un moment sans
l'affliger, sans lui causer la moindre violen; e;
une grâce qui ait coûté, à Jésus-Christ tout
son sang, et qui ne vous coûte rien , ni com-
bats, ni douleurs, ni repentirs, ni regrets 1
une grâce qui fasse toute seule l'ouvrage
de votre salut sans que vous y contribuez
en rien de votre côté, c'est-à-dire une grâce
qui ne fut jamais , qui ne peut ! Eh ! mes
frères, si vous attendez une telle grâce pour
vous convertir, j'ose vous le dire, et pour-
quoi vous le cacher, votre conversion est
impossible.
Enfin le comble de votre injustice c'est
817
CAREME. — SERMON X, OBSTACLES A LA CONVERSION.
SiS
&3 d're, pour me convertir j'attends la
grâce, lorsqu'elle a rempli tous les moments
ue votre vie, que depuis votre naissance
elle n'a cherché qu'à défendre votre cœur
contre le vice, qu'à vous inspirer jusque
dans le crime un goût pour la vertu, qu'à
rompre vos chaînes , qu'à traverser vos pas-
sions, qu'à répandre des amertumes tien
réelles sur vos plaisirs trompeurs, qu'à vous
faire embrasser et aimer une vie triste, sé-
vère , languissante, qu'à vous encourager à
la pénitence par mille facilités heureuses,
par mille secours miséricordieux ! Mus je
vous envisage, et plus je suis surpris de
votre ingrat tude ; en vous je découvre une
main invisible et toute céleste qui vous pro-
tège et vous conserve, un | ère tendre qui
vous aime, qui vous comble de ses biens;
partout en vous je ne vois que des grâces.
Ahl qui en a plus reçu que vous! comptez-
les, s'il est possible: tous vos jours se pas-
sent à vous roidir et à vous fortifier contre
leurs sollicitations, et à repousser leurs
pressantes attaques. Injustes! il vous sied
bien de dire, j'attends la grâce, quand c'est
la grâce qui vous poursuit partout , jusqu'à
vous importuner au milieu même de vos
désordres pour vous en faire revenir ; il est
bien indigne à vous de dire que vous at-
tendez la grâce quand Dieu l'épuisé sur
vous , çt que vous réunissez en vous seul
des grâces qui suffiraient pour convertir tous
les pécheurs ensemble. Et quel temps choi-
sissez-vous encore pour faire cette injuste
plainte? est-ce à ce moment dans co saint
temple où elle agit davantage, où elle vous
rend plus sensibles aux grandes vérités de
la foi, où elle fait sur vous ce que peut-être
elle n'y avait point encore fait; où, voulant
attendrir votre cœur sur le triste état où
vous êtes, elle excite des troubles et des
frayeurs salutaires; où elle fait tomber dans
vos consciences de saintes horreurs , comme
autant de foudres et de tempêtes ; où, redou-
blant par ma bouche ses tendres efforts, elle
vous presse de faire dès ce moment la plus
précieuse des grâces. Aveugles, vous vous
plaigne! de ne point en avoir : eh ! à ce mo-
ment n'en avez-vous point trop? et l'abus
que vous faites ici de ses amoureuses pour-
suites ne met-il point le sceau à votre ré-
probation? et si vous résistez encore à ce
dernier effort, n'est-il pas à craindre que ce
Dieu juste, pleurant sur vous et sur votre
perte , comme autrefois fit Jésus-Christ sur
l'infidèle Jérusalem, ne vous dise : Ame
infortunée, ton état me perce le cœur, il ne
faut donc plus rien espérer de toi ; ton mal-
heur m'arrache des larmes; ah 1 si tu avais
connu, du moins en ce jour, la paix et le
bonheur que je voulais te procurer : Si co-
gnovisses et tu et quidem in hac die tua quœ
ad pacem tibi ( Luc, XIX) ; si tu avais dai-
gné répondre à ce que je faisais dans ton
cœur pour le toucher, l'attendrir, le rappeler
à la pénitence, in hac die, en ce jour où tout
n'était ce semble que pour toi , où tout cons-
pirait à te faire grâce ; en ce jour qui n'était
point encore le mien, mais qui était le tien,
si tu y avais répondu, c'aurait été un pré-
sage consolant de la paix que j'étais venu
t'apporter, quœ ad pacem tibi. Mais ton mal-
heur est que tu ne le vois pas en demeurant
dans le péché; les efforts que ma grâce fait
sur toi , les biens que je veux te procurer,
tout cela est caché à tes yeux ; un jour vien-
dra après celui qui viendra, des jours où je
t'abandonnerai à ta triste destinée , renient
di(s in te. Semblable à Jérusalem du côté de
l'ingratitude, tu le seras aussi du côté de la
punition; tu deviendras la proie de tes en-
nemis, les démons ne feront de toi qu'une
grande ruine: Circumdabunt te inimici lui
ralh , et coungustahunt le undique (Luc,
XIX) ; lu étais mon temple, ma fille, et on ne
te reconnaîtra 'pi us, il ne restera plus pierre
sur pierre; il n'y aura plus en toi ni grâce,
ni foi, ni vestige de religion : Non relinquent
in te lapidera super lapidem (Ibid.)) ; et la
grande raison , c'est que tu n'auras pas con-
nu le temps de mes visites, les bons mo-
ments de ma grâce, eo quod non cogncverii
tempus visitationis tues (Ibid.) ; c'est que lu
n'as point connu cet heureux temps où
ma miséricorde vous visitait; cette heure,
ce moment actuel où je te parle, où je te
cherche , où je te conjure, au nom de mou
sang, de revenir à moi , et tu refuses de te
rendre à mes instances , eo quod non cogno-
reris, etc.
Terrible arrêt, pécheurs : est-ce qu'il ne
vous effraye point? est-ce qu'il ne vous tou-
che point? ah! vousl'allez donc subir! Cessez
donc de dire j'attends la grâce ; ah l vous la
voyez, c'est la grâce même qui vous attend,
vous en avez plus que vous n'en attendez et
que vous n'en devez espérer. Cessez de dire
que vous attendez un bon moment ; vous le
voyez, ce bon moment, c'est Jésus-Chrit lui-
même qui attend le mouvement de l'eau,
aquœmotum; oui, il attend que vos'yeux pleu-
rent, que vous vous repentiez sincèrement,
que vous soyez attendris; s'il voyait en vous
un mouvement de compassion et de dou-
leur, vous seriez guéris.
Reste encore un dernier obstacle : la lon-
gueur de la maladie. Mon habitude est trop
invétérée; mais la miséricorde de Dieu ne
vous offre la guérison d'un paralytique de
trente-huit ans que pour vous faire espérer
la vôtre et vous faire comprendre que si vous
vouliez bien, il n'est point de désordres ni
d'état, quelque désespéré qu'il paraissej,
dont vous ne puissiez sortir avec la grâce
qui vous a été donnée :A quacunque detine-
batur infirmitate.
Sans employer ici de grands raisonne-
ments, arrêtons-nous aux exemples; l'exem-
ple du grand Augustin, de la force et de
la félicité avec laquelle il vainquit sa mau-
vaise habitude, dès qu'il le voulut effective-
ment, suffira pour vous prouver que vous
pouvez sortir de la vôtre, pourvu que vous
le vouliez comme
couché par terre, il
écoutez -le comme
lui : depuis longtemps
ne pouvait se relever ;
il s'en explique : Je ne
faisais, dit-il que me rouler dans mon boiir-
>, je u«-
bier et me débattre dans mes chaîne.-
819
ORATEURS SACRES. LE P. STJRIAN.
820
pouvais ni me quitter moi-même, ni me
souffrir tel que j'étais ; mes habitudes me
disaient : Tu veux donc nous quitter, pen-
ses-tu le pouvoir? ainsi j'étais l'esclave de
l'habitude, désespérant de pouvoir la vain-
cre. Voilà mon frère l'état d'Augustin avant
sa conversion ; vous y reconnaissez-vous?
car tel est l'état de tous les pécheurs qui
n'ont point recours à vous, ô mon Dieu ! mais
fait-il quelques efforts, il devient le vain-
queur; écoutez ce que ce saint pénitent con-
tinue de dire de lui, il en parle bien diffé-
remment : Alors, dit-il, je poussais des sou-
pirs profonds mêlés de larmes vers le ciel,
et le conjurais de me regarder en pitié ; je
cherchais la solitude, et m'éloignais de l'objet
de mes passions ; je lisais et relisais de
saints livres (remarquez, mes frères, comme
1 ouvrage de sa conversion s'avance); j'es-
saye enfin de sortir du précipice où j'étais
plongé, je me trouve déjà sur le bord,
moins esclave que je n'étais, et peu s'en
fallait que je ne fusse tout à fait libre quand
l'habitude me demandait si je pouvais me
passer d'elle, et je'me demandais à moi-même
pourquoi donc ne pourrai-je pas ce qu'ont
pu tant d'autres avant moi.
Grâce à votre miséricorde, ô mon Dieu,
vous demandiez à ce malade s'il voulait être
guéri; il le voulut, et il fut guéri ; or, pour-
quoi, pécheurs d'habitude, si vous vous fai-
siez les mêmes efforts que le fit saint Au-
gustin, si vous entriez dans les mêmes
dispositions de religion et de pénitence, si
vous étiez ce qu'il était, ne deviendriez-
vous pas ce qu'il devint? le bras du Tout-
Puissant est-il raccourci? vous feriez-vous
un sujet de découragement de vos longues
habitudes, en voyant un pécheur aussi invé-
téré que vous parfaitement converti ? Quoi !
notre malade allègue-t-il sa longue maladie,
quand Jésus-Christ lui demande s'il veut
être guéri? Non, il le voulut, et il le fut;
voulez-le comme lui, et bientôt vos habitu-
des les plus enracinées ne seront plus qu'un
faible obstacle à votre conversion; que sa-
vez-vous? peut-être la longueur de votre
habitude vous est ici un présage de votre
constance et de votre fidélité au service de
Dieu. Vous êtes d'un caractère à être long-
temps ce que vous êtes, vous êtes un de ces
cœurs fidèles capables de tenir longtemps
un parti; plus vous avez été un pécheur obs-
tiné, plus vous serez un pénitent constant;
le même fond, qui a fait en vous une habi-
tude criminelle , y fera la persévérance
chrétienne, et jusqu'à la profondeur do vos
maux, tout servira à la grâce pour amollir
votre cœur et pour vous convertir si vous
voulez, et y répondre; car, je le répète, vous
n'avez qu'à vouloir votre conversion pour
l'obtenir; ah 1 la voulez-vous donc, mais
efficacement, mais sincèrement, mais véri-
tablement : Vis sanus fîerï? Commencez-la
sans cesse, que ce soit ici le dernier de vos
délais: tout se réduira-t-il à être touché pour
un moment et à promettre aujourd'hui ce
que vous ne tiendrez pas demain ; n'aurez-
vous jamais que des velléités, quelques ré-
solutions passagères que vous n'effectuerez
jamais véritablement. Ahl devrions-nous
être obligés d'appuyer si longtemps sur
l'importance qu'il y a de vous sauver; jus-
qu'à quand balancerez-vous à prendre votre
parti, puisque la pénitence est indispensable ;
ne risquez-vous pas en la différant de ne
point la faire; ahl pourrez-vous bien vous
résoudre à sortir de l'état déplorable du
péché ? Ferez-vous bien cet effort de tra-
vailler tout de bon à sauver votre âme, il y
a longtemps que vous devriez l'avoir fait ;
n'allez- vous pas tout à l'heure en prendre
la résolution, le jurer aux pieds de Jésus-
Christ ; vous avez tant différé, n'est-il pas
temps; la grâce n'a qu'un moment; l'ange
ne descend pas à tout moment dans la pis-
cine pour en troubler l'eau ; il n'est qu'un
temps bien court, après lequel la guérison
n'est plus possible : Angélus Domini de-
scendebat secundum tempus in piscinam ; ah !
le voyez-vous', [ce bienheureux moment :
l'ange est descendu, l'eau se trouble, la
grâce est en mouvement , saisissez l'ins-
tant favorable; si vous le manquez, vous en
serez fâché, mais vos regrets viendront trop
tard : celui qui a été le plus tôt prêt a été
guéri le premier : Qui prior descendisset ,
sanus fiebat. Ayez entre vous une émula-
tion sainte à qui se convertira le plus tôt;
direz-vous comme le paralytique que vous
n'avez point d'homme pour vous y pion
ger, dans ce bain sacré de la pénitence :
Hominem non habeo ? A la ville plus qu'à'la
campagne ils s'offrent sans cesse à vous, ces
hommes de miséricorde; ces confesseurs
charitables, pour vous encourager et vous
jeter dans les eaux sacrées de la pénitence ;
surtout, je vous en conjure au nom de Jésus-
Christ, par ce qu'il y a de plus tendre, ne
nous alléguez point ces prétextes, toutes
ces vaines excuses, pour vous dispenser.de
vous convertir, ou au moins de le faire sitôt:
ne sont-elles point épuisées ces folles ex-
cuses, ne les ai-je pas assez renversées,
anéanties, détruites; qu'en reste-t-il sur
quoi vous puissiez compter ; oseriez-vous
les apporter au lit delà mort, vous en servir
au tribunal de Jésus-Christ? je ne vous crois
pas assez impie; et puisqu'elles vous con-
damneraient, qu'elles vous réprouveraient
devant votre juge, pourquoi ne pas ici les
condamner et les repousser elles-mêmes.
Ah 1 dites donc, mais de bonne foi : je le
confesse, ô mon Dieu, que toutes ces ex-
cuses sur lesquelles je négligeais ma con-
version étaient vaines et insensées; et peut-
il y en avoir de raisonnables? Insipienter
locutus sum (Job, XLII) ; j'étais un insensé :
mais présentement que vous m'avez dé-
trompé, ô mon. Dieu, je n'attends pas que
vous me condamniez, je me condamne moi-
même à faire pénitence : Auditu auris au-
divite, ideirco ipse me reprehendo (Ibid.);
j'étais un lâche qui n'osait m'y résoudre,
que tout effrayait, mais à présent que vous
m'avez encouragé, je m'y soumets avec plai-
sir, et pour jamais j'en fais mon sort et mon
partage : Et aijo pœnitentiam in favilla et
3-21
CAREME. — SEHMOX XI, CONTRE L'IMPURETE.
cinere.(Job. ,XL1I.J Plût à Dieu l'avoir plus tôt
fàitel que si mes sens et la nature en crient,
je les mortifierai si bien qu'ils seront forcés
de se taire, et mes plus chères passions ne
seront désormais que mes plus grandes pei-
nes: j'ouvre enfin les yeux sur mon état dé-
plorable, il m'attendrit, et j'ai résolu d'édi-
fier autant par ma pénitence que j'ai scan-
dalisé par mes crimes ; encore vaut-il mieux
la faire dans le reste de temps,' peut-être,
hélas 1 bien court, que j'ai à vivre , que
pendant toute une éternité : Ago pœniten-
tiam, etc.
Faitcs-ladonc, mes frères, et pour la faire
dignement, suivez les règles que le Sauveur
nous marque dans la guérison du paralytique :
Surge ; levez-vous forts et du péché, et de
toute occasion prochaine: toile grabatum
tuum; emportez votre lit, faites-vous un
genre de vie pénible et laborieuse, gémissez
sur les mêmes choses sur lesquelles vous vous
reposiez; faites plus, ambula , avancez-vous
de plus en plus dans les voies de la pénitence,
expiez vos péchés par la pratique des vertus
contraires, ne vous contentez pas de guérir
une passion en conservant l'autre. J'ai guéri
l'homme tout entier, dit Jésus-Christ; guéris-
sez-vous aussi tout entier par la retraite, par
la vigilance, par les mortifications, de peur
que votre état ne soit pire, et ce pire c'est la
damnation éternelle; enfin, une fois convertis,
bénissez Dieu sans cesse, et le remerciez de
vous avoir accordé la grâce île votre con-
version. Le premier u-age que le paralytique
fait de sa guérison, c'est de passer de la pis-
cine au temple : Postca invenit eum Jcsus in
lemplo. Et vous aussi, âme convertie, allez au
sortir d'ici vous offrir au Seigneur au pied
desesautelsen actions de grâces, et pqurriez-
vous lui en rendre jamais assez? c'est un si
grand bonheur d'être à Dieu, une consolation
si sensible de vivre pour lui, et de respirer
tranquillement dans la paix de la vertu, après
avoir gémi si longtemps dans l'inquiétude
du crime! C'est une joie si grande de pou-
voir s'assuror un avenir heureux, et avec
Jésus-Christ une possession de tous les biens
dans l'immortalité de la gloire 1 Je vous la
souhaite, mes frères, au nom du Père, etc.
Amen.
SERMON XI (7).
CONTRE L'iMPUUETÉ.
Cum immundus spirilus exierit de homine, ambulat per
oca inaquosa, quserens requiem et non inveniens. (tue,
Lorsque l'esprit impur sort de l'homme, il se promène
par des lieux arides et cherche du repos sans en trouver.
En deux paroles, l'Esprit-Saint renferme
les deux principaux caractères de l'esprit im-
pur, quand il dit qu'il est aveugle, qu'il
cherche du repos sans jamais en trouver.
Sentez-vous, Messieurs, toute la force de
cette image , et sous quelles couleurs plus
affreuses, mais plus naturelles, Jésus-Christ
pouvait-il nous représenter le péché charnel?
ce péché, le malheur du monde, la grande plaie
de l'âme, la désolation de l'héritage de Dieu,
le scandale de la foi, l'affliction de l'Eglise,
ce péché qui a pris la place des persécuteurs
et des tyrans, et qui est devenu plus cruel et
plus redoutable qu'eux; ce péché qui dégrade
tout l'homme, qui profane tout le chrétien, et
qu'on aime tout déplorable qu'il est; ce pé-
ché de tous les temps, de tous les états, de
tous les âges, de tous les sexes, du inonde et
de la retraite, de la vieillesse et du premier
âge, de l'homme et de la femme, du héros et
du vil esclave, la tentation des forts et des
faibles ; le profond abîme des grands et.
des petits, des pauvres et des riches, des
ignorants et des savants, des justes et des
pécheurs ; ce péché aujourd'hui si débordé,,
que les saints, que les fidèles n'osent lever
les yeux sur la terre sans gémir; ce péché
qui oblige Dieu à détourner la vue de dessus
son peuple, pour n'en pas apercevoir les
abominations, et qui ne laisse voir partout
qu'un grand malheur ; ce péché qui par sa
contagion semble se faire respecter, que notre
ministère n'ose plus attaquer, tant il s'est
fait de partisans, comme si, pour ménager
une innocence qui n'est plus, nous devions
ménager un vice qui est plus que jamais ;
comme si la pudeur pouvait être un rempart
contre la pudeur même, et que le silence
pût servir de barrière contre tous les ana-
thèmes dont Jésus-Christ a frappé ce vice
abominable.
Osons cependant en parler ; combattons ce
monstre redoutable, et rendons à ce péché
ses véritables traits; s'il est peint dans tout
son naturel, il n'est pas à craindre qu'il plaise;
et comment ne se ferait-il pas abhorrer? Dans
la peinture de l'esprit immonde, vous consi-
dérerez donc, 1° comme il vous rend pveugle:
celui qui était possédé de ce démon ne voyait
point, cœcus; 2" comme il vous rend misé^
rable : il cherchait du repos, et n'en trou
vait point, quwrens requiem et non inveniens.
Aveuglement et misère, passion insensée et
tyrannique, en vérité le portrait de ce vice
honteux pourrait-il faire sur vous une autre
impression que d'horreur et de haine; et
cette passion qui vous ôte tout à la fois et vos
lumières dans son commencement, et votre
repos dans les suites, pourrait-elle ne pas vous
paraître détestable et monstrueuse? j'avoue
qu'il serait bien {dus consolant pour nous de
garder le même silence sur ce vice qu'on fai-
sait au premier siècle de l'Eglise; mais, puis-
que les temps sont changés ; il faut bien que
nous changionsde langage. Vous, ômonDieu!
purifiez ma langue et mon cœur, ne permet-
tez pas qu'une bouche, consacrée à révélerau
peuple vos plus adorables mystères, se souille
en racontant les abominations de l'homme
charnel; ne souffrez pas que je les fasse rou-
gir de mes paroles, en voulant les faire rougir
de leurs actions; et que je devienne un scan-
dale aux justes plutôt qu'un sujet de terreur
et do confusion aux pécheurs. C'est la grâce
que nous vous demandons par l'intercession
de Marie. Ave, Maria.
(7) Imprimé au tome II, page 1, de Tédition de Liège.
S-i3
ORATEURS SACRES. LE P. SLMAN.
824
PREMIER POINT.
Toute passion aveugle l'homme dans quel-
que partie de lui-même; mais celle dont je
parle aveugle tout l'homme en l'assujettis-
sant à la chair, et parce que toutesles lumières
de l'homme sont sa conscience, sa raison, sa
foi, pour .montrer que ce vice est un aveugle-
ment profond de tout l'homme, il faut prou-
ver qu'il éteint en lui et toutes les lumières
de sa conscience, et toutes les lumières de sa
raison, et toutes les lumières de sa foi, et
c'est ce que je vais vous démontrer en | eu
de mots. Oh ! que l'homme impur. est donc
aveugle 1 plût à Dieu que le premier effet de
ce malheureux vice ne fût point de vous em-
pêcher ici de sentir votre aveuglement : cœcus.
J'ai dit , 1° aveuglement dans la conscience ;
la conscience a deux lumières qu'éteint en,
vous cette infâme passion; elle vous aveugle
sur toutes les voies qui conduisent à ce pé-
ché et sur l'énormité de ce péché même,
voilà ce que ce vice a de singulier au-dessus
des autres, et ce qui doit contribuer davan-
tage à vous le rendre haïssable.
Et d'abord, quand une conscience n'était
point encore obscurcie par ces vapeurs gros-
sières et charnelles, quel jugement ne por-
tait-elle pas de toutes ces voies qui précipi-
tent au crime honteux? tout alarmait son in-
nocence : lectures profanes, spectacles dan-
gereux, conversations enjouées, entretiens
trop libres, intempérances, mollesse, il n'en
fallait pas tant pour l'effrayer, il n'y avait
point de voie à ce crime qui ne lui fut sus-
pecle; et, voyant en David la curiosité punie
par l'adultère, la sensualité en Bethsabée par
l'infidélité, l'imprudence dans Dina par la
perte de toute sa gloire, elle se défiait de tout,
elle voyait du péril partout et se craignait
surtout elle-même, car, par les malheureux
penchants que nous avons à ce crime , nous
sommes à nous-mêmes notre plus grande
tentation.
Telle a été toute âme chrétienne avant d'ê-
tre tombée dans ce vice; d'où lui venaient
ses frayeurs? De ce que Dieu éclairait sa
conscience, alarmait sa pudeur sur toutesles
voies qui conduisent au crime dont je parle;
de ce qu'il lui représentait au naturel toute
la honte qu'entraîne avec soi cette passion
infâme : mais dès qu'une fois elle s'y est li-
vrée, toutes ses lumières divines s'évanouis-
sent. L'Esprit-Saint l'a dit, que du cœur de
l'homme naissent en foule l'orgueil, l'ava-
rice, les fornications, les mauvaises pensées
qui se communiquent dans toutesles parties
de l'homme et le souillent tout entier : Ab
intus de corde hominummalœ cogitationes pro-
cédant adalteria, fornicationcs, etc., et coin-
quinant hominem (Matlh., XV) ; et quel oracle
se trouve plus véritable? La conscience, frap
pée d'un aveuglement profond, ne verra plus
tous ces vices; elle aura les yeux fermés sur
toutes les avenues qui la conduisent au préci-
pice : Etnonvidelrit; et qui les aperçoit en effet
ces voies pitoyables? qui voit-on autre chose
dans le monde que des hommes aveugles qui,
dès qu'ils ont donné entrée au fol amour,
s'offrent ensuite sans frayeur à toutes les
occasions d'un mal qui n'est déjà que trop
grand; qui se répondaient à eux-mêmes du
succès malheureux que bientôt on y fait
quand on le suit? Qu'y voit-on? que des
femmes insensées qui, dès qu'un objet a su
leur plaire, se reposent sans rien craindre
sur une fierté qui n'est qu'une chimère, s'al-
lèguent à elles-mêmes pour sq rassurer une
délicatesse de sentiments qui n'est qu'en
idée, s'exposent sans frayeur à toutes les
occasions du mal, se permettent comme des
choses innocentes toutes celles qu'elles re-
gardaient auparavant comme criminelles : je
veux dire ces liaisons familières entre diffé-
rents sexes, ces entretiens secrets et dérobés,
ces complaisances funestes où l'on se souffle
réciproquement le poison de la mort, je veux
dire ces jarties de plaisirs, ces assemblées
mondaines d'où l'on ne revient jamais avec
l'innocence qu'on y porte; je veux dire ces
lectures profanes qui laissent de si mauvaises
impressions et où les mystères d'amour se
réveillent; je veux dire ces chansons infâmes
où la jeunesse trouve le libertinage avant la
raison ; je veux dire cet empressement qu'on
témoigne pour tous ces ouvrages pervers où
le fol amour est exprimé; je veux dire cette
facilité avec laquelle on court à ces théâtres,
à ces spectacles, où le venin le plus subtil de
la passion entre par tous les sens jusqu'au
fond de l'âme ; je yeux dire le peu de scru-
pule avec lequel on arrête les yeux sur ces
peintures indécentes, sur ces nudités scanda-
leuses qui salissent l'imagination et excitent
des flammes criminelles; je veux dire l'im-
modestie et le luxe des habits, que l'usage ne
peut justifier dès que l'Eglise les condamne;
je veux dire ces artifices ingénieux auxquels
on a recours pour relever une fade beauté, et
se faire un mérite imposteur; je veux dire
la liberté des regards, la licence des paroles
qui avertissent si bien de la corruption du
cœur; je veux dire enfin l'excès des repas,
l'intempérance des plaisirs, la mollesse de la
vie, que sais-je, tant d'autres voies perni-
cieuses dans lesquelles le pécheur dont je
parle s'engage sans scrupule. Et d'où vient
qu'on ne le voit point aller s'accuser de tout
cela aux pieds du prêtre comme auparavant?
Ah! c'est que la passion les aveugle et que
Dieu, pour se venger, fait qu'ils vérifient en
eux ce terrible oracle : De corde exeunt for-
nicationcs, superbia, et omniahœc mala au in-
tus procédant et communicant hominem.
(Marc, VII.) Pour n'avoir pas défendu son
cœur contre les premiers traits de ce péché ,
il l'aveuglera sur toutes les voies qui y pré-
parent : Et nen videbit; hélas! que rapide-
ment ces funestes moyens y conduisent 1 car,
ô mon* Dieu, vous n'avez pas fait un pacte
avec l'homme de le préserver du danger
quand il s'y expose aussi délibéiémcnt; de
prendre soin de conserver son innocence,
lorsqu'il cherche à la perdre, et de le sus-
pendre au-dessus de l'abîme quand il fait sa
plus grande joie d'y tomber; mais quand le
pécheur dont je parle est aveugle sur les
voies qui conduit eut à ce péché, il s'aveuglo
8-25
CAREME.
SERMON Xi, CONTRE L'IMPURETE.
826
sur le péché môme; car voilà, à la honte de
notre sainte religion, jusqu'où se porte le
pécheur impur, jusqu'à devenir impie, voilà
jusqu'où sa conscience s'aveugle. David l'a-
vait bien prédit qu'il s'engraisserait de son
iniquité, que son crime passerait jusqu'à
l'affection de son cœur: Transierunt in af-
fectum cordis , prodiit r/uusi ex adipe ini-
guitas eorum {Psal. LXXIIj; qu'ensuite il
irait jusqu'à l'abomination des sens : Cor-
rupti sunt et abominabiles facli sunt in ini-
quitatibas (Psal. XIII); que cependant la lu-
mière de ces sortes de pécheurs, qui est
leur conscience, n'en a rien vu, ne s'est
aperçue de rien : Et hom-o non inlellexit
comparants est jumentis insipienlibus. [Psal.
xlvui.)
Quand d'abord l'homme impur se produi-
sit avec des personnes d'un sexe durèrent ,
quand sa conscience encore tendre était maî-
tresse de ses lumières, il qualifiait de péché
un amour qui, hors le nom, avait tous les ca-
ractères du fol amour, amour dominant qui
ruine le premier des commandements de
Dieu, et lui ravit les adorations qui ne sont
dues qu'à lui; amour violent, qui par ses
penchants emporte si loin l'homme, et qui,
au lieu de conduire à Jésus-Christ, comme
doit suivre tout amour, en détourne et en
dégoûte; amour actif, qui veut sans cesse
faire des progrès nouveaux, qui a ses inquié-
tudes, ses chagrins, ses tristesses, aussi bien
que ses plaisirs et ses joies, enlève au Créa-
teur des cœurs qui ne sont faits que pour lui,
pour les dévouer à ïa créature qui ne fut ja-
mais digne d'elle; amour scandaleux, car le
public ne démêle point en vous les senti-
ments d'estime de ceux de la brutalité; amour
damnable, contre qui s'élevait autrefois saint
Paul, lorsqu'il disait : Nous n'avons plus à
combattre contre les infûmes de la chair et
du sang, mais contre l'impureté de l'esprit
et du.cœur : Non est nobis colluctatio adver-
sus camem et sanguinem, sed adversus prin-
cipes et potestates, contra spiritiialia nequitiœ
(Ephes., VI); d'impureté spirituelle d'autant
plus à redouter et à fuir, qu'elle porte tous
les caractères du fol amour et qu'elle offre
l'image du péché par quelque endroit qu'on
l'envisage ; c'était là, Messieurs, les senti-
ments sincères de la conscience encore pure,
eteette heureuse disposition venait de Dieu;
mais une fois tombé dans le péché, cette in-
clination du cœur ne paraît pas même soup-
çonnée de crime. Toutes ces apostasies spi-
rituelles ne passent tout au plus que pour un
enjouement; c'est, dit-on, un pieux strata-
gème que j'ai mis en usage pour voir jusqu'où
peut aller ma vertu, pour exercer mes talents,
pourfaire connaître mon mérite; voilà comme
vous en jugez, quoique vous sachiez au fond
de l'âme que, toutes choses bien pesées, ce
qui se passe entre un homme et un homme,
ou entre un homme et une femme, doive for-
mer en vous un sentiment tout contraire;
mais attendez, dit Ezéchiel, ce Dieu saint
jugera vos faux jugements, il découvrira
votre turpitude et vous fera sentir combien
la pas ion vous aveugle : Yidcbunt omnem
turpitudincm tuam , et judicabo de indiciis
adulterarinn. [Ezech., XVI.)
Vous, cependant; sacrés ministres, quand,
au tribunal de la pénitence, vous trouvez ces
malheureux liens avec ce glaive que vous
portez, rompez-les, brisez-les impitoyable-
ment, coupez-les jusqu'au vif, et vous sou-
venez que laisser dans un cœur la moindre
étincelle d'amour, c'est y préparer l'incendie ;
le cœur est la source de tous les vices, celui
dont je parle y pi end son origine et sa fin, et,
pour peu qu'on lui donne entrée par quel-
qu'un des sens, il va bientôt jusqu'au cœur :
et de là à combien d'abominations ne se
porte-t-on pas? Par respect pour ce saint
Temple, ne les exposons pas, on en com-
prend assez quand nous craignons d'en dire
trop; mais de tous ceux qui voient les autres
vices avec le plus d'horreur, en est-il un seul
qui ne voie celui-ci d'un œil tranquille? Où
est l'homme impur qui ne regarde ce. vice
comme le faible de l'humanité, comme la
passion des grandes âmes, qui ne dise comme
ce pécheur de l'Ecriture, guid mali feci? Où
est l'homme impur qui n'allègue, pour en-
dormir sa conscience, que des inclinations
que nous apportons en naissant ne sauraient
être si criminelles devant Dieu, et qui ne
regarde ce péché comme la faiblesse la plus
pardonnable qui puisse être dans l'homme;
mais si ce vice est si pardonnable et si peu
de chose devant Dieu, d'où vient donc qu'il
a toujours eu le Seigneur pour ennemi, et
qu'il s'en est déclaré le vengeur? D'où vient
que dans l'Ecriture il est appelé exécrable,
et que nous voyons ceux qui en étaient
souillés si rigoureusement punis? D'où vient
qu'il oblige Dieu même à se repentir d'avoir
fait l'homme? D'où vient qu'il attire les fou-
dres et les carreaux sur des villes entières;
qu'il est châtié par l'effusion de tout le sang
d'une nation, par un déluge universel, et
encore aujourd'hui peut-être par le poids
désolant de toutes les calamités ensemble?
car, sous les maux qui nous accablent, nous
devons le juger ainsi, et si, dit un prophète,
la misère est excessive', o'est que le vice est
extrême? Si donc ce vice est si peu de chose
que vous dites, si celui qui le commet est
aussi innocent que vous le faites , pourquoi
donc rougissez-vous d'en être cru coupable?
Pourquoi en faites-vous votre malheur et
votre supplice? Pourquoi le reprochez-vous
à vous-même? Pourquoi le condamnez-vous
tant dans les autres? Pourquoi, pourquoi le
combattez-vous si longtemps, et, après L'avoir
vaincu, pourquoi sentez-vous une joie si
vive et si consolante? Pourquoi regardez-
vous ceux qui s'y livrent comme des hommes
faibles, et ceux qui s'en préservent comme des
hommes vertueux? tout cela ne confond-il
pas l'innocence prétendue de vos penchants?
Si ce penchant est vice pour les autres,
d'où vient qu'il n'en est pas un: pour
vous, et d'où vient donc que ce cœur, que
vous dites être son centre, vous fait-il sentir
par ses inquiétudes et ses remords qu'il ne
lui est point naturel! Quelle chimère de
s'imaginer aue ce cœur qui sent qu'il est
827
ORATEURS SACRES. LE P. SI RI AN.
fait pour Dieu tirera du fond môme de son
être une raison de l'outrager, et qui, ne re-
gardant poirt ce péché comme quelque chose
d'étranger à son état naturel, regardera ce
vice honteux comme sa propre destinée?
Quand vous parlez ainsi, hommes impudi-
ques, vous connaissez-vous bien ? Ne prenez-
vous point le châtiment de votre révolte
pour apanage de votre nature et votre dérè-
glement pour vous-mêmes ? Par tout ce que
je viens de vous dire de ce vice infâme, vous
devez avoir compris (pie votre conscience
n'a plus de lumière, déjà donc quel aveugle-
ment funeste! quelle nuit profonde, cœcusl
Mais ce n'est pas tout.
2° J'ai dit, en second lieu, qu'il aveugle la
raison : comme elle n'a en nous de lumière,
cette raison, qu'autant qu'elle a de règle,
dès qu'elle devient déréglée, elle n'a plus de
lumière; or, comme de toutes les passions,
il n'en est point de plus désordonnée que
celle du profane amour, il n'en est joint
aussi qui fasse plus d*un homme sage, un
insensé; voyez ce que fait la passion dans
un impudique, elle le porte jusqu'à lui faire
un sacrifice de tout ce qu'il avait de plus
cher et de tout ce que sa raison jugeait le
plus digne de son attachement; venons au
détail : sa rifice de sa réputation; onsait qu'on
deviendra un objet de dérision devant ceux
mêmes qui avaient pour nous le plus d'es-
time, et David qui, avant son adultère, avait
toute l'estime publique de son peuple, ne
devint-il pas le mépris et la raillerie de
toute une ville par l'assouvissement de ses
flammes impures.
Sacrifice de sa fortune : ah! périssent toutes
les fortunes plutôt que de manquer à con-
tenter sa passion avec un objet si cher! Ce
prince d'Israël n'abandonne-t-il pas l'espé-
rance d'une couronne pour une créature
qu'il aime. Sacrifice de ses talents : tel qui,
s'il se fût vaincu là-dessus, aurait pu, par la
pénétration de son esprit et de ses belles
qualités devenir le spectacle du monde, faire
la gloire de son siècle, l'espérance de sa re-
ligion, éteint tout cela dans l'assouvissement
de sa passion, et ne laisse voir aux hommes
qu'un triste exemple delà faiblesse humaine.
Sacrifice de ses biens: ahl que ne lui coûte-
t-il pas pour contenter l'objet du fol amour,
ou pour nourrir son avarice insatiable, ou
pour fournir à son luxe énorme, ou pour
entretenir ses dépenses excessives? Car tel
est le malheur de cette passion qu'elle vaut
seule toutes les autres passions ensemble ; il
n'est point de fond qu'elle ne tarisse, point de
ressource qu'elle n'épuise : Hérode compte
pour rien de sacrifier la moitié de son
royaume pour contenter la sienne. Sacrifice
des bienséances de l'âge : cette passion les
renverse toutes; ceux qui tentèrent Susanne
étaient des vieillards. Sacrifice des dignités,
des charges et des emplois: et combien de
magistrats profanent le sanctuaire de la jus-
tice, et consultent plutôt cette infâme passion
que l'équité des lois; avant leur aveugle-
ment les juges d'Israël étaient respectables
par leur droiture et par leur sagesse. Sacri-
fice du ministère le plus sacré : les enfants
du grand prêtre sont-ils possédés de celte
passion, ils deviennent l'exécration du peu-
ple, la désolation de leur père, et sont re-
gardés comme les enfants de Déliai. Sacrifice
du rang : la femme de Putiphar sollicite son
esclave. Sacrifice de paroles et de la discré-
tion : ceux qui sont possédés de cette infâme
passion n'ont plus aucune retenue, ils ne
regardent plus ni politesse, ni prudence, les
nudités, les paroles obscènes.
Voilà le bon air et le style du temps, et la
langue vulgaire des mondains ; l'Apôtre ne
voulait pas qu'on nommât seulement ce vice
de son temps, et aujourd'hui tout le caracté-
rise, tout le signifie; on n'entend par tous les
cercles et les compagnies qu'allégories hon-
teuses, infâmes allusions, qu'équivoques in-
sensées : In/juinatœ sunt, etmens, et conscien-
tia {l'if., 1); celte passion, ladirai-je, Mes-
sieurs,le souHrirez-vous? Cette passion fait
encore sacrifier la bienséance même du sexe ;
hélas ! en connaît-il seulement aujourd'hui 1
0 sainte pudeur, modestie aimable, pré-
cieux trésor des femmes chrétiennes , qu'ô-
tes-vous devenues? A votie place règne
maintenant une licence effrénée qui ne rou-
git de rien, un libertinage d'esprit qui em-
poisonne tout, et si le monde même s'en
plaint, que feront les sacrés ministres ? Voilà
cependant, si vous les en croyez, ce qui
n'est que bagatelle et enjouement d'esprit.
Ah! que vous connaissez mal ce vice! Sa-
crifice encore de vos plus heureuses incli-
nations que cette passion change et enlève :
vous étiez né bon, sincère, doux, affable, gé-
néreux, el cette passion vous rend faux,
cruel, dur, fourbe, plein de caprices et de
mauvaises humeurs. Sacrifice de vos devoirs
les plus chers et les plus indispensables : il
n'est rien en vous que votre | assion ne cor-
rompe ; par elle, vous devenez fils désobéis-
sant, père dénaturé, sujet rebelle, époux infi-
dèle, la passion parle encore plus haut que
la nature et la loi; vous ne parlez plus que
par son organe, vous ne voyez plus que par
ses yeux, vous n'agissez plus que par ses
impressions, vous ne respirez que par ses
influences ; c'est par elle que vous vous esti-
mez heureux ou malheureux ; faut-il le dire,
enfin ? ah ! vous n'adorez plus que ses idoles.
J'oubliais encore un sacrifice, c'est celui de
votre santé: car enfin, comme l'impudique
ne possède plus son corps, il n'en est plus
le maîlre, il l'abandonne au crime, et par
conséquent à cette multitude de maux qui
d'ordinaire l'accompagnent. La passion im-
pure ne fait plus de la vie de ce pécheur in-
fâme qu'une triste langueur, qu'une infir-
mité continuelle : elle vieillit la jeunesse,
elle désespère la vieillesse, elle atténue
l'âge viril, et sacrifie à son tour l'infortuné
qui lui a sacrifié toutes choses; mais ne faut-
il pas que sur celui qui se livre à ce vice dé-
testable s'exécute l'oracle du Seigneur : Mon
esprit ne reposera jamais dans cet homme,
parce qu'il est tout charnel, et que Ja raison
et la chair sont incompatibles ensemble:
Non permanchi! spîritus meus in homine, in
820
CAREME. — SERMON XI, CONTRE L'IMPURETE.
830
(eiernum, quia caro est. Quoi donc de plus
insensé que cet homme que la passion aveu-
gle; ah 1 cet homme, s'il voulait parler sin-
cèrement, pourrait nous dire ici : Oui, il
est vrai, par mes faiblesses, je suis devenu
un grand mystère à moi-même, et un prodige
de folie qui ne se comprend pas ; car quoi
nlus insensé que ce qui se présente ici 1 Ma
fortune , ma gloire , mes intérêts , mes de-
voirs, mon repos, ma santé, j'ai tout sacrifié ;
triste et déplorable destinée ! je hais tout ce
que je devrais aimer, et aime tout ce que
je devrais haïr: ensorcelé par un objet fatal,
je suis tout et rien : homme d'affaires par
mon état et inutile par ma faiblesse; homme
public par mes emplois et mes charges, et
toujours retiré et invisible par ma passion;
sage par mes réflexions, et insensé dans ma
conduite; austère dans mes maximes, et dé-
bordé dans mes mœurs; n'étant rien de ce
que je devrais être, et étant tout ce que je ne
devrais pas être; devenu par l'excès de ma
passion, non-seulement un 'fou, mais un
monstre, un prodige, un paradoxe qui m'é-
tonne moi-même : Fartas sam mihi in por-
tentam. Ah! mon Dieu, un plaisir si honteux
n'est-il pas déjà trop chèrement payé par
l'extinction de sa raison et de sa conscience;
non, il faut qu'il le soit encore par l'extinc-
tion de sa foi et de sa religion.
3° La passion dont je parle éteint dans ce-
lui qu'elle possède toutes les lumières de sa
foi ; et certes un homme trouve d'abord sa
foi contre lui quand il veut aller au désor-
dre, et il est bien triste de se dire à soi-même
au fond du cœur : ce crime que je vais com-
mettre doit être puni dans un avenir éternel
de supplices inévitables 1 Quelle amertume
vient répandre dans une âme une idée si
terrible ! Il faut s'en délivrer, dit le pécheur
impur; de là il dit à son cœur qu'il faudrait
qu'il n'y eût point de Dieu, c'est-à-dire:
Que je serais heureux s'il n'y avait point de
Dieu. Il se complaît dans cette pensée impie,
et parce qu'elle est favorable à ses penchants,
il aime tout ce qui peut l'y entretenir, il ne
cherche que dans le doute à se détromper de
ce qu'il appréhende de voir, et, pour s'aveu-
gler sur ce qu'il désire avec violence, il ta-
che de se rendre sa religion odieuse ; il se
demande : Après tout, est-il bien clair que
cet avenir soit si certain qu'on nous l'assure?
au lieu de surmonter le vice par sa foi, il
combat sa foi par sa passion. Quel prestige !
Mais le pécheur impur le porte encore plus
avant : viennent ensuite des ténèbres [dus
épaisses pour le plonger dans l'abîme, il
tombe dans une incrédulité où son aveugle-
ment se consomme : d'abord la passion la
voit éloignée des secours et privée des lu-
mières qui viennent ordinairement de la
retraite, de la prière, de la pénitence, des
sacrements; car tout cela est un supplice à
l'homme charnel, et que lui substitue-t-elle ?
ces livres monstrueux où l'on fait de l'irré-
ligion un dogme : ces écrits, dignes des
flammes, où l'on apprend à devenir impurs
j>ar principes , par règles; car, à toutes ces
»ectures, le lâcheur impudique trouve un
goût et montre une avidité terrible. Or,
quand ces lumières sont éteintes, est-il
étrange que vous soyez incrédules, et que
déjà athées dans les mœurs, vous le soyez
dans la créance : Cum sint abominait, et in-
credibilcs (TH., I) ; et n'allez pas me dire : Si
je suis incrédule, c'est par faiblesse et non
par irréligion; car je vous dirai à mon tour
que ce n'est que depuis que vous vous êtes
formé des chaînes criminelles, que depuis
que vous avez fait des liaisons funestes, que
vous combattez la foi ; que votre incrédulité
n'a commencé à paraître que depuis que vous
vous êtes aperçu que votre religion cooubat-
ta't vos attachements damnables; que si
vous n'étiez, comme vous le dites, incrédule
que par conviction et non par faiblesse, d'où
vient que dans certains moments où vous
voulez, ce semble, revenir à Dieu, vous
comptez pour rien tous vos doutes; d'où
vient qu'aux portes de la mort , où vous ne
pouvez plus être impur, vous commencez à
cesser d'être impie; n'est-ce pas parce que
vous n'avez pris le parti d'être impie qu'après
avoir pris celui d'être impur; c'est que la
foi se déclarant contre votre passion, vous
vous déclarez contre Dieu même ; ce sont vos
passions qui obscurcissent votre foi, et vous
n'êtes incrédule dans la foi que parce que
vous êtes impie dans vos mœurs. Voilà toute
la cause de votre incrédulité. Voilà toute
l'évidence que vous nous vantez, et qui
l'emporte sur l'invincible clarté de toutes
les preuves ensemble de notre sainte reli-
gion ; voilà tout l'héroïsme de l'irréligion,
la honte de l'humanité, l'opprobre du monde;
tout plongé dans les sens, vous ne voulez
qu'eux pour garants de toute votre créance.
Oh ! qu'il est glorieux à notre sainte re-
ligion d'avoir de tels adversaires, et qu'il lui
est honorable qu'on n'éprouve des armes
contre elle que dans le péché! qu'il est grand
pour le christianisme de n'être point incor-
poré avec ces cœurs impurs, et que jaloux
de sa gloire il en sépare les hommes dès
qu'ils sont souillés de ce vice honteux! qu'il
est beau pour la foi de partager toute seule
cette partie de la vie qui coule dans l'inno-
cence ! mais qu'il est honteux pour vous,
impudiques, de ne devenir incrédules qu'a-
près avoir renoncé à la vertu, à la probité,
à la justice, et à être homme même.
Grand Dieu, que c'est avec justice que
vous appelez Je | éch'é de ces insensés un
feu dévorant jusqu'à la perdition, puisqu'il
consume en eux tout sentiment de religion,
et qu'il déracine toutes les impressions de
foi que vous aviez fait naître dans leur
cœur : Ignis est et usque ad perditionem
devorans et omnia eradicans genimina (Job,
XXXI) ; il est encore justement appelé un
démon aveugle dans l'Evangile, puisque dans
l'homme impur ni sa conscience, ni sa raison,
ni sa foi, n'ont plus de lumières. O Seigneur,
si votre pitié pouvait s'étendre jusqu'à moi,
je suis ce pécheur aveugle qui ai perdu la
lumière; éclairez, de grâce, mes ténèbres, et
que verrai-je alors? que dans ma conscience
il n'y a rien de plus criminel, que dans ma
551
ORATEURS SACRES. LE P. SURIAN.
832
raison il n'y a rien de plus insensé, que dans
ma religion il n'y a rien de plus impie que
cette infâme passion ; mais non-seulement
le pécheur impur est aveugle, il est encore
misérable; c'est l'autre partie de ce discours.
SECOND POINT.
Comme le bonheur de l'homme sur la
terre vient de la tranquillité de son cœur et
de l'espoir de son salut, tout son malheur
doit par conséquent venir du trouble de ce
cœur et du désespoir de son salut. Or, fut-
il jamais passion plus propre à troubler
noire cœur, et h nous faire désespérer du
salut de notre âme que l'amour profane?
Pour vous en convaincre je ne veux que
les paroles de Jésus-Christ : Quœrens re-
quiem et non iiweniens ; l'esprit impur
cherche du repos et n'en trouve point. Pre-
mière réflexion qui prouve les agitations
cruelles du cœur de l'homme impur : Dicit :
lîevertar in domum meum, unde exivi: il dit : Je
retournerai dans ma maison d'où je suis sorti.
Seconde réflexion qui prouve l'impénitence
finale et le désespoir du salut. Ces deux
grands abîmes de misère ne vous effrayent-
ils pas ?
1" La plus grande source des malheurs de
l'homme, c'est son cœur, et les peines qui
naissent du cœur sont les plus sensibles,
Jes autres misères qui viennent des sens
font une impression moins vive; ce n'est
proprement point l'homme, c'est le dehors
de l'homme sur qui elles tombent ; mais la
douleur qui vient du cœur frappe l'homme
tout entier, et la même sensibilité qui nous
rend dans le cœur plus sensibles pour le
plaisir nous rend aussi plus misérables
pour la peine. Or, comme de toutes les
peines qui peuvent agir sur le cœur il n'y
en a point de plus cruelles que celles qui
viennent du profane amour , il n'en est
point aussi qui soient plus désespérantes et
plus propres à le rendre malheureux. Au-
gustin, qui l'éprouva, nous en donne une rai-
son bien triste : si la charité est le suprême
bonheur de l'homme, parce qu'elle l'unit
toujours avec Dieu, l'infâme passion est
d'un caractère tout opposé, parce qu'elle n'a
qu'un objet faux et borné; il faut qu'elle soit
inquiète, etc. Opposons l'amour saint à l'a-
mour profane, les caractères de l'un aux ca-
ractères de l'autre, et que tout justifie ici la
vérité de ces paroles : Quœrens requiem et
non inventais.
J'ai dit d'abord passion inquiète. La cha-
rité est tranquille, parce qu'elle unit le cœur
à Dieu qui est son centre; mais le profane
amour, parce qu'il déplace ce cœur fait pour
Dieu, le rend misérable; ne rappelons donc
plus les inquiétudes que peut avoir ce pé-
cheur du poids de sa confusion, de la honte
de son état, du sacrifice qu'il fait de ce qu'il
a de plus cher : car en certains moments où
la passion ne lui fait point illusion, son
cœur se trouve forcé de se rappeler tout ce
que lui coûte le profane amour; il le sent
vivement, et quand elle ne lui causerait
point d'autres misères, n'en est-ce pas déjà
une bien cruelle, ou pour une femme, ou
pour un homme, ou pour un homme entêté
de n'être plus tranquille, nulle parti] é trouver
inséparable d'eux tout ce qui peut les jeter
dons le trouble et dans la consternation ; de
se faire un enfer de son domestique, trou-
vant odieux tout ce qu'il est obligé de voir
atout moment; de ne former que des pen-
sées sombres et lugubres, que des désirs in-
quiets et dévorants ; fuyant tout le reste et
ne pouvant se fuir soi-même , portant par-
tout l'idée des coupables objets dont l'a-
mour le ronge et le dévore comme un poids
immortel, et ne faisant de tout le reste de sa
vie qu'un long et cruel tourment; c'était là
où cependant l'infortuné cherchait son re-
pos et où il espérait trouver tout le bonheur
de son âme : Quœrens requiem, etc.; mais
quand vous répondez à votre passion, n'est-
ce pas une peine d'être livré aux soupçons,
aux défiances , aux jalousies et à mille et
mille autrespeines qui suivent le fol amour.
Ah ! qu'un cœur que la charité porte à Dieu
est bien à couvert de ces misères ; cet océan
délicieux suffit à tous, et les jalousies n'y
sont point à craindre ; en lui toutes les joies
y sont communes ; le même feu qui embrase
tous les cœurs ne diminue jamais; et un
chrétien fidèle voudrait y porter tous les au-
tres, parce qu'il sait bien que dans cet abîme
de félicité, le monde entier pourrait se perdre
sans«épuiser son amour ; mais l'objet profane
est borné, et c'est pour cela qu'il fait des ja-
loux. Mais de quelle fureur, de quel escla-
vage n'est pas accoiiq agnée celte jalousie !
Dieu peut-il se venger plus sensiblement
d'un impudique? Souffrir et faire souffrir,
c'est son partage; tout ce qu'il voit et ne
voit pas fait son supplice, toutes les chi-
mères deviennent des réalités pour lui, et
toutes les réalités deviennent des chimères.
La pureté de la chaire et la dignité de mon
ministère m'empêchent d'aller plus loin; il
suffit de vous dire, avec le|Saint-Esprit, que
celui qui donne entrée à ce serpent dans
son âme tombe dans le deuil et dans l'afflic-
tion, et sent son cœur continuellement dé-
chiré : Dolor cor dis et lue tus mulier zelotypa;
a-t-il besoin, ce pécheur, d'un autre tourment,
d'un autre bourreau, d'un autre tyran que
lui-même; et ne Irouve-t-il pas le feu de
l'enfer et tous les tourments ensemble dans
cette passion honteuse où il cherchait toute
la félicité de son âme : Quœrens requiem et
non inveniens ?
Mais, si on est à couvert de ces cruelles
jalousies, n'est-il pas bien triste pour ce pé-
cheur d'être livré a mille craintes mortelles ?
Tantôt c'est une fille qui craint que les yeux
de sa mère ne s'ouvrent sur une intrigue,
sur un mauvais commerce; tantôt c'est une
épouse, qui appréhende que ses mystères ne
se découvrent, et que le courroux d'un mari
n'éclate; tantôt vous craignez que vos yeux
mêmes ne vous trahissent, que votre faible
ne parle devant ceux qui vous voient, que
le public si curieux sur les nouvelles scènes
ne pénètre jusqu'au fond de votre âme et
ne devine ce que vous prenez tant de soin
833
CAREME.. — SERMON X!, CONTRE L'IMPURETE.
Soi
d'y tenir caché ; que, malgré tous les dehors
affectés et si bien étudiés de pudeur et
de vertu dont vous vous parez, il ne vous
échappe quelque parole, quelque œillade,
quelque signe qui vous démasque et vous
fasse connaître tel que vous êtes, c'est-à-
dire un impur; car tout parle dans cette pas-
sion, il en coûte tant à se contrefaire! le
grand soin et l'affectation même qu'on ap-
porte à la cacher la découvre, et souvent ce
que vous croyez un secret profond est une
histoire publique. A la crainte que l'objet de
votre passion ne réponde pas à votre fidélité
opposons l'assurance que vous avez de la
part de Dieu : car à mesure que vous avancez
dans l'amour que vous lui portez, à mesure
aussi il augmente sa tendresse pour vous ;
mais il n'en est pas de même des créatures, les-'
quelles sentent que vous leur devez trop :
non-seulement elles ne vous donnent plus
rien, mais elles vous deviennent à charge. A la
crainte que votre passion ne tombe quand elle
est si violente et si forte opposons encore la
divine charité, car votre amour, ô mon Dieu,
se nourrit d'excès, il ne peut jamais aller, ni
trop vite, ni trop loin; mais il n'en est pas de
même du profane amour : comme il se forme
sa raison, la violence fait sa perte; le cœur de
l'homme aime par faiblesse, et par faiblesse
bientôt il n'aime plus : combien de pareils
exemples n'en a-t-on pas vus dans tous les
temps ! vous avez beau vous parer, vous com-
poser, vous farder, dit Jérémie, cet amour
que vous marquaient vos profanes amants
se changera en horreur et en mépris pour
vous, et autant ils vous paraissent dévoués,
autant s'efforceront-ils de vous perdre : Fru-
stra componeris, contempserunt te amatores
tui, animam tua'm quœrent. (Jerem.,lV.) Cet
amour insensé, dit un autre prophète, dont
vous prenez tant de plaisir à rassasier votre
âme, dégénérera en haine et en fureur, et ceux
qui s'épuisaient pour fournir à vos folles dé-
penses vous chasseront comme un miséra-
nle, et vous livreront à la honte et à l'igno-
minie : Et agent tecum in odio et dimhlent
te nudam ignominia plenam, etc. (Ezech.,
XXIII.) Alors, ce cœur enflammé et fidèle se
voyant trompé, se voyant trahi, regardera
en haine et en horreur cet objet infidèle et
trompeur, dont il espérait tout le bonheur
de sa vie. Quel déchirement dans l'âme de ce
pécheur ! ce n'est plus une vie, dit saint Au-
gustin, c'est une langueur, c'est une mort
continuelle, et une situation désespérante ;
et Dieu la permet, afin de vérifier cet oracle :
Quœrens requiem et non inveniens ; l'impu-
dique cherche du repos et jamais n'en
uouve.
Voilà cependant les joies impures que
vous préférez aux chastes consolations qui
accompagnent l'amour de votre Dieu; ce sont
là cependant ces tristes plaisirs que vous
trouvez plus aimables que les saintes dou-
ceurs de la grâce ; vous avez rejeté la croix
de Jésus-Christ, et a quelles croix la pas-
sion impure ne vous attache-t-elle point ?
Vous avez refusé ce calice si aimable du
Sauveur, mais à quel calice d'amertume et
de tribulations la passion honteuse ne vous
livre-t-elle point? car vous l'avez ainsi or-
donné, ô mon Dieu, que l'impie qui vous
ravit son cœur soit puni par son cœur même.
Ah 1 s'il le faut, augmentez encore ses pei-
nes pour le faire revenir à vous ; que ses
joies trop insensées lui deviennent un abîuje
de tristesse et un nouveau tourment; que
plus il cherche son repos dans ce honteux
péché, plus il y trouve son supplice, et avec
son supplice sa conversion : Quœrens re-
quiem, etc.
2° Passion insatiable dans le cœur de
l'homme: quand Dieu, qui est un bien im-
mense et infini, s'y trouve, ce doit être pour
lui une surabondance aimable, un déborde-
ment de joie qui l'inonde et qui le force
presque à s'écrier avec cette homme aposto-
lique, c'est assez; mais ce n'est pas le lan-
gage de l'homme impie : Salomon l'a dit, et
pourquoi le Seigneur a-t-il permis qu'un
homme si sage, le plus sage de tous les hom-
mes, finît sa vie par la plus monstrueuse des
folies, sinon pour apprendre aux hommes
à se tenir sur leurs gardes, pour donner plus
de poids, et rendre plus invincible un té-
moignage que toutes les lumières de la sa-
gesse, de l'autorité, de la raison et de l'ex-
périence nous confirment et nous rendent
indubitable? Salomon l'a dit, et après lui
l'expérience le fait connaître, que le cœur du
voluptueux est un abîme, qui désire tou-
jours mille fois plus qu'il n'a, et qui ne peut
jamais dire, c'est assez; c'est un gouffre si
profond qu'il aurait plus de plaisir, et de
joie qu'il eu espère, et dirait encore : Ce n'e.--t
rien; j'en voudrais davantage. Est-il ici be-
soin de grands raisonnements? Parlez à ma
place, victimes infortunées de la passion
impure; je sais que quelquefois sur cela
votre bouche trahit les sentiments de votre
cœur; mais si vous nous parliez sincère-
ment et de bonne foi comme vous le pensez,
vous nous diriez : Oui, il est vrai que le sort
de ce pécheur est le dégoût et l'ennui ; que
vos cœurs n'ont été que malheureux depuis
que vous aimez ; que les plaisirs charnel»
n'entrent point dans la vraie félicité de
l'homme, et qu'avec eux vous vous trouvez
misérables ; que si vous vouliez nous parler
dans une religieuse ingénuité, vous nous
diriez que si quelquefois vous avez res-
senti quelques joies imaginaires, de tristes"
moments qui leur succédaient les ont bien-
tôt démenties, et que vous avez bientôt re-
connu dans le vide de votre cœur de vérita-
bles peines, qui vous rendaient insupporta-
bles à vous-mêmes; vous nous avoueriez qiœ
quelque violence que vous eût coûtée la ré-
sistance, vous auriez toujours bien gagné à
résister aux attraits de cette folle passion ;
que tous les jours encore vous vous souve-
nez avec larmes et regrets de* votre pudeur,
de votre innocence, et de la paix que vous
goûtiez dans cet heureux temps, et. qu'enfin
à votre malheur votre sort est bien changé;
vous nous confesseriez ici que dans cet ob-
jet qui a su vous charmer, vous y trouvez
bientôt des faiblesses, des imperfections,
855
ORATEURS SACRES. LE P. SURIAN.
838
des travers, des bizarreries, qui le rendent
indigne de votre attachement, qui vous
avertissent que votre cœur aveugle s'est
trompé; vous nous diriez, que depuis long-
temps vous courez de passion en passion
pour y trouver un bonheur que jamais vous
n'y rencontrez, et que si enfin vous avez
choisi un objet auquel vous donnez tous vos
désirs insensés, ce n'est pas que vous soyez
plus contents de votre choix, c'est que vous
vous êtes lassés du changement et que vous
êtes honteux de l'inconstance -.Quœrens re-
quiem. L'impudique cherche en vain du repos
dans sa passion', il n'en trouve jamais; vous
nous diriez enfin que toutes ces fatales vo-
luptés ne sont que de grandes peines, de
grands regrets, une grande honte quand on
y fait réflexion, de criminelles misères ; que
le plaisir qu'on a goûté est un charme fugitif
et passager, et une peine fixe et permanente;
que vous éprouvez trop ce que le sage a dit
que l'impudique perd son âme à cause de
l'indigence et de la pauvreté de son cœur :
Qui adultcr est propler cordis inopiam perdet
animam suam [Prov., VI) ; et qu'enfin, dans
tout vous-mêmes et dans tous les objets de
votre passion, vous justifiez trop cette pa-
role : Quœrens requiem et non inveniens ;
l'impudique cherche du repos et n'en trouve
point.
Voilà pourtant cette passion à laquelle
presque tous les cœurs se livrent aveuglé-
ment; les voilà ces attachements honteux
dont tous les jours on nous dit que les pei-
nes sont des plaisirs, que sur les théâtres on
ne représente qu'en beau, et dont on cache
ou déguise les amertumes et les chagrins
par la pompe des habits, par le brillant des
spectacles, par les parures toutes mondai-
nes : ici vous la voyez, cette passion, dans
tout son naturel, hors du langage du monde,
dépouillée de ce charme trompeur qui fas-
cine les sens, qui flatte l'imagination, toute
abstraction faite de ce qu'on lui attribue
qu'elle n'a point, c'est-à-dire dans la réalité
et dans la vérité toute pure, et dans cette
peinture fidèle, qu'est- elle, sinon un poids
accablant, un tourment affreux, toutes les
misères ensemble?
O feu infernal! ô passion infâme! Si c'est
\h tout le bonheur que tu procures, favo-
vorises-en tes esclaves ; pour nous, ô mon
Dieu, ce n'est qu'en vous et avec vous que
nous voulons chercher des plaisirs vérita-
bles, ceux que cherchent ces malheureux
pécheurs ne le sont pas, ils n'en ont tout au
plus que l'apparence, et, pour comble de
malheur, c'est que la même passion qui les
rend inquiets et insatiables dans le cœur les
rend encore impénitents pour le salut : Tune
vadit et ussumii septem alios spiritus secum,
ner/uiores se, et ingressi habitant ibi. Autre
comble de misère, je n'en dirai que deux
paroles.
3" Ce qui forme dans le pécheur l'état
d'impénitence, ce sont deux choses : Dieu
et l'homme : Dieu qui, irrité, suspend ses
grâces, et l'homme qui, affaibli, tient davan-
tage à son péché; or, de toutes les passions
il n'en est point qui tende plus à consommer
l'impénitencedans un cœur que l'impudicité.
Pourquoi? parce qu'i' n'en est aucune par qui
Dieu soit plus porté h suspendre ses grâces,
ni en qui l'homme plus profondément cor-
lompu aime plus son péché, c'est-à-dire que
par la passion honteuse Dieu est moins dans
la voie de sa miséricorde, l'homme est moins
dans la voie de sa conversion : abomination
de la désolation : Ciel, quel affreux achemi-
nement à l'impénitence finale !
Et d'abord, que voit Dieu dans l'homme
impur? Il le regarde et y reconnaît son
sang précieux foulé aux pieds, sa grâce toute
changée en dissolution et en désordre, gra-
ttant transferentes in luxuriant (Jud., IV), dit
saint Jude. Que voit encore Dieu dans
l'homme impur? Il y voit toutes les trompe-
ries de sa passion et un enchaînement do
péchés qui en sont les malheureux effets; il y
voit la discorde qui divise, l'infidélité qui
trahit, l'intempérance qui abrutit, la mollesse
qui corrompt, la jalousie qui désespère, car
cette passion, malheureusement trop féconde,
pullule une infinité de péchés;d'elle, comme
de leur source, naissent, dit saint Augustin,
presque tous les autres vices, et ce crime,
dit saint Bernard, renferme lui seul tous les
autres, et c'est pour cela qu'on appelle l'hom-
me impur l'homme de péché, comme s'il
était le péché même. Aussi dans l'Evangde
le démon immonde est appelé une légion,
parce qu'il comprend tous les démons en-
semble. Que voit Dieu dans le pécheur im-
pur ? Il y voit une âme créée à son image, ra-
chetée au prix de sa vie, qui n'est plus
qu'une prostitution infâme du péché et à
qui tous les sens servent d'instruments d'i-
niquité; il y voit surtout une chair, depuis la
baptême si vénérable , ennoblie par son
alliance, purifiée par sa grâce, imbue et en-
graissée de ses mystères, plus respectable
que son temple, plus sainte que ses autels,
profaner en elle tous les dons de son Dieu,
se dégrader et se confondre avec les vils ani-
maux. Dieu voit dans le pécheur impur l'a-
bomination et la désolation dans le lieu
saint, c'est-à-dire', en un mot, l'impureté
dans un chrétien.
Or, quel attrait pour la grâce, qu'une si
horrible profanation 1 Oh ! peut-elle assez ,
cette grâce pure, s'éloigner de tant de cor-
ruption; non, j'ose le dire, il n'y a plus de
société ni de commerce entre Dieu et le
pécheur impur. Job craignait que, si son
âme formait une seule pensée impure, elle
ne fût indigne de l'alliance de son Dieu; mais
ce que Job craignait pour lui, vous l'éprou-
verez sur vous. Quelle espérance donc pour
une chair souillée de mille ordures? Ah!
n'en doutons pas, Messieurs; Dieu, aban-
donné si honteusement par l'impudique,
est un démon qui en prendra sept autres
avec lui, s'empareront de votre âme, ils y fe-
ront une demeure fixe : Et ingressi habitant
ibi.
k" Mais s'il ne vous reste point de res-
source du côté de Dieu, prenez vous-en à
vous-mêmes, dont ce vice détestable a con-
837
CAREME. — SERMON XI, CONTRE L 'IMPURETE.
833
sumé toute la vigueur, qui n'êtes plus que
faiblesse et la misère même; et pourquoi la
pénitence doit être nécessairement une vio-
lence héroïque, un combat, une carrière
pénible qui demande des forces extrêmes?
comment donc soutenir ses efforts, vous qui
ne trouvez en vous que de l'épuisement et
de la faiblesse, qui ne sentez plus qu'un es-
prit abattu dans une chair languissante, et
qui, bien loin de faire assez d'efforts pour
retrouver le Seigneur, ne pouvez plus vous
retrouver vous-mêmes ; comment pourriez-
vous le ramener dans, ce cœur épuisé, qui a
perdu cette sainte sensibilité que la grâce
lui avait donnée et qai ne s'imagine point
d'autre plaisir que dans ce vice honteux ,
dans ce cœur en qui tout conspire à éterni-
ser la passion, et rien à pratiquer la péni-
tence? car, d'où l'attendrez-vous, celte pé-
nitence, est-ce de votre volonté? mais elle
est devenue votre passion elle-même, dit
saint Augustin, non vult; en vain, dit-il, je
lui ai donné le temps de fairp pénitence : Non
vult, dedi ei tempus utpœniteret. Une volonté
naissante voudrait rompre ses chaînes, mais
une volonté plus forte serre les liens da-
vantage, et ne fait que se tourner et retour-
ner, sans quitter sa place, non vult; quel-
quefois, regrettant la précieuse innocence
que vous avez perdue, ou effrayé par les
images affreuses de la mort que vous crai-
gnez, vous voudriez vous relever de l'a-
bîme où vous êtes plongé, mais vous retombez
toujours par le seul poids de la cupidité
que vous aimez plus que vous ne voudriez,
parce que vous avez aimé plus que vous ne
'deviez. Enfin, vous plaignant toujours de
vos malheurs et cherchant tout ce qui peut
vous rendre malheureux, est-ce donc là se
convertir, et si vous ne le faites pas, n'est-ce
pas que vous ne le voulez pas comme il
faut : Non vult.
Mais d'où l'attendriez-vous encore cette
pénitence? serait-ce des exercices delà reli-
gion où les autres pécheurs la trouvent?
mais cette passion vous en rend incapables;
encore si vous confessiez vos désordres
tels qu'ils sont, et que vous le fissiez sou-
vent, mais cette passion qui vous enchaîne
ne vous le permet pas; elle en inspire de
l'éloignement et de l'horreur, non vult; en-
core si vous demandiez à Dieu, parla prière,
la grâce de vous en délivrer ; mais, selon le
langage de' l'Evangile, l'esprit immonde est
muet; encore si vous pouviez entendre
Dieu, lorsque vous parlez en tant de ma-
nières; mais le démon impur est sourd; en-
core, si, par votre assiduité au saint temple,
par l'usage des sacrements, vous pouviez
espérer d être participants de ces onctions
divines, de ces eaux toutes célestes, de ces
rosées salutaires que l'Eglise distribue et
que le Sauveur communique aux fidèles;
mais, selon l'Evangile, ce démon impur qui
vous possède ne cherche que des lieux secs
et arides, les spectacles, les compagnies
mondaines, les parties de plaisir, lieux brû-
lants et desséchés, où la grâre ne coula ja-
mais : Ambula! per lùca inaquosa.
D'où l'aticndriez-vous, cette \ énilence? de
la vieillesse? mais cet âge reçoit toujous
l'ardeur que la passion lui apporte, mais 1
ne la rend presque jamais. C'est un ver qui
ne meurt point, et ici le pécheur va tonjouis
aussi loin que l'homme ; mais, si vous avez
croupi longtemps dans l'impudicité, que
pouvez-vous espérer? Fussiez-vous même
convertis, vous devez tout appréhender, et
presque toujours c'est une fausse pénitence
après ce malheureux péché. Ce vice vous a
rendus inconstants, comme il est dit du démon
impur de l'Evangile, tantôt dans l'eau et
tantôt dans le feu; aujourd'hui dans l'eau de
la pénitence, dans le repentir et les larmes,
et demain dans le feu de la passion, dans les
intrigues et les parties de plaisir. Il est inu-
tile de former des résolutions et des pro-
messes, vous ne vous en souvenez [dus le
lendemain. Rappelez-vous te qui peut-être
déjà vous est plusieurs fois arrivé : dans une
maladie, dans une disgrâce, dans un cha-
grin, dans un dépit, vous fîtes les plus belles
résolutions du monde; vous formâtes le
dessein de ne plus voir l'objet de votre
passion, de briser pour toujours vos mal-
heureuses chaînes; dégoûtés du vice peut-
être par l'usage même du vice, vous eûtes
des mouvements aimables de conversion ; et
a/rès des réflexions toutes sages, honteux
de votre état, vous résolûtes de rendre à
Dieu votre cœur. Vous avouâtes que sans lui
vous seriez toujours misérables; déjà, ce sem-
ble, vous sentiez toute la ditférenc de l'amour
divin à l'amour profane. Fidèles à la grâce
du Seigneur, qui vous éclairait, vous fîtes
une rupture éclatante avec les complices de
vos désordres ; vous vîntes chercher à nos
pieds un remède à vos maux, et nous,
vous consolant, vous déliant de la part de
Jésus-Christ, nous vous dîmes comme lui :
Allez en paix, et vous donnez bien de garde
de retomber dans ce péché : Noli amplius
peccare. (Joan., VIII.)
Nous avez-vous obéi, âme fidèle? Ah!
votre état répond pour vous. Toujours mê-
mes passions, mêmes désordres, mêmes
liaisons ; à la vue même de ceux qui vous
connaissent et à la honte de votre repentir,
vous ne fûtes jamais plus impure. Eh ! à quoi
. donc aboutissent ces faibles larmes de péni-
tence? A vousrendre plus impénitents et à vé-
rifier encore celte parole que la passion im-
pure est un enfer fermé d'où il n'échappe aux
démons aucune proie : Rcvertar in domum
meam unde exivi. Si j'ai quitté cette âme, ce
n'est que pour un temps : j'en suis le maîlre.
Une pensée, une parole, un regard, un sou-
venir m'y rétablira : Rcvertar. Je l'avoue,
peut-être que par les sacrements cette mai-
son, qui était impure, est lavée et nettoyée;
mais, par le retour de cette passion seule,
je la salirai, je l'infecterai davantage : Rc-
vertar. Voilà comme parle le démon impur;
et il ne revient point seul dans l'âme infor-
tunée: il prend avec lui sept autres démons
plus méchants encore que lui. Entre ceux-là
est le démon du désespoir; désespoir ter-
rible pendant la vie, et plus encore à la mort
8T.)
ORATEURS SACRES. LE P. SURïAN.
840
de voir que vous êtes encore plus fortement
que jamais attachée à l'objet infâme que Dieu
vous arrache; de prouver que, jusqu'aux,
pieds du tribunal de Jésus-Christ, vous por-
terez votre passion, parce que l'habitude
vous enchaîne et qu'il n'y a plus de péni-
tence à espérer pour vous, parôe qu'il ne
vous reste plus de temps pour la faire; et
que, passant ainsi des flammes de l'impu-
reté au feu de l'enfer, donnant à l'impudique
le triste exemple des liaisons presque indis-
solubles qu'il y a entre l'impureté de la vie
et l'impénitence de la mort, vous justifierez
plus misérablement que jamais toute la vé-
rité de ces effrayantes paroles : El ingressi
habitant ibi; les démons, y étant une fois en-
trés , y habitent pour jamais.
Etat lamentable, mes frères; s'il était connu,
on le pleurerait avec des larmes de sang.
Ah! prévenez-le, je vous en conjure, et
souffrez qu'en finissant , je vous adresse ces
paroles de saint Paul : Obsecro vos, fraires ,
per misericordiam Dei, ut exhibeatis corpora
vestra hostiam viventem sanctam Deo placen-
tcm. ( Rom. , XII. ) Ah ! que voulez-vous
faire encore d'une passion qui vous rend
aveugles, misérables, impénitents? Comme
ministre de Jésus-Christ je vous exhorte , je
vous supplie de la vaincre, de la rejeter; il
est de votre intérêt, et tout en vous le de-
mande. Tout avec moi vous y convie : votre
réputation perdue ou en danger de l'être,
votre gloire flétrie, votre fortune en désor-
dre, vos affaires négligées; votre santé
ruinée, votre conscience agitée, votre repos
troublé, votre cœur inquiet, tous vos inté-
rêts du temps et de l'éternité. Ah! que de
voix fortes semblent se joindre à la mienne !
niais une plus forte encore, c'est celle de la
miséricorde de Dieu : Per misericordiam
Dei. (Ibid.) Ce sang de Jésus-Christ répandu
pour tous les hommes est prêt encore à cou-
ler sur vous dans ces saints jours, au nom
de celte même miséricorde qui a converti les
pécheresses, les Samaritaine, les Augustin,
les Paul, et qui voudrait en vous faire en-
core revivre ces grands prodiges de péni-
tence : Obsecro vos per misericordiam Dei.
Mais que vous demandons-nous encore ?
D'honorer votre chair, de l'élever à la di-
gnité d'hostie sainte, hostiam sanctam; d'en
faire une victime pure et vivante de la vie
de la grâce. Direz-vous que vous vous sen-
tez trop faibles pour cela ? Mais c'est par la
miséricorde de Dieu que nous vous exhor-
tons : Per misericordiam Dei; quelle source
de force et de courage 1 Nous vous deman-
dons que vous fassiez de vos corps autant
(ie victimes qui soient agréables à Dieu :
Deo placrntem. Direz-vous que c'est acheter
un peu bien cher les désirs de plaire à Dieu ?
mais songez-vous que celui à qui nous vou-
lons que, vous soyez agréables, c'est un
Dieu qui par l'excès de son amour, a tant
mérité le vôtre ?
Mais comment me vaincre moi-même ?
comme tant d'autres pénitents ont fait, en
évitant les occasions prochaines du péché,
en ôtant au démon tous les moyens qu'il
emploie pour vous gagner et vous retenir :
toutes ces lectures profanes, tous ces spec-
tacles criminels, toutes ces assemblées mon-
daines, tout ce qui peut porter votre cœur
au crime et le rappeler à ses désordres?
Comment vous vaincre? en priant souvent, en
approchant des sacrements J'ai bien senti,
disait le Sage, que la chasteté m'était néces-
saire, c'est pourquoi je l'ai demandée au
Seigneur de toute mon âme. Comment vous
vaincre? en écoutant la parole de Dieu,
d'où sortent mille traits va;nqueurs contre
le démon impur, ennemi juré de votre salut.
Comment vous vaincre ? en faisant par la re-
traite, par le travail, par la pénitence, par
les œuvres de charité et de religion, une
diversion aimable à ce vice honteux. Com-
ment vous vaincre, mes frères? en appelant
à votre secours le grand spectacle des juge-
ments de Dieu, la terreur salutaire de ses
vengeances ; car à cet aspect toute passion
tombe, toute flamme s'éteint. Comment vous
vaincre? en opposant à ce fol amour l'amour
saint; car nous ne voulons pas dépouiller votre
cœur de tout amour, et le réduire à une sé-
cheresse rebutante. Aimez, mais plus fidèle-
ment, mais plus chrétiennement, mais plus
heureusement, mais plus raisonnablement ;
j'ose le dire : toute votre conversion n'est
qu'un amour plus heureux, plus doux, plus
tranquille et plus long.
Ah! donnez-le-nous, ô mon Dieu, cet
amour divin. Vous êtes venu l'apporter sur
la terre ; mettez-le à la place de cet amour
profane qui cause nos malheurs ; ôtez-nous,
si vous voulez, tout le reste, mais donnez-
nous la pureté, l'innocence, qui est le plus
grand bien que nous puissions jamais avoir
en ce monde. Que de nos cœurs à jamais
toute impureté soit bannie. Venez-y, vous,
Dieu de sainteté, Dieu de grâce et cîe misé-
ricorde ; animez-nous, possédez-nous et nous
remplissez de vos llammes innocentes. Du
haut de votre croix, où votre chair fut sa-
crifiée, faites sur la nôtre des impressions de
salut et de pénitence. Que vos regards nous
touchent; que votre parole nous guérisse;
que votre sang nous lave; que vos douleurs
nous encouragent ; que votre amour, enfin,
sanctifie le nôtre, afin qu'ayant le cœur pur,
nous puissions vous voir et vous posséder
dans l'immortalité de votre gloire. Amen.
SERMON XII (8).
DES PEINES DE L'ENFER.
Miserere mei... quia crueior" in hac flamma. (Luc,
XVI.)
Âyezvitié de moi .. parce que je souffre d'extrêmes tour-
ments dans cette flamme.
Que le langage de ce pécheur en l'autre
vie est différent de celui qu'il tenait en
celle-ci: il disait sur la terre, flatté parle
faux charme d'une trompeuse prospérité:
Mon âme goûte avec joie les plaisirs divers
(8) Imprimé au tome î", p.ige 224. , de L'édition de Liège, sous ce titre : De la vie molle.
SH
CAREME.
SERMON XII, DES fEINES DE L'ENFER.
8ii
que la fortune vous offre, et, sans aller jus-
qu'aurcoupables voluptés, faites-vous un sort
si doux que les plus heureux du monde
vous l'envient. Aujourd'hui, du fond des
enfers où des misères trop réelles ont suc-
cède aux fausses joies, devenu un spectacle
de compassion et d'horreur, il s'écrie : O
vous qui voyez l'excès de mes peines, père
Abraham, ayez pitié de moi, je suis bien
digne de toute votre compassion: miserere
met. En ce monde, il animait tous ses sens
au plaisir, il s'invitait lui-même à s'y repo-
ser loin de ces crimes grossiers qui fatiguent;
et dans l'autre une source de remords cau-
sés par les flammes vengeresses qui le dé-
vorent, lui arrache ces tristes plaintes:
ah 1 que je souffre d'extrêmes tourments
dans cette flamme ! crucior in hac flamma.
Ce qu'il croyait permis ne l'était donc pas?
il se trompait donc quand il pensait que des
mœurs exemptes de grands crimes étaient
exemptes de supplices, et le système qu'il
s'était fait d'une vie inutile et heureuse
était donc faux? les ménagements qu'il au-
rait voulu garder entre le vice et la vertu,
entre le crime et le plaisir, l'ont conduit où
il ne voulait pas aller, et c'est à la vue d'un
sort si inattendu que sont montés jusqu'au
ciel ces cris lamentables : Père Abraham,
ayez pitié de moi, non-seulement parce qua
je suis plongé dans le fond de l'abîme, mais
parce que je souffre d'extrêmes maux dans
cette flamme: Miserere mei, crucior in
hac flamma.
O vous, faux justes du siècle, que tout le
reste jusqu'ici a trouvés sourds et insensi-
bles, pour vous confondre l'enfer s'ouvre
aujourd'hui, lorsqu'un réprouvé, du milieu
des flammes, pousse ses tristes cris; lorsque
par mon ministère il semble obtenir aujour-
d'hui l'effet de sa demande, qui fut d'en-
voyer avertir ses frères des maux qu'il en-
durait, afin qu'ils eussent grand soin de les
éviter. Ahl soyez ici attentifs à une leçon si
pressante et qui vous intéresse si fort : ce
que Jésus-Christ a voulu faire par la voie de
l'exemple, et d'un exemple de votre nature,
de votre état, peut-être de votre caractère :
c'était un homme, un homme qui n'était
que riche, qu'heureux dans le siècle, con-
damné cependant au dernier supplice.
Dieu est sans doute juste dans ses juge-
ments ; c'est donc à nous à examiner si nous
m tombons point sous son arrêt, c'est à nous à
nous rapprocher et du coupable et du mal-
heureux, c'est-à-dire à voir : 1° sur les vices
de sa vie si la nôtre est sûre ; 2° par ses
peines combien les nôtres seront affreuses
si nous lui ressemblons. C'est à ces deux
points que je vais rapporter toutes les cir-
constances de notre Evangile: selon quel-
ques-uns parabole pour ce riche, pour nous,
hélasl trop triste vérité et peut-être trop cer-
taine prédiction. Voyons, après avoir salué
Marie. Ave, Maria.
PREMIER POINT.
Pour ne pas amuser votre attente sur "un
sort si déplorable, à la tête de l'histoire du
OaiTEL'US SÀCiVÉS. L.
mauvais riche, Jésus-Christ met d'abord les
titres funestes qui ont servi à sa condam-
nation, et il semble même les presser tant,
qu'il craint que vous ne les ignoriez. Il y avait
un homme riche ; que ce peu de mots m'a-
larme ! que je voudrais pour votre repos que
l'image, unique et seul modèle que le Sau-
veur nous représente d'un réprouvé, eût des
traits plus terribles et des couleurs plus
odieuses !Ne craignez pas que je justifie trop
ce riche de notre Evangile, et que je vous le
fasse moins mauvais afin que vous le parais-
siez davantage ; je ne parle qu'après les
Pères: il y avait un homme riche : homo
quidem eratdivs. Encore s'il l'était devenu
comme on le devient aujourd'hui, par les
usurpations, les rapines, les usures, les
violences; mais ces paroles trop simples
r.ous démontrent que ses biens lui étaient
venus par les voies ordinaires d'une suc-
cession légitime; qu'il les avait par droit
d'héritage et de naissance : erat dites. Eh
quoi donc 1 l'abondance est-elle un titre de
damnation? Ce qui n'est particulier qu'à un
seul, n'est-ce pas une preuve qu'on peut
être opulent et aimé de Dieu tout ensem-
ble? Donc la vraie cause de la réprobation
du riche, c'est qu'il aimait l'état tranquille,
d'abondance, où il était né; c'est qu'il y vi-
vait dans l'indifférence et dans la froideur
pour Dieu; c'est qu'il faisait son bonheur,
sa consolation de ses richesses, et qu'il
changeait en Jouissance et en amour du re-
pos ce qu'il n avait reçu que pour l'usage et
pour fournir à la nécessité : erat dives. Voilà
le premier état de sa perte : il était riche.
Le second, c'est qu'il était revêtu de pour-
pre et de soie, qu il portait des habits ma-
gnifiques : indaebatur purpura et bysso ;
qu'il faisait tous les jours bonne chère:
epuiabaiur quotidie. Jésus-Christ, pour la
perdre, ne demande pas que ces repas excè-
dent sesrevenus et ses forces, qu'ils ru:nent
sa famille et altèrent sa santé-, il suffit qu'il
joigne à la magnificence des habits la dé-
licatesse de sa table, et qu'il conserve un
goût et une inclination pour les commodités
de la vie, c'est-à-dire que tout le crime
de ce réprouvé, que ses supplices n'ont fait
paraître si pécheur, et dont notre amour-
propre nous fait une image si affreuse, tout
son crime, dis-je, se réduit à deux chefs :
1° à une mollesse de cœur qui , sans nulle
passion coupable , l'attachait à lui-même
préférablemcnt à son Dieu; 2° à une mol-
lesse des sens qui, sans se livrer aux sales
voluptés, l'attachait à une vie douce et com-
mode qui lui faisait négliger ses devoirs les
plus essentiels: mollis corde, mollis et sen-
sibus. Voilà tout son crime et les traits
effrayants de sa sentence.
Nous devons tout espérer de la miséri-
corde de Dieu, mes frères, et ne point dé-
sespérer sur l'excès des peines que le mau-
vais riche endure ; mais si nous en jugeons
selon ce principe redoutable, que de vices
semblables aux siens sont punis de la dam-
nation éternelle? à combien d'âmes ce riche
ouvre-t-il l'abîme? Qu'il y a ici de réprou-
27
8*3
ORATEURS SACRES. LE P. SURIAN.
S 14
vés qui ne le paraissent pas î combien s'y
trouve-t-il de chrétiens dont on loue les ver-
tus, qui appartiennent à l'enfer, et qui sont
dans la voie commune qui y mène, qui sont
plus figurés que vous ne pensez par ce riche
déplorable? Car, ayez le courage d'examiner
le -fond de votre état et de votre conduite,
qu'est-elle autre chose que l'usage continuel
de ces deux mollesses du cœur et des sens,
qui font tout le crime du riche malheu-
reux , et , combien d'amitiés purement
humaines , d'affections trop naturelles où
Dieu ne trouve aucune part, auxquelles vous
donnez tous vos sentiments, toutes vos pen-
sées, et à qui vous consacrez tous vos ta-
lents, tous vos soins, tout votre temps, tout
votre être? Cette mollesse a même dans votre
cœur ses raffinements et sa délicatesse; elle
voudrait le rendre heureux du côté de la
piété dont elle lui laisse le désir, et du côté
de la volupté dont elle lui épargne les re-
mords; elle ne veut ni passions violentes
qui maîtrisent le cœur, ni scrupules piquants
qui l'inquiètent; elle l'empêche de courir
trop fortement après les objets qui se pré-
sentent à lui; mais elle veut pourtant qu'il
en ait toujours quelqu'un qui l'amuse, et
l'inclination qui le laisserait trop à lui-même
lui serait à charge. Craignant pour ce cœur
un changement trop rapide, elle essaye de
le retenir dans une situation qui le fixe, et
pour empêcher qu'il ne passe trop vite du
plaisir au repos, elle lui laisse ce qu'il y a
ne flatteur, de doux, de tranquille dans la
volupté, en lui ôtant ce qu'il y a de violent
et d'ennuyeux ; car voilà ce que j'appelle
mollesse du cœur inconnue aux libertins et
aux grands pécheurs, mais qui fait la douce
occupation des sages du sic. le et des plus
vertueux.
D'un autre côté , que ne respirent pas vos
sens ennemis d'une grossière fatigue ? ils
n'ont garde de combattre la mollesse de vo-
tre cœur; ils vont à ce qui leur parait le
plus commode, et pour les rassasier, vous
leur accordez des lectures profanes, des re-
présentations divertissantes, et sans les as-
sujettir à ce qu'il y a de pénible et de gê-
nant dans la sensualité, vous ne leur pro-
posez cependant que des objets agiéables.
Las de ces assemblées tumultueuses, vous
vous renfermez dans des cercles plus étroits
où vous trouvez des plaisirs plus délicats et
plus tranquilles ; vos ennemis mortels sont
la contrainte et la gêne ; tout ce qui est sé-
rieux vous paraît triste ; tout ce qui est obli-
gation et devoir vous accable ; si jamais vous
vous occupez, ce n'est que par contenance;
si vous lisez, ce n'est que par amusement ;
si vous priez, ce n'est que par habitude; si
vous agissez, ce n'est que lorsque l'oisiveté
vous est une peine; si vous parlez de dé-
votion avec des personnes pieuses, ce lan-
gage n'est qu'une politesse. Votre seul em-
barras, votre unique étude est de vous
égayer, et l'envie de vous rendre heureux
par des plaisirs qui ne sont jamais unifor-
mes , vous faites succéder le jeu au repos,
les repas aux promenades ; ce n'est qu'une
mollesse continuelle, un enchaînement de
bagatelles, tout le fond de votre état, l'es-
sentiel de votre condition, le privilège de
votre abondance. Or, dans cet état qui ré-
pond si peu à la dignité de l'homme, et en-
core moins à celle de chrétien, j'ose vous
dire que si quelque chose est digne de l'en-
fer, c'est votre vie.
Venez, après cela, nous dire : Mais quel
mal fais-je? on ne me voit ni aux théâtres
ni aux jeux publics comme un tel et un tel ;
je n'étends point les limites de mes terres
dans le champ de mes voisins ; je ne profite
point des misères d'autrui, et n'élève point
sur les malheurs publics ma fortune parti-
culière. Je ne suis ni aA'are, ni violent, ni
vindicatif, ni impudique, pourquoi me cen-
surez vous?
Abl mes frères, s'il ne fallait que plaire
aux hommes, vous nous paraîtriez inno-
cents; mais ce n'est pas assez pour plaire à
Dieu; une probité humaine ne lui suffit
pas, il exige davantage, et il condamne le
serviteur de l'Evangile, non parce qu'il est
infidèle, mais parce qu'il est oisif. 11 ré-
prouve une ville entière à cause de son
abondance et de l'oisiveté de ses habitants :
Jlœc fuit iniquitas Sodomœ abundanîia, et
olium ipsius et fdiarum cjus. 11 brise le vase
qui est inutile: Contrivi Moab sicut vas in-
utile. Ce n'e£t point assez devant lui que vos
mœurs soient honnêtes, il faut qu'elles
soient chrétiennes. Tout plaisir, quelque
innocent qu'il vous paraisse , dès là qu'il
domine ce cœur qui est fait pour Dieu, est
sacrilège ; une vie qui n'est point sainte ne
peut jamais justifier; la mollesse seule sans
grands désordres est une disposition de
mort à ses yeux, et les flammes vengeresses
brûlent ici un infortuné riche qui n'était
que ce que vous êtes, et qui vivait sous une
loi moins parfaite, qui semblait rendre plus
es.usablela vie mondaine que sous l'empire
delà croix. Je vous demande, si cela est ainsi,
(pie peut attendre votre mollesse? il faut ac-
cuser Jésus-Christ comme injuste, ou que
vous vous condamniez déjà vous-mêmes
comme réprouvés.
Mais montrez-moi donc les crimes si énor-
mes de ma Yie, direz-vous, et n'est-ce point
ici l'artifice du zèle ou de l'éloquence que
vous employez pour m'alarmer? Ah.! plût à
Dieu, mes frères, que cela fût ainsi ÎMais de
ce que nous avançons, nous en avons j-,our
fondement tout le christianisme; et puis-
que vous aimez à être éclaircis, vous allez
voir que si la mollesse du cœur anéantit le
fond de la religion, la mollesse des sens
énerve vos promesses les plus solennelles.
Et d'abord, dans cette mollesse des sens
qui règne en vous, quelle vertu opnosez-
vous à la justice divine? Est-ce la foi? vous
ne voulez nulle preuve; l'humilité? vous
ne connaissez en vous nulle misère; la pa-
tience? vous ne voulez nulle douleur; la
gloire? vous ne voyez nul danger dans votre
étal; la pénitence? vous ne voulez nulles
mortifications; l'espérance? vous n'avez nul
mérite : car ce qui ^e fait par les sentiments
3*5
CAREME, — SERMON XII, DES PEINES DE L'ENFER.
Sir,
de la nature ne mérite rien et ne peut espé-
rer de récompense.
Or, dans cette mollesse du cœur, la dispo-
sition de votre âme est-elle surnaturelle? y
a-t-il quelque chose de céleste et un carac-
tère divin? est-elle bien contraire au torrent
des passions humaines et des penchants na-
rels? faut-il se faire bien de la violence,
pour vivre comme vous vivez ? et ce prix
inestimable, qui a coûté si cher aux saints,
serait-il donné pour rien à la mollesse et
au plaisir? oseriez-vous le demander, l'at-
tendre dans votre état? Et de là concluez
que l'espérance est une vertu dont vous
perdez l'usage, et que le désir du ciel, si com-
mun et si indispensable au chrétien, se
trouve tout éteint en vous. En etfet, je con-
çois bien comment un cœur qui ne tient point
à la terre, fait de cette demeure aimable l'ob-
jet de ses impatients désirs; mais vous,
hommes du monde, femmes du siècle, le
reproche est commun à tous ceux qui vivent
dans la moljesse; lorsque, dans une vie toute
mondaine, vous vous trouvez heureux ici-
bas, comment votre cœur formerait-il ces
divins transports qui élèvent au ciel, et
comment le désir d'une autre félicité serait-
il naturel dans un cœur où règne l'amour du
repos, et où elle se fait un bonbeur de la
dissipation de la vie? Comment la terre se-
rail-eUe un lieu de gémissements et une val-
lée de larmes n quiconque aime ses joies et
ses douceurs? Ah 1 qu'il est facile d'oublier
le terme quand tout plaît dans la voie.
Mais sur toutes les vertus, Ja charité qui
les comprend toutes, semble mourir dans cet
état de mollesse. Et en effet, aimez-vous Dieu
d'un amour dominant, supérieur à tout?
est-il seul votre félicité, la fin unique de
votre être, de toutes vos actions? Ah 1 je ne
le demande qu'à vous-même, c'est à vous
que je m'en rapporte, âme molle; depuis que
vous vous êtes fait un plaisir dans la vie
d'être mondaine, n'est-il pas vrai que vous
ûvi-z de la peine à vous y reconnaître? Ce
cœur autrefois si tendre et si sensible, qui
ne croyait point être jamais heureux sans
son Dieu, n'est-il pas tout changé? Ce qui
faisait autrefois votre joie, fait aujourd'hui
toute votre affliction; aujourd'hui si vous
écoulez sa parole, quel ennui 1 si vous lisez
son Evangile, quel dégoût! si vous venez
l'adorer, quelle peine ! si vous l'invoquez,
quelle langueur 1 si vous assistez à ses mys-
tères, quelle pesanteur 1 si vous vous jetez
à ses pieds pour confesser vos offenses, quel
gêne, quelle contrainte ! La mollesse glace
tout votre cœur pour Dieu, et après cela vous
demandez où est le crime, et moi je vous
demande où n'est-il pas?
Mais peut-être votre mollesse n'est-elle
point opposée à la charité que vous devez à
vos frères; mais voyons le riche de notre
évangile. 11 y avait un certain mendiant,
nommé Lazare, crat quidem mendicus no~
mine Lazarus. 11 était si languissant qu'il no
pouvait se soutenir, qui jacebat; il était si
exposé aux yeux du riche qu'il ne pouvait
s'empêcher de le voir : il était couché à sa
porte, adjanuam ejus. 11 était si infirme qu'il
était couvert d'ulcères et de plaies, objet
sans doute bien digne de compassion, ulce-
ribus plenus ; si faible et si épuisé par ses
maux et par la faim, qu'il n'avait pas même
la force de se plaindre; la voix lui manquait
et il ne pouvait que désirer, cupiens. Il était
si sobre qu'il se serait contenté des miettes ,
saturari de micis; si discret qu'il ne songe
pas même au festin, mais seulement à ce
qui tombe sous la table, quœ cadebant de
mensadivitis. Et cependant ni ce riche, ni au-
cun de sa compagnie ne donne la moindre
chose à ce pauvre malheureux, et nemo illi
dabat. Ah! qu'il est difficile de faire d'un
homme riche un homme charitable! aussi
Lazare ne trouve-t-il dans le cœur du mau-
vais riche qu'insensibilité, et toutes ces
plaies et ces misères qui semblent lui de-
voir faire un objet de compassion ne font
que consommer sa dureté.
Oh! qu'à ce prix on est heureux, ô mon
Dieu, de ne point avoir de quoi vivre dans
l'abondance et la mollesse, et que si cet état
d'indigence et de pauvreté est une grande
misère selon le monde, que c'est une grande
miséricorde selon vous! Car tel est, riches du
siècle, l'effet de votre mollesse et de votre
abondance. Dans votre cœur elle y étouffe
tellement tout sentiment même de tendresse
humaine que c'est, ce semble, pour l'atten-
drir et pour forcer votre compassion que
Dieu multiplie tous les jours ces objets
si tristes et si misérables; qu'il change toute
la terre en un grand spectacle de misère, et
qu'il expose sous vos yeux tant de pauvres
Lazares pour exciter dans vos entrailles
dures un tendre mouvement de charité. Mais
en vous la mollesse forme un fond de dureté
que rien nesaurait exciter, l'amour de vous-
même absorbe tout autre sentiment, et tan-
dis que des personnes d'une naissance et
d'une fortune médiocre, tirent du fond même
de leur nécessaire de quoi servir de matière
à la charité envers leurs frères, vous qui
peut-être par vos injustices avez contribue à
faire tant de malheureux , vous refusez en-
core de leur donnerquelque soulagement, et
montrez à leur égard, malgré vos fausses
vertus, un cœur plus cruel que les pécheurs
les plus déclarés.
Demandez donc, après cela où est le crime
de votre mollesse? Déjà pour vous c'est un
grand crime de n'être pas un saint, pas même
un bon chrétien : que sera-ce donc, barbare
impie, sans amour pour Dieu, sans charité
pour vos frères, que sera-ce de mettre une
incompatibilité entre vos sentiments et ceux
que la religion vous inspire? que sera-ce
d'anéantir par là le saint, le chrétien, l'homme
même en vous, et de n'y laisser que faiblesse,
que lâcheté, qu'indifférence? Ne vous y trom-
pez donc pas, hommes riches; parce que cette
mollesse de cœur est douce, secrète, cachée,
elle paraît moins horrible, mais sachez qu'un
homme dont le cœur est mou, sensuel et
attaché à lui-même, est tous les pécheurs
ensemble; que cette vie commode, oisive,
douce, renferme toutes les iniquités, et que
847
ORATEURS SACRES. LE P. SUR1AN.
8<S
devant Dieu, qui n'en porte pas le même ju-
gement que vous, vous devenez plus cou-
pables et plus redevables- à sa justice que
les autres pécheurs.
Cette mollesse des sens , tout éloignée
qu'elle est des grossières voluptés, n'en est
pas moins criminelle; elle viole les pro-
messes les plus sacrées et les plus solen-
nelles du christianisme à votre baptême.
Avez-vousditje renonce à un certain monde,
plus voluptueux et plus grossier, plus tu-
multueux et plus embarrassant, mais je
m'en réserve un plus doux et plus délicat,
plus commode et plus tranquille? L'Eglise,
justement indignée contre vous, aurait dé-
savoué vos vœux, et vous méconnaissant
pouf un de ses enfants, elle vous aurait re-
jeté de son sein comme un profane; mais ce
que vous avez juré sur les fonts sacrés,
c'est de renoncer pour jamais au monde et à
ses moindres plaisirs, à toutes ses pompes et
à ses folles joies, à ses assemblées profanes
et à son commerce, à ses amusements et à
ses spectacles; votre serment fut d'attacher à
la croix votre corps avec ses sens, votre
cœur avec ses convoitises. Par vos promesses,
vous vous consacrâtes à la pénitence et à la
mort : Dieu et les anges en furent les té-
moins; l'Eglise, qui en est la dépositaire, les
scella du sang de son époux, et on les voit
encore écrites dans le livrede vie avec des
traits si ineffaçables que vous ne pouvez les
nier. Or je vous le demande, mes frères, cette
vie molle que vous menez est-elle une exé-
cution de ces promesses saintes ? dit-elle
anathème à tout ce que dès lors vous dé-
testâtes? Kaisonnables comme vous vous pi-
quez d'être, si vous aviez juré d'aimer le
inonde et d'embrasser ses commodités et ses
plaisirs, pourriez-vous jamais mieux tenir
votre parole ? vivriez-vous autrement que
vous vivez? auriez-vous mené une autre vie
que celle que vous menez? Cette vie où d'un
côté, ôtant tous les excès criminels, vous y
laissez tous les plaisirs honnêtes; où, de
l'autre, vous réservant de la religion les pra-
tiques qui vous sont les plus commodes,
comme la probité, la pudeur, la justice, pour
en retrancher toutes celles qui demandent la
moindre violence, comme la médiocrité, ;la
charité, la pénitence ; cette vie où d'une part
vous semblez vouloir réformer le monde, et
où de l'autre vous mitigez la religion; où
d'uncôlé, enbannissant les grandsexcès, vous
vous permettez les vices délicats; où, de
l'autre, produisant quelques œuvres toutes
naturelles, vous retranchez les grandes ver-
tus de votre état, et ne vous en tenez dans
la religion qu'à celles qui sont communes et
faciles, comme quelques jeûnes adoucis,
quelques confessions froides et sans dou-
leur, quelques prières récitées sans foi et
du bout des lèvres, quelques inesses enten-
dues sans recueillement et sans attention;
cette vie enfin où, relâchant un peu du crime
et de la vertu, on n'est d'une part ni trop
sensuel, ni assez mortifié, corrigeant ce que
l'une a de trop sévère par ce que l'autre a
de plus doux, essayant d'accorder l'un avec
l'autre, d'avo:r part au mérite de la vert:!,
sans renoncer aux douceurs de vice, et de
joindre la paix delà conscience avec la mol-
lesse des mœurs ; une telle vie, je vous le
demande, suffit-elle à un chrétien? Croyez-
vous qu'elle dégage votre foi, et qu'ellesoit
assez pure, assez rigoureuse pour répondre
à la sincérité et h l'étendue des serments que
vous fîtes au baptême?
Quoi donc l cette perfection sublime des
préceptes divins que vous jurâtes de gar-
der fidèlement; toute la grandeur, toute
la noblesse et tout l'héroïsme de votre sainte
religion se termineraient-ils à une vie aisée,
commode, naturelle, et conforme à vos pen-
chants? Est-ce là où se réduit, toute la dignité
de votre vocation, et Dieu lui-même v re-
connaît-il vos engagements et vos promes-
ses ? Est-ce renoncer au monde que de tenir à
lui par les liens les plus doux? Est-ce haïr
sa chair que de la traiter avec moins de ri-
gueur et plus de délicatesse? Appelle-t-on cela
se crucifier au monde, y renoncer, y mourir?
Ahl c'est bien plutôt profaner vos vœux les
plus sacrés, trahir vos \ romesses les plus
solennelles; ne vous y trompez pas, c'est ab-
jurer votre foi, briser le sceau respectable
de votre salut apposé par votre régénération
divine sur les fonts baptismaux; avec des
mœurs si lâches, si molles, si mondaines,
toute votre vie peut-elle être autre chose
qu'une longue prévarication, qu'un parjure
énorme, qu'une apostasie abominable?
Mais si vos promesses violées par la mol-
lesse des sens vous rendent perfides, vos en-
gagements ne vous rendent-ils pas difformes
avec celui que vous avez \ ris | our votre
chef et pour votre modèle? Quels sont-ils, ces
engagemenfs? Saint Pierre vous dit que c'e:-t
de vous rendre conformes à Jésus-Christ, et
que votre vocation consiste à souffrir et à
suivre les traces qu'il nous a laissées: In
hoc erdin vocaîi estis, quia et Christus pas-
sus est pro nabis, vubis relinquens exern-
plum ut sequamini vestigia ejus. (I Petr., II.)
Or, toute la vie de Jésus-Christ s'est-elle
terminée à celte mollesse du cœur et des
sens ? est-ce là tout ce que lui a coûté sa
gloire? et n'est-il le Saint des saints quo
pour n'avoir été ni usurpateur, ni sacrilège,
ni adultère, ni impie? N'a-t-il pris de la pé-
nitence et du travail que ce qui l'accommo-
dait ?Toute sa sainteté ne consistait-elle pen-
dant son séjour en ce monde, qu'à éviter les
excès infâmes? N'a-t-il pas pratiqué les vertus
les plus rigoureuses, passé par les tourments
les plus ignominieux avant de parvenir à la
gloire? N'a-t-il pas toujours montré dans ses
sens et dans sou cœur les exercices de la
religion les plus austères? N'a-t-il pas sans
cesse parlé par ses exemples, et poussé ia
vertu jusqu'au retranchement, à la violence,
aux mortifications et à la pratique de la pé-
nitence la plus sévère? Donc, lorsque par la
mollesse vous ne retranchez de votre vie que
l'usage des choses défendues, sans en venk
à la pratique des choses pénibles et doulou-
reuses; lorsque vous ne vous abstenez que
i es grands crimes, sans vous priver des cho-
Si!)
CAREME. — SERMON XI!, DES PEINES DE L'ENFER.
8SO
ses agréables, remplissez-vous votre vocation
et vos engagements? conservez-vous les sen-
timents de ressemblance à Jésus^-Cbrist de ne
faire avec lui qu'un même esprit, qu'un même
cœur, qu'une même vie, qu'une même mort?
Auquelueses mystères pourriez vous rappor-
ter cette mollesse mondaine, cet état de délica-
tesse où vous êtes? h quelles circonstances de ta
vieappliquericz-vous les traits de la vôtre lors-
qu'il vous montre des pleurs, vous témoignez
de la joie ; lorsqu'il vous expose des souffran-
ces, vous voulez avoir toutes vos aises ; lors-
qu'il vous présente des jeûnes, des violences,
des travaux, des peines, vous y répondez | ar
t!e continuelles bonnes chères, par vos com-
modités, par votre oisiveté, par vos plaisirs.
Ou est donc la proportion entre votre vie et
Ja sienne? quelle conformité voyons-nous de
vous à lui? Kst-ce là, enquoivbus l'imitez?
est-ce là le suivre, et marcher sur les traces de
son sang et de ses souffrances? in hoc vccati
esiis , etc. Avec une vie si sensuelle, si molle,
ne perdez vous pas tous les rapports sacrés
que vous aviez promis d'avoir ayec Jésus-
Christ, et toutes les vraies qualités d'enfants
de Dieu ne sont-elles pas en vous défigurées
et anéanties par cette indigne mollesse?
Ah 1 je veux qu'avec des mœurs si lâches,
avec cette vie si commode, votre cœur affai-
bli et désarmé puisse encore trouver assez
de force pour résister au péché, ce qui n'ar-
rive guère; que cette mollesse ne dégénère
pas bientôt en désordre, ce qui est très-rare ;
je veux que, dans cette source de langue! r
et de paresse, vous n'omettiez aucun des
avoirs de votre profession et de votre état,
es qui ne se fait point sans miracle ; je veux
que cette vie sensuelle, étant une occasion
prochaine de'commettre le péché, ne devienne
pas un péché elle-même, ce que nul n'a ja-
mais osé assurer. Je veux encore que la
grâce de Jésus-Christ puisse compatir en
vous avec elle, ce qui n'est guère vraisem-
blable. N'est-ce pas déjà un crime assez grand
de vous mettre avec Dieu dans une contra-
diction universelle? Votre vie comparée avec
celle de ces hommes débordés et licencieux,
xous paraît moins dangereuse et peut-être
tout à fait innocente, mais confrontée avec,
celle d'un Dieu crucifié, souffrant et péni-
tent, n'est-clle pas une monstrueuse diffor-
mité et un excès abominable ? Sera-ce donc
sur le monde ou sur Jésus-Christ crucifié,
que vous serez jugés? D'ailleurs vous voyez
par l'exem.ïle du riche que la mollesse portée
à un certain degré est punie des plus affreux
supplices; or, qui vous assurera que la vôtre
n'a point le caractère qu'il faut pour l'enfer,
et qu'étant la voie large de la multitude, elle
ne vous damnera point avec la multitude?
Quand vous la voyez si opposée, celte mollesse,
aux vœux de votre baptême, aux maximes de
l'Evangile, àla parole et aux exemples de
Jésus-Christ, par où pouvez-vous la trouver
innocente, et où trouverez vous jamais du
crime, si cette mollesse n'en est pas un? et qui
pourrez vous damner, si votre vie toute sen-
suelle ne vous damne pas ?
Ah ! permettez-moi de vous dire ici t°que je
ne vois rien dont les effets et les suites soient
plus terribles que celles de votre mollesse,
et quelque horreur que me donnent les cri-
mes grossiers, je n'en augure pas si mal que
de votre indolente tiédeur, parce que vous
vous flattez d'une justice imaginaire qui vous
fait croire que vous êtes bons quand vous
êtes abominables, et qu'il n'y a rien à_ chan-
ger dans votre conduite pendant que tout y
est pernicieux. 2° Les grands pécheurs sen-
tent tout le malheur de leur état, et les
grands crimes qui se présentent à eux leur
demandent des expiations et des larmes; mais
Cc-l état de mollesse, de tiédeur, ne se fait
point sentir, vous y regardez la pénitence et
les mortifications 'comme étrangères à votre
état, et au lieu de vouloir les embrasser, vous
en faites toute votre appréhension. 3° Les in-
fâmes voluptés ne sont que d'un certain âge,
elles ne durent pas toujours; mais cette mol-
lesse est un péché de toute la vie : c'est un feu
qui brûle si vivement, dans votre cœur, qu',1
est presque impossible de l'éteindre, et voilà
ce que l'Esprit-Saint appelle chez Jérémie
une blessure désespérée, une plaie très-
mauvaise : Insanabilis fractura tua, pessima
plat/a (Jcrem., XXX), et tout ce qui fait le dé-
sespoir de la guéridon de votre i laie, c'est
que vous ne la sentez pas, c'est que vous
rainiez toute dangereuse qu'elle est. Aussi
voyons-nous que tandis que les plus grands
pécheurs viennent se jeter à nos pieds pour
se décharger dupoids de leurs offenses, vous
demeurez tranquilles et insensibles au mi-
lieu des vôtres.
Ah! qui donnera à mes yeux des larmes,
h mon cœur des sentiments, à ma boucheries
expressions assez touchantes pour vous émou-
voir sur un état si déplorable, et vous le faire
envisager non-seulement comme un crime
affreux, mais comme un malheurlamentable?
Car si vous avez vu, par les suites funestes
de la vie du mauvais riche, combien la vôtre
est déplorable, vous allez voir par l'image
de ses peines combien les vôtres seront ter-
ribles, c'est mon second point, je n'en dirai
que deux paroles.
SECOND POINT.
Une double mollesse rend le mauvais riche
coupable pendant sa vie, et une double
peine le rend malheureux après sa mort : à
chaque espèce de péché répond un genre
différent de supplice, et si son cœur et ses
sens firent tout son crime, ils feront tous deux
ensemble son tourment; tourment dans son
cœur, privé du bien suprême qu'il désire,
vidita longe ; dans ses sens par la douleur
extrême qu'il souffre, crucior in hac (lamma.
Ainsi tout ce qui offensa Dieu dans le riche,
le venge, et rien ne servit à sa mollesse qui
ne serve à son supplice.
1° Telle sera la triste situation, pécheurs,
où vous vous trouverez à la dernière heure
de la vie; vous étiez faits pour être heureux
avec Dieu, c'était le penchant le plus fort
que pût avoir une âme aussi noble de sa
nature qu'est la vôtre. 11 lui fallait un Dieu
pour remplir toute sa capacité qui est infinie-.
?5I
ORATEURS SACRES. LE P. Sl'RIAN.
«53
mais rompant des rapports si doux, vous
lui substituez des fantômes qui l'amusent :
ils se dissiperont à votre mort, et votre pros-
périté, venant à fondre sous vos pieds, vous
ouvrira un affreux abîme; et, ouvrant alors
ces yeux que le charme des passions avait
tenus fermés, vous verrez votre Dieu dans un
si grand éloignement qu'il vous paraîtra
impossible d'y atteindre: Elevons autem ocu-
los suos. Le premier objet qui les frappera
sera un Dieu perdu sans ressource, et vidit
a longe; tout exprès il se montrera à vous, ce
Dieu aimable, avec les charmes les plus
éblouissants, et.sous une forme qui vous le
rendra infiniment désirable. Exprès il vous
paraîtra le plus caressant de tous les maîtres,
le meilleur de tous les pères, réunissant en
lui toutes les beautés, toutes les délices, et
toutes les félicités ensemble; exprès il ren-
dra vos lumières plus vives, vos mouvements
plus actifs, et lorsque votre cœur, rendu tout
entier à lui-même pour sentir ses forces qui
étaient partagées, s'élancera vers ce Dieu
perdu, une main invisible le repoussera
et le replongera dans le fond de l'abîme;
toutes les liaisons qui étaient entre vous et
lui seront alors rompues : comme vous ne
serezplussonimage, il ne sera plus yotre Dieu.
Plus votre Dieu, ô homme I ô chrétien!
ô pécheur! Pouvez-vous sans sécher d'effroi
entendre ces tristes paroles , que vous soyez
séparés de votre Dieu? Pour lui c'est peu" de
chose, mais pour vous est-il de plus épou-
vantable malheur et qui pourra vous en
consoler? et vidit a longe.
Mais voyons encore comment la perte de
votre Dieu punira cette mollesse qui vous
enchantait pendant la vie. Maintenant votre
cœur, mou, sensuel, voluptueux, ne cher-
che ici que des plaisirs tranquilles, que des
passions qui le flattent ; il ne lui faut que de
ces mouvements doux qui le frappent déli-
catement sans le gêner, sans l'incommoder,
et alors loin de Dieu , il ne trouvera que
troubles, qu'agitations, qu'inquiétudes. Ses
désirs insatiables et incompatibles le com-
battront sans cesse, et deux mouvements
contraires qui se contrediront, l'un d'envie
de se joindre à son Dieu, l'autre de déses-
poir de ne pouvoir y atteindre, vous déchi-
reront impitoyablement, sans que l'inclina-
ton qui vous y fera tendre, diminue en rien
la haine que vous en aurez toujours. Attrait
puissant et toujours obstacle invincible, tou-
jours ardeur violente de le posséder, et tou-
jours douleur amère de le perdre ; toujours
désir impuissant, et toujours crainte acca-
blante; toujours fureur de vous venger, et ]
toujours impossibilité absolue de le faire; et
par conséquent que de contraintes malheu-
reuses, que de sentiments désespérants! Le
riche vit Abraham de loin, vidit a longe.
Mon Dieu, si ces choses sont si terribles à
entendre, que sera-ce de les éprouver et de
les sentir? quel sera votre sort si on dit de
vous comme de l'infortuné de notre évangile:
du milieu de ses tourments, il n'a vu Dieu que
de loin, cum esset in lormentis, vidit Abra-
ham a longe? Qui pourra vous consoler dans
une si grande affliction? sera-ce le supplice
de vos sens? ah! il vous rendra encore plus
inconsolables.
2° Ici, mes frères, les expressions man-
quent et les idées affaiblissent le sujet, et
quand on aura dit que ce sont des peines
excessives sans aucun adoucissement, sans
nul partage, sans aucune fin; que tout ce qui
accable, ce qui afflige, ce qui tourmente, ce
qui désespère, se trouve ramassé dans ces
lieux de tourments ; que c'est dans ce centre
de tous les maux que sont rassemblés un
tas de désespérés qui s'entredéchirent sans
cesse ; que c'est là où règne une sociéid de
furieux qui s'entremaudissent et se dévo-
rent; que c'est là que livrés à une foule de
monstres épouvantables qui, à l'envi épui-
seront sur vous leur rageet leur inhumanité,
vous serez abîmés de maux, de tourments.
Quand on vous aura dit que chaque partie
de votre corps aura son supplice propre; que
l'horreur du spectacle le plus hideux succé-
dera à l'amour insensé de cet objet chéri qui
faisait vos délices ; qu'une accablante capti-
vité punira en vous l'attachement que vous
avez à vos commodités et à vos aises; qu'une
faim cruelle y vengera Dieu d'avoir flatté
votre goût, et satisfait vos appétits par tous
les raffinements de la délicatesse. Quand on
aura donné à ces paroles du riche : crucior
in hac flamma, tout leur sens, ah ! mon corps
devenu plus sensible et tout consumé de
douleurs, rend mes peines inconcevables,
crucior. En moi tout est (hangé en feux dé-
vorants, tout y est transformé en flammes
cruelles, et ma chair et mes membres, tout
est enflammé, tout brûle en moi, tout y est
tellement pénétré qu<> mes os et ma substan-
ce sont tout en feu, sans que je puisse seule-
ment fournir une goutte d'eau à la vivacité
de mes ardeurs, crucior in hac flamma.
Quand par des peintures plus vives j'aurai
excité votre imagination, ce ne sera encore
que des ombres, que des images infiniment
moins horribles que la réalité, et je n'aurai
touché que lasuperlicie de l'enfer. Il y reste
toujours des profondeurs impénétrables, où
la pensée se perd, où les idées se confondent;
il n'y a que Dieu et les tristes victimes de
sa colère, qui connaissent l'excès de ces tour-
ments, et nous ne pouvons en parler qu'avec
des frissonnements, de vives terreurs et des
secousses mortelles : crucior in hac flamma.
Encore si ces peines, toutes terribles qu'el-
les sont, avaient quelque issue, si on y voyait
une fin, elles seraient supportables par l'espoir
qu'un jour elles finiraient; mais à vos maux
résents, Dieu en ajoute de plus grands
encore pour l'avenir : le poids de son éter-
nité qui se présentera à vous tout entière,
et dont vous serez obligés de vous occuper,
mettra le comble à votre désespoir, et il ne
faut qu'un seul point de cette éternité terri-
ble pour vous accabler autant que l'éternité
même tout ensemble.
O Dieu terrible ! vous"écrierez-vous dans
des transports de rage et de douleur, ne fîni-
rez-vous jamais mes peines? faut-il toujours
souffrir? Oui, toujours, vous répondra ce
853 CAREME. — SERMON XïII,
Dieu juste : Tnter nos et vos chaos magnum
ftimatum est; entre vous et moi il y a une dis-
tance infinie, et il est impossible de passer
de l'abîme où vous êtes à l'heureux séjour
que j'habite; il y a entre nous deux un chaos
impénétrable qui nous sépare pour tou-
jours : d'un côté vos péchés poussés jusqu'à
la mort, vos passions assouvies, votre chair
flattée, vos penchants écoutés; et de l'autre
mon sang foulé aux pieds , mes mérites
anéantis, mes grâces méprisées, ma patience
lassée, ma miséricorde épuisée, ma justice
irritée. Partout celale puits de cet abîme est
fermé sur vous et ne peut s'ouvrir, en sorte
que ceux qui voudront en sortir pour venir
à moi ne le pourront jamais : Ut hi qui vo-
lant hinc transire ad vos non possunt, ne que
inde hue transmeare.
Oui, la plus affreuse des misères est de
vous. voir dans un état fixe et immuable de
tourments. Vous avez insulté à la majesté
d'un Dieu qui est infinie , il faut que vos
supplices soient sans fin ; vos péchés ont été
continuels, il faut que vos peines soient éter-
nelles. Vous ne vous êtes point repentis de
vos crimes, dira Dieu, je ne me repentirai
point de vous faire souffrir; vous ne vous
êtes point lassés d'être rebelles à mes or-
dres, je ne me lasserai point d'être ven-
geur de ma miséricorde ; rien n'a pu mesu-
rer ni retenir vos crimes, rien aussi ne
mesurera et ne retiendra vos tourments.
Votre âme qui a péché est immortelle, il lui
fc.ut denc un supplice éternel-; et, afin qu'elle
ne voie jamais finir ses maux, que sa vie ne
finisse jamais; sa vie ne finira jamais : In-
ier vos et nos chaos magnum firmatum est.
Hélas ! quand on vient à songer que pour
une seule mauvaise pensée l'on soit damné,
que la moindre désobéissance passe par les
flammes de l'enfer, quelle peine 1 y rester
quelque temps, quel supplice! mais tou-
jours y demeurer, se faire une habitation
tue, et une maison ordinaire de son éternité:
là-dessus a-t-on des paroles pour s'expri-
mer, des pensées pour comprendre et assez
d'âme pour s'effrayer? Mon Dieul on sait ici
que cet enfer est pour les âmes molles et
tout est plein de chrétiens mous et sen-
suels : une vie, qui n'est seulement que
commode et heureuse , suffit pour con-
duire à cet abîme affreux, et tous ici veulent
être heureux et avoir toutes leurs aises. Qu'y
a-t-il de plus terrible ici ou des peines de
l'enfer, ou de l'insensibilité de tant d'âmes
qui s'y précipitent de propos délibéré?
Mais vous, mes frères, quel fruit retirerez-
vous de ce discours? Est-ce de nous dire,
comme on fait ordinairement après ces sor-
tes de matières : mais si Dieu prépare à la
vie commune des habitants du monde, des
supplices qui ne sont point pour ceux qui
habitent les déserts, il faut donc déserter les
villes et s'enfuir dans d'affreuses solitudes?
Croyez-moi, mes frères, tirez de l'exemple
du mauvais riche des conséquences plus sé-
rieuses et plus sages : puisque l'abus de
son cœur et de ses sens lui ont attiré des
malheurs si grands, il faut donc quo vous
DE LA GLOIRE DE CIEL
854
fassiez des vôtres un usage plus chrétien
que vous soyez plus modérés dans vos plai-
sirs, plus solides et plus circonspects dans
l'usage de vos sens; possédant vos biens,
mais sans en jouir, selon le conseil de l'Apô-
tre; en usant comme n'en usant pas, et regar-
dant sans goût et sans attache les choses de
ce monde qui passent par vos mains et qui
tombent sous vos sens; composez-vous y
une forme de vie, et, sur l'intention de celui
qui fait la parabole, et aux dépens de celui
dont on la fait, prenez-y tout ce qui esi de
Jésus-Christ, et n'y prenez rien de la con-
duite du riche réprouvé. Conservez tout ce
qui est de l'un, rejetez tout ce qui est de
l'autre; entretenez l'union et la société avec
vos - frères par des commerces honnêtes ;
mangez ensemble avec sobriété, et formez
entre vous et eux toutes les liaisons qui ont
pour fin la charité chrétienne : cela est de
Jésus-Christ, conservez-le. Fuyez l'oisiveté,
la mollesse, le plaisir, la tiédeur, l'amour
d'une vie douce et commode, cela est du ri-
che, rejetez-le. Jésus-Christ est l'objet et le
terme que vous devez avoir toujours en vue,
le riche est le point fatal où commence la
mollesse qui finit par l'enfer; imitez-1'un,
éloignez- vous de l'autre, et assurez-vous
que si on se précipite dans des tourments si
affreux en suivant la mollesse du riche, on
s'élève jusque dans le séjour de l'éternelle
félicité en embrassant les souffrances et la
vie mortifiée dont Jésus-Christ nous a donné
l'exemple. C'est ce que je vous souhaite.
Amen.
SERMON XIII.
DE LA GLOIRE DU CIEL.
Transfigurât us rst ante eos. (Matth., XVII.)
Il se transfigura devant eux.
Quelle est la sainte montagne à qui mieux
qu'au Thabor peuvent être appliquées les
paroles de l'Ecriture : elle sera pleine de la
gloire du Seigneur et des voies du salut de
l'homme?
En effet, Messieurs, Jésus-Christ à qui son
amour fait prendre tant de soins différents
pour nous gagner, en pouvait -il jamais
prendre un plus glorieux et plus salutaire?
Lui qui cachant l'éclat de sa majesté sous les
sombres voiles d'une chair mortelle , n'avait
paru jusque-là qu'un homme devant les
nommes, aujourd hui permettant à sa gloire
de se communiquer, parait tout Dieu; ce qui
rend sa divinité toute sensible, et son huma-
nité toute brillante, fait voir à la terre qu'il
les réunit dans sa personne et justifie
que les paroles qu'il en donne sont vraies;
que le Thabor est non-seulement cette mon-
tagnep leine de la gloire du Seigneur, mais
encore des voies du salut des hommes.
Ces voies bienheureuses, ce sont les traces
des vertus que Jésus-Christ y imprime, ce
sont les saintes instructions qu'il y fortifie.
Rien n'est vide, rien n'est stérile sur le
Thabor, chaque parole que le Sauveur y dit
est une vérité qu'il y enseigne, chaque dé-
marche qu'il y fait est un devoir qu'il y im-
pose.
855
Ali! plût à Dieu qu'il me fût permis de
tous faire entrer clans le cœur de Jésus-Christ
transfiguré I que vous verriez dans cette pléni-
tude de gloire une image naturelle des désirs
glorieux qui doivent vous faire aspirer à vo-
tre centre ! que vous y entendriez dans les
' voies bienheureuses des leçons salutaires
que sa mère vous offre. Car voilà en quoi
consiste le fruit du mystère de ce jour, et ce
sera aussi tout le sujet de ce discours. Il s'y
faut pénétrer de ces pensées consolantes
que Jésus-Christ n'est point transfiguré pour
lui-même, mais pour nous; et que, loin de
retenir pour lui-môme toute sa gloire, son
désir le plus pressant a été qu'il se répande
et se réfléchisse sur les siens; il faut se dire
de soi-même qu'un Dieu n'a point rassemblé
tant et de si grands prodiges sur la sainte
montagne pour donner un vain spectacle à la
curiosité, mais afin que nous en tirions toute
l'utilité et tout l'usage. Premièrement, il
nous y montre sa gloire à découvert, afin
d'exciter pour elle nos désirs. Deuxième-
ment, il nous y trace ces voies bienheureuses
qui y mènent, afin de vous y faire entrer.
Expliquons donc aujourd'hui ce grand mys-
tère sans sortir des circonstances de nobe
évangile ; voyons comment le Thabor ren-
ferme seul notre sainte religion. Première-
ment, d'abord les biens qu'elle doit désirer;
deuxièmement ensuite les vertus qu'elle doit
pratiquer pour atteindre à la gloire, ou si
vous voulez la nature de la félicité qui vous
est aujourd'hui représentée et le chemin qui
y conduit, voilà tout mon dessin. Vous, ô
mon Dieu, donnez-nous ce que vous deman-
dait autrefois un prophète, de voir votre lu-
mière par votre lumière même, c'est-à-dire
de voir votre gloire par votre grâce ; nous
vous le demandons par l'intercession de Ma-
rie. Ave, Maria.
TREMIER roiNT.
< L'homme est né pour être heureux, Mes-
sieurs; il sort par la création du sein de la
félicité et de la gloire, son penchant le plus
nsiurel et le plus immuable c'est d'y retour-
ner. Consultons-nous , nous y trouverons
que ce désir nous suit partout: il anime nos
I entées et nos actions, il conduit nos projets,
no« démarches. Nous ne sentons plus rien
au fond de notre être et de notre substance
que ce désir, et qui ne sait que notre cœur
nous porterait toujours vers cette félicité,
si cl °bord notre aveuglement et ensuite nos
défiances, nous empêchant deda connaître et
de l'espérer, ne nous arrêtaient à ce qui nous
rend ici-bas misérables ?
Et certes, Messieurs, s'élever au-dessus
des sens, percer les adorables voiles du sanc-
tuaire, aller prendre l'idée de l'éternelle
gloire jusque dans le sein de celui qui en
est le principe, notre faiblesse ne le pourrait
pas; cendre et poussière que nous sommes,
comment pouvons-nous nous élancerjusqu'à
la divinité qui fait toute l'essence de notre
béatitude? Mais celui qui nous prépare des
biens tant au-dessus de nous, veut pourtant
bien nous les faire connaître; se pourrait-il
ORATEURS SACRES. LE P. SURIAN. 856
donc après cela que notre cœur ne les dési-
rât pas?
Hâtez - vous donc, hommes profanes et
charnels, nous dit le prophète, de monter
sur un lieu élevé ; appesantis par le triste
poids qui vous accable, vous n'avez jus-
qu'ici cherché votre bonheur dans ce bas
monde, que dans la possession des viles créa-
tures; votre désir n'est pas monté p lus haut.
Transportés en esprit sur la montagne mysté-
rieuse qui brille en ce jour, contemplez-y les
merveilles qui s'y passent du haut du Tha-
bor, voyez le monde de ce point sublime
jugez de l'univers ; de cette élévation lixe
mesurez le temps et tout ce qu'il renferme;
d'un lieusiéminent voyez tous les honneurs,
les plaisirs s'anéantir sous vos yeux, les
grandeurs de la terre s'écrouler, les années
et les siècles passer rapidement sans que
rien les arrête, toutes les choses humaines
se rétrécir, décroître et disparaître. Éle-
vez-vous sur cette montagne, et là contem-
plez un objet plus grand et plus parfait que
toutes les créatures ensemble; voyez | einte
dans un Dieu même l'image de votre bien-
heureux héritage; comprenez sur le Thabor
le bonheur parfait, et dans la personne du
Sauveur transfiguré, tous les traits différents
de la gloire céleste. O félicité charmante au-
dessus de tous les termes et de toutes les
expressions de l'éloquence humaine, quelle
bonté dans un Dieu d'élever si haut des
hommes qui ne sont ici-bas que misère 1 11
ne m'étonne donc plus si au seul souvenir de
ce bonheur David s'é; riait dans son tressail-
lement : ah 1 quand viendra ce moment
heureux !
Ah! que ces transformations glorieuses
seront aimables, et qui ne les convoiterait
pas, et qui ne soupirerait pas après elles*
Seigneur, s'il est si doux de les comprendre,
que sera-ce de les sentir; si là, comme ici,
plus le bonheur est grand , plus il fait
naître l'envie; si la félicité des uns ne le satis-
faisait qu'en piquant la jalousie des au-
tres, le bonheur des justes serait plein de la
partde Dieu, mais il recevrait quelqu'atteinte.
de la part des hommes. Mais rien de j areil
n'arrive dans le ciel, et lorsque nous voyons
sur le Thabor des hommes si différents de
condition, un prophète, des apôtres assen>
blés, ceux-là des limbes, ceux-ci du sein de
l'obscurité où ils étaient encore cachés, celte,
heureuse union de sentiments, de désirs, de
pensées et d'actions ne nous transporte-t-
elle pas dans la paisible possession au bon-
heur des saints, où nous serons tous à Jésus-
Christ sans trouble et sans division, où la
gloire, quelque faible qu'elle soit, ne fait point
de jaloux, où les plaisirs sont toujours purs,
sans mélange, où les élus ayant chacun la
mesure de félicité à leur poids de béatitude
éternelle, conspireront à se rendre heureux,
et où tous réunis dans le sein de Dieu, n'ayan*
plus qu'un même cœur et une même âme,
ils deviendront en quelque sorte Dieu même.
Ne vous scmble-l-il pas, Messieurs, voir tous
la figure du Thabor, ce festin spirituel o\\
tout ce que la naissance et le sang ont pro-
CAREME. — SERMON XIII, DE LA GLOIRE DU CIEL.
857
duit de parents se trouve rassemblé, où Jé-
sus-Christ est cet époux sacré qui réunira
tous ses membres, tous ses enfants, tous ses
disciples, tous ses fidèles serviteurs, tous ses
amis, et où, saisis de l'objet bienheureux de
notre amour, nous nous reposerons éternel-
lement en lui.
Mon Dieu, un tel bonheur m'attend et je
puis encore souffrir la vie ! Ah ! mon âme,
n'aspirons donc tout le reste de nos jours
qu'à nous mériter .cette félicité.
Mes frères, que vous dirai-je encore? ce
bonheurne serait pas parfait s'il pouvait être
interrompu, et l'on n'en goûleraitpasassezles
douceurs, si la crainte de le perdre s'y trou-
vait mêlée. Ce que vous pouvez espérer de
meilleur ici en cette vie, c'est que la peine
et le plaisir se succèdent mutuellement. Vos
excès de la plus grande joie sont bientôt
suivis de tristesse, et c'est presque assez
d'être aujourd'hui content pour être certain
que demain il vous arrivera quelque chose
de fâcheux. Mais il n'en est pas de même du
bonheur des élus: il n'y a ni mélange ni in-
constance, c'est le comble des divines volup-
tés, c'est un état fixe où la joie ne s'altère ja-
mais. Après des millions de siècles, ils goûte-
ront une félicité aussi pure et aussi nouvelle
que s'ils venaient d'y entrer; là ils ne trou-
• veront tous qu'un même jour auquel nulle
nuit ne succédera, qui n'empruntera point
de lumière étrangère, parce que ce Dieu,
divin soleil de justice, 1 éclairera lui-même.
Enfui par,tous ces divins caractères ne vous
semble-t-il pas voir cette montagne lumi-
neuse dont parle saint Jean dans son Apoca-
lypse? La sainte Jérusalem que voyait cet apô-
tre, c'est le séjour céleste de la félicité; l'a-
gneau qui y préside, c'est Jésus-Christ tout
brillant de gloire; ces milliers de serviteurs cïe
Dieu qui avaient le nom du Père éternel gravé
sur le front, sont tous les saints qui environ-
nent le Sauveur; qui, par le seul plaisir de Je
posséder, chantent sans cesse autour de lui des
cantiques de joie et d'allégresse, et qui tous
contents de jouir de Dieu, s'enivrent dans cette
source intarissablededélices.etquiplus ils en
jouissent, plus ils veulent en jouir. O monta-
gne éternel le, quand serez-vous notre demeu-
re ! gloire du ciel, dont le Thabor nous offre
ici une image si touchante, quand vous pos-
séderons-nous, et quand, transportés nous-
mêmes jusque dans ce séjour délicieux',
pourrons -nous nous écrier comme saint
Pierre : Bonum est nos hic esse! ah ! qu'il est
bon d'être ici 1 Mais, hélas! que ferions-
nous, faibles ministres, par toutes ces belles
représentations, qu'augmenter ensuite nos
justes douleurs; lorsqu'il faut que nous je-
tions la vue sur votre indigne tiédeur et sur
l'oubli presque général où vous êtes à l'égard
des biens éternels, objet unique et néces-
saire qui n'a jamais dominé dans votre cœur,
vous n'y êtes point même sensibles. Non,
toute précieuse et toute manifeste qu'elle
soit, cette gloire divine, on ne l'envisage
point, on ne la désire point, on n'a pour elle
que du dégoût et du mépris; et ce voile iu-
neste que saint Paul reprochait aux Juifs de
8S8
laisser sur les yeux de leur esprit, n'est point
encore levé de dessus les vôtres. Partout on
ne voit que des âmes tardives et pesantes
qui s'attachent à la terre par des aU'ections
basses et des sacrifices profanes, indignes
d'un chrétien destiné pour le ciel ; on n'en
voit que trop qui oublient leur véritable pa-
' trie dans le triste séjour de leur exil,etqui,
loin de soupirer et de chercher à s'en re-
mettre en possession, l'ont même perdue de
vue. O plaie sanglante à la religion 1 Oui,
Messieurs, c'est cet amour céleste, si doux
aux premiers fidèles, qui s'est presque p°rdu
dans leurs descendants; cette- noblesse de
pensées, cette sùj ériorité de désirs qui leur
faisaient croire qu'ils se seraient dégradés,
s'ils avaient eu pour les choses de la terre
le moindre attachement , et qu'ils ne pou-
vaient jamais être satisfaits que par la gloire
du ciel, se convertissent dans vous en uésirs
terrestres et en pensées rampantes. En vain
Jésus-Christ vous monjre toute sa gloire,
son image ne vous touche point, et vos
cœurs ont acquis pour elle une dureté im-
pénétrable.
Mais songez aux tristes conséquences qui
doivent vous intimider: c'est que la tiédeur
et l'indifférence où vous vivez à l'égard de la
félicité du ciel , est un état qui vous assure
l'enfer; que jamais n'y penser et n'y tour-
ner son cœur, est une disposition qui par
elle-même réprouve; c'est que ne [ oint ten-
dre à l'éternelle vie, est tendre à l'éternelle
mort; que vos prétentions seraient bien in-
justes de croire que vos noms fussent écrits
dans le lieu même où n'auraient jamais été
vos pensées; songez enfin qu'il n'y a de vé-
ritable connaissance de ce bonheur céleste
que celle qui renferme un dégoût pour le
monde, des gémissements sincères d'être
éloigné de sa patrie, une crainte salutaire
d'en être privé, une espérance vaine d'y ar-
river, c'est-à-dire toutes les vertus ensem-
ble et une horreur de tous les vices; car
nul ne peut croire qu'il est né pour une féli-
cité si parfaite, s'il ne l'aime et s'il ne la dé-
sire ; quiconque n'a pas cet amour et ces dé-
sirs de la béatitude, ne peut ressentir ici-.
bas qu'un abandon et un vide général, ci
après la mort, qu'un arrêt redoutable de U
bouche de son juge.
Sur ce principe, ô mon Sauveur, que vous
en rejeterez, que vous en perdrez au jour
de vos vengeances! Epée du Seigneur, que
vous immolerez de victimes, niais pour di-
minuer, s'il est possible, votre dureté, gens
du monde, n'oublions pas que Jésus-Christ
nous montre sa gloire sur le Thabor, non-
seulement pour nous la faire connaître, mais
pour nous la faire désirer: c'est-à-dire qu'a-
près avoir fondé notre estime, il a voulu
nourrir notre espérance.
Ici, mes frères, plaignons-nous à ncus-
mêmes, et avouons que nous sommes bien
malheureux d'attacher nos désirs à tant de
choses vaines qui ne peuvent remplir notre
espérance, et de ne les point fixer, de ne point
les élever à l'accomplissement des promesses
et à l'acquisition d'une gloire qui ont Dieu
■•)
ORATEURS SACRES. LE P. SURIAN.
860
pour garant. Kélas! peut-on y penser sans
s'attendrir ou se confondre? L'un, tout em-
pressé, court après une distinction chiméri-
que, un poste honorable, et un fantôme de
gloire qui se dissipe comme l'ombre et qui
ne descend jamais avec lui dans la sépulture;
l'autre, après de'faux plaisirs, après de fa-
des douceurs cjui n'aboutissent qu'à des
regrets et a des larmes. Celui-ci consacre à
des richesses une âme qui était faite pour
des biens plus réels ; celui-là se donne tout
entier à la poursuite, à la conquête d'une
misérable créature , dont son cœur abuse
quand il en est devenu le maître. Chacun
prodigue en vaines prétentions, en profits
insensés, en folles dépenses, un temps, un
argent, une santé dont il aurait pu s'assurer
un royaume éternel. Tous vous avez résolu,
comme les Israélites aveugles et ingrats, de
vendre (tour rien cette terre si désirable, si
chère : Pro nihilo habuerunt terram deside-
rabilem (Psal. CV); tous encore vous sacrifiez
3e ciel pour des attentes qui trompent, pour
des plaisirs qui fatiguent, pour des posses-
sions qui dégoûtent : Pro nihilo; tous vous
renoncez à votre patrie pour des grandeurs
' ui ne subsistent qu'en idée, pour des for-
tunes qui ne sont, que chimères, pour des
; Ifaires qui ne sont que sujétion, pour des
joies qui ne sont que fatigues, pour des liai-
• ons qui ne sont qu'inquiétudes, pour un
luxe qui n'est que vanité, pour des monda-
nités qui ne sont qu'erreur v Pro nihilo,
pour une science qui n'est qu'une vaine cu-
riosité où l'on apprend à compter ses rai-
sons au milieu do ses misères; pour un gain
sordide qui n'est qu'une vraie perte; pour
des conversations qui ne sont qu'une lon-
gue fable, qu'un grand mensonge; pour une
vie qui n'est qu'un souille que le moindre
accident peut ravir, qui ne revient plus
quand on l'a perdue, et qui est toujours un
songe quand on en jouit : Pro nihilo; pour
le service d'un monde qui n'est que vide,
qu'illusion, le néant même; pour des créatu-
res insolentes et perfides qui rendent, par
leur inconstance et leur légèreté, un conti-
nuel hommage à l'immutabilité de Dieu, seu
assez grand pour remplir nos désirs : Pro
nihilo habuerunt terram deside-rabilem,
O héritiers du ciel ! ô membres de Jésus-
Christ ! de quoi sommes-nous capables? à
quoi sommes-nous bornés? comment accor-
der des espérances si hautes avec des senti-
ments si bas? Oublions nous la quai 'té su-
blime de ces biens infinis que notre foi nous
promet, et auxquels elle nous élève? ne nous
souvenons-nous donc point que tout n'est ici
que corruption, qu'il n'est personne qui ne
doive gémir dans cette terred'exil? O vous qui
avez le bonheur d'être chrétiens, placez donc
mieux vos désirs et vos espérances, dites au
Seigneur : Souvenez-vous de mes malheurs
et de la misère où je suis : liecordare paaper-
tatis meœ (thren., III), elquecesouvenirvous
fasse lever les yeux au ciel pour y voir tous
les biens infinis qu'il vous y présente, et dès
le moment fa vorable où Jésus-Christ vous offre
sa gloire, répondez lui comme le prophète :
Oui, mon Sauveur, je consens à cette impre's
sion de bonheur [que vous voulez faire sur
moi; je veux désormais y rapporter mes pen-
sées, y donner tous mes soins et toute mon
application; j'y porterai tous mes désirs et
les plus doux mouvements de mon cœur :
Hœc recolens in corde meo (Thren., III); l'idée
que vous m'en donnez, m élèvera à son es-
pérance ; l'une et l'autre me la feront imiter
sans cesse, mon âme en sera toute rem-
plie : Tabescet iivme anima mea (Ibid.); je
ferai de mon Dieu tout mon partage, je ne
vivrai plus que dans l'attente de sa bienheu-
reuse possession : Pars mea Dominns, prop-
terea exspectabo ilhim (Ibid.), et je ne cher-
cherai plus que les voies qui me peuvent y
conduire. Ji.es voici, ces voies bienheureu-
ses, et c'est Jésus-Christ lui-même qui va
nous les montrer encore sur la montagne du
Thabor; ne vous lassez point de m'entendre
dans un sujet qui doit avoir tant de charmes
pour vous.
SECOND POINT.
11 n'y a que notre misère, si nous savons
l'étudier, qui nous doive paraître grande,
Messieurs; aveuglés clans l'idée que nous
avons de la véritable félicité, nous le som-
mes encore plus dans les voies que nous
prenons pour y atteindre • nous voulons y
aller par une curiosité tout inquiète, par
les faux plaisirs des sens, par la vanité des
grandeurs du siècle. Pourquoi ne pas dire
avec le Saint-Esprit : depuis que le péché a
mis entre la terre et le ciel un chaos immen-
se, que les voies de l'un à l'autre sont deve-
nues plus difficiles, tout se conduit dans le
monde par l'aveugle concupiscence des yeux,
par la grossière convoitise de la chair, par
l'amour effréné des plaisirs sensibles. Voies
si déplorables, qu'on peut bien dire de vous
que tout ce qui se passe par vous, donne et
ressent la mort I
Mais qui doit nous attendrir le plus ou
de la mort de l'homme qui s'égare, ou de l'a-
mour de Jésus-Christ qui prend soin de nous
redresser? Car on peut dire que c'est là cet
1 ange céleste qui brille à la porte du paradis,
non plus pour en empêcher l'entrée, -mais
pour nous l'ouvrir, et, pour me servir de
l'expression de l'Apôtre, Jésus-Christ s'offre
aujourd'hui à nous sur le Thabor, pour y
tracer une voie nouvelle et vivante au tra-
vers des voiles de sa chair : Quam initiavit
nobis viam viventem et novam per vclamen,
id est curnem suam (Ilebr., X) : voie de re-
traite, opposée à la vaine curiosité des yeux ;
voie de souffrance, opposée à l'amour des
faux plaisirs des sens; voie d'humilité, qui
attaque l'orgueil de la vie : Initiavit nobis
viam novam et viventem.
O vous qui faites ici-bas tout votre bon-
heur do votre attente, et qui mettez votre espé-
rance la plus douce à être semblablesà Jésus-
Christ, votre chef et votre Sauveur, car tout
ce qui ne tend point là vous damne , songez
que les lumières de sa gloire qu'il dit être
inaccessible, ne le sont point à ces trois
belles vertus, et ce qu'il dit, faites selon te
£31
CAREME. — SERMON XIII, DE LA GLOIRE DE CIEL.
modèle que je vous ai tracé sur la montagne,
suivez-le, et vous pourrez espérer d'attein-
dre à la v'e de la gloire.
Oh, quel présent plus digne d'un Dieu qu'une
âme qui aime la retraite! En s'éloignant des
occasions, elle écarte d'elle le péché; en pra-
tiquant la vertu, elle triomphe de tous lès
vices ensemble; elle est le sentier écarté qui
mène sûrement à la vie.
Mais s'il y mène, d'où vient donc que vous
n'y entrez point, gens du monde; que loin
de vous y porter au moins de temps en temps,
vous vous en éloignez et vous moquez même
de ceux qui s'y assujettissent? Pourquoi tenir
sans cesse toutes les portes de vos sens ou-
vertes à tant dépassions, et faire de vos yeux
autant de glaives meurtriers qu'ils jettent
de regards? Si la retraite est une vertu si
nécessaire et si avantageuse au chrétien,
pourquoi ne chercher que l'embarras, que
les compagnies et le tumulte du siècle? Pour-
quoi y demeurez-vous donc encore errants
et dissipés dans le monde qui vous éloigne
si fort de votre Dieu? Pourquoi ne pas dé-
tourner vos regards de dessus ses objets qui
vous séduisent, occuper votre esprit de ses
modes, de ses coutumes, des ses maximes,
de ses usages qui vous corrompent et qui
vous perdent?
Et ne dites point, comme on fait tous les
jours, que votre état est incompatible avec
la retraite, que vos affaires ne vous le per-
mettent point. Ignorez-vous donc qu'il ne
faut pas être hors du monde pour serecueil-
lir en soi-même? qu'il y a une retraite mo-
rale nécessaire atout chrétien, une retraite
spirituelle, selon saint Paul, par laquelle on
s'éloigne du crime où l'on vit avec le monde,
sans l'aimer, où l'on use de ses biens comme
si l'on n'en usait pas , où l'on y demeure, sans
s'y attacher, où l'on commerce avec les autres
hommes pour les sanctifier , où l'on s'éloi-
gne d'eux, quand ils sont capables de nous
corrompre? qu'il y a une retraite par laquelle
le chrétien, ne pouvant sortir du siècle,
fait sortir le siècle de lui-même ; où une Ame
attachée à son Dieu comme à l'unique objet
de son amour est tout entière à lui au mi-
lieu même du monde ; où, tenant aux hommes
par le corps, on est toujours uni à Dieu par
l'esprit, et où imitant en cela cet Etre su-
prême qui, mêlé aux choses de la terre, n'a
point de part à leur corruption?
Ah! Messieurs, apprenez donecette vertuqui
vousestprésentéecommela première et la plus
sûre voie de la félicité, et puisque votre état
et vos engagements vous obligent de demeu-
rer dans le monde, rompez du moins toute
liaison et tout commerce avec les méchants,
dont la contagion ne manquerait jamais de
vous infecter, ce que Jésus-Christ réprouve
ensuite. Si vous voulez de l'union et de la
société, que ce soit avec le petit nombre de
chrétiens qui se regardent comme étrangers
ici-bas, qui n'ont rien tant à charge que cette
misérable vie qui retarde leur bonheur; qui,
peu contents d'appréhender et de fuir le
monde, le méprisent elle haïssent. Aimez
la retraite dans la même disposition que les
Israélites captifs sur les fleuves de Babylone,
et dites comme eux :. Hélas! forcés d'habi-
ter ce monde , où nos liens nous retiennent
malgré nous , nous n'y avançons pas , nous
demeurons toujours assis au bord de ce
fleuve : Super {lamina Babylonis illic sedimus
(Psal. CXXXVI); nous craignons tropque les
eauxeorrompues etamères ne nous gagnent.
Nous nous levons loin de ses agitations, de
sa corruption et du gouffre de ses iniquités :
Illic sedimus. Nous y voyons avec douleur
périr ceux que leur aveuglement et leur té-
mérité y jettent, que leur imprudence y en-
fonce. Pour nous, menons une vie plus tran-
quille; et si nous avons de l'inquiétude et
des ennuis, ce n'est que par la bienheureuse
espérance de revoir la sainte Sion, notre vé-
ritable patrie.
Mais remarquez, Messieurs, qu'ils y ver-
sent aujourd'hui des larmes pour nous ap-
prendre que l'affliction est une voie aussi
essentielle à l'éternelle félicité que la re-
traite, et n'est-ce pas ce que Jésus-Christ
nous enseigne encore dans le mystère du
Thabor, lorsqu'il s'y entretient avec Moïse et
Elie de l'excès des douleurs qu'il doitsouffr r
àJérusalem :Dicebant cxccssnrn ejusquemeom-
pleturus erat in Jérusalem ? {Luc, IX.) Lors-
que tout à coup, quittant la joie et l'éclat de
sa gloire, le Sauveur change de situation et
de langage, reprend les peines du dedans et
du dehors, en fait part à eux-mêmes qui de-
vaient être les spectateurs de sa glorieuse
transfiguration, et leur trace dès ce moment
une image véritable de ce qu'il doit souffrir
un jour sur le Calvaire : Diccbant excessum
ejus quem complétants erat in Jérusalem; sur
quoi je voudrais, Messieurs, vous faire faire ici
quelques réflexions si naturelles. Un Dieu qui
eu égard à son infinie sainteté, pouvait pas-
ser des joies de la terre aux déli< es du ciel ,
rejette cependant cette voie, et ne veut arri-
ver aux consolations éternelles que par la
privation des passagères; quelle rigueur
pourlui-même, et vous, pécheurs misérables,
quelle lâcheté de vouloir réserver pour vous
ce que le Sauveur, dont nous sommes les
membres, n'a pas voulu prendre pour lui-
même; et, n'étant jamais conformes à l'image
de l'homme de douleur, nous présumerons
de l'être à l'image de l'homme de gloire I
Quelle injustice! un Dieu place le souvenir
de la croix au milieu de sa félicité, quelle
bonté ! Et nous loin de sortir un instant de la
joie et du plaisir, de retrancher un seul mo-
ment Je notre mollesse et de notre sensualité,
nous étudions l'art et le secret de les perpé-
tuer et (ie les étendre, et nous voulons tou-
jours aller au même terme que Jésus-Christ
nous montre, sans passer par la même
voie qu'il nous a tracée. Quel mécompte,
quelle erreur! Et l'esprit peut-il se soutenir
dans des prétentions si déraisonnables?
Mais achevez, ô mon Sauveur, de redresser
nos voies. Et comme cette victime, dont vous
racontez les souffrances à vos favoris, devait
être, non-seulement séparée et frappée, mais
encore cachée aux yeux des spectateurs r
Ne mini dixeritis visionem, ne dites à per-
6G3
sonne ce que vous venez de voir ; vous venez
nous apprendre qu'après nous être séparés
du monde par la retraite, après nous être
frappés nous-mêmes par les mortifications,
ou l'avoir été de votre main par les tribula-
tions et par l'affliction, nous devons encore
mener une \ie cachée et humble sur le mo-
dèle de votre humilité sainte.
Et en effet, Messieurs, Jésus-Christ savait
trop bien que l'humilité est la vertu la plus
essentielle à l'homme qui veut arriver à la
gloire; que l'orgueil l'ayant chassé du para-
dis, il ne lient y rentrer que par l'humilité;
que, selon l'Ecriture, les places des anges
superbes dans le ciel ne peuvent être remplies
que par des hommes humbles; que moins on
prend de gloire sur la terre, plus on s'en pré-
pare dans le ciel; qu'il n'y a que les vides
heureux des choses de ce monde qui
puissent obliger un Dieu tout grand et
tout parfait à les remplir de lui-même. Aussi
quel cas ne fait-il pas de ceux qui ont en
partage celte vertu parmi les apôtres, il
choisit celui qui do:t le renier et celui qui
doit demeurer caché dans son sein ; toute
celte gloire dont il nous montre aujourd'hui
la splendeur se borne à la seule montagne,
une nuée môme s'élève qui en tempère l'éclat,
qui l'enveloppe et dérobe aux spectateurs
une partie du spectacle, et pour en modérer
tous les charmes, il y mêle les humiliations
de sa mort et l'ignominie de ses souffrances,
comme s'il voulait nous dire: ce visage plus
brillant que le soleil paraîtra bien plus défi-
guré, bien plus outragé par les soufflets et
les crachats dont il sera couvert au temps de
ma passion. Ces habits, plus blancs que la
neige, me feront paraître bien plus méprisa-
ble et plus odieux, lorsque mes ennemis les
mettront en pièces et que mes bourreaux les
tireront au sort. La voix de mon Père qui du
haut du ciel m'appelle son fils bien-aimé, en
qui il met se» plus chères complaisances, me
rendra plus sensibles et plus outrageants les
cris barbares de ce peuple furieux qui de-
mandera que je meure, que je sois crucifié,
et ces deux hommes heureux qui sont aujour-
d'hui âmes côtés pleins d'une majesté si au-
guste, et tout couverts de la splendeur qui
m'environne, ajouteront à toutes mes autres
douleurs la triste confusion de mourir entre
deux hommes infâmes, et tout cela, disent les
Pères, pour vérifier cet oracle, que le Fils de
l'homme sera abaissé et humilié d'autant
plus qu'il aura paru exalté et glorifié.
Encore si cette gloire du Sauveur sur le
Thabor avait été de quelque durée : mais à
peine Jésus-Christ a-t-il manifesté tant de
grandeur que l'humilité jette son voile pour
la couvrir; s'il laisse échapper un rayon do
gloire qui enflamme toute la montagne et
qui éblouit tous ceux qui en sont les témoins,
il leur fait aussitôt des prières tendres, de
fortes instances, il leur donne <les ordres
réitérés de n'en jamais parler : Ncminidixeri-
lis visionem, etc.
Chrétiens vous aspirez tous à la menu
ORATEURS SACRES. LE P. SURIAN,
loire que Jésu
801
p.^.iy. MU^ -vo o Christ vous montre en ce
jour, mais y allez-vous par. la même route
qu'il vous trace? Le faste, l'ambition, l'or-
gueil, la vanité sont-ils le chemin qu'il
prend et que vous devez prendre vous-
mêmes. En vérité unDieusi humble la donne-
ra-t-il, cette gloire, à tous ces vains transports
de superbe qui vous tiennent comme charmés
de vous-mêmes, qui font que vous vous
applaudissez d'une naissance qui vous con-
fondra à la mort avec le plus petit et le plus
pauvre, d'un titre de noblesse que vous dé-
gradez par les inclinations les plus basses,
de quelques talents et qualités naturels
qui ne viennent pas de vous, et dont peut-
être vous faites un si déplorable usage ? La
donnera-t-il à ces airs hautains, à ces vains
efforts de tout surpasser, de tout éclipser,
de tout éblouir par le luxe et les folles dé-
penses ce qui vous environne? Non, Mes-
sieurs, les verges que Jésus-Christ vous
montre sur le Thabor, sont les seules par où
vous pouvez atteindre à la possession de sa
gloire; dès qu'on les quitte on périt, et si
vous ne pratiquez ses vertus, vous demeure-
rez à jamais privés de sa gloire.
Privés de sa gloire ! Ah 1 Messieurs, à ces
paroles vous ne frémissez pas? et votre cœur
ne se trouble point? et vous le;, écoutez sans
alarmes? O sommeil funeste, ô déplorable
insensibilité des chrétiens de nos jours; tou-
chez-les, divin Sauveur et les réveillez,
comme sur le Thabor vous reveillâtes ceux
qui s'endormaient au milieu de votre gloire;
inspirez-leur l'amour et le désir de votre fé-
licité, et ne permettez pas qu'ils prennent
d'autres voies pour y parvenir que celles
que vous venez de leur montrer.
Vous êtes appelé le Seigneur des vertus,
en même temps que vous êtes reconnu pour
le roi de gloire, Dominits virtutum ipse est
lirx gîoriœ; vous êtes le roi de gloire puis-
qu'elle n'appartient qu'à vous, que cesta
un Dieu seul à la donner, qu'elle vous a
coûté la vie, que vous l'avez acquise au prix
de votre sang; le Seigneur des vertus, non-
seulement des armées célestes, mais de la
retraite, de la pénitence, de l'humilité qui
sont vôtres, parce que vous les avez pratiquées
et scellées du sceau sacré de votre passion
et de vos douleurs ; ô souverain roi de gloire,
ô Seigneur aimable des vertus, distribuez
nous ici la force de mépriser ce bas monde,
la victoire absolue sur nos passions, en un
mot, les vertus dans le temps, et dans l'éter-
nité votre gloire; c'est, Messieurs, ce que je
vous souhaite. Au nom du Père et du Fils et
du Saint-Esprit. Amen.
SERMON XIV (9).
DE I.A PÉNITENCE DIFFÉllÉE A LA MOUT.
Ego vado, et qua?.relis me, et in peccato vestro rao.ie-
mini. (Jotw., VIII.)
Je m'en vais, vous me cherchera el vous mourrez dam
voire péché.
Quel coup de foudre, mes frères, pour
(9) Imprimé au tome II, page 147 de l'édition de Li<;ge, sous ce titre ; De t'impénitence finale,
8f>5
CAREME. — SERMON XIV, DE LA PENITENCE DIFFEREE A LA MORT.
SGO
une âme pécheresse qui diffère sa péni-
tence au lit de la mort; et si une seule de
ces paroles suffît pour l'accabler, quelle
ruine, grand Dieu, quel désespoir doit por-
ter en son cœur l'union de toutes ensemble !
Un pécheur à qui Jésus-Christ, immuable
vérité, déclare qu'il s'en va et que pour lui
en ce triste état tout va se retirer, tout va
disparaître pour lui, et le monde et la nature,
el son Sauveur lui-même, ego vatlo ; un in-
signe coupable qui au lit de la mort recher-
che, redemande inutilement son Dieu; qui
fait de vains efforts, pour retrouver sa mi-
séricorde perdue , qui voit un chaos ef-
froyable entre le ciel et la terre et qui éprouve
trop alors ce qu'il n'a jamais pu croire, qu'il
y a enfin une recherche du Sauveur suivie
de la damnation éternelle, qua relis me ; un
obstiné pécheur affermi dans les maux, dans
les disgrâces divines, dont tous les jours
déplorables coulent dans l'iniquité, qui fait
du crime son état fixe , qui y trouve son re-
pos monstrueux et une assurance stu.iide
de salut; un endurci en qui l'impénitence
du trémas punit l'impénitence de la vie, et
qui voit, jointes enfin, les deux choses si
terribles l'une sans l'autre, le péché et la
mort, le péché qui rend la mort si malheu-
reuse, la mort qui rend le péché si irrémé-
diable.
O Ciel ! que de désastres dans un seul , et
que le redoutable mystère des vengeances
de Dieu est consommé dans l'homme pé-
cheur par l'effet de cet oracle : Je m'en vais ,
vous me chercherez et vous mourrez dans
votre péché, egovado, etc.
Mes frères, pour vous effrayer d'avantage,
est-il donc nécessaire de développer ici le
sens, dirai-je de cette menace, ou de cette
prophétie? Faut-il que j'ajoute a des paroles
si effrayantes de nouveaux sujets de ter-
reur? et soit qu'elles présagent votre desti-
née ou qu'elles la préviennent, ne devraient-
elles pas seules porter dans vos cœurs la
pénitence et l'effroi? Elles le devraient, je
l'avoue, mais hélas î disons-le à la honte du
christianisme, elle ne produisent point ce-
pendant ce bienheureux effet, et l'homme
pécheur qui les écoute avec frayeur, quand
nous les annonçons dans les chaires évan-
géliques, se fait bientôt des ressources in-
dignes qui le rassurent dans sa déplorable
conduite.
Otons les lui, ces ressources, et le faisons
voir ici Iui-n:*.me a lui-même, au lit de la
mort , dans l'abandon général de toutes
choses et môme de son Dieu; prouvons-lui,
avec tous les Pères de L'Eglise, que la péni-
tence différée à la mort et l'impénitence fi-
nale ne diffèrent presqu'en rien , et que si
le pécheur misérable ne se convertit tout à
l'heure, il ne se convertira jamais.
C'est au simple retranchement de ces res-
sources trompeuse que je réduis tout le
plan de ce discours, ne pouvant, dans la con-
fusion où me jette un sujet si effrayant, gar-
der l'ordre et les règles ordinaires; mais
avant de commencer, implorons les lumières
de l'Esprit-Saint par l'intercession" de la
sainte Vierge. Ave Maria.
PREMIER POINT.
Considérez-vous donc, pécheurs qui diffé-
rez votre conversion, je ne dis pas dans les
surprises les moins ordinaires d'une mort
subite, mais dans un lit frappé de maladies,
respirant encore longtemps sous le poids de
vos maux et de vos infirmités; représentez-
vous dans un genre de mort le plus favorable
à vos délais et à vos téméraires remises.
Quelle est la première ressource à' vos
espérances, à vos attentes? d'où attendez-
vous la pénitence,- dans un besoin si pres-
sant ?
Je l'attends, dites-vous, de la grâce de mon
Sauveur. Cette espérance est bientôt formée,
mais avez-vous de quoi l'appuver, et qui
peut donc vous soutenir dans 'cette auda-
cieuse attente? Je sais que, selon le dogme,
tant qu'il y a espérance de vie dans un pé-
cheur, il y a encore espérance de salut; que
jusqu'au dernier soupir il ne faut point
désespérer de la miséricorde; que la grâce
du Seigneur, figurée par cciîe eau miracu-
leuse qui suivait les Israélites jusque dans
les déserts arides, nous accompagne jusqu'à
la fin de notre courte vie. Mais quvil sera
difficile de surmonter des fiassions que le
temps et l'habitude auront rendues invin-
cibles 1 Que si Dieu laisse aller le cours des
choses, que doit attendre le pécheur obstiné,
sinon la damnation éternelle qui est lo
triste sort de tous ceux qui nous ressemblent?
qu'il nous faut donc une de ces grâces rares,
fameuses par leur singularité, assez forte
pour briser toute la durée de votre cœur,
assez active pour mettre toute la pénitence
en alarmes, et pour renfermer les sincères
regrets d'une vie entière de «rimes.
Or, quelle hardiesse pour le pécheur im-
pénitent de croire qu'il aura cette première
grâce du salut en sa disposition de se regar-
der comme le maître do cette faveur singu-
lière; et peut-il compter de l'avoir quand il
voudra? Ah! quelle témérité a un pécheur,
de se promettre un secours tout-puissant
que Dieu ne peut lui accorder à ce dernier
moment sans aller contre sa parole , contre
sa conduite, contre sa justice et même contré
sa miséricorde!
Je dis contre sa parole. Ah ! si le pécheur
à la mort pouvait compter sur cette grâce
finale , que deviendraient donc toutes les
expressions que le Seigneur en laisse pour
faire voir que la vaine espérance de ce témé-
raire sera confondue? qu'il n'étendra plus
alorsla main que pour renverser et que pour
abattre; que le'pécheur gémira, dans le temps;
qu'il verra périr ses injustes désirs ! Noli
esse stultus ne moriaris in tempore non tno.
(Ecclc, VII.) Si cette grâce était si certaine,
que voudraient donc dire les oracles si sou-
vent répétés qui renferment tant d'épou-
vante à votre mort? Je me rirai de vous, in
interitu vestro ridebo [Prou:, 1); je me reti-
rerai de vous, et vous abandonnerai comme
vous m'aurez abandonné, recédant; je vous
Î?S7 ORATEURS SACRES. LE. P
Oublierai comme vous m'aurez oublié : obii-
viscar.
Oui pécheurs lorsque tout en vous sem-
blera m'invoquer, que les yeux à demi fer-
més voudront me regarder en face pour me
toucher; que les mains tremblantes levées
au ciel sembleront implorer mon secours ;
que cette bouche suppliante pleine des plus
tendres aspirations voudra me réclamer; que
cette âme, toute occupée de ses vives dou-
leurs, ne songera qu'avec frémissement au
grand ouvrage de son salut, tous ces efforts
ne me gagneront point , tout cela s'empres-
sera inutilement île uf attendrir ; je me mo-
querai de votre imprudence et de votre folle
confiance: subsannabo. (Prov., 1.)
Cette retraite d'un Dieu, le dégoût affreux,
ces railleries cruelles, cette dérision ter-
terrible à l'égard du pécheur obstiné qui le
réclame à l'heure de la mort, neseraient donc
qu'un vain langage, que des pures exagé-
rations pour nous amuser et nous sur-
prendre? Tous les oracles si respectables
qui portent l'effroi jusque dans les
âmes les plus endurcies, n'auraient donc
rien que de frivole et de chimérique? les
tendres avertissements qui nous sollicitent
de sortir promptement de l'état du péché, de
peur que la mort ne nous y surprenne; les
châtiments réservés aux âmes lâches, aux
tièdes et aux impénitents dont tout retentit
SIJRIAN.
SCS
dans la sainte Ecriture, ne seraient donc
plus que de vains artifices pour alarmer les
simples et les âmes timorées? les menaces
si vives que Dieu fait à l'impie de se retirer
de lui à la mort, comme le soleil se retire de
ses régions éloignées qu'il éclairait et où il
animait tout, neseraient donc plus qu'un tour
de pensée et d'imagination, et quand Jésus-
Christ dans l'Evangile nous dit qu'il s'en va,
que nous le chercherons, et que nous mour-
rons dans notre péché, ego vado, etc., ce ne
serait donc qu'un esprit de mensonge et non
de vérité?
Ah ! que le téméraire pécheur se confonde
donc ici ; que par toutes les absurdités
monstrueuses qui se suivent de sa présomp-
tion, il convienne de son malheureux sort;
qu'il reconnaisse maintenant que s'il ne fait
pas pénitence à l'heure qu'il est, il est bien
en danger de ne la faire jamais. Qu'il ap-
prenne à mieux juger de la miséricorde
d'unDieujuste, et quepuisquetoutesles véri-
tés effrayantes qui condamnent les coupables
délais, sont renfermées dans la sainte Ecri-
ture, et que cette assurance seule sur la-
quelle il compte tant ne s'y trouve point,
c'est donc contre la parole de son Dieu qu'il
se promet à la mort un secours aussi rare
que puissant.
J'ajoute encore contre sa conduite qu'elles
sont constamment terribles, les vérités à l'é-
gard du pécheur qui vieillit dans l'impéni-
tence. Esaû demande avec larmes d'être reçu
à pénitence, et le Seigneur ne l'écoute
point; Saùl confesse sa faute, il la pleure
et il est homicide de lui-môme: Judas re-
connaît son crime, il en est touché de re-
pentir et puis se désespère; Antiochus im-
plore avec douleur. une miséricorde qu'il
n'obtiendra jamais; dans Sodoine , toute une
ville; dans la Judée, tout un royaume ; dans
l'Egypte, tout un monde impénitent est
abandonné à la colère du Seigneur, et en-
core aujourd'hui les traits célestes éclatent
en tous lieux. Les uns abandonnés à eux-
mêmes, à toutes les ténèbres de leur esprit,
à toute la corruption de leur cœur, à toute
la faveur de leurs désirs, sacrifiant encore
jusqu'au bord du tombeau à l'objet infâme
île leurs passions, font bien voir que leur
arrêt est déjà signé, et qu'avec une âme
philosophe, ils ne feront que passer du feu
criminel de la concupiscence qu'ils ont tou-
jours entretenue, au feu vengeur de l'enfer,
qu'il n'ont pas [iris assez de soin d'éviter : de
igné in ignem. Tant d'autres pleurent, gé-
missent, font à Dieu et à la vertu des répa-
rations solennelles en mourant, qui toute-
fois leur sont inutiles; les humiliations sont
pour ainsi dire de l'arrêt et font partie de la
peine qu'ils ont méritée.
Dieu le permet ainsi pour sa gloire et pour
notre instruction, et tout cela n'empêche
pas qu'après cette amende hunnorable le
pécheur obstiné ne soit traîné au dernier
supplice.
Enfin je vois partout que la bonté de Dieu,
quoique infinie , a pourtant des bornes mar-
quées au delà desquelles il ne va point;
qu'il ne pardonne que jusqu'à une certaine
mesure de pé« liés; que, quand la mesure est
à son comble, on ne doit plus rien en at-
tendre sans un miracle de sa miséricorde.
Pourquoi donc nous abuser ainsi, pé-
cheurs obstinés. Dieu ferait-il une loi nou-
velle pour nous , dont la vie n'est qu'un
continuel outrage de sa patience, 'qu'un
abus déplorable do sa bonté, et par consé-
quent une préparation à ce dernier délais-
sement dont il nous menace , ego vado. Ah!
si maintenant vous ressemblez tant à ces
âmes impénitentes par vos délais et par le
soin continuel de satisfaire vos passions,
comment pourrez-vous croire que vous en
serez si différents à la tin' de votre vie ; de
dix mille à peine en sauve-t-il un, donc
pour un degré d'espérance, vous en aurez
dix mille d'effroi.
INinive qui avait espéré de fléchir la colère
du Seigneur par ses larmes et par la péni-
tence, ne fut-elle pas menacée de périr par
le glaive? d'être mise au pillage, d'être ex-
terminée de fond en comble et livrée à la
fureur du Dieu vivant? voilà de quelle ma-
nière la miséricorde s'oppose à la grâce
finale que vous osez témérairement nous
promettre après une vie tout entière de
< rimes.
Mais si Dieu avait pitié de vous à ce der-
nier moment, n'irait-il pas encore contre la
justice? elle consiste, cette justice, à être
favorable aux bons et sévère aux méchants ,
à rendre à chacun selon ses œuvres; or, le
Seigneur ferait-il l'un et l'autre, si, n'ac-
cordant la grâce finale qu'aux larmes des
justes, qu'à leurs soupirs et à une vie
entière de régularité et de [énitence, il
m
CAREME. — SERMON XIV , DE LA PENITENCE DIFFEREE A LA MORT.
870
l'offrait en tout temps et en toute occasion à
la première demande des méchants , qui
l'ont tant de fois rejetée et qui ne cessent
de l'offenser et de mépriser ses secours?
Ah 1 si l'on pouvait [tasser ainsi des joies du
temps au bonheur de l'éternité, tandis que
l'autre se condamne à la tristesse et aux
amertumes de ce monde pour mériter les
délices et la félicité du ciel , que le sort des
âmes justes serait triste, que la destinée
des pécheurs serait douce ! Si donc vous
prétendez que le Seigneur accorde au premier
désir de votre volonté criminelle ce qui
n'est dû qu'à la plus constante et qu'à la
plus exacte pénitence, il faut que vous
«vouiez ou que Dieu est juste dans ses juge-
ments, ou que vous vous abusiez vous-
mêmes dans votre attente.
N'allez pas me demander où est donc cette
bonté de Dieu tant vantée, car vous nous
interrogez ici sur sa compassion, sur sa
'endresse envers les pécheurs ; que sont de-
venues, dites-vous, ses infinies miséri-
cordes? Quoi I pécheur misérable, vous
n'êtes plus au fond de l'abîme , et vous nous
demandez si votre Dieu ne fait point grâce 1
quelle plus grande grâce, après un million
d'offenses et d'infidélités, que vous laisser
encore le temps et les moyens de faire pé-
nitence 1 ah 1 s'il en faisait davantage, sa
miséricorde ne s'opposerait-elle pas à sa
miséricorde même? en effet, serait-il de la
miséricorde de Dieu d'autoriser les remises
continuelles de tant d'âmes mondaines qui
aiment le plaisir, mais qui craignent l'enfer,
et qui, comptant sur cette bonne disposition
finale, ne manqueraient pas de se reposer
sur la grâce d'une meilleure vie, dont la
seule miséricorde, à la mort, serait le gage.
Serait-il de la bonté de Dieu d'autoriser le
pécheur obstiné à passer toute sa vie, depuis
sa naissance {jusqu'à sa mort, dans l'ini-
quité, seulement parce qu'il serait bien
résolu de prévenir la mort d'un moment et
de quitter alors toute la matière de ses
soins; ah I.si cette grâce finale était si cer-
taine, qui ne serait tenté d'adorer Dieu,
pendant la vie, dans celle folle confiance
qu'on le retrouverait au dernier jour, et du
dernier jour à la dernière heure, et de la
dernière heure au dernier instant, et s'il
était permis de compter sur une telle assu-
rance , quel torrent d'iniquités ne répan-
drait-elle pas dans toute une ville, dans
tout un royaume? Si Achab mourant eût
trouvé grâce, que son sort eût fait d'impies 1
Si Saiil expirant dans les larmes eût obtenu
la rémission de ses péchés, que son sort
eût fait d'envieux ! Si Hérode repentant
eût à la mort opéré son salut, que son sort
eût fait d'impudiques ! Si Antiochus gémis-
sant eût fléchi la miséricorde divine, que
son bonheur eût fait de sacrilèges ! Si Judas,
revenuàlui-mêine, eût été assurédu pardon
de son crime , que sa grâce eût fait de traî-
tres et de profanateurs! Depuis tant d'exem-
ples terribles, si l'on pouvait s'assurer que la
miséricorde s'ouvrît encore aux souhaits d'un
pécheur mourant, qui ne serait tenté, à son
exemple, d'abandonner Dieu pendant la vie,
parce qu'on le retrouverait toujours à la
mort, et quel ennemi fatal cette assurance
ne deviendrait-elle pas à la re.igion ?
11 est donc vrai et vous ne le sentez que
trop, Messieurs, que Dieu es! bon, que sa
bonté a une raison plus forte de vous perdre
que de vous sauver à la mort; qu'après l'a-
voir méprisée par des résistances trop in-
justes, elle voudra justifier son honneur à
vos dépens; quelle raison aurioz-vous donc
de vous rassurer sur la miséricorde de
Dieu, puisque, s'il autorisait les pénitences
tardives, il autoriserait en même temps vos
offenses, au lieu qu'en les punissant, il veut
arrêter le désordre; car, en vous perdant, à
combien de pécheurs fait-il grâce? Si vous
différez donc davantage votre pénitence à
la mort, votre perte est assurée; ce n'est plus
un doute, ce n'est plus une vraisemblance,
ce n'est plus un peut-être : c'est une vérité
infaillible, puisque Dieu tout entier s'op-
pose à votre folle espérance, puisque sa mi-
séricorde même est un arrêt contre vous.
Pour être toujours tranquilles sur un sujet si
effrayant, il faut donc que votre présomp-
tion ait plus de poids et d'autorité pour
vous assurer sur le dernier moment, que la
parole, que la conduite, que la justice, que
la miséricorde de votre Dieu n'en ont pour
vous le faire appréhender; il faut que vous
soyez sûrs qu'il vous privilégiera plutôt
qu'un si grand nombre de pécheurs morts
dans l'impénitence ; il faut que vous comp-
tiez qu'il fera un prodige, un miracle en vo-
tre faveur; qu'il sortira, pour l'amour d'un
obstiné qui l'a tant offensé, des voies ordi-
naires de sa divine sagesse. Tout témé-
raires que vous êtes, voudriez-vous, l'ose-
riez-vous, misérables vers de terre, vous
reposer sur un prodige, compter sur un
miracle, lorsqu'il s'agit de votre fortune, de
votre santé, de votre élévation , de votre
gloire? ne faites-vous pas de votre côté tous
les efforts, n'apportez-vous pas tous les
soins, toutes les précautions imaginables
pour la réussite d'une affaire dont vous n'a-
vez d'autre assurance que dans vous-mêmes?
Eh! comment donc renvoyer à la dernière
heure de votre vie, cette importante affaire
de votre conversion et de votre salut, sur la
seule présomption que vous avez qu'alors
vous vous convertirez? Celte espérance est-
elle appuyée sur la moindre apparence de
raison, et une vie tout entière de crimes
ne mérite-t-elle pas que Jésus-Christ vous
dise à la mort ce qu'il dit aujourd'hui aux
endurcis : Je m'en vais, vous me cherche-
rez, mais trop tard, et vous mouriez dans
votre péché : Ego vado.
Mes chers frères, Jérémie voyant le tem-
ple de Dieu tombé en ruines, en est affligé :
Idcirco ego plorans ; mais quand il songe
que Dieu n'y est plus, qu'il s'en est retiré
dans sa colère, il fond en pleurs et devient
inconsolable : Quia longe factus est a me
consolator. (Thren., I.)
Souffrez que je vous le dise, Messieurs :
la même chose m'arrive quand je vois mourir
8?»
ORATEURS SACRES. LE P. SURIAN.
873
un pécheur; ce composé de corps ei u'âme
qui se dissout me frappe, le temple vivant
de Dieu qui se détruit me touche, j'en suis
affligé ; mais ce qui me l'ait fondre en larmes,
c'est la crainte où je suis que le Seigneur ne
se soit retiré de lui, qu'il ne l'abandonne et
que sa grâce dont il a tant de fois abusé pen-
dant sa vie, ne lui soit refusée à la mort :
Jdcirco ego piorans quia longe factus est ; le
moribond ne le sent peut-être pas ce mal-
heur. Dieu se retire quelquefois sans bruit,
sans éclat, sans donner au pécheur la moin-
dre alarme; mais le calme, le silence d'un
Dieu qui s'en va sourdement, crainte qu'on
ne le rappelle, n'est-il pas le comble de tous
les maux, et si je ne versais un torrent de
larmes sur lui, ne serais-je pas plus insen-
sible qu'un rocher? Idcirco, etc.
Mais vous trouverez encore une dernière
ressource dans votre volonté. Si je veux me
convertir à la mort; Dieu ne me fera-t-il pas
miséricorde? C'est le seul parti qui vous
reste à prendre; mais illusion toute pure.
Vous croyez avoir alors la volonté de vous
convertir, et elle vous manquera, et en vous
trompant comme vous faites, vous éprouverez
à votre grand malheur, que différer sa péni-
tence au dernier moment, n'est pas seule-
ment prendre mal le temps de Dieu, mais
que c'est mal prendre le vôtre.
Et certes, s'il n'y avait en vous qu'une seule
espèce de volonté, nous aurions peut-être
quelque espérance de l'avoir à cette dernière
heure ; mais ce qui doit nous alarmer, c'est
qu'il y a plusieurs sortes de volontés, et que
n'y en ayant qu'une espèce qui peut nous
sauver, il y en a une infinité qui peuvent
vous perdre; celle qui peut vous justifier,
pécheurs impénitents, c'est une volonté sin-
cère, véritable, et les autres sont toutes
trompeuses et hypocrites, imparfaites. Mais
puisqu'il suffit que la vôtre ait un de ces ca-
ractères pour vous damner, pouvez-vous
présumer qu'aucun de ces défauts ne se
trouvera pas, et que vous les aurez toutes
ensemble à la mort? Et d'abord pourrez-vous
disconvenir que cette volonté soit contrainte
et forcée en ce dernier moment? la preuve
n'en est que trop certaine.
Mais il faudra bien, dites-vous, que cette
volonté soit sincère; la nécessité sera si
pressante. Ah! par conséquent, quand il n'y
a point de nécessité, il n'y a donc point chez
vous de pénitence; par conséquent si la ma-
ladie ne vous pressait pas, vous ne songeriez
pas a votre salut. Ce n'est donc que depu:s
que vous êtes un mourant que vous faites le
personnage de pénitent. Dieu ne commence
donc à vous être quelque chose que lorsque
vous devenez au monde un objet d'horreur
et de mépris : il le faudra bien. Donc tant
que vous avez été capables d'offenser le Sei-
gneur, vous n'avez point songé à le satis-
faire ; donc c'est la seule impression de la
mort qui vous fait jeter dans la vertu, et si
vous étiez immortel, vos abominations se-
raient éternelles : il le faudra bien; c'est
donc la mort qui vous effraye et non pas
vos crimes qui vous déplaisent ; ce n'est
donc pas vous qui quittez vos péchés, ce
sont vos péchés qui vous abandonnent, dit
saint Augustin : Peccata te dimittunt, non tu
itla.
En effet, si vous la formez cette volonté
trompeuse de vous convertir, ce n'est,
comme ce roi impie de l'Ecriture, qu'après
avoir employé les remèdes les plus efficaces,
cherché les moyens les plus certains pour
vous garantir dés malheureuses atteintes de
la mort ; comme c'est du bon ou du mauvais
succès que vous faites dépendre votre pé-
nitence, vous ne la feriez pas si les remèdes
avaient réussi, si votre santé se fût rétablie et
si vous eussiez pu éloigner encore le triste
moment qui vous effraye. Il vous faut donc
les tristes approches du trépas, l'aspect hi-
deux d'une mort évidente et certaine, la
présence terrible de votre juge, pour exciter
vos cœurs, pour fléchir votre volonté rebelle,
pour faire couler vos larmes. Il faut que le
glaive soit levé sur vos têtes coupables pour
les faire plier sous le joug de la pénitence ;
c'est-à-dire, que vous espérez de vous con-
vertir rhalgré vous. Ahl sur une telle volonté
quel fond peut-on faire ?
Mais rien n'est plus incertain encore que
cette trompeuse volonté; l'expérience ne
vous en a-t-elle point déjà convaincus? N'ê-
tes-vous jamais revenus de ces extrémités
fâcheuses où un seul point sépare la mort de
la vie? Quel désaveu n'y faisiez-vous pas de
votre conduite passée 1 Vous y teniez le lan-
gage des saints. Le spectacle édifiant que
vous y donniez vous fit canoniser de tous les
spectateurs ; vos parents, vos amis, vos en-
nemis mêmes, tous jugeaient sur de fidèles
apparences que vous seriez sauvés. Avaient-
ils raison de le juger ainsi? Vos [trières, vos
gémissements, vos protestations, vos pro-
messes, vos regrets si touchants au dehors
venaient-ils du dedans? tout cela était-il sin-
cère et d'une volonté parfaite ? La suite en
doit faire juger. La santé est-elle revenue,
avec elle sont revenus les mêmes plaisirs
et plus intéressants, les mêmes liaisons et
plus fortes, les mêmes habitudes et plus
ménagées, les mêmes doutes'et plus affec-
tés, les mêmes passions et mieux entrete-
nues, la même indifférence pour le salut et
plus fortement soutenue. Revonu du des-
sein de faire pénitence, vous l'avez été de
quitter le péché; avec les espérances de
vivre est revenu le projet d'offenser Dieu;
vos jours prolongés n'ont fait que prolonger
vos crimes ; vos soupirs à la mort étaient
comme ceux des matelots pendant l'orage et
jusqu'à la fin de la tempête; quelle frayeur,
quelle alarme durant le danger! mais quelle
joie, quel calme lorsqu'ils en sontéchappél
Mais si vous avez repris si facilement des
désordres que vous détestiez si fort pendant,
votre première maladie; si vous avez éprouvé
par vous-mêmes ou par l'exemple de plusieurs
autres pécheurs comme vous, qu'il ne faut
point compter sur les conversions tardives,
quel fond pouvez-vous donc faire sur cette
même volonté devenue encore depuis plus
CAREME. — feERMON XIV, PENITENCE DIFFEREE A LA MORT.
873
coupable ? Si elle rendit alors votre pénitence
vaine, votre conversion nulle, pouvez-vous
espérer que, devenue plus corrompue et plus
fortifiée dans le péché, elle la rendra plus
infaillible et plus certaine?
Ne dites donc plus : je voudrai me convertir
à la mort, c'est-à-dire que tout le monde le vou-
dra pour vous; mais vous-même le voudrez-
vous ? c'est-à-dire que toute une famille gémis-
sant au pied de votre lit, une épouse incon-
solable, des amis affligés, des enfants tout en
pleurs le voudront sans doute pour vous?
c'est-à-dire que les plaies du Christ, tou-
jours ouvertes à vos yeux défaillants, ses
mérites, sa mort, sa passion retracés sur le
crucifix qu'on vous présente, le voudront
pour vous; la bienséance qu'il faut garder
jusqu'à la fin, la crainte de la flétrissure de
votre réputation, vos remords, votre fai-
blesse, votre amour-propre le voudront pour
vous; votre tombeau déjà ouvert, votre bière
ioute prête, votre testament tout fait, les
vœux du peuple, les cris du prêtre, les prières
de l'Eglise, le saint sacrifice déjà offert, tout
cela le voudra pour vous; mais vous-même
le voudrez-vous? et si vous ne le voulez de
cette volonté ferme, sincère, constante, iné-
branlable, ah 1 que deviendront votre âme et
votre salut? Et par le second endroit, cet. ar-
rêt terrible de Jésus-Christ ne s'accomplit-il
pas en vous : Je m'en vais; vous me cher-
cherez, mais avec une volonté si imparfaite,
que vous mouriez dans votre péché : Eqo
vado, etc.; mais allons plus loin : vous vou-
drez vous convertir, mais le pourrez-vous?
Entrons dans cet abîme, après avoir laissé
un moment reposer vos attentions.
SECOND POINT.
La conversion, pour être parfaite, surtout
quand on la diffère au lit de la mort, de-
mande et au dedans et au dehors des dispo-
sitions si essentielles que si une seule vient
à manquer, une âme est à jamais perdue.
Elle demande au dedans une raison saine,
une cons'ance préparée,' un cœur changé,
tout l'homme entier en expiation et en péni-
tence. Elie demande au dehors un concours
de plusieurs circonstances difficiles à assem-
bler et indispensablement nécessaires.
Sur ce principe, pécheur obstiné, où est
votre raison dont vous êtes si jaloux sur
tout le reste, et dont vous négligez tout l'u-
sage à l'égard du salut? Alors, quelle force,
quelle action aura-t-elle en vous? De captive
qu'elle est maintenant, d'esclave malheureuse
de tant de passions, revienura-t-elle à ce
dernier moment maîtresse et absolue souve-
raine d'un empire que tant d'objets séduc-
teurs et d'habitudes déplorables lui font per-
dre? Comment pourra-t-elle juger alors de
ce qu'elle n'aura jamais bien connu? L'aurez-
vous cette raison aussi entière, aussi saine
qu'aujourd'hui? Et si à présent elle ne peut
vous faire comprendre que la pénitence est
nécessaire, qu'elle est préférable à toutes les
fausses jo es de la terre, eh lie pourra-t-elle,
quand elle n'aura presque plus de force,
qu'il ne lui restera que certaines lueurs
OuATKUîtS SAC3É3. L.
obscurcies et qu'elle sera comme mourante?
Peut-être que la voix de la conscience fera
sur le pécheur expirant ce que la raison
n'a pu faire; mais alors quelle est sa dispo-
sition? ou elfe est endormie, ou elle est em-
barrassée. A force de vous trouver sourd, à
ses remontrances, de fermer les yeux à ses
lumières, de vous roidir contre ses accusa-
tions, de vous obstiner contre ses avertis-
sements, de vous révolter contre ses sen-
timents, de vous mettre au-dessus de ses
reproches, d'étouffer soigneusement ses re-
mords , d'émousser ses pointes, de vous
étourdir sur ses déchirements, de contredire
ses maximes, de justifier vos passions, de
vous déclarer l'apologiste éternel du vice,
hélas ! elle est devenue, cette conscience,
sans force*. sans action, sans mouvement,
sans autorité ; elle est tombée dans une lé-
thargie si grande, dans un assoupissement si
profond, dans une insensibilité si funeste à
l'égard dés plus grands péchés, qu'elle paraît
comme morte ; du moins ce qui vous en
reste est enveloppé dans un nuage si épais
de passions et de .désordres, qu'il lui est
presque impossible d'éclairer ce chaos, d'ap-
profondir cet abîme; et vous espérez cepen-
dant que cette conscience, à la mort, tout
d'un coup amollie et dégagée, ou vous ré-1
veillera de tout votre assoupissement, ou
vous fera revenir en un instant de tous vos
égarements? Vous vous imaginez qu'elle
rentrera dans une assez grande lumière pour
vous faire alors découvrir jusqu'aux moin-
dres taches de votre âme? que cette seule
pensée : je vais mourir, lui rendra toute sa
force, toute son autorité, toute sa pénétra-
tion, toute sa vivacité? qu'après avoir si
longtemps vécu dans les mêmes désordres*
vous aurez assez de présence d'esprit pour
rectifier toutes vos confessions par une gé-
nérale, car il le faut? Vaine espérance, fri-
vole amusement 1 car si la conscience se
laisse encore voir à vous à ce moment fatal,
ce n'est que pour être votre supplice; son
poids vous accablera sans que ses lumières
vous instruisent; si elle se fait encore en-
tendre à vous, ce sera pour vous accuser
sans que les lois vous justifient ; à ce passage
redoutable, elle ne vous parlera que comme
un juge sévère et inexorable, pour vous con-
damner au flambeau de la mort. Vos péchés,
les scrupules endormis ne se réveilleront
que pour vous déchirer par des morsures
sanglantes ; alors il n'y aura plus de plaisirs,
plus de fêtes, plus de parties mondaines
pour endormir le démon cruel qui vous re-
garde déjà comme sa proie; il faudra sans
partage vous livrer tout entier à la douleur,
aux regrets, à la t.istesse, et vous ne trou-
verez que désolation, que désespoir, où les
justes mourants trouvent un asile si conso-
lant et si doux.
Grand Dieu 1 si vous êtes le Dieu terrible
et redoutable dans ce dernier chaos, quelle
nuit, quel enfer vous lavssez dans une âms
impénitente au lit de la moi t ! quelle abomina-»
tion qu'une conscience à qu: vos lnm ères ne
sont plus rien, et à qui vous faites portef tout
2$
S75
ORATEURS SACRES. LE P. SURIAN.
876
le sens de ces terribles paroles : Je m'en vais :
E(]0 vado; vous me chercherez : quœretis me;
mais avec une conscience si endormie, si
embarrassée, que vous ne me trouverez pas
et que vous mourrez dans votre péché : et
in peccato veslro moriemini.
Mais je veux qu'au lit de la mort votre
conscience réveillée et libre rappelle toutes
ses lumières et toutes ses forces, pour vous
remettre devant les yeux tous vos égare-
ments. Pensez-vous que votre cœur se brisera
par la douleur et qu'il se convertira entière-
ment au Seigneur? Qu'est-ce qui convertira
son cœur à Dieu? L'idée de la conversion
vient du ciel et nous est donnée par Dieu
même; c'est en faire un cœur nouveau qui
ne soit plus le même; c'est de vous attacher
à ce que vous aviez toujours haï, et détester
ce qui avait fait si longtemps toute la joie
de votre âme; c'est passer d'un amour infini
à une aversion extrême; c'est faire changer
le cœur de goût, de penchants, d'objet, de
haine, d'amour, de joie, de douleur, de
crainte, d'espérance, d'affection, de senti-
ment, de passion et, pour ainsi dire, de na-
ture ; long ouvrage, entreprise immense et
qui devient cependant à la mort d'une obli-
gation indispensable, je ne dis pas pour être
parfait, mais pour être sauvé.
Or, soyez ici votre propre juge, pécheur
obstiné : le faible cœur sera-t-il capable , à la
mort , d'un changement si héroïque , et sur
quel fondement pouvez-vous l'espérer? Un
long assoupissement, clans le crime, une suite
continuelle d'infidélités, des habitudes invé-
térées donnent -ils les heureuses facilités
de se convertir, de se détacher de tout ce
qu'on aimait le plus pour s'attacher à ce
3u'on avait le plus. en aversion? l'esclavage
'une passion dominante, les langueurs de
l'âge et les défaillances de la nature qui, du
corps passent jusque dans l'âme , inspirent-
ils du courage, delà vigueur et de la fermeté?
toutes les tentations qui redoublent avec les
efforts de l'ennemi commun du salut promet-
tent-elles à cet infortuné bien des secours
du côté de la grâce dont il s'est rendu si in-
digne, et dont il a tant de sujet d'appréhen-
der le refus et la soustraction? les grands
obstacles avancent-ils beaucoup de pures
velléités et de faibles projets, et le principe
du mal en devient-il la ressource ? Avouez-
le, Messieurs, déjà vous ne le reconnaissez
plus, ce cœur déplorable, autrefois timide
sur le moindre mal, sensible au plus faible
attrait du bien et de la vertu; il ne l'est
plus : il l'a perdue, celte heureuse sensibilité.
Au goût des fades douceurs de la terre a
succédé eu lui un accablement mortel de
s'en voir privé; il n'est presque point de
jour qui ne le retrouve plus coupable, pres-
que point d'heure qui n'ajoute un nouveau
degré de malice à son impénitence ; [ce qui
n'était d'abord en lui que faiblesse est deve-
nu une vieille habitude, et vous vous per-
suadez qu'il pourra changer tout à coup
l'attachement au crime en l'amour de la sain-
teté; que, n'ayant fait que des progrès dans
le vice , il en fera sitôt et si facilement dans
la vertu ? Quoi 1 vous pensez que des pas-
sions si douces, si flatteuses s'arracheront
de. votre cœur en un instant pour faire place
à l'amour et à la reconnaissance que vous
devez à votre Dieu? Quoi! vous vous ima-
ginez que deux ou trois jours, hélas I peut-
être moins encore, que deux ou trois jours
de maladie , de douleur, d'angoisses, vous
rendront chaste, humble, détaché, pénitent,
chrétien enfin, vous qui avez passé toute votre
vie sans l'être ; vous croyez que dans ces
derniers moments de langueur et de faiblesse
vous ferez le grand et pénible sacrifice de
cet objet si cher qui roule encore dans toutes
vos pensées, dont vous avez l'imagination
si peinte, qui se présentera peut-être encore
à vous, et que son affliction vous rendra en-
core plus aimable que jamais; vous croyez
qu'en ces tristes approches de la mort yous
aurez assez de courage et de force pour porter
sur le cœur, accoutumé à la mollesse et aux
plaisirs, les grands coups qui le frappent
dans ce qu'il a de plus sensible et de j lus
tendre? Quoi! tous les ] enchants vers le
mal , toutes les ardeurs pour les biens, les
honneurs, les plaisirs de ce monde, qui s'a-
mortissent à peine après des années entières
de pénitence si amère, déjeunes si rigoureux
et de prières si ferventes, tomberaient en vous
dans un seul instant ; vous croyez que vous
oublierez tout, que vous vous' détacherez de
tout, que vous mépriserez tout ce qui vous
charmait davantage sur la terre? Pécheur témé-
raire, que vous vous promettez de miracles !
Dircz-vous donc qu'alors le cœur, forcé
de quitter le péché, s'en détachera de lui-
même? Mais n'avez-vous jamais éprouvé
qu'il s'attache , qu'il s'inquiète, qu'il s'em-
barrasse davantage par la privation que par
la possession de son objet; que jamais il
n'aime plus une chose que lorsqu'il se voit
près de s'en départir malgré lui, et que
plus on lui fait de violence pour l'arracher
de ce qu'il aime, plus il s'acharne à le con-
server et à le maintenir; par conséquent,
que ce redoublement de fureur ne se fera
pas alors dans vos désirs? Quel feu dans vos
passions quand on voudra vous les ravir
sans retour et sans espérance !
Ne nous donnez plus votre cœur pour res-
source à l'heure de la mort. Hélas ! si, touché
de compassion pour votre état déplorable,
je vous exhorte à le changer, ce cœur si cou-
pable, source unique de vos malheurs ; si
je vous veux porter à réprimer les funestes
penchants, à rompre les chaînes si pesantes,
à vaincre les passions si violentes, vous me
répondrez que ce n'est pas une chose si fa-
cile; qu'un tel changement n'est pas l'ou-
vrage d'un jour, mais de plusieurs années-;
qu'il faut prendre son temps de loin pour y
songer sérieusement; qu'il faut combattre
sans cesse, sans cesse résister, et que sou-
vent, avec toutes ces précautions, n'y réus-
sit-on pas encore.
Quand vous parlez de la sorte, vous avez
raison, je l'avoue; mais accordez-vous donc
avec vous-même, et ne remettez pas à l'heure
de la mort cette conversion qui ne se peut
877
CAREME. — SERMON XIV , PENITENCE DIFFEREE A LA MORT.
878
l'acre qu'à peine dans tout le cours des an-
né3s ; n'attendez pas au temps de la maladie
et des infirmités à commencer et finir tout
à la fois cet ouvrage, que vous n'avez même
pas le courage d'entreprendre dans un état
de force et de santé parfaite. Quoi donc 1 ce
que vous n'aurez pu faire pendant une vie
entière de liberté, de vigueur, de présence
d'esprit, sera le fait d'un dernier moment ,
partagé avec, le soin des affaires , avec l'ac-
cablement de la douleur, avec les distractions
les plus invincibles? Demandez-vous si,
en ce triste état où vous saurez à peine
si vous avez un cœur, il vous sera possi-
ble de lui faire rompre les liaisons crimi-
nelles, dissiper les pensées importunes,
élever vers Dieu les désirs terrestres, le faire
changer de goût et d'affection, lui imprimer
cette componction, ce repentir, cette contri-
tion qui, selon les Pères, doivent le briser
et le fendre ; demandez-vous qui , de vous
ou de nous, a le plus de raison: de vous
qui répondez de la constante conversion
d'un cœur que vous avez toujours senti
faible et inconstant, ou de nous qui croyons
qu'il le sera encore à la mort, et si vous
n'avez pas sujet d'appréhender que, dans
l'impuissance morale où il sera réduit, il ne
porte en un quatrième sens tout le poids de
cet humble anathème: Je m'en vais, vous
me chercherez, mais avec un cœur si faible
que vous mourrez dans votre péché : Ego
vado, etc.
Mais ce n'est point la seule conversion
du cœur qui devient moralement impossi-
ble au lit de la mort. Comment y faire cette
pénitence que vos péchés multipliés doivent
vous rendre plus indispensable et plus ri-
goureuse? car il faut distinguer deux sortes
de pénitence: l'une de réparation, qui nous
fasse expier nos péchés par les habitudes
des vertus contraires; l'autre de proportion,
qui soit en rapport de ce que Dieu a fait pour
-îous et de ce que vous faites pour lui, de
ce que vous avez fait pour le monde et de ce
que vous devez faire pour le Seigneur.
A ce premier genre de pénitence, pécheur
obstiné, n'êtes-vous point saisi d'effroi?
comment changer en 'si peu de temps vos
crimes en vertus? comment faire expier à
vos sens tant d'agréments criminels, à votre
•volonté tant de désirs coupables, à ces yeux
tant de regards impudiques, à ce corps, qui
devrait être la victime de la pénitence, tant
de mollesse? Comment pouvoir imposer, pour
la première lois, tant de mortifications à une
chair qui n'en connaît ni la pratique ni l'u-
sage, qu'un seul coup épouvante et afflige,
et qu'au lit de la mort vous serez encore
plus obligé que jamais de ménager et de
flatter? Comment faire jeûner le cœur et les
sens si accoutumés à la délicatesse et à la
volupté? Ah I si faire pénitence selon les
Pères, c'est rajuster un vaisseau brisé par la
tempête et en ramasser toutes les pièces;
si c'est rétablir une santé longtemps perdue
et lui rendre toute |sa vigueur; si c'est re-
lever un édifice tombé en ruine, dont toutes
les pierres sont dispersées, ^comment exé- ^
cuter en un moment ce qui ne peut se faira
qu'avec une lenteurextrême ? comment pour-
rez-vous pratiquer en si peu de temps tant
de vertus contraires aux péchés que vous
avez tant aimés et que vous aimerez peut-
être encore? Sera-ce l'abstinence? vous
n'avez plus de goût; la chasteté? vous n'avez
plus de sentiment; la foi? vous n'avez plus
de raison ; la modération ? tout vous quittera ;
la prière ? vous n'avez plus d'attention; le
renoncement? tout vous abondonnera; l'ab-
négation? tout vous dégoûtera; le bon exem-
ple? vous n'avez plus de scandale adonner;
l'humilité? eh ! vous serez réduit en un ins-
tant où toute la gloire va s'éclipser, où tout
vos titres, tous vos honneurs vont se ren-
dre avec vous dans le tombeau. 11 siérait
bien à un ver de terre, qui va devenir la pâ-
ure des autres vers, de vouloir s'élever.
Oh! le triste état que le vôtre, pécheurs
impénitents, où, sûrs de vos crimes, vous le
serez si peu de,votre pénitence ; où vos vices
conservant toute leur énormité, vos vertus
devenues comme forcées, seront sans mérite,
et où, chargés de dettes devant Dieu, vous
deviendrez tout à fait insolvables : vous n'au-
rez donc pas cette pénitence de réparation
qui vous est si nécessaire.'
Mais aurez-vous celle de proportion qui
n'est pas moins essentielle pour être sauvé?
Voyons ce que Jésus-Christ a fait pour vous.
Je le vois tout appliqué à vous faire du bien :
dès le sein de son Père, il songe à se faire
homme pour l'amour de vous ; son premier
soupir est un vœu pour votre salut. A peine
a-t-il commencé de vivre, qu'il a commencé
à jsouffrir pour vous; à peine est-il entré
dans le monde, qu'il sacrifie sa gloire, sa
joie, son plaisir, son repos, ses trésors, sa
vie même pour vous sans interruption, sans
exception, sans partage ; à mesure qu'il a crû.
en âge, ses grâces se sont multipliées, et
toutes ses miséricordes ont couru au-devant
de vous, de peur que vous ne vous perdiez.
Obstiné pécheur, en usez-vous ainsi à son
égard? au dernier soupir revenez -vous à
Dieu par la pénitence comme il est tant de
fois venu et revenu à vous par sa bonté ? Quel
rapport y a-t-il entre votre faible satisfaction
et cette donation 'd'un Dieu si entière et si
absolue, vous qui, aimant le monde et offen-
sant le Seigneur, l'avez fait de tout votre
esprit et de tout votre cœur, de tous vos sen-
timents, de toutes vos pensées, de toutes
vos actions, de toutes vos forces, de toute
votre personne, de tout votre être ; vous vous
trouverez réduit dans le lit de la mort à ne
l'aimer et à ne le satisfaire que de toute votre
faiblesse, que de toute votre légèreté, que
de toute votre langueur, que de toute votre
inapplication, que de toute votre inaction,
que de toute votre misère, que de tout votre
néant ; vous qui n'opposez à tant d'amour,
à tant de bienfaits que ce que vous laisse la
mort qui s'avance, c'est-à-dire des sens sai-
sis, une âme interdite, des passions usées,
un'esprit abattu, des sentiments forcés, des
pensées confuses , des demi-volontés , des
désirs infirmes, une faible lueur de foi, un
ÈT9
ORATEURS SACRES. LE P. SURIAS.
880
court intervalle de raison, quelques marques
équivoques de piété risquée et qu'on ne peut
soutenir un moment; quelques prières entre-
coupées de sanglots qui ne sont peut-être
que des plaintes, des soupirs qui ne sont
peut-être qu'un symptôme de la mort qui
vous saisit, des regrets qui ne sont peut-être
qu'un désespoir de quitter cette vie; une
pénitence qui n'est peut-être qu'une convul-
sion, de simples mouvements animaux de la
machine qui se brise, que les tristes débris
d'une nature qui se détruit, un cadavre enfin,
une corruption.
O Dieu terrible, sera-ce donc ainsi que vous
vous apaiserez ! est-ce donc là le poids salu-
taire, cette force héroïque, cette énergie sainte
que doit avoir pour vous apaiser la pénitence
chrétienne 1 Sont-ce donc des fruits de con-
version et de pénitence capables de modérer
votre colère, de suppléer les peines de l'en-
fer que méritent nos péchés, et de servir de
compensation à une éternité de tourments !
Sur ce point, jugez, pécheurs obstinés, quel
fonds vous devez faire sur cette conversion ;
à la mort, les choses parlent d'elles-mêmes ;
c'est vous tromper que de compter sur une
pénitence si injurieuse à Dieu, et autoriser
encore Jésus-Christ à vous faire porter dans
un cinquième sens tout le poids de ces terri-
bles paroles, ego vado, je m'en vais, vous
me chercherez, mais si tard, que vous mour-
rez dans votre péché : Qnœretis me et in
peccato vestro meriemini. Reste encore une
ressource au pécheur obstiné. Je | arle long-
temps, je l'avoue; mais ne faut-il pas que le
malheureux impénitent apprenne tout le
danger de son état? Cependant j'abnége cl je
finis.
Ici, Messieurs, pour la dernière fois, ayez,
s'il se peut, le courage de vous repré.- enter
vom-mêmes à vous-mêmes dans le spectacle
le [tins touchant, dans cette situation la plus
triste, où le malheureux pécheur se trouve
au lit de la mort, et où votre malice vous an-
nonce que vous devez être, si vous attendez
à ce dernier moment à faire pénitence. Déjà
tout s'alarme pour vous : votre famille trem-
blante envoie chercher le médecin; le méde-
cin arrrive, on le consulte ; il approche du
malade, il examine en vain sa disposition ; sa
parole, ses regards, ses lèvres, sa respira-
tion, tout lui est d'un triste augure. En revien-
dra-t-il? en mourra-t-il? Hélas ! le maître de
l'art consulté répond qu'il n'en sait rien lui-
même; le moment vient pourtant, on presse
le remède; on appelle une seconde lois le
médecin, mais inutilement. 11 assure enfin
qu'il n'y a plus d'espérance pour votre vie,
et que vous êtes un homme mort; c'est à
vous qu'il faudrait le dire, et vous êtes le
seul qui l'ignorez. Tout ce que vous avez de
plus cher au monde se détourne de vous
pour vous cacher sa tristesse et vous pleurer
en liberté; on se demande l'un à l'autre: no
faudrait-il pas le lui annoncer? et pendant que
chacun refuse de se charger d'une si triste
commission, les plus intéressés répondent :
attendez encore, attendez. Cruels, n'a-t-il
donc pas 'assez attendu? Périssent les ména-
gements meurtriers, source de la damnation
de tant d'Ames l On vous laisse à deviner
que vous allez mourir, et quand vous l'au-
rez deviné, pauvre homme, dans quel abat-
tement tomberez-vous, dans quelle confusion
de pensées, dans quelle perj lexité de raison
et d'esprit, dans quel saisissement de cœur
et de tous les sens I Alors il faut oublier lé
monde, et avec lui toutes ses joies, tous ses
b;cns, tous ses honneurs, et dire un dernier
adieu à tout ce que vous avez de plus cher
sur la terre. De plus grands objets viennent
en confusion s'offrir à vous, et dès lors se
découvre à votre imagination troublée tout
ce qui est au-dessus, au-dessous, au dehors
et au dedans de vous ; la terre et le ciel, le
paradis et l'enfer, le temps et l'éternité, votre
Sauveur et votre Juge, tout porte l'effroi
jusqu'au fond de votre Ame; et après avoir
rappelé les noirceurs d'une vie tout entière
de crimes : Rcminiscens malorum quœ feci in
Jérusalem (I Mach., VI), jetantunprofond sou-
pir : Un confesseur! dites-vous. Hélas 1 com-
ment ai-je vécu; que n'ai-je plutôt fait péni-
tence 1 Mes frères, vous sentez donc à ce der-
nier moment la nécessité qu'il y a de faire de
bonne heure cette pénitence; vous changez
donc alors de langage ; vous vous trompiez
donc de croire qu'il serait assez temps de la
faire à la mort. Nous avions donc raison de
condamner vos délais et vos remises Cepen-
dant le ministre appelé vient à vous, mais trop
tard : plus il a de lumières, plus il a de
zèle, plus il a de charité, et plus il gémit,
plus il s'afflige, plus il se désole de vous
trouver dans un état si distrait, si troublé,
si abattu, si languissant; au défaut de pa-
roles qui vous manquent, de la raison qui
s'obscurcit, il supplée par ses demandes, par
ses interrogations, par ses signes, par ses
devinations à l'examen de votre conscience
que vous ne pouvez faire, à la confession do
vos péchés que vous n'avez pas la force de
déclarer.
Ah ! que ne peut-il aussi suppléer en vous
les œuvres par ses œuvres, la douleur par
sa douleur, la componction par sa tristesse,
la foi qui vous manque par sa foi, la charité
par sa charité ; il est vrai que sur quelques-
soupirs, que sur quelques signes équivo-
ques qu'il interprèle favorablement, il vous
accorde la divine absolution et prononce sur
vous un arrêt de miséricorde ; mais qu'il se
défie de ces sortes de rémissions que sou-
vent Dieu désavoue pendant que le prêtre
les accorde! que son ministère alors rembar-
rasse! 11 ne s'en explique pas, mais il voit
que vous prenez le change; il le dirait s'il
osait, que c'est plutôt la nature qui agit en
vous que la grâce, que tous ces beaux dehors
sont plutôt l'effet de votre inquiétude que
de votre pénitence, que du milieu même de
vos soupirs et de vos larmes, il détourne un
cœur encore endurci. Si en public il vous
encourage, dans le secret de son âme il se dé-
sespère, et quand on vous apporte le pain
de vie il vous exhorte à recevoir avec con-
fiance votre divin Sauveur, il s'alarme au
fond de son cœur de voir que yous allez ro-
£31 CAREME. - SERMON XV , DE
cevoir votre juge, et, tremblant pour les pé-
cheurs qui diffèrentleur conversion à la morl,
il appréhétide que vous ne mettiez par cette
action^ si sainte le comble à vos malheurs.
De là plus de ressource ; une sueur froide
déroule de votre front, votre visage se défi-
gure, vos yeux demeurent collés et fixés au
même endroit où tombent vos regards, vos
oreilles sont fermées, tout votre corps est
sans mouvement, le reste de chaleur natu-
relle se retire, vous vous agonisez. En vain
l'homme de Dieu vous exhorte, vous presse
de demander grâce, d'implorer pour la der-
nière fois la miséricorde du Sauveur; en vain
fait-il retentir à vos oreilles sourdes des
a.;tes réitérés du divin amour; en vain veut-
il vous faire embrasser l'image de Jésus-
Christ qui t«mbe de vos mains défaillantes;
en vain présentant tendrement le crucifix
sur vos lèvres mourantes, il essaye de vous
réconcilier avec le Dieu vengeur 'devant qui
lésâmes les plus pures tremblent, le dernier
moment vient toujours plutôt qu'on ne
pense. Pendant qu'autour de vous tout est
en prières et en larmes, vous rendez le der-
nier soupir, vous n'êtes plus; vous avez
rendu l'âme.
Ame infortunée, qu'es-tu devenue et quel
est ton sort? réponds-nous ici; ton juge si
justement irrité se contente-t-il de quelques
moments donnés à la pénitence? doit-on se
confier tant à ce dernier soupir ? doit-on
compter si fort sur le bon peccavi? les con-
versions tardives ont-elles devant Dieu la
valeur et le prix que le monde aveugle et
corrompu leur donne? Pauvre âme, qui te
pourrait suivre au tribunal de Jésus-Christ
verrait bien si la miséricorde est si com-
mune qu'on le pense , s'il faut de si grands
crimes et une si grande suite de préva-
rications pour mourir impénitent, et si,
comme les Juifs que Jésus-Christ réprouve
parce qu'ils sont de ce monde, quia de hoc
mandatas estis (Joan. ,VUl), le seulamourdu
monde, de ses maximes, de ses biens, de ses
plaisirs, de ses honneurs, de ses usages et de
ses coutumes, ne suffit pas, pour vous attirer
en un dernier sens cette terrible malédiction,
ego vado, je m'en vais, vous me chercherez
et vous mourrez dans votre péché; vous y
demeurerez une éternité tout entière, et ma
justice ne se lassera point de punir votre
téméraire présomption : Et in peccuto vestro
moriemint. (Joan.,Yll\.)
Mes frères, saisi pour vous d'une frayeur
vive, je ne puis rien ajouter à l'affreuse
I cinture que je vous ai faite du pécheur
obstiné, je vous laisse en ce triste état vous-
mêmes, en méditation à vous-mêmes; dans
l'affliction profonde de mon âme, je puis
bien vous dire comme le prophète Mïchée :
Peuple alarmé d'un malheur si funeste, plût
è Dieu qu'en vous l'annonçant, l'esprit de
vérité ne fut point en moi et que je ne fusse
qu'un prophète de mensonge: Ulinam non
essem vir lia h èns ?p iriiam et mendaciarnpotius
loqnerer. (Mieh.,\\l.) îl d'éj end encorede vous
de rendre mes menaces vaines, Dieu vous
laisse encore quelques moments à délibérer-
LA CORRECTION FRATERNELLE.
8SÎ
si vous êtes sages et prudents, ne remettez
point votre pénitence à l'heure de la mort;
rompez dès maintenant tout commerce avec
le crime. Convertissez-vous sans cesse à la
grâce, c'est le seul moyen de vous rendre
favorable la miséricorde du Seigneur et d'ar-
river un jour en sa gloire. C'est ce que ja
vous souhaite. Au nom du Père, etc. Amen.
SERMON XV.
DE' VA CORRECTION FHATEUNEI.Lt.
Si peccaverilin te frater tuiis, vadeet corrige euminter
te ei ipsum solum. (Mattli., XVIII.)
Si votre frère a péché contre vous, allez lui représenter
sa faute en particulier, entre vous et lui.
A voir les fréquentes leçons de charité^
que nous fait le Sauveur du monde dans l'E-
vangile, ne dirait-on pas qu'il n'est venu sur
la terre que pour établir l'union et l'amour
parmi les hommes ? Et certes, mes frères, quel
autre soin l'a plus occupé durant le cours de
sa vie mortelle? Qu'a-t-iJ plus fortement
recommandé à ses apôtres, et que nous a-t-il
recommandé à nous-mêmes plus expressé-
ment que l'amour envers nos frères? Tantôt,
pour bannir de nos cœurs tout sentiment de
naine, de vengeance, il nous ordonne de
partager les outrages ou les injures qu'on
nous lait, d'aimer nos propres ennemis, de
bénir ceux qui nous calomnient, de prier
même pour ceux qui nous persécutent;
tantôt, pour nous attendrir envers les mal-
heureux, il veut que nous fassions part de
notre opulence à ceux qui sont dans la
disette, et que nous soulagions les pauvres
dans leurs nécessités temj orelles, par nos
aumônes; enfin, pour nous enflammer du zèle
du salut des âmes, il nous dit dans jnotra
Evangile d'assister nos frères dans leurs be-
soins spirituels, et de les retirer de l'abîme
du péché par la voie de la correction frater-
nelle, correction si nécessaire, si avanta-
geuse, si utile au salut du prochain; correc-
tion sur laquelle nous avons de si étroitos
obligations, et dont l'observance est cepen-
dant si négligée dans le monde; ou l'on se
dispense de la faire, ou on la fait presque
toujours contre les règles de l'Evangile. On
se dispense de la faire, hélas 1 parce qu'on
ne la regarde pas comme une obligation in-
dispensable; on la fait contre les règles de
l'Evangile, parce qu'on ne reprend son pro-
chain que pariin faux zèle, que par un esprit
d'emportement et de sévérité. C'est contre
ces abus que l'Eglise s'élève dans notre
évangile en nous proposant l'obligation de
la correction fraternelle, et en nous prescri-
vant les règles de la faire : Si peccaverit in
te frater tuus, vade et corrige eum; si votre
frère a péché en votre présence, allez le trou-
ver, et reprenez-le; voilà l'obligation de la
correction fraternelle. Voici la manière dont
elle doit être faite : reprenez-le en particulier
entre vous et lui : Corrige eum inter te et
ipsum solum.
L'obligation de la correction fraternelle; la
manière dont elle doit être faite, ce sont les
deux réllexions qui feront lo partage de
ce discours.
883
ORATEURS SACRES. LE P. SERIAIS.
8Si
Seigneur, qui nous ordonnez de corriger
nos frères, et qui par notre ;ministère nous
avez donné la sainte liberté de reprendre le
vice et de nous élever contre lui, partout
où il se rencontre, donnez à ma voix la vertu
de votre grâce, et toute l'autorité nécessaire
sur les esprits; purifiez mes lèvres par un
charbon ardent et sacré que l'ange appliqua
sur les lèvres d'un de vos prophètes, afin
que je ne prononce que des paroles de cha-
rité, et que l'amour de votre loi mettra dans
ma bouche. Je vous demande cette grâce par
l'entremise de Marie, en lui disant avec l'ange,
Ave, Maria.
PREMIER POINT.
C'est une erreur, dit saint Chrysostome,
et une erreur qui n'est que trop commune
parmi les enfants du siècle, de regarder la
correction fraternelle comme un simple con-
seil, et non comme une obligation indispen-
sable pour tous les chrétiens. Les uns asser-.
vis à des bienséances humaines, ou retenus
par une crainte servile, n'osent reprendre
leurs frères dans la crainte |d'encourir leur
disgrâce et leur indignation, ou de se fer-
mer, par une correction mal reçue, toutes
les voies qui sont ouvertes à leur fortune,
et aiment mieux les ménager par de lâches
complaisances et par d'indignes flatteries;
les autres, séduits par de faux préjugés qu'in-.
vente l'amour-propre, se contentent de ré-
gler leur conduite, sans penser à réformer
celle des autres, s'imaginant qu'il suffit de
travailler à sa propre sanctification, sans
qu'on soit chargé du salut de ses frères, ni
responsable de leur perte, erreur dont il faut
les désabuser aujourd'hui en leur montrant
toute l'étendue de l'obligation que porte.
avec soi le précepte de la correction frater-
nelle, et pour ne pas causer de confusion
dans vos esprits, par un désordre de propo-
sitions mal ordonnées. Je vais établir cette
] roposition 'et cette vérité sur trois raisons
qui en feront sentir toute l'obligation.
La première, c'est le zèle que nous devons
avoir pour la gloire de Dieu; la deuxième,
c'est l'amour que nous devons avoir pour
notre prochain; la troisième, c'est le compte
que Dieu nous demandera un jour de la fidé-
lité ou de la négligence avec laquelle nous
aurons rempli cet important devoir; obliga-
tion de la correction fondée sur le zèle du
service de Dieu dont nous devons procurer
la gloire; obligation de la correction' fondée
fur l'amour du prochain dont nous devons
pronuer le salut; obligation de la correc-
tion fondée sur les châtiments exemplaires
que Dieu exercera sur ceux qui la négligent;
examinons ces trois considérations.
Pour peu que nous fassions attention sur
nos engagements, nous trouverons que le
zèle de la gloire de Dieu est le plus indis-
pensable de tous nos devoirs. Il est, en effet,
un amour surnaturel et absolu que nous de-
vons a celui qui ne nous a mis au monde
que pour l'honorer et le servir. Or, nous ne
pouvons l'honorer plus SQuveyainement et
travailler plus utilement à sa gloire que par
la correction de ceux qui l'offensent; car,
s'il est vrai que rien ne nous doit toucher
davantage que la gloire de Dieu, il est cer-
tain que rien ne nous doit plus toucher ni
enflammer notre zèle que les outrages qu'on
lui fait. Ainsi, autant que nous sommes at-
tachés à la gloire de Dieu, autant devons-
nous sentir les impressions qu'il reçoit.
Uniquement occupés de ses intérêts, tout ce
qui le regarde nous doit toucher, tout ce
qui le déshonore doit animer notre zèle et
exciter notre indignation; et comme le péché
mortel attaque la gloire de Dieu et la sainteté
de son nom, nous devons recourir à la correc-
tion fraternelle pour détruire ce monstre
dès sa naissance et le venger de cet ennemi
capital qui le déshonore et qui l'outrage.
Cependant, quoique ce soit là notre prin-
cipale obligation, la gloire de Dieu est la
sc«de chose dont nous sommes le moins tou-
chés. Nous sommes vifs pour tout ce qui
peut blesser notre honneur, ternir notre
gloire, altérer notre réputation, et nous vi-
vons dans une lâche indifféreuco pour ses
intérêts ; on nous voit, garder un lâche silence
quand il s'agit de corriger le libertin qui le
déshonore, trop contents de . nous-mêmes
pourvu que nous n'ayons point de part à l'im-.
piété de ceux qui l'offensent. Comme si l'a-
mour que nous devons avoir pour Dieu n'é-
tait pas, selon la pensée de saint Augustin,
un amour de zèle, de jalousie pour sa gloire,
un amour de courage et d'intrépidité qui n'est
ni muet, ni indifférent pour ce qui le touche,
et qui , dans les outrages qu'on lui fait, ne
sait garder d'autres'mesures que celles qu'ins-
pire le zèle pour reprendre ceux qui sont
coupables. C'était là le zèle dont brûlait le
Roi-Prophète lorsqu'il s'écriait dans un es-
prit plein de jalousie pour la gloire de Dieu :
Seigneur, n'ai-je pas haï ceux qui vous haïs-
saient? ne séehé-je pas de dépit en voyant
les prévarications de vos ordonnances? Non-
ne qui te oderunt, Domine , perfecto odio ode-
ram?[Psal. CXXXV1II.) Témoin de leurs em-
portements , je m'élevais contre eux tant
qu'ils s'élevaient contre vous, et je ne pen-
sais pas même que- ce fût assez de n'avoir
point de part à leurs crimes, mais je faisais
tous mes efforts pour les retirer de l'éga-
rement; peu satisfait de les éloigner du
vice , je voulais leur inspirer l'amour et la
pratique de votre sainte loi. Je savais, qu'au-
tant que leurs péchés vous avaient désho-
noré, autant leurs vertus servaient à votre
gloire. Voilà la règle de votre conduite , si
vous brûlez d'un véritable zèle pour. la gloire
de Dieu, et si vous voulez lui marquer votre
amour par de solides effets, vous vous em-
ploierez de toutes vos forces à détruire le
péché, cet ennemi capital que Dieu déteste,
et qui était le seul objet de cette haine que
David portait à tous les ennemis de Dieu.
Non content de vous être préservé de sa
tyrannie, préservez-en, dégagez-en vos frère»
par la correction; si votre irère a commis
quelque faute en voli*e présence, qu'il soit
ami ou indifférent, qu'il puisse vous protéger
835
CAREME. — SERMON XV , DE LA CORRECTION FRATERNELLE.
88C
ou vous nuire, allez le trouver et reprenez-
le de son action ; il s'agit de la cause de Dieu .
Si vous l'aimez, vous ne sauriez être insen-
sible à l'outrage qu'il lui l'ait, à moins que
vous ne vouliez encourir le reproche qu'un
prophète fit à un roi de JuJa : Vous favorisez
les injustes et vous faites alliance avec ceux
qui haïssent le Seigneur : lmpio prœbes auxi-
liumet hisqui oderunt Dominum amicitia jun-
grris. (II Parai., XIX.) C'est votre frère qui
a péché : Si peccaverit in te fratcr tuus.
Vous êtes donc obligé de lui représenter
sa faute et de lui rendre tous les secours
qu'il attend de votre charité; second motif
de la correction fraternelle fondée sur l'a-
mour du prochain dont nous devons pro-
curer le salut.
L'amour que nous devons avoir pour nos
frères , n'est pas un amour aveugle, fondé
sur d'indignes complaisances ; ce n'est pas
un amour flatteur et carressant qui l'entre-
tienne dans ses crimes , mais un amour
réglé qui nous porte à le' secourir dans ses
divers besoins et à l'aimer selon Dieu. Qu'est-
ce qu'aimer son prochain selon Dieu? C'est,
répond saint Augustin, l'aimer comme Dieu
même et dans le même ordre que Dieu même;
c'est l'aimer pour son salut, préférablement
à tous les autres biens qu'on peut lui procu-
rer ; c'est le porter lui-même à aimer Dieu, afin
que, par un mutuel concours de pensées, de
désirs, d'affections, nous allions tous nous
rendre au terme et au centre commun.
On ne peut aimer le prochain (c'est tou-
jours la pensée de saint Augustin que je con-
tinue) d'une amitié de nature, d'une amitié,
de raison, d'une amitié de piété et de reli-
gion; l'aimer d'une amitié de nature, c'est
l'aimer d'un amour charnel qui nous est com-
mun avec les animaux ; l'aimer d'une amitié
de raison, c'est l'aimer d'un amour humain,
mais intéressé, puisque nous ne l'aimons le
plus souvent que par rapport à nous-mêmes ;
l'aimer d'une amitié de religion, c'est aimer
son salut; et comme cet amour est plus par-
fait que tous les autres, il nous impose aussi
de plus grandes obligations ; car alors nous
devons l'instruire dans ses devoirs quand
il est dans l'ignorance, le réconcilier avec
Dieu quand il l'a offensé, le remettre par nos
salutaires conseils dans la voie du ciel quand
il s'en est éloigné, lui servir de guide, de
médecin, de père, lui rendre de bons offices,
selon le don que nous avons reçu, comme
étant de fidèles dispensateurs des différentes
grâces et dons du Seigneur, dit l'apôtre saint
Jacques.
Et certes nous croyons-nous obligés par
l'ordre de la divine Providence à une même
société, de nous secourir dans nos besoins
temporels par de mutuels offices de charité,
sans penser à nous rendre d'autres secours
dans nos besoins spirituels; et si, selon la
pensée de saint Augustin, c'est être homi-
cide du pauvre que de ne le pas secourir :
Qccidisti si non pavisti, ne doit-on pas re-
garder comme meurtrier de l'âme de son
prochain, quiconque le voit indifféremment
dans le péché sans l'en retirer par kt correc-
tion? Nous croyons-nous obligés,' en vertu
du précepte de la charité, d'assister nos frè-
res dans leurs nécessités temporelles par des
aumônes, et dispensés de les secourir dans
leurs nécessités spirituelle^ par nos conseils?
C'est peu de chose, dit saint Augustin, de
faire l'aumône à votre frère qui est pauvre,
vous pouvez lui donner quelque chose de
plus; si, outre la pauvreté temporelle, il en-
dure encore l'indigence des biens célestes,
vous avez une langue pour sauver son
âme. Quel plus pressant besoin, en effet,
votre frère peut-il avoir de votre secours que
lorsqu'il a péché en votre présence, et quel
plus grand témoignage pouvez-vous lui ren-
dre de votre amour qu'en le relevant de sa
chute par une salutaire correction : ce n'est
pas un homme attaqué par quelques acci-
dents imprévus qu'il souffre par l'incons-
tance de la fortune, c'est un homme qui en-
dure une plus grande disette, dont l'âme a
reçu des plaies mortelles. Ce n'est pas une
portion de bien temporel que vous lui refu-
sez, vous laissez mourir son âme de faim en
lui retranchant le pain de la divine Provi-
dence, dont Dieu vous a fait l'économe et le
dispensateur ; il ne s'agit pas de le retirer
d'une misère temporelle et d'un malheur qui
ne peut durer qu'autant que sa vie, il s'agit
de le délivrer d'une nécessité spirituelle et
d'une misère qui ne finira pas même après
sa mort; il ne s'agit pas d'être son père nourri-
cier, il s'agit d'êUe le rédempteur et le saur
veur d'une âme rachetée par le sang d'un
Dieu. Et vous le verrez dans ce déplorable
état sans le soulager? vous le laisserez misé-
rablement périr faute de bons conseils ? Où
est votre zèle, où est votre charité? Ne peut-
on pas vous faire le même reproche que sain!
Pierre fit autrefois aux Corinthiens, pour
avoir souffert le scandale dans leur ville?
Eh quoi 1 vous aurez pu voir au milieu de
vous, dit-il, le plus scélérat de tous les
hommes, vous n'en aurez pas gémi devant
Dleu'l Nonmagis luctum habuislis? (ICor., V.)
Vous avez vu ce jeune homme former des
liaisons criminelles, ce médisant lancer des
traits de langue sur la réputation de son
frère, la noircir par ses railleries piquantes
et des tours ingénieux ; cet avare opprimer
cruellement tant de pauvres par ses injusti-
ces, recourir à des profits infâmes pour s'en-
richir aux dépens du peuple, élever sa mai-
son sur la ruine de plusieurs familles; ce
magistrat vendre ses jugements, favoriser le
riche , opprimer le faible ; ce grand et ce
puissant du siècle abuser de son crédit et de
son autorité; vous aurez été témoins de tous
ses désordres : Auditur inter vos fornicatio
(Ibicl.), et vous n'en avez pas été touchés? Vous
les avez soufferts par d'indignes et lâches com-
plaisances? vous n'avez pas élevé votre voix
comme Jean-Baptiste, pour condamner cet
Hérode adultère; vous n'avez osé repren-
dre, comme Nathan, ce David homicide? Al-
lez, malheureux, vous êtes responsables de
leur perte, et le juste Juge qui sonde les
reins et les cœurs vous imputera leurs pé-
chés comroo si vous en étiez effectivement
&S7
OUATEURS SACRES. LE P. SURIAN.
coupables. Troisième motif' qui doit vous
faire trembler et vous porter à travailler
avec plus de soin au bien spirituel de vos
frères.
Comme il y a d<*s fautes personnelles, il y
p aussi des péchés étrangers dont on rendra
un compte très-rigoureux au jugement de
Dieu. L'Ecriture ne maudit-elle pas égale-
ment et celui qui tue son frère en lui plon-
geant le poignard dans le sein, et celui qui
épargne ce même frère, et qui, par une fausse
délicatesse, n'ose répandre son sang par le
glaive de la correction? C'est consentir au
crime que de se taire? quedis-je, consentir:
c'est le soutenir, l'autoriser : ce n'est pas
assez, nous sommes plus coupables que ce-
lui qui le commet, dit saint Augustin. Si
nous négligeons de le reprendre, nous pé-
chons également, dit saint Grégoire, soit en
disant mal, soit en gardant un lâche silence
à l'égard du bien, et s'il n'y avait point de
péché à se taire, Isaïe ne dirait pas : Malheur
a moi parce que je me suis tu : Yœ mihi
guod tacui ! (ha., Y].)
Il est écrit dans le Deutéronome que, lors-
que l'on trouverait un homme assassiné dans
la campagne, on tirerait un cordeau, et que
les habitants de la ville la plus proche seraient
censés être coupables de sa mort, par la
seule raison, dit l'abbé Rupert, qu'ils au-
raient manqué de veiller charitablement
sur les voyageurs qui tombent entre les
mains des voleurs. Appliquez-vous cette
ligure; vous voyez souvent périr votre frère
par ses débauches scandaleuses, vous le
trouvez souvent réduit au même état que
cet homme dont parle saint Luc, surpris par
des voleurs, dépouillé, maltraité et laissé à
demi mort, je veux dire, avec saint Augus-
te, surpris par le démon qui la dépouillé
de son innocence et qui l'a fait mourir par
le péché. Cependant vous le voyez dans
ce déplorable état sans le soulager , vous
passez indifféremment comme le pharisien
et le lévite : un bon avis le remettrait dans
le chemin, l'huile de la correction appli-
quée remédierait à ses blessures et le gué-
rirait entièrement ; cependant vous lui refu-
sez tous les secours qu'il attend de votre
charité. Ahl on tirera le cordeau contre vous,
sa perte vous sera imputée et le juste Juge
vous demandera compte de son sang : San-
guinem ejus de manu tua requiram. (Ezech.,
III.) C'est la menace qu'il nous fait par la
bouche du prophète Kzéchiel, dont nous
devons craindre d'éprouver le triste effet si
nous négligeons de nous acquitter fidèle-
ment d'une si importante obligation. Ne re-
fusons, pas, comme Jouas, de l'avertir, et
qu'il ne soit pas dit que notre frère ait péri
par notre négligence; corrigeons-le dans
son libertinage de peur d'être responsables
de sa perte : Et vade et corrige eum inter
te elipsum solum. Si votre frère a péché con-
tre vous, allez le trouver et lui représentez
sa faute; mais comment le ferez-vous, c'est
ce que vous allez apprendre dans la deuxiè-
me partie de ce discours.
SECOND POINT.
Si la charité était le seul motif de la cor-
rection fraternelle, si le trouble, la colère,
l'emportement n'y avaient aucune part, on
reprendrait tous ies pécheurs avec succès et
avec utilité , parce qu'on les reprendrait
avec prudence, avec douceur, avec sainteté:
trois conditions qui doivent accompagner la
correction fraternelle et sans lesquelles elle
ne peut être utile au prochain et à vous-
même. La prudence en corrige les erreurs et
la rend sage et raisonnable, la douceur en
modère l'amertume et la sévérité, et la rend
honnête, modeste, compatissante; la sainteté
en rectifie les actions et les desseins, et la
rend fructueuse, efficace, salutaire au pro-
chain : Lncratus eris fratrem tuum. (Matth.,
XVIII.) Développons toutes ces vérités,
1° La guérison de l'âme est bien plus difficile
que celle du corps, dit saint Chrysostome ; un
frénétique est bien [dus facile à traiter qu'un
pécheur; si on ne sait dorer subtilement la
coupe qu'on lui présente, on le désespère au
lieu de le servir : car le cœur de l'homme est
d'une si étrange nature , que quelques ef-
forts qu'on fasse, on trouve toujours en lui
de la résistance. Lorsqu'il le rend plus diffi-
ede à manier, il se porte toujours au dessein
qu'on a de le gagner, il s'irrite, il s'aigrit, il
se désespère dès qu'on veut le reprendre ;
de là tant de conditions à observer, tant de
mesures, tant de circonstances à ménager
pour le corriger avec succès. Il faut étudier
son inclination, savoir son faible, connaître
son caractère, prendre ses bons moments, se
comporter avec lui comme un sage médecin
qui n'ose purger un malade lorsqu'il voit ses
humeurs trop émues, mais qui attend, dit
saint Ambroise , la saison propre où il peut
recevoir ,1a purgation avec utilité. L'erreur
est pernicieuse si on prétend le reprendre
sans ordre, sans retenue. Dieu approuve le
zèle, mais il veut qu'il soit réglé par la pru-
dence, car il y a un temps pour toutes cho-
ses que la sagesse découvre et que la dis-
crétion fait ménager. On ne reprend pas un
homme ivre clans la chaleur du vin, mais on
attend que le sommeil en ait abattu les fu-
mées. M'allumez pas, dit le Saint-Esprit, les
charbons des pécheurs en les reprenant, de
peur que le feu de leurs péchés ne vous con-
sume par ses flammes; c'est-à-dire ne leur
résistez pas en face, lorsqu'ils seront encoro
tout embrasés du feu de leurs passions ,
parce qu'ils ne s'appliqueraient qu'à tendre
des pièges à vos paroles, soit en rejetant la
vérité, soit en s'efforçant de les rendre cri-
minelles dans votre bouche, pour avoir lieu
de se justifier eux-mêmes dans leurs désor-
dres. Il n'est pas temps de reprendre un pé-
cheur dans l'emportement de sa colère : les
remontrances ne serviraient qu'à l'irriter
davantage; il faut attendre qu'il soit rentré
en lui-même et devenu capable de faire ré-
flexion sur ce qu'on lui dira. La prudence
ne précipite rien , |elle ménage le temps et
les circonstances, elle observe les conjonc-
tures, aplanit les obstacles, radouoit les d.f-
889
CAREME. — SERMON XV, DE LA CORRECTION FRATERNELLE.
890
ficultés. Jonathas n'entreprend pas de fléchir
Saùl quand il court la lance à la main pour
percer David, mais dès qu'il le voit plus
tranquille, il lui fait connaître l'injustice de
son procédé, et détourne si à propos son es-
prit qu'il en tire cette parole si favorable :
Assurez David qu'il ne mourra pas. Admirez
la prudence dont usa le prophète Nathan à
l'égard de David. Ce prophète ne va pas
avec un zèle imprudent le reprendre en pu-
blic de ses crimes , il ne crie pas : Ah ! l'a-
dultère 1 ahl l'homicide ! Il s'adresse à lui
en particulier, et se sert d'une parabole pour
ne pas aigrir son esprit; il l'épargne dans
un discours figuré pour l'obliger à confesser
lui-même sa faute, à prononcer l'arrêt de sa
condamnation, et à s'écrier dans l'amertume
de son cœur : Peccavi (II Reg., XII), j'ai péché
contre le Seigneur 1 Une correction ménagée
avectantde pruûencene peutavoirqucd'heu-
reux succès, au lieu que celle qui manque de
cet art si nécessaire pour la rendre utile, est
également pernicieuse à celui qui la fait et
à celui qui la reçoit. Semblable à une flèche
qui, étant décochée avec violence , revient
avec la même impétuosité contre celui qui
l'a tirée, dit saint Ambroise, mais la prudence
est absolument nécessaire à la correction,
la douceur est une deuxième qualité qu'elle
doit avoir. La charité, dit saint Berr.ard, est
la plus tendre et la plus officieuse de toutes
les mères : elle regarde tous les hommes,
dans quelque état qu'ils se trouvent, comme
ses enfants. Quand elle console les affligés,
c'est avec, une affectueuse simplicité qui ne
reconnaît point d'artifices. Quand elle assiste
de ses biens les misérables, c'est avec des
secours si prompts et si efficaces, qu'elle les
tire en partie de leur misère. Enfin quand
elle corrige les pécheurs , c'est avec une
douceur et une tendresse qui les gagnent.
2° En effet, on gagne plutôt un homme par
la douceur que par la rigueur; l'esprit natu-
rellement libre ne se gouverne pas par la
contrainte, une pluie douce s'insinue aisé-
ment dans la terre et la rend féconde , un
violent torrent renverse tout au lieu d'y ap-
porter quelque profit , la correction qui est
faite avec douceur est plus utile que celle
qui est faite avec emportement : la première
inspire le repentir, et la deuxième excite
l'indignation ; celle-ci n'a que le dessein de
nuire, celle-là n'a que le dessein de corriger
sans aigrir l'esprit par une rigoureuse ré-
sistance, elle le gagne par ses charmes, l'a-
paise, l'adoucit.
Selon l'avis que les conseillers de Roboam
donnèrent au prince : si vous voulez apai-
ser le peuple, traitez-le avec douceur, il
vous sera éternellement soumis. C'est pour-
quoi l'Apôtre, instruisant ceux à qui le salut
des âmes est confié, dans la personne de son
disciple Timotbée* pour remplir dignement
son ministère, lui recommandait en toutes
choses la douceur, comme celle de toutes
les vertus qui. était la plus propre à attirer
les bénédictions du ciel sur ses travaux.
L'Apôtre veut qu'il ait pour ses frères des
ent:fii!!es de charité toujours prêtes à ré-
pandre, pour leur édification et leur salut, la
douceur du lait dont elles sont pleines, et le
miel qui est sur ses lèvres : Reprenez, pres-
sez, sollicitez, poursuivez, corrigez, mais en
même temps, ajoute-t-il, conjurez et priez.
(I Tim., IV.) Avec quelle manière compatit-
il lui-même quand il fut obligé d'excommu-
nier cet infâme Corinthien qui avait désho-
noré sa patrie, et commis un crime que la
sainteté de la chaire ne permet pas de nom*
mer?Illefit d'une manière si particulière,
et avec un si grand témoignage d'amour et
de charité, qu'il lui fit reconnaître l'énor-
mité de son crime, non pas comme un juge sé-
vère, mais comme un père tendre qui ne
veut pas perdre son enfant, et qui ne lui
montre sa faute que pour le rendre plus
parfait. Le prophète Elie ne ressuscita que
par la douceur de son souffle l'enfant de la
Sunamite, que son disciple n'avait pu faire
revivre par la vertu de son bâton : sur quoi
saint Grégoire fait cette belle réflexion, que la
crainte figurée par le bâton fit place à l'amosr,
et que celui que cette même crainte n'aurait
pu ressusciter reçut la vie par l'amour et la
douceur de l'esprit du prophète. La femme
surprise en adultère étant présentée par les
Juifs à Jésus-Christ, charmée de la bonté
qu'il eut pour elle, fut pénétrée de regret
pour son péché, lorsqu'elle vit que bien loin
de la dédaigner par une fière et orgueilleuse
vertu, il la prit sous sa protection et fit son
apologie ; elle ne peut résister à tant de
bonté, à tant de douceur, et le Sauveur du
monde trouva le secret de la convertir en la
défendant contre les invectives des phari-
siens, en compatissant à sa faiblesse et en la
traitant avec douceur. Les apôtres, dit saint
Chrysosto'me, ne convertirent toute la terre
que par la douceur ue l'Evangile, et saint
Pierre ne se rendit maître du cœur des Juifs
que par la force et la douceur de son élo-
quence , il ne les étonna pas en leur repro-
chant leur ingratitude et leur, perfidie
d'avoir crucifié leur Dieu ; il n'avait garde de
leur témoigner qu'il les considérait comme
les homicides du Messie, il tache au con-
traire d'adourir leur esprit en excusant leur
péché, en l'attribuant à leur ignorance , et
en leur montrant même qu'il fallait que les
choses se passassent de la sorte, puisqu'elles
avaient été prédites par ics prophètes.
Telle est la règle que nous devons garder
en reprenant nos frères ; il faut nous insinuer
par douceur dans leur esprit, ils sont malades
et nous sommes leurs médecins spirituels,
dit sa'nt Grégoire ; il faut donc, avant que de
leur faire une douloureuse incision, leur mon-
trer par notre charité que nous ne venons
qu'à dessein de les guérir et d'adoucir par
la douceur de la charité ces remontrances
amères que nous voulons leur donner. Voyez
de quelle manière le prophète Elisée cor-
rigea l'amertume des herbes que ses disciples
avaient servies aux enfants des prophètes;
il versa quantité de farine dessus, et les ren-
diî, par ce moyen, si douces que tout le
monde en mangea. (IV Reg., IV.)
La correction qu'on peut nous foire es|
891
ORATEURS SACRES. LE P. SURIAX.
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aussi arrière que les herbes que servirent les
cisciples'diEhsée aux enfants des prophètes;
notre vanité, notre amour-propre, notre pré-
somption nous empêchant de goûter les paro-
les dévie; mais la charité, figurée par la farine
du prophète, est capable d'adoucir Lamer-
tume de nos remontrances sans nous laisser
emporter à un zèle indiscret, ou nous aban-
donner à une charité précipitée, sans em-
ployer ni la rigueur des termes aigres, ni
la fureur des invectives, ni la sévérité des
menaces; représentons à nos frères leurs
fautes avec douceur, et pour les persuader
avec plus de force, souvenons-nous que la
charité doit régler notre correction pour
la rendre utile, c'est la troisième règle de la
correction fraternelle, et dont les premiers
chrétiens ont donné l'exemple.
3° Ils s'opposaient, à la vérité, aux vices de
leur siècle, n'en pouvant souffrir les désor-
dres; mais c'était par des vertus contraires
au libertinage auquel ils s'opposaient, c'était
par leur sainte vie qu'ils reprenaient celles
des autres, c'était par de bons exemples, par
des discours édifiants qu'ils entreprenaient
de les réformer. Le momie même de nos jours
voit tout au contraire qu'il s'est élevé dans
l'Eglise une espèce de chrétiens qui, affec-
tant un air extérieur de réforme, s'imaginent
que de fausses apparences de vertu leur suf-
lisent pour censurer toutes les actions du
genre humain; des esprits chagrins par tem-
pérament dont la passion se change souvent
en zèle; des censeurs rigoureux de tout ce
qui n'est pas selon leur idée, jamais contents
des autres ni d'eux-mêmes, qui, semblables
aux vagues de la mer qui rejettent sans cesse
leur écume, rejettent sans cesse leur amer-
tume sur ceux dont ils censurent la conduite
pendant que la leur est si sujette h la cen-
sure, bien éloignés de s'appliquer l'avis im-
portant que saint Paul donne à son disciple
Timothée, de prendre garde à soi et à sa doc-
trine, de n'entreprendre pas de réformer les
autres sans se réformer auparavant eux-
mêmes. Curieux de porter leur vue sur tout
ce qui se passe au dehors sans jamais réflé-
chir sur ce qui se passe au dedans d'eux, tour-
nant les yeux comme la femme de Lot vers
Sodome, dont ils regardent en gémissant la
triste ruine, et bouchant l'oreille à la voix
de l'ange qui leur crie d'en sortir ; inquiets,
affligés de voir régner une infinité d'abus
dans le monde, ils s'arrêtent à les condamner
sans penser qu'ils contribuent eux-mêmes à
cette dépravation générale par leurs désor-
dres particuliers. Aveugles qu'ils sont, ils
distinguent une paille dans les yeux de leur
frère, et ils lie voient pas une poutre qui
crève les leurs; ils tiennent toujours la main
levée contre les autres, et n'aperçoivent pas
le doigt de leur conscience qui écrit dans le
secret leurs propres péchés. Toujours occupés
des affaires étrangères et toujours fugit;fs
de leur propre cœur, semblables à un torrent
qui répand ses eaux dans la campagne, et
qui laisse son propre lit vide par la séche-
resse.
Est-ce ainsi, indignes critiques, que vous
remplissez le devoir de la correction frater-
nelle? Oh! si c'est la charité qui vous porte
à reprendre les autres, usez-en auparavant en-
vers vous-mêmes et condamnez votre propre
péché, qui est plus grand et plus visible que
ceux que vous condamnez; appliquez-vous
tellement à vous connaître vous-mêmes qu'il
ne vous reste plus de temps pour examiner
les défauts des autres; appliquez un appareil
à vos blessures avant que d'en appliquer à
celles de vos frères; souvenez-vous enfin que,
pour avoir droit de faire la correction et pour
la faire avec sainteté, il faut être soi-même
irrépréhensible.
Je finis avec cette réflexion. Le prophète
Samuel, voulant reprocher aux Juifs leur
perfidie et leur ingratitude à l'égard de Dieu,
qui les avait comblés de tant de biens, de-
manda le témoignage de ce peuple, et les fit
convenir de son équité et de son innocence
pour avoir lieu de lui représenter son crime ;
il y a longtemps, lui dit-il, que je vis avec
vous, vous savez l'éducation que j'ai donnée
à mes enfants, et vous avez été témoins de
toutes les actions de ma vie, présentement
que je suis sur le déclin de l'âge près de
rendre compte à Dieu des talents qu'il m'a
confiés ; dites, je vous prie, ce que vous pensez
de moi? Est-il quelqu un qui trouve quelque
chose à reprendre dans ma conduite? Est-il
quelqu'un qui puisse me taxer de larcin, de
violence, d'injustice. — Non, répondit le peu-
ple, vous êtes irréprochable, nous en conve-
nons, et il ne vous est jamais arrivé de nous
avoir maltraité. —Eh bien! dit Samuel, après
en avoir appelé à votre jugement, venez pré-
sentement que je vous reprenne et que je
vous juge : Nunc ergo state ut judicio cen-
lendam adversus vos. (I Reg., XII.) Vous
souvenez-vous des grâces que Dieu vous a
faites. Quoi! lâches ingrats, avez-vous oublié
les prodiges qu'il a faits pour tirer vos pères
du cruel esclavage et de la servitude de
l'Egypte? De combien de faveurs ne vous
a-t-il pas prévenus vous-mêmes, et cepen-
dant vous avez oublié, méprisé, abandonné
un tel maître? Nunc ergo state ut judicio
contendam adversus vos.
Ainsi, devez-vous à l'exemple de ce saint
homme reprendre vos frères après en avoir
appelé à leur propre jugement. Ainsi, devez-
vous vous consulter vous-mêmes et examiner
votre propre conduite avant que de censurer
celle des autres; éteindre le feu de votre
propre maison , avant que de répandre de
l'eau sur celle de votre voisin qui brûle;
assister vos frères qui pèchent par vos priè-
res, par vos bons exemples; demander à
Dieu leur conversion, le prier de leur donner
un cœur pur et un esprit nouveau, afin qu'ils
le glorifient avec vous sur la terre et dans le
ciel par la participation de la gloire que je
vous souhaite au nom du Père, du Fils et du
Saint-Esprit- Amen.
833
CAREME. — SERMON XVI, DU SCANDALE
SERMON XVI.
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DU SCANDALE.
Tune accédantes dfacipuli ejus dixerunt 'ei : Scis quia
phirisœi, audilo verbo hoc, scandalizali sunt ? (Maltli.,
XV.)
Alors ses disciples s'approclianl de lui, lui dirent : Sei-
gneur, savez-vous que les pliarisiens ayant entendu ce que
vous venez de dire, s'en sont scandalisés ?
Origène, ayant à faire l'apologie de la foi,
et à réparer les calomnies dont un païen
l'avait chargé , insiste principalement sur la
vie exemplaire des chrétiens, et tire du ta-
bleau de leurs vertus la preuve la plus forte
de la vérité de la religion.
Mais où nous mènerait aujourd'hui ce rai-
sonnement, et combien serait-il fatal à notre
sainte religion, si nous voulions nous en
servir? N'aurait-on pas droit de le rétorquer
contre vous, et de le tourner à la ruine et à
l'extirpation de notre foi? N'avez-vous pas
rompu ce divin sceau et dépouillé l'Evan-
gile de cette démonstration convaincante?
Vos mœurs sont-elles comme elles étaient
autrefois, une infusion de votre créance?
votre conduire répond-elle à la sainteté de
votre profession? vos œuvres font -elles
honneur à vos sentiments, et, du gros de
votre vie, résulte-t-il une preuve en faveur
de votre culte.
Au contraire, le mauvais exemple n'a-t-il
pas pris la place de l'édification? Hélas!
Messieurs, vous ne le savez que 'trop,
rien n'est plus commun, parmi les chré-
tiens, que le scandale. Le vice l'emporte de
beaucoup sur la vertu, le mal y prévaut sur
le bien, l'éclat de la vérité s'y trouve presque
tout à fait obscurci ; cette lumière, dont parle
l'Evangile, qui doit sortir de chacun de vous,
que vous devez faire briller aux yeux des
autres pour les conduire, et qui doit les
porter à rendre h Dieu et au prochain ce
qu'ils leur doivent, ne se montre presque
plus nulle part. Si on se produit au dehors,
c'est pour souffler le venin et la contagion ;
si on se resserre au dedans, c'est pour étu-
dier les moyens de rompre toute digue, de
n'avoir plus de frein dans ses désirs. On
s'excite l'un l'autre à lever l'étendard du
crime, à consacrer l'anathème du péché, et
à ne plus regarder comme honteux les vices
les plus détestables. Les grands désordres, si
déplores par un prophète, infectent plus que
jamais le siècle où nous vivons, et encore
aujourd'hui, comme du temps d'Osée, la ma-
lédiction et le mensonge, l'adultère et l'im-
piété, l'homicide et les trahisons, les vols
et les concussions, les fornications et les
vengeances, le luxe et l'intempérance se
montrent partout tête levée; l'iniquité qui
inonde la terre ne peut plus se celer; c'est
un torrent qui, coulant avec impétuosité,
entraîne tout après soi, et l'on ne rougit pres-
que plus d'aucun de ces vices odieux dont
le nom seul était en horreur à nos pères :
Maledictum et mendacium, et homicidiam, et
fttrtum, et adulterium invenerunt et sanguis
sanguinem t&ligit. (Ose., IV.)
Voilà ce qui nous fait entrer dans une
sainte indignation, et ce qui demande toute
la vivacité du ministère évangélique ; voilà
une corruption portée à son comble, et
contre qui les pierres de la maison de Dieu
s'élèveraient, si nous gardions le silence.
Parlons donc en ce jour, et parlons dans un
lieu fait de la main des hommes; mais dans
le cœur du chrétien, ce sanctuaire vivant,
dont le Seigneur est l'architecte, et sur votre
front, où est gravée l'image du Sauveur,
rendons à Dieu tout l'honneur qui lui est
dû, et à l'homme tous les secours qu'il at->
tend de nous, en rappelant l'amour de la
vertu sur la terre, dont elle est presque en<-
tièrement exilée; c'est ce que je vais pro-
poser de faire par deux raisons suivies de
deux conséquences qui vont partager ce-
discours. Le scandale fait à Dieu l'injure la
plus atroce; donc de tous les péchés il est
le plus énorme : première raison, première
conséquence, et la première partie de ce
discours. Dieu, de son côté, exige du scan^
dale la pénitence la plus rigoureuse; donc
de tous les crimes le scandale est le plus
difficile à expier : seconde raison, seconde
conséquence, et la seconde partie de ce dis-
cours. Le scandale est un crime très-énorme ;
c'est un crime très-difficile à expier : voilà
tout mon dessein qui mérite toute votre at-
tention, et si l'on vous parle aujourd'hui
avec quelque véhémence, prenez-vous-en à
la matière qui y porte comme nécessaire-
ment; ce sont les désordres de la saison et
du siècle qui le demandent; mais pour en
profiter, tAchons d'obtenir pour nous la pa-
tience d'écouter la vérité, et pour moi la
force de la dire ; c'est ce que nous vous de-
mandons, Esprit-Saint, par l'intercession de
Marie. Ave, Maria.
PREMIER POINT.
Je dis, chrétiens, que le scandale fait
à Dieu l'injure la plus fatroce. Pourquoi ?
Parce qu'en même temps et d'un seul coup
il anéantit la loi et les prophètes; il viole
les deux grands préceptes qui les contien-
nent en substance ; il brave la majesté divine
et détruit sa véritable image, c'est-à-dire
qu'il joint l'impiété déclarée à l'homicide
spirituel ; il attaque Dieu dans sa gloire, qui
est ce qu'il a de plus cher; il insulte le pro-
chain dans son âme, qui est ce qu'il a de
plus précieux.
En effet, le pécheur scandaleux n'est
point un de ces esprits ou faibles, ou mé-
diocres, qui demande qu'on lui rende un
compte à sa portée de nos mystères, et qui,
faute de science plutôt que de soumission^
confond ce qui est du ressort de la raison
naturelle avec ce qui n'en est pas. Ce n'est
po'nt seulement un de ces esprits philoso-
phes qui se révolte contre ce que la foi chré-
tienne a d'obscur et de ténébreux, dogma-
tise en cachette pour disputer en public,
réforme la religion au gré de ses désirs, en
substitue une nouvelle à la place de celle de
Jésus-Christ. Ce n'est point seulement un de
ces timides esprits faibles qui se demande à
lui-môme, et qui demande tout bas aux au-
S93
très : A quoi devons-nous
que penserons-nous de tant de mystères que
nous ne comprenons pas? qui s'étonne en
secret qu'un Dieuait voulu s'anéantir sous de
viles espèces pour nous donner sa chair à
manger dans l'Eucharistie, qui trouve confi-
dentiellement à redire à l'obscurité de la
naissance du Sauveur, qui se scandalise se-
crètement de l'incarnation du Verbe, de la
passion de Jésus-Christ, et débauche sans
bruit quelques âmes, qu'il entretient dans
l'erreur avec lui. Mais un scandaleux, ce
sera tantôt un de ces libertins qui[tournera la
religion en ridicule, qui raillera la simpli-
cité de ceux qui croient à nos mystères, qui
prendra un air de componction et de
piété pour quiconque ne sera pas infatué
comme lui de ses illusions et de ses rêve-
ries; qui nommera faiblesse ce qui est .pas-
sion, qui appellera tempérament et nature
la corruption et l'habitude la plus désespé-
rée; tantôt ce sera un ennemi de la dévotion
et de la piété qui les attaquera ouverte-
ment, qui les traitera d'amusement des gens
oisifs, de partage des simples, de retour de
l'âge, de dégoût de la vie mondaine, d'hy-
pocrisie, de politique et de pratique austère
toujours redoutable à la nature et nuisible au
bien public; tantôt ce sera une bouche ha-
cile aux blasphèmes, aux jurements, et
toute remplie du venin de l'aspic, qui parle
par avance le langage des démons, qui ne
s'ouvre qu'aux mensonges et aux calomnies,
accusant Dieu même, se soulevant contre
ses divins attributs, injuriant ses saints, in-
sultant à sa religion, à sa loi, à ses sacre-
ments. Tantôt ce sera vous-même qui débi-
terez des maximes fatales à l'innocence de
votre frère, qui lui tendrez des pièges dans
vos discours, qui lui aplanirez artificieuse-
ment toutes les voies du péché, qui étouffe-
rez ce qui nous restait de religion en sa
présence ; qui, mettant à l'épreuve sa pu-
deur, lui proposerez les desseins les plus
honteux, lui chanterez des chansons immo-
destes, lui raconterez mille histoires de ga-
lanterie, mille exemples de fragilité [ our les
lui faire aimer.; qui lui augmenterez le plai-
sir de la transgression, et lui diminuerez la
reine des remords qui y sont attachés; qui
lui représenterez la religion seulement op-
posée à la brutalité du peuple, mais non pas
à la délicatesse des honnêtes gens; qui tire-
rez de l'Evangile même des armes contre
l'Evangile, oui ferez servir les sacrements à
nourrir votre intérêt et a •' ontenter vos pas-
sions; tantôt ce sera vous qui insulterez
Dieu jusqu'aux pieds de ses autels, et qui
changerez, par vos irrévérences, son saint
temple en une maison profane; qui désho-
norerez publiquement nos églises, je ne dis
pas seulement en y entrant •précipitamment
e> sans préparation, en v demeurant sans at-
tention et sans respect/mais en y tenant des
discours purement se uliers, mais en y bra-
vant la majesté suprême par des postures
indécentes, par des nudités honteuses, par
un luxe profane et par le mépris le plus
marqué; mais en y faisant hommage à la
ORATEURS SACRES. LE P. SUR1AN. 896
nous en tenir? créature en présence et dans la maison même
du Créateur; en rendant inaccessibles, par la
pompe et le faste mondain, des sanctuaires
qu'on ne doit approcher qu'en tremblant et
avec humilité, en faisant amèrement pleurer
les anges de. paix, trop faibles encore et trop
peu vigilants pour arrêter tant de désordres.
Mais l'endroit où le scandale attaque Dieu
avec plus d'insolence, où il triomphe le plus
impunément, est dans les spectacles profanes.
En effet, pour dire quelque chose de précis
sur cet article si essentiel, qu'est-ce que le
théâtre d'aujourd'hui? et parmi nous, est-ce
autre chose qu'une chaire païenne, où l'on
enseigne toutes sortes de passions et de vi-
ces, un apprentissage de dissolutions et de
débauches, un cercle d'intrigues et d'impu-
dicités? Car raisonnons un moment d'une
manière sensible sans prévention sur ce su-
jet , ne trouverons-nous pas que tous, ou
presque tous les objets qui y paraissent, les
vers qu'on y débite, les airs' qu'on y entend,
ne tendent qu'à allumer le feu de l'amour
dans un cœur; ce n'est pas de cet amour au-
le torisé par l'Evangile, commandé par le Sei-
gneur, fortifié par les sacrements. Hélas!,
celui-ci est le sujet le plus ordinaire des
•railleries du théâtre : c'est donc l'amour cri-
minel de la fornication et de l'adultère que
l'on y prêche et que l'on veut nous inspirer ?
Ces termes si doux : il faut aimer, se laisser
enflammer, la jeunesse est la saison des
plaisirs; ces paroles et mille autres que
nous ne savons que trop, et que je fais gloire
d'ignorer, pour être réduites à leur juste
valeur et a leur sens propre , ne vous disent-
elles pas: il faut vous dépouiller de toute pu-
deur, franchir les bornes de toute retenue,
se livrer au gré de ses désirs, satisfaire ses.
passions, se plonger dans les plus sales vo-
luptés, user de tous les moyens qui peuvent
y conduire.
Ah! si cela était, que deviendrait donc le
précepte de l'Eglise, qui ordonne de s'accu-
ser d'une mauvaise pensée, d'éloigner de
soi tant de désirs charnels, de rougir d'un
seul mouvement naturel, d'aller au-devant
d'une impression dangereuse, de se couper
le pied, l'œil, la main, quand ils nous scan-
dalisent (Maiih., V), de -fuir jusqu'à son
père, sa mère, ses proches, s'ils nous donnent
de mauvais exemples, de souffrir le martyre
pour la confession de Jésus-Christ, d'éviter
jusqu'aux moindres occasions de péché, de
plutôt mourir que d'offenser le Seigneur?
Eh! que nous veulent donc dire les violen-
ces d'un Paul, les austérités d'un Jérôme,
la solitude d'un Antoine, les épines d'un
Benoît, les mortifications d'un François, les
oraisons ferventes d'un François d'Aquin?
Ah! votre chair porte-t-clle les stigmates
de Jésus-Christ comme le grand Apôtre ? por-
te-t-elle tous les dégoûts de la solitude,
comme fit saint Jérôme ? se punit-elle sur
elle-même d'un regard inconsidéré, d'un sou-
venir trop agréable, d'une tentation délicate,
comme tous les grands saints dont je viens
de vous parler? Quelques précautions qu'ils
prissent pour éloigner d'eux tout péché, ils
897
CAROÏE. — SERMON XVI, DÛ SCANDALE.
898
ne croyaient cependant jamais assez crucifier
leur chair, ils la chargeaient impitoyable-
ment de haires et de cilices, ils la reléguaient
dans les déserts les plus affreux, la condam-
naient à des retraites, à des prières, à des
méditations, à des combats, à des jeûnes sans
adoucissement et sans fin. La vôtre est-elle
donc soumise à un autre chef,à un autre évan-
gile? votre corps n'est-il pas, comme le leur,
un corps de mort? l'ange de Satan ne resni-
re-t-il pas en vous, et n'éprouvez-vous pas les
mêmes, que dis-je? de plus fréquentes et de
plus dangereuses tentations? D'où vient donc
qu'au milieu des périls vous demeuriez
indifférents et tranquilles pendant que ces
grands saints, au fond d'un saint asile, ont
toujours cru devoir être dans la crainte et
dans la vigilance? Dieu vous a-t-il promis
qu'il renouvellera en vous le fameux mira-
cle de la fournaise, que vous échapperez des
périls où vous vous exposez, qu'au milieu
des occasions et des attraits de l'impureté
vous vous conserverez chastes? que, joignant
sans relâche à une chair délicate, à un tem-
pérament tout de feu , à des idées peut-
être encore toutes récentes du vice, le dé-
plorable enchantement des assemblées mon-
daines, des spectacles profanes où le poison
mortel est d'autant plus à craindre qu'il
s'écoule plus agréablement dans votre cœur?
Pouvez-vous, en cette situation, vous pro-
mettre qu'il ne se passe rien en vous qui
déplaise au Dieu de pureté, qui cause en
vous le crime ou qui vous y conduise?
Ahl que je crains que cette prétendue
vertu sur laquelle vous comptez ne soit un
endurcissement; loin de vous croire inno-
cent parmi tant de dangers, qu'il y a bien
plus d'apparence, au contraire, que votre
chasteté est une véritable gangrène qui ne
peut plus se guérir que par le fer et le feu
que nous voulons y appliquer; que votre
prétendue force est une véritable faiblesse,
votre vie intérieure qu'une mort certaine,
votre tranquillité sur le salut qu'une répro-
bation commencée et anticipée, presque
scellée par votre présomption et par votre té-
mérité; que la religion, la raison et l'expé-
rience sont toutes désespérantes pour nous.
Voilà ce qui résulte de ma première preuve :
le scandale attaque Dieu dans sa gloire, ce
qu'il a de plus cher ; en voici une seconde
qui ne fait pas moins connaître son énor-
in té, c'est qu'il tue le prochain dans son
âme, ce qu'il a de plus précieux.
11 y a un double penchant dans l'homme :
le premier est au péché: l'Evangile en fait
foi; le deuxième est à une passion plutôt
qu'à une autre, et le monde en est la
preuve. Le scandale pousse donc une âme
par un double effort sur ces deux faibles
principaux : d'une part il aggrave. le poids
qui l'entraîne au péché, il lui facilite les
voies, et lui en rappelle l'idée ; de l'autre il
enflamme sa passion pour le porter à imiter
ce qu'il voit, et lui en présente une manière
facile. Ainsi une personne, par ses parures
immodestes et par son luxe, inspire aux au-
tres les parures et les porte à se parer comme
elle, ce qui a fait dire à quelques Pères de
l'Eglise que le scandale est l'instrument le
plus fatal au salut. Oui, Messieurs, les pa-
rures sont un piège à l'innocence, et un
scandale qui entraine au péché. Un air trop
mondain, un trop grand soin de rehausser ce
que la nature nous a donné, une affectation
d'exposer un honteux étalage aux yeux de
son prochain : les yeux éblouis font taire la
raison, et les sens charmés n'écoutent point
la religion; et delà le péché qui habite en
nous se réveille, la chair se révolte; comme
à la première considération que l'on a pour
vous, notre amour-propre se réveilie, de
même aussi, en considérant les autres, vous
vous trouvez excités. L'attention, la chute,
le vice, tout cela se suit de si près dans
cette triste matière, tout s'y ressemble si
fort, tout s'y aperçoit si peu, que presque
toujours on tombe et sans le savoir ; qu'or-
dinairement la grâce se retire d'un cœur dès
que les sens sont frappés de l'image du
crime; qu'à peine se sent-on effleuré qu'on
est percé d'un trait mortel; que l'adultère
devienne, par un seul regard, l'affection do-»
minante, et que tel qui paraît seulement
compatissant aux désordres qu'il voit dans
son frère, va bientôt faire compassion lui-
même et mener une vie qui sera une horreur
marquée de tous les crimes.
Dites-nous donc, après cela, Mesdames :
mon rang m'oblige à me parer, à m'accom-
moder comme je suis, mes parents me l'or-
donnent, mon mari le veut, ma qualité de
jeune fille ou déjeune femme m'y engage.
Dites-nous encore : je n'ai point mauvaise
intention en m'accommodant comme je fais.
Pourquoi est-on si faible, que ne détourne-
t-on les yeux; si l'on y trouve du mal, que
ne demeure-t-on chez soi ? pourquoi venir
nous chercher, pourquoi s'exposer dans les
assemblées et dans les promenades, si on est
si facile à se scandaliser? Dites-nous, après
cela, que ce sont des visions toutes pures,
des scrupules d'une dévotion trop austère et
sauvage; des illusions qui tiennent de la
simplicité du cloître, des maximes imprati-
cables d'une sévérité outrée, des jugements
téméraires de gens qui n'ont aucune con-
naissance du monde, et qu'on veut malgré
vous vous mettre au nombre des religieux
et des dévots.
A eela j'oppose pour réponse deux princi-
pes tirés de deux grands apôtres : ie premier
est de saint Paul, qui répond au scandale
pris injustement : Si, mon frère, dit-il, se
scandalise de me voir manger de la chair, je
proteste devant Dieu que je n'en mangerai
de ma vie, plutôt que de lui donner occasion
de scandale : Si esca scandalizat fralrem
meum, nonmanducabo inaternum, ne fralrem
meum scandalizem (I Cor., VIII), votre dis-
position est-elle semblable à celle du grand
Apôtre? Le second principe qui répond à votre
objection est tiré de YEpîirede saint Pierre,
qui défend aux femmes chrétiennes la frisure
des cheveux, les parures de la tête, l'or, les
pierreries, les modes et l'éclat des habits, et
ne veut qu'elles aieftt d'autres ornement»
899
ORATEURS SACRES. LE P. SUR1AN.
'900
que ceux de la vertu, de la piété , de la
religion; d'autre soin que de purifier et d'em-
bellir leur âme de toutes les taches du pé-
chés, ni d'autre application , d'autre étude
qu'à répondre à leur vocation, à remplir les
devoirs de leur état et à se sanctifier. C'est
ainsi que les saintes femmes se parent lors-
qu'elles mettent leur espérance en Dieu.
Sic enim aliquando et sanctœ mulieres spe-
rantes in Deo ornabant se. (I Petr., III.)
Mais si le scandale de vos parures et de
votre luxe est si funeste à notre sexe, il n'est
pas inoins préjudiciable aux personnes du
vôtre ; car, si la religion des hommes y fait
un si triste naufrage, !a simplicité des femmes
y trouve aussi son plus funeste écueil. En
etfel, ne trouve-t-on pas dans ce faste, dans
cette pompe mondaine toutes les condi-
tions confondues, et où tous les états sont
absorbés? Qui vous a donc appris à vous
détuurer de la sorte, à sortir ainsi de votre
état et de votre condition ? ne sont-ce pas les
mauvais exemples de vos semblables, la con-
tagion de leurs modes, de leurs parures?
Elles vous ont pîu par là, vous avez aussi
voulu leur plaire; le monde vous a paru goûter
ce nouvel ajustement, vous l'avez pris incon-
tinent; l'on a exalté leur manière de se
mettre, et aussitôt vous avez voulu l'imiter;
vous avez cru devoir enchérir sur les airs
et les parures d'une personne qui vous est
inférieure en naissance et en mérite, vous
n'avez pu vous voir effacer par des gens que
vous croyez cent piques au-dessous de vous.
A quelques-unes c'a été un moyen d'établisse-
ment, elles ont su s'attirer un compliment,
exciter une flamme par un appât nouvelle-
ment étudié ; on en cherche, on en invente ,
on en emploie cent autres à même fin ; de
là toutes ces modes qui sont devenues si à
charge, ces changements d'habits si ruineux,
ces parures si gênantes, tuut cet attirail de
luxe et de vanité pour lequel on s'épuise ; on
emprunte, et on se prostitue souvent soi-
même. L'Eglise en gémit, les pauvres en
souffrent, les marchands s'en plaignent, et
tous les fléaux dont Dieu frappe depuis
tant d'années le royaume, n'ont pas été ca-
pables de diminuer en rien ni de donner la
moindre atteinte à ce luxe et à ces super-
lluilés scandaleuses. Jugez donc par là, si le
scandaleux n'est pas le plus meurtrier enne-
mi du prochain, et l'instrumentale plus
funeste du démon.
Qu'est-ce qui a introduit parmi les chré-
tiens ce barbare trafic qui enrichit en peu
de mois, cette étrange manière de soulager
le prochain, qui le ruine en le secourant,
cette cruelle charité qui vole son frère en
l'assistant? Qu'est-ce qui a porté le enfants
à se révolter contre leurs pères et mères?
qui leur a inspiré du mépris pour les ima-
ges de Dieu les plus ressemblantes qui
soient sur la terre? qui a mis dans cette
union fraternelle autrefois si étroite, si fi-
dèle, si respectée des pensées de révolte,
des sentiments de discorde, de haine et de
partialité? Qu'est-ce qui a fait des mariages
une école de feinte et de dissimulation, une
matière de division et de divorce, un théâ-
tre d'infidélité et de perfidie, quelquefois
de scènes tragiques données au public?
n'est-ce pas le mauvais exemple? Qui est-ce
qui a banni de la finance l'honneur et la pro-
bité? On en a vu se frayer un chemin tout
nouveau aux richesses, aux dignités, aux
emplois, au crédit-, y arriver en violant
toutes les lois de la religion et de l'huma-
nité, en foulant aux pieds toutes les règles
de la bienséance et de la charité, tous les
devoirs les plus vénérables delà société;
changer une profession innocente en elle-
même, peut-être une des plus salutaires de
ce monde, en un gouffre d'injustices, de
vexations et d'usures; s'en servir pour sat:S'
faire leurs passions au lieu de soulager les
peuples, accabler sans scrupule le pauvre,
faire tort aux riches, faire crier tout le
monde pour travailler à une fortune mons-
trueuse qui bientôt les ensevelira sous ses
ruines, comme tant d'autres, qui les ont
précédés : et de là est venu le dessein de
s'enrichir comme eux et de faire en aussi
peu de temps le même chemin. Qu'est-ce
qui a introduit l'injustice dans le barreau*
la mauvaise foi dans le commerce, la corrup-
tion dans tous les états? n'est-ce pas paive
qu'on a vu les uns écouter les sollicitations,
donner à la faveur, prolonger les procès,, en-
tasser chicane sur chicane, substituer l'im-
posture à la vérité, tourner du mauvais côté
les meilleures raisons et vendre honteuse-1
ment leur crédit et leur autorité ? C'est qu'on
en a vu d'autres prêter à usure, frustrer im-
punément leurs créanciers, augmenter leurs
dépenses, ne mettre ordre à rien, lâcher la
bride à leurs enfants, se livrer aveuglément
au plaisir, soutenir qu'une promesse faite à
Dieu au pied des autels, de la manière la
plus solennelle, n'engage pointa une invio-
lable fidélité, tyranniser peut-être une femme
et vivre avec elle comme avec une esclave.
Et de là qu'est-il arrivé ? le mal a paru moins
affreux, parce qu'il est devenu plus commun,
la contagion s'est insensiblement répandue,
le scandale a gagné jusqu'au sein des plus
belles alliances ; on s'est lassé de la gêne et
de la contrainte qu'on trouve dans le mariage,
cet assujettissement a paru trop pesant à la
nature, on a donné dans le changement qui
lui plaît. Le plus grand nombre des époux
fidèles est bientôt devenu le plus petit ; ceux
qui avaient pris le bon parti se jettent dans
le mauvais : pour peu de penchant que l'on
eût vers le mal, on a bientôt suivi les perni-
cieux exemples qu'on avait devant les yeux.
Le inonde corrompu a perverti les plus saint?,
tout a changé de face sur la terre, tout a pris
un fonds de corruption, de dérèglement, et
il n'est presque plus rien sous nos yeux qui
ne prouve trop clairement que le scandaleux
est un instrument dont se sert le démon
pour faire le plus sanglant outrage, non-
seulement à Dieu, mais à son Eglise, mais
à ses saints, et qui tue le prochain en mille
manières différentes, et voilà l'énormité du
scandale, voyons encore la difficulté extrême
qu'il y a de le réparer, c'est ce que je vais
901 CAREME. — SERMON
vous montrer dans l'autre partie de ce dis-
cours.
SECOND POINT.
Je tire la difficulté d'expier le scandale des
mômes sources que j'ai tiré leur énormité,
c'est-à-dire, du double rapport qu'il a:
1° à Dieu ; 2° au prochain.
Difficulté d'expier le scandale du côté de
Dieu : le scandaleux a été non un seul homme
dans son péché, dit saint Bernard, qu'il soit
donc non un seul homme, mais plusieurs
dans sa pénitence, s'il ne veut être non un
seul, mais plusieurs réprouvés dans l'enfer.
Le scandaleux a fait à Dieu une injure publi-
que, dont il faut qu'il fasse une publique
réparation, s'il veut épargner la réparation
publique, qu'il devra faire au jour du juge-
ment : voici le désolant de mon sujet.
Vous aimeriez mieux, dites-vous, réparer
en secret le scandale que vous avez causé
que de le faire en public, faire à Dieu une ré-
paration plus forte, pourvu que ce fût d'une
manière cachée ; expier plus abondamment
vos péchés dans le particulier, que de don-
ner au public une scène, flétrir tant soit peu
votre réputation par une satisfaction publi-
que. Il est vrai, dites -vous à un confesseur,
comme Saùl à Samuel, j'ai péché, et peut-
être que ma faute a un peu éclaté ; mais je
ne suis pas encore tout à fait perdu d'hon-
neur; on m'excuse d'en avoir agi de la sorte;
bien des gens me justifient encore, ne m'o-
bligent pas à une réparation qui me désho-
norerait. Sauvez du moins le peu de réputa-
tion qui me reste dans le monde : Peccavi, scd
nunc honora me coram senioribus popuiimei.
(1 Reg., XV.)
Cette délicatesse est si grande, Messieurs,
que si quelqu'un de ces pécheurs scandaleux
se trouvait avoir assez de courage et de reli-
gion pour accepter la réparation qu'un zélé
confesseur lui demande, sa famille, ses amis,
tout le monde y mettraient obstacle ; on se ré-
crierait contre la sévérité du ministre et l'on
condamnerait sans miséricorde les auteurs
d'une démarche si honteuse. Cependant, que
du crime public on en doive exiger une ré-
paration publique, c'est la règle que saint
Paul donnait à son disciple Timotliée. Si
quelqu'un, lui disait-il, a commis une faute
publique, reprenez-le devant tout le monde :
Peccantes coram omnibus argue. (I Tim., V.)
C'est la pratique de toute l'Église ancienne,
qui était si ferme là -dessus, qu'elle n'en
exemptait pas môme les têtes couronnées,
témoin l'empereur Théodosc, condamné par
Ambroise à la pénitence publique. C'est le
sentiment de saint Thomas, qui condamne
à une satisfaction publique, jusqu'aux usu-
riers, quoique l'usure ne soit pas le scandale
le plus contagieux; c'est la décision du con-
cile de Trente -.Quando crimen publiée com-
missum est, etc., qui dit, que quand le péché
a été commis publiquement , il faut que la
pénitence soit aussf publiquement imposée.
C'était l'usage ordinaire de saint Charles, et
le sacré ';oncik! n'a fait qu'en renouveler la
doctrine ; c'est cnûn la conduite que Dieu
XVI , DU SCANDALE. 9C2
même a tenue à l'égard des anciens patriar-
ches de l'Ancien Testament. Vous avez voulu
tenir votre crime caché, disait-il à David
convaincu d'adultère, mais je le révélerai à
la face de tout Israël, et le ferai connaître
partout où le soleil portera ses rayons : lu
enim fecisti abscondite , ego auteni faciam
verbum illud in conspectu omnis Israël et in
conspectu solis. (Il Reg.f XII.) Vous faut-il*
Messieurs, une preuve plus étonnante et
1)1 us certaine?
Voilà donc l'obligation, où est tout chré-
tien de satisfaire publiquement pour un
crime public; or, quoi de plus public que le
scandale, qui n'est précisément péché, que
parce qu'il est public? De là concluez donc
qu'il faut pour l'expier une satisfaction pu-
blique ; il le faut, mais hélas 1 qui est-ce au-
jourd'hui, qui se soumet volontiers à cette
salutaire confusion, qui ne la traite pas de
sévérité outrée et désespérante? Les tribu-
naux séculiers et ecclésiastiques ne reten-
tissent que de crimes ou nouveaux ou in-
fâmes ; on no parle que de gens qui ont violé
les lois les plus sacrées, qui abjurent ouver-
tement leur foi par les dérèglements de leur
conduite, qui démentent la sainteté de leur
baptême par la corruption de leurs mœurs ;
les yeux et les oreilles de l'Eglise en sont frap-
pés. Que de mystères d'iniquités qui se ré-
vèlent; mais de pénitence publique, de satis-
faction solennelle, de réparations sensibles,
on n'en voit nulle part, le temps en est passé.
Cependant il faut l'avouer, il est encore de
grands pécheurs qui veulent paraître de
bons chrétiens ; les plus scandaleux se con-
vertissent, ils demandent pardon à Dieu, ils
se confessent de leurs péchés; ils reçoivent
le corps adorable de Jésus-Christ. Ils vont
comme les autres, du moins en certain temps,
puiser dans les sources de grâce et de misé-
ricorde; ils font une fin qui les fait louer après
leur mort, et se flattent après avoir si long-
temps outragé Dieu, sans aucune satisfaction
d'avoir part aux prières communes de l'E-
glise; n'est-ce pas là encore le désolant de
mon sujet, et je n'ose l'approfondir tant il
est effrayant. Quoi donc! nous dira-t-on, moi
prince, moi magistrat, moi qui suis un
homme en place, ministre, grand seigneur,
homme d'armée, du rang et de la profession
la plus obligée de l'édifier par ma bonne
conduite, vous exigerez de moi que je fasse
amende honorable à Dieu, à l'Eglise, à mes
frères? Vous me désespéreriez et, à cela ma
religion serait en grand danger. Voilà comme
parlent tous ceux qui se sentent coupables
du crime horrible que je décris, et je n'exa-
gère point leurs lâches prétextes.
Mais pour vous répondre; pécheurs scanda-
leux, faux et timides pénitents : l°avez-vous
raison de refuser à Dieu même, pour éviter
un malheur éternel, ce que vous accordez
tous les jours à des hommes comme vous,
pour éviter un malheur temporel? Que vous
ayez offensé un particulier, l'on vous oblige
par arrêt de lui faire une réparation publi-
que, et vous vous y soumettez ; voilà ce que
Dieu demande de vous, vou.s l'avez pupli*
9C5
ORATEURS SACRES. LE P. SURIAK
904
quement outragé, déshonoré par vos scan-
dales ; on vous ordonne de sa pari, dans un
tribunal où vous reconnaissez son autorité,
de lui faire une satisfaction publique et vous
la lui refusez? 2° N'y a-t-il pas un genre de
pénitence publique, qui, loin de vous faire
rougir et de vous faire mépriser, Vous rend
au contraire plus précieux, et plus respec-
table aux yeux même de ceux devant qui
vous le fa tes?
J'entends par cette pénitence publique,
une grande modestie par exemple, qui prend
la place d'un grand luxe, un saint recueille-
ment qui succèjeàde profanes distractions;
j'appelle pénitence publique, des yeux chas-
tes et un certain air de pudeur, après des
yeux lascifs et des manières trop libres; une
langue chrétienne, et des lèvres pures après
un langage obscur et des paroles désbonnê-
tes ; une assiduité aux églises, aux offices,
aux instructions, après avoir assisté si long-
temps aux spectacles, aux assemblées abso-
lument mondaines et toujours très-dange-
reuses. J'appelle pénitence publique, un em-
ploi plus évangélique de son bien, un usage
plus sacré ue ses richesses, une charité plus
éuiliante envers les pauvres, après avoir s-a-
cnlié à l'idole de l'avarice, avoir fait servir
ses revenus à l'entretien de ses passions,
avoir rebuté et laissé périr de faim les mem-
bres de Jésus-Christ, et n'avoir fait des dé-
penses que pour le service du monde et du
démon. J'appelle enfin pénitence publique,
le courage et la force de supporter les rail-
leries du siècle, de mépriser ses critiques et
ses jugements après les avoir si fort respec-
tés et appréhendés; vivre enfin d'une ma-
nière tout opposée à la conduite déplora-
ble, dont le public avait été témoin, et l'édi-
fier autant par ses vertus qu'on l'avait scan-
dalisé par ses crimes. Y a-t-il donc rien en
cela de si injurieux et de si flétrissant, et cette
sorte de pénitence et de satisfaction n'est-
elle pas plus propre à sauver et à étendre
votre réputation , qu'à vous la diminuer
et à vous la faire perdre.
Rc-te donc à réparer le scandale par rap-
port au prochain, et je soutiens qu'il n'est
pas possible de le réparer en tout. En effet,
vous avez scandalisé vos frères, chrétiens
impies ; c'est-à-dire que vous les avez amenés
jusqu'à douter des vérités de la religion;
vous avez jeté dans l'incrédulité une infinité
de personnes par vos discours séduisants, par
vos vains raisonnements, par vos mauvais
exemples; vous avez scandalisé votre pro-
chain, femmes mondaines, par vos parures,
par vos immodesties : c'est-à-dire que vous
l'avez tué dans l'âme, que vous avez allumé
dans les cœurs des flammes criminelles, que
vous avez livré au démon des âmes inno-
centas, que vous avez séduit et attiré [dans
le piège des personnes trop crédules et trop
simples. Ceux-ci une fois déréglés par vous
en ont peut-être déréglé d'autres, qui ont
été aussi à leurs fières une occasion de
chute à leur tour. Comment s'y prendre
pour réparer tout ce mal que vous avez cau-
sé à des gens peut-être déjà endurcis, peut-
être déjà morts ? quel moyen d'en arrêter le
cours ?Quand même tous ceux'que vous avez
scandalisés seraient ici maintenant rassem-
blés, auriez-vous la force, le courage d'en
faire la réparation devant eux ? Cependant ils
n'y sont point, vous ne pouvez les voir et
les rassembler ; vous ne savez ce que sont
devenus la. plupart ; le mal que vous leur
avez fait est donc irréparable de votre part,
et en quelque endroit qu'ils soient, ils vous
doivent leur malheur et leur perte. S'ils sont
encore sous vos yeux et à votre portée, le mal
est entré si avant dans leur cœur que vous
ne pourrez plus l'en faire sortir. Mais ceux
qui sont morts après vous avoir imités, aptes
s'être rencius à vos malignes suggestions,
que sont-ils devenus? par quelles voies les
pourriez-vous tirer de ces tourments, où
vous les avez précipités, et la plaie que vous
leur avez faite n'est-elle pas comme celle dont
parle le Seigneur dans Jérémie, une plaie incu-
rable? Insanabilis fractura tua, passiva piara
tua. (Jar.,XXX.) Je dis que c'est un mal incu-
rable non-seulement dans ceux qui sont morts
ou que vous ne connaissez point* mais à l'é-
gard de ceux même que vous connaissez en-
core et qui sont avec vous ; qu'il ne vous est
pas possible de les dédommager pleinement
du tort que vous leur avez eau; é, ni de leur
restituer ce que vous leur avez enlevé. Car,
que leur avez-vous ôté à la plu; art? aux uns
la vigilance chrétienne, aux autres la sou-
mission à l'Eglise ; à ceux-ci, la simplicité d&
la foi, à ceux-là l'horreur du péché ; à quel-
ques-uns l'innocence baptismale, à d'autres
le respect pour le sacerdoce; à tous le tendre
amour de Dieu, et ces deux tables de la loi
divine et humaine que le Seigneur en les
formant avait gravées de son doigt.
Que leur avez vous encore ôté à la plupart?
A cette femme, l'inviolable fidélité qu'elle
devait à son époux, à cette fille la précieuse
c-indeur attachée àson sexe, à cette mère l'ap-
plication à son devoir, au père l'éducation
de ses enfants et le soin de sa maison, à cette
veuve l'esprit de paix et de continence; à
mille autres l'inclination qu'ils avaient pour
le bien, l'amour de la vertu qui était né avec
eux, la haine du monde auquel ils avaient
renoncé, la terreur des jugements de Dieu,
le désir et la gloire du salut et de la reli-
gion.
Tout cela se rend-il, et quand on a perdu
tous ses biens, peut-on les réparer par soi-
même sinon que très-difficilement, qu'avec
de très-grands efforts?
Mais supposons que le scandale que vous
avez donné ne soit que d'avoir rendu des
chrétiens lâches, que des indévots, que des
libertins: en ête*-vous plus à portée de; ré-
parer le tort que vous leur avez fait? Tombés
peut-être depuis dans l'endurcissement, et
de la langueur où vous les avez jetés, dans
l'insensibilité, ils se moqueront de ce que
vous pourrez leur dire, et de ce que vous
pourrez faire pour les détromper et pour les
convertir ; il est bien des pécheurs qui veu-
lent tomber avec David, mais il en est bien
peu qui se relèvent avec lui, peut-être comme
905
CAREME. — SERMON XVII , DE LA. FAUSSE DEVOTION.
SUS
Pharaon, ce pé heur endurci vous promettra
de revenir à Dieu, et par .la crainte de jus-
tes châtiments il vous paraîtra touché et
ébranlé de votre retour, mais sans jamais
changer au fond du cœur, et conservant tou-
jours trop malheureusement les premières
impressions que vos scandales or.t faites sur
lui.
Telle est la difficulté de réparer le scan-
dale tant du côté de Dieu que du côté du
proenain. Y a-t-il donc rien de plus déplora-
ble dans la religion? ne faut-il pas, selon un
grand saint qui craignait d'avoir scandalisé
son frère, que Dieu, pour sauver un scanda-
leux, ait pitié de lui dans sa plus grande mi-
séricorde, et si sa foi ne nous enseignait
qu'il n'y a aucun péché qui soit irrémissi-
ble en cette vie, ne regarderions-nous pas
comme tel le péché de scandale?
O vous donc qui avez le malheur d'être
du nombre de ces grands pécheurs, com-
mencez par couper la racine du mal, arra-
chez-vous cet œil meurtrier, cette main ho-
micide qui donne la mort à vos frères et
qui outrage votre Dieu; c'est-à-dire qu'il
faut que vous tâchiez de sanctifier ceux que
vous avez pervertis; que vous travailliez,
mais de toutes vos forces, d'en ramener, par
votre hon exemple, plusieurs autres à Dieu,
afin de le dédommager de ceux que vous lui
p.yez enlevés ; demandez avec larmes et sans
cesse la rémission de tous les pèches que
vos frères ont commis et commettent tou-
jours sur votre compte, parce que la mau-
vaise habitude où ils sont plongés par votre
faute ne peut être vaincue et heureusement
convertie que par sa grâce et par sa plus
grande miséricorde; acceptez de hon cœur
la pénitence, les humiliations et les mépris,
comme une expiation surnaturelle de votre
libertinage, de votre orgueil et de vos va-
nités ; elforccz-vous d'édifier vos frères dans
le même genre que vous les avez scandali-
sés; brûlez de zèle pour cette gloire de Dieu
que vous vous efforciez de ternir, et vous
sacrifiez comme Saul parle bien et l'accrois-
sement de cette sainte religion que vous
avez persécutée par vos scandales; ainsi,
lèverez-vous l'anathème de dessus vous et
de dessus vos frères, fulminé dans l'Evan-
gile contre le scandale : ainsi aurez-vous en-
< ore quelque espérance à l'héritage des en-
fants, et après avoir édifié la terre par des
vertus contraires à vos désordres, vous pour-
rez espérer de posséder le ciel dans l'éter
nité bienheureuse que je vous souhaite, etc.
Amen.
SERMON XVII
DE LA FAUSSE DÉVOTION.
Tune aeccdcnles discipv.li ejus dixerunt ei : Scis quia
pharisaei, audito verbo hoc, scandalizati sunt. (Mailli.,
XV.)
Alors ses disciples s' approchant de lui, lui dirent': Savet-
vous que les pharisiens ayant entendu ce que vous venez, de
dire se sont scandalisés.
Telle était l'injustice des pharisiens : assez
hardis pour préférer leurs traditions à la pa-
role de Dieu, assez critiques pour se scan-
Ouateers sacrés. L,
daliser des moindres défauts de leurs hè-
res, ils regardent comme un grand crime,
dans les disciples de Jésus-Christ, l'omission
d'une pratique indifférente, ils ne peuvent
souffrir qu'on les reprenne, qu'on découvre
les illusions de leur piété, qu'on établisse
la pureté du culte de Dieu et le véritable
esprit de la loi contre leurs vaines obser-
vances, contre leurs interprétations frivoles,
et la vérité les blesse parce qu'elle s'oppose
à leurs préjugés et à leur amour-propre. •
Ainsi ont pensé de tout temps, ainsi pen-
sent encore aujourd'hui les faux dévots ac-
coutumés à se couvrir du voile de la reli-
gion, à confondre leurs intérêts avec ceux ce
Dieu, ils veulent qu'on respecte leurs erreurs,
qu'on épargne leurs vices : les attaquer, c'est
s'en prendre à Dieu même, c'est mettre la
religion en danger, c'est scandaliser les fai-
bles, c'est fournr des armes aux libertins;
mais leur injuste délicatesse fermera-t-elle
la bouche aux ministres de Jesus-Christ? ar-
rarhera-t-elle à ses disciples cette liberté
précieuse dont leur langue s'est servie avec
tant d'avantages? Jésus-Christ a-t-il cessé de
montrer la vérité dans toute sa force, parce
qu'elle choquait les pharisiens , et la crainte
d'un prétendu scandale empêchera-t-elle ses
ministres (un des plus grands abus qui soient
dans le christianisme) de donner des règles
sûres pour distinguer la vraie piété d'avec
la fausse , et d'instruire les fidèles du fond
même de leur religion.
Parlons donc aujourd'hui avec toute la li-
berté que nous donne notre ministère, mais
en même -temps avec toute l'attention et
avec tous les ménagements que demande la
prudence chrétienne; confondons les faux
dévots, mais ne fournissons pas des armes
aux mondains; arrachons aux uns et aux
autres les vains prétextes dont ils se cou-
vrent ; en un mot, faisons triompher la re-
ligion et de la fausse piété des uns et du liber-
tinage des autres; tels sont le but et le plan
de ce discours pour lequel je vous demande
une singulière attention. 1° Rien de plus
opposé au véritable esprit de l'Evangile que
la fausse dévotion : ce sera mon premier
point; 2° rien de plus injuste que les con-
séquences que les mondains tirent de la
fausse dévotion contre la vraie piété : ce sera
mon second point et tout le sujet de ce dis-
cours. Saluons auparavant Marie. Ave ,
Maria.
PREMIER POINT.
Pour vous donner une juste idée de la
fausse dévotion, il suffit de ramasser les dif-
férents traits dont l'Evangile se sert pour
nous dépeindre les pharisiens. C'étaient des
hommes distingués par l'ancienneté de leur
secte, par leur savoir, par une étude conti-
nuelle de la loi ; un extérieur mortifié, de
longues prières, des jeûnes réitérés, des
aumônes abondantes, des austérités presque
incroyables leur attiraient la vénération du
peuple, et il ne leur manquait aucune des
apparences de la vertu. Pourquoi donc Jé-
sus-Christ les reprend-t-il si fort dans l'E-
29
CC>7
ORATEURS SACRES. LE P. SL'RIAN.
908
vangile? pourquoi prononce-t-il si souvent
contre eux des malédictions et des anathè-
mes? pourquoi semble-t-il leur réserver
toute sa colère et toute son indignation?
" Ah 1 mes frères, c'est que cette piété appa-
rente était fausse et mal entendue; c'est que
l'orgueil, le inépris de leurs frères, un atta-
chement à leurs propressens, une recherche
continuelle de leurs propres intérêts anéan-
tissaient le mérite de leurs œuvres, et que,
scrupuleusement attachés à l'écorce de la
loi, ils n'en avaient ni l'esprit ni les vertus,
car voilà ce que Jésus-Christ leur reproche
dans l'Evangde. Malheur à vous, scribes et
pharisiens, hypocrites qui payez exactement
la dîme, et qui négligez ce qu'il y a de plus
essentiel dans la loi, savoir, la justice et la
miséricorde. (Luc, XI.)
Tel est le caractère des faux dévots : net-
toyer le dehors de la coupe et laisser le de-
dans plein d'impureté, affaiblir et éluder la
loi dans ce qu'elle a d'intérieur et de pé-
nible, et l'accomplir avec exactitude dans
ce qu'elle a d'extérieur, de facile; acheter,
par quelques pratiques arbitraires, le droit
de satisfaire impunément ses passions, être
éclairé sur les défauts d'autrui et aveugle
sur les siens, ne rien pardonner aux autres,
se pardonner tout à soi-même, avoir tou-
jours le nom de Dieu dans la bouche et ja-
mais son amour dans le cœur, voilà le crime
des pharisiens, voilà celui des chrétiens de
nos jours, voilà ce qui est entièrement op-
posé à l'esprit de l'Evangile. Pour vous en
convaincre, il suffit de remarquer que l'es-
prit de l'Evangile est un esprit de vérité,
1e liberté et d'humilité ; trois caractères de
l'esprit de l'Evangile auquel la fausse dé-
votion est directement opposée.
En premier lieu c'est un esprit de vérité.
Dieu est esprit, dit l'Evangile, et il faut que
ceux qui l'adorent, l'adorent en esprit et en
vérité (Joan., IV), c'est-à-dire qu'il ne suffit
pas d'adorer Dieu , mais qu'il faut l'adorer
d'une manière qui lui convienne, d'une ma-
nière qu'il approuve, qu'il autorise, qui soit
agréable à ses yeux, c'est-à-dire que le culte
qu'on lui rend doit-être sincère, intérieur, ex-
clure toute duplicité, tout mensonge, toute
hypocrisie , qu'il consiste principalement
dans les dispositions du cœur: c'est du cœur
que sortent les bonnes ou les mauvaises ac
tions, c'est par le cœur qu'on honore Dieu
ou qu'on l'offense : c'est le cœur qui souille
l'homme ou qui le justifie.
Sur ces principes, que devons-nous pen-
ser de ces dévotions aveugles et mal enten-
dues où, soiis prétexte d'une régularité
exacte, on néglige de s'instruire des devoirs
les plus essentiels de la nature du culte de
Dieu, du véritable esprit de l'Evangile, piété
capricieuse où, plein d'indifférence pour
les dévotions les plus anciennes , les plus
respectables, les mieux établies, on donne
dans toutes les nouveautés, dans toutes les
illusions, dans toutes les singularités d'une
dévotion bizarre, piété superficielle qui, tout
occupée à régler les dehors des actions, ne
songe jamais à en purifier les principes, qui,
laissant le cœur plein de lui-même et vide
de tout bon sentiment, l'abandonne à tous
ses penchants et à toutes les faiblesses. Ah 1
qu'en penser, sinon que ce sont là des
aveugles qui ne marchent pas à la lumière
de l'Evangile, des hypocrites qui se trom-
pent eux-mêmes et qui trompent les autres,
dont le cœur dément les paroles et les ac-
tions ; des insensés qui honorent Dieu sans
fruit, parce qui'ls suivent des maximes et
des ordonnances humaines? Qu'en penser,
sinon que, lorsqu'au jour du jugement ils
diront à Dieu : Seigneur, ri avons-nous pas
prophétise' en votre nom ? riavins-nous pas fuit
en votre nom des actions éclatantes? il leur
ré, ondra hautement: J e ne vousai jamais con-
nus ; vous ri avez pas agi en mon nom, parce que
vous riavez pas agi par mon esprit, par mes
impressions. (Matth. VII.) Selon ma parole
et les règles de mon Evangile , vous ne
m'avez pas aimé, vous ne m'avez pas vérita-
blement honoré, je ne trouve dans votre
culte ni lumière, ni justice, ni vérité; je n'y
trouve qu'illusion, qu'aveuglement, qu'igno-
rance, que singularités, qu'amour-proprc;
vous avez ébloui les hommes, vous les avez
séduits par de fausses apparences de vertu :
eh bien! que les hommes vous récom-
pensent ! pour moi je ne vous ai jamais
connus, et si je vous connais aujourd'hui,
c'est pour vous rejeter pour toujours de de-
Arant mes yeux, nunquam novi vos.
Terribles paroles dans la bouche d'un
Dieu : Je ne vous ai jamais connus ; et qui
connaissez-vous, Seigneur, si vous ne con-
naissez pas ceux qui vous ont invoqué pen-
dant les jours de leur vie. Ah! je ne recon-
naîtrai et ne recevrai dans ma gloire que ceux
qui font la volonté de mon Père qui est dans
les cieux. Vous qui, depuis si longtemps, faites
profession de la piété, qui cependant n'en
êtes pas plus avancés dans la vertu, je ne vous
connais pas : Nunquam novi vos. Quelle ma-
tière de réflexions, quel sujet de trembler 1
J'ai dit en deuxième lieu que l'esprit de
l'Evangile était un esprit de liberté, et c'e.'t
là proprement ce qui fait ce caractère de la
loi nouvelle, Lorsque nous étions encore en-
fants, dit l'apôtre saint Paul aux Galates,
nous étions assujettis aux premières et plus
grossières instructions que Dieu a données;
mais lorsque les temps ont été accomplis ,
Dieu a envoyé son Fils, formé d'une femme
et assujetti à la loi, pour nous rendre enfants
adoptifs; aucun de vous n'est donc point cer-
tainement serviteur, mais enfant., (Gai., IV.)
Dans le même chapitre, saint Paul, aj rès avoir
comparé les deux alliances aux deux femmes
d'Abraham, dont la première était esclave et
la deuxième véritablement libre, conclut
que nous ne sommes pas les enfants de la
servante, mais de la femme libre, et que c'est
Jésus-Christ qui nous a acquis cette liberté.
Est-ce à dire que nous ne soyons plus as-
sujettis à aucune loi, que nous puissions
suivre sans scrupule tous les desseins de
notre cœur? Non sans doute, saint Paul a
prévenu cette conséquence, mes frères : Vous
êtes appelés à une pleine liberté, ayez soin
9C9
CAREME. — SERMON XVII , DE LA FAUSSE DEVOTION.
910
seulement que celle liberté ne vous serve pas
d'occasion pour vivre selon la chair. (Gai., V)
Que veut-il donc nous apprendre par là ? C'est
que nous ne devons plus nous conduire par
un esprit de crainte et de servitude, mais
par un esprit d'amour; c'est que, délivrés du
joug de la loi mosaïque et soumis à une loi de
grâce, nous ne devons plus nous soucier de
ces observances légales, de ces pratiques dé-
fectueuses et impuissantes, qui ne servent
de rien à ceux qui s'y assujettissent ; c'est
que nous ne devons craindre que le péché
et ne rechercher que la sanctification de
notre âme.
Voilà le véritable esprit de l'Evangile, au-
quel la fausse dévotion est directement op-
posée : elle nous ôte cette liberté précieuse,
que Jésus-Christ nous a acquise, elle renou-
velle le judaïsme et l'esprit de servitude,
elle appesantit le joug, parce qu'elle mul-
tiplie les pratiques, et qu'elle ne diminue pas
la cupidité, en un mot elle nous rend ti-
mides et superstitieux, mais elle ne nous
rend ni vertueux ni saints. Car voilà un
aveuglement qui paraît inconcevable : toute
la corruption du cœur humain et toutes
les illusions de l'amour-propre , en môme
temps qu'elle enchérit d'un côlé sur la loi,
elle l'affaiblit de l'autre par de fausses in-
terprétations; ces mêmes hommes, si ardents
à s imposer des pratiques que la loi ne com-
mande pas, sont les premiers à la violer dans
ce qu'elle a de plus essentiel, d'où vient
cela? c'est que la pratique exacte de la re-
ligion leur coûte trop, et qu'ils aiment mieux
pratiquer certaines œuvres aisées et com-
modes que de suivre les sentiments de leur
religion et d'en posséder les vertus.
Oui, mes frères, la religion prise dans son
véritable point de vue a quelque chose de
trop difficile pour la plupart des hommes ;
il faut veiller sans cesse sur soi-même, ré-
primer jusqu'aux moindres mouvements do
son cœur, opérer son salut avec crainte et
tremblement; aucune indulgence pour ses
passions, aucun retour sur soi-même, au-
cune ressource pour l'amour-propre, voilà
la véritable et solide piété, mais voilà en
même temps ce que les hommes faibles et
orgueilleux ne peuvent souffrir. Que fait-on
donc pour accorder les intérêts de la con-
science avec ceux delà cupidité? On accom-
mode la religion à sa faiblesse, on se fait à
soi-même une espèce de piété fausse, qui
séduit, qui cache le véritable état de l'âme,
qui fait mettre notre confiance en certaines
œuvres extérieures de justice, qui, en mul-
tipliant les pratiques et les austérités, n'en-
gagent ni à corriger les vices, ni à mortifier
ses passions :delà ces dévotions bizarres et
mal entendues, qui déshonorent la piété et
qui font triompher le monde. Celui-ci mul-
tipliant les pratiques se charge d'exercices
non commandés, mais il ne songe ni à ré-
primer sa langue, ni à conserver la charité
avec sesfrères ; celui-là, zélé pour les jeûnes
et les actions extérieures de justice, ne laisse
pas de conserver une attache impure et une
passion criminelle : l'un fait des aumônes et
enrichit les hôpitaux, pendant qu'il frustre
ses créanciers ; l'autre, charitable et libéral
à l'égard des étrangers, laisse périr impi-
toyablement des parents pauvres qui sont
dans la misère : on est plein de zèle et d'ac-
tivité pour les œuvres singulières et écla-
tantes, et on ne peut souffrir ce qui est dans
l'ordre commun du christianisme; aucune
attention, aucune régularité, aucune fidélité
à la loi : c'est le goût ou le caprice qui dé-
cide ; on veut être dévot, mais à sa manière,
sans qu'il en coûte rien à la nature; et une
piété répandue sur tout le détail des actions,
bornée à certaines pratiques arbitraires,
devient une ressource pour les passions et
une illusion de l'amour propre.
Ah ! ne puis-je pas vous dire aujourd'hui
ce que l'apôtre saint Paul disait autrefois aux
Galates (Gai., Y) : Vous êtes libres en Jésus-
Christ. Tenez-vous-en là, et ne vous mettez
point sous le joug d'une nouvelle servitude ;
ne mêlez pas les superstitions judaïques avec
la piété chrétienne; songez que ce qui fait le
prix et le mérite de nos actions, c'est la foi
animée par la charité. Conduisez-vous selon
l'esprit, et vous n'accomplirez pas les des-
seins de votre chair. Les fruits de l'esprit
sont la joie , la charité, la patience, la paix,
la modestie, la continence, la chasteté: voilà
les vertus du christianisme, voilà à quoi tout
culte solide et véritable doit aboutir. Ceux
qui appartiennent à Jésus-Christ, dit le même
apôtre (Ibid.), ont crucifié leur chair avec ses
vices et ses desseins déréglés. Toute piété qui
ne tend pas là, est une piété fausse, mal enten-
due, capable d'éblouir les hommes, mais in-
capable de nous justifier devant Dieu.
Le troisième défaut de la fausse dévotion,
c'est l'orgueil, et rien n'est plus opposé à l'es-
prit de l'Evangile qui est Un esprit d'humi-
lité. Lorsque vous faites l'aumône, dit Jésus-
Christ, que votre main gauche ne sache pas
ce que fait votre main droite : voilà précisé-
ment ce qui nous marque la supériorité de
la loi nouvelle. La sagesse humaine peut
aller jusqu'à condamner les œuvres et les
actions extérieures de la justice ; mais sans
en rectifier les principes, sans en purifier les
motifs. N'agir jamais qu'en vue de Dieu et de
l'éternité; non-seulement ne pas rechercher
l'estime des hommes, mais envier à soi-
même jusqu'à cette complaisance secrète qui
paraît si juste et si naturelle lorsqu'on a. bien
fait: voilà ce qui est au dessus de l'homme,
voilà ce qui nous marque sensiblement la
pureté et la sublimité de la loi évangélique,
voilà ce qui ne peut venir que de Dieu. La
fausse dévotion est bien éloignée de ces sen-
timents : elle fait le bien, mais par des mo-
tifs tout humains, par des vues basses d'in-
térêt, lorsqu'il est le principe de toutes ses
actions; et comme elle ne cherche qu'à plaire
aux hommes , elle ne nous inspire que de
fausses vertus.
Telle est l'idée que l'Evangile nous donne
des pharisiens. Ces faux dévots du judaïsme
cherchaient avec empressement les premières
places et les premières chaires dans les sy-
nagogues; ils aimaient qu'on les saluât dans
OH
ORATEURS SACRES. LE P. SURïAN.
012
les places publiques, et comme ils recevaient
leur récompense en ce monde, ils ne devaient
lias en attendre d'autre. (Mat th., XX1ÏI.)
Ahl mes frères, à combien de chrétiens ne
pourrait-on pas faire aujourd'hui le môme
reproche? Car, sans parler ici de ces hommes
sans conscience, qui font servir la religion à
leurs passions, qui n'affectent un extérieur
de piété que pour s'ouvrir un chemin à la
faveur, à la fortune, aux dignités de l'Eglise
eî. du siècle, d'autant plus criminels qu'ils
s'efforcent de paraître plus vertueux. Que
d'illusions, que d'amour-propre dans la
piété de la plupart des autres 1 Avouons-le,
et que chacun entre ici dans le secret de son
cœur : pourquoi tant d'amour pour les pré-
séances et les distinctions ; tant d'ardeur
pour les oeuvres éclatantes qui donnent de
la réputation ; tant de répugnance pour les
vertus obscures et qui ne sont connues que
de Dieu? pourquoi tant d'attaches à son pro-
pre sens, tant de sensibilité aux moindres
injures, tant d'éloignement pour eaux qui ne
pensent pas comme nous ; et d'où vient tant
de jalousies, tant de haine, tant d'animosité,
tant de défauts qui défigurent la piété et que
le monde confond iavec la piété véritable,
sinon de ce qu'on recherche ses intérêt: en-
core plus que ceux de Jésus-Christ, de ce
.ju'on ne regarde pas l'humilité comme le
fondement cie toute piété solide, et qu'on
veut-être dévot sans renoncer à soi-même?
Ah] mes frères, ce ne sont pas là les carac-
tères de la piété chrétienne. 11 n'y a point de
véritable piété sans la charité, parce que la
marité est patiente, elle est douce et bien-
faisante : la charité n'est point envieuse, elle
ae s'enlle point d'orgueil, elle n'a point de
.nauvais soupçons, elle tolère tout, elle croit
iout, elle espère tout, elle souffre tout : donc
si vous n'avez aucune de ces vertus, vous
a'avez pas la charité ; et si vous n'avez point
la charité, malgré toutes vos œuvres exté-
rieures de justice, malgré toutes vos actions
éclatantes, votre piété n'est que fantôme et
illusion. Mon Dieu, 'que de piétés fausses,
jue de voies qui paraissent droites et qui
néanmoins conduisent à la mort ! Que de ver-
ius qui attirent l'estime des hommes, et qui
seront réprouvées devant vous ! Faut-il donc
abandonner le parti de la piété? faut-il que
lavue de la perfection de la loi et de notre
extrême faiblesse nous jette dans l'abatte-
ment et le désespoir? A Dieu ne plaise! ce
serait la plus dangereuse de toutes les illu-
sions ; rien de plus affreux que de renoncer
au soin de son âme et au désir de son salut,
et il vaut encore mieux se tromper dans la
piété que de n'en avoir point du tout. Que
fant-il donc faire? C'est le fruit de cette pre-
mière partie : il faut trembler pour soi-même,
se délier de saproprejuslice,cxamineratten-
tivement ses œuvres, les motifs, les disposi-
tions les plus secrètes de son cœur, voir ce
qu'il y a dans sa piété d'humain, de terres-
tre, de défectueux, d'impur, et travailler sans
cesse à le corriger; acquérir cet esprit de vé-
rité, cet esprit de liberté, cet esprit d'humi-
lité qui font le véritable caractère de la loi
nouvelle. En un mot, il jfaut se jeter entre
les bras de la miséricorde de Dieu, et lui dire
avec le prophète David, dans les sentiments
d'une profonde humilité : Nous avons péché,
Seigneur, nous a^ons commis l'iniquité au
lieu de vous chercher, nous nous som-
mes cherchés nous-mêmes, et dans le temps
que nous faisions profession de vous servir,
nous nous sommes écartés de la voie de vos
prophètes et de vos ordonnances. Ce n'est
donc pas sur la foi de notre propre justice
que nous vous offrons nos prières en nous
] rosternant devant vous, mais c'est dans la
vue de la multitude de vos bontés. Exaucez-
nous, Seigneur, faites-nous marcher dans vos
voies, sauvez-nous, pour l'amour de vous-mê-
me, parce que nous sommes votre peuple, que
nous avon.slagloirede portervolrenom. Pour
vous, mondains, qui critiquez malicieusement
la dévotion, qui en relevez les défauts, qui
les exagérez, qui prenez.de là occasion de
décrier la véritable piété, d'insulter à la re-
ligion même, lie vous imaginez pas que les
faiblesses de vos frères vous justifient : si leur
piété n'est pas exempte de censure, vos
désordres sont inexcusables, et il ne vous
sied guère de vous moquer clés autres, pen-
dant que vous devez'trembler pour vous-mê-
mes. C'est le sujet de ma deuxième partie,
où je vous ferai sentir toute l'injustice des
conséquences que le monde tire delà fausse
dévotion contre la véritable piété.
SECQNIJ PCINT.
Ce n'est pas seulement la malignité natu-
relle à l'homme qui rend les mondains si
attentifs à remarquer les abus de la dévo-
tion, à les relever, à les exagérer, à en faire
le sujet de leurs railleries les plus vives et
les plus arriéres, il y a encore un intérêt se-
cret qui les y engage, par là ils s'imaginent
autoriser leur conduite, justifier leur indiffé-
rence pour les choses de Dieu, relever cette
probité morale dont ils se piquent si fort et
à laquelle ils réduisent toutes leurs vertus
en rendant la piété méprisable; mais ne leur
souffrons pas ce vain triomphe, ôtons-leur tout
appui, toute ressource, et faisons leur voir
aujourd'hui qu'ils sont souverainement in-
justes : 1" En ce qu'ils prennent pour fausse
dévotion ce qui ne l'est pas; 2° en ce qu'ils
rejettent sur la piété même les défauts de
ceux qui en font profession; 3" en ce qu'ils
se trouvent eux-mêmes dans un état plus fâ-
cheux et plus déplorable que celui qu'ils
reprochent aux faux dévots. Appliquez-vous,
chrétiens: il n'est peut-être joint de sujet
plus utile et plus intéressant pour vous.
Je dis : 1" que les mondains | rennent pour
fausse dévotion ce qui ne l'est pas, voilà en
quoi consiste leur erreur ou plutôt leur in-
justice; ils se forment injustement une per-
fection chimérique au-dessus de la nature
humaine et à laquelle personne ne peut at-
teindre ; toute piété qui ne tend pas là, dans
laquelle ils remarquent quelque négligence,
quelque imperfection, quelque retour d'a-
mour-propre, leur paraît une piété fausse et
mal entendue qu'ils traitent hardiment d'il-
CAREME. — SERMON XVII, DE LA FAUSSE DEVOTION.
914
lusion : de là cette critique sévère, celte cen-
sure inexorable à l'égard de ceux qui font
profession de piété; cette liberté qu'on se
donne de juger, de condamner, d'examiner
leurs pratiques, d'interpréter leurs motifs,
de fouiller jusque dans le plus secret de leur
cœur, pour y trouver de quoi affaiblir le
mérite de leurs œuvres ; de là ces railleries
piquantes, ces airs de triomphe et d'insulte
lorsqu'il leur échappe quelques fautes, lors-
que la fragilité humaine les fait écarter de
la loi : mais en vérité se peut-il rien de | lus
injuste? Quoi donc, parce que votre frère
fait profession de piété, parce qu'il tâche
d'arriver à la perfection évangélique, s'en-
suil-il qu'il soit tout à coup transformé en
ange, exempt de toute faiblesse? n'est-il pas
toujours homme , par conséquent toujours
faible, toujours pécheur, toujours porté au
mal, toujours exposé aux combats rie la
chair < outre l'esprit? Jésus-Christ a-t-il pro-
mis à ceux qui le suivraient deles rendre im-
peccables, ne les a-t-il pas plutôt avertis
qu'il fallait toujours combattre, toujours
faire des efforts-, toujours travailler, à pré-
venir les chutes? 0 mon Dieu! où en serions-
nous, si vous nous jugiez avec la même
sévérité que les hommes, si vous regardiez
comme un défaut tout ce qui n'est pas
exemrt de faiblesse ! Oui, mon frère, les
gens de bien ont des passions, mais ils tra-
vaillent sans cesse à les vaincre; ils sont
sujets à l'erreur, mais ils cherchent toujours
sincèrement la vérité ; ils font des fautes,
mais ils en gémissent, ruais ils s'en humi-
lient devant Dieu ; ils succombent même
quelquefois, car vous le permettez ainsi,
Seigneur, afin que l'homme ne se glorifie
pas dans ses propres forces, mais leurs chu-
tes mêmes leur sont utiles : elles les rendent
[dus vigilants, elles raniment leur zèle et
redoublent leur charité. D'ailleurs est-ce à
vous à juger les serviteurs de Dieu, à décider
si leur piété est fausse ou vraie. Hommes
charnels livrés à l'amour du siècle, il vous
sied bien de traiter avec des mains profanes
le mystère ;'e la piété! Avez-vous les lumiè-
res nécessaires pour un examen si difficile
et dans lequel les personnes les plus éclai-
rées courent risque de se tromper? Vous ne
comprenez pas, dites-vous, à quoi aboutis-
sent ces prières longues et réglées, ces con-
fessions si fréquentes si assidues, ces lec-
tures dont ils se font une loi, ces pratiques
non commandées et auxquelles ils sont si
fidèles; il vous paraît dans tout cela de l'a-
musement, de la puérilité; mais prétendez-
vous réduire la religion à une spéculation,
à un amour de Dieu stérile, qui n'oblige à
rien ceux qui la suivent? ne faut-il pas que
>ceux qui sont a Dieu en portent les marques
honorables et glorieuses, qu'ils se distin-
guent dû reste des hommes par une attache
particulière à son service! Ces pratiques ne
sont pas le fond de la religion, ni la piété
même, je l'avoue; mais elles sont des secours
pour la vertu, des soutiens dans la piété : il
est utile de les suivre et dangereux de les
négliger. Elles vous paraissent petites et mé-
prisables; mais les œuvres des saints n'ont-
.elîes pas toujours été un sujet de dérision
pour les profanes? Ainsi l'insensée Michol ne
pouvait souffrir que David dansât devant
l'arche; ainsi les j arents de Tobie se mo-
quaient de ses aumônes et de l'amour qu'il
avait d'ensevelir les morts. Mais qu'importe
au juste d'être estimé par les hommes,
pourvu qu'il so:t approuvé de Dieu : les pra-
tiques qui paraissent petites et méprisables
deviennent la source de leur sanctification,
c'est à leur fidélité, à leur exactitude dans
l'exécution de ces choses, qu'ils doivent la
victoire sur leurs passions et la couronne
même du salut. Faites le tour de Jéricho pen-
dant six jours, dit le Seigneur à Josué, que
le septième jour les prêtres prennent les sept
trompettes dont on se sert dans l'année du
jubilé, qu'ils marchent devant l'arche ; vous
. ferez sept fois le tour de cette ville et les
prêtres sonneront de la trompette. Quoi de
plus opposé aux règles do la prudence hu-
maine ! quoi de plus inutile en apparence
pour prendre une ville bien fortifiée! Cepen-
dant Josué obéit, le peuple attentif à sa voix
exécute avec une exactitude scrupuleuse
ce que le Seigneur avait prescrit, enfin le
septième jour arrivé la parole du Seigneur
s'accomplit, une main invisible renverse les
murailles de Jéricho, et Israël doit à son
obéissance et à sa fidélité la plus éclatante
de ses victoires.
Mais je veux que vos jugements soient
équitables, qu'il y ait de l'illusion dans la
piété de quelques-uns de vos frères, qu'ils ne
marchent pas selon la vérité de l'Église : je
dis que vous ne laissez pas d'être injustes.
Pourquoi? Parce que vous tirez delà des
conséquences trop étendues, et que vous re-
jetez sur la piété même les défauts de ceux
qui en font profession.
2* Oui, mes frères, si vous vous con-
tentiez de nous dire qu'il y a des hypo-
crites, de faux dévots qui déshonorent la
piété, parce qu'ils la font servir de voile
à leurs passions et à leurs désirs déréglés,
nous serions d'accord avec vous; car, hélas 1
on ne peut nier qu'il y a trop d'ivraie parmi
le bon grain, qu'un levain funeste corrompt
souvent toute la masse; mais conclure de là
que toute piété est fausse, envelopper les
gens de bien dans, la même condamnation
que les faux dévots, se croire en droit de re-
garder le nom même de dévot comme odieux,
commcuue marque d'illusion et defaiblesse,
c'est une injustice criante, c'est un aveugle-
ment inconcevable.
lit certes la piété doit-elle souffrir des dé-
fauts de ceux qui en font profession ? Il y a
des dévots orgueilleux, ignorants, supersti-
tieux, délicats sur le point d'honneur, sen-
sibles aux moindres injures, durs et inflexi-
bles sur tout ce cpii regarde les intérêts du
prochain; mais est-ce la piété qui leur ins-
p;re ces sentiments ? au contraire ne leur
conseille-t-elle pas l'humilité, la patience,
le support de leurs frères , le détachement
du monde et de ses vains intérêts? Non, mes
. frères, rien de plus grand, rien de plusno'
915
ORATEURS SACRES. LE P. SURIAN.
OIC
ble que la piété, lorsqu'elle est prise comme
il faut et sur le véritable esprit de l'Evangile;
elle éclaire l'esprit, elle élève l'âme, elle
adoucit l'humeur, elle épure les sentiments,
elle est utile à tous, dit saint Paul, elle rend
les hommes doux, civils, compatissants, cha-
ritables, patients dans les maux, tranquilles
dans la joie, et indépendants de tout ce qui
tes environne.
Telle est votre loi éternelle, ô mon Dieu,
si juste et si raisonnable que môme par rap-
port à la vie présente, il est infiniment avan-
tageux de la suivre; pourquoi donc tant de
personnes, qui font depuis si longtemps
profession de piété, ont-elles des défauts
directement opposés à toutes les vertus? Ah!
mes frères, c'est qu'elles ont voulu être leurs
propres guides dans les voies dusalut, qu'elles
ont choisi des conducteurs aveugles qui les
ont écartées du droit chemin, qu'elles n'ont
jamais pris soin de s'instruire du véritable
esprit de l'Evangile ; c'est qu'à la piété solide
et véritable, elles ont substitué une piété
fausse et compatible avec les passions, leur
amour-propre; mais grâce à la même loi de
Dieu, il est encore aujourd'hui des âmes
choisies dont la piété fait honneur à la reli-
g;on, dont la vie est une fidèle expression
de l'Evangile : rien de bas, rien d'humain,
rien de terrestre dans leur piété; tout y est
grand, noble, solide, digne de Dieu et de la
sainteté de la foi; uniquement occupées de
leur salut, éclairées sur les voies qui y con-
duisent, délicates sans scrupules, chrétien-
nes sans affectation, on les voit porter le mys-
tère de la foi dans une conscience pure,
s'éloigner également et des superstitions des
juifs, et de la fausse liberté des mondains,
allier les devoirs de la société avec ceux de
la religion, la fidélité aux obligations de leur
état avec la pratique des bonnes œuvres, et
forcer les hommes les plus injustes à cette
admiration qu'on ne peut refuser àla vertu.
Il n'y a pas même d'état, point de condition
qui ne vous fournisse de grands modèles,
le trône a ses Davids, la cour a ses Mardo-
chées, la guerre ses Josués, le ministère ses
Josephs, le sacerdoce ses Aarons. Non, Sei-
gneur, vous ne souffrirez jamais que leLvéri-
table piété disparaisse entièrement de dessus
la terre, il y va de votre gloire : vous avez soin
de vous réserver des adorateurs fidèles pour
honorer la religion et pour confondre le
monde. Les exemples sont rares, dites-vous,
il y a peu d'hommes de ce caractère; mais
n'est-ce pas un effet de votre prévention et
de votre malice, n'est-ce pas un intérêt se-
cret, qui diminue à vos yeux le nombre des
gens de bien? et comment rendriez-vous jus-
tice a la vertu, vous qui souhaiteriez qu'il
n'y en eût point sur la terre? Ces exemples
sont rares, mais n'est-ce pas sur le petit
nombre de gens de bien que vous devez ju-
ger de la piété et non pas sur la multitu !e
des faux dévots qui la déshonorent? ces
exemples sont rares, mais quelque rares
qu'ils soient, ne suffisent-ils pas pour justifier
la religion, pour vous faire sentir toute votre
injustice, pour vous confondre si vous ne les
suivez pas ? Il y a peu de gens de bien, je
veux qu'ils soient encore plus rares que vous
ne le pensez ; mais enfin il y en a et vous
êtes forcés d'en convenir vous-mêmes, il y
en a de tout âge, de tout sexe, de toute qua-
lité, de toute condition; donc la véritable
piété n'est pas bannie de dessus la terre,
donc elle n'est pas impraticable, donc vous
êtes inexcusables, si vous ne faites pas des
efibrts pour imiter ceux qui marchent dans
les voies du salut. Voilà, mondains, où il en
faut venir, à rentrer dans votre propre cœur,
à faire des reflexionsserieus.es sur votre état,
à tourner contre vous-mêmes cette critique
sévère et impitoyable que vous exercez si
injustement contre votre frère.
3° Hélas ! que votre état est déplorable 1 il
est affreux devant Dieu : s'il vous reste quel-
que foi, qu'il est digne de vos gémissements
et de vos larmes 1 Ici, mondains, il ne s'agit ni
des distinctions de la noblesse et du rang, ni
des qualités de la raison, ni de ces vertus
purement humaines qui vous relèvent de-
vant les hommes; tout cela n'est pas compte
par rapport à «l'éternité, un chrétien n'est vé-
ritablement que ce qu'il est aux yeux de
Jésus-Christ. Or, aux yeux de Jésus-Chris»
et selon les règles de là foi, qu'êtes-vous, si-
non des hommes de chair et de sang, livrés à
toutes vos passions et à tous vos désirs dé-
réglés, épris de l'amour du siècle, esclaves
de ses maximes, adorateurs de ces biens,
enivrés de ses plaisirs, chrétiens par votre
vocation, païens par vos œuvres, objets de
la colère de Dieu et dignes de tous les sup-
plices de l'enfer.
Vous vous réduisez donc à une probité
morale, à une certaine droiture qui vous
rend souverainement ennemis de l'injustice ;
mais qu'est-ce que cette probité devant Dieu?
un fantôme de vertu qui disparaît aux lu-
mières de la foi, un arbre stérile cpii ne porte
point de fruit pour l'éternité, un vain titre
dont l'orgueil humain se pare et se sert pour
se rassurer contre les remords de sa cons-
cience. Est-ce sur les règles de cette probité
ou sur celle de l'Evangile que vous serez ju -
gés?Que vous servira au dernier jour d'avoir
été honnêtes gens selon le monde, si vous
n'avez jamais été chrétiens; d'ailleurs cette
probité dont vous vous piquez si fort, vous
vous en flattez, je l'avoue, le monde même
vous en flatte ; mais ses jugements sont-ils
recevables ? Notre siècle ne donne-t-il pas ce
titre d'honnête homme avec trop de facilité?
Si votre raison n'était pas séduite par vos
préjugés et par vos passions, si vous écoutiez
la voix de votre conscience, ne vous rendrait-
elle pas un témoignage bien différent? Vous
ne faites pas d'injustices criantes, vous ne
ravissez pas le bien d'autrui, vous né trou-
blez pas la tranquillité publique, vous ne dé-
chirez pas la réputation de votre frère par de
noires calomnies, mais cela suffit-il pour un
honnête homme?'Mais ces flatte lies basses, ces
complaisances serviles que vous prodiguez
lâchement aux idoles delà fortune, ces voies
détournées dont vous vous servez pour sup-
planter le concurrent, les pièges que vous
917
CAREME. — SERMON XVIII, DE LA CONSCIENCE CONTRE LES SCRUPULES.
918
dressez à l'innocence de cette jeune personne
dont vous flétr-issez la réputation, dont vous
ruinez peut-être la fortune, cette haine im-
pla able contre votre ennemi qui éclate dans
toutes les occasions où vous ne gardez pas
même les mesures de la bienséance, ce luxe
sans bornes, ce jeu, ces délicatesses, ces
sensualités excessives qui altèrent votre
réputation, votre santé, votre fortune : tout
cela est-il dans les règles d'une exacte probi-
té? Est-ce là le modèle de conduite que vous
olFrent ces païens que vous admirez si fort,
et leur exemple ne peut-il pas servir à vous
confondre ?
Voilà votre véritable état, mondains, mal-
gré les beaux dehors qui vous couvrent, qui
vous dérobent aux yeux des hommes , voilà
ce que vous êtes devant Dieu , voilà ce que
vous n'apprendrez jamais de cette troupe de
flatteurs, d'âmes viles et mercenaires qui vous
environnent.
Mais voilà ce que la sainte liberté de notre
ministère nous empêche de dissimuler :
heureux, si en vous découvrant toute la pro-
fondeur de vos plaies, nous vous engagions
à chercher les moyens de les guérir I Or, je
vous le demande, dans un état si triste, si
fâcheux, si déplorable, vous sied-il d'insul-
ter à la faiblesse de ceux dont la piété n'est
pas assez éclairée et assez sincère? Toute la
sévérité de votre censure ne doit-elle pas se
tourner contre vous-mêmes, et ne puis-je pas
vous dire ce que Jésus-Christ dit dans l'E-
vangile : Pourquoi voyez-vous une paille dans
l'œil de votre frère, vous qui ne voyez pas
une poutre dans votre œil; ôtez d'abord la
poutre de votre œil, et alors vous verrez com-
ment vous pourrez tirer la paille de l'œil de
votre frère (Matth. , VU); commencez par
vous guérir vous-mêmes, par chasser de vo-
tre cœur cette ambition, cette avarice, cette
sensualité, cette passion impure, et tous les
autres tyrans qui y régnent avec un souve-
rain empire ; alors vous songerez à corriger
les imperfections de vos frères, et voilà à
quoi doivent vous servir ces réflexions si
utiles , que vous faites quelquefois sur les
défauts de ceux qui font profession de la
piété. Si j'embrassais le parti de la piété , je
me donnerais à Dieu tout de bon , plus de
retour vers le monde, plus de ménagements
avec le siècle , tout serait pour Dieu et pour
l'éternité. Mes frères, qui vous empêche de
mettre ces réflexions en pratique et vous en
servir [ our vous-mêmes, au lieu de les em-
ployer inutilement à relever les défauts de
vos frères. Ah! puisque vous avez une idée
si juste et si exacte de la piété , vous êtes
donc inexcusables, si vous ne la suivez pas,
puisque, selon vous, les plus légères faibles-
ses sont indignes d'un chrétien; pouvez-
vous vous flatter de l'être, vous qui vous
abandonnez sans scrupule à tous les désirs
de votre cœur? Jésus-Christ ne pourra-t-il
pas vous répondre, au jour du jugement, ce
qu'il dit à ce lâche serviteur dont il est parlé
dans l'Evangile : Mauvais serviteur, vous
saviez que je suis un maître sévère, difli-
cile, jaloux de ses droits, qui demande le
cœur sans réserve, qui ne peut souffrir rien
de terrestre, d'impur, d'imparfait dans ceux
qui s'attachent à mon service ; vous If sa-
viez, jusqu'à en faire des leçons aux autres,
jusqu'à blâmer hautement la piété de ceux
en qui vous remarquiez quelques faiblesses;
pourquoi donc n'avez-vous pas profité do
cette connaissance? pourquoi, bien loin de
me servir avec la pureté, avec la perfection
que vous saviez que je demande, avez-vous
refusé de vous soumettre aux règles les plus
communes de l'Evangile? Vos propres lu-
mières déposent contre vous; vous avez
vous-mêmes prononcé votre arrêt; votre con-
damnât1 on est sortie de votre propre bou-
che :Dc ore tuo tejudico. (Luc, XIX.) Préve-
nez, mes frères, un si grand malheur; qu'on
ne voie plus une si énorme contradiction
entre votre créance et vos mœurs. Puisque
vous pensez bien, agissez encore mieux;
que toutes vos réflexions se tournent en ef-
fet pour acquérir cette piété qui seule peut
vous conduire à la gloire éternelle que je
vous souhaite. Au nom du Père, du Fils el
du Saint-Esprit. Amen
SERMON XVIII.
DE LA CONSCIENCE CONTRE LES SCIUPULES.
Non lotis manibus manducare non coinauinat hominem
(Miitlli., XV.)
Manger avant d'avoir lavé ses mains n'est pas ce qui
souille l'homme.
C'est ainsi que Jésus-Christ, qui s'arrête
peu à l'extérieur et aux observances inu-
tiles, renvoie l'homme incertain sur ses de-
voirs, à son propre cœur et à sa conscience ;
en effet, si vous pouviez rentrer souvent
dans votre cœur, le consulter et l'entendre,
nulle tristesse, nulle alarme, nulle inquié-
tude ne pourraient vous troubler; pourquoi
fêla? parce que vous portez dans vous-
même une règle certaine qu'on ne peut ni,
méconnaître ni anéantir, c'est-à-dire la con-
science : cette conscience, lumière pure qui
luit dans les cœurs les plus ténébreux; loi
vivante qui subsitte dans les âmes les plus
rebelles; maître assidu qui fait des leçons
continuelles de justice et de sainteté; voix
secrète qui avertit du bien que vous avez à
faire et du mal que vous devez éviter; mi-
roir fidèle qui nous peint nos vices et nos
vertus dans tout leur naturel ; flambeau lu-
mineux qui porte sa lumière dans toutes les
parties de notre âme, et à qui rien n'échappe;
cette conscience, guide intime , que Dieu a
jointe à notre âme pour la diriger et |.our la
réprimer; livre toujours ouvert à notre es-
prit, où une main invisible nous trace nos
devoirs et nous représente nos obligations;
cri perçant qui trouble les pécheurs jusque
dans leurs plaisirs, les fait trembler dans
leurs égarements, et rappelle dans leur âme
l'innocence et la pénitence; cette conscience,
qu'on peut dire être tantôt une ferme espé-
. rance en Dieu, et une sainte confiance de lo
trouver un jour favorable ; tantôt réprobalion
funeste devant ce tribunal de justice; tantôt
réponse salutaire qui console; tantôt repre^
e\o
ORATEURS SACRES. LE P. SURIAN.
che amer qui confond; juge exact qui a
dans vous son tribunal toujours dressé pour
absoudre et jour condamner; censeur sé-
vère, redoutable accusateur qu'on porte par-
tout et qu'on ne peut non plus fuir que soi-
même; cette conscience enfin qui est un re-
pos du soleil de justice, un supplément de
la divinité, qui parle en son nom, qui sou-
tient ses intérêts et qui nous devient un lé-
gislateur perpétuel et domestique.
Quoi donc, avec tant de lumière, l'homme
pourrait-il n'être pas éclairé, et peut-il lui
venir encore des inquiétudes et des doutes
avec un guide si fidèle? Il n'en vient que
trop, Messieurs, et, soit qu'on ne consulte
point sa conscience, ou qu'obscurcie par les
ténèbres des passions, elle ne nous repré-
sente qu'imparfaitement l'état de notre âme,
il y a une infinité de fidèles exposés aux
doutes et aux alarmes; et en qui, Ija\ que
la conscience soit un fond de vérité, de cer-
titude et de tranquillité, elle est une source
de combats, d'inquiétudes et de peines.
Essayons de les guérir d'un mal si dange-
reux. Et comme la nature a donné plus de fai-
blesse à ces âmes malades, ayons aussi pour
elles plus de compassion, et sondons la profon-
deur de leurs peines sans les flatter ; rendons-
leur cette paixqui est aux vrais enfantsle bien
le plus cher et le plus doux. Toutes leurs pei-
nes viennent de deux sources : ou d'une
conscience trop incertaine, ou d'une cons-
cience trop délicate : je vais donc vous don-
ner des remèdes sûrs et faits pour vous gué-
rir de ces deux grandes maladies. Vos peines
viennent-elles d'incertitude , consultez ; mais
qui devez-vous consulter? Je vais vous l'ap-
prendre dans mon premier point. Viennent-
elles de la délicatesse, combattez; mais con-
tre qui devez-vous combattre? Vous l'allez
voir dans mon second. La conscience incer-
taine éclairée; la conscience tremblante ras-
surée: voilà tout mon dessein. O vous, Dieu
de paix et de miséricorde ! pourriez-vous ne
pas ra'aider à éclairer et rassurer ces âmes
timides que la seule crainte de vous offen-
ser rend si misérables? Nous vous le deman-
dons par l'intercession de Marie, à qui nous
allons dire : Ave, Maria.
PREMIER POINT.
L'incertitude est en vous, Messieurs, la
source des peines de votre conscience; elle
vient de ce que votre esprit confus, indécis,
embarrassé de lui-môme, flotte sans cesse
entre ce que la nature vous demande et ce
que la piété exige de vous; n'ayant ni assez
de lumière pour connaître ce qui est per-
mis, ni assez de courage pour rejeter ce qui
est défendu, tourne son jugement de tous
côtés, et demeure suspendu dans l'équili-
bre sans trouver de point fixe. Et doit-on
s'en étonner? Le bien est si près du mal;
les bornes qui séparent l'innocence du pé-
ché sont si imperceptibles, qu'on passe de
l'un à l'autre sans s'en apercevoir. Ainsi
effrayés des crimes énormes, on ne se fait
point un cas de conscience de toutes les au-
tres petites fautes; vous ne savez si, parce
920
que vous êtes dans le monde vous devez y
mener une vie d'oisiveté, d'indolence, d?
dissipation, de mollesse. Vous ressentez d'é-
temelles alarmes sur certaines distractions
profanes, qui viennent toujours vous trou-
bler dans vos prières, et qui vous paitagent
trop un cœur que vous devez tout entier à
Dieu. Vous n'êtes point en repos sur mille
injustices apparentes que vous commettez
contre le prochain. Vous ignorez si la dis-
position où vous êtes de pardonner les inju-
res qu'on vous a faites, quand l'occasion s'en
présentera, est un état de salut pour vous.
Sur tous ces points, vjlre conscience vous
forme des doutes continuels; le remède est-
il donc de l'étourdir et de tacher de la sé-
duire? Ne s'agit-il que de lui mettre un ban-
deau pour la faire passer plus aisément sur
le commandement qui l'épouvante? Qu'à
Dieu ne plaise! il faut chercher un point
qui puisse vous fixer et vous faire sortir de
vos doutes et de vos incertitudes; il faut, se-
lon-le sage, avant de rien faire, j rendre un
conseil ferme , il faut se faire une règle im-
muable : Ante omnem actum consiliam stabilc.
Eccli., XXXVII.)
Mais où la trouver cette règle? première
objection; qui m'éclairera dans mes doutes?
deuxième objection. Répondons -y l'une
après l'autre; et d'abord, cette règle qui nous
met dans un point fisc, où la trouver ? Sera-ce
dans le monde? Ses maximes sont fausses, ses
décisions trompeuses, sa morale corrompue.
Jésus-Christ a-t-il confié le salut de ses enfants
à son ennemi déclaré, qui ne devait jamais lui
faire assez d'outrages 1 Sera-ce dans votre pro-
pre cœur ? Depuis que l'homme est devenu cri-
minel, il est devenu aveugle; tout ce qui lui
plaît lui paraît légitime; il aime tout ce qui
favorise ses penchants ; et nous sentons bien
que la règle de la justice ne doit jamais être
favorable au crime. Sera-ce dans nos pas-
sions? Elles sont assez larges, assez hardies,
pour décider; et dès qu'elles décident, elles
sont une erreur. L'opinion troublée et assu-
rée par leurs vapeurs et par leur impétuo-
sité ne peut rien connaître; elles portent
une haine si générale pour tout ce qui les
contredit que tout y doit être suspect, et
que tout ce qu'elles appellent la difficulté et
la vertu est un dérèglement du péché. Cette
règle serait-elle dans la coutume? 11 faut ti-
rer sa certitude d'un principe plus chrétien
et plus sûr. Depuis que l'on a souillé sa voie,
ce qne l'on fait n'est presque plus ce qu'on
doit faire. L'usage commun n'est (dus qu'une
erreur générale , qu'une illusion qui ne
peut être que funeste à celui qui la suit. Sera-
l-elle dans la multitude, celte règle? C'est
suivre la multitude , c'est s'égarer avec plu-
sieurs, marcher avec le plus grand nombre,
c'est errer et se perdre avec lui, comme nous
l'avons déjà vu; et nous sommes dans une
loi où l'on ne vit plus par autorité et par
exemple; mais par principe et par raison':
où la trouver donc cette règle? Sera-ce dans
la simple opinion des hommes? 11 en est
dont la molle indulgence vous endormirait
dans le crime, au lieu de vous en faire sor-
K'kï CAREME. — SERMON XVH!, DE LA CONSCIENCE CONTRE LES SCRUPULES. 92'i
cen'estpoint cette voie large qui conduit h la
mort : Appîicate, etc. Examinez si dans tou-
tes ces occasions où vous ne ] ouvez expo-
ser votre honneur sans ie risquer, où vous
ne sauriez trouver le moyen de multiplier
vos biens sans usurper celui des autres, et
vous vous faites un fonds de leur pauvreté;
jugez si tout cela est compatible avec l'E-
lir.Toul ce qui peut servir h tromper ne peut
êlrequ'unfondementruincux. Rien n'est plus
incertain que les jugements des hommes.
Oseriez-vous compter absolument sur un sim-
ple vraisemblablement? Tout ce qui juge
par l'apparence est sujet à l'erreur. 11 y a
une voie qui paraît droite à l'homme, et qui
cependant conduit à la mort. L'intérêt du sa-
lut est trop grand pour le risquer sur une
opinion incertaine. Céder son éternité sur
un sentiment équivoque, c'est en faire un
espèce de hasard, rien de plausible ne pre-
nant contre l'éternelle sûreté, et jamais une
fausse vraisemblance ne peut autoriser tics
crimes que la vérité condamne.
Mais cette règle fixe, certaine, parfaite,
qui doit être le remède à nos peines, la so-
lution de nos doute.-, où la trouver? C'est
l'Evangile, cet Evangile invariable et éter-
nel, comme l'appelle l'Apôtre; l'Evangile,
ne directeur universel des hommes, le ca-
suiste des chrétiens, qui contient seul les
mœurs d'un Dieu , sa vie, ses volontés, ses
préceptes, ses maximes, ses consens, ses
actions; l'Evangile où est le dépôt sacré de
la morale chrétienne, dont la vérité demeure
invariable et supérieure h tous les chan-
gements et à toutes les vicissitudes humai-
nes. Loi vénérable, qui brise tout ce qu'elle
ne règle pas, et qui, si elle ne nous guide
;ur la terre, nous jugera dans le ciel. Oui ,
l'Evangile, cette règle immuable sur laquelle
chacun doit régler sa conduite et sa vie, ce
divin livre, aussi infaillible dans ce qu'il
ordonne qu'admirable dans ce qu'il révèle;
et s'il est impossible en matière de religion
de ne point tomber dans l'erreur, si on ne
s'attache à ces dogmes comme à la règle es-
sentielle de la foi , il est aussi impossible en
matière de morale de ne point tomber dans
le péché, si on ne s'attache a ses préceptes,
comme à la règle générale des mœurs. L'E-
vangile enfin auquel le salut est tellement
attaché que tout ce qui s'y trouvera conforme
sera glorifié, et tout ce qui ne s'y accorde
pas est anathématisé.
C'est donc l'Evangile de Jésus-Christ qui
est cette règle invariable, consultez-le, et
vous rassurez sur ses décisions : Applicateca
ad legem Dei et jtidicate ; qu'après avoir tiré
votre esprit du nuage de vos passions, in-
struisez vos voies; si cette vie si molle et
si aisée, si naturelle, si délicate, qui vous
attache à vos commodités est conforme à cet
esprit de pénitence, de travail, de mortifica-i
lion, de violence, dont Jésus-Christ vous y
fait un précepte ; et si au contraire elle n'y
est pas tout opposée, décidez la-dessus et
éclaircissez le doute que vous aimez : Ap-
pîicate ea ad legem Dei et judicale. Voyez si
cette recherche des plaisirs du monde, si cet
assemblage des joies et des délices du siècle
qui corrompent votre cœur, sont d'accord avec
cet oracle de l'Evangile {Malih., Y) : Heu-
reux ceux qui sont dans latristçsse et dans les
pleurs, parce qu'ils seront consolés; décidez
si ces mœurs si contraires, si mondaines, si
relâchées, vous font marcher dans cette voie
étroite qui conduite la vie, et si au contraire,
vangile, c'est-à-dire si en prêtant à vos
frères vous n'exigez rien d'eux; et si nu
contraire la charité que vous prétendez leur
faire, n'est point une loi barbare qui achève
de les ruiner : Appîicate, etc. Voyez si
ce préjugé où vous êtes, que la naissance, qre
la qualité est un titre, un privilège qui vous
permet le faste, le luxe, la fierté, la mollesse,
est conforme à l'Evangile de Jésus-Chris»,
qui, loin de donner cet avantage aux grands
et aux riches de la terre, les frappe de ma-
lédiction et d'anathème, exige d'eux des
vertus i lus chrétiennes a cause du rang
plus élevé où ils sont placés, des dignités
plus éminentes dont ils sont revêtus, et veut
qu'on trouve dans leurs personnes, toute
l'humilité et toute la pénitence qui man-
quent dans leur état : Appîicate, etc. Déridez
si l'opinion où vous êtes, que ce qui suit la
coutume en faveur du rang, de l'âge, du
sexe, devient légitime; que depuis qu'en
vous tolère, l'oisiveté, le jeu, les spectacles,
tout cela vous est permis ; qu'il y a des usa-
ges qui sont devenus des lois, que vous
devez suivre ceux qui vous ont précédés, et
que certains abus qui sont venus jusqu'à
vos emplois, à vos charges, à votre état par-
ticulier, vous dispensent de certains de-
voirs, qui sans cela seraient indispensables.
Voyez là-dessus. l'Evangile : cette règle di-
vine, supérieure à tous les temps, à tous
les âges, à tous les états, vous ap| rendra
qu'il faut s'en tenir à ce qui est dit de la bou-
che de la vérité même, et non pas à ce qui
s'est fait par les hommes corrompus, et que
celui qui hait le mal le premier, réprouve
ceux qui le suivent : Appîicate, etc. Voyez
si ces désirs de s'élever et de s'agiandir, de
faire fortune qu'on se force d'auiotnplir, si
ces inquiétudes dévorantes qui nous font
envier la place et la faveur d'un concurrent
heureux, et ce qu'on appelle grandeur d'âme,
louables efforts d'un cœur bien placé. Jugez
s'ils sont d'accord avec cet oracle de Jésus-
Christ : Heureux les pauvres d'esprit, Us
humbles de cwur (Matlh., V), et si votre vie
n'est point un violement déplorable de l'E-
vangile : Appîicate, etc.
Prenez encore ce flambeau de
et le portez dans votre proj re eœur, pour y
examiner si ce plaisir secret qu'on prend
avec la ciéature, si cet engagement si tendre
qu'on forme avec cette personne, si ces liai-
sons, ces habitudes qu'on en retient avec
tant de soin, si ces parures qui occupent
si fort, si tout (ela peut compatir avec cette
unité d'amour, avec cette totalité de cœur,
avec cette pureté de vie dont l'Evangile vous
fait un si grand précepte. Jugez si vos beaux
voiles de vertu dont vous couviez vos vices
&e sohl point un empressement pour ItJ
'Evangile
9^5
ORATEURS SACRES. LE F. SLRlAtV
»2î
hommes, un amour déréglé des biens de la
terre, un coup plus sûr pour arriver au plai-
sir que vous vous promettez : Applicate,
etc. Proposez-vous à vous-mêmes si ne
point faire du mal à ceux qui vous haïssent
est assez pour un chrétien, et si ne faire
aucun bien à ceux qui vous ont offensé est
le langage de Jésus-Christ, et si c'est sur-
passer la justice des scribes et des phari-
siens de ne pas avoir une charité plus par-
faite vers le prochain; mettez d'un côté
cette maxime si aimable de Jésus-Christ :
Donnez, conseillez, soulagez, compatissez;
et de l'autre côté, cette dureté, cette insensi-
bilité, ce mépris que vous avez pour vos frè-
res, pour les pauvrts et pour les affligés :
Applicate, etc. Dans ces doutes qui vous
viennent, consultez l'Evangile et vous ver-
rez si vous êtes sages de préférer la vie
molle et aisée à une vie dure et pénitente,
s'il ne faut pas préférer un état à un autre,
à un établissement plus riche, un établisse-
ment plus saint, a une charge dangereuse
un emploi plus sûr : Applicate, etc.
Que vous dirai-je encor:*, appliquez-vous
la, cette loi de Dieu, sur votre conduite, sur
vos désirs, sur vos pensées, sur vos mouve-
ments, sur vos actions, sur toutes vos mœurs,
comparés à toutes ces règles de l'Eglise. Sei-
gneur, par cette comparaison si elle est exacte
et fidèle, que de doutes éclaircis, que de ques-
tions terminées, que de contestations finies
par cette application si elle est juste, que
de cas de conscience décidés, que de joies
interdites, que de liaisons défendues, que
de craintes dans les richesses, que de pé-
rils dans les emplois, dans les charges,
dans les dignités! par cette évidence, si on
d'y ferme pas les yeux, que de ténèbres
iissipées, que de vicissitudes fixées; de
combien de difficultés cette loi sainte ne de-
vient-elle pas le dénoûment, quand bientôt
les doutes des chrétiens incertains sur le
péché se changent en certitude que ce qui
ne vous faisait qu'un peu de peine est rem-
pli d'horreur [jour vous.
Mais voyez une seconde objection : qui
m'éelaircira dans mes doutes? faute de lu-
mières je n'y trouve point d'éclaircisse-
ment.
Je n'ose vous effrayer trop sur cet ar-
ticle, je ne vois (]ue des reproches là-dessus
dans F'E:ritUre. Cette colonne mystérieuse,
toute brillante, qui apparut pour les enfants
de Dieu, n'a pour ses ennemis que des
obscurités impénétrables; il n'y a guère que
celui qui ha t la loi de Dieu qui la trouve
obscure, qui onque la pratique en comprend
aisément le sens. Rien n'est plus ordinaire
(pie de laisser indécis ce que l'on prévoit
nous devoir faire de la peine, ce que vous
cherchez dans l'Eglise est ce que vous aimeriez
à y trouver : c'est la tolérance de votre luxe,
de votre mollesse, de votre oisiveté, de vos
aises, si contraires à la pénitence, à la morti-
fication chrétienne ; il vous vient des re-
mords, des doutes là-dessus que votre igno-
rance vous cause. Ah ! cette loi sainte sur
ces points n'offre rien que d'obscur au pé-
cheur, parce qu'elle ne lui représente rien
que de, contraire à ses inclinations; mais au
juste, elle est une lumière universelle : Tota
est lux; son cœur tourné au bien en est le
plus fidèle interprète ; quand môme la lettre
de l'Evangile serait ambiguë, l'esprit ne l'est
jamais, et si le cas de conscience qu'on se
fait n'y est pas précisément expliqué, des
principes qui l'établissent découlent des
conséquences lumineuses qui dissipent les
plus obscurs comme les moindres nuages.
Mais je veux que tout cela ne puisse se
décider par l'Evangile, n'aurez-vous pas
autour de vous tant de brillantes lumières,
tant de savants interprètes, tant de sages
maîtres, tant d'habiles casuistesqui sont les
plus sûrs guides du salut? Allez donc à ces
flambeaux d'Israël, à ces conducteurs fidèles
à qui Dieu a confié le secret de ses volontés
et la clef de ses divines Ecritures. S'il vous
arrive quelque chose de difficile et d'em-
brouillé, si vous ne savez quel parti prendre-
dans les doutes qui vous surviennent, disait
Moïse à Israël, vous irez trouver les prêtres
qui sont établis les juges et les maîtres de
la vérité, vous les consulterez, et ils vous
résoudront toutes vos difficultés selon la
loi de Dieu : Si difficile et ambigiium apud
te judicium esse perspexeris, venies ad sa-
cerdotes et adjudicem qui ftterit illo tempore,
et. docuerint te juxta legem cjus. (Veut. ,
XV11.) Dieu par ma bouche vous fait le
môme avertissement, si vous avez des diffi-
cultés et des doutes, allez trouver les prêtres
du Seigneur pour les consulter, non pas
comme Ta femme de Jéroboam, qui se déguise
sous une forme étrangère, lorsqu'elle va con-
sulter le prophète ; non pas comme Saul,
qui se défigure quand il va consulter la py-
thonisse, pour en arracher une décision fa-
vorable, mais dans la sincérité et la bonne
foi pour leur demander le sens véritable
de la loi; ne leur voilez pas une partie de la
difficulté; exposez-leur tout le doute, met-
tez dans un grand jour les raisons que vous
croyez les plus favorables pour vous, agissez
avec le piètre du Seigneur comme avec
vous-mêmes; ne lui faites point violence
pour l'attirer dans votre sens, ne dissimulez
rien, et n'excusez rien par de vains artifi-
ces, par des détours capricieux; non, Mes-
sieurs, n'apportez au ministre que vous ve-
nez consulter aucune de ces dispositions
pernicieuses; mais ouvrez-lui votre cœur,
exposez- lui vos doutes avec confiance,
avec simplicité, avec droiture, et, après sa
décision, tenez-vous où il vous met, n'im-
porte qu'elle vous paraisse rigoureuse; lais-
sez-vous conduire; prenez toujours le parti
qui apporte au salut le moins d'obstacles,
vous défiant toujours de votre lâcheté ;
comptez plus sur un sentiment qui vous
afflige, qui va à contredire vos inclina-
tions, et qui vous renvoie triste du mi-
nistre, que sur celui qui vous plaît, qui
vous réjouit, et qui paraît favorable à votre
amour-propre; voilà comment vous pouvez
vous éclaircir de vos doutes ; \oilà ccque
925 CAREME. - SERMON XVIII, DE LA CONSCIENCE CONTRE LES SCRUPULES.
vous uevez vous adresser pour dissiper vos
026
nuages.
Ah! votre conscience instruite et éclairée,
semblable à certains animaux aidés et éprou-
vés, s'élèvera alors jusqu'au trône de Dieu
pour y [miser la vérité dans le sein même
de la Divinité; ah! votre conscience tran-
quille recevra d'une eau pure qui la désal-
térera, et se sentira éclairée des lumières de
son Dieu.
Que si, après des décisions si favorables,
votre incertitude dure encore, ah ! ce n'est
plus crainte de Dieu, c'est amour-propre
qui vous y retient ; vous ne manquez plus
lie lumières pour connaître, vous manquez
décourage pour exécuter; vous ne doutez
d'une chose que pour ne la point pratiquer,
votre esprit n'est irrésolu que parce que vo-
tre cœur est trop lâche ; vous ne balancez à
prendre un parti que parce qu'il vous paraît
trop difficile à remplir; vos devoirs sont
assez marqués, mais voire cupidité vous
rend trop aveugles; elle^seule vous fait des
cas de conscience, parcequ'elle s'entretient
dans le trouble : vous ne cherchez par ces
incertitudes qu'à pécher plus tranquillement;
vous craignez que vos crimes ne frappent
trop visiblement à la porte de votre cœur,
vous leur mettez un beau voile qui les lui
cache ; mais attendez, âme lâche, vous ne
pouvez demeurer plus longtemps dans l'é-
quilibre où vous êtes; votre vertu s'affai-
blissant peu à peu, vous tournerez bientôt
du côté du pé hé, et ce qui n'est maintenant
qu'une légère peine d'esprit, deviendra
bientôt un mortel accablement de cons-
cience, car les peines de l'homme ne vien-
nent pas seulement de l'incertitude, mais de
trop de délicatesse de la conscience : vous
'"allez voir dans ma seconde partie.
SECOND POINT.
Quand je parle ici de dissiper les peines
jui naissent d'une conscience trop délicate,
ae croyez pas, Messieurs, que je veuille lui
Mer celte pudeur sainte, cette heureuse sen-
sibilité, cette timidité salutaire qui lui fait
craindre d'offenser son Dieu, et d'irriter
•outre elle sa justice; ah! que plutôt je
serve à augmenter cette tendresse qui est
une impression sainte de sa miséricorde;
que plutôt, mes frères, votre conscience s'a-
mollisse, et que, bien loin d'étouffer sa
voix, vous appréhendiez son silence; qu'elle
parle danscette conscience; mais quel bruit,
§rand Dieu! pourquoi faut-il qu'à la venue
Je Jésus-Christ miséricordieux dans vos
jœurs, il se fasse des guerres, des combats,
ies visions, qu'il s'élève des frayeurs *
Jes troubles, des alarmes, et qu'à ce signe
anique on doive lever la tête et reconnaître
sa rédemption; pourquoi faut-il, dit l'apôtre
saint Pierre, qu'on ne puisse aspirer aux
louccurs de la grâce, si on n'a éprouvé les
(dus rudes secousses ! Ah ! une âme trem-
blante surtout ne voit partout que des pé-
:hés: tout ce qu'elle regarde à travers ses
scrupules prend une figure énorme, (die ne
se représente dans tout ce qu'elle lit. dans
tout ce qu'elle entend, que des images af-
freuses pour elle; ennemie de son propre re-
pos, elle recueille tout ce qui peut la trou-
bler, elle se croit toujours coupable par la
crainte de le devenir; au défaut des péchés
vils, elle s'en attribue d'imaginaires, elle
n'ose p§ser les pieds sur aucun endroit qui
ne lui paraisse un précipice; tous les pas
qu'elle fait lui paraissent des chutes mortel-
les, elle a des frayeurs accablantes où il n'y a
nul sujet de s'effrayer; onéreuse, insuppor-
table à elle-même, elle ne goûte jdusde joie
nulle part, la terre ne lui présente que des
monstres toujours prêts à la dévorer, que
des pièges toujours tendus pour l'attraper,
que des abîmes qui s'ouvrent sous ses pas ;
du côté du ciel, elle ne voit que des fou-
dres et des tempêtes prêts à fondre sur sa
tête criminelle, et tandis que les anges se
réjouissent de son salut, elle croit voir l'en-
fer ouvert sous ses pieds ; si vous voulez la
consoler en cet état, une tristesse sombre
vient bientôt dissiper cette faible consola-
tion, et il entre dans cette âme des frayeurs
si vives que sa seule vue les découvre au
ministre zélé qui venait pour les calmer.
Encore si cet état n'était que triste pour
cette âme! mais il est contraire à son salut;
Dieu en souffre lui-même, parce qu'il n'est
point servi comme il faut avec ces scrupules;
on ne porte plus à la piété qu'un extérieur
réglé, tout l'intérieur est chargé de frayeurs
et de distractions; dès lors le courage s'abat,
le cœur se dessèche, les désirs deviennent
si languissants ! les pensées se relâchent
enfin sur ses devoirs capitaux, l'ennemi
commun de votre salut vous consume, vous
épuise par ses fausses alarmes; et en voulant
vous attacher avec scrupule au superficiel
et à l'extérieur de la loi , vous en négligez
l'esprit et l'essentiel, et voulant devenir trop
dévot, on tombe dans l'aversion des sacre-
ments dont l'approche paraît comme un
supplice ; on dégoûte les autres de la piété, on
s'en dégoûte soi-même, n'y trouvant que des
chagrins et des peines, le seruj ule est véri-
tablement un piège qui retarde l'âme chré-
tfenne, qui la fait marcher avec peine et qui
l'empêche de se maintenir dans la vertu.
Contre de tels maux quels remèdes? les
voici, mais il est bien plus facile au ministre
prudent de les donner qu'à une âme alarmée
de les suivre.
La première règle contre les peines d'une
conscience troublée, c'est de vous exposer à
vous-mêmes ce cpi'il y a dans votre cœur, de
vous représenter sincèrement tout ce qui
rend témoignage à votre innocence, à vot e
vertu découragée; vous nous direz : non, je
n'ai jamais aimé mon Dieu, je n'ai jamais
senti la grâce dans mon cœur; mais étudiez
voire âme pénitente; ah! d'où vient cette
défiance inquiète, sinon d'une conduite | lus
parfaite qui vous fait tenir un amour plus
tendre? La voix de mes crimes me fait gé-
mir! mais d'où partent ces gémissements,
sinon d'une justice plus abondante? Je trem-
ble de n'avoir pas assez de foi; mais ces
frayeurs ne viennent-elles pas de ce que
9*7
ORATEURS SACRES. LE I'. SUUAN.
928
vous êtes vraiment fi ièles et que la piété
vous est chère? Je me reproche sans cesse
mon peu de vertu ; mais' ce reproche ne
vient-il pas de ce que vous voudriez les
posséder toutes? et qui vous le l'ait faire,
sinon le désir ardent de vous remylir de
plus grandes? Mon ignorance me tourmente,
je ne sais si en matière de volupté le désir
n'a point accompagné la pensée , et si le
consentement n'a point suivi le dés-'r; mais
songez bien : ce doute ne rnarque-t-il pas la
délicatesse de votre pureté, le soin que vous
avez (ie la conserve-, et ce que vous prenez
pour l'impression du mal, n'est-il pas l'effet
de votre pieuse résistance? Dites-vous donc à
vous-mêmes avec le roi prophète: Mon âme,
pour juoi ôtes-vous triste et où trouvez-vous
tant de sujet do vous troubler : Qttctrs irislis
en, anima viea, et quart centurbas me? (Psal.
XLIJ.) Haïssez-vous voire Dieu, votre unique
bien, votre 5 cul trésor! si alors la conscience
interrogée
ne répond rien, il faut vous ras-
surer; ah! elle est "plus timide que crimi-
nelle, ce n'est point votre cœur qui est cor-
rompu, c'est votre imagination qui est trop
vive, et vous êtes extrêmes dans vos sen-
timents sans être coupables dans votre con-
duite.
La seconde, c'est en suspendant vos pro-
pres connaissances de porter vos scrupules
aux pieds d'un ministre charitable, savant et
homme de bien : charitable, pour compat r à
vos peines, pour y entrer lui-môme afin de
vous remettre daiis la voie de la vérité ;
.'avant, pour bien démêler le vrai du faux
et vous expliquer clairement la vérité;
homme de b'en , pour ne point l'altérer et la
corrompre; ah ! s'il est tel, il s'appliquera de
bon cœur à vous faire sortir d'un état si
triste, si accablant, il entrera avec vous
dans l'exaxien de toutes vos fautes pour
vous faire connaître qu'elles ne sont point si
criminelles que vous le dites; s'il est tel,
iJ vous expo era une bonne fois le pardon
de toutes ces fautes légères, pour n'y plus
revenir, il mettra un [feu plus au large votre
conscience tro.i resserrée, il la pressera de
peur qu'elle ne se relâche, il la rendra plus
difficile sur le jugement qu'elle perte de son
calut; s'il est tel, il développera toutes vos
pensées, vous les fera voir plus nuisibles à
votre âme et plus contraires h votre salut que
vous ne pensez, et alors il vous ordonnera
d'être tranquilles, en paix et en repos du
(ôté de votre conscience, et pourquoi ne le
seriez -vous pas après les ouvertures que
vous avez faites à ce ministre. Si par mal-
heur il vous conseillait mal, la faute n'en
tomberait plus sur vous; quand son juge-
ment serait faux , votre docilité à le croire
et à le suivre aurait tout son mérite; son
erreur ne serait plus la vôtre; il est vrai , dit
saint Augustin, qu'on n'est heureux que
quand on a trouvé" la vérité, mais on doit
être en sûreté quand on l'a demandée et
cherchée sincèrement, et de lionne foi.
Ah! sacrifiez donc à Dieu votre volonté
propre, reposez-vous sur les avis de son mi-
nistre, tel que je vous l'ai proposé; faites cé-
der à ses lumières tous vos doutes, à ses
dérisions vos ince:titudes. 11 est revêtu de
l'autorité de Jésus-Chrht, et en ce sens il
est aussi infaillible que Jésus-Christ même;
ses sentiments ne sont plus les sentiments
d'un homme, ce sont ceux d'un Dieu; donc
s'abandonner encore à son propre jugement
après s'être soumis à celui du ministre, pro-
tester que ces scrupules sont levés, et n'oser
franchir le pas, assurer qu'on ne viendra
plus chercher ses confessions précédentes,
et y revenir dès la première fois, n'est-ce pas
indocilité, désobéissance, présomption en-
vers Dieu, et sur cette conduite rebelle ne
devriez-vous pas avoir un scrupule plus réel
et plus juste que sur tout autre objet?
La troisième règle pour empêcherla peine
de sa conscience, c'est d'éloigner avec soiii
les réflexions qui l'entretiennent et lui don-
nent la vie; car la pensée augmente le scru-
pule à peu près comme une plaie qu'on
aigrit en la touchant, et qui n'avait qu'une
légère apparence de mal entretenue par la
réflexion , devient un monstre qui épou-
vante : ce nuage d'abord si petit, que vit 1»
prophète Elie, se grossit tellement, qu'i!
obscurcit tout le ciel et donna à tout le peu-
ple d'Israël une pluie si abondante, que la
mer ne la pouvait plus contenir ; ces peines
encore légères, grossies parles réflexions
de l'esprit, le troublent et l'obscurcissent
tellement, que lien ne peut plus l'éclaircir
ni le calmer; loin donc de relever ces scru-
pules qui vous viennent , laissez les tomber,
faites-vous, par la prière, par la pénitence,
par une sainte application à vos devoirs,
un rempart contre cette faiblesse humiliée ;
recourez au pain des forts, et il vous sera
regagné en peu de temps par la présence du
Dieu tout-puissant et par le double ; ainsi
s'apaisa la tempête qui agitait la barque des
apôtres, dès qu'il y fut entré.
Que si, malgré ces règles saintes, vos peines
durent encore, ah ! supportez cet état dans
un esprit de pénitence; s'il a ses dangers ,
il a aussi ses avantages ; faites de cette mal-
heureuse situation, par votre dévouement
aux ordres de la divine Providence, un re-
mède salutaire pour la pureté de votre cons-
cience : peut-être dans vos ténèbres, Dieu
la cho-t-il sa main pour vous faire expier les
péchés de votre conscience; peut-être veut-
il châtier cette assurance intrépidé que vous
aviez autrefois à l'offenser; peut-être que
votre orgueil a besoin de ce contre-poids
pour vous tenir dans l'humilité , peut-être
le Seigneur veut-il exciter par ta votre vigi-
lance, réveiller votre assoupissement, ra-
nimer vos vertus et vous entretenir dans la
soumission et dans la dépendance, parla
vue continuelle de vos faiblesses ; peut-être
en vous appliquant à ces scrupules violents,
prétend-il vous empêcher de mettre voire
attachement et donner toutes vos pensées a
nue misérable créature qui aurait pu vous
plaire; peut-être veut-il, en augmentant les
pensées de votre esprit diminuer l'amour
déréglé que vous auriez eu pour le monde ,
el que celte disposition, toute triste qu'elle
9*9
CAREME. — SERMON XIX, DE LA PROVIDENCE DE 21EU.
e:o
est, ne sert qu'au salut et à la conservation
de votre âme.
Ah 1 cessez donc, pécheurs misérables ,
de regarder avec mépris et avec dérision ces
âmes humiliées et craintives; il vous sied
bien de tourner en raillerie et en ris'ée des
justes que la main du Seigneur veut éprou-
ver. Vous n'en aurez point, vous, de ces
scrupules, vous êtes bien éloignés de ces
délicatesses de conscience ; mais, dites-moi,
n'aurez-vous pas vos peines , vos troubles
et vos inquiétudes ? qui est le plus digne
de dérision, ou de celui qui se détache de
tout, mettant tout son bonheur, tous ses
trésors, tout son sort entre les mains de son
Dieu, et souil'rc par la crainte de l'offenser
ou de le perdre, ou de celui qui, idolâtre
d'un objet criminel, et assujetti au joug
honteux de ses passions, est obligé d'en
essuyer toute la bizarrerie , de passer de
tristes jours, de se condamner à mille assi-
duités gênantes , de supporter tous les cha-
grins et les agitations cruelles inséparables
de son état; vous dites que ces âmes timides
et inquiètes décrient la piété par les peines
qu'elles s'y font; mais nous la faites-
vous bien respecter en vivant contre toutes
les règles et en faisant des plaies sanglantes
à toutes ses lois? Khi n'est-on pas encore
plus édifié, plus animé par la sainte délica-
tesse de celui qui craint le mal, que par la
monstrueuse intrépidité d'un cœur corrompu
qui s'y dévoue ? Que si ces âmes justes souf-
frent pour vouloir être trop parfaites , car
enfin elles ont leurs peines ici-bas, ne peu-
vent-elles pas espérer d'èire bientôt soula-
gées? mais vous, à la suite de ces biens pé-
rissables, à la recherche d'un honneur chi-
mérique, à la poursuite d'un plaisir pas-
sager, ne sentez-vous pas un poids qui vous
accable, sans en pouvoir espérer de dédom-
magement après la mort? elles font un David
fidèle qu'il éprouve; en vous, un Saùl que
le Seigneur r(\ rouve
Oui, pécheurs misérables, en vain es-
savez-vous de remplir toutes les parties de
votre âme du soin de vos plaisirs et de vos
contentements, afin que les remords ne
trouvent plus de place, ce ver rongeur se
fait encore sentir dans votre âme criminelle
malgré toutes vos précautions. Si le serpent
se laisse quelquefois endormir, il mord
plus rruellement après être éveillé, il est
vrai que le scrupule se fait sentir pendant
quelque temps à l'âme juste; mais les peines
des pécheurs ne les suivent-elles pas par-
tout? qui pourrait pénétrer dans m\ cœur
possédé de l'avarice, de l'ambition , de la
volupté, de l'orguel , de la mollesse, en-
nemis irréconciliables de son repos , de son
salut , n'y trouverait que plaies funestes ,
qu'horribles meurtrissures, qui sont la
peine et le tourment essentiel cie l'âme cri-
minelle. Vous portez sans cesse une con-
science toute déchirée par les péchés, et vos
remords sont comme une portion du feu de
l'enfer, et comme votre supplice commencé
dès ce monde. Respectez donc dans ces âmes
saintes jusqu'à leurs faiblesses et leurs pei
nés dont vous n'êtes pas dignes.
Et vous, ôle Dieu des consciences ! faites
aujourd'hui de votre crainte un partage égal:
diminuez-la dans ces fidèles alarmés, aug-
mentez-la dans ces pécheurs endurcis; ici
calmez des agitations, des tempêtes, là excitez
des troubles et des orages, surtout prenez
soin, Dieu de bonté, de ces âmes désoles
qui vous réclament, qui vous aiment, et qui
n'espèrent qu'en vous ; elles, vous sont si
chères par tant d'endroits , elles sont déjà
si maltraitées du côté de leurs consciences.
O Père ! voudriez-vous exercer toutes vos
rigueurs sur des âmes innocentes qui vous
adorent, qui vous servent, et qui se jettent à
vos pieds pour vous de mander toutes vos mi-
séricordes. O Dieu de paix ! consolez et véri-
fiez en elles cet oracle de vos Ecritures : Dabo
pacem super pacem. Je lui donnerai conso-
lation sur consolation , paix sur paix ; dites-
leur que vous allez bientôt faire finir leurs
peines et leur faire sentir le bonheur qu'il
y a de vous avoir servi ; amenez à leur âme
alarmée cette aimable tranquillité, ce calme
dont elles vont bientôt jouir ; assurez les
que vous allez dans peu les rendre heu-
reuses, et qu'après les amertumes et les
peines qu'elles ont trouvées ici-bas dans la
pratique d'un amour trop pai fait, elles vont
bientôt goûter dans le ciel les délices inef-
fables que vous préparez à vos élus; dites-
leur enfin qu'après les troubles et les alar-
mes de cette courte vie, vous allez leur
donner paix sur paix dans l'éternité bien-
heureuse : je vous la souhaite, mes frères,
au nom du Père, du Fils et du Saint-Espeit.
Ainsi soit-il.
SERMON XIX.
DE. LA PROVIDENCE DE DIEU.
Cum sublerasset oculos Jésus, et vidisset quia mullitu-
do maxima venit ad cum, dixit ad Philippam : Inde
cmemus panes utmanducent hi? (Joan., VI.)
Jésus ayant levé /es yeux, et vojfiint qu'une grande foule
dépeuple venait à lui, dit à Philippe: D'où achèterons-
nous des pains pour donner à manger à tout ce monde.
Il me semble, mes frères, qu'il ne faut que
rapporter ici l'homélie de notre Evangile dans
toutes ses circonstames, pour remplir do
religion des esprits chrétiens, touchant la
diverse conduite de la divine Providence.
Voir d'adord une grande foule de | euplequi
va à la suite du Sauveur, qui court après lui
sans avoir ni de quoi se loger, ni de quoi.se
nourrir pendant le voyage;
Voir ensuite Je us-Christ si peu attentif
en ap| arence aux besoins de cette multitude
empressée, qu'il laisse passer une journée
ent ère sans lui donner de secours, jusqu'à
ce que les a; ôtres viennent lui dire qu'ils
tombent en défaillance ;
Voir des a; ôtres inquiets et embarrassés sur
les moyens de soulager tant de misérables
languissants et allâmes, jusqu'à douter des
ressources de leur divin Maître ;
Voir enfin Jésus-Christ par le miracle de
la multiplication des cinq pains et des deux
poissons, non-seulement rassasier cotte gran-
9~1
ORATEURS SACRES. LE P. SURI AN.
97/2
de multitude de peuple, mais en recueillir
encore douze corbeilles pleines, après les
avoir tous rassasiés.
N'est-ce pas avoir devant les yeux l'image
naturelle de la divine Providence, soit dans
ce qu'elle renferme de plus caché, soit dans
ce qu'elle montre de plus sensible.
Je dis 1° dans ce qu'elle a de plus caché ;
car c'est sa conduite ordinaire de se cacher
quelquefois sous des nuages si épais que
toute la lumière de l'esprit humain ne puisse
les percer : Posait tcnebras latibulum suum.
(Psal. XV II.)
Je dis 2° dans ce qu'elle a de plus sen-
sible, c'est son propre de se manifester quel-
quefois à Thomme par des traits si évidents
qu'on ne puisse le méconnaître : in sole po-
sait tabernaculum suum. (Psal. XVIII.)
S'il m'était permis d'entrer dans les secrets
de la sagesse éternelle, je dirais que Dieu
nous cache quelquefois les desseins de sa
divine Providence, pour éprouver notre foi
et attirer notre soumission; mais qu'il nous
les manifeste quelquefois pour exercer notre
fidélité et conduire nos pas; ainsi se com-
portait-il à l'égard de son peuple errant au-
trefois dans le désert; quelquefois il l'envi-
ronnait de nuages pour l'arrêter, et d'autres
fois il répandat sur lui des clartés, pour le
conduire et l'empêcher de s'égarer; quand
le nuage paraissait sur le tabernacle, et que
ce divin trône du Seigneur était couvert
d'obscurités et de ténèbres, il ne fallait point
partir du lieu où l'on se trouvait, et le peuple
demeurait soumis et presque immobile dans
la confiance du Très-Haut; tous les enfants
d'Israël demeuraient dans une heureuse at-
tente : Tune manebant in eodem loco. (Exod.,
XI.) Mais quand le nuage était retiré de
dessus le tabernacle, il fallait lever les tentes,
marcher et suivre les routes que les lumi-
neuses clartés découvraient : Quando nubes
tabernaculum deserebat, proficiscebantur fdii
Israël per turmas suas. (Jbid.)
Deux caractères augustes que nous remar-
quons dans la divine Providence, et qui vont
nous apprendre les deux grandes obligations
que nous contractons à son égard : Provi-
dence tantôt mystérieuse et cachée à notre
égard, qui demande notre soumission et nos
respects : première réflexion; Providence
tantôt évidente et sensible sur nous, qui
exige nos soins et notre fidélité : deuxième
considération. Ainsi je reconnais une Provi-
dence cachée dont il faut que j'adore hum-
blement les secrets : voilà mon premier point;
une Providence sensible dont je suis obligé
de suivre les desseins et les routes : ce sera
le second. Soumission parfaite pour adorer
les mystères de la Providence cachée, fidélité
vive et animée poursuivre les mouvements de
la Providence visible ; l'une arrêtera les mur-
mures et la curiosité de l'esprit humain ; l'au-
tre excitera la ferveur et la reconnaissance du
cœur. Implorons lès lumières du Saint-Esprit
par l'intercession de Marie. Ave, Maria.
PREMIER POINT.
O profondeur des trésors de la sagesse et
de la science de Dieu! que ses jugements
sont inconcevables! que ses voies sont in-
compréhensibles et cachées! C'est ainsi que
saint Paul, cet [homme transporté jusqu'au
troisième ciel, nous parle de la conduite de
Dieu touchant la destinée des hommes, qu'il
forme par le conseil secret de ses jugements,
et qu'il règle par la sagesse de ses voies,
mais jugements qui sont incompréhensibles
pour nous : Quam ineomprehensibilia judi-
cia (Job, IX)! mais ses voies nous sont ca-
chées et inconnues : Quam investigabi.'es viœ
ejus (Rom., XI)! et c'est ce qui fait dans la
Providence divine cette obscurité sainte qui
nous laisse à son égard sans connaissance et
sans lumière.
Si nous n'avions à considérer de la Provi-
dence que ce que nous avons sans cesse de-
vant les yeux dans le monde naturel, que
cette proportion des corps terrestres qui
forment un si bel ordre dans l'univers, que
cette justesse de mouvements dans les deux
et dans les astres, que cette charn ante variété
dans les effets et productions de la nature,
nous ne pourrions sans doute méconnaître
le doigt tout-puissant qui soutient cette ma-
chine du monde et la sage main de cette
Providence divine qui gouverne et conduit
toutes choses à son gré; c'e.t ce qui nous
est si clair et si visible, dit le grand Apôtre,
qu'il n'est pas possible de s'y méprendre :
lnvisibilia ipsius , a creatura mundi, per ea
quœ facta sunt intellecta conspiciuntur.
(Rom., I.)
Mais quand on vient à entrer dans la con-
fusion de ce monde visible où régnent toutes
les passions des hommes, tout le dérègle-
ment de leur esprit et de leur cœur, ah ! on
y perd bientôt tous les traits et l'idée admi-
rable qu'on s'était formée de la divine Pro-
vidence; on y méconnaît bientôt la sage
conduite d'un Dieu. Dans ce monde pervers
où règne tant d'aveuglement et de désordre,
où la ra;son est méprisée et la religion pro-
fanée, où il y" a tant de coupables absous,
tant d'innorents condamnés, tant de mé-
chants protégés et tant de justes opprimés;
où l'on voit tant de biens entre les mains des
impies, où tant de maux sont le partage des
gens do bien, où l'hypocrisie est en vénéra-
tion, la vertu en hutte à la maligne censure,
et le vice triomphant dans l'impunité, à tra-
vers tout ce chaos, ah ! comment reconnaître
cette sage Providence; et s'il n'est pas pos-
sible d'en perdre les traces, comment du
moins pouvoir la justifier?
La philosophie païenne a tranché court en
disant qu'elle n'a aucune paît dans la con-
duite des hommes, et que, tout occupée du
règlement des astres et des deux, elle ne se
met point en peine de ce qui se pa.'sc sur la
terre, et nous laissant nous débattre ici-bas au
gré de nos passions, elle croit indigne de ses
soins et de son attention tout ce qui se passe
parmi nous.
Ainsi parle un faux sage dans ses discours
et dans les leçons qu'il donre à ses discij les.
C'est un terrible blasphème dans la bouche
de cet infidèle, et rien n'est [due injuiieux à
S33
CAREME. — SERMON XIX, DE LA PROVIDENCE DE DIEU.
:ô4
la divine Providence; mais quelque aveugle
3ue soit, l'esprit de ce païen, il ne laisse pas
'avouer qu'il trouve lui-môme sa volonté
fort ébranlée en faveur d'une providence
plus qu'humaine, lors même qu'il pense aux
événements les plus bizarres et aux dérègle-
ments monstrueux des passions des hommes.
Or, plus la philosophie païenne se fait un
argument des désordres et de la conduite
bizarre des habitants de la terre contre la
Providence divine, et plus la raison humaine
s'y trouve embarrassée; plus nous devons
reconnaître la nécessité d'adorer la profon-
deur des jugements de Dieu. Les mystères
impénétrables d'une sagesse cachée, d'une
puissance inconnie, d'une miséricorde inef-
fable : voilà ce que l'Ecriture semble nous
insinuer; celte sagesse forme ses desseins :
Omnia in sapientià fecisti (Psal. CII1) ; sa
puissance exécute ses nobles entreprises :
In manu potenti et brachio excelso (Psal.
CXXXV), et sa miséricorde règle toutes ses
actions : Et miscraliones ejus super omnia
opéra ejus. (Psal. CXLIV.) Sagesse qui doit
confondre nos vains raisonnements contre la
certitude de la Providence; puissance e>ui
doit dissiper nos craintes et nos défiances
sur la conduite de la Providence; miséri-
corde qui doit calmer nos troubles et nos
agitations sur les soins et les attentions de la
Providence, de sorte que par un humble
aveu et une aveugle soumission nous de-
vons nous sentir disposés à louer tout dans
sa sagesse, à espérer tout de sa puissance,
à nous reposer en tout sur sa miséricorde :
voilà les justes idées que nous devons nous
former de la Providence divine.
1° Louer tout dans sa sagesse, c'est le pre-
mier pas que demar.de de nous la foi que
nous devons avoir à cette divine Providence ;
car qu'est-ce que cette Providence ? C'est la
souveraine raison de celui qui, ayant tout
créé, conduit aussi toutes les créatures à
l'ordre où elles sont destinées, et où elles
doivent se rendre. Or cet ordre n'est connu
que de Dieu seul, et c'est ce qui demande
une telle soumission de nos esprits que
nous nous persuadions bien vivement que
tout est gouverné par des jugements admi-
rables, par des voies incompréhensibles, et
que nous tombions d'accord que tout ce qui
se passe et ce qui arrive dans le monde,
roule sur la sagesse. Et comment pourrions-
nous refuser cet aveu à la divine sagesse de
la Providence, puisque la raison nous ap-
prend même à respecter les conseils, la pru-
dence, les jugements et le gouvernement
des hommes; car, quelque défectueux
que puissent être les jugements du monde,
il est de la sagesse humaine île ne pas tou-
jours les approfondir, parce que quelquefois
on a été obligé de cacher beaucoup de
choses qu'il n'est pas permis aux particu-
liers de vouloir éclaircir, et qu'on peut avoir
eu de bonnes raisons pour prendre le parti
qu'on a pris et que, par conséquent, nous ne
saurions légitimement blâmer.
Je ne vous nie pas cependant que ces sages-
ses politiques ne se soient méprises ou n'aient
pu se tromper; aussi arrive-t-il trop souvent
qu'elles prennent la vaine gloire pour magna-
nimité, la faiblesse pour modération , l'entê-
tement et l'opiniâtreté pour constante fermeté,
la dureté pour prudence, les préventions pour
bon conseil ; car quel est l'esprit humain qui
ne s'aveugle? quel est l'homme qui ne soit
sujet à mille défauts? Mais je dis aussi
qu'il y a de la présomption à vouloir entrer
trop avant dans les vues des autres hommes,
et que , s'd est de la prudence de ne pas
toujours juger des. apparences, il y a de la
témérité à vouloir quelquefois trop appro-
fondir les secrets qui se trouvent dans la
conduite des politiques et des sages. Ce sont
là des principes que la raison et la sagesse
humaine n'osent même contester.
Quelle soumission ne devons-nous donc
pas avoir pour cette sage Providence, dans
la conduite de laquelle il n'y a ni erreur ni
mécompte, ni faiblesse, ni prévention même,
où tout est réglé sur des jugements infail-
libles, où tout se conduit \ ar des voies incon-
cevables.
2° Voilà le premier hommage que nous
devons à la providence de Dieu : c'est uno
soumission parfaite de cette sagesse qui
confond nos téméraires jugements. En voui
une seconde qui doit dissiper nos craintes
et nos défiances : c'est l'espérance ferme que
nous devons avoir en sa puissance, qui nous
est quelquefois aussi inconnue dans son
exécution que sa sagesse l'est dans ses cen-
sé.1s et dans ses voies, Voies inq énétrables
à tout homme et qui sont les seules qu'on
ne puisse découvrir; car, quelque soin que
prenne un homme habile de cacher sa mar-
che, il peut toujours être découvert par quel-
que autre aussi subt 1 et aussi versé que lui
dans l'art de dissimuler et de feindre, et
c'est pour cela qu'à tout moment on voit tai.t
de projets déconcertés, tant de mesures
rompues, tant de mortels se supplanter et se
nuire les uns aux autres; tandis que dans le
ciel ni sur la terre, il n'y a nulle intelligence,
nul esprit qui puisse comprendre ni décou-
vrir les routes cachées de la toute-puissance
divine.
Savez-vous, disait le Seigneur à Job, par
quelle voie la lumière descend du ciel et se
ré; and dans l'univers, comment la chaleur
se communique sur la terre, comment la
pluie tombe avec tant de rapidité et où se
forment les foudres et le tonnerre, comment
les cieux et les astres perdent depuis tant de
siècles et reprennent chaque année leurs
mêmes mouvements. Ah! grands ouvrages
de la sagesse et de la toute-puissance de
celui qui a créé et gouverne tout l'univers,
qui ne viennent point à nos connaissances.
Mais en savons-nous davantage sur les
moyens par lesquels il dispose à son gré du
cœur et de l'intérieur des hommes? Savez-
vous comment il précipite dans l'opprobie
et dans la misère, celui qui était dans l'élé-
vation et dans l'opulence, et comment il
élève et enrichit celui qu'il avait fait naître
dans l'indigence et la poussière? Savez-vous
par quelle voie il tire la lumière des ténè-
ORATEURS SACRES, LE P. SL'RIAN.
95G
bres, la vérité du mensonge, et relève l'in-
nocence dans la plus noire calomnie ? Eh !
comment pourr.ions-nous le savoir, puisque
le plus souvent, celte toute-puissante Pro-
vidence se sert, pour l'exécution de ses
adorables desseins, des moyens, non-seule-
ment les plus disproportionnés, mais les
plus contraires en apparence. -
Ainsi, la Providence laisse Joseph en proie
a la cruelle jalousie de ses frères, pour le
rendre le plus puissant profiteur de l'E-
gypte ; ainsi laisse-l-elle exposer le jeune
Moïse sur les ilôts du Nil pour en faire le
fléau de Pharaon et le libérateur de sou
peuple ; ainsi permet-elle que Susanne
tombe entre les mains d'impudiques vie I-
lards, qui l'aceusent, pour mieux découvrir
son innocence et faire connaître la maligne
imposture de ses accusateurs?; ainsi euuse-
t-clle à Tégard de DavM, tau tôt en l'aban-
donnant à la fureur de Saùl, tantôt en le li-
vrant à la perfidie de son fils et au pouvoir
do 5 es ennemis, po ir mieux affermir par là
sa couronne et la rendre héréditaire à toute
sa postérité; ainsi permet-elle que, sous le
règne (i'Assuérus , l'humble Mardochée soit
en butte à la jalousie du fier Aman; pour
faire triompher la vertueuse Esther de cet
indigne favori ; ainsi permet-elle que le re-
doutable Holoferne assiège Bethulie, pour
rendre Judith plus glorieuse dans la victoire
que les Israélites remportent sur les Assy-
riens.
Oii! que dans l'Ecriture il se trouve de
traits de cette Providence toute-puissante,
qui, par des ressorts inconnus et cachés, et
par des moyens tout contraires mène quel-
quefois a -là gloire par l'ignominie et à la
liberté par la servitude, et qui sait exé uter
ses desseins par les voies qui y paraissent
{es plus opposées.
En effet, n'en avons-nous pas des preuves
toutes sensibles? Ne voyons-nous pas que ce
qui devait, ce semble, abîmer un homme,
c'est ce qui le relève ; ce qui devait le per-
dre, c'est ee qui le soutient; que cet appui
d'une main favorable et puissante qui lui a
rranqué, c'est ce qui l'a conduit à un éta-
blissement plus solide et plus considérable;
que cet ennemi cpii voulait vous perdre,
c'est lui qui vous a sauvé; que cet enfant
dont vous attendiez le moins est celui qui
vous a le plus consolé, et que cet autre, sur
lequel vous comptiez si fort pour l'honneur et
le soutien de votre maison, en a fait le dés-
honneur et la ruine. C'est la divine Provi- ,
dence qui conduit tout cela de celte sorte
et qui, par des chemins souterrains et se-
crets, nous mène h un terme où nous ne
croyons jamais parvenir.
Mais ce n'est encore là que le moindre
ouvrage de celte Providence cachée. Les
biens temporels sont si peu de chose qu'ils
ne méritent pas son occupation ; elle les
prodigue quelquefois à ses plus grands en-
nemis; elle emploie quelquefois les biens
terrestres et passagers pour récompenser
(ies vertus purement naturelles; comme les
Humains qui furent payés d'une gloire pas-
sagère pour une sagesse tout humaine;
mais, les plus gran s objets t!a la Provi-
dence, ce sont les biens éternels et célestes
auxquels elle conduit les chrétiens par des
routes tout à fait inconnues qui sont celles
de sa miséricorde. Troisième hommage que
nous devons à cette Providence cachée.
3° Dans cette obscurité il se forme u.i gros
nuage d'afflictions, de chagrins, d'infirmités,
dans lequel la Providence divine enveloppe
ses adorables desseins sur sa créature; et de
là elle tire de grands avantages pour le salut
des âmes, puisqu'elle fait tirer au juste la
paix de la persécution, la vicloiie des com-
bats et la vie de la mort. A ne juger que par
les apparences et selon des vues charnelles ,
hélas ! on dirait que cette Providence ne
veut faire de ces justes que des malheureux :
tant elle les accable d'afflictions, d'infirmi-
tés, de chagrins, de pertes, de disgrâces;
et c'est là où se perd la rabon humaine sé-
duite par les apparences trompeuses, et ne
jugeant que sur une surface de confusion et
de désordre qui régnent dans le monde; et,
ne pouvant jamais sonder cet intérieur ca-
ché où se forgent le bien et le mal, il lui
semble que le vice et la vertu ne reçoivent
aucune distinction de cette Providence éclai-
rée, et que tout est également entraîné par
ce torrent de maux qui inonde la terre ; mais
dans ce chaos obscur le juste découvre des
traits d'une Providence invisible qui par sa
miséricorde infinie, ayant destiné les hom-
mes pour des biens éternels, travaille à se-
vrer ses élus de celte joie de la terre qui
les priverait du salut, et à les faire passer
par un chemin de tribulations et de peii:cs
pour les faire arriver à l'heureux terme de
la félicité.
Voilà des raisons que Jésus-Christ appor-
tait à ses apôtres pour les engager à suppor-
ter les mauvais traitements de la part du
monde. Mes chers disciples , feur disait-il ,
vous n'êtes pas de ce monde, c'est pour-
quoi vous ne devez participer en rien à ses
biens, à ses honneurs, à ses joies, à ses
plaisirs. Tout cela n'est pas pour vous; mais
vous n'y perdez rien, puisque je vous ré-
serve cet héritage éternel que mon Père m'a
préparé : Et ego dispono vobis , sient dispo-
sait mihi Pater meus regnum. (Luc. , XXlî.)
Songez seulement que vous n'y parviendrez
que par les contradictions et les croix, et
qu'il ne vous en coûtera pas moins qu'à moi
pour avoir part à ce royaume.
Voilà ce que la sagesse humaine ignorera
toujours, et que la faible raison ne com-
prendra jamais; or, dites-moi, mes frères,
est-il rien de plus essentiel et de plus efficace,
pour le cœur môme le plus révolté, que d'a-
voir toujours en vue cette Providence misé-
ricordieuse qui sait, mieux que nous-mêmes,
ce qui nous est nécessaire; que d'adorer
humblement cette Providence cachée qui ne
nous fait souffrir que pour nous sauver, et
qui, des plus grands maux que nous endu-
rons, en tirera nos plus grands avantages.
Je ne sais si jamais vous avez bien compris
que dans les plus grands maux qu'on endure,
937
CAREME. — SERMON XIX, DE LA PROVIDENCE DE DIEU.
s:§
il n'est point un j lus grand soulagement que
de penser qu'un Dieu même veut bien com-
patir avec nous, qu'il ne permet que nous
soyons affligés que pour nous consoler, qu'il
ne'nous frappe en cette vie par des courtes et
légères tribulations que pour nous épargner
des châtiments horribles et éternels ; mais, au
contraire, qu'il n'y a point de douleur plus
violente, d'accablement plus grand, de mal
plus pesant pour ceux qui ignorent ou re-
jettent la providence miséricordieuse du
Seigneur, que de porter seuls leurs maux,
que de ne savoir avec qui les partager, ni
auprès de qui chercher du soulagement et
de la consolation qu'ils ne trouvent point en
eux-mêmes; et comment, en effet, la trouve-
raient-ils en eux-mêmes celte consolation?
Quoi! au milieu de leurs faiblesses, dans le
trouble, dans les craintes, dans les agitations
et dans mille autres sujets tristes et acca-
blants? Sera-ce dans les autres créatures
qu'ils la chercheront cette consolation dans
leurs maux? Hélas I veulent-ils seulement y
prendre part? Ils lediseait à la vérité et veu-
lent qu'on les en croie; mais, si on les met-
tait à l'épreuve, tiendraient-ils leur parole?
Et quand même ils y prendraient quelque
part, quelle consolation pourrait-on en re-
cevoir! Ah! que peuvent les Lommes sans
un Dieu, dont la privation est le comble de
tous les maux et le plus grand de tous les
supplices ! Etre sans Dieu en ce monde : Sine
Deo in hoc mttndo {Ephes., 11), dit saint Paul,
oh ! la terrible parole ! Etre en ce monde où il
n'y a que chagrin, que trouble, qu'affliction,
qu'abattement, que désolation, et y être privé
de l'aimable présence du Dieu de toute conso-
la! ion qui abandonne ces rebelles et aveugles
créatures à toutes sortes de tribulations qui
leur arrivent, et qui, les livrant à toutes leurs
faiblesses, devient indifférent à tous leurs
maux! Qui est-ce qui l'a dit? C'est lui-même :
Ce sera moi qui vous frapperai, après vous
avoir guéri. Vous n'avez point voulu re-
connaître ma miséricorde, mais vous recon-
naîtrez malgré vous ma justice. Allez, je ne
suis plus votre pasteur, mais je serai toujours
votre juge; je serai indifférent à tous les
cours de misères humaines qui fondront sur
vous, et je dirai d'un ton tranquille que tout
ce qui doit tomber, tombe, que celui qui va
mourir, meure : Non pascam vos : quod mo-
ritur moriatur, et quod succiditur succidatur
(Zach., XI); que celui qui a échappé une fois
au glaive de la mort, tombe le reste de sa vie
»dans les plus grands malheurs. Et pourquoi
cela, Grand Dieu? C'est parce qu'ils n'ont
point voulu reconnaître ma providence bien-
faisante dans tous les divers événements de
cette vie.
Voilà comme la Providence invisible se
venge des rebelles pécheurs qui l'ont mé-
connue ou rejetée ; mais, pendant ce temps-
là, les âmes des justes se jettent entre les
mains de Dieu : Justorum animœ in manu Dei
sunt. (Sap. III.) Comme il ne leur arrive rien
que par l'ordre du Seigneur, ils souffrent tout
pour l'amour de lui; aies voir affligés, per-
sécutés, outragés, dans la disgrâce et dans
Orateurs sacrés. L,
l'obscurité, on les croit tristes, chagrins*
désolés; mais ils ne sont pastels, ils demeu*
rent tranquilles et en paix entre les mains da
la Providence divine , illi autem sunt in pace
(Ibid.); voilà leur état, persuadés qu'ayant
Dieu pour eux, tout le reste ira bien: soumis à
tous les jugements du Seigneur, convaincus
de l'intégrité de sa justice, livrés aux tribula-
tions les plus amères, remplis d'espérance
contre toute espérance, ils ne sont point dé-
couragés par les peines et les misères de leur
état; contents de leur mauvaise fortune, ils
se soutiennent eux-mêmes avec fermeté, sans
envier la prospérité des autres, sans désirer
un état plus relevé et une meilleure destinée,
sans errer de projets en projets, sans s'in-
quiéter des biens de l'avenir, sans se troubler
de tout ce qu'ils peuvent avoir à craindre,
illi aulem sunt in pace, à l'ombre d'une Pro-
vidence qui ne peut les abandonner, ils de-
meurent clans une paix profonde sur tous les
événements de la vie, dans une humble at-
tente, parce qu'ils sont prêts à faire tout ce
qu'il plaira à cette divine Providence, et.
qu'ils sont assurés que les secours ne man-
quent pas à quiconque met en Dieu sa con-
fiance.
Voilà la première instruction que j'avais à
vous donner sur cette providence cachée, et
ce que la foi doit vous inspirer au sujet dé
cette mystérieuse providence; mais, si elle
vient à se manifester et à nous marquer ses
volontés par quelques signes visibles, je dis
qu'alors nous devons suivre fidèlement les
routes qu'elle nous propose. C'est à quoi je
vais vous exhorter dans la seconde oartie de
ce discours.
SECOND POINT*
Le même Dieu qui, dans les conseils de sa
providence, nous cache ses mystères sous des
nuages épais, nous découvre aussi ses vo-
lontés et ses desseins par des signes évidents»
en sorte qu'on peut dire qu'il a ses secrets
et ses connaissances, son silence et sa parole*
ses énigmes et ses explications, sa profon-
deur où il se retire et ses hauteurs où il se
manifeste; et comme autrefois, dans la plus
profonde nuit, il ne manquait jamais de faire
marcher une colonne de feu qui guidait son
peuple, ainsi l'on peut dire que la Provi-
dence, dans ses plus grandes obscurités, ne
manque point de jeter sur nous des rayons
lumineux qui règlent nos mouvements eï nos
démarches.
Tout notre soin doit donc être de ne point
perdre de vue ces rayons qui nous sont
donnés pour nous éclairer et r.ous conduire,
et, sans nous écarter ni d'un côté ni d'autre,
de tenir le droit chemin que le Seigneur nous
montre; c'est ce que disait un saint roi de
Juda» au milieu de ses ennemis où il se trou-
vait destitué de tout secours et hors d'état da
pouvoir tenir tête à une armée si formidable i
Nom» sommes trop faibles» hélas! pour ré-
sister à cette multitude effroyable d'ennemis^
qui viennent fondre sur nous ; mais, comme
nous ignorons, 6 mon Dieu! le parti qU3
nous avons à prendre , quelle ressource nous
933
ORATEURS SACRES. LE P. SUR1AN.
c;o
reste-t-il, sinon de tenir nos yeux attachés
sur vous, pour en apprendre ce que nous
avons a faire : Dcus nosler: sed cum ignore-
mus qu'ici agere debeamus, hoc solum habemus
résidai, ut cculos nostros dirigamus ad te.
(Il Parai, XX.)
Yroilà quelle doit être la règle de notre
conduite : c'est de bien observer le dessein et
les mouvements de la Providence sur cha-
cun de nous et de nous y conformer. Or,
cette divine Providence se manifeste en deux
manières : ou bien par des nécessités aux-
quelles elle vous assujettit pour vous faire
souffrir tous les maux qu'elle veut, ou bien par
•des facilités qu'elle vous procure pour faire
tout le m'en dont elle nous fournit l'heureuse
occasion; c'est ainsi que nous apercevons
en elle un caractère de force qui assujettit :
Attingens a fine ad finem fortiter (Sap., VIII) ,
et un caractère de douceur qui dispose : Dis~
ponit omnia suaviter (ïbid.) ; force qui nous
met dans la nécessité de souffrir tous les maux
qui peuvent nous survenir dans la vie; dou-
ceur qui nous offre des facilités pour opérer
le bien que Dieu nous ordonne de faire.
Voilà quelle est la conduite de la Providence
envers nous, quelle est la pratique que nous
devons garder envers elle, c'est : l°de nous
soumettre entièrement à la nécessité qu'elle
nous impose dans tous les maux de cette vie ;
2" de profiter de la facilité qu'elle nous pro-
cure pour faire le bien; c'est sur cette né-
cessité que nous devons régler nos désirs,
c'est par cette facilité que nous devons ré-
gler nos actions.
i" Quand je dis que la Providence divine
nous impose des nécessités, je ne prétends
pas qu'elle applique jamais aucune con-
trainte à la volonté de l'homme, qu'elle la
détermine au mal par une motion à laquelle
on ne puisse résister ; et que, comme l'ont pré-
tendu certains hérétiques, elle nous fasse
faire des crimes que nous ne vouions pas.
Ànathème h une telle doctrine qu'il faut
combattre en toute occasion, puisqu'elle a
été foudroyée de l'Eglise, puisqu'elle tombe
d'elle-même par sa sévérité outrée, et qu'elle
ne peut être à l'homme qu'un principe de dé-
sespoir. Sans toucher à cette liberté que Dieu
a laissé à l'homme, je dis que la nécessité
dont il s'agit ici consiste dans un certain en-
chaînement de circonstances, dans un certain
ordre de conjonctures,' d'ans une suite d'ac-
cidents qui se succèdent ou se trouvent en-
semble, dans un arrangement de faits et
d'événements dont Dieu ï>e sert pour nous
engager dans les maux de cette vie , et par
lesquels il dispose de toutes nos fortunes,
de nos conditions, de nos santés de notre
réputation, de notre repos, de notre vie
même. Je parle de cette nécessité par laquelle
la volonté de Dieu tient les uns dans l'obs-
curité, dans le mépris malgré tout leur or-
gueil et leur ambition, et élève les autres
aux charges, aux emplois et aux dignités
malgré leur modestie, leur humilité et la ré-
pugnance qu'ils y ont ; nécessité qui élève
on qui humilie qui il lui plaît: Il une exaltai,
hune humiliât [Fsal. LXXIVj, et qui rend
toujours nos entreprises inutiles et vaines,
malgré tous les etforts que nous employons
pour les faire réussir. Ils ont beau, ces esprits
orgueilleux, dit le Prophète, former des pro-
jets, prendre des mesures pour l'accomplis-
sement de leurs passions, de leurs œuvres
d'iniquité, ce ne sont que des vapeurs qui
s'exhalent en fumée, et celui qui est dans le
ciel dissipera ces desseins insemés et se
moquera de ces néants superbes : Qui habi-
tat in cœlis irfidebit cos. (Psal. II.)
Oui, Dieu vous voit du haut de son trône;
rendez-vous attentifs à une vérité que nous
éprouvons tous les jours et dont nous no
profitons pas : Dieu vous voit faire le plan
de votre fortune, jeter les yeux de tous cô-
tés , frapper à toutes les portes , faire toutes
sortes d'avances et de démarches, destiner
des enfants, les uns au monde et les autres
à l'Eglise, et régler leur vocation sur ce qui
vous paraît devoir le plus contribuer à votre
avarice, à votre ambition ; Dieu vous voit
seconder de vos biens et de votre crédit le
parti le moins sûr, pour détruire ou affaiblir
le parti le plus saint; Dieu vous voit fa're
agir mille ressorts, remuer ciel et terre, em-
ployer tous vos amis et en chercher de nou-
veaux, compter sur des patrons qui vous
promettent d'avoir grand soin de vous, vous
efforcer d'entrer dans la bienveillance de
tous ceux qui peuvent vous conduire à vos
lins, tenter par argent ou par intrigue d'at-
trapper ce que jamais vous ne jouiriez espé-
rer d'obtenir par le mérite, écarter avec soin
tous les obstacles et tous les concurrents qui
peuvent, s'opposer à vos desseins, lier si
bien une affaire qu'elle ne puisse vous man-
quer, et avec cela vous flatter enfin que tout
vous réussira , et que tout ce que vous pro-
jetez aura son heureuse exécution. Voilà
comme vous agissez et comme vous jugez ;
mais, malheureusement pour vous, Dieu,
qui dispose tout à son gré, juge et agH tout
autrement que \ous ne faites, et voyant que
vous comptez sur vous-même et sur de faibles
bras de chair, il dit : Non, cela ne sera pas
ainsi, cette entreprise ne sera pas exécutée,
ce projet s'en ira en fumée, tout cela sera
renversé : Non slabil. (Isa., VII). Ce n'est pas
moi qui le dis, c'est un prophète qui l'a en-
tendu lui même de la bouche du Seigneur, au
sujet d'une conspiration de deux puissants
rois de Juda qui croient fouler aux pieds
leurs ennemis: Non, non, dit le Seigneur,
ni par la force ni par leur argent, ils ne
viendront à bout île leurs téméraires des-
seins : Non slabil nec illuderit. (Ïbid.)
Or, sans faire ici le prophète, ne puis-je
pas en dire autant à beaucoup de personnes
qui, dans le dessein de contenter leur am-
bition et leur cupidité, trouveront toujours
la Providence divine opposée à leurs des-
seins, et ne puis-je pas leur annoncer de la
pari de Dieu qu'ils ne viendront jamais à
bout de leurs superbes projets : Non siabit.
Ne les yoyons-nous pa,s tous les jours frap-
per à la porte des hommes, des pestes, des
emplois et des grands établissements sans
pouvoir y entrer? Ne les voit-on pas se fa-
841
CAREME. - SERMON XIX, DE LA PROVIDENCE DE DIEU.
942
tiguer, s'épuiser, se tourmenter dans le
chemin de la fortune sans pouvoir y avan-
cer, mendier l'aide des uns, des autres pour
l'accomplissement de quelques grands des-
seins sans pouvoir y réussir? Ne voit-on pas
que la Providence a décidé en prononçant
ce : Non stabit ? Non, jamais vous ne sortirez
de cette médiocrité où vous êtes né ; non, ja-
mais vous ne pourrez surmonter les obsta-
cles qui s'opposent à l'élévation que vous
cherchez ; non, jamais vous'ne parviendrez
au but où votre ambition vous fait aspirer;
non, jamais vous n'exécuterez ce dessein que
vous méditez ; jamais vous n'obtiendrez cet-
emploi que vous briguez : Non stabit, non
erit illud.
L'arrêt de te Dieu est irrévocable ; quand
il a résolu qu'une chose soit faite, elle se
fera : Dixit et facta sunt (Gen. , Ij et quand
il a dit qu'elle ne se fera pas, jamais elle ne
pourra être faite ; on aura beau y employer
des intrigues , des amis , toujours naîtra
quelque nouvelle difficulté, toujours se pré-
sentera quelque nouvel obstacle qui rompra
vos mesures , qui fera échouer vos projets ;
tantôt les occasions vous échapperont, tantôt
vous serez trahis ou mal servis par vos amis,
tantôt vous vous y prendrez trop lard , et
tantôt vous irez trop vite; tantôt vos amis
auront agi trop mollement, et tantôt avec
trop de précipitation; tantôt paraîtront des
concurrents plus heureux qui vous supplan-
teront , et tantôt des contretemps fâcheux
qui renverseront tout l'édifice de votre am-
bition; tantôt vous perdrez un protecteur
qui était bien intentionné pour vous, et tan-
tôt vous confierez vos intérêts et votre se-
cret à un imprudent et à un fourbe; tantôt
vous userez de trop de politique, et tantôt
vous irez trop à la bonne foi ; quelquefois ce
sera tendresse de conscience, et une autre
fois ce sera défaut de religion; en un mot,
de quelque côté que vous vous tourniez,
vous demeurerez toujours dans celui où vous
aura mis la Providence. Non, il n'en sera
point autrement, et rien de ce que vous pro-
jetez ne vous réussira : Non stabit, non erit
illud.
Vous ne le savez pas, puisque l'on vous
entend dire à tout moment que c'est une
injustice qu'on vous fait, que ce sont vos en-
nemis qui sont cause de ce mauvais succès,
que c'est par politique qu'on a préféré un
autre à vous; vous ne le savez pas puisque
vous vous en prenez à votre mauvaise étoile,
que vous en mettez la faute sur vos-amis, sur
vos patrons. Ah! quand vous raisonnez de
la sorte, que vous êtes aveugles l Hélas!
vous n'êtes pas au fait, vous n'allez pas à la
source? Non, non, ce n'est ni aux hommes
ni aux révolutions que vous devez vous en
prendre, c'est à la providence de D-ieu qui a
tout arrêté vos entreprises, c'est elle qui est
votre partie et qui contredit généralement
toutes vos prétentions, qui fait avorter tons
vos ambitieux desseins, qui fait échouer
tous vos frivoles projets.
Eh ! comment est-ce que vous ne le con-
naissez pas? n'est-il pas aisé d'en compren-
dre les mouvements? ne voyez-vous pas
qu'il n'est pas naturel qu'avec tous les moyens
puissants que vous avez employés pour réus-
sir dans votre entreprise, vous n!en fussiez
venu à votre honneur, si Dieu ne s'en était
mêlé; puisque avec moins de fureur et de
soins, tant d'autres ont réussi et se sont avan-
cés, il faut donc bien que ce soit Dieu qui ait
ôté le bon vent et qui en a mis un tout con-
traire ; voilà ce que vous auriez dû savoir et
ce qui est très-évident.
Or, que pourrez-vous faire contre les or-
dres de cette divine providence ? Quoi 1
batailler sans cesse contre elle par des pro-
jets et des entreprises qu'elle n'approuva
pas? Hélas! combats bien inutiles, qu'y ga-
gnerez-vous, d'une part, sinon beaucoup de
peines, de veilles, de fatigues, sinon l'altération
de votre santé, de votre esprit, l'épuisement de
vos forces, le violement des devoirs que Dieu
avait attachés à votre état, sans pouvoir ja-
mais vous avancer; d'autre part que perdrez-
vous? vous perdrez tout, vous abrégerez le
cours de votre vie, vous négligerez l'exer-
cice de votre religion, la pratique de la piété
et des autres vertus; vous perdrez enfin votre
repos, votre âme, votre salut, car de toutes
les humiliations que le Seigneur avait pré-
parées à ceux qui s'écartent de lui, vous n'en
perdrez aucune, et vous ne trouverez rien de
ces prétendus avantages que la cupidité vous
faisait désirer, et ne croyez pas que cette
providence, qui vous déclare une si fâcheuse
guerre, relâche et veuille mettre fin à vos
peines, non elle ne mollira jamais, et vous
la trouverez toujours contraire à vos coupa-
bles entreprises : Non stabit neque erit illud.
Ahl que voulons-nous faire? n'est-il pas
iuste que Dieu ait l'avantage sur nous? vou-
lons-nous disputer avec lui, dit saint Paul,
et oserons-nous mesurer nos forces avec les
siennes : An œmulamur Dominum? Nunquid
fortiores illo sumus ? (1 Cor. X.) Et à quoi vos
tentatives aboutiront-elles, sinon àvous faire
accabler de maux et de misères? puis donc
qu'il n'y a rien à gagner pour nous et qu'au
contraire tout est perdu à nous écarter des
routes que nous trace la divine providence,
prenons le parti de la soumission et nous con-
formons à sa sainte volonté ; voilà à quoi nous
devons nous déterminer, à une entière rési-
gnation à cette providence qui se déclare trop
dans les maux auxquels elle nous assujettit
pour n'être pas connue; mais venons au se-
cond article, c'est-à-dire à cette douceur con-
descendante qui nous offre de si heureuses
facilités pour le bien qui nous est ordonné,
et ce second caractère demande de nous une
grande iidélité.
2° Mais quelle est cette providence douce
et condescendante? Je vais vous la faire con-
naître dans tout ce qui vous environne, et
par tout ce qui vous arrive; car il faut vou-
loir s'aveugler soi-même pour ne pas la re-
connaître, d'un côté dans les choses les plus
ordinaires; telles sont la naissance, la con-
dition, le génie, le tempérament, les incli-
nations, les qualités de chaque personne en
particulier, en sorte qu'elle montre à ue
sn
ORATEIRS SACRES. LE P. SÎIRIAN.
Ui
chacun l'état et la vocation où le Seigneur
l'appelle, première marque. Ln voici une
autre : cette providence met quelquefois une
âme dans .des peines, des amertumes, des
dégoûts; elle rompt île tels liens, cause de
telles séparations, envoie de telles contra-
dictions de telles afilii lions ; elle presse m
fort, elle accable de telle manière un homms,
qu'elle veut lui faire connaître la nécessité
de sortir du péché pour revenir à Dieu.
Autre disposition de cette providence sensi-
ble qui offre aux hommes différentes roules
pour faire le bien tquelquefoiselle leurdonne
«les capacités et des talents, elle les élève à
une telle réputation et à un tel crédit, à tant
â'hontieur et de gloire dans le monde,
qu'elle leur déclare par toutes ces faveurs
que ce sont autant d'engagements pour eux
de faire le bien, et qu'ils y trouvent des faci-
lités merveilleuses par la situation où elle
Jes a nus : providence qui prépare les cœurs
h faire le bien par les douceurs qu'elle leur
communique, par les emplois, les dignités,
les charges qu'elle leur confie.
Ah! que tout serait bien gouverné dans ce
monde, et que les troubles en seraient ban-
nis si la volonté de Dieu y était bien obser-
vée, et l'intention de sa bienfaisante provi-
dence bien secondée; mais savez-vous ce
qui fait tout le désordre, c'est qu'on se sou-
lève contre les ordres si bien marqués de
cette providence; les marques de vocation
qu'elle avait mises dans ces jeunes gens,
ah ! elles se trouvent confondues parles vues
basses de l'intérêt ou de l'ambition de leurs
pères et mères. Les conditions sont établies
par la Providence comme autant de voies dif-
férentes et faciles d'opérer son salut, et les
passions des hommes en font autantde voies
de perdition, les bonnes œuvres sont plus
particulièrement attachées à certaines pla-
ces et les premiers rangs sont fails pour don-
ner de grands exemples: mais la cupidité
renverse tout; de laces désordres quiarrivent
par ceux qui, sans mérite et sans capacité, rem-
plissent des places où ils sont entrés sans
vocation ;delà cette profanation des revenus
les plus sacrés dans les dignités ecclésiasti-
ques ; de là l'impunité du crime dans les
charges du barreau; de là le délaissement
des pauvres dans les riches; de là le mépris
et la honte de notre sainte religion dans les
lâches et les faibles; de là enfin ce renver-
sement presque universel dans le siècle et
dans l'Eglise; sur quoi quelquefois nous
nous récrions : O divine providence, où ètes-
vous I Mais sur quoi il faudrait s'écrier au
contraire : O malignité des hommes, ô per-
versité du cœur humain, que tu fais de ra-
vages ! Car la Providence avait tout réglé,
et c'est la cupidité qui fait tout échouer; la
Providence avait pourvu à tout, et l'iniquité
fait tout manquer. Pourquoi vous [daignez-
vous de la Providence dans le délaissement
des pauvres? plaignez-vous plutôt dos riches
qui par leur dureté refusent aux indigents
un bien qui leur avait été donné pour sou-
lager leur misère; n'accusez pas la Providence
do laisser sans teiours et sans protection la
veuve et le pupille, et de souffrir qne Jcs
petits so:ent opprimés par les grands; accu-
sez-en plutôt ceux qui, par leurs chargea et
leurs emplois, sont chargés de les défendre
et de les protéger, ou qui abusent de leur au-
torité par injustice, ou qui la trahissent par
lâcheté; n'accusez point la Providence déco
• pie la religion de Jésus-Christ est mal sou-
tenue, et les gens de bien si fort persécutés,
mais qu'on s'en prenne à ceux qui sont en
place pour la défendre, mais qui négligent
ou trahissent la cause de Dieu pour leurs in-
térêts propres. Le bien ne se fait pas, e:t-ce
la faute de la Providence? Non, c'est la faute
de ceux qu'elle avait chargés ici-bas de, le
faire, et qui niéprisenlou oublient cet impor-
tant devoir : le mal s'est répandu partout,
parce que partout il y a des méchants; après
cela nous venons crier sur l'injuttice de la
Providence, malheureux que nous sommes l
elle nous donne des marques sensibles de la
règle et du bon ordre qu'elle a mis dans le
monde, et nous la renversons, nous faisons
servir les secours qu'elle nous donne à tou-
tes nos passions, et nous nous plaignons! Si
donc nous aimons à nous plaindre, cène pour-
rait être que de ce qu'elle nous a laisse ce'.?.i
liberté qui rompt tous ses projets, ce sera t
de ce que Dieu ayant fait l'homme libre, il
veut s'en faire obéir, non pas comme d'un
maître à un esclave, mais d'un père à un en-
fant : Sicut autem , Pater, providentia yubtr-
nat (Sap., XIV) ; ce serait de nous attirer avec
bien plus de justice ces reproches terribles
que le Seigneur faisait autrefois à l'ingrate et
rebelle Jérusalem : Quoties volui conyregare
filios tuos , et noluUti! (Matth., XX111; Luc,
Xlll.) Combien de fois vous ai-je marqué ma
volonté et vous y avez toujours résisté? quels
bons désirs ne vous ai-je pas inspirés, et
vous ne m'y avez jamais secondé ? quel bien
ne vous aûrais-je pas fait, et vous vous y
êtes toujours opposés? Avec quelle sagesse
vous aurais-je conduit dans les voies d hon-
neur et de sainteté, malgré toutes les embû-
ches de cette vie mortelle, si vous n'étiez pas
toujours sortis malgré moi de l'ordre que je
vous avais prescrit : Et noluisti.
Sentez-vous, Messieurs, toute l'affection de
cette providence paternelle? n'êles-vous pas
touchés de ses miséricordieuses démar-
ches pour vous faire revenir de vos égare-
ments, soufl'rirez-vous plus longtemps qu'on
vous reproche votre révolte et que l'on vous
accuse d'être des déserteurs et des fuyards,
comme parle saint Bernard : fugitivi Provi-
dentiœ, ne sentez-vous pas au fond de la
conscience un secret remords, qui vous fasse
rentrer en vous-mêmes, etqui vous fas.fe dire
avec le Prophète : Tuus sum ego; salvuui me
fac? [PsaL, CXVIII.) Ah! mon Dieu, sauvez
moi, je suis une créature, je n'attends de se-
cours que de vous, et si par malheur et trop
long-temps je me suis écarté de vous, ah 1 j'y
reviens avec sincérité et ne reconnais d'autre
consolation que celle de vous appartenir et
d'être avec vous : tuus sum ego ; salvum me
fac. Quelle consolation n'est-ce pas en efnt
de penser qu'on est entre les mains d'une
045 CAREME. — SERMON XX, RESPECT DU AUX EGLISES.
Providence si attentive à tous nos besoins et
9i6
si prête à les soulager. Que ferait le pauvre,
chargé d'une grosse famille, s'il n'avait con-
fiance à Dieu, qu'il ne l'abandonnera pas ?
que ferait le malade, l'affligé, le persécuté,
s'il ne songeait que Dieu sera son soutien et
sa consolation, qu'il daignera agréer ses lar-
mes et écouter ses gémissements? que ferions
nous tous dans tant de fâcheux accidents,
dans tant d'affaires épineuses, dans tant de
calamités et de traverses, que deviendrions-
nous enfin à la vue de cette mort si terrible et
peut-être si prochaine, dans les frayeurs des
jugements de Dieu, dans les doutes et l'in-
certitude où sont tous les hommes sur la pré-
destination et le salut, et à la seule idée
des supplices éternels qui attendent le pé-
cheur? Ah! que deviendrions nous, si, met-
tant en Dieu seul notre confiance nous ne
lui disions avec un cœur sincère :0 Seigneur
sauve2-moi parce que je suis avec vous :
Tuussam ego ; salvurn me fac : non-seulement
je suis à vous par ma création, par ma con-
servation, mais par mon amour, par ma re-
connaissance, par le fond de mon âme : tuus
sum ego; je suis à vous non-seulement par le
droit que vous avez sur mon corps, sur ma
vie, mais par toute l'affection de mon cœur
et par une résignation entière de ma volonté
à la vôtre; enfin, je su' s à vous non-seulement
de parole, mais d'effet : tuus sum ego; je suis
à vous, non-seulement comme une créature
à son créateur, mais comme un enfant est à
son père : tuus sum ego, oui je suis tout à
vous, préparée tout ce qu'il vous plaira, à
la pauvreté comme aux richesses, à l'obscu-
rité comme à la grandeur, au mépris comme
à l'estime des hommes, à la maladie comme
à la santé, à l'opprobre comme à la gloire, au
travail comme au repos, à la mort comme à
la vie; je suis prêt à tout, à perdre comme à
gagner, à marcher et à demeurer selon qu'il
vous [flaira de me faire connaître vos ordres
et vos saintes volontés. Ah! quiconque par-
iera de la sorte en disant : Seigneur, je suis
à vous, sauvez-moi, peut être assuré que Dieu
sera aussi à lui dans le temps par sa grâce
et dans l'éternité par sa gloire : je vous la
souhaite, au nom du Père et du Fils et du
Saint-Esprit. Amen.
SERMON XX.
DU RESPECT DU AUX EGLISES.
Invenit in templo vendentes. (Joan. II,)
Il trouva dans le temple des gens qui vendaient
Il faut donc que les irrévérences qui se
commettent dans nos églises soient devant
Dieu un crime bien énorme ctbien injurieux
a sa suprême majesté, puisque le Sauveur,
le plus doux, le plus modéré de tous les hom-
mes, s'anime aujourd'hui d'un zèle rigou-
reux contre les profanations du lieu saint,
et que ce Dieu de bonté, qui a toujours té-
moigné aux hommes tant de tendresse, qui
a versé des larmes touchant l'endurcisse-
ment des pécheurs, qui a prié le Père cé-
leste au moment de sa mort de pardonnera
les ennemis et aux profanateurs do son
corps adorable, ne peut voir la profanation
de nostemplessans en être irrité, sans prendre
le fouet en main, pour être le vengeur de la
gloire de son Père ; cependant, quoi de moins
criminel et de plus excusable en apparence
que ces profanateurs? c'étaient des hommes
qui trafiquaient pour les usages du temple :
ils vendaient des victimes pour les sacrifi-
ces qui s'offraient-, ils avaient établi un
change pour faciliter les aumônes du peuple ;
ils ne se tenaient que dans le parvis du
lieu saint, le temple lui même n'était que
la figure de nos églises, de cette arche d'al-
liance où Jésus-Christ fait sa demeure.
Que devez-vous donc penser, demande le
Vénérable Bède, de toutes les immodesties
qui se commettent pendant même la célé-
bration de nos saints mystères dans un lieu
que l'Ecriture appelle tantôt le sanctuaire de
la gloire du Tout-Puissant, où son nom ado-
rable doit être glorifié : locum habitationis
gloriœ tuœ [Psal. XX V) ; tantôt la porte du ciel
et la fontaine salutaire d'où découlent les
grâces, et où nous allons puiser toutes ces
eaux qui jaillissent jusqu'à la vie éternelle :
Non est hic aliud nisi domus Dei et porta cœli
(Gen., XXVIII); tantôt la nouvelle Jérusalem
descendue des cieux, un tabernacle nouveau
où les bienheureux sont prosternés au pied
du trône du Seigneur, où il se rend favorable
à nos prières et à nos vœux : Novam Jérusalem
descendentem de cœlo a Deo... Ecce Dei taber-
naculum cum hominibus. (Apoc, XXI.)
Concevez donc aujourd'hui pour nos égli-
ses les sentiments de respect et de vénéra-
tion qui leur sont dus; car qu'est-ce qu'un
temple? C'est un lieu consacré par la religion
pour y rendre à Dieu un culte public. Vous
êtes donc bien coupables, lorsque vous y ve-
nez pour y déployer publiquement vos irrévé-
rences et vos immodesties, première réflexion.
Qu'est-ce qu'un temple? C'est un lieu choisi
de Dieu pour y renouveler les mystèresles
plus augustes de sa religion. Vous êtes donc
bien criminels, lorsque vous y assistez avec
des pensées profanes et des sentiments tout
terrestres, deuxième réflexion. Culte pu-
blie, qui demande de vous des témoignages
publics et extérieurs de respect, voilà mon
premier point ; culte sacré, qui demanue
de vous des sentiments intérieurs profonds
de respect, sera mon second et tout mon des-
sein, d'où vous allez voir les deux sources
funestes des profanations qui se commet-
tent dans nos églises. Demandons et implo-
rons l'assistance de l'Esprit par f inierces ••
sion de Marie. Ave, Maria.
PltF.MIER POINT.
Non, mes frères, ce n'est point seulement
pour rendre à Dieu un culte intérieur, unis
public (pue nos églises sont consacrées par
la religion; nous pouvons, j'en conviens, lui
offrir en tous lieux le sacrifice de notre
cœur, élever vers lui nos affections et nos dé-
sirs, lui adresser nos vœux et nos hommages;
mais, outre cela, il s'est choisi des temples
où il veut que nous allions lui paver ouver-
tement le tribut légitime de nos adorations,
547
ORATEURS SACRES. LE P. SURIAN.
943
c'est pour nous en avertir qu'on fait graver
à l'entrée : Deo optimo, maximo, ce lieu est
consacré au Dieu très-grand, très-puissant;
ce qui nous apprend, lorsque nous entrons
dans un temple, que c'est pour reconnaître le
Seigneur comme seul grand par les adora-
tions que nous lui devons : Domum maje-
statis meœ glorificabo {Isa., LX), c'est pour
le reconnaître comme le seul parfait et le
seul digne de notre amour par les cantiques
et les louanges que nous lui adressons, (ans
ejus in Ecclcsia sanctorum (Psal. CXL1X),
enfin, c'est pour le reconnaître comme ie seul
parfait auteur de tous les biens par les vœux
et les prières que nous répandons au pied de
ses autels :Domus mea domus orationis voca-
bitur. (Isa., LVI.)
Or, quelle conséquence tirerons-nous de
ces trois principes pour votre instruction
particulière?! "que vous devez vous tenir dans
nos églises, dans un état d'anéantissement
pour adorer la majesté souveraine de votre
Dieu; 2" que vous devez y paraître dans un
esprit de recueillement pour offrir à sa sain-
teté parfaite le sacrifice de vos louanges ;
3' enfin, que vous devez y venir dans un es-
prit de prière et d'oraison pour implorer ses
grâces et ses miséricordes. Donnez à ces trois
importantes réflexions toute l'attention
qu'elles demandent.
Je dis : 1° que nous devons être dans nos
temples dans un état d'anéantissement pour
reconnaître en sa présence que nous ne
sommes que cendre et poussière , par la
protestation que nous y devons faire haute-
ment à la face du ciel et de la terre et de
toutes les créatures, qu'il est le seul auteur
de notre être et que nous n'y venons que
pour l'adorer et fléchir les genoux à ses
pieds : Venite, Adoremus et procidamus ante
Deum (Psal. XCIV); c'est pour nous instruire
de cette vérité que le Seigneur, dans ce tem-
ple magnifique que Salomon lui avait con-
sacré, voulait qu'on répandît le sang des
boucs et des agneaux, et qu'on les mît sur
l'autel des haulocaustes, afin que, par son
pouvoir sur ces victimes étrangères qui y
étaient consommées, nous connussions le
droit absolu qu'il a sur nous, et qu'il peut,
quand il luf plaît, d'un souffle seul nous faire
rentrer dans le néant d'où il nous a tirés; il
y avait à ce temple des portes vers l'orient,
vers l'occident, vers toutes les parties du
monde, afin de nous faire voir qu'il n'est pas
seulement le Dieu d'un peuple particulier,
mais le maître absolu de tous les peuples, etde
toutes les nations du monde; et voilà pour-
quoi l'Eglise, qui invite ses enfants à la sim-
plicité, s'est montrée superbe dans la struc-
ture de nos temples, dans l'embellissement
de ses autels, dans la pompe de ses cérémo-
nies, dans la magnificence de ses ornements,
afin de nous rendre par là la présence de
Dieu plus respectable.
Or, pour entrer dans l'esprit et dans l'in-
tention de cette chaste épouse de Jésus-
Christ, dans quel. esprit devez-vous paraître
dans nos temples? dans un esprit de modes-
tie, de simplicité, de bienséance, d'humilité;
vous y devez paraître anéanti, confondu,
perdu pour ainsi dire dans la foule des fi-
dèles comme ces sages vieillards que saint
Jean nous dépeint dans son Apocalypse : h
peine voient-ils celui qui règne dans les
siècles des siècles, qu'ils déposent tous les
couronnes à ses pieds, afin de lui marquer
qu'ils le reconnaissaient comme seul digne
de recevoir l'honneur et la gloire des anges
et des hommes, comme le seul créateur de
toutes choses et que tout ne subsiste quo
par un effet de sa toute-puissance : Dignus
es, Domine Deus noster, accipere gloriam ei
honcrem et virtulem,qina tu creasti omnia,
etc. (Apoc, IV.)
Ah! s'il en est ainsi, corame on n'en peut
douter, quittez donc, lorsque vous entrez
dans nos temples, ce cortège nombreux, ces
parures affectées, ce visage artificiel, cette
ostentation fastueuse, et tous ces étendards
de vanité dont vous venez accompagnés dans
nos églises. Quoi ! mes frères, dans le temps
que vous venez faire dans nos temples un
aveu de votre néant et de vos misères, on
vous y verra disputer une vaine préséance,
une distinction chimérique du rang et (le la
condition, et vous tenir debout devant Jésus-
Christ, jusqu'au pied du sanctuaire, pendant
que le pauvre publicain se prosterne à la
porte et n'ose seulement lever les yeux vers
l'autel, comme si, pour être plus grand de-
vant les hommes, vous en étiez plus grand
devant Dieu. Que vous les ayez dans les
assemblées mondaines ces marques d'hon-
neur et de distinction, je n'en suis pas sur-
pris, elles sont instituées par le monde
même, cet ennemi; déclaré de Jésus-Christ;
mais qu'à la face des saints autels vous ayez
l'audace de vous en servir, que vous y
vouliez affecter des places et des droits
dont il ne peut être permis d'user qu'aux
princes et aux puissants du monde, que
vous n'y paraissiez point sans avoir sous
vos genoux un relief de mollesse etd'orgueil,
qu'en venant adorer votre Dieu, vous atta-
chiez le culte que vous lui rendez à ces
longues superiluités de vêtements que vous
traînez ou faites traîner après vous. Ah ! c'est
l'outrager et non pas l'adorer ; mais, que dis-
je l'adorer, ne venez-vous point plutôt lui
ravir des adorateurs et lui disputer les hom-
mages qu'on lui rend, plus attentifs à attirer
sur vous les regards des hommes qu'à fixer
les vôtres sur la victime sainte qu'on immole,
vous pensez moins à demander des grâces
qu'à inspirer des crimes, vous n'approchez
plus, il est vrai, des autels comme les en-
fants d'Aaron pour éteindre le feu du sanc-
tuaire, mais vous venez y en allumer un
tout profane dans les cœurs et placer à la
face du Dieu d'Israël l'idole de la jalousie :
Irfolum ad zcli provocandam œmulationem.
(Ezcch., IV.)
No vous y trompez pas, mes frères; non,
le Seigneur ne reçoit point de pareils homma-
ges, le trône de sa gloire n'est point destiné
à recevoir le faste de votre orgueil et de vos
vanités ; souvenez-vOus que c'est sur ces
iouts baptismaux que vous avez promis do
943 CAREME. — SERMON XX,
ne point aimer le monde, de renoncer à ses
pompes et à ses vanités; avec quel front ve-
nez-vous donc étaler la bizarrerie des pa-
rures et des modes, et vous dédire du renon-
cement solennel que vous en avez l'ait. Pré-
somptueux mortels, cen !re et poussière,
vous vous croyez plus q.:e les autres, et
osez même vous élever contre la majesté
divine, jusque dans sa maison sainte; mais
ouvrez ces tombes où sont réduit avec les
vers et humiliés sous la poussière des plu^
magnifiques sépulcres, tous ces ancêtres si
fameux, toutes ces puissances du siècle si
redoutables, tous ces riches et ces grands
foulés aux pieds et dégradés dans ce môme
temple où, comme vous, i!s avaient voulu
faire éclater leur orgueil et ils vous appren-
dront que, si vous continuez à insulter le
Seigneur dans sa maison, viendra un jour
et il est peut-être bien proche, où vous au-
rez le malheur de voir briser l'idole de votre
orgueil aux pieds de l'arche sainte; ce sera
là que, dépouillés do tous ces vêtements su>
perbes, de tous ces ornements étrangers,
vous ferez à Dieu, une publique et humi-
liante, réparation des scandales et des profa-
nations que vous avez commis dans son
temple. Oh! que le Roi-Prophète avait des
sentiments bien plus religieux quand il
il s'écriait • J'entrerai Seigneur dans votre
temple pénétré de la bassesse de mon néant
et saisi de frayeur à la vue de vos redou-
tables jugements, et je vousy adorerai dans
des sentiments de crainte et de respect :
tntroibo in domum tuam, adorabo ad templum
sanctum tuam in timoré tao. [Psal. V.)
Mais, outre cet état d'anéantissement que
vous devez apporter à nos églises pour ado-
rer la grandeur souveraine du Dieu qui y
habite, les sacrés cantiques qu'on y récte
pour rendre hommage à la samteté de son
essence, demandent que vous vous y teniez
dans le recueillement et un respectueux si-
lence. C'est cette deuxième disposition qui
nous est marouée, ce semble, dans la con-
struction du iameux temple de Jérusalem,
où, parmi le grand nombre d'ouvriers qui y
travaillaient, on n'entendait pendant tout ce
temps là aucun bruit des cognées ni des ci-
seaux qui y étaient employés; le Seigneur
voulant nous apprendre par là, que sa mai-
son ne devait retentir que du chant de ses
louanges et de ses divins cantiques, que les
chrétiens doivent y publier, par la sainteté
dont ils s'y comportent, que Dieu seul mé-
rite notre attention et nos louanges. C'est ce
que font les anges et les bienheureux dans
le eiei; c'est ce que faisaient les lévites nu
milieu de Babylone même , où ils formaient
une assemblée de fidèles qui chantaient les
cantiquos de Sion ; et c'est ce que le Saint-
Esprit, par la bouche du Prophète, invite
les chrétiens à faire dans nos temples : Ser-
vez le Seigneur dans la joie et dans l'allé-
gresse ; entrez dans la maison sainte, en di-
sant hautement son nom et en récitant des
hymnes et des cantiques à sa gloire : In-
imité portas ejus in confessione, atria ejus in
kymnis confiterniniilH. (Psal. XCIX.) C*est-à-
RE3P2CÎ DU AUX EGLISES.
e;:o
dire que vous ne devez ouvrir la bouche dans
nos églises que pour y célébrer les miséri-
cordes du Seigneur, et non pas pour vous y
entretenir des nouveautés du siècle et des
révolutions qui y arrivent; que pour vous y
recueillir en la présence de votre Dieu, et
non pas pour vous y répandre en d'inutiles
compliments de civilité; que pour y former
des negrets sensibles d'avoir offensé le Sei-
gneur, et non pour vous entretenir de vos
projets de fortune ou de dissipation; que
pour y faire de fortes résolutions d'amende-
ment, et non pour y ménager des entretiens
funestes que la b:enséance ne vous permet-
trait pas même, d'ailleurs. C'est-à-dire que,
brsque vous venez dans nos temples, vous
ne devez y apporter que le feu sacré de la
charité et le glaive des mortifications chré-
tiennes, et laisser aux pieds de la montagne
sainte ce tas de serviteurs et de domestiques,
qui font retentir ces lieux saints du bruit tu-
multueux de votre entrée; c'est-à-dire que
vous devez éviter tout ce qui peut vous dis-
traire, vous défaire de cette affection abomi-
nable qui vous fait chercher les églises les
plus fréquentées, qui vous fait tarder à vous
y rendre jusqu'à ces heures de paresse où
les femmes mondaines viennent donner en
spectacle le fruit malheureux de plusieurs
heures de parure. Eh ! n'avez-vous pas des
Jieux profanes , établis pour y commettre
tous ces scandale;? des lieux de promenades
où vous puissiez étaler votre luxe et y fairo
briller la pompe de votre train et de vos
équipages , et y décider de vos droits sur le
cérémonial, et de vos privilèges sur le rang
et sur les préséances mondaines? N'y a-t-ii
pas des lieux destinés au soutien de la vie,
où vous pouvez exposer les besoins de votre
subsistance et concerter ensemble les moyens
d'y remédier? Nunquid domos non habetis
ad mandacandam et bibendum, aut ecclesiam
Bel conlemnilis? (I Cor., XI.)
Pourquoi venez-vous donc dans nos églises
renouveler vos scandales? Quoi! cet Être
suprême, qui a créé le monde entier, ne
pourra avoir un lieu consacré à lui seul?
Il ne s'est réservé dans l'univers et dans les
plus superbes villes que quelques endroits
particulier, pendant qu'il vous a laissé tout
le reste de la terre, et vous y viendrez inter-
rompre ses augustes mystères et distraire .
tous les assistants par vos vanités et par votre
dissipation? Quoi ! le Seigneur sera traité
aussi indignement parmi les chrétiens que
parmi les jirfs, où il n'avait pas, comme il
s'en plaint lui-même, de quoi reposer seule-
ment sa tête ? Non habet ubi caput reclinet,
(Luc, IX.)
Je sais que quelquefois , pour y écouter
les louanges du Seigneur, et dans le récit de
ses divins cantiques, vous y gardez un si-
lence profond; mais avouez que c'est l'har-
monie et l'agrément du chant plutôt que le
goût de la prière et le respect pour les divins
offices qui vous le font garder ; c'est princi-
palement lorsque l'Eglise, dans les fêtes so-
lennelles, reprend ces marques de joie r«
d'aUegresse qu'elle avait suspendues en fa-
ORATEURS SACHES. LE P SURIAN.
932
roui- e; mortifications et de la pénitence,
que vous venez applaudir à la voix de ceux
qui chantent plutôt qu'à celui à qui les can-
tiques s'adressent ; comme s'il fallait user
de pieux artifices pour attirer les chrétiens
à l'église, comme s'il fallait flatter leurs
sens pour fixer leur esprit et gagner leur
cœur. Reproche terrible que le Seigneur fai-
sait autrefois à la maison d'Israël: Les uns
et les autres s'excitent à venir entendre chan-
ter mes miséricordes, h écouter mes vérités
saintes, mais ils n'en tirent aucun fruit; et
c'est en vain qu'ils y viennent, parce qu'ils
les changent en des cantiques lï.éio lieux
qui n.' partent que de leurs lèvres, pendant
que leur cœur se livre aux mouvements d'a-
varice et de cupidité : In canticttm oris sui
vertimt illos et avaritiam sunm sequilur cor
eorum. (Ezech., XXXIII.) Ainsi, une maison
de cantiques et de louanges, devient par
notre faute, une maison de dissipation et de
distraction. Sommes-nous plus religieux à
en faire une maison d'oraison et un com-
merce de salut? Non; et c'est une troisième
source de notre peu de respect pour les
églises.
Attention favorable d'un Dieu sur nos vé-
ritables besoins, qui nous engage, mes frères,
à paraître dans nos temples sans aucun retour
d'intérêt, mais dans un esprit de droiture et
de simplicité, à ne nous occuper que deDieu,
et à faire dans sa maison sainte un heu-
reux commerce de salut et non de cupidité;
car c'est ici la plus ordinaire et une des plus
déplorables profanations qu'on commette
dans nos églises ; on cherche, par les vœux
publics qu'on vient adresser au Seigneur à
s'accréditer dans l'estime des hommes pour
obtenir plus aisément un poste, un emploi
ou une dignité qui (latte nos espérances et
qu on n'ose briguer ouvertement dans le
inonde; on vient élever ses mains vers le
ciel afin de les engraisser mieux sur la terre ;
on érige à la face du sanctuaire de Dieu tant
de superbes tombeaux où les cendres d'un
misérable pécheur sont enfermées dans des
urnes de porphyre et de bronze, pendant
que le Dieu de l'univers, tout grand et tout
saint qu'il est, repose à peine dans un taber-
nacle de bois ; on vient arborer sur le portail
de nos temples, jusque sur les ornements sa-
crés des écussons fastueux où l'on entrelace
son nom avec celui du Tout-Puissant pour
immortaliser sa propre gloire, dans un lieu
où l'on ne doit la faire paraître que pour la
sacrilier; comme si le Seigneur nous était
redevable de quelque chose, lui dont nous
avons tout reçu et à qui nous devons tout.
Ah 1 il me semble que du fond de son sanc-
tuaire je l'entends prononcer encore ces ter-
ribles paroles, qu'autrefois il adressait aux
profanateurs du temple de Jérusalem : Otez
d'ici tous ces trophées et ces monuments de
l'orgueil ; ne faites point d'une maison de
prière une maison de cupidité, de l'habitation
des anges une assemblée d'hommes pervers :
JEl nolilc facere domum Patris mei domum
w(/!>lialionis, speluncam latronum (Joan.,
\l] Quoi! jusque dans Jérusalem vous vous
livrez au débordement de ves j âssions, vous
assistez à des spectacles contagieux , vous
fréquentez des objets corrupteurs , vous sa-
crifiez à des divinités mondaines et vous ve-
nezdans mon temple pour pallier vos abomi-
nations, comme si vous vouliez me rendre le
complice de vos dissolutions et faire de mon
temple un asile pour les rendre impunis 1
II ne faudrait pour arrêter le cours de ces
scandales que dissiper les nuages qui aveu-
glent les mondains et les faire penser à la
sainteté de nos églises : Montrez , disait le
Seigneur à un de ses prophètes, montrez à
la maison d'Israël mon tenaj le et mon sanc-
tuaire. Ne lui déguisez aucune de ses ini-
quités, aucune de ses entreprises impies;
faites-lui comprendre quelle est la majesté,
la sainteté de ce lieu, afin que mon peuple
rougisse et soit couvert de confusion à la
vue de mon sanctuaire : Ostcnde domui Israël
templum et confundantur a suis iniquilatibus,
et erubescant ex omnibus qnœ fecerunt.
{Ezech., XL1IL)
C'est ici que le voile du sanctuaire se lève,
et que dans cette vision mystérieuse du pro-
phète Ezéchicl, où il fut conduit dans la cité
sainte pour y voir les abominations qui s'y
commettaient, il en fut frappé et saisi d'ef-
froi : là, que vit-il, qu'aperçut-il? 11 vit des
hommes tournés contre l'autel, attentifs à
voir entrer ou sortir ces fragiles beautés qui
viennent clans le temple ; il vit des femmes
assises d'une manière indécente, sans re-
cueillement, sans attention, que la perte de
leurs biens ou la décadence de leurs affaires
rendait plus assidues aux solennités de Sion,
où elles étaient venues bien moins pour
y pleurer les offenses qu'elles avaient
commises, que celles que le poids de l'Age
ne leur permettait | lus ae commettre :
Et ecce muliercs sedebant plangcnles Adoni-
dem. (Ezech., VII!.) Il vit des hypocrites qui,
après avoir commis en secret les plus grands
désordres, se disaient à eux-mêmes que tout
le mal qui se faisait sur la terre ne montait
pas jusqu'au trône de Dieu, et que leurs
abominations cachées ne venaient pas à sa
connaissance : Dicunt enim: Nonvidet Domi-
nais nos, dereliquit Dominus terrain. (Ibid.)
Pendant que les chrétiens, instruits dès
l'enfance de la sainteté du Dieu qui ha-
bite dans les églises, n'y entrent que pour
lui faire des outrages et y commettre des
profanations, quelle honte, mes frères, qu'il
faille que les souverains arment, pour ainsi
dire, et entrent de société de zèle avec Jésus-
Christ pour vous porter vous-même à res-
pecter votre Dieu dans son temple, et que
vous fassiez parla crainte des rois de la terre
ce que la crainte de Dieu n'est pas capable
de vous inspirer: tirons donc cette triste con-
séquence, que nos églises étant faites pour
rendre à Dieu un culte public par des hom-
mages et un respect extérieur, il est donc
bien à craindre que vous n'ayez point de re-
ligion sincère, lorsque vous n'y apportez
pas de modestie et de révérence. Mais ce
n'est pas là tout ce que j'ai avancé : les mys-
tères sacrés qu'on y renouvelle tous les jours
CAREME. — SERMON XX , RESPECT DE AUX EGLISES.
953
sont encore un puissant motif qui doit en-
gager votre religion et votre piété à n'y ap-
porter jamais rien de terrestre, mais toujours
des sentiments intérieurs de respect et de
retenue.
SECOND POINT.
Quelque auguste que fût ce temple cé-
lèbre que Salomon consacra à la gloire du
Seigneur, et quelque respect qu'il voulût
qu'on eût pour ce lieu sacré, nos églises ont
encore deux privilèges qui doivent nous les
rendre bien plus parfaites et plus respecta-
bles : le premier, c'est que Jésus-Christ y est
présent; le second, c'est que Jésus-Christ
y est. immolé : or, quelle doit être votre rete-
nue et en la présence d'un Dieu et durant le
sacrifice et l'immolation d'un Dieu.
Je dis en la présence d'un Dieu, car, quoi-
que la foi nous enseigne que le Seigneur est
partout, et que sa majesté nous doive tenir
en tous lieux et toujours dans le respect,
Jésus-Christ, cependant, n'est réellement
et corporellement que dans nos temples,
sous les voiles sacrés de l'Eucharistie, mais
d'une manière réelle et permanente qui fait
trembler les puissances de l'enfer, et qui doit
nous frapper d'une terreur religieuse, puis-
que c'est pour nous seuls que ce Dieu de
bonté veut bien habiter dans nos sanctuaires.
Or, je vous ie demande, mes frères, de-
vez-vous concevoir moins de respect et de
vénération pour Jésus-Christ, ce messie ado-
rable, qui, avant que de naître, était déjà
l'objet de tant de voeux et de tant de respect?
La magnificence des vases el la pompe des
cérémonies, la multitude des holocaustes
étaient autant de figures qui nous représen-
taient de loin le culte respectueux qu'on de-
vait lui rendre dans nos sanctuaires ; la con-
stance de son amour sera-t-elle donc un titre
pour autoriser votre ingratitude? J'avoue
que, lorsqu'il est exposé publiquement ou
qu'on le montre à la vénération des fidèles,
un reste de religion vous demeure, vous
venez même en foule recevoir sa bénédiction
et ses grâces; mais en est-il moins présent
dans nos églises lorsqu'il est renfermé dans
son tabernacle? Votre foi ne peut-elle percer
ce voile pour le reconnaître et l'adorer jusque
dans ce lieu sacré où il s'est retiré? Ah! si
vous étiez bien pénétrés de cette pensée sa-
lutaire, que Jésus-Cbrist est présent dans
son temple; si vous disiez, lorsque vous en-
trez dans nos églises : Jésus-Christ me voit,
il m'écoute; mon Sauveur et mon Rédemp-
teur est ici, il lit jusque dans le fond de ma
conscience; aucune de mes pensées, aucun de
mes désirs ne lui échappe; on courait è lui
dans toute la Judée comme au souverain
médecin; il a toujours le même pouvoir, il
est le maître absolu de mon corps et de mon
âme, il peut, quand il voudra, me donner
une place dans sa gloire; je suis devant mon
Juge, devant qui je paraîtrai peut-être dans
quelques jours; il dissimule mes désordres,
mais il ne les oublie pas; on ne lui insulte
point impunément, et, s'il est miséricordieux
pour pardonner, il n'est pas moins terrible
9S4
pour punir : si vous vous teniez à vous-
même ce langage dans nos temples, de quels
sentiments de respect et de retenue ne vous
sentiriez-vous pas frappés. Ahl ce serait
alors que, semblables à Esther lorsqu'elle se
présenta devant Assuérus pour fléchir sa
colère dans son palais, la majesté de ce roi
puissant, les rajons de gloire et de magni-
ficence qui frappaient ses yeux l'ayant saisie
d'une sainte frayeur, elle se prosterna en sa
présence, et, gémissant aux pieds de son
trône, elle ne songea qu'à trouver grâce de-
vant lui et à fléchir sa colère en faveur des
Juifs; ce serait alors qu'on vous verrait te-
nir dans nos temples par respect, comme
se tenaient par impuissance les idoles des na-
tions; vous auriez des yeux et ne verriez
point, c'est-à-dire que vous les détourneriez,
de dessus ces vanités brillantes, ces objets
séducteurs, pour les fixer uniquement sur
nos sanctuaires : rien ne pourrait vous en
distraire; et si vous tourniez encore la-vue
sur vous-même, ce ne serait encore que pour
détester vos péchés et pleurer vos infidéli-
tés : Averte oçulcsne videant vanilatem (Psal.
XV1Ï1) ; vous auriez des pieds et ne marche-
riez point, c'est-à-dire que vous vous tien-
driez dans nos temples dans une posture mo-
deste, sans changer de situation et de place,
comme vous faites assez souvent, sans de-
meurer debout, fléchissant à peine un genou
en présence de celui devant qui tout fléchit
dans le ciel, sur la terre et aux enfers : Pedes.
habent et non ambulabunt (Psal. XIII) ; vous
auriez une bouche et vous ne parleriez point,
c'est-à-dire que vous ne formeriez jamais
dans nos temples aucun de ces entretiens
profanes ; que jamais on ne vous y verrait
causer ni donner des rendez-vous pour des
parties de promenades de jeu ou de dé-
bauche ; vous n'y parleriez qu'à Dieu seul
plutôt par les mouvements de votre cœur que
par celui des lèvres : Os habent et non lo-
qucnlur (Jbid.)', vous vous écrieriez avec le
patriarche Jacob : Le Seigneur est véritable-
ment dans ce lieu, il y habite corporellement,
et je ne le savais pas; ou bien, je n'y faisais
pas assez d'attention , et n'étais pas assez
pénétré de sa présence : Vere Dominus in
loco isto, et ego nesciebam. (Gen., XXVIII.)
Mais ce qui doit encore augmenter votre
piété et vos respects dans nos églises, c'est
que, si Jésus-Christ y est réellement pré-
sent, il y est encore immolé et qu'on y re-
nouvelle tous les jours les mystères de ses
souffrances et de sa mort. Deuxième ré-
flexion.
Considérez donc ici une bonne fois, ce
que c'est que d'assister à la messe ; c'est-à-
dire à l'action la plus auguste, qui soit dans
tout le christianisme; c'est-à-dire à un sacri-
fice qui rend au Créateur un hommage infini,
et par lequel il est plus honoré, de sa créa-
ture sur la terre, que par le sang de tous les
martyrs, que par la vie précieuse de tous les
justes , et que si le monde entier lui était
offert en holocauste. Voyez quelle aurait été
votre disposition si, du temps de la passion
de votre Sauveur, vous l'eussiez vu Iraîn^
ORATEURS SACRES. LE P. SUKIAN.
936
après mille outrages sanglants, impitoyable-
ment sur le Calvaire; si vous l'eussiez vu y
donner par tendresse son sang, y mourir sur
une infâme croix pour vous et pour vos pé-
chés. Or, voilà ce qui se renouvelle tous
les jours dans nos mystères; c'est un Dieu
qui, sur nos autels, devient encore victime
pour nous, et par conséquent quelle pureté
de cœur pourrie point déshonorer un sacrifice
si saint et si respectable ! car quoique l'E-
glise, toujours compatissante à vos faiblesses,
ne vous demande pas qu'en y assistant vous
soyez exempt de tout péché mortel, cepen-
dant elle vous engage à détester sincère-
ment vos crimes, à demander à Dieu sa grâce
pour en sortir, à en gémir au pied des au-
tels; c'est à quoi elle vous invile parla vue
des sacrés tribunaux de la pénitence, qui
sont toujours ouverts, et de ces fonts baptis-
maux qu'elle met à l'entrée de nos temples,
pour vous porter à vous convertir et vous revê-
î'r Jel'hommenouveau, si vousavezeulemal-
heur de perdre votre innocence ; souvenez-
vous qu'il fallait être orné de la robe nup-
tiale pour être assis à la table de l'Agneau,
et que, pour y être entré sans cette robe, le
servdeur dont il est parlé dans l'Evangile,
fut précipité dans les ténèbres extérieures :
Q.iomodo fine intrasti non habens vestemnu-
pnafcm (Maith., XXII)? parce que vous êtes
.-;n quelque manière les ministres du sacrifice
qui se célèbre, et que vous l'offrez conjointe-
ment avec nous et avec Jésus-Christ, qui est
tm même temps le prêtre et la victime.
Oui, mes frères, lorsque nous offrons ce
saint sacrifice à 1 autel, no;;s ne sommes que
vos députés; c'est en votre nom et au nom
tfe tous les fidèles que nous parlons ei que
aous offrons à Dieu cette victime de pro-
pitiation ; or, si nous ne pouvons être trop
saints en offrant ce sacrifice auguste, vous
scra-t-il permis d'y paraître avec un cœur
tout ulcéré de plaies sanglantes, tout fumant
iu feu de la vengeance, et tout embrasé des
îlammes impure»; vous sera t-il permis
d'apporter à l'autel de l'Agneau sans tache
vos .parties criminelles déjà projetées pour
tjule la journée, vos résolutions déjà for-
mées d'aller perdre la journée entière dans
un jeu intéressant, et peut-être vous ruiner
dans un cercle et une assemblée dangereuse,
et peut-être criminelle ; et d'acheter, par une
démarche superficielle de religion, le droit
de perdre le bien de votre famille et le sa-
lut rlc votre âme.
Ah! si vous n'avez pas assez de pureté pour
venir dans nos temples adorer le Seigneur
sur ses autels avec les ange-;, et l'immoler
avec les prêtres, ne venez pas du moins l'y
insulter, y offrir vos scandales, et pendant
que votre Sauveur s'y immole, porter à
la victime sainte des coups nouveaux qui le
crucifient derechef : Rursum cruciftg entes
s'.bimetipsis Pilium Dei et ostentui fiabcntes.
(flebr.,\'l.) Car, ce Dieu de bonté, qui s'im-
mole au Père céleste, le fait on notre faveur
pour nous réconcilier avec lui, pour nous
ii uliter les moyens de nous acquitter envers
lui de ce que nous de/vons ,:i sa justice, et
pour l'obliger à nous donner de nouvelles
grâces et de nouveaux bienfaits, et c'est ce
qui nous doit engager à assister à cet au-
guste et saint sacrifice, avec une résolution
sincère de nous donner tout entier à un
Dieu, qui se donne à nous sans réserve ; avec
une disposition véritable de participer au
mystère de son corps adorable, au moins
spirituellement pour l'y adorer par la viva-
cité de notre foi.
Oui, mou Dieu, pendant que votre sang
coule sur nos autels, je ne veux plus me
regarder que comme une victime, qui vous
est toute dévouée, et m'attarher avec vous sur
la même croix, où je vous vois étendu dans ncs
temples : Eàmus et moriamur curn ipso. (Jean.,
XI.) Voilà, mes frères, quels doivent être
vos sentiments quand vous assistez à nos
redoutables mystères. Cependant, j'ai honte
de le dire, le bruit est plus tumultueux, la
dissipation plus fréquente pendant la célé-
bration du sacrifice, que dans tout autre
temps; on ne songe qu'à se livrer à de vo-
lontaires distractions, qu'à former des mur-
mures et de 'l'impatience contre la pieuse
lenteur du ministre qui sacrifie : Allez, dit
le Seigneur, voyez les nations infidèles, si
elles en usent de la sorte dans leurs tem-
ples. Et vous verrez les idolâtres fléchir les
genoux avec plus de révérence et de respect
devant un marbre ou un métal insensible,
que vous ne faites, vous qui êtes chrét;cns,
devant un Dieu que vous regardez avec jus-
tice, comme le seul véritable; vous les ver-
rez assister à l'immolation d'un bouc ou d'un
taureau avec plus rie retenue et de modes-
tie, que vous, ne faites au sacrifice auguste
de l'Agneau sans tache.
Rentrez donc en vous-mêmes, mes frères ;
soyez recueillis et devenez tremblants en
la présence du Seigneur, de peur qu'il ne
fasse éclater sur vous les foudres et les ter-
ribles vengeances qu'il fit autrefois éclater
sur les prévaricateurs de son temple, qu'il
ne vous traite comme ces téméraires Eelhsa-
mites,qui furent frappés de mort, pour avoir
seulement osé regarder l'arche ; comme l'im-
pie Bal t bazar-, qui, pour avoir emplojé les
vases sacrés à ùes usages profanes dans le
feu de la bouche et de la bonne chère, vit sa
condamnation gravée sur la muraille par
une main invisible; comme les enfants de
Lévi, qu:, poui avoir profané le temple et le
tabernacle par leurs exactions, perdirent la
vie; mais que le respect pour la maison du
Seigneur vous en fasse aimer la gloire, vous
donne du zèle pour la réparation ou l'en-
tretien de ses autels; quelle honte pour des
hommes, qui se piquent d'avoir de la reli-
gion, de laisser tomber en ruine des églises
sur les terres de leur dépendance, pendant
qu'on emploie tout pour la construction ou
1 embellissemer.t d'une maison champêtre,
dont on varie chaque jour la forme et la cou-
leur, et de ne donner à l'ornement des au-
tels que ce qu'on ne trouve plus d'usage et
de goût pour le monde.
Non, chrétiens, ne cherchez point ailleurs
la source de tant de calamités et de mi.-èros
957 CAREME. — SERMON XXI, DU PETiT .NOMBRE DES ELUS.
qui surviennent chaque jour dans un siècle
où les irrévérences et les immodesties sont
montées h leur comble; et mon souffle, dit
le Seigneur par un de ses prophètes, a dis-
sipé vos projets ambitieux. J'ai défendu au
cic! de verser sur vos com régnons ses rosées
fécondes, et à la terre de vous produire votre
subsislance. Et pourquoi, Seigneur? Parce
que vous dites que vous n'avez i as eu le
moyen de relever mon sanctuaire pendant
que vous en avez bien trouvé pour vous ap-
proprier des palais magnifiques, des appar-
tements superbement lambrissés; changez
donc de conduite et songez que , pendant
que vous travaillerez dans le temps pour la
gioire de mon temple, vous vous préparerez
une place bienheureuse dans les saints ta-
bernacles éternels. Je vous la souhaite,
mes frères, au nom du Père et du Fils et du
Saint-Esprit. Amen.
SERMON XXI (9*).
DU PETIT NOMBRE DES ÉLVS.
Nemo ex vobis facit legcm. (Joan., VII.)
Personne de vous n'observe la loi.
Faut-il chercher ailleurs, mes chers frères,
que dans la juste plainte que fait Jé^us-
Christ au peuple juif clans 1 Evangile de ce
jour, la preuve et la raison de net oracle
que le Seigneur m'inspire aujourd'hui d'an-
noncer à son peuple : Beaucoup d'appelés,
mais peu d'élus: Multi vocati, pauci vero
eleeti? {Matlh. , XX, XXIÎ.)
A ces paroles foudroyantes, si capables
de faire trembler la terre et de rem; lir tout
le monde d'effroi, n'êles-vous pas conster-
nés, mes frères? Beaucoup d'appelés: pa-
role d'abord consolante , mais ensuite : peu
d'élus, et par conséquent un nombre infini
d'âmes qui périssent; vous et moi peut-être,
emportés dans la ruine générale, presque
tous les hommes perdus : paroles formida-
bles et d'autant plus accablantes que ce n'est
ni un homme ni un ange qui les prononce,
mais un Dieu qui, d'une vue immense et
éternelle, se représentant la destinée com-
mune et particulière de tous les hommes, et
découvrant les deux voies où ils marchent :
la voie large, qui perd tout, couverte d'Ames
mondaines; la voie étroite, qui sauve tout,
déserte et marquée par des vestiges bien
rares, s'écrie avec attention: Beaucoup
d'appelés, mais peu d'élus: Multi vocali,
pauci vero elecli.
0 mon Dieu ! quand on entend et qu'on
médite cette terrible vérité, peut-on en par-
ler à votre peuple? A son idée seule je vois
toute la sainte antiquité dans le saisisse-
ment et l'épouvante ; l'un n'a plus de parole,
l'autre pleure amèrement; celui-là ressent
un tremblement dans tous .ses membres;
dans celui-ci, c'est une crainte si vive qu'elle
l'empêche de respirer. Job si patient mau-
dit le jour qui l'a fait naître ; David se croit
déjà dans le fond de l'abîme ; Jérémie vou-
drait que le sein de sa mère eût été le creux
de son tombeau. Cette idée si affreuse sem-
ble mettre à l'agonie un Dieu; c'est celle
qui, clans le jardin des Oliviers, le jette
dans une consternation et une tristesse qui
va jusqu'à la mort : et comment, après cela,
pécheur misérable, aurai's-je la force d'ex-
pliquer à mes frères cette même vérité à la-
quelle, comme à leur centre, se rapportent
les plus terribles vérités de la religion chré-
tienne, et qui seule peut leur donner toute
la terreur qu'elle imprime elle-même? Car,
quand j'envisage les surprises affreuses de
la mort, les approches terribles du jugement
dernier; lorsqu'on esj rit je descends dans
les enfers, ces spectacles m'alarment. Cepen-
dant, sur tout cela je me rassurerais de la
grandeur du mal par le ] etit nombre de mi-
sérables qu'd y aurait; mais, quand je viens
à penser que cette mort sera le commence-
ment de l'éternité malheureuse de presque
tous ceux qui m'écoutent; cjue ce jugement
dernier sera la condamnation de presque
tous les fidèles qui m'environnent, que cet
enfer sera la demeure fixe de la plus grande
partie de ceux avec qui je vis et à qui je ; arle;
quand je songe que peut-être c'est là mon
sort et mon partage, je l'avoue, je ne suis
plus maître de mes soupirs; tout me déplaît
sur la terre, tout m'afflige; et je me trouve
à plaindre d'avoir à vous parler, mes frères,
quand je ne me sens disposé qu'aux soupirs
et aux larmes.
Faisons cependant un effort. Quelque aé-
cisive que soit cette vérité terrible, presque
personne n'y pense, tous s'endorment la-
dessus dans une funeste sécurité, et il n'est
rien plus digne d'un ministre de l'Eglise que
de crier sur le fatal assoupissement des hom-
mes : Beaucoup d'appelés, mais peu d'élus :
Multi vocati, pauci vero elecli.
Mais pourquoi encore si peu d'élus, les
preuves de cette vérité sont aussi terribles
que celte vérité elle-même. Il y a peu d'élus
parmi nous, parce qu'il y en a peu qui soient
véritablement chrétiens, encore moins qui
soient sincèrement convertis, presque point
qui soient persévéramment justes. Uecon-
naissez-vous ici toute l'illusion de vos pen-
sées? Vous vous dites quelquefois : Comment
ces paroles, peu d'élus, pourraient-elles
avoir toute la rigueur qu'on leur attribue , i
y a tant de fidèles; ; remière erreur, car il c. t
peu de vrais chrétiens; mais, parmi ceux qui
tombent et s'égarent, il y en a un si grand
nombre qui reviennent sincèrement à Dieu;
deuxième erreur, car il en est peu qui soient
véritablement convertis; mais comptez du
moins, direz-vous, sur ceux qui persévè-
rent dans la justice; troisième erreur, car il
n'y en a presque point qui soient persévé-
ramment justes. Ainsi, soit que. vous cher-
chiez les élus, ou dans la sainteté du chris-
tianisme, ou dans la vérité de la conversion,
ou dans la fermeté de la justice, recourez
partout, vous serez forcé de reconnaître et
de craindre la vérité de cet oracle de Je- us-
Christ : Multi vocati, pauci vero e'rcli.
(9*) Imprimé dans l'édition de Liège, toha [I, page 56, et a la suite c!c lViiition du Peiït-€arêmc.
819
ORATEURS SACRES. LE P. SL'RIAN.
860
Vous, ô mon Dieu ! remplissez-moi de vo-
tre esprit, et, pendant que je veux frapper les
oreilles de votre sainte parole, portez dans
les cœurs la componction et la piété : c'est
la grâce que nous vous demandons par l'in-
tercession de Marie. Ave, Maria.
PREMIER POINT.
Peu d'élus : mais pour porter dans vos es-
prits la conviction de cette effrayante vérité,
n'attendez pas qu'ici j'emploie ces preuves
étrangères qui tant de fuis vous ont alar-
més; non, je ne veux la cherche/ ni dans les
idées de Dieu, ni dans ses décrets, ni dans
ses jugements profonds, abîme que je n'ose
entreprendre de sonder. Noé seul, sauvé du
déluge universel qui inonda toute la terre,
Lot h, presque seul échappé des flammes qui
embrasèrent cinq villes criminelles, et tout le
reste des hommes abandonnés à la juste co-
lère de Dieu, tristes figures et trop malheu-
reuses images dont nous sommes la trop
nouvelle vérité :je vous rapporterai encore
moins les autorités des saints Pères, si for-
tes et si abondantes sur celte matière, de ces
hommes si éloquents sur les mystères de
Dieu, si zélés pour le salut des âmes, si in-
téressés par conséquent à élargir les voies
du ciel, et à multiplier le nombre des élus;
mais qui étaient forcés, par une lumière in-
visible, d'enseigner ce qu'ils avaient appris
de l'Esprit de Dieu même, et en qui la vérité
triompha de la malice; par toutes ces preu-
ves, je n'aurais pas de peine à vous con-
vrainere qu il y a peu d'élus; mais mon des-
sin, pour vous tirer de votre première er-
reure, est de chercher cette conviction dans
votre propre cœur; je n'en veux point d'au-
tres témoignages que vos mœurs, point
tiVmtre autorité que votre vie, preuve sensi-
ble, autorité présente que vous ne sauriez
méconnaître, que vous ne pouvez désavouer,
et qui va porter dans vos esprits la persua-
s'on la plus forte et la plus invincible ; et,
pour ne pas vous laisser plus longtemps at-
tendre votre sort, je dis d'abord que dans
l'Eglise il y a peu d'élus, car c'est en ce sens
que Jésus-Christ a prononcé cet oracle, et il
faudrait en faire une violente explication
pour y faire entrer les hérétiques et les in-
fi lèlcs ; je dis donc que dans l'Eglise il y a
peu d'élus, et pourquoi? parce que, dans
l'Eglise, il y en a peu qui soient véritable-
ment chrétiens.
En effet, qu'est-ce qu'un chrétien? Défi-
nissons-le moins par ses dignités que par ses
obligations, moins par ce qu'il a de glorieux
q.ie par ce qu'il a d'indispensable, et, puis-
qu'il tire de Jésus-Christ son nom, son mé-
rite et son lustre, voyons ce qu'a été Jésus-
Christ; c'est le moyen le plus sûr d'éclair-
cir votre sort et de voir de quel côté vous
pouvez vous dire véritablement chrétiens.
Selon saint Paul, Jésus-Christ s'oifre aux fi-
dèles en trois états différents : à l'égard de
Dieu, dans un état d'innocence; à l'égard de
vous-mô.nc dans un état de mortification; à
1 égard du monde, dans un état de haine,
Voilà tout Jésus-Christ; c'est par la que
vous verrez tous les traits de ressemblance
que vous avez avec lui ; c'est donc, selon l'A-
pôtre, tout le chrétien, tout le nouvel homme:
Vosmetipsos tentate si cslis in fide (Il Cor.,
XIII) ; voyez si Jésus-Christ est en vous, s'il
y vit, s'il y respire : Ipsivos probate. (Ibid.)
Eprouvez-vous, sondez votre cœur, en quoi
lui ressemblez-vous? qui n'est point son
image, ne peut être son élu : An non cogno-
scitis vosmetipsos quia Cliristus Jésus in vo-
bis est. (Ibid.) Si vous ne l'exprimez en vous,
vous êtes vous-mêmes réprouvés : Nisi forte
reprobi estis. (Ibid.) A cette idée, quelle
foule de fidèles disparait déjà du troupeau
de Jésus-Christ, et si peu le suivent, com-
bien peu le posséderont. Je dis 1° qu'un
homme, pour être véritablement chrétien,
doit mener une vie de sainteté et d'inno-
cence à l'égard de Dieu; et, en effet, un
chrétien n'est plus ce composé d'esprit et de
chair que la mort détruit, ce citoyen de la
terre que le monde enchante, ce sujet revêtu
de tant de dignités, de titres, de richesses,
loin que ce soit là son caractère, c'en est
trop souvent la perte et la ruine : un chré-
tien c'est pour ainsi dire une créature invisi-
ble, spirituelle, céleste, qui, élevée au-des-
sus des sens, vit dans un monde plus pur, à
qui le baptême est comme un tombeau où il
est mort au péché pour ne plus vivre qu'à la
grâce. Oui, chrétiens, dans les eaux vivi-
fiantes, vous avez pris une forme toute nou-
velle, vous y avez été revêtus de Jésus-
Christ, vous y êtes devenus ses frères, ses
membres, ses héritiers; vous y avez reçu son
esprit, et y avez été faits participants de
Dieu môme; mais, si vos privilèges sont si
excellents, ne devez-vous pas y répondre par
des mœurs toutes pures, et, puisque tous vos
titres sont si saints, ne périssez-vous pas si
vous ne les sanctifiez vous-mêmes.
Or, sur cette règle, est-il beaucoup de chré-
tiens véritables? Quand du haut de son trône
Dieu daigne jeter quelques regards sur la
terre, en découvre-t-il beaucoup parmi les
hommes qui mènent cette vie d'innocence et
de pureté? Hélas ! c'est ici qu'on peut s'é-
crier avec le Prophète qu'il n'en est presque
plus : Defccit sanctus. (Psal. XI.) Tout est
corrrompu sur la terre: qu'il y a longtemps
que nous avons souillé cette robe de candeur
que nous avions reçue au baptême , que nous
avons effacé de notre âme cette beauté si lu-
mineuse, cette ressemblance si auguste que
le baptême leur imprima! Autrefois, l'inno-
cence était un trésor si cher aux j remiers
fidèles ! aujourd'hui elle semble peser à ceux
qui l'ont reçue : notre raison s'est égarée dès
que le Seigneur nous l'a donnée, et, encore
si toujours la perle de cette précieuse inno-
cence se faisait sentir; mais combien, hélas!
prennent le crime pour elle ! combien, qui
depuis longtemps l'ont perdue et croient
l'avoir encore 1 combien appellent fragilité
pardonnable ce qui est un crime très-énorme !
combien se permettent le luxe et la mol-
lesse comme l'apanage et le privilège de
leur état! Je pourrais produire ici bien
9(31
CAREME. — SERMON XXI, DU l'ETIÎ NOMBRE DES ELUS. 9:2
: mais dans la j lupnrt
qui décide, ma s la
d'autres articles contre vous, et, quoique je
parusse suprenànt, je vous ferais vo;r par
toutes ces vérités, que chacun porte au fond
de son cœur un principe vicieux qui le
damne, et que, dans la plupart de ceux qui
se croient les plus justes, la grâce première
se retire imperceptiblement malgré la flat-
teuse opinion qu'on Ta encore; mais quel
besoin a de tout cela mon sujet? La licence
a levé le masque, les sujets corrompus et
aveugles ont déclaré à Dieu une guerre ou-
verte; il me semble l'entendre me dire,
comme autrefois à Jérémie : Cherchez dans
toutes les rues, parcourez toutes les places,
pour voir si, dans la multitude qui s'offre à
vos yeux, vous trouverez un homme de mon
choix, qui soit juste et fidèle : Circuite vias
Jérusalem an inveniatis virum facientemjudi-
cium et quœrcntem fidem. (Jcrem., V.)
Pour suivre undéta.l que le doigt de Dieu
n'a tracé que pour notre siècle, j'irai donc
avec le prophète chercher les élus de Dieu
parmi les chrétiens et dans tous les états;
peut-être les trouverai-je parmi les pauvres :
Forsilan paupercs sunt (Ibid.); mais ils sont
dans une ignorance absolue des choses les
plus nécessaires au salut , leur vie n'est
qu'un instinct de la nature, plutôt qu'un
mouvement de la grâce; ce n'est qu'envie,
que jalousie, que murmures, que plaintes,,
qu'impatiente parmi eux : plus vous les
frappez, Seigneur, et plus ils deviennent
intraitables; les coups que vous leur portez,
loin de les ramener, ne servent qu'à les
éloigner, et ils sont tout à la fois et [dus mé-
chants et plus malins que les autres : Stulti
ignorantes viam Domini percussisti eos et
non doluerunt. (Ibid.) J'irai donc parmi les
riches, parmi les grands de la terre : Iboad
optimales (Ibid.) ; hélas , triste ressource !
lpsi enim cognoverunt viam Domini (Ibid.);
il est vrai qu'ils sont mieux instruits que les
pauvres des voies du salut ; mais ils abusent
de leursconnaissancespour secouer plus har-
diment le joug du Seigneur; ils violent im-
punément les lois de l'abstinence et du jeûne,
se livrent aux voluptés et à la sensualité;
toute leur personne n'est qu'un abus scan-
daleux des bienfaits du Seigneur; ils font
de leur grandeur, de leurs richesses une
idole à qui le reste des hommes sacrifie,
et leur vie tout entière n'est qu'une infrac-
tion plus hardie de toutes les lois du chris-
tianisme et une apostasie continuelle des
vœux de leur baptême : Et ecce magis hi
confregerunt jugum, ruperunt vincula.(Ibid.)
Les savants peut-être se trouveront è l'égard
de Dieu dans une disposition plus avanta-
geuse et plus chrétienne, hélas ! Negaverunt
Dominum et dixerunt non est ipse ! (Ibid.)
Ces hommes superbes, pour avoir voulu
trop curieusement approfondir la religion,
l'ont perdue; l'impiété, ce semble, est
l'esprit et la science du temps, notre siècle,
pour vouloir être trop philosophe, a cessé
d'être chrétien, et ce désordre a passé des
savants jusqu'au peuple : Nequeveniet super
eos malum [Ibid.) Où irai -je d-onc encore ?
Aûrai-je recours aux magistrats et aux dé-
positaires de la justice
ce n'est plus la vérité
passion; on ne regarde plus aux régies
qu'on doit suivre, mais aux personnes qu'on
veut ménager : le crédit et la faveur l'em-
portent sur le droit et les bonnes raisons,
les intérêts de la veuve et du pupille n'y
sont écoutés que quand l'autorité des mi-
nistres et des grands n'y forme point d'obs-
tacles et ce n'est jamais par le fond d'une
incorruptible équité; mais par le faible du
juge ou par la qualité des parties que les
arrêts et les sentencea sont prononcés : Cau*
sain viduœ non judicaverunt, causant pupilli
non dixerunt. (Ibid.) Que mes yeux se tour-
nent du côté du sanctuaire : Sta inporlu de-
vins Domini (Ibid.) ; mais hélas ! que vois-je?
la maison du Seigneur abandonnée à l'oisi-
veté, à la mollesse, l'héritage de Jésus-Christ
prostitué au faste et à la vanité, le patri-
moine des pauvres prodigué au jeu, à l'a-
varice ou à la sensualité : Prophètes prophe-
tabant mendaciam, et sacerdotes upp'.aude-
bant manibussuis (Ibid.) Que vois-je encore ?
de faux prophètes qui débitent le mensonge
pour de saintes vérités, des ministres sacrés
plus mondains que le peuple, et, pour quel-
ques-uns qui soutiennent l'honneur du ca-
ractère, combien le déshonorent ?-La beauté
du désert s'est flétrie, la corruption a péné-
tré jusqu'aux parties les plus nobles du
corps, le sel même s'est lâchement affadi ;
enfin toute la terre pleure de se voir souillée :
Lugebit t>rra. (Jerem., IV.) Elle n'est plus
qu'une vaste mer de désordres, qu'un obs-
cur nuage d'iniquités et de crimes qui en-
veloppe tous les états, toutes les conuitions,
tous les âges, tous les temps : Univtrsi ccr-
rupti sunt (Jerem. , VI), et si, après cette re-
cherche, Dieu me ditenore : Mor.trez-m'cn
donc quelqu'un sur qui je puisse faire tom-
ber mes miséricordes, car je souffre à les
retenir : Super quo propiiius esse potero
(Jerem., V); ne suis-je pas forcé de lui ré-
pondre qu'il n'y a plus de foi parmi les
chrétiens, qu'elle n'est plus ni dans leurs
bouches ni dans leurs mœurs : Periit fides,
et ablala est de ore eorum. (Jerem., VU.)
Venez donc, mon Dieu, au secours de vo-
tre Eglise; jamais cet édifice céleste ne se
perpétua plus lentement ! ô nouvelle Sion,
religion sainte qui vous voyez ainsi défigurée,
épouse du Sauveur, êtes-vous donc la même
qui descendîtes du ciel où vous fûtes for-
mée, portant dans votre sein un peuple d'é-
lus, et qui étiez si féconde en grands saints,
vos beaux jours, hélas, sont passés ! et c'é-
tait sur cette foule de chrétiens d'aujourd'hui
qui vivent plutôt en idolâtres qu'en vrais
fidèles que Jésus-Christ prononça cet oraile
terrible : Beaucoup d'appelés , mais peu
d'élus : Mulli vocati, paucivero eheti.
Or, vous qui m'écoulez, mes frères, car
sans cette application particulière de chacun
à soi-même, les ventés que nous vous an-
nonçons seraient entièrement inutiles, et je
ne veux pas que cette multitude, de chié-
tiens qui, avec un titre de réprouvés, &a
promettent le sort des élus, vous autorise à
ORATEURS SACRES. LE P. SURIAN.
Sol
croire que vous êtes de ce malheureux nom-
bre, voulez-vous savoir quel sera votre sort,
et quelle place vous devez tenir au jugement
de Dieu, exammez-vous vous-même; de-
mandez-vous si vous avez ce cœur pur, ces
mœurs innocentes qu'il faut avoir pour être
admis sur la montagne sainte; en un mot
vo,, ez si, dans votre état, vous menez cette
vie d'innocence et de pureté qui constitue le
premier degré du chrétien. Je vis, dites-
vous, comme les autres ; mais tous les autres
se perdent, vous périssez donc avec eux; à
quel titre pouvez-vous vous flatter d'une ex-
ception toute privilégiée : je vois partout
dans les livres saints que la multitude se
damne? En quel endroit lisez-vous que, vi-
vant avec la multitude, l'exception vous soit
accordée? Mon Dieu, plus on approfondit
cette vérité, plus elle inspire de crainte et
de frayeur, et à qui l'imprime-t-elle? aux
justes et aux élus, tandis que les pécheurs
et les réprouvés lui olIVent un cœur intré-
pide et tranquille.
2" Un chrétien véritable à l'égard de lui-
même doit mener une vie de pénitence et de
mortification pour imprimer en lui Jésus-
Christ, car la qualité de chrétien et la croix
du Fils de Dieu sont absolument inséparables :
on perd l'une dès qu'on quitte l'autre, et.
quiconque refuse cette portion du calice que
"le Sauveur destine à ses disciples, renonce
en même temps à cette portion de gloire
qu'il leur prépare dans le ciel : ne savez-
vous pas, dit l'Apôtre, que Jésus-Christ a
souffert pour entrer dans sa gloire, et pour-
quoi, si vous y prétendez, refuserez-vous
de souffrir après lui? mais s'il en est ainsi,
si la seule vie pénitente et mortifiée ouvre
le ciel à un élu, si le chrétien ne se forme
que dans les souffrances et dans les morlili-
catfons, en connaissez-vous beaucoup qui
soient de vrais chrétiens, et l'êtes-vous vous^
même ? pouvez-vous lever la tête comme la
gloire de Jésus-Christ votre chef, ou plutôt
ne devez-vous pas la baisser comme sa
honte? S'il est rare de trouver clans le siècle
de vrais héros, parce qu'il faut pour cela des
vertus sublimes, vaincre, triompher, braver
les périls et affronter la mort même, s'il le
faut, les véritables chrétiens ne sont-ils pas
encore plus rares, puisqu'il faut de pénibles
vertus', désarmer les passions, captiver sa
raison, réprimer ses sens, dompter ses pen-
chants, se montrer supérieur à tous les évé-
nements les plus tristes de la vie, et assujet-
tir les plus redoutables de tous les ennemis
qui sont notre corps, notre volonté, tout
nous-mêmes, et de là exagère-l-on beau-
coup, quand on s'écrie que le nombre des
chrétiens ost bien rare?
En elfet, le chrétien aime la peine et
vous aimez tous le plaisir; un chrétien est
sobre, tempérant, et la sensualité est votre
partage; un chrétien fait de son corps sa vic-
time, et vous vous faites tous comme une idole
du vôtre; selon l'Evangile le chrétien est un
homme qui se hait, et vous ne cherchez qu'à
A-ous satisfaire; c'est un homme qui se
peine, qui se contraint, qui se fait violence,
et vous suivez vos penchants, vos commo-
dités et vos aises. Aces premiers traits vous
prendra-t-on pour un chrétien? mais ce n'est
pas tout i le chrétien est un homme mort et
crucifié au monde, et vous donnez dans ses
maximes, dans ses modes, dans ses usages,
dans son commerce, dans ses liaisons; un
chrétien se plaît dans les larmes, dans la tris-
tesse, dans l'amertume et dans les afflictions,
et vous ne cherchez que la joie, que le plai-
sir, que les douceurs, que les consolations.
Ah! depuis quand donc les délices et les profa-
nes joies du siècle sont-elles montées surle
Calvaire? Ah ! je conçois bien que c'est là cru-
cifier Jésus-Christ ; mais est-ce vous crucifier
vous-même? enfin le chrétien est un homme
mort enseveli avec Jésus-Christ, c'est-à-dire
qui n'a plus rien du vieil homme, qui ne
vit plus pour la terre, qui est une nouvelle
créature, qui ne vit, qui ne soupire, qui
n'agit que pour le ciel ; mais trouve-t-on
en vous ces dispositions salutaires ? Hélas 1
à la vue du plaisir tous vos désirs s'irritent,
toutes vos passions se révoltent. Est-ce là
donc mourir à vous-mêmes? Est-ce là être
un chrétien, un disciple de Jésus-Christ?
un membre de son Eglise, une image d'un
Dieu crucifié, un élu, un héritier de sa gloire.
O vous, ministre des grandes vengeances
du Seigneur, ange exterminateur qui ne
devez épargner que ceux qui auront \ orté
sur leur front l'impression du sang de l'A-
gneau et le sceau de ses souffrances, oh! que
vous trouveriez ici à frapper, à immoler et
à perdre ! Quelle action n'aurait pas sur mes
auditeurs et sur moi, peut-être, le premier,
le glajve vengeur que la colère du Dieu vi-
vant vous met en main 1 que rie sang coule-
rait ici de toute part! Quelle désolation 1
quel carnage ! Combien se croient en sûre-
té parmi nous qui seraient égorgés ! Et que
bien plus terriblement que moi vous annon-
ceriez cette effrayante vérité : Beaucoup
d'appelés, mais peu d'élus ; mulli vocati,
pauci vero electi.
3" Un chrétien, pour l'être véritablement,
doit mener, à l'égard du monde, une vie de
renoncement et de haine : être du monde et
être de Jésus-Christ, sont deux principes
inalliables ; aussi au baptême vous avez dé-
claré que vous renonciez au monde, qu'il
n'aurait plus de pouvoir sur vous, l'espéran-
ce même du royaume du ciel etdesbœns éter-
nels ne vous y fut donnée qu'à des conditions
égales et réciproques, de mépriser tout ce
que vous verriez ici bas, pour vous attacher
uniquement aux biens spirituels, et vous
jurâtes solennellement avec le monde et ses
pompes, un divorce éternel ; mais, après ces
promesses solennelles, qui de vou>s o'sera se
regarder de près sans se faire peur à lui-
même? Votre vie est-elle une exécuUon fidè-
le de ces grands vœux du baptême? En quel
temps, en quelle occasion votre conduite
est-elle un anathème et un divorce avec lo
monde? Ces paroles pleines d'enflure, da
médisance, de licence, de séduction, de flat-
terie, sont-elles un renoncement aux arlifi*
ces, aux déguisements, à la dissimulation,
005
CAREME. — SERMON XXI, DU î'ETiï NOMBRE LES ELUS.
GC>>
à l't3Sprit et au langage du mon Je? ces ha-
bits si magnifiques, ces parures si brillantes,
ce faste si éblouissant, ces modes si bizarres,
ces palais si somptueux, ces ameublements
si riches sont-ils un renoncement aux pom-
pes du monde? ces vives saillies qui vous
fiortent vers les jeux, vers les plaisirs, vers
es spectacles, vers les compagnies, vers la
bonne chère, sont-elles un renoncement aux
folles joies et aux usages du monde? Haïs-
sez-vous le monde, quand vous nagez dans
les délices, que vous courez après ses
charmes, que vous vous faites un bonheur
de lui plaire, un art de vous conformer à son
goût, que vous êtes inconsolable de lui avoir
déiilu? Haïssez-vous le monde, quand vous
vous rendez les tristes esclaves de ses cou-
tumes et de ses bienséances, les malheu-
reuses victimes de son crédit, de sa fortune,
de ses honneurs ? Haïssez-vous le monde,
quand vous vous déclarez ses apologistes
éternels contre les justes censures qu'en
font les ministres sacrés? Haïssez-vous le
monde, quand vous aimez h vivre sous sa
dépendance, quand vous ne voulez pas d'au-
tre maître que lui, et que vous préférez la
honte d"être son esclave à la gloire d'être
son vainqueur? Haïssez-vous le monde,
quand vous êtes charmé de l'encens qu*il
vous offre, que vous donnez dans tous les
pièges qu'il vous tend, que vous vous lais-
sez conduire en aveugle dans tous les' abî-
mes qu'il vous ouvre ? Haïssez-vous le mon-
de, quand vous voulez être de toutes ses
parties, que vous vous plaisez dans ses agi-
tations, dans son tumulte, dans ses embar-
ras, dans ses troubles, dans ses cercles, dans
ses assemblées? Haïssez-vous le monde,
quand de toutes parts vous courez au théâ-
tre, qui est son centre, où il étale tous ses
charmes, où sa figure est peinte plus au na-
turel, où il se montre avec ses traits les plus
enflammés, où il débite par tous les sens
son poison le plus funeste, et où il rassemble
toutes ses pompes, réunit toutes ses forces
pour séduire l'innocence et porter ses flam-
mes meurtrières jusque dans la substance
de l'âme? Sont-ce là, mes frères, des fruits
bie-u marqués de la haine que vous avez
pour le monde?
Je l'avoue, en certains moments où la
grâce vous touche pour vous éclairer et vous
faire revenir, vous vous plaignez que ses
joies sont fades, ses plaisirs insipides, ses
honneurs gênants, et qu'il ne reste que le
dégoût et la lie de s'y être enivré. Si, dans
les chaires chrétiennes, les ministres de la
sainte parole vous disent que c'est un im-
posteur qui n'a de grand que ses misères,
de vrai que ses pertidies, de réel que son
inconstance et sa légèreté, si nous vous di-
sons qu'il n'est autre chose qu'un amas
monstrueux d'idolâtres qui n'adorent que
leurs peines, une société d'aveugles qui
se précipitent, qui se heurtent les uns les
autres, qu'une troupe de bêtes féroces qui
se mangent, qui se déchirent tour à tour, si
bous vous représentons avec l'Ecriture et
les Pères qu'il est une nier orageuse où les
tempêtes sont fréquentes, les naufrages or-
dinaires et dont l'émotion fait périr ceux
qu'elle | orte, que c'est une terre maudite
qui dévore ses habitants, qui n'a de fond
que la corruption, qui n'a de fécondité que
pour le mal et qui est toujours ; térile { our
le bien ; si nous vous faisons souvenir que
ce monde est le piège fatal de l'innocence,
l'écueil de la vertu, la mort de l'âme, l'em-
pire du démon, l'ennemi déclaré dé Jésus-
Christ, que son nom seul est un ar.athèmc
] our le chrétien, et que non-seulement il
est un vide affreux de toutes sortes de biens,
mais l'assemblage de toutes sortes de maux;
de tout cela, vous en convenez avec nous,
vous «joutez même encore à ce tableau des
traits | lus vifs et plus horribles par la con-
naissance que vous en avez au-dessus de
vous, et nous avons la consolation de voir
que vous nous surpassez, au moins dans
l'horreur des images que vous en retracez;
mais, dans la pratique, au milieu de toutes
vOs connaissances et de toutes vos plaintes
ne lui donnez- vous pas tout votre cœur,
tout votre temps, toutes vos affections, tous
vos soins, et ne peut-on pas dire que vous
êtes désabusé et dévoué tout ensemble ? Vous
le connaissez assez, dites-vous, ce monde
dont nous vous parlons; mais que vous sert
donc de le si bien connaître si vous ne l'en
aimez pas moins, et n'est-ce pas la plus
grande de toutes les folies de vous dévouer
à un perfide, à un imposteur reconnu pour
tel, et de l'idolâtrer tout méprisable et tout
corrompu qu'il est ? Enfin, le chrétien et le
monde sont deux ennemis qui se font une
mutuelle guerre, dont les vues, les réflexions,
les sentiments, les démarches sont toutes
opposées ; mais vous parlez comme le
monde, vous désirez, vous estimez, vous
craignez comme le monde, vous vous attris-
tez, vous vous réjouissez, en un mot, vous
pensez, vous vivez comme le monde, vous
êtes donc du monde, vous êtes le monde
même; or le monde n'est point chrétien,
donc vous ne l'êtes point non plus. Si le
monde faisait des élus, peut-être seriez-
vous de ce nombre ; mais c'est Jésus-Christ
qui décide de votre sort, et, comme il ré-
prouve le monde en mille endroits de son
Evangile, donc comme lui vous êtes ré-
prouvé, donc comme le monde vous êtes
exclus du ciel et des espérances éternelles,
le grand nombre n'étant aujourd'hui ni de
scélérats, ni de saints ; vous formez par vos
mœurs, par vos airs, par vos manières, par
votre politesse, par votre enjouement, par
votre mollesse, par votre sensualité, vous
formez, dis-je, cette multitude que Jésus-*
Christ réprouve et qui, le jetant dans l'ad-
miration et la douleur le fait écrier : Oh ! que
la voie qui conduit à la vie est étroite,
qu'elle est peu fréquentée, et qu'il y en a
peu qui la trouvent ! Quant arcta via est guet
ducit advitam! paucisunt qui inveniunteam.
(Mat th., Vil.) Car, si en vivant comme la
multitude on était sauvé, qu'y aurait-il de-
plus commun que le salut? mais, parce qu'en
vivant comme le monde, on ne peut opéier
SG?
btuTF.rRs Nacres, le p. sùrian.
nos
cette grande affaire du salut, c'est avec rai-
son que la seule pensée jette la douleur
et l'admiration dans le cœur d'un Dieu :
Qiutm arcta via est quœ ducit ad vilam!
Mon Dieu, que cette parole porte avec elle
des idées sombres et amères dans les esprits
dociles, et qu'elle pénètre bien avant dans
un cœur jaloux de son salut? ce monde, tel
qu'il est et qu'aujourd'hui vous aimez, que
vous suivez, est un grand livre toujours ou-
vert ou plus sensiblement encore que dans
l'Evangile, vous lisez avec les yeux" de la
foi qu'il y en a beaucoup d'appelés, mais
peu d'élus : Multi vocati pauci vero electi ;
maisà voulez-vous sortir de l'anathème gé-
né-ral prononcé contre ce monde; imitez ces
enfants d Israël qui dans Babylone même
refusèrent d'adorer des dieux étrangers que
tout le monde adorait et que Nabuchodono-
sor voulait qu'ils adorassent avec sa statue :
Omnis homo prosternât se et adoret slatuam
auream, et cadentes omnes populi adoraverunt
statua.naurcam. (Dan. III.) Aux ordres de ce
roi impie, tous les peuples se prosternent et
lui ren lent de profanes adorations ; mais
vous chrétiens, dites à ce monde qui vous
tyrannise ce que ces fiJèles enfants d'Israël
ré.îon iirent au roi de Babylone : Ecce Deus
tioster que ni colimus (Ibid.). Se prosterne qui
voudra devant la figure de ce monde et devant
ses idoles; pour nous nous n'en ferons jamais
rien, voilà sur la croix, dans les cieux, sur
nos autels le Dieu que nous reconnaissons
pour être seul véritable, c'est uniquement à
lui que nous voulons sacrifier nos cœurs et
toute notre vie, lui seul mérite et recueillera
tout notre culte, tous nos hommages -.Ecce
Deus noster quem colimus ; mais pour toi,
monde corrupteur, pour tous tes biens et
tes richesses périssables, pour tous tes hon-
neurs vains et chimériques, pour tous tes
plaisirs frivoles et dégoûtants, nous n'en
voulons point ; que les mondains, tes lâches
partisans, les adorent comme ses idoles, pour
nous nous te déclarons que nous les avons
en exécration, nous ne te le cachons point :
Notnm tibi sit quia deos tuos non colimus.
(/iîd)Nousfaisonsgloirede le publier partout
notre conduite, et au milieu de la multitude
effroyable qui tombe tous les jours à tes
pieds, nous n'aurons jamais que du mépris
et de l'aversion pour tout l'éclat et les char-
mes que tu étales à nos yeux : Statuam au-
ream , quam erexisli, non adoramus. (Ibid.)
Vous le sentez donc, mes frères, combien
ces traits étrangers mettent d'opposition entre
vous et Jésus-Christ et que trouvant dans le
christianisme même si peu de vrais chré-
tiens, c'est une forte conviction qu'il y a peu
d'élus ; mais peut-être en trouvera-t-on le
nombre plus grand, si on le prend du côté
de la conversion et de la pénitence, encore
fausse ressource? Peu d'élus, parce qu'il y a
peu rie pécheurs qui soient véritablement
convertis ; c'est le sujet de mon second
point.
SECOND POINT.
de péché, il y en a peu qui soient véritable-
ment convertis, et plût à Dieu qu'il y en eût
d'avantage; ici ne nous livrons pas à ries
sentiments outrés qui rebutent plus qu'ils
n'encouragent , ne suivons pas cette élo-
quence vaine qui, pour faire des impres-
sions plus vives sur l'esprit, n'en fait au-
cune sur le cœur, et crainte de ne riea
conclure en exagérant, donnons à la conver-
sion les bornes les plus étendues.
Qu'est-ce que se convertir? Se convertir,
mes frères, c'est :1° quitter le péché; 2° l'ex-
pier, c'est-à-dire haïr le mal et aimer la jus-
tice .-voilà tout ce qui sauve le pécheur;
c'est le terme auquel la bienheureuse élec-
tion est attachée; un degré au-dessous, c'est
la damnation éternelle ; mais qu'il est peu de
conversions qui aillent- jusque-là, et qu'un
élu peut bien s'écrier avec le prophète : Je
suis devenu un prodige à l'égard du plus
grand nombre : Tanquam prodiyium factus
sum multis. (PsaL, LXX.)
Cette ruine entière de ce qui offense Dieu est
dans la première démarche d'un cœur touché,
qui aspire encore à labienheureuse élection; ;1
faut qu'il commence par anéantir en lui le
péché , et qu'il dise : Mon Dieu ! séparez mou
cœur de cet objet criminel qui m'éloigne ce
vous, rie tous ces désirs pervers, de toutes
ces affections terrestres qui m'empêchent de
retourner sincèrement à vous.
Or, selon ce principe, mes frères, cette
conversion est-elle la vôtre? En quel endroit
de la terre découvre-t-on ce renoncement
total au péché? Examinez-vous vous-mêmes.
Vous avez tous été pécheurs; vous qui vous
dites convertis, ne tenez-vous point encore
par quelque côté à quelqu'un de ces péchés?
et le Seigneur, qui voit jusqu'au fond des
consciences, ne peut-il point vous faire le
même reproche qu'autrefois il faisait à la
maison d'Israël? Ah! ce n'est point de tout
votre cœur que vous êtes revenu à moi : Non
est reversa ad me in toto corde suo. (Jerem.,
III.) Non, cette âme criminelle n'est revenue
qu'à moitié; elle n'a pas tout quitté ce qui
la rendait coupable à mes yeux : In omnibus
suis non est reversa; son retour n'est qu'un
fantôme, et non une véritable conversion ;
et, en effet, ô homme pécheur 1 qui vous glo-
rifiez du nom de pénitent, où est donc le
changement total de votre cœur ? La terre, le
monde, les faux biens, les créatures n'ont-ils
plus le moindre désir, la moindre affection
de ce cœur touché qui doit tout entier re-
tournera son Dieu? Où voit-onde ces cœurs
généreux dont toutes les forces, tous les
soins aillent à fuir tout ce qu'ils avaient re-
cherché, à haïr tout ce qu'ils avaient aimé, à
sacrifier tout ce qu'ils avaient le plus chéri,
quand aujourd'hui, hélas 1 les conversions
sont lâches, feintes et partagées? Si on sa-
crifie la cupidité, on conserve l'orgueil; si
on étouffe la vengeance, on épargne la mol-
lesse, si on renonce aux amours grossiers,
on se réserve des tendresses spirituelles ; tou-
jours l'on ménage une partie de la victime;
Vous ne faites dans vos prétendues conver-
Peu d'élus ; parce qu'après une vie toute sions que changer d'objets, que varier vos
%9
CAREME. — SERMON XXI, DU PETIT NOMBRE DES ELtIS.
!V70
passions, qu'en substituer de plus tranquil-
les à celles qui faisaient trop de bruit; vous
changez les péchés des sens pour ceux de
l'esprit, les coupables vanités qui scandali-
saient le prochain en complaisances secrètes
qui flattent l'amour-propre; vous faites suc-
céder une fausse tranquillité de conscience
aux remords cuisants ; et, en affectant une
plus édifiante régularité, vous vous ménagez
davantage vous-mêmes; vous seriez bien fâ-
chés de donner dans ces crimes énormes,
dans ces injustices criantes, dans ces impu-
retés honteuses; mais pour garder plus de
délicatesse et de règle dans vos péchés, vous
n'en outragez pas Jésus-Christ avec moins
de malice ; vous ne vous lassez plus à courir
après les plaisirs , mais la mollesse et l'oisi-
veté vous en fournissent d'aussi délicieux et
d'aussi sensibles, c'est-à-dire que le retour
de l'âge, la nécessité des affaires, les bien-
séances de l'état, la révolution des temps,
les disgrâces de la fortune sont bien plutôt
la cause de vos conversions que la haine du
péché, que l'horreur du mal et que la sin-
cérité de votre repentir. Vous renoncez au
grand monde, à ses bagatelles, à ses usages
pernicieux, à ses modes ridicules, à ses agi-
tations fatigantes; mais dans votre retraite
vous conservez encore un certain nombre
d'amis privilégiés, certaines liaisons tendres,
des entretiens et des conversations dange-
reuses; et si vous ne vous trouvez plus dans
les cercles et dans les. assemblées mondai-
nes, vous vous livrez encore aux censu-
res malignes, aux railleries piquantes, aux
médisances subtiles, aux jalousies, aux en-
vies, tous poisons qui, pour être plus subtils,
n'en sont pas moins funestes, et c'est ainsi
que vous tempérez le vice sans l'abandon-
ner ; vous réformez le dehors sans toucher
au dedans, oubliant que dans un cœur qui
veut se convertir, une seule passion, un seul
péché rappelle tous les autres.
Or, un tel retour est-il l'ouvrage de la
grâce ou la punition du péché? De quel
nom peut-on le qualifier, sinon d'erreur, de
feinte et de mensonge? Inmendacio. Et lors-
que dans cet état vous vous familiarisez avec
les sacrements, que vous les recevez sans
crainte , ne vous incorporez-vous pas votre
propre jugement, et ne iustifiez-vous pas
par vous-mêmes cet oracle terrible : Beau-
coup d'appelés, mais peu d'élus : Multi vo-
cati, pauci vero eleeli.
Mais enlendra-t-on toujours cette parole
effrayante sans en tirer quelque fruit? J'au-
rais dû l'expliquer plus au long, je l'avoue;
mais en l'exposant seulement, je frissonne.
Voyez-vous ce sacré temple , cette maison de
prière et de miséricorde? Dès que vous
n'êtes pas du petit nombre des élus, vous
n'êtes plus dignes d'y entrer , et du centre
des grâces, il devient une source d'anatbè-
mes pour vous. Voyez-vous ce sang pré-
cieux répandu pour tous sur le Calvaire et
reproduit sur nos autels pour effacer les pé-
chés du monde? Dès lors que vous n'êtes
point des élus, il ne coule plus pour vous,
Cl VOUS ne l'avez plus, votre lâcheté seule
OeUTCURS SUCRÉS. L.
vous en prive. Cette croix, instrument ado-
rable du salut de tous les nommes, dès lors
que vous n'êtes point des élus, ne sert plus
qu'à votre honte et votre condamnation. D'un
côté, percez le voile céleste, voyez-vous Jé-
sus-Christ au milieu des anges et des saints
qui l'adorent, et dont il fait tout le bonheur
et toute la félicité? Dès lors que vous n'êtes
point des élus, ce bonheur souverain est
perdu pour vous. De l'autre, baissez les
yeux , voyez-vous ces brasiers ardents, ces
flammes dévorantes, ces démons furieux, cet
amas de tous les tourments et de toutes les
misères? Si vous demeurez inflexibles, si
vous endurcissez vos cœurs sur la vérité
que je vous annonce aujourd'hui , c'est .là
votre sort, ce sera éternellement votre par-
tage. Oh 1 quel coup de foudre pour le pé-
cheur, que cette parole : peu d'élus 1 Mais,
pour la crainte que cette vérité imprime,
qu'elle est juste, qu'elle est raisonnable; elle
devrait être aussi grande que le ciel que
nous perdons, que cet enfer que nous mé-
ritons. Qu'on est sage de s'y abandonner 1 le
comble des maux ne demande-t-il pas le
comble des craintes?
Mais il y a plus encore pour une véritable
conversion : l'essentiel est de joindre à la
fuite de tout péché la pratique de toute jus-
lice, et d'accompagner le renoncement par-
fait au mal d'une réparation juste et propor-
tionnée de la pénitence, félon ces paroles
du Seigneur : Convertissez-vous à moi et
marchez selon ma iustice; mes jugements
seront sévères pour les pécheurs, et ce n'est
que par une rigoureuse pénitence qu'on peut
en prévenir les rigueurs : Convcrtimini in
jusiitia et injudicio; et là-dessus, mes frè-
res, examinez-vous, et voyez si vous êtes
véritablement convertis pour être du nom-
bre des élus. Oh! que sur cette essentielle
condition l'enfer a élargi ses portes, et que
de pécheurs on y voit tomber en foule de
toutes parts l Tous ont outragé Dieu par leurs
crimes, et presque personne ne fait péni-
tence. En effet, qui peut se vanter que sa vie
est accompagnée de cette pénitence propor-
tionnée, sans laquelle on n'est digne que de
l'enfer? Si pour faire pénitence, il suffisait
d'avoir une confiance stérile et oisive en la
miséricorde de Dieu, s'il ne fallait que sentir
le besoin pressant qu'on a de la grâce et des
secours d'en haut, si la pénitence véritable
n'était qu'une accusation froide et timide dd
ses péchés au prêtre, si elle ne consistait
que dans quelques protestations vaines, que
clans une douleur passagère et superficielle,
que dans quelques actes extérieurs de reli-
gion, ah! on en verrait beaucoup qui feraient
pénitence, et cet oracle éternel : peu d'élus,
serait un mensonge; mais ce qui lui donne
tant de force et de vérité , c'est que la con-
version pour être véritable doit des répara-
tions proportionnées aux offenses qu'on a
commises, et que non-seulement il faut
quitter le péché, mais le pleurer. Ce qui
donne à cet arrêt tant de frayeur, c'est que
la justice de Dieu demande une satisfaction
qui soit mesurée sur le crime ; c'est que J6~
31
571
ORATEURS SACRES. LE P. SUR1AN.
07-S
sus-Christ, pour nous admettre au nombre
dos é!us, exige du pécheur une pénitence
vive, prompte, rigoureuse, constante, et que
ïa nôtre est lâche, douce, tardive, passagère,
insuffisante, et par conséquent nulle : Nullus
est qui agat pcenitentiam. (Jerem., VIII.)
Et m effet, comment un Dieu qui porte
au péché une haine si marquée, pourrait-il
être sat sfait de ces jeûnes si adoucis, de ces
prières d négligées, de ces confessions si
froides, de ces conversions superficielles,
de ces faib'es violences qui se jettent sur des
endroits indifférents, qu'on abandonne sans
peine? En vérité la justice de ce Dieu si long-
temps et si grièvement offensé, se trouve-
t-elle bien dédommagée, par une telle péni-
tence, des réparations immenses que vous
devez à cet être infini? Je sais que comptant
sur la miséricorde de votre Dieu, vous vous
reposez sur la pénitence que vousfaites,mais
la justice perdra-t-elle ses droits, vous a-t-elle
assuré quelque part qu'elle s'en relâchera tant
que vous ne ferez pas vos efforts pour la satis-
faire. Pensez-vous que, parce que vous vous
endormirez lâchement sur une imparfaite pé-
nitence, le Seigneur l'agréera comme une
juste expiation de vos péchés? Oh ! que c'est
grossièrement vous tromper si vous le croyez
de la sorte, comme si Dieu et vous n'aviez
pas deux tribunaux, deux colères, deux jus-
tices différentes. L'une peut-elle être sub-
stituée à l'autre , et loin que l'idée que vous
vous formez de votre conversion qui est si
fausse et si trompeuse, si vide de mortifica-
tions et de bonnes œuvres, vous puisse ras-
surer, ne vous fait-elle pas entrer en con-
viction de cette terrible vérité : peu d'élus?
Ah ! si au moment que je vous parle, lors-
qu'ici le triste sort du réprouvé semble vous
toucher, un homme de Dieu venait vous
dire comme autrefois Nathan à David : Tu es
Me vir ( Il Iieç/., XII ), ce ré( rouvé c'est
vous-même; si votre conduite ne change,
si vos mœurs ne sont mieux réglées, votre
vie plus sainte, votre pénitence plus' sin-
cère, votre conversion plus parfaite, vous
serez une victime de l'enfer: un prompt tré-
pas au sortir de ce temple va décider de votre
sort éternel : ah 1 vous seriez saisis de la dou-
leur la plus vive; le trouble s'emparerait de
vos sens, et tout en vous serait dans la
frayeur et dans la confusion.
Mais quoi 1 ce sont vos mœurs, votre vie,
vos péchés, votre fausse pénitence qui vous
le disent, et après vous, c'est votre Dieu,
votre Sauveur, votre juge qui vousen assure,
et vous demeurez tranquilles! et vous ne
frémissez pas jusque dans la moelle des os I
et vous ne formez pas dès ce moment, sans
plus différer, des projets d'un changement
parfait, des résolutions fortes et efficaces de
faire le reste de vos jours une pénitence pro-
portionnée à vos crimes ! Ciel! quelle plus
monstrueuse insensibilité !
Reste, mes frères, à vous montrer qu'il
y a peu d'élus, parce qu'il y a peu de chré-
tiens qui conservent le don de Dieu qu'ils
ont reçu, et qui persévèrent dans la justice
recouvrée. Vous le savez, Dieu est toujours
avec les justes au milieu môme de nos dé-
sertions; il nous cherche et ne nous quitte
jamais le premier, mais l'homme cstl'incons-
t nec même, à tous moments il est prêi ue
changer : à peine a-t-il passé dans un nou-
vel état qu'il en voudrait un autre, et son
grand malheur est qu'il donne à la grâce le
triste caractère de son instabilité; il se lasse
aisément dans la voie de la vertu : la lon-
gueur du sacrifice qu'on lui demande le dé-
courage, le trajet du bien au mal, de la piété
au dérèglement est si rapide, le pas de l'un
à l'autre est si glissant, qu'il change presque
sans s'en apercevoir. 11 ne se fortifie point
assez par la prière, par la vigilance contre
les traits séduisants et continuels que l'enne-
mi lui porte, et de là combien retombent de
la justice dans le péché et deviennent les mi-
sérables victimes de l'humaine fragilité. Com-
bien,après s'être fait un plan de vie plus régu-
lière et plus chrétienne, démentent parleur
légèreté ce bienheureux système! Combien
d'âmes pénitentes, même des plus ferventes,
après avoir eu le courage d'élever à grand
fruit le précieux édifice de la conversion et
du salut, le laissent honteusement tomber en
ruine, faute de veillera l'entretenir et aie for-
tifier? Combien après plusieurs années, et
peut-être toute une vie de ferveur et de sain-
teté, se sont trouvés les mains vides à la mort,
par un relâchement, par un dégoût, et s'arra-
chent la couronne de justice par une négli-
gence et par une infidélité finale !
Mais enfin il faut 'finir, je n'ose arrêter
plus longtemps les yeux sur cet abîme, il
donne trop de frayeur; je le dis à la face des
saints autels, sous les yeux de Jésus-Christ,
avec Jésus-Christ même • beaucoup d'appe-
lés , multi vocati; mais si vos cœurs ne
changent pas, si vos mœurs ne deviennent
plus épurées, votre vie plus conforme à
votre divin chef, h votre grand modèle :
Peu d'élus, peu d'heureux, peu qui ar-
rivent au royaume de Dieu : pauci vero
electi.
Que conclure de celte terrible vérité, mes
frères? Est ce de nous dire : Pourquoi prê-
cher aux fidèles un dogme si effrayant! Mais
accusez-en donc les prophètes, les Pères de
l'Eglise, et Jésus-Christ lui-même, dont les
lumières pénétrantes connaissaient si bien
le besoin qu'ont les peuples d'être souvent
réveillés d'un assoupissement si funeste ?
Ah! que ne la fait-on entendre aux riches
et aux grands, cette vérité si terrible? Que ne
fait-on gronder sur les plus hautes têtes du
monde, ce tonnerre divin, et dans tous les
lieux où l'on sait bien qu'on n'annonce guère
cette épouvantable vérité aux pécheurs, sans
qu'elle les ramène, au moins pour quelques
moments, à eux-mêmes et à Dieu.
La conséquence que vous devez tirer ici ,
mes frères, n'est donc pas de blâmer le zèle
de ceux qui viennent vous prêcher le petit
nombre d'élus, mais, c'est de vous séparer
des mœurs corrompues du siècle, c'est de
mettre à couvert votre innocence, et de vous
faire un asile comme les âmes choisies, con-
tre les attaques et la contagion de ce monde;
573
CAREME. — SERMON XXII , CONTRE LES RECHUTES.
$7i
c'est (-le chercher et de suivre les traces des
saints, dont vous avez entre les mains et
sous les yeux la vie et les exemples ; c'est
de vous rassurer par la singularité de vos
vertus et de votre ferveur, contre les mal-
heurs du grand nombre, en un mot, rangez-
vous, dit un Père de l'Eglise, avec le petit
nombre : Esta de numéro paucorum. Vous
juges, vous prêtres, vivez comme Aaron et
comme Josias, car ces grands hommes étaient
du petit nombre : Esto de numéro paucorum.
Vous, femmes et filles chrétiennes, vivez
comme les Judith et les Esther, car (es
femmes fortes sont du petit nombre : Esto de
numéro paucorum. Voilà l'effet que doit pro-
duire dans vos cœurs cette vérité terrible :
peu d'élus. Quand vous nous demanderez :
qui sera donc sauvé? faites tous vos efforts,
vous répondrons-nous avec Jésus-Christ,
pour être du petit nombre : Si la porte du
ciel est étroite, faites-vous violence, s'écric-
t-il, pour y entrer . Ah ! jusqu'à quand donc
pourriez-vous demeurer dans l'indolence,
dans la mollesse et dans la voie large, lors-
que le Seigneur vous annonce par ma bou-
che ces vérités terribles?Ne remportefez-vous
donc de ce discours que votre arrêt et votre
condamnation? J'ai meilleure confiance en
vous, mes frères : Confido meliora; j'espère
qu'aulieu de vousamuserà raisonnercomme
on fait d'ordinaire, sur votre élection, dont
la justice, la miséricorde et la grandeur de
Dieu ont droit de vous faire un mystère,
vous travaillerez par vos œuvres à vous l'as-
surer. C'est à vous à croire, à espérer et à
craindre, et non point à Jouter, à critiquer et
h murmurer. Ne vous reposez point si indo-
lemment, par une vaine confiance de votre
bienheureuse élection; n'en désespérez point
non plus par pusillanimité, mais si pour
voire consolation vous rappelant ce que le
Seigneur nous dit dans ses Ecritures, qu'il
se convertira à vous, si vous vous conver-
tissez à lui, vous en concluez que l'élection
n'est pas vaine, mais seulement qu'elle est
rare : non nullus, sed rarus electorum mime-
ras. Que ce soit pour vous un motif de re-
doubler votre travail et votre vigilance, ai-
mez à vous donner à toutes les marques les
moins équivoques de sainteté, et dans les
signes véritables que vous vous donnerez de
conversion, de pénitence et de componction,
joignez-y tous les caractères essentiels d'un
changement sincère et effectif , qui sont de
quitter tout péché, de pratiquer toute jus-
tice, et de l'aimer avec persévérance; après
cela, déchargez-vous avec confiance dans le
sein de Dieu; mettez votre sort entre ses
mains divines.
Nous le faisons aujourd'hui, Seigneur, et
vous seul serez désormais notre asile; nous
l'avouons en tremblant devant vous, vous
seul, comme maître de notre destinée, pou-
vez nous perdre ou nous sauver, nous ren-
dre malheureux dans le fond des enfers ou
nous enivrer pour jamais dans le ciel de vos
délices ineffables, 'il y a tant d'années que
uous sommes séparés de vous par nos crimes!
quand nous en rapproeherez-vous par vos
miséricordes? voussubsisterezéterneilement,
et avec vous votre compassion, votre ten-
dresse, vos mérites. Ah! ne soyez pas insen-
sibles aux malheurs qui nous" menacent, et
ne permettez pas que les plus nobles, quoique
les plus rebelles, de vos ouvrages périssent
par leur faute, mais, comblés de vos grâces
et de vos faveurs, faites que nous en profi-
tions pour notre salut! Dieu de bonté, nous
sommes inconsolables de n'avoir fait servir
tant de secours et de bienfaits qu'à vous of-
fenser par nos infidélités, et nous n'osons
plus vous en demander de nouveaux; il vous
en a tant coûté pour nous racheter, quand
nous étions vendus au démon , pour nous
sauver lorsque nous étions perdus, pourriez-
vous encore consentir à nous perdre?
O bonté divine, enlevez-nous, miséricorde
ineffable, regardez-nous, grâce puissante,
cherchez-nous , salut du monde, sauvez-nous,
sagesse incréée, dites à notre âme : Je suis
ton Dieu, ta félicité, ton bonheur, enfin faites
de votre peuple vos héritiers, afin qu'après
avoir vécu sur la terre en parfaits chrétiens,
en véritables pénitents, en justes persévé-
rants, notre sort soit de vous aimer, de vous
louer et de régner éternellement avec vous
dans l'immensité de votre gloire; c'est, mes
frères, ce que je vous souhaite. Amen.
SERMON XXII.
CONTRE LES RECHUTES.
Venit nox quando nemo potest operari. (Joan., IX.)
Vient une nuit où personne n'a pu travailler.
Quelle est donc cette nuit si affreuse, mes
frères? C'est, dit saint Chrysostome, l'état
d'une âme infidèle qui retombe souvent dans
le péché, qui vieillit dans cette inconstance
malheureuse que je reproche aujourd'hui au
peuple Juif et que je viens retracer ici à vos
yeux.
Hélas 1 c'est aujourd'hui le grand désordre
de l'Eglise sur lequel ses ministres gémis-
sent sans pouvoir se consoler : on ne voit
partout que des âmes flottantes, incertaines,
variables, inconstantes, que tout agite et que
rien ne fixe, qui, n'osant mettre tout leur
bonheur en Dieu et ne le pouvant trouver
dans les créatures, passent tour à tour de
l'un à l'autre sans s'y arrêter; jamais d'accord
avec elles-mêmes; trop lâches pour s'arrêter
dans le bien, trop inconstantes pour demeu-
rer dans le mal; qu'une impression de piété
ramène aujourd'hui à Dieu, qu'un attrait de
justice reportera demain vers le monde; tou-
jours prêtes à retourner au gré de leurs pas-
sions volages, ébranlées aux moindres me-
naces du Seigneur, gagnées par les premiers
appâts du siècle, sur qui Dieu ne peut comp-
ter, qui ne peuvent compter sur elles-mêmes, i
Oui, examinez tous les âges, tous les états,
depuis ceux qui occupent les premières
places jusqu'à ceux qui tiennent le dernier
rang : on ne trouve plus aujourd'hui de vertu
stable, de solide piété, plus de conversion
véritable; on ne se contente pas d'aller à
Dieu d'un pas chancelant : à peine est-on ar-
ORATEURS SACRES. LE P. St'RIAN.
976
rivé à lui qu'on l'abandonne, si on pleine
ses péchés, un moment après on revient à
une vie plus digne encore de pleurs; on se
relève et on retombe, on brise ses liens et
on les renoue. Si quelquefois on a honte de
son état, bientôt après on est honteux de sa
honte même: nous sommes dans le chemin
de l'iniquité, et tout d'un coup il semble
qu'une main secrète nous rejette dans la
bonne voie, le bien et le mal ne sont sépa-
rés en nous par aucun milieu sensible; enfin
dans toute notre vie ce n'est qu'un cercle
monstrueux, qu'une succession déjWorable,
qu'une alternative continuelle de désordres
et de pénitence, de conversion éclatante et de
rechutes arrivés le même jour; nous nous
abattons sans cesse et nous nous relevons de
même, et nous sommes presque pénitents et
pécheurs à la même heure.
Hélas 1 qu'un tel état est triste, qu'un tel
pécheur est malheureux, qu'il est peu j rôpre
au royaume de Dieu, selon Jésus-Christ
même! Chrétiens, cet état est le voire 1 vous
ne le sentez pas, et le Seieneurm'inspire de
vous l'apprendre aujourd'hui. Vous verrez
(loue dans la première partie de ce discours
le crime de vos rechutes et que rien n'est
plus énorme; je vous en montrerai dans la
seconde les malheurs et que rien n'est plus
déplorable.
Ah! si par l'horreur de ces images je pou-
vais guérir un si grand mal, si je pouvais
donner à votre cœur inconstant un peu plus
de fermeté dans la vertu et arrêter pour tou-
jours Jésus- Christ dans ces âmes dont il sort
avec tant de peine, quel avantage ne serait-
ce pas pour vous, mes frères, et quel fruit
plus doux et plus consolant pourrais-je at-
tendre de mon ministère! .Mais c'est là votre
ouvrage, ô mon Dieu! Daignez nous regar-
der en pitié 1 nous vous en conjurons, par
l'intercession de votre sainte mère à qui nous
allons dire. : Ave, Maria.
PREMIER POINT.
L'homme, dit saint Augustin, a comme trois
dettes indispensables qiril lui faut paver cha-
que jour et dont il ne doit jamais manquer
Oe s'acquitter: l'une l'engage à Dieu, et il
lui doit la li iélité, l'autre l'engage envers
lui-même et il se doit la sainteté; la dernière
l'engage envers le prochain et ce qu'il lui
doit, c'est le bon exemple.
Que votre rechute a donc d'énormité, pé-
cheurs, puisqu'elle viole, anéantit et rejette
ces trois devoirs : à l'égard de Dieu, c'est
l'infidélité la plus criante ; à l'égard de vous-
mêmes, c'est la plus énorme profanation; à
l'égard du prochain, c'est le plus affreux
scandale. Qui ne frémirait à la vued'un crime
si énorme et qui mérite les plus affreux sup-
plices?
^ Et ne dites point : Je suis léger, volage ,
c'est tout le mal de mon cœur; je suis plus
ignorant que coupable, j lus faible que per-
fi le et je suis plus à plaindre qu'a condamner.
Arrêtez ici et ne vous faites pas à vous-même
illusion, car de là pouvaient venir vos pre-
rhiers péchés, je 1 avoue, mais de; uis que
vous avez promis de n'y plus retomber, que
vous en avez obtenu le pardon, une lumière
céleste descendant sur votre aveuglement
vous a éclairé et vous avez découvert le vide
de ces richesses, Je néant de ces honneurs,
le péril de ces as.vemblées mondaines, la faus-
seté de ces plaisirs que regoûte une âme,
toute la profondeur de l'abîme vous était
connu quand vous y êtes retombé; vous étiez
un pécheur bien instruit sur tout ce que le Sei-
gneur a d'aimable et le siècle de méprisable;
ayant fait comparaison de ce qu'a la religion
de sage et le monde d'insensé, vous aviez pro-
mis la préférence au Seigneur et vous la
donnez aux créatures; vous aviez juré fidé-
lité au premier et vous la donnez au dernier,
enfin vous êtes retumbé les yeux ouverts et
votre rechute est moins ignorance que ma-
lice.
Mais si je retombe dans le péché, dites-
vous, c'est que je suis d'un caractère chan-
geant : ce que je suis dans mon salut je le
suis dans tout le reste. Mon Dieu qu'un
pareil langange jette de l'erreur dans mon
âme ! Ah ! ce n'est pas là ce qui parait dans
toute votre conduite : vous haïssez infini-
ment quand vous voulez. Songez-vous à par-
venir, votre ambition est insatiable; voulez-
vous plaire, vous tentez toutes les voies. Ah!
vous jurez d'ètie content jusqu'au tombeau
quand vous aimez :avez-vous des habitudes,
elles ne finissent point, vous avouez que
rien ne peut les rompre; quand vous vous
plaignez de votre inconstance, nous nous
plaignons de votre fermeté: vous avez la ré-
putation d'un homme qui se montre infati-
gable dans l'exécution de ses projets, que
rien ne rebute. Quiconque vous connaît juge
de votre conduite qu'elle ne se dément jamais
et qu'en vous il ne faut point craindre lo
changement.
Mais quoi ! le péché aura toutes vos forces,
toute votre fermeté, toute votre constance,
et Dieu seul et votre salut n'auront rien que
vos dégoûts, que vos variations, que vos
défaillances! Ce partage est-il juste, si quel-
que chose a droit de vous fixer, est-ce au
vice à le faire, n'est-ce point à la vertu?
Que faut-il autre chose que l'immutabilité
de notre Dieu et l'attrait de ses biens si so-
lides et si nobles pour y fixer des chrétiens
comme à leur centre.
Ah ! mon Dieu, je le reconnais maintenant,
par quelque endroit que j'envisage mes fai-
blesses, elles sont très-énormes, en vain
je voudrais m'en excuser, je ne puis | lus
ignorer que je suis inexcusable; non, ni
le monde qui me domine ne peut me servir
d'excuse : combien de fois ai-je méprisé
ses lois par vanité ou par caprice; ni l'exem-
ple qui me tente et me séduit, combien de
fois lui ai-je résisté quand il s'agissait de
mon plaisir ou démon intérêt; non, je ne
veux plus y chercher des prétextes, mon
cœur tout seul est infidèle, ah ! changez-le
ce cœur, ô mon Dieu, David une fois tombé
dans le crime vous demande de l'attendrir
à la vue de ce scandale, mais après sa re-
> hute il vous prie de lui donner un nouveau
917
CAREME.
SERMON XXII, CONTRE LES RECHUTES.
578
cœur et d'en substituer un autre à la place
du sien : Cor mundum créa in me, Dcits.
(Psal. L.) Votre rechute, mes frères, à l'é-
gard de Dieu est l'infidélité la plus criante,
elle est encore à l'égard de votre miséricorde
la plus énorme profanation.
Vous le savez, la mesure du désordre se
prend de la mesure de sainteté qu'on avait,
et plus la sainteté de laquelle on déchoit
était sublime, plus la profanation qu'on en
fait a d'horreur ; or, songez à l'état excellent
d'où vous êtes tombés : Mcmor eslo unde
txcideris ; par votre réconciliation vous
étiez devenu le temj le de Dieu purifié,
son image réparée , son héritage recou-
vré, son royaume reconquis, son sanc-
tuaire révélé, la pénitence vous avait rendu
un homme ressuscité, un enfant réconcilié,
un membre revivant dans l'union du corps
mystique de l'Eglise. Jésus-Christ avait fait
un heureux écoulement sur vous de ses lu-
mières, il s'était fait entre vous et lui une
communication toute divine de grâce et de
sainteté, de mérite et de gloire, rempli de
son esprit : on ne voyait rien sur la terre de
plus grand, de plus noble et de plus pré-
cieux que vous. Ah ! était-ce assez d'un
cœur pour tant de grâces? Or par notre re-
chute nous opposons à cet état si noble et
si saint le plus funeste de tous les obstacles :
par elle le temple de Dieu se trouve souillé,
son sanctuaire déshonoré, son alliance rom-
pue, par elle vous arrachez de son corps
mystique, qui est l'Eglise, des membres en-
core tout sanglants de leurs plaies, vous
anéantissez tout le fruit de ses grâces et de
ses mérites, vous profanez la sainteté de
ses mystères et rejetez les profusions de ses
plus grandes miséricordes. Ah! contre un
tel abus il faudrait des anathèmes et non
des instructions, des foudres accablants plu-
tôt que' des avertissements charitables.
Mais pourquoi nous plaindre de votre
conduite, nous lâches ministres qui sommes
cause de vos malheurs ? Pourquoi sommes-
nous si faciles à vous accorder des trésors si
précieux sur quelques soupirs échappés,
sur quelques protestations passagères,?
Pourquoi répandre sitôt sur vos têtes humi-
liées les mérites du sang de Jésus-Christ
et vous faire si légèrement un présent de son
corps? Pourquoi jeter le pain de vie à celui
qui retourne sitôt à son vomissement? Un
délai salutaire aurait affaibli peu à peu vo--
tre mauvaise habitude et vous aurait accou-
tumé à la pratique de la vertu. Nous avons
fait en vous par notre facilité à vous accor-
der l'absolution, d'un crime un sacrilège, et
comme si cette offense n'était cas encore
assez horrible par un nouvel atffntat, nous
avons ajouté au sacrilège un déicide; car
quel autre nom donner au péché de celui
qui, lavé dans le bain sacré de la pénitence
et rassasié de la chair délicieuse de Jésus-
Christ, retombe sitôt dans son crime; de ce-
lui qui fait une alliance monstrueuse en
retombant de la chair toute sainte d'un Dieu
avec la chair impure d'un pé heur qui, pro-
fanant tous les attributs différents de la Di-
vinité, sa sainteté qu'elle souille, sa gloire
qu'elle ternit, sa majesté qu'elle avilit, sa
miséricorde qu'elle blesse, son amour qu'elle
insulte, sa vérité qu'elle dément, elle cru-
cilié Jésus-Christ derechef et le fait mourir
après sa mort même! Ah! cœurs infidèles, si
une seconde rechute de l'arche sainte éta't
autrefois appréhendée parmi les Juifs parce
qu'elle renfermait le propitiatoire, les tables
Je la Loi, la manne et qu'elle était plus
pleine de la majesté de Dieu que tout autre
endroit de la terre, quels malheurs ne me-
nacent pas la rechute de celte âme incon-
stante qui, après avoir servi d'arche vivante
au Seigneur la rejette et l'éloigné, qui après
les lois divines qui l'avaient éclairée, la
propitiation qui l'avait réconciliée, le pain
sacré qui l'avait nourrie, le germe de la
grâce qui avait en elle ressuscité, les dou-
ceurs de la piété qui l'avaient consolée, en
fin toute la religion et avec Jésus-Christ ce
qu'il y avait de plus sacré, de plus auguste,
de plus précieux dans le ciel et sur la terre
retombe encore dans son bourbier, et rede-
vient comme auparavant le temple du dé-
mon et la sombre demeure de l'ennemi de
son salut et de son Dieu. Mais comment,
chrétiens lâches, votre esprit n'est-il pas
devenu stupide en abandonnant ainsi les
maximes de la foi? Comment votre cœur n'a-
t-il pas séché quand de nouveau vous avez
aimé le crime? Avez-vous pu vous résou-
dre aisément à passer du bien souverain au
mal suprême? Ah ! comment dans ces pre-
miers pas la force ne vous a-t-elle pas man-
qué pour retourner au crime? Avez-vous
bien pu soutenir les gémissements de l'Es-
prit-Saint qui vous faisaient sentir si vi-
vement votre inconstance ? Avez vous bien pu
vous retenir contre les cris de ce sang profané
qui vous reprochait votre infidélité, contre
les tendres efforts d'un Dieu qui se plai-
gnait de votre ingratitude, et enfin, retour-
nant après que vous l'avez chassé, n'a-t-il
pas laissé dans votre âme le saisissement ;
enfin accoutumé déjà au langage de Jésus-
Christ, à son amour, à ses consolations, à
ses joies si pures et si parfaites, avez-vous
pu dans le crime parler, encore aimer, vous
réjouir, encore vivre, et après avoir goûté
tant de douceurs avec un Dieu si aimable,
comment tout le reste ne vous est-il pas un
tourment et la mort môme?
-Mais ajoutons que cette rechute déjà si
fatale au pénitent ne l'est pas moins à l'im-
pie : c'est une nuit qui se joint à une autre
nuit. Il sert bien peu de se relever puisqu'il
faut sitôt retomber ; il faut au contraire que
ce monde soit pourtant bien aimable puis-
qu'on y retourne sitôt comme au meilleur
de. tous les maîtres, et si on voulait les dé-
tromper ils en appellent à votre expérience.
Et comment donc prétendre les désabuser
de la fausse idée qu'ils s'en forment? Us
nous disent : Ah! vous nous vantez tant les
! laisirs qu'on trouve avec Dieu et dans la
voie de la vertu. Ah ! ceux qui en ont goûlé !e
plus, qui nous y paraissent les plus attachés
sont les infidèles et les plus prêts à les quit-
Ç79
ORATEURS SACRES. LE P. SURiAN
9S0
ter lEccequiserviant einonstabilessunt. (J b,
IV.) Comment la pénitence aurait-elle tant de
douceurs et de consolations qu'on le dit, et
comment tous les vrais plaisirs ne vien-
draient-ils que du service de Dieu? Vanus
est qui servit Deo (Malach., III) ; si cela était,
ceux qui sont à son service l'abandonneraient-
ils si légèrement et l'homme marquerait-il
tant d'inconstance et de variations dans la
pratique de ses commandements? Ecce qui
serviunt ci non sunt slabiles.
De là cet aveuglement déplorable et scan-
daleux où ils tombent : ils se défient de no-
tre religion sainte, s'imaginent que la péni-
tence n'est qu'une chimère, et soupçonnent
qu'il n'y a point de vraie conversion en
voyant la vôtre si fausse et si vaine; ils se
disent que la même légèreté qui fait le pé-
cheur fait aussi le pénitent; qu'au fond la
piété n'est qu'un langage et un jeu, et plutôt
l'effet d'une inconstance naturelle que le
mouvement et l'inspiration de Dieu. Que
sais-je encore ce qu'ils peuvent dire? au-
tant de paroles qu'ils profèrent sont autant
de blasphèmes. Ce ne sont que de vaines
excuses, je l'avoue; mais ce sont vos rechu-
tes qui y donnent lieu et qui les autorisent ;
et plus leur erreur est monstrueuse, plus
vous, qui la causez, êtes coupables : Re-
dite, pr<evurîcatures, ad cor (Isa. XLYI). Vo-
tre conversion est une justice que vous de-
vez à Dieu, un avantage que vous vous de-
vez à vous-même, un secours que vous de-
vez au prochain ; montrez à l'impie, par
votre persévérance, ce que vous sentez au
fond du cœur, et lui prouvez, par votre at-
tachement inviolable qu'on ne peut se pas-
ser de Dieu. Et de quel œil ce Dieu aimable
pourrait-il voir ces mains, qui l'implorent
par la prière, levées contre lui par la re-
chute; celte bouche, qui tant de fois a invo-
qué son saint nom, s'ouvrir contre lui par
des paroles de blasphème ; ce cœur qui
tant de fois lui avait été promis, et sur le-
quel il a tant de droit de venir en proie à
l'ennemi qui l'insulte par son triomphe?
Epargnez-lui la honte et la douleur que lui
causent vos rechutes. Peut-être direz-vous
que le courage de revenir à Dieu vous
manque; mais il 'devait bien plutôt vous
manquer quand il s'agissait de le quitter.
Que toutes vos forces se réunissent ici ; ra-
massez tout votre cœur pour revenir à lui :
Redite, prœvaricatores , ad cor in toto corde
veslro. ( lbid. ) Vous le voyez, vous le sen-
tez, tous les autres péchés sont renfermés
dans le péché de rechute, mais après vous
avoir fait voir son énormité, instruisez-vous
de ses malheurs; c'est le sujet de ma se-
conde partie.
SECOND POINT.
Soit que vous rappeliez le passé en vous-
même, soit que vous soyez attentifs au pré-
sent ou que vous portiez vos vues jusque
dans l'avenir, la rechute ne vous offre que
des images lamentables : elle rend votre péni-
tence passée inutile ou suspecte; elle vous
remplit d'inquiétude pour le présent, et vo-
tre situation présente ne vous offre rien que
de sinistre pour l'avenir; en sorte que pa-r
la rechute, on ne sait ce qu'on a été ni ce
qu'on est, ni ce qu'on deviendra ; quel état a
donc plus d'horreur et renferme plus de
malheurs ?
J'ai dit : 1° que la rechute dans le péché
rend votre pénitence passée bien suspecte,
et qu'elle donne lieu de présumer que votre
conversion n'avait point été sincère. Au
reste, ne croyez pas qu'une exagération qui
ne tend qu'à alarmer vos consciences soit
l'objet de tous mes vœux : j'avoue qu'être
inconstant n'est pas être impeccable; qu'il y
a des rechutes de faiblesse qui succèdent à
des conversions de bonne foi, et qu'on peut
encore commettre un crime dont en s'est
déjà confessé ; mais j'assure que la rechute
au péché a quelquefois des circonstances si
peu favorables, qu'il est bien à craindre que
ceux qui l'ont commise ne la quittent ja-
mais, et que, si elle n'est pas une preuve in-
faillible que la conversion précédente soit
fausse, elle en donne du moins d'assez
grands soupçons.
On vrai pénitent doit avoir une crainte
continuelle d'offenser derechef son Dieu, et
une haine parfaite de l'avoir offensé; toute
son âme se soulève contre le péché; elle se
trouble à la vue de l'objet pii peut la faire
retomber sur lui ; tout ce qui le captivait
autrefois n'a plus d'empire ; et comment
voudriez-vous lui en trouver? mais vous
qui vous exposez à toutes les occasions et
qui succombez à la moindre, êles-vous du
nombre de ces pénitents? se redonne-t-on
si facilement à ce qu'on haïssait d'une haine
sans égale? y aurait-il donc deux cœurs dans
un même cœur, deux volontés dans la même
volonté, ileux hommes dans le même homme ,
un homme converti et un homme pécheur,
un cœur innocent et un cœur coupable, une
sainte volonté et une volonté perverse,
comme si deux choses si inaliablcs pou-
vaient se trouver ensemble? haïr et aimer,
craindre et rechercher, prendre et détester,
comme si ses deux ailes qui se choquent et
se combattent dans tout le reste devenaient
d'accord, compatissantes et de miséricorde na-
turelles par le péché. Or, après cela, direz-
vous que la rechute ne rend pas votre péni-
tence passée inutile ou bien suspecte? Si
vous avez pour vous la possibilité, j'ai pour
moi la vraisemblance ; si vous avez pour
vous l'espérance, j'ai pour moi la présomp-
tion ; vous croyez avoir droit de conclure de
votre conduite passée que votre pénitence
est véritable et- qu'elle vous sera avanta-
geuse; et moi je prétends être en droit d'en
conclure <fue non, et qu'elle vous doit être
au moins bien suspecte pour un endroit
qui vous rassure sur votre pénitence passée;
j'en ai mille qui me font trembler pour elle,
et qui doivent comme moi vous effrayer; et
lorsqu'il vous semble que la règle est favo-
rable pour vous, votre cœur prononce-t-il
contre vous ?
Mais je veux que votre pénitence ait eu
son mérite et qu'elle ait été sincère : hélas!
OSI
CAREME. — SERMON XXII, CONTRE LES RECUITES.
9S3
votre reehife ne vous en cause que plus de
malheurs; dès que le juste retourne dans la
voie des pécheurs, dit le Prophète, toute sa
justice retourne dans l'oubli. Dans les pre-
miers pas que vous aviez faits pour votre
conversion, vous vous étiez fait tant de vio-
lence, vous aviez essayé de faire oublier à
Dieu vos iniquités passées; par des prières
ferventes, par des pleurs si amers , par des
regrets si cuisants, par des mortifications si
rudes, vous aviez eu le courage et la force
de rompre des cbaînes qui vous étaient chè-
res; à l'endroit de cet objet fatal dont vous
aviez tant de peine à vous déprendre; mais
une fois retombé, que vous reste-t-il de
toits ces efforts salutaires et de toutes ces
démarches de pénitence, sinon une lutte
pénible, un coin Liât douloureux qui se fait
dans votre âme, ef qui vous fait dire, comme
autrefois à l'infortunée Rébecca : Si sic mihi
futurum crat, quid necesse fuit concipere.
(Gcn., XXV.)
Oh ! que ne partais-je pour l'autre monde,
après la grâce reçue dans ma conversion !
fallait-il que je vécusse pour être un lâche?
que n'ai-je été la victime heureuse de ma
pénitence ! que n'ai.rjc eu le sort de ces
heureux pénitents qui, pour prix de leur
victoire et de leur persévérance, sont ornés
d'une couronne immortelle! et au lieu de
cette honte et de cette douleur que me cau-
sent mon inconstance et mes rechutes, je
jouirais de cette heureuse tranquillité que
l'on goûte avec le Seigneur; et, au lieu que
je l'ai perdu par ma légèreté, je le posséde-
rais par la constance de mon amour, et tou-
tes sortes de biens avec lui : Si sic mihi fu-
turum erat, quid necesse fuit 'concipere. Quelle
horreur, mes frères 1 et que le regard du
passé rend la rechute formidable ! Mais la
vue du présent la rend-elle moins terrible,
depuis que vous contemplez votre état? n'a-
vez-vous point perdu la tranquillité de votre
âme? n'est-il pas vrai que vous êtes effraye
de vous-même? que vous avez une confu-
sion secrète de voir toujours en vous les
mêmes misères? de sentir le cruel ascen-
dant que le péché a sur votre cœur? que
vous tombez dans une perplexité désolante
de voir toujours, d'un côté, vos devoirs, et
toujours vos désordres? de l'autre, de voir
que toutes vos démarches se démentent et
se détruisent? que tout votre caractère e;.t
l'instabilité? que votre état chancelant n'est
qu'une interruption successive de vices et
de pénitence, dont tous les moments sont si
rapides, qu'il est impossible d'y compter?
N'est-il pas vrai qu'en vous voyant dans les
mêmes chaînes, toutes vos douleurs se re-
cueillent? que vous vous devenez à vous-
mêmes un spectacle de pitié, et, que vous
gémissez en secret de voir votre âme si lé-
gère, de penser que cet esclavage de péché,
où vous assujettissent vos rechutes, vous
conduit insensiblement, par degrés, à une
vieillesse déplorable et à une tin très-fu-
neste? n'est-il pas vrai que,rétléchissant sur
votre situation, vous avez honte d'avoir un
coaur qui ne peut se souffrir dans un même
état, toujours déplacé, à" charge à lui-même?
qui, sentant ces vides affreux, parce que
Dieu ne le remplit pas, va chercher, tantôt
dans le vice, des inquiétudes et des trou-
bles, et tantôt vient se rassurer dans la pé-
nitence ; car c'est le caractère de l'incon-
stant de ne pouvoir jamais demeurer ni dans
l'un ni dans l'autre; il en est incapable, et
vérifie ces paroles de l'Evangile : que le dé-
mon de la rechute a beau chercher du repos
en vous, il n'y trouve que des supplices.
Avouez-le, lâches déserteurs de la péni-
tence, que vous êtes malheureux. Oh 1 s'écrie
un prophète, que vous vous êtes avilis depuis
que vous avez réitéré dans les voies crimi-
nelles : Quam vilis facta es nimis iterans vias
tuas. (Jercm., 111). Ah 1 ce qui s'offre au de-
hors de vous depuis votre rechute , vous
rend-il moins misérables ! Rélas I vous ne
voyez plus que d'un œil triste ces premiers
compagnons de votre communion, la vue
de ces sacrés autels, confidents de vos prières
et de votre pénitence, l'image de ce Sau-
veur aimable qui vous consolait tant dans
vos pleurs et vos gémissements, -et aux pieds
duquel vous goûtiez des consolations inef-
fables: tout cela vous reproche votre infidé-
lité, votre inconstance; vous ne pouvez
songer sans peine que vous n'êtes plus qu'un
anathème indigne d'approcher des sacre-
ments, banni du temple même, et à qui on
n'ose plus confier le corps et le sang de Jésus-
Christ, et qui méritez d'être chasses honteu-
sement et justement de la table sacrée; enfla
vous pouvez vous appliquer ces paroles, que
le Prophète met dans la bouche de l'impie :
Non movebor a generatione in generationem
sine malo (Psal. X). Non, je ne serai point
dans ce mouvement perpétuel qui fait passer
du crime à la pénitence et de la pénitence
au crime sans souffrir des douleurs cui-
santes , sans sentir des maux violents : je
n'ai de l'un que la peine de le quitter,
et de l'autre que celle de la conserver: je
n'ai de consolation en cet état ni de Dieu ni
des hommes ; la grâce perdue m'afflige, et le
péché repris ne me satisfait point; le crime
quand je veux le quitter me cause mille vio-
lences , mille regrets, et la vertu quand je
veux y retourner ne m'offre que des coups
terribles ; quand je m'arrête dans le mal je
n'ai que des inquiétudes et des remords, et
quand je reviens à la pénitence ce n'est dans
mon âme que combats et violences; malheu-
reux par la grâce perdue , malheureux par
le péché repris, victime tout à la fois de mes
passions et de ma conscience : Non move-
bor, etc.
Je vois d'une part la couronne promise a
ceux qui persécutent, et de l'autre le glaivo
fatal levé sur la tête des âmes inconstantes
et légères. Je suis d'un côté alarmé par les
jugements de Dieu, si funestes à ceux qui
retombent ; je suis aussi ébranlé par les juge-
ments des hommes qui censurent avec rai-,
son ma conduite, qui critiquent ma légèreté,
qui insultent à mon inconstance et disent,
avec dérision : cet homme avait commencé
à se convertir, il en avait fait quelques dé-
383
ORATEURS SACRES. LE P. SUR1AN.
084
marches , et n'a pu l'achever, il a laissé cet
ouvrage imparlait de toutes parts, combats
et déchirements de cœur : dixit in corde suo :
Non movebor sine malo, non, je ne changerai
point de conduite sans de grandes douleurs.
Ah! cœurs partagés, âmes légères, que je
peux vous dire ici ce qu'un prophète disait
au peuple d'Israël: optez donc et faites un
choix fixe; pourquoi aller ainsi des deux
côtés : si c'est Dieu que vous choisissez, ser-
vez-le seul et vous attachez uniquement à
lui; si c'est fiaal, c'est-à-dire le monde,
soyez-lui fidèle. Jusques à quand mulli-
plierez-vous vos malheurs et pourquoi en
voulant aller des deux côtés vous rendez-
vous de part et d'autre doublement misé-
rables : Usquequo claudicatis in duas partes?
si Dominus est Deus, sequimini eum ; siautem
Bml, sequimini illum. (III Req., XVIII).
Mais non-seulement le passé vous inquiète ,
non-seulement le présent vous trouble, l'ave-
nir vous livre encore à un atïreux désespoir:
desperantes, dit l'Apôtre (Ephes., IV); déses-
poir du côté de Dieu et ducôté de vous-même :
du côté de Dieu qui peut vous abandonner
à son tour comme vous l'avez abandonné,
du côté d'un Dieu lassé de souffrir si long-
temps vos abominations et vos infidélités,
d'un Dieu fatigué de vos inconstances ,
de vous voir sans cesse retomber et sans
cesse relever, d'un Dieu qui ne voyant en
vous d'autre attrait à ses grâces que du
mépris et d'éternelles variations, ne vous
laisse que les plus communes et vous refu-
sera les plus particulières ; car le cœur de
Dieu se regagne-t-il si facilement quand on
l'a perdu par sa faute ? Parce qu'il est au-
dessus de nous, doit-il s'assujettir à nos dé-
goûts et à nos caprices? et cela est-il de sa
sagesse, de sa grandeur, de sa miséricorde
môme ? non sans doute: Dieu méprisé vous
méprisera à son tour; n'est une doctrine très-
catholique, autorisée des conciles et des
Pères : que cette pierre précieuse si souvent
perdue ne se retrouvera peut-être plus. Où
est le malade que Jésus-Christ ait guéri deux
fois? quel est le mort qu'il ait ressuscité une
seconde fois? Il est bien à craindre pour
vous que vous ne portiez toutes ces malé-
dictions de l'Ecriture : maudit celui qui réta-
blira les murs de l'infidèle Jéricho; malheur
à celui qui retournera en arrière après avo"ir
avancé dans le chemin du salut 1 Je vois
qu'il y aura une rechute d'où vous ne vous
relèverez plus: qu'elle est terrible! et com-
ment y penser sans sécher de frayeur ! mais
quelle est donc cette rechute si fatale ? est-
ce la dernière que vous avez faite, pécheurs?
est-ce la première que vous allez faire? in-
certitude affreuse, dans quel genre de péché
sera ce profond abîme? Ce (pie je sais, c'est
que la damnation éternelle s'en suivra.
Mais vous restera-t-il quelque ressource
du côté de vous-mêmes? et une fois délais-
sés de Dieu, pourrez - vous encore avoir
quelque espérance en vous, qui êtes la fai-
blesse même, en vous qui à force de vous
courber vers le mal, ne pourrez plus vous
eu retirer? Curatus sum usque in pnem
(Psul., XXXVII), dit le prophète; en vous
qui à force de doubler le pas, ne sau-
riez plus marcher; en vous qui à force de
doubler les liens qui vous enchaînent ,
ne sauriez plus les rompre. Non, pécheurs
de rechute, votre mal se déclare incurable,
et tant de plaies refusent de se guérir: casus
tuus insanabilis ad morlem (Eccli., XXVIII);
en vain, comme Samson, vous direz : je bri-
serai mes fers; à la fin votre conscience se
taira, vos remords se calmeront, vous retom-
berez dans le fond de l'abîme où vous n'au-
rez plus de force et vous subirez tout, aux
termes de l'apôtre , contre les pécheurs de
rechute : impossibile est cos qui semel sunt
illuminati ,... et prolapsi sunt, riirsus re%o-
vari ad pœnitentiam (Hebr. VI) ; quand avec
des yeux éclairés sur l'éternité des peines,
sur l'énormité du péché, sur l'équité des
jugements de Dieu, on a goûté une seule
fois le don céleste, c'est-à-dire ses consola-
tions et ses grâces ; quand après avoir été
fait participants de son esprit, c'est-à-dire
de ses sacrements , du fruit de sa divine pa-
role, de ses riches vertus toutes aimables,
de ses belles promesses, on est retombé dans
le péché, il est presque impossible et très-
difficile de s'en relever par la pénitence :
impossibile est, etc. , et lorsque attendris sur
vos malheurs, nous nous écrierons : pauvres
égarés, revenez à votre Dieu que vous avez
quitté: ad Dominum revertimini; revenez à
votre cœur dont vos prévarications vous ont
éloigné : redite, prœvaricatores, ad cor, vous
nous répondrez avec ces impies de l'Ecri-
ture : Desperavimus (Jcrem., XVIII): nous
ne pouvons plus' rien espérer du côté de
Dieu ni du côté de nous-mêmes, notre con-
version est désespérée, nous avons épuisé
sa compassion et nos forces, il est trop irrité
et nous sommes trop infirmes, nous sommes
trop éloignés de Dieu, nous ne reviendrons
plus à lui : non venimus ad eum ultra (Jbid.);
rien ne peut apaiser maintenant sa colère, et
nous avons été trop longtemps infidèles pour
ne pas l'être toujours; c'en est fait, nous nous
livrerons désormais à la dépravation de notre
cœur, au dérèglement de notre esprit et au
torrent de nos passions insensées : post co-
gitationcs noslras ibimus et unusquisque
pravitatem cordis sui mali faciemus. (Ibid.)
Oh 1 le partage affreux ! l'extravagance la-
mentable 1 Vous le sentez trop, chrétiens,
qu'en cet état si triste votre conversion ne
peut être qu'un miracle, et ce n'est point trop
du bras de Dieu pour empêcher votre perte
presque tout à fait certaine. Ah ! s'il se peut,
ne vous perdez point; servez-vous des motifs
que je vous ai proposés contre la rechute,
pour vous en relever. Ah 1 mes frères, pour
avoir commencé à être misérables, voudriez-
vous l'être toujours? Respectez la grâce de
la pénitence, si elle est en vous, ou tâchez
de la recouvrer, si vous l'avez perdue; c'est
le bien le plus cher que vous puissiez jamais
avoir; employez tout pour la retenir ou pour
la retrouver : les soupirs les plus tendres,
les larmes les plus amères, les regrets les
plus cuisants, les prières les plus ferventes»
985
CAREME. — SERMON XXIU, HOMELIE SLR L'EVANGILE DE LAZARE.
les mortifications les plus sensibles; il ne
dépend peut-être encore que do vous que
votre conversion s'opère. Vous connaissez
déjà les saintes onctions de la pénitence, les
plaisirs ineffables de la grâce; il ne tient
qu'à vous d'en reprendre le goût. Dieu veut
bien, par un surcroît de compassion, hasar-
der encore la dernière offre de la grâce qu'il
vous fait par ma bouche, et il vous dit en-
core par mon ministère ce qu'il fit dire au-
trefois à saint Pierre par un ange : Quelque
chargé que vous vous sentiez du poids de
yos chaînes multipliées : Vinctus catcnis
duabus (Act., Xlï), levez-vous sans délai;
allez vous jeter aux pieds du prêtre; revê-
tez-vous de la pénitence et dune vraie dou-
leur; que vos fers se brisent; sortez de vos
désordres et me suivez : Sequere me. (lbid.)
Rendez-vous, chrétiens, à des invitations
si touchantes. Pour vous, âmes fidèles que
j'enfante à Jésus-Christ par. la simple expli-
cation de son Evangile et de ses vérités
saintes; vous qui faites ici toute ma joie :
Gaudium meum (Philip., IV), et qui peut-
être un jour ferez ma couronne : Et corena
mea (lbid.), je vous conjure de vous con-
server avec le Seigneur, de vous affermir dans
lui, et la prière que je vous fais vous doit
être une rreuvede mon zèle : Sic state in
Domino, char issimi. (lbid.) Et où pourriez-
vous mieux être qu'avec lui? Ah ! ne vous
en fiez pas sur le vide et la corruption du
monde ; quelque désabusés que vous en
puissiez être, défiez-vous toujours de lui, si
vous ne voulez retomber avec lui dans vos
désordres; son souille pernicieux bientôt re-
gagnerait votre faible cœur. Oui, il est digne
de toute votre haine, le monde ingrat et per-
fide, dangereux et malin; si vous ne voulez
pas qu'il vous séduise, qu'il vous engage
dans ses malheurs, gardez-vous bien de ses
trompeuses apparences, de ses charmes sé-
duisants et de tous ses faux biens, qui ne sont
que de véritables fantômes : Custodite vos a si-
mulacris (Uoan., V); il en est ici que ses vani-
tés et sa propre corruption entraînent, qui, ne
portant plus sur cet ennemi du salut qu'une
main lasse et tremblante, sans force et sans
courage, sont près de céder aux attaques du
siècle. Ah ! qui que vous soyez, mes frères,
3u'allez-vous faire? Rcmemoramini pristinos
ies (Hebr., X); rappelez, avant d'aller plus
loin, ces premiers jours si salutaires à votre
innocence, où, éclairés des lumières de la
grâce, vous soutîntes un combat si rude de la
part de vos liassions : Inquibus illuminati ma-
gnum certamen sustinuistis passionum (lbid.),
et où vous leur livrâtes des assauts si géné-
reux ; vous y donnâtes un spectacle de gloire
à Jésus-Christ, de joie aux anges, de terreur
aux démons, de confusion aux hommes, sa-
chant qu'il y avait pour vous des biens plus
solides, plus dignes de votre attachement :
Cognoscentcs vos habere substantiam melio-
rcm. (lbid.) Ah [pourquoi perdez-vous donc
une confiance si chère , des espérances si
bien fondées et qui doit êlre si glorieusement
936
couronnée : Nolite ilaque amiltcrc vestram
confulenliam. (lbid.) En ce que Dieu ne vous
a manqué jamais de parole, ces promesses,
qui vous découvrent un plus grand bien que
celui de ce monde, ont-elles moins d'assu-
rances pour vous qu'elles n'en avaient autre-
fois? cette miséricorde amoureuse qui vous
attendait alors n'est-elle point encore au-
jourd'hui la même et aussi touchante qu'elle
était? Cette charité qui vous soutint n'a-t-
elle pas la même force? Et si Dieu n'est pas
moins véritable, pourquoi vous y fiez-vous
moins que vous ne fîtes autrefois? S'il n'est
pas moins aimable, pourquoi l'aimer moins?
Et s'il ne s'est jamais démenti, pourquoi
vous démentez-vous vous-mêmes? Peut-être
direz-vous qu'il est trop tard d'espérer, et
que vos combats ne finiront point. Ah I chré-
tiens, dit l'Apôtre, un moment de patience,
Dieu veut vous rendre heureux : Patientia
enim necessaria vobis est ut, etc. (lbid.) Le di-
vin spectateur de vos combats va venir les
palmes à la main: Adhuc modicum aliquan-
tulum, qui venturus est renie t et non tarda-
bit (lbid.) ; il ne tardera pas à couronner votre
confiance, et bientôt vous trouverez un bon-
heur fixe en Dieu et jouirez éternellement de
sa gloire. Je vous la souhaite. Amen.
SERMON XXIII (10).
BOMÉME SCR I.'ÉVANGILE DE LAZARE.
Et slutim prodiit qui fuerat morluus. (Joan., XI.)
Lazare qui était mort sortit aussitôt de son tombeau
Sous quelle image plus touchante, par
quel miracle plus consolant la bonté infinie
du Sauveur pourrait-elle , Messieurs, vous
représenter et votre mort, vous, pécheurs
qui périssez, et votre résurrection, vous
justes qui revenez à Dieu. Que dans la mort
et dans la résurrection dont il est parlé dans
l'évangile de ce jour, Lazare que Jésus-
Christ aima, par des progrès insensibles de
faiblesse et d'infirmité, meurt à la nature et
descend jusqu'au fond du sépulcre \Mortuus.
Et vous, pécheurs, quelque vivants que vous
paraissiez, affaiblis par les progiès dans le
crime et dans le péché, vous êtes morts à la
grâce et descendus jusqu'au fond de l'abîme :
Morluus. Lazare, que Jésus-Christ pleura,
ressuscite par sa miséricorde, paraît vivant
hors du sépulcre : et statim prodiit. Et vous
aussi, quelque morts que vous soyez, si
vous changez de conduite et que vous ver-
siez sur vos désordres de sincères larmes
de pénitence, vous sortirez de votre tombeau
et reprendrez par votre conversion une vie
toute nouvelle : Et statim prodiit.
Ah 1 que Lazare me paraît donc destiné de
Dieu pour faire deux grandes leçons aux
hommes. Considérez le pécheur pour y re-
connaître le triste état où vous réduit le pé-
ché; méditez le juste, pour y découvrir les
bienheureuses voies de votre conversion.
Mon Dieu! que ce spectacle est effrayant,
que le mystère est consolant 1 d'une part,
mystère redoutable puisqu'il expose dans [a.
(10) Imprimé au tome IL page 232. de l'édition de Lie;
9S7
ORATEURS SACRES. LE P. SL'RIAN.
9-îS
corruption d'un cadavre; l'affreuse image
do ce que vous êtes morts devant Dieu j:ar
le péché : mortuus; de l'autre, mystère ai-
mable, puisqu'il vous donne daws la ré ■ ur-
rection d'un corps mort la consolante idée de
ce que vous pouvez être sortis du tombeau"
par la conversion : Prodiit.
Ainsi, dans l'histoire de Lazare, qui est le
trait le plus effrayant et le pins consolant
tout ensemble , venez voir et l'habitude de
vos désordres et l'image de votre justifica-
tion ; venez voir et les degrés funestes qui
vous ont conduit au sépulcre, et l'abîme du
péché, et les démarches salutaires qui peu-
vent vous en faire sortir; venez voir et votre
éloignement de Dieu et votre conversion à
Dieu : Vsni et vide ; c'est là tout mon dessein.
Grand Dieu ! par mes péchés, il y a si long-
temps que je représente ce misérable Lazare,
mort dans le sépulcre. Ah! quand achèverez-
vous toute ressemblance, Seigneur, en me
feisant revivre en vous, et quand serai-je la
figure d'une résurrection si touchante; lors-
qu'aujourd'hui vous ressuscitez ce ta mi fidèle,
vous nous dites que c'est pour donner aux
Juifs une preuve éclatante de votre divin té,
utcredantquia.tume misisli (Joua., VI.) Sei-
gneur, rendez-moi la vie de la grâce; que je
sois un sujet propre à (igurer votre puissance,
et si, comme Lazare mort, j'ai le malheur
d'être ici un sujet d'affliction pour vous, que
bientôt, comme Lazare ressuscité, je vous
devienne un sujet de gloire : nous vous le
demandons par l'intercession de Marie. Ave
Maria.
PREMIER POINT.
Selon l'ordre commun , l'homme ne passe
qu'en tremblant de la pureté île l'innocence
dans la corruption du péché, le vice a dans
le cœur ses accroissements et ses bornes, les
pécheurs les plus monstrueux ont été ùcs
chrétiens lâches, et c'est ici l'artifice le plus
dangereux dont le démon puisse se servir
pour nous perdre. Si d'abord il nous mon-
trait le vice dans toute sa laideur, notre in-
nocence alarmée résisterait plus longtemps
et nous n'oserions pas le connaître , et c'est
pour cela qu'il nous cache toute l'horreur
du péché, et qu'en le revotant d'apparences
agréables, il fait si bien en sorte que nous
n'en avons plus de peur. Voyez dans la
figure de Lazare par quels degrés le plus
juste arrive à la corruption et à la mort.
D'abord il jette l'âme dans une innocente
langueur, erat languens Lazarus ; il la mène
ensuite par une infirmité dangereuse à une
olfensc mortelle, ecce quem amas infirmatùr.
De là cette pauvre âme tombe dans la cor-
ruption, mortuus est; et enfin elle devient
une odeur de mort qui infecte tous ceux qui
en approchent : Jamfetet; quatriduanus est
enim. C'est ainsi que Lazare devient languis-
sant d'abord, qu'ensuite il meurt, qu'après
sa mort il se corrompt, et qu'enfin il exhale
partout une odeur de mort. Appliquez-vous
cette image, chrétiens qui m'écoutez, et re-
connaissez-vous tristement dans toute la
représentation de ces malheurs, et attribuez-
vous toute l'horreur que ce spéciale doit
produire.
Lazare, avant que de tomber dans l'infirmité,
ne jouissait pas d'une vigueur parfaite, il
était languissant, erat languens Lazarus: et
vous, avant que de tomber dans l'indolence
et dans la tiédeur, vous aviez toutes vos
forces, vous étiez fervent avant que vous
fussiez devenu lâche ; que votre sort doit donc
vous paraître déplorable de n'être malheu-
reux que par votre seule faute, si nous re-
montions jusqu'à ces premiers temps où
vous étiez fidèle. Hélas! vous ne pouvez
seulement rappeler un souvenir si doux sans
que votre âme s'attendrisse ! Alors quel goût
n'aviez-vous pas pour la retraite? quels sen-
timents de religion et de piété? quelle pré-
caution de sagesse, vivacité de foi, ardeur do
charité, fermeté d'espérance ? que de ferveur
dans la prière? que de joie dans la pénitence?
Ah! sionvous eût laissé suivre vos premiers
transports , vous auriez consommé toute vo-
tre vie dans les pieux exercices de la religion
et vous vous seriez consacré tout entier à
l'amour et au service de votre Dieu. Temps
bienheureux! vous deviez bien durer davan-
tage, vous composiez de si beaux jours; mais,
suivant le cours ordinaire et les penchants
de la nature, vous avez négligé les touches
secrètes et les mouvements de la grâce, votre
faible cœur s'est rendu, et faute de prier et
de veiller comme il faut, vous êtes tombé
dans toutes les langueurs ensemble : langueur
dans votre esprit, langueur dans votre cœur,
langueur dans vos sens.
Soyez ici attentifs, Messsieurs, car voilà
l'ordre que je dois garder dans tout ce dis-
cours.
1° Langueur dans votre esprit :1a foi s'y est
affaiblie, vous avez commencé à vous échap-
per de la sage conduite de vos parents ou de
vos maîtres, et vous avez suivi le secret
plaisir que l'on trouve à agir par soi-même
et à se régler sur ses propres conceptions, et
le service du Seigneur vous a trouvé froid et
paresseux ; ses mystères adorables vous sont
devenus plus sombres et ténébreux; vous
croyez non de cœur, mais de bouche, non
absolument et sans restriction ; mais avec
certains soupçons, certains doutes; et, comme
ces incrédules de l'Evangile, vous demande-
riez volontiers des signes et des prodiges
pour vous affermir dans votre foi. 11 est vrai
que votre religion ne s'éteint lias tout à fait,
mais elle est devenue incertaine et flottante;
vous démontrez une partie de votre esprit à
la foi, et vous en conservâtes une autre pour
le doute et pour le raisonnement. Or, qu'est-
ce que tout cela, sinon une tiédeur dans la
foi, qui fait tout craindre pour le salut: Erat
languens Lazarus.
2° Langueur encore dans votre cœur : la
charité y eut d'abord moins de force, et
parce que l'idée de l'esprit est essentiel-
lement relative avec le sentiment du cœur,
cette sainte passion qui, quand elle est
fuite dans une âme, absorbe et étouffe toutes
les autres passions, n'y fut plus si vive et
089
CAREME. — SERMON' XXIII, HOMELIE SLR L EVANGILE DE LAZARE,
90O
y devint languissante , et dès lors vos vertus
s'affaiblirent, la retraite vous devint un sup-
fdiee cruel , la prière une pénitence terrible,
es sacrements une contrainte rebutante,
toute la pénitence un poids accablant; déjà
résistant moins h vos plus doux penchants,
vous prîtes le parti de justifier ceux qui pa-
raissaient avoir le plus d'injustice , et vous
ne vous opposiez aux autres qu'en mur-
murant : déjà vous fîtes voir votre fragilité ,
et commençant à vous en faire un exemple
vous n'ôsates la co/nbattre , déjà vous vous
sentiez disposé à vous y laisser aller sans
aucune résistance, et il vous fallut toutes
les terreurs de la mort et la crainte même
de l'enfer pour vous retenir et servir de bar-
rière à vos transgressions : vous contentant
de ne point outrager votre Dieu , vous ne
cherchiez plus à lui plaire, votre religion
n'était plus pour vous qu'une gêne et une
alarme , voi s' n'alliez plus à Jésus-Christ,
vous vous y traîniez, et si vous n'apportiez
pas encore à sa table sacrée des attentats et
des crimes, vous nielliez à son service et
à vos devoirs les plus essentiels une lassi-
tude et un
git plus que
tains ménagem
témoignages
Jcgoût déplorables. 11 ne sa-
le garder la bienséance et cer-
votre faible cœur ne sa-
vait plus à quoi s'en tenir ; votre raison
séduite se défendait bien mal , vous étiez
prêt à céder à la force de la tentation , et
déjà vous pleuriez cette précieuse innocence
que vous alliez perdre, et lorsqu'il eût fallu
mettre du courage et delà fermeté, votre
cœur s'abandonnait à la faiblesse et à la lan-
gueur, erat languens taxants. Et parce que
dans l'homme tout fut à la disposition de
son cœur , langueur encore dans vos sens ,
vous ouvrîtes vos yeux à mille objets dan-
gereux qui commencèrent à vous plaire, et
qui bientôt vous attachant uniquement au
inonde vous détachèrent de votre Dieu pour
vous fortifier contre la sainte austérité de
l'austinence et du jeûne, vous accordâtes à
votre goût un raffinement de mets plus ex-
quis et mieux apprêtés; vous prêtâtes l'o-
reille aux discours séduisants des mondains
et vous commençâtes à les écouter favora-
blement dans les entretiens et dans les cer-
cles ; vous voulûtes paraître plus expert et
plus magnifique dans vos ajustements et
dans vos habits , et en donnant peu à peu
dans les usages et dans les modes, vous
tombâtes dans le relâchement et dans la
vanité. Votre langue se donna la liberté de
j arler en toute occasion , et forçant peu à
peu cette garde de circonspection qui no
doit jamais la quitter, la charité s'y trouvait
offensée ; vous donnâtes l'essor à vos pieds,
à vos mains, et bientôt ils vous laissèrent
sans guide et sans défense ; votre âme
tomba dans la langueur : et erat languens
Lazarus; si alors effrayé de votre état vous
eussiez dit à Jésus-Christ, comme les sœurs
du Lazare, en lui présentant vos faiblesses :
Domine, ecce quemamas infirmatur; Seigneur
j« ne puis ignorer que vous m'aimez, je I
vois en vous mille traits sensibles de vôtre
amour, dejà vous m'en avez donné mille
incontestables. Venez , celui
que vous aimez est malade : ecce quemamas
infirmatur; tout dépérit en moi, tout languit
dans mon âme , je vois trop dans vos Ecri-
tures le malheureux progrès de cet état de
langueur où je me sens tomber : puissance
souveraine , soutenez-moi : ecce quem amas
infirmatur.
Ah 1 si vous eussiez tenu alors à votre
Dieu ce langage, touché d'une compassion
tendre, il vous aurait dit comme il fit à
Marthe et à Marie : Rassurez-vous, cette in-
firmité ne va point jusqu'à la mort : infir-
mitas hœc non est admortem, elle ne servira
qu'à signaler ma gloire et à manifester m t
puissance : sedpro gloria Deiut gïorifieetur,
Filius Dei per eam; promesse aimable que
Jésus-Christ vous fait, pourriez-vous donc
l'ignorer, ou si vous la saviez pourriez-vous
là mépriser ; cependant vous demeurâtes
dans la langueur sans avoir recours à celui
qui vous en aurait retiré. Ah ! peut-on être
si longtemps sur le bord de l'abîme sans
craindre d'y tomber; il y a dans l'homme
deux poids qui le balancent et qui ont
deux mouvements bien contraires , la cupi-
dité et la grâce : la première croit à mesure
que la seconde diminue; la langueur de
l'une est la force de l'autre ; un degré ajouté
à la cupidité est un degré ôté à la charité :
presque toujours l'homme devient plus cou-
pable dès. qu'il devient moins vertueux, et
si la pénitence ne vous élève point à la per-
fection , la tiédeur vous porte au désordre ;
or, c'est de l'affaiblissement de la grâce et
du progrès de la cupidité que l'homme
devient le monstre de la religion et l'hor-
reur de toute la nature: Ainsi quand la grâce
diminue dans David, la cupidité le rend
adultère ; quand la justice diminue dans
Saïil , le désespoir le rend homicide; quand
la sagesse diminue dans Salomon, sa vo-
lupté le rend idolâtre; quand la foi diminue
dans Thomas, l'opiniâtreté en fait un incré-
dule; quand la fidélité .diminue dans Pierre,
la défiance en fait un parjure; quand l'esprit
de l'apostolat diminue dans Judas , l'avarice
en fait un parricide. Ainsi , dès que la grâce
a diminué dans un cœur, la cupidité y pro-
duit peut-être tous les péchés ensemble; et
comme Lazare, il passe de la langueur à
la mort : mvrtuus est ; dans ce premier état ,
quelqu'intiime que fût votre âme , encore
vivait-elle, encore tenait-elle à Dieu par
quelque endroit, encore la grâce l'animait-
elle, encore avait-elle ses combats, ses ré-
sistances; il n'y avait, il est vrai, qu'un
point entre la moit et vous , mais présen-
tement ce point est rompu, et on peut dire
de vous comme du Lazare , que vous êtes
encore mort : Lazarus mortuus est : oui, dans
l'état où vous êtes, vous êtes mort; dans
votre esprit vous acquiescez aux pensées
infidèles, suivez vos idées pernicieuses
déférez aux funestes réflexions : mort dans
votre cœur; il alla delà faiblesse au crime;
e trajet de l'un à l'autre est si glissant et
si court, après tant d'offenses légèresl il en
vint une qui ferma le ciel et qui ouvrit
991
ORATEURS SACRES. LE P. SU RI AN.
m
l'enfer; il a des ressorts secrets qui le font
aller sans presque qu'il s'en aperçoive ; vous
passâtes d'abord un ; eu trop loin ; ces motifs
de haine, de vengeance, d'avarice, d'ambi-
tion en vous ; la cupidité prévalut , vous
fîtes céder la grâce vivifiante de Jésus-Christ
à l'attrait funeste du vice, et faut-il s'éton-
* ner si votre cœur étant séparé de Dieu , son
mouvement et sa vie, vous n'étiez plus
qu'un affreux cadavre : Lazarus mordais
est, mort enfin dans tous vos sens; votre
bouche fut muette pour la prière, vos
yeux fermés à la prière de l'Evangile ,
vos oreilles sourdes à la parole de Dieu,
vos mains immobiles pour servir les au-
tels et les pauvres, vous perdîtes ainsi
l'usage de vos sens et de vos membres;
et déjà vivant pour le monde, et im-
mortifié comme lui, vous devîntes bientôt
mort pour Jésus-Christ et ennemi de sa
croix, car c'est une alternative comme né-
cessaire : Lazarus mortuus est. Que cet état
est triste, mais qu'il y en a encore un bien
plus déplorable! car, quoique vous soyez
mort par le péché, vous n'en ôtes pas
moins propre à reprendre la vie et la résur-
rection de la grâce; un certain goût de la
vérité qui n'était pas encore tout à fait perdu ,
certaines réilexions que vous faisait encore
faire un fonds de piété chrétienne, certaines
traces de vertu qui ne sont pas encore tout
à fait effacées, tout cela était encore comme
un reste de la chaleur naturelle qui sert
encore quelque temps après la mort et qui
donne encore quelques espérances de vie.
Ainsi, quand Jésus-Christ veut ressusciter
le fils de la veuve de Naïm, ou du prince de
la Synagogue, il n'y emploie qu'une parole,
et sa voix suffît tèule pour leur rendre à
tous les deux la vie, parce que la mort était
encore toute proche d'eux. Mais quel est le
comble de tous les maux, quel est cet état
si affreux? C'est d'avoir demeuré dans la
mort, c'est d'avoir croupi dans le péché;
c'est-à-dire faire dire de soi qu'il y a long-
temps que l'on est esclave d'une passion,
d'une mauvaise habitude, et qu'à force d'être
enseveli dans le crime, on s'y est corrompu :
quatriduanus est enim. Ici, âmes pécheresses,
serais-je assez heureux pour vous faire
avouer qu'on y reconnaît sensiblement la
colère redoutable de Dieu? Vous ne pré-
voyiez pas que des péchés légers, que de
petites fautes dussent produire la corruption
dans votre esprit, dans votre cœur, dans vos
sens. Corruption dans votre esprit, toutes
vos lumières changées en ténèbres; votre
foi en incrédulité, votre piété en irréligion,
vos vertus en désordres; toutes les splen-
deurs si vives qui vous venaient de la part
de Dieu, dégénérées en séductions et en
blasphèmes; vous n'êtes plus cette nation
sainte, ce peuple choisi, cette race royale
dont parle saint Paul; vous ôtes devenus
philosophes, infidèles, incrédules sur cer-
tains points et irrésolus, craintifs et flot-
tants sur tout le reste; ce qui vous manque
n'étant pas seulement les (ouvres et la
pîénitude de la foi, c'est ja foi môme, sa
substance que vous attaquez; vous êtes
corrompus : quatriduanus est; tel est l'excès où
vous vous portez quand vous êtes accoutu-
més avec le crime; par la soustraction des
premières grâces, vous devenez incapables
de profiter des secondes, et vos nouveaux
péchés vous menant d'abîme en abîme, vous
parvenez jusqu'à cet excès de douleur d'un
Dieu, et de le méconnaître, et de là ne de-
venez-vous pas tout obscurité, tout ténèbres,
toute corruption; et semblables à Lazare,
ne peut-on pas dire de vous que vous êtes
ensevelis dans le fond d'un sépulcre, et
qu'une grosse pierre couvre votre tombeau:
Êrat autem sepulcrum, et lapis superposilus
erat et. Ah! ce malheureux état vous ap-
proche-t-il de la damnation, ou est-il la dam-
nation même?
Mais pourquoi ce voile sur le visage du
Lazare, qui était enveloppé d'un suaire :
et faciès illius sudario erat ligata? Ce voile
no signifiait-il point cet état de corruption
d'esprit où vous ne voyiez plus ni vos be-
so:ns, ni vos remèdes, ni vos malheurs, ni
votre damnation, ni la laideur du vice, ni la
beauté de la vertu , ni la corruption du
monde, ni votre propre aveuglement : faciès
illius sudario erat ligata? Ce voile n'était-il
point mis sur le visage du Lazare, pour vous
faire comprendre que quand vous vous étiez
enfoncé dans le péché, vous aviez perdu la
foi en aveugle, que votre esprit s'est trouvé
couvert d'un bandeau, ne voulant (dus rien
voir, rien examiner, rien éclaircir, pour ne
pas vous trouver obligé de quitter un déplo-
rable état que vous aimiez, faciès ejus suda-
rio. Ce que ce voile exprimait le plus, c'est
cette impossibilité morale de recevoir la lu-
mière la plus claire et la plus pénétrante,
et en effet, que la foi, comme un grand jour,
éclaire de toutes parts le monde chrétien,
que Dieu réunisse, comme autant de traits
lumineux de sa sainte religion, tant d'ora-
cles si évidents qui établissent tant de pro-
diges si surprenants, qui la confirment, la
partie du monde la plus saine et la plus
éclairée qui l'embrasse, l'exemple de tant
d'impies désabusés qui la redemandent après
l'avoir méprisée, qui y reviennent à la mort
après s'en être éloignés pendant la vie, l'u-
nivers devenu tout à coup chrétien par le
ministère de quelques hommes, les plus gros-
siers et les plus simples, enfin, que la foi
se découvre à votre esprit, par autant de
voies qu'elle a de lumières, à tant d'attraits
si perçants, si sensibles, qui réunissent dans
la religion sacrée un corps parfait de charité
et de lumières, vos yeux, hélas! sont malheu-
reusement fermés, et votre raison invincible-
ment bouchée; mais de quel autre nom peut-
on appeler cet état déplorable, que de celui
de corruption et d'altération effroyable? Qua-
triduanus est, corruption encore dans votre
cœur; quand l'esprit a une fois perdu sa lu-
mière, le cœur peut-il conserver sa pureté?
Toutes vos vertus se sont converties en au-
tant de vices, toutes vos pieuses pratiques
ont dégénéré en autant de désordres; non-
seulement l'amour de Dieu s'est évanoui dt
003
CAREME. - - SERMON XXH1 , HOMELIE SUR L'EVANGILE DE LAZARE.
004
votre cœur, mais tous les autres amours
les plus légitimes du sang et de la religion;
l'amour d'un \ ère et d'une mère, d'unïrère
et d'une sœur, d'un époux et d'une épouse,
de votre prochain et de vos ennemis ; vous
ne faites plus de cas de ces devoirs si essen-
tiels; tout est en vous passé à cet amour pro-
fane et insensé, et par sa corruption votre
cœur en est ému jusqu'à corrompre tout ce
qu'il y a de plus incorruptible; jusqu'à la
loi de Dieu, que vous altérez par vos in-
terprétations, jusqu'aux sacrements divins
que vous souillez par votre hypocrisie, jus-
qu'aux grâces de Jésus-Christ que vous
anéantissez par vos abus; enfin, tout dans
votre cœur se corrompt et se gâte, les meil-
leures choses s'y tournent à votre perle; et
ce n'est plus qu'une corruption universelle :
quatriduanus est.
Quelle ressource, mes frères, ici se présen-
te I Une conséquence qui est digne de piété,
c'est que la pierre qui couvrait le tombeau
dn Lazare nous signifie cette môme habitude
qui enchaîne votre cœur et semble lui ôter
toute communication avec les secours de la
grâce et de ta religion : Lapis supcrpositus
erat ei.
En effet, les obstacles à votre conversion
multipliés par l'habitude, l'appréhension des
hommes qui vous rend plus lâches, la crainte
que vous avez que l'on ne critique, qu'on
ne tourne en raillerie ce que vous allez fai-
re pour Dieu ; vos ténèbres devenues épais-
ses, vos passions plus alarmées, votre cons-
cience qui est insatiable ; avec ce mal, tout
cela a formé sur votre cœur une dureté si
imprenable que rien ne peut la briser, ni les
sages remontrances de vos proches, ni les ré-
flexions inquiètes que fait naître l'âge, ni les
effrayantes approches de la mort, ni la vue
redoutable de la justice de Dieu, qui souffre
quelquefois un pécheur d'habitude pour se
faire craindre, ni le souvenir consolant de
sa miséricorde qui se présente souvent aux
hommes pour se faire aimer; tout cela perd
sa force dans un pécheur d'habitude, rien
ne peut amollir son cœur, rien ne perce cette
pierre épaisse qui a mis en lui une si opi-
niâtre résistance : Lapis superpositus erat ei.
Quand vous n'étiez mort que par un ou deux
péchés, il aurait suffi que Dieu eût répandu
sur votre âme quelques rayons de sa lumière,
ils auraient fait sur vous ieur effet, car alors
ce cœur n'était enclin au mal que par une incli
nation perverse et la funeste pente qui est com-
mune à tous les hommes et qu'ils apportent
tous en naissant; mais depuis que par la mau-
vaise habitude le mal a pris dans vous ra-
cine; que, par vos impuretés, vosrapines, vos
vengeances, vous avez croupi dans l'iniqui-
té, et que par ce long usage de médisance,
d'orgueil, d'avarice, de blasphème, vous avez
contracté une alliance criminelle avec la
mort, ah! dès lors votre cœur, inaccessible
aux mouvements de la grâce, ne laisse plus
espérer pour vous de résurrection et de vie :
Lapis superpositus erat ei. L'habitude forme
un obstacle à la grâce que le simple pécheur
n'avait point quand il commença à pécher,
et elle seule vaut contre la conversion toutes
les passions ensemble: Jésus-Chiist et l'habi-
tude combattent l'un contre l'autre dans un
cœur : si ce Dieu de miséricorde presse le
pécheur, l'habitude le retarde ; s'il lui parle,
elle le rend sourd; s'il l'abat, elle le 1 élève;
s'il l'amollit, elle endurcit et pétrifie, pour
ainsi dire, l'âme de ce misérable pécheur;
lapis superpositus erat et. Ainsi à ce moment
même où Jésus-Christ par ma bouche vous
exprime vivement le triste état de corruption
où vous a réduit l'habitude; tandis que des
âmes justes frémissent sur vous-même; vous
ne vous y reconnaissez point, vous déplorez
en général le sort d'un malheur que je vous
peins, sans appliquer vos frayeurs et votre
sensibilité sur votre âme, qui est la venté
toute pure de cette image que je vous trace;
vous êtes d'autant plus incurables que vous
êtes insensibles, dit saint Bernard, et depuis
que par l'habitude la pierre a été mise sur
votre cœur, votre corruption est sans remède»
Quatriduanus est, enim.
Corruption encore dans vos sens. Ici, mes
frères, si mes expressions suivaient votre
conduite, la sacrée majesté de la charité se-
rait souillée, mais je conserverai pure la
parole du Seigneur; la corruption a donc
liasse au dehors du cœur, sortant comme de
leur source les impuretés, les adultères, les
fornications, les injustices, les infamies et tou-
tes les saletés. Et où vont-elles? dans les sens :
dans les vôtres, pécheurs d'habitude; non,
ce n'est plus dans les uns une parole trop libre,
dans les autres un regard trop curieux, dans
celui-ci un sentiment peu raisonnable, dans
celui-là un désir peu réglé, c'est, | ar la dé-
pravation de l'habitude, un dérèglement et
une corruption universelle dans tous les
sens -.lotus putrtdo ; ce sont des yeux tout
d'immodestie, une bouche toute de séduc-
tion, des mœurs toutes de dissolution, une
chair toute de mollesse, une vie toute de
crime ; vous n'avez plus de sens que pour les
profaner et les corrompre. Cette chair si véné-
rable et si sainte, depuis que Jésus-Christ a
bien voulu s'en revêtir, cet homme, etle mem-
bre et l'image du Fils deDieu, destiné à le glo-
rifier parla pureté et par la pénitence ; < e
corps lavé dans les eaux du baptême et con-
sacré par l'incarnation du Verbe, tout par
l'habitude a été tellement altéré et corrompu
en vous, que les abominations vous sont
devenues familières; que les excès les plus
monstrueux ne vous font plus de peur, que
la foi ni laraison, la religion, l'humanité, la
pudeur, la nature même ne sont plus que
des objets de haine et d'horreur à Dieu,
au monde et à vous-mêmes, quatriduanus
est enim.
Est-ce là toute votre miséricorde, pécheurs
d'habitude? Ecoutez et tremblez : Lazare
sort du tombeau les pieds et les mains liés,
li'jatus pedes et manus institis ; et pourquoi à
cette circonstance Jésus-Christ se trouble-
t-il et fond-il en larmes, si .ce n'est parce que
Lazare nous figurait, et que le Sauveur voulait
montrer combien l'habitude nous lie invin-
ciblement au mal, et qu'à toute la déprava-
09c
ORATEURS SACRES. LE P. SlRtAN.
996
tion des sens est ajout 6 leur esclavage, ligàtus
pedes elmanus; et en effet, pécheurs d'habi-
tude, de quelle pitié n'êtes-vous pas dignes,
lorsque ces liens cpie vous aimez et que vous
idolâtrez, devenus comme indissolubles,
vous accablent; lorsque cette habitude vous
étant devenue comme nécessaire et comme
une seconde nature ajoutée à la première, a
changé votre complexion, votre tempéra-
ment. En crime, en péché, vous faites le mal
comme par force, sans goût, sans plaisir,
à regret, avec amertume; vous le faites pour-
tant comme par un secret châtiment de
Dieu, gémissant de vos misères, voulant, ce
semble, en sortir et ne pouvant vous y ré-
soudre , semblable au grand Augustin, qui
se plaignait de son sort : Je soupirais, dit-i1,
enchaîné par ma propre volonté plus dure
que le fer, plus pesante que le plomb. Ces
voluptés qui m'avaient paru si aimables,
m'étaient devenues des douleurs odieuses,
et cependant je ne pouvais m'en défaire , je
regrettais ma chère liberté et je demeurais
dans l'esclavage. Triste situation, état déplo-
rable d'une âme liée par l'habitude : Quatri-
duanus est enim.
Enfin, Lazare corrompu exhale une odeur
de mort : Jam fetet; dernière circonstance
qui vous regarde, pécheurs d'habitude, vous
qui, par vos scandales, répandez la conta-
gion et le désordre quelque temps. Timi-
des et encore craintifs, vous avez tâché de
concilier votre dérèglement avec, votre hon-
neur, de ménager votre salut avec vo; pas-
sions; mais vous n'avez pas été le maître de
dissimuler longtemps. Dans tout vous-même,
vous êtes devenu une odeur de mort à vos
frères : odeur funeste qui a bientôt éclaté
dans les assemblées, dans les compagnies,
dans les cercles ; vous les avez communi-
qués à qui les a voulu entendre, les senti-
ments dépravés, les discours séduisants; et
on peut dire de vous, comme de la prosti-
tuée de l' Apocalypse , que sur votre front
et dans votre air est écrit le mystère d'ini-
quité : In fronte ejus nomen scriptum : Mijste-
rium. (Apoc. , XVII ) Vous êtes devenu un
maître corrompu, un homme contagieux qui
gâte tout ce qu'il approche, et que la répu-
blique devrait fuir et réprimer comme une
peste dans son commerce et dans ses socié-
tés ; vous ne regardez plus ni bienséance
ni mesures. 11 fallait que votre péché se con-
sommât par votre scandale; vous avez cher-
ché des amateurs aveugles de vos désor-
dres pour en faire de lâches compagnons de
votre indigne conduite, toujours comme
vous occupés à verser le venin mortel dans
les autres : Jam fetet.
Odeur de mort encore dans vos sens ; car
hélas 1 qu'y a-t-il en vous qui ne soit scan-
dale? combien d'âmes innocentes avez-vous
scandalisées ou parla licence de vos paroles
ou par l'impureté de vos regards, ou par
l'indécence de vos habits ou par l'immo-
destie de votre air, ou par ces familiarités
si libres ou par ces complaisances si lâches ;
soit par le charme ou l'attrait que vous avez
pour le vice, soit par l'abus que vous faites
des biens, des grâces, des talents, de l'esprit,
de la beauté et de tant de bonnes qualités
que vous n'employez que pour corrompre et
séduire l'innocence? Odeur de mort d'autant
plus fétide que, vous êtes d'un état, d'un
rang, d'une condition plus relevée, parce que
vous faites rejaillir plus loin vos scandales;
enfin toute votre vie, toute votre per-
sonne est tristement occupée à perdre et
a pervertir. En vain mon zèle se ranime ;
je sens ici mes forces qui s'épuisent sur
vous, pécheurs d'habitude, sans pouvoir
vous convertir; la contagion se répand de
plus en plus, et il semble que vous ne
soyez nés que pour le malheur de la terre,
que pour introduire dans le monde une
corruption générale. Vous êtes la désolation
de la terre et de l'héritage duSe:gneur; vous
devenez au milieu de l'Eglise ce vase de
mort qui la répand sans cesse ; et ce qu'il y
a de plus déplorable encore, c'est que dans
cet état pitoyable, vous ne vous abhorrez
pas vous-mêmes , et que, comme un cadavre
infecté, vous êtes tout à la fois et corrompus
cl insensibles : Jam fetet, quatriduanus est
enim.
Grand Dieu qui ne voulez pas la mort du
pécheur, mais qu'il se convertisse et qu'il
vive, apaisez ici votre juste colère et dé-
ployez du haut du ciel la force de votre
grâce 1 Voici un objet déplorable qui le de-
mande, l'excès de ses malheurs implore votre
secours; vous pouvez, selon le Prophète,
tirer la vie de cette mort, la lumière de ces
ténèbres, la chasteté même de cette corrup-
tion. Dieu d'amour, agissez ici selon votre
puissance 1 est-ce que vous ne ferez point
de miracle en faveur de ces morts que La-
zare nous figure? et n'y aura-t-il personne
ici qui, revenu du fond de son tombeau, pu-
blie vos miséricordes ?
t Ah! c'e-t vous, mes frères, qui êtes ce
mort infortuné en qui le grand miracle de
la résurrection n'a point encore été con-
sommé, demandez-en au Seigneur le renou-
vellement; qu'il se fasse sur votre âme un
changement qui ne s'y est point encore fait,
et que le souvenir de la résurrection du La-
zare devienne une source de vie nouvelle
pour vous. C'étaient vos malheurs que Jésus-
Christ pleurait, et il me semble qu'il répond
aux instances que je lui fais ce qu'il répon-
dit à Marthe : Iiesurget fraler tuus; consolez-
vous, bientôt votre frère ressuscitera. Je
crois l'entendre, qui, triste et frappé de
l'horrible état du pécheur d'habitude, dit:
Oui, quelque mort et corrompu que puisse
être votre frère, il vivra: Ètiam mortuia
fuerit, vivet. Promesse aimable ; et que suis-
je peut-être à ce moment touché, ému, at-
tendri sur vous -mêmes ! vous en sentez ici le
bienheureux effet. Suivez les tendres mouve-
ments de votre Dieu ; obéissez à sa voix, ren-
dez-vous à sa grâce ; et si Lazare mort par le
péché vous a figurés, que Lazare ressuscité
par Jésus-Christ vous représente : c'e^t la
so:onde partie de mon discours.
997
CAREME. — SERMON XX!!F, HOMELIE SLR L'EVANGILE DE LAZARE.
9CS
SECOND TOIINT.
On ne vient à Dieu, dit saint Augustin,
que par une voie contraire à celle qui le fait
perdre; la conversion, pour être parfaite,
doit avoir une opposition entière à l'égare-
ment, et à chaque degré de péché il faut un
trait nouveau de sainteté et de grâce. Or,
sur ce principe, rappelez le cours déplora-
ble de vos malheurs, vous y verrez les dé-
marches salutaires de votre pénitence. D'a-
hord, avant que de tomber, vous étiez
languissant, et ce fut par l'indolence et la
lâcheté que vous commençâtes à vous per-
vertir : il faut donc que votre conversion
commence par le courage et par l'activité;
vous mourûtes ensuite, et par votre con-
version vous devez donc passer à la résur-
rection et à la vie; une fois mort, vous
croupîtes longtemps dans l'iniquité.
il faut donc dans votre pénitence, vous
purifier longtemps dans la justice. Enfin cor-
rompu comme vous étiez vous fûtes une
odeur de mort et rie scandale à vos frères; il
faut donc, dans votre conversion, que vous
leur deveniez une odeur de vie et d'édifica-
tion. Que votre miséricorde est grande, ô
mon Dieul de nous retracer, soit dans votre
conduite envers Lazare, soit dans la sienne
envers vous, tout le plan rie notre pénitence
et de notre conversion à la vue du Lazare •
mort. Quelle action dans Jésus-Christ 1 le
trouble s'empare de son esprit, il frémit en
lui-même, il verse des larmes : Intremuit
spiritu, turbavit semetipsum et lacrymatas
est Jésus. Voilà votre règle, pécheurs qui
voulez vous convertir; vous devez faire pas-
ser en vous-mêmes ces mouvements favora-
bles de Jésus-Christ : intremuit spiritu. L'es-
prit fut en vous le premier à se rassurer
dans le crime, il faut aussi qu'il soit le pre-
mier à se troubler et à s'émouvoir; la crainte
dit Seigneur, dit le Prophète, est le commen-
cement de la sagesse (Psa!., CX), c'est-à-dire
que le retour du pécheur à son Dieu doit
jeter un trouble salutaire dans son âme; il
rioit l'ébranler avec force, et lui causer des
tremblements et des se"Ousses : Intremuit
spiritu. C'est la première expiation que le
Seigneur demande pour le crime, et la pre-
mière preuve que Jésus- Christ vient en
nous. Croire et vouloir se convertir sans ce
premier sentiment, ce serait changer le cours
des grâces du Sauveur et demander, après
le désordre, le privilège de la fidélité. Quoi
donc! si l'Eglise, dans ce cénacle, ne se ferme
qu'au milieu des frayeurs et des alarmes, si
la conversion des plus grands pécheurs a eu
pour principe la crainte, selon ces paroles
de David, en revenant à votre Seigneur :
J'ai été frappé de crainte; si le tremblement
et la frayeur sont les premiers degrés de la
conversion de Paul , trernens ac stupens
dixit : Domine, ijuid me vis faccre (Àct., IX) ;
vous seul pourriez-vous vous flatter rie re-
venir à Dieu avec un esprit tranquille; ah !
j'augure mieux de votre pénitence, et au
moment que je parle, je crois être dans votre
cœur : dans votre âme, ce trouble et ce fré-
missement : Intremuit spiritu. Et comment
ne frémi riez-vous pas? une lumière invisi-
ble vous découvre ici vous-même à vous-
même ; le péché sorti de ce charme trompeur
qui vous aveuglait, se dévoile tout entier à
vous: votre âme, qui se montre à vous telle
qu'elle est, se trouve couverte d'un nombre
infini de crimes énormes qui semblent vous
citer au tribunal de Jésus-Christ votre juge;
mille monstres hideux qui, renfermés dans
votre sein, y étaient comme endormis, s'y
réveillent à lalueur u'un rayon de la grâce;
la redoutable justice de notre Dieu, cachée
dans les ténèbres de vos iniquités, se mani-
feste et vous fait sentir toute l'horreur d'une
vie toute de crime; dans vous, il n'y a rien
que des lumières qui vous rappellent votre
péché, rien que des remords qui vous le re-
prochent; au-dessous de vous des abîmes
qui ne sont ouverts que pour ceux qui vi-
vent comme vous; autour de vous, un pré-
sent si mal employé ; au-dessus rie vous un
juge si pénétrant et si inexorable; derrière
vous un passé si déplorable; devant vous
un avenir si sensible, si terrible; partout
investi de la colère de Dieu qui semble vous
menacer et vous attendre. Ahl si la crainte
doit être proportionnée au malheur, qui
doit trembler plus que vous; et quand vous
mourriez d 'effroi, vos frayeurs ne seraient
point encore excessives : Intremuit spiritu.
Mais qu'opposer à celte indolence de cœur
dans laquelle vit le pécheur; le voici dans la
conduite de Jésus-Christ sur le Lazare : Tur-
bavit sr ipsumî Après qu'il a frémi dans sen
es; rit il se trouble dans son cœur; et vous
aussi, pécheurs, pour sortir de cette fausse
p;aix du crime, vous devez passer au trouble
salutaire de la justice; nul malade ne pour-
rait être guéri dans la piscine, si l'ange n'en
avait troublé beau, et de môme aucun pé-
cheur ne peut être converti si le trouble du
cœur ne commence sa pénitence; comment
se fait ce trouble dans les commencements
de la conversion : d'un côté la justice ce
Dieu vous abat, de l'autre sa compassion
vous relève; vous pensez à vos malheurs et
vous songez à sa miséricorde ; ce n'est en
vous ni espoir ni assurance; obtiendrai-je
grâce ou ne l'obt'cndrai-je pas? Jésus Christ
me damnera-t-il par sa justice, me sauvera-
t-il par sa miséricorde? Voilà ce que vous
ne savez pas, et en cette incertitude entre
l'espoir et le désespoir qui vous tourmente:
Turbavit se ipsum. D'ailleurs la, douce idée
du vice qui n'a point encore disparu et qu'il
faut étouffer; l'austère idée de la vertu, qu'il
faut adoucir; le crime, qu'il faut expier et
dont il faut abhorrer jusqu'au trouble , vous
alarme; la grâce combat, les passions résis-
tent à Jésus-Christ; faut-il s'étonner si cette
multitude de sentiments si opposés jettent
le trouble et la confusion dans votre âme?
Turbavit se ipsum.
Que rlirai-je de cette sainte activité si né-
cessaire à la conversion? Elle'doit se mani-
fester jusque dans vos sens mêmes? Et n'est-
ce pas pour vous l'apprendre que le Sauveur
pleure sur le tombeau du Lazare? Et lacry-
999
ORATEURS SACRES. LE P. SURIAN
1000
matas est Jésus; larmes vraiment précieuses
qui s'étendent jusque sur vous et qui doi-
vent exciter les vôtres à la vue de vos mal-
heurs, et en effet quel état en demande des
plus amères et des plus abondantes que le
vôtre; depuis longtemps en vous infortuné
que vous êtes il n'y a [dus de vie, plus d'in-
nocence, plus de justice ; vous avez perdu
votre Dieu, etavec lui votre paix, votre repos,
votre salut, votre joie, votre bonheur; vous
êtes morts dans tout vous-mêmes. Ah! pou-
vez-vous vous regarder ici tel que vous êtes
sans qu'il coule de vos yeux des torrents de
larmes : Lacrymatus est Jésus. Ah ! triste
spectacle de vos maux ! Etes-vous le maître
de vos soupirs et de vos gémissements, le
Sauveur cria à haute voix, dit l'Evangile,
voce magna clamavit; car voilà avec quelle
action, avec quelle vivacité de pénitence,
Jésus-Christ veut que vous reveniez à lui, e'
croire le recouvrer par l'indolence après l'a
voir perdu par la langueur ; c'est vous abuser
et consommer votre perte, au lieu d'opérer
votre salut : Intremuit spiritu, et turbavil se
lacrymatus est, et clamavit.
Mais ce n'est pas tout, vous avez bien
d'autres progrès encore à faire dans l'ouvrage
de votre conversion. Après avoir opposé à
cette langueur funeste une sainte activité, il
faut que vous opposiez encore à cet état de
mort un état de résurrection et de vie. Et
statimprodiitquieratmortuus. Mais comment
cela? rne direz-vous : Vous le devez et vous
Je pouvez, et c'est toujours Jésus-Christ qui
va vous servir de règle : Tollite lapidem,
dit-il aux sœurs du Lazare, ôtez la pierre,
levez les obstacles qui s'opposent à votre
conversion sur les occasions qui peuvent
vous entraîner au péché; surmontez les
difficultés qui se présentent dans la voie de
la pénitence; renversez enfin tout ce qui
fermn le tombeau, ren lez-vous impénétrable
aux traits du péché, et vous reviendrez à la
vie, tollite lapidem, ôtez de votre esprit ces
pensées trop curieuses qui le souillent, ces
préjugés qui l'aveuglent, ces doutes qui les
ret ennent, ces sens propres qui l'égarent,
cette raison superbe qui l'enfle, tollite lapi-
dent, et du sépulcre de ses crimes où il est
retenu par l'habitude, il sortira vivant par la
foi : Prodiit qui erat mortuus. Otez de votre
cœur cet amour déréglé des créatures, ces
[ assions insensées k ces objets séducteurs
qui, depuis longtemps, l'attachent, l'endur-
cissent et le lient au péché, tollite lapidem,
et alors il sortira de son tombeau plein de
vie par la charité : Et prodiit , ôtez de votre
corps et de vos sens celte mollesse qui l'a-
brutit, ce luxe qui le dégrade, ces lectures"
qui le séduisent, ces entretiens qui l'enchan-
tent; fuyez ces compagnies qui le perdent, ces
spectacles qui le souillent; ôtez tout ce qui
vous engage dans le crime : Tollite, et par la
pénitence vous sortirez du tombeau de vos
péchés plein de vie nouvelle, prodiit, mais
avant que de la recouvrer cette vie aimable,
vous avez dû obéir à cette parole de Jésus-
Christ, Lazare, veni foras, Lazare, paraissez au
dohors, et vous faites connaître. Ah l jusqu'à
quand enveloppé dans les ombres d'une cons-
cience criminelle, aimant l'obscurité, crain-
drez-vous de paraître au dehors et de ma-
nifester par une sincère confession l'état
déplorable de votre âme? jusqu'à quand
cacherez-vous sous la pierre d'une âme tout
endurcie vos malheurs et vos désordres-? O
vous qui faites gloire de vos égarements, ne
voudrez-vous donc les cacher qu'à celui qui
peut les pardonner et vous en délivrer, et
sortir de votre indolence, de votre endurcis-
sement et de vos désordres, de votre mort et
de votre perte, révéler le secret de votie
maladie, déclarer vos péchés, montrer à dé-
couvert toute votre âme : Lazare, veni foras,
et à cet ordre du Sauveur on vit tout à coup
sortir de son tombeau Lazare encore tout lié
et tout enveloppé de son suaire : Statim pro-
diit qui fuerut mortuus. Ah! quel bonheur
pour vous, pécheur, si aujourd'hui que le
Fils de Dieu vous adresse cette même parole
par ma bouche, on vous voyait obéissant à
sa voix, aller vous offrir aux pieds du prêtre
pour lui déclarer tous vos crimes, lui exposer
toutes vos chaînes, lui découvrir tous vos
commerces, lui manifester tous les nœuds de
vos passions, lui dévoiler toute votre âme et
tout ce qui vous attache davantage dans le
péché : Statim prodiit, qui fuerut mortuus.
Et n'allez pas nous dire : Je me convertirai
►quand je serai plus libre et quand je serai
dégagé de mille affaires qui me lient; vains
prétextes qu'il ne faut point écouter, allez-y
tel que vous êtes, et qu'on puisse dire de
vous que vous vous êtes converti d'abord
sans délai, sans remise, qu'au sortir de ce
temple après ce discours, vous êtes allé mani-
fester votre âme au prêtre, statim prodiit,
qu'on puisse dire de vous, ce pécheur est res-
suscité malgré tous les liens qui l'environnent,
il n'est plus lié par ses dé-ordres, mais j ar
sa douleur ; il n'est plus captivé par ses vices,
mais par ses regrets et par la protestation
sincère de se donner à Jésus-Christ pour le
reste de sa vie : Prodiit qui fuerat mortuus.
Ah 1 si vous portiez au tribunal ces disposi-
tions bienheureuses, a.ec quelle joie le Fils
de Dieu dirait-il à ses ministres comme il
dit à ses disciples et aux sœurs du Lazare :
Solvite eum, après les épreuves convenables
et nécessaires en vertu de mon sang, en mou
nom et par mon autorité absolue; déliez le
pécheur, et par la force invincible de cetle
absolution qui exécute ce qu'elle promet, qui
n'est pas seulement un signe qui avertit,
mais une grâce qui opère : Solvite eum, d'objet
qu'il élait de ma colère et de ma justice ; faites-
en un sujet de ma clémence et de ma misère :
solvite, c'était un criminel destiné au dériver
supplice, à qui j'ai voulu faJire grâce et qui
a obtenu le pardon de ses fautes; renvoyez-
le absous, solvite; d'ennemi qu'il était de nia
sainteté; rendez-le héritier de mon royaume,
solvite ; puisqu'il a rompu les liens de ses
crimes, brisez ceux de sa perte. Ah l quelle
consolation pour un pécheur, tout son cœur
peut-il contenir la joie que tant dé bonheur
et de charme y font naître! quel plus grand
contentement que de voir alors avec la grâce
1001
CAHEME. — SERMON XXIII , HOMELIE SUR L'EVANGILE DE LAZARE.
1005
de Dieu revivre en vous votre justice, votre
foi, votre charité, votre espérance; car tout
cela ne respirait plus en vous, et tout cela y
reprend une vie nouvelle par votre péni-
tence : Prodiit qui fuerat mortuus. Vous
sortez du sein de la pierre, comme le Lazare
sort de son tombeau, avec un nouvel esprit,
un nouveau cœur, une âme nouvelle, des ) eux
nouveaux, une langue nouvelle, une nou-
velle personne et un nouvel être, un homme
nouveau, une source nouvelle : Prodiit qui
erat mortuus. Ah ! si aux pieds du ministre
vous éprouviez une bonne fois ce bonheur,
que vous béniriez votre sort! Lazare, revenant
au monde et à la vie, fut-il plus sensible à sa
résurrection que vous le seriez à la vôtre?
Mais ce n'est pas encore tout pour votre
conversion : à ces habitudes criminelles où
vous croupîtes si longtemps, faisant de jour
à autre de nouveaux progrès dans le vice,
doivent répondre en vous des habitudes
saintes de justice et de pénitence, qui vous
fassent avancer, vous affermissant heureu-
sement dans la vie de la grâce, vie si noble,
si pure, si excellente, si glorieuse, comme
on le juge par le témoignage de ceux qui
l'éprouvent. Lazare ressuscité, acquiert tous
les jours une vigueur nouvelle, et vous,
parce que vous augmentiez de plus en plus
vos désordres avant votre conversion, il
faut qu'après vous croissiez de jour en
jour , en vertus , que vous reveniez au
même degré de vertu où vous êtes monté
dans le péché, aussi avide et insatiable de
pénitence que vous l'étiez de plaisir et de
volU|ité; vous devez vous regarder, après
être converti, comme un enfant qui a beso:n
de croître, comme un voyageur qui a besoin
de regagner sa patrie ; au lieu de vous ar-
rêter à un point fixe pendant que vous êtes
sur la terre, il faut toujours marcher et
avancer dans la voie qui vous conduit au
ciel ; qu'enfin toute votre vie ne soit plus
qu'un continuel essor vers la plus sublime
perfection, et que vous ne soyez jamais con-
tent de l'état présent de votre âme, espérant
de (dus en plus le faire devenir meilleur.
Enfin, si vous voulez que votre conversion
soit véritable, essayez de réparer votre cor-
ruption passée par votre sainteté présente,
donnez à votre esprit une foi plus vive, à
votre cœur une chanté plus étendue, à voire
corps une pureté plus circonspecte, à vos
sens une retenue plus scrupuleuse; et faites
en sorte que vous puissiez avec justice vous
rendre à Vous-même le bienheureux témoi-
gnage que vous êtes vivant en acquérant
chaque jour une vie nouvelle, une nouvelle
vigueur en avançant de bien en bien, en
croissant dans l'exercice delà vertu : car, n'est-
ce pas celte marque de vie et de résurrec-
tion que Jésus-Christ donne à Lazare, après
avoir ait : Déliez-le, solvite eum, il ajoute
aussitôt, et sinite abire, et laissez-le aller ;
comme s'il eût voulu dire à ces incrédules :
Le croirez-vous ressuscité quand vous le ver-
rez en action, en mouvement, et se servant
de ses forces ; mais un sens bien naturel en-
core de ces paroles de Jésus-Christ, c'est,
Orateurs sacrés. L.
disent les Pères, qu'il était juste que Lazare,
ressuscité allât lui-même publier partout la
gloire d'un Dieu qui venait d'opérer en sa
faveur un si grand miracle. Voilà le dernier
trait que vous devez vous appliquer à vous-
mêmes : vous avez été à vos frères une
odeur de mort, un sujet de scandale, une
occasion de péché, un principe de séduction,
devenez-leur une odeur de vie et un mo •
dèle de vertu, un sujet d'édification, qui ré-
pare le scandale que vos désordres ont causé.
Allez annoncer à vos frères les transports
heureux d'un bienfait si précieux, et si doux,
sinite abire ; faites qu'ils en soient bien per-
suadés par le consolant témoignage de votre
esprit soumis et fidèle, de votre cœur plein
d'amour et de zèle, de vos sens chastes et
mortifiés, sinite abire; au lieu de cacher votre
conversion par une lâche et timide pusilla-
nimité, faites-vous honneur de la montrer et
de la publier, et glorifiez par là le Seigneur
qui vous l'a fait opérer: ut glorificetur t'ilius
Dei pereum; puisque votre désordre fut pu-
blic, que votre pénitence soit éi latante. Cor-
rompus comme vous étiez, quelle source d'es-
pérance pour ceux qui sont dans le désordre!
et en vous voyant revenus à Dieu de bonne
foi, qui désespérera de sa conversion après
la vôtre? Plusieurs d'entre les Juifs qui avaient
vu Lazare ressuscité ci urenl en Jésus- Christ:
Multi ex Judœis crediderunt in eum; vous
n'avez aussi qu'à vous laisser voir conveitis
sincèrement, et par là vous attirerez plus
d'âmes à Jésus-Christ que tous nos discours
ensemble : Multi crediderunt in eum.
Ah! quelle manière aimable de réparer vos
scandales! et que vous êtes heureux, pé-
cheurs d'habitude, de pouvoir par un moyen
si doux reconnaître le grand bienfait et la
grâce justifiante que votre Dieu vient de vous
faire 1 Sinite abire. Grand Dieu, puisque la
conversion des pécheurs a des effets si saln-
taires Jans le champ de votre Eglise, ah!
que ne la multipliez- veus davantage et que
n'en sommes-nous plus souvent les bienheu-
reux témoins! Je n'ai pu parler à mes audi-
teurs du bonheur de ressusciter à la vie de
la grâce sans leur inspirer en même temps
le désir d'y partici] er | romptement; faites-
leur sentir vivement la volonté que vous avez
de les sauver, et, ouvrant sur eux les trésors
de vos miséricordes, ne permettez pas qu'ils
y soient insensibles; vous, ô mon Dieu, qui
vous appelez la résurrection et la vie, ne
portez pas en vain ce titre à leur égard. Nous
sommes sans vie, puisque nous l'avons per-
due parnos péchés; regardez ces lieux saints
où nous sommes assemblés comme ce champ
couvert d'ossements secs et arides que votre
esprit autrefois ranima, et que cette voix pé-
nétrante qui brisa la dureté de ces os brise
encore aujourd'hui la dureté de nos cœurs et
nous fasse triompherde lamort de nos âmes;
car peut-être, hélas! sommes-nous tous ici
sans vie à vos yeux 1 Ossaarida, audite verbum
Domini. (Ezech. , XXXYlll.) O vous tons qui
êtes morts par le péché , écoutez et obéissez
à la voix de votre Dieu, qui vous ordoi ne
de reprendre la vie ! Ossa arida, audite verlun
22
1005
ORATEURS SACRES. LE P. SURIAN.
1004
Domini; pécheurs d'habitude, pécheresses
d'état et de profession, ossements secs et
arides, sortez du sein de la mort, ranimez-
vous à la voix puissante du sang d'un Dieu
qui vous rappelle au salut et à la vie : Ossa
arida, audite verbum Domini: Ossements secs
et arides, entendez la voix et la parole du
Seigneur. Parole miséricordieuse, mes frères,
qu'il est doux de lui céder 1 et n'est-ce pas
sans doute pour nous prédire de loin qu'elle
aurait cet effet aimable que Jésus-Christ dans
son Evangile ajoute : Non Lazare ne sera
point le seul sur qui je porterai ce miracle :
Venit hora (Joan.,\)-, et même l'heure est
venue; est-ce celle-ci, où les morts entend-
ront la voix du Fih de Dieu : Quando mort ni
audientvoeemFilii Dei(ïbid.) ; que plusieurs,
morts par le péché et ensevelis dans le tom-
beau de leur habitude mauvaise, entendront
la parole du Seigneur qui est la vie : Et qui
audlerint viv nt (Ibid.), et ceux qui auront
écouté avec foi et avec do il té, avec amour,
avec componction, avec pénitence cette pa-
roledivine: Ils vivront : Vivent in œternum;
ils vivront éternellement de la vie de la grâce
en ce monde et de celle de la gloire du Sei-
gneur en l'autre. C'est ce queje vous souhaite
à tous, in nominc Patris, etc. Amen.
SERMON XXIV.
DE LA CONFESSION.
Quis ex vobis arguel me de peccato ? (Joun., VIII.)
Qui d'entre vous m'accusera de péché
Heureuse une âme qui, par la confession,
se purifiant de ses péchés, peut dire en ce
saint temps avec Jésus-Christ : Qui de vous
désormais pourra me reprendre de péché :
Q.iis ex vobis arguet m," de peccato?
Mais qu'est-ce encore que la confession,
et quelle idée avez-vous du sacrement de
pénitence que vous le considériez, Messieurs,
ou du côté du pécheur, ou du côté de Dieu?
Est-il rien de plus touchant et de plus mi-
séricordieux. D'une part, c'est un infortuné
qui vient se déplorer lui-môme, et chercher
dans la compassion de Jésus-Christ une res-
source à ses peines ; c'est un captif qui, gé-
missant sous le poids de ses chaînes, cher-
che à les briser, et soupire après sa chère
liberté; c'est un enfant qui, désolé d'avoir
quitté le meilleur de tous les pères, vient
fondre en larmes à ses pieds et répandre des
regrets amers dans son sein; c'est un cou-
pable qui regrette son innocence, qui, con-
sterné de ses crimes, les accuse, les répare,
et vient en chercher la rémission dans un
tribunal de miséricorde et de grâce. Enfin,
c'est un aveugle qui voit, un muet qui parle,
un sourd qui entend, un paralytique qui est
guéri, un mort qui ressuscite, et dans un pé-
cheur pénitent, tous ces miracles ensemble,
voilà ce qu'est le sacrement de pénitence dans
un pécheur.
Et du côté de Dieu qu'est-ce? sinon un
sacrement d'amour et de miséricorde. C'est
un Sauveur qui ouvre les trésors de ses grâ-
ces au pécheur, afin qu'il ne renie pas inu-
tiles les mérites du sang qu'il a donné pour
lui ; c'est un père tendre qui, après l'égare-
ment de son enfant, verse à la vue de son
retour des larmes de joie et de consolation ;
c'est un pasteur compatissant qui court après
la brebis égarée, et dès qu'il la retrouve, la
charge sur ses épaules pour la réunir au
sacré bercail ; c'est un juge qui de terrible
devient miséricordieux et prononce un ar-
rêt d'absolution au lieu d'un arrêt de colère ;
c'est un Dieu qui se montre toujours prêt à
pardonner, et qui ne veut paraître grand que
par sa miséricorde.
Tel est le sacré ministère de la confession
et de la piété auquel vous avez si souvent
recours, et au tribunal duquel vous allez
vous approcher en ce saint temps. Telle est
la sainte propitiation que saint Paul nous
explique si bien quand il dit qu'il n'est ni
loin de nous, ni au-dessus de nous, ni tout
proche de nous , ni dans notre bouche et
dans notre cœur : Prope est in ore tuo et in
corde tuo (Rom., X), dans la bouche qui s'ac-
cuse , dans le cœur qui se repent, propitia-
tion qui nous rend notre Dieu que nous
avions perdu, et avec lui tous les biens en-
semble. O mon aimable Sauveur, que
pourrions-nous souhaiter de plus avantageux,
et que pourriez-vous nous donner qui se
déclarât davantage en faveur de votre grâce !
Cependant, il arrive tous les jours qu'on Je
rend ou inutile ou funeste , et nous voyons
avec douleur que presque tous changent le
saint remède en poison, et la source des
grâces en occasion de péché. Comment cela?
Le voici • Tout le mystère de la confession
consiste dans l'examen des péchés et dans
la douleur de les avoir commis, et c'est par
ce défaut d'examen et de douleur que l'on
fait tant de confessions sacrilèges, où l'on ne
s'examine pas assez sur ses péchés, où l'on
ne les déteste point assez : Negue cognoscunt,
neque sentiunt (Isa., XLIV). Ainsi, du dé-
faut d'examen , vient un luneste abus sur
l'accusation des péchés : Ncqtie cognoscunt ;
voilà mon premier point. Du défaut de dou-
leur naît une flatteuse confiance sur la re-
pentance de ses péchés: Neque sentiunt;
voilà le second. C'est-à-dire qu'aux pieds
du prêtre où l'on vient chercher miséricorde,
on ne voit presque que de faux justes faute
d'examen, ou de faux pénitents faute de
douleur : voilà tout mon dessein. Seraient-
ils venus, ô mon Dieu ! ces moments où faute
de lumière, où faute de sensibilité de notre
part, vous viendriez vous-même ou nous
éclairer ou nous toucher. Qu'ils nous se-
raient cher» et salutaires ces bienheureux
moments! Nous vous les demandons ici par
l'intercession de Marie. Ave, Maria.
PREMIER POINT.
Quelle est donc la première erreur qui
abuse tant de chrétiens qui s'y reposent en
venant dans nos sacrés tribunaux , et d'où
vient-elle ? de deux grands défauts : ou de la
négligence dans l'examen, ou de l'illusion
qu'on y apporte, ou l'on ne s'examine pas
assez, ou l'on s'examine mal, ou l'on négl'ge
de s'examiner, ou l'on s'examine avec des
5005
CAREME. — SERMON XXÏV, DE LA CONFESSION.
iOOG
principes trompeurs; après cela est-il sur-
prenant que de faux, justes on devienne de
véritables sacrilèges ?
Première cause : On ne s'examine point,
et je trouve trois grandes raisons de cette
négligence : le cœur est fécond en malice ;
qu'il faudrait de continuité et de suite dans
l'examen! et l'on ne s'examine qu'en passant !
Le cœur est rempli de misères ; qu'il faudrait
de courage pour les passer toutes en revue
les unes après les autres, et l'on ne peut en
supporter qu'avec peine la recherche! Le
cœur est profond ; qu'il faudrait d'attention
pour en pénétrer tous les replis ! et c'est ce
que la légèreté nous empêche de faire: voilà
ce qui met sur vos péchés un voile épais
qui vous empêche de les voir, tels qu'ils
sont, et tels que vous les devez déclarer au
prêtre , qui vous fait croire justes lorsque
vous êtes les plus coupables.
Faut-il s'étonner si, aux approches du sa-
crement et jusque dans le tribunal sacré,
vos regards se confondent sur la multiplicité
des péchés que vous voulez déclarer? Eh!
comment retrouver si aisément un cœur
qu'on a laissé errersans l'avoir jamais suivi ?
Comment lire si aisément dans une con-
science qu'on n'a jamais étudiée? Comment,
en si peu de temps, connaître une âme qui
a commis tant de pensées criminelles qu'elle
a presque aussitôtperdues de vue, tantde dé-
sirs profanes et impies qu'elle a à peine senti
naître, et qui se sont aussitôt dissipés , tant
de passions naissantes qui, n'ayant souillé
que votre cœur, sont effacées de votre mé-
moire. Une connaissance si parfaite en un
instant si court est une chose impossible,
c'est vouloir pénétrer d'un seul coup d'œil
toutes les obscurités ensemble , et rien
presque n'est plus impénétrable que celle
que produit la négligence, la propitiation,
et plus encore la. vengeance du Seigneur,
car toutes ces choses ont leurs ténèbres à
part. Quelle nuée, grand Dieu! cela fait trem-
bler; car combien d'aveugles qui croyaient
que leur âme n'était point chargée d'un seul
péché, s'en sentent maintenant tout couverts
et n'en souffrent de la peine dans le fond
de l'abîme que pour avoir trop négligé de
les examiner et de les connaître pour cause
du défaut d'examen. On ne s'examine point
avec assez de suite et de continuité.
11 y en a une seconde : c'est qu'on ne
s examine point assez avec courage. Ce n'est
pas toujours la paresse qui nous empêche
de nous arrêter sur nos péchés, c'est quel-
quefois la honte que nous avons de les voir.
La corruption et le crime, est-il spectacle plus
triste aux yeux d'un pécheur que la honte
éclaire ; quelque défectueux que l'on soit,
on n'aime point à voir ses défauts, surtout
quand, dans une vie toute pleine de crimes,
on ne peut jeter un regard qui ne tombe sur
une misère; qu'il est donc naturel au pé-
cheur de se fuir; que des yeux qui ne voient
que des monstres horribles se lassent aisé-
ment, et quand on est si peu ce qu'on de-
vrait être, qu'il est triste de se voir ce que
l'on est, l'appréhension de vous voir si cou-
pable vous arrête, et connaissant votre cœur,
votre conscience, un abîme où vous ne sau-
riez descendre sans horreur, vous vous en
tenez à un examen confus, superficiel, de
quelques péchés en gros, sans en venir au
détail et à la connaissance de vos plus grands
crimes. Ainsi, si vous vous examinez sur la
liberté de vos paroles, sur la témérité de vos
jugements, sur l'impureté de vos pensées,
sur le dérèglement de vos désirs, sur l'in-
justice de vos actions, sur la malignité de
vos médisances , vous n'allez jamais à la
source du mal, au principe qui vous les a
fait commettre ; c'est-à-dire à l'envie odieuse,
à la jalousie basse dont le ridicule seul fait
rougir ; et ce que je dis d'une passion, dites-
le de cent autres. Si la vue de vos crimes
vous effraie, si la pensée qui en est honteuse
vient, s'offrir à vous avec sa laideur, vous tâ-
chez de l'éloigner, et vous cherchez quelque
chose dans la vie qui vous en puisse distraire,
vous reportez bientôt votre vue sur ce que
le vice vous paraît avoir de plus doux, et
laissez derrière vous vos péchés et trop af-
freux avoir et trop honteux à dire; pourquoi
donc cette honte se trouve-t-elle en vous au
temps de Pâques? Ah! il en fallait avoir
avant de commettre le ('rime; vous êtes si
hardis pour le mal, ne seriez-vous donc ti-
mides que pour le bien? Ici la confusion ne
doit servir qu'à vous faire accuser mainte-
nant devant le ministre de Jésus-Christ, pour
ne pas avoir un jour celle d'être accusé à la
face de tout le monde assemblé. Ah! que
vous seriez donc bien plus sages de faire de
votre confusion votre pénitence , que de la
faire servir à aggraver votre péché, deuxième
cause de la fausse justification du pécheur,
le défaut de courage dans l'examen de ses
péchés.
Il en reste une troisième : c'est de ne point
s'examiner avec assez d'attention; et certes
si nous devons nous juger nous-mêmes en
cette vie comme Dieu nous jugera un jour
après la mort, et si notre attention à nous
examiner à ce tribunal de la pénitence doit
imiter celle que Jésus -Christ apportera à
nous examiner au tribunal de ses vengeances,
ne s'ensuit-il pas de là que nous devons
donc avoir sur nos péchés, avant la confes-
sion, une vue forte et une attention sérieuse
et fixe pour en faire un examen rigoureux
et sévère. Rien n'est plus certain qu'en ce
jour dernier Jésus-Christ sondera nos cœurs
et qu'avec le flambeau de sa vérité, il en
éclairera tous les plis et replis ; vous devez
donc vous-mêmes sonder ici ce même cœur,
en développer tous les mystères, en apro-
fondir tous les secrets, tâcher de pénétrer
cet abîme impénétrable où sont cachés des
crimes à l'infini, où sont entassés monstres
sur monstres ; il faut en démêler les passions
les plus confuses, les intrigues les plus en-
veloppées ; il faut en connaître la disposition,
les ressorts, l'intention seule, quelquefois est
un grand crime. Pour en venir à celte con-
naissance du cœur, quelle attention ne faut-
il pas aux pécheurs pénitents 1
Jésus-Christ examinera peu à peu jusqu à
£007
ORATEURS SACRES. LE P. SURIAN.
1C03
la légèreté, jusqu'au danger de ces fautes
vénielles qui abattent votre âme, qui la font
tomber dans la tiédeur, dans l'indifférence
pour le salut, qui vous jettent dans une lan-
gueur qui va presque jusqu'à la mort, con-
testent l'Esprit- Saint et empêchent votre
Sauveur de vivre et de régner en vous,
comme certains doutes sur la foi, réprimés
avec négligence, certaines affections de la
vertu, trop humainement suivies, certains
épanouissements de joie, qui dissipent trop
la grâce, certaine lenteur à répondre aux
inspirations saintes qui refroidit trop l'ima-
gination, une certaine inutilité de paroles
qui ne tendent qu'à vider le cœur, certaine
complaisance pour des personnes de diffé-
rent sexe qui affaiblit la charité parfaite que
nous devons à Dieu, ceitaine vivacité d'hu-
meur, de tempérament, de caprice, qui flatte
tro|. l'amour-propre, certains péchés de sur-
prise, d'omission, de faiblesse, d'inadver-
tance, d'inaction même, qui conduisent in-
sensiblement à la léthargie et à l'assoupis-
sement spirituel ;car, ne vous y trompez pas,
Messieurs, l'âme se souille quand la vertu
cesse d'agir en elle; si de-puis votre dernière
confession, votre étal n'est pas meilleur, il
est pire; et ne point avancer dans la piété
quand on l'a pu, est une offense qu'il faut
dire et dont il faut s'accuser.
En effet, vous nous demandez de vous in-
terroger, comme si avant de venir à nous
vous disiez comme ce prince impie à Daniel :
J'ai fait un songe; le souvenir et la pensée
que j'en ai sont si confus, que je ne sais ce
que j'ai vu : Yidi somnium et mente conftisus
vjn'tro quid vidrrim. (Dan., IL) Mon Père,
j'ai rappelé le souvenir de mes péchés passés,
la mémoire m'en a paru si éloignée, qu'il me
semble que c'est un rêve; j'en ai ramassé
quelques idées; en voulant les parcourir, j'y
ai trouvé tant d'embarras et tant de confu-
sion, ils sont en si grand nombre et ma
conscience en si mauvais état, que je n'y
connais rien : Yidi somnium et mente, etc. Si
vous ne me dites ce que j'ai fait, je n'en sais
rien : Samnium iyitur et interpretalionem
ejus indicatc mihi. (Ibid.) Ah! c'est à vous-
mêmes à me le dire. Nous répondrons nous
avec le Prophète : C'est de vous que nous
devons savoir ce songe; exposez-nous ici
tous vos péchés ; découvrez-nous votre con-
science • llex somnium dicat servis suis. (Ibid.)
Et quand vous nous les aurez appris, quand
nous les saurons, nous vous en expliquerons
le vrai sens, nous vous en ferons sentir tout
le vrai malheur et vous en donnerons le re-
mède : Rex somnium dicat et interpretatio-
nem illius indicabimus. [Ibid.) Que nous vous
interrogions, Messieurs 1 Ah 1 déjà quel grand
fonds de tristesse pour nous d'être obligés
d'employer à deviner vos péchés ce peu de
temps, ces moments si courts qui seraient
bien mieux employés à exciter vos larmes,
à nourrir votre componction, à fortifier vos
bonnes résolutions et à vous rappeler de vos
égarements. Mais enfin, si par surcroît de
malheur nos interrogations ne sont point
heureuses, si nous ne réussissons pas à de-
viner; à déterrer, à dévoiler des péchés que
vous laissez lâchement à notre examen, au
lieu d'en faire la juste matière du vôtre ; si,
malgré nos interrogations, quelques offenses
mortelles demeurent encore cachées au fond
de votre conscience, où en êtes-vous? notre
malheur est-il votre décharge? pensez-vous,
trop lâches pénitents., que ces crimes vous
soient pardonnes parce que vous avez né-
gligé de les connaître? Ces fautes, il est vrai,
demeureront cachées aux \ eux des hommes ;
le sont-elles aux yeux de Dieu? non. Vous
devez vous attendre que <e juste juge les
compte, les met en nombre, les pèse et les
examine, pour vous les ex| oser dans sa fu-
reur au jour terrible de ses vengeances et
pour confondre en votre présence vos jus-
tices fausses et trompeuses : Arijuam te et
slatuam contra faciem tuam. (Psal. XL1X.)
Mais la fausse justice du pécheur qui se
confesse vient non-seulement de te qu'en ne
s'examine pas, mais encore de ce qu'on
s'examine mai, c'est-à-dire sur de faux prin-
cipes. L'illusion est encore ici plus dange-
reuse que le péché; car, quand c'est la négli-
gence qui l'a empêché de s'examiner, il peut
s'en relever par plus de recherche et d'at-
tention ; pour guérir celte plaie, \1. ne faut
qu'y réfléchir davantage; mais l'erreur dans
le principe est presque irrémédiable ; la plaio
qui vient de l'opinion eit toujours terrible,
et l'on ne peut presque en revenir sans un
miracle de la grâce; erreur cependant si
commune aujourd'hui dans l'examen des
péchés, qu'on ne peut y penser sans verser
des larmes aiuères.
Quels sont les règles et les principes qu'on
doit suivre dans cet examen? la loi de Dieu
et sa propre conscience. Mais que leur sub-
stitue-l-on? Les maximes du monde et vos
propres passions : voilà d'où vient votre
fausse justice. La loi de Dieu est donc la
première règle de l'examen des pécheurs
avant la confession; règle uniforme et inva-
riable dont la confrontat;on forme un juge-
ment assuré et sur laquelle tous les pécheurs
seront jugés, selon que leurs œuvres s'y
trouveront plus ou moins conformes : Libri
aperti sunt et alius liber apertus est qui est
vitœ etjiidicati sunt mortui ex lus quœ scripta
erant in libris secundum opéra ipsorum.
(Apoc, XX.) Or, ce qui fait que vous appor-
tez tant d'illusion à notre saint tribunal d*
la pénitence, c'est que vous cherchez vos
offenses non dans la loi de Dieu et dans les
maximes de Jésus -Christ, mais dans les
usages et les maximes du monde. Vous aviez
d'abord une âme tendre, instruite, timide
et éclairée, mais qui fut peut-être entraînée
de bonne heure vers le mal, | arce qu'on
vous permit trop tôt de communiquer avec
le monde. Comment faire pour ré.j ondre
à ces bonnes dispositions où vous élez né
et aux bons principes dans lesquels on vous
avait élevé? d'aller vous porter au sa» ré t ; i-
bunal, avec dos mœurs sitôt corrompues, on
ne saurait s'y résoudre. Que fait- on? On
prend avec les personnes que l'on fréquente
et que l'on aime mille faux principes do
1009
CAREME. - SERMON XXIV, DE LA CONFESSION.
préserver par
conduite que l'on embrasse volontiers, parce
qu'elles flattent le penchant et le faible ;
leurs pernicieuses erreurs deviennent vos
maximes; vous les adoptez, vous les sui-
vez, et quand la vie est longue, que le
mécompte e>t affreux 1 car c'est là ce qu'on
apporte de tribunal en tribunal, dont on
s'accuse toujours et dont on ne se détrompe
jamais ; et c'est ainsi qu'on substitue le
monde à l'Eglise et le siècle à la religion.
Ainsi, si vous venez à considérer avant la
confession cette fatale avidité que vous avez
pour les honneurs, pour les plaisirs, pour
les richesses, pour le faste, pour le luxe des
habits, vous vous dites h vous-mêmes que
c'est ainsi qu'il faut vivre dans le monde
quand on y tient le rang que vous y tenez ;
que vous êtes dispensés des lois communes
aux autres, parce que vous êtes d'une nais-
sance et d'une condition qui vous en dis-
tinguent. C'est sur ce plan que vous ne
vous étudiez qu'à tout ce qui peut vous éle-
ver, vous agrandir, vous enrichir, vous di-
vertir; que toute votre vie est un composé
de paroles inutiles, de désirs injustes, d'é-
talages pompeux, de bienséances gênantes,
de divertissements profanes, de mondanités
scandaleuses qui ne font de toute votre car-
rière qu'un grand désordre et une grande
inutilité. Si vous vous regardez comme
grands, comme hommes du siècle, bientôt
ces jeux, ces amusements, ces spectacles, ces
assemblées licencieuses, tous ces usages que
le monde autorise vous paraîtront sans doute
moins criminels; mais si vous en jugiez
comme chrétiens, comme pénitents, vous y
trouveriez un fondsde corruption etde péché
qui vous damne et tous ceux qui s'y aban-
donnent. Si au lieu d'en décider sur la loi
de Dieu ou sur le sort déplorable de ce
monde pervers si expressément condamné
et réprouvé de Jésus-Christ, vous ne jugez
de toutes ces choses que sur le témoignage
et l'approbation de ce monde poli et réglé
qui les loue, qui devient comme le garant
de ces illusions, ah ! vous y demeurez ; vous
les pratiquez avec une fausse confiance que
rien n'ébranle; il ne vous vient pas même
dans la pensée qu'il y ait du péché, qu'il
faille vous examiner et vous assurer là des-
sus; vous ne reconnaissez pour crime que
ce que le momie désavoue, et nous apportant
dans le sacré tribunal une âme jugée, con-
damnée et justifiée selon le monde; vous ne
remportez de nos pieds que ce qui appartient
au monde, c'est-à-dire des arrêts de condam-
nation, des anathèmes redoutables et tout ce
que Jésus-Christ a lancé de foudres et de malé-
dictions contre le monde : Vœmundo. {Mat th.,
XVIII.) Si vous étiez venus dans le sacré tri-
bunal pour y consulter, pour vous y examiner
avec nous sur la loi de Dieu, vous y auriez
reconnu l'erreur qui vous trompe, l'illusion
funeste qui vous joue; mais parce que vous
n'avez ;ns. pour règle de votre examen et de
vos décisions que le monde, ses pernicieuses
maximes, et votre aveuglement, la confession
vous sera tout à fait inutile; quel malheur,
grand Dieu! et ne tàrherez-vous point de
vous en
chrétien.
La conscience
un
Î0S0
examen plus
est une deuxième règle
qu'on doit suivre, c'est encore un guide
éclairé qu'il faut consulter ; et si la loi de
Dieu nous est donnée au dehors pour nous
connaître et nous conduire, la conscience
nous est donnée au dedans pour nous ser-
vir de frein et de juge dans toutes nos ac-
tions; c'est à notre tribunal aussi bien qu'à
celui de la loi divine que nous serons trou-
vés innocents ou coupables; que nous serons
condamnés ou absous, et puisqu'il doit nous
juger, il faut donc bien qu'il nous examine.
Mais à ce fonds de lumière si étendue, à ce
flambeau de vérité si favorable, que n'op-
posez-vous pas? et au lieu de vous exami-
ner sur un principe si certain, ne lui pré-
férez-vous | as vos passions, qui bientôt, par
leur séduction et par leur artifice, se mettant
à sa place, vous tiennent lieu de guide et
vous deviennent la conscience même.
Or, qu'est-ce qu'une conscience si fort au
gré de vos passions, si conforme à vos dé-
sirs, si favorable à vos désordres, et, en
quelque sorte transformée en vos penchants
et en vos faiblesses? Quelle recherche pou-
vez-vous faire à la faveur d'un flambeau si
ténébreux et si obscur? Comme les iniquités
s'y commettent sans peine et sans remords,
ne les envisage-t-on pas aussi sans douleur
et sans honte? Avec un guide si aveugle,
peut-on manquer de s'égarer etde périr avec
lui dans le principe d'où l'on semble vouloir
se délivrer? Sur celte règle si trompeuse on
s'examine sans fruit, on s'accuse sans crainte,
on ne rougit de rien, on se rassure sur tout ;
c'est une source intarissable de crimes in-
connus, sur lesquels votre propre erreur et
le charme de vos passions vous justifient,
car il est si naturel et si commun à la passion
de se justifier 1 Quand on aime quelque
chose, on veut toujours avoir raison de
l'aimer; peut-être résistons-nous un mo-
ment à ce malheureux penchant que nos
passions reproduisent en nous-mêmes, mais
notre amour-propre réussit bientôt à nous
persuader que ce jugement est raison-
nable ; ce qui nous flatte nous paraît juste,
et ce que nous voulons nous paraît permis
et innocent : Quod volumus sanctum est.
Sur ce principe, Messieurs, que dès que
vous êtes engagés avec vos passions, que
vous vous êtes livrés en esclaves à leur em-
pire, elles sont devenues toute votre règle,
toute votre conscience, où trouveriez-vous
donc du péché en examinant votre conduite?
Ah! quand avec une telle conscience vous
vous examinez, les crimes les plus scanda-
leux ne vous paraissent-ils pas permis parce
que vous les aimez? Les jeux, les assemblées
mondaines, les spectacles, le luxe n'ont rien
de coupable à vos yeux parce que vous les
aimez ; les usures, les concussions, les injus-
tices, les rapines, les vexations, les perfi-
dies, les trahisons, les médisances, et mille
autres voies toutes atroces, vous paraissent
permises parce que vous les aimez, et tout
votre principe et toute votre autorité dan*
fois
ORATEURS SACRES. LE P. SUR1AN,
1012
une erreur si déplorable, c'est vos seules
passions : ce n'est que par leurs yeux que
vous voyez, que par leur penchant que vous
décidez, et comme à mesure que vos pas-
sions croissent, vous vous y laissez davan-
tage conduire, peut-on concevoir jusqu'à quel
degré d'aveuglement et d'erreur vous vous
trouvez engagés? Dès que votre œil, c'est-à-
dire votre conscience, est obscurci, tout le
reste de vous-même est obscur et ténébreux,
c'est-à-dire tout couvert de crimes et plein
d'erreur.
Voilà donc les deux causes de défaut d'exa-
men dans la confession : ou l'on ne s'exa-
mine point, ou l'on s'examine mal; c'est-à-
dire des principes faux, et voilà ce qui pro-
duit en vous cette foule de sacrilèges dans
votre confession; voilà ce qui fait de vous
cette nation maudite dont parle le Saint-Es-
prit, qui se représente pure à ses propres
yeux, et qui cependant n'est pas lavéede ses
souillures et est toute couverte encore de ses
ordures : Gencratio quœ sibi munda videtur
et tamen non est Iota asordibus suis. (Prov.,
XXX.) Ah ! Seigneur, si mon Ame n'est cou-
pable que par ignorance, et que c'ait été
sans le savoir que je vous aie offensé, vous
m'assurez que vous m'accorderez pardon :
Anima si p»ccaverit per ignorantiam dimit-
tetur ci quia per errorem deliquit in Domi-
num (Levit., V.) Si mon erreur et mon igno-
rance peuvent me justifier à vos yeux, et me
conserver innocent, je vous demande de les
avoir toujours présentes, mais si elles ne
servent qu'à me réprouver et à me rendre
plus coupable, je vous conjure, ô mon Dieu!
de les oublier : Ignorantias meas non memi-
neris. (Psal. XXXIV.) Je vais faire de mon
mon côté tout pour m'éclairer et rn'instruire
de mes fautes ; en m'examinant, je descen-
drai jusqu'au fond de ma conscience, descen-
dant, et là je verrai tout ce qui s'y est passé,
etvidebo; je prendrai, pour examiner mes
péchés, des yeux sévères, des yeux péné-
trants, des yeux évangéliques, les yeux mê-
mes de votre sainte loi, et videbo : comme
Ezéchias, et plus pécheur encore que lui,
je rappellerai tout le mal que j'ai fait
pendant ma vie : Becogitabo omnes annos
■meos. (Isa., XXXVIII.) Je me les rappelle-
rai, ces années si tristes, si couvertes de cri-
mes, dont l'idée seule me fait frémir, reco-
gitabo ; ce ne sera point une vue légère et
superficielle, j'y penserai, j'y repenserai
sans cesse, recogitabo ; ce ne sera point seu-
lement quelque endroit de ma vie, j'en rap-
pellerai tout le cours, j'en examinerai tou-
tes les années, et je ferai en sorte qu'il
ne m'en échappe pas une seule circon-
stance; je suivrai si bien toute l'histoire de
mes crimes et de mes malheurs, que je n'en
oublierai rien, ce que je pourrai déclarer au
prêtre, recogitabo; et pourrais-je le faire
sans une amertume cruelle, sans des regrets
cuisants, sans une douleur vive : In amari-
tudine animœmeœ. (Ibid.) Mais, en parlant de
la douleur, je passe insensiblement au se-
cond point de mon discours, car si le défaut
d'examen fait au tribunal de la confession
de faux justes, le défaut de douleur ne fait
pas moins de faux pénitents : c'est par où je
vais finir en peu de mots.
SECOND POINT.
En quoi consiste la pénitence chrétienne?
Elle se réduit à la douleur d'avoir offensé
Dieu; c'est la douleur qui doit commencer
en nous une vie nouvelle et une sainte ré-
gularité : l'examen fait le juste, mais la dou-
leur fait le pénitent. Cependant toute humi-
lité n'a pas ce bienheureux effet; il est cer-
tains caractères qu'elle doit avoir, sans les-
quels elle ne justifierait pas le pécheur: le
premier c'est qu'elle soit profonde, c'est-à-
dire une douleur qui surpasse toutes les
autres douleurs naturelles; le second, c'est
qu'elle soit sincère, c'est-à-dire qu'elle
vienne du cœur et qu'elle soit justifiée parurt
ferme propos; le dernier, enfin, est que
cette douleur soit pratiquée, c'est-à-dire
qu'elle satisfasse pour toutes les offenses
qui ont été commises. Ah! si une telle douleur
était connue aujourd'hui dans le monde,
les chrétiens qui approchent de nos sacrés
tribunaux se verraient préservés des ma. é-
dictions prononcées contre tant de faux pé-
nitents; mais, parce qu'elle y est bien rare,
il n'y est rien aussi plus commun que ces
âmes sacrilèges qui changent la sainte pro-
pitiation en ruine et en anathème, dit le Pro-
phète, in ruinam.
Le premier caractère est la douleur qui
fait le vrai pénitent, qu'elle soit profonde;
caractère si essentiel à la douleur, que l'Ecri-
ture nous la représente dans le cœur des
pénitents comme un torrent de larmes, qui
brise leur cœur, qui trouble leur esprit,
qui dessèche leur chair, qui pénètre jusque
dans la moelle, de leurs os et leurote presque
la vie. Est-ce ici, Messieurs, un piège, une
pieuse exagération de notre zèle? voyez un
David, un Ezéchias, un saint Pierre, une Ma-
deleine, et tant d'autres, et de l'Ancien Tes-
tament et du Nouveau, mille fois on vous a
proposé les exemples, et jamais aucun ne
s'est trouvé, qui, eu égard au Dieu qu'il
avait offensé, ait cru que sa douleur pût
être excessive, qu'elle pût même être ja-
mais assez grande. Ahl que nous serions
consolés si nous connaissions que votre con-
fession produisît une douleur semblable;
cependant quoi de plus juste, et quelles for-
tes raisons n'en avez-vouspas? vosmalbeurs,
pour être pleures, n'ont besoin ici que d'être
considérés; qu'avez-vous été, et quelle a été
voire vie? Qui d'entre vous ne peut pas avec
justice s'appliquer ces paroles qu'Esdras met
dans la bouche du peuple méchant : Iniqui-
tates nostrœ multiplicatœ sunt super caput
nostrum (I Esdr., IX); mes péchés, accumu-
lés comme ûqs montagnes, et multipliés à
l'infini sur ma tête, sont montés jusqu'au
ciel ; je suis un des pins grands pécheurs qui
fut jamais ; quelque recherche que je fasse
de ma vie, je n'y vois que des prévarications
et des iniquités; plus je m'examine et plus
je découvre de crimes; quelque loin que je
retourne, toute ma conduite n'est qu'un éga-
fOI 3
CAREME. — SERMON XXIV, DE LA CONFESSION.
tou
renient, tous mes jours qu'un crime; quel mal
n'ai-je point fait? mes offenses se sont éle-
vées jusqu'à Dieu, et sollicitent depuis long-
temps sa vengeance : Et delicta noslra creve-
runt usque ad cœlum. (I Esdr. X.) Or, quoi
de plus propre à exciter en nous la plus vive
douleur, que cette triste vue de nos misères;
si elle n'est souveraine, aura-t-elJe quelque
proportion avec le plus grand de tous les
biens qu'elle veut nous procurer? C'estnotre
réconciliation avec Dieu et avec le plus grand
de tous nos maux qu'elle veut nous ôter :
c'est le péché et la damnation éternelle.
A cette double considération, est-il un
cœur qui ne se fende ; mais en est-il beau-
coup parmi cette foule de pécheurs , qui
vont en ees saints jours assiéger nos sacrés
tribunaux , qui y apportent une douleur sou-
veraine, en qui trouve-t-on ce brisement de
cœur, ce déchirement d'entrailles, cette pro-
fondeur de contrition; que Dieu attend de
vous et que vos péchés vous demandent.
Ah! tous les jours dans le monde : fortune
manquée, réputation flétrie, une mort chère
vous désole, vous attriste et vous afflige
jusqu'au désespoir, tous les jours au théâtre,
des fictions, des chimères, des fables vous
attendrissent et vous arrachent des pleurs ;
Pt on peut dire que vous av^z toutes les
douleurs profanes à Babylone; il n'y a que
votre salut, qui ne vous attendrit point, et
au tribunal de la confession, la vue d'un
Dieu perdu, d'un paradis manqué, d'une
éternité en danger ne vous touchent point;
l'histoire tragique de vos péchés , de vos
malheurs, vous laisse les yeux secs et le
cœur tranquille, vous demeurez intrépides,
inflexibles ; et semblez être très-incapables
de toute douleur, on n'en a porté qu'une
si faible, si légère dans un lieu où Jésus-
Christ eM tel qu'Isaïe le dépeint; c'est-à-dire
brisé de douleur et agonisant de tristesse ;
est-ce là donc la juste proportion' qu'il doit
y avoir entre la perte et l'affliction, et à juger
de vos c infessions, par la disposition que
vous avez, en devons-nous attendre quel-
ques fruits. Quoi! pécheurs, vous qui venez
5 nos pieds pour obtenir le pardon de vos
péchés, et apaiser la colère du Seigneur :
vous vous amuserez à discourir, à raconter
froidement vos désordres, vous chercherez
encore à faire paraître votre esprit, à briller
et à plaire, et après vous être fait un jeu de
pécher, vous vous en feriez encore un de la
pénitence, dit un Père? Ah! une telle dou-
leur de vos péchés, serait aussi déplorable
que vos péchés mêmes, et faire dans le lieu
saint une si fausse pénitence, c'est montrer
qu'on veut être impénitent.
Le deuxième caractère de la douleur re-
quise par le sacrement, c'est qu'elle soit sin-
cère, il faut une douleur qui rappelle nos
affections de tous les objets où nous les
avions placées, qui nous fasse revenir de
tous les engagements que nous avions con-
tractés, qui renferme une volonté efficace,
un propos sérieux, une résolution ferme,
non-seulement de sortir du péché pour ne
plus y rentrer, mais de fuir tout ce qui vous
y avait portés, attraits, occasions, compagnies,
et tout ce qui pourrait vous y porter encore ;
car on ne peut dire un éternel adieu à tout
ce qu'on est près de renouer et de repren-
dre, nous ne voyons pas que David, après sa
conversion, retourne à son adultère ; ni Ma-
nassès à ses concussions, ni Matthieu à sa
banque, ni Pierre à son apostasie; tous ces
grands pécheurs, si fameux dans les histoires
sacrées, n'ont obtenu par la pénitence, le
pardon de leurs fautes, que parce qu'ils les
ont quittées et que jamais ils n'ont eu la vo-
lonté d'y retourner.
Or, c'est ici, disent les Pères, le naufrage
caché sous l'eau; c'est-à-dire sous les lar-
mes de la pénitence. 11 y a beaucoup de pé-
cheurs, qui en se confessant se disent péni-
tents qui en ont môme les marques extérieu-
res ; mais il n'en est presque point qui se con-
vertissent véritablement, parce qu'ils n'ont
point une douleur sincère; et, en etï'et, si votre
douleur était sincère; mèneriez-vous tou-
jours la même vie, et pour toute pénitence
de votre vie nouvelle , vous eontenteriez-
vous d'apporter aux pieds du prêtre, quel-
ques désirs informes ; quelques projets va-
gues, quelques résolutions languissantes de
mieux vivre à l'avenir, sans que tout cela
parte du cœur; et qu'au fond il n'y ait nulle
componction, nulle ruine, nul bouleverse-
ment du cœur, nul trouble de la conscience,
nul amendement de vie pendant que vous
vivez encore dans le même désordre; que
cette personne qui vous charmait n'est point
éloignée, que ce commerce qui vous damnait
n'est point rompu, que ce scandale qui cho-
quait le public n'est point levé, peut-on dire
que votre douleursoit sincère, tandis que le
péché règne encore en vous avec le même
empire, pendant que vos protestations et vos
regrets, n'ont de réalité que dans l'imagina-
tion, qui les forme et qui les voit presque
aussitôt évanouir, comment voudriez-vous
que votre pénitence fûtsincère et réelle, vous
n'y apportez que de la duplicité et de la chi-
mère ; vous avez encore au milieu de vous
les dieux étrangers, disait^ le prophète, et
comment voudriez-vous qu'on vous crût
convertis au Seigneur; commencez par les en
éloigner; et alors, on jugera favorablement
de votre conversion; quoi 1 pouvez-vous dire
du fond du cœur : J'ai péché, pendant que
vous êtes près de pécher encore, non sans
doute, ce n'est pas là avoir une douleur sin-
cère. Jugez-en vous-mêmes par la'disposif
tion où vous vous trouvez aux approches de
la confession. Si je vous dis ici, âmes pieu-
ses : Réjouissez-vous; déjà le saint ministre a
; a main levée pour vous absoudre, vous allez
recevoir le pardon de vos fautes; déjà plus
de théâtres, plus de spectacles, plus de jeux,
plus de plaisirs profanes, plus d'assemblées
mondaines, vos fers vont être rompus avec
ces objets chéris que vous idolâtrez, vous
n'aurez plus de liaisons avec ces créatures
qui vous enchantent; vous n'allez plus tenir
qu'à Dieu seul, tout votre plaisir va se ter-
miner à le servir et à l'aimer ; avouez-le, pé-
.cheurs, ce langage ne vous attriste-t-il pas?
1015
ORATEURS SACRES. LE P. SURIAN.
1016
ne tombez vous pas aans la consternation et
dans la rêverie? mais est-ce clone là avoir
une douleur sincère, un véritable regret de
vos péchés? Si vous formiez le plan d'une
conversion sincère, ne sentiriez-vous pas
u:ie jo'e saute, un doux plaisir de ce que
nous vous disons, et si vous ne sentez pas
en vous ces heureuses dispositions; n'est-ce
pas que changer de vie et de conduite ne
fait pas votre bonheur; mais plutôt votre
supplice, le vrai sujet de vos désirs; mais
l'objet de vos craintes et de vos alarmes ;
n'est-ce pas que vous voulez encore être
] én.tents; etle vouloir être, est-ce donc avoir
dans le cœur une douleur sincère; quand
vous nous dites que vous voulez quitter
vos péchés, que vous renoncerez à tout
ce qui pourrait vous faire retomber, hélas !
votre cœur en secret ne désavoue-t il pas ce
que votre bouche prononce? Quand vous
promettez de ne plus cher. lier à vous ven-
ger, d'étouffer tout ressentiment contre vos
ennemis, ne vous échappe-t-il pas encore,
comme malgré vous, des traits, des soupirs,
des paroles qui ressentent encore la haine et
la rancune ? Quand vous nous jurez dans le
sacré tribunal, de quitter cette passion do-
minante, ce péché favori qui vous expose à
mille autres désordres, ne songez- vous point
à le reprendre? Dès que les fêtes seront pas-
sées, ne cherchez-vous point à dissimuler, à
pallier ces offenses que vous aviez promis
déjà de quitter, et le serment que vous nous
aviez fait a-t-il toute sa force et tout son effet?
Il me semble voir (a mère de Moïse qui,
après avoir par crainte exposé sur l'eau son
enfant, cherche aussitôt à l'en retirer par
adresse, quand vous nous dites que vous ne
pécherez plus, que vous détestez vos péchés,
c'est que /ous appréhendez que par la sévé-
rité de notre ministère, par nos remontran-
ces et nos reproches, nous enfoncions trop
avant dans votre cœur le glaive amer de la
pénitence, et que vous voulez nous faire
croire que ces mêmes péchés que votre lan-
gue accuse, votre cœur les déteste, et en
effet, à peine vous êtes-vous confessés , que
vous vous replongez dans les mêmes vices ;
à peine avez-vous essuyé le naufrage, que
vous vous exposez sur la même mer; toute
votre vie n'est qu'un cercle de promesses et
d'infidélités, de confessions et de rechutes,
et quelle marque plus certaine de la faus-
seté et de l'inutilité de votre pénitence que
de vous montrer toujours les mêmes, que de
promettre et de vous rétracter , que de jurer
et de violer vos serments ; vous en sentez
vous-mêmes tout l'abus et toute la profana-
tion , lorsque vous prenez si lâchement le
parti d'aller de confesseur en confesseur, de
changer de directeur presque autant de fois
que vous allez à confesse, pour échapper à la
honte de dire toujours au même les mêmes
choses, et pourquoi tout cela, sinon parce
que votre douleur n'est pas sincère, qu'elle
est feinte et purement extérieure; car si
vous retombiez après une vraie contrition,
un véritable repentir, vous ne Je feriez pas
du moins sitôt, si hardiment, si profondé-
ment. Quoi de plus concluant pour la faus-
seté de votre pénitence, quoi de plus capa-
ble d'affliger et d'irriter sa colère.
Je renferme ici, Messieurs, pour abréger
le dernier caractère que doit avoir la | éni-
tence : c'est qu'elle soit satisfactoire. Souffrez
que je vous le demande, pécheurs pénitents,
l'avez-vous, cette douleur satisfactoire, lors-
qu'après avoir reçu de la main du prêtre le
signe de votre réconciliation, vous ne répa-
rez rien, vous ne satisfaites à rien? lorsque,
faute de porter le fer et le feu dans la plaie
de votre âme, vous laissez tomber lâchement
le glaive salutaire qu'on vous avait mis en
main pour le détruire? avez-vous celte dou-
leur satisfactoire quand vous cherchez des
adoucissements aux peines trop légères qu'on
vous a imposées, et que vous avez si bien
méritées , quand vous regardez les peines
douces comme un bonheur et une fortune?
quand vous allez chercher, quand vous vous
informez avec soin d'un de ces prophètes trop
indulgents qui ne vous disent que choses
qui vous plaisent , qui enferment le venin
clans la plaie, et qui, loin de vous imposer
une pénitence qui satisfasse à Dieu, ne vous
satisfait pas à vous-mêmes? Enfin, avez-vous
une douleur sincère, lorsque tombés entre
les mains de ces ministres zélés et circon-
spects, qui aiment plus la guérison de votre
âme que la faveur et la protection de votre
crédit, vous refusez quelques jours de re-
traite, de jeûne, d'abstinence qu'ils vous or-
donnent? vous élevant contre eux s'ils vous
donnent une pénitence tant soit peu propor-
tionnée à vos crimes, mais qui vous paraîtrait
toujours trop légère, comparée avec la sévé-
rité de la discipline dont ils ne font que sui-
vre les ordonnances et les lois? Se comporter
de la sorte au sacré tribunal, est-ce avoir une
douleur sincère et véritable ou une douleur
trompeuse et hypocrite? et n'avoir qu'une
telle douleur, est-ce apaiser la colère de
Dieu si justement irrité de vos offenses? n'est-
ce pas plutôt l'obliger à vous dire : Mon pacte
avec vous est rompu, mes bénédictions sont
retirées de vous; je vous punirai parce que
vous ne vous êtes pas punis vous-mêmes.
Quelle parole, Messieurs, un Dieu irrité,
un Dieu vengeur, tout un Dieu qui tombe
sur vousl n'est-ce point ainsi un coup de
foudre qui accable le faux pénitent. Voilà
donc les grandes voies qui mènent les âmes
dans l'abîme, et c'est ce qui doit vous effrayer,
car si vos confessions sont le seul bien , ,1a
seule planche qui vous reste après le nau-
frage, le seul rempart que vous puissiez op-
poser à la colère céleste; si c'est toute votre
religion, toute votre ressource, toute votre
espérance dans l'état malheureux où vous
êtes, après ce que vous venez d'entendre où
en êtes-vous? quel sera votre sort, quel ap-
pui, que de crimes, quelle ressource, que
de sacrilèges, quelle confiance , que de mon-
strueuses profanations 1 Si c'est là ce qui vous
rassurait, vous n'avez maintenant qu'à re-
doubler vos craintes : vous n'étiez, avant
votre confession, que de grands pécheurs,
CAREME. — SERMON XXV, DE LA VERITE DE LA RELIGION.
1017
et depuis vous êtes devenus de grands par-
jures, de grands sacrilèges.
Souffrez qu'en finissant je vous adresse
les mêmes paroles que le grand Apôtre adres-
sait au peuple de Corinthe : Obsrcramus pro
Chris ta reconciliamini Dco. (II Cor., V.) Eh
quoi! Messieurs, voulez-vous donc toujours
vivre dans la haine et sous la juste colère de
Dieu? Comme ministres de Jésus-Christ, au
nom duquel nous parlons, et qui vous parle
par notre bouche, nous vous exhortons a re-
courir à vos résolutions et à demander sa
•miséricorde; elle est infinie, et quelque
grands pécheurs que vous soyez, vous pou-
vez en espérer tout, si vous y recourez comme
il faut : Pro Chrisio ergo legatione fungemur
tanqiiam Deo exhortante perttos. (Ibid.) Quoi-
que votre paix et votre réconciliation avec
Dieu soit votre bonheur suprême, nous vous
le demandons comme une grâce, -comme une
faveur; et au nom de qui vous le deman-
dons-nous? pro Chri&to, au nom de Jésus-
Christ votre Sauveur, au nom de son sang,
de ses plaies, de sa croix, de ses mérites.
Si nous connaissions quelque chose de plus
éloquent et de plus tendre, nous remploie-
rions ici pour vous toucher; nous vous en
prions, nous vous en conjurons, faites du
moins pour lui ce que vous ne feriez pas
pour vous-mêmes. Mars encore, que vous
demandons-nous? reconciliamini Dco, c'est
de vous réconcilier avec votre Dieu par une
confession sincère et entière, telle que vous
la feriez au 1 t de la mort, au pied de ce tri-
bunal redoutable des vengeances du Sei-
gneur, où b entôt vous paraîtrez, et peut-
être plutôt que vous n'y pensez, pour y
rendre compte et vous y accuser aux yeux
de toutes les créatures des péchés que vous
aurez commis et des grâces dont vous aurez
abusé. En vous réconciliant avec votre Dieu,
vous vous réconcilierez f»vec vous-mêmes;
car depuis longtemps votre cœur est agité
par le crime, le poids secret de vos iniquités
vous accable, vous n'aviez plus la paix et la
tranquillité dans votre conscience. Ah! rece-
vez-la de la main de Jésus-Christ, 'qui vous
la présente en ces saints jours par la main
de ses ministres, reconciliamini Dco; cette
réconciliation, si vous la faites avec les con-
ditions que j'ai tâché de vous faire connaître,
vous rendra dignes de recevoir Jésus-Christ
en ces temps cie grâce et de salut, et de le
posséder un jour dans l'immortalité de sa
gloire. Je vous la souhaite, au nom du Père
et du Fils et du Saint-Esprit. Amen.
SERMON XXV.
DE LA VÉRITÉ DE LA RELIGION.
Si tu es Christus die nobis palam, respondit eis Jésus
loquor vobis et nun creditis. (Joan., X.)
Si vous êtes le Christ, dites-le-nous publiquement. Ici,
Jésus leur répondit : Je vous parle et vous ne me. crouet
pus.
Quand Jésus-Christ parlait autrefois à des
esprits obstinés et à des cœurs indociles, il
leur demandait pourquoi ils ne croyaient
pas; mais lorsqu'aujourd'hui dans 1 i'assem-
4018
blée des chrétiens, je parle de sa religion
sainte, c'est pour vous apprendre pourquoi
vous croyez ; et, au lieu des justes reproches
que Jésus-Christ faisait à L'incrédulité, je
viens donner à v< tre foi un goût [lus con-
solant, un attrait plus insinuant, une expo-
sition [dus éclairée | our en rendre raison,
comme l'Apôtre l'exige de nous, à quiconque
vous le demandera. Enfin, sans entreprendre
de traiter à fond la vérité de la religion
chrétienne, ce qui n'est nullement ma pen-
sée, je viens combattre les illusions de l'es-
prit, forcer le libertinage jusque dans ses
retranchements, confondre le dérèglement
de l'amour-propre et déformer la séduction
de l'impie, toujours prêt à nous ravir un
trésor précieux.
Essayons donc, pour le conserver ou l'ac-
croitre en vous ce dépôt de la loi, de vous
montrer combien votre relig:on sainte vous
est nécesssaire , tout le leste sera prouvé
quand cette nécessité vous sera devenue
sensible, je n'ai besoin pour cela que de votre
esprit et de votre cœur: de votre es| rit à
qui rien n'est plus essentiel que de connaî-
tre et à qui toutes les lumières seraient des
malheurs sans la religion de votre cœur; à
qui rien n'est plus naturel que d'aimer, et
dont toutes les affections seraient de vérita-
bles misères sans la religion , deux idées
bien consolantes pour une âme fidèle.
La religion chrétienne nécessaire à l'es-
prit; la religion chrétienne nécessaire au
cœur : voilà tout mon dessein. Encore un
coup je parle devant des fidèles, mais si parmi
ces enfants dociles et soumis il se trouvait
de ces âmes rebelles et désobéissantes qui
voulussent pousser à bout la religion et les
raisons qu'on leur apporte, s'il y avait de
ces hommes irrésolus et flottants. Eh! plût à
Dieu qu'il n'y en eût point qui n'étant rien,
ni chrétiens infidèles, ni révoltés, ni soumis,
ni fidèles, ni incrédules, qui, situés dans un
milieu vague et indéterminé entre le fidèle
et l'incrédule, se plaisent dans cette espèce
d'équilibre, demeurent dans cette indolence
de la foi qui est la plaie la pi us' mortel le que
le péché ait pu faire à l'homme ; grand Dieu,
fixez dans le point de votre vérité, ces âmes
iloltantes et incrédules etsurtout ne regardez
point à l'outrage que vous font ces impies,
de ces pierres suscitez des enfants d'Abra-
ham qui connaissent que leur vrai malheur
estde n'avoir point de religion; et s'il le
faut, pour leur persuader que la religion de
de Jésus-Christ est la véritable; faites-leur
sentir qu'elle leur est nécessaire , deman-
dons pour cela les lumières qui nous sont
nécessaires par l'intercession de la sainte
Vierge. Ave, Maria.
PREMIER POINT.
Les trois plaies funestes, dont l'esprit de
l'homme a besoin d'être guéri, sont: l'igno-
rance, l'incertitude, la curiosité. Ou il ne
connaît rien dans le premier être qu'il faut
adorer, ou il n'a que de l'incertituue sur le
culte qu'il lui doit, ou il veut trop sonder la
profondeur des mystères qu'il lui propose de
1019
ORATEURS SACRES. LE P. SL'RIAN.
KUO
croire, dont je conclus que la religion est
nécesaire puisqu'elle seule peut guérir tou-
tes ces plaies : à l'esprit ignorant et aveu-
gle , elle seule donne l'idée la plus claire et
la plus distincte ; à l'esprit flottant et irrésolu,
elle seule donne la certitude la plus forte et
l'impression la plus vive; a l'esprit curieux
et superbe, elle imprime sur les mystères
qui nous sont proposés la soumission la
] lus juste; et sans elle rien n'éclaire, ne fixe,
ne soumet l'esprit humain, suivez-moi dans
ces trois circonstances.
Et d'abord, rappelez les faibles images
dont les aveugles païens ont dégradé la di-
gnité du premier être; c'est une science de
savoir nombrer, dit saint Augustin ; tous
ceux que les noires conjectures du paga-
nisme érigeaient en dieux : un ciel plus
épuré, un soleil plus brillant, des astres
plus lumineux, voilà les dieux que quel-
ques-uns adoraient; les autres, moins ingé-
nieux, s'en taillaient de bois, de marbre, de
métaux et de pierre; on a vu des animaux
adorés comme des dieux 1 et des hommes,
aussi détestables que les objets infâmes de
leur culte, partager avec eux leurs inclina-
tions basses et rapportées à chaque pays.
Chaque nation avait les siens, chaque désor-
dre en, avait de consacrés; les maîtres du
monde leur donnaient leur figure, leurs vices
et leurs passions ; ce n'était partout qu'in-
famie et horreur, on voyait des hommes
vaincus, captifs, enchaînés, recevoir les
hommages des autres hommes et en être re-
gardés comme des divinités.
Ne leur insultons pas à ces aveugles
païens; hélas! de quoi n'est pas capable la
raison humaine entraînée parun cœur souillé
et à quel excès ne se porterait-elle pas !
qu'il est à craindre que sans un frein salu-
taiie, nous ne ressemblions à ces impies qui
ne reconnaissent point d'autre divinité
qu'un caprice bizarre, qu'un destin et une fa-
talité qui, loin de pouvoir être regardés
comme des dieux, ne sont pas même des
êtres. Elevez-vous donc religion sainte, il
n'appartient qu'à vous d'éclairer la raison
de l'homme sur des abîmes si déplorables ;
seule dépositaire du véritable Dieu, vous
nous le faites voir tel, c'est-à-dire juste par
essence, saint de sa nature, absolu dans ses
volontés, inpépendant dans ses perfections,
tout salut dans ses générations; gouvernant
seul le monde entier par des lois immuables
avant une force à qui rien ne résiste, une
souveraineté que rien ne borne, une félicité
que rien ne trouble, une pureté que rien
n'altère, un repos que rien n'interrompt,
étant la consolation de ceux qui le cherchent,
l'appui de ceux qui l'implorent, la miséri-
corde de ceux qui le suivent, la récompense
de ceux qui le savent, bon sans que sa
bonté diminue rien des droits de son équité,
juste sans que sa justice lui fasse rien per-
dre de sa tendresse, mal représenté par les
fantômes de l'imagination; mais se faisant
sentir au cœur par des touches bien réelles,
et qui, après nous avoir remplis de son abon-
dance ici bas doit nous absorber pour jamais
dans l'immensité de sa gloire; ah! qui ne s'é-
crierait avec ces peuples de l'Ecriture : Quel
Dieu v a-t-il au monde comme le nôtre? tous
les autres qu'on s'est forgés, chacun en sa ma-
nière, ne sont que de folles productions du
crime et du mensonge, vous êtes seul, ô
mon Dieu, le véritable; heureux qui vous
connaît, qui vous adore et qui vous aime 1
Cette religion, qui nous donne une idée si
sublime de l'objet de nos adorations , est
donc nécessaire à l'esprit aveugle, mais l'est-
elle moins à l'esprit irrésolu, elle qui, par
l'insolubilité de ses promesses, fixe toutes
nos agitations.
Ici, chrétiens auditeurs, représentez-vous
un homme qui, à force de trop voir de
choses ne se satisfait d'aucune ; sa raison
lui suscite de tous, côtés des cloutes qu'elle
ne peut résoudre; rien ne l'accommode dans
l'univers, il n'y voit partout que des situa-
tions malheureuses, il n'y aperçoit que des
mystères de singularité où tout se dément,
où rien ne se soutient, incapable de montrer
un seul motif de crédulité dans tout ce qu'il
dé. ouvre, surtout ne pouvant se résoudre
à céder à un homme semblable à lui, ni à
se rendre disciple ou vassal d'un maître ou
d'un seigneur que la nature a fait son égal,
il veut que l'objet du culte et de l'adoration
qu'on lui propose, porte avec soi un carac-
tère certain de divinité, et il n'en trouve
point. Le déisme, l'idolâtrie, le paganisme,
le niahométismc, et tant d'autres cultes et
religions lui paraissent de grands noms
qui ne lui offrent rien que de naturel, rien
que de facile, rien que de favorable aux
passions, aux vices, rien de propre à entre-
tenir la délicatesse de la chair et le liberti-
nage des sens, rien que d'humain et au-des-
sous même de l'homme. En vain cherche-t-il
à se reposer dans l'indifférence en demeurant
neutre et en doutant de tout; il sent bien
que le pyrronismë est un vide qui ne con-
tente pas la raison ; le besoin indispensable
qu'il sent avoir de la vraie religion qui le
fixe, le jette encore dans des recherches pé-
nibles et embarrassantes, qui ne servent qu'à
multiplier ses peines jusqu'à la fin de ses
jours ; c'est là tout le fruit de ses réflexions
et de son inconstance.
Vous le voulez ainsi, ô mon Dieu, que
celui qui ne se fixe pas en vous porte
dès cette vie son supplice ; vous tenez exprès
toutes les autres créances dans l'impuis-
sance de nous satisfaire, afin de nous forcer
à venir à la seule véritable qui est la vôtre;
vous voulez, par nos agitations, nous arrêter,
par nos inquiétudes, nous calmer, nous
rendre heureux par nos peines, et pour nous
obliger à aimer votre religion sainte et à
l'embrasser, vous nous la rendez seule né-
cessaire; il ne tenait en effet qu'à Diou de
donner à des hommes mortels une religion
toute humaine; mais elle n'aurait pa^ sufii.
Il leur en fallait une si bien caractérisée,
qu'on y reconnût aisément la main d'en haut,
et c'est notre religion seule qui peut nous
faire ronnaître-ces grands traits de la divi-
nité cl qui seule la caractérise, suit dans ce
10-1
CAREME. — SERMON XX Y , DE LA VERITE DE LA RELIGION.
1022
qui 1.1 commence, soit dans ce qui l'établit,
soit dans ce qui la perpétue. Je dis que le
caractère de la divinité ne pourrait être
mieux marqué que dans ce qui commence
la religion chrétienne; que dès le commen-
cement du monde les soupirs des justes, les
vœux des patriarches , les oracles des pro-
phètes, les promesses du Seigneur, les so-
lennités, les fêtes, les temples, les prêtres,
les sacrifices, les victimes, les ombres, les
figures, les cérémonies, que tout cela, comme
un grand tableau exposé aux yeux de l'uni-
vers pendant quatre milîe ans, représentait
déjà par nuan ce notre religion sainte et
nous offre encore maintenant un spectacle
tout divin.
Mais, dans ce qui l'établit, ce caractère de
divinité y est encore mieux marqué. Envoyé
du ciel en terre pour en poser les fondements,
un Homme-Dieu le fait par de touchants
exemples qu'il donne, par d'excellentes ver-
tus qu'il pratique, par le mépris général qu'il
porte à toutes les choses du siècle, par
toutes les guérisons qu'il opère, par tous
les secours qu'il rend au prochain, par la
manière dont il agit à l'égard de ses plus
grands ennemis, par l'indifférence où il est
au milieu des plus grands prodiges comme
étant au-dessus d'eux, par l'établissement
d'un royaume nouveau, par l'espérance
qu'il donne d'une gloire invisible, sans
étonnement pour les plus surprenantes ré-
volutions, sans admirai ion pour les événe-
ments les plus merveilleux comme étant
admis dans les plus grands secrets de Dieu;
n'ayant, pour enseigner la plus sublime des
doctrines, qu'une simplicité sainte, surtout
lorsque sur une croix, au milieu de deux
larrons, dans une paix , dans une douceur,
dans une patience qui n'étaient point hu-
maines , a; rès avoir o[ éré dans les humilia-
tions et les opprobres le salut du monde ;
après avoir vu toutes les prophéties accom-
plies , levant les yeux au ciel pour en
rendre grâce à son Père, puis les baissant
vers la terre pour y considérer l'ouvrage de
la rédemption du monde, il s'écria: Tout est
consommé. (Joan., XIX.) Et reprenant enfin
cette gloire qu'il avait quittée volontaire-
ment, il remonte à la droite de son Père pour
y jouir de cette splendeur qu'il n'avait
point ici-bas. Quel ouvrage sous le soleil
porte plus dans son établissement le carac-
tère de la divinité que notre sainte religion.
Mais son progrès et son accroissement
achèvent de fixer l'esprit flottant et incertain.
A cette religion naissante s'opposent comme
un mur d'airain l'artifice des faux savants, la
délicatesse des hommes charnels, l'autorité des
puissances du siècle, mille autres obstacles
qui paraissent invincibles; et douze pêcheurs
ignorants, pauvres, simples, grossiers, fu-
gitifs, désarmés, tirés tout à coup de leurs
rustiques occupations, épris' d'une ivresse
céleste, entreprenent, rien qu'avec leur sang,
de faire valoir et accréditer une religion de
mortification, de renoncement, de pénitence,
d'anéantissement et avec quelles suites! Rien
de plus étonnant, mes frères : partout l'Evan-
gile et la grâce de Jésus-Christ triomphent
du paganisme et de l'évidence la plus natu-
relle, partout, la patience et la mortification
combattent victorieusement la volupté et la
mollesse , partout la droiture et la vérité
l'emportent sur les préjugés et le mensonge ;
tout change enfin de face à leur aspect, et
tout plie sous le joug nouveau qu'ils veu-
lent imposer. Il se fait un renouvellement
de mœurs et de créance dans le monde.
L'Eglise, encore cachée et inconnue, com-
mence dès lors à se développer et à s'étendre :
élevée sur la parole de Dieu , annoncée par
douze apôtres, elle fait de Jérusalem sa pre-
mière conquête et de Rome son siège prin-
cipal ; elle exerce ses cérémonies saintes
dans les lieux mêmes où avaient été observées
les superstitions du paganisme et sur des
murs renversés au son de ses trompettes
sacrées s'élève cet édifice et.ee temple saint
dont la sagesse éternelle avait pris les di-
mensions dans les quatre parties du monde.
Mon Dieu, selon les règles ordinaires de la
sagesse humaine , ce prodige devait-il ar-
river tandis que les hérésies les plus licen-
cieuses, les nouveautés les plus commodes,
les sectes les plus favorables à la nature et
aux sens périssent presque toutes à leur
source. On voit la religion de Jésus-Christ
s'accréditer par les disgrâces, s'enrichir par
le dépouillement, s'insinuer par les rigueurs,
se perpétuer par la persécution, devenir fé-
conde par le martyre, demeurer toujours
dans l'unité de son culte par les contradic-
tions, s'affermir par les efforts que le monde
fait pour l'abattre et, encore aujourd'hui
n'ayant rien altéré ni perdu de ce caractère
auguste de divinité qui la distingue si noble-
ment de toutes les autres. Toutes les idoles
ont disparu devant-elles; les Juifs ne traînent
encore sur la terre des jours misérables que
pour rendre témoignage à l'ancienne tradition
de la nouvelle loi. Il s'est élevé des tempêtes
contre le vaisseau de Jésus-Christ, mais,
malgré les persécutions et les vents conta-
g;eux qui ont souillé jusque dans Israël et
qui ont infecté des royaumes entiers, hélas l
nos bords y touchent de si près que nos
entrailles ne peuvent que s'émouvoir au
souvenir de leurs malheurs. Nous respi-
rons encore parmi nous un air pur, le port
précieux de la foi s'y conserve toujours, la
religion nous y sert encore de lumière et de
guide ; tant d'hérésies n'ont point été capa-
bles de la détruire; cette arche toujours
flotte en assurance au milieu de ce déluge;
les branches retranchées de ce grand arbre
n'ont servi qu'à faire monter plus haut sa
tige, et si, depuis son établissement jusqu'à
nous , l'homme a toujours fait hommage à
Jésus-Christ par sa religion et par son culte,
Jésus-Christ lui a toujours été présent par
son amour et par ses grâces. C'est l'avantage
singulier de notre religion sainte, de faire
voir un enchaînement de créance sans inter-
ruption, une succession constante de dog-
mes toujours purs, toujours visibles, aussi
immuables que le chef indépendant à qui
elle tient, et survivant seule à toutes les
4023
ORATEURS SACRES. LE P. SURiAN.
ifôl
autres religions ensemble Hélas ! qu'elle
dure encore malgré le débordement de nos
passions, n'est-ce pas un miracle plus grand
que tous les autres, qui prouve assez quelle
n'a rien d humain, qu'elle est toute divine,
et que toute la nature ne peut rien pour la
renver er? Oui, mon Dieu, c'est votre ou-
vrage; tous vos traits y sont marqués; em-
pêchez-la de périr et donnez-lui un nouvel
accroissement au milieu de son cours: Do-
mine, opus tuum in medio annorum vivifiais
illud.(llaùac., 111.)
L'esprit humain étant si incertain et si ir-
résolu, ayant besoin de croire et ne trouvant
rien pour le déterminera un objet digne de
lui, cette religion lui est donc nécessaire
qui, par des caractères tout divins, est seule
capable de le tixer et l'homme serait inexcu-
sable maintenant, si pour des soupçons et
des conjectures mal fondés , si pour des
difficultés et des doutes frivoles, si pour des
raisonnements faux et captieux que forme
la philosophie et qui servent aux passions
de prétextes, si, pour quelques contradictions
humaines qui n ont pas empêché la religion
(le Jésus-Christ, de s'étendre dans toutes
les | arties de l'univers et qui feraient voir
en vous bien plus d'obstination et d'aveu-
glement que de pénétration et de solidité,
vous refusez encore de croire : dites donc
que tant et de si beaux caractères de divinité,
marqués visiblement dans cette religion,
n'y sont rassemblés que pour faire aux hom-
mes une illusion universelle; dites que ces
apôtres ont répandu leur sang par pure com-
plaisance, pour soutenir et accréditer l'im-
posture et le mensonge; que pour rendre
les autres sages il leur importait beaucoup
d'être fourbes; que le dessein généreux
qu'ils avaient formé de tout sacrifier et de
perure la vie au milieu des tourments n'é-
tait qu'un intérêt temporel dans eux et (pie
la religion la plus ennemie de la nature ne
subsiste que par des motifs naturels; affirmez
donc que ces pieux écrivains sont des impo-
steurs et des fourbes, eux qui n'attendaient
pour récompense de leurs ouvrages que les
supplices et la mort, et même qui, quand ils
auraient voulu nous tromper,ne l'auraient pu,
puisqu'ils ne proposent que des faits connus
et avérés que nul autre n'aurait pu démentir;
soutencz.donc que l'un et l'autre Testament
sont tombés dans la [dus grande absurdité;
que ces livres sacrés, venus jusqu'à nous de
main en main par une longue et constan e
tradition d'âge en âge et dans lesquels ce
qu'il y a de plus simple fait voir un carac-
tère de vérité et une antiquité vénérable, ne
renferment que des faits où il n'y a nulle
bonne foi et qui ne sont au fond qu'impo-
sture et supposition.
Opposez-vous aux plus grands génies de
tous les temps et contestez les témoignages
authentiques et les preuves convaincantes
que vous donnent ces hommes si saints et si
savants, que leur pénétration et leur sagesse
ont immortalisés; eniin osez donc dire
qu'une relig:on confirmée par oies prodiges
si éclatants, par des secours d'en haut qui
la soutiennent par des grâces abondantes
qui l'affermissent, par la concorde des deux
Testaments qui l'autorisent, par des raisons
puissantes qui la démontrent, par les témoi-
gnages d'une bonne conscience qui l'inspi-
rent, par les sentiments des hommes justes
qui la cherchent, par le trouble des pécheurs
qui la réclament, par l'aveu même des dé-
mons tremblants qui la confessent, qui la
louent : dites qu'une telle religion n'est
qu'une pieuse fraude, qu'une illusion arti-
ficieuse et une malice d'exécration; dites en
un mol que Dieu et l'homme, le ciel et la
terre, le passé et le présent conspirent tous
ensemble à vous abuser; forcez tous les in-
stincts naturels, étouffez tous les remords de
votre conscience, éteignez en vous les lu-
mières naturelles, et de peur d'être chrétiens
renoncez même à être hommes.
Ah ! s'il est vrai que le danger évident où
vous vous exposez par votre indocilité et
votre révolte, vous touche encore et vous at-
tendrisse, si vous voyez quelque honte à
préférer à ce grand jour qui écrit à vos yeux
votre ignorance et vos ténèbres ; si vous
vous sentez embarrassés de voir tous les gens
de bien pensera autrement que vous, de
trouver contre vous le désaveu de tant de
fameux incrédules et la créance per| étuelle
de tous les siècles; si vous rougissez do
n'opposer à tant de motifs puissants et une
autorité si bien fondée que les illusions et
les doutes, disons plutôt les craintes et le
désespoir de quelques libertins que notre
sainte religion ne trouverait point incrédu-
les si elle voulait les souffrir vicieux ; de ces
hommes déplorables dont la prétendue force
d'esprit n'est qu'une faiblesse de raison qui
ne peut s'élever au-dessus des sens ; de ces
hommes sans foi, sans probité, sans con-
science, h qui vous n'osez confier vos biens,
voire famille, vos intérêts, vos affaires sécu-
lières, et à qui vous abandonnez votre âme,
votre salut, votre Dieu ; de ces lâches dé-
serteurs de la milice sainte qui à la mort,
comme plusieurs auties, retrancheront
leurs conjectures plutôt que leurs persua-
sions, et qui bien- que leur égarement doive
faire le scandale de notre religion, il doit en
être regardé comme l'apologie, si vous ne
croyez pas que de pareils auteurs puissent
former conviction contre la religion que
vous professez, ah! demeurez-y fermes,
fixez-y votre créance, n'y soyez plus flot-
tants et irrésolus, aidez-la et ia soulagez en
croyant tout ce qu'elle propose. On se lasse
dès qu'on demeure errant et incertain; tra-
vaillez à faire connaître que vous croyez,
non par des arguments et des preuves en-
tassées et multipliées, mais par de bonnes
œuvres et par le retranchement de vos pas-
sions ; c'est la marque la moins équivoque
qu'on comprend et que l'on croit ce que Dieu
a dit, que de faire et d'accomplir fidèlement
ce qu'il ordonne. La raison, purifiée et soute-
nue par la bonne vie, est un témoignage bien
avantageux à la foi, au lieu (pie le servi-
teur inutile est regardé comme Je serviteur
1025
CAREME. — SERMON XXV, DE LA VERITE DE LA RELIGION.
{023
infidèle, et que celui qui ne fait rien de bien
n'est pas loin rie ne rien rroire.
Mais si la religion est nécessaire à l'esprit
incertain pour le fixer, combien. l'esl-elle
encore à l'esprit curieux parla soumission
qu'elle lui impose : troisième réflexion.
Oui, mes frères, si l'esprit humain n'était
qu'ignorant et irrésolu, il aurait suffi rie
l'instruire et rie le fixer, mais il est superbe
et curieux et c'est pour cela qu'il avait be-
soin d'une rebgion qui d'un côté bornât ses
vues par des ombres mystérieuses, et de
l'autre remplît sa curiosité par des lumières
salutaires, à peu près comme dans la succes-
sion rie la ruiit et du jour, afin que l'homme,
trouvant son bonheur dans ce mélange rie
ténèbres et rie clartés, se garantît de l'er-
reur île ces philosophes téméraires qui, pour
voulo r trop creuser clans l'abîme impéné-
trable ries mystères sacrés que Dieu a scellés
rie sa main, s'y sont précipités eux-mêmes.
Ils ont demandé à l'ouvrier suprême raison
de son ouvrage, mais à force de trop suivre
leur raison ils lont perdue, et sont arrivés
par cette orgueilleuse entreprise jusqu'au
point fatal rie rejeter Dieu pour vouloir trop
le comprendre. La relgion est donc néces-
saire à notre esprit, parce qu'elle nous im-
pose, pour les mystères qui sont hors rie
notre portée, une soumission juste, raison-
nable, et nous apprend qu'il est défendu et
même impossible rie les sonder. Llle nous
montre : 1° qu'il nous est défendu en ce que
Dieu s'en est réservé la connaissance et
nous a laissé en partage la docilité que ce
Maître souverain a droit d'exiger de nous;
cet hommage pour marquer l'empire absolu
qu'il a sur nous et qu'il est bien juste que
nous devenions soumis par la foi, après
avoir été aveuglés par la superbe; 2" elle
nous apprend qu'il est impossible rie sonder
les mystères de Dieu à cause de notre es-
prit qui est si borné; elle nous fait convenir
que de ce gouffre de misères où notre
esprit est renfermé comme dans un étroit
abîme, d'où une peut voir toute l'immensité
du ciel, nous ne pouvons apercevoir toute
la profondeur et l'excellence des choses cé-
lestes; qu'ainsi il est impossible de nous
former une juste idée des mystères rie Dieu,
puisqu'ils partent ou rie sa sagesse qui nous
conduit, ou de sa bonté qui nous aide, ou
de sa justice qui nous règle; car qui croit
et qui espère, c'est qu'il voit déjà ce qu'il
lui suffit de voir rie sa grandeur et rie la ma-
jesté rie Dieu, qui ne peut se laisser appro-
fondir sans nous accabler du- poids rie sa
gloire. Quelle religion donc nous est plus
nécessaire? Après cela ces esprits superbes
et curieux se plaindront-ils qu'on ue leur
montre que des voiles et que cette religion
n'a que des obscurités.
Mais, ignorent-ils donc qu'un Dieu, mesuré
et compris par les hommes, ne serait plus
Dieu ; que ce défaut de lumières n'est qu'un
t'blouissement de ce divin soleil qui devient
pour eux une lumière trop vive? ignorent-
«ls que moins notre sainte religion veut for-
cer ces obstacles mystérieux, [dus elle est
vivifiante; que si elle empêche l'homme rie
vouloir atteindre, c'est, de peur que, comme
les animaux immondes, il ne foule a. x
pieds des perles précieuses, et qu'elle nous
apprend que notre Dieu sera un lieu * aclié,
et qu'après tout il ne doit j as paraître étrange
que Dieu se ca;he à l'homme par sa majesté,
quand l'homme se dérobe à lui j ar - es \Les>?
Oui! persuadez-vous que n'user pas ce
votre faible raison à l'égard des mystères est
l'usage le plus sage que vous en puissiez
faire; que sans bornes heureuses, celte rai-
son est aveugle, égarée, injuste, téméraire ,
insupportable à elle-même; que la joie i.e
vous est donnée que comme un grand avan-
tage, pour vous épargner des discussions
pénibles et interminables, et qu'api es tout il
n'e; t point étonnant que si vous ne \0) ez pas
clair dans les choses mêmes qui vous en-
vironnent vous trouviez des obscurités dans
celles qui sont au-dessus de vous et que si la
nature vous est elle-même un mystère, la re-
ligion le soit aussi.
Mais, je croirais, si je voyais, dites-vous;
ces mystères sont si incertains 1 mais com-
bien de choses croyez-vous tous les jours
que vous ne voyez point; vo^ez-vous le
temps h venir? Cependant vous croyez qu'il
arrivera pour vous. Four prendre le parti de
ne | oint croire la vérité des mystères sans y
voir clair, il faudrait avoir des preuves et des
motifs contraires h ce que la religion vous
en apprend. Or, en avez-vous un? Dieu fait
homme, naissant dans le sein rie la misère,
crucifié* par les passions des hommes ; q^els
abîmes !
Mais, supérieurs à la nature, à la raison,
ces mystères lui sont-ils contraires, au-des-
sus des miséricordes infinies d'un Dieu?
n'est-ce pas une preuve que Dieu seul est
incompréhensible dans le bien qu'il nous
fait? N'est-il pas bien consolant jour nous
qu'il ne nous laisse [joint comprendre ? Mais,
faute de croire les mystères sacrés, vous de-
venez vous-mêmes un mystère plein d'hor-
reur, jusqu'à ce que d'une main terrible
Dieu vous ferme les yeux sans que vous
puissiez plus les ouvrir; il vous livre à ce
sens réprouvé et vous laisse suspendus au
milieu de vos ténèbres, qui sera le dernier
comble de vos malheurs : Percutiat te Domi-
nus ameniia ac fitrore mentis et palpes in
meridie. (Exod., XXY11I.)
Ah 1 n'allez donc plus rians les voies téné-
breuses de la curiosité chercher le jour en
plein midi ; tenez-vous dans la soumission
et dans l'ignorance si nécessaires à votre es-
prit; que votre raison se contente u 'adorer
ce qui est au-dessus rie sa portée; il sera
toujours si glorieux aux hommes rie rroire
ce qu'un Dieuariit; il ne leur sera jamais
honteux de ne point le comprendre. Comme
ces anges éblouis devant le] tabernacle, pro-
sternez-vous devant ce Dieu caché, que vous
ne voyez que des yeux de la foi ; ne portez
[joint vos doutes et vos ténèbres dans l'assem-
blée ries mondains, mais venez les déposer
au pied ries autels par un sacrifice à Dieu;
fuyez surtout ces esprits gâtés qui se cliver-
ORATEURS SACRES. LE F. SURS AN.
11)27
tissent de ce qui est au-dessus d'eux et qui
blasphèment ce qu'ils ignorent; ne songez à
eux que pour les plaindre si vous ne pouvez
les convertir, et que pour tirer de la révolte
de leur esprit une preuve de religion qui
éclaire et soumette le vôtre; et s'ils insultent
encore à la simplicité de votre foi, dites-leur :
Oh! l'heureuse injure d'être raillé avec
Jésus -Christ : 0 beata injuria illudi cum
Chisto !
Nous sommes simples, mais notre simpli-
cité nous fait honneur; nous sommes aveu-
gles, mais notre aveuglement est plus avan-
tageux pour nous que la lumière ; nous nous
trompons, dites-vous, mais notre erreur est
la vérité môme; jamais cette religion ne nous
paraîtra fausse, ou i'1 n'y en eut jamais , ou
s'il y en a une, el-le nous est nécessaire.
La religion chrétienne est donc nécessaire
à l'esprit de l'homme ; vous venez de le voir,
elle l'est encore à son cœur; c'est l'autre
partie de ce discours, je n'en dirai que deux
paroles.
SECOND POINT.
Les deux grandes misères du cœur de
l'homme sont, mes frères, le désordre et
l'inquiétude de ses passions, et ce qui lui
rend la religion si nécessaire est qu'elle seule
peut le régler, qu'elle seule peut le satisfaire ;
en sorte que rien ne lui convient mieux que
le portrait que le Sage avait fait de la loi
sainte : Embrassez-la, dit-il, elle est au cœur
une règle qui seule peut le corriger, elle
est au cœur un bien qui peut seul tle con-
tenter, deux preuves simples qui sont prises
dans vos sentiments mômes , vous les portez
au fond de votre âme, c'est à elles à vous
parler.
Et d'abord, je dis que la religion est au
cœur une règle qui seule est capable de la
Corriger, c'était autrefois la morale des philo-
sophes qu'on prenait pour lui servir de règle.
Or, cette morale de la philosophie, n'était
que conception dans ses principes; les uns
ont fait leur bonheur du plaisir des sens ,
d'autres ont inspiré des sentiments avides
pour les richesses de la terre, presque tous
ont autorisé l'amour de soi-même et des va-
nités du monde, et tout cela par principes.
Or, comment les trois- grandes passions qui
sont la source de nos désordres, pourraient-
elles être la règle de nos sentiments. Ainsi,
voyons ce qu'ont été et ce que sont encore
ces hommes qui se conduisent par ces règles.
Saint Paul en fait une peinture bien natu-
relle dans son épître aux Romains: il dit
que ce sont les ennemis de Dieu, qu'ils sont
livrés à des excès qu'il est honteux d'imiter et
qu'il estdéfendu de dire ; que ce sontdes gens
altiers, séditieux, médisants, ingrats, perfides,
scélérats, amis inconstants, ennemis impla-
cables, dignes d'être haïs et se haïssant les
uns et les autres, rompant les nœuds sacrés
de la religion, ceux-mêmes de la nature; en
un mot, des monstres, par quelque endroit
qu'on les envisage, et déréglés, non-seule-
ment par faiblesse, par infirmité, mais par
choix , par état , par profession et pour ainsi
1028
dire par principes. Voilà ce que peut sur le
cœur humain la philosophie profane et ses
règles ; voyons ce que peut aussi la religion
chrétienne. Mon Dieul qu'elle y laisse de
traces de votre sagesse et de votre sainteté
par le doux écoulement que vous lui com-
muniquez, et qu'il y a de plaisir à considérer
ce que devient un homme dont votre religion
sainte règle le cœur; c'est un homme à l'é-
gard de Dieu toujours dépendant et tou-
jours soumis, dépendant de ses ordres, il les
adore, de sa sagessse il l'imite, de sa justice
il la craint, de sa miséricorde il l'implore par
un véritable culte, il rend à Dieu toute sa di-
vinité; les mouvements de son cœur, il donne
toute sonambitionà lui plaire, toute sa crainte
à sa justice, tous ses regrets à son éloigne-
ment, tout son amour à sa bonté, toute sa
haine à ses offenses et ainsi de tout le reste ,
attaché de telle sorte à son Dieu, que toutes
les choses humaines se passent devant lui et
au-dessous de lui sans que jamais son cœur
se dérègle. Les richesses le trouvent modéré,
les maux le trouvent patient , la volupté le
trouve insensible, les grandeurs modestes;
il résiste aux méchants et sait vaincre les
tentations qui l'attaquent; jamais il n'a que
des vues droites, des mœurs chastes , des ha-
bitudes heureuses; il est seul ici-bas le vrai
sage, seul le vrai honnête homme, puisqu'il
est le seul qui ait le cœur réglé, mais sur-
tout à l'égard de ses frères, doux, affable,
tendre, compatissant, libéral, c'est pour lui
d'avoir du bien et d'en faire la n.ême chose ;
rien ne lui est bon s'il n'est utile à ses frères ;
leur joie le réjouit, leur tristesse l'abat,
c'est parleur situation qu'il les estime; heu-
reux ou malheureux, il est tout à tous; il
est rempli d'une charité qui n'a point de
bornes, il n'est avec son prochain, qu'un
môme esprit, qu'une même âme, qu'un même
cœur; il n'a point d'ennemis que ceux de
ses frères; il ose les défier de s'en faire haïr
par quelque traitement qu'on lui fasse. C'est
Isaac dans l'obéissance filiale qu'il rend à ses
parents , un Job dans l'admirable patience
qu'il montre dans son adversité et un Tobie
dans la sainteté de ses maximes ; c'est un
Joseph pour craindre le Seigneur dans toutes
ses démarches; c'est un Jonathas dans la
constance de ses amitiés, c'est un Josias s'il
règne, c'est un Moïse s'il conduit, c'est un
Salomon s'il juge, c'est un Josué s'il combat ;
à l'égard de tous il est sincère, charitable,
officieux, et pour tout dire, en un mot, un
chrétien, c'est-à-dire un cœur formé et réglé
sur le cœur de Dieu même. Ah ! Seigneur,
que ne multipliez-vous de tels cœurs! à votre
sainte Eglise que ne donnez-vous davantage
de tels enfants! quel charme d'être uni à
une si aimable société, quelle plus douce
image de la félicité du ciel ! que notre exil
nous deviendrait bien plus supportable !
Non, mon Dieu, on n'y entendrait point d'autre
plainte que celle d'une âme séparée de vous,
par le péché, point d'autre misère, d'antres
plaintes que celles que produit votre éloi-
gnement et la perte de votre grâce, et le
monde trouverait bientôt dans la régula-
10-29
CAREME. — SERMON XXV, DE LA VERITE DE LA RELIGION.
1030
rite de ses voies et de ses désirs, ce repos
bienheureux qu'il cherche inutilement dans
l'assouvissement de ses passions et de ses
crimes.
Mais si la religion peut seule régler le
cœur de l'homme, n'est-elle pas propre à le
satisfaire soit dans la prospérité, soit dans
l'affliction, et d'abord, que peut faire sur
le cœur la prospérité la plus flatteuse et
comment pourrait-elle le rendre content?
Le cœur, inquiet au centre de la volupté, sent
bien qu'il n'est pas à sa place; les hon-
neurs le lassent et le fatiguent, les richesses
l'agitent et lui donnent mille soins, ses dé-
sirs le consument, livré à mille remords qui
le déchirent, à mille passions qu'il ne peut
accorder, tant elles sont incompatibles, qu'il
ne peut vaincre tant elles sont impérieuses,
qu'il ne peut satisfaire tant elles sont insa-
tiables et en lui une espèce d'instinct et de
penchant dont rien ne peut remplir le vicie
et la violence ; à cette indigence naturelle du
cœur la religion chrétienne est donc néces-
saire, non-seulement parce qu'elle modère
ses désirs, car souvent aussi les passions sont
les sources de nos malheurs; mais qu'elle
l'élève à des objets pleins et rassasiants qu'il
ne saurait jamais trouver sur la terre. Ainsi,
le cœur aime-t-il la gloire? la religion lui
en promet une ineffable dont les charmes
ne peuvent s'exprimer; aime-t-il le plaisir ?
elle lui en oll're d'incompréhensibles; aime-
t-il les richesses ? elle lui en assure d'incor-
ruptibles qui n'ont point de prix et qui
sont inestimables à l'homme qui aime mieux
vivre pour l'avenir que pour le présent, elle
offre avec la résurrection du corps une
glorieuse immortalité, enfin avec vous, ô
mon Dieu, elle présente l'éternelle pléni- .
tude de biens, la possession infinie de tous
les biens ensemble. Ah! c'est ainsi que la
religion flatte les endroits les plus sensibles
du cœur humain, s'il y a dans le monde un
homme qui soit content c'est son ouvrage,
il ne peut l'être que par elle seule, ainsi
est -elle pour vous une vraie source de
bonheur. Ah ! quand ces douces pensées
vous occupent, mes frères, voudriez-vous
n'être pas du nombre des fidèles? N'applau-
dissez-vous pas à votre foi? N'êtes-vous
point attendris sur le sort de ces impies
qui refusent des privilèges si aimables et
ne vous écriez-vous point: Ah! que bénie
soit mille fois cette religion sainte qui nous
rend si heureux, qui réjouit si fort notre
cœur et qui peut seule nous consoler dans
nos maux? Ici, répondez-moi cœurs terres-
tres et mondains, quelles ressources trou-
vez-vous dans votre adversité? vos amis
vous y abandonnent, tout ce qui vous en-
vironne contribue à augmenter vos mal-
heurs ; Dieu même aigrit vos maux en pu-
nition de votre révolte. Ces principes philo-
sophiques, ces raisonnements stoïques sur
lesquels vous comptiez si fort auparavant
se démentent dans la disgrâce et dans l'afflic-
tion; la raison, si ferme dans les malheurs
d'autrui, se laisse bientôt abattre dans les
siens le cœur peut êlre philosophe pour le
prochain, mais il est toujours homme pour
soi-même ! Faute d'une meilleure ressource
vous plongerez-vous dans l'anéantissement ?
Mais où avez-vous pris un si pitoyable parti?
Jusqu'ici nous n'avons presque trouvé per-
sonne assez furieux et assez frénétique pour
le prendre, et pour le désirer, ce n'est pas
assez pour l'obtenir ce monstrueux parti;
mais vous aurez recours au désespoir : c'est
une autre ressource pour l'impie, ce sort qui
serait terrible s'il était certain, lorsqu'il
n'est pas douteux et hasardé peut-il vous
être une ressource dans vos misères? En
vérité est-on donc bien consolé quand on
vient se figurer que dans l'éternité peut-êtie
on ne sera rien; mais l'intime persuasion
d'aller au delà du temps dans des supplices
éternels ne met-il pas le comble à vos mi-
sères? Au contraire, la religion. ne vous offre-
t-elle pas une ressource facile et avantageuse,
outre qu'elle vous prétente des consola-
teurs fidèles et charitables qui ' partagent
avec vous le poids de vos maux, outre
qu'elle vous propose de ressembler par ce
moyen à Jésus-Christ, votre chef, et de mê-
ler vos larmes avec les sienne.?, outre qu'elle
consacre et rend méritoires pour vous des
malheurs devenus nécessaires et intraita-
bles pour vous, outre qu'elle verse sur vos
plaies des grâces, une onction si sensibles
qui rendent aimable l'affliction et corrigent
l'amertume de vos calamités, ne vous donne-
t-elle pas encore cette religion sa;nte, des
espérances solides que, quand tout vous
manquerait, votre Dieu ne vous manquera
jamais, que vous ne perdrez ici-bas nulle
personne chère, nul protecteur puissant,
nul bien temporel que vous ne puissiez
trouver plus abondamment et ] lus heureu-
sement dans l'immortalité, et qu'à ce monde
importun, à ce monde passager, succédera
un monde tout céleste, un royaume éter-
nel dont le prince de ce monde ne mérite
pas même d'être.
Ah! quand la grâce baptismale et la reli-
gion de Jésus-Christ ne vous auraient pas faits
chrétiens, la religion, l'intérêt, le besoin,
l'amour-propre, ne vous auraient-ils pas en-
gagés à l'être ; et si tant de motifs se joi-
gnent ensemble pour nous rendre la reli-
gion aussi aimable que nécessaire, pouvons-
nous assez remercier Dieu et nous savoir
gré à nous-mêmes de nous être attachés et
soumis au culte le plus doux, le plus fa-
vorable, le plus nécessaire à notre esprit
et à notre cœur, et qui devient par là le tout
de l'homme : Hoc est enim omius homo.
Ah! s'il y est ici, grand Dieu, quelque âme
incrédule, infidèle, elle déplore elle-même
de s'être privée si longtemps d'un bien
dont elle ne sentait que trop la nécessité ;
elle voudrait revenir à vous, Seigneur, par
l'attrait de votre religion sainte, elle est con-
fuse de n'y revenir que pour ses malheurs
et ses troubles; aussi n'ose-t-elle vous de-
mander cette foi des justes qui est pleino
de douceurs et de consolations ; mais ac-
cordez-lui du moins cette foi de pénitence
qui est triste tremblante, épouvantée, péni-
1031
ORATEURS SACRES. LE P. SURIAN.
103Î
Me et laborieuse qui vous ven^e de son in-
eiéiulité par de vives alarmes et de
ciuelles violences. Exaucez-la, Père de mi-
séricorde. Ramenez cette pauvre brebis
égarée au sacré bercail et mettez-la dans la
voie salutaire, nous vous supplions tous
pour elle, afin que cette commune religion
qui aiad ici-bas notre salut soit aussi notre
commune félicité dans le ciel : c'est, mes
itères, ce que je vous souhaite. Amen.
SERMON XXVI.
DES DEVOIRS PROPRES A CHAQUE ETAT.
Si tu es Chfistus, die uobn palam. Respondit eis Jésus:
Loquur vobis, el non creihtis. Opéra qu;e e-o l'acio in no-
mine Palrismei.hœctestimoniumperbibent de me. (Joun.,
X.)
Si vous êtes h Christ, dites-le-nous publiquement. Jésus
leur répondit: J'ai beuuvous parler, vous ne me croyezpas.
Ce sontle^ œuvres, que je fuis au nom de mon Père, qui doi-
vent vous rendre le témoignage de moi, et vous apprendre
qui je suis.
Ces œuvres miraculeuses que Jésus-Christ
opérait tous les jours aux yeux de la Syna-
gogue, n'étaient-elles pas une preuve assez
forte pour autoriser sa divine mission;
comme il savait que les actions sont plus
persuasives que les paroles, il s'attache
moins à se rendre un témoignage que la
jalousie et la malignité des Juif» leur feraient
regarder comme suspect qu'à accomplir les
devoirs de sa sagesse : c'est ainsi qu'attentif
à remplir son ministère et sa mission dans
toute son étendue, il en fait son unique oc-
cupation, et c'est à quoi je viens vous exhor-
ter à son exemple; c'est -à-dire à entrer
dans les engagements chacun de votre mi-
nistère, à vous acquitter de toutes les obli-
gations propres et particulières de votre
état ; car outre les préceptes généraux que
la sagesse divine a imposés à tous les hom-
mes et que tous sont obligés de garder sous
peine de damnation chacun en particulier,
et encore par rapport aux lieux et au temps,
aux personnes, aux talents, à la naissance,
aux occupations, aux emplois, aux charges,
aux dignités, au degré de lumière et de
grâce; par rapport à la situation du cœur,
de l'esprit, de la fortune, et surtout par
rapport à l'état de vie; certains devoirs
personnels et particuliers qu'il n'est permis
à personne, ni d'ignorer, ni de négliger.
L'obligation des grands, des riches, est diffé-
rente de celle des petits et des pauvres; la
conduite du ministre des autels doit être pins
épurée que celle de l'homme du siècle; il
faut pour se sauver dans le monde plus de
talents, plus de forces d'esprit qu'il n'en est
besoin pour se sauver dans la retraite, de
sorte que, pour chaque chrétien il faut un
christianisme particulier ; ce qui est perfec-
tion et ferveur dans les uns, devient sou-
vent tiédeur et imperfection dans les autres;
la grandeur de notre sainte religion, c'est
d'offrir à chacun des devoirs différents à
pratiquer. Que cette vérité salutaire serve
donc à vous instruire et à vous humilier,
à vous instruire en vous apprennant les de-
voirs de votre état, à vous humilier en vous
montrant le peu de fidélité que vous appor-
tez à les remplir, en un mot, il n'est rien
de plus indispensable; cependant rien de
moins ordinaire que de s'acquitter de ses de-
voirs personnels et particuliers : c'est ce
que vous allez voir dans les deux parties de
ce discours, après que nous aurons imploré
l'assistance du Saint-Esprit, par l'interces-
sion de la sainte Vierge. Ave, Maria.
PREMIER POINT.
Que nous avons tous, outre les préceptes
connus du christianisme, des devoirs parti"
liers à remplir dans la différente situât on où
la Providence nous a mis, c'est une vér.té trop
sensible par elle-même et trop clairement
marquée dans les livres sacrés pour en douter.
Que chacun, dit saint Paul, se conduise selon
les dons glorieux de Dieu; que chacun marche
dans la voie propre de sa vocation : Cnicuitjue
sicut divisit Dominus unnmquemque sicul vo-
cavit Deus Ha ambulat.(Rom., XII.) C'est une
vérité néanmoins à laquelle peu font une sé-
rieuse attention. Lorsqu'on veut se choisir
un état de vie, on ne s'informe que des pri-
vilèges, du rang, du revenu qui en font la
douceur; on ne juge de sa vocation pour un
emploi, pour une charge que sur le bien
qu'on a pour l'obtenir et non point sur les
talents nécessaires pour en porter le poids
et en acquitter les obligations, ce qui fait que
dans la suite on ne songe point aux fautes
qu'on y peut commettre, et si on en conserve
le souvenir, on se llatte de les commettre
sans danger pour le salut. C'est sur quoi je
veux vous détromper dans cette première
partie de mon discours, en vous faisant voir
que lorsque vous manquez à vos devoirs
particuliers, 1° vous troublez l'ordre général
que la prudence a établi entre les hommes ;
2" vous vous opposez à l'ordre personnel
que le Seigneur a établi sur vous en parti-
culier, deux réilexions dignes de toute votre
attention.
Vous le savez, Messieurs, le divin Ouvrier,
Maître souverain de l'univers, qui en créant
le monde a rais le bel ordre que nous admi-
rons, a établi entre fous les états qui le com-
posent une mutuelle relation qui les fait
subsister et qui, comme dans le corps hu-
main toutes les parties qui le composent, se
prêtent un secours mutuel et l'ont chacune
leur fonction différente; de même, dit l'Apô-
tre, nous devons- nous entre-aider et nous
soulager les uns les autres, selon les dons et la
mesure différente des grâces qui nous ont été
données : Singuli autem altcr alteriusmcmbra.
Hab entes autem donationcs secundum gra-
tiamquœ data est nobis différentes (Rom., XII) ;
c'est pourquoi, ajoute le grand Apôtre, il a
confié aux uns le dépôt de sa justice et aux
autres le don de sa miséricorde. 11 a créé la
puissance pour favoriser, soutenir, protéger
les hommes dans le bien et pour arrêter,
punir et mettre un frein dans ceux qui opè-
rent le mal; pour défendre les bons contre
les insultes des méchants et réprimer, par la
force du glaive, ceux que l'autorité de l'E-
glise n'est pas capable de retenir. Voilà l'or-
1033 CAREME. — SERMON XXVI, DËV
dre que a Providence a établi. Or vous trou-
blez cet ordre général lorsque vous ne rendez
Pas le tribut à qui vous devez le tribut, la
crainte à qui vous devez la crainte, le respect,
l'amour, l'obéissance, la soumission à qui
vous la devez ; cet enfant dont vous négligez
l'éducation, pères et mères, voilà le tribut que
vous devez et que vous ne rendez point; ces
pauvres que vous laissez sans assistance,
voilà, riches du monde, l'ordre général que
vous troublez ; ce serviteur dont vous ne payez
pas le salaire et dont vous excitez les plaintes
et les murmures, maîtres et maîtresses, voilà
en quoi vous troublez l'ordre de la Provi-
dence qui s'en était reposée sur vous ; et
comme vous êtes cause des offenses que Ces
malheureux font, vous en répondrez devant
Dieu. Comme c'est vous qui par ce trouble
et ce renversement êtes cause d'une infinité
de malheurs qui arrivent dans la républi-
que, vous devez vous attendre à en porter
toute la peine. Héli, au lieu de jeter sur ses
deux fils les prévarications d'Israël dont ils
étaient la cause , oublie en leur faveur les
lois de la sévérité paternelle. Le Seigneur se
plaint qu'il a plus d'égard pour ses enfants
coupables que pour lui, et bientôt il retire
ses faveurs et ses bénédictions de la maison
de ce père trop lâche. Il prononce contre
toute sa race un arrêt de colère : le. père et
les enfants meurent presque en un même
jour; les Israélites sont vaincus, l'arche sainte
est prise par les Philistins , la désolation
est chez le peuple de Dieu. Voilà tous les
malheurs qu'attira la seule négligence du
grand prêtre à corriger ses enfants , et voilà
pourquoi, Messieurs, les ministres du Sei-
gneur ont d'autant plus de soin de vous
instruire sur vos obligations personnelles,
qu'ils les connaissent mieux que vous ne
les connaissez vous-mêmes. Non , ce n'est
donc plus ni ces éclatantes dignités, ni
ces richesses abondantes que vous devez en-
visager dans le choix d'un état, vous ne devez
plus regarder le ministère auquel vous êtes
dévoué comme un moyen d'agrandir votre
fortune, de remplir votre ambition, de con-
tenter votre cupidité, mais comme un titre
de justice, pour rendre à votre prochain tous
les bons offices qu'il peut exiger de vous
dans cet état. Que savez-vous, disait Mardo-
chée à la reine Esther, lorsque le Seigneur
vous a fait plaire aux yeux d'Assuérus, si ce
n'était pas pour protéger le peuple juif contre
la malignité de ceux qui s'efforçaient de sur-
prendre sa religion? Que savez-vous si ce
n'est point pour l'honneur de l'Eglise, pour
l'honneur de la justice, pour les intérêts du
sanctuaire que le Seigneur vous a fait naître,
avec les grâces , avec les talents, avec cette
naissance qui vous distinguent si fort dans
le monde? si ce n'est pour protéger l'inno-
cence , pour extirper les vices , pour auto-
riser les bons et réprimer les mauvais exem-
ples, que la Providence vous a faits grands ;
puissants dans les provinces, dans les villes,
car que signifie ce langage si commun dans le
monde : Je suis grand, je suis riche, mon
rang répond à mes désirs, j'ai do quoi me
Orateurs sacrés. L.
OIRS PROPRES A CHAQUE ETAT. ioU
mettre au-dessus de l'envie, si ce n'est,
comme le représentait saint Bernard au pape
Eugène, que le Seigneur ne m'a élevé sur la
tête des autres que pour soulager leurs be-
soins, que pour soutenir leurs intérêts, que
pour les édifier par une bonne conduite ; il
y a plus, à qui la moindre faiblesse que je
ferai paraître devant eux peut leur devenir
un sujet de scandale , et que Dieu même de-
mandera plus de compte à proportion que
j'aurai tenu un rang plus élevé dans le monde?
Que signifie, je suis revêtu d'une charge qui
me rend le dépositaire et l'arbitre de la vie
et de la mort des hommes? c'est-à-dire pour
entretenir le bon ordre, la discipline et la
subordination, pour arrêter la licence du
vice, pouF dévoiler les ruses et les artifices
du mensonge et protéger la veuve et l'or-
phelin contre les poursuites de l'injustice et
de l'usurpation? Que signifie, j'ai réussi
dans mes entreprises , j'ai bien augmenté
mes revenus, je possède de riches héritages?
c'est-à-dire, les pauvres attendent de moi
leur subsistance et leur secours, je suis éta-*
bli pour veiller à leur soulagement, et il ne
m'est pas permis de dissiper dans le plaisir,
dans le luxe , dans la sensualité et dans les
usages profanes, un argent, un bien qui
ne m'est confié que pour acheter la voie du
ciel et pour m'aider à acquérir le bonheur de
l'éternité? Que signifie, j'ai contracté une
grande alliance par le mariage? c'est-à-dire,
je dois veiller à l'éducation de mes enfants,
au gouvernement de ma famille, avoir de la
tendresse et de la complaisance pour celui
à qui le Seigneur m'a uni, afin que l'époux
infidèle soit sanctifié par la femme fidèle.
Voilà donc les sentiments dans lesquels
vous devez envisager les obligations de vo-
tre état, c'est-à-dire comme l'exécution de
cet arrêt terrible qui fut prononcé comme
un châtiment du péché du premier homme,
que nous gagnerons notre pain à la sueur
fie notre front; que, par conséquent, per-
sonne n'est exempt de travailler chacun se-
lon sa naissance, ses talents, sa condition,
son âge, non pas par un esprit d'intérêt, de
vaine gloire ou de cupidité, mais par des
sentiments de piété et de religion.
Quoi 1 pouvez-vous penser que vous n'a-
vez été appelés au sacré ministère que pour
dissiper le revenu du sanctuaire, que pour
l'employer à l'oisiveté et à l'ambition, et, à
l'ombre" de la croix, vous parer ou vous en-
richir d'un bien qui ne vous a été cor.Cé
que pour la décoration des autels et la sub-
sistance des pauvres? Croyez -vous que vous
n'ayez été chargés de l'administration des
biens de l'Etat ou des droits du prince que
pour donner à votre famille d'honorables
établissements? que pour faire acheter par
les sollicitations et par le crédit ce qui n'est
dû qu'aux services et à la vertu? Pouvez-
vous vous persuader que vous n'ayez été
placés dans un séjour d'où émanent les hon^
neurs et les grandes élévations de la terre,
que pour obscurcir un mérite qui fait om-1
brage au vôtre? que pour faire le désespoir"
de ceux que leur imprudence eu le màlheui"
33
i033
ORATEURS SACRES. LE P. SURIAN.
a jetés dans la disgrâce, et vous élever par
les ressorts de la politique à des iniquités et
à des emplois qui ne sont dus qu au vrai
mérite?
Ah! pensez plus sainement des miséri-
cordes que Dieu exerce envers les hommes ;
et, pour en vouloir faire un Dieu magnifique
et libéral à votre égard, n'en faites point à
l'égard des autres un Dieu aveugle et in-
juste; vous avez vu que vous ne sauriez
manquer à remplir les devoirs généraux de
votre état sans troubler l'ordre général que
le Seigneur a établi pour l'entretien de la so-
ciété chrétienne; vous ne le sauriez non
plus sans sortir de l'ordre particulier qui a
été établi pour votre propre sanctification :
seconde réflexion.
Ceux que Dieu a choisis pour être admis
dans sa gloire, il les conduit chacun par des
voies différentes, dit saint Paul : Quos prœ-
destinavit hos et vocavit et quos vocavit hos et
justificavit (Rom., VIII), et veut qu'ils y
arrivent par les œuvres qu'il leur a prescri-
tes ; le Seigneur nous a appelés à cet état de
vie préférablement à tout autre ; il a donc
sur vous quelques vues secrètes qui le font
agir de la sorte; et il demande donc dans ce
poste des devoirs particuliers, des services
précis que vous ne pourriez lui rendre par-
tout ailleurs. S'il conduit Jean-Baptiste clans
le désert, c'est afin qu'il lui prépare la voie,
et qu'il aille sur les bords du Jourdain prê-
cher au peuple le baptême de la pénitence;
s'il se choisit des apôtres et des disciples,
c'est afin que, comme autant de flambeaux
de la foi, ils portent l'instruction et la lu-
mière dans toutes les provinces et par toutes
les contrées de l'univers; qu'ils annoncent
aux peuples les miséricordes de la rédemp-
tion : Elegi vos de mnndo. (Joan., XV.)
Voilà, dit saint Augustin, à quoi vous
êtes destinés ; tout autre devoir que ceux
qui sont marqués dans vos emplois, dans
votre condition, serait en mauvaise odeur
devant Dieu ; tout autre sacrifice que celui
qui est attaché à votre état lui serait désa-
gréable, ne servirait qu'à vous jeter dans
1 illusion et à vous rendre des serviteurs
inutiles à ses yeux; et c'est sur ce principe
que le Prophète a dit que celui-là seul mé-
r.tera de monter sur la montagne du Sei-
gneur,qui n'aura pas reçu son âme en vain,
c'est-à-dire qui sera entré. dans les engage-
ments de sa vocation : Qui non accepit in
vano animam suam. Oui, la dévotion la plus
épurée, le culte le plus parfait que nous
puissioiis rendre au Seigneur, c'est de nous
renfermer dans les bornes de notre nais-
sance et de notre condition, et d'en remplir
les obligations. Vous n'êtes pas toujours
sûrs qu'en multipliant le nombre de vos
abstinences et de vos jeûnes le Seigneur
arrêtera sur vous des yeux de clémence et
de miséricorde, et que vous attirerez par là
ses grâces et ses bénédictions; souvent,
quelque saintes que soient en elles-mêmes
vos œuvres de surérogation , pour peu que
vous vous détourniez de vos devoirs per-
sonnels, il n'y a que de la vanité, qu'un or-
gueil secret, qu'un vain désir de paraître,
qu'un mouvement de complaisance et de
respect humain, qu'une envie de vous dis-
tinguer ; mais vous êtes assurés qu'en vous
acquittant des devoirs de votre état, de vo-
tre ministère, vous ne vous écartez point
de la voie du salut qui vous a été prescrite,
et où vous avez été appelés; que par consé-
quent vous y êtes toujours agréables au
Seigneur.
C'est ainsi que Josué s'est montré fidèle à
soutenir avec intrépidité les guerres du Sei-
gneur ; Caleb, à visiter la terre de Chanaan ;
Samuel, à veiller et à prier dans le temple;
la femme forte, par son attention à mettre
la main au travail, et à établir, dans l'intérieur
de sa maison, la discipline et la régularité.
C'est ainsi, ô mon Dieu 1 que, ne rejetant
personne de votre maison, nous ouvrons
chacun un sentier qui peut nous conduire
au ciel et qui n.ous rendra tout à fait inex-
cusables si nous y entrons pour opérer no-
tre sanctification.
Voulez-vous acquérir la vie éternelle, de-
mandait saint Jean au peuple de Judée, ne
vous chargez point de toutes sortes de
fruits, mais de bons qui soient propres et
particuliers à votre état; dépouillez-vous,
disait-il aux riches, de ces gros revenus et
des superbes vêtements pour revêtir le pau-
vre, pour le nourrir ; et consacrez à son ser-
vice, à sa subsistance un argent qui ne sert
qu'à vos plaisirs, à vos vanités et à votre
bonne chère. N'abusez point, disait-il aux
grands et aux publicains, en faveur de vos
cupidités, du pouvoir que le roi vous a con-
fié ; et en ménageant ses intérêts, oubliez les
vôtres ; défendez les droits de la patrie par
la valeur de vos armes, mais conservez ses
membres ; contentez-vous du revenu et de
la solde qui sont attachés à votre rang, et
faites retomber sur les ennemis de l'Etat la
terreur et l'effroi qu'entraîne après lui un
fléau si désolant, disait-il aux officiers de
guerre : Ncminem concutiatis neque caîum-
niam faciatis et contenti estote stipendiis
veslris. ( Luc, III. )
D'ailleurs, vous ne pouvez omettre ces
obligations dont chacun est chargé par son
état, que vous ne vous rendiez responsables
d'une infinité de grâces et de miséricordes
que le Seigueur a répandues sur vous, et
qu'il a attachées à vos conditions : c'est un
principe de religion que, dès que le ciel
nous appelle, à remplir quelque place im-
portante, il nous donne en même temps tou-
tes les forces, tous les secours, tous les ta-
lents dont nous avons besoin pour en soute-
nir le poids et en remplir les obligations;
vous méprisez donc ses bienfaits et ses mi-
séricordes, lorsque vous ne les remplissez
pas, ces devoirs ; or, on ne les méprise point
impunément, ces bienfaits du Seigneur. Une
grâce perdue est toujours un crime punis-
sable; le serviteur lâche et paresseux, qui
néglige de mettre à profit le talent qui lui
est confié, en sera dépouillé; il sera préci-
pité dans les ténèbres extérieures, dit l'E-
vangile, et sera puni anssi sévèrement que
CAREME. — SERMON XXVI , DEVOIRS PROPRES A CHAQUE ETAT.
4C37
le serviteur infidèle qui aura dissipé le sien.
J'ajoute que celte négligeante des devoirs
de sou état entraîne toujours avec elle une
chaîne d'égarements que la passion nous
suggère ; nos actions n'étant plus réglées par
la sagesse, nous ne suivons plus que l'erreur
et le dérèglement. L'homme livré à lui-même
se livre aussi tout entier à ses désirs injus-
tes; faites-y attention, mes frères, et vous
verrez que si cette mère de famille ne veille
point sur son domestique comme elle doit,
c'est qu'elle va dans une maison étrangère
se livrer à la médisance ou à un jeu ruineux.
Si cette jeune personne donne dans tous les
pièges et néglige de conserver sa pudeur et
sa précieuse innocence, c'est qu'elle se pro-
duit sans scrupule dans des compagnies qui
dissipent son esprit et corrompent son cœur .
Ainsi, dès que Samson , suscité d'en haut
pour humilier et réduire les superhes Phi-
listins, cesse de les attaquer, il forme le
dessein de contracter avec eux une alliance
honteuse, sa force l'abandonne, l'esprit de
Dieu se retire de lui, et tous les pièges que
lui dressait l'artificieuse Dalila sont autant
d'écueils funestes contre qui toute sa vertu
vient se briser.
Loin donc de surprendre l'estime et l'ad-
miration des autres, lorsque vous sortez de
votre caractère, lorsqu'enflé de votre fortune
encore récente, vous affectez des manières
hautaines, quand vous portez des habits si
peu convenables à votre âge et à votre nais-
sance, que vous étudiez l'art de plaire et de
briller par les vanités mondaines ; c'est par
là au contraire que vous vous flétrissez dans
l'esprit du monde, et que vous devenez le mé-
pris du siècle et l'objet éternel de sa dérision
et de ses censeurs ; ces moments que vous
dérobez à vos obligations pour les donner à
vos plaisirs, j'ose le dire, ce sont des ronces
et des épines que vous semez sur les voies ;
ils vous attireront des reproches amers, ou
de la part d'un maître dont vous aurez abusé
de l'autorité, ou de la part d'une famille dont
vous aurez dissipé le bien, ou d'un créancier,
d'un domestique dont vous aurez retenu
l'argent, le salaire, pour fournir à votre ma-
gnificence, à votre somptuosité et à tous vos
désirs mondains. Cependant dans quelle
tranquillité ne demeure-t-on pas sur l'omis-
sion de ces devoirs si importants! Les fait-on
jamais entrer dans le détail de ses infidélités?
les porte-t- on jamais au tribunal de la péni-
tence ? s'en alllige-t-on jamais ? On les omet
sans scrupule, on les transgresse sans re-
mords ; on se flatte que, parce qu'on était
libre de choisir un parti et un état, on est
aussi libre d'en accomplir les engagements ;
on s'exempte comme Jonas de la mission
dont on est chargé, on fuit comme lui devant
la majesté du Créateur et on ose dire qu'on
le craint et qu'on l'adore : Dominum Deum
cœliego timeo ; on appréhende, comme Pilate,
par une lâche timidité, ceux qui peuvent
nous nuire auprès des puissances et nous
desservir auprès du prince; on abandonne,
par une noire perfidie, la cause du faible op-
primé, et on ose croire qu'en se lavant les
1038
mains comme ce lâche pontife, on est aussi
lavé au fond de la conscience, et qu'on est
entièrement innocent du sang et de la mort
du juste; on croit que, parce que dans sa
conduite on ne reconnaît aucune transgres-
sion des préceptes de la loi, on est sur tout
le reste en sûreté de salut, et qu'on n'a rien
à se reprocher devant Dieu, sans faire ré-
flexion qu'en particulier nous serons jugés
sur la fidélité ou la négligence avec laquelle
nous nous serons acquittés de nos engage-
ments personnels et que le Sauveur nous
dira, comme au serviteur infidèle, rendez-
moi compte des revenus, du crédit, des ta-
lents, des lumières, des emplois, des charges
dont je vous ai donné l'administration :
Iiedde rationem viilicationis tuœ. ( Luc. >
XVI.)
Heureux donc, mes frères, le serviteur pru-
dent que le père de famille trouvera fidèle à
son arrivée, parce qu'il l'éîablirasurses autres
héritages et lui donnera une place distinguée
dans son royaume ; et voilà pourquoi saint
Paul voulait que les ministres du sanctuaire
s'appliquassent à instruire les peuples de
leurs obligations personnelles. Enseignez
les autres, disait-il à Tite, son disciple, mais
apprenez-leur surtout à s'acquitter des en-
gagements de leur état; enseignez aux gens
du monde, aux vieillards, à être sobres, pru-
dents, patients, intègres dans leurs mœurs
et dans leur foi, et à ne point déshonorer
leur vieillesse par des impudicités scanda-
leuses : Senes ut sobrij sint, pudici, pruden-
tes, sani in fide, in dilectione, in palientia
(Tit., Il); enseignez aux femmes chrétiennes
à se vêtir modestement, à ne point affecter
ces parures indécentes qui ne servent qu'à
faire remarquer davantage les disgrâces de
la nature et le nombre de leurs années, à
réprimer les mouvements de leur colère, et
étouffer jusqu'aux moindres saillies de res-
sentiment et de haine : Similiter in habitu
sancto non criminatrices (IOid.); enseignez
aux femmes qui sont dans les liens sacrés du
mariage à veiller au gouvernement de leur fa-
mille, à aimer leurs enfants, à travailler sans
cesseà leur éducation, à être soumises à leurs
époux : Ut prudentiam, doceant adolescentu-
ios,utviros suosament,filios suos diligant, ub-
ditus viris suis (lbid.) ; apprenez aux jeunes
gens à être dociles, chastes, continents, réglés,
toujours prêts à recevoir avec douceur les
bons avis qu'on leur donne sur les égarements
de leur conduite, à profiter des lumières qu'on
prend soin de leur communiquer, à parler
avec respect et circonspection des mystères
sacrés, des vérités essentielles de notre reli-
gion : Juvenes similiter hortare ut sobrii sint
(lbid.); enseignez à ceux qui approchent delà
personne du prince et des grands à leur obéir
avec fidélité, à les servir avec amour, à ne
chercher qm leur salut et leur gloire, et de
ne jamais sacrifier la vérité aux dépens de
leur conscience : ServGs dominis suis subdi-
tos esse in omnibus, placentes, non contra-
dicentes, non fraudantes, sedin omnibus fid&m
bonam ostenaentes. [Ibid.)
Mais avouons-le , cette obligation que
fO
ORATEURS SACRES. LE P. Sl'îlIAN,
1010
nous avons de remplir les devoirs de notre
état, ne nous rend guère plus attentifs, et si
rien n'est pour nous plus indispensable que
de nous acquitter de nos obligations person-
nelles, rien n'est aussi plus rare que de
trouver des personnes qui le fassent dans
toute leur étendue : c'est l'autre partie de ce
discours.
SECOND POINT.
Je découvre trois sources de cette crimi-
nelle infidélité, que nous apportons d'ordi-
naire à remplir nos devoirs propres et per-
sonnels : l'indolence, l'inconstance qui les
abandonne comme ennuyeux, la vanité qui
les méprise comme obscurs et peu éclatants ;
soyez attentifs, et peut-être vous r6connaî-
tr.ez-vous dans l'un de ces trois caractères.
C'est le propre de l'indolence , et la dis-
position de regarder comme peu nécessaire
tout ce qui lui paraît pénible, de diminuer
ses devoirs pour justifier sa lâcheté et de
renfermer dans l'accomplissement des seuls
préceptes imposés à tous les chrétiens,
toutes ses obligations ; les âmes les plus re-
ligieuses se contentent de ne point y donner
atteinte et se donnent dispense sur le reste
de leurs engagements; elles croient être
quittes envers le Seigneur et avoir accompli
toute justice, quand à peine elles ont payé
la moindre partie de ce qu'elles lui doi-
vent.
Qu'allez-vous voir dans le désert ? deman-
dait le Sauveur au peuple juif, en parlant de
Jean-Baptiste. Est-ce un homme enfoncé
dans la mollesse, plongé dans le repos et
dans l'oisiveté ? Non, ajoute Jésus-Christ ;
ces sortes de personnes se trouvent dans
les palais des grands, dans la maison des
riches ? Peut-être, Messieurs, vous trouve-
rez-vous dans ces états de grandeur et d'o-
pulence, dont parle le Fils de Dieu, mais vous
ne vous croyez pas pour cela sujets aux re-
proches qu'il leur fait. Entrons un moment
dans le détail, et voyons si vous êtes en droit
de vous justifier.
Vous assistez régulièrement à la célébra-
tion de la sainte messe, plus souvent même
que l'Eglise ne vous l'ordonne; mais y por-
tez-vous cette modestie de corps, ce recueil-
lsment d'esprit, cette effusion de cœur, qui
en sont les dispositions essentielles ? Vous
approchez des sacrements plusieurs fois dans
l'année, et le précepte ne vous en demande
qu'une ; mais pour y participer dignement,
y apportez-vous une foi vive, une espérance
ferme, une charité parfaite ? y joignez-vous
un examen sincère, une douleur sensible,
une résolution constante, un changement de
mœurs et de conduite ? Vous êtes fidèles à
Dieu, dites-vous, mais êtes-vous charitables
au prochain? Vous ne flétrissez point sa ré-
putation par la médisance et parla calomnie,
mais soulagez-vous sa misère par l'aumône
et par la compassion? Vous ne vous emparez
point injustement de son bien, peut-être
même lui faites-vous part du vôtre ; mais ne
le scandalisez-vous point par le dérèglement
de vos mœurs et par l'excès de vos dépen-
ses? Vous ne persécutez pas ceux qui 5 ont
sous votre domination, sous vos lois ; mais
entrez-vous dans leurs peines, et les assis-
tez-vous de votre crédit et de votre protec-
tion ? Vous ne vous emportez point , vous ne
maltraitez point ceux qui vivent, qui de-
meurent avec vous ; mais avez-vous assez de
douceur, et la patience ne vous échappe-
t-elle point lorsqu'il faut souffrir de leur mau-
vaise humeur et qu'il s'agit de supporter
leurs défauts? Epouses qui vousdites fidèles,
témoignez-vous à cet époux toute la confiance,
toute la tendresse que vous lui devoz? cher-
chez-vous en tout à lui plaire, et ne négli-
gez-vous rien, quoi qu'il puisse vous en
coûter? Pour cela suspendez-vous votre jeu?
rompez-vous avec les compagnies ? Renoncea-
vous à tous les plaisirs, ou pour lui en pro-
curer, ou pour le consoler dans ses infir-
mités et dans ses disgrâces, ou pour le ré-
jouir et pour le délasser après son travail et
son épuisement? Hommes revêtus d'emplois
et de charges, placés dans la banque ou dans
le commerce, dans la finance ou dans la ma-
gistrature, employez-vous votre crédit et
votre autorité, voslumières, votre pouvoir, à
faire craindre les justices de. celui de qui
vous tenez la place ? Faites-vous servir vos
revenus, vos richesses, à faire aimer sa di-
vine iprovidence? Avez-vous assez d'égard
pour votre prochain, et de soumission pour
vos supérieurs légitimes? Avouez-le, Mes-
sieurs, et je le dis avec confusion, si l'on tire
le voile et que l'on excepte un certain de-
hors pharisaïque, certains devoirs généraux
dont on s'acquitte par bienséance, par cou-
tume, souvent par hypocrisie, hélas 1 quels
fruits de justice, quelles œuvres de sainteté
opère-t-on dans le christianisme ? A quoi fai-
tes-vous servir vos talents et vos conditions?
Ne les consacrez-vous pas tout à fait au ser-
vice du monde, et quelle part y ont votre
Dieu et votre salut? A quoi occupez-vous vos
journées, si vous en ôtez quelques moments
de prières, où la bouche a bien plus de part
que le cœur? Ne passez-vous pas tout le reste
dans l'oisiveté, dans la mollesse et dans Fin-
tempérance ? Ne les employez-vous pas à pa-
rer l'idole du monde, ou à courir après ses
faux biens? à inventer de pernicieux artifices
pour surprendre l'innocence des faibles, ou
à faire jouer de coupables ressorts pour sup-
planter vos concurrents et surpasser vos
égaux ? ou en des spectacles profanes, ou en
des lectures empoisonnées ? ou à embellir
des maisons champêtres pour contenter vo-
tre sensualité? ou a former de nouvelles en-
treprises pour réussir dans vos projets am-
bitieux ? Quoi donc 1 aveugles et téméraires
que vous êtes, croyez vous que le Seigneur,
qui vous demandera compte des paroles inu-
tiles et oiseuses, ne vous le demandera pas
aussi d'un temps et de talents qui ne vous
avaient été donnés que pour travailler à sa
gloire et à en acquérir l'éternité? Ah 1 l'on est
d'ordinaire si jaloux de se faire rendre de
ses frères les devoirs .qu'ils nous doivent,
l'on vous voit si exacts b soutenir les titres
denoblesse, vous prenez tant desoindetenir
1011
CAREME. — SERMON XXVI , DEVOIRS PROPRES A CHAQUE ETAT.
votre rang et votre préséance par la magni-
ji ence des habits, par le faste du train et
des équipages, et n'y aura-t-il que du sa-
lut de votre âme dont vous ne prenez point
soin, n'yaura-t-il que des engagements de
votre baptême auxquels vous ne ferez point
d'attention, n'y aura-t-il que le précieux dépôt
de la grâce qui vous a été confié, que vous
laisserez perdre par votre nonchalance et
votre indifférence? Combien de personnes
qui jouissent depuis longtemps des privilè-
ges attachés à des charges considérables, à
des dignités éclatantes, sans peut-être jamais
en avoir exercé les fonctions, et rempli
comme il faut les devoirs ? Combien en
voit-on qui se contentent d'en porter les
marques honorables et d'en recueillir les
douceurs, tandis qu'ils se reposent sur d'au-
tres du poids et des sollicitudes qui en sont
inséparables, et comment songeraient-ils à
s'acquitter de leurs obligations, eux qui
s'empressent d'accumuler emploi sur em-
ploi, charge sur charge, dont l'unies appelle
a la province et à la campagne, tandis que
l'autre les retient à la cour ou à la ville ? Est-
ce donc là, grand Dieu, la fin pour laquelle
vous avez élevé les uns sur la tête des au-
tres et mis tant de différence entre les états
et les conditions? Quel étrange renversement
du bon ordre que vous avez établi dans le
inonde ! quelle affreuse présomption dans de
si viles créatures ! On veut se montrer capa-
ble de tout, dès qu'on espère du profit ou
de l'honneur, et pour vouloir trop entre-
prendre, on se met hors d'état de ] ouvoir
rien exécuter; et comment le pourrait-on?
on appréhende même d'être instruit de ses
devoirs, on ne veut pas s'en expliquer avec
ceux qui pourraient nous en éclaircir, et il
n'est pas jusqu'aux parents les plus proches
qui, ne connaissant point assez jusqu'où va
l'obligation de la tendresse naturelle, ne
veulent pas s'en informer, de peur d'être
obligés de partager leurs biens avec des' en-
fants qui ne partagent pas leurs coeurs et leur
amitié.
Mais à cette négligence criminelle qui nous
fait oublier les devoirs 'de notre état on
joint encore l'inconstance qui nous les fait
abandonner; seconde source d'infidélité
dans le chrétien.
Oui, Messieurs , l'inconstance est le se-
cond obstacle qui s'opose à l'accomplisse-
ment de nos devoirs ; nous nous occupons
d'abord agréablement et nous nous plaisons
à marquer de la ferveur et du zèle en en-
trant dans un nouvel état, mais à force de
les accomplir ils nous deviennent ennuyeux.
Telle est la fragilité de l'homme , on se lasse
d'avoir toujours les mêmes soins à garder,
les mêmes- choses à faire , de ne finir une
action que pour en commencer une sem-
blable ; on se sent fatigué de n'avoir devant
les yeux que des objets importuns qui de-
mandent sans cesse ou grâce ou justice; on
s'ennuie d'être continuellement renfermé
dans sa famille, toujours avec les mêmes
personnes , d'entendre toujours dire la
même chose, de faire toujours les mêmes
1042
leçons à des domestiques, à des enfants, à
un mari ; on se rebute d'avoir toujours le
même emploi , la même commission , le
même poste; on aime le changement et la
variété , notre esprit encore plus incons-
tant que notre cœur ne saurait si longtemps
se contraindre,, et semblables aux plus fai-
bles roseaux : arundinem vento agitatam ,
nous plions à tout vent, et nous nous lais-
sons agiter par la moindre de nos passions; de
là ces dégoûts si fréquents , ces repentirs si
ordinaires, ces continuelles variations qui
paraissent dans les modes, dans les liaisons,
dans les amitiés, dans le langage, dans les
écrits , et jusque dans le choix et dans les
règles de la pénitence et de la dévotion.
Quelle honte pour nous , ô mon Dieu l
et ne rougirons-nous jamais d'une si affreuse
légèreté ? Quoi ! nous oserons dire que nous
nous ennuyons à remplir les devoirs d'une
vie qui est si courte, et nous tirerons de
cet ennui un prétexte à notre infidélité,
tandis que nous voyons que vous ne vous
ennuyez point de faire lever tous les jours
votre soleil sur nos têtes , de répandre votre
même rosée sur nos campagnes, de. verser
vos mêmes grâces dans nos coeurs? Ah ! c'est
donc avec justice que vous vous plaignez par
votre prophète , que la plupart des hommes
se sont déplacés, que presque tous se sont
rendus inutiles , qu'il n'y en a que très-peu
qui fassent le bien, et qu'à peine s'en trouve-
t-il un seul qui soit fidèle à ses obligations :
0 ries declinaverunt simul inutiles facti sunt
( Psal. X1I1) ; non est qui faciat bonum, non
est usque ad unum; ou bien que s'il en est
encore quelqu'un qui passe à la pratique
des bonnes œuvres , on ne passe du moins,
presque jamais à l'accomplissement de celles,
qui sont attachées à son état particulier et à
sa condition, on les trouve trop obscures et
trop basses, et on veut des œuvres qui fas-
sent du bruit ou de l'éclat ; troisième source
de l'infidélité du chrétien à ses propres de^
voies.
Telle est la vanité de l'homme; pourvu que
l'encens nous en revienne, on se met peu
en penne que le parfum de nos œuvres s'é-
lève jusqu'à Dieu, et sur ce malheureux
principe on fait toute autre chose que ce
qu'on devrait faire ; on est de toutes les as-
semblées de piété et on ne se recueille ja-
mais en soi-même pour examiner en secret
sa conscience ; on se transporte dans ces de-
meures sombres , dans ces noires prisons
pour y . consoler les captifs , et on laisse
les enfants et la maison en proie à des
loups ravissants , qui en séduisent l'inno-
cence. •
On se rend assidu à fréquenter les hôpi-
taux, à visiter les pauvres, à servir les ma-
lades, pendant que chez soi' on n'en veut
souffrir aucun , et qu'on envoie un proche ,
un domestique , finir misérablement ses
jours avec les serviteurs.de Jésus-Christ,
dont quelquefois le nombre est excessif : que
vous dirai-je ? Messieurs, .on fait l'aumône
et on multiplie ses exactions et ses ra-
pines; on garde les conseils et on néglige
4o;s
ORATEURS SACRES. LE P. SURIAN.
ICH
le?, préceptes, on récite au dehors de lon-
gues prières comme l'hypocrite pharisien,
et dans le cœur on n'a ni dévotion , ni misé-
ricorde , ni droiture ; on trouve aussi sou-
vent dans les tribunaux de la justice, lejlévite
que le laïque; le magistrat s'instruit plus àes
maximes du siècle que de la science des lois,
l'homme public s'occupe plus de lui-môme
que des autres, l'homme privé se juge moins
sur ses propres défauts qu'il ne condamne
ceux des autres; cependant, que l'on se môle
de critiquer tous les états, on se rend la fable
et l'opprobre de sa condition. Le roi Ozias
veut mettre la main à l'encensoir et usurper
le droit du sacerdoce, et auss:tôt il est
frappé de lèpre et devient l'horreur et l'igno-
minie du peuple dont il avait fait la gloire
et le triomphe ; on veut bien s'approprier
quelques, fonctions éclatantes, pratiquer
quelques vertus qui font honneur, mais on
rougirait de descendre dans un certain dé-
tail des pratiques pieuses qu'on laisse aux
esprits communs et aux âmes vulgaires, et
c'est ce qui fait dire au Sage que dans le
monde on travaille beaucoup, mais que tous
ces travaux sont inutiles au salut de l'âme,
que l'homme n'en est que plus malheureux,
et que, comme il n'en n'a pas plus de mérite,
il n'en n'aura aucune récompense : Inutiles et
animœsuœ labores sine fruclu et inutilia opéra
v.orum. (Sap., III.) Le comprenez-vous bien
maintenant, Messieurs, qu'il est très-rare
de trouver des chrétiens fidèles qui s'ac-
quittent régulièrement des obligations de
leur état , qui remplissent comme il faut les
devoirs qui leur sont propres et particuliers?
Cependant, ô l'étrange illusion ! chacun as-
sure qu'il est de ce nombre fidèle. Grâce
au Tout-Puissant , dit-on tous les jours , je
n'ai rien à me reprocher là-dessus , je fais
mon devoir dans mon emploi , dans ma
charge, dans ma famille, dans monétat ; il
çst vrai que je ne fais pas de ces actiohshéroï-
ques, que 'je ne donne pas dans ces vertus
austères du cloître; mais aussi puis-je me
vanter de remplir avec honneur , avec pro-
bité, ce que Dieu demande de moi dans ma
condition et dans mon état.
Ainsi parlait autrefois Saùl en présence de
Samuel . Béni soit le Seigneur, s'écriait-il d'un
ton suffisant et hardi, j'ai accompli les ordres
qu'il m'avait donnés, et ai marché sans re-
proche dans la voie où il m'avait appelé : Be-
nedictus tu, Domine, etc. (I Reg., XV.) Ah I ces-
sez de parler ainsi, lui répond Samuel, ou bien
faites taire la voix de ces troupeaux qui frappe
mes oreilles : Quœ est vox gregum, etc. Vous
avez obéi, dites-vous, à la voix du Seigneur ;
vous avez fait ce qu»'il vous a commandé, en
exterminant les Amalécites depuis le premier
jusqu'au dernier. Cependant, quel est ce bruit
confus de troupeaux et de béliers, qui sem-
ble vous reprocher votre désobéissance et
condamner votre indigne réserve? et n'est-ce
pas la plus noire de toutes les impostures
d'oser dire que vous avez accompli les ordres
du Seigneur, pendant que vous avez lâche-
ment épargné le roi d'Amalec et ce que les
Amalécites avaient de ulus précieux? Quœ est
vox gregum quœ resonat in auribus meis ?
{Ibid'.)
N'en puis-je pas dire autant de vous,
Messieurs, qui vous vantez de répondre au
choix que le Seigneur a fait de vous dans vos
emplois et dans vos conditions? Vous avez
rempli vos devoirs, dites-vous, grands du
monde; mais quelle est donc cette voix de
tant de personnes dignes de foi qui disent par-
tout, avec gémissement et avec; larmes, que
vous les consumez en frais, que vous rete-
nez leur salaire, que vous vous parez, que
vous faites bonne chère aux dépens de vos
créanciers, que vous n'aimez point à payer
vos dettes, que vous n'aimez que l'éclat et
le faste ? Quœ est vox, etc. Vous vous acquit-
tez, dites-vous, époux et épouses, pères et
mères, des devoirs de votre condition; mais
quelle est donc celte voix d'une épouse fidèle
qui se plaint hautement que vous n'avez
pour elle aucune complaisance, que vous
portez ailleurs votre honêteté et votre belle
humeur, que vous êtes toujours chagrin et
colère? quelle est donc cette voix d'un époux
tendre et sincère qui gémit en lui-même de
voir que sa femme dépense tout son bien en
amusements et en parures, qu'elle ne trouve
point (Je pire maison que la sienne, et qu'elle
ne se met en peine de rien, pourvu qu'elle
trouve ses commodités et ses aises? quelle
est donc la voix de ces enfants qui languis-
sent sous la cruelle dureté de leurs parents,
qui se plaignent que ceux dont ils tiennent
le jour leur refusent le nécessaire à la' vie,
qu'ils ne leur donnent que de mauvais exem-
ples,et que, par leur mauvaise conduite, ils les
laissent sans éducation et sans bien ? Quœ est
vox, etc. Vous n'avez rien à vous reprocher,
dites-vous, gens d'affaires et de finance, qui
avez en maniement et en dépôt les affaires
du public accablé, qui vous regarde comme
des loups affamés, comme des sangsues im-
pitoyables, qui se plaint de votre barbarie
et de vos malversations, et qui dit que
tout périt, que tout tombe entre vos mains
ou par votre inhumanité ou par votre négli-
gence : Quœ est vox, etc. Vous remplissez
les devoirs de votre état, dites-vous, juges
de la terre, officiers de justice ; mais quelle
est donc cette voix de l'innocent opprimé,
de la veuve abandonnée, qui crient à nos
oreilles que vous donnez tout à la faveur et
aux sollicitations, que le pauvre et le petit
ont toujours le moins de droit devant vous,
et que c'est l'argent, le crédit, la passion qui
donnent chez vous tout le poids à la balance?
quelle est donc la voix plaintive de ces clients
et de ces plaideurs que vous désespérez par
vos détours et vos longueurs, et que vous
épuisez par la multiplicité de vos procé-
dures et par vos inutiles chicanes? Quœ est
vox, etc.
Ne vous aveuglez donc plus vous-mêmes,
Messieurs ; appliquez-vous à connaître vos
devoirs personnels et à les remplir avec
fidélité; allez sonder vos cœurs devant Dieu
avec le flambeau d'une foi vive; pesez au
poids du sanctuaire la dignité de chrétien
que vous portez, et vous instruirez de l'é-*
CAREME. — SERMON XXVI!, DE LA CONVERSION DU PECHEUR.
1045
tendue des obligations qu'elle vous impose :
que vos emplois et vos charges, vos états et
vos conditions particulières ne vous fassent
jamais oublier que vous êtes chrétiens, en-
fants de Jésus-Christ, disci] les de l'Evangile;
trava:llez à éloigner de vous tous les obsta-
cles qui pourraient s'opposer à l'accomplis-
sement de vos obligations; ne souffrez jamais
que l'indolence, que la légèreté, que la va-
nité donnent la moindre atteinte à la vivacité
et à la constance, à la soumission que vous
devez à remplir vos engagements. Dites-
vous, si vous voulez : le Seigneur m'a donné
des maîtres, des proches, des amis, je leur
dois à chacun des services différents : mon
domestique est bien réglé, j'ai besoin que
Dieu so:t honoré dans les terres de ma dé-
pendance ; en un mot, suis-je fidèle à mes
devoirs de chrétien et à ceux de mon état?
C'est là, Seigneur, tout ce que je vous de-
mande, puisque par là je puis espérer de ré-
gner avec vous dans l'éternité bienheureuse
que je vous souhaite, au nom du Père, etc
Amen.
SERMON XXVII (11).
DE LA CONVERSION DU PÉCHEUR.
Homélie sur V évangile de la Pécheresse.
Mulier quaîcratin civitate peccatrix, etc. {Luc, VII.)
Une femme qui était comme dans la ville pour une pé-
cheresse... arrose de ses larmes les pieds du Sauveur
Voici, Messieurs, un grand objet de mi-
séricorde et un modèle touchant de conver-
sion que Jésus-Christ offre à son Eglise. En
vain , pour nous consoler et nous rappeler
de nos égarements", nous a-t-il fait voir dans
la parabole du Prodigue, que, quelque loin
que se soit égaré le pécheur, il est encore à
lui et ne peut parvenir parla multitude de ses
crimes à la fin de ses miséricordes; en vain
nous assure-t-il ailleurs qu'il désavoue une
conversion infructueuse, qu'il veut que les
volontés qui furent fécondes par le mal ne
soient plus stériles pour le bien; qu'à ses
yeux on n'est changé que par les couvres;
que séparé de lui par le péché on ne peut y
venir que par la prière, et qu'on doit faire au-
tant pour son salut qu'on a fait pour sa perte ;
malgré ces leçons importantes il a cru que
nous avions encore besoin d'un grand exem-
ple pour nous faire comprendre que non-
seulement il nous offre des grâces , mais
qu'il nous demande aussi des actions.
Faut-il pour encourager votre faiblesse
lui proposer des penchants vaincus, qui
étaient presque invincibles; des habitudes
rompues qui paraissaient insurmontables;
des passions abattues qui semblaient in-
domptables, et tout le poids du crime qui
accablait le misérable pécheur changé en ce-
lui de la piété qui le relève et le console;
faut-iJ, pour affermir votre conversion, vous
faire voir dans l'histoire de la pécheresse une
espèce de compensation entre le crime et la
pénitence, la matière des offenses conver-
1046
ties en sujets d'expiations, ce qui avait été
prostitué au monde parun emploi d'iniquité,
sacrifié à Jésus-Christ par une profusion de
pénitence!
Voilà ce qui vous est clairement proposé
dans tout ce qui accompagne la conversion
de cette femme; quelle défiance après cela
pourrait-il rester au pécheur qui veut se
convertir? quelle lâcheté ne céderait pas à un
motif si puissant? et voilà les deux plaies
mortelles que Dieu m'inspire aujourd'hui de
guérir en vous. Est-on pécheur, on se décou-
rage et on se rebute comme si on était inca-
pable de conversion; est-on pénitent, on se
flatte et on s'abuse comme si on avait tout
ce qu'il faut pour être véritablement converti.
Les uns trop timides désespèrent, les autres
trop présomptueux se séduisent. Pourôter de
votre âme ces deux maux si funestes, regar-
dez cette femme : Vides hanc muliercm ; elle
apprend aux plus déplorés pécheurs de quoi
ila sont capables et aux plus grands pénitents
de quoi ils manquent. Jetez les yeux sur sa
conversion, elle devient l'attrait le plus en-
gageant et la règle la plus sûre de la vôtre;
ainsi, la rémission de ses.offenses qu'elle ob-
tient et les œuvres de sa douleur qu'elle pro-
duit, vous montreront d'abord la possibilité
de votre conversion contre tous les abus qui
s'y peuvent glisser ; c'est à quoi tout l'évan-
gile se termine.
Hé quoi ! Messieurs, dans un jour si pro-
pre à vous toucher vous pourriez demeurer
insensibles! Tout parlerait en vain pour vo-
tre conversion ! Autrefois le nom seul de la
pécheresse, que vous m'entendez ici pronon-
cer, disposait tous les coeurs à gémir. Tous
les plus grands pécheurs qui se reconnais-
saient dans ce tableau fondaient en larmes
en entendant un pareil discours. Est-il moins
parlé dans celui-ci de la tendre compassion
dé Dieu, et y recornaissez-vûus moins le
malheur de l'homme? Vous verrions-nous dé-
sespérer de votre conversion quand tout sem-
ble vous en donner de si douces espérances ?
Ne le permettez pas, ô mon Dieu ! soyez en-
core , à tous ceux qui m'écoutent, ce bon
maître, ce père tendre que la pécheresse
trouva en vous, et faites qu'après avoir senti
par une heureuse expérience que la prière
est possible, ils apprennent à la rendre so-
lide et véritable ; nous vous le demandons
par l'intercession de Marie. Ave, Maria.
PREMIER POINT.
Les obstacles les plus ordinaires au bon-
heur de la conversion sont le sentiment de
nos faiblesses, la tyrannie du respect hu«
main , la force de l'habitude; or, dans les
trois premières paroles de l'évangile, Dieu
semble avoir proposé la réponse la plus pré-*
cise à Ja fausseté de ces raisons, la voici :
Mulier in civitate peccatrix, une femme con-
nue dans la ville pour une pécheresse. Sen-
tez-vous bien tous le poids de ces trois pa-
roles? Si souvent dans le fond du cœur vous
(11) Imprimé au tome II, page 189, de l'édition de Liège, avec de nombreux changements, et sous ce
îrlre : De la Madeleine.
1047
ORATEURS SACRES. LE P. SURIAN,
10-tS
vous êtes dit à vous-même : il faudrait bien
revenir à mon Dieu ; je voudrais me conver-
tir, mais je suis si faible : voici une femme
aui, par son caractère particulier, était la
faiblesse même, mulier ; quel motif d'espé-
rance pour vous ! Mais quand j'en aurais la
force, que dira le monde de voir sitôt en moi
un si grand changement? La femme de notre
évangile était connue de toute la ville et
le qu'en dira-t-on ne l'empêcha pas de se
convertir : in civilate ; quelle raison pour
vous de tout oser pour votre conversion 1
J'ai d'ailleurs formé des habitudes qui m'en-
chaînent, comment pouvoir m'en défaire?
Mais la femme de notre évangile était une
pécheresse de profession, plus connue par
«es désordres que par son nom, peccatrix.
La voilà cependant aux pieds de Jésus-
Christ ; et qui peut donc empêcher encore
que vous n'y soyez aussi, en vous écriant
avec son serviteur : Je suis couvert d'ini-
quité, les hommes qui vous haïssent en par-
leront; il me faudra faire de continuelles
violences , mais rien de tout cela ne pourra
m'arrêter; j'irai à vous, ô mon Dieu! parce
que je sais que vous êtes doux et plein de
miséricorde, patient et plus riche en com-
passion que je ne le suis en malice : Scio
enim quia tu Deus démens et misericors es,
paliens et multœ miserationis et ignoscens
super malitia. (Jonas, IV.)
Premier obstacle que vous apportez à vo-
tre conversion : Je suis si faible. Ah! nous
le savons assez, Messieurs. Pour peu que
nous connaissions le cours déplorable de vos
désordres, que nous nous représentions tous
ces différents objets qui vous séduisent,
c'est à votre faiblesse que nous donnons
toute notre compassion et dont nous faisons
le sujet de nos gémissements et de nos
larmes ; mais fût-elle plus grande encore, je
prétends qu'elle ne peut être un obstacle à
votre conversion, puisque la pécheresse de
notre évangile, plus faible que vous, s'est
convertie, et que vous avez des secours plus
puissants qu'elle n'en avait de son temps.
Mulier : tout était faible en elle, non-seule-
ment l'âge, le penchant, la condition, mais
même le sexe; c'était une femme, elle était
d'un certain cœur, ouvert à tout , touché de
tout, qui pouvait la faire désespérer de ja-
mais se retirer de ses désordres; Dieu, ce-
pendant, permet qu'elle se trouve une vi-
gueur sainte, un courage héroïque et qu'elle
se sente plus forte pour son salut qu'elle ne
l'avait été pour sa perte.
Vous qui éludez votre conversion, trouvez-
vous tous ces obstacles ensemble? Si l'âge
vous rend faible, votre complexion ne l'est
peut-être pas, et une heureuse éducation
vous soutient ; si le cœur en vous se trouve
sensible, il est redressé par la raison; si
vous avez du penchant vers le mal, peut-être
que du moins trop d abondance, trop d'oc-
casions, trop de prospérités ne le secondent
pas. La pécheresse était donc plus faible que
vous.
Mais vous avez même des secours plus
puissants qu'elle n'en avait, Jésus-Christ
n'était pas encore mort pour le salut des
hommes, et les mérites de sa passion no
pouvaient pas être encore appliqués au sa-
lut de cette pécheresse, au lieu que, dans la
loi de grâce où vous vivez, la croix du Sau-
veur vous ennoblit, son sang précieux vous
lave, ses plaies adorables vous guérissent,
ses sacrements vous sanctifient, ses mérites
vous aident, vous trouvez une force invisi-,
ble dans l'idée seule d'un Dieu immolé pour
vous ; ah ! vous savez que ses grâces coulent
avec plus d'abondance qu'au temps de la pé-
cheresse, que les trésors vous en sont tou-
jours ouverts, qu'un seul rayon est capable
de vous arracher à tout, de vous détromper
de tout, que vous vivez sous une loi, dans
une religion qui vous montre si clairement
l'insuffisance de tout ce qui passe, le néant
de tout ce qui brille le plus dans le monde,
qui vous représente la vertu si douce et si
aimable où l'image d'une mort prochaine,
les amertumes des remords cuisants , les
frayeurs vives sur le jugement dernier vous
pressent tant de chercher aux pieds de Jé-
sus-Christ un asile bien heureux, un refuge
assuré et où vous êtes pour ainsi dire tout ac-
cablé de ses miséricordes et de ses grâces; si
vous daignez y répondre, vous ne sentirez
plus votre faiblesse, et plus facilement qu'un
David contrit et humilié, qu'un Pierre triste
et désolé , qu'une pécheresse fondant en
larmes, vous vous trouverez converti et de-
viendrez, comme eux, du plus grand des pé-
cheurs, le plus grand des pénitents.
Ah! n'outragez donc plus Jésus-Christ,
n'insultez plus sa sainte religion, en disant,
quand il s'agit de vous convertir, je suis trop
faible. Qui peut vous autoriser à tenir ce lan-
gage? avez-vous fa^t le moindre essai de vos
forces? après avoir couru si longtemps dans
les voies d'iniquité, avez-vous seulement
fait un pas dans les sentiers de la vertu? après
avoir porté avec tant de courage les dures
lois du monde, avez-vous soutenu quelque
temps le joug doux et léger du Seigneur pour
savoir quelles forces il exige de vous? Lors-
que jamais vous ne vous êtes plaint de votre
faiblesse pour porter vos fers, avez-vous
bonne grâce de vous en prévaloir lorsqu'il
s'agit de les briser? n'avez-vous donc de force
que pour l'employer à votre perte? Dire que
vous êtes faible pour rompre les liens qui
vous attachent au crime, quand vous ne l'a-
vez pas été pour les former, n'est-ce pas dire
que vous ne voulez pas vous convertir, que
vous ne pouvez vous y résoudre? et ce que
vous couvrez du spécieux prétexte de fai-
blesse, n'est-ce pas plutôt endurcissement
et impiété? Vous êtes faible, mais où sont les
efforts, les violences que vous vous êtes fails?
Est-ce donc que Dieu ne mérite rien? S'il faut
servir une passion, vous n'y trouvez aucune
difficulté et vous êtes prêt à tout y em-
ployer, quand il s'agit d'acquérir un peu de
bien, vous avez assez de force pour braver
les périls, et les peines que vous y prenez
vous paraissent toujours douces; il n'y a
donc que pour le salut que le moindre effort
vous décourage, que la moindre peine vçys
iflifl
CAREME. — SERMON XXVII, DE LA CONVERSION DU PECHEUR.
10o0
fait peur, que vous n'osez rien tenter, rien
entreprendre, rien essayer?
Non, non, ne vous y trompez pas, vous
n'alléguez que vous êtes faibles que pour
nous taire connaître que vous êtes lâches ;
vous voudriez que l'ouvrage de votre salut
fût tout d'un coup parfait, qu'il n'y eût qu'à
le souhaiter pour être converti, que l'homme
pénitent sortît des mains de Dieu comme
nomme innocent , sans qu'il lui en coûtât
rien, que vos chaînes se brisassent tout d'un
coup comme celles de Pierre, et qu'une main
secrète vous fit passer sans aucun effort de
l'esclavage du péché dans l'heureuse liberté
des enfants fidèles! Quels mécomptes ! quelle
illusion! Vous êtes faibles, mais comment a vez-
vous donc fait pour étouffer tant de fois les re-
mords importuns de votre conscience et les
mouvements salutaires de la grâce de Jésus-
Christ? Fort contre Dieu, vous n'êtes faibles
que pour revenir à lui ; vous êtes faibles, que
cette excuse devrait vous donner de confu-
sion! vous êtes faibles, mon Dieu, quelle ma-
nière de se plaindre! se dire faible lorsqu'on
laisse épuiser ses forces su rie vice, sur les pas-
sions ; lorsqu'on refuse tout ce qui pouvait
donner une sainte vigueur, la retraite; la
prière, la pénitence, la mortification. Est-ce
donc pour Dieu que vous alléguez, lâches pé-
cheurs, un prétexte si frivole? ah! si vous êtes
faibles comme vous le dites, c'est pour cela
même que vous devez promptement, sans re-
mise, sans délai, revenir dans la voie du salut;
si faibles comme vous êtes, vous demeurez
dans le chemin de perdition, quel progrès n'y
ferez vous pas? et ne vous enfoncerez vous pas
de plus en plus dans le précipice? au lieu que,
si vous revenez à Jésus-Christ, si vous vous
attachez à lui, vous serez à couvert des chu-
tes et du naufrage ; ce qui périt dans vos
mains est toujours sauvé dans les siennes ;
vous êtes faibles : aviez-vous donc orgueil-
leusement compté sur vous-mêmes? pensiez-
vous être l'auteur de vos victoires et le maî-
tre de vos combats; si cela est? c'était -une
méprise de votre superbe, mais la foi ne vous
découvre-t-elle pas un bras plus haut et plus
puissant que le faible bras de chair qui
s'arme pour votre défense? mais la grâce de
Jésus-Christ, votre Sauveur , ne vous prête-
t-elle pas toute sa force ? mais les plaies de
votre Rédempteur ne vous offrent-elles pas
toute leur vertu? Faut-il vous défier d'un
Dieu qui a plus de force que vous n'avez de
fragilité? ne comptez-vous point sur le se-
cours de ce Dieu de bonté, qui a promis de
vous aider et qui veut le salut de tous les
hommes? Que celui qui est infirme s'écrie ,
dit un prophète, j'ai avec moi la puissance
et la force ;Infirmus dicat, quia for lis ego sum
(Joël, 111); ne craignez rien, vous dit le Sei-
gneur :No!ite timere (Malth.,\),ne redoutez
point toutes les difficultés et tous les obsta-
cles qui se peuvent opposer à votre conver-
sion , car ce n'est point ici le combat de
l'homme, c'est le combat de Dieu même :
Ne paveaiis hanc multitudinem , non est enim
ves.rapugna, sedDei.(\\ Para!., XX ) Quand
l'homme combat seul, ce n'est qu'amuse-
ment, sa force ploie, et il ne peut rien de lui-
même; mais dès qu'il est avec son Dieu, que
ne doit-il pas entreprendre? or il est avec
nous, dit le Saint-Esprit, il nous prête son se-
cours, et c'est lui-même qui combat avec nous
pour nous faire triompher. Nobiscum Dominus
Deus noster, qui auxilialor noster est piujnat-
que pro nobis. (II Para!., XXXII.)
En faut-il un exemple , Messieurs? Yides
hanc mulicrem, jetez les yeux sur la femme
pécheresse ; autant la rature était infirme
en elle, autant la grâce y était triomphante;
depuis qu'elle eut cédé aux attraits de la
miséricorde, tout le reste céda au désir de
sa conversion; soyez fidèles à Dieu comme
cette femme et vous écriez avec David : 0 mon
salut et ma force, faites que, malgré toutes
les misères de l'homme que me causent
mes péchés-, je prouve par ma prière, toute
la puissance d'un Dieu; Seigneur, pour
m'exaucer, ne regardez pas si je le mérite,
souvenez- vous seulement que j'en ai besoin;
quel objet plus propre à signaler votre misé-
ricorde et vos grâces? Miserere mei, Domine,
quoniam infirmas sum. (Psal. VI.)
Mais un deuxième obstacle s'oppose à la
conversion des pécheurs, la crainte du
monde. Oui, Messieurs : lui qui ouvrait aux
pécheurs toutes les voies de l'iniquité, qui
leur en présentait toujours de nouvelles oc-
casions, qui leur donnait une hardiesse in-
finie pour le crime, leur ferme avec soin
toutes les avenues de la prière, les intimide,
les arrête, les décourage, lorsqu'il s'agit de
conversion, et si pour les-faire tomber, il
les a rendus présomj tueux, il les rend lâ-
ches pour les empêcher de se relever.
La pécheresse de l'Evangile a triomphé de
ce vain fantôme, et après cela, Messieurs, vous
serait-il invincible. Elle était connue dans là
ville, in civitate, non d'un certain cercle
d'amis où se resserrent d'ordinaire toutes vos
complaisances et toutes vos frayeurs ; mais de
■toute la ville, in civitate; le inonde semblait lui
dire : qu'allez-vous faire ? pendant que vous
pouvez encore être la gloire du monde et en
faire les délices, pourquoi voulez-vous en de-
venir la risée et la fable? Y pensez- vous? vos
nouvelles démarches vont donner un spec-
tacle nouveau sur qui l'on fera bien de dif-
férentes réflexions, on sera moins édifié par
votre changement que diverti par votre in-
constance.
Ah ! si elle avait écouté ces malheureuses
suggestions ; au lieu qu'elle est écrite avec
honneur dans le livre des saints , elle serait
avec ignominie la proie des démons dans
l'enfer; mais qu'elle méprise avec courage
les discours séduisants des mondains pour
n'écouter que la voix de son Dieu, dont elle
voulut suivre les saintes inspirations ; la
grâce de Jésus-Christ se faisant sentir è son
cœur, elle met tout son bonheur à le cher-
cher, comme elle n'avait plus qu'une haine,
ses offenses , qu'un état, sa prière ; qu'un
amour, son Dieu ; qu'une crainte de ne pou-
voir le trouver; elle se dit à elle-même : oui
en quelque lieu que je ie rencontre, partout
où je le trouverai j'implorerai sa compas»-
1051
ORATEURS SACRES. LE P. SURIAN.
1052
sion. ie saisqueles complices de mes crimes
et les compagnons de mes plaisirs insulte-
ront à ma conversion, mais je prierai pour
la leur; peut-être que la miséricorde du Sei-
gneur les attendrira et qu'ils seront aussi
touchés de mes démarches que confus de
leur opiniât"eté dans le mal; mais dussé-je
avoir tous les hommes pour censeurs, n'au-
rai-je pas un Dieu pour apologisle? Ah ! c'est
lui que j'entends au fond de mon cœur, qui
me dit qu'ayant sacrifié mon repos, mon
honneur, ma vie même pour le vice, je ne
dois pas le ménager pour la vertu. Que j'au-
rais bien fait pendant que je me livrais au
monde de craindre ses charmes, d'appréhen-
der ses caresses ; mais que n'étant plus a lui
présentement, je dois mépriser ses maximes,
compter pour rien ses railleries et ses cen-
sures; qu'ayant causé le scandale' de la ville
par mes peih.es, je ne dois plus penser qu'à
en faire l'édification par ma prière, que l'in-
justice de la critique doit expier en moi celle
de son approbation, et qu'il me faut porter
dans ma conversion cette honte que j'aurais
dû trouver dans mes désordres.
C'est cette sainte hardiesse, ce sont ces
généreux sentiments de la femme péche-
resse qui la font trouver aux pieds du San-'
veur avec une intrépidité merveilleuse, sans
songer que la maison où il est, que les con-
jonctures où il se trouve, vont l'exposer à
toute la malignité des jugements téméraires;
qu'elle va chez un pharisien, homme natu-
rellement orgueilleux et critique ; que c'est
pendant un festin, temps peu propre pour
la prière et pour les larmes ; mais rien ne
la rebute, rien ne l'intimide que la seule
vue de ses offenses, rien ne la fait rougir
que ses maUieurs ; la grâce l'emporte au-
dessus de la nature : elle paraît triste, abat-
tue, consternée aux pieds de Jésus-Christ
devant toute l'assemblée, situation qui, étant
un signe de ses égarements, devenait un
nouveau sujet d'insulte a tous ceux qui la
voyaient, en sorte qu'on ne peut appliquer à
personne mieux qu'à elle, ces paroles de
Job: qui est-ce qui se trouve exposé comme
moi à la risée de ses amis et du public?
Qui deridetur ab amico suo sicut ego. (Job,
XII.) Cependant je n'en rougis point, et loin
li'en avoir de la honte, j'y mets toute ma
gloire: Yerumtamen non critbesco . (Rom., II.)
Mon Dieu, que la grâce met dans un cœur,
qu'elle saisit de hardiesse et de courage I
Mais d'où vient donc, Messieurs, que, malgré
ces démarches généreuses dont la péche-
resse vous don::e un exemple si touchent,
ce monstre de respect humain vous retient
encore; la crainte du monde et du qu'en
dira-t-on triomphe encore de vous; je sais
qu'il vous vient de temps en temps quelque
en vie de vous sanctifier, quelque attrait doux
eisensible auquel vous voudriez vous rendre,
mais je n'ignore pas aussi, et vous nous
l'avouez vous-mêmes, qu'une folle circons-
pection vous rend si timides que vous n'osez
franchir le pas; une fausse délicatesse vous
empêche de vous déclarer pour la vertu ;
effrayés des jugements humains, vous re-
doutez ce spectacle si grand des pécheurs
convertissons craignez de frapper les yeux
du monde par un changement trop marqué,
vous voulez vous conformer au temps et à l'u-
sage, et de là naît en vous une crainte sourde,
une lâche timidité qui vous tient suspendus
enxre le monde et Jésus-Christ, entre la
prière et le péché, et qui fait que vous n'osez
ici vous déclarer pour le Seigneur.
Ah ! jusqu'à quand, âmes lâches, ferez-
vous céder Dieu à l'homme, et au salut éternel
la chimère la plus vaine? car, par quel en-
droit que vous regardiez votre frayeur elle
est toujours insensée , car ces hommes dont
vous apréhendez si fort la censure, ou ce
sont les justes, tels qu'étaient les apôtres à
l'égard de la pécheresse, ou les sages du
siècle, tels qu'étaient les pharisiens qui blâ-
maient sa conduite ; ou les libertins sembla-
bles à ces Juifs, qui blasphémaient contre
elle; or devez-vous craindre les jugements
d'aucun de ces trois genres d'hommes?
Craindrez-vous les justes? ah ! votre conver-
sion est l'objet de tous leurs vœux et de
leurs plus ardents désirs; il y a si longtemps
qu'ils la désirent et qu'ils la demandent au
Seigneur; voulez-vous combler leurs sou-
haits, revenez incessamment à Dieu, il y
aura plus de joie parmi ces anges de la terre
sur votre conversion que sur celle de cent
autres moins pécheurs que vous. Redoutez-
vous les jugements des sages du siècle?
mais, ah! s'ils sont vraiment sages, ils
trouveront que vous l'êtes aussi, de préférer
votre salut à votre perte ; que c'est la plus
grande indignité de ne vouloir pas paraître
ce qu'on est par sa profession et par son bap-
tême, que la seule vertu est digne d'hon-
neur et de louange; que, ce qui est digne de
raillerie et de mépris, c'est la variation et
l'inconstance de tant d'âmes flottantes, qui
tour à tour sont au crime et à la pénitence;
que le seul usage du monde nous apprend
que les plus grandes dignités ne peuvent
dans'le crime se rendre vénérables pendant
que la vertu s'attire l'estime et la vénéra-
tion du public; s'ils sont sages, ils jugeront
que le parti delà piété est le plus raisonnable,
et que si la piété a quelque chose à craindre,
c'est bien plus leur maligne censure que leur
flatteuse approbation ; il n'y a donc plus que
les libertins dont vous puissiez appréhender
lacritique, mais pensez-vous à l'outrage que
vous faites à Dieu dans un parallèle si
odieux? Des hommes décriés, en qui le liber-
tinage à tout éclipsé, foi, raison, conscience,
voilà ceux dont vous préférez les jugements
insensés atout ce qu'il y a de plus grand, de
plus respectable dans la religion de Jésus-
Christ, à Jésus-Christ lui-même. Mon Dieu,
que cette conduite du lâche pécheur laisse
voir de frayeur et de fragilité 1 S'il vous faut
des objets qui vous fixent et qui vous déter-
minent, choisissez-en de plus nobles et de
plus dignes devons; ah! faites céder la
crainte des hommes à celle de Dieu; laissez
la crainte au vice, c'est à lui de trembler;
donnez de l'assurance à la vertu, il lui con-
vient d'êtje intrépide: craignez les libertins
(058 CAREME. — SERMON XXVII, DE
ils peuvent vous corrompre, mais ne crai-
gnez point leur jugement, ils ne méritent pas
votre attention.
Mais, après tout, ne révérez jamais des
suffrages si bizarres; ils sont les censeurs de
votre piété, ils le sont encore bien plus de
vos désordres; en craignant de leur déplaire,
vous aurez quelque chose qui fera votre gloire
devant eux, mais vos dérèglements, si vous
y persistez, ne seront-ils pas en butte à leur
satire, à leur médisance, à leur jalousie, a
leur vengeance, aux traits malins de leurs
passions? et ne vaut-il pas mieux appréhen-
der les jugements des gens de bien que
Dieu honore et qu'il glorifie, que de vous
rendre à la censure de ces hommes perdus,
sans foi et sans probité, que le monde mé-
prise et que Dieu désavoue? Divin Sauveur,
vous fûtes sur le Calvaire sacrifié aux pas-
sions humaines, et, en devenant leur victime,
vous triomphâtes de la fausse crainte et des
respects humains; en seriez-vous encore au-
jourd'hui la victime dans mon cœur? faites
que je les surmonte, et que jamais cette fri-
vole crainte ne soit un obstacle à ma conver-
sion. Et pourquoi, misérable pécheur que
je suis, aurais-je peur des jugements des
hommes, tandis que vous, qui êtes l'inno-
cence même, n'avez ras redouté leurs plus
malignes calomnies, leurs insultes les plus
outrageantes? et, après tout, que diront-ils
de ma conversion, ces censeurs injustes qui
doivent tant m'alarmer? que <Vest inconstance;
qu'elle estsainte, que c'est caprice ; qu'elle est
heureuse, que c'est dégoût ; qu'elle est salu-
taire, que c'est intérêt ; qu'elle est grande, que
c'est folie ; qu'elle est sage, que c'estfaiblesse ;
qu'elle est divine, donnez-la-moi, Seigneur;
que c'est nécessité, qu'elle est glorieuse ; que
c'est désespoir, qu'il est le fondement d'une
solide et d'une agréable confiance xlnlccon-
fido, non erubescam. (Psal. XXIV.)
e le vois, Messieurs, un dernier obstacle
arrête votre conversion : le malheur de vos
habitudes; mais l'on vous avait appris de
bonne heure à vous en garantir par les exem-
ples funestes qu'on vous avait mis devant
les .yeux; vous savez tant combien serait fu-
neste à votre cœur la mauvaise habitude,
pourquoi donc vous rendre volontairement
misérables? les habitudes se ressemblent
toutes parles engagements qu'elles forment,
et vous deviez savoir que celle où vous al-
liez entrer ne serait pas plus heureuse pour
vous que pour les autres ; mais quel mal [dus
profond peut-il être en vous que la péche-
resse n'ait vaincu et surmonté en elle? Pec-
catrix. Je ne dois pas ici dissimuler des dé-
sordres que l'Evangile nous expose; pour-
quoi dérober à la grâce son plus beau triom-
phe? Elle était le scandale de toute la ville,
dit saint Grégoire, et tine pécheresse publi-
que; peut-être que d'abord ce n'était qu'un
effet tle l'enjouement naturel, d'une lecture
trop agréable, une envie de plaire, la joie
d'avoir plu, que sais-je?je crains tant de vous
alarmer; ce n'était peut-être qu'un dégoût de
la prière, qu'une indifférence pour les gens
de bien., une simple pesanteur dans l'acquit
LA CONVERSION DU PECHEUR.
1034
de ses devoirs, certaine lassitude à faire du
bien; ne sachant encore ce que c'était que
les disgrâces, elle n'avait jamais cru que le
crime dût être l'ouvrage de la mollesse , mais
comme le poids de son cœur l'emportait sur
la faiblesse de son âge et de son sexe, elle ne
faisait que se laisser aller, que céder à son
penchant, et bientôt elle se trouva dans le
fond de l'abîme; dès lors ce ne fut plus que
licence dans ses paroles, que dérèglement
dans ses désirs, qu'emportement dans ses
passions, que profanation dans tous ses sens ;
elle s'étonne elle-même du chemin que son
cœur avait fait depuis qu'elle a quitté la bonne
voie; le plaisir lui paraissait inséparable de
la jeunesse, et une vie sans crime lui semblait
un malheur; il lui fallait des désordres et
des péchés nouveaux; de faible elle devient
furieuse, d'oisive elle devient empressée;
de tiède et de lâche qu'elle était, elle dégé-
nère en pécheresse constante, qui' fait sa
gloire de sa honte et sa joie de ses malheurs.
Ah ! Jésus-Christ et une âme criminelle peu-
vent-ils être plus séparés et par des milieux
plus immenses?
Venez donc ici, pécheurs, et dans quelque
région éloignée où le péché vous ait portés,
fussiez-vous tombés dans le plus affreux
précipice, dans l'habitude la plus invétérée,
prêtez l'oreille aux tendres invitations qi:e
le Seigneur vous fait aujourd'hui par ma
bouche : Consolamini, consolamini, popule
meus (Isa., XL); âme trop affligée, consolez-
vous, voici une pécheresse qui a mis le com-
ble à ses iniquités : Compléta estmalitia ejus
(lReg.,W), et lorsque Dieu, ce semble, eût
dû l'abandonner, du fort de sa colère, il jette
sur cette infortunée un soupir favorable, un
regard de miséricorde, il lui pardonne ses
péchés : De cœlo respexit (Psal. LXXIX);
il vient à elle avec ses grâces les plus triom-
phantes : et descendit (Psal. XVII); il ne
s'étonne point de voir dans une âme infidèle
tous les malheurs ensemble, pour avoir plus
lieu de s'attendrir sur elle : et misertus est
ci (Philipp., II); tout à coup elle fut char-
mée, enlevée, remuée par une onction se-
crète qu'elle ne connaissait pas même, qu'elle
sentait bien; la pécheresse disparaît tout en-
tière devant la pénitente, et, en un instant,
aux pieds de Jé^us-Christ, elle reçut le double
des consolations qu'elle avait goûtées au plus
fort de ses plaisirs dans le monde : Suscepit
de. manu Domini duplicia pro omnibus pec~
catis suis (Isa., XL); le Seigneur a fait écla-
ter sa grande miséricorde sur la pécheresse :
Convertimini itaque, peccatores, et faciteju-
stitiam coramDeo, credentes quodfacietvobk-
cum misericordiam suam (Tob., XIII); con-
vertissez-vous donc à ce touchant spectacle,
pécheurs qui m'écoutez, embrassez dès à pré-
sent la justice, et croyez que le Seigneur vous
fera miséricorde comme à cette pécheresse.
Et en effet, Messieurs, vous avez ici pour
vous convertir un double motif d'espérance :
et du côté des habitudes, qui ne sont pas si
profondes que celles de notre pécheresse, et
du côté des miséricordes de Dieu, qui ne sont
pas moins étendues; Dieu voit mon cœur:
1055
ORATEURS SACRES. LE P. SURlAN.
IIÏS
je ne cherche point à grossir les plaies d'Is-
raël pour flatter les vôtres ; mais je puis dire,
sans crainte de me tromper, que vous~n'êtes
point tombés aussi misérablement que la pé-
cheresse , que vous n'êtes point enfoncés si
avant dans l'abîme ; elle avait dissipé tous les
biens que la grâce avait mis en elle ; elle n'a-
vait plus ni loi ni charité, et vous avez en-
core la foi, et si vous n'avez plus l'amour de
votre Dieu, vous avez du moins la crainte r'e
sï justice; cette femme péchait délerminé-
me:.t, par choix et avec une hardiesse que
rien ne pou va' t arrêter, et vous sentez encore
un trouble secret aux approches du vice; un
reste d'innocence et de pudeur vous saisit,
et si différent encore contre les grands pé-
chés, le moindre mouvement vers Dieu rom-
prait les chaînes qui vous emportent vers le
siècle. Dans elle tout respirait le crime :
ses pensées, ses paroles, ses désirs, ses
actions, et le moins coupable de ses sen-
timents était une source de désordre ; mais
vous, dont les passions sont peut-être déjà
presque éteintes et les sentiments tendres à
demi usés par le nombre de vos années et
par la multitude de vos crimes, n'êtes-vous
pas non-seulement rappelés à la vertu par
tes forces qui vous manquent pour le vice,
mais même par les remords qui vous pres-
sent et qui vous importunent? enfin la pé-
cheresse à force de pécher en était venue à
un tel point d'endurcissement et de tranquii-
-ité, que rien ne lui retraçait l'idée de ses
malheurs; tout se taisait dans sa conscience;
rien ne lui parlait de conversion et de retour;
mais la vôtre vous trouble et vous alarme
encore quelquefois, et en certaines occasions
vous sentez quelquefois tout votre mal ; un
reste de lumière vous découvre encore le
malheur de votre état; vous revenez encore
quelquefois à vous-même et vous vous re-
trouvez tristement alarmé jusque dans vos
chaînes; cette aimable liberté que vous avez
perdue se fait quelquefois regretter, vous
avez encore un fonds de religion qui, de temps
en temps, vous reproche le peu que vous
faites pour Dieu et les peines infructueuses
que vous prenez pour le monde ; en un mot,
vous n'êtes point si mort par vos mauvaises
habitudes que vous ne donniez encore quel-
que léger signe de vie. Ah! vous savez, si
vous voulez l'avouer, que depuis quelque
temps vous ne voyez [dus le monde avec les
mômes yeux que vous le voyiez autrefois;
votre cœur inquiet vous redemande Jésus-
Christ, pour lequel il était fait; il vous dit
par ses dégoûts et ses ennuis qu'il en a be-
soin, que cet objet divin lui manque, que
jamais il ne sera content sans lui; déjà vous
commencez à vous plaire seul ; vousvous plai-
gnez que le vice, que les idées trop gênantes
du crime viennent troubler vos réflexions, que
les fers que vous portez vous incommodent;
quand on vient h vous offrir les mêmes objets,
les mêmes liaisons, les mômes plaisirs, je ne
sais comment ni pourquoi vous ne les trouvez
plus si aimables; le présent vous dégoûte, le
passé vous îituiste, l'avenir vous alarme;
pleurant votre Dieu vous vous pleurez vous-
même. Ahl quel moment heureux! encore
un effort, encore un soupir, encore une
larme, et vous voilà pénitent, vous voilà jus-
tifié. Non, la pécheresse ne mit point un in-
tervalle si long et une distance si grande
entre le mouvement de la grâce et sa con-
version : d'abord qu'elle connut la volonté
de son Dieu, elle y répondit. Faites-en de
môme, Messieurs; ne perciez pas le moment
favorable de la bonne inspiration, soyez
fermes et convertissez-vous : Confor'.amini
(Josne, X) et convertemini. (Act., III.)
Mais je veux que vous soyez brisés par
des chutes plus meurtrières encore que celles
de la pécheresse, que vous soyez plus en-
foncés dans le plaisir et dans l'habitude du
crime que les plus déplorés pécheurs ; si
votre cœur gémit de ses malheurs, s'il
soupire devant Dieu, vous aurez tout lieu
d'espérer votre heureuse délivrance; car
qu'est-ce que tout cela, sinon une matière
plus riche et plus propre à signaler la misé-
ricorde du Seigneur? Pourquoi vouloir pren-
dre plaisir à vous tromper à vos dépens et
à vous abuser à votre désavantage? Le Pro-
phète ne dit-il pas que la miséricorde de
Dieu doit briser ce que la misère de l'homme
avait le plus serré? est-il des chaos assez
ténébreux où celte lumière divine ne pé-
nètre? est-il de chaîne si pesante qui ne se
brise dans ses mains toutes-puissantes;
Croyez-vous que dans ce fonds inépuisable
d'amour, où toute la glace de la pécheresse
vient de se fondre, il n'y ait plus de place
pour échauffer la vôtre? Pensez-vous que ce
sang précieux qui lave toutes les taches des
plus grands pécheurs, n'ait pas la vertu de
purifier les vôtres? Je sais que vous êtes dé-
couragés par l'habitude qui vous enchaîne;
mais celte voix toute-puissante, qui fit sortir
du tombeau Lazare tout lié et tout enseveli,
ne peut-elle pas encore vous tirer de l'abîme
de vos péchés, lorsque vous y êtes le plus
enfoncés? Prodiit qui crat mortuus (Jean.,
XII); n'est-ce pas dans la voie même du
crime que Dieu prend les plus grands ré-
cheurs pour les attirer à lui ?
O vous qui attendrîtes le cœur de David
dans le plus fort de sa passion, miséricorde
éternelle, changez le mien ; vous qui tirâtes
Zachée de ses trésors et de sa banque, lors-
qu'il y mettait toute sa confiance, charité
tendre, attirez-nous à vous ; vous qui conver-
tîtes la femme samaritaine, dans le temps
même qu'elle ne songeait qu'à serrer da-
vantage ses liens déplorables, grâce puis-
sante, parlez-nous; vous qui fîtes fondre en
larmes saint Pierre dans le' fort de son éga-
rement, bonté divine, regardez-nous ; vous
qui renversâtes Saul sur le chemin de Da-
mas, lorsqu'il vous persécutait avec plus
de fureur , lumière pure, éclairez,- nous ; vous
qui vous trouvez si miséricordieusement
devant les yeux des pécheresses lorsqu'elles
semblent Je plus s'éloigner de vous, ô
Pasteur des brebis égarées 1 ô Père des en-
fants fugitifs! ou quittez des noms si aima-
bles et si doux, ou nous faites sentir les
effets précieux de vos miséricordes : Mirifca
10o7
CAREME.
SERMON XXVII , DE LA CONVERSION DU PECHEUR.
lOSS
tnisericordias tuas qui salvos facis sperantes
in te. (Psal. XVI.) Ici faites des efforts de
bonté; donnez de l'éclat à votre compassion,
et pour des désordres prodigieux, ayez une
miséricorde toute de miracle : Mirifica mise-
ricordias tuas, etc.
Mais achevons : c'est peu de vous avoir
montré que la conversion est possible; pour
vous encourager, il faut vous faire voir encore
qu'elle doit être véritable pour vous régler,
et si la pécheresse vous a appris à surmon-
ter les obstacles cpii s'y opposent, elle doit
vous apprendre à en corriger les abus; et si
les pécheurs ont trouvé dans la première
partie de ce discours de quoi s'encourager
par l'exemple de la pécheresse, les faux pé-
nitents vont trouver de quoi se confondre
dans l'autre partie de mon évangile.
SECOND POINT.
La conversion, comme le péché, a sa certi-
tude et son mensonge ; si souvent on s'aveugle
suri égarement, on s'abuse aussi sur la piété,
et rien n'e5t plus important que d'en décou-
vrir la vérité. Selon les Pères, l'illusion de
l'homme coupable est clans son attachement
au péché, dans le plaisir qu'il y goûte, et
dans l'injure qu'il y fait à Dieu, par consé-
quent, la vérité du retour et de la conver-
sion consiste à quitter le péché, à le pleu-
rer, et à y satisfaire; et voilà ce qu'en trois
paroles la pénitence de l'Evangile nous ap-
prend aujourd'hui. Abiit, flcvit, tersit. Elle
abandonne le péché, abiit; elle le pleure,
flevit ; elle le répare, tersit. Ah! quand sera-
ce qu'on pourra en dire autant <• e vous, pé-
cheurs qui ressemblez si fort à la péche-
resse, et si peu à la pénitente ? alors votre
changement ne sera point une illusion et un
fantôme.
Abiit. La pécheresse s'en alla. Oui, dès
qu'une fois elle est touchée de Dieu, tous
les moments qu'elle passe loin de lui pèsent à
son âme; il n'était pas aisé de renoncer tout
d'un coup à tant de plaisirs, de résister à
tant d'attraits, et sans doute que son péahé
était accompagné de tous ces charmes qui
s'employaient pour retenir Augustin dans
le crime, et qui voulaient l'empêcher de de-
meurer tidèle aux bonnes résolutions qu'il
formait; mais que la grâce de Jésus-Christ
lui donne d'ardeur et de force contre des
obstacles si terribles ! elle n'hésite point, et
peu contente de sortir de l'acte du péché,
crainte de dérober à Dieu la moitié de la
victime, elle veut en quitter toutes les pro-
fanes occasions ; elle s'éloigne de tous ces
objets malheureux, parmi lesquels elle sent
bien qu'elle ne peut devenir innocente;
tout ce qu'elle emporte, c'est un regret d'a-
voir pu si longtemps chérir les causes de sa
perte ; elle n'y songe que pour s'en plain-
dre, et pour conjurer le Seigneur de les lui
faire à jamais oublier. Que le monde, pour
la retenir, étale toutes ses pompes, qu'il dé-
veloppe tous ses charmes; que le fol amour
ramasse ses plus doux attraits, elle en dé-
tourne la vue et ne l'écoute pas. On la voit
passer d'un air triomphant à travers les dis-
ciples obstinés à la repousser; et l'âme dé-
gagée et libre, recourir à Jésus-Christ, vou-
loir absolument s'en approcher, et mettre en
lui toute sa confiance, comme s'il n'y avait
plus que lui seul au monde. i Enfin, elle re-
vient de tout ce qui l'avait le plus enchantée,
se détache de tout son luxe, de sa mollesse,
de ses parures, de ses pensées, de ses dé-
sirs, de ses sentiments, de son enjouement,
de son esprit, de son cœur, comme la source
de ses offenses, de toute elle-même; la grâce
seule lui suffisant, la met hors de tout le
reste; elle vient seule aux pieds du San*
veur, elle y sacrifie tout sans réserve, elle
n'y apporte que ses regrets et sa douleur, et
ne vivant presque plus à elle-même, elle se
donne tout entière à Jésus-Christ et à la
pénitence : abiit.
Une telle conversion est-elle la votre, Mes-
sieurs, et pouvons-nous compter que .votre
changement ressemble à celui de la péche-
resse ? hélas ! on voit (m vous, après cette
prétendue conversion, mêmes habitudes qui
vous lient, mêmes attachements qui vous re-
tiennent ; le monde vous plaît encore et vous
ne vous défendez pas de lui plaire; la volupté,
l'ambition, l'intérêt triomphent encore de
votre cœur, encore les mêmes passions sub-
sistent dans votre âme; on ne voit dans vous
ni hors de vous aucun changement; eh! jer
vous demande ce que c'est donc que votre
retour, et comment vous voulez que je lo
distingue d'un jeu, d'un amusement et
d'une illusion.
Ceux qui n'osent quitter tout à fait le vice,
ont recours à des accords monstrueux, à des-
partages insensés: Oubliant qu'on ne peut
servir deux maîtres, que le Dieu qu'ils ser-
vent est un Dieu jaloux qui demande tout
leur cœur, ils se divisent entre l'Evangile et
le monde, et se font une piété maniable, ca-
pable de plusieurs formes, qui s'accommode
a leurs inclinations ; qui sait allier ensem-
ble la prière et la médisance, l'aumône et
l'injustice, la pureté et la galanterie; ils se
forment dans leur conversion un certain plan
de vie qui accorde les soins du salut avec les
mouvements de la fortune, qui a ses moments
pour être chrétien et d'autres pour être mon-
dain, ne faisant que varier du crime à la
vertu, et de la pénitence au péché, substi-
tuant sans scrupule une passion plus tran-
quille à la place de celle qui faisait trop de
bruit; vous ne vous dépouillez point du vieil
homme en vous revêtant du nouveau ; don-
nant à l'amour-propre ce que vous ôtez au
scandale, vous renoncez aux grands crimes,
aux péchés d'éclat, mais vous vous réservez
pour des plaisirs plus doux qui flattent votre
cœur et endorment votre conscience, et qui
pour être plus délicats n'en sont {pas moins
coupables ; vous affrontez Dieu avec plus
d'art, mais vous ne l'offensez pas avec moins
de malice; vous ne vous lassez plus à courir
après des divertissements qui gênent et qui
fatiguent, mais votre délicatesse en fait naî-
tre autour de vous qui sont aussi doux et
aussi sensibles; vous vous êtes retiré de ce
grand monde, de ses assemblées tumultueu-
ses, et vous ne participez plus à ses folies,
1039
ORATEURS SACRES. LE P. StRIAN.
lO'JO
à ses scandales, h son luxe et à ses grands
désordres, mais vous faites un monde nou-
veau où vous avez encore vos volontés, vos
jalousies, vos haines, vos liaisons, vos intri-
gues, vos attaches secrètes, et où tout le poi-
son pour être avoué n'en est pas moins fu-
neste; en un mot, si vous quittez le péché
en vous convertissant, vous ne quittez jamais
les occasions qui le firent naître, et oubliant
qu'une seule passion fait revivre toutes les
autses, vous en. reprenez une à mesure que
vous en quittez une autre.
Or, je vous demande, un tel changement
peut-il être honoré du sacré nom de conver-
sion? n'est-ce pas cet abus qui exclut la
multitude du royaume de Dieu, et qui laisse
dans le ciel tant de places vides? Ah ! si vous
aviez trouvé dans le péché ce que votre cœur
y cherchait et ce que vous vous y promet-
tiez, encore on vous excuserait de ne point
en sortir, mais puisque vous avez éprouvé
qu'une des conditions pour être heureux
c'est de renoncer au crime et à ses malheu-
reuses occasions, puisque vous avez vu qu'il
n'entraîne avec soi que peines et que dou-
leurs; j'ose le dire, le plus sûr comme le
plus salutaire serait de vous en séparer par
une rupture d'éclat, de vous en éloigner par
un divorce généreux, de fuir ses dangereux
attraits, et de venir vous faire dans la retraite
un heureux séjour propre à'vous consoler de
vos malheurs, qui serait conforme à vos be-
soins, qui nourrirait votre piété et exciterait
votre ferveur aux pieds de Jésus-Christ, n'y
portant que votre corps pour le crucifier, vos
sens pour les mortifier, votre cœur pour le
purifier, et c'est la première démarche que
la femme pénitente vous inspire de faire par
l'exemple de la réputation et de son éloigne-
nient du péché : abiit.
Mais l'éloignement du péché ne suffit pas
pour une véritable conversion; il peut venir
moins du déïir d'être à Dieu que du tumulte
et de l'ennui que causent les passions; il
peut-être en vous, Messieurs, moins un mé-
rite qu'un dégoût, qu'une lassitude; effet
trop naturel de l'inconstance et de la fragi-
lité de l'homme, qui ne peut longtemps être
dans la même situation, et à qui, après une
longue agitation et de grands mouvements,
il faut du calme et de la tranquillité; mais
une marque moins équivoquede conversion,
c'est de pleurer les péchés qu'on a quittés, et
c'est ici un nouveau spectacle, plus touchant
em ore que le premier, où la femme péni-
tente vous invite par ses larmes : flevit; elle
n'est pas plutôt arrivée aux pieds de ce Sau-
veur aimable, qu'un repentir amer lui serre
le cœur, elle ne peut se rappeler tous les ou-
trages qu'elle à faits à Jésus-Christ, sans
tomber dans une confusion et un regret qui
ne peut s'exprimer; tout ce qu'elle peut faire
c'est de soupirer et de gémir; une seule fois
elle veut à son divin maître exprimer son
amour, et elle ne trouve plus de paroles; dès
qu'elle le regarde un torrent de larmes coule
de ses yeux, c'est la seule voix qui lui reste
tant elle est saisie de douleur. En vain elle .
veut se retenir, il faut céder à sa tristesse, et
ne peut s'empêcher que tonte l'assemblée
ne s'en aperçoive; ses larmes viennent si abon-
damment d'elles-mêmes qu'elle en arrose Igs
pieds de Jésus-Christ. Que tous les autres
prennent part à la joie du festin, pour elle
soupirer est son fort, elle ne connaît plus
d'autre plaisir que de soutenir par ses lar-
mes un cœur chargé du poids de ses mal-
heurs ; elle s'en fait un nouveau baptême où
elle lave toutes ses iniquités, un nouveau dé-
luge où elle noie tous ses péchés, et l'on
peut dire qu'elle.a dissipé ses crimes comme
un nuage, et que tous ses désordres se sont
fondus comme une glace devant le soleil :
Dclevi ut nubem iniquitates meas. (Isa.,
XLIV.)
Et voilà votre règle, pécheurs qui m'écou-
tez, si vous voulez être véritablement con-
vertis. Vous ne serez [dus capables que d'af-
flictions et de tristesse, rien ne sera plus ca-
pable de calmer vos justes douleurs, tout
vous paraîtra étrange de face en changeant
de conduite, Les jours les plus sereins et les
plus beaux vous paraîtront désormais tristes
et accablants sur la terre, parce que vous
avez pu y perdre votre Dieu; en quelque
endroit que vous traîniez, de quelques pen-
sées que vous cherchiez à vous occuper,
vous en reviendrez toujours au malheur de
votre perte; en voyant les joies profanes, les
liaisons funestes qui amusent les mondains,
vous ne pourrez plus que vous désoler et
vous plaindre d'y avoir trop pris de part ;
surtout quand vous viendrez vous jeter aux
pieds des ministres de Jésus-Christ, comme
la pécheresse aux pieds de Jésus-Christ, pour
y déplorer vos misères, ce sera alors que
tout contribuera à faire couler vos larmes ;
une vie, hélas ! dont tous les moments oit
été si déplorables , le souvenir de ces jours
heureux que vous passiez avec le Seigneur,
l'idée de ce Dieu aimable que vous aviez
abandonné, la honte de l'avoir perdu et d'a-
voir été si longtemps à répondre à sa voix,
la juste crainte de le perdre encore, la vue
de son amour pour vous qui le méritez si
peu, de sa tendresse, de sa compassion pour
vos malheurs, le pieux sentiment de ses
bontés, de ses miséricordes qu'il daigne en-
core vous offrir après tant de révoltes et d'in-
fidélités : ah! pour un cœur qui sent son
mal, quel fonds de douleur, quelle source
intarissable de regrets et de larmes 1 flevit.
Mais si à quitter le péché il y a quelque-
fois plus d'inconstance que de vertu, il y a
souvent à le pleurer moins de douleur que
de mollesse. Qu'on voit de larmes hypo-
crites et trompeuses, signe purement naturel
qui vient plutôt du trouble de la conscience
que d'un sentiment, d'une sainte douleur !
Aussi si la pénitente de l'Evangile n'avait que
pleuré, ses larmes auraient fait paraître en
elle un naturel de tendresse qui s'afflige
aisément; mais l'Evangile ne l'aurait pas
proposée pour modèle à tous les pénitents,
et Jésus-Christ, qui canonise aujourd'hui sa
piété, aurait réprouvé sa lâcheté ; mais, à ses
[armes qui détestent le péché, elle joint des
lOCi CAREME. — SERMON XXVII , DE
opérations saintes qui en effacent toutes les
taches : tersit.
Oui, au dehors et au dedans tout est changé
en elle, et rien n'a servi en elle au péché
qu'elle ne fasse servir à la pénitence. Au de-
dans avoir trop aimé, était tout son crime,
aimer beaucoup fait tout son mérite; ses joies
sont devenues toutes divines, ses troubles
tous salutaires, ses jalousiestoutes saintes, ses
inclinations toutes pures, ses affections toutes
chrétiennes, ses espérances toutes célestes;
elle fait changer son cœur d'usage et de
forme, et donne à l'amour de Jésus-Christ
la place de l'amour du monde, la charité
divine succède à sa tendresse naturelle, de
chastes désirs étouffent pour jamais ses affec-
tions, et toute celte boue, exposée à ce soleil
divin, se change en feu salutaire qui con-
sume toute son âme.
Et au dehors que ne vous offre point encore
sa piété? Elle avait été superbe et hère, et on
la voit dans un état confus et humilié, presque
rampante, pénétrée de son néant et de ses
misères; elle ne croit pas que ce soit à une
pécheresse comme elle qu'il soU permis de
s'approcher de son Dieu, trop contente qu'il
la souffre derrière lui, stans rctro, et n'ose
se présenter devant sa face, faciès ; ici tout
est devenu triste en elle : ses yeux, son vi-
sage, son maintien, sa posture, son geste
môme, tout paraît plein de sa douleur; elle
ne fait pas une action qui n'en expie une autre
dans la carrière de sa pénitence, il n'estaucun
vestige du péché qui lui échappe ; elle avait
aimé le luxe et maintenant elle en a horreur,
elle convertit en culte saint tous les orne-
ments profanes qui lui restaient, comme s'il
ne convenait plus à une âme pénitente que
des vêtements sombres et lugubres; elle
brise, pour ainsi dire, devant l'autel sacré
jusqu'à l'image même de ses vanités mon-
daines, comme elle ne voit rien qu'elle n'ait
tourné à des usages de péché; tout, jusqu'à
ses cheveux, devient les instruments de sa pé-
nitence; elle en essuie les pieds de son divin
maître, enfin elle fait une pénitence prise sur
tout le fonds du pé^hé qu'elle avait osé com-
mettre; tout ce qu'elle fait est une rétractation
et un désaveu public de ce qu'elle avait eu le
malheur de faire; elle relève l'édifice de sa
conversion sur les débris de tous les vices, et
va plus loin, dit saint Ambroise, dans sa
pénitence qu'elle n'avait fait dans son péché.
Mon Dieu, que de réflexion demanderait ici
sa conduite. Sur ce modèle, examinez-vous 1
pécheurs qui vous croyez convertis; hélas !
s'il faut que dans le cœur toutes les autres
amours soient dévorées par cet amour domi-
mant et unique de votre Dieu , s'il faut
autant d'expiations que de crimes, si l'on ne
peut revenir à Dieu que par les voies oppo-
sées à celles qui le firent perdre? que pen-
sez-vous être, un homme réparé ou un homme
abusé, un vrai ou un faux pénitent, le péché
atout renversé dans vous, la piété y a-t-elle
tout redressé; tout a servi dans vous à l'in-
justice ; quel genre d'expiations répond à tant
d'espèces de péchés, à ces haines, à ces médi- .■ ,
sances, à ees vengeances, à ces impuretés;
LA CONVERSION DU PECHEUR.
ICCÎ
tout se passe en douleurs stériles, en regrets
superflus r à des excès monstrueux on expose
de légères violences; à des dissi| at ons pro-
fanes on répond par une retraite commode;
aux mondanités les plus scandaleuses on se
contente d'opposer un retranchement le | lus
simple du luxe et des plus gênantes van -tés;
vous en demeurez là, et, a, rès avo r lâ< hé
la bride à toutes vos passions, vous ne rou-
gissez point de mettre des bornes à votre pé-
nitence; en vousla.haritégarde des mesures
où la cupidité n'en garde point, et vous êtes
réservé dans la conversion après avoir été
extrême dans le désordre. Dieu ! le dirai-je?
en cet état, vous croyez être un pénitent, et
vous n'êtes qu'un hypocrite; vous vous oon-
nez pour un serviteur de Jésus-Christ, et vous
n'êtes qu'un esclave du vice; vous vous regar-
dez comme un enfant du ciel, et vous êtes une
victime de l'enfer; vous vous croyez plein de
vie, et vous êtes mort ; le crime ne vit plus dans
votre cœur, mais il vit dans le cœur de Dieu
où il sollicite sa colère, et pour vous être con-
verti et impénitent n'est qu'unemême chose.
Ah! si vous voulez que votre conversion
soit véritable, qu'elle imite mieux celle (Je
la pénitente; remplissez mieux toutes les
conditions qu'elle vous a prescrites, et plaise
à l'amour de votre Dieu que nous puissions
lui dire de vous : Seigneur, vous demandez
qui est celui qui remplit les règles ue sa con-
version, et qui satisfait pour ses égarements ;
le voici : ah]l c'est cette âme qui , nageant
autrefois dans la joie, donnant tête baissée
dans tous les divertissements du sièJe, est
maintenant attendrie de doulecr de vous
avoir offensé, et devient inconsolable de ne
pouvoir vous en faire une assez digne satis-
faction, anima trisds (Isai., XXIX); c'est cette
âme qui, dégoûtée ue la vie, n'offre dans ses
paroles, dans son maintien, dans sa nourri-
ture, dans ses meubles, dans ses habits, que
la douloureuse impression et les sombres
marques de sa piété, anima mœrens (ILicl.);
c'est cette âme autrefois si fière et si superbe,
maintenant accablée sous le poids de ses hu-
miliations et de ses anéantissements , anima
curva [Bariich, JI); c'est cette | ersoni.e au-
trefois si molle et si sensuelle, si délicate et si
voluptueuse, et que ma:ntenant ses longues
mortifications, ses jeûnes austères, ses orai-
sons ferventes, ses souffrances continuelles
rendent tout infirme et toute languissante,
anima infirma (lbid.) ; c'est cette âme qui, au-
paravant affamée ue toutes les délices, de tous
les trésors, de tous les honneurs de la terre,
pour toutes ressources, pour tout bien, pour
toute consolation, ne désire que son Dieu, ne
soupire qu'après lui, ne travaille que | our lui,
ne tend que vers lui, et qui, dans un gémis-
sement parfait, le cherche par la douleur de
l'avoir perdu, anima esuriens (lbid.); c'est
cette âme, ô mon Dieu ! qui rend gloire à votre
miséricorde, et satisfait en même temps votro
justice : Bat tibi gloriam et justitiam Do-
mino, [lbid.)
Heureux état, sort fortuné, de pouvoir se
dire : J'ai satisfait mon Dieu; j'étais l'objet
de sa colère, me voilà devenu l'objet de ta
I0G3
ORATEURS SACRES. LE P. SLRIAN.
ICGi
miséricorde. Que ce penser est doux! qu'un
tel pénitent sera tranquille un jour aux pieds
du tribunal de son juge 1 Mais, chrétiens, si
vous ne lui ressemblez point, que vous au-
rez alors de confusion et de reproches à sou-
tenir devant toutes les nations assemblées!
Pourquoi vous plaindre, vous dira alors ce
juste juge, du partage que je vous fais? vous
voudriez, dira-t-il, comme autrefois Jésus-
Christ dit aux pharisiens, vous voudriez avoir
l'heureux sort de cette pénitente; mais com-
ment pouvez-voUs prétendre à sa récompense,
lorsque vous n'avez pas imitésa fidélité? Tant
de fois j'ai voulu] vous attendrir par mesgrâ-
ces et par la voie de mes ministres, je n'y ai rien
épargné, et je n'ai pu! tirer de vous une seule
larme, un seul soupir : Aquam pedibus mris
non dedisti ; et celte femme fondant en pleurs
à mes pieds les a arrosés de ses larmes :
Hœc autem lacrymis rîgavit pedes meos. Si
souvent je vous ai fait sentir mes bontés,
vous avez vu de si ptès mes perfections et
mes grandeurs, je me suis rendu familier
avec vous pour être plus à votre portée, sans
que vous ayez daigné vous approcher de
moi , me recevoir; ou si vous m'avez donné
quelquefois un baiser, c'était comme le per-
fide disciple pour me trahir et me mieux li-
vrer entre les mains du monde, mon plus
cruel ennemi : Osculum mihi non dedisti. VI
cette pénitente, dès qu'elle a pu s'approcher
de moi, elle s'est jetée à mes pieds et les
baisait avec tant d'amour, qu'elle semblait
ce vouloir jamais les quitter . Hœc autem ex
quo intravit non cessavit osculari pedes meos.
Je vous avais demandé pour mes membres
des œuvres de charité, quelque aumône pro-
portionnée à vos biens, quelque assistance
et quelque consolation pour les pauvres ma-
lades, pour ces malheureux affligés, et vous
me les avez refusés : Oleo caput meum non
unxisti. Elle a tout sacrifié, tout employé,
tout prodigué pour l'amour de moi: elle a
répandu tout ce qui lui restait d'onguents et
de parfums sur mes pieds : Hœc autem nn-
ouento unxit pedes meos.
Je vous le demande, Messieurs, qui aima
donc le plus d'elle ou de vous? Quis ergo
amat plusdiligit, et quelle marque nous en
donnez-vous l'une et l'autre? Vous les pa-
roles, et elle les actions; vous les offenses,
et elle les expiations; vous les apparences,
des protestations et des promesses, et elle
la réalité des œuvres et de pratique C'est
donc elle qui aie plus aimé, aussi ses péchés
lui sont remis à cause de son parfait amour :
Quoniam dilexit multum- au lieu que les vô-
tres, multipliés par votre fausse pénitence,
sont réservés pour des châtiments éternels.
O sentence terrible contre les faux péni-
tents ! que faut-il que je fasse pour en éviter
l'exécution? Il faut que je quitte le péché,
que je le pleure, que je le répare. Ah ! mon
âme, quittons-le doue, pleurons-le donc,
réparons-le ; laissons-nous aller à cet at-
tendrissement qu'a fait sur nous l'exemple
si touchant de la pécheresse ; c'est par là que
nous pouvons espérer d'avoir un jour la
consolation d'entendre ces paroles delà bou-
che de Jésus-Christ même : Yadc in puce;
âme trop affligée, allez en paix; la pénitence
l'a commencée sur la terre, il est juste quo
la gloire la consomme dans le ciel. Je vous
la souhaite, au nom du Père, etc. Amen.
SERMON XXVIII (12).
DE LA PASSION DE JESUS- CHBIST.
Déponentes omne pondus, et eircumstans nos peccatum,
per patienliam curramus ad proposkium nobis c< rlamen;
aspicientes in auetorem fidei et consummatorem Jesum
qui sibi proposilo i eaudio sustinuit crucem. ( [leur. ,
XII.)
Dégngés des liens du péché, courons au combat qui nous
est proposé. Jetant les ijeux sur Jésus, l'auteur et le con-
sommateur de notre foi, qui, après s'être fuit une joie inté-
rieure de souffrir, a soutenu ta morl de lu croix.
N'est-ce pas avec raison, mes frères, qu'en
ce jour, le plus triste, le [dus lamentable do
tous les jours, je viens vous exhortera tour-
ner, à fixer vos regards sur le spectacle lou-
chant que Jésus-Christ offre au monde? Hé-
las! tout ce qui s'y passe vient de vous; ce
Sauveur aimable n'est immolé que par vos
mains; les soupirs qu'il pousse, la tristesse
qu'il sent, les plaintes qu'il fait, les douleurs
qu'il endure, les outrages et les coups qu'il
reçoit, toute cette grande victime est l'ou-
vrage de vos péchés.
Oui, si les Juifs l'outragent, vos | éehés
animent leurs voix; si le pontife et les t rê-
tres le condamnent, vos péchés aigrissent
leur jugement; si les soldats le frappent, si
les bourreaux le crucifient, vos péchés con-
duisent leurs mains; c'est votre orgueil qui
l'humilie, votre avarice qui le dépouille,
votre infidélité qui le trahit, votre irréligion
qui le juge, votre mollesse qui le fa.t souf-
frir, votre folle joie qui l'attriste; sa moit
enfin, c'est votre vie criminelle, c'est de vo-
tre cœur que sont sortis ces bourreaux qui
exercent contre lui un ministère si barbare,
et vous pourriez n'être pas touchés de tous
les maux que seuls vous lui faites! Que vous
voyez ce Dieu de miséricorde qui souffre
pour vous, massacré dans Abel, exilé dans
Moïse, immolé dans Isaac, vendu dans Jo-
seph, persécuté dans David, affligé dans Job,
lié en Jérémic, peint dans les douleurs dif-
férentes de tous les justes, réunissant en sa
personne la vérité de tous les maux ensem-
ble, seuls vous demeurez insensibles !
Non, mes frères, cette tristesse universelle
que j'aperçois dans mon auditoire, cette
attention plus grande qu'à l'ordinaire, ce si-
lence si propre au temps, tous les visages
composés à l'affliction, me disent trop que
l'état douloureux de Jésus-Christ vous tou-
che, et quelque couvert qu'il soit de vos
iniquités et méconnu de son Père , ah !
vous le reconnaissez encore, vous le plai-
gnez, vous ne croyez point qu'il puisse
rien vous arriver de plus funeste que d'a-
voir contribué à le faire mourir, et vous
vous sentez déjà portés à entrer dans tous
(12) Imprimé dans l'édition de Liège, tome H, page 275-
10G5
CAREME. — SERMON XXVIIÎ , DE LA PASSION DE J.-C.
les sentiments de ce Sauveur si plein de
miséricorde et de tendresse.
Mais pensez-vous que, dans l'excès des
maux qui l'accablent, il soit bien consolé
par votre pitié, si elle est faible, stérile et
toute nouvelle , et si vous versez des larmes
à sa passion comme au récit d'un événement
tragique, par pure sensibilité et par un vain
attendrissement d'une âme faible? Eh 1 que
sert à Jésus-Christ que vous pleuriez sur ce
qu'il est, si en même temps vous ne gé-
missez sur ce que vous êtes? Que lui sert que
votre compassion soit émue , si votre cœur
n'est changé; que vous soyez tristes, si vous
n'êtes meilleurs; que vous veniez compatir à
sa mort, si vous renouvelez encore ce qui la
cause ; enfin, si à la vue de ce Dieu contristé ,
outragé, crucifié, vous ne gémissez 1° sur
cette paix profonde qui vous retient et que
vous conservez dans le péché ; 2° sur cette
gloire funeste que vous cherchez et que vous
vous figurez dans l'iniquité; 3° sur ce plai-
sir déplorable que vous ne trouvez et ne
goûtez presque que dans le crime? Car voilà
les trois grandes plaies qui ont causé les
plus vives douleurs à Jésus-Christ, et aux-
quelles il semble rapporter toutes les raisons
de sa passion. Vous demeurez tranquilles
dans l'état du péché, et c'est pour troubler
cette fausse paix, cette funeste tranquil-
lité, que Jésus-Christ s'attriste lui-môme : pre-
mière réllexion; vous vous glorifiez dans votre
iniquité, et c'est pour confondre cette fausse
gloire que le Sauveur se couvre de honte et'
qu'il se rassasie d'opprobres : deuxième cir-
constam e ; vous ne prenez du plaisir que
dans le crime, et c'est pour expier cette
fausse satisfaction que le Fils de Dieu passe
par les douleurs et expire dans la peine.
Ah ! que je peux donc bien m'écrier ici :
1° Pécheurs trop paisibles, accourez au jardin
des Oliviers pour y voir un Dieu accablé de
tristesse, qui lutte contre le péché et com-
bat corrtre lui-même. Curramu's ad propo-
sition vobis ccrtamen, aspicientes in aucto-
rem fidci et consummatorcm Jesum ; 2° pé-
cheurs orgueilleux, accourez à Jérusalem,
et y considérez la confusion d'un Dieu qui
prend sur lui toute la honte du péché : Con-
fusione contempta; 3° pécheurs immortifiés
et sensuels, accourez sur le Calvaire, et y
envisagez un Dieu qui souffre les plus af-
freux tourments et qui est attaché à une
infâme croix où il expire pour vos péchés :
Sustinuit crucem; et pour jamais quittez
et détestez ce monstre qui attaque un Dieu
dans son repos, dans son honneur, dans
sa vie même : Déponentes omne pondus et
circumstans nos peccatum. C'est à quoi saint
Paul semble me déterminer à borner ce
discours, qui ne sera que l'histoire fidèle de
la passion de mon Sauveur, accompagnée de
quelques réflexions les plus touchantes et
les plus propres à votre conversion.'
Croix adorable! vous tenez aujourd'hui la
place de Marie, mère de mon Sauveur! ô
vous que nous prenons pour notre unique
espérance, pour notre ressource et pour
notre appui quand tout le reste nous man-
OuATEL'RS SACRÉS. L.
10JS
que: n'abandonnez pas des enfants malheu-
reux qui réclament votre secours. O vous
qui êtes la terreur des démons, la joie des
anges, l'asile des pécheurs, la force des
justes; ô la vérité de tant de figures, l'autel
de tant de victimes, le dépôt de tant de grâ-
ces, la source de tant de gloire, bois sacré,
faites-nous sentir que vous portez entre vos
bras le salut et la rédemption du monde;
prouvez à nos cœurs endurcis que vous
triomphez de ce qu'il y a de plus cruel et de
olus insensible, et versez sur nous quelque
portion de ces divines grâces dont vous
possédez l'auteur et le trésor, nous vous le
demandons, par les paroles du cantique de
l'Eglise. — O crvx, ave .
PREMIER POINT.
11 voulait dans la dernière cène nous lais-
ser un trésor inestimable de son amour, et
voyant que le moment était proche, il passe,
le torrent de Cédron et arrive sur le mont des
Oliviers, montagne sainte, solitude sacrée,
triste dépositaire du secret des douleurs de
Jésus-Christ , de sa prière etj du mystère
auguste de sa passion. Ah! mes frères, que
notre foi ne nous transporte-t-elle jusque
sur cette montagne, pour y suivre Jésus
affligé, et pour y recueillir le fruit salutaire
de ces langueurs saintes? A peine y est-il
arrivé, qu'il se sent saisi de tristesse; une
multitude d'images affreuses semblent ne
s'offrir à son divin esprit que pour l'acca-
bler de douleurs. D'abord, la justice du Père
éternel qui l'attend depuis quatre mille ans,
le glaive à la main, pour lui faire expiernos
crimes, le perce de douleur, et son saisisse-
ment est si grand qu'il ne rougit point de
faire connaître à ses disciples le triste état
où il se trouve : Mon âme est triste jusqu'à
la mort : Tristis est anitr.a meausqve admor-
tem. (Matth., XXVI; Marc, XIV.) La joie
que j'avais de mourir pour les hommes a
disparu tout entière; c'en est fait de ma
vie, et mes déplaisirs sont si profonds, qu'ils
suffiraient pour me donner la mort, si je ne
réservais à des tourments plus grands encore
ce qui me reste de vie.
Entrons donc, mes frères, dans cette tris-
tesse divine, et tâchons de voir ce qui cause
au Sauveur des combats si pleins d'alterca-
tions et de souffrances? C'est : 1° parce qu'il
voit contre lui toute l'énormité du péché;
2° parce qu'il y découvre toutes les contra-
dictions du péché; 3° parce qu'il ] ressent
déjà toutes les peines du péché : Tristis est
anima mea nsque ad mortem. Faisons atten-
tion à ces trois circonstances, et nous ne
serons plus surpris que le Sauveur soit saisi
d'une douleur aussi affreuse que la mort
même.
Non, rien de ce qui nous cache l'énormité
de nos offenses ne la cache à Jésus-Christ.
Ici la violence ou l'imposture de nos pas-
sions nous empêchent de bien voir toute
l'horreur du crime que nous commettons ;
mais le Sauveur, jugeant du péché par cette
règle infaillible de la vérité, en découvre
toute la noirceur; il le voit comme une in-
3fc
1067
ORATEURS SACRES. LE P. SUIUAN.
10'J8
justice énorme, comme une infidélité bar-
bare, comme un indigne attentat, comme une
ingratitude monstrueuse; il le regarde en
un mot comme tout ce qu'il y a de plus hor-
rible, de plus cruel et de plus affreux pour
nous. Si nous sommes peu touchés, peu ef-
frayés du vice, c'est que nos cœurs s'y ha-
bituent, et que notre âme s'accoulurae à le
voir et à le commettre ; mais le Fils de Dieu,
plus pur et plus pénétrant qu'aucune de ses
créatures, voit dans le jardin des Oliviers
avec des yeux de sainteté l'horrible corrup-
tion du vice, et son cœur chaste est blessé
du moindre mal; souverainement bon, il en
sent toute la malice; essentiellement juste,
il en pèse toute l'injustice ; essentiellement
pur, il en découvre toutes les taches , il se
montre à lui-même cette longue suite de
siècles coupables, cette chaîne de dérègle-
ments et de désordres qui lient depuis le pre-
mier jusqu'au dernier des hommes, et dont
il n'y a pas un seul péché qui ne lui porte
ses coups; tout ce grand liv.e qui contient
les prévarications de la terre lui est ouvert
par son Père : l'humanité entière se pré-
sente à lui sous l'affreuse image du péché;
toutes ces vues différentes l'attendrissent ,
et comme Joseph, il pleure sur chacun de
ses frères coupables : Et ploravit super sin-
gulos. (Gen., XLV.)
Ah 1 sans doute, il s'afflige davantage sur
vous, parce qu'il voyait que vous aimait
d'une tendresse p'us particulière que les
Juif*, vous le feriez mourir encore avec plus
de cruauté, et ce déplorable état qui vous
fait quelquefois pitié excitait de nouveau ses
douleurs; il voyait votre insensibilité pour
ses grâces , ces dégoûts malheureux que
vous auriez de ses paroles, de son service;
l'abus sacrilège que vous feriez un jour de
ses mérites et de son sang, comme il serait
frustré sur vous de son attente et de ses pei-
nes , comme vous compteriez pour rien son
amour; toutes ces vues si accablantes, dans
un cœur aussi tendre que le sien, l'attristent,
Je découragent, l'affligent; votre salut peut-
être lui fait plus verser des larmes que tout
le monde ensemble. Venez après cela vous
scandaliser encore de la passion de votre
Dieu; la raison s'y perd; quels abîmes
qu'un Dieu s'anéantisse juqu'à la mort, et à
la mort de la croix 1
Mais quoi ! dites-moi, je vous prie, mes
frères, vous-mêmes, n'êtes-vous pas un pro-
dige plus surprenant encore, un mystère
plus impénétrable dans votre conduite et
dans vos jugements? Cette affliction du Sau-
veur, toute grande qu'elle est, doit-elle vous
paraître extrême I C est vous qui la lui avez
causée par vos folles joies et vos débauches
excessives. Une tristesse médiocre convenait-
elle à l'excès de vos égarements? De faibles
remèdes auraient-ils suffi à la grandeur de
vos maux? Ne fallait-il pas réparer des excès
par les. excès, des plaisirs par les douleurs
excessives ? Ah 1 c'en était trop, je l'avoue,
pour apaiser la colère de son Père, trop pour
nous témoigner son amour, trop pour attendrir
les anges, qui pleurent à ce spectacle, trop
pour faire frémir les démons qui voudraient
ne point perdre leur proie, trop pour con-
fondre les pécheurs; mais en est-ce assez
pour vous convertir, pour vous dégoûter du
péché et vous en inspirer une horreur salu-
taire. Eh! ne vous plaignez donc plus que
le Sauveur Jésus est plongé dans un gouffre
trop profond de péchés, et après tout, les
hommes peuvent-ils être tristes comme un
Dieu? ]N'est-cc pas à cette tristesse que saint
Paul reconnaît Dieu? Quel autre qu'un Dieu
aurait pu s'attrister si fort sur les crimes de
ses ennemis et de ses bourreaux qui i.'é-
taient pas encore; et quoique tous les lâches
s'affb'gent trop aisément, quel autre qu'un
Dieu aurait puquitter la tristesse et la repren-
dre à son gré, exciter à sa volonté l'orage et
le calmer, se faire souffrir et se consoler lu:-
même, et au lieu de cette tristesse de néces-
sité, de faiblesse, qui est la nôtre, ne mon-
trer que cette tristesse de liberté, de choix,
de volonté, qui ne convient qu'au maître des
passions? (juel autre qu'un Dieu s!est pu ré-
véler deux mille ans d'avance ces moments de
langueur, ces mystères sacrés de son agonie,
et, au milieu de sa défaillance et de son abat-
tement, mettre dans son cœur tant de gran-
deur? Et par quelque endroit que l'on con-
sidère sa tristesse et ses douleurs, on n'y
trouve rien qui ne soit au-dessus de l'homme.
Et, en effet, où paraît-il plus Dieu que dans
le jardin (des Olives, et tout ce qui vous y
scandalise dans l'histoire de ses douleurs
intérieures., n'est-ce pas l'héroïsme de votre
religion, la preuve la plus incontestable de
sa divinité, la vertu de Dieu, Dieu lui même ?
Ah 1 loin donc de vous ériger en censeurs
téméraires de la profonde tristesse de Jésus-
Christ, adorez-la, imitez-la, songez que ce
Sauveur aimable lient votre place dans ce
jardin d'amertumes, qu'il y est tout ce que
vous devez être à la vue de vos péchés,
Hélas! si vous regardiez votre malheur
comme lui, un poids de tristesse vous acca-
blerait et vous ferait tomber la face contre
terre : Produit in faciem suam. ( Matth.,
XXVI.) Comme lui, à ce spectacle une
crainte mortelle vous pénétrerait, et vous
frémiriez jusque dans la moelle des os :
Timuit ralde. Comme lui, une sueur glacée
vous saisirait et ferait dégoutter votre sang
de toutes les parties de votre corps : Et fac-
tus est sudor ejus sicut guttee sanguinis de-
currentis in terram. {Luc, XXII). Affligés
de tout votre cœur, vous seriez inconsola-
bles : Cœpit conlristari ctmœstus esse. {Matth.,
XXVI.) Comme lui, vous prieriez plus long-
temps pour vous préserver de la mauvaise
habitude qui est l'agonie de votre âme : Et
factusinagoniaprolixius orabat {Luc, XXII.)
Comme lui, toute compagnie mondaine vous
deviendrait insupportable, et vous vous
retireriez de ce monde corrupteur : Iterum
abiens. {Marc, XIV.) Comme lu;, la douleur
vous séparerait de ce que vous avez de plus
cher pour aller pleurer en secret ; enfin, vous
compatiriez a ses peines, et lorsque ce père
tendre cherche un oreur patient pour se re; o-
ser, vous lui ouvririez le vôtre; vous lui
4C69
CAREME. — SERMON XAVilî, DE LA PASSION DE J.-C.
seriez cet ange aimable qui le console, assez
d'autres l'affligent, et si la vue de vos péchés
le trouble, vous le rassureriez par le grand
spectacle de votre pénitence : Appariât Mi
angélus confortans eum. ( Luc, XXII. )
Mais, si au jardin des Oliviers, Jésus Christ
est si fort combattu et attristé par l'énormité
du péché, il ne l'est pas moins par ses con-
tradictions : Curramus ad propositum nobis
certamen, aspicientes, etc. Oui, en même
temps il laisse faire à l'ange le consolant
ministère pour lequel il est envoyé par son
Père-, il permet que le péché redouble sur
lui sa violence, et daigne sentir, parce
qu'il est miséricordieux, tout ce que nous
sentons, parce que nous sommes miséra-
bles ; il se soumet à toutes les contradic-
tions du crime qu'il veut expier, pour nous
faire comprendre que le pécheur, dont il
portait l'image et la ressemblance, ne jouit
jamais d'un repos et d'un plaisir parfait; et
voulant consoler les âmes justes dans les
combats et les persécutions qu'elles ont à
soutenir en elles-mêmes contre le péché, il
leur faisait connaître que ces combats et ces
oppositions ne sont point un crime, qu'être
tenté n'est point être coupable, que tout le ma!
est de succomber aux tentation?, puisqu'a-
lors on écarte la vigilance et la prière qui
sont les plus fortes armes du salut. Voilà ce
que le Sauveur avait en vue dans le mys-
tère de ses combats et de ses peines spiri-
tuelles, c'était d'oiï'rir aux âmes lâches un
grand modèle de force et de courage qu'on
doit opposer au péché, et dans celte vue,
considérez comme il laisse d'abord partager
son âme en deux sentiments opposés, comme
deux passions contraires ne le tourmentent
point l'une après l'autre, mais toutes deux
ensemble; comme il est agité tout à la fois
de crainte et d'ennui : Cœpit parère etlœdere
(Marc XIV.) Il appréhende les souffrances :
pavere, et il s'ennuie de ce qu'elles n'arri-
vent pas : tœdere; il a peur de son supplice :
c spit pavere; et il sent de l'impatience de
ne le point endurer : cœpit tœdere ; il trem-
ble, et il soupire : il considère l'abus qu'on
fera de sesdouleurs, et c'est ce qui lui donne
de la crainte : pavere. 11 en regarde le fruit dans
les justes, et c'est ce qui le fait languir de ne
point souffrir assez tôt : tœdere; il envisage la
colère de Dieu irrité contre les pécheurs, et il
en est saisi de frayeur -.-pavere; il aperçoit la
rédemption du monde, la réconciliation des
pécheurs, et il lui tarde qu'il l'opère :
tœdere; il regarde le calice amer qui, rempli
de toutes les iniquités de la terre, l'effraye :
pavere; et il \od le torrent de gloire et de
volupté qui y est attaché, et il voudrait déjà
l'avoir bu : tœdere. C'est par ces différents
objets que ses pensées se combattent, que
son cœur se partage, et que lui-même ?e
divise en deux parties : son âme divine et
humaine, semblable à cette colonne des
Juifs , lumineuse d'un côté et obscure de
l'autre, est timide et interdite d'une part, et
courageuse et entreprenante de l'antre; il
s'abaisse et se relève, tantôt parlant à ses
apôtres, pour se consoler avec eux, et tantôt
1070
voulant être seul, sans permette même que
l'ange du grand conseil le console et le sou-
lage. Enfin, cette guerre de son cœur est si
affreuse, sa résistance si violente, que ses
membres sont comme expirants, et tombent
dans une défaillance extrême, et comme si l'a
tristesse et ses larmes n'exprimaient point
assez sa douleur, une sueur miraculeuse
arrose toute la terre de son sang qui dé-
coule de toutes parts.
Sang adorable qui êtes impatient dans les
veines sacrées qui vous renferment, que la
charité qui vous agite et qui vous presse est
immense ! C'est trop peu d'une issue, vous
vous efforcez; de sortir par mille passages à
la fois, et vous voudriez être répandu jus-
qu'à la dernière goutte. Ah! conservez-vous
davantage, viendront assez tôt ces tristes mo-
ments où tout sera versé par. vos bourreaux,
ou si vous aimez tant à vous répandre, que
ce soit sur nous et sur nos descendants. Mon
âme est une terre aride et stérile en bonnes
œuvres, coulez sur elle pour l'amollir et la
rendre féconde : Sanguis ejus super nos et
super filios noslros .(Malth. , XXII.) Coulez sur
les plaies de ce cœur endurci dont vous êtes le
salut et le remède; pénétrez-les de votre onc-
tion divine, et me donnez comme à Jésus-
Christ une source de victoires et de mé-
rites.
Ah ! souffrez, mes frères, que, touché d'un
état si déplorable et si commun parmi vous,
je vous adresse ces paroles qui suivent celles
de mon texte : Rrcoyitate enim eum qui talent
sustinuila peccatoribus adversus semetipsum
contradictionem (Hebr., XII); pensez bien,
chrétienslâches, quel|estceluiquîsouffreune
si grande contradiction, des douleurs si cui-
santes, des combats si violents, c'est Jésus -
Christ, c'est le maître de la vie qui se trouvo
à l'agonie; c'est l'éternelle paix qui se trou-
ble elle-même pour devenir l'image de vos
contradictions, de vos efforts et de vos ré-
sistances au péché. Voulez-vous vaincre la
passion et le crime ? pensez au Fils de Dieu
dans le jardin des Oliviers, recogilate. Or,
jusqu'ici peut-être vous avez sué, mais pour
des richesses périssables; vous vous êtes
affligés , mais pour des honneurs chiméri-
ques; vous vous êtes inquiétés, mais pour
des vaines satisfactions; et dans votre vie,
vous n'avez eu que de tristes et coupables
agitations ; pensez à Jésus-Christ ; que vous
ne soyez troublés que de son trouble, affli-
gés que de son affliction, agités que de ses
mouvements : que le péché ait tous vos
sentiments, toute votre douleur, toute votre
inquiétude, toute votre tristesse, tous vos
combats, toute votre résistance : regardez le
péché des mêmes yeux que Jésus-Christ,
combattez-le avec- la même vivacité, avec le
même soin, et ne dites pas que dans la ten-
tation vous avez résisté au mal de toutes vos
forces. Non, répond l'Apôtre; en combattant
contre le péché vous avez résisté faiblement
à ses attraits et à ses charmes, non jusqu'à ver-
ser votre sang pour vous en défendre et pour
l'éloigner de votre âme; et comment votre
résistance au péché vous aurait-elle coûté
4071
ORATEURS SACRES. LE P. SIRîÀN
1(T2
du sang? s'écrie un Père. Elle ne vous a pas
même coûté des larmes : vous ne vous êtes
fait ni efforts ni la moindre violence pour
vous en garantir.
Mais, après avoir éprouvé toutes les con-
tradictions du péché, il restait à Jésus-Christ
d'en pressentir toute la peine; c'est le troi-
sième combat, où il est livré dans le jardin
des Oliviers, et le troisième sujet de sa tris-
tesse intérieure.
David en pleurs disait après la mort de
son fils Absalon : Fils ingrat, enfant rebelle,
vous m'avez oublié. Et cependant, je vou-
drais mourir pour vous; que n'en puis-je
trouver l'occasion : Absalon fili mi, quis mihi
tribuat ut egomoriar pro ^e ? (II Beg., XVIII.)
Ce que Jésus-Christ disait à son Père ,
mes frères, combien de fois vous l'a-t-il dit
à vous-mêmes! Vous souvenez-vous de ces
troubles secrets, de ces remords cuisants, de
ces alarmes violentes aux approches du
crime : c'était le Sauveur qui le défendait
dans votre cœur, qui aurait bien voulu vivre
et demeurer avec vous, et qui dans cette es-
pèce d'agonie, vous disait intérieurement :
Ah! s'il se peut, ne péchez plus, que je ne
boive point ce calice ; il est trop amer à mon
cœur: Transeat a me calix iste. (Matth.,
XXVI.) Vous savez combien ces instantes
prières furent inutiles à Jésiis-Chrïst'et com-
bien elles le sont encore tous les jours, lors-
que vous les adressez ; vous, mon Dieu, qui
par la soumission d'isaac l'épargnâtes à son
père , consommerez-vous ce sacrifice en la
personne de votre fils par sa mort, et quand
ce fils aimable vous conjure de lui faire grâce,
ne vous faites-vous point violence de la lui
refuser, et d'abandonner cette victime inno-
cente et si chère à tant de souffrances et tant
de douleurs? Ah I fussent-elles encore plus
cuisantes, ces douleurs, fût-il plus amer en-
core, ce calice, disons avec Jésus-Christ et de
la bouche du cœur, prononçons comme lui
cette adorable parole : Que vôtre volonté soit
laite, ômon Dieu, et non pas la mienne : Ve-
rumtamen non mea sed tua voluntas fat.
(Jbid.) Grand Dieu! aux approches de ce
calice que vous m'offrez, ma chair frémit,
ma raison se trouble, mon cœur s'alarme,
mes sens se révoltent; néanmoins j'ose vous
assurer que ce n'est point ma volonté
que je veux suivre : Scd tua voluntas, non
mea; oui, mon Dieu, dussent mes sens ré-
voltés s'écrier : Que cette affliction passe, que
ce coup de malheur s'écarte, que ce calice
amer ne vienne point jusqu'à moi : Transeat
a me calix iste (Ibid.) , la voix de mon âme
vous dira sans cesse : Seigneur, je le mérite,
je suis un misérable pécheur, et en cette
qualité, il n'est rien de trop amer et de trop
dégoûtant pour moi. Faites-le passer de vos
mains toutes pures dans les miennes toutes
souillées : depuisqu'un Dieu a daigné y boire,
il nedoitplus me sembler amer; maisie fût-il
encore, je n'y répugne point, c'cstvotre sainte
volonté, et non pas la mienne, que je veux
suivre ; la vôtre m'encourage et me fortifie,
et c'est assez que quelque chose me vienne
de votre part, pour l'embrasser et le souf-
frir avec joie : N-n mea voluntas sfd tua fiât.
Vous voyez donc, mes frères, comme au
jardin des Oliviers Jésus-Christ combatsans
cesse contie \s péché, toujours en action,
toujours "en alarmes: mais quel est donc ce
monstre cruel qui attaque un Dieu de toutes ;
parts, qui soulève l'âme la plus tranquille et :
la plus forte ; qui agite le cœur le plus grand
et le plus maître de lui-même? Et ce même
péché dont l'image seule alarme un Dieu et
fait plier toute sa force, sera au milieu de
vous, au fond de votre âme , sans y exciter
le moindre trouble, la plus légère inquié-
tude ;'vous le regarderez comme un jeu, et
vous vous endormirez dans les bras d*un
ennemi si formidable! Ah! songez que vous
êtes au jardin des Oliviers, et que le Sauveur
vous fait le même reproche ironique qu'il y
faisait aux apôtres endormis, et que son état
rendait si insensibles et si aveugles : Dor-
mite jametrequiescite. (Matth., XXVI.) Dor-
mez et reposez, pour moi, il me convient
d'être agité et de voilier, laissez-moi seul
ressentir toute l'horreur de vos crimes; vous
dormez : dormez et soyez tranquilles. Fal-
lait-il veiller à l'assouvissement de vos pas-
sions insensées, à la poursuite des biens du
siècle ; vous veilliez alors et on ne vous trou-
vait pas endormis. Maintenant, il s'agit du
salut; vous êtes sans rien faire, ces soins
prudents et sages vous endorment : Dormite
jam et requiescite. Mais plutôt levez-vous et
venez avec moi, achevons ensemble le grand
ouvrage du salut du monde, et après avoir
combattu contre le péché, souffrons-en encore
la confusion et la honte : Confusione contem-
pla (Hebr. XII); c'est la deuxième partie de
ce discours.
SECOND POINT.
Comme tout péché est orgueil dans son
principe, pour l'expier d'une manière qui en
soit digne, rien ne convient mieux que l'hu-
miliation; elle seule remet dans l'ordre celui
que la superbe en avait ôté, et tout crime
qui n'est point expié par la douleur et la
peine qu'il mérite, doit du moins être puni
par cette impression de honte qui l'accom-
pagne: aussi un homme pécheur signifie la
môme chose qu'un homme confus; celui
que nous avons offensé veut que par-
tout cette plaie malheureuse nous fasse
rougir, et après avoir fait naître dans la con-
science du pécheur les remords les plus
cuisants, il lui fait encore les reproches les
plus amers ;or, dit saint Augustin, c'est pour
réparer l'injure faite à Dieu, et guérir le
mal par son propre remède, que Jésus-
Christ va se couvrir dans Jérusalem de
l'ignominie de nos crimes; et parce que
nous avons fait au Seigneur une infidélité
dans nos cœurs, une injustice dans nos juge-
ments, une folie criminelle dans toute notre
personne, afin qu'il y ait du rappoit entre
l'offense et l'expiation de l'offense, le Sau-
veur va être humilié : 1° dans son cœur p;r
l'infidélité de ses disciples; 2° dans son es-
prit par l'injustice de ses juges; 3" dai s
toute sa personne par l'outrage et les op-
probres des soldats et des Juifs. O amour sa-
1C73
CAREME. — SERMON XXVIII, DE LA PASSION DE J. C.
11)74
cri, source féconde de ces humiliations sa-
lutaires 1 pourquoi faut-il que vous soyez si
fort, si étendu dans le cœur d'un Dieu," et si
faible et si borné dans le' nôtre?
1° Jésus-Christ commence donc dans Jéru-.
salem à éprouver l'infidélité de ses amis:
l'un le trahit, l'autre le renie; tous l'aban-
donnent. Mon Dieu 1 quelle humiliation plus
sensible pour vous? Vous le savez, chrétiens
mes frères, la trahison, toujours humiliante,
lest bien plus encore quand c'est un ami
qui l'a faite : ici c'est un apôtre qui trahit son
maître ; c'est le dépositaire de ses secrets,
l'interprète de ses pensées, le témoin de ses
miracles , un disciple qui mille fois avait
reçu de ses faveurs, avait goûté la douceur
de ses entreliens et de sa familiarité; qu'il
avait associé à ses travaux pour le rendre
participant de sa gloire, qu'il venait d'éta-
blir par le sacerdoce sur son propre corps,
bienfaits et faveurs qui deva'ent mettre dans
le cœur de cet apôtre des sentiments d'un
amour et d'une reconnaissance inviolables,
mais qui n'en font qu'un perfide et un in-
grat, qui, par un sordide intérêt, pour un
prix vil et médiocre, trahit et vend son di-
vin maître. Hélas '.jusqu'où ne le porte point
cette maudite passion d'avarice! pour trente
deniers il le livreàses ennemis: Consiituerant
ei triginta argenteos. (Malth., XXVI.)
Nuit malheureuse, qui prêtas ton voile a un
si barbare attentat, pourquoi commençais-tu,
ou, pour nous le cacher a jamais, que ne deve-
nais-tu éternelle? Je m'aperçois, mes frères,
que vous donnez votre indignation à ce per-
fide et que vous voudriez le frapperde mille
morts. Judas cependant n'était que votre
image; car combien de fois, cruels, l'avez-
voiïs vendu poup un pris plus uiédiocre en-
core que ce traître; combien dé' fois, lors-
qu'il vous comblait le plus de ses faveurs
et de ses biens, avez-vous quitté le person-
nage aimable de son disciple, de son ami,
pour prendre celui de son persécuteur et de
son ennemi ; combien de fois, le mettant à
prix et à la discrétion du monde et du dé-
mon, avez-vous dit comme Judas : Que me
donnerez-vous, que me promettez-vous,
quels bons services me rendrez-vous ; quels
plaisirs, quels honneurs, quelles fortunes,
quelle dignité, quel emploi me procurerez-
vous ? Pour peu que vous me donniez, je suis
tout disposé, tout prêt à le mettre en votre
possession : Quid mihi vultisdareet ego vobis
eum tradam (Ibid) ; combien de fois à la tête
ou en la compagnie des impies, les avez-vous
encouragés par vos paroles ou par vos exem-
ples, à lui faire outrage : Dédit Mis signum?
Combien de fois à ces rendez-vous funestes,
à cette assemblée mondaine, à ce spectacle
profane, lorsqu'il vous faisait .ce reproche
si tendre : Amice, ad quid venisti? (Ibid.) Ah!
mon ami, que venez- vous faire ici? au lieu
de vous laisser toucher à cette parole de
grâce, si propre à fendre un cœur, avez-vous
continué à l'immoler et à le livrer entre les
mains des méchants? Combien de fois jusqu'à
la table sacrée, avec une âme de péché, lui
evez-vous donné un baiser meurtrier? Enfin
n'avez-vous pas tout l'esprit de Judas ? Com-
parez vos infidélités à la sienne; pour une
fois qu'il a trahi Jésus, ne le trahissez-vous
pas plus de mille; le rapport n'est-il pas
juste, et lorsque ce perfide vous est en exé-
cration, n'en trouvez-vous pas en vous toute
la perfidie ? Ah! ne craignez point, dit un
Père, il est encore une miséricorde toute
prête à vous pardonner : Judas n'osa l'espé-'
rer, et de là son malheur. Ne désespérez
point de la part de votre Dieu; mais soute-
nez-vous par la sincérité de votre pénitence,
par la grandeur de vos regrets, et songez, pour
vous y soutenir, que le Seigneur, que vous
avez tant outragé, est encore plus compatis-
sant que vous n'êtes perfides, et que le plus
grand de tous vos crimes serait de n'en pas
espérer de pardon : Abiens laqueo se suspen-
dit. (Matth., XXVII.)
Mais si Jésus fut humilié par la perfidie
d'un de ses disciples, il le fut encore bien
davantage par la présomption d'un autre de
ses disciples. Ici, mes frères, que les colon-
nes les plus fermes tremblent comme les
plus faibles roseaux ; cet apôtre si éclairé, si
intrépide, si zélé, Pierre, le chef de l'Egide,
le plus élevé des disciples, ce fidèle témoin
de la gloire du trésor, Pierre tombe dès qu'il
voit Jésus-Christ dans la souffrance ; il le
désavoue, et ne le suit que de loin; lorsque son
propre cœur ne disait que trop que c'était son
Sauveur, sonDieu, son maître, sa bouche infi-
dèle lui fait dire : Je ne le connais pas. Il avait
juré trois fois qu'il l'aimait et ne le renoncerait
jamais, et par trois fois il le renonce; il ajoute
le serment à l'infidélité, et l'imprécation au
parjure. Et voilà le triste sort de ces résolu-
tions qu'on avait faites aux pieds des saints
autels; voilà où aboutissent ces protestations
solennelles que vous fîtes au baptême, et que
vous avez plusieurs fois renouvelées, dans
le tribunal de la pénitence, de ne jamais vio-
ler votre foi, de ne point démentir vos vœux,
de demeurer attachés à Jésus-Christ comme
à votre chef, et de suivre sa loi et ses com-
mandements , comme votre législateur et
comme votre Dieu. Voilà les pieux serments
dont nos autels furent témoins et que nous
eûmes la consolation de recevoir de votre
propre bouche ; vous sentiez une si douce
pente à les suivre, que vous ne croyiez ja-
mais les oublier; mais, hélas! vous avez
peut-être bien fait pis : comme Pierre, vous
avez méconnu et renié votre Sauveur, vous
qui juriez tant de n'être qu'à lui, de ne vivre
que sous sa religion et sa loi, d'être fidèle
à ses volontés, de ne jamais trahir ses inté-
rêts; à la vue des moindres outrages, des
tentations les plus faibles, vous vous êtes
tonus éloignés de lui de peur q-u'onne croie
que vous êtes de sa compagnie, qu'on ne
vous associe à ses humiliations; c'est-à-dire
que, comme ce lâche apôtre, vous avez
éprouvé qu'une âme touchée et convertie,
qui s'est donnée à Dieu, expose tout en se
redonnant un seul moment au monde, que
pour elle la chute n'est pas loin de l'occasion,
que les engagements du siècle lui devien-
nent bientôt comme des nouveaux crimes,
IG75
ORATEURS SACRES.
LE P. SURIAN.
J07G
que les conversations mondaines n'ont rien
que de funestes pour Jésus-Christ, qu'elles le
trahissent bientôt et sont incompatibles avec
lui , que s'exposer témérairement , comme
fait Pierre, à des voyages, à des compa-
gnies où le devoir n'appelle point, c'est se
creuser des précipices où l'on n'est pas long-
temps sans tomber.
En effet, chrétiens, examinez-vous là-des-
sus : n'est-ce point depuis que vous avez
formé des liaisons avec le siècle, que vous
êtes devenus lâches avec Jésus-Christ ? Tous
les jours encore il s'offre à vous dans la
même situation qu'il s'olfrit à Pierre, et vous
dites comme lui que vous ne le connaissez
point : Non novi hominem (Malth., XXVI);
tous les jours, dans nos temples, il est entre
les mains du prêtre qui l'immole, et, par
vos irrévérences et vos immodesties, vous
dites : Je ne le connais point, non, je ne suis
point avec lui : Non novi hominem; tous
les jours encore il est lié, garotté dans les
prisonniers, dans les malheureux esclaves,
et, par les refus que vous faites de l'y visiter,
vous dites : Non, je ne le connais point : Non
novi hominem : tous les jours il est défaillant
dans les malades et les infirmes, et par la
négligence que vous y apportez à l'y soula-
ger, par la fausse délicatesse qui vous fait
fermer les yeux sur ses plaies, par la dureté
qui vous rend insensibles à ses douleurs,
vous l'abandonnez tranquillement, et vous
dites • Je ne Je connais point : Non novi homi-
nem; comme à Jérusalem il est dépouillé,
nu dans les pauvres, et, affectant de ne pas
l'y voir, crainte de l'assister, de le plaindre,
de le revêtir, vous dites : Non, je ne le con-
nais point, je ne suis point de sa compagnie:
Non novi hominem; tous les jours encore il
est raillé, moqué, insulté, en la compagnie
des impies, des méchants, des libertins, et
vous les écoutez tranquillement , et, s'ils
vous soupçonnent de leur être suspects, s'ils
vous reprochent d'être de ses serviteurs,
vous niez que vous soyez à lui; et pour peu
que l'on vous presse, vous dites : Non, je ne
le connais pas : Non novi hominem. Partout
votre mauvais cœur le désavoue, et véritable-
ment, par la longueur du chemin que vous
avez à faire avec le monde, son ennemi, de-
puis que vous l'avez quitté, il n'est pas sur-
prenant que vous ne puissiez plus le recon-
naître : Non novi hominem.
Crand Dieu I n'attendrirez-vous point votre
disciple? Oui, vous le regardez, "A ce seul
regard le pénètre de douleur et le fait fon-
dre en larmes ; mais, hélas ! je vous ai perdu
plus que lui ! Sans un do vos regards mi-
séricordieux, je ne me relèverai jamais do-
tant de chutes et d'infidélités; daignez, Sau-
veur aimable, le jeter sur moi comme vous
fîtes sur saint Pierre ; il y a si longtemps que
votre visage est détourné de dessus moi, que
mes iniquités m'ont rendu désagréable à vos
yeux : ah 1 Seigneur, quand me regarderez-
vous d'un œil favorable? Domine, quando re-
snicies. (PsdI. XXXIVr.) S'il vous en coûte
si peu pour convertir une âme criminelle,
que ne m'inspirez-vous de quitter ce inonde
perfide, de fuir ses compagnies dangereuses
pour aller pleurer amèrement mes fautes
dans la retraite ? Et eyressus foras flevit
amare. (Luc, XXII.)
Jésus-Christ fut donc humilié dans son
cœur par l'infidélité de ses disciples; mais il
le fut bien davantage encore dans son hon-
neur par l'injustice de ses juges.
2° Vous le savez, chrétiens, le bien de
l'homme le plus précieux et le plus beau, est
une réputation saine: l'homme sage est plus
sensible à la honte qu'à la douleur, et, pour
conserver cette Heur, il a une délicatesse si
grande qu'il compte pour rien de lui sacri-
fier même sa vie; mais s'il en est ainsi, di-
vin Jésus ! splendeur de la gloire de Dieu !
que la confusion que vous souffrez ainsi
vous doit être sensible 1 Deux tribunaux dif-
férents lui deviennent deux sources de con-
fusion et d'opprobres; le premier est celui
du grand prêtre : là ce Maître de l'univers, ce
Juge souverain du monde, paraît debout, dé-
couvert, dans la posture de suppliant; il est
interfogé comme un criminel, et cette doc-
trine toute céleste qui réunit tous les cœurs
dans le centre de la charité, qui, comme un
flambeau lumineux, porte la lumière et l'ar-
deur jusqu'au fond de l'âme, qui, comme un
glaive à deux tranchants, écarte le mal et
aj)proche de Dieu; cette doctrine toute pure
dans sa source, si propre à laver les souillu-
res, à guérir la corruption, si remplie de force
et de sagesse, si humble dans son principe,,
si capable d'arrêter le débordement des vi-
ces et la révolte des passions ; cette vérité
toute divine qui rendait les maîtres si puis-
sants et les sujets si soumis, c'est elle-
même qui est accusée de séduction, de blas-
phème, d'imposture et de rébellion. Le Sau-
veur souffrit cette calomnie pour la con-
solation de ses vrais serviteurs. Dans le saint
ministère, il voulait nous apprendre que
lorsque, semblables à l'injuste Caïphe, vous
jugez en nous sa vérité, son Evangile, sa
morale, en les condamnant comme trop sé-
vères, en les rejetant comme trop incom-
modes, en faisant céder la fermeté de sa doc-
trine à la mollesse de vos mœurs, nous de-
vons nous contenter de gémir sur vous, et
de ne point nous en offenser; ce silence,
non de faiblesse, mais d'instruction, que
gardait Jésus-Christ devant son juge, nous
dit qu'il est bien plus avantageux de souffrir
avec douceur l'injure et la calomnie, que de
la repousser avec aigreur; que l'injustice est
bien plus confondue par la charité que par
le ressentiment, qu'il est bien plus grand de
se taire et de ne rien répondre à ceux qui
nous offensent que de récriminer ou de se
plaindre, et que l'humiliation bien confuse
vaut bien pour nous la meilleure apologie;
Jésus ne disait mot : Jésus autem tacebat.
{Matth., XXVI.)
Venons à un deuxième tribunal où le
Sauveur paraît devant Pilate : quelque temps
ce lâche juge balance entre la mort de Jésus
et l'amitié de César; l'innocence de Jésus-
Christ l'ébranlé, mais la politique le retient :
il n'ose ni le condamner parce qu'il le trouve
4077
CAREME. — SERMON XX VIII, DE LA PASSION DE J.-C.
1078
innocent, ni l'absoudre parce qu'il craint de
déplaire à l'empereur, et, pour- calmer sa
conscience sans nuire à ses intérêts propres,
il a recours à des ménagements trompeurs,
à de lâches détours qui , après tout, ne ser-
virent qu'à humilier davantage Jésus-Christ,
et à lui devenir une source de honte.
Vous voilà tout entiers, mes frères ; ce pé-
ché de Pilate est venu jusqu'à notre siècle;
voilà dans tout leur naturel ces âmes lâches
et flottantes qui veulent tout ménager, tout
accorder, qui ont deux maîtres à servir, qui
voudraient concilier ensemble Dieu et le
monde, les intérêts du siècle avec ceux du
salut ; qui, mettant en comparaison le créateur
avec la créature, Jésus-Christ avec César, se
font à eux-mêmes cette question odieuse
que faisait Pilate au peuple juif: Lequel pré-
fererai-je des deux : Quem vultis vobis de
duobus dimitti (Matth. XXVII)? qui par un
doute de religion se demandent : Pour qui
semi-je de Barabbas ou de Jésus, de l'inno-
cence ou de la corruption ? attentat bien
oulrageant pour un Dieu 1 Mais hélas 1 vous
ne le dites pas longtemps, âmes doubles;
bientôt vous préférerez Barabbas à Jésus-
Christ , et quand même vous ne vous décla-
reriez pas sur-le-champ pour le premier, ne
devriez-vous pas comprendre que balancer
un seul moment sur les intérêts de votre
Dieu, c'e^t l'abandonner, c'est le juger, et
3ue le comparer, c'est le perdre? Et illi
ixerunt : Barabbam (Ibid.)
Mon Dieu! serais-je cette âme infortunée
qu'une lâche politique ferait agir si cruelle-
ment à votre égard ? Ah 1 que dès ce moment
Barabbas meure, que le péché sorte de mon
cœur, que le monde y périsse , que toutes
ses pernicieuses maximes y soient crucifiées ;
vous, ô mon Sauveur aimable, régnez-y, et
que tout en moi vous y adore, vous y aime,
vous y obéisse, vous y serve, que rien au
mondé ne vous y soit préféré.
Mais pendant^que je marche, je vois Jésus
qui avance dans ses humiliations; il passe
pour un insensé dans la cour d'Hérode : là,
cette sagesse incarnée devient, un spectacle
de dérision et un objet de folie, sans doute
pour accomplir la vérité de cet oracle : On
traitera d'insensé le juste. Ah ! que cette hu-
miliation est indigne de sa grandeur, mais
qu'elle est bien digne de devenir le châti-
ment de notre orgueil, et qu'il faut que la
plaie de notre raison soit bien profonde,
pu squ'ellé n'a pu être guérie que par la
folie apparente d'un Dieu! Hélas 1 a-t-elle un
autre sort chez les grands du monde? Là,
Jésus-Christ, avec ses mystères, sa grâce,
sa croix, son évangile, ses sacrements, avec
toute sa religion, n'est-il pas regardé comme
une folie, et cette sagesse si adorable, si
respectée des anges mêmes, n'est-elle pas
méconnue et rejetée de presque tous les
grands delà terre? Quam neino principum
hujus sœculicofjnovit. (1 Cor., IL) Faut-il s'en
étonner? Toujours agités des plus grandes
passions, quel intérêt pourraient avoir les
grands de reconnaître et de suivre une doc-
trine qui les condamne et qui leur est par-
tout si opposée: qui leur apprend que leur
mollesse est incompatible avec ses souf-
frances, qui leur inspire le mépris des ri-
chesses dont ils sont si avides, qui s'explique
si clairement sur le'néant de la gloire mon-
daine qui est leur centre, sur l'illusion
des plaisirs dont ils font toute leur félicité,
sur l'obligation de porter sa croix qui est
pour eux un scandale? On ne doit pas être
surpris que toute sa doctrine le fasse passer
dans leur esprit pour un insensé , que toutes
ses maximes y soient regardées comme des
illusions et des erreurs; que cette sagesse
suprême qui contredit des penchants que
l'on veut suivre, qui étouffe des désirs qui
flattent, qui dissipe des douces ténèbres que
l'on aime, qui combat des passions favorites,
qui réprouve des attachements agréables;
non, mes frères, eu égard au dérèglement
de leur cœur, à l'aveuglement de leur esprit,
au désordre de leur vie, il n'est pas surpre-
nant qu'une religion toute de sainteté , toute
de pénitence, toute de recueillement, leur
paraisse une folie; que comme Hérode ils
raillent et méprisent celui qui en est l'au-
teur : Sprevit illum Ilerodes (Luc, XXIII);
que pour le tourner en ridicule on lui mette
en main unroseauaulieude sceptre, qu'on le
livre impitoyablement aux insultes d'une po-
pulace mutine qui veut le crucifier : Crucifiga-
tur(Math.X.'Wll); touteelan'arien qui nous
étonne. Mais dites-moi, je vous prie, qui est ici
le plus terrible ou des grands, des riches du
inonde qui se moquent de Jésus-Christ, ou
de Jésus-Christ, qui' se joue lui-même de ces
aveugles mondains : il se tait et ne répond
rien à tous les outrages qn'on lui fait, à toutes
les fausses accusations qu'on avance contre
lui. Nihil respondit (Ibid.); c'est ainsi que
le pauvre se tait quand le riche l'offense ; le
Sauveur ne répond rien à ses juges iniques,
il ne leur parle ni par le secret de ses inspi-
rations , ni par la voix de ses prophètes, ni
par les remords de leur conscience ; tous les
oracles sont muets pour lui, rien ne parle en
lui, ni sa miséricorde, ni sa justice. Ah!
qu'un jour il leur parlera d'une manière
terrible, et que ce silence prononcera des
arrêts formidables contre tant d'injustices I
Nihil respondit.
3° Ce .n'est pas tout : comme le Sau-
veur était tout amour, il fallait que toute
sa personne ensemble fût abandonnée à
l'humiliation. Ici, mes frères, je crois
faire outrage à votre piété, la chose parle
d'elle-même, et pour vous attendrir sur
cet endroit de la passion de mon Sau-
veur, il n'a besoin que de vous être exposé
dans toute sa simplicité. Faut-il de l'art pour
exciter la douleur d'un fils au supplice de
son père? Déjà je vois ces mains toutes-puis-
santes qui soutiennent les colonnes du fir
marnent, et qui d'un peu de boue ont forint
l'univers, liées, garottées , et chargées do
chaînes, sans cloute pour expier tant de cri-
minelles libertés, tant de rapines et de vols
dont chaque jour nous nous rendons cou-
pables ; déjà , sans permettre aux anges
de venger un si noir attentat, le Sauveur a
1073
ORATEURS SACRES. LE P. SERiAN.
1030
permis que celte face devant qui marchent la
vie et la mort ait été llétrie d'un soufflet ,
non-seulement pour payer la peine des soins
criminels que vous prenez à tlatter la vôtre
et à entretenir une vaine beauté que vous
idolâtrez, mais pour nous inspirer cette pa-
t'enee et cette fermeté dans une occasion à
laquelle les plus grands cœurs succombent ;
Jésus-Christ permet qu'on le livre à une hon-
teuse flagellation, et voici peut-être de tous
les traits celui qui le pénètre davantage.
Hélas 1 si votre cœur peut soutenir ce spec-
tacle, suivez-le jusqu'au prétoire, et là vous
verrez qu'on le dépouille, mais je parle à
des âmes pures qui sont effrayées de cette
barbarie ; et après l'avoir attaché à un poteau,
une troupe de soldats déchargent sur son
corps adorable tout l'effort de leur inhuma-
nité; mille coups redoublés font voler sa
chair par lambeaux , lui seul se livre sans
résistance au bras qui voudra le frapper,
loin de se plaindre de leur rage il se prèle
à leur impatience, et s'il jette quelques re-
gards sur ses bourreaux, c'est moins pour
amollir leur dureté que pour exercer sa
miséricorde : sans doute pour apprendre à
respecter les ordres et les dess'eins de la
divine Providence jusque dans l'injustice,
et à ne jamais songer à nous venger des
outrages que nous font les méchants; déjà
ce n'est plus tout autour de lui qu'.un amas
confus de chair et de sang, et on voit tous
ses os si découverts, qu'on les compte, et
en lui s'accomplit, à la lettre, cet oracle
d'Isaïe : depuis les pieds jusqu'à la têtej,
son corps n'est qu'une plaie et une meur-
trissure.
Je ne suis que cendre, ô mon Dieul mais,
si j'osais, je vous demanderais pourquoi vous
épargnez plutôt ces barbares qui osent trai-
ter si ignominieusement votre corps adora-
ble, que vous ne fîtes ce téméraire qui fut
frappé de mort pour avoir osé seulement
toucher l'arche sainte. N'y a-t-il donc plus de
foudres dans le ciel, et le tonnerre ne peut-
il rien entre vos mains? Mais hélas! je suis
aveugle ; je ne songe pas que demander à
Jésus-Christ la perte de ceux qui le flagel-
lent, c'est demander notre commune perdi-
tion ; mais on ne le défigure de Ja sorte que
pour mieux insulter à cette royauté du Sau-
veur; il dit lui-même n'être point de ce
monde. Les soldats lui enfoncent dans la
tête une couronne d'épines, le revêtent par
dérision d'une robe blanche, lui mettent à
la main un roseau pour sceptre, et, fléchis-
sant un genou en terre par raillerie, l'ap-
pellent le roi des Juifs : Ave, rex Judœorum.
(Joan., XIX.)
Allez donc après cela, cœurs fiers, orgueil-
leux ; plaignez-vous encore par un tel exem-
ple qu'on ne vous rend pas les honneurs et la
déférence qu'on doit à votre rang, à votre
naissance, à vos dignités. Vers de terre, quoi 1
un Dieu souffre sans murmurer, avec pa-
tience, la plus honteuse dégradation, le trai-
tement le plus cruel, le plus odieux, et vous
pèserez à la rigueur les injures, vous en
demanderez raison et tirerez de la moindre
offense, de l'insulte la plus légère, la ven-
geance la plus rigoureuse et la [dus criante !
Y pensez-vous , aveugles que vous êtes?
songez-vous que vous étiez ses bourreaux
par vos crimes, que vous le couronniez vous-
mêmes d'épines, que vous composiez cette
troupe séditieuse qui l'accablait de coups,
que vous le frappez encore tous les jours
par vos péchés, et que, lorsqu'il viendra
juger l'univers, au lieu de cet appareil
ironique de roi, il aura pour vêtement la
foudre, et pour sceptre une épée flamboyante?
Vous sentirez si son empire est un jeu, et sa
royauté une fable. Encore une fois y pensez-
vous? Tant d'humiliations suffisaient pour
notre salut; mais ce n'était pas assez pour
sa tendresse : par un dernier effort de cruauté,
ses juges inventent un dernier genre d'op-
probres, qui est de les réunir tous à la fois,
pour lui en faire aux yeux de ses ennemis
un nouveau sujet de confusion. Ainsi fla-
gellé, meurtri, couronné d'épines, tout en-
sanglanté, tout tremblant, tout défiguré, pa-
raissant même à Pilate un objet de pitié;
croyant qu'ils ne pourraient le voir sans en
être attendris et touchés, il le leur présente
en disant : Regardez, voilà l'homme : Ecce
homo(Joan., XIX.); puisque mes raisons sur
son innocence n'ont pu vous engager à l'ab-
soudre et à le renvoyer, voyez du moins à
quel état il est réduit; le reconnaissez--. ous?
voilà l'homme: Ecce homo. Ces paroles lui
furent suggérées d'en haut, et c'est moins
Pilate que le Père éternel qui, nous donnant
son fils en spectacle, nous dit à tous : Voilà
l'homme qui depuis la création du monde a
été attendu dans les patriarches, prédit dans
les prophètes, figuré et sacrifié dans les vœux
et dans les soupirs des justes : Ecce homo ;
égal h moi en toutes choses, il pouvait jouir
dans le ciel d'une glo;re immortelle et ré-
gner à jamais sur le trône de ma splendeur
et de ma divinité ; c'est pour vos péchés qu'il
en est descendu, qu'il s'est'anéanti ; voyez
son triste sort et où votre orgueil l'a réduit :
voilà l'homme : Ecce homo. Quand je vous le
représenterai dans ma colère, quelle excuse
aurez-vous à me donner? Direz-vous que
vous n'aviez point d'homme qui pût vous
servir de chef et de modèle ? le voilà : Ecce
homo.
Ah ! regardez ce Dieu si défiguré et si pa-
tient; lui seul répond à toutes les plaintes
que vous pourriez faire, à toutes les vaines
excuses que vous pourriez apporter : Ecce
homo. Tous vos cœurs sont émus, et vous
dites: La calomnie me déchire, la médisance
me noircit; la persécution me presse, l'im-
posture me décrie. Ah ! dans cette triste si -
tuation cherchez-vous de la patience, de la
force et de la consolation? Jetez les yeux
sur l'état déplorable où est réduit votre
Sauveur: Ecce homo. Voilà l'homme univer-
sel, dans qui sont renfermés tous les autres :
leur rachat, leur grâce, leur salut, leur
gloire, tous les chrétiens, tous les pécheurs,
tous les pénitents, tous les prédestinés, tous
les justes, tous les hommes : le voilà, regar-
dez-le : Ecce homo.
iOSl
CAREME. — SERMON XXVIII, DE LA PASSION DE J.-C.
1082
O pécheur^ ! on vous a parlé si souvent «Je
ce père tén.lre qui reçut avec joie ce fils
perfide et dénaturé, lorsqu'il revint de son
égarement se jeter entre ses bras ; de ce
pasteur charitable qui court après la brebis
égarée, qu'il aime, qu'il charge sur ses
épaules pour la ramener au bercail, et qui
est tout prêt de donner sa vie pour elle; de
cet ami fidèle qui compatit aux maux de son
ami et veut tout sacrifier pour l'amour de
lui ; que sais-je? Peut-être en ce moment vous
sentez-vous au fond du cœur frappés d'un
attrait qui vous appelle, qui vous touche,
qui vous fait. faire de salutaires réflexions,
qui peut-être vousattendritsur vous-mêmes?
Vous vous trouvez émus ; vous ne savez d'où
peuvent venir ces mouvements favorables
de miséricorde et de salut. Ah! voulez -vous
l'apprendre? En voilà la source et le prin-
cipe : Ecce homo. Regardez Jésus, contem-
plez-le, adorez-le; que de choses tendres
vous diront ses regards : Ecce homo.
Mais quelle est donc la cause pour laquelle
on vous a mis en ce triste état, divin Jésus ?
La voici. On a pris l'innocent pour le cou-
pable; c'est moi qui suis le criminel : Ecce
homo; venez donc sur moi, confusion sainte:
juges iniques, condamnez-moi : soldats bar-
bares, déchargez sur moi cette rage et vos
coups : Ecce homo; voilà mes mains, enchaî-
nez-les ; voilà mes joues, frappez-les ; voilà
mon visage, couvrez-le de plaies et de cra-
chats ; voilà ma chair, déchirez-la ; voilà mon
sang, versez-le : Ecce homo; mais épargnez
Je Sauveur Jésus. Je suis ici tout ce qu'on
l'accuse d'être; il subit la peine des séduc-
teurs : eh ! combien ai-je séduit d'âmes inno-
centes contre lui ! Il souffre le tourment des
homicides : hélas ! combien de fois ai-je fat
mourir mon Dieu par mes crimes 1 II endure
le châtiment des blasphémateurs : quo d'im-
précations et de blasphèmes n'ai-je pas com-
mis ou fait commettre contre son nom ! Ah !
bourreaux impitoyables et cruels, transpor-
tez sur moi l'excès des maux qui accablent
mon divin Maître; vous trouverez toujours
sur moi à exécuter avec justice ce que vous
exécutez sur lui si injustement; mais, outre
la honte dont il est couvert, il souffre encore
la croix : Sustinuit crucem; c'est le dernier
point de ce discours , pour lequel j'ai besoin
d'un moment de repos.
TROISIÈME POINT.
Ici, chrétiens, c'est un avantage pour moi
de m'être trop étendu sur les autres cir-
constances de la passion de mon Sauveur,
qui ont emporté la meilleure partie de mon
temps, et d'être obligé de passer plus légè-
rement sur des endroits que je n'aurais pas
la force de vous exposer, ni vous peut-être
celle de les entendre. Ce qui me reste de la
Passion me paraît un profond abîme dont le
seul aspect m'interdit, où l'on ne peut entrer
sans se perdre dans ses idées, et inutilement
voudrions- nous l'approfondir! Parlons-en
donc simplement comme les évangélistes en
ont parlé, et c'en est assez pour nous faire
fondre en larmes.
Déjà Pilate prononce l'an êl de mort contre
Jésus et le livre entre les mains barbares
toutes prêtes pour le supplice : c'est moins ce
juge inique, pat Jâcheté, que Jésus-Christ,
par un excès d'amour, qui prononce sa sen-
tence; et ce qui n'est dans Pilate qu'un hor-
rible attentat, n'est en Jésus qu'une charité
consommée. Ali ! pour vous suivre, ô mon
Dieu ! donnez-moi donc un cœur sensi-
ble.
On épargne d'ordinaire aux criminels la
vue du supplice fatal qui doit les faire mou-
rir; mais à l'égard de Jésus-Christ on com-
mence par lui en faire porter le honteux
instrument; voyez-le comme s'il le recevait
de la main même de Dieu : il prend sa croix
et avec elle tous vos péchés, tous les miens,
tous les crimes ensemble; faut-il être surpris
qu'il succombe ? Ah 1 que ce double fardeau
était accaolant : après une marche longue et
pénible, épuisé de sang et de secours, enfin
Jésus arrive entre deux voleurs à ce Cal-
vaire si précieux, tant désiré, dont il avait
si souvent parié aux hommes , dont plus
souvent encore il parlait à Dieu, et qui fut
l'unique objet de ses pensées et de ses dé-
sirs; à peine y est-il arrivé qu'on le dé-
pouille, et, en arrachant rudement sa robe
ensanglantée de dessus sa chair toute dé-
chirée, ou lui enlève de reste de la peau, et
on ne fait qu'une plaie de toutes ses plaies
ensemble: lui-même s'étend sur la croix
comme une victime : on l'y attache. Hélas!
il n'était pas nécessaire : son amour l'y atta-
chait assez; et lorsqu'on a vu ce prodige si
haut, si profond, si au-dessus de toute idée,
de toute imagination, de tout sentiment, de
tout prodige, on élève la croix avec un Dieu
mourant! quelle perte!
Ah! jouissez donc de votre triomphe,
malheureux pécheurs ; reconnaissez-vous là
votre ouvrage? Jésus -Christ soufl're-t-il
assez? son sang coule-t-il au gré de vos dé-
sirs? sa mort est-elle certaine? Venez l'as-
surer mieux : cherchez des plaies nouvelles
pour le faire souffrir davantage, et achevant
l'attentat monstrueux de ses bourreaux ,
consommez aussi votre perte.
Non, venez tous, justes, pénitents, pé-
cheurs : Venue, adoremus [Psal. XC1V); re-
connaissons sur la croix notre créateur, notre
juge, notre père, notre sauveur, notre Dieu;
adorons-le avec amour; prosternons-nous à
ses pieds avec humilité et avec confiance; et
pouvait-il se mettre dans un état plus digne
de nos hommages? £7 p'rocidamusanle Demn.
(Ibid.) Accablés du poids de nos péchés et de
la douleur amère de voir mourir noire Dieu,
humilions-nous'et nous anéantissons en sa
présence : Plorcmus (Ibid.) A la vue de Jésus
en croix fondons en larmes ; excitons-nous
à pleurer amèrement; reprochons-nous nos
infidélités passées, et puisque nos misères sont
communes, que nos larmes le soient aussi:
Ante Dominum (Ibid.); nous avons si souvent
pleuré devant les hommes sur des objets qui
eu valaient si peu la peine: ah t pleurons
devant le Seigneur ! Y eut-il jamais rien de
plus grande conséquence pour nous? Q-i
3085
ORATLIRS SACRES. LE P. SURIAN.
1084
fccitnos. [Psaî. XCIV.) Ah 1 que les pleursqui
naîtront de ce tendre objet couleront d'une
source pure ! c'est pour celui qui nousafaits
ce que nous sommes, sans qui nous serions
en.;ore dans l'horreur du néant : Quia ipse
Dominas Deus nos ter . (Ibid.) Celui qui nous
demande cette tristesse et ces pleurs, c'e: t
notre Seigneur tout-puissant, tout libéral,
tout magnifique, c'est notre Dieu, et c'est là
surtout où il est un Dieu d'amour, d-e salut,
de miséricorde, de consolation : Ipse est Do-
minus Deus noster. Dans tout le reste de sa
vie, il nous avait paru un Dieu, étranger :
le Dieu du ciel qu'il a créé, le Dieu de la
terre qu'il éclaire, le Dieu des autres hom-
mes qu'il anime ; mais ici sur cette croix il
paraît être notre Dieu : Deus noster. Oui,
votre Dieu, âmes pénitentes, âmes iustes et
convertis ; c'est aussi le nôtre, pé. heurs, et
tous ensemble nous recueillons ici sa ten-
dresse, nous recevons ses grâces, nous nous
appliquons ses mérites; ici il est tout notre
Dieu : Deus noster. Ah! si du haut de cette
croix ce père tendre nous parle et nous fait
encore aujourd'hui entendre la voix le son
amour et de sa miséricorde, ne lui fermons
pas l'oraille de nos cœurs; laissons-nous-y
toucher et ne demeurons pas endurcis : I/o-
die si vocem ejus audieritis, nolite obdurare
corda vestra (loid.) ; mais que nous dit-il, ce
père de miséricorde? demande saint Augus-
tin : Pœnitentiam clamât ; ce qu'il nous en-
seigne dans cette chaire, ce qu'il nous or-
donne dans ce tribunal, c'est la pénitence
toute soûle ; il n'est là que pour nous l'inspi-
rer, que pour nous la faire pratiquer. Devenu
sur la croix le martyr public, et Jésus-ChrL-t
grand pénitent de l'Eglise, il a voulu nous
donner l'exemple, afin que nous le suivions :
Ad dandam pœnitentiam. (Act. V.) Au jardin
des Oliviers, il avait opposé la tristesse à nos
folles joies; à Jérusalem, il avait opposé la
honte et la confusion aux vanités et à l'or-
gueil : et sur le Calvaire il oppose à la mol-
lesse et à la sensualité de la chair les austé-
rités et les mortifications d'une pénitence
aussi extrême qu'elle est universelle; car
voilà les deux grands caractères que le Sau-
ve, ir souTrant et expirant veut inspirer aux
hommes.
1° Une pénitence extrême. Faut-il, Mes-
sieurs, pour rendre une douleur excessive,
vous montrer une fureur extrême? Jetez les
yeux sur les barbares qui crucifient Jésus ;
quelles mains plus cruelles et plus impi-
toyables que celles de ces bourreaux? Fut-
il un supplice plus inouï et plus extraordi-
naire ? En est-il un plus affreux cl plus nou-
veau que celui de la croix où expire Jésus-
Christ? N'est-il pas le composé de tons les
autres tourments ensemble? Faut-il une cx-
tivme patien e dans celui qui souffre ? Quelle
complaisan e plus tendre que celle du Sau-
veur pour ses ennemis et ses juges; quelle
douceur plus propre a faire voir et à faire
sentir aux pécheurs Tes consolations de la
pénitence? Demande-t-on une âme libre,
appliquée', qui puisse se livrer sans partage,
sans réserve, sans délai à l'affliction cl à la
peine? Telle est celle ae Jésus-Christ, qui,
pouvant souffrir autant qu'il lui plaît, souffre
cependant sans mesure. Ah ! peut-on ne pas
dire excessive une douleur pareille? Fut-il
jamais peine si étendue? Quoi! un Dieu s'a-
bîme dans les souffrances, et vous ne vou-
driez pas faire sur votre chair la moindre
impression de pénitence? Eh! que fait donc
encore en vous cette fausse délicatesse? Est-
ce là vous rendre conformes au divin origi-
nal qui vous est proposé sur la montagne ?
Inspicc et fac secunaum exempta* qued in
monte monstratum est. (Exod., XXV.JQu'ont
de commun ces ménagements lâches que
vous affectez dans la pénitence avec ces
douleurs aiguës où se livre avec joie votre
Dieu? Sensuels comme vous êtes, de quel
front osez-vous vous présenter avec tant de
mollesse devant ce Jésus mourant dont vous
vous dites membres et disciples? Quand
tantôt vous viendrez l'adorer, aurez-vous la
force d'en approcher? Vos genoux tremblants
pourront-ils vous conduire jusqu'à ses pieds
ensanglantés, et ne rougirez-vous point do
voir imprimée votre bouche sur la sienne,
vos yeux sur les siens, votre cœur sur son
cœur? Quelle monstrueuse alliance! quelle
énorme contradiction est-ce là !
2' Pénitence universelle en Jésus-Christ
sur la croix; car que n'y immole-t-il jas?
En lui tout se change en victime; autre mar-
tyre, autre secret ue son amour. Là, pour
expier la licence de nos regards, ses yeux
fondent en larmes et se ferment de douleur;
là, pour faire oublier à Dieu les attraits
coupables que nous donnons aux discours
licencieux, ses oreilles sont blessées des
outrages injurieux, des blasphèmes horri-
bles de ses bourreaux impies, de cette in-
solente populace; là, pour expier tant d'ac-
tions indécentes, tant de rapines et d'injus-
tices, ses ma;ns sont, percées impitoyable-
ment et attachées avec violence; là,v pour
réparer tant de démarches seandaleusec ,
tant d'abus criminels, ses pieds, peut-être
échappés à la flagellation, retrouvent encoie
leur part au supplice; là, pour expier la dé-
licatesse de notre goût, le raffinement de
notre sensualité, sa bouche est abreuvée de
fiel et de vinaigre ; là, pour expier les mé-
nagements que nous apportons à une char,
les soins profanes que nous prenons de no-
tre corps, tout son corps ne se soutient plus
que par les clous, et souffre par cette sus-
pension (ruelle un déboitement de tous ses
os, qui le disloque et qui lui cause une
douleur universelle ; là enfin, le Sauveur est
un composé de toutes les peines et les dou-
leurs ensemble : Vir dolorum.([sa., LUI.)
Lorsque aujourd'hui , dans cet adorable
chef, chaque membre y trouve son supplice
et sa peine, n'y aurait-il que vous, mon
frère, qui n'y prendriez point de part?Est-ce
donc qu'il n'est pas votre chef et que vous
n'êtes pas ses membres? Par tant de douleurs
souffertes, un Dieu n'aurait-il pu faire en
vous que des voluptueux et des sensuels?
Mais, tandis que je déplore voire mollesse,
votre Sauveur est sur le point d'expirer; la
I0G5
CAREME. — SERMON XXV
pâleur déjà sur son visage , il élève sa tête
mourante pour rendre grâce à son Père et,
a,;rès avoir considéré toutes choses, il s'é-
crie : Tout est consommé : Consummatum est.
[Joan., XIX.) Dans cette grande parole, qu'il y
a à adorer etàcraindre! Il voulait nous dire
par là : Les promesses sont accomplies, les
oracles sont justifiés ; pas un point de la loi qui
ne soit ac. oinpli, consummatum est. Ici com-
mencentles mystères et finissent les figures ; à
ce momertles ombres sontdissipées, Ta vérité
paraît; il ne manque plus un Sauveur au
inonde. Je n'étais, pendant ma vie, que le
dernier de tous; mais à ma mort je deviens
le premier. Sur ce bois sacré finissent les
malheurs de la terre: du côté de Dieu, sa
colère; du côté des bommes leurs sacrilèges.
Tout est à son comble, mon amour, mes
travaux, ma mission, ma vie, votre salut :
consummatum est; et, après ces grandes pa-
roles, il baisse la tête; ce pasteur charitable
rend l'esprit, ce père tendre pousse le der-
nier soupir, ce divin Jésus expire : et incli-
nato capite tradidit spiritum. (Ibid.)
A ce triste spectacle le ciel s'obscurcit, la
terre tremble, les tombeaux s'ouvrent, les
rochers se fendent, le. soleil s'éclipse, les
moindres prodiges suivent le plus grand,
qui est la mort d'un Dieu. Hélas ! qu'à la
vue de ces mystères, de ces tristes objets,-
les soufTrances'vinssent à vous aujourd'hui,
que vous voulussiez monter sur ia croix
pour y mourir avec Jésus-Christ, ce serait
un miracle bien plus grand encore; ne se
fera-t-il jamais? Du haut de ce supplice ce
Père tendre vous le demande, et vous dit du
fond du cœur, comme autrefois à Moïse:
Ascende in montera etmorerc (Dent., XXXI"),
Montez comme moi sur la montagne et y
mourez.
O pécheurs, voyez l'état lamentable où
mon amour pour vous m'a réduit; mais,
toute triste que soit ma mort, elle me sera
chère si vous voulez mourir avec moi. Eli !
qui vous en empoche ? Ascende et morere in
monte. Quoi 1 mon amour m'attache pour
vous à ce supplice, et le vôtre [:our moi ne
voudra-t m'en détacher? Quoi ! vos péchés
m'ont fait monter sur le Calvaire, et votre
pénitence ne voudrait pas m'en faire des-
cendre ! Quoi, les membres se sépareront
impitoyablement de leur chef! Ahl ne me
faites pas cet outrage, montez avec moi, em-
brassez ma croix, c'est tout ce que vous <Jb-
mande mon sang; que mon supplice ne vous
fasse pas d'horreur, il a ses douceurs et ses
consolations, et bientôt vous comprendrez
qu'il vaut mieux mourir avec moi que de
vivre avec le monde : Ascende et morere. Je
le sais, il y a des moments où vous vous
êtes consacrés à la pénitence dans le dessein
de vous convertir; mais je n'ignore pas
aussi que ce n'étaient que de faibles saillies,
que de vaines résolutions, et que bientôt vos
passions vous en ont fait descendre ; montez-
y pour toujours et vous approchez de ma
croix pour consommer entre ses bras votre
conversion et votre sacrifice •. Ascende et mo-
rere.
III, DE LA PASSION DE J.-C. \m
Rendez-vous, mon frère, à des invitations
si touchantes et si fortes; un Dieu si misé-
ricordieux et si tendre mérite-t-il qu'on lui
résiste. Qu'attendez-vous à vous convertir?
Ah I le beau jour pour vous réconcilier avec
lui, où il réconcilie le monde entier avec
son Père ! Oh 1 le jour favorable pour lui
demander grâce, où coule de toutes parts
une source de miséricordes par ses plaies!
Le beau jour pour obtenir le pardon de ses
fautes, que celui de la passion de mon Sau-
veur, où Madeleine verse un torrent de
larmes, où les soldats sont convertis, où le
centenier frappe sa poitrine, où le premier
coupable devient la première conquête do
Jésus en croix, et au nom de tous les vrais
pénitents, prend possession du royaume de
Dieu et de sa grande miséricorde 1
Mes chers frères, ce fond de grâce et de
tendresse n'est point encore épuisé en Jésus-
Christ ; ce qu'il fit alors en faveur de ces
fameux coupables, il peut encore le faire en
votre faveur. Avec ses yeux éteints, ce visage
pâle, ce corps sanglant , il peut encore triom-
pher de la dureté de vos cœurs; ahl il
triomphe du mien. Sauveur aimable, Dieu
de miséricorde, recevez une âme infidèle qui
revient à vous dans toute la componction de
son cœur; depuis longtemps j'ai hésité, j'ai
balancé sur ma conversion , et le monde
l'emportait sur mes trop faibles projets;
mais aujourd'hui je cède enfin à tant d'a-
mour; non, je ne puis soutenir le poids
d'une charité si immense: j'étais si endurci
que tout le reste, jusqu'ici, m'avait parlé
d'une voix trop faible ; mais, ce que rien
n'a pu faire, la vue touchante d'un père
tendre, d'un Dieu mort pour moi, l'a fait; et,
quand du haut de cette croix, je vous vois
pencher cette tête sacrée { our me regarder
et m'attirer à vous, quand vous ouvrez ce
côté adorable pour me laisser voir vos sen-
timents les plus tendres, et me cacher dans
votre sein, quand vous étendez ces bras pa-
ternels pour me recevoir en grâce et en
amitié, pourrais-je refuser de me donner à
vous ?
Oui, mon Sauveur, voici la résolution que
je prends aujourd'hui au pied de votre
croix: je veux renoncer à toutes les vaines
joies, à toutes les pompes et à tous les
plaisirs; mes larmes et vos douleurs, ma pé-
nitence et votre croix, voilà ce qui va faire
mon unique occupation durant le peu de
jours qui me restent. C'en est fait, je choisis
la pénitence pour mon partage , j'y veux vi-
vre et mourir; faible comme je suis, je sens
toute la violence et les combats que ce nou-
veau genre de vie me livre; je sens ma chair
qui se révolte et la nature qui y répugne;
mais je ne les écoute pas, je prends votre
croix, je l'épouse. Eh! que ne dois-je pas
attendre lorsque je me trouve à la source de
vos miséricordes!
Apposez, ô mon Dieu, aux protestations
sincères et solennelles que je fais en ce jour,
d'être à vous toute ma vie, le sceau sacré de
votre grâce ;sije ne regardais que moi-même.,
je n'espérerais pas d'être exaucé; mais je
1087
ORATEURS SACRES. LE P. SU1UAN.
1038
vous oppose ici k vous-même: Jésus mon
Sauveur à Jésus mon juge, Jésus miséricor-
dieux à Jésus juste, Jésus crucifié à Jésus
irrité, accomplissez en moi cet oracle sorti
de votre bouche : Ego si exaltatus fuero a
terra omnia Iraham ad me ipsum (Jaan., XII) ;
du haut de votre croix attirez le ciel pour
l'ouvrir, l'enfer pour le fermer, le monde
entier pour le convertir. Ah! après avoir
attiré les justes, attirez les pécheurs: omnia
traham ad meipsum ; ah ! que tout vous parle
ici pour moi; au nom de ces douleurs si
vives, de ces soupirs si tendres, de ces san-
glots si profonds, de ces larmes si amères,
de ce sang qui, quoique versé par mes cri-
mes, coule encore pour les laver; au nom
de ce cœur si libéral et si affligé, au nom de
ces plaies adorables qui ont un langage si
touchant, au nom de cet amour inépuisable
que vous nous témoignez , rendez ferme et
inébranlable la pénitence que j'embrasse et
la bonne résolution que je fais d'être désor-
mais a vous seul; vous-même, sur votre
croix, me l'avez inspiré; consommez ici
votre ouvrage jusqu'à ce que ce crucifix, qui
aura fait mes délices pendant ma vie, puisse
faire ma consolation à la mort, et me mettre
en possession de votre gloire dans le ciel
pendant toute l'éternité. Amen.
SERMON XXIX.
DISPOSITIONS A LA COMMUNION.
L'cce Rex tuus venit libi. (Malltt., XXI.)
Voici voire Roi qui vient à vous.
Que ces troupes fidèles qui vont à Jéru-
salem'pour la solennité de Pâques, môléos
avec les disciples, fassent aujourd'hui à Jé-
sus-Christ une réception si pompeuse, je
n'en suis point surpris, Messieurs; rappe-
lant dans leur mémoire les bienfaits du Dieu
d'Israël, ils se diraient les uns aux autres,
en se le montrant : C'est donc là ce Messie, le
désiié des nations, que tant de soupirs, que
tant de larmes ont demandé; nous le voyons,
celui qui, dans le désert, nourrit nos pères
de la manne, qui lit sortir de la roche un
délicieux breuvage pour les désaltérer, qui
les rendit victorieux de leurs ennemis par
Sa vertu de l'arche sainte, qui vient nous
délivrer de la loi par le sacrifice de l'agneau ;
enfin le voilà celui qui est notre force, no-
tre asile, notre Père, notre Dieu; à lui seul
salut et gloire : Hosanna (Mo David. [Mat (kl
XXI.) Jésus n'entrait pourtant alors que
dans les mursde leur ville, et tout leur bon-
heur était de le voir et de le recevoir encore
dans la ressemblance du péché, et revêtu
de notre misérable nature.
Et vous, Messieurs, qui, par un privilège
inestimable, allez voir et recevoir, non. en
ligure, et dans votre ville, mais vous incor-
porer réellement Jésus-Christ devenu la vé-
rité de toutes ses figures, et rentré dans
tout l'éclat de son triomphe par son immor-
talité; sentez-vous tout votre bonheur, et
vous disposez-vous à recevoir ce Sauveur
aimable avec une préparation qui vous rende
digne de l'honneur qu'il vous fait? Ecce
Rex tuus venit tibi. Ecrions-nous donc au-
jourd'hui avec l'Eglise : Ahl voici un Dieu qui
vient intérieurement renouveler en nous,
par ses mystères, tout ce qu'il fit de plus
merveilleux pour les Israélites. Voici cette
manne toute céleste qui peut nous soutenir
dans toutes les faiblesses de notre vie; voici
ce breuvage délicieux qui désaltère l'âme
juste; voici cette arche vivante qui ren-
ferme le Saint des saints ; et ce Dieu des ar-
mées combat pour nous victorieusement, et
triomphe uc tous nos ennemis; voici l'a-
gneau sans tache sacrifié pour nous délivrer
du plus malheureux esclavage : Venit tibi ,
voici ce Roi des siècles les plus magnifi-
ques qui vient triompher de vos cœurs, et
qui vient régner dans vos âmes : Venit tibi;
le voici qui, oubliant sa gloire, comme s'il
ne pouvait être heureux sans nous, s'abaisse
jusqu'à notre faiblesse, et vient nous nour-
rir sur la terre comme il nourrit les anges
dans le ciel, de lui-même : Venit tibi; en-
fin le voici, ce Pasteur charitable qui vient
à nous plus qu'à tout autre, et qui , voyant
ses brebis les plus chères prêtes à périr,
leur procure les plus délicieux pâturages,
qui sont son corps, sa cha:r et sa propre sub-
stance : Ecce Rex tuus venit tibi.
Mais cette douce approche d'un Dieu
trouve-t-elle en vous des dispositions qui y
répondent, et comme les disciples fidèles
qui vont à Jésus-Christ qui vient à eux
avec tant de tendresse, avez-vous une foi
vive dans l'esprit, une pureté véritable dans
le cœur? Car voilà les dispositions avec les-
quelles il convient d'approcher de la sainte
table, et d'y recevoir dignement le Sauveur :
Mente credat, corde mundetar ut accedere
dignus sit.
Or, si je vous montre que rien n'est moins
commun, en approchant de la sainte table,
que cette disposition de foi vive dans l'es-
prit, de pureté véritable dans le cœur; et
qu'au contraire rien de plus ordinaire que
de porter à l'Eucharistie l'infidélité de l'es-
prit et la corruption du cœur-, ne tremble-
rez-vous pas d'être forcés d'avouer que jus-
qu'ici vous n'avez peut-être pas fait uno
seule bonne communion; et que, jusqu'au
pied des autels, vous n'avez été qu'un sa-
crilège et un profanateur? C'est sur quoi il
vous importe de vous éclaircir; et ce que je
tâcherai de faire après avoir imploré l'assis-
tance du ciel par l'intercession de Marie.
Ave Maria.
PREMIER POINT.
S'il est impossible, selon l'Apôtre, de
plaire à Dieu sans la foi, comment pourrait-
on le recevoir sans elle? Celui qui, par l'Eu-
charistie, veut s'approcher de Dieu, conti-
nue saint Paul, doit commencer par croire
qu'il y est; dans la suite on l'adore, on
l'aime, on goûte ses mystères; mais le pre-
mier pas est de l'y croire; la foi est le fonde-
ment sur lequel reposent les autres vertus
dans le sacrement de l'Eucharistie. Non,
n'écoutons point ici ce (pie les sens, toujours
1089
CAREME. — SERMON XXIX, DISPOSITIONS A LA COMMUNION.
ICO
trompeurs, nous en rapportent; une règle plus
infaillible doit préparer notre esprit. Jésus-
Christ a dit : Ceci est mon corps ; nous de-
vons le croire ainsi; iù était la force et la
lumière de Dieu, comment n'aurait-il pas
voulu faire ce qu'il a pu et pu ce qu'il a
voulu? N'était-il pas en état défaire ce qu'il
disait et de dire ce qu'il faisait ? Pourquoi
ne pas croire un Dieu sur ce mystère, nous
qui le croyons si fort sur tous les autres; et
lorsque nous en avons les mêmes preuves,
qui sont la toute-puissance et la honte infi-
nie? Avec cela, tout ne devient-il pas facile
à croire, quand nous croyons qu'il a pu et
voulu mourir sur une infâme croix pour
nous donner la vie? Quelle contradiction y
a-t-il , qu'il veuille nous nourrir de son
corps et de son sang dans le sacrement de
nos autels? Rapportons-nous-en donc à sa
parole et à son amour; sM opère en notre
faveur le prodige le plus inouï, c'est qu'il
le peut et qu'il le veut; et nô serions-nous
pas bien misérables de ne douter de ce mys-
tère plutôt que des autres, que parce que
le don qu'il nous y fait est [dus précieux et
(pie notre faiblesse y est plus consultée?
D'abord, je l'avoue, un chrétien qui, en
allant communier, se demande : Ai-je la foi?
se répond aussitôt en lui-môme : Je crois
fermement Jésus-Christ dans la sainte hos-
tie; et si les autres dispositions me man-
quent, j'ai du moins celle-ci, qui est la foi.
Vous avez la foi, Messieurs; mais queue
raisons me rendent suspecte votre réponse!
Quoi donc 1 si vous aviez la foi, faibles comme
vous êtes, n'auriez-vous pas quelques dé-
sirs de recourir à celte force divine? Ne se-
riez-vous pas soigneux d'ôter de votre âme
tout ce qui blesse la délicatesse de ce Dieu
saint, pour y substituer tout re qui | eut lui
plaire et l'obliger à y faire sa demeure? Vous
avez la foi ; mais vous sentez-vous dans les
mêmes dispositions, en approchant de la
sainte table, que si vous voyiez Jésus-Christ
de vos propres yeux, comme l'ont vu dans les
différentes situations de sa vie mortelle tant
de bienheureux fidèles? Si, comme les pas-
leurs, vous le voyiez dans la (roche quand il
vii t au monde /quel respect, quel tendre
empressement n'auriez-vous pas pour lui?
Si, comme Siméon, vous aviez le bonheur
de le recevoir entre vos bras, quel dégoût
n'auriez-vous pas pour tout le reste! Si,
comme Madeleine, vous le voyiez à la table
du pharisien, quelles larmes," quelle peine
quels regrets de^l'avoir offensé ! Si, comme
le disciple bien-aimé, vous re[ osiez sur
sa poitrine, quelle tendre charité, quels
transports d'amour ne lui témoigneriez-vous
pas! Si, comme Marie, vous le contempliez
sur sa croix, quelle désolation, quelle tris-
tesse ne concevriez-vous pas à ce spectacle !
Si, comme à Moïse et à Elie, il vous apparais-
sait sur le Thabor, resplendissant de gloire ,
quel ravissement, quelle extase de consola-
tion et de joie ne feriez-vous pas paraître
aux pieds des autels, en approchant de la
table sacrée ! Vous demeurez froids, tièdes,
impénitents, insensibles; que juger de cette
conduite par laquelle, loin de foi mer votre
cœur à tout autre objet qu'à ce Dieu aima-
ble qui vient à vous, vous l'ouvrez h toutes
ces sollicitudes temporelles, à tous les faux
charmes de ce monde profane? Ou, comme
les Juifs, après un accueil favorable, vous allez
chercher à le faire honteusement mourir ; ou
du jour même de son triomphe, vous allez
faireleplandeson supplice; ou du commence-
ment de votre justification, vous allez faire
le terme de votre pénitence et de votre con-
version, le signal qui rappelle tous vos dé-
sordres : et, de toute cette conduite, ne clois-
je pas conclure que vous n'avez pas la foi
du sacrement, que voiïs n'êtes point con-
vaincu du mystère de la sainte Eucharistie,
que lorsque votre bouche parle votre fœnr
la dénie, et que pensant croire, vous ne
croyez point?
Vous avez la foi, mais, selon l'Apôtre,
l'Eucharistie est un jugement, et si vous
croyez que Jésus-Christ y est réellement, vous
devez donc <roirc aussi, en vous en appro-
chant, que votre juge vient à vous pour vous
juger : Judiciim sibimandncât. (1 Cor. XE)
Or, portez-vous à sa sainte Table la même
sainteté que vous voudriez porter à son tri-
bunal redoutable si vous étiez près d'y paraî-
tre? Avouezde, Messieurs, si vous croyiez
que Jésus-Christ fût descendu du ciel dans
une nuée éclatante, comme il fera un jour
pour juger le monde, coupable comme vous
êtes, quel eirroi vous saisirait! Et si quel-
qu'un vous annonçait de la part de Dieu que
ce dernier avènement si formidable s'appro-
che de vous, vous croiriez-vous en état d'y
paraître et de le soutenir? Eh ! bien, je vous
l'annonce ce jugement terrible, et comme
cet ange armé d'une trompette, je vous dis :
voici votre roi, votre juge qui vient à vous:
Ecce Rex puus venil titi, le voilà qui va
venir. Ces grandes solennités sont comme les
nues vénérables qui lé, portent. Sous les es-
pèces sensibles du pain et du vin sont ca-
chés des anathèmes et des foudres contre
l'indigne communia! t : Ecce Rex tuus venit
tibi; et malgré que vous en ayez, vous sen-
tez "bien au dedans de vous qu'il serait cruel
de paraître en l'état où vous êtes devant un
un juge si redoutable. Cependant ici je ne
vous vois nullement alarmés en approchant
de la sainte Table ; rien ne vous effraye, vous
y paraissez intrépides ; après cela vous nous
dites que vous avez la foi; si cela est, vous
êtes donc pire que les démons ? Ils croient
et tremblent: Dœmones credunt et contremi-
scunt (Jac, II) ; vous croyez et vous ne
tremblez pas!
Vous avez la foi ; mais pouvez-vous croire
sans -aimer, et ici si votre foi était sincèie,
n'enllaniiuerait-ellc pas tout votre cœur ?
Un chrétien qui croit Jésus-Christ dans l'Eu-
charistie n'est point tranquille qu'il ne se
soit vu à lui par la communion ; il y court
comme un cerf altéré à une fontaine d'eau
vive. Lorsqu'au pied des autels il se dit ten-
drement à lui-même : Là est ce corps adora-
ble qu'un Dieu a daigné prendre pour moi :
là est cette chair sacrée qui a tant souffert
«SI
ORATEURS SACRES. LE P. SUKIAN.
1092
pour mon salut; là est cette bouche toute
pure qui a tant proféré de paroles pour mon
instruction; là ces yeux si chastes qui ont
tant versé de larmes sur mes malheurs; là
ces-mains si charitables qui ont opéré tant
de miracles, qui sont encore prêtes à gué-
rir mes maux ; là ces [/laies si fécondes d'où
coulent tant de grâces pour ma conversion
et qui sont toujours ouvertes pour me rece-
voir à miséricorde; là ce cœur si bon, si pa-
tient, plus grand que le monde, que mes pé-
chés, il est avec cette tendresse, cette bonté,
cette charité, qui le rend si sensible, si com-
patissant aux peines, au malheur des plus
grands pécheurs; enfin, sous cette hostie si
vénérable est caché ce divin Sauveur par qui
mes chaînes ont été brisées, ma captivité ra-
chetée, ma réconciliation ménagée, mon im-
mortalité as; urée. Ah ! quand ce pécheur se
dit à lui-même tant de choses touchantes en
approchant de la sainte table, son cœur se
sent tellement embrasé d'amour et de recon-
naissance que les plus tendres passions, que
les plus fortes impatiences, que les désirs les
plus ardents, que les sentiments les plus vifs
ne se trouvent point encore assez tendres
pour exprimer les doux transports de joie
et de consolation que son amour produit
dans son âme.
Est-il donc croyable que vous l'ayez, cette
foi du sacrement de nos autels, lorsque vous
n'y apportez que langueur, que tristesse ,
que dégoût; que vous n'en approchez que
par bienséance, que par coutume, que par
contrainte, que parce que l'Eglise a joint au
commandement de communier au moins une
fois l'année des foudres et des anathèmes?
Est-ce là vous porter à la communion par la
foi, est-ce là croire que vous allez recevoir
Jésus-Christ votre Sauveur, votre Dieu et
votre tout? Oui, je l'avoue, Messieurs, cette
coniuite est un mystère aussi incompréhen-
sible pour moi que celui que nous traitons,
et j'aime mieux vous croire incrédules qu'en-
durcis.
Vous avez la foi ; mais quand vous allez à
la sainte Table, ne vous reste-t-il plus de
désirs, de vide pour le monde; quand vous
avez communié vous sentez-vous pleins,
contents, rassasiés; n'êtes-vous plus affamés
des choses de la terre? Celui-là ne désire
plus rien, di-, saint Grégoire, qui a reçu Jé-
sus-Christ par l'Euchari'stie, parce que lui
seul est toutes choses ensemble. Si vous
croyiez que ce divin Sauveur est dans le sa-
crement, après avoir communié iriez-vous
le chercher dans l'illusion des plaisirs, dans
les vices du déshonneur, dans le néant des
richesses; unDieu ne vous suffirait-il pas?
Avec un trésor si immense et des avantages
si au-dessus de vos faibless-es et de vos es-
pérances, ne vous regardez-vous point en-
core comme pauvres , comme indigents ; et
quand vous dites après la communion que
vous n'êtes point heureux, n'est-ce pas que
vous n'êtes point fidèles ?
Enfin vous avez la foi, dites-vous; mais
que peut servir la foi dans un cœur, si ce
n'est à lui faire aimer les vertus chrétien-
nes, si ce n'est à le porter à préparer la voie
au Seigneur qu'il veut recevoir par plus
d'humilité, par plus de modestie, par plus
de pénitence, par plus de retenue, par plus
d'austérités? La foi sert à donner à cette Pâque
toute divine une préparation toute sainte : à
vivre avec tempérance, avec justice, avec
piété dans l'attente de l'arrivée du Sau-
veur Jésus. Voilà à quoi l'on reconnaît la foi
clans un chrétien qui veut communier. Mais
vous, qui vous glorifiez de croire Jésus-
Christ présent dans la sainte Eucharistie,
quelle preuve sensible avez vous donnée de
votre foi en approchant de la sainte table?
En avez-vous été et allez-vous être, avant
de communier, plus modestes dans vos ha-
bits, [dus vigilants dans votre conduite, plus
réglés dans vos mœurs, plus modérés dans
vos plaisirs, plus actifs dans les œuvres
chrétennes, plus fervents dans vos mortifi-
cations ? Prêts à recevoir Jésus-Christ, je
vois dans vous, comme auparavant, une lan-
gueur, une inaction, une froideur, une oisi-
veté, \ine nonchalance universelle; vous
êtes comme cette idole qui était sans mains
devant l'autel, vous n'y apportez rien que
des adorations froides, des hommages vides,
des œuvres de pénitence vaines et superfi-
cielles; jamais vous ne portez à la sainte
table ces pratiques ferventes de religion qui
sont l'âme de la foi, sa nourriture, sa subs-
tance, sa vie.
Or, je vous le demande, Messieurs, qu'est-
ce donc qu'une foi que toute votre con-
duite dément? Qu'est-ce qu'une foi de
spéculation qui n'est au milieu de vous
qu'une idée, qu'un sentiment qui demeure
dans le fond de votre âme sans en sortir,
par les œuvres et par la pratique ; et que
peut, pour vous disposer, une foi de ce ca-
ractère ? En vous une telle créance de l'Eu-
charistie doit- elle être honorée du sacré
nom de foi ; est-elle un privilège qui vous
distingue de l'infidèle; ne vous confond-elle
pas avec nos frères malheureux qui rédui-
sent tout à l'apparence et à la spéculation,
sans en venir à la pratique et à la réalité? Et
si cet arbre maudit, qui ne porte aucun fruit,
cette foi de l'Eucharistie qui ne produit au-
cune vertu dans votre âme quand Jésus-
Christ y vient, par ses misères ne vous met-
elle pas sous la même malédiction et sous le
même anathème? Après cela venez nous dire
encore : J'ai la foi du sacrement; pour nous,
nous vous répondrons toujours qu'une telle
foi ne vous sert à rien pour la communion,
qu'au contraire elle vous nuit infiniment;
qu'avec cette foi morte, telle que vous l'a-
vez, vos malheurs en sont plus désespérés,
vos plaies plus incurables; qu'avec cette foi
vous serez jugés et condamnés comme servi-
teurs oisifs et inutiles, et un préjugé trop
certain que de plus en plus vous vous pré-
cipiterez dans un abîme plus profond. Ah!
pour vous préserver ou vous relever d'un
tel malheur, sequere quod credis , pratiquez
ce que vous croyez, agissez conformément
à votre créance, et vous pourrez dire alors
que vous avez la foi. Par exemple, veus
{033
CAREME. — SERMON XXIX, DISPOSITIONS A LA COMMUNION.
1094
croyez que Jésus-Christ, loin de se venger de
ses ennemis, les accable de biens ; que loin
de s'irriter de leurs outrages et de leurs in-
jures, il les bénit et prie son Père pour eux :
Sèqueve' quod credis : imitez ce que voué
croyez ; quand vous sentirez en vous un na-
turel bouillant et colère, sovez doux et mo-
déré ; et loin de cette délicatesse outrée qui
ne peut rien souffrir, rien laisser passer de
choquant, portez aux pieds d^es autels un
nv racle de douceur et de patience, et alors
vous aurez la foi : Et fides erit. Vous croyez
que dans ce mystère vous allez recevoir un
Dieu pauvre, dépouillé de tout, réduit sous
une petite hostie ; eh bien ! sequere quod
credis, loin de vous consacrer comme vous
faites à l'amour des biens et des richesses,
de vous livrer aux soins embarrassants et
inquiets de l'avarice, détachez-vous de tou-
tes ces affections terrestres à l'exemple de
Jésus-Christ, et, au milieu de l'abondance,
soyez au moins pauvres de cœur en appro-
chant de la table sacrée, et vous mettez au
nombre des pauvres évangéliques, et alors
vous aurez la foi : Et fides erit. Vous croyez
que Jésus-Christ, voilé sur nos autels, cache
ses grandeurs, sa gloire et toutes ses perfec-
tions divines, sequere quod credis. Imitez
son exemple, et au lieu de ces sentiments
d'orgueil et de vanité qu'il déteste, ne lais-
sez voir en recevant son corps humilié que
des sentiments d'humilité; ne vous prévalez
point de ce que la misère ou la fortune ont
pu vous donner plus qu'à d'autres, et alors
vous aurez la foi : Et fides erit. Vous croyez,
en vous approchant de ce sacrement, rece-
vor un Dieu de charité, un Dieu qui vous
comble de bienfaits, qui vous communique
tout ce qu'il a et tout ce qu'il est, sequere
quod credis. A son exemple, exercez la cha-
rité envers vos frères, ne mettez point de
bornes à vos dons, soulagez abondamment
les pauvres et donnez courageusement l'au-
mône à tous ceux qui sont dans le besoin,
et vous aurez la foi : Et fides erit. Enfin,
vous croyez que dans ce mystère, qui est
une représentation de ses souffrances et de
sa passion, Jésus-Christ y est sans nul usage
de sa force , de sa puissance, et qu'il est
comme mort et crucifié, sequere quod credis.
Eh bien 1 aux approches de ces jours solen-
nels où vous devez recevoir le divin Sau-
veur, faites-vous, à son exemple, aux appa-
rences de mort et de pénitence : mourez au
monde par la retraite, au péché par la péni-
tence, aux plaisirs par la douleur, aux folles
joies du siècle par les mortifications, à vous-
mêmes par un continuel martyre , qu'on
puisse dire : Cet homme qui va recevoir Jé-
sus-Christ n'est qu'une expression de sa
passion et de sa mort, qu'une représenta-
tion fidèle deJésus-Christ lui-même, et alors
vous aurez la foi, et une foi sincère, réelle,
et non point une hypocrisie et une impos-
ture, et fides erit.
C'était ainsi que les premiers chrétiens
effectuaient leur foi, qu'ils éprouvaient leur
créance ; loin d'avoir-une foi stérile et in-
fructueuse comme la vôtre, en approchant
de la sainte table ils iihpTiuia;ent en eux-
mêmes tout ce qu'ils recevaient, dit un Père
de l'Eglise : Idpatiebanlur qticd recîpiebanl ;
ils s'appliquaient tout le fond du mystère
auquel ils participaient, et, crainte de rece-
voir dans un cœur immortifié le mémorial de
l'immolation du Calvaire, ils gravaient dans
leurs âmes les traits de la passion du Sau-
veur, et ne recevaient rien par la commu-
nion qu'ils ne s'imprimassent par la péni-
tence : Id pa'icbantur quvdrecipiebqnt; là ils
vivaient de la vie de Jésus-Christ, se forti-
fiaient de toutes ses vertus intérieures, ca-
chées ; pauvres, humbles, chastes, anéantis
comme lui, ils prenaient ses afflictions, ses
sentiments, ses parbles, ses pensées, ses dé-
sirs, et se conformaient si parfaitement à
lui, qu'on auraitdit qu'ils ne faisaient qu'un
même corps, qu'une même Ame avec ce
divin Sauveur, qu'ils recevaient dans la com-
munion : lllos satiabant quos imitabantur ;
ils auraient cru que l'Eucharistie aui ait laissé
la faim dans le cœur, si, avec le corps ado-
rable de Jésus-Christ, ils n'y avaient fait
passer une imitation sainte de toutes ses
vertus. Ah! ils sentaient que ce pain sacré
les nourrissait à mesure qu'ils se confor-
maient à Jésus-Christ caché dans le saint
sacrement: lllos satiabant quos imitabantur ;
ils faisaient plus : dans ces assemblées, dans
ces voyages, dans ces entreprises où chaque
fidèle, prosterné par terre au pied des au-
tels, jurait de se dévouer à l'imitation des
vertus du Sauveur, ils ajoutaient encore à
cela le sceau de la communion, en sorte
que sans cela ils auraient été parjures et au-
raient cru faire un sacrilège, au lieu de re-
cevoir un sacrement.
A leur exemple, Messieurs, faites-vous
une obligation indispensable de joindre à vos
communions la pratique des vert us qui en sont
l'âme; dites avec le disciple bien-aimé : Ah 1
jusqu'ici je ne le connaissais pas ; au fond je ne
le croyais pas : Ego nesciebam eum (Joan., I) ;
mais aujourd'hui une lumière céleste et in-
visible me le découvre; je crois comme si je
le voyais, et ce n'est point d'une foi morte et
stérile, mais d'une foi vive et féconde, et ego
vidi (Ibid.) ; et je vais rendre témoignage par
ma pénitence qu'il est là présentdans le sacre-
ment que je vais recevoir, teslimonium perhi-
buiquia hic est F Mus Dei [Ibid.) ; témoignage
defoi confirmé par le sœuvres, par la pratique,
par l'imitation et par un amour aussi réel
que la préférence de mon Dieu, quia hic est
Filius Dei. Mais la pureté du cœur est une
grande disposition, aussi essentielle que la
foi de l'esprit; c'est ce que je dois vous mon-
trer dans la seconde partie de ce discours.
SECOND POINT.
Peut-on pensera ce qu'est la communion,
sans comprendre aussitôt quelle disposition
d'innocence et de pureté elle demande?
Mes frères, élevez ici vos pensées ; des yeux
de la foi, î ercez le voile ; allez jusque dans
le sanctuaire immortel pour y voir, au milieu
des anges qui l'adorent, Jésus Christ brillant
de gloire, qui fait la splendeur et les délices
i03o
ORATEURS SACRES. EE P. SL'RÎAN.
1S9G
des saints. Eh bien ! pé;heurs, communier,
c'est vous nourrir d'un objet aussi pur, c'est
vous unir avec lui, c'est ne faire qu'un môme
esprit, qu'un môme cœur, qu'une même
chair avec lui; c'est devenir, en quelque
sorte, Dieu môme. Oh ! quelle impression de
sainteté devrait faire sur vous cette pensée !
Si les anges se croient impurs à son seul
aspect, si Marie, qui ne se croit plus vierge,
se trouble quand le messager céleste lui an-
nonce que ce Dieu vient en elle et qu'elle va
lui prêter son sein, ne faudrait-il pas qu'une
âme qui va rerevoir Jésus-Christ dans son
cœur, l'incorporer à sa propre substance,
surpassât en pureté et les anges et res hom-
mes, qu'elle fût aussi pure, s'il se pouvait,
q.ue Dieu'môme? Oui, sans doute , la dispo-
sition la plus essentielle pour approcher di-
gnement du sacrement de nos autels serait
d'y. apporter l'innocence du baptême; mais,
ayant souillé une âme par le péché, que nous
reste-t-il, sinon de la purifier par les eaux
salutaires de la pénitence? Les choses sain-
tes ne sont que pour les saints, sancta san-
ctis. O vous qui allez dans ces grandes so-
lennités, approchez du sacrement de nos
autels, pr.éparez-vous-y surtout par une pu-
reté de cœur qui soit digne de l'action que
vous allez faire ; et voici à quels traits vous
devez reconnaître si vous l'avez, cette pu-
reté si nécessaire. J'en trouve trois princi-
paux: quitter le péché, combattre l'habitude,
expier les fautes. Ne perdez rien de ceci; il
s'agit de la gloire d'un Dieu et de votre
salut.
Je dis, 1° qu'un cœur pénitent qui veut
approcher de la table sacrée, doit quitter ses
désordres, et c'est le premier pas qui conduit
à la pureté du cœur si essentielle dans le
chrétien qui communie; la manne, en effet,
se change en poison dans un cœur corrompu.
Quand le prophète montre au peuple la loi
du Seigneur, il leur dit de lever en haut les
yeux et qu'au bas est attachée la mort et la
ruine de plusieurs, pour nous apprendre
qu'il faut rompre les attaches que nous avons
à la terre et au péché, quand nous voulons
recevoir notre Dieu. Je sais qu'il n'est pas
besoin d'avoir toute sa force pour aller au
banquet eucharistique, mais il faut du moins
vivre et pouvoir goûter ce que l'on mange.
N'est-ce pas ici la situation de votre eccur
dans la communion que vous allez faire, et
sur ce principe Jésus-Christ n'est-il point
établi sur nos autels plutôt pour votre perle
et votre ruine, que pour votre résurrection et
votre bonheur? Hélas ! laissez-vous derrière
vous toute votre corruption et tous vos (lé-
chés, quand vous allez à la table sacrée? Si
au dehors, comme les Juifs de notre évangile,
vous jetez par honneur vos habits sur le
chemin où il doit passer, ne conservez-vous
point au dedans le perfide dessein de le faire
mourir, comme eux, dans peu de jours : c'c.-t-
h- dire si la magnificence diminue, si vous
laissez, pour quelques jours, ces parures
immodestes, ce luxe scandaleux, si les aca-
démies publiques de-libertinage sont fermées,
si ces jeux cessent, si les spectacles finissent,
si les assemblées profanes diminuent, si nos
temples sont plus fréquentés, si aux pieds
du prêtre vos passions paraissent assoupies
par la gravité d'une action qui demande tant
de sainteté, et par l'absence des objets avec
qui vous avez fait trêve pour quelques jours,
ce cœur n'est-il point encore le même, ne con-
serve-t-il point encore les mêmes faiblesses,
les mêmes vices, les mêmes passions domi-
nantes, les mêmes attaches criminelles? Ah!
la racine de l'arbre subsiste encore quand
vous jetez les branches aux pieds du Sau-
veur: c'est ici la solennité de la fête et non
point le changement du cœur qui vous con-
duit à la table sacrée; en vous, peut-être, le
dehors est changé; les paroles, les démar-
ches, l'air, la conduite, tout cela paraît cou-
vert, mais le cœur demeure toujours le mê-
me, c'est-à-dire aussi mondain, aussi | orté
au vice, et aussi inconvertible qu'il élaitau-
paravant; votre cœur pénitent ressemble si
fort à votre cœur criminel qu'on peut les
prendre l'un pour l'autre: encore comme au-
paravant l'avarice le ronge, l'impureté le
corrompt, l'ambition le dévore; vous ne
pourrez apporter à la table sacrée ces mons-
tres de péchés dont vous rougissez, m?;s
vous laissez encore au cœur toute la dou-
ceur de ses penchants, toute l'injustice de ses
affections: au lieu de le changerde place et de
situation, il est encore tourné du mauvais
côté. Et si vous en doutez, interrogez-le, ce
cœur: ne vous insinue-t-il pas en secret que
malgré les soins que vous prenez de réfor-
mer vos mœurs, que malgré ce bel extérieur
que vous affectez, que malgré les violences
que vous semblez vous faire pour paraître plus
réguliers et plus dévots aux approches des
grandes fêtes, ces contraintes ne dureront
pas longtemps ? Ne se promet-il pas un ample
dédomagement de ces gênes et de ces courtes
violences par l'essort qu'il donnera bientôt à
ses désirs? Ne se rassure, ne se console-t-il
pas de ces tristesses, de ces mortifications
présentes, par l'espérance de reprendre dans
peu ses premières mondanités et ses ancien-
nes joies? Ne vous dit-il pas, pour vous ré-
soudre à quelques jours d'abstinence, de re-
traite et de privation, que bientôt recom-
menceront les spectacles, les plaisirs, les as-
semblées, et que vous retournerez aux mêmes
endroits où la passion vous souillera d'aller?
Ne prend-il pas soin, pour mieux vous endor-
mir, de vous représenter sous de belles cou-
leurs la noirceur du crime que nous vous or-
donnons de quitter, de couvrir du beau nom
d'amitié ces liaisons funestes , ces attaches
criminelles où l'on s'entretient sans scru-
pule des passions damhables, où l'on forme
des habitudes monstrueuses, où votre cœur
se conserve toujours dans le désordre, où
malgré ces beaux fantômes et ces prétextes
chimériques, votre conscjcnce est pleine de
remords et d'inquiétudes? c'est ce cœur qui
vous empêche de sortir content, des pieds du
prêtre qui vous enjoint de ne plus pécher,
et qui fait que vous ne goûtez pas cette tran-
quillité, celte paix bienheureuse de l'âme
pénitente qui a sincèrement brisé ses chai-
1097
CAREME. — SERMON XX 3X, DISPOSITIONS A LA COMMUNION.
iosa
nés, or, je vous le demande, est-ce là quitter
le péché ou le dissimuler, est-ce là renoncer
au crime ou le suspendre ? appelez-vous
cela mener aux pieds de Jésus-Christ vos
passions captives et mourantes pour lui en
faire un parfait sacrifice ? Ah 1 si les enfants
d'Aaron furent frappés de mort, pour avoir
osé porter un feu étranger sur l'autel , à
quelle punition ne devez-vous pas vous at-
tendre, vous qui osez vous nourrirde la chair
d'un Dieu et vous l'incorporer avec un cœur
impur ? et voilà ce qui consterne tous ceux
qni ont quelque zèle pour la gloire de Jésus-
Christ et pour votre salut.
Non, Messieurs, ne nous plaignons plus,
comme du temps de Malachie, que la table
du Seigneur soit abandonnée : aujourd'hui
les rangs y sont serrés, la foule s'y fait re-
marquer, la multitude vous pousse et vous
accable, jamais le pain eucharistique ne fut
plus distribué. Cela d'aboi\d console la sainte
Eglise et ses ministres; mais ensuite quelle
désolation, quand on vient à penser que
malgré ce grand nombre de communiants
qui fréquentent les autels, jamais le désor-
dre ne fut plus grand ni la corruption plus
générale. On ne peut ignorer ce qui se mon-
tre de toutes parts, le vice inonde toute la
face de la terre. Jamais l'on ne vit plus d'in-
fidélité dans les mariages, plus de division
dans les familles, plus de libertinage dans
la jeunesse, plus d'impureté dans la vieil-
lesse, plus de dérèglement dans les hommes,
Elus de licence dans les femmes, plus d'a-
us dans .la justice, plus\le fraudes dans le
commerce , plus de dissimulation à la cour,
plus d'illusion dans la pénitence, plus de
fierté dans les riches , plus de dureté dans
les grands , plus de mauvaise foi parmi lo
peuple. Aujourd'hui tous les états sont con-
fondus par le luxe, toute chair a corrompu
sa voie, tous les désirs sont déréglés, les
pensées criminelles, les cœurs brûlés par le
feu des passions, les haines sont éternelles,
les inimitiés furieuses, les médisances meur-
trières, l'orgueil dominant, l'avarice insatia-
ble ; tout le monde chrétien, s'il mérite encore
ce nom, n'est plus qu'une assemblée mons-
trueuse de victimes malheureuses livrées
au monde, au démon, à leurs passions, qui
se dévorent et se déchirent les unes les au-
tres ; qui ne s'accordent que pour offenser
Dieu, que pour affaiblir ses maximes et que
pour violer ses lois; que pour transgresser
ses préceptes, que pour abuser de ses grâ-
ces. Loin que la corruption diminue, le mal
empire, les mœurs des chrétiens s'affaiblis-
sent de jour en jour; on dirait qu'ils veulent
forcer le Seigneur à retirer son esprit de des-
sus la terre, et il semble que la pénitence
ne fasse plus en eux qu'une môme ruine.
Enfin, il n'y a plus de foi véritable , plus de
charité sincère, plus d'innocence, plus de
bonne foi, plus de probité, plus de candeur.
La seule chose qui reste dans les chrétiens,
c'est de communier peut-être une fois dans
l'année, et en approchant de la sainte table,
on apporte pour toute préparation une con-
fession faite à la hâte, sans douleur et sans
OaATEuns sacrés. L.
amendement, quelques résolutions qu'on ne
tient pas, quelques promesses frivoles qu'on
n'exécute point, des passions dont on s'ac-
cuse toujours et qu'on ne quitte jamais :
voilà ce qu'on appelle aller faire son bon
jour.
Ah! jour funeste, jour lamentable, digne
d'être mis au nombre des plus sinistres, jouf
plein de terreur qui va peut-être commen-
cer voire éternité malheureuse, et qui peut-
être sera le dernier jour de miséricorde et de
grâce pour vous ; voilà ce qu'on ose appeler
faire ses dévotions. Ajoutez donc, misérables
pécheurs, que ces dévotions sont tout le fruit
d'une détestable hypocrisie digne des fou-
dres du ciel et des supplices de l'enfer; car en
cet état du péché que vous ne quittez point,
et qui est si opposé à la pureté du sacrement,
n'appréhcnderez-vous point que plus vous
vous approcherez de Jésus-Christ, plus il ne
s'éloigne de vous, plus vous vous présen-
terez à sa table sacrée, plus il ne refuse d'en-
trer dans un cœur si peu préparé. Hélas I
vous y entrez, divin Sauveur, mais les lar-
mes aux yeux, les sanglots dans la bouche,
comme aujourd'hui dans la perfide, dans l'in?
fidèle, dans l'ingrate Jérusalem, et il est en~
core à craindre, pour tant de faux pénitents,
que votre corps et votre sang ne soient, comme
pour les Juifs , la mort des malheureux qui
le mangent et qui le boivent avec un cœur
si impur.
2° Pour avoir cette pureté de cœur que,
demande la sainte communion, il ne faut pasi
se contenter de quitter le péché, il faut com-l
battre les mauvaises habitudes du vice; lors-'
qu'on a été pécheur par faiblesse, il faut!
prompteraent courir au pain des forts, et c'estj
dans la communion qu'on trouve cette force. I
Mais si les habitudes des passions ont été
vives, invétérées; si de longs égarements
ont laissé dans le cœur une corruption qu'if
aime et qu'il chérit encore; si le pé' heur!
trouve encore agréables ses chaînes, qu'il ne
consente qu'avec répugnance à les rompre
et a s'en détacher, ah! loin de précipiter sa
communion, un pécheur doit quelque temps
s'éprouver; et, s'il sent que quelque habitude
soit encore dans sa force, qu'il s'éloigne jour
quelque temps du corps adorable de Jésus- -
Christ par des sentiments de res[ e< l, lui qui
a tout mérité d'en être séparé éternellement
par un sentiment de justice; qu'il donne
quelque temps d'épreuve pour laisser vider
son imagination encore toute remplie des
idées du crime, pour purifier son esprit en-
core tout souillé des images honteuses de la
passion, pour mortifier son corps tout amolli
par la sensualité, pour essayer de laver son
cœur, de l'éprouver, de fortifier ses bonnes
résolutions, et, en recevant le Saint des saint?,
pouvoir se rendre ce bienheureux témoi-
gnage qu'il n'est plus esclave du péché et
que ses'maux se guérissent ; qu'il ne lui faut
plus que de la force, et que cette force il va
la trouver dans la sainte Eucharistie. Ainsi
l'hémorrhoïsse de l'Evangile, n'osant toucher
la chair sacrée de Jésus-Christ, se contente de
toucher les bords de son vêtement, pour ap-
35
vm
ORATEURS SACRES. LE F. SUR1AN.
MO'»
prendre au pécheur qu n ne doit pas aspirer
tout d'un jouj) à toucher, à recevoir le corps
du Fils de Dieu, mai^ ses vêtements et sa
robe, c'est-à-dire lire les livres saints, mé-
diter ces sacrés mystères, jeter les yeux sur
les exemples, et se contenter quelque temps
ries miettes au lieu de se présenter tout d'un
coup à sa talde.
Ici, que vois-je encore, et quel nouvel
abus du pécheur se présente à mon zèle :
aires une vie toute déplorable, il est une
infinité de péi'hours qui, sans autre prépara-
tion qu'une déclaration froide et précipitée
des désordres les plus énormes et les plus
invétérés, courent aussitôt du tribunal sacré
à la table sainte, ne laissent aucun intervalle
entre la pénitence et la communion; lors-
qu'ils ne devraient pas seulement avoir la
hardiesse de regarder nos mystères, vien-
nent les recevoir; ne prennent, pour rece-
voir Jésus-Christ, que le moment auquel ils
le reçoivent; cherchent misérablement dans
l'Eucharistie ries grâces qu'ils ne trouveront
qu'après la véritable conversion; et iinpa-
t ents rie manger indignement ce qui doit
faire leur condamnation, la reçoivent et pé-
rissent.
Oui, profanateurs impies du plus saint rie
nos mystères, en vain il semble vous dire,
comme autrefois le Seigneur à son peuple
avant de manger l'Hostie sainte, purifiez
votre cœur, lavez-le de toute ordure, purifi-
cate corda ; purgez votre conscience, nettoyez-
la de toutes les taches qui la souillent, mun-
damini; rompez les attaches maudites qui
vous lient avec le monde, avec le péché;
brisez les chaînes fatales qui forment votre
habitude et vous retiennent dans le crime,
solve vincula; toutes ces voix, quelque pé-
nétrantes qu'elles soient, ne peuvent se faire
entendre. Avec un cœur encore tout fumant
du feu de vos passions, avec un esprit encore
tout sali des images du péché, vous venez
faire violence au corps adorable' du Sauveur
et usurper, par une communion sacrilège, ces
bienheureux avantages des âmes bien pré-
parées. Quoique l'Eglise vous avertisse que
le changement de vie est une disposition
nécessaire pour approcher dignement de Ja
sainte table; quoiqu'elle vous dise qu'il faut
laire du jour île votre conversion votre bon
jour, et du jour que vous changez de mœurs
le jour rie vos pâques, toujours impatients
et inquiets rie donner à Jésus-Christ la mort
dans vos âmes, vous nous répondez comme
ces Juifs'séditieux et perfides : Nos legem ha-
Oemus et secundum legem débet mori (Joan.,
XIX, 7); c'est la pratique ancienne, il y va
rie notre bien-séance rie communier comme
los autres; on nous a toujours dit qu'il faut
communieraux grandesjfètes,nous avonscou-
tume de le faire : Nos legem habemus. J'avoue
avec vous, Messieurs, que rien n'est plus
louable que cette sainte pratique, et il serait
àsouha ter que vous fussiez en état de com-
munier tous les jours. Quel bonheur, grand
Dieul pour la religion et pour les chrétiens!
mais, quand l'Eglise nous invite à la table
sacrée de son Epoux, ne suppose-t-elle pas,
ne vous ordonne-t-eile pas même à'y appor-
ter les dispositions requises dont la pureté
du cœur, dont la séparation de vos crimi-
nelles habitudes est la première et la plus
nécessaire? veut-elle dire par là que vous
mêliez le sacrilège avec le sacrement? L'in-
tention rie cette mère tendre, en vous faisant
ries lois rie communieraux grandes fêtes, est-
elle que vous le fassiez de quelque manière
que ce soit, et que votre indignité ne vous
en éloigne pas jusqu'à ce que vous y soyez
mieux préparés? veut-elle vous dire par là
que vous crucifiiez Jésus-Christ derechef?
que vous renouveliez dans votre âme toutes
ses plaies? que vous répandiez de nouveau
son sang, et que vous ne fassiez plus qu'un
attentat monstrueux d'un sacrement de grâce
et de miséricorde? Veulent-elles donc, ces
lois et ces invitations salutaires de l'Eglise,
que, plus infidèle que Judas, vous le trahis-
siez par un baiser perfide pour contenter
votre avarice? que, plus lâche quePilate,
vous le sacrifiiez à votre politique? que plus
sacrilèges que les Juifs, vous le fassiez mou-
rir, parce que c'est la fête? Veulent-elles
donc, ces bienséances, ces pratiques saintes,
que, plutôt que rie manquera communieraux
grandes fêtes, vous vous présentiez à l'au-
guste sacrement de nos autels, mais froide-
ment, sans goût, sans plaisir, sans attraits,
et que, délibérant, vous formiez le dessein
barbare de faire mourir votre Dieu par une
communion indigne : Et secundum legem
débet mori.
Ah 1 il mourra donc dans votre cœur indi-
gne et impur cet aimable Sauveur, mais avec
lui mourra sa miséricorde pour vous. Comme
le téméraire Oza, vous mourrez aux pieds
rie l'arche sainte; comme Judas, le démon
s'emparera rie votre corps, après que vous
aurez mangé la sainte hostie ; le pain sacré,
pour vous être trop hâté rie le manger, se
changera en aspic pour vous ; si, communiant
en cet état sans épreuves dans l'habitude du
péché, si, dis -je, Jésus-Christ ne sort pes
comme d'une fournaise ardente pour vous
dévorer, si sa mort n'est pas accompagnée
de mille signes, comme autrefois à la croix;
si vous ne voyez point autour de vous le
soleil s'éclipser, la terre trembler, les tom-
beaux s'ouvrir, les éléments se confondre,
toute la nature se remplir de prodiges ; ahl
mille autres prodiges plus terribles encore
se passent dans votre cœur, lorsque, par une
communion sacrilège vous donnez la mort
au rédempteur; les lumières de Dieu s'y
éclipsent, la foi s'y éteint, la conscience s'y
obscurcit, un nuage épais vient s'y répan-
dre ; tout se confond dans une âme qui de-
vient sacrilège, tout y marque l'abandon du
Seigneur : aveuglement, impiété, endurcis-
sement, gouffre affreux, profonds abîmes
où tout se perd ; je pourrais ramasser tous
ces malheurs dans une seule parole de l'A-
pôtre, quand il dit que celui qui communie
indignement mange sa propre condamna-
tion : Judicium sibi manducat et Ibibit.
(I Cor., XL) C'est-à-tlire que, comme le pain
que vous mangez se change en une subs-
« 101
CAREME. — SERMON XXIX, DISPOSITIONS A LA COMMUNION.
IÎ02
tance, si vous mangez le corps de Jésus-
Christ sans préparation, si vous le recevez
indignement, votre jugement que vous man-
gerez avec lui pénétrera toutes les facultés
de votre âme ; la mort que vous donnerez au
sauveur deviendra la vôtre, vous serez vous-
mêmes la mort éternelle, vous ne serez plus
qu'une môme chair avec votre condamna-
tion; vous serez nourris, abreuvés, rassa-
siés de la colère du Seigneur, vous ne serez
qu'un corps avec elle : Judicium sibi man-
ducat. Quel arrêt, grand Dieu, et qui, sans
sécher de frayeur, peut encore en soutenir
l'affreuse idée, si ce n'est l'âme malheureuse
sur qui il est déjà tombé en communiant in-
dignement : Judicium sibi manducat etbibit.
3° Enfin, pour avoir cette pureté de cœur
que demande la sainte Eucharistie, un chré-
tien ne doit point se borner à combattre
l'habitude du vice, il doit commencer à
l'expier.
Lorsqu'au temps des Machabées on déli-
béra sur ce qu'il fallait faire pour réparer
dignement les profanations qui avaient été
commises dans le temple du Seigneur, on
trouva plus salutaire le conseil qui voulait
qu'on ne se contentât pas de laver l'autel pro-
fané, mais qu'il fût entièrement détruit et
qu'on en mît à sa place un autre tout nouveau.
Votre cœur, Messieurs, est cet autel que
mille crimes ont souillé, que déjà peut-être
mille profanations ont déshonoré; c'est trop
peu d en laver les souillures, d'en ôter les
péchés, il faut en mettre un autre à sa place
et en bâtir un tout nouveau qui soit plus
pur, sur les ruines de l'ancien qui était
corrompu : Mdificavevunt altare novum. La
sainteté que demande le sacrement renferme
une nouveauté de vie, une nouveauté de
mœurs, une nouveauté de cœur; ce n'est point
assez que votre cœur soit libre et dégagé de
1 habitude, il faut qu'il soit pénitent et engagé
dans la vertu; c'est. là un devoir essentiel, et
la religion n'en connaît point de plus indis-
pensable.
O vous, qui allez vous présenter àla sainte
table, renfermez-vous dans votre cœur une
heureuse preuve de pénitence? sentez-vous
que les désirs célestes aient pris la place
des affections terrestres? avez-vous un cœur
nouveau? Avouez-le, hélas! si votre cœur
s'est rendu plus libre, il n'en est pas devenu
plus chrétien; s'il est revenu du vice, il n'en
a pas plus de penchant pour la vertu ; s'il
abandonne ses désordres, il no produit point
de bonnes œuvres ; s'il est dégoûté du crime,
il n'embrasse point la pénitence; vos passions
aux approches de l'Eucharistie ne vont ni à
Dieu ni au monde ; dans ce temps de solen-
nités votre cœur devient peut-être plus tran-
quille, mais il n'en devient pas plus fidèle ;
ces routes de la pénitence où il faut entrer
vous intimident et ne vous convertissent
point ; vous vous calmezpeut-être davantage,
mais vous ne vous sanctifiez point; peut-être
devenez-vous plus sages, mais sans devenir
plus fervents ; voilà Dourtant en quoi consiste
la pureté requise, «et un cœur moins pur est
indigne de manger la chair de l'Agneau sans
tache ; il faut qu'en vous le péché cesse,
qu'il meurt, ^ue ses affections soient étein-
tes, et qu'en sa place la charité, la pénitence,
naissent en vous.
Or, il faut, pour communier dignement
toutes ces dispositions ;• jugez-vous vous-
mêmes; ceci vous regarde tous, gens du
monde: qu'êtes-vous devant Dieu, et qu'il y
a ici de profanateurs, d'indignes commu-
nions; que de coupables du corps et du seng
du Seigneur, sous la ligure, sous le nom de
chrétiens; que de meurtriers de Jésus-Christ,
qui pendant la grande fête pensent à lui
donner le coup de la mort en le recevant in-
dignement! Dieu de miséricorde, rendez mes
craintes vaines ; mais, sur ces principes, qui
sont ceux qui reçoivent Jésus-Christ d'une
manière digne de° lui ? qu'il est à craindre
que ce grand auditoire ne soit qu'une assem-
blée de déicides, qui feraient horreur, s'ils
se faisaient voir tels qu'ils sont au fond du
cœur! Qu'il est. à craindre que Jésus-Christ
dans ce temple ne soit encore sur le Calvaire
au milieu de ses bourreaux ! Sur ces princi-
pes, que je tremble que toute votre vie ne
soit une suite de noirs attentats contre le
corps adorable de mon Sauveur ; que toute
votre religion n'ait été de le faire mourir au
moins une fois l'an ! Je frissonne quand j'y
pense et ne saurais en parler sans trouble et
sans confusion. Qui sait d'où viennent les
malheurs qui depuis tant d'années désolent
notre France? Dieu parait irrité contre son
peuple par tous les fléaux dont il le frappe,
et ce que je ne puis ici vous découvrir, mes
frères, Dieu le connaît et l'exécute. Peut-être
parmi tant d'âmes chrétiennes qui m'écou-
tent, s'en trouve-t-il une plus perfide que
les autres, qui seule, par ses abominations
et par ses communions indignes souvent
réitérées, attire comme Achab la malédiction
sur nous, la désolation sur sa famille et sur
tout le royaume ; elle ne le sait peut-être
pas ; mais qu'il esta craindre que de cette table
sacrée ne se soit élevé l'orage qui ravage la
terre et qui vous fait gémir sous le poids
de vos misères. Ce pain descendu du ciel,
disait c'est l'épée foudroyante qui ren-
verse toutes choses : Panis iste gladius est
omnia subvertêns ; ne puis-je pas dire de
même que cette communion du pécheur im-
pur s'est convertie en toutes les calamités
et en tous les fléaux qui affligent les hom-
mes : Panis iste gladius est omnia subvertêns.
Ah ! que chacun se dise donc ici : n'est-ce
point moi qui suis ce profanateur indigne :
Nunquid ego sum, Domine ? (Matth., XXVI.)
Trop de raisons, hélas! me le font craindre,
et je ne suis plus maître de mes frayeurs
quand je pense au peu de pureté que j'ap-
porte à la table sacrée de Jésus-Christ, à la
sainteté du sacrement de nos autels et au
peu de préparation que j'y apporte. Ah!
grand Dieu, si mon cœur ne se brise, s'il ne
se purifie par une vie plus sainte, si je ne
me rends plus digne de vous recevoir, non-
seulement en désertant le vice, mais en pra-
tiquant la vertu, arrachez-moi du nombre
des vivants et en m'enlevant à la terre dont
nos
ORATEURS SACRES. LE P. SURIAN.
1I0<
môme je ne suis pas digne, faites cesser ces
malheurs avec ces abominations, ces misè-
res avec ces iniquités ; ôtez à votre peuple
sa malédiction et sa ruine : Toile ruinam.
Mais je ne dois pas finir ce discours sans
prévenir une erreur qui jette les chrétiens
dans un autre abîme non moins déplorable
que celui-ci : il faut , dit-on, de si grandes
dispositions pour bien communier ; le plus
suret le meilleur est donc de ne point com-
munier.
Vaine ressource, raisonnement insensé :
il faut communier, Messieurs; cette obliga-
tion est aussi indispensable , aussi essen-
tielle, aussi étroite que celle de bien com-
munier. Jésus-Christ a dit : Communiez et
communiez utilement; ne point communier,
ce n'est point cesser de devenir coupable du
corps de Jésus-Christ , c'est se rendre digne
de ses châtiments et des foudres de l'Eglise;
et si, faute de s'approcher dignement de la
table sacrée, c'est changer le remède en poi-
son, quand aussi on ne s'en approche point
du tout, on tombe dans l'anathème et dans
l'abomination, et si l'un meurt en sacrilège,
l'autre meurt en réprouvé.
Ici, Messieurs, je m'aperçois que l'alter-
native vous alarme, et que vous paraissez
consternés; le précepte d'un côté, votre indi-
gnité de l'autre, vous jettent dans un trou-
ble si violent, que malgré vous il devient
sensible et paraît au dehors. Ah! calmez-
vous : en vous convertissant, c'est le seul
parti que vous ayez à prendre, et aujour-
d'hui, que vous êtes forcés de communier,
que le commandement presse, mettez-vous
en état de le bien faire; disposez-vous, par
une foi vive et une pureté chrétienne, à re-
cevoir un Dieu qui vient à vous ; rapprochez
vos mœurs de la sainteté de votre baptême,
réformez votre conduite sur la règle de l'E-
glise, consacrez-vous tout entier à Jésus-
Christ comme il se donne entièrement à
vous; soumettez votre esprit et purifiez votre
coeur ; en un mot, redevenez chrétiens, et
alors présentez-vous à la table sacrée. Qui
vous arrête encore : prenez et mangez, et celte
même Eucharistie , qui aura été reçue avec
les dispositions nécessaires, sera dans votre
Ame un germe de salut et de grâce sur la
terre et une semence de gloire et d'immor-
talité dans le ciel : Germen gratiœ, semen glo-
riœ. Je vous le souhaite de tout mon cœur,
au nom du Père, etc. Amen.
SERMON XXX.
Pour l'absoute de Pâques.
SUll LA RÉCONCILIATION DU PÉCHEUR AVEC DIEU.
Obsecramus pro Chrtsto reconciliamini Deo. fil Cor.
V.)
Nous vous en conjurons au nom ae [Jésus- Christ, récon-
ciliez-vous avec votre Dieu.
Ainsi parlaient les apôtres à leurs disci-
ples, pour les obliger à recevoir dans sa plé-
nitude la grâce de la réconciliation avec Dieu.
Ainsi viens-je vous conjurer de tout mon
cœur et de toutes mes forces à vous mettre
en état, mes chers frères, d'obtenir la rémis-
sion de vos péchés dont l'absolution solen-
nelle qui suivra ce discours, n'est qu'une
image et une préparation, obsecramus pro
Christo, etc.; eh 1 que de motifs pressants sol-
licitent,dans les pécheurs, une sincère péni-
tence. La sainteté de Dieu, sa justice, met-
tons-y sa miséricorde qui semble surtout
vous y appeler d'une voix plus forte que
toutes les autres perfections; Dieu, parce
qu'il est saint, pur, séparé de toute malice et
de toute imperfection, demande des cœurs
purs et innocents; et comment une âme
souillée peut-elle s'approcher de lui, si des
regrets amers ne la purifient; Dieu, parce
qu'il est juste, ne peut laisser le crime im-
puni, il faut en porter la peine en ce monde
ou en l'autre ; eh 1 comment donc espérer
d'en obtenir le pardon, si on ne l'efface au-
paravant par sa douleur et par ses larmes.
Dieu, parce qu'il est miséricordieux, doit
remettre aux pécheurs leurs offenses ; mais
quelle grâce en espérer si un vif repentir ne
l'implore, et voilà la raison qui faisait gémir
sans cesse le roi pénitent: J'ai offensé, se di-
sait-il à lui-même, un Dieu admirable dans sa
sainteté, un Dieu terrible dans sa justice, un
Dieu infini dans ses miséricordes.
Vous donc, pécheurs, qu'une mauvaise vie
rend, comme David, si opposés à la sainteté
de Dieu, si redevables à sajustice, si indignes
de sa bonté, et que peut-il vous adresser au-
jourd'hui de plus favorable que ces paroles
qu'il vous fait entendre par notre bouche fai-
tes pénitence, par elle vous vous rendrez
conformes à ma sainteté; par elle, vous dé-
sarmerez ma justice; par elle, vous pourrez
attirer sur vous ma miséricorde?
Entrons, Messieurs, dans ces trois grands
motifs que l'Eglise nous propose pour obte-
nir la rémission de nos péchés et pour ren-
dre notre pénitence parfaite. ' 1° Devant ce
Dieu saint, faisons cesser nos péchés. 2° De-
vant ce Dieu juste, expions nos péchés.
3* Devant ce Dieu miséricordieux, ne repre-
nons plus nos péchés. Suivons ces trois
considérations si conformes aux intentions
de l'Eglise, si propres au saint temps où
nous sommes et si convenables à la pieuse
cérémonie qui nous assemble.
PREMIÈRE PARTIE
Oui, Messieurs, notre âme, quelque im-
pure qu'elle soit , est toujours l'objet de la
miséricorde de notre Dieu; or, si ce Dieu
est saint et la sainteté même, notre âme,
pour s'approcher de lui, doit être sainte
comme lui: donc vous devez faire pénitence
et témoigner vos regrets d'avoir osé offen-
ser cette infinie sainteté devant qui la moin-
dre tache est une affreuse laideur. Aussi
fut-ce ce motif que Dieu employa autre-
fois pour porter à la pénitence les enfants
d'Israël; ou lavez-vous de vos in:cpiités et
purifiez vos âmes qui sont souillées, ou
n'approchez point de moi, parce que je suis
un Dieu saint et qu'il faut être saint comme
moi : Sancti estote, quia ego sanctus sum.
( Levit., XIX.) N'est-ce pas comme s'il nous
disait? Non, tant qu'une abstinence exacte
CAREME. — SERMON XXX, RECONCILIATION DU PECHEUR AVEC D!EU.
1106
qu'un jeûne austère et des
mortifications sensibles ne répareront point
la sensualité, la mollesse de votre vie, la
délicatesse de votre table , l'immortification
de votre chair et de vos sens, tant qu'une
aumône abondante, une restitution entière,
un désaveu public n'effaceront point en vous
cette insatiable cupidité, ces cruelles injus-
tices, ces noires médisances; non, tant que
des prières ferventes, des lectures salu-
taires, désoeuvrés de piété, ne rempliront
point ces journées toutes entières que vous
avez données à la dissipation du siècle, aux
assemblées profanes, à la paresse et à l'oisi-
veté; non tant que de sérieux retours sur
vous-mêmes, des actes réitérés de foi , d'es-
pérance et d'amour ne répareront point tant
de temps passé dans l'oubli de mes grâces,
dans l'indifférence à mes commandements,
et dans la négligence de mon culte ; tant que
l'amour saint n'effacera point de votre cœur
l'amour profane , tant qu'une vie crucifiée
et anéantie n'ôtera point de votre âme
l'impression funeste qu'y ont faite l'ambition
et la volupté; tant que vous ne tiendrez
point une conduite toute contraire à celle
qui dégradait en vous mon image et qui
scandalisait votre prochain , mon œil ne se
tournera point vers vous, nia pureté ne peut
souffrir vos souillures, vous êtes un pé-
cheur obstiné, et moi je suis la sainteté
même; commencez par vous purifier et vous
sanctifier avant de vous, présenter devant
moi, parce que je suis saint : Sancti estote,
quia ego sanctus sum.
Faites-vous, Messieurs, de cet ordre de
salut l'ordre de votre conduite? peut-on
dire que, par le respect que vous avez pour
la sainteté de Dieu, elle vous fasse entiè-
rement quitter le péché, qu'elle en arrête
le cours pour toujours, qu elle change votre
cœur, qu'elle vous change tout vous-mêmes
et que vous soyez tout autres dans votre vie
et dans vos mœurs? Hélas 1 que faites-vous
qui ne vous rende plus coupables à ses
yeux et qui ne tende à le déshonorer da-
vantage? mais au moins, si vous avez tant
fait que de cesser d'offenser un Dieu si
saint, sachez ici que vous n'avez plus be-
soin que de douleur et de regrets, et que
ce n'est pas assez d'avoir quitté le péché
pour lui plaire, il faut le détester par un vif
repentir . Nous ne sommes plus à nous ,
nous appartenons à la pénitence.
Hé! où est celui d'entre vous, Messieurs,
qui s'y livre à ces regrets et à cette
douleur? Demandez-vous icià vous-mêmes
quels plaisirs, quelles habitudes, quelles
liaisons, quels jeux, quelles pompes vous
avez sacrifiés au violement éternel de
cette sainteté toute divine? Elle veut que le
péché vous ayant tout corrompus , la péni-
tence vous purifie entièrement ; et où paraît-
il en vous qu'elle vous ait purifiés? Dans
votre esprit il est encore aussi superbe,
aussi curieux, aussi dissipé, aussi indo-
cile, aussi infidèle qu'il était. Est-ce dans
votre cœur ? Ah 1 il est aussi corrompu ,
aussi terrestre aussi mondain , aussi vo-
luptueux, aussi intéressé, aussi impudique,
aussi passionné qu'il était. Où paraît-il dans
votre corps? Ah ! il est encore aussi délicat,
aussi immortifié, aussi sensuel, aussi infâme,
aussi idolâtre qu'il était ; elle exigerait, cette
sainteté de Dieu, que ce corps misérable,
dont le démon prend la défense, lui devînt
une hostie universelle ; mais est-ce donc
une hostie digne de Dieu, que ce corps si
ménagé, si flatté, si idolâtré, pour lequel
vous avez un amour si lâche, de qui vous
prenez un soin si extrême , dont vous éloi-
gnez les plus légères peines, les moindres
mortifications; et où sont donc les coups
que vous lui portez pour l'immoler au Dieu
saint? où sont les violences que vous lui fai-
tes, les douceurs que lui refusez ? la péni-
tence'y fait-elle quelque plaie, quelque impres-
sion, et n'est-il pas plutôt votre idole qu'on
adore, qu'une victime qu'on fait mourir ?
Ah I puis-je donc m'écrier avec le pro-
phète Jérémie, invitant les cieuxà m'écou-
ter, et les anges à devenir inconsolables:
partout on a violé la sainteté de Dieu , tous
ont prophané son saint nom, souillé sa pu-
reté , et on n'en voit pas un seul qui fasse
pénitence de ses crimes : Nullus est qui
agut poenilenliam super peccato suo. (Jerem.,
VIII.) Ah 1 faites-la donc cette pénitence,
mes frères, et que nul ne s'en exempte, puis-
qu'on ne cesse d'être pécheur; embrassez-
la sans délai et sans aucune réserve; ne
vous contentez pas du dedans , quoique ce
soit l'essentiel; comprenez-y aussi votre
chair coupable , faites-lui entendre qu'un
Dieu si saint ne peut souffrir en vous les
moindres taches ; qu'il faut donc que la péni-
tence purifie les regards de cet œil qui doit
le voir un jour, les paroles de cette bouche
qui doit chanter avec les anges ses cantiques,
les pensées de cet esprit qui doit le contem-
pler, les désirs de ce cœur qui doit l'aimer,
en un mot tout vous-mêmes.
Les enfants de Juda, pour réparer la sain-
teté du temple de Dieu qu'ils avaient souillé,
pleurèrent prosternés la face contre terre,
jusqu'à ce que le temple fût renouvelé et les
autels purifiés : Planxerunt planclu magno et
imposuerunt cincrem super cetput suum
donec emundarent sancla. (II Meich. , IV.)
Et vous , pécheurs, pour rendre à votre
cœur, ce sanctuaire souillé, la sainteté qu'il
a perdue, abandonnez-vous à la tristesse et
aux gémissements, d'avoir osé le profaner
dans le temps que la sainteté de votre Dieu
y avait gravé son image ; brisez vos cœurs
par la douleur, affligez vos âmes par les re-
grets et le repentir : quel sujet plus propre
à vous humilier que la pensée de vos crimes l
Autrefois que votre vie innocente n'offrait
rien de contraire à la loi de Dieu et à sa sain-
teté, vous vous excusiez sur votre régula-
rité; pour vous dispenser de pénitence,
vous attendiez une vie plus perdue, plus
débordée. Là voilà trop tôt venue , cette vie
déplorable ; vous êtes tout corrompus, et, si
vous ne vous lavez dans les larmes de la
pénitence, vous ne serez jamais bien reçu*
de la sainteté de Dieu. Ah ! que ne la faites-
î!07
ORATEURS SACRES. LE P. SU MAX.
ItOS
vous donc, cette pénitence, puisque vous
avez fait le mal ? que ne prenez-vous au plus
vite le remède? Ecriez-vous avec le prophète
ïsaïe : Puisque nous avons offensé le Dieu
saint et que nous n'avons pas voulu nous puri-
fier pour paraître devant lui , ah l il s'en ven-
gera ; et pour avoir refusé rie le satisfaire
uans sa sainteté, nous le sanctifierons dans
sa justice : Deus sanctus sanctificabitur in ju-
stifia; et voici un second motif de faire pé-
nitence'': La justice de Dieu qui ne souffre
point de fautes impunies.
SECOND POINT.
Et certes, pour nous mieux convaincre de
quel secours nous doit être, pour embrasser
la pénitence, la vue seule de la justice de
Dieu, voyons-la dans ses droits. Ils deman-
dent, ces droits, que l'iniquité soit malheu-
reuse et punie, ou dans ce monde, ou dans
l'autre; ils veulent, ces droits, que , si le
pécheur ne fait point pénitence sur la terre,
il la fasse dans 1 enfer, et exigent de lui une
alternative ou de souffrir des peines et des ri-
gueurs pendant cette courte vie, ou d'en endu-
rer d'éternelles après la mort. Ils doivent le
porter à dire à Dieu comme David : Détour-
nez, Seigneur, votre justice de dessus moi :
Âvrrle iram tuam a me. Qu'elle change de
place ; qu'au lieu de me punir dans l'enfer
après ma mort , elle me punisse dans le
monde pendant ma vie; qu'elle tombe ici
sur ma chair criminelle , qu'elle la frappe,
qu'elle la mortifie, mais éloignez-la de mon
âme.: Averte iram tuam â me (Psal. LXXXIV) ;
faites passer la pénitence que je mérite de
l'enfer, où elle ne me sera plus méritoire,
dans mon cœur, où elle me sera salutaire :
Averte iram tuam a me.
Or ce principe supposé, quelle doit donc
être votre conduite? S'il est indubitable que
la justice fera en l'autre vie ce que la péni-
tence n'aura pas fait en celle-ci, n'est-il pas de
votre intérêt de l'embrasser sans délai, cette
pénitence, de vous y condamner pendant
tout le reste de vos jours, et y aurait-il de
la prudence et de la raison à vous de vous
reposer sur le bras de la divine justice, du
soin de vous punir, lorsqu'elle se repose
elle-même sur votre pénitence du soin de
vous punir par les vôtres ? Est-ce du bon sens
et de l'avantage du pécheur de vouloir atten-
dre à faire une cruelle pénitence, quand elle
sera vaine et affreuse, et de refuser de l'em-
brasser quand elle est encore possible et
salutaire, et ne pouvant ôter à Dieu les
droits de sa justice , qui seront exécutés à
la rigueur, n'est-ce pas être insensé de ne
pas vouloir travailler à la satisfaire pendant
qu'on en a le pouvoir et le temps ?
Cependant, qui est-ce qui travaille à cette
satisfaction salutaire ? parait-il rien dans tout
' ce que nous vous voyons de pécheurs qui
nous marque l'expiation de leurs péchés?
Hélas ! au lieu de travailler à expier ses
crimes pour satisfaire à la justice de Dieu,
ne travaille-t-on pas au contraire à l'insul-
ter, à accumuler ses dettes par des offenses
nouvelles, par des outrages plus grands? ou
bien si l'on fait quelques satisfactions, elles
sont si inutiles, si disproportionnées, si lé-
gères, qu'elles n'ôtent rien au démon de ses
droits, et qu'après vous être perdus par vos
péchés, vous vous damnez encore par votre
pénitence; car qu'est-ce que la pénitence?
C'est le supplément des châtiments .de l'é-
ternité ; c'est le tableau des peines de l'en-
fer, c'est l'assemblage de toutes les morti-
fications que vous- pouvez vous représenter
en cette vie : tout cela ressemble-t-il dans
celle que vous faites? Pensez-vous que, si
Dieu se vengeait de vos offenses, il ne vous
punirait que comme vous vous punissez ?
croyez-vous même qu'il ne vous demandât,
pour tant de crimes commis, qu'autant de ces
légères pénitences que le prêtre vous im-
pose, et qui souvent vous soulèvent si fort
contre lui ? Se contenterait-il de ce qui com-
pose ici -bas vos satisfactions ordinaires
que vous n'observez qu'en murmurant ,
et sur lesquelles vous posez tout l'édifice
de votre justification? Si c'était sa justice
qui prît soin de vous châtier, pensez-vous
qu'il se contentât de ces jeûnes si adoucis,
de ces prières si précipitées, de ces aumô-
nes si modiques, de ces afflictions si mal
reçues, de ces tribulations si mal souffertes,
de ces confessions si froides et. si resserrées,
qui ne sont que des copies et des ressem-
blances les unes' des autres ; de cette dou-
leur apparente, de ces regrets et de ces
repentirs qui sortent de la bouche et qui ne
vont jamais jusqu'au coeur, qui est leur vé-
ritable demeure; et en vérité la justice do
Dieu est-elle bien dédommagée par des pé-
nitences de cette nature? est-ce assez la
payer pour des satisfactions immenses que
vous lui devez ? Est là se conformer à son
poids , et mettez-vous dans sa balance si
peu de satisfactions avec tant de péchés? Ar-
bitres qu'il vous fait de sa cause , lui rendez-
vous toute la justice que vous lui devez?
Agréerait-il vos; expiations comme venant
de sa part ? On vous le dit et on le répète
encore: vos expiations doivent être unies
avec celles de Jésus-Christ; elles doivent
se conformer aux siennes. Or, pensez-vous
qu'elles puissent entrer en comparaison
avec celles d'un Dieu qui va mourir pour
vous dans un abîme de souffrances, de dou-
leurs et d'humiliations ? Montrez-nous donc
la conformité qui s'y trouve. Ecce homo ; le
voilà présent , celui qui a tant souffert pour
vos péchés ; considérez-le : par où lui ressem-
blez-vous? Ahl je ne suis point étonné do
voir là-dessus votre tristesse et votre abat-
tement; car, si, vous punissant si mal, vous
forcez Dieu à reprendre ses droits et à vous
punir lui-même : ah ! où en ôtes-vous ? je ne
puis y songer sans frémir jusqu'au fond de
l'âme.
Mais je vois ce que se disent vos cœurs im-
pénitents : Pourquoi nous tant parler que
Dieu est juste, n'est-il pas aussi miséricor-
dieux? J'en conviens; mais, avant de vous
former un vain asile contre la pénitence dans
la miséricorde de Dieu, vous verrez, si la
temps me le permet, qu'elle est un troisième.
1IC9
ME. — SERMON XXX, RECONCILIATIOxN DU PECHEUR AVEC DIEU.
à l'embrasser.
motif qui doit vous porter
TROISIÈME POINT.
Et en effet, c'est un Dieu si riche en misé-
ricorde, que rien ne peut y mettre de bor-
nes; il ne nous parle presque point qu'il ne
nous propose des grâces ; il ne nous voit
jamais dans la peine qu'il ne se fasse un
plaisir de nous en délivrer; il ne nous me-
nace point qu'il ne se fasse .vin engagement
de nous pardonner si nous revenons à lui
dans toute la sincérité de notre cœur; il nous
assure même par son prophète, qu'il n'y a
point d'abîme assez profond où il ne porte
son bras miséricordieux pour nous en retirer,
si nous faisons nos efforts pour en sortir;
il ajoute môme le serment que c'est à ce mo-
ment qu'il emploie ses grâces les plus sensi-
bles pour nous chercher, pour nous rappeler
à lui, pour nous convertir; peut-être qu'il
regarde favorablement les tendres agitations
de vos cœurs qui commencent à souffrir de
n'être point à lui et d'en être si éloignés ;
peut-être que déjà il assemble ses anges, et
qu'au premier signal de votre pénitence, il
veut se donner la consolation de tout oublier
et de ne vous plus imputer aucune de vos
infidélités passées.
A ces traits d'une miséricorde si touchante
votre cœur peut-il résister? tiendrez- vous
contre tant d'impatience, contre tant de mar-
ques d'amour, et ne vous sentirez-vous point
pressés de prendre la qualité déjuges con-
tre vous-mêmes, et de dire : Mon Dieu,
puisque vous êtes si miséricordieux, je veux
être sévère et rigoureux, je me sens animé à
punir un coupable qui a su offenser un Dieu
si saint, si juste, si bon, et ce cœur, qui n'a
pu se rendre aux frayeurs de votre justice,
cède enfin aux tendres sentiments de votre
bonté : Conrertimini ad Dominum Deutn ves-
trum, quia benignus et miscricours est. (Joël,
II.)
Ah ! écriez-vou£ donc avec amour à la vue
de ce Dieu de miséricorde : Oui, Seigneur,
je veux tout de bon me rendre à vos empres-
sements, je suis honteux d'avoir si longtemps
lassé votre patience, je ne veux obtenir le
pardon de mes fautes que par mes gémisse-
ments et mes larmes, je vais me mettre au
nombre des pénitents, puisque je l'ai été si
longtemps de celui des pécheurs; et puisque
vous voulez bien me faire grâce, que vous
accordez la rémission à mes péchés, je veux
vous offrir aussi un cœur contrit et humilié,
un esprit abattu et soumis, une chair réduite
et mortifiée.
Voilà, mes frères, ce que vous devez faire
en ces saints jours, et ne venez pas ici pour
vous faire spectacle de celte pieuse exhorta-
tion, mais convertissez- vous à Dieu dans l'a-
mertume de votre cœur et lui demandez avec
larmes la rémission de vos péchés.
Vous le savez que ce sont ici les précieux
restes de la discipline des premiers temps:
hélas 1 siècles d'or,qu'êtes-vous devenus !Au
commencement du carême les pénitents pu-
blics se présentaient à la porte de l'Eglise les
pieds nus, couverts de sacs et do cendres,
il lit
le visage tourné vers la terre ;là, prosternés
et abattus, ils recevaient du pénitencier la
peine proportionnée à leurs crimes, l'évêque
lui-même à la tête de son clergé; ils chan-
taient les psaumes de la pénitence pour im-
plorer la miséricorde du Seigneur, ils se
relevaient pour qu'on leur jetât de la cendre
sur la tête, qu'on les couvrît d'un rude cilice,
et poussant, de profonds soupirs, de cui-
sants regrets, ils se disaient que,comme Adam
ayant été chassé, du paradis terrestre par
leurs fpéchés, ils ne pouvaient espérer d'y
rentrer que par la pénitence. Souvenez-vous,
leur disait-on, que vous n'êtes que cendre,
et que vous retournerez en cendre ; tout le
peuple assistait à cette cérémonie, et ce n'é-
tait qu'après s'être présentés aux portes de
l'Eglise qu'ils entraient pour y recevoir de
la main de leur pasteur la rémission de leurs
péchés, et ensuite être admis, s'ils le méri-
taient, dans l'assemblée des fidèles.
Vous avez pris leurs places, mes frères ;
vous êtes ici ce qu'étaient ces fameux péni-
tents, et peut-être que, dans ce grand audi-
toire, il y a plusieurs de ces pécheurs décla-
rés scandaleux qui étaient autrefois sujets' à
la pénitence publique, et que, si vous eus-
siez été dans ces premiers temps, on vous
aurait vus former avec eux ce triste specta-
cle; entrez donc dans les mêmes sentiments
de pénitence où étaient ces infortunés pé-
cheurs que vous auriez dû, si l'Eglise ne
vous avait fait grâce, représenter vous-mêmes
encore aujourd'hui; suppléez par votre com-
ponction et vos larmes, par quelque légère
mortification, à cette pénitence si rigoureuse
e', si humiliante qu'ils étaient obligés de
soutenir pendant tout le carême, et à cette
cérémonie de l'Eglise primitive, apportez
une douleur des plus sincères.
Tous ensemble prosternés devant Jésus-
Christ, écrions-nous : O Dieu saint, créateur
et sauveur du monde, qui adoucissez les
lois de votre justice par l'abondance de vo-
tre amour, et qui ne voulez pas que les pé^
cheurs meurent, mais qu'ils se convertis-
sent et qu'ils vivent par la pénitence, nous
crions aujourd'hui vers vous ; que les lar-
mes do nos cœurs affligés vous touchent et
vous désarment! Tendez une main secourable
à des malheureux qui sont tombés par leur
faute; que les démons ne se réjouissent
plus de notre perle , qu'ils ne triomphent
plus de nos malheurs. Tous ici nous nous
humilions en votre présence, tous ici nous
vous offrons nos prières et nos larmes, la
douleur et la componction de nos cœurs;
pardonnez-nous nos offenses, guérissez nos
plaiits, prenez pitié de nos misères; nous
t rembl ions (et ce n'était pas sans sujet) à la vue
de notre Juge. Eh! que nous ayons la joie,
Père tendre, de nous vuir réunis au nombre
de vos enfants ; que nous ayons la conso-
lation, o pasteur charitable, de nous voir
réunis au nombre de vos brebis fidèles; re-
connaissez en nous votre ouvrage, rendez-
lui les traits qu'il défigurait, et que, par
le secours de votre grâce, nous rentrions
dans les premiers droits de notre adoption.
itil
OKATELHS SACHES. LE P. SIR! AN.
111-2
Vous ayez dit qce vous auriez les yeux sur
ceux qui élèveraient vers vous leurs cœurs,
et vous nous avez promis que si deux ou
trois, assemblés en votre nom, vous deman-
daient quelque grâce, vousjie la leur refu-
seriez pas; tous ici assemblés avec ce
grand coupable, nous vous demandons en
votre nom la rémission de nos péchés ;
pourriez-vous ne pas nous l'accorder, si vous
pardonnâtes au bon larron qui fut touché
de repentir, à la pécheresse qui confessa
ses péchés, au publieain qui vous accusa
ses injustices, à Pierre qui pleura son infi-
délité? et quand nous délaissons nos pé-
chés, que nous les confessons, que nous
nous en accusons, que nous les pleurons
ici, vous ne nous les pardonneriez pas?
Ah ! nous espérons mieux de vos miséri-
cordes ; ayez pitié de notre douleur, écou-
tez nos gémissements ; que la confiance que
nous avons en vous seul ne soit point
trompée, que cette absolution que le saint
ministre va nous donner, nous dispose à
recevoir avec fruit l'absolution sacramen-
telle que nous irons chercher au tribunal
de la pénitence, afin que par là nous mé-
ritions d'être admis à la fête de votre corps
et de posséder un jour avec vous vo-
tre royaume dans l'éternité bienheureuse.
Amen '(13).
SERMON XXXÏ.
DES AFFLICTIONS CHRÉTIENNES.
Nonne oportuitpatiChristum etitainlrare in gloriam
suam (Luc, XXIV.)
N'a-t-il pus futlu que Jésus-Christ ait souffert pour entrer
par celle voie d:.ns su gloire ?
Quel langage , Messieurs , et pouvez-
vous l'entendre sans sentir soulever la na-
ture et frémir l'amour-propre; c'est cepen-
dant votre Dic-u lui-même qui vous l'adresse
aujourd'hui par mabouebe. Oh ! que je m'es-
timerais heureux si, pendant que je vous
parle de la nécessité des souffrances chré-
tiennes, vous sentiez en vous-mêmes, comice
les pèlerins d'Emmaùs, ces divines flam-
mes dont ils se disaient les uns aux autres
que leur cœur était embrasé ! Je n'ose me
promettre un succès qui ne provient que
de l'esprit de Dieu ; mais je peux au moins
espérer qu'en ces jours solennels où vous
recevrez le grain de vie, vous ne vous ré-
volterez pas contre moi si je vous annonce
la nécessité où vous êtes tous de souifrir et
les grands avantages qui sont attachés à
1 affliction qui ne vous manque presque ja-
mais.
Je dis qui ne vous manque presque ja-
mais; car, sans avoir égard à ces fléaux
éclatants et terribles dont il plaît au Sei-
gneur de frapper des royaumes entiers dans
certains temps , il est d'ailleurs peu de con-
mtions dans le monde où sa main ne verse
une portion de ce calice amer qu'il a bu le
premier. Les Saras dans le nœud du mariage
(13) Ici venait, dans le manuscrit, le Sermon pour
le jour de Pâques, sur ttiilésurrection; nous l'avons
donné au Petit Carême. 11 élaii imprimé au volume
ont souvent des Agars qui les importunent;
les Josephs parmi les frères trouvent sou-
ventdes ennemis qui les trahissent; les Jobs
dans le sein de la plus riante fortune de-
viennent quelquefois le jouet des plus étran-
ges événements; souvent, au milieu des œu-
vres les plus saintes, on est éprouvé par les
plus rudes tribulations; enfin il n'est rien de
plus commun que d'entendre dire : chacun
a sa croix dans la vie; cependant, rien n'est
en même temps plus rare que de voir des
gens qui en fassent un bon usage. On se
roidit sans cesse contre le bras qui veut
nous faire plier, on craint les coups de cette
main divine, et loin, de les recevoir comme
des faveurs, on les regarde comme des mal-
heurs : deux grands désordres qu'il faut
arrêter dans deux sortes de personnes : l'im-
patience dans les uns, la tristesse dans les
autres. Vous tous qui gémissez dans le feu
de la tribulation, et vous qui peut-être êtes
à la veille d'en sentir les coups, apprenez
ici l'usage qu'il en faut faire ; apprenez à
devenir humbles et contents quand Dieu
vous afflige. Motifs de patience et de joie
dans l'affliction, c'est ce qui doit faire tout
le partage de ce ♦«iscours où vous allez
trouver, sinon la guérison de vos maux, du
moins la consolation de vous le rendre sa-
lutaire. Jamais conjoncture ne parut plus
pressante pour traiter celte grande matière;
vous vous y êtes sans doute attendus aux
approches des grandes fêtes que l'Eglise
vous annonce, et les ministres ne doivent
pas vous refuser cette consolation ; dispo-
sez-vous donc à la recevoir de ma bouche,
après que nous aurons imploré Je secours
du cielj Dar l'entremise de Marie. Ave,
Maria.
PSESIIEa POINT.
Lorsqu'on entreprend de vous proposer
certaines règles de mœurs dans l'usage de
l'affliction, il ne faut pas croire qu'on veuille
exiger de vous rien qui soit au-dessus des
forces humaines, ni vous inspirer mal à propos
une fausse générosité, ou une indifférence
stoïque, ou une brutale stupidité qui nous rend
comme morts à toutes les douleurs ; on ne
veut point que nous soyons insensibles
quand il nous frappe; il se plaint même dans
ses écritures de l'insensibilité des cœurs en-
durcis qui ne s'ébranlent de rien, et, comme
il n'est point de vertu solide dans l'homme,
si elle n'est éprouvée par l'adversité, il n'est
point aussi de mérite dans l'adversité, si
l'homme ne ressent la peine; or, c'est dans
cette peine qu'on demande le sacrifice d'une
patience chrétienne; pourquoi? parce qu'elle
est nécessaire, parce qu'elle est juste, parce
qu'elle est avantageuse ; trois motifs de pa-
tience dans l'affliction qui sont bien capa-
bles de vous y consoler. Le premier motif
qui doit vous porter h la patience, c'est que
les tribulations diverses qui partagent nos
du Petit Carême, et au tome II, page 338, de l'cdiiiou
de Liège.
.113
CAREME. ~ SERMON XXXI, AFFLICTIONS CHRETIENNES.
nu
jours ne sont que des suites nécessaires de
notre origine ; c'est qu'une loi naturelle nous
y assujettit malgré nous; si l'homme eût été
•fidèle à son premier devoir, rien n'aurait
manqué à son bonheur, et tout aurait con-
tribué à le rendre content de son sort : il
serait monté à la gloire du ciel, dit saint
Augustin, par les délices môme de la terre,
et les prémices qu'il aurait goûtées dans ce
premier paradis auraient été les premières
dispositions par où il se serait préparé à
goûter celles du second.
Tel était le privilège inestimable d'une
innocence conservée, dont le premier homme
avait commencé à goûter le bonheur; mais
dura-t-il longtemps, ce bienheureux privi-
lège? Hélas I ne rappelons pas le triste sou-
venir d'un mal qui nous coûte si cher et qui
en attire tant d'autres dans le monde. Oui,
l'homme perdit par son péché la grâce ; et
avec elle tous les biens ensemble ; dès lors
il devint l'ennemi de son Dieu, et s'attira en
même temps pour ennemis tout l'univers;
enfin il pécha, et sa chute ayant entraîné la
nôtre, toute sa race fut maudite, de sorte
qu'après lui il n'y eut plus sur la terre que
des malheureux et des coupables, et qu'une
foule de maux inondèrent l'univers.
Voilà notre état ; nous avons reçu, vous et
moi, une même origine, la faute de notre
premier Père nous est à tous commune, et
quoiqu'il en ait reçu le châtiment après l'a-
voir commise, elle ne laisse pas de nous
assujettir aux peines auxquelles il fut con-
damné dès le commencement; c'est le juste,
mais trop fatal arrêt qui fut prononcé contre
tous les enfants d'Adam, et il n'y a personne,
si vous en exceptez la glorieuse mère de
Jésus-Christ, qui puisse en être exempt;
c'est une peine portée contre le roi qui
brille sur son trône, aussi bien que contre le
sujet caché dans sa cabane ; c est une loi
commune aux grands et aux petits, aux ri-
ches comme aux pauvres.
Or, quelle conséquence tirerai-je de là,
demandez-vous ? La voici ; elle me paraît toute
naturelle : c'est que, si vos tribulations et
vos souffrances sont des peines qui vous
sont imposées pour la punition de votre or-
gueil, vous devez donc vous faire une pa-
tience de cette malheureuse nécessité ; c'est
que vous devez adorer les décrets de la divine
Providence, au lieu de fatiguer le ciel par
vos murmures et vos plaintes ; c'est que vous
ne gagnerez rion par vos inquiétudes, et que
la situation d'un homme impatient et rebelle
est plus cruelle et plus triste que celle où le
réduit le mal qu'il endure; c'est que ceux
qui se livrent à leurs passions révoltées, de-
viennent eux-mêmes leurs propres bour-
reaux. Ainsi vous me direz que votre
condition est pénible, que vous êtes mal-
heureux de souffrir sans vous plaindre ; j'en
conviens; mais vous n'avez pas mérité un
meilleur sort que les autres, mais c'est une
loi prononcée contre vous comme contre tous
les hommes; vous ne sauriez la changer,quel-
que chose que vous fassiez; elle est irrévo-
cable. Ah! humiliez-vous donc sous la toute-
puissante main de «Dieu qui vous frappe »'
adorez-la dans un profond silence, et baissez
la tête sous les coups qu'elle vous porte .
Ainsi,direz-vous,la misère vous suit partout,
vous ne trouvez en tout lieu que croix et
que peines; je le veux; mais ce n'est point
à vous à prétendre les adoucir, et vous devez
attendre là-dessus les ordres du ciel, et ne
pas vouloir inutilement vous y opposer; car,
remarquez que si c'est pour vous un motif
de nécessité de souffrir en cette vie, fondé
sur la condition de votre nature, ce n'en est
pas moins un fondé sur l'état de votre voca-
tion à la foi, et que, si les tribulations et les
peines sont le partage des hommes, elles sont
encore le partage des chrétiens, vérité capitale
qui renferme les principaux devoirs du chris-
tianisme, et qui n'est guère bien entendue
dans la religion. C'est quelque chose d'être
chrétien, et rien n'est plus grand, plus noble,
du côté du ciel ; mais jamais il n'y eut rien de
plus rabaissé sur la terre : ainsi/disait autre-
fois saint Cyprien, ne prétendez pas être plus
heureux dans le monde quand vous devenez
enfants de l'Eglise, et si préférablement *à
tant d'autres, vous avez le bonheur d'appar-
tenir à Jésus-Christ, vous devenez aussi par
là plus obligés à souffrir que le reste des
hommes : ainsi, disait saint Paul aux Thessa-
loniciens,fdonnez-vous bien de garde de vous
plaindre ou de vous laisser ébranler par les
tribulations ; il faut que chacun s'v trouve
préparé sur la terre en embrassant la foi de
Jésus-Christ; sachez que telle est la destinée
d'un chrétien, et que nous ne vivons dans le
christianisme que pour souffrir : Nemo mo-
veatur in tribulationibus istis, ipsi enim sci-
tis quod in hoc positi smnus ; comment donc
voudriez-vous vous plaindre d'une peine
qui est nécessairement attachée à votre état?
Prétendez-vous que Dieu changera la loi qu'il
a établie et l'économie de votre vocation? pour-
rez-vous vous flatter que vous serez exempts
de rien souffrir pendant que vous professez
une religion qui vous appelle, qui vous con-
sacre aux souffrances? que vous vivrez tran-
quilles et contents, tandis que vos frères
sont éprouvés parle feu de la tribulation?
pensée extravagante qui déshonore Dieu et
qui insulte à sa justice. Ah 1 observez la loi
qu'il vous impose, puisque vous voulez être
ses disciples ; rendez-vous conformes à son
Fils, si vous voulez être ses membres et ses
cohéritiers; souffrez avec lui, sans cela vous
n'appartiendrez point à ce Dieu crucifié,
Voilà les conditions ée l'alliance que vous
avez faite avec lui dans le baptême ; ce n'est
plus le temps de vous plaindre des tribula-
ttons, puisque vous avez promis de les en-
durer et que vous les avez pour ainsi dire
épousées, vous ne pouvez plus vous y sous-?
traire, si vous ne voulez devenir des apostats;
c'est à vous, pour étouffer tout murmure,
toute plainte que la nature voudrait faire, de
vous rappeler et de vous redire souvent que
vous l'avez promis solennellement par ces
vœux sacrés. où vous jurâtes à Dieu que vous
seriez fidèle à voU*e vojc?tion.
Mais, sans regaruer plus longtemps la né-
HÎ5
ORATEURS SACRES. LE P. SURIAN.
<M«
cessité des souffrances par tous les différents
rapports, passons à un motif plus pressant
encore. Je veux que Dieu voulût vous dis-
penser, en qualité d'hommes, en qualité de
chrétiens, et que vous ayez quelque raison
de porter vos plaintes vers le ciel, ce qui
est un blasphème, et qu'on ne saurait penser
sans faire tomber dans la contradiction la
sagesse éternelle, devriez-vous vous en dis-
penser pour cela? Ne devriez-vous pas vous
dire à vous-mêmes ce que les frères de Jo-
seph se disaient les uns aux autres : Ah 1
c'est nous qui par notre faute nous sommes
attiré ces tribulations; ne cherchons point
ailleurs que dans nous-mêmes la cause de
nos souffrances ; nous méritons tous les
maux qui nous accablent, et quand ce ne
serait pas pour nous une nécessité indispen-
sable de souffrir, c'est une étroite justice :
Merito hœc patimur, quia peccavimus ; idcirco
veniet super nos ista tribulatio (Gen. , XLII,
21); second motif de patience dans nos
peines.
Non, chrétiens, ne prétendez pas que je
veuille insulter ici à vos misères, mais ne
croyez pas aussi que j'y vienne vous y flat-
ter; n'attendez pas que je cherche des tours
ingénieux pour justifier la divine Providence
des peines qu'elle vous envoie. De quels
ménagements Dieu a-t-il besoin dans lajus-
tice qu'il rend aux hommes? et, loin de pa-
raître injuste dans les croix diverses qu'il
nous envoie, n'est-ce pas au contraire parce
qu'il est juste qu'il nous fait souffrir? Peut-
il avoir quelque chose à se reprocher en nous
punissant dès qu'il lui plaît? Nous l'avons
offensé, c'est notre Dieu, c'est notre maître ;
il nous châtie : tout cela est dans l'ordre ;
car, sans parler ici de tant de gens qui se
rendent eux-mêmes la cause de ce qu'ils
souffrent, sans compter ici tous ceux dont
les infirmités et les souffrances ne sont que
les malheureux fruits de^ passions brutales
où ils se sont j longés, toutes ces sortes de
gens ne méritent pas d'entrer dans un dis-
cours chrétien, mais je parle à tous les au-
tres qui sont dans la peine et dans l'affliction,
et je vous demande à tous, qui vous a attiré
celles que vous souffrez? N'avez-vous rien à
vous reprocher devant Dieu pour le passé?
Ne fa tes-vous rien encore tous les jours qui
vous puisse attireroe châtiment? Portez-vous
encore celte précieuse innocence que vous
avez reçue dans le baptême? De quoi vous
plaignez-vous? qu'est-ce qui vous révolte ?
La mort vient de vous enlever cet enfant
chéri sur qui vous comptiez tant et qui vous
donnait de si belles esj érances ; mais ne se-
rait-ce point que vous lui donniez une pré-
férence injuste qui faisait le désespoir de
vos autres^ enfants, que vous aviez plus de
soin de l'élever pour le monde que pour
Dieu, et que vous en faisiez votre idole?
une maladie longue et violente vous fait
exhaler de toutes parts une odeur de mort,
et ne vous laisse presque 'plus d'espérance
de vie ; mais ne vous souvenez-vous plus de
l'indigne abus que vous avez fait de votre
santé pendant que vous l'aviez, et dé tous les
vains plaisirs que vous aviez résolu d'accom-
plir auxdépens de votre salut, si le Seigneur
vous l'avait conservée plus longtemps? Un
procès injuste a dévoré la plus pure portion
de votre substance; mais n'y avez-vous point
donné lieu par votre fierté, vos hauteurs ,
et, au lieu de chercher à l'étouffer dans le
sein de la charité dès son origine, n'avez-
vous pas soufflé de plus en plus le feu de
la discorde? Une saison cruelle, une taxe
subite, une révolution imprévue vous a
enlevé la moitié de vos biens, et vous ne
croyez pas pouvoir jamais vous relever
d'une chute qui vous désole, vous et votre
famille ; mais avez-vous oublié que peut-
être ces biens, que vous venez de perdre,
ou [n'étaient pas acquis avec beaucoup de
justice, ou que votre cœur y faisait paraître
trop d'attachement ; votre situation et votre
état, où vous vous promettiez tant de con-
solation et de douceur, ne vous offre plus que
de l'ennui, de la tristesse, du dégoût; toute
votre vie n'est plus qu'une continuelle lan-
gueur, et vous reprocheriez volontiers à
Dieu qu'il vous est devenu trop cruel : Mu-
tatus es mihi in crudelem. (Job, XXX.) Mais
aviez-vous eu soin de vous entretenir tou-
jours bien avec lui ? Ne l'avez-vous point
contristé lui-même par quelque injuste pré-
férence, par vos froideurs et votre indiffé-
rence à son service, et peut-être ne vous y
êles-vous point engagés de vous-même sans
le consulter? De quoi vous plaignez-vous
encore? Vous vous épuisez en regrets, en
plaintes sur la perte d'un ami, d'un parent,
d'un patron; mais votre amitié était -elle
pure, innocente, et vos liaisons n'étaient-
elles point trop charnelles , trop intéressées
et trop nuisibles aux devoirs de votre reli-
gion? Un ennemi cruel, un envieux, un
rival, un jaloux porte des coups mortels à
votre honneur, à votre réputation, à votre
esprit, à vos talents, à votre vie même; mais
n'en avez-vous jamais porté à votre prochain
par vos médisances, par vos railleries, par
vos censures, par vos calomnies, par vos
emportements, par vos haines, par vos ven-
geances ou par vos injustices, et votre or-
gueil ne vous a-t-il point porté avons élever
contre Dieu même ? Le monde ne vous aime
plus; vous êtes le mépris et le rebut des
autres ; mais ne l'avez-vous point vous-même
trop aimé? nel'aimez-vous point trop encore,
et ne donnez-vous point vos soins et votre
estime à ses faux biens? En un mot, si vous
souffrez, c'est que vous méritez de souffrir,
et vous devez dire : Merito hœc patimur;
pourquoi donc vous plaindre et ajouter à
vos maux de nouvelles causes de peines?
N'est-ce pas assez d'avoir attiré sur vous les
tribulations qui vous affligent, sans mettre
encore dans les mains de Dieu, par vos in-
justes plaintes, de quoi redoubler vos châti-
ments et vos peines ? Nous avons péché, chré-
tiens; ah ! humilions-nous donc sous la main
favorable du Seigneur, qui ne nous afflige que
parce qu'il nous aime, et, loin de nous plain-
dre, reconnaissons que c'est une justice que
ce Père tendre nous châtie, puisque nous
1117 CAREME. — SERMON XXXI,
ayons péché : Merito hœc patimur, quia pec-
cavimus.
A ces fortes raisons de justice et de néces-
sité, j'apporte un troisième motif : c'est celui
de votre intérêt propre. Sur quoi, pour finir
cette première partie de mon discours, j'ai
fait deux réflexions : La première , c'est
qu'en refusant de nous soumettre aux souf-
frances, nous souffrons inutilement, puisque
l'intention de Dieu, en nous envoyant des
peines et des tribulations, c'est d'en faire un
châtiment et un remède pour notre salut ;
ressource consolante dans un esprit guidé
par la foi, et la seule raison devrait vous
porter à souffrir patiemment des maux légers
et courts, qui peuvent vous être d'un si grand
avantage, et vous épargner tant de tourments
et de malheurs dansl'éternité. Et ne nous dites
pas que c'est vous traiter bien cruellement,
de vouloir empêcher que vous ne vous plai-
gniez de vos misères. Non, on ne veut point
vous ôter la liberté de vous plaindre, vous
pouvez en gémir, et ces gémissements et
eos plaintes peuvent servir à vous faire son-
ger à vos plus solides intérêts. Mais êtes-
vous sages de vous plaindre de ce qu'on
vous veut trop de bien , et que faites-vous
donc par vos murmures , sinon d'accroître
vos maux, et d'éloigner de vous les faveurs
qu'on vous offre? Hélas ! vous consentez, par
vos plaintes volontaires, à être punis sans en
devenir plus riches ; vous consentez à être
dans vos souffrances les tristes victimes du
démon, plutôt que d'être les heureuses vic-
times de la justice de votre Dieu, et en mon-
trât de l'impatience dans nos tribulations,
nous aimons mieux faire au premier un sa-
crifice rigoureux que nous ne lui devons pas,
que de payer au second une dette qui nous
acquitterait tout à fait envers lui ; c'est-à-dire
qu'en murmurant dans nos peines, nous en
devenons plus misérables, sans en devenir
moins méchants ; en ne payant pas de bon
cœur nos dettes, nous en contractons de
plus grandes; c'est-à-dire que vous vous
privez du fruit de vos douleurs en poussant
d'injustes plaintes, et qu'après les avoir ren-
dues sans consolation, vous les rendez en-
core sans mérite.
Je vous laisse à conclure avec saint Au-
gustin du malheur de votre situation, qui
ne vient que de vous.
La deuxième réflexion que je fais, c'est
que vos plaintes et vos impatiences sont une
espèce de rébellion que vous formez contre
celui qui vous offre un remède capable de
guérir votre âme. Ecoutez ceci, vous qui
vous soulevez contre lamainqui vous frappe :
Oui, les afflictions qui vous révoltent sont
les voies admirables et peut-être les seules
que Dieu veut employer pour vous sauver;
vous mettez un nouvel obstacle à sa grâce,
et vous ajoutez une nouvelle impossibilité à
la difficulté déjà trop grande de vous sauver,
et vous déclarez ouvertement contre les in-
tentions de la sage providence de votre Dieu.
Allez, après cela, cœurs lâches et infidèles
et n'espérez plus rien qui soit capable de
vqus ramener au Seigneur 1 si vous négligez
AFFLICTIONS CHRETIENNES.
1113
un remède si souverain , et qui est la der-
nière ressource que le Seigneur employait
pour vous convertir; qu'attendez-vous après
cela de sa bonté? S'il vous donne des biens,
vous en abusez et ne les faites servir qu'à
l'offenser par l'assouvissement de vos pas-
sions, et à vous plonger dans des torrents
d'une profane volupté. S'il vous envoie des
tribulations et des maux, vous les faites ser-
vir au murmure et à la rébellion; que pré-
tendez-vous donc qu'il fasse? La prospérité
vous damne, l'adversité ne peut vous sauver,
ah! forcerez-vous donc sa grâce à changer
de conduite 1 Et qui êtes-vous, misérable
ver de terre, pour vouloir donner la loi à
votre Dieu, à votre souverain? Non, dès que
vous rejetez ce dernier remède , je ne vois
plus de ressource pour vous, et vous perdez
jusqu'à l'espérance de salut.
Mais, dis-je, pourquoi , maison d'Israël,
voudriez-vous périr, dit le Seigneur? Ren-
trez plutôt en vous-mêmes, et vous armez
d'une patience chrétienne sous le joug misé-
ricordieux que le Seigneur vous impose;
vous y êtes obligés par tous les motifs que
je vous viens de proposer. Je les répète,
afin qu'ils fassent plus d'impression sur
vous : Souffrez, vous êtes hommes, et votre
condition naturelle vous engage à souffrir;
souffrez, vous êtes chrétiens, et votre reli-
gion vous oblige de souffrir. Enfin, vous
avez tous été condamnés à souffrir, c'est
une loi commune du Créateur ; vous avez
tous promis de souffrir, c'est un engagement
indispensable des vœux de votre baptême ;
il y va de votre intérêt de souffrir, vous y
trouverez le plus grand de tous les avanta-
ges, c'est le moyen le plus efficace du salut ;
voilà des motifs assez pressants pour vous
porter à la patience chrétienne. Il me reste
à vous montrer que vous devez souffrir avec
joie : c'est la deuxième partie de ce discours.
SECOND POINT.
Les raisons de patience et de soumission
que je viens de proposer , toutes solide*
qu'elles sont dans leur principe et justes
dans leurs conséquences, vous paraîtront
des remèdes bien amers à la nature et des
soulagements bien légers pour les maux que
vous souffrez. N'y a-t-il donc rien de plus
consolant pour un chrétien? Ne serai-je
monté dans cette chaire que pour y débiter,
devant des personnes affligées, de si dures vé-
rités, et après tant de motifs ne faudrait-il
regarder l'homme que comme une victime
immolée au triste sort de sa condition
ou livré à la sévère justice de son Dieu.
Nous naissons tous dans la peine, nous vi-
vons dans les tribulations, nous mourons
dans les douleurs et dans les maladies, et on
ne nous parle que de la nécessité de souffrir.
Tristes et vains consolateurs, répondez-vous
peut-être ici comme autrefois le fameux
patriarche à ses amis qui lui tenaient un lan-
gage pareil, et j'avoue, chrétiens, que si je
n'avais rien autre chose à vous dire, vous
pourriez peut-être me faire le même repro-
che : Consolatorcs oncrosl omnes vos estis.
(Job, XVI) ; mais attendez un moment, vous
tii9
ORATEURS SACRES. LE P. SUIMAN.
1M0
allez voir des consolations plus essen-
tielles ; laissons aux païens l'affreuse néces-
sité de souffrir sans espérance, et aux philo-
sophes, ces prétendus esprits forts, la gloire
de montrer une patience forcée dans les
souffrances ; qu'ils appellent des hommes fai-
bles et impuissants comme eux à leurs se-
cours; qu'ils cherchent de vaines consolations
dans les créatures, parce qu'ils n'en connais-
sent point d'autres; pour nous, qui avons le
bonheur d'être éclairés des lumières de la
foi et qui sommes les héritiers de ses pro-
messes, élevons nos esprits et nos cœurs, car
l'évangile a trouvé le secret de nous faire
trouver des ressources dans ce qui paraît le
plus dur h la nature, et depuis que le Sauveur
a consacré les souffrances en les embrassant
le premier, on peut dire que les croix diffé-
rentes de la vie sont devenues des grâces
pour les enfants de Dieu, soit qu'on les con-
sidère en Jésus-Christ, à qui elles nous as-
socient, soit qu'on les regarde par rapport
au salut dont elles fortifient 1 espérance ,
soit enfin qu'on les envisage par rapport à
l'autre vie qui les rend désirables: trois cir-
constances qui doivent vous apprendre à
souffrir avec joie.
Je dis, 1" par rapport à Jésus-Christ, et
que* n'ai -je ici tout le zèle et l'onction néces-
saires pour pénétrervos cœurs de celte grande
vérité ! Oui, chrétiens, le Sauveur n'a pas seu-
lement consacré l'affliction par son exemple
et par ses paroles, il lui a laissé par les siennes
un mérite et une gloire qui doivent nous la
rendre digne d'amour et de respect; et depuis
qu'il a bien voulu nous enfanter par la croix,
elle n'est pas tant le prix de la rédemption du
pécheur et un triomphe sur le péché, qu'un
titre d'alliance et le sceau de notre unité avec
lui, dit saint Augustin; et delà quel fonds
inépuisable de consolation pour une âme qui
se voit marquée de ce sceau respectable et
qui peut attirer sur elle, par le secours et par
l'émulation de ce divin modèle, toutes les
ressources et toutes les consolations de son
Dieu; quelle joie pour un chrétien qui sait
tout ce qu'il est à Jésus-Christ et tout ce que
Jésus-Christ lui est par les souffrances, et
qu'il n'a qu'à souffrir pour entrer en so-
ciété avec lui! qu'il est consolant, pour un
chrétien, de pouvoir partager avec son Sau-
veur l'amertume de son calice, de lui rendre
peine pour peine, douleur pour douleur, de
s'aller décharger à ses pieds du fardeau de ses
tribulations, de verser des larmes en sa pré-
sence et de venir déposer son affliction entre
ses mains! Ah! qu'il est doux, qu'il est conso-
lant de pouvoir mourir par reconnaissance
sur le sein d'un Dieu qui est mort par amour
pour nous !
Voilà les grands motifs de consolation que
vous aurez dans vos peines, si la foi vous
ûflime. C'est par ce motif si touchant que les
frpôtres, sortant des synagogues et des diffé-
rents tribunaux où ils avaient été condamnés,
nwatraicnt tant de joie d'avoir été trouvés
«Signes de mêler leur sang avec celui de leur
«fi vin Maître; c'est par ce motif qu'André, le
gcb.-éreux André, désire la mort avec tant
d'empressement, et fait de la croix où il est
attaché ses plus chères délices; c'est par ce
motif que Paul embrasse si amoureusement
ses chaînes; qu'il préfère les persécutions
aux honneurs de la terre et regarde la mort
comme un gain : Mihi pivere Christus est
et mori lucrum. (Philip., I.)
Mystère nouveau caché à toute la sagesse
du siècle, qui tant de fois a fait la gloire du
christianisme et qui a forcé les idolâtres
mêmes d'avouer qu'il n'appartient qu'à la
religion de Jésus-Christ de trouver des plai-
sirs dans les peines et des honneurs incom-
parables dans la bassesse et l'ignominie de
la croix. Depuis qu'un Dieu a bien voulu
passer par les souffrances, elles ont été con-
sacrées en sa personne; ce que la nature re-
doute comme un mal devient, par la grâce
de Jésus-Christ, une ressource sensible, et
ces mêmes tribulations qui accablent de tris-
tesse une âme terrestre et mondaine, rem-
plissent de joie un, véritable chrétien : Super-
abundo gaudio in omni tribulatione nostra.
(II Cor., VII.)
2°Acepremiermotifjoignons-en un second:
c'est l'assurance qu'a l'homme évangélique
dans les tribulations, que son espérance ne
sera point confondue à l'égard du salut; car
nous sommes sûrs, dit saint Paul, que si
nous souffrons avec Jésus-Christ nous serons
gloritiés avec lui, et que s'il est allé à son Père
par sa croix, nous devons espérer d'y aller par
les nôtres.
Or c'est ici que j'appelle certaines âmes
dont la foi trop faible semble, au milieu de
leurs peines temporelles, se troubler et s'in-
quiéter sur l'éternité de leur sort; qui sait,
disent-elles, quel sera le succès de notre pa-
tience? on n'a rien d'assuré là-dessus; on est
dans des perplexités cruelles, et on ne sait
à quoi s'en tenir. Je sais, mes frères, je sais
que vous voudriez le savoir; j'avoue qu'il
n'y a que Dieu seul qui s'en soit réservé le
mystère; ni vous ni moi ne saurions pénétrer
ce secret, ma condition sur cela est comme
la vôtre et me laisse dans l'incertitude de ma
destinée; cependant lemêmeDieuquiavoulu
nous retenir dans le devoir par une juste
crainte, nous veut bien rassurer par une juste
confiance, et quelque sujet que nous ayons de
redouter sa justice, il nous donne de*grands
préjugés en faveur de sa miséricorde.
Je les cherche, depuis longtemps, ces favo-
rables préjugés, dit raint Jérôme, et je n'en
trouve point de plus marqués et qui nattent
davantage l'espérance du salut que ceux que
nous trouvons dans les peines et dans l'ad-
versité. Ouvrez l'Evangile et les livres sacrés,
vos yeux n'y peuvent rien découvrir qui ne
fonde sur les souffrances une heureuse espé-
rance pour l'avenir; le grand apôtre s'en ex-
plique clairement en mille endroits diffé-
rents, et il n'ya point d'oracle qui ne s'accorde
avec celui-ci : Si cowpatimur ut et conglorica-
mur (Rom., VIII, 17) ; en voulez-vous une
preuve? rovenons sur l'endroit de saint Au-
gustin, que je n'ai encore expliqué qu'en pas-
sant, et entrons dans le secret de Dieu autant
qu'il nous en fournit les moyens : quand il
112!
CAREME. — SERMON XXX!, AFFLICTIONS CHRETIENNES.
nous afflige, cesx, dit ce Père, afin de nous
mettre dans l'heureuse nécessité de nous sau-
ver; c'est qu'il veut parlànous donnerl'occa-
sion d'expier nos péchés et nous ôter ceîleîd'y
retomber; par là il reçoit nos plaies et nos
douleurs pour une satisfaction à nos offenses
passés; par là il prévient nos rechutes et ré-
prime nos faiblesses pour l'avenir; par là il
fournit au pécheur un supplément de sa pé-
nitence et lui arrache lés larmes qui sont
propres à laver ses péchés.
Conduite sage autant que miséricordieuso
dans notre Dieu, car, vous savez, mes frères,
tel est l'aveuglement de l'homme, telle est sa
corruption, obligé de tourner ses yeux vers
la céleste gloire, il les arrête toujours sur la
figure du monde qui passe , et, s'il y trouve
quelque légère satisfaction, en voilà assez
pour lui faire oublier tout le reste ; la science
enfle, les richesses flattent, les plaisirs sé-
duisent, les honneurs aveuglent, le monde
enlève tous ses soins et toute son attention,
et Dieu n'y a plus de part et se voit abandonné
et tout à lait oublié; alors ses vices régnent
et la vertu se retire ; alors le cœur se dérègle,
Ja charité se refroidit, le zèle se ralentit, la
modestie passe les bornes, la tempérance
s'évanouit, l'esprit de religion se peru insen-
siblement et ne laisse dans les chrétiens que
l'homme animal et terrestre; alors les pas-
sions se révoltent, et, ne trouvant plus rien
dans l'âme de cet heureux du siècle qui leur
résiste pour pécher, il n'a pas besoin d'être
tenté, il va même au-devant des tentations;
l'ennemi du salut possède en paix sa demeure
dans son âme ; tout le porte à la vie sensuelle,
tout contribue a lui faire oublier qu'il est
chrétien; il ne voit plus un seul objet qui ne
séduise, la vertu lui paraît affreuse et rebu-
tante, le monde se montre à lui comme un
maître aimable qu'il est doux et avantageux
de servir, on est sans cesse hors de soi-même,
et dans cet état de prospérité, on ne trouve
plus rien qui ait rapport au salut ni qui y
rappelle la fidélité qu'on doit à Dieu; alors
on ne fait plus de réflexions ni à ce qu'on
doit être ni à ce qu'on deviendra ; on ne songe
qu'à jouir tranquillement des biens présents,
sans songer qu'on est né pour les biens à
yenir.
Voilà, Messieurs, la situation où la pros-
périté réduit le chrétien, et je ne crois pas
trop avancer quand je dis avec • un Père,
qu'il faut un plus grand miracle pour soute-
nir l'homme dans la justice parmi tant de
périls, que pour lui donner la force de souf-
frir le [;lus rude martyre. J'en atteste vos.
consciences, vous tous qui êtes dans la pros-
périté ; qu'y trouvez-vous qui vous porte au
salut? Peut-être que, contents de votre sort,
il vous arrivera de dire : Dieu soit loué,
nous avons des grâces à lui rendre de ce que
tout nous profite. Oh ! que Dieu vous a de
d'obligation 1 vous en coûte-t-il de grands
efforts, pour un tel langage ? mais vos senti-
ments s'accordent-ils avec vos paroles? tout
ee que vous faites contribue-t-il à le louer
et à le glorifier? n'est-il pas vrai dédire, au
contraire, que vous le méprisez, que vous
le déshonorez, en préférant lés créatures au
Créateur, et peut-on dire de vous que vous
ne partagez point ce cœur qui lui est dû
tout entier ; qu'au milieu de ces fausses
douceurs où vous vous applaudissez, vous
vous regardez comme un voyageur, comme
un exilé qui soupire sans cesse après sa
véritable patrie, et tandis que le monde vous
offrait ses exemples et ses faveurs, avez-
vous fait un grand cas de ceux de Dieu?
Oh! que le salut est difficile en cet état de,
prospérité, si les disgrâces et les tribulations
ne viennent au secours de celui qui la goûte,
si elles ne le détachent de cet objet qui l'oc-
cupe, et rompent les liens funestes qui l'y
enchaînent 1
Faible créature, hélas ! faut-il donc que
tu ne te plaises qu'à tout ce qui cause ta
perte, que tu ne cherches que les causes de
ton malheur? Et vous, mon Dieul que vous
ménagiez tant de moyens, la sauvant malgré
elle? Oui, mes frères, la miséricorde du
Seigneur va jusque-là, et, pour faire reve-
nir à lui le chrétien, il ne trouve point de
secret plus souverain, que de lui préparer
des peines et des tribulations; il lui ote sa
santé, ses biens, ses amis, lui attire des per-
sécutions; il trouble la fausse paix de sa
conscience, il déconcerte ses projets ambi-
tieux, rompt ses mesures téméraires, fa.t
échouer ses entreprises insensées. En un
mot, pour empêcher de périr cette rebelle
et ingrate créature, il la plante sur le Cal-
vaire et l'attache à la croix, où l'ennemi de
son salut n'a pointée pouvoir, et où il ne
peut porter ses traits ennemis. Voilà ce que
j'appelle en Dieu un dessein et une conduite
dignes de toutes ses miséricordes, et voilà
ee qui doit faire embrasser avec tant de joie,
à un chrétien, des souffrances qui le con-
duisent si sûrement au port du salut, en le
faisant revenir à son Dieu.
3° Ajoutons encore une troisième réflexion,
qui est la fin de toutes les autres, et que saint
Chrysostome ne pouvait s'empêcher de pro-
poser aux fidèles de son temps, pour vous
faire aimer les souffrances: Je ne vous ren-
voie,disait il, qu'à la considération d'un Dieu
vengeur dans l'enfer, et rénumérateur dans
la gloire; si vous m'opposez la grandeur de
vos maux, je ne vous dirai autre chose,
sinon que vous descendiez un moment en
esprit dans les affreux abîmes où se fait sea-
tir aux réprouvés la colère de Dieu dans
toute sa rigueur. Qu'est-ce que vos peines,
en comparaison de celles qu'elles vous
épargneront si vous les souffrez avec joie?
Remontez ensuite dans le séjour heureux où
ce Dieu magnifique fait couler un torrent de-
délices dans le cœur de ses élus.
Ah 1 si ces vérités ne sont capables de nous;
faire souffrir ici-bas avec joie, c'est que notre
foi a perdu toute sa force, et nous ne de-
vons plus rien espérer'qui puisse nous tou-
cher et nous attendrir; car, à la vue de ces
grands objets, je dis : qu'il n'est point de pert&
de biens, de mort de proches et de tribu-
lations dans la vie, qui ne doivent nous pa-
ii23
ORATEURS SACRES. LE P SUR1AN.
4l2i
rattre désirables et oignes de tout l'einpres-
re: lient du cœur de l'homme.
Les premiers chrétiens, dont le monde
n'était pas cligne, couraient par ces seules
réflexions au martyre, comme ils auraient
fait à la victoire-; les vierges, si délicates,
livraient avec plaisir leurs corps aux tour-
monts les plus rudes; les vieillards, comme
les jeunes gens, souhaitaient de voir prolon-
ger leurs jours, pour avoir la consolation de
} rolonger leurs souffrances. Le saint homme
, ont le nom vaut un éloge, et dont l'his-
toire fait honneur aux. afflictions, ressent
toute la pesanteur du bras de son Dieu.
Chaque jour de sa vie est presque marqué
par quelque nouvelle disgrâce, et les plaies
douloureuses qui lui ôtcnt toute figure hu-
maine, fout frémir d'horreur les anus qui le
voient; tous tremblent pour lui, et s'offrent
à lui donner quelque consolation; mais,
hélas 1 quelle faible ressource dans un état
si pitoyable? Si vous eussiez été à la place
de ce prince infortuné, couché sur son fu-
mier, comme le dernier des hommes; que
dis-je, si vous eussiez seulement souffert
la centième partie des maux qui l'accablaient,
vous auriez mis tout en usage pour vous
en délivrer; deux mille mains auraient été
levées au ciel pour votre guérison, et les
ministres des autels auraient à peine suffi
pour offrir des sacrifices et faire des vœux
pour mettre fin à vos peines ; toute la mai-
son, tout le voisinage, tout l'air, auraient
retenti de vos clameurs et de vos plaintes.
Cependant Job prie pour prolonger ses pei-
nes, et s'il ouvre encore une bouche mou-
rante, c'est pour demander à Dieu, comme
une grâce et comme un sujet de compassion,
qu'il veuille appesantir davantage son bras
sur lui, et ne point l'épargner : Et hoc mihi
sit consolatio ut affligciis me dotore non par-
cat. (Job. VI.)
Je n'ose exiger de vous, Messieurs, des
sentiments si généreux et si chrétiens;
veuille le Seigneur vous les inspirer par sa
grâce! Non, je ne viens point ici interrompre
vos clameurs , suspendre le cours de vos
irièresetde vos sacrifices, ni m'opposer aux
vœux que vous faites pour votre délivrance
et votre soulagement. Ah! que ne pouvez-
vous sentir tous vos besoins véritables, afin
de recourir à Dieu aussi vivement pour vos
maux spirituels que pour les temporels. Ve-
nez donc, dans son saint temple, répandre
vos cœurs affligés devant le Seigneur et lui
demander, avec une foi vive, du secours et
de l'adoucissement; on le permet, on le veut,
on vous l'ordonne, Mais venez y étouffer vos
plaintes et vos murmures, ou, si vous avez à
répandre des larmes, que ce soit sous les
yeux du Père céleste et avec une tendre con-
fiance, comme un enfant ingrat et rebelle qui
pleure bien moins des peines qu'on lui fait
souffrir, que des maux qu'il a faits. Si vous
avez à vous plaindre^plaignez- vous avec une
résignation parfaite et une confiance amou-
reuse, comme Jésus-Christ se plaignait sur
sa croix pour attirer la miséricorde du ciel
sur les pécheurs de la terre. La religion vous
réduit là.
Mais pennant, ô mon Dieu! que je porte
les fidèles à vous adresser leurs vœux, dois-
je moi-même faire pour eux, après leur avoir
prêché la soumission et l'acquiescement vo-
lontaire aux fléaux qui les désolent, aux
tribulations et aux misères qui les accablent,
viens-je leur prêter ma main pour leur ai-
der à détourner votre colère, et dois-je éle-
ver ma voix pour vous prier d'éloigner d'eux
les coups salutaires de votre miséricorde?
Ah 1 il est vrai que dans le temps d'affliction
et de misères où il vous plaît d'affliger vo-
tre peuple, nous devrions encore, comme
autrefois vos prophètes à l'égard de l'infor-
tunée Jérusalem, tourner vers vous nos vœux
pour en attirer quelques regards de compas-
sion et de bonté ; mais je l'ai dit, et c'est au
nom de toute cette assemblée, Seigneur, si
les maux que nous souffrons en cette vie
doivent nous tenir lieu de pénitence et nous
garantir des supplices de l'autre; si ce n'est
que dans cet état pénible et humiliant que
nous pouvons faire notre salut, ah! ne nous
en délivrez point; nous ne vous demandons
point que vous fassiez cesser nos tribulations
et nos misères ; si vous trouvez que la prosj >é-
rité soitune tentation au-dessus de nos forces,
ne nous la donnez jamais, et nous vous ren-
drons grâces de l'avoir éloignée de nous ; s'il
n'y a que les croix et les adversités qui nous
rendent dignes de vous et conformes à votre
image, ah ! humiliez-nous donc, ô mon Dieu 1
coupez, brûlez, frappez et ne ménagez notre
faiblesse que quand il s'agit de vous offenser
et que nous nous opposons à vos saintes vo-
lontés. Oui, nous nous y soumettons, et, s'il
le faut, perdez-nous dans le temps, pourvu
que vous nous pardonniez dans l'éternité :
aut ure aut seca, modo in œlernum parcas, et
que les maux que nous souffrons nous tien-
nent lieu d'expiation pour nos péchés. C'est
à vous, chrétiens, à ratifier mes paroles;
c'est de vous que dépend le fruit de ce dis-
cours. Faites donc voir votre résignation
parfaite à tout ce qu'il plaira à Dieu de vous
envoyer de plus mortifiant et de plus rude ,
et si le Seigneur ne m'a pas donné le pou-
voir de guérir vos maux et de soulager vos
misères, que je puisse dire au moins qu'il
m'a donné assez ue zèle pour vous faire com-
prendre la nécessité où vous êtes de souffrir ;
assez de forces pour vous empêcher de vous
laisser abattre par la violence de vos maux ;
assez de talent pour vous convaincre qu'un
état d'humiliation, de disgrâce, d'affliction,
de pauvreté , est préférable à toutes les gran-
deurs, à toutes les joies ; assez de richesses
de la terre , puisque c'est la voie la plus
sûre qui vous conduise au salut et au ciel.
Je vous le souhaite, etc. Ame
M25
MYSTÈRES ET FfcTES. — SERMON I, SUR LA SAINTETE.
H2G
MYSTERES ET FÊTES.
SERMON I".
Pour ït jour de la Circoncision.
SUR LA SAINTETÉ.
Vocatum est nomen ejus Jésus, quod vocalnm estab an-
ge!o priiis ,uam in utero conciperetur. (Luc, II).
Il fui nommé Jésus qui était le nom que l'ange avait
annoncé avant qu'il jùl conçu dans te sein de sa mère.
Tout est grand, tout est mystérieux dans
Jésus-Christ, mes frères, jusqu'au nom môme
qu'il reçoit au jour de sa circoncision ; ce nom
lui vient d'en haut: un ange l'annonce avant
qu'il soit conçu, et Joseph agit par le mouve-
ment del'Esprit-Saint, et nefait qu'exécuter la
volonléde Dieu, lorsqu'il donne à cet Homme-
Dieu le nom de Jésus, c'est-à-dire de Sauveur ;
\ocatum est nomen ejus Jésus; nom auguste,
nom vénérable qui doit faire la joie des an-
ges, la consolation des hommes , la terreur
des démons, devant lequel tout genou doit
fléchir dans le ciel , sur la terre et dans les
enfers; nom bien propre à marquer l'emploi
et le ministère de Jésus-Christ, ses travaux,
ses vertus, ses bienfaits, cette victoire écla-
tante qu'il doit remporter sur l'ennemi et
par laquelle il doit briser nos fers, dissiper
nos ténèbres, guérir nos maladies et nous
délivrer pour toujours de la servitude du
péché : Ipse enimsalvum faciet populam suum
a peccatiseorum.
Disci| les de Jésus-Christ, dépositaires
de sa loi sainte, destinés à participer un jour
à sa gloire, pouvons-nous penser au nom
qu'il a reçu au jour de sa circoncision, sans
penser en même temps au nom de chrétien
que nous avons reçu au jour de notre bap-
tême, dont l'ancienne circoncision n'était que
la figure? nom respectable qui nous donne
de si glorieux titres, mais qui nous im-
pose en même temps de si grands devoirs et
de si importantes obligations. En elfet, être
chrétiens, c'est suivre Jésus- Christ , c'est
imiter ses vertus, c'est accomplir ses volon-
tés saintes, c'est marcher dans la voie dans
laquelle il a marché; en un mot, être chré-
tien, c'est être saint; ces deux noms ont
une liaison nécessaire; on les confondait
mê ne dans les premiers siècles de l'Eglise ;
et lorsque saint Paul écrit aux fidèles de son
temps, il ne leur a donné d'autre titre que
« elui de saints : Vocatis sanctis. (I Cor., I.)
C'est donc de la sainteté que j'ai dessein de
vous entretenir aujourd'hui; et comme je
r miarque que nos principales erreurs sur ce
sujet viennent de ce que nous ignorons les
voies qui y conduisent, et les bénédictions
attachées à cet état, je vais tâcher de vous
apprendre ce qu'il faut faire pour être saint,
ce que c'est que d'être saint. En un mot, les
moyens nécessaires pour arriver à la sain-
teté, les avantages de la sainteté. Implorons
le secours du ciel par l'entremise de Marie.
Ave, Maria
PREMIER POINT.
Que faut-il faire pour être saint, pour arri-
ver à la vie éternelle : Quidfaciens vilain œter-
narn pnssidebo (Mat th., XXIX, 21) ; telle est
la demande qu'un jeune homme, dontil est
parlé dans l'Evangile, tit autrefois à Jésus-
Christ, et que toutchrétien, qui n'est pas en-
tièrement insensible à son salut, doit faire en-
core de nos jours. Or, mes frèies, pouvons-
nous répondre autre chose que ce que Jésus-
Christ répondit à ce jeune homme : Allez,
vendez tout ce que vous avez, et le donnez aux
pauvres, puis venez et me suivez: Yade ,
vende quœ habes, pauperihus da, et veni et
sequere me (lhid.) ; il est vrai qne ce comman-
dement de quitter tout, de renoncer extérieu-
rement à tout, était particulier à ce jeune
homme, et que Jésus-Christ ne lui ordonne de
vendre ses biens que parce qu'il découvrait
dans son cœur un attachement excessif aux
richesses, qui en rend la possession incompa-
tible avec le salut; mais nous pouvons tirer
de là cette règle générale, que, pour être sain*,,
pour arriver àla vie éternelle, il faut se sépa-
rer de tout ce qui met un obstacle invincible
au salut et à la suite de Jésus-Christ, marcher
dans une route directement opposée à celle
qu'on suivait auparavant. Se, aration du
monde, telle que je vais l'expliquer dans la
suite; renouvellement des mœurs, deux
moyens nécessaires pour larvenir à la sain-
teté.
En premier lieu, séparation du monde. En
effet, qu'est-ce que travailler à devenir saint?
c'est s'occuper séiieusemenTdes maximes de
l'Evangile, c'est faiire des réflexions sérieu-
ses sur soi-même, c'est s'occuper du néant
du monde et des biens éternels; c'est tra-
vailler à détromper son esprit des préjugés
du siècle, à guérir son cœur des passions
qui le dominent, à purifier son imagination
des fantômes qui la corrompent , à préserver
sa langue des mauvais discours, ses yeux des
regards défendus, ses mains de la Violence
et de l'injustice; c'est contredire perpétuel-
lement le monde dans ses usages et dans ses
maximes ; c'est mépriser tout ce qu'il estime,
et estimer tout ce qu'il méprise; c'est pleurer
le passé, c'est user avec modération du pré-
sent, c'est tendre incessamment vers l'avenir.
La mortification est un ouvrage important
et difficile, qui demande toute l'application
de l'esprit, toute la ferveur de la prière, touta
l'étendue du cœur, toute les larmes de la
pénitence. Il n'y fsut pas seulement du son
et de la vigilance, dit l'apôtre saint Paul (il
Cor., VU), il y faut encore de l'indignation
contre soi-même et contre les péché?, sed
indignationem; de la crainte de la colère
ii27
ORATEURS SACRES. LE P. SUR1AN.
1123
do Dieu, sed timorem; du désir de le pos-
séder, sed desiderium; du zèle pour avancer
dans la voie du salut, sed œmulationcm; de
l'ardeur à venger sur soi-même ses propres
iniquités : sed vindictam.
Or, je vous le demande, mes frères, est-il
possible de travailler sérieusement à celte
importante affaire, d'acquérir de si saintes et
si héroïques dispositions au milieu d'un
monde tumultueux, où les occupations dissi-
pent, le faste éblouit, les plaisirs empoison-
nent, les maximes séduisent, les exemples
corrompent, la coutume entraîne même les
plus sages; où la vérité n'ose se faire enten-
dre, où l'on n'écoute que las passions, où
tout porte au luxe, à l'orgueil, à la délica-
tesse et à la sensualité? Quoi doncl s'occu-
per uniquement de Dieu, lorsqu'on n'entend
jamais parler de lui ? Se détromper des pré-
jugés du siècle, lorsqu'on entend retentirde
tous côtés ses fausses maximes ; se convain-
cre de la vanité du monde au milieu de tous
ses charmes et de ses attraits ; soupirer sans
cesse vers le ciel, lorsque tout nous inspire
l'amour des biens sensibles, se former à
l'humilité, à la patience, à la chasteté, à toit-
tés les vertus chrétiennes, dans le centre de
la volupté, de l'impénitence 1 Est-ce donc là
une entreprise d'un homme sage? N'est-ce
pas plutôt une étrange folie et une évidente
contradiction?
Et n'allez pas regarder, mes frères, cette
morale comme une morale outrée et impra-
ticable , qui va jusqu'à renverser les lois
de la société, à dépeupler les villes, à faire
rentrer les hommes dans leur ancienne ,<o-
litude. Je n'ai garde d'exagérer dans une
matière assez forte, assez terrible par elle-
même. Prenez bien ma pensée : En premier
lieu, qua si le monde est un obstacle invin-
cible à votre salut; si vous êtes convaincus
que vous ne pouvez être saints sans renon-
cer à la société, vous êtes obligés de vous en
séparer, quoi qu.'il puisse vous en coûter,
parce que votre véritable, votre principale,
ou plutôt votre unique occupation est d'être
saints, et que rien ne peut entrer en com-
paraison avec votre âme et avec une éter-
nité; en deuxième lieu, que si vous êtes
appelés aux devoirs de la vie civile, si vous
vous sentez assez de courage pour faire vo-
tre salut dans le monde, vous ne devez avoir
de commerce avec lui qu'autant que la cha-
rité et la bienséance le demandent, et sur-
tout vous séparer de ses fausses joies, de
ses divertissements profanes, de ses usages
pernicieux, de son esprit, de ses maximes,
de tout ce qui en rend le séjour si contagieux
à la vertu.
Voilà donc la première disposition essen-
tielle à la sainteté : la séparation du monde;
mais il faut ajouter le renouvellement des
mœurs, un changement entier qui rende le
chrétien méconnaissable à soi-même et à
tous ceux qui l'environnent.
Changement dans les actions, et c'est la
première règle que l'apôtre saint Paul pres-
crit aux Epliésiens : que celui qui dérobait
ne dérobî plus, lsur -ait-il, mais qu'il s'oc-
cupe de ses mains en travaillant à quelque
ouvrage bon et utile pour avoir de quoi don-
ner à ceux qui sont dans l'indigence. Que
toute aigreur, tout emportement, tonte colère,
enfin toute malice soit bannie d'entre vous;
que les mains, toujours bien fermées aux
nécessités des pauvres, toujours ouvertes à
la violence et à l'injustice, ne s'ouvrent plus
que pour les œuvres saintes, que pour sou-
lager les misérables; que ces yeux, si sou-
vent souillés par des regards défendus, se
purifient par les larmes de la pénitence ; qu'à
ces commerces frauduleux, ces injustices
criantes, ces sensualités criminelles, à ces
emportements de haine et de vengeance suc-
cèdent des prières ferventes, des austérités
saintes, des aumônes abondantes, des œu-
vres de pénitence , de charité , de justice
et de miséricorde; en un mot, vous tous qui
voulez être saints, ne vivez plus comme les
autres qui suivent dans leur conduite la
vanité de leurs péchés; mais commencez par
dépouiller le vieil homme selon lequel vous
avez %vécu, pour vous revêtir de l'homme
nouveau qui a été créé selon Dieu, dans une
sainteté véritable.
Changement dans les maximes; car, mes
frères, il y a une si grande liaison entre le
cœur et l'esprit, que les mouvements déré-
glés supposent ordinairement les faux juge-
ments de l'autre, et que la volonté n'est pres-
que jamais corrompue que l'entendement ne
soit en même temps aveugle. 11 est quelques
pécheurs, je l'avoue, qui agissent par pure
impétuosité, sans réflexions, sans principes,
sans se rendre raison à eux-mêmes de leur
conduite ; mais, généralemept parlant, on se
fait des règles, des principes qui détermi-
nent dans les occasions et qui sont comme
la source de toutes nos démarches; on cher-
che à s'autoriser soi-même, à se procurer
une fausse sécurité à la faveur de certaines
maximes commodes et reçues dans le monde,
qui flattent toutes les passions, qui justifient
tous les vices, qui n'ont rien d'odieux et de
rebutant; qui, se contentant de respecter les
vertus morales, détruisent et anéantissent
toutes les vertus chrétiennes.
Or, voilà à quoi il faut renoncer aussitôt
qu'on veut être saint ; dès lors il n'est plus
permis de penser comme on pensait aupara-
vant à ces maximes commodes et charnelles
puisées dans les usages du monde et dans
la corruption du cœur ; il faut substituer des
maximes tirées de l'Évangile et de la con-
duite des saintes maximes, usages qui sont
fondés sur l'autorité de Dieu même, maxi-
mes saintes qui font tendre sans cesse à la
perfection, maximes qui laissent à la loi
toute sa sévérité et toute son étendue, qui
arrachent à la cupidité tous ses vains pré-
textes et toutes ses ressources profanes; en
un mot, dès qu'on veut être saint, le monde
et ses maximes doivent être comptés pour
rien; il n'est plus permis d'avoir d'autre
maître que Jésus-Christ, d'autre règle que
l'Evangile.
Changement môme clans l'extérieur. E»
effet, quoique la sainteté consiste principa*
H 29
1 YSTERES ET FETES. — SERMON I", SLR LA SAINTETE.
4130
lemcnl dans les dispositions du cœur, il est
certain néanmoins que les sentiments qu'elle
produit dans l'âme doivent rejaillir jusque
sur l'extérieur ; que l'Evangile réforme
le dehors aussi bien que le dedans, que tout
dans un chrétien doit répandre la bonne
odeur de Jésus-Christ; ainsi, si vous voulez
arriver à la sainteté, il faut commencer par
retrancher ces parures indécentes, ces airs
mondains et dissipés, ces superfluités dans
vos tables, dans vos meubles, dans vos équi-
pages, tout cet attirail de luxe et de sensua-
lité. Quel monstrueux assemblage qu'un
cœur chrétien sous un extérieur tout païen!
et comment peut-on reconnaître un disciple
de Jésus-Christ aux funestes marques que le
démon imprime sur le front de ses partisans?
Que la gravité, la modestie, la retenue pa-
raissent donc dans toutes vos démarches;
que votre table, vos meubles, vos équipages,
jusqu'à vos regards, tout soit réglé par la
loi ; en un mot, que tout porte en vous le
caractère d'un chrétien et les impressions de
l'Evangile.
Enfin, la sainteté demande de vous un chan-
gemynt si entier, si universel qu'il faut que
vous deveniez un homme tout nouveau, tout
différent de ce que vous étiez autrefois; qu'on
puisse dire de vous, en vous comparant avec
les mondains, avec les hommes sensuels, in-
justes, médisants, ravisseurs du bien d'au-
trui, ce que saint Paul disait autrefois des
Corinthiens en les comparant avec cette mul-
titude d'hommes idolâtres et corrompus dont
ils étaient environnés, fyoilà ce que vuos étiez
autrefois : Et hœc quidem fuistis (I Cor., VI),
mais vous avez été lavés, mais vous avez été
sanctifiés, mais vous avez été justifiés au nom
de Notre-Seigneur Jésus-Christ et par l'esprit
de notre Dieu, et si l'on se souvient encore
de vos anciens désordres , ce n'est que pour
rendre de continuelles actions de grâces à la
miséricorde de Dieu, qui vous a tirés de la
puissance des ténèbres pour vous faire pas-
ser dans la lumière de Dieu et dans le par-
tage des saints.
Voilà donc les deux dispositions essen-
tielles à la sainteté, la séparation du monde
et le renouvellement des mœurs; dispositions
qui, comme vous le voyez , ne sont pas arbi-
traires , mais contenues expressément dans
l'Ecriture sainte ou qui en sont tirées par des
conséquences nécessaires. Ces dispositions
sont pénibles, je l'avoue, il en coûte pour
les acquérir, mais jetez les veux sur l'état
glorieux et tranquille auquel l'âme sainte
est élevée dès cette vie ; en un mot, après
avoir appris les moyens qui conduisent à la
sainteté, remarquez-en les avantages; c'est
le sujet de mon second point.
SECOND POINT.
Si la sainteté ne nous présentait sur la
terre que des croix, des afflictions, des com-
bats sans douceur et sans consolation , les
impies insulteraient à la condition des saints
et, à la foi du juste; et la foi du juste desti-
tué de tout secours et de tout appui, se re-
buterait tôt ou lard dans une voie si rude et
Orateurs sacués, L.
si pénible; il a donc été de la sagesse de
Dieu de mêlerdes consolations aux rigueur.»
de la piété, et après nous avoir instruits de?
devoirs difficiles que la vertu nous impose,
d'animer notre courage par la vue des chastes
délices et des douceurs ineffables qui sont ,
dès ici bas, la récompense de la sainteté.
Or c'est ce que Jésus-Christ a fait admira-
blement dans l'Evangile: si d'un côté il nous
avertit que le royaume des cieux souffre vio-
lence, et ne s'emporte que par des efforts
non interrompus, que la tristesse et les lar-
mes sont le partage de ses serviteurs, qu'un
chrétien doit renoncer à soi-même et porter
sa croix tous les jours de sa vie; de l'autre,
il nous apprend que son joug est agréable
et son fardeau léger, que nous y trouvons le
repos de nos âmes et que l'observation de
ses commandements est la source du vérita-
ble bonheur. En un mot, s'il ne nous dissi-
mule pas les peines et les amertumes de la
sainteté, il a soin de nous découvrir les dé-
lices et les avantages qui sont attachés à la
pratique de la vertu; or, parmi ces avanta-
ges, j'en découvre trois principaux, et qui
me paraissent bien propres à vous faire con-
cevoir tout le bonheur de cette vie.
Le premier avantage est tiré de la pureté et
de l'éclat que la sainteté communique à l'âme,
cette joie tranquille et ineffable que produit
la paix d'une bonne conscience et le témoi-
gnage qu'on se rend à soi-même de sa pro-
pre vertu. C'est le défaut de cette joie inté-
rieure, de celte paix de la conscience qui
fait le supplice ou plutôt le désespoir des
méchants, qui empoisonne tous leurs plai-
sirs et qui les rend malheureux au milieu
de leurs délices et de leurabondance. Formés
à l'image de Dieu, destinés à le posséder
éternellement, il est en nous une impres-
sion de la main du Créateur, un sentiment
de notre propre excellence , un amour de
l'ordre, un goût de la vertu que le péché ne
peut jamais entièrement effacer; semblables
à ces édifices ruinés, qui dans les masures
renversées, conservent encore quelque chose
de la beauté et de la grandeur de leur première
forme : tout y paraît dans le désordre et dans
la confusion ; mais qu'on remue ces ruines, ©n
trouvera dans les restes de ce bâtiment renver-
sé, et les traces de ses fondements, et l'idée,
le premier dessein et la marquede l'architecte.
Quel est donc le supplice ou plutôt le dé-
sespoir d'une âme, lorsqu'à la faveur de
cette lumière intérieure, qui n'est autre
chose que la marque, l'impression de Dieu,
elle se considère elle-même, et qu'elle se
voit souillée, dégradée , défigurée par le pé-
ché , séparée de Dieu, objet malheureux de
sa colère, et de ses vengeances éternelles?
C'est en vain qu'elle tâche de s'éviter soi-
même ; c'est en vain qu'elle tâche de s'étourdir
par l'amour des biens sensibles; c'est en
vain qu'elle s'imagine de trouver son repos
et sa consolation dans la multiplicité des
créatures: tous ces remèdes frivoles sont au
dehors, et le mal est au dedans. Où en est-
on réduit, lorsqu'on est obligé de s'éviter
pour être heureux? Quelle espèce de néces-
36
ii3i
ORATEURS SACRES. LE P. SIRIAN
iisi
6ité qui laisse nu cœur tout son trouble
et son amertume? et quel repos peut-on
avoir lorsqu'on est mal avec soi-même?
Cette âme infortunée, qui porte partout le
trait mortel qui la blesse et qui la déchire,
partout elle entend une voix secrète qui lui
reproche ses crimes , partout elle voit l'image
du bonheur qui lui était destiné, et le sup-
plice affreux qui l'attend ; au milieu de tou-
tes ces agitations , peut-elle goûter quelques
plaisirs, et les criminels amusements par
lesquels elle tâche d'enchanter sa douleur,
ne se changent-ils point pour elle en poison
mortel, et par le vide qu'ils renferment, et
parle repentir qu'ils lui laissent? Mon Dieu !
que cette situation est cruelle 1 Faut-il au-
tre chose que le vice même pour punir
l'homme corrompu?
L'état de l'âme sainte est bien plus doux
et plus heureux. Convaincus que notre fé-
licité est entre nos mains, qu'il ne faut ni
traverser les mers, ni faire de grandes for-
tunes, ni briller dans des places éclatantes
pour être heureux , mais que nous avons au
dedans de nous-mêmes tout ce qu'il faut pour
le devenir; le chrétien trouve dans son propre
cœur et clans le témoignage de sa conscience
la source d'une joie sainte et d'une paix
inaltérable, joie si juste, si raisonnable, que
les païens mêmes Vont regardée comme la
plus précieuse récompense de la vertu; joie
tranquille qui n'est altérée ni par les inquié-
tudes, ni par les remords; joie durable, parce
qu'elle est fondée sur les dipositions dp
l'âme, et indépendante des caprices de la
fortune; joie qui s'augmente tous les jours
a mesure que le cœur se purifie et que l'é-
ternité approche.
Si qucdque chose est capable de troubler
une âme dans cet état heureux et tranquille,
c'e>t la vue de ses iniquités; elle ne peut
penser sans gémir à ces jours d'égarements
et d'ignorance, qu'elle a passés loin de son
Dieu, dans le tumulte et dans la licence des
passions; mais dans ses gémissements mê-
mes et dans ses larmes, elle trouve des su-
jets de consolation. Quelle joie pour un pé-
cheur converti et réconcilié avec Dieu, lors-
qu'il compare son état présent avec celui du
passé, lorsqu'il voit ses péchés noyés dans
le sang de l'Agneau, et lavés dans les eaux
salutaires de la pénitence; son cœur, qui
était autrefois le séjour de l'esprit impur,
devenu le sanctuaire de la justice et le tem-
ple de Dieu même; lorsqu'il se voit rétabli
dans ses premiers droits, honoré de la qua-
lité d'enfant de Dieu qu'il avait perdue par
le péché , et en droit de prétendre à l'héritage
éternel 1 et de quelque côté qu'il se tourne,
il ne trouve que des sujets de s'applaudir
soi-même de son changement, que des mo-
tifs de zèle et de reconnaissance. L'histoire
de ses égarements passés est l'histoire des
miséricordes de Dieu sur lui; partout il dé-
couvre une providence attentive à le secou-
rir; partout il reconnaît les soins empressés
d'un Père tendre et miséricordieux: dans ses
afflictions, dans ses disgrâces imprévues,
dans ses dégoûts du monde; au milieu du
monde même, aans les remords salutaires
qui empoisonnent ses plaisirs, dans les invi-
tations secrètes qui le rappelaient à la vertu
au milieu des plus doux charmes du vice,
dans les différents moyens de salut que Dieu
lui ménageait depuis lontemps; et tout trans-
porté de reconnaissance à la vue des bien-
faits excessifs de Dieu, il s'écrie avec ce
saint roi qui, près de descendre dans le tom-
beau, d'où il fut retiré par sa main toute-puis-
sante : je me croyais, ô mon Dieul sépart
pour toujours de vous par mon péché ; j'avai.
dit en moi-même : Je ne verrai plus le Sei-
gneur, mon Dieu, dans cette vie; mais vous,
Seigneur,, vous avez eu pitié de moi lors-
que j'étais le plus indigne de vos miséricor-
des ; vous avez délivré mon âme, vous avez
empêché qu'elle ne pérît, vous avez jeté
derrière vous tous mes péchés : Eruisli
animan meam ut nonperiret, projecisti post
terqum tuum omnia peccatu mca. (Psal.
LXXXV.) Ah! mes frères, concevez tout le
bonheur d'une âme unie étroitement à Dieu,
uniquement occupée du soin de reconnaî-
tre ses bienfaits, rassurée contre les alar-
mes par le témoignage de sa conscience. Eh I
ne prendra-il jamais envie aux mondains
d'éprouver toutes les douceurs et toutes lès
consolations de la vertu ?
Le second avantage de l'âme sainte con-
siste dans l'intelligence et le goût des sain-
tes Ecritures, qui font toute sa force et toute
sa consolation. Ces chastes délices ne sont
>as pour les méchants, et cette nourriture
égère est trop délicate pour des cœurs li-
vrés à l'amour des biens grossiers et sensi-
bles; leurs passions répandent sur leur es-
prit un voile épais qui les empêche d'enten-
dre les Livres saints, d'en découvrir le sens,
d'en pénétrer la profondeur, d'en sentir
toute la beauté ; ils n'y trouvent rien que
d'austère et que de rebutant, des maximes
exactes et sévères qui s'opposent à tous leurs
penchants, qui condamnent tous leurs dé-
sordres ; des menaces, des foudres, des ana-
thèmes prononcés contre leurs crimes; bien
loin donc de quitter ces livres divins, si la
curiosité les engage à les ouvrir quelquefois,
ils ne les lisent qu'avec aversion et qu'avec
une secrète horreur ; ils seraient tentés d'imi-
ter la conduite de ce roi impie d'Israël qui
osa porter ses mains profanes et sacrilèges
sur le livre de la loi pour le déchirer, et ils
voudraient, s'il leur était possible, anéantir
pour toujours ces monuments sacrés, sur
lesquels ils doivent être jugés et condamnés
au dernier jour.
Il n'en est pas ainsi de l'âme sainte, déta-
chée de toutes les choses de la terre, et ha-
bitant déjà par sa foi dans le ciel , elle fait sa
plus douce consolation delà lecture des Li-
vres saints, parce qu'elle n'y trouve rien qui
ne fortifie en elle ses bons sentiments, qui ne
lui inspire, la haine du vice et l'amour de la
vertu; ici elle remarque avec admiration la
providence de Dieu sur son peuple choisi,
les grâces dont il l'a comblé, les miracles
qu'il a opérés en sa faveur, les moyens donl
il s'est servi pour le préparer au grand ou-
ms
l YSTERES Et FETES. — SERMON 1", SUR LA SAINTETE.
1134
le soin qu'il n
oi ancienne des
vrage de l'incarnation , et
eu de laisser dans toute la
traces et des figures de Jésus-Christ. Là elle
recueille avec une sainte avidité ces maxi-
mes courtes, mais si belles, si instructives
que le plus sage des hommes nous a laissées
pour régler notre conduit^. Tantôt elle va
chercher dans les prophètes ces descrip-
tions pompeuses de la vanité, ces images
nobles et brillantes sous lesquelles nous
sont représentées les récompenses des justes
et les supplices des méchants; tantôt elle puise
dans les psaumes ces mouvements d'une
piété tendre et d'un cœur touché, ces traits
vifs et animés par lesquels une âme s'élance
vers Dieu; tantôt elle étudie dans les évan-
giles le sens caché des paraboles, les vérités
les plus importantes renfermées sous les
images les plus naïves, ces instructions si
simples en apparence, mais si majestueuses
dans leur simplicité, et si fécondes que nous
y trouvons la guérison de tous nos vices et
la règle de toutes nos vertus. De là, passant à
ces lettres admirables que les apôtres écri-
vaient aux fidèles de leur temps, elle y re-
marque avec étonneinent cette profondeur
de doctrine, cette sublimité de pensées,
cette force d'expressions , cette éloquence
mâle et persuasive que tout l'art des hom-
mes ne pourra jamais égaler, cet esprit de
force, de prudence, de zèle, de charité qui y
est répandu de tous côtés, qui se fait sentir
aux personnes mêmes médiocrement atten-
tives; partout elle trouve de quoi nourrir
sa foi, de quoi animer son espérance, et de
quoi la consoler dans son exil.
Ici je vous prends à témoins, vous qui fai-
tes de la lecture des Livres saints vos plus
chères délices et votre plus consolante oc-
cupation, en ai-je trop dit pour exprimer ce
que vous pensez ? Est-il rien qui approche
de la beauté de ces livres divins, du plaisir
que vous goûtez à les méditer tous les jours?
Quelle force ! quelle noblesse ! quelle éléva-
tion ! quels traits ! quelles images! quelles
idées de la grandeur de Dieu et de la bas-
sesse de l'homme! quelle n~eii:ture de la fé-
licité future et de l'état malheureux des mon-
dains! Que de sages précautions contre le
vice ! que d'attraits puissants pour la vertu 1
Je ne m'étonne plus de ce que les Juifs,
échappés à la fureur de leurs ennemis chas-
sés de Jérusalem, privés de leurs biens, de
leurs femmes, de leurs enfants qu'on égor-
geait cruellement à leurs yeux, se conso-
laient au milieu de tous ces maux, par la
conservation des Livres saints qui leur étaient
restés. Je ne m'étonne plus de ce que les
premiers fidèles les avaient en grande vé-
nération, les lisaient avec tant d'assiduité,
y puisaient assez de force et de courage
pour braver les plus rudes tourments ; je ne
m'étonne plus de ce qu'ils regardaient avec
tant d'horreur, de ce qu'ils séparaient même
de leur communion ceux qui avaient été as-
sez lâches pour les livrer aux infidèles, de
ce qu'ils portaient même quelquefois leur
zèle jusqu'à vouloir que ces monuments sa-
crés fussent renfermés dans leur tombeau et
mêlés, pour ainsi dire, avec leurs cendres
pour servir de gage et de témoignage de leur
fidélité au jour de .la révélation. Puisse ce
premier esprit se ranimer encore de nos
jours 1 puisse cet amour des divines Ecritu-
res se ranimer dans un siècle comme le nô-
tre, où l'on se pique de goût et de discerne-
ment pour la vérité.
Le troisième avantage de l'âme sainte est
fondé sur la confiance qu'elle a d'appartenir
à Dieu, sur l'espérance inébranlable de le
posséder un jour ; en effet, quoique personne
ne puisse savoir certainement s'il est digne
d'amour ou de haine , quoique le témoi-
gnage d'une. conscience qui ne vous repro-
che rien ne suffise pas pour nous justifier
auprès de Dieu, et que le plus juste doive
toujours opérer son salut avec crainte et
tremblement, il est néanmoins certaines mar-
ques qui nous peuvent donner une con-
fiance juste et raisonnable que nous appar-
tenons à Jésus-Christ, et par lesquelles l"Es-
prit-Saint rend témoignage à notre esprit
que nous sommes enfants de Dieu. Or, tou-
tes ces marques précieuses, tous ces carac-
tères de prédestination se trouvent réunies
dans l'âme sainte ; cette conformité avec Jé-
sus-Christ d'actions, de sentiments et de
désirs, cette sainte impatience d'arriver à la
perfection, cette haine du péché, ce goût de
la vertu, ces lumières qui éclairent son es-
prit, ces consolations que la grâce répand
dans son cœur, ne sont-ce pas là comme au-
tant de voies éloquentes par lesquelles Dieu
dit à l'homme juste qu'il est son fils bien-
aimé, l'objet de toute son affection et de
toute sa tendresse : Hic est Filins meus dilec-
tus inquomihibene comptant i .(Mat th. , XVII.)
De là cette espèce d'insensibilité pour
toutes les choses de la terre, ce détachement
universel d'une âme à qui Dieu suffit : de là
cette sainte sécurité qui n'exclut pas la vi-
gilance et le travail, mais qui bannit seule-
ment les alarmes et les inquiétudes excès
sives ; de là cette confiance dans les pro-
messes de Dieu et dans ses miséricordes,
cette espérance ferme de le posséder un
jour, d'entrer dans les tabernacles éternels,
de ne faire qu'un corps avec les élus de
Jésus-Christ, dont il sera le chef pendant
toute l'éternité, espérance qui ne confond
pas, parce qu'elle est fondée sur la promesse
d'un Dieu, affermie par son sang, entretenue
par les douceurs ineffables de la charité, que
le Saint-Esprit répand dans nos cœurs.
Ici, hommes aveugles dominés par l'a-
mour du siècle, comparez, si vous l'osez, vos
voies inquiètes, vos plaisirs profanes, tou-
jours mêlés de chagrins et de remords, avec
les plaisirs purs et les ineffables consolations
du juste; rougissez devoir qu'il vous en
coûte plus pour vous perdre qu'il n'en coûte
aux saints pour se sauver, et qu'obligés de
leur céder le bonheur de l'autre vie, vous
ne pouvez pas même leur disputer celui de
la vie pénitente. Ne puis-je donc pas vous
adresser ici ces belles paroles du Roi-Pro-
phète : Enfants des hommes , jusqu'à
quand aurez-vous le cœur appesanti? jus-
ii33
OHATr.URS SACRES. LE P. SÏJHIAN.
U3(i
qu'à quand preniirez-vous, pour arriver au
bonheur, une route qui vous en éloigne?
Filii hominum, usquequo gravi corde? tut quid
dilifjitis vanitatem et quœritis mendacium?
(Puai. IV.) Sachez que le Seigneur a rempli
son saint d'une gloire admirable, qu'il se
plaît à l'élever, à le récompenser dès cette
vie par les caractères de prédestination qu'il
imprime sur lui, par la joie qu'il répand dans
son cœur; sachez, en un mot, qu'il n'y a que
trouble et affliction pour les méchants, et
que le véritable bonheur est inséparable de
la sainteté : Et scitote quoniam mirifieavit
Dominus sanctum suum. (Ibid.)
Mais peut-être regardez-vous les portraits
que nous vous faisons du bonheur du juste
comme des portraits flattés, comme ùes sail-
lies d'une imagination échauffée plutôt que
comme de fidèles expressions de la vérité ?
Eh bienl ne nous croyez pas, mes frères,
quoi qu'en vérité quel intérêt aurions-nous à
vous tromper? mais croyez-en du moins
tant d'âmes fidèles qui servent le Sei-
gneur dès leurs plus tendres années, qui pu-
blient hautement qu'elles n'ont trouvé que
paix et que consolation à son service ; croyez-
en les mondains eux-mêmes, qui avouent
tous les jours en gémis; ant que la voie du
juste est la plus courte et la plus sûre pour
arriver h la félicité ; croyez-en votre propre
expérience; éprouvez par vous-mêmes si ce
que je vous dis est vrai. Donnez-vous à
Dieu, mais sincèrement et de bonne foi ; tâ-
chez de devenr saints, votre état et le nom
de chrétien vous y engagent; bientôt vous
reconnaîtrez que nos portraits, bien loin
d'être flattés, n'expriment qu'une partie de
la vérité; que les consolations du juste sont
au-dessus de toutes nos expressions et de
toutes nos pensées ; en un mot, que la sain-
teté est une félicité commencée dès cette vie,
qui doit durer et se perfectionner dans l'é-
ternité, que je vous souhaite au nom du
Père, etc. Amen.
SERMON II.
Pour le jour de la Purification.
DE L'OBSERVANCE DE LA LOI.
Vostqnam impleti sunt dies purgationis ejns sec ndum
.egem Moysis, tulerunt illum in Jérusalem ut, sisterent
eum Domino sicut srriptum est in le;;e Domini [Luc, II.)
Les jours de la purification marques p:ir la loi -de Moïse
étant accomplis, ils portèrent Jésus à Jérusalem pour le
présenter au Stiyneur comme la loi l'ordonne.
Qu'il est saint, qu'il est auguste ce saeri-
fie du ciel, que le disciple hien-aimé nous
décrit dans son Apocalypse! 11 voyait comme
il le rapporte, venir à cette oblation un
Agneau pur, une vierge sans tache, de saints
vieillards ; on y chantait dans une paix pro-
fonde des cantiques d'actions de grâces, et
au pied de l'autel sacré il n'y avait rien qui
ne devînt une hostie.
Mais qu'y voyait-il, ce saint apôtre, dans le
temple delà gloire de Dieu, que celui de
Jérusalem aujourd'hui ne nous expose? Jé-
sus-Christ offert est cet Agneau pur, Marie
est cette vierge sans tache, et Siméon priant
représente ces bienheureux vieillards qui
environnaient le trône de l'Agneau immolé;
le cantique qu'on y prononce n'est qu'une
expression de celui du ciel; enfin, de tous
ceux qui se trouvent dans le temple, chacun
vient offrir une victime à son Dieu:Joseph
ses pleurs, Marie son fils, Siméon sa vie, Jé-
sus son cœur et tout avec lui.
Oh ! par combien d'hosties saintes, le tem-
ple du Seigneur est-il consacré! Et nous aussi
mes frères, allons y sacrifier : trop de victi-
mes qui nous précèdent nous y appellent;
immolons-nous. C'est tout le désir et la plus
douce consolation du Père des miséricordes,
qui dans celte auguste solennité, ne semble
nous offrir plus particulièrement l'exemple
de Marie, que pour nous .donner l'idée la
plus parfaite du sacrifice qu'il attend des
chrétiens. Car quels sont les vrais caractè-
res, dit saint Augustin, du grand sacrifice
que nous devons à Dieu? offrez-lui vos es-
prits par une soumission aveugle, donnez-
lui vos cœurs par une obéissance entière.
Voilà l'holocauste qu'exige de vous le Sei-
gneur.
Or, sur ce principe, que manquait-il au
sacrifice de Marie? Qu'elle est. éloignée de
vouloir y dérober quelque chose d'elle-
même! Elle vient s'immoler tout entière au
pied de l'autel sacré : son esprit y est immolé
par la soumission aveugle à une. loi qui la
mettait dans un état de dégradation et de
honte, son cœur y est sacrifié tout entier par
l'immolation qu'elle fait à Dieu de ce qu'elle
a de plus cher au monde; et voilà ce que
nous ferions si nous étions bons chrétiens
et si l'esprit qui nous anime était un esprit
d'hostie mous mettrions sur l'autel, à l'exem-
ple de Marie, et notre esprit, par une obéis-
sance aveugle à la moindre des lois du Sei-
gneur : Secundum hgcmMoysi, et notre cœur,
par une oblation généreuse de tout ce que
nous avons de plus cher : Tulerunt illum ut
sisterent Domino. Car voilà les deux grands
caractères du sacrifice de Marie, et les condi-
tions essentielles que doit avoir le nôtre pour
plaire à Dieu et attirer sa miséricorde sur
nous. Soumission aveugle aux lois du Sei-
gneur, contre les vains prétextes qu'on ap-
porte pour s'en dispenser, oblation entière
contre les réserves. Voilà mon dessein; heu-
reux si nous pouvions direaujourd'hui avec
vérité à la vue des hosties saintes que le
mystère nous représente : Je me suis senti
touché et j'ai fermement résolu de sanctifier
celte hostie de moi-même, que Dieu veut et
que depuis si longtemps j'aurais dû lui con-
sacrer. Demandons au Saint-Esprit les se-
cours qui nous sont nécessaires, par l'inter-
cession do Marie. Ave, Maria.
PREMIER POINT.
Et d'abord, que de raisons dispensent Ma-
r c de la loi qu'elle veut subir et semblent
décider pour elle et l'en excepter! Quelle est
cette loi et que porte-t-elle? C'est la loi de la
purification, qui n'est faite que pour les fem-
mes souillées après l'enfantement; mais dans
Jésus que de sainteté ! dans Marie que d'in-
nocence! Ce fils qu'elle avait mis au monde,
1137
MYSTEBES ET FETES. — SERMON H, OBSERVANCE DE LA LOI.
1138
n'était que le gage précieux de sa pureté, il
ne pouvait que la conserver et l'accroître.
Ce divin soleil qui la pénètre l' éclairait
si parfaitement qu'il ne laissait pas la moindre
ombre en elle, et sa virginité, qui aupara-
vant n'était qu'an.e simple vertu, devient
après un grand mystère.
Oh! que cette loi si humiliante pour la
Mère d'un Dieu, pouvait bien lui paraître
étrangère où lui devenir indifférente! mais
que des principes plus nobles la conduisent!
Destinée à réparer par l'obéissance ce qu'a-
vait perdu l'homme par l'infraction, elle
n'appréhende rien de ce que craignait tant
la mère du Sage : Erimus ego et filins meus
peccatores. (lll-Reg., I.) Aux dépens de toute
sa gloire elle vient se purifier, et lorsque
rien ne l'obligeait à se purifier, son amour et
son humilité l'y engagent.
Oh ! qu'une telle hostie nous conduise,
mes frères, nous qui nous faisons une sou-
mission arbitraire de l'obligation essentielle
de la loi du Seigneur, qui loin d'en embras-
ser sans distinction tous les articles , nous
choisissons ceux qui nous accommodent le
mieux, ou qui nous incommodent le moins,
comme si toutes ces lois et tous les points
qu'elles renferment ne partaient pas toutes
ou même auteur, comme si elles ne promet-
taient pas toutes la même récompense. Lâ-
ches que nous sommes, nous rejetons ces
lois pures, parce qu'elles ne sont pas de no-
tre goût; et comme notre amour-propre les
étend ou les rétrécit à son gré, il nous les
fait quelquefois rejeter sur de vains pré-
textes d'exemptions , sur nos dignités et
notre rang, sur le soin de notre réputation,
sur l'amour de notre liberté, sur les obscu-
rités et les ambiguités de la loi, sur sa sévé-
rité, sur son incompatibilité avec certaines
situations de la vie, enfin, sur la légèreté de
la loi. Voilà les prétextes de dispenses qui
mettent obstacles à notre sacrifice, et qui
nous empêchent! ô mon Dieu, d'obéir avec
humilité à votre loi sainte. Reprenons, et
plaise au Seigneur que nous puissions ici
confondre l'illusion et la témérité de ces faux
prétextes!
Premier prétexto .l'illusion : sur la nature
des dignités et de votre rang. Marie loin de
chercher, pour se soustraire à la loi de puri-
fication , une dispense et un privilège
d'exemption dans son rang et dans sa di-
gnité glorieuse de mère d'un Dieu, cette
raison qui paraît si forte ne l'empêche point
cependant de remplir les devoirs humiliants
de sa servante, et plus elle a de dignité et
de grandeur, plus elle veut avoir de sou-
mission et d'obéissance.
Vous chrétiens, au contraire, quand vous
êtes dans un état relevé, vous vous croyez
au-dessus des lois; vous n'êtes riches ou
nobles que pour renoncer à cette religion
sainte qui vous ordonne le détachement et
l'humilité; être mortifié dans ses sens, libé-
ral envers son prochain , réglé dans sa dé-
pense, ennemi des maximes du monde,
fidèle au jeûne et à l'abstinence, tout cela est
regardé chez vous, grands do la terre, comme
incompatible avec la noblesse du sang et
avec les apanages du rang et de la condition ;
vous vous permettez sans scrupule la fierté,
les hauteurs , la mollesse, le faste, les plai-
sirs, la bonne chère, comme les privilèges
de votre état ; il semble qu'il y ait un autre
Evangile, une autre vt)ie de salut pour vous
que pour le reste des hommes. Il y en a un
autre en effet, mais c'est que comme vous
êtes plus exposés aux occasions du péché
vous devez-être aussi plus pénitents, [dus
vigilants et plus cirronspects.
O riches du siècle , dites-nous donc qui
vous a dispensés et donné le droit de secouer
ainsi le sacré joug des lois les plus respec-
tables du Seigneur? et Dieu juste ne vous
a-t-il donc comblés de plus de biens et de fa-
veurs que les autres, que pour vous en
rendre plus infractàires ? Ah ! écoutez-le , il
vous dit lui-même que vous n'êtes grands
riches, placés sur la tête des autres, distin-
gués dans 1» monde, que pour devenir les
modèles d'obéissance et de fidélité; c'est là
votre distinction, vos titres, votre grandeur,
et c'est là le grand dessein que Dieu a eu en
vous élevant au-dessus de vos frères. Dès
là que vous n'obéissez point à ses lois
fidèlement, vous n'avez plus de rang dans
le monde, vous n'y occupez plus de place,
parce que vous ne répondez plus aux usages
saints que Dieu voulait que vous fissiez do
votre grandeur, de votre autorité; parce que
vous rendez vaines les fins admirâmes qu'il
s'était proposées en vous élevant, et que loin
d'être aux autres des modèles d'édification,
vous leur devenez un sujet de scandale et
de ruine : Erit in ruinant hàbitanlibus Jéru-
salem. (Isa., VIII.)
Second prétexte d'exemption : sur le soin
de sa réputation. Que celle de Marie sem-
blait souffrir dans l'observance légale de sa
purification ! Elle était vierge et sans passions
même; cependant, plutôt que de ne pas
obéir à la loi, elle s'expose à donner des
soupçons sur sa virginité et à faire croire
qu'elle est souillée comme les autres femmes,
et ne connaît point d'autre gloire que celle
d'être soumise à son Dieu.
En cela qu'elle vous confond, lâches chré-
tiens, qui regardez le soin de votre honneur
comme un titre qui vous dispense le l'ob-
servance de la loi , dès qu'elle vous paraît
humiliante ! Si nous voulons par la péni-
tence renouveler en vous la loi de la purin-
cation qui n'est plus, si nous exigeons a; rès
une vie toute de désordres que vous don-
niez quelques marques de douleur et de
la sincérité de votre repentir, si nous vou-
lons vous tenir quelque temps séparés de
la sainte participation de nos mystères, cette
loi vous paraît trop humiliante ; votre fausse
délicatesse nous oppose mille raisons de
bienséance pour vous en dispenser, et ,
comme Saùl , vous voulez bien secrètement
avouer que vous êtes pécheurs, mais comme
lui, vous demandez qu'au moins l'on vous
honore devant le peuple : Sed nunc hotte ra
me coram senioribus popuii met, (l Reg.A XV.)
4139
ORATEURS SACRES. LE P. SURIAN.
1 140
Mais je vous demande : quel droit donc
avez-vous à cette réputation dont vous êtes
si jaloux, depuis que vous l'avez si hon-
teusement prostituée au crime? Que méri-
tez-vous, que confusion, que honte? et ne
seriez-vous point trop heureux de pouvoir
vous réconcilier avec un Dieu si justement
irrité contre vous, fût-ce mê ne au prix de
toute votre gloire? Ah 1 la véritable grandeur
de l'homme est d'obéir à la loi de son Dieu ;
dans le désordre , dans l'infraction de cette
divine loi tout est vil , tout est méprisable ,
tout y est plein d'humiliation et de bassesse ;
dans* l'obéissance de cette loi tout est
grand , respectable ; tout y est plein de no-
blesse, tout y respire cette véritable force
qui rend l'homme supérieur à toutes choses
et à lui-môme. Observez-la, disait autrefois
la sainte mère des Machabées à ses enfants,
observez-la cette loi divine , et par cette
observance vous serez couverts de gloire :
Quia in ipsa gloriosi eritis. (I Macli., II.)
Alors c'était la soumission à la loi du Sei-
gneur qui faisait les héros; quand on en
observait fidèlement les articles, on était
plus estimé et [dus honoré que les plus
grands conquérants, et si en ces temps for-
tunés où tous les cœurs soumis à la loi
étaient si respectables, que sera-ce en ces
malheureux jours où. tout le monde est
rebelle, où un homme fidèle aux lois du
Seigneur est un spectacle si rare? Que de
gloire n'acquerrera-t-on point par son obser-
vance ? 7m ipsa yloviosi eritis.
Troisième prétexte': sur l'amour de notre
liberté. Marie n'était point forcée d'obéir à la
cérémonie légale de la purification ; elle n'a-
vait donc qu'à user de son droit et s'en dis-
penser, puisqu'elle était distinguée de toutes
les autres femmes; mais elle aime mieux dé-
pendre de Dieu que d'elle-même, et regardo
pomme Le meilleur usage qu'elle puisse faire
de sa liberté, que de s'engager au Seigneur
par un éternel sacrifice
Nous, trop jaloux de notre liberté, nous ne
voulons dépendre que de nous-mêmes; si on
nous propose des lois de tempérance, de mo-
destie, déjeune, d'éloignement du monde,,
de ses compagnies dangereuses, de ses spec-
tacles pernicieux, de ses créatures perver-
ses, de la fuite des occasions, des vanités et des
plaisirs des sens, nous nous plaignons qu'on
veut trop nous contraindre, qu'on nous en-
gage dans des entreprises injustes, qu'il
vaudrait autant mourir que de vivre dans
une situation si gênante. Dans ces importan-
tes occasions où il s'agit du choix d'un état,
de prendre une profession, de monter à un
poste, d'occuper une place,, ah 1 la volonté
de Dieu n'y est comptée pour rien; nous ou-
blions que nous avons plus haut un maître
absolu, un supérieur éclairé qu'il faudrait
mettre à la tête de tous nos conseils, Jet dont
la volonté doit régler nos projets, et d'où
dépend notre salut et notre destinée; et au
lieu de cela, nous y substituons nos faibles
vues, nos intérêts, nos goûts, nos penchants,
les règles de la politique humaine, nos pas-
BHIQS et nos caprices. Nous voudrions s'il
était possible, ôter à ce Dieu 1 empire de co
monde, quoique nous sachions bien que rien
sans lui ne subsistera un instant.
Prétexte d'exemption sur la sévérité de la
loi. Que celle de ce jour avait de sévérité pour
Marie 1 Siniéon lui montre de loin ce glaive
de douleur qui devait [bientôt percer son
cœur; ce temple où elle- va présenter son
Fils, lui devient comme un Calvaire, et l'au-
tel sacré où elle met son offrande, lui repré-
sente par avance la croix, les souffrances, la
passion, la mort, et enfin le sacrifice de son
Fils, et c'est à cela qu'elle se soumet, ne vou-
lant faire qu'un seul et même sacrifice.
Nous, dans le sacrifice que nous faisons
de notre esprit à la loi du Seigneur, nous ne
voulons que des choses douces, faciles et
commodes, quelques prières froides, 'quel-
ques aumônes légères, quelques jeûnes adou-
cis, quelques œuvres éclatantes. 11 est vrai
que nous n'osons pas ouvertement renoncer
au salut, mais nous le faisons dépendre do
certains devoirs commodes de certaines ver-
tus en recommandation chez les honnêtes
gens, et que le monde lui-même nous pres-
crirait quand l'Evangile ne les ordonnerait
point, comme lajusiice, la probité, la bonne
foi, la droiture; mais pour les lois pénibles
et les vertus austères qui pourraient coûter
quelque violence, telles que sont la haine
de soi-même, la fuite du monde, l'éioigne-
ment des objets dangereux, des compagnies
mondaines, des plaisirs, des spectacles, le
crucifiement de la chair, une vie sainte de
pénitence, de renoncement, de souffrances;
toutes ces lois, quoique saintes, toutes in-
dispensables qu'elles soient à un chrétien
qui veut opérer son salut, et surtout à des
pécheurs si redevables envers la justice
divine, nous trouvent révoltés et indociles.
Nous nous faisons là-dessus des consciences
larges qui nous rassurent. Tout devoir
qui est onéreux nous paraît injuste, tout
commandement s'il nous incommode nous
devient une excuse ; comme si les lois
de Dieu étaient nos lois, et qu'elles dé-
pendissent de nous, nous les adoucissons et.
interprétons, nous les fléchissons au gré de
nos désirs; nous n'y apportons qu'une obéis-
sance de goût, d'honneur, de caprice. De
tempérament incapables de soutenir la moin-
dre épreuve et les plus [légers combats,
comme l'épouse des cantiques, nous écou-
tons la voix de notre bien-aimé, quand il veut
nous faire aller par des chemins battus, par
des voies larges et commodes, mais nous
l'abandonnons dès qu'il faut ,1e suivre dans
des sentiers étroits et tout couverts de pei-
nes. Enfin, quand on embrasse sans hésiter
une loi qui va remplir toute sa vie d'afflic-
tions, d'amertumes, d'alarmes, nous regar-
dons avec indifférence toutes les lois du Sei-
gneur qui n'entrent point dans le plan de
notre mollesse. Mon Dieu, quand on aime
on est si courageux; rien ne paraît difficile
quand on est bien animé par le désir de
plaire 1 Que nous avons donc peu d'amour
pour vous, quand pour vous obéir et obser-
ver vos saintes lois, tout nous paraît difficile!
4141
MYSTERES ET FETES. — SERMON H, OBSERVANCE DE LA LOI.
O pécheurs misérables, pouvons-nous souf-
frir dans notre cœur de si fortes passions, de
si grands crimes, et nous plaindre que la
loi qui les punit est trop rigoureuse? Non
depuis que par le péché nous sommes deve-
nus rebelles à notre Dieu, nous avons besoin
des lois les plus sévères pour nous retenir,
et nous ramener à son domaine.
Prétexte d'exemption sur l'incompatibilité
de la loi avec des conjonctures des situa-
tions de la vie. Ne consultez que la raison :
Marie ne pouvait-elle pas dans son état se
dispenser de subir une loi qui supposait une
souillure qu'elle n'avait pas? la singularité de
son enfantement, l'indigence même qui ne
l'oblgoait qu'à une offrande si modique?
Mais elle ne fait point d'attention à toutes ces
conjonctures, et, de toutes les lois que le
Seigneur a faites, elle croit qu'il n'en est
aucune par qui l'homme ne doive rendre
hommage à son Dieu en tout temps et en
toutes occasions.
Et nous, de toutes ces mêmes lois, en est-
il une seule qui ne nous .paraisse incompa-
tible avec noire état ?Et en certaines conjonc-
tures, faut-il jeûner? on est faible ; faut-il
donner l'aumône? on est pauvre; se mortifier?
on est jeune ; se recueillir? on se doit au
monde. Faut-il pardonner? il y a de la bas-
sesse; faut-il s'éloigner des compagnies? la
bienséance ne le permet pas; faut-il être
plus modeste dans ses parures? la coutume
le défend; faut-il enfin se convertir? il n'est
f>as temps encore. Ainsi faisons-nous aller
es lois du Seigneur au gré de notre incon-
tinence; ainsi regardons-nous les préceptes
de notre sainte religion comme inalliables
avec ce cercle d'amusements et d'aifaires
temporelles qui composent toute notre vie.
Il semble que nous les observerions si nous
étions dans un autre état et dans d'autres
conjonctures que dans celles où la main de
Dieu nous a placés , mais dans celles où nous
nous trouvons, ces divines lois nous parais-
sent impraticables. Nous nous figurons que
dans un état de maladie, nous sommes
exempts de toutes les lois et de tous les
devoirs du christianisme , parce que nous
nous trouvons inhabiles à la prière et aux
lectures pieuses, au jeûne, à l'abstinence;
mais nous ne pensons pas que la patience
soit alors pour nous toute la loi, que souf-
frir avec résignation, c'est prier, méditer,
jeûner, faire pénitence; c'est véritablement
accomplir tous les points de la loi, puisque
c'est faire tout ce que Dieu veut que nous
fassions en cet état, et que c'est remplir tous
les devoirs possibles et essentiels des con-
jonctures et de la situation particulière où il
nous a lui-même placés. O vous, qui nous
alléguez pour dispense légitime de la loi du
Seigneur, la situation et les conjonctures où
vous vous trouvez dans votre état, dites-nous
hommes aveugles, est-il donc une seule
situation dans la vie, une seule conjoncture,
un seul état, où nous ne soyons à Dieu, sous
l'empire de Dieu, dépendants de son do-
maine; et si dans toutes les situations où
tous pouvez être, vous lui appartenez, et si
I1i2
partout et en tout temps vous dépendez de
lui, pourquoi ne pas lui obéir et observer
ses lois?
Enfin, prétexte d'exemption sur la légè-
reté de la loi. Marie, malgré ses privilèges,
ne demande pas à s'en exempter; ne vou-
lant pas que la religion commence en elle
par une dispense, et jugeant que, dans ce
qui regarde Dieu, tout est grand , tout est
respectable, elle remplit tout, elle observe
tout dans la loi , jusqu'aux cérémonies les
plus légères.
Ici, quel sujet de confusion pqoir vousl Dans
l'observance des lois du Seigneur, vous ne
voulez jamais accomplir que le plus néces-
saire et le plus essentiel. Tel qui se croit
réglé et irréprochable dans la colère, dans
l'ambition, dans l'impureté, dans la ven-
geance, dans l'amour du monde, ayant voulu
se faire des limites suf les préceptes qui dé-
fendent tous ces crimes, se trouvera emporté
si loin au delà de toutes les bornes, sans
même qu'il s'en soit aperçu, qu'il n'y aura
plus de loi pour lui, et que, pour ne vouloir
que les lois communes, il n'en gardera pas
une seule en particulier. Toujours la ba-
lance à la main, il veut étendre la loi plus
loin qu'elle ne va et mesurer ses préceptes
sur ses penchants, se demandant sans cesse,
est-ce un commandement ou n'est-ce qu'un
conseil? est-ce un péché mortel ou n'est-il
que véniel? C'est ainsi qu'on se fait mainte-
nant sur les plus- saintes lois une mesure
d'obéissance à son gré; craignant d'être
trop exact envers Dieu, on ne lui donne
tout au plus que le nécessaire: on se con-
tente de lui obéir à la lettre sans chercher
à lui plaire. N'ayant qu'une religion timide et
imparfaite, il se trouvera, à le bien prendre,
qu'on n'en a point du tout.
O malheur de tous le plus effroyable, mais
qui ne regarde pas Marie, que sa fidélité
aux moindres lois élève à la perfection la
plus sublime! demandez-vous qui limite
cette fidélité de Marie? C'est vous-mêmes,
âmes injustes et timorées qui, croyant de-
voir donner autant et plus à l'observance de
la loi du Seigneur que vous avez donné
à la pratique du vice et au dérèglement
des passions, vous écriez avec le Prophète-
Roi : mon Dieu, je m'assujettis sans réserve à
vos divines lois: Ad omnia mandata tua dirige-
bar. (Psa/.CXVIII.) Avant mes prévarications,
je pouvais être moins fidèle et vous exigiez
peut-être moins de moi; mais, depuis mes
malheurs, il ne doit plus y avoir de distinc-
tion pour moi entre vos commandements;
tout dans eux me devient sacré. 11 ne peut
plus y avoir aucune de vos lois qui soit
étrangère à mon état ni indifférente à ma
misère. Peut-être que celle que j'oublierais
de pratiquer est celle où vous avez plus par-
ticulièrement attaché mon salut et vos misé-
ricordes; crainte de la manquer, je veux
n'en omettre aucune : ad omnia, et, tout
dévoué à votre service et à ma religion, je
vais me donner tout entier à vos divins com-
mandements. Mon péché a violé toute votre
loi sainte, ma pénitence va l'embrasser tout
« 153
ORATEURS SACRES. I.K P. SURIAN
1144
entière ; trop de lâcheté m'a rendu rebelle
à vos aimables préceptes, un saint excès de
soumission en va réparer l'infraction et,
même de cette obéissance pleine et entière,
non-seulement je (vais me faire un devoir,
une obligation, une dette, mais un plaisir,
un bonheur, un fond de paix et de confiance;
et si une seule de vos lois, quand je l'ai
observée fidèlement, m'a donné tant de joie,
que sera-ce quand je les aurai toutes ac-
complies? ad omnia mandata tua, etc. Mais
ce serait peu de soumettre notre esprit à la
loi, contre les prétextes qu'on apporte pour
s'en dispenser, il faut encore y donner tout
votre cœur contre les indignes recrues qu'on
y fait; et à la soumission parfaite il faui join-
dre à l'exemple de Marie, une obligation en-
tière. C'est le sujet de mon second point.
SECOND POINT.
Que Dieu est grand sur nous, Messieurs !
que l'empire qu'il a sur les hommes est uni-
versel 1 que son domaine est absolu sur
toutes ses créatures ! Je suis, dit-il lui-même,
dans ses Ecritures, le Seigneur par excel-
lence , le suprême dominateur sur toutes
choses; tout vient de moi ; tout est à moi,
tout dépend de moi, et toi, ô homme, tu
m'appartiens encore par des droits et des
titres plus sacrés et plus particuliers que
tout le reste. C'est moi qui t'ai créé, qui t'ai
racheté, qui t'ai conservé; sans moi tu serais
encore dans le néant et dans la perdition ; tu
n'es que l'ouvrage de mes mains et de ma
grâce; si je t'abandonnais un seul moment,
tu retomberais dans la poussière et dans la
misère d'où je t'ai tiré : Mcatunt omnia.
Or comment, Messieurs , reconnaîtrons-
nous ce domaine si grand que Dieu a sur
nous, si nous ne lui offrons le sacrifice tout
entier de tout l'attachement de notre cœur à
ses saintes volontés? et puisque son domaine
suprême s'étend sur tout ce que nous som-
mes et sur tout ce que nous avons, donnons
lui notre cœur tout entier et avec lui tout
nous-mêmes : Mea sunt omnia. Mais quels
sont donc tous les caractères de l'intégrité
de notre cœur et comment le pouvons-
nous donner à Dieu tout entier ? C est de lui
offrir ce que nous aimons le plus et ce que
nous avons de plus cher ; et non-seulement
de le lui offrir sans ménagement, mais sans
retour.
Et voilà ce qui rend l'obéissance de Marie
à la loi de la purification si pleine et si en-
tière : c'est qu'elle y sacrifie à Dieu ce qu'elle
a de plus cher dans son cœur, sans restric-
tion et sans dédommagement et par là con-
damne deux grands abus : c'est que, ou ne
sacrifiant jamais qu'une partie de nous-
mêmes, nous nous réservons ce qu'il y a de
Îdus cher dans notre cœur, ou si nous sacri-
ions tout notre cœur, nous nous ménageons
des consolations et des adoucissements qui
affaiblissent notre sacrifice. Car qui de nous,
si nous cherchons de bonne foi, ne trouvera
pas dans sa conscience ces malheureuses dis-
positions? et peut-ony penser sans gémir et
pleurer, et sans s'écrier avec celui dont il est
parlé dans les Proverbes ; Ah ! que jusqu'ici
j'ai donc mal sacrifié mon cœur à Dieu et
que mon holocauste doit lui être abomina-
ble? Hostiœ impiorum abominabiles , quia offe-
-runtur ex scelere. (Prov., XXI.)
1° Le sacrifice que vous devez faire à Dieu
ne.se fait point de victimes étrangères, mais de
tout ce qu'il y a de plus vivant dans le cœur et
ducœui lui-même; voyez si vous offrez à Dieu
ce que vous aimez davantage et réglez votre
sacrifice sur celui de Marie. Jugez s'il ne lui
en coûte rien de faire le sacrifice d'un Dieu
à un Dieu. Hélas 1 elle prend pour victime
un fils si aimable ; comme Dieu, il attirait
tous ses hommages ; comme homme, il ga-
gnait toute sa tendresse. Ce que nous regar-
dons comme une faiblesse naturelle dans
les autres mères, était une grâce et une per-
fection dans cette chaste vierge. O mon Dieu,
quelle hostie, et qu'elle était sainte 1
Comprenez toute la grandeur de ce sacri-
fice, parents lâchesqui m'écoutez; si la grâce
de Jésus-Christ porte un coup bienheureux
dans le cœur d'un enfant que vous aimez,
pour le mettre à couvert des dangers du
monde dans la religion et dans la solitude,
quelle peine n'avez-vous pas à lui abandon-
ner la victime que vous voulez réserver
pour le monde, imitant en cela ces parents
barbares qui, par un culte détestable, immo-
laient leurs enfants à Moloc, et les faisaient
mourir dans leur sacrifice impie, de peur de
les consacrer au Seigneur qui les leur de-
mandait?
Vous qui, par une préférence bizarre, con-
sacrez à l'Eglise ce que vous avez de plus
imparfait et de plus défectueux, de plus cor-
rompu, de moins éclairé dans vos familles
et de moins propre à tout ce que vous voulez
que nous soyons dans notre état, vous ne
lui offrez que des hosties forcées qu'il re-
jette , et pendant que votre lâche cœur lui
refuse, lui conteste celles qu'il veut avoir,
vous vous faites d'un autre enfant chéri,- à
qui yous immolez tous les autres , une idole
que vous adorez ; au lieu de venir déposer à
ses pieds l'autorité qu'il vous a donnée sur
vos enfants, vous remployez tout entière
à les lui refuser. Quand même ils obéi-
raient à la grâce qui les sollicite, qui les
presse , vous venez disputer avec eux; vous
dites que vous ne résistez à leurs pieux
desseins que pour les éprouver, que pour
les faire attendre, et sous prétexte de mieux
assurer leur vocation vous les arrachez à la
grâce et la leur faites perdre. Ne dirait-on
nas que vous êtes comme l'ange qui retint
la main d'Abraham.
Quelquefois même vous leur insinuez ce
qui peut contribuer à les retenir avec vous,
et, leur débitant une morale au gié de vos
penchants, vous leur faites entendre qu'on
peut se sauver dans le monde comme dans
le cloître, dans le siècle aussi aisément que
dans l'Eglise; vous leur dites comme Pha-
raon à Moïse : Sanctificate Deo vestro in
terra hac (Exod., VIII), faites votre sacrifice
ici, puisque vous y êtes; pourquoi vouloir
aller dans une terre étrangère? Demeurez.
im
MYSTERES ET FETES. — SERMON i!, OBSERVANCE DE LA LOI
lUft
avec nous et n'allez pas plus loin : Lùngius
ne'abeatis. (Ibid.)
Voilà ce que vous faites pour empêcher
le sacrifice d'un enfant chéri que vous aimez;
mais savez-vous bien ce qui en arrive? Ah 1
vous la réduisez, cette âme infortunée, à
vous désavouer devant Dieu, et à lui deman-
der secrètement du secours contre vous-
mêmes. Ne sachant quel parti prendre entre
le ciel qui l'appelle et vous qui la retenez,
dans la nécessité fatale où vous la mettez
d'être infidèle à Jésus-Christ ou de vous
devenir désagréable, disposée à suivre son
Sauveur, mais embarrassée de vous quitter;
trop divisée par les mouvements divers qui
se combattent dans son âme, c'est-à-dire les
sentiments de la nature et ceux de la reli-
gion, que voulez-vous qu'elle devienne?
Ah! pour son malheur et le vôtre, elle pé-
rira par votre tendresse, vous périrez par sa
lâcheté, et faute d'avoir surmonté par une
sainte violence ce qu'il y avait en vous de
trop fort dans les sentiments naturels, votre
perte sera commune.
Rien de pareil n'affaiblit le mérite du sa-
crifice de Marie ; supérieure à elle-même,
elle n'écoute point la voix de la nature ;
pleinement attentive à l'action sainte qu'elle
va faire, tout occupée des grandes miséri-
cordes que la toute-rmissante de son Dieu a
répandues sur elle, sans s'émouvoir, sans
s'attendrir, elle fait la grande oblation à son
Fils, au Seigneur. Toute la force de son âme
demeure entière pour Jésus-Christ, et en
offrant ce divin objet elle offre tout, et toutes
ses autres oblations se réunissent dans cette
hostie qu'elle immole. Ah! qui pourrait
concevoir toute la grandeur de cesacriuYe?
Or, entrerons-nous après cela, chrétiens lâ-
ches,dans une juste confusion sur les parta-
ges indignes qui affaiblissent si fort le mé-
rite de nos sacrifices. Hélas! ne sacrifiant
jamais notre cœur tout entier, nous ne nous
offrons que par la moindre partie de nous-
mêmes; n'abandonnant à Dieu que ce qui
nous est le moins sensible, la passion favo-
rite est toujours celle que nous épargnons.
Vous qui vous piquez d'être si fidèles, Dieu
voudrait que vous commenciez par lui sa-
crifier cet attachement démesuré que vous
avez aux biens de la terre, cette avarice sor-
dide qui vous ronge sans cesse ; mais c'est
la passion chérie que vous mettez à part,
c'est ce cher Isaac auquel vous n'osez tou-
cher, et, comme les Israélites aveugles, vous
adorez des dieux d'argent et des idoles de ri-
chesses: Abjicietvir idoki argenti sui. (Isa.,
XXXI.) Vous qui croyez avoir tout sacrifié vo-
tre cœur à Dieu, il voudrait encore que vous
lui sacrifiiez ces mouvements inquiets, ces
projets orgueilleux, qui depuis tant de temps
ne conduisent qu'à votre gloire et à votre
élévation; mais c'est là l'endroit qui flatte le
plus, et comme ce prince dont il est parlé
dans l'Ecriture ; vous n'osez détruire les hauts
lieux que le Seigneur veut qu'on abatte : Ex-
celsaautemnonabstulit. (IV Rcg., XV.) Vous
qui n'êtes ni ambitieux, ni avares , vous
croyez avoir tout sacrifié^ou.Seigneurj mais
il veut que vous lui fassiez un sacrifice de
ces liaisons si fatales à votre innocence, de
ces attachements trop tendres d'où naissent
tous vos malheurs, de cet objet criminel
qui vous empêche d'être à Dieu avec la pu-
reté, et l'intégrité qu'il demande de vous;
mais c'est à quoi vous ne sauriez vous ré-
soudre. Vous prierez, vous méditerez, vous
jeûnerez, vous ferez l'aumône tant qu'on
voudra; mais pour ce malheureux engage-
ment, vous l'avez mis en réserve, vous le
cachez au monde, à Dieu, à vous-même, et
votre cœur révolté se récrie secrètement
contre ce qu'on lui demande. Comme Rachel,
vous voudriez emporter jusque dans la terre
du Seigneur cette idole chérie que votre
cœur s'est faite; si quelquefois, aux pieds
d'un confesseur, vous exposez ce péché mi-
gnon, cet enfant chéri, sur les eaux de la pé-
nitence, vous cherchez à le reprendre dès
que le moment en est passé.
Je crois voir la mère de Moïse qui expose
son enfant sur les eaux, mais qui tâche de
le retirer par adresse; toujours l'on se con-
serve par quelque endroit sensible; en un
mot l'amour sacré, si digne de remplir tout
un cœur, laisse toujours quelque partage dans
le nôtre, et nul de nous ne fait un sacrifice
à Dieu dans cette totalité qui en feieit
tout le mérite et qui relève tant celui de
Marie.
Mais quoi ! ignorons-nous la sainte jalou-
sie de Dieu sur notre cœur? Doit-il se con-
tenter d'une partie de nous-mêmes, lui qui
a tout donné et qui s'est donné lui-même
tout entier pour nous? Est-ce Dieu qui est
trop borné pour mériter le cœur de l'homme
tout entier? est-ce l'homme qui est trop
grand pour se donner avec partage à Dieu?
Eh quoi ! dit le prophète, à peine était-il
propre à l'ouvrage dès le commencement
qu'il était tout entier, et depuis que le feu
en a consumé une partie, à quoi sera-t-il
donc propre? Eliam cumesset integrum non
erat aptum ad opus, quanta magis rum ilhid
ignis devoraverit nihil ex co pet opus.
(Ezcch.,XV.\ Comme ministre du Seigneur,
je viens vous dire la même chose du sacri-
fice que vous faites à Dieu de la moitié de
votre cœur : ah ! quand il était tout entier,
il était à peine digne de lui, que voulez-
vous qu'il fasse d'une partie? et comment
osez-vous bien lui offrir un cœur dont le
feu de la passion a consumé une ,partie ?;
etiam cum esset integrum, etc. Ah ! pensons-»
nous bien à ces dangers, et connaissons-
nous bien notre faiblesse, quand nous don-
nons à Dieu notre cœur avec des ménage-^
ments et des réserves.
Mon Dieu, que ce partage injurieux af-
flige Jésus-Christ! qu'il nous annonce de-
misères! Car enfin, ce cœur maintenant
partagé entre le vice et la vertu, entre le
monde et la religion, entre le plaisir et les
exercices de piété, prétendez-vous que vous
pourrez le tenir longtemps fixe dans celte
inquiétude ? l'homme peut-il demeurer long-
temps dans une même situation sans pen-
cher plus d'un côté que de l'autre ? et s'il
il
m
ORATEURS SACRES. LE P. SliRÎAN.
1113
n'approche tic plus en plus du bien et de la
vertu, ne tombe t-il pas dans le mal et dans
le désordre? Pensez-vous que dans cet in-
juste partage du cœur, vous pourrez le re-
tenir encore contre la violence de ses pen-
chants ? Le cœur est-il donc si docile ,
qu'on puisse l'arrêter à son gré, quand les
saillies de la passion l'emportent? est-il si
souple qu'on puisse le rendre indifférent
pour le péché quand la passion le transporte?
est-il donc si capable de juger dans la cha-
leur de la passion du terme imperceptible
3ui sépare le juste du pécheur, et au delà
uquel vient le crime? Trouve-t-il aisément
ces bornes de sagesse que la religion lui pres-
crit, et s'il les trouve, sait-il les respecter
et les craindre ? Est-il libre de les partager
également entre ses penchants et ses de-
voirs, et de se donner à Dieu et au
monde par portions égales ? Quand môme
vous diriez à vos passions d'un ton impé-
rieux : vous ne viendrez que jusque-là sans
passer outre, croyez-vous que ces tlots ac-
coutumés à se répandre avec violence, obéi-
ront à vos ordres, qu'ils respecteront vo-
tre parole? et n'y a-t-il pas plutôt sujet de
croire que Dieu négligeant de vous donner
une de ces grâces fortes que depuis si long-
temps vous méprisez, cette partie de votre
cœur qui est au monde rapellera celle qui
est au Seigneur, pour n'en faire qu'une seule
et même victime?
Oh ! je prévois encore des malheurs plus
grands qui suivront infailliblement votre
indigne partage. Bientôt, par des progrès
imperceptibles, votre lâche cœur va se li-
vrer à des excès que je ne puis exprimer;
il ne connaît qu'un maître et n'en peut ser-
vir deux, il ne peut avoir qu'un seul sou-
verain. Dès qu'il ne se donne pas tout entier
à la vertu, il faut qu'il se dévoue au vice, et
puisqu'il ne veut pas être la victime de l'a-
mour de Dieu, il deviendra celle de sa jus-
tice. Ecriez-vous avec le saint roi David : Do-
mine Deus meus, scio quod probesçorda ctsim-
plicitutem diliç/as , unde et er/o in simplicitate
rordis mei fœtus obtuii universa heee , etc.
(IParal., XXIX.) Ah ! mon Seigneur et mon
Dieu, je sais que vous sondez jusqu'aux
plus profonds replis des cœurs , je viens à
vous avec un cœur qui n'est plus partagé:
je vous l'offre tout entier; je rougis de vous
avoir fait si longtemps attendre ce qui est si
peu de chose pour vous. Je ne puis pas
comprendre comment j'ai osé me porter à
cet excès d'injustice, moi qui vous le devais
tout entier. Quelle confusion pour moi de
ne vous l'avoir donné jusqu'ici qu'à demi ,
moi qui suis jaloux au moindre partage do
ce que j'aime! Mais c'en est fait, vous êtes
mon Dieu et je vous aimerai de tout mon
cœur jusqu'au dernier instant de ma vie :
Domine, Deus meus , scio, etc.
Mais le sacrifice que doit à Dieu une âme
convertie ne doit pas seulement être de tout
le cœur, sans partage ni réserve , il faut
qu'il n'y ait ni adoucissement ni restriction,
rt voilà la disposition qui domine le plus
flans l'oblation héroïque de Marie ; car
quelle restriction et quel ménagement y
ferait-elle? Il n'y a ni retour sur elle-même,
ni sentiment flatteur sur la gloire de son
sacrifice, ni complaisance dans le mérite
de sa soumission ; tout y est pour Dieu ,
rien pour elle-même.
Nous , si convertis enfin, nous avons fait
un sacrifice de ce que nous avions de plus
cher, nous cherchons des dédommagements
et des restrictions qui nous soutiennent. Res-
triction de l'amour-prop»'e : nous nous re-
posons sur notre vertu , nous nous applau-
dissons d'avoir fait ce que tant d'autres n'ont
pas eu le courage de faire; nous croyons
mériter les louanges des hommes, de nous
être acquittés de notre principal devoir
envers Dieu ; au lieu de l'ignorer et d'y
fermer les yeux , nous en cherchons l'es-
time et l'applaudissement. Restriction de
repos qui nous en fait perdre tout le mérite :
car ce n'est point à Dieu que nous offrons
ce sacrifice, c'est à notre repos et à notre
propre satisfaction, c'est à la paix de notre
conscience et à la tranquillité de notre
cœur; c'est qu'il nous troublait, qu'il
nous inquiétait , qu'il nous déshonorait ,
ou plutôt qu'il nous dégoûtait , qu'il nous
lassait , et quand nous croyons le sacri-
fier à Dieu, ce coupable cœur, nous ne
le sacrifions qu'à nous-mêmes. Restriction
du monde : en se donnant à Dieu on ne bannit
pas tout à fait de son cœur l'amour du monde
de ses joies , de ses usages , de ses plaisirs ,
de ses espérances; on ne touche point à
l'attachement que l'on avait à ses modes , à
son luxe, à ses pompes, à ses spectacles ;
on se fait un ample dédommagement du sa-
crifice que l'on a fait de soi-même au Sei-
gneur, on passe d'un objet à un autre; on
se sent peut-être dans des dispositions dif-
férentes , mais c'est toujours le même cœur,
c'est-à-dire toujours mondain , toujours sen-
suel, toujours tendre, toujours idolâtre; un
cœur enfin qui est toujours plein d'une pas-
sion universelle, qui s'attache à tout ce qui
ne fait que se partager entre le monde et les
soins de son salut, qui étend sur plusieurs
objets les affections et les désirs qu'aupa-
ravant il réunissait dans un seul et qui est
aussi méchant, aussi passionné dans la voie
nouvelle qu'il a prise pour se réconcilier
avec Dieu qu'il le serait s'il était demeuré
dans la voie de l'iniquité; et c'est ainsi, pour
le dire en un mot que lorsque Dieu se donne
à nous avec tant de totalité, nous ne nous
donnons à lui qu'avec restriction et réserve.
Ah 1 rougissons, Messieurs, d'une dis-
position si injuste et si contraire à notre
bonheur, animons-nous par l'exemple de
Marie à un sacrifice entier, et pour nous
soutenir parles plus douces consolations,
disons-nous : si je suis à Dieu tout entier,
que peut-il me' manquer? si la piété m'y
consacre, que perdrai-je dans mon sacri-
fice que je ne trouve dans le divin objet
auquel je m'unis ? Je perds quelques trésors
périssables du monde, mais je les retrouve
au centuple dans les trésors de Dieu qui
sont inépuisables et éternels; je ferme les
1149
MYSTERES ET FETES. — SERMON 111, SUR L'HUMILITE.
veux à toutes les vanités du siècle , mais je
les ouvrirai un jour à toutes les splendeurs
du ciel ; je ne goûte plus les plaisirs pro-
fanes, mais encore quelques moments,
et le Dieu do toute consolation m'inon-
dera de ses délices ineffables; je souffre
ici-bas quelque cbose pour l'amour de mon
Dieu, mais ces maux ont leurs bornes, et
les biens que j'attends dureront éternelle-
ment. Je vais me livrer ici quelques com-
bats, me faire quelques violences, mais
j'espère que plus baut je recevrai des cou-
ronnes immortelles; je vais perdre mon
cœur, mais je le retrouverai dans le Sei-
gneur ; je meurs dans mes sens , mais je re-
vivrai dans l'esprit , et mon cœur se payera
bien de la courte violence qu'il se sera faite
dans la vie.
Mon Dieu, par ces réflexions heureuses,
ne méritez- vous pas bien qu'on se donne à
yous, et qu'on s'y donne sans réserve? Ames
fidèle, je n'ai plus qu'une parole à vous
dire: vous connaissez toutes les perfections
du sacrifice que Dieu vous demande, vous
en voyez tous les avantages,, et tout répan-
dus que vous êtes dans le monde par les en-
gagements de votre état, voulez-vous de-
venir ses victimes malheureuses? Je bénis
le Seigneur des dispositions qu'il me sem-
ble qu'il vous inspire; immolez-vous'sans
réserve à Dieu par la pat'ence dans vos" pei-
nes, par la mortification, par la retraite, par
l'aumône, par la pénitence; humiliez-vous
sous sa puissante et miséricordieuse main,
par toutes les vertus chrétiennes, surtout
par la soumission la plus aveugle de votre
esprit à toutes ses saintes lois, par l'obliga-
tion tout entière de votre -cœur à son
amour; mettez-vous sans cesse en état de
bien commencer votre sacrifice, soit par l'hu-
miliation, soit par les disgrâces, soit par la
mortification et la pénitence, jusqu'à ce
qu'enfin, par un dernier coup, qui est une
sainte mort, il plaise à Dieu de consommer
le sacrifice de votre vie. Et quelle peine trou-
veriez-vous d'être à Dieu, que celle d'avoir
trop différé d'être à lui, qui était tout le bon-
heur de votre vie? Et vous, anges du Sei-
gneur, qui assistâtes à la plus grande céré-
monie qui fut jamais, et qui, dans la plus
grande oblation qui eût jamais été faite sur
la terre, portâtes au ciel le sacrifice de Jésus,
de Marie et de Siméon, descendez encore du
ciel en terre, et présentez au Seigneur, de-
vant le trône de sa grandeur, les victimes
qu'il s'est choisies parmi vous, afin qu'il les
voie, qu'il les agrée, qu'il les aime, qu'il les
lave dans son sang, et qu'il les comble à ja-
mais de ses bénédictions immortelles. Je
vous le souhaite au nom du Père, et du fils,
et du Saint-Esprit. Amen.
SERMON III.
sur l'humiutk.
Pour le jour de V Annonciation.
O'iod nascelur ex te sanctum voçabitur Filius Dei.
Dixit autem Maria : Ecce ancilla Domini. (Luc.,\.)
Le fruit saint que vous devez mettre au monde sera ap-
1150
pelé te Fils de Dieu. Marie lui répondit : Voici ta servante
du Seigneur.
Le voilà arrivé, au milieu des temps et des
vœux du monde, ce moment de miséricorde
et de bénédiction, digne d'être adoré au ciel
et sur la terre dans un silence respectueux,
et dans la vénération la plus profonde; mo-
ment que toutes les figures, les voiles et les
obscurités de la loi ancienne promettaient et
que toute la vérité, la grâce et la lumière de
la loi nouvelle nous font aujourd'hui recon-
naître,qui, chassant toutes les images,!établit
laYéalité; moment qui voit révéler le grand se-
cret de Dieu, le grand mystère du salut de
l'homme, le grand sacrement de la piété et
de la religion des chrétiens; moment qui
manifeste à la terre ce grand dessein de la
miséricorde suspendu depuis tant de siè-
cles et' retenu dans les desseins de Dieu
par la malice des hommes; moment qui
satisfait en vous, ô mon Dieu ! la sainte im-
patience que vous avez d'avoir pitié de nous,
et qui laisse à ces objets déplorables de
votre justice irritée, la consolation de se dire
vos frères, votre sang, vos membres, vos
héritiers, vous-même; moment où s'acrom-
plit l'effet de ses promesses, l'âme de ses
mystères , l'exécution de son dessein, le
centre de la religion, l'excès de ses grâces,
l'objet de ses désirs, l'effort de son amour,
le gage de sa gloire, la plénitude de sa di-
vinité, comme parle l'Apôtre ; et si nous re-
gardons ici Marie , moment qui fait voir ici
en elle l'exercice de toute la piété chrétienne,
une humilité infinie qui fuit tout, un désor-
dre sacré qui a peur de tout, ensuite une
foi vive qui croit tout, un amour tendre qui
souffre tout, une piété héroïque qui devient
capable de tout; moment enfin qui dans ce
mystère d'un Dieu fait homme, et d'une
créature devenue la mère d'un Dieu, doit
former l'assemblage précieux de toutes les
perfections qu'on adore dans un Dieu, et de
toutes les vertus qu'on peut révérer dans
une créature. Je laisse à d'autres à vous
faire des leçons sublimes sur ce mystère;
pour moi, je ne veux vous annoncer que des
vérités que je puisse vous expliquer, et que
vous puissiez comprendre ; je ne veux vous
prêcher aujourd'hui que l'humilité, puisque
c'est sur le fond de cette vertu que le mys-.
tère de l'incarnation s'opère : tout y est
plein de ces voies salutaires qu'il nous trace.
Apprenez donc aujourd'hui, orgueilleux
mortels, à connaître le modèle de l'humilité
dans un Dieu qui se fait homme : Quod «a-
scetur ex te ipsum voçabitur Filius Dei. Voici
ensuite le mérite de l'humilité dans une
vierge qu'elle rend mère de Dieu : Ecce an-
cilla Domini. Ainsi, le modèle de l'humilité
en Jésus-Christ fait homme, le mérite de
l'humilité en Marie devenue mère de Dieu:
voilà tout mon dessein. Que nous serions
coupables, si nous refusions de nous occu-
per une fois l'année d'un mystère qui ne de-
vrait jamais sortir de nos esprits et de nos
cœurs 1 Prions celui qui en est le divin ou-
vrier d'en exprimer en nous la ressemblance»
et, pour cela, employons le crédit de Marie*
1151 ORATEURS SACRES. LE P. SURIAN
Marie en lui disant avec l'ange : Avr, Maria
H.' 2
PREMIER POINT.
Si; aans le sentiment des'saints, l'humilité
pour être parfaite doit avoir deux caractères
essentiels , l'un qui nous fasse éviter la
gloire, l'autre qui nous fasse aimer les
abaissements, qui peut mesurer ce haut
point d'élévation de laquelle un Dieu des-
cend aujourd'hui? qui peut sonder ces hu-
miliations profondes qu'il embrasse? et par
conséquent qui peut comprendre son humi-
lité? Un saint Père, mesurant ce mystère de
bassesse et de grandeur, l'appelle une hu-
milité toute de prodige; et Dieu lui-même
ne lui donne-t-il pas ce nom lorsque répon-
dant à un prince qui lui demandait un pro-
dige du plus haut des cieux et du plus pro-
fond de la terre, il lui déclare que c'est un
Dieu qui se fait homme? Et certes, n'est-ce
pas un prodige d'humilité tiré du lieu le
plus élevé du ciel, puisqu'un Dieu y descend
de la gloire la plus sublime? n'est-ce pas un
prodige tiré du lieu le plus profond de la
terre, puisqu'un Dieu y est réduit dans la plus
grande de toutes les humiliations? Et dans
ces deux circonstances, si Jésus-Christ s'y
offre à son Père en victime d'expiation pour
notre orgueil, n'y devient-il pas le modèle
de l'humilité la plus parfaite?
I" Quel est, en effet, ce haut point de gloire
d'où descend le Fils de Dieu dans son incar-
nation? Dieu, par son origine, sanctuaire
éternel où habite corporellement la pléni-
tude de la divinité ; splendeur éternelle, il a
son trône au milieu des saints. Lumière in-
visible, il voit tout; inrompréhensibilité, il
comprend tout; infini, il agit partout; inva-
riable, il règle tout; immense, il renferme
tout; inépuisable, il fournit à tout; content
de sa nature, la source de toute grandeur,
il presse par son amour qui ne peut plus se
contraindre; il descend d'une gloire parfaite,
solide, véritable, qui lui est essentielle. Ah!
quelle honte pour les âmes superbes 1 s'écrie
saint Augustin, et pour nous quelle confu-
sion, de courir après une gloire vaine, fausse,
empruntée, pernicieuse; vaine, parce que,
après avoir excité nos plus ardents désirs,
elle s'évanouit ; fausse, parce que, loin de
remplir les vides de notre cœur, elle ne fait
que les éteindre. Gloire empruntée, puis-
qu'elle n'a de fond que dans l'opinion des
hommes et qu'elle tombe avec l'imagination
dont elle dépend; gloire pernicieuse, puis-
que non-seulement elle se perd elle-même,
mais qu'elle nous fait perdre, qu'elle rem-
plit tout le cours de notre vie de mouve-
ments et d'agitations, que sans avancer notre
fortune , elle engage notre conscience et
nous prépare mille tristes regrets à l'heure
de la mort. Ah I Dieu veuille préserver nos
cœurs d'une passion si funeste 1 Et après
tout, dit saint Augustin, votre orgueil pour-
rait-il tenir encore contre des motifs si pres-
sants d'humilité? Quoi 1 un Dieu se dépouil-
lerait de sa majesté, et un misérable ver
aimerait l'éclat et la superbe? Un Dieu, dit
saint Grégoire, descendant du ciel, mettrait sa
divinité sous les voilesd'une chair mortelle,
et un ver de terre se remplirait de présomp-
tion ? Un Dieu se jette dans l'abîme jour en
retirer l'homme, et cet ingrat, loin de s'a-
néantir et de se confondre, voudrait s'élever
au faîte des grandeurs? Eh 1 puissiez-fous
avoir un cœur comme le cœur de ce Dieu,
qui prend aujourd'hui votre nature et qui
s'unit à vos misères! Tout occupés de celte
idée si noble que son union doit vous inspi-
rer de vous-mêmes, vous n'aspireriez qu'au
bonheur de cet état où vous êtes destinés;
vous n'abaisseriez pas vos désirs à une gloire
passagère que Jésus-Christ méprise, que
l'Evangile réprouve; vous vous élèveriez
par les transports d'une sainte ambition au
nonheur incomparable de ressembler à un
Dieu qui, en prenant votre nature, l'a ren-
due si respectable ; et, réduisant là tous yos
désirs, non -seulement vous renonceriez
comme lui à là grandeur, mais vous embras-
seriez avec lui tous les abaissements et les
humiliations : second degré de l'humilité du
Sauveur qui, pour nous élever, descend au-
jourd'hui ducomblede sagloiredans le centre
de sa bassesse : A summo descendit adultima.
2° Remarquez ici le sage tempérament
qu'il a plu au Sauveur d'employer à l'égard
de l'homme pour le ramener à l'humilité
chrétienne. 11 fallait, dit saint Augustin,
donnera l'homme un modèle d'humilité qu'il
suivît sans peine. Or, d'une part il était trop
superbe pour vouloir prendre un homme
semblable à lui pour modèle, et de l'autre il
était trop grossier et trop faible pour choisir
pour modèle un Dieu si fort au-dessus de
lui, qu'il ne pouvait voir que par les yeux
spirituels de la foi; il n'avait plus que les
yeux du corps depuis qu'en rerdant la grâce,
il avait perdu les yeux de l'âme. Mais l'œil
charnel peut-il s'élever à un objet infiniment
au-dessus de ses sens ? Dieu donc, qui con-
naît la route de nos âmes et de nos cœurs,
corrigeant tout l'éclat de ses lumières, vou-
lant s'accommoder à nos besoins, a voulu,
pour nous rendre l'humilité palpable, l'in-
carner en son Fils par celte union toute mi-
séricordieuse d'un Dieu avec notre ebair.
L'homme a trouvé en Jésus-Christ une mo-
rale qu'il a pu faire voir et que nous ne pou-
vons plus dédaigner d'imiter; il a un modèle
d'humilité qui est proportionné à sa faiblesse,
et que par conséquent nul prétexte ne peut
plus le dispenser de suivre. L'homme pou-
vait bien être sage en retraçant l'image de
l'éternelle sagesse de son Dieu; saint, en se
conformant aux traits de son incomparable
sainteté; bon, par ressemblance à son infinie
bonté; juste, en se conformant aux règles
inviolables de sa justice; mais celui qui ne
pouvait être que superbe en voulant se con-
former à la grandeur et à la gloire d'un Dieu
magnifique et glorieux, peut encore être
humble en imitant l'humilité d'un Dieu de-
venu petit et humble comme lui.
Et certes, s'il est de la perfection d'un mo-
dèle d'exprimer parfaitement tous les traits
qu'on doit \ considérer, où l'humilitépouvait-
elle être mieux marquée que dans l'incar*
H 53
MYSTEUES ET TETES. — SERMON III , SL'lv LUflMILlTE
nation du Verbe fait chair? En effet, si vous
faites attention à ce qui la précède, à ce qui
l'accompagne, à ce qui la suit, vous y verrez
un Dieu dans tous ces degrés et dans le cen-
tre môme de la bassesse et de l'humiliation.
Et d'abord, pourquoi ces promesses si ma-
gnifiques, ces figures si augustes, ces at-
tentes si longues, ces préparatifs si pompeux,
ces idées si éclatantes données de si loin,
d'un Messie plein- de gloire et de majesté,
sinon pour augmenter Ta surprise à la sim-
plicité de sa venue? Pourquoi un ange, seul
dépositaire de ses secrets, e.-4-il envoyé, non
à des grands de la Judée, mais à une fdle
inconnue et méprisée par les Juifs, sinon
pour témoigner son mépris pour les gran-
deurs et son amour pour la bassesse? Pour-
quoi fait-il cesser les voies ordinaires de ses
prophètes et de ses oracles, sinon afin que,
venant dans le silence de 1 univers, on lui
rendît d'autant moins d'honneur qu'on s'at-
tendait moins à son avènement clans le monde?
Pourquoi choisit-il pour sa naissance un
temps où les vices étaient débordés par toi:te
la terre, un lieu où les peuples étaient les
plus superstitieux, sinon pour se faire de ce
monde souillé et impur un séjour plus bas,
plus humiliant et plus contrariant? Pourquoi
encore prend-il pour sa mère une vierge,
noble à la vérité, mais dont la famille était
tombée comme par degrés ; une vierge pleine
de grâces, mais vide de tout le reste, sinon
pour se préparer en elle une condition basse
et obscure, et apprendre au monde qu'il
n'estime de grandeur que celle qui vient du
Saint-Esprit? Enfin, ne prend-il pas pour
son père un simple artisan qui n'avait que
beaucoup d'innocence et beaucoup de pau-
vreté? Voyez encore comme il en use dans
le choix des moyens qu'il emploie pour l'ac-
complissement de ce mystère: au lieu de
prendre un corps glorieux et immortel, ne
fait-il pas un miracle pour changer sa sagesse
en enfance, sa liberté en servitude, sa gloire
en humiliation, sa joie en tristesse, son bon-
heur en misères, son éternité en passage, sa
vie sainte en une mort honteuse ?
Ah ! un Dieu descend à des humiliations,
trop profondes, à des anéantissements, pour
n'avoir pas voulu tâcher de nous porter à
nous humilier et à nous anéantir comme
lui. 11 regarda la juste colère de son Père
offensé qu'il fallait apaiser; il envisagea la
confusion de votre orgueil, cœurs superbes,
qu'il fallait guérir et abaisser, et c'est pour
cela qu'il prend le tempérament d'une nais-
sance pleine d'humiliation, d'une vie toute
d'opprobres et d'une mort remplie d'igno-
minie et de douleurs.
Que tout ceci, Messieurs, est digne de l'a-
mour de Jésus et de nos réflexions ! Voilà un
Dieu qui est plus grand que toutes les créa-
tures ensemble, et cependant le plus humilié.
Pourrez-vous nier que l'humilité soit le ca-
ractère le plus essentiel à la religion, puis-
qu'au premier moment qu'il paraît dans le
monde il s'humilie ; que c'est sur elle qu'il
l'onde ses plus rares vertus, et qu'il la met
encore dans tout ce qui accompagne et dans
tout ce qui suit son bienheureux avènement ?
Or un Dieu se serait-il réduit dans un état
si bas et si humiliant s'il ne voulait nous
servir de modèle et nous faire dire de lui-
môme ce qu'il disait autrefois à ses disciples :
Si vous ne devenez semblables à de petits
enfants, vous n'entrerez pas dans ma gloire.4
Or que personne ne se flatte ici à sa propre
ruine; c'est un principe incontestable que
jamais nul n'aura de part à l'incarnation de
Jésus-Christ qu'il ne participe à ses abaisse
ments; qu'il n'en recevra aucun des fruits,
s'il ne l'imite dans ses humiliations.
L'imitons-nous, Messieurs, ce Dieu d'hu-
milité? Entrons-nous dans ce cœur enflé et
ambitieux pour y porter la bassesse et l'a-
néantissement? et si nous descendons au
fond de notre âme par quelques salutaires
réflexions, est-ce pour y porter un seul sen-
timent durable d'abaissement et d'humilité?
N'y oppose-t-on pas, au contraire, des pré-
cautions inquiètes contre le moindre mépris
que nous prenons pour une injure ; des
frayeurs mortelles sur la pauvreté, qui nous
paraît une dégradation honteuse; une avidité
de louanges et d'honneurs, d'autant plus
criminelle que nous faisions semblant de
les fuir, et qui nous laisse une humilité plus
orgueilleuse que l'orgueil môme. Ah? dans
les personnes les plus réglées, les plus justes,
l'orgueil ne prend-il pas des faces infinies,
dans les actions, dans les paroles, dans les
pensées, dans le maintien, dans les habits,
dans les parures, dans Jes ameublements,
dans toutes ses manières, dans sa propre
personne? On veut toujours paraître dans le
bien qu'on fait ; jusque dans l'œuvre de Dieu
on cherche la gloire des hommes. On tient
suspecte la vertu que pratiquent les autres ;
on la regarde avec complaisance dans soi-
même. On aime mieux anéantir devant Dieu
le bien qu'on fait que de le diminuer un peu
devant les hommes, et on ne s'attache à être
plus homme de bien que les autres que pour
le paraître davantage.
Mon Dieu! faut-il que depuis près de
deux mille ans que vous avez pris naissance,
le scandale de votre bassesse ne soit pas
encore levé, qu'on ait aujourd'hui autant
d'horreur de vos humiliations qu'on en avait
autrefois chez les Juifs de votre mission ;
qu'on se permette aussi tranquillement la
vanité, l'ambition, la fierté, la mollesse chez
les chrétiens, tous membres et tous adorateurs
d'un Dieu humilié, que si on adorait un Dieu
superbe tel que les Juifs aveugles qui n'a-
vaient pour eux que les ombres et les fi-
gures ; qu'un Dieu, dépouillé de tout son
éclat, de toute sa majesté , n'ait pu bannir
l'orgueil et l'amour de la gloire parmi des
hommes qu'il adopte pour ses enfants et pour
ses frères ; qu'un Dieu revêtu de toutes nos
infirmités et nos misères, n'ait pu introduire
parmi nous l'amour des souffrances et des,
humiliations!
Oui, Messieurs, parcourezîes Livres saints
et vous verrez quels étaient les sentiments
des plus grands hommes à la vue du Sei-
gneur devant qui ils s'humiliaient. Moïse se
H35
confond et se prosterne dès qu'il le voit.
Isaïe s'écrie dans un profond abaissement :
Ah ! je suis un homme si souillé. Lorsqu'il
parut à Abraham sous une figure humaine ,
ne vit-on pas tout le corps, l'esprit et le
Sœur de ce patriarche s'humilier devant le
Seigneur? Et vous, têtes orgueilleuses, devant
qui il se fait voir, non plus en figure mais
en vérité, non en homme pariait et formé
mais en enfant revêtu de faiblesse et d'infir-
mité; vous lui résisteriez, vous refuse-
riez de l'imiter, lorsqu'en cet état plus pro-
che du nôtre, il est en droit d'exiger de nous
une humilité si profonde! Ah! qui pourrait
donc encore vous autoriser dans ce senti-
ment d'orgueil, dans cet amour de la gloire?
Aveugles mortels? doutez-vous que l'humi-
liation ne soit salutaire, que la granileur ne
vous soit fatale! Résistez-donc à toute la
force de ce raisonnement. L'idée que vous
donne lsaïe de cet enfant qui s'incarne au-
jourd'hui dans le sein de Marie, c'est qu'il
vient réprouv.er le mal et choisir le bien :
Ct sciât reprobare ma'.um et eligrre bonum.
(Isa., VII.) Or, je vous le demande, Mes-
sieurs, que réprouve-t-il dans ce mystère?
n'est-ce pas les honneurs? Donc les hon-
neurs sont un grand mal et, par conséquent,
il faut les fuir ct les condamner. Que choi-
sit-il? n'est-ce pas les humiliations? Donc les
humiliations sont un grand bien, et par con-
séquent, il faut les suivre et les aimer. Croyez-
donc Jésus-Christ et l'imitez ; et, en effet,
que croiriez-vous autre chose que ce qu'il
vous apprend aujourd'hui? Serait-ce ce
qu'inspire le monde? il est dans l'erreur;
ce que vous dit la raison? elle est aveugle ;
ce que vous conseillent vos sens? ils sont
trompeurs; ce que vous souillent vos pas-
sions? elles sont corrompues; ce que de-
mande l'amour-propre? mais n'est-il pas vo-
tre plus cruel ennemi? ce que désire votre
corps? mais il est toujours en guerre contre
votre esprit. Depuis qu'un Dieu , par son
choix, a consacré l'humilité, tout est décidé ;
c'est lui que vous devez suivre; il faut que
vous participiez à ses humiliations. Depuis
qu'il s'est rendu un modèle sensible, il faut
s'y rendre ; rendez-vous-y donc par ces pre-
miers abaissements de ce Dieu enfant qui
vous le demande de sa bouche, du sein de
Marie. Allons à lui par les humiliations, afin
qu'il se décharge en nous de l'abondance des
grâces qu'il vient communiquer aux hommes
et, de la bouche de notre cœur, adressons-
lui ces paroles, à ce Dieu d'Israël et le Christ
attendu des nat'ons : Vous voilà donc sem-
blable à nous. Nos péchés et votre amour de
notre salut vous ont rendu comme le souille
de notre bouche; nous adorons vos divins
abaissements ; ils ont pour nous un attrait
de grâces qui nous charme ; nous voulons
nous cacher dans votre bienheureuse obscu-
rité : In umbra tua vivemus. (Tkren., IV.)
Mais après avoir vu ce modèle d'humilité
dans Jésus-Christ fait homme, voyons en-
core dans Marie, Mère de Dieu, ce mérite
d'humilité. C'est la deuxième partie de ce
discours.
OIUTKURS SACRES. LE P. SURIAN.
SECOND POINT.
H56
Tout le bien que Dieu fait aux hommes
part du fond libre de sa bonté, dans l'ordre
de sa grâce comme dans celui de la nature.
11 n'élève rien que sur le néant, et nos plus
grands mérites ne sont jamais que ses plus
grands dons.
Marie en fait un aveu public à l'univers.
Si les nations m'appellent grande, ce n'est
point moi qui suis le principe de ma gran-
deur, c'est au Seigneur que je la dois; il a
vu en moi tout le néant nécessaire pour faire
éclater sa toute-puissance, et il a plu à sa
miséricordieuse compassion de signaler son
bras sur mon extrême pauvreté : Respexit
humilitatem ancillœ suœ.
Mais si Marie ne méritait rien de ce mé-
rite qu'on appelle en théologie un mérite de
rigueur, elle méritait du moins de ce mérite
qu'on appelle de bienséance, et les saints
docteurs prétendent que ce fut par son hu-
milité qu'elle mérita d'être choisie pour la
mère de Dieu.
O vous ! ennemis implacables de cette belle
vertu, qui ne vous paraît qu'une dégradation
et un avilissement honteux, comparez ici la
grandeur qu'elle procure à Marie avec ce faux
honneur que le inonde vous donne, et si vous
n'avez pu vous laisser gagner par l'attrait
des abaissements profonds dont vous venez
de voir un modèle si parfait dans Jésus-
Christ, rendez-vous du moins aux grands
avantages qui doivent vous revenir de cette
humilité dont vous allez voir tout le mérite
dans la sainte Vierge. Sans m'arrêter à tous
les endroits de l'évangile de ce jour, j'en
prends trois principales circonstances qui
serviront de preuves à ma proposition, et qui
vous feront connaître trois grands avantages
dans l'humilité de Marie : 1° elle lui fait ren-
dre de grands honneurs par un esprit cé-
leste ; 2° elle lui attire la plénitude des
grâces dont le Seigneur la comble; 3* elle
lui fait concevoir un Dieu dans son sein.
Quel mérite pouvait lui attirer une plus
grande récompense ?
1° Non, ce n'était point devant la mère
d'un Dieu, puisqu'elle ne l'était pas encore,
mais devant une vierge humide que l'ange
s'abaissa; premier mérite de l'humilité ne
Marie, tandis que l'homme orgueilleux dé-
ment, par son enflure, l'horreur et la déri-
sion du monde; tandis que, par des désirs
insatiables de tout surpasser, de tout éclip-
ser, de tout précéder, il s'attire le mépris
universel de tous les autres; que plus il
veut s'étendre dans la vaine opinion des
hommes, plus il se retréi it et perd de leur
estime, et que les mêmes ressorts qu'il em-
ploie pour s'élever ne servent qu'à l'abais-
ser davantage; l'humble créature est hono-
rée et respectée, par ce'qu'il y a de plus grand
sur la terre, soit que Dieu y attache de la
grandeur pour accréditer une vertu qui est
l'abrégé et presque tout le fondement de ses
mystères, soit qu'il veuille confondre ce
monstre d'orgueil qui cherche à usurper
une gloire qui lui appartient tout entière,
Î457
MYSTERES ET FETES. — SERMON III, SUR L'HUMILITE.
1153
soit qu'il prétende déférera ce monde, à ces
Ames humbles une partie de cette vénéra-
tion qui lui est due, et que, pour les con-
soler dans la pratique de cette divine vertu,
il veuille laisser par avance échapper sur elle
quelque rayon de cette gloire dont !a plé-
nitude les attend; soit enfin qu'il veuille
déjà commencer à humilier l'homme su-
perbe , et à lui apprendre que loin qu'il
doive entrer en partage de l'honneur de ce
monde, son partage, au contraire, est de le
fuir et de le craindre; soit que cela vienne
de la sagesse de Dieu ou de la corruption
de l'homme; il prétend le convaincre, ce
ver misérable qui n'est point humilié en ce
monde. L'exaltation devant le monde est le
partage de l'humble de cœur, et cette vertu
a tant de crédit et d'autorité que l'orgueil
même s'en pare; que s'il ose se montrer, il
cherche à se cacher sous les dehors de .'hu-
milité; et tout ce qui fait la grande peine
des âmes humbles, c'est l'honneur trop im-
portun qui les suit partout, ce qui leur est
une tentation continuelle. L'humilité trem-
blante et alarmée ne sait où se placer pour
être à l'abri des honneurs; elle a beau vou-
loir attendre Jésus-Christ, et avec lui une
iilace dans sa gloire, son propre éclat lui est
l charge; en vain ces âmes humbles rougis-
sent et se troublent, comme Marie, à la vue
des honneurs que lui fait l'ange : Turbata est;
en vain on leur fait des éloges, onleur donne
des louanges; comme Marie elles se recon-
naissent trop méprisables pour être louées;
elles cherchent à qui ces honneurs peuvent
convenir : Cogitabat qualis esset ista saluta-
tio. En vain leur annonce-t-on ces grands
desseins qu'on a formés sur elles , les grands
emplois auxquels on les destine; comme
Marie, elles n'y trouvent aucune ressem-
blance, et s'écrient avec elle : Eh 1 comment
cela se pourra-t-il faire? je n'ai rien en moi
qui puisse me le faire croire : Quomodo fiet
istud, quoniam virum non cognosco?~Ei si on
veut faire violence à leur humilité, elles se
trouvent forcées de s'écrier : Défendez, ô
mon Dieu, une vertu que vous avez tant
aimée et que vous êtes venu consacrer par
votre incarnation; ne permettez pas que je
succombe à la tentation délicate de ces louan-
ges sur qui ce cœur humain est si faible;
laissez-moi être ce que je suis; et si la vue
de mon humilité a mérité quelques regards
favorables de votre miséricorde, ce n'est
lias l'etfet de mon mérite, mais votre seule
grâce, ô mon Dieu! Et voilà, Messieurs, le se-
cond fruit que Marie tire de son humilité.
2" Après que l'ange fut entré chez Marie,
il l'appelle pleine de grâce : Ave , gratia
plena, comme si l'ange lui eût dit : Plus
vous êtes vide de grandeurs et de biens par
votre abaissement, plus le Seigneur prend
plaisir à vous remplir de ses grâces ; cet
abîme qu'a fait en vous l'humilité, n'a fait
qu'attirer en vous la source de ses miséri-
cordes avec plus d'abondance , et toute
anéantie par le moyen de cette vertu, vous
êtes, par son moyen, toute changée en la
grâce. Ce don céleste remplit toute YOtre
âme, tout votre cœur, tout votre esprit, tous
vos sentiments, tous vos désirs, toutes vos
pensées, toutes vos paroles, toute votre per-
sonne, toute vous-même : Gratia plena, L'hu
milité vous donne la grâce de lafoi, qui n'est
qu'une raison soumise; la grâce de la mor-
tification, qui n'est qu'une chair domptée;
la grâce de la charité, qui n'est qu'un cœur
abattu; la grâce de l'obéissance, qui n'est
qu'une volonté souple ; la grâce de la pa-
tience, qui n'est qu'une âme résignée ; en-
fin, réunissant toutes les grâces particuliè-
res, tous ces dons de Dieu, ils se trouvent
renfermés dans votre anéantissement.
Ah ! de même, lorsqu'un chrétien, comme
Marie, touché de son néant, s'abaisse aux
pieds de Jésus-Christ crucifié, repasse ses-
péchés, confesse son indignité, reconnaît
ses misères ; lorsque, humilié à la vue de
ses iniquités, il ne désire d'autre grandeur
que celle d'être agréable à son Dieu, etd'autre
honneur que d'être le dernier parmi les hom-
mes ; lorsque, concevant une sainte hor-
reur de lui-même, il abaisse sa tête coupa-
ble sous la justice de son Dieu ; lorsque, se
regardant comme dégradé et avili par ses
crimes, il oublie ce qu'il est devant les
hommes pour ne se ressouvenir que de ce
qu'il est devant Dieu, ah! sur lui coulent
des torrents de giâces et de miséricordes;
et s'il demande, comme Marie, quelle est la
source de tant de grâces ; il apprendra que
c'est son humilié qui lui en attire la pléni-
tude : Gratia plena.
Comment pourriez-vous la recevoir, cette
plénitude de grâces, vous à qui l'humilité
paraît si odieuse et si insupportable ? Non,
pas une goutte de cette eau céleste n'arrê-
tera sur les hauteurs. Dieu, qui résiste aux
superbes, vous refuse la grâce, et n'a-t-il
pas raison ? vous dédaignez la pratique de
ses abaissements , vous vous déclarez en
cela ses ennemis et comme sa partie, et
n'est-il pas bien juste qu'un Dieu ainsi mé-
prisé et insulté se venge? Oui, montrez-
vous vous-mêmes à vous-mêmes , et vous
trouverez que si l'humilité forme dans Ma-
rie tout le principe des grâces qu'elle a re-
çues, c'est l'orgueil qui attire sur vous toute
la plénitude des vices; l'orgueil qui, vous
faisant secouer le joug de la foi qui vous
captive, et qui, vous rendant curieux sur les
secrets les plus mystérieux, vous a rempli
de vaines présomptions de confiance témé-
raire qui , jetant un voile sur vos défauts,
vous attache injustement à vous-mêmes, et
vous fait oublier le salut; que c'est l'orgueil
qui occupe votre esprit, qui égare votre ima-
gination , qui captive votre volonté , qui
souille vos désirs, qui enfle votre cœur, qui
profane vos actions, qui fait qu'entre vos
mains le don de Dieu devient sans force et
sans effet, qui vous rend durs, cruels, ava-
res, emportés, injustes, sans probité, sans
droiture, sans compassion, sans équité; il
est en vous îe mal universel et l'iniquité tout
entière. Enfin l'humilité procure à Marie la
plénitude de toutes les grâces; l'orgueil
donneà l'homme laplémtude de tousles vices,
US1)
ORATEURS SACHES LE P. SllUAN.
lico
O vous, la plus sainte des Vierges, faites
qu'il coule dans nos cœurs quelque port;on
de ces grâces que vous recevez aujourd'hui
avec tant d'abondance ; que le Seigneur nous
donne avec poids et mesure quelque part de
ces faveurs qui sont sans nombre, dont il
vous a comblée, et si tout le reste nous a
trouvés insensibles, que nous ne le soyons
point du moins sur une vertu qui, après
avoir attiré sur vous la plénitude des grâces,
vous fait encore concevoir l'auteur môme de
toutes les grâces :Ecce concipics in utero et
paries filium ; et voici le dernier mérite par
où l'humilité se relève dans Marie.
Après que l'ange lui eut annoncé qu'elle
serait mère d'un Dieu, son humilité la sur-
prend et la fait rougir d'une dignité si im-
mense de se voir choisie pour un mystère si
glorieux. Comparant sa misère avec sa haute
distinction, elle a honte d'elle-même; elle
demeure quelques temps dans le silence,
et ce n'est que son humble obéissance qui
lui fait prononcer en tremblant ces paroles :
Voici la servante du Seigneur : Ecce uncilla
Domini ; parole toute-puissante auprès de
Dieu, qui a la force de le faire descendre
aussitôt en elle; parole qui monte jusqu'au
ciel, et met Marie au nombre des prodiges, en
alliant en elle des choses incompréhensi-
bles ; parole qui élève une pure créature à la
qualité de mère du Très-Haut; parole qui,
ouvrant seule le sein de Marie au Verbe,
donne une mère dans le temps à celui qui
est engendré sans mère dans l'éternité; pa-
role qui fait que cette Vierge sainte donne à
son Dieu un corps de son sang, qui, la pla-
çant entre le ciel et la terre, lui donne un
rang inférieur à Dieu seul et supérieur à
tout le reste ; parole enfin qui met le comble
à sa gloire, en paraissant l'anéantir, et qui,
en se confessant la servante du Seigneur, la
fait devenir sa mère : Ecce ancilla Domini.
C'est comme si elle disait : Le Seigneur
m'élèvera tant qu'il lui plaira; il est le maître
absolu de ses créatures etde toutes les gran-
deurs; il ine fera monter au plus haut degré de
la gloire; je ne serai cependantjamaisquela
plus humble de ses servantes, que la plus
indigne deses créatures: Ecce ancilla Domini.
8° Mais quelle instruction veut nous don-
ner le Saint-Ksprit par celte dernière cir-
constance? Lorsqu'il attache tout le bonheur
de posséder un Dieu à l'humilité d'une
Vierge, lorsqu'il n'accorde le plaisir d'en-
fanter le Messie qu'à une créature qui con-
temple sa bassesse, lorsqu'il ne vient con-
fier un Dieu d'amour qu à une mère hum-
ble; que veut-il nous dire, sinon que c'est
un engagement indispensable à tout chrétien
d'aimer Jésus-Christ, de le former dans son
cœur et d'étendre en lui l'image de son in-
carnation ? C'est l'agneau de ce saint jour et
tout le huit de ce mystère. Voici la grande
leçon qui est donnée aujourd'hui au monde :
c'est que Jésus-Christ ne se plaît qu'avec
les humbles, que celui en qui il ne se sera pas
formé par l'humilité sur la terre, ne se for-
mera pas en Jésus-Christ par la gloire dans
le ciel ; c'o;;t que le Dieu-homme ne con-
sommera pas en nous par des mouvements
intérieurs notre conversion et notre salut
qui sont le grand fruit de sa venue, qu'au-
tant qu'il nous trouvera comme Marie, pé-
nétrés do notre néant et de notre bassesse;
c'est que personne ne sera associé à ses mé-
rites s'il ne fait la volonté de son Père :
In humiiitate animi nestri pariet salutem.
La conséquence que nous devons tirer des
abaissements de Jésus et de Marie, c'est
que jamais nous ne concevrons en nous ce
Dieu ae salut que dans l'humilité de notre âme.
Ahl nous. ne le comprenons que trop jus-
qu'ici, qu'au lieu de concevoir ce bienheu-
reux salut nous n'avons conçu que le souille
de la vaine gloire et de l'orgueil; nous en
sommes trop convaincus que jusqu'ici nos
âmes vaines ont été les meurtrières de
celui dont elles devaient être les mères ;
nous avons mieux aimé nous remplir de
vent et de fumée que de la piété et du sa-
lut : Concepimus spiritum et non salutem.
Ainsi, tandis que ces âmes humbles auront
part à la gloire du ciel, il ne nous restera
que la honte d'avoir aimé celle de la terre
et nous serons obligés d'avouer que nous
n'avons embrassé qu'un souffle passager,
et enfanté que la vapeur toute seule : Conce-
pimus spiritum et non salutem.
Mon Dieu, que ce partage a de désesvoir !
et nous pourrions encore le choisir ? Que
chacun puisse dire donc: puisque l'orgueil
ne produit que de grands maux et l'humi-
lité que de grands avantages, ah! mon âme
ne s'abaisscra-t-elle pas devant son Dieu?
Nonne Deo subjecta erit anima mea? (Psal.
LXL) Devenue rebelle et inflexible par sa
vanité, refusera-t-elle de s'humilier et de
se confondre devant son Sauveur anéanti?
au lieu d'attirer Dieu en elle par son hu-
milité, le forcera-t-elle de la fuir et de l'a-
bandonner par sa superbe ?
Non, Seigneur, ne vous éloignez pas de
moi, me voici la plus soumise de vos créa-
tures : Ecce ancilla Domini. Mon âme est
devant vous comme une humble servante ; à
la vue de ses misères, elle ne comprend
pas comment elle a pu être vaine; la voici,
détrompée : ce n'est plus cette âme superbe
qui ne cherchait qu'à usurper celte gloire
qui n'appartient qu'à vous, qui ne s'étudiait
qu'à s'élever et à se faire honorer dans le
siècle ; revenue de son erreur, elle n'a plus
de fidélité et d'empressement que pour votre
service, elle ne songe qu'à étendre votre
empire, qu'à augmenter votre gloire. La
voici, cette âme soumise, à qui la qualité
d'esclave et do servante de son Dieu paraît
mille fois au-dessus de celle des princes et
des maîtres de la terre : Ecce ancilla Domini.
Vous nous l'avez promis, que vous habite-
riez avec les humbles; si vous vous abais-
sez, nous avez-vous dit, vous serez élevés;
si vous vous humiliez vous concevrez un
Dieu. La voilà, cette âme humiliée: je vous
la présente, c'est la mienne : Ecce concipies
in utero et paries filium; qu'il me soit clone
fait selon votre parole, donnez-moi cette
joie in^llable de vous voir et de vous por-
t - ni
MYSTERES ET FETES. — SERMON IV, ASCENSION DE J.-C
cœur : Fiat mihi secundum
H62
ter dans mon
verbum tuum ; que me sert que vous soyez
incarné dans le sein de Marie si vous ne
vous incarnez pas en moi en particulier?
Hâtez-vous de venir en mon âme, Dieu de
bonté, et y demeurez jusqu'à ce qu'elle
puisse s'incarner éternellement en vous
dans l'immortalité de votre gloire. C'est
ce que je vous souhaite, au nom du Père,
et du Fils et du Saint-Esprit. Amen.
SERMON IV.
POUR LE JOUR DE LASCENSION DE JÉSUS-CHRIST.
Et Dominus quidem Jésus postquam locutus est fis as-
sumptusestin cœlura et sedit a dextris Dei. .(Marc,
XVI.)
Le Seigneur, après avoir parlé à ses disciples, monta au
ciel oit il est assis à la droite de Dieu.
Fut-il jamais, Messieurs, spectacle plus
pompeux que celui qui se passe aux yeux
des disciples assemblés? Quelle surprise
pour eux de voir tout à coup s'élever jus-
qu'au ciel celui qui faisait toute leur con-
solation sur la terre! Il le leur avait bien
prédit, qu'après avoir consommé le grand
ouvrage qu'il était venu opérer dans le
monde , il s'en retournerait à la droite de
son Père, qu'il avait quitté pour un temps;
qu'après avoir tiré le genre humain de l'es-
clavage honteux du démon, où il gémissait
depuis le péché d'Adam, il emmènerait avec
lui la captivité captive; qu'après avoir fondé
et cimenté son Eglise aux dépens de ses tra-
vaux et de son sang, pour servir de mère à
tous les chrétiens, il irait leur préparer à
tous une place à côté de lui dans le royaume
de son Père, et qu'enfin viendrait un jour
où il rentrerait en possession de sa gloire,
après en avoir assuré le droit à tous ses en-
fants.
Le voici donc arrivé ce jour bienheureux,
jour de triomphe pour Jésus-Christ et d'es-
pérance pour tous les chrétiens , jour tout
glorieux pour le Sauveur et vraiment salu-
taire pour l'homme, jour enfin qui met la
consommation à tous les mystères de la vie
du Fils de Dieu, et qui met le comble et le
dernier sceau à la joie de l'Eglise.
Que ne puis-je, Messieurs, vous faire per-
cer cette nuée lumineuse qui , en éblouis-
sant les yeux des apôtres, leur fit perdre de
vue leur divin Maître, et au lieu de vous
demander, avec ces deux anges qui so pré-
sentèrent à eux, pendant qu'ils regardaient
en haut : Hommes de Galilée, pourquoi vous
arrêter si longtemps à regarder le ciel ? ne sa-
vez-vous pas que celui qui vient d'y mon-
ter, est ce Jésus que vous avez vu, et que
vous verrez encore ? Tïn" GaHlœi quid slatis
aspicientes in cœlum. Que ne puis-je au con-
traire vous faire ce trop juste reproche, hom-
mes de peu de foi, lâches et insensibles
chrétiens, disciples terrestres et charnels,
enfants dénaturés et ingrats? Pourquoi fixer,
comme vous faites, toute votre attention, tous
vos soins, tous vos désirs sur ce bas monde et
sur des choses de la terre? Que ne vous éle-
vez-vous sans cesse vers le ciel 1 Et depuis
Orateurs s»ckés. L.
que vous savez que votre modèle et votre
chef y est rentré dans sa gloire pour vous
en assurer le bienheureux héritage, que n'y
portez-vous tous vos regards, toute votre
application, toute votre espérance? Que no
faites-vous de la triomphante ascension do
Jésus-Christ le sujet le plus ordinaire do
vos études et de vos méditations? Vous ver-
riez, dans cette plénitude de gloire qu'il y
reprend, un motif puissant des désirs et de
l'empressement qui doivent vous faire aspirer
à la félicité, comme à votre centre; vous dé-
couvririez dans les voies bienheureuses qui
vous y sont tracées les moyens salutaires
que la miséricorde vous offre pour vous éle-
ver jusqu-'au. ciel; car voilà, Messieurs, tout
le fruit que vous devez tirer du mystère
de ce jour, et ce sera aussi tout le sujet de
ce discours. Il faut vous remplir de ces pen-
sées consolantes, que Jésus-Christ, qui monte
aujourd'hui au ciel, n'y monte point tant
pour lui-même que pour vous, et que loin
d'y réserver pour lui seul toute la gloire
dont il prend possession, son désir le plus
pressant est qu'elle se répande et qu'elle se
communique à tous les siens; vous devez
vous y dire à vous-mêmes, que ce Dieu,
montant au ciel en présence de ses disciples,
n'est point représenté chaque année aux fi-
dèles pour donner un vain spectacle à leur
curiosité; mais afin qu'ils en tirent pour
leur fidélité toute l'instruction et tout le se-
cours qui y est attaché : 1Q Jésus-Christ nous
y montre sa gloire à découvert, afin de nous
la faire désirer; 2° il nous y trace les voies
bienheureuses qui y mènent, afin de nous
y faire entrer. Expliquons donc aujourd'hui
ce grand mystère sans sortir des circonstan-
ces que l'Eglise nous apprend : 1° Nous y
verrons d'abord les biens que nous devons
désirer; 2° et ensuite les vertus qui peuvent
nous y conduire , ou, si vous voulez en deux
mots, la nature de la félicité dans le ciel qui
nous est aujourd'hui proposée dans l'ascen-
sion de Jésus-Christ et le chemin qui nous y
mène : voilà tout mon dessein.
Vous, ô mon Dieu, donnez-nous ce que
demandait autrefois un prophète, de voir
votre lumière par votre lumière même, c'est-
à-dire de voir votre gloire par votrs grâce ;
nous vous en prions par 1 intercession de
Marie. — Ave, Maria.
PREMIER POINT.
L'homme en naissant ne peut-être heureux,
Messieurs. Sorti par la création du sein
même de la félicité etde lagloire,son plus na-
turel penchant, le plus fort est d'y retourner.
Cette vérité n'a pas besoin de preuve étran-
gère; il ne faut que nous consulter nous-
mêmes, nous trouverons que ce désir nous
suit partout, que c'est lui qui anime nos
pensées, qu'il conduit nos projets, nos dé:
marches , et qu'enfin nous ne sentons rien
plus au fond de notre être etde notre subs-
tance, que cette inclination et ce désir; si
donc nous ne nous rendons pas toujours heu-
reux, c'est que notre aveuglement et peut-
être nos défiances nous emoèchent de con-
37
M 03
ORATEURS SACHES. LE P. SURIAN.
4!6J
naître et d'aspirer au seul objet de notre
véritable bonheur; nous nous arrêtons à ce
qui est de plus sensible et à ce qui nous
rend misérables ici-bas.
Or voilà le furieux obstacle que le Sauveur
par son ascension vient de lever aujourd'hui
en se montrant aux yeux de notre foi, comme
autrefois il se montra aux yeux de ses apô-
tres avec tout l'appareil de sa gloire. Il pré-
tend faire naître et ranimer en nous ce désir
presque éteint du véritable bonheur , et
parce que notre infirmité veut des objets
qui tombent sous les sens, ce Dieu de bonté
veut bien monter au ciel d'une manière sen-
sible, qui, frappant les yeux des apôtres,
produise en eux deux effets merveilleux :
le premier est de le leur faire connaître, et
le deuxième de les faire espérer en lui : 11-
lis videntibus elevatus est. Appliquons-nous
à ces deux idées, et croyons entendre de la
bouche de Jésus-Christ montant au ciel, ces
paroles qu'il a révélées à son apôtre : Con-
naissez quelles sont les richesses de la gloire
de votre héritage et de l'espérance bienheu-
reuse de votre vocation.
Vous le savez, Messieurs, que dès qu'il
s'agit des choses qui sont surnaturelles,
l'homme ne peut rien de lui-môme; dès qu'il
faut s'élever au-dessus des sens par les
voies adorables du sanctuaire, aller prendre
l'idée de l'éternelle félicité jusque dans le
sein de celui qui en est le principe, hélas 1
sa faiblesse ne peut le porter jusque-là.
Cendre et poussière que nous sommes, com-
ment nous pouvoir élever jusqu'à la divinité
suprême qui fait toute l'essence de notre
béatitude 1 mais celui qui nous prépare des
biens tant au-dessus de nous, veut pourtant
bien nous les faire connaître ; et se pourrait-
il donc après cela que notre cœur ne les dé-
sirât pas ! Hâtez-vous donc, hommes terres-
tres et charnels, s'écrie le Prophète, de mon-
ter sur un lieu chéri : Sta in excelso. (Baruch,
V.) Appesantis par le poids fatal de votre con-
cupiscence , vous n'avez jusqu'ici cherché
votre bonheur que dans ce bas monde, dans
la possession frivole de quelques créatu-
res; il n'y est pas monté plus haut : Sta in
excelso. Transportez-vous en esprit sur la
montagne de Sion, où s'élève votre divin
Rédempteur, contemplez-y les merveilles
qu'elle renferme, et y reconnaissez les dou-
ceurs ineffables que Jésus-Christ va vous y
préparer par sa glorieuse ascension : Et vide
jucunditatem a Deo tibi venientem (Baruch,
l'V) ; du haut de cette montagne céleste, re-
gardez en bas, descendez de ce point su-
l'iime, jugez de la bassesse de l'univers, de
ce séjour fixe et permanent, même le temps
qui s'écoule sans cesse en tout ce qu'il ren-
ferme d'inconstance et de fragilité «l'un lieu
ri éminent; voyez de toutes parts les hon-
«>3urs s'évanouir, les plaisirs s'y enfuir, les
fortunes fondre et s'anéantir sous vos yeux,
les grandeurs de la terre s'écouler et périr,
tesannées et les siècles se passer rapidement
sans que rien soit capable d'en arrêter le
cours; toutes ces choses humaines se ré-
Iréeir, décroître et périr : Sta in excelso.
Suivez d'esprit et de réflexion le Fils de Dieu
montant au ciel, et en lui contemplez un
objet plus grand, plus riche, plus pariait,
jtius puissant que tout le monde ensemble;
voyez peinte dans ce chef glorieux l'image
de toutes les délices qui vous attendent dans
le bienheureux héritage que son ascension
vous assure : Et vide jucunditatem a Deo
tibi venientem. Comprenez dans le mystère
de ce jour le changement merveilleux qui se
fait de la terre au ciel, et dans la personne de
Jésus-Christ rentrant en possession de sa
gloire; reconnaissez-y tous les traits diffé-
rents de la béatitude céleste :J57 vide jucun-
ditatem, etc. Et, pour mieux entrer dans la
nature de celte félicité et vous en faire mieux
distinguer le véritable caractère, attachons-
nous aux paroles de l'Evangile : Et Dominus
quidem Jésus, postquam locutus est, eis as-
sumptus est in cœiam; après que le Seigneur
Jésus eut entretenu ses disciples de ce qu'ils
avaient à faire et de ce qui devait arriver, il
s'éleva jusqu'au ciel, où il est assis à la
droite de Dieu; c'est-à-dire, Messieurs, que
cet aimable Sauveur quitte la terre où il avait
tant souffert pour retourner au ciel, où sa
gloire l'attendait: c'est-à-dire qu'il passa
d'une disposition de peines et d'obscurité à
un état de repos et de lumière, et en cela
vous avez une image naturelle du change-
ment qui doit se faire du chrétien dans le
ciel.
Oui, Messieurs, toutes ces misères qui
naissent ici-bas du fond de notre mortalité,
et qui nous font gémir si fort sous le joug
accablant du vieil homme, Jésus-Christ
nous apprend, par son ascension glorieuse,
qu'elles se trouvèrent absorbées par les qua-
lités excellentes de l'homme glorieux : nous
ne sentirons plus dans notre corps ces com-
bats qui l'affaiblissent, ces saillies impé-
tueuses qui le transportent; notre chaire
toute tranquille n'éprouvera plus des révol-
tes : les plaisirs seront purs, les douceurs
inaltérables, nos pensées consolantes et nos
désirs rassasiés ; indépendants alors de tou-
tes les créatures, nous nous renfermerons en
Dieu seul ; nous n'aurons plus besoin de
personne pour nous aider à posséder les
biens qu'il nous prépare ; infinis, nous n'en
craiidrons point la fierté et rien n'y pourra
mettre des bornes; éternels, nous n'en ver-
rons jamais la fin ; invariables, ils ne seront
point sujets aux temps ni aux revers; pleins,
ils ne laisseront point de vide en nous, ils
nous rempliront tout à fait : toute notre ca-
pacité sera épuisée par leur abondance et
par leur valeur, en sorte qu'aussi remplis
que charmés, il ne nous restera rien à dési-
rer.
Que vous dirai-je encore, Messieurs, pour
mieux vous faire connaître le prix de la
gloire que Jésus-Christ vous prépare par son
ascension; ce bonheur ne serait pas parfait,
s'il pouvait être interrompu, et l'on en goû-
terait trop imparfaitement les douceurs, si
l'on pouvait avoir quelque crainte de les
perdre ; ici tout ce que les heureux du siècle
peuvent espérer de plus doux, c'est que
ii55
MYSTERES ET FETES. — SERMON IV, ASCENSION DE J.-C.
115(5
la peine et le plaisir se succèdent mutuelle-
ment : les transports de la plus grande joie
y sont bientôt suivis de regrets et de tris-
tesse, et c'est presque assez de se voir au-
jourd'hui content, pour être certain que de-
main il vous arrivera quelque chose de fâ-
chaux : mais il n'en est pas de môme du
bonheur du ciel , il n'y a ni alternative ni
mélange, c'est le comble des divines volup-
tés et le bienheureux torrent en est inépui-
sable, leur état en est permanent et la joie
ne s'y altère jamais. Après des millions de
siècles les bienheureux y goûteront une fé-
licité aussi ravissante etaussi nouvelle que
s'ils venaient d'y entrer; là ils ne trouveront
qu'un même jour pur et serein auquel nulle
nuit ne succédera jamais ; ils n'emprunte-
ront point de lumières étrangères, parce que
Dieu, ce divin soleil de justice, les éclairera
lui-môme.
Par tous ces divers caractères, ne vous re-
présentez-vous pas, Messieurs, cette monta-
gne lumineuse dont parle saint Jean dans
son Apocalypse ; la sainte Jérusalem , que
voyait cet apôtre? N'est-ce pas le Seigneur
du ciel, l'Agneau qui préside? n'est-ce pas
Jésus-Christ tout brillant de gloire? ces
millions d'hommes sur le front desquels
était gravé le nom du Père, éternel? n'est-ce
pas cette multitude incomparable d'élus qui,
autour du trône de l'Agneau , s'estiment
heureux du seul plaisir de le posséder,
chantant sans cesse dans sa présence des
cantiques de joie et d'allégresse, et qui plus
ils s'enivrent dans cette souive intarissable de
délices, plus ils veulent en goûter. O mon-
tagne éternelle! ravissante Sion! quand se-
rez-vous notre demeure ? gloire du ciel !
cfuand vous posséderons-nous ? et quand ,
transportés en nous-mêmes jusque dans ce
séjour délicieux, en ferons-nous notre uni-
que soin, notre seule ojeupation et le seul
objet de nos désirs.
Mais si vous n'êtes pas enlevés par les ra-
vissantes idées de la gloire du ciel, soyez du
moins intimidés parles tristes conséquences
qui doivent suivre votre insensibilité ; cette
insensibilité où vous vivez à l'égard de cette
gloire qui vous est proposée, est un étal qui
vous assure les supplices affreux de l'enfer ;
ne point penser, ne point s'occuper de la
seule chose qui est ici-bas si nécessaire, c'est
une disposition déplorable qui, par elle-
même, réprouve; ne point tendre à l'éter-
nelle vie, c'est tendre à l'éternelle mort ; ja-
mais vos noms ne seront écrits dans ce beau
livre des élus, si vos pensées n'en sont elles-
mêmes la plume et le burin; jamais vous
n'arriverez à votre véritable patrie, tandis
que vous vous arrêterez dans votre exil;
la manne délicieuse n'est point pour ceux
qui prennent goût aux sacrés oignons
de l'Egypte, et quiconque ne se sert point
des lumières de la foi pour s'élever à l'esti-
me et à la connaissance de la vraie béatitude
ne peut ressentir ici-bas qu'un dégoût et un
vide général, et après la mort qu'un abandon
funeste et un arrêt redoutable de la bouche
de son juge.
Sur ce principe , ô mon Sauveur, que vous
en rejetterez, que vous en abandonnerez,
que vous en perdrez au jour de vos ven-
geances ; épée du Seigneur, que vous immo-
lerez de victimes terrestres et charnelles 1
Mais pour achever d'amollir, s'il est possi-
ble, votre insensibilité, gensdu monde, n'ou-
blions pas que Jésus-Christ monte en ce jour
au ciel aux yeux de ses disciples et en leur
personne aux yeux de tous les chrétiens,
non-seulement pour nous faire connaître sa
gloire dont il prend possession, mais pour
nous y faire prétendre, c'est-à-dire, qu'après
avoir formé notre estime, il a voulu nourrir
notre espérance, second avantage de l'ascen-
sion du Sauveur. Et, en effet, dit un Père, at-
tendre un Dieu dont on n'a pas même idée,
c'est une illusion; et il n'est pas possible d'at-
tacher son cœur à une chose que l'esprit ne
connaît pas ; mais le connaître aussi parfait
qu'on nous l'a dépeint, voilà ce qui fait naî-
tre le désir et qui anime l'espérance de ceux
qui veulent se rendre heureux par cette pos-
session.
Or, c'est là le fruit que Jésus-Christ veut
que nous tirions de sa gloire qu'il nous mon-
tre au jour de son ascension ; il ne s'élève de
la terre au ciel en présence de ses apôtres
assemblés que pour leur apprendre qu'ils y
monteront après lui ; il ne les rend témoins
et spectateurs de sa gloire que pour faire
naître dans leurs cœurs le désir d'y partici-
per ; que le sort des disciples qui auront été
fidèles sera semblable à celui de leur maître ;
que le premier-né d'entre plusieurs frères ne
vase placer auprès du Père céleste, quepour
attirer ses frères après lui ; que si nous lui
ressemblons, l'héritage qu'il va nous prépa-
rer passera jusqu'à nous ; que nous devons
attendre notre immortalité bienheureuse
comme le gage précieux de son amour comme
l«s derniertrait et l'effet le plus sensible de
notre adoption toute divine.
O héritiers du ciel , ô membres de Jésus-
Christ glorieux, à quoi sommes nous appe-
lés et à quoi nous arrêtons nous ? Comment
accorder des espérances si hautes avec des
sentiments si bas ; un héritage si précieux
qui nous attend, avec des désirs si faibles
qui nous retiennent. Oublions-nous la quaT
lilé sublime et les biens infinis que notre foi
nous procure et auxquels elle nous élève ; ne
nous convaincrons-nous point une bonne fois
pour toutes que tout sous le soleil n'est que
vanité et affliction, que tout n'est ici-bas que
corruption et misère ; qu'il n'est personne
qui ne doive soupirer et gémir clans cette
terre d'exil. O vous qui avez le bonheur d'ê-
tre chrétien , placez donc mieux désormais
vos désirs et vos espérances; dites à ce monde
et à tout ce qui l'environne qu'il ne vouse^t
point propre, qu'il est indigne de vous atta-
cher un seul moment; que si vous y pensez,
que si vous y vivez, ce n'est que 'pour le
mépriser ; que vous y renoncez, et qu'appelés
par Jésus-Christ montan tau ciel à une félicité
si précieuse et si relevée, des cheses si pe-
tites et si basses ne sauraient vous occuper.
Et en effet, pourriez-vous vous contenter de
Î167
ORATEURS SACRES. LE P. SURIAN.
fi 88
quelques douceurs frivoles et passagères,
pendant que votre Dieu vous promet une
éternité de délices et de gloire; et quan 1 le
ciel peut seul vous remplir, y aurait-il donc
encore dans votre cœur des places vides? Ah!
iixez tous vos désirs à la possession de Jésus-
Christ-, et laissez-vous aller où vous appelle
sa gloire ; soyez dans l'Egide comme cette
colonne quo saint Jean vit dans le temple,
qui portait sans cesse l'image duciel ; et lors-
que comme Jérémie vous sentirez affaiblir et
tomber votre espérance, dites au Seigneur :
Souvenez-vous de mes transgressions et de
mes malheurs, de la faiblesse et de l'indi-
gence où je suis : Recordare meœpaupertatis.
(Thren., III.) Et que ce souvenir me fasse le-
ver les yeux au ciel pour y voir tous les biens
que vous m'y préparez. Et si pour vous con-
soler et vous fortifier Jésus-Christ vous offre
et vous promet sa gloire, répondez-lui comme
le prophète : Oui, mon Sauveur, j'y consens,
et cette impression de bonheur que vous vou-
lez faire sur moi, c'estlà où je veux rappor-
ter toutes mes pensées, donner toute mon
attention et tous mes soins : Mcmoria mentor
cro. (lbid.) J'y porterai tous mes désirs et les
plus doux mouvements de mon cœur : hœc
recolcns in cordemeo.(Jbid.) L'idée que vous
m'en donnez aujourd'hui m'élèvcra à l'espé-
rance la plus forte: Ideo sperabo ( lbid.); la con-
naissance et le désir que j'aurai me le feront
méditer, mon âme en sera toute reiaplie : ta-
bescet in me anima mea. (lbid.) Vous serez, ô
mon Dieu, tout mon partage ;je ne vivrai plus
que dans l'attente de votre bienheureusepos-
session : Pars mea Dominus proptersa eum ex-
spectabo (lbid.); et tout charmé de l'idée, et
rempli du désir de la gloire que vous me
montrez, je ne chercherai plus que les voies
qui peuvent m'y conduire. Les voici ces
voies bienheureuses, et c'est Jésus-Christ lui-
même qui vous les a tracées avant de monter
eu ciel ; vous allez les voir dans l'autre par-
tie de ce discours, que j'abrégerai pour ne
pas abuser de votre patience ; j'espère que
vous ne vous lasserez pas de m'entendre
dans un sujet qui doit avoir tant de charmas
pour vous.
SECOND TOINT.
Il n'y a que notre misère, si nous savons
l'étudier, qui nous doive paraître déplora-
ble; si elle va jusqu'à nous aveugler dans
l'idée que nous avons de la vraie félicité,
elle ne nous aveugle pas moins encore dans
le choix des voies qu'il faut prendre pour y
atteindre : nous voulons y aller par l'indis-
crète curiosité des yeux, par les faux plaisirs
de la vie, parla vanité des grandeurs du siè-
cle; mais lâches que nous sommes! pour-
quoi ne pas nous souvenir de ce que l'Esprit-
Saint nous apprend, que depuis que le pé-
ché à mis entre le ciel et la terre un chaos
immense, les voies de l'un à l'autre sont de-
venues très-difficiles? Ah Scelles que l'on fait
d'ordinaire sont-elles difficiles, tout se con-
duit dans le monde par la folle concupis-
cence desyeux, par la grossière convoitise
de I.-i chair, par l'amour affreux des honneurs ;
voies déplorables desquelles on peut bien
dire que tout ce qui passe par elles arrive et
se termine à la mort.
Mais qui doit le plus nous attendrir ou de
l'aveuglement de l'homme qui s'égare ou de
l'amour de Jésus-Christ qui prend soin de
nous redresser ; car, on peut dire que le Sau-
veur montant au ciel fait plus que cet ange
céleste qui brille à la porte du paradis, puis-
qu'il y répand sa gloire, non pour en empê-
cher l'entrée, mais pour nous y introduire
lui-même, et que, pour me servir de l'expres-
sion de l'Apôtre, Jésus-Christ monte aujour-
d'hui dans le ciel aux yeux de ses disciples
assemblés pour leur tracer, et à nous comme
à eux, une voie nouvelle et vivante au tra-
vers des voiles de sa chair et de son huma-
nité glorieuse : quam iniliavit viam nuvam et
viventem per velamen id est carnem suam
(Ucbr., X), voie de retraite opposée à l'amour
des faux plaisirs de la chair, voie d'humilité
qui attaque l'orgueil de la vie : iniliavit no-
bis viam suam.
O vous qui faites ici-bas tout votre bon-
heur de votre attente, et qui mettez votre
plus douce espérance a suivre les traces de
Jésus-Christ, songez que les lumières de sa
gloire qui sont inaccessibles aux folles maxi-
mes du sièjle, ne le sont pas à ces trois
belles vertus, quand il nous dit : faites selon
le modèle que je vous ai tracé ; c'est lui-
même qui se donne à vous pour modèle et
si vous le suivez , vous pouvez espérer do
vivre un jour avec lui de la vie de la gloire :
Hoc fac, et vives (Luc, X.)
J'ai dit d'abord la retraite, et c'est le parti
que prirent les apôtres, après avoir vu de
leurs propres yeux leur divin maître s'éle-
ver au ciel ; ils se retirèrent près d'une
montagne et s'enfermèrent dans le cénacle :
cumin cœnaculum introissent; première voie
pour se préparer à la voie de la gloire, le
recueillement et la retraite. En etï'et, si le
chrétien est un rayon de ce soleil de justice,
qui s'envole aujourd'hui dans la nuée; s'il
est un écoulement de ce Verbe divin, caché
dans le sein du Père éternel, l'image d'un
Dieu voilé dans ses sacrements, rassuré dans
ses mystères; s'il est enfant d'une Eglise
sainte, appelée la fille du Désert; s'il a ab-
juré le monde, et promis par les vœux de
son baptême qu'il serait à Dieu seul ; s'il est
enfanté et élevé à l'ombre de la croix, et
dans le secret des plaiss de Jésus-Christ,
n'est-il pas tout voué à la retraite, au re-
cueillement, et à la voie par laquelle un
Dieu a voulu venir et vivre parmi nous ;
n'est-elle pas aussi celle que nous devons
suivre pour mériter de participer à sa gloire ?
Non, Messieurs, rien n'est plus nécessaire à
un chrétien qui veut gagner le ciel quo
la retraite; c'est là qu'une âme regarde au-
tant Dieu seul au-dessus d'elle, pour le
servir, et le monde au-dessous pour le
mépriser; s'élève à la hauteur de ses pen-
sées, à la sublimité de ses espérances, et
s'occupe sans dissipation, du doux exer-
cice des vertus. C'est là que par de salu-
taires retours sur elle-même, elle découvre
1189
MYSTERES ET FETES. — SERMON IV, ASCENSION DE J.-C.
1PO
à loisir le fond de ses misères, et cherche à
se fortifier avec Dieu par la ferveur de ses
prières. C'est là qu'elle n'épargne rien ,
qu'elle ne s'épargne pas elle-même, pour
rentrer en grâce avec son Dieu, si elle avait
eu le malheur de s'en écarter par le péché,
et qu'arrachée à tout autre objet, elle de-
meure attachée à Jésus-Christ par de pieuses
oraisons. C'est là que, dépouillant son cœur
de tout ce qu'il avait de terrestre et de gros-
sier, elle se revêt de tout ce qu'il y a de
spirituel et de céleste, et que tout enfin se
purifie en elle. C'est là que le chrétien, loin
des souillures et de la contagion du monde,
conserve ou reprend celte robe toute blanche
de l'innocence et de la justice, que le siècle
et ses dangereux attraits ne peuvent que
salir. C'est là que toutes les vertus qui y
sont renfermées, comme dans leur asile,
forment comme"! une nuée lumineuse qui la
mettent à couvert des ténèbres de ses pro-
pres passions : Nubes suscepit eum ab oculis
eorum. Là tout favorise ses pieux desseins,
et rien d'étranger ne s'y présente pour en
traverser l'exécution; là, ce Dieu de pureté,
qui déteste la dissipation et les usages per-
nicieux du monde, instruit et soutient le
chrétien; retiré de cet ennemi déclaré des
compagnies mondaines, il en fait son ami
paritculier, et un de ses élus; c'est là où
Dieu nous parle cœur à cœur, et où l'on ap-
prend à le connaître et à l'aimer; on ne s'y
entretient que de l'affaire du salut, et on n'y
forme que des désirs légitimes. C'est dans la
retraite que l'âme, pour aini dire séparée
de son corps, ne pense, ne parle, ne s'oc-
cupe que de Jésus-Christ et de la gloire qu'il
lui a préparée; qu'elle s'attache si fortement
à lui, que rien u'est capable de l'en séparer;
c'est là qu'elle étudie avec amour, qu'elle
comprend avec facilité, qu'elle pratique avec
ioie la loi et les prophètes ; et s'il arrive que
la grâce, faisant sur cette âme de fortes im-
pressions, lui retrace ses égarements passés,
l'énormité de ses offenses et les supplices
qu'elle a mérités. Kh ! c'est là [.lus qu'en tout
autre lieu, où tremblante et désespérée, elle
s'afflige et s'humilie en présence de son
juge; mais c'est là aussi que Dieu d'appro-
chant d'elle, que se faisant sentir à elle de
plus près, que redoublant ses faveurs et ses
tendresses, il dissipe toute ses frayeurs,
qu'il lève ses scrupules, qu'il arrête ses dé-
fiances, qu'il éclaircit ses doutes, qu'il relève
son courage abattu; c'est là, enfin, qu'une
âme entièrement morte au monde, détrom-
pée de ses erreurs, sourde à ses pernicieuses
leçons, ne voit que Jésus-Christ, son Sau-
veur, et vit comme s'il n'y avait que Dieu
et elle dans le monde. Oh 1 quel présent plus
digne d'un Dieu, qu'une âme ainsi préparée
par la retraite; qui, en s'éluignant des occa-
sions dangereuses, se précautionne contre
le péché; qui, en pratiquant de secrètes
vertus, triomphe de" l'insolence du vice, et
qui, surmontant autant d'ennemis qu'elle en
sait éviter, peut se vanter qu'elle est dans
ce sentier étroit qui mène sûrement à
la vie.
Mais si la retraite conduit si infaillible-
ment à la gloire, d'où vient donc que vous
ne l'embrassez point, gens du monde? Si elle
est si avantageuse au salut, pourquoi, au lieu
do vous y condamner au moins de temps en
temps, en avez- vous de l'horreur et vous
moquez-vous même de ceux qui s'y as-
sujettissent? Pourquoi tenir, comme' vous
faites, toutes les portes de vos âmes, qui
sont vos sens, ouvertes à toutes les fiassions
qui veulent y entrer? à faire de vos yeux
autant de glaives meurtriers qu'ils lancent
de regards ? Si la retraite et le recueillemei.t
sont si nécessaires au chrétien, pourquoi ne
chercher que l'embarras, les compagnies et
le tumulte du siècle? Pourquoi promener
vos yeux sur tous les objets qui s'y présen-
tent? Pourquoi demeurer errants et dissipés
dans ce monde qui vous éloigne si fort de
votre Dieu? Pourquoi ne pas détourner vos
regards do dessus ces créatures qui vous
séduisent? occuper votre esprit de ces mo-
des, de ces coutumes, de ces usages, qui
vous corrompent et qui vous perdent? Et ne
dites point, comme ;on [fait tous les jours,
que votre état est incompatible avec la re-
traite, que vos affaires et vos engagements
ne vous le permettent point; ignorez-vous
donc qu'il no faut pas être hors du monde
pour se recueillir en soi-même? qu'il y a
une retraite morale, nécessaire et facile à
tout chrétien; une retraite spirituelle, selon
saint Paul, par laquelle on s'éloigne du crimo
sans s'éloigner du siècle; où l'on vit avec le
monde sans l'aimer; où l'on use de ses biens
comme si on n'en usait point: où l'on de-
meure parmi les créatures sans s'y attacher;
où l'on converse avec les autres hommes,
non | our se pervertir avec eux, mais pour
les justifier; qu'il y a une espèce de re-
traite par laquelle le chrétien qui, par état,
ne peut sortir du siècle, fait sortir le siè.lo
de lui-même; où une âme, dégagée des
sens, demeure attachée à son Dieu comme
à l'unique objet du monde; où, tenant à bi
terre par les liens du corps, l'on est tout à
Jésus-Christ par les pensées de l'esprit; et
où, imitant ce divin chef et ce parfait mo-
dèle, on paraît entrer dans tous les soins do
ce bas monde, sans avoir aucune part à ses
plaisirs volages et à ses corrup fions.
Ah ! Messieurs, aimez donc cette vertu
qui vous est présentée comme la première
et la plus sûre voie do la félicité ; et puis-
que vos états et vos engagements vous obli-
gent de demeurer dans le monde, rompez
du moins tout commerce, toute liaison avec
les méchants dont la contagion ne manque-
rait pas de vous infecter, et que Jésus-Christ
réprouve en mille endroits de ses saintes
Ecritures. Si vous voulez de l'union et de la
société, que ce soit avec ce petit nombre de
bonnes âmes qui se regardent comme étran-
gères ici-bas, qui n'ont rien tant à charge
que cette misérable vie qui retarde leur bon-
heur; qui, peu contentes de faire et de crain-
dre le monde, le méprisent et le haïssent;
aimez la retraite, dans la même 'disposition
des Israélites captifs sur les fleuves de Ba-
HT!
ORATEUR* SACRES. LE P. SCRIAN.
1172
bylone, et dites comme eux pendant votre
exil : Hélas I forcés comme nous sommes
d'habiter ce monde, où des liens indisso-
lubles nous retiennent malgré nous, nous
n'y ferons aucun monument; et loin de nous
tourmenter, comme tant d'autres, nous de-
meurerons toujours assis au bord de ce ileuve
de Babylone : Super /lamina Babylonis illic
sedimus. (Psal. CXXXVI.) Nous craignons
trop que les eaux corrompues et amères ne
nous gagnent si nous y avancions ; nous
nous tiendrons loin de ses agitations, de sa
corruption et du gouffre de ses iniquités :
illic sedimus. Hélas ! que deviennent tous
ceux que leur aveuglement et leur témérité
y précipite de bonne heure, que leur impru-
dence y. conduit, que leur brutalité y dé-
grade ; n'en voyons-nous pas trop périr tous
les jours sous nos yeux et faire un funeste
naufrage à leur salut et à leur foi; pour
nous, qui craignons ces écueils et qui pro-
fitons de ces funestes exemples, nous vou-
lons mener une vie plus tranquille, et si
nous avons de l'ennui et des inquiétudes,
si nous y versons des pleurs et poussons des
gémissements continuels, ce n'est que sur
la malheureuse nécessité où nous sommes
de vivre dans cet exil, et par la bienheu-
reuse espérance de revoir bientôt la sainte
Sion , notre chère patrie : Illic sedimus et
flevimus cum reçorderamur Sion. (Ibid.)
Mais remarquez, Messieurs, que si ces vé-
ritables chrétiens versent ainsi des larmes
dans le monde, que s'ils se désolent et s'at-
tristent, c'est encore pour nous apprendre
que l'affliction et la peine sont une deuxième
voie aussi essentielle pour arriver à l'éter-
nelle félicité, q ie le recueillement et la re-
traite; et n'est-ce pas ce que Jésus-Christ
disait à ses apôtres avant de monter au ciel :
Ne fallait-il pas, disait-il, que Jésus-Christ
souffrît la mort et la passion avant d'entrer
dans sa gloire : Nonne oportuit hœc Chri-
stum patit et ita intrare in gloriam suam.
(Act., XVII.) Kl n'est-ce pas encore ce qu'il
veut leur faire entendre, lorsque dans l'é-
pître de ce jour nous lisons qu'avant de
quitter ses disciples le Fils de Dieu leur dit
qu'ils rendraient témoignage de sa personne,
c'est-à-dire qu'en publiant son Evangile ils
auraient à souffrir non-seulement dans la
ville de Jérusalem, mais dans toute la Ju-
dée, dans la Samarie et jusqu'aux extrémi-
tés de la terre, où ils rencontreraient la per-
sécution et le martyre : Eritis mihi testes
Jérusalem et in omni Judœa et Samaria et
■usque ad ultimum terras. (Act., I.) N'est-ce
pas enfin ce qu'il nous insinue dans tout son
testament , lorsque , non content de nous
avertir qu'il n'y aura d'heureux dans le ciel
que ceux qui auront passé sur la terre par
la tristesse et par les pleurs, par l'humilia-
tion et par la pauvreté, par la persécution
et par les contradictions : Jieati qui luqent,
bcati pauperes , beali qui persecutionem
patiuntur (Matth., V), et qu'il n'y a de ré-
compense à espérer que pour ceux qui au-
ront passé par les travaux de cette vie; que
le ciel est une conquête qui ne peut s'em-
porter sans de rudes combats, sans de con-
tinuelles violences, sans des efforts bien pé-
nibles : Iteynum cœlorumvim palitur et vio-
lenti rapiunt illud (Matth., XI); lorsqu'il
nous dit, par son Apôtre, qu'il n'y aura dans
son royaume que ceux qui auront souffert
comme lui sur la terre : Si tamen compatimur
et conglorificamur. (Rom.,- VIII.)
Mais que sera-ce si aux leçons pressantes
qu'il nous fait de souffrir, je joins encore
l'exemple touchant qu'il nous en a donné?
Quel motif plus puissant que la vue de ce
divin modèle qui, depuis le premier mo-
ment qu'il entra dans le monde jusqu'au
dernier moment de sa vie, ne cessa jamais
de souffrir et de se mortifier ; sur quoi je
voudrais vous porter ici quelques réflexions
naturelles. Si un Dieu qui, avec son infinie
;>ainteté, pouvait passer des joies de la terre
aux délices du ciel, rejette cependant cette
voie et ne veut arriver aux consolations
éternelles que par la privation des passagè-
res, quelle rigueur pour lui-même de vou-
loir ne rentrer en possession de la gloire
qu'après s'être chargé de toutes nos misères,
qu'après s'être assujetti à toutes les igno-
minies et à toutes les souffrances, quoiqu'il
fût le maître de choisir la voie des plaisirs
de ce monde ! et nous, pécheurs misérables,
chargés d'iniquités et de dettes, quelle lâ-
cheté de vouloir réserver pour nous ce que
le Sauveur, tout saint qu'il était, n'a pas
voulu prendre pour lui-même 1 Quoi de plus
monstrueux que de vouloir paraître sous un
chef couronné d'épines, des membres cou-
ronnés de roses! Si nous ne sommes point
conformes à l'homme de douleur , pouvons-
nous présumer de l'être à l'homme de gloire?
quelle injustice I un Dieu qui -est le maître
du ciel, ne veut y remonter qu'après s'être
réduit à la mort honteuse de la croix ; et
nous, loin de sortir un seul instant de la
joie et du plaisir, de retrancher un seul mo-
ment de notre mollesse et de notre sensua-
lité, de rien rabattre de nos commodités et
de nos aises, nous étudions l'art et le secret
de les perpétuer et de les étendre, et vou-
drions aller toujours au même terme que
Jésus-Christ nous montre, sans passer par
les mêmes voies que son exemple nous a
tracées? Quel aveuglement ! quelle corrup-
tion ! quel mécompte ! et l'esprit d'un chré-
tien peut-il se soutenir dans des prétentions
si déraisonnables!
Mais, achevez, ô mon Sauveur, de re-
dresser nos voies, et comme après avoir ins-
piré à vos disciples de rentrer dans le cé-
nacle, après les avoir disposés à tout souffrir
pour rendre témoignage de votre divinité,
après votre ascension glorieuse, vous vous
cachâtes sous une nuée qui vous déroba à
leurs yeux, et nubes suscepit eum ab ocu-
lis eorum, vous voulez noas apprendre qu'a-
près nous être garantis du monde par les
refraites, après nous être affligés et soumis
à toutes les peines de la vie, nous devons
encore, par humilité, dérober aux yeux des
hommes jusqu'à nos vertus et nos bonnes ac-
tions, de peur que ce qui pourrait y entrer
1173
MYSTERES ET FETES. — SERMON V, VOEUX DU BAPTEME.
1174
d'humain et de fastueux n'en corrompît tout
le mérite.
En effet, Messieurs, Jésus-Christ nous l'a-
vait dit, qu'il n'y aurait d'exalté que celui
oui se sera abaissé; et il savait trop bien que
1 humilité est le partage des élus et la vertu
la plus essentielle à l'homme qui veut ar-
river à la gloire ; que l'orgueil l'ayant chassé
du paradis terrestre il ne peut plus rentrer
dans le bonheur céleste que par l'humilité;
que, selon l'Ecriture, les places des anges
superbes dans le ciel ne peuvent être rein-
plies que par des hommes humbles; que
moins on cherche de gloire sur la terre, plus
on s'en accumule dans le ciel; qu'il n'y a
que ceux qui sont petits dans le ciel qui
puissent attirer les yeux favorables d'un Dieu
magnifique et glorieux.
Chrétiens ! qui aspirez tous à la môme gloire
que Jésus-Christ vous montre en ce jour, y
allez-vous par cette même route qu'il vous a
tracée : le faste, l'ambition , l'orgueil , la va-
lidé sont-ils le chemin qu'il a pris et que
vous devez prendre vous-mêmes. En vérité,
un Dieu si humble la donnera-t-il , cette
gloire inestimable, à tous ces vains transports
de superbe qui vous tiennent comme char-
més de vous-mêmes, qui font que vous vous
applaudissez d'une naissance qui vous con-
fondra à la mort avec le plus petit et le pauvre ;
que vous vous enilez d'un titre de noblesse
que tous les jours on dégrade par les incli-
nations les plus basses; que vous vous pré-
valez fièrement de quelques talents et quali-
tés naturels, qui ne viennent pas de vous , et
dont peut-être vous faites un si déplorable
usage? La donnera-t-il à ces airs fiers et hau-
tains, à ces vains efforts de tout surpasser,
de tout éclipser, de tout éblouir par l'auto-
rité, parle luxe, par les folles dépenses, ce
qui vous environne et ce qui vous fait om-
brage? Non, Messieurs, les voies que Jésus-
Christ nous montre dans son ascension sont
les seules par où vous pourrez atteindre à
la possession de la gloire dont il va reprendre
possession; dès qu'on les quitte on. périt, et
si vous ne pratiquez les vertus dont il vous
donne l'exemple, vous demeurerez à jamais
privés de la félicité qui en est la récompense
et le terme.
Privés de sa gloire, ah! Messieurs, vous
ne frémissez pas à ces paroles, votre cœur ne
se trouble point! pouvez-vous les écouter
sans alarmes? O sommeil funeste, déplora-
ble! insensibilité des chrétiens! de nos jours
si indifférents pour le ciel. Touchez-les, di-
vin Sauveur, et les ranimez par votre ascen-
sion glorieuse; inspirez-leur l'amour et le
désir de votre félicité, et ne permettez pas
qu'ils prennent d'autres voies pour y arriver
que celles que vous venez de leur montrer.
Vous êtes appelé le Seigneur des vertus en
même temps que vous êtes reconnu roi de
gloire : Dominus virtutum ipse est rex aloriœ
(Psal. XXIII.) Vous êtes le roi de gloire,
puisque cette gloire vient de vous, qu'elle
n'appartient qu'à vous, que c'est une grâce que
vous faites aux hommes de les y associer; que
c'est à yous seul à la donner, qu'elle vous a
coûté la vie, que vous l'avez acquise au prix
de votre sang; le Seigneur des vertus, non-
seulement des armées célestes, mais de lare-
traite, de la pénitence, de l'humilité, qui sont
les vôtres, parce que vous les avez pratiquées,
consacrées par vos exemples et scellées du
sceau sacré de votre passion et de votre
mort. O souverain Roi de gloire, ô Seigneur
aimable des vertus, accordez-nous aujour-
d'hui la faveur de votre triomphante résur-
rection, la force de mépriser ce bas monde,
la victoire absolue sur nos passions ; ne per-
mettez pas que nous périssions par notre
faute pendant que vous prenez tant de soin
de nous sauver; faites-nous connaître aujour-
d'hui tout le prix de cette gloire dont vous
ne retournez prendre possession que pour
nous y attirer après vous; faites-nous em-
brasser el aimer les salutaires voies qui y
conduisent et hors lesquelles il n'y a point
de salut à espérer pour nous; en un mot,
ô mon Dieu, dessillez nos esprits aveugles,
détachez nos cœurs enchantés des faux
biens de la terre, afin que, convaincus et char-
més, pleins d'une foi vive et soutenus d'une
espérance ferme, nous puissions tout entre-
prendre et tout souffrir, tout mépriser et
tout sacrifier sur la terre, pour ne prétendre
et ne désirer, pour ne tendre et n'aspirer
que vers les biens du ciel, qui seuls peuvent
nous enrichir dans le temps et nous rendra
heureux dans l'Eternité. C'est ce que je vous
souhaite , au nom du Père, et du Fils, et du
Saint-Es"prit. Amen,
SERMON V.
Pour le jour de la Sainte-Trinité.
SDR LES VOEUX DU BAPTEME.
EuntPs ergo docele omiies génies , baplizantes eos
in nominfi Palris, et Filii, et Spiritus sancli. (Malllt.,
XXV 111.)
Allez et instruisez toutes les nations, en les baptisant au
nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit.
Le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont,
Messieurs, les trois personnes qui compo-
sent le mystère auguste dont l'Eglise fait au-
jourd'hui la solennité, et les prédicateurs, in-
terprètes des intentions de cette bonne mère,
devraient, ce semble, tâcher d'en dévelop-
per les secrets aux fidèles. Mais hélas! que fe-
rions-nous avec tous nos elforts? est-il aucun
mortel sur la terre capable de fixer ses regards
sur un objet aussi éblouissant qu'est celui de
l'adorable Trinité des personnes? Qui pour-
rait jamais comprendre un père qui n'a ni
commencement ni fin, un fils qui est aussi âgé
que son père, et qui est égale en toutes choses
à lui ; un Saint-Esprit qui procède de l'un
et de l'autre, et qui n'est ni l'un ni l'autre. O
profondeur impénétrable des trésors de
la sagesse et de la science de Dieu, que vos
voies sont incompréhensibles ! s'écrie le
grand Apôtre. O impuissance trop bornée do
ténèbres et de la faiblesse de l'homme, je ne
puis parler,je ne fais que bégayer ! s'écriait
Jérémie. O témérité de l'esprit humain de
vouloir entrer dans l'explication d'un mys-
tère ineffable! disait autrefois saint Hilaire
ORATEURS SACRES. LE P. SURIAN.
il 76
Savante, ici confondez-vous, et n'entrepre-
nez point de pénétrer dans des chefs-
d'œuvra de la majesté divine dont la
glcire vous accablerait. Humilions-nous
donc, mes frères, et nous en tenant à la sim-
ple créance du mystère, contentons-nous de
profiter des grâces que les trois personnes
divines nous offrent ; c'est à leur nom que
nous sommes baptisés et toute notre dignité
consiste dans la qualité de chrétien que nous
recevons sur les fonts du baptême au nom
du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit : Eunte$
ergo etc. Mais à quoi nous servira d'être
l'ouvrage de l'adorable Trinité, si nous n'y ré-
pondons par notre sainteté? car si rien n'est
aujourd'hui plus commun dans le monde
que le nom de chrétien, rien anssi n'y est
plus rare que de l'être et de remplir di-
gnement les devoirs essentiels d'une voca-
t on si sainte : c'est ce qui nous accable d'af-
fliction, et qui nous est un nouveau sujet de
larmes ; car s'il ne s'agissait que de former
entre nous une société humaine, si nous
n'étions appelés qu'à être sages, réglés, offi-
cieux, complaisants, équitables, quelque
corruption qui règne dans le monde, on trou-
verait encore des hommes de ce caractère ;
et parmi vous, comme parmi les Juifs, on
verrait encore beaucoup d'honnêtes gens se-
lon le monde; mais depuis notre baptême ce
n'est point assez pour nous d'être sages, il nous
faut être chrétiens; nous composons un corps
de fidèles, quia reçu des lois pures et céles-
tes : notre vocation est d'être chrétien , c'est
à-dire un autre Jésus-Christ : Christianus
alter Christus ; voilà ce qu'il faut être, et ne
le pas être, c'est la damnation éternelle, etc.
( Le reste se trouve jusqu'à la fin dans le
Sermon sur les obligations du Chrétien Ger-
mon II du Carême, col. 707] )
SERMON VI.
POUR LA FÊTE DU SAINT SACREMENT.
A.feraïaus ad nos i~cam Domini et veniat in médium
nostri, ut salvet nos de manu inimiccruro. (I Reg., IV.)
Apportons ici l'arche d'alliance du Seigneur el qu'elle
vienne au milieu de nous, afin qu'elle nous sauve de la main
de nos ennemis.
Ce n'était pas sans raison, mes frères, que
les Israélites mettaient leur confiance en
l'arche d'alliance; mille fois ils avaient res-
senti les effets de sa puissante protection, et
la regardant comme un gage certain de la
présence de Dieu parmi eux, rappelant tant
de batailles gagnées, tant de conquêtesfaites,
tant de victoires remportées, les murs de
Jéricho tombés en présence de l'arche, ils
se croyaient invincibles avec cette marque
de secours du Seigneur : Afferamus ad nos
arcam, etc.
Tant qu'ils furent fidèles, leur espérance
ne fut pas confondue ; mais ils éprouvèrent
bientôt pour leur malheur, qu'ils se flattaient
mal à propos d'un secours dont ils s'étaient
rendus indignes, que leur défaite précédente
n'était qu'une suite de la peine due à leur
infidélité; que tandis que cette mauvaise
cause subsisterait, ils ne devaient uoint at-
tendre de meilleur succès ; que le même
Dieu qui leur avait promis sa protection et
la gloire de la victoire pendant qu'ils lui de-
meureraient attachés, les avait aussi mena-
cés des plus sensibles disgrâces, lorsqu'ils
tomberaient dans l'ingratitude; et. en effet, la
ruine entière de leur armée, la désolation
de tout le peuple, la prise de l'arche sainte,
la mort du grand, prêtre et de ses deux fils,
ne fut que la juste punition de leurs crimes :
Raina magna facta est in populo, insuper et
duo filii tui mortui sunt et arca Deicapta est.
Ici, chrétiens ne tremblez-vous pas, et si,
comme le peuple d'Israël, vous marquez en
ce jour de triomphe tant d'empressement et
de zèle pour l'arche de la nouvelle alliance,
dont l'ancienne n'était que la figure, et que
l'Eglise fait porter au milieu de nous avec
tant de pompe et de solennité, ne devez-vous
pas craindre que vos crimes et vos ini-
quités ne vous rendent indignes de tous les
secours et de toutes les grâces qui y sont at-
tachés; je sais que par un privilège vous avez
le bonheur de posséder parmi vous ce Dieu
fort et puissant, capable de vous délivrer de
tous vos ennemis ; il va pendant huit jours se
montrer de plus près et plus sensiblement
que pendant tout le reste de l'année, aux
yeux de notre foi, et vous pouvez le recevoir
non en figure et dans vos maisons, mais vous
nourrir de sa chair adorable, et vous incor-
porer réellement celui qui est la vérité de
toutes les figures.
Mais l'auguste cérémonie qui nous appro-
che si près de notre Dieu, trouve-t-elle en
nous des dispositions qui répondent à la so-
lennité de l'Eglise, et, en voyant le sacré
corps de Jésus-Christ qui se mêle parmi nous
avec tant detendresse et tantde familiarité, lui
préparez-vous une place et dans votre esprit
et dans votre cœur, car c'est là bien [dus que
sur un autel qu'il veut habiter; vous sentez-
vous animés d'une foi vive pour croire ce
mystère , vous trouvez-vous remplis d'une
pureté parfaite pour recevoir le sacrement;
c'est là ce que nous allons examiner dans les
deux partis de ce discours, etc.
(Le surplus se trouve tout entier dans le
Sermon sur les dispositions à la communion
[sermon XXIX du Carême, col. 1087], jus-
qu'à la péroraison.
PÉRORAISON.
Ici, Messieurs, je m'aperçois que l'alterna-
tive vous alarme et que vous paraissez cons-
ternés; le précepte d'uncôlé, votre indignité
de l'autre vous jettent dans un trouble si
violent, que, malgré vous, il devient sensible
et paraît au dehors. Ah! calmez -vous en
vous convertissant, c'est le seul parti que
vous avez à prendre ; et aujourd'hui que vous
êtes forcés de communier, que le comman-
dement presse , mettez-vous en état de le
bien faire; disposez-vous par une foi vive et
une pureté chrétienne à recevoir un Dieu
qui vient à vous; rapprochez vos mœurs de
la sainteté de votre baptême, reformez votre
conduite sur la règle de 1'Kvangile , et con-
sacrez-YOUs tout entier à Jésus-Christ comme
4177
MYSTERES ET FETES. — SERMON VI , POUR LA TOUSSAINT.
U78
il se donne entièrement à vous; soumettez
votre esprit et purifiez votre cœur, répondez
comme il faut à tant d'amour, et vous dispo-
sez à recevoir ce Sauveur aimable avec une
entière préparation | qui vous rende dignes
de l'honneur qu'il vous fait, des biens qu'il
vous offre, et, pleins de reconnaissance et de
tendresse , dites-vous à vous-mêmes : ah !
voici un Dieu qui vient intérieurement re-
nouveler en moi, par ses mystères, tout ce
qu'il ût de plus merveilleux pour les Israé-
lites ; voici cette manne toute céleste qui
peut nous soutenir dans toutes les faiblesses
de cette vie passagère; voici ce breuvage dé-
licieux qui désaltère l'âme juste; la voilà
cette arche vivante, qui, renfermant le Saint
des saints et le Dieu des armées, combat
pour nous victorieusement , et nous fait
triompher de tous nos ennemis ; le voici sur
nos autels, cet Agneau sans tache, sacrifié
pour nous délivrer du plus malheureux es-
clavage ; approchons-en , et nous en appro-
chons dignement , et nous prosternons en
sa présence, afin de voir finir tous nos mal-
heurs : Afferamus ad nos arcam, etc. Le voici
ce roi des siècles le plus magnifique, qui
vient triompher de nos cœurs rebelles, qui
veut faire sa demeure dans nos âmes, et qui
n'a institué le sacrement auguste de son
corps, que pour nous rendre participants de
sa substance et de sa divinité; le voici, ce
Dieu de bonté, qui, oubliant sa gloire, comme
s'il ne pouvait être heureux sans nous, s'en-
veloppa sous de viles espèces, se cache sous
les apparences du pain pour nous servir de
nourriture sur la terre, comme il en sert aux
anges dans le ciel ; le voici enfin , ce Pasteur
charitable qui vient à nous préférablement
à tant d'autres qui croupissent dans l'erreur
et dans l'idolâtrie, et qui , crainte que ses
brebis ne périssent, leur procure les plus dé-
licieux pâturages, qui est sa chair, et sa pro-
pre substance : Afferamus ad nos arcam fœde-
ris. En un mot, redevenez chrétiens, et alors
présentez-vous à la table sacrée : qui vous
arrête encore? Prenez et mangez, et cette
même Eucharistie, qui aura été reçue avec
lès mêmes dispositions nécessaires, sera
dans votre âme un germe de salut et de grâce
sur la terre, et ane semence de gloire et d'im-
mortalité dans J î ciel : germai gratiœ, semen
gloriœ. Je vous le souhaite au nom du Père,
et du Fils, et du Saint-Esprit. Amen.
SERMON VIL
POUR LE JOUR DE LA TOUSSAINT.
Ideoque et nos tantam habentesimpnsitam nubpm tPS-
tium per patienliam eurramus ad propositum nobis cer-
tamen. (Hebr., XII.)
Puisque nous sommes environnés d'une si grande nuée de
témoins, mettant tout le reste à l'écart, courons avec persé-
vérance vers le combat qui nous est proposé.
Lorsque je considère la loi de Jésus-Christ
méditée avant tout le temps dans le conseil
d'en haut, prédite dans l'ancienne loi par
une longue suite de prophètes, figurée par
tant de sacrements divers, ébauchée dans la
personne de tant de patriarches illustres, par
une multiplicité de signes surprenants, re-
nouvelée, perfectionnée ou plutôt consom-
mée parla naissance et par la mort d'un Dieu,
sanctifiée par le sang d'une foule de martyrs,
croissant et se fortifiant dans la suite par les
persécutions et les opprobres; s'assujettissant
les trônes et les empires par la force de ses
lois, combattant sans cesse les maximes du
siècle et les erreurs par l'autorité de sa doc-
trine, et remportant toujours de nouvelles
victoires sur les puissances de l'enfer, cou-
ronnée enfin après ces combats, et triom-
phante au ciel par cette troupe innombrable
de saints dont nous honorons aujourd'hui la
mémoire, je confesse hautement que c'est
ici le doigt de Dieu, l'effet de sa puissance,
le chef-d'œuvre de sa sagesse , et je suis
forcé de m'écrier avec un prophète :0 Israël 1
que la maison du Seigneur est grande, qu'elle
est pleine de beauté, qu'heureux ceux qui
lui appartiennent ! quelle est la nation qui
peut se vanter d'avoir un Dieu comme le
nôtre, mais quelle autre religion peut aussi
se glorifier d'avoir des disciples comme les
chrétiens ? Laus ejus in Ecclcsia sanctorum
lœtetnr Israël in eo qui fecit eum. (Psal.
CXL1X.) Mais l'Eglise ne borne point là toute
son attention ; plus occupée du salut de ses
enfants que de sa propre gloire, le motif de
ses plus grandes solennités se réduit à l'ins-
truction de leurs plus importants devoirs, et
si elle ouvre en ce jour les portes de la cé-
leste Jérusalem, c'est bien plutôt pour nous
y laisser voir une foule de témoins qui dé-
posent contre nous par l'exemple édifiant
de leur vie, qu'une troupe de bienheureux
qui nous amuse par le pompeux spectacle de
leur félicilé ; et c'est dans cet esprit que saint
Paul produisait cette foule de justes aux
yeux des Hébreux, non pas comme une suite
d'ancêtres illustres dont ils se glorifiaient
d'être les enfants, mais comme une nuée de
témoins irréprochables qui se faisaient en-
tendre à eux, soit pour condamner la fausse
idée qu'ils avaient de la perfection évangéli-
que, soit pour confondre la vanité des pré-
textes qu'ils cherchaient, pour autoriser la
lâcheté de leur conduite : Ideoque et nos tan-
tam habentes , etc.
C'est dans le même esprit que l'Eglise au-
jourd'hui nous propose cette grande multi-
tude de saints qui habitent la célci-te patrie,
et qu'elle les produit à vos yeux comme au-
tant de témoins qui condamnent vos fausses
vertus et confondent vos frivoles excuses.
En condamnant nos fausses vertus, ils nous
apprennent que nous devons être saints
comme eux; en confondant nos vaines excu-
ses, ils nous apprennent que nous pouvons
être saints aussi bien qu'eux; et voilà les
deux conséquences dont je compose ce dis-
cours, parce qu'elles doivent être le fruit
solide de la solennité de ce grand jour. Fasse
le ciel que ma voix puisse le produire en
vous, avec la grâce de celui qui fait les
saints et dont nous allons implorer le se-
cours par l'entremise de Marie. Ave, Maria.
1173
PREMIER POINT.
Si les règles du salut étaient purement
arbitraires comme celles de la sagesse du
siècle, et si on pouvait parvenir à se sauver
dans le monde aux conditions que la plu-
part veulent y établir, l'exemple des saints
ne servirait point de témoignages contre
nous ; les justes morts pourraient paraî-
tre à nos yeux sans condamner les pécheurs
vivants, et il nous serait permis d'en faire
l'éloge, sans craindre le honteux reproche
de ne point être ce qu'ils ont été; mais s'il
est vrai que leur conduite doive servir de
règle à la nôtre, il faut convenir qu'ils dépo-
seront contre la plupart de nous , soit qu'on
envisage l'ordre et la régularité des vertus
qu'ils ont pratiquées, soit qu'on en considère
le caractère et le fond. Par l'un ils paraissent
comme des hommes appliqués h se sancti-
fier dans la place que Dieu leur avait mar-
quée, par l'autre ils paraissent comme des
hommes devenus saints, en donnant à Dieu
la place qui lui convient; et ces deux cir-
constances qui ne sont que l'abrégé de l'his-
toire de la vie des saints, sont un juste sujet
de condamnation de la nôtre. Appliquons-
nous-y, et en reconnaissant ici l'injustice de
nos erreurs, apprenons l'étendue de nos de-
voirs. Je parle d'abord d'un ordre et d'une
régularité de conduite qui fixe les saints
dans les places que Dieu leur avait marquées,
et qu'il ne leur permet pas d'en chercher ail-
leurs d'autresque celles-là. Ce n'est pas queles
conditions et les places différentes des leurs,
n'aient jparu à leurs yeux aussi légitimes
parmi eux, qu'elles le paraissent parmi nous;
la maisonsainte est corn posée de toute sorte
de peuple, de toute tribu, de toute nation ,
dit saint Jean, et il nous y fait remarquer des
conditions et des places de toutes les sortes ;
mais à travers de cette diversité de partie
qui forma le corps de Jésus-Christ, n'atten-
dait pas d'y trouver des membres déplacés
qui défigurent ce corps régulier; n'attendait
pas d'y trouver des vertus apparentes de
choix, de caprices, d'humeurs, qui ne sont
rien moins que le fruit de la vérité et de la
grâce, et qui sous prétexte de sanctifier toutes
les conditions, ne sont qu'un monstre de re-
ligion qui les dérange toutes et n'en sanc-
tifie aucune. Telles sont les vertus qu'on se
propose tous les jours dans le monde et qui
donne le change a tant d'âmes abusées; delà
ces sentiments et ces plaintes injustes qu'on
forme si souvent sur son état, et ces repro-
ches qu'on semble faire à la Providence qui
nous y a placés, comme si c'était à elle et non
point à la coupable négligence des hommes
qu'on dût attribuer sa propre porte. De là
ces vicissitudes, ces dégoûts dont on se fait
une fausse idée, et sur lesquels on bâtit un
faux système de piété chimérique qui ne
peut se soutenir; de là cette scrupuleuse
confiance dans certains devoirs journaliers,
sur lesquels on se repose entièrement, tan-
dis qu'on néglige l'essentiel, qu'on ne compte
pour rien; enfin, une infinité de désordres
ti d'égaremcnls que les grands maîtres de la
ORATEURS SACRES. LE P. SURIAN. 1180
morale ont regardés comme des oostacles à
la sainteté, parce qu'ils en ruinent le prin-
cipe et renversent l'ordre de la divine pré-
destination : d'où vient tout cela? C'est qu'on
ne veut pas comprendre cette parole de l'a-
pôtre que Jésus-Christ , dans la plénitude
des temps donne à chaque condition cer-
taines mesures de grâces qui doivent déci-
der de sa destinée pour l'éternité; c'est qu'on
ne veut pas des devoirs de cet état et de
cette condition, faire le principal objet de
son attention et la matière ordinaire de ses
travaux; on se sent plein de zèle pour autre
chose et on ne s'en sent aucun pour celle-ci.
Cette régularité de domestique ne nous plaît
point, cette uniformité de conduite n'est
point de notre goût; on ne saurait, s'assujet-
tir à faire l'œuvre de Dieu dans la condition
où l'on se trouve : on soupire, on court après
une situation qui nous convienne plus; au
lieu de celles qui nous sont marquées, nous
en voulons d'autres; et par l'inutile désir de
faire ce qu'on ne doit pas, on croitse dispen-
ser de faire ce qu'on doit pour se sauver.
Or, je vous le demande, si les saints que l'E-
glise nous propose pour exemple en avaient
usé de même , mériteraient-ils nos éloges?
qu'en penseriez-vous, et qu'en penserait
l'homme, tout corrompu qu'il est? Non, non l
rendons plus de justice à la sagesse des rè-
gles de notre sainte religion, et ne cher-
chons parmi tant d'hommes justes aucune
de ces vertus étrangères qui en troublent
l'ordre et la sainte harmonie. Tout prêche
ici les desseins adorables que le Sauveur a
formés sur ses élus; tout paraît à sa place,
et soumis , à ses justes vues; dans les saints
engagements du mariage , comme dans les
vœux du célibat; au milieu du siècle, comme
au fond du cloître ; et parmi les embarras du
monde, comme dans la tranquillité des dé-
serts: rois, sujets, princes, roturiers, guer-
riers , philosophes , magistrats , pères de fa-
mille, enfants, maîtres, serviteurs, nous
les voyons tous parvenir aux mêmes termes;
il n'y en a pas un seul qui n'y soit arrivé
par les routes particulières que Dieu lui a
marquées : quelle fut aussi leur application
à discerner ces mêmes routes et à les étudier;
quelle scrupuleuse attention , pour ne pas
s'y méprendre ; quelle délicatesse de cons-
cience à rechercher s'ils étaient où Dieu vou-
lait qu'ils fussent; quelle sollicitude pour se
redresser et réparer les défauts de leur vo-
cation, s'ils avaient le malheur de s'y trom-
per; quelle résignation et quel soin pour se
faire de la place où ils étaient des occasions
journalières de mérites. Ah! c'est qu'ils
étaient vivement pénétrés que le salut de
l'homme est un ouvrage d'ordre et de sa-
gesse, qui ne se mesure point sur les capri-
ces et la vicissitude de l'esprit humain; que
cette grâce d'élection, d'où dépend notre des-
tinée, n'est pour nous qu'un assemblage de
divers moyens, qui nous sont marqués de la
main du Tout-Puissant, mais qu'on ne trouve
qu'en marchant dans sa vocation : ut dùjne
ambuletis vocatioyn qua-vocati estis. (Ephes.,
IV.) On se trompe donc, si on les cherche
USi
MYSTERES ET FETES. — SERMON VL3, POUR LA TOUSSAINT.
1182
ailleurs, et c'est donc injustement qu'on se
plaint de ne pouvoir les y trouver; c'est inu-
tilement, dit saint Jérôme, qu'on cherebe à
faire des œuvres éclatantes, si l'on n'est cer-
tain qu'elles sont de son état, et en vain se
fatigue-t-on à faire de grands pas et de péni-
bles courses pour arriver au terme, si on
est bors le chemin et la voie qui y conduit :
inagni passas, sed extra viam.
Cependant, cet ordre, cette régularité de
conduite qui nous fixe dans l'état où la Pro-
vidence nous a placés, ne suffit | as pour le
salut , ce n'est encore que le plan et la voie
de la fidélité chrétienne : il s'agit, en second
lieu, d'y marcher, et ce n'est que l'accomplis-
sement des devoirs qui en décide ; or com-
ment les saints y ont-ils marebés si fidèle-
ment, et où sont ils arrivés à ce degré de
perfection, qui les élève à un si haut degré
de gloire dans le ciel?
Ici, Messieurs, vous n'attendez pas que je
vienne vous faire une histoire suivie de
cette multitude innombrable de justes qui
ont fourni, de siècle en siècle, la matière de
tant de pieux volumes; c'est à vousà parcou-
rir ces livres sacrés , qu'une longue et fidèle
tradition doit vous rendre respectable , et
dont l'Eglise vous offre la lecture. Mais sans
entreprendre un détail au delà de mes for-
ces et du temps qui m'est prescrit, il suffit de
vous dire que, si les saints ont tous cherché
leur sanctiûeatioû dans les places où Deu
les avait mis , ils ne sont devenus saints,
qu'en donnant à Dieu dans leur cœur la place
qui lui convient ; ils pouvaient le devenir
sans ce zèle immense, sans ces travaux infa-
tigables , sans ces mortifications excessives ,
sans ces succès glorieux, dont ils furent les
prodigieux instruments; ils pouvaient le de-
venir sans le secours et réglât de certaines
actions héroïques que la grâce leur ins-
pire; mais pas un seul ne pouvait l'être sans
cet amour de préférence , qu'ils eurent tous
pour Dieu pendant toute leur vie: voilà le
sens et le fond de leur sainteté , et voilà la
règle que la relig'onnous prescrit peur être
saint comme eux, mettre Dieu au-dessus de
tout, etc.; nous-mêmes au-dessous de Dieu,
règle courte et qui renferme en deux mots
tous les devoirs (Je 1 homme chrétien, règle
sûre et infaillible, qui conduit droit à la per-
fection; règle commune et générale qu;, sans
excepter un seul état, ni en prescrire aucun
en particulier, les assujettit tous à la même
loi, mais dont le Yiolement fait tout le dé-
sordre de l'homme dans la religion. Car, que
chacun entre dans l'examen de sa conduite,
et qu'il juge de la fidélité qu'il apporte aux
devoirs de son état : où trouve-t-on cet
amour de préférence , qui donne à Dieu la
première place dans notre âme, et qui en
fasse l'objet dominant notre cœur? Hélas 1
on la trouve quelquefois peut-être dans les
saillies d'une imagination échauffée, dans la
pointe de l'esprit qui conçoit une idée con-
fuse et vague de ce qu'on doit à Dieu , mais
qui ne donne rien moins que dans la prati-
que constante d'une parfaits et sincère cha-
rité. Où la trouve-t on ? peut-être dans cer-
taines âmes où la force d'une habitude con-
traire ne dispute point à Dieu l'empire
qu'il doit avoir sur nous. Mais s'agit -il ici
de sacrifier quelque chose à la pénitence et
à la piété? ah 1 c'est alors qu'on met tou-
jours le salut à l'écart, et qu'on peut dire
avec Salvien : que Dieu seul, en concurrence
avec tout le reste, a toujours le dessous dans
le cœur de l'homme ; c'est alors que la ba-
lance des hommes devient injuste , que le
moindre intérêt, dit ce Père, le moindre plai-
sir, le moindre honneur, l'emporte sur l'a-
mour du Créateur, sur la gloire et l'avan-
tage de le servir , et qu'une pièce de mon-
naie devient souvent d'un plus grand poids
dans le cœur d'un chrétien, que toute la ma-
jesté et les bienfaits infinis de son Dieu.
Mais il faut du courage, dira-t-on peut-
être ; cet amour de préférence est difficile
et coûterait trop à pratiquer dans les occa-
sions ; j'en conviens, et c'est une vérité
constante qu'on ne doit point mettre en
question. Aussi les sa:nts ne manqueront
point d'en faire tout le plan de leur con-
duite, bien convaincus que la voie étroite
est celle des élus, et que, depuis les jours
de Jean-Baptiste, le royaume des cieux souf-
fre violence; or, voilà ce qui fait qu'on se
trompe, et ce qui met en évidence la faus-
seté des vertus qu'on se choisit soi-même.
On convient qu'il faut se sauver, on le veut
même, dit-on, mais , si on ne pèche pas
dans le principe, on pèche dans les consé-
quences ; on ne suppose pas que le salut soit
un ouvrage qui n'est le fruit que d'un tra-
vail pénible et assidu, ou ne se persuade pas
fortement qu'il faille porter sa croix, et ex-
primer en soi certains traits de ressemblance
et de conformité avec Jésus-Christ. On se dit
que Dieu, bon comme il est, n'en n'exige
pas tant de l'homme; que ce langage, qu'on
tient de Jésus-Christ, est un langage nou-
veau qui scandalise et révolte les esprits;
enfin, on veut être saint, mais sans violence,
sans combats, sans qu'il en coûte rien à la
délicatesse et à la sensualité-, et sans rien
sacrifier de ce qui fiatte l'amour-piopre et
qui tient le plus au cœur. Ahl fausses ver-
tus, vains fantômes de piété et de religion;
le monde ne vous recevrait pas et on vou-
drait que Dieu s'en contentât; le monde les
refuserait de ses partisans, et on croira que
Dieu veuille les agréer de ?es enfants ! On
donne au monde tous ses soins quand il
s'agit d'une affaire'lemporclle, et on aura le
front d'en disputer à Dieu la meilleure j ar-
tic, dès qu'il s'agit d'une affaire éternelle,
et on ne rougira pas de mettre son salut à
plus lias prix qu'une fortune de quelques
années! Ah ! ces sentiments s'accordeiU-ils
bien avec les règles de votre religion 1 Cette
préférence est difficile, dites-vous , et il en
coûterait pour en supporter la pratique : en
doutez-vous donc, et n'en coûla-t-il rien aux
saints lorsqu'il s'agit de renoncer comme
ils firent à tout ce qui les flattait le plus dans
le monde et do sacrifier tout ce qu'ils avaient
déplus cher? Ils ne croyaient pas qu'en
donnant au Seigneur la place qui lui con-
1185
ORATEURS SACRES. LE P. SURIAN.
I!84
venait dans leur cœur, ils en dussent faire
trop pour lui, et ne pensaient qu'à garder
l'ordre de la justice. Jetons les yeux sur
ces grands modèles qu'on nous propose au-
jourd'hui, et confrontons ce que nous faisons
pour notre salut avec ce qu'ils ont fait pour
le leur, et la douceur de votre situation avec
les épreuves de celles où ils se trouvèrent
sur la terre. On ne vous en demande pas tant
qu'à ces illustres martyrs, et vous n'avez
pas encore résisté jusqu'à l'effusion de votre
sang, dit sant Paul; mais, dût-il vous en
coûter autant qu'à eux, si l'occasion s'en
présentait, il faut que nous donnions à Dieu
cette préférence sur toutes choses, ou nous
ne serions chrétiens que de nom et fidèles
qu'à moitié; elle sera difficile, cette préfé-
rence; oui, sans doute, et plus encore que
vous ne pensez peut-être; mais pour qui?
pour ceux qui vivent sans prières, sans vi-
gilance, sans recueillement, sans attention
à la grandeur de leurs obligations; mais les
saints, plus réguliers et plus justes que les
mondains, ne se faisaient pas un jeu et un
amusement frivole de l'affaire du salut. Elle
est difficile? cette préférence; ah 1 dites
plutôt qu'elle a des consolations ineffables, et
les saints vous rendent témoignage des
avantages qu'elle procure; elle est difficile?
ah! dites plutôt qu'elle est abosiument in-
dispensable ; et moi je dirai que c'est le plus
bas degré où la religion puisse mettre le
salut, et qu'elle ne peut pas en exiger moins
de ses enfants. Et voici un principe le plus
constant et la règle la plus sûre que renferma
en abrégé toute la loi.
On s'alarme quelquefois de certaines vertus
que les saints ont pratiquées, et qui, en cer-
taines occasions de leur courage, ont étonné
notre faiblesse. Le moyen de se sauver! et qui
pourra l'être , a-t-on dit, si on ne se sauve qu'à
de telles conditions? Faibles mortels, on veut
bien tolérer vos plaintes ; non, la religion ne
vous fait point un précepte de tous les conseils
dont les saints se sont fait un devo;r, mais
elle veut que vous vous sauviez par l'ac-
complissementdes grands préceptesde la loi :
elle ne vous demande pas davantage; elle
ne vous ordonne pas de tout quitter ce qua
vous possédez, mais de mettre votre Bltu.
au-dessus de toutes choses sans réserve ; elle
ne nous commande pas de tout abandonner,
de tout sacrifier, mais de le préférer à tout,
et de ne rien mettre dans votre cœur en
comparaison avec lui; elle n'exige pas de
vous ces renoncements réels et absolus dont
tant de fois vous avez entendu canoniser le
sacrifice dans les saints : mais elle vous
crie que celui qui aime ses proches, son
bien, son honneur, son plaisir et ses com-
modités plus que Dieu, n'est pas digne de
lui : Qui amat patrem, etc., plus quamme non
est me dignus, (Mat th., XXXVII.)
Laissez donc là ce que les saints ont pra-
tiqué de plus parfait et de plus héroïque ; on
n'en attend pas tant de vous pour opérer
votre salut, mais il s'agit de remettre tout
dans l'ordre que la Providence a établi pour
le ïalut de ses élus. Il s'agit de mettre Dieu
à la première place, de toujours le regarder
comme l'objet dominant de vos actions,
comme la fin de vos pensées, comme le terme
de vos désirs; il s'agit de soutenir et de
montrer cette préférence entière dans les
occasions où il s'agira de concurrence avec
les créatures, et de pouvoir vous rendre un
sincère témoignage, non par la quantité des
œuvres, non par l'abandon total de vos biens,
mais par un attachement supérieur à tout.
Voilà es qui fait le fond de la justice chré-
tienne et l'essence de la vraie piété; on n'en
demande pas davantage, mais il n'en faut
pas moins. Voilà les sentiments salutaires que
l'Eglise nous veut inspirer par l'exemple de
ceux qui ont pratiqué la sainteté à un si haut
point : Sancti estote, quia ego sanctus sutn.
(Levit., XI) Cet exemple des saints condamne
donc aujourd'hui uos fausses vertus, en nous
montrant que nous devons être saints comme
eux; mais ils confondent encore nos fausses
excuses, en nous faisant voir que nous pou-
vons être saints aussi bien qu'eux. C'est le
sujet du second point de ce discours.
SEC.O>'D PQIN'T.
Jamais l'esprit humain ne parait plus fé-
cond en erreurs et en faux prétextes que
lorsqu'on lui propose l'affaire du salut, et
rour s'en convaincre on n'a qu'à examiner
les différentes manières dont on en juge dans
le monde : les uns, peu instruits, l'envisa-
gent comme un ouvrage ordinaire et commun
qui ne demande qu'une partie de l'homme
et de ses soins; les autres le regardent, au
contraire, comme une entreprise trop diffi-
cile, à l'exécution de laquelle toutes les force:*,
de l'homme ne peuvent suffire; ceux-là font
consister le salut dans les bornes seules d'une
probité qui n'a rien de solide, et, toujours
contents d'eux-mêmes, se persuadent faus-
sement qu'ils en font assez pour être sauvés,
tandis (pie ceux-ci, /imaginant qu'ils n'en
peuvent jamais faire assez, se découragent à
la moindre difficulté et ne font rien pour y
atteindre. Nous avons condamné l'erreur des
premiers ennemis de leur salut, il importe
maintenant de découvrir l'erreur des der-
niers pour confondre la vanité de leurs pré-
textes; erreurs et prétextes, hélas! d'autant
plus déplorables qu'ils sont devenus plus
communs de nos jours ; car nous ne sommes
plus dans ces heureux temps où l'on trouvait
des douceurs jusque dans les rigueurs du
martyre; aujourd'hui on trouve des amer-
tumes et du dégoût jusque dans les douceurs
de la vertu, et en matière de salut on se fait
peine de tout, on ne craint point de s'en
prendre à la sévérité des lois du législateur
souverain, comme si les préceptes ne por-
taient pas avec eux leur propre justificat on;
mais ce ne sont là que des raisons, et il
faut des exemples qui soient £ cet esprit
rebelle une conviction sans réplique; et c'est
en vain qu'on lui propose les règles les plus
certaines delà sagesse, si on ne lui prqpcwe
en môme temps des sages qui la pratiquent.
En voici donc une nuée de ces témoins fi-
dèles, de ces grands modèles, qui déposent
1185
MYSTERES ET FETES. — SERMON VII, POUR LA TOUSSAINT.
i!S€
la vérité contre eux, qui doutent que la sain-
teté soit possible, et qui, soit par leur grand
nombre, soit par la conformité de nature
qu'ils ont avec nous, soit par l'attrait de gloire
dont ils jouissent, nous rendent inexcusa-
bles si nous ne les imitons : trois considéra-
tions du moins aussi importantes que les
premières.
1° Il est difficile de courir tout seul dans
un chemin abandonné où l'on ne découvre
aucun vestige que d'autres y aient passé. Le
zèle mollit, les forces manquent, le courage
s'abat, et il faut une ardeur qui tienne <Tu
téméraire pour se frayer une route soi-même
que personne ne connaît; mais il est bien
plus aisé de marcher dans une voie battue,
et quand il ne s'agit que de suivre des traces
toutes formées; la faiblesse se sent fortifiée,
la timidité se dissipe, et, dès qu'on en voit
d'autres marcher devant soi, on sent relever
son courage, et, soit par le désir sincère de
les imiter par émulation, soit par la honte et
les reproches de ne les avoir point suivis dans
le chemin qu'ils ont tracé les premiers, il est
certain que le pouvoir de l'exemple produit
des effets merveilleux et qu'il a plus de force
sur l'esprit que tout le reste.
Or voilà le secours puissant que l'Egïi.ce
nous propose aujourd'hui : dans ce grand
nombre de saints dont la solennité nous
assemble, s'il n'y en avait que peu qui se
fussent sanctifiés avant nous, notre prétendue
faiblesse trouverait peut-être quelque t;tre
apparent d'excuse et de dispense; s'il n'y en
avait que peu, il nous serait pardonnable de
croire que Dieu, par son Evangile, ne nous
demande pas que nous entrions dans une
voie si rude, ou que la sainteté serait au-des-
sus de nos forces; etjces vertus uniques dans
leur espèce, qui convenaient à quelques-uns
des saints, mais qui pourraient ne pas nous
convenir à nous-mêmes , pourraient nous
servir de quelque prétexte apparent: mais
aujourd'hui que nous sommes accablés d'una
si grande nuée de témoins de toute nation,
de tout sexe, de tout pays, de tout âge, ao
toutes conditions, de quelle excuse, même
apparente, l'indolence des hommes peut-elle
se voiler? vous demandez s'il est possible
de devenir juste par les conditions qu'on
veut vous prescrire; et moi je vous demande
s'il est possible de ne pas le devenir après
tant d'exemples qui vous sont mis devantlws
yeux : le soldat destiné à soutenir et défen-
dre sa patrie, serait-il bien reçu à la déser-
tion et à la fuite, tandis qu'il verrait tous ses
concitoyens s'exposer au combat et ne s'épar-
gner en rien pour repousser les ennemis?
lui pardonnerait-on sa lâcheté dans une oc-
casion où il devait le plus signaler son cou-
rage ? Quoi I la religion excuserait donc ce
que le siècle condamne?
Grand Dieu! que n'ai-je ici tout le zèle de
vos prophètes pour confondre tant de lâches
chrétiens! ou plutôt que ne suscitez-vous de
nouveaux prophètes aujourd'hui pour con-
fondre ici ma lâcheté à moi-même et celle de
tant d'autres? Permettez, Messieurs, ce té-
moignage que je dois à la vérité et qui n'est
point le fruit d'une déclaration vaine. Quoi 1
sera-t-il dit que la nature l'emporte sur la
religion, et le monde, tout injuste qu'il est,
sur Jésus-Christ qui est l'équité même 1 On
se laissera entraîner par la foule et par le tor-
rent de la coutume, car quel empire n'aura-
t-elle pas tous les jours sur nous, et on ne
se laissera point gagner par l'exemple d'une
multitude innombrable de saints dont l'éclat
et les vertus brillent encore à nos yeux. Quoi!
les superbes leçons de quelques philosophes
profanes auront des charmes et du pouvoir
sur les gens du siècle, et les lumières et
les exemples de tant d'illustres héros du
christianisme n'auront ni force ni attraits
pour les chrétiens qui sont enfants de lu-
mière! on ne ménagera ni santé, ni sa vie, ni
repos, ni fortune, quand il s'agit du service
du prince; on verra des légions intrépides
dans le danger suivre l'exemple du héros qui
est à leur tête, courir a la mort comme au
triomphe, braver le fer et le feu de l'ennemi,
et l'exemple de tant d'athlètes généreux ne
sera point capable de nous faire faire un pas
pour le Dieu du salut, et tout nous paraîtra
insurmontable quand il s'agira de servir le
maître de l'univers, le roi des rois! Quelle
est cette prétendue noblesse dont on se pique
si fort dans le monde? ou plutôt qn'est de-
venue la foi de nos pères, que nous avons
reçue dans le baptême, et quel usage en fai-
sons-nous? Remontez jusqu'aux premiers siè-
cles, dit saint Chrysostome, vous y en trou-
verez qui, avant même d'avo;r l'Evangile que
vous avez, sans avoir les mêmes leçons que
vous avez, se sont sanctifiés en marchant les
premiers dans les voies du salut; et pourquoi
n'y marchez-vous pas après eux? ceux-là, ne
trouvant personne à imiter, se rendirent les
premiers imitateurs d'un Dieu ! Et pourquoi
donc n'imiteriez-vous pas ces grands mo-
dèles, puisqu'ils vous y invitent, non-seu-
lement par leur grand nombre, mais encore
par la conformité d? leur nature et de leur
condition? seconde circonstance.
2° En effet, que pense-t-on aujourdhui des
saints que l'Eglise propose à notre vénéra-
tion, et quelle idée s'en forme-t-on dans le
monde quand nous voulons les citer pour
modèles? On se figure des hommes privilé-
giés par leur naissance, élevés au-dessus
des infirmités de la nature et de la chair, in-
capables de faire le mal et de le connaître;
des hommes humbles, chastes, patients, cha-
ritables, modérés par tempérament, insensi-
bles ch la misère, aux afflictions et aux pei-
nes de la vie; on veut que toutes les ver.us
soient nées avec eux, et que semblables aux
anges qui habitent le ciel, ils n'aient point
eu de corps mortels et fragiles comme nous
sur la terre ; peu s'en faut qu'on n'en fasse
des dieux pour avoir occasion et prétexte de
ne point les imiter ; ou bien, si on leur donne
des passions h étouffer, des penchants à ré-
primer, on s'imagine qu'ils ont trouvé tout
fait et tout aplani dans le siècle; ainsi, par
une espèce de malignité, forcés de recon-
naître la vérité de leurs vertus, nous osons
les attribuer à des causes qui leur sont pro-
liai
ORATEURS SACRES. LE P. SURIA^.
M 88
près, pour nous empfcrhar da nous y con-
former.
O enfants des hommes, serez-vous tou-
jours ingénieux à vous séduire, et, pour
vous affermir dans votre erreur, opposerez-
vous sans cesse des mensonges étudiés à la
lumière qui vous éblouit. Ah! chrétiens, si
nous refusons d'imiter les saints, soyons du
moins plus équitables à leur égard, et si
nous ne voulons ni combattre, ni vaincra
comme eux, n'allons pas du moins leur ôtcr
la gloire des combats et de leur victoire; ils
n'étaent pas plus que nous, ni d'une nature
plus excellente que la nôtre; ils étaient de
môme eomplexion, de même tempérament,
de même faiblesse. Il n'^ avait point, aussi
bien que nous, de ôhuts dont ils ne fussent
capables; et en vain voudrions-nous nous
retrancher dans des privilèges de pure fan-
taisie, puisque, sortis de la même source em-
poisonnée, ils avaient tous le même fond de
cupidité, et la religion, qui nous expose au-
jourd'hui leurs vertus, ne nous dissimule
jamais leurs défauts et les malheurs de leurs
conditions : nonnatura prœstantiores. Saint
Augustin, se faisant à lui-même certaines
questions devenues trop célèbres pour vous
être inconnues, plus équitable et plus sin-
cère que vous, reconnaissait, au milieu de
ses égarements dont il faisait la confession,
qu'il pouvait faire ce que tant d'autres avaient
fait avant lui, et, au lieu de chercher à se
justifier et à s'excuser comme vous sur l'im-
possibilité de se sanctifier comme les saints,
il trouvait la matière de sa confession dans
,a nature de leurs exemples : Nunquid po-
tero quod isti et istœ; c'est pour cela que les
saints nous sont proposés par l'Eglise comme
autant de témoins et de modèles fidèles;
nous les rejetons sur des vaines idées et
sur des prétextes insensés qui ne sont faits
que pour nous ; mais ils seront confrontés
devant vous au dernier jour, et co Dieu juste
vous dira en leur présence : » oilà ce que
ces hommes généreux ont fait tandis qu'ils
vivaient sur la terre, et vous avez prétendu
que vous ne pouviez pas le faire aussi bien
qu'eux : Nunquid potero quod isti et ist& po-
tuerunt. Quelle était votre erreur! Oui, ces
hommes faibles, fragiles, tentés, pauvres,
trahis et persécutés comme vous, et peut-
être même plus que vous; oui, ces hommes
engagés dans le monde, nés dans l'opulence
et dans la grandeur, chargés du gouverne-
ment des peuples, de la direction des âmes
comme vous ; ces personnes jeunes, tendres,
délicates, ornées des mêmes qualités et sus-
ceptibles des mêmes passions que vous,
tous ces justes ont pu remplir avec fidélité
leur carrière : Nunquid poter'is quod ilii, etc ;
et vous, hommes du monde, femmes et filles
du siècle, nourris à la même table, élevés
dans la même religion, instruits à la même
éccle, conduits par les mêmes vérités, cour-
ris des mêmes secours, eh! vous n'avez pu,
disiez-vous, les imiter et portei- le mémo
joug, et tu non potuisli. Ah! paroles terri-
bles à notre lâcheté, et qui justifieront Dieu
dans ses lois et s*s préceptes; paroles sans
répliques qui nous confondent dès aujour-
d'hui par 1 exemple des saints, puisqu'ils
étaient sur la terre des hommes semblables
à cous.
3" Ajoutons à cette conformité de nature
qu'ils ont avec nous l'attrait des récompenses
dont ils jouissent et que nous pouvons par-
tager avec eux. C'est par là qu'ils s'animent
dans les plus rigoureuses peines; les plus
grandes tribulations de cette vie ne nous pa-
raissent que comme un moment rapide d'une
légère épreuve, si nous las regardons en
comparaison de ce poids immense de gloire
qui nous attend, id enim quod in prœsenti est
momentané nm et levé tribulutionis nostrœ
supra modum in sub limitât e œternum gloriœ
pondus operatur in nobis. (II Cor., IV.)
C'est ainsi, dit saint Chrysostome, que,
pour animer les athlètes dans les jeux olym-
piques, on avait soin de placer le prix dans
un lieu éminent, et qu'on leur criait : sursum
oculos, levez en haut les veux. Et voilà, dit
ce Père, ce que fait l'Eglise à l'égard des
chrétiens, en nous montrant cette troupe de
saints. Elle ouvre les portes de la céleste Jé-
rusalem et nous dit : sursum cculos ; elle
nous exhorte d'y considérer le bonheur que
possèdent les justes : O vous, nous dit-elle,
tristes voyageurs qui vous plaignez de l'â-
preté et de la longueur du chemin, tournez
vos yeux vers la sainte montagne où est
votre patrie, et voyez dans l'enceinte de ses
murs vos frères qui vous y attendent ; vous
qui trouvez tant de difficultés dans les plus
justes devoirs, ouvrez les yeux, et regardez
vers ce jour heureux où règne le Dieu de
vérité et de gloire avec ses élus ; c'est là que
finissent pour toujours les souffiances et les
travaux de cette vie passagère ; là se recueil-
lent les prélieux fruits de justice qu'on a
semés ici-bas dans les larmes de la péni-
tence; là se distribuent, dans la tranquillité
d'un repos inaltérable, les couronnes immor-
telles, les palmes glorieuses qu'on a méritées
en combattant contre le monde pour le Dieu
du ciel; là sont récompensés avec usure les
enfants chéris, ces ouvriers célèbres qui
étaient si fidèles au Père de famille, et qui
ont porté le poids du jour et de la chaleur
en travaillant pour la gloire de son nom; là
se fait sentir le comble d'un bonheur qui
est sans mesure à la poïuession d'un bien
que rien ne peut plus altérer ni ravir.
Faiblesse humaine, en faut-il hélas! da-
vantage pour relever ton courage et réveil-
ler toute l'ardeur de ton zèle ? 11 n'en fallait
pas davantage aux andens athlètes: la seule
espérance d'une couronne corruptible les
animait , dit saint Paul ; et on les voyait bra-
ver la mort et se présenter avec joie, avec
intrépidité au plus opiniâtre et plus rude
combat , pour servir de spectacle à des hom-
mes mortels. Cependant, tant d'exemples in-
finiment plus intéressants et un spectacle
mille fois plus charmant ne touchent guère
las gens du monde; ces biens inestimables,
qui ont allumé les désirs et l'ardeur de tant
de justes, demeurent sans attrait pour nous;
et on y demeure insensible, comme si c'é-
1189
MYSTERES ET FETES. - SERMON VIII, POUR LE JOUR DES MORTS
HOO
laient de vaines et chimériques idées qui
n'eussent rien de réel. Est-ce impiété? est-ce
engourdissement? est-ce infidélité? C'est sou-
vent tout cela ensemble; et voilà ce que
j'appelle la honte de la religion et de l'Eglise.
Grands saints qui faites la joie du ciel 1
vous voyez ce désordre sur la terre , et le
même Dieu qui vous fait connaître la con-
version des pécheurs ne vous laisse pas
ignorer leurs besoins pour vous y rendre
sensibles. Nous ne jugeons pas de votre
éloignement par des espaces mesurées : nous
savons que, quoique séparés de nous par
la distance du corps, qui s'éloigne à la
mort, vous tenez toujours à nous par des
liens de charité qui ne se corrompront ja-
mais. Vous êtes cette troupe chérie, celte
portion choisie d'Israël à qui l'héritage a été
donné; ces économes fidèles, ces âmes pri-
vilégiées que le père de famille a établies
sur sa maison ; vous êtes les fruits précieux
de son esprit, les apôtres zélés de son Evan-
gile , les martyrs glorieux de sa loi , les con-
fesseurs généreux de son nom, les confidents
secrets de son cœur; et, comme tels, nous
croyons que le Père céleste vous exaucera tou-
jours. Mille bouches ouvertes, mille mains le-
vées pour vous prier et mille grâces descen-
dues du ciel par votre crédit, seront des monu-
ments éternels de la force et du pouvoir de
vos intercessions. Renouvelez-les, grands
saints; multipliez-les donc aujourd'hui que
nous en avons plus besoin que jamais; por-
tez nos vœux aux pieds de l'Agneau , et qu'il
paraisse que nous avons encore des amis
dans les tabernacles éternels. Et nous , Mes-
sieurs, animés par leurs exemples, sou-
tenus de leur protection: marchons fit! élé-
ment sur leurs traces; convaincus qu'il est
inutile de prier, d'invoquer, d'iionorer les
saints à quiconque ne veut pas les imiter;
ne soyons point les admirateurs stériles et
oisifs de tant de vertus rappelées à nos yeux ;
et pour finir ce discours par ces mêmes pa-
roles de saint Paul, qui l'ont commencé :
Jdeoque et nos tantam habentes impositam
nubem testium; ayant sur nos têtes une si
grande nuée de témoins, précédés de tant
d'âmes justes qui- vivaient avant nous et
nous ont montré le chemin de la sainteté :
Curramus ad propositum nobis ccrlamtn;
courrons dans la carrière qui nous est ou-
verte. Et fasse le ciel que nous achevions
heureusement notre course 1 fasse le Dieu
de nos pères que le triomphe de l'Eglise
s'accroisse de jour en jour sur la terre ,
pour faire la consommation de ses enfants
dans la gloire éternelle. Je vous la souhaite
au nom du Père, et du Fils, et du Saint-
Esprit. Amen.
SERMON VIII.
POUR LE JOUR DES MORTS.
Nolumus vos ignorare fratres de dormientibus. ( I
Thess., IV.)
Nous ne voulons pas que vous ignoriez l'état de vos frères
défunts.
Si l'ignorance des vérités de la religion
fut toujours blâmable dans un chrétien, on
peut dire qu'elle ne fut jamais plus dange-
reuse et plus criminelle que lorsqu'elle
tombe sur ces points importants qui nous
intéressent avec nos frères, et où cependant
nous oublions et leurs intérêts et les nôtres
propres.
Telle est la disposition où l'on se trouve
d'ordinaire à l'égard de ceux qui sont en-
dormis dans l'ombre de la mort ; toujours
imprudents, déréglés dans les larmes que
nous semblons répandre sur leurs cercueils,
nous ne pensons ni à leurs besoins les plus
1 ressants, ni à nos devoirs les plus essen-
tiels.
C'est ce qui engage l'Eglise à mettre au-
jourd'hui dans la bouche de ses ministres,
les paroles de saint Paul, qu'elle fait répéter
depuis tant de siècles, et qu'une double cha-
rité lui fait consacrer chaque année à la ma-
nière des défunts : Nolumus, etc. Son chant
lugubre, se's autels parés de noir, ses flam-
beaux allumés et les voix plaintives de ses
ministres dont le sanctuaire retentit de tou-
tes parts, vous ont déjà dit, quelles sont ses
dispositions envers ceux de vos frères que
la mort a enlevés de ce monde ; elle vous de-
mande des soins, des larmes, des gémisse-
ments pour eux, mais elle veut des soins
efficaces, ùcs larmes éclairées, des soupirs
chrétiens, et c'est pour les arracher de vos
cœurs qu'elle m'ordonne de vous répéter
avec l'Apôtre qui ne veut pas que vous igno-
riez l'état où sont vos frères endormis du
sommeil de la mort-: Nolumus vos ignorare,
etc.; car il vous importe également de con-
naître le supplice qu'ils souffrent et la déli-
vrance que vous pouvez leur procurer; la
connaissance de leurs peines vous fera tirer
de justes conséquences pour vous, celle de
leur délivrance vous portera à travailler pour
eux; ils souffrent de grands tourments, de-
venez donc plus sages à leurs dépens'.
Vous pouvez les affranchir de ces grandes
souffrances, devenez donc [dus charitables à
leur égard.
Voilà les deux points pour lesquels je
viens servir d'interprète à l'Apôtre et à l'E-
glise, après que nous aurons demandé les
lumières de l'Esprit-Saint par l'entremise de
Marie. Ave, Maria.
PREMIER POINT.
Quand je parle d'un état de souffrance et
d'expiation où se trouvent les âmes de cer-
ta;ns justes qui par la mort se sont endormis
dans le Seigneur, votre piété n'attend pas
ici de se convaincre de la réalité de cet état,
et votrp foi n'a pas besoin de s'éclaircir sur
une vérité qn'elle a reçue comme un point
capital de la religion de ses. pères : périsse
l'erreur grossière et opiniâtre de ces hom-
mes aveugles qui, après tant de combats, de
conviction, d'évidence, refusent de se ren-
dre; de ces hommes indociles qui ne veu-
lent déférer ni à la religion dans la force de
ses principes, ni à l'Eglise dans la certitude
de ses dogmes, ni à Dieu dans l'infaillibilité
de ses oracles; a^sez et trop longtemps on a
1191
ORATEURS SACRES. LE P. Sl'RlAN.
1192
employé des discours entiers pour les con-
vaincre d'une vérité qu'une tradition cons-
tante et ancienne aurait établie, et que le
paganisme même semblait ne pas rejeter ;
grâce au ciel l'Eglise et la foi des fidèles,
plus éclairée et (dus soumise, n'eut jamais
besoin de ces sortes de controverses, et si
elle trouve encore des ennemis à combat-
tre, elle n'a plus de doutes à vaincre sur ce
point.
Mais pourquoi ce jugement de condamna-
tion, et à quoi ce purgatoire est-il destiné?
Voilà sur quoi l'Eglise demande de sérieu-
ses réflexions qui servent à nous conduire
nous-mêmes ; elle nous montre des âmes
souffrantes livrées à toute la rigueur de la
justice divine; ce n'est point sans doute pour
des fautes mortelles, l'enfer en ce cas serait
leur partage, mais pour des fautes d'une au-
tre espère, pour des fautes légères un peu
trop négligées de leur part; instruisez-vous
donc, vous cpii croyez ces fautes si légères
qu'elles ne méritent aucune attention, et qui
n'en redoutez ni la nature ni les suites; ce
n'est point non plus pour avoir négligé de
réparer des fautes autrefois commises, leur
damnation serait certaine ; mais pour avoir
couru trop négligemment dans la carrière do
la pénitence qu'elles avaient embrassée ;
instruisez-vous donc ici, vous qui [tour des
fautes passées vous dites trop faibles pour en
faire à Dieu une pénitence proportionnée, et
qui en violez les règles ou en négligez la
pratique; ce n'est point enfin pour avoir été
rejetées de Dieu: Ah! leur malheur serait irré-
parable 1 il les aime encore comme père,
quoiqu'il les frappe comme juge. Ah 1 ins-
tiuisez-vous donc encore ici, vous qui n'a-
vez que défausses idées de la justice divine,
et qui ne voulez pas comprendre combien lo
Seigneur est terrible dans ses vengeances.
Trois grandes leçons que les morts vous
font par ma bouche et qu'il vous importo
beaucoup de ne point ignorer : Nolumus vos
ignorare fratres de dormientibus . (Rom., II.)
Je reviens donc, et j'entre dans la pre-
mière réflexion de ces âmes qui souffrent
après la mort des supplices rigoureux, Pt je
dis que leurs fautes ne sont point des offen-
ses mortelles, ni des péchés dont on multi-
plie le nombre jusqu'à l'excès, et dont las
peines de l'enfer seraient à jamais lo justs
salaire; non, les fidèles dont nous parlons na
furent point trouvés souillés à la mort de
ces fautes mortelles, et cq n'est point pour
cela qu'elles souffrent, mais pour d'autres
œuvres dont la charité n'était pas bien épu-
rée, pour certains petits péchés dont on n'a-
vait point fait l'examen dans son propre
cœur; oui , pour une infinité de faux pas
dans la piété, de méprises dans l'affaire du
saluf qui se rencontrent presque toujours
dans la vie de l'homme, et qui sont bien
moins les effets d'une matière volontaire
que de la faiblesse naturelle; pour mille pen-
sées volages qui n'ont point été repoussées
ivec assez de fidélité; pour mille paroles in-
discrètes que la prudence ne retenait point
tissez, ou que la charité ne pouvait souffrir;
pour mille mouvements de différentes pas-
sions que la foi peu attentive ne reprimait
point assez tôt, pour mille retours d'amour-
propre qu'on se permettait avec trop peu de
circonspection; que sais-je? négligence, lâ-
cheté, omission dans certains devoirs, vains
complaisance dans la pratique du bien, cer-
tains défauts dans la prière ou dans la péni-
tence, mensonges, divertissements, trop de
liberté dans les sens, manière peu édifiante
d'un certain genre, trop de chaleur et d'atta-
chement à soutenir ses propres intérêts ; que
dirai-je encore? ces matières sont trop déli-
cates, ne les poussons pas plus loin pour ne
point prendre le change, car la balance des
nommes est si injuste, et combien des plus
honnêtes gens s'y trompent, parce qu'Us
veulent bien s'y tromper! combien qui, dis-
putant entra lé mortel et le véniel, du pré-
cepte et du conseil, confondent l'un avec l'au-
tre, et portent un fond de réprobation sous
un fond'de probité; il ne faudrait que percer
le mur et entrer dans le sanctuaire du cœur
pour s'en éclaircir, mais on craint d'y entrer
troj- avant; quoi qu'il en soit, voilà une infi-
nité de fautes estimées légères, soumises
pourtant à des supplices inexprimables et
auxquels il ne manque que de ne point en
sortir pour ressembler aux peines de l'en-
fer; voilà, dit un ancien Père, ce qui fournit
la matière à ces peines purgatives.
Grand Dieu, scrutateur sévère du cœur
de l'homme , vous qui sondez les reins et
qui savez peser dans une juste balance nos
vices comme nos vertus, que nous sommes
donc aveugles pour la plupart, et que nos
jugements sont différents des vôtres! Oui
Messieurs, on se fait en ce monde une fausse
idée du péché, qui en cache toute l'énormité ;
on n'en veut comprendre ni la nature, ni
les conséquences; on est presque scanda-
lisé d'une âme alarmée sur le danger de son
état, on se joue tous les jours de ce qui fait
pleurer les anges de paix, et tandis que les
yeux purs de la vérité le regardent avec
horreur, on le taxe de faiblesse et d'indiffé-
rence : de là cette familiarité funeste qu'on
contracte avec le vice; de là, cet étrange li-
bertinage de conscience qui aveugle l'inno-
cent comme le coupable; de là ces manque-
ments et les infirmités journalières qui bles-
sent les yeux d'un Dieu jaloux de tout le
cœur, et qui arrêtent le cours de ses grâces;
de là ces criminelles négligences qui pré-
parent aux plus grandes chutes , et ses
semences de cupidité entretenues qui en-
fantent des monstres tôt ou tard ; on compte
pour rien un violement de la loi, parce qu'il
ne paraît que véniel. Faut-il donc faire des
fautes si énormes dans la cour des rois pour
encourir leurs disgrâces? Hélas! il ne faut
qu'une seule négligence , qu'un peu de
froideur et de nonchalance au service du
prince; une .bagatelle, un rien, ah 1 tout y
paraît à ses yeux digne de sa juste colère.
Enfants des hommes, jusqu'à quand redui-
rez-vous le sort du Dieu du ciel au-dessous
du sort de ceux qui gouvernent la terre?
f 19"
MYSTERES ET FETES. — SERMON VIII, POUR LE JOUR DES MORTS.
1194
Qu'avaient donc fait ces hommes célèbres
dont l'Ecriture nous rapporte la juste puni-
tion? Moïse frappe trois fois le rocher de
sa baguette, arec, un peu trop d'indiscré-
tion; la femme de Loth ne fait que regarder
derrière elle au sortir de Sodome ; Jonathas ,
sans savoir le serment du roi son père, ne
fait que goûter un peu de miel en passant;
David ne se donne que le plaisir de faire le
dénombrement de son peuple; Osa ne% fait
que porter sa main sur l'arche pour la re-
dresser; des milliers de Bethsamites ne
font que la regarder de loin avec trop de
curiosité; un prophète devient trop crédule
2'emlant qu'il porte l'ordre à Jéroboam. Que
pensez-vous de tout cela ? Ah! ces fautes qui
nous paraissent si légères ne le seraient pas
à nos yeux, s'il devait nous en coûter la vie
pour les expier, et tout y serait terrible et
important : allez donc voir dans les Livres
saints de quelle manière ont été punies les
personnes dont nous venons de parler, ou
celles dont nous faisons ici la peinture ? Leurs
fautes sont plus légères que celles d'entre
nous, et cependant n'en eussent -elles
qu'une seule à la mort, il faut qu'elles brû-
lent pendant peut-être plusieurs milliers
de siècles, non-seulement pour en expier
les taches, mais pour les expier par une
pénitence et une satisfaction proportionnée:
Nolumus, etc. Seconde circonstance.
11 faut périr ou taire pénitence, c'est de
quoi l'on convient après les oracles si for-
mels de l'Evangile ; mais, ce dont la plupart
ne veulent point convenir, c'est que pour
que la pénitence porte de dignes fruits, elle
doit mettre une juste proportion entre le
crime qu'elle expie et la réparation qu'elle
en fait, deux vérités aussi constantes l'une
que l'autre, et qui marchent d'un pas égal dans
le système de la religion. C'est une obligation
pour tous de faire pénitence , parce qu'il
est juste de punir le péché qu'on a com-
mis sur sa propre personne ; j'avoue cepen-
dant , grâces immortelles en soient rendues
au sang de Jésus-Christ qui nous a délivrés
de la mort éternelle, qu'en nous pardonnant
nos crimes, il s'est relâché sur la punition
que nous en méritions dans l'éternité; mais
ne nous imaginons pas qu'il se relâche dans
les peines qui leur sont dues dans le temps,
et si c'est effort de la bonté infinie du Sau-
veur qui nous applique ses mérites, de nous
remettre la coulpe, c'est un droit de sa
justice immuable de ne point nous les
remettre que nous n'en ayons payé la peine,
et tandis que la justice abandonne presque
tout à la miséricorde, c'est pour nous une
obligation indispensable d'y satisfaire et d'en
remplir toute l'étendue.
Sur ce principe incontestable qui devra:t
avuir confondu l'erreur du dernier siè.le
dont nous pleurons encore les tristes restes
dans nos frères errants, sur cet ordre établi
par les lois immuables de la vérité dans le
dernier concile dont l'Eglise reçut avec tant
d'éloge les canons, et les règles saintes descen-
dues du ciel et dignes de celui qui les avait
inspirées; outre cette distribution de peines
Orateurs sacrés. L.
que l'Eglise laisse au choix de ses ministres»
elle avertit sans cesse ses enfants de garder
cette juste proportion entre la pénitence et
le péché; elle l'exige dans l'indulgence
même qu'elle leur accorde et rejette la part
qu'ils voudraient prendre au pardon qui
leur est accordé, si en même temps ils ne
participent au calice qui leur est préparé.
Or, c'est pour n'avoir pointconnu toutes ces
vérités ou les avoir négligées, que les âmes
de vos frères souffrent dans Je purgatoire;
c'est pour avoir secoué une partie du joug
qui leur était imposé pendant la vie, qu'elles
se voient cruellement tourmentées après la
la mort. Ont-elles gagné au change qu'elles
ont fait, et y gagnerons-nous nous-mêmes,
si nous négligeons comme elles une satis-
faction si proportionnée? O vous qui nous
demandez si souvent si la pénitence est né-
cessaire et qui comptez si fort sur la grâce
du pardon .'ans penser aux conditions aux-
quelles il vous est accordé, vous à qui on
ne peut venir à bout de persuader ces justes
conditions et à qui les saintes règles de
l'Evangile paraissent une sévérité outrée :
\ade ad domum luctus, puis-je vous dire
avec le i^'age (Eecle., VII.) : trausportez-vous
dans cette région affreuse, entrez dans le sein
de cette terre d'oubli dont la religion vous
rappelle aujourd'hui le souvenir; vousyve,-
rez des âmes qui avaient commencé leur pé-
nitence, qui l'avaient continuée de bonne foi,
mais qui, pour n'avoir point couru dans cette
carrière avec toute la vigueur que leurs fautes
méritaient , et pour n'avoir pu la finir tout
entière, trouvent dans ces flammes purifian-
tes le plus terrible de tous les suppléments :
Yade ad domum luctus. Ah 1 c'est que Dieu
ne remet à personne la peine du péché, dit
saint Augustin, qu'il ne la remet pas même
à son propre Fils, et que, s'il pardonne au
pécheur, c'est quand il n'épargne rien pour
mesurer sa satisfaction à son crime. Vous y
verrez, des chrétiens dont la vie fut sur tout
édifiante pendant qu'ils vivaient parmi nous,
des justes qui sont morts chargés de mérites,
de leurs vertus, mais qui, pour payer la peine
dont ils sont encore redevables à la divine
justice, ont été précipités dans cette obscure
prison, dont ils ne sortiront point qu'ils
n'aient payé jusqu'à la dernière obole. Ah!
c'est que Dieu ne saurait se relâcher à l'é-
gard d'aucun pécheur sur la peine qui lui
est due, sans manquer à ce qu'il se doit h
lui-même, comme juste juge ; troisième ré-
flexion qui n'est qu'une suite des deux au-
tres et qui va les mettre dans tout leur jour
en corrigeant les fausses idées que nous nous
formons de la divinité; car, c'est pour avoir
eu d'un Dieu terrible de vaines et fausses
idées, que ces pauvres âmes sont tourmen-
tées dans le purgatoire; n'ignorez donc rien
de ce qui regarde vos frères qui sont morts :
Nolumus vos, etc.
Vous le savez que, parmi les grandeurs
adorables de Dieu dont chaque créature ne
saurait assez le remercier, la justice et la
miséricorde furent toujours les principaux
objets que la redigion nous proposa; c'est
38
nos
ORATLURS SACKKS. LE P. SURIAN.
lî-tf
aussi par les effusions et les effets de ces
deux puissances souveraines que Dieu a
voulu nous conduire. De tout temps, il a
voulu employer l'une pour nous gagner par
le charme de sa douceur, et l'autre pour
nous retenir par la crainte de ses châtiments;
et il paraît bien que Dieu ne pouvait faire
agir des ressorts plus puissants pour remuer
notre cœur, que jamais sa sagesse ne pou-
vait mieux ménager ses intérêts et les nô-
tres ; il paraît bien cependant que ses me-
sures deviennent inutiles par l'abus que
nous en faisons, et que ces moyens favora-
bles, qu'il emploie pour notre salut, devien-
nent entre nos mains des pièges et des
écueils pour notre perte. Car si la voix de sa
miséricorde n'est point assez puissante pour
nous attirer, du moins la vue de ses ven-
geances devrait être assez terrible pour
nous retenir, et si l'une n'est point capable
(ie nous rendre plus fidèles, l'autre devrait
au moins nous rendre plus attentifs. D'où
vient donc qu'on donne tout à la première
et presque rien à la seconde? Ah ! c'est que
la miséricorde qui ne propose que des récom-
penses, s'accorde bien mieux avec l'amour-
propre que la justice, qui n'a que des
châtiments à nous montrer. On affecte d'en
éloigner le triste souvenir : Loquatur nobis
Moyses (Exod.,XX.), disait le peuple hébreu,
que Moïse nous parle toujours avec sa dou-
ceur ordinaire, et non pas -le Seigneur qui
ne se fait entendre que par son tonnerre et
ses éclairs. Ainsi l'attention que nous don-
nons à la miséricorde rétrécit tellement
celle que nous devons à la justice, qu'elle
ne laisse presque plus en nous d'impression
de celle-ci. C'est ici une de ces diminutions
de la vérité qui faisait autrefois l'affliction
du Prophète : Diminutœ sunt veritutes a
filiis hominum (Psal. XI), et c'est ce qui est
la cause la plus ordinaire, non-seulement du
dérèglement de tous les pécheurs, mais du
relâchement même des justes dans la voie
du salut.
Or, pour y apporter queique remède et
avoir de ce Dieu juste toute l'idée que nous
devons en avoir, nous n'avons qu'à percer
jusque dans le sein de cette obscure prison
où sont retenues les âmes de nos frères.
Oui verrons-nous, dans ces lieux d'horreur
et de tourments? Des âmes justes, hélas!
des âmes saintes que Dieu regarde avec com-
plaisance, des âmes qui sont marquées du
sceau de l'adoption divine, des âmes justes
destinées à devenir un jour les pierres vi-
vantes du temple qu'il habile et à faire
l'ornement de la Jérusalem céleste; nous les
verrons cependant condamnées à brûler dans
ces flammes allumées parle même Dieu qui
les aime avec tendresse. Ace spectacle, quel
sujet n'aurons-nous pas de nous écrier avec
saint Augustin : où est donc cette miséricorde
qui nourrit tant de présomption dans nos
cœurs? Dites-nous, âmes justes, quel est ce
paradoxe? comment vous aime-t-on, si on
vous fait souffrir, et pourquoi souffrez-vous,
si l'on vous aime encore? et qui est-ce qui
vous traite si cruellement dans ces lieux?
11 n'est pas difficile de les entendre, Mes-
sieurs; leur voix semble sortir du fond du
purgatoire pour nous crier : c'est l'équité
souveraine de notre Dieu, -dont nous n'a-
vons jamais bien compris l'étendue et le
poids pendant la vie. C'est un Dieu juste qui
ne peut se dispenser de purifier par le sup-
plice du feu, et que nous n'avions point assez
lavé par l'effusion de nos larmes, c'est un
Dieu saint qui a trouvé des taches jusque
dans ses anges, et qui, après avoir marqué
sur son propre Fils jusqu'où va sa haine
pour les apparences même du péché, le
montre encore aujourd'hui sur nous d'une
manière la plus équitable, mais la plus ter-
rible; c'est un Dieu qui, sans oublier qu'il
est bon, nous fait sentir qu'il est juste.
Nous l'éprouverons nous-mêmes comme
elles après la mort, et nous le sentirons, ce
poids accablant dont la charge nous fait peur
pendant la vie. Eh! que dis-je? pécheurs
comme nous sommes, nous convient-il de
nous mesurer avec les âmes justes? pouvons-
nous attendre la même destinée , nous, dont
toute la ressource peut-être est de savoir
qu'il y a un purgatoire, et dont la destinée
la plus souhaitable pour nous, toute terrible
qu'elle est, serait d'y tomber? Hélas! on est
presque réduit à fermer les yeux sur la des-
tinée de ces âmes souffrantes pour ne les
ouvrir que sur celle des réprouvés, et il
serait ce semble plus à propos de nous faire
oublier les peines du purgatoire, pour no
nous faire souvenir que de celles de l'enfer.
Car, si c'est ainsi que le bois vert est traité,
que fera-t-on du bois sec? In arido quidfiei?
{Luc, XXIK). Si les justes sont'jugés avec
tant de rigueur, que doivent attendre les im-
pies et les hommes déréglés? C'est ce qui se
manifeste par avance sur la terre, dit saint
Paul, et qui est une marque sensible des
justes jugements de Dieu : In exemplumjusli
judiciiDei. (II Thess., I.)Ce Dieu terrible, plus
redoutable par sa justice que par tout autre
endroit, retient dans les fers des âmes justes
pour les fautes les plus légères ; ah ! un tel
exemple ne fait-il pas entendre aux pécheurs
ce qu'ils doivent un jour attendre de leurs
crimes : In exemplumjusti judicii Dei ? Appre-
nons donc de la bouche de nos frères morts
les conséquences que nous devons tirer de
leurs peines, et écoutons ce que nous di-
sent leurs souffrances pour nos propres inté-
rêts; mais en devenant plus sages à leurs
dépens, devenons plus charitables h leur
égard, c'est à quoi je vais vous exhorter dans
le second point de ce discours, où, après
avoir vu ce que nous devons faire pour nous
a la vue de leurs supplices, nous allons voir
ce que nous devons faire pour eux à la vue
de leurs besoins.
SECOND POINT.
La même foi qui nous enseigne qu'il y a
trois lieux différents destinés aux hommes
après la mort, selon la différence de leurs
mérites, nous apprend qu'il y a deux
sortes de personnes, dont le sort est irré.-
{197
MYSTERES ET FETES. - SERMON V11I, POUR LE JOLR DES MORTS.
nos
vocable après la mort, et que, comme on ne
peut racheter les réprouvés dans l'enfer, les
élus n"ont point beso'n de rédemption; il n'y
a donc que les âmes du purgatoire qui atten-
dent de nous leur soulageaient et leur déli-
vrance, et qui doivent rievenir plus particu-
lièrement les tristes objets de notre attention.
Regrettons leur perte, plaignons-nous de leur
absence, rendons à leur mémoire des devoirs
de bienséance et d'amitié, rien ne paraît plus
juste, puisque les devoirs de la vie civile ne
permettent pas d'y manquer; mais rendons-
leur des devoirs plus efficaces et plus réels,
voilà sur quoi l'Eglise veut que les chrétiens
soient instruits, pour ne point ressembler aux
infidèles qui ne croient point la vie future,
et dont toute l'espérance se termine à la mort :
Ut non contristemini sicut et cœteri qui spem
non habent. (IThess., IV.) Comme si elle di-
sait, ajoute saint Chrysostoine, vous avez
assez pleuré les morts; regretter leur perte,
leur dresser des tombeaux, leur faire de
magnifiques pompes funèbres, et rendre à
leur mémoire des devoirs apparents et lugu-
bres, rien ne nous paraît ] lus triste que vos
dehors ; mais souvent et trop souvent vous
ne savez pas les secourir et leur procurer
un soulagement efficace. Au lieu donc de
chercher pour vous-même tant de sujets con-
solants, songez à leur donner des secours
qui soient utiles pour eux, et à la place de
ces larmes stériles, de ce deuil infructueux,
de cette tristesse apparente, donnez à vos
frères morts des prières, des aumônes, des
sacrifices : Pro lacrymis, pro luctu,pro tris-
titia preces eleemosynas, oblationes exquira-
?nus : ce sont les trois grands devoirs qu'ils
attendent de nous. La prière est toujours
nécessaire et utile en toutes choses; c'est la
clef précieuse des célestes trésors et l'instru-
ment avec lequel on puise infailliblement les
richesses de la grâce. Elle part du cœur du
juste, et monte jusqu'au cœur de Dieu; elle
a le pouvoir de s'élever jusqu'au plus haut
des cieux et de faire descendre la miséri-
corde sur la terre : Ascendit ôratio et descen-
dit miseratio; mais on peut dire que jamais
elle ne fut [dus efficace que lorsque, soutenue
par la force des liens et de cette communion
qui nous unit tous au même chef, et dans le
sein de la même Eglise, elle attire sur les
âmes du purgatoire les salutaires rafraîchis-
sements que nous demandons pour elles.
Aussi a-t-on regardé de tout temps ce genre
de prière dans l'Eglise comme un des devoirs
les plus propres et les plus essentiels de la
piété chrétienne. Saint Ephrem veut qu'on
prie pour lui pendant sa vie, dans la crainte
qu'on ne néglige de le faire après sa mort ;
le jeune Théodose fait prier sur le tom-
beau de saint Chrysostome pour ses propres
parents; la mère d'Augustin fait prier pour
son époux, et personne ne doute de l'avan-
tage et de la nécessité d'un devoir dont
saint Augustin approuve et autorise la pra-
t:que. Une tradition constante et bien reçue
aurait pu mieux instruire nos frères errants
sur ce point dont l'Eglise judaïque même
pourrait les convaincre, s'ils voulaient agir
de bonne foi et en être convaincus. C'est
donc, conclut le Saint-Esprit, une sainte et
salutaire pensée de prier pour les morts,
afin qu'étant purgés de leurs péchés, ils
soient délivrés des flammes qui les brûlent :
Sancta ergo et salubris est cogitatio pro de-
functis exorare ut a peccatis solvantur. (U
Mach.y XII.)
Mais, c'est donc aussi une conduite bien
étrange et une insensibilité bien cruelle de
leur refuser ces pieux offices, malgré la force
des puissants motifs qui nous y engagent :
motifs de compassion, car ce ne sont point
ici de ces coupables insignes pour les-
quels Dieu défend à Aaron d'offrir des sa-
crifices et des vœux. Ce sont d'illustres in-
fortunés qui gémissent sous la pesanteur
de leurs cruelles chaînes, sans pouvoir les
rompre; ce sont des enfants malheureux
que le Tout-Puissant frappe comme leur
juge, mais qu'il aime pourtant comme leur
père, et dont il semble se plaindre que per-
sonne ne veut arrêter son bras ; ce sont des
âmes qui souffrent de terribles peines, mais
qui sont dans l'impuissance de se soulager
elles-mêmes, pouvant bien, par leurs souf-
frances, rendre à la justice divine ce qui lui
est dû, mais ne pouvant rien faire ni souf-
frir qui soit d'aucun mérite pour elles
ni pour les autres. Le jour de la grâce est
passé et ne luit [Jus pour elles, et cette
nuit fatale est déjà venue où il ne leur est
plus permis de travailler à leur salut et à
leur délivrance. Est-il juste d'oublier en
cet état de misère si digne de pitié, et
pourrait-on pardonner à des hommes de ne
point en être touchés? Motif de charité : ce
ne sont point ici des étrangers et des Sa-
maritains exclus de l'héritage, qui n'aient
point voulu vivre dans la maison du même
père de famille : Ce sont des frères, des en-
fants, des portions vivantes et précieuses
du même corps, qui appartiennent au même
chef. La mort a rompu les liens qui nous
unissaient corporellement avec eux, mais
elle n'a pu rompre les liens de la même foi
qui nous unissent les uns avec les autres ;
l'intervalle qui est entre eux et nous n'est
que par rapport au corps, mais la religion
qui les rapproche de nous et qui ne sépare
point nos intérêts des leurs, forme en Jésus-
Christ dans nos âmes une union plus im-
mortelle que l'âme même. Jamais raison
fut-elle plus pressante pour un chrétien à
l'égard du prochain, et c'est ce que saint
Paul inculquait aux fidèles de Corinthe,
lorsqu'il leur disait : S'il y a un membre du
corps qui soutire, tous les autres membres
du corps doivent souffrir et compatir à sa
peine: Si quid patitur unum membrum, corn-
patiuntur omnia membra. (I Cor., XII.) D'où
je conclus qu'un membre paraît mort et
engourdi qui se montre insensible aux souf-
frances des autres membres du même corps,
et je ne sais sur ce principe quel titre on
peut donner à la piété de ceux qui refusent
de prier pour les morts? Motif d'équité pt
de justice : peut-être sommes-nous deve-
nus la cause de leurs offenses et par con-
4109
séquent celle de leur châtiment. N'est-ce
point par le commerce, par les liaisons
qu'ils avaient avec nous que nous les avons
exposés à déplaire au Seigneur? et par com-
bien d'endroits les fautes de nos frères
morts ne sont-elles point sur notre compte?
Je laisse ici ce détail à faire à un père, à un
enfant, à un époux, à une épouse, à un
frère, à une sœur, à un magistrat, à un
homme d'épée, à un homme public, à un
homme privé. Ces pauvres âmes sont donc
tourmentées à votre occasion et vous néglige-
riez de les soulager? Elles vous font enten-
dre leurs justes plaintes et vous y seriez
sourds et insensibles? Vous êtes les auteurs
du mal et vous ne voudriez pas contribuer à
la réparation? De quel œil, Seigneur, regar-
dez-vous ces injustices criantes que les lois
humaines mêmes ne pardonneraient pas? Mo-
tif d'intérêt : nous serons mesurés à la même
mesure que nous aurons mesuré les autres,
et Dieu nous y mesure déjà; sa miséricorde
s'étend sur nous dès cette vie, et, s'il permet
que nous soyons privés du fruit précieux
des prières qu'on fait pour nous, c'est que
nous négligeons de prier pour les autres.
Priez donc, Messieurs, jeûnez quelquefois
pour rendre vos prières plus efficaces, à
l'exemple de Jonathas et de David; mais
que les pauvres trouvent, dans votre retran-
chement, une ressource à leurs besoins et
que vos aumônesdeviennent leur nourriture:
car c'est principalement l'aumône qui sou-
tient la prière et c'est le second moyen que
l'Eglise vous propose pour le soulagement
des âmes du purgatoire.
Mettez votre pain et votre vin sur le tom-
beau du juste, disait Tobie : Panem iuum et
vinum tuum super sepulturam justi constitue.
(Tob., IV.) C'est-à-dire, dit saint Paulin,
répandez largement vos aumônes et appelez
les prêtres et les indigents au secours des
âmes souffrantes de vos frères, car ce sont
les vrais adorateurs du Dieu vivant, et les
défenseurs des justes qu'il châtie ; de là
vient cette pieuse coutume d'apporter les
offrandes entre les mains des ministres; de
là tout cet argent et tous ces vêtements
qu'on portait autrefois sur le tombeau des
morts. Qu'il faisait beau, dit saint Jérôme,
voir cette cour des élus, celte troupe de
saints et d'indigents que vous avez eu le
soin d'appeler aux obsèques de votre épouse l
Que ce spectacle était agréable aux yeux de
Dieu! voir l'Eglise en prières, pendant qu'on
distribuait du pain et des habits pour sou-
lager et vêtir tant de misérables nus et
affamés. C'est ainsi, Anate, n'en doutez plus,
que vous avez soulugé tout à la fois les
vivants et les morts, puisqu'en même temps
que les pauvres recevaient vos largesses
{lieuses, les anges les portaient au ciel pour
en faire descendre du secours. Votre épouse
est présentement revêtue de lumière et de
gloire, elle n'a plus besoin du secours des
autres créatures, puisque votre main chari-
table l'est venue retirer de sa captivité;
vous l'aviez dotée par son mariage, et vous
ORATEURS SACRES. LE P. SURIAN. MCO
l'enrichissez plus encore après sa mort. Les
autres maris n'ont jeté, dirait encore sain»
Jérôme, des lis, des roses et des fleurs sur
les tombeaux de leurs femmes que pour mar-
quer par là leur souvenir ; mais, comme
Anate était plus soigneux de l'âme de la
sienne que de son corps, il vient lui rendre
pour onguents précieux ses aumônes, se
souvenant que, comme l'eau éteint le feu,
l'aumône effare le péché : Sicutaqua exstin-
yuit ignem , et eiecmosyna exslinyuil pecca-
tum. (Eceh., III.) Loin d'ici ces bouches té-
méraires, ces blasphèmes des hérétiques
qui ne craignent pas d'appeler impiété ces
pompes funèbres avec lesquelles on enterre
les fidèles morts, et qui osent appeler nos
chants, nos convois lugubres, des restes
du paganisme; qu'ils remontent jusqu'au
berceau de l'Eglise et ils verront les saints
qui, par leurs exemples mêmes, ont au-
torisé ces usages pieux, ces cérémonies sa-
lutaires.
Mais loin d'ici ces pompes purement mon-
daines dont on voudrait relever la misère
d'un mort aux dépens des vivants, et aug-
menter le nombre de ses dettes par un luxe
éclatant qu'on lui pré; are. Est-ce donc par
une pompe profane que vous ferez oublier à
Dieu les offenses que votre parent défunt a
commises contre lui pendant sa vie, et pensez-
vous pouvoir réparer son orgueil par votre
vanité? Ah ! s'il est vrai que vos frères morts
aient commencé l'expiât. on rie leurs fautes
avant la mort, et qu'il ne leur faille plus
qu'un reste de satisfaction, est-ce par de
nouveaux péchés que vous voulez l'achever?
Rendez leur, comme je vous ai déjà dit, ces
devoirs de bienséance que la religion per-
met, mais retranchez tout ce que la vanité
vous inspiré, pour le distribuer aux indi-
gents, et que la charité soit l'âme et la règle
des devoirs que vous voulez leur rendre, tt
que les morts se trouvent soulagés par les
secours que vous donnerez aux vivants. L'au-
mône est un sacrifice d'expiation qui apaise
la colère du Seigneur, mais qu'il soit accom-
pagné de celui qu'on offre sur nos aulels.
Troisième et dernière réflexion.
Ce n'est pas en vain, dit saint Chryso<>
torne, que, dans la célébration des saints
mystères, nous rappelons la mémoire de
ceux qui nous ont précédés dans l'autre vie, et
que le diacre nous crie à haute voix de prier
pour ceux qui se sont endormis dans la paix
du Seigneur; c'est une pieuse hostie qui ré-
pand encore ses mérites sur ceux dont en
lui expose les besoins. Il est vrai qu'on y
fait aussi mémoire des martyrs, mais no
faut pas croire qu'on y prie et qu'on offre lo
sacrifie pour eux; non, sans doute, il y a
bien de la différence entre les uns et les au-
tres : l'Eglise prie pour les morts et fait mé-
moire des martyrs, elle regarde ceux-ci
comme participants du triomphe du Sauveur,
et les autres, comme des captifs qu'il tient en-
chaînés. Dans les premiers, elle admire les
couronnes qu'ils ont mises aux pieds de l'A-
gneau , et dans les seconds, elle voit a*e«;
compassion des chaînes horribles, et elle le
{201
MYSTERES ET FETES. — SERMON IX, POUR LA CONCEPTION.
prie de les briser. Tels sont les desseins de
l'Eglise clans le saint sacrifice : elle y rap-
pelle et les Vaincus C-t les vainqueurs, les uns
pour participer aux honneurs du triomphe
delà victime, et les autres pour avoir part à
ses largesses ; ainsi, ces martyrs y sont ho-
norés comme étant en possession de la gloire
de Jésus-Christ, et les morts comme étant les
objets des mérites de son sang. C'est donc à
ce sang qu'il faut avoir recours; c'est là
l'huile prérieuse qu'il faut demander, ce
baume salutaire qui peut guérir les plaies
de ces pauvres âmes souffrantes; c'est le
fleuve mystérieux dont parle un prophète et
dont les eaux vont arroser cette terre aride
pour en arracher les épines du péché. Avec
quelle joie ces justes morts en ressentent-
ils les douces effusions et avec quels trans-
ports sentent-ils tomber leurs chaînes et finir
ou abréger leur exil! N'en doutons point,
puisque nos pères n'en ont jamais douté et
que 1 Eglise nous a transmis sa doctrine sur
ce point dans son dernier concile; mais, si
nous le croyons, d'où vient notre froideur
envers ces âmes souffrantes? d'où vient ces
délais injurieux, cet oubli volontaire, ce mé-
pris souvent qu'on fait des dernières volon-
tés des mourants, ou du moins la manière
froide et toute indifférente avec laquelle on
l'exécute.
Vous qui savez maintenant les peines que
les justes morts souffrent dans le purgatoire,
ne différez donc pas un moment à leur pro-
curer les secours qu'ils attendent de vous;
rendez-leur, sans tarder davantage, ce pieux
et important office; vous voyez les moyens
qu'il faut prendre pour les soulager, nous
vous l'avons appris : Nolumus vos ignorare,
etc. Mais que la compassion que vous avez
pour eux ne vous fasse pas oublier vos pé-
rils: en vain seriez-vous instruits de leurs
malheurs, si .vous n'en sentiez encore de
plus grands dont vous êtes menacés, et c'est
alors qu'elles vous diraient avec juste rai-
son :ne pleurez pas sur nous, mais gémissez
sur l'état où vous êtes vous-mêmes : Nolite
fere super me , sed super vesmetipsos tlete.
(Luc, XX1I1.)
Nos vœux, nos larmes et nos soins ne se-
ront vraiment utiles aux âmes souffrantes
qu'à mesure que nous pleurerons sur nous-
mêmes , et nous ne leur ouvrirons la
porte de la gloire qu'à mesure que nous mé-
riterons nous-mêmes d'y rentrer. Je vous le
souhaite, au nom du Père et du Fils et du
Saint-Esprit. Amen.
SERMON IX.
POUR LA FETE DE LA CONCEPTION.
Cum essem magis bonus, veni ad corpus incoinquina-
tum. {Sap., VIII.)
Et devenant bon de plus en plus, je suis venu dans un
corps qui n'était point souillé.
Lorsque Dieu, dans les livres saints, après
nvoir relevé le mérite de l'innocence, inter-
roge tous les êtres qu'il a créés et leur de-
mande s'ils la possèdent , l'abîme, c'esl-à
dire l'enfer ou sont précipités les anges
1202
rebelles, a répondu qu'elle ne se trouve point
dans ses horreurs : Abyssus dicit :ncn est in
me. (Job, XXVIII.) La mer, c'est-à-dire, ce
monde vil et misérable, avoue à son tour
qu'on ne la trouve point au milieu de ses
tempêtes : Mare loquitur : non est mecum.
(Ibid.) L'homme qui s'est perdu dans ses
voies criminelles, reconnaît encore aujour-
d'hui que depuis le péché du premier père»
on n'a plus vu l'innocence sur la terre :
Abscondita est ab ocuiis omnium vivenlium ;
perditio et mvrs dixirunt auribus nostris :
audivimus famam ejus (Ibid.); mais, lorsque
dans ce bas monde l'homme n'en voyait plus
aucune trace, Dieu du haut des cieux voyait
une route nouvelle de cette innocence si
rare ; il regardait avec complaisance et mar-
quait avec bonté un lieu éminent et privilé-
gié où elle devait s'arrêter : Deus intelligit
viam ejus et ipse novit locum illius. (Ibid.) Et
cet endroit choisi, privilégié, vous le voyez
tous, Messieurs, c'est le corps sacré de Marie,
à qui s'appliquent littéralement les paroles de
mon texte, puisque c'est de lui qu'on peut
dire que Dieu est venu animer un corps
sans âme et sans péché : Cnm essem magis
bonus veni ad corpus incoinquinatum.
O mon Dieu ! quand on vous aime, que ce
privilège parait doux ! Ne présenter à vos
yeux qu'une sainteté toujours pure, être si
occupé de votre grâce qu'on ne la perde ja-
mais par aucune offense, n'ajouter rien aux
faiblesses de notre misérable nature qui
puisse éloigner les regards favorables de
votre miséricorde; pouvoir se rendre à soi-
même ce bienheureux témoignage, qu'on ne
vous a jamais déplu; délivrer la nature
humaine de ce reproche honteux, et n'avoir
jamais produit rien que de pur; être aussi
pur sur la terre que les anges le sont dans le
ciel, que ce bonheur est sublime, que ces
avantages sont grands 1 Celui-là seul peut les
comprendre, qui a pu les y apporter : aussi
mon dessein n'est-il pas d'approfondir ce
mystère, qui est plutôt un miracle qu'un
exemple. Je veux tirer, à l'occasion de l'élé-
vation de Marie et de de la correspondance
fidèle que Marie apporte aux grâces de sa
conception, les tristes raisons de la rareté
de la nôtre, et notre peu de fidélité aux grâ-
ces de notre baptême. Première raison de la
correspondance de Marie à son élection,
c'est une vie toute sainte et toute chrétienne
et ce qui fait la rareté de la nôtre, c'est qu'il
y a peu de chrétiens qui vivent chrétienne-
ment ; seconde raison : Marie a répondu à
son élection par une vie toute pénitente,
malgré l'innocence de ses mœurs; et, ce qui
fait la rareté de la nôtre, c'est que parmi nous,
malgré notre corruption, il n'y a que très-peu
de pénitents. Deux vérités importantes qui
feront les cieux points de ce discours, et que
je terminerai, si le temps me le permet, par
une dernière proposition, qui est que Mario
a correspondu à la grâce de son élection, par
une persévérance constante dans l'état de la
justice où elle est conçue, et que ce qui fait
la rareté de la nôtre, c'est qu'il en est très-
peu parmi nous qui soient peisévéraumieut
1203
ORATEURS SACRES. LE P. SURIAN.
MO*
justes. Voilà le mystère de l'élection de
Marie et la source de la rareté de la nôtre.
Vous, mon Dieu, accompagnez ma voix de
la force et de l'onction de votre esprit, et en
même temps que je vais parler, portez la
componction et la pénitence dans les cœurs
de mes auditeurs, nous vous le demandons
par l'intercession de la sainte Vierge, en lui
disant : Ave, Mciria.
PREMIER POINT.
Première correspondance de Marie à îa
grâce de son élection : une vie toute chré-
tienne, et ce qui rend la nôtre si rare, c'est
qu'il y en a peu parmi nous qui vivent en
véritables chrétiens. Qu'est-ce qu'un chré-
t;en? définissons-le, moins parce qu'il a de
glorieux que par ce qu'il a d'indispensable,
et puisque Marie est ici notre régie, voyons
ce qu'elle a été elle-même, et de quel côté
nous lui ressemblons. Marie s'offre aux fi-
dèles dans trois états différents : 1° A l'é-
gard de Dieu, dans un état d'innocence;
2" à l'égard d'elle même dans un état de mor-
tification; 3° à l'égard du monde dans un
état de haine. Voilà la disposition de Marie,
et les traits de ressemblance que nous devons
avoir avec elle. Etudiez sur cela votre élec-
tion.
Voyez si Jésus-Christ est en vous, s'il y
vit, s'il y respire, si vous êtes un autre lui-
même; qui n'est pas son image n'est pas son
enfant, et qui n'est pas son émule ne mérite
pas de porter son nom : Annon cognoscitis
rosmetipsi, quia Christus Jésus, invobis est,
nisi forte reprobi estis. (II Cor., XIII.) Sur
cette idée, jugez si la multitude des fidèles
est grande, et ne dirait-on pas que Jésus-
Christ a établi sa religion pour la ruine de
plusieurs? Quelle foule de coupables, et du
côté de Dieu, et du côté d'eux-mêmes, et du
côté du monde!
1° Je dis qu'un chrétien, s'il soutient le
nom qu'il porte, doit vivre à l'égard de Dieu,
comme Marie, d'une vie innocente. En effet,
cet habitant du monde, ce citoyen de la
terre, est composé de chair et d'esprit dont
les parties se combattent. Cette portion de
la nature humaine que la mort détruit, en est
souvent l'ennemi et la perte ; un chrétien
c'est un homme caché qui, loin de ce monde
corrompu, vit dans un monde plus pur, plus
sag3, plus éclairé, plus sincère. C'est un
homme céleste, détaché des sens et de la
chair, à qui le baptême est un tombeau où il
meurt au péché pour ne plus vivre qu'à la
grâce. Oui, chrétiens, dans ces eaux salutai-
res, vous avez pris comme Marie dans sa
conception, une forme toute nouvelle ; vous
vous y êtes dépouillés du vieil homme et de
toutes ses affections, vous \ êtes devenus une
portion de Dieu même; mais, si votre vie ne
répond pas à vos engagements, si, comme
Marie, vous ne répondez pas par une vie
sainte à la grâce de votre vocation au chris-
tianisme, vous êtes un parjure, un ingrat, un
infidèle. Puisque tous vos titres sont saints,
ne périssez-vous pas, si vous n'êtes saints
vous-mêmes? et si votre vie n'est pas inno-
cente, avec une vocation si sainte, if est-
elle pas monstrueuse? Or, .sur ce principe,
les vrais chrétiens forment-ils le plus grand
nombre? en trouve-t-on beaucoup qui, mar-
chant sur les traces de Marie, répondent à
ces grâces et à ces premiers bienfaits de
Dieu, par une vie d'innocence et de sain-
teté? Hélas ! dit le prophète, il n'est plus do
saints : dcfecit sanctus (Psnl. X ); tout est
corrompu, et l'homme s'est bientôt dégradé
sur la terre. Il y a longtemps que nous avons
souillé cette robe de candeur que nous
avions reçue au baptême; il y a longtemps
que nous avons effacé de notre âme le carac-
tère d'innocence et de sainteté que la grâce
de notre régénération y avait imprimé.
Autrefois l'innocence était un trésor si
cher aux fidèles, qu'ils sacrifiaient tout pour
la conserver, mais aujourd'hui en fait-on le
moindre cas? et, loin de veiller pour ne pas
la perdre, ne s'expose-t-on pas à tout ce qui
peut la corrompre? Il semble qu'elle peso
aux chrétiens de nos jours, et que notre rai-
son, semblable à ces lueurs nocturnes, ne se
développe et ne brille de plus en plus à nos
veux que pour nous séduire, nous égarer et
nous conduire au précipice. Encore si la perte
de notre innocence se faisait sentir, mais
combien la croient où elle n'est pas ? com-
bien s'imaginent que les moyens dont ils so
serventsont justes etlégitimes,lorsqu'ilssont
injustes et criminels ? Combien qui regar-
dent comme une fragilité pardonnable co
qui est un péché digne de châtiment? com-
bien se permettent la mollesse, le luxe,
comme l'apanage de leur état? Je pourrais,
parcourant ici toutes les conditions , vous
montrer que chacun a, dans son cœur, une
illusion qui le séduit, une corruption dé-
guisée qui le réprouve, et que dans la plu-
part, cette grâce première que Marie con-
serve si visiblement, se perd insensiblement
pendant qu'on croit l'avoir encore.
Mais quelle preuve ne vous donnerais-je
pas de cette vérité, si je vous faisais souve-
nir de la licence du siècle d'aujourd'hui ? A
ce moment, je m'imagine entendre le Sei-
gneur qui me dit dans une douleur vive,
comme autrefois au prophète Jérémie : Ah!
dans ce lieu saint, où la fille de Sion offre
à votre dévotion un objet de sainteté et d'in-
nocence, parcourez et considérez avec atten-
tion si, dans la multitude des chrétiens as-
semblés sous vos yeux, vous trouverez un
homme de mon choix, qui soit juste et fidèle :
Circuite vias Jérusalem un invenialis virum
facientem judicium et quœrcntem fidem. (Je-
rcm., V.) Dans un esprit de soumission aux
ordres de mon Dieu, je vais donc, avec, ce
prophète, chercher cet nomme de Dieu, cet
homme juste parmi les chrétiens. J'irai parmi
les pauvres: Forsitan pauperes sunt et slulli
ignorantes viam Domini. Leur esprit est plein
de jalousie, d'envie, de rébellion, de mur-
mures; leur cœur ne forme que des désirs
contraires à l'état ou les a mis la divine Pro-
vidence; leur vie est sans connaissance, sans
réllexion, et un simple mouvement du pen-
chant de la nature; ils sont d'autant plus
1205
MYSTERES E'ï FETES. ~ SERMON IX , POUR LA CONCEPTION.
120S
malheureux qu'ils ne savent pas profiler de
leur misère. Plus vous les frappez Seigneur
et plus ils deviennent intraitables; les coups
favorables que vous leur portez pour les ra-
mener à vous ne servent qu'à les éloigner :
Perctissisti eos et non doluerunt. (Jerem., V.)
J'irai parmi les riches, parmi les grands de la
terre. Ah 1 plus ils ont de lumières et de con-
naissances, plus ils s'en servent pour secouer
le joug du Seigneur; ils mettent leurs res-
sources dans leurs richesses, leur attache-
ment aux choses de la terre; plus on prend
soin de leur représenter les voies, et les
justes jugements de Dieu, plus ils négligent
les devoirs de la piété, de la pureté et de l'o-
béissance. Ils font de leur grandeur, de leurs
richesses, une idole, et 1 ur vie n'est qu'une
infraction continuelle (\a> lois du Seigneur
et des vœux de leur baptême : Ibo ad opti-
males et lonuar eis : ipsi enim cognoverunt
viam Domini, et ccce magis hi simul confre-
gerunt jugum, ruperunt vincu'a. (Ibid.) Les
savants sont peut-être dans une situation
plus avantageuse. Hélas! [dus ils ont de pé-
nétration et moins ils songent à la science
du salut; les plus grands esprits sont sou-
vent les moins religieux, ils se perdent pour
vouloir trop approfondir les vérités divines :
ils nient tout ce qu'ils ne peuvent compren-
dre. Les grands raisonnements sont les
écueils ordinaires de la foi, et pour vouloir
être trop philosophe, on cesse d'être chré-
tien : Negaverunt Dominum et dixerunt : non
estipse, nequevcniet super nos malum. (Ibid.)
Inutilement irais -je chercher l'innocence
dans la justice : ce n'est plus la vérité qui juge,
c'est la passion; on n'y défend plus la cause de
la veuve, les intérêts du pupille, le droit des
misérables : la faveur l'emporte sur les bon-
nes raisons, le crédit et l'autorité sur le bon
droit et sur la vérité : Causamvidaœ nonjudi-
caverunt, causant pupilli non direxerunt.
(Ibid.) etc. Si je porte mes yeux jusque dans
le sanctuaire, qu'y vois-je? de faux prophètes
qui débitent le mensonge pour de saintes
vérités, des ministres lâches ou intéressés,
qui, plus complaisants pour le monde que
pour Dieu, mettent des coussins sous les
coudes du pécheur, ou qui des revenus de
l'Eglise, font le patrimoine de leurs héri-
tiers; des oints du Seigneur plus mondains
que le peuple, qui, par une vie déréglée, dés-
honorent le caractère auguste qu'ils por-
tent, profanent les saints mystères qu'ils
opèrent, et prostituent la divine majesté du
Maître qu'ils servent. Car, pour quelques-
uns, qui sont de bons prêtres et répondent
fidèlement aux devoirs et à la dignité de leur
vocation , combien y en a-t-il qui s'en ren-
dent indignes? Prophètes prophetabant men-
dacium et sacerdotes apptaudebant manibus
suis. (Ibid.) Enfin, toute chair a corrompu sa
voie sur la terre, un même nuage enveloppe
tous les états; et si Dieu me dit, comme
à Jérémie : montrez-moi quelqu'un qui mène
une vie innocente, hélas 1 ne suis-je pas forcé
de lui répondre encore une fois, avec David:
il n'est plus de saint dans le monde. Venez
donc Seigneur, au secours de votre Eglise;
jamais édifice ne s'éleva plus vile et ne se
soutint plus mollement. Religion sainte de
mon Dieu, êtes-vous donc la même, qui por-
tiez autrefois dans votre sein un peuple
d'élus, et qui pouviez presque compter le
nombre des saints par le nombre de vos en-
fants? Vos beaux jours sont passés, et ce
n'est que contre les chrétiens d'aujourd'hui,
qui vivent plutôt en enfants du siècle qu'en
enfants de l'Eglise, que Jésus-Christ pro-
nonce cet anathème terrible : beaucoup d'ap-
pelés et peu d'élus.
O vous qui m'écoutez, pouvez-vous tirer
une conséquence favorable de cetie effrayante
vérité? Examinez-vous vous-mêmes ; car, je
ne veux pas qu'avec une vie réprouvée on
se promette le sort des élus; pouvez-vous
vous ranger avec ce petit nombre? voulez-
vous savoir si vous êtes séparés de la mul-
titude' Demandez-vous si, comme Marie,
vous avez les mœurs innocentes, le cœur
pur, des désirs bien réglés ; voyez, chacun
dans votre état, si vous menez cette vie de
justice et de piété que menait Marie. Je vis,
dites-vous, comme tous les autres. Mais, si
tous les autres périssent à vos yeux, vous
voulez donc périr avec eux? car, enfin, en
quel endroit de l'Ecriture trouvez-vous que
la multitude se sauve, où lisez-vous que la
béatitude est promise au grand nombre et
qu'elle vous est réservée, tandis que vous
vivrez comme les autres? Mon Dieu, plus
on approfondit cette vérité, plus on est saisi
de frayeur, et les plus justes tremblent, tan-
dis que les réprouvés lui offrent un cœur
intrépide et dur comme la piene.
2° Un chrétien à l'égard de soi-même, doit
mener une vie de mortification comme Ma-
rie. La croix de Jésus-Christ et la qualité de
chrétien sont inséparables; on perd l'une dès
qu'on néglige l'autre, et quiconque refuse
cette portion de peines, que le Sauveur im-
pose à ses enfants sur la terre, renonce h
cette portion de gloire, qu'il leur prépare
dans le ciel. Ne savez-vous pas, dit l'Apôtre,
qu'il a fallu que Jésus-Christ ait souffert pour
entrer dans la gloire, et pourquoi donc, vous
qui prétendez à une couronne éternelle, re-
fusez-vous de souffrir et de vous mortifier?
Mais sur cette règle, si les élus ne se for-
ment, comme Marie, que dans les souffrances
et les mortifications, en voyez-vous beaucoup
ici qui puissent se dire dû nombre des 'élus,
ou, si vous n'en voyez peut-être point, ne
devez-vous pas vous confondre vous-même?
Pourrez-vous lever ici la lête, et vous parer
du nom de chrétien? On l'entend partout ce
glorieux nom de chrétien, mais combien en
remplissent les véritables obligations? s'il
est rare de trouver dans le siècle de vrais
héros, parce que pour cela il faut vaincre,
combattre, triompher, se mettre au-dessus
des événements les plus fâcheux de la vie,
braver tous les danger et courir même an-
devant de la mort, les héros ne sont-ils pas
encore plus rares dans le christianisme,
puisqu'il faut combattre sa propre chair, dés-
armer ses passions, mortifierses sens, triom-
pher de son penchant et de sa volonté, sa
noi
ORATEl'RS SACRES. LE P. SUR1AN.
1203
vaincre soi-même et traiter en esclave notre
cœur, notre esprit et notre corps, qui sont
nos plus cruels ennemis' Ai-je doncexagéré
quand j'ai dit que le nombre des élus est
bien rare?
En effet, un chrétien doit être dans la tris-
tesse et dans l'abattement, et tous sont ar-
dents pour le plaisir, tous respirent la mol-
lesse. Un chrétien doit aimer la mortifica-
tion comme un remède , et tous donnent dans
la sensualité et dans la délicatesse, comme
un agréable poison ; un chrétien doit faire
une victime de son corps, et vous faites tous
une idole du vôtre ; un chrétien est un homme
selon l'Evangile qui se hait, et vous donnez
tout à vos affections, à vos appétits, à vos
sens ; un chrétien est un homme qui se
peine, qui se fait violence , et vous êtes at-
tachés à vos aises, à vos commodités ; un
chrétien est un homme mort au monde, sé-
paré du siècle, crucifié à lui-même, et vous
donnez dans les modes, dans les usages,
dans les coutumes, dans les maximes des
mondains, et ne cherchez qu'à vous satis-
faire. Ah! depuis quand la joie et les déli-
ces du monde sont-elles donc montées sur la
croix de Jésus-Christ? Un fonds d'amour-pro-
pre, de mollesse règne dans toutes vos ac-
tions; ali! c'est là crucifier Jésus-Christ?
mais est-ce vous crucifier vous-mêmes avec
ïui? Un chrétien est un nouvel homme, c'est-
à-dire qu'il n'a rien du v;eil Adam, rien de
terrestre, rien de charnel, rien que de spiri-
tuel; et cependant, à la vue seule du plaisir
et des divertissements, toutes vos passions
s'émeuvent, tous vos désirs s'irritent; est-ce
Jà mourir au monde et à ses convoitises?
est-ce être chrétien? est-ce être imitateur
Je Marie? est-ce être disciple de la croix
de Jésus -Christ, et par conséquent est-
ce là vouloir prétendre à l'héritage de sa
gloire?
O vous, ministre des grandes vengeances
du Seigneur, ange exterminateur, qui ne de-
vez épargner que ceux qui auront porté sur
leur front l'impression du sang de l'Agneau,
ahl si vous commenciez dès à présent le
ministère de votre fureur, que vous trouve-
riez à frapper ! Qui de nous ne devrait crain-
dre de tomber sous vos coups? quelle action
n'aurait pas sur mes auditeurs le glaive im-
pitoyable que la colère du Seigneur vous
met -en main ! que de sang l'on verrait ici
couler de toutes parts ! quelle désolation !
quel carnage! Combien serions-nous éloi-
gnés de cette erreur grossière, qui, au mi-
Leu même de la corruption , nous fait croire
en sûreté de salut! et que bien plus ter-
riblement que moi vous annonceriez cette
effrayante vérité : neu d'imitateurs de Marie,
pau de vrais chrétiens, et par conséquent
peu d'élus !
3° Un chrétien, à l' exemple de Marie, doit
mener une vie de haine et de renoncement
à l'égard du monde ; être chrétien et être du
monde sont deux choses inalliables. Aussi
au baptême vous avez retiré votre nom de
cette milice profane, pour vous enrôler sous
le iaint étendard de Jésus-Christ. Dieu ne vous
promit son royaume, et ne vous donna l'espé-
rance aux biens éternels, qu'à condition que
vous renonceriez aux biens temporels; et
vous jurâtes avec le monde et ses pompes
un divorce éternel. Si dès lors vous l'aviez
connu, ce monde, quelle force, quelle éner-
gie auraient eue vos serments; mais à pré-
sent que vous le connaissez, qui de vous
peut se souvenir de ces vœux sans se faire
peur à soi-même?
O vous qui m'écoutez, examinez un peu
votre conduite ; sur quel point, en quelle
occasion tenez-vous la promesse que vous
avez faite au baptême? Ces habits si somp-
tueux, ce luxe, ce faste sont-ils un renon-
cement aux modes du inonde ? Ces jeux
ruineux, ces superfluités scandaleuses, ces
spectacles profanes, qui partagent votre
temps, sont-ils un renoncement aux pompes
du monde? Ces endures d'esprit, ces projets
ambitieux, cette avidité pour les honneurs,
pour les charges, pour les dignités, sont-ils
un renoncement aux van tés du monde? Ces
discours séduisants, ces entretiens flatteurs,
ces artifices, ces dissimulations , ces paroles
équivoques, ces airs passionnés dont vous
faites votre principale étude, sont-ils un re-
noncement au langage du monde? Cet em-
pressement pour \u& plaisirs, pour les diver-
tissements, pour les festins, pour la bonne
chère, est-ce un renoncement aux joies du
monde? Haïssez- vous le monde , tandis que
vous ne songez qu'à nager dans ces désor-
dres? Haïssez-vous le monde, quand vous
vous faites une étude de lui plaire, un art de
vous mettre selon son goût, et que vous ap-
pelez un malheur de ne lui être pas agréa-
ble? Haïssez-vous le monde, quand vous ne
servez point d'autre maître que lui, et que
vous préférez la honte d'être son esclave et
sa victime à l'a gloire d'être son vainqueur?
Haïssez-vous le monde, quand vous vousdé-
clarczson apologiste contre la censure qu'en
font les ministres du Seigneur, et que vous
faites plutôt sa volonté que celle de votre
Dieu? Haïssez-vous le monde, quand vous
allez en aveugle à tous les écueils qu'il vous
offre, à tous les pièges qu'il vous tend, à
tous les abîmes qu'il vous ouvre; quand
vous ne vous plaisez que dans ses mouve-
ments, que dans ses agitations, que dans ses
troubles, que- dans ses compagnies, que
dans ses assemblées ? Haïssez-vous le monde,
quand vous courez au théâtre où il règne ,
où toutes ses pompes triomphent , où il joiut
tous ses charmes et sa force contre l'inno-
cence et la vertu , où il se fait sentir tout en-
tier avec ses traits les plus enflammés et les
plus puissants, où son esprit se communi-
que comme une contagion mortelle; où, avec
son poison le plus subtil, il rassemble ses
dangers et sa corruption répandus dans ses
autres assemblées, et les fait entrer jusques
dans la substance de l'âme? Sont-ce là des
traits bien marqués de votre haine pour le
monde, et ressemblez-vous en cela à Marie?
Àh ! je l'avoue , quelquefois vous vous
plaignez que ses plaisirs sont insipides , ses
honneurs trop gênants, ses richesses périssa-
1209
MYSTERES ET FETES. — SER
blés. Si, dans les chaires chrétiennes, les mi-
nistres de la sainte parole, j our vous rendre
ce monde plus odieux, vous disent que c'est
un imposteur qui vous tromre, qui n'a rien
de réel que sa fausseté, rien de grand que
ses peines et ses chagrins, rien de certain
que son inconstance et sa légèreté; si nous
vous disons que ce monde n'est qu'un as-
semblage de victimes malheureuses qui
s'immolent tour h tour, qu'une société d'a-
veugles qui se précipitent, qui se portent
envie, qui se plaident les uns les autres; si
nous vous apprenons que ce monde est une
mer orageuse où les tempêtes sont fré-
quentes et ies naufrages presque inévitables;
que c'est une terre maudite dont le fonds
est la corruption, qui n'a de fécondité que
pour le mal, dont le nom seul est un ana-
thème, un séjour empesté où l'on ne respire
qu'un air de malice, où l'on ne trouve que
de fausses lumières, où le vice triomphe, où
la vertu dépérit, où l'innocence n'ose pa-
raître; si nous vous disons que ce monde
est l'objet de la haine do Dieu, le règne du
démon, vous en convenez avec nous. Vous
ajoutez même encore à ce tableau des traits
plus vifs et plus sensibles par la connaissance
que vous en avez plus que nous, et nous
avons aujourd'hui la consolation de voir que
vous nous surpassez dans la peinture af-
freuse que vous faites du monde et de ses
peines; mais, dans la pratique, ne le suivez-
vous pas? Malgré toutes les plaintes que vous
en faites, ne lui donnez-vous pas tout votre
amour cl votre affection? Ne lui sacrifiez-
vous pas votre repos, votre santé, vos plus
belles années, vos pensées et vosréllexions?
et, par une triste expérience, ne montrez-
vous pas entre la bouche et le cœur des
contradictions honteuses? Vous connaissez
parfaitement b monde, dites-vous; mais à
quoi servent là-dessus vos lumières, sinon à
nous faire connaître davantage que c'est,
votre aveugle nient d'avoir encore un vio-
lent amour pour ce monde que vous avouez
être si haïssable, et de l'idolâtrer encore,
tout méprisable qu'il vous parait? Enfin,
vous et ce monde êtes-vous deux ennemis
déclarés? 11 est peut-être le vôtre, mais êtes-
vous le sien? Malgré ce que vous en savez,
vous parlez, vous agissez, vous pensez, vous
jugez, vous louez, vous blâmez comme le
monde; vous estimez, vous décidez, vous
désirez, vous espérez, vous craignez comme
le monde; vous aimez, vous allligez, vous
haïssez, vous consolez, vous vivez comme
Je monde; vous êtes donc le monde même?
Or, le monde n'est point chrétien, donc vous
ne l'êtes point non plus; comme le monde
vous n'êtes point chrétien, donc vous n'êtes
point du petit nombre des élus; avec le
monde vous êtes du grand nombre, donc
vous êtes exclus de l'héritage du ciel et des
récompenses éternelles réservées aux élus;
donc vous êtes cette multitude perverse que
Jésus-Christ foudroie dans les Livres sacrés.
Si vous étiez sauvés avec des mœurs et une
vie si commune, qu'y aurait-il de plus com-
mun que le salut?
MO.N IX, FOLK LA COXCEPTION. ri 10
Mon Dieu, que celte vérité porte dans l'es
prit des idées sombres et amères I Quand
elles pénètrent jusque dans le cœur, qu'on
trouve inestimable l'élection de Marie! Ahl
voulez-vous donc sortir de l'accablement que
produisent ces réflexions? imitez Marie dans
la séparation et la haine qu'elle eut pour le
monde; imitez ces enfants d'Israël qui, dans
le milieu de Babylone, refusent d'adorer l'i-
dole devant qui tout le peuple s'est pros-
terné; et lorsque le mon!e, qui est le Dieu
d'aujourd'hui, fait tomber tout l'univers à
ses pieds : Cadentes cmnes populi adorave-
runt statuam auream (Dan., 111), dites-lui
comme ces âmes choisies : Ecce Deus nosur
quem colimus; voilà sur lacroiï, sur l'autel,
le Dieu unique que nous adorons dans le
fond de nos âmes; lui seul est le bien su-
prême à qui nous rendons nos hommages :
Ecce Deusnoster quem colimus, (Ibid.) Mais,
pour vos faux dieux, pour vos biens péris-
sables, pour vos frivoles plaisirs, pour vos
chimériques honneurs, nous les avons en
exé< rat;on : Notum sit tibi, quia deos tuos
non colimus. [Ibid.) Et sache, ô monde trom-
peur, que nous n'aurons point pour toi ni
tes idoles une lâche circonspection; nous
faisons gloire de le dire publiquement, nous
n'adorerons jamais la statue que tu as élevée:
Statuant atiream quarn erexistis non adora-
mus. (Ibid.)
Vous le sentez donc, Messieurs, dans ce
tableau du inonde chrétien, combien l'inno-
cence est rare sur la terre, et ces traits,
quoique étrangers, ont une opposition sen-
sible avec la vie pure et innocente dont se
forme contre nous la conviction du petit
nombre. Mais, s'il en'est peu d'élus, parce
que peu mènent comme Marie une vie d'in-
nocence, il en est peut-être beaucoup qui
embrassent comme elle une vie pénitente.
Vaine ressource, puisqu'il en est peu qui,
après une vie toute de péché, soient sincère-
ment pénitents et véritablement convertis :
scionde cause de la rareté des é!us, et la se-
conde partie de mon discours, que j'achève
en peu de mots.
SECOND POINT.
La seconde correspondance de Marie à la
grâce de son élection, c'est une consécration
totale à la pénitence, malgré l'innocence de
ses mœurs, et ce qui rend la nôtre si rare,
c'est que, malgré la corruption générale de
notre vie, il en est p«u qui soient sincère-
ment pénitents; et plût à Dieu que cette vé-
rité fût plus difficile à prouver que la pre-
mière! Ici ne livrons point nos esprits à ces»
satires outrées, ne suivons point cette élo-
quence qui grossit les objets, et, afin qu'il
ne nous arrive point de rien exagérer, don-
nons à la conversion et à la pénitence l'idée
la plus simple et la plus nécessaire.
Qu'est-ce que se convertir? Se convertir à
•Dieu, c'est d'abord quitter le péché, haïr le
crime en le fuyant et en l'éloignant de i-a
conduite, aimer la justice en s'y soumettant;
voilà par où l'on peut s'y réconcilier avec
Dieu et entier dans l'ordre de son éltclioii
1 2 H
éternelle. Mais qu*il en est peu qui suivent
cette voie, et qu'un élu peut bien s'écrier
comme Marie : Je suis comme un prodige à
Tégard de plusieurs : Tanquam prodiginm
Cactus s um mullis. [Psal. LXX.)
La ruine entière de tout péché est donc la
première démarche que doit faire un pécheur
touché ; il faut qu'il commence par renoncer,
par anéantir en lui le péché; il faut qu'il
dise : Dieu de mon cœur, séparez-le de tous
ses désirs criminels, de toutes ses affections,
de toutes ses œuvres d'iniquité, puisque ce
n'est que par là qu'il peut être digne de vous.
Or, cette conversion est-elle la vôtre, Mes-
sieurs? est-elle celle de la multitude? en
quel endroit découvre-t-on ce renoncement
total au péché? Etudiez-vous vous-mêmes; ne
tenez-vous point encore de quelque côté à ces
crimes dont vous vous dites convertis. Con-
sidérez tout ce qui vous environne, ne peut-
on point faire de vous les plaintes amères
que le Seigneur faisait de cette pénitente
trompeuse d'Israël? Cette rebelle pécheresse,
dit-il, n'est convertie qu'en apparence ; sa
conversion n'est qu'un fantôme de pénitence,
parce qu'elle n'est point revenue à moi de
tout son cœur; ce n'est qu'une feinte et un
mensonge : non est reversa ad me in loto corde.
suo, sed in mcndacio. (Jrrem., lil.) En effet,
vous qui vous glorifiez du nom de pénitent, où
est cette conversion sincère? où est donc ce
coour qui est la première victime que Dieu
demande de vous, parce qu'il a été le pre-
mier coupable envers lui? Où est le sacrifii e
de ce cœur qui seul peut plaire à Dieu, qu'on
doit d'abord lui rapporter? Où voit-on de ces
cœurs dont tous les efforts aillent à aimer ce
qu'ils ontle pi us haï»et à réparer le tort qu'ils
ont fait à Dieu, et qui, par une heureuse mé-
tamorphose, soient aussi pénitents aujour-
d'hui qu'ils furent pécheurs autrefois? On ne
voit de nos jours que de ces conversions lâ-
ches et imparfaites où l'on ne quitte le péché
qu'à moitié. Si on sacrifie l'insatiable cupi-
dité des richesses, on se réserve l'orgueil
délicat de l'esprit; si on se défait de l'envie,
on se réserve la vengeance: toujours quel-
que objet étranger dérobe à Dieu une partie
de ce cœur que nous lui devons tout entier;
toujours quelque péché secret se cache dans
les repl.'s du cœur; chacun conserve dans son
âme un vice qui lui est propre, une passion
favorite. Examinez-vous vous-mêmes : vous
i;e faites, en renonçant au péché dans votre
conversion, qu'en substituer un à la place de
l'autre; vous accordez toujours quelque
chose à l'âge, aux conjonctures, à l'intérêt,
aux occasions, aux circonstances. Vous n'êtes
pénitents que dans la surface: vous ne quit-
tez point le vieil homme pour vous revêtir
du nouveau; vous vous dépouillez de la gros-
sièreté du mal, mais vous vous en conser-
vez la délicatesse ; vous changez la coupable
volupté en attachement délicat par vaine
gloire; vous offensez Dieu plus subtilement,
avec plus d'artifice et de règle, mais non
point avec moins de malice; vous ne vous
lassez plus à courir avec tant d'avidité après
les plaisirs tumultueux du siècle, mais dans
ORATEURS SACRES. LE P. SERIAIS. 121-2
une retraite, qui est plutôt une bienséance
de l'usage, ou une suite de votre infortune,
qu'un retour sincère de conversion, vous
vous faites encore un monde nouveau où
vous avez encore des liaisons, des plaisirs,
des charmes, des vengeances, des médi-
sances, des calomnies; où vous ramassez
tous les poisons qui, pour être plus subtili-
sés, ne sont devenus que plus funestes en
eux-mêmes. C'est-à-dire que vous tromperez
le vice sans l'abandonner, si vous fuyez les
occasions du dehors sans toucher à cette
passion du dedans qui fait revivre toutes les
autres. Or, je vous le demande, un tel chan-
gement peut-il être honoré du nom d'ouvrage
ce la grâce ou de l'expiation du péché? De
quoi peut-on le qualifier, sinon de mensonge,
de feinte, de fausse conversion ? sed in men-
dacio. Et lorsqu'on cet état, vous familiarisant
avec les sacrements, vous les recevez sans
crainte, ne mangez-vous pas votre propre
jugement, et ne justifiez-vous pas par vous-
même cet oracle terrible : Il y a peu d'élus?
Il en est peu qui , comme Marie , assurent
leur élection par une vie vraiment pénitente.
Mon Dieu ! que ces paroles ont un sens for-
midable; je frisonne moi-même en vous les
exposant; refuser de se convertir, c'est mé-
priser, rejeter tous les avantages réservés
aux élus.
Voyez-voussur ces sacrés autels ce sang pré-
cieux de Jésus-Christ qui coule pour tous les
autres?dès lors que vous n'êtes point des élus,
il ne coule plus pour vous. Voyez-vous cette
croix, signe commun de grâce et de miséri-
corde?dès lors que vous n'êtes point véritable-
ment convertis , elle n'est plus pour vous un
arbre de salut. Fidèlesà votre|vocation,si vous
vouliez revenir à Dieu par une conversion sin-
cère, ces signes vous appartiendraient comme
aux autres. Percez le voile céleste; voyez-
vous dans la lumière de gloire Jésus-Christ
qui fait le bonheur des saints? dès lors ce
bonheur est pour vous, si vous êtes justifiés.
Mais, d'un autre côté, pénétrez jusque dans
ces noirs abîmes ; voyez ces démons enrages
les uns contre les autres, ces brasiers allu-
més, ces flammes dévorantes, cette réunion
de toutes les misères ensemble ; si vous ne
devenez justes, c'est là le sort qui vous at-
tend, c'est votre partage, votre destinée.
Peut-être vous plaindrez-vous que je vous
épouvante, Messieurs. Je sais qu'il est dans
le monde mille craintes vaines et chiméri-
ques qu'il est sage de surmonter; mais pour
la terreur que je vous inspire aujourd'hui,
qu'elle est juste! qu'elle est raisonnable!
qu'elle est chrétienne! Puisqu'elle devrait
être aussi grande que ce ciel que nous per-
dons, qne cet enfer que nous méritons,
qu'importe qu'elle vous trouble, qu'elle vous
saisisse, pourvu qu'elle exécute en vous des
sentiments, des désirs et des œuvres de sa-
lut? Le comble des maux ne demande-t-il pas
le comble des craintes? mais achevons. 11 y
aune troisième correspondance de Marie à
la grâce de son élection : c'est une persévé-
rance constante dons un état de justice où
iai;
MYSTERES ET FETES. — SERMON X, DE LA NATIVITE DE J.-C.
MU
elle est connue aujourd'hui ; et, ce qui rend
la nôtre si rare parmi nous, c'est qu'il en est
très peu qui soient présentement justes, et
de là une troisième vérité que le peu de
temps qui me reste ne me permet pas d'ex-
pliquer dans toute son étendue.
Tous les trésors, tous les mystères de la grâ-
ce ne sont ,'ias renfermés dans le sein de Dieu, il
en est de cachés et d'impénétrable dans le cœur
^ie l'homme, il en est peu qui;;ersévèrentdans
lo bien et qui conservent longtemps la grâce
qu'ils ont reçue. Le cœur de l'homme, natu-
rellement changeant, prend plaisir a passer
d'un état dans un autre, et, ce qui est digne
de remarque , c'est qu'au milieu de nos dé-
sertions, c'est toujours nous qui commen-
çons par abandonner Dieu, ce n'est jamais
lui qui nous quitte le premier. Nous cher-
chons une infidélité qui nous délasse des ri-
gueurs de la vertu; nous donnons, ce sem-
ble, à la grâce ce caractère d'instabilité et
de légèreté que nous avons de notre fonds ;
nous nous lassons aisément dans les voies
étroites et pénibles, nous nous dégoûtons
de tout : la longueur de notre sacrifice nous
décourage. En cherchant à nous dédomma-
ger de la difficulté de la première ferveur,
nous tombons dans la tiédeur, et de la tié-
deur nous retournons bientôt aux douceurs
apparentes du vice. Le passage de l'un à
l'autre nous flatte et nous endort; nous ne
nous fortifions point assez par la prière et
par la vigilance, et, peu à peu, nous sentons
languir en nous la force des promesses. Et
de là combien, se relâchant de leur devoir,
ont senti les tristes preuves de la fragilité
humaine ! combien qui, livrés à leurs pro-
pres faiblesses, ont laissé perdre en un mo-
ment le fruit de plusieurs années de ferveur!
qui , par un peu de nonchalance, de négli-
gence, de découragement, ont laissé tomber
3 édifice de leur salut. Combien qui étaient
la gloire d'Israël en sont devenus la honte;
combien par leur relâchement, s'arrachent
la couronne qu'ils avaient déjà sur le front.
Je n'ose jdus longtemps arrêter les yeux sur
cet abîme desjugementsdeDieu : ils donnent
trop de frayeur. Je le dis à la face des saints
autels, dans la chaire de vérité, en présence
(ie Jésus-Christ : il y en a beaucoup d'appe-
lés, mais très-peu comme Marie travaillent
à assurer leur élection; presque tous péris-
sent et consomment leur ré. irobation éter-
nelle. Ah! tâchez donc de vous l'assurer ici,
cette élection commencée par vous, donnez ici
à vous-mêmes toutes les marques les moins
équivoques de l'innocence, tous les signes
les plus favorables de salut, de pénitence et
de mortification, tous les gages les plus pré-
cieux et les plus sors de prédestination,
qui sont d'aimer Jésus-Christ avec fidélité et
de le servir avec persévérance; après cela,
déchargez-vous dans le sein de Dieu et vous
confiez à ses ministres.
Nous le confessons aujourd'hui, ù mon
Dieu! vous êtes seul notre asile; vous êtes
le maître de nolre'sort, vous pouvez nous per-
dre ounous sauver. En quelque endroit que
nous soyons, nous sommes sujets à votre
justice; en toute occasion, il faut combattre
contre le péché, contre le monde, contre le dé-
mon. Faite-mous sentir les plus vives flammes
de votre amour, donnez-nous une portionde
ces grâces dont Marie reçoit aujourd'hui la
plénitude ; vous qui subsistez éternellement,
fixez nos inconstances et nos variations. Votre
sang, vos mérites vos plaies nous ont ouvert la
voie de rédemption, ne souffrez pas que
nous nous la rendions inutile. Convertis par
votre sang, comblés de vos grâces, inconsola-
bles de vous avoir offensé, nous voulons nous
attacher éternellement à vous. Il vous en a
tant coûté pour nous sauver! toutes vos souf-
frances nous seraient- elle* inutiles, nous
perdriez-vous après nous avoir si chèrement
rachetés? Séparez-nous de cette masse cor-
rompue, de cette multitude réprouvée;
écoutez nos vœux et nos prières et nous
exaucez ; Fils adorable d'une mère conçue
sans péché, purifiez-nous I
Et vous, vierge sainte, qui triomphez au-
jourd'hui du premier de tous les péchés, aidez-
nous-à surmonter tous les autres péchés qui
nous séduisent, qui nouscharmentetnous en-
traînent dans l'abîme. Judith, pour rassurer
le peuple juif et l'encourager au combat, lui
montre la tête du tyran qui l'avait tant de
fois épouvanté et vaincu, et cette vue l'a-
nime, lui fait prendre les armes plus vail-
lamment que jamais, et lui fait vaincre à
son tou» les Assyriens. Soyez-nous au-
jourd'hui favorable", divine Marie, faites-nous
vaincre tous les ennemis de notre salut ; en
nous montrant la tète de ce monstre moral,
vous nous animerez à combattre et à vaincre
généreusement tous les autres péchés, nos
plus redoutables ennemis- Faites que si nous
n'avons pas comme vous la grâce d'une con-
ception pure et sainte, nous ayons du moins
colle d'une vie innocente, afin qu'avec vous,
victorieux, nous méritions d'entrer dans le
sanctuaire de Dieu, qui est la gloire éternelle
que je vous souhaite, au nom du Père, du
Fils et du Saint-Esprit. Amen.
SERMON X.
DE LA NATIVITÉ DE JÉSCS-CIIIUST.
Invenietis infantem pannis involutiini el positum in
prœsepio. (Luc., II.)
Vous trouverez un enfant enveloppé de langes et couché
dans nue oèckc.
Le voilà donc arrivé au milieu des temps
et des vœux du monde, ce moment de misé-
ricorde et de bénédiction, digne d'être adoré
sur la terre et au ciel , dans un silence res-
pectueux et avec la vénération la plus pro-
fonde: moment que toutes les figures, tous
les voi.es et les obscurités do la loi ancienne
promettaient et que toute la vérité, la lu-
mière et la grâce de la loi nouvelle ne se
contente pas de regarder, mais qu'elle veut
adorer; moment qui , en chassant toutes les
ombres et les images, expose la chose même
et établit la réalité; moment qui doit mani-
fester à la terre le grand secret de Dieu, lo
grand mystère du salut clc l'homme, l« grand
1115
sacrement de la piété et de la religion chré-
tienne dont il est le dénomment, et qui fait
le plus grand désespoir du démon ; moment
qui communique au monde ce grand dessein
de la miséricorde suspendu depuis tant de
siècles, et tenu caché dans le sein de la
divinité par la malice des hommes; moment
qui satisfait en vous, ô mon Dieu! la sainte
impatience de prendre pitié de vos créatures,
de les faire sortir de leurs misères, et qui
vous pressait de laissera ces ohjets déplora-
bles de votre justice la douce consolation
d'être vos frères, vos membres, vos héritiers,
vous-même ; moment où s'accomplit toute la
parole de Dieu, l'effet de ses promesses,
l'Ame de ses mystères, l'excès de ses grâces,
l'objet île ses désirs , l'effort de son amour,
le chef-d'œuvre de sa sagesse, le centre de
sa religion, le gage de sa gloire ; en un mot,
toute la plénitude de sa divinité, comme
parle l'Apôtre ; moment, enfin, où la vie éter-
nelle, le Fils unique de Dieu, au milieu
de la plénitude des temps, descend du ciel,
se fait homme, et, par un prodige au-dessus
de la faible portée de nos esprits et de toute
imagination humaine, devient la réalité de
ces paroles : Jnvenietis infanfem, etc., vous
trouvei ez un Dieu qui est caché sous la forme
«l'un enfant, le Roi du ciel, enveloppé de
langes, et le maître du monde, couché dans
une pauvre étable.
Voilà, chrétiens, tout le mystère de ce
jour. Je laisse à d'autresà vous retracer jus-
qu'aux moindres circonstances du berceau
de ce divin enfant; et déjà mille voix vous
en ont fait avant moi des leçons sublimes.
Pour moi je m'arrête à celles où son amour
éclata davantage; et, voulant m'en tenir a
quelque chose que je puisse exprimer et que
vous puissiez comprendre, je me contenterai
de vous montrer d'une part l'humilité de
Jésus naissant, et ses moititications de l'au-
tre; c'est sur le fond de ces deux excellentes
vertus que la naissance de Jésus-Christ s'o-
père ; tout y est plein de ces anéantissements
que la religion nous ordonne, de ces peines
qu'elle exige de nous, de toutes les humilia-
tions qui la caractérisent, de ces douleurs
dont elle se nourrit, de ces exemples qu'elle
propose, de ces victimes qu'elle offre.
Apprenez donc ici, ô mortels! votre reli-
gion tout entière ; voyez dans un Dieu qui
se fait enfant, le modèle le plus parfait de
l'humilité chrétienne, invenielis infantem;
dans ce Dieu enfant, exposé à toutes les dou-
leurs et les misères de cette vie, contemplez-
y le modèle le plus achevé des mortifications
évangéliques , pannis involutum ei posiium
in preesepio; ces deux parties renferment
tout le fruit que nous devons tirer de ce
mystère, et vont faire tout le partage de ce
discours. Que nous serions coupables, Sei-
gneur, si nous refusions de nous occuper au
moins une fuis l'année d'un mystère tout
d'amour, qui ne devrait jamais sortir de
nos esprit et de nos cœurs; demandons à
celui qui en est le divin auteur les moyens
de le faire avec fruit, et, pour obtenir cette
grâce de lui, commençons par saluer la sainte
ORATEURS S\CRES. Mi P. SLMAN. lsl6
mère et l'enfant nouveau-né. Ave Marie.
FIIEMIKR POINT.
Si, dans le sentiment des saints Pères, l'hu-
milité, pour ôtre parfaite, doit avoir deux
caractères essentiels : l'un qui nous fasse
éviter la gloire, l'autre qui nous fasse aimer
les abaissements, qui peut mesurer ce haut
point d'élévation d'où daigne aujourd'hui
descendre un Dieu? qui peut sonder toute la
profondeur îles humiliations où il s'assu-
jettit, et par conséquent qui peut comprendre
tout le fonds de son humilité?
Un saint Père, mesurant le centre ue nas-
sesse où la gloire de Jésus-Christ descend ,
et le comble de grandeur où ses abaisse-
ments I'élèvent, appelle son humilité une
humilité toute de prodige. Mais, lui-môme,
ne lui donne-t-il pas ce nom, lorsque, répon-
dant à un prince qui lui demande un grand
prodige au plus haut du ciel jusqu'au plus
profond de la terre, il lui déclare que ce
prodige c'est un Dieu qui se fait enfant. Et
certes, n'est-ce pas un grand prodige d'hu-
milité qui règne dans le plus haut descieux ,
puisqu un Dieu y descend de sa gloire?
N'est-ce pas un grand prodige d'humilité jus-
qu'au plus profond de la terre, puisqu'un
Dieu y tombe dans les abaissements les plus
humiliants ? Humiliûns ab imo udsupremum;
et dans ces deux circonstances si bien mar-
quées, Jésus-Christ n'y devient-il pas pour
nous le modèle le plus parfait de l'humilité
chrétienne?
Et en effet, quel est ce haut point de
gloire d'où descend le nouveau-né? Il est
Dieu pa? son essence principe; de Dieu par
sa fécondité. Sanctuaire éternel tic la divi-
nité, ayant son trône au milieu de la splen-
deur des saints, il se communique à tous;
lumière universelle, il éclaire tout; invi-
sible, il voit tout; incompréhensible, il con-
naît tout; invariable, il renouvelle tout; im-
mense, il agit partout; infini, il répond à
tout; inépuisable, il fournit à tout, ren-
fermant la source môme de toutes les
grandeurs dans l'essence de sa nature; et,
pressé par son amour qui, ne pouvant s«
contraindre, opère ce grand mystère, il des-
cend d'une gloire parfaite, soiide, véritable
qui lui est essentielle.
Oh 1 quelle honte à l'ange superbe ! s'écrie
saint Augustin, et pour nous quelle confu-
sion de courir avec tant de chaleur après
une gloire vaine, fausse, empruntée, perni-
cieuse. Naine, parce qu'après avoir excité
nos plus ardents désirs, elle s'évanouit en un
moment; gloire fausse, parce que, loin de
remplir les vides de notre cœur, elle ne fait
que les étendre; gloire empruntée, puis-
qu'elle n'a de fond (pie dans l'opinion des
hommes, et qu'elle tombe avec leuis imagi-
nations dont elle dépend; gloire pernicieuse,
puisque non-seulement elle se perd, mais
qu'elle nous fait perdre nous-mêmes, qu'elle
remplit toute notre vie de mouvements et
d'agitations, qui, sans avancer notre fortune,
engagent notre conscience et nous préparent
mille remords cuisants au u ornent redouta-
ble de notre mort.
1217
MYSTERES ET FETES. — SERMON X . DE LA NATIVITE DE J.-C.
Iïi8
Ah! Dieu veuille, par la grâce de son avè-
nement, préserver nos cœurs d'une passion
si funeste. Et, après tout, dit saint Augustin,
nos cœurs pourraient-ils tenir encore contre
un exemple si touchant et une autorité si
puissante? Quoi! un Dieu plus grand que le
ciel et la terre, se dépouillerait des titres de
sa grandeur, de l'éclat de sa majesté, et un
ver misérable aimerait l'élévation de la su-
perbe 1 Un Dieu, dit saint Grégoire, vien-
drait cacher toute la splendeur de sa divi-
nité sous les sombres voiles d'une chair
mortelle, et une chétive créature se rempli-
rait de présomption et d'orgueil en s'attri-
buant des perfections qu'elle n'aura jamais?
Un Dieu, enfin, voyant l'homme tombé dans
un abîme d'humiliation, s'y jettera lui-même
pour l'en retirer, et ce ver de terre, loin de
s'anéantir et de se confondre, se piquera d'a-
voir un cœur grand, un esprit toujours
tourné du côté de la gloire et de l'élévation?
Ah 1 plût à Dieu que vous eussiez un cœur
comme ce divin enfant qui vient de naître!
quel mépris ne feriez-vouspas de ces vaines
grandeurs! Tout occupés de cette idée si
noble que l'union de sa nature avec la vertu
doit vous inspirer, vous n'auriez garde d'as-
pirer à ces honneurs chimériques qu'il dé-
teste, vous n'abaisseriez pas yos désirs à une
gloire passagère qu'il vient, condamner par
Fe mépris qu'il en fait et réprouve comme
indigne de vos souhaits. Si vous aviez le
cœur de ce Dieu naissant, vous vous élève-
riez par les transports d'une sainte ambition
au bonheur incomparable de ressembler à
un Dieu, qui, en prenant pour lui votre na-
ture et lui donnant ses traits divins, l'a rendue
si respectable, et réduisant là tous vos désirs,
non-seulement vous renonceriez aux avan-
tages temporels , mais vous embrasseriez
avec lui les humiliations ; car voilà, disent les
Pères, le second degré de l'humilité chré-
tienne dans un Dieu qui descend du comble
de la grandeur au centre de la bassesse :
Ab imo ad snprtmum.
Remarquez ici le sage tempérament qu'il
a plu au Sauveur de ménager à l'égard de
l'homme pour le ramener à la chrétienne hu-
milité, et l'obliger à se regarder avec com-
passion. Il fallait, dit saint Augustin, don-
ner à l'homme, égaré par orgueil, un mo-
dèle d'humilité qu'il suivît sans peine; ou,
d'une part, il était trop superbe pour vou-
loir choisir un homme semblable à lui pour
son modèle, et de l'autre, il était trop faible
et trop grossier pour prendre un Dieu si
fort au-dessus de lui , et qu'il ne pouvait
connaître que par les yeux spirituels d'une
foi surnaturelle. Il n'avait plus que les yeux
du corps, depuis qu'en perdant la grâce, il
avait perdu les yeux de l'âme ; mais l'œil
charnel pouvait- il s'élever à un objet infini-
ment au-dessus de ses sens? Dieu donc,
connaissant la route de nos cœurs, et voulant
s'accommoder à notre faible portée, sa misé-
ricorde corrigeant tout l'éclat de sa majesté,
a voulu, pour nous rendre l'humilité palpa-
ble, s'incarner dans son Fils, et par cette
union d'un Dieu avec notre chair, l'homme
a trouvé en Jésus Christ naissant un modèle
d'humilité qu'il a pu voir et qu'il n'a pu dé-
daigner de suivre et d'imiter. Avant cetts
union divine, l'homme pouvait bien être
sage, en recueillant en lui quelques rayons
de la divine sagesse; saint, en retraçait
en lui quelques traits de la sainteté par es-
sence; bon, par ressemblance à quelque ef-
fusion de la bonté infinie de son Dieu ; juste,
en se conformant aux règles de la sagesse;
mais, parce qu'il ne pouvait qu'être superbe
et orgueilleux en voulant imiter la grandeur
suprême, il a fallu que ce Dieu se fil
homme, comme nous faible , infirme, afin
que , pouvant l'imiter en tout le reste,
nous puissions encore être humbles de l'hu-
nailité d'un Dieu.
Et certes, s'il est de la perfection d'un
modèle d'exprimer véritablement en lui tout
ce qu'il offre à imiter, où l'humilité d'un Dieu
pourait-elle être mieux marquée que dans la
naissance pauvre et méprisable dont nous
honorons aujourd'hui le grand mystère. Dans
ce qui la précède, dans ce qui l'accompagne,
dans ce qui la suit, partout, nous y voyons
Jésus-Christ entre les bras de l'humilité, dans
le centre des humiliations et passant par tous
les degrés de la bassesse.
Que tout ceci , chrétiens, mérite de ré-
flexions! Voilà un Dieu, qui, du plus haut du
ciel, qui, du plus profond de la terre, s'e.«t
humilié; un Dieu, qui, plus puissant que tout
le monde ensemble, qui, plus grand que tous
les princes et les rois de la terre, a voulu
s'abaisser. Pourriez-vous douter encore que
l'humilité est le plus essentiel de sa divine
religion , puisqu'au premier moment qu'il
paraît dans le monde, il s'humilie et nous
la montre par tous ses anéantissements, soit
dans ce qui précède sa naissance, soit en-
core dans ce qui la suit. Or, un Dieu si
grand serait-il réduit à un état si abject si mé-
prisable et si humiliant, s'il n'eût voulu nous
servir de modèle, et nous faire dire de lui-
même ce qu'il disait autrefois à ses disci-
ples des autres enfants en général : Si vous
ne devenez semblables à ces petits enfants,
vous n'entrerez jamais dans ma gloire. Non,
que personne ne se flatte ici à sa propre
ruine, c'est un principe incontestable que
nu! n'aura jamais de part à la naissance de
Jésus-Christ, ni à ses grâces, qu'il ne parti-
cipe à ses abaissements, et, par conséquent,
que nul ne recueillera aucun des fruits qui
y sont attachés, s'il ne l'imite dans ses hu-
miliations.
L'imitons-nous donc, mes frères? entrons-'
nous dans ce cœur si orgueilleux, où peut-
êtrenousne sommes jamais entrés? y portons-
nous un seul trait des humiliations de ce
Dieu enfant? pouvons-nous confronter les
caractères de l'humilité de Jésus-Christ,
avec ceux de la nôtre?
l'Humiliation profonde dans Jésus-Christ.
En prenant la forme d'esclave et l'apparence
de pécheur, ne descend-il pas au-dessous
du néant même? Dans notre humiliation
superficielle et imaginaire nous craignons
toujours de nous dégrader, de descendre
1219
ORATEURS SACHES. LE P. SURIAN.
1220
trop bas, d'avilir notre rang et notre dignité
en pratiquant certains devoirs généraux et
communs que la loi du Seigneur nous im-
pose; nous lui abandonnons peut-être quel-
ques endroits de notre cœur, dont nous ne
pouvons nous défendre. On se résout à souf-
frir une injure quand on ne peut s'en ven-
ger; une raillerie, quand on ne peut la re-
pousser; mais jamais nous n'osons étendro
nos humiliations jusqu'au point que notre
cœur s'en ressente, et bien loin de vouloir
passer pour de vils pécheurs quand nous
sommes justes, ah 1 ne nous efforçons-nous
pas de passer pour justes quand nous
sommes pécheurs ?
2° Dans Jésus-Christ, humiliation sincère.
Si tous les dehors en lui sont abaissés, le
fond de son cœur l'est encore plus; dans
nos humiliations trompeuses, hypocrites,
pendant qu'à l'extérieur nous affectons un
air modeste et anéanti, notre cœur qui le
devrait être encore plus, demeure vain et
superbe. Nous conservons au fond de l'âme
une avidité prodigieuse des applaudisse-
ments et des louanges qui dégénère en fai-
blesse, lors même que nous n'avons dans
la bouche que des paroles d'humiliation et
de mépris. Combien affectent de dire qu'ils
n'ont aucun mérite , afin qu'on relève le
leur ; s'efforcent de répéter qu'ils ne sont
rien que misère, pour qu'on leur attribue
des qualités que souvent ils n'ont pas, et
combien font sonner hautement le dégoût
et l'indifférence qu'ils ont pour les hon-
neurs, les dignités, les postes et l'estime
des hommes, tandis que sous main ils font
agir mille secrets ressorts, cherchant mille
chemins détournés pour y arriver et se dis-
tinguer des autres dans le monde. C'est-à-
dire , mon cher auditeur, cpie vous êtes
vain et superbe avec plus d'art, de subtilité
et de méthode que les autres; que vous mé-
nagez tout le poison de l'orgueil sans en
avoir le décri , que vous voulez contenter
votre ambition en faisant semblant de la
mépriser, et que votre prétendue humilia-
lion est plus criminelle que l'orgueil même.
3° En Jésus-Christ, humiliation constante,
soutenue et toujours la même, depuis le pre-
mier instant de sa vie jusqu'au moment de sa
mort ; et dans vous, il n'y en a qu'une tout à
fait passagère de quelques jours dans velléité
la ferveur de la prière, de quelque retour
salutaire sur nous-mêmes. Nous convenons
de nos misères , nous sentons peut-être la
profondeur de nos maux, et à cette vue si
humiliante, nous concevons peut-être quel-
3ues sentiments d'humiliation ; mais hors
e là nous savons bien en dédommager notre
orgueil. Il est étrange de voir combien les
moindres louanges, la plus légère adula-
tion nous trouvent crédules; nous retrouvons
à la première occasion cette estime secrète
de nous-mêmes, qui n'avait disparu quel-
ques moments à nos yeux, que pour se
fortifier d'avantage dans une âme; nous
éprouvons toujours trop, à notre malheur,
que quelque convaincus que nous soyons
que nous ne sommes rien , nous voulons
pourtant être comptés pour quelque chose;
nous reconnaissons que nous sommes tout
ensemble et infiniment misérables et infini-
ment orgueilleux, et nous sentons au fond
de notre cœur que la plus grande de toutes
nos misères est celle de nous y surprendre
superbes.
k° En Jésus-Christ, humiliation volon-
taire. Ah 1 quel autre poids que celui de
son amour aurait pu l'y porter! et, dans nos
humiliations forcées, ce sont les hommes ,
les conjonctures, les temps, les révolutions
qui nous humilient; nulle objection sincère
de notre fonds. Si nous nous tenons dans
l'obscurité, dans la bassesse, c'est que nous
ne saurions nous relever, c'est que les biens
nous manquent, c'est que la fortune nous
est contraire et que les autres moyens de.
paraître et de nous distinguer nous sont
ôtés ; nous n'avons qu'une humiliation na-
turellement contrainte, prise dans notre
impuissance, c'est-à-dire que nous ne som-
mes point humbles par religion, mais par
raison ; notre cœur n'est point abîmé à la
vue de son néant, mais il est humilié de
ne pouvoir être superbe.
5° Dans Jésus-Christ, humiliation person-
nelle. Elle lui était propre et ne convenait
qu'à lui ; on n'avait point encore vu un Dieu
dans une crèche, le Fils de l'Eternel, de-
venu enfant , et revêtu de la nature hu-
maine; et nous, nous n'avons qu'une humi-
liation vague et commune, qui ne nous fait
envisager de défauts en nous que ceux qui
nous sont communs avec tout le genre hu-
main. La vue de notre faible, la rapidité de
nos penchants, le feu de nos passions,
tout cela, s'il nous est relatif et commun
avec nos frères, nous trouve éloquents;
nous paraîtrons en gémir et nous en plain-
dre. Nous ne craindrons point de nous les
attribuer , et nous descendrons si bas
que l'on voudra, pourvu que ce soit avec
tout le monde. Mais un défaut propre et
personnel, s'il nous est reproché, nous
trouve hauts et sensibles ; qu'on veuille
toucher à certains vices qui nous caracté-
risent, à certaines passions qui portent avec
elles un caractère de honte et d'humilia-
tion, ah 1 on nous trouve bientôt rebelles
et contrariants , et l'humiliation qui nous
trouve doux et dociles, quand elle regarde
les autres hommes, nous est odieuse lors-
qu'elle ne convient qu'à nous seuls.
6" Enfin, dans Jésus-Christ , humiliation
simple. Il ne s'humilie que pour nous sau-
ver, et nous ne nous humilierions peut-être
jamais, si nous n'espérions tirer de la gloire
de^notre abaissement. Toujours prêts à nous
faire justice si on nous condamne, lorsqu'on
veut décrier nos fautes , nous les couvrons
d'un voile spécieux. La piété même, quand
nous y avons recours , ne détruit point notre
orgueil et ne fait que l'appuyer, et quand
aux pieds des autels nous avons déploré nos
misères et reconnu devant Dieu que nous
ne sommes que de malheureux criminels,
dignes des plus grands châtiments; que nous
ne sommes rien que corruption et que péché,
12M
MYSTERES ET FETES. — SERMON X , DE LA NATIVITE DE J.-C.
32 a
cet anéantissement que nous avons de
nous-mêmes , nous parait si à propos et
si juste , qu il nous justifie même dans
la conduite que nous en tirons, et de là
nous ne craignons point de conclure que
nous sommes donc bien équitables de for-
mer un tel jugement contre nous-mêmes.
Ainsi , l'orgueil renaît en nous de la vertu
même qui voulait le détruire , et quand
nous avons tant fait que de nous humilier,
il nous reste encore à craindre de nous en-
orgueillir de notre humiliation même.
Rendez-vous-y donc, je vous en conjure
per les abaissements de ce divin enfant hu-
milié, qui le demande de sa crèche; confor-
mons-nous à ce divin modèle, afin qu'il se dé-
charge plus abondamment sur nous de la plé-
nitude de grâces qu'il vient de puiser dans le
sein de son Père, et, de la bouche du cœur,
prononçons ces paroles si tendres : Spiritus
oris noslri Christus Dominus. (Thren., IV.)
0 le Dieu d'Israël, la charité tant désirée des
nations, vous voilà donc semblable à nous,
nos péchés et votre amour vous ont rendu
comme un de nous : Christus Dominus ca-
ptus est in peccalis vestris (ibid.) ; comme
la source de notre salut, nous adorons vos
1 rofonds abaissements , ils ont pour nous
une ombre de grâce qui nous charme , et
nous voulons nous cacher dans votre bien-
heureuse obscurité : In timbra tua vivemus.
Nous n'aurions jamais, sans votre exemple,
goûté l'humilité : elle a trop d'opposition
avec l'orgueil dont nous avons hérité de
notre premier père; mais maintenant tout en
vous nous le demande et tout nous y encou-
rage. Non, mon Sauveur, nous n'allons plus
chercher ni dans nos faiblesses, ni dans nos
infirmités, ni dans nos misères, des motifs
humiliants pour nous confondre. Hélas 1 il
s'en présente mille sans sortir de chez nous ,
et quel autre parti pourrait donc con-
venir mieux que celui des humiliations à
des pécheurs misérables qui par tant de
titres méritent l'enfer? Mais l'exemple de
vos humilations est le seul motif qui nous
entraîne, et, pouvant être touchés par la
honte dont nous avons en nous des sources
trop fécondes, y aurait-il de la bassesse,
mon Dieu, à être comme vous? et n'est-ce
pas la suprême grandeur du chrétien, puis-
qu'être anéanti c'est être ce qu'est le Roi
des rois : Spiritus cris nostri Christus cui
diximus : in umbra tua vivemus ? [Ibid.) Mais,
après avoir vu le modèle le plus parfait de
l'humilité chrétienne dans le Fils de Dieu
naissant: Invsnictis infantem, voyons en-
core le modèle le plus achevé de la mortifi-
cation évangélique dans les circonstances de
sa crèche : Pannis involutum et positum in
prœsepio ; c'est la seconde partie de ce dis-
cours, que j'abrégerai pour ne pas abuser
de vos at'entions.
SECOND POINT.
S'il était de l'obligation de l'Homme-D'eu
de s'humilier dans ses pensées pour guérir
notre orgueil, il n'était pas- pour lui d'un
moindre engagement de se mortifier dans
ses moindres actions, pour confondre notre
fausse délicalesse ; et lorsque d'une part, il
offrit à Dieu, son Père, le tribu! d'une hu-
milité parfaite pour la rébellion de notre
esprit, il lui devait faire hommage d'une
mortification rigoureuse pour les révoltes
de notre chair. En effet, la mortification est
au corps ce que l'humilité est à l'esprit;
autant celle-ci est nécessaire à l'homme su-
perbe, autant celle-là est indispensable au
corps délicat et sensuel; et, si par l'une
vous rentrez en possession de ce beau droit
que l'homme avait reçu sur ses pensées,
par l'autre vous réprimez l'empire que vous
aviez sur vos sens ; de sorte que , comme
par le péché le désordre s'était emparé de
toutes les parties de l'homme, et que la
partie inférieure est devenue maîtresse de
la supérieure, il fallait le remettre dans l'or-
dre. C'est pour cela que Jésus naissant a
voulu , par le concours de ces deux essen-
tielles vertus, rétablir l'union parfaite en-
tre le corps et l'âme , qui avait été rompue
par la désobéissance du premier homme
coupable. Et, comme rien n'était plus à
craindre pour l'homme que de donner son
cœur à la vanité quand il aurait donné ses
sens à la mollesse, et de cesser d'être humble
dès qu'il ne serait point mortifié, en consé-
quence de cela, ce Dieu de bonté, qui vou-
lait réparer les désordres de la nature hu-
maine et nous devenir un modèle universel
de sainteté, a voulu naître dans l'abaisse-
ment pour le réformer dans son esprit et
dans la misère. Ecoutez-le donc, ce divin
enfant qui vous crie de sa crèche : Assem-
blez-vous autour de moi qui suis une vic-
time; approchez-vous, et sur ce modèle et
en ma présence, oifrez aussi les vôtres : Acce-
dite, offerte victimas vestras. (II Parai. ,
XXIX.) Or cette hostie que Jésus-Christ
offrait à son Père avait deux principaux
caractères : elle était jeune, rien n'y était
épargné ; et voilà ce qu'il vous retrace au-
jourd'hui dans son berceau. Il s'y mortifie
sans délai dès qu'il entre dans le monde; il
s'y mortifie sans réserve et dans toutes ses
parties : voilà notre modèle, et sur son
exemple corrigeons les défauts de nos mor-
tifications. Il faut que, comme les siennes,
elles soient promptes, il faut qu'elles soient
entières; examinons par ces deux traits si
nous ressemblons à un si parfait modèle.
Je dis 1° mortification prompte : et ja-
mais aucune pouvait-elle l'être davantage
que celle de Jésus-Christ naissant? Mon
Père , dit-il , je ne fais que d'entrer dans le
monde, et dès le premier instant je prends
la place seul de toutes les autres victimes;
victimes qui, n'étant pas dignes d'apaiser
votre colère, ne pouvaient satisfaire pour
les péchés du genre huu:ain ; c'est pour cela
que je viens dans le monde : Ecce venio.
(Ilebr., X.) Ici je vous consacre les prémices
de mon cœur, les pensées de mon esprit et les
souffrances de mon corps ; laissez-le croître,
vous n'aurez pas longtemps 5 attendre; bien-
tôt ces membres si faibles s'affermiront pour
mieux résister aux outrages et aux coups;
122!
ORATEURS SACRES. LE P. SURIAN.
1-224
ces mains et ces pieds so fortifieront pour
mieux soutenir la piqûre des clous; ce sang,
si minime encore se multipliera dans mes
veines pour laver les crimes de tout le genre
humain ; cette chair si délicate s'endurcira
pour résister aux plaies meurtrières dont on
l'accablera, et je serai plus propre à servir
de victime à votre juste colère. Mais sou-
venez-vous que, dès maintenant, je \ous
fais un sacrifice de tout moi-môme, et, en at-
tendant ma mort, je commence à souffrir
dès le moment de ma naissance : Corpus
autan aplasli mihi ; tune dixi : Ecce venio.
(Hcbr., X.)
Pour connaître la vérité de ces promesses,
tous n'avez qu'à porter les yeux sur le ber-
ceau de Jésus-Christ, pour y voir le com-
mencement de ses mortifications et de ses
souffrances. Mais aperçoit-on dans les chré-
tiens d'aujourd'hui quelques traces de ce
divin modèle? voit-on quelques disciples
de cet adorable maître ? Où est le fidèle qui,
_dès les premières années de sa vie, com-
mence à se donner à Dieu et sanctifier son
corps par les mortifications et ia pénitence?
Hélas 1 on ne voit dans les jeunes gens de nos
jours que mollesse et sensualité. A quoi
s'occupent-ils? de quoi se remplissent-ils?
eh! plut à Dieu que ce fût des peines et des
premières souffrances de Jésus naissant ;
nous voudrions, de tout notre cœur, que ce
fût de ses exemples et de ses mortifications.
Mais il n'a pas cette consolation : ils n'ont
point d'autre objet que le plaisir, ils ne mè-
nent qu'une vie toute charnelle où les pas-
sions trouvent tout ce quelles demandent.
Cet état, véritablement consacré par les gé-
missements et les douleurs d'un Dieu, on
le regarde comme le temps le plus propre
aux plaisirs et aux divertissements; on se fait
un jeu du devoir le plus saint, on se fait une
licence de l'obligation la plus étroite. 11 sem-
ble que la pénitence et la mortification ne
conviennent point à cet âge, et qu'il suf-
fit d'être jeune pour se dispenser d'être
chrétien. O funeste illusion ! que vous en
avez perdu et que vous en perdez encore
tous les jours 1 11 faut donc que nos mortifi-
cations soient promptes et semblables à cel-
les de Jésus-Christ.
Mais ajoutons qu'il faut qu'elles soient en-
tière. Ce divin enfant n'est venu dans le
monde avec une ardeur extrême, que pour
s'y sacrifier entièrement et y changer en
des peines et en des mortifications conti-
nuelles, une félicité constante qu'il avait
dans le sein de son Père, et tout cela,
pour ne jamais s'en départir. Et quelle res-
triction aurait-il pu faire dans celte crèche,
où, pour toute compagnie il n'avait que
deux vils animaux, et pour tout secours que
la compassion impuissante de sa mère? Hé-
las 1 tout en lui est sacrifié, et aucun de ses
sens ni des parties de son corps n'y est épar-
gné; ses yeux y sont baignés de larmes, sa
bouche ne s'exprime que par des soupirs,
ses narines n'y respirent que l'infection
d'une étable, ses oreilles n'y sont frappées
bu;.1 des mugissements et des cris, son corps
tremblant de froid n'y repose que sur un
peu de paille, et, ce qui m'étonne davantage,
c'est que ce divin enfant, l'innocence mène
et la sainteté par essence, embrasse dès les
premiers moments de sa vie des mortifica-
tions si entières, et si constantes, et que
nous, qui ne sommes que corruption et que
] é hé, ne recherchions, après un tel exem-
ple, que les plaisirs de cette vie; que nous
ne nous étudiions qu'à flatter nos sens, et
que nous croyions qu'il nous soit permis de
nous accorder les plus grandes satisfactions.
Ei) ! que faites- vous donc? y pensez-vous,
lâches chrétiens? Quoi! un Dieu qui ne
vient au monde que pour vous servir de
ir.o.lèle, cominence par mortifier sa chair
délicate, et vous cherchez encore tout ce qui
flatte? Que serait-ce donc s'il fût né dans les
délices et au milieu de la sensualité? qu'y
a-t-il donc de ressemblant entre Jésus-Christ
et vous, entre la vie de ce divin enfant et
la vôtre? Tout en Jésus-Christ ressent la
mortification et la pénitence, et en vous tout
respire le plaisir et la sensualité; là règne
une mortification entière de tous les sens,
et ici règne une mollesse universelle dans
toutes les parties de votre corps. Car, dites-
moi, je vous prie, gens du monde, qu'e. t
votre vie? Examinez un peu le fond de votre
état ; qu'est-elle votre vie, qu'un usage con-
tinuel de vos sens? D'une part, la mollesse
s'introduit chez vous, de l'autre l'amour des
biens sensibles; ici vous n'êtes occupés qu'à
cultiver ou réparer une beauté fragile; là,
vous ne vous appliquez qu'à ménager une
santé délicate. Vous ne donnez tous vos
soins qu'à conserver, qu'à flatter votre per-
sonne ; vous ne consacrez tous vos désirs,
tous vos talents, tout vous-même, qu'à
trouver ce raffinement de délicatesse qui
contente vos sens et vous voudriez, s'il
était en votie pouvoir, ne jamais rien refu-
ser à ce corps que vous idolâtrez ; vous fai-
tes tous vos eil'orts pour le mettre à cou-
vert du côté de la pénitence, dont vous lui
épargnez les rigueurs, et du côté de la vo-
lupté, dont vous lui épargnez les remords.
Et cette mollesse enfin, qui vous occupe,
cherche à vous partager entre une trop
grande agitation qui vous fatiguerait, et une
trop grande oisiveté qui vous ennuierait.
Elle ne vous dit pas de courir après tous les
plaisirs, mais elle en veut quelqu'un qu'elle
puisse tranquillement goûter; elle ne veut
ni passions violentes ni douceurs insipides,
mais elle s'accommode de quelques vices
délicats, d'un repos agréable; elfe fuit les
excès et l'inaction qui épuisent ou qui affa-
dissent le corps, mais elle veut se tenir dans
une égale situation qui laisse goûter à l'hom-
me charnel ce qu'il y a de doux et de flat-
teur sans l'exposer à ce qu'il y a de dégoû-
tant et d'ennuyeux. Car, voilà ce qui s'ap-
pelle la mollesse de notre siècle, inconnue
peut-être aux âmes vulgaires et au commun
des chrétiens, mais hélas ! trop connue aux
riches, aux grands et aux sages du monde.
D'une autre part, que demandent vos sens,
que respirent-ils autre chose que la jouis-
1225
SERMON SUR LE JUGEMENT DERNIER.
sauce d'une vie heureuse; le nécessaire ne
vous suffit pas, il vous faut le commode ; le
revenu des peuples et du rovaume suffirait
à peine pour vous donner vos aises et four-
nir à vos vaines superfluités ; vous portez
vos yeux auxspectacles les plus réjouissants,
aux représentations les plus agréables, à
tous les objets les plus divertissants. Las des
assemblées tumultueuses, vous vous resser-
rez dans les cercles les plus délicats, vous
ne vous délassez d'un plaisir que par un
autre ; tout ce qui ressent la joie a des attraits
pour vous, et vous ne voulez rien qui vous
contraigne et qui vous mortifie; tout ce qui
est sérieux vous paraît triste, tout ce qui est
de devoir vous accable; si vous travaillez,
ce n'est que la contenance seule qui vous
amuse ; si vous lisez, votre lecture n'est
qu'un amusement ; si vous priez , votre
prière n'est qu'une habitude;si vous fréquen-
tez les sacrements, votre piété superficielle
n'est qu'une pure bienséance pour tranquil-
liser votre conscience; si vous méditez, ce
n'est que sur la manière de vous rendre
heureux; vous passez du sommeil au repas,
aux promenades, des promenades au jeu,
des plaisirs du jour à ceux de la nuit, et on
peut dire que toute votre vie n'est qu'une
mollesse continuelle; vous en faites l'apa-
nage de votre condition, le privilège de
votre état et de votre rang. Mais com-
ment l'entendez-vous, chrétiens sensuels
et immortifiés? une telle disposition est-elle
digne de ce Dieu? Enfant couché dans une
crèche, lui ne paraît que dans une disposi-
tion de souffrances, do pleurs, de mortifica-
tions; et vous, dans une disposition de plai-
sirs, de joie, de consolations : où est donc
la préparation que vous avez avec lui par
cette vie molle, sensuelle, toute naturelle
que vous menez dans le monde? Montrez-
nous la conformité qui se trouve entre le
membre et le chef; est-ce donc répondre à
cet état de souffrances et de mortifications
auquel, par votre vocation, vous avez été
destinés? In hoc vocati estis. (IPetr., II)
Est-ce là suivre Jésus-Christ dans les traces
de son sang et de ses souffrances? Par vos
mœurs sensuelles ne rendez-vous pas vos
rapports faux, et tous les caractères d'un en-
fant de Dieu ne sont-ils pas anéantis en
vous !
Vous pensez peut-être, malgré votre mol-
lesse, conserver encore quelques traits de
ressemblance avec ce divin original ; mais
comparons encore une fois l'état d'un homme
licencieux avec celui de cette sainteté morti-
fiée. Votre vie qu'est-elle autre chose qu'une
monstrueuse différence avec celle de Jésus-
Christ, et un excès abominable de difformités
et de contraditions avec son Eglise et avec sa
naissance? Quoi 1 votre vie, tout opposée
qu'elle est à celle de ce divin enfant, vous
i;
12'25
araîtrait encore innocente? et où est donc
e crime, si votre mollesse ne l'est pas, et
qui voulez-vous qui vous damne si votre
sensualité ne vous damne pasl
Ah ! où en êtes-vous donc, gens du monde,
lâches chrétiens? Rendez-vous donc à une
invitation si pressante pour vous laisser tou-
cher, il ne faut qu'ouvrir vos cœurs à ce qui
se passe dans la crèche de ce berceau. Quoi 1
tant de démarches qu'il fait pour vous atti-
rer, tant de misères, tant de soupirs, tant de
larmes, ne pourront-ils donc ici triompher de
la dureté de vos cœurs charnels ? Ah ! ils en
triomphent, Sauveuraimable, et je me rends
aujourd'hui ; recevez, Dieu de miséricorde,
une âme infidèle qui revient à vous dans la
sincérité de son cœur; depuis trop long-
temps vous m'appelez et jusqu'ici j'ai tou-
jours résisté, mais je cède enfin à la vue des
mortifications de votre crèche. Je ne puis
plus soutenir le poids d'une charité si abon-
dante et si tendre; j'étais si endurci que
rien n'avait pu me détacher de mes sens, et
tous vos autres mystères m'avaient parlé
d'une voix aussi tendre que faible ; mais je
ne puis plus tenir contre la voix si touchante
d'un Dieu enfant né 1 Voici donc qu'aux pieds
de votre crèche, ô mon Dieu, où je viens
prendre la résolution ferme de vous imiter
et de me rendre conforme à vos divins
exemples ; voici que, sincèrement converti à
vous, je renonce a tous les plaisirs, à toutes
les joies, à toute la mollesse, que jusqu'ici
j'avais tant recherchés, et à la place, je prends
les mortifications et les souffrances , et ia
pénitence en partage : je veux y vivre et y
mourir et ne veux point d'autre état que
celui où je vous vois dans la crèche ; mais,
faible comme je suis, que ne dois-je pas
craindre de mes résolutions? Soutenez-les, 6
mon Dieu, et que ne dois-je pas attendre de
vos miséricordes, à la vue des humiliations
de votre naissance, à la vue des mortifica-
tions de votre crèche? Je vous en conjure,
mon aimable Sauveur, au nom de ces san-
glots si profonds, de ces soupirs si tendres,
de ces larmes si amères, de ce cœur si bon ;
au nom de ce berceau où j'étais venu vous
adorer, de cette enfance douloureuse où se
consume votre amour; au nom de votre
amour lui-même, qui n'a en vue que moir
salut, rendez fermes et inébranlables les
projets que je fais aujourd'hui pour l'humi-
lité et pour les mortifications, pendant tout
le reste de ma vie ; vous me l'avez inspiré
par les anéantissements et les souffrances de
votre naissance, consommez, grand Dieu,
votre ouvrage, jusqu'à ce que ce Dieu anéanti
et mortifié qui se propose à moi, en ce jour,
pour exemple sur la terre, fasse un jour dam,
le ciel ma joie, ma gloire et ma félicité
éternelle. Je vous la souhaite,! au nom du
Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. Amen.
SERMON SUR LE JUGEMENT DERNIER.
Cum venerit Filius hominis in rrujestate sua el omnes
angeli cum eo, tune sedebil super sedem majestalis sus,
etc. (Matin., XXV.)
lorsque le Fils de l'homme viendra dans tout l'éclat de
Orateurs sacrés. L.
sa majesté et accompagné de ses- anges, alors il s'assiéra
sur son trône, et toutes les nations assemblées paraîtront
devant lui.
Malheur à nous, mes frères, si, pour nous
39
1227 ORATEURS SACRES
épargner des alarmes salutaires, nous éloi-
gnons de notre esprit les terribles circons-
tances de l'avènement du Fils de l'homme ;
mais, malheur plus grand encore, si, n'y
arrêtant que nos pensées, nous n'y allons au-
devant d'un objet plus digne de notre conster-
nation nous-mêmes au tribunal de Jésus-
Christ.
Ohl quelle foule de réflexions accablantes!
quel état plus capable de nous faire appré-
hender le jugement de Dieu? Eh! qu'im-
porte à un chrétien que le monde périsse
ou qu'il demeure; que les astres brillent ou
qu'ils s'éteignent; que la terre s'ébranle ou
qu'elle soit fixe, lorsque l'idée de ce que
nous serons tombés sous la puissante main
de Dieu se présente aux yeux de notre foi?
Ce tableau si animé que nous trace le doigt
de la vérité même, du monde emporté dans
une ruine générale, doit vous toucher assez
faiblement. Ce monde est assez corrompu,
perfide et infidèle pour ne pas mériter nos
regrets, eu égard à ses misères et à son néant ;
nous pouvons tranquillement attendre sa dé-
cadence et son bouleversement; mais nous-
mêmes, aux pieds de Jésus-Christ, recueillons
avec bien plus d'effroi tous ces prodiges en-
semble : notre raison éclipsée et éteinte,
notre esprit dans une confusion et dans un
désordre inconcevable, des remords violents
qui déchireront notre âme, des taches qui
paraissent dans nos vertus les plus pures, le
sépulcre infecté de notre conscience ouvert,
un cœur qui se défend et se brise, et par-
dessus tout cela l'œil de Dieu qui nous exa-
mine, le bras de Dieu qui tonne sur nous,
voilà par quel endroit le jugement dernier
doit nous paraître terrible, et par où, l'envi-
sageant en nous-mêmes, j'ai résolu de vous
l'exposer aujourd'hui.
Suspendez donc vos cupidités, rappelez-en
toute votre attention pour ne la donner qu'à
ce seul spectacle, à vous-mêmes jugés par
Jésus-Christ. Votre crime est ici de n'être
à Dieu ni dans la vérité ni dans la justice;
mais alors votre malheur sera de lui être
assujettis dans toutes deux : Judicabit orbem
terrœ in veritate etjustitia. (Psal. IX.) Sen-
tez-vous tout le poids de ces deux paroles:
il jugera le monde dans la vérité et dans la
justice? Jugé dans la vérité, que l'examen en
sera donc sévère ! in veritate ; premier point.
Jugé dans la justice , in justifia ; que la con-
damnation en sera donc rigoureuse ! vous la
verrez dans le deuxième.
Vous, ô mon Dieu ! alors juge implacable,
juste vengeur, ici encore pasteur compatis-
sant, père tendre, Sauveur miséricordieux,
si vous nous aimez encore, ah! ébranlez-
nous par vos terreurs salutaires, troublez
ce repos funestequi se terminerait au dé-
sespoir: qu'à l'idée de vos justices nos cœurs
sentent tout à la fois ces impressions éton-
nantes, s'ils ne sont pas plus endurcis que
les rochers qui se brisent , plus pesants
que la terre qui tremble devant vous, plus
morts, hélas ! que les morts mômes qui re-
vivent en vos yeux; que tout en nous se re-
nouvelle par la pensée d'un avènement qui
. LE P. SURIAN. ^23
doit tout renouveler; et, afin que le juge-
ment dernier ne nous soit point funeste,
alors qu'il soit ici formidable pour nous. De-
mandons, mes frères, l'assistance dont nous
avons besoin par l'intercession de Marie. Ave,
Maria.
PREMIER POINT.
Dans la vision qu'eut Daniel du jour au-
quel le Seigneur jugera la terre, ce qui l'ef-
fraya davantage, c'est qu'il lui parut que la
vérité serait humiliée sur la terre, qu'elle
reprendrait le dessus et paraîtrait triom-
phante : Prosternetur veritasin terra, pros-
perabitur. Maintenant, dans la bouche du
pécheur, où prévaut le mensonge, elle est
captive, et dans ses jugements il ne l'appelle
ni pour régler ses sentiments, ni pour me-
surer dans son âme la profondeur de ses
iniquités, ni pour peser les vertus mêmes;
mais la vérité, qui ne peut ici se plaindre
de l'injuste procédé que tient le pécheur et
du mépris qu'il fait d'elle, avec quelle sévé-
rité le jugera-t-elle au tribunal de Jésus-
Christ 1 Comme dans l'Ecriture il est dit
qu'afin qu'un jugement ne soit pas inique,
il faut y apporter la règle, la mesure et les
poids, aussi la vérité, reprenant ces trois
caractères, formera contre le pécheur la dis-
cussion la plus affreuse. Et comment ce pé-
cheur, qui aura suivi ici les maximes les plus
fausses, pourra-t-il se soutenir quand son
juge terrible l'examinera sur la règle de la
vérité? Judicabit in régula (Levit.f\lX); com-
ment ce coupable, qui s'aveugle ici par le nom-
bre et l'énormilé de ses crimes, pourra-t-il se
souffrir quand Jésus-Christ lui en découvrira
la mesure? Judicabit in mensura (Ibid.);
comment, enfin, le pécheur, qui se rassure
ici par la vue de quelques bonnes œuvres ,
ne succombera-t-il pas quand Jésus-Christ,
les mettant dans la balance de la vérité, lui
en fera sentir le vide et le défaut ? Judicabit
in pondère (Ibid.). Ah 1 que ces trois discus-
sions sont désolantes! heureux qui les fait
aujourd'hui sur lui-même pendant qu'elles
peuvent lui être encore salutaires; il ôte par
ce moyen au jugement toutes ses terreurs.
Première discussion. Jésus-Christ appli-
quera la règle de la vérité. Ne croyez point
que cesoitmoi qui vous accuseauprèsde mon
Père, dira-t-il; alors d'autres vous accuse-
ront avant moi. Moïse, c'est-à-dire la Loi, est
pour les Juifs, et l'Evangile pour les chré-
tiens , et là-dessus saint Augustin nous
donne ce grand principe : que Dieu^ne vou-
lait point laisser l'homme sans règle; après
nous l'avoir offerte dans ses paroles et dans
ses actions, il nous l'a donnée dans son
Evangile ; c'est dans ce supplément de ses
œuvres que la vérité est sans cesse exposée
au chrétien comme la règle invariable de sa
perfection : celui qui s'y conforme [tendant
sa vie n'a que paix et bénédiction à attendre
au dernier jour : Pax super illos. (Galat.;V\.)
Mais pour vous, qui lui préférez les erreurs du
inonde, les illusions de vos coutumes, l'éga-
rement de vos passions, 7es maximes du siè-
cle, ah! quel sera votre malheur! Comme
autrefois la Loi fut miseà côté de l'arche sainte
1Î&9
SERMON SUR LE JUGEMENT DERNIER.
12:0
ooury servir un jour de témoignage contre
les enfants d'Israël, de même aussi l'Evangile
sera mis entre les mains de notre juge pour
y servir d'accusateur aux mauvais chrétiens:
Ponite librum illum ut sit ibi contra te tes-
limonhvn. (Deut., XXXI.)
Et en effet, ayez le courage une seule fois
de vous voir et de vous juger sur cette règle
sainte formée sur la vie de Jésus-Christ.
Cette règle ne parle que du mépris des faux
biens de la terre, et vous ne témoignez d'ar-
deur que pour les posséder; cette règle dé-
teste les folles vanités et la fausse gloire du
siècle, et tout respire en vous ses honneurs
et ses distinctions; cette règle ne cesse de
frapper d'anathème le monde, et vous avez
toujours été enivrés de ses divertissements
et de ses j ompes; cette règle ne proche que
mortification, que voie étroite, que péni-
tence, et toute votre vie n'est qu'un cercle
continuel, de plaisirs, de mollesse, de sen-
sualité de raffinements et de délicatesse;
cette règle ne parle que de dépouillement et
d'abnégation, et vous faites votre dieu de
vos richesses, et de votre corps votre idole ;
cette règle, toute de charité, ne connaît de
grandeur que dans le pardon des injures, et
vous ne méditez que des pensées de haine,
d'animosité, de vengeance ; cette règle ca-
nonise les souffrances, les maladies, les tri-
bulations, les croix de cette vie, et vous met-
tez tous vos soins aies fuir, à les écarter,
jusqu'à murmurer môme contre la provi-
dence miséricordieuse qui vous les distribue;
celte règle vous dit de n'envisager les biens
de ce monde que comme des regards heu-
reux d'une providence plus favorable, et
vous ne les regardez que comme des ins-
truments de luxe , de débauche et de li-
bertinage ; enfin, tout considéré en vous,
cette règle de vérité mise auprès de vos
maximes et de votre conduite, n'y trouvera
qu'un effroyable amas de contradictions; là
où il faudrait une parfaite conformité, elle
n'y trouvera rien que de dissemblable et
un conflit perpétuel de pensées monstrueu-
ses.
Ah I pour lors, que se formera-t-il dans
votre Ame ? que de vérités s'y démentiront !
quel changement! quelle surprise! quels
rayons y seront évanouis! Les rangs, les
étals, les grandeurs, les richesses, aujour-
d'hui dans un si grand jour, disparaîtront,
et on n'en reconnaîtra pas même les traces.
Que deviendra la figure de ce monde qui
nous trompe? le brillant de ses honneurs
qui nous éblouit? Que deviendra ce fantôme,
cette fiction du siècle qui nous joue? Mon
Dieu, quelles ombres tirera alors la vérité
victorieuse de dessus nos yeux ?Que le bril-
lant des richesses y paraîtra sombre 1 que
l'éclat des honneurs y paraîtra faible! que
les maximes des sages du siècle y seront
confondues! qu'on y fera peu de cas de ces
distinctions et de ces prééminences dont la
vanité fait des images si imposantes ! Le char-
me venant une fois à se rompre et le système
à se démentir, que vous aurez de honte de
vous voir détrompés! Qu'on sentira se ras-
surer les choses humaines que maintenant
nous regardons comme trop grandes; qu'a-
lors la fausse félicité du siècle se soutiendra
peu ! Enfin , quand le voile sera levé et que
tout sera rapproché de la règle de la vérité
lumineuse, que là ce qui nous éblouit, ici
ne nous servira qu'à nous éclairer sur le
vide et le néant du monde; qu'on se plain-
dra ! qu'on voudra de mal à ce faible cœur
qui s'y e.vt laissé prendre et qui n'a pas eu
la force de résister à ces enchantements!
Plaintes inutiles, réflexions vaines ! Alors,
étonnés de votre aveuglement, vous aurez
beau vous écrieravec le Prophète : Seigneur,
ayez pitié de mon âme (IV Reg., I), elle n'était
pleine que de vents et d'illusions; il ne sera
plus temps; il faudrait dès à présent vous dé-
faire de ces faux jugements que vous portez
des choses de la terre, de cet art malheureux
d'accommoder l'Evangile avec le siècle et le
salut avec les passions; de cette licence fu-
neste de s'accorder tout ce qui plaît, tout ce
qui flatte, il faudrait réformer tout qui, ce jus-
qu'ici, vous a servi de règle dans voire aveu-
glement; il faillirait juger présentement de
toutes choses, non sur les opinions des mon-
dains, qui sont des erreurs, non sur leurs
exemples, qui sont des pièges , non sur
leurs coutumes, qui sont des précipices ,
mais sur la règle immuable que Jé^us-Christ
vous a laissée dans la vérité de son Evan-
gile; ^ar cette règle subsistant seule dans
votre âme sur les débris du monde, elle y
brisera tout ce qui ne lui est point conforme;
vous sentirez en vous que nulle flatterie,
nulle interprétation, nul adoucissement d'a-
mour-propre et de mollesse n'aurait rien
pu contre l'Evangile; que si tout ce que
vous aurez fait a pu combattre cette divine
règle, jamais vous n'aurez pu l'affaiblir ni la
changer, et qu'il en sortira un trait de lu-
mière qui portera la frayeur jusquedans le
fond de vos cœurs, et qui la vengera de l'é-
ternelle contradiction que vous yavez appor-
tée : Eril in te vindicuns. Oh! le comprenez-
vous bien ce pitoyable état où vous serez
réduits au jugement qui se fera de vous par
l'Evangile ?
Mais ainsi, jugés dans vos pensées par
l'infaillible règle de la vérité, peut-être vou-
drez-vous vous retrancher sur des pratiques
plus chrétiennes : faible ressource. Mous
croyons être parfaits lorsque nous agissons,
et Jésus-Christ jugera nos œuvres et le nom-
bre de nos offenses sur la mesure de la vé-
rité, et de là cette multitude affreuse de pé-
chés qui va vous effrayer : Judicabit in men-
sur a.
On est surpris de voir David, cet homme
fidèle, qui mettait toute sa force et sa con-
fiance en Dieu, s'écrier : Ah ! Seigneur, qui
est l'homme qui puisse connaître toutes les
offenses qu'il commet contre vous?De grâco
ne m'imputez point celles qui me sont ca-
chées, et me pardonnez les péchés dont jo
puis avoir été la cause : Delicta quis intelii-
(jit ? ab occultis meis manda me. et <ib alienia
parce serro tuo. (Psal. XVIII.) Quelle vue a
donc mis en lui ce transport ? C'est, mes
12*1
ORATEURS SACHES. LE P. SURIAN.
1W2
frères, qu'il venait de chercher ses fautes
dans lui-même et dans les autres; pour lui
il craint son coeur qui demande une fidélité
et une vig lance continuelles, et pour les
autres il craint les dignités qui obligent à
des exemples édifiants et à une circonspec-
tion scrupuleuse ; et voilà ce qui l'effraye et
ce qui lui fait dire : Seigneur 1 si vous vou-
lez que je me rassure, effacez en moi les
iniquités que je ne connais pas, et ne comptez
point celles que les autres ont commises par
ma faute : Delicta, etc.
C'était un roi pénitent, qui, entrant en
jugement avec lui-même, ne pouvait se
souffrir. Et comment donc, pécheurs misé-
rables, pourrez-vous soutenir votre propre
vie au jugement de Dieu? Ici votre âme,
toujours répandue au dehors, peut-elle s'a-
percevoir de ce qui se passe au fond de sa
conscience? Mais alors, tout fondant sous
elle et Dieu lui enlevant tous les objets qui
l'amusaient, celle âme malheureuse sera for-
cée de se voira découvert, et l'impie, aux
termes de l'Ecriture, se trouvant produit lui-
même à lui-même, tous ses crimes lui seront
révélés: Tune revelabiiur impius ; 'ici le péché
nous aveuglant et nous blessant, il est tout
à la fois le glaive qui fait la plaie et le ban-
deau qui la couvre, et comme cet ange de
Laodicée , nous sommes des aveugles et des
misérables dans le temps même que nous
nous croyons riches et clairvoyants : Nescis
quia tu es miser et cœcus et nudas.(Apoc, M.)
Quand maintenant on se donne en spectacle à
tout le monde par ses égarements, on ne
se voit pas soi-même ; tous les yeux sont
ouverts sur nos défauts, il n'y a que nous
qui ne les connaissons pas, et l'amour-propre
répand sur toutes nos actions des triages si
épais que nous ne saurions en apen evoir la
difformité; mais alors vous découvrirez mille
monstres hideux que vous renfermiez dans
votre sein, vous trouverez toute l'irrégula-
rité de votre conduite, et cette énigme qui
enveloppe tant de maux sera clairement
expliquée: Tune reveîabitur impius; ici le
démon, profitant de vos cupidités échauffées,
vous aveugle sur une longue suite de pé-
chés qu'elles entraînent après elles; si vous
êtes ambitieux, il vous laissera voir que
c'est le vice des grandes âmes; il jette un
voile sur les injustices, sur les faux rapports,
sur les folles dépenses que vous faites; mais
alors Dieu vous révélera .tous les crimes
cachés, tous les pas, tous les mouvements,
toutes les suites, toute la marche de vos
liassions, et que ce spectacle d'iniquité vous
a passé comme une deuxième nature : Tune
reveîabitur impius ; maintenant qu'osant
vous examiner, vous ne comptez point les
transgressions légères; vos chutes ne vous
eil'rayent point si elles ne sont mortelles; il
faut pour vous alarmer des abîmes d'iniqui-
tés; ici, toujours la mesure à la main, vous
étudiez avec soin jusqu'où l'on peut aller
sans offenser Dieu mortellement; mais alors
qu'un regard, je ne dis pas de ceux qui don-
nent la mort à votre innocence, mais un
regard trop libre et trop vif; que tous ces
mensonges, non pas de ceux qui attaquent
la charité, mais ces mensonges officieux qui
la refroidissent ; que toutes ces paroles, je
ne dis pas celles qui blessent la pudeur,
niais inutiles ou peu chrétiennes; que ce jeu,
je ne dis pas cette passion qui transporte, ni
ce hasard monstrueux qui fait ] âlir jus-
qu'aux spectateurs indifférents, mais de ce-
lui dont on fait un amusement et dont la
moindre perte est toujours celle du temps;
que cette vanité, je ne dis pas cellr qui vous
emporte aux plus ambitieux projets et au
luxe le plus immodéré, mais celle qui peut
naître en vous d'une pratique de vertu; en
un mot l'omission du bien comme la pra-
tique du mal, votre négligence à l'égard des
grâces de Dieu comme l'abus que vous en
avez fait; le superflu que vous ne donnez
pas comme celui qu'on vous arrache, et
mille autres transgressions légères que vous
accumulez sans crainte dans votre âme et
qui ne sont point assez sensibles dans le
détail , tout cela aura enrichi les trésors de
la colère de Dieu et allumé sur vous le feu
de sa vengeance : Tune reveîabitur iniquus.
(II Thess., H.) Enfin, je sais que les égards
vous sont dus, grands du monde, riches de
la terre : mets délicats, liqueurs précieuses,
vêtements superbes, tra;ns magnifiques,
équipages pompeux, meubles brillants, com-
merce réjouissant, lectures agréables, sou-
vent de grands plaisirs, rien ne vous manque;
nulles mortifications, nulles violences, nulles
incommodités; vous souffrez cela sans
alarmes; encore quelques moments et, aux
pieds de Jésus-Christ, votre juge, vous ap-
prendrez que c'en est assez pour être damné,
que rien plus n'a réprouvé le mauvais riche,
que sa vie n'était qu'heureuse , que cepen-
dant elle a été trouvée digne de l'enfer;
qu'une conduite vide de bonnes œuvres
comme remplie de crimes entre dans le ju-
gement de Dieu , et que le serviteur inutile
est jeté au feu comme le serviteur infidèle.
Sur ce principe, que deviendra tout ce qui
forme aujourd'hui le monde? où ira ce
nombre infini d'âmes mondaines, qui vivent
peut-être sans connaître, sans croire, sans
pratiquer ces importantes vérités ? quelle
place occuperont tant de chrétiens oui ne
s'examinent presque jamais et qui ne le font
que superficiellement, à la hâte? où en
serez-vous, vous-mêmes, chrétiens qui m'é-
coutez ? je vous le demande. O tribunal
terrible du Dieu vivant, quelle foule de cou-
pables victimes gémiront autour de vous!
anges, ministres sévères des dures ven-
geances du Seigneur, que vous ferez cou-
ler de sangl que vous immolerez de vic-
times !
Mais la mesure de la vérité n'a passé en-
core que sur vos péchés personnels ; outre
ceux que vous aurez commis en votre propre
et priv? nom par les mouvements déréglés
de voire concupiscence, Jésus-Christ vous
demandera compte des péchés qui ont ré-
veillé celle d'autrui ; il vous rappellera tant
d'âmes innocentes dont le salut lui était
cher et que vous avez séduites, que vous
*2"
SERMON SIR LE JUGEMENT DERNIER.
1234
avez perdues par vos scandales , par vos mé-
disances envenimées/par vos discours licen-
cieux, dans le cœur de qui vous avez intro-
duit vos mêmes passions, à qui vos dérè-
glements ont ravi peut-être avec leur inno-
cence le prix du sang du Rédempteur ; enfin
vous répondrez de tous les maux que vous
avez laits et que vous avez fait faire ou laissé
faire. Dites-nous : David n'avait-ii pas rai-
son de s'écrier : juge terrible, l'Ame la plus
P'ure si vous la traitez à la rigueur, elle est
perdue! Qui pourra donc se soutenir devant
vous, quand vous examinerez dans la mesure
de votre vérité nos olfenses ? Mais vous,
chrétiens, avez-vous raison, convaincus de
ces terribles vérités, de ne travailler pen-
dant cette vie qu'à mettre sous l'œil de
Dieu offenses sur olfenses? avez-vous raison
de ne faire par toutes vos pensées, par toutes
vos actions , que vous accabler, que vous
nuire, que chercher votre perte, que dicter
pour ainsi dire vous-mêmes votre sentence?
Etes -vous sages de courir de toutes vos
forces au malheur que vous déflorez, et de
ne faire autre chose que de vous avancer
ces grandes menaces par toute votre con-
duite, de ne faire en un mot de toute votre
vie qu'un grand péché et une iniquité uni-
verselle? Vous ne le sentez pas, mais com-
bien sont déjà jugés qui ne le sentaient pas
plus que vous: Erat involutus liber (Ezech.,
II); comme vous, pendant la vie ils se conten-
taient de porter ce livre mystérieux sans
jamais l'ouvrir et y regarder; mais quand à
la mort, la main de Jésus-Christ développera
ce livre fatal : Expandit illum coram me qui
crat scriptus intus el foris (Ibid.), vous trou-
verez qu'au dedans et au dehors, par rapport
à vous-mêmes comme à l'égard du prochain,
tout n'y parle que de vos crimes, et que
cette manifestation sera suivie des plus
horribles malédictions, que de votre ruine
et de votre perte : et scripta erant in eo la-
mentaliones et carmen et vas et perdilio et
mors. (Ibid.)
Mon Dieu! ces paroles, comme un effroya-
ble tonnerre, ne devraient-elles point tirer le
monde de sa léthargie, réveiller les hommes
de ce mortel assoupissement qui les tient
dans le crime? S'il y a quelque chose de
plus terrible encore," n'est-ce pas de voir
combien peu d'impression elles font sur vos
cœurs? N'est-ce pas de voir que, ou vous ne
les croyez pas, ou qu'en les croyant vous
vous en jouez; laquelle de ces extrémités
vous paraît la moins affreuse?
Mais, pour couvrir la multitude de vos ini-
quités, je sais quel rayon d'espérance vous
donnent vos bonnes œuvres; examinons-les
donc, ces œuvres; mais laissons faire à Jé-
sus-Christ cet examen, et que sa vérité qui
a mesuré vos péchés pèse encore vos mé-
rites : Judicabit in pondère ; c'est la troisième
discussion.
Oui, le seul à qui il appartient de juger
des offenses et de la réparation qu'on en a
faite, prendra le poids et la balance, et ce
poids est celui de la vérité; et alors, élevé
sur son redoutable tribunal, il pèsera vos
crimes et tout ce que vous avez fait pour les
expier ; et si autrefois rien n'était plus ri-
goureux que le poids du sanctuaire tempo-
rel, que plus terrible encore sera le poids
du sanctuaire éternel 1 Ici le monde et les
hommes sont faux dans leur balance ; mais un
Dieu lui-même pèsera toutes choses au poids
de son immuable vérité : Assumet slateram et
pondus. (Ezech. ,V.) A ce poids, votre pénitence
sera légère, vous l'avez faite sans larmes,
sans regrets, sans componction, et c'était
moins une expiation qu'un amusement; à ce
poids, vos aumônes sont vides; elles ne
viennent que de l'orgueil et de la vanité; à
ce poids vos prières seront trouvées vaines,
c'est l'ostentation qui les produit ; il n'yava.t
nul sentiment du cœur, nul amour de Dieu,
nulle onction , et dans la main de Dieu il n'y
aura que les crimes qui seront pesés, et les
vôtres y seront marqués; à ce poids seront
rejetées toutes vos componctions; la négli-
gence et la tiédeur vous y font marquer
votre jugement avant même qu'il s'exécute ;
à ce poids, toutes ces vertus uont vous vous
prévalez et sur qui vous fondez toutes vos
espérances, demeureront sans valeur et j a-
raftront détestables aux yeux de Dieu ; peut-
être que votre piété n'y paraîtra qu'un amour
naturel de l'ordre, votre sagesse, que l'effort
d'un heureux tempérament; votre modéra-
tion, qu'une probité mondaine; votre vertu,
que l'effet d'une humeur sauvage; votre zèle,
que la production d'un esprit inquiet et en-
tre; renant; votre charité, qu'un trafic; l'or-
gueil qui préfère le plaisir de donner ; ici
encore votre Juge descendra avec son poids
jusqu'au fond du cœur pour le just.fier,
s'il est possible, et ce cœur pesé fera con-
naître que les principes qui l'ont fait agir
sont faux. Vous reconnaîtrez que tout le
cercle de ces pratiques extérieures, dont l'a-
mour-propre amusait votre pénitence et
qu'elle vous faisait paraître grandes, n'était
qu'un spectacle vide et stérile d'oeuvres
saintes , en api arence , mais corrompues
dans leurs motifs, où Jésus-Christ n'entrait
pour rien, et que là où vous croyiez ferveur
et charité, il n'y avait rien que des vues
basses et terrestres.
Ainsi, quand JNabuchodonosor forge sa
stalue, il se la représente toute d'or; mais
quand Dieu la lui fait voir en songe, elle lui
parait toute de boue. Enfin, cœurs hypo-
crites, quand vos vertus seront mises clans
cette balance, vous verrez que tout est faux
en vous, que vous ne faisiez qu'appeler votre
conscience à vos ( assions, accommoder votre
religion à vos intérêts; que toujours cachée h
vous-mêmes et aux autres, toute votre vie
n'était qu'un pieux artifice, qu'une imposture
universelle, et que vous trompant à votre
balance, vous n'avez pu rien changer au poids
de Dieu, et que vous ne pèserez point assez
juste dans sa balance , où tout sera pesé , et
vous ne trouverez rien moins en vos préten-
dues bonnes œuvres que ce que vous en es-
périez : Appensus es in statera et invuntus
es minus habens. (Dan., V.)
Ah! plût à Dieu que nous fussions caj>a-
i?,7>l
ORATEURS SACRES. LE P. SLRIAN.
1250
blés de sentir des extrémités si affreuses , et
que le pécheur, tout effrayé de tant de re-
lierions épouvantables, peut se dire en lui-
même : Hélas 1 que deviendrai-je alors? Dans
tout ce qui s'offre en moi de meilleur, il n'y
aura rien qui puisse rassurer mon âme juste-
ment effrayée, rien qui soit capable après tant
de péchés d'apaiser mon Juge ; ces œuvres qui
me paraissaient bonnes et que je destinais à
réparer mes désordres, seront elles-mêmes
des offenses; je verrai dans le trésor des ini-
quités ce que je croyais au nombre des jus-
tices; j'apercevrai dans les mains , de Dieu
toutes mes vertus fondre, s'anéantir; je verrai
peut-être mes confessions , mes commu-
nions toujours fausses, toujours vaines; tou-
jours pécheur, toujours le même, toujours
de nouveaux abus de la grâce , toujours de
nouvelles profanations desdivins sacrements,
toujours des sacrilèges que j'entasse et que
je joins à ce qu'il y a de plus énorme dans
ma vie. Ah! je ne vais donc exposer aux
pieds de mon Juge qu'une âme toute vide de
pénitence et pleine de passions.
Ah! si toutes les pensées de votre esprit
et les mouvements de vos cœurs devenus
sensibles pouvaient se faire entendre , j'en-
tendrais de toutes parts sortir de votre bouche
ces paroles de Job : Pondus ejus ferre non
potui (Job , XXXI) ; je sens bien que je ne
pourrai soutenir le poids de sa justice; mais
je sais ce que je ferai : sed judicem meiun de-
precabor (Job, IX) ; je ne lui répliquerai rien,
mais je le prierai, j implorerai ses miséricor-
des. De même n'en attendez plus alors, pé-
cheurs ; la justice qui n'a point de bornes en
recevra de vos péchés; et Jésus-Christ qui
vous a examinés selon sa vérité, vous con-
damnera selon sa justice : in justilia. C'est
l'autre partie de ce discours.
SECOND POINT
Le comble des misères du pécheur, au
jour des vengeances du Seigneur, sera l'ap-
plication de ces deux justices que l'Ecriture
distingue en Dieu : une justice d'équité et
une justice de peine ; l'une qui le justitie des
maux qu'il est forcé de faire , l'autre qui le
venge des maux qu'on lui a voulu fa:re ;
car, 1° Dieu vous convaincra que vous êtes
seul cause de votre perte, et que nul des
prétextes que vous pourrez alors alléguer,
ne sera reçu, et de là cette justice d'équité
qui vous confondra; 2° parce que vos crimes
sont d'une malice infinie; Dieu alors vous
punira dans toute la rigueur de ses ven-
geances, et de là cette justice de peine qui
vous accablera. Ainsi pécheurs, vous présen-
tant sous la robe de pureté , devant votre
Juge, vous y serez d'abord confondus, puis
accablés par la justice de Jésus-Christ. Don-
nons à ces deux considérations toute l'éten-
due qu'elles demandent.
Et d'abord, quoi de plus capable décharger
de confusion les pécheurs que ce qu'il leur
adresse par son Prophète? Vous voilà devant
moi, entions en jugement l'un avec l'autre :
Rcduc me in memoriam et judicemur simul.
(Isai., XLI1I.) Voyons si vous avez quelques
excuses àua'apporteretsi elles sont valables :
Narra si quid habes ut justificeris (Ihid.) ; et
moi, sans vous appeler à mes conseils, j'entre-
rai en jugement avec vous, et quand il n'y au-
rait que parce que vous vous croyez sans péché
et que vous vous dites innocents, c'en serait
assez pour vous rendre coupables a mes
yeux : Ecce ego judicio contendum tecum eo
(juod dixeris non peccavi. Jerem., II.) C'est
pour nous-mêmes, chrétiens, que Dieu veut
bien s'abaisser à nous demander nos excuses.
Hélas ! qu'en a-l-il besoin ; il voit tout à dé-
couvert ; ce n'est point pour s'instruire, il veut
entendre nos raisons; c'est qu'il voudrait
nous corriger. Suivons-le donc jusque dans
son tribunal, et croyons que s'il vous y con-
damne, c'est que nous l'y avons forcé."
Première excuse. Mon Dieu! dit-on, si
j'étais bien sûr de ce jugement. Et que
pourrais-je donc faire pour vous en mieux
convaincre, répliquera votre juge ; ma vie
tout entière devait vous en instruire; je
vous l'ai annoncé et fait annoncer dans tous
les temps par les oracles de mes prophètes,
dans ma mission sur la terre, dans ma doc-
trine, dans mon Evangile : Nunc annunliat ho-
minibus ; je vous l'ai annoncé dans la répro-
bation des Juifs, dans la vocation des gen-
tils, dans l'aveuglement de tant de peuples
barbares, dans la foi de tant de chrétiens,
dans la prospérité des impies, dans la dis-
grâce des gens de bien, dans la confusion
où je laissais ici les bons et les méchants,
dans ces vices triomphants qui demandaient
une peine proportionnée, dans ces vertus
humiliées qui méritaient une abondante
récompense ; par tout cela ma vie et ma
justice vous annonçaient de concert qu'il y
aurait un jugement : Nunc annunliat homini-
bus. (Act., XVII.) Je vous l'ai annoncé
dans l'infallibilité de mes autres prédic-
tions dont l'effet est arrivé. Jérusalem rui-
née de fond en comble, le temple détruit et
les Juifs dispersés : car, pourquoi la prédic-
tion du jugement dernier serait-elle moins
infaillible que toutes ses précédentes; mais
je vous l'ai annoncé plus encore dans le
fond de vos cœurs qu'il remplissait si
souvent d'images effrayantes. Lorsque, prêt
de commettre quelques péchés ou sur le point
d'accorder à vos passions fougueuses ce
qu'elles demandaient, laissant agir votre rai-
son, il s'élevait en vous un murmure secret
qui déposait contre vous, laissant parler
votre conscience vous y sentiez une 'certaine
répugnance, un ver qui, comme un serpent
cruel, allait vous piquerjusque dans l'abîme
de votre iniquité , et qui répandait jusque
dans vos plus grands plaisirs des remords
amers qui ne pouvaient être la voix du dé-
mon ni de vous-mêmes, mais la mienne qui
vous annonçait la vérité de mes jugements :
Jpse Deus annuntiat hominibus.
Le pécheur, de ce côté-là, sera donc in-
excusable, et alors il reconnaîtra que toute
la peine qu'il avait à admettre le jugement
n'est autre que la nécessité où il avait été
en le croyant, de changer de vie et de con-
duite ; c'est qu'il aimait mieux donner at-
teinte à la parole de Jétus-Christ que d'ar-
!*57
SERMON SUR LE JUGEMENT DERNIER.
4238
rêter le cours de ses crimes. Oui, pécheurs,
vous serez alors obligés de reconnaître que
le jugement de Dieu ne vous était devenu
suspect que parce qu'il vous aurait été in-
commode; vous serez alors persuadés que
vous n'aviez douté de la vérité de ce dernier
avènement que parce qu'il aurait mis un
frein à vos [tassions et un obstacle à vos
malheureuses convoitises.; vous verrez alors
que ce doute et le refus de croire au juge-
ment étaient bien moins une persécution de
votre esprit qu'une révolte de votre cœur
porté en tout à nier ce qui lui paraît con-
traire à ses desseins, et à suivre ce qui les
favorise; que vous n'auriez aucun soupçon
à ce sujet si vous ne l'eussiez trouvé pour
vous d'aucune conséquence; vous recon-
naîtriez alors que, quand vous affectiez tant
de ne pas croire au jugement, c'était plus
par politique que par certitude, plus par
libertinage de vie que par témoignage de
cœur, et que vos passions, trop contraires à
ce redoutable jugement, vous faisaient plus
sentir qu'il était faux qu'elles ne vous fai-
saient croire qu'il n'avait rien de véritable.
Mais voici une seconde excuse. Ce n'est
pas, disent les pécheurs, que je manque de
raison pour croire |le jugement dernier;
ce qui m'embarrasse et ce qui m'arrête, c'est
que je vois ici tout le monde se rassurer et
n'en vivre pas moins au gré de ses désirs.
Ah 1 c'est pour cela, répliquera Jésus-
Christ, que vous deviez trembler : je vous
avais dit que mon royaume demandait vio-
lence, il fallait donc le croire et, au lieu de
préférer l'exemple et les usages du monde
à mes maximes et à mon Evangile, au lieu
de vous former une idée d'un Dieu si mons-
trueux, il fallait vous dire à vous-même:
je sais que la voie large n'est pas celle du
ciel, que le paradis n'est pas pour la multi-
tude, et c'est pour cela que, plus je verrai
de mollesse et de lâcheté dans les autres,
plus je montrerai de courage et de force pour
arriver par la voie étroite, parla pénitence
et par la pratique des vertus à la bienheu-
reuse patrie où je suis destiné, et d'ailleurs,
chrétiens, l'exemple des autres vous auto-
rise-t-il, le plus grand nombre n'est-il pas
réprouvé, et devez-vous le suivre, quand il
vous conduit au malheur éternel.
Enfin, troisième excuse. On se tourne sans
cesse du côté de la miséricorde de Jésus-
Christ, notre juge; il est bon, clément, mi-
séricordieux, dit-on; il ne nous a pas fait
"pour nous perdre. Oh! oui sans doute, il
faut bien qu'il l'ait été, pécheurs, pour vous
souffrir si longtemps; il ne faut que jeter les
yeux sur tout ce qu'il a fait pour vous, mal-
gré votre ingratitude et vos désordres, pour
convenir de sa clémence et de sa miséri-
corde. Ohl chrétiens, j'aime bien que vous
disiez que votre juge est miséricordieux;
mais dites donc en même temps aussi qu'il
est juste ; prenez garde de ne pas séparer
l'un de l'autre , ne vous arrêtez pas toujours
à dire que la bonté et la compassion de
votre Dieu pour le pécheur sont infinies, je le
sais; mais ce langage peut devenir un écueil
pour vous; dites plutôt que ses vengeances
sont infiniment terribles ; pourquoi ? c'est
que vous avez plus besoin d'être retenus
par la crainte que flattés par l'espéiance,
c'est que la frayeur vous est plus nécessaire
pour tenir en bride vos fougueuses passions
que la confiance pour rassurer vos vertus.
Dieu est miséricordieux, mais quand il ré-
prouva Gain, Esaii, Antiochus, Judas et tant
d'autres, était-il un Dieu cruel, n'était-il
pas toujours miséricordieux ; comment donc,
en voyant qu'il en laisse périr tant d'autres,
malgré son infinie miséricorde, osez-vous
appuyer votre confiance au jugement der-
nier sur une telle parole : j'ose le dire, mes
frères, eu égard à vos excès, à vos désor-
dres, à votre endurcissement, le Seigneur
peut vous perdre et il ne cessera pas d'être
miséricordieux; pourquoi donc vous en
prévaloir? il faudrait que l'idée de ces
grandes miséricordes, loin de vous rassurer,
vous fit trembler en disant en vous-mêmes :
quoi 1 parce que je sais que mon juge est
infiniment patient, il n'est nul de ses dons
que je ne profane; il faudrait donc l'aimer et
le craindre ; mais, au contraire, on tourna
tout à son avantage , et , parce qu'il ne met
point de bornes à sa compassion, on ose in-
sulter à sa justice.
Quelle excuse cette haute idée de la misé-
ricorde pourra-t-elle donc ajouter à celles
que nous venons de rejeter comme vaines
et injurieuses à Jésus-Christ. Ah! que vous
pleurerez, que vous gémirez, et qu'un grand
prophète a bien prédit votre triste état, quand
il a dit que quiconque se ressouviendra de
ce que le Seigneur a fait pour lui séchera
de frayeur : Pavebit a facie consilii Domini.
(Isa., XIX.)
Mais il y a plus encore : ce veu de la mi-
séricorde de Jé.sus-Christ, les grâces commu-
nes et particulières, ces amas de bienfaits,
de patience et de bonté, ne serviront qu'à
jeter L'ingrat pécheur dans l'épouvante. Ah!
quelle désolation dans votre cœur, quand
- vous entendrez ce Dieu bon, mais irrité, qui
vous dira d'un ton sévère : Puisque j'étais
si miséricordieux, que ne faisiez-vous donc
usage de mes miséricordes? si j'étais si bon
à votre égard, n'êtes-vous donc pas inexcu-
sables de ne l'avoir point été envers moi? si
je ne vous ai pas fait pour vous perdre, pour-
quoi vous perdiez-vous donc vous-même?
Parce que j'étais infiniment secourable, fal-
lait-il vous jeter, de propos délibéré, contre
mes ordres, contre mon intention , dans le
fond de l'abîme, et ma miséricorde poussée
à bout; ne : devient -elle pas votre déses-
poir? et frémissez donc ici vous tous qui
vous êtes ôté le secours de ma miséricorde
par votre lâche présomption; je veux que de
son sein sortent des reproches qui vous
écrasent : Ex ore tuo tejudico.(Matth., XVIII.)
Eh bien 1 pécheur, quelle ressource vous
restera-t-il au pied de ce terrible tribunal?
Nulle nécessité de vivre dans le désordre.
Jésus-Christ vous avait donné tant de grâces
avec lesquelles vous pouviez vous en pré-
server ou en soi tir; nulle surprise ; vous
123")
ORATEURS SACRES. LE P. SUR1AN.
1210
aviez été averti dès le berceau ; nulle affaire;
ahl quelle autre affaire eût été préférable à
celle de votre salut? Nulle indifférence de
ma part; mon amour pour vous était ex-
trême ; je vous avais donné un cœur si porté
au bien, un naturel si heureux, des pen-
chants si doux , tant de goût pour la péni-
tence , une pudeur d'innocence que tout
alarmait, des désirs de mieux vivre, qui au
moins de temps en temps naissaient dans vo-
tre âme; tous ces préjugés de salut ne suffi-
saient-ils pas? qu'en avez-vous fait? répon-
dez-moi, si vous le pouvez : Responde mihi
si potes. (Mich ,VI.) Que pourrez-vous répon-
dre alors, âme infidèle, et quelle affreuse con-
fusion sera la vôtre en ce grand jour? Ahl
mon Dieu! quand vous me jugez, la justice
est toute de votre côté, et la honte toute pour
moi seul : Confusio facici meœ coopérait me.
( Psal. XL1II. ) Tout ici vous justifie , et je
ne peux lever les yeux vers vous sans rou-
gir et sans me confondre au souvenir de mes
iniquités et de vos grâces : Deus meus, con-
fundor et erubesco levure fuciem meum ad te.
(I Esdr., IX.) Confus d'avoir forcé un père si
tendre à ne plus m'aimer , un Dieu si bon, à
qui mes péchés ont tant coûté, plus confus de
me voir périr au pied de votre croix, source
de salut et de gloire pour tant d'autres, et de
voir sortir de vos plaies adorables non un
trésor inépuisable de grâce et de mérite, mais
de ma réprobation et de ma perte.
Nous voici donc arrivés, mes frères, au
plus tragique emploi de la justice; c'est à
cette justice de peine qui accable le pécheur :
deuxième et dernière réflexion.
Saul, pressé du remords des maux qu'il
avait faits, s'écrie : Ah! que deviendrai -je
dans ce cruel état où je me trouve? Au de-
hors tout me combat , au dedans je trouve
sans cesse mon crime : telle sera la triste si-
tuation où vous vous sentirez en présence
de votre juge; au fond de votre cœur millo
abominations qui s'offriront à vous, vous
déchireront de remords; quelle sera votre
componction I Mais au dehors ces créatures
que maintenant vous faites gémir sous votre
obéissance et que vous faites servir à vos
dérèglements, alors vous accableront de tout
leur poids. Voudrez- vous retomber sur
vous-même? Des remords dévorants, d'af-
freuses inquiétudes, des troubles désespé-
rants vous accableront encore plus. Encore
si les justes pouvaient s'attendrir sur vos
malheurs, et si les entrailles de la miséri-
corde pouvaient s'ouvrir en votre faveur;
mais tout cela ne se peut, et, accablé par
votre cœur, par toutes les créatures, vous le
serez encore plus par le Sauveur lui-môme.
Maintenant encore vous trouvez dans le
cœu,r du Père ses miséricordes, dans le comr
du Fils ses mérites, dans le cœur du Saint-
Esprit ses gémissements; mais alors tout
changera pour vous : vous trouverez dans le
Père ses miséricordes épuisées, dans le Fils
ses mérites inutiles et vains, dans le Saint-
Esprit ses gémissements convertis en re-
proches affreux. Oui, le Seigneur, pour se
venger de l'injure que vous lui aurez faite,
s'appliquera tout entier à vous punir de vos
offenses, n'ayant rien fait pour vous de mé-
diocre ni en vous rachetant, ce fut au prix
de tout son sang, ni en vous destinant des
récompenses, il vous avait promis son
royaume et lui-même pour votre bonheur
éternel; encore en vous jugeant, vous le
verrez infini; il vous jugera dans sa colère
et dans toute sa fureur, et ce Sauveur ado-
rable qui vous aura cherché i endant peut-
être si longtemps avec tout l'empressement
et la bonté d'un pasteur compatissant et
charitable; alors, vengeur implacable, il ne
se montrera à vous que les foudres en mains
et les yeux étincelants de colère, et vos maux
seront si pleins, qu'il trouvera dans sa ven-
geance cette consolation qu'il se promettait
et que vous avez ôtée à sa miséricorde.
O pécheurs, demandez-vous ici quelle ré-
sistance vous pouvez faire devant ce jure
assis sur son redoutable tribunal? Quelle
voix plus forte que celle de vos péchés par-
lera pour votre défense? quelle main plus
puissante que celle d'un Dieu vous arrachera
à sa vengeance? Qui pourra donc alors vous
consoler dans vos malheurs, quand, n'ayant
plus rien pour vous, ni Dieu, ni les créa-
tures, ni vous-mêmes, il ne vous restera que
des gémissements et des larmes ! L'affreux
partage ! Qu'un vain désir vous coûtera cher 1
Quelle misère épouvantable! Et enfin arrive
Je moment où ce Dieu vengeur, ne vous re-
gardant plus que comme son ennemi, et ap-
pliquant sur vous toute la forre de son bras,
vous arrachera de son cœur, vous séparera
comme un bouc d'avec ses brebis, et vous
dira d'un ton décisif: Allez, maudits, reti-
rez-vous de moi : Disceditc. (Mat th., XXV.)
Ah ! tandis que mes élus, qui ont été long-
temps ou inconnus ou méprisés sur la terre,
vont se rassasier délicieusement dans mon
sein, vous, sortez pour jamais hors de ma
présence, hors de mes grâces, hors de ma
miséricorde, hors de ma félicité, hors de mon
cœur, hors de ma gloire : Ite, discedite, male-
dicti (Ibid.) ; allez dans ma haine, dans ma
vengeance, dans ma colère, dans ma fureur,
où ma justice vous attend : Ite, discedite, ma-
ledicti (lbid.) ; allez avec mes malédictions
au feu dévorant, aux flammes éternelles, aux
tourments de l'enfer où ma justice vous
abandonne : In ignem œternum. (Ibid.)
Voilà donc le terme redoutable où abou-
tira tout ce que font ici-bas, tout ce que
pensent, tout ce qui irrite si fort l'appétit et
le désir des coupables enfants des hommes!
Voilà donc la fin déplorable qui terminera
leur sort ; jugeons après cela, s'il nous est
permis d'être ce que nous sommes et de faire
ce que nous faisons; décidons si nous de-
vons donner à offenser notre Dieu une vie
qui n'est destinée que pour l'apaiser; exa-
minons la destinée du ju>te et du pécheur,
le bonheur de l'un et le malheur de l'autre,
l'héritier du royaume éternel de Jésus-Christ
ou l'objet éternel de ses vengeances, et dé-
cidons lequel nous voulons être. Le Sauveur
du monde sera-t-il au jugement notre perte
ou notre salut? Serons-nous éternellement
12S1
TABLE DES MATIERES.
*2i2
sous ses pieds comme ses esclaves rebelles
accablés par sa justice, ou dans son cœur,
comme ses membres fidèles sanctifiés par
sa miséricorde ? Il nous laisse quelques
moments peut-être, si longs encore et tou-
jours si précieux, pour délibérer sur le
parti que nous aurons à prendre, et pour
nous rendre l'éternité ou bienheureuse par
son amour, ou malheureuse par sa haine.
Ah! loin de bien les employer, ces moments
si grands et si précieux, pour nous rendre
le jugement de Jésus-Christ favorable,
pourrions-nous, misérables pécheurs, les
prodiguer encore comme nous avons fait
des précédents pour le monde et pour nos
passions; et regarderions-nous la pensée et
Je souvenir du jugement, nomme un poids
importun et accablant qui nous esta charge.
Mon Dieu ! si nous pouvions avoir les
sentiments que nous aurons alors, et que
nous voudrions avoir eus, que nous nous
reprocherions à nous-mêmes notre aveugle-
ment et notre lâcheté, de faire si peu et
d'avoir tant à faire pour prévenir les ven-
geancesdu Seigneur 1 que nous pleurerions
amèrement ie temps que nous avons perdu
par nos dérèglements, et que nous songe-
rions bien eificacement à le réparer par
notre pénitence! Ah! prévenons donc clans
le temps les justices du Seigneur, pour trou-
ver après la mort , ses miséricordes dans
l'éternité. Craignez, dès maintenant, ce jour
terrible comme si déjà vous y étiez; qu'il
n'y ait en yous ni force d'esprit, ni raison,
ni excuse, ni prétexte, qui tienne contre
les frayeurs que la religion vous en donne.
Tel qui n'aurait point assez de perfection
et de vertu pour s'assurer des bontés de son
Juge par son amour, pourrait espérer de se
garantir de ses vengeances par sa crainte;
mais ne vous contentez pas de trembler;
agissez, que votre trouble soit efficace. La
crainte qui opère la pénitence, doit être
jointe à celle qui alarme les passions. Crai-
gnez ce jugement, mais commencez, dès à
présent, une vie qui vous éloigne de tout
péché; tremblez, mais travaillez à purifier
le fond de cette conscience criminelle, où
l'oeil de Dieu découvrirait alors des iniqui-
tés cachées et capables d'attirer sur vous tous
les traits de sa fureur. Que vos craintes vous
portent à vous ménager l'amitié de votre
Juge au jour de ses justices; imitez ces cou-
pables Israélites dont parle l'Ecriture, qui,
les larmes aux yeux, vont au devant de la
colère de leur Juge : Nuntiatum est nobis
servis tais quod promisisset Dominas ut dis-
perderet terram et cunctos habitatores ejus
(Jos., IX, 24) : « Seigneur, on vient de nous
annoncer que vous avez résolu de punir la
terre et tous ses habitants, que votre colère
est près d'éclater contre nous : » Timuimus
igitur valde (Ibid.); « la frayeur nous a tous
saisis » à cette terrible nouvelle; mais nous
avons plus fait : Providimus animabus no-
stris, veslro terrore compulsi (Ibid.); « frappés
decette crainte, nous avons mis ordre à notre
conscience.» Nous allons, par un renouvelle-
ment de fidélité, pourvoir au salut de nos
âmes, et dès maintenant, nous nous jetons
entre les bras de votre miséricorde par notre
pénitence, pour ne pas tomber un jour 60us
le poids terrible de votre justice, par la con-
tinuation de nos désordres. C'en est fait,
nous en avons pris une résolution ferme,
honteux d'être devenus vos ennemis, « nous
voulons être désormais vos plus fidèles ser-
viteurs : » Servi tui sumas. (Ibid.) Si vous en-
trez dans ces heureuses dispositions, vous
pouvez espérer que Dieu touché de vos re-
grets et de vos larmes fera la paix avec vous,
dès cette vie, fecit cutn eis pacem (Ibid.), et
vous entendrez rie lui ces paroles conso-
lantes pour vous : Que tout le reste périsse
impitoyablement; mais pour ceux-ci, je leur
réserve la vie éternelle; je vous la souhaite,
mes frères, au nom du Père, et du Fils et du
Saint-Esprit. Amen.
TABLE DES MATIÈRES
CONTENUES DANS CE VOLUME
OEUVRES ORATOIRES CHOISIES DE
FRANÇOIS BALLET.— DEUXIEME PAR-
TIE.
PANEGYRIQUES. 9
Extrait de la préface. 9
Panégyrique I". — Notre-D;s:ae de la Merci. 13
Panégyrique II. — Premier panégyrique de saint Vin-
cent, de Paul. . 39
Panégyrique 111. — Second panégyrique de saint Vin-
cent lie i'aul. 59
Panégyrique IV. — Premier panégyrique de saint
François d'Assise. 71
Panégyrique V. — Second panégyrique de saint Fran-
çois d'Assise. 89
Panégyrique VI. — Panégyrique de sainte Claire. 105
Panégyrique VII. — Panégyrique de saint Claude, ar-
chevêque de Besançon. 124
Panégyrique VIII. — Panégyrique de sainte Elisabeth,
duchesse de Thuringe, religieuse du tiers-ordre de saint
François. 1 iS
Panégyrique IX. — Pour la fêle de Notre Daine de
1G8
Panégyrique de saint Hilaire, évê-
188
1243
Mont-Carmel.
Panégyrique X.
que de Poitiers.
Panégyrique XI. — Panégyrique de saint Martin. 213
Panégyrique XII. —Panégyrique de saint Patrice, apôlre
de l'Irlande. 238
Panégyrique XIII. — Panégyrique de saint Tontven-
ture, cardinal, évêque d'A.bano et docteur de l'Eglise.
261
Panégyrique XIV. — Panégyrique de saint Gaétan, in-
stituteur de la congrégation des clercs réguliers 276
Panégyrique XV. — Panégyrique de saint Rémi, ar-
chevêque de Reims, apôtre de la France. 292
Panégyrique XVI. — Panégyrique de saint Jean Népo-
mucène, chanoine et martyr. 315
SUJETS DIVERS. 331
Sermon I". — Sur le sacré cœur de Jésus. 331
Sermon II. — Pour une profession religieuse. 343
Sermon III. — Pour l'ouverture du Jubilé (6 juin 1745).
568
Sermon IV. — Pour le jour de la Nativité de la sainte
Vierge. 387
Sermon V. — Sur la présence réelle. 397
Sermon VI. — Sur le mystère de l'Incarnation. 413
Sermon VII. — Sur l'Assomption de la sainte Vierge.
425
Sermon VIII. — Pour l'indulgence delà Porlioncule.
444
INSTRUCTIONS SUR EA PENITENCE DU CAR RM F,
tirées de l'Ecriture sainte , des conciles et des Pères.
453
Préface. 455
Chapitre I". — Gémissements d'une âme fidèle h la
vue des infractions publiques de la sainte pénitence du
carême. 459
Chap. II. — De l'antiquité et de l'autorité du précepte
de la sainte pénitence du carême. 461
Chap. III. — Tous les fidèles doivent participer à la pé-
nitence du carême. 462
Chap. IV. — E'esprit de l'Eglise dans l'adoucissement
de la sainte pénitence du carême. 464
Chap. V. — De la préparation à la sainte pénitence du
carême. 466
468
TABLE DES MATiERES.
12 Ï4
Chap VI. — Du jeûne comme précepte.
Chap. VII. — Des vertus qui doivent accompagner le
jeûne pour le rendre utile et méritoire. 470
Chap. VIII. — De l'abstinence comme précepte. 472
Chap. IX. — Il faut éviter la délicat' sse dans la péni-
tence du carême. 474
Chap. X. — Il faut se priver des plaisirs, même permis,
dans la sainte pénilence du carême. 476
Chap. XI. — Les riches doivent faire pins d'aumônes
dans le carême que dans les autres temps. 478
Chap. XII. — Les chrétiens, dans le carême, doivent
accompagner leur pénitence de prières et de gémisse-
ments. 480
Chap. XIII. — Les chrétiens pénitents dans le carême
doivent se faire un devoir d'assister tous les jours à la
messe et aux instructions. 482
Chap. XIV. — Les chrétiens qui veulent tirer du fruit
de la pénilence du carême doivent commencer par se ré-
concilier avec leurs ennemis 484
Chap. XV. — Les motifs qui doivent porter les chré-
tiens à pratiquer^aveczèle la sainte pénitence du carême.
486
Chap. XVI. — La cérémonie des' cendres doit exciter
les ehrétiens à la pénilence du carême. 488
Chap. XVII. — L'exemple de Jésus Christ, pénitent
dans le désert, doit animer les chrétiens a la sainte péni-
tence du carême. 490
Chap. XVIII. — L'exemple de Jésus-Christ souffrant
doit animer les chrétiens à la pénitence du carême. 492
Chap. XIX — Les chrétiens doivent moins redouter les
rigueurs de la pénitence du carême que les révoltes d'une
chair bien nourrie et délicate. 491
Chap. XX. — Les chrétiens doivent, en considérant
leurs péchés, embrasser avec ferveur la pénitence du ca-
rême. 496
Chap. XXI. — Les menaces que Dieu fait aux impéni-
tpnls doivent faire trembler les chrétiens qui se dispen-
sent de la pénitence du carême. 499
Chap. XXII — Les chrétiens qui méditent les rigueurs
de la justice de Dieu ne sont point alarmés de la péni-
tence du carême. 501
Chap. XXIII. — La pensée de la mort doit porter les
chrétiens à la pénitence du carême. 501
Chap. XXIV. — Le jugement que Dieu fera à notre
mort, de toutes nos actions, doit porter les chrétiens à
faire la pénitence dont ils sont capables. 506
Chap. XXV. — La méditation des peines de l'enfer
doit perler les chrétiens à embrasser avec joie la sainte
pénitence du carême. 509
Chap. XXVI. — 1 a méditation des peines du purgatoire
doit porter les chrétiens à pratiquer avec ferveur la pé-
nitence du carême. 511
Chap. XXVII. — La méditation du paradis doit porter
les chrétiens à ne point se dispenser de la pénitente du
carême. 514
Chap. XXVIII. — Sentiments des Pères assemblés dans
les conciles sur la pénilence du carême. 516
Chap. XXIX. — Témoignage de Tertullien sur la péni-
tence du carême. 518
Chap. XXX. — Témoignage de saint Cyprien sur la pé-
nitence et le jeûne du carême. 520
Chap. XXXI. —Témoignage de saint Ambroise sur le
jeûne et la pénitence du carême. 522
Chap. XXXII. — Témoignage de saint Jérôme sur le
jeûne et la pénitence du carême. 524
Chap. XXXIII. — Témoignage de saint Augustin sur le
jeûne et la pénitence du carême. 526
Chap. XXXIV.— Témoignage de saint Jean Chrysoslome
sur le jeûne el la pénitence du carême. 5-8
Chap. XXXV. — Témoignage de saint Léon, pape et
docteur de l'Eglise, sur le jeûne et la pénitence du ca-
rême. 530
Chap XXXVI. — Témoignage de saint Rernard sur la
pénilence el le jeûne du carême. 552
Chap. XXXVII. — Témoignage de Théodulphe, évêque.
d'Orléans, sur le jeûne et la pénitence du carême. 534
Chap. XXXVFIf. — La pénilence du carême estime pré"
paration à la solennité pascale. 536
Chap. XXXIX. — Ce que doivent faire les chrétiens qui
ne peuvent point jeûner dans le saint temps de carême.
539
Chap. XL. — Ce que doivent faire les chrétiens qui ne
peuvent point observer l'abstinence. 541
Chap. XI.I. — Dieu soutient ceux qui, par respect pour
la loi de l'Eglise, s'efforcent de pratiquer le jeûne et l'ab-
stinence dans le saint temps de carême. 543
Chap. XLII. —Crime des chrétiens qui violent la sainte
pénilence du carême avec scandale. 545
Chap. XLIII. — Crime des chrétiens qui se servent de
leur autorité ou de l'ascendant qu'ils ont sur leurs en-
fants, leurs domestiques, leurs amis, pour leur faire violer
la sainte pénilence du carême. 518
Chap. XL1V. — Le déchet de la sainte pénitence du
carême qui nous afflige aujourd'hui est une suite du dé-
chet de la foi. 550
Chap. XLV. — Motifs qui doivent ronsoier les chré-
tiens affligés du déchet de la sainte pénitence du ca-
rême. 552
, Chap. XLVL — Ce que doivent faire les chrétiens Hdè-
lès après avoir pratiqué la sainte pénitence du carême.
554
INSTRUCTIONS SUR LE JURILE. 537
Avertissement de l'auteur. 557
Première partie.
Chapitre I". — On exhorte tous les fidèles a profiler
de la grâce du jubilé. 557
Chap. IL — Idée du jubilé. 559
Chap. 111. — Avantages du jubilé. 560
Chap. IV. — L'Eglise a le pouvoir d'accorder des in-
1245
diligences. 561
Chap. V. — Quel est le trésor de grâces que l'Eglise
ouvre à ses enfants. 562
Chap. VI. — Jésus Christ a satisfait avec une surabon-
dance de mérites qui forme dans l'Eglise un trésor iné-
puisable de grâces. 565
Chap. VII. — Dans quel sens les mérites de la sainte
Vierge et des saints font partie de ce trésor que l'Eglise
ouvre à ses enfants. 564
Chap. VIII. — L'application des mérites de la sainte
Vierge et des saints ne fait puint injure aux mérites
de Jesus-Christ. 563
Chap. IX. — La satisfaction que l'Eglise exige, des fi-
dèles ne fait point injure aux mérites de Jésus-Christ.
566
Chap. X. — La sainte sévérité de l'Eglise justifiée par
la doctrine du saint concile de Trente. S67
Chap. XL — Le jubilé ne dispense que des rigueurs
dont nous ne sommes pas capables. 368
Chap. XII. — Le jubilé supplée à l'imperfection de la
pénitence que nous pouvons faire. 569
Chap. XIII. — Sentiments des justes aux approches du
jubilé. . 571
Chap. XIV. — Sentiments des pécheurs touchés aux
approches du jubilé. 572
Chap. XV — Sentiments des mondains aux approches
du jubilé. 573
Chap. XVI. — Sentiments des pécheurs d'habitude aux
approches du jubilé. 574
Chap. XVII.— Sentiments des libertins et des incrédules
aux approches du jubilé. 575
Seconde partie.
Chapitre 1" — Des motifs qui doivent nous porter à
profiler de la grâce du jubilé. 575
Chap. IL -*- Réflexions sur l'histoire du déluge. 577
Chap. III. — Réflexions sur l'endurcissement de Pha-
raon. 579
Chap. IV. — Réflexions sur la pénitence des Ninivites.
580
Cnap. V. — Réflexions sur la pénitence de David.
581
Chap. VI. — Réflexions sur l'impénitence d'Antiochus.
583
TABLE DES MATIERES.
1246
Chap. VIL
lei e.
■ Réflexions sur la pénitence de la Made-
581
Chap. VIII. — Réflexions sur le pardon accordé à la
femme adultère. 585
Chap. IX. — Réflexions sur la parabole de l'enfant pro-
digue 587
Chap. X. — Réflexions sur la guérison du paralytique.
588
Chap. XL — Réflexions sur la pénitence du bon larron
et l'indulgence q'ui lui fut accordée sur la croix. 589
Chap. XII. — Réflexions sur l'indulgence accordée à
l'incestueux de Corinthe par l'apôtre saint Paul. 591
Chap. X1IL — Réflexions sur l'indulgence accordée par
saint Jean l'évangéliste à un fameux voleur. 592
Troisième partie.
Chapitre I". — Il faut nous animer à la pénitence h la
vue de la bonté d'un Dieu qui nous recherche et nous in-
vite. 593
Chap II. — Il faut travaillera détruire les habitudes
du p iché pour profiter de la grâce du jubilé. 596
Chap. HI. — Il faut examiner sa conscience dans l'amer-
tume de son cœur, pour profiler de la grâce du jubié.
597
Chap. IV. — Il faut hair et détester souverainement le
péché pour être réconcilié avec Dieu et profiter de la
grâce du jubilé. 599
Chap. V. — Très-peu de personnes conçoivent de la
douleur de leurs péchés et les pleurent cumme de vrais
pénitents. 600
Chap. VI. — Où on continue de prouver qu'il faut
pleurer ses péchés, et qu'il y en a très-peu qui donnent
des preuves d'un sincère repentir. 602
Chap. Vil. — La bonté d'un Dieu qui use d'indulgence
envers nous, et nous remet beaucoup dans ce saint tenins
doit exciter notre amour. 604
Chap. VIII. — Dans quels sentiments on doit prier dans
ce temps de jubilé. 606'
Chap. IX. — Dans quel esprit on doit faire les stations
ordonnées par le souverain pontife. 607
Chap. X. — Les sentiments que l'on doit exciter d;ms
son cœur avant d'aller se confesser pour le jubilé
608
Chap. XL — Les sentiments que l'on doit exciter dans
son cœur avant de communier pour gagner le jubilé.
609
Cnap. XII. — Il faut conserver précieusement les grâ-
ces qu'on a reçues dans le temps du jubilé. 610
Notice sur le P. Surian. 611
SERMONS DU P. SURIAN DE L'ORATOIRE,
ÉVÉQUE DE VENCE.
PETIT CAREME. 617
Sermon I". — Pour la Purification de la sainte Vierge.
617
Sermon IL — Pour le premier dimanche de carême. —
Sur les tentations des rois. 026
Sermon III. — Pour le second dimanche de carême. —
Sur les caractères de la grandeur chrétienne. 635
Sermon IV. — Pour l'Annonciation de la Vierge. — Sur
l'humilité. 644
Sermon V. — Pour le quatrième dimanche de carême.
— Sur la bonté des rois. èoo
Sermon VI. — Pour le dimanche de la Passion. — Sur
la piété des rois. 664
Sermon VII. — Pour le dimanche des Rameaux. — Sur
le mépris des grandeurs humaines. 672
Sermon VIII. — De la résurrection de Jésus-Christ.
680
SERMONS POUR LE CAREME
Sermon 1". — Du jeûne 691
Sermon II — Des obligations du chrétien et de ses
engagements. 707
Sermon III. — Amour de Dieu. 720
Sermon IV. — Nécessité de la pénitence; faux prétextes
de s'en dispenser. 731
Sermon V. — Fuite des occasions du péché, ou sur les
tentations. 741
Sermon VI. — De la prière. 754
Sermon VIL — De l'importance du salut. 763
Sermon VIII. — De l'enfant prodigue. 776
Sermon IX. — De l'aumône. 790
Sermon X. — Contre les obstacles qu'on oppose à sa
conversion. 807
Sermon XL — Contre l'impureté. 821
Sermon XII. — Des peines de l'enfer. 810
Sermon XIII. — De la gloire du ciel. 854
Sermon XIV. — De la pénitence différée à la mort.
861
Sermon XV. — De la correction fraternelle. 882
Sermon XVI. — Du scandale. 893
Sermon XVII. — De la fausse dévotion. 905
Sermon XVIIL — De la conscience contre les scrupu-
les, yis
Sermon XIX. — De la providence divine. 930
Sermon XX. — Du respect dû aux églises. 913
Sermon XXL — Du petit nombre des élus. 957
Sermon XXII. — Contre les rechutes. 97 4
Sermon XX11L — Homélie sur l'évangile de Lazare.
986
Sermon XXIV. — De la confession. 1003
Sermon XXV. — De la vérité de la religion. ' 1017
Sermon XXVI. — Des devoirs propres à chaque état.
1031
Sermon XXVII- — De la conversion du pécheur. 1045
4217
TABLE DES MATIERES.
Sermon XXVIII. — De la passion de Jésus-Christ.
1061
1087
Sur la
1103
1111
Sermon XXIX. — Dispositions à la communion.
Sermon XXX. — Pour l'absoute de Pâques. — I
réconciliation du pécheur avec Dieu.
Sermon XXXI. — Des afflictions chrétiennes.
MYSTERES ET FETES.
Sermon I". — Pour le jour de la Circoncision. — Sur
la sainteté. 1125
Sermon II. — Pour le jour de la Purification. — De
l'observance de la loi. 1133
Sermon III. — Pour le jour de l'Annonciation. — Sur
4243
l'humilité. 1143
Sermon IV. — Pour le jour de l'Ascension de Jésus-
Christ. 11 Cl
Sermon V. — Pour le jour de la Sainte-Trinité. — Sur
les vœux du baptême. 1174
Sermon VI. — Pour la fête du saint Sacrement. 1175
Sermon VII. — Tour le jour de la Toussaint. 1177
Sermon VIII. — Pour le jour des Morts. 1189
Sermon IX. — Pour la fête de la Conception. 1201
Sermon X. — De la nativité de Jésus-Christ. 1214
SERMON SUR LE JUGEMENT DERNIER. 1223
FIN.
Imprimerie de L.M1GNE, au l'etil-Montrouge.
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La Bibliothèque
Université d'Ottawa
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The Library
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